.1 ,.
f s
MèÊ^
p.
.•."■^fk
h-rrH'-.:
j^-.'f
--, t T
i*:
m.
%r*' ,,'^
i*w* -^i."
w^^Tmmpm^^¥^
■:■!
7^.
3 9007 0309 6446 ' 4
y ■ -à. * o 3UU/ ujua b446 4 '^Si. '"^i^' -* ■ 'T.V<
"^^^^
DICTIONNAIRE
DE PÉDAGOGIE
ET
D'INSTRUCTION PRIMAIRE
4434-81. — CORUEIL. IMl'HIMKRli; CHÉÏÉ.
DICTIONNAIRE
DE PÉDAGOGIE
ET
d'instr.u(;tion primaire
i-uitLii: su us LA iii Ki':<: riu[N ui:
F. BUISSON
agrégé de l'Université
inspecteur générai de l'enseignement prima
AVEC LE CONCOURS D UN GRAND NOMBRE DE COLLABORATEURS
MEMBRES Dli LINSTITUT, PUBLICISTES.
tONCTIOnxAinES DE l'instruction PUBLIOUE, INSPECTEURS, PROFESSEURS
KT INSTITUTEURS DE FRANCE ET DE L'ÉTRANGER
II' PARTIE
TOME SECOND
PARIS
LIBRAIRIE HACHE T TE ET C
7 'J , Il (I U I. r, V A H 11 SAIN T - li B H M A I N , 7 '.)
188:.'
p
DICTIONNAIRE
DE PÉDAGOGIE
ET D'INSTRUCTION PRIMAIRE
(DEUXIÈME PARTIE)
IDEli:. — Psycliologie, V. — Etym. : du grec
eidos, image. — L'idée pourrait, d'après l'étynio-
logie, se définir : l'image des objets dans l'esjjrit.
Cependant la significaiioii du mot idée est plus
générale encore : il désigne l'acte le plus simple Je
l'intelligence, s'appliquant soit au monde extérieur,
soit au monde intérieur de la conscience, soit h
l'ordre des réalités suprasensibles. Ainsi nous
avons les idées des sons, des couleurs, de diffé-
rents êtres, inanimés ou vivants : voilà pour le
monde extérieur; nous avons les idées de plaisir
et de douleur, celles des résolutions que nous
avons pu prendre autrefois, etc. : voilà pour le
monde intérieur ; nou.ç avons les idées d'espace
infini, du temps éternel, d'être parfait, etc. ; voilà
pour le monde suprasensible.
L'idée se distingue à la fois de la sensation pure
et de la détermination volontaire. Je puis avoir en effet
l'idée d'une souffrance ou d'une jouissance, sans les
éprouver actuellement; je puis d'autre part avoir
l'idée d'un choix à faire entre deux motifs d'action,
sans pour cela me décider. Enfin, si l'idée est une
représentation des choses dans l'esprit, elle n'im-
plique pas nécessairement l'existence d'un objet h
titre de réalité distincte do l'esprit lui-même.
Un cheval ailé, une montagne d'or, n'existent pas
dans la nature ; il m'est cependant possible de
m'en former l'idée. Mais on remarquera que ces
idées factices, ainsi que les appelait Descarles,
nous apparaissent comme telles, c'est-à-dire que
nous avons conscience de les produire volontaire-
ment, et nous connaissons par là même qu'elles
ne correspondent à rien de réel ; on remarquera
de plus que la nature et l'expérience nous eji
fournissent tout au moins les éléments. S'il n'existe
pas di^ montagne d'or, l'or et la montagne existent
séparément : c'est seulement la combinaison des
idées représentuiit ces deux objets qui est notre
œuvre, et nous le savons très bien. On peut donc
admettre en principe que toute idée qui ne nous
apparaît pas comme une création artificielle de
notre esprit, et qui est accompagnée de la croyance
h l'existence d'un objet en dehors de nous, impli-
que l'existence réelle de cettç objet. Là est le fon-
2' PARÏIK.
dément de toute certitude relativement à l'existence
du monde extérieur et de Dieu.
En un sens, le nombre des idées est illimité ; il
dépend, pour chacun, du degré de savoir ou de
réilexion auquel il est parvenu. L'homme fait a
plus d'idées que l'enfant, le savant que l'ignorant.
Mais les idées présentent entre elles certains traits
de ressemblance ou de différence qui ont permis
de les classer. Ces classifications elles-mêmes sont
de valeur inégale selon la nature des caractères
considérés.
Ainsi les idées sont dites claires ou obscures,
distinctes ou confuses, particulières ou générales,
abstraites ou concrètes, vraies ou fausses, etc.
Elles sont claires quand elles représentent vive-
ment leur objet à l'esprit ; distinctes, quand elles
représentent l'objet avec tous les attributs essen-
tiels qui lui appartiennent dans la réalité; en ce
cas, elles reçoivent quelquefois le nom d'adéquates.
Une idée peut être claire sans être distincte : si
je me brûle la main, j'ai l'idée très claire de la
douleur éprouvée; cependant j'ignore comment
une modification toute mécanique des tissus do la
peau peut produire dans l'âme une sensation :
l'idée de la souffrance n'est donc pas ici une idée
distincte. Une idée particulière est celle qui
n'exprime qu'un seul individu'; par exemple, l'idée
do tel homme, Pierre ou Paul. L'idée générale,
au contraire, est colle qui convient à toute une
espèce ou à tout un genre : l'Idée de l'homme, da
l'animal, etc. L'idée particulière est également
concrèie, c'est-à-dire qu'elle représente un objet
ayant une existence propre et indépendante de
l'esprit; l'idée générale est par là même abstraite,
l'abstraction étant ce procédé qui consiste à déga-
ger des caractères multiples des individus qui for-
ment un genre, ceux qui conviennent à tous, en
négligeant les autres. Mais si toute idée générale
est le produit d'une abstraction, il est dos idées
abstraites qui ne sont pas pcjur cela des idées gé-
nérales ; ainsi je puis, dans une orange, considérer
seulement la forme, ou la couleur : les idées do
ces qualités prises à part seront ahsti-aites, sans
qu'il soit nécessaire de les affirmer do tous les
IDEE
1002 —
IDEE
fruits appelés oranges. Enfin les idées vraies
sont celles qui sont conformes à leurs objets, bien
qu'en réalité le vrai et le faux soient plutôt des ca-
ractères du jugement, lequel est l'expression d'un
rapport entre deux idées.
Tous ces principes de classification ont leur uti-
lité en logique ; mais leur importance n'est après
tout que secondaire. En effet, telle idée, claire et
distincte pour tel esprit, sera obscure et confuse
pour tel autre; une idée sera plus ou moins géné-
rale, selon qu'on la considère en rapport avec celle
de l'espèce dont elle exprime le genre, ou celle du
genre supérieur dont elle n'est que l'espèce. Par
exemple, l'idée d'homme est plus générale que
celles de Pierre, de Paul, de Français, d'Européen :
et moins générale que l'idée d'être animé. Aussi
les psychologues sont-ils à peu près d'accord pour
reconnaître que la véritable classification des idées
est celle qui se fonde sur la diB'érence d'origine.
La question de l'origine des idées, qui touche
aux problèmes les plus élevés de la métaphysique
et de la morale, est une de celles qui ont tenu le
plus de place dans les préoccupations des philoso-
phes à toutes les époques de l'histoire. Les uns,
ce sont les sensualistes, ont prétendu dériver
toutes les idées, par suite toute la connaissance
humaine, soit de la sensation (Epicure, Hobbes,
Condillac); soit de la sensation et de la réilexion
(Locke, Laromiguière) ; plus généralement, de
l'expérience externe ou interne 'sensou conscience),
d'où le nom d'empirique (do grec empeiria, expé-
rience) donné quelquefois a cette école. Les au-
tres se sont elTorcés de montrer que certaines
idées doivent être nécessairement rapportées à
une source différente, qu'elles sont le produit
d'une faculté souveraine distincte des sens, de la
conscience, et des opérations intellectuelles telles
que la comparaison, l'abstraction, la généralisa-
tion, le raisonnement; cette faculté est la vais'ut,
et les philosophes qui professent celte doctrine
sont appelés rudonalistes. Le rationalisme est re-
présenté dans l'histoire de la philosophie par les
noms de Platon, de Descartes, de Leibnitz, deKant,
de Royer-Collard et de Victor Cousin.
Nous ne pouvons retracer ici les phases diver-
ses de ce grand débat ; contentons-nous d'esquis-
ser, dans ses traits essentiels, la démonstration
de la thèse rationaliste.
Un examen, même superficiel, de nos idées,
suffit à faire reconnaître que les unes sont contin-
yçntes, les autres 7iéi:essaiies. Les idées contin-
gentes sont celles qui pourraietit ne pas exister
dans l'esprit sans que leur non-existence impli-
quât contradiction. J'ai les idées d'arbre, de mai-
son, de couleur, mais je pourrais ne pas les avoir ;
mon intelligence n'en subsisterait pas moins.
Tout autres sont les idées nécessaires : elles sont
telles que l'on ne saurait concevoir un esprit qui
ne les possédât pas, à un degré quelconque de
clarté et de précision. De ce nombre sont les idées
d'espace et de temps.
Ce caractère de nécessité de certaines idées ré-
sulte évidemment de la nécessité même de leurs
objets. Tandis que je puis sans absurdité suppo-
ser anéantis la table sur laquelle j'écris, la cham-
bre qui la renferme, la maison que j'habite, et la
terre même, et le système solaire, et les millions
d'étoiles qui peuplent les deux, je fais de vains
efforts pour supprimer par la pensée l'espace vide
et illimité. Antérieurement à toute création, il est
là pour ctmtenir les corps possibles : l'univers
fùt-il anéanti, il serait encore là, éternellement
prêt à en recevoir un nouveau.
De même pour le teinps. Dans la nature exté-
rieure, comme au sein de ma conscience, les phé-
nomènes s'écoulent. Chacun d'eux a commencé
d'exister; la série tout entière a eu un conimen-
■ement. Mais puis-je concevoir qu'ils ne se succè-
dent pas dans le temps, que le temps ait com-
mencé d'être, qu'un temps ait été où le temps ne
fut pas, et qu'à un moment quelconque de l'ave-
nir, le temps puisse cesser d'exister? De telles
hypothèses répugnent à la raison; elles impli-
quent contradiction dans les termes : comme l'es-
pace, le temps est nécessaire.
L'école rationaliste énumère d'autres idées en-
core à qui elle reconnaît le même caractère de
nécessité : l'idée de cause première, celle du bien
absolu, ou fin suprême de la volonté, celle d'être
parfait, etc. Il faut reconnaître d'ailleurs qu'elle
n'a jamais pris soin d'en dresser une liste complète
et méthodique.
Une idée nécessaire est en même temps abso-
lue, c'est-à-dire qu'elle ne dérive d'aucune autre ;
l'idée contingente, au contraire, est relative. Je
ne puis concevoir un corps sans concevoir l'espace
qui le contient; mais la réciproque n'est pas vraie.
L'idée de corps est donc relative à l'idée d'espace ;
elle en dépend, tandis que celle-ci est première,
et ne dépend que de son objet, lequel ne dépend
de rien.
Enfin, les idées nécessaires sont universelles;
elles existent, plus ou moins claires, mais tou-
jours identiques, dans toutes les intelligences.
Les idées contingentes sont particulières, en ce
sens qu'elles peuvent ne pas exister dans tous les
esprits, ou être conçues différemment par chacun
d'eux.
De cette opposition de caractères, l'école ratio-
naliste conclut à une différence d'origine. Il est
manifeste que les idées contingentes, relatives,
particulières, viennent des sens ou de la cons-
cience, en un mot de l'expérience. Il n'est pas
moins évident que les idées nécessaires, absolues,
universelles, ne sauraient découler de la même
source. L'expérience nous révèle ce qui est, à tel
point de l'espace, à tel moment de la durée : non
ce qui ne peut pas ne pas être, ce qui est et
doit être, partout et toujours. La faculté qui nous
donne ces connaissances d'ordre supérieur s'ap-
pelle la raison '.
Sans nier les différences profondes qui séparent
ces deux classes d'idées, les philosophes de l'école
empirique cherchent à les atténuer, en dénaturant
les notions nécessaires pour les rapprocher insen-
siblement des notions contingentes. C'est ainsi
qu'ils ramènent les idées d'espace, de temps, à
celles d'étendue, de durée indéfinies. Nous com-
mençons, disent-ils, par considérer abstraitement
telle étendue' particulière, celle de ce livre ou de
cette table ; cette étendue, bornée de toutes parts,
nous l'amplifions par l'imagination, nous l'agran-
dissons au delà de toutes limites assignables :
voilà l'espace infini des rationalistes; il n'est en
réalité que l'indéfini, notion route négative, qui
exprime simplement l'impuissance où nous som-
mes de fixer un terme à la multiplication idéale
des étendues que l'expérience nous fournit. Celle-
ci donne les matériaux : l'abstraction, la générali-
sation, l'imagination les élaborent : nul besoin
d'une faculté spéciale pour expliquer l'existence
dans l'esprit de prétendues notions nécessaires qui
ne sont que les transformations ultimes des don-
de même l'idée de temps éternel à celle de durée
indéfinie; l'idée de cause première à celle d'une
succession de phénomènes, à laquelle nous ne
saurions assigner de premier terme; l'idée de bien
absolu à celle d'utilité, etc. Jlais il faut recon-
naître que leur tentative est partout infructueuse.
En fait, nous avons conscience que les notions né-
cessaires n'apparaissent pas dans notre esprit
comme les produits laborieux de procédés d'ab-
straction et d'amplification : elles se manifestent,
spontanément, immédiatement, à l'occasion du
IDÉE
1003
IDIOTISME
contingGnt et du relatif. L'étendue bornée éveille
invinciblement la notion de l'espacé sans limites,
la durée des phénomènes qui passent fait conce-
voir l'éternité Immuable, l'onclialnement des cau-
ses secondes, provoque l'affirmation de l'existence
d'une cause première absolue. Logiquement, 0:1
aura beau multiplier le fini par lui-môme, on n'en
fera pas sortir l'infiiii : si modifié, si torturé qu'on
le suppose, le contingent ne donnera jamais le
nécessaire, ni le relatif, l'absolu. Il y a plus : le
fini ne se conçoit que comme négation de l'infini;
de ces deux termes, l'infini seul a une significa-
tion positive ; l'intuition du nécessaire, do l'ab-
solu, rend seule explicable la connaissance du
contingent et du relatif.
L'erreur des empiriques tient à ce qu'ils ont
confondu, dans la question de l'origine des idées,
l'ordre logique et l'ordre chronologique. Il est
clair que dans la première période de sa vie,
l'homme étant pour ainsi dire tout sens, est inca-
pable de s'élever encore à la notion distincte du
nécessaire : la raison se développe tardivement, et
si les données de l'expérience ne venaient solli-
citer son éveil, elle resterait éternellement en-
gourdie. Chronologiquement, les idées contin-
gentes précèdent donc les idées nécessaires. Mais
il est clair aussi que dans l'ordre logique, celles-ci
sont antérieures h celles-là. C'est la raison seule
qui rend possible la connaissance en organisant
l'expérience et en lui imposant dès le début ses
formes et ses lois.
On voit d'après cela quelle est l'exacte valeur
des critiques célèbres qu'au xvii' siècle le philo-
sophe anglais Locke adressait à la doctrine des
idées innée!, de Descartes. Locke avait sans doute
raison de soutenir que l'enfant, le sauvage, le fou,
l'idiot, n'ont pas l'idée claire de l'infini, de l'être
parfait, etc.; mais en parlant d'idées innées.
Descartes avait entendu tout autre chose. Il pré-
tendait seulement que nous apportons en naissant
la faculté de concevoir de telles idées, et que
cette faculté est en elle-même et par sa nature es-
sentiellement distincte des autres modes d'acqui-
sition de la connaissance. Et Leibnitz, réfutant
Locke et amenant la doctrine cartésienne à un de-
gré de précision supérieur, comparait les idées
nécessaires à des veines qui, dans l'intérieur d'un
bloc de marbre, dessineraient vaguement la figure
d'une divinité. Ces veines sont ignorées, jusqu'à
ce qui le ciseau du sculpteur fasse tomber les
écailles qui les dissimule et, suivant les lignes tra-
cées à l'avance, produise au grand jour la statue
que la nature avait en quelque sorte préformée.
De même les notions nécessaires sont des semen-
ces que nous apportons en naissant, des traits lu-
mineux cachés au dedans de nous-mêmes, et que
la rencontre des objets extérieurs fait paraître dans
la conscience.
Après la réfutation de Locke et de Condillac
par Leibnitz, Royer-Collard et Cousin, il semblait
que le débat séculaire entre l'école empirique et
l'école rationaliste fiit épuisé. Mais de nos jours,
l'illustre philosophe anglais Herbert Spencer est
venu apporter un élément nouveau dans la ques-
tion : c'est celui de l'hérédité. Herbert Spencer
estime, avec les rationalistes, que certaines no-
tions, certains jugements ne sauraient s'expliquer
par l'expérience de l'individu ; mais il pense qu'on
en peut rendre compte par l'expérience de la race
tout entière. Pendant des générations innombra-
bles, les hommes ont dii, nécessairement, et cela,
pour ainsi dire, à chaque instant, faire quelques-
unes de ces observations élémentaires sans les-
quelles ils n'eussent pu maintenir leur existence
contre les causes de destruction qui les assiégeaient
de toutes parts. Ces observations indéfiniment
répétées ont dû imprimer à la longue à leur or-
ganisation cérébrale certaines modifications dura-
bles, car il est de principe, pour M. Spencer, qu'à
tout état do conscience correspond un état déter-
miné du cerveau et du système nerveux. Si l'on
admet, comme les faits l'établissent, que les dis-
positions organiques des parents passent aux en-
fants, on comprendra que dans la suite des âges,
les hommes, héritiers d'un cerveau déjà façonné
par les pensées habituelles de leurs premiers
pères, manifestent une prédisposition innée à re-
produire les mêmes pensées, à formuler les mêmes
jugements. Les idées et vérités nécessaires ne se-
raient alors que les expériences les plus générales
et les plus constantes des générations antérieures,
accumulées pour ainsi dire et gravées en traits
ineffaçables dans l'organisme de leurs descen-
dants.
Cette théorie ingénieuse, vraie peut-être à quel-
ques égards, ne semble pourtant pas en état de
répondre à toutes les objections que soulève la
doctrine empirique. D'abord, l'hérédité des dispo-
sitions intellectulles est encore une hypothèse sans
valeur scientifique suffisante; puis, fût-elle admise,
il resterait toujours à expliquer comment le con-
tingent devient le nécessaire, comment la con-
naissance de ce qui est se transforme en une con-
naissance de ce qui ne peut pas no pas être. Que l'on
considère l'expérience de la race, ou celle de
l'individu, la difficulté est la même ; elle est seule-
ment répartie sur un plus large espace et une
plus longue durée. L'expérience du genre humain,
comme celle de chacun de nous, implique des
principes et des idées qui la dépassent, lui soient
logiquement antérieurs et l'organisent de manière
à la rendre vraiment intelligible. Kant a fait voir
qu'il y a déjà dans la plus humble sensation quel-
que chose que la sensation ne donne pas, .et
Leibnitz corrigeait admirablement l'axiome sensua-
liste : Il il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait
été d'abord dans la sensation, » en ajoutant :
« excepté l'entendement lui-même. » L'esprit avec
ses formes constitutives, la raison avec ses notions
essentielles, aussi obscures et enveloppées qu'on
veuille les supposer à l'origine, voilà ce que dut
apporter l'humanité naissante en face de la nature,
sous peine de l'ignorer éternellement. Voilà par
oii la science, l'art, la moralité, la religion, tout
progrès et toute civilisation sont possibles, et par
où se manifeste ent'-e l'homme et la bête une dif-
férence en quelque sorte infinie.
Pour la réfutation du sensualisme de Locke, voîr
surtout le premier livre des Nouveaux essnis sur
l'entendement humain, de Leibnitz, et les leçons
sur t'Iiistoire de la philosophie au xviii" siécfe, de
V. Cousin, t. II. [L. Carra»,] '
IDIOTI.SME. — Grammaire. XXI. — Etyftio-
logie : de la racine grecque idios. propre, pan-
ticulier à). — h' idiotisme est une façon de parler
particulière et propre à une langue, mais quf s'é-
carte des lois générales de la grammaire. Chaque l(in>-
gue a ses idiotismos. Wte befinden Sie ■?>/(? (mot
à mot: comment se trouvent-ils?) pour demander :
« comment vous porlez-vous ? ■> est un idiotisme alle-
mand. How doyvu do? (mot à mot : comn)cnt faitt's-
vous faire?) pour dire : « comment vous portez'-
vous?» est un idiotisme anglais. Comnieîif vous
ffOrtez-vous? pour demander: (dcommeut est votre
santé'?» est un idiotisme français.
Idiotisme <^st lo nom générique; rjermanitmé.
ani/licisme, latinisme, etc., désignent les cs^
pèces. '
Les idiotismes français se nomment des galli-
cismes. : I
Un gallicisme est donc Une façon de s'exptimer
toute particulière à notre langue. Cette particu^
larité d'expression peut se trouver snlt dans le Sens
figuré, soit dans la construction .syntaxique de Xts.
phrase. Ainsi cette proposition : lia le cœur sui" tti
main, n'a rien qui répugne à notre syntaxe, ihais
IDIOTISME
1004
IDIOTISME
''image hardie qu'elle évoque est propre au fran-
çais et serait intraduisible dans toute autre langue.
C'est un fjallicisme de fiyure. Au contraire dans :
J'ai entendu dire cela à vntre père, chaque mot
a son sens propre, la phrase n'a rien de figuré;
mais à est explétif et presque impossible ;\ expli-
quer grammaticalement. C'est un gallicisme de
syntaxe. Pour analyser cette proposition il fau-
drait mettre : J'ai entendu votre père dire cela.
Mais la phrase devient aussitôt lente et incolore;
un étranger pourra parler ainsi, un Français, ja-
mais. C'est que le gallicisme n'est pas seulement
une tournure en dehors des règles communes,
une expression destinée à exercer la patience des
apôtres fervents de l'analyse grammaticale et logi-
que ; c'est le tour préféré du français si alerte et
si vif; c'est ce qui donne à notre langue je ne
sais quoi de pittoresque et de liardi, avec une
sorte de grâce native qui n'appartient qu'à elle et
que les Français peuvent seuls lui conserver. Mais
tout dépend de l'heureux emploi du gallicisme;
c'est ce qui constitue le bon goût chez nous, ce
qui constituait I'î;' hanité chez les Latins et Yatti-
cisme chez les Grecs. Tous les auteurs qui ont
écrit dans le genre tempéré, Pascal, madame de
Sévigné, La Fontaine, Voltaire en fourmillent.
C'est une des ressources du dialogue comique, et
Molière, Regnard, Destouches en usent largement.
Par contre, dans Racine, Bossuet, Massillon, on
en trouve peu ; à mesure que le style s'élève,
les gallicismes sont plus rares. Aussi la langue
populaire en est pleine, et la plupart de nos pro-
verbes sont des gallicismes.
Nous n'entreprendrons pas d'en donner une liste
complète; un volume n'y suffirait pas. Citons seu-
lement quelques exemples des deux grandes clas-
ses de gallicismes que nous avons établies, en
commençant par ceux qui sont particulièrement
du domaine de la grammaire, c'est-à-dire par les
gallicismes de construction ou de si/ntaxe.
1° Gallicismes de syntaxe. — Ces gallicismes
sont presque tous des plirascs explétives, ou des
formes elliptiques qu'il faut redresser si l'on veut
les analyser.
H y a s'écrivait autrefois il a Oa forme il y a
apparaît cependant dès le treizième siècle). Il y a
des gens signifie donc il (on) a (trouve) îles gens.
Il est pris dans le sens neutre, et correspond
aux pronoms allemand et anglais es et it. Quant
à V, il se trouve placé là, dit M. B. Jullien, pour
éviter la confusion de cet impersonnel avec la
troisième personne du singulier du verbe avoir.
Mon lime est un gallicisme euphonique : mnn
est mis pour ma i V. Adjectif, p. 30).
Les vieille^ gens sont soupçonneux : gallicisme
historique dont l'explication' se trouve au mot
A'om.
Cela ne laisse pas de nous inquiéter : ici,
laisse a le sens de cesser, de s'abstenir, de dis-
continuer et est par conséquent verbe neutre.
Si j'étais que de vous est mis pour si j'étais vous,
et que de est explétif.
Ce que c'est que de 7ious : phrase explétive ; de
est surabondant.
Onn'ajani'nsvu, que je sache, les alouettes tom-
ber toutes rôties. L'expression que je sache est la
traduction littérale de quo'l siiim, que les Latins
employaient avec le sens de : à ma connaissance.
L'autre forme de cette locution : je ne sacUe pas
qu'on oit jamais vu, est une inversion toute fran-
çaise. Le verbe savoir conserve le mode subjonc-
tif, en prenant la négation de l'autre verbe, et le
que suit je sache au lieu de le précéder, en entraî-
nant l'autre verbe (ait vu) au subjonctif.
H s'en faut de b'-aucoup qne la Seine ait monté
si haut : ici, fatit ne représente pas le verbe fal-
loir au sens ordinaire, mais le verbe tuanquer (en
latin fallere). « Au bout de l'aune faut le drap ..,
disaient nos pères, c'est-à-dire ; manque le drap
Le vrai sens de ce gallicisme est donc : H s'en man-
que de beaucoup, etc., en supposant que s'en man-
quer soit français.
Ils criaient à qui mieux mieux est un peu plus
difficile à expliquer. Nos ancêtres disaient : qui
mieux mieux, et même qui phf phis, sans mettre
«, Nous aurions donc, en décomposant notre exem-
ple : ils criaient, celui qui criait le mieux, faisait
le nivux; c'est-à-dire : ils criaient à l'envi les uns
des autres. La préposition o a été ajoutée plus
tard, comme dans les locutions à tue-léte, à lou-
che que venx-lu, à profusion, etc.
Coûte que coule, c'est-à-dire : que cela coûte ce
que l'on voudra que cela coûte,
F.Ji vouloir à quelqu'un est un des innombra-
bles gallicismes formés par le mot en. Il signifie
proprement : avoir un fevtiment de rtmcune con-
tre quelqn'un. Vouloir, ']nmi. à la particule en, si-
gnifie avoir des prétentions sur une chose; de là,
le sens dérivé de mauvaise intention.
A'e vodà-l-il pas une belle équipée? est un sin-
gulier exemple de gallicisme. L'adverbe voilà est
composé, comme chacun sait, de vas et là; mais
dans le cas particulier qui nous occupe, voit est
évidemment à la troisième personne, et la locution
complète est pour : Ne voit-il pas là une belle
équipée? Le ( est amené ici par le son a qui
donne au mot composé voilà l'apparence d'un
verbe de la première conjugaison Cette assonance
finale nous paraît une des raisons qui ont fait pré-
férer voilà à voici dans cette locution. Mais // est
mis ici pour on; et la phrase redressée serait donc :
Ne voit-on pas là une belle équipée.
Tout et quelqu» donnent naissance à une foule
de gallicismes qu'on trouvera expliqués à leur
place (V. Syntaxe).
Nous bornerons là notre étude sur les gallicis-
mes de construction ; le peu que nous en avons
dit suffira pour en faire comprendre le sens et en
faciliter l'analyse.
i» Gallicismes de figure. — Ces gallicismes
proviennent le plus souvent d'tine ellipse, d'un
pléonasme ou d'une inversion. 11 faut alors, pour
les analyser et les expliquer aux élèves, suppléer
à l'ellipse, retrancher le pléonasme, faire dispa-
raître l'inversion et surtout bien dégager le sens
figuré. Ainsi coiffé à la Tilus signifie coiffé à la
façon de Titus.
l'ail à la dvible, fait à la manière du diable.
Battre la campngiie, qui se dit d'un malade dans
le délire, est une métaphore qui rappelle les chas-
seurs ou les soldats ennemis qui courent les
champs.
Battre quelqu'un à plate couture, c'est-à-dire le
battre complètement, au point d'aplatir les cou-
tures de son habit.
Monter sur ses grands chevaux, se mettre en
colère, montrer de la sévérité dans ses paroles.
Cette expression nous fait remonter au temps de
la chevalerie. On distinguait alors deux espèces de
chevaux : le palefroi et le destrier. Le palefroi
était le cheval de promenade, de parade; le des-
trier, le cheval de bataille, pins grand et plus fort
que le palefroi. Quand un chevalier montait sur
son destrier, c'était pour la bataille ou le tournoi.
De là le sens de se mettre en colère.
l'aire pièce à que/qu'un, se moquer de quel-
qu'un. I' De même que l'on invente des sujets,
des pièces de théâtre, dit Vaugelas, aussi ce qu'on
invente contre une personne pour s'en jouer et
divertir, s'appelle une pièce ; et inventer ces cho-
ses-là s'appelle faire une pièce. >>
Avoir maille à partir avec quelqu'un, c'est-à-
dire avoir un différend avec lui, s explique avec
un peu do grammaire historique. La maille,
monnaie de billon carrée qui avait cours sous les
rois Capétiens, était la plus petite de toutes les
IMAGINATION
— 1005 —
IMAGINATION
monnaies ; quand on voulait \o. partii' (la parlager],
on ne pouvait que se quereller, puisqu'il n'y avait
aucune unité monétaire au-dessous d'elle. Du reste
ce mot maille, qui entre aujourd'hui dans plusieurs
gallicismes, était autrefois d'un usage courant et
signifiait un demi-denier. On dit encore : « Un
pince-maille, n'avoir ni sou (autrefois ni denier)
ni maille », etc.
Beau, belle, forment aussi une foule de galli-
cismes, sur le sens étymologique desquels on n'est
pas bien d'accord : Vous avez beau jeu; vous avez
beau dire; il cria de plus belh'; vous me la baill'-z
belle; il la échappé he'le.
Cœur, grâce ;\ ses sens multiples de viscère,
sentiment, partie intime d'un objet, etc., forme
également nombre d idiolismes : Il est au cœur de
la difficulté ; je vous aiderai rie grand cœur; il a
ride Don cœur; il a le cœw snlide, etc.
Nous n'insisterons pas davantage ; on voit seule-
ment, par ces quelque * exemples, que la plupart
de nos gallicismes de figure sont des expressions
Tenues de notre vieille langue et détournées peu
à peu de leur sens primitil'. On les emploie et on
les cite à tout propoi aujourd'hui, en comprenant
d'instinct le sens général et figuré qu'elles repré-
sentent; mais on serait souvent bien en peine de
les analyser et de rendre raison de chacun des
termes pris à part. Il y a pourtant là une source
d'études curieuses que nous ne saurions trop re-
commander aux instituteurs. [J. Dussouchet.]
Auteurs à consulter. — B. Jullien. Grammaire gé-
nérale.— Émari-AIartin, Courrier de Vavgelas. — Quitard,
Dictionnaire des Proverbes. — Charles Kuzan, les Petites
Ignorances de la conoersation.
IMAGINATION. — Psychologie, IX. — Défini-
tiondel'imiitjina'ion :sinalure. — L'imagination est
un mot complexe qui exprime des états de l'esprit
assez différents les uns dus autres. D'abord, et
sous sa forme la plus simple, l'imagination se
confond presque av. c la mémoire, dont elle n'est
qu'un degré particulier : elle consiste alors dans
le fait de se représenter les objets en l'absence
des objets, de les voir, de les entendre mentalement,
comme si on les voyait, si on les entendait en
réalité. Elle est la simple faculté de concevoir, les
yeux fermés, ce que tout à l'heure on a aperçu,
les yeux ouverts. Vous venez de considérer un
paysage qui maintenant a disparu de devant vous;
mais ce paysage, vous pouvez encore lo contem-
pler dans votre pensée, vous pouvez le revoir et
en retrouver tous les détails, tous les traits, dans
une sorte de photographie intérieure : vous avez
de l'imagination.
Sous cette première forme, l'imagination n'est
qu'une mémoire vive, une mémoire descriptive et
pittoresque, qui représente toutes choses à votre
esprit comme si elles étaient encore devant vos
yeux, qui anime ses conceptions au point qu'il
vous semble que vous continuez de sentir, quoique
vous ne fassiez plus que penser. On l'appelle
imaf/ination représc^itative.
L'imagination représentative n'est donc que la
faculté de produire des imagos, comme la mémoire
celle de produire des souvenirs. L'image sera plus
ou moins parfaiie, selon qu'elle reproduira avec
plus ou moins de fidélité l'impression primitive :
et bien que ce mot image s'applique proprement
au renouvellement des Impressions de la vu(!,
tous les sens peuvent donner lieu à des représen-
tations imaginaires. Le musicien imagine les sons
comme le peintre les formes et les couleurs. Tout
ce qui a été impression sensible peut se renou-
veler dans l'esprit sous forme d'imagination
mentale.
Ajoutons que, dans l'état normal d'une intelli-
gence saine, l'image, quelque vive qu'elle puisse
être, n'entraîne pas la croyance à l'existence do
l'objet qu'elle représente. C'est seulement dans
les troubles de l'esprit, dans le rôvo, dans la folie,
([ue l'imago est prise pour l'objet lui-même : il
se produit alors ce qu'on appelle une hallucitia-
*;o)i, c'est-à-dire une confusion de la pensée avec la
réalité.
Mais l'imagination est le plus souvent tout
autre chose que la représentation fidèle des im-
pressions antérieures des sens. D'ordinaire, ce mot
désigne le travail spontané ou réfléchi d'un esprit
qui combine à sa façon les images déjà acquises et
conservées par le souvenir, qui les modifie, qui les
groupe et les ordonne dans des cadres nouveaux ;
qui en altère les proportions, qui les rapetisse ou
les agrandit, qui enfin les transforme à son gré et
les idéalise. L'imagination alors est synonyme d'in-
vention, d'esprit inventif : elle est la fantaisie libre
qui ne s'astreint plus à copier servilement la réa-
lité. Par la nouveauté des formes qu'elle impose
aux éléments qu'elle emploie, aux matériaux qu'elle
rassemble de toutes parts, elle a les apparences
d'un pouvoir créateur, et on l'appelle imagination
créatrice.
Les oeuvres propres do l'imagination créatrice
sont les fictions, les fictions de toute espèce, cel-
les qu'enfante le poète, comme celles qui égarent
le fou. Seulement le poète n'est pas dupe de ses
inventions imaginaires, tandis que le fou croit à
la réalité de ses chimériques rêveries.
C'est une question de savoir si l'imagination
représentative est capable de renouveler autre
chose que les impressions des sens extérieurs, si
elle peut faire revivre, dans un fugitif retour, les
émotions de la sensibilité. Il semble cependant
qu'il soit possible de resseniir à distance et par
la seule force de l'imagination les passions jadis
éprouvées. En tout cas, le doute n'est plus permis
pour l'imagination créatrice, qui a bien certaine
ment le pouvoir de combiner les sentiments et
les idées non moins que les images et les sensa-
tions. Le poète dramatique qui imagine un carac-
tère ressenten partie les passions qu'il lui attribue,
tout comme lo peintre ou le poète descriptif voit
les traits de la figure idéale qu'il dessine ou qu'il
dépeint.
C'est ainsi que, partie des commencements les
plus humbles, l'imagination s'élève et s'épure
peu à peu : d'abord liée .aux représentations sen-
sibles, faite d'éléments pour ainsi dire matériels,
elle devient une force propie do l'esprit, elle est
la manifestation d'une intelligence qui conçoit le
beau et qui le réalise dans les différents arts. Elle
est alors guidée par l'idéal, c'est-à-dire par une con-
ception intellectuelle qui, comme une loi supé-
rieure, domine les images et les oblige à se grou-
per dans un certain ordre.
Il est aisé de démêler les rapports de l'imagina-
tion avec les autres faits de la vie morale. Puissance
dérivée à l'origine, puisqu'elle emprunte ses ma-
tériaux à l'expérience, elle acquiert ensuite son
initiative propre ; mais dans les âmes bien réglées
elle reste sous la dépendance de la pensét:, dont
elle est l'instrument. Elle dépend aussi de la sen-
sibilité, elle obéit à la tristes-e et à la joie. Dans
une âme triste, les imaginations se conforment
à l'état général de l'esprit et se teignent d'une
couleur sombre ; dans une âme joyeuse, au con-
traire, il se fait comme une éclosion spontanée
de représentations riantes et gaies. Soumise à la
volonté chez les esprits réfléchis, elle a cependant
ses heures de caprice et do licence : il lui arrive
de s'émanciper, de secouer tout frein, et alors,
sans règles et sans contre-poids, substituant son
action indépendante à l'action des autres forces
morales, elle enfante des situations anormales, la
divagation, le rêve, la folie.
Du rôle de l'i'naginati.n. — D'après l'analyse
qui précède, on comprend sans peine pourquoi l'i-
magination est de toutes les facultés do l'esprit la
IMPOTS
— 1006
IMPOTS
plus vantée et aussi la plus décriée, la plus utile peut-
être et certainement la plus pernicieuse, le don le
plus brillant et le plus funeste de la nature.
Pascal l'appelle une n maîtresse d'erreur et de
fausseté, ■> et, en effet, longue serait la liste
des illusions, des superstitions qu'engendre « cette
partie décevante de l'homme. » On a dit d'elle dans
ce même sens qu'elle était la « folle du logis, »
parce que dans les esprits où elle est livrée à
elle-même, elle bouleverse tout, elle met le dé-
sordre et la confusion. Mais à côté des égarements
dont elle est la source, il n'est que juste de rap-
peler ses bienfaits.
Dans la vie pratique, elle alimente ces rêveries
innocentes qui embellissent et charment l'existence.
Elle entretient l'espérance. Elle est même un res-
sort essentiel de l'activité : ceux-là seuls travaillent
ardemment pour atteindre le but de leurs efforts,
qui l'imaginent avec vivacité. Enfin, elle est né-
cessaire pour animer les rapports sociaux, et si
nous voulons aimer véritablement nos semblables,
il est bon que notre imagination se mêle k notre
sensibilité.
Dans la reclierclie de la vérité scientifique, elle
a aussi son utilité : elle inspire les hypothèses, et
un philosophe éminent de notre temps, M. Paul
Janet, a pu demander sans paradoxe qu'une logi-
que complète contînt un chapitre intitulé « Des
erreurs commises par défaut d'itnagination ».
Enfin dans les beaux-arts elle est la faculté
essentielle et souveraine. Si nous la supprimons,
la peinture cède la place h la photographie et la
poésie au réalisme. Et encore le réalisme lui-
même, pour assurer l'exactitude de ses descrip-
tions, a-t-il besoin du premier degré de l'imagina-
tion, l'imagination représentative.
Sur les avantages et les inconvénients de l'ima-
gination, comme sur l'analyse de ses opérations,
on consultera avec fruit, parmi tant d'autres tra-
vaux consacrés à l'étude de cette faculté, les livres
récents de_M\I. Tissot, Micliaut et Joly : L'Imaqi-
natiOH, s^s' bie'ifaits et ses égnreinenls, 1868 ; i)e
l'Imaginition, étude psychologique, 1876; l'Ima-
f/ination, étude psychologique, 187".
(Gabriel CompajTé.]
I.MPOTS. — Législation usuelle. V. — l. Dé-
finition et notions générales. — L'impôt est la
part contributive de chaque citoyen dans les dé-
penses d'intérêt public. Le gouvernement assurant
h chacun la sécurité, le respect de la propriété, le
libre exercice du travail, il est juste que cliaque ci-
toyen contribue aux charges publiques. On emploie
comme synonymes les mots impôts et contributions.
Deux principes essentiels dominent la matière
des impôts : le premier est qu'aucune contribu-
tion publique ne peut être perçue qu'en vertu
d'une loi votée par la Chambre des députés et le
Sénat; le second est que l'impôt doit être propor-
tionnel, c'est-à-dire payé par chacun proportionnel-
lement à ses facultés. Pour arriver à ce résultat, le
législateur a été amené à établir des impôts assez
nombreux afin d'atteindre les différents éléments
imposables.
Division des impôts. — L'impôt se perçoit sous
diverses formes. Tantôt le chiffre dû par le contri
buable est déterminé à l'avance, inscrit sur un
rôle où figure le nom du contribuable, et en vertu
duquel des poursuites sont exercées contre lui en
cas de non paiement : c'est l'impôt direct. Tantôt
l'impôt est perçu à raison de l'entrée en France ou
de la vente de certaines marchandises, ou à l'occa-
sion de certains actes ; il ne frappe nominative-
ment ancun contribuable, mais est payé par celui
qui consomme la marchandise ou accomplit l'acte
soumis au droit: c'est l'impôt indirect. Enfin l'btat
s'est réservé le monopole de la vente de certai-
nes denrées, comme le tabac, ou l'exploitation de
certaiDS services, comme les postes et les télé-
graphes ; il y a là encore une autre forme de l'im-
pôt.
Distinction des contrilmtions rib'ectes et indi-
rectes. — La distinction des contributions directes
et indirectes est essentielle : le mode d'établisse-
ment, de perception est différent pour les contri-
butions directes et les contributions indirectes. Les
contributions directes sont perçues en vertu de
rôles nominatifs dressés chaque année par les
agents de l'administration ; les contributions indi-
rectes sont perçues en vertu de tarifs généraux,
établis par la loi, et qui doivent recevoir leur exé-
cution tant qu'une loi nouvelle ne les modifie pas.
Des administrations financières distinctes sont
chargées du recouvrement de ces deux natures d'im-
pôts. Les contestations entre les particuliers et l'ad-
ministration à l'occasion de la perception des impôts
directs sont jugées en général par le conseil de
préfecture ; les contestations relatives à la percep-
tion des contributions -indirectes sont jugées par
les tribunaux ordinaires.
Impôts de répavlition et de quotité. — Les im-
pôts se divisent aussi en impôts de répartition et
impôts de quotité. Dans les impôts de répartition,
le cliiffre total que l'impôt doit atteitidre est déter-
miné à l'avance par la loi de finances votée chaque
année ; puis, au moyen de répartitions successives
entre les départements, les communes et les contri-
buables on arrive à déterminer la part que chacun
doit payer. Dans les impôts de quotité, le chiffre à
percevoir n'est pas déterminé à l'avance, et il varie
suivant que l'élément imposable est plus ou moins
considérable. Les impôts de répartition sont :
l'impôt foncier, l'impôt personnel et mobilier,
l'impôt des portes et fenêtres. Toutes les contri-
butions indirectes, et, parmi les contributions di-
rectes, celle des patentes, sont des impôts de
quotité.
2. Impôts directs. — Les contributions ou im-
pôts directs sont ; l'impôt foncier, l'impôt person-
nel et mobilier, l'impôt des portes et fenêtres,
l'impôt des patentes. Il faut distinguer dans les
contributions directes le principal de la contribu-
tion, et les centimes additionnels qui s'ajoutent
par corrélation au principal, à raison d'un certain
nombre de centimes par franc. Ces centimes addi-
tionnels sont établis pour subvenir à des charges
accidentelles et temporaires, et spécialement pour
faire face aux besoins particuliers des départe-
ments et des communes. Le produit des contribu-
tions directes se partage ainsi entre l'État, pour les
dépenses générales, le département et la commune,
pour leurs dépenses spéciales. Le principal des
contributions directes est fixé par le budget
de 1878 de la manière suivante: impôt foncier,
17:5 000 011(1 fr. ; impôt personnel et mobilier,
69 319 OiiO fr. ; portes et fenêtres, 41 109 000 fr.;
patentes, 118 1 04 000 fr.
Impôt foncir. — L'impôt foncier est établi sur
le revenu net des propriétés bâties et non bâties.
Le chiffre total de l'impôt foncier et le contingent
de chaque département sont fixés par la loi de
finances. Le conseil général fait, dans chaque dé-
partement, la répartition entre les arrondisse-
ments ; le conseil d'arrondissement, sous l'au-
torité du conseil général, opère la répartition entre
les communes ; enfin, dans la commune, la réparti-
tion est faite entre les contribuables par une com-
mission de répartiteurs. Cette répartition entre
les contribuables a lieu au moyen du cadastre,
qui contient la désignation des parcelles, leur con-
tenance, la classe à laquelle elles appartiennent et
le revenu afférent à cette classe.
Impôt pnsonnel et mobilier. — L'impôt person-
nel et mobilier est dû par tout habitant de l'un ou
de l'autre sexe, français ou étranger, non réputé
indigent ; il se compose de deux taxes : la taxe
personnelle et la taxe mobilière. La taxe person-
IMPOTS
— 1007 —
IMPOTS
nello représente le prix moyen de trois journées
«le travail, suivant le tarif lixé pour chaque com-
mune par le conseil général. La taxe personnelle
est (lue dans la commune du domicile réel du con-
tribuable. La taxe mobilière est établie sur la va-
leur locative des locaux consacrés h l'habitation
personnelle du contribuable; elle est due partout
où la personne a une habitation.
Impots des portes et fenêtres. — L'impôt des
portes et fenêtres est établi sur les ouvertures,
portes ou fenêtres donnant sur les rues, cours et
jardins des maisons et bâtiments; il n'atteint point
les portes et fenêtres qui servent seulement b.
aérer les granges, bergeries, caves et autres locaux
non destines à l'habitation. L'impôt se perçoit
d'après un tarif fixe suivant la population et la
qualité des ouvertures; si ce tarif donne un chiffro
insuffisant, le complément est fourni par un droit
proportionnel qui s'ajoute au droit fixe. L'impôt des
portos et fenêtres peut être exigé du propriétaire;
mais lo propriétaire, k moins de convention con-
traire, se fait rembourser par lo locataire sur le-
quel l'impôt doit pesor en définitive.
Impôt des patentes. — L'impôt des patentes est
payé par tous les citoyens exerçant une profession
qui n'en est point expressément dispensée. 11 se
compose d'un double droit: un droit fixe établi
d'après la profession et suivant la population, et
un droit pi'oportionnel, assis sur la valeur locative
des locaux consacrés à l'exercice de la profession.
Certains patentables ne paient qu'un droit fixe ;
d'autres que le droit proportionnel.
liecouvrenient des contributions directes. — Le
rôle des contribuables de chaque commune est
dressé tous les ans par la direction des contribu-
tions directes. Les rôles sont rendus exécutoires
par le préfet, publiés et affichés, et mis en recou-
vrement par le percepteur. Los contributions sont
payables par douzième et d'avance; le contribuable
n'est valablement libéré qu'en représentant une
quittance signée du percepteur. Le contribuable
qui ne paie point peut être poursuivi par le per-
cepteur.
Demandes en décharge ou réduction. — Le con-
ti'ibuable qui prétend avoir été imposé à tort, ou
imposé à un chiffre trop élevé, peut demander la
décharge ou la réduction de sa cote de contribu-
tion. Ces demandes doivent être formées dans les
trois mois de la publication des rôles; elles sont
adressées au sous-prefet, ou au préfet dans l'arron-
dissement chef-Ueu. Les quittances des douzièmes
échus doivent être jointes h la demande, qui sans
cela ne serait point recevable. Les demandes en
décharge ou réduction sont jugées par le conseil de
pr(5fecture, dont la décision peut être déférée par
voie d'appel au conseil d'Etat.
Demandes en remise ou modération. — Ces de-
mandes ne doivent pas être confondues avec les
demandes en décharge ou réduction de cote. Il y a
lieu à remise ou modération lorsque, par suite d'é-
vénements imprévus, le contribuable a perdu tout
ou partie de son revenu ; il s'adresse à l'équité de
l'administration pour être exonéré en tout ou on
partie du paiement de l'impôt. Le contribuable en
pareil cas n'invoque point un droit, et n'a aucun
recours à exercer si sa demande n'est pas accueil-
lie. Les demandes en remise ou modération sont
adressées au préfet, qui, à la fin de l'année, statue
sur toutes les demandes dont il a été saisi.
3. Impôts indirects. — Les contributions indi-
rectes forment la partie la plus considérable des
revenus publics; elles comprennent un grand
nombre de droits dont les principaux sont : les
droits sur les boissons, les droits de timbre et
d'enregistrement, les droits sur les sels et les su-
cres, les droits de douanes.
Impôt des boisso'is. — Les boissons, le vin, la
biere, le cidre, les eaux-de vie et esprits sont
frappés de diverses taxes : d'abord un droit de
circulation qui est perçu lorsque les liquides sor-
tent des caves du producteur et sont transportés
chez les consommateurs, et à chaque enlèvement
ou déplacement du liquide soumis au droit. Le
liquide ne peut voyager que muni d'un congé qui
constate le paiement du droit de circulation. Un
droit spécial appelé droit d'entrée, et qui ne doit
point être confondu avec le droit d'octroi, est perçu
dans les villes ayant une population agglomérée et
permanente de 4,000 âmes au moins. La vente en
détail des vins donne lieu h la perception de deux
droits : nul ne peut s-e livrer à la vente en détail
sans avoir obtenu et payé une licence délivrée
par la régie; en outre le débitant est assujetti à
un droit de tant pour cent sur la valeur vinale de
la marchandise. Les détaillants sont soumis à
l'exercice, c'est-à-dire que les employés de la ré-
gie ont toujours le droit de pénétrer chez eux pour
vérifier les quantités de marchandises livrées à la
consommation. Le produit de l'impôt des boissons
en 1877 a été de 400 lâCOOO fr.
Timbre. — Le timbre consiste dans une em-
preinte apposée sur un papier qui est vendu aux
particuliers par l'administration. On distingue le
timbre de dimensions, dont le prix varie, suivant
la grandeur du papier, de 60 c. à 3 fr. 00 c. par
feuille, et le timbre proportionnel, qui est employé
pour les effets de commerce, billets à ordre, lettres
de change ; la valeur du timbre, et par suite le
droit perçu, est graduée suivant la somme portée
au billet. Un timbre particulier du prix de 10 cen-
times doit être apposé sur toutes les factures, quit-
tances ou actes de même nature délivrés aux
particuliers. Les quittances des comptables de
deniers publics sont assujetties à un droit de tim-
bre de 20 centimes. Le produit du timbre en 1877
s'est élevé à 156078 000 fr.
Obliçiation d'employer te papier timbré; sanction.
— Tous les actes ou écrits, publics ou privés, des-
tinés il constater un droit ou i être produits en jus-
tice, doivent être sur papier timbré Les demandes
adressées aux administrations publiques sont éga-
lement soumises à cette condition. La sanction
de l'obligation d'employer le papier timbré consiste
dans une amende qui est perçue indépendamment
du droit de timbre sur l'écrit non timbré. Cette
amende, lorsqu'il s'agit du timbre proportionnel
des billets, est fort considérable : elle s'élève à
6 p. 10» du montant du titre. En général l'omission
de l'emploi du papier timbre n'influe pas sur la
validité même des actes; une convention écrite sur
papier non timbré a entre les parties la même va-
leur que si elle était portée régulièrement sur pa-
pier timbré.
Enregistrement. — L'enregistrement est une
formalité qui consiste dans l'inscription d'un acte
sur un registre public tenu par un agent de l'admi-
nistration, appelé receveur de l'enregistrement.
L'accomplissement de cette formalité donne lieu à
la perception d'un droit : à ce point de vue
l'enregistrement a lo caractère d'un impôt; mais
l'enregistrement a, en outre, endroit civil, cet effet
important de donner date certaine aux actes sous
seing privé soumis à la formalité. Les droits
d'enregistrement se divisent en droits fixes et
droits proportionnels. Le droit fixe pour les actes
de même nature ne varie point suivant l'impor-
tance de l'acte ; le droit proportionnel est calculé
à tant pour cent sm* la somme ou la valeur faisant
l'objet de l'acte. Le droit proportionnel est dû
toutes les fois qu'il y a mutation, c'est-à-dire
transmission de propriété ou d'usufruit, obligation
ou libération.
Droits de mutatioji à titre gratuit. — Le droit
de mutation à titre gratuit est dû par l'héritier
qui recueille une succession, par le légataire ou
donataire. La quotité des droits s'élève à mesure
IMPOTS
1008 —
IMPOTS
que le degré de parenté s'éloigne ; en ligne directe
entre ascendants et descendants, le droit de mu-
tation par sucression ou legs est de I p. 100; par
donation, de 2 fr. 50 c. p. 100; en ligne collatérale
le droit varie de G fr. oO c. à 8 p. 100 ; les do-
nations ou les legs faits i des étrangers sont as-
sujettis à un droit de 9 p. 100. Il faut remarquer
que le droit se paie sur l'actif brut, sans déduction
des dettes qui grèvent la succession ou des char-
ges attachées à la donation ou au legs.
Droits de muiatmi à tUre onéreux, d'o'ilir/ation
et de quittance. — Le droit de mutation h titre
onéreux est dû en cas de vente ou d'échange ; il
s'élève à 5 fr. 50 c. p. ino pour les immeubles, et
à 2 p. 100 pour les meubles. Le droit d'obligation
est en général de 1 p. 100 ; le droit de quittance
de 50 centimes par l'jO fr. Pour les baux, le droit
e^t calculé sur le prix du bail capitalisé pour toute
sa durée, ou, s'il est divisé en périodes, capitalisé
pour chaque période, mais le droit n'est que de
20 centimes par 100 fr. Lorsqu'il n'y a pas de bail
écrit pouvant ôire présenté à l'enregistrement, le
propriétaire doit faire une déclaration et avancer
le droit dont il se fait rembourser par les loca-
taires.
Délai pour le paiement des droits; double droit.
— Les actes reçus par les notaires doivent être
enregistrés dans un délai qui est au maximum de
quinze jours, i peine d'une amende contre le no-
taire. Les actes sous seing privé doiveni être pré-
sentés ù l'enregistrement par les parties dans un
délai de trois mois en général. Les droits de mu-
tation par décès, succession ou legs, doivent être
acquittés dans les six mois du décès. Le retard
dans le paiement entraîne comme peine la percep-
tion d'un double droit. Les droits d'enregistre-
ment représentent pour l'année 1877 un chiffre
de 4C9C9S000 fr,
Droit-: sur les sels et les sucres. — Les sels sont
soumis à une taxe de consommation ; les sels pro-
venant de l'étranger acquittent, en outre, un droit
de douane. Les sucres fabriqués en France sojit
soumis à une taxe de consommation élevée. Pour
assurer la perception du droit, les fabriques de
sucre indigène sont soumises à, l'exercice, c'est-à-
dire à la surveillance permanente des agents de
l'administration, qui constatent les quantités pro-
duites et livrées à la consommation. Les sucres
venant des colonies ou de l'étranger paient un
droit de douane plus ou moins élevé suivant la
provenance. En 1877 les droits sur les sels se sont
élevés à .33 575 000 fr. ; les droits sur les sucres
coloniaux et étrangers à 77 053 000 fr., et lo
droit de fabrication sur les sucres indigènes à
Iï3 09y000fr.
Droits de douane. — Les droits de douane sont
perçus sur les marchandises importées en France
ou .sur les marchandises exportées de France à l'é-
tranger. Ils sont perçus en vertu de tarifs généraux
établis par une loi. Les traités de commerce faits
avec les puissances étrangères peuvent apporter
certaines modifications à la perception de ces
droits. Les droits de douane sont calculés, tantùt
sur la valeur de la marcliandise, tantôt en ayant
égard au poids, à la mesure ou au nombre des
objets. Le produit des droits de douane en 1877 a
été de 195 964 000 fr.
Octrois. — Les droits d'octroi constituent un
impôt particulier perçu au profit de la commune
sur les objets de consommation. Lorsque les re-
venus d'une commune sont insuffisants, un décret
rendu en Conseil d'Etat, sur la demande du con-
seil municipal, peut autoriser 1 établissement d'un
octroi. Les règlements relatifs aux octrois et les
tarifs sont arrêtés par décret rendu en Conseil
d'Etat.
4. Monopoles établis au profit de l'État. — L'É-
tat s'est réservé le monopole de la vente do certains
produits ou de l'exploitation de certains services.
Ces monopoles ont différents caractères : les uns
sont de véritables impôis, comme le monopole de
la vente des tabacs et du papier spécial destiné k
la fabrication des cartes à jouer; d'autres sont fon-
dés sur des raisons d'intérêt général, ont un but
de sécurité publique, comme la fabrication et la
vente de la poudre, ou tendent i assurer la régu
larité et le bon fonctionnement de certains services,
comme les postes et les télégraphes : ces derniers
monopoles peuvent augmenter les revenus de l'E-
tat, mais dans ce cas le caractère fiscal n'est qu'ac-
cessoire. Nous allons parcourir les plus importants
de ces monopoles.
Tabacs. — L'importation des tabacs étrangers et
la culture en France ne peuvent avoir lieu que
pour le compte de l'Etat, qui seul fabrique et vend
les tabacs, soit étrangers, soit indigènes. La cul-
ture du tabac n'est autorisée que dans certains dé-
partements ; dans ces départements celui qui veut
se livrer à la culture du tabac doit en faire la dé-
claration et se munir d'une permission. Le culti-
vateur doit compte à l'Etat de la totalité de sa
récolte ; la culture est soumise i une surveillance
constante et rigoureuse des agents de l'adminis-
tration des contributions indirectes. La fabrication
des tabacs se fait dans les manufactures de l'Etat,
et la vente aux particuliers dans des débits dont les
titulaires sont nommés par l'administration. Des
pénalités sévères assurent contre la fraude le
monopole de l'Etat. Le produit de la vente des
tabacs en 1877 a atteint le cliiffre de 329 443 000 fr.
Cartes à jouer. — La fabrication des cartes i
jouer n'est permise qu'avec une autorisation ou
licence de l'administration des contributions indi-
rectes. Le papier servant à la fabrication est
fourni par l'administration, et la vente des cartes
n'est permise qu'aux marchands commissionnés par
la régie.
Foudres. — Le monopole de la fabrication et do
la vente des poudres se justifie par les dangers
que pourrait faire courir la fabrication, la vente ou
la détention de ce produit. La poudre ne peut être
fabriquée que dans les poudrières de l'Etat,
sous la surveillance d'ingénieurs spéciaux. La
vente et la détention de la poudre de t;uerre
sont interdites en principe. Les poudres de chasse
et de mine sont vendues par des débitants choi-
sis par la régie. Les particuliers ne peuvent avoir
chez eux plus de 2 kilogr. de poudre de chasse
ou de mine.
Monnaies. — La monnaie est fabriquée sous la
surveillance de l'Etat, qui, par son intervention, en
garantit le titre et la valeur. La monnaie est fa-
briquée dans des ateliers spéciaux créés dans
difl'érentes villes. Le contrôle de la fabrication est
exercé par les agents de l'administration des mon-
naies : aucune pièce fabriquée n'est mise en cir-
culation qu'après constatation par les agents
qu'elle est conforme au type adopté, tant pour le
poids que pour la qualité du métal et le mode de
fabrication.
Postes et télégraphes. — Les postes et les télé-
graphes sont réunis aujourd'hui en une seule
administration, et forment un minisière appelé mi-
nistère des postes et télégraphes. La taxe des let-
tres est fixée pour toute la France, par la loi du
H avril 1878, à 15 cent, pour les lettres affranchies,
à 3(1 cent, pour les lettres non affranchies par 15
gramiues ou fraction de la grammes. Des taxes ré-
duites sont établies pour les itupriiués. les papiers
d'affaires, les échantillons. La ta.\e pour les dé-
pèches télégraphiques est de 5 cent, par mot
pour toute la France, sans qu'elle puisse descen-
dre au'-dessous de 50 cent. iLoi du 21 mars 1878).
Le produit des postes pour l'année 1877 a été de
119453 000 fr. [E. Delacourtie.]
l.Ml>UliSSIO>'. — V. Tissaije.
IMI'UIMERIE
looy
IMPRIMERIE
IMPItlMICItlK OU TVPOGUAPIIIE. — Tout d'a-
bord cxplic|uoiis nous sur le sens réel des mots
dont on se sert pour désigner cet art qui a litté-
ralement cliangé la face intellectuelle du monde.
Ces mots, nous les tenons des anciens (des La-
tins pour le premier, du verbe hnpnnœre, des
Grecs pour le second, des deux mots typos, em-
preinte, et fjrnp/iain, écrire). Devons-nous en con-
clure que les anciens, ayant les mots, avaient la
chose ? Nous pourrions répondre affirmativement,
si nous ne voulions considérer que l'opération,
toute naturelle en quelque sorte, qui consiste à
faire qu'un objet portant un relief quelconque en
laisse l'empreinte, l'impression sur un autre ob-
jet. Presque aussi loin que nous remontions dans
riiibtoiro, nous entendons, par exemple, parler
de cachots gravés qui servent à sceller, à au-
thentiquer les écrits. Mais les anciens n'allèrent
pas au delà, et ce que nous appelons l'imprime-
rie leur resta toujours inconnu. \\s piirent des em-
preintes d'objets gravés : ils n imprimèrent pas
dans la véritable acception du terme, tel que nous
l'entendons aujourd'hui. Ils n'imprimèrent pas
plus que ne le font maintenant les Chinois, qui
passent cepejidant pour avoir connii l'imprimerie
plusieurs siècles avant les Européens, mais qui,
en réalité, ne font, eux aussi, que prendre des
empreintes, puisque pour faire un livre ils gra-
vent encore autant de planches que ce livre a de
pages.
Pour nous, l'imprimerie, la typographie réside
essentiellement dans l'emploi de caractères ou
typos mobiles qui, après avoir été assemblés de
telle façon en vue de l'impression de tel ouvrage,
peuvent être séparés et assemblés d'une autre
façon pour l'impression d'un autre ouvrage. C'est
li seulement que se trouve le trait de génie qui
donna naissance k cet art admirable, vers le milieu
ou dans la seconde moitié du quinzième siècle.
Nous ne précisons rien ; car une ombre égale en-
veloppe la date de l'invention aussi bien que
l'histoire, nous pourrions dire la légende de l'in-
venteur ou des inventeurs.
Tout s'enchaîne fatalement dans le progrès. On
sait de source certaine, et pour en avoir retrouvé
les témoignages effectifs, que dès le commence-
ment de ce quinzième siècle d'ingénieux artisans,
et notamment des cartiers ou faiseurs de cartes
à jouer, avaient imaginé de graver des planches
de bois dur dont ils se servaient pour produire
de grossières estampes, qui se vendaient dans le
populaire, industrie favorisée par la fabrication
<iu papier de chiffons, qui depuis un certain temps
était venu se substituer économiqurment au vélin,
.au parchemin jusque-là employés pour l'écriture,
et dont l'usage était fort onéreux. Il arriva môme
■que certains d'entre eux, ayant gravé plusieurs
planches où le dessin était accompagné de légendes
et avait trait au môme sujet, en formaient des ca-
hiers, qui étaient on réalité de véritables livres et
qui avaient un débit considérable. C'est ce qu'on
est convenu d'appeler la xi/lograpliie (de xylon,
bois, et i/rapltei)i, écrire), procédé qui, répétons-le,
n'est autre que celui dont les Chinois se sont servis
longtemps avant nous, et dont ils se servent exclu-
sivement encore, mais qui n'a qu'une sorte d<î
communauté de résultat avec l'imprimerie pro-
prement dite.
Comment se fit la transition des types invaria-
bles aux types mobiles ? A cette question répond
la douteus'" légende. Ecoutons-la, elle sera brève.
Il y avait dans la ville de Harlem en Hollande
certain Laurent Coster, garde ou concierge du
palais royal, qui, se trouvant à la campagne, g'avisa
de tailler avec son couteau des écorces de hôtre
■en forme de lettres, avec lesquelles il traça sur du
papier, en les imprimant l'une après l'autre, un
modèle composé de plusieurs lignes pour l'instruc-
2* PAllTIK.
tion de ses enfants. Puis, donnant de l'extension i
cet outillage primitif, il aurait imprimé des livres.
Ainsi disent les gens de Harlem, qui veulent avoir
l'honneur de la grande découverte. Mais voici
venir ceux de Strasbourg qui, avec plus de raison,
somble-t-il, en réclament le mérite, pour un de
leurs compatriotes, Jean Gœnsfleisch, dit Guten-
berg. Fort bien ! mais comme nul n'est prophète en
son pays, ce Gutenberg, aussi pauvre qu'ingénieux,
n'ayant pas trouvé à Strasbourg l'aide nécessaire
pour mener h bien son invention, se rendit à
Mayence, dont il était originaire, et où cet appui
lui aurait été donné par ua riche orfèvre nommé
Jean Fust ou Faust, qui adjoignit à ses travaux
son gendre Pierre Scliœffer. A l'origine, pouvons-
nous croire, Gutenberg se servait de caractères
sculptés sur de petits parallélipipèdes de bois, qui,
rapprochés les uns des autres, serrés ensuite d'en-
semble , formaient la planche typographique .
Schœffer, qui était ouvrier bijoutier, aurait eu,
dit-on, l'idée de graver les lettres sur acier, et de
les frapper sur du cuivre, pour former des matri-
ces où l'on pouvait les couler en plomb : ce qui
constituait un grand progrès. Quoi qu'il en fût, au
moment où le premier ouvrage important allait être
livré au public, Gutenberg se trouva évincé de
l'association où il n'avait malheureusement ap-
porté que son esprit inventif; et le livre porta les
seuls noms de Faust et de Schœffer.
Gutenberg trouva peu après un nouvel associé,
avec le concours duquel il put monter un autre
atelier. Mais, soit qu'il fut las à la suite d'une
longue et très active carrière, ou qu'il eût à subir
de nouveaux tracas commerciaux, après avoir mis
au jour une édition fort remarquable d'une es-
pèce de manuel encyclopédique (le Cutholicvn du
génois Jean Balli), il céda son matériel aux ouvriers
qu'il avait formés, et se retira auprès de l'élec-
teur-archevôque de Mayence, qui l'avait pourvu
d'un titre et d'une pension modestes. 11 mourut,
dit-on, en 14C8. La postérité, lui tenant particii-
lièrement compte des nombreux déboires qu'il
éprouva, et qui semblent ôtre l'apanage distinctif
des chercheurs de génie, l'a reconnu comme titu-
laire véritable de la magnifique invention ; et c'est
à son nom que, de l'aveu général, en reste acquise
la principale, la première gloire.
Les premiers livres signés de Faust et de
Schœffer, et le livre publié sans signature par Gu-
tenberg, parurent de 1456 i HG'2 ; telle serait par
conséquent la date qu'il conviendrait d'assigner
aux débuts pratiques de la typographie. Débuts
fort brillants en vérité, car ces anciens spécimens
nous prouvent que l'art nouveau avait atteint dès
le principe une singulière perfection; si ce n'était la
différence des types employés, ils supporteraient
certainement et presque sans désavantage la com-
paraison avec les produits des plus belles époques
de l'art.
Puisque nous mentionnons ces types primitifs,
avons-nous besoin de remarquer qu'ils reprodui-
saient les caractères gothiques généralement em-
ployés alors pour la confection des manuscrits. De
quoi s'agissait-il, en somme?D'obtenir économique-
ment, à l'aide de procédés mécaniques, ces livres
que les écrivains ou copistes produisaient avec tant
de lenteur et devaient, en conséquence, vendre si
cher. Et, commercialement, industriellement, on
pourrait même nous demander si le but visé ne fut
pas de les imiter assez fidèlement pour que la con-
fusion ou la substitution devint possible. Eh bien I
pourquoi ne le constaterions-nous pas'? Il est avéré
que les premiers se vendirent bel et bien comme
manuscrits, au-dessous du prix ordinaire, cela va
de soi ; car c'était en quoi la production méca-
nique pouvait songer à l'emporter sur la produc-
tion manuelle.
I Toutefois il n'en alla pas longtemps ainsi; et
ti4
IMPRIMERIE
10!0 —
qncfik c^ofc pîufmits nt^^a^iouficnt pow?
i>tfùp\iomta fbppfeffc ôcfe/ïe quiiauoita
caufc ôefbi) nwf corne iatàitcfbtmnt/(oï^
fms'^( cfîoitpKuUjommeaukttnitk 0c
€onnc cojiuecfaCîoî). iBt ni/quee a (a%a^nc
l-'aSêf dîf«nt ccufj) qui ç ontefïe qug if a rai/
fui)/ mai 6 t)c nua;e cî^o/e qwi [oit ottftcc/efôî'^
rteepoitceDc meca^ ne. ftttouné nut^^udc
frtf^êt fore que pac commune Knomm^ç (î g
fjO^t genetaCTe Des gCB aîfî que ta j? îiit c00
iiant/ncûtmoim que e j) auftteejpo^ e fee û^s
ou^tacSpfec/maîencmiefittç/pîoptcmêf*
^f efqueûl'6 c^feefcîit/que laSiefiitSns
<îH{!f te c^euaftetôse païtîes '^D0cmaiqln^^
qut iwC^ aufttee gcne Du înSSe» Ceflu? c^e^
mîiu o^t pacfec Oe« metùeiffeeÈelluffiicf es
^icôcfuddeç aî^ÊC/eC ainfi kfifi. pàttzfi
ttjeimftec /ceut ot) pfuB fiouaedeméîOes mec
iîeùfïBDecefup J/^o^aufme auparaSieôefsé
to?}icûe;è^ôitfe/(equefcomptaDefo3£îpttnff
DuSent/DeeDiagonô/ DeopisUeedemeCaf/
€t ùçeauïtteô ci^fcsainfi que pac fe rappo^
dî!p:e0|ïcec|lûit/6£crôortrtca»0î;fjpîe5iïî;c
pfuBôcfop
4|L^fl mamtu5nimtkc§tuaUtt cntiab0
e«î8 ;îfuf de^cotwe (ïde/ê03ês.8«afî}çj%
lîiÇfeÉ^I^
Fac-similé d'une colonne dun livre d'Aut. de la Sale [La Salade,
ouTrage encyclopédique), imprimé en 1520.
IMPRIMERIE
[ le moment vint bien vite où les livres,
obtenus sans le secours a du roseau, du
style ou de la plume ", furent diffé-
renciés des manuscrits par le soin même
I que prenaient les imprimeurs concur-
rents d'en indiquer le mode de confec-
tion.
j Imprimeurs concurrents, disons-nous,
bien qu'il ne s'agisse que des com-
mencements de l'imprimerie : c'est qu'en
etïet, quoique Faust et Scbœffer d'une
part, et Gutenberg de l'autre, eussent
attentivement veillé tout d'abord à ce
que leur secret restât ignoré, encore
avaient-ils dû le révéler i des ouvriers,
à des aides, dont quelques-uns ne se
firent nul scrupule d'en aller tirer profit
loin des lieux où ils l'avaient appris, de
telle sorte que l'imprimerie se répandit
avec une rapidité vraiment surprenante.
Les premières bibles imprimées
avaient été apportées en assez grand
nombre à Paris, centre intellectuel où
elles devaient naturellement trouver
un facile débit. On dit même que les
icrivtihis, voyant leur industrie mena-
cée, portèrent contre les vendeurs, qui
n'étaient autres que des émissaires ga-
gés par Faust et Scliœffer, une accusa-
tion de magie, et les firent condamner
à la prison, à l'amende et à la saisie
des exemplaires. Mais l'affaire vint aux
oreilles du roi Louis XI, qui, s'en étant
fait rendre compte, non seulement cassa
l'arrêt, mais encore fit partir pour
Mayence (en 1 !G'2) un graveur de la mon-
naie de Tours, nommé Kicolas Jenson,
« afiii de s'informer secrètement de la
taille des poinçons et caractères, au
moyen desquels se peuvent multiplier
les plus rares manuscrits, et pour en
enlever siiblilement l'invention. »
L'envoyé s'acquitta très habilement
de sa mission, mais, le secret enlevé,
au lieu de l'apporter en France, il alla
se fixer à Venise, où il l'exploita pour
son propre compte. Peu après cepen-
dant, toujours sans doute à l'instiga-
tion du roi, qui comprenait « le profil
et l'utililé pouvant revenir dudit art à
toute la chose publique tant pour l'aug-
mentation de la science qu'autrement »,
trois imprimeurs allemands venaient
s'établir dans une des salles de la Sor-
boiine, où, en l'espace de quatre ans, ils
imprimèrent une vingtaine d'ouvrages.
Entre temps, des ouvriers de Faust el
Scliœffer, passant les monts, s'étaient
allés réfugier dans un couvent des en-
virons de Rome, où ils firent plusieurs
éditions d'anciens auteurs latins. Un de
leurs apprentis no tarda pas K s'établir
à Rome même, pendant qu'un autre
transfuge des ateliers de Mayence, Jean
de Spire, allait à Venise, accompagné de
son frère Viiidclin, se poser en concur-
ii-nt de Jenson. Nous ne sommes encore
qu'en li(i9. En IfO on compte sur les
divers points de l'Europe civilisée cinq
villes qui voient s'établir des^imprime-
ries; on en signale vingt de H"l à 147.3 ;
et de 1474 à U75 trente, parmi lesquelles
Londres, et Valence en Espagne. Dès
lors la diffusion de l'art typographique
est un fait largement accompli, et qui
va progressant à ce point que les biblio-
graphes constatent qu'i la fin du quin-
zième siècle le nombre des éditions
IMPRIMERIE
— 1011
IMPRIMERIE
faitos par Ici; diverses imprimeries s'élevait dcjh
îi seize mille.
Destiné k l'alimentation dos esprits et dos imes,
lo nouvel ai-t n'exigeait pas seulement de ceux
qui s'y consacraient une habileté purement maté-
rielle ; aussi le vit-on, presque dès l'origine, exercé
par des hommes qui, le considérant comme une
sorte de noble ministère, s'y distinguèrent par
l'union du savoir, du goût et d'un véritable en-
thousiasme professionnel . Les Aide , Jean de
Tournes, Dolet, les Esticnne, Froben, Tory,
Gryphe, Plantin, les Elzévir, les Didot, pour ne
citer que quelques noms, sont autant de per-
sonnalités ayant une place d'honneur dans l'his-
toire intellectuelle des derniers siècles.
Nous avons dit, en en signalant la raison, qu'à
l'origine les caractères typographiques gardaient
la forme ;,'(iihique de ceux qui étaient employés
pour les IhiTs manuscrits, et il en fut de même,
au moins dans la plupart des imprimeries, jusque
vers le quart du seizième siècle, mais notamment
durant la fin du quinzième. Aussi est-ce aux livres
imprimés ainsi (jue les bibliographes appliquent
plus particulièrement la dénomination lïincuiii-
bles \à\i mot latin incunabula, qui signifie à la fuis
berceau pris au sons positif, et enfance, coinnien-
cements, pris au sens figuré), ce qui est une façon
de les considérer comme les prémices de l'art
typographique (V. \e fac-simtle ci-contre). Toutefois
cette qualification doit être pareillement appliquée
à des éditions faites i l'aide de caractères qui,
bien qu'employés par les premiers imprimeurs,
s'éloignent déjà du type originel. Jeuson, s'éta-
blissant à Venise, se servit de caractères beaucoup
moins hérissés que ceux des Allemands, imitant
en cela les écrivain!:- français qui, même dans les
manuscrits, avaient fait subir une demi-métamor-
phose à la gothique. " Aide Manuce le Vénitien, dit
M. P. Lacroix, dans le seul but de faire que sa
patrie ne dût pas son écriture nationale à un
Français, adopta le caractère italique, renouvelé
de l'écriture cursive ou de chancellerie, qui ne fut
jamais qu'une exception dans l'imprimerie, malgré
les beaux travaux des .\lde et d'autres imprimeurs
vénitiens. » L'avenir était pour le caractère romain,
de Nicolas Jenson, qui, à quelques modifications
près, est encore celui qu'on emploie de nosjours. Un
type un peu dilïérent, dit Elzévir, est dû aux im-
primeurs hollandais de ce nom : il avait été gravé
par les Sanlecque {lG2o-lG28), et olfre des formes
plus archaïques que le romain ordinaire ; il a été
remis en honneur depuis quelques années par un
certain nombre d'imprimeurs.
On désignait autrefois les différentes hauteurs
du caractère (ce qu'on appelle sa force de corps)
par des noms conventionnels, tels que Philoso-
phie, Cicéro, Sinnt-Augiislin, tirés en général du
titre de l'ouvrage où le caractère de ce corps
avait été employé pour la première fois. Ainsi,
le Cicéro avait servi à imprimer la première
édition des Lettres familières de Cicéron, parue
à, Rome en 1407; le Saint-Augustin dut son nom
h la grande édition des œuvres de saint Augus-
tin faite à Bâle on 1500. Ces appellations ne sont
plus en usage aujourd'hui, et on désigne simple-
ment le caractère par le nombre de points de sa force
de corps (corps douze, corps onze, corps dix, etc ).
Le point typographique équivaut à 0"'"',.370 (autre-
fois 1/6 de ligne). Le texte courant de notre
Dictionnaire de jtédagoçjie, parexemple,estimprimé
avec des caractères romains de 7 points, non in-
terlignés. On nomme œil l'aspect général des carac-
tères ; Vœil peut être gros uu petit, la force do cor/js
restant néanmoins la même. Chaque texte courant
d'ailleurs, outre ses lettres capitales ou majus-
cules, comporte pour les nécessités que nous
pourrions appeler pittoresques de la composition,
des types de même corps ou bauteur, qui sont plus
ou moins fantaisistes; par exemple Vitalir/ice, dont
l'usage est univrrsrllfiii-iit consacré pour repro-
duire les mots qui' l'.iiiiuur a soulignés dans son
manuscrit; la noriiiaiitle, qui n'est qu'un romain
très gras ; l'égyptienne, qui est un romain
écrasé; les capiliaires, toutes faites de déliés, etc.
Ces quelques détails purement professionnels
nous ayant introduits dans l'atelier typographique
moderne, restons-y pQur tâcher do prendre une
idée sommaire des travaux qui s'y exécutent.
Les caractères employés aujourd'hui sont faits
parle procédé dont on attribue la première idée à
Schcelîor, c'est-à-dire que la lettre ouïe signe ayant
été d'abord gravé à l'extrémité d'une petite barre
d'acier doux que l'on durcit ensuite par la trempe,
on se sert de ce poinçon pour former, en le frap-
pant sur du cuivre, une matrice qui en garde
l'empreinte creuse, et dans laquelle, après l'avoir
placée au fond d'un petit encaissement quadran-
gulaire, on coule un mélange fondu de 80 ou
•JO parties de plomb pour 10 ou 20 d'antimoine,
contenant aussi parfois un peu d'étain, ou de
enivre qui lui donne plus de dureté. Cette coulée
irrroidir, l'i'iKMissiMiinit OU moule s'ouvre, et l'on
rii rciiii- un |i ir.illi'lipipède de métal mesurant
■J)""",.ii) ■le li.imuiir. sur une largeur et sur une
épaisseur dcpend.int du corps que doit avoir le
caractère, et portant en relief à l'une de ses extré-
mités (mais renversée) la lettre ou le signe gravé
sur le poinçon primitif. Chacun de ces caractères
se trouve marqué, au cours de la fusion même,
sur celle de ses faces latérales qui correspond au
haut du signe qu'il représente, d'un cran dont
nous verrons plus loin le rôle. Fondus en quantité
suffisante de chaque nature, et en assortiment tel
qu'il soit possible de répondre à toutes les éven-
tualités de la composition, ces caractères, rompus,
frottés, coupés de façon à ce que rassemblés ils
soient tous exactement de même hauteur et ar-
rivent à ne former par juxiapusitiiin latérale qu'un
bloc des plus homogènes, sunt livn'S à l'impri-
meur. Il y est joint une (piantii.' nliiive de pièces
de fonte de même métal, dune liauleur un peu
moindre que celle des caractères, les unes appe-
lées espaces et destinées à être placées entre les
mots afin de ménager les blancs qui les séparent,
les autres appelées, selon Irur volume, cadrais ou
cadratins, devant servir à combler les vides iles
lignes non achevées ou reculées par l'alinéa; enfin
des lames qui sont coupées à la longueur assignée
aux lignes, et qui, comme l'indique leur nom
d'interlignes, doivent servir à ménager entre les
lignes des blancs ou vides analogues à ceux que
les espaces établissent entre les mots.
Le compositeur, qui e^t l'ouvrier chargé d'as-
sembler les lettres d'après les indications du texte
à imprimer, travaille ordinairement debout. Il a
devant lui une sorte de grand casier placé sur un
pupitre appelé rang; ce casier, nommé casse, est di-
visé en autant de compartiments que lo texte peut
nécessiter de lettres, de signes ou d'espaces diffé-
rentes. Dans ces compartiments ou cassetius ont
été distribués les caractères livrés par le fondeur.
Les compartiments les plus éloignés de l'ouvrier et
par conséquent les plus élevés, dont l'ensemble
porte le nom de liaut de eusse, ont reçu les grandes
et petites capitales, et les signes qui sont d'un
emploi peu fréquent. Les autres, dont l'ensemble
est dit bas île casse, et qui sont plus immédiate-
ment sous la .nain du compositeur, contiennent les
lettres ordinaires et les signes auxiliaires qui re-
viennent lo plus souvent dans le texte courant,
ainsi que les espaces et les chiffres. Le composi-
teur, ayant sous les yeux un feuillet de la copie
(nom donné au texte qu'il s'agit de reproduire),
tient dans la main gauche un instrument nommé
composteur, qui est fait de deux réglettes do fer
assemblées en équerre : à un bout l'angle est fer-
IMPRIMERIE
— 1012
IMPRIMERIE
mé par un talon de métal, à l'autre est une
pièce semblable, mais mobile, qui peut avancer ou
reculer vers la première et qu'une vis arrête au
point voulu, c'est-à-dire à une distance égalant la
longueur que doivent avoir les lignes de la com-
position. Le compositeur, ayant lu un mot du
texte, prend de la main droite, une à une, dans le
compartiment où il sait qu'elles ont été mises, les
lettres qui doivent servir à composer ce mot, et il
les place dans le composteur, le cran latéral en
dessous, en suivant l'ordre de gauche à droite: le
mot fini, il place une espace, et il va ainsi jusqu'à
ce que le vide ménage entre les deux pièces de
métal formant les réglettes du composteur soit
rempli, ce qui indique qu'une ligne est finie.
Avant d'en composer une seconde, il place ordi-
nairement sur l'ensemble de la première une in-
terligne plus ou moins épaisse, selon le plus ou
moins de blanc qui doit exister entre les lignes.
Quand il a composé ainsi plusieurs lignes, il les
enlève adroitement du composteur, et les met sur
une plancliplte bordée de deux eûtes seulement,
qui :i reçu le nom de galée, et où le composi-
teur les dépose en les massant contre l'encoi-
gnure des rebords de la galée. Quand la galée
est pleine de lignes, le compositeur lie provisoire-
ment ce paquet de plusieurs tours de ficelle, et
glissant ordinairement par dessous une feuille de
papier fort, il place ce paquet sous son rang, où
viendra le prendre le metteur en pages, pour en
former des placards. Il est alors tiré de la com-
position une ou plusieurs épreuves; elles sont don-
nées h lire au correctetir et à l'auteur, qui l'un et
l'autre marqueront en marge, en regard de chaque
ligne, les modifications ou corrections qui leur
sembleront devoir être faites pour la pureté et la
bonne disposition du texte.
Quand les épreuves ont été vues, un ouvrier
procède aux changements de lettres, de mots,
aux rcinaniemeyilsie lignes, de phrases, d'alinéas
indiqués sur l'épreuve.
Le metteur en pages, comme son nom l'indique,
et qui d'ailleurs n'est autre qu'un compositeur
chargé d'une tâche plus difficile, plus délicate,
prend dans les paquets autant de lignes qu'il en
faut pour faire une page; s'il s'agit d'un livre, il y
ajoute les folios des pages, les titres, il espace par
des interligaes les chapitres, il comble par des ca-
drats les fins de pages devant rester blanches, il
intercale s'il y a lieu les gravures, les vignettes,
place les notes, enfin tout ce qui, formant en quel-
que sorte l'accessoire de la composition, n'appar-
tient pas au travail courant. Cela fait, il procède
à X'impùsiiion, qui consiste à placer et à espacer
ces paquets, représentant les pages, sur un marbre,
c'est-à-dire sur une table autrefois recouverte d'une
plaque de marbre, mais qui aujourd'hui a le plus
souvent pour plateau une plaque de fonte très
unie ; il les serre ensuite, au moyen de garni-
tures et de cuifis, dans un cadre ou châssis de
fer de la grandeur de la feuille de papier sur
laquelle l'ouvrage doit être imprimé. Il dispose là
chaque page de façon à ce qu'après l'impression,
la feuille étant pliée sur elle-même dans un ordre
convenu, les pages se succèdent régulièrement.
Avons-nous besoin de faire remarquer que l'im-
pression d'une feuille exige l'emploi de deux for-
mes qui doivent successivement imprimer les deux
faces du papier, et de telle manière que la conti-
nuité du texte soit conservée après le pliage de la
feuille.
Ce sont là, on le comprend, autant de détails pu-
rement technologiques sur lesquels nous ne sau-
rions insister, étant donné que nous ne pouvons
faire ici qu'un simple résumé des travaux typogra-
phiques.
Lorsque, enfin, après une ou plusieurs révisions,
suivies chacune d'un nouveau travail de correction,
l'état de la mise en pages a été reconnu irrépro-
chable soit par l'auteur s'il s'agit d'un ouvrage
nouveau, soit par le prote (premier) ou chef de
l'atelier s'il s'agit d'une réimpression, les mots bon
à tirer étant écrits sur la dernière épreuve, la forme,
bien serrée, à l'intérieur de laquelle la composition,
bien plane, ne semble plus constituer qu'un bloc
très résistant, est portée sous la presse pour le
tirage ou impression.
A l'origine, au temps de l'imprimerie xylogra-
phique, les imprimeurs, après avoir encré leur
planche à l'aide d'un tampon, et après l'avoir re-
couverte de la feuille sur laquelle devait s'emprein-
dre l'image, se bornaient, dit-on, à frotter par
dessus avec un corps dur ou légèrement élastique,
comme par exemple nous faisons avec le dos de
l'ongle quand nous voulons lustrer la place du pa-
pier où nous avons usé du grattoir. Mais ce pro-
cédé élémentaire fut aussitôt délaissé par Gutenberg,
qui, voulant obtenir une action plus régulière, ap-
pliqua au tirage de ses livres une presse analogue
à celle que de temps immémorial les vignerons
ont employée pour extraire le jus de la vendange,
en plaçant toutefois sous le plateau un drap, un
feutre rendant la pression plus moelleuse et empê-
chant l'écrasement des caractères. Cette presse
primitive est venue jusqu'à nous sans perdre son
principe d'action verticale et d'ensemble sur toute
l'étendue de la forme. Il va de soi que la machine
de Gutenberg a reçu depuis le .xv" siècle toutes
sertes de perfectionnements que nous n'avons pas
l'intention de décrire, et qui en ont rendu le jeu
aussi régulier et aussi rapide que possible. Elle
est, en somme, composée d'une forte et solide
table à chariot, portant la forme qui, après avoir
été encrée au dehors du bâtis principal, et après
avoir reçu la feuille à imprimer, va chercher la
pression en entrant sous le plateau que fait des-
cendre sur elle un levier qui, mu par le bras de
l'imprimeur, tourne l'écrou d'une vis; un ressort
remonte le plateau, quand la pression est donnée.
La table à chariot revient en dehors du bâtis ; on
enlève la feuille, on encre de nouveau, et l'on con-
tinue le tirage. L'encrage s'était fait longtemps à
l'aide d'un gros tampon portant le nom de balle,
sorte d'entonnoir de bois dans le creux duquel on
bourrait de la laine et qu'on recou\Tait d'une peau
très fine clouée tout autour du bord. Puis on se
servit de rouleaux à manche, garnis pareillement
de peau. De nos jours ces rouleaux, coulés en gé-
latine, ont tous les avantages de moelleux et de
finesse désirables.
Notons simplement que les feuilles à imprimer
ont dû être au préalable humectées, et que, s'il
s'agit de travaux soignés, on les soumet au glaçage,
qu'opère une pression puissante ou un laminage.
Lue fois tirées elles sont séchées. puis pliées, puis
assemblées, puisle livre, étant broché, peut paraître.
Quelque glorieux états de services qui puissent
être reconnus à la presse de Gutenberg, ou p)-csse
a bras, qui en divers temps a mis au jour tant de
magnifiques éditions, et à laquelle on recourt en-
core pour un certain nombre d'impressions de
luxe toutes spéciales, il est évident qu'avec notre
siècle où le champ de la publicité s'est accru si
considérablement, l'heure devait sonner où la len-
teur relative de son action l'empêchait de répon-
dre aux besoins nouveaux, ^ous voulons parler no-
tamment de la dilTusion des journaux, qui aurait
été normalement empêchée, si des appareiis extrê-
mement plus expéditifs, aidés d'ailleurs par la
stéréotypie, ne fussent venus se substituer à 1 an-
cienne machine. ,
L'idée des presses mécmiiques, appartenant â
un journaliste américain, daterait, paraît-il, de 1700,
mais la première fut construite à Londres en 1814
pour l'impression du journal le Times, sans que
toutefois il fût possible d'y voir autre chose que le
INCLINATIONS
— 1013 —
INDE
point de départ d'un incroyable avancement dans
l;i voie dos tiratçes rapides. Nous ne saunons vouloir
décrire ici en f|iieli|ues lignes ces merveilleux ins-
truments pour la création desquels plusieurs prin-
cipes ont été mis en ceuvre, et qui chaque jour
d'ailleurs bénéficient de quoique nouveau progrès.
Tout d'abord, et même pendant longtemps, la
presse mécanique exigea de nombreux auxiliaires
humains, véritables esclaves do la travailleuse
automatique. 11 fallait lui présenter les feuilles,
les recevoir, les lui redonner h imprimer d'un se-
cond côté après qu'elle les avait imprimées sur une
face. Aujourd'hui on met ;\ l'une de ses extrémités
un énorme rouleau de papier sans fin, dont on se
borne à engager le bout sur ses rouleaux ; en une
heure elle imprime, découpe, plie, compte et livre,
dans des corbeilles qu'on emporte à mesure, jusqu'à
15 et 20 mille numéros de journal ; ne le faut-il pas
ainsi, puisqu'il est actuellement telle feuille popu-
laire parisienne qui, mise sous presse seulement
vers minuit, se répand au point du jour à un demi-
million d'exemplaires, dont le texte, i vrai dire,
composé une seule fois, mais reproduit en 5
ou 6 planches stéréotypées, est tiré par autant de
machines.
Quant aux procédés stéréotypiquos que nous
venons de mentionner et qui servent d'auxiliaire à
la presse mécanique, bornons-nous à dire qu'ils se
réduisent aujourd'hui il prendre un moulage, une
empreinte de l'ensemble de la composition, et à
couler dans ce moule du métal en fusion qui,
refroidi, produit d'un seul bloc un cliché identique
à la forme composée de caractères mobiles ; cette
empreinte est ordinairement prise aujourd'hui en
foulant vigoureusement sur la composition une
épaisseur de feuilles de papier humide que
l'on fait ensuite sécher et qui donne le moule
oii l'on coule la matière métallique. C'est même à
la flexibilité de ce moule que l'on doit de pouvoir
transformer à la fonte l'empreinte plane en forme
cylindrique, pouvant s'adapter aux rouleaux im-
primants do la presse mécanique. Il suffit pour cela
de les placer à l'intérieur d'un cylindre de même
calibre que celui de la presse. Quoi qu'il en soit,
la stéréotypie permettant d'obtenir presque immé-
diatement plusieurs formes semblables à la com-
position première, il s'ensuit qu'on peut tirer sur
autant de presses le môme texte, et partant arri-
ver à un chiffre de tirage vraiment prodigieux en
très peu d'heures. Pour les procédés de clichage
en usage dans la gravure, V. Galvanoplastie.
Quel que soit, du reste, le système des presses
mécaniques, il a toujours pour base un va-et-vient
mettant successivement en contact la forme typo-
graphique avec des rouleaux encreurs, puis avec
des rouleaux presseurs qui amènent et appuient la
feuille blanche. La forme est tantôt placée telle
qu'elle a été composée, tantôt rendue cylindrique
par l'opération stéréotypique : mais il faut avoir
vu fonctionner une presse mécanique, s'en être
fait expliquer le jeu et avoir réussi à le compren-
dre, pour prendre une idée juste de ce que peut
l'ingéniosité humaine.
Notons, pour achever, qu'en ces derniers temps
une presse mécanique a été présentée qui, tout en
gardant une extrême célérité, permet de faire sur
une même feuille des tirages de diverses couleurs,
non seulement simultanés, mais encore juxtaposés.
Serait-ce le dernier mot du progrès'? — Non, car
qui dit progrès ne saurait dire arrêt. De ce que nous
vivons vu bien des merveilles, nous devons con-
clure qu'il nous en reste bien d'autres à voir.
[Eugène Millier.]
I\CH.\ATIO.\S. — Psychologie, l'V. — Les
divers penchants inhérents i la nature humaine
sont souvent désignés indifféremment par les noms
i' inclinations ou d'iii-slincts. Toutefois, tandis que
le mot d'instinct s emploie de préférence on par-
lant des animaux, le mot d'inclinations est réservé
à l'enseinblo dos prédispositions naturelles de la
sensibilité chez l'homme.
Les inclinations peuvent se ramener à un petit
nombre de groupes distincts, suivant les objets
auxquels elles se rapportent. On ne peut aimer
que soi-même, ou autrui, ou un objet pris en
dehors de l'humanité. Delà, trois.classes d'inclina-
tions, les unes personnelles, les autres socinles, les
autres qui peuvent être appelées plus spécialement
morales.
Le tableau ci-dessous présente, groupées sous
ces trois chefs, l'énumération de nos principales
inclinations:
/ Relatives au I Nutrition.
I corps } Exercice et sommeil.
(appétits) ( ReproLluctioo.
! Amour de la vie.
Amour de la propriété.
Amour du tiien-ètre (domicile, vête-
ment, santé, etc.).
ipliitiveq à i Amour de l'honneur (orgueil, etc.).
ràrae Amour du commandement (ambition).
( Amour de l'indépendance.
' In&tiuct de société ou amour des hommes.
Afi'ections patriotiques ou amour de la patrie.
\ l Amour conjugal.
Amour paternel et ma-
Affe
indivi
Juelles
' domestiques
électives
tcrnel.
.\mour fraternel
Amour filial.
Amitié.
Amou
Aniou
Amou
Amou
r du Beau, principe de l'art.
• du Vrai, principe do la science,
r du Bien, principe de la morale.
r de Dieu, principe de la religion.
Notre intention n'est pas de traiter ici en détail
de ce qui se rapporte à chacune de ces inclinations :
nous avons voulu seulement en donner une classi-
fication qui permît à la mémoire d'en retenir plus
facilement la nomenclature. On trouvera des dé-
veloppements relatifs il un certain nombre de ces
penchants de notre nature aux articles Instinct,
Passi07is, Sensibilité, Morale.
I.\DE. — Histoire générale, L — Populations
primitives. Castes. — Séparée du continent asia-
tique par la gigantesque et infranchissable bar-
rière des monts Himalayas, enveloppée dans sa
partie méridionale par l'Océan, l'Inde forme un
monde à part. Il n'est aucune région du globe
plus belle, plus merveilleusement douée. Nulle
part on ne trouve une plus vaste quantité de terre
arable, arrosée par de plus nombreux et de plus
magnifiques cours d'eau, propre à la fois k la cul-
ture du blé et du riz, du palmier et de la vigne,
possédant un climat chaud, mais tempéré par des
séries régulières de vents et da pluies. Peuplée
aujourd'hui de 2io millions d'agriculteurs et de
marcliands, cette terre favorisée en pourrait porter
et nourrir sans peine le double.
Cette vaste péninsule, d'une forme triangulaire
presque parfaite, ne communique avec le reste du
globe (les communications maritimes étant laissées
de côté) que par ses deux angles nord-ouest et
nord-est. C'est en effet sur ces deux seuls points
que la barrière de montagnes s'abaisse et laisse
deux trouées assez vastes, l'une à l'ouest par la
vallée de Caboul, l'autre à l'est par la haute vallée
du BrahmapDUtra. C'est par ces deux seuls points,
il n'en faut pas douter, (|ue sont entrées toutes
les races étrangères qui composent aujourd'hui,
avec l'élément autochthonc , la population de
l'Inde.
Les habitants primitifs do l'Inde appartenaient îi
une race noire, à cheveux lisses, que l'on a nom-
mée nt'fjritoïde pour la distinguer de la race nègre
africaine à cheveux crépus. Ces nèf/ritox, de pe-
tite taille, aux membres grêles et ciiétifs, n'ayant
INDE
101-4
INDE
d'autres armes que des pierres taillées ou des bâ-
tons durcis au feu, ne purent opposer une résis-
tance sérieuse aux premiers envahisseurs, et du-
rent se soumettre ou se réfugier dans les monta-
gnes et dans les marais empestés de l'Inde cen-
trale, où on les retrouve encore aujourd'hui à
l'état primitif. Les premiers conquérants de l'Inde
furent des peuplades jaunes venues du nord-est,
de la Chine et du Thibet. Comme nous l'avons dit,
ils refoulèrent en partie les noirs autocliihones,
mais ils se mélangèrent aussi à eux, donnant nais-
sance à une importante race do métis. Cette pre-
mière invasion eut lieu à une époque reculée,
bien des siècles avant l'arrivée des conquérants
Aryas, qui n'envahirent l'Inde qu'environ vingt
. siècles avant notre ère. Les Aryas, branche impor-
tante de la grande famille blanche ou hido-euro-
péenne, arrivaient des plateaux de l'Asie centrale,
au nord du Pamir. D'une civilisation relativemenl
avancée, professant un culte d'un naturalisme
sublime, et parlant une des plus belles langues
imaginées par le génie humain, le sanscrit, ces
Aryas se divisaient en deux grandes classes, les
Brahmanes ou prêtres et les Kchatriijas ou guer-
riers. Trop faibles par le nombre pour asservir les
peuples qui les avaient précédés dans la pénin-
sule gangétique, ils se les assimilèrent en leur ou-
vrant leurs rangs et les classant dans la hiérarchie
brahmanique. Les conquérants de race jaune for-
mèrent la troisième caste, celle des Vaïchyas, tan-
dis que le peuple des métis constituait la quatrième
caste, celle des Soudras. Quant aux populations
noires q.ui ne s'étaient ni soumises ni croisées avec
les jaunes, elles restèrent en dehors de l'organisa-
tion des castes et formèrent la classe vile et mé-
prisée des Parias. Telle est, dépouillée de l'au-
réole de fables dont l'entourèrent, depuis, les
écrivains brahmaniques, l'origine de l'institution
des castes dans l'Inde.
Le Brahma7iis»ie. Védas. Lois de Manou. —
A leur arrivée dans l'Inde, les Aryas profes-
saient le culte brahmanique dans toute sa pu-
reté, tel qu'il était exprimé par les Védas, simple
recueil d'hymnes et de prières que la tradition
se transmettait depuis des siècles, et qui ne fut
rédigé définitivement dans sa forme actuelle que
140u ans avant J.-C. Les Védas nous montrent
les premiers Aryas adorant la voûte du firma-
ment et le tonnerre, le soleil, le feu, l'aurore,
les forces de la nature en général. Respectueux
de tout ce qui a vie, ils s'interdisaient la viande
des animaux, ne se nourrissant que de laitage ou
de légumes. Des divinités spéciales présidaient à
chacun des éléments ; trois d'entre elles, Brahma,
Vichnou et Siva, finirent par occuper le premier
rang, et constituèrent une sorte de trinité, la Tri-
mourti, dans laquelle Brahma joue le rôle de dieu
générateur, père de toutes choses, Vichnou celui
de dieu conservateur, et Siva celui de dieu des-
tructeur. Les Brahmanes, chargés de conserver les
traditions sacrées, n'avaient d'abordaucune fonction
sacerdotale ; ils cultivaient le sol, gardaient les trou
peaux, tandis que les Kchatriyas veillaient à la
défense de la communauté. Mais à peine les
Aryas furent-ils arrivés dans l'Inde, cette organi-
sation si simple, si rationnelle, ce naturalisme pur,
se modifièrent rapidement. Enorgueillis par la
conquête, les Kchatriyas s'adjugèrent le gouverne-
■ ment des vaincus, tandis que les Brahmanes,
abandonnant la charrue, devenaient les prêtres du
culte nouveau qu'ils créaient pour séduire les
grossières populations primitives. Délaissant les
pures doctrines des Védas, ils élevaient peu à peu
un monstrueux panthéisme où, non contents de
faire entrer Brahma, Vichnou, Siva, Indra, et tou-
tes les anciennes divinités symboliques,ils plaçaient
au même rang des démons ou les grossières idoles
du culte des aborigènes. Le brahmanisme devenait
ainsi la plus fantastique idolâtrie qu'ait vue le monde.
Plusieurs siècles après la conquête, le^ Brahma-
nes rédigeaient les lois de Manou, code antique
qui avait été la règle des premiers Aryas, et dans
lequel ils introduisaient toutes leurs barbares in-
novations. Ce code, que l'on a longtemps considéré
comme une œuvre très ancienne, ne date proba-
blement, dans sa forme actuelle, que du troisième
siècle avant notre ère. Les grands poèmes épiques
du Makabharatit et du Ramayana ne remontent
eux-mêmes qu'au quatrième siècle.
Le Bouddhisme. — Le brahmanisme, arme puis-
sante des conquérants aryens, s'était répandu sur
toute la péni[isule, lorsque le bouddhisme vint ar-
rêter son essor. L'n prince aryen, Çakya-Mouni, né
vers 638 av. J.-C. dans une vallée du sud de
l'Himalaya, est regardé comme l'auteur de cette
réforme; mais il parait aujourd'hui prouvé que le
bouddhisme, sous une forme primitive , existait
dans l'Inde bien avant Çakya, peut-être avant
l'invasion aryenne. En tous' cas Çakya, rejetant les
doctrines brahmaniques, opposait au système des
castes l'égalité absolue de l'homme, et promettait
l'émancipation finale de l'âme au lieu de l'inces-
sante métenipsychose des Brahmanes. Le succès du
bouddhisme fut immense ; refoulant le brahma-
nisme, il se répandit sur l'Inde entière, puis de là
gagna l'Indo-Chine, la Malaisie, la Chine, tout le
nord do l'Asie et peut-être le nord-est de l'Europe.
Mais ce succès, dans l'Inde, où il avait eu à lutter
contre la puissante organisation brahmanique, fut
d'une durée relativement courte. Sous leur appa-
rente humilité, les immenses couvents bouddhi-
ques, les congrégations enseignantes, le clergé
régulier avaient fini par dominer, accaparer le pays
entier; l'égalité était devenue un vain mot. Aussi
au VIII' siècle de notre ère, après quatorze siècles
de domination, le bouddhisme disparut complète-
ment, radicalement de l'Inde, balayé par une for-
midable réaction. Les Brahmanes, instigateurs de
ce mouvement anti-bouddhique, avaient gagné le
peuple en abaissant encore leur doctrine jusqu'à
lui ; pour lui plaire ils remplacèrent les Védas par
les Pouranas (i.x" siècle), et détrônant les anciens
dieux, ils placèrent au sommet de leur Olympe un
héros populaire, Krichna, autour duquel ils grou-
pèrent tous les symboles les plus grossiers. C'est
ce brahmanisme, religion basse, corrompue, indi-
gne d'un grand peuple, qui règne encore aujour-
d'hui sur rind(!.
Histoire politique jusqu'à la conquête musul-
mane.— Lorsque les Aryas entrèrent dans l'Inde,
ils se partagèrent en petits royaumes la région en-
tre rindus et le Gange, et ce n'est que lentement,
progressivement, qu'ils avancèrent dans le pays.
Quinze siècles avant notre ère, leur domination
s'arrêtait aux Vindhyas, chaîne de montagnes qui
coupe la péninsule en deux parties: au N., l'Hin-
doustan ou pays des Hindous, au S. le Déklian ou
du Sud. C'est à cette époque, sans doute.
pays _.. . .
qu'il faut placer l'expédition dans le Dckhan qui
fait l'objet du poème du Ramayana. Le roi Rama,
aidé des populations noires, s'avança dans le sud
et poussa son expédition jusqu'à CeyIan.Mais il ne
fit que traverser le pays en conquérant, et, sauf
quelques parties, le Déklian resta, comme il est en-
core de nos jours, aux mains des races jaunes de
langue dravidienne. Au moment où Alexandre,
en 327, franchissait l'Indus, l'Hindoustan se parta-
geait encore en d'innombrables principautés, et
Porus et Tasile n'étaient que deux des nombreiix
rois du seul Pendjab. Cependant, presque à la
même époque il se fondait dans le bas de la vallée
du Gang.', un royaume, le Magadha. qui, gouverne
par un Soudra, c'est-à-dire un homm.^ de la der-
nière caste, allait rapidement absorber tous ses voi-
sins. Chandragoupta, le Sandrakotes des Grecs,
roi du Jlagadha, étendait en 313 sa domination sur
INDE
— 1015
INDUSTRIE
tout l'Hindoustan, de l'Indus aux bouches du
Gange, et installait la capitale de son empire à
l'alibothra (Patna), sur le Gange, où il recevait
l'ambassadeur grec Még;astliènes. Son petit-lils,
Açoka, durant son long règne de 263 à T}!, portait
à son apogée la puissance de l'empire de Magadlia,
et réunissait l'Inde entière sous son sceptre. Ce
prince, fervent zélateur du bouddliisme, fut un des
principaux propagateurs de la religion de Çakya-
Mouni. Mais à sa mort, l'empire se morcela de
nouveau en une infinité do petits royaumes.
Au iv° siècle de notre ère, des peuplades d'ori-
gine douteuse, quoiq\ie se rapprochant par leur
type des Aryens, les Rajpouts, passèrent l'Indus,
euvaliirent en petit nombre le nord-ouest de l'Inde
et se répandirent sur le Rajpoutana et le Gange
supérieur. C'étaient des tribus guerrières, offrant
dans leur organisation quelque ressemblance avec
les Germains. Leurs chefs portaient le titre de
roi, mais tous se considéraient comme égaux et se
paraient du nom de Rajpout. c'est-i-dire fils de
roi. Ils apportaient avec eux des superstitions bar-
bares, le culte du soleil sous l'emblème d'un clie-
val et l'infanticide dos filles. Les Brahmanes, alors
opprimés par les Bouddhistes, accueillirent ces
nouveaux venus comme des frères, leur conférèrent
en masse le titre de Kchatriya et, pour mieux les
gagner, ouvrirent leurs dogmes à toutes leurs su-
perstitions. Les Rajpouts se répandirent alors sur
l'Inde entière, où ils s'emparèrent partout du pou-
voii-, mais sans que leur nombre très restreint pût
avoir une influence ethnique sur les populations.
Ce fut une conquête plutôt qu'une invasion.
Conijiidte musulmane. — Quatre siècles après les
Rajpouts, an nouvel élément redoutable faisait son
apparition dans l'Inde. Cent ans à peine après
l'hégire, en 711, les Musulmans franchissaiejit
l'Indus, et, sous la conduite de Mohammed Kacim,
s'emparaient du Scinde. A partir de ce moment,
rislam va s'acharner à la conquête de cette riche
proie. Durant deux siècles, les Musulmans ne font
que de faibles progrès; mais en UT", Sabouktigliin,
sultan de Ghazni, s'empare de tout le Pendjab ; en
99", son fils Mahmoud s'avance jusque dans le
Goudjerat et pille la cite sainte de Somnath.
Ce n'est cependant qu'en 1205 que le général
Koutaé, esclave affranchi de Mohammed Ghor, s'em-
pare de Delhi, et, usurpant la couronne, se proclame
empereur des Indes. Ses successeurs étendent
leur dominati^m jusque dans le Dékhan. En 1397,
TimourLang ou tamerlan, le farouche dévastateur,
envahit l'Inde, prend et brûle Delhi, et quitte
le pays qu'il abandonne à l'anarchie et au dé-
sordre.
Daolat Lodi, un aventurier afghan, monte sur
le trône resté vacant et le laisse à son fils. En
1525, Baber, descendant de Tamerlan, s'empare de
Delhi et fonde la dynastie des Grands-Mogols ou Ti-
mourides. Son petit-fils Akbar le Grand (i 555-1 GU5)
amène l'Lide h un degré do grandeur et de
prospérité qu'elle n'a plus possédé depuis. Sous
son règne, le pays se couvre de routes et de
canaux, l'agriculture se développe, de magnifiques
monuments s'élèvent.
Arrivée des Européens. Conquête anglaise. —
Mais déj:\ les Européens commencent à apparaître
<Jans l'Inde. Le Portugais Vasco de Gama double
le cap de Bonne-Espérance et atteint en 14!JS la
ville de Calicut, que son successeur l'amiral Albu-
querque prend et brûle en 1510. Les Portugais
s'établissent sur la côte k Goa et à Bombay. En
1599, la reine Elisabeth d'Angleterre autorise la
fondation de la Compagnie anglaise des Indes, et
le premier ambassadeur de la nouvelle société se
présente en 1003 à la cour de l'empereur Akbar.
tilwij-Djihan,'; successeur d'Akbar (1(;05-1G27), au-
torise eti 1611 les Anglais à fonder des factoreries
à Surat, Cambayc et Ahmedabad. Cette date mar-
que le commencement de l'influence anglaise dans
l'Inde. Tandis que celle-ci va grandir avec une ra-
pidité prodigieuse, la puissance des Grands-Mo-
gols décline à grands pas.
Aurangzcb, fils de Chah Djihan (1658-1707),
peut être considéré comme le dernier empereur
musulman de l'Inde. Lui-même se voit déjà arra-
cher les plus belles provinces de l'empii'c par les
Maharates, tribu guerrière du Dékhun (jui se ré-
pand en bandes de pillards sur le pays entier.
Mais ses successeurs indolents cèdent bientôt de-
vant ces envahisseurs qui leur enlèvent i la fin
du xviii^ siècle jusqu'à l'ombre du pouvoir.
Durant ces dissensions intestines, les Anglais
augmentent rapidement leur puissance. Un mo-
ment, en 1744, ils se voient menacés par la
France qui leur dispute l'empire des Indes. Battus
par Dupleix en 1749, puis remis en possession
par le traité de Poiidichéry en 175^ , ils se
voient sur le point de perdre le Bengale par un
soulèvement des indigènes. En 1758, de nouveau,
les Français conduits par Lally-Tollendal conquiè-
rent le Dékhan, que le honteux traité de Paris
(1763) rend aux Anglais. Ceux-ci, n'ayant plus dé-
sormais d'autres rivaux que les Maharates et les bel-
liqueux princes deMaïssour ou Mysore, Haïder-Ali
et son successeur Tippou-Saïb, poussentactiveraent
leur conquête. En 1799, Tippou-Saib est tué dans sa
capitale, Seringapatam, et en 1804 le traité de
Barhampour scelle la déchéance des princes Maha-
rates. Dès lors l'Angleterre règne virtuellement
sur l'Inde entière. Une formidable révolte éclate
en 1857, mais est étouffée dans des flots de sang;
et la Compagnie des Indes ayant abandonné .son
privilège i la reine Victoria, celle-ci est procla-
mée en 1878 impératrice des Indes.
Statistique. — La vaste péninsule indienne, avec
l'ile de Ccylan, son annexe, occupe une superficie
de 3 803 050 kilomètres carrés, représentant un
territoire égal à celui de l'Europe sauf la Russie,
la Suède et la Norwège. Sa population s'élevait
en 187V à 243 103 900 habitants.
Les possessions anglaises do l'Inde s'étendent
aujourd'hui sur un territoire de ? 125 000 kilomè-
tres carrés (non compris Ceylan), égal à quatre
fois le territoire de la France, avec une population
de 190 millions d'habitants.
Les Rajahs ou princes Indigènes de l'Inde, Raj-
pouts, Maharates, Sikhs, etc., possèdent encore
un territoire de I 428 000 kilomètres carrés, pres-
que trois fois plus grand que la France, et peuplé
de 48 millions d habitants.
La France conserve dans l'Inde un territoire
de 509 kilomètres carrés avec une population
de 270 0;,0 âmes; et le Portugal 3 720 kilomètres
avec 445110:1 sujets. [Louis Rousselct.]
I.NDUCTIOIV. — V. Raisomiement.
I.NDUSTltlE. — Histoire générale, XXXVII;
Histoire de France, XXXVII. — Le mot Industrie,
comme bien d'autres, a plusieurs acceptions, dé-
rivées d'une même source, il est vrai, et plus ou
moins voisines, mais qu'il importe, à cause de cette
parenté même, de ne pas confondre.
Dans le langage vulgaire, dit Ch. Coquolin [Dict.
d'économie politique), ou n'entend guère par indus-
trie que ce genre d'opérations, plus ou moins
compliquées, par lesquelles l'homme amène i l'état
de produits, dits fabriqués, les dons spontanés de
la nature ou les fruits directs de l'exploitation du
sol, généralement désignés sous le nom de matières
premières. V industrie, in ce sens, c'est \a manufac-
ture, par opposition à Vayriculturp et au cotn-
merce. Encore convient-il d'ajouter que, par suite
de l'extension qu'a prise dans le monde moderne
l'emploi des forces naturelles, la manufacture, qui
était à l'origine le façonnage des choses à la main,
est devenue la préparation par procédés mécaniques
et par masses; en sorto que le nom d'industrie se
INDUSTRIE
— 1016 —
INDUSTRIE
restreint de plus en plus à ce qu'on appelle, quand
on veut préciser davantage, la grande industrie.
Un industriel est celui qui a sous ses ordres un
personnel d'une certaine importance et dirige des
ateliers étendus.
Dans un sens plus large, on comprend sous la déno-
mination d'industrie tous les travaux, quel qu'en
soit l'objet, qui s'appliquent à la matière ou ten-
dent il un résultat matériel ; mais on en exclut les
occupations intellectuelles du savant, de l'artiste,
de l'administrateur. Un chimiste, un physicien,
dans ce sens, feront de l'industrie lorsque, dans
une usine à laquelle ils seront attachés, ils déter-
mineront la composition d'un bain de teinture, ins-
talleront un moteur électrique, ou surveilleront
la préparation d'un sel ou d'un acide destiné à la
vente ou à l'alimentation des ateliers : ils n'en fe-
ront pas lorsque, dans leur laboratoire, ils cher-
cheront les lois d'une combinaison ou se livreront
à des études d'un caractère actuellement théorique.
Un agriculteur ou un horticulteur, de même, fera
de l'industrie lorsqu'il élèvera des bestiaux ou des
volailles, effectuera des croisements ou produira
des espèces nouvelles en vue du profit; il n'en
fora pas lorsque son mobile sera l'avancement des
connaissances agricoles ou la satisfaction de son
goût pour les beaux animaux ou les plantes rares.
Des leçons, des conférences, seront une industrie
pour le chef d'institution ou pour le professeur qui
en vit ; elles n'en seront pas une pour l'ami désin-
téressé de l'instruction qui ne compte pas sa
peine.
Dans un troisième sens, enfin, plus étendu, et
en réalité plus exact (car il est aisé de voir que
les distinctions précédentes sont forcément incer-
taines et jusqu'à un certain point arbitraires), dans
le sens économique et philosophique du mot, on
embrasse sous l'appellation générale d'industrie
tous les travaux, de quelque ordre qu'ils soient,
qui tendent à assurer l'existence et le développe-
ment de rhunianité en pourvoyant à la satisfaction
de ses besoins. L'industrie, ainsi entendue, c'est
l'ensemble des travaux, tant intellectuels que ma-
tériels, par lesquels l'homme, être imlustrieux
par excellence, exerce sa domination sur la nature
et se procure, en vue de cette œuvre, les lumières
qui l'éclairent et la sécurité qui la protège. Les
observations de l'astronome qui relève la carte des
cieux en font partie aussi bien que l'art de l'opti-
cien qui fabrique les lunettes ou les boussoles ; et
l'intervention du gendarme qui prévient le désor-
dre ou du magistrat qui réprime la fraude n'y est
pas plus étrangère que celle du mineur qui extrait
la houille, du voiturier qui la transporte ou du
chauffeur qui l'onfourne. C'est en se plaçant à ce
point de vue que Rossi a pu dire qu'un juge ou un
préfet vendent de la justice ou de l'administration
comme le boulanger vend du pain et le marchand
de nouveautés des étoffes. Dunoyer, de son côté,
a rangé le professeur, le médecin et le moraliste
parmi les producteurs de richesse au même titre
que le maître de forges, le charpentier et le vigne-
ron ; procurer l'instruction, a-t-il dit, la santé ou la
bonne conduite, n'est-ce pas fournir des choses sans
lesquelles le travail, même le plus matériel, s'arrête
ou s'égare? Donnera la société des hommes éclai-
rés, sains et honnêtes, n'est-ce pas la pourvoir des
instruments de production les plus précieux'?
J.-B. Say avait dit, plus anciennement : o 11 n'y a
qu'une seule industrie si l'on considère son but et
ses résultats généraux ; il y en a mille si l'on con-
sidère la variété de leurs procédés et des matières
sur lesquelles elles agissent. »
C'est à. la technologie qu'appartient la description
de ces procédés et l'énumération de ces matières :
nous n'avons à envisager ici que les lois générales
du travail humain, telles que l'étude de l'homme les
révèle et que l'histoire les montre en action.
On a dû, sans doute, pour mettre de l'ordre
dans l'exposition des phénomènes, partager ce do-
maine immense en un certain nombre do parties
plus ou moins nettement délimitées. Nous avons
rappelé tout à l'heure la classification vulgaire :
agriculture, industrie, commerce ; nous rappelle-
rons également, sans commentaire, celle à beau-
coup d'égards plus complète et plus scientifique,
mais plus en dehors de la langue courante, qu'avait
adoptée M. Dunoyer : 1° industries agissant sur les
choses, se subdivisant en industrie extractive,
agricole, manufacturière et voiturière; et 2° indus-
tries agissant sur les hommes, parmi lesquelles il
distinguait celles qui s'occupent du soin du corps,
celles qui ont pour objet l'éducation de Vintelli-
gonce, celles qui tendent à la culture de Vimagina-
lion et des sentiments, celles enfin qui ont trait à
ï amélioration morale. Mais quelle que soit, parmi
ces classifications, celle que l'on adopte, une con-
clusion commune se dégage toujours de l'observa-
tion des faits : c'est que le grand moteur de tout le
mouvement industrieux de l'humanité est l'inté-
rêt personnel, contenu en même temps que sti-
mulé par la concurrence ; et que la liberté est
l'àme du progrès. C'est aussi que tout se tient dans
le grand organisme du travail, et que des liens
étroits unissent ensemble la grandeur matérielle
et la grandeur morale, l'avancement des sciences
et celui des métiers, la richesse publique et la
prospérité privée.
(1 Les terres, a dit Montesquieu, nesontpas cul-
tivées en raison de leur fertilité, nia'S en raison de
la liberté. » Qu'on élargisse la formule; qu'au lieu
des terres on mette l'universalité des professions,
et l'on aura, en deux mots, toute la philosophie de
l'évolution économique do l'humanité. L'histoire
n'est autre chose que l'émancipation graduelle du
travail, et l'avènement, graduel aussi, de la masse
humaine, d'abord dégradée et foulée, à la dignité
et îi la liberté.
Au début (et ce début a duré longtemps, puisque
dans l'ancien monde l'antiquité entière a vécu sous
ce régime, et que dans le nouveau il a subsisté
jusqu'il hier), le travail manque absolument de li-
berté, et il est le lot d'êtres qui ne s'appartiennent
pas. On a parlé de nos jours de Youvrière, comme
d'une nouveauté impie qu'aucun siècle n'aurait
connue avant le notre. 11 y avait des ouvrières,
quoiqu'on en ait dit, et des ouvriers aussi, fort
misérables même, et fort méprisés, dans le vieux
monde paycn ; mais ce qu'il y avait surtout, c'é-
taient des esclaves, c'est-à-dire des hommes réduits
à la condition de bétail et d'instruments passifs.
Sans entrer à cet égard dans des détails dont la
place est ailleurs (V. Esclavage), que pouvait être
l'industrie sous un tel régime ? En faisant du tra-
vail le lot d'êtres inférieurs et dégradés, on désho-
norait le travail ; et en déshonorant le travail on
lui enlevait tout élan et toute énergie. Et en sépa-
rant, d'autre part, la jouissance de l'effort qui en est
le sel, on lui enlevait à la fois toute saveur et
toute réserve, et on lâchait la bride comme à
plaisir à toutes les convoitises et à toutes les exi-
gences. On supprimait, et pour le maître et pour
l'esclave, le stimulant et le frein do la responsabi-
lité. Or la responsabilité, a dit Bastiat, est le tout
de l'homme, a C'est son moteur, son rémunérateur,
son professeur et son vengeur. "
Aussi a-t-on remarqué que dans les sociétés à
esclaves les produits de luxe abondent, comme
ils abondent encore dans l'Inde, où tant de raffine-
ments et de richesse se mêlent à tant de grossiè-
reté et de misère ; mais les produits courants, les
produits à l'usage de ce que les Anglais appellent
le million, soni rares et insuffisants : c'est à peine
ai, parmi les inventions de ces sociétés, on en
compte quelques-unes d'un intérêt vraiment gé-
néral. L'antiquité, en particulier, a succombé sous
INDUSTRIE
— ion —
INDUSTRIE
ses vices autant que sous les ravages des Barbares.
Elle ne produisait plus assez pour se soutenir.
L'un des principaux effets du christianisme, très
certainement, a été de relever le travail. « Quicon-
que ne travaille pas n'est pas digne de manger »,
a dit saint Paul, faisant des tentes pour joindre
l'exemple au précepte. « Qui travaille prie, » a dit
à sou tour saint Augustin. Et dans les primitives
communautés de l'Orient, comme plus tard chez
ces moines do l'Occident auxquels est dû en partie
le défrichement de l'Europe, le travail, la sueur
même, étaient d'obligation stricte : « sudore tuo
vexceris pane. » Les outils étaient bénits et consa-
crés ; et mainte légende témoigne de l'estime dans
laquelle étaient tenues les « vertus qui sortaient
des mains, » vouées au labeur même le plus rude.
Des siècles se passent cependant avant que
l'esclavage ait disparu du sein des nations
devenues chrétiennes. A l'esclave succède non
l'homme libre, mais le serf ; et bien des entraves
encore pèsent sur le serf (V. Servage). Le chris-
tianisme, en outre, s'il relève le travail par un
côté, le rabaisse par un autre ; car il a pour la ri-
chesse et pour les moyens qui la procurent des
anathèmes dont toute trace n'est pas effacée en-
core. Il prêche le renoncement, il exalte la pau-
vreté ; et il conserve, à l'égard des travaux manuels
ou salariés, cette expression de servies à laquelle
on n'a pas cessé d'opposer celle d'occupations
libérales. L'oisiveté, en môme temps, est considé-
rée par les puissants du jour comme un privilège
non moins que l'ignorance. Tel déclare fièrement
ne savoir iigner, vu sa 7ioblesse, et tel autre se
vante d'être de race vivant noblement, c'est-îi-dire
sans rien faire. La plupart des professions font
déroger; et quoique le commerce maritime, le
« grand commerce », soit au nombre des excep-
tions admises, lorsqu'un gentilhomme en Bretagne
est contraint par la pauvreté à s'y livrer, il dépose
son épée et ne la doit reprendre que le jour où il
aura entièrement renoncé au négoce. Les Thébains
dans l'antiquhé allaient plus loin : ils exigaient, de
la part de ceux d'entre eux qui s'étaient souillés
par l'industrie ou le commerce, la purification de
cinq années d'oisiveté complète avant de pouvoir
entrer au Sénat. Les temps sont bien changés ; ne
nous en plaignons pas.
Des articles spéciaux sont consacrés, dans ce
Dictionnaire, aux Communes, au Commerce, aux
Paijsaiis, etc. On y trouvera ce qui ferait double
emploi dans celui-ci; il nous suffira d'ailleurs, pour
donner une idée de la condition de la masse labo-
rieuse et par conséquent du travail pendant le
moyen âge, de deux citations.
L'une est de Beaumanoir, le jurisconsulte de la
féodalité : « Le sire (le seigneur), dit-il, peut
prendre aux serfs tout ce qu'ils ont, et les tenir
en prison toutes les fois qu'il lui plaît, soit à
tort soit à droit, et il n'est tenu à en répondre fors
à Dieu. »
L'autre est de Guibert de Nogent, chroniqueur
du xii'' siècle. « Communes, dit-il à son tour, est
un mot nouveau et détestable ; et voici ce qu'on
entend par ce mot. Les gens taillables ne paient
plus qu'une fois l'an à leur seigneur ce qu'ils lui
doivent; et s'ils commettent quelque délit, ils en
sont quittes pour une amende légalement fixée. »
Il y a eu des serfs, il ne faut pas l'oublier, jusqu'à
la Révolution ; la lutte de Voltaire contre les
moines de Saint- Claude, sur le territoire desquels
on ne pouvait demeurer un an et un jour sans
compromettre sa liberté et risquer do faire per-
dre à sa famille tout droit sur son héritage, est là
pour l'attester. Les tailles arbitraires, les corvées,
les taxes de toutes sortes, contre lesquelles a si
courageusement travaillé Turgot, les droits de
banalité (four, pressoir, moulin et le reste), le
gibier du roi, le gibier du seigneur, et le colom-
bier, et la garenne, sans compter les pillages et
les violences personnelles, ont, malgré des .adou-
cissements graduels, continué jusqu'à la fin de
l'ancien régime d'écraser les terres et les gens.
Aussi la première de toutes les industries, l'indus-
trie nourricière, était-elle misérable, etles famines
fréquentes; telles que personne, si haut que fût
son rang, ne pouvait se flatter d'en éviter toujours
les atteintes. On a vu, en ICG^i, des personnes
« vêtues de soie » tromper une faim de deux jours
avec du son bouilli ; et M'"» de Maintenon, en 1709,
à Versailles, a dû manger du pain d'avoine. Quant au
pauvre peuple, les rapports officiels des intendants
à Colbert le montrent dévorant l'écorce des ar-
bres et broutant l'herbe des champs ; et le régent,
sous Louis XV, apporte au Conseil du pain de fou-
gère pour faire voir au roi de quoi ses sujets se
nourrissent.
La condition des artisans, ou de l'industrie pro-
prement dite, était-elle beaucoup meilleure? Sans
doute, en se groupant dans les villes, les gens de
métiers, comme on les appelait, avaient pu se
donner un peu de la sécurité personnelle qui
manquait presque totalement .aux paysans. C'est
même de ce besoin de défense que parait être née
la corporation. Ces hommes faibles, qui s'élevaient,
dit Rossi, Il comme des plantes tendres et frêles
au milieu des épées et des faux tranchantes »,
s'étaient groupés, parce que l'isolement pour eux
eût été la ruine et la mort, pour travailler, pour
exister. La corporation fut d'abord une armure dé-
fensive ; gênante ou non, il n'y avait pas moyen
de s'en passer.
Mais avec le temps le caractère de cette associa-
tion changea, et à l'esprit de légitime défense, qui
en avait été l'inspirateur, succéda l'esprit d'op-
pression et de monopole. Les maîtres, eu posses-
sion d'une situation faite, touvèrent bon de fermer
la porte derrière eux aux nouveaux venus; et les
rois, de leur côté, après avoir, comme saint Louis
lorsqu'il fit rédiger le Lyvre des mediers, songé
surtout à la loyauté du travail et à la bonne con-
fection des produits, songèient à battre monnaie
avec les faveurs et privilôijes qu'ils octroyaient ou
maintenaient en vigueur. Ils en vinrent peu à peu
à affirmer, comme Henri III, que « le droit de tra-
vailler éuit un droit domanial et royal, que le roi
pouvait vendre et que les sujets devaient acheter, »
et à déclarer, comme Louis XIV, c< qu'au roi seul
appartient do faire des maîtres ès-arts. »
L'histoire des corporations demanderait à elle
seule un volume. Disons seulement que deux faits
principaux caractérisent ce régime : 1° la classifi-
cation officielle des métiers, avec les règlements
de fabrication etiasurveillance desdnée àengaran-
tir l'observation ; et 3» la limitation du nombre des
maîtrises, dans plus d'un corps de métier, et, dans
ceux mêmes où le nombre n'en était pas limité,
l'obligation de se faire accepter par les maîtres en
exercice, avec l'apprentissage forcé, le chef-d'œu-
vre, et les formalités de réception.
L'impossibilité d'arriver librement à la maîtrise,
c'était évidemment la coalition permanente des
maîtres contre les ouvriers et contre le public;
l'exclusion de quiconque portait ombrage ou
déplaisait, limpuissance pour quiconr|ue récla-
mait. H Le consommateur, dit Turgot, a toujours
tort. »
L'apprentissage forcé, c'était une servitude tem-
poraire, généralement fort longue, sept, huit, dix
ans, au profit des maîtres, et d'ailleurs sans issue
la plupart du temps. C'était aussi, à défaut du mé-
tier qu'on avait appris, la fermeture des autres.
« Tu as appris à faire des clavecins, dit encore à
ce propos Rossi ; on n'en fait plus, mais on fait dos
harpes, et tu pourrais y réussir. Tant pis pour toi ;
tu n'en feras pas. »
Pour ce qui est dos règlements de fabrication et
INDUSTRIE
1018
INDUSTRIE
de la division officielle des professions, la moindre
réflexion montre ce qu'il faut penser de cette pré-
tention de <i l'orgueil administratif. » En fait de
travail tout se touche et tout se modifie. On ne
peut, comme dit très bien M. Dr.z, « concilier des
goûts et des besoins changeants avec des règle-
ments inmiuablcs; et c'est un singulier moyen de
perfectionner les arts que de leur interdire le pro-
grès. 1. Aussi n'hésite-t-il pas, après avoir justifié
cette conclusion par des exemples, à appeler cette
consécration de la routine n une guerre» perpétuelle
« de l'administration contre l'industrie. » Quelle
situation, dit pareillement M. F. Cadet (Ti/ri/o^, Li-
brairie centrale des publications populaires), que
celle d'hommes enfermés dans ce dilemme : ou
étouffer en eux l'esprit d'invention, ou violer la loi ?
Tçlle était pourtant, au siècle dernier encore, la
situation commune, et l'on n'y échappait, exception-
nellement, comme Réveillon, le célèbre et malheu-
reux inventeur des papiers peints, qu'en obtenant
l'érection de son établissement en manufacture
royale. « Les règlements, » d'ailleurs toujours
violés, n s'entassent sur les règlements. Colbert à
lui seul en fit cent quarante-neuf. Les procès de
leur côté se multiplient et s'éternisent. La querelle
des fripiers et des tailleurs, sur la distinction d'un
habit neuf avec un vieil habit, » dure plus de deux
siècles; elle durerait encore sans la suppression
des maîtrises. « De 1578 à 1767, les savetiers et les
cordonniers se disputent pour arriver il la défini-
tion d'une vieille botte. Les oyers-rùtisseurs, les
poulaillers, et les cuisiniers,» d'une part;« les mer-
ciers, les gantiers et les bonnetiers-chapeliers, >• de
l'autre, sont également aux prises; et « le Parle-
ment rend des arrêts contradictoires, mais toujours
graves, sur le droit de vendre de la viande cuite
ou crue, de faire des sauces, sur le nombre des
plats de fricassée à porter en ville, ou sur la
quantité de gants ou de chapeaux h mettre eu éta-
lage. »
On n'en finirait pas d'énumérer seulement les vices
de ce régime, a Patrons et ouvriers en souffraient
également. Les patrons étaient gênés dans leurs
moyejis d'action, dans le nombre d'apprentis et
d'ouvriers qu'ils pouvaient faire travailler, dans
leurs achats et leurs ventes, dans leur fabrication ;
et leurs privilèges ne les empêchaient pas de souf-
frir des privilèges des autres. Les ouvriers étaient
enfermés dans une profession, » et ne pouvaient
d'ailleurs, sauf de rares et dispendieuses excep-
tions, espérer d'arriver à la maîtrise.
On a dit que, du moins, la corporation étant une
faniille, dont l'ouvrier faisait partie, il était cer-
tain de ne jamais être abandonné ; la confrérie,
•sainteetbienfaisaiite union defraternité chrétienne,
ne lui ofl'rait-elle pas un refuge assuré;' C'est une
«rreur. n Ni compagnons, ni apprentis, dit M. Le-
vasseur, n'avaient droit aux secours; ils n'étaient
pas plus admis au bénéfice de l'aumône qu'aux
autres avantages de la communauté. Les maîtres
seuls et leurs veuves en profitaient. «Eiicore fallait-il
que les secours fussent sollicites. En réalité, « dans
une société fondée sur des privilèges, chacun est
jaloux de celui qu'il possède, .i et c'est de l'un h
l'autre une cascade de dédains. Les bourgeois mé-
prisaient les artisans; « ce mépris, les artisans le
rendaient avec usure aux ouvriers, )i et ceux-ci,
« de leur côté, ne ménageaient guère les appren-
ais. »
Au point de vue social, en somme, au point do
vue moral, aussi bien qu'au point de vue profes-
sionnel, le régime de la réglementation était dé-
plorable. La dignité humaine n'en souffrait pas
moins que le travail.
On a dit aussi qu'il n'y avait alors ni chômages
ni grèves, et que les difficultés contre lesquelles
lutte notre temps étaient inconnues au temps
i>assé. Cela n'est pas plus exact. M. Levasseur si-
gnale k Lyon, en 17i-i notamment et en 1786, d'ef-
froj-ables crises suivies de grèves et d'insurrections;
chaque fois la ville est pendant plusieurs jours aux
mains des ouvriers, et l'ordre n'est rétabli que par
une occupation militaire. D'ailleurs, remarque-t-il
justement, « les mauxles plus apparents ne sont pas
toujours les plus réels. Des générations entières
ont pu se succéder, végétant et mourant les unes
après les autres, sans même concevoir la pensée
d'une situation meilleure. Le silence do l'histoire
cache à, la postérité ces misères muettes. Elles n'en
sont pas moins réelles; elles sont même d'autant
plus tristes pour qui sait réfléchir qu'elles sont plus
générales et moins faciles à guérir. »
C'est donc de la chute des corporations que date,
en France au moins, l'émancipation matérielle et
morale de l'industrie, l'affranchissement du travail
et l'afl'ranchissement de l'homme qui travaille. En
Angleterre des règles analogues avaient été édictées,
notamment par le statut de la cinquième année
d'Elisabeth, ou statut des apprentis; mais le mal
avait été moins grand, grâce à cette habitude d'ap-
pliquer les lois dans leur lettre qui est un des
traits du caractère britannique. Les dispositions
restrictives n'étant observées qu'à l'égard des in-
dustries et des localités formellement visées, le
travail avait pu trouver la liberté sous d'autres
noms ou dans d'autres lieuj. Le carrossier, dont le
métier était réglementé, ne pouvait faire de roues ;
mais Vouvric'- en roues, au sujet duquel la loi se
taisait, pouvait faire des carrosses. Les centres
manufacturiers pour la plupart n'étaient pas villes
à l'époque d'Elisabeth ; ils se trouvaient en dehors
des entraves imposées aux villes, et pouvaient se
développer librement. De là, sans aucun doute,
pour une bonne part, l'avance prise par l'industrie
anglaise.
C'est k Turgot d'abord, à la Constituante eii-
suite, que revient, en France, l'honneur d'avoir
brisé les chaînes de l'ancien régime industriel.
Turgot, en l'IC, après avoir magistralement dressé
l'acte d'accusation des corporations, et non moins
magistralement proclamé, dans un immortel
préambule, la charte du travail libre, faisait rendre
par Louis XVI, et enregistrer par le Parlement (au
prix d'un lit de justice, il est vrai), un édit par
lequel, sauf l'imprimerie, la pharmacie, l'orfèvrerie
et les offices de barbiersperruquiers-étuvistes,
toutes les professions étaient déclarées libres.
La coalition des privilégiés le renversait, quel-
ques mois après, et détruisait en grande partie son
œuvre. Mais la Constituante la reprenait, et après
avoir, par l'art. 2 de la loi du 2 mars 1791, sup-
primé " les brevets et lettres de maîtrises, et tous
privilèges de proression,sous quelque dénomination
que ce soit, " elle déclarait, dans l'art. 7, « libre
à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer
telle profession, art ou métier qu'elle trouvera
bon, » sous la condition seulement <> de se pour-
voir d'une patente, d'en acquitter le prix et de se
conformer aux règlements de police. » Ce ne sont
plus là des exclusions ni des faveurs ; ce sont des
mesures d'ordre, plus ou moins bien entendues,
mais les mêmes pour tous, et qui laissent le
champ libre à toutes les ambitions comme à toutes
les capacités.
Telle est, depuis bientôt un siècle, .sauf quelques
exceptions qui ne sont peut-être pas toutes suffi-
samment justifiées, mais qu'il serait trop long
d'examiner ici, la condition du travail en France.
Il est libre, h l'intérieur au moins, qu'il s'agisse
de culture, de commerce ou d'industrie propre-
ment dite. A l'extérieur la cause est pendante, et
ce n'est pas une des moindres questions de l'heure
présente. Chacun, quel qu'il soit, est seul maître
du choix do sa profession; et chacun, dans cette
profession, marche comme il lui convient, à ses
risques et périls.
INDUSTRIE
1010 —
INDUSTRIE
On sait quelles ont été les conséquences do ce
cliangement; et quel essor ont pris, une fois déli-
vrés de leurs entraves, non seulement la produc-
tion et le commerce, mais la science. M. Moreau
deJonnus,dans son livre sur la Stalistigue de l'in-
dustrie eu France, a montré cette industrie, af-
franchie de la veille, sauvant la France en I"!I3, et,
pour premier emploi do sa liberté, improvisant les
plus merveilleux moyens de défense et d'équipe-
ment. M. Droz qui, comme lui, avait connu l'an-
cien régime, et pouvait parler pertinemment de
ses vices et de son dénuement, a lui aussi, dans
une page non moins remarquable, attribue à n la
liberté donnée h l'industrie, dans l'inlciiew df
l'Etat, » la facilité avec la(iuelle la France, dans le
premier tiers de ce siècle, a supporté tant de cala-
mités et réparé tant de ruines. Nous avons fait,
plus récomment, la môme expérience : c'est assu-
rément à la puissance de son activité productrice,
affirmée avec tant d'éclat dans la dernière Expo-
sition, que la France a dû la rapidité avec laquelle
elle s'est relevée des désastres de la guerre étran-
gère et de la guerre civile.
Le même Moreau de Jonnès écrivait, à la pre-
mière page du livre qui vient d'être cité, les lignes
que voici :
Il Abandonnée aux esclaves chez les peuples de
l'antiquité, dévolue aux serfs pendant tout le
moyen âge, enchaînée jusqu'à nos jours par les
jurandes et les corporations, l'industrie a passé
quarante siècles au moins dans la servitude, ran-
çonnée comme un ennemi, vendue comme un cap-
tif au pouvoir des pirates, opprimée dans les
moindres actes de son travail et de son intelli-
gence, châtiée comme le nègre et méprisée comme
le paria. Elle est aujourd'hui libre, riche et ho-
norée ; elle est l'arbitre des destinées des premiers
peuples du monde, qui lui doivent à la fois leurs
trésors, leur puissance et leur civilisation raffinée. »
Ces lignes peuvent paraître, au premier moment,
dictées par un enthousiasme exagéré. Elles ne
sont, en réalité, que l'exact résumé de l'histoire de
l'industrie.
Aux premières heures de l'humanité, l'industrie,
à vrai dire, n'existe pis. L'homme n'est qu'un ani-
mal qui, sous l'impérieuse impulsion du besoin,
cherche autour de lui la pâture et l'abri. 11 ne
produit pas alors; il consomme, on pourrait dire
qu'il déoasle. Aussi a-t-il bientôt épuisé le coin de
terre sur lequel il se trouve jeté, et lui faut-il,
pour végéter péniblement d'une vie misérable, des
espaces immenses. Mais l'intelligence chez quel-
ques-uns s'éveille, la prévoyance apparaît ; aux
ressources spontanées de la nature on songe i,
ajouter des ressources préparées par la main do
l'homme ; on façonne le bois, la pierre, le métal ;
oji ci-euse des tanières ou l'on élève des huttes;
on garde des animaux ou l'on multiplie des plantes.
Toutefois le cercle dans lequel s'opère cette ac-
tion est étroit eucor.e, et l'effort matériel y do-
mine. Les muscles, mal armés, restent le principal
outil, et contre les résistances sans nombre de la
nature cet outil est trop faible pour remporter
d'importantes victoires. Quel<|ues-uns seulement,
les plus forts et les plus habiles, en se faisant des
autres des instruments, arrivent à se procurer
quelque aisance et quelque luxe relatif : la force
est le grand moyen d'acquisition, et l'esclavage
soutient, i la surface des sociétés, un état-major,
au fond bien mal pourvu lui-même, d'hommes plus
ou moins libres qui se disent la nation et la cité.
Le Spartiate, selon la vieille chanson dorienne, la-
boure avec sa lance et moissonne avec son glaive;
il n'en est pas beaucoup plus heureux pour cela.
Le Germain, d'après Tacite, estime honteux d'a-
cheter au prix de la sueur ce quo le sang peut
payer; sa vie ne paraîtrait guère enviable aux plus
humbles do nos ouvriers contemporains. La ri-
chesse, en tout cas, infectée dans sa source, est
le plus souvent le prix de la rapine et de l'oppres-
sion, et l'industrie, pour si peu qu'elle existe, est
à toute heure la proie du brig:nidage. De là,
pour le dire en passant, les anathèmes, alors trop
justifiés, dont le souvenir pèse encore sur la ri-
chesse.
Les hommes cependant, par la guerre même ou
parles voyages, voient s'élargir peu àpeuleur hori-
zon . Des productions inconnues leur sont révélées ;
des désirs nouveaux surgissent en eux. Des échanges,
d'abord rares, et bornés naturellement, saufpourles
courtes distances, aux objets rares, les seuls qui puis-
sent supporter des déplacements difficiles, commen-
cent à s'opérer, et le commerce, auquel la sécurité
est indispensable, impose, sous peine de refuser
ses services, de premières habitudes d'ordre et de
loyauté. Il exige en même temps de premiers
moyens de communication ; des sentiers sont tra-
cés, des lignes de caravanes s'organisent, et la na-
vigation s'essaye le long des côtes pour se hasarder
bientôt plus loin. Peu à peu, avec les choses, les
hommes se mêlent, et les idées s'échangent comme
les produits. Et non seulement on vend et l'on
achète, c'est-à-dire on porte ici ce qui était là et
là ce qui était ici ; mais on s'associe et l'on obtient,
par des rapprochements qu ; la nature n'avait pas
faits, des ressources nouvelles et des produits d'o-
rigine humaine. Ces trouvailles, souvent, sont
dues au hasard ; mais souvent aussi, au lieu d'at-
tendre patiemment les heureuses rencontres, on
veut aller au-devant et l'on cherche, au risque de
ne pas trouver. On observe, on expérimente, on
raisonne; des faits connus on déduit des lois, et
des lois on déduit la possibilité, la certitude même
d'autres faits. La science ainsi emprunte sa lu-
mière à la pratique, et à son tour l'éclairé. La
chimie, la physique, la mécanique, la minéralo-
gie se mettent au service de la production ; les
outils se perfectionnent ; les machines se multi-
plient; la vapeur, l'électricité, en réduisant sous
les pas de l'homme l'espace et le temps, agrandis-
sent sa place sur la teire et de plus en plus lui
permettent de dominer la matière- Ce n'est plus
le bras alors qui est l'outil, il n'est que l'in-
termédiaire par lequel la pensée commando à
l'outil. La navette et le marteau, selon la prophé-
tie peut-être inconsciente d'Aristote, marchent
seuls, et le labeur servile n'est plus nécessaire.
Et non seulement il n'est plus nécessaire, mais
il est impuissant et dangereux. Au perfectionne-
ment de l'outillage le perfectionnement de
l'homme doit répondre. Pour conduire les puis-
sants et délicats eni;ins de la mécanique moderne,
pour ne pas compromettre à toute heure, par de
fausses manœuvres, non seulement le travail,
mais le matériel, et le personnel lui-même, il faut
des hommes à l'abri des témérités de l'ignorance
et des irrégularités de l'insouciance. De là, comme
pour le maniement plus délicat et plus dangereux
encore de la machine politique, la nécessité d'une
instruction plus générale, plus étendue et plus
précise. De là aussi, par une inévitable réaction,
l'élévation du niveau général, et la mise au jour
d'une foule d'aptitudes qui, dans d'antres condi-
tions, se seraient toujours ignorées. L'industrie,
dit admirablement encore M. Moreau de Jonnès,
donne aux hommes la nourriture et le vêlement;
elle change les torrents en force motrice, la foudre
en messagère, et fait du soleil un peintre à nos
ordres. Par elle les hameaux deviennent des
villes, et la richesse éclôt dans les déserts. Mais
« elle fait mieux, elle féconde les esprits par ses
inspirations. Un pauvre ouvrier, un barbier, un
filateur, un tisserand, » un mineur, un Arkwright,
un Jacquart, un Stephenson, « deviennent des
mécaniciens habiles, des hommes de génie, qui
reculent les limites du possible, et agrandis-
INDUSTRIE
— 1020
INFLORESCENCE
sont la sphèro où semblaient enfermées à jamais
nos destinées... C'est beaucoup de préserver le
peuple des intempéries et de la malpropreté, qui
attiraient sur nos ancêtres les fléau.x meurtriers
des épidémies; » mais c est davantage de « don-
ner aux populations l'activité du corps et de l'es-
prit, qui agrandit leurs facultés et les rend capa-
bles d'accomplir la mission départie à l'homme
sur la terre, celle de gagner sa vie par son la-
beur... De tous les phénomènes, le plus impor-
tant pour le moraliste et le philosophe c'est le
perfectionnement de l'entendement humain par
la diffusion des connaissances utiles. L'industrie
moderne a fait naître par les inspirations de ses
nécessités plus do dessinateurs, de calculateurs,
de mécaniciens, de chimistes, que tous les ensei-
gnements n'en avaient pu produire pendant des
siècles. Elle a infusé dans des populations nom-
breuses des habitudes d'ordre, de devoir, de ré-
flexion, de recherche, etc.. Enfin, et pour termi-
ner cette longue et incomplète nomenclature, c'est
à l'industrie que le monde moderne doit les no-
tions », très insuffisantes assurément, «d'économie
politique qu'il possède. »
Où s'arrêtera ce mouvement? Il serait témé-
raire de le dire. Le passé, quel qu'il soit, ne donne
qu'imparfaitement la mesure do l'avenir. Mais il
est, dès maintenant, parmi les conditions du déve-
loppement industriel et scientifique dont nous
sommes témoins, des conséquences qui s'impo-
sent, comme s'est imposée la liberté intérieure, et
qui avant peu se réaliseront. Au premier rang est
la nécessité, pour tous les peuples, d'étendre leur
sphère d'action et de devenir, de plus en plus,
par leurs achats et par leurs ventes, les fournis-
seurs et les clients les uns des autres. L'industrie,
le commerce, l'agriculture elle-même, à mesure
qu'ils augmentent la puissance de leurs moyens,
sont forcés d'augmenter leurs ressources, et de
franchir les limites, non seulement de leur terri-
toire propre, mais des continents. Le travail, quoi-
qu'il en ait, devient international. La fraternité,
avant de passer dans les esprits, est déjà dans les
faits. Aucun peuple, fùi-il le plus riclie et le plus
sobre du monde, ne peut plus se suffire : il est,
i toute heure, et sous mille formes, en relations
avec les autres; et si, par son fait ou sans son fait,
ces relations, comme pendant la guerre de Crimée
ou la guerre de la sécession américaine, se trou-
vent interrompues, il souffre dans sa nourriture,
dans son vêtement, dans son travail, aujourd'hui en
proie à la disette du blé et demain à la famine du
coton, .\insi le veut la solidarité croissante du
genre humain, et c'est l'intérêt, c'est l'industrie
qui, ici encore, au nom du progrès matériel, com-
mando le progrès moral. C'est elle qui, après
avoir rapproché les villages, puis les provinces, et
créé les peuples, rapproche les peuples eux-
mêmes et peu k peu les pousse vers cette société
du genre humain que nommait déjà Cicéron, socie-
tas f^eneris humani.
L'industrie, on le voit, n'est donc autre chose
que l'exploitation, d'abord grossière, puis moins
imparfaite, puis savante et puissante du globe par
le travail. Elle est l'ascension graduelle de
l'iiomme non seulement vers le bien-être, mais
vers la liberté, vers l'égalité, vers la justice, vers
la paix, grâce à l'expérifnce qui éclaire et à la
science qui découvre. OEuvre, non de la main,
mais de l'esprit, elle agit sur la matière sans
doute, mais pour la dompter et pour s'élever au-
dessus d'elle. Et c'est pourquoi il ne faut pas mau-
dire en elle, a bien dit AL de Fontenay, n le progrès
matériel ; » il faut saluer et bénir « le signe maté-
riel du progrès, " lequel est moral. « Nous avons
des corps, avait déjà dit Franklin, mais nous
sommes des esprits. »
[Frédéric Passy, do l'Institut.]
INDUSTRIES CLASSÉES. — V. Salubrité pu-
blique.
I.NFLOnESCENCE. — Botanique, IX. — Le
terme A' inflorescence s'emploie dans deux accep-
tions : il signifie tantôt l'arrangement des fleurs
sur la plante, tantôt un ensemble de fleurs non
séparées les unes des autres par des feuilles bien
développées.
Dans une inflorescence, on appelle pédoncules
on pédicelles les axes qui supportent les Heurs, et
bractées les feuilles à l'aisselle desquelles naissent
les pédoncules; ces bractées manquent dans quel-
ques inflorescences, par exemple dans celles des
crucifères. Les bractées varient dans leur forme ;
elles sont généralement petites (oseille), membra-
neuses, vertes, ou diversement colorées.
On nomme axe primaire de l'inflorescence le
pédoncule commun d'où naissent tous les autres ;
ces derniers prennent les noms à'tixes secondaires,
axes tertiaires suivant leur ordre d'apparition.
L'inflorescence est dite définie lorsque son axe
primaire et tous ceux auxquels il donne nais-
sance se terminent par une fleur (mouron des oi-
seaux, ancolie, etc.).
L'inflorescence est indéfinie lorsque l'axe pri-
maire, au lieu de se terminer par une fleur, s'al-
longe indéfiniment et que les fleurs sont portées
sur les branches secondaires nées à l'aisselle des
feuilles de l'axe primaire.
Les fleurs sont so/itaires, quel que soit le mode
d'inflorescence, lorsque chaque pédoncule est sim-
ple, qu'il naît immédiatement de la tige, et se
montre isolé des autres par des feuilles peu défor-
mées.
Les fleurs réunies en groupe sont tantôt pour-
vues de bractées et tantôt nues.
Inflorescences indéfinies. — Les inflorescences
indéfinies sont : la grappe, le corymbe, Vombelle,
l'épi et le capitule.
La grappe est une inflorescence dont les axes
secondaires, à peu près égaux, naissent le long de
l'axe primaire. La grappe simple est celle dont les
pédicelles naissent immédiatement de l'axe pri-
maire et se terminent par une fleur ^réséda, gro-
seille). La grappe composée oupa'iicule est une in-
florescence composée dans laquelle les axes secon-
daires nés de l'axe primaire se ramifient en axes
tertiaires (yucca). Le particule se nomme thijrse
quand les pédicelles du milieu sont plus longs
que ceux des extrémités, et que l'ensemble de
l'inflorescence présente une forme ovoïde.
Le corymbe est une inflorescence voisine de la
grappe, danslaquelle les pédicelles inférieurs, beau-
coup plus longs que les supérieurs, mettent les
fleurs sur un même plan, formant ainsi une sorte '
do parasol à rayons inégaux.
h'ombelle est une inflorescence que l'on peut
comparer à une grappe dont l'axe primaire e.xtrê-
mement raccourci est réduit à une surface étroite,
et dont les-axes secondaires, égaux entre eux, par-
tent tous d'un même point. L'ombelle est simple
quand les axes secondaires se terminent chacun par
une fleur. L'ombelle est composée quand les axes se-
condaires émettent chacun des axes tertiaires dis-
posés eux-mêmes en ombelles simples que l'on
nomme oméeWw/es (carotte). Les bractées des ombel-
les, ramenées sur un même plan, puisque tous les
axes secondaires partent d'un même point, forment
un verticelle que l'on appelle invnlucre pour l'om-
belle tout entière, et invotucetle i|uand il embrasse
la base des rayons de chaque ombellule.
L'e'/yi est une grappe dont les axes secondaires
sont nuls, de telle sorte que les fleurs sont sessiles
sur l'axe primaire (plantain), h'épi est dit com-
posé lorsque les axes secondaires de l'inflorescence,
au lieu de fleurir, produisent chacun un petit épi
distique nommé épillet ,(blé). L'épi prend le
nom de chaton lorsque ses fleurs sont incomplètes
INFLORESCENCE
— 1021
INONDATIONS
>
(cliôiio). Lo cliaton lui-mftme est désigne') sous le
nom de cône ou slmbilc lorsque ses écailles sont
grand(3S et épaisses (pin) ; il est désigné sous le
nom de spadice lorsque dans sa ji'unesse le cha-
ton est enveloppé par une grande bractée nommée
spnthe (arum pied de veau), ho spudice ruineux des
palmiers a reçu le nom de régime.
Le capitule est une inflorescence dans laquelle
les fleurs sont agglomérées en tôte sur un récep-
tacle commun ; c'est un épi aplati dont l'axe pri-
maire s'est refoulé sur lui-môrae de haut en bas
(composées). Lo capitule, de même que l'om-
belle, est ordinairement muni i sa base de bractées
dont l'ensemble forme un involucre. Tantôt cha-
que fleur du capitule est pourvue de sa braciée,
réduite à l'état d'écaillé (camomille) ou de simples
poils (bleuet). D'autres fois, toute trace de ces
bractées intérieures a complètement disparu (pis-
senlit). C'est au capitule qu'on doit rapporter
l'inflorescence du figuier nommée hypanthodie .
C'est un réceptacle très déprimé qui porte des fleurs
incomplètes, enchâssées dans des enveloppes à
bords déchirés. Les fleurs mâles occupent le haut
de la tige, et les petites écailles qui ferment son
orifice représentent un involucre de bractées qui
dans l'état normal ceindraient la base du récepta-
cle commun, comme cela a lieu dans les capitules
ordinaires.
Dans la grappe, l'épi, le corymbe, l'ombelle
simple, le capitule, la floraison se fait soit de bas
en haut, soit de la circonférence vers le centre de
l'inflorescence.
Inflorescences définies. — Los inflorescences dé-
finies sont désignées d'une manière générale sous
le nom de lymes; les principales sont les cymes
bipares et les cymes uiiiparcs.
Cymes bipares. — Pour former une cyme bi-
pare, la tige se termine par une fleur dont le pé-
doncule porte à sa base deux bractées ; k l'aisselle
de chacune de ces dernières naît un axe secondaire
terminé lui aussi par une fleur dont le pédoncule
porte inférieurement deux autres bractées, dans
l'aisselle desquelles naissent deux axes tertiaires
terminés chacun par une fleur. 11 y a donc li une
série de bifurcations portant cliacune une fleur dans
son aisselle. Si, au lieu do bifurcation, en chaque
point naissaient trois branches de second ordre,
la cyme serait dite tripnre (cerastium).
Cymes unipares. — La cyme imipnre a pour ori-
gine une cyme bipare dont une des branches avorte
constamment à chaque nouvelle division. On dis-
tingue deux sortes de cymes unipares : les cymes
unipares scorpioïdes et les cymes unipares hili-
coïdes.
La cime unipare scorpioïde est ainsi nommée
parce que l'espèce de grappe unilatérale qu'elle
constitue, et dans laquelle la formation des fleurs
marche de la base au sommet, se contourne en
volute. Son rachis résulte de la superposition d'un
grand nombre de petits axes nés les uns des autres.
Les fleurs, toutes situées d'un môme côté en deux
files longitudinales, sont opposées à'tojit autant de
bractées situées de l'autre côté du rachis (myo-
sotis) .
La cyme imipnre hélicoide (hémérocalle) ne dif-
fère de la cyme scorpioïde que parce que les fleurs
qu'elle porte, et les bractées qui leur sont oppo-
sées, s'élèvent le long du rachis suivant une ligne
spirale.
On désigne sous le nom de (jloméndes ou cymes
contractées des cymes à pédicelles très courts,
quelle qu'en soit d'ailleurs la nature spéciale.
Plusieurs auteurs (MM. Duchartre et Decaisne)
appellent inflorescences mixtes celles qui parti-
cipent à la fois des inflorescences définies et des
inflorescences indéfinies (labiées, mauve); et l'on
désigne sous le nom à' inflorescences épipkylles
-celles de certaines plantes dont les fleurs sem-
blent naître sur des feuilles ou sur des bractées.
[C-E. Bertrand."!
IISFUSOIUIÎS. — V. Protozoaires.
INONDATIONS. — Météorologie, XIX; Agricul-
ture, IV. — Les inondations sont produites, soit
par des pluies prolongées ou extraordinairement
abondantes, soit par la fonte rapide des neiges
accumulées sur le sol dans les jours antérieurs.
Il est impossible d'établir, par une formule gé-
nérale, les relations qui existent entre le volume
des eaux pluviales qui tombent sur le bassin d'un
fleuve et le volume des eaux débitées par le fleuve.
Ces dernières sont le résidu de l'évaporation du
sol et de la transpiration des plantes, qui changent
avec la saison et le climat, avec la nature et l'incli-
naison des terrains, avec les cultures de chaque
région. L'observation locale pourrait seule ren-
seigner à cet égard, par la mesure du débit de
chaque ruisseau, comparée avec la somme des
pluies que reçoit son bassin d'alimentation. Cette
comparaison, commencée par M. Belgrand pour la
Seine et ses affluents, lui a permis de formuler les
règles pratiques de l'annonce des crues prochai-
nes aux populations menacées. Ces règles sont
appliquées couramment par M. Le Moine, élève
et collaborateur de M. îielgrand. Une commis-
sion hydfologique fonctionne depuis un grand
nombre d'années à, Lyon pour le Rhône et la
Saône ; M. Poincarré en a établi une à Bar-le-Duc
pour la Meuse. Il est à désirer que de semblables
institutions s'étendent à toute la surface de la
France.
Les inondations sont rares dans la saison d'été ;
celles qui s'y produisent sont dues â de violents
orages, à des trombes d'eau, qui peuvent parcou-
rir dos bandes de terrain assez longues, mais
généralement étroites. Leur soudaineté produit
quelquefois de grands desastres, surtout quand les
nuées longeant les flancs d'une grande chaîne de
montagnes, leurs eaux se réunissent rapidement
dans les thalwegs dos vallées. Le plus générale-
ment ces inondations sont locales et ont peu d'ac-
tion sur les grands cours d'eau. Dans cette période
de l'année, en effet, la végétation dans toute son
activité retire du sol de grandes masses d'eau
qu'elle verse dans l'atmosplière sous forme de
vapeur ; la terre peut donc accepter des pluies
copieuses sans en être saturée et sans ruisselle-
ments superficiels abondants, surtout quand sa
surface est peu inclinée et que le sous-sol est per-
méable.
Dans la saison froide, au contraire, la végétation
est peu active et l'évaporation considérablement
réduite. La terre perdant moins d'eau est plus
promptement saturée par les pluies dont l'excé-
dant fait gonfler les rivières et les fleuves.
Une différence non moins grande est produite
par la nature du sol et du sous-sol.
Il est des terrains perméables par eux-mêmes et
qui reposent d'autre part sur des sables, des gra-
viers ou des roches fendillées au travers desquel-
les l'eau s'infiltre aisément. Ces terrains sont im-
propres aux prairies sauf dans le voisinage des
cours d'eau, à moins que les pluies de la région
ne soient fréquentes ou que l'on puisse irriguer
en été ; les vallées secondaires y sont ordinaire-
ment dépourvues de tout cours di'eau et le ravine-
ment des terres y est exceptionnel.
Il est d'autres terrains, au contraire, qui sont
argileux et reposent sur l'argile ou la marne, ou
bien qui sont assis sur des roches compactes. Ces
terrains sont toujours frais ; les sources y sont
nombreuses, et les prairies naturelles faciles à
établir.
Les uns et les autres so comportent tout
différemment sous l'action des pluies un peu
prolongées. Dans les premiers, les eaux du ciel
pénétrent profondément dans le sol ; elles échap-
INONDATIONS
— 1022 —
INONDATIONS
pcnt ainsi, en partie, aux racines dos plantes et
se rassemljlent lentement dans les nappes sou-
terraines qui émergent au dehors en sources gé-
néralement abondantes et ne subissant dans leur
débit que des oscillations graduelles et relativement
peu prononcées. Dans les seconds, les eaux du
ciel, arrêtées i une faible distance de la surface,
restent longtemps disponibles pour la végétation
locale ; le surplus suinte du sol en sources nom-
breuses dont le débit suit de très près la marche
des pluies. Dans la saison où ces dernières sont
abondantes, et surtout si le terrain présente des
décli\ités très accusées, les eaux ruissellent en
outre h la surface, et se rendent directement dans
les cours d'eau dont le volume augmente avec
rapidité et décroît ensuite avec une rapidité pres-
que égale.
Tout cours d'eau dont le bassin est composé en
majorité de terrains imperméables, soit par eux-
mêmes, soit par suite de leur déclivité exagérée,
est à régime torrentiel : les crues y sont souvent
subites et violentes, mais peu durables. Tout cours
d'eau dont l'ensemble du bassin est composé de
terrains perméables garde des allures tranquil-
les. Ses crues sont lentes et aussi ses décrues.
Cette différence de régime se retrouve tou-
jours, que les terrains soient nus ou boisés. Un
terrain imperméable, tel que ceux du Morvan,
le liuz de la Grenetière, dont le bassin est entière-
ment boisé, passe par les mêmes alternatives que
le Cousin, dont le bassin est aux deux tiers déboisé.
D'un débit de 2 "00 mètres cubes par heure en
hiver, il peut tomber à sec en été. Les passages du
régime d'hiver au régime d'été, et réciproque-
ment, y ont hou en mai et en octobre comme dans
les terraius déboisés. Dans les régions de la
Champagne pouilleuse, à peu près absolument
déboisées, mais à sous-sol très perméable, nous
voyons, au contraire, les eaux de l'Ardusson, l'un
des principaux affluents de la Seine, ne varier que
de 0'°,20 en hauteur dans ses plus fortes crues. En
dehors du climat et du mode de répartition des
pluies, le régime d'un cours d'eau dépend donc
essentiellement du degré de perméabilité et du
degré d'inclinaison des diverses parties de son
bassin.
Les bassins de la Loire et de l'Allier sont pres-
que entièrement composés, dans leurs parties hau-
tes, de terrains imperméables ; leur lit, presque h
sec en été, a besoin d'être endigué, et souvent il
déborde en hiver. Dans le bassin de la Seine, au
contraire, les terrains perméables sont en majo-
rité ; le régime du fleuve est mixte et ses crues
sont complexes. Jusqu'à Montereau, la Seine a des
allures tranquilles ; k partir de ce point, l'Yonne
lui apporte des eaux torrentielles. Les crues de
l'Yonne passent toujours avant les crues de la Haute-
Seine qui ne font que soutenir les premières ; mais
si plusieurs crues se succèdent de manière, par
exemple, qu'une seconde crue de l'Yonne coïn-
cide avec une première de la Haute-Seine, le vo-
lume total des eaux charriées par le fleuve peut
prendre de grandes proportions. L'annonce des
crues de la Seine n'est pas fondée sur le régime
des pluies ; il est plus simple de s'appuyer sur les
alliires des petites rivières, particulièrement des
rivières torrentielles qui résument le mieux les
effets de ces pluies sur le sol, et que l'expérience
a montré être le plus directement liées aux crues
générales qu'il importo de signaler à l'avance.
Le régime de nos cours d'eau n'est pas invaria-
ble ; il cliange beaucoup d'une année à l'autre ; et,
de plus, il se modilie graduellement avec le temps.
L'afi'aiblissement de leur débit a été général en
Europe depuis le dernier tiers du siècle dernier,
et Berghauss, en partant de cet affaiblissement,
prétendait que s'il continuait, il faudrait dès le
bateaux employés sur l'Elbe. On l'attribuait au
déboisement; mais il s'est également produit sur le
Volga, dont l'immense bassin n'a subi que des
déboisements relativement imperceptibles. Il y a là
dos oscillations climatcriques à longues périodes
qui se sont déjà reproduites plusieurs fois, ei aux-
quelles se surajoute l'influence du progrès des
sociétés humaines. De nos jours encore, on voit,
dans des régions depuis longtemps déboisées de
la France, des sources anciennes disparaître peu
à peu, tandis que les innondations d'hiver persis-
tent et s'aggravent.
Le drainage des terres, le curage des ruisseaux,
le dessèchement îles marais, diminuent de plus en
plus les eaux dormantes ; les résidus des eaux
pluviales s'écoulent plus promptement vers les
fleuves dont les crues sont plus rapides et plus
hautes, en même temps que les nappes souter-
raines ont moins de ressources d'approvisionne-
ment. Mais il est une autre cause dont on ne
tient pas suffisamment compte on été. Autre-
fois nos champs ne portaient que de maigres ré-
coltes et les jachères étaient fréquentes. Aujour-
d'hui une culture plus parfaite a augmenté les
rendements ; les plantes fourragères remplacent la
jachère, et leurs racines vont profondément puiser
l'eau du sol qu'elles rendent i l'atmosphère à l'état
de vapeur. Or, si on considère que chaque kilo-
gramme de blé produit enlève à la terre de 1 000
à 1 200 kilog. d'eau, et que le sainfoin, le trèfle, la
luzerne, en dépensent deux ou trois fois plus
que le blé, on comprendra que plus les rende-
ments s'élèvent, plus la proportion des eaux plu-
viales consommées par les récoltes augmente, et
plus aussi est faible la proportion qui s'en écoule
vers les sources. C'est la loi nécessaire du progrès
agricole et qui se retourne contre ce progrès même.
Le seul moyen d'y pourvoir est d'aménager les
eaux d'hiver, toujours surabondantes, rarement
utiles et fréquemment désastreuses.
C'est à leur origine même qu'il faut lutter contra
les dangers des inondations ; et si nous ne pouvons
rien sur les pluies, nous pouvons, du moins, en
régulariser les efl'ets.
Dans les pays à pluies fréquentes et générale-
ment modérées, le ravinement des terres est peu
à craindre, sauf par le débordement des eaux ve-
nues de plus haut. La végétation naturelle y suffît
à la défense du sol contre l'exagération des pluies
qu'il reçoit. Le reboisement et le déboisement n'y
sont qu'une simple question d'exploitation du sol
et de rendement maximum. Il n'en est plus ainsi
dans les pays à pluies torrentielles et à pentes ra-
pides. Alors même que le sol en serait naturelle-
ment perméable, il n'y suffit plus à l'absorption
des eaux qu'il reçoit. Une forte partie de ces eaux
ruissellent à sa surface ; si cette dernière est nue,
les ruisselets forment des ruisseaux dont la rapidité
et la puissance d'entraînement augmentent avec
leur volume ; ils deviennent bientôt des torrents
dont rien ne peut ralentir la vitesse croissante.
Les terres sont ravinées et charriées au loin. Leurs
parties les plus fines et les plus précieuses sont
emportées à la mer où elles sont perdues sans
retour; les graviers qui se déposent, d'autant
moins loin qu'ils sont plus lourds, encombrent les
lits des l'ivières et forcent leurs eaux à se frayer
d'autres voies en propageant le fléau et ses ruines.
11 ne s'agit donc plus ici, seulement, d'aménager
des eaux nuisibles pour les riverains d'un fleuve,
mais de conserver dans la montagne les richesses
que le temps y avait accumulées et qui lui appar-
tiennent, tout on les empêchant de devenir une
cause de ruine pour les pays situés plus bas.
Là où les longues sécheresses, la déclivité trop
prononcée du terrain, les abus de la dépaissance,
ont rendu le gazon impuissant à lui seul à défendre
milieu du siècle actuel changer le tonnage des I le sol, le déboisement a été une faute et le reboi-
INSliCTES
— 1023
INSECTES
scment est devenu une impérieuse nécossitiS. Les
crues n'en conserveront pas moins leur caractère
torrentiel, mais leurs dévastations seront répri-
mées. La nioiitagne gardera sa terre et cessera
d'oncombrer les lits des torrents; les eaux rencon-
trant plu< d'obstacles à leur écoulement, auront
moins de tendance à se réunir, elles auront moins
d'impétuosité dans leur descente; une plus forte
proportion pourra rester sur place, dans la terre
protégée par sa végétation. Les crues torrentielles
en seront donc allongées et réduites dans leur hau-
teur. En mémo temps les eaux, moins chargées de
détritus du sol, rendront possibles les travaux d'a-
ménagement destinés à les répartir sur la saison
où elles font défaut.
Mais si le reboisement de certains cantons mon-
tagneux est une opération préliminaire indispen-
sable, il faut se garder d'y chercher la solulion
complète d'une question encore plus vaste. H l'sl
des cantons entièrement boisi'S dont les inonda-
tions sont presque aussi redoutables en hiver, et où
la sécheresse n'est pas moins nuisible en été. Il
faut aménager les eaux d'hiver; rintér:t de l'agri
culture, qui est l'intérêt du pays, l'exige impé-
rieusement. Il faut y pourvoir à l'aidé de travaux
d'ensemble, mais qui sont variables suivant les
conditions spéciales de chaque région et qui ap-
pellent le concours simultané de l'ingénieur et
du forestier. — V. Irri'iations. [Mari'é-Davy.]
IISSECTES. — Zoologie, XXIIl, XXIV. — Classe
de l'embrancliement des Articulés*. Le mot insecle
signifie en latin coupé en segments ; il a la même
signification que le mot grec enlome, qui est inu-
sité, mais dont on a fait entomolofjie, étude des
animaux segmentés. Le nom d'Insectes était donné
par Linné à tout l'embranchement des Articulés
actuels, animaux dont le corps et les appendices
sont formés d'articles plus ou moins nombreux, en
série à la suite les uns des autres. On a succes-
sivement séparé des Insectes, dans cet embran-
chement, les classes des Crustacés* et des Arachni-
des*, enliii celle des Myriapodes*, que Cuvier
réunissait encoreaux Insectes.
Caractères généraux. — Les Insectes, tels que
les restreignent les auteurs modernes, sont des Ar-
ticulés dont les anneaux du corps, à l'état parfait
ou adulte, capable de reproduire l'espècg, se grou
prnt, presque toujours très nettement, autour
de trois centres, la tète, le thorax et l'abdomen ;
les ganglions de la cliaîne ventrale du système
nerveux suivent la même coalescence. Le thorax
se divise en trois segments, prothorax, mésotho-
rax, niétathorax, qui portent, à leur arceau ventral,
chacun une paire de pattes, de sorte que le second
caractère géiiéral des insectes adultes est d'avoir
six pattes (Hexapodes de Blainville) ; presque tou-
jours les deux arceaux du dos du mésothorax et du
niétathorax portent chacun une paire d'ailes ; il
n'y a jamais d'ailes au pruthorax. La tête offre en
avant deux antennes, qu'on appelle vulgairement
cornes, présentant les loilgueurs et les formes les
plus variées, organes certainement de l'odorat et
très probablement aussi de l'ouïe (tiges vibrant il
l'unisson des sons extérieurs). Au-dessus de la
tète sont assez souvent, et surtout chez les insec-
tes industrieux et constructeurs de nids, des yeux
simples ou ocelles, ordinairement au nombre do
trois, destinés i une vision avec grossissement à
très courte distance ; sur les côtés se trouvent
deux yeux composés ou à facettes, ne manquant
presque jamais, très aisés à voir à la loupe sur une
libellule, sur un frelon, sur un faux-bourdon (abeille
mâle) ou sur une grosse mouche à viande. Ce sont
plusieurs milliers de petits yeux accolés, formant
un réseau d'hexagones, chacun avec sa cornée,
son cristallin en cône allongé, son fllet nerveux
optique ; leur ensemble constitue un appareil
sphéroïde ou ovoïde de vision panoramique, en
tous sens, plus développé chez les mâles que chez
les femelles, de même que les antennes. En dessous
de la tète s'ouvre la bouche, entourée de pièces
buccales très diversifiées, servant aux insectes à
la préliension de leurs aliments, soit h l'état solide
soit h l'état liquide, et qui ont une très grande
importance pour la classification des insectes, la-
quelle est fondée â la fois sur les ailes et sur les ap-
pendices qui entourent la bouche.
A l'intérieur, les insectes offrent toujours l'a-
nus à la région opposée à la bouche (caractère de
supériorité animale), avec un tube digestif compli-
qué et plus ou moins flexueux. Un sang incolore
circule entre les divers organes internes, qui en
sont baignés, sans qu'il y ait de vaisseaux propres ;
il reçoit l'impulsion, d'arrière en avant, par une
siM'ii' il:' cirurs placés au milieu du dos [unisseau
linrsiil . rt ilimt on voit très bien les mouvements
ilr Kiiitrartion sur la clieniUe du bombyx du mû-
rier ou ver à soie. L'air, destiné à l'hématose du
sang, pénètre dans toutes les parties du corps des
insectes, contenu dans des tubes, ou cylindriques
et maintenus béants par l'élasticité d'un fil spirale,
ou renflés en ampoules d'autant plus volumineuses
que les insectes adultes sont meilleurs voiliers.
Ce sont les trachées, qui s'ouvrent sur les côtés
du corps par des orifices nommés sliijmates, en-
tourés d'un cercle corné, le péritrème, et si visibles,
par une coloration différente^ sur les flancs de
beaucoup de chenilles.
L'hématose devient considérable chez les insectes
adultes , surtout ceux à vol puissant ; ils sont
alors de vrais animaux à sang chaud ou à tempé-
rature constante et dégagent une forte chaleur.
On sent entre les doigts la cljaleur du corps des
gros sphinx (sphinx du liseron et du troène),
papillons dont on ne distingue plus les ailes, tant
elles vibrent vite, et qui butinent le soir sur les
fleurs des jardins. Ce sont surtout les insectes
sociaux et vivant en colonies qui offrent une cha-
leur accumulée considérable, d'un grand nombre
de degrés au-dessus de l'air extérieur, de 8° à 12°
pour les nids de bourdons, les fourmilières, les
guêpiers, bien plus encore pour les ruches d'a-
beilles, où règne en hiver la chaleur du printemps
au milieu des pelotes d'insectes serrés les uns
contre les autres; dans ces ruches, lors de l'es-
saimage, la température peut monter à plus de
<0°, au point de décoller des gâteaux de cire. C'est
dans le thorax, portant les muscles des ailes et
des pattes, que se localise la chaleur ; lors du
vol, chez les bons voiliers, la température du
thorax peut être de 4° à 8" supérieure à celle de
l'abdomen. Cette dernière région du corps, qui est
sans pattes chez les adultes, se termine souvent
chez les femelles en une Inrière ou oviscnpte, tuyau
soit rigide, soit mou et rétractile, destiné à la ponte
dos œufs. Une partie des Hyménoptères offre, chez
les femelles, la tarière transformée en un aiguil-
lon acéré, organe défensif du couvain ou réunion
des petits.
Malgré leur faible taille, les insectes sont, parmi
les Articulés, des animaux supérieurs, car ils
en possèdent au plus haut degré les apanages, c'ost-
i-dire le mouvement et la sensibilité. Les sphinx
du liseron et du laurier-rose arrivent au vol dit
centre de l'Afrique jusqu'en Angleterre; les légions
désastreuses des criquets passent au-dessus des na-
vires en plein Atlantique ; diverses mouches suivent
les trains de chemin de fer et pénètrent dans les
voitures. Certains sens des insectes, l'odorat sur-
tout, ont une perfection incroyable; dès qu'une
taupe ou un inulot sont gisants sur le sol, arrive à
la ronde la troupe funèbre des nécrophores (Co-
léoptères) ; les mouches stercoraires et celles des
viandes viennent d'une grande distance, attirées
par l'odeur et non par la vue, car on peut recou-
vrir la viande gâtée d'un linge sans mettre fin 4
INSECTES
— 1024 —
INSECTES
leur odieuse poursuite. Il y a des papillons, les
Bombyciens, dont les mâles interrogent l'atmo-
sphère avec leurs larges antennes plumeuses et,
d'un vol à continuelles saccades, se rendent de
riutérieur des bois et des jardins i plusieurs kilo-
mètres auprès des femelles, même dans l'intérieur
des villes; ainsi le Bombyx tau, le Bombyx dis-
parate, VOrygie antujue, etc. Les insectes in-
dustrieux qui construisent des nids savent, par
une paresseuse sagacité, approprier à leur usa^je
les vieux nids et crus d'autres espèces, de manière
à n'avoir à exécuter qu'un minimum de travail;
bien plus, placés par le fait de l'homme dans des
conditions insolites, ils exécutent des actes qu'il
est impossible d'attribuer à l'instinct seul, de
sorte qu'on est obligé d'accorder le raisonnement
et des lueurs d'intelligence à ces chétives
créatures.
Chez les insectes, les sexes sont toujours sépa-
rés, et les femelles pondent des œufs, à part quel-
ques cas exceptionnels (les pucerons, certaines
mouches à viande, etc.) où elles mettent au jour
des petits vivants. 1! y a des insectes sans inéta-
morptwses, dans lesquels l'évolution s'est accom-
plie tout entière il l'intérieur de l'œuf. Dans ces
insectes, toujours sans ailes ou nptéres, les petits
sortent de l'œuf pareils aux adultes, sauf la taille,
ont la même nourriture, sans autre phase que des
mues ou changements de peau et l'accroissement
général; ainsi les Poux et les Ricins, parasites des
mammifères et des oiseaux, et les Thysanoures
.lépismes, podures, etc.). D'autres insectes, à
métamorphoses incomplètes, n'ont jamais de phase
d'inactivité. D'abord la7-ves sans ailes, ils de-
viennent, après plusieurs mues, nymjjlies, offrant
des ailes renfermées dans des fourreaux et im-
propres à la fonction du vol, puis adultes, aptes
à la reproduction , ayant des ailes servant au vol ; dans
ces divers états, ces animaux ont la même nourri-
ture, ce qui rend très funestes leurs espèces nui-
sibles, dont les dégâts ne cessent à aucune phase
de l'existence. Tels sont les Perce-oreilles, les
Blattes, les Courtilières, les Grillons, les Sauterelles
et les Criquets, les Termites, les Libellules, les
Punaises des bois et des jardins, les Cigales, les
Pucerons, les Cochenilles, etc. Enfin les insectes
réputés les plus parfaits passent par trois états bien
différents après leur sortie de l'œuf; d'abord larves
sans ailes, en particulier clienilles chez les Papil-
lons, sans pattes ou avec des pattes en autre nombre
que l'adulte, ils prennent ensuite un état d'immobilité
presque complète, sans avoir besoin de nourri-
ture, ayant les organes de l'adulte, en particulier
les ailes, envL-loppés sous une peau plus ou moins
dure; ce sont les tiym/jhes, chrysalides ou fèves,
etpupes. Puis paraissent les adultes, b. ailes bien
développées et fonctionnelles, prenant souvent
une alimentation tout à fait distincte de celle de
leurs larves. Dans ces insectes à métamorphoses
complètes se rangent les Coléoptères, les Fourmi-
lions, Chrysopes et Phryganes, les Hyménoptères
(abeilles, guêpes, fourmis, ichneumons, cynips,
tenthrèdes, etc.), les Lépidoptères ou Papillons,
enfin cet ordre immense d'insectes qu'on nomme
Diptères, parce qu'ils semblent, au premier aspect,
n'avoir que deux ailes (cousins, moustiques ,
taons, mouches, etc.).
La classification des insectes repose sur l'examen
de certains appendices, sur lesquels nous devons
donner des notions sommaires. En France, d'après
Linné, les noms des ordres sont tirés des ailes
(appendices dorsaux, qui sont toujours en réalité
au nombre de quatre. Elle sont formées d'une
membrane plus ou moins épaissie , tendue par
des 7iervurcs qui déterminent un réseau de cel-
lules, d'un grand secours dans la classification de
détail, pourvue de poils plus ou moins abondants,
parfois élargis en écailles (ailes farineuses des
Papillons). Les pattes (appendices ventraux), aprèç
un court article d'attache, la hanche, suivi d'ar-
ticles plus longs, la cuisse et la jambe, se termi-
nent par le tarse, dont les articulations succes-
sives sont d'un continuel secours pour les
classificateurs. Le tarse présente, le plus fré-
quemment, 5 ou 4 articles, 3 plus rarement, 2 et
1 très rarement; le dernier article se termine par
un ou deux ongles ou crochets, parfois avec une
pelote molle entre eux, servant au tact. Les pièces
qui entourent la bouche ont aussi une importance
capitale pour subdiviser les insectes. D'abord
vient, au-dessus de la bouche, une pièce impaire,
le labre ou lèvre supérieure ; puis la Ijouche est
entourée de pièces paires, jouant latéralement,
c'est-à-dire dans un sens perpendiculaire à celui
dos mâchoires de l'homme et des vertébrés. Ce
sont les mandibules, élargies en meules pour
broyer, ou tranchantes et coupant les aliments
comme des cisailles (ces mandibules mordent
notre doigt chez le carabe, la sauterelle, la guêpe) ;
puis les mâchoire^', h un ou deux lobes, achevant
la division des aliments; enfin, au-dessous de la
bouche, la lèvre inférieure, à deux pièces plus ou
moins soudées sur la ligne médiane. Sur les côtés
externes, les mâchoires et la lèvre inférieure
portent des palpes articulés, presque toujours
grêles, ramenant vers la bouche les parcelles
échappées aux pièces buccales, servant surtout
d'organes de tact pour apprécier la nature et la
consistance des aliments. Telles sont les pièces de
la bouche dans les insectes, soit adultes, soit
larves, qui sont broyeurs. Quand les aliments,
visqueux ou fluides, sont léchés ou sucés par les
insectes, ces mêmes pièces se modifient. Certaines
disparaissent, d'autres s'allongent, soit en languette
molle, que l'insecte applique pour lécher, soit en
tube flexible et spirale au repos, lui servant à
aspirer les jus sucrés, soit en lancettes perfo-
rantes, formant en outre une gaine de succion
qu'il enfonce dans les divers organes des plantes
ou sous la peau des animaux, dont il aspire le
sang pour se nourrir.
CLASSIFICATION.
On divise les Insectes en cinq grandes sections,
comprenant chacune un ou plusieurs ordres.
I. Ordres broyeurs a l'état d'adulte et de larve.
1° Coléoptères, à métamorphoses complètes. —
Nous avons consacré à cet ordre un des plus im-
portapts, un article spécial.
2° Orthoptères, à métamorphoses incomplètes.
— Tantôt carnassiers, tantôt omnivores, taniôt phy-
tophages (vivant de fruits, de fleurs, de feuilles, de
tiges), les Orthoptères sont les gros mangeurs de
la création eniomologique ; les moins nombreux
des insectes en espèces, ils sont en compensation
d'une extrême fécondité, de façon que certaines
espèces ont une quantité d'individus excessive.
Deux sous-ordres : 1° Fo;ificuliexs ou Perce-
Oreilles. — Ces insectes, toujours de couleurs
brunes ou fauves, sont remarquables par la pince
courbe qui existe au bout de l'abdomen dans les
deux sexes. Cette pince, de faible force pour ser-
rer, rappelle le petit outil dont se servaient autre-
fois les joailliers pour percer le lobule de l'oreille
des enfants. Leurs ailes supérieures sont de cour-
tes élytres ou étuis cornés, ne recouvrant pas
l'abdomen, de sorte que les forficules semblent
porter une veste. Sous ces ailes de la première
paire, si réduites, se trouvent des ailes membra-
neuses, très amples, plissées en éventail, puis re-
pliées, dont l'insecte se sert très rarement et
qu'il étale avec sa pince. Les jardins nourrissent en
abondance la Forficule auriculaire, Linn., très nui-
sible aux fruits et aux fleurs par sa voracité, et dont
INSECTES
— 1025
INSECTES
les jeunes larves vivent en société. Elle fuit la lu-
mière ; on on profite pour la recueillir dans des
chiffons humides, dos amas de paille, dws pots ii
fleurs renverses et pleins de mousse, des sabots
de cheval, des cornets de papier, des fouilles de
chou plices en quatre, puis on livre les forfl-
cules aux flammes vengeresses.
2° Ohthoptèbes piiOPBKs. — Ce second sous-or-
dro tire son nom des ailes antérieures ou pseu-
délytrcs, longues et droites, demi-coriaces, sous
Fig. 1, — Mante religieuse saisissant une mouche,
lesquelles les secondes ailes membraneuses ,
très larges, sont plissôes en éventail au repos.
Cette disposition dos ailes est bien visible sur la
grande Sauterelle verte et sur ces Criquets aux
ailes bleues ou rouges qui volent en abondance à
la fin de l'été sur les coteaux secs. Un premier
groupe, celui des mnrchews ou coureurs, a les
pattes impropres au saut; ce sont, en outre, des
insectes muets. On y range les Blaltes, insectes
lucifuges, très plats,
bruns ou jaunâtres,
à corselet arrondi,
cachant la tète. Les
femelles traînent
leurs œufs dans une
capsule qui ressem-
ble à une graine. Les
Blattes sont omni-
vores et deviennent
aisément domesti-
ques, dévorant nos
jirovisions, nos vê-
ii monts, nos livres.
Nous citerons, par-
mi les Kakerlacs ou
Cancrelats , comme
on les nomme aussi,
la rjrande lllatle ou
lilatte amériraine,
d'un roux ferrugi-
neux, infestant les
serres, les docks,
les vaisseaux, où
l'on est forcé d'en- '
fermer en des cais-
ses de fer-blanc sou-
dées h l'étain les
comestibles et mar- ' 't- -~ u^ ijimc
chandises; Xn Blatte
orientale, Linné, ou blatte des cuisines [cafard,
tjete noire, ravet), d'un biun noir, ne volant pas
par atrophie des ailes, souillant la nuit les aliments
dans les cuismes et les armoires, se réfugiant
dans les cneminées, sous les marches d'escaliers,
dans les gonds des portes, près des machines à
vapeur, pour manger les graisses, etc. ; la Mutte
rjermanique, plus petite et jaunâtre, vivant libre
dans nos bois sous les feuilles sèches et sur les
2« Partie.
grandes herbes, domestique dans les maisons en
Allemagne, en Russie, dans le nord de la France,
dans certains restaurants de Paris, dévorant jusl
qu'à l'encre et au cirage, difficile h détruire parce
qu'elle vole bien. Il faut employer contre les
blattes les insufflations de poudre Vicat, ou les
recueillir entre dos linges mouillés, puis les brû-
ler. )
Les Mantes sont, au contraire, d'utiles carnas-
siers do proie vivante, verts ou jaunâtres comme
les feuilles, toujours ii l'affiit sur les broussailles,
les vignes, les grandes herbes, saisissant les insec-
tes entre la jambe et la cuisse de devant, repliées
on pinces et munies d'épines acérées, et les portant
sous leurs mandibules. Elles semblent dire leurs
prières ; aussi les paysans du Midi les nomment
prie-Dieu, prega-Diou. L'espèce principale est la
Mante reliijieuse, Linné, qui remonte jusqu'à Fon-
tainebleau et plus au nord sur les côtes océani-
ques. Il faut recommander aux enfants de ne pas
luer les mantes, et de respecter les grosses cap-
sules ovoïdes et papyracées , où les œufs sont en
série dans des logettes, capsules collées aux rochers
et aux arbustes.
Les autres Orthoptères propres sont des sau-
teurs; leurs cuisses postérieures, à muscles éner-
giques, se débandent comme un ressort pour lan-
cer l'insecte en avant. Ce sont dos insectes
bruyants, surtout le soir, les mâles étant munis
d'appareils de stridulation propres à appeler les
femelles par des bruits variés et qui difl'èrent sui-
vant les espèces.
L'instrument musical n'est pas toujours le
même : les Grillons et les Sauterelles sont des
cymbaliers, produisant le son d'appel en frottant
l'une contre l'autre leurs pseudélytres, munies d'un
tympan ou miroir formé par une membrane sèche
et vibrante ; les Criquets, au contraire, sont des
violonistes, les mâles frottant vivement leurs pat-
tes postérieures cré-
nelées contre de
fortes nervures de
leurs pseudélytres,
formant des tiges
sonoi-es , rigides.
Les femelles des
groupes des Gril-
lons et des Saute-
relles ont l'abdomen
terminé par une lon-
gue tarière saillan-
10, tantôt droite
comme une épée,
tantôt recourbée
comme un sabre ;
c'est un tube formé
d- deux gouttières
accolées, par lequel
passe l'œuf, qui est
ainsi déposé dans
le sol, et, bien plus
rarement, à l'inté-
rieur de végétaux.
Z--:, Le groupe des
Jr^;^"^ Grillons nous pré-
-' '■'"" sente d'abord les
Courtilières (du
cnucivure pou.ia[ii. yieux mot français
courtil, qui veut
dire jardin), dont les pattes de devant ont les
jambes robuîtes, élargies et digitées, fouillant la
terre comme les mains de la taupe, d'où le nom
du genre Taupe-grillon ou Gryllotalpa. La Cour-
tilière est un gros insecte d'aspect hideux, de la
couleur et un peu do l'apparence d'une écrovisse,
ses longues ailes repliées en fourche dépassant
l'abdomen. Elle abonde dans les jardins à terre
meuble et sablonneuse, dévorant les légumes et
65
INSECTES
— 1026
INSECTES
bouleversant aussi les racines pour cliercher les i
larves, car sa voracité la rend omnivore. Elle pond
des œufs en tas dans le fumier ou le terreau. Tl '
faut verser de l'huile ou du pétrole dans les trous
de refuge de la Courtilière, disposer dans les
plate-bandes, i ras du sol, des vases pleins d'eau
recouverte d'essence de térébenthine, où elle se
noie et s'empoisonne ; enfin, lui dresser des ap- \
pâts-piège^, formés de petits tas de fumier chaud; i
écraser avec soin. (
Les vrais Grilloiu ont les pattes pareilles, et
l'abdomen de la femelle terminé par une tarière
droite et saillante pour la ponte des œufs. Ils no ]
sont pas nuisibles. Citons le Giillon itomestir/ue, \
d'un jaune enfumé, vivant derrière les plaques de
cœur des cheminées et dans les boulangeries, in-
secte très frileux, le cri-cri du foyer, buvant avi-
dement l'eau et le lait, sortant parfois en été pour
se promener au soleil ; et le Gri/lon cliampétre, 1
gros insecte brun, dont les femelles se tiennent à
l'entrée de leurs terriers, tournés au midi, tandis
que les mâles se promènent le soir aux alentours,
appelant les femelles par une stridulation intense. ,
Les Lnciislcs ou Snuterells vraies sont peu |
nuisibles. On reconnaît les femelles à leur longue
tarière, tantôt recourbée en sabre, tantôt droite
comme une épée, avec laquelle elles déposent
leurs œufs en terre ou dans les fentes des arbres.
Les antennes des Sauterelles sont très longues,
comme des fils, et leurs tarses ont quatre articles.
La plus connue est la Grtmde Snuterelle lerte,
faisant entendre tout l'après-midi son cri : zic-zic
au milieu des chaumes et dans les buissons; elle
est appelée Cigale dans le nord de la France et
près de Paris, erreur que partageait La Fontaine,
car, dans une édition illustrée faite sous les yeux
du fabuliste, on voit la cigale de !a fable si connue.
In Ciyale et la Fowmi, représentée sous la forme
d'une sauterelle. Une autre grande espèce, com-
mune dans les jardins, crise, marquetée do noir,
est le Dc' tique verrucivore. Linné. Ces grandes
Sauterelles mangent des chenilles, et nous les
croyons plus utiles que nuisibles ; leur salive brune
ot acre indique des carnassiers. Les paysans sué-
dois se font mordre les verrues des mains par la
seconde espèce, afin de les cautériser.
Les Acridiens ou Criqurts, nommés très souvent
et à tort Sauterelles, ont les
anteinies courtes et fortes,
les tarses de trois articles,
l'abdomen des femelles dé-
pourvu de tarière de ponte.
Certaines espèces, les unes
de l'ancien monde, les au-
tres du nouveau, méritent
véritablement le nom de
fléau que leur donne la Bi-
ble. A certains moments,
chassées des déserts par la
faim, elles s'envolent, aidées
par le vent, en nuages épais
qui cachent le soleil et la
' d'A- imip pendant des journées
*v-.,.™.o=ij'^ssi. entières, font table rase de
toutes les cultures sur les-
quelles elles s'abattent, rongeant à la fin jus-
qu'au bois des arbres et aux portes des maisons.
L'espèce la plus funeste est le Cnquel pèlerin,
Olivier, qui se rencontre des rivages de la Chine
à l'extrémiic occidentale du Maroc, envoy. nt quel-
ques sujets égarés en Andal nsie. Selon les races
il est jaunâtre ou rougeàtre, marqueté de noir. Il
exerce ses ravages en .41gérie à peu près tous les
vingt-cinq ans, et ses larves, sorties des œufs,
continuent la dévastation. C'est par corvées de
milliers d'hommes qu'on requiert l'armée ; on cher-
che k empocher la descente des Cri(|ucts sur les
champs cultivés par des bruits divers même par
le canon, à les pousser au-dessus de tranchées
creusées à l'avance où on les enterre, ou sur des
broussailles arrosées de pétrole, auxquelles on
met le feu. L'invasion de 1806 a causé la mort, par
la famine et les épidémies, de plus d'un million
d'Arabes, et l'histoire est pleine des récits lamen-
tables de ces famines suivies de peste, dues au
Criquet pèlerin. Ce sont d'autres espèces, de l'Eu-
rope orientale et méridionale, qui dévastent la
Provence par intervalles, imposant aux villes des
sacrifices pécuniaires considérables en primes de
destruction. L'une des espèces est le Pachytyle
miyratew, Linné, grisâtre, à ailes membraneuses
incolores; l'autre, le Caloptène italique, Charpen-
tier, à ailes rosées. Les enfants des écoles peuvent
rendre de grands services en ramassant ces Cri-
quets, et surtout en recueillant les amas d'œufs,
collés par un enduit glutineux et pondus sur le sol
môme par les femelles, dépourvues d'instrument
pour creuser la terre. Les prairies nous présentent
en abondance de petits Acridiens, généralement
verts, du genre Stenofjoifuus, que les enfants des
villages nomment Sautriaux ou Saulériaux. Un
Criquet très commun en certaines années dans
les vignes, sur les collines et les falaises, est
l'OEdipode à bandes. Siebold, remarquable par ses
ailes d'un beau bleu, ou d'un rouge vif dans une race
plus méridionale, avec bande noire. Ces derniers
Criquets ne sont pas nuisibles d'ordinaire. _
3° Névroptères. — Cet ordre esi caractérisé par ses
quatre ailes membraneuses et finement réticulées,
sans plissement, avec tous les rapports de gran-
deur d'une paire à l'autre. Il se divise en deux
sous-ordres bien nets.
Le premier, celui des NÉvr.oi>TÈi<FS pseudor-
THOPTÈRES, que les entomologistes allemands et
anglais réunissent aux Orthoptères vrais, n'offre
que des métamorphoses incomplètes.
Un premier groupe de ces Névroptères est con-
stitué par les Termile.i. les grands balayeurs de
la nnture des auteurs anglais, rongeant toutes les
matières ligneuses, faisant disparaître les végé-
taux morts. Ce sont des insectes sociaux, com-
prenant des mâles et des femelles ailés, qui
sortent au dehors par essaims et perdent leurs
ailes après l'accouplement ; et des neutres sans
ailes, se distinguant en ouvriers, en nombre im-
mense, allant butiner au dehors, construisant les
nids ou termitières, nourrissant les larves, et en
soldats, â grosse tète, armés de fortes mandibules
saillantes, défenseurs de la demeure commune,
dirigeant les colonnes d'ouvriers. En France, l'es-
pèce la plus nuisible, à l'état sauvage dans les
souches de pins des Landes, est le Termite luci-
fiiqe, Rossi, détruisant les tiges des plantes, les
poutres et planchers des maisons, les meubles, le
linge, les fruits secs, inf stant les maisons de plu-
sieurs villes et villages des (.harentes, du nord du
Bordelais et d'Algérie, où elle est en quelque sorte
en domestication. Les essaims paraissent au prin-
temps, puis en été; on ne rencontre d'ordinaire
que les ouvriers et les soldats, de la taille d'une
fourmi, dun blanc jaunâtre {fhunnis bUmches),
sans yeux composés, n'ayant que deux très petats
ocelles, cheminant toujours à l'abri de la lumière
dans des tubes de parcelles de bots disposes le
Ions des murs de cave et des puits. Si on racle
cestubes. on ramasse, moles aux débris ligneux,
une multitude d'ouvriers et quelques «oldats; ces
insectes répandent une forte odeur de rhum. II
faut silicatiser les bois de charpente ou les rem-
placer par des solives de fer, enfermer les hnges
et les registres dans des boîtes de fer- blanc.
Une autre série de ces Névroptères est celle
des Ampiiib'Oiiques, comprenant les Libellules.
les Ephémères et les Verirs, passant les états de
larve et de nymphe au fond des eaux douces où
elles vivent d'insectes d'eau et de mollusques. Les
INSECTES
— 1027 —
INSECTES
Libellules sont appelées vulgairement Demoiselles
chez nous, et Mauches-Driif/oiis par les Anglais, nom
bien plus exact, car ces insectes sont do conti-
nuels chasseurs de proie vivante, mettant en pièces
papillons et raouclies. Les enl'unts ne doivent pas
les détruire, sauf dans le voisinage immédiat des
ruches d'abeilles. Les couleurs de tous ces in-
sectes sont fort vives, bleues, vertes, jaunas, avec
taches noires; leurs yeux énormes interrogent
l'horizon en tous sens, et leurs antennes ne sont
que de très courtes soies. Les Libellules propres
ont un vol rapide, et tiennent leurs quatre grandes
ailes à plat au repos; par les beaux jours on voit
attachées aux roseaux les dépouilles des nymphes
Fig. 4. — Libellule adulte sortant de sa nymphe.
d'où sortent les adultes, ayant d'abord les ailes
courtes, ramassées, qni se sèchent et s'étalent peu
à peu au soleil. Les Cnloptén/x, qui ne quittent
pas le bord des eaux courantes, ont le vol plus
faible, les ailes h, demi relevées au repos, ornées
chez les mâles de magnifiques bandes d'un bleu
chatoyant. Les Agrions ont le corps grêle, comme
un gros (il, les yeux très proéminetits sur des pé-
doncules, le vol faible, les ailes le plus souvent
relevées au repos.
_ Les Ephi'mères sont des Libellules dégradées, à
ailes inférieures réduites et même nulles dans
certains genres, ne mangeant pas à l'état adulte,
ne durant guère qu'une journée, à moins qu'on
ne les empêche de s'accoupler, auquel cas elles
peuvent vivre plus d'une semaine. En larve et en
nympheaquatiques,leurvieestde près d'une année.
On voit les Épliémères voler, en montant et des-
cendant continuellement au-dessus de l'eau, leurs
longues pattes de devant dressées au delà de la
tète. On les attire le soir avec des lumières et on
s'en sert comme exc-llentos amorces de pôclie
{manne des poissons); il y a des pays où leurs
cadavres couvrent le sul en nombre tel, qu'on les
ramasse par charretées pour fumer la terre.
Le sous-ordre des Néviioptéhes vrais présente
des métamorphoses complètes, une nymphe inactive
venant s'intercaler entre la larve et l'adulte. Us ne
nous offrent que des espèces utiles ou indifférentes.
Les Panorpes volent sur les broussailles et dans
les prairies, surtout dans les lieux ombragés et hu-
mides. Leurs pièces buccales sont prolongées en
une sorte de bec et perforent les insectes vivants,
auxquels Its panoipes, très courageuses, font une
chassj acliarnée. Nous avons deux espèces de ces
Névropières, la Pwiorpe i-onimune, Uimi, et la
Panovpe gannanique, Brauer, toutes deux à ailes
variées de taches noires. Les mâles ont l'abdomen
redressé et muni d'une grosse pince rougeàire.
d'une ressemblance grossière avec le dard caudal
du scorpion, ce qui a fait nommer les Panorpes
Mouches- Scorpions. La femelle ofl're l'abdomen pro-
longé en tarière effilée et rétractile, et pond ses
œufs dans la terre humide, où les larves vivent de
racines et de détritus.
Un autre groupe de Névroptères offre une singu-
lière conformation de la bouche des larves, toutes
carnassières d'insectes vivants. Les mandibules et
les mâchoires soudées constituent une pince courbe
et creuse, communiciuant à la bouche et servant à
sucer le sang des insectes dans lesquels s'enfon-
cent ces crochets. Les larves de Fourmilions creu-
sent dans les talus sableux des entonnoirs de sa-
ble, au fond desquels elles se tiennent cachées.
Fig. 3. — Eutoniioii du fourmilion.
la pince et les yeux sortant seuls. Elles sont tra-
pues et poilues, d'un gris rosé, et lancent, avec leur
large tête, une pluie de sable sur l'insecte impru-
dent qui roule au fond du précipice, dont les parois
s'éboulent sous lui. Son cadavre, sucé au fond de
l'entonnoir, estrejeté au dehors, d'un vigourouxcoup
de tête. Ces larves se filent des cocons sphériques,
d'une douce soie blanche au dedans, mêlée à l'ex-
térieur de grains de sable. De la nymphe roulée dan..
Fig. ti. — Larve, nymphe et cocon du Fou
ces berceaux soyeux, sortent d'élégants insectes,
répandant une odeur de rose, munis de longues ailes
de gaze, à antennes grenues, ressemblant un peu i
des Libellules, mais bien différentes pourquiconque
les voit voler le soir, d'un vol frémissant, faible et
comme moelleux. Des espèces de genres voisins ont
des larves qui ne creusent pas de pièges de chasse,
mais se cachent dans le sable et s'élancent sur tous
les insectes qui passent à leur portée.
Plus utiles encore sont les 6'/irî/«ope.s, qu'on appelle
souvent hemoisetles terrestres ou Demoiselles à yeux
d'or, àcanse de la couleur éclatante de leurs yeux.
On les voit voler le soir, mais d'un vol lent et laHjle,
sur les buissons et dans les jardins, piissant la journée
sous les feuilles, fermant leurs ailes, h nervures
vertes ou jaunâtres. Si on saisit ces insectes, ils
laissent aux doigts une odeur d excréments. Le^ fe-
melles pondent sur les feuilles des œufs portés sur
de longs filets blancs et dont l'am.is e.st souvent
pris pour des champignons, mais qu'il faut bien rn-
INSECTES
— 1028
INSECTES
commander aux jardiniers de ne pas détruire. En
effet il en sort des larves, que Réaumur appelle
lioTudes pucerons, et qui parcourent sans cesse les
plantes chargées de coclicnilles et de pucerons,
dans les sociétés desquels elles portent le carnage.
La larve saisit un puceron entre ses pattes de de-
vant, le suce avec sa pince buccale, puis rejette
la peau vide, ou, dans certaines espèces, la place
sur son dos, de sorte qu'elle porte une couverture
des dépouilles de ses victimes. Ces larves devien-
nent nymphes dans de petites boules de soie
blanche, fixées aux feuilles. Les instituteurs re-
commanderont aux enfants d'apporter des Chryso-
pes dans les serres et sous les châssis, où ils ver-
ront les plantes infestées de pucerons, et de ne
pas détruire les Chrysopes qui se réfugient en
hiver dans les maisons champêtres.
Les Névroptères vrais se terminent par une tribu
d'insectes aquatiques dans leurs premiers états,
les Trichnpléres (ailes poilues), ressemblant un peu
à des papillons nocturnes, ne prenant pas de nour-
riture à cause de l'imperfection de leur bouche, et
s'écartant très peu des eaux, où les femelles laissent
tomber leurs œufs en paquets gélatineux. On les
appelle encore Pliryganes (fagots), parce que leurs
larves, véritables chenilles d'eau, rampent au fond
des eaux, entourées de fourreaux de soie qui re-
tiennent des morceaux de feuilles, de mousse, de
branchettes, des grains de sable, des débris de co-
Fig. 1. — Fourreaux de la larve de la Phrygane rhombique
1,^ et de la Phrygane flavicorne, ce dernier construit avec des
coquilles.
quilles, même des coquilles encore habitées ; aussi
les paysans les nomment charrées, porte-bois,
po>-te-safjle<. La tête et les pattes du thorax de la
larve sortent du fourreau ; elles se cramponnent au
fond par une paire de crochets, ce que savent bien
les pêcheurs à la ligne, qui ont soin de pousser la
larve hors du fourreau, à partir du fond, pour l'ob-
tenir entière; ces larves constituent d'excellentes
amorces de pêche.
II. Ordke a adultes léchecrs, a larves
EROYEUSES.
4° Hyménoptères, Ji métamorphoses complètes.
Les quatre ailes sont entièrement membraneuses,
comme chez les Névroptères, mais les inférieures
toujours bien moins amples que les supérieures,
auxquelles les rattachent à la base de petits cro-
chets. Les mandibules sont restées pareilles à celles
des ordres précédents, propres à couper, déchirer
et broyer les aliments ; mais les mâchoires et la
lèvre inférieure se sont allongées eu une longue
langue flexible et rétractile, propre k lécher les li-
quides sucrés. Ce sont des insectes souvent indus-
trieux, doués d'instincts admirables et de lueurs
d'intelligence, d'une grande puissance de vol, avec
des yeux composés, qui envahissent toute la tête
chez les mâles, et possédant presque toujours trois
ocelles en triangle au-dessus de la tête. Les larves
des Hyménoptères se filent presque toutes des co-
• cons, qui ont en général plutôt l'aspect d'un fort
papier que d'un tissu de soie, et s'y changent en
nymphes, laissant bien voir tous les organes de
l'adulte, repliés et emmaillotés sous une mince
pellicule.
Un premier sous-ordre, celui dos hyménoptères
a abdomen pÉiiicuLÉ, Comprend des insectes qui
f'07it la taille de giiépe, c'est-K-dire dont l'abdomen
est toujours uni au thorax par un pédicule étroit,
de longueur très variable. Leurs larves sont sans
pattes, le plus souvent aveugles, n'ayant que des
mouvements de translation très imparfaits ou nuls,
un épidémie très délicat, incapables de se défen-
dre, même contre l'ennemi le plus faible. Aussi la
mère passe toute sa vie à assurer, par des provi-
sions convenables mises à sa portée, l'existence
d'une progéniture qui lui demeure le plus souvent
inconnue.
Le groupe des Hi/ménopiéres porte-aiguillon
offre des femelles ayant au bout de l'al.domen un
aiguillon acéré, communiquant à une poche à
venin, formé surtout d'acide formiquo. Les mâles
ne piquent pas. L'aiguillon est une arme purement
défensive, dont l'insecte ne se sert que pour pro-
téger sa vie ou celle de son couvain ; on peut sans
danger laisser tous les Hyménoptères so poser sur
notre corps.
Dans ces porte-aiguillon se trouvent d'abord
les MeUifiques, formés d'insectes léchant le nectar
des fleurs et apportant à leurs larves une pâtée
de miel et de pollen. Ils ont une grande utilité
agri-ole générale, car, en butinant sur les fleurs, ils
assurent la fécondité de beaucoup d'entre elles,
surtout les Légumineuses, les Crucifères, les Com-
posées ; on doit apprendre aux enfants h. ne jamais
détruire les Mcllifiquis. 11 en est de sociaux,
réunissant en commun une ou plusieurs femelles
fécondes, des mâles, et des ouvrières ou femelles
avortées, à la fois nourrices des larves ou couvain
et architectes des gâteaux de cire. Tels sont les
Abeilles (V. ce mot), et les Bourdo7is, dont les socié-
tés sont une dégradation de celles des abeilles. Les
nids des bourdons sont sous terre, ou au milieu des
mousses ou des gazons ; les larves vivent dans des
boules grossières do raiel et de pollen, et il y a en
outre des pots de cire contenant un miel très fin,
que savent recueillir les faucheurs. Les sociétés
des bourdons ne durent qu'un an ; tout périt à
l'entrée de l'hiver, sauf de grosses femelles, fé-
condées au début de l'automne et qui passent
l'hiver engourdies dans des trous. Réveillées par
les premiers soleils du printemps, elles parcourent
les prés et les bois et commencent seules les nids,
qu'agrandissent bientôt les ouvrières nées de la
première ponte de la mère.
La plupart des MeUifiques sont solitaires et font
des nids très variés où les femelles pondent leurs
œufs entourés de miel et de pollen ; souvent ces
nids sont creusés dans la terre des talus (Antho-
phoi-es), ou dans les vieux troncs d'arbre et les po-
teaux (Xylocopes ou Abeilles charpentiers, h ailes
violettes), dans les murs et les coquilles de coli-
maçons (OsmiesU ou façonnés en terre gâchée et
collés aux murailles {Chalicodomes];les Megachiles
coupent avec leurs mandibules les feuilles de rosier,
de bourdaine, et façonnent, avec les morceaux circu-
laires, des cornets empilés où elles pondent ; les
Anthûcopes tapissent des trous en terre avec les
pétales du coquelicot ; on peut dire que leurs en-
fants naissent dans la pourpre, qui entoure le nid
d'une collerette éclatante.
D'autres Hyménoptères porte-aiguillon sont les
Guêpes ou Diploptéres, ainsi nommées parce que
leurs ailes de devant se plient en long au repos.
Les Guêpes sociales ont dans leurs nids ou guê-
piers les trois sortes d'individus que nous avons
cités pour les abeilles et les bourdons. Elles ne font
pas de cire, mais édifient les alvéoles hexagonaux
de leurs gâteaux avec une espèce de papier formé
de fibres de bois agglutinées par la salive de l'in-
INSECTES
1020 —
INSECTES
socte ;, certains alvéoles contiennent du miel.
Les GuCpes dévorent les fruits, dont elles portent
les morceaux à leurs larves ; elles décliiquètent
avec leurs mandibules les viandes des bouclieries
de villa^i;, où le mieux est d'abandonner à leur vo-
racité un foie, sur lequel elles se jettent de pré-
férence, il cause du glucose qu'il renfi-rmo ; elles
viennent dans les maisons dévorer le sucre, les pâ-
tisseries, les confitures. Les espèces les plus nui-
sibles sont le Frelon, à, piqûre redoutable, faisant
un guêpier très friable dans les vieux troncs; la
Guêpe commune et la Guêpe germanique, espèces
très voisines, dont les guêpiers sont sous terre.
La Gw'pe silvcstre attaclie son guêpier, couvert
de feuillets do papier gris, aux branches des ar-
bustes. Les Polistes sont do petites Guêpes, peu
nuisibles, dont les guêpiers sont à découvert, sans
enveloppes, fixés par un pédicule aux murs de jar-
dins ou aux espaliers. Il faut détruire les guêpiers
à l'eau bouillante ou par des injections de pétrole:
les mères-guêpes fécondées passent seules l'iiiver,
car les colonies des Guêpes meurent h l'arrière-
saison ; l'instituteur recommandera aux enfants de
chasser au iilet les mères-guêpes qu'ils verront au
printemps butijiant sur les groseilliers-cassis en
fleurs; chaque femelle écrasée est un guêpier de
moins pour la fin de l'été.
Les Guêpes solitaires ressemblent d'aspect aux
Guêpes sociales, par leurs colorations jaunes et
noires et leurs ailes de devant pliées en long ; mais
leurs mœurs, très différentes, sont celles des Fouis-
seurs. Ces derniers sont des Hyménoptères à ailes
non pliées, qui approvisionnent leurs nids d'une fa-
çon très curieuse. Leur nourriture consiste en nectar
des fleurs; mais la nourriture du premier état est
tout autre, car les larves sont carnassières et ont
besoin d'une proie toujours fraîche et sans défense.
Les femelles creusent des nids en terre, ou dans les
branches sèches, ou les maçonnent en terre gâchée ;
elles y apportent des insectes de toute sorte, non
pas tués, mais engourdis et anesthésiés par le
venin de l'aiguillon, etquirestentainsi, pendantplii-
sieurs mois, incapables de résister aux morsures
des larves. Les Sphex apportent des criquets et
des grillons, les bembex des diptères, les Ammo-
phites, à très long abdomen effilé et rougeâtre au
bout, traînent des chenilles nuisibles jusqu'à leurs
nids, creusés sur les talus de sable et qu'il ne faut
pas détruire. Quelques fouisseurs nous sont nui-
sibles : le Phitanthe opù'ûî'e emporte au vol, dans son
terrier, ventre contre ventre, l'Abeille domestique
engourdie par son venin ; les Pélopées et les Poni-
piles ravissent les araignées, qui sont si utiles,
pour approvisionner leurs nids.
Les Fourmis sont des Hyménoptères véritable-
ment anormaux, formant des sociétés de mâles et
do femelles ; seules ailées, les femelles perdent leurs
ailes après l'accouplement qui suit l'essaimage;
d'ouvrières sans ailes, architectes des fourmilières
et nourrices des larves; parfois de soldats h fortes
mandibules. Les larves et les nymphes, qu'on
appelle à tort œufs de fourmis, sont ti'ès recher-
chées pour nourrir les jeunes oiseaux de faisan-
derie et de volière. Elles sont l'objet do la con-
tinuelle sollicitude des ouvrières, qui les por-
tent de place en place dans la fourmilière, aux
endroits les plus chauds et les moins humides. Les
Fourmis se nourrissent de gommes et de sucs vé-
gétaux, de débris de fruits, d'insectes blessés ou
récemment morts et même d'insectes vivants. Il en
est qui ne savent pas nourrir et élever leurs lar-
ves ; après la ponte une fureur guerrière anime ces
amazones. Elle vont â l'assaut des fourmilières
d'espèces à instinct maternel bien développé, em-
portent comme esclaves les jeunes fourmis ouvriè-
res, encore en nymphes. Celles-ci, à l'éclosion,
trouvant dos enfajits à élever dans leurs nouvelles
habitations, no s'inquiètent pas de la provenance
et prennent, pour toute leur vie, l'état de nourri-
ces sur lieu.
Beaucoup de Fourmis parcourent sans cesse les
plantes chargées de cochenilles et de pucerons,
les caressant de leurs antennes, afin de leur faire
éjaculeruneliqueursucrée, dentelles sontfriandea,
ce qui a fait dire à Huber : « Qui aurait cru que les
fourmis fussent des peuples pasteurs I » Parfois
les fourmilières sont établies autour de racines
chargées de pucerons, et les Fourmis ont alors
leurs vaches à l'étable.
Il ne faut pas détruire en général les Fourmis
des bois, parce qu'elles nous délivrent de beau-
coup d'insectes nuisibles aux arbres. 11 est néces-
saire d'empêcher les Fourmis de grimper après
les .arbres à fruit, soit parce qu'elles dévorent les
fruits ou bien qu'elles excitent outre mesure les
pucerons, au détriment de l'arbre qu'ils épuisent
pour refaire leur miellat sucré. On enduit le bas
de l'arbre de glu ou de craie, qui s'éboule sous les
pattes des Fourmis. Quant aux Fourmis qui enva-
hissent les maisons, pour dévorer le sucre, le cho-
colat et diverses provisions, ou bien pour celles
qui pénètrent sous les châssis vitrés, le mieux est
de les attirer dans des éponges pleines de mélasse,
qu'on Jette ensuite dans l'eau bouillante. C'est par
des aspersions d'eau bouillante ou do pétrole qu'on
détruit les fourmilières.
Les Fourmis se divisent en trois groupes : 1" les
Fourmis vraies, dépourvues d'aiguillon et dont les
nymphes sont en général entourées de cocons ;
elles lancent en abondance de l'acide formique
quand on bouleverse la fourmilière ; v° les Potières,
qui ont un nœud au pédicule de l'abdomen, un
aiguillon et des cocons autour des nymphes ; S" les
Mf/rmirjues, ayant deux nœuds au pédicule de
l'abdomen, un aiguillon sensible à 1 homme dans
les grandes espèces, et dont les nymphes restent
nues. A ce dernier groupe appartient une espèce
du midi de la France, de Corse et d'Algérie, VAltri
strwtor, très nuisible aux jardins et aux champs,
car elle amasse dans de grands trous enterre des
graines de céréales, de plantes fourragères, de lé-
gumes, etc., provisions d'hiver que mangent ces
Fourmis, quand l'amidon de ces graines a subi un
commencement de transformation en sucre. C'est
ce genre Atta qui a donné lieu aux fables qui cé-
lèbrent la prévoyance des Fourmis; les Fourmis
du nord meurent ou s'engourdissent en hiver, et
ne font pas de provisions comme les Fourmis
7noissonneuses du midi de l'Europe.
D'autres Hyménoptères du premier sous-ordre
sont appelés Térébrants, parce que l'aiguillon de
la femelle est transformé chez eux en un tube ou
tarière, de longueur très variable et par lequel
passe l'œuf. La plupart sont des enlomopharies
internes : au lieu de donner à leurs larves une
proie vivante engourdie, ils percent la peau des
larves et des chenilles vivantes et pondent leurs
œufs à l'intérieur. Les larves qui en sortent vivent
d'abord du tissu graisseux sans attaquer les orga-
nes vitaux essentiels, de manière h. prolonger
le plus possible la vie de leurs victimes; puis elles
se filent des cocons soit k l'intérieur du cadavre,
soit aussitôt après en être sorties en perforant la
peau. Bien plus utiles que les oiseaux, ces ento-
mophages internes sont les grands protecteurs de
l'agriculture, en détruisant k leur premier état
un nombre énorme d'insectes nuisibles. Les insti-
tuteurs doivent comprendre le danger d'organiser
leurs élèves au hasard en sociétés de destructeurs
d'insectes indistinctement; au contraire, qu'ils
leur recommandent le respect des entomophagos.
Ces entomophages courent sur les talus, les murs,
les troncs des arbres et des arbustes, agitant sans
cesse leurs longues et grêles antennes, en quête
de victimes par l'ouïe et l'odorat. Les grandes espè-
ces nous présentent les Ichneumons, les Trogues,
INSECTES
— i030 —
INSECTES
les Tryphoiis, les Ophions h l'abdomen comprimé
en faucille; tous ces gejires, à tarière courte, atta-
quent les larves et les clienilles qui vivent à dé-
. — Oiihion obscur.
couvert ; les Cryptes, les Pimples, les Ephialfes,
au contraire, à très longue tarière saillante, parais-
sant formée de trois soies, interrogent les vieux
Fig. 9. — Pimplc manifestateur femelle.
arbres pour introduire leur tarière dans les larves
qui ont creusé leurs galeries à l'intérieur. Les
petites espèces, encore plus utiles, sortent par
centaines d'une seule clienille; une espèce de
Microijastre détruit la funeste chenille du papil-
lon blanc du chou, et ses larves filent à coté du
corps amaigri de la chenille mourante des amas
de petits cocons jaunes, que les jardiniers doivent
bien se garder d'enlever ; on voit briller, dans la
sombre verdure des luzernes, les amas de cocons
blancs d'un autre Microgastre, recouvrant le corps
de chenilles de noctuelhis d'où les larves sont
sorties; le fermier a lieu de se réjouir quand ses
sacs de blé se recouvrent de légions de petits
Chalcidiens d'un vert métallique, car ils ont dé-
truit les larves de la calandre ou cliarançon des
grains; de microscopiques entomophages se déve-
loppejit dans un seul œuf de papillon et anéantis-
sent les pontes de beaucoup de Bombyciens nuisi-
bles.
Les Cynips ont en général d'autres mœurs ; les
femelles percent les végétaux avec leur tarière, et
un afflux de sève produit des galles autour des
œufs, les larves se nourrissant de la fécule de la
galle. La forme des galles est très variée ; les bé-
chyuars ou galles des églantiers sont chevelues.
Le chêne offre beaucoup de galles diverses; c'est
un Cynips qui, en Algérie et dans le midi de la
France, fait naître sur les feuilles de chêne des
galles sphériques et dures, dites noix de galle,
très riches en tannin, servant à faire l'encre et les
teintures noires : l'adulte sort de la galle en y per-
çant un trou circulaire.
Un second sous-ordre, les Hyménoptères a abdo-
men SEssiLE, renferme des insectes i corps épais,
dont l'abdomen est largement implanté sur le
thorax ; les femelles sont munies d'une tarière de
ponte, agissant par son tranchant dentelé, pour
pratiquer au pétiole des feuilles ou dans les tiges
des entailles dans lesquelles elles déposent leurs
œufs, ce qui fait donner à ces Hyménoptères le
nom de Mouches à scie. Les larves sont munies
de pattes et ornées de couleurs variées, souvent
vives; elles séjournent presque toutes à l'air libre
sur les végétaux qu'elles dépouillent de leur
feuillage, se déplaçant avec facilité. Leur ressem-
blance avec les chenilles de papillons les a fait
nommer fati<ses chenilles; le nombre des pattes
est autre que chez les vraies chenilles, étant infé-
rieur à huit ou supérieur à seize. Beaucoup s'en-
roulent quand on les touche et laissent suinter
une liqueur acre, d'odeur forte, qui les protège
contre les oiseaux. Ces larves doivent souvent être
détruites par l'échenillage, et sont très nuisibles
par leur voracité aux bouleaux, aux aulnes, aux
Fig. 10. — Lophyre du pio, mâle, gro;
rosiers, aux arbres fruitiers, aux arbres verts, etc.
Les pins ont beaucoup à souffrir des mandibules
des fausses chenilles du Lophyre du pin, Linné,
dont le mâle a de larges antennes pectinécs,
comme les Bombyciens; il faut couper et brûler
les extrémités des branches chargées des amas de
INSECTES
— io:m —
INSECTES
petits cocons bruns filés par les larves. Les Cim-
bex comptent parmi les plus grosses mouches à
scie; ainsi le ( imhex vanntde, vivant snr le saule
le bouleau, le liêtre. Le Cèpke pygmde, Linné, en-
taille la tige (lu froment au-dessous de l'épi ; la
larve descend à l'intérieur de la tige qu'elle ronge,
faisant avorter l'épi, et se filant un cocon près de
la racine. 11 faut arraclier et brûler les chaumes
après la moisson et passer la terre au rouleau
compresseur, ou bien alterner la culture, si on
veut détruire tout à fait la funeste engeance.
in. Ordre a adultes siceuks, a larves buoveuses.
£>" Lépidoptères ou Papillons, i métamorphoses
complètes. Nous leur consacrons un article spécial
au mot Papillon.
IV. Ordres dont les larves comme les adultes
ONT LA BOUCHE CONFORMÉE POUR LA SUCCION.
C° Hémiptères, à métamorphoses incomplètes.
La bouche se relie à un rostre de succion, rigide,
articulé, placé au repos sous la poitrine, essen-
tiellement formé de quatre lancettes perforantes,
provenant des mandibules et des mâchoires trans-
formées.
Le sous-ordre des Hétéropti'-res présente les
ailes inférieures entièrement membraneuses, tan-
dis que les supérieures ou hémHytres sont coria-
ces b. leur base, membraneuses seulement au bout.
On réunit tous ces insectes sous le nom général
de Punaises. Les unes, les Punaises d'eau, qui
piquent fortement avec leur rostre quand on les
saisit, vivent dans les eaux douces h tous leurs
états, carnassières d'insectes, de mollusques , de
frai de poisson. Telles bont les Népes et les Rnnâ-
tres, à l'affût dans la vase, saisissant leur proie
avec la patte antérieure transformée en pince ra-
visseuse, comme chez les Mantes, et les Notonectes
ou Punaises h avirons, qui nagent renversées sur
le dos, à l'aide leurs longues pattes postérieures
aplaties et ciliées.
Les Punaises terrestres ont des genres, comme les
Hydromèlres et les Gerris, qui n'entrent pas dans
l'eau, mais courent sur sa surface pour chasser leur
proie, soutenues par un effet de capillarité sous
leurs tarses, comme une aiguille d'acier graissée
qui llotte sur l'eau. La Punaise des lits, dont le
rostre acéré fait naître des pustules, est privée
d'ailes, même chez les adultes ; on la détruit par-
faitement au moyen de la poudre de pyrèthre
Vicat, non éventée, insufflée dans les trous
de refuge. Elle a pour correctif une longue pu-
naise, volant très bien, qui fait la chasse dans les
maisons à la punaise des lits et aux mouches do-
mestiques ; on la nomme le Itéduve masqué, parce
que la larve masque sa présence en s'entourant de
flocons de poussière. Il ne faut pas toucher aux
Kéduves, car ils piquent très cruellement, avec
leur rostre imprégné d'une salive venimeuse.
Dans les jardins potage'rs et les vergers se trou-
vent les Pentatomes (à antennes de cinq articles),
répandant une odeur infecte ; plusieurs espèces
percent les légumes, notamment les feuilles des
navets et des choux, et sont très nuisibles ; la
Pentatome qrise et la Pent'ito/ne verte, communes
sur les framboisiers, les groseilliers et les arbres
fruitiers, donnent une mauvaise odeur aux fruits
sur lesquels elles courent. Les Scuteltéres présen-
tent un écusson prolongé en pointe jusqu'au bout
de l'abdomen ; les Tinqis sont bordés d'expansions
foliacées, et une espèce, dite le Tigre du poirier,
fait beaucoup de tort aux poiriers en espaliers, cri-
blant leurs feuilles de trous. Les Lijgées sont peu
nuisibles; ornées de vives couleurs rouges et noi-
res, elles vivent en familles sur beaucoup de vé-
gétaux. Lai Li/gée aptère, généralement privée d'ai-
les, est très commune à la base du tronc des til-
leuls de nos promenades et au bas des murs de
jardin ; les paysans des environs de Paris l'appe-
laient autrefois le Suisse, à cause de l'uniforme
rouge des troupes suisses au service de la France.
Les Hémiptères Homoptères, formant un second
sous-ordre, ont les quatre ailes plus ou moins ana-
logues dans toute leur étendue.
Les Cigales ont les quatre ailes membraneuses,
les inférieures plus petites.
Les mâles ont â la base du
ventre un appareil sonoie '',
très bruyant. Deux grandes " ^
cavités, formant tambour de
résonnance, et recouvertes
de volets , présentent un
tympan membraneux sec,
que fait vibrer une sorte
d'archet. Nous en avons trois
espèces. La plus grande est
la Cigale du fn^ne ou pie
béienne, qui remonte jns
qu'à Fontainebleau. La ( i
gale de l'orne (arbre voisni
du frêne) est plus méridio-
nale; la Cigale sanglante,
ainsi nommée à cause de
ses marques rouges , vit
dans les vignes du sud-ouest
de la France. Les femelles
des cigales ont une tarière
de ponte, perforant les bran-
ches pour déposer les œufs;
les larves sucent les feuilles ^
et les bourgeons, les nym-
phes vivent accrochées au
pied des arbustes. Ces insectes sont peu nui-
sibles.
Les Aphropliores, dont les adultes sautent avec
agilité, ont des larves qui font sortir la sève des
plantes sous la succion de leur rostre et vivent
entourées de sève écumcuse, en amas qu'on
nomme crachat de coucou, crachat de grenouille,
et qu'il faut enlever et brûler, car ces larves épui-
sent les plantes.
Fig. liî. — Larves d'.\.phrophûri; écuraeuse.
De petits insectes sauteurs à, leurs divers
états, qu'on réunit souvent sous le nom de Cica-
delles, abondent en automne sur beaucoup de
plantes ; les vignes sont souvent couvertes par un
minuscule représentant de ce groupe, de couleur
verte, criblant les feuilles de trous (Kyt>os sma-
rag'lulus, Fallen), que beaucoup de vignerons con-
fondent avec le phylloxéra.
Ce sont les Homoptères dégradés, demeurant à
poste fixe sur les plantes où ils s'attachent par leur
rostre, qui sont les plus redoutables. Les Psyltes,
INSECTES
— 1032
INSECTES
qui sautent à l'état adulte, sont sédentaires h
l'état de larves et de nymphes, ces dernières pa-
raissant entourées de collerettes, qui sont des
fourreaux d'ailes. La Psi/l/e du figuier se rencon-
tre sur tout le pourtour de la Àléditerranoe ; la
Psylle du iuis remplit de ses larves les bourgeons
du buis, qui se renflent en boules et qu'il faut
couper et brûler ; d'autres Psylles font beaucoup
de tort aux poiriers.
Les Pucerons ou Aphidiens ont des espèces
spéciales à cliaque plante. Pendant toute la belle
saison il n'y a que des femelles, qui se succèdent
continuellement, mettant au jour de petites lar-
ves toutes femelles qui sortent vivantes de l'abdo-
men de la mère, sans le concours d'aucun mâle.
Quand les plantes s'épuisent, certaines de ces
femelles, dites de migrnlion, prennent quatre
ailes, et, à l'aide du vent, propagent sur d'autres
plantes l'espèce funeste; c'est ce qu'on voit très
bien sur le Puceron vert du rosier. Aux premiers
froids seulement naissent des mâles ailés, qui
s'accouplent à des femelles sans ailes. Celles-ci
pondent alors des œufs, qui passent l'iiiver au-
tour des bourgeons, et d'où naissent au printemps
des femelles vivipares, qui recommencent le cycle
destructeur.
Beaucoup de pucerons éjacuient un miellat su-
cré, qui attire les fourmis ; ces gouttes sucrées,
tombant sur les feuilles et les fruits, servent de
terreau à. un cryptogame noir, la fumagine, qui
arrête la respiration des végétaux. Souvent du corps
des pucerons suintent des filamejits de cire blan-
che, qui semblent un duvet laineux. C'est ce qu'on
remarque surtout sur le Puceron lanigère du
pommier, espèce redoutable, importée d'Amérique
à la fin du siècle dernier. Elle fait périr les pom-
miers, qui se couvrent de nodosités. En hiver une
partie de ces pucerons lanigères se porte sur les
racines, et échappe ainsi aux agents destructeurs.
Il faut badigeonner au pinceau ces pucerons avec
de l'huile minérale, ou flamber les branches à la
torche, ces deux moyens, bien entendu, avant
l'épanouissement des bourgeons. Les procédés
généraux de destruction des pucerons sont d'en-
lever à la fin de l'hiver les bouts de rameaux
chargés d'œufs et de les brûler, d'asperger en été
les pucerons avec un lait de chaux mêlé d'acide
phénique, ou des lotions de jus de tabac, des fu-
migations de tabac sous les châssis, etc.
Il y a des pucerons dont les succions détermi-
nent des galles végétales, qui se remplissent de
larves dans un duvet cireux ; certains pucerons
souterrains vivent sur les racines des légumes,
des céréales, des arbres. Bien des personnes les
confondent avec le phylloxéra de la vigne; de
là ces récits erronés, ou que le phylloxéra va
passer sur les blés, ou bien qu'il suffit de semer
certaines plantes entre les ceps pour en détour-
ner le phylloxéra et sauver la vendange.
Les Cochenilles sont aussi nuisibles que les pu-
cerons. Chez ces insectes les femelles n'ont jamais
d'ailes et se fixent aux tiges ou sous les feuilles
par leur rostre ; les jardiniers les nomment poux,
punaises, tigres sur bois, tigres sur feuilles. A
certaines époques apparaissent pendant quelques
jours des mâles très petits, à deux ailes, l'abdo-
men ordinairement terminé par deux grêles filets
blancs ; ils ne vivent que pour féconder les fe-
melles. De même que chez les pucerons, beau-
coup de femelles ont des exsudations sucrées que
recherchent les fourmis, et qui donnent nais-
sance, par leur aspersion sur les végétaux, à la
fumagine, avec les accidents qui en résultent. La
plupart des femelles se couvrent par suintement
de filaments blancs cireux.
Dans un premier groupe de Cochenilles, celui des
Lécanules ou Kermès, les anneaux s'efi'acent chez les
sent sous leur corps les œufs qu'elles pondent, puis
meurent, la peau du ventre se collant à celle du dos,
de façon que les œufs sont protégés par une ca-
rapace dure, souvent entourée de filaments blancs.
Une espèce couvre de ses coques roussàtres les
vignes de treille; une autre parsème d'écaillés
blanchâtres le dessous des feuilles de laurier-rose;
une autre espèce, dite Kermès coquille, vit par
milliers sur les écorces des pruniers, des pom-
miers et surtout des poiriers, avec de petites co-
ques brunes et arquées en virgule, comme une mi-
nuscule coquille de moule.
Le groupe des Coccides est encore plus nuisi-
ble, parce que les femelles demeurent errantes et
disséminent partout leurs flocons cireux et leur
miellat; elles pondent leurs œufs dans un nid coton-
neux derrière elles, et non sous leur corps, qui ne-
se dessèche pas et reste annelé. A ce groupe ap-
partiennent deux espèces utiles, originaires du
Mexique, les Cockeyiilles proprement dites ou
graines il' écurlafe . On cultive l'une d'elles en Al-
gérie sur le cactus nopal, et le corps desséché des
femelles fournit le carmin, la plus riche teinture
rouge connue. Une espèce est très nuisible aux
orangers et aux citronniers, dans l'extrême midi de
la France ; une autre, le pou blanc des serres, cause
de grands dégâts dans les serres chaudes. On em-
ploie en général, pour détruire les cochenilles, les
mômes moyens qu'à l'égard des pucerons, des
badigeons de lait de chaux phénique, de jus de
tabac, des enduits de savon noir mêlé i la fleur de
soufre.
Il est une très importante remarque, commune
aux pucerons et aux cochenilles, et qui concerne
un préjugé très répandu. Ces Homoptères prédo-
minent sur les plantes de serre ou d'orangerie et
sur les végétaux bien abrités des jardins, plutôt
que sur les sujets des bois et des champs. Ce
n'est nullement qu'ils aient une préférence pour
les végétaux affaiblis par le premier mode de cul-
turc, mais seulement parce qu'ils sont bien moins
diminués dans ces conditions par les influences
atmosphériques et par les entomophages internes.
Les Phylloxéras (auxquels nous consacrons un
article h part) sont intermédiaires entre les puce-
rons et les cochenilles.
7° Diptères, h métamorphoses complètes. Au
premier aspect ces insectes semblent n'avoir que
deux ailes, ce qui a donné le nom h l'ordre. En
réalité ils en ont quatre, la seconde paire d'ailes
étant constituée parles bahmcicrs, formés par une
tige grêle, terminée par un bouton renflé; ces
balanciers sont en vibration rapide pendant le vol,
auquel ils sont indispensables, car lo diptère
cesse de voler si on coupe ses bali)nciers avec de
fins ciseaux. On voit très bien ces balanciers chez
les Tipules, si communes dans les jardins. La
bouche des Diptères est entourée do pièces de
succion très variées, tantôt molles et n'agissant
que sur des liquides ou des substances visqueuses,
ainsi cliez les mouches; tantôt en stylets acérés,
en dards rigides, perforant la peau de l'homme et
des animaux pour sucer le sang. 11 ne faut jamais
laisser les Diptères demeurer posés sur notre
corps, car certains cherchent à nous piquer pour
se nourrir; on peut, au contraire des Hyménoptères
porte-aiguillon, saisir tous les Diptères entre les
doigts, même les Diptères charbonneux, car, para-
lysés par la peur, ils ne songent pas alors à leur
alimentation et ne nous font aucun mal.
Un premier sous-ordre, les NÉiiocÈnES, nous
présente des antennes variées, mais assez longues
et bien visibles. Tels sont les Cousins et les Moics-
tigues, dont les larves et les nymphes vivent dans
les eaux croupies et respirent par des branchies.
Ils piquent l'homme et les animaux avec une
trompe très grêle et sont le fléau des pays humides.
femelles, qui demeurent toujours fixées. Elles pous- 1 soit chauds, soit froids. Les Tipulid'js, qui ont une
INSECTES
— 1033 —
INSECTES
trompe courte et épaisse et de longs et grêles
balanciers, ne piquent pas. Parmi les CInrononies
(genre appartenant aux Tipulides), une espèce
à antennes plumeuses a une larve d'un rouge
do sang qui vit sous l'eau dans le sable; c'est
le ver de vase des pôcliours h la ligne. Les Ti-
pules terrestres ont le corps élancé, avec le tho-
rax renflé, le bout de l'abdomen renflé chez le
mâle, terminé chez la femelle en longue tarière
rétractile, pour pondre dans la terre humide.
Elles se balancent pondant des heures entières,
appuyées sur les feuilles par leurs pattes très
longues et très grêles, qui rappellent celles des
Faucheurs (Arachnides;. Une espèce, la Tipule des
potagers, Linné, est très nuisible aux légumes.
les ailes vibrantes, sous les rayons du soleil. Cer-
tains genres nous sont très utiles dans les jardins,
par li'urs larves, appelées souvent vers limanrs,
sans pattes, à tête effilée, rampant sur les feuille*
des arbres fruitiers, des groseilliers et des plantes
de jardins, pour sucor les pucerons et les che-
nilles des petites espèces de papillons, qui sont
les plus nuisibles. A cette tribu appartiennent les
Voiuce/les, dont certaines espèces, à corps paré
de bandes jaunes et noires, pénètrent pour pondre
dans les nids dos frelons et des guêpes; leurs
l'iîT. li. — liimlL- des potagers, pomlaiit.
dont ses larves allongées, sans pattes, à peau
cuirassée et grise ( Vers à jaquette de cuir des
Anglais) dévorent les racines. Les Cécidomyies
sont de petites Tipulides dont les femelles per-
cent les végétaux avec leur tarière pour y pon-
dre leurs œufs , et font souvent naître des
galles où vivent leurs larves. Plusieurs espèces
perforent les jeunes poires qui tombent bientôt,
et deux minuscules Cécidomyies, l'une jaune,
l'autre noire, s'abattent en troupes sur les blés,
leurs larves vivant dans le grain ; on est souvent
forcé d'alterner la culture, pour s'en débarrasser.
Les Simulies, qui piquent l'homme, les chevaux
et le bétail, sont dangereuses parce qu'elles ont
souvent sucé des animaux malades ou des cada-
vres, et peuvent inoculer dans le .sang la bactéridie
du charbon.
L'autre sous-ordre des Diptères, celui des Bra-
CHïcÉREs, n'a que de très courtes antennes. Les
balanciers très courts sont souvent entourés de
membranes blanchâtres, les cueillerons. LesAsi/es,
h corps élancé, à pattes velues et robustes, sont
des carnassiers qui saisissent au vol dans les
champs et les sentiers des insectes vivants qu'ils
percent de leur rostre. VAsile-fnVon, ayant les
couleurs d'une guêpe, volo au soleil, se posant
fréquemment sur les mottes de terre; les autres
Asiles sont gris. Les Dusypngi.ns, à corps noir et
luisant, ont les mêmes moeurs et sont des bois. Le
groupe des Si/rplics comprend des Diptères à vol I
très rapide, demeurant souvent on vol stationnaire, I
Fig. 15. — Volucellc zonaria, adulte.
larves grises, à peau cuirassée et épineuse défiant
l'aiguillon, se repaissent du couvain. Les Taons
sont des Diptères à corps robuste, large, aplati, la
tète portant une trompe droite et acérée. En été,
leurs bourdonnements irritent et épouvantent les
chevaux et les bœufs, dont le sang coule bientôt
sous les taons fixés à la peau pour aspirer le sang.
A côté des Taons propremejit dits et plus petits,
sont d'élégants Diptères à ailes diaprées de brun,
qui piquent également l'homme et les animaux do-
mestiques; l'un est le Chrysops aveuglant, h gros
yeux d'un vert doré, l'autre est V Hémutopnte plu-
vial, qui ne pique que par les temps d orage et
après la pluie. Les piqûres de tous ces taons sont
douloureuses, mais sans danger de charbon, car
ces insectes ne suceni pas les cadavres.
C'est aux Brachycères qu'appartient l'immense
tribu des Musciens ou Mouclies, dont certaines es-
pèces nous rendent des services, tandis que nous
ne connaissons les autres que par leurs méfaits.
Les larves sans pattes, à tête pointue, générale-
ment blanchâtres, sont appelées asticots; elles ne
changent pas de peau pour devenir nymphes, mais
la dernière peau de la larve devient dure, brune
ou noire, et l'adulte s'organise h l'intérieur de ces
petits barillets, qui ressemblent à des graines de
belle de nuit et qu'on nomma pupes. Certains Mus-
ciens, poilus ou même épineux {Echin'imyies),
rougeâtres ou d'un giis d'acier, les Tacliinnires,
volent sans relâche en été au-dessus des plantes
à la recherche dos chenilles. Les femelles, dé-
pourvues de tarière, no peuvent pondre dans le
corps des chenilles, mais collent leurs œufs sur la
peau de leurs victimes. Les larves entrent dans
la chenille, dont elles sucent l'intérieur, permet-
tant en général la transformation en chrysalide.
Elles sortent de celle-ci, tombent sur le sol où
elles deviennent pupes, la reproduction du papil-
lon nuisible étant ainsi interrompue. D'autres
Musciens sont des agents de la salubrité atmo-
sphérique. Les Scatophages, h corps jaunâtre et
poilu, font disparaître lés excréments ; d'autres
mouches amènent rapidement la destruction des
animaux morts, sur lesquels elles pondent et qui
bientôt sont remplis de larves. Trois mouches, dit
Linné, débarrassent la terre du cadavre d'un che-
val, plus vite que no le ferait un lion. Telles sont
les Sarcophages, mouches rayées de gris et de
noir, la plupart vivipares, pondant sur les viandes
des larves vivantes, semblables à de petits vers
blancs; les Caliiphores, comprenant la grosse
mouche bleue de la viande; les Lucilies, à cou-
INSECTES
1034
INSECTES
ieurs métalliques, d'un vert doré ou bleuâtre. Ces
deux derniers genres pondent des œufs.
Nous devons signaler, parmi les Musciens nui-
sibles, les Stomnxes, piquant l'homme et les ani-
maux et pouvant amener des accidents charbon-
neux, car ces mouches sucent les animaux mala-
des et les viandes putrides. Dès qu'on a été piqué
par une mouche, il faut placer à l'endroit même un
petit emplâtre saupoudré de sublimé corrosif; un
écarte ainsi tout danger de charbon. Les institu-
teurs devront agir auprès des maires pour faire
exécuter l'enfouissage immédiat des animaux mort-i
du charbon. Une mouche de l'espèce dite Sarco-
phage 7-to'ale, Meigen, pond dans les plaies des
chevaux et les remplit do ses larves; elle fait périr
les lièvres sous le nombre de ses larves. La Mou-
che domestir/ue f.itigue beaucoup les malades et
les blessés et devient parfois insupportable en
automne par son abondance. Le remède est d'é-
loigner du voisinage de la maison le fumier où
vivent ses larves.
Beaucoup de Musciens attaquent les divers or-
ganes des végétaux, et nous ne pouvons guère
trouver d'autre destruction que d'arracher et brû-
ler, ou bien changer la culture. Les oignons, les
choux, les carottes, les betteraves, l'oseille, les
luzernes sont la proie des larves de diverses mou-
ches ; VOrtnIis des cerises, i. ailes bigarrées de
noir, pond dans les cerises, surtout les guignes et
les bigarreaux, que dévore sa larve ; une petite
mouche aux yeux verts remplit les olives de ses
larves et compromet la récolte d'huile de la façon
la plus grave. D'autres très petites mouches (gen-
res Chlorops, Oscinis) pondent en mai, puis en
octobre, sur les blés, les seigles et les orges, et
leurs larves dévorent les tiges et les feuilles ; il
faut enlever au sarclage les pieds attaqués, et
souvent on est forcé d'alterner la culture. Ces
petites mouches très frileuses se réunissent en
nombre immense dans les greniers et les granges;
on peut en tuer beaucoup par des flambages ou
des injections de pétrole ; chaque mouche écrasée
fait une tache huileuse.
Il y a des Jlusciens qui attaquent d'une manière
fort singulière nos animaux domestiques. La fe-
melle de VŒstre du cheval colle ses oeufs aux
Fig. 16. — OEstrc du cheTal, mile et fcmbUe.
poils, dans les places que la langue de l'animal
peut atteindre, de sorte qu'ils parviennent dans
l'estomac ; les larves s'accrochent aux parois par
des couronnes de crochets et y prennent tout leur
accroissement, baignées dans les liquides stoma-
caux; puis elles sont expulsées avec les excré-
ments et deviennent pupes sur le sol. Les Cépha-
lémyks s'introduisent dans les narines des mou-
tons pour y pondre et leurs larves y vivent; les
moutons s'enfoncent le mufle dans le gazon ou dans
la terre pour échapper aux Céphalémyies; on les
trouve en grand nombre rassemblées sur les soli-
ves des bergeries. Les Hijpodermes pondent sur
les bœufs et les vaches, en perçant la peau ; une
tumeur purulente se forme autour de l'œuf, et la
larve vit dans cet horrible berceau, puis crève la
peau et tombe sur le sol où elle devient pupe.
l'ig. 17. — Portion d'Lstomric de cheval avec Larves d ilL.strc5.
Les derniers Diptères sont des épizoïques (para-
sites), passant toute leur vie sur les mammifères ou
les oiseaux. Ils ont souvent des ailes, mais ne s'en
servent pas ; leur abdomen est énorme, car les larves
se développent :\ l'intérieur du corps de la femelle,
qui est /m/jipare, c'est à-dire pond des pupes. Tel
est ÏHippobosqtte du che-
val, ou la Mouche-Arai-
gnée, qu'on trouve en grand
nombre au printemps dans
les aines et sous la queue
de ce quadrupède. Ce dip-
tère, à abdomen très dur et
cuirassé, pique non seule-
ment le cheval, mais l'hom-
me et le chien. Dans la laine
du mouton vit un épizoïque
encore plus dégradé, puis-
qu'il n'a plus d'ailes; c'est
le Mélo/ihage ou poti du
moidun. On voit souvent les étounieaux suivre en
bandes les moutons, et se poser sur leur dos, les
débarrassant à coups de bec de cette vermine.
V. Orures satellites, broyeurs ou suceurs.
Il y a quelques ordres dégradés, qui ne comp-
tent ([ue peu d'espèces. Les Anoploures ou Épizoï-
ques, auxquels les Diptères pupipares font un pas-
sage, n'ojit pas de métamorphoses, et sont toujours
privés d'ailes.
Ils comprennent les Poux, qui sont suceurs, et
vivent surtout sur les mammifères et les Ricins,
munis de pièces buccales broyeuses, et passant
leur vie sur les oiseaux. L'homme peut être atteint
par plusieurs poux ; celui de la tête, collant aux
cheveux ses œufs allongés, nommés lentes, est fré-
quent chez les enfants. Les instituteurs devront
exiger des parents les soins de propreté nécessai-
res, et au besoin faire couper les cheveux ras et
enduire la tête de l'enfant d'axonge ou d'onguent
gris. Un Ricin infeste les poules dans les poulail-
lers et s'attache souvent aux bras des femmes
qui plument les volailles, mais se détache bientôt.
Les Suceurs ou Puces sont constitués par des
insectes qui ont la bouche conformée comme celle
des punaises ; deux écailles sur les cotés de la
puce représentent des ailes rudimentaires. Les
puces ont des métamorphoses complètes; leurs
larves sont des vers blancs allongés, sans pattes,
ayant sur la tête un tubercule corné, qui leur sert
à fendre la coque de l'œuf, comme celui qui se
trouve sur le bec des jeunes oiseaux Ji l'éclosion.
Ces larves vivent dans la poussière, les détritus
INSECTIVORES
— 1035 —
INSTINCT
divers, rongeant le sang desséché et d'autres ma-
tières azotées ; elles tombent en grand nombre
quand on peigne les longs poils des cliats angoras.
Ces larvos se filent de petites coques de soie, où
elles deviennent nymphes. La l'iice irritante est
propre à l'homme, et pique surtout la peau déli-
cate des femmes et des enfants ; les puces des
mammifères et de quelques oiseaux offreiit de lé-
gères différences spécitiques; celles du chien et
du chat peuvent piquer niomme, mais moins for-
tement que la Puce irritante, et le quittent volon-
tiers.
Les Thysanoptères ou Thrips sont de petits in-
sectes, presque linéaires, volant sur les fleurs de
beaucoup do plantes, dans lesquelles vivent leurs
larves rougeàtres ; ils n'ontque des métamorphoses
incomplètes. Les pièces de la bouche sont broyeuses,
avec des mandibules très allongées. Il y a quelques
espèces très nuisibles aux céréales, au lin, aux plan-
tes de serre, rongeant les organes floraux et par-
fois les feuilles.
Les Thysanoures, privés d'ailes et sans méta-
morphoses, sont des insectes broyeurs, les uns
sauteurs, les autres coureurs. Nous citerons seu-
lement parmi ces derniers les Lépismes, dont une
espèce, le Lépisme riu sucre, est fort nuisible. C'est
un insecte gris et plat, couvert d'écaillés argen-
vermisspaux. Beaucoup d'entre eux sont à demi
nocturnes, passent sous terre une partie de leur
existence, et tombent, pendant la mauvaise saison,
dans un sommeil léthargique. Quelques-uns,
comme les Desmnns, ont des habitudes aquatiques
et nagent avec une grande facilité.
C'est i l'ordre des Insectivores qu'appartiennent
ces petits mammifères, si communs dans nos cam-
pagnes, que l'on connaît vulgairement sous le nom
de Museites ou de Musaraignes, et qui, par les
formes extérieures, par la nature et les couleurs
du pelage, ressemblent beaucoup aux petites es-
pèces du genre Rat. Les musaraignes toutefois se
distinguent des souris par leur tète plus effilée et
par leurs dents disposées pour couper de la chair
et non pour broyer des graines. Leur corps est
couvert de poils courts et de leurs flancs suinte
une humeur odorante. Elles vivent dans des trous
et se nourrissent d'insectes et de vermisseaux.
Jamais, quoi qu'on en ait dit, elles n'ont causé, par
leurs morsures, de maladies aux bestiaux ; ce sont
au contraire des petites bètes extrêmement utiles
qui méritent la protection des agriculteurs.
Les Taupes sont d'autres Insectivores dont le
corps est plus trapu, le museau plus allongé que
celui des musaraignes, et dont les pattes de devant
nt singulièrement raccourcies, dirigées en dehors.
tées qui restent aux doigts, ce qui le fait appeler ' et terminée par des ongles énormes, propres à fouir
petit poisson d'argent. Il court vivement dans les | la terre. A l'aide de ces sortes de pelles, les taupes
armoires humides et les garde-manger, rongeant , creusent dans le sol, avec une rapidité extrême,
le sucre, les matières sèches, pain, biscuit, etc., de véritables labyrinthes, avec des chambres de
les linges empesés à l'amidon. On doit écraser refuge. Connue elles ne sortent presque jamais de
ce lépisme quand on le rencontre. ces sombres retraites, le sens de la vue leur est
presque entièrement inutile; aussi leurs yeux
sont-ils d'une petitesse extrême, parfois même
complètement imperceptibles. La Taupe commune,
qu'on trouve dans les champs et dans les prairies
de l'Europe, et qui est d'un noir de velours, a été
pendant longtemps et est même encore, dans beau-
coup de contrées, traquée et détruite comme un
animal essentiellement malfaisant. Sur certains
5<ue/f ^ points seulement des agriculteurs intelligents, loin
battre, j de faire h la taupe une guerre acharnée, considè-
Furne, Jouvet etC", 1866. — Tj'Boisduval, £'ssa!iui- ! rent ce petit Insectivore comme un auxiliaire,
l'entomotogù horticole, Paris, Donnaiid, 1867. — H. Miot, ' chargé de purger les cultures des vers et des lar-
les Insectes auxiliaires et les insectes utiles, Paris, librai- i ^gg nuisibles, et se contentent de niveler les tau-
r.e agncole, 26, rue Jacob, «70. - J. L.chte..stein, Ma- i jnj^res nui déparent les prairies et qui empêchent
jiuel d entomologie a t usage des horticulteurs du midi Je i 1;' , , ' ' i i
la France. Montpellier, libraiiie centrale du Midi, 1872. - 1 de faucher au ras du sol.
V. Rendu, Les Insectes tiuisibles à l'agriculture, aux jar- Enfin nous citerons encore, parmi les Insectivo-
dms et aux forêts de la France, Paris, Haclielle et f.'», res, les Hérissons, dont le corps est couvert de
1876. — Maurice Girard. Les Métamorphoses des insectes, ' piquants au lieu de poils, et qui, en fléchissant la
5' éd., Paris, Hacheile et O'. 1879; Catalogue rniîOKne 1 ^^^g g^ jgs p^jtgs ygi-g le ventre et en contractant les
X utiles et nuisibles de 'a/™'«e.. /"''''«/»"»: muscles de leur dos, peuvent prendre la forme
du Ministère de l Instruction publique, ifasc. , "l^^^ ''.„..„ ,,.„:,,,,;„ Hp nnintPs_ et. défier ainsi les
Bibliographie. — Les instituteurs ont intérêt à coq-
naître les travaux publiés en France spécialement sur les
insectes utiles et nuisibles. Voici les principaux ; Goureau,
Les Insectes iiuisitdes aux arbres fruitiers, aux céréales,
aux plantes potagères et fourragères, aux forêts et aux
arbres d'avenue, à l'homme et cnt.v animnux dnmfstir/nes,
3 vol. et 2 suppl., Paris, \iclor JI.issou et lils, ISjl a 1867.
— Géhin, Notes pour servir d l'histoire des insrctes nuisibles
à l'agriculture, à l'horticulture et à la syloicullure, Melz,
■■> brochures, 1856 à 1860. — Menault, les Insectes considérés
comme nuisibles à l'agriculture : moyens de les
public
.âge des institu-
le, 3 fr. par an,
■étaire de la So-
uspices
1., Paris, Hachette et L". 187ir. ■
d'entomoli>gie appliquée, à
leurs, est le Bulletin d'insectologie ug
Paris, 67, rue Monge, chez M. Hamet,
ciété d'agriculture et d'insectologie.
[Maurice Girard.]
INSECTIVOnES. — Zoologie, VII. — D'une
manière générale, le nom à' Insectivores convient
à tous les animaux qui se nourrissent d'insectes ;
mais, dans un sens particulier, il a été appliqué à
un ordre de mammifères qui se rapprochent à cer-
tains égards des chauves-souris ou Chiroptères,
d'une boule hérissée de pointes, et défier ainsi les
dents de leurs ennemis. Les hérissons tiennent
par rapport aux porcs-épics, qui sont des Rongeurs,
une place analogue à celle que les musaraignes
occupent par rapport aux souris. Ils sont représeii-
tés en Europe par une seule espèce, dont la chair
n'est point bonne à manger et dont la dépouille
est aujourd'hui sans usages. Dans l'antiquité, au
contraire, les peaux de hérissons étaient fort re-
cherchées et servaient à fabriquer des cardes pour
peigner la laine. [E- Oustalet.J
,^ ___ __ ^ INSTINCT. — Psychologie, IV, — Etym._: dii la-
tout en°différant de ces derniers par la conforma- ] tin instigare ou instmgveie, exciter. — L'iiistinct
tion des membres. Chez les Insectivores, en effet, serait ainsi, d'après l'élymologie, une sorte d exct-
les pattes antérieures ne sont pas transformées en tation intérieure qui pousse l'animal ou l'homme
ailes ; elles ressemblent par leur structure aux à accomplir certains actes, et cela sans l'inierven-
pattes postérieures et se terminent, comme celles- tion do l'intelligence et de la volonté. Si en
ci, par dos doigts, de longueur médiocre, munis | chemin mon pied rencontre une pierre qui me fasse
dongles plus ou moins robustes. En un mot, les | trébucher, mes mains se portent rapidement en
Insectivores sont des quadrupèdes qui peuvent | avant pour amorlir la chute et garantir le visage:
cheminer sur le sol i la manière des Carnassiers, un tel mouvement est dit instinctif, car il précède
des Rongeurs, etc. Ils ont trois sortes de dents, des j toute réHexion et n'est l'effet d'aucune détermina-
incisives, des canines et des molaires, dont les der- tion volontaire.
nières sont hérissées de pointes coniques et admi- L'instinct est un principe qui nous est commun
rablement faites pour écraser les insectes et les [avec les bêtes; mais, chez celles-ci, les instincts sont
INSTINCT
1036 —
INSTINCT
plus nombreux, et les actes qu'ils produisent géné-
ralement plus compliqués. CIihz les animaux eux-
mêmes, h mesure que l'intelligence apparaît, les
instincts sont plus pauvres et semblent perdre
quelque chose de leur infaillibilité. Aussi Frédéric
Cuvier et Flourens ont-ils posé cette loi que dans
les animaux l'instinct et l'intelligence sont en rai-
son inverse l'un de l'autre. Pour nous borner, en
un sujet aussi vaste, nous considérerons principa-
lement les instincts qui sont communs à l'iiomme
et aux animaux, et nous énumérerons rapidement
les plus importants d'entre eux.
On peut distinguer, avec un éminent psycbolo-
guo. M. Garnier, trois classes d'instincts : ceux
qui se rapportent à des objets personnels, ceux qui
se rapportent inos semblables, ceux qui se rappor-
tent h des objets non personnels.
I. Les premiers ont pour but la conservation et
le développement de notre être ; s'il ne s'agit que
de la vie physique, on les appelle les appétits.
Comme tous les animaux, l'homme cherche instinc-
tivement la nourriture qui lui est propre. Une che-
nille, destinée à vivre d'une seule plante, voyage
sur des milliers de feuilles d'une autre espèce
sans en goûter ; arrivée à celles qui forment sa
nourriture naturelle, elle s'y jette aussitôt, et les
dévore avec avidité. De même, le nouveau-né dont
les yeux ne sont pas encore ouverts se tourne
vers le sein nourricier, guidé sans doute, comme
l'animal, par l'odorat. Il accomplit dès la première
fois, avec une précision parfaite, les mouvements
si compliqués de la succion et de la déglutition.
De tous les instincts, c'est celui-li peut-être dont
le caractère vraiment primitif et inné est le moins
contestable. Quelques auteurs admettent l'existence
d'un instinct de la chasse ; et Bossuet va jusqu'il
croire que l'agriculture et l'ai't pastoral ont été ré-
vélés directement % l'homme par son Créateur. Ce
qui est certain, c'est que quelques animaux sont
naturellement cliasseurs, d'autres pasteurs. « Quel-
ques races de fourmis élèvent et nourrissent dans
des sortes d'étables d'autres espèces d'insectes, et
principalement des pucerons, qu'elles soignent
pour les traire et pour en obtenir un aliment assuré
dans les temps de disette, comme nous tenons en
domesticité nos vaches, nos chèvres, nos brebis. »
(Duméril).
On a rapporté aussi à un instinct spécial l'art de
produh-e le feu. A peine pourrait-on citer une ou
deux peuplades sauvages qui ignorent l'an d'allu-
mer du feu en frottant l'un contre l'autre deux mor-
ceaux de bois d'espèces dilTérentes. Et pourtant
l'animal le plus intelligent est incapable d'en faire
autant, u On raconte, dit M. Garnier, l'histoire d'un
singe qu'une cliaine trop courte empêchait d'attein-
dre une noix qu'il convoitait : un valet, en passant
près du singe, ayant laisse tomber une seiviette,
celui-ci s'en empara et s'en servit pour amener à lui
l'objet de sa convoitise. Cependani ce même singe,
placé en hiver près d'un feu qui s'éteignait, n'eut
jamais l'idée de prendre du bois à un monceau
voisin et de le jeter dans le feu, quoiqu'il eùl, vu
plusieurs fois les valets lui en donner l'exemple,
et quoiqu'il fût transi de froid. »
L'instinct plus général de la conservation inspire
aux animaux les actes les plus variés, et quelques-
uns semblent ne pouvoir s'expliquer que par lui
véritable raisonnement. Keimarus, G. Leroy, Fré-
déric Cuvier, Flourens, abondent sur ce point en
exemples intéressants. Ainsi, quand un limaçon
s'est introduit dans une ruche, les abeilles, pour
le faire mourir, l'enduisent tout entier de cette
matière gommeuse qui leur sert i boucher les fen-
tes de leur habitation. (» On a vu des ours pousser
avec leurs pattes, dans le bassin de leur fosse,
des gâteaux empoisonnés qu'on leur avait jetés, les
agiter dan.s l'eau, puis les flairer avec attention et
ne les manger que quand le poison s'était évaporé.
On a vu un singe prendre la clef de la chambre
où il était renfermé, l'enfoncer dans la serrure et
ouvrir la porte. Un autre, éiant trop petit pour at-
teindre h la serrure, alla cliercher une ciiaise et
s'en fit un marchepied. Un troisième prie une pierre
pour casser la noix qu'on lui avait donnée, et, comme
celle-ci s'enfonçait dans le sol sous les coups, il la
plaça sur une tuile pour la frapper avec plus de
succès. » C'est aussi sans doute l'instinct général
de conservation qui explique, chez l'homme et chez
plusieurs espèces d'animaux, certaines appréhen-
sions naturelles, telles que la crainte de la solitude,
des ténèbres. « N'allons pas de ce côté, se disaient
deux petits enfants; il n'y a personne, on pourrait
nous faire quelque mal. » De 1,\ également les ruses
si variées par lesquelles la plupart des animaux
non domestiques cherchent à tromper leurs enne-
mis. On sait que le renard change souvent de ter-
rier, que le cerf, le daim, le chevreuil, le lièvre,
vont et reviennent plusieurs fois par le même che-
min pour dépister les chiens et les chasseurs, font
des bonds considérables, tantôt d'un côté, tantôt de
l'autre, pour interrompre leur voie, feignent de ren-
trer au gîte, et s'en éloignent brusquement. De
même, chez l'homme, la ruse semble innée à cer-
tains individus et à certaines races.
N'est-ce pas encore à l'instinct de conservation
qu'il faut rapporter l'usage où sont quelques es-
pèces vivant en troupes, de placer des sentinelles
et de se clioisir un clief auquel toute la bande
obéit? « Les peuplades de ruminants, de pachyder-
mes, de singes, ont ries chefs auxquels le soin de
la défense commune est confié par une délégation
qui, pour être tacite, n'en est pas moins formelle...
Une fois institué, le guide ou chef exige et obtient
d ins toutes les circonstances une obéissance abso-
lue, comme s'il personnifiait la peuplade entière et
centralisait en soi l'instinct de tous. Aussi avec
quelle dignité le vieux singe, par exemple, exerce
son emploi d'intelligence directrice ou d'organe
directeur! L'estime qu'il a su conquérir, exaltant
son amour-propre, lui donne une certaine assu-
rance qui manque à ses sujets ; ceux-ci lui font
toujours la cour. Les femelles, remarque Brehm,
mettent tout leur zèle à débarrasser son pelage
des parasites incommodes, et il se prête h cette
opération avec une grotesque majesté. En retour,
il veille fidèlement au salut commun. Aussi est-il
de tous le plus circonspect ; ses yeux errent con-
stamment de côté et d'autre ; sa méfiance s'étend
1 sur tout, et il arrive presque toujours à découvrir à
j temps le danger qui menace la bande. 11 exerce le
' commandement par la voix. De temps en temps, il
monte au sommet d'un grand arbre, et du haut de
cet observatoire il examine chaque objet d'alen-
tour. Lorsque le résultat de l'examen est satisfai-
sant, il l'apprend à ses sujets en faisant entendre
des sons gutturaux particuliers ; en cas de danger
il les avertit par un cri spécial. >> (Alf. Fouillée.)
Il y a évidemment là, outre l'instinct de conserva-
tion, la manifestation d'un instinct de sociabilité
que nous mentionnerons tout à l'heure. Quant au
fait lui-même, il est particulièrement intéressant
en ce qu'il éclaire pour nous l'origine des gouver-
nements humains. La crainte du danger a dû pri-
mitivement grouper les hommes autour du plus fort
ou du plus habile et lui déléguer l'autorité néces-
saire pour veiller au salut de tous.
Mentionnons encore, parmi les instincts se rap-
portant à des objets personnels, l'amour de la pro-
priété, qui existe aussi bien chez quelques espèces
d'animaux que chez l'homme. Ou .^ait que le cam-
pagnol, le mulot font des magasins, que le renard,
le loup amassent des approvisionnements. Il sem-
ble même qu'on puisse saisir dans le règne ani-
mal quelques indices d'un amour de la propriété
foncière : l'aigle, par exemple, a son canton où il
ne souû're aucun compétiteur ; le rossignol, le
INSTINCT
— 1037 —
INSTINCT
rougo-gorgo agissent do môme; une fois litablio
sur une montagne, une troupe de cliamois expulse
tous ceux r|ui ne sont pas du troupeau.
Nous sommes portés natundlement, non seule-
ment b. conserver notre être, mais encore h l'agran-
dir, h le di'velopper. Do \h certains instincts plus
spécialement propres k l'homme, mais apparaissant
aussi cliez certains animaux, tels que l'émulation,
l'amour du pouvoir, l'amour do la louange.
II. Inclinations qui se rapportent à nos sembla-
bles. — Les principales sont l'instinct de société,
la sympathie, l'amitié, l'amour, les affections de
famille.
L'homme est un Ctre sociable, et 1 existence
d'un prétendu état de nature qui, selon certains
philosophes (Hobbes, Rousseau), aurait précédé
celle de la société, est une chimère. Pourquoi
l'homme ne serait-il pas poussé d'instinct à vivre
avec ses semblables, puisque certains animaux, les
abeilles, les fourmis, les castors, les moutons, les
chevaux, les bœufs, les éléphants, les chiens, etc.,
ne vivent qu'en communauté ? Quelques-uns
même dépérissent dans la solitude. « On sait de-
puis longtemps, dit Dugald Stewart, que les bœufs
et les vaches n'engraissent pas aussi rapidement
lorsqu'ils sont seuls que lorsqu'ils paissent en
troupeaux, quand bien même on compenserait
leur solitude par de plus gras pâturages. »
La sympathie est très voisine de la sociabilité,
et n'en est pour ainsi dire que la conséquence et
le prolongement. Le plaisir (|ue nous causent la
vue et le commerce de nos semblables nous dis-
pose h une certaine bienveillance à leur égard ;
par suite, nous nous réjouissons de leurs joies,
nous nous attristons de leurs peines et nous faisons
effort pour soulager leurs maux. La sympathie,
chez les grandes âmes, fortifiée par le sentiment
du devoir ou le sentiment religieux, devient la
philanthropie, la charité, et engendre les plus su
blimes dévouements.
Sans attribuer aux animaux ni la moralité ni la
religiosité, on ne saurait refuser à quelques-uns
une sympathie pour ceux de leur espèce, qui va
parfois jusqu'au sacrifice de la vie. Les singes ont
leurs Décius et leurs Codés. Brelim a vu en
Abyssinie un babouin tenir tête tout seul à une
meute de chiens pour leur arracher un jeune de sa
bande qu'ils allaient mettre en pièces. « Il y a
quelques années, dit M. Darwin, un gardien des
Zoological Gardens me montra quelques blessures
profondes, à peine cicatrisées, que lui avait faites
au cou un babouin féroce, pendant qu'il était à
côté de lui. Un petit singe américain, grand ami du
gardien, vivait dans le même compartiment et avait
une peur horrible du babouin. Néanmoins, dès
qu'il vit le gardien en péril, il s'élança à son se-
cours et tourmenta tellement le babouin, par ses
morsures et par ses cris, que l'homme, après avoir
couru de grands risques pour sa vie, put s'échap-
per. )> D'autres faits, plus touchants peut-être, ré-
vèlent une sympathie qui ressemble à de la charité.
On cite un péhcan, vieux et complètement aveugle,
qui depuis longtemps était nourri par ses compa-
gnons. Le même cas a été observé sur des corbeaux
indiens et sur un coq domestique. Quant à l'amitié,
elle se manifeste souvent chez les animaux entre
deux individus d'espèces fort différentes, et parfois
naturellement hostiles. M. Darwin a vu un chien
« qui ne passait jamais à coté d'un de ses grands
amis, un chat malade dans un panier, sans le lécher
en passant, le signe le plus certain d'un bon senti-
ment chez le chien. » <i Une lionne, dit Frédéric
Cuvier, avait perdu le chien avec lequel elle avait
été élevée, et, pour offrir toujours le même spec-
tacle au public, on lui en donna un autre qu'aus-
sitôt elle adopta. Elle n'avait pas parusouffrir do
la perte de son compagnon : l'affection qu'elle
avait pour lui était très faible, elle le supportait,
elle supporta de même le second. Cette lionne
mourut il son tour; alors le chien nous offrit un
tout autre spectacle: il refusa de quitter la loge
qu'il avait habitée avec elle ; sa tristesse s'accrut
de plus en plus ; le troisième jour, il ne voulut
plus manger, et il mourut le septième. »
Nombre d'animaux connaissent l'amour conjugal,
qui survit souvent à l'époque de la reproduction.
L'atlachement réciproque du mâle et de la femelle
chez les pigeons est passé en proverbe. Quant à,
l'affection paternelle et maternelle; il n'est pas rare
qu'elle inspire des actes d'un véritable héroïsme.
Nous n'en donnerons qu'un exemple. « La voix
craintive d'un jeune singe abandonné par sa mère
dans sa fuite désordonnée, dit Brehm cité par
M. Fouillée, se fit entendre sur un arbre au-dessus
de ma tête. Un de mes Indiens y grimpa. Dès que
le singe vit cette figure qui lui était étrangère, il
jeta les hauts cris, auxquels répondirent bientôt
ceux de sa mère qui revenait chercher son petit.
Celui-ci poussa alors un cri nouveau tout particu-
lier, qui trouva un nouvel écho chez la mère. Un
coup de feu blessa celle-ci ; elle prit immédiate-
ment la fuite, mais les cris de son petit la ramenè-
rent aussitôt. Un second coup tiré sur elle, mais
qui ne l'atteignit point, ne l'empêcha pas de sauter
péniblement sur la branche où se tenait son petit,
qu'elle mit rapidement sur son dos. Elle allait s'é-
loigner avec lui, lorsqu'un troisième coup de feu,
tire malgré ma défense, l'atteignit mortellement.
Elle serra encore son nourrisson dans ses bras pen-
dant les convulsions de l'agonie, et tomba sur le sol
en essayant de se sauver. »
III. La troisième classe d'inclinations que nous
avons distinguées comprend celles qui se rappor-
tent à des objets non personnels. Tels sont l'amour
du bien moral, l'amour du vrai, l'amour du beau, le
sentiment religieux. En efl'et, ces affections ne pré-
tendent pas faire de leurs objets une possession
qui leur soit propre. « Nous ne voulons pas, dit
M. Garnier, exctare les autres du plaisir que nous
causent la vertu, la science, les chefs-d'œuvre
de la nature et de l'art; nous les appelons, au con-
traire, au partage do notre joie, et nous la sentons
doubler par celle qu'ils éprouvent. »
Nous n'insisterons pas sur ces affections d'ordre
supérieur, d'abord parce qu'elles ne nous sont pas,
quoiqu'on en ait dit, communes avec les animaux,
ensuite parce qu'elles diffèrent assez profondément
selon que se modifie par le développement de la
civilisation la conception rationnelle des objets
auxquels elles se rapportent.
Il est enfin quelques inclinations complexes qui
ont aussi leur fondement dans la nature humaine
et qu'il est assez difficile de l'aire rentrer dans l'une
des divisions de la classification précédente. Tel
est, par exemple, le patriotisme.
Plusieurs théories ont été proposées pour expli-
quer l'origine de l'instinct, principalement chez les
bêtes. Descartes n'y voit qu'un effet purement mé-
canique et inconscient de la structure des organes :
hypothèse insoutenable, car elle fait de l'animal
une machine et lui refuse tout principe sensible et
affectif. Locke, Coiidillac, et surtout Darwin, ramè-
nent l'instinct h l'habitude. Pour eux, les actes,
aujourd'hui instinctifs, furent primitivement l'effet
de la volonté et de la réflexion. On ne saurait nier
que beaucoup d'instincts ne soient des habitudes
acquises et devenues à la longue organiques et hé
réditaires ; mais dans sa généralité absolue, cette
doctrine n'irait à rien moins qu'à prêter à des ani-
maux placés fort bas dans l'échelle dos êtres une
intelligence égale, sinon supérieure, i celle de
l'homme. Où auraient-ils appris la géométrie, les
ancêtres de ces araignées qui disposent avec une
régularité si parfaite les polygones concentri-
ques de leurs toiles? Plusieurs faits analogues
semblent absolument réfractaires à, la théorie de
INSTRUMENTS ARATOIRES — 1038 — INSTRUMENTS ARATOIRES
Darwin, et, jusqu'à nouvel ordre, l'instinct doit être
considéré comme un principe aussi distinct de
l'habitude que de l'intelligence et du mécanisme
organique. — V. G. Leioy, Lettres philosophiques
sur l'intelligence et la perfectibilité des animaux.
Paris, 1802. — Reimarus, Observations physiques et
morales sur l'instinct des animaux. Traduction
française. Paris, 1870. — Frédéric Cuvier, art. Ins-
tinct, dans le Dictionnaire des sciences médicales.
Garnier, Traité des facultés de l'âme. — Flou-
rens, l'Instinct etl'inlelligence des animaux. Paris,
l(i45l — Joly, l'Instinct, ses rapports avec la vie et
l'intelligence. Paris, 1S74. — Albert Lemoine, l'Ha-
bitude et l'Instinct. Paris, 1875. — L. Carrau,
Étuitei sur la théorie de l'évolution : Première
étude. Paris, I87a. [L. Carrau.]
I.>STUUME.>TS ARATOIUES ET M.i.CHI?iES
AGRICOLES. — Agriculture, V. — Pour retirer
du sol les produits que l'agriculture lui demande,
pour préparer ces produits en vue de la consom-
mation ou du commerce, il est nécessaire d avoir
recours à des instruments spéciaux, h des machi-
nes qui permettent de tirer le meilleur parti de
la force employée. L'étude de l'adaptation de ces
instruments aux besoins qu'il s'agit de satisfaire
est donc d'une réelle importance pour l'agriculteur ;
l'emploi de bons instruments économise la force ou
lui permet d'obtenir un effet utile plus considé-
rable. Un des caractères principaux du progrès
agricole au dix-neuvième siècle a été l'abandon des
anciens et grossiers engins de la culture, et leur
remplacement par des machines, soit plus com-
plètes, soit tout à fait nouvelles.
La machine ne crée pas la force ; elle l'utilise,
elle transforme son action . Mais cette transfor-
mation ne se fait pas sans une perte, c'est-à-dire
sans l'absorption d'une partie de la force par la
machine elle-même pour le jeu de ses organes.
Une des principales qualités des bonnes machines,
c'est de n'absorber ainsi qu'une fraction très mi-
nime de la force initiale. Mais il est impossible de
construire une machine qui rende d'une manière
absolument complète la force qu'elle reçoit.
La force est produite par les moteurs. Ceux que
l'agriculture a à sa disposition sont : l'homme lui-
même, les animaux domestiques, la vapeur, l'eau
et le vent. Mais ces deux derniers éléments ne
sont utilisés que dans des circonstances tout à
fait restreintes. La vapeur elle-même n'a encore
pénétré que dans les exploitations d'une assez
grande étendue, quoique l'on commence aujour-
d'hui à construire des petites machines qui pour-
ront rendre des services utiles jusque dans les
petites exploitations. Mais l'homme et les animaux
domestiques sont partout les agents principaux de
la force employée dans les exploitations agricoles.
La force de l'homme est utilisée soit pour sou-
lever ou porter des fardeaux, soit pour manier des
instruments divers, tels que la bêche, la pelle,
la houe, soit pour faire tourner la roue d'un
puits, etc. A la mécanique générale revient le
rôle de donner la mesure de la force dépensée
dans chaque circonstance.
Les animaux domestiques employés comme mo-
teurs sont le cheval, l'àne, le mulet, le bœuf et
même la vache dans les contrées pauvres. C'est
par la traction que leur force est utilisée. La trac-
tion s'opère en ligne droite, lorsque l'animal est
attelé à un chariot, sur une route, ou lorsqu'il tire
la charrue qui laboure un champ, etc. Elle s'exerce
suivant une ligne courbe , lorsque l'animal est
attelé k un manège destiné i mettre un instru-
ment ou une machine en mouvement.
Le manège est, en effet, l'organe de transmis-
sion de force le plus usité en agriculture. Il a pour
but de transformer le mouvement lent de trans-
lation des animaux en un mouvement de rotation
rapide. On obtient cette transformation par une
combinaison assez simple. Sur un engrenage cir-
culaire central sont fixées des tiges ou bras hori-
zontaux qui s'écartent comme les rayons d'un cer-
cle. Les animaux, attelés à l'extrémité de ces bras,
marchent en suivant la circonférence. L'engrenage
central est ainsi mis en mouvement. Il actionne
une série d'autres roues dentées ou de pignons
combinés de telle manière que le mouvement soit
accéléré. Ce mouvement est transmis à la machine
à faire mouvoir, soit par un arbre, soit par une
courroie sans fin. On distingue généralement deux
systèmes de manèges : celui dit manège par terre,
qui transmet le mouvement par un arbre de cou-
che ; celui dit en l'air, qui commande les machines
par une courroie sans fin passant au-dessus des
animaux. La conduite des manèges est simple ;
elle ne demande que quelques précautions. Il y a
aujourd'hui plusieurs types excellents de ces ma-
chines, que l'on rencontre dans la plus grande
partie de la France.
Les organes des machines agricoles sont ceux
de toutes les autres machines : engrenages, pou-
lies, arbres, coussinets, volants, etc. C'est à la
mécanique qu'il appartient d'en faire connaître le
rûle. Il n'y a pas lieu non plus de décrire les ma-
chines à vapeur employées en agriculture comme
moteurs. Il est toutefois utile de faire observer
que, parmi les nombreux types qui sortent des
ateliers de construction, il en est un qui est em-
ployé presque exclusivement dans les exploitations
agricoles : c'est la machine h vapeur locomobile,
c'est-à-dire montée sur roues. Les cultivateurs
la préfèrent, parce qu'elle n'exige ni construc-
tion spéciale ni assises, et qu'elle répond, par
sa facilité de transport, à la mobilité des travaux
de la ferme.
Après ces considérations générales, quelques
détails doivent être donnés sur les principaux
instruments et machines employés dans les tra-
vaux agricoles. Afin que cette description soit faite
avec ordre, nous la diviserons en srpt parties,
savoir : instruments pour la préparation des terres,
pour les semailles, pour l'entretien des récoltes,
pour l'abatage et la rentrée des récoltes, pour le
battage des céréales et autres graines, pour l'ali-
mentation des animaux de la ferme, pour les tra-
vaux divers.
Instruments pour la pre'pnration des terres. —
Le principal instrument pour la préparation du
sol, est la charrue. C'est l'instrument essentiel du
cultivateur ; on le retrouve dans l'histoire des
âges les plus reculés. La charrue, jadis informe,
faite en bois durci, munie seulement d'un soc mé-
tallique, qui grattait le sol plutôt qu'elle ne le la-
bourait, est aujourd'hui un instrument perfec-
tionné, qui exige une dépense de force beaucoup
moindre, tout en faisant un travail beaucoup plus
considérable.
Les principales parties de la charrue sont le soc,
le contre, le versoir, l'âge, le sep, les manches ou
mancherons, le régulateur. Le soc est la partie
principale ; c'est un couteau placé horizontalement
au dessous de l'âge, auquel il est fixé par sa partie
supérieure ; il entre dans le sol et coupe, quand la
charrue marche, une bande de terre proportion-
nelle à sa largeur. Le sep est une pièce de bois
muni de fer, ou une pièce tout en fer, placée der-
rière le soc, et qui glisse au fond du sillon, en
appuyant dessus. Le contre est un couteau vertical
placé sur l'âge en avant du soc, et qui coupe ver-
ticalement la bande de terre que le soc doit cou-
per horizontalement. Le versoir est une pièce
métallique, placée derrière le soc, et dont la sur-
face est disposée de manière à rejeter sur le côte,
en la retournant, la bande dj terre coupiie i)ar le
soc. L'âge forme la charpente de la charrue ; c'est
une pièce horizontale, le plus souvent en bois,
parfois en fer, sur laquelle sont fixés les organes
INSTRUMENTS ARATOIRES
103!)
INSTRUMENTS ARATOIRES
(Hii vioiinoiit d'6tre décrits. Il se termine ;ï \;x par- I d'une série di: disques montes sur un mûme axe,
tic postérieure par deux manches ou manclieroiis i et dont la circonférence est munie de dents puis-
par lesquels le laboureur conduit la charrue; à santés. 11 agit à la fois par son poids et par ses
sa partie antérieure est fixé le régulateur, qui i dents, pour briser les mottes. Quand il s'agit
n'est pas autre chose qu'une pièce verticale, glis- j de terres facilement friables, le rouleau brise-
sant dans une mortaise, de manière à élever ou ' mottes peut être remplacé par le rouleau plom-
abaisser la ligne de tirage, suivant que l'on veut beur. Celui-ci est un rouleau en foute monté
faire pénétrer le soc plus ou moins profondément sur un axe ; quand il a une grande longueur,
dans le sol.
On distingue deux grandes catégories de char-
rues : les araires, et les charrues Sx avant-train.
Elles ne sont distinguées les unes des autres que
il est souvent divisé en deux ou tiois segments.
Pour en rendre l'action plus puissante, le rouleau
est parfois surmonté d'une caisse que l'on remplit
de pierres, dont le poids est variable suivant les
par l'absence ou la présence de l'avant-train. Celui- ] besoins du travail,
ci se compose de deux roues mojitées sur un es- Pour achever le travail du rouleau, c'est-à-dire
sien. L'extrémité antérieure de l'âge est fixée à I ameublir complètement le sol, do même que pour
l'essieu, et celui-ci porte le régulateur qui devient, | extirper les mauvaises herbes, ou pour recouvrir les
dans beaucoup de types, plus compliqué que dans ' semences, on a recours aux herses. On désigne sous
l'araire. La charrue à avant-train demande plus ] ce nom des châssis munis de dents en bois ou en
de tirage que l'araire, mais elle présente l'avan- i fer, droites ou recourbées, parfois tranchantes, qui
tage d'exiger moins d'habileté de la part du la- attaquent la partie supérieure du sol. Les dents
boureur. On construit môme aujourd'hui des char- doivent être disposées de manière à former des
rues à avant-train qui, une fois réglées, demeu- raies parallèles, et h ne pas marcher les unes der-
rent absolument fixes et stables, quelle que soit ' rière les autres. Elles doivent être assez espacées
la profondeur du labour. 1 pour ne pas s'engorger. Enfin 1 attelage doit être
Il serait oiseux d'entrer ici dans la description combiiié de telle sorte que l'instrument marche
de tous les types de charrues. Chaque région a, j bien parallèlement an sol, que ni l'avant ni l'arrière
pour ainsi dire, le sien qui a été plus ou moins , ne se relève. 11 existe beaucoup de modèles de
modifié. La plupart des charrues perfectionnées herses. Celles qui sont aujourd'hui particulière-
qui sont construites aujourd'hui dérivent de la ; ment estimées sont les herses articulées, c'est-à-
charrueDombasIe.qui vient d'être décrite. Tous les j dire formées de cliâssis indépendants, reliés à une
travaux de culture ne peuvent pas être faits par même barre d'attelage, et travaillant isolément de
une seule charrue, comme on le verra à l'article manière à suivre toutes les irrégularités du sol.
Labours. Il y a des charrues de défoncement, des Se)?(rti//e5. — Le plus ordinairement, les semailles
charrues de labours profonds, des charrues de i des graines sont faites à la main. Pour les céréales,
labours légers, des charrues tourne-oreilles, des ' on sème h, la volée, c'est-à-dire que le semeur,
charrues bisocs ou polysocs, etc. ; l'utilité de ces : marchant d'un pas mesuré, jette métliodiquement
divers instruments sera alors expliquée. | autour de lui les grains par un mouvement du bras.
Il faut cependant donner ici quelques explica- Pour les légumineuses et plusieurs autres plantes,
tions sur le labourage à la vapeur. Dans ce système ' on sème avec le plantoir, qui n'est autre qu'un pi-
de labour, la force motrice n'est plus demandée ! quet de bois, avec lequel on fait dans la terre un
aux animaux domestiques, mais à la vapeur. Deux ' trou qui reçoit la graine. Pour les pommes de
puissantes machines à vapeur sont placées à cha- I terre, on sème soit à la charrue, soit à la lioue.
que extrémité d'un champ; elles sont munies ' Avec la charrue, on fait une raie dans laquelle les
d'un tambour où s'enroule un câble. Ce câble, quand tubercules sont ensuite placés; avec la houe, on
la machine marche, traîne une charrue à plusieurs 1 creuse un trou qu'on remplit par un deuxième
socs qui laboure plus ou moins profondément. La coup de houe, quand le tubercule est semé,
charrue est tirée alternativement par chacune des L'emploi des semoirsmécaniquestend néanmoins
machines; sous leur action, elle fait la navette à se généraliser. Il est, en eft'et, prouve aujourd'hui
d'une extrémité du champ à l'autre. Parfois, on que le semoir, tout en faisant un travail plus ra-
ne se sert que d'une seule machine à vapeur ; le pide, économise la semence et assure une plus
mouvement de la charrue est obtenu par une ! grande vigueur à la végétation de la plante,
disposition du câble qui tourne autour du champ, j Dombasle a inventé, il y a cinquante ans, le semoir
Le labourage à vapeur peut rendre des services 1 dit à brouette. Il se compose d'une trémie dans
dans les grandes surfaces planes, surtout quand il , laquelle on place le grain ; cette trémie se termine
s'agit de défrichements ou de défoncemenls. par un plan incliné sur lequel glisse le grain pour
Quand il s'agit de retourner la couche super- | arriver à une roue à godets, qui le jette dans un
ficielle de la terre arable, afin de la débarrasser de i tube d'où il tombe par terre. Le mouvement est
mauvaises herbes dont on veut empêcher la matu- donné à la roue à godets par l'essieu de la brouette,
rite, nu d'enlever le chaume d'une céréale coupée, i Ce semoir est poussé par un homme,
ou encore de préparer le sol pour un labour plus j Les semoirs à cheval sont plus grands et plus
complet, on remplace la charrue par un instrument \ compliqués. Sur l'axe de deux roues est placée une
spécial désigné sous h; 'nom d'extirpateur ou de longue caisse qui reçoit le grain. Elle est traversée
scarificateur. C'est un bâti monté sur deux ou trois par un arbre muni de disques qui portent des pe-
petites roues, portant de petits socs, ou des cou- tites cuillers. L'arbre tourne sur lui-même, et les
teaux à pointe recourbée, qui pénèirent plus ou cuillers saisissent le grain, qu'elles font tomber
moins profondément dans le sol. Ces instruments, dans des tubes verticaux et articulés (|ui se termi-
généralemcnt légers, n'exigent que peu de force, nent près du sol. En avant de chacun de ces tubes.
Les sillons ou les planches formés par la charrue un petit soc ouvre une raie dans laquelle tombe le
sont constitués le plus souvent par une grande grain. La profondeur d'entrure des socs est réglée
quantité de mottes de terre qu'il est nécessaire de ! par des leviers munis de contre-poids. La vitesse
désagréger pour que toutes leurs parties subissent de l'arbre qui traverse la trémie, et par suite la
l'action des météores. C'est avec les rouleaux ' quantité do semence répandue sur une surface
qu'on obtient ce résultat. Autrefois on se servait i déterminée, peuvent varier à volonté, à l'aide
de rouleaux en bois; leur action était souvent in- de pignons dentés qu'on substitue les uns aux
suffi.sante. On a quelquefois recours à des rouleaux auin'S.
en pierre; mais ceux qui rendent le plus de ser- Aux semoirs se rattachent les distributeurs d'en-
vices sont les rouleaux en fonte. Le typ»; le plus grais, instruments destinés à répandre sur le sol
estimé est le rouleau dit CrosskiU. Il se compose | les engrais pulvérulents, soit après les semailles,
INSTRUMENTS ARATOIRES — 1040 — INSTRUMENTS ARATOIRES
soit au printemps. Ils se composent généralement
d'une caisse traversée par un arljre muni de pa-
lettes, dont le jeu fait sortir l'engrais soit par des
tubes, soit par des ouvertures à la partie inférieure
de la caisse.
liistrwnents pour les frnvai/x d'enh-etifiii des
récoltes. — Toutes les plantes cultivées ne deman-
dent pas, pendant leur croissance, les mômes
soins. Il en est qui poussent et se développent
presque sans qu' on ait à s'en occuper, du moins
dans les années favorables. Pour d'autres, au con-
traire, il faut faire des travaux de sarclage, de bi-
nage, c'est-à-dire de nettoiement et d'ameublisse-
ment du sol. D'autres enfin demandent que la terre
soit relevée au pied de leurs tiges. De cette diver-
sité de besoins, sont nés des instruments spéciaux,
les houes ou bineuses, les buttoirs.
Chacun connaît la houe à main, qui est employée
pour le travail des vignes, de même que pour le
sarclage. C'est une lame tranchante fixée à angle
aigu sur un manche. Il y en a plusieurs types va-
riant avec les dimensions de la lame. C'est un tra-
vail pénible que de biner à la main les cultures de
plantes-racines, d'autant plus qu'il demande à être
fait avec une assez grande rapidité. La houe Ji
cheval est destinée à remplacer la houe à la main.
Elle est montée sur deux roues, et se compose
d'un bâti portant un certain nombre de lames re-
courbées ou rasettes qui ameublissent la surface
du sol, et coupent les mauvaises herbes. Les plus
petites houes n'ont qu'une rouelle à la partie an-
térieure. Les rasettes doivent être mobiles sur les
tiges auxquelles elles sont fixées, afin que leur
écartement puisse être modifié. Toutes les plantes
ne sont pas en efl'et cultivées sur des lignes égale-
ment distantes, et la houe doit pouvoir servir pour
les diverses natures de récoltes. La houe, qu'on
désigne aussi sous le nom de bineuse, doit être
conduite avec beaucoup d'habileté, car il suffit
de déviations très faibles pour qu'on attaque les
plantes cultivées, au lieu des mauvaises herbes.
Les buttoirs servent à relever la terre autour du
pied de certaines plantes, notamment les pommes
de terre, les choux, le mais. Ils ont la forme
d'une véritable charrue araire, souvent munie d'une
petite roue à l'avant de l'âge. Ils se distinguent de
la charrue ordinaire en ce qu'ils sont munis de deux
versoirs placés dos à dos ; quand le buttoir marche
entre deux lignes de plantes, il enlève la terre
placée au centre de l'espace, et la rejette à droite
et à. gauche. Les versoirs sont munis de charnières
qui permettent de varier l'écartement de leur
partie postérieure, suivant l'espacement des lignes.
histruynenls de récolte. — La coupe et la ren-
trée des récoltes fourragères et des céréales sont
aujourd'hui la grande préoccupation des agricul-
teurs. Ces travaux demandent i être faits rapide-
ment et dans de bonnes conditions.
Les fourrages des prairies naturelles ou artifi-
cielles sont le plus souvent coupés à la faux.
L'herbe étendue par terre est fanée, c'est-à-dire
retournée avec des fourches en bois, jusqu'à ba
dessiccation, puis le foin est ramassé avec des
râteaux pour être chargé sur les chariots qui l'em-
portent à la ferme. Toutes ces opérations peuvent
être faites aujourd'hui avec lies machines parfai-
tement appropriées au travail qu'on leur demande.
Les faucheuses mécaniques coupent l'herbe. Elles
sont presque toutes construites d'après le même
type. La faucheuse est montée sur deux roues
motrices présentant extérieurement des cannelu-
res pour mieux mordre le sol. Intérieurement ces
roues sont garnies d'une couronne dentée ; dans
chaque C(mronne s'engrène un pignon. Les deux
pignons sont portés par un axe commun, au mi-
lieu duquel est un engrenage d'angle qui multiplie
la vitesse et la transmet à un plateau manivelle,
auquel est fixée la bielle chargée de donner à une
scie son mouvement de va-et-vient. La scie, for-
mée par de larges dents, est portée, latéralement
au bâti de la faucheuse, par une barre rigide
munie de pointes qui pénètrent dans la récolte à
couper. Le conducteur, placé sur un siège au-
dessus des roues motrices, tient d'une main les
guides des deux chevaux qui traînent la faucheuse
et, de l'autre, il peut faire manœuvrer un levier
avec lequel il relève ou abaisse la scie pour
qu'elle coupe à différentes hauteurs, pour qu'elle
passe au-dessus des pierres ou des obstacles pré-
sentés par le terrain. La largeur de coupe est de
1 m. 30 environ. En même temps qu'elle fait un
travail rapide, résulier, la faucheuse assure une
grande économie dans le prix de revient de la
coupe des fourrages. La difl'érence est surtout con-
sidérable quand on a à couper des récoltes très
fournies, sur de grandes surfaces.
Les machines destinées à faire le fanage méca-
niquement sont formées par un tambour disposé
sur l'essieu de deux roues motrices. Ce tambour
est armé, sur son pourtour, de longues dents re-
courbées qui saisissent le foin sur le sol et le pro-
jettent en tous sens ; suivant que la faneuse prend
le foin par le côté concave ou le côté convexe de
ses dents, cette projection se fait plus ou moins
énergiquement. Un seul cheval suffit pour traîner
l'instrument. La faneuse peut faire le fanage de
quatre hectares à peu près par jour.
Les râteaux à cheval destinés à réunir le foin en
tas plus ou moins gros, ont à peine besoin d'être
décrits. Us sont formés par de longues dents re-
courbées, portées sur l'essieu de deux roues. Ces
dents sont articulées de manièi-e à agir indépen-
damment les unes des autres. Le travail du râteau
à cheval est très rapide, et il est d'ailleurs excel-
lent. Il peut remplacer une trentaine d'ouvriers.
Enfin, récemment, on a imaginé un chargeur au-
tomatique qu'on place à l'arrière du chariot, et qui,
lorsque celui-ci est en marche, saisit le foin ré-
pandu sur le sol ou en meulons, et le fait passer
sur la voiture.
La moisson des céréales peut être faite méca-
niquement, comme la récolte des fourrages. C'est
même sur la construction des machines à mois-
sonner que se sont d'abord portés les efl'orts des
inventeurs. Le problème est plus complexe que
pour la fauchaison. Que demande-t-on, en effet,
à une moissonneuse'? De couper régulièrement
les tiges des céréales sans égrener les épis, et de
déposer ces tiges sur le sol en javelles, c'est-à-dire
en petits tas prêts à être liés pour former des
gerbes. Il faut, pour arriver à un travail régulier,
une combinaison de mouvements assez complii|Uée.
La plupart des moissonneuses sont construites
à peu près de la même manière. La machine re-
pose sur une seule roue motrice munie intérieu-
rement d'une couronne dentée. Sur celle-ci en-
grène un pignon dont l'axe porte une roue d'angle
transmettant le mouvement de la roue à une bielle
qui agit sur un plateau manivelle pour imprimer à
la scie placée latéralement, un mouvement rectiligne
alternatif. La scie est supportée, comme dans la
faucheuse, par une barre rigide, et derrière elle
est fixé un tablier en bois muni a'armatures
métalliques. Sur Taxe de la roue motrice, un
deuxième pignon transmet le mouvement à une
roue à cames qui commande l'appareil javeleur.
Celui-ci se compose généralement de deux râteaux
et de deux rabatteurs, passant alternativement sur
le tablier, soit pour incliner les tiges sur celui-ci,
soit pour les pousser en arrière et les déposer en
javelles sur le coté de la piste de la moissonneuse.
La vitesse de la scie est généralement de 1 m. 10
à ! m. 20 par seconde. La machine demande deux
chevaux. Grâce à des leviers placés sous la main
du conducteur, celui-ci peut embrayer ou arrêter
la machine, régler la hauteur de coupe, varier le
INSTRUMENTS ARATOIRES — lO'tl — INSTRUMENTS ARATOIRES
le batteur et le contre-batteur ne sont pas rigou-
rfiusemoiit parallèles ; leurs surfaces sont plus
rapprochées du côté des épis. Cette disposition a
pour but d'empêcher le froissement excessif de la
paille et de lui conserver sa valeur; dans les ma-
chines en bout, au contraire, elle est toujours brisée.
En sortant du batteur, les grains sont chassés
au dehors par un ventilateur, dans les machines les
plus simples, et la paille tombe sur un plan in-
cliné en dehors de la machine. Dans les batteuses
plus complètes, la paille est poussée sur un organe
secoueur forme de lattes parallèles, animé par
un arbre coudé d'un mouvement de Bassement, qui
a pour but de la débarrasser de tous les grains
qu'elle peut encore renfermer; elle est ainsi con-
duite i l'extrémité de la machine. Dans ces mêmes
batteuses, le grain passe dans un ventilateur qui
chasse les menues pailles et les balles ; de là,
dans un cribleur qui en achève le nettoyage. Dans
les machines les plus complètes, l'opération du
criblage se répète par plusieurs nettoyeurs, de
telle sorte que le blé est séparé en qualités diver-
ses et qu'il est débarrassé de tous les grains acces-
soires qu'il peut contenir.
Les machines à battre sont mues soit par un
manège, soil par une machine à vapeur. Avec une
batteuse à manège bien construite mue par un
cheval, on peut battre par heure 40 à 60 gerbes de
dix kilog. ; avec une machine mue par un manège
à deux chevaux, 60 à lOil gerbes. Les batteuses à
vapeur, pour moyenne culture, peuvent battre,
avec une machine de trois chevaux, 100 à 150
gerbes par heure; avec une force de cinq chevaux,
on peut baltre 150 à 350 gerbes; avec les batteuses
plus fortes, ou peut atteijidre 300 gerbes.
Afin de faire profiter les cultivateurs des avan-
tages de ces grandes machines, il s'est formé dans
beaucoup de départements des entreprises de
battage à façon. L'entrepreneur promène sa ma-
chine h vapeur et sa batteuse de ferme en ferme,
et il bat la récolte de chacun pour un prix modéré,
qui est, en général, de 15 à 90 centimes par hec-
tolitre de grain battu.
On construit aussi des machines spéciales pour
le battage des graines fourragères, des colzas;
mais leur usage est beaucoup moins répandu.
bistrumunts pour préparer la nourrilure du, bé-
tail. — En première ligne se placent les instru-
ments destinés au nettoyage des grains. Les uns
servent simplement à nettoyer le grain et à le
débarrasser des corps étrangers qui y sont mêlés;
ce sont les tarares. Les autres, appelés trieurs,
séparent le grain en qualités diflerentas, et le
purgent de toutes les impuretés qu'il renferme.
Ces divers instruments servent surtout pour la
préparation des grains de semence.
Les tarares se composent généralement d'un
volant à ailettes, mù par une manivelle et surmonté
par une trémie. Le mouvement du volant produit
une ventilation énergique qui agit sur le grain, et
chasse la poussière, les balles elles corps légers.
Leur travail est, coanne on le voit, des plus
simples.
Dans les cylindres ou cribles trieurs, le grain
passe sur des toili's métalliques portant des trous
de différentes grandeurs, et disposés de manière
à faire tomb(!r le grain dans des caisses spéciales
pour les diverses sortes.
Les moulins agricoles sont destinés à transfor-
mer le grain en farine. Leur usage est peu ré-
pandu, il faut toutefois faire une exception pour
les petits moulins à bras destinés à préparer la
farine d'oige qui entre, en de larges propor-
tions, dans la ration des animaux soumis à l'en-
graissement.
Quant aux instruments destinés d'une manière
absolument spéciale h. préparer la nourriture du
1 bétail, l'agriculteur n'a que l'embarras du choix.
G6
javelage, de manière à faire un nombre de javelles
plus ou moins considérable sur une longueur dé-
terminée, suivant l'état de la récolte.
Les résultats de l'emploi des machines à mois-
sonner sont considérables. Elles donnent la faculté
de mettre rapidement les moissons h, l'abri des
intempéries, elles affranchissent le cultivateur des
«xigencos des faucheurs, et elles laissent tous les bras
disponibles pour le liage et le transport des ger-
bes. On a même inventé récemment des moisson-
neuses-lieuses qui livrent la gerbe toute liée.
Quelques types de machines sont construits de
manière à pouvoir servir successivement comme
fau^ieuses et comme moissonneuses. A cet effet,
on change la scie et quelques pignons pour mo-
difier la vitesse du mouvement, et on adapte un
appareil javeleur qui peut être enlevé à volonté.
Mais la plupart de ces machines n'ont eu qu'un
succès restreint. 11 n'en est pas de même des
moissonneuses et des faucheuses à un cheval ré-
cemment introduites. Elles sont construites exac-
tement d'après les mêmes principes que les ma-
chines Ji deux chevaux, mais elles ont une plus
grande légèreté et elles coupent sur une largeur
moindre. Ces machines peuvent rendre des servi-
ces réels à la petite culture.
Battage îles récoites. — Jadis le battage des
céréales, c'est-à-dire la séparation du grain et de
la paille, se faisait par les moyens les plus primi-
tifs. Les épis, rangés sur une aire, étaient triturés
par les pieds des chevaux, ou bien on faisait pas-
ser par-dessus un gros rouleau de pierre. Le fléau
articulé a succédé, dans le nord et dans le centre
de la France, h ce premier système ; il règne en-
core dans beaucoup de petites exploitations, mais,
dans la plupart des fermes un peu importantes,
il a été remplacé par la machine à battre.
On distingue deux catégories de machines h
battre. La première comprend les machines dites
batteries en travers ; ce sont celles qui agissent à
la fois sur toute la longueur de la paille. La se-
conde renferme les batteries en bout, qui sou-
mettent successivement toutes les parties de la
paille, présentée par une de ses extrémités, à l'or-
gane batteur. Dans chacune de ces catégories, on
distingue plusieurs classes, d'après l'état du grain
au moment où il sort de la machine. Tantôt il est
rejeté pêle-mêle avec la paille : tantôt il en est sé-
paré, mais sans être dégagé des balles et menues
pailles; tantôt enfin, il esi plus on moins nettoyé
et divisé en catégories de grosseur différente.'
La première opération consiste à faire arriver les
gerbes déliées sous l'appareil batteur. Dans la
plupart des machines, les tiges sont posées sur
une table et poussées par la main de l'ouvrier; par-
fois le tablier est formé d'une toile ou d'une série
de lattes mobiles qui entraînent les tiges. Dans ces
derniers temps, quelques constructeurs ont ima-
gmé des appareils spéciaux qui permettent de
faire l'engrenage automatiquement.
L'organe principal des machines à battre est le
batteur. Celui-ci consiste le plus souvent en une
sorte de tambour ou cylindre porté ]jar un axe
horizontal, tournant très rapidement sur lui-même
et dont la surface enveloppante est armée de
barres espacées parallèlement, destinées à frapper
la paille et à en séparer le grain. Le batteur est
généralement en fonte, et les lames ou battes de
•sa circonférence sont en fer ou en acier. Le con-
tre-batteur consiste en une sorte de caisse curvi-
ligne, concentrique au batteur, et dont la surface
interne est munie de battes ou cannelée. La paille
est froissée dans le passage entre le batteur et le
contre-batteur, et les grains que les battes du
batteur n'ont pas d'abord atteints sont ainsi sépa-
res La distance qui sépare ces deux organes est
réglée suivant la grosseur de la paille et la nature
(lu grain. En outre, dans les batteuses en travers,
2' PÀKTIE.
INSTRUMENTS ARATOIRES — 1042 — INTELLIGENCE
Les principaux instruments employés sont :
Les concasseurs de grains, formés par des cy-
lindres cannelés entre lesquels on fait passer les
graines, pour les briser grossièrement, afin qu'elles
soient plus facilement absorbées par les animaux
domestiques ;
Les aplatisseurs d'avoine, destinés à briser la
pellicule souvent dure de l'avoine, avant que ce
grain soit donné aux chevaux;
Les coupe-racines, dont le nom indique suffi-
samment l'usage : ils servent à débiter en tranches
minces les carottes, navets, betteraves, etc. ; ils
sont généralement composés d'une trémie ouverte
sur un cùté; un disque muni de couteaux affleure,
en tournant, cette ouverture, et coupe les racines
qui dépassent par leur propre poids ;
Les hache-paille, employés pour diviser en pe-
tits morceaux la paille qu'on mélange aux autres
aliments du bétail; ils sont formés d'un bâti
portant un tiroir horizontal dans lequel sont pla-
cées les tiges. Ce tiroir se termine par deux cy-
lindres entre lesquels celles-ci sont forcées à
passer, pour arriver devant les couteaux d'un
disque tournant qui coupe la paille en morceaux
de 2 ou 3 centimètres ou davantage, au gré du
cultivateur. Il y a beaucoup de modèles construits
d'après ce principe. Le hache-paille est U]i instru-
ment d'une grande utilité dans une exploitation
rurale ;
Les laveurs, destinés à nettoyer les racines ou
tubercules qu'on donne au bétail. Ils sont formés
d'une caisse cylindrique à claire-voie, légère-
ment inclinée, mobile autour de son axe, et plon-
geant à moitié dans un baquet rempli d'eau. Les
racines sont introduites par une extrémité dans le
laveur, et elles sortent h l'autre extrémité.
Il faut encore signaler, dans cette catégorie,
les appareils pour la cuisson des racines, pommes
de terre, etc. Ces appareils sont généralement très
simples, sauf dans les grandes exploitations ayant
des machines à vapeur, qui cuisent à la vapeur les
aliments du bétail.
Iiislruiiieiits pour travaux divers. — En dehors
des catégories qui viennent d'èire décrites, il existe
quelques instruments ou machines dont l'usage se
répand de plus en plus. Il en est deux qui doivent
être particulièrement signalés, la bascule et la
presse à fourrages.
Quand on entre dans une ferme, on peut tout
de suite porter un premier jugement sur celui qui
la dirige, par la présence ou l'absence d'une
bascule, destinée à peser les voitures chargées
qui entrent ou qui sortent, à juger le poids des
animaux domestiques. La bascule est formée gé-
néralement par un bâti en maçonnerie, portant
un système de leviers sur lequel repose un ta-
blier mobile : lorsque le tablier est chargé, la
charge agit sur les leviers comme dans une bascule
ordinaire, et son poids est indiqué sur un bras de
romaine.
Les presses à fourrages sont formées par des
caisses à fond mobile faisant fonction de piston,
de manière à coiuprimer le fourrage mis dans la
caisse. Par des dispositions spéciales et variables
suivant les systèmes, la botte de fourrage arrivée
au maximum de compression est serrée par des
liens qui la maintiennent au volume auquel elle
a été réduite. On construit des presses à fourrages
propres à donner une haute densité au foin, et de
simples botteleuses qui forment seulement des
bottes d'un poids déterminé.
Soins à donner aux madiines. — L'entretien
des machines et des instruments en assure la
durée. Trop souvent les cultivateurs oublient ces
soins d'entretien, et ils se plaignent d'avoir à re-
nouveler souvent un matériel parfois coilteux.
L'entretien des machines agricoles ne demande
pas beaucoup de peine. Le cultivateur doit se
souvenir que rien n'est plus nuisible k un métal,
et surtout au fer, que l'humidité. Il aura donc soin
de ne pas exposer ses instruments à l'action de la
pluie, en dehors des cas de nécessité. 11 est bon
d'ailleurs de graisser, de temps en temps, même
les grandes pièces de machines au repos. Quant
aux organes subissant des frottements, ils doivent
toujours être huilés avec le plus grand soin. Le
bon fonctionnement d'une machine, môme des
plus simples, dépend souvent de son état de pro-
preté ; la rouille en est le pire ennemi.
I Henry Sagnier.]
INTELLIGENCE. — Psychologie, V. — Etym. :
du latin i?itelliijerp, comprendre. — L'intelligence
est la faculté de penser. Penser est un de ces ter-
mes à la fois si généraux et si clairs qu'il est inu-
tile d'essayer de les définir. L'acte de la pensée,
sous quelque forme et dans quelque circonstance
qu'il se produise, est un phénomène d'une nature
toute spéciale, nettement caractérisé, que l'on ne
peut confondre avec aucun autre phénomène. On
peut être et l'on est souvent embarrassé pour dé-
terminer le point précis où commence la pensée,
pour savoir ce qu'elle serait sans la parole, ou pour
tracer la limite entre l'instinct chez l'animal et
l'intelligence chez l'homme, entre la pensée de
l'enfant et celle de l'adulte, ou encore pour dire
quelle est rigoureusement la part de l'intelligence
et celle des autres facultés dans certains faits de
conscience qui sont multiples et complexes. Mais
la difficulté que présentent toutes ces questions
tient précisément ^ cette complexité, à cette indé-
cision des divers éléments qui s'y mêlent et dont il
faudrait pouvoir faire le départ pour résoudre le
problème. Dès qu'il s'agit au contraire d'observer
la pensée dans ses manifestations normales, les
plus humbles ou les plus élevées, tout le monde est
d'accord pour les reconnaître en quelque sorte à
première vue, tout le monde convient qu'affirmer
ou nier, que croire ou douter, que se souvenir ou
prévoir, c'est penser ; que louer ou blâmer, cons-
tater ou imaginer, dire vrai ou dire faux, c'est en-
core penser; que percevoir, concevoir, raisonner,
déduire, induire, comparer, comprendre et se faire
comprendre enfin, ce sont autant de manières de
penser, autant d'actes d'intelligence.
Si, au lieu de se borner à cette définition, on re-
cherche en quoi consiste essentiellement l'acte
même de la pensée, on arrive à cette formule iden-
tique à la précédente, quoique un peu moins gé-
nérale dans l'expression : L'intelligence est la
faculté de juf/er. Le jugemeyil n'est pas absolu •
ment le seul phénomètio de la pensée, mais il en
est l'acte par excellence, l'acte à la fois le plus
simple, le plus normal et le plus complet ; non
simlement il résuiue et resserre en soi tous les
éléments de la pensée, mais il en fait un tout vi-
vant, il leur donne une âme, un sens, une unité
[logique. — V. Jugement.
Si l'intelligence ou le pouvoir pensant a pour
opération fondamentale le jugement, c'est par la
diversité des différentes sortes de jugements que se
distingueront le plus naturellement les divers mo-
des d'action de l'intelligence, et la classification des
; facultés intellectuelles sera sous un autre nom la
' classification des jugements. Autant il y a de clas-
ses distinctes de jugetnents, autant il y aura de
I chefs sous lesquels on pourrra les grouper, c'est-
à-dire de facultés intellectuelles, car une faculté
n'est autre chose que le nom sous le(iuel on résume
et on classe un ordre de faits psychologiques.
Nous indiquons au mot Jnqement les principales
classifications proposées par les divers systèmes
de philosophie, avec la division des facultés intel-
lectuelles qui y correspond. Aucune de ces classi-
fications ne satisfait complètement l'esprit, parci'
que toutes ont quelque chose d'arbitraire ou tout
au moins d'artificiel. Il n'est pas nécessaire, du
INTiaLIGENCE
1043 —
resto, d'adopter rigoureusement l'une ou l'autre et
de s en faire une sorte d'article de foi. L'important
pour tous, et principalement pour les instituteurs
est d entendre les termes dont on se sert constam-
ment en cette matière, d'en connaître le sens pré-
cis et de no les employer que dans ce sens. Quant
aux points controverses, et ce sont les plus nom-
breux il ne faut pas prétendre les résoudre à moins
a études tout à, fait spéciales et approfondies ■ en-
core doit-on ajouter que ceux-là, mêmes qui ont fait
ces études n'arrivent pas toujours à tomber d'ac-
cord m sur les mots ni sur les choses de ce do-
maine.
Sous ces réserves et uniquement pour présenter
avec un certain ordre nos observations sur les fa-
cultes intellectuelles, nous choisissons parmi les
classifications en usage celle qui distingue trois
grandes formes d'activité intellectuelle dans
I homme à 1 état adulte et civilisé : Vmtuitmi la
'.■nnce^tw7i et le raisonnement.
h'mtuition, comme le mot l'indique (du latin
mtueri, voir), c'est la vue immédiate, sans effort
sans intermédiaire, sans travail préparatoire. Par
eue, 1 esprit aperçoit la réalité comme eitislant ou
'.eliors de lui et se manifestant tout entière et tout
II un coup : moyennant une seule condition, l'at-
lention, les phénomènes d'ordre intuitif apparais-
sent dans leur pleine lucidité en quelque sorte
spontanément ; c est qu'ils ne dépendent pas de
nous : Ils résultent d'un objet réel, distinct de
notre esprit, et qui, pour ainsi dire, se montre lui- I
cetr IXl >'""■'*'• -^"PP?"^'^ ''"''j^'' l'intuition 1
cesse. Faites-Ie reparaître, elle recommence .
La conception a bien encore, à un certain degré
a spontanéité et la promptitude, mais elle n'a pas
la vérité certaine, la ferme et indubitable solidité
un Ih P,"'""- ,^''"'=r°"'' "^ "'«^' P''i« percevoir
»! ^T ' " ''" '" '"^ i-eprésenter, c'est le placer
devant"!^;'"'' ""Z'^'"'' °" ^'^' "" J**" ^e l'esprit,
m/iî pvil, ^"""i '''' '"" imagination. On se figuré
qu U existe, on le crée, on peut le façonner à son
^re. La conception est, si l'on peut ainsi dire
une intuition artificielle. Elle n'a plus besoin de h
n Jf^ ^n" ^" ' 'absence de toute réalité : où rien
n ex se, elle enlante des mondes, si elle le veut
niars Lnh7f """^•^ d'invention et de fécondTté;
l,lp =h^ ? trompeuse qui nous verse avec une
égale abondance l'erreur et la vérité
Le raisonnement enfin se distingue des deux
modes précédents : il n'a pas la prompte et sou
dame clarté de l'intuition, mais il en a toute "a
>-urete ; ses résultats sont autrement, mais ausst
noai^aîird'''"-' "' ^'""'"''''"' I' "« "ôus f
.ipparaitre d un coup rien de réel, ni d'ima-i-
■Z'aVelLZr/''' '''."«■,"«■". laborieusement
,.- aduellement découvrir l'une après l'autre les
diverses parties de la vérité. Par là môme U se
sépare bien de la conception. S'il n'en a pas la vT
vacué inépuisable, il n'en a pas non plus la le^g"!-
rete inconsistante. Prenant son point de dénart
mTchelemlnt^ certaines, il procè'de suWantSne
mai eue certaine aussi et aboutit à des conséauen-
denc'e T^r^r'''"''-''' ' P"^'' ''Srune
vé ités înt H V? ' ""™ed.ate, comme celle des
ventes intuitives, mais médiate et néanmoins de
valeur absolument identique •^•"aoms ûe
veM'à'fin/";''"'" P'-i'^'^Tales de la pensée peu-
:uqî,efelreTs''rp";iiruer,?.'''"^'^" ''•^P^^^ '•"'j'''
.o^u;rtrji^Sî"^;i:j-t--,'-^i't:-
autres absolues et nécessaires. """'"'"Sentes , les
tal se'"fiï,"'n» "? "'" O" '■"'"'"■"« '^^Pé'-l»ie„.
percention In^? la perception. Los facultés de
fes Être, P, ? l ,''"'' '1'^' """^ '»"' connaître
v'xnérîencp '^'/''"««^ appartenant au monde de
expérience, pouvant être connus par une expé-
INTELLIGENCE
r ence directe : il y en a de deux sortes, les uns
d ordre matériel, les autres d'ordre spirituel LW
périence dans le domaine matériel se produit nar
Upercef. ion externe, les cinq sens. Lw"rience
dans le domaine spirituel ou supra-sensible se?ait
même i'ansT;? "■'"-'"' ""' ''''"= l'-ne reU !
,Jl ^''';"''''''" de l'absolu ou mtui/ion ration-
ne le porte un nom spécial : on l'appelle la raiZ-
que sone âuT^T"' "" '^""^ '^''P'-"' - H"" '
que sorte au fond de notre esprit, non nas les
phénomènes d'ordre expérimental, mais "es^ois et
les principes régulateurs de nôtre intelligence
elle-même et en particulier de l'expérience" Ëue
nous fait apparaître avec la souverrhié clarté de
1 évidence immédiate les idées éternelles im-
muables, nécessaires, absolues, qui sont pèut-^n
dire, le point de départ et le terme de toutes nos
pensées, sans lesquelles il n'y a pas d'intelli4nœ
"enriTC^t"' 'r"" "P"-^ '^'"'^ P°P"'^i-'-"'^
tuent le bon sens, le sens commun, et dans leurs
formes plus savantes les axiomes, et les Jn"&
premières. "'
La conception peut s'appliquer : ou à des obiets
qui ont été réels et ont cessé de l'être aduelle-
nient : elle s'appelle alors la me„i„»-e; ou à des
I exister- "r'Ps?1'J''""-' '/'''^' '"^'^"1"' auraient pu
exister. Cfi%\.\minyiwtion; ou à des obiets oui
ne peuvent exister que dans l'esprit humain ou
i!L™r, V""'^'""."'^''"' =, c'est xLtraTu^n^Z
\ gme alisntwn, qui s'attachent aux idées abstraite.:
[et générales, à ces produits factices de fa pens|e
dZir ''"'h''' «'^«las'lqne appelait des fêtres
déraison ,,, des « universaux .,, des ,. concepts ,-•
ou enfin à des rapporta d'idées ou d'images -c'est
1 association des idées. ** '
Le raiso'mement, enfin, s'exerce en deux sens
différents : tantôt, il part de principes géné-
raux et en tire des applications ou vérUés^a?-
tit, tantôt, au contraire, il part de faits parti-
çu lers et. s'élevant de plus en plus, en coSt
des OIS générales: on le nomme alors raisonne-
ment mduclif. Le premier fonde les sciences
exactes dont les mathématiques sont le type le
second les sciences expérimentales, ph/siqJes
naturelles, historiques et morales. '
On a proposé de désigner ces trois groupes de
facultés sous les noms de facultés d'ordre ,,riWe
d ordre sec,,nd;ire, et d'ordre tertiaire, pouV bien
marquer quelles difl-èrent non seulement par leur
objet, mais par le degré de travail mental qu'elles
supposent : percevoir est l'opération la plis é é-
ri'elS, '^T'-'"""'™''"" Pi-ésuppose des perceptions
déjà acquises et soumises par l'esprit à une cer-
taine transformation artificielle, raison^l\^L
est impossible sans la pleine possession des doux
précédentes facultés et sans un effort métliodkme
cerlairs rè'gTeL'" "'"•'^°'-'^'- '«^ P'-"d-ts suivint
■iCCLTKS mSLLBCTUELLES
( du fini :
' (immédiate et ' pcrreption
((immédiate et
incertaine)
j conception
externe : sena.
interne : conscience.
de l'abiolu : ( j'*^" rf /Jnon.
raison ] J"! «'nents à priori.
I idée de Dieu,
du passé : mémoire.
du possible : imagination.
des idées ( "liatraction.
généralisation.
des rapports "^^"i^'ation des idées.
association lias ,-™„,.-
il ^ X , ' "^^"""i'on des imanes.
au général au particulier : raisonnement
(teauctif.
^"induc^îr'" "" ^'^"^"' '■ ''"'■"""•«"•'"'l
On demandera peut-être pourquoi nous ne fai-
sons pas entrer dans cette liste trois ou quatre
INTELLIGENCE
— 1044 —
INTERET
mois qui se trouvent dans beaucoup de traités en
tête des facultés intellectuelles et dont nous ne
méconnaissons pas l'importance : Vattentioii, la
réflexion, la comparaison, le Jugement. Voici nos
raisons.
Aucun de ces termes, à proprement parler, ne
désigne une faculté intellectuelle ; ils indiquent,
soit des actes de toutes les facultés ou de certaines
facultés, soit des manières d'être ou des caractères
de l'intelligence.
Vattention n'est pas une faculté spéciale ayant
un objet spécial : elle s'applique à tout, elle donne
à toutes les facultés leur puissance, h tous les ré-
sultats de la pensée leur valeur. L'attention, c'est
le degré d'intensité avec lequel l'esprit s'applique
à un objet, soit par la perception, .-oit par la con-
ception, soit par le raisonnement. On peut dans
chaque ordre de facultés opérer avec ou sans atten-
tion, avec plus ou moins de force d'attention.
La réflexion est le nom qu'on donne à l'attention
quand la pensée se replie sur elle-même ; avoir
une grande puissance de réflexion, ce n'est pas
exercer une faculté distincte des autres, c'est
exercer son intelligence d'une certaine façon dont
tous les esprits ne sont pas également capables et
qui varie suivant les âges, les tempéraments, les
circonstances. Tel a l'esprit porté i l'observaiion
externe, Ji la constatation des phénomènes maté-
riels; tel autre a plus de facilité à se recueillir,
à rentrer en lui-même, i observer en quelque
sorte sa propre intelligence. Savoir réfléchir, c'est
avoir conscience plus fortement et plus nettement
que le commun des esprits superficiels.
La eumparaiion est un autre genre d'attention. On
l'a assez mal définie une attention double, pour
dire tout simplement qu'elle suppose l'attention
rapprochant deux faits ou deux idées. Comparer,
ce n'est pas être attentif à deux choses à la fois,
c'est être attentif au rapport de deux choses, en
saisir la ressemblance et la dilïérence. Il ne faut
donc pas voir non plus dans la comparaison un
ordre spécial de faits intellectuels ; c'est une opé-
ration qui peut se produire dans toutes Irs facul-
tés et qui est particulièrement fréquente dans les
facultés secondaires, puisque la mémoire, l'imagi-
nation, l'association des idées ne vivent que par
d'innombrables comparaisons.
Ainsi ces trois mots désignent non pas des fa-
cultés à part, mais des conditions d'exercice des
facultés intellectuelles, l'attention indispensable en
particulier à la perception externe, la réflexion à
la perception interne, la comparaison aux facultés
de conception.
Quant au jugement, nous n'en pouvons faire
une faculté particulière, après ce que nous en
avons dit au début de cet article. Juger, c'est pen-
ser. Il n'y a pas un seul acte de l'intelligence qui
ne se résolve en an jugement. On peut distinguer
diverses espèces de jugements; mais le jugement
comprend toute l'intelligence. Voir un objet, c'est
juger qu'il existe, sur le témoignage de la vue ;
avoir conscience de ce qu'on éprouve, c'est juger
qu'on est dans tel ou tel é'at ; se souvenir ou ima-
giner, c'est juger que telle chose a été, que telle
autre pouvait être; raisonner, c'est juger plusieurs
fois de suite et en mettant un certain rapport entre
ces jugements.
Ce n'est donc pas méconnaître l'importance du
jugement que de l'omettre dans la liste des diver-
ses facultés intellectuelles ; c'est au contraire lui
restituer son véritable rùle, celui d'opération fon-
damentale et essentielle de l'intelligence.
Enfin il y aurait peut-être encore à expliquer
pourquoi nous ne portons pas dans ce tableau cer-
tains faits intellectuels complexes et dérivés dont on
a proposé quelquefois de faire des facultés. Par exem-
ple, certains termes empruntés à la vie religieuse,
tels que croire, adorer, prie/-; ou d'autres qui ont
trait à des opérations à la fois intellectuelles et phy-
siologiques, parler, compter, lire; ou enfin d'autres
qui concernent des opérations de la sensibilité ou
de la volonté unies à celles de l'intelligence, admi-
rer, se décider, obéir, etc. Notre réponse est dans
le sens même de ces mots : aucun ne désigne ni une
opération simple et irréductible, ni une faculté
intellectuelle se manifestant isolément. Ce sont des
produits mixtes, des résultats multiples, dans les-
quels on peut rechercher quelle est la part des
diverses facultés. Ce sera même là, un excellent exer-
cice psychologique à faire faire dans une 'i' année
d'école normale. Mais la classification des facultés
intellectuelles doit évidemment se borner aux
groupes de faits élémentaires et irréductibles;
la liste que nous en avons dressée est ce qu'elle
devait être s'il n'y manque aucun fait intellectuel
sut c/eneris, et s'il n'y figure aucun phénomène
complexe pouvant être ramené à des éléments
plus simples.
INTÉRÊT (Règle d'). — Arithmétique, XLL —
1.— On appelle intérêt le bénéfice que rapporte une
somme prêtée ou placée dans une entreprise quel-
conque. La somme dont il s'agit prend le nom de
capital, et on appelle taux de intérêt ce que
rapportent lOU fr. dans une année. L'année com-
merciale est comptée pour 300 jours. Dans le
commerce, le taux stipulé ne peut être supérieur
i6 p. 100 ; mais dans une entreprise industrielle
le bénéfice peut être plus considérable.
L'intérêt se calcule conformément à une règle
facile à établir. Supposons, pour fixer les idées,
que le capital placé soit de 2 800 fr., le taux
6 p. 100, et que la durée du placement soit de
90 jours. On raisonnera de la manière suivante :
100'
pendant
300 jours rapportent G'
100'
-
1 jour rapporteront —
100'
—
6'X90
90 jours rapporteront
1'
—
-. : 6'X90
90 rapporterait ^^^^^^
et 2800f
28Û0'.fi.90
90 - rapporteront
On voit que, poicr obtenir Vintérét, il faut mul-
tiplier le capital par le taux et par le nombre de
Jours, et diviser le produit par 36000. Dans
l'exemple actuel, on trouve 42 fr.
On trouverait de même que l'intérêt de 596 fr.
pendant 135 jours est :
590'. 6. 125
30 000
ou 12' 41
2. — Dans les maisons de commerce, où on a sou-
vent i calculer les intérêts à un même taux, on
simplifie un peu le calcul. Si le taux est de
0 p. 100 par exemple, on remarque que mul-
tiplier par 0 et diviser ensuite par 30 000, revient
à diviser tout de suite par 6000, c'est-à-dire que,
pour obtenir l'intérêt, on multiplie le capital par
le nombre de jours, ce qui donne ce que, dans
les habitudes commerciales, on appelle le nombre;
et l'on divise par 60tiO, qu'on appelle le diviseur
fixe Ainsi, dans le second exemple traite plus
haut, le nombre est 590' X 125, c'est-.Vdire
■;4 500; en divisant par 6000 ou d'abord par 1000
et ensuite par 0, on obtient comme ci-detsus
12fr. 41. , ,
On pourrait, pour d'autres taux, employer le
même procédé, en remarquant que, pour le 5 p.
100, le diviseurfixe serait -200; pour 4^ le diviseur
fixe serait 8000; pour 4 ce serait 9000; mais on
INTÉRÊT
_ 1045 — INTÉRÊTS COMPOSÉS
préfère géndralemont commencer par calculer l'in-
térêt à 6 p. lOi), et en déduire l'intérôt h un autre
taux par la règle suivante, facile i justifier :
Si le taux est
5, retrancher 1 sur 6, ou prendre le sixième
i\, — l^surG, — \c quart
4, — 2 sur (i, — le Mrs
3, — 3 surC, — \dL moitié
Soit, par exemple, k calculer l'intérêt de 875 fr. pen-
dant SO jours b.\\ p. 100. Lo nombre étant 875 X 80
ou 65200, en divisant par 6000 on obtient d'abord
10 fr. 8C66... ;retrancliant le quart ou 2 fr. 71000...,
il reste 8 fr. 15.
3. — Ouand l'inconnue du problème est lecapital,
le taux, ou le nombre de jours, on remarque que,
d'après la règle de l'intérêt simple, le produit de
l'intérêt par 36000 doit être le même que le pro-
duit du capital par le taux et par le nombre do
jours. On obtiendra donc le nombre cherché en
divisant ce produit :
Par le taux et par le nombre de jours, si l'in-
connue est le capital ;
Par le capital et par le nombre de jours, si l'in-
connue est le taux ;
Par lo capital et par le taux, si l'inconnue est le
nombre de jours.
Supposons, par exemple, qu'un capital de lia fr.
ait produit 13 fr. 20 d'intérêt, au taux de 6 p. 100,
et qu'on demande le nombre de jours. On multi-
pliera 13 fr. 20 par 36000, ce qui donne -475200,
puis on divisera ce produit par 720 et par G,
ou, ce qui revient au même, par 4320, ce qui
donne 110. L'inconnue a donc pour valeur 110
jours.
Supposons, en second lieu, qu'un certain capital
ait produit 19 fr. 20 au bout de 120 jours, au taux
de 4j p. 100, et qu'on demande ce capital. On
multipliera 10 fr. 20 par 3G0l)0, ce qui donne
091 200 fr. ; puis on divisera par 120 et par 4.5, ou,
ce qui revient au même, par 540, ce qui donnera
1280 fr. pour le capital demandé.
4. — Comme application de ce qui précède, nous
traiterons une question qui se rencontre dans les
transactions commerciales, et qui est connue sous
le nom d'échéunce commune.
Une personne a souscrit au profit d'une autre
trois billets : l'un de5i0 fr. payable dans 90 jours,
le second de 450 fr. payable dans 110 jours, le
troisième de 370 fr. payable dans 180 jours ; et elle
propose de les remplacer par un billet unique,
énonçant la somme totale, et produisant le même
intérêt ; la question est de savoir quelle échéance
il faudra fixer. Remarquons d'abord que la somme
totale est 1360 fr. La somme des intérêts, en dési-
gnant par t le taux, sera d'après la règle d'intérêt:
540'. /. 90 450'. <■ 110
."ïri non t" !^(:nn(i
+
370'. M 80
Cette somme peut s'écrire :
(5411.90 + 450.1 10 + . 370.180) x/
D'un autre côté, si nous désignons par n le
nombre de jours cherché, la somme de 1360 fr.
produirait un intérêt marqué par :
Ces deux expressions de l'intérêt total devant
être les mêmes, on doit avoir :
d'où résulte
164 700 = 1360.;;
11= — '- = 121,10 ou 121 jours et une fraction.
1300
On adopterait 121 jours. On voit que la ques-
tion est indépendante du taux de l'intérêt, et que,
jwiir obtenir l'échéance commune, il faut faire la
somme des nombres (produit des capitaux par les
nombres de jours), et diviser par la somme des
capitaux.
S'il y a, par exemple, quatre billets.
L'un de 810' payable dans 130 jours
L'n second de 720' — 180 —
Un troisième de 610' — 210 —
Un quatrième de 1000' — 300 —
le nombre n de jours exprimant l'échéance com-
mune sera :
810X130+720X180+640X210+1000X300
810 + 720 + 640+1000
_ eC9 300
" 3170
= 180,40
On pourrait adopter 180 jours. [H. Sonnet.]
INTÉRÊTS COMPOSÉS. — Arithmétique, LV. —
I . — Une somme est dite placée i intérêts composés
lorsque chaque année le capital s'augmente des in-
térêts produits pendant l'année précédente. La
somme placée prend le nom de capital primiiif, et
ce capital, augmenté de ses intérêts composés, s'ap-
pelle le C'ipital définitif. Supposons qu'on place
une somme de 1100 fr. à intérêts composés, au
taux do 5 pour 100. Puisque l'intérêt de 100 fr. en
un an est de 5 fr. , et que le capital s'augmente de
intérêts produits pendant l'année, un capital pri»
mitif do 100 fr. devient au bout d'une année 105 fr;
1 fr., dans la même circonstance, deviendrait — r-
ou 1 fr. 05 ; et 1400 fr. deviendront 1400' x 1,05;
Ainsi, on obtient le capital définitif au bout d'une
année en multipliant le capital primitif par 1,05^
Au bout de la seconde année, la quantité 1400*
X l,o.'> sera encore multipliée par 1,05, ce qui don-
nera liOO' X (1,05)2. Au bout de la troisième annéo
on trouvera 1400' x(I,05)-'. Et, en continuant ainsi,
on voit que le capital définitif au bout de ?i années
sera 1400' X (l,0.ij°. On voit que, pour obtenir le
caiiital définitif, il faut multiplier le capital pri-
mitif par l'unité plus te centième du taux élevé à
une puissance marquée par le nombre des (innées.
Plus généralement : soit a lo capital primitif et t
le taux. Au bout d'un an, un capital de 100 fr. de-
vient 100' + /," 1 franc, au bout du même temps,
devient — ' "^ ou 1' +— ^ ou 1 +r, en désignant
par r le centième du taux ; le capital a devient donc
a (I + ;■). Au bout do la seconde année, ce résultat
doit encore être multiplie par 1 + r, ce qui donne
a (1 + r)2. An bout de trois ans on obtient a (l + >-)3.
Et au bout de n années, le capital définitif A est
donné par la formule :
A = a (1 + r)"
(1)
qui revient ."i l'énoncé ci-dessus.
En appliquant les logarithmes * à cette formule,
on obtient :
log A = log a + n log (1 + r)
(2)
c'est-i-dire que, pour obtenir le logarithme du ca-
pital définitif, il faut, au logarithme du capital
primitif, ajouter n fois le logarithme de l'unité plus
le centième du taux.
Soit par exemple :
INTERETS COMPOSES
1046 — INTÉRÊTS COMPOSÉS
a = 1200', n=ï3, et -4^ le taux, d'où r=0,045
on aura
d"où :
A = 1200' (l,05ô)i:
log A = lo
1200'+ 13 los (1,045) = 3,0791812
+ 13 X 0,0rjll63
log A = 3,3276931
d'où :
A = 212(i',C3
2. — A l'aide de la formule (2), dans laquelle on
suppose» = 1, on forme aisément le tableau des
capitaux définitifs correspondant aux taux les plus
usités, et i divers nombres d'années depuis I jus-
qu'à 21. Pour toute autre valeur de a on n'aura
qu'à multiplier les nombres de la table par la va-
leur a du capital définitif. Voici ce tableau :
ANNÉES
5 1/2
4
4 1/2
S
3 1/2
6
1
1,030000
1,035000
1,040000
1,0450;10
1,050000
1 ,055000
1,060000
2
1 ,000900
1,071225
1,081000
1 ,092025
1,102500
1,U30S5
1,123600
3
1,092727
1,108717
1,124864
1,141166
1,157625
1,174242
1,191016 j
i
1,1 25009
1,147522
1,169858
1,192518
1,21506
1,238825
1,262477
5
1,159273
1,187685
1,216652
1,:46182
1,276281
1,306900
1,338220
6
1,194052
1,229254
1,-.05318
1.302260
1,340095
1,378843
1,418520
7
1 ,229873
1,272278
1,315930
1,300862
1,407100
1,454679
1,503631
8
1,210769
1,31U808
1,368568
l,4'J210l
1,477455
1,534687
1,593849
9
1,304772
1,362896
1,4233.0
1,486095
1,551328
1,619096
1,689480
10
1,343916
1,410597
1,480243
1,55291,9
1,628894
1,708140
1,790845 1
1!
1,384233
1,459963
1,539452
1,622853
1,710339
1,802094
1,898300
12
1,425760
1,51 lOOG
1,001029
1,695882
1,795856
1,901209
2,012198 j
13
1,468532
1,563954
1,605072
1,772190
1,885649
2,005776
2,1.32930 !
14
1,512588
1,618692
1,731674
1,851940
1,979931
2,116094
2,26090(i
là
1,557966
1,075346
1,800941
1,935283
2,078928
2,232479
2,-396.561
16
1,604706
1,733983
1,872979
2,022370
2,182875
2,3552(i6
2,540355
17
1,6528 46
1,794672
1,947897
2,113377
2,292018
2,484806
2,092776
18
1,702431
1,857485
2,025813
2,208179
2,406619
5,621470
2,854343
19
1,753504
1,922197
2,106845
2,307861
2,526950
2,765651
3,025604
20
1,806109
1,989784
2,191119
2,411715
2,653297
2,917 763
3,207141
21
1,860293
2,059427
2,278763
2,520242
2,785963
3,078240
3,399569
Si nous reprenons, par e.\emple, les hypothèses
a= 1200', t = i i.et n= 13,1a table donnera pour
ce taux et ce nombre d'années 1,772196; en mul-
tipliant ce nombre par 1200, on obtient 2120' 63,
qui est le capital définitif trouvé plus haut.
3. — Il peut arriver que la durée du placement
se compose d'un certain nombre entier d'années
augmenté d une fraction ; dans ce cas, on suppose
que le capital primitif a été placé à intérêts com-
posés pendant le nombre entier d'années, et que
la somme produite est restée placée à intérêt sim-
ple pendant la fraction d'année. La somme pro-
duite au bout de n années étant toujours fl (1 + rj"
produira, à intérêt simple, pendant une fraction
k d'année, un capital définitif représenté par :
A = a (1 -f 7-)» (I -I- 4,-
(3J
En appliquant les logarithmes à cette formule,
on obtient:
log A = log a + 71 log {1 + ,■) + log (1 + kr) (4)
Si, par exemple, on a :
0 = 1200', n=13, r= 0,045 et A = |
on aura :
log A = log 1200-1- 13 log (1,045) -4- log (1,03)
d'où :
log A = 3,0791812 + 13 X 0,0191163 + 0,0128372
= 3,3405303
d'où :
A = 2190',43
4. — Il peut se faire que l'inconnue du problème
soit le capital primitif, le taux ou la durée du pla-
cement. La solution des deux premiers cas se tire
de la formule (2) qui donne :
log a ^ 1
log(l-f »■) =
X — n lo
log A
(1 + '')
-log a
Lorsque c'est la durée du placement qui est in-
connue, la même formule donne :
log \ — log a
(-)
log (1 + )•)
Mais si la valeur trouvée pour n est fraction-
naire, et que m représente sa partie entière, il con-
viendra d'employer la formule (4) en y remplaçant
71 par m. On en tirera alors:
k =
ar (1 + rj"
ce qui fera connaître la fraction d'année
au nombre entier m.
ajouter
INTERETS COMPOSÉS — 1047 —
INTERJECTION
Supposons, par exemple» que l'on cliorche le
tempsnocessaire pour qu'un capital placé à 5 p. 100
et à inlércHs composés soit doublé ; il faudra faire
A = 2 a, et )' = 6. La formule (7) donne alors :
>n = 14 ; et la formule (8) : le = 0 2028 = -— ; la
3U0
durée cherchée est donc 14 ans, 2 mois et
13 jours. A 4 ; pour 100, on trouverait de même
15 ans, 8 mois et 27 jours.
5. — Dans les questions relatives au Crédit fon-
cier-., les intérêts, au lieu de se capitaliser par
années, se capitalisent par semestres. En raison-
nant comme on a fait pour établir la formule (I),
on trouve qu'il faut y remplacer r par \ r, et le
nombre n d'années par le nombre s de semestres,
ce qui donne :
A = a (1 + ) ,■)» (9)
Soit, par exemple,
a = 10 000', r = 0,045 et .5 = 17;
A = 10 000' (1,0225)"
co qui donne :
A= 14 597',43.
Si les intérêts se capitalisaient par trimestres, la
formule à employer serait :
, A = a (1 + ; r)T
(10)
en désignant par T le nombre de trimestres com-
posant la durée du placement.
6._ — On peut se proposer sur les intérêts com-
posés un grand nombre de problèmes divers; nous
nous contenterons d'en donner quelques exemples.
I.^ — Une somme de CO 000 fr. a été placée à in-
térêts composés pendant un certain nombre d'an-
nées. Si elle élad restée placée un an de moins, le
capital définitif eût été inférieur de 399G fr. \1;
si, au contrnire, elle était restée placée un an de
plus, le capital définitif eiit été supérieur de
4156 fr. 02. On demande le taux de l'intérêt et la
durée du placement.
Remarquons d'abord que la différence entre
«(l + r)o et a (1 +,-)n^iest «(i _)_ ,.)n-i. ,.. Les
conditions du problème sont donc exprimées par
les équations:
6000U'(1 + î-)n-i.,- = 399CM2
et:
enono'd -f r)\ r = 4i5e',o2
En les divisant membre à membre, on en tire
1 + r = 0,04
_ Au moyen de cette valeur, la seconde des deux
équations devient:
COOOC (1, 04)°. 0,04 = 4156,02
ou :
41.5B,02
(1,04)" =
60000 X 0,04
d'où l'on tire par logarithmes n = Ji.
II. — On a deux sommes, l'une de 2i00 fr.,
t autre de 3G0ii fr. à placer, pendant 10 ans, à
deux taux différents et à intérêts composés. Si
i on place la plus petite au taux le plws élevé et ta
plus grande au tmix le plus bas, on obtiendra un
capital définitif de 8747 fr. 44. Si, au contraire, on
place la plus petite >.omme,au taux te plus bas et
la plus grande an taux le plus élevé, on f/agnera
à celte comlnnatson 341 fr. 97. On demande à quels
taux lesdeuT. sommes doivent être placées.
Si r et r' désignent l'intérêt annuel de 1 fr.
correspondant à chacun des deux taux, les condi-
tions de l'énoncé seront exprimées par les équa-
tions :
3CO0' (1 -f c)!» -f 2400 (1 -{■ c')'" = 8747',4'»
2400' (1 4- rl'O-l- 3000 (1 + )'V° = 9089',42
Posant :
X = (1 + )•)!» et y = (\ -\- r')t»,
il viendra, en divisant par 100 :
3Gx -f 24y = 87,4744 et 24x + 36?/ = 90,8942
On en tire, par les méthodes connues (V, Equa
lions) :
X = 1,6288940 et j/ = 1,3439165
d'où l'on déduit, à l'aide de la table ci-dessus :
r = 0,03 et r' = 0,05
Les deux taux demandés sont donc 3 p. 100 et
5 p. 100.
III. — Une somme a été placée pendant un cer-
tain nombre d'années à intérêts composés, en capi-
talisant les intérêts par semestre; à quel taux au-
rait-il fallu placer la même somme pendant le même
temps pour obtenir le même cupilal définitif, si les
intérêts avaient été capitalisés par années ?
Soit a le capital primitif, )■ le taux connu et x le
taux cherché, n étant le nombre d'années du place-
ment ; on devra avoir :
a (1 -\-x)'' = a[\ +-»s»
d'où, en divisant par a et extrayant la racine d'or-
dre n :
l -{-x = (l + l >')^
d'où :
3; = (1 + ;->■)'— ! = '■ + Ir'-
Si, par exemple, on a î-=0,04, on trouvera
x = 0,040i ; c'est-à-dire que le taux serait 4 fr. Oi.
[H. Sonnet.]
INTESTINS. — V. Digestion.
Ii\TEKJECTIO\. — Grammaire, XVIII. — L'in-
terjection est un cri, une exclamaiii,^ qui exprime
les mouvements subits de l'àme : ali! oh! fi!
hélas !
Interjection vient du latin interjectio, propre-
ment : action de jeter au milieu (de la phrase).
C'est une sorte de cri jeté au milieu des autres
mots. D'après cette définition, on comprend que
les véritables interjections sont simplement nos
voyelles a, e, i, 0, u, aspirées ou redoublées, sous
les formes ah, ha, lié, hihi, oh, hue, etc. Elles
n'ont en général sous cette forme aucun sens
particulier ; leur signification très vague dépend
du sentiment qu'il s'agit d'exprimer, et de l'ac-
cent avec lequel elles sont prononcées.
Les principales interjections sont :
Pour exprimer la joie : Ah! bon
— la douleur : Aie! ah! hélas!
— la crainte : Ha! hé! ho!
— l'admiration: Ah! eh! oh!
— l'aversion: Fi!
Pour encourager : Sus!
Pour appeler : Holà! hé!
Il faut ajouter à cette liste un grand nombre de
mots qui s'emploient accidentellement comme in-
terjections, tels que : peste, miséricorde, allons,
courar/e, ferme, etc.
Les interjections sont formées : soit à 1 aide de
noms {paix! courage! patience!) ; soit à l'aide de
verbes {soit! allons! suffit!) ; soit par de simples
exclamations {ah! oh! etc.).
Si nous laissons de côté les locutions telles qut
pair.! courage! soit! etc., qui sont plutôt des
INTERJECTION
— 1048
INVASIONS
propositions elliptiques (pour fnites paix, prenez
courage) que des interjections proprement dites,
il nous restera peu de cliose à dire des interjec-
tions. Deux seulement, liélas et dame, nécessitent
quelques explications.
Hélas! que nos aïeux écrivaient en deux mots :
/«? .' las ! est composé de l'interjection hé ! et de l'ad-
jectif las, qui signifiait malheureux dans notre
vieille langue. On disait au xiii'^ siècle : «T.ette mère
est lasse de la mort de son fils; Hé! las que je
suis ! >i Ce n'est qu'au xv" siècle que les deux
mots se soudèrent et qu'hélas devint inséparable.
En même temps /as perdait son énergie primi-
tive et passait du sens do douleur à celui de fa-
tigue, comme cela est arrivé pour les mots gdne
et ennui qui signifiaient à l'origine toiirment et
haine.
L'interjection dame ! (qu'il ne faut pas confon'lre
avec le substantif féminin dame) est l'abréviation de
Datyie-Dieu, exclamation de l'ancien français, qui
signifie Seignew-Dieu! [Dvmine-Deus.) On trouve
à chaque page dans les textes du moyen âge : « Que
Dame-Dieu nous aide ! » Dume-Dieu, et simple-
ment dame, s'employait comme interjection ; et
l'exclamation Ali! dame, qui pour nous a perdu
aujourd'hui toute signification, revient à dire : Ah !
Seigneur. Nous retrouvons encore ce mot dame
dans les noms géographiques Dammartin, Dam-
pierre, etc., qui signifient le sire Martin, le sîVe
Pierre,
Les termes .employés dans le langage familier et
dans le style comique, tels que : corbleu, diantre,
jarni, morbleu, etc., ne sont que des jurements et
des blasphèmes aujourd'hui défigurés. Corbleu est
pour corps (le Dieu; diantre pour diable; j'anii ou
jarnidieu pour je renie Dieu, etc.
Modèles d'exercices. — 1" Lire aux élèves
le morceau suivant en leur faisant remarquer les
interjections.
Le Grondeur.
M. Grichard, Bourreau! me feras-tu toujours
frapper deux heures à la porte?
Liiliue. Monsieur, je travaillais au jardin; au
premier coup-- de marteau, j'ai couru si vite que je
suis tombé en chemin.
M. Grichard. Je voudrais que tu te fusses rompu
le cou. double chien ; que ne laisses-tu la porte ou-
verte ?
Lolive. Hé ! monsieur, vous me grondâtes hier
à cause qu'elle l'était; quand elle est ouverte, vous
vous fâchez; quand elle est fermée, vous vous fâ-
chez aussi : je ne sais plus comment faire.
M. Gricliard. Comment faire? comment faire ? in-
fâme !.. .
Lolive. Oli çà, monsieur, quand vous serez
sorti, voulez-vous que je laisse la porte ouverte ?
M. Grichard. Non !
Lolive. Voulez-vous que je la tienne fermée?
M. Gricliard. Non.
Lolive. Si faut-il, monsieur....
M. Grichard. Encore! Tu raisonneras, ivrogne?
Lolive, Morbleu 1 j'enrage d'avoir raison.
Af. Grichard. Te tairas-tu?
Lolive. Monsieur, je me ferais hacher. Il faut
qu'une porte soit ouverte ou fermée : choisissez,
comment la voulez-vous?
lis. Grichard. Je te l'ai dit mille fois, coquin ! Je la
veux.... je la.... Mais voyez ce maraud-là! Est-ce à
un valet à me venir faire des questions? Si je te
prends, traître ! je te montrerai bien comment je la
veux.... As-tu baJayé l'escalier?
Lolive. Oui, monsieur, depuis le haut jusqu'en
bas.
M. Grichard. Et la cour?
Lolive. Si vous y trouvez ordure comme cela,
je veux perdre mes gages.
M. Grichard. Tu n'as pas fait boire la mule ?
Lolirc. Ah ! monsi&ur, demandez-le aux voisins-
qui m'ont vu passer.
M. Grichard. Lui as-tu donné l'avoine?
Lolive. Oui, monsieur, Guillaume y était pré-
sent.
M. Grichard. Mais tu n'as point porté ces bouteilles
de quinquina où je t'ai dit?
Lolive. Pardonnez-moi, monsieur, et j'ai rap-
porté les vides.
A/. Grichard. Et mes lettres, les as-tu portées à la
poste, Iiein ?
Lolive. Peste I monsieur, je n'ai eu garde d'y
manquer.
M. Grichard. Je t'ai défendu cent fois de racler
ton maudit violon ; cependant j'ai entendu ce ma-
tin
Lolive. Ce matin ? Ne vous souvient-il pas que
vous me le mîtes hier en mille pièces ?
M. Grichard. Je gagerais que ces deux voies de
bois sont encore....
Lolire. Elles sont logées, monsieur. Vraiment,
depuis cela, j'ai aidé Guillaume à mettre dans le
grenier une charretée de foin, j'ai arrosé tous les
arbres du jardin, j'ai nettoyé les allées, j'ai bêché
trois planches, et j'achevais l'autre quand vous avez
frappe.
M. Grichard. Oh ! ... il faut que je chasse ce co-
quin-là ; jamais valet ne m'a fait enrager comme ce-
lui-ci;ilme ferait mourir de chagrin Hors d'ici!
(Brueys.)
1° Dicter ou écrire au tableau le même morceau,
en remplaçant les interjections par des tirets ; les-
élèves mettront les interjections convenables.
3° Dicter ou écrire au tableau le même morceau
et faire expliquer aux élèves le sens et l'origine de-
chaque interjection. [J. Dussouchet.j
INVASIONS. — Histoire générale, XXXIX-XL ;
Histoire de France, XXXVIII-XL. — Le nom d'm-
vasion pourrait s'appliquer à tout envahissement
d'un pays par une armée étrangère ; mais on le
réserve d'ordinaire, en histoire, à l'entrée en masse
d'un peuple encore barbare sur le territoire d'un-
peuple plus civilisé. En outre, abstraction faite
du degré relatif de civilisation des peuples en
jeu, une même nation appellera volontiers guerres
à.'invasion celles où son propre territoire a été
envahi, et guerres de conqui'te, campagnes, expé-
ditions, celles où elle a joué elle-même le rôle
d'envahisseur. Ainsi, dans l'histoire de France, on
parle de la campagne d'Egypte en 1798, de la cam-
pagne de Russie en ISl'i, et de Yinvasion des
alliés en 1814. Les peuples latins désignent sous
le nom A' invasion des barbares la prise de posses-
sion de l'empire romain par les hordes germani-
ques, tandis qu'en Allemagne cet événement s'ap-
pelle la grande migration des peuples.
Les principales invasions que mentionne lliis-
toire universelle sont, par ordre chronologique :
L'invasion des Hyc.sos ou Hyk-shos ( « rois pas-
teurs ») en Egypte, vers le vingt-troisième siècle
avant notre ère (.V. Egi/vte, p. 65'2) ;
L'invasion des Scythes ou Kimmériens dans
l'Asie occidentale, de 634 à C27 (V. Assyrie, Médie,
Perse);
Les diverses invasions des Gaulois en Italie, en
Grèce, en Asie-Mineure (V. Gaule, p. 848) ;
Celle des Cimbres et des Teutons, à la fin du se-
cond siècle avant notre ère (V. Home);
La grande invasion des Barbares, aux quatrième
et cinquième siècles (V. Barbares et Rome) ;1
L'invasion arabe, aux septième et huitième siè-
cles (V. Arabes et Khalifes) ;
L'invasion 7iormande' on Scandinave, en Angle-
terre, en France, en Italie, à partir du septième
siècle jusqu'au milieu du onzième (V. Normands
et Scandinaves);
Les deux invasions des Mongols sous Gengis-
Khan et ses successeurs, au treizième siècle, et
INVENTIONS
— 1049
INVENTIONS
snus Tamerlan, à la fin du quatorzième siècle
(V. Mnivjoh).
INVr.Sf rUlN. — V. Componiion.
IINVUM'IOiNS. — Histoire générale, XXXVII.
— On demandait à Newton comment il était arrive
il formuler la grande loi de la gi-avitation qui ré-
git notre globe, notre système solaire, l'univers en-
tier? — (( En y pensant, » répondit-il avec une no-
ble simplicité. Ce mot, qui donne le secretdc la plus
superbe découverte peut-être qu'ait faite notre es-
pèce, s'applique également à la plupart, sinon h la
totalité des inventions ; non pas que toutes soient le
produit d'une longue réflexion, solentune déduction
logiquement poursuivie de faits et de principes
déjà connus — ces découvertes par la voie théori-
que sont beaucoup plus rares que celles que l'on
doit au hasard, comme on dit — mais le hasard n'a
jamais rien montré aux hommes inintelligents ; pour
transformer l'accident en acquisition durable, il a
toujours fallu qu'un esprit avisé analysât, raisonnât
le pourquoi, le comment, dégageât le principe géné-
ral du fait particulier. L'histoire des inventions et
des découvertes n'est autre que l'histoire de la
pensée s'appliquant h mieux connaître la consti-
tution de l'univers en son ensemble et dans ses
détails, par l'emploi des connaissances acquises, par
la meilleure adaptation de l'homme à son milieu,
et du milieu Ji Ihorame. A mesure que cette
adaptation s'accomplit, l'homme progresse etse per-
fectionne, il se modilie lui-même à mesure qu'il
transforme ia nature ambiante. Dans nos pays ci-
vilisés, ces changements qui se poursuivent depuis
qu'il y a une histoire, et qui avaient commencé
longtemps auparavant, ont agi d'une manière déjà
puissante sur la constitution chimique du sol, sur
le régime hydrographique, sur le climat. L'homme,
qui a bouleversé le pays qu'il habite, avait com-
mencé, la langue le dit elle-même, par être un sau-
vage, unebête fauve, certainement la plus féroce de
toutes. Il n'avait à l'origine que des besoins tout à
fait restreints, les seuls, d'ailleurs, qu'il pût satis-
faire. Nos désirs portant tous sur quelque diminu-
tion de peine, de fatigue et de temps, tendent, par
conséquent, à une augmentation de force, de res-
sources et de loisirs, à un accroissement de vie, aune
augmentation quantitative et qualitative dans la va-
leurde l'homme. Notre existence est tout autrement
mobile, féconde en impressions variées et en senti-
ments profonds que celle de nos premiers ancê-
tres. Il est vrai que nous employons notre puis-
sance accrue, notre intelligence mieux armée à
former de nouveaux souhaits plus vastes qui pro-
voqueront des efforts plus puissants, des réalisa-
tions plus considérables. Notre puissance aug-
mente et aussi nos inquiétudes, et le désir tou-
jours inassouvi du mieux, et encore du mieux, qui
n'est l'ennemi da bien que par exception, quoi-
qu'on dise le proverbe.
C'est le moment de rappeler la distinction qu'on
a faite depuis longtemps entre les inventions et
les découvertes. Les découvertes sont plus spé-
cialement la simple constatation de faits, de lois,
ou de principes inconnus jusque-là, en histoire,
en géographie, dans les sciences en général. Les
inventions impliquent le plus souvent une mise au
point nouvelle, une transformi^on, une adaptation
de la part de l'homme. Ainsi, la découverte des
propriétés merveilleuses de la pierre aimantée ren-
dit possible l'invention jde la boussole, qui permit
aux navigateurs de perdre les côtes de vue, de se
lancer dans la haute mer, et de mettre le cap vers
des contrées encore inconnues. Les découvertes de
nos physiciens et de nos chimistes donnent aux
industriels et aux mécaniciens le moyen de faire
une multitude d'Inventions dans le domaine pra-
tique ; les découvertes de nos mathématiciens,
les hautes analyses de nos géomètres sont mises à
profit de mille et mille manières par les opticiens et
ingénieurs. Rarement les inventions sontimaginées
de toutes pièces; elles sont le plus souvent de
simples modifications aux procédés en vogue, aux-
quels on donne des applications Inédites, et que l'on
simplifie ou l'on complique pour de nouveaux usages.
On a remarqué qu'il y a des époques plus fé-
condes en Inventions que les autres. Ainsi, notre
génération et celles qui l'ont procédée, à partir de
la publication de la grande Encyclopédie, ont fait
déjà une œuvre immense, et, sans exagération au-
cune, sont en train de renouveler la face du monde.
Il est facile de s'expliquer l'intermittence de ces
époques de transformation, qui sont le contre-coup
des Impulsions religieuses et philosophiques, mo-
rales et scientifiques se produisant de période en
période. Quand une idée, quand une théorie gé-
nérale est lancée dans le monde, les intelligences
éveillées la transportent chacune dans la sphère
d'activité qui lui est propre, l'y établissent, l'y dé-
veloppent, l'y maintiennent, jusqu'à ce qu'une
conception nouvelle amène d'autres changements.
La série de ces révolutions partielles dans le temps
et dans l'espace n'est autre que la grande évolu-
tion de l'humanité. Les idées ont aussi leur évo-
lution partielle; comme les plantes, elles germent,
frondoient, fleurissent, fructifient, et leur semence
reproduit des sujets similaires, mais cependant
distincts et nouveaux. Voilà pourquoi des inven-
tions analogues surgissent, à peu près au même
instant, dans plusieurs cervelles, et l'inventeur
qui tarde trop à publier sa découverte s'en voit
dépouiller l'honneur par un rival plus pressé. Cette
remarque a donné lieu au paradoxe que les in-
venteurs ne trouvaient pas leur invention, mais
que l'Invention allait trouver son inventeur. La
vérité est que les idées nouvelles viennent en
leur temps, parce qu'elles sont la production des
idées antérieures, le résultat des développements
de la science.
Ce serait s'engager dans un dédale que de vou-
loir énumérer les inventions qui ont été faites de-
puis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours;
un volume, des volumes n'y suffiraient pas ; sans
parler de l'impossibilité matérielle de fournir des
dates authentiques, des renseignements certains
sur plusieurs d'entre elles qui ne sont pas des moins
importantes. L'histoire des inventions est une
science par elle-même. Précise en ce qui touche
aux temps modernes, elle est vague pour le moyen
âge, incertaine pour l'antiquité, obscure pour les
temps préhistoriques. Son étude ne date que d'hier,
et n'aurait pu être abordée utilement avant les
travaux de nos derniers géologues. Nous indique-
rons les lignes principales de cette histoire aussi
exactement que le permettent nos connaissances
actuelles; nous en tenant principalement à la
genèse même, à la filiation des Inventions, et à
leurs relations mutuelles. Nous renvoyons aux ar-
ticles spéciaux du Dictionnaire pour les détails
relatifs aux inventions les plus importantes, telles
que Vimprimei'ie, la /joussote, la poudre à canon,
la mac/une à vapeur, le télégraphe, etc.
La classificatloii la plus simple et la plus prati-
que nous parait être celle des inventions: 1° par
leur objet, ou par les besoins auxquels elles doi-
vent satisfaire, 2" par les moteurs ou par la nature
de la force qu'elles emploient.
I. — La nécessité est la mère des inventions, dit
un proverbe dont l'expérience journalière prouve la
justesse. N'était le besoin qui nous presse, nous
nous endormirions dans la jouissance et dans l'oi-
siveté. Il est certain que la même cause qui au-
jourd'hui nous fait perfectionner les découvertes
antérieures les a inspirées sous une forme
barbare dans les temps primitifs. Les besoins
les plus urgents sont les plus efficaces à réveiller
l'intelligence engourdie. Les besoins moindres ne
se font sentir que lorsque ceux de premier ordre
INVENTIONS
— 1050 —
INVENTIONS
sont déjà satisfaits. Nul mobile n'a été plus puis-
sant que la faim il créer des ressources nouvelles,
et à modifier peu à peu l'ordre de choses précédem-
ment établi. L'Iiomme, un omnivore, a commencé
par demander à la chasse la presque totalité de sa
subsistance. Il tuait pour manger. Ses armes ont
pu à l'origine n'être que celles du gorille et de
l'orang-outang : tantôt une pierre, tantôt une
massue dans ses poings robustes. Ce fut une véri-
table inspiration de génie quand il emmancha sa
pierre au bout d'un bâton l'ourclm, se faisant ainsi
un instrument qui fut le premier casse-tête, le
premier marteau, la première hache, la première
lance, le premier cpieu, le premier javelot, le pre-
mier hoyau. D'abord, il avait pris ces pierres pour
faire poids ; il fut amené à les prendre pour leur
dureté, ensuite pour leur tranchant; il en vint à
tailler les silex qui devaient lui donner toutes sortes
d'instruments l'un après l'autre : couteaux, poi-
gnards, épingles, aiguilles, grattoirs, ràcloirs,
limes et scies, pointes aiguës et barbelées de plu-
sieurs modèles. De ces pointes remplaçant les os
et les arêtes de poissons, il arma les flèches qu'il
venait d'inventer après avoir reconnu l'élasticité
de certains bois et les profits qu'on en pouvait
tirer en courbant une branche, en la sous-tendant
de boyaux tordus. Plus tard, il se mit ;\ polir les
pierres les plus dures, du grain le plus fin, le plus
serré, et même à les percer, k les forer. On trouva
des minerais plus durs, plus résistants et plus
lourds que la pierre ; par exemple le cuivre natif
dont on fit des armes redoutables.
En taillant les silex, en les frappant l'un contre
l'autre, on avait vu des étincelles jaillir, et l'on de-
vina que cette étincelle est de même nature que
l'éclair qui sillonne la nuée ; çà et laces étincelles
avaient fait jaillir la flamme aux entours, ce qui ne
manqua pas de remplir l'homme d'effroi. Combien
de siècles, combien d'âges se passèrent avant qu'il
se soit familiarisé avec les feux de la foudre, des
cratères, des sources de gaz, de naplite, de pétrole,
avec les divers usages de l'eau qui sourdait des
fontaines thermales dans les pays volcaniques?
C'est ce qu'il est encore impossible de dire. Enfin
se fit la découverte des découvertes, l'inven.ion
des inventions. L'homme se rendit compte des ma-
tières qui sont plus facilement comi)UStibles que
les autres, il les disposa liabilement dans le voi.si-
nage des cailloux qu'il heurtait et dont il tirait des
étincelles : ce fut le briquet. Il fit bien plus. A dé-
faut de pyrites, il frotta des morceaux de bois sec
les uns contre les autres, fit tourner rapidement
la pointe d'un bois dur dans le trou d'un bois mou.
Au prix d'efforts énergiques, habiles et persévé-
rants, que nous avons encore l'occasion d'admirer
chez plusieurs peuplades contemporaines , on
voyait le bois s'éciiaulïer peu à peu, se charbonner,
une fumée s'élever; au milieu de la tache noire
apparaissait un point rouge, première lueur qui
bientôt gagnait en étendue et en intensité ; encore
un moment, le bois craquait et la flamme surgissait
vive et vermeille. Seul de tous les êtres animés,
l'homme a conquis le feu, seul il sait l'entretenir.
Nous sommes en droit de dire qu'au point de vue
pratique, c'est l'usage du feu qui met une ligne de
démarcation aussi nette et tranchée entre l'homme
et la bêle qu'il est possible de le désirer. Ceux
qui ont fait du sujet une élude spéciale n'hésitent
pas à affirmer que s'il était vrai, comme quelques-
uns prétendent, sans raison suffisante, nous semble-
t-il, qu'il existe, ou qu'il existait tout récemment
encore, des hordes assez arriérées pour ignorer
l'usage du feu, ces hordes n'auraient eu d'humain
que la figure. M. Tyler, le savant auteur de la
Civilisation primitive, a recherché les diverses
manières employées par les sauvages pour faire
le feu et montré qu'elles ont pu, qu'elles ont dû
donner naissance i plusieurs instruments et pro-
cédés mécaniques dont on ignorait jusque-là l'ori-
gine : tarière, vilebrequin, baratte, archet, mortier
et pilon, etc. La meule antique dans laquelle on
broyait le grain est un de ces appareils dérivés.
Sur la meule gisante, qui restait immobile, tournait
la meule roulante emmanchée sur un axe. L'allu-
mette chimique devait faire tomber ces procédés
divers en rapide désuétude. Les trois choses que
le monde sauvage envie le plus à notre civilisation
sont : l'allumette ou bâtonnet à feu, l'eau de feu,
l'arme à feu.
Le feu ayant été ainsi obtenu à grand'peine, il
fallait le conserver. Il est telle peuplade nomade
chez laquelle les femmes portent au moindre de
leurs voyages un tison qu'elles ravivent fréquem-
ment en le faisant tournoyer dans l'air. Les tribus
mieux assises entretiennent des foyers constam-
ment allumés autour desquels se rassemblent les
chefs et les guerriers. Ces prytanées sont les sanc-
tuaires nationaux d'où les colonies emportent de
précieux brandons dans leurs nouvelles demeures,
où les chefs de famille vont au nouvel an prendre
des charbons pour allumer leur foyer domestique.
C'est ainsi que nous voyons le feu à l'origine des
institutions nationales et familiales. Tant est vraie
la légende des Grecs, d'après laquelle Prométhée
ou Vulcain aurait été le créateur de l'homme : en
d'autres termes, c'est au feu et à tout ce qu'il a
produit et amené que notre humanité, celle des
civilisés ou demi-civilisés, doit son existence.
Jusque-là, on avait mangé cru; dorénavant, les
viandes furent rôties ou bouillies ; fréquemment
on torréfia le grain avant de le passer à la meule.
On inventa le procédé pour la fabrication du pain,
on découvrit les propriétés des levains ; on eut du
pain levé, des boissons fermentées.
L'art culinaire prit alors naissance. Les premiers
vases avaient été des coquilles, des gourdes, de
grosses noix, et autres fruits creux et dessécliés,
des pailles et des roseaux étroitement tressés.
Bientôt, on tira parti de la plasticité et de l'im-
perméabilité de l'argile pour en enduire les roseaux
tressés qui servaient de parois aux premières
huttes, qui formaient les premières corbeilles qu'on
transforma ainsi en cruches, et qu'on songea plus
tard à durcir en les brûlant. Nos collections ont
encore quelques débris de ces anciens brocs, dans
lesquels des joncs et des carex, encore engagés
dans la pâte, nous font surprendre les secrets de
la fabrication primitive. Telles furent les origines
de la céramique, art humble et bien modeste à ses
débuts, mais qui a rendu à notre espèce d'incalcu-
lables services ; donnant à peu de frais une matière
qui se prêtait sans effort à toutes les fantaisies des
doigts qui la pétrissent, et remplaçait en une foule
de circonstances le bois, la pierre et les métaux.
Les vases de toute espèce restèrent généralement
lourds et irréguliers tant qu'on n'eut pas trouvé la
roue, avec laquelle l'art du potier entra dans la
période artistique. Ce n'est pas tout: avec l'aigile
on construisit des fourneaux qui concentraient la
chaleur à un degré que les foyers ordinaires n'eus-
sent jamais pu atteindre; et dans ces fourneaux,
on obtint la fusion des substances jusque-là ré-
fractaires, qui livrèrent des vernis, des verres, des
faïences, auxquelles les Chinois ajoutèrent la por-
celaine. Ils permirent de procéder à la fusion des
minerais : on obtint à l'état pur des métaux tels
que le plomb, l'étain, le cuivre, l'argent, l'or; et
enfin les alliages déterminés, tels que le laiton, le
bronze, vrai métal précieux. La facilité de les obte-
nir, non pas seulement en lingots, mais aussi en
lames minces, flexibles, malléables, élastiques,
susceptibles d'un beau poli, et relativement très
légères, les fit rechercher pour l'ornementation.
Lf s premiers guerriers étaient jaloux, plus encore
que les femmes d'aujourd'hui, de se parer de
chaînes, de diadèmes, de bracelets, de chevilles,
INVENTIONS
103 1
INVENTIONS
û<: pectoraux, de torqiids et cnllioi's, d'agrafes et
fibules. L'absence bien constatée de tout oxyde de
for dans les fouilles où l'on trouve déjà de nom-
breux objets en bronze, a fait supposer que l'inven-
tion du bronze a précédé d'un long temps l'inven-
tion du fi^r, supposition que confirment certaines
traditions relatées par les auteurs classiques. Ce-
pendant, il se peut qu'on ait tout au moins exa-
géré la période qui s'est écoulée entre les deux
découvertes. M. de Morlillot explique la rareté
relative des objets de fer dans les tombes, par la
considération que ce métal, si facilement attaqué
par la rouille, devait être tenu en bien moindre
estime que le bronze et ne trouvait pas sa place
dans les cercueils des chefs, des riches et des puis-
sants, qui avaient seuls l'honneur de reposer dans
des tumulus. Toujours est-il que le fer a été em-
ployé en Egypte, déji du temps des premières dy-
nasties, et qu'on a même retrouvé dans la chambre
secrète d'une pyramide uu morceau de fer qui
y avait été oublié.
On a lieu de croire que le fer a été inventé dans
l'intérieur de l'Afrique, où se trouvent des minerais
le plus facilement réductibles, et où cette fabrica-
tion s'effectue par des procédés simples et bien en-
tendus qui se sont transmis de génération en géné-
ration. Les perfectionnements successifs apportés
au travail du foret du bronze, des armes offensives
et défensives, provoquèrent maint bouleversement,
mainte révolution dans l'histoire des empires,
firent gagner mainte bataille, élever maint royaume
sur les ruines d un antre royaume. Plus d'un his-
torien attribue les victoires des Romains à la su-
périorité de leur cpée, plus courte, mais mieux
coupante et mieux irempéo que celles qu'on leur
opposait. Parce que le fer a été le grand instrument
de meurtre, n'oublions pas qu'il a fait le soc et le
coutre, et que la charrue a nourri et fait vivre plus
de millions d'hommes que la guerre n'en a tué.
C'est au fer que nous sommes redevables de l'agri-
culture.
La passion avec laquelle on se jeta sur la posses-
sion des métaux précieux, surtout ceux qui avaient
été travaillés et frappés en médailles à l'empi-einte
d'un dieu, d'un grand personnage ou d'un poten-
tat, la faciliié avec laquelle on échangeait ces
petites pièces contre des denrées et des marchan-
dises incomparablement plus lourdes et plus diffi-
ciles à transporter, donna naissance au commerce,
au trafic de l'or et de l'argent monnayés.
La vanité personnelle autant que la nécessité de
se protéger contre les morsures du froid et de la
chaleur, les piqûres des insectes et des épines,
firent recourir aux vêtures, qui d'abord furent très
succinctes : des herbes, des feuillages, des couches
de cette même argile dont on enduisait les parois
des masures et des corbeilles à contenir l'eau.
Longtemps on convoita les dépouilles des ani-
maux, brillantes écailles protectrices, toisons lé-
gères, chaudes fourrures, beaux plumages ; mais
le cuir sur lequel elles sont implantées se dessèche
bientôt après la mort de l'animal, durcit et se rac-
cornit, quand il ne pourrit pas. Avant de prendre
possession de ces trésors convoités, il fallait in-
venter les moyens de nettoyer le cuir, de lui
rendre sa souplesse sans nuire à sa durabilité ;
ce qu'on fit par les procédés primitifs de tannage,
de mégisserie et de parcheminerie, qui, dans toutes
leurs diversités, avaient cela de commun qu'ils
étaient longs, fatigants et dispendieux. Un dos
premiers résultats de la chimie régénérée, presque
créée par Lavoisier et par ses émules et disciples,
fut d'opérer une révolution dans cette fabrication.
Les écorces qui, conjointement aux peaux de
bêtes, couvraient les toits des huttes, firent surgir
tine industrie parallèle à la tannerie. Certaines
écorces, qui s'y prêtent bien mieux que d'autres,
furent nettoyées, rouies, battues, triturées, tra-
vaillées jusqu'à ce que le lacis de fibres eût été
dépouillé de ses concrétions. Quelques-unes des
étoffes ainsi préparées par les insulaires dos mers
du Sud peuvent rivaliser avec nos plus belles
mousselines. C'est ainsi qu'on travailla le papyrus,
prototype de notre papier. C'est ainsi que nos
premiers livres furent écrits sur du liber, et nos
premiers a bou(|uins » sur l'écorce du hêtre (en al-
lemand Buchet des forêts de la Germanie.
Mais revenons aux claies qu'on fabriquait en
entre-croisant les branches souples de saule ou
d'osier, les branches droites et flexibles de tout
autre arbre, les pailles et roseaux. Les plus
lourdes et solides, accrochées à des pieux de
distance en distance, formaient les toits et les pa-
rois; les plus légères servaient de portes qu'on
plaçait, déplaçait replaçait, à volonté; de plus pe-
tits clayons, transportés avec la personne, servaient
de manteaux, de coiffures. On a i-emarqué que les
couvre-chefs affectent oouvent une ressemblance
marquée avec le genre do toiture usitée dans le
pays. Insensiblement, on étendit, on développa le
procéilé dont il s'agit; on croisa des lanières de
peaux et de fourrures, qui s'enroulèrent étroite-
ment autour des surfaces de plus en plus petites.
En rapprochant les mailles, on eut des tissus qui
excluaient complètement l'eau, la lumière et même
l'air; en les écartant, on eut des filets. Le tres-
sage donna naissance à l'industrie du tricot, dont
la mécanique vient de s'emparer. Le croisage des
fils est à l'origine de tous les systèmes de tisse-
r^nderie qui, transformés par le génie de Jacquart,
ont pris un développement dont s'enorgueillit
notre siècle. Toutes les ressources de la science
ont été mises h la disposition du tissage et des
filatures mécaniques, des teintureries et imprime-
ries sur étoffes. Les lentes quenouilles, les fuseaux
solitaires, dont nos anthropologues retrouvent les
pesons dans les plus anciens palafittes, sont rem-
placés dans nos fabriques par des milliers de
broches mues simultanément par la vapeur et
avec une rapidité qui les rend invisibles. Les
riches couleurs qu'on applique sur ces tissus
délicats, on ne les tire plus péniblement du suc
de quelques fruits, de quelques bois, de quelques
herbes, d'insectes ou de mollusques écrasés,
cochenilles ou murex, mais des houilles qu'on
distille par tonnes. Comme nous sommes loin de
l'époque à laquelle les hommes, désireux de passer
pour rouges, jaunes ou bleus, s'enduisaient d'ocro
ou de marne ! Alors, ils s'ornaient de dessins, de re-
présentations variées de plantes et d'animaux, de
marques indiquant le rang, le titre, la fonction,
qu'ils étaient obligés de se graver sur la peau. Ces
ponctions, ces tatouages ont été, pensons-nous, la
première écriture. I^uis la représentation directe des
objets fit place h des figurations conventionnelles
que, peu à peu, on abrégea jusqu'à les rendre
méconnaissables ; mais grâce à l'habitude, grâce à
la persistance des traditions, leur signification
resta comprise; on écrivit en rébus. L'écriture
hiéroglyphique, se faisant de plus en plus cursive,
donna naissance à nos alphabets.
De bonne heure, quelques dessins, des mots
magiques, des mots de reproches, les noms des
rois, des gouverneurs, des propriétaires, furent
gravés sur des cachets. Coins et matrices, pour être
ensuite reproduits sur l'argile molle, sur la cire,
sur les monnaies et médailles, sur des plaques de
métal, môme sur le front des criminels. On multi-
pliait de la sorte les impressions et estampages.
Les Romains avaient laissé à Mayence, la ville où
naquit Gutenberg, de nombreuses tuiles avec des
mots y estampés. Les monastères bouddhistes dis-
tribuaient à foison aux pèlerins des prières et
formules sacrées parfaitement imprimées sur du
papier et dos étoffes. Les Chinois gravaient des
volumes entiers sur des planches de bois; en Eu-
INVENTIONS
— 1052 —
INVENTIONS
rope, on fabriquait des cartes à jouer par les procé
dés dits xylographiques, avant qu'on eut imajïiné de
se servir des caractères mobiles, un pour chaque
lettre. Cette simplification, qu'on s'étonne presque
de n'avoir pas vu se produire bien des siècles au-
paravant, donna une impulsion puissante à l'esprit
humain. Elle généralisa l'instruction, la rendit
accessible aux masses; une ère nouvelle com-
mença pour l'humanité. Aujourd'hui, au moyen des
clichages au plâtre, au plomb, au carton-pàte, b. la
galvanoplastie, on reproduit indéfiniment les ca-
ractères d'impression. Les matrices sont elles-
mêmes moulées et reproduites en autant d'exem-
plaires qu'on peut le désirer.
L'indication des principaux moyens par lesquels
les hommes se sont efforcés de satisfaire leurs be-
soins de toute nature est loin d'être complète.
Ainsi, nous n'avons encore rien dit des inventions
qui ont été faites pour l'agrément purement intel-
lectuel et artistique. On n'avait pas été sans re-
marquer que les boucliers frappés rendaient des
sorts éclatants, et les calebasses vides des sons
sourds. Une peau fut tendue par hasard sur un pot
de terre vide, et les tambourins et taraboukas se
trouvèrent inventés. De bonne heure, on avait
taillé dos roseaux en syringes ; on faisait montre
de tibias humains accommodés en flûtes. Avec une
outre pleine d'air, enmanchée d'une de ces flûtes, on
eut la cornemuse ; avec plusieurs flûtes combinant
leurs timbres divers, on eut l'orgue. On souf-
flait dans des cornes, dans des conques et grands
coquillages, qui plus tard se transformèrent en
trompettes retantissantes. Les archers avaient ob-
servé que, tandis que leur flèche partait en sifflant,
le boyau tordu qui leur servait de corde émettait
des sons aigus ; ils eurent l'idée de tendre plusieurs
de ces cordes sur une planche creuse — ou sur une
carapace de tortue, comme dit la légende — et l'o-
reille se délecta désormais aux doux sons de la lyre
et de la cithare. 11 leur prit la fantaisie de racler
ces cordes tendues avec une autre corde tendue,
celle de leur arc, et ils inventèrent le violon. Ils
multiplièrent le nombre des cordes, les disposè-
rent suivant certaines grosseurs, certaines lon-
gueurs, et ils obtinrent la harpe, maîtresse de
plusieurs octaves. La harpe donna naissance à l'é-
pinette, au clavecin, au piano moderne.
11. — Eli classant par groupes la majorité des prin-
cipales inventions, en indiquant leur connexité, leur
filiation tantôt prouvée, tantôt seulement présumée,
nous n'avons pas achevé notre tâche. Il nous reste
à indiquer à quelles forces nos arts et nos indus-
tries ont eu recours, quels moteurs ils ont em-
ployés, quels perfectionnements ceux-ci leur ont
apportés.
Chacun sait que l'homme n'a d'abord employé à
ses différents ouvrages que la force de ses bras,
que l'adresse do ses doigts. A l'origine le travail
était essentiellement personnel ; mais dès que le
groupe social se fut étendu et compliqué, les la-
beurs durs, fatigants ou simplement lourds et en-
nuyeux, furent réservés aux esclaves et plus tard
aux serfs. Aristote ne croyait pas possible que les
pierres meulières pussent tourner seules, que les
navettes pussent flier.seules. Cependant on inventa
des manèges auxquels des animaux domestiques
furent attelés au lieu et place des hsnimes ; les no-
rias ou puits à roue furent une des premières in-
ventions de ce genre. Ce fut un bien grand esprit
que celui qui imagina de faire tourner une roue
par la rivière elle-même, de manière à lui faire
déverser son eau dans les champs riverains, draguer
elle-même les impuretés de son lit, ou bien encore
mettre en mouvement le mécanisme d'un mou-
lin. De là à nos turbines verticales et horizontales
il y avait loin, mais le principe était trouvé, et de
progrès en progrès on inventa la presse hydrauli-
que. Aujourd'hui, on utilise en grand les chutes
d'eau dont une seule peut équivaloir au travail
utile do quelques milliers d'hommes. On parle
déjà d'utiliser la chute du Niagara comme on a
utilisé celles du Rliône à Bellegarde, de la Sarine
à Fribourg ; d'utiliser la force énorme du flux et
du reflux. Mais relatons ce qui est réalisé et non
pas ce qui pourra l'être un jour.
La force du vent a été mise à contribution pour
la propulsion de nos navires à voiles et des ailes de
moulins, pour l'assèchement des eaux. En divers en-
droits de la Chine, nous racontent les voyageurs,
le vent est utilisé pour la traction des brouet-
tes et des chars sur les grandes routes. L'air com-
primé a déjà accompli l'œuvre immense des
percements du Mont Cenis et du Gothard, et va
bientôt aborder le Simplon. La science de l'aéros-
tation qui, à ses premiers débuts, excita un en-
thousiasme immense et bien légitime, n'est encore
que dans la phase des études préliminaires, et il
ne parait pas qu'on doive entrer de quelque temps
encore dans la période des grandes réalisations. En
revanche, letéléphoneetlephonographesont venus
récemment nous éblouir par l'étalage de merveilles
auxquelles nous ne nous attendions pas.
Les machines à vapeur nous donnent la combi-
naison de l'air, de l'eau et du feu comme moteurs.
C'est par millions que se comptent maintenant les
chevaux-vapeur qui travaillent nuit et jour pour le
compte de l'homme, faisant tous les travaux les plus
rudes comme les plus délicats, mettant en oeuvre
des machines-outils, qui forent, percent, clouent,
liment, laminent, divisent ou assemblent, agrègent
et désagrègent, compriment, détendent, scient,
même le fer, et rabotent, môme l'acier, travail-
lant nuit et jour, ne buvant que de l'eau, ne man-
geant que de la houille, devenue ainsi mille fois
plus précieuse à l'humanité que l'or, dont, le cas
échéant, il serait facile de se passer, tandis que
toute notre industrie s'arrêterait incontinent si
la houille venait à disparaître soudain. Ce n'est
pas ici le lieu d'entrer dans les divisions et sub-
divisions de cet immense sujet: machines à vapeur
fixes ou locomobiles,à basse, à haute pression, ter-
restres, fluviales, steamers à aubes, à héli-
ces, etc. La vapeur a révolutionné l'industrie et
la locomotion ; elle tâte déjà l'agriculture sur plu-
sieurs points, et en plusieurs endroits ; elle ne
manquera pasde la transformer profondément dans
un avenir plus ou moins rapproché. Elle modifie
les conditions matérielles du travail et de l'indus-
trie aussi radicalement que la poudre a déjà changé
l'aspect politique des nations dans les deux mon-
des. La poudre a été longtemps trop précieuse
pour servir à autre chose qu'à tuer les hommes ;
mais à mesure que sa composition et ses proprié-
tés ont été étudiées et que sa théorie générale a
été mieux comprise, on a fabriqué des poudres
de raine, des fulmi-cotons, des nitro-glycérines.
et plus récemment des dynamites dont on se sert
maintenant pour faire sauter les écueils, faire
tomber des montagnes, ouvrir de larges voies à
travers les rochers.
Les forces que la physique et la chimie ont en
quelque sorte fait éclore grandissent à vue d'œil;
à mesure que nous avançons dans leur connais-
sance, leur puissance et leur grandeur semblent
s'accroître. La chimie proprement dite a fait mer-
veille dans ces dernières années. L'immense con-
sommation de combustible faite par nos machines
a appelé l'attention sur les houilles, leur produc-
tion, leur constitution. Les mines de combustiT
ble se sont trouvées être en même temps des mi-
nes de gaz, d'huiles diverses, de goudrons, d'acides
désinfectants, de matières colorantes; l'éclairage
public et privé, le chaufl'ago se sont perfectionnés
du coup. La fabrication des aciers a totalement
changé de face, et bientôt un excellent acier ne
coûtera plus que ce que coûte aujourd'hui une
IRRIGATIONS
— 1033 —
IRRIGATIONS
fonte m(^'diocre. De nouveaux métaux ont été dé-
couverts, parmi lesquels l'aluminium s'est fait im-
médiatement une place h part. Les découvertes
dans le domaine de la science pure sont bientôt
suivies par des inventions corollaires dans le do-
maine industriel. Les reclierclies sur les électro-
aimants, sur l'électricité statique et dynamique,
ont précédé l'établissement des lignes télégraphi-
ques, la création d'industries pour l'exploitation de
la galvanoplastie, de la galvaiiograpliie, de la lu-
mière électro-magnétique, pour la dorure, l'argen-
ture et la nickelure par l'électricité. L'électricité
s'est trouvée installée partout, môme dans la thé-
rapeutique. Grâce à son action si rapide, si déli-
cate et subtile, on a pu construire des appareils
mesurant des modifications de la température des
corps, et notamment de l'air, qui eussent été insen-
sibles aux anciens thermomètres. Tout ce qui ser-
vait à peser, à chiffrer, à évaluer, a pris un degré
de précision qui nous semble admirable aujour-
d'hui, mais qui demain paraîtra sans doute impar-
fait. Après les t;nomons, les clepsydres, les sa-
bliers, les bougies graduées; après les horloges et
les montres qui ont donné successivement l'heure
juste, les minutes, les secondes, on a voulu plus
de précision, et nos navigateurs ont des chronomè-
tres qui varient à peine de quelques secondes dans
l'année, et nos astronomes ont des appareils qui
mesurent un espace de temps aussi court que le
millième d'une seconde; ils ont des plaques pho-
tographiques sur lesquelles se dessinent et, au
besoin, se gravent les paysages de la Lune, la cou-
jonction du Soleil et de Vénus. Par l'analyse des
rayons qu'ils recueillent dans leurs télescopes,
ils discernent quels sont les métaux, quels sont
les éléments qui constituent une étoile lointaine.
Et la raison de tous ces progrès rapides qui ont
été accomplis dans ces derniers temps, c'est que
la géométrie devient le grand instrument d'inves-
tigation. Bon gré mal gré, notre esprit se plie à la
méthode mathématique, et l'on commence à com-
prendre qu'il n'y a d'invention féconde que celle
qui est précédée d'une étude patiente et dune
observation consciencieuse. [Elle Reclus.]
IRLANDE. — V. Angleterre.
lllUl«ATIO>S. — Agriculture, IV. — Les irriga-
tions constituent des opérations qui ont pour but
de répandre méthodiquement sur les terres culti-
vées une certaine quantité d'eau, afin de donner
aux plantes l'humidité qui leur est nécessaire pour
croître et se développer.
La nécessité de l'eau pour la végétation n'a pas
besoin d'être démontrée. Que l'on sème des graines
dans un sol absolument sec, elles n'y germeront
pas ; qu'un champ ne reçoive aucune goutte d'eau
pendant la période de la végétation, etil ne donnera
aucune récolte. D'un autre coté, l'excès d'humidité
est nuisible à la végétation ; quand les pluies sont
trop abondantes, les plantes ne poussent pas. Il
en est de môme dans les terres naturellement sa-
turées d'eau, soit par leur situation, soit à raison
de la nature de leur sous-sol. On peut voir au mot
Drainage les opérations par lesquelles on se dé-
barrasse, dans beaucoup de cas, de l'excès d'eau.
Il était naturel que la pratique de l'irrigation
prît d'abord de l'extension dans les climats sucs et
chauds où l'eau manque tr<Jp souvent. La plus
liante antiquité nous a laissé le souvenir et les
traces des irrigations faites par les peuples de
l'Orient, les Assyriens, les Arabes, etc. De là, les
travaux d'irrigation se sont répandus d'abord en
Grèce et en Italie, puis en Espagne sui-tout au
moment de la conquête par les Maures. Peu à peu,
ils ont été pratiqués dans les autres parties de
I Europe, plus ou moins, suivant les nécessités du
climat, des diverses cultures, etc. En ce qui con-
cerne particulièrement la France, les travaux d'ir-
rigation ont été principalement exécutés, dans les
provinces méridionales d'une part par suite du
climat, et d'autre part, dans les régions monla-
gneusos où les eaux sont plus abondantes et plus
faciles b. capter.
L'irrigation a un double luit. Elle sert d'abord à
donner aux plantes l'humidité qui leur est néces-
saire pour se développer. La plante exhale sans
cesse, mais surtout sous l'influence de la chaleur
et de la lumière, une grande quantité de vapeur
d'eau. Quand le sol ne lui fournit pas cette quan-
tité d'eau indispensable, la plante végète miséra-
blement, elle languit et finit par mourir. Les pre-
mières expériences sur la transpiration des plantes
sont dues .'i Haies ; il a constaté, par l'expéi'ience
et par le calcul, que les choux plantés sur un hec-
tare de terre peuvent perdre, par transpiration,
jusqu'à 20,000 kilog. d'eau pendant une journée
de douze heures. L'activité des fonctions de la plante
dépend de la régularité de cette transpiration.
D'un autre côté, les eaux employées aux irriga-
tions renferment toujours soit en suspension, soit
en dissolution, une proportion notable de raalières
utiles à la végétation. Les substances tenues en
suspension ..sont déposées sur le sol cultivé, du
moins en grande partie, pendant qu'il est recouvert
d'eau ; quant \ celles qui sont en dissolution, elles
sont introduites dans la terre végétale par l'eau
qui y pénttre. Il en résulte que, tout en se gardant
des exagérations par lesquelles on a dit quelque-
fois que l'irrigation équivaut à une bonne fumure,
on peut considérer certaines eaux d'irrigation
comme pouvant fournir i la terre une proportion
notable des principes que la fumure lui apporterait.
Cela est vrai surtout quand il s'agit des irrigations
faites avec les eaux d'cgout et certaines eaux pro-
venant des usines et chargées de matières nom-
breuses qui enrichissent le sol, tandis que ces
eaux, dirigées immédiatement sur les rivières, ne
pourraient que les polluer et détruire le poisson
qu'elles renferment.
Les eaux employées il l'irrigation ont des origi-
nes diverses. Mais on peut les placer dans quatre
catégories :
1" Les eaux de source ou de ruisseau. Le pro-
priétaire du sol a le droit de capter les sources qui
sortent de terre sur son fonds, et de les employer
à sa convenance. Il peut donc les employer à des
irrigations. Il en est de môme des eaux des ruis-
seaux qui traversent les propriétés, mais on est
obligé de les rendre à la sortie de celles-ci.
2° Les eaux de rivière arrosant les terrains sub-
mersibles. Sur les bords de la plupart des rivières,
surfout dans les pays de plaines, les terres du
fond de la vallée sont souvent couvertes par les
eaux quand le niveau monte et surtout quand il y
a des débordements. C est là une irrigation natu-
relle, mais souvent il est difficile de se débarrasser
de l'excès d'eau qui peut être nuisible.
:i° Les eaux des canaux. Le périmètre des terres
qui peuvent être arrosées par les eaux d'une ri-
vière est très limité. Le cours de celle-ci va tou-
jours en descendant, de sorte qu'on ne pourrait
utiliser la plus grande partie de ses eaux qu'en les
élevant artificiellement. Pour parer à cet inconvé-
nient, on construit des canaux d'irrigation. Un
canal d'irrigation est une rivière artificielle qui dé-
rive les eaux d'un point déterminé, et dont le tracé
est creusé avec une faible pente en s'écartant de la
rivière d'où il part, et en suivant la ligne de faîte
des terres à irriguer. Il lui faut souvent coniourner
des obstacles, traverser des bas-fonds sur des
remblais ou même des aqueducs, de manière à
embrasser le périmètre le plus étendu qu'il est
possible d'atteindre. Parfois il revient, sur un point
plus bas, à la rivière d'où il part; d'autres fois, il
déverse dans une autre rivière l'excédant de ses
eaux qui n'a pas été utilisé. Les canaux d'arrosage
sont donc des entreprises considérables : le plus
lURIGATIONS
1054
IRRIGATIONS
souvent ils sont exécutés par l'État ou par des
compagnies concessionnaires ; ce n'est que dans
de rares circonstances qu'ils peuvent être faits par
des particuliers.
Les eaux des canaux de navigation sont parfois
utilisées, sur leur parcours, pour des travaux d'ir-
rigation.
4° Les eaux élevées arlificiellement. L'eau des
puits peut être employée pour les irrigations. Il
faut avoir recours, dans ce cas, à des machines
élévatoires. Aujourd'hui, dans un certain nombre
de grandes exploitations, on emploie, à cet efl'ct,
des pompes puissantes mues par de grandes ma-
chines i vapeur. Mais le plus souvent on élève
l'eau avec une noria mise en mouvement par un
manège à chevaux ou à mules. La noria est une
machine dont l'origine remonte i l'antiquité; elle
consiste en une grande roue placée au-dessus du
puits, sur laquelle s'enroule une longue corde ou
chaîne qui descend dans celui-ci; sur cette chaîne
.■^ont fixés des vases en terre qui se remplissent au
fond du puits et déversent en haut leur contenu,
en tournant sur la roue, dans une rigole qui aboutit
à \in réservoir. L'antique noria a été perfectionnée
par les constructeurs modernes, et il y en a aujour-
d'hui d'excellents modèles. D'autres fois, on emploie,
pour l'élévation artificielle des eaux, des turbines,
des roues hydrauliques, des vis d'Archimède, etc.
Les machines élévatoires peuvent aussi servir à
élever l'eau des rivières, pour l'amener sur les
terres hautes.
Enfin h cette catégorie appartiennent encore les
irrigations faites avec les eaux des puits artésiens.
Ces eaux sont recueillies dans des réservoirs ana-
logues à ceux adoptés pour emmagasiner les eaux
de source, et elles sont répariies sur les terres sui-
vant les besoins de la culture.
Dans les régions méridionales, les irrigations
sont appliquées au plus grand nombre des cultures.
Elles sont adoptées pour les céréales, les cultures
arbustives, les légumineuses, les plantes potagè-
res, comme pour les prairies naturelles ou arli-
licielles. Dans le centre de la Frajice, au contraire,
sauf quelques cas particuliers où on les emploie dans
les cultures potagères, les irrigations sont presque
exclusivement réservées aux prairies naturelles. Et
même, dans le raidi, ce n'est souvent qu'i titre
exceptionnel que les irrigations sont faites sur les
céréales et les cultures arbustives, dans les an-
nées particulièrement sèches; elles sont presi|uc
toujours réservées aux plantes potagères et fourra-
gères. Il en résulte que, le plus souvent, quand on
parle d'irrigation, on s'occupe des irrigations des
prairies.
Le terme générique d'irrigations est réservé à
l'ensemble de l'opération. On désigne sous le nom
d'arrosage l'opération partielle qui consiste h faire
couler l'eau sur le sol pendant un temps déterminé.
Ainsi, si, pendant une saison, on couvre deux ou
trois fois une prairie d'eau, on dit que l'irrigation
lie cette prairie comporte deux ou trois arrosages.
Suivant la saison dans laquelle les irrigations
sont faites, on distingue entre les irrigations d'été
l't les irrigations d'hiver. Les irrigations d'été se
t'ont du 1" avril au 30 septembre ; quant aux irri-
gations d'hiver, elles se pratiquent depuis la fin du
mois d'octobre jusqu'au printemps Dans quelques
pays, on emploie ces deux modes d'irrigation si-
multanément. C'est ainsi que, dans le Limousin
par exemple, les prairies sont arrosées pendant
l'hiver et au printemps, puis pendant l'été, après
la fauchaison, pour activer la pousse des regains.
Ailleurs, au contraire, les irrigations sont exclusi-
vement des irrigations d'été. Dans la Provence, les
canaux d'arrosage chôment à partir du 1" octobre,
et ils ne donnent l'eau qu'après le i" avril. D'une
manière générale, les irrigations d'hiver sont sur-
tout des irrigations fertilisantes ; l'eau couvre le sol
pondant longtemps, et elle s'y dépouille des subs
tances qu'elle peut renfermer. Quant aux irriga-
tions d'été, elles agissent surtout physiquement ;
elles fournissent aux plantes l'énorme quantité
d'eau nécessaire à leur évaporation, et elles en ac-
tivent la végétation.
Pratique îles irrignlions. — Après ces indica-
tions sur les manières de se procurer l'eau et sur
les diverses sortes d'irrigations, il faut insister
sur la pratique des irrigations, d'abord pour les
terres arables, puis pour les prairies.
Il convient d'abord d'indiquer la quantité d'eau
nécessaire pour les irrigations, suivant les circon-
stances. Dans le midi, il est admis comme une
règle que la quantité d'eau nécessaire à un hec-
tare, pour une irrigation d'été complète, doit cor-
respondre à un litre par seconde pendant la saison
des arrosages, c'est-i-dire pendant les six mois
d'avril h septembre inclusivement; c'est donc une
quantité totale de 15,550 mètres cubes d'eau en-
viron qu'un hectare doit recevoir. C'est sur cette
règle que sont fixées les concessions d'eau faites
aux canaux d'irrigation et que sont déterminés les
périmètres que ces canaux peuvent arroser. Mais
cette quantité totale d'eau n'est pas donnée en une
seule fois ni d'une manière continue. Elle est ré-
partie sur la surface en un nombre d'arrosages
plus ou moins considérable, à intervalles plus ou
moins longs, suivant la nature des cultures, les
règles locales et les usages, etc. Pour régler cha-
que arrosage, on se sert, sur les rigoles de répar-
tition de l'eau, de vannes d'un débit déterminé,
que l'on ouvre pendant un temps qui varie sui-
vant la quantité d'eau qu'il .s'agit de donner h la
terre. Quant aux irrigations d'hiver, les quantités
d'eau qui y sont employées sont beaucoup plus
considérables ; les exemples sont nombreux où,
pendant les mois d'hiver, on donne au sol plus de
50 litres d'eau par seconde et par hectare; la pro-
portion atteint même parfois 150 litres.
Il est certain que la quantité d'eau à employer
doit varier, d'une manière générale, suivant les
climats, la nature du sol et les plantes que l'on
cultive. Elle dépend beaucoup des circonstances.
Dans los cultures potagères, on va souvent jus-
qu'au double et même au triple des quantités qui
viennent d'être indiquées; on a même cité des
exemples où il a été employé des quantités encore
plus considérables.
Quelquefois, on n'a qu'une faible quantité d'eau
i sa dispositioii. Dansées circonstances, on la ré-
partit au mieux des intérêts des cultures, d'a-
près la saison, la nature des terres, leur perméa-
bilité et les autres conditions particulières.
Le sol doit être aménagé d'une manière spéciale
pour les irrigations. Les travaux préliminaires va-
rient suivant la disposition du sol ; ils ne seront
pas les mêmes s'il est à peu près plan, ou s'il est
en pente assez prononcée.
Irriga/iim des terres cultivées. — Les méthodes
d'irrigation des terres arables sont assez nombreu-
ses, mais elles peuvent être ramenées h trois ou
quatre types principaux qui, dans la pratique, sont
assez souvent combinés ensemble.
1° Irrigation par déversement. — On entoure le
champ (dans ce qui va suivre, nous supposerons
toujours qu'il s'agit d'un champ unique, ce qui est
dit d'un champ pouvant s'appliquer ix un ensem-
ble de cultures) par des rigoles communiquant à
leur point le plus élevé avec le canal ou le fossé
d'amenée de l'eau. La rigole de la partie inférieure
est dite rigole docolature; elle serti l'évacuatioa
des eaux excédantes après l'irrigation. Pour arro-
ser, on dirige, à l'aide de vannes mobiles ou de
pierres, l'eau dans une des rigoles, et on en ferme
l'extrémité avec une vanne ou par un bourrelet en
terre. L'eau, montant rapidement dans cette rigole,
se déverse quand son niveau a atteint le bord de
IRRIGATIONS
— 1035 —
IRRIGATIONS
celle-ci, et elle so répand en nappe dans le cliamp.
Une grande partie est absorbée par la terre, avant |
d'arriver h la rigole de colature ou d asséclienient
il la partie inférieure. L'eau en excès s'échappe par
'^°Pom''r.ue l'irrigation par déversement fonctionne
régulièrement, il importe que le cliamp naît
qu'une faible déclivité, et en outre que le bord di,
la rigole d'arrosage soit bien horizontal, pour que
l'eau ne s'écoulo pas plus sur un point que sur
l'autre ; on obtient cette horizontalité, au besoin,
nar quelques remblais faits avec un peu do terre
rapportée. 11 est inutile d'insister sur la nécessite
d'aplanir, avant l'arrosage, le sol, pour que 1 eau
ne s'arrête ni ne séjourne dans des parties lor-
mant vallon. 11 y a en outre, quand le sol est sa-
blonneux, h veiller à ce que le déversement de
l'eau ne se fasse pas avec une trop grande rapidité ;
il se produirait, dans ce cas, dos ravinements qu U
est essentiel d'éviter.
La même méthode peut être appliquée de ma-
nière il arroser un champ par parties. On sépare
alors celles-ci par de petits bourrelets, et on leur
distribue successivement Peau, d'après les règles
qui viennent d'être indiquées. . .
Quand on n'a à sa disposition qu une quantité
d'eau limitée, on arrête le déversement lorsque
l'eau a couvert les trois quarts ou les quatre cin-
quièmes du champ ; la partie inférieure s'arrose
par approche et par imbibition, et il ne s'échappe
qu'une très faible quantité d'eau dans la rigole de
colature. ^ 1 j
2" Irrigation par submersion. — Cette méthode
ressemble i laprécédsnte par la disposition géné-
rale des rigoles d'arrosage. Mais le champ est en-
touré, en outre, par des bourrelets qui retiennent
l'eau. Celle-ci est ainsi retenue à la surface, et
elle y demeure pendant un certain temps. Quand
on juge que la submersion est snffisammeni pro-
longée, on pratique une saignée dans le bourrelet
k la partie basse du champ, et l'eau qui n'a pas été
absorbée par le sol s'écoule dans la rigole de co-
Cette manière de faire évite quelques-uns des
détails de la méthode précédente ; mais elle peut
ofl'rir des inconvénients au point de vue des fonc-
tions des plantes qu'on maintient complètement
sous l'eau, et du limon qui peut se déposer sur les
feuilles, lorsque les eaux en sont chargées.
3» Irrigation par raies. — Elle consiste à diviser
le champ en sillons larges ou planches de 1 mè-
tre à l'°,50 de largeur, dirigées h peu près dans
le sons de la plus grande pente, et à tracer la
rigole principale d'arrosage perpendiculairement
à ces raies, à la partie supérieure du champ. L'eau
est dirigée de la rigole dans ces raies, et elle y
séjourne un certain temps. Elle pénètre dans la
terre des planches par infiltration ou imbibition.
Quand on juge celle-ci suffisante, on fait écouler
l'excédant de l'eau dans une rigole de colature.
Ce système est celui qui est le plus fréquem-
ment adopté pour les irrigations des céréales, des
cultures maraîchères ou potagères, des jardins. Il
donne presque toujours d'excellents résultats, et il
présente l'avantage d'éviter l'action directe de l'eau
sur les tiges et les organes foliacés de plantes sou-
vent délicates.
Dans tous ces systèmes, un point sur lequel il
faut insister, c'est qu'il est indispensable d'assurer
l'écoulement régulier des eaux après l'arrosage.
Autant la pratique des irrigations est utile quand
elle est oien organisée, autant elle peut devenir
dangereuse quand l'excès (les eaux nu s'écoule pas
et reste sur le sol. Il faut que celui-ci se ressuie
rapidement ; autrement les plantes cultivées pour-
rissent ou végètent mal, et elles sont remplacées
par de mauvaises herbes qui aiment les eaux sta-
gnantes.
[niijatioti des pi-airks. — Quand les prairies
font partie d'une exploitation sur laquelle les irri-
gations d'été sont praticiuées, elles peuvent être
arrosées suivant l'une des méthodes qui viennent
d'être indiciuées. Mais quand on établit des irriga-
tions spéciales pour les prairies, comme c'est le
plus souvent le cas dans une grande partie de la
France, on a recours, surtout pour les irrigations
d'hiver, h des méthodes spéciales.
Le plus souvent, pour l'arrosage spécial des prai-
ries, les eaux dont on peut disposer sont des eaux
de ruisseaux, de torrents et surtout de sources.
C'est au propriétaire ou à l'exploitant à les amé-
nager pour en tirer le plus grand profit A cet
effet, des réservoirs sont construits à la partie
supérieure des terres, et des rigoles ou canaux
partent de ce réservoir pour amener l'eau aux
prairies h arroser. Ces rigoles sont fermées par des
bondes qui permettent de prendre au réservoir la
quantité d'eau qui est nécessaire. Des agriculteurs
intelligents savent même, sans avoir de sources,
se procurer de l'eau en créant des réservoirs et
on y amenant par des fossés les eaux pluviales
provenant des fonds supérieurs. Ailleurs, on em-
magasine dans le même but des eaux provenant
des terres drainées. L'eau étant procurée, d'une
manière ou d'une autre, et étant amenée par un
fossé à la partie supérieure d'une prairie, nous
allons indiquer quelles sont les différentes méthodes
adoptées pour l'y distribuer avantageusement.
1° Irrigations par les rigoles de niveau. — Cette
méthode s'applique surtout aux prairies en pente.
Elle consiste à faire dans la prairie, transversale-
ment à la pente, une série de rigoles tracées de
manière à conserver toujours le même niveau, et
suivant les sinuosités du terrain. Lorsque l'eau
remplit une de ces rigoles, elle se déverse par son
bord inférieur et se répand en nappe sur l'herbe
en aval, jusqu'à ce qu'elle atteigne la rigole infé-
rieure, qui forme une nouvelle nappe qu'elle dé-
verse en dessous, et ainsi de suite jusqu'au bas de
la prairie. Sur ces artères principales s'embran-
chent de petites rigoles qui se dirigent h droite et
à gauche, sans issue, de manière h faciliter la for-
mation des nappes.
Par cette méthode, les diverses parties de la
prairie sont arrosées successivement, et l'eau en
excédant s'échappe par un canal de colature, où elle
peut être employée pour arroser une autre prairie.
Pour égoutter la prairie, quand ,1e sol n'estH pas
suffisamment perméable, on pratique quelques
saignées dans les rigoles secondaires, et elles se
vident assez facilement.
Ce système demande une grande surveillance de
la part de l'irrigateur, pour maintenir l'eau à un
niveau convenable dans les rigoles, pour l'empê-
cher de séjourner dans les vallonnements du sol,
et pour couvrir d'une manière à peu près uniforme
toutes les parties do la prairie.
2° Irrigations par razes ou par rigoles rectilignes
inclinées. — Ce système diffère du précédent on
ce que, pour la construction des rigoles de distri-
bution,' on ne s'astreint pas à suivre les lignes de
niveau. Elles sont prises sur les rigoles princi-
pales qui suivent les lignes de plus grande pente,
et elles s'en écartent en ligne droite, plus larges
k leur commencement qu'à leur extrémité. Au bas
de la praii'ie, comme précédemment, sont tracées
les rigoles de colature.
Dans ce système, l'eau court dans les rigoles
avec une assez grande rapidité; c'est pourquoi on
lui donne quelquefois le nom de système de rigo-
les à eau courante. Quant à la répartition des
ri<'oles de distribution et des rigoles d'arrosage,
elîo peut varier dans des proportions très grandes
suiviint la configuration du terrain, la peine, etc.
:i" Irrigations par planches en ados. — C'est la
méthode généralement adoptée pour les prairies
IRRIGATIONS
1056
IRRIGATIONS
en terrain plat ou dont l'inclinaison n'atteint pas
5 cent, pour 1 mètre.
Le canal d'amenée de l'eau longeant un des
côtés de la prairie, celle-ci est divisée en planches
bombées plus ou moins larges ; le plus souvent la
largeur des planches est de 8 mètres ; elle est
quelquefois de ii mètres, et elle atteint parfois
20 mètres. Le relief de ces planches est, en géné-
ral, de 20 cent, pour les planches étroites; il peut
atteindre bO cent, pour les planches les plus
larges. Un canal de distribution de l'eau est tracé
sur la ligne de faite de chaque planche. Lorsque
ce canal est rempli, l'eau se déverse à droite et à
gauche, pour atteindre des rigoles de colature
creusées entre les planclies. Ces rigoles de cola-
ture aboutissent toutes à un fossé de colature qui
court h la partie inférieure do la prairie. Quand
on veut faire des arrosages abondants, on ferme
l'extrémité des rigoles de colature, de manière à
maintenir pendant le temps nécessaire l'eau sur
les planches.
Ce système est particulièrement avantageux dans
les sols argileux et de nature de glaise, parce
qu'il assure l'égouttement régulier de toute l'eau
qui n'est pas absorbée par le sol. Le renouvelle-
ruent de l'eau est d'ailleurs rapide et complet, et
il n'y a jamais danger de stagnation ni de ses multi-
ples inconvénients. C'est le système qui a été adopté
dans les célèbres prairies du Milanais soumises
^ux irrigations d'hiver connues sous le nom de
marciles.
i° Irrigations en terrasses. — Sur les coteaux
rapides, on dispose parfois le sol en terrasses
successives soutenues par des murs en pierres
sèches. Pour arroser ces terrasses, on crée des
rigoles de distribution d'eau h la partie supé-
rieure, et des rigoles de colature à la partie infé-
rieure; l'iirigation se fait alors par déversement,
comme il a été dit plus haut.
Quelle que soit la méthode d'irrigation adoptée,
elle exige, comme on l'a vu, des travaux impor-
tants : creusement de fossés et de rigoles, terras-
sements parfois considérables, etc. En cmtre, il
est de la plus haute importance que les fossés et
les rigoles soient toujours en bon état d'entretien ;
que leurs bords soient protégés contre l'érosion de
l'eau, qu'ils soient refaits en cas de détérioration
par un courant trop violent; que les rigoles soient
périodiquement débarrassées des dépôts limoneux
qui pourraient finir par les obstruer. Tous ces tra-
vaux exigent des dépenses, mais ces dépenses sont
largement récupérées par le produit des irrigations.
E/fets ries inii/ations. — Le premier effet des
irrigations est d'augmenter, dans des proportions
très considérables, le produit de la terre. A
quelque culture que l'on applique les arrosages,
les effets sont toujours les mêmes; mais ils sont
surtout manifestes pour les cultures maraîchères et
pour les prairies.
En ce qui concerne les cultures maraîchères,
l'emploi de l'eau permet, dans le midi, d'obtenir,
dans la même année, une succession ininterrompue
de récoltes sur un sol qui n'en porterait aucune
s'il n'était pas arrosé.
Quant aux prairies, les irrigations d'hiver ont
pour résultat d'assurer une fauchaison abondante,
et de mettre la production fourragère absolument
à l'abri des sécheresses qui, au printemps, em-
pêchent souvent la pousse de l'herbe. Ces mêmes
prairies, arrosées après la première coupe, donnent
un regain très abondant, et, si la saison est pro-
pice, elles peuvent encore fournir une troisième et
une quatrième coupe. Dans le midi, sous la
double influence de la chaleur, d'irrigations abon-
dantes, et aussi de fumures copieuses, les prairies
peuvent donner plus de 10,00o kilog. de fourrage
sec par an, et les luzernes atteignent un produit
qui dépasse quelquefois 15,000 kilog.
Il est, en effet, absolument nécessaire, pour
maintenir et accroître la production des prairies
arrosées, de leur donner des engrais en assez
grande abondance. Plus la vie végétale est active,
et plus elle enlève au sol de principes utiles. Les
eaux d'arrosage ne peuvent, le plus souvent, que
lui en rendre une faible portion. Le rôle de la
fumure est de combler cette lacune. La loi de la
restitution est générale en agriculture, et elle
trouve aussi bien son application dans les cultures
irriguées que dans toutes les autres.
L'augmentation de production des terres irriguées
amène naturellement un accroissement propor-
tionnel dans leur valeur locative aussi bien ([ue
dans leur valeur vénale. L'application des irriga-
tions sur des terres suffit toujours pour en doubler
et en tripler la valeur, souvent pour la quintupler,
et parfois même pour la décupler. Les exemples
de cette plus-value sont multiples, et ils se ren-
contrent presque tous les jours. C'est surtout dans
le midi qu'ils sont frappants; dans la Provence,
par exemple, les terres soumises à l'irrigation ont
dix fois la valeur des terres non arrosées; c'est
que, sous ce climat si sec, les premières donnent
d'admirables récoltes, tandis que les secondes ne
donnent presque rien.
Il n'est pas étonnant qu'en présence de ces
faits, l'eau employée aux irrigations ait parfois une
valeur vénale considérable. Les compagnies pro-
priétaires des canaux d'arrosage, dans les départe-
ments méridionaux, font souvent payer l'eau très
cher. Néanmoins les cultivateurs la recherchent
avec ardeur, et on demande de tous côtés la
création de nouveaux canaux. C'est là, en effet,
une œuvre de la plus haute utilité, non seulement
au point de vue de la production agricole, mais au
point de vue plus élevé du développement de la
richesse générale du pays.
Iirigatioiis avec les eaux industrielles. — Jus-
qu'ici il n'a été parlé que des irrigations faites avec
les eaux naturelles. Dans certaines circonstances
spéciales, on peut se servir avec avantage des eaux
provenant de certaines usines, et qui sont chargées
de substances pouvant être particulièrement pro-
pices à la végétation.
C'est ainsi que les eaux provenant des féculeries,
des distilleries, des sucreries, les eaux de lavage
des laines dans les fabriques de drap, etc., peuvent
être employées aux irrigations avec un grand
profit. Ces eaux, quand elles sont dirigées dans
les rivières, les polluent, tandis que, dirigées sur
les prairies, elles en accroissent notablement la
production.
Dans la plupart des cas, les résidus des usines
doivent, pour produire un effet utile, être étendus
d'une grande quantité d'eau. En effet, si ces eaux
sont trop chargées de certains sels, ceux-ci peuvent
avoir une influence néfaste sur la végétation. En
outre, il est important de les employer sur des
terres suffisamment perméables pour les absorber
sa«s que la surface retienne un excès nuisible de
sels contenus dans ces eaux.
Irrigritions avec les eaiu iFéyout. — Les eaux
d'égout sont un des fléaux des grandes villes, qui
ne peuvent s'en débarrasser qu'en les rejetant dans
les rivières voisines, au grand détriment de la sa-
lubrité publique. Des expériences nombreuses
faites en Angleterre, en Italie et en France, ont
démontré que le meilleur système pour utiliser les
eaux d'égout et les épurer, sans perdre les prin-
cipes fertilisants qu'elles renferment en grandes
quantités, est de les employer à des irrigations.
L'eau des égouts filtre ii travers le sol qu'elle
arrose, et elle s'y débarrasse de ses impuretés,
pour en sortir à l'état de limpidité complète. C'est
ce qui ressort des expériences faites par la ville
de .Paris dans la presqu'île de Gennevilliers. Les
irrigations par les eaux d'égout y ont donné les
IRRIGATIONS
— 1057
ISRAELITES
])lus reniai'ciuables résultats, tant pour la produc-
tion fourraKÙrc que pour les cultures maraîchères.
Mallioureusement, il est difficile de trouver des
surfaces assez considérable? pour utiliser do cette
manière la quantité énorme d'eaux d'égout que
produisent les grandes villes.
Oii a parfois émis dos craintes relativement
à la qualité des produits venus dans des cliamps
arrosés avec des eaux d'égout. Les faits ont dé-
montré que ces craintes étaient chimériques : les
légumes et les fourrages qu'ils produisent ne pré-
sentent aucune différejice avec ceux venus dans les
conditions ordinaires.
Dessèchciiietits. — Les travaux d'irrigation se
trouvent parfois liés à des travaux d'assainisse-
ment ou de dessèchement de terrains marécageux
ou môme complètement inondés. Quand ces ter-
rains occupent de vastes surfaces, il y a lieu, pour
les dessécher, de se livrer h de grands travaux
qu'il est impossible d'indiquer ici. Mais quand ils
sont limités à des portions de domaines, aux rives
d'un petit cours d'eau, l'exploitant ou le proprié-
taire peuvent les entreprendre assez facilement.
Souvent, s'il s'agit de terres rendues maréca-
geuses par le passage d'un ruisseau, il suffira de
creuser un peu le lit de celui-ci, et de le resserrer
par des remblais peu élevés sur chaque rive, pour
ressuyer les terres voisines. Mais quand il s'agit
de terres rendues marécageuses par des sources,
il faut creuser des rigoles et des fossés pour donner
issue aux eaux par de véritables ruisseaux créés de
main d'homme. Le drainage * peut aussi rendre
des services dans de semblables circonstances.
Mais, dans tous les cas, il est essentiel de donner
un écoulement facile à l'eau.
A ces travaux se rattachent ceux du dessalage
des terres conquises sur la mer ou voisines de
celle-ci. Quand le sol est de nature assez com-
pacte, deux ou trois irrigations suffisent souvent
pour le dessaler pour toujours. Mais il n'en est
pas de même pour les sols perméables, ou h sous-sol
perméable, comme il en existe beaucoup sur les
bords de la Méditerranée, notamment dans la Ca-
margue. Dans ce cas, l'eau salée renfermée dans le
sous-sol tend h remonter, par capillarité, pour rem-
placer l'eau des couches superficielles, au fur et à
mesure qu'elle s'évapore. Le sel remonte en même
temps, et forme à la surface des efllorescences
faciles i reconnaître. On ne peut dans ces natures
de terre, du moins jusqu'ici, que se débarrasser
^ temporairement de cette salure, par de fortes irri-
gations d'hiver.
Colmatage. — On désigne sous ce nom une
opération qui a pour but de former sur un terrain
naturellement stérile une couciie de terre suscep-
tible d'être soumise à la culture et de donner des
produits. Cette pratique, originaire d'Italie, a
donné, dans diverses circonstances, en France,
d'excellents résultats. Elloxonsiste à amener sur
ces terrains, à l'aide de canaux spéciaux, les eaux
limoneuses des rivières, et à les y faire séjourner
pendant quelque temps, pour qu'elles y déposent
la plus grande partie de leur limon. Les terres à
colmater sont entourées do digues, de manière à
retenir les eaux. Quand l'action de celles-ci est
achevée, on les fait évacuer, avec une faible vitesse,
par la partie la plus basse.
Le meilleur moment pour employer les eaux au
colmatage est celui des grandes crues, car c'est
alors que les eaux renferment la plus grande pro-
portion do matières limoneuses. La rapidité avec
laquelle le colmatage se fait dépend de la nature
des eaux, ainsi que des proportions de limon qu'el-
les renferment.
_ Suhmersion des vignes. — La dernière applica-
tion des eaux dont nous ayons k parler est leur
**?/ ^ la submersion des vignes, suivant le pro-
cède imaginé par M. Faucon pour détruire le
ii' Ta-.tie.
phylloxéra *. La submersion des vignes se fait à
l'autonuie, après les vendanges, ou au commence-
ment de l'hiver. Elle doit durer au moins de trente
i quarante-cinq jours, et le vignoble doit être
complètement maintenu sous l'eau, depuis le com-
mencement de l'opération jusqu'il la fin.
L'efficacité de la submersion est aujourd'hui
démontrée par une pratique de près de dix ans.
Mais il est nécessaire que le sous-sol ne soit pas
perméable à l'excès ; dans ce cas, l'eau ne pourrait
pas être maintenue d'une manière assez complète
sur la vigne. Cette pratique a trouvé des applica-
tions assez nombreuses dans le Midi et dans le Bor-
delais.
Des fumures dans les terres irriguées. — C'est
une idée assez généralement répandue que l'irriga-
tion peut dispenser de l'emploi des engrais. C'est
une erreur contre laquelle on doit réagir, quand
il s'agit d'irrigations faites avec des eaux qui ne
sont pas chargées de matières fertilisantes.
En effet, l'irrigation a pour effet d'activer la
puissance de la végétation et d'augmenter la quan-
tité des produits récoltés. Sous cette influence, les
plantes empruntent au sol une plus grande quan-
tité de principes utiles. Il y a donc appauvrisse-
ment de celui-ci, et cet appauvrissement n'est que
faiblement compensé par ce que l'eau apporte,
surtout dans les irrigations d'été. Il est donc in-
dispimsable de faire au sol, par des engrais, la
restitution nécessaire pour qu'il puisse donner de
nouvelles récoltes. [Henry Sagnier.]
ISLANDE. — V. Sca7idinaves (Ktnts).
ISRAÉLITES. — Histoire .générale, IV. —
L'histoire des Israélites est surtout celle de leurs
idées morales et religieuses. Manifestées d'abord
dans un petit pays de l'Orient, au sein d'une fa-
mille de pasteurs nomades, ces idées sont, après
bien des crises, devenues celles d'un peuple, puis
se sont répandues dans l'humanité Pour les com-
prendre dans leur développement primitif, il faut
donc étudier le milieu où elles se sont produites,
les circonstances qui les ont contrariées et le peu-
ple qui s'en est fait le propagateur. Nous verrons
ce peuple naître, grandir et disparaître politique-
ment; mais ses idées lui survivent et deviennent
le patrimoine de l'humanité.
GÉoGri \PHiE DK L* PALESTINE. — La Palestine, où
ont vécu les Israélites, a été le berceau de nos re-
ligions européennes; elle porte différents noms
qui résument toute son histoire : Terre de Canaan,
Terre Promise, Terre d'Israël, Terre Sainte, Judée.
Située sur le bord oriental de la Méditerranée,
elle avait pour limites au nord la Phénicie, le
Liban et le territoire de Damas; il l'est, elle s'é-
tendait jusqu'au désort, et, au sud, sa frontière par-
tait de la mec Morte et suivait le torrent d'Egypte
jusqu'à la Méditerranée.
La Palestine est un pays de montagnes. Le Liban
ou Mont Blanc forme deux chaîries principales,
le Liijan proprement dit, et VAntilihan qui péné-
trait seul dans la terre d'Israël et dont les princi-
paux sommets sont : le Ného, où mourut Moïse ; le
Thahor, célèbre par la victoire de la pr!i])liétcsse
Déborah et, selon saint Jérôme, par la transligura-
tion de Jésus ; le Carmel, renommé par sa fertilité
et aussi par la retraite qu'y fit le prophète Elle ;
le Gell/oë, où périrent SaUl et ses fil» ; enfin les
monts .S/071 et Moria/i et la Montagne d"S Oliviers,
compris dans l'enceinte môme de Jérusalem.
Entre ces montagnes coule le Jourdain, seul
fleuve du pays, qtii prend sa source au nord dans
la groitcde /'anéas, traverse les lacs de Mé-om et
Ac^'lihêriade, et se jette dans la Mer Morte Cette
mer, appelée aussi Lne Asphaltile, était autrefois
une' riante vallée où se trouvaient les villes de
Sodoine et de Comorrhe, déli'uitos à l'époque d'A-
braham. V* .
La fertilité de la Palestine était trjÈs grande ;
67 •
ISRAÉLITES
— 1058
ISRAELITES
dans ses plaines arrosées par la fonte des neiges
et les pluies du printemps et de l'automne, les cé-
réales et les fruits croissaient en abondance. Les
pâturages et les bestiaux y étaient nombreux : le
lait et lu miel y coulaient, dit la Bible dans son
langage figuré.
Anciens habitants.— La Palestine était habitée,
déjà avant l'arrivée des Israélites, par des peuples
restés célèbres. Au nord, les Phéniciens, les plus
grands commerçants de l'antiquité, les inventeurs
de l'alphabet; leur capitale fut d'abord Sidon et
ensuite Tijr. Au nord-est, les Syriens, qui avaient
pour capitale Dainns. Au sud les P/iilisti?is, les
Muabitcs, les Madianitts, les Idumcens, les Am-
monites et enfin les Amalécites, ennemis hérédi-
taires des Hébreux. Les habitants primitifs du pays,
les Replinhn, d'une taille gigantesque et d'un as-
pect terrible, étaient établis sur les deux rives du
Jourdain. Ils avaient été subjugués, déjà avant l'é-
poque d'Abraliam, par les Conanéein, émigrés des
environs du golfe Persique, et par les Philistins,
venus de Crète. Les Cananéens étaient divisés en
plusieurs tribus, contre lesquelles les Israélites
eurent surtout à lutter.
Religions cananéennes. — Comme les grands
peuples de la Haute-Asie et de l'Egypte, les po-
pulations palestiniennes étaient idolâtres. Les
astres étaient leurs divinités préférées. Dieux de la
vie et du plaisir, le Soleil {Banl, Adunis, c'est-à-
dire le Maître) et la Lune {Banla, Astarlé, c'est-à-
dire la Maitreii-e, la Heine du ciel) étaient les plus
populaires. Moloch (le Roi) était adoré par le
meurtre des enfants, brûlés à ses pieds; Baaiphégor
était le dieu impur des Moabites.et Dngon, moitié
homme, moitié poisson, celui des Philistins. Le
culte avait lieu sur les hauteurs, dans des bosquets
consacrés ; des fêtes funèbres ou joyeuses célé-
braient périodiquement Adonis mort ou ressuscité,
c'est-à-dire le soleil que l'hiver éloigne ou que le
printemps ramène. Les prêtresses s'arrachaient les
cheveux, les prêtres se lacéraient le corps et les
fidèles se jetaient dans les excès les plus odieux.
On consultait les mouvements des serpents, la
forme des nuages, les tressaillements des victimes
qu'on sacrifiait. On demandait, avant d'agir, les avis
des pythonisses ou des ohoth, sorte de sorciers
qui prétendaient avoir la puissance de faire parler
les morts.
Au milieu de ces excès, tout sentiment moral
avait disparu. La probité était méconnue ; le tra-
vail, méprisé; la vie humaine, comptée pour rien ;
les devoirs de la famille, ignorés absolument. Les
femmes, regardées comme des êtres inférieurs,
étaient prises et renvoyées sans égard ni pour les
liens de la parenté, ni pour les lois du mariage.
En un mot, la dépravation était universelle et c'é-
tait la religion qui l'entretenait.
Traditions isr.\élites primitives. — Environ seize
siècles avant notre ère, un peuple de pasteurs, les
Hébreux ou Israélites, qui comptait environ trois
millions d'individus, quittait l'Egypte, conduit par
un homme extraordinaire, Moïse, fils d'Amram, et
se dirigeait vers la Palestine, où ses premiers an-
cêtres avaient habité et dont il allait revendiquer
l'héritage par les armes. Cette migration de pas-
teurs devait avoir sur l'iuinianité entière une
influence considérable. Ces tribus en efl'et portaient
avec elles des idées religieuses qui étaient la né-
gation formelle des dogmes dégradants de la
Palestine et de tout le monde ancien, et qui devaient
être le salut moral des hommes dans un avenir
encore lointain.
Les Israélites n'adoraient pas la nature; ils la
croyaient au contraire l'œuvre d'une force intelli-
gente suprême, d'un Dieu unique qui « dès le
principe avait crée le ciel, la terre, » les astres
et. tous les êtres. Après la création. Dieu, selon
les croyances Israélites, continue à gouverner l'u-
nivers; il y maintient l'ordre et le bien. L'espèce
humaine est son œuvre de prédilection ; faite à l'i-
mage divine, elle a le devoir et le droit de remplir
et de dompter la terre. Pendant la création qui,
suivant les traditions hébraïques, a duré six pério-
des, Dieu lui-même a travaillé ; à son imitation,
l'homme doit travailler six jours et se reposer le
septième, comme signe de sa haute dignité.
Les Israélites croyaient aussi par tradition à l'u-
nité des hommes, à la sainteté du mariage et de la
vie humaine, à la liberté et à la responsabilité.
Adam, c'est-à-dire la terre, le so!, et Eve, c'est-à-
dire la vie, sont nos premiers parents à tous. Eve
est de la même chair qu'Adam, c'est-à-dire son
égale, son épouse. Libres d'obéir ou de désobéir à
Dieu, sauf à être récompensés' ou punis, ils ont,
par leur faute, perdu, pour eux et leurs descen-
dants, le bonheur dont ils jouissaient; leur fils,
Cain, meurtrier de son frère Abel, a été poursuivi
par la justice divine et n'a plus trouvé de repos
nulle part. De même, après plusieurs siècles,
quand un déluge universel est venu désoler la terre,
c'était en punition de la perversité générale. Noé,
le seul juste de son temps, échappe au fléau, et ce
sont ses descendants, issus de ses trois fils, Sern,
Cham et Japhet, qui repeuplent le monde. Une cu-
rieuse table de leurs migrations, conservée par les
Israélites, semblait le témoignage que, malgré la
dispersion des hommes et la diversité des langues,
les peuples ont une origine commune.
Les Israélites ne prétendaient pas être arrivés
d'un coup à des traditions religieuses si pures ; ils
conservaient le souvenir de plusieurs ancêtres mé-
sopotamiens qui étaient idolâtres, et ils faisaient
remonter à .4i)Y//iom,fils de Tharé,la première ma-
nifestation de leurs croyances. Abraham (c'est-à
dire le Père élevé) avait quitté son pays pour se
soustraire aux influences païennes, s'était établi en
Palestine et s'y était fait une grande place par ses
vertus. Il paraît avoir reconnu de bonne heure
l'existence d'un Etre suprême ; c'est là sa vocation
religieuse, féconde en bienfaits pour les hommes.
Son Dieu, en efl'et, qui l'inspire dans de fréquentes
visions, se montre à lui tout à la fois comme le
protecteur et comme le justicier suprême des
hommes; il est toujours prêta pardonner en fa-
veur des justes, mais il n'hésite pas à frapper les
méchants endurcis ; il est, par exemple, l'auteur
de la catastrophe terrible dans laquelle ont péri
Sodonie et Goinorrlie, à cause de leurs crimes
odieux ; il apprend donc à Abraham à repousser
les mœurs immorales et les sacrifices humains des
Palestiniens barbares, et s'il accepte des ofl'randes
et des prières, il veut par dessus tout que ses ado-
rateurs marchent dans le chemin de la charité, de
la justice et du droit.
Cette religion fut léguée par Abraham à son fils
Isaac et par Isaac à son fils Jacob. Isaac, homme
très modeste, laisse peu de souvenirs. Jacob, au
contraire, a une existence fort remplie. Après
avoir eu des torts envers son frère aîné Esaù,
dont il sut plus tard obtenir le pardon ; après avoir
travaillé vingt années, subi de grands malheurs
qui ne purent abattre son courage, et mérité le
beau nom d'Israël, c'est-à-dire lutteur divi?i, Jacob
laissa, avec sa bénédiction, l'idée religieuse de sa
famille à ses douze fils et à leur descendance, dont
un concours extraordinaire de circonstances ne
tarda pas à faire un peuple puissant.
Epopée égvptienne. — Jvsepli, un des fils d'Is-
raël, avait été vendu comme esclave par ses
frères qui le haïssaient ; mais, grâce à son intelli-
gence, il devint, dans l'Egypte où il avait été con-
duit et qu'il sauva de la famine, premier ministre
du Pharaon ou souverain de ce pays. Oublieux
des injures, il fit du bien à ses frères et les établit
dans la fertile province de Gessen. Les Israélites
s'y multiplièrent rapidement après la mort de Joseph,
ISRAELITES
— 1039
ISRAELITES
«rontinuèrenl;\ vivre en pasteurs, etrestèrcnt séparés
de la grande nution au sein do laquelle ils avaient été
amenés. L'hostilité se déclara bientôt rentre eux.
Un prince, probablement Ramsès II, qui no se
souvenait pas des services de Joseph et qui se
préoccupait des embarras dont les Israélites pou-
vaient être la cause en cas de guerre, essaya de
les affaiblir par un travail excessif et par des
cruautés odieuses. 11 ordonna que leurs petits gar-
çons fussent étouffés on naissant ou jetés dans le
Nil. Ces desseins abominables échouèrent ; une
mère Israélite, Joi-ated, osa désobéir au tyran ;
elle cacha d'abord son fils, et l'exposa ensuite sur
le fleuve. La fille même du Pharaon le recueillit,
l'adopta plus tard et lui donna le nom de Moïse,
c'est-à-dire sauvé des eaux.
Initié à la civilisation égyptienne, le jeune Moïse
apprend en môme temps les traditions religieuses
de ses frères et s'indigne des cruautés dont ils
sont les victimes. Un jour, il prend ouvertement
leur parti ; obligé de fuir pour échapper à la mort,
il gagne le désert de Madian , dans la pres-
qu'île Arabique, près du Sinai ; il est accueilli par
un prêtre, nommé Jethro, dont il épouse la fille et
garde les troupeaux. Dans cette vie paisible, Moiso
pense à ses frères et au Dieu de ses ancêtres.
Comme autrefois Abraham, Isaac et Jacob, mais
avec une inspiration plus haute, il a des visions
dans lesquelles la Divinité se révèle à lui et lui
montre son devoir : ses frères souffrent, il faut
qu'il les délivre; c'est en vain qu'il hésite, se
méfie de lui-même et de ses frères, dégénérés par
la servitude; son Dieu, qui se nomme Jahvêh {Je
SUIS celui qui suis), c'est-à-dire le Dieu de la
justice éternelle, le soutiendra dans la lutte. IVIoise
se sépare donc de sa famille, et, secondé par son
frère aîné Aaro7i, homme très éloquent, il vient
demander au Pharaon Ménephta, fils de Ramsès,
la liberté pour les Hébreux.
Le roi d'Egypte refuse, et Moïse commence
contre lui une longue lutte dont le pays est trou-
blé profondément ; les traditions Israélites en tra-
cent un tableau grandiose où la poésie vient se
mêler à l'histoire. Des catastrophes nombreuses
frappent successivement l'Egypte ; c'est la voix de
Moïse qui les appelle; c'est le doigt de Dieu qui
les accomplit. Le Pharaon cède enfin en se
voyant lui-même terriblement atteint: pendant
la nuit du U au 15 du mois d'Abib (germi-
nal), alors que les Israélites, avertis et préparés
au départ, célèbrent le repas de la Pdgue (passage
de l'esclavage à la liberté), tous les premiers-nés
égyptiens et les animaux sacrés, c'est-à-dire les
prêtres et les divinités, sont frappés de mort.
Les Israélites quittent en toute hâte ce pays où
ils avaient résidé près de quatre siècles. Poursuivies
par le roi, les tribus fugitives arrivent, sous la
conduite do Aloise, à l.i poijite occidentale de la
mer Rouge, du côté où se trouve aujourd'hui Suez
Un vent d est très violent, venu de V Etemel, dit
la Bible, avait divisé les flots ; les Israélites les
traversent de nuit, à l'insu des Esyptiens, qui le
matin veulent les suivre, sont surpris par le retour
ûÇf eaux, et engloutis. Un cantique enthousiaste
célèbre cette merveilleuse délivrance, et chante le
Dieu gui a déployé sa force ; qui a précipité dans la
mer chevaux et cavaliers. Il existe sur la servitude
des Israélites et sur leur exode quelques rares docu-
ments égypti(wis, desquels il résuhe, comme de la
tradition Israélite, que la tyrannie du Pharaon a pro-
voqué une révoltedestravailleursopprimés; c'estlà
certainement une des plus glorieuses luttes d'éman-
cipation qu'ait enregistrées l'histoire de l'humanité.
Les Ishaélites dans le désert. — L'épopée
commencée on Egypte continue au delà de la
mer Les Israélites sont au milieu des plaines
du binai où Moïse avait passé les années du son
cxU, ils manquent d'eau, iU ont faim; une peu-
plade arabe, les Amalécites, vient les attaquer.
Moïse les soutient ; Josué, son disciple, bat l'en-
nemi; la Providence leur fait trouver la nour-
riture dont ils ont besoin ; leur libérateur insti-
tue des chefs qui les jugent, et il leur apporte,
au nom de Dieu, leur loi fondamentale, le Déca-
lor/ue. C'était environ trois mois après la sortie
d'Egypte ; les Israélites étaient au pied du Sinaï, où
Moïse avait eu sa première vision; il en gravit la
cime que des nuages entourent et d'où partent des
éclairs et le bruit du tonnerre, et le peuple est
témoin de la promulgation du décalogue. Le dé-
calogue pose devant 1rs Hébreux les principes pre-
miers de toute société; il est la plus haute et la
plus précise expression de la vérité morale et
sociale.
Moïse descend du Sinaï portant deux tables do
pierre sur lesquelles le décalogue était gravé ; il
voit le peuple adorant un veau d'or, image de l'A-
pis égyptien. Indigné, il brise les deux tables,
châtie les coupables, et, pour empêcher le retour
de semblables folies, fait construire un sanctuaire
où le vrai Dieu seul devait recevoir un culte, et
promulgue des lois civiles et religieuses d'une
grande sagesse. Mais un peuple ne se fait pas en
un jour ; Moïse l'éprouve bientôt. Les Israélites,
qui craignent les géants de la Palestine, refusent
d'avancer; ils erreront donc quarante ans dans le
désert, et la conquête sera réseivée à une autre
génération, plus digne du la liberté. Cette longue
expiation est fertile en révoltes intérieures et en
hostilités de la part des peuples voisins. Moïse
triomphe de toutes les difficultés, et s'il ne lui est
pas donné d'entrer en Palestine, il établit du moins
deux tribus et demie à l'est du Jourdain, et meurt
en confiant à Josué la direction de la conquête.
Il laissait dans sa doctrine un éternel monument
de sa gloire.
Loi DE Moïse. — Les Israélites n'avaient eu jusqu'à
Moïse d'autres règles de conduite que les tradi-
tions patriarcales ; malgré leur élévation sous cer-
tains rapports, ces traditions étaient loin d'être
parfaites; il fallait donc les compléter tant au
point de vue religieux qu'au point de vue social.
et en développer les tendances morales. Tel fut le
but de la législation de Moise.
Dogme. — Le Dieu que Moïse enseigne n'est
pas une divinité nationale; c'est le Créateur de
l'univers, le juge de toute la terre, le maître des
esprits de toute chair; il est éternel, infini, incor-
porel ; voilà pourquoi on n'en peut faire aucune
image. Il est unique ; c'est un Dieu jaloux, dit
figurément la Bible pour indiquer qu'il ne souffre
ni le mensonge, ni l'injustice ; mais si élevé qu'il
soit, ce Dieu est la providence universelle des
êtres; il n'est pas un Dieu de vengeance; il châ-
tie, parce qu'il est juste, mais paternellement,
parce qu'il est bon. Ainsi compris. Dieu devait
remplir la vie entière du peuple hébreu ; il est la
source de l'autorité et de la justice sociale ;
la terre lui appartient. Le gouvernement est
donc une théocratie, si l'on entend par ce mot,
non point le pouvoir sacerdotal, mais la puis-
sance impersonnelle d'une loi suprême à laquelle
tout le monde est soumis, et qui est considérée
par tous comme l'expression immuable de la vo-
lonté divine ; cette loi auguste, c'est le décalogue.
Loi poliiiijue. — Chez les patriarches, le père
était l'unique représentant de Dieu ; il gouvernait
la famille et présidait au culte. Moise ne réunit
pas ces deux autorités en une seule main pour la
direction du peuple ; il les sépare de son vivant, et
maintient cette séparation dans sa loi. Le gouver-
nement politique appartient à un chef suprême, le
Suffète i,Jugc), nommé par les Anciens d'/sraël, et
plus tard à un roi. Ce chef décide les cas difficiles
avec le grand-prètre, mais sans lui être subor-
donué ; il n'est soumis qu'à la loi seule ; c'est lui
ISRAELITES
— 1060
ISRAÉLITES
qui commande les armées. La guerre devait être
conduite avec liunianité; l'extermination des Ca-
nanéens n'a été qu'un fait exceptionnel, dont la
cause était l'immoralité horrible des cultes pales-
tiniens.
A côté du sufl'èto ou du roi se trouvait parfois
une assemblée de soixante-dix hommes, choisis par
les anciens ; chaque tribu avait son prince, cha-
que ville son conseil d'anciens, ses juges inférieurs
et ses officiers de police. Quand l'intérêt public
l'exigeait, tous ces chefs se réunissaient en assem-
blée générale de la nation, sous la présidence du
sufifète ou du roi ; on regardait leurs décisions
comme inspirées par l'Esprit divin.
La justice se rendait aussi au nom de Dieu ; on
' ne prononçait aucune peine qu'après une enquête
publique et sur la déclaration de deux témoins qui
avaient vu le fait; les condamnations capitales
étaient fort rares. Le principe général de la légis-
lation pénale Israélite était la loi du talion : ceil
pour ail, dent pour dent, etc., qui, d'après l'inter-
prétation pharisienne. ne consistait pas à prendre
au coupable un œil ou une dent en punition du
mal qu'il avait commis, mais qui obligeait à rendre
à l'ofi'ensé, par une compensation pécuniaire, la
valeur approximative du membre dont on l'avait
privé, ou, en général, du tort qu'on lui avait fait
subir .
Propriété. Famille. Esclavage. — Si Dieu est le
maître unique, tous les citoyens sont égaux; il
n'y a ni patriciens, ni plébéiens, et la loi est la
même pour tous, même pour les étrangers. Les
grandes fortunes sont rendues presque impossi-
bles par la constitution spéciale de la propriété.
La terre, qui appartient h Dieu, ne peut être ven-
due que temporairement; tous les cinquante ans,
le Jubilé la fait rentrer en possession des vendeurs
ou de leurs héritiers, et l'égalité est rétablie. Dans
la famille, comme dans la société, l'égalité est la
loi fondamentale. Le mariage est une institution
sacrée, moralement obligatoire, h laquelle les
époux sont appelés avec les mômes devoirs. 11 est
vrai que la polygamie et le divorce sont tolérés,
mais ils sont entourés de restrictions, parce qu'ils
sont contraires à l'esprit de la loi et aux vieilles
traditions Israélites. Les femmes des patriarches,
Sara, Kebecca, Rachel, Léa, gui ont fonilé la mai-
son (l'Israël, sont représentées comme ayant exercé
la plus grande influence sur leurs maris. Les en-
fants sont aussi égaux entre eux; Moïse abolit
l'ancien droit d'aînesse des patriarches, et en ré-
duit le privilège à une double portion d'héritage.
11 n'est pas jusqu'à l'esclavage dans lequel on ne
retrouve chez les Hébreux ce même esprit de
justice et d'égalité. Moïse n'a pu l'abolir; il l'a
transformé. L'esclave hébreu est payé pour son
service et recouvre sa liberté après six années;
l'esclave étranger ne peut être maltraité impuné-
ment. Fugitif, il n'est pas rendu à son maître;
blessé gravement, il est de droit émancipé, et
celui qui le tue est puni de mort. Le sabbat, insti-
tution sociale grandiose, fait participer les maî-
tres au travail et les serviteurs au repos hebdoma-
dah-e.
Culte. — Dans l'ordre religieux, les prêtres cl
les lévites étaient les représentants de la Divinité
devant le peuple et ceux du peuple devant Dieu.
Ils avaient la direction du culte, dont le but était
d'éloigner le peuple des immoralités idolâtres, de
rappeler les grands faits de l'histoire nationale, et
par dessus tout d'inspirer le respect de la loi cl
l'amour de Dieu. Le culte domestique comprenait,
entre autres actes, la circoncision, l'instruction
des enfants, des règlements sur la pureté person-
nelle et la nourriture, et la pratique du sabbat; le
culte public consistait en sacrifices, et eu fêtes
solennelles dont les principales étaient celles de
Pùfjue (sortie d'Egypte], des Semaines (moisson),
des Tentes (séjour dans le désert et récolte), du
Souvenir et des Expiations (pardon des fautes).
Par opposition aux cultes palestiniens, célébrés
dans des bosquets sur les montagnes, le culte
d'Israël ne pouvait s'accomplir que dans le sanc-
tuaire où se trouvait l'arche sainte, contenant les
deux tables du décalogue.
Les lévites remplissaient les offices inférieurs
du culte ; les prêtres, descendants d'Aaron, entre-
tenaient les autels, convoquaient et bénissaient le
peuple, et soignaient certaines maladies; leur nais-
sance et leur moralité devaient être irréprocha-
bles; ils se mariaient. Leurs seules possessions
étaient les villes où ils demeuraient; leurs seules
ressources, une partie des sacrifices et les dons
volontaires. Au-dessus deux était le grand pon-
tife, qui, malgré sa haute situation, n'avait aucune
autorité dogmatique ni aucun pouvoir social excep-
tionnel. Aaron et son fils, les deux premiers
grands prêtres, avaient été installés par Moïse;
dans la suite, leurs successeurs reçoivent l'inves-
titure de la main des rois. Les prêtres et les lévi-
tes devaient nécessairement étudier et enseigner
la loi; mais cela ne constituait pas pour eux,
comme dans l'Inde et l'Egypte, un privilège exclu-
sif : Vous èles tous piètres, tous saints, dit la
Parole sacrée: le premier Israélite venu, s'il se
sentait inspire, pouvait se vouer à l'étude des livres
saints, devenir pTO/)/.è(e, et acquérir ainsi au point
de vue religieux et moral la plus grande autorité.
Morale. — La constitution politique des Hébreux
et leurs prescripiions religieuses étaient fondées
sur une morale qui peut se résumer en deux
mots : Aimer I ieu de tout son cœw et de toute
son ôme, et son prochain comme soi-même. Cette
belle morale apprend à l'homme le respect de soi-
même, l'observation de la justice, la pratique de
la charité et les vertus de la famille. L'homme est
créé à l'image de Dieu; voilà pourquoi il est ap-
pelé à être saint comme Dieu est saint. Comme
Dieu, il doit repousser le mensonge et l'injustice
sous quelque forme que ce soit. La superstition,
la déloyauté, la fraude sont des abominations de-
vant le Seigneur, et le travail honnête est une loi
pour tous. La soumission aux autorités légales, le
respect des vieillards, sont de stricts devoirs de
justice ; la piélé filiale est une venu essentielle ;
pour un enfant Israélite, le plus grand des mal-
heurs, c'est d'être privé de la dernière benediciion
paternelle.
Mais la morale de Moïse ne se contente pas de
devoirs négatifs. Tous les hommes, descendus des
mêmes parents, doivent se traiter en frères. Prêts
sans intérêts, protection des veuves et des orphe-
lins, égards de toute nature envers les gens sala-
riés et envers les pauvres, bienfaits envers les
étrangers et les ennemis, enfin touchante bonté
s'éiendant aux animaux eux mêmes, voilà com-
ment la morale de Moïse entend la chanté.
Bien que le Pentateuque contienne de nom-
breuses allusions à une vie d'outre- tombe, sa mo-
rale, surtout sociale et politique, ne formule pas
le dogme de l'immortalité de l'âme, q"> "« fut
enseigné aux Hébreux que bien plus tai-d. Pour
maintenir son peuple dans le bien. Moïse use
d'un moyen qui n'a rien de dogmatique; U
fait appel aux sentiments puissants de la fa-
mille et montre « que Dieu compte aux enfants
l'iniquité des pères jusqu'à la troisième et à la
quatrième génération, mais qu il use de bonté
jusqu'à la millième envers ceux qui lui obéissent.»
C'était dire qu'une solidarité impossible a briser
existe entie toutes les génération- passées, pré-
sentes et futures; que les suites des bonnes et des
mauvaises actions se perpétuent à travers es siè-
cles, et que, par conséquent, pour assurer la pros-
périté de l'avenir, il faut dans le présent Être
lidcle à la vertu et au bien.
ISRAÉLITES
1061 —
ISRAELITES
Telles sont les principales lois politiques, reli-
gieuses et morilles des Hébreux ; elles enseignent
l'unité et la spiritualité de Dieu, l'égalité, la jus-
tice, l'amour et la charité universelles.
CoNQuÈTn DE LA Palestine. — Josué, appelé par
Moïse au gouvernement des Hébrcui, devait con-
quérir la Palestine; il ne perd pas de temps; il
fait célébrer la Pàque et, en peu do jours, il passe
le Jourdain et s'empare de Jéricho, ville forte qui
défendait l'entrée du pays. Les chants nationaux
des Hébreux expriment la rapidité de cette marche
foudroyante, en nous montrant le lleuve qui recule
et les murs do la ville qui s'écroulent devant les
vainqueurs. Effrayés de ces succès, les Gabaoïiitos,
Cananéens du sud, deviennent par ruse les alliés
des Israélites et, attaqués par leurs compatriotes,
ils appellent Josué b. leur aide. En une nuit, Josué
arrive, surprend l'armée cananéenne campée autour
de Gabaoa et, après une longue journée de com-
bat, la met on complète déroute. Dans le cantique
qu'il compose pour célébrer cette victoire, il pré-
sente poétiquement le soleil et la lune comme
« s'étant arrêtés à son gré pour éclairer le combat »
(Munk, Pak'sHw, p. TU). La défaite des Cana-
néens du nord n'est pas aussi prompte; Josué
parvient pourtant à les battre, et, maître de trente
et une provinces, il les distribue aux Israélites, en
leur laissant le soin de conquérir peu h peu le
reste du pays. Il meurt sans avoir désigné de
successeur.
Les SuffètEs on Juges. — L'anarcbie ne tarda
pas h régner et les cultes immoraux des Cananéens
i séduire les Israélites abandonnés à eux-mêmes.
Un sanctuaire, rival de celui du vrai Dieu établi
à Silo, est élevé dans le nord de la Palestine. La
guerre civile éclate, et la tribu de Benjamin y i st
presque détruite. Au milieu de ces désordres, des
héros s'élèvent et, sous le titre de suffètes, gou-
vernent leurs frères, au nom de Dieu. Oihoniel
délivre les Israélites de la domination du roi de
Mésopotamie ; Ehod, de celle du roi de Moab ; Sam-
gar, de celle des Philistins; Déhom, prophéte^se et
suffète, de celle des Cananéens du nord; Gédéon
bat les Madianites et, après sa victoire, refuse la
royauté. ALimélech, son fils, l'usurpe et l'exerce
pendant trois années, au bout desquelles sa cruauté
excite une révolte où il périt. Thola et Jaïr ne sont
que d'obscurs sufTètes ; Jephté au contraire est cé-
lèbre par la défaite qu'il inflige aux Ammonites et
par le vœu imprudent qu'il prononce au sujet de
sa fille. Simion, renommé par sa force extraordi-
naire, fait, sans résultat sérieux, une longue guerre
aux Philistins, qui s'emparent de lui par trahison.
Héli, grand-prêtre et sufîète, a moins de succès en-
core; ses deux fils sont battus et l'arche sainte est
prise ; mais Samuel, qu'il avait élevé et qui lui
succède, réussit enfin à imposer la paix k ces bel-
liqueux ennemis d'Israël. Juge et prophète, Sa-
muel rétablit l'ordre, relève le culte, et fonde, pour
instruire les jeunes prophètes, une confié' ie qui
devait rendre d'immenses services. Malheureuse-
ment ses fils, associés à ses fonctions, manquent
d'intégrité, et le peuple demande un roi. C'est en
vain que Samuel expose les inconvénients de tout
genre dont le pouvoir héréditaire est la source, et
pi'édit aux Israélites qu'ils gémiront un jour de
leur résolution ; il est obligé de céder, et fait
choix, pour occuper le trône, d'un jeune benja-
mite nommé Saiil.
Les premiers uois (1095). — Contestée d'abord,
la royauté de Saiil fut bientôt unanimement recon-
nue, grâce à ses victoires et à celles de son fils
Jonathan sur les Ammonites, les Philistins, les
Moabites, les Iduméens, les Syriens. Mais il n'é-
coute pas les inspirations de Samuel au sujet des
Amalécites, ennemis irréconciliables des Hébreux,
et le prophète désigne secrètement pour la royauté
le jeune David, fils d'Isaie de Bethléem. Cette
rupture jette le roi dans une mélancolie profonde,
(!t pour la dissiper on a recours au talent musical
de David. Le jeune homme se distingue bientôt par
son courage; il tue le géant Goliath, bat les Phi-
listins et devient le gendre du roi. Mais la jalousie
de SaOl l'oblige h s'exiler pendant de longues
années, et ce n'est qu'après la mort du roi et de
Jonathan, tués dans une bataille livrée aux Philis-
tins, et après le meurtre d'isbosoth, autre fils de
Saiil, que David est reconnu roi par toute la na-
tion (lOâô).
Sur le trône, David déploie les plus sérieuses
qualités ; il conquiert Jérusalem, restée jusqu'alors
au pouvoir des Jébusites, et en fait sa capitale.
Puis il soumet les Philistins et, docile aux inspi-
rations des prophètes Gad et Nathan, il donne au
culte une première organisation; il s'allie avec
Hiram, roi de Tyr, et traite avec générosité la fa-
mille de Jonathan. Dans la suite, une faute grave
qu'il commet et les désordres de ses fils, dont
l'un, Absalon, son favori, se révolte contre lui,
remplissent sa vieillesse de douleur. Son fils Salo-
mon lui succède.
Satomon, qui ne fut pas un guerrier comme son
père, se rend dès le début très populaire par
sa rare sagacité. Il construit un temple colossal et
plusieurs villes; ses expéditions commerciales avec
les Phéniciens, ses écrits de mor.ile et d'histoire
naturelle (ces derniers ne nous sont pas parve-
nus) , et son faste oriental portèrent partout sa
réputation. Mais tant de luxe ne pouvait que mé-
contenter le peuple et surtout les prophètes, déji
froissés par les nombreux mariages du roi avec des
femmes idolâtres. Aussi de graves symptômes de
révolte éclatèrent-ils bientôt, et le roi, en mourant,
ne transmit-il à son fils Roboam qu'une autorité
fortement ébranlée (973).
Le schisme des dix tribus. —Rnboam commence
son règne en refusant avec arrogance la diminution
des impôts; dix tribus l'abandonnent, et il reste roi
de Juda et de Benjamin. Il se livre à l'idolâtrie et
administre si mal ses Etats qu'il ne peut empê-
cher Sésonchis, roi dlîgypte, d'entrer en vainqueur
i\ Jérusalem. Jéroboam, ancien officier de Salomon,
nommé roi d'Israël par les dix tribus révoltées,
n'est ni plus sage ni plus heureux ; afin d'éloigner
ses sujets du sanctuaire, il fait élever deux veaux
d'or et abolit la loi mosaïque; vers la fin de son
règne, Abinni, fils et successeur de Roboam, lui
inflige une sanglante défaite. Aza règne avec
gloi -e en Juda, d où il fait disparaître les cultes ca-
nanéens, pendant que Nadab, fils de Jéroboam, périt
assassiné par B'iusa. Cet usurpateur ose s'attaquer
au roi de Juda, qui venait de repnusser les Ethio-
piens; il est battu aussi. Ela, son fils, tombe sous
les coups d'un autre assassin, et la guerre civile
éclate en Israël. L'armée donne la royauté ;\ son
général Orni-i, qui bâtit Samarie, en fait sa capi-
tale, et laisse le trône ;\ son Mis .-Ic/ia*, peu d'années
avant l'avènement de Josaphat, fils d'Asa, au trône
de Juda. ,
Ces deux princes d'un caractère si opposé s al-
lient étroitement. Josaphat poursuit l'idolâtrie et
s'occupe de l'instruction du peuple. Achab au con-
traire, poussé par la reine Jésabel, princesse phé-
nicienne, et malgré l'énergique opposition du pro-
phète Elle, fait régner en Israël le culte immoral
d'Astarté. Brave et généreux cependant, il bat deux
fois les Syriens, et, malgré le concours de Josaphat,
il périt dans une troisième guerre qu'il entreprend
contre eux. Ackanas etJornm, ses deux fils, restent
les alliés de Josaphat, qui fait avec ce dernier une
campagne contre les Moabites et termine sa belle
carrière par d'utiles réformes dans l'administration
de la justice. Le fils du pieux Josaphat, nommé
Joram comme son beau-frère le roi d'Israël, suit
l'impulsion idolâtre et cruelle de sa femme Athajie,
fille de Jésabel; il fait périr ses frères, voit l'en-
ISRAELITES
— 1062 —
ISRAELITES
nemi cnvnhir ses États et tuer ses propres enfants ;
il meurt apros quatre ans d'un règne honteux.
Achasias, son seul fils survivant, lui succède, et à
peine sur le trône ce malheureux prince périt,
avec son oncle le roi Joram, sous les coups de
Jéhu, général Israélite. Les deux trônes d'Israël et
de Juda sont vacants à la fois (884).
Fin du royaume d'Israël. — Athalie et Jéhu
s'emparent des deux royaumes ; l'une massacre les
enfants d'Achasias, ses petits-fllsj l'autre, toute
la race d'Achab. Athalie favorise ardemment le
culte de Baal, que Jéhu, docile à l'influence d'Elisée
Ig prophète, poursuit au contraire avec sévérité.
Après six ans d'un règne odieux, l'usurpatrice est
mise à mort et remplacée par Joas, un de ses petits-
onfants, sauvé de la mort par le grand prêtre Joiada,
Bon oncle.
Pendant que Jéhu laisse affaiblir son royaume
par les Syriens, Joas, sous la tutelle de Joïada,
maintient l'ordre et la religion dans le sien ; mais
à la mort du grand-prêtre, il devient idolâtre et fait
lapider Zacharie, le fils de son sauveur ; il périt
lui-même assassiné. Joachaz, fils de Jéhu, ne réus-
sit pas à tenir les Syriens en échec, mais son fils
Joas les met en déroute et bat Amasias, roi de
Juda, qui meurt assassiné, comme son père. Pen-
dant un demi-siècle, l'ordre et la prospérité renais-
sent dans les deux Etats, sous les règnes à'Osias
et de Jotham, fils et petit-fils d'Amasias, et sous
celui de Jéroboam II, fils de Joas d'Israël ; dans les
deux Etats, le prophétisme, représenté par Jonas,
Amos, Joël et Osée, exerce une haute influence
morale; mais bientôt les crimes des rois amènent
d'irréparables malheurs.
Zacharie, fils de Jéroboam II, est assassiné par
Sellum; Sellum, par Menahem, et Phaceia, fils du
meurtrier, par Pékah, un de ses officiers. Pékah
est vainqueur à'Achaz, fils de Jotham, roi de Juda,
mais il est vaincu par Tiglat-Phalasar, roi d'As-
syrie, et assassiné à son tour par Oser. L'anarchie
est affreuse ; Tiglat en profite pour s'emparer d'une
partie du royaume, et ce n'est qu'en devenant son
vassal qu'Osée monte sur le trône. Achaz régnait
alors en Juda ; c'était lui qui avait, malgré les
conseils du prophète Isaîe, appelé Tiglat pour
repousser l'usurpateur Pékah. Plus impie que les
rois d'Israël eux-mêmes, Achaz élève des autels à
Baal, consacre un de ses fils à Moloch, et laisse
dévaster honteusement ses Etats. A sa mort, il est
privé de la sépulture royale. Ezéchias, qui lui
succéda, vit au début de son règne la ruine du
royaume d'Israël. Osée, qui s'était révolté contre
son puissant suzerain, Salraanasar, successeur de
Tiglat, fut jeté en prison ; Samarie fut prise et le
peuple Israélite emmené en captivité en Assyrie
Les derniers rois de Juda. — Grâce à la sagesse
d^Ezéchias, le royaume de Juda jouissait alors
d'une grande prospérité; s'inspirant des conseils
des prophètes Isaïe et Miellée, Ezéchias avait aboli
les cultes phéniciens et rouvert le temple. Les
Philistins sont repoussés, et le terrible Sennaché-
rib, roi d'Assyrie, qui était venu mettre le siège
devant Jérusalem, est obligé de se retirer précipi-
tamment, après avoir vu presque toute son armée
détruite par la peste, cette terrible messagère de
Dieu, comme l'appelle la Bible. Les derniers évé-
nements de ce règne presque constamment heu-
reux furent une grave maladie du roi, que le pro-
phète Isaîe soigna et guérit, une alliance impoli-
tique avec les Babyloniens, et la fondation dune
académie de savants, qui réunit les monuments de
la littérature Israélite et assura le développement
religieux de l'avenir.
Manassé fut pendant quarante-cinq ans un des
plus mauvais rois de Juda; une chronique incer-
taine affirme qu'il revint à de meilleurs sentiments.
Son fils Amon, qui suit ses mauvais exemples,
périt assassiné au bout de deux ans; Josias, fils
d'Amon, marche au contraire sur les traces d'E-
zéchias. Jéré/tv'e, Sophome et la prophétesse Hulda
le conseillent; la loi de Moise, dont on retrouve
un antique exemplaire, est remise en honneur.
Mais toute cette prospérité est arrêtée par de
grands malheurs qui, en peu d'années, amènent
la ruine complète de Juda. Placé entre les deux
souverains puissants d'Egypte et de Chaldée, Josias
eut le tort d'intervenir dans leurs iiuerelles; il
voulut arrêter Néchao qui marchait contre Cabylone,
et périt à la bataille de Mageddo; son fils cadet,
Joachas, fut élu roi par le peuple, mais le vain-
queur l'exila en Egypte et mit sur le trône Jo'ia-
cliim, le fils aîné de Josias. Joïakim ne fut qu'un
tyran odieux et un prince inhabile; malgré Jérémie
qu'il persécute et malgré la délaite de Néchao, il
se révolte contre le roi de Babylone, et meurt pres-
que aussitôt. Jéchonias, son fils, subit les consé-
quences de cette faute ; c'est en vain qu'il se rend
k discrétion à Nabuchodonosor, il est exilé à Ba-
bylone avec 10,000 Juifs, et remplacé par son oncle
Sédécias. Après quelques années de calme relatif,
le nouveau roi, oublieux de l'expérience du passé,
se déclare indépendant. Nabuchodonosor revient,
prend Jérusalem après dix-huit mois de siège, fait
égorger la famille royale et crever les j eux îi Sédé-
cias, qui est envoyé à Babylone. Le temple est
brûlé et la ville détruite de fond en comble.
Un assez grand nombre d'habitants notables du
pays furent emmenés en Chaldée ; mais les vain-
queurs laissèrent quelques laboureurs dont la sur-
veillance fut confiée à un gouverneur Israélite,
nommé Guéd'ilin,' qui, peu après son installation,
fut traîtreusement assassiné. Ce meurtre causa la
ruine complète du malheureux pays, dont pres-
que tous les habitants furent envoyés à Babylone ;
il n'y resta qu'une population pauvre et ignorante,
mélange de Juifs, de Samaritains et de Cananéens
idolâtres (588). Comme le royaume d'Israël, celui
de Juda périt par la faute de ses rois ; mais il
devait bientôt se relever, grâce aux principes de
morale et de religion enseignés par les prophètes.
Les prophètes et la littérature sacrée d'Is-
raël. — On se trompe généralement sur les pro-
phètes; leur mission n'était pas de faire des mira-
cles et do prédire l'avenir, mais de moraliser et
d'instruire le peuple, et c'est par là seulement
qu'ils étaient considérés comme les envoyés de
Dieu. Au point de vue politique, ils sont les con-
seillers libres des rois ; mais on doit les regarder
plutôt comme des orateurs religieux; ils détour-
nent le peuple de l'idolâtrie, et surveillent le culte,
qu'ils considèrent comme un moyen do moralisa-
tion. Censeurs courageux des mœurs publiques,
les prophètes n'hésitent pas à risquer leurs jours
pour arrêter l'immoralité des princes et dos classes
riches ; ils prennent le parti des pauvres et des fai-
bles, protègent les étrangers, et mettent au-dessus
de tout la justice et la charité. C'est par la prati-
que de ces vertus qu'arrivera l'ère messianique,
qui fera disparaître les haines et les guerres, et
unira les hommes dans un amour universel. _
La littérature des Hébreux contient leur histoire
et leurs doctrines; elle se compose de livres histo-
riques et de livres poétiques, dans lesquels l'his-
toire et la poésie sont mêlées étroitement. Le plus
important de tous, le Pentatetigue, a conservé les
traditions sur les premiers temps du monde et
raconte l'histoire des Hébreux jusqu'à la mort de
Moïse. Le livre de Josué est le récit de la con-
quête ; celui des Juges paraît n'avoir pour but que
de montrer les avantages du pouvoir héréditaire.
Le lirre de Ruik, qui se rapport^ au même tenips,
est une gracieuse idylle qui nous apprend l'origine
de la race rojale de David et nous offre dans tout
son charme le tableau de la charité. Les deux livres
de Saynuel et les deux livres des Rois racontent les
ISUAKLITES
— 1003 —
ISRAÉLITES
i„ cai-.i An riivid de Salomon et l'histoire
;S^.tS-^.KledeU.™^t.I^d.^
S[!;f,^r'K.S"::" S^^t ru-
raux îe livres d'Ezra (B.v/ra,s-) e.i âe Micnie
Ihîsi nue celui de Daniel, qui est écrit moitié en
2l ald6cn, moitié en hébreu, continuent 1 histoire
eénéralo des Israélites après le r.dour de la capti-
fitén.ant au livre d'E.W-.r, il raconte un evcne-
menV'pàrticuUer des annales juives sous la monar-
""LoriTet- poétiques des Hébreux n'ont pas
moins dHmportance que leur littérature lustonquo.
Les "''•oi'e.L. et VEcclé.iast. contiennent des ma-
rines de morale; l'un se termine par un remar-
quable tableau des vertus do la femme 1 au re
empreint d'un scepticisme décourageant énonce
Dourtant le dogme de l'immortalité. Le lune ae
TobZ un poème grandiose qui nous montre es
malheurs d'un juste et nous enseigne à accepter
les décrets de la sagesse suprême que nous ne
pouvons toujours comprendre. .
^ Les Psaumes, sublimes poésies 1^'^"!^ . ^o"»
comme le cri de l'àme humaine : pat"»"^"^'^'
vengeance, repentir, humilité, amour de Dieu
vertu; Création, Providence, miséricorde et justice
divines, tout y est d-anté dans, un magnifique lan-
gage. Sous une forme plus simple, e Ca Mue
hs Cantiques a une grande portée-, cest Ih^nne
pastoral de deux jeunes fiances «^tro^emen «ms
et dont l'amour contraste avec les abus de la po-
Les prophètes, hommes politiques, moralistes et
orateurs inspirés, tiennent une place considérable
dans la littérature Israélite. Ceux dont les œuvres
nous restent sont, avant la captivité, •/«"f"-/»'",'':
livre est une parabole; Obadia, Amos Joël. Usée,
hnïe et Michée, tous deux apôtres de la paix et de
la réconciliation universelles ; Nahum Sophome,
Habacuc; Jérémie qui prédit et voit la ""ne de
Juda et dont les Lamentations. sont de touchantes
élégies. Pendant la captivité, Ezéchiel a des visions
réaliser ces espérances: la Babylonie fut cnnqiusc
mr eux et le roi Cyrus, devenu le chef d'un im-
mense empire, autorisa par un édit tous les Hé-
breux de ses Etats h retourner dans leur patrie et
Tyrobàtir leur temple (5:!G). Ceux de Juda,cest-
-i-âire les Judéens ou Juifs, partirent ^ peu près
seuls sous la conduite de Zorobabel, arrière-
petit -fils du roi Jéchonias, et, s'établirent dans la
Palestine, qui désormais prit d eux le nom de
Judée La construction du temple, retardée pat les
intrigues des Samaritains, ne fut achevée que sous
e règne do Darius, fils d'Hystaspe; sous celui de
Xerxès (Assuérus), prince fantasque, les_ Juifs,
grâce à Esther, jeune Israélite appelée au trône, et
i son oncle Mardochée, échappèrent h. la destruc-
iion préparée pour eux par Aman, premier mi-
"'urdemi-sièclo s'écoula, et le nouvel Etat juif,
entravé d'ailleurs par les événements qui s étaient
nasses en Perse, végétait sous la direction aristo-
eratiTue des grànds'-prètres oublieux de leurs de-
Soirs B-™ (Esdras;, autorisé par Artaxeixès
Longue-Main à conduire en Palestine itne seconde
colonie de Juifs, vint porter remède à la situa-
tion 458). Ezra, qui appartenait h la classe des
scribes était aussi pieux que savant; il fut se-
condé dans son œuvre par W/,^»;. échanson du
roi qui avait obtenu un peu plus tard les pouvoirs
[es plus étendus, et par les derniers prophètes
La rupture avec le paganisme fut consommée, et la
foi de Moise remise en vigueur. Des synagogues,
•éunions laïques, où la prière était faite et la loi
ue et expliquée 'au peuple par les scribes, furent
éUbUes danl le pays. Enfin un grand conseil na-
donal suprême, U Grande Synagogue, composé des
savants les plus distingués, fut institué avec la
miss"on particulière de veiller au maintien des
traditions et à l'étude de la loi; c'est à cette
énott^e et par l'impulsion d'Ezra et de Nehemie
que' fut commence^e la collection des livres sa-
"ts années qui suivent ^sont paisibles pour la
élégies. Pendant la captivité, fc'r.c/.ie/ a des vis.oi^s ^^?^ "™'=;. ' est toujours gouverné par les
dont les allégories portent ""^^™P''<=."'^\"5; " nds-prètre^ investis de l'autorité politique, au
babylonienne; après le retour de '«"'''/^S^f^. ^1^"^^ P^a «^ ,^„^, fonctions religieuses.
Xacharie et Malachie sont les dermers orateurs &'^,''"'Î^X'"",^lude de la loi par le peuple, dans
prophétiques. ....;,•„
Ecrits dans une langue enthousiaste et poétique,
les livres sacrés des Hébreux n'ont qu un but :
montrer un Dieu unique qui est la justice luhnie
et dont l'action incessante se manifeste dans le
monde physique comme dans la conscience et dans
l'histoire des hommes. On n'est pas d accord sur
les auteurs qui les ont écrits et sur l'époque de
leur rédaction ; mais il est impossible de mécon-
naître la vérité et la hauteur de la pensée religieuse
et morale, qui, de cette grande littérature, a fait
le livre par excellence de l'huinanite, la liibte.
Les Juifs sous les Badvloniens et les Perses.
Les synagogues. — Pendant les dernières années
du royaume du Juda et après la prise de Jérusa-
lem les rois de Babylone. avaient emmené en
captivité un grand nombre d'Hébreux, parmi les-
quels se trouvaient des hommes distingues, tels
que Daniel, ses trois compagnons et le prophète
Ezéchiel. Bien traités par les vaiiuiueurs, les exiles
obtinrent de hautes positions politiques et purent
vivre sous leurs propres lois religieuses. Les pro-
phètes remplacent les prêtres désormais sans
fonctions; Ezéchiel, et sans doute aussi 1 auteur
inconnu de la deuxième partie du. livre d Isaie,
réunissent autour d'eux les anciens et le peuple,
et président aux assemblées de prières ; ils sont
aidés dans leur tâche par des hommes pieux et
savants, des scribes, qui copient les livres saints,
et les Hébreux, maintenus ainsi dans leurs tradi-
tions religieuses et consolés, entrevoient leur libé-
rai ion prochaine. . ,, ■ »
C'étaient les Mèdes et les Perses qui allaient
Par contre, l'étude de la loi par le Pe^P «- dans
les synagogues, prend de our en jour pl"s d im-
nortance et il se forme ainsi, au sein des classes
Soou lairès un parti, celui des Assidéens ou des
^"ri qui se donne pour tâche de conserver, en
déot de "classes supérieures, les traditions reh-
ge"^ es de la natioi? dans toute le"'; 'ntégr.té
Sons le nontificat de Jacklus, les Juifs passent
fans tiUlëde la domination des Perses sous
relie d'Alexandre le Grand i •)■!-').
DoMiNATmN GRECQUE. - Alexandre est très bien-
veUlTpmir les Juifs et '« P^'firSv'rTe't" su"c-
h tour sous les rois d'Egypte et de byrie, ses suc
cesTurs. sVus le premier P/o«mae nous rencon-
rons en Judée un grand-prêtre ce ebre le pet.t-
fik de Jaddus S mon le Juste, qui tut un des
derniers membres d.. la Grande Synagogue. Pen-
drnîe poTtificat d'iVc^a^a^ frère et succes^^^^^^^^^
Simon le Pentatcuque est traduit en grec a
Vlexandrie où vivait une nombreuse colonie de
h ?fs ceuè traduction, attribuée à Tl savants en-
voyés de Jérusalem et dite, pour ce motif, Version
dis septante, fait connaître la Bible au monde
niien (284 i '-'■"); elle fut continuée dans la
su te et outre les livres canoniques, reconnus
comme sacrés par les Juifs, on y inséra d autres
ouvrTws dont les principaux sont : les livres de
roi ec de Ju'iitt; romans historiques, les livres
io 1. ^nnhmce et de VEcelésiasti<]ue. recueils de
In ^nceretTes'^deux livres des ^ackabé^v^^
des graves événements arrives en Judée sous ic
règne d'Antiochus Epiphane.
La Judée, après plusieurs pontificats sans gloire
ISRAELITES
— 1064
ISRAELITES
mais non sans troublps. était passée définitive-
ment sous la suzeraineté des rois de Syrie. Les
grands-prôtres, de plus en plus oublieux do leurs
devoirs, s'occupent d'intrigues de cour. Oiàas III,
grand-prêtre pieux, est supplanté par son frère
Jaso}}, quiaclièto le poiitiflcatct qui, à son tour, est
trahi de la même façon par son plus jeune frère,
Ménélas. Resté maître du pouvoir, par l'appui
à.' Antioc/nis Epiphane , Ménélas fait vendre les
trésors du temple pour payer sa dette, et as-
sassiner son frère aîné, Onias III, resté à Antio-
che. Il ose revenir à Jérusalem, où bientôt la
guerre éclate entre lui et Jason, Antioclius, arrivé
au secours de son protégé, massacre une pre-
mière fois le peuple innocent de ces querelles et,
l'année suivante, ordonne de nouveaux pillages et
de nouvelles tueries. Un grand nombre de Juifs
sont vendus comme esclaves; le temple est souillé
■ et le culte proscrit; mais l'enseignement des scribes
avait lentement porté des fruits, et le peuple juif,
atteint dans sa patrie et sa religion, se soulève
contre Antiocims (167).
Gouvernement national des Machabées. — Ce
fut un simple prêtre, Matathia':, de la famille
Asmonéenne, qui leva avec ses cinq fils l'étendard
de la révolte ; aidé par quelques patriotes, il tint
la campagne pendant trois mois, et mourut. Le
plus vaillant de ses fils, Juda dit Machahèe (Mar-
tel), défait successivement tous les généraux
syriens envoyés contre lui, reste maître de la Ju-
dée au bout de trois ans, rouvre et purifie le tem-
ple et, après de nouvelles victoires, meurt héroï-
quement sur le champ de bataille. Joiiaihnn et
Simon, ses frères, continuent la lutte avec l'appui
des Romains, et le dernier reçoit de Démétrius,
roi de Syrie, les titres de grand-prêtre et de prince
des Juifs, titres qu'une assemblée nationale lui
confirme. Comme Jonathan, Simon péril assas-
siné, et Ihjrcaii, son fils, qui lui succède, proclame
l'indépendance de la Judée, que la Syrie, affaiblie
par ses querelles intérieures, est obligée de re-
connaître.
La victoire définitive des Machabées eut pour
conséquence la réorganisation du pays. LaGran.de
Synagogue, qui n'existait plus, fut remplacée par
un sénat électif, le Sanhédrin, composé de soixante
et onze membres, qui réunissait les hommes les
plus instruits de la nation, à quelque classe qu'ils
appartinssent. Le grand-prêtre n'en était le prési-
dent que s'il avait les capacités nécessaires. Au-
dessous de ce conseil, à qui étaient réservées
les affaires d'intérêt majeur, on institua de petits
sa?iliédiins de vingt-trois membres qui jugeaient
les affaires criminelles ordinaires, et de t' ihu-
naux de trois juges pour les contestations civiles.
Ecoles et sectes juives. — Pour avoir amené
avec tant de rapidité cette restauration politique,
il fallait que l'enseignement des scribes eût pro-
fondément pénétré dans le peuple; en effet, les
écoles diverses qui s'étaient formées cbez les
Juifs avaient fini par exercer une grande influence.
Les Saitducéens, qui constituaient l'une de ces
écoles, comprenaient les familles pontificales et
les classes riches ; ils s'attachaient servilement à
la lettre dans l'interprétation du Pentateuque, ils
n'acceptaient pas les traditions orales, et repous-
saient les dogmes de l'immortalité de l'âme et de l'a-
vènement messianique. Egoïstes et orgueilleux, et
très durs dans l'application des lois pénales, ils
étaient fort impopulaires. Les Pharisiens sont op-
posés en tout aux Sadducéens. Continuateurs des
Assidéens et partisans de la tradition, ils sont les
représentants de la démocratie et de l'esprit
laïque ; leur interprétation, qui est large, facilite
l'exécution de la loi et en assure le maintien, bien
qu'elle descende parfois à de trop minutieux dé-
tails réglementaires. Ils enseignent les grands
dogmes de la Providence, de la liberté, de l'immor-
talité et du messianisme. Comme leur morale
était irréprochable et leur douceur au pouvoir
très grande, ils étaient aimés du peuple et avaient
une grande autorité ; aussi y avait-il parmi eux
des faux- frères, que le Talnmd appelle pha-
risiens leints et que l'Evangile nomme sépul-
cres Ijlanchis. Une troisième secte, celle des Essé-
niens, tenait des Pharisiens presque toutes ses
doctrines, à cela près quelle admettait bien moins
la Providence que la prédestination. Livrés au
mysticisme, les Esséniens prétendaient faire des
miracles et avoir puissance sur les esprits infer-
naux; réunis hors des villes, ils renonçaient \ la
propriété individuelle, évitaient de se marier,
priaient, travaillaient et mangeaient en commun.
Ils avaient des mystères qu'on n'était admis h con-
naître qu'après un long noviciat. Ces différentes
sectes étaient nées en Judée: en figypte aussi,
il s était formé une autre grande école; cer-
tains de ses membres, les Tliéi apeutes, dont les
Esséniens avaient imité l'association, vivaient
dans la solitude et la contemplation. D'autres,
les Juifs hellénistes d'Alexandrie, désireux d'a-
mener le triomphe de leur foi religieuse sur le
paganisme expirant, s'efforçaient de concilier la
philosophie grecque avec les vérités dogmatiques
du judaïsme, et ils croyaient y arriver en faisant
de la Parole créatricp, du Ve^ he divin de la Bible,
une sorte d'intermédiaire entre Dieu et le monde,
et en l'identifiant avec le Logos des philosophes
platoniciens. L'un des derniers et des plus illus-
tres représentants de cette école fut, un siècle plus
tard, Philon, surnommé le Platon juif. Ce mouve-
ment inquiet des esprits annonçait une grande
crise religieuse prochaine ; elle allait se produire
en môme temps que la ruine politique de la
Judée.
Domination romaine. Ruine de la Judée. — Hyr-
can, fils et successeur de Sicnon Machabée, occupa
le trùne et le pontificat pendant trente ans ; les
Iduméens et les Samaritains furent soumis, et
l'alliance conclue avec Rome par Jonathan et Si-
mon fut renouvelée. Mais la fin de ce règne heu-
reux fut troublée par les querelles des Pharisiens et
des Sadducéens, tour à tour protégés par le prince.
Arisiob'ile, son fils aîné, qui prit le titre de roi, et
Alexandre Jannée, son deuxième fils. Sont d'horri-
bles tyrans; le dernier mérite le nom d'assassin.
Après une courte régence de sa veuve Aleian-
dra, ses deux fils se disputent le pouvoir ; Htjr-
can, l'aîné, est battu et devient grand-prêtre ;
Aristohule, le cadet, est élu roi malgré les Pha-
risiens. Le trrand Pompée, alors à Damas, inter-
vient, s'empare de Jérusalent et donne à. l'Idu-
méen Antipater le pouvoir dont Hyrcan ne con-
serve que l'apparence. La Judée est désormais
dépendante de Kome (G3).
Antipater. habile et rusé, ne gouverne guère
que dans l'intérêt de sa propre famille ; nommé
procurateur de la Judée, il confie Ji ses deux fils
de hautes positions dans l'Etat. Hérode, le plus
jeune, est l'héritier de l'ambition et de l'habileté
paternelles ; il épouse Marianne, petite-fille d'Hyr-
can, et devient le favori du triumvir Antoine.
Chassé de Jérusalem, il y revient accompagné de
légions et avec le titre de roi qui lui avait été dé-
cerné à Rome par le Sénat, et affermit son pou-
voir par le meurtre des membres de la famille
Asmonéenne et du Grand Sanhédrin. Bientôt la
reine Marianna elle-même et ses propres fils de-
viennent ses victimes ; enfin, après avoir fait
élever des constructions splendides, il meurt au
milieu d'horribles souffrances et de l'exécration
universelle.
La Palestine, déjà gravement troublée par les
luttes des patriotes, les Zélateurs, et du parti ro-
main, est partagée, h la mort d'Hérode, entre ses
trois fils survivants, et peu après la Judée, enlevée
ISRAELITES
— l()0,"i —
ITALIE
ù Arcliélaiis, l'un d'eux, qui s'était attiré la liaiue
publi(|UO, est réduite gm province romaine. Le
pouvoir dos proconsuls pèse lourdement sur le
nia]lieure\i\ pays privé de son indépendance ; un
de ces ma;;istrats, Ponce-Pilate, mécontente grave-
ment le peuple; c'est sous son gouvernement
c|u'eut liini le procès et la condamnation de Jésus,
mis en croix par ses ordres, sur les accusations des
grands et des prêtres membres du parti saddu-
céen et inféodes il la poUtir|ue de Rome (v7-;i(J).
Sous Ciiligula, les Juils refusent d'adorer le fou
qui était le maître du monde, et sont l'objet de
cruelles persécutions, que l'empereur Claude fait
cesser. Agri/ip'i, petit -fils d'Hérode, favori de
Claude, est nommé roi de la Judée, qui prospère
sous son règne trop court, mais qui retombe bientôt
sous l'administration directe de Rome. C'en est
fait désormais de toute paix. Les querelles vio-
lentes des Juifs, des Samaritains et des Grecs, les
brigandages commis impunément au milieu do
l'anarchie, les insolences des soldats romains et
surtout la rapacité inouïe des proconsuls excitent
des révoltes journalières; enfin, sous l'administra-
tion du féroce Florus, il éclate une insurrection
générale.
Les Zéhtteiirs en prennent la direction, et dès les
premiers temps remportent de grands avantages
sur les Romains, qui sont refoulés hors du pays.
Néron confie à Vespusien le soin d'apaiser la révolte.
Accompagné de son fils Titus, ce général vient.
avec une armée formidable, mettre le siège devant
Jotapat. Cette forteresse, défendue par un jeune
prêtre qui fut plus tard l'historien FliiviusJosèphe,
tomba au pouvoir des Romains après une vaillante
résistance. Vespasicn, élu empereur, laissa le com-
mandement à Thus, qui vint mettre le siège de-
vant Jérusalem en proie à la plus affreuse discorde.
Ne pouvant s'emparer de la ville par la force, Titus
essaya de la prendre par la famine. Après une
héroïque résistance, Jérusalem fut prise et le
temple brûlé. Massada, forteresse près de la Mer
Morte, ne se rendit pas aux vainqueurs; ses dé-
fenseurs se tuèrent tous de leurs propres mains
avec leurs femmes et leurs enfants. Environ! 100(100
Juifs avaient péri dans la lutte; plus de 600 000 fu-
rent vendus ou réservés aux jeux du cirque (12).
Les Juifs n'étaient pourtant pas encore écrasés
comme peuple, et leur doctrine restait debout. Au
plus fort de la tyrannie d'Hérode, les écoles avaient
continué à se développer; nous voyons fleurira
cette époque chez les Pharisiens deux grands doc-
teurs, Hillet et Schamaï, qui représentent des ten-
dances opposées. Schamaï, dans son interprétation
rigoureuse des textes bibliques, se rapproche des
Sadducéens. Hillel au contraire fait la part des cir-
constances et admet, dans l'intérêt même de la loi,
la nécessité d'en abroger certaines dispositions. Sa
réponse à un païen, qui lui demandait le résumé
de la loi, est restée célèbre : Ce rjue tu n'aimer pas
pour tiii, dit-il, ne le fuis pas à autrui; c'est là
toute la loi; le reste n'en. est que le commentaire.
Pendant le siège de Jérusalem, un autre docteur
éminent, Johanan ben Zacia'i, avait quitté secrète-
ment la ville et obtenu de Vespasien la permission
de fonder une école à Jamnia, dans l'ancien terri-
toire des Philistins. Cette école resta pour les
Juifs un foyer ardent de patriotisme et de religion ;
aussi les persécutions éprouvées sous Domitien,
et les succès momentanés obtenus sous Trajan,
leur firent-ils concevoir plus que jamais l'espérance
d'un libérateur messianique. Sous l'empereur
Adrien, qui avait d'abord favorisé, puis proscrit
leur religion, ils font une dernière et terrible ten-
tative pour recouvrer leur indépendance. Jérusalem
n'était guère détruite que depuis un demi-siècle,
lorsqu'un vaillant guerrier, Barcochl.ah, se souleva,
prit le titre de roi, et se vit entouré d'une armée
considérable. Akiba ben Joseph, illustre rabbin.
chef des écoles Israélites, lui donna l'appui do son
autorité et crut voir on lui le Messie annoncé par
les prophètes. En peu de temps, Barcochbah fut
maître du pays, et, pour dompter cette redoutable
rébellion, Adrien fut obligé d'envoyer en Judée
Jules Sévère, son meilleur général. Jérusalem est
bientôt reprise et de nouveau rasée ; mais Bcthar,
forteresse où liarcochbah s'était enfermé, n'est em-
portée qu'après trois ans d'un siège horrible. Bar-
cochbah mourut les armes à la main, Akiba dans
les tortures, et environ GOO 000 Juifs furent massa-
crés (135).
Désormais la Judée n'est plus qu'un désert ; son
existence politique est finie ; mais le mouvement
dogmatique qui s'était produit dans son sein et les
diverses doctrines religieuses qui y avaient pris
naissance devaient régénérer le monde et le con-
quérir aux vérités éternelles du Sinai. — Pour l'his-
toire du peuple juif après sa dispersion définitive,
V. Juifs. [E.-A. Astruc]
ITALIE (GÉonnAPniE). — Géographie générale,
XIIL — 1. Géographie physique. — Situation, li-
mites. — L'Italie est une contrée de l'Europe mé-
ridionale, comprise entre les Alpes, au nord, et la
Méditerranée, au sud. Des mers secondaires dépen-
dant de celle-ci la limitent de tous les autres côtés:
la mer Ionienne et la mer Adriatique, à l'est ;
la mer Tyrrhénienne, et le golfe de Gênes ou
mer de Ligurie. à l'ouest.
En latitude, l'Italie est comprise entre .38° et •47°
de lat. N. : elle appartient donc essentiellement
i la zone tempérée ; en longitude, elle va de 4° à
10° h l'est de Paris.
Forme, caps et golfes du littoral. — Sa direc-
tion générale est au S.-O., sur une longueur de
1000 kil. en ligne droite. Sa largeur moyenne est
d'environ 200 kil. Elle a la forme caractéristique
d'une botte, dont les caps Gargano, sur la mer
Adriatique, Leuca et Spartivcnto, sur la mer Io-
nienne, indiquent respectivement l'éperon, le ta-
lon et la pointe. Entre ces deux derniers se creuse
le golfe de Tarente. Du coté de la mer Tyr-
rhénienne, le littoral est découpé ; les principaux
golfes qu'il forme sont ceux de GaCte, de Naples
et de Salcrnc. La partie septentrionale de l'Adria-
tique, entre l'Italie et la péninsule d'Isirie, porte
le nom de golfes de Venise et de Trieste.
Iles. — Âu-devant des rivages, qui abritent des
ports nombreux, l'Italie se complète parde grandes
iles; au sud, laSicile, séparée du conlinentpar ledé-
troit de Messine ; à l'ouest, laSardaigne et la Corse,
cette dernière appartenant i la France depuis un
siècle. Les iles plus petites sont : l'île d'Elbe, entre
la Corse et la Toscane ; au devant des golfes do
Gaete et de Naples, l'archipel des î.es Ponza,
Ischia, Procida et Capri ; enfin , l'archipel volcani-
que des Lipari, au nord de la Sicile.
Superficie et population. — L'Italie avec ses dé-
pendances a une superficie de 300000 kil. carrés en-
viron, les trois cinquièmes de la France, et est peu-
plée de près de 28 millions d'habitants, les trois
quarts de notre population actuelle. Cela correspond
en moyenne i !i4 habitants par kil. carré. Notre po-
pulation spécifique n'est que de "0.
OiioGiiAPHiE. — Les Alpes. — Les Alpes forment la
plus haute chaîne de montagnes et en grande
partie la limite septentrionale de l'Italie. Entre
cette contrée et la France, la frontière suit pres-
que constamment la ligne de faîte depuis le col
de Tende, au nord-est de Nice, jusqu'au Mont Blanc,
en passant successivement par le Mont Viso et le
Mont Cenis. C'est encore la crête, passant par le
Saint-Bernard, le Mont Cervin ou Matterhorn, et
le Mont Rose, qui sépare la Suisse de l'Italie,
entre le Mont Blanc et le Saint-Gothard. Mais h
partir de ce point, la Suisse garde la haute vallée
du Tessin, et le Tyrol autrichien comprend lu
cours supérieur de l'.\dige et de la Brenta. Parmi
ITALIE
lOGG —
ITALIE
les pics qui jalonnent cette panio âe la frontière,
U faut citer la Bernina, entre la source de l'Inn
et l'Adda, l'Orteler et l'Adamcllo, entre celui-ci
et l'Adige. La frontière suit ensuite les Alpes
Cadoriques, puis Carniques. depuis la Drenta jus-
qu'au col de Tarvis, sur la route de Venise h
Vienne, et descend de là ;i l'Adriatique par une
ligne conventionnelle courant entre l'Isonzo et le
Tagliamento, deux petits tributaires du golfe de
Venise.
Les Apennins. — Les. Apennins, moins élevés
que les Alpes, forment l'ossature de la péiiinsule.
Courant d'abord de l'O. ;\ l'E. à une petite dis-
tance de la Méditerranée, depuis le col de Tende
jusqu'à l'extrémité du golfe de Gênes, ils se re-
courbent ensuite au S.-Ë. en se tenant plus près
de l'Adriatique que de la mer Tyrrliénienne.
Depuis le col de Tende jusqu'à la source du Tibre,
\ Apennin septeulrionat est peu élevé (1000 à
150(1 m.). Entre la source du Tibre et la latitude
de Rome environ, VApennm central est au con-
traire beaucoup plus haut en même temps que
plus large. C'est là que s'élève le Gron Snsso il'i-
talin, sa cime maîtresse, qui atteint piès de -3000
mètres et domine l'épais rempart des Abruzzes.
A partir des sources opposées du Vulturne, affluent
du golfe de Gaéte, et du Sangro. tributaire do
l'Adriatique, VApennin méridional s'abaisse rapi-
dement et se partage en deux branches : la plus
orientale et en même temps la plus faible traverse
la terre d'Otrante et finit au cap Leuca ; la plus
occidentale forme la charpente de la montagneuse
Calabre et se termine au détroit de Messine.
Parallèlement à la chaîne principale des Apen-
nins et au littoral de la mer Tyrrliénienne, le sol
se relève en bourrelets moins prononces, qui por-
tent successivement le nom d'Alpes Apouannes,
Sub-Apennin toscan, montagnes de la Sabine, et
obligent les affluents de la mer Tyrrhénienne,
l'Arno, rOmbrone, le Tibre, à couler parallèle-
ment au rivage, avant de s'ouvrir un passage qui
leur permette d'y aboutir. Plus au sud, les monts
de l'ancien pays des Volsques, entre Rome et
Capoue, impriment la même direction au Gari-
gliano.
Volcans. — Seul sur le continent européen, le
mont Vésuvi', près de Naples, donne encore de
temps en temps le spectacle d'une éruption ; mais
d'un bout à l'autre de la péninsule abondent les
cratères des volcans éteints, où dorment aujour-
d'hui des lacs charmants, qui sont un des princi-
paux attraits de ce pays si pittoresque.
La Sicile a l'Etna, dont la cime, haute de plus
3000 mètres, se couvre de neige, en même temps
qu'elle vomit la lave. Le Stromtjnti, dans les îles
Lipari, est aussi de temps en temps en ignition.
Entre le Vésuve et l'Etna, la Calabre a été fré-
quemment agitée par de terribles tremblements
de terre. Le dernier, celui de 185", coûta la vie à
10000 personnes; celui de 1783 renversa 100 vil-
les ou villages et fit périr plus de 30 000 âmes.
Autres montagnes. — La Sardaigne et l'île
d'Elbe sont montagneuses comme leur voisine la
Corse. En Sicile, l'Etna forme le point culminant,
mais ne se rattache pas à l'ossature montagneuse
qui partage 1 île en trois versants, dont celui du S.-O.
est le plus étendu, celui du nord le plus étroit.
Dans l'Italie septentrionale, le Monferrat, qui
étale ses pentes sur la rive droite du Pô, en
face de Turin, se rattache au sud à l'Apennin de
Ligurie.
Hydrographie. — Versant de l'Adriatique. —
Les .\lpes Carniques et Cadoriques n'envoient au
golfe de Venise que des torrents rapides, dont le
Tagliamentù et la Piave sont les plus célèbres.
Puis vient la Brenta, qui passe à Padoue et finit
dans les lagunes de Venise.
L'Adige, né dans le Tyrol, descend rapidement
au sud jusqu'à Vérone, et tourne ensuite à l'ouest
pour finir entre Chioggia et les bouches du Pô.
Le Pô. — Celui-ci, qui est le fleuve le plus con-
sidérable de l'Italie, par sa longueur, l'étendue
de son bassin et l'abondance de ses eaux, com-
mence au Mont Viso et coule de l'O. à l'E. à
travers le Piémont, la Lombardie, la Vénétie.
C'est par sa rive gauche qu'il reçoit dos Alpes ses
affluents les plus considérables. Il se grossit, à
Turin, de la Doire Hipuaire qui descend de Suse
et du Mont Genèvre ; entre Turin et Casai, de la
Doire Bottée, qui descend du .Mont Blanc par le
val d'Aoste ; puis de la Sésia, qui vient du Mont
Rose. Ensuite commencent les grandes rivières, qui
se débarrassent, dans les lacs qu'elles traversent,
des alluvions qu'elles ont arrachées aux flancs
des Alpes : le Tessi?i, qu'alimentent les neiges du
Saint-Gothard, et qui, après avoir traversé le lac
Majeur, sépare le Piémont, à l'ouest, de la Lom-
bardie, à l'est, passe à Pavie et se réunit au Pô,
un peu en aval de cette ville; VAdrta, qui sort des
glaciers de l'Orteler, arrose la Valteline, traverse
le lue de Cime, en sort à Lecco, passe à Lodi, et
tombe dans le Pô entre Plaisance et Crémone ;
VOglio, qui traverse le val Camonica, puis le lac
d'Iséo ; le Mincio, qui sort du lac île Garde,
forme les marais enveloppant la place-forte de
Mantoue, et sépare la Lombardie de la Vénétie.
Sur la rive droite, les affluents du Pô sont bien
moins considérables. Le principal est le Tannro, qui
descend du col de Tende et se grossit à Alexandrie
de la Bormida. Puis viennent : la Scriiia, dont la
vallée sert de débouché au port de Gênes vers
Alexandrie et Milan, et qui passe à Tortone ; la
Trebbie. qui tombe dans le Pô à quelque distance
au-dessus de Plaisance ; la Seccliia, dont le con-
fluent fait face à celui du Mincie ; le Panaro, le
lieno qui passe à Bologne. Ces deux derniers se
réunissent au Pô près de Ferrare, là où le fleuve
se partage en plusieurs branches, dont le cours
indécis se promène entre Venise et Ravenne.
De tous les fleuves qui débouchent dans la Mé-
diterranée ou les mers en dépendant, le Pô est,
après le Danube, celui qui porte à la mer le plus de
débris. Chargé d'alluvions, il exhausse sans cesse
son lit et court au-dessus de la vallée qu'il arrose,
entre des digues qu'on est obligé de renforcer et
de surélever, pour protéger les campagnes envi-
ronnantes et les villes assises sur ses bords con-
tre le danger des inondations. Malheureusement,
ces obstacles sont souvent impuissants h conjurer
le fléau, et le fleuve non seulement se crée de
nouveaux passages en recouvrant et dévastant des
campagnes fertiles, mais abandonne à l'état de
marécages fiévreux celles où il coulait précédem-
ment. Ses apports continuels forment dans la
mer un promontoire toujours grandissant (80 m.
par an), ou sont entraînés par les courants de
l'Adriatique pour former des cordons littoraux pa-
rallèles au rivage, et qui séparent de la pleine mer les
lagunes de Venise et celles de Cumaccliio, au nord
de Ravenne. Cette dernière ville, qui fut autrefois
un port florissant, est aujourd'hui à plusieurs kilo-
mètres de l'Adriatique, moins loin toutefois en-
core qu'Adrio, qui lai a donné son nom.
Au sud du Pô, l'Apennin central n'envoie à la
mer Adriatique que des torrents courts et rapides.
Nous avons déjà nommé le Sangro ; plus loin coule
VOfanto, sur les bords duquel les Romains perdi-
rent la bataille de Cannes.
Bassin de la mi-r Tyrrhénierme. — Du côté de
la mer Tyrrhénienne, la Toscane verse VAriio, le
fleuve de Florence et de Pise, et VOmbrone;
Rome envoie le Tiér/»; le golfe de Gaéte reçoit le
G'irigliuno et le Vulturne, au bord duquel est assise
Capoue.
Sans être un fleuve aussi considérable que le
Rhône ou le Pô, le Tibre est sujet à de fortes crues
ITALIE
— 10(37
ITALIE
ijui ravagent la ville de Rome et ses environs. A
l'ctat ordinaire, il roule deux fois moins d'eau que
la Seine, mais en revanche il ne descend jamais
aussi bas que ce dernier cours d'eau.
L'ics. — lîn dehors des lacs dont les eaux se
déversent dans le Pô, l'Italie renferme un certain
nombre de lacs assez étendus, entre Rome et
l'Ioronco notamment. Les plus importants sont
cru\ de Péioiise ou de Trasitiiè-ic, de Bulséna et de
lin rriuno.
liÉGioNS PHVsiouES. — Par sa disposition orogra-
phiquo, l'Italie est partagée en régions bien dis-
tinctes. Le long du golfe de Gènes, les Apennins
enferment un littoral étroit: c'est la Liijurie, pays
essentiellement maritime en même temps qu'il
jouit d'un des plus heureux climats du monde,
grâce à son exposition méridionale, et au mur de
montagnes qui l'abrite du vent froid du nord.
Le bassin du Pô forme une deuxième région
bien distincte. Dans l'antiquité, il n'était pas con-
sidéré connue faisant partie de l'Italie, et s'appelait
Gaule Cii'a/pi7ie, du nom des Gaulois qui l'avaient
peuplé. C'était le Rubicon, petit torrent descendu
de l'Apennin vers l'Adriatique, qui formait sa limite
au sud. Dans cette région, le Pô forme la division
principale par la largeur de son lit, et la difficulté
qu'offre généralement son passage. Dans le haut
de son bassin, le Piému7it s'étend sur ses deux
rives au pied des montagnes {d'où son nom), jus
qu'au contrefort des Apennins qui s'abaisse au
nord vers Plaisance. Mais au delà du Tessin, quand
le fleuve s'est grossi de ce puissant affluent, la
J.ombarilie occupe seulement la rive gauche, jus
qu'au lac de Garde où commence la Venétie. Le
pays situé sur la rive droite du Pô depuis le
Piémont jusqu'à l'Adriatique porte aujourd'hui le
nom A'Emilie, d'après l'ancienne voie Emilienne,
que suit à peu près le chemin de fer entre
Plaisance et Rimini. C'est la route la plus directe
pour aller de Milan à l'extrémité de la péninsule par
les bords de l'Adriatique. De l'autre côté des
Apennins, la Toscane, anciennement VElrur '
occupe les bassins de l'Arno et de l'Ombrone. Celui
du 'fibre se partage entre l'Omhrie et le Lalium
ou pays de Rome. A l'est de l'Ombrie, les Marches
occupent la région comprise entre l'Apennin et
l'Adriatique. A l'est du Latium, les Aliriizzes,
l'antique Samnium, occupent la région la plus
élevée de la péninsule. Quel contraste entre ce
pays sévère et la riante Campayiie (aujourd'liui
la Terre de Labour) qui lui confine au sud autour
de Naples ! La Calabre, qui occupe la péninsule
dirigée vers la Sicile, est de nouveau toute cou-
verte de montagnes, tandis que la Fouille (l'an-
cienne Apulie) ne porte du côté du canal d'Otrante
que des plages sablonneuses dominées par les
grands plateaux stériles des tavoliere, que par-
courent les troupeaux de brebis. Entre la Pouille
et la Calabre se creuse le golfe de Tarente, sur les
bords duquel les Grecs fondèrent autrefois une
foule de cités opulentes, Sybaris,Héraclée, Tarente
et plusieurs autres. Aujourd'liui la vie s'en est re-
tirée, et la Bnsilicate est une des régions les plus
arriérées de la péninsule.
Climat. — Par sa latitude, l'Italie appartient à
la zone tempérée par excellence, puisqu'elle est à
égale distancîe du pôle et de léquateur. Les mers
qui baignent ses rivages contribuent en outre à la
garantir des extrêmes du chaud et du froid, en
même temps que les montagnes créent une diver-
sité d'altitudes et d'expositions propres aux pro-
ductions les plus différentes. Quoique en descen-
dant vers le midi on se rapproche de plus en plus,
dans la Sicile par exemple, du climat et des pro-
ductions de l'Afrique, les endroits bien abrités du
nord de l'Italie, tels que les îles Borromées, sur
le lac Majeur, et les bords du lac de Corne, voient
abritée par le rempart des Alpes contre les vents
du nord, on peut dire que l'Italie, d'un bout à
l'autre, jouit d'un printemps perpétuel. Kn re-
vanche, la fièvre y sévit sur beaucoup de points.
Dans la plaine du Pô, couverte de rivières souvent
inondées, dans les Maremmes de Toscane, qui
avoisinent l'embouchure de l'Arno et de l'Ombrone,
dans les marais Pontins, entre Rome et Gaëte, au-
tour de Ravenne, le long des côtes de Sicile, sur
tous les points en général où les eaux douces sont
arrêtées dans leur écoulement vers la mer, le mau-
vais air (mùlaria) exerce ses ravages, et la fièvre
existe h l'état d'épidémie permanente. Par un con-
traste dont on est surpris, les lagunes de Venise
et do Comacchio, remplies par le flot salé, échap-
pent à ce fléau. Le voisinage des forêts est un
élément de salubrité, et les plantations d'euca-
lyptus sont en ce moment poussées .avec vigueur
comme un sûr moyeu d'assainissement.
II. Géographie agi'icole et industrielle. — Fer-
tilité de l'Italie. — L'Italie est un pays d'agricul-
ture plutôt que d'industrie. Où trouver ailleurs des
campagnes plus fertiles que celles de la vallée du
Pô, qui depuis des milliers d'années ne cesse de
produire, grâce aux irrigations qui renouvellent et
enrichissent sans cesse le sol de tous les débris
arr.ac!iés aux montagnes. Dans la plaine, ce ne sont
que rizières, champs de blé ou de mais, prairies
qui donnent jusqu'à huit coupes dans une année.
Tout autour des champs courent les ruisseaux d'ir-
rigation à l'ombre des mûriers, des érables, des
ormeaux qui portent, suspendus à leurs rameaux,
les pampres grimpants de la vigne. Malgré les dé-
sastres dos guerres et des inondations, tant de
fois répétés depuis des milliers d'années, le paysan
ne se lasse jamais de remettre en culture ce sol
généreux. Les collines bordant la plaine sont cou-
vertes de vignes et de mûriers, et des champs pé-
niblement défrichés couvrent les flancsdes monta-
gnes partout où le laboureur peut arrêter un peu
de terre végétale le long delà pente rapide.
La Toscane, cultivée comme un jardin, la Roma-
gne sur le versant opposé des Apennins, ne sont
pas moins fertiles. Et que dire de la Campanie,
dont le sol, formé de cendres volcaniques, tire sa
fertilité du soleil qui l'échauffé et du voisinage
des volcans qui l'ont tant de fois bouleversé'? De
même, sur les pentes de l'Etna, un vieux châtai-
gnier peut abriter jusqu'à cent cavaliers sous son
ombrage. La Sicile fut autrefois le grenier de
Romo. Mais les ravages causés par les guerres, qui
ont tant de fois désolé cette île, et les déboisements
qui en ont rendu le climat plus sec, ont singuliè-
rement diminué cette prospérité.
Irviç/ations. — Les irrigations, si indispensables
sous le soleil de l'Italie, y sont parfaitement en-
tendues. Parmi les canaux créés dans ce but, on
doit citer le canal Cavour, de construction récente,
qui, dérivé du Pô à Chivasso, arrose les cam-
pagnes de Verceil et de Novare et la Lomelline,
entre la Sésia et le Tessin. Les canaux qui entou-
rent Milan, ceux du val de Chiana, en Toscane,
des environs de Fcrrare et de Rovigo vers les bou-
ches du Pô, ne sont pas moins remarquables.
Pboductions 1-rincipales. — Céréales, léguines,etc.
— La principale culture alimentaire est celle du blé,
dont on évaluait récemment la production à 50
millions d'hectolitres. C'est la moitié de la récolte
de la France, et cette quantité ne saurait suffire à
nourrir une population qui est les .3/4 de celle de
notre pays. Le mais fournit 30 millions d'hecto-
litres, et sa farine bouillie, consommée sous le
nom de polejitn, forme la principale nourriture
d'une grande partie des paysans. Le riz, dont on
récolte il millions d'hectolitres, est exporté en assez
grande quantité. A ces ressources s'ajoutent celles
des céréales de second ordre, seigle, orge, avoine.
mûrir les orangers à la latitude de Lyon. Bien | cultivées surtout dans les montagnes, les légumes
ITALIE
— 1068
ITALIE
secs, les cliàtaignes. C'est dans le Piémont et sur
les Apennins qu'on trouve le plus grand nombre
de châtaigniers. L'Italie produit aussi, grâce à son
climat, beaucoup de primeurs, des oranges, des
citrons, des amandes, qui viennent surtout de la
Sicile et du pays napolitain.
Trûtipeaux. — Le Piémont, la Lombardie, l'E-
milie possèdent des troupeaux de bœufs et de
vaches. Ce sont celles-ci qui fournissent le beurre
du Milanais, le fromage parmesan et le sfracchino.
Dans les pays marécageux de la Toscane et des
anciens États pontificaux, le bœuf fait place au
buffle. Les Apennins méridionaux et la Pouille
nourrissent de nombreux troupeaux de moutons
et de porcs, dont le nombre ne saurait être mis
en parallèle néanmoins avec ceux de la France
ou de l'Allemagne. La Calabre élève de petits
chevaux de race arabe , remarquables par leur
énergie; mais c'est dans la Vénétie qu'on trouve
les chevaux les plus forts.
Huiles et vhi^-. — Les huiles d'olives et les vins
constituentune des grandes ressources de l'Italie.La
vigne et l'olivier réussissent d'un bout à l'autre de
la péninsule, sauf sur les terres trop élevées, et
l'on récolte .3 millions d'hectolitres d'huiles, en
grande partie exportées au dehors, et neuf ou dix
fois autant de vins. Les huiles les plus estimées
sont celles de Toscane; les vins les plus célèbres
sont les vins liquoreux de Sicile, le Marsala, le
Syracuse, qui sont surtout expédiés en Angleterre,
en France ou en Allemagne; puis les vins de
l'Emilie, ceux du Monferrat, de la Toscane, ou des
environs de Naples, où ils puisent sur les cendres
volcaniques un goût de terroir tout particulier.
Cultures industrielles. — En fait de cultures
industrielles, le chanvre et le lin occupent le pre-
mier rang. Le premier ne couvre pas moins de
133 000 hectares, dans la partie méridionale du
versant méditerranéen, et surtout dans l'Emilie,
qui, à elle seule, fournit plus de la moitié de
la production totale, 500 000 quintaux. Lo lin
couvre SO 000 hectares, et ne donne que le quart
de la production du chanvre. C'est surtout la Lom-
bardie qui le produit.
Quant au coton, que la Sicile et le midi du
royaume de Naples sont aptes à produire, la cul-
ture en est en décroissance depuis que l'.iméri-
que a recommencé à en fournir les manufactures
européennes.
Soie. — L'Italie est au contraire un grand pays
producteur de soie. Dans certaines années elle
aurait même dépassé la Chine sous ce rapport. In-
dépendamment de ce que le pays consomme dans
ses fabriques de soieries, il exporte en une seule
année jusqu'à 3 600 000 kilogr. de soies grèges ou
filées.
liichesses minérales. — L'île d'Elbe contient une
masse énorme de minerai de fer d'excellente qua-
lité. On en exporte annuellement 200 000 tonnes
de là ou de l'île do Sardaigne. Cette dernière pos-
sède les riches mines de zinc de Mntfidano, de dé-
couverte récente, et des gîics de plomb dont
Texploitation remonte sans doute aux Phéniciens.
On troui/e en outre du cuivre en Vénétie.
La Toscane possède une richesse toute spéciale,
les soffioni, qui laissent dégager l'acide borique.
La Sicile approvisionne l'Europe entière de soufre
dont on envoie raffiner une grande partie à Mar-
seille. Les îles d'origine volcinique sont riches en
produits chimiques, qu'on recueille sur place dans
les Lipari. C'est aussi de là que viennent toutes
les pierres ponces demandées par le commerce.
Comme la Grèce, l'Italie est riche en beaux mar-
bres. Le plus recherché par les sculpteurs est
celui de Carrare, sur le versant sud des Apennins,
entre la Toscane et la Ligurie. Puis viennent les
marbres de Gènes et des Alpes. Près du lac Ma-
jeur, le granit est assez commun pour qu'on sus-
pende les fils télégraphiques à des piliers de cette
pierre plutôt qu'à des poteaux de bois ou de fer.
C'est à l'abondance et à la richesse des matériaux
de construction qu'on doit en partie la splendeur
des églises et des palais de Milan, de Gènes, bâtis
tout en marbre. La ville do Pouzzoles, près de
Naples, a donné son nom à la pouzzolane, terre
d'origine volcanique, qui forme un excellent ci-
ment.
Industrie. — L'industrie proprement dite est
peu développée en Italie à cause de l'absence de la
houille et de la rareté des capitaux. Pour cette
double raison, l'établissement d'une filature de
coton, par exemple, coûterait moitié plus en Ita-
lie qu'elle ne coûte en Angleterre, et les frais
de fabrication seraient plus considérables. C'est
dans le nord de l'Italie, sur les rivières descendant
des montagnes, et fournissant la force motrice à
bon marché, que se concenlrent surtout les usines.
Textiles. — La filature du coton occupe à elle
seule plus de 50 000 ouvriers dans la Lombardie
autour de Milan, et près de Gênes. Le tissage se
fait généralement dans les campagnes de Toscane,
ou dans le royaume de Naples, et occupe 60000
personnes. Lecco, Bergame, Brescia, Milan, Gênes,
Bologne fabriquent aussi les toiles de chanvre ou
de lin, dont la filature se fait surtout à la main,
ainsi du reste qu'une partie du tissage.
Côme, Lecco et les cités voisines ont encore la
spécialité do la fabrication des soieries; Gênes,
celle des velours.
Quant aux draps, ils se fabriquent surtout dans
le Piémont, en Toscane, et près de Naples. L'Italie
ne trouve pas du reste dans ses troupeaux une
quantité de laine suffisante ; elle en importe de la
Plata, et beaucoup de draps ou de tissus, d'Angle-
terre ou d'jillemagne.
Industries diverses. — L'Italie a donné son nom
aux pâtes alimentaires, faites avec la farine des
blés durs. Entre Gènes et Savone, on trouve une
centaine de fabriques de vermicelle, et qui n'a en-
tendu vanter le fameux macaroni de Naples, les
délices du lazzarone?
C'est aussi en Italie, et surtout en Toscane,
qu'on tresse les plus belles pailles pour la cha-
pellerie. A elle seule cette industrie exporte pour
30 millions de produits.
Venise n'a plus, comme autrefois, le monopolede
la fabrication des cristaux, mais elle produit encore
beaucoup de ces verroteries de couleur, qu'on porte
comme objets d'échange en Afrique, en Chine ou
aux colonies, et en même temps des cristaux de luxe.
C'est aussi en Italie qu'on a inventé la fabrication
de la faïence, à laquelle Faenza a donné son nom.
Aujourd'hui, cette industrie a passé dans d'autres
pays. Toutefois Florence et Milan produisent en-
core de la céramique. Florence fabrique aussi des
camées, des mosaïques et une foule d'objets de
luxe rentrant dans l'aptitude artistique des Italiens.
Les bijoux de corail de Naples, l'or filigrane de Ve-
nise ou do Gènes, appartiennent au même genre
de produits. Les terres cuites de Naples se rap-
prochent de la statuaire, pour laquelle les Italiens
ont tant d'aptitude. Milan est renommée pour sa
carrosserie, Brescia pour ses armes. C'est en Lom-
bardie que se trouvent le petit nombre de forges
italiennes. Grâce à la qualité des minerais, elles
produisent d'excellentes fontes. On ne trouve d'a-
teliers de construction qu'autour des grandes villes
comme Naples ou Gênes.
Milan et Turin fabriquent des produits chimi-
ques; et l'on trouve sur divers points de nom-
breuses papeteries, favorisées par la force motrice
des cours d'eau et l'abondance du chanvre et autres
matières premières.
Savone a donné son nom aux savons, mais cotte
industrie n'y a plus guère d'importance.
L'Italie a des côtes fort étendues par rapport à
ITALIE
I0G9
ITALIE
sa superlicio; aussi sa marine a-t-elle pris, depuis
l'unification du pays, un grand développement.
Les cliantiers de construction maritime ont une
grande activité sur le littoral de Gènes et aux envi-
rons de Naples. On se livre aussi à une pêche ac-
tive sur les rivages. Le thon, la sépia, le corail
sont les principaux produits de cette industrie dans
la mer Tyrriiénienne, et sur les eûtes de Sicile et
de Sardaigne. Du coté de l'Adriatique, les lagunes
de Comacchio constituent de véritables réservoirs
pour retenir et élever le poisson.
CoMMEiicii. — De 1862 à 187C, le commerce ex-
térieur de l'Italie a passé de 1500 millions à
3700 millions; les exportations notamment ont
doublé dans cet intervalle. C'est avec la l'rance,
l'Angleterre, l'Autriche que se font le plus de tran-
sactions.
Flotta. — La flotte de commerce comprend 3500
navires ou barques, dont le tonnage, un peu supé-
rieur à celui de la marine fraiiiçaise, s'élève à près
de 1 200 000 tonneaux.
Ports principaux. — Les principaux ports de
commerce sont, en première ligne. Gènes, qui dis-
pute h Marseille le commerce de la Suisse et de
l'Allemagne occidentale sur la Méditerranée. La
Spezzia est le grand arsenal militaire du royaume,
grâce à sa situation naturellement très forte. Li-
vourne a pris la place qu'occupait l'ise au moyen
âge, lorsque l'état de l'Arno et la taille des navires
lui permettaient d'être, un port. Ciuittu-Veccliia a
de même remplacé pour Rome le port d'Ostie en-
vahi par les envasements du Tibre. A'a/jte et Mes-
sine se disputent aujourd'hui le premier rang après
Gênes. Le dernier est une étape importante sur la
route de Marseille à Alexandrie, au canal de Suez
et danstout le Levant. Paterme est un autre grand
port; les produits de la Sicile peuvent du reste être
embarqués sur une foule de points différents, rap-
pelant de bien loin les anciennes cités si prospères
de l'antiquité; Cotane, Syiacuse, Port Empéiloctf
près de Girgenti (l'ancienne Agrigente), Trapani
sont les principaux de ees ports.
Du côté de l'Adriatique, Venise occupe le pre-
mier rang. Elle a perdu la prépondérance dont elle
jouissait au moyen âge lorsque sa flotte ét.it maî-
tresse de la Méditerranée, et sa diplomatie la plus
écoutée dans les conseils de l'Europe. Trieste lui a
enlevé le commerce de l'Autriche; mais le viaduc
qui la réunit par une voie ferrée à la terre ferme lui
ouvre de nombreux débouchés en Lombardie, dans
le Tyrol et l'Allemagne occidentale par le Brenner.
A/icône jouit de l'avantage d'un col de montagne
qui la met en communication relativement facile
avec le versant occidental des Apennins, l'Ombrie,
la Toscane et le Latium. Plus au midi, Brindisi est
le port avancé de l'Europe vers l'Orient, tant que
les chemins de fer ne traversent pas la Turquie et
ne mettent pas Constantinople ou Salonique en
communication du-ecte et ininterrompue avec l'Eu-
rope occidentale.
C/iennns de fer. — Les chemins de fer sont moins
nombreux en Italie qu'en France. Le réseau n'y
est guère que le tiers de celui de notre pays. C'est
dans le bassin du Pô que les mailles en sont le
plus serrées. Par le Mont Cenis, le Piémont est
relié âla France; la Lombardie le sera bientôt à la
Suisse par le Saint-Gothard. Le Brenner, le pre-
mier passage des Alpes franchi par une voie ferrée,
rattache la Vénétie au Tyrol. Parmi les voies de
la péninsule méridionale, la principale à, signaler
est celle qui suit l'Adriatique depûîs Rimini jus-
qu'à Otrante, en continuant ainsi h ligne qui borde
la voie Emilienne et réunit Plaisance,. Parme, Mû-
dène, Bologne, tj'est actuellement une des grandes
voies du trafic international. Sur le versant opposé,
le t;olfe de Gênes est bordé par une voie littorale
qui se continue au sud jusqu'à Civitta-Vecchia, et
relie ensuite Rome et Naples, comme au nord elle
rattache Gênes \s. Marseille. La ligne qui re'ie Bo-
logne â Florence à travers les Apennins est la
grande artère intérieure de l'Italie, rattachant en-
semble Milan, 'Venise, Florence, Rome et Naples.
Bologne est par suite le grand centre de jonction
des voies ferrées de la péninsule.
III. Géographie historique. — L'Italie ancienne.
— Les plus anciennes populations de l'Italie fu-
rent les Ligures, dont le nom est resté il la côte
de Gênes; les Etrusques, qui avaient atteint un état
de civilisation très avancé avant la fondation de
Rome (75:i ans avant J.-C); les Grecs, qui étaient
venus fonder dans l'Italie méridionale une foule de
colonies riches et prospères, auxquelles se mêlèrent
quelques établissements dus aux Phéniciens, les
premiers navigateurs do la Méditerranée. Au nord
enfin habitaient des Celtes, frères des Gaulois.
Nous renvoyons â l'article Rome tous les détails
concernant le développement successif de la puis-
sance romaine, qui soumit une grande partie du
monde connu il cette époque avant de s'écrouler
sous les invasions barbares.
Uiiirasion des barbares. — Les Hérules et les
Ostrogoths fondèrent successivement en Italie
des monarchies éphémères. Les Lombards, arri-
vant à leur tour, se partagèrent l'Italie avec les
empereurs grecs do Constantinople, Ceux-ci se fi-
rent représenter en Italie par un exarque résidant
à Ravenne, sur le côté des Apennins qui regarde
l'Orient. Les Lombards avaient pour eux le pays
qui porte encore aujourd'hui leur nom, la Toscane,
et le duché de Bénévent dans le sud de la pénin-
sule. A Rome, qui appartenait aux empereurs grecs,
le pape devint bientôt indépendant et réclama l'ap-
pui des Francs contre les Lombards.
Cliarlemague, le patrimoine de Saint-Pierre. —
Charlemagne, vainqueur de ceux-ci, ne leur laissa
que Bénévent. Il forma au nord le royaume d'Italie,
qu'il réunit à son empire, et au centre le patri-
moine de Saint-Pierre attribué au pape, mais placé
sous l'autorité impériale. Ce patrimoine compro-
naiiToxarchat de Ravenne, que les Lombards avaient
enlevé aux Grecs et que Charlemagne leur reprit,
ainsi que la Pentapole l'Rimini, Pesaro, Fano, Si-
nigaglia, Ancône), et l'ancien dvichc de Rome.
Les rèpublii/ucs italiennes. — Au moyen âge, les
villes maritimes se constituent en républiques : Gê-
nes, Venise, Pise, Naples, Amalfi, et surtout les trois
premières atteignent un haut degré de richesse et
de prospérité. Le commerce de la .Méditerranée est
entre leurs mains. Au nord d'autres républiques :
Milan, Pavie, Crémone, Modènc, Padoue, Plaisance,
Ferrare, vivent pendant plusieurs siècles d'une
evisience indépendante. Au centre, les États de
l'Eglise s'agrandissent par la donation de la grande
comtesse Mathilde, et les cités de Florence, Luc-
ques. Sienne deviennent de riches républiques
marchandes.
L'Ilalie méridionale. Les Français en Italie.
— Au midi s'établissent les Normands, qui fon-
dent le royaume des Deux-Siciles. Tandis que ce-
lui-ci passe successivement dans la maison fran-
çaise d'Anjou, puis dans la maison d'Aragon, pour
rester déflnitivuinont au pouvoir de l'Espagne, la
Toscane devenait le domaine des Médicis qui y
firent fleurir les beaux-arts. Les Visconli, puis les
Sforza rognaient il Milan, que se disputèrent bien-
tôt la France et l'Espagne ; les Gonzague à Man-
toue, la maison d'Esté il Ferrare ; Venise était de-
venue puissance de terre ferme; le duc de Savoie
jetait les fondements de cette dynastie qui devait
arriver à posséder toute la péninsule.
L'Italie moderne. — L'Espagne, l'ayant emporté
sur les Français, resta maltresse du Milanais et des
Deux-Sicilos jusqu'au dix-huitième siècle Ce fut
alors r.Xutriciie (|ui devint souveraine du Milanais,
tandis que les Bourbons d'Espagne s'établissaient
à Parme et à. Naples. Dans le cours du même sicch
ITALIE
— 1070 —
ITALIE
la Toscane passa entre les mains de la maison de Lor-
raine, qui occupa bientôt le trône impérial d'Autri-
che. Pendant les guerres de la république et de
l'empire, les Français s'emparèrent de toute l'Italie,
sauf de la Sicile, où les Bourbons maintinrent leur
souveraineté ; on y forma successivement les répu-
bliques cisalpine à Milan, ligurienne à Gênes, par-
thénopéenne à Naples, qui n'eurent qu'une durée
éphémère. Bientôt les départements français s'é-
tendirent jusqu'il Rome, et le royaume d'Italie,
formé do la Lombardie, de la Vénétie, d'une par-
tie de l'Emilie, et des Marches, était une dépen-
dance directe de l'empire. Le royaume de Naples,
au midi, était l'apanage d'un frère ou d'un beau-
frère de Napoléon.
L'Italie de 1815 à 18G0. — Le congrès de Vienne,
6(1 1S15, introduisit un nouvel ordre de choses. Il
donna au roi de Sardaigne, possesseur de la Savoie,
du Piémont, du comté de Nice, l'ancien État de
Gênes ; le royaume lombard-véjiitien à l'Autriche,
les duchés de Parme, de Modène, de Lucques, la
Toscane h des princes de Bourbon ou de la maison
d'Autriche. Le pape"'fut réintégré dans ses États ;
le roi de Naples recouvra tout son royaume. En
1847, Lucques fut réuni à la Toscane.
L'Italie contemporaine. — En 1859, l'alliance de
la France permit au roi de Sardaigne de lutter
victorieusement contre l'Autriche. Abandonnant à
la France la Savoie et une partie du comté de Nice,
il réunit à ses États la Lombardie conquise par les
armées alliées. En même temps les princes étaient
chassés de Parme, de Modène et de Florence, et
l'Emilie et les Marches se donnaient Ji Victor-Em-
manuel. L'année suivante, la Sicile et le royaume
de Naples étaient conquises par Garibaldi, et le
roi de Sardaigne réunissait sous son sceptre, en
prenant le titre de roi d'Italie, la péninsule tout
entière, sauf la Vénétie restée entre les mains des
Autrichiens, et la partie occidentale des États de
l'Eglise laissée au souverain pontife. En ISlin, une
nouvelle alliance, conclue avec la Prusse contre
l'Autriche, permit aussi à l'Italie de s'annexer la
Vénétie, et pendant la malheureuse guerre de 1870,
ses troupes entrèrent à Rome qu'avait jusqu'alors
protégée l'empereur Napoléon ill. Le pape conti-
nue à résider dans la ville éternelle, où on lui a
laissé le palais du Vatican et tous les attributs de
la souveraineté; mais il n'a plus aucun territoire il
gouverner. Les souverains étrangers entretiennent
auprès de lui des ambassadeurs spéciaux, de même
qu'il leur envoie de son côté des nonces. Le roi
d'Italie, dont la capitale a été Turin jusqu'en ISfiB,
puis Florence jusqu'en 1870, réside maintenant à
Rome où sont réunis le parlement, les ministères et
tous les organes du gouvernement central.
IV. Gouvernement, divisions administratives.
— Le nouveau royaume est soumis au régime
de la monarchie constitutionnelle et parlemen-
taire, ainsi que le règle la constitution ou sta-
tut accordé aux Etats Sardes en 1848. Il est di-
visé en C9 provinces, savoir 4 dans le Piémont :
Alexandrie, Coni, Novare et Turin ; 2 dans la Li-
gurie : Gènes et Port-Maurice ; 8 dans la Lombar-
die : Bergame, Brescia, Côme, Crémone, Mantoue,
Milan, Pavie et Sondrio ; 8 dans la Vénétie : Bel-
lune, Padoue, Rovigo, Trévise, Udine, Venise,
Vérone et Vicence ; 8 dans l'Emilie: Bologne, Fer-
rare, Forli, Modène, Parme, Plaisance, Ravenne
et Reggio. L'Ombrie forme la province de Pérouse;
les Marches, les 4 provinces d'Ancône, Ascoli et
Piceno, Macerata, Urbin et Pesaro. La Toscane
comprends provinces : Arezzo, Florence, Grosscto,
Livourne, Lucques, Massa et Carrare, Pise, et
Sienne. Les environs de Rome forment la province
de Rome ; les Abruzzes, 4 provinces : Aquila, Cam-
pobasso, Chieti et Teramo. LaCampanie comprend
5 provinces : Avellino, Bénévent. Caserte, Naples
et Salerne ; la Pouillo 3 : Bari, Foggia et Lecco ;
la Basilicate forme la province de Potenza ; la Ca"
labre en comprend 3 : Catanzaro, Cosenza et Reg'
gio; la Sicile 7 : Caltanisetta, Catano, Girgenti,
Messine, Palerme, Syracuse et Trapani; l'île de
Sardaigne, 2 : Cagliari et Sassari.
L'Italie, qui ne renfermait, il y a un siècle, que
15 millions d'habitants, en compte aujourd'hui 28
millions.
C'est la Ligurie, avec 164 habitants par k. c,
qui offre la population la plus dense. Viennent
ensuite la Campanie avec 158, et la Lombardie
avec 153 habitants. La Vénétie, l'Emilie et le Pié-
mont dépassent encore la moyenne de tout le
royaume. Les parties les moins peuplées sont, au
contraire, l'Ile de Sardaigne avec 27 habitants, et
la Basilicate avec 49.
L'unité de l'Italie s'est faite par les Italiens du
nord, plus éclairés, plus laborieux que ceux du
sud, encore ignorants, superstitieux, dépourvus de
besoins et paresseux. L'accord moral est encore
loin d être établi entre les deux parties de la pé-
ninsule, également jalouses de leur indépendance
et remplies d'attachement pour leurs anciennes
mœurs. Si peu à peu les lumières de l'instruction
et un état de civilisation plus avancé pénètrent
au midi, le fléau dii brigandage y sévit encore,
notamment en Sicile où, par moments, il exerce une
véritable terreur. Pour soutenir les guerres au
moyen desquelles elle a acquis son indépendance,
pour développer les travaux publics, l'Italie a dû
dépenser des sommes énormes qui ont endetté
l'Etat tout en le chargeant d'impôts très durs, dont
plusieurs, tels que l'impôt sur la mouture, ont un
caractère particulièrement vexatoire.
Grandes villes. — Les grandes villes sont plus
nombreuses en Italie que dans notre pays, et sur-
tout plus riches en souvenirs historiques, et en
monuments ou collections antiques. C'est, avec la
beauté du climat et les curiosités pittoresques du
pays, ce qui y attire et cliarme tant les voyageurs.
Tur i7i, la première capitale du nouveau royaume,
après avoir été celle des rois de Sardaigne, ren-
ferme plus de 200 O'IO habitants : les routes qui y
aboutissent, en venant du Mont Cenis ou du Mont
Genèvre, suivent les vallées dites Vaudoises (des
protestants qui les habitent en partie), et passent
par Suse et Pignerol, fameuses dans l'histoire des
guerres, comme Saluces, qui est plus au sud et
près du Pô. Sur la route de Turin à Savone sont
Mondovi, MiUesimo, Muntenotte, Dego, témoins des
premières victoires de Bonaparte en Italie.
Alexandrie, la seconde ville du Piémont par sa
population (61! OUO hab.), en est la principale for-
teresse et occupe le centre du triangle Turin-
Gênes-Milan. C'est presque sous les murs d'A-
lexandrie que s'est livrée la bataille de Marengo,
et c'est sur la route d'Alexandrie à Plaisance qu'ont
été gagnées celles de Moittebello.
Pavi-! (2o,000 hab.), au confluent du Pô et du
Tessin, nous rappelle la triste défaite de François
I". C'est aujourd'hui une ville universitaire. Plus
haut, sur la même rivière, sont les ponts de Tur-
bigo et de Buffalora qui conduisent à Magenta,
entre Novare et Milan. C'est à Norare que Char-
les-Albert fut vaincu en 1849 par les Autrichiens.
Sa défaite retarda de dix ans l'unité de l'Italie.
Avec ses faubourgs. Milan renferme près de
300 0011 habitants. Sa population, son activité, son
industrie, ses palais, sa cathédrale de marbre, son
théâtre de la Scala, en font une des plus belles
villes de l'Italie. Au nord de Milan, Monza (25 OoO
hab.) garde la couronne de fer des anciens rois
lombards. Cùine (25 000 hab.), Brgame (40 000
hab.), Brescia (40 Ono hab.), se distinguent par
leur industrie. Entre Milan et Crémone, voici
Melegnano, l'ancien Mariynan, et sur les bords de
rAdda,Z,orfi, théâtre d'une autre victoire des Fran-
çais.
ITALIE
— 1071
ITALIE
Pliiisance (35 000 liab.) garde le passage du Pô
au pied des contreforts des Apennins. En avançant
à l'est, on trouve entre le Mincio et l'Adigo le fa-
meux ([uadrilatère, sur lequel les Autrichiens
appuyaient la défense de leurs possessions ita-
liennes : Pcscliiei-a sur le lac de Garde, Muntoue,
sur le Mincio, Vérone (70 000 hab.), et Lcgmi/o,
sur l'Adige.
C'est il l'ouest du Mincio qu'ont été livrées les
batailles de Castiylione et de Solférino; c'est entre
le lac de Garde et Vérone qu'a été remportée
la victoire de Rivoli. Arcote est sur la rive gauche
de l'Adige, entre Vérone et Legnago. Que de sang
répandu sur ce petit coin de terre I Par leurs mo-
numents, Vérone, Padoue (CC OuO hab.), la ville
universitaire, servent d'introduction à la magni-
fique Venise (VM) OOU hab.), si riche en œuvres
d'art merveilleuses, palais, églises, musées.
Dans l'Emilie, Ferrure est célèbre par le séjour
du Tasse, Raveime, par la victoire et la mort de
Gaston de Foix, Parme (45 000 hab.) par les œu-
vres du Corrège ; Hologue, ville universitaire, oc-
cupe aujourd'hui le premier rang parmi toutes ces
cités, par sa population de plus de 100 OoO habi-
tants et ses institutions scientifiques.
C'est à peu de distance au sud de Rimini, où la
voie Emilienne se terminait du côté de l'Adriatique
par une porte triomphale, que l'on trouve, perché
sur les montagnes, l'État minuscule de i-ai/it-Marin
(7 000 hab, sur 57 kil. carrés), dont l'indépen-
dance remonte à plus d'un millier d'années.
Dans la Ligurie, Gé/ies, avec 1.30000 habitants, est
aujourd'hui le premier port de la péninsule. Quand
elle formait un État indépendant., elle possédait la
Corse avant que cette île ne devînt française.
Occupée par Masséna en 1800, elle soutint un des
sièges qui ont le plus illustré les armées fran-
çaises.
En Toscane, f;ore?jce (170 000 hab.) est une des
villes les plus riclies du monde par ses musées,
ses palais. Son dialecte passe pour le plus pur de
l'Italie, son industrie est fort active pour tout ce
qui concerne les objets d'art. iiuoi«7ie (100 000
hab.) n'est importante que par son commerce.
Lucgues (70 000 hab.) est remarquable par les
cultures qui l'entourent et l'ardeur laborieuse des
jardiniers à qui elles sont dues. Pise (.50 000 hab.)
a encore sa tour penchée, son fameux Campo-
santo, mais a perdu son ancienne activité. Sienne
(25 000 hab.) est remarquable comme Florence
par ses admirables monuments.
Rome, quoique n'ayant que 250 000 habitants, est
la ville la plus célèbre do la terre par les souve-
nirs qui se rattachent à l'époque où elle fut la mai-
tresse du monde, le point de départ des lois et de
la civilisation, par toutes les institutions qu'y a
fondées l'Eglise catholique, par les admirables
monuments qu'y ont laissés les anciens Romains,
ou qu'y a élevés la foi chrétienne. Le Colisée offre
les ruines d'un édifice grandiose ; l'église de Saint-
Pierre est le plus beau tem|)le de l'univers ; les
galeries, les bibliothèques retiferment les collec-
tions les plus précieuses. Aussi est-ce à juste titre
que le gouvernement français entretient à Rome
une école pour ses jeunes artistes.
Dans l'Ombrie, Pérouse (50 liOO hab.) est le siège
d'une université. Dans les Marches, Urbin est la
patrie de Raphaël, Pesaro, celle de Rossini ; A7ieone
(45(100 hab.) est située dans une position maritime
et militaire importante, qui l'a fait occuper par la
France ou l'Autriche quand elles ont voulu dominer
en Italie.
A'»/jte, dans l'ancien royaume qui porte son nom,
est la première ville de l'Italie par sa population
(450000 hab.). Elle est aussi la mieux située, car aux
avantages d'un port, elle réunit ceux d'un climat
délicieux et d'environs admirables. Comme les
autres grandes cités italiennes, elle est riche en
(euvres d'art, et ses collections sont uniques sous
le rapport des antiquités romaines recueillies ii
PoniiM'i. Les cités populeuses se pressent autour
de .Maples ; les richesses du sol et de la mer suffisent
à nourrir de tiombreux habitants qui ont, du reste,
peu de besoins. La douceur du climat permet aux
lazzaroni de vivre presque nus ; un sou de maca-
roni suffit aies nourrir, et quand ils se sont assuré
la nourriture du jour, ils jouissent du soleil et de
la belle nature, en vrais artistes qu'ils sont. Caserte
est, après Naples, la principale cité de la Campanie
(30 000 hab.) Gaé^e défendait le royaume de Naples
contre l'Italie du nord. C'est là que le dernier roi
a soutenu le siège dont l'issue a consacré sa dé-
chéance. Sur la baie de Naples, Casteilamare,
Surrente sont chéris des voyageurs à cause du
charme qu'olïre leur séjour. Sur le golfe de Saterne,
la ville de ce nom rappelle une école de médecine
fameuse au moyen âge. C'est à l'ouest de Salerne
que se trouve Amalfi, dont la prospérité remonte h
la môme époque. Dans la Pouille, Fogi/ia est une
ville de 5000tl habitants.
Dans la Sicile, Pa/erme, remarquable par ses
beaux monuments de l'époque arabe, renferme
plus de 200 000 habitants. Messine, grande étape
de passage, en a 1 10 000. Elle nous rappelle l'affreux
massacre des vêpres siciliennes. Catane, malgré
le voisinage de l'Etna qui la domine et la menace
perpétuellement, en a 85000. Par contre, l'antique
Syracuse, dont la population s'éleva peut-être à
un million d'habitants, n'en a plus aujourd'hui
qu'une vingtaine de mille. C'est aussi la population
de Girrjenli, l'ancienne Agrigente, qui fait face à la
Tunisie. Sur la côte occidentale, Mws'i/u, fameuse
par ses vins, a 35 000 habitants. Elle occupe l'em-
placement de l'ancienne Lilybée,et offre un lieu de
débarquement facile, ce qui l'a fait choisir comme
point d'attérissement par les Carthaginois jadis, et
par Garibaldi en IStiO, lorsqu'avec ses mille com-
pagnons il alla conquérir le royaume de Naples.
En Sardaigne, Cagliari, sur le rivage méridional,
est à, la fois le port le plus commerçant et la cité la
plus populeuse (300iiO hab.). Sassnri, au nord-
ouest, n'est pas au bord de la mer et n'en a que
25(1011. [G.Meissas.l
IT.VLIE (HrsToiRE). — Histoire générale, XXX.
— L'Italie gothique, byzantine et lombarde, jus-
qu'à la formation de l'Empire carolingien. — La
révolution de 470 qui déposa le dernier empereur
romain, Romulus Augustule, et donna le pouvoir
à Odoacre, chef des Hérules, eut pour conséquence
principale l'établissement définitif des Barbares sur
le sol de l'Italie. Régis jusqu'à la fin du cinquième
siècle par de vieilles dispositions des lois impé-
riales, les Barbares, maîtres en réalité de l'Empire,
n'avaient officiellement possédé que les droits des
Ilotes et des auxiliaires. Odoacre leur distribua des
terres, surtout celles du fisc, qui avaient appartenu
aux anciens empereuis. Réduite à la condition de
la Bretagne, de la Gaule et de l'Espagne, l'Italie
ne pourrait-elle devenir un royaume uni, sinon
homogène, sous l'autorité d'un Barbare capable
d'imposer des devoirs à ses compatriotes armés, et
de maintenir les droits de la population italienne ?
Pendant douze ans (177-489) Odoacre essaya d'ac-
complir cette tache, d'ailleurs difficile. Mais son
œuvre fut brusquement interrompue par l'arrivée
de nouveaux envahisseurs.
Les Ostrogoths, frères des 'Wisigoths, s'étaient
fixés jadis sur la rive droite du Danube, dans la
province de Pannonie. Leur chef se nommait
ïhéodoric. Comme beaucoup de jeunes barbares
de distinction, Théodoric avait été élevé à la cour
de Constantinople. A dix-huit ans, il revint en Pan-
nonie. Allié de l'Empire d'Orient, il conçut le pro-
jet do conquérir l'Italie, Le peuple ostrogoth tout
entier suivit son chef. Odoacre vaincu dut partager
le pouvoir avec le vainqueur. Théodoric régna à
ITALIE
— 1072 —
ITALIE
Vérone, et Odoacre à Ravenne. Rome se déclara en
faveur de Tliéodoric ; les évÈques du nord lui
étaient favorables. Tliéodoric se débarrassa bien-
tôt de son rival par l'assassinat (490) .
Deux cent mille Ostrogotlis partagèrent les ter-
res de l'Italie avec les anciens propriétaires. Au^
Italiens furent confiées de préférence les carrières
civiles, aux Ostrogotlis les carrières militaires. En-
touré de conseillers romains, Cassiodore, Symma-
que, Liborius, Tbéodoric pratiquait la politique de
conciliation. Les Gotbs et les Romains composaient
par moitié les tribunaux des provinces ; les formes
administratives de Rome étaient conservées, tous
les cultes respectés, sauf le paganisme. La loi bar-
bare se retirait peu h peu devant le code théodo-
sien, dont Tbéodoric ordonna la rédaction complote
(SuO). L'Italie retrouvait enfin, avec le repos, une
image de la prospérité passée. Les marais étaient
desséchés, les mines exploitées. Rome reconnais-
sante accueillait Tbéodoric avec de grands hon-
neurs. A l'extérieur, la politique du roi gotb n'é-
tait pas sans gloire. Uni aux familles royales des
Francs, des Wisigotbs, des Burgundes, des Van-
dales, il intervenait avec succès dans la guerre
entre Clovis et Alaric II, étendait son autorité sur
la Norique, la province d'Arles, le Valais, le Rouer-
gue et le S'ivarais. Le pouvoir semblait bien fort,
et, tout en affectant une grande déférence pour
Constantinnple. Tbéodoric s'intitulait « héritier de
l'Empire, toujours Auguste ».
Mais cet empire si puissant tomba en décadence,
lorsque Tbéodoric, qui était arien comme la plu-
part des barbares, voulut lutter en faveur de l'aria-
nisme contre l'église orthodoxe. Le pape Jean,
envoyé à Constantinople pour réconcilier le prince
et l'empereur, posa solennellement sur la tête de
ce dernier la couronne impériale. Tbéodoric se
crut environné de traîtres. Le sénateur Symmaque
et l'écrivain Boèce furent livrés au supplice. Ce
règne si brillant finissait dans la tristesse. A son
lit de mort {ô2G), Tbéodoric recommanda à son
petil-fils d'aimer Rome, le Sénat et l'Empereur.
Tbéodoric laissait l'Italie à sa fille Amalasonthe
et à un enfant, Athalaric. Malgré l'habileté d'\nia-
lasonthe, la situation devenait tons les jours plus
critique. Les Italiens invoquaient ouvertement l'ap-
pui de Justinien, empereur onliodoxe d'Orient.
Les Gotlis, que ne contenait plus la main ferme
de Tbéodoric, se livraient sans retenue aux excès
et aux querelles intestines. Athalaric mourut (.i34;.
Un neveu de Tbéodoric, Thi-odat, s'empara du
pouvoir. Amalasonthe, jetée en jirison, fut assas-
sinée par Théodat, ou peut-être p.ar les Byzantins.
Justinien trouvait enfin l'occasion patiemment
attendue de mettre la main sur l'Italie.
Pendant vingt ans, l'Italie fut mise à feu et à
sang par les Grecs, les Gotbs et d'autres peuples,
comme les Franks, que les belligérants appelèrent
à leur secours. Dans la première période de la
guerre (5^4-540 , les Grecs entrent à Naples, et Vi-
tigès .succède à Théodat Ib'ib). Bélisaire, général de
Justinien, s'empare de Rome, y soutient un siège
d'un an (i.3T-.')3d,, et prend Viligès dans Ravenne
(.J40). Dans la seconde période (549,, Rélisaire,
victime d'intrigues, est remplacé par onze généraux
que Totila, successeur de Vitigès, bat à Faenza et à
Mugello. Mais bientôt un autre général grec, l'eu-
nuque Narsès, relève ses compatriotes abattus.
Totila est battu et tué à Lentagio {àbi). Son suc-
cesseur Teias éprouve le même sort sur le Sarno
(Ô53). L'Italie devient province grecque, et Narsès
en est nommé exarque ou gouverneur.
Débarrasse, après une grande bataille sur le Vul-
turne, des Franks et des Alanians qui avaient à
leur tour envahi l'Italie. Narsès songe à restaurer
ce malheureux pays. Les campagnes, comme ku
temps d'Odoacre, étaient désertes. Milan avait
perdu la moitié de ses habitants. L'administration
de Narsès fut remarquable. Mais l'exarque fut
victime, comme R.lisaire, du misérable esprit d'in-
trigue qui agitait la cour impériale. Il fut remplacé
par Longin, personnage d'humeur opiniâtre et
d'intelligence étroite. L'Italie mécontente suppor-
tait impatiemment ces Grecs qu'elle avait cepen-
dant appelés contre les Gotbs. Destinée à tourner
durant des siècles dans un même cercle d'inva-
sions et de tyrannies, elle cherchait des vengeurs
nouveaux. Les Lombards se présentèrent (5ii8),
conduits par Alboin.
C'étaient de vrais barbares, étrangers à la civi-
lisation romaine et au christianisme. Gouvernés
par des rois héréditaires, des ducs et des cente-
niers, ils triomphèrent facilement, grâce à cette
organisation militaire, des Byzantins affaiblis. La
Vénétie reçut un duc (5G8), ancêtre des ducs futtirs
du Frioul; le duché de Spolète fut fondé (569).
Alboin lui-même se fixa à Pavie. .assassiné en
hVi, il a pour successeurs Helmichis (573-574),
Kleph i5';4-57j). Rimini est emportée ; un duc
lombard s'établit à Bénévent. Après la mort de
Kleph, les ducs évitent de nommer un roi. Ils se
partagent l'Italie, la divisent en 36 duchés, mais
échouent devant Rome, séjour des papes, et de-
vant Naples, où se maintiendra longtemps encore
l'autorité des empereurs byzantins. Menacés par
le pape Pelage 11, l'empereur Maurice 11, et les
Franks, les ducs donnent enfin la couronne à Au-
tharis (584-591). Les Franks sont repoussés au delà
des Alpes, les Grecs chassés de Parme et de Plai-
sance. Enfin un mariage unit Autbaris à Théode-
linde, fille du puissant, duc des Bavarois.
Le pouvoir des Lombards s'afl'ermissait. Autliaris
leur donnait des lois. L'Italie appartenait aux
vainqueurs, qui, en droit, étaient s"uls hommes
libres. La population vaincue fut soupii>e, surtout
dans les campagnes, à des tributs fixes. Une nou-
velle société allait se former. La catlioliquo Théo-
delinde, la Clotilde des Lombards, suscite des
conversions nombreuses. La papauté brille d'un
éclat nouveau sous le pontificat de saint Grégoire
le Grand (.i9i)-G04). Le pape, qui ne se contente
plus d'être l'évêque de Rome, impose son autorité
spirituelle aux prélats de l'Italie et de l'Occident.
Assiégé en W-V-S dans Rome par le roi lombard Agi-
lulpli (591-615), il le repousse, mais lie bientôt
avec lui des relations amicales, à la grande indi-
gnation dos Byzantins. L'Italie, si longtemps bou-
leversée par les guerres, allait-elle enfin trouver
le repos au prix de la servitude? Sous le règne de
Rotbaris (G3G-652), la grande assemblée de Pavie
(641) promulgue les coutumes lombardes. Le roi,
iivesti de certaines attributions monarchiques,
domine également les ducs et les simples hommes
libres. L'Iiomme libre, le soldat lombard, est le
patron naturel des indigènes jadis libres, réduits
désormais à la condition de colons. Ce n'est pas
d'ailleurs la servitude. Le colon, comme dans l'an-
cienne loi romaine, est plus près de la liberté que
de l'esclavage. L'esclave lui-même peut être affran-
chi. Devenu libre, il jouit de tous les droils,
même de celui de mariage. Par là s'opérera lente-
ment la fusion entre les vainqueurs et les vaincus.
Il s'en fallait cependant que l'Italie eùi enfin
trouvé le repos. De 652 à 712, le royaume lom-
bard retombe dans l'anarchie. Entre les Lombards
affaiblis et les Byzantins toujours impuissants, les
grandes villes italiennes essaient de fonder leur
liberté'.' Rome se soulève contre Constantinople
en 6 12 sous, le pontificat de Sergius; dans l'Ile
d'Héraclée, le patriarche de Grade et les princi-
paux habitants investissent du pouvoir Anafestus,
le premier des ducs ou doges de Venise. Le roi
lombard Luitprand (612-744) essaie du ramener
l'ordre dans ses Etats agités. Mais il trouve dan.';
les papes Grégoire II, Grégoire Ili et Zacliarie de
redoutables adversaires. Le souverain lombard
ITALIE
1073 —
ITALIE
est orthodoxe, ami dos Franks et de Charles Mar-
tel; prince libéral, il promulgue des lois favorables
aux indigènes. Cette politique habile ne réconcilie
pas avec les conquérants la majorité des popula-
tions italiennes. L'Italie refuse Pavie pour capi-
blés recommencèrent. Bernard, fils de Pépin,
n'accepta pas le décret d'Aix-la-Chapelle, qui pro-
mettait l'Italie à Lothaire, fils de Louis le Débon-
naire. Il fnt mis k mort (818). Lothaire, qui lui
succéda, lutta avec succès contre les papes Paul P'et
taie. Elle se tourne vers Rome. Contre l'empereur Eugène II, qui visaient déjà h l'indépendance.
Léon l'Isaurien, le prince iconoclaste, la papauté L'Italie, toujours tourmentée du désir de l'unité,
prend la défense des image.s et d'un culte partout ' espérait trouver un roi national dans ce prince,
populaire. Contre les Lombards, voisins trop mena- qu'elle soutint en !i.33 contre Louis le Débonnaire,
çants,le Saint-Siège trouvera un appui dans laGaulo 1 en Sil contre Louis le Germanique et Charles le
franke, orthodoxe depuis Clovis. Les descendants ; Chauve. Le traité de Verdun (843) sembla détruire
de Pépin d'Herstall ont tout à espérer de la re- les espérances de l'Italie. Lothaire se fixa à Aix-
connaissance d'un pape. Eu T-il, une ambassade la-Chapelle. Mais, après sa mort, Louis II, son
romaine apporte à Charles Martel les clefs de saint fils (85.v875), doinia à la royauté italienne un der-
Pierre, et réclame son appui contre les Lombards.
Mais Charles est l'allié de Luitprand. En "51, pen-
dant le règne d'Astolphe, prince mal disposé pour
le Saint-Siège, le pape Zacharie donne à Pépin le
titre de roi. Pépin descend en Italie (754-75.'>), im-
pose à Astolphe la paix avec l'Eglise, et fait dona-
tion au pape de l'Emilie, de la Pentapole et de
Rome. Le pape devient prince temporel. L'élection
pontificale n'intéressera plus seulement la religion,
mais aussi la politique. Le roi lombard Didier
(756) essaie inutilement de substituer à Etienne III
un pape de son choix. L'Italie centrale et septen-
trionale est en feu. Le pape et le roi se tournent
vers les Franks. Le roi donne ses filles à Carloman
et à Charles. Carloman meurt, Charles expulse les
princesses lombardes : Didier proteste. Celui qui
sera bientôt Charlemagne tend la main au pape
Adrien I". L'Italie est envahie par les Franks (77:!).
Acclamé à Rome par le pape et le peuple, Charles
prend les titres de patrice et de roi (774). Les Lom-
bards conservent leurs lois nationales, mais les
perdent en 777, après une révolte inutile. Des
comtes franks sont substitués aux ducs lombards.
L'autorité de Charles, puis de son fils Pépin, cou-
ronné roi d'Italie (781), s'étend sur tonte la Pénin-
sule, sauf les duchés de Bénévent, de Naples, d'A-
malfi, la Calabre et la Sicile.
L'Italie dans l'empire carolingien (800-888).
— Maître delà Gaule, de l'Italie, de la plus grande
partie de l'ancienne Germanie et de l'Espagne
septentrionale, Charles en 7'.J9 avait réuni sous
son autorité la plupart des pays occidentaux qui
composaient jadis le monde romain. Pour la pre-
mière fois depuis le cinquième siècle, l'Europe occi-
dentale et cenirale obéissait à un chef unique. Après
les agitations qui avaient précipité dans l'ancien
monde comme un monde nouveau, verrait-on se
rétablir un Empire romain ? L'œuvre semblait d'au-
tant moins impossible que les institutions romaines
étaient vivaces encore; la « romanité », même au
neuvième siècle, n'était pas un mot vide de sens.
Un souvenir durable était resté de ce gouvernement
qui avait donné aux provinces trois siècles de paix.
Enfin la papauté, qui voyait avec terreur grandir
à l'ombre du trône de Constantinople l'autorité de
patriarches qui se proclamaient œcuméniques, dé-
sirait opposer un empereur catholique d'Occident
aux Césars orientaux. Le 2j décembre de l'an SOli,
le pape Léon III proclama Charlemagne* empereur
et posa sur sa tète la couronne impériale. La pa-
pauté fondait peut-être sa puissance. Mais l'acte de
l'an 800, en associant désormais le sort de l'Italie
à celui de peuples étrangers, empêchait pour long-
temps l'indépendance de ce malheureux pays.
L'Italie conserva son roi Pépin, qui mourut en
810. Quelques années de paix suffirent pour don-
ner à la Péninsule au moins l'apparence de la pros-
périté. Les villes, surtout dans le nord, croissaient
en nombre et en richesse; le commerce florissait,
grâce à l'expulsion des pirates sarrasins; Venise,
nier reflet de grandeur. Les musulmans avaient
pillé Rome sous le pontificat de Sergius. Ils furent
écrasés h Bari (870). Cependant le Saint-Siège se
proclamait indépendant du pouvoir temporel, sous
le pontificat de Nicolas 1". Les ducs et les comtes
luttaient contre l'autorité royale. Enfin la féodalité
se formait, composée des seigneurs laïques et des
évoques, grands propriétaires fonciers, morcelant
partout l'autorité comme la terre. En 870, Charles
le Chauve reçut de Jean VIII l'empire « comme un
présent. » L'empereur était sans force, le pape
lui-même trouvait un adversaire redoutable dans
Ansperto, archevêque de Milan. En 881, ce dernier
décida le pape à proclamer empereur Charles le Gros.
A ce fantôme d'empereur on donnait un faniôme
d'empire. Charles fut déposé (887), et le monde
carolingien retomba dans le chaos.
La féodalité italienne (88S-951). — A la fin du
neuvième siècle, l'Italie comprend au nord le mar-
quisat d'Ivrée et le duché de Frioul,les sièges épis-
copaux de Milan, Pavie, Vérone, Turin; Venise et
Gênes sont déjà indépendantes; au centre, le mar-
quisat de Toscane, les villes de Pise et de Florence ;
le marquisat de Spolète, dans l'Ombrie ; Rome, rési-
dence des papes ; au sud, les duchés de Bénévent,
Salerne et Capoue, l'abbaye puissante du Mont-
Cassin, le duché de Naples, la ville libre d'A-
malfi, le thème ou province de Lombardie, débris
des possessions byzantines. La Sicile est ravagée
et occupée par les Sarrasins. Ainsi divisée, l'Italie
soupire encore après l'unité, dont elle aurait be-
soin pour repousser les Hongrois et les musulmans.
Mais on ne peut s'entendre sur le choix d'un sou-
verain. L'archevêque de Milan donne la couronne à
Bérenger, duc de Frioul ; le pape Etienne V pro-
clame Guido, duc de Spolète. Bérenger a pour alliés
les Allemands, Guido les Franks. L'Italie ensan-
glantée voit s'ouvrir a le siècle de fer ». Guido vic-
torieux veut imposer son autorité au pape Formose
(892). Celui-ci appelle l'Allemand Arnulph. Eer-
game est pillée; Guido meurt (894), et les Alle-
mands entrentdans Rome {f'M'i). Aux lueurs del'in-
cendie, Arnulph se fait couronner empereur. Alors
une réaction s'opère. Le pape Etienne VI (S9C-897)
tire du cercueil le cadavre de Formose, le traduit
devant un tribunal, et le fait jeter dans le Tibre.
Quant au roi Bérenger, tour à tour soutenu et
combattu par le puissant Adalbert de Toscane, il
n'a de la royauté que le nom. Le pape, respecté au
dehors, est faible en Italie et presque prisonnier à
Rome. Du haut de leurs maisons fortifiées ou
dans les rues emcombrées de débris antiques,
les barons romains se livrent souvent des luttes
sanglantes. Le véritable maître de la ville est le
comte Tliéophylacte. Après lui, sa veuve Thoodora,
« patricienne et sénatrice » de Rome, fait donner
le pontificat à l'archevêque de Ravenne, Jean X
(91(). Le nouveau pape, plein d'énergie, forme
contre les Sarrasins une ligue avec Bénévent, Ca-
poue, Naples et l'empire d'Orient. Il ofTre la cou-
avec le doge Participatius, prenait possession de renne impériale et le commandement des forces
ses lagunes. Les lettres et les arts renaissaient confédérées à Bérenger (91. s). Les Sarrasins sont
sur cette terre qui <( ressuscite les choses mortes. >■ écrasés sur les bords du Garigliano (!1I6). Mais le
Mais, après la mort de Charlemagne (814), les trou- 1 marquis d'Ivrée se révolte contre Bérenger, et
2« Partie. 6 S
ITALIE
— 1074 —
ITALIE
appelle en Italie Rodolplie de Bourgogne. Béren-
ïer, craignant de perdre la couronne, invoque
l'appui des Hongrois. La terreur et l'indignation
soulèvent l'Italie. Bérenger est assassiné (924;.
Rodolphe de Bourgogne parviendra-t-il à surmon-
ter cette anarchie? La veuve du marquis d'Ivrée,
llermengarde, épouse son frère utérin Hugues,
usurpateur de la Provence, et le fait proclamer
roi ('J-Jii). Dans Rome la fillede Théodora, Mnrozia,
lutte contre l'autnrité de Jean X, épouse Guido,
frère de Hugues, et fait élire pape son propre fils,
sous le nom de Jean XI. Deux femmes semblent
tf nir entre leurs mains les destinées de l'Italie.
L'assassinat et l'adultère sont leurs moyens de
:;ouvernement. Hugues surpasse par ses crimes
oes femmes criminelles. La mort le délivre de
r.uido; il chasse Hermengarde de son palais, et il
vient à Rome épouser Marozia, la veuve de son
IVère (9-32). L'Italie cependant n'était pas encoi'e i
bout de souffrances. Un fils de Marozia, Albéric,
se révolte contre Hugues. Le Saint-Siège devient le
lief d'Albéric, patrice et consul, qui disposera pen-
dant vingt ans de la tiare en faveui de créatures
indignes. Hugues fugitif lutte contre les Sarrasiiis,
non pour les exterminer, mais pour obtenir leur
alliance (940). La conscience publique se soulève
contre l'infâme. Bérenger II d'Ivrée, appuyé par
'hs Allemands, expulse d'Italie Hugues qui va
mourir dans un couvent de Provence. Le roi lais-
sait un fils, Lotliaire, marié à Adelhaïde de Bour-
gogne. Bérenger II etLothaire partagent le pouvoir.
Mais Lothaire meurt (950), sans doute empoisonné,
lîérenger II, seul roi, veut marier de force Adel-
liaide il l'un de ses fils. La princesse résiste ; on
l'enferme dans une tour du lac de Garde ; elle
s'évade, et, du château de Canossa où elle s'est
réfugiée, implore l'appui d'Othon 1", roi de Ger-
manie. Les Allemands franchissent les Alpes (951J,
Othcin épouse Adelhaïde k Pavie. L'Italie a trouvé
de nouveaux et de terribles maîtres.
L'Italie et les empereurs allemands (951-12.50).
— Othoii 1" s'allia d'abord à la papauté, qui sem-
blait préférer la domination étrangère à une
royauté nationale. En 9G;', dans Rome garnie de
troupes, il se fait couronner empereur par le pape.
Mais l'autorité germanique parut bientôt insup-
portable, et des révoltes éclaièrent CV. Communes,
p. 4i;.5), et remplirent la fin du règne d'Othon I" '
et celui d'Othon II*.
Othon III* est le vrai fondateur du Saint-Empire
romain germanique. Si jadis on avait vu Jean X
et Jesn XI soumis à rnitluence toute-puissante
d'une Marozia et d'un Albéric, on voyait mainte-
nant un pape, Grégoire V, soumis à l'autorité non
moins puissante de l'impératrice Tlièoplianie, mère
du jeune Othon III. Cependant l'Italie ne paraissait
pas entièrement résignée à la servitude. Le Ro-
mani Crescentius. prenant le titre de consul, es-
sayait de restaurer la république romaine. Il est
défait par les Allemands et mis à mort (997). A
(îrégoire 'V, Otlion III substitue le Français Gerbert
Sylvestre II), son ancien précepteur, dévoué à
l'Allemagne. Alors se forme un empire étrange,
qui a pour chefs un empereur et un pape, mêlés
également aux choses de la politique et de la reli-
gion ; dualité mystique qui prétend gouverner les
âmes et les corps. Othon III est un moine, Syl-
vestre II est un empereur; ils sont tous doux en
même temps empereur et pape. Sylvestre agrandit
l'empire (conversion de la Hongrie) ; Othon agran-
dit le domaine de l'Eglise des comtés de Romagne.
Le pape se félicite d'avoir pour soldat le clief de la
Germanie, l'empereur pense trouver dans l'appui
de l'Eglise une force nouvelle. Mais une telle con-
fusion sera-t-elle de longue durée ? A peine
Othon ni est-il mort (lOOij, qu'Ardouin, marquis
d'Ivrée. profitant de la faiblesse de l'Allemand
Henri H ' ilOO.'-lO-'l), se fait couronner roi à Pa-
vie (1003). Tandis que le roi et l'empereur se font
une guerre sanglante, les vassaux s'aflTranchissent,
la féodalité s'affermit, les évêques étendent leur
pouvoir spirituel et temporel au delà même de
leurs cités épiscopales. Henri II ne pouvait arrêter
le courant qui allait bientôt transformer la société
italienne. Son ambition était d'étendre ses droits
vagues de suzerain sur l'Italie méridionale. Mais
il mourut sans avoir pu réalisiT ses projets.
Une Italie nouvelle se formait. Les évêques très
puissants luttaient contre les bourgeois. Ceux-ci se
rapprochaient des petits vassaux; les barons en-
traient au service des villes. Le nom de l'empe-
reur Conrad II *■, couronné en 1027 par Jean XIX,
était à peine prononcé. Ce prince promulguait ce-
pendant en 1037 la constitution de Pavie, qui
déclarait les fiefs des vassaux o irrévocables, immé-
diats et héréditaires. ".\u temps de Henri III *( 1039-
I05C), l'Eglise, réformée par les moines de Cluny,
de Saint-Romuald et de Vallombreuse, tendit à
s'affranchir de l'Allemagne. L'empereur lui fit
sentir durement son autorité, en déposant trois pa-
pes au concile de Sutri (1040), et en leur substi-
tuant des prélats allemands. Clément II, Benoit IX,
Damase II, Léon IX. La politique du Saint-Siège
était dirigée par un homme énergique, Hildebrand,
moine de Cluny, que secondait le vertueux Pierre
Damien, évêque d'Ostie. Hildebrand pousse
Léon IX à lutter contre les Normands établis dans
le midi de l'Italie. Battu par eux à Civitella (1053),
il transforme les vainqueiirs en vassaux. Sous le
pontificat de Victor II (1055-1057), Hildebrand
augmente la puissance de la Toscane, alliée du
Saint-Siège, en mariant Béatrice de Toscane à
Godefroi de Basse-Lorraine, ennemi des empe-
reurs. Au concile de Latran f 10 .9), Nicolas II (1058-
lOCl) déclarait que l'élection pontificale appartien-
drait désormais aux cardinaux et à un petit nombre
de laïques. La papauté, défendue par le Normand
Robert Guiscard, maître d'Aversa, de la Calabre
et de la PouiUe. semblait très forte. L'Allemagne
était très afl'aiblie par la longue minorité de
Henri IV* (lu5i-1100). Enfin, en 1071, Hildebrand
prenait possession de la tiare, sous le nom de
Grégoire VII. Il entreprit la lutte contre l'Empire,
soutenu par les Normands du midi, et par Ma-
thilde, grande comtesse do Toscane, maîtresse
de Parme, Plaisance, Modène, Mantouc, Ferrare et
Spolète.
Selon Grégoire VII, il n'y a sur la terre qu'une
autorité, celle du pape, qui vient de Dieu. La
puissance laïque doit lui être soumise. Pierre
ayant résidé à Rome, l'Église romaine étend son
pouvoir sur toutes les églises du monde. Si le
Prince des apôtres peut lier ou délier dans le ciel,
il peut, h plus forte raison, enlever ou donner les
biens de la terre. L'empereur, qui vient après le
pape, lui doit sa puissance, comme la lune doit
son éclat aux rayons du soleil. Telle est la théorie
émise par Grégoire Vil, et soutenue par cinq de
ses su'Cesseurs choisis par lui, Victor III, Ur-
bain H, Pascal II, Gélase II, Calixte H.
Henri IV dut s'humilier h Canossa (1077); mais
biejitôt la fortune tourna : l'empereur battit ses
ennemis à Volksheini (1080), et vint assiéger dans
Rome (10S2) le pape, qui mourut en exil (1085). Si,
en Italie, les Normands et la comtesse Mathilde de
Toscane avaient appuyé les prétentions pontificales,
beaucoup d'ovêques du nord s'étaient prononcés
pour les Allemands. Comme son père, tantôt
vaincu, tantôt vainqueur, Henri V* (1 106-1125) ac-
cepta en 1121 la transaction de Worms. L'empereur
donnerait aux évêques l'investiture temporelle par
le sceptre, le pape les consacrerait par l'anneau.
Un pareil traité ne pouvait satisfaire aucun parti.
La papauté cependant obtint un triomphe en fai-
sant interrompre en Allemagne l'hérédité impériale,
qui tendait à s'établir, et eu revendiquant les biens
ITALIE
— 1075 —
ITALIE
de la comtesse Matliildn. Lothaire de Saxe fut élu
emperour(112ô-l 137). Il vint en Italie (ll3C) sou-
tenir le pape Innocent II, et consentit k figurer sur
un tableau, les mains jointes, incliné, recevant la
couronne dos mains du pape, placé sur un trône
41evé. Déjà s'étaient formés les deux partis des Gi-
belins ou Impériaux et de* Guelfes ou papalins.
Déjà, aussi la plupart des villes de la l.onibardie
<itaient devenues des municipalités indépendantes.
Le gouvernement républicain s'était même établi
à Rome, grâce à Arnaud de Brescia (11 i'J). Profi-
tant de la faiblesse de l'empereur Conrad III* de
Hohenstaufen (1137-1 152), les villes avaient formé
deux ligues. Aux Guelfes de Milan obéissaient
Crème, 'Tortone, Parme, Modène; aux Gibelins do
Pavie, Côme, Lodi, Novare, Crémone, Plaisance.
Milan s'était emparé de Lodi (1100), et l'antique
rivale de Rome se croyait désormais la capitale du
nord. Mais une lutte plus terrible encore que les
précédentes allait éclater. Ce que l'Allemagne
voulait maintenant arracher à l'Italie, ce n'était ni
S.1 royauté nationale, ni sa suprématie spirituelle,
mais bien les constitutions indépendantes de ses
cités.
La lutte de Frédéric I"' Barberousse et de la
Ligue lombarde a été racontée ailleurs (V. Com-
inioies, p. 406, et Frédéric l" Barberousse). Le
|)uissant empereur dut laisser aux villes italiennes
la plupart de leurs droits ; mais, avant de mourir,
il put marier son fils Henri VI ' à la princesse nor-
mande Constance, qui allait apporter à la maison de
Souabe le riche héritage des Deux-Siciles.
Quarante pèlerins normands débarqués à Pa-
ierme (lOOG), et trois chevaliers de mémo nation,
entrés au service des Grecs (liiKi), avaient jeté en
Italie les bases d'un nouveau royaume. En 1057,
quatre ans après la bataille de Civitella, Robert Guis-
■card prit le titre de duc. En 1077, Salerne, en lOSO,
Otrante etTarente étaient prises. En 1081, Robert
Guiseard préparait une expédition contre les By
zanlins. Rappelé en Italie par Grégoire VII, Robert
4tait mort en 10s5. laissant à ses successeurs un
pouvoir incontesté. Le mariage d'Henri VI et de
Constance donnait aux Allemands le midi de l'Ita-
lie.Le nouveau souverain ne se contenta pas de cette
^acquisition. La Toscane, Spolète, les Romagnes, le
marquisat d'Ancône, furent donnés en fief à. des
princes et à des dignitaires de la maison impériale.
La papauté était ainsi séparée de la Ligue lom-
barde. L'Italie fut sauvée par la mort inattendue
d'Henri VI (llt)7). Il ne laissait qu'un fils en bas
âge, qui devait devenir Frédéric II *.
L'empire s'affaiblissait au moment où parvenait
à la chaire pontificale un homme énergique, Lo-
thaire, comte de Segni, pape sous le nom d'In-
nocent III (1198-lïlU). Il soulève l'Italie en fa-
veur du Saint-Siège : les duchés du centre se ré-
voltent contre les Allemands ; Spolète, Aucune,
la Romagne. se soumettent au pape, qui trouve
des alliés fidèles dans les vijles de Florence, Luc-
ques, Pistoiu. La reine Constance, morte en 1198,
avait ^ confié au Saint-Siège la garde du jeune
Frédéric. L'Italie entière semblait obéir au pape.
JSn Allemagne, il disposait de la couronne impé-
riale en faveur d'Othon de Brunswick. Il l'obligeait
à renoncer au patrimoine de Saint-Pierre (1201),
qu'avait revendiqué Henri Vl. Bientôt le pape et l'em-
pereur se brouillèrent. Innocent résolut alors de re-
lever en Allemagne et en Italie le parti gibelin au
profit de Frédéric. Ce dernier promit de respecter
la volonté de Rome, de ne jamais prétendre à la
possession du nord de l'Italie, et il partit pour
l'Allemagne, héritier des Hohenstaufen et soldat
■du Saint-Siège, tandis que la papauté affirmait hau-
tement sa puissance spirituelle au concile de La-
tran IVil'a).
Mais, après la mort d'Innocent III. Frédéric II
se brouilla à son tour avec le Saint-Siège. Ses
luttes acharnées contre Grégoire IX et Innocent IV,
les revers de ses dernières années et sa mort (U50;
ont été racontés ailleurs (V. Frédéric II).
La papauté triomphait, et l'Italie était perdue
pour les Hohenstaufen. Conrad IV ', fils de Frédé-
ric, mourut en 1251, laissant un jeune enfant,
Conradin, h. la garde du prince allemand Manfred.
Innocent IV s'était déclaré possesseur des Deux-
Siciles. Urbain IV, Français d'origine, chargea un
frère de saint Louis, Charles d'Anjou, d'enlever à,
Conradin l'héritage de ses pères. Manfred fut tué
à Grandella (1200), Conradin fut pris à Palenta
(1268), condamné à mort par un jugement déri-
soire, et décapité. La lutte contre l'Allemagne
était terminée. Les papes avaient étendu leur
souveraineté dans la Péninsule. Une période nou-
velle s'ouvre alors dans l'histoire d'Italie.
L'Italie indépendante jusqu à la fin du XV" siè-
cle- — Après la mort de Frédéric II, les villes gi-
belines du Nord avaient, malgré les papes, recou
vré leur indépendance. Charles d'Anjou, « sénateur
de Rome, roi des Deux-Siciles, vicaire impérial et
pacificateur, » essaya, sous le couvert de ces di-
vers titres, de dominer la péninsule entière,
guelfes et gibelins. La papauté l'arrêta, comme
elle avait jadis arrêté les souverains allemands.
Des conspirations, conduites surtout par Jean de
Procida, unirent bientôt contre Charles d'Anjou les
Siciliens, Rome et Pierre III d'Aragon, maître
d'une marine considérabie. Les Français furent
massacrés (Vêpres Siciliennes, 1282), Pierre III fut
proclamé à, Palerme. Charles d'Anjou mourut dé-
sespéré (l2S5). Son successeur Charles le Boiteux
parvint i se maintenir dans l'Apulie et la Calabre ;
Jayme, successeur de Pierre 111, gouverna la Sicile
Dans le Midi comme dans le Nord, Etats et con-
fédérations se brisaient en morceaux. L'ère des
grands papes était close. Boniface VIII (1284-1303)
voulut reprendre la politique de Grégoire VII et
d'Innocent III, et soumettre comme eux les prin-
ces de la terre aux vicaires du Christ. Il força
Jayme à abandonner la Sicile en échange de la
Corse et de la Sardaigne, prétendit imposer aux
villes du Nord l'autorité de ses légats, affirma,
enfin, ses prétentions ambitieuses dans le grand
Jubilé de l'an lîOO. Mais Boniface se brisa contre
la résistance d'un roi de France, Pliilippe le Bel.
Arrêté par les Colonna qu'assistait un légiste
français, Nogaret, le pape mou'-ut (1303). Son suc-
cesseur, Benoît XI , fut peut-être empoisonné.
La tiare fut donnée à Bertrand de Got, archevêque
de Bordeaux (Clément V), qui fixa sa résidencei
Avignon. Avec Clément V commence la. captivilé
de Babi/lone (1305-1378).
Guelfes ou Gibelins,les Italiens du xni" siècle
n'avaient ni le sentiment de la liberté, ni celui de
la patrie. La cohésion apparente de l'Italie n'avait
tenu qu'à la présence d'un pape et d'un empereur.
Empereur et pape avaieiit disparu. Les villes se
séparent et s'isolent; chacune aura sa constitu-
tion, chacune aussi ses partis et ses luttes iiites-
tines. Ici l'on penche vers l'aristocratie. A Venise
les nobles seuls prennent à part l'élection du grand
conseil (1297); plus tard, on proclamora l'hérédité
du sénat, on formera le conseil des Dix. Ailleurs,
la démocratie l'emporte. Florence a son peuple
(/ras, vaincu souvent dans les élections par le peu-
ple maigre. Partout des haines terribles dont
Dante s'est fait l'éloquent interprète. Pise, vain-
cue par Gênes on 1284, se jette dans les bras d'un
tyran, Ugolin. Bientôt, elle est lasse du maître :
l'archevêque Roger l'enferme dans une tour avec
ses enfants; les malheureux y meurent de faim.
Quelques familles puissajites essaient parfois
de se perpétuer au pouvoir. Los Visconti sont
capitaines à Milan, les Este àFerrare et à Modène.
Parfois aussi, l'ambitieux roi de Naples, ami des
Guelfes, essaie d'étendre son pouvoir dans le nord
ITALIE
1076 —
ITALIE
de l'Italie. Au milieu de cette confusion, on en-
tend tout à coup prononcer le nom d'un empe-
reur. Henri \'1I de Luxembourg passe les Alpes ;
on le couronne à Milan et à Rome , mais les villes
guelfes ferment leurs portes ; l'empereur extor-
que de l'argent aux gibelins. L'Italie se soulève,
et le César allemand meurt {i:il3).
Cependant, au milieu de ces querelles sanglantes,
l'Italie voyait se développer avec une rapidité mer-
veilleuse les richesses de ses campagnes, de ses
villes et de ses ports. D'innombrables canaux
sillonnaient la Lombardie et faisaient de cette
terre une des plus fertiles du monde. L'industrie
des draps était florissante à Milan, h Vérone, dans
toute la Toscane. Venise, qui avait obtenu dès
9S)ï l'immunité du commerce dans tous les ports
grecs, avait fondé sa puissance maritime au
■ commencement du xiu= siècle, lors de la croisade
de 1204. Elle possédait tout le commerce de Re-
manie, Grèce, Archipel, Candie, Nogrepont ; elle
avait des consulats en Arménie, en Syrie, en
Chypre, en Egypte. Vingt-cinq mille matelots
montaient les 30UO navires de sa flotte marchande.
Elle fabriquait des draps, des soieries, des armes,
de la verrerie. Des traités lui assuraient le com-
merce exclusif des blés de Lombardie. Enfin,
d'intrépides voyageurs, Marco Polo, Nicole di Conti,
portaient son nom dans des régions jusqu'alors
inexplorées. Rivaux de Venise, les Génois possé-
daient tout un faubourg de Constantinople, Péra;
ils avaient des établissements en Crimée, à Caffa,
chez les Maures d'Espagne, à Majorque, h Séville,
à Nice, en Corse. Pise avait eu le monopole du
commerce africain ; mais sa marine fut détruite au
xV siècle par les Génois. Florence, au commence-
ment du .W siècle, devenait maîtresse de Li-
vounie, et devenait aussi une puissance maritime.
Ses institutions de crédit fonctionnaient dans toute
l'Europe. Les Peruzzi, au xii" siècle, avaient pour
débiteurs les rois d'Angleterre. Les Alberti, au
xiv° siècle, avaient des représentants à Avignon, à
Bruges, à Amsterdam, à Anvers. Les villes du
midi étaient, il est vrai, moins florissantes. Amalfi,
dont les marins avaient, dit-on, inventé la bous-
sole, était ruinée depuis le xii" siècle. La royauté
avait été plusfatale encore au midi que l'anarchie
aux villes du nord.
Les Césars allemands, toutefois, n'avaient pas dé-
finitivement renoncé à leurs prétentions sur la Pé-
ninsule. Les richesses de l'Italie septentrionale
éveillèrent la cupidité d'un empereur, Louis de Ba-
vière, et d'un pape, Jean XXII. Ils ne parvinrent
pas cependant à établir leur domination dans la val-
lée du l'ù. Jean de Bohême ne fut pas plus heureux
quand il voulut, en l3:i0, pacifier l'Italie. Plus
modestes et plus redoutables, de petits seigneurs
bornaient leur ambition à la conquête d'une ville,
d'un bourg, d'un château, dont ils devenaient les
tyrans. Matteo Viscontl s'intitulait seigneur de
Milan, Alexandrie et Pavie. Cane délia Scala était
maître de Vérone, Vicence, Trévise. Castruccio
Castracani, tyran de Lucques, faillit prendre Flo-
rence (1327); les Rossi achetaient Parme, les Fo-
gliani Reggio. Taddeo de Tepoli s'imposait à
Cologne (1339), Gauthier de Brienne dominait
Florence par la terreur (1312-1343). A Naples, le
roi André était assassiné. Son frère, Louis de Hon-
grie, voulait expulser la reine Jeanne (1347). Là
aussi de nouvelles révolutions se préparaient.
La démocratie italienne, d'ailleurs peu libérale,
avait enfanté les tyrans. Le poète Pétrarque
chante, il est vrai, les libertés d'une République
idéale ; le tribun Rienzi proclame à Rome le gou-
vernement républicain (13471. Mais que signifient
ces grands noms de République romaine, de peu-
ple et de sénat? Ici encore, les Italiens sont le
jouet d'un rêve. Ce qu'ils comprennent et ce qu'ils
aiment, ce n'est ni la liberté ni la patrie -, ce sont
les beaux vers de Dante, les poésies passionnées^
de Pétrarque, les entliousiastes et bizarres impro-
visations de Rienzi. .\moureuse de la forme, l'I-
talie se consolait des tristesses de la réalité par le
culte de l'idéal. Morcelée et asservie, elle s'eni-
vrait des mots de liberté et de patrie, dissimulant
sous les fleurs un cercueil, chantant avec Rienzi
l'indépendance au milieu des tyrans, avec Boccace
le bonheur et la vie, sur le seuil même de la mort
(peste de Florence, 13-48).
Pendant ce temps, la famille des Visconti s'em-
parait de toute la Lombardie. Venise et Gênes, tout
occupées de leur rivalité commerciale, devenaient
comme étrangères à la Péninsule. Florence défendait
péniblement son autonomie: Pise se soumettaità un
Agnelle, ami des Visconti. Le chef de cette mai-
son, Barnabe, s'intitulait « pape, empereur et roi
sur son territoire. » Qui pourrait l'arrêter ? Les
papes ne songeaient qu'à remplir les cofTres d'Avi-
gnon (1350, Jubilé; ; l'empereur Charles IV se con-
duisait en Italie, selon l'expression de Villani,
u comme un marchand forain. » Le royaume de Na-
ples était en plein désordre. Dans les Etats du Saint-
Siège, les Romagnes se soulevaient (1376,. Une réac-
tion éclata cependant contre Visconti. On crut voir
dans les papes les libérateurs de l'Italie, menacée
par le tyran de Milan. Catherine de Sienne décida
enfin Grégoire XI à venii' mourir à Rome. Mais à
la captivité de Babylone allait succéder le grand
schisme d'Occident (137S-144!i).
Déchirée par Urbain VI, et ses successeurs, la
papauté n'exerce plus d'influence sur l'Italie. Le
mysticisme des pénUenti blancs, le matérialisme
élégant des adorateurs de l'antiquité, remplacent
les doctrines plus austères du catholicisme.
Le royaume de Naples est en pleine dissolution.
Jeanne 1" appelle Louis d'Anjou pour lui succé-
der ; le pape Urbain VI appelle Charles III de
Durazzo-Hongrie. Celui-ci meurt en 13Sô ; le
royaume, disputé par Ladislas et Loiiis II, se par-
tage entre les Hongrois et les Français. Jeanne II,
sœur de Ladislas (1414-1435), est protégée par un
aventurier nommé Sforza. Impuissante contre les
révoltes de la noblesse, elle appelle à son secours
Alphonse V d'Aragon. Plus tard, elle fait un tes-
tament en faveur de René d'Anjou. Les deux prin-
ces luttent jusqu'en 144-}. Les Aragonais finissent
par demeurer maîtres de Naples.
Florence est bouleversée par les révolutions.
Michel Lando, un simple cardeur de laine, fait
entrer dans la seigneurie les députés du petit
peuple (ciompi). Mais cette révolution démocrati-
que, bientôt suivie d'une réaction, ouvre les
voies du pouvoir aux Albizzi (1382-1434), puis aux
Médicis.
La seule maison vraiment forte en Italie est
celle des Visconti , représentée par Jean Galéas
(1385-14021. Sa fille Valentine épouse le duc d'Or-
léans. Lui-même achète de l'empereur Wenceslas-
le titre de duc ( 13115). La Lombardie et la Toscane,
sauf Florence, lui obéissent. Pour rester indépen-
dante, Gênes se donne à la France. Jean-Marie
(1401-1412) et Philippe-Marie (1412-1447), succes-
seurs de Galéas, sont absorbés par de longues
guerres contre Venise, dans lesquelles s'illustre
l'aventurier Carmagnola. L'Italie est devenue la
terre classique des cotiloWere, capitaines merce-
naires, toujours à la solde du plus fort, qiii espé-
raient, comme Carmagnola et Sforza, se tailler un
royaume à la faveur de ces luttes obscures, mais
interminables.
Une solution, d'ailleurs, était prochaine. L'agi-
tation démocratique, si forte à la fin du xiv« siècle,
était vaincue dans toute l'Europe. Partout allait
triompher le pouvoir des rois ou des soldats
heureux. Sforza devient duc de Milan (1450),
dans le temps où Cosme de Médicis impose son
autorité à Florence. Après les conciles libéraux
ITALIE
1077
ITALIE
■d(! Pisfi (MO.}) et de Constance (1414), la pa-
pauté restaurée va embrasser une politique nou-
velle avec Nicolas V et ses successeurs. C'en est
fait des rêves d'autrefois. Stepliano Porcaro est
pendu à liome (1153) pour s'ùtre souvenu de
liienzi. L'Italie n'est plusanarcliique. La paix de Lodi
(I45i) a réconcilié les républiques et les monar-
chies. Le pape est à Rome, un prince aragonais
à Naples, Sforza h Milan, Médlcis à Florence ;
Gonzague est duc de Mantoue, Borso d'Esté duc de
Modène, Ferrare et Reggio, Enfin, la maison de
Savoie a obtenu, elle aussi, le titre ducal. Elle se
dresse déjà au sommet des Alpes, un pied en
France, l'aulre en Italie, semblant regarder cu-
rieusement cette terre étrangère qui sera un jour
sou royaume.
La pacification do Lodi no fut pas de longue
durée. Dès 1458, h l'avènement de Ferdinand I",
!a lutte recommençait dans le royaume de Naples,
revendiqué par Jean de Calabre, flls de René
d'Anjou. Les papes Callxte III (1455-1458), Pie II
(1458-1464), Paul II (1404-1471) faisaient lentement
reconnaître leur autorité dans un pays si longtemps
et si profondément bouleverse. Si.xte IV (1471-1484)
partageait entre ses neveux le patrimoine de Saint-
Pierre. Cette politique, babile peut-être, mais con-
damnable, fut suivie par Innocent VIII (I4s4-1492)
et surtout par Alexandre VI (149'M50;!). Florence,
sous le gouvernement des Médlcis, Cosme (1434-
14G4), Pierre I" fl404-1469), Laurent (1469-1492),
Pierre II, semblait tout occupée do la Renaissance
<les lettres et des arts. Eu somme l'Italie, malgré
l'éclat trompeur de sa civilisation, n'avait jamais
été plus près de la ruine. Les cinq capitales,
Rome, Naples, Venise, Florence, Milan, étaient ja-
louses l'une de l'autre. Le pape excommuniait le
roi de Naples, et offrait sa couronne à Charles VIII,
roi de France (1489). Le duc de Milan détestait les
Napolitains, mais redoutait la famille française
d'Orléans, héritière des droits de Valentine Vis-
conti. Parfois aussi grondait dans les villes un long
murmure de mécontentement. On eût dit d'une
flamme jaillissant soudaine d'un foyer mal éteint.
A Florence, Savonarole réclamait la liberté. Les
cours étrangères étaient pleines de réfugiés italiens.
L'Italie était à qui voudrait la prendre. Les Fran-
çais se présentèrent. (1491).
Lesiuvasionsétrangèresen Italie jusqu'en 1598.
— Charles VIII ' se prétendait héritier des droits do
la maison d'Anjou sur le royaume de Naples. A la
tète d'une armée que son artillerie surtout rendait
redoutable, il débouche en Italie, au moment où
Alphonse II succédait i Ferdinand I". Soutenu par
la Savoie, le Montferrat et Milan, il entre à Flo-
rence, h Pise, à Rome; Alexandre VI lui cède
Civlta-Vecchia et Spolète, et livre comme otage
César Borgla. Les Français entrent h Naples et
Alphonse II abdique en faveur do Ferdinand II.
Mais une ligue se forme contre la France entre
Ferdinand le Catholique, qui réclame une partie
des Deux-Siclles, le marqua de Mantoue, les Vé-
nitiens, et le duc de Milan, Ludovic le More, accusé
d'avoir fait mourir Jean-Galéas. Les confédérés
ferment à Charles VIII le chemin de la France. Ils
sont battus àFornoue (1495). Les garnisons laissées
dans le midi abandonnent Naples (1496), qui rap-
pelle un prince aragonais, Frédéric. La France n'a-
vait trouvé dans l'Italie qu'une alliée fidèle, Florence,
gouvernée par Savonarole. Le moine dominicain
fut brûlé vif (1498.)
Rien n'égale l'inconstance de la politique ita-
lienne. Venise, qui avait lutté contre Charles VIII,
s'empresse de reconnaître comme duc de Milan
Louis XII *, l'ancien duc d'Orléans, descendant des
Visconti. Le pape devient l'ami des Français, moyen-
nant la cession du duché de Valentlnols à César
Borgla. Et pourtant, que de dangers courait l'Iialle!
La France réclamait maintenant Naples et xMllan,
le nord et le midi de la Péninsule. Le duc da
Savoie Philibert II, plus Français qu'Italien, s'éiait
empressé d'ouvrir les Alpes à Louis XII. Le Mila-
nais fut rapidement conquis (1499), plus rapide-
ment perdu, occupé de nouveau en 1.500 et confié
à l'administration de Georges d'Ajnboise. Ludovic,
trahi par les Suisses, était envoyé prisonnier en
France. Cette trahison avait valu aux Suisses la ville
de Bellinzona. Le midi fut aussi rapidement con-
quis sur Frédéric I", et partagé entre les Français
et les Espagnols, conformément au traité de
Grenade (1501). Français et Espagnols ne tardent
pas h se battre ; les Français sont vaincus à Seminara
et à Cerlgnola (I5'i:i). César Borgla profitait de la
lutte pour prendre une à une les villes de Romagne.
Mais Alexandre VI meurt. Le pape Jules II (1503-
1513) veut dominer l'Italie, et expulser les barba-
res. Les Espagnols, maîtres de Naples, sont conte-
nus par les Français, maîtres de Gênes. Venise,
qui avait étendu ses possessions de terre ferme,
voitse former contre elle la ligue de Cambrai(1509).
Alors se révèle la duplicité du pontife. Il s'empresse
de relever Venise abattue (151(i) : il a conquis une
alliée Adèle dans cette ville, désormais ennemie de
la France et des seigneurs du nord. Les Espagnols
n'auront garde de bouger dans Naples. La ligue de
Cambrai était dirigée en réalité contre les Français !
Le pape entre dans la Mirandole par la brèche
(151 1) ; vainqueur du concile de Pise qui devait le
déposer, il forme au nom de la foi la Sainte-Ligue
contre la France. Les Français, vainqueurs des
Espagnols à Ravenne (1512), perdent leur meilleur
général, Gaston do Folx. Les Médicis rentrent à
Florence, Maximillen Sforza à Milan. La politique
de Jules II est continuée par Léon X (1513-1521).
Qu'importe la réforme religieuse qui coinmcncc
en Allemagne'? Les Français sont écrasés à Novare
(1513). Le pape donne à ses neveux Parme, Plai-
sance, Florence. 11 compte leur tailler d'autres
Etats dans les possessions vénitiennes. L'avènement
de François I" " et la grande victoire de Marlgnan
(1515) renversent tous ces projets. Les Français
rentrent h Milan, le pape restitue Parme et Plai-
sance.Trois ans plus tard (1519), l'Allemagne élisait
pour empereur Charles d'Autriche-Espagne, héri-
tier de Ferdinand le Catholique et des droits espa-
gnols sur Naples; héritier aussi des Habsbourgs
et des prétentions des Césars allemands sur la
Lombardie et le Saint-Siège. Français, Impériaux
et Espagnols désoleront l'Italie jusqu'à la fin du
siècle (V. Guerres d'Italie, p. 925).
Le Flamand Adrien VI et l'Italien Clément VII
favorisèrent la politique de Cliarlos-Quint *. Les dé-
laites des Français à la Bicoque (1522), à Blagrasso
0524), à Pavie (1525) donnèrent la Péninsule aux
Impériaux. L'Italie effrayée prit les armes, mais trop
tard. Rome fut mise à sac par les soldats allemands
du connétable de Bourbon (1527); les Français fu-
rent battus à Gèn<!S et à Naples. Clément VII dut
s'humilier à Bologne devant l'Empereur (1529), et
le sacra roi d'Italie. Le duché de Milan, laissé à
Sforza, devait retourner plus tard ;\ l'Empire; le
marquis de Mantoue et Alexandre de Médicis rece-
vaient le titre de duc; la Savoie et le Monferrat de-
venaient feudataires de Charles-Quint. Chaque
Etat devait entretenir une force militaire que com-
manderait l'Espagnol Leyva.
Les hostilités recommencèrent à la mort de
Sforza. François I'^' réclamait le Milanais. Charles-
Quint se l'adjugea. L'entente se rétablit entre les
deux adversaires après l'entrevue de Nice (1536-
1538). L'Italie était en réalité perdue pour les
Français, malgré la victoire de Cerlsoles (I5i4) et
la connivence secrète de Paul III. En apparence ce
pape ne songeait qu'à la réforme de l'Eglise, fon-
dait les ordres des Théatins et des Jésuites (1540),
et affirmait son alliance avec l'Empereur dès les
premières sessions du Concile de Trente (1545J. En
ITALIE
— 1078 —
ITALIE
fait il détestait les Espagnols, qui avaient assassiné
son fils Pierre Farnèse et occupé Plaisance. Pour
recouvrer cette ville, Octave Farnèse, fils de Pierre,
appela les Français. Sienne leur ouvrit ses portes
et reçut Montluc. Mais Cliarles-Quint fut partout
vainqueur. Sienne capitula (1555) et se mit sous la
protection de l'Espagne.
L'énergique cardinal CarafTa, devenu pape sous
le nom de Paul IV (Iôà8-1559), rêvait d'expulser les
Espagnols de la Péninsule. Dans le même temps,
Charles-Quint abandonnait le pouvoir, laissant
l'Allemagne i Ferdinand, l'Espagne et l'Italie à
Philippe II. Le pape s'allieauroide France Henri II,
qui envoie à Naples le duc de Guise. Mais l'habile
roi d'Espagne cède au duc de Parme la ville de
Plaisance, Sienne à Cosme de Médicis. La victoire
des Espagnols à Saint-Quentin (1557) décida du
sort de l'Italie. Le traité de Ca!eau-Cambrésis(l559)
donna h 1 Espagne les présides de Toscane (ports
d'Orbitello, Pono-Ferrajo, Telamone), Verceil et
Asti dans le Piémont. La mort de Paul IV et l'a-
vènement du faible Pie IV (1559-1565) accrurent
l'influence espagnole au delà des Alpes.
Pendant ces longues guerres, le Piémont avait
été comme broyé entre les armées de France et
d'Espagne. Le duc Charles III (1,504-1533) n'avait
eu longtemps pour abri que le château de Nice.
Aussi bien le Piémont était-il devenu comme une
province française. De 1559 date une politique nou-
velle. Emmanuel-Philibert recouvra son duché; il
en fit un Etat italien, reprenant avec habileté
Turin, Chiari, Chivasso, Pignerol. Il restaura
l'armée, le commerce, l'agriculture, l'industrie. Ce
n'est pas sans raison que les historiens actuels de
l'Italie saluent dans ce prince h Télé de fer le vé-
ritable fondateur de la puissance piémonlaise.
L'honnêteté et l'activité de ce petit Etat reposent
l'esprit des turpitudes et de la décadence du reste
de l'Italie. La Péninsule râle sous la botte des
Espagnols et sous les sandales d'un Pie V et d'un
Borromée, archevêque de Milan. Les pirates bar-
baresques enlèvent des villages entiers; la Toscane
se dépeuple; on n'exporte pins que des objets
d'art et de luxe; Venise et Gênes sont bien déchues
de leur splendeur passée. L'Italie a pour héros un
Piccolomini et un Bernardi, chefs de bandits qui
jouent désormais un rôle officiel dans l'histoire.
Devant ces obstacles se brisent l'intelligence et
l'énergie d'un Sixte-Quint. Ce pnpe (15,S4-15yO) n'ose
pas donner l'absolution à Henri IV. Clément VIII
(I59lMGn5) réconcilie enfin le roi de France avec
l'Eglise. L'Italie espère une délivrance prochaine.
Les princes s'allient à la France. Philippe II signe
le traité de Vervins et meurt (1598). La Péninsule
va passer du joug de l'Espagne sous celui de la
France.
L'Italie soumise à l'influence française au
X'VU' siècle. — Venise s'était déclarée en faveur
de la France, le duc de Savoie Charles-Emmanuel
avait mis son armée sur pied. Décidé à suivre une
politique franchement italienne, il avait cédé à
Henri IV la Bresse, le Bugey et le Valromey en
échange du marquisat de Saluées (IC(IO).II comp-
tait s'emparer du Milanais avec l'aide de la France.
La mort de Henri IV (1610) rompit ses projets. Le
duc de Savoie, d'accord avec Venise, essaya bien
d'occuper le Montferrat. Mais la France se rappro-
chait alors de l'Espagne, et le duc dut signer le
traité de Madrid (161S). Malgré tout, l'influence
espagnole baissait en Italie. Le gouverneur de Mi-
lan échouait dans une tentative pour renverser h
Venise le gouvernement républicain (1618). Un
vice-roi de Naples, Ossuna, tentait de se faire pro-
clamer roi à \aples (1619-1620). Enfin Richelieu
empêchait les Espagnols d'occuper la Valteline, qui
reliait le Milanais au Tyrol fl625). L'ouverture de
la succession de Mantoue divisa encore les Italiens.
Louis XIII parut sur les Alpes pour faire triom-
pher les droits d'un prince français, le duc de Ne-
vers. Le duc de Savoie, Victor- Amédée I" (1630-
16-37), qui s'était prononcé contre ce personnage,
dut lutter deux fois contre les Français au Pas-de-
Suze (1629-1630). La paix se rétablit au traité de
Cherasco (1031 . Elle ne fut pas de longue durée.
Richelieu allait entrer dans la fameuse guerre de
Trente ans*. Le traUé de Rivoli (11135) unit à la
France les ducs de Savoie, de Mantoue et de
Parme. Mais ce dernier fut désarmé par les Espa-
gnols (1637). Le duc de Mantoue mourut (1638),
et sa veuve se soumit à l'Espagne. Victor-Amédée
de Savoie mourut la morne année, laissant son fils
mineur aux prises avec les princes Thomas et Mau-
rice, dévoués à l'Espagne et à l'empereur. Pen-
dant sept années, 1 Italie du nord fut le théâtre de
luttes opiniâtres. La France finit par l'emporter,
malgré les mauvaises dispositions du pape Inno-
cent X. Les Italiens semblaient d'ailleurs las do
la domination espagnole. .4 la voix d'un pêcheur,
Thomas Aniello ou Masaniello, Naples se soulevait
(1647, juillet), et proclamait la république (24 oct.).
Mazarin songeait, parait-il. h donner Kaples au duc
de Modène. Le duc de Guise empêcha la réalisa-
tion de ces projets. Sans l'agrément du gouverne-
ment français, il se jeta dans Naples, mais ne put
la gouverner. La ville se rendit aux Espagnols
(avril 1G4S). La Toscane et Alanioue se tournèrent
alors vers les Espagnols. D'ailleurs, nulle fixité
dans la politique italienne. Le pape Innocent X
(1644-1655) changeait d'alliés au gré des maîtresses
que lui donnaient tour à tour la France et l'Espa-
gne. En réalité, les troubles durèrent jusqu'à la pais
des Pyrénées (lti69).
Pendant quarante ans, l'histoire politique de
l'Italie est intimement liée à celle de la France.
Alexandre VII (1656-1667) était obligé de s'humi-
lier devant Louis XIV * dont il avait insulté l'am-
bassadeur (1662). Les petites cours italiennes
étaient à la solde de la France. Venise luttait inu-
tilement contre les Turcs, et, malgré un secours
dérisoire de la France, leur abandonnait Candie
(1669). Les papes, Alexandre VII, Clément IX
(I667-1C7.S), dilapidaient les trésors de Sixte-Quint.
Les ducs de Modène et de Mantoue oubliaient la
politique pour l'opéra. Les Espagnols tenaient bon
dans le midi, malgré la révolte de Messine (1674),
et les victoires navales de Duquesne à Stromboli
et Palerme 11675-1676). L'Italie semblait dormir.
Elle assistait avec indifférence à l'entrée des Fran-
çais dans Casai (1681), au bombardement de Gênes
(1084), aux humiliations infligées à Iimocent XI
(1687). Venise était absorbée par une guerre nou-
velle contre les Turcs. A Florence, on faisait des
savants, à Turin des soldats. Là était le danger
pour la France. Quand l'orgueil opiniâtre de
Louis XIV suscita contre ce prince une coalition
formidable (1688-1689), le duc de Savoie, Victor-
Amédée II (1675-1730) se déclara contre les Fran-
çais. Câlinât le battit à StalTarde (1690), à la Mar-
saglia (1693). Mais les Impériaux, commandés par
le prince Eugène, opprimaient les Italiens. L'ha-
bile duc de Savoie, sacliant à la fois se rendre po-
pulaire en Italie et soigner les intérêts de sa mai-
son, signale premier un traité avec la France (1096).
Il recouvrait ses Etats, et donnait au duc de Bour-
gogne, petit-fils de Louis XI V, la main de la gracieuse
et spirituelle Adélaïde de Savoie. Le traité de
Ryswick (11.97) pacifiait l'Europe. Les Turcs elles
Vénhiens signaient la paix 1699). Le vieux pape
Innocent XII, dans un jubilé solennel, appelait les
bénédictions du ciel sur le siècle nouveau. Quel-
ques mois plus tard la guerre recommençait.
Les Bourbons en Italie (1700-1789!. — L'Europe
pouvait difficilement admettre que le Milanais et
les Deux-Siciles, selon le testament de Charles H,
tombassent au pouvoir d'un prince d'origine fran-
çaise, Philippe V. Une guerre générale éclata. Vie-
ITALIE
— 1079 -
ITALIE
Ini'-Amc'dijo, aur|H(;l la l'ivinco avait secrètement
promis lo Milanais, se tourna en llO'i contre
Louis XIV dont il se défiait. Le duc de Vcndùnie
l'ut rappelé rn France ; la Feuillade fut battu à
Turin, les Impériaux s'emparèrent do IVaples et
les Anglais de la Sardaigno. Los Iraités de 171^!
modifièrent profondément l'état de l'Italie. La mai-
son de Habsbourg roi;ut le Milanais, Naples, le
Mantouan et la Sardaigne. Vicioi'-Amédée obtint
le titre de roi et l'île de Sicile, malgré les réclama-
tions du Saint-Siège.
En nn, la politique d'Alboroni remit tout en
question. Après une courte guerre suscitée par
l'Espagne, Victor-Amédée échangea la Sicile pour
la Sardaigne. Plus tard encore, à l'extinction des
maisons de Farnèse (n;jll et de Médicis (n:i6 ,
l'Espagne et l'Empire se disputèrent Parmo, Plai-
sance et la Toscane. En 173?, Philippe V obtint
pour un de ses fils. Don Carlos, Parme et Plaisance.
Quelques mois après, poussé par les conseils se-
crets du nouveau roi de Sardaigne Charles-Emma-
nuel m (n:jO-n73), don Carlos consentait à lais-
ser à don Philippe, son frèro, Parme et Plaisance,
à conquérir lesDeux-Siciles, et à aider les Piémon-
tais il occuper le Milanais. On préparait ainsi l'ex-
pulsion des Autrichiens de la Péninsule, Le traité
de Vienne (I7;!5) donna à don Carlos les Deux-Si-
ciles et les présides de Toscane; mais l'Autriche mit
la main sur Parme et Plaisance, annexés au Milanais ;
la Toscane fut cédée au duc François de Lorraine.
Les Autrichiens furent plus puissants que jamais.
En 1740, à la mort de Charles VI, on pouvait
espérer que l'Italie se débarrasserait de la domi-
nation autrichienne. Mais le roi de Sardaigne, fi-
dèle h la politique astucieuse de sa famille, traita
avec Marie-Thérèse, après s'être déclaré son en-
nemi (1742). Vaincus à Bassignano (1745) et vain-
queurs à Plaisance (1746', les Impériaux durent
signer le traité d'Aix-la-Chapelle (1748), qui laissait
h François la Toscane, à don Carlos les DeuxSi-
ciles, donnait à don Philippe Parme, Plaisance et
Guastalla, au roi de Sardaigne le Haut-Novarais et
Vigevano.
L'Italie put respirer. Quelques princes tentèrent
des réformes. Don Carlos, devenu roi d'Espagne en
dène, à Fcrrare, on proclam.i la République .
Cliarles-Emmanuel IV (ni)(;-l8U-.'), menacé de per-
dre ses Etats, dut se conformer aux ordres des
vainqueurs. Les victoires d'Arcole (17'.)G), de lU-
voli (n'.)7) aboutirent au traité de Campo-Formio,
dont certaines slipulations furent une honte pour
la France : la république Cisalpine, il est vrai,
était fondée avec Milan pour capitale ; mais Ve-
nise fut cédée aux Autrichiens, avec l'Istrie el la
Dalmatie (ni)"-l"!)8). Quelques mois plus tard, la
république était fondée à Home (fév. 1798), i Na-
ples (janv. non), en Toscane (mars 1790).
Mais la révolution n'était que superficielle.
Après les défaites des Français b, Magnano, Cas-
sano, Novi (179^1)) 'es anciens gouvernements fu-
rent restaurés à Naples, à Florence, h Milan. Le
pape Pie VII (1799-I823) succéda régulièrement h
Pie VI. La domination autrichienne fut rétablie, au
grand détriment des libéraux. La bataille do Ma-
rengo(i800) elle traité de Lunéville (iKûi) la ren-
versèrent encore. On reconstitua les républiques
Cisalpine et Ligurienne ; mais Pie VII rentra h Rome
et Ferdinand resta h Naples ; Parme et Plaisance
furent donnés à la France, qui céda la Toscane ii
l'ancien duc (royaume d'Elrurie). Où était la
liberté promise aux Italiens? Bonaparte accejjtait
la présidence de la république Cisalpine (1802). Le
Piémont formait six déparlements français. Victor-
Emmanuel I" (1802-1831) était relégué dans la
Sardaigne. Bientôt Bonaparte, empereur, trans-
forma la république Cisalpine on un royaume, dont
Eugène Beauharnais fut vice-roi (IhO.')). La Ligurie,
l'arme. Plaisance, Lucques et Piombino étaient
annexés à l'empire. Le traité de Presbourg (déc.
180.')) acheva de soumettre l'Italie à Napoléon.
L'Autriche céda au royaume d'Italie Venise, l'Istrie
et la Dalmatie. Les liourbons furent expulsés de
Naples, où un frère de Napoléon, Joseph, fut pro-
clamé roi (mars 180fi). En ls08, l'empereur, qui
disposait à son gré de l'Italie, nommait son beau-
frère Murât roi de Naples, sa sœur Paviline Bor-
ghèse, duchesse de Guastalla, et réunissait la Tos-
cane (royaume d'Etrurie) à la France. Déjà Napo-
léon entamait les Etais du Saint-Siège. Deux ans
plus tard (i810) il réunissait h l'Empire Rome et
1759, confia la tutelle de son fils Ferdinand IV, roi de Spolète. L'Italie entière était annexée i la France
Naples.aujurisconsulteTanucci.Ceministre rétablit le pouvoir temporel des papes n'existait plus. Mai;
l'ordre dans les linances, encouragea le commerce partout libéraux et catholiques commençaient
et l'industrie. En Toscane, Léopold 1" réformait le
code criminel, abolissait la peine de mort, favo-
risait l'agriculture, réduisait la dette de 87 mil-
lions à 24. En Piémont, Charles Emmanuel orga-
nisait l'armée, construisait des forteresses, et ad-
ministrait ses Etats comme une vaste caserne.
Dans le Milanais, les Autrichiens toléraient l'illus-
tre Beccaria, développaient l'agriculture et sur-
veillaient de près la noblesse et la bourgeoisie.
A Rome, le pape Benoît XIV se contentait d'être,
selon sa propre expression, « un bon vivant ».
Après lui, Clément XIV prononça la suppression de
l'ordre des jésuites. Sous le pontificat de Pie VI
(1775-1790), l'Etat romain, aJ dire d'un panégyriste
du pape, fut « le plus mal administré de l'Europe
après la Turquie. » Venise et Gènes se faisaient
oublier. Personne ne protestait contre la domi-
nation autrichienne qui s'imposait peu à peu
môme aux Etats indépendants, sous le couvert de
mariages et d'alliances.
L'Italie contemporaine (1780-1879). —L'Italie a
largement profité des bienfaits de la Révolution
française. Envahie dès 1792 par les Français, qui
occupèrent Nice et la Savoie, elle n'opposa qu'une
faible résistance au général Bonaparte, qui l'ap-
pelait h l'indépendance. Victor-Amédée (177.3-179(i)
dut signer le traité de Cherasco (17&6). Partout
des conspirations éclataient contre les princes. La
victoire de Lodi expulsa les Autrichiens du Mila-
nais (179G). A Milan, h Bologne, à Ueggio, à Mo-
protester contre l'asservissement du pays et des
consciences. L'Italie, qui avait longtemps cru en
Bonaparte, l'abandonna dès 1812. Aux premiers
revers en 1814, Murât se prononça contre l'empe-
reur. Dans le Nord, Eugène Beauharnais, vice-roi
à Milan, dut se retirer devant les Autrichiens. Le
premier traité de Paris ramena dans la Péninsule,
outre les Autrichiens, le pape Pie VII, Victor-
Emmanuel, François de Modène, François de Tos-
cane, le conseil municipal de Saint-Marin et lo
prince de Monaco. Durant les Cent-jours, Mural
essaya vainement do soulever l'Italie au nom di'
l'empereur. Waterloo condamnait les Bonapartr
et leurs alliés. Ferdinand IV rentra dans Naples.
et Murât, pris h Pizzo où il avait débarqué, fut,
mis à mort (181.')).
L'occupation française n'avait pas été inutile aux
Italiens. Napoléon avait encouragé les grands tra-
vaux dans la Péninsule. Le droit français avait,
achevé la défaite de la féodalité italienne. Pour l.i
première fois depuis des siècles, l'Italie avait enfin
formé un Etat. L'unité italienne était donc pos.si-
ble : l'Italie ne l'a pas oublié Le patriotisme ita-
lien était né; il avait un but. Il l'a poursuivi opi-
niâtrement durant un demi-siècle, comptant sur
la maison de Savoie, qui n'a point trompé ses es-
pérances, ne séparant point l'idée de la patrie de
celle de la liberté, précieux hériiage de la Révo-
lution.
Les traités do Vienne livr.aient à l'Autriche la
ITALIE
— 1080 —
ITALIE
Lombardie et la Vénétie, réunies sous le nom de
royaume lombard-vénitien (I SI 51. Milan et Venise
en furent les capitales ; les soldats italiens furent
disséminés dans les régiments autrichiens. Les
collatéraux de la maison de Habsbourg furent
grandement favorisés. A l'arcliiduc Ferdinand on
donna la Toscane avec Piombino et lile d'Elbe ;
à François d'Esté, le duché do Modène ; h l'ex-im-
pératriee Marie-Louise, le duché de Parme. Gènes
était annexée au Piémont. Le fantôme môme de
la liberté avait disparu. Victor-Emmanuel I" livrait
ses Etats aux jésuites. Ferdinand IV de Naples, rjui
s'appelle désormais Ferdinand l", roi des Deux-
Siciles, abolissait une constitution libérale promul-
guée en ISIV, et luttait avec l'aide des Autrichiens
contre les sociétés sociétés des carhonnri. La réac-
tion était conduite par M. de Metternich, policier
plus que diplomate, homme d'une immoralité ex-
trême, mais défenseur acharné des principes con-
servateurs.
La place nous manque pour raconter avec quel-
que détail l'histoire de l'Italie, des traités de 1815
à nos jours. Nous devons nous bornera, un résumé
chronologique très sommaire.
En IS'iU et 1821, des révolutions i Xaples et dans
le Piémont obligèrent Ferdinand à accorder une
constitution et Victor-Emmannel à abdiquer en fa-
veur de Cliarles-Félix, transformé aussi en roi
constitutionnel. Mais l'intervention autrichienne,
appuyée par la Sainte-Alliance, comprima les as-
pirations libérales ; de sanglantes exécutions,
dos proscriptions impitoyables, décimèrent les
rangs des patriotes, les constitutions furent
abolies, et la terreur régna dans l'Italie entière.
Cela dura jusqu'en 1830. Alors l'exemple des
journées de juillet enflamma de nouveau lajeunesse
italienne. Les insurrections partielles de Parme,
de Modène, des Romagne furent encore compri-
mées par l'Autriche. Mais, cette fois, les patriotes,
malgré leurs échecs, ne devaient plus se décou-
rager. Un grand parti, celui de la Jeune Italie, s'é-
tait formé sous la direction de Mazzini ; et, durant
quinze ans, d'incessantes conspirations tinrent les
esprits en éveil. Lorsque le cardinal Mastai Ferretti,
qu'on croyait libéral, fut devenu pape sous le nom
de PielX (juin 1846). l'Italie accueillit cette élection
avec enthousiasme: il semblait qu'une ère nouvelle
allât commencer; des réformes s'accomplissaient
en Toscane et en Piémcnt, où régnaient Léopold il
et Charles-Albert.
Mais la République est proclamée en France, et
le contre-coup de la révolution de févrit^r se fait
ressentir dans toute l'Europe. Milan s'insurge
Charles-Albert octroie à, son peuple une constitu
tion et déclare la guerre à l'Autriche. Partout le:
souverains italiens sont chasses ou obligés de faire
des concessions. Mais Charles-Albert est vaincu:
le pape et le roi de Naples font cause commune
avec la réaction européenne. Abandonnés par les
princes, les patriotes italiens ne désespèrent pas
de la cause nationale : la république est proclamée
à Venise, à Florence, à Rome, d'où le pape s'enfuit.
La guerre recommence entre le Piémont et l'Au-
triche: Charles-.\lbert est encore écrasé (à Novare,
mars 1840), et abdique en faveur de son fils
Victor-Emmanuel II, qui fait la paix avec r.\u-
triche ; les princes sont rétablis à Parme, à Mo-
dène, à Florence. Pendant que les Autrichiens as-
siégeaient Venise, Louis-Napoléon, devenuprésident
de la République française, envoyait une expédition
détruire la République romaine. Le général Oudi-
not s'empare de Rome, défendue par Garil)aldi
(juillet 1K49); Venise capitule ^aoùt 1849).
La réaction triomphait dans l'Italie entière ;
seul, le Piémont avait gardé sa constitution; sous
la direction d'un politique habile, le comte de
Cavour, il voyait grandir son importance. En 1853,
les Piémontais prennent parti» la guerre de Crimée.
En 185(), Cavour posait devant le Congrès de Paris
la questioii italienne, et, en 1S59, il obtenait le se-
cours de Napoléon III contre r.\uti'iche, au prix de
la cession de Nice et de la Savoie (V. Guérie
l'Italie, p. 912).
Par l'annexion au Piémont de la Lombardie, de
la Toscane et de l'Emilie (1859, ISCn), un royaume
vraiment italien était enfiji constitué. Il n'avait
plus en face de lui que les gouvernements de
Naples, de Rome, et de la Vénétie restée autri-
chienne. Les États napolitains furent soulevés par
Garibaldi (IsGU), qui y fit proclamer Victor-Emma-
nuel, en même temps que les troupes pontificales
étaient battues par l'armée sarde à Castelfidardo ;
les Marches et l'Ombrie sont annexées au
Piémont; le pape ne garde que Rome et un petit
territoire. En 1861, Victor-Emmanuel prend le titre
de roi d'Italie; Cavour peut mourir (juin 1861) sa-
tisfait de son œuvre. Garilialdi , qui voulait atta-
quer Rome, est désarmé par le gouvernement
italien ; les troupes de Victor-Emmanuel l'arrêtent
à Aspromonte (1862), et le contraignent à renoncer
à son projet.
En vertu de la convention du 15 septembre 1864,
les Français, qui occupaient Rome depuis 1849,
consentent à évacuer cette ville dans un délai de
deux ans, si Victor-Emmanuel s'engage à respec-
ter le territoire pontifical. Pie IX, se déclarant me-
nacé, lance l'Encyclique du 8 décembre 1864,
qu'accompagne le célèbre Syllabus. Sans s'arrê-
ter àces récriminations, Victor-Emmanuel transporte
sa capitale de Turin à Florence, puis s'allie à la
Prusse, et déclare avec elle la guerre à l'Autriche
(1806); grâce à la victoire des Prussiens à Sadowa,
et malgré les défaites de Custozza et de Lissa,
l'Italie obtint enfin la Vénétie; en même temps, en
vertu de la convention de septembre, les troupes
françaises évacuaient Rome.
En octobre 1867, Garibaldi, toujours impatient,
envahit les Etats pontificaux à la tète de ses vo-
lontaires; aussitôt une armée française est envoyée
au secours du pape, et Garibaldi est vaincu à
Montana, où « les chassepots firent merveille. »
Mais en IS'^O, Napoléon III se voit contraint de re-
noncer à défendre plus longtemps le gouverne-
ment pontifical, et les Italiens entrent à Rome,
qui devient capitale définitive du royaume. La lui
lie gnratitie, votée en 1870, assure au pape, souve-
rain spirituel, une liberté absolue (V. Papauté).
Victor-Emmanuel, mort en 1878, a ou pour suc-
cesseur son fils Humbert l".
[L.-G. Gourraigne.]
ITALIE fLiTTÉiiATinE). — Littératures étran-
gères, XI, XII. — Jusqu'au douzième siècle, les Ita-
liens s'exprimaient en langue latine, cherchant à
se soumettre aux règles quand ils prenaient la
plume, et n'en ayant nul souci quand ils parlaient.
Leur idiome, alors, c'était ce latin des soldats et
des gens du peuple, dont on retrouve la trace dans
Plante, et qu'ils avaient encore dénaturé, un latin
moins semblable à celui de Cicéron que le fran-
çais de nos soldats et paysans ne l'est h celui de
Bossuet. Quiconque était trop ignorant pour écrire
tant bien que mal en latin, écrivait en français :
notre vieille langue était alors très répandue. Ce
n'est guère qu'à la fin du douzième siècle que le
latin parlé commence à devenir un idiome mo-
derne : il faut alors expliquer en langage -v-ulgaire
aux auditeurs tel sermon prononcé en latin. Ita-
lien et français procèdent l'un et l'autre de la
langue latine; seulement l'italien termine les mots
sur les voyelles, tandis que le français les tronque
sur les consonnes, en supprimant la finale. Au
treizième siècle, il existe une langue italienne :
on a déji dans cette langue des cahiers de
comptes ou de dépenses et des lettres d'affaires.
Quatorzième siècle. — L'instrument trouvé, on
ne pouvait tarder h s'en servir. La poésie qui,
ITALIE
1081 —
ITALIE
(l;ins le domaine des lettres, devance partout la
prose, parut, au treizième siècle, h, la cour do
l'alcrme, sous le règne do Frédéric II. Ce sont les
trovibadours provençaux qui l'y ont importée ; de
là elle passe en Toscane, plus tôt qu'à Naples ou
:\ Uome, parce qne le peuple florentin avait pris
l'avance sur les autres peu|)les de l'Italie, et aussi
parce que le hasard fit naître en ce temps-là dans
Flonuice un grand génie, le plus grand peut-être
du moyen âge, un de ceux qui consacrent par
d'immortels exemples les progrès accomplis et qui
en accomplissent Gux-mémes, Dante Aligliieri {fUib-
1:121). Après avoir beaucoup étudié et s'être fait
inscrire dans la corporation des apothicaires, il
avait pris part aux combats extérieurs que livrait
sa patrie, aux querelles intérieures qui la divi-
saient en Blancs et en Noirs; il finit par être en-
veloppé dans la disgrâce, dans l'exil des Blancs.
Son caractère irritable et chagrin lui avait fait
beaucoup d'ennemis.
Dante n'est pas, comme on l'a dit, « un astre
solitaire dans la nuit sombre ; » plusieurs de ses
contemporains ont un nom dans les lettres, et il
est même disciple de deux d'entre eux, Guido
Cavalcanti et Cino de Pistoia, renommes pour
leurs poésies sur le modèle des troubadours
provençaux ou siciliens. En écrivant comme eux,
des poésies amoureuses, il relève et perfectionne
ce genre, en môme temps que, par divers ouvrages
en prose, il fixe h jamais la langue toute nouvelle
qu'on parlait autour de lui. Mais c'est surtout par
son grand poème, la Divine ('omédie, qu'il marque
sa place pour l'immortalité. Le cadre est emprunté
aux conteurs français. Rien de plus ordinaire
parmi eux que do faire voyager tel ou tel person-
nage aux enfers, au purgatoire, au paradis. Heu-
reusement, Dante transforme, ennoblit tout ce
qu'il touche. D'un court et licencieux fabliau, il
fait une trilogie ample, chaste, élevée, sublime.
11 donne à l'Italie son épopée, (|Ui est pour ce pays
ce qu'est pour nous la Chanaon de Roland, avec
ces différences essentielles, qu'au lieu de raconter
dans une langue encore informe un épisode
d'histoire nationale, il expose dans une langue
formée, avec toutes les beautés que sait trouver le
génie et tout l'art d'un maître en fait de style, les
croyances religieuses du moyen âge, en sorte
qu'Italien par l'idiome dont il se sert et par ses
incessants retours sur l'histoire de l'Italie et de sa
ville natale, il est le poète de toute l'Europe chré-
tienne par le fond même de son poème. Ces retours,
malheureusement, sont si nombreux, ses allusions
si fréquentes à de menus faits peu connus, ses
allégories, genre alors à la mode, parfois si ob-
scures, qu'il paraîtrait souvent inintelligible, si,
presque à chaque vers, les notes de ses éditeurs
n'y portaient la lumière.
C'est lui-même qui fait le triple voyage, guide
dans l'enfer et le purgatoire par Virgile, dans
le paradis par Béatrice Portinari, une jeune
Florentine enlevée à la fleur de l'âge et qu'il avait
aimée de cet amour platonique dont tout poète, en
ce temps-là, était tenu de brûler. Esclave des
usages et des idées de son temps, Dante môle, à la
merveilleuse poésie qui lui est propre, la sco-
lastique, la philosophie, la théologie qui en dimi-
nuent pour nous l'attrait, mais qui en augmentent
singulièrement la portée historique. Ces idées
abstraites, ces souvenirs de l'école dominent sur-
tout dans le Pariidis; mais on en trouve déjà trop
dans le Pur(jaluirc, où elles sont, il est vrai, mê-
lées à des descriptions saisissantes de supplices,
dont l'unique défaut est de répéter celles, plus
saisissantes encore, qui remplissent VEnfer, et
qui en ont fait, depuis des siècles, l'incomparable
popularité.
En politique, Dante est gibelin, c'est-à-dire qu'il
appelle l'empereur allemand pour régénérer l'Ita-
lie et la soumettre au pouvoir d'un seul, maître
dans l'ordre temporel comme le pape l'est dans
l'ordre spirituel : c'est dans cette dualité, selon lui
sans péril, qu'il voit le salut, comme il entreprit
de le montrer dans un vigoureux ouvrage écrit en
langue latine et intitulé De Mo/i'n-clda. Quand
l'échec d'Henri VII de Luxembourg lui eut ôté ses
illusions à cet égard, il essaya de faire de Cane
Grande délia Scala, dont il était l'hùte à Vérone, le
héros do son rêve, qu'il ne devait pas voir réalisé.
Ces pensées et ces desseins, qui étaient alors
une des formes du patriotisme, d'un patriotisme
mal entendu, se retrouvent fré(iuemment dans la
Divine Comédie; mais ce n'est point là ce qui en
fait le charme, l'attrait. Ce qui altire et retient le
lecteur, ce sont tant d'immortels épisodes, Fran-
çoise de Rimini, Ugolin et la tour du la Faim, le
portrait de la fortune, l'entrevue du poète avec
Brunetto Latini, son maître, la redoutable descente
au huitième cercle, les deux épisodes des serpents
et tant d'autres ; c'est l'originale et difficile inven-
tion par laquelle Dante se représente et cherche
à représenter les splejideurs éblouissantes de
l'empyrée, cette rose blanche dont les feuilles
éclatantes et pures deviennent les sièges des saints
et des saintes, revêtus de blanches étoles ; c'est
surtout qu'il a su créer des personnages vivants
avec deux éléments disparates, l'idéal et le réel,
qui, réunis par son art, no peuvent plus être sépa-
rés. Mêlant ainsi aux traits caractéristiques de son
temps, qu'il fixe à jamais, les richesses de sa
puissante imagination, il le dépasse par la force
de son génie, il entrevoit l'aube de la Renaissance,
il donne de hautes leçons de littérature comme de
morale. S'il reste un modèle à ce point inimitable
qu'on n'osa guère l'imiter, ses contemporains,
après l'avoir laissé mourir dans son exil de Vérone,
dont il ne voulut pas être rappelé au prix d'une
soumission humiliante, se prirent pour lui d'une
admiration sans bornes : voyant dans ses vers un
texte presque aussi sacré que celui de l'Ecriture
sainte, ils fondèrent partout, pour l'expliquer,
pour le commenter, des chaires qui, en plus d'un
endroit, furent établies dans les églises. S'il y eut
exagération dans un enthousiasme qui tenait peut-
être du remords, Dante n'en est pas moins, et de
beaucoup, le plus grand nom de l'Italie.
La Divine Comédie fait trop oublier les services
rendus à la prose italienne par quelques écrits de
Dante ; mais en prose il n'a pas la môme supério-
rité qu'en vers : il n'a guère que celle de son grand
esprit et des choses qu'il pense. Les auteurs de
chroniques, de souvenirs personnels, consignés au
jour le jour, qu'on appelait ricordi ou ricordanze,
et qui sont comme la forme primitive des mémoires,
contribuaient eux aussi, par leur langage simple
et naturel, aux progrès de la prose. II suffira de
citer ici Giovanni Villani (1310-1-318), son frère
Matteo et son neveu Filippo, tour à tour historiens
de Florence leur patrie, avec un elïort louable vers
l'exactitude et l'impartialité. Ce qui leur manque,
c'est le génie. Pétrarque et Boccace sont, à cet
égard, les seuls héritiers de Dante; mais ils n'ont
recueilli que la moindre partie de son héritage.
Francesco Petrarca i.l3U4-l-.74), né à Arezzo, de
parents florentins en exil, avait pris dans sa jeu-
nesse, en terre d'Avignon, à la cour du Sahit-
Siège, le goût de la poésie lyrique des Provençaux.
Libre de sa vocation par la mort de son père qui
le voulait légîbte, il revêtit l'habit ecclésiastique,
qui donnait alors l'indépendance avec la considé-
ration, et il consacra une vie de loisirs à chanter
en vers l'amour platonique que lui inspirait une
jeune femme du Comtat, Laure de Noves, mariée à
Huges de Sade. Dix-sept années, il vécut dans des
larmes et des soupirs de commande : ses sonnets
sollicitaient ou célébraient la modeste faveur d'un
regard, d'une main dégantée, d'une parole affec-
ITALIE
— 1082
ITALIE
tueuse ou seulement polie. Quand la mort lui a
ravi Laure, il en célèbre encore les mérites, et ses
regrets sont plus toucliants que les précédents
désespoirs de son Canzoniere. Il s'y montre, en
somme, très supérieur aux troubadours et aux
Italiens qui les avaient imités, quoiqu'il ne soit
point exempt de leur subtilité fleurie. Dans ces
poésies, où le fond n'est rien, où le charme du sen-
timent , du rythme , du style est tout, rien na
vieilli. On peut seulement regretter que Pétrarque
ait donné naissance, tant il était facile de marcher
sur ses traces, à l'école des pétrarquistes, séculaire
fléau qui n'a point cessé encore de sévir sur l'I-
tahe.
Chose remarquable! Les sonnets et canzone qui
sont à nos yeux la gloire de Pétrarque, n'en étaient
point le fondement, aux yeux de ses contempo-
rains. Ils admiraient surtout de lui ses poésies la-
tines. C'est un poème latin, VAfricn, qui lui valut
l'honneur de recevoir à Rome, au Capitole, le lau-
rier poétique. Ses écrits en prose ou en vers dans
la langue des vieux Romains attestent du moins un
effort, quelquefois heureux, pour en user avec une
élégance depuis longtemps perdue. Passionné
pour les lettres antiques, Pétrarque parcourait
l'Europe pour en découvrir, acheter, transcrire ou
faire transcrire les manuscrits, oubliés et comme
perdus dans la poussière des couvents. Par là il
est un des premiers qui aient acheminé l'Italie,
et à sa suite lEurope, dans les voies de la Renais-
sance.
Il avait trouvé un puissant auxiliaire dans son
ami Giovanni Boccaccio (131.3-l.375i, fils d'un Toscan
des environs de Florence et d'une Parisienne,
élevé à Paris, et destiné au trafic, qu'il abajidonna
pour les lettres, comme Pétrarque avait fait le
droit. Moins novice dans la connaissance du grec,
c'est surtout les manuscrits grecs que Boccace s'é-
tudiait à répandre de sa belle main de copiste.
C'est un titre sérieux à l'estime publique pour cet
écrivain, que le plus important de ses écrits con-
damne à tout jamais à une renommée équivoque.
Il avait la prétention d'être surtout un poète, et,
de fait, il écrivit beaucoup en vers ; mais ses
poèmes sont un peu négligés aujourd'hui, quoi-
qu'on y remarque le désir et l'art de conter, c'est-
à-dire "le génie même de Boccace. Il avait beaucoup
lu et goûté les conteurs français ; il les imita, par
manière de passe-temps, dans son Décnmirojj,
recueil de cent nouvelles en dix journées, et il les
laissa bien loin derrière lui, par sa sobriété, son
esprit, son style, sa langue. Longtemps il a été
considéré comme le modèle de la prose italienne.
Si l'on reconnaît aujourd'hui que sa période, trop
imitée de Cicéron, a trop d'ampleur ; si l'on pré-
fère la phrase plus courte des chroniqueurs ses
contemporains, on ne peut méconnaître en lui un
des plus habiles écrivains de tout pays. On re-
grette seulement que le goût des aventures licen-
cieuses ou obscènes, général en ce temps-là, nous
force à reléguer cet ouvrage parmi ceux dont on ne
sait trop dire s'il faut les appeler chefs-d'œuvre ou
livres honteux. Les nouvelles de la dixième jour-
née et l'introduction, où est admirablement décrite
la peste noire de 134«, pourraient seules être
mises dans toutes les mains. Pas n'est besoin de
dire que, dans ce genre facile, Boccace trouva de
nombreux imitateurs ; mais pas un, pas même
Franco Sacchetti, le meilleur de tous, ne peut lui
être comparé.
Quinzième siècle. — Après ces auteurs de génie
semblent se tarir les sources de l'invention. Us ont
donné à l'Italie une langue définitive, et, cependant
elle retourne au latin. One admiration trop enthou-
siaste de l'antiquité retrouvée lui fait croire qu'elle
n'a plus qu'à se remettre à l'école. Le xv" siècle re-
noue la chaîne qu'ont brisée les temps barbares et
le moyen âge. Le goût de l'érudition devient uni-
versel. On s'étudie à écrire le latin comme Cicéron,
et, un peu puérilement, à ne se servir que de mots
par lui employés. En langue italienne, on n'écrit
guère plus qu'en vers. Laurent de Médicis et jVnge
Politien sont au nombre des meilleurs poètes do
ce temps. D'autres mettent en vers italiens nos
chansons de gestes, nos romans de la Table Ronde.
Mais dans le Morc/ante rtmi/giore de Pulri (1431),
dans l'O/'/anrfo innamorato de Bojardo (1434), on
ne retrouve point le sérieux, la bonne foi de nos
vieux auteurs primitifs. Les imitateurs de ceux-ci
au sud des Alpes sont un peu suspects de ne ra-
conter qu'en plaisantant les exploits de leurs héros,
comme, au surplus, faisaient eux-mêmes les der-
niers de nos trouvères.
Seizième siècle. — Au siècle suivant, la littérature
italienne prend une floraison nouvelle, inférieure,
quoi qu'on en ait dit, à celle du xiv%mais où, néan-
moins, s'épanouit de nouveau le génie. Ce qui nuit
aux écrivains, alors, c'est qu'ils sont des serviteurs,
des sujets, au lieu d'être des hommes libres. Leur
inspiration est en quelque sorte commandée. Elle
manque de fierté, de dignité. Leur tâche est de
fondre dans une composition harmonieuse les élé-
ments nombreux, mais épars, qu'ils ont sous la
main. L'imagination de détail et le goût sont dé-
sormais les qualités dominantes. L'effort de l'ar-
rangement et du style devient sensible, et le nom-
bre des auteurs considérable, parce que le travail
et l'art suffisent à leur assurer une place d'honneur.
Mais ceux-là seuls envers qui la nature s'est mon-
trée prodigue peuvent ici nous arrêter.
Au premier rang, par le temps comme par le
génie, estNiccolo Macchiavelli (14G9-I521). Homme
de transition, il appartient, par la durée de sa vie,
autant au xv° siècle qu'au xvi«. Issu d'une ancienne
famille de Florence, successivement chancelier et
secrétaire de la République, puis destitué et banni,
assez honnête pour être sorti pauvre de sa charge,
mais pas assez stoique pour se résigner à sa pau-
vreté, il pactisa trop avec les puissants pour mar-
quer une juste horreur de leurs pratiques scélé-
rates ou infâmes, et ces accommodements avec le
mal ont nui à ses ouvrages, par suite à sa re-
nommée. D'un naturel observateur, il note froide-
ment, il indique avec un flegme imperturbable les
actes propres à étendre ou à afl'ermir le pouvoir,
dans un ouvrage intitulé le Prince, chef-d'œuvre
profond, mais qui n'est ni un livre de morale, ni
môme un livre moral. On y trouve mises à nu les
plus secrètes idées de son temps, car il a fouillé
comme avec son scalpel dans l'âme des tyrans de
l'Italie, sans plus s'indigner de ce qu'elle a de dif-
forme, que ne ferait un analomiste des difformités
physiques. Indifférent aux iirincipes, comme on
l'était en un siècle où Gonzalve de Cordoue osait
dire que la toile d'honneur doit être d'un tissu
lâche, ce qu'il admire, c'est l'art de gagner la
partie, ou, tout au moins, de la bien jouer. Etran-
gement superstitieux, malgré sa profondeur, il n'a
pas eu le pressentiment de l'avenir, et cet esprit
moderne qu'il a méconnu, l'en a châtié en formant
de son nom le mot mal famé de muc/naiélisme,
qui exprime des pratiques raffinées et tortueuses
bien antérieures à lui. Mais alors il ne choquait
personne : le Prince parut avec le privilège d'une
bulle pontificale, qui en recommandait la lecture
comme très salutaire aux chrétiens, et il a été
depuis, pour les despotes, le livre de chevet. C est
mal juger Machiavel que de le poursuivre, comme
on l'a fait souvent dans les deux derniers siècles,
de violentes invectives, ou de voir en lui, comme
on le fait de nos jours, un apôtre de la cause natio-
nale et démocratique. Il est un témoin, qui, par
prudence ou indifférence, refuse d'être un juge.
D'autres ouvrages recommandent encore le nom
de Machiavel. Ses Discours sur la prtmiéredécade
de Tite-Live, sans imposer les mêmes reserves.
ITALIE
1083 —
ITALIE
contiennent pourtant trop de maximes semblables
;ï celles du Prince. Faisant la pliilosophie de l'his-
toire romaine, il analyse et développe ce que
Bossuet résume, et il se distingue de lui, comme
de Montesquieu, par une application constante des
faits anciens aux intérêts modernes. Ses Histoires
/ifocf'/i/mcs jusqu'en Wii ne sont, quant aux faits,
que la reproduction de l'iiistorien Cavalcanti, aussi
obscur que médiocre; mais il fait oublier son guide
par des appréciations judicieuses, môme des événe-
ments qu'il connaît mal, et par un style bref, nerveux,
sans images ni ornements, qui difl'ère très heureu-
sement de celui de Boccace, qu'on proposait alors
pour modèle. Parmi bien d'autres écrits, la plu-
part politiques ou militaires, signalons ses heu-
reuses excursions sur le domaine de la nouvelle
I Ilrlp/ii'f/or) et de la comédie ( !.a Maiidrtiijo/a, etc. V
Son théâtre est licencieux, mais le pape Léon X
n'en aimait pas moins à s'en donner le divertisse-
ment. L'équivoque règne malheureusement sur
les écrits comme sur la vie de ce philosophe poli-
tique, et ne permet pas de joindre une entière
estime à l'admiration.
Après lui, bien d'autres ont écrit en prose, qui
ne le suivent que de loin, même Guicciardini (Gui-
chardin), renommé pour son Histoire d'Italie, et les
Novetlieri ou conteurs, dont aucun ne vaut ceux
du xiV siècle. Le xvi', en sa seconde moitié, tom-
bait dans ce travers de croire qu'un rien avait de
l'importance, quand il était bien exprimé. Des aca-
démies fort nombreuses, et, dans le principe, utiles
aux lettres, devinrent, en un temps d'oisiveté ser-
vile, une végétation luxuriante qui étouffait tout
développement spontané des esprits. 11 y avait les
académies des Lucides, des Obscurs, dos Gelés,
des Enflammés, des Altérés, des Insensés, etc. Les
membres de chacune portaient des surnoms appro-
priés au titre général de leur compagnie. Tel des
Enflammés s'appelait le Brûlé, tel autre le Grillé
ou l'Ardent. L'emploi du temps était digne de ces
puérilités. On faisait l'éloge des grands nez, de la
salade, du concombre, de l'hypocondrie, comme,
au temps de la décadence du monde ancien, celui
de la chevelure ou de la calvitie. On recherchait
qui était antérieur, de la poule ou de l'œuf. Le
langage était à l'avenant, vain étalage de figures de
rhétorique et d'érudition pédantesque. Une seule
de ces académies a conservé en partie, malgré ces
ridicules dont elle n'était point exempte, sa re-
nommée d'autrefois: c'est l'académie florentine de
la Crusca ou du Blutoir, qui se donne pour mission
de trier les tours et les mots de la langue, selon
les principes du goût.
C'est merveille que le « mal académique », ainsi
qu'on l'a justement nommé, n'ait pas été un in-
vincible obstacle à d'heureuses créations do la
poésie. Chez quelques-uns le génie naturel triom-
|)ha do tout. Lodovico Ariosto (1174-1533), né à
Reggio dans le duché de Modène, s'est immorta-
lisé par un poème d'aventures chevaleresques, le
Holand furieux, continuation du HolamJ amoureux
de Bojardo et de nos chansons de gestes, mais où
le nom de Roland ne vient que pour attirer le lec-
teur, en le trompant, et dont le sujet véritable,
encadré dans la croisade fabuleuse de Charlemagne
contre les Sarrasins, enrichi de cent épisodes di-
vers, ce sont les aventures, les amours, le mariage
de Roger et de Bradamante. L'Arioste a l'air de
croire à ce qu'il raconte, bon moyen d'y intéresser
les autres. Imperturbable dans sa bonne humeur,
il a l'intérêt d'Homère, sans en avoir la simplicité,
le naturel et la grandeur. Il représente les choses,
les batailles par exemple, avec tant de relief qu'on
croit les voir. 11 donne la vie h ses personnages.
S'il pèche, c'est par trop de bouffonneries, d'exa-
gérations, de digressions, de monologues, d'éloges
courtisanesquos de la maison d'Esté. Mais nul [ oète
n'a eu au même degré que lui l'imagination écla-
tante et fraîche. Son style est d'une si rare perfec-
tion, que la Crusca. toujours sévère pour ce qui
n'est pas florentin d'origine, a admis le Roland fu-
rieu.c au nombre des « textes de langue », c'est-à-
dire des livres qui offrent les vrais modèles du
langage italien. Auteur de comédies dans la ma-
nière latine et de saiires piquantes contre les
grands et les oppresseurs de l'Italie, clercs ou laï-
ques, l'Arioste a su conquérir parmi les meilleurs
auteurs de son pays un des premiers rangs.
L'autre grand poète de ce siècle, c'est Torquato
Tasso (1544-1^95), né à Sorrente, d'un père citoyen
de Bergame, et poète lui-môme. Le Tasso était
trop de son temps pour ne pas rechercher la pro-
tection des princes et les délices des cours ; mais
l'humilité dont il y fallait faire preuve, les liens
dorés qu'il y fallait porter, durent singulièrement
contrarier les habitudes de fière et sauvage indé-
pendance qu'il avait contractées dans sa jeunesse.
De là, les amers chagrins d'une vie qui, voulant
être libre, ne sut pas s'imposer les sacrifices
qu'exige la liberté. De là, son dégoût des cours,
ses violences, son hypocondrie de maniaque, sa
captivité, vengeance peu généreuse de la maison
d'Esté envers un grand poète dont les chants déjà
célèbres lui avaient donné plus de gloire qu'elle
n'en méritait. En un an sa Jérusalem ihUit rée avait
obtenu sept éditions. On ne pouvait choi-ir un plus
beau sujet de poème épique que la première Croi-
sade. L'auteur connaît bien l'histoire, et il la res-
pecte, sauf aux endroits où un heureux instinct lui
montre qu'il la peut modifier. N'ayant pas, en sa
matière, la foi qu'aurait eue un trouvère du moyen
âge, il l'embellit par un merveilleux tour à tour
chrétien et musulman. Mais il est admirable dans
l'exécution, comme dans la conception. 11 sait com-
biner son plan avec proportion, avec justesse, et
y rester fidèle. Il s'interdit les digressions oiseu-
ses, et ne tire que du sujet même ses nombreux
et brillants épisodes. Il décrit les lieux avec une
exactitude si minutieuse que Chateaubriand, qui les
parcourut la Jérusalem délivrée à la main, les re-
connut sans hésiter. Pour la première fois depuis
l'antiquité, on voyait une véritable épopée, où
scènes d'amour, conseils, processions, palais en-
chantés, cabanes de pasteurs, campements, batail-
les, villes assiégées se succèdent pour aboutir non
à une fin de hasard, mais à celle que le poète s'é-
tait fixée dès le début.
Ce qu'on lui peut reprocher, c'est de retracer
les mœurs, surtout celles des Musulmans, avec
moins de fidélité que les faits, défaut qui lui est
commun avec Racine ; c'est d'abuser du bel esprit,
des allégories forcées, des vers précieux, des ima-
ges trop fleuries, des expressions afl'ectées, sous
prétexte de finesse. 'Voilà le clinquant que Boileau
censurait en rappelant l'or de Virgile, et qui mé-
riterait un nom plus si'vère, celui de mauvais goût.
Quoi qu'il en soit, le Tasse, moins spirituel et
moins fécond que l'Arioste, est plus égal et plus
pénétré des sources antiques. Son poème, malgré
ses taches, est lu encore, après trois cents ans,
par tous les homiues que charme l'épanouissement
complet d'une riche et poétique imagination.
Le xv° siècle compte encore d'autres poètes et
d'autres genres de poésie. Alamanni se fit un nom
dans le genre didactique; le Tasse, Annibal Caro,
Michel-Ange, qui posait parfois le ciseau et h»
brosse pour la plume, dans le genre lyrique. Si-
gnalons encore Berni, dont le talent valut au bur-
lesque, c'est-à-dire à la folie, l'honneur do devenir
un genre. Par les contrastes, les disparates, les
rapprochements inattendus, les comparaisons gro-
tesques, il dériderait les plus graves lecteurs;
mais de son burlesque au plaisant de l'Arioste, il
y a tout l'écart du trivial au distingué, du talent
au génie. Les expressions à double sens, dont
l'honnêteté apparente laisse entendre mille indé-
ITALIE
1084
ITALIE
cencos, mille ordures, tel est le triomphe de cet
art de bas étage.
Mis en action, il donne la farce improvisée
ou Comédie de l'art, comme on dit en Ita-
lie, souvenir attardé des Atellaiies antiques,
canevas que remplissent les acteurs au gré de
leur fantaisie, le plus souvent écrasés, dans leur
médiocrité, par une liberté si grande, qui n'en-
fantait que lazzi sans finesse et conversations
décousues. A côté se développait la comédie régu-
lière, dont l'Italie avait pris le goût en faisant con-
naissance avec Plaute et ïérence. Ou a vu que
Machiavel et l'Arioste écrivirent des comédies.
Plus de mille auteurs au .fvi" siècle, et près de
quatre mille au .xvii", marchèrent, à cet égard, sur
leurs traces sans les égaler, ni même les appro-
cher. La tragédie ne fut, au début, qu'un tissu
d'horreurs et de monstruosités. Les trouvant dans
le théâtre grec, on croyait l'imiter en les reprodui-
sant, sans comprendre que ce qui les y explique,
c'est la fatalité, ressort essentiel du drame anti-
que. Trissino, Rucellai, Alamanni, le Tasse sur-
tout, accomplirent un progrès dans l'art tragique,
sans toutefois produire un chef-d'œuvre.
La gloire du théâtre en Italie, au xvi<! siècle,
c'est le genre pastoral, genre faux et funeste, re-
nouvelé de Théocrite par Sannazar dans ses églo-
gues latines, découpé en scènes plus ou moins
dramatiques par divers poètes. Ici encore, c'est le
Tasse qui donna le modèle. Son Aniinta obtint
plus de succès que sa Jérusalem : on y admire
encore aujourd'hui la grâce, l'élégance, la pureté,
tous les agréments de la langue et du style. Dans
ces sortes d'églogues dramatiques, le charme des
vers fait oublier tout le reste, et c'est fort heu-
reux, car l'action en est trop sensiblement ab-
sente : tout s'y passe en dialogues et récits. Les
bergers y sont héroïques, délicats, portés à l'a-
mour, tout différents, en un mot, dos bergers rudes
et primitifs de Théocrite, et même de ceux plus
raffinés, mais naïfs encore, de Virgile. On ne sau-
rait omettre, en parlant de ce genre, le Pastor
fido de Guarini (I.'jST-lGlS', imitateur du Tasse,
quoiqu'il prétendit être original. Dans cette « tragi-
comédie », comme il lui plait do l'appeler, Gua-
rini mêle le triste et le gai, le bouffon et le noble,
le simple et le somptueux. Il se recommande par
l'éclat de l'imagination, par des récits animés, élo-
quents, pleins d'intérêt, par des descriptions pa-
thétiques, quelquefois même par le mouvement
du drame. De la pastorale devait prendre nais-
sance le mélodrame ou drame en musique, ap-
pelé, malgré ses défauts inévitables, h, de grandes
destinées.
Dix-septième siècle. — Le xvii' siècle est aussi pau-
vre en Italie qu'il est riche en France. L'Italie, qui
avait devance les autres peuples dans les voies
de la civilisation, est alors en proie i une mala-
die de langueur et de décadence , tandis que
les autres peuples sont en pleine floraison. Le
fléau des académies sévit de plus en plus. Des
auteurs estimables dajis tous les genres, aucun
génie, tel est le bilan du siècle. Le Napolitain
Jlarini (IÔG9-1G2Ô;, le « cavalier Marin », comme on
l'appelait en France où il passa une partie de sa vie,
représente alors la poésie. Le plus naturellement
poète de tous les Italiens après l'Arioste, pour
plaire, il se fit bizarre, et il gâta ses heureux dons
par un mauvais goût qui faisait pâmer d'aise les
habitués de l'hôtel de Rambouillet. Durant tout
le xvii" siècle, il fut placé au-dessus des classiques
italiens, et il traîna à sa suite un troupeau d'imita-
teurs qui ajoutèrent au faux la platitude et l'inep-
tie. Dans ce temps, une seule œuvre vraiment
distinguée est à signaler : c'est le Seau enlevé du
Modejiais Tassoni (15G5-1(!35), qui comprit, éclairé
peut-être par le succès de Don Quichotte, (ju'il
fallait renouveler l'épopée romanesque et la paro-
dier ; le sujet de ce petit poème, emprunté à l'his-
toire du xiii° siècle, est la ridicule guerre qu'un
seau de bois, ravi par les habitants de Mudène et
conservé dans le clocher de leur cathédrale, alluma
entre eux et les Bolonais. C'est une satire litté-
raire où divers traits d'une critique plus générale
introduisent la variété.
Dix-huitième siècle. — Au siècle suivant, le gé-
nie italien sembla se réveiller. Le grand éclat que
venait de jeter, que jetait encore la littérature fran-
çaise le tira de son sommeil. C'est le temps où, à
la voix de Voltaire, les princes de tout pays es-
sayaient tous plus ou moins de rompre avec leur
passé, de marcher dans les voies mieux ouvertes
de la civilisation et du progrès. !Vos belliqueux
auteurs n'étaient plus réduits à se détourner des
grands sujets défendus sur de petites choses qu'on
relevait, pour parler comme la Bruyère , par la
beauté du génie et du style. Us furent imités comme
jadis on imitait Boccace et Pétrarque, non seule-
ment dans les pensées, mais jusque dans les mots.
La critique, l'histoire marchent d'un pas ferme et
sûr avec Tiraboschi, Maffei, Muratori, Gian-
none. Beaucoup de savoir, point ou peu de génie.
On en trouve pourtant, dans l'ordre des ouvrages
sérieux, chez le Napolitain Vico (1668-1744} qui
cherche en des pages profondes, mais obscures et
sans cet ordre qu'il veut nous faire admirer dans
l'univers, l'explication rationnelle du développe-
mont de l'humanité. Ce sont ses Princijjes de la
science 7i"uvelle, vaste .synthèse qui embrassait pré-
maturément tous les connaissances dont l'homme
est l'objet. On ne peut parler de Vico sans nommer
aussi le Milanais Beccaria (1738-1794) qui a mar-
qué sa place par son livre Des délits et des peines,
où il expose les principes du droit criminel, et
dont l'autorité est invoquée encore aujourd'hui. Il
y demande l'abolition de la torture, l'institution
du jury, et il défend la plupart des causes géné-
reuses chères à notre temps.
En poésie, Pétrarque et Marini faisaient toujours
école. La prétention de les imiter produisait uom-
bre d'œuvres médiocres, qu'un succès immérité a
rendues ridicules. Ceux qui voulaient revenir au
simple n'aboutissaient qu'au fade : témoin un genre
nouveau d'académie, les Arcades ou Arcadiens,
l'Arcadie étant, par convention, le lieu primitif de
la vie simple des pasteurs. Quelques noms surna-
gent: Casti, de Prato (1721-1804), qui a fait de l'a-
pologue un long poème en vingt-six chants. Les
Animaux parlants, bien licencieux pour provenir
d'un abbé; Parini, de Milan (1729-1799), un abbé
aussi, véritable poète satirique qui, dans son
poème intitulé Le Jour ou les quatre parties du
jow à la ville, flagelle la noblesse en évitant l'in-
vective, et en montrant, avec une apparence de
sérieux qui fait sourire, les devoirs puérils d'un
jeune patricien qui veut être un parfait cavalier.
L'ironie est dans les choses, non dans les mots, et
Parini semble baiser la main quand il mord jusqu'au
sang, forme toute nouvelle de la satire, dans les
temps modernes comme dans les temps antiques.
L'Italie sent enfin le mal qui la ronge, l'abaisse-
ment des caractères, immanquable fruit d'un des-
potisme prolongé.
C'est surtout au théâtre que parait, pendant le
.xviii" siècle, la seconde renaissance des lettres
italiennes. Le Romain Métastase (1698-1782), dont
le vrai nom est Trapassi, transforme le drame mu-
sical et sait rester poète, tout en so pliant avec
souplesse aux innombrables exigences du musicien.
Comme Quinault, « jusqu'à je vous hais, il dit
tout tendrement, n mais chez lui la route du Tendre
mène au royaume du pathétique où il règne en
maître. Voltaire passe la mesure quand il écrit que
certaines scènes de Métastase sont dignes de
Corneille, quand il n'est pas déclamatoire, et de
Racine, quand il n'est pas faible ; mais c'est quelque
ITALIE
lOSo
ITALIE
cliose qu'une telle bouche ait cru pouvoir risquer
un tel éloge.
La comédie s'honore du Vénitien Goldoni (1707-
171)3), que l'Italie appelle le Molière italien. Molière
soit, mais un Molière sans poésie et sans génie.
.\utour h la solde d'un directeur de troupe, il s'o-
bligeait par traité îi fournir dnnzo comédies dans
une année, et il tenait parole. Il en a laissé ainsi
plus de deux cents, toutes en prose : écrire on
vers lui eût pris trop de temps. Il se proposait am-
bitieusement de renouer la tradition de Machiavel
et de l'Arioste, en s'aidantde Molière pour les cor-
riger et les compléter; mais il avait la vocation
d'un genre de comédie moyenne où l'observation
remplaçait la gaieté, et il était tenu îi ne pas trop
s'écarter du langage de la comédie improvisée,
pour plaire à un public qui aimait le parler popu-
laire d'Arlequin et de Pantalon. Les pièces où il se
rapproche le plus de la haute comédie sont celles
qui reproduisent les mœurs des petites gens parmi
lesquels il vivait, d'autant plus heureux dans son
art subalterne qu'il y portait une main plus légère
et moins de prétention. Son principal mérite est,
en somme, d'exprimer des choses vraies ou vrai-
semblables dans un langage simple et naturel.
Une de ses pièces, le Bourru bienfaisant, fut
écrite par lui en français pour la France, car il y
exerçait sur ses vieux jours, auprès de la famille
royale, les fonctions de maître d'italien. Carlo
Gozzi (1718-1801), Vénitien lui aussi, passe pour
son rival, sans l'être, tant il en diffère. Mieux doué,
plus écrivain, il cultive la comédie populaire et le
genre fantastique ou fiahesqiie, goûté des Italiens
pour son style, et des Allemands pour ses invrai-
semblables inventions.
Dans la tragédie, il suffit de rappeler que MaÊfei
a donné une Mérope où il essaye de s'inspirer tout
ensemble du xvii' siècle français et de l'antiquité.
C'est le Piémontais Alfleri (1749-1803) qui est
alors la gloire du théâtre italien. Gentilhomme peu
instruit, marié à la veuve du dernier des Stuarts,
grand lecteur de Plutarque, il fit de sa plume, à
défaut de son épée, dont il n'avait pas l'usage, un
instrumentde régénération pour llialie. Son théâtre
est un appel aux arnies ; mais lia une théorie dra-
matique de novateur. Il supprime le hasard,
n'admet que des incidents naturels et même néces-
saires; il élimine tous les accessoires, afin de rester
simple et vraisemblable. Simple, il l'est, plus
même que les Grecs, et jusqu'à, la sécheresse.
Vraisemblable, on en peut disputer: les monolo-
gues sont-ils plus naturels que les récits de con-
fidents? D'ailleurs, il ne s'efface pas devant ses
personnages. C'est lui qui parle par leur bouche ;
toujours le même langage raide et guindé. Il a
autant de monotonie dans la force que Métastase
dans la douceur. Il ne sacrifie point à l'agrément,
qui est pourtant une partie essentielle de l'art. Il
est bon écrivain, mais, à force de chercher la con-
cision, il met les mots à la torture, il pèche par
rudesse, par obscurité, et malheureusement cet
écrivain si sec confond l'enflure avec l'éloquence.
Malgré ses défauts, il a fait oublier ou négliger
tous ses devanciers, tant sa simplicité d'action et
de langage contraste avec leurs absurdes et mons-
trueuses complications.
Il a traité les plus grands sujets, plusieurs de
ceux qui ont tenté aussi Voltaire: Mérope, Sopho-
nisbe, Antigone, Agamemnon, Oreste, les deux
Brutus, Marie Stuart. Son chef-d'œuvre est peut-
être sa tragédie de Saiil; mais en général il réus-
sit surtout dans les sujets romains, parce qu'il
ressemble aux Romains par la raideur. En tout
cas, il est hors de pair dans son pays, auquel il
administra un puissant tonique par des pensées
mâles expriméps dans un siyle sobre, vigoureux,
concis, sans autre exemple dans la poésie drama-
tique. Comment ne comprit-il pas, ne goûta-t-il pas
notre Révolution, qui mettait en pratique les idées
de son traité De la Tj/mmiie? Démocrate féodal,
il fut toujours un ennemi de la France, comme
on le voit dans l'histoire de sa vie écrite par lui-
même, et dans un ouvrage spécial, le Misogallo,
on n Ennemi des Français ».
Dix-neuvième siècle. — Avec Alfieri se clôt le
xviii" siècle. Le xix° est aujourd'hui assez près de sa
fin pour qu'on puisse dire qu'il tiendra dans les let-
tres italiennes au moins autant de place que le xviii",
et infiniment plus que le xvii". L'histoire, cet
honneur de notre temps, y est représentée par
Botta, Colletta, Baibo, Cantù, Amari, Capponi, par
diverses publications érudites consacrées à la divul-
gation et h la critique des documents, i'Ai-chivio
storico, VAiitolngia, etc. Dans la poésie, Monti,
né au pays de Ravenne (1754-1828), choyen peu
estimable, tant il fut versatile, est un poète de ju-
gement et de goût, d'imagination vive et de sensi-
bihtc délicate. Il achève d'arracher l'Italie à l'imi-
tation de Mi'tastase pour la ramener h Dante. Ugo
Foscolo, de Zante (1778-1827) a sur lui, malgré les
incidents d'une vie orageuse, l'avantage d'un pa-
triotisme ardent et d'un désespoir sincère, dans les
lettres émues qu'il prête i son héros Jacopo Ortis,
frère en mélancolie d'dbermann, de René, de Wer-
ther, ces désespérés si fort à la mode au commence-
ment de notre siècle. La déclamation et l'emphasa
déparent malheureusement ces lettres écrites pour
le public, et, si l'on veut bien juger l'auteur, il faut
lire celles qu'il écrivait confidentiellement h ses
amis. On l'y trouve éloquent et gracieux, grave et spi-
rituel, énergique et sincère. Sa prose est d'un poète,-
comme celle de Chateaubriand, et ses vers ne sont
point prosaïques. On lira toujours son bref mais
admirable poème, les Sépu/cres, qui est à la fois
une œuvre lyrique, une élégie, une satire, dans
un style fort et pénétré de l'antique. Son but uni-
que, c'est l'affranchissement de sa patrie; il ne
varia jamais que sur le choix des moyens.
Au-dessus de ces doux poètes s'élève Leopardi
(17y8-1837), né à Recanati. Erudit et philologue,
prosateur vigoureux, d'une ironie acre et profonde,
il gémit et il s'irrite parce qu'il souffre de son
tempérament rachitique, parce qu'il a honte de sa
difformité d'épaules, qui le rendait presque ridi-
cule à ses propres yeux. Il est surtout un admi-
rable poète, à qui le dégoût et le désespoir ont
inspiré d'inimitables accents. Il est conduit à dou-
ter de tout, du progrès, de la vertu, de la vie
éternelle. La société n'est pour lui qu'une ligue
des fripons contre les honnêtes gens. Mais c'est le
scepticisme d'un désespéré, nullement d'un scepti-
que. Du reste, les vers où il exprime ses doutes
ne dépassent jamais par l'expression sa pensée.
Le style, brûlant et ironique tour à tour, plein
d'amertume et de larmes, est d'une pureté sobre,
d'une concision énergique qui ne coiite de sacri-
fices ni au sens toujours exact et profond, ni au
rythme, toujours naturel, savant et harmonieux.
On admire particulièrement ses canzone sur l'Ita-
lie, sur le monument qu'on préparait à Dante, et
surtout ce mâle et gracieux poème, son chef-d'œu-
vre, qu'il intitula l' ÀDiour et la Mort. Par la sim-
plicité élégante, c'est presque du grec.
Leopardi vivait encore quand éclata la grande
querelle des classiques et des romantiques. Ceux-
ci étaient en France amis de la règle en politique
et de la révolte en littérature ; ceux-l.'i, défenseurs
de la règle littéraire, provocateurs h la révolte po-
litique. En Italie, les deux factions montrèrent
plus de logique. Ce furent les patriotes, ennemis
de la domination étrangère , qui entreprirent,
comme les romantiques français, de réhabiliter le
moyen âge, pour exciter la papauté à reprendre
ses anciens rêves de suprématie universelle et à
rendre, sous sa domination, l'Italie aux Italiens.
Les deux écoles reçurent les noms de formislcs et
ITALIE
1086
ITALIE
de coloristes, qui caractérisaient plus ou moins
bien leur tendance h préférer, les classiques, le
dessin, les romantiques, la couleur. Milan était la
citadelle des coloristes, Florence celle des formis-
tes. Le chef de cette dernière école, de l'école
classique, c'est Leopardi; mais il l'est, en quelque
sorte, sans le savoir et sans le vouloir. Jamais on
ne vit deux chefs d'école aussi près l'un de l'autre
qu'il l'est du clief des coloristes ou romantiques
italiens. Tous deux ont su rester dans les limites
du raisonnable, ne prendre aux Allemands que la
meilleure partie du romantisme, et abandonner des
classiques ce qu'ils ont de plus contestable. Tant
de sagesse n'a point marqué chez nous le début
de cette grande querelle.
Le premier chef des romantiques fut Manzoni
(1784-18721, Milanais, auteur de deux drames cé-
lèbres {Curmaijnota, les Ailekhi), faits pour la lec-
ture plus que pour la scène, et qui plaisent, mal-
gré l'insuflisance de l'action, par un style vraiment
poétique, qui repose de la sécheresse d'AIfleri. Les
chœurs lyriques y sont d'une réelle beauté. Mais
son priiicipal titre de gloire, c'est son roman his-
torique, Les Fiancés, écrit dans un système op-
posé à celui de W. Scott et bien plus vrai. Tandis
que l'auteur anglais expose et développe des faits,
met en scène des personnages qui appartiennent
à l'histoire, non sans les altérer souvent et. beau-
coup, pour leur donner plus de relief et d'intérêt,
l'auteur italien place des personnages de fantaisie,
dont il a par conséquent la libre disposition, dans
un milieu historique savamment, profondément
étudié, et il se trouve que ses héros imaginaires
sont plus vrais que bien des héros empruntés aux
chroniques ou à l'histoire. Il trace un vivant ta-
bleau de la société milanaise au dix-huitième siè-
cle, avec trop de descriptions peut-être, mais dans
un style simple sans trivialité, éloquent sans dé-
clamation, entaché seulement d'idiotismes lom-
bards qui ont plus d'une fois le mérite d'être des
néologismes utiles ou nécessaires.
Ce beau livre, en mettant au grand jour les
maux de la domination étrangère, espagnole, en
inspirait l'aversion, et par conséquent servait le
patriotisme, irrité alors de la domination autri-
chienne. Celui de Manzoni parut cependant man-
quer d'ardeur, et, de fait, ses disciples Grossi et
Pellico, l'imitant par son coté faible, comme font
d'ordinaire les imitateurs, donnèrent le spectacle
d'une énervante mansuétude, d'une regrettable
soumission. Nous passerons sur Grossi, romancier
et poète, dont le principal titre est peut-être une
vive satire en dialecte milanais; mais Silvio Pellico
a un nom trop célèbre pour qu'on puisse s'abstenir
d'en dire un mot, malgré la médiocrité de son
talent comme prosateur et comme poète. Ce nom,
il le doit au récit trop résigné qu'il a fait de sa
longue captivité dans les cachots de l'Auiriche. }Ies
Prisons sont un tableau simple et touchant de son
martyre. L'horreur que, sans le vouloir peut-être,
il inspire pour les bourreaux, a été peur eux un
juste et cruel châtiment. Ainsi, ce chrétien à ou-
trance n'a pas peu contribué à l'expulsion de l'étran-
ger. Il n'en est pas moins vrai que cette lecture
attendrissante laisse un malaise indéfinissable. On
voudrait contre le despotisme ces haines vigoureu-
ses dont parle Molière, et on ne trouve que les té-
moignages répétés d'une soumission à l'injustice
et à l'oppression qui ne saurait être ni une vertu
ni un devoir.
Entre les deux écoles se place le Florentin Nic-
colini (178Ô-IS6I) qui essaye de li:s concilier. Cri-
tique éloquent et philologue habile, il est sur-
tout auteur dramatique. Il s'inspire d'Alfieri et des
Grecs, dont il reproduit la simple énergie, tout en
s'abandonnant à cette fièvre d'allusions politiques
dont l'Italie était dévorée depuis Foscolo. Dans sa
tragédie de Foscarini (H27), il joint à la simplicité
antique la couleur romantique que proscrivait la
vieille école. C'est en flattant la passion nationale,
en traitant le sujet des Vêpres siliciennes (Jenn 'le
Procid'i, ISW), qu'il fit admettre sa tentative de
conciliation. Ses deux meilleurs ouvrages sont in-
titulés Ftlippo Strozzi et Arnuldo di Brescia. Il
n'est pas, à proprement parler, un poète dramati-
que, car il dissémine l'action en dialogues histori-
ques, comme Manzoni, au lieu de la concentrer ;
mais il a de fortes pensées et de mâles beautés.
Il n'en est pas moins un solitaire, et on l'a admiré
plutôt que suivi. Tel est souvent le sort de qui veut
éteindre, dans les lettres comme dans la politique,
le feu des factions.
Solitaire aussi est le chansonnier toscan Giusti
(180!J-1850) ; mais il le fut par amour de son indé-
pendance. Le tour satirique, qui est la dignité de la
chanson et qui lui donne droit de cité dans la
république des lettres , commande l'isoletnent.
Dans le style sobre et sûr des meilleurs classiques,
Giusti pour.suit de sa haine princes et prêtres, de
ses attaques abus et ridicules, surtout parmi les
hommes dont le pouvoir rend les exemples conta-
gieux. Il n'a pas l'invention de Béranger, mais il le
surpasse par la délicatesse et le naturel.
La politique, enfin, qui se môle à tout dans notre
siècle, parait aux romans d'Azeglio, le gendre de
Manzoni, comme aux travaux pliilosopliiques de
l'abbé Rosmini, défenseur vigoureux des doctrines
absolutistes, et de l'abbé Gioberti, apôtre de la
démocratie, ennemi des jésuites, mais partisan
de l'hégémonie pontificale. L'un a été ministre du
Saint-Siège, sous Pie IX. un moment monarque
constitutionnel, Fautre du Piémont sous Charles-
Albert, devenu roi libéral et même un moment
démocrate.
Cette invasion de la politique dans les lettres
n'est pas le moindre danger qu'elles courent dans
notre siècle. On pense trop au but à poursui-
vre pour penser beaucoup à l'art de la com-
position et du langage. Rendue à elle-même, 11-
talie retrouvcra-t-elle un grand siècle littéraire?
C'est le secret de l'avenir. Mais son passé suffit à
sa cloire, surtout dans la poésie, car elle a d'ad-
mirables poètes, et un, parmi eux, est sans pareil.
Si ses grands prosateurs sont en petit nombre,
on en pourrait dire autant des autres nations, sauf
de la France, dont c'est le privilège d'avoir créé
la seule prose qui puisse être comparée, par le
nombre et la supériorité des talents, à la prose
des Latins et des Grecs. [F. -T. Perrens.]
Les arts en Italie. — Du quatrième siècle au
quinzième. — La peinture italienne procède de
l'école byzantine de Salonique. Cimabue (né en
1240), Giotto (né en 1276) ne peignent que des
sujets religieux. La découverte de la peinture à
l'huile parles frères van Eyck (1428) donne à l'art
un nouvel essor. Fra Angelico (mort en 1455) peint
le Couronnement de li Vivrye. Masaccio (1402-
144 ;) commence l'étude du nu, dans laquelle excel-
leront les peintres de la Renaissance.
La sculpture dérive de la ciselure et de l'orfè-
vrerie, si remarquables au moyen âge. Ghiberti
(mort en 1453) sculpte les portes du baptistère
de Florence. Donatello (mort en I4G6) est l'auteur
de Judith et Hulopherne, Saint-Mirc, IJauid, etc.
L Italie a laissé périr la plupai t des admirables
monuments de l'antiquité. Pendant cinq siècles,
l'architecture produit peu d'œuvres originales. Le
tombeau de Théodoric à Ravenne est une construc-
tion massive, ne rappelant en rien ce qu'on a ap-
pelé plus tard architecture gothique. Mais dès le
XI' siècle, h Venise, s'élève l'église Saint-Marc, de
style byzantin ; au xn= siècle, à Pise, le Dôme, le
B-iptistère, la fameuse Tour penchée; h Florence,
Santa Croce et Santa Maria, achevée par Brunel-
leschi ^l:i77-I444). .
La musique reste longtemps religieuse. Saint
JACQUES
1087 —
JACQUES
Ambioise h, Milan, et plus tard saint Grégoire h
Hume, r(5formont les chants liturgii|ues (cliant gré-
goi'ien). C'est surtout dans l'Allemagcne et les
Flandres qu'il faut cliorcher le dcvoloppemeiit ori-
ginal do l'art musical On a beaucoup exagéré les
réformes du moine Guidu ou Gui d'Arezzo (mort
vers 1050). Il n'a fait qu'introduire la clarté dans
la notation obscure des yicumes, et substituer aux
tâtonnements des écoles, où la mémoire jouait un
graiid rôle, une méthode rationnelle pour l'ensci-
gneniont du chant.
La lienaissance. — La Renaissance des lettres
et des arts est le résultat d'un grand effort tenté
au xV siècle pour renouer avec l'antiquité la chaîne
des traditions intellectuelles et morales. Cosme de
Médicis, Laurent le Magnifique, et Léon X de Mé-
dicis ont puissamment encouragé ce mouvement.
Tandis que les lettrés italiens étudient les an-
ciens, et bientôt produisent i leur tour des œuvres
originales, les arts brillent déji d'un éclat incom-
parable avec PollaiuoUo, Nallo, Ghirlandaio. Mais
le sentiment clirétien tend à disparaître. Le siècle
d'Alexandre VI adore la force. La violence éclate
dans les faits; le culte des muscles s'impose h. la
peinture et ii la sculpture, dans les oeuvres de Pie-
tro Vanucci (le Pérugin;, maître de Raphaël; de
Léonard de Vinci (H52-15I;), d'Andréa del Sarto,
deMichel-Aiige Bnonarotti (li74-lo6i), qui enfante
des colosses; de Raphaël (1483-1^20) et de son
élève Jules Romain. Le sensualisme domine en-
core plus dans l'école vénitienne, dans les œuvres
de Tiziano Vecelli (le Titieji), et de Giaconio Ro-
busti (le ïintorei) ; Paolo Caliari (Paul Véronèse,
1528-i.S88) se distingue par la richesse et la va-
riété du coloris. L'école lombarde affecte une fière
indépendance : Antonio Allegri (le Coirège) n'a
pas visité Rome. L'école bolonaise brille surtout
au xvii" siècle avec les Carrache, Domenico Zam-
pieri (le Dominiquinl, Guido Roni (le Guide), J. F.
Uarbieri (le Guerchin). L'école napolitaine produit
Salvator Rosa (1G:;5-IG7;J).
La sculpture entre dans une voie nouvelle avec
Michcl-Ango et Bcnvenuto Cellini.
La musique devait quelques réformes au Fla-
mand Dufay (mort en 14.32), qui se fixa à. la cour
pontificale. Un siècle plus tard, un autre Flamand,
IJosprcz (mort en l.iSl), tantôt i Ferrare, tantôt
à Rome, composait dos messes fort renommées de
son temps. Le Français Goudiniol (mort en 1512)
fonda îi Rome une école de musique. Son meilleur
élève fut Palestrina. Désormais l'Italie eut des
musiciens illustres : après Palestrina (1524-1594),
Zarlino, Tartini, Scarlalti.
Ou dix-xfptième siècle jusqu'à nn<: fours. — L'I-
talie asservie a perdu ses grands peintres et ses
grands sculpteurs, mais elle a trouvé do grands
musiciens. Pergolèse (mort en 1736), Cimarosa
imort en 1801) n'ont pas été dépasses, môme de
nos jours. Guglielmi et Paesellio ont beaucoup
perdu de leur ancienne réputation. Le bruyant
Piccini (172t)'-180ii) a rempli le dernier quart du
xviii" siècle de sa lutte contre Gluck et les musi-
ciens français. Après lui viennent les grandes
illustrations contemporaines, Cherubini, Spontini,
Rossini, Bellini, Donizettij et Verdi, le seul survi-
vant des maestri qui ont porto si haut la gloire
de la musique italienne.
La peinture n'a plus produit de nos jours en
Italie des artistes d'une réputation européenne.
L'école moderne de sculpture italienne reconnaît
pour chef Canova (mort en ls22). De beaucoup
supérieurs, dans cette branche de l'art, aux autres
peuples, les Italiens possèdent encore aujourd'hui
de grands artistes, MM Dupré, Romanellij Vêla,
Monteverde, Braga, Civiletti, etc.
[L.-G. Gourraigne.]
JACQUES. — Nom de deux rois d'Angleterre,
do 11 dynastie des Stuarts *.
Jacques I" (Jacques VI d'Ecosse). — Fils de Marie
Stuarl, ce prince était encore au berceau lorsque
la révolution qui enleva la couronne à sa mère le
porta lui-même au trône d'Ecosse sous la régence de
son oncle lord Murray (1563). Elevé dans la religion
protestante, il devint l'allié d'Elisabeth d'Angle-
terre, qui, après avoir fait tomber la tôte de la
mère, s'était décidée à choisir le fils pour son pro-
pre héritier. A la mort d'Elisabeth (1603), Jacques
fut reconnu sans difficulté comme son successeur
(il avait d'ailleurs des droits îi la couronne d'An-
gleterre par son arrière grand'mère Marguerite,
fille d'Henri Vil Tudor), et 'prit le nom de roi de
la Grande-Bretagne.
Jacques maintint les lois portées contre les ca-
tholiques; aussi ceux-ci formèrent-ils contre lui
plusieurs complots, dont le plus sérieux fut la
fameuse conspiration aes pnuires (1605), k la suite
de laquelle les jésuites furent bannis du sol an-
glais. Les non-conformistes protestants furent
persécutés avec plus de rigueur encore que les
catholiques ; de nombreux puritains émigrcrent
dans l'Amérique du Nord, où ils fondèrent les co-
lonies de la Nouvelle-Angleterre.
D'un caractère faible, Jacques I" se laissa gou-
verner par des favoris, dont l'arrogance et la cupi-
dité rendirent le roi impopulaire. Les bizarreries
de son humeur, sa pusillanimité, sa pédanterie,
le couvrirent de ridicule. Imbu des maximes du
pouvoir absolu, il voulut les faire prévaloir. « Les
rois, disait-il au Parlement en ICOl, sont, par Dieu
même, appelés des dieux, comme étant ses lieu-
tenants et ses représentants sur la terre ; en eux
brillent quelques étincelles de la Divinité. » Mais
l'esprit d'indépendance, étouffé sous les Tudors,
commençait à renaître. Le roi eut beau menacer
d'une amende les villes qui nommeraient des
députés de l'opposition : le Parlement ne se laissa
pas intimider. Une lutte permanente s'engagea,
et Jacques finit par avoir le dessous. En 1623, il
avait envoyé à Madrid son favori , le duc de
Buckingham, demander pour son lils Charles la main
d'une infante d'Espagne ; grâce à l'insolence de
Buckingham, les négociations, au lieu d'aboutir à
un mariage, finirent par une déclaration do
guerre ; mais le Parlement refusa alors les subsides
qu'on lui demandait, et, pour les obtenir, Jacques
dut consentir à ce que les commissaires du Par-
lement en surveillassent l'emploi : la royauté de
droit divin capitulait devant la persévérante fer-
meté des Communes.
L'Angleterre, dont Elisabeth avait fait la pre-
mière des puissances protestantes, ne joua sous
ce règne qu'un rôle effacé dans la politique euro-
péenne : Jacques so désintéressa de la grande
lutte que so livraient en Allemagne le catholi-
cisme et la réforme, bien que son propre gendre,
l'électeur palatin, réclamât son intervention en
faveur de ses coreligionnaires (V. Guerre du
Trente ans).
Mais les actes du souverain, qui portent l'em-
preinte de son esprit étroit et timide, ne sont que
JACQUERIE
— 1088 —
JARDIN
la partie extérieure de l'histoire de cette période. | JARDIN. — Agriculture, XIX. — Le jardin est
Si nous considérons le développement national l'annexe de toutes les exploitations agricoles. Il
du peuple anglais, abstraction faite du nionarque sert b. la fois pour donner des légumes et des
et de sa politique, nous trouverons peu d'époques fruits à la consommation de la famille, et pour la
aussi fécondes que le premier quart du xvue siè- distraire par la culture de quelques fleurs, dont la
cle. La bourgeoisie anglaise s'éveille au senti- pousse est suivie avec intérêt par les enfants et
ment de sa force ; elle commence à défendre les dont la facile culture sert Mes initier aux mystères
droits de la nation, et les idées qui produiront de la végétation. Nous n'aurons pas à parler ici du
la grande révolution do 1648 fermentent déjà dans jardin fruitier; les métliodesde culture des arbres
les esprits. En même temps, la renaissance litté- à fruits ont été indiquées au mot Arboriculture.
raire et scientifique produit deux génies immor- ' Le but de cet article est de donner des indications
tels : Shakespeare (mort en IG16) occupe la scène, ' sur la culture du jardin potager et quelques no-
et Bacon (mort en 16'.'G), renouvelle la philosophie ' lions sur les soins à donner aux plates-bandes ou
en la fondant sur l'étude des sciences. 1 aux corbeilles de fleurs.
Jacques i'~ mourut en 16".'5,après avoir marié son Le poinger est la partie du jardin consacrée aux
fiIsCharlesàHenrietledeFrance,sœurdeLouisXIII. légumes. Nous indiquerons successivement les di-
Jacques II. — Frère puîné de Charles II, ce j vers travaux nécessaires pour la préparation du
prince monta sur le trône en iCS.'j. Il professait le sol, les principales sortes de plantes qui y sont
catholicisme ; aussi le sentiment national l'accueil- | cultivées, et nous donnerons quelques détails sur
lit-il avec crainte et défiance. Le duc de Mon- la culture potagère en grand, qui prend le nom de
mouth, fils naturel de Charles II, essaya de pro- [ culture maraîchère.
fiter de cette disposition des esprits pour s'emparer Le jardin doit être travaillé avec le plus grand
du pouvoir par une insurrection : il fut vaincu et soin. Le plus souvent, le sol est façonné avec la
décapité. Les puritains, suspects au roi, furent ' bêche ; souvent on désigne le bêchage des plan-
cruellement persécutés, et le juge Jeffries, instru- ' ches de jardin sous le nom de labourage. C'est à
ment servile des haines de son maître, mérita, | une profondeur de 20 à vS centimètres que la
par sa cruauté, de voir sa mémoire vouée à l'exé- bêche doit pénétrer. Voici la manière dont le bê-
cration. Jacques II s'était mis, comme son frère, j chage doit être fait.
à la solde de Louis XIV, et, sans se laisser arrêter On ouvre un petit fossé, appelé parfois jauge, le
par le mécontentement général, il marchait ouver- long d'un des eûtes de la planche. La terre qui en
tement à une restauration du catholicisme. Par | est extraite est transportée, par une brouette, h
la iléclarntion d'indulgence (16s";, il abolit l'acte | l'autre extrémité do la planche. A la fin du travail,
du test, qui fermait aux catholiques l'entrée aux cette terre doit remplir le vide laissé par la der-
emplois publics. Les chefs du parti whig, sentant nière tranchée. En bêchant, il faut toujours cou-
le danger, entrèrent en négociation avec Guil- server la même jauge, c'est-à-dire l'intervalle égal
laume d'Orange, gendre de Jacques II, pour ren- ^ à ce fossé, entre la tranche de terre qui a été re-
verser le roi. Cependant, comme Jacques n'avait ' tournée et celle qui ne l'est pas encore. Cette
pas d'enfants, lus mécontents, hésitant devant une ' jauge a la môme profondeur que le labour et une
révolution, eussent été disposés à attendre que : largeur de 30 centimètres environ. Si les pelletées
l'ordre naturel des choses ajipelât au trône un renversées à chaque coup de pelle ne se divisent
prince protestant. Mais la naissance d'un prince pas elles-mêmes sur les bords de la jauge, on
royal les décida à agir : Guillaume d'Orange passa opère cette divison avec quelques coups de la
en Angleterre avec une flotte; et tandis cjue Jac
ques II s'enfuyait sans essayer de résistance, son
gendre était reçu à Londres avec enthousiasme et
proclamé roi sous le nom de Guillaume III (1688).
La dynastie des Stuarts était déclarée déchue du
trône, et r.\ngleterre voyait s'établir définitive-
ment le gouvernement constitutionnel, pour la
conquête duquel elle luttait depuis près d'un siècle
tranche de la pelle. Ces tranches doivent être re-
tournées et divisées, de manière que le sol con-
serve toujours le môme niveau. Les pierres que
la bêche rencontre sont rejetées sur les côtés de
la planche. Les mauvaises herbes sont enfouies
pendant le travail ; mais, si elles sont vivaces, leurs
racines sont enlevées avec soin. Si le labour con-
corde avec l'enfouissement du fumier, celui-ci est
Jacques II, réfugié en France, chercha vaine- d'abord disposé régulièrement en une couche con.
ment à recouvrer sa couronne avec l'appui de ! tinue sur la planche. A chaque coup de bêche.
Louis XIV (bataille de la Boyne, 1690). Il mourut
en exil en nOl. Son fils Jacques, dit le chevalier
de Saint-Georges, et son petit-fils Charles-Edouard,
ne furent pas plus heureux ; et la famille des
Stuarts s'éteignit avec ce dernier, qui mourut en
1188, sans postérité.
Lectures et dictées. — « L' .Angleterre se ren-
dait bien compte de ce qu'elle venait d'accomplir
par la révolution de 1688. A la place du droit divin
elle fondait le gouvernement parlementaire : c'est-
à-dire la discussion des grands intérêts du pays, le
vote des lois et des impôts, par les représentants
mômes du pays. Un droit nouveau, celui des peu-
ples, se levait donc, dans la société moderne, en
face du droit absolu des rois qui, depuis deux siè-
cles, la régissait, et qui venait de trouver en France,
dans Louis XIV, sa plus glorieuse personnification,
et dans Bossuet son plus illustre défenseur. Il n'y
a plus à s'étonner de la lutte acharnée qui va
éclater entre la France et l'Angleterre. Ce ne sont
pas deux intérêts contraires, ce sont deux droits
politiques différents qui seront aux prises. »
(Duruy.)
JACQUERIE. — V. Guerre de Cent ana, p. 021,
et Paijsans.
JA1>0N. — V. Orient.
le fumier est répandu par parcelles au fond de la
jauge.
Si le bêchage est fait quelque temps .avant les
semailles des plantes, on peut laisser la surface de
la planche subir l'influence des agents atmosphé-
riques et s'effriter naturellement. Mais si les se-
mailles doivent être faites tout de suite, on égalise
la surface en brisant les mottes au moyen d'un
râteau.
Le défonçage d'un jardin se fait de la même ma-
nière que le bêchage, mais en descendant à une
profondeur double ou triple. Le défonçage varie
suivant l'épaisseur de la couche cultivée, mais il
n'est réellement utile que lorsqu'on descend à la
profondeur de 50 centimètres au moins.
Les soins à donner au sol des jardins sont, après
le bêchage, le sarclage, qui consiste à gratter la
surface du sol avec une ratissoire ou un sarcloir,
de manière à couper les racines des mauvaises
herbes, en ménageant celles des bonnes; — l'os-
herbage, qui consiste à enlever les mauvaises
herbes avec la main; — le binage, qui consiste à
remuer la terre avec une binette jusqu'il 5 à
10 centimètres, entre les plantes cultivées, et a le
double avantage de détruire les mauvaises herbes
, et d'ameublir la surface de la planche pour qu'elle
JARDIN
108'J —
JARDIN
subisse plus efficacement l'action des agents exté-
rieurs et des arrosages.
Les plantes, suivant leur nature, sont cultivées
sur planches, c'est-à-dire la terre étant labourée i
plat; sur ados, c'est-à-dire sur planches faisant
saillie d'un seul côté et parallèles les unes aux
autres ; sur billons, c'est-à-dire sur planches bom-
bées d'une largeur de 1 mètre à \°',àO, hautes à
leur partie supérieure de 40 à 50 centimètres, et
formant dos d'âne ; leurs deux pentes sont recou-
vertes par les plantes cultivées. Il est enfin un
système spécial, appelé culture sur couches, qui
demande une explication particulière. On désigjie
sous le nom de coiulie un amas de matières ca-
pables de fermenter, disposées en lit, et recou-
vertes d'une épaisseur variable de terre sur la-
quelle est faite la semaille ou la plantation. Ces
matières s'échauffent par la fermentation, et leur
clialeur se communique à la terre, et par elle aux
plantes. Les couches se font tantôt avec du fu-
mier, tantôt avec des feuilles, tantôt avec un mé-
lange de fumier et de feuilles ou d'autres matières
organiques. Pour que leur chaleur, qui consti-
tue un climat artificiel pour les plantes, ne
s'exhale pas en pure perte dans l'atmosphère, les
couches doivent être recouvertes d'un coffre ou
châssis vitré qui concentre la chaleur autour des
plantes.
Pour que le jardin ait une production abondante,
il est absolument indispensable que les engrais
lui soient prodigués. Il en est des légumes et des
autres plantes potagères comme de la grande
culture ; la terre ne produit que proportionnelle-
ment à ce qu'on lui donne. Pour les jardins, les
fumiers constituent à la fois l'engrais le plus actif
et celui qui est le plus facile à trouver. Dans ces
dernières annéi-s, on a préconisé l'emploi de cer-
tains engrais chimiques -, cette pratique a donné
de bons résultats, au point de vue de la produc-
tion ; mais quand les légumes sont principalement
cultivés pour la consommation de la maison, la
question du prix de revient est très importante,
et elle pourrait souvent s'opposer à l'emploi de
ces engrais. Les meilleurs fumiers pour les jardins
sont les fumiers dont la décomposition est avancée.
Ils constituent ce qu'on appelle les fumiers chauds ;
ils ont le grand avantage de contribuer puissamment
à l'ameublissement du sol.
A côté des fumiers, les arrosages sont un des
principaux éléments de la production des légumes.
Les meilleures eaux à employer pour arroser les
jardins sont les eaux de pluie et de source, celles
de ruisseaux et de rivières. Quant aux eaux de
puits, elles sont géiiéralement trop froides, trop
crues, suivant l'expression vulgaire; pour les em-
ployer, il est utile de les faire séjourner dans des
réservoirs oii elles sont exposées à l'action de
l'air et du soleil. Un tonneau ouvert, enterré au-
près du puits, peut très bien servir de réservoir.
Il est difficile d'établir des règles précises pour les
arrosages, mais on peut dire qu'en général les
légumes sont d'autant plus beaux qu'ils ont été
plus fréquemment arrosés. Au printemps, quand
les gelées tardives sont encore A craindre, les
arrosages doivent être faits le matin. On doit
prendre les mômes précautions à l'automne. Par
cette méthode, l'humidité est évaporée pendant
le jour, et elle ne peut pas contribuer à augmen-
ter les effets de la gelée, quand celle-ci se pro-
duit. En été, les arrosages peuvent être pratiqués
pendant presque toute la journée ; mais le meil-
leur moment est le soir, quelque temps avant le
coucher du soleil.
Les appareils servant aux arrosages sont très
variés. Le plus souvent, on se sert d'arrosoirs à
pomme ou à soupapes brise-jets. Pour les arbus-
tes et pour le nettoyage des feuilles, on se sert
de petites pompes à main. Qu'ilquefois on em-
ï" Pai\tif..
ploie, dans les grands jardins, pour les arrosages,
des pompes montées sur brouettes ou des ton-
neaux montés sur roues auxquels des pompes sont
jointes. Les seringues d'arrosage sont aussi em-
ployées, surtout quand il s'agit de faire des bas-
sinages avec des solutions insecticides.
Les vents, dans quelques régions, tiuisent beau-
coup aux jardins. Pour les protéger, on établit
des brise-vents, tie sont le plus souvent de fort.s
paillassons fixés debout à des piquets enfoncés en
terre. D'autres fois, tes brise-vents sont formés
par des plantations d'ifs ou d'autres arbres rési-
neux, très rapprochés les uns des autres, de ma-
nière à constituer un rideau protecteur. Les murs
qui entourent les jardins servent aussi à protéger
les plantes contre l'action des vents, en même
temps qu'ils renvoient la chaleur du soleil sur les
plates-bandes les plus rapprochées, et sur les ar-
bres placés en espalier.
On a dit, avec une grande raison, que la mul-
tiplication des plantes et leur entretien renfer-
ment presque toute la science du jardinier. Les
plantes potagères se multiplient par graines ou
par bourgeons. Le bouturage, le marcottage, l'é-
clatage sont les méthodes les plus usitées de
multiplication par bourgeons. Ces procédés ont
l'avantage de conserver les qualités spéciales à
une plante, tandis que la multiplication par graines
amène souvent des modifications ou même une
dégénérescence qu'il est impossible d éviter.
Les graines sont semées de diverses manières,
suivant la nature et la grosseur. Plus les graines
sont fines, et moins elles doivent être enterrées;
souvent, quand la semence est répandue sur le sol,
on se contente de la presser avec le dos d'une
pelle ou d'un râteau. Les serais se font sur place
ou en pépinière. Quand la plante reprend diffi-
cilement, on sème sur place; parmi les légumes,
la carotte, le cerfeuil, la fève, la mâche, le navet,
le persil, le radis, etc., sont dans ce cas. Les se-
mis sur place se font à la volée, en jetant avec la
main la graine sur la terre, de sorte qu'elle s'y
éparpille régulièrement ; — en rayons, ou dans
des rigoles tracées le long d'un cordeau tendu;
— en poquets, ou dans des trous creusés en li-
gne, avec la serfouette, à quelques centimètres
de profondeur. Un grand nombre de graines sont
semées en pépinière : les graines sont d'abord se-
mées sur couche, afin que leur végétation soit
activée ; quand les plants ont poussé quelques
feuilles, ils sont enlevés et repiqués à la place
qu'ils doivent occuper. Ce système offre beaucoup
d'avantages pour un certain nombre de plantes;
il favorise le développement de leur système radi-
culaire. Les plants repiqués doivent être abon-
damment arrosés après leur mise en place.
Le plus grand nombre des graines sont semées
à l'automne et au printemps. Toutefois il faut
ajouter qu'il est impossible de fixer une date pré-
cise pour les semailles. Le jardinier doit souvent
se laisser guider par des circonstances extérieures ;
en tous cas, il se règle sur le climat, sur la plante
elle-même, la durée de sa vie et les résultats qu'il
veut on obtenir. Ainsi, par exemple, dans les dé-
partements septentrionaux, le plus grand nombre
des plantes annuelles doivent être semées à la fin
de l'hiver ou au commencement du printemps;
mais pour celles dont on veut avoir des primeurs,
il faut les semer sur couche dès le mois de no-
vembre ou celui de décembre.
Il est très bon, pour hâter la végétation, de ré-
pandre sur la planche une certaine quantité do
terreau après les semailles ou avant cette opéra-
tion. Le terreau est répandu avec une pelle ou
un râteau, de manière à former une couche aussi
égale que possible. Cette addition de terreau,
qu'on désigne quelquefois par le tcrmo de ter-
reautage, a pour but d'échauffer le sol, en même
09
JARDIN
- 1090
JARDIN
temps que de céder aux plantes des éléments nu-
tritifs chaque fois qu'il pleut ou qu'on arrose. Le
terreau proprement dit est obtenu par la décom-
position des fumiers de ferme; il forme une ma-
tière grasse, onctueuse au toucher, très noire. On
peut aussi le préparer avec des feuilles ou d'au-
tres matières végétales qu'on fait décomposer.
Outre le terreau qui provient des couches dont
la formation a été indiquée plus haut, on peut en
préparer de la manière suivante. On fait au prin-
temps, dans un coin du jardin, un tas de fumier
bien égalisé et bien piétiné, de 2 mètres environ ;
pendant l'été, on l'arrose copieusement, afin d'en
liâter la décomposition. Puis on le refait, de ma-
nière à placer à l'intérieur les parties qui for-
plantes refroidies. Pour empêcher cet effet de se
manifester, le moyen qui est à la portée de tous les
jardiniers est de couvrir, le soir, dans les cas où
le ciel est pur et présage une nuit froide, les plan-
tes les plus délicates avec des toiles grossières,
des paillassons, des litières, des feuilles, etc. Il
faut remarquer que les plantes croissant dans une
vallée sont plus souvent exposées à la gelée blan-
che que celles qui viennent à mi-côte ou même
sur des plateaux.
Il arrive souvent que les gelées blanches cau-
sent surtout des dégâts dans le courant du mois
d'avril et au commencement de mai. De là est
venu le préjugé de l'influence de la lune rousse.
Les jardiniers désignent sous ce nom la lune qui
maient les faces. \ la fin de l'hiver, le fumier est commence en avril, et qui devient pleine dans les
décomposé et forme une niasse homogène qu'on i derniers jours de ce mois ou au commencement
, . r""^^ ... "^ ^ I j„ — : un„ rt^, ;i ott vrau tnniftiirs le temoin
émiette avec le râteau.
de mai. Elle est, il est vrai, toujours
L'emploi des paiUis est aussi i r.'commander. ; des gelées blanches, mais elle n y est pour non.
On désigne par ce mot une couche de fumier court ' elle brille au ciel, parce qu il n y a pas de nuages
à demi consommé, peu épaisse, qu'on répand sur 1 et c'est cette absence de nuages qui, activant le
la planche. Cette couche a pour effet de maintenir ! rayonnement terrestre, amène le refroidissement
. . 1 :a^ «* j.. .,' î. ..«,, A„^^n^n*:n,-i I it,, cr\\
la terre humide et de s'opposer à son évaporation
Elle doit donc être employée surtout au commen
du sol. .. j- ■ ui;. VI
Les excès de chaleur sont préjudiciables à la
ntde l'été, principalement sur les sols légers plupart des plantes des jardins; on y «bue pai
"^ ' 'des arrosages copieux : et, si 1 on arrose suffisam-
et sablonneux.
A côié de ces procédés d'entretien, il faut si- I ment, l'excès de chaleur peut se transformer eu
gnaler le buttage, qui consiste à amonceler de la 1 agent d'une production '^«^"'^«''P P'"/„''^'"'f •,,':;'"'^
terre au pied d'une plante. On butte les pommes lumière trop vive ou trop prolongée peut aussi
de terre afin de multiplier les tiges souterraines , causer certains préjudices, le remède est Qans
qui portent les tubercules; on butte le céleri et , les abris temporaires qu on crée aux plantes
le cardon, afin de faire blanchir leurs feuilles et de | Il ne peut être ici question ^f fo-'^er des de-
les rendre plus tendres. Dans un but analogue, ! tails sur la culture de chacun ^es légumes pro-
on provoque artificiellement l'étioleraont des duits dans le jardin potager. Leur nombre de-
feuilles ou des tiges des légumes. C'est surtout ; vient d'ailleurs chaque J»f Pi''^^X nomen:
pour les salades que ces procédés sont employés, i Nous nous bornerons donc * «ne f'"iple nome"
On blanchit la chicorée frisée, l'escarole, la ro- clature, dans laquelle nous '^'^^""^^.^es plan es
suivant les familles botaniques auxquelles elles
appartiennent.
Liiiacées : ail, ciboule, échalote, oignon, poi-
reau. « , ,
Crucifères: choux pommés, chou-fleur, chou de
Bruxelles, cresson, radis, rave, navet.
Ombellifères : angélique, carotte, céleri, cer-
feuil, panais, persil.
Légumineuses : fève, haricot, pois.
Cliénopodées : bette, betterave, epinard.
Pohiuonées : oseille, patience, rhubarbe.
,.. ,. , Composées: estragon, artichaut cai^onchi^^
La manotte est une partie de plante, bourgeon | rée, barbe de capucm, laitue, romaine, saisins,
rameau, qui est abaissée et couchée dans le i escarole, scorsonère.
, sans être séparée du pied mère, et qui y Valérimées : mâche ou aouceitt
' . *^« . .'. . . - n t :t..^A^c> . /,/,n/.niiinrft. cours
mainc, en rapprochant et en liant leurs feuill
ou en couvrant les pieds en entier avec des pail-
lassons, de la litière ou des feuilles.
Il faut maintenant donner qurl^.ues explications
sur les modes de propagation aùj'es que la se-
maine, usités dans les jardins.
C'est d'abord la multiplication par écl.nl, qui
consiste à détacher d'une plante vivace des frag-
ments munis de bourgeons et de racines. Quel-
<luefois cependant le bourgeon est privé de racines;
il prend alors le nom à'ieiltelon; c'est par ce pro-
cédé qu'on multiplie l'artichaut
sol
sépare par incision la marcotte de la plante d'où tèque. , . tomate
•■ ' . . .. ■ . - K :.,_.. I sotoite .• aubergine, pomme de terre, tonidte.
Culture maraîchère. - La culture maraiclière
lest, après la vigne, la branche la plus riche de
'l'agriculture. Il suffit, pour s en convaincre, de
soi, sans être séparée au pieu mère, eu qui y , uic. cu.r.,.io . .„„.„o mplnn nas-
émet des racines. Quand celles-ci ont poussé, on | Cucurbitacées : concombre, courge, melon, pas
sépare par incision la marcotte de la plante d'où
elle provient, et elle acquiert une vie indépen-
dante. Quelques arbrisseaux fruitiers, et quelques I
fleurs se multiplient très bien par marcotte. |
La bouture diffère de la marcotte, en ce que le ; . es..--- — -■ - ■ , „„j„i,„ nn'nn ;ap-
rameau qui la forme a été séparé de la plante d'où ! réfléchir il l'énorme masse de f "^^''-'X^vines
il provient, et planté isolément, de manière à vivre , dinier habile tire, aux environs des g"'»°aes vmes
immédiatement de sa propre vie. La bouture, pour < de quelques ares de terre Le ^»' P°J e. cnaque
viNTe, doit émettre rapidement des racines; c'est i année, trois à q""P/ecoltes successives, quel
ce qu'on appelle reprendre. La chaleur, la lu- ' quefois cinq. C'est à force de '[f;^^'' e' / en ",,
mière et l'humidité, dans des proportions conve- ' que ce ré,ultat est obte.iu. Le "aracher „ a pas,
nables, sont les éléments indispensables de la ; en effet, à sa disposition de force naturelle par
" Mait^pour ces produits, il faut des débouchés
importants. C'est pourquoi, pendant longtemps, la
cukure maraîchère a été limitée •->" voisinage
immédiat des grandes villes, au ■'•Jon dans le-
quel la voiture chargée de légumes peut partir
chaque soir, pour revenir dans la matinée du len-
demain. Aujourd'hui, grâce aux nombreuses voies
de communication rapide, ce ™y»n s est agiandi,
et ce qui était jadis l'apanage «^clusifde quelques
terres privilégiées, est devenu .PO^sible pour un
grand nombre : Paris, pour ne citer que cet exem-
Sio ,.„;, .'ar-Proître clia.iue our l'affluence de ses
reprise des boutures. Quelques plantes se mul
tiplient très facilement par boutures ; il en est
d'autres qui sont, au contraire, absolument réfrac-
taires à ce mode de propagation. C'est surtout
pour les fleurs qu'on y a recours dans les jardins,
rarement pour les légumes.
Après ces principes généraux sur le jardinage,
il convient d'indiquer les moyens de se prémunir
contre quelques influences des agents extérieurs.
En première ligne, il faut placer la gelée blanche,
au printemps. Elle est produite par la congélation
de la vapeur d'eau contenue dans l'air, qui, pen-
dant les nuits calmes, se dépose sur la surface des I pie, voit s'accroître chafjue jour
JAUGEAGE
1001 —
JEAN
approvisionnements. L'iiectare de terre, bien ex-
ploité on culture maraîclière, peut donner, dans
une année, 4 000 à 5 000 francs do produits; au-
cune autre culture, sauf la vigne, ne peut attein-
dre ce résultat.
D'un autre cûtc, la consommation est devenue
partout plus difficile à satisfaire ; son goût est plus
délicat, il lui faut des produits plus lins. Le suc-
cès sera, dans l'avenir, pour ceux qui sauront
répondre à ces besoins. Ces quelques considéra-
tions suffisent pour montrer le rôle que la produc-
tion des légumes peut jouer dans beaucoup d'ex-
ploitations agricoles.
Production des fleurs. — Les fleurs sont le
plus bel ornement des modestes habitations de la
campagne. Leur variété est infinie : quelques-unes
demandent des soins assidus, d'autres sont moins
exigeantes. C'est à chacun de choisir, parmi les
innombrables cultures florales, celles qui con-
viennent le mieux à ses goûts et qui orneront le
mieux son jardin, suivant les dimensions de celui-
ci et suivant les saisons.
Les plantes d'ornement sont des arbustes, ou
des plantes vivaces qui chaque année poussent
des tiges, ou enfin des plantes annuelles.
Les arbustes d'ornement demandent, pour la
conduite et pour la taille, des soins analogues à
ceux que réclament les arbres fruitiers. Ils se
multiplient soit par greffe, soit par bouture, soit
par drageon ou rejet qui s'enracine naturellement
en poussant ;'i. une certaine distance de la souche,
01 qu'on peut séparer de celle-ci pour faire un
sujet spécial.
Les plantes vivaces sont celles dont le pied ou
la racine vit pendant un certain temps, en déve-
loppant chaque année des tiges annuelles. Elles
se multiplient par éclat, en détachant de petites
portions de la souche, ou bien quelquefois par
bouture, ou enfin par semis.
Quant aux plantes annuelles ou bisannuelles,
elles ne peuvent être propagées que par graines.
Les semis se font, soit sur place, soit en pépinière.
Pour ces plantes, aussi bien que pour les autres,
les conditions suivantes sont nécessaires à la
réussite du semis : les graines doivent être d
lionne qualité ; le sol doit être convenablement
préparé, et les semailles doivent être faites par un
temps propice, à une époque convenable. Les
fleurs les plus rustiques peuvent être semées
dans le courant d'avril ; quant à celles qui sont
plus délicates, elles le seront h. la fin de ce mois
ou dans le courant du mois de mai.
L'arrosage doit être une des préoccupations
pour la culture des fleurs. Colles-ci ont besoin
d'eau pour se développer régulièrement. Plus les
plants sont petits, d'une manière générale, et
plus ils ont besoin d'être arroses souvent.
Quelques fleurs exigent, pour bien venir, le
terreau dont la formation a été indiquée plus
haut; d'autres demandent -une terre spéciale, ap-
pelée terre de bruyère. C'est une terre noire,
légère, que l'on recueille dans quelques parties
de bois, où elle est formée par l'agglomération des
débris végétaux. Elle tire son nom de ce fait que
la bruyère y vient d'une manière spéciale.
L'exposition du levant est la plus favorable pour
la culture de la plupart des plantes florales ou
potagères ; mais celles qui demandent beaucoup
de chaleur se trouvent mieux de l'exposition du
midi.
Rappelons, en terminant, les services que peut
rendre le jardin de l'instituteur, pour la propa-
gation des bonnes variétés de légumes et d'autres
plantes potagères, ainsi que pour les essais sur les
nouveaux procédés de culture.
[Henry Sagnier.]
JAUGEAGK DES FUTS. — Géométrie, XXVIU.
— La capacité intérieure d'un tonneau a la forme
d'une surface de révolution, divisée en deux par
ties égales par le plan perpendiculaire à l'axe mené
par le contre de la bonde. Si l'on pouvait négliger
la courbure dos douves, chaque moitié du tonneau
pourrait (Mre assimilée à un tronc de cône. En
nommant, dans ce cas, R le rayon du bouge (cer-
le mené |iar la bonde), r le rayon ùa jable (cercle
formant le bout du tonneau), et h la demi-longueur
de la pièce, on aurait pour l'expression du demi-
volume :
iî:/,(Rî+R»--f/S).
IMais cette expression donne un résultat trop
faible, puisqu'on a négligé la courbure des douves.
Pour en tenir compte, on remplace le produit Rr
par le carré R-. Si alors H désigne la longueur to-
tale du tonneau, D et d les diamètres du bouge
et du jable, et V la capacité cherchée, on trouve,
en faisant les substitutions :
V= -^ 7tH(2D2 + rf2) = 0,262H(2D2 -|- d^) .
C'est la formule d'Our/hlred, qui y est arrivé e
assimilant la courbe de la douve à un arc d'ellips
Elle donne un résultat un peu fort.
On emploie aujourd'hui la formule de Dez :
V = ,:H[R-^(R-r)J!
Si, par exemple, on suppose D=0",ei, rf=0",5;
et H=0™,90, on trouvera:
Pai' la formule du tronc de cône Û™<=b^2:i612 ou 226i'',12 ;
- d'Oughtred I ,23924 ou 239 ,21:
— de Dez IJ ,23486 ou 234 ,% .
[H. Sonnet.]
JEAN. — Histoire de Franco, XI, XII. — Nom
de deux rois de France.
Jean I", fils posthume de Louis X le Hutin,
naquit en 1.316, mais ne vécut que quelques jours.
Son oncle, Philippe de Poitiers, prit alors la cou-
ronne sous le nom de Philippe V. Une flile que
Louis X avait laissée, Jeanne (née en 1.311), fut
exclue de la succession paternelle au nom de la loi
salique (V. Guerre de Cent ans, p. OvO).
Jean II le Bon, fils de Philippe VI de Valois,
monta sur le trône en 1350. La guerre avec l'An-
gleterre, suspendue par une trêve, recommença
en 1351. Elle se borna d'abord à quelques escar-
mouches sans importance. Le roi de Franco, qui
aimait les plaisirs et les parades chevaleresques,
avait dissipé ses ressources ; il essaya vainement
de remplir son trésor en altérant les monnaies,
comme avait fait son père, et dut enfin avoir re-
cours aux Etats-Généraux. Ceux-ci, assemblés en
1355, accordèrent des subsides pour les frais de
la guerre, mais h la condition de contrôler eux-
mêmes les dépenses. Cependant, le prince de
Galles, fils d'Edouard III, s'avançait vers la Loire;
Jean marcha contre lui, fut battu à Poitiers, et
demeura prisonnier des Anglais avec la plus grande
partie de sa noblesse (1356). La conduite chevale-
resque du prince de Galles envers les vaincus est
racontée dans une page célèbre de Froissart, que
nous donnons ci-dessous. Conduit k Londres, Jean
y resta captif jusqu'à la signature du traité de Bré-
tigny (13tJ0). En recouvrant la liberté, il avait dû
livrer pour otages deux de ses fils ; l'un de ceux-ci
s'étant échappé, Jean retourna se constituer pri-
sonnier des Anglais, et mourut ii Londres on ISCi.
Les événements qui suivirent la bataille de Poi-
tiers sont racontés à l'article Guerre de Cent ans ,
p . 02 1 et 922.
Lectures et dictées. — Réception du roi Jean
par le prince de Galles, le soir de la hataille 'le
JEANNE D'ARC
1092 —
JEANNE D'ARC
Poitiers. — Puis le comte de Warwick et niessire
Regnault de Cobliam (qui amenaient le roi Jean
prisonnier) entrèrent au pavillon du prince de
Galles, et lui firent présent du roi de France ;
lt'f)uel présent ledit prince dut bien recevoir à
grand et à noble. Et aussi fit-il vraiment, et s'in-
clina tout bas contre le roi de France, et le reçut
comme roi, bien et sagement, ainsi que bien le
savait faire; et fit là apporter le vin et les épiées;
et en donna lui-même au roi, en signe de très
grand amour.
Quand ce vint au soir, le prince de Galles
donna à souper au roi de France et à monseigneur
Philippe son fils, à monseigneur Jacques de Bour-
bon, et à la plus grand partie des comtes et des
barons de France qui prisonniers étaient. Et assit
le prince le roi de France et son fils monseigneur
Philippe, monseigneur Jacques de Bourbon, mon-
seigneur Jean d'Artois, le comte de Tancarville,
le comte d'Etampes, le comte de Danipmartin, le
seigneur de Joinville et le seigneur de Parthenay,
k une table moult haute et bien couverte, et tous
les autres barons et chevaliers aux autres tables.
Et servait toujours le prince au devant de la table
du roi, et par toutes les autres tables, si humble-
ment comme il pouvait. Ni oncques ne se voulut
seoir à la table du roi, pour prière que le roi sut
faire; ains (au contraire) disait toujours qu'il
n'était mie (pas) encore si suffisant qu'il appar-
tenist de lui seoir à la table d'un si haut prince
et de si vaillant homme que le corps de lui était,
et que montré avait à la journée. Et toujours s'a-
genouillait par devant le roi, et disait bien : « Cher
sire, ne veuillez mie faire simple chère, pour tant
si Dieu n'a voulu consentir huy (aujourd'hui) votre
vouloir; car certainement monseigneur mon père
vous fera tout l'honneur et amitié qu'il pourra,
et s'accordera à vous si raisonnablement, que vous
demeurerez bons amis ensemble à toujours. Et
m'est avis que vous avez grand raison de vous
esliescer (réjouir), combien que (quoique) la beso-
gne ne soit tournée à votre gré ; car vous avez
aujourd'hui conquis le haut nom de prouesse, et
avez passé tous les mieux faisants de votre côté.
Je ne le dis mie, cher sire, pour vous lober (rail-
ler); car tous ceux de notre partie, et qui ont vu
les uns et les autres, se sont par pleine science à ce
accordés, et vous en donnent le prix et le chape-
let, si vous le voulez porter, n
A ce point commença chacun h murmurer (à
faire entendre un murmure d'approbation) ; et
disaient entre eux, Français et Anglais, que noble-
ment et à point le prince avait parlé. (Froissart.)
JEAN-SANS-TEHRE. — 'V. Plantmjenet.
JEANNE D'ARC. — Histoire de France, XIV.
— Etat de la France. — Depuis l-ilU,la Franco
était en agonie, frappée du même coup que le duc
Jean-Sans-Peur; le crime de Montereau avait eu
pour résultat l'alliance anglo-bourguignonne, et le
traité de Troyes (14'2Û), que la moitié des Français
avait accueilli en silence. En 1422, après la pompe
funèbre de Charles VI à Saint-Denis, Paris avait
entendu sans révolte les hérauts d'armes anglais
crier o Longue vie au roi Henri VI, par la grâce de
Dieu roi de France et d'Angleterre, notre souve-
rain seigneur. »
Pendant ce temps, le vrai dauphin, Charles de
Valois, était proclamé roi par quelques serviteurs
fidèles, au fond d'un château obscur, à Espaly en
Velay. Mais depuis, vaincu encore à Crevant et à
Verneuil, le prince national demeurait inactif dans
sa cour de Chinon, pleine d'intrigues. En vain le
patriote connétible de Richemont avait cousu dans
un sac et noyé dans l'Indre un malfaisant favori,
le sire de Giac. La Trémouille avait pris la place de
Giac et fait éloigner Richemont. Désespérantde lui-
même et des autres, Charles s'abandonnait jusqu'à
douter des droits de sa naissance. <i l"n jour, de-
dans son cœur, il pria Dieu, s'il n'était vrai hoir
de la noble maison de France, de lui donner la
grâce d'échapper sans mort ni prison, et qu'il se
pût sauver en Espagne ou en Ecosse. »
Hors de la cour, la misère semblait avoir abattu
l'espoir et le courage. Depuis quinze ans, le temps
des Grandes Compagnies était revenu ; les gens de
guerre de tous les partis. Armagnacs, Bourgui-
gnons, Anglais, vivaient sur le paysan, de rapines
et de brigandages. «Quelques-uns de ces capitaines
étalent peut-être les hommes les plus féroces qui
eussent jamais existé. Il suffit d'en nommer un,
dont le nom seul fait horreur, Gilles de Retz, l'o-
riginal de Barbe-bleue. « (Michelet.) Livréssansdé-
feiise à ces hommes de proie, les paysans
M fuyaient au bois avec les bêtes fauves. Adieu les
femmes et les enfants... faisons le pis que nous
pourrons et remettons-nous dans la main du dia-
ble. >> Et les champs restaient en friche et la fa-
mine suivait la guerre. Dans les villes, la vie n'était
ni plus sûre ni meilleure. A Paris, les hôtels des
seigneurs n'étaient que des forteresses garnies de
herses, de mâchicoulis, et pleines de soldats; la
nuit, (jOii chaînes tendues barraient les rues et la
Seine. Et la misère décimait le peuple. En 1418, la
famine et la peste avaient fait SOOOii morts. « Il
fallait faire dans les cimetières de grandes fosses
où on les mettait par trente et quarante, arrangés
comme lard, à peine poudres de terre. » (Monstre-
let. ) Et depuis, le fléau avait reparu chaque année.
Aussi, c'est en 1424 que ce peuple démoralisé
par le désespoir inventait la danse macabre, la
danse lugubre des morts, au cimetière des Inno-
cents, au milieu des charniers, où l'on avait jeté
d'iiniombrables squelettes arrachés trop tôt de la
tombe.
C'est à ce point que la folie d'un roi, vingt ans de
factions furieuses et la défaite d'Azincourt avaient
poussé la France. Il n'y avait point de roi, point
de gouvernement, et il semblait qu'il n'allait plus
y avoir de peuple. Les Anglais s'apprêtaient à un
décisif et dernier elTort pour achever la conquête.
^•iéne d'Orléans. — Orléans était le vrai boule-
vard des provinces fidèles, la clef de la Loire, dont
le cours marquait en 14v9 la frontière de la France
restée française. Le régent anglais, Bedford, en-
voya pour la prendre 6 OUO do ses meilleurs sol-
dats. En quelques jours, malgré son courage, la
ville était cernée par les bastilles anglaises dont
l'artillerie la battait en brèche ; bientôt, la défaite
de la Journée des Harengs venait décourager les
plus braves qui désertaient la résistance. L'amiral
de France et 2 000 soldats se retirèrent d'Orléans
le 13 février 1429. Cette fois la fin de la France
semblait prochaine et irrémédiable.
Mais une indestructible espérance vivait dans le
peuple acculé à la mort et qui pourtant refusait
de mourir. Des moines, des visionnaires parcou-
raient les campagnes et y répandaient des prédic-
tions merveilleuses. L'etichanteur Merlin ii'avah-i\
pas annoncé qu'il viendrait, pour sauver le royaume,
une K vierge douée par les fées et qui sortirait du
bois Chenu? ■> Et la croyance populaire ajoutait que
le 11 bois Chenu » était situé « vers les marches de
Lorraine. " L'agitation patriotique gagnait de pro-
che en proche. « Il régnait une de ces grandes at-
tentes qui appellent et suscitent le prodige at-
tendu. » (H. Martin.)
Enfance de Jeanne d'Arc. — Domrémy est sur
la rive gauche de la Meuse, à cinq lieues en atnont
de Vaucouleurs. Au commencement du xV siècle,
c'était un village de frontière, entre le Barrois, dont
les habitants avaient suivi le parti français, et la
Lorraine, dont le duc servait le parti de Bourgogne.
H Le village était à deux pas des grandes forêts des
Vosges. De la portede la maison de son père, Jeanne
voyait le vieux bois des chênes; les fées hantaient
ce bois ; elles aimaient surtout une certaine fon-
JEANNE D'AUC
— 10'J3 —
JEANNE D'ARC
faine, près d'un grand liètre qu'on nommait l'ar-
bro des Fées, des Dames. Les petits enfants y sus-
pendaient des couronnes, y chantaient. Jeanne
naquit parmi ces légendes, dans les rêveries popu-
laires... Née sous les murs mômes de l'église, ber-
cée du son des cloches et nourrie de lé(>;cndes,
.leanne fut une légende elle-même, rapide et pure,
do la naissance h la mort. » (Michelet.) Elle était
née le C janvier 14 12, de Jacques d'Arc et d'Isabeau
Romoe. L'enfant, rêveuse et un peu sauvage, veil-
lait aux champs sur le troupeau de son père, écou-
tant le son des cloches que lui apportait la brise
et les mystérieuses voix de la forêt qu'elle croyait
entendre. Le dimanche, elle s'agenouillait en extase
au pied des images saintes. Mais un jour cette
paix fut troublée ; les Anglais avaient pénétré jus-
qu'à, Vaucouleurs, ils ravageaient ce pays épargné
jusque-là. Il fallut fuir dans une île de la Meuse.
Et, au retour, on vit le pauvre village pillé et brûlé
par les soldats étrangers. Désormais Jeanne sentit
« la grand pitié qui était au royaume de France ;»
et dans l'église, aux champs, sa prière appelait
ardemment « les anges du ciel n à susciter un li-
bérateur. « La jeune fille, à son insu, créait, pour
ainsi parler, et réalisait ses propres idées; elle en
faisait des êtres, elle leur communiquait, du tré-
sor de sa vie virginale, une splendide et toute-
puissante existence. " (Jlichelet.) De là son rêve
grandiose et poétique qu'elle avait conçu et qu'elle
exécuta; de 1;\ ses « voix » qui venaient l'entrete-
nir de sa mission sainte et l'avertir que le peuple
de France attendait l'héroïne promise de sa déli-
vrance.
La mission. — C'est un jour d'été, en I4?5,
qu'elle entendit « ses voix » pour la première fois.
L'archange Michel lui ordonnait « d'aller en
France, an secours du Daupliin. afin que par elle
il recouvrât son royaume. >> Et souvent depuis,
durant plusieurs années, les voix se firent enten-
dre plus pressantes à chaque retard. En vain son
père essaya-t-il de s'opposer h son dessein, elle ob-
tint de se rendre chez son oncle qu'elle sut convain-
cre et qui la conduisit h Vaucouleurs. « Je viens de
la part de mon Seigneur, dit-elle au sire de Bau-
dricourt, capitaine du bailliage, vous charger de
mander au Dauphin que mon Seigneur lui donnera
bientôt du secours. — Et qui est ton Seigneur? — Le
roi du ciel. » Baudricourt la repoussa. Mais, à la
nouvelle du siège d'Orléans : « Il faut que je parte,
dit-elle. J'irai, dussé-je user mes jambes jusqu'aux
genoux. 11 Cependant on parlait d'elle dans le peu-
ple. Peut-être était-elle « la vierge douée des
fées 11 dont Merlin avait prédit la venue, o Va
donc, Jeanne, lui dit enfin Baudricourt, et ad-
vienne que pourra, n Le 25 février 1421), elle
quitta Vaucouleurs. « J'aimerais pourtant mieux,
disait-elle en prenant son costume d'homme d'ar-
mes, rester à filer auprès de ma pauvre mèro ; car
ce n'est pas là mon ouvrage ! mais il faut que
j'aille; Messire le veut.., c'est pour cela que je
suis née. n — Elle commençait la mission qui la
conduisit au martyre. Le dauphin Charles tenait
toujours sa cour ;i Cliinon en Touraine. « Dieu fai-
sait la route de Jeanne, » elle arriva rapidement.
Mais Charles, poussé par ses favoris, hésitait à la
voir. Enfin, le 'J mars 1429, elle fut introduite dans
la grande salle du château de Chinon, dont on voit
encore un pan de mur et la cheminée; Charles
se dissimulait an milieu de ses courtisans : « Gen-
til dauphin, lui dit-elle, j'ai nom Jeanne la pu-
celle ; le roi des cieux vous mande par moi que
vous serez sacré et couronné en la ville de Reims,
et vous serez lieutenant du roi des cieux, qui est
roi de France. Baillez-moi gens pour que je fasse
lever le siège d'Orléans et vous mène sacrer à
Reims. C'est le plaisir de Dieu que vos ennemis
les Anglais s'en aillent... le royaume vous doit
demeurer, o Le roi doutait encore. Jeanne alors.
dans un entretien particulier, répondant aux dou-
tes les plus secrets du prince. « Je te dis, de la
part de Messire, que tu es vrai héritier de France,
et fils du roi. » « Ce qu'elle lui a dit, nul ne le
sait, écrivait Alain Chartier bien pou après ; mais
il est bien manifeste qu'il en a été tout rayonnant
de joie, comme à une révélation de l'Esprit saint. "
Cependant, les épreuves n'étaient point finies.
On la conduisit à Poitiers devant plusieurs évo-
ques et docteurs qui l'interrogèrent. « Ce fut un
beau spectacle que de la voir discuter, femme
contre les hommes, ignorante contre les doctes,
seule contre tant d'adversaires. » (Al. Chartier.)
Délivrnnce d'Orléans. — Cependant l'enthou-
siasme était devenu général ; La Hire et les soldats
Il juraient qu'ils la suivraient partout où elle vou-
drait les mener. » Les favoris cessèrent leur opposi-
tion, malgré leur jalousie contre Jeanne ; 1 2 000 hom-
lues furent réunis. Ils partirent le 27 avril 1429,
suivant l'étendard de Jeanne qui portait ces mots,
Jhésu Mai'ia, pour la croisade qui devait délivrer
la patrie. Mais « vingt ans de guerres avaient
changé ces hommes en bêtes sauvages. Il fallait
de ces bêtes refaire des hommes. Grand et difficile
changement... Dans la route, le long de la Loire,
elle fit dresser un autel, elle communia, et ils
communièrent. La beauté de la saison, le charme
d'un printemps de Touraine devaient ajouter sin-
gulièrement à la puissance religieuse de la jeune
fille. 11 (Michelet.) Plus de débauches, ni de pil-
lage ni de violence. La sainteté de Jeanne avait
comme purifié l'armée. Désormais le peuple vit
avancer sans crainte et accueillit les soldats de
France, redoutés longtemps à l'égal dos Anglais,
Le 2'J avril, on était devant Orléans. Pendant
que l'armée retournait passer la Loiro à Blois,
Jeanne entra dans la ville, où tous étaient venus
à sa rencontre, ci avec une aussi grande joie que
s'ils avaient vu Dieu descendre parmi eux. » (Jour-
nal du siège.) Dès le lendemain, elle voulait com-
battre. Dunois lui fit attendre l'arrivée des ren-
forts qui venaient de Blois. Mais les Orléanais
ayant attaqué la bastille Saint-Loup, Jeanne courut
les soutenir de sa présence ; car elle ne frappa
jamais qu'à toute extrémité ; dans son procès
même elle déclara qu'elle « n'avait oncques tué
homme, n « Derrière elle tout homme sortit hors
d'Orléans pour aller enclore les Anglais. «(Journal
du siège.) Et la bastille fut promptement enlevée,
démolie et brûlée. C'était la victoire du peuple,
remportée sans ordres et en dehors des capitai-
nes. L'enthousiasme populaire, véritable appui de
Jeanne, monta à son apogée. Ce succès devint la
signe de sa mission. Le 6 mai, un conseil de guerre
résolut l'attaque de la bastille des Tournelles ; dans
l'assaut. Il Jeanne, exhortant les soldats à avoir bon
cœur et bon espoir en Dieu » (Journal du siège), ap-
pliquait aux murs une échelle, quand elle fut per-
cée d'une flèche entre le cou et l'épaule; on l'em-
porta, et les Français plièrent. A cette nouvelle,
elle reprend ses armes et court aux Tournelles.
On la croyait morte, sa vue abat la confiance des
Anglais qui reculent, et exalte la confiance des
nôtres; « ils combattirent comme s'ils se fussent
crus immortels, n la bastille fut prise. Le lende-
main, les Anglais, inférieur» en nombre (0 000 con-
tre 12 000 soldats et les Orléanais), fatigués d'une
longue campagne, laissés sans renforts par Bed-
ford qui était lui-môme sans ressources, enfin dé-
moralisés par la présence de Jeanne, abandonnè-
rent le siège. Orléans était délivré, en dix jours.
Bien que la mauvaise situation des Anglais sutTlt
à rex|)liquer, ce succès parut à tous un prodige.
Snri-e di: Reims. — Mais Jeanne on voulait faire
un second plus considérable encore. « Je ne du-
rerai guère qu'un an, disait-elle; il faut songer
à bien besogner cette année, car il y a beaucoup
à faire. » Quand elle revit Charles à Tours, elle
JEANNE D'ARC
— 1094 —
JEANNE D'ARC
le pressa instamment de se laisser conduire à
Reims pour le sacre. Mais les chefs de guerre
et les favoris s'y opposaient. Sagement, ils vou-
laient une base d'opérations pour agir contre les
Anglais ; ils condamnaient avec colère la folie
d'une expédilion h travers cinquante lieues de
territoire ennemi. Mais Jeanne était plus sage
encore. Sortie du peuple, elle sentait comme lui.
Or, depuis 1422,1e peuple hésitait entre deux prin-
ces, Henri VI et Charles \ II. Jeanne elle-même
appelait encore Charles VII du seul nom de rtau-
pliiu. Il fallait montrer au peuple son \Tai roi en
le sacrant à Reims, au nom de l'Ëglise.
Heureusement Jeanne n'était pas seule. Le con-
nétable de Richement était venu la rejoindre mal-
gré le roi. Les deux petits-fils de Du Guesclin, le
duc d'Alençon, une foule de volontaires accou-
raient chaque jour. On emporta rapidement toutes
les villes de la Loire, Meung, Beaugency, Jar-
geau. Bien plus. le 18 juin 1429 on se heurta à
l'armée anglaise h Patay, entre Orléans et Châ-
teaudun. « En nom Dieu, s'écria Jeanne, il faut
combattre; quand les Anglais seraient pendus
aux nues, nous les aurons, car Dieu nous a envoyés
pour les punir... Alon conseil m'a dit qu'il étaient
à nous. )- Quelques heures plus tard, les Anglais
fuyaient et l'un de leurs plus glorieux chefs, Tal-
bot, était prisonnier. Jeanne rentra en triomphe
dans Orléans. C'était elle décidément la » vierge
douée des fées » ; le peuple ne voyait qu'elle dans
le grand œuvre de la délivrance qui commençait ;
et les soldats juraient de la suivre sans regarder
où elle les mènerait. « Le cri de l'armée était
trop fort. Elle se fût débandée plutôt que de se
laisser conduire à toute autre entreprise. Il fallut
céder. Le roi se mit en route, le 29 juin, h la tète
de 12 000 combattants, presque tous à cheval...
Quatre mois à peine s'étaient écoulés depuis que
Jeanne était entrée, humble et ignorée, dans cette
même ville de Gien, d'où elle partait maintenant
pour sa glorieuse croisade. » (H. Martin.)
Sur la route, les villes hésitaient; Auxerre
n offrit que des vivres. A Troyes, la garnison ferma
les portes. On n'avait pas de machines; le con-
seil délibérait déjà de retourner ; mais aupara-
vant on appela Jeanne. « Gentil daupliin, dit-elle,
SI vous voulez demeurer ici devant votre ville de
Troyes, elle sera en votre obéissance avant deux
jours. » On attendit, en préparant l'assaut. Le
lendemain, on lançait déjà les fascines dans les
fossés, quand la ville effrayée demanda à capi-
tuler; le roi y entra le H juillet. Le 15, l'armée
était à Châlons ; enfin le 16 elle franchit les portes
de Reims. « Le lendemain Charles VII fut oir/t
de 1 huile de la Sainte-Ampoule qu'on apporta de
baint-Remy. Il fut, conformément au rituel anti-
que, soulevé sur son siège par les pairs ecclé-
siastiques, .servi par les pairs laïques au sacre et
au repas. Toutes les cérémonies furent accom-
plies , sans qu'il y manquât rien. » (Michelet.)
yuand 11 eut reçu l'onction sainte, Jeanne, nui
était à 1 honneur après avoir été à la peine em-
brassa les genoux du prince : « Gentil roi, lui dit-
elle, ores est exécuté le plaisir de Dieu, qui vou-
lait que vous vinssiez à Reims recevoir votre digne
sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et celui
auquel le royaume doit appartenir. » I.'efl-et du
sacre lut immense; le peuple n'hésita plus, tout
allait s ouvrir au roi « marqué de Dieu »
Attaque sur Paris. — Malheureusement la con-
hance enthousiaste du peuple et des soldats n'était
point partagée par les courtisans et la plupart
des capitaines. Jaloux de Jeanne dont la gloire
les éclipsait, ds contrariaient ses desseins, et le
roi suivait leurs conseils. Jeanne elle-même, de-
puis le sacre, ne montrait plus la même décision
impérieuse pour imposer les ordres de « ses
voix ». Placée dans un milieu de guerre et de
violence, elle changeait malgré elle. Un jour, en-
1430, elle laissa pendre un capitaine boursuignon,
vrai scélérat, mais prisonnier. Autrefois, elle n'eût
pas_ ainsi versé le sang. Dans le camp, elle dut
tolérer les débauches des soldats qui n'avaient pu
longtemps soutenir l'austérité de l'héroïsme.
<c Malheureuse condition d'une telle àme tombée
dans les réalités de ce monde. Elle devait chaque
jour perdre quelque chose de soi. « ^Michelet.)
Cependant, au sortir de Reims, elle montrait
au roi le vrai chemin, celui de Paris. Bedford
était sans argent ni soldats. Il fallait en profiter
pour mettre le roi dans sa capitale avant l'arrivée
des renforts qu'amenait de Londres le cardinal
Winchester. Mais Charles mena lentement l'armée
à Soissons, puis à Provins où il conclut une trêve
de quinze jours avec Philippe de Bourgogne, puis
à la Ferté-Milon, pendant que Senlis et Com-
piègne appelaient les Français et que Beauvais
chassait son évêque, Pierre Cauchon, chef du
parti bourguignon. En même temps. Richemont,
avec ses propres forces, entamait la Normandie et
menaçait Evreux,
Alors, irritée de son inaction, Jeanne résolut
d'entraîner le roi ; elle quitta le camp « avec une
belle compagnie de gensde guerre, « etcourut sur-
prendre Saint-Denis pour aUaquer Paris. Mais sur
cette population moqueuse, n la poésie de Jeanne
devait avoir peu de prise; » pour les Parisiens,
en outre, Charles VII n'était toujours que le chef
des Armagnacs. Cependant l'attaque était impos-
sible sans le roi, qui gardait le gros de l'armée. 11
fallut aller le chercher deux fois à Senlis pour l'a-
mener « à grand regret >. à Saint-Denis. Mais Paris
avait organisé sa défense. L'assaut fut enfin donné le
8 septembre, malgré les conseillers du roi. Jeanne
emporta le boulevard Saint-Honoré et réussit à
franchir le premier fossé. Mais, en tentant le pas-
sage du second qui était plein d'eau, elle fut
grièvement blessée. Elle restait néanmoins pour
encourager les nôtres, quand la Tréraouille fit
sonner la retraite. Il fallut la ramener de force
en arrière, dans son camp, à la Chapelle. Le len-
demain elle voulait recommencer, mais l'armée
avait perdu 1 500 hommes, et en voulait à Jeanne-
de ce combat déclaré inutile par les chefs. Le roi
qui, la veille, n'avait pas quitté Saint-Denis, leva
le siège; et, profitant de l'échec subi par Jeanne-
il reprit le chemin de la Loire, sur les bords de
laquelle son armée formée de volontaires allait
se disperser. Jeanne avait suivi la retraite, en
pleurant son impuissance. A Gien, elle voulut
quitter la cour pour aller guerroyer en Norman-
die ; on refusa et elle partit assiéger la Charité-
sur-Loire. Mais la jeune fille n'était point un chef
de guerre ; ce n'était pas pour conduire une cam-
pagne méthodique et régulière que « ses voix « l'a-
vaient appelée: elle échoua.
Jecmne à Compiègne. — Cependant Bedford
avait confié la garde de Paris au duc de Bour-
gogne; Philippe avait Meaux qui commandait le
cours de la Marne, il voulut Compiègne pour tenir
la vallée de l'Oise et communiquer librement avec
la Picardie. Une armée bourguignonne vint assié-
ger la ville (14311). Mais Jeanne résolut d'aller dé-
fendre ceux qui s'étaient mis en péril pour le roi
et que le roi oubliait. « Vers le milieu d'avril 1430,
elle fit semblant d'aller en aucun ébat et sans
retourner s'en alla en la ville de Lagni-sur-Marne,
pour ce que ceux de la place faisaient bonne
guerre aux Anglais... a « Suivie d'une petite troupe,
elle partit sans congé, l'àme disputée entre les
éclatantes promesses du passé et les pressenti-
ments funèbres de l'avenir. . Ses voix se firent
entendre à elle sur les fossés de Melun : « Jeanne,
tu seras prise avant la Saint-Jean. Il faut qu'il
soit ainsi fait! ne t'étonne point, prends tout eit
gré! Dieu t'aidera. « ',H. Martin.)
JEANNE D'AIUi
— 1095 —
JEUX
Dans Compiègiio, elle moiitra-pourtant la môinc
activité guerrièro. Les lidurguignons tenaient la
rive droite de l'Oise on aval et en amont du pont.
KUe voulut couper en deux l'arnu^e. L'attaque, ru-
dement coiuiuite, réussitd'abord. Mais 500 Anglais
survinrent fermant le retour. Aussitôt on recula,
Jeanne fut entraînée de force ; elle soutenait vail-
lamment la retraite, quand, sans la voir, on ferma
la porte de la ville. Elle était acculée h la rive de
l'Oise : n Baillez-moi votre foi ! » lui criaun capitaine
artésien, le sire de Vandomme. n J'ai baillé ma foi,
répondit-elle en se défendant, h un autre qu]à
vous, et je lui en tiendrai mon serment. » Mais
enfin elle dut se rendre.
Captivité et procès. — Vandomme la conduisit
à son suzerain, le comte Jean de Luxembourg,
vassal du duc de Bourgogne. Celui-ci la mena pri-
sonnière à Beaulicu, puis i Boaurevoir près de
Cambrai. « Deux fois en juillet et en octobre I43(»,
Jeanne tenta de s'échapper; la seconde l'ois, elle
poussa le désespoir et la hardiesse jusqu'à se
précipiter du haut do la plate-forme de sa prison ;
elle fut relevée, cruellement meurtrie, mais sans
blessure grave, u (Guizot.)
Cependant l'Université de Paris, l'Inquisiteur de
Itouen et l'évêque de Beauvais, Cauchon, avaient
réclamé le droit de la juger ;Cauchon affirmait que
« selon les droit et coutume de France, tout pri-
sonnier de guerre pouvait être racheté au nom du
roi d'Angleterre, moyennant une indemnité de
10 000 livres. » Luxembourg était pauvre, Philippe
de Bourgogne avait besoin de Bcdford. Le 21 no-
vembre 1430, Jeanne fut livrée aux Anglais et con-
duite à Rouen.
Le 21 février 1431, malgré les refus de plusieurs
juges, le tribunal fut constitué sous la présidence
de Oauclion et Ip procès commença. Pendant trois
mois, « la servilité passionnée et la subtilité juri-
dique des juges s'employèrent à lasser le courage
ou i tromper l'intelligence d'une jeune fille qui
se refusait tantôt k mentir, tantôt à entrer en dis-
cussion avec eux, et ne se défendait qu'en se tai-
sant ou en appelant il Dieu. " (Guizot.) Enfin, sur
l'avis de l'Université de Paris, on la somma de se
soumettre à l'Église, et non plus seulement i Dieu;
sur son refus, on la déclara hérétique et rebelle à
l'Église. Désormais, elle pouvait être condamnée
légalement. Mais on voulait surtout obtenir d'elle
qu'elle reniât le caractère divin de sa mission. On
y réussit par des menaces et en abusant de son
ignorance; elle ne savait ni lire ni écrire. On lui
fit signer une rétractation. Et, le 24 mai 1431, elle fut
condamnée à la prison perpétuelle, a avec le pain
de douleur et l'eau de tristesse pour qu'elle dé-
plorât les erreurs et les fautes qu'elle avait com-
mises. »
Elle échappait à la mort. Alors éclata la fureur
des Anglais ; à. la nouvelle, les soldats vinrent jeter
des pierres aux juges. Jeanne, par ses victoires,
avait profondément blessé l'orgueil anglais. « A
Orléans, l'invincible gendarmerie, les archers,
Talbot en tète, avaient montré le dos...; à Pa-
tay, ils avaient fui à toutes jambes, fui devant
une fille ! voili qui était dur à penser. » (Michelet.)
Et voilà pourquoi Warwick, tout chevaleresque
qu'il était, poursuivait à mort la prisonnière. C'est
à lui qu'un des al'fidés de Cauchon dit, après le
jugement : " N'ayez aucun souci, Mylord, nous la
retrouverons. « En clTet, quelques jours après, ses
gardiens la contraignaient à reprendre ses habits
d'homme, auxquels la sentence lui ordonnait de
renoncer. On la surprit aussitôt; en même temps
on lui fit avouer qu'elle avait de nouveau entendu
" ses voix ». (rétait assez pour un nouveau procès.
Cette fois, elle fut déclarée hérétique relapse, et
condamnée au bûcher.
A neuf heures, on vint la prendre pour la con-
duire à la place du Vieux-Marché ; 800 soldats ac-
compagnaient la charrette i travers une foule triste
et muette. Comme on allait lui lire la sentence :
Il Enmienez-la, » dit le bailli aux gardes, et au
bourreau : « Kais ton devoir I » Arrivée sur le bû-
cher, elle s'agenouilla, demandant à voir la croix
de l'église Saint-Sauveur que lui apporta frère
Isambardde la Pierre. « Elle pleurait sur son pays,
sur les assistants, comme sur elle-même : «Rouen,
Rouen, mourrai-je ici'? seras-tu ma dernière de-
meure '? j'ai grand peur que tu n'aies à soutîrir de
ma mort! » Quand la flamme monta, son confes-
seur, frère Martin Ladvenu, descendit du bûcher. ■•
(Guizot.) A travers lesflammes et la fumée, on en-
tendit encore « Mon Dieu! Jésus ! Marie ! Mes
voix, mes voix! n Et ce fut tout. C'était le 30 mai
H3I.
«Quelle légende plus belle que cette incontesta-
ble histoire'? Mais il faut bien se garder d'en faire
une légende. On doit en respecter la réalité tou-
chante et terrible... La Vierge secourable des ba-
tailles que les chevaliers appelaient, attendaient
d'en haut, elle fut ici-bas. » et derrière elle, « il y
eut un peuple, il y eut une France. Cette dernière
figure du passé fut aussi la première du temps
qui commençait. En elle, apparurent à la fois la
Vierge et déjà la patrie.» (Michelet.)
[P. Schâfer].
Lectures et dictées. — Vocation de Jeanne
d'Arc, son départ ; siège d'Orléans ; sacre de
Charles VII ; siège de Compiègiie ; captivité et
procès de Jeanne ; son supplice. V. Jeanne d'Arc,
par H. Wallon, pp. 8, 17, 57, 72, 118, 127,
US, 259.
Jeanne ri' Arc. — Une enfant de douze ans, une
toute jeune fille, conçoit l'idée étrange, improba-
ble, absurde si l'on veut, d'exécuter la chose que
les hommes ne peuvent plus faire, de sauver son
pays. Elle couve son idée pendant six ans, sans la
confier à personne, elle n'en dit rien à sa mère,
rien à nul confesseur. Sans nul appui de prêtres
ou de parents, elle marche toute seule avec Dieu,
dans la solitude de son grand dessein. Elle attend
qu'elle ait dix-huit ans, et alors, immuable, elle
l'exécute malgré les siens et malgré tout le monde.
Elle traverse la France ravagée et déserte, les
routes infestées de brigands; elle s'impose à la
cour de Charles VII, se jette dans la guerre, et
dans les camps qu'elle n'a jamais vus, dans les
combats, rien ne l'étonné ; elle plonge intrépide
au milieu des épées; blessée toujours, découragée
jamais, elle rassure les vieux soldats, entraîne
tout le peuple, qui devient soldat avec elle, et
personne n'ose plus avoir peur de rien. Tout est
sauvé! La pauvre fille, de sa chair pure et sainte,
de ce corps délicat et tendre, a émoussé le fer,
brisé l'épée ennemie, couvert de son sein le sein
de la France. La récompense, la voici. Livrée en
trahison, outragée des barbares, tentée de ceux
qui essaient en vain de la prendre par ses paro-
les, elle résiste à tout en ce dernier combat, elle
monte au-dessus d'elle-même, éclate en paroles
sublimes, qui font pleurer éternellement... Aban-
donnée et de son roi et du peuple qu'elle a sauvés,
par le cruel chemin des flammes, elle revient dans
le sein de Dieu. (Michelet.)
JliUX. — Connaissances usuelles, X. — Nous
disons dans la 1"= Partie, au mot Jeux, quelle
importance l'hygiène et la pédagogie attachent au
choix et à la direction do5 jeux. Nous donnons
ci-dessous le catalogue des jeux les plus connus.
On pourrait les classer par âge et par sexe, mais
ce travail serait nécessairement bien artificiel ;
nous les groupons seulement d'après la nature
de l'exercice ou de la distraction qu'ils procurent.
Nous n'ajoutons point de définition à chacun de
ces mois, elle serait presque toujours fort longue,
aussi longue qu'inutile. Si quelqu'un de nos lec-
teurs se trouvait embarrassé pour l'explication
JEUX
— 1096
JOUR
d'un de ces termes, le premier enfant auquel il
la demandera s'empressera de la lui donner en
action, trop lieureux de rendre service en faisant
une bonne partie.
Jeux d'actà
Cache-cache.
Les Barres.
Le Saut de mouton.
Le Saut de mouton l
mouchoirs.
Le Saut de mouton avec i
ronnes.
Le Cheval fondu.
Les Métiers.
Le Chat perché.
Le Chat coupé.
La Passe.
La Mère Garuchc.
lus instruments ;
La Mère Garuchc à ch
pieds.
Les Quatre coins.
c'est trop.
Le Colin-Maillard.
Le Colin-Maillard à la
guette.
L'Hirondelle.
L'Ours.
Les Animaux.
Le Roi détrôné.
L'Imitation.
Jeux d'action avec instruments :
Jeux de balte : La Balle au
mur, la Balle au camp, la
Balle aux pots, la Balle au
bâton, la Balle à la crosse,
la Balle à la riposte, la
Balle en posture, la Balle
au chasseur, la Balle ca-
valière.
Jeux de paume : La Longue
paume, la Courte paume,
le Ballon.
Jeux de billes : La Pour-
suite, le Triangle ou le
Cercle, la Tapette, la Blo-
quette, la Pyramide, le
Tirer, le Pot, les Villes, le
Jeu du serpent, le Calot et
la Trime.
La Toupie à ficelle.
Le Sabot.
La Marelle.
La Marelle ronde.
La Marelle des jours.
Le Palet.
Le Bouchon,
Le Tonneau.
Les Boules.
Le Galet.
Les Quilles.
Le Jeu de Siam.
Le Mail.
La petite Corde.
La longue Corde.
Le Cerceau.
La Balançoire ou Escarpo
lette.
La Bascule.
Le Volant.
Les Grâces,
Le Diable.
Le Bilboquet.
L'Emigrant.
Le Toton.
Le Bâtonnet.
Le Cerf-volant.
Jeux paisibles avec instnunents :
Les Osselets.
Les Jonchets.
Le Loto.
Les Dominos.
Les Dames.
Les Echecs.
Jeux gymnastiçiœs c
Saut en largeur.
Saut en profondeur.
Saut en hauteur.
La Marche par évolutions.
La Course.
La Lutte.
Saut à la perche.
Le Tiic-trac.
Les Jeux de cartes.
Les Tours de cartes.
Les Tours d'adresse et d'es-
camotage.
c ou sans instruments :
Escrime.
Jeu de l'arc et de l'arbfi-
lète.
La Fronde.
Le Patinage.
Les Glissades.
Les Pelotes de neige.
Les Constructions en neige.
Danses et rondes.
Jiécréations intellectuelles :
Découpage.
Jeux ae patience.
Coloriage.
Dessin.
Modelage.
Jeux d'espj-it:
Jeu des homonymes c
ment l'aimcz-vous?
Charades.
Charades en action.
iCon
Jeu de proverbes.
Enigmes.
Problèmes amusan
Jeitx de société', dits Jeux innocents .*
La Sellette, Pigcon-vole, le nonibrable série des gages
Furet, les Couleurs, les qui sont eux mêmes au-
Propos interrompus . le tant de petits jeux.
Corbillon, etc., avec l'in-
Nous aimerions à voir dans toutes les bi-
bliothèques scolaires un excellent manuel des
jeux, dont nous avons imité, en partie, la classi-
fication : c'est le livi'e intitule Jeux des adolescents,
par Jl. G. Bélèze. [D' Saffray.]
JOSl':i>II. — Histoire générale, XXVII. — Nom
de deux empereurs d'Allemagne.
Joseph I", fils aîné et successeur de Léo-
pold ]", monta sur le trône en nOô. L'Allemagne
était alors engagée dans la guerre de la Succession
d'Espagne; le prince Eugène de Savoie, général
de l'empereur, gagna sur les Français les batailles
de Turin (1706) et de Malplaciuet (1709). Joseph I"
ne vit pas la fin de la guerre : il mourut en 1711,
et eut pour successeur son frère Charles VI.
Joseph II, fils de François \" de Lorraine et
de la célèbre Marie-Thérèse, reçut le titre d'em-
pereur à la mort de son père, en l;6j; mais Ma-
rie-Thérèse resta investie de l'autorité réelle, et
continua il gouverner elle-même, tant qu'elle
vécut, les Etats autrichiens. Prince éclairé, Joseph
employa les années de sa jeunesse h voyager ; il
visita les principales villes de l'Europe, entre autres
Rome et Paris, et se fit remarquer par la simpli-
cité de ses manières et l'indépendance de ses idées.
En 1780, Marie-Thérèse était morte, il prit le pou-
voir, et voulut réaliser aussitôt les réformes qu'il
méditait depuis longtemps. Son plan était d'enle-
ver au clergé et à la noblesse leurs privilèges, et
de donnera ses Etatsune administration uniforme,
en substituant partout sa propre autorité à celle
du vieux droit féodal. 11 désirait sincèrement faire
le bonheur de ses sujets et supprimer les abus :
mais, agissant en monarque absolu, sans tenir
compte des traditions nationales, il devait se
heurter îi la fois aux résistances des privilégiés et
à celles des peuples auxquels il imposait despoti-
quement ses réformes.
Dès son avènement, il abolit les dîmes, les cor-
vées et les droits seigneuriaux, diminua le pou-
voir du clergé, supprima de nombreux couvents
qu'il transforma en hôpitaux, et rendit un cditde
tolérance (1781) autorisant l'exercice dos cultes
grec et protestant. Le pape Pio VI. alarmé des
changements introduits par l'empereur dans la
discipline ecclésiastique et dans la législation sur
le mariage, se rendit à Vienne pour l'engager .^i ne
pas persister dans son entreprise do réformes ;
mais Joseph II tint bon. Il développa l'instruction
publique, créa des manufactures, encouragea le
commerce intérieur par la suppression des doua-
nes provinciales, ouvrit des routes, creusa des ca-
naux, et s'efforça par une réglementation minu-
tieuse, et parfois oppressive, d'assurer le bien-être
matériel et moral de ses sujets.
Pendant plusieurs années, il n'y eut pas de ré-
sistance ouverte i la volonté du souverain. Mais,
après les désastres de la guerre des Turcs, les
mécontentements sourds se changèrent, là en op-
position passionnée, ici en révolte. La Hongrie
demandait le retour aux usages nationaux, que
Joseph avait abolis ; elle voulait conserver la lan-
gue magyare, qu'il avait cherché à remplacer par
l'allemand. Dans le Brabant, les rancunes du clergé
s'unirent aux aspirations des patriotes qui dési-
raient secouer la domination autrichienne ; une
insurrection victorieuse éclata en 17X9. A la nou-
velle de la révolte des Pays-Bas, Joseph II, malade,
assombri, craignant de voir la Hongrie se soulever
à son tour, accorda aux Magyars leurs demandes.
Il mourut peu après (1790), désespérant de son
œuvre, que ses successeurs en effet ne devaient pas
tarder à détruire.
En 1788, Joseph II avait déclaré la guerre à la
Turquie, alorsaux prises avec la Russie; mais il n'a-
vait essuyé que des défaites, et la Hongrie fut même
envahie par les Turcs. Le maréchal Landon, tou-
tefois, arrêta l'ennemi, et prit Belgrade. La guerre
durait encore lorsque Joseph mourut, et ne se ter-
mina que par le traité de 1791.
JOl'K. — Cosmographie, II, III, IV. — Le so-
JOUR
dO'J7
JOUR
leil, la lune et tous les astres semblent tourner
autour de nous, on allant de la partie du ciel
nommée levant ou orient, où ils apparaissent, vers
!a partie opposée nommée couchant ou occident, où
ils se cachent, pour reparaître ensuite là où ils
s'étaient montrés la veille, et continuer ainsi in-
définiment la même marche. Ce mouvement
général est nommé mouvement diurne. Dans le
langage ordinaire on désigne par le nom de jour
ou de journée le temps pendant lequel le soleil
nous éclaire, depuis son lever jusiiu'ii son cou-
cher; la Jiiiil est le temps pendant lequel nous ne
le voyons plus, depuis son coucher jusqu'à son
lever. Ce mouvement diurne n'a aucune réalité;
c'est une illusion dont nous sommes le jouet,
quoique nous sachions très bien qu'elle est tout
à fait semblable à celle qui se produit pour le
voyageur entraîné à grande vitesse sur un chemin
de fer, lorsqu'il croit voir les arbres et les mai-
sons qui bordent la route fuir rapidement en sens
inverse. Le véhicule dans lequel nous sommes
assis, c'est la terri; ; elle nous emporte avec elle,
sans que nous nous en apercevions, dans la rota-
tion qu'elle accomplit sur elle-même en un jour
et une nuit. Or l'étendue de la journée est va-
riable avec les époques et les lieux; chez nous,
par exemple, elle est plus grande en été et moins
grande en hiver. Au contraire, le temps qui sé-
pare deux levers consécutifs du soleil semble tou-
jours avoir à peu près la même étendue ; aussi
fut-il tout naturellement adopté dès la plus haute
antiquité pour la mesure du temps : nous le dé-
signons par le nom deJour.Ce jour, qui comprend
la journée et la nuit, est celui dont il s'agit quand
on dit par exemple <|ue la semaine a 7 jours, que
les mois en ont 30 ou 31, etc. Mais cette notion un
peu vague ne saurait suffire; pour l'exposer ici
avec toute la clarté et la simplicité nécessaires,
nous raisonnerons comme si le mouvement diurne
était réel, suivant ainsi la voie dans laquelle les
astronomes ont marché eux-mêmes pour arriver
à la détermination exacte de cette unité de temps.
Horizon. — La surface de l'eau tranquille, prise
sur une faible étendue, peut être regardée comme
plane, quoiqu'elle ait en réalité la courbure de
la mer; elle se nomme surface horizontale : la
ligne verticale indiquée par le fil à plomb lui est
perpendiculaire. Imaginons qu'une surface plane
parallèle à celle de l'eau, c'est-à-dire perpendi-
culaire au fil à plomb, s'étende indéfiniment au-
tour d'un observateur, en passant par son œil,
dans une vaste plaine complètement découverte ;
son contour semblera une immense circonférence.
Le cercle ainsi déterminé sépare la partie du ciel
visible pour nous de celle qui reste au-dessous
cachée à nos yeux : c'est V horizon astronomique .
Le lever d'un astre est le moment ou le point
de l'horizon où il apparaît au-dessus de ce cercle
du côté de l'orient; son coucher est le moment
ou le point dans lequel il disparaît au-dessous.
Méridien, .loiir solaire. — Quoique le lever
d'un astre soit assez bien déterminé par cette
définition, les astronomes ont néanmoins trouvé
plus commode de prendre un autre point pour
reconnaître la durée du jour. Imaginons qu'une
table soit posée bien horizontalement en plein
air et qu'une tige fine, droite, comme une aiguille
à tricoter, par exemple, y soit fixée perpendi-
culairement. La surface de cette table figurera
l'horizon pour un observateur qui aurait l'œil au
niveau de cette surface.
Qu'on suive l'ombre projetée par l'aiguille dans
une journée où le soleil n'est pas voilé par les
nuages. Très longue le matin, elle diminue peu
à peu en pivotajit autour du pied de l'aiguille
jusqu'à une certaine position, à parlir de laquelle
elle grandit au contraire jusqu'au soir, en con-
tinuant à tourner en sens inverse de la direction
du soleil. Le moment où l'ombre est réduite à sa
longueur minimum est évidemment celui où le
soleil se trouve à sa plus grande hauteur dans le
ciel; il divise en deux parties égales le temps que
cet astre met pour aller de son lever à son cou-
cher; c'est le milieu du jour ou midi. La droite
marquée à ce moment sur la surface horizontale
par la direction de l'ombre est appelée méri-
die7i>ie;lcs deux points de l'horizon où aboutit
son prolongement sont, l'un le nord et l'autre le
.sud.
Supposons maintenant qu'une plaque mince,
bien plane, établie verticalement le long de la mé-
ridienne, se prolonge indéfiniment dans le ciel,
comme un cercle immense ; ce cercledivise en deux
parties l'arc décrit par le soleil de son lever à son
coucher, et le moment où cet astre le traverse
est midi. Ce cercle porte le nom de méridien.
Dans l'accomplissement do leur mouvement
diurne, c'est-à-dire dans l'espace de la journée et
de la nuit, les astres traversent deux l'ois le méri-
dien : au point le plus élevé en allant d'orient en
occident, et en un point plus bas opposé en allant
d'occident en orient : on distingue donc le pass'irje
supérieur et le passage inférieur. C'est du premier
qu'il s'agit toujours quand on dit simplement le
passage de l'astre.
On appelle jour solaire le temps qui s'écoule
entre deux passages consécutifs du soleil au mé-
ridien. Le moment du passage est le moment
même où l'ombre de l'aiguille verticale se retrouve
dans la direction de la méridienne.
Jour sidéral. — A l'aide de lunettes dont l'axe
est exactement dans la direction du méridien, les
astronomes peuvent saisir le moment précis où
un astre quelconque traverse le méridien. Or, en
mesurant, à l'aide d'une pendule construite avec
toute la précision possible, le temps qui sépare
deux passages consécutifs d'une étoile (mais non
d'une planète), ils ont reconnu que ce temps est
invariable et qu'il est le même pour toutes les
étoiles indistinctement. En raison de cette durée
constante, ils l'ont adopté pour unité dans la me-
sure du temps sous le nom de jour sidéral. Ce
jour se divise en 24 parties égales nommées
heures sidérales; l'heure en UO parties égales
nommées minutes sidérales, et la minute en (iO par-
ties égales nommées seco?ides sidérales. Elles
sont indiquées dans les observatoires par une
pendule réglée sur la marche des étoiles et nom-
mée pour cette raison pendule sidérale.
Illégalité des jours solaires. Jour solaire moije7i.
— Supposons que le soleil et une étoile passent
ensemble au méridien un certain jour. Le lende-
main, on observe que l'étoile y revient la première
et que le soleil est en retard sur elle d'environ
4 minutes sidérales. Le surlendemain le retard
est à peu près double; le jour suivant, il est
triple, etc.; de telle sorte que ce retard augmen-
tant de jour en jour, le soleil finit par se retrouver
en même temps que l'étoile au méridien. Le temps
qui s'est écoulé entre le premier passage simul-
tané des deux astres au méridien et le suivant est
précisément ce qu'on appelle année sidérale
(V. Aiinre). Cet excès du jour solaire sur le jour
sidéral provient de ce que le soleil, tout en ef-
fectuant son mouvement diurne d'orient en occi-
dent, comme tous les astres, possède un autre
mouvement propre, en vertu duquel il semble
marcher en même temps d'occident en orient, en
avançant chaciue jour dans cette direction d'un arc
d'environ un degré.
La vitesse du soleil dans ce mouvement propre
n'est pas constante ; à certaines époques de l'année
elle est plus grande, à d'autres époques, plus pe-
tite. De là vient que l'excès du jour solaire sur le
jour sidéral n'est pas constammentle même et qu'il
se trouve tantôt un peu inférieur, tantôt un peu
JOUR
1098
JOUR
supérieur ^ 4 minutes. Les jours solaires n'ont
donc pas tous la même durée.
Voyons quelle conséquence en résulte pour la
mesure du temps au moyen de nos horloges.
Qu'une bonne montre soit réglée sur le soleil à
une certaine époque, en d'autres termes qu'elle
marque midi ce jour-là et le lendemain, au moment
du passage du soleil au méridien, c'est-à-dire au
midi vrai, qui se trouve indiqué parla position de
l'ombre de l'aiguille verticale sur la méridienne ou
celle de l'ombre projetée par le style d'un cadran
solaire (V. Cadran scolaire), l'accord ne subsistera
pas longtemps. De jour en jour, le midi de la
montre avancera pendant une certaine période et
retardera pendant une autre sur le retour du
soleil au méridien, de sorte qu'on serait dans la
nécessité de déranger fréquemment les aiguilles
pour rétablir l'accord et pouvoir dire de sa mon-
tre qu'elle marche comme le soleil. C'est ce qu'on
fit pendant longtemps.
Pour éviter cet inconvénient, les astronomes ont
pris pour unité un jour dont la durée serait la
moyenne des durées différentes de tous les jours
solaires vrais de l'année : c'est ce qu'ils nomment
le jour solaire moyen. Il correspond à un soleil
imaginaire qui décrirait l'équateur céleste, d'un
mouvement uniforme et dans un temps égal à la
durée de la révolution du soleil vrai. Le passage
de ce soleil fictif au méridien est ce qu'on nomme
le midi moyen. C'est sur ce jour solaire moyen,
d'une durée constante, que sont réglées aujour-
d'Iiui toutes les horloges.
De même qu'ils peuvent calculer d'avance l'heure
précise du lever et du coucher du soleil, les astro-
nomes déterminent aussi à l'aide du calcul l'a-
vance ou le retard du midi yvoyen sur le midi
vrai pour tous les jours de l'année. Ces indica-
tions sont inscrites dans VAmmaire du bureau
des longitudes. On y trouve pour chaque jour le
temps moyeu qu'il faut faire marquer à l'horloge
au moment du midi vrai. On lit, par exemple, que
pour l'année 1880, l'horloge devait marquer midi
13 minutes 47 secondes au midi du cadran so-
laire le 1" février, et que le 1" octobre elle de-
vra, au contraire, marquer à cet instant 11 heures
49 minutes 29 secondes. Ce n'est que quatre fois
par an que le midi moyen a lieu en môme temps
que le midi vrai. Ces quatre époques varient peu
d'une année à l'autre ; elles sont actuellement :
le 1.1 avril, le 15 juin, le 31 août et le 25 dé-
cembre.
La différence entre le temps moyen et le temps
vrai est la cause d'une singularité qui étonne
beaucoup de personnes : c'est que, pendant le
mois de janvier, l'accroissement de la durée du
jour (du lever du soleil à son coucher) est beaucoup
plus sensible dans l'après-midi que dans la matinée.
En effet, pendant les mois de janvier, février et
mars, le midi moyen est en avance sur le midi
vrai ; il y a par conséquent moins de temps entre
le lever du soleil et le midi de nos horloges qu'en-
tre ce midi et le couclier de l'astre, et par suite
la seconde partie de la journée commençant h
midi est plus longue que la première.
L'avance la plus considérable du midi moyen
sur le midi vrai est de 14 minutes 28 secondes,
et elle arrive le 10 février ; le retard le plus
grand a lieu le 3 novembre et il s'élève à 16 minutes
20 secondes.
Evaluation du temps moyen. — Le jour solaire
moyen se divise aussi en 24 heures ; l'heure en
6ii minutes et la minute en CO secondes. Sa du-
rée est égale à un jour sidéral augmenté do 3 mi-
nutes 57 secondes sidérales.
Les astronomes font commencer le jour solaire
moyen à midi. Dans les usages de la vie civile, il a
son commencement à minuit, et il est divisé en deux
périodes de 13 heures chacune. Celle qui précède
midi est la période du matin ; celle qui le suit est
celle du soir.
Variations de la durée des jours et des nuits.
— Cet article serait incomplet s'il ne renfermait
pas quelques explications sur les variations qu'on
observe dans la durée du jour par opposition à
celle de la nuit. Ce phénomène si remarquable
no se produit pas partent avec le même carac-
tère.
Dans les lieux situés sur l'équateur terrestre,
le jour est constamment égal h la nuit pendant
toute l'année. Chez nous, au contraire, cette éga-
lité ne se présente que deux fois par an, vers le
21 mars et le 22 septembre ; ces époques, nommées
pour cette raison équmoxes, sont, la première, le
commencement du printemps, et l'autre, le com-
mencement de l'automne. Du 21 mars la durée
du jour va en grandissant jusqu'au 21 juin où elle
atteint son maximum ; puis elle diminue jus-
qu'au 22 décembre où elle arrive à son minimum.
Ces deux époques sont nommées solstices; la pre-
mière est le commencement de l'été et la seconde
le commencement de l'hiver.
Mais la durée maximum du jour n'est pas la
même en tous les lieux; elle est d'autant plus
grande que le lieu est plus loin de l'équateur.
Ainsi, h Paris, où la latitude est de 48° 50', le jour
au solstice d'été dure 16 heures 17 minutes ; à
Saint-Pétersbourg, où la latitude est de 59" 56', il
atteint une durée de 18 heures et demie. Au cer-
cle polaire, qui est à 23" 2ïi' du pôle, le jour b,
l'époque du solstice d'été est de 24 heures; plus
loin il est d'un mois, de deux mois, etc., jus-
qu'au pôle où il est de six mois. Ces phénomènes-
se reproduisent de la même manière dans les
pays qui sont au sud de l'équateur, mais en sens
inverse, c'est-à-dire, qu'ils ont les jours plus
courts quand nous avons les plus longs et réci-
proquement.
Cette inégalité de durée, suivant les lieux et
suivant les époques de l'année dans un môme lieu,
tient à la manière dont l'horizon du lieu coupe les
cercles parallèles décrits chaque jour par le soleil
dans son mouvement apparent autour de la terre.
C'est en résolvant ce problème que les astrono-
mes peuvent calculer d'avance les heures du cou-
cher et du lever du soleil, qu'on trouve dans les
calendriers. Nous n'entreprendrons pas de traiter
cette question, qui est en dehors du cadre élé-
mentaire dans lequel l'étude delà cosmographie doit
être ici renfermée. Cependant, nous terminerons
cet article par quelques explications qui en don-
neront peut-être une idée, et d'autant plus juste-
que nous y envisagerons les mouvements réels de
la terre, l'un sur elle-même en 2* heures et l'au-
tre autour du soleil en une année.
Représentons le soleil par une petite lampe placée-
près du centre d'une table ovale, et la terre par une
boule qui ferait le tour de la table en un an, tout
en tournant sur elle-même en 24 heures et dans le
même sens autour d'une tige passant par son
centre et figurant son axe. Le plan de la table sera
ce qu'on appelle l'écliptique. Or, l'axe de ro-
tation diurne de la ferre, au lieu d'être perpendi-
culaire, se trouve incliné sur ce i)lan. Maintenant,
qu'on tienne la boule à la main pour la faire
tourner autour de la tige oblique, on verra qu'il
n'y a jamais qu'une moitié de la boule qui est
éclairée par la lampe, et qu'en môme temps, par
le fait de l'obliquité de l'axe, la circonférence que
décrit un point de la terre se trouve coupée en
deux parties inégales par le cercle qui fait la sé-
paration entre la moitié éclairée qui a le jour et
la moitié obscure qui a la nuit. Par conséquent, la
durée du passage de ce point en face du soleil n'est
pas égale au temps qu'il met à traverser la partie
opposée. Ainsi s'explique l'inégalité de la durée
des jours et des nuits. Cette expérience ne présente
JUGEMENT
— lO'jy
JUGEMENT
as (le difficultés d'exécution ; en la répétant, on
evra avoir soin de tenir la tige de la boule in-
linée sur le plan de la table de manière à ce
u'elle fasse un angle d'environ 23° et demi avec
une droite qui serait perpendiculaire h ce plan.
La lignre suivante éclaircira ce qui pourrait
rester d'un peu obscur dans cette explication.
[G. Bovier-Lapierre.]
BBBB
S^^^H
^^^^Hh
f»^^^^^
^^^^H^Hk^^"''^^ - ^
I^^Hk
■^^^^^^^■n^n^^nBK|^> r«i > #
^^^^1
BBEjj5Mâ..^i=j,-
^^H^^^H|H^Hg'
l^^l
^^^^^^-..
1 ^H
/ J^H
L]
i^^^^^H^^^^^^^H^^^^^^^g^ ^^■^t^
J^^^^^^
^B^^^^^^H^
^^^■^^^^^■H ^^i.
'^^^^^M
l^^^^^^ï
^H^^Hi^7^
iH
Ik
Fitj. i. — La tene aux solstices; inégalité des jo
JOURNEES. — Histoire de France, XXXVIII-
i-L. — On a l'habitude de désigner par ce nom
le journées un certain nombre d'événements de
'histoire de France, dont les plus célèbres sont :
ajournée îles barricades (12 mai 1588), à la suite
le laquelle Henri III dut quitter en fugitif Paris
loulevé par les Guises; la JoW'ée des dupes
11 novembre 1G301, dans laquelle Richelieu déjoua
es intrigues de la reine mère et obtint la dis-
çràce de ses ennemis; la seconde Journée des
'larricndes (5 août lfi4S), qui fut le commencement
le la Fronde, et eut pour cause l'arrestation de
Tois conseillers au Parlement ordonnée par la
;our; \a. Journée du 14 juillet 1789 (prise de la
îastille); les Journées des à et G octobre nS9, où
es femmes de Paris, suivies de la garde natio-
lalo, se portèrent à Versailles pour en ramener
e roi; la. Journée du 10 août 171)2 (prise des Tui-
leries et renversement de la royauté) ; les Journées
ie septembre, du 2 au 5 septembre 1792 (massa-
cres dans les prisons) ; les Journées du 31 mai et
du i juin 1793 (chute des Girondins) ; la Journée
lu 9 thermidor an II (chute de Robespierre) ; les
fournées de prairial (I" et 2 prairial an III, sou-
èvement des faubourgs de Paris contre laConven-
;ion dominée par la droite) ; la Journée du 13 ven-
iémiaire lin /F (insurrection des royalistes contre
a Convention, écrasée par Barras et Bonaparte);
es Journées des iS et 19 brumaire an VIII (coup
l'Etat de Bonaparte contre la représentation na-
ionale): les Journées rfes27, 28 et i:) juillet 1830
révolution Ji Paris provoquée par les ordonnances
le Charles X) ; les Journées de février 1848 (révo-
ution des 23 et 24 février, qui renversa le trône
le Louis-Philippe).
.HT.EMEM". — Psychologie, V. — Juger, dit
Aristotp, c'est affirmer une chose d'une autre
:hose. Le jugement est essentiellement l'opération
le l'esprit qui consiste à affirmer un sujet d'un
attribut. « Le feu est chaud, la terre est ronde,
l'homme est un animal raisonnable. Dieu est bon, «
sont des jugements.
Exprimé par le langage, le jugement s'appelle
proposition. Toute proposition a en effet trois ter-
mes: le sujet et Vattrilmt, mis en rapport par le
verbe.
On sait que l'analyse grammaticale retrouve
aisément ces trois termes dans les propositions"
mêmes qui ne sont formées que de deux mots.
«J'aime » est pour : oje suis aimant » ; «j'existe » ou
uje suis ".pour «je suis existant», etc. Et ainsi l'ex-
pression du rapport qui unit le sujet et l'attribut est
universellement le verbe être, à des personnes et i
des temps différents. Ces remarques élémentaires
jettent un grand jour sur la théorie philosophique
du jugement. On s'est demandési le jugement est
toujours le résultat d'une comparaison entre deux
termes antérieurement et isolément connus. C'est
la doctrine des anciens logiciens et du grand psy-
chologue anglais, Locke. On objecte qu'il y a des
jugements, dits primitifs, où cotte comparaison
n'existe pas. Soit, par exemple, cette proposition :
« Je suis. » Peut-on raisonnablement soutenir que
l'esprit ait d'abord conçu l'existence abstraite
possible, puis un moi également abstrait et possi-
ble, et qu'il ait ensuite réuni ces deux termes,
aperçu leur convenance, pour affirmer l'existence
réelle et concrète du moi? Il est clair que le con-
cret est connu avant l'abstrait, que je perçois ition
existence avant de concevoir l'existence en géné-
ral, que colle-ci ne m'est donnée que par celle-li:
qu'ainsi le jugement: «Jesuisnestantérieuràtouti^
comparaison des termes que l'analyse y découvre,
qu'il est l'intuition directe, immédiate, irréducti-
ble, d'une réalité où le sujet et l'attribut se con-
fondent absolument.
Telle est, en résumé, la critique adressée par
V. Cousin Ma théorie de Locke. Elle est incontes-
JUGEMENT
— 1100
JUGEMENT
tablement fondée sur un point : l'esprit ne débute
pas par des abstractions. Je connais mon existence
avant de connaître l'existence en général, cela est
hors de doute. Mais il ne s'ensuit pas que le ju-
gement: Cl Je suis u ne soit que la simple appréhen-
sion de l'existence telle qu'elle est impliquée dans
la première et la plus obscure manifestation de
la conscience. A ce compte, dit très bien M. Janet,
il faudrait dire que Ihuitre juge, car on doit lui
supposer quelque sentiment d'elle-même. Or, il
n'y a jugement que quand il y a réflexion, et la
réflexion implique déjà quelque distinction entre
le sujet et l'attribut, et la connaissance, au moins
confuse, de celui-ci à titre de caractère général
pouvant convenir à d'autres choses encore qu'au
sujet dont on l'affirme. Quand je dis: «Je suis», je
n'exprime pas seulement le vague sentiment que
tout animal doit avoir de son existence ; je fais
plus : je me distingue des autres êtres, et je cir-
conscris en quelque sorte ma part d'existence
dans le sein de l'existence générale. Kn d'autres
termes, je me saisis et m'affirme comme une per-
sonne dont l'existence se pose on face et indépen-
damment de toute autre existence connue ou con-
cevable. Donc le jugement : « Je suis, » implique
véritablement la notion de l'être en général ; donc
il implique, au moins logiquement, la distinction
des trois termes, ye suis étant, l'attribut possédant
ce caractère de généralité que ne saurait avoir le
sujet je qui est individuel. On doit conclure de
Ik que le jugement n'appartient pas à l'animal, car
il suppose l'abstraction et la généralisation, qui sont
des opérations propres i l'entendement humain.
On doit en conclure aussi, contre les sensualistes,
que le jugement se distingue profondément de la
sensation. "Jugeret sentir, dit Rousseau, cité par
M. Henri Joly, ne sont pas la même chose. Par la
sensation, les objets s'otïrent à moi séparés, isolés,
tels qu'ils sont dans la nature ; par la comparaison,
je les remue, je les transporte, pour ainsi dire, je
les pose l'un sur l'autre pour prononcer sur leur
difl'érence ou sur leur similitude, et généralement
sur leurs rapports... La faculté distinctive de l'être
actif et intelligent est de pouvoir donner un sens
à ce mot est. Je cherche en vain dans l'être pure-
ment sensiiif cette force intelligente qui superpose
et puis qui prononce ; je ne saurais la voir dans sa
•nature. Cet être passif sentira chaque objet sépa-
rément, même il sentira l'objet total forme des
deux; mais, n'ayant aucune force pour les replier
l'un sur l'autre, il ne les comparera jamais, il ne les
jugera point. »
C'est uniquement dans le jugement que résident
la vérité et l'erreur. La pure sensation est infail-
lible, car elle ne contient aucune affirmation expli-
cite. Le jugement est vrai ou faux, selon qu'il
exprime entre l'attribut et le sujet un rapport qui
correspond ou ne correspond pas à la réalité des
choses. Il est des cas où le rapport est tellement
évident, que le jugument se prononce pour ainsi
dire de lui-même ; la réflexion n'est pas sans doute
absente, mais elle se borne à concevoir exactement
les termes et Ji les mettre en face l'un de l'autre :
leur convenance ou leur disconvenance se mani-
feste immédiatement. Plus souvent, une réflexion
prolongée est nécessaire ; et comme la réflexion
implique la volonté, le jugement est alors, au
moins partiellement, un acte volontaire et libre.
Aussi Descartes a-t-il eu raison de dire que là où
il n'y a pas évidence, il est toujours possible de
suspendre son jugement, et, par suite, d'éviter
l'erreur. Eu ce sens, l'erreur est volontaire, et l'on
est toujours plus ou moins responsable de s'être
trompé.
Dans le langage ordinaire, le mot juiiement
n'est pas pris dans une acception essentiellement
difl'érente de celle que lui donne le langage jibilo-
sophique. On dit d'un homme qu'il a du juge-
ment pour dire qu'il perçoit naturellement, entre
les choses, les rapports vrais qui les unissent; en
d'autres termes, qu'il distingue exactement, et par
une sorte d'heureuse disposition, le vrai du faux.
Seulement, ainsi quelefaitobserverM. Janet, « dans
le sens ordinaire, on réserve le mot jiigcmeiit pour
les cas importants, rares et difficiles : on ne dira
pas que l'homme montre du jugement en disant
que la neige est blanche : on le réserve pour les
cas où il faut du discernement et de la pénétra-
tion. » Mais toujours il s'agit d'arriver à formuler ,
une proposition qui n'est, en définitive, que l'expres-
sion d'un rapport entre deux termes.
La faculté de juger est commune à tous les
hommes, et nous avons même remarqué qu'elle
est caractéristique de notre espèce. On peut môme
avancer qu'elle est dans son essence identique îi
l'intelligence même (V. hite/ligcnc"). Mais tous les
hommes ne jugent pas également bien, et les au-
teurs de la logique de Port-Royal vont jusqu'à dire
H qu'on ne rencontre partout que des esprits faux. i>
Avoir l'esprit faux, c'est méconnaître les rapporta
vrais entre les choses, ou en supposer de chimé-
riques. Il est clair que la fausseté d'esprit ne
saurait exister (au moins à l'état normal) pour les
jugements où le rapport est manifeste ; nul
homme raisonnable n'affirmera que deux et deux
font cinq. L'esprit faux ne se trompe que sur les
rapports un peu cachés ou éloignés. Les rapports
les plus superficiels lui paraissent essentiels; il
prendra une simple coïncidence, une succession
fortuite pour une liaison constante et nécessaire de
cause à cfl'et. Mais la fausseté d'esprit n'est jamais
incurable, car elle est toujours l'effet de la précipi-
tation et de la prévention. Le remode est contenu
dans ce précepte de Descartes, que nous rappelions
tout à l'heure : suspendre son jugement. Ajoutons
que cette suspension ne doit pas être indéfinie ni
conduire au scepticisme ; il faut seulement sus-
pendre son jugement jusqu'à ce que, par une obser-
vation plus scrupuleuse, une réflexion plus péné-
trante, le rapport vrai se dégage et apparaisse en
pleine lumière. Rien de plus utile, par conséquent,
que de mettre les jeunes esprits en garde contre
les affirmations hâtives, résultat ordinaire de l'i-
gnorance ; il sera même bon de leur apprendre à
douter en leur présentant sur une même question
plusieurs solutions également plausibles en appa-
rence, ou en les amenant, par une série de ques-
tions appropriées, à une solution précisément con-
traire à celle qu'ils avaient d'abord avancée. C'é-
tait la méthode de Socrate, méthode excellente,
pourvu qu'elle n'aboutisse pas à l'indilîérence et
qu'elle ne soit en quelque sorte que le point de
départ d'investigations plus profondes.
On a proposé plusieurs classifications des juge-
ments, en se plaçant à difl'érents points de vue.
.\ucune n'est encore universellement adoptée à
l'exclusion des autres; nous nous contenterons
donc d'indiquer brièvement les divisions les plus
fréquemment employées.
1. }ai;ementi affiimatifs et jugements ;ie?a?(/s,
selon qu'on affirme ou qu'on nie l'attribut du su-
jet : •< Dieu est bon ; la terre n'est pas carrée. »
Mais en réalité tout jugement est une affirmation,
car si je dis : '• la terre n'est pas carrée », j'affirme
que l'attribut carré ne convient pas au sujet
terre. .
1. Jugements analytiques et jugements sijntne-
tiques Les premiers' sont ceux dans lesquels l'at-
tribut ne fait que développer l'idée exprimée par
le sujet; exemple : « l'homme est un anmial raison-
nable;» l'idée d'animal raisonnable est implicite-
ment contenue dans l'idée d'homme. Dans les ju-
gements synthétiques, l'attribut ajoute quelque,
chose à l'idée du sujet: «l'air est composé d'oxygène;
et d'azote. "Je puis avoir l'idée de l'air, sans sa-;
I voir quels sont les gaz qui le composent.
JUIFS
— MOI —
JUIFS
;!. Jugements ù piioi-i et jugements à posteriori.
Los jugements à priori sont ceux dans lesijuels le
r^ipporl entra les deux termes est affirmé antériou-
i-emcnt il toute expérience, comme : " tout coi'ps
est dans l'espace. » Ils sont enroro nécesnairfs, c'est-
à-iiii-e qu'ils expriment une vérité dont le contraire
est impossible. Nécessaires, ils sont par consé-
quent universels et absolus, et constituent ce qu'on
appelle des vérités premières (V. Idées], Les
jugements à posteriori sont ceux où le rapport
n'est donné que par l'expérience ; ils sont aussi
contingents et relatifs.
4. Jugements f/i>iiéraui, jugements particuliers,
jugements individuels. Les jugements généraux
sont ceux par lesquels on affirme un attribut de
toute une classe d'êtres : « tous les corps sont pe-
sants. i> Les jugements particuliers sont ceux
où l'attribut n'est affirmé que d'un nombre plus
ou moins grand d'individus d'une classe : « quelques
liommcs sont ambitieux. » Enfiji les jugements in-
dividuels ne s'appliquent qu'à un seul être déter-
miné : « Shakespeare est le plus grand poète dra-
matique de l'Angleterre. »
h. Jugements classés d'après leurs objets : — ju-
gements portant sur des réalités ou des faits : ce
sont les jugements à' expéi'ience ou de perception
(comprenant eux-mêmes les jugements des sens
et ceux de la conscience) ; — jugements portant
sur des idées premières et sur des vérités abso-
lues: ce sont les jugements rationnels ou princi-
pes de la raison pure ; — jugements portant sur
des notions abstraites ou idées conçues par l'es-
prit, mais sans réalité correspondante : ce sont les
jugements de conception (qui comprennent les
produits de l'abstraction et de la généralisation,
de la mémoire, de l'imagination, de l'association
des idées) ; — enfin jugements portant sur le rap-
port logique de plusieurs idées ou de plusieurs
jugements: ce sont les ruisonnemeiits (raisonne-
ment par déduction, raisonnement par induction).
V. Intelligence. ["L. Carrau.]
Jl'lFS. — Histoire générale, XVI-XXVI. — l. Les
JtIFS sous LES EMPEREURS ET LES BARBARES JUSQU'A
l'invasion des ARABES en ESPAGNE (135-711). — Api'ès
la chute de la Judée (V. Israélites), les Juifs ne son-
gent plus qu'à la conservation de leurs doctrines;
leurs écoles florissent en Palestine et en Babylo-
nie, sous la direction des Tunaïm (rabbins déposi-
taires de la tradition). Leurs affaires civiles sont
présidées en lalestine par un Nassi (prince) et
en Babylonie par un Hesch-Caloutha (chef de
l'exil). Le plus célèbre de tous, Juda le Saint, petit-
tils de Gamaliel, descendant d'Hillel, est, vers 220,
le chef de l'école de Tibériade et le prince des
Juifs; il écrit la Mischna (recueil des traditions
orales). Cet ouvrage reçoit plus tard dans les
deux pays un complément (Guenuira) qui con-
tient les discussions des rabbins ; l'ensemble, qui
porte le nom de Talmud (étude), n'est achevé que
vers la fin du cinquième siècle. Oans cet intervalle,
d'autres travaux importants sont accomplis, par
exemple, la fixation du calendrier juif par le calcul,
et des traductions chaldéennes du Pentateuque où
dominent des idées spiritualistes. Le Talmud,
dont le but est d'assurer l'unité du judaïsme,
contient de nombreuses décisions casuistiques très
minutieuses ; il porte la trace des superstitions du
temps et des souffrances cruelles des Juifs; mais
il reste fidèle à la morale du Pentateuque et main-
tient la liberté de penser.
Dès que les Juifs eurent renoncé à toute velléité
de révolte, les Romains les laissèrent travailler en
paix ; ils reconnurent leurs chefs et parfois les entou-
rèrent de considération ; ils leur permirent de fon-
der librement des communautés dans tout l'Em-
pire et même d'exercer un certain prosélytisme ;
ils leur ouvrent l'accès des charges et leur accor-
dent le titre de citoyen romain. Constantin met
sans doute quelques restrictions à ces avantages ;
mais Julien, au contraire, va jusqu'à vouloir rebâtir
lo temple de Jérusalem.
Pendantles deux premiers siècles, il n'éclate pas
de graves dissentiments entre les chrétiens et les
Juifs, réunis dans une destinée commune; mais, à
partirda Concile de Nicée, qui fixe le dogme catho-
lique (325), la division s'accentue et les deux com-
munions entrent en lutte. En Espagne, des col-
loques théologiques ont lieu (311), et les prêtres se
plaignent de ce que leurs ouailles font bénir les
moissons par les rabbins. Valens, Maxime et Théo-
dose le Grand interviennent pour empêcher les
évoques do faire démolir les synagogues; saint
Ambroise s'oppose àces mesures de protection (395),
et Honorius exclut les Juifs des fonetions publiques
(399). Dans Alexandrie, partagée entre les catholi-
ques orthodoxes, les ariens, les Juifs et les païens, les
excitations du fougueux évoque Cyrille soulèvent
chaque jour des luttes armées, et les églises, les
synagogues et les temples sont tour à tour pillés
et brûlés (419). AMinorque,une communauté juive
entière est violemment convertie au christianisme
après un assaut donné à la synagogue sous la con-
duite de l'évoque. Tous les chrétiens ne tombent
pourtant pas partout en d'aussi tristes excès. Saint
Hilaire, évêque d'Arles, vers 430, Sidoine Apolli-
naire, de Clermont, vers .472, et les princes goths
d'Italie et du midi de la Gaule, prennent le parti
des Juifs, qui reconnaissent ces bienfaits; ils contri-
buent à la défense d'Arles attaquée par Clo-
vis (508), et à celle de Naples contre Bélisaire
(537).
Justinien fait passer l'intolérance dans les lois ;
irrité peut-être du concours que les Juifs de Perse
avaient offert contre lui à leur roi Cliosroès, il res-
treint leur aptitude à posséder et à recevoir des
héritages, et leur interdit la lecture de la Bible en
hébreu et de la Mischna (537). Les conciles les
excluent de l'état militaire et de la magistrature;
Avitus, évêque de Clermont-Ferrand, les oblige à
opter entre le baptême et l'exil (579), et ceux qui
fuient dans le Midi sont soumis aux mêmes vio-
lences parlesévêques d'Arles et de Marseille (587).
Le pape Grégoire !«' le Grand intervient en leur
faveur; il veut qu'on leur laisse pratiquer libre-
ment leur culte et qu'on ne les amène au
christianisme que par la persuasion et la cha-
rité.
Ni le clergé, ni les rois ne s'inspirent de cette
mansuétude; à Paris, où se trouve déjà en 582 une
synagogue, un concile tenu à l'avènement de
Clotaire II déclare les Juifs impropres à tout em-
ploi public; Dagobert renouvelle ces exclusions et
décrète le baptême forcé. Les princes visigoths
d'Espagne et la plupart des conciles de Tolède vont
jusqu'au comble de l'intolérance ; malgré les ser-
vices des Juifs qui participaient vaillamment à la
garde des fameux défilés des Pyrénées, le bannis-
sement est prononcé contre tous ceux qui refusent
d'apostasier. Un évoque, saint Isidore de Séville,
fait dominer momentanément les idées de Grégoire
le Grand et cherche, mais sans succès, à con-
vertir les Juifs par la discussion pacifique, vers
630. Mais les conciles et les rois continuent à
prendre des mesures où se montre nar avance
l'esprit de l'Inquisition. Une surveillance domesti-
que est organisée ; les enfants sont enlevés et mis
au couvent; la bastonnade, la confiscation, l'exil
frappent les récalcitrants, les lettres de no-
blesse sont accordées en récompense à l'apo-
stasie.
Il était impossible que les Juifs, traités ainsi, ne
se tournassent pas vers l'Orient qui allait leur
offrir des libérateurs. Depuis quatre siècles déjà,
ils étaient en contact dans l'Yémen avec les Arabes,
et ils avaient converti au mosaïsme un de leurs
princes, Tobla, et quelques-unes de leurs tribus. Ils
JUIFS
— 1102 —
JUIFS
s'étaient, non sans combat, soumis à Mahomet, et h
Jérusalem, à Alexandrie et en Perse, ils avaient
reçu Omar à bras ouverts . Après les rapides vic-
toires des califes, les Juifs étaient devenus les
compagnons d'études des Arabes et avaient vu Ali
lionorer leurs chefs et leurs savants. Ils ne pou-
vaient donc en Espagne rester fidèles aux princes
ingrats qui les persécutaient. Dès que ïarik eut
passé le détroit, ils se donnèrent ouvertement h lui,
et, commandés par un des leurs, Kaula-al-Vehudi,
ils prirent part à la bataille de Xérès, qui eut pour
résultat l'établissement de la monarchie arabe dans
la péninsule ibérique (711).
II. Royaumes musulmans et chrétiens jusqu'aux
CROISADES (71i-10!l5). — Les écoles juives d'Orient
avaient pris sous les khalifes un nouvel essor; di-
rigées par des chefs spirituels qui portent le
nom de Gaon (liscellonce), elles accomplissent une
œuvre importante, la Massore (critique tradition-
nelle), qui fixait non seulement la prononciation du
texte, mais encore le nombre des versets et même
des lettres de la Bible; ces précautions étaient né-
cessaires à cause des discussions dont l'Ecriture
sainte était alors l'objet. Un prétendu Messie,
Sérène, suscité par les persécutions du calife
Omar II, rejetait le Talmud (720,, et une secte,
celle des Karaiies (textuaires), vers 750, voulait, en
s'appuyant sur le texte du Pentateuque comme
autrefois les Sadducéens, répudier toute interpré-
tation biblique et par suite tout progrès. Sous
Haroun-al-I\ascUid, les Juifs continuent leurs
travaux et jouissent d'une certaine autonomie.
Sous les rois français de la deuxième race, leur
situation est presque aussi favorable. Charlcmagne
institue un mailre des Juifs qui veille à leurs in-
térêts; Louis le Débonnaire et Charles le Chauve
facilitent leur commerce et obligent certains évê-
ques fanatiques i les laisser en paix ; mais, après
la mort de ces princes, les conciles de Meaux et de
Paris organisent des prédications pour les con-
vertir. Les Juifs émigrent alors vers le Midi où,
Sràce au voisinage des Arabes, il régnait une cer-
taine tolérance. Abd-el-Rahman III (Abdérame),
khalife de Cordoue, de la race des Omeyades (J4ô),
prince instruit et juste, avait pour médecin et
pour ministre un Juif, Chasdai-Ibn-Schaprout,
qui faisait fleurir à la cour de son maître et chez
ses coreligionnaires les sciences et la littérature.
Cliasdai se mit en rapport avec le royaume juif des
Khazares, en Tartarie. près de la mer Caspienne,
et obtint de leur roi, Joseph, fils d'Aaron. de cu-
rieux détails sur leur histoire et leur situation. Il
paraît que, vers 760, un des ancêtres de Joseph,
Eoulan, pressé par les chrétiens et les musul
mans d'abandonner le paganisme, s'éiaît décidé à
adopter le mosaisme. Son royaume avait alors
30 milles d'étendue et se trouvait en lutte contre
les Russes, sous les atteintes desquels il succomba
peu de temps après. C'est grâce à Cliasdai aussi qu'il
se fonda à Cordoue une école talmudique impor-
tante, qui devint bientôt elle-même un centre de
science et de littérature.
Les penseurs juifs de tout genre abondent à
cette époque. En Babylonie, le Gaon Saadya, vers
930, écrit une œuvre théologique, le Livre des
croyances et des opinions, où l'autorité de la raison
est reconnue à côté de ci-lle de l'Ecriture. En Italie
se fonde l'école de médecine de Salerne, dont les
premiers professeurs sont des Arabes et des Juifs.
En Espagne, plusieurs Juifs distingués sont ap-
pelés au visirat et rendent aux lettres de grands
services. Le ïalmud est traduit en arabe, les
études grammaticales sont approfondies; Gabirol,
poète sublime, connudansle mondechrétiensousle
nom d'Avicebron, est l'auieur d'une œuvre phîloso
phique, la Source de la vie, vers lOôO. En France,
le célèbre Raschi compose sur la Bible et le Tahnud
des commentaires considérables qui témoignent
d'autant d'érudition que d'intelligence vraie des
textes. A Worms, le rabbin Gerson, nommé la lu-
iniéi-e de l'exil, préside un synode qui proscrit la
polygamie. En général, les Juifs sont protégés;
Philippe 1" de France, Guillaume II d'Angle-
terre, Renaud, comte de Sens, le pape Alexandre II,
don Pedro d'.\ragon, ainsi que le clergé espagnol,
résistent aux excès que les populations veulent
commettre contre eux.
III. Horribles misères et travau.x intellectuels
DES JUIFS PENDANT LES CROISADES (1095-1300). —
Tout à coup, le fanatisme se réveilla avec fureur
en Orient et en Europe; le féroce khalife Hakem,
sorte de Caligula mahométan, persécutait cruelle-
ment les chrétiens et les Juifs de son empire, et,
par ses ordres, au Caire, l'ÎOûn Juifs avaient été
massacrés. Le bruit ne s'en répandit pas moins
en Occident que c'était par leur conseil qu'il avait
détruit le Saint-Sépulcre. La guerre sainte est
proclamée; d'immenses multitudes s'ébranlent en
désordre et commencent par tuer les Juifs, pre-
miers infidèles qu'elles rencontrent. Les évoques ne
réussissent pas à les sauver même dans leurs palais.
Les femmes se jettent dans les fleuves, les pères
égorgent eu.x-mêmes leurs enfants et se tuent après
pour échapper aux Croisés. A Jérusalem, après la
victoire, tous les Juifs sont réunis dans la syna-
gogue et égorgés, comme les Musulmans dans les
mosquées. Malgré saint Bernard, Frédéric Barbe-
rousse et l'empereur Henri VI, les Juifs subis-
sent partout la haine populaire. Philippe-Auguste
et Jean d'.ingleterre les frappent de décrets de
confiscation et d'exil; à Paris seulement, 42 fa-
briques leur sont enlevées et données à des chré-
tiens.
Le midi de l'Europe est plus clément pour les
malheureux persécutés ; Innocent III, si terrible
aux Albigeois, et son successeur Honorius, défen-
dent de les contraindre au baptême. Les comtes de
Toulouse, « les bons ducs u, comme les appelaient
les troubadours, leur accordent tous les droits et
toutes les libertés; ils sont en rapports étroits avec
leurs coreligionnaires d'Espagne, qui continuent,
sous les rois chrétiens et les khalifes, à se distinguer
dans les sciences et la littérature. Juda Halevy
(1080-1146) est poète à la fois en hébreu et en cas-
tillan, médecin et théologien; son œuvre capitale
est le Khozan, où il raconte la conversion du roi
des Khazares et expose les doctiines fondamen-
tales du judaïsme. Abraham Ibn-Ezra de Tolède
(mort en 1168) est poète, philosophe, exégèle sur-
tout ; la hardiesse de ses interprétations est
remarquable. Ibn-Daoud écrit un ouvrage, la
Foi suljlime, dans le but de concilier la religion
et la pliilosophie. Benjamin de Tudèle, en Ara-
gon, savant et courageux voyageur, parcourt en
pleines croisades presque toute l'Europe, une
partie de IWsie et de l'Afrique, et donne sur les
Juifs qu'il visite unecurieuse relation (1105 à 1173).
Le fanatisme venait d'éclater au sein de l'Es-
pagne arabe elle-même. L'n sectaire cruel, Ab-
dalla-Ibn-Tumart, venu d'.\frique, avait fondé la
dynastie des Almohades, qui ne soufl'rait aucune
dissidence religieuse ; les écoles de Séville, de Cor-
doue et de Lucena sont détruites ; chrétiens et
Juifs sont envoyés au supplice, s'ils n'embrassent
pas l'islamisme. Quelques Juifs s'enfuient dans les
royaumes voisins et en Italie à la cour de l'empe-
reur Frédéric II, où ils trouvent une certaine
faveur. Parmi ceux qui se convertissent en ap-
parence, se trouvent Maimon et son jeune fils
Moïse surnommé Maimonides. qui fut un dos plus
grands penseurs du moyen âge (1135 à I2ii4); à
23 ans, il écrit un commentaire sur la Mischna;
devenu le médecin du sultan Saladin, il com-
pose un abrégé systématique du Talmud, un
grand nombre d'ouvrages de médecine et de théo-
logie, et, enfin, un traité d'interprétation philo-
JUIFS
— H03
lUIPS
sopliique do la liiblc iiitiluliS lo Guide (<•?»■ ér/ar/s.
Le siècle ii'ùuiit pourtant pas propice aux
travaux de la pensée ; partout le sang des Juifs
coulait à Ilots. Un grand nombre avaient péri dans la
guerre des Albigeois avec les autres victimes de la
croisade. A Bordeaux, à Angoulôrae, h Saintes, et
l'oitiers (r.';!G), il Meckicmbourg, à, Breslau (IÏ20),
i Francfort cl Mayence (I24U), des massacres ont
lieu sous prétexte d'hosties profanées. Saint Louis
l'ait brûler le Talmud, décrète l'exil et la confis-
cation contre les Juifs, en n'exceptant de ces
mesures que ceux qui pratiquent des métiers
(1244). Le synode do Vienne ressuscite les ancien-
nes proscriptions (l'267): c'est en vain que les Juifs
■d'Allemagne essaient d'échapper à de tels tour-
ments et veulent, sous la conduite d'un illustre
rabbin, Meir de Rottenibourg, se diriger du côté
de l'Orient; l'empereur Rodolphe, qui pourtant
ne les persécutait pas, les fait ramener dans leurs
foyers (1280).
Quelques souverains furent plus cléments h
cette époque troublée. Au début du siècle, Pem-
broke, régent d'Angleterre, avait révoqué les
édits hostiles aux Juifs (12 1 G), édits qui furent
remis en vigueur après sa mort. Grégoire IX et le
concile de Tours (12.3CI, InnocentIV(lj247) les pro-
tègent, condamnent les baptêmes forcés et les accu-
sations calomnieuses élevées contre;eux. Philippe III
de France se contente de les pressurer: Boleslas V
les soutient ou Pologne; Edouard 1»'" d'Angleterre,
meilleur que son père Henri III, défend qu'on les
maltraite en Gascogne; Philippe le Bel lui-même,
mais dans des internions intéressées, prend souci
de leur liberté et allège les impôts qui pèsent
sur eux (1288). Aussi, le mouvement littéraire et
scientifique continue-t-il chez les Juifs pendant ces
intervalles moins tourmentés. L'étude du Talmud
se développe principalement au nord de la France
et en Allemagne ; celle de la philosopliie, dans la
Provence et en Espagne. Les écoles, fort nom-
breuses, discutent avec ardeur l'oeuvre de Maimo-
uides. Accueilli avec enthousiasme par les ujis,
taxé d'iiérésie et brùlé par les autres, le Guide
des égarés, traduit de l'arabe en hébreu pendant
la vie même de l'autour, finit par triompher de
toute opposition. L'exégèse et la morale, d'une
part, et d'autre part les doctrines mystiques de la
Kabale, qui remontent aux Esséniens et à l'école
d'Alexandrie, et ne sont pas sans rapports avec le
christianisme, ont de nombreux adeptes. Aussi un
synode rabbinique interdit-il l'étude de la phi-
losophie avant l'âge de 25 ans. Les colloques se
multiplient également entre les prêtres et les
rabbins ; le roi Jacques P' d'Aragon les provoque
(1236); saint Louis les permet en 1240 et 1241,
mais il interdit bientôt 'i il quiconque n'est pas
bon clerc de disputer aux Juifs. » Les Juifs ne né-
gligent pas les autres sciences; leurs mathémati-
ciens sont l'objet des faveurs d'Alphonse X d'Es-
pagne ; ils dressent les tables astronomiques qui
portent le nom de ce prince ; le concours de
leurs médecins, qui se distiiiguont en grand nom-
bre, est réclamé par les chrétiens eux-mêmes en
dépit des conciles de Béziers (1246) et d'Alby
(I2.'>5). '
IV. PUEMU'OIIES AJIÉLIORATIO.NSIJA.N'S l'État DESjoll'S
Ji sgu'A l'exji. d'Esi'agne (13UII-I ii>2). — Le .xiv" siè-
cle commence mal pour les Juifs. Philippe le Bel
les chasse de France pour prendre leurs biens ;
Louis X les rappelle pour les rançonner ; les Pas-
toureaux les massacrent; et sur la recommanda-
tion du pape Jean XXll, désireux de les convertir,
Philippe V lo Long les sauve, mais en leur pre-
nant 47000 livres (1321). Les tueries continuent en
Navarre malgré le roi Charles le Bel, et, malgré le
pape Clément VI et l'empereur Louis V, s'étendent
en Allemagne (i:M8). La peste avait éclaté; pour la
conjurer, le peuple malheureux, ignorant et saisi
d'une sorte de folie, se tlagolli; lui-mèmo et tombe
sur les Juifs qu'il accuse d'avoir empoisonné les
fontaines. 11 se passe partout d'épouvantables
scènes ; ici des Juifs sont mis dans des tonneaux
et jetés dans le Uhin; lii, on en roue et on en
décapite un grand nombre ; ailleurs, on les brûle par
milliers; dans quelques villes, notamment ii Paris,
ils n'obtiennent la vie qu'il prix d'or.
Pendant cetli^ horrible explosion, la Pologne,
sous Casimir le Grand, inspiré par une autre
Esther (1333), et les rois d'Espagne qui ont
besoin d'eux pour la lutte contre les Maures,
leur accordent une grands influence. Jean le Bon,
Charles V le Sage, Charles VI de France et
l'Iiilippe le Hardi, duc de Bourgogne, leur as-
surent, moyennant do fortes redevances, un peu
de sécurité. On leur fait porter un signe distinctif
et on leur assigne des quartiers spéciaux, afin de
les protéger plus facilement ; mais on leur permet
de devenir médecins ii la condition do fréquenter
les universités de l'État. Les savants juifs con-
tinuent à jouir en Provence d'une réelle fa-
veur ; à Luuel, la famille des Tibbon traduit en
hébreu les ouvrages arabes et les fait connaître
ainsi aux savants chrétiens ; à Bagnols, Levi-
ben-Gerson, maître Léon, cultive l'exégèse avec
hardiesse, et il peut nier le dogme de la création
ex nikilo sans être, de la part de ses coreligion-
naires, l'objet d'aucun anathème (1360) ; ii Alger
enfin fleurit une grande école, dans laquelle on
enseigne les sciences profanes avec la théologie.
Pendant les désordres qui avaient suivi la] folie
de Charles VI, un édit avait expulsé les Juifs de
France; Charles VII les rappelle, et la situation con-
tinue il s'améliorer partout pour eux. Le pape
Martin V interdit de les forcer au baptême, leur
permet la célébration de leur culte et engage les
souverains aies traiter avec humanité (1419). Cette
voix tolérante ost entendue; dans le Dauphiné et le
Comtat d'Avignon, les autorités protègent les Juifs
contre le peuple (1436), et en Castille le roi Jean II
les défend contre le pape Eugène IV, oublieux des
traditions de son prédécesseur. Sixte IV est plus
clément ; les persécutions venaient de recommen-
cer en Allemagne, en Bohême et en Pologne; le
bruit s'était répandu que des enfants chrétiens
avaient été assassinés; les Juifs sont aussitôt tor-
turés et brûlés ; le magnanime pontife refuse avec
sévérité d'accueillir ces calomnies odieuses (1475).
En Orient, la situation était meilleure encore ;
Mahomet II, après la prise de Constantinople
(1453), avait appelé le grand-rabbin dans son
conseil suprême avec les chefs des autres cultes ;
et les Juifs fournissaient aux sultans de savants
médecins et d'habiles diplomates.
L'Espagne et le Portugal, où les Juifs occupaient
aussi de hautes positions, étaient loin de cette tolé-
rance. Depuis longtemps le clergé, chez lequel
s'était réveillé l'esprit des anciens Visigoths, s'ir-
ritait de voir les Juifs persister dans leurs croyan-
ces, pratiquer ouvertement leur culte et occuper
les emplois civils ii l'égal des chrétiens. Les repré-
sentations qui avaient été faites aux princes étaient
restées sans résultat comme les tentatives de pro-
sélytisme. L'Inquisition fut établie malgré la no-
blesse, et les persécutions commencèrent (1478).
Isaac Abravanel, grand hébraîsant et politique
habile, qui avait été ministre d'Alphonse V de
Portugal, était alors chargé des finances de Fer-
dinand et d'Isabelle; son crédit ne put améliorer
la situation qui devenait chaque jour plus péril-
leuse. La chute de Grenade, dernier boulevard des
Maures en Espagne (1492), amena la catastrophe.
Sous l'inspiration de Torquemada, grand-inquisi-
teur, Isabelle et Ferdinand décrétèrent contre les
Juifs l'exil ou le baptême. Un certain nombre crut
pouvoir, à l'exemple du passé, trouver la sécurité
sous les apparences du christianisme ; traites avec
JUIFS
— 1104 —
JUIFS
mépris par le peuple, qui les appelait Marranos
(maudits), ils devinrent pour la plupart la proie de
l'Inquisition. Mais environ 600 000 Juifs, fidèles à
leur foi, partirent dans le plus affreux déiiùnient.
Les uns furent réduits en servitude, ou périrent
par la traliison de ceux à qui ils s'étaient confiés.
Les autres, après d'iiorribles soufl'rances, purent se
réfugier dans le midi de la France, en Afrique, en
Italie, en Turquie et dans les Pays-Bas. Le fana-
tisme avait étouffe cliez Ferdinand et Isabelle le sen-
timent même de leurs véritables intérêts; l'expul-
sion des IVlaures et des Juifs eut pour l'Espagne
des conséquences plus fatales encore que, deux
siècles plus tard, en France, l'exil des protestants ;
ce pays cessa d'être un centre de science, d'indus-
trie et de commerce. Depuis le commencement du
XV' siècle, des penseurs remarquables, philosophes
et littérateurs s'y étaient montrés, ainsi qu'en Italie,
où les papes accueillent les savantsjuifs. En Alle-
magne, ce sont toujours les études talmudiques
qui prédominent ; l'illustre Reuclilin, qui avait eu
un Juif pour maître d'hébreu, y gagna, devant
l'empereur Maximilien, la cause du Talniud qu'un
Juif apostat voulait faire briiler (lôlO). Peu après,
le Talmud était imprimé à Anvers, ainsi que l'Ecri-
ture sainte et ses grands commentateurs, et se
trouvait désormais sauvé du fanatisme.
V. Fin des persécutions, .wiii" siècle. — RÉ-
voLL'TioN FRANÇAISE. — L'inventiou de l'impri-
merie, la Réforme p'Otestante, le progrès géné-
ral des sentiments d'humanité devait avoir
pour résultat d'adoucir en général le sort des
Juifs. « La dispersion de ceux d'Espagne dans
l'Europe fut, pour ainsi dire, l'invasion d'une
nouvelle civilisation. » (Miclielet, Réforme.) La
plupart des Etats les reçurent et surtout les
républiques commerçantes d'Italie ; Ravenne
demande à Venise de lui en envoyer une colonie.
L'Allemagne, où le fanatisme éclate encore, en-
tend Luther réclamer pour ceux qu'il appe'le
n les frères du Christ, » et demander qu'on leur
permette les travaux utiles afin qu'ils puissent
abandonner l'usure. La Turquie, toujours lar-
gement ouverte aux Juifs, mot h profit leurs ser-
vices. Le sultan Sélim se fait représenter à Venise
par un ambassadeur juif (1Ô12). Le grand Soliman
a pour ministre Joseph , un ancien Marruno
écliappé d'Espagne après les plus étonnantes aven-
tures. Elevé à la dignité de prince de Naxos, Jo-
seph fait écrire par son souverain une lettre
menaçante qui arrache à l'Inquisition d'Ancùne
quelques-uns de ses coreligionnaires, sur le point
d'être brûlés (15G6;. Les Juifs du nord de l'Afri-
que se vengent noblement des souffrances de
leurs pères; sous le règne de Don Sébastien,
arrière- petit-fils d'Isabelle , les Portugais sont
battus près de Fez ; ils sont heureux d'être ache-
tés par les descendants des victimes, chez lesquels
ils retrouvent leur langue maternelle et la plus
touchante humanité (1678). La France enfin com-
mence en faveur des Juifs une réaction de justice
et de tolérance qui ne s'arrêtera plus ; des lettres
patentes d'Henri II, en 1550, et d'Henri III, en
1574, autorisent les Marranos, qu'on nommait
alors nouveaux -cluétiens et marchands espuipiots
et portuijais, à s'établir à Rayonne et à Bordeaux.
Les Juifs du Dauphiné sont admis par un arrêt
du parlement, et ceux de Metz par une ordon-
nance royale (1607). La Pologne, lolérante aussi,
donne aux Juifs vers 1548 l'égalité et la liberté, que
les intrigues des jésuites devaient plus tard leur
faire perdre.
La Hollande avait d'abord refusé de s'ouvrir
aux exilés d'Espagne , qu'elle prenait pour des
émissaires de Philippe II, utils ne purent célébrer
leur culte qu'en secret; mais ensuite ils obtin-
rent la permission d'élever une synagogue (ISiiS).
Peu à peu, leur nombre s'accrut par l'arrivée de
leurs frères de la Péninsule, dont la position
continuait à être horrible ; parfois ils étaient au-
torisés à quitter le pays ; presque constamment
ils étaient abandonnés k l'Inquisition, qui, pen-
dant le xvi" et le xvii'^ siècle, fit brûler plus de
30 000 victimes et en condamna environ 270 000
aux galères. Les malheureux Marranos sont pour-
suivis jusqu'au Brésil, où ils n'obtinrent un peu
de calme que lors de la conquête de ce pays par
les Hollandais et où vint les trouver une co-
lonie envoyée par les Israélites d'Amsterdam
(1C24).
Il souffle à cette époque dans plusieurs pays un
esprit de tolérance envers les Juifs. Henri IV de
France, Christian IV de Danemark et le duc de
Savoie leur sont favorables. Une émeute san-
glante contre ceux de Francfort est réprimée
par les autorités (1614) ; ceux de Prague sont atta-
qués par le peuple qui les accuse d'avoir assassiné
deux chrétiens, mais une enquête démontre
leur innocence (1C34). Louis XIV règle la situa-
tion de ceux de l'Alsace , nomme leur grand
rabbin et confirme les édits de ses prédéces-
seurs pour ceux de Metz et de Bordeaux (1057).
Croniwell, sur l'envoi d'une députation juive
d'Amsterdam, autorise leur retour définitif en An-
gleterre ( 1 05 1 ) , et leur accorde le droit de propriété
qu'ils conservent sans entraves sous Charles II.
Jean-Casimir et Sobieski maintiennent leurs pri-
vilèges en Pologne (1674). Quelques troubles ont
lieu en Turquie, suscités, sous Mahomet IV, par
un imposteur juif qui se fait passer pour Messie et
trouve des adhérents même dans l'Europe chré-
tienne; mais ils n'amènent aucune persécution et
n'atteignent pas sérieusement la tranquillité des
Israélites d'Orient (,1665).
La Hollande, qui est le centre de toutes les li-
bertés, offre le plus curieux spectacle. Un de ses
plus illustres enfants, Grotius, le créateur de la
science du (Iroit des yens, revendique pour tous
les hommes les droits de la conscience. Les Juifs,
qui contribuent à la prospérité de son commerce
et la soutiennent par leurs sacrifices dans ses
guerres d'indépendance, ont donc toute liberté
pour leurs doctrines religieuses et leurs écoles.
A la tête du mouvement intellectuel à Amsterdam
se place Manassé-ben-Israel, né à Lisbonne où
son père était mort victime de l'Inquisition ; il
écrit et imprime en hébreu, en latin, en portugais
et en anglais ; c'est lui qui négocie avec Cromwell
le retour des Juifs en Angleterre. A côté de lui se
trouvent de nombreux écrivains et savants, des
professeurs et des médecins qui avaient réussi à
quitter l'Espagne où ils vivaient sous les appa-
rences du christianisme. C'est de ce milieu
aussi que sort, à cette époque, un génie, l'un
des plus grands philosophes des temps moder-
nes, Baruch Spinosa (1632-1677). Disciple de
Maîmonides et d'Ibn-Ezra, autant que de Des-
cartes, mais surtout penseur original, Spinosa in-
terprète rationnellement la Bible, mais s'éloigne
par sa doctrine panihéiste, qui confond en une
seule substance Dieu, la nature et l'homme, du ju-
daïsme pour lequel ses frères d'Espagne et de
Portugal versaient encore tous les jours leur sang.
Les rabbins d'Amsterdam le frappent d'interdit,
jugement sévère, qu'explique la situation pénible
des Juifs à cette époque, mais non la tradi-
tion Israélite, toujours favorable à la liberté de
penser.
Le progrès des idées de justice continue et le
judaïsme devient l'objet de l'attention générale ;
les détracteurs ne lui manquent pas, mais les es-
prits sérieux l'étudient sans prévention ; nous
sommes arrivés au xviii» siècle, au siècle des re-
vendications intellectuelles et de l'émancipation
politique des hommes. Richard Simon, Basuage,
l'évêque Lowth en Angleterre, Herder en Aile-
JUMENTES
— nos —
JUMENTES
magiio, tous chrétiens, étudient la langue sainte,
riiistoire et la poésie dos Hébreux. L'abbé Guénée,
rn France, réfute les railleries de Voltaire qui
attaque la Bible sans la comprendre. Moïse Mendels-
solni enfin, Juif de Berlin, prend liautement, ni;iis
avec tact, la défense rte sa religion. Célèbre déjà
par son Phédon, entretiens philosophiques sur
l'immortalité de l'àme, et ses Matinées, ouvrage
sur l'c^xistonce de Dieu, Mendelssohn donne une
traduction du Pentateuque où dominent les idées
de Maimonides; dans un écrit intHulé Jérusalem,
il met en relief les principes juifs qui accordent le
salut il tous les justes sans distinction de culte,
et il demande que les droits civils et politiques de
l'homme ne dépendent plus de sa croyance reli-
gieuse (n«l). Mendelssobn est soutenu par toute
une pléiade de Juifs intelligents qui deviennent
avec lui les fondateurs du judaïsme moderne.
De si légitimes revendications ne pouvaient pas
ne pas triompher des dernières résistances du fa-
natisme. Quoique la situation des Juifs fût précaire
encore dans bien des pays, l'heure de la liberté ap-
prochait pour eux. Au commencement du .wiii'
siècle déjà, le jeune roi d'Espagne, Philippe V,
avait refusé d'assister à un autodafé ; c'était un
signe des temps. Les Juifs obtiennent en Prusse
la juridiction commune et, en Angleterre, la con-
firmation de leurs anciens droits (ITia). En Lor-
raine, où la liberté leur avait été donnée, puis
reprise (1728), le roi Stanislas les organise et
nomme leurs syndics (T 5 i). Clément XIV, Louis XV
et les parlements français défendent qu'on leur
enlève leurs enfants pour les baptiser (1764).
L'empereur Josepli II, plus tolérant que ses sujets,
leur accorde une égalité presque complète, fait
soutenir leurs écoles par l'Etat, et prescrit aux
prêtres d'enseigner au peuple envers eux des
sentiments de justice (1782). Les Etats-Unis d'A-
mérique, après la guerre de l'indépendance, les
admettent aux fonctions publiques (1783). Les
philosophes surtout plaident leur cause avec
ardeur. Lessing, le grand apôtre de la tolérance,
attaque de front l'intolérance dans son drame,
Nathan le Baye, qui établit une assimilation com-
|ilète entre les doctrines des différents cultes.
Dohm, conseiller militaire à Berlin, Voltaire et
Mirabeau réclament hautement pour les Juifs les
droits de citoyens. Louis XVI accueille leurs délé-
gués et nomme une commission chargée de pré-
parer pour eux des réformes. Mais la Révolution
éclate. Sur la proposition de l'abbé Grégoire, en
1790, et sur celle de Duport, en 1791, l'émanci-
pation des Juifs est proclamée par l'Assemblée
constituante.
Quelques années plus tard, de nouveaux progrès
s'accomplissent ; Napoléon convoque à l'Hôtel de
Ville de Paris une réunion de notables juifs et
un grand sanhédrin, et il organise officiellement
le judaïsme (1808) La Restauration fondeun sémi-
naire à Metz pour les rabbin»; et, après 1830, le
culte Israélite reçoit, comme les autres, les subsides
de l'État en France, en Belgique et en Hollande.
Dos lors, les Juifs, devenus citoyens, entrent dans
toutes les carrières et s'unissejit étroitement aux
pays qui les ont adoptés. Si quelques explosions
haineuses se produisent de temps en temps, elles
deviennent de plus en plus rares, et sont l'objet
de l'universelle réprobation. Quelques petits pays
résistent encore à la justice; mais, sous l'inspira-
tion de la France, l'Europe, réunie en congrès,
admet dans le droit public des peuples la liberté
de conscience et l'égalité de tous les citoyens de-
vant la loi (1859 et 1878). [E.-A. Astruc]
JUMENTES. — Zoologie, X. — Sous le nom
de Jumeiités on a, dans ces derniers temps, pro-
posé de désigner certains mamjnifères herbivores,
tels que les Chevaux, les Rhinocéros et les Ta-
I>irs, qui, pour la plupart, atteignent de grandes
2» Partii;.
dimensions, et qui, dans les classifications an-
ciennes, étaient associes aux Eléphants et aux
Porcins pour constituer la grande division des
Pachydermes.
Les Jumentés sont conformés pour se mouvoir
à la surface du sol; les quatre membres se ter-
minent par des doigts généralement eu nombre;
impair, munis d'ongles indivis, en forme de sa-
bots. Leurs dents sont de trois sortes, des in-
cisives, des canines qui font parfois défaut, ou
sont peu distinctes, au moins h la mâchoire infé-
rieure, et des molaires séparées des dents précé-
dentes par une lacune et ofi'rant sur leur couronne
des replis plus ou moins compliqués. Ces replis,
étant constitués par une substance dure qu'on
appelle Vémnil, s'accusent naturellement par
l'usure de la portion tendre ou osseuse de la dent.
L'estomac des Jumentés est simple, c'est à-dire
ne consiste qu'en une seule poche, et les intestins,
fort longs, présentent sur leur trajet au moins un
appendice terminé en cul-de-sac, ou rœcum. Le
cerveau montre à la surface de ses hémisphères
des circonvolutions plus ou moins nombreuses,
ce que l'on considère ordinairement comme l'in-
dice d'une intelligence développée. Enfin la peau
est tantôt très épaisse et presque entièrement dé-
nudée, tantôt plus souple et complètement revêtue
de poils.
La plupart des Jumentés ont des habitudes sau-
vages et un naturel brutal ; ils vivent générale-
ment en troupes, dans les prairies ou dans les
forêts humides, et se nourrissent presque exclu-
sivement de substances végétales, de plantes four-
ragères, de feuilles, d'écorccs et de branches
d'arbres. Aux époques antérieures à la nôtre,
dans les plaines marécageuses de l'Europe habi-
taient de nombreux représentants de l'ordre des
Jumentés; mais de nos jours on ne trouve plus
dans nos régions une seule espèce do ce groupe
vivant à l'état sauvage.
Le genre Clœoal (Eqmis) comprend non seule-
ment le Cheval proprement dit, mais l'Ane, le
Zèbre, l'Hémione, etc. Il est essentiellement ca-
ractérisé par la conformation du pied, terminé par
un seul doigt apparent, dont l'extrémité est en-
fermée dans un ongle en sabot. De là vient le nom
de sotipi'de, qui a été imposé à ces animaux.
Chez les chevaux, on compte, à chaque mâchoire
et de chaque côté, six incisives tranchantes, six,
molaires, et parfois une petite canine. Entre celle-
ci et la première molaire est l'espace vide nommé
ban-e, dans laquelle on place le mors qui sert à
diriger ces animaux. Les molaires offrent les replis
caractéristiques des Jumentés; quant aux inci-
sives, elles sont creusées, sous la couronne, d'une
fossette qui disparaît avec l'âge. L'œil est vif et
saillant, l'oreille longue et mobile; les narines
sont dépourvues do mufle, et la lèvre supérieure
peut s'avancer de manière à constituer un organe
do préhension. Tout le corps est revêtu d'un poil
bien fourni, qui s'allonge sur le dessus du cou
pour former une crinière. La queue présente éga-
lement une touffe de poils allongés.
Le cjjeval proprement dit se distingue de l'âne,
du zèbre et de ses autres congénères, par sa robe,
de couleur uniforme et par sa queue touffue à,
partir de la base. Il est généralement d'une taille
élancée et de formes élégantes. Sa patrie d'origine
parait être l'Asie centrale; inais il est maintenant
répandu dans toutes les parties du monde ; intro-
duit en Amérique à l'époque de la conquête, il y
est revenu à l'état sauvage sur certains points,
particulièrement dans les Pampas de Buenos-
Ayres. En Europe, la domestication du cheval
remonte à une époque extrêmement reculée, et,
avec le temps, se sont formées des races (|ui ont
chacune des mérites particuliers. Citons seule-
ment le clieval anglais, le cheval percheron, le
70
JUSTICE
— 1106 —
JUSTICE
cheval des landes, le cheval corse, etc. — V. C/ie-
A l'état de liberté, le cheval préfère les pâtu-
rages secs; en domesticité il peut être nourri avec
du foin, de la luzerne, du trèOe, de l'avoine, de la
vesce, de la paille d'orge, de froment et d'avoine
et des feuilles de mais.
L'âne, presque toujours d'une stature moins
élevée que le cheval, a les oreilles plus longues,
la queue plus grêle à la base, le poil plus rude
et de couleur plus terne. Une croix noire se
dessine sur ses épaules. Doué d'une patience et
d'une sobriété exemplaires, l'âne rend dans beau-
îoup de contrées d'éminents services aux gens de
Ta campagne ; malheureusement il perd de sa vi-
vacité en vieillissant, et devient avec l'âge d'un
«ntètement stupide. — V. Ane.
L'hémione, au pelage lustré, offrant des teintes
fauves qui se fondent, d'une part dans du blanc
pur, de l'autre dans du brun foncé, habite la Perse
et ia Mésopotamie. Le couagga, le daw et le
zèbre, qui ont des couleurs plus vives, des raies
brunes ou noires sur fond jaunâtre, se trouvent au
contraire dans le sud et dans l'est de l'Afrique,
jusqu'en Abyssinie. Ces superbes animaux sont
d'un naturel farouche et rebelles à toute domesti-
cation.
Beaucoup plus lourds de formes que les Juraen-
tés du genre Cheval, les Rhinocéros se font remar-
quer encore par leur peau extrêmement épaisse,
généralement dénudée, verruqueuse, et fortement
plissée sur certains points du corps, par leurs mem-
bres terminés chacun par trois doigts, par leur
queue courte et presque nue, et enfin par la pro-
tubérance cornée, simple ou double, qui surmonte
leur nez. Cette protubérance, reposant sur une
voûte constituée par les os du nez, adhère h la peau
et parait résulter de l'agglutination d'un sraiid
nombre de poils. Les rhinocéros ont pour patrie
les contrées les plus chaudes de l'ancien conti-
nent, c'est-à-dire le centre de l'Afrique, le sud de
l'Asie et les îles avoisinantes, telles que Java,
Sumatra et Bornéo. Ils vivent dans les endroits
liumides et ombragés, et se vautrent dans la boue
à la manière des porcs.
Les Tupii-s ont une taille moins élevée et des
formes moins massives que les Rhinocéros; ils ont
aussi la peau moins rugueuse, le nez dcpourvu
de corne, mais prolongé en avant en forme de
trompe. Par l'aspect extérieur et par les mœurs ils
rappellent les cochons, mais ils n'ont pas comme
ces derniers les pieds fourchus; leurs membres
antérieurs sont terminés par quatre doigts et leurs
membres postérieurs par trois doigts seulement.
Ils vivent dans l'Inde et dans l'Amérique tropi-
Parfois enfin on réunit aux Jumentés des mam-
mifères de petite taille, qui sont connus depuis la
plus haute antiquité, puisqu'il en est déji ques-
tion dans la Bible. Ces mammifères sont les Da-
mans ou HyvjcHés, qui ressemblent extérieure-
ment aux marmottes et aux cochons d'Inde, et qui
ont les pattes tourtes, avec cinq doigts en avant
et trois doigts en arrière, le corps assez allongé
et tout couvert de poils, la tête amincie en avant
et surmontée d'oreilles arrondies, les mâchoires
pourvues seulement d'incisives et de molaires. Les
damans sont des animaux fort doux, mais peu in-
telligents, qui se nourrissent de végétaux, mais qui
n'ont pas la faculté de ruminer. Us ont pour
patrie l'Afrique australe et orientale, la Syrie et
la Palestine, et se tiennent dans les endroits ro-
cailleux, où ils se creusent des terriers entre les
pierres. Dans la Bible ils sont désignés sous le
nom de Saphans et rangés parmi les animaux im-
purs. lE. Oustalet.]
JUSTICE. — Législation usuelle, X. — Nous
donnons dans cet article quelques notions élé-
mentaircs de droit pénal, en renvoyant, pour l'or-
ganisation judiciaire et pour ce qui concerne les
attributions des tribunaux en matière civile, à
l'article Trihuuarix.
PniNciPES GÉNÉRAUX. — Le droit pénal est cotte
pariie de la législation qui établit les peines
applicables â certaines infractions réprimées par
la loi, et qui détermine les formes i suivre pour
arriver à la répression de ces faits. Le droit
pénal se divise ainsi en deux parties bien dis-
tinctes : le droit pénal proprement dit, qui définit
et détermine les faits punissables et les peines
qui doivent être prononcées; et l'instruction crimi-
nelle, qui s'occupe des juridictions et de la procé-
dure. La législation pénale se trouve contenue en
grande partie dans deux codes : le Code pénal et le
Code d'instruction criminelle.
Division des iléhis 't des peines. — Les faits
prévus par la loi pénale, compris sous la dénomi-
nation générale de délits, se divisent en trois
classes : les crimes, les délits de police correc-
tionnelle, les contraventions de simple police. Les
crimes sont punis de peines afflictives et infa-
mantes et jugés par les cours d'assises ; les délits
sont punis de peines correctionnelles et jugés par
les tribunaux de police correctionnelle ; les con-
traventions de simple police sont punies des
peines de simple police et jugées par le juge de
paix, statuant comme juge de simple police.
Peines en matière ertm-nelte. — Les peines en
matière criminelle sont : l°la peine de mort, ré-
servée pour quelques crimes d'une gravité excep-
tionnelle; 2° la peine des travaux forcés à perpé-
tuité ou h temps, qui est subie dans des établis-
sements créés aux colonies ; la durée de la peine
des travaux forcés à temps est de cinq ans au
moins et de vingt ans au plus ; 3° la réclusion, dont
la durée est de cinq ans au moins et de dix ans
au plus, et qui est subie dans les maisons centra-
les. Il faut ajouter les peines réservées aux crimes
politiques, la déportation et la détention, et deux
peines dont le caractère est seulement infamant,
le bannissement, qui consiste dans l'expulsion du
territoire français, et la dégradation civique, qui en-
traine la privation des droits politiques et la priva-
tion de certains droits ci vils, par exemple du droit de
faire partie d'un conseil de famille, d'être témoin
dans les actes. Les peines criminelles entraînent
comme conséquences accessoires : la dégradation
civique, l'interdiction légale, qui prive le condamné
pendant la durée de la peine de l'administration de
ses biens, la surveillance de la haute police, qui
permet à l'administration d'assigner une résidence
au condamné après l'expiration de la peine.
Peines correctionnelles el peinesde simple police .
— Les peines qui peuvent être prononcées par les
tribunaux correctionnels sont l'emprisonnement,
dont la durée est de six jours au moins, de cinq
ans au plus; l'amende, qui ne peut être inférieure à
seize francs ; l'interdiction de certains droits, tels
que le droit de vote et d'élection, le droit de port
d'armes, le droit de faire partie d'un conseil de
famille et d'exercer la tutelle ; enfin la surveillance
de la haute police. Le juge de simple police peut
prononcer un emprisonnement de un i cinq jours
et une amende de un à quinze francs.
Personnes punissables, responsables ou excus.v
BLES. — Personnes qui ne sont pus responsables.
— Il y a certains cas dans lesquels l'auteur d'un
l'ait coupable échappe à toute responsabilité : celui
([ui est en état de démence au moment de l'acte,
ou qui a agi sous l'empire d'une force à laquelle
il n'a pu résister, n'est pas responsable. L'homicide
ou les blessures ne sont pas punissables, lorsque
celui qui en est l'auteur se trouvait en état de
légitime défense, par exemple s'il repoussait une
attaque nocturne, ou se défendait contre les
auteurs d'un vol commis avec violence. Aucune
JUSTICE
— 1107 —
JUSTICE
peine ne peut être prononcée dans ces diverses
circonstances.
Excuses. — La loi a établi en outre certaines
«xcuses qui font disparaître la peine ou la dimi-
nuent. Ainsi le vol commis par un fils au préju-
dice de son père, ou rcciproquenieiil, ne peut être
puni, à raison de la relation de parenté qui unit
l'auteur et la victime du délit. La provocation est
une cause d'excuse qui atténue seulement la peine :
te meurtre, les blessures et les coups sont punis
d'une peine moins sévère, lorsqu'ils ont été pro-
voqués par des coups ou des violences graves en-
vers les personnes.
Minorité (le seize ans. — La responsabilité pénale
complète ne s'applique qu'à l'individu qui a atteint
l'âge de seize ans. Lorsqu'un mineur âgé de moins
de seize ans est traduit devant la cour d'assises ou
le tribunal correctionnel, le jury ou les juges ont à
résoudre cette question : n-t-il agi sans discerne-
ment ? S'il est décidé que le mineur de seize ans
a agi sans discernement, il est acquitté, rendu à
ses parents ou envoyé dans une maison d'éduca-
tion correctionnelle. S'il est reconnu que le mi-
neur a agi avec discernement, il est condamné,
mais la peine qui lui est appliquée est considéra-
blement réduite ; il ne peut jamais être condamné
qu'à l'emprisonnement, quelle que soit la gravité
du crime.
Circonstances atténuonics . — Los circonstances
particulières peuvent dans cliaque affaire influer
sur la culpabilité. Pour que le juge puisse tenir
compte de ces circonstances, la loi fixe pour les
peines temporaires un minimum et un maximum
entre lesquels la condamnation peut être pro-
noncée. En outre, le jury de la cour d'assises ou le
tribunal correctionnel peut déclarer qu'il existe
en faveur do l'accusé ou du prévenu des circon-
stances atténuantes. Cette déclaration entraîne
une diminution de la peine à appliquer; elle fait
descendre la peine d'un ou de deux degrés
suivant les distinctions indiquées dans l'art. 4(i3
du Code pénal.
Tentative. — La loi ne punit pas seulement le
crime accompli; la simple tentative criminelle, ma-
nifestée par un commencement d'exécution et qui
n'a été suspendue ou n'a manqué son effet que par
une circonstance indépendante do la volonté de son
.lutcur, est punie comme le crime lui-même. Les
1 Putatives de délits ne sont punies comme le délit
lui-même qu'en vertu d'une disposition spéciale
cil la loi.
Cuinplicilé. — Les complices, c'est-à-dire ceux
c|ui ont coopéré au crime ou au délit, sont punis
rnmmo l'auteur principal. La complicité existe
clirz ceux qui provoquent l'auteur du crime ou du
délit à le commettre, ceux qui lui donnent des
instructions, lui fournissent des armes, l'aident
uu l'assistent dans l'accomplissement du fait cou-
p:il)le, ou qui recèlent sciemment les choses enle-
véf'S à l'aide du crime ou du délit.
lié'idive. — Lorsqu'un individu déjà condamné
commet un nouveau délit, la condamnation déjà
subie peut être une cause d'aggravation de la
peine. La récidive manifeste en effet chez le
délinquant une perversité plus grande, et une
peine plus forte doit lui être appliquée, puisque
la première condamnation n'a point eu pour effet
de le détourner de commettre un nouveau délit.
Instruction cnuiiNELLE. — Notions (ii'némles sur
l'action pu/ilirjue et ■ iuile. — Le fait délictueux
donne naissance à une double action: l'action pu-
lilique, qui tend à l'application de la peine, et l'ac-
tion civile, qui a pour objet la réparation du dom-
mage causé par le délit à celui qui en a été victime.
L'action public] ue est exercée,' par les magistrats du
niiiiistère public; l'action civile, parla personne
'lésée. Ces deux actions peuvent être réunies: en
elTei, celui qui a été victime d'un délit peut se
porter partie civile devant la juridiction répres-
sive, qui statue en même temps sur l'action pu-
blique et sur l'action civile; lorsque la personne
lésée ne s'est point portée partie civile, elle peut
former devant les tribunaux civils une demande en
dommages-intérêts soumise aux règles ordinaires
de la procédure en matière civile. — V. Tribunaux.
Prescription en matière pénale. — Le droit de
poursuivre le fait punissable et l'exécution de la
condamnation prononcée se prescrivent par un
certain délai ; le temps, en effaçant le souvenir du
fait coupable, fait disparaître la nécessité do la ré-
pression. Lorsqu'il y a condamnation prononcée,
le délai de la prescription est de vingt ans pour
les condamnations en matière criminelle, de cinq
ans pour les condamnations correctionnelles, de
deux ans pour les condamnations de simple police.
Ces délais expirés, la peine est prescrite. L'action
publique et l'action civile résultant d'un crime,
d un délit ou d'une contravention se prescrivent
lorsqu'aucune poursuite n'a été exercée contre le
coupable, pendant dix ans, si le fait est qualifié
crime; pendant trois ans, s'il s'agit d'un délit;
pendant un an, si le fait est une contravention de
simple police.
Diverses pluises de la procédure ou instruction
criminelle. — La procédure en matière pénale se
divise en deux phases distinctes : la première,
qu'on appelle instruction préparatoire, a pour but
de rassembler les preuves du fait coupable.
L'instruction préparatoire a toujours lieu lorsque
le fait présente les caractères d'un crime; elle est
facultative, lorsqu'il s'agit d'un simple délit de
police correctionnelle. Après l'instruction, l'affaire
est portée devant la juridiction cliargée de juger
le coupable : la cour d'assises, s'il s'agit d'un
crime; le tribunal correctionnel, s'il s'agit d'un
délit de police correctionnelle. Pour les contra-
ventions, il n'y a point d'instruction préparatoire,
et l'affaire est directement portée devant le juge
chargé de statuer.
Instruction préparatoire. — Dans chaque ar-
rondissement, la poursuite des crimes et des dé-
lits appartient au procureur de la République.
Lorsqu'une plainte a été adressée au procureur de
la République ou lorsqu'un fait coupable parvient
à sa connaissance ou à celle de ses auxiliaires,
juges de paix, officiers de gendarmerie, maires,
commissaires de police, le procureur de la Répu-
blique requiert une information. L'instruction est
faite par un magistrat attaché à chaque tribunal de
première instance, le juge d'instruction.
Pouvoirs du juge d'instruction. — Le juge d'ins-
truction a pour niission de recueillir les preuves
du crime ou du délit: il entend l'inculpé, fait ou
ordonne dos perquisitions, saisit ou fait saisir
les papiers ou les pièces qu il peut être utile de
mettre sous la main de la justicie, entend les té-
moins, procède à toutes les constatations qu'il croit
nécessaires. Le juge d'instruction a la faculté de
délivrer contre l'inculpé un mandat de dépôt ou
d'arrêt en vertu duquel il peut être saisi par les
agents de la force publique et incarcéré.
Détention préventive; mite en liberté provisoire.
— Cet emprisonnement de l'inculpé avant le juge-
ment, mesure souvent nécessaire pour qu'il
n'écliappe point aux poursuites, s'appelle la dé-
tention préventive. L'inculpé peut obtenir du juge
d instruction sa mise en liberté provisoire, à charge
par lui de prendre l'engagement de se représenter,
et de fournir un cautiontiement, si le magistrat le
juge nécessaire. Le cautionnement consiste soit
dans le dépôt d'une somme d'argent, soit dans
l'engagement d'une personne solvable. La mise en
liberté provisoire est de droit lorsque le fait pour-
suivi est un délit corrrclionnel, (|Ue l'inculpé a
son domicile dans l'arrondissement, n'a point en-
couru do condamnation grave, et enlia lorsc|iie le
JUSTICE
— H08 —
JUSTICE
maximum de la peine prononcée par la loi pour 1 conseillers, si la cour d assises se tient au siège
"fàk à raison duquf'l il est poursuivi n'atteint de la cour d appel ; dans e cas contraire, les
point un emprisonnement de deux années I assesseurs sont cris parmi les magistrats du tn-
assesseurs sont pris parmi les magi:
«»)''miw'"VmJ;w";ion!'— "Lorsque 1 Imnal du lieu où se tiennent les assises.
Jiay. — Le jury se compose de citoyens appelés
à donner leur avis, en leur âme et conscience,
Comment .. .
le juge d'instruction a réuni tous les éléments qui
sont de nature i l'éclairer, il clôt l'instruction. Si
Il fait ne lui parait pas établi ou s'il ne constitue
ni crime ni délit, il rend une ordonnance de non
lieu, il la suite de laquelle l'inculpé détenu est
mis en liberté. L'ordonnance de non lieu ne fait
pas obstacle à ce que l'instruction soit reprise, si
de nouveaux indices sont recueillis. Lorsque le
fait constitue un délit, le juge d'instruction ren-
voie devant le tribunal correctionnel ; si le fait a
les caractères d'un crime, l'inculpé est renvoyé
devant la cour d'appel, qui statue sur la mise en
accusation et le renvoie devant la cour d'assises
sur la culpabilité de l'accusé. Une liste de toutes
les personnes aptes à remplir les fonctions de
juré est chaque année dressée pour le départe-
ment. Dix jours au moins avant l'ouverture de la
session des assises, il est procédé, à, l'audience
publique de la cour d'appel ou du tribunal clief-
lieu judiciaire, au tirage au sort de trente- six
noms pris dans la liste annuelle ; on y ajoute
quatre jurés suppléants également tirés au sort.
Les jurés ainsi désignés par le sort forment la.
liste de session, et auront il juger les affaires ins-
JiminicTioNs DE JUGEMENT. — Les juridictions de ; crites au rôle pour cette session
jugemen on .comité nous l'avons^dit, les tribu- Formation du tableau du jury. - Sur 'a liste J
natix de simple police pour les contraventions, les de session on procède pour chaque affaire et au
ribÙnaux Xec^tionnels pour les délits de police I jour indiqué pour e ugement à la formation du
correctionnelle, la cour d'assises pour les crimes, tableau du jury, c'est-à-dire de la liste des jures
l\i^u,Z de simple volice. - Le juge de paix qui doivent connaître de l'affaire. Le tirage du ta-
ren pi t Tanfcl qu cin on foncLns déjuge bleau du jury est fait par le président de a cour
de simple police; les fonctions du ministère pu- d'assises entre tous les jures composant la liste de
Mie sont confiées au commissaire de police. Le tri- session, en présence de accuse et de son defen-
bunal desimpie police peut prononcer une amende seur. L'accusé et le minis ère public ont le droit
de quinze Trancs et un emprisonnement de cinq de récuser un nombre égal de jures sans avoir à
iou?s au plus La personne citée devant le tribunal i indiquer les motifs de la récusation ; le droit de
rshupleVlice comparait en personneou par fondé récusation ^'^'-rete orsqu .1 ne reste plus que
deuouvoir Les iu^ements par défaut sont suscep- douze noms dans 1 urne. Le jury est con.çtitue
tiblesd opposition dans les trois j.mrs de la si- lorsqu'il est sorti de l'urne douze noms de jure^
gnifiLtion Les jugements de simple police qui ' qui n'ont point ete l'objet de récusation,
nrinoncc la peine de l'emprisonnement ou qui , Procédure devant la cour d assises. - L accuse
?oSn^'nt une condamnation supérieure à cinq ' comparait devant la cour d assises en état de de-
nromèré ^stlnce Û"é,;t comme tribunaux cor- : l'accusation, le président interroge 1 accusé, puis-
r'eTonnels ts faitr^ialifiés délits, c'est-à-dire procède à ''-«l'"»" /„«„' ^^-"i^^^i.VacraUoT-
punis de peines correctionnelles. Le prévenu doit , public prend la Pf"''' P^^.^f ''""="^ ' ^'^k \^^^^^^
' - ine devant le tribunal cor- le défenseur de 1 accuse lui répond et ooit tou
'- ' ^ r. Le pi'"'."^""* "'»-
les prei
, donne
prévenu qui ne comparait pas est jugé par défaut ; '■ jury des .qie^'ionf q"i 1»' sont posées.
comparaître en personne uevani ik uiuu..ai ^.u.- -^ „....,..™-. -- - .--, .„„„■/ t„ ,,,.A<.iripnt r^.U
^ ■ •■ "^ faire représenter par un jours avoir la parole le dernier. Le pi esident re-.
,ar lequel il est poursuivi , sume les débats en rappelant les preuves princi-;
n'entraîne pas la peine de l'éniprisonnement. Le | pales pour ou contre l'accuse donne lecture a»
neniraine pas .a (ji „,5i„„a „,. Héfant : ' iurv des Questions qui lui sont posées, et 1 envoie
rectionnel ; il ne peut se
avoué que si le délit pour lequel
interjeté dans les dix" jours du jugement par une I comprenant les éléments constitutifs du fait cou-
dSation au greffe M'appol est porté à la cour pable, puis de questions spéciales sur chacune des
d appel dansle'ressort de' laquelle se trouve '« Circonstances aggravante, .élevées par 1 accusa-
^ ..*^*^ , I i,n,t rvii i^aa faits n exp.iises IceaK
tribunal. |
Cours d'assises. — La cour d'assises est la
juridiction la plus élevée en matière criminelle; |,.»..vv,o „. ,'rVo",„,i,,Vito rprnnnaiire des
iue juge les crimes, c'est-à-dire les faits les plus jures qu ils P''-"^?"' ^ ',^„ "j^J" ''^..^/S'^'m^
' - ... -•-'■'■:-:--- -irconstances atténuantes en laveur ae 1 accuse.
I lion ou des faits d'excuses légales invoqués par l'ac-
cusé Il n'y a point de question pour les circon-
stances atténuantes; mais le président avertit les
graves, ceux qui sont punis d'une peine afflictive
ou infamante. Il n'existe dans chaque départe-
ment qu'une cour d'assises, qui se tient au siège
de la cour d'appel, s'il en existe une dans le dépar-
tement, sinon au siège du tribunal, qui est le chef-
lieu judiciaire du département. Les assises ne sont
pas une juridiction permanente ; elles sont réunies
une fois au moins par trimestre; le jour de l'ou-
verture de> assises dans chaque département est
Délibération du jury; mnjorité. — Les jures
délibèrent et votent au scrutin secret sur les dif-
férentes questions : ils sont présidés par le chef
du jury, qui est le premier juré désigne par le sort
lors de la formation du tableau ou celui que d un
consentement unanime les jurés ont choisi
comme chef du jury. La décision contre 1 accuse
se forme à la majorité, c'e>t-à-dire par sept voix,
verlure ue> assises uans cnaque ucpaiicucu. »3v .jv- .„.,..„_ ._ ...-j-----, „„,v,,.,7p Io nar-
fixé par le premier président de la cour d'appel et s exprime ainsi ■OU'aJa '"^/^''l'-^^J^^'^
K,-, -, r- "^ I tage est en faveur de 1 accuse. Aussi ta aecision
du jury, qui reconnaît l'accusé non coupable,
et publié à l'avance
Composition de la cour d'assises; maiislrnts.
— La cour d'assises se compose de deux élé-
ments : les magistrats ou la cour, et le jury. Le
s'exprime par ce simple mot : Non, sans ajouter
à la majorité. Il faut la majorité pour l'admission
ments : les magistrats ou la cour, et le jury, i^u ^ .» .i.^jv,. ..>-. - — ": , "7 ; , rippi^irm du
jurysutue sur la culpabilité de l'accusé, et, si des circonstances ''"enuantrs et la décision du
•accuse est reconnu coupable, la cour lui appli- jury sur ce point '^ /°'"lf^.^ Znte, m fZr
que la peine portée par la loi. La cour d'assises ,-jté ,t y a des "''''."'«'"«f' ""f "''" f f' ^^
est présidée dans chaque département par un rfe ruccisé.Si le jury " ?^P°'"/,f^'^,'"i'i.%^^^^^^
conseiller à la cour d'appel désigné pour chaque [ stances atténuantes, il n en est pas fait mention
session ; le président est assisté de deux autres 1 dans la décision.
KHALIFES
1109 —
KHALIFES
Verdict ; acquittement ; cnndamnotion. — Lors-
que la décision du jury esl formée, les jurés re-
viennent à l'audience; le ciicfdu jury donne lec-
ture du verdict. L'accusé est ramené et il lui est
donné connaissance de la réponse du jury. Si cotte
réponse est négative, le président de la cour
(l'assises prononce l'acquittement de l'accusé, et
ordonne sa mise en liberté. Lorsque le jury a
reconnu l'accusé coupable, la cour rend un arrêt
le condamnant à la peine portée par la loi. Le
président avertit le condamné qu'il a trois jours
pour se pourvoir en cassation.
Cour de cassation. — Les arrêts de la cour
d'assises portant condamnation, de même que
toutes les décisions rendues en dernier ressort
par les tribunaux de répression, peuvent être dé-
férés à la cour de cassation. Le délai pour S6
pourvoir est de trois jours h. compter de la déci-
sion attaquée. Le pourvoi formé en matière de
simple police ou en matière correctionnelle doit
être accompagné de la consignation d'une amende
de 150 fr., qui est restituée si la décision atta-
quée est annulée. La consignation d'amende n'est
point exigée pour les pourvois contre les arrêts
des cours d'assises. Le pourvoi est suspensif : il
est jugé par la chambre criminelle de la cour do
cassation.
|E. Delacourtie.l
K
KHALIFES. — Histoire générale, XVIIL — Le
mot Khalife ou plus exactement Kludifat signifie
lieutenant. Après la mort de Mahomet en (i32,
Abou-Bekre, choisi pour le remplacer, prit le nom
de Khalifal mçout AUali, lieutenant de l'envoyé
de Dieu. Ses successeurs, chefs religieux et poli-
tiques du monde musulman, conservèrent le titre
qu'il avait adopté.
Khalifat parfait. — Los successeurs immédiats
de Mahomet, Abou-Bekre, Omar, Othman, Ali, for-
ment ce que l'on appelle le khalifat parfait.
Comme le prophète lui-même, ils vivaient sans ap-
parat : Abou-Bekre prenait dans le trésor quel-
ques pièces de monnaie qui suffisaient à ses be-
soins. Omar faisait son entrée dans Jérusalem
monté modestement sur un àne. Mais en 6GU,
après la mort d'Ali, Mohawia fonda la dynastie de;s
Ommiades ou Omeyades, et transporta le siège de
l'empire il Damas.
Les Ommiades. — Le pouvoir jusqu'alors électif
■devint héréditaire. Le khalifat perdit son carac-
tère de simplicité primitive pour devenir, comme
les anciennes monarchies de l'Orient, fastueux et
despotique. Cette transformation ne s'opéra pas
sans résistance. La famille et les partisans d'Ali,
plusieurs autres prétendants soulevèrent l'Arabie
et les provinces voisines. Il fallut quarante ans
pour les soumettre.
Conquêtes des Arabes. — Aux guerres civiles
succédèrent des guerres de conquête. Déjà, au
signal donné par Abou-Bekre, les Arabes s'étaient
jetés sur les empires grec et persan. A. l'ouest, ils
s'emparèrent rapidement de la Syrie, puis de l'E-
gypte. Longeant ensuite le littoral de la Méditer-
ranée, ils soumirent à leur domination et conver-
tirent à leur foi toute l'Afrique du nord. En 711, le
Berbère Tarik, qu'ils avaient lancé en avant, gagna
la décisive bataille de Xérès,. qui leur donna l'Es-
;pagne. Les Pyrénées furent franchies, et la G.aule
à son tour allait être soumise, quand Charles-
Martel arrêta à Poitiers la conquête musulmane
(732). A l'est, les Perses avaient été écrasés, et les
Arabes en les poursuivant avaient pénétré jusque
dans l'Asie centrale.
Vers le milieu du vin' siècle, l'empire arabe était
à l'apogée do sa puissance. Il comprenait toute
l'Afrique septentrionale, divisée en deux gouver-
nements, Egypte et Maghreb. En Europe, il s'éten-
dait sur l'Espagne avec la Septimanie et les Ba-
léares. En Asie, il occupait l'Arabie, la Syrie, une
partie de l'Asie-Mineure, et tout l'ancien empire
perse, dontles limites avaient même été dépassées.
Les A/jha.i'idrs. — Une nouvelle révolution se
produisit alors. Les Abbassides, alliés à la famille
•d'Ali, se mirent ii la tête d'une insurrection. Ils
furent vainqueurs dans une grande bataille. Pres-
que toute la famille des Ommiades fut exterminée.
Les Abbassides transportèrent le siège de leur puis-
sance dans les provinces oriejitales. Leur capitale
fut d'abord Anbar, puis la ville nouvelle de Bag-
dad qu'ils construisirent sur les bords du Tigre.
Mais, pendant ce temps, l'Occident leur échappait,
L'Ommiade Abd-cl-Rhaman, qui avait survécu au
massacre de sa famille, s'était réfugié en Espagne.
Il y fut reconnu comme souverain et fonda le
khalifat de Cordoue. Un peu plus tard, un royaume
séparé se constituait en Afrique et faisait recon-
naître son indépendance politique sous la dynastie
des Agiabites.
L'empire arabe se divisait donc, mais cette rup-
ture de l'unité n'annonçait pas une décadence.
Chacune des trois fractions du monde musulman
commença une existence particulière et développa
une civilisation originale et puissante.
Khalifat de Bagoad. — En Orient, les Abbassi-
des ne commencèrent à décliner qu'à la fin du
IX" siècle, quand ils se furcnit asservis à la milice
turque. Mais ils eurent auparavant une période
glorieuse avec Almanzor, Almahadi, Alhadi, Ha-
roun-al-Haschid,Motassem. Ces Khalifes tournèrent
surtout vers le gouvernement intérieur l'attention
de leur politique. Ils avaient trouvé une organisa-
tion déjà ébauchée par les Ommiades. Il y avait
une chancellerie d'Etat, et quatre conseils ou divans
préposés à la solde des troupes, à la perception
des impôts, à la nominaiion des fonctionnaires
subalternes, au contrôle de la comptabilité. Un
grand-juge assistait ou suppléait le souverain pour
prononcer sur les appels interjetés contre les juges
ordinaires ou cadis. Les Abbassides conservèrent
ces institutions et les complétèrent, en appelant
auprès d'eux une sorte de premier ministre, le
vizir, ou porteur de fardeaux, chargé de préparer
par un travail préliminaire les décisions du kha-
life. Ils établirent un véritable budget; la quotité
des contributions qui devaient être fournies par
chaque province fut réglée d'une manière fixe. Il
y avait un impôt direct et un impôt indirect. L'im
pôt direct comprenait : le djezié ou capitation éta-
blie sur les habitants infidèles de l'empire; le
karadj, établi sur les terres des infidèles ; la dime
prélevée sur les terres que les musulmans avaient
acquises par la conquête ; les prestations en nature
fournies par les peuples tributaires. L'impôt in-
direct se composait des droits de douane, du pro-
duit des péages, mines, etc. Le revenu total au
temps d'Haroun-al-Raschid montait à 4,420,000
dinars et 270,37.1,000 dirhems, soit environ 21C
millions de notre monnaie.
Pros/iérité générale. — Ces immenses ressour-
ces étaient en grande partie employées à des tra-
vaux d'utilité publique. Des caravansérails furent
établis et des citernes creusées de distance en
distance sur le long parcours qui s'étend depuis
KHALIFES
— illO
KHALIFES
Bagdad jusqu'à la Mecque, lue route fut créée
entre la Mecque et Modine. Une police bien orga-
nisée protégeait les personnes. La sécurité dos
transactions était garantie par des syndicats de
marchands. Une agriculture et une industrie flo-
rissantes alimentaient le commerce Les fruits de
la Perso, les vins de Cliiraz et d'ispalian étaient
demandés dans tout l'empire. Les ressources du
sol, mines, carrières, salines étaient exploitées
avec intelligence. Dans l'Irak et dans la Syrie,
surtout dans les villes de Damas, de Mossoiil et
d'Alep, on commençait i fabriquer des étofTcs ma-
gnifiques.
Beaux-arts. — De l'industrie à l'art, le passage
est rapide. Les vases d'or, les vêtements précieux,
les lapisseries qui ornaient les palais des khalifes
étaient souvent des chefs-d'œuvre. Le Coran in-
terdisait la reproduction de la figure humaine et
la représentation matérielle de la divinité ; mais
il n'interdisait pas la construction des monuments
qui couvrirent bientôt les principales villes, sur-
tout Bagdad, Bassora, Mossoul et Samarcande.
Lettres et sciences. — Depuis longtemps, les
Arabes avaient une poésie. Mahomet en écrivant
le Coran avait créé la prose. Les khalifes de Bagdad
encouragèrent les lettres et déterminèrent un
mouvement scientifique en établissant dans leur
capitale même un collège qui fut fréquenté par
6000 étudiants, des bibliothèques ouvertes à tout
le monde, des observatoires pour les travaux astro-
nomiques, des hôpitaux et des laboratoires pour
l'étude de la médecine et de la pharmacie. Le
goût national des Arabes pour la poésie continua
de produire des œuvres remarquables. Leur lan-
gue, qui avait maintenant sa grammaire et sa rhé-
torique, fut maniée avec succès par les historiens
Maçoudi, Tabari, Ibn-el-Atliir, Ibn-Khaldoun. Mais
ce fut surtout dans les sciences que ce peuple se
signala. Les mathématiques lui doivent de remar-
quables progrès. Les premiers, les Arabes intro-
duisirent la méthode des tangentes dans les cal-
culs trigonométriques ; ils appliquèrent l'algèbre
à la géométrie et résolurent les équations cubi-
ques. En astronomie, ils ont calculé l'obliquité de
l'écliptique, l'excentricité de l'orbite terrestre, la
durée de l'année. Dans les sciences physiques et na
turclles.ils ontétélesmaitresdel'Europe moderne.
Leurs médecins atteignaient i un tel savoir, k une
telle habileté pratique, que le vulgaire attribuait
leurs cures à l'emploi de moyens surnaturels. Quel-
ques-uns d'entre eux consignaient dans des traités
les résultats de leurs observations et posaient les
principes de leur science. L'un de ces livres, les
Cmwm d'Avicenne, a servi de base à l'enseigne-
ment médical pendant cinq siècles dans les uni-
versités de France et d'Italie.
Khalifat de Connot'E. — A l'autre extrémité du
monde musulman, en Espagne, un mouvement
analogue se produisait sous la domination des
Ommiades. L'Espagne avait été partagée on
quatre provinces; la Septimanie, tant qu'elle ap-
partint aux Arabes, en forma une cinquième.
Chaque province était administrée par un vali ou
gouverneur, et se divisait en cités dont chacune
était régie par un caid. Les impôts étaient : X'aza-
que ou dîme sur les produits de la terre, le taiidil
ou imposition sur toutes les richesses du pays,
un droit d'entrée et de sortie sur les marchandi-
ses, et enfin une capitation payée par tous les ha-
bitants non-musulmans. Le revenu total repré-
sentait à peu près 140 millions de notre monnaie.
Agriculture et industrie. — Jamais l'Espagne
n'avait été aussi florissante. La seule ville
de Cordoue comptait un million d'habitants. Les
conquérants musulmans avaient apporté avec eux
Ifcs savants procédés de culture employés dans
l'Egypte, la Syrie, la Chaldée. Ils savaient emma-
gasiner leurs eaux dans des barrages, les distri-
buer dans d'innombrables canaux, les attirer à la
surface du sol au moyen de puits et de norias.
Bien irrigué, le sol de l'Espagne donnait jusqu'ît
trois moissons par an. Des productions jusqu'alors
étrangères au pays, la canne à sucre, le riz, le
coton, le safran, la myrrlie, le miirier, avaient été
introduites et acclimatées. L'Espagne est riche en
mines de fer, de cuivre, de mercure, en gisements
de soufre. L'exploitation, abandonnée depuis le
temps des Carthaginois, en fut reprise avec activité.
Des industries puissantes se développaient dans
les principales villes et obtenaient une réputation
presque universelle. Cordoue était renommée
pour ses cuirs, Tolède pour ses armes, Murcie
pour ses draps, Grenade, Alméria, Séville pour
leurs soieries.
Lettres, sciences, arts. — L'activité intellectuelle
n'était pas moindre. L'Espagne musulmane avait
ses bibliothèques et ses écoles i Séville, à
Cordoue, h Grenade, à Tolède. Elle forma des
astronomes dont le plus célèbre est Arzachel, des
historiens qui racontaient la conquête, des poètes
dont les nouvelles et les romances servirent plus
tard de modèles aux écrivains espagnols et aux
troubadours français. Mais ce furent surtout les
arts qui atteignirent à une véritable perfection, et
entre tous les arts, l'architecture. Los architectes
musulmans de 1 Espagne sont partis do l'imitation
du style byzantin. Un des monuments les plus re-
marquables qu'ils aient élevés, la mosquée de Cor-
doue, rappelle les églises que construisaient les
Grecs. Mais bientôt l'ornementation sera jugée in-
suffisante ; on multipliera les détails, les festons,
les arabesques ; des courbes variées accidenteront
la monotonie de l'arc byzantin. Plus tard, la Gi-
ralda et l'Alcazar de Séville, l'Alhambra de Gre-
nade seront les types achevés d'une architecture
tout à fait originale parvenue à son point de per-
fection.
AFniQtiE. Roijaume rie Fez. — Moins éclatante
qu'en Orient et en Espagne, la civilisation arabe
d'Afrique ne manquait cependant pas d'une cer-
taine grandeur. Les Edrissites, qui se rattacliaient
à la famille des Alides, après avoir enlevé aux
Agiabites la ville de Tlcracen et le Maglireb occi-
dental, fondèrent la ville de Fez dont ils firent leur
capitale. Fez fut en même temps le centre d'un
grand commerce avec l'Espagne. A côté d'une
mosquée magnifique, des bibliothèques et des éco-
les s'y élevèrent.
Aiitabitei. — La dynastie des Agiabites, bien
qu'elle eut perdu une partie de ses possessions,
montra beaucoup d'activité et d'intelligence. Des
flottes construites et équipées dans ses ports
allaient piller les côtes européennes de la Médi-
terranée et faisaient la conquête de la Sicile. En
même temps, l'agriculture, l'industrie et le com-
merce étaient favorisés par un gouvernement ha-
bile. Des relations s'établissaient avec le désert.
Un service de postes et de courriers traversait
tout le pays depuis le Fezzan jusqu'à l'Egypte. Les
villes importantes, Tunis, Kairoan, Tripoli, se
couvraient de monuments. Les sciences et le&
lettres étaient étudiées avec la môme ardeur
qu'en Asie et en Espagne.
Fiithiuiilei. — Les Agiabites furent renverséscn
9US par un certain Abou-Obéidolla qui se donnait
comme le descendant d'Ali et de Fathima, fille du
prophète. En yOX, ses successeurs les Fathimites
s'emparèrent de l'Egypte et y créèrent un nouveau
centre de civilisation. Ils réglèrent avec soin l'orga-
nisation administrative et la perception des impôts.
Glace à la prospérité du pays, ils obtinrent un re-
venu presque aussi élevé que celui qu'avait eu
Haroun-al-Raschid. Ils fondèrent la nouvelle ville
du Caire, qu'ils embellirent de monuments et de
mosquées. Là aussi des écoles s'ouvrirent et de.*
savants se formèrent. Un d'entre eux, Ibn-Iounis,
LABIEES
— mi —
LABIEES
drossa des tables astronomiques qui firi;iU long-
temps autorité.
Kn face de l'Occident clir6ticn plongé on pleine
barbarie, le monde musulman développait de toutes
paris une civilisation brillante. Les croisades de-
vaient mettra en contact ces dou\ mondes si dif-
férents et instruire l'Europe il l'école de ses enne-
mis. — V. Croisades. [Maurice Wahl.]
LABIÉES. — Botanique, XXI. — Etym. : Du
latin labium, qui signifie lèvre. Ce nom fait allu-
.sion \ la forme do la corolle.
Définition, — Les plantes de la famille des
Labiées ont toutes une corolle gamopétale liypo-
gyne irrégulière et d'apparence labiée; selon les
groupes, cette corolle est uni ou bilaliée. Toutes
les labiées ont entre elles de très grandes affi-
nités; elles forment un groupe très naturel que
Brongniart réunissait aux Verbénacées pour for-
mer sa classe des Verbéninées.
Caractères botaniques. — Les graines des labiées
demeurent toujours enfermées dans le fruit ; leurs
téguments séminaux sont minces, aplatis ; leur
embryon, tantôt droit, tantôt courbé, est entoure
d'une couche d'albumen très peu développé.
Les racines des labiées sont fasciculées et son-
vent traçantes.
Leur tige est presque toujours herbacée, très
rarement ligneuse (romarin), ordinairement dres-
sée, toujours tétragone ; cette forme particulière
de la tige des labiées est souvent employée pour
reconnaître à première vue un végétal de cette
famille. Chaque tige se ramifie dès la base ; elle
porte des feuilles opposées ou vcrticillées dépour-
vues de stipules. Ces fouilles entières ou décou-
pées ont une nervation pennée-réticulée. Do
même que la tige, elles sont couvertes de nom-
breuses glandes qui sécrètent une huile volatile
très odorante (sauge, thym, lavande).
L'inflorescence des labiées est toujours pour-
vue de feuilles ; elle est composée ; le plus ordi-
nairement c'est un épi de cynies (lamier blanc) ;
plus rarement, l'épi présente des fleurs solitaires
ou géminées à l'aisselle de chacune de ses bractées.
Les fleurs sont hermaphrodites; elles présen-
tent, de l'extérieur à l'intérieur :
1° Un calice gamosépale i cinq lobes; lorsque
ceux-ci sont égaux, le calice a un aspect régulier ;
plus ordinairement ces lobes sont inégaux et
groupés de façon à former deux lèvres; la lèvre
supérieure est composée de trois lobes, l'inférieure
n'en présente que deux. Ce calice est persistant :
il continue à protéger le fruit jusqu'à sa maturité.
2" A l'intérieur du calice est une corolle gamo-
pétale à deux lèvres; l'une supérieure, bilobée ;
l'autre inférieure, trilobée .(lamier, sauge, etc.).
Dans le genre Bitgle (Ajuya), la lèvre supé-
rieure est remplacée par une échancrure; dans
le genre Germandrée (Teucrium), la lèvre supé-
rieure est représentée par deux lobes filiformes
qui sont rejetés sur les côtés de la lèvre infé-
rieure. Dans les Menthes, la corolle presque ré-
gulière n'a plus que quatre lobes égaux.
i° Sur la gorge de la corolle sont insérées
quatre étamines didijiiamei, ce qui signifie que
deux d'entre elles sont plus longues que les deux
autres. Dans le genre .Menthe, toutefois, les quatre
étamines sont égales ; dans les genres Lycope,
Koniarin, Sauge, Cunile, il n'y a que deux éta-
mines; ce sont les inférieures qui ont persisté.
Dans les genres Sauge et Romarin, une seule des
loges de ch.i(|ue anthère est fertile.
4" Au centre de la fleur, on trouve un ovaire
libre, supère, composé de deux carpelles bilobés
et surmonté d'un style gynobasique, lequel se
termine par un stigmate bifide. Cet ovaire ren-
ferme quatre logos dont chacune contient un .seul
ovule dressé anatrope. A la maturité le fruit se
sépare en quatre niicules ou akènes.
Les genres de la famille des labiées sont extrê-
mement voisins les uns des autres ; leur classifica-
tion très compliquée repose sur l'ensemble des
caractères tirés des diverses parties de la fleur et
du port de la plante ; nous ne pouvons, sans dé-
passer les limites qui nous sont assignées, dresser
une clef dichotomique des genres.
Usages des Labi^'es. — Nous ne citerons, parmi
les labiées usitées, que les principaux genres;
toutes tirent leurs propriétés de l'huile volatile
contenue dans les glandes do leur tige, de leur
feuille ou de leur calice.
Les Basilics, originaires de l'Inde, sont cultivés
dans les jardins comme plantes aromatiques.
Les Lavandes, séchées, servent à parfumer les
armoires à linge et à préserver les vêtements de
laine des attaques des mites. La Lavande Spic,
originaire d'Afrique et de Sicile, donne une es-
sence employée en peinture; on l'emploie aussi
en frictions contre les douleurs rhumatismales.
La Lavande officinale est cultivée en bordure
dans les jardins; on en extrait un alcoolat qui
sert à faire une eau de toilette. Les fleurs de la
Lavande Stœchas, originaire de Provence, forment
la base d'un sirop connu en pharmacie sous le
nom de sirop do Stœchas composé.
Le Patchouhj est une labiée aromatique origi-
naire de l'Inde; son odeur forte le fait rechercher
comme parfum et aussi comme préservatif des
fourrures contre l'action des teignes.
Presque toutes les espèces de Menthes ont été
utilisées en médecine; aujourd'hui la menthe poi-
vrée est seule employée; sa saveur aromatique
est accompagnée d'une sensation de grande fraî-
cheur dans la bouche. On retire de la menthe
poivrée une essence qui est la base des pastilles
et des liqueurs de menthe. L'essence de menthe
poivrée la plus estimée est celle qui nous vient
d'Angleterre ; on attribue cette supériorité à la
précaution que l'on prend de détruire toutes les
autres espèces de menthe dans le voisinage des
cultures de menthe poivrée ; on évite ainsi l'abâ-
tardissement de l'espèce. Il nous vient de Bour-
gogne un extrait de menthe poivrée qui peut riva-
liser avec celui qui est fabriqué en Angleterre.
On suppose que la menthe poivrée est originaire
d'Asie ; les Chinois en font un grand usage comme
médicament.
VOrigan, la Marjolaine, employés comme aro-
matiques, stimulants et toniques, sont surtout
connus à cause de leur parenté avec le Dictante
de Crète, dont les anciens se servaient pour la gué-
rison des blessures.
Tout le monde connaît le Thym, employé camme
assaisonnement.
On fait usage du Serpolet contre les catarrhes
chroniques.
On emploie encore la Sarriette comme assaison-
nement, les infusions de Mélisse, d'Hi/sope, de
Cat'iment, de Sauge, pour leurs propriétés stoma-
chiques et stimulantes.
Le Lierre terrestre est antiscorbutique.
Le Marruhe, les Germandrées ont des propriétés
toniques.
LABOURS
— 1112 —
LABOURS
Les feuilles de la Bétoine officinale sont quel-
quefois employées comme celles du tabac, dans
les cas de catarrhes chroniques.
Le Romarin est un arbrisseau originaire du
midi de l'Europe ; rest à sa présence dans les
environs de Xarbonne que le miel de ce pays
doit sa saveur aromatique particulière.
[C.-E. Bertrand.]
LABOURS. — Agriculture, IV. — Les labours sont
des travaux qui ont pour but d'ameublir la terre
arable à une profondeur variable, d'i-nfouir les en-
grais et les amendements, de détruire les mauvai-
ses herbes qui se développent i la surface.
L'amoublissement du sol est le principal objet
des labours. Mais en même temps que la tranche
. de terre attaquée par l'instrument est déplacée,
elle doit être retournée aussi complètement que
possible, atin que la partie inférieure vienne à la
surface et réciproquement. « La couche super-
ficielle, dit M. Girardin, toujours plus fertile en
raison de son exposition à l'air et de la décompo-
sition à sa surface des matières organiques, se
trouve ainsi mise en contact avec les racines des
plantes, et la couche inférieure, privée depuis
quelque temps du contact de l'air, vient réparer
les pertes qu'elle a éprouvées sous l'action absor-
bante des racines. »
Les labours sont exécutés soit avec des instru-
ments à mains, soit avec la charrue. Les labours
exécutés à la main sont toujours les plus parfaits;
mais, dans la culture, il est impossible d'y avoir
recours ; les labours ne seraient jamais achevés,
dans une exploitation rurale, s'il fallait les faire à
la bêche et à la houe. Les charrues sont d'autant
plus parfaites que leur travail se rapproche davan-
tage de celui fait à la main.
On vient de voir que les labours à bras s'exécu-
tent soit avec la bêche, soit avec la houe. Le labour
à la bêche a été décrit au mot JurUin; il n'y a donc
pas à y revenir ici. Quant au labour h la houe,
voici comment il s'exécute :
Après avoir ouvert une tranchée, l'ouvrier,
tourné du côté du terrain à labourer, enfonce la
houe dans le sol, attire à lui la terre dans la tran-
chée formée, où il l'émiette ; puis il continue à
avancer, en marchant sur la partie du sol qu'il vient
de labourer, tandis qu'en travaillant avec la bêche,
il marche en arrière, sur la terre non encore re-
muée. Ce travail n'est pas aussi parfait que celui
de la bêche; la terre n'est que partiellement re-
tournée.
Dans quelques pays, notamment dans plusieurs
parties de l'Auvergne, la bêche est remplacée par
une fourche à deux dents ou à trois dents. Le tra-
vail s'exécute, avec cet instrument, de la même
manière qu'avec la bêche.
Le labour à la houe est celui qui est le plus sou-
vent adopté dans la culture des vignes, surtout
dans le midi de la France.
Le travail à la charrue doit être fait de manière
à se rapprocher autant que possible du labour à la
bêche. Dans ce but, la charrue détache, verticale-
ment par lecoutre, horizontalement par le soc, une
bande de terre, que le versoir rejette sur le côté
en la retournant. Si ces trois organes fonctionnent
régulièrement, avec leur maximum d'effet, le tra-
vail sera excellent.
Les labours doivent être considérés d'abord au
point de vue de la profondeur à laquelle ils attei-
gnent la couche arable, et ensuite à celui de la
forme qu'ils donnent à la surface du champ.
Au point de vue de la profondeur, les labours
peuvent être divisés en trois catégories ; les la-
bours de défonoement, les labours ordinaires et
les labours supei-ficiels.
Les labours de défoncement sont ceux qui dé-
passent 30 centimètres de profondeur. Leur utilité
est facile à démontrer. En effet, serrées les unes
contre les autres, ainsi que cela se pratique dans
la grande culture, les plantes tendent à s'étendre
en profondeur. Si les racines rencontrent une
couche meuble, elles y pénètrent facilement, se
développent, et la tige de la plante suit la même
progression. Au contraire, si les racines rencon-
trent un sol dur, plies ne peuvent y pénétrer, et
l'arrêt de leur développement entraîne celui de la
tige. La profondeur des labours a donc pour con-
séquence naturelle l'augmentation du produit des
récoltes: l'expérience a toujours démontré l'exacti-
tude de ce raisonnement. Il faut aussi ajouter que,
quand le labour a été exécuté plus profondément,
les plantes ont beaucoup moins à redouter les
excès de sécheresse ou d'humidité.
il est rare que, dans des labours de défoncement,
on n'atteigne pas le sous-sol et qu'on n'en entraîne
pas une partie. Dans ce cas, la conduite à suivre
dépend de la composition du sous-sol. Lorsque
celui-ci est de même nature que le sol superficiel,
il n'y a aucun inconvénient à les mélanger, et le
labour se fera comme à l'ordinaire. Il en sera de
même lorsque le sous-sol, sans être de même na-
ture que le sol, ne sera pas apte à nuire aux plantes
cultivées ; dans cette circonstance, on augmente
sans inconvénients la couche de terre arable. Mais
il peut arriver que le sous-sol soit impropre h la
végétation, et que son mélange avec la terre arable
soit de nature k diminuer la valeur de celle-ci.
Alors, il faut bien se garder de faire le labour de
défoncement en suivant les pratiques ordinaires,
et on agira différemment. La charrue ordinaire
atteignant à la profondeur du sous-sol, on la
fait suivre par une charrue fouilleuse qui attaque
celui-ci, l'ameublit, mais ne le ramène pas à la
surface. A cet effet, cette charrue n'a pas de ver-
soir, son soc est en forme de coin allongé qui pé-
nètre dans le sous-sol et le travaille à la profon-
deur que l'on veut atteindre. Lorsque la charrue
fait la raie suivante, elle renverse au-dessus de
ci'tte partie du sous-sol ainsi ameublie la terre
arable, sans que le sous-sol soit ramené à la sur-
face. Peu à peu, il se mélange avec la partie infé-
rieure de la couche arable, et il s'améliore en
quelques années.
Quand on opère des labours de défoncement, il
est toujours prudent de les faire progressivement.
Le premier labour mélange avec la terre arable
une couche de sous-sol de 3 à 4 centimètres ; le
deuxième labour attaque une deuxième couche de
même profondeur; et ainsi de suite jusqu'i ce
qu'on ait atteint la limite voulue.
En même temps qu'ils augmentent la couche de
terre arable, les labours profonds présentent le
grand avantage de détruire les plantes nuisibles
à racines vivaces et traçantes que les labours
ordinaires ne peuvent atteindre qu'imparfaite-
ment.
Les labours de défoncement sont toujours une
opération coûteuse. Ils exigent des charrues spé-
ciales, des attelages puissants, et ne se font que
lentement. Il faut donc calculer avec un grand
soin, quand on veut y procéder, les frais qu'ils
entraîneront. Les charrues do défoncement exi-
gent des attelages de huit à dix chevaux, suivant
la nature du sol; elles paraissent donc d'un accès
difficile à la petite culture, et ce n'est que par
l'association que celle-ci pourrait réunir les atte-
lages nécessaires pour cette opération fructueuse.
Il existe d'excellents types de charrues pour la-
bours profonds : les principaux sont la charrue
Dombasie |ierfectionnée à Grignon, la charrue Bon-
net, la charrue Vallerand, les charrues Bajac, Bo-
din, etc.
La difficulté de se procurer les attelages ou les
instruments pour les labours profonds a fait adop-
ter, dans certaines localités, une méthode mixto
que M. Girardin décrit ainsi : " On ouvre avec la
LABOURS
1113 —
LA FONTAINE
cliaiTue ordinaire une raie profonde de 0'','iO envi-
ron, puis on y place une vingtaine d'ouvriers, ar-
més de bCclies, qui enlèvent une nouvelle couche
de 32 cent, de profondeur qu'ils rejettent sur le
labour. Si l'opération est dirigée de manière que
l'attelage n'attende pas après les ouvriers, ou ceux-
ci après l'attelage, il peut en résulter un travail
très satisfaisant. Ce procédé est usité avec avan-
tage dans le département du Nord et en Belgique.
Si, au contraire, le défoncement doit être exécuté
de telle sorte que le sous-sol soit seulement pul-
vérisé, mais non ramené b. la surface, le travail ne
diffère qu'en ce que les ouvriers, armés d'un bi-
dent au lieu de bêche, laissent retomber au fnod
de la raie la terre, sans la placer sur la bande do
terre renversée par la charrue. Ce mode de défon-
cement, usité dans la vallée de la Garonne, y
prend le nom de pelleversage. On peut, à l'aide
de ces procédés, défoncer environ 20 ares de terre
par jour. »
La saison la plus favorable pour les labours de
défoncement est l'automne. Les terres ramenées
à la terre sont plus tôt mûries, selon l'expression
consacrée, sous l'influence des gelées et des pluies
do l'hiver.
Les labours ordinaires sont ceux qui se font à
la profondeur de 15 à 30 cent. ; la profondeur de
20 à 25 cent, est celle qui est la plus usitée, dans
la plupart des circonstances. Le plus souvent, ils
suivent les labours profonds, et ils servent à ache-
ver l'ameublissement du sol avant les semailles.
Les labours superficiels sont ceux dont la pro-
fondeur n'excède pas 10 cent. Ces travaux sont
faits, tantôt avec une charrue légère, tantôt avec
un extirpateur. Ils ont pour but, ou bien de dé-
truire les mauvaises herbes, ou de déchaumer
un champ de céréales, ou d'enfouir des engrais
pulvérulents, ou enfin, de recouvrir les semences.
Quelle que soit la profondeur h laquelle on
laboure, quand un sillon est tracé avec la charrue
ordinaire, le laboureur doit revenir à l'extrémité
d'où il est parti, pour faire un deuxième sillon à
côté du premier, ou bien en revenant tracer son
sillon à une certaine distance du premier, pour
■ne pas rejeter sur celui-ci la terre retournée. Afin
■d'éviter les inconvénients de ces pertes de temps,
■on a imaginé des charrues appelées tourne-oreilles.
Ces charrues peuvent renverser alternativement
la terre de gauche i di'oite ou de droite à gauche,
de telle sorte qu'on peut, en allant et en revenant,
renverser toujours la terre dans le même sens.
Ces charrues rendent des services signalés dans
le labour des terrains en pente. Klles sont dis-
posées de telle sorte que le versoir et le soc
peuvent basculer autour de l'âge. C'est dans le
même but que sont construites les charrues dites
trabant doubles.
Depuis quelques années, les charrues k plu-
sieurs corps ont commence à se répandre en
f rance. Elles sont surtout à deux socs ou à trois socs.
Avec les charrues bisocs on peut tracer deux sil-
lons parallèles, avec les charrues trisocs on fait
trois sillons. Ces charrues présentent une grande
économie de temps et de main-d'œuvre, mais elles
no peuvent être adoptées que pour les labours
superficiels et pour les labours ordinaires.
Si l'on considère maintenant les labours au
point de vue de la forme qu'ils donnent à la sur-
face du champ, on les divisera en labours en
binons, labours en planches et labours à plat.
Le labour en billons partage le cliamp en plan-
ches bombées étroites, séparées par des rigoles
profondes. Ce système présente des avantages
dans les terres fortes ou reposant sur un sous-sol
non perméable ; il permet l'é^^outtement de la
terre et l'écoulement des eaux en excès. En outre,
quand la couche arable n'a qu'une faible profon-
■deur, il augmente artificiellement celle-ci. Mais il
présente des difficultés pour l'opandage régulier
des fumiers et pour les semailles ; il rend difficile
l'emploi des instruments perfectionnés, des her-
ses, etc. ; enfin, il met des obstacles aux charrois
pour l'enlèvement des récoltes.
Dans les labours en planches, on divise le sol
en parallélograinmes plus ou moins larges, sépa-
rés par une raie moins profonde que pour les
billons. D'un côté, la terre labourée est renver-
sée à droite, de l'autre elle est renversée à gau-
che. La largeur des planches varie suivant beau-
coup de circonstances; elle est généralement plus
grande pour les terres légères que pour les ter-
res fortes.
Quant aux labours îi plat, ce sont ceux qui se
rapprochent le plus du labour à la bêche. La sur-
face du champ est nivelée aussi complètement que
possible, et on obtient ce résultat par des labours
dans lesquels la terre est toujours renversée du
même côté.
Les labours en planches et les labours à plat ne
présentent pas les inconvénients des labours en
billons. La terre peut être facilement assai-
nie par des rigoles tracées suivant le sens de la
plus grande pente. Tous les instruments perfec-
tionnés peuvent être employés sur les champs
labourés suivant l'un de ces systèmes. C'est donc
à l'adoption de ces labours que l'on doit pousser,
quand des circonstances particulières ne comman-
dent pas l'adoption des labours i billons. Pour la
culture des plantes qui demandent à être buttées
dans la première période de leur végétation, les
planches et les labours à plat s'imposent d'une
manière presque absolue.
Pour être profitables, les labours doivent être
faits aux saisons convenables. La condition indis-
pensable pour leur bonne exécution est l'état
favorable de la terre. Il faut (jue celle-ci soit
dans un état moyen d'humidité, et surtout qu'elle
ne présente ni excès d'eau, ni excès de séche-
resse. Quand le sol est trop humide, il se forme
en grosses mottes et ne s'ameublit pas, ce qui est
le but principal du labour. Si. au contraire, il est
trop sec, il oppose souvent une très grande ré-
sistance aux instruments ou il se pulvérise à
l'excès.
Quant au nombre des labours que doit recevoir
un champ, il dépend à la fois de la nature du sol,
de la récolte qu'il a portée, de celle qu'il est
destiné à recevoir, etc. 11 est donc impossible de
donner des règles absolues à cet égard.
[Henry Sagnier.J
LA FONTAINE. — Littérature française, XIII. —
Jean de La Fontaine, né le 8 juillet IG21 à Château-
Thierry en Champagne, où on lui a élevé une
statue, était d'une bonne famille bourgeoise du
pays, fils de Charles de La Fontaine, maître des
eaux et forêts, et de Françoise Pidoux, fille d'un
bailli de Coulommiers. Son enfance n'offrit rien
de remarquable ; sa première éducation fut même
assez négligée. Il commença ses études h Château-
Thierry et les acheva au collège de Reims. Doué
d'une imagination vive, il lut, au sortir du collège,
Lactance et quelques livres ascétiques qui firent
snr lui une telle impression qu'il se crut la voca-
tion ecclésiastique ; il entra à vingt ans aux Orato-
ricns de Reims, puis au séminaire de Sâint-
Magloire : peut-être, après tout, sans vouloir suivre
la carrière religieuse, ne voulait-il prendre que les
ordres nécessaires pour obtenir des bénéfices. Il
se repentit: un an après, renonçant i la théologie,
il rentra dans le monde où il se lit remarquer par
ses distractions, son indolence, un goût vif pour
les plaisirs et même la dissipation : il menait une
vie désœuvrée, soit dans la maison paternelle, Boit
à Reims, qui parait avoir été le théâtre de ses
premières erreurs et qu'il aima toujours beau-
coup.
LA FONTAINE
— 1H4
LA FONTAINE
On a raconté partout qu'un an après sa sortie
du séminaire, âgé de viiigi-deui ans, il entendit
un officier en garnison à Cliâteau-Thierry lire
l'ode de Malherbe:
Que dii
i futures..
Cl que cette lecture éveilla chez lui le génie poéti-
que. La vérité est que son père aimait beaucoup la
poésie et l'engageait à la cultiver, et que le jeune
homme avait déjà rimé quelques vers de circons-
tance fort prisés à Chàttau-Tliierry. Toutefois il se
passionna dès lors pour Malherbe, il le lut beau-
coup, ainsi que Voilure : il lut encore les poètes et
les conteurs du moyen âge et du .wi" siècle, les
auteurs anciens et étrangers qu'il s'essayait à
imiter. Son goût le portail aux écrivains italiens.
Tout cela risquait de l'égarer: des amis le sauvè-
rent. Pintrel, tisducteur de Sénèque, et lo cha-
noine Maucroix, traducteur de Platon, l'initiè-
rent aux œuvres des Grecs et des Latins : cette
étude le guérit de son admiration pour le bel
esprit à la mode; Horace, surtout, lui destilla le^
yeux.
Pendant quatre ans il ne s'occupa que de plaisirs
et de poésie. Cette inutile vie de province ne le
menait i. rien. Son père, pour fixer son humeur
volage, lui céda sa charge et le maria il Marie
Héricart, fille du lieutenant au bailliage de la Ferlé-
Milon, patrie de Racine, un autre Champenois. La
Fontaine avait alors vingt-six ans (l(i47) : c'était
l'homme le moins capable de liens , l'esprit le
moins propre aux affaires : caractère insouciant, il
négligea sa place et son ménage : il n'apprit jamais
son métier, et, regardant le mariage comme un
esclavage, il s'éloigna peu à peu du toit conjugal.
Sa femme ne manquait ni de beauté ni d'esprit,
elle avait même de l'inslruciion et du goût, et son
mari la consulta plusieurs fois avec profil pour ses
vers. Mais elle était trop jeune (seize ans) pour
prendre de l'empire sur lui: dans la vie inoccupée
que lui faisait son mari, elle lisait beaucoup de
romans ; elle n'avait ni l'amour de l'ordre et du tra-
vail, ni la fermeté de caractère qu'il aurait fallu pour
attacher La Fontaine. Le poète qui a écrit l'hilémou
et Baiicii, la plus touchante image du bonheur de
deux époux qui ont su vieillir ensemble en se suf-
fisant à eux-mêmes, était peut-être capable de
goiiler les calmes et sereine.s jouissances du foyer
domestique. A vrai dire, il ne parait pas qu'il Ht
de grands efforts pour vaincre ses penchants vo-
lages ; et, après plusieurs séparations momentanées,
non sans avoir doimé à sa femme bien des sujets
de plainte, il finit par l'abandonner complètement.
Dès lors sa vie n'eut plus rien de régulier : il
vendit peu i peu pour vivre son patrimoine, mor-
ceau par morceau :
Jean s'en alla comme il était venu.
Mangeant le londs avec le re\enu.
Du moins il ne mangea pas la fortune de sa
femme : séparée de biens, elle fut à l'abri du be-
soin ; il semble même qu'elle s accommoda de l'i-
solement.
Plus tard, quand La Fontaine était h Paris de-
puis longtemps déjl, ses amis. Racine, Boileau,
intervinrent pour opérer un rapprochement entre
sa femme et lui. Tout le inonde connaît cette
anecdote. Il partit pour voir sa femme à Château-
Thierry et se rapprocher d'elle. Deux jours après,
il était de retour; ses amis d'accourir, empressés
de savoir ce qui s'était passé. « Eh bien! avez-
vous vu votre femme? — Eh! non! elle était au
salut. )i La Fontaine était trop heureux d'esquiver
un rapprochement qu'il redoutait, ne voulant
point se plier aux devoirs d'époux ni de père. 11
avait eu en effet un fils : il ne s'en occupa pas
plus que de sa femme. On a raconté que, plus
lard, cet enfant devenu grand, son père, le rencon-
trant dans le monde, sans le connaître, le trouva
charmant, mais ne s'en soucia point davantage. Il
faut se méfier de ces anecdotes qui expriment plai-
samment l'aversion du poète pour les devoirs de la
vie positive. Celle-ci a sans doute été exai^érée à
plaisir, comme tant d'autres ; on sait en effet que
M"'" de la Sablière recommanda cet enfant au pré-
sident de Harlay, qui se chargea de lui : à qui
fera-t-on croire que le père n'ait pas connu ces
démarches "? I)isons tout de suite que La Fontaine,
ce semble, n'aima jamais les enfants : ce petit
peuple dont il fallait tant s'occuper, lui parut
toujours exigeant, importun, insupportable.
La Fontaine n'avait encore écrit que l'Eunuque,
imitation de Térence, où l'invention paraît lui
manquer (1654), lorsqu'il fut présenté à Fouquet
par un oncle do sa femme, i. Jaimart, substitut
au parlement de Paris. Fouquet se l'attacha comme
poète et lui fit une pension de 1,0U0 livres, lui
imposant l'obligation d'acquitter chaque trimestre
de rente par une pièce de vers. La Fontaine n'y
manqua jamais. La reconnaissance ne l'attacha pas
seule au surintendant : Fouquet lui plaisait par
les qualités de sa personne, par son esprit, son
enjouement, ses grandes manières. Cette situation
dura sept ans ; elle faisait à La Fontaine la vie la
plus conforme à son humeur ; il y trouvait une
société brillante, une véritable cour qui préludait
par la grâce, par l'éclat des lettres et des arts, au
grand siècle de Louis XIV. Le plus bienveillant
accueil y fut fait à La Fontaine : les hommes les
plus distingués par leur talent, les femmes les
plus aimables surent l'apprécier. C'est là qu'il
connut Molière : il le devina. « C'est mon homme, »
dit-il. Molière de son côté comprit la valeur (le
La Fontaine : « Vos beaux esprits auront beau
se trémousser, le bonhomme ira plus loin que
nous, n
La disgrâce de Fouquet, qui appartient à l'his-
toire politique, donna à La Fontaine l'occasion de
montrer une vertu rare, la fidélité h un protecteur
tombé : tandis que les anciens courtisans du su-
rintendant, comblés de ses faveurs, se taisaient
ou reniaient leur bienfaiteur, la reconnaissance
inspirait à La Fontaine ses premiers accents vrai-
ment poétiques. Son Elégie aux Nt/7nphes de Vaux
changea en pitié l'anîmosité publique soulevée
contre Fouquet, coupable de dilapidations, coupa-
ble surtout d'avoir déplu à Louis XIV que des
sentiments de jalousie personnelle de diverse
nature poussèrent à des rigueurs excessives.
Jannart, exilé à Limoges après la disgrâce du
surintendant, emmena avec lui (IBOï) La Fontaine,
qui a fait une relation très agréable en prose et
en vers de ce voyage : il y décrit les villes, les
campagnes qu'il ne fait qu'apercevoir en passant,
sans rien étudier de près : on relit encore avec
plaisir ses observations faites du seuil de l'auberge
où il relaie. Le vojage n'est cependant pas telle-
ment rapide qu'il ne l'utilise pour ses plaisirs et la
galanterie : la relation en est d'autant plus pi-
quante qu'elle est adressée à sa femme. Revenu
de Limoges, il partage son temps entre Cliàteau-
Thierry et Paris, tantôt avec sa femme, tantôt
seul, jusqu'à ce que la séparation fût devenue
définitive.
C'est à ce moment qu'il connut la duchesse de
Bouillon, Marie-Anne Mancini, nièce de Mazarin,
qui était venue résider dans sa terre de Château-
Thierry pendant une absence de son mari. La du-
chesse se déclara sa protectrice, et la Fontaine
s'en est toujours souverm : il l'a célébrée jusque
dans les derniers efforts de iU ?nuge (Fables, XII,
n) :
Mazaiiu, dos amours déesse tutélairc.
Elle exerça sur la direction de son esprit une
influence décisive et moralement pernicieuse. Bien
LA FONTAINE
1115 —
LA FONTAINE
(lUc menant uiir vie plus régulière que ses sœurs,
la ducliesRC, licencieuse d'imagination, ne s'effa-
rouchait pas de la liberté des mœurs, et pardon-
nait volontiers en faveur du talent aux crudités de
la muse : elle seconda do toute son influence l'in-
clination naturelle du poète pour les légèretés
italiennes.
En IG64, La Fontaine donna ses premiers Cojiies
et Nouvelles en vers, écrits pour la duchesse de
Bouillon, et pour la plupart imités de l'Arioste, do
Hoccace, de Machiavel. Joconile est le début. Les
lois de la morale et de la décence y sont trop offensées
pour que nous en parlions ici. La Fontaine s'y
montra un conteur par excellence; il a, dans ce
genre, surpassé les Grecs et les Romains, les
Italiens du nioyonàge, la reine de Navarre, Marot
lui-même, et n'a pas été égalé depuis, même par
Voltaire.
Il avait quarante-sept ans quand il commença
à publier l'ouvrage qui a fait sa réputation, les
Fables que tout le monde connaît: les fruits de
l'automne sont les plus savoureux. Les premières
parurent en Ui(!8 : elles étaient dédiées au dau-
phin, qui avait alors six ans et demi, et dont le
précepteur était le président de Périgny (car
Bossuet ne fut chargé de l'éducation du fils de
Louis XIV qu'en 1070). Ces fables étaient modeste-
ment intitulées FaOlea d'Esope mises en vers pn
M. de La Fontaine. Les .six premiers livres, ache-
vés l'année suivante, devaient former l'ouvrage
complet, comme le prouve l'épilogue qui les ter-
mine :
BorDons ici notre carrière ;
Les liings ouvrages nie font peur.
Loin d'épuiser une matieie,
Ou n'en doit prendre que In (leur.
C'était sa manière, c'était sa nature. Il dit
ailleurs :
.te suis chose légère et vole a tout sujet ;
Je vais de fleurs en fleurs et d'objet en objet.
Cinq autres livres, formant une troisième et une
quatrième partie, parurent seulement en 16Î8 et
lOlil : un second épilogue les termine. Enfin, en
IGOO, il y ajouta un douzième et dernier livre, qu'il
dédia au duc de Bourgogne.
On a encore de La Fonlaine le Songe de Vaux,
Adonis, poème mythologique où il y a de l'élé-
gance, de la grâce, le sentiment et l'amour de la
nature, chose rare au xvii' siècle; un poème sur
le Quinquina, uu autre sur la Captivité de Saini-
Malc, des épitres, des ballades, des rondeaux :
dans tous ces ouvrages, on trouve des choses di-
gnes de La Fontaine, une imagination brillante, la
magie du style. Il publia encore un roman, Psyché,
imité d'Apulée, en prose niôlée d'excellents vers :
le cadre est une lecture faite à la campagne dans
Uiie réunion de quatre amis « dont la connaissance
avait commencé par le Parnasse », La Fontaine,
Boileau, IWoliùre, Racine, sous les noms de Po-
lyphile, Ariste, Gélaste, Acanthe. Molière, Cor-
neille et Quinault reprirent cet ouvrage et en
firent un opéra dont Lulli composa la musique.
Enfin, outre VEunut/Uf, La Fontaine a composé
quatre ou cinq comédies et deux opéras qui n'a-
joutent rien à sa gloire.
Voili toute l'œuvre de La Fontaine. Depuis
longtemps il avait vendu sa charge : son incapacité
pour les affaires, sou insouciance pour ses intérêts
matériels, son peu de conduite avaient achevé
d'anéantir sa petite fortune. Ses amis lui ob-
tinrent une charge de gentilhomme servant de
la duchesse douairière d'Orléans, Marguerite de
Lorraine, veuve de Gaston, qui l'admit parmi les
familiers do sa petite cour du Luxembourg.
M°" de Montespaa protégea aussi notre poète, qui
dédia !x la favorite le septième livre de ses fables,
un des plus beaux, La Fontaine fut lié avec les
hommes les plus illustres de son temps, et, si
l'on en excepte le bilieux Furetière, il n'eut pas
d'ennemis. Il était d'un commerce charmant; les
gejis du monde, comme les écrivains, le recher-
chèrent pour la supériorité de son talent et le
chérirent pour la douceur de son caractère, dont
une candeur enfantine fut toujours le trait princi-
pal. Ses distractions sont célèbres : peut-être est-il
permis d'y voir, outre le laisser-aller d'une nature
indolente, une sorte de calcul tin pour s' oler au
milieu des importuns et sauver cette indu, endance
d'esprit dont il était si jaloux.
La mort de la duchesse d'Orléans avait fait re-
tomber La Fontaine dans une position précaire :
M"" de la Sablière retira le ipiind enfant chez elle.
C'était une femme aussi distinguée par los qualités
du cœur que par les dons de l'esprit. La Fontaine
retrouva i l'hôtel de la Sablière la plus brillante
société : La Fare, l'ami particulier de la maîtresse
de la maison, Bernier, que Saint-Evremond appe-
lait le joli philosophe, et qui initia notre poète à la
philosophie épicurienne de Gassendi, plus con-
forme à ses goûts que celle de Descartes. M"" de
la Sablière fut pour lui une véritable mère et lui
épargna les mille soucis de la vie pour lesquels il
n'était pas fait. Il sentit tout le prix de cette ami-
tié délicate. C'était juste ce qu'il fallait au poète
qui a écrit ces vers charmants :
Qu'un ami véritable est une douce chose!...
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage!...
Bon soupe, bon gîte et le reste.
Pondant vingt ans, la sollicitude de M"" de la Sa-
blière ne se démentit pas ; elle ne crut jamais
pousser trop loin son rôle de tutrice attentive, qui
contribua sans doute à entretenir cet état do per-
pétuelle enfance où se complaisait le bonhomme.
Lasse de la vie, trompée par La Fare, délaissée à
son tour par son mari, elle se retira peu à peu du
monde : elle réforma sa maison et ne garda, dit-
elle, « que ses bêtes : son chien, son chat et son
La Fontaine. » Surveillé de moins près, La Fon-
taine se laissa facilement entraîner par les princes
de Vendôme et toute cette société d'aimables et
brillants débauchés qui égayaient le fameux hôtel
du Temple, Chapelle, Chaulicu, La Fare, etc.
En Iti'j i, à la mort de sa protectrice, La Fontaitie
restait encore seul à soixante-douze ans, quand la
tutelle et l'appui d'un ami lui devenaient plus in-
dispensables que jamais : il trouva tout cela chez
M. d'Hervart, conseiller au Parlement de Paris,
un des amis de M'"'^ de la Sablière, qui vint le
chercher : « Venez loger chez moi. — J'y allais »,
répondit La Fontaine avec une admirable simpli-
cité qui honore le bienfaiteur et l'obligé. M"' d'Her-
vart remplaça M"" de la Sablière dans son rôle
maternel, et La Fontaine passa le reste de ses
jours, entouré de soins ciue l'àgo rendait plus
touchants. Sa protectrice, plus jeune et plus sage,
lui faisait de la morale. l\inon aussi prêchait la
sagesse à La Fontaine, qui ne la pratiquait pas, pas
plus que sa conseillère.
Il jouissait de sa gloire de son vivant. Féneloii
apprenait i son élève, le duc de Bourgogne, à
l'admirer et à l'aimer. Louis XIV seul ne lut ren-
dait pas justice. Le poète eut beau, comme les
autres, payer son tribut d'éloges k la gloire du
grand roi : il n'eut jamais part aux faveurs de
Louis ni aux bienfaits dont Colbert était le dispen-
sateur. On ne saurait croire que le roi et le mi-
nistre aient gardé si longue rancune il la coura-
geuse fidélité de l'ami de Fouquet. Peut-être
méconnurent-ils la valeur d'un genre jusque-là
modeste, et ne comprirent-ils pas quels trésors y
avait épanchés le génie du poète Car on ne saurait
croire à un excès de vertueuse indignation, chez
un prince si peu sévère dans sa conduite, contre
l'auteur de contes licencieux. Madame de Mainte-
LA FONTAINE
— 1116 —
LANCASTIIE
non le tint-elle à l'écart des faveurs royales, parce
qu'il l'avait connue quand elle n'était que la femme
■de Scarron ? Quoi qu'il en soit de ces rigueurs
officielles, dont Boileau s'est rendu complice en ne
parlant pas de La Fontaine dans son Art poélique,
La Fontaine avait soixante-trois ans quand il se pré-
senta à l'Académie, qui fit un acte d'indépendance
unique à cette époque en le nommant en remplace-
ment de Colbert, de préférence à Boileau que pro-
tégeait la cour. Le roi mécontent refusa son adhé-
sion. Une nouvelle vacance eut lieu : Boileau fut
nommé à son tour. " Le choix que vous avez fait de
M. Despréaux, dit le roi aux délégués de l'Acadé-
mie, m'est fort agréable ; il sera approuvé de tout
le monde. Vous pouvez maintenant recevoir La
Fontaine ; il a promis d'être sage. » L'âge avait
d'ailleurs amendé le caractère et les mœurs du
fabuliste. Tne maladie grave qui faillit l'emporter
le ramena à la religion qu'il avait fort négligée
toute sa vie. Son confesseur le tourmentait, au
grand étonnement de sa garde-malade qui trou-
vait que « le bon Dieu n'aurait pas le courage de
le damner. » Il fit amende honorable pour ses
Contes. Ce ne fut pas sans peine ; il désirait vi-
vement en publier une dernière édition, offrant
naivemcnt d'en donner le produit aux pauvres. 11
se repentit de son mieux des erreurs de sa jeu-
nesse, et les expia par des exercices d'une aus-
tère piété. Il y eut bien quelques rechutes :
Proniettr^
; et tenir est un autre.
C'est ainsi que le cinquième et dernier li-
vre de ses (ouïes, publié depuis sa conversion,
est aussi licencieux que les premiers. Toutefois,
ses dernières lettres à Maucroix le montrent tout
aux sentiments religieux. Sa mort fut douce : il
s'éteignit le 13 avril 1695 à l'hôtel d'Hervart.
Rien ue trouble sa ùd, c'est le soir (l'un beau jour,
Maucroix, en apprenant sa mort, écrivit : « Nous
avons été amis plus de cinquante ans... Je lai
tendrement aimé, autant le dernier jour que le
premier... C'était l'âme la plus sincère et la plus
■candide que j'ai connue. Jamais de déguisements.
Je ne sais s'il a menti de sa vie. »
Il est difficile de faire un choix parmi ses plus
belles fables. Citons pourtant : Le Loup et l'A-
g7ieou,Le Chêne el le Rust-au, Le Chat et le vieux
Hat, Les Animaux malmtes de la peste. Le Héron,
Les Deux Piyeins, Le Chat, la Belette et le petit
Lapin, La Laitière et Ir- Pot au lait. Le Vieillatdet
les trois jeu7>es hommes. Le Pai/sau du Danulte.
Ce sont autant de chefs-d'œuvre, et l'on pourrait
en multiplier la liste.
La Fontaine a peu inventé : il emprunte ses
fables à Esope, à Pilpai, à Phèdre, au moyen âge,
^ la Renaissance. Mais
Son imitation n'est pas un esclavage.
11 imite de façon à avoir mérité le nom d'inimi-
table. Il dérobe les ajiciens, et nul n'a été plus ori-
ginal ; il est tellement créateur dans ce genre,
que La Fontaine n'est plus le nom d'un fabuliste,
mais le synonyme même de la Fable. Ce qui le
■distingue surtout, c'est la vérité, la vie : il ne con-
naît pas l'abstraction, il rend l'humanité visible
dans une action continue qui est la peinture la
plus vivante de l'honinic de tous les temps et de
la société du xvn" siècle. Ses fables sont
: cent actes divers
l'univers.
Les auteurs de ces drames sont tout le monde,
nous, nos semblables. Les bêtes nous prêtent
leur masque et leur langage (V. Fable). .Mais c'est
aussi une épopée véritable el ([ui descend en
droite ligne des vastes épopées du moyen âge;
elle représente toute la société, rois, nobles, cu-
rés, moines, magistrats, bourgeois, paysans.
On a contesté la moralité des fables de La
Fontaine : il est nécessaire de réfuter ici cette
erreur. Le poêle ne tire pas toujours directement
la morale de ses récits, sans doute ; il ne fait pas
la fable pour la morale, comme La Motte ; il la
laisse découler des faits qu'il généralise. Ce n'est
pas sa faute si
La raison du plus fort est toujours la meilleure...
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir,
etc., etc. Il en va ainsi dans le monde. Bousseau
et Lamartine, qui ont entre autres critiqué la
moralité de ces fables, n'ont pas compris que La
Fontaine nous fait voir ce qui est, et que c'est à
chacun de nous â tirer la leçon des faits. La na-
ture a ses lois invariables ; il nous les met sous
les yeux et les dégage à. la lumière d'une mise
en scène admirable : à nous de conclure, comme
dans la vie. Lessing a essayé de refaire les fables
de La Fontaine pour les rendre plus « morales » :
il en a fait des bei quinadei plus puériles qu'hon-
nêtes, innocentes, vertueuses, mais qui n'ont rien
de réel. \e dissimulons pas la vérité à l'enfant :
devenu homme, il viendrait se heurter douloureu-
sement à la réalité.
Il est une autre erreur que nous devons relever.
On a pu croire que La Fontaine écrivait facile-
ment. La duchesse de Bouillon l'avait appelé son fa-
blier, croyant qu'il produisait des fables natu-
rellement, sans effort, comme un pommier produit
des pommes. Elle n'avait pas compris ce que ce
style si naturel et si facile cache d'art, de travail :
« ses négligences mêmes ne sont pas toutes des
bonnes fortunes, c'est le fruit d'un art pro-
fond et caché. » (Tissot.) C'est une perfection sa-
vante. Aussi, sa langue est-elle à. lui ; c'est
la plus personnelle que jamais écrivain ait
parlé, sans excepter Molière. Une seule qua-
lité lui est naturelle, c'est la naïveté : il la doit
à la sincérité de son âme; il ne l'a pas cherchée.
La Motte ne la connaît pas, qui l'a poursuivie.
Chamfort a porté sur La Fontaine ce jugement, qui
est définitif :« Il offrit le singulier contraste d'un con-
teur trop libre et d'un moraliste excellent : il re-
çut en partage l'esprit le plus fin qui fut jamais, et
devint en tout temps le modèle de la simplicité. Il
posséda le génie de l'observation, même de la satire,
et ne passa jamais que pour un bonhomme. II
dérobe sous l'art d'une négligence parfois réelle
les artifices de la composition la plus savante, fait
ressembler l'art au naturel, souvent même à
l'instinct ; cache son génie par son génie môme...,
et fut, dans le siècle des grands écrivains, sinon le
premier, du moins le plus étonnant. »
Finissons par ces lignes de Féueion : « Lisez-le,
et dites si Anacréon a su badiner avec plus de
grâce, si Horace a paré la philosophie et la mo'-
raie d'ornements plus variés et plus attrayants; si
Térence a peint les mœurs des hommes avec plus
de naturel et de vérité ; si Virgile, enfin, a été
plus touchant et plus harmonieux, n
[A. Pressard.]
LAIT. — V. Aliments.
LANCASTRE. — Histoire générale, XXVIll. —
Nom d'une branche de la famille des Plantagenets,
qui a donné trois rois à l'Angleterre. Henri IV,
Henri V et Henri VI. La maison de Lancastre ayant
dans ses armes une rose rouge, on appelle aussi
ces trois souverains rois de la rose rouge, par op-
position aux rois de la rose blanche ou de la mai-
son d'York.
Henri IV, OU Henri de Bolingbroke (les prin-
ces anglais ajoutaient i leur nom le nom delà ville
où ils étaient nés!, né en 136", eut |)Our père Jean
de Gand, duc de Lancastre et troisième fils d'E-
LANCASTHE
— 1117 —
LANGAGK
(limard III. Le roi Ricliiiril II, successeur et putit-
tils d'Iîdouard Hl, avait banni et dépouille do ses
hiensson cousin Henri : celui-ci, réfugié en France,
forma un complot dans le(|ucl entrèrent la plu-
part des grands seigneurs anglais. Comptant sur
le mécontentement causé par la tyrannie de Ri-
chard, il tenta un débarquement à la tète de quel-
fines partisans, et vit bientôt la plus grande partie
de la nation se rallier à lui. Uicliard H, fait pri-
sonnier, dut abdiquer, et le Parlement donna la
couronne h Henri de Bolingbroke (131)9). Par cet
acte se trouvaient écartées du trône, au profil de
la famille de Lancastre , non seulement la bran-
die aînée des Plantagenets, en la personne du roi
déposé, mais encore la descendance du dnc de
Clarence, second fils d'Edouard III.
Quelques amis du souver.iin déchu tentèrent un
soulèvement; ils furent vaincus, et Richard fut
mis k mort dans sa prison (I4U0). Un peu plu;
tard, une autre révolte, celle du comte de Porcy
et de son fils, !e fameux Hotspw, mit en danger
le trône d'Henri IV ; les Gallois avaient pris parti
pour les rebelles. Ceux-ci furent néanmoins défaits
à la bataille de SInewsbury , où périt Ilotspur
(1403). Plusieurs fois encore, Henri IV eut à
lutter contre des tentatives de révolte. Aussi, pour
consolider son pouvoir, s'appuya-t-il sur l'Église
d'une part, dont l'influence, ébranlée quelques
années auparavant par les prédications de VViclefT,
s'exerça au profit de la maison de Lancastre ; et
(l'autre part sur le Parlement, à qui Bolingbroke de-
vait sa couronne, et qui obtint par cette raison
une part considérable dans le gouvernement.
Henri IV mourut en U13.
Henri 'V, de Monmouth, succéda à son père
Henri IV. Il avait dans sa jeunesse mené l'exis-
tence la plus dissipée ; Shakespeare en a retracé
quelques épisodes dans les deux parties de son
drame û' Henri IV, en immortalisant sous le nom
de Falstaff l'un des compagnons de débauche du
jeune prince. Mais, i peine sur le trône, Henri V
montra toutes les qualités d'un souverain à la fois
ferme et prudent. Il continua la politique de son
père à l'égard de l'Église et du Parlement; et,
voyant l'occasion favorable, il résolut de récla-
mer de la Franco l'exécution du traité de Brétigny.
Lors de la déposition de Richard II, le duc d'Or-
léans, qui gouvernait alors la France au nom de
son frère Charles VI, avait refusé de reconnaître
l'usurpateur Bolingbroke comme roi d'Angleterre.
Or, c'était justement le parti d'Orléans ou des
Armagnacs qui, en I4I3, après l'écrasement des Ca-
bochiens, venait de ressaisir le pouvoir à Paris.
Henri V déclara la guerre il Charles VI, gagna la
bataille d'Azincourt, et obtint, par le traité de
Troyes, plus qu'il n'avait demandé d'abord. De-
venu gendre et héritier de Charles VI, il mou-
rut en 14"J2. Il laissait un fils au berceau.
Il Henri de Monmouth, dit-il à son lit de mort,
aura régné peu et conquis beaucoup ; Henri de
Windsor régnera longtemps et perdra tout. »
Henri VI, de \A indsor, fut proclamé roi de
Franco et d'Angleterre à la mort d'Henri V. Après
un règne long et malheureux, il devait, selon les
paroles prophétiques de son père, perdre ses
deux couronnes. Nous avons raconté ailleurs (V.
(iufrre (le C'eil Ans) comment les Anglais furent
chassés de France. La trêve de Tours (1444) mil fin
à la longue lutte entre les deux peuples voisins, et
Henri VI épousa alors une princesse française, Mar-
guerite d'Anjou. Mais bientôt éclata la sanglante
guerre civile des Deux Roses,causée par les préten-
tions de la maison d'Yoïk, qui avait hérité des droiis
de la maison de Clarence, et qui revendiquait la cou-
ronne {V. Guêtre des neu.rlioses}. llanri VI, faible
d'esprit, était incapable de défendre lui-même son
autorité ; mais Marguerite d'Anjou déploya, dans
la lutte implacable engagée onlre les deux mai-
sons rivales, une énergie virile. Elle ne put em-
pêcher toutefois la défaite du parti de la rose
rouge. Henri VI, fait prisonnier une première fois
par ses adversaires, puis délivré, retomba entre
les mains d'Edouard IV d'York, fut rétabli un ins-
tant sur le trône en 14T0, par Warwick, puis,
captif de nouveau, fut mis à mort en 1411.
LANGAGH. — Psychologie, XIV. — Dans son ac-
ception la plus générale, le mot lanr/age désigne
tout système de signes destinés à exprimer les
sentiments ou la pensée. Par suite, on peut dis-
tinguer autant d'espèces de langage qu'il y a d'es-
pèce de signes pouvant servir à établir entre les
hommes la communication dos pensées ou des sen-
timents. L'ancien télégraphe aérien étaitainsi uns
sorte de langage ; de même les signaux de ma-
rine, encore en usage aujourd'hui. Los Orientaux
ont composé un langage symbolique par le moyen
des fleurs, etc.
Les mouvements du corps (jeux des muscles du
visage ou physionomie, gestes) sont également un
langage, et celui-lh. très expressif et très varié.
Néanmoins, sauf chez les sourds-muets, il ne fait
qu'accompagner, accentuer le langage articulé,
qui est la manifestation la plus parfaite du lan-
gage vocal ou auditif.
n L'organe qui est le siège de la voix est le la-
rynx. La voix est produite par l'air expiré qui, exer-
çant une certaine pression sur ce qu'on appelle les
cordes vocales, les fait entrer en vibration. Or les,
sons de la voix sont de deux sortes, articulés ou
innrticulcs.
n On appelle articulés les sons qui, ayant leur
origine dans le larynx, sont modifiés au passage
par le pharynx, la bouche et les fosses nasales...
» Les sons inarticulés, qui ne subissent pas ces
modifications, s'appellent les cris.
» Les sons articulés sont ce que l'on appelle la
parole.
" Le langage inarticulé est commun à l'homme
et aux animaux ; le langage articulé est propre h.
l'homme. Quelques animaux sont capables d'ar-
ticuler des sons ; mais ils ne s'en servent pas
comme d'un langage, c'est-à-dire pour exprimer
leurs besoins. Lorsque le perroquet a faim, il crie,
il ne parle pas. La parole est pour lui un amuse-
ment, non un instrument de communication avec
ses semblables. « (P. Janet.)
Une des distinctions les plus généralement usi-
tées, est celle qu'on établit entre le langage natu-
rel et le langage artificiel. Le langage naturel
comprend les signes que l'homme emploie indé-
pendamment de toute réflexion et de toute volonté:
tels sont les cris de la douleur, de la joie, de la
colère, etc., et en général tous les gestes, toutes
les attitudes qui traduisent les émotions ou les
passions les plus simples. Les deux caractères
principaux des signes naturels, c'est qu'ils sont
idoniiques chez tous les hommes sous l'empire de
la même passion (i moins que par un elTort éner-
gique et assez difficile de la volojité la manifesta-
tion extérieure de la passion ne soii supprimée) ;
c'est ensuite qu'ils sont instinctivement compris
par tous les hommes, de la même manière, comme
expression d'une passion donnée.
Le langage artificiel ou conventionnel est formé
par des signes inventés ou choisis expressément
et arbitrairement par les hommes. Il est évident
que pour une même idée les signes artificiels peu-
vent varier il l'infini, et qu'ils ne sont compris que
de ceux-là .seuls qui sont au courant de la conven-
tion. Parmi les différentes espèces de langages
artificiels, il faut citer, suivant M. Janet : 1° les
langues scientifiques, notatnnnint la nomenclature
chimique, la langue algébrique, la nomenclature
botanique; 2° la notation musicale; 3" les chif-
fres ; 4" le langage sténographique, l'écriture, les
systèmes de signaux dont il a été parlé plus haut ,
LANGAGE -1118- LANGAGE
t. 'vKZ'TvZr^j''::TZ'^ "''""'' "- ''^^»"^ 1 P"^ ^" t.a,.lornn.n,e. que le chant fut le ,
savo
la
signes artificiels. D'une part, il semble que les
mots qui composent toutes les langues con-
nues n'ont avec les idées qu'ils expriment que
de rapports purement conventionnels; autrement,
une seule langue devrait exister, dont tous les
hommes auraient l'intelligence sans l'avoir jamais
parfois prodigieuse de la musique' comme expres-
sion de la passion.
Qu'on nous permette ici de nous citer nous-
mênie, en nous résumant:
" Diminuez le volume de la voix, supprimez les
notes qui dépassent une certaine hauteur moyenne,
langues modernes dérivent de langues plus an
tiennes, mortes aujourd'hui, et ces dérivations
s'accomplissent suivant des lois nullement arbi-
traires que déterminent les philologues. Et en re-
montant aussi haut qu'il nous est possible dans le
passé, nous ne saurions trouver l'homme de génie
qui fut l'inventeur du langage, si rudimentaire
qu'on veuille le supposer à l'origine. En sorte que
la parole paraît bien être le produit spontané d'une
faculté essentielle à l'âme humaine, l'expression
naturelle de la pensée.
C'est là le problème célèbre de l'origine du lan-
gage, problème si souvent agité par les philoso-
phes, depuis Pythagore, Démocrite et Platon jus-
qu'à nos jours. Parmi les solutions qu'il a reçues,
mentionnons, mais seulement pour mémoire, celle
de M. de Bonald, pour qui le langage était l'œuvre
de la révélation, et avait été directement donné
par Dieu au premier homme. Hypothèse à peine
digne de la discussion, si l'on entend, comme on
le fait ordinairement, que l'iiomme reçut de Dieu
une langue toute faite, et dont toutes celles qui
ont été parlées depuis ne sont que des images dé-
figurées; mais peut-être est-ce pousser la doctrine
de M. de Bonald au deh'i de ce qu'il a voulu
dire.
L'hypothèse du langage considéré comme une
invention purement artificielle, a été soutenue par
Démocrite et réfutée avec éclat dès l'antiquité par
Lucrèce. Un si merveilleux instrument ne saurait
être l'œuvre volontaire et réfléchie d'une intelli-
gence qui ne l'aurait pas déjà à son service. « La
parole, dit Rousseau, serait nécessaire pour in-
venter l'usage de la parole. »
La troisième hypothèse, généralement adoptée
de nos jours, fait du langage, comme nous le di-
sions tout à l'heure, le produit spontané d'une fa-
culté essentielle à l'âme humaine, l'expression na-
turelle de la pensée. Mais, ainsi présentée cette
solution, dont se contentaient Joufîroy et Garnier
est vague et superficielle. Elle ne saurait suffire'
en présence de la théorie transformiste et des tra-
vaux des philologues contemporains, qui ont en-
tièrement renouvelé le problème.
On sait que, pour les transformistes, l'homme
dérive dune espèce animale, aujourd'hui éteinte
et qui fut la souche commune de tous les singes
anthropomorphes. Ceux-ci sont donc, comme on
1 a dit, non pas précisément nos ancêtres mais
nos cousins germains. Attribuant ainsi une origine
purement animale au genre humain, le transfor-
misme ne saurait reconnaître, sans se contredire
lui-même, 1 existence d'une faculté du langage qui
soit le privilège exclu-.if de l'homme, et e^tablisse
une barrière infranchissable entre lui et l'animal.
Mais entre le cri de la bète et le verbe qui traduit
la pensée humaine, quel abîme ! et comment le
combler ? Le chef du transform
. que le ton passionné
se soit abaisse peu à peu à celui de la raison tran-
quille. .N'est-ce pas là ce que confirme la marche
historique de l'esprit humain? La prose n'est-elle
pas née partout de longs siècles après la poésie
qui, à l'origine, se confondit avec le chant ?
» L'explication précédente rend à peu près compte
de l'évolution générale de l'expression vocale;
mais elle ne nous apprend pas d'où est sorti l'élé-
ment même du langage articulé, le mot. Sur ce
nouveau point, qui est décisif, le transformisme
aurait, semblet il, gain de cause, s'il pouvait éta-
blir que le mot est dérivé naturellement, soit des
interjections inarticulées, qui traduisent les senti-
ments primordiaux de l'âme humaine, soit de l'i-
mitation des sons extérieurs, et particulièrement
du cri des animaux. Rien, en elTet, ni dans l'in-
terjection, ni dans l'imitation, qui dépasse les ca-
pacités mentales des animaux supérieurs. »
D'éminents philologues, notamment l'illustre
Max Millier, se sont attachés à montrer que l'une
et l'autre était également insuffisante pour expli-
quer l'origine des mots. C'est aux racines que
Max Muller attribue, pour la formation du langage,
une importance décisive ; elles marquent, selon lui,
le point précis où commence la parole vraiment
humaine, et établissent entre le langage émotion-
nel, qui pourrait nous être commun avec la bête,
et le langage intellectuel, qui nous appartient
en propre, une ligne de démarcation infranchis-
sable.
,, Tx • . jusme contempo-
rain, M. Darwin, inrlme à croire que le chant
pourrait bien fournir la transition cherchée
Il semble en efi'et prouvé que certains singes
peuvent produire une série régulière de note
Mais de graves autorités repoussent aujourd'hui
la tliéorie de Max Muller. On peut toujours se de-
mander, en efi'et, d'où viennent les racines elles-
mêmes. Max Muller refuse de poser cette ques-
tion, sous prétexte qu'elle échappe, par sa nature,
aux conditions de la science expérimentale. Sans
doute, si l'on s'en tient aux langues entièrement
constituées et susceptibles d'être étudiées dans
des monuments écrits, on ne peut remonter au
delà des racines et on doit les considérer comme
les éléments ultimes auxquels l'investigation po-
sitive puisse atteindre. Mais ces limites relative-
ment étroites, l'induction peut essayer de les fran-
chir. D'autre part, les innombrables idiomes des
tribus sauvages ont beaucoup à nous apprendre,
et en recueillant et concentrant ces diverses sour-
ces d'information, plusieurs philologues contem-
porains sont arrivés à cette conclusion que l'in-
terjection, l'onomatopée, l'imitation des bruits
extérieurs ou des cris des animaux, suffisent pour
expliquer l'origine, sinon de tous les mots, au
moins d'un fort grand nombre. Par là se trouve
confirmée la théorie que Platon proposait déjà dans
le dialogue du Cratyle.
Selon lui, les articulations les plus simples,
voyelles ou consonnes, sont limitation, par l'or-
gane vocal, de certaines qualités élémentaires
des objets. Ainsi la lettre R, pour la prononcia-
tion de laquelle la langue tourne rapidement, a
dû traduire naturellemeut le mouvement. Dans
la prononciation du D et du T au contraire, la
mtrsicàles'^ On nent ronfeè','' '''^"T^ '^' "°'<'^ '^"8"'= P^''^^''' ^PP»'«- ^''"^''> P»"^ ""'«' dire,
musicales. On peut conjecturer, selon les prinei- contre les dents ou le palais ; l'analogie a du con-
LANGAGE
— 1119
LANGAGE
duii'e à expiiiiier par ces lettres ou par des syl-
labe» qui les renferment, les qualités de stabilité,
lie repos. Platon examino successivement à ce
point de vui! les articulations primitives, et essaie
d'en déterminer la signification. Les applications
de détails de cette théorie peuvent sembler par-
fois puériles ; mais le principe en est accepté
par les plus autorisés des pliilosoplios contempo-
rains.
On voit par là quel rôle considérable l'analogie
a dû jouer dans la formation des mots. N'est-ce
pas en effet procéder par analogie que de peindre
avec des sons articulés la rapidité, la lenteur, la
stabililé, et généralement les propriétés exté-
rieures des objets ? Mais dans cette voie, les pro-
grés sont en quelque sorte illimités. Si, par
e«emple, une articulation rapide et brève traduit
i l'oreille un mouvement de même nature, elle
pourra aussi bien donner l'idée d'un espace court,
car un tel espace est vite parcouru; par suite, elle
exprimera tout objet petit, faible, insignifiant.
C'est encore h l'analogie qu'il faut rapporter ce
procédé, si fréquent dans les idiomes sauvages,
de la répétition. Il servira k traduire, tantôt la
continuation de l'action, tantôt l'agent ou l'instru-
ment de celte action, tantôt la grandeur pu la pe-
titesse de l'objet.
Il faut admettre enfin qu'à l'origine, ces diffé-
rents procédés ont donné naissance dans le même
idiome à plusieurs formes diverses pour traduire
la même idée. Les formes les plus simples, les
plus intelligibles, ont peu à peu éliminé leurs ri-
vales. Ce travail inconscient de sélection dut être
d'autant plus rapide, que l'idiome était de form,i-
tion plus récente ; par suite, des dialectes sortis
d'une souche commujie ont dû promptement di-
verger, au point que leur parenté devint prompte-
ment méconnaissable.
Mais si la philologie la plus récente semble
aboutir à des conclusions assez différentes de celles
de Max Mullor sur la question de l'origine du lan-
gage, il ne s'ensuit pas qu'elle supprime toute
barrière entre le langage émotionnel et le langage
intellectuel, et qu'elle se refuse à reconnaître dans
la formation des mois l'opération de facultés ex-
clusivement propres à l'homme. En effet, le pro-
cédé de l'imitation, tout naturel et spontané qu'en
paraisse l'emploi, implique déjà la réflexion et la
volonté. La bête en est incapable. On n'a jamais
vu l'agneau, le bœuf, le singe môme, après avoir
échappé à la poursuite d'un lion, exprimer la cause
de leur terreur par un rugissement. L'onomatopée
n'est déjà plus la cri soudain, irrésistible de lé-
motion; elle est une traduction, par l'intelligence,
de quelque chose d'extérieur; elle est analogue au
dessin qui retrace à l'œil le contour des formes,
et il n'y a pas, que nous sachions, d'exemple d'un
animal qui ait dessiné sur le sable, avec sa patte
ou son bec, l'image, si grossière qu'elle fût, d'un
objet. C'est que la production imitative des sons
et des formes n'est possible -qu'à la suite d'une
abstraction, et que la faculté d'abstraire semble
bien être le privilège de notre espèce, en même
temps que la source de tout lajigage.
Une remarque analogue s'applique à l'imitation
des mouvements, si bien décrite par Platon dans
le passage mentionné plus haut. Si le son que pro-
duit l'émission rapide de l'air par l'organe vocal a
primitivement exprimé l'idée d'un objet qui s'é-
coule rapidement, il a fallu d'abord dégager cet
attribut de tous ceux qui sont communs à cet ob-
jet. L'eau d'une rivière est brillante. froide, sonore;
elle étanche la soif; elle engloutit le baigneur im-
prudent, la barque mal dirigée, etc.; voilà bien
des caractères que les premiers hommes qui ont
parlé, ont dû laisser à l'écart pour aller droit au
trait essentiel, qui est la rapidité de l'écoulement.
La condition d'un tel choix, c'est donc toujours
, la faculté d'alistrairc, de considérer une qualité à
j l'exclusion d(!s autres,
î On peut aller jusqu'à dire qUe le langage ne
I nomme pas proprement des choses, mais seule-
ment des qualités. Pourtant les mômes qualités
1 conviennent souvent à plusieurs choses différentes ;
' le même signe pourra ainsi servir à désigner plu-
sieurs réalités d'espèces distinctes qui se ressem-
blent par un trait commun. Quelque imitatif qu'il
, ait été à l'origine, le mot fut donc dès le principe
un produit, non senlement de l'abstraction, mais de
I la généralisation. Ajoutons que le mot estdouble-
' ment abstrait et général, car le signe qui a été
tout d'abord choisi pour exprimer lioji, arbre, ri-
Wièce, etc., a dû servir immédiatement à nommer
non pas tel individu spécial et isolé, mais tous
ceux de la même espèce. Par là se trouve sufflsam-
I ment réfutée l'assertion des évolutionnistes qui
prétendent que les sauvages n'ont pas de termes
abstraits. Tout mot est abstrait, par cela seul
qu'il est un mot.
Quant aux choses qui ne tombent pas sous les
sens, il est infiniment probable que primitivement
elles furent toutes nommées par analogie avec cer-
tains objets ou phénomènes matériels. La méta-
pliore a été et est encore aujonrdliui l'une des
sources les plus fécondes du langage. Sans doute,
ces analogies furent d'abord superficielles, presque
arbitraires ; la plupart nous échappent; mais l'im-
portant pour l'homme, c'est qu'un sigue soit at-
taché à une idée ; l'usage, la tradition consolident
le lien, fragile au début, qui les unit. Et ces pro-
cédés analogiques et métaphoriques ne sont au
fond que l'application de ces mêmes pouvoirs
d'abstraire et de généraliser, condition essentielle
du langage humain.
On doit conclure de tout cela que le langage est
l'œuvre volontaire et réfléchie de l'homme. S'il est
vrai que la grammaire d'une langue traduit au de-
hors des lois nécessaires de la logique, et, par
suite, peut être considérée comme l'expression
spontanée de la pensée en acte, il n'en est pas de
même du vocabulaire. Celui-ci se forme peu à peu,
par additions successives; il s'enrichit et se mo-
difie incessamment et dans la plus large mesure.
Les mots qui le composent ont tous été créés et
cela par une volonté expresse ; chacun d'eux a
commencé d'exister un certain jour, quelqu'un l'a
lancé dans le inonde, et la société tout entière est
devenue sa mère d'adoption. Fut-il donc un temps
où l'homme ne parlait pas'? Cotte hypothèse n'a
rien d'invraisemblable; nuis elle n'implique pas
qu'un état d'isolement absolu ait précédé dans
l'histoire du genre humain les premières formes
de l'existence sociale; l'homme a pu d'abord com-
muniquer avec ses semblables par gestes, par si-
gnes, par différents moyens inarticulés d'expres-
sion. Elle n'implique pas davantage que la pensée
et la réflexion aient été absentes au début; loin
d'être fille du langage ou même de naître en même
temps que lui, la pensée lui est logiquement et
chronologiquement antérieure, comme l'ouvrier à
l'instrument. D'ailleurs, tout en admettant que le
langage soit en toute rigueur une invention de
l'Iiomme, rien n'empêche de supposer que cette
découverte fut une des premières et qu'elle a été
presiiue contemporaine de l'humanité et de la so-
ciété. Quoiqu'il en soit, nous pensons que le lan-
gage est l'ueuvre, non d'une faculté spéciale d'ex-
pression et d'interprétation, comme le voulaient
Jouffroyet Garnier, mais simplement de ces facultés
d'abstraire et de généraliser qui, essentielles à
l'esprit humain, furent en acte dès le premier jour,
et ont créé avec la parole tous les arts, toutes les
sciences, toutes les manifestations infiniment
variées de la pensée réfléchie.
Ces facultés à leur tour ont dû au langage de
rapides et merveilleux développements. Nous n'a-
LANGUE MATERNELLE
H20
LANGUE MATERNELLE
vons pas i insister ici sur les rapports du langage
avec la pensée; qu'il nous suffise de rappeler qu'il
est pour celle-ci le plus puissant instrument de
l'analyse. Or, sans l'analyse, nulle science possible.
On a quelque peine à se représenter ce que serait
l'intelligence delhonime sans le langage, et l'iden-
tité des mots ratio et orniin en latin, le double
sens en grec du mot loyos, montrent que l'iiomine
a compris de bonne heure la parenté nécessaire
de la pensée et de la parole, du verbe et de la
raison.
A consulter. — Paul Janel, Traité élémentaire de phi-
losophie, ch. I el xi; Ad. Garnier, Traité des facilités de
l'âmey Hv. viii. ch. ii ; RcDan, Origine du langage; Max
Miiller, Leçons sw la science du langage; et nos Éludes
sur la théorie de l'Evolution, sixième étude.
[L. Carrau.]
LANGUE U'OC, LANGUE B'OIL. — V. Ro-
yiiancs {Langues).
LANGUE MATERNELLE. — On appelle ainsi
la langue que dans la première enfance nous ap-
prenons de notre mère. Déjà les anciens avaient
remarqué l'influence des femmes sur le langage
de l'enfant, et pour le choix d'une nourrice ils re-
commandaient de tenir grand compte de sa pronon-
ciation. Par une distinction aussi fine que vraie,
nous disons : la langue maternelle, tandis qu'on
dit : la maison paternelle. L'enfant, quand il arrive
à l'école, apporte avec lui cette langue maternelle,
et c'est là un premier fond auquel l'instituteur at-
tribuera avec raison une grande importance.
Pendant longtemps on a trop enseigné le fran-
çais comme une langue morte. Et pourtant l'enfant
a employé des substantifs, des verbes, des pro-
noms avant de franchir le seuil de l'école. Il est
bon de le lui faire constater. S'il s'agit, par exemple,
d'expliquer ce que c'est qu'un substantif, le moyen
le plus simple est de prendre dans les derniers
mots prononcés par l'écolier quelque substantif et
de les lui donner en exemples. On demande ensuite
des exemples aux autres élèves de la classe : chacun
fournit le sien. Il en est de même pour les autres
parties de la grammaire. C'est toujours une sur-
prise de voir ce que savent les enfants. D'eux-
mêmes, pour peu qu'on les mette en train, ils
conjugueront, sur le verbe finir, le verbe se réjuuir,
sans avoir appris ce qu'est un verbe réfléchi. Ils
mettront le subjonctif après les conjonctions n
moiîis que, pourvu (jue, pour que, sans avoir ap-
pris les modes. Ils emploient des conditionnels
longtemps avant de conjuguer des verbes : « J'achè-
terais des gâteaux, si j'avais de l'argent. J'aurais
porté secours, si j'avais été là. » Il faut, au moment
d'enseignerle conditionnel, leleur faire remarquer.
On doit avant tout tirer de l'enfant ce qu'il sait;
c'est alors un plaisir pour lui de voir que la gram-
maire n'est pas une chose nouvelle qu'on lui ap-
porte du dehors, mais qti'il la pratique depuis
longtemps de lui-même.
L'enfant possède une quantité de locutions
toutes faites, parfaitement françaises et dont il con-
naît le sens général. Seulement il serait souvent
embarrassé pour les décomposer. La tâche du
maître sera de lui apprendre à en distinguer les
difïérenles parties. Par exemple cette phrase:
Comment cela va-t-il ? est claire pour tout le
monde : mais à la dictée on obtiendrait, avec une
classe mal proparée, les séparations de mot les
plus fautives. Ces fausses séparations, qui ont plus
do gravité que les fautes d'orthographe, sont un
des signes auxquels on reconnaît une instruction
grammaticale mal dirigée.
Parler et écrire sont essentiellement des art s
pratiques, des arts de même nature que de marcher
ou de se servir de ses mains. Il faut donc exercer
les enfants à parler et à écrire. La première leçon
de langue maternelle doit être intimement unie à
la leçon de choses. Chaque partie de la leçon de
choses sera résumée en une phrase courte, claire,
substantielle, que le maître prononcera ou qu'il
fera trouver à l'élève. On la fait répéter par une
série d'élèves jusqu'à ce que tout le monde la
sache, et alors on demande qu'elle soit rappor-
tée par écrit. Si les enfants sont trop jeunes, on
peut l'écrire au tableau.
Une autre leçon de langue maternelle se ratta-
chera à la lecture d'un texte. Le vocabulaire de
l'enfant est borné : il ne contient que les mots qui
lui sont nécessaires pour ses actes et ses senti-
ments de tous les jouis. La lecture présentera
quantité de mots nouveaux que l'enfant ne com-
prend pas et qu'il est nécessaire de lui expliquer,
non par des définitions, mais par des exemples ou
par d'autres phrases où on les fera entrer. C'est
encore une note fâcheuse pour une école, quand
on découvre que les élèves y emploient des mots
dont ils ignorent la signification. Il arrive alors
que, trompés par des assonances, ils emploient un
terme pour un autre, comme tralùson pour tradi-
tio7i, ou continence pour comenonie. .Mieux vau-
drait n'avoir qu'un petit nombre de mots à sa dis-
position et les employer avec justesse et bon sens,
que d étaler ces fausses richesses.
Les nombreuses métaphores que contient la
langue et que nous employons sans en scruter
l'origine ont besoin d'être expliquées: pourquoi
dit-on un esprit étroit, une âme tjasse, un cœur
chaud'! autant de comparaisons abrégées qui peu-
vent donner lieu à quelques mots d'intéressante
explication. Le maître doit surtout faire la guerre
aux métapliores mal suivies, comme remplir un
Init, emlirnsser une carrière. Quand une locution
incorrecte se présente, ce n'est pas assez de la
relever : il faut tâcher d'en découvrir la cause.
Presque toujours c'est quelque fausse analogie qui
a trompé l'écolier. Pourquoi entend-on dire de
plus en plus : je demande à ce que... ? c'est par
fausse analogie avec je tiendrais à ce que, je con-
sens à ce que. De même remplir un but vient de
remplir un désir, et em/irn^ser ime carrière est
l'imitation à'emfjjnssfr une religion, une opifiion.
Quand l'élève voit la cause de la faute, il est mieux
préparé à l'éviter.
Sans faire de nos écoliers de petits orateurs,
on peut les exercer à parler sur un sujet pendant
trois ou quatre minutes, à condition qu'ils aient
d'abord étudié le sujet et qu'ils le connaissent
bien. Ou a remarqué la fiicilité avec laquelle les
écoliers américains manient leur langue maier-
nelle : cela tient aux exercices de l'école primaire.
Ce n'est pas assez de faire apprendre la langue
française à l'enfant: il faut la lui faire aimer. Le
maître dira donc à l'occasion que notre langue a
été la première qui, au moyen âge, se soit dégagée
du latin; que dès le xii° et le xiii'^ siècle on la par-
iait dans toute l'Europe, que nos vieux poèmes
du moyen âge ont été traduits en toutes les lan-
gues, et que nos héros français, comme Roland, ont
été populaires dans le monde entier; il parlera en-
suite de l'éclat incomparable que notre littérature a
jeté auxM',au xvii'etau.win" siècles; il rappellera
que la langue française est devenue la langue de la
diplomatie ainsi que de la société polie de tous pays,
et il pourra ajouter qu'aujourd'hui encore tout
homme cultivé s'applique à la parler, ce qui n'est pas
une raison pour nous de ne pas apprendre les
langues étrangères, mai-, plutôt une raison de les
apprendre, pour n'être pas moins instruits et moins-
bien préparés à tout événement que nos voisins.
Pour faire comprendre les mérites que l'étranger
découvre dans la langue française, le maître fera
remarquer de temps à autre l'énergie ou la finesse
de certaines expressions : souvent les locutions
populaires sont d'une concision et d'une force par-
ticulières, que nous ne songeons pas à relever
parce que nous y sommes habitués. Quelle préci-
LANGUE MATERNELLE — 1121 — LANGUE MATERNELLE
sioii dans un proverbe comme : Qui terre a, guerre
II, ou dans : Il faut bien faire, et laisser dire. Un
moyen de faire aimer en mfime temps que de
faire apprendre la langue maternelle, ce sont les
cliansoiis, ([ui doivent avoir une place importante
il l'école, ;\ condition que les paroles soient bien
choisies et méritent d'ûtre retenues. Le jour où les
élèves do toutes les régions de la France empor-
teront de I école un certain nombre de chants
parlant d'une inspiration pure et élevée, un lien
de plus aura été créé entre rranç,ais et la
langue maternelle aura accru son empire sur les
ca'urs.
Pour faire sentir la propriété des termes, un
bon exercice est de choisir une idée et de montrer
de combien de manières la langue parvient à la
rendre. Je suppose qu'il s'agisse du yavbe premlre
et do ses différentes nuances : « Le soldat saisit son
arme ; l'enfant cueille une fleur ; les gendarmes
appréhendent un voleur; le chat «/icffpe la souris ;
l'armée enlève la position ; l'écolier comprend le
problème. » On fera percevoir ainsi la métaphore
qui assimile notre intelligence il des mains qui
s'emparent d'un objet. La langue anime tout :
« Une auberge boigne; une affaire louclœ; sourd
comme un pot. «Les images de notre langue se rat-
tachent il un passé qu'il faut tâcher de faire revivre.
Tantôt elles nous viennent d'un jeu, par exemple
dujeude paume : "Il a pris la balle au bond. Je vais lui
renvoyer la balle. Il s'est laissé empaumer. » Tantôt
c'est à quelque profession qu'elles sont empruntées,
comme celle du meunier, ou de l'aubergiste, ou du
marchand, ou encore à la vie militaire ou il la ma-
rine. Pour ne parler que de cette dernière, voyez
combien elle foui'nit de termes : «Allons l'accoster !
il ne veut pas démarrer d'ici. Aborde-le! Mettons
le grappin sur lui ! Donnons-lui la chasse ! » Des
expressions d'un usage courant, telles que échouer
ou arriver, n'ont pas d'autre origine. Les écrivains
comme La Fontaine et Saint-Simon abondent en
expressions pittoresques, parce qu'ils savent la lan-
gue de beaucoup de corps d'état et de la plupart
des situations sociales.
L'étude de la formation des mots et leur classe-
ment on groupes et en familles a fait des progrès,
grâce à de bons livres qui sont aujourd'liui entre
les mains de tous nos maîtres. Ici surtout il ira-
porte de choisir ses exemples : autant que possible
des verbes, et des verbes ayant pris naissance en
français. Tel est le verbe monter, qui vient du
substantif mo'd, l'idée du mouvement ascension-
nel en général ayant été exprimée par un verbe
qui voulait dire d'abord escalader une montagne.
Voyez la hardiesse d'une langue qui dit : montur
h cheval, le prix du blé a monté, le vin monte dans
la bouteille. Ce verbe a Klonné les composés :
surmonter (avec son dérivé insunnonlnl/le), re-
monter (un cavalier de remonte), démonter (cette
interruption a démonté l'orateur). On dit aussi :
la montée d'une colline ; le montant d'une échelle,
ou encore d'une note ii payer ; le uiontaye dune
machine, d'une filature ; la monture d'un cavalier,
ou encore celle d'un thermomètre, d'un violon,
d'un pistolet, d'un éventail, d'un bijou. Quand on
dit qu'un directeur de théâtre monte une pièce,
on compare le drame à un mécanisme dont les
acteurs et les décors forment les ressorts et les
rouages. Monter la tête il quelqu'un, c'est lui
disposer la tète de telle façon qu'elle soit prête à
un certain acte, ordinairement quelque sottise.
Nous retournons maintenant au primitif tnont pour
l'entourer de ses dérivés montueux et montagne
(qui a donné mont agnaril et montagneux). Enfin,
en latin mons avait déjà donné promontoire. Les
verbes passer, tourner, d'autres encore, pour-
raient donner lieu ii des classifications analogue.?.
Un tel exercice, fait do temps ii autre, montre il
l'élève quels sont les moyens de formation dont
i' PARTIE.
dispose notre langue et le parti intelligent qu'elle
en a su tirer. Le maître pourra écrire exprès et
dicter quelque narration renfermant nombre de
mots de même famille, et que l'élève rapportera
soulignés.
On sait la difficulté qui se rencontre ici : à côté
dos mots d'origine populaire, il y a des mots d'ox-
traction savante, tirés du latin par les érudits.
Tandis que les mots populaires sont toujours bien
formés, ceux d'origine savante laissent parfois à
dire, car ils ne sont guère autre chose que le mot
latin qu'on a fait entrer tout vif en français. Ainsi
éteindre et éteignoir sont d'origine populaire ;
mais inextinguible et extinction sont de prove-'
nance savante. C'est au tact de l'instituteur qu'il
appartient d'examiner dans chaque cas s'il est pos-
sible de faire sentir la parenté aux élèves. Pour
le verbe muer, par exemple, on pourra montrer le
sens primitif, qui est « changer », par le rappro-
chement des composés commwr et remuer, et dès
lors il sera possible de mentionner les mots sa-
vants tels que permutation et cornmutiition. Mais
il serait difficile, ii l'école, de faire sentir la parenté
de strict et étroit, de direct et adresse. Entre deux
mots d'origine populaire, souvent la parenté re-
monte aux temps de la langue latine ; il vaut
mieux alors n'en point parler. Comment faire com-
prendre il des écoliers le lien qui rattache le verbe
pondre aux substantifs dépôt et compote ? D'autres
fois, on peut bien composer des groupes, comme
quand sous le verbe écrire on réunit les mots sa-
vants conscription et proscriplio/t ; mais le sens
qu'ont ces derniers termes n'est éclairé que par
l'histoire de la langue latine et des institutions
romaines. Il faut donc un certain choix dans cette
étude si intéressante.
Pour les élèves voisins de nos frontières du
midi, l'italien ou l'espagnol aideront il éclairer le
français ; ils seront comme des plantes exotiques
qui appellent l'attention sur les productions de
notre sol. Pour tous ceux qui, ii côté du français,
possèdent un patois, le patois donnera pareille-
ment matière il de nombreux et instructifs rappro-
ments. Les expressions anciennes et bien formées
y abondent. A Jersey, non loin de Saint-Hélier,
sur un poteau placé à l'entrée d'un champ, on
peut encore lire aujourd'hui ces mots u : Il est dé-
fendu de trépasser dans ce champ. » Nous avons ici
l'ancien mot trépasser, en italien trapnssar^ em-
ployé comme dans le livre des Rois : « Et la cha-
rogne Jesabel girra cume feins (comme du fumier)
el champ de Israël, si que 11 trespassant dirrunt:
Est-ço la noble dame Jesabel ? » Ce mot, qui mar-
que le passage il travers, n'est plus usité en fran-
çais littéraire que dans le sens unique du grand
passage. Le même préfixe se trouve dans tressail-
lir, tressauter, et notre adverbe très, qui voulait
dire : « de part en part, tout à fait », n'a pas d'au-
tre origine. Que d'expressions pittoresques les
patois ne contiennent-ils pas ! Dans le Berry, une
toile d'araignée s'appelle une arantéle; nous avons
ici l'ancien mot d'aragne, encore employé par La
Fontaine, figurant comme premier terme d'un
composé. A des enfants on dit: «Allez vous éraguer
dans le jardin ! » C'est le même verbe qui est con-
tenu dans vagaliond et extravagant. Les petits
Parisiens n'ont pas de patois à leur usage ; mais
l'instituteur fera bien de leur citer de temps il autre
quelques mots de ce genre, pour leur donner une
idée plus juste de ces anciens dialectes : ils ne
sont pas la corruption ou la caricature du fran-
çais ; ce sont dos idiomes non moins anciens, non
moins respectables que lo français, mais qui, pour
n'avoir pas été la langue do la capitale, ont été
abandonnés il eux-mêmes et privés de culture lit-
téraire. Que nos enfants accueillent toujours avec
affection et curiosité ces frères déshérités du fran-
çais ! Une fois qu'ils auront l'habitude d'observer
11
LATINE (LITTÉRATURE) —1122— LATINE (LITTÉRATURE)
les mois, ils feront attention aux idées et aux usa-
ges.
C'est ainsi que tous les moyens concourront a
enrichir le vocabulaire de l'élève. On a remarqué
que nos écoles jettent tous les ans dans la société
une quantité de jeunes gens qui savent lire, mais
qui ne lisent point. Les plus belles œuvres de
notre littérature sont non avenues pour eux ; tout
au plus les journaux avec leurs produits frelatés,
faits divers, procès criminels, feuilletons, parvien-
nent-ils à captiver un instant leur attention. Si les
élèves de nos écoles ne lisent pas assez, c'est que
beaucoup de mots qu'ils rencontrent dans les li-
vres n'ont pas pour leur esprit un sens précis et
clair. Ils ferment bientôt des volumes dont la pen-
sée se dérobe pour eux. Le temps passé à expli-
quer les mots ouvrira l'esprit aux idées et aux
. choses. Par les mots l'homme entre en possession
de l'héritage intellectuel de ses ancêtres. Quelles
longues et précieuses conquêtes de l'humanité ne
représentent pas les noms de vertu, liberté, jus-
tice, lionneuf, charité, droit, iievoir, pairie f Mais
pour les posséder, il ne suffit pas de les recevoir;
on ne les tient vraiment que quand on a refait le
travail qui les a créés. 11 faut repenser ces mots,
il faut savoir ce qu'ils ont coûté d'efforts et de
luttes parfois sanglantes; autrement on ressemble-
rait à l'homme qui apporte une dépêche, mais qui
en ignore le contenu. Voltaire pendant soixante
ans pense, écrit, agit, combat, et cette longue
suite d'efforts vient se résumer dans le mot de to-
téran V, qui prend place dans notre vocabulaire.
Celui de bienfaisance, si familier à nos oreilles,
est seulement entré dans la langue au siècle der-
nier; il est du à l'abbé de Saint-Pierre. Montrons
aux enfants cequevalent ces diamants du langage.
Une fois que l'élève aura pris l'habitude de
chercher ce qui est derrière les mots, ce sera pour
son esprit un besoin et une règle. Il voudra véri-
fier ce qu'on lui propose. 11 n'est pas surjirenant
que l'enseignement do la langue, pris dans toute
son étendue et dans son vrai sens, se confonde
avec l'éducation générale, puisque le langage est
le principal instrument de communication entre
les hommes, et puisque au moyen de la parole les
générations sont solidaires les unes des autres.
C'est ainsi que l'enseignement delà langue mater-
nelle forme à la fois le commencement et le centre
des études, et que le maître qui le donne dans
toute son étendue en fait pour ses élèves le prin-
cipal instrument de progrès. [Michel Bréal.]
L.iti^'E; [L.iXGui; ET LiTTiinATuiiE). — Littératu-
res étrangères, Vll-1\. — Le latin est une des deux
langues classiques. 11 a ces^-é d'être une langue vi-
vante vers le vm' siècle de notre ère. 11 a exercé
une très grande inHuence sur le développement
de la civilisation moderne, d'abord comme langue
d'un des plus grands empires du monde, puis par
la ricliesse du la littérature dont il a été l'organe,
ensuite parce qu'il est resté la langue ufticielle de
l'église catholique, et longtemps aussi la langue en
quelque sorte internationale des érudits, des sa-
vants et des diplomates de toute l'Europe occiden-
tale, enlin parce que c'est du latin que sont sorties
les langues romanes *, italien, espagnol, portugais.
pi'Ovençal, français et roumain. N'oublions pas non
plus la place importante qu'a tenue et que tient
l'étude de cette langue dans ce qu on est convenu
d'appeler une éducation libérale.
D'après les données de la philologie moderne,
le latin, ainsi appelé parce qu'il fut la langue des j
peuples du Latium (Italie centrale), est une des
deux branches de l'ancienne langue italique, qui
avec le grec, l'allemand, le sanscrit, etc., s'est for-
mée d'un ancien idiome asiatique qui fut la langue
des Aryas primitifs. La langue latine n'est donc
pas issue de la langue grecque ; c'est seulement
une langue sœur de celle des Hellènes.
On a remarqué justement que le latin est avant
tout la langue de la tribune, la langue oratoire. 11
se prête mal à la poésie, car il est peu métaphori-
que ; il ne se met pas non plus facilement au ser-
vice de la philosophie, car il est trop pauvre en
expressions abstraites. On y rencontre peu de ces
mots composés qui abondent en grec et qui tra-
hissent dans l'esprit d'un peuple des instincts
d'analyse et des habitudes de finesse et de ré-
flexion.
Tous les alphabets italiques sont d'origine grec-
que : on sait que les alphabets grecs ne sont eux-
mêmes que des réductions de l'alphabet phénicien.
Qui introduisit l'alphabet grec en Italie'? Evandre
et les Arcadiens selon Denys d'Halicarnasse, Tite-
Live et Tacite, les Pélasges selon Pline.
Cicéron comptait 21 lettres dans l'alphabet
latin en y comprenant le G, qui n'est autre chose
que le C modifié ; deux des voyelles, I et U, ser-
vaient à la fois de voyelles et de consonnes f J et V).
La prononciation du latin qui a cours en France
n'est pas la même que celle qu'on a adoptée en
Allemagne et en Italie, où l'on s'est probablement
moins écarté de la prononciation ancienne. Par
exemple, le son u n'a jamais existe en latin ; on
devrait prononcer ou : Dominus devrait se pro-
noncer Dominons. C et G n'ont pas non plus, dans
la prononciation suivie en France, la même valeur
qu'en Allemagne et en Italie. Il serait à souhaiter
que la prononciation italienne, qui marque l'ac-
cent tonique et qui doit être évidemment la moins
défectueuse, fût enseignée dans l'Université, sauf
peut-être quelques légères modifications de détail.
Celte pratique aurait, entre autres avantages, celui
d'encourager et de faciliter l'étude de l'italien.
En latin, les noms, pronoms, adjectifs et verbes
sont variables. Les flexions se font surtout par
des changements dans la terminaison. Il y a trois
genres, mais seulement deux nombres; cinq cas
dans la déclinaison des noms, adjectifs et pro-
noms, et deux voix dans les verbes, la voix active
et la voix passive : mais certains verbes, n'ayant
que la forme du passif avec le sens de l'actif, sont
appelés déponents.
On peut diviser l'histoire de la littérature latine
en quatre périodes principales :
1° Période primitive, avant l'influence grecque.
2" Période de formation, depuis Livius Andro-
nicus jusqu'au temps de Sylla.
3° Epoque de perfection (fin de la république
et siècle d'Auguste).
4° Période de décadence, depuis .Auguste jus-
qu'à la fin de l'empire romain.
Si l'on jette un coup d'œil d'ensemble sur les
destinées du peuple romain, on reconnaîtra d'a-
bord que le goût des lettres comme des arts ne
lui est venu qu'assez tard. Parmi les genres litté-
raires, l'éloquence est le seul véritablement indi-
gène ; les autres champs de connaissances furent
longtemps négligés, et ce n'est que vers le vi" siècle
après la fondation de Rome que les Romains fu-
rent amenés, par des relations plus étroites avec
les Grecs, à imiter sous toutes ses formes la litté-
rature de ces derniers. Un manque d'originalité,
au début, et plus tard, une constante prédomi-
nance du genre oratoire même dans la poésie, la
philosophie et l'histoire; enfin, le culte du bon
sens, le souci du décorum, avec une certaine ten-
dance à la malice et à la railleri-, tels sont les prin-
cipaux caractères généraux do la littérature latine.
l. — PÉniODE Pr.ISIITIVE.
La pauvreté de la littérature romaine pendan t
la période primitive, c'est-à-dire pendant les cinq
premiers siècles, s'explique en partie par cette
longue suite de guerres au prix des({uelles Rome
dut acheter laborieusement la conquèt.^ de l'Italie.
Les fragments les plus ancieus de liltéralure
LATINE (LITTÉllATUIlE) — 1123 — LATINE (LITTÉRATURE)
latine qui nous soient parvenus sont de trois
sortc'S : 1" des textes de lois; 2° des inscriptions ;
'■P des poésies.
I» Texlrs de lois. — Il ne reste que quelques
débris peu importants des Lois royales, que l'on
suppose avoir clé rédigées par un certain Papi-
i-ius; 1rs lois do Nunia, qui auraient été brûlées
parordi-i' du Siinat comme hérétiques, n'ont peut-
être j.iinais l'xisté. On possède au cnntr.nirn do pré-
cieu\ frnijnu'nis de la loi des Dmi- Tr'J r'^li^'ée
parles Dccrmvirs, etqui auraiti i tn iu Fo-
rum. Ces liblfs, détruites par li'; i.mliM Su^ de
leur entrée îi Home, furent r(Ci>iu|Hj,.:ijs dans la
suite et reslèrciU lungtcmps Ir l'oiiili'iucnt du droit
romain. C.ioéron dit qu'on les faisait apprendre
aux enfants par cœur comme une formule obliga-
toire. M. Mommsen y trouve déji linlluence des
idées grecques et quelques progrès d'humanité,
quoiqu'elles soient très dures et très rigides encore,
et empreintes ci et là d'une superstition gros-
sière. Ce progrès relatif se voit surtout dans ce
(|ui touche aux règlements do la vie civile et dans
les clauses qui concernent le mariage, le droit de
tester, la limitation des droits du père de famille,
le droit d'appel en cas de condamnation à mort, etc.
Le débiteur insolvable y est surtout maltraité; il
est à la merci de son créancier, qui peut le garder
en prison chargé de chaînes dont le poids est dé-
terminé, et, après cinquante .jours de sursis, le
tuer ou le vendre au delà du Tibre; cette loi per-
met aussi de tuer les enfants difformes, punit de
mort une insulte aux magistrats , le vol noc-
turne, etc.
2° Inscriptions. — Ce qui distingue les inscrip-
tions romaines des iiiscriptions grecques et ce
qui fait qu'elles sont beaucoup moins instructi-
ves pour riiistorien, c'est qu'elles sont plus conci-
ses ; les Grecs, grands parleurs de tout temps,
avaient même certaines tendances à bavarder sur
la pierre. Le génie romain, au contraire, a gardé
longtemps le laconisme le plus sévère dans les
inscriptions ; ce n'est que vers l'époque de la dé-
cadence des lettres latines que les inscriptions
sont devenues verbeuses et prolixes.
Les recueils modernes les plus importants d'in-
scriptions latines (ceux d'Orelli et de JUommsen)
renferment principalement la chanson des Frères
Arvales, l'inscription du tombeau des Scipions (([ua-
tre épitaplies), l'inscription de la colonne Dui-
lienne, document précieux pour l'historien, mais
où il n'y a guère autre chose à glaner pour les
lettres que des noms et des dates.
3° Poésie primitive. — Les Romains n'ont eu ni
la versatilité, ni l'imagination, ni l'esprit ouvert des
Grecs. Leurs qualités dominantes étaient un juge-
ment sain , beaucoup de bon sens, en même
temps (|u'une grande force et une grande persé-
vérance de volonté. Ces qualités ne sont p.is par-
ticulièrement favorables au di\'ln|i|Hiii(Mit du
goût poétique. Aussi longtenivs Imi:- <|ii ils res-
tèrent eux-mêmes àl'abride touH' iiillucnr,' ciian-
gère, il n'y a pas h, chercher chez eux les traces
d'une véritable poésie, ni autre chose qu'une muse
utilitaii'e et pratique au service de la religion et
des nécessités de la vie quotidienne. La poésie
n'était tolérée que pour l'usage du culte. Caton,
cite par Aulu-Gelle, dit à l'éloge de la vieille Rome
que l'art des poètes n'y était pas en honneur.
Parmi les plus vieux fragments poétiques, c'est-à-
dire les fragments de prose rhytiimée, il faut citer
d'abord les prédictions et les oracles; les anciens
Romains croyaient à des dieux et surtout à des
déesses placés dans les bois, près des sources
d'eau minérale, dans les grottes, et auxquelles ils
prêtaient la ronnaissance de l'avenir ; des for-
mules attribuées à ces prophétesses, à ces sybilles,
telles que Fauna, Egéria, etc., il ne reste ([ue des
souvenirs 'égjndaircs; Horace parle cependant de
recueils de ces premiers vers en rhythmo grossier.
On peut ranger dans la mémo classe les chants
dits des prêtres Saliens [sauteurs), chargés de con-
server le fameux bouclier sacre tombé du ciel au
temps de Numa, sorte de palladium qui devait as-
surer l'éternité de Rome. Ils célébraient des fêtes
annuelles pendant tout le, mois di' mu's; ils exécu-
taient alors autour des auii'ls uni! danse guerrière,
comparée par Sénèque au Ir. pi^neincnt du foulon,
et ciiantaient des espèces de litanies en frappant
sur leurs boucliers ; il ne reste rien de ces fameux
chants dont Ouintilien dit que les Saliens de son
temps ne comprenaient plus eux-mêmes le sens
original.
Une autre corporation de prêtres, les Frères
Arvales, c'est-à-dire rustiques, dont la légende
faisait remonter l'origine jusqu'au temps de Ro-
mulus et qui étaient voués au culte de la déesse
Dia, très semblable à celui de Cérès, chantait
aussi un rituel rhythmé accompagné de mouve-
ments de danse, dont un fragment, déterré à Rome
en 1778, révèle une forme de langue encore très
primitive.
On peut encore citer, parmi les monuments in-
formes de cette poésie primitive, les fragments de
complaintes funèbres ou «<'(/"<, répéii'ps avec ac-
com|)agnement di' llntr et qui i-'iilrnii lirnt des
maximes morales avrc Irlnj;.' i!n ili'lunl ; plus
tard, ces nénies furent l'ijcitrus duvaiK la maison
mortuaire et près du bûcher par des pleureuses à
gages.
On aura épuisé la liste de ces poésies pri-
iTiitives, si on y ajoute les chants de triomphe,
répétés par l'armée victorieuse en rentrant à
Rome et en suivant le char de son général. En
somme, tout ce que nous venons de voir ne tient
encore à la poésie que d'assez loin.
Y a-t-il eu chez les Romains comme presque
chez tous les peuples quelques éclosions sponta-
nées de poésie épique 'I Un grand érudit alle-
mand, M. Niebuhr, le croit, et il suppose que
toutes les légendes relatives à la fondation et aux
premières années de Rome, l'histoire de Romu-
lus et de Rémus, leur naissance, leur allaitement
par une louve, puis l'enlèvement des Sabines, le
combat des Horaces, auraient eu leur origine dans
une grande épopée primitive, sorte d'Iliade ro-
mane qui aurait été composée après l'invasion
des Gaulois; mais il semble que ce n'est là qu'une
ingénieuse et brillante hypothèse sans fondements
dans la réalité, car si toutes ces légendes romaines
avaient été des créations du génie poétique, et
étaient devenues populaires à force d'être chan-
tées et répétées dans les festins, comme le prétend
Niebuhr, il est évident que les poètes auraient
été dans la vieille Rome, comme dans la Grèce
antique, entourés d'une certaine auréole de popu-
larité. Et au contraire, nous avons déjà dit le peu
de cas que les Romains faisaient d'eux.
De toutes les espèces différentes de poésies, la
poésie dramatique semble avoir été le plus en
conformité avec le caractère du peuple romain,
(iomme les Italiens actuels, dit Teuffol, les anciens
Romains possédaient un œil éveillé pour remar-
quer les particularités et les apparences extérieu-
res. Ils avaient le talent et le goût do l'observa-
tion minutieuse, et une grande facilité à imiter le»
travers d'autrui et à trouver de vives reparties.
De là ces improvisations, ces chansons, ces dialo-
gues enjoués et satiriques qu'on trouve de bonne
heure dans la littérature latine. Les plus ancien-
nes do ces chansons plaisantes sont les chants
t-scennms, appelés ainsi de la ville de Fescen-
niuni en Etrurie. Ils se chantaient dans dos fêtes
rustiques célébrées à l'occasion des moissons d'a-
bord, puis des cérémonies nuptiales, dans les-
quelles on se renvoyait de grossières plaisante-
ries qui faisaient les délices do la populace
LATINE (LITTÉRATURE) — 1124 — LATINE (LITTÉRATURE)
Ces cliants fescennins ont été probablement le
berceau de la comédie latine. D'autres représen-
tations champêtres, qu'on appelait les Satires
(mélanges), pots-pourris confus de récits comiques,
de tours de force grotesques et de danses au son
de la flûte, étaient encore en honneur en l'an -36 i
avant Jésus-Christ, quand on éleva uu théâtre de
bois dans le rirque à Rome ; et même lorsque les
drames réguliers Ji la mode grecque s'importè-
rent à Rome, ces représentations de saltimban-
ques et ces farces grossières des clowns étrus-
ques restèrent encore sur la scène, comme des
espèces d'intermèdes plus en harmonie avec les
goûts grossiers de la majorité des spectateurs.
Les Mimes, qui fleurirent aussi de très bonne
heure à Rome, ne se distinguent pas très bien de
cette première forme scénique. Ce devait être,
d'après les auteurs anciens, une espèce de repré-
sentation bouffonne de la vie ordinaire, mélange
bizarre à<- plaisanteries licencieuses et de sen-
tences d'une sagesse pratique, tout à fait accom-
modé au tempérament plébéien. La satire des
grands personnages contemporains n'en était pas
exclue. Le costume des Mimes était une sorte
d'habit d'arlequin. Les acteurs qui représentaient
ces pièces étaient toujours des personnages de
condition basse, objets des mépris de tous. Ce
théâtre boulTon était tellement dans les mœurs
et le génie des Romains, qu'il a traversé les
siècles et survécu dans la Commedia delV Arte en
Italie.
Outre les Mimes, le théâtre populaire primitif
comprenait encore un autre genre de pièces,
les Atellanes (d'Atella, petite ville de Campanie).
Les jeunes patriciens de Rome jouaient eux-mê-
mes masqués ilans ces pièces. L'intrigue générale,
fort simple apparemment, était arrangée à l'avance;
mais les détails étaient laissés à l'improvisation
d'acteurs qui n'épargnaient pas les jeux de mots
grossiers et les gesticulations équivoques.
II. — PÉRIODE DE FORMATION.
C'est par le théâtre que ies chefs-d'œuvre grecs
sont arrivés à Rome. L'iiistorien Tite-Live raconte
qu'à l'occasion d'une peste qui eut lieu à Rome,
on introduisit pour la première fois des jeux scé-
niques qui vinrent s'ajouter aux jeux du cir-
que et aux divertissements que possédait déjà le
peuple.
Les premiers jeux scéniques avaient été impor-
tés d'Etrurie, et c'étaient de simples danses non
accompagnées de chants. Les acteurs étaient ap-
pelés histrions, d'un mot étrusque. Enfin, un es-
clave fait prisonnier au siège de Tarente, Livius
Andronicus , après avoir traduit l'Odyssée , eut
aussi l'idée de faire représenter des pièces imi-
tées du grec. Jusque-là le théâtre romain n'a-
vait jamais connu de pièces à intrigue suivie.
Cette innovation eut évidemment un grand suc-
cès ; Livius était à la fois auteur et acteur ; der-
rière lui était placé un joueur de flûte et à côté
un enfant qui lisait les paroles, tandis qu'il se
contentait de faire les gestes. Peu à peu le nom-
bre des acteurs s'augmenta ; l'art scénique fit des
progrès.
Longtemps, cependant, les pièces du théâtre
latin ne furent qu'une pure reproduction du
théâtre grec. Ntevius, Ennius, Pacuvius, Attius,
traduisirent surtout les pièces tragiques, en y
introduisant beaucoup de gravité -, mais leur style
s'égarait quelquefois jusqu'à la déclamation et la
trivialité. Les chœurs des pièces grecques étaient
exclus des drames romains, par la simple raison
que l'orchestre, ou partie du théâtre où s'exécu-
taient en Grèce les évolutions du chœur, était
occupé à Rome par le Sénat.
Le théâtre de Plante, le grand comique romain,
est aussi imité du grec. Il est singulier de voir
que le poète latin par excellence, qui avait eu une
éducation toute plébéienne, se donnait exclusive-
ment comme un traducteur. Quoique le théâtre
grec ait eu beaucoup de peine h s'établir à Rome,
une fois qu'il y fut adopté les pièces qui ne
venaient pas de cette source étaient mal accueil-
lies. Plante se fit entrepreneur de représentations
publiques, et arriva à la ricliesse et h la célébrité
tout jeune encore; on lui attribue une fécondité
extraordinaire; il aurait écrit jusqu'à cent trente
comédies : mais ce chiffre parait exagéré. Ses
sujets sont surtout tirés de la comédie de mœurs,
c'est-k-dire empruntés au tliéâtre de Ménandre,
de Dipliile, etc. On est surpris aujourd'hui que
les anciens aient conçu la comédie de mœurs sans
rôles de femmes. Mais c'est qu'à Rome, comme à
Athènes, la femme vit dans le gynécée, file la
laine et paraît peu dans la vie commune. La ma-
trone restera donc dans la coulisse; c'est tout au
plus si on parle d'elle. Les seules femmes qui pa-
raissent au théâtre sont des esclaves ou des
joueuses de flûte. Le domaine de Plante est ainsi
considérablement resserré ; il n'est pas étonnant
que son théâtre paraisse un peu monotone; il a su
néanmoins créer des situations intéressantes avec
ces données un peu uniformes et des types
qui se ressemblaient trop les uns aux autres.
Il a su aussi laisser de côté beaucoup de traits de
mœurs particuliers à la Grèce pour les remplacer,
soit dans les prologues, soit dans le cours de la
pièce, par des scènes qui reproduisaient vivement
la physionomie latine. Le fond de ses pièces est
pi esque toujours une tromperie généralement our-
die par quelque esclave, ancêtre de Scapin, pour
servir les intérêts de quelque jeune maître malheu-
reux en amour ou tenu trop en bride par son
père. Les autres personnages principaux de ce
théâtre sont, outre les pères dupés par leurs es-
claves ou leurs enfants et tournés en ridicule,
les marchands d'esclaves, corrupteurs et corrom-
pus, qui se laissent insulter et battre et ne sont
préoccupés que de réussir dans leur honteux trafic,
les soldats fanfarons, sorte de Don Quichottes ou
de capitaines Fracasses de l'antiquité. Les jeunes
gens du théâtre de Plante sont quelquefois tou-
chants, mais leur amour, même quand il commence
par une idylle, par quelque attachement désinté-
ressé, a toujours quelque fin a^sez terre à terre.
Parmi les vingt pièces de Plaute que nous avons,
les deux plus célèbres et les plus morales sont les
Captifs et le Câble. Il faut encore mentionner :
VAtnp'iilryon, imité par Rotrou dans les Sosies
et surtout par Molière dans la pièce du même
nom; la Murmite, qui a servi d'original à V Avare;
les Menechmes, dont s'est inspiré Regnard et qui
décrivent les joyeuses erreurs et les plaisantes
équivoques produites par la ressemblance de deux
frèresjumeaux ; la Casina et la Mastellaire, imitées
par Destouches dans le Ret-ur imprévu et le Tam-
bour nocturne; les trois Ecus ou le Trinummus,
imité par Andrieux dans le Trésor, etc. En somme,
Plaute est assurément un grand génie comique,
original, quoique imitateur des Grecs, qu'il trahit
sans cesse en les traduisant, pour intercaler quelque
plaisanterie de son cru. La différence de culture
entre les deux nations exigeait aussi que chez le
poète latin les lignes fussent plus marquées, les
ombres du tableau plus saillantes. Les plaisante-
ries de Plaute consistent trop souvent dans de
purs rapprochements de mots et de simples allité-
rations; mais ses pièces sont un trésor précieux
pour l'étude de la langue latine populaire. Elle»
se jouèrent encore longtemps après sa mort.
Ennius, quoiqu'il soit surtout connu comme poète
épique, avait aussi travaillé pour la scène ; il avait
traduit Euripide et composé quelques comédies.
Son neveu Pacuvius traduisit plusieurs pièces de
Sophocle dans un style et dans une versification
LATINE (LITTÉRATURE) — 1123 — LATINE (LITTÉRATURE)
.'lui font souvent tort à son modèle; cntin Attius
acclimata tout à fait la tragi^die à Rome en trai-
tant des sujets romains; mais l'œuvre de ces poètes
ne nous est parvenue que très mutilée. Il ne nous
reste aussi que des fragments d'un autre comique,
Cécilius ; cet écrivain avait imité les Grecs avec
plus de fidélité. C'est aussi le caractère de Té-
rence, le plus célèbre comique latin après Plaute.
Il était originaire de Cartilage, mais vint de bonne
heure .^ Rome, où il fut l'esclave du sénateur
Térontius Lucanus, qui lui fit donner une éduca-
lion libériile et l'afl'ranchit. A vingt-six ans il pré-
senta aux édiles une comédie dont le succès fut si
grand qu'il excita de vives jalousies. Scipion
lïmilien et Lélius l'admirent dans leur intimité ;
on alla même jusqu'à dire qu'ils étaient les inspi-
rateurs, sinon les véritables auteurs de ses meil-
leures pièces. Il se fait gloire lui-même, dans le
prologue d'une de ses comédies, de ce haut patro-
nage et do cette précieuse collaboration. Après
avoir donné plusieurs pièces qui eurent toutes
grand succès, il alla faire un voyage en Grèce et
y recueillit les manuscrits de Ménandre. Mais au
retour son vaisseau fit naufrage, et de chagrin d'a-
voir perdu tous ses trésors littéraires, il tomba
malade et mourut. Les pièces que nous possédons
de lui sont: VAndrierme, imitée par Baron; VHé-
cijre ou ta belle-ynérf, le Bouireini de sni-méme,
le Phoniiinn que Molière a beaucoup imité dans les
Fourberies de Scapiii, l'Eunuque, et enfin les
Adelphes dont Molière a tiré l'Ecole des Mnris.
Le caractère de Térence n'est pas l'originalité ; il
a suivi de très près Ménandre, bien qu'il ait sou-
vent fondu plusieurs pièces de son modèle en
une seule. Ses intrigues sont un peu monotones ;
il n'a ni la vivacité, ni la fraîcheur, ni la variété de
Plaute ; par contre il est exempt d'extravagance,
et son stylo est élégant et correct. César, qui le
trouvait trop pauvre en verve comique, l'appelait,
dit-on, un demi-Ménandre. Ses caractères sont
soigneusement dessinés, et il excolle dans le dia-
logue de la vie ordinaire, tandis qu'il rend fai-
blement le langage de la passion. C'est un poète
raffiné, plutùt fait pour charmer leo connaisseurs
que pour plaire au peuple.
Presqu'ii, la même époque où le drame naissait i
à Rome, la poésie épique s'y acclimatait aussi.
Livius Andronicus avait fait une traduction de l'O-
dyssée qui devint bientôt classique et qu'on appre-
nait dans les écoles, comme le raconte Horace ;
Ennius, étranger comme Andronicus, originaire
de la Grande-Grèce et qui avait été amené à Rome
par Caton l'Ancien, voulut écrire des Annales en
vers, dans lesquelles il racontait l'histoire de Rome,
depuis l'arrivée d'Enée en Italie, en suivant l'ordre
•chronolofiique des événements jusqu'aux temps
mêmes où vivait le poète. Mais, bien que les Ro-
mains aient voulu voir en Ennius une sorte d'Ho-
mère latin, il est évident, d'après les fragments
qui nous sont parvenus de-cette grande épopée
historique, que la valeur artistique de cet ouvrage
était assez mince. Ennius mériterait cependant sa
renommée, ne fût-ce que pouravoirabandonnél'an-
cien mètre ditsate'-nie?!,etadoptélesm6tresinvcn-
tés par les Grecs. Cnéus Na^vius avait composé
aussi un récit héroïque de la première guerre pu-
nique.
Si on ajoute, aux genres que nous venons do
parcourir, quelques épigrammcs et quelques cau-
series en vers sur divers sujets, qu'Ennius intitula
Satires, et qu'imita Lucilius en y introduisant un
élément de raillerie contre les mœurs du temps,
d'attaques personnelles qui ont donné à ce mot
de satire, signifiant d'abord simplement mélange,
le sens de poésie caustique qu'il a gardé jusqu'à
ce jour, on aura parcouru tout le champ de la
poésie latine jusqu'à la fin du vi« siècle do Rome.
Enfin, sur le seuil mémo du siècle d'Auguste,
deux poètes qui forment la transition avec la pé
riode suivante, Lucrèce et Catulle, nous font pres-
sentir l'âge de maturité : « 11 y a dans l'année, dit
M. Patin, des jours intermédiaires qui ne sont
déjà plus l'hiver, qui ne sont pas encore le prin-
temps, et où certaines plantes, sentant, on le croi-
rait, l'approche de la tiède saison, se couvrent
prématurément de fleurs et de feuillage : c'est
ainsi que fleurit, que verdit, dans les vers de Lu-
crèce et de Catulle, la poésie de Virgile et d'Ho-
race, u
Lucrèce, le poète athée, qui travaillait la nuit,
en proie à un génie fiévreux voisin, dit-on, de la
folie, révèle, dans son magnifique poème didac-
tique de la Nature des choses, aux Romains
grossiers et superstitieux mais déjà travaillés par
les premières atteintes du scepticisme, les beau-
tés de la libre philosophie grecque, en même
temps que des théories d'une haute portée scien-
tifique sur l'origine et l'essence des êtres. Il est
impossible de ne pas admirer l'ardeur avec la-
quelle il acclame la doctrine d'Epicure, y cher-
che une genèse rationnelle du monde, une phy-
sique et une métaphysique satisfaisantes, et la
représente comme arrachant l'humanité aux té-
nèbres et à la superstition ; souvent son génie
l'emporte même en dehors dos limites qu'il s'é-
tait tracées, et son inspiration véhémente enfante
une poésie moins achevée que celle de Virgile,
mais parfois plus primesautière et plus grande
par sa simplicité même.
Disciple aussi et imitateur des Grecs, Catulle
écrivit un poème religieux, A^ys, et un poème
héroïque, les Noces de Thêtis el Pelée, qui n'é-
taient peut-être que des traductions d'un auteur
grec. Catulle, qui mourut très jeune, aurait en
tout cas mérité l'immortalité par ses épigram-
nies et surtout ses poésies lyriques, dont les plus
connues _sont ses vers adressés à Lesbie, idole
probablement peu digne d'une si fervente ado-
ration.
Quant à la prose, c'est par l'histoire qu'elle dé-
bute ù Rome. Les grandes Annules des pontifes,
qui enregistraient sèchement les événements dans
l'ordre chronologique, avaient été interrompues.
Des chroniques et des mémoires individuels les
remplacèrent de bonne heure. Parmi les plus an-
ciens historiens romains, qui écrivaient en grec,
le premier en date et le plus important est Fabius
Pictor, qui vivait au temps de la seconde guerre
punique ; il faisait commeurer son récit à Enée et
le poursuivait jusqu'à son projive siècle. Au nombre
des plus anciens spécimens de [."ose latine, il faut
citer le sénatus-consulte sur les l'.'icchaiiales.^
Les tendances nationales du cararlère romain à
cette époque s'incarnèrent surtout dans la per-
sonne de Marcus Portius Caton, surnommé le Cen-
seur, caractère vigoureusement trempé, doué d'une
indomptable énergie, alliée à une finesse c;t à une
ruse de campagnard ; Caton est le type par exceU
lence du vieux Romain, patriote avant tout, dur
pour les autres comme pour lui-même, sans être
pourtant exempt d'égoisme et de vanité. Malgré
le grand mépris qu'il professait pour les lettres
et pour les lettrés et surtout pour la culture grec-
que, il a mérité d'être regardé lui-même comme
le premier prosateur romain. Il lut un des pre-
miers orateurs romains qui écrivirent et publièrent
leurs discours. Gicéron en connaissait de lui plus
do cent cinquante.il nous est resté dos fragments
d'environ quatre-vingts: les uns, plaidoyers judi-
ciaires, les autres, discours politiques prononcés de-
vant le Sénat ou devant une assemblée du peu-
ple. Ces fragments témoignent d'une grande élo-
quence naturelle, d'un mélange d'enjouement et
do sérieux et d'un art déjà accompli à manier la
raillerie. Caton fut aussi historien ; il composa
dans sa vieillesse sept livres intitulés : les Oriyi-
LATINE (LITTÉRATURE) — U26 — LATINE (LITTÉRATURE)
nés, ouvrage auquel il travailla jusqu'à la fin de
sa vie. C'étaient des espèces d'annales ethnogra-
phiques et historiques de l'ancienne Italie, tantôt
concises, tantôt détaillées, et où pouvaient trouver
place des harangues composées par l'auteur II
écrivit aussi des traités sur l'agriculture, l'hy-
giène, l'éloquence, l'art militaire, etc.
Son Traitèsurf aijricuUiire est la seu\ de ses ou-
vrages qui ait survécu tout entier.
Après Caton, les plus grands noms de la trilnme
romaine sont ceux des deux Gracques, ces patri-
ciens qui se sont mis au service de la cause popu-
laire, et dont la parole eut tant de retentissement ;
de Marins, dont la rude éloquence soulevait les
passions de la multitude ; de Marc-Antoine, aïeul
du triumvir, et de (^rassus, l'orateur lettré , qui
ne se contentait pas d'exceller dans son art, mais
■ en cherchait aussi et en fixait la théorie idéale.
III.
PÉRIODE DE PEllFECTION.
Ce qui marque la transition entre la seconde
et la troisième période, c'est-à-dire entre la pé-
riode de formation et la période de perfection
dans laquelle nous allons entrer, ce ne sont pas
seulement les grands changements politiques et la
fin des guerres civiles, c'est le triomphe définitif
de linflueiice grecque.
Le siècle d'Auguste présente la fusion harmo-
nieuse du génie hellénique et du génie romain ;
le résultat de cette alliance est une littérature
exquise, délicate par la forme, mais qui manque
un peu d'originalité dans le fond. L'âge d'Auguste
présente un double aspect; à côté des institu-
tions nouvelles qui se forment, on sent des insti-
tutions anciennes qui s'en vont. Si c'est l'avène-
ment de la monarchie, c'est aussi la mort de la
République. Parmi les grands écrivains de ce siè-
cle, plusieurs ont ressenti le contre-coup des évé-
nements ; plusieurs ont passé leur jeunesse à
combattre pour la liberté expirante, tandis qu'ar-
rivés à la maturité de leur vie, ils se rallient peu à
peu au parti du vainqueur. C'est le cas principa-
lement d'Horace. L'éloquence, encore plus que la
poésie, souffrit du caractère ambigu de cette époque
nouvelle. La vie publique, si active sous la Répu-
blique, se ralentit et cessa peu à peu soes le
principat d'Auguste ; les assemblées populaires
deviennent rares et sans importance, et le rôle
du Sénat et des tribunaux fut amoindri au profit
du monarque qui absorba tout dans sa personne.
D'autre part, ce déi'.in de la vie politique favo-
risa le développe nent de l'érudition et d'une
poésie raffinée, d'imitation plutôt que d'inven-
tion. Les poè os écrivent pour un cercle choisi,
pour les connaisseurs et pour les âges à venir ;
ils ne sont point en sympathie avec le gros de
leurs contemporains ; « ces poètes artistes, ces
poètes de cour, » comme les appelle Teuffel dans
son excellente Histoire de la Ultérntuie lutine,
encouragés p.ir Auguste, raillaient la foule qui
leur rendait leurs sarcasmes, et qui regrettait
ses vieux poètes nationaux, au génie inculte,
aux vers raboteux, mais qui étaient beaucoup plus
selon le cœur du peuple.
Parmi les cercles littéraires qui s'étaient for-
més autour du vainqueur d'Actium, il faut sur-
tout mentionner celui que présidait Mécène, riche
favori du prince, qui se fit le patron des érudits
et des poètes. Outre Horace, ce cercle compre-
nait Virgile, Varius, Quintilius Varus, Properce,
tous plus ou moins partisans du nouveau régime.
Un autre cercle, celui do Mcssala, était moins
favorable aux changements politiques, et parait
avoir été plus indépendant ; c'est à ce groupe que
se rattachait Tibulle et aussi Ovide, dont Auguste,
redevenu soupçonneux dans sa vieillesse, signa
la proscription en même temps que celle d'autres
lettrés qui avaient embrassé l'opposition, tels que
Labiénus et Cassius Sévérus.
La plupart des productions littéraires de cotte
époque sont destinées seulement îi être lues ,
dans les « Récitations, n devant un public d'élite
naturellement restreint.
Voyons rapidement la part des principaux
écrivains que nous venons de nommer, dans la
grande œuvre cominune du siècle d'Auguste.
Auguste et ses favoris. Mécène et Agrippa, ne 1
se sont pas contentés d'encourager les lettres ; ils 1
ont cus-nièmcs composé plusieurs ouvrages '
(Beulé. Auguste, sa famille et ses amis, Paris, IStJT). J
Les deux personnages les plus importants après
eux dans l'opinion do leurs contemporains sem-
blent avoir été deux riches patriciens, lettrés et
protecteurs des gens de lettres, Asinius Pollion et
Messala ; le premier, auteur de tragédies et d'une
histoire inachevée des guerres civiles; le second,
orateur de renom, grand admirateur de la litté-
rature grecque et auteur lui-même de poésies
écrites en grec.
Mais la postérité a un peu oublié les patrons
pour ne se souvenir que de leurs brillants protégés.
Virgile, né près de Mantoue de parents pauvres,
avait reçu une éducation soignée. Il perdit son
héritage paternel, confisqué au profit des soldats
d'Octave, qui no le lui fi t rendre, plus tard, que grâce
à l'intervention d'amis influents, probablement
Pollion et Mécène. Virgile en exprime sa reconnais-
sance à plusieurs reprises dans ses églogues. C'était
une nature frêle, d'un caractère innocent et tendre,
et de goiits paisibles; il fut bon fils et ami fidèle;
mais il lui manquait le sens de la vie pratique ;
ce qu'il traite le mieux, c'est la description de
la campagne, la peinture de son pays natal ; les
attachements de la famille, les affections du
foyer, enfin les troubles de l'amour. Il ne sut pas
persister dans la voie qui convenait le mieux à
son génie ; il se laissa entraîner vers des sujets
de commande où il ne pouvait pas être original.
Il ramassa patiemment les matériaux de son
Enéide, en érudit plutôt qu'en poète inspiré,
cherchant à combiner les traditions latines avec
les légendes grecques. Cepenlant, ce travail
assidu donna h ses vers une correction, une élé-
gance de facture qui rehausse merveilleusement
le charme du sujet et lui a mérité de rester le
poète latin classique. Les poèmes qu'il a laissés
sont, d'abord, les Bucoliques (mot à mot, chant
des bouviers), consistant en dix églogues, imita-
tion et parfois traduction presque littérale de
Théocrite, mais avec un mélange artificiel de per-
sonnages et d'événements cojitemporains. André,
Chénier dans ses Idylles a imité et souvent égalé
Virgile, dont les bergers manquent de simplicité
et parlent un peu trop un langage de convention.
Les Eglogues les plus célèbres sont : la \", où
Virgile se met en scène sous le nom de Tityre et
vante la générosité du prince qui lui a rendu son
patrimoine ; la 3°", où deux bergers se disputent
le prix du chant; la î,"", dont le sujet est la mort
et l'apothéose du berger Daphnis, inventeur de la
poésie bucolique; la 6»% où Silène, garrotté par
deux faunes et une nymphe, n'obtient sa liberté
qu'en chantant des légendes mythologiques; enfin,
la 10"'^ qui chante les plaintes du poète Gallus,
ami de Virgile et abandonné par la volage Lycoris.
Virgile avait un peu plus de trente ans, quand h
la prière de Mécène, peut-être d'Auguste, il com-
mença les Géorgiqiies (littéralement travaux de la
terre), poème sur l'agriculture qu'il mit sept an-
nées à composer. A la suite des guerres civiles,
l'agriculture était tombée en défaveur, la cam-
pagne manquait de bras ; il fallait encourager les
Romains à retournera la charrue si honorée chez
leurs aïeux; c'est ce que voulut faire Vii'gilo par
les Giiorgiijucs. Le poème comprend quatre livres :
LATINE (LITTÉRATURE) — 1127 — LATINE (LITTÉRATURE)
1'', cultui'O de la terni; 11', culture des arbres et
priiicipalcment do la vigne et de l'olivier ; 111'-', clèvo
dos troupeaux; IV", a]iiculture.
Les passages les plus célèbres des Géorr/iqiies
sont ce qu'on appelle les rpixodes, digressions
dont les principales snnt : la description des pro-
diges qui suivirent la mort do César (livre I),
l'éloge de l'Italie et la description du bonheur
champêtre (livre II), la peste des animaux (livre III)
et l'épisode du berger Aristée, suivi du récit de
la descente d'Orplice aux enfers (livre IV). Delille
a doniu; des Géorgiques une traduction en vers
français, renommée pour son exactitude et son
élégance.
h' Enéide, épopée on douze livres, n'était pas ter-
minée Ma mort de l'auteur, qui en avait commandé
la destruction : elle fut conservée contre son désir.
C'est le récit des destinées d'Enéc, héros troyon,
fondateur d'une seconde Troie et indirectement de
Rome, ancêtre de la famille Julia et par suite
d'Auguste. On voit l'intention flatteuse du poète
courtisan. Dans la première partie, Virgile mon-
tre sa familiarité avec la mythologie helléni-
que; dans la seconde, sa grande connaissance de
l'histoire locale des villes d'Italie. Il excelle dans
la description des sentiments de l'àme ; cependant
son héros, trop uniformément pieux et sage, estpeu
intéressant.
h'Eiiéide renferme à la fois une Odyssée et une
Iliade ; la première partie raconte le voyage de la
flotte troyenne en roule pour l'Italie et qu'une
tempête a jetée sur les côtes d'Afrique. Enéo, re-
cueilli par la reine Didon, raconte la prise de
Troie et inspire une violente passion à la reine,
qui le retient comme Calypso retenait Ulysse dans
son île. Désespérée du départ d'Enée, Didon se I
donne la mort. La fin du poème, celle où l'on sent
surtout l'influence de l'Iliade, contient l'établisse-
ment des Troyens en Italie, où le roi du Latiura,
Latinus, accueille Ejiée et lui accorde la main de
s,i fille déjà promise au roi des Rutules, Turnus.
Turnus prend les armes pour reconquérir sa fian-
cée, et après une lutte prolongée et des batailles
sanglantes, il périt dans un combat singulier qui
termine la guerre.
L'Enéide a été aussi traduite par Delille ; on
sait que Scarron en a fait une parodie assez amu-
sante intitulée / Enéide Irarestie.
Le nom d'Horace ne se sépare pas de celui de
Virgile. Né k \ enouse et fils d'un afi'ranclii, ins-
truit à Rome et plus tard à Athènes, où il connut
Brutus, Horace a combattu pour la cause républi-
caine ; mais la défaite de Philippes, où il abandonna
son bouclier pour fuir plus vite, termina sa carrière
militaire. Il profitade l'amnistie pour rentrer àRome.
où il acheta la charge de greffier d'un questeur. H
se fit connaître d'abord en publiant des Satiret et
des Epodes. Il touche peu dans ses satires à la
politique, car les blessures des guerres civiles sai-
gnaient encore, et c'est surtout aux vices sociaux
et aux travers littéraires qu'il s'attaque, se faisant
l'apôtre de la morale et du bon sens, mais avec
beaucoup d'aisance et de variété dans le ton. Il
fut présenté par Virgile à Mécène, qu'il accompagna
dans son voyage à Brindes et qui lui fit don d'un
« charmant petit coin de terre » dans la campagne
Sabine. Mécène le présenta plus tard à Octave;
Horace ne survécut pas longtemps i son bienveil-
lant patron et fut etiterré près de lui.
Ses autres ouvrages sont quatre livres à'Ode<
à^ l'imitation des lyriques grecs, principalement
d'AlpIiée et de Sapho, touchant avec un désordre
savant aux sujets les plus divers, religion, morale,
littérature, passant d'une chanson i boire à un
billet d'amour, d'un hymne patriotique à. l'éloge
d'un ami ou d'un protecteur. Horace montre une
morale aimable et indulgente, un peu trop sen-
suelle. On ne louera jamais trop la flexibilité de
ce t.'dent si pur et ce style dont Monta'gne a dit
qu'il ne se contente jamais d'une superficielle
expression et qu' « il veoit plus clair et plus oultre
dans les choses ». Son rêve est la tranquillité d'es-
prit h l'abri des orages de la passion. Rien ne lui
est plus étranger que l'exagération, la déclamation ;
ne perdant jamais de vue la brièveté de la vie, la
fragilité Immaine, il parle de lui-même d'un ton
enjoué, et avec ironie de tous ceux qui se croient
grands. Il excelle h. l'aire des tableaux en raccourci
et il enchâsser une pensée morale dans une forme
qui séduit l'imagination et qui ne s'oublie pas.
De là l'immortelle popularité d'Horace, de tous les
poètes celui qu'on relit le plus. Malheureuseraentce
charme se fane le plus souvent dans la traduction,
car il tient beaucoup au choix et à la place des
mots de la langue originale, à l'harmonie parfaite
du mètre et au tour do la strophe. La traduction
de Jules Jaiiin, quoique très libre d'allures, est la
meilleure pour ceux qui n'ont pas l'intelligence do
la langue latine et ne peuvent pas lire l'auteur
dans le texte. De ses Ëpitres, composées dans le
même mètre que ses Sutir s, riches en détails sur
le caractère et les vues littéraires de l'auteur, la
plus célèbre est celle qu'il adressa aux Pisons et
que l'on appelle son Art poétique. On connaît
l'imitation originale qu'en a faite Boileau, et dans
laquelle presque tous les traits saillants ont été
conservés.
Il est remarquable de voir combien la poésie dra-
matique tient peu de place au siècle d'Auguste ;
les quelques tragédies dont il est question, comme
la Médée d'Ovide et le T/ii/este do Varius, malheu-
reusement perdues, n'étaient pas destinées à la
représentation ; et la comédie était retournée aux
mimes.
L'élégie, au temps d'Auguste, est représentée
par Ovide, qui s'est fait dans ses lléroïdei: le tendre
interprète des amantes délaissées, et qui a aussi
chanté ses propres infortunes dans trois autres re-
cueils, les .4moi/ra, les Tristes etles É/jilres écrites
du Pont; il estplus connu, cependant, parson poème
des Métiniiorphoses, longue suite de îi(l légendes
mythologiques, commençant au chaos du monde
et se terminant à la luort de César. Ovide avait été
précédé dans le genre de l'élégie par plusieurs
poètes moins féconds, mais qui sont souvent ses
égaux dans la peinture de l'amour. Properce, et
surtout TibuUe, dont l'aimable génie a été heu-
reusement caractérisé, quoique d'une manière un
peu aft'ectée, dans un vers célèbre de Boileau :
Amour dictait les vers que soupirait Tibullc.
Dans la prose comme dans la poésie, la période
qui va du temps de Sylla jusqu'à la fin du siècle
d'Auguste est aussi un âge d'or littéraire; l'élo-
quence et l'histoire y sont représentées par d(!s
noms immortels. Ce sont d'abord, parmi les
orateurs, Hortensius, Jules César, Cicéron.
Le premier, dont les discours ne nous sont pas
parvenus, était doué d'une mémoire extraordi-
naire, d'une élocution merveilleuse et d'une dia-
lectique aussi savante que varice. Tout autre
était l'éloquence de Jules César, qui porta dans
les conseils et les discussions du Sénat les qua-
lités de l'homnio d'Etat et du capitaine: sévérité
de la forme, netteté dans les idées, vivacité, pré
cision. Mais l'orateur romain par excellence, celui
qui restera pour la postérité le type du grand
avocat romain, c'est Cicéron. La nature lui avait
donné, avec un grand talent, un esprit propre à tout,
des instincts généreux et des aspirations élevées.
Malgré certaines défaillances, son caractère ne
peut manquer d'inspirer le respect et fait contraste
avec l'égoisme qui régnait dans son entourage.
Ressentant toujours l'impression du moment, il
n'avait pas toute la stabilité d'espi'it nécessaire à
l'homme d'Etat, et pourtant ne pouvait pas se rési-
LATINE (LITTÉRATURE) — H28 — LATINE (LITTÉRATURE)
gner ii renoncer à la direction des liommes et au
maniement do la cliose publique. Il savait admi-
rablement s'assimiler les idées étrangères, ce
qui lui permit d'enricliir considérablement la lit-
térature romaine par des emprunts qu'il rendait
originaux; et il peut être considéré comme le
créateur de la prose latine classique, à laquelle il
a donné une forme si bien en harmonie avec le
génie de la langue latine, que plusieurs des écri-
vains qui l'ont suivi ont cru devoir couler leur
style dans le moule qu'il avait laissé. Ses discours,
soigneusement préparés à l'avance, montrent une
grande vivacité d'imagination, un vocabulaire
d'une surabondance étonnante, une pln-ase tou-
jours ample et sonore, une merveilleuse habileté
à passer de l'enjouement au pathétique, enfin
toutes les ressources que fournissent la nature et
l'art. Parfois sa rhétorique a des efl'ots trop étudiés,
• et la grandeur des mots ne sert qu'i cacher la
pauvreté do la pensée et la faiblesse de la cause.
Mais, en somme, après Démosthène, aucun orateur
de l'antiquité n'a su plus puissamment peindre,
persuader, émouvoir. Ses principaux discours
sont : les Verrhies, sept discours destinés à con-
vaincre Caius Verres de cruauté, de concussion et
de déprédations de toutes sortes pendant sa pré-
ture en Sicile; les Catilinaires, série de quatre
discours dans lesquels il déjoue une conspiration
ourdie contre la République par Catilina; le
discours pour la loi Manilia, qui devait donner h
Pompée le commandement de la guerre contre
Mithridate; le discours pour Milon, accusé delà
mort de Clodius; le discours pour Marcellus et le
discours pour Ligarius, demandant à César le re-
tour do di'ux adversaires politiques ; enfin les
quatorze discours contre Marc-Antoine, appelés
Philippiques. Cicéron n'a pas seulement été un
grand orateur ; ses nombreux écrits philosophiques
et littéraires et principalement ses traités sur la
théorie de l'art oratoire, ses Lettiei à Atticus et
à son frère, le placent encore au premier rang
parmi les critiques et les épistolaires de l'antiquité.
L'histoire, depuis la période précédente, a fait
aussi un grand pas; en ne croyant écrire que des
Mémoires, César a trouvé du premier coup les
principales qualités du style historique : la clarté,
la rapidité, l'exactitude des détails, la simplicité
du récit. Los histoires de Salluste, dont nous ne
possédons que des fragments, ses deux récits de
la Guerre de Juyuitha et de la Conspiration de
Ciitilina. où l'on sent plus que chez César l'ora-
teur derrière l'historien, plus riches aussi en vues
philosophiques et en analyses morales, sont des
ouvrages de premier ordre. On peut encore citer,
parmi les historiens de cette époque, Cornélius
Népos, un ami de Cicéron, dont les ouvrages prin-
cipaux ne nous sont pas parvenus, mais dont il
est possible d'apprécier le style élégant et pur,
grâce à ses Vies des çirands ca/jitaines, bien qu'on
y ait relevé d'assez graves inexactitudes de détail.
La période d'Auguste produisit l'Histoire ro-
maine de Tite-Live, magnifique monument qui
nous est arrivé malheureusement très mutilé; ii
ne reste que ■'>b livres des 150 dont se composait
cette histoire. Tite-Live est encore un historien de
l'école oratoire, auquel on peut reprocher de n'a-
voir pas été assez scrupuleux dans la recherche
des documents dont il se servait, souvent satisfait
de répéter en les embellissant les récits de Polybe
et des autres annalistes. Quoique un peu optimiste,
grâce à la nature douce et conciliante de son es
prit, il s'efforce d'être impartial ; admirateur en-
thousiaste des vertus viriles de l'ancienne Rome,
il trahit aussi une sympathie touchante pour les
opprimés et les vaincus. Son histoire, qui présente
toujours les événements sous une forme drama
tique, abonde en discours qui sont restés des
modèles d'éloquence tempérée. Les anciens ont
reproché à son style des traces de provincialisme
[patavimté] que nous ne savons pas y retrouver.
Le premier essai important d'histoire universelle,
bien que l'idée eût déjà été timidement abordée
par Varron, Atticus et Cornélius Nepos, remonte à
Trogue Pompée, dont l'ouvrage uous est surtout
connu par l'abrCKé qu'en a lait Justin. Pendant la
période impériale, l'histoire, au moins la fidèle
relation des temps contemporains, disparait à me-
sure que la flatterie servile gagne du terrain. Le
goût de l'érudition caractérise la fin du siècle
d'.\uguste. Parmi les noms des nombreux gram-
mairiens et des savants de cet âge, il faut citer
ceux de Cinnius Capito, Fenestella, Hygin et
celui de l'architecte Vilruve.
IV. PÉRIODE DE DÉCADIÎNCE.
A l'époque impériale, le despotisme croissant
qui suivit la monarchie d'Auguste éteignit gra-
duellement toute vie intellectuelle, toiîte indé-
pendance dans la littérature. La poésie et l'élo-
quence durent se taire ou prendre un langage
hypocrite. Toujours espionnés ou du moins
croyant l'être, les écrivains de cet âge se sentaient
pour ainsi dire sur la scène. Ils ne suivaient point
une inspiration libre, mais calculaient l'effet que
produiraient leurs écrits et leur conduite sur l'es-
prit de leurs contemporains et de la postérité ;
aussi la littérature de cette époque, éloquence,
histoire, poésie, a-t-elle un caractère théâtral dont
le style même se ressent; on ne parle pas. on
déclame. L'incertitude de l'existence, les appré-
hensions continuelles où l'on vit, donnent à toutes
les productions de ce temps quelque chose de
fiévreux, d'agité, de morbide. On veut frapper les
imaginations par des idées surprenantes plutôt
que profondes, par du clinquant, une concision
laborieuse, une obscurité artificielle, un coloris
surabondant. C'est le règne des rhéteurs. Tibère
impose silence aux lettres ; l'éloquence est celle
des délateurs, la philosophie reste dans l'ombre,
la poésie ne compte que des noms obscurs ;
l'histoire ne produit, outre Tibère lui-môme, au-
teur de mémoires qui furent la lecture favorite
de Domitien, que deux auteurs, Velléius Pater-
culus, qui admire aveuglément, dans un style
pompeux et affecté, tout ce que fait l'empereur,
son ancien général, et Valèie Maxime, écrivain
aussi servile, avec moins de talent, compilateur
sans goût et sans discernement, qui nous a laissé
neuf livres d'anecdotes indigestes. La grammaire,
grâce à son caractère inofl'ensif, est le seul genre
qui fleurit réellement à cette époque avec Justus
Modestus et Pomponius Marcellus; quant à la
poésie, elle n'e.st presque représentée que par des
traductions; l'ouvrage le plus original fut une
traduction en vers des Fables d'Ksope par Phèdre.
Sous les successeurs de Tibère, Caligula, Claude
et Néron, où l'on voit gouverner tour à tour l'in-
trigue, la malice, la méchanceté, la force brutale,
la littérature et surtout la philosophie sont le
refuge de quelques âmes d'élite.
L 1 figure qui domine cette époque est celle de
l'Espagnol Sénèque, sénateur sous Caligula et
Claude, puis précepteur de Néron, préteur et con-
sul. On sait comment il sévit forcé au suicide, ac-
cusé d'avoir participé à la conspiration de Pison.
C'est un écrivain de beaucoup de talent, philosophe
d'apparat plutôt que de conviction, qui pose devant
ses amis et devant lui-même. Il cherche à caresser
le goût de l'époque dans le choix des sujets qu'il
aborde comme dans la manière de les traiter. Il est
moraliste. Il aime à disserter plutôt encore qu'à
méditer sur le coeur humain. On relira toujours
avec grand charme ses écrits philosophiques pleins
de fines observations, de renseignements érudits
mais toujours présentés sans pédantistne, de no-
bles préceptes que le maître n'a malheureuse-
LATINE (LITTÉRATURE) — H
ment pas toujours suivis lui-mcSme dans sa vie.
Après tout, la forme, dans Sénèque, vaut peut-être
encore mieux que le fond, bien que ce stylo bril-
lant, chatoyant, i phrases coupées, .'i incessantes
oppositions de mots, manque de simplicité et fati-
gue le lecteur à la longue. Les principaux ouvra-
ges de Sénèque qui nous sont parvenus sont ses
Lettres à LucUius et quelques traités de morale
sur la Clémence, la Colère, la Tranquillité d'âme.
On trouve aussi de réelles beautés dans ses dix
tragédies, d'un style trop sontcntieux, trop subtil,
trop chargé d'antithèses, composées pour l'école
plutôt que pour le théâtre. Les principales sont :
Ptièdre, Œdipe, Médée, Agamemnon, et peut-
être aussi une tragédie sur un sujet contempo-
rain, Octavie.
L'histoire sous Caligula et Néron était géné-
ralement une sorte de rhétorique déclamatoire.
Cependant sous Claude elle produit un ouvrage
où l'on trouve des traces d'une réelle critique
historique, les dix livres de Quinte-Curce sur
l'histoire d'Alexandre le Grand. L'ouvrage de
Columelle, compatriote de Sénèque, sur la campa-
gne et les travaux des champs, est une sorte de
paraphrase prosaïque des Géorgiques de Virgile.
Les principaux orateurs sont les sénateurs Pac-
tus, Thraséas et Helvidius Priscus. Les philoso-
phes de cet âge écrivent en grec, comme Carnu-
tus et Epictète ; mais ces philosophes stoïciens et
plusieurs autres encore, avec Sénèque, méritent,
à cause de leur caractère, sinon ii, cause de leurs
écrits, que la postérité ne les oublie pas. C'est le
cas aussi des deux célèbres poètes Perse et Lu-
cain.
Né dans l'opulence, mais élevé à l'austère
école des stoïciens, Perso s'attaque h la corrup-
tion sans en avoir lui-même connu les souillu-
res ; ses satires sont des espèces de sermons en
vers diriges contre ses contemporains en général
plutôt que contre telle ou telle individualité parti-
culière. Il emprunte à Horace beaucoup de ses
tours de phrase et de ses expressions ; mais on
sent qu'il n'a pas vécu dans le commerce des
hommes, et l'exagération ampoulée de son style
très imagé, mais parfois obscur, fait supposer
par moments que son indignation est un pou
factice .
Le poète Lucain, neveu de Sénèque, enlevé
prématurément à la poésie, est de la même école
que Perse et transporte dans le genre épique,
comme son ami l'a fait dans le genre satirique, les
brillantes doctrines de la philosophie stoïcienne.
Sa Pharsale, récit malheureusement inachevé de
la guerre civile entre Pompco et César, est toute à,
la gloire du parti républicain, que le poète ne
sépare pas de la liberté et de la grandeur de
Rome. Malgré l'enflure de son style artificielle-
ment pathétique, qui trahit un certain manque
de maturité, on sent dans les descriptions, dans
les discours, surtout dans les. maximes générales
dont le poème pullule, le souffle d'une véritable
poésie, c'est-à-dire d'une poésie inspirée par un
•cœur généreux.
A côté de cette littérature stoïcienne, quelques
disciples de la doctrine épicurienne, esprits super-
ficiels et mondains auxquels appartenait sans doute
Néron lui-même, ont laissé plusieurs monuments,
entre autres le roman satirique attribué à un
courtisan plus tard victime de Néron, Pétrone,
contenant des aventures diverses rattachées h un
voyage imaginaire. Le fragment le plus important
qui nous en est parvenu est le l''estin de Trimal-
ehion, description humoristique mais souvent trop
licencieuse des moeurs contemporaines.
Sous la dynastie Flavienne, à l'ombre de la paix,
les lettres semblent reprendre vie avec Vespasien
et Titus; mais avec Domitien, les mauvais jours do
la vanité et de la cruauté impériale recommencent
LATINE (LITTÉRATURE)
2<J
pour les lettrés. Parmi les prhicipaux protégés des
deux premiers Flavions, nous trouvons Pline l'An-
cien et Valérius Flaccus.
Pline l'Ancien, esprit encyclopédique, compila-
teur infatigable, victime de sa passion pour la
science lors de l'éruption du Vésuve, sut concilier
avec ses absorbantes occupations officielles d'ins-
pecteur des finances de l'empire, une féconde ac-
tivité littéraire qui lui a mérité de prendre un
rang élevé parmi les historiens, les grammairiens
et les naturalistes. Valérius Flaccus, imitateur de
Virgile et d'Apollonius de Hhodes, retraça l'expédi-
tion des Argonautes dans un poème prolixe, et en
vers qui manquent parfois de lucidité à force de
rechercher la concision et la hardiesse.
Domitien, bien qu'il affecte lui-même le goût des
lettres et de la poésie, ne permet qu'un genre : le
panégyrique de son despotisme. Quiconque veut
dire la vérité doit dérober ses ouvrages au public ;
ce fut le parti que prirent Tacite et Juvénal.
Parmi ceux qui eurent la faiblesse ou la servilité
de se faire les adulateurs d'un monstre, il faut citer
Silius Italiens, Stace, Quintilien et Martial.
Silius Itaiicus emprunte le fond de son monotone
et déclamatoire poème des Guerres /iiiniques à
Tite-Live, et les développements et les procédés
poétiques à Homère et à Virgile, introduisant la
mythologie au milieu des événements historiques.
Stace, esprit cultivé, poète spirituel, compose une
foule de pièces de circonstance, réunies sous le
le nom de Silvœ (les Forêts), jolies esquisses de
mœurs de l'époque, et un poème en douze chants,
la Thébuide, qui ne manque pas d'imagination et
d'audace, mais que déparent un stylo maniéré, des
traits exagérés et trop de détails mythologiques.
L'Espagnol Martial prend Catulle et Ovide pour
modèles. C'est un satirique, mais qui enferme sa
malice dans le cadre restreint do lëpigramme. On
admirerait beaucoup plus son talent s'il ne servait
pas souvent à mettre en relief une absence cho-
quante de sens moral et de dignité. Il se complaît
à persifler les vices et la corruption de son temps,
mais sa médisance n'est souvent qu'une flatterie
déguisée à l'adresse du maître et de ses favoris.
Quintilien est aussi originaire d'Espagne, quoiqu'il
ait été élevé à Rome. Longtemps professeur d'é-
loquence il Rome, puis chargé par Domitien de
l'éducation de ses neveux, il composa dans sa
vieillesse un ouvrage sur les Causes du déclin
de Céloqueniie et un autre ouvrage sur \ Éducation
oratoire, dont la portion la plus précieuse pour
nous et la plus admirée est le dixième livre, qui
contient une liste critique des auteurs latins les
plus utiles pour la formation de l'orateur.
Les règnes de Nerva et de Trajan permettent à
la littérature un libre et nouvel essor. Les écri-
vains qui s'étaient enfermés dans le silence par
nécessité sous Domitien déversent contre le des-
potisme qui vient de finir, avec leur colère, d'au-
tant plus d'amertume qu'ils se sont plus longtemps
contenus. C'est le cas de Juvénal, de Tacite, et
même en partie de Pline le Jeune.
Parmi les seize satires que nous a laissées Juvé-
nal, les plus caractéristiques décrivent les vices
de la société romaine avec une éloquente indigna-
tion et une vigoureuse énergie ; il ne se contente
plus, comme Perse, d'accuser son époque en gé-
néral; il nomme les coupables. Les personnages
que le poète met au pilori, pour son temps et pour
les siècles à venir, appartiennent surtout h. l'épo-
que de Néron et de Domitien. Mais, malgré les
explications des commentateurs, on ne reconnaît
pas toutes les figures. On ne saisit pas toutes les
allusions dans ces vers qui, pour rappeler le juge-
ment de lîoileau,
.... Tout pleins (l'iiffrenscs rà'ilùs
hllnccllcnt pouilant de sublimes bcauté.'i.
LATINE (LITTÉRATURE) — 1130
LATITUDE
D'oiigiiie plébéienne, mais nourri des souvoniis
de la République aristoci'atique, l'auteur des His-
loires et des An7tales, vigoureux tableaux embras-
sant les règnes des empereurs d'Auguste à Domi-
tien. Tacite s'est indigné aussi, mais il s'est
résigné pendant les jours mauvais et a attendu ce
moment bienheureux où il fut enfin permis, comme
il le dit lui-même, de penser ce qu'on voulait et de
dire ce qu'on pensait. La forme de son style éner-
gique a gardé la marque d'au temps où le génie
devait se contraindre et se cacher; il s est habitué
à la concision, à une réserve calculée, aux sous-en-
tendus, aux pointes épigrammatiques. 11 est sans
contredit le prince des historiens romains ; il
a l'esprit critique, le culte de la vérité et de
l'exaciitude; il ne se contente pas de noter les
faits, mais en cherche philosophiquement les causes,
et fouille eu psychologue les bas-fonds des carac-
tères.
Homme de lettres avant tout, bien qu'il eût suivi
la carrière du barreau et des emplois publics,
Pline le Jeune, neveu et fils adoptif de Pline l'An-
cien, a écrit neuf livres de lettres, soigneusement
variées de ton et de sujet, et évidemment compo-
sées plutôt pour la postérité que pour ses corres-
pondants. Mais elles ont tant d'intérêt, et souvent
tant d'esprit, elles sont écrites d'un style si coulant,
qu'on pardonne à l'auteur une vanité qu'il a le
bon goût de confesser lui-même.
Sous les Antonins, la littérature latine, malgré
la protection que les empereurs lui accordent, s'é-
carte de plus en plus des traditions du bon goût,
et s'achemine rapidement vers la décadence h
mesure que les invasions menacent l'empire et que
l'extension du droit de cité diminue l'importance
de Rome. Les écrivains qui restent fidèles aux
meilleures traditions sont peu nombreux. Les
principaux sont : Suétone, secrétaire particu-
lier d'Adrien, archéologue, historien ou plutôt
biographe ; ses Vies des douze Cesavs abondent en
renseignements puisés aux meilleures sources ;
le rhéieur Florus, auteur d'un tableau en rac-
courci de l'histoire romaine abrégée; et Justin,
autre abréviateur de talent. La majorité des autres
écrivains se perd dans de vains efforts à la re-
cherche de l'originalité. L'Africain Fronton exer-
çait une suprématie littéraire que ses ouvrages
ne confirment pas. L'érudition remplace le génie;
on fouille le passé au lieu do créer de nouveaux
monuments pour l'avenir. Les grammairiens, les
maîtres de rhétorique pullulent ; le nom le plus
célèbre est celui de l'auteur des Nuits Atliques, le
studieux Aulu-Gelle; une littérature grécisante de-
vient de plus en plus à la modo. Suétone, Adrien lui-
même, Fronton, Apulée, Tertullien écrivent en
grec presque autant qu'en latin. La jurisprudence
au contraire grandit avec le déclin des autres
branches de la littérature; elle enregistre plusieurs
noms illustres : ceux de Pomponius, de Gaius et
de Papinien, qui contribuent à la fois au dévelop-
pement de la science du droit par leurs écrits et
par leur enseignement. La poésie ne produit rien;
la mythologie ancienne a fait place au christia-
nisme, qui à ses débuts inspire h peine quelques
hymnes sans valeur. Ce sont surtout les illettrés,
les pauvres, les opprimés, les femmes qui se tour-
nent vers la doctrine du péché et de la rémission
et vers le dogme qui promet une vie meilleure.
Du reste les chrétiens affectent de mépriser les
lettres. Ceux qui, comme Minutius Félix et Lac-
tance, essaient de concilier l'.s traditions de l'anti-
quité avec l'esprit nouveau, font exception. Le
plus grand nombre, commeTertullien, maudissent
à la fois et la religion et la culture littéraire de
la Rome païenne.
Au lit' siècle, le déclin continue et s'étend même
jusqu'à la jurisprudence ; le christianisme produit
son premier poète, le lourd et incorrect Commo-
dianus. La vieille école ne produit guère qu'un
poète qui ne suffit pas à la relever, i\émésien.
L'éloquence de l'Eglise s'inspire de Tertullien, que
l'évoque de Cartilage, Cyprien, rappelle par la lu-
cidité et le charme de son style, mais sans égaler
sa féconde originalité.
Vers la fin du siècle, l'apparition des Barbares et
l'élévation au trône d'une série d'empereurs sol-
dats, d'origine thrace et illyrienne, contribue ;i
accélérer la décadence. Au iv' siècle, tandis que
le polythéisme cesse d'être la religion d'Etat et que
la capitale de l'empire est transportée en Orient,
les lettres jettent encore quelque éclat passager.
L'éloquence appartient surtout aux orateurs ecclé-
siastiques, aux pères de l'Eglise, Ambroise, Jérôme
et Augustin. L'histoire produit quelques abrévia-
teurs de talent, Aurélius Victor et Eutrope, et sur-
tout le boursoufflé mais judicieux Ammien Mar-
cellin. Il faudrait citer encore, parmi les poètes
chrétiens, le moins obscur. Prudence ; parmi les
grammairiens, Macrobe, Servius et Donat, et deux
auteurs épistolaircs, Symmaque et Sidoine Apol-
linaire, originaire de Gaule. La poésie latine
s'éteint avec Clandien, poète emphatique, auteur
de panégyriques et de VÈnlèvement de l'roserpiti'! ;
Ausone, né à Bordeaux, qui a surtout réussi dans
l'épigramme et la poésie descriptive, se perdant
dans les minuties puériles ; enfin Fortunat, que
l'histoire des Mérovingiens nous montre à la cour
de Sigebert et de Chilpéric, célébrant à la fois
Brunehaut et Frédégonde. C'est en Gaule, en effet,
que les lettres latines ont survécu le plus long-
temps, et nous y trouvons encore sur le seuil du
vil' siècle un historien qui écrit dans un latin
presque correct, l'auteur des Légenden de-< saints
et de l'Histoire des Francs, Grégoire de Tours.
jB. Buisson.]
LATITUDE, LOJIGITl'DE. — Cosmographie, II.
— Etym. : Latitude est dérivé de latitndo, qui vient
de latus, large, et longitude dérive de longitudo,
qui vient de longtis, long. Ces dénominations, dé-
fectueuses aujourd'hui, nous ont été transmises par
les anciens, qui ne connaissaient qu'une partie de
la terre, laquelle était plus longue dans le sons où
nous évaluons les longitudes.
La latitude d'un lieu ou, plus exactement, d'un
point pris à la surface de la terre A (fig. l),
est l'arc de méridien AB compris entre ce point et
l'équateur EOBE'. Ainsi, tous les points situés sur
Fig. t.
le même parallèle ont la même latitude. Cette dé
finition suppose la terre rigoureusement sphéri-
La lûngitu<!e d'un point est l'arc de parallèle
ou d'équateur OB compris entre le méridien P.VP'
qui passe par ce point et un méridien déterminé
choisi par convention, PEPE', et nommé premier
méridien. Tous les lieux situés sur le même demi-
méridien compris entre les deux pôles ont la
même longitude.
Les divers peuples ne se servent pas tous du
même premier méridien. En France, on a fait choix
de celui qui passe par Paris et, plus exactement,
par l'Observatoire. Le Anglais font passer leur
premier méridien par l'Observatoire de Greemvich;
LATITUDE
II. Il —
LATITUDE
1rs Allomands pai- l'ilo du I'im', l'iinii des Canaries;
lus Uuss(<s par l'ulkowa. Kntrfi le mt'i-ldiou do
l'ilo dfi Kcr et ccliii de l'aris il y ajuste "JO degrés
d(i difloi'cnco, ce qui permot do passer facilement
d'une longitude estiméo par rapport .'i l'un ;\ la
même longitude csiitnéo par rajjport h l'autre. Il
serait préférable qu'il y eût un seul premier méri-
dien pour lo monde entier.
■ La latitude et la longitude portent conjointement
le nom de coordonnées yéogt ciplnijues. Elles s'ex-
primoni en degrés, minutes et secondes. La lati-
tude est nord ou sud, ou boréale ou n!/.s'/)v//e, selon
que le point considéré est situe dans l'iiomisplière
nord ou dans l'hémisphère sud, et, par conséquent,
d'un coté ou de l'autre de l'équateur. I.a longitude
est orientale ou occidentale ou, si l'on préfère, est
ou ouest, et, par conséquent, h droite ou h gauclie
du méridien de Paris pour la France.
La latitude et la longitude servent h fixer la po-
sition des divers lieux; elles permettent do cons-
truire les globes et les cartes géographiques. On
comprend donc toute leur importance. Chaque
point est ainsi déterminé sur la terre par le point
de croisement de deux lignes, comme sur une table
de multiplication le produit se trouve h la rencon-
tre des deux lignes partant, l'une du multipli-
cande, et l'autre, du multiplicateur.
Nous ne saurions voir la terre tout entière ; nos
regards n'embrassent que la faible étendue qu'en-
ferme l'horizon. Sans doute cette étendue est plus
ou moins grande, selon qu'on se trouve sur un
lieu plus ou moins élevé : ainsi du haut d'une
montagne elle est plus vaste qu'au niveau de la
plaine; mais lors même que notre vue s'étend sur
un espace de vingt, trente ou quarante lieues do
rayon, un tel espace est relativement nul si on le
compare à la surface de la terre. Et pourtant, mal-
gré notre impuissance apparente à saisir la terre
dans son ensemble, h la voir comme nous voyons
le soleil et la lune, nous pouvons en faire une
sorte de portrait, de représentation exacte, — au
moins pour les parties connues, — qu'on nomme
un globe ou une sphère terrestre. Nous parvenons
à figurer sur une sphère les chaînes de montagnes,
les cours d'eau, les contours des continents, en
un mot tous les accidents géographiques. Nous
traçons les limites des Etats ou des contrées; nous
marquons la place des villes, et, comme s'il s'a-
gissait du plan d'une maison, nous poursuivons
jusque dans ses moindres détails l'image fidèle de
la surface du globe. Or, tout cela n'est possible
qu'à l'aide de la latitude et de la longitude de
chaque point.
Imaginons en effet le réseau ou filet formé par
l'entre-croiscraent des méridiens et des parallèles.
On peut en multiplier les mailles autant qu'on le
veut, car le noiubre des méridiens et des parallèles
est illimité. Par chaque point de la surface de la
terre, passe un méridien et un parallèle. Un sem-
blable réseau étant roproduK en petit sur une
sphère, tous les points de la terre qui répondent
aux points d'entre-croisement des fils auront leur
image sur le globe. Prenons un méridien quelcon-
que que nous regarderons coir.rae celui qui passe
par Paris, par exemple : il suffira, pour fixer la po-
sition de Paris, de connaître l'arc de méridien
compris entre Paris et l'équateur ou la latitude ;
cette latitude étant de 4i" 5(J'49" (au Pjinthéon),on
prendra à partir de l'équateur un arc de cette
grandeur et on aura le point qui répond k Paris.
Qu'il s'agisse maintenant de fixer la position de
Lyon; il existe un méridien et un parallèle passant
par celte ville et dont elle occupe le point d'inter-
section. Si nous parvenons à tracer ces deux cer-
cles, nous obtiendrons la position de Lyon. Or,
pour tracer le méridien de Lyon, il suffit de con-
naître l'arc de parallèle compris ei.tre le méridien
de cette ville et celui de Paris, c'ast-à-dÎTe la lon-
gitude de Lyon, et de savoir si cet arc doit être
compté i droite ou h gauche, ou, si l'on préfère, à
l'est ou à l'ouest du méridien de Paris. La longitude
de Lyon étant de •.'» 29' 10" à l'est, cet arc sera
compté sur le parallèle de Paris, à partir de Paris
et vers la droite, puis on mènera le méridien pas-
sant par ce point, et Lyon se trouvera sur ce mé-
ridien. D'autre part, la latitude de Lyon est 45°
45' 45" ; nous compterons sur le méridien tracé, et
à partir de l'équateur, un arc de 45" 46' 45"; nous
obtiendrons ainsi le point correspondant à Lyon.
L'équateur partageant la surface de la terre en
deux hémisphères, l'iiémisphcre nord et l'hémi-
sphère sud, il est bien évident que, dans l'indication
des latitudes, on doit dire si elle est comptée d'un
côté ou de l'autre de l'équateur. Pour la France,
toutes les latitudes, appartiennent i l'hémisphère
nord, et sont par conséquent d'un môme côté de
l'équateur.
Ùéterviination de la latitude d'un point. — Nous
savons maintenant ce que c'est que la latitude
et la longitude d'un point, nous en comprenons
l'utilité; il nous reste à connaître le moyen de les
déterminer. Commençons par la latitude.
Figurons par la circonférence EPE'P' (fig. 2) le
méridien nui passe par le point considéré A dont il
faut déterminer la latitude. Représentons l'axe
terrestre par PP', le diamètre de l'équateur situé
dans le méridien par EE'. La latitude du point A
est l'arc AE qui répond à l'angle AOE. Mesurer
l'arc ou l'angle, c'est la mémo chose, puisqu'il
s'agit d'estimer l'arc en degrés, non en mètres.
Or, l'angle AOE est égal à un autre angle plus
facile à mesurer. Observons que le rayon équato-
rial OE est perpendiculaire à l'axe OP, que le
rayon terrestre OA n'est autre que la verticale au
point A, et qu'il est par conséquent perpendicu-
laire à l'horizontale AH au même point. L'angle
AOE est donc égal à l'angle Pj AH' (deux angles
qui ont leurs côtés perpendiculaires et dirigés dans
le même sens sont égaux) ; — vu les faibles dimen-
sions de la terre par rapport à l'univers, la terre
peut être considérés comme un point, les lignes
menées de tous les points de la terre parallèlement
à PP' se confondent. Au lieu de mesurer direc-
tement l'angle AOE, nous allons mesurer P, AH',
c'est-à-dire l'angle que forme l'axe avec l'horizon-
tale. C'est cet angle qu'on désigne sous le nom
de hauteur du pôle. La hauteur n'est pas ici une
ligne droite qti'on évalue en unités de longueur,
mais un angle ou un arc estimé en degrés. Donc
la la'i'ude d'un point est égale ù la hauteur oupôle
en ce point.
Enfin, on peut encore substitueràla mesure de ce
dernier angle celle de son complément, c'est-à-dire
l'angle ZAI'i formé par la verticale avec l'axe. (La
fiïuro no doit pas être faite tout entière d'avance ;
chacun des aUL'Ies ou chacune des lignes énoncés
doit être tracé au moment oii l'on en parle.)
LATITUDE
1132 —
LAVIS
En délinitivc, il s'agit de mesurer l'angle formé
par la verticale ou le fil i plomb avec l'axe de la
terre prolongé.
Comment peut-on obtenir cette dernière ligne'?
S'il se trouvait une étoile sur le prolongement de
l'axe terrestre, cette étoile serait toujours immo-
bile, car le mouvement apparent des étoiles est
produit par le mouvement réel do la terre. II suf-
firait donc de diriger la lunette sur l'étoile pour
obtenir la direction de l'axe. Cette condition n'est
pas nécessaire, car chaque étoile décrit, soit un
arc de cercle, soit un cercle apparent, dont le
pôle est le centre. Parmi les étoiles, on choi-
sira une de celles qui restent constamment vi-
sibles, et décrivent un cercle complet. Elle a,
comme on sait, un passage supérieur et un passage
iitffrieur, c'est-à-dire qu'elle traverse le méridien
à deux reprises, tantôt au-dessus et tantôt au-des-
sous du pôle. Si l'on vise l'étoile au moment de
chaque passage, il suffira de diviser en deux par-
ties égales l'angle formé par les deux directions
obtenues. Cette bissectrice est précisément la di-
rection de l'axe, c'est-à-dire l'un des côtés de l'an-
gle à mesurer; l'autre est la verticale.
On sait que la direction du fil à plomb prolon-
gée rencontre la sphère céleste fictive au point
nommé zénith, et que le distance du passage au
zénith est ce qu'on nomme la dislmire zénillmle;
donc, en définitive, la mesure de la latitude se ré-
duit à celle des distances zénithales d'une même
étoile. On obtii-ndra la latitude d'un point en
prenmit le complément de Inihoijenne des distan-
ces zcnitliales d'ui.e même étoile en ce point.
Au lieu de faire deux déterminations pour éva-
luer la latitude, on peut n'en faire qu'une si l'on
connaît d'avance la déclinaison Ef' (fig. 3) d'un as-
tre (c'est ainsi qu'on nomme la distance angulaire
de l'étoile h. l'équateur céleste). Il suffit, dans ce
cas, de déterminer la distance zénithale Ze' ou Ze
de cet astre au moment de son passage. La lati-
tude est, en effet, égale à la somme ou à la diffé-
rence de ces deux éléments,
L ^ rf -}- :, si l'étoile passe au sud du zénith.
L = rf — ;, si l'étoile passe au nord du zénith.
En mer, on détermine la distance zénithale du
soleil au moment du passage et on trouve la dé-
clinaison du soleil pour chaque jour dans un re-
cueil de données astronomiques nommé Con-
naissance des temps. C'est à l'aide d'un appareil
nommé sextant que les marins déterminent la
hauteur du soleil dont la distance zénithale est le
complément.
Ajoutons, en terrciinant, que dans ces diverses
mesures, on tient compte de la réfraction atmosphé-
rique. 11 est bon d'observer également que la terre
n'est pas rigoureusement sphérique et que la ver-
ticale d un lieu diffère légèrement du prolonge-
ment du rayon terrestre en ce lieu.
Détermination de la longitude d'un point. —
Le soleil dans sa marche apparente passe succes-
sivement au méridien de chacun des points de
l'équateur ou, si l'on préfère, la terre, en tournant
sur elle-même, présente successivement au soleil
tous les points de son équatcur.
Les aOO degrés équatoriaux défilent donc devant
le soleil en 34 heures, soit 15 degrés par heure. Dès
lors, deux points séparés par un intervalle de 15 de-
grés voient passer le soleil dans leurraéridien aune
heure d'intervalle ou, si l'on préfère, l'horloge de
l'un des points avance ou retarde d'une heure sur
l'autre. Il y a avance du côté de l'est, retard du
côté de l'ouest. Ce qui se passe pour deux points
situés sur l'équateur est également vrai de deux
points quelconques qui voient le soleil. La diffé-
rence des heures pour deux points du globe nous
donnera donc la distance en degrés de leurs mé-
ridiens, c'est-à-dire la différence de leurs longitu-
des, et si l'un des points est Paris, nous obtiendrons
aussi la longitude de l'autre point.
Donc, pour déterminer la longitude d'un point, il
faut prendre un ou plusieurs chronomètres indi-
quant l'heure de Paris, se transporter avec ce ou
ces chronomètres au point déterminé et constater
la différence entre l'heure de Paris et celle de ce
point.
Comme on peut craindre le dérangement des
chronomètres pendant la route, il est bon d'avoir
d'autres moyens à sa disposition. Or, un signal
qui serait aperçu simultanément de Paris et du
point considéré, comme la luiuière produite par
l'inflammation d'un tas de poudre, permettrait de
noter l'heure au même instant à, Paris et au point
en question et par suite de connaître la différence
des heures. C'est un des moyens dont on s'est servi
et qui permet d'obtenir une valeur assez approchée
de la longitude.
Au lieu de ce signal artificiel, on peut faire usage
de signaux naturels tels que les occultations d'é-
toiles par la lune, ou les éclipses, particulièrement
celles des premiers satellites de Jupiter par le cône
d'ombre projeté par cette planète. Les éclipses de
lune, au contraire, sont peu propres à fournir un
moment précis. Ces phénomènes sont prédits long-
temps à l'avance, et l'heure indiquée est celle de
Paris; il ne s'agit que d'observer l'heure de la ma-
nifestation au point dont on veut connaître la lon-
gitude et de faire la différence des heures.
Très simples en théorie, ces moyens n'offrent
pas dans la pratique toutes les conditions de sécu-
rité ; le moment précis de la manifestation d'un
phénomène n'est pas chose aisée à constater.
La télégraphie électrique nous a fourni un des
moyens les plus efficaces d'obtenir un instant
précis identique pour Paris et pour un lieu déter-
miné. On peut admettre qu'un signal envoyé de
Paris à Lyon par le télégraphe électrique ne met
pas un temps appréciable pour franchir la distance
qui sépare Paris de Lyon. Au moment même où il
part de Paris, il est à Lyon.
Il est vrai qu'indépendamment du trajet parcouru
par l'électricité, quelques secondes peuvent s'é-
couler entre l'arrivée de la vibration électrique et
le mouvement de l'appareil; on arrive à en tenir
compte. On ne se contente pas non plus d'invoquer
le signal de la première station à la seconde mais
aussi de la seconde à la première. Ces opérations
sont répétées un grand nombre de fois, après quoi
on prend la moyenne des résultats.
Dans ces derniers temps MM. Lœwy et Perler, de
l'Institut et du Bureau des longitudes, ont déter-
miné les longitudes de Marseille et d'Alger avec
un degré d'exactitude qui ne laisse rien à désirer.
Longitude et latitude célestes. — On nomme
ainsi des arcs qui permettent de fixer la position
d'une étoile et de tout autre corps céleste, analo-
gues à la latitude et à la longitude géographiques ;
mais au lieu de l'équateur, c'est à l'écliptiqueet
à un grand cercle passant par les pôles de l'éclip- M
tique qu'on rapporte les arcs. [Félix Ilément.] 1
LAVIS. — L BcT DU L.ivis. — Le lavis a un
double but: 1° Faire sentir les formes planes ou
arrondies, les parties fuyantes des objets ainsi que
leurs positions respectives; 2° indiquer la nature
LAVIS
— 1133
LAVIS
de ces objets. Dans le premier cas, on emploie
gôncSralement des teintes d'encre de Chine; dans
le second, des teintes diverses, dites conven-
tiojinelles.
II. Classification des couLEiins. — On admet en
peinture trois coulours simples ou tons qui, par
leur réunion, forment le blanc: \g jaune, couleur
claire et brillante; le rouge, couleur éclatante et
demi-claire, et le bleu, couleur sombre. Le noir
n'est pas une couleur, mais l'absence de toute
couleur. Selon que ces tons sont mùlés de noir ou
de blanc, on dit qu'ils sont rabattus ou éclair-
cis.
Si l'on mélange deux tons simples en parties
égales, on obtient un ton composite de premier
ordre : rouge et jaune donnent oranç/e; rouge et
bleu donnent violet; jaune et bleu donnent vert.
Si l'on mélange un ton composite de premier
ordre avec un ton simple, on obtient un composite
de deuxième ordre. Ex. : orangé-rouge, vert.
jaune, etc. Enfin on pourrait obtenir une nouvelle
série de tons composites, tels que orangé-rouge-
rouge, etc.
Deux tons sont complémentaires lorsque par
leur mélange ils donnent du blanc ou un gris
simple. D'après cela, si les trois couleurs simples,
jaune, rouge et bleu, donnent le blanc, il en ré-
sulte que la couleur complémentaire du jaune est
le violet, c'esl-i-dire un mélange de rouge et de
bleu, que la couleur complémentaire du rouge est
le vert, et celle du bleu, l'orange.
On trouve rarement les couleurs pures. Elles
sont toujours plus ou moins mêlées à un pigment
noir, de manière que deux couleurs complémen-
taires donnent du gris noir et non du blanc.
Voici les couleurs principales employées dans le
dessin :
Ocre jaune i
Gomme-gutte jaunes.
Sépia )
Carmin I
Vermillon ■ rouges.
Terre de Sienne brûlée )
Bleu de Prusse 1
Indigo bleus.
Cobalt )
Nous avons dit que l'encre de Chine n'était pas
une couleur.
III. Teintes conventionnelles. — Nous allons
indiquer la composition des teintes employées
dans l'industrie des machines, notamment i l'u-
sine Cail à Paris. On y verra figurer des tons
composites préparés directement par l'industrie
pour éviter la mélange toujours difficile des tons
simples.
Fonte : teinte neutre. Fer : bleu de Prusse.
Acier : teinte neutre et un peu de carmin. Bronze:
terre de Sienne brûlée. Cuivre jaune : gomme-
gutte. Cuivre rouge : carmin. Plomb, zinc et
étain: bleu de Prusse très clair. Chi'?ie: fond clair
en sépia et veines foncées de même couleur.
Sapin : fond clair et veines en terro de Sienne
briilée. Cuir et caoutchouc : sépia claire. Mastic de
fonte: sépia claire et points h la plume en sépia
foncée. Pierre du taille : terre de Sienne natu-
relle. Ma(:on7tcrie : carmin très clair. Brique or-
dinaire : brun rouge. Brique réfrnctaire : terre
de Sienne naturelle et un peu de brun rouge.
Béton : carmin clair avec points à la plume. Terre:
badigeon de sépia. Ballast : fond clair en terre
de Sienne brûlée et points de même couleur
foncée.
Voici maintenant, pour la topographie, quelques
teintes conventionnelles adoptées à l'Ecole cen-
trale dos arts et manufactures :
llois : fond de terre de Sienne brûlée et de ven
faible pour les massifs; deux teintes vertes super-
posées pour les arbres isolés, dont une forte du
côté de l'ombre ; ombres projetées par les arbres
en sépia. Près : fond vert clair et touches horizon-
tales avec le même vert plus intense. Vignes :
teinte neutre et ceps à la plume alignés. Terres
labourées : teintes diverses, où le jaune domine,
appliquées par hachures ou sillons dans le sens
de la longueur dos parcelles. Bivières : teinte
fondue en bleu do Prusse du cûté de l'ombre.
IV. Prépabation et application des teintes. —
Pour préparer une teinte simple, on met quelques
gouttes d'eau dans un godet et l'on frotte avec un
pain de couleur en appuyant sur le godet; on
ajoute ensuite de l'eau en quantité convenable et
on délaie pendant plusieurs minutes avec un pin-
ceau propre, de manière à obtenir une teinte bien
limpide. Quand il s'agit d'une teinte composée,
on prépare séparément, avec tout le soin possible,
chacune des teintes simples qui doivent la com-
poser, puis l'on fait le mélange.
Avant d'appliquer une teinte quelconque, il
faut l'essayer sur son garde-main ou sur toute
autre feuille d'un papier de même nature
que celui employé pour le dessin. Celui-ci
doit être nettoyé et gommé, au préalable (car
il ne faut pas penser à donner un seul coup de
gomme sur une teinte), avec la gomme élastique
ordinaire seulement. On prend ensuite de la
couleur avec un pinceau de grosseur proportionnée
h la surface à laver et toujours rempli, et on lave
hardiment de gauche à, droite et do haut en bas,
en tenant le dessin incliné et en ayant soin sur-
tout de faire écouler la teinte par la pointe du
pinceau plutôt que par le flanc. Un grand nombre
de taches viennent, en effet, de ce qu'on veut
obliger la teinte i sortir par le fl:inc, tandis qu'elle
s'écoule naturellement et sans effort par la pointe
du pinceau.
Lorsqu'on a de grandes teintes ;i appliquer, il
convient d'humecter d'abord d'eau propre tout
le dessus avec une petite éponge et de commen-
cer le lavis quand la feuille est presque sèche.
L'eau pure est préférable à une dissolution d'a-
lun, qui forme une espèce d'enduit. Quelquefois
aussi, pour rendre une couleur délayée plus lim-
pide, on la décante, soit en la versant dans un
autre godet avec précaution, soit en la versant
dans une petite boîte improvisée en fort papier.
Il faut avoir soin d'essuyer avec un chiffon tout
bâton de couleur ou d'encre de Chine qui vient
d'être employé, pour éviter que cette couleur se
fendille et s'émiette en petits morceaux.
Dans un dessin à effet, lavé et ombré, on doit
opérer dans l'ordre suivant : I" appliquer une
teinte d'ébauche k l'encre de Chine, d un gris-
foncé, sur toutes les portions dans l'ombre pro-
pre ; 2° faire les lavis des ombres propres, le mo-
delé des parties arrondies, soit en dégrade, c'est-
à-dire au moyen de teintes plates superposées,
d'inégale intensité, soit en teinte fondue, c'est-à-
dire étendue d'eau et diminuant peu à peu d'in-
tensité ; 'i" faire le lavis des ombres portées, d'a-
bord sur les surfaces planes, puis sur les surfaces
courbes; 4° appliquer les teintes conventionnelles.
Il convient, dans le dégradé en général, à l'en-
cre de Chine ou en une teinte quelconque, de
commencer par les tons les plus foncés et d'étendre
d'eau de plus en plus pour arriver aux tons clairs.
La méthode inverse, qui consiste à commencer
par les tons clairs et à les renforcer, présente
plus d'incertitude et de difficulté. Dans les deux
cas, il faut avoir soin de superposer les teintes, et
non pas les juxtaposer. On évite ainsi un bour-
relet de taches qui se produit infailliblement
entre les teintes juxtaposées.
V. Convention poub le lavis a l'encke de Chine.
— Le lavis à l'encre de Chine étant de beaucoup
LAVIS
1134 — LEÇONS DE CHOSES
le plu<i employé, non seulement dans les ombres,
msis encore à la place clés teintes conventionnel-
les, aussi bien en architecture qu'en mécanique,
nous allons donner les principales conventions
qui s'v rapportent. .
1° Quand une surface plane est parallèle u un
dcf! plans de projection et se trouve entièrement
éclairée, elle doit recevoir une teinte plate, claire
et uniforme, dans toute so7i étendue.
2» Quand une surface plane est oblique à un
plan de projection et se trouve enfièrC'i.eni éclai-
rée elle doit recevoir une teinte claire, dégradée,
dims laquelle la partie la plus éloignée de L'obser-
vateur tst la moins claire.
On admet avec raison que la quantité de lu-
mière envoyée dans l'œil d'un observateur par
un objet éclairé diminue avec l'éloignement de
cet objet, bien qu'il soit également éclairé dans
toutes ses parties. A dire vrai, cette différence
d'intensité est inappréciable dans la plupart des
cas où l'on prend le soleil pour source lumineuse,
mais il convient de l'accentuer afin de mieux faire
sentir le relief des objets.
3" Une surface plane éclairée est d autant plus
brillante et doit être en teinte d'autant plus claire
qu'elle se rappro'h- plus de la position perpendi-
culaire au rayon luminnix.
On sait que le rayon lumineux adopté par les
dessinateurs suit la direction de la diagonale d'un
cube qui va de haut en bas, d'avant en arrière et
de gauche à droite (V. Omb^s).
4" Quand une surfac- plane est oblique à un
des plans de projection et se trouve entièrement
dans l'ombre, elle doit reievoir une teinte foncée
déqrad e, dans laquelle la partie la plus éloignée
de l'o 'se 'Vil leur est ta moins foncée.
On admet, en effet, et l'expérience le prouve,
que l'ombre s'affaiblit en s'éloignant, qu'elle est
atténuée par des reflets de lumière venant du sol,
des objets environnants et de l'atmosphère.
It" Quand deut surfaces planes sont parallèles
et éclairées, celle qui -e trouve la plus proclie du
spectateur reçoit une teinte plu< faible que l'autre.
Si ces surfaces sont dans l'ombre, c'est la plw
éloignée qui doit recevoir la teinte la plus faible.
Cela résulte évidemment de la deuxième et de la
quatrième lois.
Tout ce qui vient d'éire dit s'applique aux sur-
faces courbes, que l'on peut considérer comme
formées d'un grand nombre de faces planes de
petites dimensions. Par conséquent, dans iine
sphère, par exemple, on distinguera une portion
brillante, puis une série de tranches de plus en
plus sombres par suite de leur inclinaison de
plus en plus grande par rapport aux rayons lu-
mineux, et enfin une zone sombre suivant laquelle
ces rayons rasent la sphère et qui limite la partie
éclairée. Au delà de cette zone, il n'y a plus que
de l'ombre ; elle est la séparation de l'ombre et
de la lumière.
C° Duos la partie ormbée des surfaces courbes,
la teinte d'ombre doit diminuer d'intensité à
partir de la H/ne de séparation d'ombie et de
lumière jusqu'aux points qui se trouvent directe-
ment apprises aux rgijons tuiuineur.
C'est d'après cette loi que se fait le dégradé
dans la partie ombrée du cylindre, du cône et de
la sphère. . .
En effet, dit M. PiUet, si la lumière solaire était
unique, si elle ne donnait pas lieu à des reflets,
tous les points dans l'ombre seraient absolument
noirs. Or, il n'en est rien : ces points sont dans
des demi-teintes d'éclat variable ; les ombres sont
éclairées par des rayons indirects que nous nom-
merons rayons de reflets, dus à la niasse d'air envi-
ronnante, au sol ou aux objets voisins.
En admettant même que: les objets que nous
présentons soient, comme des aérostats, isolés au
milieu de l'atmosphère, à l'abri des reflets du sol
et des corps environnants, ils recevraient encore
des reflets de l'atmosphère ; car l'air a la propriété
de réfléchir la lumière h la manière des corps
opaques. Sans cela, le passage du jour à la nuit
ou de la uuit au jour serait subit et il n'y aurait
ni cri'puscule ni aurore.
Voici maintenant une expérience qui permet
d'apprécier les intensités diverses de ces rayons
indirects ou de reflots.
Lorsqu'on regarde le ciel avec une lunette dont
l'objectif est remplace par un verre dépoli, l'éclat
maximum de ce verre a lieu quand on fixe le
soleil. Si la direction s'en éloigne, l'éclat diminue
très rapidement et, pour un angle de 30", il est
environ quatre fois plus faible que pour un angle
de 3°. Cet éclat passe par un minimum qui répond
environ à un angle de 90", augmente ensuite fai-
blement et repasse par un maximum relatif pour
un écart de l.SU», c'est-i-dire pour le point directe-
ment opposé au soleil. Les choses se passent donc
comme si les objets étaient éclairés par deux so-
leils, l'un qui envoie des rayons directs intenses,
l'autre, des rayons indirects beaucoup plus faibles.
7° Les surfaces situées dans l'ombre po-tée par
d'nutrps surfaces doivent être en teintes d'autant
plus foncées qu'elles seraient eles-mémes plus
éclairées s'il iig avait pas d' ombre portée.
D'après cette loi, le dégradé du lavis sur les
surlaces courbes dans les ombres portées est in-
verse du dégradé ordinaire dont il a été question,
et doit être superposé à ce dernier.
8" Sur tonte arête saillante qui termine deux
surfaces également éclairées, l'une vliible et l'autre
tnvisible pour le mênie observateur, ilest 7iécessairc
de ménaijer un filet clair très étroit nommé filet
de lumière, //o -rvu que l'une des surfaces au
moins soit platie ou qu'eUes le soient toutes les
deux .
Ce filet de lumière est la contre-partie du trait
d-i force daiiis les dessins non lavés. Il doit suivre
les intensités des teintes auxquelles il appartient :
il reste blanc si la teinte qu'il accompagne est
assez faible ; mais il doit être un pou teinté dans
le cas contraire.
9" Sur toute arête sailla-de qui termine deux
surfaces da7is l'ombre, l'une visible, l'autre invisi-
l)le, on ménage aussi un fiiet étroit en teinte fai-
ble, appelé reflet, pourvu que l'une des surfaces
soit plane ou qu'elles le soient toutes les deux.
Ce filet est dû h la lumière réfléchie par les
objets environnants. Si le dessin était simplement
au trait, sans lavis ni ombre, on mettrait un trait
de force à la place de ce reflet.
10" Le contour des ombres portées d'une certaine
étendue doit toujours être terminé par une bor-
dure en teinte plus faible reprisentant la pé-
nombre.
Cette bordure est généralement étroite : mais,
i la rigueur, sa largeur devrait être proportionnée
à, l'éloignement de l'objet qui porte ombre. On
l'obtient en lavant l'ombre en deux teintes super-
posées de manière que la seconde n'atteigne pas
tout i fait les limites de la première.
Telles sont les lois fondamentales du lavis à
l'encre de Chine. [A. Boiigueret. ]
IJ':ÇO,\S l»F. CHOSES. — Les leçons de cho-
ses, application de la méthode intuitive aux con-
naissances de l'ordre sensible, sont la continuation
raisonnée, dans la salle d'asile ou l'école en-
fantine, du premier enseignement donné par la
mère. Suivant d'instinct l'ordre même de la na-
ture, la mère nomme et fait répéter i l'enfant les
objets ou les personnes que les deuils réguliers
de la vie de famille, et de ce niojide qui com-
mence à la fenêtre, ramonent chaque jour sous ses
yeux; elle lui apprend à en distingue!- h', nombre,
la forme, la couleur, les propriétés, les usages ou
LEÇONS DE CHOSES
l\X>
LEÇONS DE CHOSES
les emplois ; et elle débrouille ainsi, ea se jouant,
les premiers cléments de la pensée et do la pa-
role.
Malliourciisemont on ne se doute point assez
des iiinonibi'ulilcs et sérieuses diflicultcs ((ue pré-
sente la continuation de cet enseignoniont, si
humble :\ son début. On a l'air de dire ou do
penser vaguement : La more était si ignorante, si
étrangère aux questions de méthode, et elle n'a-
vait pas, comme moi, le certificat d'aplitude ! Sa
succession n'a donc rien d'ell'rayant.
Eh bien, en réalité, il n'y a rien de plus diffi-
cile. D'abord il faut beaucoup et bien savoir pour
donner des détails sûrs et précis, non pas avec
des termes scientiflt|ues, mais en langage exact et
sérieux dans sa familiarité, sur le moindre fait
qu'on prétend expliquer pour satisfaire la naïve
curiosité d'un petit enfant.
Aussi, que de mots vides et incompris dans cûs
prétendues leçons de c/ioses, quand ce ne sont pas
des erreurs et des préjugés ! Lh est surtout la
cause grave do la faiblesse générale de ce genre
d'exercices. On ne sait pas eu réalité; on n'a ja-
mais feuilleté le grand livre de la nature pour y
apprendre à observer simplement des faits inté-
ressants qui nous crèvent les yeux, comme on
dit. Mais, grâce aux petits manuels des hommes,
on s'est farci la mémoire de quelques définitions,
de quelques classifications, de quelques termes
scientifiques qui semblent faire bon effet.
Un second défaut, non moins gravé au fond et
qui nous préoccupe surtout dans cet article, c'est
le manque de pi-ogramme, l'absence de direc-
tion.
Dans nos écoles pourvues d'une organisation
pédagogique, un programme largement tracé règle
mois par mois, avec beaucoup de sûreté, pour
chaque matière d'enseignement, les principales
questions h traiter. C'est un guide et un stimu-
lant pour tout le monde, sans être une gène au-
trement que pour la paresse, le caprice, l'impré-
voyance. Aucune partie des cours n'est ainsi
négligée, et malgré les fréquents déménagements,
les élèves ont la possibilité de trouver partout au
point convenablû les leçons suivies dont ils ont
besoiii.
Rien de pareil n'est encore établi dans l'asile,
où cette organisation rendrait des services analo-
gues. Depuis le mois d'octobre 1879, nous l'avons
introduite il titre d'essai dans doux salles d'asile
du lf>' arrondissement do Paris, dont les directri-
ces, parleur intelligent dévouement, nous ofi'raient
toute garantie.
Rattacher la leçon de choses, le dessin, la leçon
morale, les jeux et les chants, de manière que
l'unité d'impression de ces diverses formes d'en-
seignement laisse une trace plus durable dans
l'espril et le cœur des enfants;
Régler enfin l'ordre des leçons par l'ordre même
des saisons, afin que la nature nous fournisse les
objets de ces leçons et que l'enfant contracte ainsi
l'habitude d'observer, de comparer et déjuger;
Telle est la double idée générale de ce nouveau
programme, qui n'a d'autre prétention que d'in-
diquer à grands traits une direction naturelle et
de donner quelques indications pratiques pour la
suivre.
Il est divisé mois par mois, réduit à des plans
sommaires, où dos mots rangés autour d'un mot
principal sont autant de sujets pour des leçons
d'ensemble et de détail; pour les dessins, on
fera bien de se srrvii- d'abord de ceux qu'a em-
ployés M. Pellissier, dans la Gi/mnoxliquc de l'es-
prit. Il ne faut pas s'attacher ;\ l'exécution des
détails, avant que l'élève ait bien compris l'en-
semble et les principales divisions de l'objet. Nous
donnons aussi, à titre d'exemple, une ou deux stro-
phes plus spécialement relatives au sujet traité, avec
l'indication de la source. Les paroles doivent être
lues, expliquées rapidement, comme vérification
de la leçon, et chantées ensuite.
Enfin, quant aux histoii'es morales, que notre
personnel ne sera pas embarrassé de trouver ou
d'imaginer, nous nous bornons à quelques re-
commandations : qu'elles soient courtes, abondan-
tes en détails bien choisis, vives et animées ; que
les personnages y parlent et que la maîtresse ne les
interrompe pas par d'ennuyeux et inutiles sermons.
PROGRAMME DE LEÇONS DE CHOSES
OCTOBRE.
Leçons de choses. i
La vendange. — Vigne, raisin, vin; cuve, ton-
neau, bouteille, verre, bouchons, litre; Bourgogne,
Bordeaux, Champagne; pommes, cidre, Norman-
die; lioublon, bière, Flandre, Alsace.
Grappe de raisin, feuille de vigne, pr
cuve, tonneau, bouteille, verre, entonnoir
essoir,
, litre.
Cliants et Jeux,
L AUTOMNE
Un enfani.
Ouvrez-moi, pan, pan
Pau, pan, ouvi-cz-iiioi
Car j'apporte eu passaut ,
Des fleufS et du gazon.
pan.
Le chœur.
Dis-nous (1.
Coninieut 1'
, la belle,
t'appelle '?
L'enfant.
: raisins noi.
Le cliœur.
! ton vin
e monde.
Tous.
Gué. chantons, gué, clianlons,
Unnsons en toutes saisons.
(L'Éducation nouoeil: de SI. D^lbiii
LE TONNELIIIR.
A l'ait I
r.'cst lu
Et la c
Tonneau.
Onou vo.
Sortent d
Uujoveu,
dans le cellier.
: la boiitii|>e.
tuTinelier.
{L'ÉducMu
Leçons de chosco.
Le /abourar/e. — Charrue, herse.
L'éclairage. — Chandelle, bougie, lampe,
phare, aurore boréale.
Dessin.
Soc de charrue, herse.
Chandelier, bougeoir, lampe, bec de g;iz,
phare
LEÇONS DE CHOSES
LE LABOl'Il.
Pour se nourrir, il f.nit du pair
Gais laboureurs, dès le matiu
Nous allons préparer la terre :
Voici Novembre, dépêchons.
Bonjour, travail ; adieu, misère,
El Dieu bénira i
Hue, oh ! mes hœ
Tirez droit la cha
Tirez droit la cha
1136 — LEÇONS DE CHOSES
Chants et Jeux.
sillons {bU
fs. le long du champ {bis).
rue. Ion la Ion la lou li re la
DÉCEMBRE.
Jief7'ain.
Gué, gué, bous paysans.
Le monde a faim ; du courage, à l'ouvrage I
Gué, gué, bons paysans,
Vivent les bœufs, la charrue et les champs.
LES SEMAILLES.
Nous semons, nous semons,
Amis, prenons patience.
Nous semons, nous semons.
Plus lard, nous recueillerons.
(M"» Pape-Carpantier, Jeux gymimsiiques.)
Leçons de choses. I
Le chauffage. — Froid, neige, glace, avalanche, |
Dessin.
^^ ^ _ , „ „ . Patin, traîneau, thermomètre, poôle, cheminée,
SuTsse "Âipes, patins, traîneaux, Russie, renne, 1 soufflet, pelle, pincette, pompe à incendie.
Laponïe; thermomètre, poêle, cheminée, bois,
charbon, mines, allumettes; engelure, rhumes,!
brûlure;' incendie, pompiers; le foyer, la famille. ;
Chants et Jeux.
LE PETIT RAMONEUB.
L'enfant.
Pourquoi, petite mère,
Déjà m eveillez-vous ?
A ma faible paupière
Le sommeil est si doux.
La mère*
Mon fils, laube est venue ;
Du jour le travail est la loi.
Et dès longtemps, là, dans la rue,
D'un enfant petit comme toi
Entends-tu la voiï bien connue ?
Le ramoneur.
Ah! ramona, ramona, ramona
La chemina du haut en bas.
Chœur.
Puisqu'il travaille.
Au petit lamoacur
Rendons honneur !
Et que le paresseux
Honteux
Sur son lit dorme et bâille.
(H»" Pape Carpantier, Jeux gymnastiques.)
JANVIER.
Leçons de choses.
Nouvelle année. — Mouvement de la terre ait
tour du soleil; compliments, étrennes, chante,
orange, marrons, Afrique, Espagne, Italie; chu-
mage, caisse d'épargne.
âliabillement. —Fourrures, couvertures, edie-
dons, laine, coton, draps, flanelle; filage, tissage,
teinture; aiguille, épingle, ciseaux, mètre à ruban.
Chants et Jeux
l'hived.
Un enfant.
Ouvrez-moi, pan, pan, pan.
Pan, pan, ouvrez-moi donc.
Je n'apporte pourtant
Que neige et que glaçon.
Le chœur.
Dis, saison nouvelle.
Comment l'on t'appelle.
L'enfant.
Je suis, enfants.
L'hiver, saison du mauvais temps.
Le chœur.
Qu'importe 1 Comme tes sœurs
Entre dans notre ronde.
Car du sein de tes rigueurs
La terre sort féconde.
Tous.
Gué, chantons, gué, dansons,
Dansons en toutes saisons.
(L'Éducation nouvelle, 3« série.)
LE FEU.
Quand le triste hiver ramène
La neige et la longue nuit,
Nous oublions notre peine
Auprès du foyer qui luit.
Jisfrain.
Le feu, le feu
Nous rend tuus heureux,
Nous rend tout joyeux.
Vive le feu !
Quand le soir étend son ombre.
Il apporte à nos côtés,
Pour distinguer la nuit sombre.
Mille brillantes clartés. — Jiefrain.
Pour éviter les ravages
Que le feu cause en tout lieu,
Il faut craindre, à tous les âges.
De jouer avec le feu. — Refrain.
(L'Éducation nouvelle, i' série.)
Sphère.
Tirelire.
Ciseaux, mètre à ruban
SOUHAITS DE BONNE ANNEE.
Befrain.
Bon travail, bonne année
A nos petits amis!
Heureuse destinée!
C'est l'avenir prorais.
Le travail est le père
De tous biens iei-bas :
L'homme perdrait la terre.
S'il ne travaillait pas.
La science féconde
Aux enfants travailleurs
Donne la terre et l'onde,
Et le ciel et les Heurs.
L'Éducationnouvell . 1" série.)
LES PETITES TRICOTEUSES.
(Delcasso, Recueil de morceaux de chant.
LE(,;ONS DE CHOSES
li:!7
LEÇONS DE CHOSES
l'I'iVlUlîR.
Leçons de choses.
Le coriji humain. — Principaux organes; sens.
" L'alinieii/ation. — Mets et boissons; boulansci',
bouclier, fruitier ; faim, appétit, indigestion ; médo-
Dessin.
Cœur, poumon, estomac.
Fourneau, casserolo, poêle, chaudron, marmilo,
bouilloire, gril.
Chants et Jeux.
LA GYMNASTIQUE.
l'rutectrice de la faiblesse
Et délu^senient pour le fort,
De la santé, de la sa|;esse.
Tu duiiiics le fécond trésor.
liefraiii.
Puissante gymnastique aux effets salutaires,
Rien ne peut remplacer tes utiles leçons {bis).
(Laisné, Jtecueil de chants spéc\
LE PAIN.
Quand la farine sera faite
Au mitron nous la porterons.
Ton tO[i ton ton tou taine ton ton
Pour qu'il pétrisse et nous apprête.
npll,
poche
Nous pourrons avoir des bri{
Et des (gâteaux que uous aiiu
Ton ton, etr.
F.l nous pourrons i
1)0 biscuits et de i
Ton tou, etc.
Pauvres enfants qu'on abandonne
Et qui n'avez pas de moissons,
Ton ton, etc.
Heureux des biens que Dieu nous donn
us partagerons,
Tun tou, etc
[V Éducation nouvelle.)
Leçons de choses.
L'habitntioji. — Bois, pinrre, fer, briques, ar-
doise, plâtre, cliaux; tuile, chaume, zinc; diverses
industries du bâtiment.
ies abeilles, — Ruche, cellules, cire, miel.
Dessin.
Maison, fenôtre, porte; table» lit, chaise, ar-
moire, commode; mur, rangées de pierres détaille,
de briques; plan d'une maison, charpente; mar-
teau, scie, tenaille, équerre, compas, fil à plomb,
ausret, truelle.
Chants et Jeux.
LES PETITS OUVRIERS.
Refrain.
Ce:
Faisons la guerre à la
Laborieux,
On est heureu:
Le talent
Vaut mieux que
Menuisiers, refendons
Menuisiers, puussons 1
Pch, pch, etc, — Refi
planches, j ^.^
ruriers, limons nos serrures, I ,.
ruriers. battons le fer chaud, \ '*
Pau, pan, etc. — liefraiii.
(M'"" Papc-Carpanliei-, Jeux gymnastitjws.) 1
LA RONDE DES ABEILLES.
lîefrain.
Suivez les prés, suivez les champs,
A'olez, blondes abeilles;
Autour de vous riieureui printemps
Etale ses merveilles.
Couplet.
Cueillez le miel, et montrez-nous.
Montrez à qui vous aime
Que du travail les fruits sont doux
Autant que le miL-l même.
Leçons de choses.
La végétalion. — Graine racines, tige, fleurs, etc.
Les 7ii(Js d'oiseaux. — Services que nous rendent
les oiseaux, chenilles, insectes, hannetons; vers à
soie.
Dessin.
Fleurs, feuilles, haricot.
LE PRINTEMl'S.
Un enfant.
Chœur.
Dis-nous doue, la belle,
Cjmmcnt l'un t'iip|)ulle,
L-cnfanL
Je suis, enfants
saison du joyeux prinleir
Chants et Jeux.
Chœur.
Eli bien! entre, gai printemps,
Entre dans notre ronde,
El de tes bouquets charmants
Fais don à tout le monde.
Tous,
Gué, chantons, gué, dansons, | ,-
Dansons en toutes saisons. (
[L' Éducation nouvelle, 3*
LE VER A SOIE.
Le chœur.
LEÇONS DE CIIUSES
Le ver.
Donnez-moi sur ma rouchette
La feuille au tluvet brillant :
Cueillette, cueillette, cueillelle.
J'aime le mûrier blanc,
Le chœur*
Te vûili grand, ver à soie.
Bien long, bien fort, bien venu.
A présent que clicrches-lu?
11;JS — LEÇONS DE CHOSES
Je fil.', je nie, je file
Mon j^li
Le chœur.
Dis encor, ô ver à soie.
Dans ion travail disparu,
Dis encore, ô ver à soie.
Ainsi caché que fais-tu ?
Le ver.
Je me change eo chrysalide,
Profitez-en, c'est l'instant :
Dévide, dévide, dévide
Mon Joli cocon blanc.
(M™« Tapc-l'arpantier, Jeuœ gymnastîqucs.)
Leçons de choses.
Veau. — Ruisseau, rivière, ficuve, mer, marée.
bains froids, natal ion,
La pèche. — Flandre, Normandie, Bretagne,
Provence; baleine, thon, maquereau, hareng,
sardine.
Le blanchissage. — Savon, propreté-
Baignoire.
Bateau, hameçon, filet, poisson.
Baquet, pompe, fontaine, puits, battoir.
Chants et Jeux.
VIVE L EAU !
liefrain .
Vive l'eau, vive l'eau
Qui rafraîchit et rend propre.
Vive l'eau, vive l'eau,
Qui nous lave et nous rend bcai
1.
Elle retombe en rosée
Sur les ileurs tous les matins.
Et par l'homme utilisée
Fait tourner de gais moulins,
2.
Les grands bois sur la niontagni
De l'air attirent les eaux,
Et ces eaux dans nos campagnes
Coulent en jolis ruisseaux.
{L' Education nouvelle^ t'" série.)
LES BOURGEOIS DE PROVENCE.
Les bourgeois de Provence
Et ceux du Dauphiué
S'en vont sur la Durance
Pour apprendre à voguer.
Et vogue ma nacelle,
0 doux zéphyr
Sois-moi fidèle,
Et vogue ma nacelle,
Nous toucherons le port. ) ,
Ha, ha, ha, ha. j "^'^•
Leçons de choses.
La ferme. — La fenaison, cheval, âne, chien de
berger, loup, moutons, porc, dindon, poule, oie,
canard, pigeon; laiterie, lait, beurre, fromage.
Dessin.
Terrine, baratte, boite au lait, litre.
Chants et Jeux.
LE PETIT BERGER.
Paissez, petits agneaux ;
En liberté, mangez l'herbette,
Que vous trouvez à ces juisseaux,
Ma main tient la houlette,
Et de vous je suis près.
Aux Sons de la musette
Qui mécontent d'abord
Loin du bercail trouva la mort !
En vain ma voix fidèle
Cent fois le rappela,
D'un loup la dent cruelle
Hélas 1 le déchira.
LA FENAISO.V.
[Delcasso, Recueil de morceaux de chant.)
Leçons de choses.
Voraf^e. — Éclair, tonnerre^ grêle, vent, para-
tonnerre, arc-en-ciel.
Les fruits. — Cerises, fraises, abricots, poires,
ïommes, prunes.
Dessin.
Maison, paratonnerre, arc-en-ciel, parapluie.
Bouquet de cerises.
LEÇONS DE CHOSES
ll.'i'.t— LEÇONS DE CHOSES
Chants et Jeux,
Un enfant,
Ouvi'cz-moi, pan, pan, pan,
l'an, pau, ouvrcz-inoi donc.
Car j apporte en passant
Le hlé de la moissun.
Dis-nous donc, la belle,
dominent l'on t'appelle.
L'enfant,
Je suis, enfants,
L'étc^ saison des jours brûlants.
Le chœur»
Kntre donc vite au milieu,
Au milieu de la ronde;
Avec le pain du bon bieu
Viens n.iuirir tout le monde.
Ginî, chantons, gué, dansons, / . .
Dansons en toutes saisuns. j ^'^'
[L'Education nouvelle, 3«
LA MARCHANDE DE KRt'ITS.
(Juels sont les fruits que vous vende:
Dites nous, [jentîHe marchande,
Quels sont les fruits que vous vendez
Et cultivez ?
La marchande.
Doya
J'ai parmi les fruits à noyau
Des prunes et de belles pêch
J'ai parmi les fruits à noyaux
Des abricots.
Le chœur.
Est-ce tout ce que vous vendez ?
Dites-nous, gentille marchande ?
Est-ce tout ce que vous vendez
Et cultivez ?
La marchande.
J'ai de belles pommes d'api,
l'oniines d'été, pommes lainette ;
J'ai de belles pommes d'api,
Di
ùt exqu
[V Education nouvelle, 1" série.)
Leçons de choses.
La moisson. — Clé, orge, avoine, farine, pain,
pâte, four, boulanger, pâtissier.
Les voyages. — Routes, chemins de fer, ba-
teaux à vapeur; cartes, points cardinaux, boussole,
aimant; Christophe Colomb; races d'hommes, la
patrie, le monde.
Gerbe, épi de blé; faux, faucille; moulin ft vont,
paire de meules ; balance, poids.
Locomotive, rails, bateau à voile, à vapeur, im-
mes, gouvernail, boussole.
Chants et Jeux.
LE JEU DU BLE,
Fauclions, fnuchous.
Ces beaux blés iVuits de la terre,
Fauchons, fauchons,
Ces beaux épis mûrs et blonds.
Tordez vns liens, moissonneurs.
C'est le lien qui fait la gerbe,
Tordez vus liens, moissonneurs :
Les mieux tordus sont les meilleurs.
Pan, pan, pan, pan, pan, pan.
Le fléau frappe en cadence,
Pan, pan, pan. pan, pan, pan,
De l'épi sort le froment.
Ticaticatac, dans le moulin
Le beau grain devient belle fariuc,
Ticaticatac, dans le moulin
La meule eu tournant écrase le grain.
(M"»" Pape-Carpantier, Jeux gymnastiqui
LA RONDE DU T0rn DU MONDE.
[L'Education nouvelle, 2* série.)
Leçons de choses.
La chasse. — Clievreuil," cerf, sanglier, loup,
renard, lièvre, lapin, perdrix, alouette, caille ; fu-
sils, filets, pièges.
Lti fête iiu village. — Foire, boutique, feu d'ar-
tifice, poudre; guerre, commerce, monnaie.
Dessin.
Cor de chasse, carnassière, fusil,
Chants et Jeux,
LE RENARD.
1.
Renard, tu vi'-ns de me prendre
Mon i:oq si gentil [bis),
"Vite, vite, il faut le rendre
Ou gare au fu,il [bis).
V«'is, mon chien jappe et s'apprête :
Ilen.ls vite 0.1 sinon [bis)
Dimx hall, s voui dans ta tête
M'en r- ndre.aisoii [bts).
(ULilcasso, Recueil de morceaux de cha-i
LES QUAT' sous du PETIT NICOLE.
Maman m'a donné quat' sous,
i'our m'amuser à la foire ;
C'est pas pour mander ni boire,
(>'esl pour m' régaler de joujoux, etc.
(F. Bérat)
LA FÊTE DU IIAMIîAU.
LEÇONS DE CHOSES - M40 ~ LEÇONS DE CHOSES
Voici quelques pages de madame Pape-Carpan-
tier qui nous paraissent donner une jusle idée de
la leçon de choses. Elles sont extraites d'une con-
férence que i'éminente directrice du Cours prati-
que a faite à la Sorbonne aux instituteurs venus à
Paris pour l'Exposition universelle de 18G1. De là
les recommandations et les conseils qui ne trou-
veraient pas place dans une leçon faite à des en-
fants, mais que nous croyons utile de recueillir
dans cet article.
« Le plaisir de la surprise est très grand dans
l'enfant. 11 est proportionnel au désir deconnaitre.
Il faut savoir profiter de cette ardeur, et la mé-
nager avec art, de manière à concentrer sur la
leçon tout l'intérêt et toute l'attention que la na-
ture de l'enfant comporte.
■Cet art n'exige ni complication, ni recherclie.
Les mères le trouvent dès la naissance de leur
enfant, preuve que rien n'est plus simple, plus
naturel que cet art-là. Il consiste simplement à
aimer, et à désirer faire plaisir à ceux qu'on aime.
Et il est si doux d'aimer les enfants! et si facile
de leur être agréable! Ils se laissent si aisément
charmer, et entraîner li où l'on veut les conduire !
Si donc on montre aux enfants une corbeille comme
celle-ci, I
(M"»» Pape ouvre une cais
tite corbeille tressée.)
tire une élégante pe-
et qu'on leur dise : J'ai là-dedans une chose
très précieuse, l'une des plus précieuses qu'il y ait
sur la terre; un véritable trésor! Devinez!
Les enfants intrigués, et les yeux avidement
fixés sur la corbeille, nommeront tout ce qu'ils
savent de plus beau : De l'argent? de l'or? des bi-
joux? des diamants? — Mieux que tout cela!
Alors l'institutrice, la mère qui joue avec ses
enfants, ouvre son petit panier et leur montre
ceci :
(M""- Pape, ayant ouvert la corbeille, en lire un morceau
de pain!)
Qu'ya-t-il sur la terre de plus précieux que le '
pain ? Le pain qui nourrit le corps de l'homme,
son serviteur obéissant, l'instrument docile de sa
volonté, de son âme ! que sont l'or et l'argent à i
coté du pain ? Rappelez-vous l'histoire de ce roi
de la fable, Midas qui, ayant obtenu que tout ce !
qu'il toucherait fût changé en or, vit tous ses ali-
ments se transformer en cet indigeste métal, et
faillit périr de faim au milieu de ses richesses.
Voici donc du pain. Mais comment et avec quoi
se fait le pain? Avec quoi ? Eh bien ! Il se fait avec
cette chose que voici :
(M"» Pape montre un petit sac de farine).
C'est une poudre blanche. Mais toutes les pou-
dres blanches ne sont pas bonnes à faire le pain.
M"" Pape raonlre un autre petit sac semblable au premier.)
Celle-ci, par exemple, sert à faire des maisons.
L une est de la farine, l'autre est du plàii-e. Le
plâtre, si on en mangeait, ne pourrait que donner
la mort!.... Combien donc il est essentiel de ne
pas confondre les choses qu'on emploie! de ne
pas prendre le plâtre pour la farine I le poison
pour la nourriture ! le mal pour le bien !
Mais où truuve-t-on ceite farine? Qui est-ce
qui la donne? D'où provient-elle? Elle proviint
dune plante qu'on nomme le blé. Et cette plante,
la voici :
{«"• Pape présente une poignée d'herbe verte.)
Comment! diront les enfants, c'est cela qui pro-
cure de la farine? Où donc est-elle cachée? Nous
ne hi voyons pas.
En cl'.et, repondrez-vous, il n'v a pas de farine
là dedans. Ceci c'est la plante enfant, et comme
vous, enfants, elle ne peut encore donner de^
fruits. 11 faut que cette herbe grandisse, qu'elle
devienne du blé mûr pour pouvoir produire la
graine qui contient la farine. Et quand elle est
devenue grande, voici ce qu'elle est :
(M™* Pape montre une petite gerbe de beau froment
Voilà la plante grande, belle, parfaite et fé-
I condo ! Elle ne ressemble guère à cette pauvre
petite poignée d'herbe que je vous montrais tout
' à l'heure. Mais un tout petit enfant blanc et rose
ne ressemble pas non plus à un homme fait,
barbu, dont les bras sont robustes. La petite
plante n'a donc autre chose à faire que de gran-
dir, bien droite ; devenue grande, elle produira
naturellement, et sans efl'ort, ces beaux épis dans
lesquels sont renlermés les grains avec lesquels
on fait la farine et le pain !
Mais comment et où sème-t-on le blé ? Dans les
jardins? ?ion, certainement. Il y on aurait trop
peu pour nourrir tout le monde, car tout le monde
ou à peu près ... tout le monde mange du pain.
11 faut semer le blé dans les champs. Mais alors
coiument travaille-t-on la terre? Comment ouvre-
t-on le sein de la terre pour y déposer la se-
mence ?
On l'ouvre avec un grand couteau. Oh ! ce n'est
pas un couteau de table, bien sur ; c'est un cou-
teau fait exprès pour labourer les champs. Le
voici : on l'appelle une charrue.
(M"» Pape montre une petite charrue sans roues ni
accessoires.)
On fait voir et distinguer à l'enfant les diffé-
rentes parties de cet instrument, on les lui
nomme ; on lui explique comment le soc de la
charrue enfoncé dans le sein de la terre y trace
un sillon en la rejetant à droite et à gauche.
Mais comment parvenir à labourer les champs?
Elle est bien dure, la terre! Les forces de l'homme
n'y suffiront pas.
Coiument? Dieu ne nous a-t-il pas donné des
amis pour nous aider? Les bons amis que voici:
(M"' Pape présente une paire de petits chevaui attelé»
à un avaut-train sur lequel elle pose l'arbre de la
charrue.)
Oui, les voilà, ces amis vaillants et dociles, qui,
prêtant leur force à l'homme, labourent pour lui,
tirant à eux seuls non seulement le poids de la
charrue, mais le poids de la terre sèche qu'il faut
ouvrir profondément. Et ces amis, que Dieu nous
a donnés, non seulement sont plus forts que les
hommes, mais ils sont plus dociles et moins exi-
geants. Ils ne demandent pour prix de leurs efforts,
parfois bien pénibles, qu'un peu de paille ou de
foin, une poignée d'avoine, des soins réguliers et
de la douceur, c'est-à-dire ce qui est de la plus
stricte justice.
Aussi je pense que nous devons bien les aimer,
CCS généreux et fidèles amis; que nous ne les
frappons jamais, que nous ne les maltraitons pas,
que nous ne les surchargeons pas. Car si nous
leur donnions une tâche au-dessus de leurs forces,
nous serions des insensés. Nous épuiserions ces
forces précieuses que Dieu a mises à notre ser-
vice. Et si nous frappions les animaux, si nous les
maltraitions, nous serions plus que des insensés,
nous serions des ingrats! »
{Conférences pédagogiques faites à la Soi-bonne
en Iïi6". 2"" partie, p. 78-R'2.)
Voilà bien le programme et l'esquisse d'une le-
çon de choses qui serait assurément charmante.
La seule critique sérieuse que uouk serions tenté
de faire, c'est que les cnfi.nts y sont trop sim-
plenjent d'heureux spectateurs, et qu'.ls gagne-
LEGTUHE
— Mil —
LECTURE
raioiit il être plus iiitimomeiit associés îi l'œuvre
de la maîtresse, à être interrogés chemin faisant,
et mis, au besoin, en présence de quelque diffi-
culté ji. résoudre. Pour n'en citer qu'un exemple,
supposez qu'au moment de chercher la poudre
blanche nécessaire à faire le pain, M'"" Papc-
Carpantior retrouve ces divers sacs avec les éti-
quettes bouleversées et qu'elle appelle les enfants
.'i la tirer d'embarras ! L'instruction sera bien
plus utilement et agréablement conquise par la
classe, si les plus attentifs et les plus sages des
petits auditeurs sont admis à venir toucher les
deux poudres et à donner leur avis, et si l'enquête
amène promptement celte triomphante conclu-
sion :
Oui, prenez celle-ci, madame, nous la reconnais-
sons k sa douceur, nos mamans s'en servent pour
faire de bons gâteaux: c'est de la farine! Ah!
mais ne prenez pas de celle-là, madame, elle est
dure; les maçons l'emploient pour bâtir : c'est du
plâtre !
Ces leçons de choses nécessitent évidemment
la formation d'une petite colleclion il'objets, qu'il
est plus facile et moins coûteux qu'on ne pense
de réunir progressivement, îi condition de ne per-
dre aucune occasion de l'enrichir, à condition de
préparer avec soin chaque leçon. Les familles des
enfants se feront un plaisir, sur l'indication de
la directrice de salle d'asile, de donner quelques
échantillons des produits spéciaux de leur travail.
Les noms des donateurs seront inscrits sur les
objets II y a là une mine très riche à. peu près
inexplorée jusqu'ici. Nous la signalons tout parti-
culièrement au zèle intelligent du personnel chargé
de l'éducation de la première enfance. — V. Mu-
sées scolaires dans la I"' Paktie.
[Félix Cadet.]
LECTURE. — C'est dans l" Pautie du Dic-
tionnaire qu'il convient de chercher ce qui con-
cerne la légitimité et l'importance de la lecture
"comme matière du programme de l'instruction
primaire, les qualités que doit présenter une bonne
méthode de lecture, les rapports de la lecture
avec les autres matières du programme, l'histo-
rique de l'enseignement de la lecture , etc.
>'ous ne voulons présenter ici qu'une sorte de
mise en œuvre de la méthode qui nous parait à
la fois la plus rationnelle et, au point de vue pra-
tique, la plus rapide et la plus sûre, c'est-à-dire
celle qui mène de front l'enseignement de la lec-
ture et de récriture, l'art de représenter graphi-
quement les sons et les articulations et celui de
retrouver par la mémoire la valeur de ces repré-
sentations et de les traduire par la parole (V., dans
la 11° Partie, l'article Ecriture). Nous n'aurons
pour cela qu'à nous approprier, en les abrégeant,
les excellents principes développés dans le Livre
du maître de la méthode Schiller.
D'après ces principes, le- jeune élève, dans l'é-
cole, n'est pas mis tout do suite à la lecture. L'en-
fant que l'on amène à l'instituteur sait déjà parler,
soit patois, soit français. A celui qui ne sait par-
ler que patois, il faut d'abord apprendre à parler
français : l'école ne peut pas connaître d'autre
langue. Mais, à bien peu d'exceptions près, lors
même que l'enfant sait parler français, il parle
mal, et surtout, dit fort justement la méthode
Schiller, d'une manière inconsciente, d'instinct ou
plutôt d'habitude. « Le maitre commencera donc
par exercer l'élève à la parole, en rattacliant ces
exercices à des choses qui l'intéressent. Il l'habi-
tuera à s'exprimer clairement et sans fautes de
prononciation. Ces exercices apprennent aux élè-
ves à analyser les mots et à distinguer les sons ;
les enfants retiennent facilement chaque son en
le rattachant par le souvenir à l'idée d'un objet
qui leur est familier. » Pour cela les leçons de
«/ioses seront fort utiles ; elles interviendront
d'ailleurs dans la leçon proprement dite de lec-
ture et d'écriture simultanées.
La lecture et l'écriture se tiennent et se com-
plètent, u comme les deux faces d'une médaille ».
Toutefois, si, théoriquement, l'on suppose que
l'une a i)récédé l'autre, c'est l'écriture qui a dû
venir la première. « On ne peut évidemment pas
lire ce qui n'a pas été écrit. Ce que les hommes
ont dii inventer, c'est donc l'écriture, le signe
visible de la parole : la lecture s'ensuivait néces-
sairement. »
Mais l'écriture est un dessin ; à tout le moins,
elle procède du dessin et elle s'y rattache. L'en-
fant, à qui l'on veut apprendre à écrire, sera
donc préparé à cet enseignement par quelques
exercices préliminaires de dessin. Et de la façon
la plus simple.
« Le maitre marque un point sur le tableau
noir, et dit : « Ceci est un point. » Il fait répéter
la phrase par quelques enfants isolément, puis à
toute la classe, en chœur. Il pose un second
point au-dessous du premier, et dit : « Ceci est
u encore un point» (répétitions individuelles et en
r.liœur). Le maître montre les deux points, et dit :
« Voici un point en haut et un point en bas. »
u Les élèves apprennent ensuite à distinguer
de la mêmi' façon la droite de la gauche; puis,
tant à droite qu'à gauche, un point supérieur et
un point inférieur, ce qui produit la figure que
voici :
« Le maître trace alors une ligne entre un
point supérieur et celui qui est verticalement au-
dessous, et dit : (c Ce trait que je trace est une
« ligne. — Cette ligne qui va de bas en haut s'ap-
« pelle une ligne verticale. » On grave dans la
mémoire des enfants le sens de ce mot, en mon-
trant des objets offrant dans leur construction des
lignes verticales. Puis les enfants marquent sur
leurs ardoises deux points, l'un au-dessous de
l'autre, et les réunissent par une ligne. Pendant
que le maître se consacre à une autre division,
il occupe celle-ci à faire des lignes verticales.
« En réunissant deux points situés à même
niveau, les enfants traceront une ligne horizon-
tale ; ils construiront des lignes obliques en tirant
diagonalement des traits du point supérieur de
droite au point inférieur de gauche ou du point su-
périeur de gauche au point inférieur de droite.... »
Lorsque les enfants savent faire ces traits sim-
ples, on lenr demande des combinaisons succes-
sives, comme celles-ci :
Puis d'autres un peu plus compliquées :
Et, pour donner quelque intérêt aux exercices,
on leur fait rcqu'ésenter les contours d'objets de
forme très simple où la ligne droite seule sera
employée, par exemple, d'une échelle, d'une fe-
nêtre, etc., etc.
LECTURE
— 1142 —
LECTURE
Nouvelle occasion de leçons de choses.
On pourrait de même, bien que la méthode ne
l'indique pas, essayer quelques exercices avec des
ronds et dos courbes; enfin, on commencera les
exercices d'écriture proprement dite par des tracés
très simples, bâtons et jambages.
Nous voici en face du problème : écrire les let-
tres pour les lire ensuite.
11 est évident que, si nous avions à choisir,
nous aurions recours à un système contenajit au-
tant d'éléments graphiques qu'il y a dans notre
langue d'éléments plionétiques; que, de plus,
nous ferions correspondre l'élément graphique le
plus simple à l'élément phonétique le plus simple
aussi. Mais notre alphabet, comme tous les autres
alpliabets, est un système d'ordre historique, et
non d'ordro rationnel ; il faut le prendre tel qu'il
est, avec ses anomalies, ses redondances et
ses lacunes, et procéder- empiriquement. C'est
ainsi que la méthode Schiiler, au lieu de com-
mencer, par exemple, par le son n, qui est le
son le plus naturel et le plus général, commence
par le son i, qui se trouve être dans no.tre langue
ce'ui dont le signe grapliique est le plus facile à
reproduire. Viennent ensuite, dans un ordre de
difficulté croissante au mùme point de vue, le son
u, l'articulation », l'articulation m, etc., etc.
Mais ce n'est pas là un grand inconvénient.
Quelle que soit la méthode de lecture que vous
employiez, vous ne sauriez échapper k l'anomalie ;
tôt ou tard, il vous faudra bien mettre l'enfant
en présence, soit des signes graphiques redon-
dants, comme le k et le o dur, Vi et l'y, soit de
signes polygrammes représentant des sons ou des
aux questions du maître. Leur langage et sou-
vent leur prononciation se perfectionjieront ainsi.
Deuxième partie de l'exercice : 1° Les syllabes :
« D. Qu'est-ce que l'île 7 — R. L'ile est de la terre
entourée d'eau. — D. Combien de fois ouvrez-
vous la bouche pour dire i-le ? — R. Pour dire
i-le, j'ouvre la bouche deux fois. (Le maître expli-
que qu'un mot a autant de syllabes qu'il faut
ouvrir de fois la bouche pour le prononcer.) —
D. Combien de syllabes a le mot i-le? — R. Le mot
i-le a deux syllabes. — Dites-moi la première syl-
labe ? — R. La première syllabe est i. — D. Di-
tes-moi la deuxième syllabe. — R. La deuxième
syllabe est le. — D. Combien de syllabes a le mol
té-te ? — R. Deux. (L'enfant devra donner une
réponse complète.) — D. Dites-moi la première ?
— R. Té. — D. La seconde? — R. Te. —
D. Combien de syllabes distinguez-vous dans
le mol ai-le, plu-me. bec, œil, noii\ blanc ?... »
2» Les sons : « D. Quand vous prononcez le mot
ile, comment faites-vous d'abord? (Le maître ré-
pète le mot en insistant sur Vi : ii i ile.) — R. Je
fais d'abord i. (Le maître explique que cela s'ap-
pelle émettre un son.) — D. Quel son entendez-
vous en premier lieu quand vous dites ile ? (Ap-
puyez au besoin sur Vi.) — R. J'entends le son i.
— D. Cherchez d'autres mots où vous commence?,
par dire i (par émettre le son i). — R Hibou, if,
il, Isiiiore, Isiibel/e et d'autres. (Le maître aide au
besoin par des questions.) — D. Quel son enten-
dez-vous au commencement du mot u u usine ? —
R. J'entends, en commencement du mot usine, le
son u »
Troisième partie de l'exercice : « D. Combien
articulations simples, comme ou, eu, ch, etc. de syllabes a le mot i-le? — R. Le mot i-le a
L'important, c'est d'amener l'enfant le plus vite
possible à une connaissance pratique indispensa-
ble, par une voie qui lui plaise et ne le rebute
point, et en laissant dans son esprit, à côté de
l'acquisition matérielle et mécanique, des notions
utiles et durables.
Pour en arriver là, — et l'expérience a prouvé
qu'elle y arrive, — voici comment procède la mé-
thode Schûler.
Chaque exercice de langage est signalé, dans le
livre de l'élève ou dans le tableau mural destiné à
l'enseignement collectif, par une image, cette
iinage représentant un son ou une articulation,
et l'exercice se compose de trois parties : expli-
cation de l'objet représenté, analyse des syllabes
et des sons, tracé du signe représentatif du son
ou de l'articulation.
Exemple : La méthode, avons-nous dit, débute
par l'i. La première image est celle d'une ile, au-
dessous de laquelle est tracé le signe graphique i.
Première p.ahtie de L'ExtRcicE : « D. Que re-
présente cette image? (L'instituteur montre l'image.)
— R. Cette image représente une ile? (Si les élèves
n'ont jamais vu d'île, le maître doit leur dire avant
tout qu'on appelle île un espace de terre entouré
d'eau do tous côtés ; qu'il y a des îles dans les
rivières et dans les mers, que les îles sont gran-
des ou petites, habitées^ ou désertes, plantées ou
incultes, etc.) — D. De quoi l'ile est-elle entou-
rée ? — R. L'île est entourée d'eau. — Comment
est l'eau qui entoure l'île ? — R. L'eau qui en-
toure l'île est claire (profonde, courante, sta-
gnante). — D. Quelle forme a l'île? — R. L'Ile
est ronde (longue, carrée, etc.). — D. Qu'est-ce
qu'il y a sur l'ile ? — R. Il y a sur l'île des ar-
bres, des plantis... »
Il va sans dire que ces questions et ces répon-
ses ne sont que des indications, le maître sera
souvent obligé de dire aux enfants certaines cho-
ses que le livre met dans leurs réponses. L'
deux syllabes. — D. Quel est le son de la pre-
mière syllabe? — R. Le premier son du mot i-l''
est I. — Nous allons maintenant apprendre à
écrire le son i, que nous venons d'émettre. —
(Le maître écrit la lettre au tableau noir, très
lentement, et en faisant remarquer tous les dé-
tails de la forme. Puis il insiste, à l'aide de ques-
tions présentées diversement, laissant la lettre
figurée au tableau.) — D. Que signifie cette let-
tre ? — R. Cette lettre signifie qu'il faut dire i, ou
cette lettre représente le son i. — D. Que faut-il
faire d'abord pour écrire un i ? — R. Il faut tracer
une ligne fine (un trait fin) obliquement, de bas
en haut. — D. Que fait-on ensuite ? — R. On
trace, de haut en bas, une ligne (un trait) plus
grosse, un peu penchée et arrondie, contournée
par le bas. — Comment finit la lettre ? — R. Par
une ligne (un trait) fine, arrondie, allant oblique-
ment, de bas en haut. — D. Que met-on sur la
lettre ? — R. On met un point.
). Le maître efface ensuite la lettre et dit : Si
je veux écrire 1'/, comment faui-il que je m'y
prenne? Que dois-je faire en premier lieu. — R.
Tracer une ligne fine de bas en haut. — D. Que
faut-il faire ensuite? — R. Lne ligne plus grosse...
(Le maître appréciera quand le moment sera venu
d'apprendre à l'élève que les lignes fines ou traits
fins s'appellent des déliés, et les lignes plus grosses
des pleins.)
» La lettre étant de nouveau écrite sur le ta-
bleau, le maître prend un indicateur, une petite
baguette, et repasse sur les traits de l'i en faisant
compter un pour le délié initial, deux pour le plein
et un pour le délié final. Les enfants répètent en
chœur. Le maître fait mettre l'index sur le bord
de la table et dit: « Vous allez écrire l'i en l'air;
quand je dirai un, vous marquerez le trait qui va
de bas en haut, et, quand je dirai deux, celui qui
va de haut en bas. Je compterai encore un pour le
second délié, et deux pour le point. « Après un
but est d'amener les enfants à trouver des idées court exercice, il fait prendre les ardoises, fait
et à les exprimer, à répéter ensuite ou à résumer d'abord tracer, entre les lignes espacées, un
ce qu'aura produit l'ensemble des réponses faites Ipuis toute une série à'i. »
LE(;TUiii<:
— ii'i;f
LEGENDES
Et ainsi pour toutes les Ictircs. Quand il s'agit
«l'uiie^articulation, par exemple de la consonne ?i,
ciui vient la première, la métliode insiste pour
que le niailre, non seulement ne prononce pas
nme, mais môme évite de faire entendre l'e muet
en nommant la consonne. 11 ne dira pas 7ie, mais
Il émettra l'articulalion pure de Vn\ à cet effet, il
faut rénicllre sans desserrer les dents. « La môme
règle s';ip|ili(|Me à toutes les consonnes; et plus
le niaitri' ti^'iidra à la pureté de l'articulation et la
dégagera de toute voyoUe, plus les progrès de
l'enfant seront rapides. Cette prononciation n'offre
aucune difliculto h l'enfant. Klle pourrait au pre-
mier moment en présenter au maître, i cause des
habitudes prises; mais cela disparaîtra après un
instant d'exercice. On a dit d'abord enne+a^na;
puis )!«+ a = iia. On comprendra vite qu'il est plus
simple et plus exact encore de dire n'... a^nu. »
La méthode arrive vite aux mots prononcés et
écrits. Ainsi la première page du livre de l'élève
donne déjà ni, nu, uni, mi, mvni. Ces mots sont
ceux que permettent de composer le peu d'élé-
ments qu'on a encore étudiés. Si le mot par lui-
même n'est pas intéressant pour l'enfant, on le
fait entrer dans une phrase : « Le petit Paul est
parti cette après midi pour la promenade, nimn
de son goûter, qu'il portait dans son panier. Muni
de son goûter, cela veut dire qu'il portait son
goûter avec lui... De quoi faut-il être mnni quand
envient à l'école? — De son livre, de son cahier...
— Bien; vous avez coiupris. Ainsi donc, le petit
Paul, partant pour la campagne, s'est »«!«»' de son
goûter. Sauriez-vous écrire ce mot muni? n
Après l'étude des caractères d'écriture courante,
vient l'étude des caractères typographiques, qui
permettra de lire dans les livres. Elle se fait par
le rapprochement des caractères d'écriture cou-
rante et des caractères typographiques correspon-
dants ; préparée par les exercices dont nous avons
donné le spécimen, elle ne présente pas de dif-
ficulté.
Nous avons choisi la méthode Schûler comme
type de la méthode pour l'enseignement simul-
tané de la lecture et de l'écriture, parce que c'est
celle que nous connaissions le mieux, et aussi
parce qu'elle a été expérimentée avec succès
dans ditférents établissements, notaminent à l'é-
cole normale primaire des instituteurs de la Seine,
lîécemment introduite en France, où elle n'est
guère représentée que par la méthode Scliuler
(chez Hachette), la méthode Mougeol (chez Delà-
grave) et la méthode Magnat, spécialement des-
tinée aux sourds-muets (chez Fischbacher), la
méthode de lecture et de lecture combinée est
depuis longtemps populaire en Allemagne, en Au-
triche, en Suisse, en Belgique, aux États-Unis.
Les autres méthodes de lecture sont, chez nous
comme partout, fort nombreuses. On pourrait
presque dire que chaque instituteur a la sienne,
car, s'il adopte pour son éco'le telle ou telle mé-
thode spéciale plus ou moins en vogue ou plus
ou moins recommandée, il lui arrive bien souvent
de la modifier, de la transformer, d'après son
expérience personnelle, suivant ses goûts ou sui-
vant les besoins particuliers de son enseignement.
Il semble cependant que l'on peut partager
toutes ces méthodes en usage dans nos écoles,
en deux grandes catégories, ordinairement dési-
gnées sous le nom plus ou moins bien choisi de
méthodes synthétiques et de méthodes analytiques
(V. \' Paktie), selon qu'elles décomposent la syl-
labe en tous ses éléments ou qu'elles ne la dé-
composent point ou la décomposent tout au plus
en sons et articulations. Les méthodes analytiques,
qui sont les plus anciennes, procèdent par épel-
lation ; les méthodes synthétiques n'épèlent point
(méthode Dupont, chez Ducrocq ; méthode Laf-
fore, méthode Abria, chez Garnier frères ; méthode
Lamotto, Perrier, Meissas et Michelot, chez Ha-
clietto, etc.). Toutes les luéthodos de cet or-
dre ne varient que par la disposition et les com-
binaisons des éléments et par les procédés d'ap-
plication. Ici, ce sont deux roues concentriques
sur l'une desquelles se trouvent les articulations,
tandis que l'autre présente les sons ; li ce sont
deux rubans so déroulant pour remplir le même
rôle (méthode Maître, chez Hachette) ; ailleurs, ce
sont des cartons, dits syllabateurs, glissant côte
à côte, pour donner lieu aux combinaisons les
plus variées (méthode Henry Gervais, chez Ha-
chette) ; ailleurs encore, ce sont deux baguettes
ou une seule indiquant, soit simultanément,
soit successivement, divers éléments à rappro-
cher pour en tirer une syllabe (méthode Néel,
chez Colin) ; ou de petits cartons portant un
son ou une articulation, et placés à l'extrémité
d'une baguette pour être r.ipprochés d'éléments
disposés sur un grand tableau (méthode Chéron,
chez Delagrave ; méthodi; Blanchon, chez Ha-
chette). De ces exercices, dont un ou plusieurs
grands tableaux muraux sont le principal instru-
ment, les élèves passent ordinairement à des li-
vres d'application, qui les accoutument peu à peu
à l'usage du livre.
Synthétiques ou analytiques, les méthodes de
lecture peuvent présenter des différences essen-
tielles. Les unes donnent tout de suite tous les
cléments de la lecture (méthode Lafforienne) ; les
autres procèdent progressivement et par voie de
récapitulation, ne donnant d'abord que quelques
éléments et les combinant immédiatement pour
composer de petits mots ou de petites phrases, et
ajoutant ensuite peu à peu à, ces premières con-
naissances, jusqu'à ce qu'elles aient épuisé et mis
en œuvre tous les éléments (méthode Michel, chez
Delagrave ; méthode Villemeureux, chez P. Du-
pont ; méthode des frères des écoles chrétien-
nes, etc.).
Telles de ces méthodes adoptent, pour les con-
sonnes, l'ancienne appellation : bé ce dé, etc.
(méthode Henrion, chez Belin, etc.); telles autres,
ce qu'on appelle la nouvelle appellation (générale-
ment attribuée à Port-Royal) : be, que, de, feu,
que (méthode Bchagnon, chez Belin ; méthode
Peigné, chez Colas, etc.) ; il y en a, enfin, d'a-
près lesquelles on doit éviter même de pro-
noncer, dans les exercices, l'e muet que la nou-
velle appellation fait entendre après l'articulation
(méthode Mignon, chez Hachette ; nous avons
vu que la méthode SchUler est de ce nombre.
Mentionnons spécialement les méthodes à ima-
ges: méthode Larousse, chez Boyer; méthode Ré-
gimbeau, chez Hachette; mentionnons aussi la
méthode phonomimique (V. Phonomimie dans la
I" Partie;), dont l'inventeur est M. Grosselin, et
qui a pour objet de rappeler à l'esprit par des
gestes appropriés les éléments des sons et des
articulations (Manuel de la phonomimie, de Bour-
gain ; Instruction pour l'en^eiunement de la lec-
ture par la phonomimie ; Enseignement de la lec-
ture par ta phonnmimic, livret du maître, livret
de l'élève, chez Picard; M"' Pape-Carpantier :
Enseignement de la levture à l'aide du procédé
phonominitgue de M. Grosselin, chez Hachette).
On se sert aussi, dans les salles d'asile et dans
les familles, pour l'enseignement de la lecture, des
boites et casiers typographiques. [Ch. Defodon.]
LÉGENDES. — Connaissances usuelles, X. —
On appelait ainsi en principe (legendss, devant
être lues) des histoires de saints, de martyrs, qui
avaient été spécialement composées pour que la
lecture en fût faite à haute voix dans les monas-
tères pendant les repas pris en commun, ou à
d'autres heures de réunion. On faisait plus parti-
culièrement coïncider cette lecture avec le jour où
se célébrait la fête commémorative du bicnheu-
LEGENDES
— H4i —
LEGENDES
l'eux personnage. Les premiers récits de ce genre
sont attribués à saint Jérôme, grand docteur chré-
tien du quatrième siècle. Mais il faut croire qu'il
ne fit déjà lui-même que donner une forme plus
correcte, plus littéraire aux notices que les évo-
ques avaient coutume de faire rédiger pour con-
server le souvenir des fidèles méritants, et qui,
se répandant dans les divers centres de la chré-
tienté, formaient dès lors un vrai recueil de beaux
exemples. Au dixième siècle, Siméon le Méta-
phraste, au onzième, Rugger, réunirent tant mal
que bien les principales de ces pieuses biographies ;
enfin, au treizième, Jacques de Voragine publia sa
fameuse Ligendi^ dorée, qui effaça tout ce qui avait
été écrit jusqu'alors sur le même sujet, et qui
este le modèle par excellence de l'histoire poéti-
quement faite avec la naïve acceptation de toutes
les assertions les plus hasardeuses. Quoi qu'il en
soit du mérite propre de ces compositions, et du
puissant rôle qu'elles ont joué dans le monde
chrétien aux siècles de foi vive et absolue, comme
elles affectaient d'avoir plus particulièrement trait
à des événements tenant du prodige, à des exis-
tences d'un caractère surhumain, l'usage ne tarda
pas à s'établir de leur assimiler toute tradition qui
s'écartaitplus ou moins du domaine de la vraisem-
blance. Pour les chrétiens donc, dès le moyen âge,
devinrent légendes tous les articles de foi des an-
ciennes religions qu'avaient détrônées le culte de
la croix. A vrai dire, ce même usage, restant fidèle
à la douceur de son point de départ, voulut bien
qu'en dépit de l'acception fort dubitative du terme
employé, aucune idée de mépris ni de réproba-
tion ne s'y attachât. Il sembla convenu qu'en fai-
sant participer les croyances profanes de la dési-
gnation attribuée aux saintes traditions, quelque
chose leur serait laissé de la mystique vénération
qu'inspiraient celles-ci Et ce fut en quoi s'éta- '
blit la différence entre la légende qui, gracieuse
ou terrible, imposa toujours par son poétique
caractère, et les sottises superstitieuses proprement
dites qui se trouvèrent frappées de ridicule. D'au-
tant plus facilement d'ailleurs se fit cette assimi-
lation que (comme chacun peut le savoir, car tous
les historiens de l'église des premiers siècles le
constatent), il arriva souvent que, pour annihiler
parmi les populations certains cultes, certaines
pratiques d'idolâtrie, les pasteurs chrétiens durent
s'ingénier à déplacer habilement, si nous pouvons
ainsi dire, les manifestations des anciennes croyan-
ces au bénéfice des nouvelles. C'est ainsi que sur
notre vieille terre des Gaules, où s'étaient lentement
unifiées les mythologies druidique et romaine,
nombre d'objets ou de lieux étaient consacrés à
telles ou telles divinités, qui, selon la tradition
populaire, les hantaient et y révélaient leurs mys-
térieuses influences. « Un respect pieux, dit
M. Alfred Maury, continuait à entourer les objets
si longtemps vénérés, et ce n'était qu'en les dé-
diant au nouveau culte, qu'en sanctifiant en quel-
que sorte ces vestiges païens, que les apôtres de
l'évangile, fidèles en cela au conseil que le pape
Grégoire le Grand donnait à l'abbé Mélitus allant
travailler à la conversion des Gaulois, parvenaient
à extirper les souches de la superstition qui avaient
projeté dans le sol de si profondes racines. Ces
forêts sacrées, par exemple, dans lesquelles le
peuple ne pénétrait que comme dans un sanctuaire,
l'àme saisie d'une crainte religieuse, continuèrent
à inspirer le même respect, la même vénération.
Des images pieuses furent placées sur les arbres
jusqu'alors adorés, et les habitants, en venant,
selon leur antique coutume, se prosterner sous
leur ombre, honorèrent presque à leur insu un
nouveau dieu. » Mais les idées nouvelles, les pen-
sées chrétiennes qui allaient désormais s'attacher
à ces simulacres naturels, n'effaçaient pas entière-
mentjdans l'imagination populaire les anciennes
croyances ; il y avait, de fait, beaucoup plus mé"
lange ou coexistence que substitution. De là, l'é-
trange caractère des légendes qui, chez nous, re-
montent à ces temps de fusion des idées de deux
âges. Nous citerons principalement ces druidesses
qui, en tant que prêtresses du grand Tentâtes,
étaient investies par la crédulité populaire de tous
les prestiges, de toutes les puissances occultes.
Commandant aux éléments, ayant vertu d'ubiquité,
sondant les immensités célestes, ou pénétrant les
profondeurs souterraines, elles n'avaient qu'à le
vouloir pour devenir la flamme qui court, la nuit,
sur les landes humides, le nuage qui vogue dans
le vent, l'élan qui bondit dans les halliers, l'au-
rochs lourd qui renverse tout sur son passage, le
raïuicr qui s'envole, en faisant chatoyer son aile
rapide. Quand les fictions religieuses de Rome
vinrent disputer les sanctuaires aux terribles divi-
nités des Gaules, ces mêmes druidesses, sous les
noms de Parques, de Junones, de Nymphes des
bois, s'emparèrent du culte, de la ferveur des po-
pulations qui, contraintes bien plus que persua-
dées, ne firent qu'accepter une transformation plu-
tôt qu'une innovation. A l'avènement de la croix,
la mystique déité gallo-romaine, précipitée de ses
autels, sut encore, pour régner puissante sur son
antique domaine, se trouver la plus poétique, la
plus prestigieuse des incarnations : elle devint la
Fée. Et ce règne merveilleux, inauguré il y a quinze
ou seize siècles, nous savons qu il n est point
achevé! La fée, reconnaissons-la, car c'est bien
elle, la druidesse dont le dieu des grands chênes
prenait la figure et la voix pour se révéler à nos
fiers et libres ancêtres.
La fée, c'est la druidesse avec sa connaissance
du destin et son empire sur la nature entière,
avec son accent qui console ou terrifie, avec ses
capricieuses transformations ; séduisante jeune
fille, pauvre vieille décrépite, rayon de lumière,
souffle d'air, insecte d'or, oiseau d'azur. Si vous
doutez que ce soit elle, demandez au paysan d'Ar-
moriquo, qui vous affirmera avoir vu en réalité cet
être incorporel qui n'a jamais passé que dans vos
rêves; demandez-lui l'origitie des Korrigans (c'est
le nom qu'il donne aux fées dans son âpre langage):
il vous apprendra que ce sont de grandes prin-
cesses gauloises qui, à l'arrivée des apôtres, refu-
sèrent d'embrasser la foi nouvelle et qui,pour'cela,
frappées de la malédiction de Dieu, furent condam-
nées à errer éternellement, l'àme rongée par le
remords ou par le dépit de leur désobéissance.
Ainsi naquit la fée qui, par elle-même ou par ses
congénères, peupla les longs siècles de notre his-
toire d'une multitude de légendes effroyables ou
charmantes, ne le cédant en rien, pour l'imagina-
tion, pour le pittoresque, aux fictions mythologi-
ques de l'antiquité, si nombreuses, si originales
qu'elles puissent être : partout encore dans nos
provinces, d'ailleurs, le souvenir est bien vivant de
ces traditions populaires qui longtemps formèrent
un fond réel de croyances dont l'empire empiète
souvent sur celui des dogmes religieux eux-mêmes.
Est-il un château ruiné, un site sauvage, un rocher
de forme bizarre, une lande déserte, une source
sylvestre, un arbre séculaire qui n'aient gardé
leur légende '? Ici et là ne parle-t-on pas des Dames
blanches, des Dames vertes, grises, noires (autant
de transformations de la fée-, qui piotègent tel ma-
noir, qui apparaissent pour annoncer tels événe-
ments ? N'est-il pas question de lavandières noc-
turnes, de sorcières se réunissant en tel lieu, à
telle heure, pour des incantations, des préparations
de philtres'? Les cercles que, par une curieusa
disposition de leur thallus souterrain, de petits
agarics forment sur les prés humides, ne sont-ils
pas regardés comme les vestiges des rondes fan-
tastiques que les fées ou les sorciers sont venus
faire là durant les nuits brumeuses? Le feu follet,
LEGENDES
1143
LEGISLATION USUELLE
ccttB curieuse pliospliorescenco dos marais, des
|uiU'6faclions, n'ost-il pas un osprit malin qui se
coinplaîl à égarer le voyageur? Ust-il une province
i|ui n'ait un pont construit par le diable, arclii-
Ircte pieusement frustré du salaire promis ? Ne
raconte-t-on pas, au nord comme au midi, soitles
méfaits, soit la mystérieuse assistance des lu-
tins, di^s farfadets, od la malice des nains 7 L'hom-
me rouge n'a-t-il pas fait ici sasinistre apparition ?
Lh, ne nous indiquerait-on pas la c«c7ie de l'immense
trésor infernal qui, à telle époque funèbre, s'ouvra
au premier coup de minuit pour se refermer au der
nier, et où se sont trouves retenus tant de cupides
imprudents? Et l'àmoen peinequi, demandant des
prières, gémit depuis dos siècles dans ce vallon
témoin de son crime ; et le chasseur noir, le me-
neur de loups, dont on entend retentir le cor,
aboyer la meute sur les grands bois; et le jeteur
de sorts, et le semeur de maladies, qui passe sous
les traits du mendiant, et qui exercera sa funeste
influence s'il est repoussé du seuil où il a frappé;
enfin, tout un monde fantaisiste qui se meut tantôt
dans les radieuses lueurs de l'Olympe, tantôt dans
les ténèbres sinistres de l'enfer? De nombreux re-
cueils ont été faits, et se font encore cha,que jour
de ces légendes qui, si naïves, si futiles qu'elles
puissent tout d'abord paraître, ne laissent pas ce-
pendant de constituer un riche fonds de docu-
ments pour l'histoire do l'esprit humain. Presque
toujours, en effet, de l'étude qu'on en fait, et du
rapprochement qu'on en peut établir avec les tra-
ditions des peuples antérieurs, ressortent les plus
intéressantes démonstrations d'une sorte d'unité
dans la marche, dans le mouvement des idées tant
morales que purement intellectuelles, des diffé-
rents âges, des différentes régions; h tel point
même, qu'en y regardant de près, on arrive presque
toujours à hésiter dès qu'il s'agit de se prononcer
sur l'origine de telle ou telle fiction, car il est
rare de n'en pas trouver l'idée première ou l'analo-
gue en d'-s temps ou en des lieux très éloignés les
uns des autres. C'est que partout l'àme humaine a,
sous des dehors dissemblables, les mômes instincts,
les mêmes faiblesses, et que d'une identité de
causes doit forcément résulter une identité d'ef-
fets. Quoi qu'il en soit, l'on ne saurait vraiment
que louer et encourager tous les efforts, si niodes-
les fussent-ils. dont le but est de soustraire à l'ou-
bli les moindres fragments de notre vieille my-
thologie populaire, qui, quelques racines qu'elle
puisse avoir dans le passé, n'a pu manquer de
s'imprégner chez nous d'un certain parfum du
terroir, qui on fait le charme en même temps que
l'originalité. Chez nous, au surplus, l'imagination
1 gendaire ne s'est pas seulement exercée aux trans-
formations des vieilles données superstitieuses du
peuple primitif et du peuple envahisseur, car il
était dans l'instinct primesautier de notre esprit
national même de faire naître ^a légende au jour le
jour, pour ainsi dire, des étonnements que lui cau-
sait l'histoire locale : et c'est le propre glorieux de
cette histoire d'avoir pu, dès le principe, et pres-
que sans discontinuité, donner lieu k ce poétique
enfantement. En ce cas, nos légendes sont bien les
nôtres, bien nationales, bien autochthones. Que si
nous ouvrons, par exemple, les premières annales
dues à Grégoire, le vénérable èvêquo de Tours,
aussitôt, et môme alors que le pieux liistoriennefait
que retracer des événements contemporains, aussi-
tôt la légende terrible ou touchante apparaît entée
sur les sauvages réalités de l'âge mérovingien.
C'est bien autre chose quand surgit Charlemagne
qui, de son vivant même, entre, illuminé de surna-
turel, dans un monde légendaire tout peuplé de
héros gigantesques. Et pendant plusieurs siècles
la légende ne fera qu'enchérir sur les données
qn ontadmises les temps mêmes du puissant empe-
reur. C'est alors que les cJiaitsons de gestes con-
sacrent comme réel maint personnage, maint évé-
nement fictif ou douteux : Roland et Uoncevaux,
.\yrana, ses (juatre fils et le siège do Montauban,
llonaud et loi douze pairs, Ogor, Lancolot, et tout
cet ensembli! de preux aux exploits surhumains
qui doivent être comme les divins porto-flambeaux
de la chevalerie Dans les poèmes, dans les ro-
mans dont ils sont les héros, à plus d'une reprise,
notons-le, ils viennent on contact avec les créa-
tions do l'autre légende, do la légende fantastique,
par exemple avec dos fées comme Orlande.ou Mé-
lusine, notre Médée, avec des enchanteurs comme
Maugis, ou Merlin, notre Apollonius de Tyane.
Et ainsi en va-t-i!jusqu aux Croisades, ces étranges,
ces tumultueuses enireprisos aux lointains échos
desquelles mainte étoile nouvelle s'allume au ciel
légendaire. Puis voici qu'une pauvre pàloure de
Lorraine, allant s'asseoir au pied de \ arbre des
fies, entend des voix lui commander de chasser
l'étranger qui délient maleoicnt la terre française.
Elle part, et dès lors commence, s'édifie et grandit
la plus pure, la plus douce à la fois, et la plus hé-
roïque et la plus merveilleuse do nos légendes
nationales. Et quand sont achevés les temps
d'unité religieuse, la légende encore s'attachera
c\ et lîi, plus souvent sombre ou sanglante à
vrai dire, à tel qui impose ou subit le martyre,
à tel qui persécute ou délie la persécution. Le
siècle qui précède le nôtre s'achève sur la dou-
ble et contraire légende de deux idées se heur-
tant aux limites de deux ères. Enfin, le siècle où
nous sommes s'ouvre tout empli de la légende
d'un guerrier, qui, après tous les triomphes, va
léjendairement finir sur un îlot des antipodes.
C'est ainsi que, chez nous, l'histoire et la légende
s'enchaînèrent presque toujours étroitement. Eu
sera-t-il de même pour les siècles à venir ? Les
siècles à venir seuls pourront le dire à nos neveux.
[Eugène Muller.]
LÉGISLATION USUELLE. — Nous donnons
ci-dessous le programme d'un cours de législation
usuelle, en indiquant les divers articles de ce
Dictionnaire où se trouvent traitées les matières
contenues dans ce programme.
I. — Notions de droit public. — (V. Droit public.)
Principes fondamentaux. — Droits garantis_ et
obligations imposéesà tous les citoyens. — Distinc-
tion des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Pouvoir léijisladf. — Sénat. — Chambre des
députés.
Composition du Sénat. — Sénateurs inamovibles.
Sénateurs élus. — Mode d'élection.— iVomination
par les conseils municipaux des délégués sénato-
riaux. — Durée des fonctions des sénateurs élus.
— Chambre des députés. — Sa composition. -^
Mode d'élection des députés. — Confection et révi-
sion des listes électorales.— Formes de l'élection.
— Conditions d'éligibilité.
Proposition, discussion et vote de la loi à la
Chambre des députés et au Sénat. — Promulga-
tion.— A quel moment la loi devient exécutoire.
Pouvoir exécutif . — Président de la République.
— iVomination du Président de la Républi(|Ue. —
Ses prérogatives. — Rapports avec les Chambres.
Ministres. — Nombre des ministères. — Attribu-
tions et fonctions des ministres. — Conseil d Etat.
— Attributions administratives. — Attributions
contentieuses.
Dénomination des actes de l'autorité publique.
— Décrets. — Règlements d'administration pu-
blique. — Arrêtés. — Circulaires. — Instructions.
II. — Droit auministhatif. — (V. Droit adminis-
tratif.)
Ailininistratmn centrale. — Centralisation et
hiérarchie. — Division administrative delà Franco
en départements, arrondissements, cantons et
communes.
Adutinistration du département. — Prékt. — Ses
LÉGISLATION USUELLE
Hi6 — LÉGISLATION USUELLE
attributions : comme agent du gouvernement ;
comme représentant le département. — Tutelle ad-
ministrative.— Secrétaires généraux de préfecture.
~ Conseils de préfecture. — Composition et attri-
butions. — Autorisation de plaider aux communes
et établissements publics. — Conseils généraux. —
Composition. — Mode de nomination. — Sessions.
— Attributions des conseils généraux. — Différen-
tes sortes de délibérations.
Budget du département. — Centimes addition-
nels.
Commission départementale. — Composition et
attributions.
Administration de l'arrondissement . — Sous-
préfet. — Ses attributions.
Conseil d'arrondissement. — Sa composition. —
Ses attributions.
1 III. — Suite du dboit ad.ministr4TIF.
Administration municipale. — (V. Commune.)
Maires et adjoints. — Elus par le Conseil mu-
nicipal ou nommés par le Président de la Répu-
blique. — Durée de leurs fonctions. — Suspension
et révocation.
Attributions diverses du maire.
Officier de l'état civil et officier de police judi-
ciaire.
-attributions du maire comme agent du gouvor-
nenjent : publication et exécution des lois et rè-
glements.
Attributions de police municipale: arrêtés indi-
viduels ; règlements temporaires ou permanents.
Attributions du maire représentant la commune
considérée comme personne civile. — Nomination
aux emplois communaux.
Adjoints. — Leur nombre. — Leurs attributions.
Conseils mxmicipaux . — Leur composition. —
Mode de nomination. — Listes électorales. — Elec-
tions municipales. — Durée des fonctions des
conseils municipaux. — Sessions ordinaires des
conseils municipaux. — Sessions extraordinaires —
Tenue des séances. — Diverses espèces de délibé-
rations des conseils municipaux. — Délibérations
exécutoires par elles-mêmes. — Délibérations sou-
mises à l'approbation de l'autorité supérieure. —
Avis et vœux.
Budget de la commune. — Dépenses obligatoires
et facultatives. — Recettes ordinaires et extraor-
dinaires.
IV. — Suite du droit admimstratif. — Notions
générales sur les divers services publics.
A'mi'e. — (V. Service militaire.)
Recruiement de l'armée de terre. — Service
obligatoire. — Tableau de recensement. — Tirage
au sort. — Exemptions. — Dispenses. — Engage-
mentdécennal. — Sursis d'appel. — Soutiensuefa-
miUe.
Conseils de révision.
Durée du service. — Armée active. — Réserve
de l'armée active. — Armée territoriale. — Réserve
de l'armée territoriale. — Engagements et renga-
gements. — Engagements conditionnels d'un an.
Registre matricule. — Obligations en cas de
changement de domicile.
Mode de recrutement de l'armée de mer; ins-
cription maritime.
Cultes. — (V. Droit administratif.) — Notions
sur l'organisation ecclésiastique. — Culte catholi-
que. — Cultes non catholiques.
Instruction publigue. — (V. Instruction publi-
que dans la 1" Partie, et les mots auxquels cet
article renvoie.) — Enseignement primaire. — En-
seignement secondaire classique et spécial. —
Enseignement supérieur. — Etablissements spé-
ciaux. — Ecoles.
Travaux pufjlics. — (V. Droit administratif.) —
Servitudes imposées à la propriété privée. — Expro-
priation pour cause d'utihto publique. — Travaux
de défense militaire : servitudes qu'ils entraînent.
— Mines, minières et carrières. — Dessèchement
des marais.
Etablissements dangereux, incommodes et insa-
lubres. — Diverses classes. — Enquêtes de com-
modo et incommode. — Opposition. — Recours.
V. — Suite du droit administratif. — Impots
(V. Impôts).
Défi/iition. — Division des impôts. — Distinction
des contributions directes et indirectes. — Im-
pôts de ri-partition et de quotité.
Impôts di' ects. — Impôt foncier. — Impôt per-
sonnel et mobilier. — Impôt des portes et fenêtres.
— Patentes. — Recouvrement des contributions
directes. — Demandes en décharge ou réduction.
— Demandes en remise ou modération.
Impôts indirects. — Impôt des boissons. — Tim-
bre. — Obligation d'employer le papier timbré;
sanction. — Enregistrement. — Droits de mutation
à titre gratuit. — Droits de mutation à titre oné-
reux, d'obligation et de quittance. — Délais poul-
ie paiement des droits ; double droit. — Droits sur le
sel et les sucres. — Droits de douane. — Octrois.
Monopoles élahlis au proft' de l'État. — Tabacs.
— Cartes à jouer. —Poudres. — Monnaies. '—
Postes et télégraphes.
Voirie. — (V. Voirie.) — Distinction de la grande
et de la petite voirie.
Grande voirie. — Routes nationales. — Routes
départementales. — Chemins de fer. — Rivières
navigables et flottables.
Petite voirie. — Chemins vicinaux : diverses
classes. — Chemins de grande communication. —
Chemins d'intérêt commun. — Chemins vicinaux
orlinaires. — Ouverture et entretien des chemins
vicinaux. ^ Centimes additionnels et prestation
en nature.
Voirie urbaine : rues et places des villes ,
bourgs et villages.
Servitudes imposées aux propriétaires riverains
des voies publiques et ctes cours d'eau. — Aligne-
ment. — Autorité compétente pour délivrer l'ali-
gnement. — Effets de l'alignement. — Chemin de
halagc et marchepied.
VI. — Droit privé. — (V. Droit privé.) — Défini-
tion et division. — Matières du droit privé : 1" Per-
sonnes ; 2° Biens et modifications de la propriété;
3° Différentes manières d'acquérir la propriété;
4° Obligations et contrats.
Des personnes. — (V. Etat civil.) — Nationalité. —
Personnes qui naissent françaises. — Acquisition
de la qualité de Français; naturalisation. — Perte
de la qualité de Français.
Actes de l'état civil. — Leur importance. — Per-
sonnes qui concourent à la rédaction des actes. —
Officiers de l'état civil. — Parties et déclarants. —
Témoins. — 'Tenue des registres et rédaction des
actes. — Extraits des registres ; foi qui leur est
due.
Actes de naissance. — Dans quel délai et par
qui doit être faite la déclaration. — Enonclations
que doit contenir l'acte de naissance. — Actes de
décès. — Autres actes qui figurent sur les registres
de l'état civil. — Rectification des actes de l'état
civil.
Du domicile. — Ses effets. — Acquisition et
changement de domicile.
De l'absence. — Mesures auxquelles donne lieu
l'absence.
Du mariage. — Le mariage est un contrat civil.
— Qualités et conditions requises. — Age. — Con-
sentement des époux. — Consentement des ascen-
dants ou de la famille. — Actes respectueux.^ —
Prohibition du mariage résultant de l'existence d'un
premier mariage, de la parenté ou de l'alliance.
Formalités antérieures à la célébration du ma-
riage. — Publications. —Oppositions.— Pièces
que les fnturs époux doivent produire. — Formes
delà célébration du mariage. — Acte de mariage.
LEGISLATION USUELLE
il 47
LEGISLATION USUELLE
ObliK.itioiis qui résultorit du mariage. — Obliga-
tion aliniemairc.
Dissolution du mariage. — Séparation do corps.
l'i-cuves do la filiation des enfants légitimes. —
Recormaissancc dos enfants naturels. — Légitima-
tion. — Adoption.
I>uissU7ice paternelle. — Droits du p6re sur la
personne do l'enfant. — Usufruit légal : droits et
obliRations qui on résultent.
\ii. — Suite du dboit privé. — {V. Etat civil.) —
Minorité et tutelle. — Des mineurs. — Mineurs en
tuiello. — Différentes espèces de tutelle : tutelle
légale dos père et mère; tutelle déférée par le
dernier mourant des père et mère ; tutelle des
ascendants; tutelle déférée par le conseil de fa-
mille. — Composition du conseil de famille; ses
attributions. — Subrogé-tuteur. — Administration
du tuteur. — Comptes de tutelle.
Emnncipation. — Ses formes. — Ses effets.
Interdiction et conseil judiciaire. — Causes de
l'interdiction et de la dation du conseil judiciaire.
— Par qui ces mesures peuvent être provor|Uces.
— Effets de l'interdiction et de la nomination du
conseil judiciaire.
De la piiopniÉTÉ et de ses différentes modifi-
cations. — (V. Propriété.)
Des /jiens. — Distinction des meubles et des
immeubles. — Diverses classes d'immeubles. —
Diverses classes de meubles.
Définilion de la propriété. — Ses éléments. —
Restrictions au di'oit de propriété.
Usufruit. — Droits de l'usufruitier — Obliga-
tions de l'usufruitier. — Extinction de l'usufruit.
— Droits d'usage et d'habitation. — Droits d'usage
dans les bois ; affouage.
Sereiludes. — Servitudes dérivant de la situa-
tion des lieux. — Droits sur les eaux de source. —
Droits du propriétaire dont le fonds est bordé ou
traversé par une eau courante. — Drainage. —
Bornage. — Servitudes établies par la loi — Mur
mitoyen; droits et obligations qui résultent de la
mitoyenneté. — Mitoyenneté des fossés et des haies.
— Distances à observer pour les plantations. — Vues
sur la propriété des voisins.— Egout des toits. — Droit
de passage en cas d'enclave. — Servitudes établies
par le fait de l'homme. — Etablissement et extinc-
tion de ces servitudes.
VIII. — Suite du droit privé. — Des diffé-
BENTES MANliîRES D'ACQUÉRIR LA PROPRIÉTÉ. —
(V. Droit privé.)
Successio7is. — Divers ordres d'héritiers. — Suc-
cesseurs irréguliers. — Différents partis que l'hé-
ritier peut prendre; leurs conséquences. — Par-
tage des successions.
Donations tntre vifs et testaments. — Définition
de la donation entre vifs et du testament. — Ré-
serve et portion de biens disponible. — Formes des
donations entre vifs. — Irrévocabilité de la dona-
tion; exceptions k la règle. — Formes des testa-
ments. — Execution du testament. — Diverses es-
pèces de legs. — ■ Exécuteurs testamentaires.
Partages d'ascendants. — Donations par contrat
de mariage : — Donations entre époux.
Des CONTRATS. — Division dos contrats. — Dé-
finition de l'obligation. — Diverses espèces d'obli-
gations. — Extinction des obligations. — Des preu-
ves.— Acte authentique. — Acte sous seing privé.
— Preuve testimoniale.
Notions sur les principaux contrats. — Contiat
de mariage. — Principes généraux sur le contrat
de mariage. — Divers régimes. — Régime de com-
munauté. — Régime dotal. — Séparation de biens.
— Régime exclusif de communauté.
1 ente. — Définition. —Obligations du vendeur. —
Garantie en cas d'éviction. — Garantie des vices ca-
chés. -Vlcesrédhibitoires. — Obligations de l'ache-
teur ; paiement du prix. — Transport des créances.
Louage. — Preuve du contrat de louage. — Obli-
gations du bailleur. — Obligations du preneur. —
Comment finit le bail.
Siiciélé. — Prêt. — Dépôt. — Contrats aléatoires :
rente viagère et contrat d'assurance. — Mandat.
— Cautionnement.— Transaction. — Nantissement.
Privilèges et hypothèques. — Privilèges. — Pri-
vilèges généraux. — Privilèges spéciaux sur les
meubles et sur les immeubles. — Hypothèques. —
Hypothèques légales et judiciaires.— Hypothèques
conventionnelles. — Forme de la constitution
d'iiypothèque. — Rang des hypothèques entre
elles. - Inscription des hypothèques.— Effets de
l'hypothèque. — Précautions h prendre par le tiers
détenteur de l'immeuble hypothéqué.
Prescription. — Prescription arquisitive. —
Prescription libératoire. — Interruption et suspen-
sion de la prescription.
IX. — Organisation JUDiciAuiE et notions som-
maires SUR LA PROCÉDURE. — (V. Triijunaux .)
Principes généraux sur les attributions de l'au-
torité judiciaiie. — Distinction de la juridiction
civile et de la juridiction en matière pénale.
Organisation judiciaire. — Division territoriale
— Composition des cours et tribunaux. — Minis-
tère public. — Officiers ministériels; notaires;
greffiers ; avoués ; huissiers ; commissaires pri-
seurs. — Avocats. — Assistance judiciaire.
Compétence des différenles juriiictions en ma-
tière civile. — Juges de paix. — Procédure devant
le juge de paix. — Jugements susceptibles d'appel;
délai d'appel.
Tribunaux de première instance. — Caractère
de la procédure devant ces tribunaux : ministère
obligatoire des avoués. — Voies de recours contre
les jugements. — Opposition. — Appel; jugements
susceptibles d'appel; délai d'appel. —Cours d'ap-
pel.— Gourde cassation. — Juridictions spéciales.
X. — Notions de droit pénal. — (V. Justice.) —
Principes généraux. — Division des délits et des
peines. — Peines en matière criminelle. — Peines
correctionnelles et de police.
Personnes punissables, responsables ou excu-
sables. — Non responsabilité : légitime défense. —
Excuses. — Minorité de seize ans. — Circonstan-
ces atténuantes. — Tentative. — Complicité.— Ré-
cidive.
Instruction criminelle. — Notions générales
sur l'action publique et l'action civile. — Prescrip-
tion en matière pénale. — Diverses phases de la
procédure ou instruction criminelle.
Instruction préparaloire. — Pouvoirs du juge
d'instruction. — Détention préventive. — Mise en
liberté provisoire. — Comment se termine l'in-
struction.
Juidictions de jugement. — Tribunaux de sim-
ple police. — Tribunaux correctionnels. — Cours
d'assises. — Composition do la cour d'assises. —
Magistrats. — Jury. ^Liste de session. — Forma-
tion du tableau. — Procédure devant la cour d'as-
sises. — Questions posées au jury. — Circonstances
atténuantes. — Délibération du jury. — Majorité.
— Verdict. — ■ Acquittement. — Condamnation. —
Gourde cassation, [E. Delacourtie.]
Nous reproduisons ci-dessous le programme du
cours qui se donne dans la 3° année d études des
écoles normales de la Belgique, sous le titre de
Notions des lois organiques :
Constitution belge. — Des Belges et de leurs
droits; dispositions du Code civil qui déterminent
comment la qualité de Belge s'acquiert et se perd,
et principales dispositions de la loi sur la natura-
lisation. Organisation et attributions des trois
grands pouvoirs de l'Etat. Mode de sanction et de
promulgation des lois ; mode de publication des
lois et des arrêtés; conditions requises pour être
électeur et éligiblo aux Chambres législatives ;
formation de la liste des électeurs ; réunion des
collèges électoraux.
LEGISTES
— 1148
LEGISTES
Organisation de la province. — Des différentes
autorités de la province et de leurs attribution??
en général. Qualités requises pour être membre
du Conseil provincial. Conditions d'électorat et
formation de la liste des électeurs. Réunion des
collèges électoraux.
Otganisalion de la commune. — Composition
du corps communal. Qualités requises pour être
électeur, et formation des listes électorales. Des
assemblées des élecicurs. Conditions d'éligibilité.
Durée des fonctions des autorités communales.
Principales attributions du conseil municipal et du
collège des bourgmestres et échovins.
Ori/anisation de l'enseiyjiement primaire. — Loi
du V3 septembre 1842 iremplacéo aujourd'hui par
la loi du I'' juillet 1879), avec les principales dis-
positions des arrêtés organiques.
{Plan d'études des écoles normales belges, du
10 octobre 18(;8.)
LÉGISLATIVE (Assemblée). — V. Révolution
française.
LEGISTES. — Histoire de France, XI. — Les
légistes ou hommes de lois, appelés encore
juristes, jicrisconsultes, chevaliers-è'-lois, com-
niencèrcnt à jouer un rôle important dans notre
histoire à pirtir du xiii' siècle. Les hiis romaines,
étudiées depuis l'an 12(iO dans les Universités
françaises, parurent comme la modèle de la justice,
de l'ordre, de la régularité Ji tous ceux qui les
comparaient aux institutions imparfaites du moyen-
âge. Dans l'inextricable confusion des coutumes
féodales, la puissante unité de la législation ro-
maine, dans le morcellement du pouvoir seigneu-
rial, l'unique et forte puissance impériale, leur
apparurent comme des institutions nécessaires de
la société. Aussi telle fut l'œuvre cipitale des lé-
gistes : à la multiplicité des coutumes substi-
tuer l'unité de la loi, à la multiplicité des souve-
rainetés locales substituer l'autorité centrale de la
royauté. Us traduisent le principe de la loi romaine
•que la volonté de l'empereur est In loi vivante
par ces termes nouveaux : Si veut le roi, si veut
in loi.
Les Etnblissements de saint Louis, dit M. Da-
reste, dans son Histoire de l'alministration en
France, furent le premier grand ouvrage des lé-
gistes ; ce fut un vaste code de procédure féodale,
où le législateur reproduisait tous les usages du
temps, mais en citant et en commentant sans cesse
les lois romaines. Ce code fut aussitôt rendu
général, c'est-à.-dire appliqué à toute la France,
et c'est un des plus anciens exemples que l'on
ait d'actes législatifs généraux. Les légistes en-
treprirent aussi la rédaction des coutumes. On vit
paraître les coutumiers de provinces entières,
telles que la Bourgogne, la Champagne, la Nor-
mandie et l'Anjou ; puis des traités composés par
des praticiens comme Beaumanoir et Pierre de
Fontaines.
Connaître les lois et les coutumes devint alors
une obligation formelle pour les juges ; cette
obligation fut plus rigoureuse encore le jour où
saint Louis défendit dans son domaine les batailles
auxquelles il substitua les preuves par témoins,
et les guerres privées qu'il remplaça en obligeant
la partie lésée à donner à sa partie adverse un
asseurement, c'est-à-dire une assignation devant la
cour du roi. Cette cour dut prendre ainsi connais-
sance d'un plus grand nombre de causes, et l'ins-
truction de ces causes devint plus difficile. Il fallut
donc de toute nécessité admettre les légistes dans
les tribunaux, et surtoutdans les tribunaux royaux.
D'abord ils y entrèrent comme préparateurs des
procès et rédacteurs des enquêtes ; puis ils s'y
multiplièrent à l'envi; puis un jour vint où, re*
poussant la barrière qui était entre leur dos et
les pieds des seigneurs, ils montèrent jusqu'aux
fauteuils de ces derniers. Au xiv= siècle, cette ré-
volution était tout accomplie ; les légistes s'étaient
emparés exclusivement des tribunaux.
Comme l'unité que les légistes voulaient établir
no pouvait être fondée que par le pouvoir royal,
ils éunidirent de diverses manières la compétence
judiciaire du roi. Ils professèrent cette doctrine
que les sentences portées par la Cour du roi étaient J
exécutoires dans les domaines des barons. Ilsl
employèrent le système des évocations et celui des!
cas roi/aux, au moyen desquels il était facile del
s'emparer de tous les jugements. Ainsi la com-
pétence des tribunaux du roi devint tous les jours 1
plus considérable.
La formation du Parlement * vint couronneri
l'œuvre des légistes. Les attributions du parle-l
ment consistèrent à connaître les causes qui luîl
furent soumises directement, à juger les appels
et à recevoir les rôles de bailliage. Quand sa com '
pétencc eut été ainsi établie, Philippe le Bel réglai
la division des chambres suivant les besoins du
service. 11 y eut trois chambres : 1° celle des re- '
quêtes, où l'on jugeait les causes portées direc-
tement ; 2° celle des enquêtes, instruisant les af-
faires sur lesquelles l'appel était interjeté ; 3° la 1
grande chamt>re ou chamhre des plaidoyers, qui
jugeait les affaires portées aux enquêtes. Les pré-
lats et les barons siégeaient seuls dans la grande
chambre; ils étaient conseillers nés du parlement '
et ne recevaient aucuns gages. Les légistes n'é- j
talent admis que dans la chambre des requêtes!
ou celle des enquêtes; ils avaient des gages, re-l
cevaienl des manteaux deux fois l'an, et portaient|
la livrée royale.
Dès que la magistrature fut constituée, les dif-
férents corps qui lui sont annexés se constituè-J
rent également. On trouve déjà en 1302 des avo-l
cats et des procureurs du roi, assistés de substi-l
tuts. Ces charges furent exclusivement occupées!
par des légistes. I
Les légistes eurent une grande influence sur lel
règne de Philippe-le-Bel dont ils furent les con-|
seillers. Enguerrand de Marigny, Guillaume dôl
Nogaret, Pierre Flottes, Raoul de Presles, Pierre de]
Latilly étaient les plus éminents parmi les légistes!
qui travaillèrent à élever sur les ruines de la^
féodalité l'autorité royale. Mais ces grands légistes
du xiv= siècle furent soumis à la destinée com-
mune de tous ceux qui préparent et accomplissent
une révolution : les plus illustres pérircLit sous la
réaction des intérêts qu'ils avaient blessés. Enguer-
rand de Marigny fut pendu à Montfaucon, sous le
règne de Louis X ; Pierre de Latilly, chancelier de
France, et Raoul de Presle, avocat du roi au
parlement, furent mis à la torture sous le même
règne ; Gérard de la Guette, ministre de Philippe
le Long, mourut à la question en 1322; Pierre
Fréniy, ministre de Charles le Bel, fut pendu en
l:i2s. Alais leur oeuvre ne périt pas ; et, malgré les
faiblesses de quelques règnes, la lutte de la royauté
contre la féodalité, lutte dont ils avaient été les
instigateurs, aboutit au triomphe du pouvoir royal
et à l'avènement de la bourgeoisie.
Notre grand historien national, Augustin Thierry,
a apprécié le rôle des légistes au moyen âge dans!
son Essai sur l'histoire de la formation et desj
progrès du tiers-état. Nous croyons utile de repro-
duire ici quelques passages intéressants de cettel
remarquable étude. H
« La révolution sociale fut accompagnée et sou-l
tenue dans son développement par une révolution!
scientifique, par la renaissance de l'étude desil
lois romaines et des autres monuments de cette|
vieille et admirable jurisprudence. L'impulsion
fut encore donnée par l'Italie, où l'enseignement!
public du droit ne cessa point durant tout Wl
moyen âge, et subsista obscurément à B.ivennej|
avant de refleurir à Bologne. Dès lo xil« siècle^^
de ncmbreux étudiants qui, dans leurs migrations,
LÉGUMINEUSES
— 1 1 V.) —
LEGUMINEUSES
pnssaicjil les Alpes, rapportèrent en France la
nouvollR doctrine des glossaieurs du droit civil ;
cl bientôt ce droit fut professé concurremment
avec le droit canonique dans plusieurs villes du
Midi, et d;ms celles d'Angers et d'Orléans... Les
maximes et les règles puisées dans les codes
impériaux par des esprits ardents et soucieux du
vrai et du juste, descendirent des écoles dans la
pratique, et. sous leur influence, toute une classe
de jurisconsultes et d'hommes politiques, la tête
et l'ànie do la bourgeoisie, s'éleva et commença
dans les liantes juridictions la lutte du droit ro-
main et d(! la raison contre la coutume, l'excep-
tion, le fait inique ou irrationnel.
1) La cour du roi ou le parlement, tribunal su-
prême et conseil d'État, devint, par l'admission
de ces hommes nouveaux, le foyer le plus actif de
l'esprit de renouvellement. C'est là que reparut,
proclamée et appliquée chaque jour, la théorie du
pouvoir impérial, de l'autorité publique, une et
absolue, égaie envers tous, source unique de la
justice et de la loi. Remontant, par les texte*, sinon
par la tradition, jusqu'aux temps romains, les lé-
gistes s'y établirent en idée, et, de cette hau-
teur, ils considérèrent dans le présent l'ordre
politiiiue et civil. A voir l'action qu'ils exercèrent
au xiii» siècle et au siècle suivant, on dir.iit qu'ils
eussent rapporté de cette étude juridique cette
conviction que, dans la société d'alors, rien n'é-
tait légitime hors deux choses : la royauté et l'état
de bourgeoisie. On dirait même qu'ils pressentaient
la destinée historique de ces deux institutions,
et qu'on y mettant le sceau du droit, ils marquè-
rent d'avance les deux termes auxquels tout de-
vait être ramené. Toujours est-il de fait que les
légistes du moyen âge, juges, conseillers, officiers
royaux, ont frayé, il y a six cents ans, la route des
révolutions avenir. Poussés par l'instinct de leur
profession, par cet esprit de logique intrépide qui
poursuit de conséquence en conséquence l'appli-
cation d'un principe, ils commencèrent, sans la
mesurer, l'immense lâche où, après eux, s'appli-
qua le travail des siècles : réunir dans une seule
main la souveraineté morah', abaisser vers les
classes bourgeoises ce c|ui était au-dessus d'elles,
et élever jusqu'à elles ce qui était au-dessous. i>
^Désiré Blanchet.]
LÉGUMIXEliSES.— Botanique, XXIV. — Etyni. :
La famille des Légumineuses tire son nom du mot
légumi', en latin legumen, par lequel on désigne
la forme particulière de ses fruits.
Définit" n. — La famille des Légumineuses ap-
partient aux Dicotylédones dialypétales; par l'in-
termédiaire des iVimosées, elle se rapproche des
llosacées et rattache celles-ci aux Térébinihacéea
Cette famille est une des plus nombreuses du
règne végétal, et la plus importante peut-être par
le grand nombre des substances qu'elle fournit à
l'industrie, à l'économie domes'tique et à la ma-
tière médicale.
Caractères botaniques. — Pour faire connaître
les caractères botaniques des légumineuses, nous
prendrons, comme type de ces végétaux, les légu-
mineuses papilionO' ées, ain&i nommées à cause de
la forme de leur corolle. Brièvement et par com-
paraison seulement, nous indiquerons ceux des
/éguiiiini'iises ccenalpiniées et ceux des légumineuses
juimosèes.
La graine des papilionacées présente de dehors
en dedans : 1° un tégument épais dont la région
superticinlle est formée de petits troncs de pyra-
mide solides exactement appliqués les uns contre
les autres et dont la grande base est extérieure.
Ce système est parfaitement disposé pour per-
mettre au tégument séminal de résister à toute
pression venant du dehors, tandis qu'il cède sous
la moindre pression venant de l'intérieur de la
graino. Celte couthe solide superficielle du lé^u-
ment séminal recouvre une lame de parenchyme
corné susceptible de se gonfler énormément sous
l'action de l'eau; et, grâce à cotte propriété, cette
lame devient, au moment de la germination, le
principal agent provoquant la rupture du tégument
séminal; — 2° un embryon volumineux dicoty-
lédoné. très fortement courbé. Le grand déve-
loppement des cotylédons de cet embryon rend
inutile l'existence d'un albumen; aussi cette troi-
sième partie de la graine fait-elle défaut dans la
plupart des cas. Quand l'albumen existe dans la
graine des légumineuses papilionacées, la réserve
nutritive est de nature cellulosique. Les matières
alimentaires renfermées dans les cotylédons sont
de nature amylacée ou aleurique. Les graines des
légumineuses peuvent conserver leur faculté ger-
minative pendant plusieurs années. A la maturité,
ces graines sont mises en liberté par suite de la
déhiscence du fruit ; les Arnclns et quelques
plantes voisines font seules exception; ces plantes
ont la faculté d'enterrer directement leurs fruits
dans le sol.
La germination des graines des légumineuses
se fait très rapidement; lorsque les conditions
sont favorables, elle s'accomplit dans l'espace de
deux à trois jours; l'usure préalable du tégument
séminal, de brusques variations de température,
une humidité abondante favorisent beaucoup cette
opération.
La racine des légumineuses est généralement
pivotante ; dans certaines espèces herbacées ,
comme la luzerne, elle peut acquérir une lon-
gueur de plus d'un mètre et une épaisseur rela-
tivement considérable; dans les espèces arbo-
rescentes, la racine est presque toujours moins
volumineuse, eu égard au volume de la tige dont
elle dépend, que dans les espèces herbacées; cette
racine contient souvent des sucs acres, amers,
très employés en médecine et sur lesquels nous
reviendrons en parlant des usages des légumi-
neuses.
La tige des légumineuses papilionacées varie
beaucoup d'une plante à l'autre : herbacée, grêle,
filiforme et rampante dans les lupulines, elle se
dresse dans les trèfles; elle acquiert la consis-
tance ligneuse dans le genêt à balais, elle devient
tout h fait ligneuse dans le Hohiniii pseudo-'icncia,
vulgairement, mais improprement, nommé 4cacia.
Les tiges des légumineuses herbacées sont sou-
vent susceptibles de s'élever en s'euroulant autour
d'un support; certaines d'entre elles sont en outre
munies de vrilles foliaires qui leur permettent de
se suspendre aux plantes arborescentes voisines.
Quel(|ues espèces ligneuses ont des tiges sarmen-
teuses; telle est par exemple la glycine, plante
originaire de la Chine, qu'on cultive beaucoup au-
jourd'hui dans les jardins connue plante ornemen-
tale; un très petit nombre seulement ont des
tiges comparables à celles des lianes de la famille
des Ménispermées. Ex.: la Bauhinia.
Le bois des légumineuses offre cette particula-
rité que ses vaisseaux, très gros, sont souvent
obstrués par des productions cellulaires spéciales
nommés t'ylles, La densité do ce bois varie depuis
celle du bois de fer, dont le nom rappelle la grande
dureté, jusqu'à celle du lièse. Nous trouvons, en
effet, dans les Mschinoniene et les Hr'> mi/i'ern,
légumineuses aquatiques de la Cochinchine et de
l'Ahyssinie, un bois exclusivement parenchyma-
teux, tellement léger qu'il flotte à la s\irface de
l'eau co nme le ferait un bouchon de liège. Dans
les pays où croissent ces plantes, leur bois est em-
ployé comme allèges pour soutenir les filets à la
surface de l'eau.
Les feuilles des légumineuses papilionacées sont
toutes composées-pennées et pourvues de sti-
pules; ces feuilles sont terminées tantôt par une
foliole impaire, tantôt par deux folioles. Dans
LEGUMINEUSES
— ItoO —
LEGUMINEUSES
les gesses, chaque feuille se réduit souvent à
ses deux folioles inférieures; toute la partie su-
périeure de la feuille n'est plus représentée que
par des nervures transformées en vrilles. Dans le
Lat/uirus Aphacn, chaque feuille n'est plus repré-
sentée que par ses deux stipules foliacés; tout
le reste de l'organe est changé en vrilles. Les
feuilles des papilionacées sont caduques, minces,
très sensibles à l'action de la lumière. A l'état de
sommeil, le racliis de cliaque feuille est rabattu
vers le sol; chaque foliole s incline également vers
le sol, et toutes ensemble s'appliquent les unes
sur les autres et se rapprochent de l'extrémité
du rachis ; exemples : la sensitive [Mimosa pu-
dica) et Vller/i/sin-um \\. Plf.siolcgie végétale).
Dans un petit nombre de genres, les stipules de
chaque feuille sont transformés en épines ; ce
sont là des organes de défense que la plante pré-
pare contre les animaux, en parliculier contre les
singes et les animaux grimpeurs.
L'inflorescence des papilionacées est une grappe,
plus rarement un épi ou une ombelle; exception-
nellement les fleurs sont solitaires. Chaque fleur
présente de dehors en dedans: 1° un calice bilabié,
dont la lèvre supérieure est bidentée tandis que
la lèvre inférieure est divisée en trois parties; —
ï° une corolle formée de cinq pétales qui alternent
avec les sépales du calice. Dans l'Amorpha, le
nombre des pétales peut se réduire h un seul.
Lorsque les cinq pétales existent, ils sont ordinai-
rement libres, inégaux; le pétale postérieur, nommé
étendard, embrasse tous les autres ; les deux laté-
raux ont reçu le nom. d'aile-:; ils sont semblables
entre eux et recouvrent les deux pétales anté-
rieurs; ces derniers, semblables entre eux, sont
souvent connivents et simulent un pétale unique
que l'on appelle carène ou noeelie; — 3° un an-
drocée composé de dix étamines, dont les filets
sont tantôt monadelphe', c'est-à-dire tous soudés
entre eux ; tantôt dia'le phea, c'est-à-dire soudés
en deux masses, l'une de ces masses ne compre-
nant qu'une seule étamine ; tantôt complètement
libres (Sophora) ; — 4° un gynécée composé d'un
seul pistil à ovaire unique, sessile, pluri-ovulé;
ovules campylotropes; style filiforme, stigmate
terminal. A ce pistil, après la fécondation, succède
un fruit nommé légume, qui s'ouvre en deux valves
à la maturité.
Les légumineuses! cœsnlpini"'es ne diffèrent des
légumineuses papilionacées que par leurs tiges
souvent flexueuses, aplaties, rubanées, leur co-
rolle presque régulière, leurs étamines libres, leur
arille séminale, leur embryon droit, aplati, enve-
loppé d'un albumen corné de nature cellulosique.
Les principaux caractères qui séparent les lé-
guminruses mimo^ées des papilionacées sont
tirés : 1° des feuilles qui soni le plus souvent ré-
duites à des phylloiles ; 2° des fleurs qui sont
polygames régulières et groupées en épis. Le ca-
lice de ces fleurs est quadri-partit, à préfloraison
valvaire ; les pétales, en même nombre que les
pièces du calice, sont égaux entre eux, et tantôt
libres, tantôt cohérents. Les grains de pollen sont
souvent agglomérés par quatre ou par six; la
graine rappelle beaucoup celle des cœsalpiniées.
Dans le petit groupe des M^ringn, cette graine
triangulaire présente trois ailes (noix de ben.)
Usages des légumineuses. — L — Huis. — Les
léguniini;uses dont le bois est employé dans l'in-
dustrie sont toutes originaires des pays tropicaux,
toutes sont arborescentes, et la plupart atteignent
des dimensions considérables ; leur bois, très
dense, généralement plus lourd que l'eau, toujours
coloré de teintes vives, duo grain très fin et par
suite susceptible d'un beau poli, est surtout
employé dans l'ébénisteric pour la fabrication des
meubles de prix. Les matières colorantes que
beaucoup d'entre eux renferment les font aussi
rechercher comme bois de teinture. Un petit
nombre fournit des matières résineuses. Les
principaux de ces bois sont :
Le bois d'a/oés, qui est gris à l'état frais et qui
noircit sous l'action de l'air. Il est résineux, aro-
matique, il brûle en répandant une odeur suave.
Il est originaire de la Cochinchine ; son nom
botanique est Aloexylun Agallochum.
Le bois de Ctimpêche (Hemntoxylon Cnmpechia-
tiuni) est originaire des Antilles et de Campêche ;
on l'appelle aussi bois d'Inde ; il est odorant ; son
parfum rappelle celui de l'iris de Florence frais;
à l'état frais, sa couleur est rouge- brun pâle. La
teinture extrait du bois de Campêche de belles
couleurs noires et violettes.
Le bo'S de Brésd ou bois de Fernuinboiu:
[Cœsalpijua echinata) est originaire du Brésil ;
on l'emploie dans la teinture à cause de son prin-
cipe colorant rouge ; une de ses variétés a reçu le
nom do bois de Sainte-Marthe.
Le bois de Santal muge [Pterocaipus riraco)
croît aux Antilles ; il est brun noirâtre à l'exté-
rieur, rouge-sang à l'intérieur. En pratiquant des
incisions à la surface de la tige du Pterocarpus
Drnco, on voit s'écouler une résine rouge très as-
tringente nommée Sang-Dragon. Son bois est
aussi appelé bois de corad.
Le Pierocnrpus Sant(dinuî donne le bois de
Caliatour, fort recherché à cause de sa couleur
rouge foncé et de son grain fin ; cette espèce est
dé| ourvue de résine.
Le bois a'amaraide violet ICopaïfera bractenta^
est gris à l'état frais; il offre alors une odeur
poivrée très forte ; sous l'action de l'air il prend
une teinte violet foncé; de même que son congé-
nère le bois d'amarante rouge, il est très re-
cherche dans l'ébénisterie.
Le Ijois de palissandre ou Jacnranda (Dnlbergia
latifnliii) nous est expédié du Brésil, de l'Inde et
de l'Afrique. Le plus estimé provient de Rio-Ja-
neiro. Exposé à l'air, il passe au pourpre foncé, et
au noir.
Deux autres espèces de Dnlbergia fournissent,
l'une le bois de rose, originaire du Brésil et de
Cayenne, et l'autre le bois violet, très recherché à
cause du mélange de ses deux teintes violet-clair et
violet foncé. Le bois violet ne peut être employé
qu'en placage, parce que la plupart de ses biiches
sont cariées au centre.
Le bois d'Angico, que l'on substitue quelquefois
à l'acajou, est fourni par un acacia brésilien.
Le 6- !S néphrétiqw ou bois du Mexique (Mo-
riaga pterigosperma) est employé en infusion
conire les coliques néphrétiques.
Le bois de iirenadille est originaire de Cuba; il
est surtout recherché pour les objets tourrtés.
Le bois de boco est le bois de /er du commerce
[Do'oa prouasensis) ; sa couleur est brun noirâtre ;
il est recherché à cause de sa grande résistance.
On donne quelquefois le nom de bois de fer au
bois du Hobinia pan coco; cependant ce dernier
e^t plus spécialement désigné soi:s le nom de
bois de perdrix, qui lui vient des dessins formés
par ses zones alternativement claires et foncées
et dont les figures rappellent une aile de perdrix.
Le bois du Vou'icapou [Andira racem S'i, A. iner-
mis) croit dans la Guyane. Une de ses variétés est
nommée bois pnlmiste ; elle est remarquable par
ses dessins clairs qui se détachent sur un fond
rouge.
l,e bois de Coumarou [Dipterix odornta) rap-
pelle le bois de perdrix, mais il est rejeté à cause
de la facilité avec laquelle il est attaqué par les
insectes.
Le bo'is de Courbaril [Hymenœa C-ixtr'^arit) croit
à Mad.igascar ; Il est extrêmement solide, d une
couleur rouge-foncé, et malgré ses qualités il est
assez peu recherché, parce que sa couleur est
LÉGUMINEUSES
— 1151 —
KGUMINELSES
trop uniforme. En pratiquant dos incisions h la
surlace de VHijnienœa Courharil, on voit s'ôcouli'r
une résine appelée copal, insoluble dans l'alcool,
soluble dans l'iiuile do lin, et dont on fait un très
bon vernis.
11. — Ecorces des légumineuses.— Los principales
écorces de légumineuses employées en pharmacie
sont :
L'éeorc ci' A kornoqne [Bowdic/na ma/or), que l'on
emploie au Brésil contre l'Iijdropisie.
Ùécorce île narbatimno, qui provient do plusieurs
espèces d'acacias brésiliens.
L'écorce des Aiidirii, que l'on emploie comme
purgatif, comme narcotique et comme vermifuge.
Vécorce de Mnss-nna, qui est produite par
V Alhizzia nntJœlminthicit do l'Abyssinie; on ré-
duit cette écorce en poudre, et cette dernière est
employée comme vermifuge.
111. — Racines lies Uijumineuses. — La seule racine
de légumineuse qui offre un intérêt spécial est
celle do la (•h/cyrrhiza ylabra, vulgairement nom-
mée réglisse officinale. Cette plante croît naturel-
lement dans le midi do I Europe ; sa racine, que l'on
emploie à l'état sec pour sucrer les tisanes, nous
e.st apportée de Sicile et d'Espagne. Quand elle est
bien conservée, elle présente à l'intéi'ieur une belle
couleur jaune; mais elle s'altère facilement, et
son goût sucré fait place à une âcreté désagréa-
ble. On extrait de la racine de réglisse un jus ou
■^uc qui se vdlJdansle commerce sous forme de
bâtons noirs cylindriques aplatis à, l'une de leurs
extrémités par un cachet. Cette préparation se
fait surtout en Italie et en Espagne; pour l'obte-
nir,onfait bouillir dans l'eau la racine de réglisse,
et on la comprime fortement; la liqueur obtenue
est évaporée dans une chaudière de cuivre. Lors-
que l'extrait est cuit, on le coule en bâtons. A
plusieurs reprises, on a essayé en France de fa-
briquer le suc de réglisse ; m avait obtenu dans
rindre-et-Loire un produit capable de rivaliser
avec le réglisse d'Italie; mais les nombreuses fal-
sifications dont il est devenu 1 objet l'ont bientôt
fait abandonner.
IV. — Griiines, fleurs, fruits et feuilles des légu-
mineuses. — Plusieurs légumineuses ont des
graines farineuses comestibles, très usitées pour
l'alimentation de l'homme et des animaux dom«s-
tiquos. Telles sont celles des Imricots [Phaseolu^) ,
des /»t)e. (Faba) , àe& pois (Pisum), des / ois cliiches
{Cicer), des /upi7is {Lupinus),des lentille^ (Ervum);
une espèce particulière de lentille, la jurasse, a
des graines vénéneuses. Le Doltchos la'dub de
l'Inde et le cliâtniyner d'Ausira ie (Castanosper-
mum australe) ont aussi des graines farineuses
comestibles.
Dans les pays tropicaux et plus particulière-
ment dans l'Inde et dans l'Afrique, les graines
luisantes rouges et tachetées do noir do l'Abrus
preciitoiius et de VAdnmnthera pavoniyin sont
employées comme monnaie, et comme unité de
poids pour pesor le diamant et les métaux pré-
cieux; on les appelle alors karals; c'est ainsi que
la valeur des diamants s'évalue en karats.
Les grrnws d'Angelin (Genffroyn spinulosa)
sont administrées au Brésil commo médicament
anlhelminUiique.
La féoe lonka est produite par le Coumarouna
odoj'idii.Aont le bois est appelé bois de Coumaron
ou de Gaiac en Guyane. L'odeur do la fève tonka
rappelle celle du mélilot; on ne l'emploie guère
que pour parfumer le tabac.
Les graines de fenui/r c (Trigonelln fœniim-
rir,-ecum.\ sont aromatiques, amèr'es ; on les môle
a titre de stim»4ant à l'avoine des chevaux.
héseré ou fève d'épreiv e du Calal>ar tire son
nom du rôle qu'elle joue dans les épreuves judi-
ciaires Aça naturels du golfe de Biafra (Afrique
occidentale;. Cattt; graine est produite par une
plante grimpante nommée Physostigmn venenn-
sum; elle contient un principe vénéneux très actif.
VArachis liypoi/ea ou arac/iî'rfe, herbe annuelle,
ne mûrit ses fruits que dans le sol; h cet effet,
silût après la floraison, ses ovaires s'enfoncent
dans la terre jusqu'à une profondeur do huit cen-
timètres. Li, chacun d'eux forme une gousse qui
renferme deux graines rouges, à. tégument sémi-
nal mince; chaque graine est gorgée d'une huile
qui rappelle l'huilo d'olive et dont on fait aujour-
d'hui un très grand commerce. La graine d'ara-
chide est quel(|uefois nommée pistache de terre;
elle est originaire du Brésil. — A Madagascar
croii une herbe, la Vomtdz'ia subferranea, dont
les fiuii s, comme ceux do l'arachide, ne mûrissent
qu'après s'être enfouis dans la terre.
La graine du l;olic/ios urcns est arrondie et pré-
sente à sa surface une grande tache noire qui la
fait ressembler vaguement à un œil; de \h, l'épi-
thète d'œil de bourrique qu'on lui donne quel-
quefois. La gousse du Dnlichos itrens, comme
celle du Dolichos pruriens, est couverte de poils
piquants dont le contact sur la peau provoque des
démangeaisons insupportables : aussi nomme-t-on
quelquefois ces plantes des pois à gratter. La
plupart des dolichos sont américains.
La pulpe du tamarin, fruit du Tnmnrinier [Ta-
marindus Indica] est utilisée comme laxatif. Ce
fruit, conservé dans le sirop qu'on extrait du fruit
du caroubier, donne une sorte de conliture que
l'on consomma en Egypte.
Le genre Cnssia fouinit deux sortes de produits
purgatifs; les uns, nommes casse, sont les fruits
du Cnssia fistula ou caneficier, grand arbre de l'A-
mérique tropicale; les autres sont désignés sous
le nom de séné; toutes les espèces qui produisent
le séné sont semi-ligneuses. Le séné est formé
soit par des follicules, soit par do» feuilles. Le
Cassiit obovata et le Cassia angu^lifolia ne don-
nent que des sénés de qualité inférieure. Le pre-
mier est désigné dans le commerce sous les noms
de séné de Syrie, séé d'Al''p, séné de Sénégal;
il entre aussi en notable proportion dans le mé-
lange appelé séné de In palte. Le cassia angusti-
fidia est vendu dans lo commerce sous les noms
de séné de l'Indi- et de séné moka.
Le Cassia lenitivn, le plus recherché des sénés,
présente deux variétés, la variété aaitiiolia et la
variété obtusata ou éthiopien ; la première croît
plus spécialement en Egypte, la secomle en
Ethiopie. Ces deux variétés, mêlées au CnS'ia
obovata, forment le siné de la palte. Ce nom
lui a été donné h cause d'un impôt appelé palte
qu'on prélevait autrefois sur ce produit. Ce séné
est apporté par les Arabes k Syène et à Esné,
et de là dirigé sur Boulacq qui est l'entrepôt gé-
néral. 11 arrive chaque année environ 1(1,000 quin-
taux de séné h Boulacq. Les Arabes de Syène fal-
sifient le séné avec des fouilles d'arguel [l'ynnn-
chum arge'}, plante de la famille des Asclépiadées,
dont les feuilles chagrinées purgatives sont en
môme temps vénéneuses ; de là, la nécessité de
purifier le séné en en retirant l'arguel. A Bou-
lacq, on sépare les folliciilos des feuilles du séné.
A Marseille, on mole qneUiuefois aux feuilles de
séné des feuilles de m/ou/ {CocwWa my' tifoiia),
qui sont extrêment vénéneuses. Le Cassia selldo-
pica se trouve aussi dans le commerce sous le nom
de séné de Tripoli; il vient alors du Fezzan.
Certaines légumineuses sont cultivées comme
fourrages pour les bestiaux ; ce sont : lo tièflc
(Trifoliurii), la luzerne [Medicaijo sativii).\<i sain-
foin (Onobri/chiK), le mélilot [Melitotics officiniiH').
Ce diuMilor est recherché surtout à cause de son
odour agréable.
Le geniH dis Icinturiers (Qinista tinetnria] a été
utilisé autrefois pour la teinture en jaune ; il est
aujourd'hui remplacé par la gaude.
LEGUMINEUSES
— 1152 —
LETTRES
V. — Siics- 'les légumineuse<!. — On extrait des ] plantes sont chargées de poids et le tout est cou-
fruits Ytrts de VAcacia nilol en un suc astringent, I vert d'eau ; on laisse fermenter jusqu'à ce qu'on
amer, qui est le vrai suc d'acacia. Cette matière j voie se former une écume irisée à la surface de
était fort recherchée dans l'ancienne pharmacie ; i la liqueur; on soutire l'eau qui est fortement
elle a disparu du commerce depuis 1830 ; elle est ] aérée ; de verdàtre qu'elle était, la liqueur devient
remplacée paruh extrait des fruitsverts du prunier I bleue sous l'action de l'oxygène de l'air; la raa-
sauvage d'Allemagne, vendu sous le nom û'am iu tière colorante bleue est absorbée par la chaux.
noslras, mais qui ne jouit d'aucune des propriétés Pour l'avoir à l'état de pureté, il suffit de traiter le
du suc à'Ac"(-iii nitoticu. Cette substance doit être précipité terreux par un acide. L'indigo sec pré-
d'autant plus rejetée qu'il est facile de préparer sente une couleur bleu foncé, une cassure uni-
le véritable suc d'acacia avec les fruits de VAc nia forme, fine ; il prend un éclat cuivré par le frot-
urabica vendus dans le commerce sous le nom de tentent de l'ongle. — V. Coloraiite": (Matières).
t/ubla/is. Les Indigof'eru sont originaires du Mexique.
Dans l'Inde, on prépare avec VAcicVi catechu On peut aussi extraire de l'indigo de VIsatis
une pâte masticatoire astringente que l'on môle' <ùic(oî-io, vulgairement nommé pasti-l (famille des
à de la chaux et que l'on roule dans des feuilles i Crucifèresl. (C.-E. Bertrand.]
de bétel. Ces rouleaux, que les Indiens nomment! lûoI'OLD 1 et II. — V. Habsbourg.
LIÎI'inOPTERES. — V. Papillons.
LE1THES. — Grammaire, 111. — On appelle
lettres (du latin litttru) les signes qui représen-
tent les différents sons du' langage et qui servent à
former les mots.
On considère deux choses dans les lettres : le
son ou la prononciation, et le caractère ou la figure.
Nous ne nous occuperons ici que des figures. (Pour
le son, V. Prononciation.)
La réunion de toutes les lettres d'une même
langue s'appelle alpliabet. (De même que nous
disons en français l'ABC pour dire l'alphabet, les
bétel, ont pour effet de combattre le ramollissement
des gencives et la chute prématurée des dents ;
ils ont l'inconvénient toutefois d'exagérer la sé-
crétion salivaire et de teindre les dents et les os
en rouge.
On donne le nom de kino au suc desséché du
Pterocarpus erinaceus et à celui du Butea l'ron-
ilosii.
VL — Gommes de légumineuses. — On appelle
gommes des substances solides transparentes, so-
iubles dans l'eau ou susceptibles de se gonfler
sous l'action de ce liquide, et qui se transforment
en acide mucique sous l'action d'un corps oxydant. ' Grecs disaient l'AB, c'est-à-dire l'alpha et le bêta
Les légumineuses produisent un grand nombre qui désignent en grec les deux premières lettres,
de gommes. Parmi les principales, nous citerons : i d'où les Romains ont tiré le mot aipliabelwn, qui
\a.gomme arubiijue, qui n'est autre chose que le suc est devenu en français ali'habet.)
séché eiio\\&Viè iei Aiacia nilotica. Acacia ara- \ L'alphabet français est composé de 25 lettres
bica. Acacia verek. Acacia gummifera. La gomme I rangées dans cet ordre : a, b, c, rf, e. /', g, h, i, J,
arabique est soluble dans l'eau; lorsqu'elle de- \ k, I, m, n. o, p, rj, r, s, t, u, v, x.y, z. Pourquoi
meure longtemps exposée à l'air, sa surface est notre alphabet suit-il cet ordre bizarre où les con-
toute craquelée. i sonnes et les voyelles sont jetées pêle-mêle'?
La gomme adragante, qui s'écoule de YAstraga- Parce que ces lettres viennent du latin, langue
lus vents, est blanche, compacte, translucide, , dont l'alphabet était déjà disposé dans le même
cornée, insoluble dans l'eau; elle résulte de la ' ordre. Les Romains tenaient leur alphabet des
gélification des parois des cellules de la plante, et j Grecs, les Grecs avaient reçu le leur des Phéni-
se montre comme un produit morbide de l'organi- ciens.
sation végétale. Tous les sons de la langue française sont divisés
La gomme de Sassa ou de Bassora, qui res- i en deux classes : les voijelles et les consonnes.
semble beaucoup à la gomme adragante, est un | i» Voyelles. — Les voyelles (du latin vucalis,
mélange de gomme à'Inya et de gomme à.'A'^tra- • vocal, qui émet une voix, un son) sont les lettres
galus yummifer. — (V. Gommes.) \ qui ont par elles-mêmes une voix, un sim. Il y a
Vil. — Proiluits résineux et balsamiques des lé- \ cinq voyelles simples en français : a, e, i (ou y),
gummeuses. ' o. u. Ces voyelles sont représentées par une seule
On appelle 7-ési?ie copal ou résine anim"' la lettre ; mais il y a aussi d'autres sons simples
résine produite par l'H;/menœa verrucosa de Ma- représentés par plusieurs lettres, pt qu'on appelle
dagascar; cette résine s'enllamme facilement, fond pour cette raison voyelles composées. Ce sont eu
à une douce chaleur, et son odeur rappelle celle et ou Ces voyelles ne sont composées qu'en appa-
du bois d'aloès. \ rence, pour les yeux, mais non pour l'oreille à
Le Copaï/era officinalis est un arbre de l'Ame- | laquelle elles offrent un son unique, eu. ou, aussi
rique centrale qui produit un baume résineux, ! simple que celui de a ou de o. Volney dit à ce
fluide, appelé baume de copahii. Mêlé avec de la sujet : et Beauzée, et, avant lui, l'abbé Dangeau,
magnésie calcinée, ce baume se durcit rapidement; I eut le mérite d'établir si clairement ce qui con-
il est très employé en médecine. ! stilue la voyelle, que la majorité des académiciens
Les arbres du genre Muroxi/lon laissent exsuder ne put se refuser à reconnaître pour telles les pré-
à leur surface une liqueur transparente plus ou tendues diphthongues ou. en. qui réellement ne
moins colorée que l'oi. appelle bannie -'e Pérou; sont pas diphthongues, mais digramnies, c'est-à-
une variété de ce baume s'appelle baume de Tolu; dire doubles lettres. » Quant à la voyelle ou, re-
il est employé en médecine comme calmant. | marquons, en passant, qu'elle est représentée dans
VIII. — Indigo. — Vimligo est une matière colp- ' toutes les langues de l'Europe, excepté le grec,
rante que l'on retire des feuilles d'un certain par un seul signe.
nombre de légnm neuses nommées Iniligolca; Toutes les voyelles peuvent être brèves ou
les principales espèces sont : 1'/. argenten, l'I. dif- \ jono-uos, selon qu'on les prononce vite ou lente-
perrru, VI. anii. La planif qui fournit l'indigo est ; ment; ainsi a est bref dans patte et il est long
bisannuelle; mais en général, on l'épuisé dès la j^jj^ pâte. De même :
' première année ; on la sème tous les ans en mars; '
deux mois phis tard, on fait une première récolte,
deux mois après, une autre, et quelquefois une
troisième dans le courant de la même année. La
plante est coupée avec des faucilles et déposée par
couches dans une très grande cuve appelée Irein-
poir ; la cuve est remplie aux trois-quarts, les
e est long dans béte et bref dans jette
i — gite — petite
u cote — décote
u — fliite — t"ittc
eu — heure — y^"
ou — voàle -- 'O""-
LETTRES
— H53 —
LETTRES
11 est assez difflcile de dire dans quels cas pré-
cis on sait on français qu'une voyelle est brève ou
longue. Toutefois, il faut observer' que les voyelles
marquées de l'accent circonflexe (qui remplace
presque toujours une s éliminée par l'orthographe
moderne) sont longues. Il y a en outre une règle
pour les avant-dernières syllabes : les voyelles en
sont ordinairement brèves quand elles sont suivies
<rune consonne double : p\tti\ bvtte, fvompEtte,
/jElte, etc., sauf quand cette consonne double est
rr, comme dans terre, serre, verre, qui sont longs.
Il n'y a rien à remarquer sur a et i; mais e, o,
■eu et y nécessitent (|uelques observations.
La lettre e sert .\ marquer en français trois sons
tout h fait différents :
1° Un son sourd que l'on appelle e muet, parce
qu'il est le plus faible de tous nos sons français.
•C'est cet e que l'on entend b, peine dans vE/nr,
tEnir, et qui devient tout à fait nul dans appElrr,
élEver, pèlEriyi, charrElier, que nous prononçons
en réalité : np'ler, 'il'ver, pél'rin, char'tier.
2° Un son aigu que l'on appelle e fermé, comme
dans aimÉ, hiintÉ. Le son de cet e est ordinaire-
ment marqué par le petit signe ('), qu'on appelle
accent aigu, excepté dans les mots comme pied,
clef, nez, rocher, aimer, où le son fermé est amené
par la consonne.
3° Un son très ouvert que l'on entend dans
terre, mer, enfer, procès, succès. On appelle cet e
Ve ouvert, et on le distingue ordinairement par le
petit signe ('), qu'on appelle accent grave.
On ne met pas d'accent quand l'e ouvert est
■suivi de deux consonnes (comme dans pEste, lEste}
ou qu'il termine le mot et est suivi d'un r sonore
(comme dans fEr, vEr, aniEr). Ce son de e ouvert
est aussi rendu tantôt par ni (comme dans c/au-,
■éclkir, qui se prononcent réellement clère,
écUre), tantôt par ei (comme dans pEine, Sei?îi?,
que l'on prononce pêne, sène). —(Pour l'emploi
des accents grammaticaux et l'influence de l'accent
tonique sur les syllabes muettes ou sonores, V.
AcceiitU'ition.)
Rien à remarquer sur o bref [dévote, note). De
même que le son de è ouvert est exprimé à, la fois
par è [succès), e [enfEr), ai (clAir), ei [SEUie), —
le son de o long est exprimé en français h la fois
par ô [viitre, apôtre) et par au ou eau tcomme dans
.VfXtrer, épEkvtre, Autel, /jEAvté).
Le digramme au se rencontre le plus souvent
■dans les mots où se trouvait en latin la syllabe al ou
et. Ainsi les mots latins alba, patina, tiellum, de-
vmrent d'abord alhe, palme, bel, dans notre vieille
langue, qui plus tard adoucit l en u, d'où aube,
paume, beau, dans lesquels au, eau sont pronon-
cés ô (de même que le latin au, lui aussi, a été
.prononcé puis écrit o en français, dans or do au-
rum, clos de clausiis, chose de causa, etc.).
Comme è ouvert et comme ô, la voyelle eu est
■•in son simple qui est représenté en français par
qui^tre formes différentes, savoir : eu comme dans
/lEVre, n:u comme dans boEVf, soEur, œuf; œ comme
dans OEil; et enfin ne, comme dans accvEille, cvEille.
«rrjvEil, etc., quWi, prononcent comme s'ils étaient
^crits wcœuille, cœuiUc, «t.c. Remarquons cepen-
oant que œ suivi d'une consonne se prononce é :
iJILclipe, OEcuménir/ue, etc.
« 0 bref latin devient eu en français, comme dans
riEufie novem; mais enire o et le français eii, ily
a les^intermédiaires du vieux français qui sont uo
au X siècle, ue au xi« siècle, puis oe au xii',
eu au xiv«. Ainsi 7iovem donne successivement
nuef au xi« siècle, iwef au xii', neuf au xiV.
yuelques mots, comme accueillir, sont restés,
dans 1 orthographe, à l'étage ue et n'ont pas suivi
la transformation en eu; d'autres, comme œil,
sont restes à l'étage oe contracté en œ; enfin les
mots comme i.mif, sœur, etc., sont un compro-
mis entre 1 orthographe du xii= siècle en oe et
2' p*nTiE.
celle du xiv" en eu. De oe plus eu, on a com-
posé le groupe bizarre œu, qui a persisté dans les
mots tels que sœur, cœur, etc. » (Brachet, Nou-
velle grammaire.)
y, dans le corps d'un mot et précédé d'une
voyelle, se prononce comme deux i : pays, moyen,
joyeuv, qui se prononcent pai-is, moi-ien, joi-
ieux.
Dans tous les autres cas il se prononce comme
i: yeux, analyse, jury.
Diphtiiongues. — On appelle diphthongue la
réunion de deux voyelles qui se prononcent par
une seule émission de voix, comme ui dans hui-
leux, m, composé des deux voyelles u et i, est une
diphthongue.
Diphthongue vient du mot latin diphthongus,
qui a été emprunté au grec et qui signifie : deux
sons.
Les principales diphthonguos sont ia, ie, io, oi,
ue, ui, oua, oue, oui. Ex : piAno, pvEd, pioche,
roi, etc.
Voyelles nasales. — Toute voyelle suivie de
deux consonnes dont la première est m ou n,
comme o dans tomber ou coûter, est prononcée en
punie par le nez, et est alors appelée voyelle nasale.
Los voyelles nasales étaient inconnues aux Ro-
mains, qui prononçaient toujours sonores les
voyelles suivies de m et de «. Noire langue ne les
connaissait pas non plus à sa naissance ; ce n'est
guère qu'à, la fin du onzième siècle que ces voyel-
les sont devenues nasales en français.
U en est de même quand n ou m terminent
le mot, comme dans an, en, vin, ton, un, daim,
nom, etc.
Les principales voyelles nasales sont an, en;
in, ain, aim, ein ; on; un, eun, que nous re-
trouvons dans pan, Entrer; — vis, ferrAi^,moyEN,
/■(•EIN, moutoN; importun, (à) ,/eun. Ajoutons
encore um, am, em, im, oin, devant un b ou
un », ou comme syllabe finale .■ parfum, Uam, am-
poiile, Eubarras, mpctueux, oubre.
Mais -i n ou m sont suivies d'une autre voyelle,
il ne se produit pas de voyelle nasale : ainsi an
n'est pas nasal dans /jANai-, ni en dans niEner, ni
in dans fi^ir, ni ott dans monarque, ni un dans
chacune, etc. Il en est de môme quand ti ou m
sont suivis d'un second non d'un second m : ainsi
an n'est pas nasal dans Asnuel ; de même en reste
sonore dans ENnemi, on dans tonner, etc.
2" Consonnes. — Nous avons dix-neuf consonnes
en français : 6, e, d, f, g, h. j, k, I, m, n, p, g, r,
s, t, V, X, z. On appelle ces lettres consonnes, du
mot latin cnnsona iqui se prononce avec, à l'aide
de), parce que les grammairiens romains croyaient
que l'on ne pouvait jamais prononcer une consonne
sans le secours d'une voyelle.
Plusieurs de ces consonnes expriment un même
son : ainsi k, c, q, rendent tous les trois le son
dur du c : Kanatoès, cavalier, iiualifier; — s et c
ont le même son dans sertir et cervelle; — j et, g
dans l'ai et oeai, ioli et neâlie--; — 2 et s dans
zéro et déserteur fque l'on prononce dé:erteur).
U faut ajouter à ces 19 lettres les consonnes
composées ch, ph, th.
Ch a une sorte de son chuintant que l'on en-
tend dans CH'iHvre, cairurgie, cuenille, etc.
l'h et th ont le son de fett dans les mots dé-
rivés du grec : milosopae, tuème, l'uilipjie, Tuéo-
pHiVe.
Le U) n'est pas une lettre française, mais il
se rencontre souvent aujourd'hui, grâce à l'inva-
sion des mots étrangers dans notre langue. Dans
les mots anglais il se prononce ou : whiit, whiq,
ir(im\yay (prononcez ouiste , ouig , Irarnouai).
Dans les mots allemands, il se prononce v :
Westplialie, W'eimar (prononcez Ve.Hpha'ie, Vei-
mac].
« Les sons, dit M. Ayer, sont dits articulés,
7.3
LETTRES
— 1154
LEYEU DES PLANS
parce que la voix, en sortant du larynx, est sou-
mise, dans son passage par la bouclie, h l'action du
gosier, de la langue ou des lèvres, qui la trans-
formtwt en sons de forme déterminée. »
Les consonnes sont produites par trois organes
différents : le gosier, les dents, les lèvres.
Les consonnes c, k, q, rj. Ci, qui sont produites
par le gosier, sont pour cette raison appelées gut-
turales (du latin guttur, gosier).
C et g ont un double son, dur devant les voyel-
les a, o, u (comme dans camarade, corridor, cii-
muler; cain'n, aohetet, cutturat), — doux devant
les voyelles e et 2 (comme dans cerveau, cirer;
Germer, cibier).
T et d, qui se prononcent à l'aide des dents, sont
pour cette raison appelées dentales.
S, c doux (devant e et i), ç. z, sont appelées con-
sonnes sifflantes. S entre deux voyelles a le son
du z : poi!ion,bise, raison.
P, b, f, V, qui sont produites à l'aide des lèvres,
sont pour cette raison appelées labiales (du latin
labia, lèvres).
L et r sont appelées liquides, parce que ces deux
lettres se joignent facilement aux autres conson-
nes, telles que p, b, c, g, comme dans ttnine. b\,nn-
rhe,cuimi'iir,g\.oire, — /memipr, bi\uit,CRoire,gRan-
dir. Liquide vient du latin liquidus {coulant).
M, 71, suivies d'une autre consonne, comme
dans toTiber, ' o^iter, donnent un son nasal à la
voyelle qui précède et sont appelées pour cette
raison consonnes nasales.
La liquide / et la nasale n se mouillent dans
certains cas, c'est-à-dire qu'elles sont alors suivies,
dans la prononciation, d'un i très faible, que l'on
entend, par exemple, dans cnmpacNard, travaiLie.
X est une consonne double, qui se prononce
tantôt comme es [lii\ueui), tantôt comme gz
[examen). Elle peut avoir aussi le son du c simple :
esce/lent, exception; le son de Vs : six, dix,
Bruxelles, Auxerre; du /.-, \érés; enfin du : ; dix-
huit, dixième, etc. Cette équivalence de j: et de s
explique pourquoi les mots terminés au singulier
par X, comme heureux, voix, prix, ne changent pas
au pluriel : les heureux, les vnix, les prix.
La consonne ii est muette ou aspirée : 1° Elle
est muette lorsqu'elle ne se fait pas sentir dans la
prononciation. Exemple : V^ornme, Vaabitude ,
qu'on prononce comme s'il y avait Votne, l'abitude.
'— 2" Elle est aspirée lorsqu'elle empêche l'éli-
sion, comme dans la Hnne (ne prononcez pas
Vliaiyie), ou la liaison, comme dans les aéros (ne
prononcez pas les zlier'^s .
LVi latine éiait fortement aspirée, à la manière
flç Vil allemande ou anglaise. Cette aspiration se
perdit en français, ce qui amena la dispariiion_ de
h, comme dans avoir dO Galère, on de nomo. L'an-
cien français écrivait de même orne de homo,
abit de ha'iitus, eure de hoia; vers le xv' siècle,
les latinistes et les clercs rendirent à ces mots l'A
latine, d'où homme, hubit , heure ; mais ils ne pu-
rent leur rendre la prononciation latine de h que
le français avait abandonnée dès l'origine.
[J. Dussoucliet.]
LETTRi;S. — V. Epistolaire {genre).
LEVER DES PLAINS. — Arpentage, V-VIl ,
X-Xl. — 1. Le but de cette opération est de repré-
senter sur une surface plane la projection horizon-
tale d'une certaine portion de terrain. Pour cela,
on choisit sur son contour un certain nombre de
points remarquables que l'on joint par des droites
consécutives; res droites forment les côtés d'un
polygone auquel on donne le nom de //o^ goiie
topograp 'lique. On lève d'abord avec soin le plan
de ce polygone, et l'on y rapporte les autres
points remarquables du terrain, auxquels on rat-
tache ensuite les menus détails. On suit pour cela
diverses méthodes qui dépendent de la nature du
jerrain, des instruments que l'on a à sa disposi-
tion, et du degré d'exactitude que l'on veut obtenir.
Dans toutes ces méthodes, on a au moins une
ligne droite à mesurer directement. Après l'avoir
jalonnée, on la mesure i\ la chaîne, plusieurs fois
s'il est nécessaire, afin d'être sûr du résultat, au
degré d'approximation que comporte l'instrument
employé. Cette ligne est alors ce que l'on appelle
une base; et c'est de l'exactitude de sa mesure
que dépend, pour la plus grande partie, la fidélité
du plan. —V. Arpentage (Instruments d').
2. — Lever a l.\ chaîne. — Quand le terrain est
sensiblement horizontal, découvert, et facilement
acces.sible en tous ses points, on peut en lever le
plan i l'aide de la chaîne seule. Cette méthode
consiste à diviser le terrain en triangles dont on
mesure directement tous les côtés.
On prend, sur le terrain même, un croquis ap-
proximatif, sur lequel on consigne le résultat de
ses mesures; ce croquis servira plus tard de base
à la mise au net du plan, comme nous le verrons
plus loin.
.3. — Leveh a la CHAINE ET A l'équerre. — Dans les
mêmes circonstances, si l'on dispose d'une équerre
d'arpenteur, on peut opérer le lever d'une ma-
nière plus sûre, et surtout plus commode pour la
mise au net. On joint par une ligne droite jalonnée
deux points remarquables du terrain, et suffisam-
ment distincts l'un de l'autre, par exemple les
deux sommets les plus éloignés du polygone topo-
graphique; et, de tous les autres points remarqua-
bles du terrain, on abaisse sur cette directrice des
perpendiculaires. On mesure ces perpendiculai-
res, ainsi que la distance entre le pied de chacune
d'elles, et un point fixe pris sur la directrice; ces
deux longueurs suffisent pour fixer sur le plan la
position de chaque point, et permettent de le
rapporter avec sûreté sur le plan.
4. — Lever a la planchette. — Dans cette mé-
thode, il faut d'abord se procurer une bas<! AB
(fig. 1), choisie de manière que, de ses entremîtes.
rig. 1.
on puisse apercevoir tous les points w^P^t^^J^^,"
terrain, et particulièrement les sommets du po
ygone topographique. On trace sur a fe"«f «
une droite «6 qui représente AB M eÇl'e ■";f "'^'d^
On place la planchette "»;-»;; tverUcIle d^ It
Zt:Z^ir^^^^ les oin s C, D, E, etc.
oue on veut représenter sur le plan, et .,u ont
ri'pUalaWemen''t.désignéspardesalo^
faut de tout autre signal et 1 ""/^ff^'.p' directions
fc-'^l^'^-rèt^'ri'aTd Ye^aŒ-co^^^^^^^^^
?"é *uW nf bL' On trat avecV^lidade, les di-
A, B, C, D, E, etc., du terrain.
LEVER DES PLANS — MSo — LEVER DES PLANS
Cette métliodo n'est pas susceptible d'une
grande précision ; mais elle est expéditive. Il faut
seulement qvi'aucun point important du terrain ne
se trouve trop pr6s de la base ou de son prolonge-
ment, parce que ces points, obtenus alors par
l'intersection de deux droites faisant entre elles
un angle très aigu ou très obtus, seraient mal dé-
termines.
Cet emploi de la plancbetto est connu sous le
nom do méthodi; par intersections. La métbode
n'exige d'autre mesure directe que celle de la base.
Mais la planchette peut encore être employée de
deux autres manières.
ô. — S'il existe dans l'intérieur du terrain un
point d'où l'on puisse apercevoir tous les antres,
on y transporte la planchette : et, par le point de
la feuille situé sur la verticale du point de station,
on trace, à l'aide de l'alidade, les rayons visuels
dirigés vers lous les points remarquables du ter-
rain. On jalonne et l'on mesure à la chaîne toutes
les droites ainsi déterminées sur le terrain, et l'on
a tous les éléments nécessaires pour reporter sur
le plan tous les points visés. Cette méthode porte
le nom de méthode par ruyonnement.
Lorsque le terrain est couvert, cette méthode
n'est plus applicable, et il faut opérer autrement.
Soient A,B,C,D,E, etc.. Ips sommets consécutifs
du polygone topographique. On mesure le côté
A15, et l'on trace sur la planchette une ligne ab
qui ait avec AB un rapport convenu, par exemple
un millimètre par mètre. On place la planchette
en B, de manière que le point b soit dans la ver-
ticale de B, et que la ligne ab ait la direction
B-\, co dont on s'assure il l'aide de l'alidade. Puis
on vise avec l'alidade dans la direction BC, et l'on
prend sui- la droite ainsi tracée une longueur hc,
qui ait avec BC, qu'on a préalablement mesuré,
le raônie rapport que ab avec AB. On trans-
porte la planchette au point C, de manière que e
Suit dans la verticale de C, et que cb ait la direc-
tion CB; puis on trace une droite cd avant la di-
rection CD et dont la longueur soit à CD comme
ah est à AB. On transporte la planchette au point
D ; et l'on continue ainsi jusqu'à ce qu'on ait fait
le tour du polygone topographique. On a alors sur
la planchette un polygone abcde semblable ù
ABCDE. Cotte méthode s'appelle la méthode par
clicminemint. Elle s'emploie surtout pour obtenir
le polygone topographique; et l'on y rattache les
points intérieurs au moyen de la méthode des in-
tersections, en prenant pour bases les côtés du
polygone topographique eux-mêmes.
^- — Lever a la chaîne et au gbaphomètre. —
Dans ce mode de lever, on mesure, comme plus
haut, une hase, à laquelle on rattache les divers
points du plan à l'aide des angles que font avec
la base les rayons visuels menés de ses extrémités
àces dilTérents points. C'est la méthode par inter-
sections, comme avec la planchette, sauf ceue
difforence (|n'au lieu de tracer directement sur le
plan le.-, directions des rayons visuels, on mesure
au graphe iinètre les angles qu'ils forment avec la
base, et qn on reporte ensuite sur le plan à l'aide
du rapporteur.
On pourrait aussi employer avec le grapho-
mètre les méthodes par rayonnement ou par che-
minement, mais on en fait rarement usage.
"• — Lever a la chaîne et a i.a nnnism »
ER A la chaîne et A LA BOLSSOLB.
La
"J'^'J'ode est la même qu'avec le graphomètre;
cest-à-dirc qu'on opère principalement par inter-
sections. Mais comme les angles ne peuvent pas
être mesures à l'aide de la boussole avec la même
approximation qu'avec le graplmmètre, on ne
I emploie que pour rattacher les points de second
ordre au polygone topographiciue. On prend alors
pour base le côté du polygone le plus avantageu-
sement placé par rapport aux points nouveaux
que Ion veut fixer sur le plan. On peut même
prendre pour base une ligne qui ne soit pas un
côté du polygone topographiquo, mais qui en ait
été déduite par une opération précédente.
Pour corriger autant que possible les causes
d'inexactitude tenant à l'emploi de la boussole,
on rapporte parfois les points qu'on veut fixer sur
le plan à deux bases au lieu d'une seule, par
exemple à deux côtés consécutifs du polygone
topographiqne. Chaque point est alors déterminé
par l'intersection de trois rayons visuels; et si les
directions obtenues ne concourent pas en un
même point sur le plan, elles y forment un petit
triangle, dans l'intérieur duquel le point cherché
est vraisemblablement contenu. On prend donc
vers le centre de ce petit triangle un point que
l'on regarde comme le point cherché; cette solu-
tion, quoique un peu arbitraire, est cependant plus
probable que celle qui correspondrait à un des
trnis sommets du triangle, attendu qu'elle tient
compte des trois rayons visuels.
S . — Lorsqu'on a pris sur le terrain toutes les
mesures nécessaires et recueilli tous les rensei-
gnements dont on peut avoir besoin, on procède
à la mise au net du plan.
La première chose à faire est de tracer, au bas
de la feuille sur laquelle on va opérer, une échelle
lies longueurs. Dans l'arpentage, le mètre est sou-
vent représenté par un centimètre, quelquefois
par h millimètres, rarement par un millimètre.
Quelle que soit la longueur adoptée pour re-
présenter le mètre, on porte 10 fois cette lon-
gueur, de gauche à droite, à partir d'une origine
fixe marquée :é»'0, sur la droite qui doit former
l'échelle; on la porte ensuite une fois vers la gau-
clie, h partir de la même origine, et l'on divise
Cftte longueur on 10 parties égales, qui représen-
teront des décimètres ; les fractions de mètre
moindres que le décimètre s'apprécient à l'œil.
Avec cette échelle, il est facile de prendre une
ouverture de compas représentant une longueur
donnée quelconque, expiimée en mètres et frac-
tions du mètre. Nous n'insisterons pas sur ce point,
les développements que nous pourrions donner
appartenant au dessin linéaire plus qu'à l'arpen-
tage.
9. — Si le lever a été exécuté à la chaîne seule,
les triangles dont le plan se compose se tracent
successivement au moyen de leurs trois côtés.
On trace, par exemple, sur le plan, une droite
qui représente, à l'échelle adoptée, l'un des côtés
d'un premier triangle; de ses extrémités comme
centre, avec des rayons respectivement égaux aux
deux autres côtés, on trace, du côté convenable,
deux arcs de cercle dont l'intersection détermine
le troisième sommet; et le premier triangle se
trouve fixé sur le plan. A l'aide de ce premier
triangle on construit de même un des triangles
voisins; et, de proche en proche, on obtient tous
les triangles.
Si le lever a été exécuté à la chaîne et à l'é-
querre, on commence par tracer sur le plan la
droite qui doit représenter la directrice. Pour ob-
tenir un point quelconque du plan, on porte, sur
la directrice, à partir de son extrémité, une lon-
gueur qui représente celle qui a été mesurée sur
le terrain entre l'extrémité correspondante de la
directrice et le pied de la perpendiculaire abais-
sée du point que l'on veut obtenir. Ayant ainsi
sur le plan le pied de cette perpendiculaire, on
la trace, et, à partir du pied, on porte, dans le
sens convenable, une longueur qui représente la
perpendiculaire mesurée. On a ainsi le point que
l'on se pi'oposait de fixer; et l'on opère do même
pour tous les autres. Ce mode de représenta-
tion est surtout en usage pour les lignes cour-
bes, telles que les sinuosités d'un ruisseau, ou le
contour d'un étang.
Si le lever a été exécuté à la planchette, la
LEVER DES PLANS
1156 — LEVER DES PLANS
euille tendue sur la plancliette est le plan iiiÈme
qu'il s'agissait d'obteiiii', puisque tous les points
du terrain y ont été déterminés par l'intersec-
tion de deux droites tracées à l'aide de l'alidade.
Il ne s'agit donc plus que de la mettre à l'encre
et de la délaclu'r de la planchette .
Si l'on a suivi la méthode par rayonnement,
toutes les directions du point central aux divers
points du plan sont directement tracées sur la
planchette même, et il ne reste plus qu'à porter
sur chacune une longueur qui représente celle
qui a éio mesurée à la chaîne. La méthode par
cheminement donne surtout, comme on l'a vu, le
polygone topographique ; les points intérieurs sont
donnés par la motliodo d'intersections.
10. — Si le lever a été exécuté à la chaîne et au
graphomètre, on commence par tracer sur le
plan une droite qui représente la base qu'on a
choisie et mesurée. Les ajigles que fait cette
base avec les rayons visuels menés de ses extré-
mités aux différents points du terrain, et qui ont
été mesurés au graphomètre, sont tracés sur le
plan à l'aide du rapporteur (V. Liijnes) ; et tous les
points du plan se trouvent déterminés par l'inter-
section de deux directions, comme dans le cas de
la planchette.
C'est également à l'aide du rapporteur que l'on
transporte sur le plan les angles qui ont été me-
surés à la boussole, et les points ainsi visés se
trouvent déterminés sur le plan par l'intersection
de deux ou trois directions.
1 1 . — Pour suppléer à la représentation exacte des
objets que l'on peut avoir intérêt à consigner sur
le plan, on emploie certains signes convenus et
certaines teintes conventionnelles, qu'il est utile
de connaître. Nous nous bornerons aux notions
principales sur ce sujet.
Les terres cultivées ne se désignent d'ordinaire
que par les lignes de division des pièces de
terre, ou tout au plus par des lignes ponctuées
dans le sens des sillons.
On désigne les bois par un semis de petites
touffes imitant les arbres vus de haut; les viyiies
par un semis de petits signes en forme d's barrée,
imitant les ceps ; les terrains sablmmeux par un
pointillé général ; les prairies par un pointillé
plus gros; les terrains marécngeux par des lignes
horizontales rapprochées, mais entremêlées de
pointillés; les pièces d'eau par des lignes rappro-
chées, sans pointillé ; les bo7-i/s de la mer par des
lignes courbes parallèles au rivage, et allant en
s'écartant à mesure qu'elles s'avancent vers le
large.
On représente un sentier par un simple trait;
une rcute par deux traits parallèles, dont la dis-
tance est proportionnelle à la largeur de la route ;
pour une grande route on ajoute latéralement
deux lignes de points pour figurer les arbres
dont la route est supposée plantée. Un ruisseau
se désigne, suivant son importance, ou par un
simple trait sinueux, ou par plusieurs traits si-
nueux rapprochés et parallèles. Un canal, un che-
min de fer se désignent comme une route par
deux traits parallèles.
Lorsque l'on a recours aux teintes convention-
nelles, on représente les vignes par un brun-rouge
composé de 1 partie de gomme-gutte, 1 partie do
carmin, î de partie d'encre de Chine et 8 parties
d'eau ; en entendant ici, par le mot partie, la quan-
tité de couleur que contient un pinceau plein, la
couleur étant délayée au plus haut degré de
force qu'elle puisse atteindre sans cesser d'être
liquide.
On emploie pour les prairies un vert d'herbe
composé de 3 parties de gomme-gutte, 1 partie de
bleu indigo, et 8 à 10 parties d'eau. Le même vert
réduit à la moitié de son ton sert à représenter
les vergers.
Pour les forêts, on fait usage d'un jaune-jon-
quille, composé de 1 partie de gomme-gutte et de
7 à 8 parties d'eau.
On désigne les sables par une teinte aurore,
formée de deux parties de gomme-gutte, | de par-
tic de carmin, et lli parties d'eau. Les terres hu-
mides sont panachées horizontalement de vert et
de bleu ; le vert est celui des prairies ; le bleu se
compose de 1 partie d'indigo et de 8 à 10 p.irties
d'eau. Les marais sont teintés de vert d'herbe, et
de bleu léger, lequel se compose do 1 partie d'in-
digo et 18 à 20 parties d'eau. Les ('longs, locs, ri-
vières, fleuves, se désignent par le bleu léger ci-
dessus ; mais on renforce les bords par une
teinte un peu plus foncée. La mer est représentée
par un bleu verdâtre composé d'une partie d'in-
digo, { partie de gomme-gutte, et ÏO à 24 parties
d'eau. On renforce les bords par une teinte plus
forte.
Les bâtiments et constructions se désignent par
la teinte carmin (V. aussi Lavis).
12. — On peut avoir à copier un plan déjà mis
au net, ou à le réduire à une échelle pins pe-
tite. On peut alors exécuter la copie à l'aide
des procédés mêmes qui ont servi à établir le mo-
dèle. Mais, lorsqu'il y a beaucoup de détails, il
est souvent plus commode de faire usage de la
méthode des carreaux. Elle consiste à diviser la
surface du modèle, soit effectivement à l'aide de
lignes au crayon s'il est permis de les tracer, soit
fictivement à l'aide de fils tendus, en un certain
nombre de petits carrés égaux. On trace ensuite,
sur la feuille destinée à la copie, le même nombre
de carreaux, en réduisant les côtés dans le rap-
port voulu. On numérote de part et d'autre les
rangées horizontales ou verticales de carreaux,
en sorte que chaque carreau du modèle a son cor-
respondant sur la copie. On n'a plus alors qu'à
dessiner à vue, flans chaque carreau de la copie,
les lignes ou les points contenus dans le carreau
correspondant du modèle. Quand on a opéré ainsi
pourchaque carreau, on se trouve alors avoir repro-
duit l'image exacte du modèle. On meta l'encre, et
l'on efface les lignes en crayon léger qui avaient
servi à former les carreaux.
On peut aussi faire usage du pantographe. Cet
instrument, réduit à ses parties essentielles, se
compose de quatre règles, OA, AM, Bm, am (fig. 2),
Fi g. i.
articulées aux points A, B, a, m et remplissant
deux conditions : la première, que la figure BAam
soit un parallélogramme ; la seconde, que les trois
points O M, m soient en ligne droite. Il est aisé
de voirque si ces conditions sontremplies pour une
position déterminée de l'instrument, elles le se-
ront encore pour toute autre position. Cela resuite
de proportionnalités évidentes. Les triangles Oam
et OAM, quoique variables, demeurent cons-
tamment semblables ; il en résulte que Om et
O VI restent dans un rapport constant. Si donc, le
point O étant fixe, le point M décrit une ligne
LEXICOLOGIE
— liriT
LICHENS
<|iielcoii(iuo l'MQ, le point m, armé d'un tra(;oii',
dcci'ira une ligne semblable pmq.
Dans l'exécution, l'appareil comporte quelques
parties accessoires, mais nous n'insisterons pas
sur ce sujet, parce que la vue de l'instrument en
ferait immédiatement comprendre l'usage, et parce
qu'il est rare que l'arpenteur ait cet instrument Ji
sa disposition. [H. Sonnet. J
LEXICOLOGIE. — Grammaire, IX. — Ce
terme est formé de deux mots grecs : lexicon
(mot) et /oijos (doctrino ou science) ; l'Académie
ne l'a placé en son Dictionnaire qu'à la der-
nière édition (1877). La Lexicologie est cette par-
tie de la grammaire qui traite spécialement des
mots isolés, de leur valeur, de leurs modifications
et de leurs éléments; elle conduit Ji l'orthograplie
et il l'étymologie. On l'oppose généralement à la
Syntaxe, qui considère les mots dans la phrase
et étudie leur arrangement pour l'expression de
la pensée.
. Le terme de Lexicologie a été surtout employé
par P. Larousse dans les divers ouvrages qu'il a
composés pour l'enseignement pratique de la lan-
gue française. Au lieu de se borner, comme on
l'avait l'ail généralement jusqu'il lui, il de purs
exercices d'orlhograplie, il voulut que l'élève
s'habituât :\ saisir le sens des mots, il trouver
l'expression la plus exacte pour telle ou telle
idée, et se préparât ainsi ii la composition. Ce
fut lui qui commença à montrer le sens particu-
lier que le suffixe donnait à un mot simple, com-
ment vertueux, silencieux, dérivaient de vertu
et Aa silence ; craintif , abusif, de ciainle et ài'.
abus, et quel sens leur donnait le suffixe eux
ou if.
M. Ayer a, de son côté, appelé analyse lexicolo-
gigue la décomposition des mots en leurs élé-
ments et a, le premier, demandé qu'on complétât
ainsi l'analyse dite grammaticale, qui n'envisa-
geait le mot que dans sa nature et ses modifii'a-
tions. Il avait en même temps indiqué la division
de la grammaire en trois parties :
<c A. Lexicologie ou plutôt formologie, étude des
formes grammaticales ;
>i B. Etymoloqie ou étude des mots d'après leur
formation par dérivation ou par composition;
» C. Sgntaxe ou étude des formes et des rapports
de la proposition tant simple que composée. »
Voici l'exemple qu'il donne d'une analyse lexi-
cologique :
« La richesse ne le dégoûtera pas du travail.
Il Richesse, mot dérivé, formé de l'adjectif j-icZ/c
au moyen du suffixe esse, qui sert il iformer des
noms abstraits du genre féminin.
u Dégoi'iter, mot composé ie goûter et du préfixe
dé, qui a le plus souvent- un sens privatif, c'est-
Ji-clire qu'il donne au mot composé un sens con-
traire à celui du simple auquel il est ajouté,
comme dans décolorer, ilé former, dépeupler ; ainsi
dégoûter, c'est ôter le goût, et, au figuré, donner
de l'aversion. — Goûter prend un accent circon-
flexe sur Vil, parce qu'autrefois il s'écrivait avec
un s qui ne se prononçait pa^ : gouster ; cet s sup-
primé reparaît dans le dérivé iiéyusler.
» Triivail donne le verbe tr.aiiiller, et, au moyen
du suffixe eur, le nom de personne travailleur .
Travail a pour synonyme liibcur, qui ne se dit
guère qu'en poésie, dans le style soutenu, et en
parlant d'un travail distingué. De labeur dérive
l'adjectif laborieux, et de son synonj'me étymolo-
gique labour le verbe labourer, d'où le nom de
personne laboureur. ,, [Cours gradué de longue
française, page 199.)
On voit, par ce dernier exemple, que la lexi-
cologie s'appuie sur la phonétique ', qui est l'étude
des sons et des modifications que l'usage leur a
fait subir dans les dérivés d'une même racine. L'o
du mot latin lubor se trouve dans laborieux; il
d(;viont eu dans labeur, et ou dans labour, labou-
reur. On trouve des changements analogues dans
meule, moulin, molaire.
La première chose dont s'occupe la lexicologie,
c'est la détermination de la nature des mots, leur
classement dans l'une des neuf ou dix parties du
discours. 11 importe que l'élève s'habitue il ne
pas considérer seulement la forme, mais surtout
le sons du mot, et h distinguer les mots qui dé-
signent les êtres avec leurs qualités ou leurs actes,
des mots qui n'expriment que do simples rap-
ports.
Vient ensuite l'examen des flexions grajnmati-
cales ou des modilications que subissent les mots
pour marquer les idées de genre ou de nombre
(noms, adjectifs, pronoms), ou les idées de per-
sonnes, de temps et de modes (verbes). C'est ce
qu'on appelle dans les langues anciennes et dans
certaines langues modernes la déclinaison et la
conjugnison. La déclinaison a disparu du français
depuis le xiv" siècle, mais il pourra en être mon-
tré la trace dans les doublets : pât'-e, pasteur; sire,
seigneur, et aussi dans les formes des pronoms
personnels : je, me, moi; tu, te, toi; il, le, lui.
Quant à la conjugaison, elle y est restée assez
riche relativement il la plupart des langues mo-
dernes. Elle doit surtout être étudiée avec soin
quant à l'usage des auxiliaires, et des formes
diverses que peut revêtir un verbe pour rendre
la môme idée : on vendra la maison, la maison
sera veyidue, la maison se vendm.
Enfin doit venir en troisième lieu l'étude des
mots quant à leurs éléments : racine, préfixe et
suffixe. (;"est une partie très riclio et pleine d'in-
térêt, mais où il importe de garder une juste
mesure et de rester dans les limites que com-
mande l'enseignement du français quand il ne
s'appuie pas sur i'étude du latin. Il sera toujours
possible il un instituteur de montrer le sens
attaché aux noms par les suffixes er ou ier, on,
aire, ard, dans rucher, fermier; oisillon, eanne-
liin; adjudicataire, propriétaire ; vantard, inou-
cliiird; comme de faire distinguer la valeur
des suffixes, exix, if, able dans les adjectifs;
joyeux, boueux, décisif, aimable, etc. Il mettra
ainsi des idées justes dans l'esprit des élèves et
empêchera qu'ils n'emploient les mots ii contre-
sens. Il fera de même pour la valeur des pré-
fixes, iid, dis, cnn. en ou in, re, etc., dans les
verbes dérivés : admettre, disjoindre, construire,
enfermer, inhumer, revenir.
Nous croyons que ces trois parties essentielles :
nature des mots, flexions, dérivation ou composi-
tion, doivent constituer la lexicologie dans les
écoles primaires; elles concourent il donner àt'é-
lève une orthographe sûre et un style précis.
[B. Berger.]
LICHENS. — Botanique, XXVIIL — Etym.: Le
mot lichen vient d'un mot grec ayant la même si-
gnification.
nc/îwih'.ï!.— Les végétaux dont l'ensemble forme
la famille des lichens ne sont qu'un groupe da
champignons qui vivent aux dépens d'algues colo-
rées en bleu ou en vert.
Caractères botauiques. — Les lichens se pré-
sentent pour la plupart sous la forme d'expansions
foliacées ou de croûtes grisâtres étalées sur le sol,
ou fixées aux écorces et aux rochers.
Ces expansions constituent le tlwUe du lichen.
S. leur face inférieure, elles portent des cram-
pons que l'on nomme rhizines et qui servent ii les
attacher aux corps sous-jacents ; l'ensemble des
rhizines constitue Vhypothalle. Le thalle dos lichens
peut affecter quatre' formes principales, qui don-
nent les caractères des quatre groupes des li-
chens. Les premiers, dits lichem fruliculeux,
tiennent il leur support par une baso étroite et
s'élèvent en productions grêles simples ou rameu-
LICHENS
Mo8 —
LICHENS
ses (Us)iea barbota, Chuhnia); les seconds sont
nommés lie/tenu foliacés ; ce sont des expansions
minces, lobées, ondulées, qui s'étalent largement
à la surface de leur support, n'y adhérant toute-
fois que par un petit nombre de points {Peltiyera,
Pannelia); les lichens du troisième groupe sont
appelés crustacés; ils adhèrent à leur support par
toute leur face inférieure, parfois même ils s'y en-
foncent assez profondément yGrnp/iis, Ombiliru-
ria)\ le dernier groupe est formé par les lichena
gélatineux, dont le nom rappelle la consistance
molle [collema).
La substance des lichens, comme celle des
champignons, résulte de l'enchevêtrement d'un
grand nombre de filaments celluleux appelés
hijphes, et chaque hyphe possède un accroisse-
ment indépendant de celui de ses voisins. Dans la
généralité des lichens, la région inférieure du
thalle est formée d'éléments intimement appli-
qués les uns contre les autres, et dont plusieurs
eji se prolongeant inférieurement forment les
rhizines; cette zone inférieure est nommée sou-
vent zone corticale. La région moyenne du thalle
résulte du feutrage d'hyphes lâchement entrelacés ;
cette assise médiane, nommée assise médullaire,
devient un peu plus dense vers sa région supé-
rieure, ce qui fait distinguer parfois une région
superficielle appelée /(j(//o(/(eci»»(; certaines cel-
lules de l'hypothecium, en se prolongeant les unes
en poils stériles, les autres en glandes dissémi-
natrices, donnent l'assise désignée sous le nom
de t/ialamium ; dans la couche médullaire du
thalle du lichen, on observe fréquemment de
grosses cellules vertes que les auteurs nomment
go?iidtes. Ce ne sont autre chose que des algues
déformées par le parasitisme ; chacune d'elles est
fixée aux hyphes voisins par des crampons que ces
derniers envoient à la surface de l'algue.
Au point de vue de la dissémination, les lichens
ne diffèrent pas sensiblement des champignons
ascomycètes. Chaque glande disséminatrice ou
thèque produit de quatre à huit spores. Ces tliè-
ques oblongues, parallèles entre elles, et proté-
gées par des poils stériles qu'on nomme parapliyses,
se groupent en grand nombre en certains points
du thalle où l'ensemble produit l'effet d'un petit
disque ou écusson. Ces disques sont nommés
apothécies. La région marginale de l'apothécie est
désignée sous le nom d'excipulum. Les apothécies
sont étalées à nu à la surface du thalle dans les
lichens qualifiés pour ce motif du nom de gymno-
carpes; elles sont au contraire enfoncées dans le
thalle et plus ou moins cachées, dans les lichens
que l'on nomme pour cette raison lichens inu/io-
carpes. Certains lichens présentent des spores
spéciales, nommées s<î/te/)ores, qui doivent séjour-
ner un certain temps sur le sol avant de pouvoir
germer. Le thalle du lichen est susceptible à cer-
taines époques de l'année de se résoudre en petits
fragments dont chacun est capable de reproduire
le lichen; chacun de ces petits fragments est
nommé sorédie.
Les organes de la reproduction des lichens sont
presque inconnus; les organes mâles sont de très
petites glandes désignées sous le nom de spenna-
ties. Les organes femelles sont complètement in-
connus. Les spermaties, abandonnées à elles-
mêmes pendant un temps très long, changent de
nature, et deviennent susceptibles de germer.
La véritable nature des lichens n'est connue que
depuis très peu de temps ; elle a été découverte
par M. Schwendener et confirmée par MM.Bornet
et Treub. Pour avoir un lichen, on sème une
algue dans une goutte d'eau à la surface d'une
lame de verre; sur la même lame, à côté de la
goutte d'eau, on place une spore de lichen dans
une autre goutte d'eau. Si les choses restent dans
cet état, l'algue continue de vivre, sans se modi-
fier; la spore de lichen germe, mais bientôt le fila"
ment qu'elle produit s'atrophie et meurt. Rappro-
che-t-on la spore de lichen des algues qui en sont
voisines, on voit le germe produit par cette spore
s'attacher aux algues, prendre un développement
considérable, et bientôt englober complètement
toute l'algue. Le champignon est donc bien para-
site de l'algue ; cette dernière a mission de fournir
i son parasite les hydrates do carbone que celui-
ci ne peut fabriquer, étant dépourvu de pigment
chlorophyllien; mais l'algue, entourée de toutes
parts par un être riche en matières alhuminoïdes,
emprunte à son parasite une partie de ces subs-
tances, et, grâce à ce supplément de nourriture,
prend un développement presque anormal, ^e
multiplie beaucoup, mais exclusivement par voie
végétative. Le parasitisme des champignons sur
les algues ressemble beaucoup à une association
où chacun des membres tire profit du travail des
autres, tout en contribuant pour sa part au bien-
être commun. Toutefois, dans cette association,
l'un des membres, l'algue, peut vivre solitaire et
se suffire à lui-même, tandis que le champignon
ne peut vivre sans le secours de son associé.
Usages des lichens. — 1° Lichen d'Islande
(Vhyscia hlandica\ — Le lichen d'Islande croit
très abondamment dans le nord de l'Europe ; on
l'emploie en infusion contre les affections des
voies respiratoires; seulement on doit auparavant
le débarrasser de son principe amer en le lavant
â l'eau tiède. Soumis à l'action de l'eau bouillante,
le lichen se dissout en grande partie et le liquide
se prend en gelée. On a essayé à diverses repri-
ses d'employer cette gelée comme aliment, mais
son amertume insupportable l'a fait abandonner;
cette amertume est due à une matière spéciale,
l'acide cétrarique. Dans les régions hyperboréen-
nes, on trouve mélangé au lichen d'Islande le fa-
meux Cenomyce Hangiferina, qui forme la princi-
pale nourriture des rennes pendant l'hiver.
2° Le lichen pulmonaire du chêne {Stricta pid-
monaria) était naguère employé contre les mala-
dies du poumon. Aujourd'hui, il est utilisé pour
teindre la soie. En employant comme mordant le
bitartrate de potasse et le chlorure d'étain, ou
obtient une couleur carmélite fort belle et très
solide. On récolte ce lichen dans les Vosges, mais
il est peu abondant.
3° Le lichen des murailles (Parmelia parietina)
prend, sous l'influence des alcalis, une couleur
rouge foncé qui permet de l'utiliser dans la
teinture. Près du lichen des murailles se place le
liclien vulpui dont M. Hébert, de Chambéry, a
extrait une matière colorante jaune que l'on pour-
rail utiliser en teinture.
4° On désigne sous le nom à'Orseilles tous les
lichens qui produisent la couleur rouge violette
à laquelle on donne le nom d'orseille. 11 y a deux
sortes d'orseilles : l'orseille de mer, fournie par
les Ikiccela des pays cliauds,et l'orseille de terre,
qui est fournie par les Variolaria.
La matière colorante que l'on extrait des orscil-
les est le résultat des opérations qu'on leur fait
subir. Pour obtenir la pâte d'orseille, on pile ces vé-
gétaux et on les laisse pourrir au contact de l'air
en les arrosant d'urine. La matière colorante est
extraite de la pâte d'orseille par des lavages.
5° Tournesol en pains. — Cette matière colo-
rante bleue, très soluble dans l'eau et dans l'alcool,
que des chimistes emploient pour reconnaître les
acides, s'extrait de la parelle d'Auvergne (Vario-
laria orcina). On ramasse la plante, on la fait
sécher, on la pulvérise avec la moitié de son poids
de cendres, puis le tout est arrosé d'urine ; on
laisse le mélange se putréfier pendant 40 jours,
on ajoute alors un peu d'urine fraîche, et c'est
quelques jours après cette addition que la pâte
' devient bleue ; on ajoute alors de la chaux, puis
LIGNES
H 59
LIGNES
<Ui carlKmate de chaux, après quoi la matière
est divisée en petits paralléiipipèdes que l'on fait
sceller.
G" Le lichen pyxidé a joui autrefois d'une
grande réputation comme préservatif contre l'c-
pilepsio ; cette maladie était, croyait-on, radica-
lement guérie par l'emploi de YU-snée du cvi'mc
humain, qui n'était autre que le lichen pyxidé
développé à la surTace des crânes humains expo-
sés à l'air. Leymeri rapporte que des malades
eurent la folie do payer cette drogue jusqu'à
1000 francs les 30 grammes.
1' Manne tombée du ciel (Lichen esculentus) . —
En 184ô, à la suite d'une pluie, on a trouvé sur
le sol, en Anatolie, une substance grisâtre que
les habitants ont regardée connue une manne tom-
bée du ciel et dont on s'est servi pour faire
du pain. Cette manne est formée de petits corps
blancs, arrondis, farineux, tuberculeux, qui ne sont
autre chose qu'un lichen [Lichen esculentus). Nées
d'Esenbeck et Ledebour, quiont plus spécialement
étudié cette matière, nient, malgré les assertions
des témoins, que cette manne soit tombée sous
forme de pluie ; mais ils admettent volontiers
qu'elle a pu se former très rapidement à la sur-
l'ace du sol après des pluies chaudes. La manne
dont il est question dans la Bible au livre des
Nombres n'est autre que ce même Lichen esculen-
tus ; elle difl'ère de la manne du Sinaï décrite dans
l'Exode : celle-ci est produite par le Tamanx in-
dica. [C.-E. Bertrand.]
LIGNES. — Géométrie, II- VIII. — \. — 0n nomme
LIGNE DROITE la ligne la plus courte qu'on puisse
mener d'un point à un autre. Il est évident que
d'un point à un autre on ne peut mener qu'une
seule ligne droite. Et il en résulte que deux i/roi-
les qui ont deux points communs, que nous dési-
gnerons par A et B, coïncident dans toute leur
étendue. D'abord elles coïncident entre A et B. De
plus, si un point C, pris sur le prolongement de la
première, n'appartenait pas à la seconde, on pour-
rait faire tourner la seconde autour du point A,
jusqu'à ce qu'elle vînt passer par le point C; mais,
dans ce moment, les deux points qui coïncidaient
en B se seraient séparés ; on aurait donc, de A à
C, deux lignes droites, ce qui n'est pas possible.
De cette remarque résulte que deux points suf-
fisent poxir déterminer une ligne droite.
Une ligne droite se trace à la règle, au cordeau,
quand on en a deux points. Une ligne droite se
mesure, suivant sa longueur, avec le double déci-
mètre divisé en millimètres, avec le mètre ou avec
le double mètre, avec le décamètre. Les distances
itinéraires, supposées droites, s'évaluent en kilo-
mètres et myriamètres.
2. — On nomme ligne brisée une ligne composée
de lignes droites ; les lignes droites sont les côtés
de la ligne brisée. Une ligne brisée est dite co«-
vexe, lorsqu'elle ne peut être rencontrée par une
droite en plus de deux points.
Si d'un point k à un point D (fig. 1) on mène
deux lignes brisées convexes ACCD et AMNPD,
dont la seconde enveloppe la première, la ligne
brisée enveloppée est plus courte que la liqne Iri-
sée enveloppante. Car, si l'on prolonge AB jus-
qu'en I et BC jusqu'en 0, on aura par la délinition
môme de la ligne droite.
AB-|-BI<AM + MI
BG + C0<BI-|-IN-1-N0
CD < CO -H OP -I- PD
Ajoutant en inégalités membre h membre, et
supprimant les termes communs aux deux mem-
bres, on obtient
AB -H BC -f CD < AM + MI -t- IN-fNO -f OP -I- PD
< AM -1- MN + NP -f PD c.o. F.D.
REMAnQBE. — La démonstration étant indépen-
dante du nombre des côtés de chaque ligne brisée,
peut être étendue au cas où ces lignes brisées
auraient un nombre infini de côtés infiniment pe-
tits ; par conséquent, on peut dire que si, dun
point à un autre, on mène deux lignes courbes
convexes, dont l'une enveloppe l'autre, la courbe
convexe enveloppnnte est plus longue que la courbe
convexe envelappée.
.3. — On nomme circonférence de cercle une courbe
plane dont tous les points sont également distants
d'un point intérieur nommé centre. La distance
du centre à un point quelconque de la circonfé-
rence est ce qu'on appelle le rayon. Une droite
qui passe par le centre et se termine de part et
d'autre i la circonférence est ce que l'on nomme
un diamètre. Tout diamètre est donc le double du
rayon.
Une circonférence de cercle se iracc à l'aide du
compas. Sur le terrain, on substitue au compas
un cordeau tendu, fixé au centre par une de ses
extrémités, et armé à l'autre d'un piquet qui sert
de traçoir.
Joui diamètre divise la circonférence en deux
parties éijides ; car, si l'on plie la ligure le long
de ce diamètre, les deux parties devront coïnci-
der ; autrement, il y aurait des points inégalement
distants du centre.
Toute portion de circonférence se nomme un
arc de cercle ; la droite qui joint les extrémités
se nomme la corde; on dit que la corde sous-tend
l'arc. Toute corde qui ne passe pas par le centre
divise la circonférence en deux parties inégales,
l'une plus grande que la demi-circonférence, l'au-
tre plus petite.
Une même corde sous-tend toujours deux arcs,
mais c'est toujours du plus petit de ces deux arcs
qu'il est question, h moins que l'on n'exprime
positivement le contraire.
Toute corde est plus petite que le diamètre;
car, si l'on joint le centre aux deux extrémités, la
corde, qui est une ligne droite, sera plus petite
que la somme des lignes de jonction qui forment
une ligne brisée, et qui sont des rayons, c'est-îi-
dire qu'elle est plus petite qu'un diamètre.
4. — Deux circonférences de même rayon sont éga-
les ; car, si l'on transporte l'une de manière h. faire
coïncider les centres, les circonférences devront
coïncider, sans quoi il y aurait des points inégale-
ment distants du centre.
On peut remarquer que lorsque deux circonfé-
rences égales ont même centre, on peut faire
tourner l'une d'elles autour de ce centre sans que
la coïncidence cesse d'avoir lieu.
Dans le même cercle, ou dans des cercles
égaux, à deux arcs égaux correspondent des cordes
égales; car, s'il s'agit, par exemple, d'arcs pris
dans des cercles égaux, il est évident que l'on pourra
faire coïncider les arcs égaux et que dès lors les
cordes coïncideront,
Dnns un même cercle, à un plus grand arc cor-
respond une plus grande corde.
LIGNES
— H60
LIGNES
Soit AB > A'C (fig. 2). Prenons, h partir du
point A, l'arc AC = A'C; la corde AC sera égale à
isolé, la lettre du sommet suffit, et l'on dirait l'an-
gle A.
la corde A'C. Joignons OB + OC, qui coupera
AB en un point I. On aura
AI-fIC>AC et OI + IB>OB
Ajoutant ces inégalités membre à membre ; rem-
plaçant AI + IB par AB, et 01 + IC par OC, ou
par son égal OB, il vient
AB + OB>AC + OB ou AB>AC
Ces deux propositions démontrent leurs réci-
proques; c'est-à dire que :
Deux cordes égales sous-tendent des arcs égaux;
et, à une plus grande corde con-espond nu plus
grand arc.
5. — Pour comparer entre eux les arcs d'une même
circonférence, on suppose cette circonférence di- |
visée en 360 parties égales, à cliacune desquelles
on donne le nom de deyré, chaque degré en
60 parties appelées mimites, et chaque minute en
60 secondes. Pour évaluer un arc on dira, par
exemple, un arc de 68 degrés 43 minutes et 1" se-
condes, ce qu'on écrit 6s° 43' 17". Le quart de la
circonférence, ou 90 degrés, forme ce qu'on ap-
pelle un quadrant.
Dans le système décimal, le quadrant se divise
en 100 grades, chaque grade en 100 minutes, et
chaque minute en 100 secondes. Un arc ainsi
évalué s'exprime immédiatement par un nombre
décimal. Ainsi, 81 grades, 73 minutes et 25 secon-
des s'écrira 81i",7325.
Pour convertir un nombre de grades en de-
9
grés, il suffit de le multiplier par -— , puisque
90 degrés font 100 grades. Ainsi, 81«f,7325 donne,
, . ,. 9
en multipliant par —,
73°,55925 ou 73°33'33",3.
Réciproquement, pour convertir un nombre de
degrés en grades, il suffit de multiplier par — -,
après avoir converti préalablement les minutes
et secondes en décimales du degré. Ainsi
Dans la considération des angles, on n a point
égard h la longueur des cotés.
7. — On compare les angles entre eux à l'aide
des arcs de cercle décrits de leur sommet comme
centre avec un même rayon.
On remarque d'abord que, si deux anqUs inter-
ceptent des arcs égaux sur des circonférences de
même ragon décrites de leur sommet comme cen-
tre, ces angles soJit égaux. Car, si l'on fait coïnci-
der les centres, et qu'on fasse tourner l'une des
circonférences autour de ce centre jusqu'à ce que
les arcs égaux coïncident, les côtés des deux an-
gles coïncideront deux à deux ; les deux angles
sont donc égaux.
Cette proposition sert îi faire en un point d'une
droite un angle égal à un aagle donné. Il suffit
de décrire du point donné, et du sommet de l'an-
gle donné, comme centre, des arcs du même
rayon, et de prendre sur le premier, à partir de
la droite donnée, une ouverture de compas égale
à la corde de l'arc intercepté par l'angle donné.
On montrerait de même que, si deux angles
sont égaux, ils interceptent des arcs égaux sur
les circonférences de même raijon décrites de leurs
sommets comme centres.
Cela posé, si l'on suppose une circonférence
divisée en 360 degrés, et qu'on mène des rayons
à tous les points de division, les angles consécu-
tifs formés par ces rayons seront égaux. Il en se-
rait de même si l'on subdivisait chaque degré en
60 minutes, ou chaque minute en 60 secondes.
L'angle au centre qui intercepte un arc d'un degré
est ce qu'on appelle un angle de un degré; celui
qui intercepte un arc d'une minute est un angle
de une minute, etc. De cette manière, un angle
au centre quelconque est exprimé en degrés, mi-
nutes et secondes, de la même manière que l'arc
qu'il intercepte ; s'il intercepte un arc de 28° 4j'
16", c'est un arc de 28° 45' 16", etc. On exprime
cette relation générale en disant qu'vii angle au
centre a pocr mesure l'arc compris entre ses côtés.
8. — La mesure effective des angles s'effectue,
sur une surface de peu d'étendue, à l'aide de l'ins-
trument qui porte le nom de rapporteur. Il se
compose d'un demi-cercle dont la circonférence,
ou limbe, est divisée en degrés. Soit XOY (fig. 4)
68" 43' 17", ou
10
„ 2.597
3600'
ou encore 68° 72139..
multiplié par --, donne 78«',1358..
6. — On appelle angle le plus ou moins d'écart
de deux droites qui se rencontrent ; ces droites
sont les cotés de l'angle, et leur point de rencon-
tre en est le sommet. La fig. 3 représente l'an-
gle formé par les deux droites AB et AC. On est
convenu de désigner un angle par trois lettres,
dont l'une est celle du sommet, et les deux autres l'angle à mesurer. On porte l'instrument sur cet
sont prises sur les deux côtés; mais la lettre du angle, de manière que son centre tombe au som-
sommet doit occuper le milieu ; ainsi, l'on dira ' met O, et que le diamètre AB coïncide avec la
l'angle BAC ou CAB. Cependant, si l'angle est l direction OY de l'un des côtés de l'angle. Le
LIGNES
— 1161 —
LIGNES
côté OX vient alors coiiiiur lo limbo en un cer-
tain point M, et l'on note le nombre de degrés
compris entre les points A et M. Ce nombre est
la mesure de l'arc AM, et par suite celle de l'an-
gle proposé.
Sur le terrain, on emploie un instrument ana-
logue qui porte le nom de (jraphomètre. — V. Ar-
pentage (Instruments d').
9. — Un angle de 90° est ce qu'on appelle un angle
droit; tel est l'angle principal d'une équerre. Un
angle plus petit qu'un angle droit s'appelle un
angle aigu. Un angle plus grand qu'un angle droit
est un angle l'htu.i. Deux angles sont dits supplé-
mentaires, lorsque leur somme vaut doux angles
droits; ils sont dits complément/lires, si leur
somme vaut un angle droit.
10. — Lorsqu'i/np droite OG (fig. 5) en ren-
contreune mitre AB, la somme des angles,\DiKcv:Nts
AOC + BOC équivaut à deux angles droits. Car,
si du sommet commun O de ces angles on décrit
une demi-circonférence ACDB, ces angles auront
pour mesure les arcs Atl et BC, dont la somme
équivaut i deux quadrants.
CoBOLLAinE. Lorsque deux angles adjacents sont
égaux, ils sont droits. Tels sont AOD et BOD.
RÉCIPROQUEMENT. Si (leti.v aug/fs adjacents AOC
et BOC sont supplémentaires, leurs côtés e.xlc-
rieurs AO et CO sont en ligne droite. Car, si la
somme des arcs AC et BC équivaut à une demi-
circonférence, la droite qui joint les points A et 1!
est un diamètre, et passe conséquemment par le
centre ; donc OA et OB ne forment qu'une même
ligne droite.
11. — La somme des angles successifs AOB, BOC,
COD, DOE (fig. C), formés en un même poi?it d'un
même côté d'une droite, est égale à deux, an-
gles droits. Car la somme des arcs AB, BC, CD,
DE qui mesurent ces angles équivaut à deux
quadrants.
La somme des angles successifs AOB, BOC, COD,
DOE, EOA (fig. "), formés autour d'un point, équi-
vaut à quatre angles droits. Car la somme des
arcs AB, BC, CD. DE, EA, qui mesurent ces angles,
équivaut à quatre quadrants.
12. — Lorsque deux droites se coupent, les an-
gles opposés par le sommet sont égaux. Soient, en
effet, deux droites AB et CD qui se coupent en un
point O.
On a :
AOC -t-COB = 2 droits et COB-f- BOD = 2 droits
d'où :
AOC -1- COB = COB -f BOD
ou simplement :
AOC = BOD
On démontrerait de même que AOD = COB.
13. — Lorsque deux droites se coupent, si l'un des
(liiatreanglesqu'eltes forment est droit, hs troisnn-
tres S07it droits aussi, comme étant adjacents au pre-
mier, ou comme lui étant opposés par le sommet.
Deux droites qui se rencontrent ainsi .'i angles
droits sont dites perpendiculaires entre elles.
Dans la pratique, c'est avec i'éguerre que l'on
mène ou que l'on vérifie les perpendiculaires. Cet
instrument se compose, en ofTet, de deux règles
assemblées à angle droit. On pourrait aussi se
servir du rapporteur, puisque avec cet instrument
on peut faire des angles do 1)0° ; mais nous verrons
plus loin des procédés plus précis pour tracer les
perpendiculaires.
Par un point donné on ne peut mener qiCune
seule }ieri>endic%ilaire à une droite donnée.
Cela est d'abord évident, si le point donné est
sur la droite donnée; car si, par ce point, on a
mené une droite faisant avec la droite donnée des
angles adjacents égaux, toute autre droite menée
par ce point ferait avec cette même droite donnée
des angles adjacents inégaux.
Supposons, eji second lieu, que le point donné
soit extérieur à la droite donnée. Soit O (fig. 9)
Fig. 9.
ce point, et AD la droite donnée. Soient, s'il était
possible, OC et OB deux perpendiculaiies h AD.
Faisons tourner la figure autour de AD, de manière
que le point O vienne se rabattre en O'. Les an-
gles en C étant droits, les lignes CO et CO' sont
en ligne droite. Si les angles en B étaient droits
aussi, OBO' serait aussi une ligne droite; on pour-
LIGNES
— 1162
LIGNES
rait donc d'un point O à un autre 0' mener deux
droites distinctes, ce qui est impossible.
Remabqi'e. oc étant supposée perpendiculaire
à AD, OB est dite oblique par rapport à la même
droite.
14. — Si par lin point O (fig. 9) rxtérieur à une
droite AD, on mène la perpendiculaire OC et
différentes olilicjues OB, OD, OA : X" la perpendi-
culaire est plus eo'irtc ijue toute oljUque; 2° deux
obliques OB et OD, qui s'écartent également du
piedC de la perpendiculaire, sont égales; 3° de deux
obliques OD et OA qui s'écartent inégalement du
pied de ta perpendiculaire, celle gui s'en écarte le
plus est la pUis longue.
Faisons tourner la figure autour de AD de ma-
nière que le point O vienne se rabattre en O' ; on
auraO'A = OA; 0'B = OB ; 0'C = OC ; 0'D=OD.
Cela posé :
r La ligne OCO' étant droite, on a :
OCO'<OBO' ou 2 0C<2 0B, ou OC<OB.
2° Faisons tourner la figure OCD autour de OC;
les angles en C étant droits, la ligne OD prendra
la direction CB; et, puisqu'elles sont égales, le
point D tombera en B; donc OD coïncidera
avecOB; donc ces obliques sont égales;
;i • La ligne brisée OAO enveloppant OBO' qui
a les mômes extrémités, on a :
OAO' > OBO' ou 2 0A>20B ou OA>OB.
Il en résulte OA > OD.
I j. — S/, par le milieu C d'une droite AB (fig. 10),
on lui élève une perpendiculaire CD : 1° tout
égale distance des extrémités de AB. est perpendi-
culaire sur le milieu de AB.
point O pris sur celte perpendiculaire sera égale-
ment distant des extrémités A ef B de la droite;
2° tout point K, pris en dehors de la perpendicu-
laire, sera inégalement distant de A ei de B.
1° On aura OB = OA comme obliques s'écartant
également du pied de la perpendiculaire.
V Joignons KA etKB; la première de ces droi-
tes rencontrera CD en un point O, et si l'on joint
OB, on aura OB = OA. Mais on a :
KB<KO-fOB ou KB<K0-1-0A
c'est-à-dire KB < KA.
Ce qu'il fallait démontrer.
Remarques. I. On réunit ces deux propositions
en une seule en disant que : la perpendicu-
laire élevée sur le milieu d'une droite est le lieu
GÉoMÉTiuyi-E de tous les points qui sont à égale
disttince des extrémités de la droite.
II. Deux points suffisant pour déterminer une
droite, on peut dire que si une droite a deux de
ses points à égale distance des extrémités d'une
droite, elle est perpendiculaire sur le milieu de la
droite,
16. — Le milieu C (fig. II) d'un arc AB, le mi-
lieu I de sa corde et le centre O du cercle sont tou-
jours sur mie même perpendiculaire à cette corde.
Car les arcs CA et CB étant égaux, il en est do
même de leurs cordes; le point C est donc égale-
ment distant de A et de B; il en est de même du
centre 0 ; la droite OC ayant deux de ses points à
rig. 11.
ConoLLAiKEs. 1. S( du centre O d'une circon-
férence on abaisse une perpendiculaire sur une
corde, elle divise cette corde, et l'arc sous-tendu,
chacun en dfux parties égales.
II. Si sur le milieu d'une corde on lui élève une
perpendiculaire , cette perpendiculaire passe par
le I entre et par le milieu de l'arc que sous-tend
la corde.
Ce dernier corollaire offre un moyen de faire
passer une circonférence par Irais points donnés
.\,B.C qui ne sont pas en ligne droite. Il suffit
de joindre AB et AC, et d'élever sur le milieu de
chacune de ces cordes deux perpendiculaires qui
passent toutes deux par le centre. Le centre de-
mandé sera donc le point d'intersection de ces
deux perpendiculaires.
Si les trois points donnés étaient en ligne droite,
les deux perpendiculaires ne pourraient se ren-
contrer, sans quoi on pourrait d'un même point
abaisser deux perpendiculaires sur une même
droite. Il en résulte qu'Kwe droite ne saurait
rencontrer une circonférence en plus de deux
points.
17. — Une droite AB (fig. 12), perpendiculaire à
l'extrémité d'un rayon OC, n'a qu'un point com-
l-'t'. 1-'.
tiiun avec la circonférence. Car si l'on joint le
centre 0 à un point quelconque D de la droite AB,
la droite OD sera une oblique plus grande que
la perpendiculaire OC; le point D est donc situé
hors de la circonférence.
Une droite qui, comme AB, n'a qu'un point
commun avec une circonférence, est dite tangente
à cette circonférence, et la circonférence est tan-
gente à la droite. Toute droite qui rencontre une
circonférence en deux points est dite sécunte par
rapport à cette circonférence.
RÉcipnoQfE DU THÉoiiÈiiE PRÉCÉDENT. Toutc tan-
gente -\B à une circo?iférence O est per/endicu-
laire à l'extrémité du rayon OC qui aboutit au
point de contact. Car tout point D de cette droite,
dilïérent du point C, étant situé hors du cercle, le
rayon OCniesure la plus courte distance du centre
à la droite; c'est donc la perpendiculaire abaissée
du centre sur cotte droite.
18. — Si deux circonférences 0 et C (fig. 13) ont
un point A commun hors de la ligne OC qui joint
leurs centres, elles en ont nécessairement un second.
Faisons, en efi'et, tourner la figure 0.\C autour de
OC jusqu'il ce que le point A vienne se rabattre
en A'; on aura OA' = OA et C.\' = CA; le point
LIGNES
— H63
LIGNES
\' appartiendra donc i la circonféronco O et ;\ la
circonférence ('..
CoiioLLAiRES. 1. Si deux circonférences se lou-
chent, et n'ont qu'un point commun, ce point est
situé sur la ligne des centres. Si les circonfé-
rences se touchent extérieurement, la distance des
centres esc la somme des deux rayons. Si les
circonférences se touchent intérieurement, la dis-
lance lies centres est la différence des rayons.
H. Si deux circonférences sont sécantes, on a :
on a aussi :
d'où:
OC<OA + AC;
OA<OC + AC,
OC>OA — AC;
ainsi la distance des centres est plus petite que la
somme des rayons et plus grande que leur diffé-
rence,
III. Si deux circonférences sont séparées, la
distance des ceidres est plus grande que la somme
des rayons. Si l'une des circonférences est inté-
rieure h l'autre, la distance des centres est plus
petite que la différence des ray07is. Il suffit pour
le reconnaître de faire la figure.
1 9. — Les propriétés des perpendiculaires démon-
trées aux numéros 13 h 19 fournissent le moyen
de résoudre, avec la règle et le compas, divers
problèmes relatifs à ces droites.
I. En un point A d'une droite XY élerer une
perpendiculaire à cette droite. Prenez sur la
droite, de part et d'autre du point A, deux lon-
gueurs égales AB et AC. Des points B et C comme
centres, avec un rayon plus grand que AB, dé-
crivez deux arcs de cercle qui se couperont en un
point D. Joignez AD, ce sera la perpendiculaire
demandée.
II. D'un point A, pris en dehors d'une droite
XY, abaisser une perpendiculaire sur cette droite.
Du point A comme centre, avec un rayon suffisam-
ment grand, décrivez un arc de cercle qui coupe
la droite XY en deux points'Bet C. De ces points
comme centre, avec un rayon plus grand que la
moitié de BC, décrivez deux arcs de cercle, qui se
couperont en un point D. Joignez AD; ce sera la
perpendiculaire demandée.
III. Diviser une droite AB en deux parties égales.
Des points A et B, avec un rayon plus grand que
la moitié de AB, décrivez deux arcs de cercle qui
se coupent au-dessus de AB en un point C, et
deux autres arcs de cercle qui se coupent en des-
sous en un point D. Joignez CD; cette droite sera
perpendiculaire sur le milieu de AB.
IV. Diviser un arc de cercle en deux parties
égales. Tirez la corde, et du centre abaissez une
perpendiculaire sur cette corde; elle passera par
le milieu de l'arc.
V. Diviser vn angle en deux parties égales. Du
sommet de l'angle, comme centre, décrivez un arc
compris entre les deux côtés; tirez la corde de
cet arc, et du sommet abaissez une perpendicu-
laire sur cette corde; elle divisera l'angle en deux
parties égales.
Remafique. — La droite qui divise un angle en
deux parties égales s'appelle la bissectrice de cet
angle.
20. — Det4x droites perpendiculaires à une même
troisième ne peuvent se rencontrer quelque loin
qu'on les prolo7ige, car autrement on pourrait,
d'un même point, abaisser deux perpendiculaires
sur une même droite.
Deux droites qui, étant situées dans un mênie
plan, ne peuvent pas se rencontrer quelque loin
qu'on les prolonge, portent le nom de droites pa-
rallèles. L'énoncé ci-dessus revient donc au sui-
vant : deux perpendiculaires à une mé/ne droite
sont parallèles etltre elles.
On admet que, par un point pris hors d'une
droite, on ne peut lui mener qu'une seule paral-
lèle. Cette parallèle est facile h obtenir. Du point
donné, on abaisse une perpendiculaire sur la droite
donnée, et, par ce morne point donné, on élève
une perpendiculaire sur cette perpendiculaire ;
c'est la parallèle demandée.
Lorsque deux droites sont parallèles, touie per-
pendiculaire à l'une est en même temps perpendi-
culaire à l'outre. Car si elle rencontrait cette autre
sous un angle aigu ou obtus, on pourrait, par
leur point de rencontre, lui élever ."i elle-même
une perpendiculaire, qui serait parallèle à la pre-
mière des deux droites données ; on pourrait donc,
par un même point, mener deux parallèles à une
même droite, ce que l'on regarde comme impos-
sible.
21. — Deux parallèles AB et CD (fig. 14) sont
partout également distante. En d'autres termes, si
dos points C et D, pris où l'on voudra sur l'une
d'elles, on abaisse sur l'autre les perpendiculaires
CA et DB, ces perpendiculaires seront égales.
Pour le démontrer, élevons par le milieu I de AB
la perpendiculaire IH, et faisons tourner la figure
IHDH autour de IH pour la rabattre sur lACH. Les
angles étant droits, IB prendra la direction de lA;
et puisque I est le milieu de AB, le point B tom-
bera en A. Les angles en B et en A étant droits,
BD prendra la direction de AC, et le point D tom-
bera quelque part sur AC. Or, les angles en H
étant droits, HD prendra la direction de HC, et le
point D tombera quelque part sur HC. Devant
tomber h la fois sur AC et sur HC, le point D tom-
bera au point C ; BD et AC coïncideront, donc ces
droites sont égales.
22. — Deux droites parallèles à une troisième sont
parallèles entre elles. Car si l'on mène une per-
pendiculaire à la troisième, elle sera perpendicu-
laire aux deux premières; ces dernières étant ainsi
perpendiculaires à une même droite sont parallèles
entre elles.
2-3. — Deux droites AB et CD (fig. 15) snyit paral-
lèles si, étant coupées par une sécante EFGH, elles
forment avec celle sécante des anqles intérieurs
AFG, CGF supplémentaires. En efl'et : les angles
BFG et CGF étant tous deux le supplément de
AFG, sont érraux entre eux. De même, les angles
EGD, AFG étant tous deux le supplément de CGF,
sont égaux entre eux. Il en résulte que les bran-
ches FB et GD sont placées par rapport il EH,
d'un côté de cette droite, de la môme manière
que les branches GC et FA sont placées de l'autre.
Si, par conséquent, ces deux branches se rencon-
traient, les deux autres se rencontreraient aussi;
LIGNES
1164 —
LIGNES
et les deux droites distinctes AB et CD auraient
deux points communs, ce qui est impossible. Donc
pliant dès lors la figure le long de cette perpen-
diculaire, on fera coïncider les extrémités des cor-
des, et par suite les arcs interceptés entre les pa-
rallèles; donc ces arcs sont égaux.
Le théorème subsiste lorsque l'une des paral-
lèles est tangente; car la perpendiculaire abaissée
du centre sur la corde passe alors par le pnmt de
contact, et, en pliant encore la figure le long de
cette perpendiculaire, on fait encore coïncider les.
doux arcs. . , j » i
28 — On appelle angle insn-it un angle dont le
sommet est sur la circonlérence et dont les côtés
sont des cordes. ■.-, ,
Tout angle inscrit a pour mesure la moitié de
i'arc compris entre ses côtés. Supposons d abord
que le centre O du cercle soit situé sur 1 un des
ces droites ne se rencontrent pas, et sont par con-
séquent parallèles.
RÉCIPROQUEMENT. Si deux p'iralleles AB et (.U
sont coupées par mie sécante EFtJH, tes angles in-
térieurs AFG et CGF sont supplémentaires. Car,
si cela n'était pas, on pourrait toujours, au point
F, faire avec FG un angle égal au supplément de
CGF, et la droite ainsi menée serait parallèle a
CD, en vertu du théorème dh-ect. On pourrait
donc, par un même point F, mener deux paral-
lèles à une même droite CD, ce qui est impos-
sible. , „ .
24. — Remarques. I. Les quatre angles en i et
les quatre angles en G forment deux groupes qui
se correspondent; et l'on nomme corresponrjrmls
les angles qui, dans CHS deux groupes occupent des
positions analogues. Tels sont les angles Abbet
CGF, ou AFG et CGH ; tels sont encore les angles
EFB et FGD, ou BFG et DGH. . i
On appelle angles aUerncs-intemes ceux qui
sont situes intérieurement aux parallèles, de part
et d'autre de la sécante; tels sont AFG et FGU, ou
bien liFG et CGF.
IL Si les angles intérieurs AFG et Clil' som
supplémentaires, les angles alternes-internes Al'U
et FGU sont égaux comme étant tous deux le sup-
plément de CGF. Et les angles correspondants AhG
et CGH sont égaux entre eux comme étant tous
deux égaux à FGD.
Réciproquement, si les angles alternes-internes
sont égaux, ou si les angles correspondants sont
égaux, les angles intérieurs sont supplementai-
ifl II résulte de ces remarques et des théorèmes
ci-dessus que : 1° Si deux parallèles sont coupées
par une sécante, les angles intérieurs sontstipplé-
mentaires, les angles alternes-internes sont égaux.
les angles correspondants so7it égaux; -r Si tune
de ces relations ■l'angles a lieu, les droites coupées
par lu sécante sont parallèles.
25. — Deux am/les qui ont leurs cotes parallèles
chacun à chacun et L'ouverture dirigée dans te
même sens, sont égaux. Car si l'on prolonge 1 un
des côtés du premier jusqu'à sa rencontre avec le
côté du second qui ne lui est pas parallèle, on for-
me un troisième angle qui est égal comme corres-
pondant à chacun des angles donnés.
Si les angles avaient l'ouverture tournée dans
un sens différent, ils seraient supplémentaires.
26. — Deux angles qui ont leurs côtés perpendi-
culaires chacun à chacun sont égaux ou supplémen-
taires. Car si l'on fait tourner l'un d'eux à 90"
autour de son sommet, ses côtés deviendront paral-
lèles à ceux du second angle.
27. — Deux parallèles interceptent sur une circon-
férence des arcs égaux. Si, en effet, on abaisse du
centre une perpendiculaire sur les deux cordes,
elle les divisera chacune en deux parties égales,
et le point où elle rencontrera la circonférence
sera le milieu commun des arcs sous-tendus. En
côtés de l'angle. Soit ABC cet «|'?^,^- "«"""' '^
diamètre DE pnrallèle i AB; I ansU- DOC sera égal
h ABC puisqu'ils sont correspondants^L angle au
centre COD a pour mesure l'arc CD. Or CD -- «E.
comme interceptés par dos angles égaux, I.UU et
BOE et BE = AD comme arcs interceptes par aes-
parallèles. Donc CD = AD ; c'est-i-dire que CD.qui
est la mesure de l'angle ABC, est la moitié de
l'arc AC intercepté entre les côtes de 1 angle ins-
"si le centre tombe dans l'intérieur de l'angle
nroposé, on mène par son sommet un diamètre qui
le divise en deux angles partiels rentrant dans le
cas précédent. Chacun de ces angles partiels a
! pour mesure la moitié de l'arc qu il intercepte;
i l'angle total a donc pour mesure la somme de ces
mesures, c'cst-i-dire la moitié de l'arc compris en-
tre les côtés de l'angle inscrit.
Si le centre tombe en dehors de 1 angle, en me-
nant un diamètre par son sommet, on forme deux
andes inscrits rentrant dans le premier cas, .et
dont la différence est l'angle propose ; on arrive
encore de la sorte à la même conclusion.
i\).-L'a7,gleA^C(6e.r,) formé par une tangente-
AU et par une corde BC ahoutis.wntaupointde
tangence, a pour nieswe la moitié ''-^ ' «'''^ ^mC
«,„ i tendu iiar cette corde. Menons, en effet, par le
loint C t dCite CD'parallèle .1 AB ; l'angle inscrit
BCD sera égal à ABC comme correspondant, et
aura pour mesure la moitié de BU. Ur, liu es.
égal à B»(C comme arcs interceptes par des pa-
rallèles. Donc ABC a pour mesure la moitiû ac
^'ïuMAnQUE. L'angle A'BC étant le s"PP>ém««
de ABC, la somme de leurs mesures doit lairo
LIGNES
1163 — LIGN. PROPORTIONNELLES
lieux quadrants. L'angle ABC ayant pour mesure
la moitié de BmC, l'angle A'BG doit avoir pour
mesure la moitié du reste do la circonférence, ou
la moitié de BDC. Ainsi le théorème s'applique à
un angle obtus comme à un angle aigu.
30. — On appelle segment d'un cercle la partie de
ce cercle comprise entre un arc et sa corde. Ainsi
J'espace ABB'B"CA (flg. 18) est un segment. Il en
l-ig. is.
est de même de AMCA. Tout angle qui a son som-
met sur un arc de cercle, et dont les côtés abou-
tissent aux extrémités de sa corde, est dit inscrit
daiis le segment compris entre cet arc et cette
corde. Ainsi l'angle ABC est inscrit dans le seg-
ment ABB'B'CA, et l'angle AMC est inscrit dans le
segment AMCA.
Tous les angles inscrits dans un même segment
sont égaux, puisqu'ils ont pour mesure la moitié
de l'arc sous-tendu par une môme corde; et le
segment est dit capable de l'angle dont il s'agit.
Ainsi, par exemple, les angles ABC, AB'C, AB' C,
etc., sont tous égaux, et le segment est ditcapable
de la valeur commune de ces angles.
Deux angles, tels que ABC et AMC, inscrits dans
les deux segments opposés correspondants à une
même corde AC, sont supplémentaires, puisque la
somme de leurs mesures est la moitié d'une cir-
conférence entière, ou deux quadrants.
Tout angle inscrit dans une demi-circonférence
est un angle droit, puisqu'il a pour mesure la
moitié d'une demi-circonférence, c'est-à-dire un
quadrant.
31. — Cette propriété fournit un moyen de mener
une tangente à une circonférence 0 (fig. 19) par
un point A extérieur à cette circonférence. Pour
cela joignons AO ; et sur cette droite comme dia-
LIGNES PROPORTIONNELLES. —Géométrie,
IX. X. — Définilio'is. Le rapport de deux lignes
est le quotient qu'on obtient en divisant entre eux
les nombres qui expriment les grandeurs de ces
deux lignes mesurées avec la même unité. Par
exemple, la largeur d'une table étant de 81 centi-
mètres et sa longueur de l'°,25, c'est-h-dire 125
centimètres, le rapport entre la largeur et la lon-
gueur est —7) ce qui signifie que la largeur est
égale à 84 fois la V2à° partie de la longueur. Entre
1?5
la longueur et la largeur, le rapport serait —-1 ce
qui signifie que la longueur est égale à 125 fois la
1*5
84^ partie de la largeur. Le rapport^- estïinverse
du rapport — 7-
On appelle proportion une égalité entre deux
rapports. Si, par cxemple.le rapport entre deux droi-
tes a et é est égal au rapport de deux autres droites
c et d, on peut écrire
Cette égalité est une proportion, et on dit que les
deux droites a et A sont proportionnelles aux deux
autres droites c et d. (\. Proportion.)
La théorie des ligues droites proportionnelles
est une des plus importantes de la géométrie
plane ; nous allons en présenter l'exposé avec la
simplicité qu'elle doit avoir dans l'enseignement
primaire, et en faisant suivre chaque principe des
applications dont il est susceptible.
TnÉoiiÈME I. — Lorsque lei deui côtés d'un an-
gle sont coupés par «es droites jiaralléles entre
elles, si les parties inlerceptées sur un côté sont
égales, l"s parties interceptées sw l'autre sont aussi
égales entre elles.
Supposons les droites AA',BB' et CC parallèles
(fig. 1 ;, et OA' = A'B' = B'C ; les parties OA,AB et
BC seront aussi égales entre elles.
fig. 19.
mètre, décrivons une circonférence qui coupera la
première en deux points B et B'. Tirons AB ; ce
sera une tangente à la circonférence O. Car, si l'on
joint BO, l'angle ABO, inscrit dans une demi-cir-
conférence, sera droit, et AB étant perpendiculaire
à l'extrémité du rayon OB sera tangente à la cir-
conférence 0.
On aurait une seconde tangente en joignant AB'.
[H. Sonnet.]
Fig. 1,
Pour le démontrer considérons-en deux seule-
ment, AB et BC par exemple, et menons les droi-
tes AH et BK parallèles au côté OY. Ces droites
sont égales l'une h A'B' et l'autre à B'C, comme
étant les côtés opposés des parallélogrammes
HAA'B' et KBIi'C ; elles sont donc égales entre
elles. Maintenant, imaginons qu'on porte, le triangle
BCK sur le triangle ABU, en appliquant le côtéBK
sur le côté Ail qui lui est égal; le côté BC se pla-
cera sur la direction du côté AB, puisque les an-
gles CliK et BAH sont égaux à cause du parallé-
lisme des cotés BK et AH, et l'extrémité C se
trouvera .sur cette direction. De môme, les angles
CKB et BUA étant égaux comme ayant leurs cotés
respectivement parallèles, le côté KC prendra
la direction de HB et l'extrémité C se trouvera
sur cette direction. Ainsi le point C, devant être à
la fois sur IIB et sur AB,se trouvera à leur intersec-
tion B. On voit par là que les deux triangles coïn-
cident, ce qui montre que les côtés AB otBC sont
égaux.
LIGN. PROPORTIONNELLES — 1166 — LIGN. PROPORTIONNELLES
Application. — Division d'une droite en parties
égales.
La division d'une droite en 2, 4, 8, 16 par-
ties égales revient à mener une perpendiculaire
par le milieu d'une droite ; c'est le théorème pré-
cédent qui fournit le moyen de diviser une droite
en un nombre quelconque de parties égales.
Soit il diviser une droite AB en trois parties
égales {fig. 2). D'une extrémité B on mène une
B
R
Fig. î.
droite indéfinie BX, faisant avec AB un angle quel-
conque. Sur cette droite, on porte :\ partir de B, à
l'aide du compas, trois longueurs BB, BS, ST éga-
les, mais d'une longueur arbitraire ; on joint le
dernier point T à l'autre extrémité A et, par les
autres points S et R, on mène des droites parallè-
les à AT : ces parallèles coupent la droite AB en
parties égales.
Nota. Cette division se fait très promptement,
si on trace les parallèles à l'aide de la règle et de
réquerre.
Théorème II. — Quand un triangle est coupé
par une droite parallèle à l'un de ses côtés, tes
deux antres côtés sont diviséi par cette droite en
parties proportionnelles.
En effet divisons le côté AB (fig. 3) en parties
2
égales, cinq par exemple, la partie AD est les -de
l'autre partie DE. Si du point D on tire DF paral-
lèle ,\BC, AF sera aussi les- de FC.
En effet si, parles points de division du côté AB,
on mène des droites parallèles à BC. elles parta-
gent le côté AC en cinq parties égales, et comme il
y en a deux dans AF et 3 dans FC, on voit que AF est
les I de FC.
Donc les deux parties du côté AC sont propor-
tionnelles aux deux parties du côté AB ; c'est ce
qu'on exprime par la proportion suivante :
AD
db'
AF
' FC
(1)
Corollaires. — r Les parties AD et AF sont les
2
y des côtés correspondants AE et AC ; les parties
BD et CF sont les - de ces côtés ; donc les côtés
5
AB et AC sont coupés en parties proportionnelles
entre elles et proportionnelles à ces côtés.
On a ainsi :
AD
AB'
AF
'ac
BD
Ail'
CF
'ac
(2)
2° Si le côté AB était par exemple les - du côté
AC, chacune des cinq parties égales de AB serait
1
les- de chacune des cinq parties égales de AC;
7 7
par conséquent, AD serait les - de AF et BC les -
de CF; donc les deux parties situées d'un même
côté de la sécante parallèle sont proportionnelles
aux deux autres parties, ce qui donne la propor-
tion :
DB AB
FC AC
(3)
3° Réciproquement, si une droite qui coupe un
triangle divise deux côtés en parties proportion-
nelles, elle se trouve parallèle au troisième côté.
En effet, les points D et F, par exemple, divi-
sent chacun des côtés AB et AC en deux parties
2
dont l'une est les -^ de l'autre. Or, la droite menée
du point D parallèlement à BG doit couper aussi
2
le côté AC en deux parties dont l'une soit les - de
de l'autre; elle doit donc aboutir au point F; car
c'est le seul qui divise le côté AC en deux parties
dont l'une est les - de l'autre, et par suite la droite
qui joint les points D et F n'est autre que cette
parallèle.
Applications. — 1 ° Dans un triangle (fig. 3) on a AB
«)
= 20 millimètres, AC = 26 millimètres et AD = f
o
de AB ; calculer les longueurs des quatre parties
déterminées sur les côtés AB et AC par la droite
DF, menée du point D parallèlement à BC.
On a d'abord :
t
20
2° Problème. — Trouver la hauteur d qu'il faut
donner à un rectangle ayant une base cpour que
sa surface soit équivalente à celle d'un autre rec-
tangle dont la base est b et la hauteur a (fig. 4).
AD
= 20
puis
ou
trouve ;
BD =
211°°
Oi
a
ensuite :
AF
AC~
AD
AB
Si les dimensions des rectangles étaient données
en nombre, on calculerait la surface en multipliant
entre elles la base b et la hauteur a, et on divise-
rait le produit par c.
Ici il s'agit de trouver la hauteur demandée par
une construction géométrique.
Or on doit avoir :
cXf^ = ax4
En divisant les deux membres de cette égalité
par a et par rf, on trouve la proportion ;
LIGN. PROPORTIONNELLES
Ainsi la liauteur demandée rf est une i' propor-
tionnelle aux trois droites c, a, h.
Pour la trouver, on porte sur un côté OX d'un
angle quelconque (fig. 6), et h partir du sommet O,
1167 — LIGN. PROPORTIONNELLES
les points A' et B' des droites parallèles à C'C. Ellcis
divisent OV. en parties proportionnelles aux droi-
tes OA', A'ii', B'G', c'est-i-dire proportionnelles aux
droites n, h, c.
ThèouIjme IV. — Lorsqu'une droite joignant
deux côtés i/'un triangle est parallèle au troisième
lea trois côtés du triangle partiel ainsi formé son]
proportionnels aux trois côtés homologues da pre.
mier triangle.
En effet, supposons AD égal aux - de AB (fi _,
3 ^^^'
AF sera les - de AC, et il reste à faire voir que
3
DF est aussi les - de BC.
une longueur OC = c, et à la suite iine longueur
CA = a; sur le deuxième côte OY une longueur
OB = t. On tire la droite CB et par le point A
on mène la droite AD parallèle à CB. La droite
BD est la droite cherchée.
Observations. — 1" On pourrait aussi porter les
deux longueurs c et a l'une sur l'autre à partir du
sommet, par exemple, OC = c et OA = o; on
achèverait la construction comme précédemment,
mais alors la quatrième proportionnelle cherchée
serait OD.
2° Si, au lieu d'un rectangle donné, on avait un
carré dont le côté serait a, le problème reviendrait
à chercher une quatrième proportionnelle aux
droites c, a et a; c'est ce qu'on énonce ordinaire-
ment en disant : chercher une troisième propor-
tionnelle à deux droites G et A.
Théorème III. — Quand les côtés d'un angle
sont coupés par plusieurs droites parallèles entre
elles, les parties interceptées sur l'un des côtés
sont proportionnelles aux parties interceptées sur
l'autre.
En effet, tirons les parallèles A'A,B'B,CC'(fig. C),
et supposons que OA' soit, par exemple, les - de
OA. D'après le théorème II (coroll. 2), A'B' sera
4 4
les - de AB et OB' les - de OB. Par suite dans le
ù i
4
triangle OCC, B'C sera les - do BC, etc.
Application. — Ce théori'me fournit le moyen
âe diviser une droite en parties proportionnelles
S. des droites données. Soit, par exemple, à divi-
ser une longueur oc en trois parties proportion-
nelles à trois droites o, b. c On mène de l'extré-
mité O de la droite donnée une droite quelconque
OY, sur laquelle on porte ."i partir du sommet O
les longueurs consécutives 0 A' = a, A'B' = b, B'C
= c; on joint G à C par une droite et on mène par
Pour cela, on mène du point F la droite FK pa-
rallèle h AB, et à cause du parallélogramme BDFK
la droite DFest égale à BK. Or FK, étant parallèle
à AB, coupe les deux côtés CA et CB en parties
proportionnnelles à ces côtés, et comme AF est les
3
- de AC, la partie correspondante BK, et par con-
séquent la droite DF qui lui est égale, est aussi
les - de BC. Le théorème est ainsi démontré.
_ Corollaire. — Lorsqu'une droite joignant deux
côtés d'un triangle est parallèle au troisième côté,
ce coté et la parallèle sont coupés en parties pro-
portionnelles par des droites quelconques menées
du sommet à ce côté.
En effet, soit DF parallèle à BC (fig. 8), et AD
égal aux- de AB. D'après ce qui vient d'être dé-
5
3 3
montré, DL sera les - de BH et AL les - de AH ;
o i>
par suite, LI sera les- de HK, etc.
Application. — Ce théorème fournit un second
moyen fort commode pour diviser une droite en
parties égales (flg. 9).
Soit à diviser la droite Z en 5 parties égales. Sur
une droite indéfinie on porto cinq longueurs con-
sécutives égales entre elles mais quelconques, ce
qui donne la droite BC. Sur cette droite on cons-
truit un triangle équilatéral AB{;; sur les côtés
AB et ai; on prend les distances AM et AN égales
.'i / et on tire la droite MN qui se trouve égale à /.
On mènt^ ensuite du sommet A des droites aux
poitits d(^ division de la base BC; ces droites di-
visent MN en cinq parties égales.
LIGN. PROPORTIONNELLES — 1168 — LIGN. PROPORTIONNELLES
■t la hauteur sont des droites 4 et a; on devra
ivoir :
Or cette égalité donne la proportion :
/, X
Pour cette raison, on dit que la droite x est
moyenne proportionnelle entre les deux droites b
et a.
Ainsi une droite moyenne proporti'ûinetie entre
deux autres droites est une droite dont le carré
est équiv(dent au produit des deux autres.
La construction de la moyenne proportionnelle
dépend des théorèmes suivants.
Théorème VI. — Deux cordes qui se coupent dans
un cercle se trouvent divisées en parties inverse-
iiietit proportionnelles.
En d'autres termes (fig. 11), le rapport entre une
Fig. 9.
Théorème V. — La bissectrice d'un angle d'un
triangle coupe le côté opposé en deux parties pro-
portinnnelles aux deux autres côtés.
Soit AD bissectrice de l'angle BAC (fig. 10).
Fig. 10.
Pour démontrer que le rapport entre BD et DC
■est égal au rapport qu'il y a entre AB et AC, me-
nons du sommet C une droite parallèle h la bissec-
trice, jusqu'à la rencontre du prolongement du
cùté BA en F.
A cause de la droite AD parallèle à GF dans le
triangle BCF, on a :
DB
DC'
BA
' AF
Il suffit donc de faire voir que AF est égal à AC.
Or l'angle F est égal à l'angle A,, à cause du paral-
lélisme des droites AD et FG; pour la même rai-
son, l'angle Cj est égal à l'angle Aj ; donc les
angles Gj et F, égaux à deux angles égaux Aj et
A,, sont égaux entre eux, et par suite dans le
trïangle CAF le coté AF est égal au côté AC. On
. . BD BA
trouve amsi ^ = -^-
Application. — Les trois côtés d'un triangle ABC
sont :
ABizzaî-n, AC = 28°' et BC = 41">
Trouver les deux parties BD et DC déterminées
sur le côté BC par la bissectrice de l'angle BAG.
Le théorème précédent donne la proportion :
BD
DC'
AB
'ag
ou ÏTÔ =
En augmentant chaque dénominateur de son
numérateur, on obtient cette autre proportion :
BD
32
DC-+-BD 2S-i-3ï
De là on tire :
BD = ii^ = 21-n,6(iC
MoïBNNE PROPORTIONNELLE. — Soit à trouver le
cùté X que doit avoir un carré pour que sa surface
soit équivalente à celle d'un rectangle dont la base
Fig. a.
partie AB de la première corde BC et une partie
AD delà seconde DF est égal au rapport qu'il y a
entre la deuxième partie AF de la seconde et la
doifxième partie AC de la première.
Pour le démontrer, tirons les cordes BD et FC;
les angles inscrits ABD et AFG sont égaux comme
ayant tous deux la même mesure, la moitié de
l'arc CD ; il en est de môme des deux angles ins-
crits ADB et ACF. Rabattons maintenant le trian-
gle ABD sur le triangle AFG, en leur conservant
le sommet commun A et en appliquant le côté AB
sur AF en AB'. Les angles BAD et FAG étant égaux,
le cùté AD se placera sur AC en AD', et le triangle
ABD aura ainsi la position AB'D'. Or, l'angle
.\B'D', qui n'est autre que l'angle ABD, étant égal
à l'angle AFG, le côté BD' se trouve parallèle à
FC. Par conséquent les côtés AF et AC sont divi-
sés par B'D' en parties proportionnelles à ces côtés,
ce qui donne la proportion :
AB'
AF ''
AD'
■Se"'
ou, ce qui est la même chose ;
AB
AF
AD
'ag
C'est précisément le théorème qu'il s'agissait de
démontrer.
Corollaire. — De cette proportion on lire l'égalité ;
ABxAC = ADxAF
Le théorème précédent se présente ainsi sous la
forme suivante, dont l'application est plus facile :
quand deux cordes se coupent dans mi cerclc,lepro-
duil des deux parties de l'une est égal au pro-
duit des deux parties de l'autre.
Théoi\ème VII. — La perpendiculaire abaissée
d'un point de la circonférence sur un diamètre est
moyenne proportionnelle entre les deux parties
qu'elle forme sur ce diamètre.
LIGN. PROPORTIONNELLES — H69 — LIGN- PROPORTIONNELLES
Ce n'est qu'un cas particulier du théorème pre- On tire les cordes DC et DB. Les angles ADC
et B sont égaux, comme ayant pour mesure la
moitié de l'arc DC. En prenant AC = AC et
AD' = AD et en joignant C et D', on forme le
triangle AC'D', qui n'est autre que le triangle
ADC retourné ; l'angle AD'C étant égal à l'an-
gle B, la droite D'C se trouve parallèle à DB. On
a donc la proportion :
cèdent. En effet, soit la corde DF perpendiculaire
sur le diamètre BG (fig. 12) ; on a :
ADXAF = ABxAC
et comme AF est égal à AD, l'égalité précédente
devient :
AD' = ABxAC
ce qui est le théorème énoncé.
Application. — Construire une droite qui soit
moyenne proportionnelle entre les deux côtés AB
<it AC du rectangle ABDC (fig. 13).
/
■■•■•-..
A C H
i> c
Fig. 13.
On prolonge BA d'une longueur AC = AC ; sur
la droite BC' prise pour diamètre, on décrit une
demi-circonférence et on élève en A, sur le dia-
mètre, la perpendiculaire AF : cette droite AF est
la moyenne proportionnelle cherchée.
En construisant sur AF le carré AFGH, on a le
carré équivalent au rectangle ABDC.
(Voir d'autres applications de la moyenne pro-
portionnelle dans l'addition à l'article Aires,
pages 56 et 57).
Théorème VII. — Si d'un poiyit extérieur à un
cercle on lui mène une sécante et une tangente
terminées à la rencontre de la circonférence, ta
lanijente est moyenne proportionnelle entre la
sécante entière et sa partie extérieure.
Par exemple, la tangente AD (fig. 14) est
moyenne proportionnelle entre la sécante AB et
sa partie extérieure AC. La démonstration est la
même que celle du théorème VI.
2' Partie.
AC AD'
AD AB
AC
°" ÂD =
AD
~ AB
d'où l'on tire :
AD» = AC X AB.
Théorème VIII. — Si, d'un point extérieur à un
cercle, on lui mène deu.r sécantes terminées à
lit rencontre de la circonférence, les produits de
chaque sécante par sa partie extérieure sont
égaux.
En effet, on a (fig. U):
ABxAC = AD»
AFxAG = AD«
De là ou déduit :
ABxAC = AFxAG.
Ce qui démontre le théorème.
Corollaire. — Cette égalité peut être mise sous
la forme de la proportion suivante :
AB
af'
AG
Elle exprime que les deux sécantes sont inver-
sement proportionnelles à leurs parties exté-
rieures.
Application. — Diviser une droite donnée m en
deux parties telles que la plus grande soit moyenne
proportionnelle entre la pius petite et la droite
entière.
On construit un triangle rectangle ABC (fig. 15),
en faisant l'un des côtés de l'angle droit BAégalàla
droite m, et l'autre côte AC égal à la moitié de m;
du sommet C pris pour centre, on décrit avec CA.
pour rayon une circonférence ; on rabat la par-
tie extérieure BD de l'hypoténuse sur BA en
en BD'; la droite BA est partagée au point D'
conformément au problème.
En effet, on a d'abord la proportion :
BA
bf'
BD
ba'
En diminuant chaque dénominateur de son
numérateur, on obtient cette autre proportion :
BF — BA BA — BD
BA
BD''
BD'
'ad'"
LIGUES
BD'5 = BAxD'A.
— H70 —
LIQUIDES
Observation. — Ce problème est précisément
celui qui est énoncé clans les ouvrages classiques
sous cette forme bizarre : paitug'ir une droite en
moi/enne et extrême raison.
li sert à inscrire le décagone régulier dans un
cercle ; car on démontre que le côté du décagone
est la plus grande des deux parties du rayon par-
tagé en moyenne et extrême raison.
[G. Bovier-Lapierre.]
LIGUES. — Histoire générale, XXXIX-XL ; His-
toire de Irance, XXXVHI-XL. — On désigne, sous
ce nom, soit une confédération permanente entre
plusieurs villes ou Etats, constituant un véritable
organisme politique régi par dos lois particulières ;
soit une association formée par des particuliers
en vue d'une lutte politique ou religieuse ; soit
encore une alliance temporaire entre des souve-
rains ou des Etats ; dans ce dernier cas, on em-
ploie aussi les mots à'ulliance (la Triple Alliance,
la Sainte-Alliance, la Quadruple Alliance) ou de
de coalitinn.
Parmi les ligues de la première catégorie, nous
citerons la Ligue achéennc et la Ligue étdieune
(V. Crice, p. 907-908) ; la Ligue lombardi; ,
(V. Comtnunes, p. 166, et Italie, p. 10"5) ; la Ligue
hanséntiqiie [\ . Allemagne, p. US, et Communes,
p. 47!) ; la Ligue suis<e, formée d'abord de trois,
puis de huit, et plus tard de treize cantons (V.
Sui>:sf) : et les trois Ligues grisonnes, qui s'appe-
laient la Ligue Caddée ou iie In Maison-Dieu, la
Ligue Gr.se, et la Ligue des Dix Juridictions ou
des Dix Droitures (V. Suisse.)
Au nombre des ligues de la seconde catégorie,
l'histoire mentionne en particulier la Ligue du
Bien pu' Le, formée contre Louis XI (V. Louis XI) ;
la Ligue de Smalkalde, formée en I5:j0 par les
protestants d'Allemagne (V. Chnrlei-Quint et fle-
forine) ; la Sainte- Lit, ue, qui joua un si grand rôle
dans les guerres de religion, sous les règnes
d'Henri llf et d'Henri IV (V. Henri lit, Henri H');
et dans notre siècle, les associations formées en
Angleterre pour obtenir l'abolition des droits
d'entrée sur les céréales et la réforme électorale,
sous les noms â'.inti-Comlau) League, et de
Helorm Len^w.
Enfin, parmi les simples alliances ou coalitions,
citons la Ligue de Camlirni et la Samte-Ligne,
formées toutes deux à l'instigation du papeJules II,
(V. Gu rres d'Italie et Louis XII), et la Ligue
d'Aiigsbourg au dix-septième siècle (\'. Louis Xh).
LILI.ICÉKS. — V. Lirioidées.
LIQUIDI':S. — Physique, VI. — La liquidité re-
présente un état particulier de la matière. Tou-
tes les substances minérales et un grand nom-
bre de matières d'origine organique sont sus-
ceptibles, sous certaines conditions, de devenir
liquides et de conserver cctt'^ forme entre des
limites déterminées de température, limites va-
riables d'ailleurs d'un corps h un autre. Ainsi, le
soufre est li(|uide entre 111° et ^00°; le mercure,
entre — 40" et 3:M°; le phosphore, entre -f 44°, 2 et
250°, etc., etc. Certains corps simples ont pour-
tant leur tempéraiure de volatilisation si voisine
de celle de la fusion qu'il est impossible de les
obtenir fondus sous la pressioii ordinaire ; ils se
réduisent en vapeur avant de devenir liquides.
L'arsenic et l'iode sont dans ce cas ; mais il suffit
de les placer en vase clos, dans un tube de verre
difficilement fusible, tube que l'on a soin de fer-
mer hermétiquement aux deux bouts, pour que,
par une élévation convenable de température, la
liquidité de ces corps se produise et se maintienne.
Quant aux substances organiques à composition
très complexe, telles que la cellulose, l'amidon,
le gluten, etc., l'élévation de température n'a
d'autre effet que de les faire se décomposer en
produits plus simples. Le bois que l'on chauffe
en vase clos ne fond jamais ; mais ses éléments
s'associent de façons diverses et engendrent par
un groupement nouveau certains produits vola-
tils : l'acide pyroligneux, l'esprit de buis, etc. Quant
aux substances qui sont gazeuses h la température
ordinaire, l'acide carbonique, l'oxygène, l'azote et
môme l'hydrogène, il est aujourd'hui parfaitement
établi par les dernières expériences de MM. Cail-
letet et Pictet qu'elles sont tontes sans exception
liquéfiables. Ce n'est plus qu'une question de
pression et de température.
Voilàdoncun premier point établi: sauf un petit
nombre d'exceptions, tous les corps sont capables
d'affecter la forme liquide. Le charbon, il est vrai,
n'a pu être encore fondu, mais il est susceptible
de se dissoudre dans la fonte de fer, et c'est bien
Ih en somme un genre de liquidité.
Maintenant, l'état liquide représente-t-il une
forme bien stable de la matière'? un liquide ne
tend-il pas plutôt k abandonner cet état, qui
ne serait que transitoire, pour se convertir en
vapeur ou en gaz h la faveur d'une évaporation
conlinue? Il y a lieu ici do faire une distinction.
Oui, toutes les fois que le corps liquide est, par
une surface libre, en contact avec le vide (si nous
pouvons nous servir de cette forme do langage),
ou avec un gaz non saturé do sa vapeur ; oui, dans
ces conditions, la forme liquide n'est que transi-
toire, le groupement moléculaire qui lui corres-
pond n'ofire aucune stabilité, le liquide se gazéifie
de lui-même et d'une manière continue jusqu'à,
ce que, dans l'espace vide dont il vient d'être ques-
tion, ou dans le milieu gazeux qui touche la sur-
face libre, la vapeur formée ait acquis une force
élastique égale à la force élastique maxima qui
convient h la te.mpérature de l'expérience. Au con-
traire, l'équilibre moléculaire est d'une stabilité
remarquable à partir du moment où la condition
précédente relative à la force élastique de la va-
peur est réalisée ; cette persistance, pour ainsi dire
indéfinie, de l'état liquide est en outre mani-
feste quand le corps n'a pas de surface libre.
Citons des exemples. Une goutte d'eau est in-
troduite i l'aide d'une pipette dans un mélange
d'huile de lin et d'essence de girofie qui, à la
température où l'on opère, a la même densité que
l'eau elle-même. Cette goutte reste alors libre-
ment suspendue au sein du mélange comme un
aérostat dans l'atmosphère. De plus, par son mode
de suspension, elle n'est en contact, par aucun
de ses points, ni avec un solide toujours recou-
vert d'une mince couche gazeuze, ni avec un espace
vide; elle n'a pas, en d'autres termes, de sur-
face libre dans le sens que nous avons attribué
à cette expression. Eh bien, on peut chauffer
cette eau par l'intermédiaire du liquide qui la bai-
gne jusqu'à 110, V20, l.SO" sans que la goutte
d eau se réduise en vapeur. Dans l'une des expé-
riences dues h M. Dufour, de Lausanne, on a môme
pu chauffer la goutte d'eau jusqu'à 178°, et, alors
que la force élastique de la vapeur d'eau corres-
pondante à cette température était de plus de S
atmosphères, la goutte est restée liquide sans
trace de vaporisation.
Autre expérience, et celle-ci est de Cagnard-
Latour et de Drion. L'éther sulfurique, sous la
pression ordinaire, bout à 3j° ; mais si on le place
dans un tube clos, de diamètre étroit et à parois
suflïsammont épaisses pour résister à la pression
intérieure de la vapeur qui va se former, on con-
state que cet éther peut conserver la forme liquide
à des températures bien supérieures à celles de
l'ébullition normale. Drion a reconnu que la liqui-
dité de l'éther se maintient jusqu'à 19n' environ ;
à partir do cette température, il se réduit totale-
ment en vapeur dans un espace qui n'est que le
LIQUIDES
— 1171 —
LIRIOIDÉES
double ou le triple de son volume primitif. Los
mêmes exp<îrieiices ont été faites avec l'ali-ool, avec
l'eau, et elles ont conduit aux niâmes conséquences.
Ce n'est pas tout : la môme stabilité du grou-
pement moléculaire dans les liquides se montre
encore quand on abaisse leur température jus-
qu'au dejçré habituel de leur solidification. Ainsi,
on évitant tout choc, tout ébranlement, et surtout
en empôcliant le contact d'un cristal de glace, on
a pu faire descendre l'eau pure i 10" au-dessous
de zéro, sans amener sa congélation. L'n résultat
analogue a été obtenu avec le soufre et le phos-
phore. En prenant les précautions convenables, ce-
lui-ci demeure liquide indéfiniment i la tempéra-
ture ordinaire.
Voici donc un autre point établi : L'état liquide
reprcseitte un équilibre moléculaire d'une grande
slabiUti}.
Les caractères de la liquidité sont, on l'a dit
ailleurs — V. Hydrostatique, Equilibre, Capil-
larité, Arcliimède {principe d') — 1° une mobilité
très grande des molécules, qui fait qu'un liquide
prend très exactement, et dans tous les cas, la
forme du vase qui le contient; 'i' l'absence de frot-
tement entre les molécules du liquide qui glissent
l'une sur l'autre ou entre ces mêmes molécules et
les parois des corps solides le long desquelles elles
se déplacent. Le principe de Pascal, les conditions
d'équilibre des liquides pesants sont les consé-
quences mêmes de cette extrême mobilité. Nous
n'insisterons pas sur ce point, puisque ces ques-
tions ont été traitées ailleurs. Nous ferons tou-
tefois remarquer que cette mobilité des particules
liquides n'est pas aussi parfaite qu'on serait porté
à le supposer tout d'abord. Il existe toujours pour
ce genre de corps une certaine viscosité qui, dans
bien des cas, n'est pas négligeable, et qui. d'ail-
leurs, change très notablement de valeur quand
on passe d'un liquide à un autre. Ainsi l'éther et
l'alcool pur ont moins de viscosité que l'eau;
celle-ci en a moins que l'acide sulfurique, etc.
Un autre caractère des liquides sur lequel nous
insisterons un peu plus, c'est que leur corapressi-
bilitc est très faible; elle est intermédiaire entre
ci'lle des solides et celle des gaz, plus grande que
celle des solides, beaucoup plus faible que celle des
gaz. Pendant longtemps, on a même cru qu'elle
n'existait pas, et on donnait des liquides cette dé-
finition : ce sont des fluides incomjji-euibtes.
C'est une erreur. Les expériences des académi-
ciens de Florence, de Canton, de Perkins, d'OErsted,
de Regaault no peuvent plus laisser de doute sur
ce point : tous les corps de la nature, quel que soit
leur état, diminuent de volume quand on exerce
sur eux une pression mécanique. Nous décrirons
ici sommairement les expériences d'CErsti-d, qui
sont devenues classiques, paroe qu'elles présentent
une très grande netteié dans leurs résultats.
OErsted plaçait le liquide qui devait être soumis
i l'expérience dans une sorte de thermomètre en
verre \ large réservoir. Le tube de diamètre étroit
qui surmontait ce réservoir était divisé en parties
offrant des capacités égales, et le liquide en ques-
tion se trouvait séparé du milieu ambiant par
une bulle de mercure remplissajit la fonction d'un
index. La position do la bulle indiquait le volume
occupe par le liquide avant qu'aucune pression
étrangère ne s'exerçât sur lui. On introduisait cet
appareil, nommé pi<!3y?Hé/)'(?,dans un grand cylindre
en verre à parois épaisses, rempli complètement
a eau et surmonté d'une pompe qui permettait
d exercer sur l'eau une pression allant jusqu'à G
ou 8 atmosphères. La pression était d'ailleurs me-
surée exactement à laide d'un petit manomètre
* air comprimé qui se trouvait adapté au piézo-
mètro. Le manomètre dont il s'agit consistait tout
simplement eu un tube de verre venical, plein
û air, ferme par le haut et ouvert par le bas. Dans
ces conditions, l'eau, en montant dans le tube,
fournissait, par la réduction de volume do l'air,
la mesure de la pression.
On faisait fonctionner la pompe. L'eau dans
laquelle le piézomètro était plongé recevait et
transmettait intégralement la pression reçue par
le liquide que ce piézomètre contenait. Ledit li-
quide se comprimait à son tour et sa diminution
était rendue sensible et mesurable par la marche
de l'index de mercure. On avait donc, d'une
part, la diminution de volume du liquide mis
en expérience, et, d'autre part, par l'indication du
manomètre, la pression exercée. 11 ne restait plus
qu'à déduire de \h, par un calcul fort simple, la
réduction deiolume quesuhissait l'unité de volume
du liquide em/iloyé pour u»epressioa d'une atino-
sphèie, ce qu'on a appelé le eo:-fficient de com-
pressibililé du liquide. Une correction était indis-
pensable. Il est évident que ce que l'on observait
directement dans le piézomètre, c'était, non pas la
diminution absolue de volume du liquide, mais bien
sa compressibilité apparente. Car le réservoir de
verre se comprimait tout aussi bien que le liquide
emprisonné, puisqu'il était soumis i une pression
identique. Il fallait donc, pour ai river au résultat
vrai, ajouter, à la compression apparente observée,
la diminution réelle de volume du réservoir vi-
treux. Celle-ci était connue à l'avance ; la correc-
tion reconnue nécessaire devenait donc facile à
introduire dans le calcul.
On a ainsi obtenu pour la valeur du coefficient de
compressibilité des liquides ci-après les nombres
suivants :
Eau h 11»
Eau àO»
;i8 id
Alroolà;"
Etlier à d"
. . m id .
. . . 111 id.
Mercure à 0"
4 id.
On remarquera que la compressibilité do l'eau
décroît à mesure que la température s'élève.
On remarquera, en outre, ce qui dans la prati-
que a bien son importance, quo le coefficient de
compressibiliié du mercure est extrêmement
faible.
Quant à la propriété qu'ont les liquides d'être
élastique^s, nous n'avons pas à y insister. La fa-
culté qu'ils possèdent de propager le son en est la
preuve évidente. (V. Acoustique.) [A. lîoutan.]
LIltlOlUÉES. — botanique, .\XV. — Etym. :
Le mot Lirioiitées a été créé par Brongniart pour
désigner les Liliacées et les plantes qui s'en rap-
prochent le plus.
Brongniart a réuni dans la classe des Lirioidées
plusieurs familles naturelles de végétaux mono-
cotylédonés dont les représentants actuels ont
entre eux la plus grande affinité. Tous, par exem-
ple, présentent des Rfurs, h symétrie ternaire, un
périanthe double corollin, composé de six pièces.
Nous prendrons, comme type do la classe des
Lirioidées, la famille des Liliacées ; ei, par com-
paraison, nous ferons connaître les caractères des
familles le» plus importantes de cette classe.
Le nom de Liliacées vient du latin lilium, qui
signifie lis.
Caractères botaniques des Liliacées. — La
graine des Liliacées présente, de dehors en dedans :
1* un tégument séminal généralement dur, crus-
tacé, fortement coloré en brun ou en noir, et
composé presque exclusivement de parenchyme
corné; 2" un albumen corné, constitué surtout par
de la cellulose, et une petite quantité seulement
de m.itières aleuriques ; .1° un embryon très pe-
tit, dont le cotylédon unique, à l'époque de la
germination, demeure longtemps enfermé dans
l'enveloppe séminale pour absorber tout l'al-
bumen.
LIRIOIDEES
— 1172 —
LIRIOIDEES
Les racines desLiliacées sont dites fasciculées ;
elles sont grêles, cylindriques, peu ramifiées ;
elles naissent de la partie la plus inférieure de
la tige ; elles sont d'autant plus jeunes qu'elles
naissent plus haut sur cet organe.
La tige des Liliacces peut présenter de très
grandes variations ; elle est butheuse dans les
lis, les tulipes, \es jncmtiies, les oignons; sa par-
tie souterraine forme un rhizome dans les asper-
ges, le icenu de Solomon, le muguet; sa partie
aérienne est volubile et grimpante dans les ja/sc-
pareilles; elle est transformée en expansions fo-
liacées désignées sous le nom de cladiides dans
le petit houx {fragon) ; dans un petit nombre
d'exemples seulement cette tige devient arbores-
cente-ligneuse (di-agonniir, yucca).
Les feuilles sont généralement sessiles, entiè-
res, planes, assez épaisses et à nervures toutes
parallèles; sur les parties souterraines de la tige,
les feuilles normales, que nous venons de décrire,
sont remplacées par des écailles charnues inco-
lores, plus ou moins développées, Ces feuilles,
comme la tige qui les porte, sont souvent le siège
des principe^l actifs que contiennent ces végétaux ;
tous fournissent un latex incolore.
L'inflorescence est tantôt une grappe comme
dans les jacinthes, tantôt une cyme comme dans
les lis. Dans un peiit nombre de genres, les fleurs
sont solitaires et terminales (ex. : tulipe).
Chaque fleur présente cinq vcrticilles formés
chacun de trois pièces; les pièces des deux pre-
miers verticilles, pélaloides, plus ou moins adhé-
rentes entre elles, fiiTmenl \ii përian'he (entière-
ment libres : lis, — adhérentes : jacinthe). Les
deux verticilles suivants constituent l'iutdrocée,
dont les six étamines libres (lis),ouàfiletssoudésà
leur base avec le périantho (jacinthe), ont des an-
thères oscillantes introrses. Au centre de la fleur
on trouve le gi/nécée ou cinquième verticille; ce
dernier présente un ovaire supère à trois loges,
formé de trois carpelles adhérents entre eux, et
surmonté d'un style terminé par trois stigmates.
Dans l'épaisseur des cloisons des carpelles, on
trouve des glandes ou nectaires sécrétant une li-
queur sucrée qui a pour mission d'attirer les in-
sectes et de favoriser la fécondation croisée. On
désigne parfois les nectaires des Liliacées sous le
nom de glandes s-'ptales, à cause de leur position
Isepfa signifie cloisons). Après la fécondation, le
gynécée se transforme en une capsule triloculaire
polyspermeà déhiscence loculicitle. Un petit nom-
bre de Liliacées remplacent la capsule sèche dont
il vient d'être question, par des baies vivement
colorées dont la région charnue est fort appréciée
de certains oiseaux frugivores.
En s'appuyant sur des considérations tirées de
la déhiscence des fruits, de l'adhérence de la co-
rolle avec les étamines, et de la consistance de la
tige, M. Van Tieghem classe les Liliacées comme
il suit :
LILIACÉES
udés.
Aiparaginées.
Agraphis
Hyacinthe
.Muscarl
Sella
Hémérocalle Asperge j 2 ovule
Pulyanthe .Muguet ■ dans
Phormlum Fragon ' th. log»
Alo
Dracsena )
Usages des Liliacées. — 1° Plantes d'ornement.
Les Liliacées sont cultivées dans les jardins à cause
de la beauté et de l'éclat du périanthe de leurs
fleurs. Parmi les plus répandues, nous citerons:
les lis (lis blanc, lis Martagon, lis tigré, lis du Ja-
pon) ; les fritdlaires on couronnes impériales; les
jacinthes, les oruithogales, les tubéreuses, les tu-
lipes. C'est en Hollande que la culture des tulipes
est portée à son plus haut degré de perfectionne-
ment.
2° Plantes comestibles. ■ — La partie comestible
des Liliacées est fournie par leur tige ; on mange
les bulbes crus ou cuits des "ignons, des poi-
reaux, de Vail; à titre d'assaisonnement on con-
somme aussi les bulbes d'échalote, de civette, de
ciboule; toutes ces espèces appartiennent au genre
ail (allium). On recherche beaucoup les jeunes
pousses étiolées et charjiues que donnent au prin-
temps les rhizomes des asperges. Les asperges
les plus estimées sont celles de Montmorency,
près de Paris.
3° Plantes industrielles. — La plus importante
des Liliacées employées dans l'industrie est le
l'hormium tenax ou tiyi de la Nouvelle-Zélande.
On retire chaque année, des feuilles de cette
plante, des fibres très longues, fort tenaces, dont
les qualités rappellent celles du jute et du
cliijta-yrass.
On extrait des fleurs de tubéreuses, de jacinthes
et de /i\-, des parfums très recherchés. Ces par-
fums nous viennent surtout de l'.^lgérie ; pour les
obtenir, on met dans un vase fermé des couches
alternatives de pétales de lis, de tubéreuses, etc.,
et de coton imbibé d'huile de bon ; on laisse ma-
cérer pendant quelques jours ; on remplace les
fleurs par des fleurs fraîches, puis on soumet le
coton à l'action de la presse hydraulique : l'huile
de ben, chargée du principe odorant, s'écoule; il
suffit alors, pour isoler ce dernier, d'employer
convenablement un alcool rectifié.
4* Plantes niédicindes. — Parmi les Liliacées
employées en pharmacie, nous citerons : la Scilla
maritima, dont les bulbes très vénéneux ne doi-
vent être employés qu'avec les plus grandes pré-
cautions ; cette plante croit spontanément dans
les dunes des bords de la Méditerranée et de
l'Océan; et Valoés, dont on retire une résine douée
de propriétés purgatives et astringentes, que l'on
désigne sous le nom de la plante elle-même.
L'aloès est une liiiacée arborescente d'un port
très élégant; ses feuilles, fort grandes, terminées
en pointe, sont dentées et épineuses sur leurs
bords; elles sont dures et cassantes; elles for-
ment une large rosace, du centre de laquelle s'é-
lève, au moment de la floraison, une hampe char-
gée de fleurs. Pour obtenir la résine dite aloès,
trois procédés sont usités : le premier, qui donne
l'aloès le plus pur, consiste à couper les feuil-
les assez près de la tige et à les placer verti-
calement dans un récipient, de façon à permettre
au liquide qu'elles contiennent de s'écouler ;
dans le second procédé on hache les feuilles, on
en exprime le jus, qu'on décante ensuite et qu'on
fait évaporer au soleil. Enfin, h la Jamaïque, on
plonge les feuilles dans l'eau bouillante, on ne les
y laisse séjourner que quelques instants ; mais
les feuilles retirées sont sans cesse remplacées
par des feuilles fraîches, jusqu k ce que le li;
quide paraisse assez chargé en résine ; celle-ci
est retirée du liquide par évaporation Les aloès
croissent dans l'Amérique tropicale, dans l'Inde,
et dans la région de l'Afrique qui regarde l'ile de
Socotora.
Pour résumer brièvement les caractères bota-
niques des familles naturelles qui forment, avec
les Liliacées, la classe des Lirioidées, nous nous
contenterons de les exposer sous forme de tableau
synoptique :
LIRIOIDIÎES
Étamiiies extroises, trois carpelles
1 presque libres, trois styles, tléhis-
I ccncc scpticide, tégument séminal
— 1173
LITTÉRATURE ET STYLE
mince
Mél&n thacécs.
lUamines introrscs . truis carpelles
adhérents, style simple, iléhiscence
luculiciile, tégument séminal crus-
tacé
Liliacces.
Plantes bul-
'Frùildéhis-
beuses, feuilles
cenl....
Amaryllidèes.
rcclinerviées,
flours
Fniil indé-
tiiicent..
Hypoxydées.
Plonlcj vo-
éla- {
hiliiles,
mines 1
feuilles
i Plantes à tu-
é,,»r=es,.
1 hercules,
1 feuilles à ner-
loculaire. .
Dioscoréacées.
1 vures réticulées
Feuilles
l lleuis dioïques
toutes radi-
cales,
loculaire ..
Taccncées.
Trois i Ktamincs extror
ses
Iridacêcs.
éla- .
mines ( Etainines inlrora
es
Durmaimiams
Usages des Lirioïdèes autres que les Liliacèes.
— 1° Mélunthacées. — Les plantes de cette famille
sont presque toutes vénéneuses ; elles ont été au-
trefois employées en pharmacie; elles sont beau-
coup délaissées aujourd'hui parce que leur emploi
n'était pas sans danger; nous citerons le coklii-
que iCautvmne et l'eiléOore blaiic ( Veratrum al-
bum).
2° AmnryllidéfS. — Un certain nombre d'ama-
ryllidées sont cultivées comme plante d'ornement;
tels sont : le luircisse des poètes, le narcisse-
jo'iquiUe, le perce-neige, le crimtm, le pancra-
tium, etc. La plupart des bulbes de ces végétaux
sont des poisons acres et violents.
Les agaves sont des amaryllidèes arborescentes
qui abondent surtout au Mexique. Ces végétaux
fleurissent au bout de dix-huit à vingt-cinq ans ;
leurs feuilles, très développées, sont dures et pi-
quantes, les blessures qu'elles provoquent sont
douloureuses et deviennent facilement le siège
d'une suppuration intense; cet accident est dû aux
petits cristaux d'oxalate de chaux qui pénètrent
dans la plaie en même temps que les épines. Lors-
que les agaves fleurissent, leur bourgeon floral
donne une iiampe de 10 à l.î mètres de hauteur;
celle-ci porte à son extrémité de quatre à cinq
mille fleurs. Au Mexique, les agaves sont cultivées
en grand pour la production du pulqui; lorsque
l'agave va fleurir, on coupe le bourgeon floral, et
la plaie est creusée eu forme de coupe de façon à
recueillir la sève qui s'écoule ; cette sève sucrée
est enlevée par des ouvriers au moyen de pipettes
et placée dans des jarres où on la laisse fermenter ;
les Mexicains appellent «Çfunmiel la sève de l'a-
Kave, Un pied d'agave peut fournir jusqu'à S litres
d'aguamiel par jour et l'écoulement séveux dure
ordinairement cinq mois ; un pied d'agave donne
donc jusqu'à douze hectolitres d'aguamiel. La sève
d'agave fermentée prend le nom de /lulqué ; c'est
une liqueur rafratcîiissante fort agréable au goût.
Par la distillation, on en retire un alcool nommé
meiC'il.
3° Dioscoréacées. — Dans cette famille se trou-
vent des plantes à racines tuberculeuses comesti-
bles, que l'on désigne sous le nom A'igniirnes;
leurs tubercules se mangent cuits sous la cendre.
4° Iridao'es. — Plusieurs de ces végétaux sont
cultivés comme plantes d'ornement; tels sont :
les glaïeuls, les crocus, les irh.
Les stigmates de cro'us fournissent le safran,
usité comme condiment dans les pays chauds.
Les rhizomes de Viris de Florence fournissent
la poudre d'iris, recherchée comme parfum à
cause de son odeur de violette ; et ceux de l'/ns
fœtidissima donnent les yois d'iris ou pois à cau-
tère. [C.-li. Bertrand.]
LITTÉRATUIIE ET STYLi:. — Nous avon.s
réuni sous ce titre les deux mots communément
employés pour désigner le double examen litté-
raire que comporte en France et à l'étranger le
programme du brevet de capacité du degré supé-
rieur : d'une pari, un examen théorique sur la lit-
térature, les différents genres littéraires, l'analyse
et la critique littéraires ; d'autre part, un examen
pratique do composition, ou, comme le disent les
candidats, une composition de slyle.
La première partie du sujet, l'étude de la théo-
rie littéraire, eût été autrefois désignée sous le
nom de rliétorique. Sans vouloirsupprinier le mot,
auquel nous renvoyons pour la définition et pour
quelques développements, nous avons pensé qu'il
est trop étroit, trop spécial et trop technique pour
embrasser les notions très diverses que nous pa-
rait résumer mieux le titre plus populaire de
littérature.
Pour l'étude du style et de la composition lit-
téraire, elle ne peut guère se faire que par
l'exercice direct, par la lecture des meilleurs au-
teurs, par la pratique de la composition méthodi-
quement dirigée, et aussi par l'habitude de la
parole.
Voici le programme que nous avons suivi dans
ce Dictionnaire et d'après lequel nous avons classé
les articles se rapportant aux études littéraires :
PROGRAMME DU COURS DE LITTÉRATURE
ET DE STYLE,
\. — De la théorie littéraire et de la rhétorique.
But, utilité, historique. — V. Litléraliireet style,
Rhétorique.
II. _ Règles générales de l'art d'écrire ou de la
composition littéraire. Invention, disposition,
élocution. — V. Composition.
III. — La poésie. Règles particulières aux divers
genres : poésie épique, lyrique, dramatique, di-
dactique, satirique. — V. Poésie. Epnpée, Lyri-
que Igenre), Dra^natique ['lenrc) et Drame,
Comédie, Tragédie, Epitr,', Fable, Satire.
IV. — La prose. Règles particulières aux divers
genres : éloquence, histoire, romans, lettres.
— V. Prose, Orateurs, Discours, Histoire, Ruman,
Epistolaire (genre).
V. — Du style. Des figures. Conseils de style. —
V. aty/e. Figures de style.
VI. — Analyse littéraire. — V. Analys'- littéraire.
VII. — Critique littéraire. — V. Critique.
VIll-IX. — Exercices de composition gradués : cours
élémentaire, moyen, supérieur. — V. Compo-
sition.
X. — Exercices d'élocution. Le discours. —
V. Déclamution, Discours.
Quant à l'histoire de la littérature, nous lui
consacrons deux séries d'articles spéciaux, dont
on trouvera l'indication aux mots Littérature
française et Littératures étrangères.
De ce programme il n'est pas sans intérêt de
rapprocher ceux de quelques pays étrangers, soit
pour leurs écoles normales, soit pour les exa-
mens du brevet supérieur.
SUISSE.
École normale d'institutbices de Deléhont (Gin-
ton DE Beiine).
PnEMiÈRE ANNÉE (5 heures par semaine). —
1. Préceptes de rédaction : Invention ; — dévelop-
pement par les faits, par le raisonnement, par lo
pathétique. Disposition : — règles applicables à
toute espèce de sujet ; — règles particulières.
Du tissu du discours : des tours, des mouvements
LITTÉRATURE ET STYLE — 1174 — LITTÉRATURE ET STYLE
et des figures. Figures de mots et figures de 1
pensées. — Qualités et défauts du style.
2. Exercice de slyle sur des sujets faciles.
3. Analyses de descriptions, do narrations et de
dissertations faciles pour préparer à des exercices
de rédaction.
4. Mnémonisation et récitation de morceaux
choisis en vers et en prose .
5. Compte rendu analytique oral ou écrit,
textuel ou substantiel du sujet étudié.
Deuxième aiNnée (5 heures par semaine). —
1. Des iJifférents genrts en prose: éloquence,
genre didactique, histoire, style épistolaire, elc.
2. Des di/férents gem-es en poésie : éléments de
versification, grands poèmes, petits poèmes, poé-
sie? fugitives.
3. Compositions variées, prises dans le domaine
des connaissances des élèves, en s'attachant prin-
cipalement : — 1° à la justesse do la pensée ; —
2° à la vérité et au naturel du sentiment; —
3° au développement régulier des idées, en épui-
sant successivement celles du sujet donné ; — 4° à
l'arrangement systématique des diverses parties de
la composition; — 5° à l'expression propre; —
6° i la correction et à la clarté du style.
i. Répétition générale du cours.
5. Exercices de mnémonisation et d'analyse sur
des morceaux de littérature choisis dans la chres-
tomathie Vinet.
6. Exercices de déclamaiion.
7- Essais d'improvisation.
8. Conférences littéraires.
N. B. Fendant tes deux années, les compositiojis
des élèves sont curiigées et accompagnées d'ubser-
vations ciiliques.
(Plan d'études du 21 février 18G3.)
PnoGllAMME DE L'eXAHEN POl'R I.E BnEVET DE CAPA-
CITÉ, Neuchatel.
I. Épreuve obale. — 1" Connaissance des œu-
vres ou des faits lilléraires. — L'aspirant devra
prouver, par ses réponses, qu'il a lu, qu'il a étu-
dié assez de morceaux ou d'œuvres appartenant à
la littérature classique, pour pouvoir fournir un
exemple de chacune des espèces de compositions
énumérées ci-dessous (désigner ces exemples par
leur titre, leurs auteurs, et en faire une analyse
sommaire).
L'aspirant pourra être interroge sur l'apologue
(ou la fable >, la biographie, la chanson, la comédie,
le conte, la composition didactique en prose et le
poème didactique, le discours oratoire, le drame,
l'élégie, répigramme.l'épUre, l'épopée (épopée hé-
roïque, épopée héroi-comique', l'idylle, la lettre,
la nouvelle, l'ode, l'oraison funèbre, le psaume, le
roman, la satire, la tragédie, le vaudeville.
Il devra définir les espèces de compositions qui
précèdent, ou bien, leurs définitions étant données,
nommer ces compositions et en faire ressortir les
principaux caractères ;
Etablir une classification des œuvres littéraires
en genres principaux et genres secondaires ;
expliquer et justifier cette classification ; énumérer
les espèces de compositions en vers et en prose
que l'on attribue à chaque genre ;
Exposer sommairement les règles qui concer-
nent chacun des genres ;
Exposer sommairement les règles qui sont par-
ticulières à chaque espèce de composition ;
Définir la littérature en général ; donner d'autres
définitions ou descriptions de la littérature, re-
latives aux divers points de vue sous lesquels on
peut la considérer.
2° Théiirie littéraire ou préceptes. — Définir la
théorie littéraire; diviser cette matière en ses prin-
cipales parties; motiver ou expliquer cette division
De la composition en général; des diverses
opérations qu'elle comprend.
Du fond et de la forme dans la composition ;
des moyens par lesquels le fond et la forme se
perfectionnent. .
Des idées, des pensées, des jugements, des rai-
sonnements, des formes purement logiques et des
formes litttéraires de raisonnement ; des dévelop-
pements et de l'amplification.
Du beau en général ; du sentiment esthétique,
du beau dans la nature et dans l'art, des carac-
tères auxquels on le distingue.
Du sublime, de ses caractères, de sa forme.
Du goût, du talent, du génie, de l'idéal.
De la poésie, des principales qualités qui font
le poète.
De la versification ; de son utilité pratique.
Du style en général, de la diction, de l'élocu-
tion, de l'action et de la prononciation oratoires,
de la lecture.
Du but essentiel de la parole et du style, des
qualités essentielles du style et des défauts oppo-
sés à chacune de ces qualités.
Des qualités du style qu'on appelle secondaires,
particulières ou d'ornement ; énumérer et définir
les plus importantes.
De l'harmonie du style, du nombre oratoire, de
l'onomatopée.
Du style figuré; définition de la figure en gé-
néral ; des diverses espèces de figures, définition
de chaque espèce: en donner des exemples.
De la narration, de la description, de l'exposition
didactique, du dialogue, du style lyrique, du style
simple, du style tempéré ou fleuri, du style élevé
ou sublime, du style pathétique, du style coupé,
de la période et du style périodique.
II. Epreuves écrites. — 1° Analyse littéraire.
— 2° Composition littéraire.
(Programme du 10 septemljre 1S70.)
PRUSSE.
ÉCOLES NORMALES D'INSTITUTEURS.
Pbemiiîre ANNÉE. — Lecturc de iTiorccaux choisis.
Exercices oraux et écrits d'élocution et de compo-
sition. Notions sur l'essence et la forme de la poésie,
les éléments de la métrique, la rime. Poésie lyri-
que : la chanson; poésie épique: la narration
poétique, la légende, le conte, la ballade ; poésie
didactique : la fable et la parabole.
DEUXii!ME AN.vÉE. — Lecture de morceaux choisis
en prose et en vers, plus étendus et plus diffici-
les que ceux de l'année précédente. Ces morceaux
serviront à faire connaître aux élèves les carac-
tères généraux de la poésie lyrique, épique et
dramatique : la chanson populaire, l'ode, la bal-
lade, la romance, l'épopée, le drame.
Troisième année. — Révision des matières en-
seignées dans les deux années précédentes, com-
plétée par de nouvelles lectures. De ces lectures,
les unes sont privées, les autres se font en classe.
Pour les lectures privées, la bibliothèque de
l'école mettra entre les mains des élèves les chefs-
d'œuvre de nos poètes et de nos prosateurs. Le8
morceaux lus en classe seront expliqués tant
pour le fond que pour la forme: on choisira des
morceaux de poésie et de prose allemande, appar-
tenant k la période postérieure à Luther, et em-
pruntés de préférence aux auteurs classiques. Un
certain nombre des morceaux de poésie expliqués
seront appris par cœur.
[Programme du 15 octobre 1872.)
ITALIE.
ÉCOLES NORMALES.
Première année. — Lecture et explication de
morceaux choisis de bons auteurs. Exercices de
composition : narrations, descriptions, lettres.
à
LITTÉRATURE FRANÇAISE — 1175 — LITTÉRATURE FRANÇAISE
DcuxitMi! ANMÎE. — Los priiicipalps figures de
graniniaire. l'rc'i-rptes et exercices relatifs à la
construction do la période. Lecture et explication
de morceaux choisis de bons auteurs. Observations
et exercices sur la pureté et la propriété des ter-
mes et des locutions. Exercices de composition :
narrations, lettres, rédactions usuelles.
TiioisitMB ANNÉE. — Exemples, règles et exer-
cices relatifs aux qualités générales du style :
clarté, pureté, propriété, convenance, élégance.
Les tropes et les figures de pensées ; règles et
exemples. Les principales compositions en prose
du genre narratif et du genre didactique. Exer-
cices de composition : narrations, compte i-endus,
discours, dialogues.
{Programme du 10 octobre 18G7.)
I.lTTERATUniC l'IlAKÇAlSE. — Etmi/ue, li-
mites et divisions, — Il y a deux manières d'envi-
sager l'iiistoire de la littérature française, et,
suivant celle qu'on adopte, cette histoire présente
une étendue, des limites et des divisions très dif-
férentes. Pendant longtemps, on a restreint notre
littérature i la suite des œuvres écrites dans cette
langue mûre et perfectionnée, aujourd'hui parlée
et comprise parles classes instruites de la société
dans nos diverses provinces, et, en ce sens, notre
histoire littéraire remonterait à peine au commence-
ment du XVII' siècle. Laissant de côté les auteurs
dont le langage vieilli no se comprend bien qu'avec
le secours d'un dictionnaire, elle prendrait pour
point de départ la réforme classique de Malherbe
qui, après les tentatives de restauration gréco-
latine du XVI" siècle, vient enfin mettre la langue
et la littérature dans une voie qu'elles ne devaient
plus quitter. Son champ serait alors assez borné,
et les divisions en seraient faciles; elles corres-
pondraient aux trois siècles écoulés depuis
Malherbe : le .wii', le xviri* et le xix= siècles.
Mais la critique de nos jours a élargi singuliè-
rement notre horizon. Elle nous enseigne h cher-
cher la littérature d'un peuple dans toutes les
manifestations, écrites ou parlées, de son génie,
à toutes les périodes de l'histoire nationale et
à travers toutes les révolutions de la langue. Dans
ce sens, l'histoire de la littérature d'un peuple
remonte jusqu'aux origines de sa nationalité, en
suit et en reflète toutes les phases. Ainsi entendue,
l'histoire de la littérature française, comme celle
de toute littérature moderne, offre trois grandes
périodes, corres|iondant aux divisions mômes de
l'histoire générale : le moyen âge, la Renaissance
et les temps modernes. Des subdivisions plus ou
moins nombreuses peuvent être établies, soit d'a-
près des points de repère chronologiques, comme
les siècles ou les règnes, soit d'après l'influence
dominante des hommes et des œuvres, ou d'après
les conséquences d'événements qui cliangent les
conditions d'existence extérieure ou morale de la
société. Si la division par siècles s'applique assez
bien aux diverses phases de notre liitérature de-
puis la Renaissance, c'est, au contraire, d'après
les genres et les œuvres qu'il nous parait néces-
saire de diviser la longue période littéraire du
moyen âge, où, en dehors des limites chronolo-
giques ordinaires, on voit les mêmes genres se con-
tinuer et souvent les mêmes œuvres se reprendre
de siècle en siècle, en se transformant suivant
les idées, les mœurs, l'état social contempo-
rain.
I. PnESiiÈRE PÉRIODE. — Moyen âge.
1° Premiers éléments de lonr/ue et de poétie. —
Il est difficile de marquer l'époque précise où com-
mence la langue française, et, dans cette langue,
les premiers germes d'une littérature. Pendant la
suite d'invasions dont l'ancien sol gaulois a été le
théâtre, notre histoire, notre langue et notre litté-
rature sont tour à tour celtiques, romaines,
franques, gallo-romaines ou gallo-franques. De
l'époque celtique ou gauloise, nous savons peu de
chose, soit sur la langue elle-même, soit sur la
littérature, et ce sont dos éléments bien incertains
de l'une et de l'autre qu'on peut retrouver dans
l'idiome de nos paysans bretons et dans leurs
chansons populaires, en y cherchant, i quinze siè-
cles de distance, un écho des chants sacrés des
druides. La langue et la littérature des Romains
ont laissé dans l'histoire de l'ancienne Gaule des
traces plus faciles ."i recueillir. Toutes nos contrées
du midi, de Marseille â Bordeaux, de Lyon à Tou-
louse, ont eu leurs écoles d'éloquence et de
poésie latines, et il y eut un moment où l'empire
romain en décadence trouva son principal éclat
littéraire dans ses provinces gauloise*. Mais ce
développement tout latin du génie gaulois appar-
tient i l'histoire de la littérature romaine et nous
touche seulement par l'influence que colle-ci a
exercée sur nos populations indigènes, leur langue
et leur caractère. L'élément germanique qui, après
l'invasion des Francs en Gaule, a une si grande
part dans les transformations politiques et ethno-
graphiques de l'Europe, n'a qu'une très médiocre
importance littéraire. Les diverses tribus germa-
niques, également voisines de leur origine barbare,
n'avaient guère de traditions de culture intellec-
tuelle h se transmettre, et chacune d'elles, sur le
point où elle s'établit, en est aux premiers tâtonne-
ments d'une grossière poésie, qui va prendre ses
allures et ses formes propres dans la diversité des
circonstances locales et historiques. Loiii de par-
ticiper au réveil du peuple gaulois, l'élément tudes-
que s'élimine visiblement de la langue comme des
idées de la nation reconstituée de co côté du Rhin
par Cliarlemagne, et l'on est étonné de voir com-
bien peu de mots d'origine germanique subsistent
à côté du latin dans les plus anciens monuments
de la première langue vulgaire française désignée
sous le nom de langue romane.
Cette langue laisse entrevoir sa physionomie pro-
pre dans un premier document, le double serment
de Strasbourg, prêté en 842, par Louis le Germa-
nique à Charles le Chauve et par les soldats de
Charles à Louis, avant de marcher contre Lothaire.
On y voit disparaître ces désinences changeantes
par lesquelles les mots latins marquent leurs
rapports entre eux, et l'on y remarque aussi l'ab-
sence de l'article. Voici le texte et la traduction
de la première partie:
Pour l'anioiir de Dieu et
pour le peuple chrétien et
notre commun salut, de ce
jour en avant, autant que
Dieu m'en donne le savoir et
le pouvoir, je sauverai mon
frère Charles, ici présent, et
lui .serai en aide en chaque
chose, ainsi qu'un homme
scion la justice doit sauver
son frère, en tout ce qu'il
ferait de la même manière
pour moi, et je ne ferai avec
Lothaire aucun accord, qui,
de ma volonté, portcraitdom-
mage à mon frère Charles,
ici présent.
Cette langue naissante de populations encore
barbares, livrées à toutes les incertitudes d'un état
social en formation, va bientôt, au milieu d'un dou-
ble courant de faits et d'influences, se partager en
deux idiomes distincts et rivaux, la langue d'oïl
et la langue d'oc, c'est-à-dire la langue du nord et
la langue du midi de la France. Et ces deux langues,
parlées par des populations dont l'hostilité ira,
dans la gucrn! des Albigeois, jusqu'à l'extermi-
nation, partagées elles-mêmes en deux familles
de dialectes, auront deux littératures différentes,
répondant à la diversité des milieux, des races et
Pro Deo amur et pro cliris-
ti.Tn poplo et nostro com-
mun saivament, dist di en
avant, in quant Deus savir
et potir me dunat, si salvara
jeo eist meon fratre Karin,
et in adjudha et in cadhuna
coza, si cnm um per droit son
fradra salvar dist in o quid
il mi altresi fazet, et ab Lu-
dher nul plaid nunquam
prindrai, qui. meon vol, cist
meon fradre Karlo iu damno
sit.
LITTÉRATURE FRANÇAISE — H76 — LITTÉRATURE FRANÇAISE.
des événements. Mais le Nord doit l'emporter, en
littérature comme dans l'iiistoire, snr le Midi. La
langue provençale, si gracieuse et si sonore, avec
les inventions, plus ingénieuses que puissantes, de
ses poètes ou troubadours ', rentrera dans l'ombre
des langues et des littératures mortes, tandis que
les rudes et sourds dialectes du Nord formeront
par leur fusion la langue française, et que les
compositions barbares, mais fortes, de leurs trou-
vères resteront dans le patrimoine ou dans la tra-
dition directe de la littérature nationale.
Dans la langue du serment de Louis le Germa-
nique, on ne s'attend pas à trouver de riches pro-
ductions littéraires. Les premières que l'on signale
sont de simples chansons, qui ont reçu le nom de
candlènes, à cause de la lenteur mélancolique
avec laquelle elles se disaient {cantus lenis). Il
nous en est parvenu une qui a un caractère exclu-
sivement religieux : c'est la Cantilime de sainte
Eulatie, qui appartient au x' siècle et qui est le
plus ancien monument littéraire de notre langue,
i peine échappée des langes de la latinité, mais
déjà affrancliie de tout germanisme. C'est, en sept
stances inégales, la rapide et naïve esquisse de la
vie et de la mort d'une vierge martyre. Il nous
suffira d'en citer le début :
Buona pulcella fut Eulalia ;
Bel avret corps, bellezour anima.
Voldrent la veintre li Deo inimi,
Vcldrent la faire diable servir.
(Eulalie fut une bonne jeune fille ; — Elle avait
beau corps, plus belle âme Voulurent la vaincre
les ennemis de Dieu, — Voulurent lui faire servir
le diable.)
Le plus souvent, sans exclure le sentiment reli-
gieux toujours dominant, au moyen âge, dans
l'art comme dans la vie, la cantilène était inspirée
par des souvenirs guerriers ; c'était un chant de
combat 011 de victoire, ou une complainte sur la
inort d'un héros avec un résumé légendaire de sa
vie. Elle popularisait, par une poésie grossière,
les événements et les personnages, mais elle en
dénaturait peu à peu le caractère historique et
surtout les proportions, donnant souvent le pre-
mier rang dans l'imagination i ce qui avait tenu
le moins de place dans la réalilé. La cantilène est
devenue le point de départ et le thème des grands
romans épiques ou chansons de geste, qui sont res-
tés les principales œuvres littéraires du moyen âge.
2° Les grnuds poèmes épiques. — La chanson de
geste est une sorte d'épopée spontanée, continue
et collective, qui jaillit de l'imagination populaire,
changeant de jour en jour de forme, comme la
langue elle-même, recevant de bouche en bouche,
suivant les temps et les lieux, des développements
nouveaux, se mettant sans cesse en harmonie
avec les idées, les mœurs, les sentiments, les pas-
sions de la foule à laquelle elle s'adresse. Le mot
geste, dans son sens particulier, exprime toute
la suite des hauts faits accomplis par un peuple
011 par une famille, en entendant toutefois par fa-
mille un groupe de personnages unis moins par
le sang et la naissance, que par l'accomplissement
d'une série de grandes œuvres, par une commu-
nauté de destinée héroïque. Les auteurs des chan-
sons de geste sont le plus souvent incertains ou
tout i fait inconnus. Pour quelques-unes des plus
célèbres, on ne sait que le nom du copiste qui les
a transcrites ou du chanteur ambulant qui les ré-
citait.^ Il semble, au milieu de leurs transforma-
tions incessantes, que le peuple, véritable créateur
du sujet et des héros, ait dédaigné de garder le
souvenir de l'artiste qui avait donné à l'œuvre, non
sa marque individuelle, mais celle do la nation et
du temps.
Les premières chansons de geste, sorties par
ne remontent pas au delà du milieu du xi° siècle.
Mais, l'élan une fois donné, la verve d'invention
populaire fut aussi rapide qu'inépuisable, et le
xii' siècle nous en montre déjà, le riche épanouis-
sement.
Prises dans leur ensemble, les chansons de
geste étaient divisées par leurs inventeurs eux-
mêmes en trois groupes, suivant les matières dont
elles traitaient. Il n'y avait, en effet, pour l'imagi-
nation poétique de ce temps, que trois ordres de
traditions ou de souvenirs : 1 histoire nationale,
les légendes celtiques, et l'antiquité dont Rome
était le centre. C'est ce qu'exprimait ainsi le
trouvère Jean Bodel:
Ne sont que trois matières à nu! homme entendant :
De France, de Bretagne et de Rome la grant,
La u matière de France, » la plus riche et la plus
populaire, aux xii' etxiii'-' siècles, avait pour point
culminant Charlemagne, et comprenait toutes les
légendes dont il était personnellement le héros ou
relatives aux personnages associés à sa mémoire.
En tête de ces derniers figurait le héros Roland,
ce type poétique par excellence, sur lequel l'his-
toire et la chronique sont à peu près muettes,
mais dont l'imagination des trouvères fit la plus
haute personification de l'idéal chevaleresque.
La Chanson de Roland est une sorte à'ilutde ro-
mane. L'un des plus anciens de nos poèmes
héroïques et le plus remarquable peut-être, elle
a subi des remaniements qui l'ont portée de 4,000
vers à 10,000; on en ignore l'auteur, et l'un de ses
manuscrits porte seulement le nom d'un obscur
copiste. On la considère avec raison comme un vé-
ritable poème épique, et, dans ses cinq chants,
elle a toutes les qualités du genre : un sujet na-
tional, l'unité d'action, une exposition simple et
grandiose, la concision dos détails, une largeur
magistrale du style et, dans la suite des épisodes
intimement liés au récit, un intérêt soutenu. La
Chanson de Roland, dite aussi de Roncevaux,
a pour sujet l'expédition de Charlemagne en Es-
pagne, pays que la légende lui fait conquérir tout
entier, et la défaite éprouvée, en 778. par l'arrière-
garde de son armée dans les défilés de Roncevaux.
En voici quelques vers, pour donner une idée, non
du mouvement général, mais du style, du rythme
et de la langue du temps. Il s'agit de la décou-
verte que fait Roland de son fidèle compagnon
Olivier parmi les morts. Il l'apporte à l'archevê-
que Turpin, pour qu'il le bénisse, et il lui adresse
un adieu funèbre :
Rollanz s'en turnet le camp vait recercier :
De suz un pin, de lez un églentier,
Sun cumpaignuni ad truvet Olivier,
Contre sun piz estreit l'ad embraciet.
Si cum il poet al arcevesque en vient.
Sur un escut l',Td as altres culchiet,
E l'arceveêques l'ad asolt et seigniet.
Jdunc apreget li duels e la pitiet.
Ço dit Rollanz: .. Bels curapainz Oliviers,
Vus fustes iilz al bon cunte Renier
Ke tint la marche Iresqu'al val de Rivier.
Pur hantes fraindre, pur escuz pécéier
E pur osberes derumpre ed esmaillier,
E pur produmes tenir e cunseillier,
E pur glutuus vcinire e esmaier,
En nule tcre n'ont nieillur chevalier. .
'Rolland s'éloigne, il parcourt de nouveau le-
champ; — Sous un pin, près d'un églantier — Il
a trouvé son compagnon Olivier; — Contre sa poi-
trine il l'a étroitement pressé. — Comme il peut,
il revient vers l'archevêque. — Sur un écu, il a
couché Olivier, auprès des autres, — Et l'arche-
vêque les a absous et bénis. — Alors augmente le
deuil et la pitié. — Et Rolland dit : Beau compa-
gnon Olivier, — Vous étiez fils du bon comte
Renier, — Qui tint la marche jusqu'au val de
amplification des cantilènes franques ou romanes, I Rivier. — Pour briser les lances, pour mettre et>
LITTÉRATURE FRANÇAISE — 1177
LITTÉRATURE FRANÇAISE
pièces les boucliers, — Pour rompre et démailler
un liaubert, — Kt pour conseiller les gens de bien,
— Et pour vaincre et abattre les traîtres, — En
nulle terre, il n'y eut meilleur chevalier.)
La Chanson de Roland, la plus connue pour sa
valeur poétique, est loin de donner une idée suf-
fisante de la fécondité épique du génie français au
moyen âge. Il y a d'autres compagnons de Cliarle-
magne qui ont inspiré des poèmes ou des suites
de poèmes autrement considérables. Ainsi la
Geste de Guillaume au Cowl-nez ou de Garin de
Monqlane ne comprend pas moins de dix-liuit
branches, toutes du xiii" siècle, et lormant un total
de 117,000 vers. La Gesle de Pépin ou du Hoi a le
même nombre de branches ; commencée au xir siè-
cle, elle se prolonge jusqu'au xiV siècle, de
poèmes en poèmes. Une geste spéciale des chefs
iiostilesà Cliarlemagne, celle de-Dooï! de Mayence,
compte encore onze branches du xin" siècle, sans
parler des branches perdues et des imitatiojis ou
des remaniements ultérieurs. Et de tous ces
poèmes, trois ou quatre seulement sont rapportés
à des auteurs connus, spécialement i Adam de
Brabant ou Adônes-le-Boi (mort vers 1300), pro-
clamé n Roi des ménestrels » à la cour du comte
de Flandre.
Les chansons de geste de la « matière de France, »
avecleurs incidents relatifs à l'avènement de notre
seconde race de rois, aux guerres et expéditions de
Pépin, de Cliarlemagne, aux efforts de leurs suc-
cesseurs contre les Normands, etc., composent
un premier cycle épique, le cycle carlovingien.
La « matière de Bretagne, » qui prend son déve-
loppement un peu plus tard, déroule le tableau
de l'histoire religieuse et politique du peuple
breton, sous l'influence du génie celto-normand ;
elle a pour héros principal le roi fabuleux Artus,
et pour thème ordinaire les eiploits des chevaliers
de la Table-Ronde à la recherche du Saint-Graal,
vase merveilleux, qui a reçu le sang du Christ.
Ces chansons composent un second cycle, le cycle
d'Artus ou de la Table-Ronde. Elles présentent
avec celles du cycle carlovingien de notables dif-
férences; elles sont d'une inspiration plus savante
et d'une forme moins populaire ; on en connaît
mieux les auteurs ; plusieurs sont en prose, et ont
été faites moins pour être chantées que pour être
lues. Les principaux romans en vers de ce cycle
ont le même auteur, Chrestien de Troyes, qui
mourut vers 1195.
La « matière de Rome, » comportant un sens
très large, recueille tous les vagues souvenirs de
l'antiquité, tant grecque que romaine, tant sacrée
que profane. Elle a inspiré des poèmes de geste de
forme épique, et des romans d'aventure ; les uns
et les autres, recevant de majns en mains des dé-
veloppements nouveaux, ne touchent à l'histoire
ancienne que par les noms des pays ou des per-
sonnages et sont, avec les incidents les plus fabu-
leux, du domaine exclusif de l'imagination.
On rapporte encore à deux autres cycles les
chansons de geste et romans d'aventure du moyen
âge : le cycle de la croisade et le cycle provincial.
Le premier comprend tous les poèmes de longue
haleine relatifs à ce grand mouvement qui entraî-
na l'Europe vers l'Orient, en donnant à la fois
satisfaction au fanatisme religieux et à ta soif des
aventures. Ils ont pour héros principaux Godefroi
de Bouillon et Baudoin, et pour théâtre Jérusalem,
Antioche et Constantinople. Quelques-uns sont
encore anonymes, mais la plupart ont des auteurs
connus. Plusieurs se succèdent et s'enchaînent,
cotTime la suite d'une même œuvre, et nous con-
duisent jusqu'au xiv" siècle. Le cycle provincial
offre un groupe nombreux de chansons de geste
ne rentrant pas dans les cycles précédents eî qui
appartiennent, par leurs sujets, aux légendes par-
ticulières d'une province. Chacune d'elles com-
prend un certain nombre de poèmes reliés autour
des iTiêmes héros et des mêmes événements.
Telles sont la Geste des Lorrains ou Loherruins,
les Gestes du Nord, la Geste l/oiirgui(/7ionne, etc.
En dehors de tous ces cycles de poèmes légen-
daires, se produisent des chroniques rimées de
faits contemporains, qui prennent encore le ton
épique lorsqu'un grand intérêt, comme celui de
la foi, est en cause; telle est, au xiii' siècle, la
Chanson de la a'oisade contre les Alljiyeois, com-
prenant près de 10,000 vers, offrant les formes de
composition et de rythme des poèmes carlovin-
giens, et destinée Ji être récitée comme eux.
Par la multiplicité même de ses sujets, par les ef-
forts incessants de l'imagination pour en renouveler
le développement, par la part de plus en plus^grande
faite aux sentiments humains, spécialement à la
passion de l'amour, dans les événements héroïques,
la chanson de geste perd pe\i à peu son grand ca-
ractère épique et tourne au roman d'aventure.
Mais le roman, comme le poème épique, est tou-
jours inspiré des idées et des mœurs du temps, et
l'un et l'autre ne sont que la forine littéraire de
l'histoire, la représentation mobile de la mobilité
des mœurs contemporaines ; de là la grande dis-
tance qui sépare les diverses productions des
cycles épiques du xii' au xV siècle.
3° Les poèmes didactiques, satiriques et allégo-
riques. — A côté de tous ces récits poétiques, des
genres distincts commencent ,\ se faire place. Il y
a des essais de poésie didactique : les Bestiaires,
sortes de traités d'histoire naturelle, le plus sou-
vent en vers, consacrés à la description physique
et morale des animaux, à celle des végétaux et des
minéraux, mais plus remplis encore de leçons de
morale et d'allégories que d'observations scienti-
fiques. La poésie morale se fait une place dans les
fables, où nos pères recueillent les trésors de la
pliilosophio antique et de la sagesse de l'Orient.
Un roman indien, le Livre des sept conseillers, tra-
duit ou imité dans les diverses langues de l'Eu-
rope, devient, en français, le Roman des sept
saçjes ou de Dolopatlios, et fournit la trame d'une
foule de récits, de légendes ou de fables et des
prétextes de leçons.
Un genre qui paraît peu compatible avec le ca-
ractère épique, prend des développements inat-
tendus : c'est le genre satirique ; il affecte bien des
formes, mais il a son centre et pour ainsi dire sa
citadelle dans le Roman de Renart, grande allé-
gorie qui représente, sous son jour le moins héroï-
que, la société féodale. Sous les traits des animaux ,
le Roman de Renart met en scène toutes les clas-
ses sociales : les grands et le peuple, le roi lui-
même et ses conseillers, le clergé et les juges ; il
nous montre la ruse aux prises avec la violence,
l'hypocrisie couvrant la débauche, l'immoralité
habile triomphant de l'innocence et de la vertu.
Cette vaste composition, considérée avec raison
comme l'ouvrage le plus achevé de l'art littéraire
français au moyen âge, a cela de commun avec
les poèmes cycliques et les épopées primitives,
qu'elle ne semble pas le produit d'une création
individuelle, mais d'un travail successif et collec-
tif: ébauchée en latin, au xti" siècle, avant
de prendre sa forme populaire en langue romane,
elle se grossit, en passant de mains en mains, de
traditions, d'anecdotes vraies ou fictives, de récits
recueillis et remaniés, de fables qui prennent,
en se développant, des allures épiques, et substi-
tuent à la naïveté primitive un remarquable raffi-
nement d'idées. Le Roman de Renart, après avoir
eu, en France, des remaniements et des suites,
fit le tour de l'Europe en s'appropriant si bien, par
les détails, aux mœurs des diverses nations, que
plusieurs s'imaginèrent à la fois l'avoir inventé.
La satire se mêle à l'allégorie dans une autre
grande œuvre littéraire , le Roman de la Rose,
LITTERATURE FRANÇAISE — 1178 — LITTÉRATURE FRANÇAISE
commencé au xiii' siècle par Guillaume de
Lorris (mort vers 12C0) et aclievé. au siècle sui-
vant, par Jean de Meung (I280-I32fi.) Son impor-
tance est considérable par l'influence qu'il a exer-
cée sur tous les genres de poésie ou de prose,
mettant partout en honneur, au moyen âge, le
raffinement et la recherche de la forme allégori-
que.
Le Roman de la Base se compose de '22,000
vers, dont 4,000 seulement appartiennent au
premier de ses deux auteurs, et sont étrangers an
caractère satirique do leur longue continuation.
Il ne s'agit, au début, que d'une sorte de voyage
au pays d'amour, ayant pour objet la conquête
d'une rose emblématique, en dépitde mille épreu-
ves, dans un monde de personnages imaginaires
re'préscntant des qualités , des défauts et toutes
sortes de choses abstraites animées par la fic-
tion. Mais avec le continuateur de Guillaume
de Lorris, le ton et les idées changent, et l'allégorie
n'est plus que le voile transparent d'une satire
universelle. Non seulement toutes les classes de
la société sont prises à partie et malmenées, mais
les institutions elles-mêmes et les idées sur les-
quelles elles reposent reçoivent de rudes assauts.
Voici comment le poète donne pour origine à la
royauté, la force brutale :
Ung srand vilain cntie
Le plus ossu de qiianqu
Le plus roisii cl le grri
Si le firent princn et sci
ni,
Et ce roi qu'on dit maître de tout, n'est rien que
par la faiblesse de ses sujets ; il est tout entier à
leur discrétion :
Ains est lor; car quant II vodrout.
Leur aides au roy todront :
Et li roi tous seus demorra.
Si tost com li pueple vorra.
Car lor bontés ne lor proesces,
Lor cors, lors forces, lor safjesces,
Ne sunt pas siens, ne riens ni a ;
Nature bien les li nva.
Le Roman de ta Hose eut, comme le Roman de
Renari, ses remaniements en Irance, et ses tra-
ductions et imitations à l'étranger, surtout en An-
gleterre ; mais nulle part on ne contesta son ori-
gine et son caractère éminemment français.
La satire se fait encore une place importante
dans des ouvrages qui, empruntant leur titre aux
livres saints, s'appellent des Bibles : il en a été
conservé deux échantillons du xiii' siècle : la
BiOle de Guyot de Provins et celle de Hugues de
Ilerzi. Dans l'une et l'autre, les diverses classes
de la société sont passées en revue et censu-
rées avec véhémence. La Bible Guynt, comme on
disait au moyen âge, qui renferme environ 2,000
vers, débute ainsi :
Diju siècle puant et orrible
M'esluet (il me convient) commenc
Qui ne sera pas losengière (louangi
Mais line et voire (vraie) et droitun
une Bible,
Elle s'attaque particulièrement au clergé et aux
ordres religieux; elle n'épargne ni les cardinaux,
ni le pape lui-même, qu'elle appelle notre père
l'Apostole, et auquel elle reproche de ne pas être
la boussole, « la tresraontaigne » des fidèles. Elle
peint, sous les plus sombres couleurs, la ville de
Rome et les vices, les crimes dont elle a été et
est le théâtre. Guyot, si sévère pour les moines de
son temps, était moine lui-même, et d'un âge assez
avancé lorsqu'il écrivit cette bible, qui a fait tour
k tour voir en lui « un homme de génie, né trois
siècles trop tôt, » ou simplement « un moine ir-
rité contre le monde, au milieu duquel il ne peut
plus vivre. »
C'est dans le domaine de l'allégorie et de la satire
que se développe un genre propre au moyen âge
et qu'on a appelé essentiellement gaulois, le fa-
bliau ou petite fable ffahlenu). C'était un récit en
vers, comme la chanson de geste, mais qui con-
trastait à dessein avec elle par le ton léger et mo-
queur, par les inventions comiques, la malice des
observations, un naïf dévergondage. Le trouvère
champenois Rutebeuf (xiii' siècle) est à la fois l'un
des premiers satiriques et le principal fahleor
de son temps. Ces récits malins, légers, volon-
tiers licencieux, furent très goûtés en Italie où
Boccace nous les emprunta au siècle suivant;
ils ont élé repris avec succès par Rabelais, La
Fontaine, Voltaire, et autres conteurs à l'esprit
gaulois des temps modernes.
i° Les genres lyriqui-s. — Ce n'est pas seulement
dans les œuvres de longue haleine, poèmes hé-
roïques, didactiques ou moraux, que le sentiment
littéraire se développe en France au moyen âge ;
il se fait jour dans une foule de petites pièces de
vers représentant, par les sujets ou par la forme,
toutes les variétés de la chanson. Le sentiment
qui domine est l'amour, mais il se mêle aux idées
du temps, aux détails de la vie du poète, aux sou-
venirs des grands événements, en sorte qu'un
genre modeste de poésie est encore une repré-
sentation fidèle de la société contemporaine. La
chanson se montre très florissante au xiii' siècle,
sans avoir cette variété de rythme qu'elle attein-
dra peu à peu. L'un des premiers auteurs de
chansons, et des plus célèbres, est le comte Thi-
baut de Champagne, qui, après avoir pris une part
importante, pendant la minorité de saint Louis,
à la coalition féodale, la fit échouer par son em-
pressement i subir le prestige de Blanche de Cas-
tille, devenue la dame de ses poétiques pensées.
Voici un échantillon du sentiment et de la langue,
au début de ce genre de poésies, qui doit être
si fécond :
Moût est amors de niervoillei pooir
Qui bien et mal tait tant com li agrée.
Moi fait elc trop longuement doloir,
Maisons me dit que j'en ust ma pensée.
Maij'ai un cuer, ains tex ne fu trovés,
Tos jors me dist : amés, amés. amés.
N'autre raison n'iert ja par lui mostrée,
Et j'aimerai, n'en puis esti-e tornês.
Dame, merci, qui tos les biens avés ;
Tûules valorsel toutes grans bontés
Sunt plu
qu(
I dan
: fere le po
! qui soit née ;
(Amour est de très merveilleux pouvoir, — Qui
bien et mal fait, comme il lui agrée. — Il me
donne à moi de trop longs chagrins, — Raison
me dit d'en ôter ma pensée. — Mais j'ai un cœur,
tel qu'il ne s'en trouva jamais ; — Toujours il me
crie ; aimez, aimez, aimez. - - Aucune autre rai-
son ne sera obtenue de lui. — Et j'aimerai, je n'en
puis être détourné. — Dame, ayez merci, vous
qui avez tout bien ; — Tout mérite et toutes gran-
des bontés — Sont plus on vous, qu'en dame qui
soit née ; — Secourez-moi puisque vous le pouvez
faire.)
Au même siècle appartiennent, dans la chan-
son d'amour, le mystérieux châtelain Raoul de
Coucy, dont la passion pour la dame du Faël donna
lieu à une des plus tragiques légendes; Adam de
la Halle, bourgeois d'Arras, plus célèbre par l'in-
vention des premiers « jeux n dramatiques ; Colin
Muset, ménestrel de profession, qui porte la chan-
son de cliâieau en château moyennant salaire.
Au XIV'' siècle nous citerons le fécond et ingé-
nieux Guillaume de Machault (mort en 1371), qui
" commencha, dit-on, toutes tailles nouvelles et
les parfais lais d'amour, n et Jean Froissart (1337-
lilO), chez qui la gloire du chroniqueur ne doit
pas faire oublier le talent heureux du poète. Il est
un de ceux qui nous montrent, à cette époque,
LITTERATURE FRANÇAISE — 1179
LITTÉRATURE FRANÇAISE
dans un degré étonnant de perfection, les formes
savantes du rondeau, du virelai et de la ballade.
Une stance, qu'il est superflu de traduire, suffira
pour marquer le progrès de lu lan^uo et du genre
d'un siècle à l'autre :
: lient
I la rose
violette.
i belle.
Sus toutes flo
Et, en après, „
La lloui- de Ivs est belle, cl la perselle (bluet) ;
l.a llour de glay (ijlaïeid) est plaisans et parfetle,
El 11 plusieurs aiment moult l'anquclic ;
Le pyonier {pivoine), le muget, la soussie,
r.ascune flour a par li sa nierile.
Mes je vous (li, (mit que pour ma partie :
Sus toutes [lours, j'ainime la Margherile.
La chanson, développant toutes ses formes lyri-
ques, prend, au xv' siècle, le premier rang dans la
littérature française de la fin du moyen âge. Les
rythmes deviennent encore plus divers et plus
savants; le virelai, la ballade, le rondeau attei-
gnent à une perfection de forme, à une grâce de
sentiments, qui ont fait oublier les essais précé-
dents. Les poètes qui excellent sont : Eustache
Deschamps, Christine de Pisan, Alain. Chartier,
Charles d'Orléans, Martial d'Auvergne, Guillaume
Coquillard et, pour abréger la liste, François Vil-
Ion, à qui Boileau ne craint pas de sacrifier en
bloc tout le passé poétique de la France :
Villon n'est pas d'une autre famille que les
poètes dont nous venons de parler, mais il a sa
physionomie propre, un sentiment personnel et,
avec la grâce, la vigueur du langage. Connu pour
.son existence irrégulière et désordonnée, il se re-
proche ainsi dans son plus long poème, le Grand
Testnment, le mauvais emploi qu'il a fait de sa jeu-
nesse :
Hé Dieu ! se j'eusse estudié
Au temps de ma jeunesse folle.
Et à bonnes mœurs dédié,
J'eusse maison et couche molle !
Mais quoi ? je fuvoye l'escolle
Comme faict le mauvais enfant
En escri\ant eeste parotle
A peu que le cueur ne me fend.
L'œuvre la plus gracieuse de Villon est la Bal-
Inde des Dames du temps jadis, avec son refrain
mélancolique :
Mais où sonl les neiges d'antan.
Elle est dans tous les recueils. D'autres pièces
montrent chez lui une précision, une énergie de
langage dont la strophe suivante, sur la mort,
donnera l'idée :
La mort le faict frémir) pallîr.
Le nez courber, les veines tendre.
Le col enller, la eh.ir mollir,
Joincts et nerfs eroistre et estendre.
Corps féminin, qui tant est tendre.
Pollï, soae! {doux), si precieulx.
Te faudra-t-il ces mauU attendre 7
Ouy, ou tout y\( aller es cieuli.
Voilà la langue poétique que le xV siècle lègue
au siècle suivant après quatre siècles de transfor-
mations et de progrès.
ô° Le théâtre. Mystères, moralités, farees. — Il
tjst un genre littéraire où chaque société, chaque
époque, ont laissé leur image la plus fidèle et qui
ne pouvait manquer au moyen âge, c'est le genre
dramatique. Il prend, à l'origino de nos sociétés
modernes, gouvernées par l'Église, un caractère
particulièrement chrétien, on peut dire même ec-
clésiastique. Le théâtre n'est, au début, qu'une
annexe du temple, et les premières représenta-
tions dramatiques ne sont que la mise en scène
des mystères de la foi et des faits merveilleux de
1 histoire biblique ou de la vie des saints. Aussi
les appelle-t-on des mi/stcres ou encore des mi-
racle^, suivant leur sujet. Le spectacle de ces
pièces, liées ainsi aux cérémonies religieuses, se
donne longtemps dans l'église même, à l'occasion
des grandes fêtes comme Noël, l'Epiphanie, Pâ-
ques, l'Ascension. Les personnages traditionnels,
les animaux eux-mêmes ont leur place marquée
dans le cortège. On parle aux yeux, par les attri-
buts et les costumes ; aux chants liturgiques se
mêlent des dialogues en lansue vulgaire; toute la
légende est mise en action. Quand le chœur même
de l'église ne suffisait pas à ces manifestations scé-
niquos d'une foi naïve, des échafauds étaient dres-
sés dans le parvis ou dans les cimetières. Le
plus souvent un sermon ouvrait la scène, en guise
de prologue, et la représentation était close par
un Te Deum, ou tout autre morceau de plain-
chant, qu'assistants et acteurs disaient à la fois.
Le drame, sans abandonner son caractère reli-
gieux, ne commença à soriir de l'église qu'au
XV' siècle. Des confréries d'ouvriers se formèrent
pour jouer des mystères, dont la composition et
la mise en scène se compliquèrent de plus en
plus. Ils eurent pour sujet tous les grands actes
de la vie de Jésus, mais il y en eut un qui prima
toujours tous les autres dans la faveur populaire :
ce fut le Mystère de la Passion. Celui-là, prenait
ordinairement de vastes proportions et parfois
une longueur incroyable. Celui que composa Ar-
noul Gresban se divisait en vingt journées et con-
tenait environ 25,(HiO vers : le nombre en fut
porté par ses continuateurs à plus de 60,000.
Le frère do ce fécond auteur, Simon Gresban,
alla plus loin encore, avec le Triomplumt mys-
tère des actes des apôtres, <i translaté fidèle-
ment de la vérité historiale, ordonné par person-
nages: » grande féerie religieuse qui se maintint
au théâtre tout un siècle, malgré les difficultés de
la mise en scène, et qui n'a pas moins de 80,000
vers, avec un répertoire de 4'.'.S personnages. Ce
mystère gigantesque s'est réimprimé, avec le
détail descriptif des scènes et des décors, jus-
qu'au milieu du xvi" siècle.
Outre l'Ancien et le Nouveau Testament et les
légendes des saints, des événements de l'histoire
contemporaine pouvaient fournir quelques sujets
de drames populaires. Tel est le Mystère du
sièye it'Orléuns, qui compte lui aussi plus de
a(l,'oOO vers, et qui fut représenté pour la pre-
mière fois, le « mai 1439, h Orléans, pour l'anni-
versaire de la délivrance de cette ville par
Jeanne d'Arc.
Aux confréries, qui jouaient les mystères, il
faut joindre des troupes profanes qui firent
entrer le théâtre du moyen dgo dans une nou-
velle voie, comme celte des Enfants sans souci, ou
des clercs de la Basoche. Après les anciens « jeux»
dramatiques, dont Adam de la Halle avait autre-
fois donné le modèle, elles représentèrent des
moralités, sortes de pièces allégoriques, qui eu-
rent encore quelquefois pour thème des para-
boles de l'Ancien ou du Nouveau Testament mises
en dialogues, mais qui le plus souvent dévelop-
paient, avec des personnages abstraits et fictifs,
comme ceux du Kom'ftt de ta llose, une actioi»
comique très libre, ou une violente satire. Ainsi
naissait la comédie, qui prit un tour plus vif
encore dans les sotties, ou satires dramatiques,
en honneur jusqu'au milieu du xvr" siècle.
Un souvenir populaire a survécu aux tentatives
de comédie du xv% c'est celui de la Farce de
Maistre fierre Pathelin, œuvre à peu près ano-
nyme de quelque .> poète satirique et joyeux com-
père », compagnon et fournisseur des clercs de
la Basoche. C'est la mise en scène d une joyeuse
friponnerie, où la morale et la justice trouvent
moins leur compte que la vieille gaieté française,
d'une suite et comme d'un ricochet de ruses et
LITTÉRATURE FRANÇAISE — USO — LITTÉRATURE FRANÇAISE
de fraudes, sans autre moralité que le plaisir de
Toir tromper un trompeur. Maître Pierre Patlie-
lin, avocat sans causes ou du moins sans argent,
endort par sa flatteuse parole la défiance de son
voisin le drapier et se fait livrer une pièce de
drap", qu'il se promet bien de ne pas lui payer. Il
enseigne aussi au berger Agnelet à tromper les
juges par une feinte bêtise, en bêlant, pour toute
réponse, et celui-ci a recours au même strata-
gème pour frustrer son avocat de ses lionoraires.
Cette simple farce, que l'on peut appeler la perle
littéraire de notre vieux théâtre, produite ou plutôt
reproduite, au xv» siècle, en un français déjitrès
net, très vif, très agréable, n'a cessé d'être l'objet
d'imitations, de traductions, et, jusqu'à nos jours,
de tentatives de rajeunissement.
6" La prose. Chro7iiqueurs. — Pendant ces
cinq siècles de développement poétique, la prose
française a fait aussi son chemin, mais avec plus
de lenteur, et elle offre moins de richesse litté-
raire et moins de variété. La théologie, qui est la
première et longtemps la seule occupation de
l'esprit, a pour langue officielle et exclusive le
latin ; la philosophie, qui accepte le rôle de « ser-
vante de la théologie », n'a pas d'autre langage;
l'éloquence, qui arrive à une haute puissance, à
en juger par les effets des prédicatiojis des croi-
sades, n'a rien fait pour enrichir l'idiome roman ;
si, à l'occasion, l'orateur s'adressait à la foule en
langue vulgaire, les grands sermons, comme ceux
de saint Bernard, s'écrivaient et se conservaient
en latin.
Il n'y a qu'un genre de prose qui adopte de
bonne heure la langue romane : c'est l'histoire,
ou plutôt la chronique. Les récits fantastiques
des romans de la Table-Ronde, en prenant les
premiers la forme de la prose, conjointement avec
la forme poétique, ont préparé l'emploi de la
langue vulgaire aux récits des événements réels.
Quatre noms dominent parmi les chroniqueurs
du moyen âge : tous les quatre hommes d'action,
acteurs et témoins des faits qu'ils ont racontés.
C'est, à la fin du xii" siècle, Geotfroi de Villehar-
douin (1155-1213), qui ouvre la marche avec son
Histoire de la conquête de Constantinople, com-
prenant une période de neuf ans, de 1198 à 120".
Marquant par les allures mêmes de son style la
transition entre le récit poétique et la simple
prose, il a des tournures, des mouvements, des
traits de sentiment, qui rappellent les trouvères
et les chansons de geste ; il célèbre les faits au-
tant qu'il les raconte , il offre un mélange de
naïveté et d'héroïsme qui se traduit par des for-
mules solennelles et un peu banales d'admiration :
Il Or oïez une des plus grandes merveilles et des
graigneur aventures que vous onques oïssiez!...
Or pourrez ouïr étrange prouesse et sachez que
onques Dieu ne tira de plus grands périls nuls
gens comme il fit ceux de l'ost (armée), en cel
jour. » Un des passages les plus remarquables est
la description de Constantinople et de l'efl'et pro-
duit sur les croisés par la vue de cette ville, n que
de totes les autres ère souveraine, » et qui leur
donne une si haute idée de leur entreprise.
Il Et sachiez que il ni ot (eut) si hardi cui (i qui)
le cuer ne fremist, et ce ne fut mie (pas) mer-
veille, que onques si grant affaire ne fut empris
de tant de gent, puisque (depuis que) li monz
(monde) fu esterez (créé). »
A Villehardouin succède le sire de Joinville,
(laWlSlS), originaire également de Champagne,
élève et compagnon du comte Thibaut et fidèle
serviteiir de saint Louis. Ses Mémoires, dictés à
la lin de sa vie, ont pour sujet les expéditions et
l'administration intérieure du règne de Louis IX.
Ils respirent, d'un bout ;\ l'autre, le dévouement
et l'admiration pour la mémoire de son souverain.
Ils ont au plus haut point le caractère de témoi-
gnage personnel. Ce sont « choses, dit-il, que j'ai
oralement veues et oyes. » Le narrateur se
met entier dans son livre, avec ses souvenirs et
es impressions, sans jactance ni fausse modestie,
cédant naturellement au plaisir de faire con-
naître n son bon seigneur » et à celui de conter;
acteur et héros lui-même, il se met en relief aussi
bien que les autres, avec une naïveté toute che-
valeresque et une simplicité pleine de grandeur.
Un de ces courts récits où il excelle fera connaî-
tre, en quelques lignes, la langue do Joinville et
sa manière. Il s'agit de la reine qui, étant en-
ceinte, a suivi la croisade on Egypte et qui, au
moment d'accoucher, apprend la défaite et la cap-
tivité du roi. Il Avant qu'elle fust accouchée, elle
fist vider hors toote sa chambre, fors que le che-
valier, et s'agenouilla devant lui, et lui requit un
don, et le chevalier le lui octroya par son serment,
et elle lui dist : Je vous demande, fist elle, par la
foi que vous m'avez baillé, que si les Sarrazins
prennent cette ville, que vous me coupiez la teste,
avant qu'ils me prennent. Et le chevalier respon-
dist : Soyez certaine que je le feray volontiers;
je l'avoye ja bien en pensée que je vous occiroie
avant qu'ils nous eussent pris. »
Le troisième grand chroniqueur est, à un siècle
de distance, Jean Froissart ( 1.3.37- li 10), homme du
monde, de cour et de plaisir, moins directement
engagé dans l'action. Poète brillant et habile, qui
met de l'art dans ses récits, de la couleur dans
ses tableaux, il devient par là supérieur à ses de-
vanciers, sans perdre la naïveté de l'expression,
qui fait le charme de la chronique. Son livre, inti-
tulé : Chroniques de France, d'Auyletfrre, d'E-
loese, d'Espanne, de Bretagne, de Gascogne, Flan-
dres et lîpux d'alentour, est un tableau vivant et
complet de son temps, des beaux faits d'armes,
des actes loyaux, de l'élégance naissante, des dé-
sordres, des cruautés, des malheurs qui signalent
des guerres continues, des fêtes de la cour, des
incejidies des villes et des massacres des peuples ;
mais dans ce mouvement, un peu confus, de la
société féodale au xiV siècle, règne l'incertitude
chronologique et manque le sentiment de la vie
populaire.
Le dernier chroniqueur de cette longue période
littéraire est Philippe de Commines (\447-15U9).
qui, avec une langue de plus en plus mûre et
dans une société de moins en moins naïve, aspire
à faire œuvre d'historien. Mêlé aux affaires pu-
bliques, sous les règnes de Louis XI et de
Charles VIII, il ne raconte point seulement les
événements, il les explique et les juge ; il pénètre
les secrets de la politique, cherche les causes et
les conséquences ; il étudie le caractère du peuple
et le fondement des institutions; les idées mo-
dernes prennent chez lui conscience d'elles-
mêmes, et ses Mémoires ont mérité d'être appelés
ic le bréviaire des hommes d'État. » Il peut être
excessif de comparer Commines à Tacite, ou de
voir en lui notre Machiavel ; il n'en a pas moins
le mérite de donner à l'histoire l'expression défi-
nitive de son temps, dans une langue simple, na-"
lurelle, claire et précise, encore imprégnée de
naïveté et de malice gauloise, et que la meilleure
prose du xvi= siècle aura de la peine à dépas-
ser.
II. Deuxième période. — Renaissance ou xvi" siècle.
1" La prose. — Deux grands faits dominent
toute l'histoire au xvi» siècle : un besoin uni-
versel d'affranchissement et de rénovation, et un
retour enthousiaste, dans les lettres et dans les
arts, vers l'étude et l'imitation do l'antiquité. Le
mouvement général d'indépendance aboutit, en
matière religieuse, à la réforme luthérienne et
calviniste, et celle-ci agit, à son tour, sur la lan-
LITTERATURE FRANÇAISE
gue par la nécessité qui s'impose aux réformateurs
de soutenir leur cause devant le peuple, en sub-
stituant le langage vulgaire de chaque nation au
latin, si longtemps la langue officielle de l'Eglise.
De même qu'un a vu, en Allemagne, Luther régler
et, pour ainsi dire, créer la langue allemande gé
néralo, par sa traduction de la Hible dans le dia
locte dont il doit se servir pour ses traités et ses
pamphlets, de môme on voit, en France, Jean
Calvin (150;)-15Ci) donner au français sa forme
presque définitive, en l'employant à la propaganda
et aux polémiques religieuses. Son livre de Vins-
titutwn clirétieime, écrit d'abord en latin (Bâle,
15;i(j), puis traduit en français par l'auteur lui-
même, n'est pas seulement le plus important ma-
nifeste du protestantisme dans notre pays ; c'est
aussi le premier monument d'une prose vraiment
française, appliquée à des sujets et à, des inti'rôts
qui jusque-là paraissaient au-dessus d'elle. Du
premier coup Calvin a donné i notre langue les
qualités les plus conformes à l'esprit français :
clarté, correction, vivacité, énergie, variété des
tours; pour son propre usage, il l'a dégagée de
ses périodes embarrassées et de toute cette sur-
charge d'incises qu'elle devait à sa parenté avec le
latin et dont quelques grands écrivains repren-
nent encore après lui la pénible chaîne.
Contemporain de Calvin, François Rabelais
(14S '?-155?), sans se tenir sur le terrain exclusi-
vement théologique, obéit aussi à l'esprit de ré-
forme; mais, pour échapper aux rigueurs aux
quelles l'écrivain est exposé, de son temps, par
une pensée trop hardie, il enveloppe la sienne
dans un flot de plaisanteries qui éloignent la
défiance. Philosophe, théologien, médecin, et le
premier par l'érudition, au lieu d'un livre dogma-
tique, il écrit les contes les plus invraisemblables
et les plus bouffons, le Gargantua et le Panta-
gruel (15;i2-I.j(;4), qui forment comme le rêve de
l'épopée en délire, comme l'orgie de la raison et
du génie : « œuvre inouïe, dit Sainte-Beuve,
mêlée de science et d'obscénités, de comique,
d'éloquence, de haute fantaisie, qui... vous saisit
et vous déconcerte, vous enivre et vous dégoûte,
et dont ou peut, après s'y être beaucoup plu et
l'avoir beaucoup admirée, se demander sérieuse-
ment si on l'a comprise. « La Bruyère avait déjà
déclaré que Rabelais est incompréhensible, et son
livre, une énigme. « C'est un monstrueux assem-
blage, dit-il, d'une morale fine et ingénieuse et
d'une sale corruption. Où il est mauvais, il passe
bien loin au delà du plie, c'est le charme de la
canaille; où il est bon, il va jusques à l'exquis et
à l'excellent, il peut être le mets des plus déli-
cats. » Rabelais n'en reste pas moins au premier
rang des créateurs de la langue française; avec
moins de rigueur et de précjsion que Calvin, il a
fourni à l'idiome national, par son immense éru-
dition, une variété infinie de ressources, et en le
mettant au service de ses arrière-pensées et de
ses rêves de philosophe, il l'a rendu capable de
répondre non seulement au libre déploiement
d'une verve et d'une imagination sans frein, mais
aux délicatesses du sentiment et à la noblesse de
la pensée.
Avec presque autant d'érudition, une égale
souplesse, mais moins de fougue, Montaigne
(I5;i:i-159'2) a aussi doté la littérature française
d'une grande œuvre qui fait époque dans l'his-
toire de la langue et des idées; ce sont les Essais
(1580). Sous ce simple titre, l'auteur nous offre
la peinture générale de l'homme, se dévelop-
pant à travers ses intarissables confidences sur
lui-même, car Montaigne a la prétention d'être
« lui-même la matière de son livre. » Mais
l'homme est un sujet « ondoyant et divers, » dont
la mobilité naturelle et les perpétuelles contra-
dictions induisent le philosophe à regarder toute '
1181 — LITTERATURE FRANÇAISE
science humaine comme atteinte d'une irrémédia-
ble incertitude. Montaigne, se complaisant dans son
rùle de douteur, ne se lasse pas d'opposer le pour
et le coiitre sur toutes les questions, de mettre
en regard toutes les opinions et toutes les auto-
rités, pour conclure qu'il n'y a pas lieu de choisir
entre elles. Sa devise favorite est : u Que sais-je? »
également éloignée de l'affirmation et de la néga-
tion. Ce scepticisme universel est exposé dans les
EsS'iis avec un abandon charmant, un désordre
capricieux, qui déroute le lecteur, sans cesser de
le captiver, avec un luxe d'érudition facile et
légère qui assouplit la langue française en la met-
tant sans cesse aux prises avec l'antiquité grec-
que et latine.
A Montaigne, il faut rattacher Charron (1541-
Ifi03), qui, dans son livre de la So|5resïe( 1601), donne
au même système du doute universel plus de
consistance méthodique, mais moins de charme et
de valeur littéraire; puis liiienne de la Boétie
(1530-I5(i3), célèbre par l'amitié de Montaigne, et
dont le Discours sur la senntude volontaire, ou
le Contre-un, est resté la plus belle déclamation
classique du siècle.
On ne peut oublier Jacques Amyot (1513-1593),
qui, par son aimable traduction de IHutarque,
eut une telle influence sur la langue dos gens du
monde et des écrivains, que Montaigne lui attri-
bue l'honneur de les avoir tirés du bourbier ; ni
lo doux et un peu maniéré saint François de Sales
(156J-I6'J2), qui, pour mieux embellir la prose
française, la surcharge de festons et de fleurs ; de
nobles et intègres magistrats, comme Michel de
rHospital_ (I.i05-I573) ou Etienne Pasquicr (1529-
I(il5), qui, consacrant leurs loisirs aux lettres an-
ciennes, maniaient en maîtres la langue nationale
quand il s'agissait de défendre contre des fanati-
ques et des forcenés les droits de l'humanité et
la tolérance ; ui de savants et courageux édi-
teurs comme Henri Estionne ;i53l-lj98) ou Do-
let 11509-1546), payés de leur dévouement à
l'érudition par l'exil ou par la mort; ni enfin, à
la dernière heure des malheureuses luttes reli-
gieuses et politiques du xvi' siècle, les auteurs
plus ou moins anonymes du célèbre recueil de
pamphlets appelé bi Satyre Ménippée (1593), qui,
après avoir plus fait pour la cause d'Henri IV que
les armes de l'Espagne pour celle des Ligueurs,
est lesté, par la verve, l'esprit mordant et l'élo-
quence, le triomphe littéraire le plus complet du
bon sens et du patriotisme.
Il faut aussi faire une place à part, dans la
jeune prose française, à la double famille des
conteurs et des auteurs de mémoires. Les pre-
miers, comme Marguerite de Navarre (1492-1549)
dans VHi-ijtameron, puisent aux mœurs mêmes du
temps ou empruntent à l'Italie d'agréables mais
trop libres histoires d'amour, ou bien, comme
Bonaventure Des Périers (I549'?-I514), dans le
C'jmbalum niundi et les Nouvelles récréât io7is,
mêlent, à la manière de Rabelais, les joyeusetés
aux hardiesses religieuses et métaphysiques. Les
seconds, comme Montluc (1501-1577), Brantôme
(1540-1614), ou Agrippa d'Aubigné (1550-1030), ce
dernier non moins célèbre comme poète, animent
leurs précieux témoignages sur les faits contem-
porains de toute la vivacité de leur vanité person-
nelle ou des fureurs du fanatisme.
2" /.« poésie et le théâtre. — Au xvi« siè-
cle, la poésie jouit d'une haute faveur et jette
beaucoup d'éclat. Elle aborde les grands sujets
moraux et religieux qui répondent k la fermenta-
tation intellectuelle de l'époque, mais elle s'atta-
che surtout au travail de la forme littéraire, soit
n perfectionnant les vieux genres français, soit
en en créant de nouveaux, où elle puisse lutter
avec les littératures et les langues de la Grèce,
de l'ancienne Rome, et de la moderne Italie.
LITTÉRATURE FRANÇAISE — 1182 — LITTÉRATURE FRANÇAISE
Clément Marot (l'i9;'-l.S44) forme comme la tran-
sition enire les poètes du moyen âge et les poètes
nouveaux. C'est un habile mittcur en œuvre des
formes poéli(|ues les plus charmantes du temps
passé, et Boilcau a justement loué son « élégant
badinage ». Il porte la grâce et l'esprit dans tous
les genres légers, la ballade, le rondeau, l'épi-
gramme, l'épitre, etc. ; puis, touché par le souffle
de la réforme religieuse, il veut donner au pro-
testantisme français ses chants sacrés, et entre-
prend la traduction ou la paraphrase en vers des
Ps'iumes de David : tâche supérieure à la fois, à
son talent et aux ressources acquises de la langue
française; sur les données les plus lyriques, les
P.-aumes de Marot ressemblent encore à nos vieux
Noëti.
Après Marot et un petit nombre de poètes qui
■n'ont pas des visées plus hautes, comme Margue-
rite do Navarre (1492-1549), plus célèbre par ses
contes que par ses vers, ou Mellin de Saint-Ge-
lais (1491-1558), qui lutta pour retenir la poésie
dans les afféteries amoureuses, commence enfin
la véritable renaissance littéraire avec Ronsard, à
la fois célèbre par ses œuvres personnelles et par
son influence comme chef d'école. Six des plus
notables de ses contemporains se réunissent à lui
pour former le groupe brillant désigné sous le
nom de pléiade française. Ils ont leur manifeste,
ou déclaration de principes, rédigé par l'un d'eux,
Joachim du Bellay (152il-15li0) sous le titre de :
Défense et illustralion de la lungue française
(1549). Joachim du Bellay fut lui-même un poète,
attaché par système à l'imitation des Grecs et des
Latins, mais qui n'en porta pas moins une grâce
toute française dans le genre du sonnet, récem-
ment emprunté à la littérature italienne. On l'ap-
pela le Cl prince du sonnet », comme on appela le
chef de l'école le « prince do l'ode ••.
La principale étoile de la pléiade, Ronsard
(1524-15S5), rajonne sur tous les genres à la fois;
mais le poète excelle surtout dans le genre lyrique,
dont il varie les tons et les formes à l'infini. Et,
dans ce genre, les sujets gracieux lui conviennent
le mieux. Il y porte tantôt le charme naturel du
langage et du sentiment, comme dans cette « ode-
lette « si connue :
Mignonne, allons voir si la rose
Qui, ce malin, avait déclose
Sa robe de poui-pie au soleil,
K poiut perdu, ceUe vesprée.
Les plis de sa robe pourprée
El sou teint au vutie pareil
Tantôt il redouble la grâce du langage par les
recherches ingénieuses du rythme :
Bel aubépin Ilurissant,
Yeruissaut,
Le long de ce beau rivage.
Tu es \eslu jusqu'au bas
Des longs bras
D'une lambruuche [vigne] sauvage.
Ronsard ne le cède à personne dans le sonnet.
Le suivant figure avec raison dans tous les recueils :
Quand vous serez bien vieille, au soîr. à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant.
Direz, cliaiitant mes vhps et vous esmerveillant :
>« Ronsard me celébroit du temps que j'estois belle. •
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Désjà sous le labeur à demy someillant,
Qui au bruit de mon nom n^ s'aille réveillant.
Bénissant voslre nom de louange immortelle.
Je;
3ns la terre et, fantosme sans os,
nbres myrleuï je prendrai mon repos ;
z au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mou amour et vostre fier dédain-
Vivez, si m'en croyez, n'alieiidez à demain;
Cueillez des aujourd'hui les roses de la vie.
Jaloux de donner à la langue française un
poème épique classique, imité des épopées grec-
ques et latines, Ronsard entreprit la h'ranciade ,
consacrée à célébrer les origines de la nation fran-
çaise, dans les formes où V Enéide célébrait celles
de la nation romaine. Cette entreprise ne fut
guère plus heureuse que celle de Marot h. l'égard
de la poésie sacrée : ni le génie de Ronsard, ni
la langue de l'époque, ne suffisaient à une telle
tentative.
Parmi les noms qui brillent autour de Ronsard,
soit d.ins la pléiade, soit en dehors, nous devons
mentionner : Remy Belleau (1528-1579), le poète
pastoral au talent abondant et souple ; Jean-An-
toine de Baif (15.32-15SU), qui tenta d'introduire
dans notre prosodie, au lieu ou à côté du vers
rimé, le vers mesuré des anciens ; le seigneur Du
Bartas (1541-159 i), qui osa, dans son poème de la
Sepmriini: (1579), chanter l'œuvre des sept jours
de la Création et qui fut quelquefois, par l'idée et
par la langue, à la hauteur de son sujet ; Philippe
; Desportes (l.i45-lG0(i) et Jean Beriaut (1570-1611),
les deux poètes les plus corrects et les moins am-
; bitieux do l'école; Jean Passerai (I534-1G0'2), poète
I érudit, sans pédantisme, mais non sans vigueur,
j l'un des collaborateurs de la Sdyre Ménippée;
enfin deux poètes dont l'un résume le xvi« siècle
i dans ses traits les plus caractéristiques, et dont
'l'autre m.nrque la transition entre ce siècle et le
; suivant : Théodore-Agrippa d'Aubigné (I551-1G30)
et Mathurin Régnier (1573-1013). Le premier,
homme et poète d'action, voué au protestantisme
avec une ardeur indomptable qui lui valut quatre
arrêts de mort, ne s'arrêta pas aux petits genres
si chers li l'école de Ronsard, mais il osa tenter la
poésie toute moderne et toute vivante, en prenant
pour sujet les guerres religieuses de son temps;
de là son poème, les Tragiques, comprenant neuf
raille vers et divisé en sept livres, qui, sous les
titres de Misères, Princes, Chamhre dotée, Feux,
Fers, Vengeance, Jugement, sont autant de ta-
bleaux terribles et d'implacables satires des vio-
lences et des infamies, qui, au nom de la religion,
ont désolé ou déshonoré la France. Régnier traite
aussi la satire, mais en moraliste et non en sec-
taire ; homme du monde et homme d'église, il se
moque des travers et flagelle les vices ; par la mise
en scène de l'hypocrisie, il prépare et annonce
Molière.
Le théâtre, à l'époque de la Renaissance, est
l'objet d'une tentative de réiorme littéraire qui,
rompant avec la foi naïve du moyen âge, le ratta-
che pour longtemps à l'imitation et à l'influence
de l'antiquité. Pendant la première moitié du
siècle, les mystères sont encore le spectacle favori
du peuple ; les sotties, farces et moralités trouvent
aussi dans Pierre Gringoire (1475-li41) leur der-
nier et plus brillant interprèt-^ ; mais l'école de
Ronsard dédaigne ces amusements vulgaires; elle
retourne, par une imitation déjà savante, à l'an-
cienne tragédie classique. Etienne Jodelle (1532-
1573), Jacques Grévin I510-I57n), Robert Garnier
(1545-1601), Antoino de Montchrétien (1575-1621),
prennent K l'antiquité grecque et latine, ainsi
qu'à l'histoire sacrée, les sujets que traiteront
après eux Corneille et Racine ; ils prennent aussi
aux tragiques anciens, mais aux Latins plutôt
qu'aux Grecs, la manière de les traiter. On sent,
malgré les erreurs du goût et l'insuffisance ma-
nifeste de la langue, que nous touchons au théâtre
classique.
III. Troisième période. — Temps modernes.
r Dix-sepliéme siècle. — Ici, nous entrons dans
un monde plus connu : les noms des auteurs et
les titres de leurs œuvres sont plus familiers, les
rôles mieux définis, les sources et les renseigne-
ments sous la main ; nous pouvons donc être
LITTERATURE FRANÇAISE
4183
LITTERATURE FRANÇAISE
court et marquer simplement par dos noms pro-
pres, sans autant nous y arrêter, les étapes par-
courues. Le XVII" siècle s'ouvre littérairement
avec François Malherbe (I55f)-l(i2Sl, qui, très in-
férieur, pour l'invention, aux meilleurs poètes de
l'école de Ronsard, a été proclamé par Boileau le
premier maître de notre poésie, pour la pureté de
la langue et la cadence harmonieuse du vers.
Balzac (15!)4-IO,i4i, Voilure (159S-1048), portent
dans la prose la môme sévérité, et s'étudient h lui
donner do la grandeur et de la délicatesse. L'iiùtel
de Rambouillet met à la mode les raffinements du
sentiment et du bel esprit. L'Académie française
est fondée par Richelieu pour régler d'autorité la
langue à la fois et le goût (10-35). En dehors de son
influence. Descartes (l59()-lG5il)assouplit la prose,
en l'assujettissant, dans le Dincours de la Mélhode
(1637), à l'interprétation des systèmes philosophi-
ques, et Pascal (lGv'3-16()'.;), dans .ses Lettres pro- .
vincia/es (1G56), lui donne toutes les ressources
de la dialectique et de l'éloquence, pour la défense
de la foi et de la morale. Au théâtre, après les
innombrables improvisations d'Alexandre Hardy
(15G0-1632), parait le grand Corneillo (IGOG-lGS'i),
qui, à la suite d'une assez longue période de tâ-
tonnements, affirme son génie, méconnu de Ri-
chelieu et de l'Académie française, dans une série
de chefs-d'œuvre tragiques: /e Chl (li:3e), Horace,
Cinna, Polyeucte, Pompée (164.3;, sans compter
le Menteur, qui crée chez nous la haute comédie;
puis il se laisse envahir par une longue décadence.
Le théâtre, si brillamment inauguré avant l'a-
vènement de Louis XIV, restera pendant son
règne le principal centre littéraire du siècle au-
quel ce roi donne son nom. C'est, après le sublime
Corneille, le sensible et profond Racine (1G3!)-I69!i),
qui, dans les tragédies d'Andrommjne (1U67), Bri-
taïuiims, Mithridale, Iphigénie, rhèdre (1G77),
donne à toutes les passions humaines le plus élo-
quent langage, et qui, après douze ans d'une re-
traite causée en grande partie par les ininstices
de la critique, emprunte à la tradition biblique
les sujets et l'inspiration A'Esther (1G89) et
lïAthulie (lU9t). Racine avait montré, en passant,
une grande verve comique dans les Plaideurs
(1068). Mais le vrai représentant de la comédie,
c'est Molière (lC'.>V-167:i), qui aborde avec succès
tous les genres: la farce, la comédie d'intrigue, la
comédie de moeurs ou de caractère, et prodigue
tour à tour la gaieié, l'esprit d'observation, les
hauts enseignements. Maniant avec le même bon-
heur la prose et le vers, il s'est placé et maintenu,
dans la faveur publique, au premier rang des mo-
ralistes et des écrivains de tous les temps.
Un autre écrivain a conservé une popularité au
moins égale ; c'est La Fontaine (1G2I-I695), qui, re-
nouvelant l'ancien esprit gaulois et unissant le
plus parfait naturel à un art consommé, a su faire,
d'un simple recueil de Fa/iles, une véritable comé-
die universelle, essentiellement humaine, et re-
présenter sous le masque des animaux, avec le
langage et les mœurs de son temps, les types de
toutes les classes de la société, et toutes les
scènes de la vie. Aux quatre grands représentants
de la poésie sous Louis XIV il convient de ratta-
cher le nom de Boileau (IG3II-171 1), sinon pour
l'originalité des œuvres, du moins pour l'impor-
tance du rôle et de l'influence : Boileau, dans ses
Eiiitres et ses Satires, soutient et guide les bons
écrivains et fait une guerre implacable aux mau-
vais; son Art poétirjue \'a(ait appeler le .i législa-
teur du Parnasse » ; son Lutrin est resté un modèle
du genre héroi-comique. On voudrait à sa critique
plus de largeur et d'indépendance, mais il était
impossible de donner h la lajigue plus do rigueur
et de précision.
Kn dehors de ces noms consacrés par la tradition
classique, le théâtre au xvii' siècle en offre encore
quelques autres qu'il serait injuste d'oublier. Le
poème d'opéra est créé par Quinault {lG3.i-1668),
qui a survécu aux injustices de Boileau. Dans la
comédie brillent encore, quoique au-dessous de
Molière, Boursault (IG38-I7U1), l'estimablo auteur
du Mercure r/alant, et Regnard (1 1.5.1-1709), dont
le Joueur et le Léi/ataire universel sont des
œuvres encore très vivantes. Mais, dans la tragédie,
les rivaux de Corneille et de Racine,comme l'abbé
Boyer (1618-1G98), ou Pradon (1032-1698), ne sont
restés célèbres que par de tristes succès do cabale
ou de justes chutes. Il est d'autres poètes qui,
sans renoncer aux genres élevés, se sont fait un
nom dans les genres secondaires : tels sont
Racan (1589-1070), le poète des bergeries ; Bense-
rade (1612-1091), si célèbre par ses rondeaux;
Scarron (1610-1000), le créateur de la parodie;
Segrais (1024-1701), dont les o^logues ont fait ou-
blier le théâtre; M"'" Deslioulières (1037-1094),
dont la poésie pastorale vaut mieux aussi que les
essais dramatiques ; Chapelle (1G26-I68i:), et
Chaulieu (1039-17 20), si goûtés pour leurs petits
vers, faciles et légers. Le grand genre de l'épopée
n'olTre au contraire que des œuvres prétentieuses
et ridicules, comme la Pucelle de Chapelain (1595-
1674), sauvée de l'oubli par les épigrammes et la
satire.
La prose, au règne de Louis XIV, prend son plein
essor dans la littérature religieuse. Le christia-
nisme, développant, avec touie l'ampleur de la
forme oratoire, l'austérité des principes et l'accord
de la raison avec la foi, a suscité une famille entière
d'écrivains et de prédicateurs dignes des plus
beaux temps de l'Eglise; car la chaire et le livre
de piété se répondent, avec la même dignité de
stylo et le même sentiment de spiritualisme pro-
fond. Au premierrang marche Bossuet (1627-1704),
qui résume en lui tous les Pères, par la science
théologique et par l'éloquence chrétienne, dont
tous les tons lui sont familiers: tour ;\ tour apôtre
fougueux, panégyriste brillant, controversiste in-
fatigable. Puis vient Fénelon (1051-1715), qui.
sans dédaigner les sources chrétiennes, a puisé
dans l'antiquité grecque un pur atticisme, qu'il
conserve partout, soit qu'il enseigne et discute le
dogme, soit qu'il développe une utopie morale en un
poétique roman, ou qu'il s'abandonne aux etîusions
d'une âme mystique. Autour de ces maîtres do la
chaire, l'Eglise de France voit se grouper le sé-
vère Bourdaloue ;i032-l7(ii)i l'agréable Fléchier
(1032-1710), l'habile et élégant Massillon (1663-
U'i2,>.
Hors de la chaire, on retrouve la parole austère
mais non sans grandeur des solitaires de Port-
Royal, l'infatigable Arnauld (i012-109i), le docte
et prolixe Nicole (1025-1095), qui faisait les délices
de M'"'= de Sévigné, et surtout l'éloquent et tour-
menté Pascal, dont l'œuvre suprême n'existe pour
nous qu'i l'état de débris dans le recueil des
Pensées. A l'étude morale de l'homme appartien-
nent deux autres livres immortels: les Maximes
de La Rochefoucauld (IGI-i-1680), dont lo pessi-
misme reste aussi étranger aux sentiments reli-
gieux du temps qu'i celui de la dignité de l'âme
humaine, et les Caraclàres- de La Bruyère (1645-
1G95), qui associe aux peintures si fines et si déli-
cates de l'homme la défense du spiritualisme
chrétien. La philosophie de Descartes trouve
aussi dans Malebranche (1638-1715) un interprète
non njoins pieux (|u'éloquent. A cette époque, la
théologie et la philosophie sont partout. Cachant
un fond sérieux sous la forme la plus légère et la
plus gracieuse, M"° de Sévigné (1626-1696) mêle
les dissertations jansénistes ou cartésiennes aux
commérages île la cour et aux inépuisables épan-
chements de l'amitié. L'histoire, médiocrement
représentée par Mézeray (iOlii-IO.S3), manque au
xvii" siècle, avec l'esprit de critique qui en est la
LITTÉRATURE FRANÇAISE — H84 — LITTÉRATURE FRANÇAISE
condition ; mais elle est rachetée pour la postérité
par des Mémuire'i, qui, du cardinal de Ketz (I6H-
1(^9) et de M"" de Mottcville (1G21-I68H) à Saint-
Simon (16"5-nô5), jettent une lumière aussi vive
qu'imprévue sur les hommes et les événements
contemporains.
2° Dix-huitième siècle. — Le xviii" siècle
ne s'éloigne que d'une façon insensible, dans le
domaine littéraire, du siècle de Louis XIV , avec
le(iuel il doit rompre d'une manière si violente,
par son psprit général et par ses doctrines, en
philosophie et en religion. Un homme le domine
et paraît le remplir tout entier, c'est Voltaire (IG94-
mS), qui reste le premier adorateur du grand
règne en se faisant le chef du mouvement qui doit
en ébranler les principes. Voltaire s'exerce dans
presque tous les genres à la fois et, toujours plus
philosophe qu'artiste, il fait de presque toutes
SCS œuvres littéraires des instruments de guerre,
sinon contre le christianisme lui-même, du moins
contre l'ignorance superstitieuse ou l'esprit d'in-
tolérance et de fanatisme qui ont trop souvent
régné en son nom. C'est pourtant à des inspira-
tions chrétiennes que se rapportent plusieurs de
ses plus belles œuvres. A peine sorti des bancs du
collège, il entreprend de donner à notre littéra-
ture le poème épique classique, vainement essayé
depuis Konsard, et il y réussit dans une certaine
mesure, en écrivant la Heitrinr/r. Il aborde ensuite
le théâtre et le renouvelle, à plusieurs égards, sans
.nbandonner tout à fait la tradition classique :
/aire, Mahomet, la Mort de César, Mérope,
Rome sauvée, font appel tour à tour à. l'émotion
populaire etkia raison, à l'esprit d'indépendance.
Inférieur dans la poésie lyrique proprement dite.
Voltaire est incomparable dans la poésie familière
et badine, ainsi que dans l'épitre et le discours
philosophique. Il manie la parodie avec une verve,
une liberté qui ne connaît pas de mesure. Dans
la prose, il est un des créateurs de l'histoire, à
laquelle il ouvre des horizons nouveaux et qu'il
embrasse tout entière, depuis la monographie
biographique jusqu'Ji la pliilosophie de l'histoire.
Comme philosophe, tout lui est prétexte à. polé-
mique; au nom du bon sons, de la raison ou de
la science, il est sans cesse en lutte avec les pré-
jugés, les abus ou l'erreur, soit dans le roman,
qu'il traite avec une rare finesse, soit dans les
libres articles de son Diciionnaire philosophique,
soit dans les innombrables pamphlets qui marquent
toutes les périodes de sa longue carrière, soit dans
cette immense et précieuse Correspondance entre-
tenue, d'un bout de l'Europe à l'autre, avec tout
ce qui compte dans le monde des affaires publiques
et dans les lettres. Voltaire est, en outre, l'àme de
la grande machine de guerre philosophique et
religieuse qui s'appelle YÉuci/clupédie.
Jean-Jacques Rousseau (ni2-m8i, dont le nom
est resté si étroitement lié h celui de Voltaire,
pousse son siècle vers le même but avec une ar-
deur non moins soutenue. Après la Nouvelle Hé-
lo'ise, qui mêle à l'éloquence de la passion la
discussion ardente de vérités neuves ou de para-
doxes, son Emile est accueilli moins comme un
ingénieux traité d'éducation que comme le hardi
manifeste de la religion naturelle. 11 propose,
dans le Cojitrat social, la refonte complète, par
une utopie, de la société dont il a renversé les
bases dans de célèbres pamphlets. Enfin, il ouvre
de nouvelles sources littéraires dans ses Confes-
sions, par lo retour intime sur soi-même et par
le sentiment exalté de la nature.
Un penseur plus calme, Mont(;squieu (16S9-n5.S),
après avoir sacrifié à l'esprit frondeur du siècle
dans les Lettres pers'mes, recherche dans des
œuvres longuement méditées et fortement écrites,
la Grandeur et la décadence des Romains et l'Esprit
des lois, les conditions naturelles des institutions
et la raison même de leur développement, de leur
progrès ou de leur décadence. D'un autre côté,
Bulfon, classé ordinairement parmi les quatre
grands écrivains du siècle, trouve dans l'étude de
la nature, non seulement la satisfaction d'une cu-
riosité savante, mais aussi un aliment pour l'esprit
philosophique, et particulièrement une matière
inépuisable de peinture littéraire.
Un cinquième écrivain, Diderot, mérite d'être
placé sur la même ligne, et par ses qualités litté-
raires et par sa participation infatigable aux luttes
du temps : à part son njle philosophique, dans
lequel il pousse trop volontiers la liberté de pen-
ser et d'écrire jusqu'à la licence, Diderot intéresse
particulièrement l'histoire littéraire par la création
de la critique d'art, et par son influence sur le théâ-
tre, où il s'efforce, par la théorie et par l'exemple,
d'introniser la tragédie bourgeoise ou le drame
moderne.
Dans l'œuvre de propagande philosophique et
de progrès social du siècle, se présentent ensuite,
à des rangs différents : le centenaire Fonte-
nelle (1657-1757), bel esprit et savant tout en-
semble, qui, appartenant aux deux siècles, étonne
le dix-septième par la hardiesse de ses para-
doxes, et le dix-huitième par sa discrète réserve
à l'égard des idées nouvelles: d'Alembert (1717-
17«3i, le représentant de la libre science dans le
monde des encyclopédistes; l'urgot (I727-1781),
le sage défenseur do la tolérance et l'un des
créateurs de l'économie politique ; Condorcet (174.3-
1794), le théoricien du nouveau dogme de la per-
fectibilité humaine.
Pour rentrer dans un ordre plus spécialement
littéraire, il nous faut citer, dans le roman : Le-
sage (1G68-174"), avec ses attachantes études d'ob-
servation morale, le Diable boiteux et Gil Blas;
l'abbé Prévost (1697-17G3), avec sou émouvante
histoire de Manon Lescaut; Marmontel (17'i3-
1799), dont les Contes mornux, le Bélisaire et les
Incas furent plus froiiiés de ses contemporains
que ses utiles Eléments de littérature; Flo-
rian (1755-1791), dont les prétentieux récits en
prose eurent aussi plus de vogue que ses Fables,
seules dignes de lui survivre; puis, dans la poésie
lyrique, Jean-Baptiste Rousseau (1670-1741), dont
les mérites comme versificateur ont été tour à
tour loués et dépréciés outre mesure; Lefranc de
Pompignan (1709-1784), dont quelques belles
strophes sont citées partout; Gilbert (1751-
1780). qui marqua aussi sa place dans la satire;
Ecouchard-Lebrun , dit Lebrun-Pindare (17'.;9-
1807J, non moins conim par la malice de ses épi-
grammes que par la pompe de ses odes.
Au théâtre, à coté de Voltaire, se rangent le
sombre Crébillon (1674-176.'), son constant et iné-
gal rival; De Belloy (1727-1775), l'auteur de la
patriotique tragédie le Siège de Calais ; La-
fosse (lii33-1708), dont le Manlius rappelle d'un
peu loin les Romains de Corneille; La Chaus-
sée ( I6li2-l7.s4), dont les comédies larmoyantes
furent accueillies comme des homélies; Lesage
qui, avec Crispin et Turcaret. porte à la scène,
comme dans le roman, la critique des mœurs
contemporaines; Alexis Piron (1689-1773), célèbre
par ses épigrammcs de circonstance et dont la
Métromanie a mérité de survivre; Gresset (1709-
1777). dont la grande comédie du Méchant a moins
vécu que son petit poème de Vert-Vert; l'ingé-
nieux Marivaux (1688-1763;, avec toutes les
finesses de sentiment et de langage que rappelle
son nom; La Harpe (1739-1803) qui, malgré ses
nombreuses tentatives dramatiques, est plus connu
comme professeur et critique, par son volumineux
Cours de littérutnre; Fabre d'Eglantine (1755-
17U9), dont le Philinte de Molière fut le meilleur
succès ; enfin et surtout Beaumarchais (1732-
1799), dont le Barbier de Sévillent le Mariage de
LITTÉRATURE FRANÇAISE — H85 — LITTERATURE FRANÇAISE
Figaro ont défendu avec une verve si brillante
les nouvelles idées et légué à la littérature et à
l'art un type immortel.
Un certain nombre d'écrivains on prose se tien-
nent en dehors du mouvement pliilosopliiquc
dont Voltaire est le centre, ou s'efforcent d'y ré-
sister ; tel est l'honorable et savant Daguesseau
(KiliS-USI), aux œuvres oratoires, laborieuses et
raTlinées; tel est notre bon vieux Rollin (1061-1741),
qui, voué au latin jusqu'à soixante ans passes,
aborda le français avec tant de bonheur, que son
Truite des études, si précieux à tant d'égards, est,
selon Villemain, « un des livres le mieux écrits de
noire langue, après les livres de génie; » tel est
encore le jeune et sympathique moraliste, Vauve-
nargues (I7I5-1147), dont le généreux livre des
Ri'/lexions et Mojcvn-s ne se rattache ii la philo-
sophie du xvni* siècle que d'une façon générale,
par la liberté de la pensée. Parmi les adversaires
de Voltaire, il n'y a guère à citer que l'abbé Gué-
née (1817-1803) pour sa polémique spirituelle et
savante, et Fréron (I71S-177G)) pour son infatiga-
ble courage ; les autres, et ce dernier lui-même,
soiit moins connus par leurs œuvres que pur les
innombrables épigrammes dont les accabla la
malice voltairienne.
L'histoire inspire, au xviii» siècle, des travaux
hardis ou savants; ceux de l'abbé Mably (1709-
I78.ii, qui reprend en sous-œuvre les paradoxes
de Jean-Jacques et les méditations de Montes-
quieu; ceux de Fréret (1088-1749), qui, par ses
recherches personnelles, inaugura toute la science
moderne de nos origines nationales: ceux sur-
tout des Bénédictins de Saint-Maur, dont les grands
recueils, la Gnllia christiaiw, VHhtoire liltéraiie
de la France, etc., continués jusqu'à nos jours
par l'institut, sont l'honneur de 1 érudition fran-
çaise; enfin l'ingénieux et savant abbé Barthé-
!emy(1716-179ô),dont le Voi/af/e du jeune Anacliar-
sis fut, pour les gens du monde eux-mêmes,
une révélation de l'antique société grecque. Des
mérites tout littéraires et des circonstances favo-
rables ont popularisé les compositions historiques,
bien inférieures pour le savoir et l'exactitude, de
l'abbé de Vertot (lGi,'.-n35) sur les révolutions de
la République romiine, de l'abbé Raynal (ni3-
179(1) sur les établissements européens dans les
Indes, et de Duclos (1701-1773) sur son propre
siècle. Aux historiens proprement dits, il faut
joindre les nombreux et intéressants mémoria-
listes, comme le duc de Luynes, d'Argnnson,
Barbier, Bachauniont, etc., et les auteurs de ces
grandes correspondances avec l'étranger, qui peu-
vent, comme celle de Grimm, devenir des monu-
ments, et qui ont tant contribué à étendre à toute
l'Europe le mouvement littéraire et philosophi-
que de la Franco.
Vers la fin du xviii» siècle, il faut distinguer
la liilérature pure et la littérature d'action. Dans
la première, la poésie, s'inspirant du senti-
ment de la nature, fait une très grande place au
genre descriptif. Après Boucher (1748-1794) et
son poème des Muis, et SaintLambert (1710-1803)
et celui des Saùo'is, vient l'abbé Delille (1738-
1813), qui, ayant traduit avec bonheur les Géor-
giques de Virgile, applique la poésie didactique à
tout ce qui est susceptible d'être décric. Sous
1 innueiice plus directe de Jean-Jacques Rousseau,
Bernardin de Saint-Pierre (17.17-1814), dans ses
Et'.desde lu nnture et dans Paid et Virginie, con-
sacre le genre de la descriptioti en prose, qui
devait avoir jusiiu'i nos jours tant de faveur.
Dans la littérature d'action, la révolution qui ter-
mine le siècle renouvelle l'éloquence politique
et II! pamphlet, et crée le journalisme : vaste mou-
ïemcnt dans lec|uel, à part les boutades d'un froid
et caustique observaieur, Cliamfurt (1741-1791) et
]e= vives escarmouches d'un écrivain plus spirituel
2« Partie.
que convaincu, Rivarol (1753-lSOI), les idées et
les institutions du passé sont à peine défen-
dues. Do Mirabeau à Danton, de Vergniaud à
Robespierre, de Camille Desmoulins à Hébert,
nous ne pouvons suivre ces luttes parlementaires
et ces guerres de plume, tour à tour brillantes et
sinistres, et nous rappellerons plus volontiers,
pour clore l'histoire littéraire de tout le siècle,
que la poésie n'avait pas abdiqué dans la tour-
mente révolutionnaire : elle s'affirme jusqu'au
pied de l'échafaud, avec André Chénier (1702-
I79i), qui, suivant sa célèbre devise :
Sur des peiisers nouveaux faisons des vers antiques,
va retremperson originalité dans l'inspiration grec-
que. Ses idylles et ses élégies, dont IdiJeune cap-
tive est l'impérissable modèle, se mêlent aux
chants nationaux dont la Marseillaise de Rouget
de Lisle (1700-1836) reste le type. Le théâtre qui,
s'affranchissant des traditions classiques, a accueilli
les œuvres de Shakespeare arrangées par Ducis
(1733-1810), voit se produire une suite de pièces
de circonstance inspirées par la Révolution et
qui n'ont qu'une vogue éphémère ; mais il faut
citer, au milieu même du procès de Louis XVI, les
généreuses protestations produites h la scène par
Jean-Louis Laya (l701-183i) dans l'Ami des loi<.
On ne peut quitter le xviii' siècle sans remar-
quer l'inlluence qu'y exercent les femmes, l'éclat
que jette l'esprit de conversation, et l'incroyable
extension de la langue et de la littérature fran-
çaise à l'étranger. C'est le siècle des salons litté-
raires, des « doctes cafés ",des réunions mondaines,
où l'on traite des choses de l'esprit, comme du grand
intérêt du présent ; où les femmes prennent en
main la cause des lettres et de la philosophie et con-
tribuent à en faire des puissances ; où Mi""*Du Cliâ-
telet, Du Doffand.d'F.pinay, .\ecker, de Staël et tant
d'autres soutiennent et étendent l'action des Vol-
taire, des d'Alembert, des Diderot, dos Jean-
Jacques et des Turgot. La sociabilité française
vient en aide au sentiment d'humanité qui anime
toute la philosophie du siècle, et, par la double
contagion de l'idée et de la mode, notre nation
donne plus que jamais le ton à l'Europe, à ses
cours, à ses académies. Notre souveraineté intel-
lectuelle et littéraire est proclamée plus haut à
Berlin et à Saint-Pétersbourg qu'à Paris. Non
seulement le roi de Prusse, Frédéric le Grand,
élève de Voltaire, a une cour philosophique fran-
çaise dans sa résidence de l'otsdam, il est fier
d'écrire lui-même en prose et en vers dans notre
langue ; limpératrice de Russie, Catherine II, a la
même ambition et le môme orgueil. L'étranger
nous fournit des écrivains français, comme Hamil-
ton, Grimm, le prince de Ligne, l'abbé Galiani, qui
jo gnent à la correction et à la clarté le mouvement
et la finesse. Avec notre langue, nos ouvrages et
notre philosophie pénètrent partout, et, par un
excès qui appellera des réactions, l'imitation fran-
çaise, provociuée successivement par la perfection
de nos œuvres classiques et par l'asceudant de
nos idées révolutionnaires, paraît suspendre, de
tous côtés, en Allemagne, en Angleterre, en Espa-
gne, en Italie, en Russie, le mouvement propre à
chaque nation et à chaque littérature.
3° Dix-neuvième siècle. — Au moment où les
agitations politiques de la France révolutionnaire
sont comprimées par la main puissante de Napo-
léon, un nouveau mouvement littéraire, celui de
l'art romantique, se dessine et se développe tout
à fait en deliors de l'action du pouvoir. Il prend
naissance dans les théories critiques qu'une
femme à l'esprit brillant. M"" de Staël (I70C-I817),
la fille de Neckor, développe dans son livre de
l'Ai cm igne, sou» l'influence des nouvelles écoles
littéraires et philosophiques d'outre-lîliin. M"" de
Staël, qui a écrit en outre doux beaux romans
75
LITTERATURE FRANÇAISE — H86 — LITTÉRATURE FRANÇAISE
d'analyse morale, de passion et d'art, Delphine
et Ci-rmne. et un livre d'un grand sens politique,
les Considérations sur ta Hévotution frunçuise,
s'est vue en butte aux hostilités du gouvernement
impérial et a dû fuir devant la proscription pro-
voquée par sa trop libre pensée. Dans le même
temps, un esprit plus éloigné de celui du
xviii' siècle inspirait à Chateaubriand (I"(i8-
1838) le Génie du Clirislianisme ou les Beautés
de ta reltyion chrétienne, ouvrage destiné à rame-
ner les âmes à la foi, non par la démonstration,
mais par le sentiment et la poésie ; deux petits
romans, Atala et Séné, dont le second fut appelé
un " Werther chrétien, >. faisaient partie de celte
apologétique d'un nouveau genre qui introduisait
dans la littérature, comme dans la religion, des
formes et des habitudes de langage inusitées, un
grand vague dans les idées et leur expression,
le luxe de la poésie dans la prose, la recherche
des traits pittoresques, un usage immodéré du
néologisme. Chateaubriand donna ensuite, sous la
même inspiration poétique et rcligi>'use, le poème
épique en prose des Martyrs, puis, dans un grand
nombre d'écrits de littérature, de voyages, d'his-
toire, de politique, soutint ce rôle de penseur
chrétien et de politique royaliste auquel il devait
donner un éclatant démenti posthume par ses
Mémoires d'outre-tnmbe.
La cause de la religion et du royalisme était dé-
fendue avec moins d'art, mais avec plus de ri-
gueur par un écrivain, moitié étranger, moitié
français, le comte Joseph de Maistre (n.i4-1821),
lauteur des remarquables Soirées de Saint-Pé-
tersbourg et d'une foule de virulents pamphlets
contre la raison, la liberté, contre tous les prin-
cipes et institutions des sociétés modernes.
Tandis que ces trois écrivains échappaient à l'ac-
tion del'Empire parleur génie littéraireou se tour-
naient ouvertement contre lui, la littérature offi-
cielle, maintenue dans les traditions classiques,
se mourait d'épuisement. Le gouvernement impé-
rial avait ses poètes, académiciens ou sénateurs,
auxquels il commandait des odes, des poèmes,
des tragédies, qui jetés, pir ordre, dans les mou-
les connus, manquaient de mouvement et de vie,
et n'avaient aucune prise sur la génération nou-
velle. Parmi les noms les moins oubliés de cette
littérature médiocre, on peut citer, en renvoyant
pour plus de détails aux dictionnaires spéciaux,
Arnault, de Jouy, Fontanes, C.ampenon, Luce de
Lancival, Parseval de Grandmaison, Raynouard,
Baour-Lormian, BrilTaut, Népomucène Lemercier,
Lebrun; un groupe d'auteurs comiques ne man-
quant pas de finesse, Collin d'Harleville, Picard,
Duval, Etienne, etc. Excité par la pénurie même
du jirésent, le besoin de nouveautés cherchait une
satisfaction dans les littératures étrangères. On se
passionnait pour les poèmes nébuleux et sans au-
thenticité dOssian ; on prenaitau théâtre allemand
ses élucubrations les plus sombres ; an lieu des
arrangements de Shakespeare par Ducis, on ré-
clamait des traductions complètes et fidèles. On
empruntait aussi à r,\ngleterre une poésie lyri-
que plus vivante, et le genre byronien devenait
une mode, une fureur.
C'était, en effet, par la poésie lyrique et par le
théâtre, que la littérature devait trouver, en
France, sa rénovation. Casimir Delavigne (179:3-
184:i), sous l'influence du sentiment patriotique,
avait rajeuni les formes de l'élégie, dans ses
premières ifessétuei^nes (I818); Uéranger (17813-
1X57), avec une langue encore classique et sobre,
donnait au simple genre de la chanson une variété,
un intérêt patriotique, qui commençait sa longue
popularité; bientôt Lamartine (ITJO-iSG!)), dans
ses Mé'iitiitions (182U), renouvelait si complète-
ment la poésie lyrique, qu'il paraissait l'avoir
créée. Alors M. Victor Hugo (né en 1802) vient, au
nom de l'école romantique, jeter dans ce même
genre lyrique une richesse de forme inattendue;
appartenant au passé par le sentiment monarchi-
que et religieux, les Odes et baltades (1822), que
suivent les 0< ieidales(\&ii), \ni Feuilles d automne
(18:31), etc., tirent de la langue poétique tous les
effets de la musique et la peinture; une nouvelle
pléiade de poètes se groupe, sous le nom de
1' cénacle, » autour do ce chef d'école de vingt ans ;
les deux Descliamps (Emile, 1791-1871, et Antony,
I8OII-I861), Sainte-Beuve (I80i-I8G;3), et plus tard
Alfred de Musset (181(1-1857), le plus populaire
après le maître, Théophile Gautier (1811-1872),
etc., rompent le vers lyrique à tous les caprices
du rhythme, du sentiment et de l'imagination.
Mais les grands coups de la réforme se portent
au théâtre. M. Victor Hugo a donné lui-môme le
manifeste du romantisme, dont le nom vague et
obscur prêtait aux interprétations les plus exagé-
rées, dans la célèbre préface du drame de Crom-
well (1827), qui n'était point fait pour la scène ;
puis il obtint du roi Charles X, malgré les do-
léances de l'Académie française, de faire passer
au théâtre son drame à'Hernani (25 février 1830),
resté le principal type littéraire du genre et qui,
détrônant enfin la tragédie, amène les partisans
de l'art classique à compter avec les innovations.
Casimir Delavigne leur donne une heureuse part
dans les Enfaids d'Ediiuard et Louis XI; Fran-
çois Ponsard (1814-1867), malgré l'apparence de
retour aux traditions classiques, dans sa tragé-
die lie Lucrèce (1843), leur fera, dans Charlotte
Cordaij et ses autres drames, une large mesure.
Quant à M. Victor Hugo, poursuivant au théâtre
les luttes mêlées de chutes et de triomphes du
romantisme, il produit Marion Detorme (1831),
le liai s'amuse (i832), Lucrécs Borgia (1833), An-
.'/e/o(1835), Ruy-Blai (1838), les Buri/raves (1843).
Les principales de ses pièces, comme He>-nani
et Buy-lilas, seront longtemps reprises au théâ-
tre avec le plus brillant succès. D'un autre côté,
Alexandre Dumas père (1803-187(1) exploite avec
un rare bonheur le drame tiré de l'histoire, en
pliant d'autorité les faits et les personnages aux
combinaisons de sa puissante imagination de ro-
mancier. Il trouve, dans cette direction, une
nombreuse suite d'imitateurs.
Le genre dramatique présente, à la même épo-
que, d'autres veines de succès; une longue po-
pularité s'attache au vaudeville, par lequel Eugène
Scribe (1791-ISGI) et ses nombreux collaborateurs
présenient.dans une infinie diversité, l'image super-
ficielle, mais intéressante, delasocii^té bourgeoise.
D'autres viendront qui, comme MM. Alexandre
Dumas fils, Emile Augier, Th. Barrière, etc., pein-
dront nos plus mauvaises mœurs avec crudité et en
ferontl'amère satire, ou bien, comme MM.Legouvé,
Octave Feuillet, V. Sardou, etc., représenteront
des mœurs plus sympathiques avec des ridicules
ou des vices moins odieux; sans compter les
nombreuses fantaisies dramatiques dont l'exemple
a été donné par les gracieux Proverbes d'Alfred
de Musset.
Mais la peinture infatigable du siècle par lui-
même se produit dans le roman, qui, multipliant
les volumes ou envahissant le journal par le
feuillKton, prend tous les tons et toutes les for-
mes, et qui devient tour à tour, avec Honoré de
Balzac ( iTiO- 1 «50), M . Victor Hugo, Alfred de Vigny
((799-1803), Nodier (178.1-1844), les deux Alexan-
dre Dumas, Eugène Sue (1804-IS59), Mérimée
(18 3-1S70), George Sand (1804-1876), MM. Octave
Feuillet, J. Sandeau. G. Flaubert, Erckmann-Cha-
trian, etc., une représentation générale de la co-
médie humaine, un cours<i'histoiro populaire, une
école, parfois malsaine, de politique ou de science
sociale, enfin une mine inépuisable d'art et de
fantaisie.
LITTÉRATURE FRANÇAISE — H87 — LITTÉRATURE FRANÇAISE
La poésie ne s'est, pas arrêtée, lions du théâtre,
après le premier efl'ort du romantisme. Outre ses
beaux recueils de Nouvelles médiliiUons, AHnr-
moniespoéliijues et iclii/ieuset, de Hecueillements,
Lamartine a donné. "i notre temps son épopée intime,
dans Jocelyn. Aux poésies lyriques de sesdébuts,
M. V. Hugo ajoute, sous des inspirations poli-
tiques et pliiloscphiqiies toutes contraires, le
livre vengeur des CinÙinients, les mélancoliques
Contemplations, l'aventureuse Légende des siècles,
les capricieuses Chansons des rues et des bot':, etc.
Avec moins d'originalité, mais avec une grande
distinction de langue poétique et de sentiment,
MM. Aug. Barbier, Autran, de Laprade, Lecoiite de
Lisle, Baudelaire, de Banville et bien d'autres, ont
exploré, comme poètes, le champ de la politique,
de la philosophie ou de la nature.
La littérature philosophique, religieuse ou po-
litique a gardé une largi^ part dans la prose. Dans
la controverse théologiqun, Joseph de Maistre a
pour successeurs deBonald (17.')i-IS40), de Frays-
sinous (nij.';-1841), Lamennais (n8'M8J4), tour à
tour ardent défenseur des doctrines ultt'amontai-
nes et de la politique radicale ; Lacordaire (1802-
1861), son disciple, qui abandonne ses doctrines
dès que Rome les a condamnées ; Montalembert
(1810-1870), autre disciple du même maître, s'ef-
forçant jusqu'au bout de concilier le libéralisme
avec l'orthodo.xie ; Mgr Dupanloup (1802-1877),
jaloux défenseur des prétentions de l'Eglise sur
l'éducation, etc. Le spiritualisme philosophique,
restauré dans l'Université par Royer-CoUard,
trouve un magistralreprésentantdans Victor Cousin
(1792-1867) et de brillants ou savants interprètes
dans ses élèves : Jouffroy (1796-1812), MM. Va-
cherot, J. Simon, etc. ; mais il lui faut compter
avec les nouvelles recrues du matérialisme scien-
tifique, maintenu en médecine par Broussais (1772-
1838) et transformé en positivisme par Auguste
Comte (1795-1857) et M. Littré. L'économie poli-
tique produit, de Jeati-Baptisle Say (l767-18r,Mà
Michel Chevalier (1806- 1879), toute une école de
publicistes distingués, tandis que le socialisme lui
suscite dans Proudhon (UOJ-1865) un redoutable
contradicteur. Et ce grand mouveinent d'idées
n'est pas sans un intérêt littéraire; car, de nos
jours plus que jamais, le succès de propagande
du philosophe tient au talent de l'écrivain. Le
journalisme a participé, comme le livre, à cette
libre activité de la pensée moderne ; les publicis-
tes do la presse quotidienne et des grandes revues
ont souvent mis au service d'une doctrine ou d'un
parti une science profonde du style.
Nos institutions, depuis la chute du premier
Empire, ont tenu presque contamment ouvert le
champ de l'éloquence politique, et les luttes de la
tribune font aujourd'hui partie de notre histoire.
Bornons-nous à rappeler, pour ne parler que des
morts, les noms de Royer-Collard, du général Foy,
de Manuel, de Caslmir-Périer, de Berryer, de Le-
dru-RoUin, de Lamartine, de Thiers, de Guizot, de
Jules Favre. La chaire a aussi ses beaux jours, à
Notre-Dame de Paris, avec Frayssinous, Lacordaire,
de Ravignan, qui, à part leur talent oratoire, aidè-
rent quelquefois au succès de la prédication reli-
gieuse pai- des excursions sur le terrain profane
de l'histoire et ae la politique contemporaines.
Une tribune d'un autre genre a jeté aussi un grand
éclat: c'est celle de l'enseignement public dans
nos facultés, auxquelles la Sorbonne, sous la Res-
tauratiori, a donné, dans les leçons de Guizot, Cou-
sin et Villemain, de mémorables inodèles.
L'histoire et la critique littéraire ont eu encore
de nos jours de brillantes destinées. La première
a ete transformée, pour l'art de la composition et
lautorité de la science, dans les écrits d'Augustin
Thierry (1795-1856). que la perte de la vue a fait
appeler l'Homère de l'histoire. Puis sont venus,
avec toutes les ressources de l'érudition et la
puissance du talent : Guizot (1787-I87'1), de Ba-
rantc(l782-18G«;, Michelet (1798-1874), Edgar Qui-
net(180:!- 1875), Thiers (1797- 1877), de Vaulabolle
(1799-1879), Lamartine, MM Mignet, Henri Martin,
Louis Blanc, etc., qui, parcourant en tout sens le
champ du passé, se sont efforcés de rendre aux
institutions leur portée, aux objets la couleur, aux
pe."sonnages la vie, aux moindres drames l'intérêt
et la passion. La critique est devenue à son tour
une histoire lumineuse et féconde : après l'impul-
sion domiée par Villemain, grâce à la curiosité uni-
verselle de Sainte-Beuve, aux vues ingénieuses et
aux savants travaux d'une foule de professeurs et
de journalistes, toutes les littératures anciennes
ou modernes ont été l'objet d'études minutieuses,
approfondies, qui ont remis en lumière les hommes
et les ouvrages de tous les temps, de tous les pays,
et ont permis déjuger la valeur absolue et relative
de chacun, en le replaçant dans le milieu où il a
vécu.
Telle est la longue carrière que la littérature
française a remplie, depuis le moment où, sur
l'antique sol gaulois, s'est formée la langue qui
lui sert d'instrument, à travers toutes les vicissi-
tudes morales, sociales et politiques dont elTe est
la constante et fidèle image. Intimement liée à la
vie nationale, elle est appelés h s'associer encore
aux transformations do l'esprit français et à se-
conder l'influence qu'un peuple maître de lui-
même peut exercer sur ses destinées et sur celles
du monde. S'il est vrai que le passé réponde de
l'avenir, celui de la langue et de la littérature
françaises autorise encore de patriotiques espé-
rances. [G. Vapereau.]
Outre l'article général qu'on vient de lire, et
qui donne un tableau d'ensemble de la littérature
française, ce Dictionnaire consacre à diverses
parties do cette littérature, et à quelques auteurs
classiques un certain nombre d'articles spéciaux,
conformément au programme du cours tel que
nous allons le donner. (Pour celle des sections du
programme qui ne sont pas suivies de l'indication
d'un article spécial, le lecteur voudra bien se re-
porter à l'article ci-dessus, qui sera d'ailleurs con-
sulté avec profit pour chacune des autres sections.)
PROGRAMME OU COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE.
I. — Origines. Formation de la langue. — V. Ro-
manes {la7igues). Française (langue).
II. — La langue d'oc et la poésie de la France du
midi. — V. Troubadours.
III. — La langue d'oil. La poésie épique et la
poésie lyrique de la France du Nord jusqu'au
treizième siècle.
IV. — La poésie didactique, satirique, allégo-
rique, lyrique, du treizième au quinzième siècle.
V. — Le théâtre français au moyen âge.
VI. — La prose française au moyen âge.
Vil-VlII. — Le seizième siècle ; prose et poésie.
IX. — Malherbe et ses contemporains; le premier
tiers du dix-septième siècle.
X. — Pierre Corneille. — V. Corneille.
XI. — Descartes, Pascal, Port-Royal. — V. Des-
caries (dans la I" pAnTiE), Pascal.
XII. — Molière. — V. Molière.
XIII. — La Fontaine. — V. La Fontaine.
XIV. — Boileau. — V. Boileau.
XV. — Racine. — V. Racine.
XVI. — Bossuet, Fénelon et la chaire chrétienne.
— V. Bossuet (dans la I" partie), Fénelon (dans
la I" PARTIP.).
XVII — Autres écrivains de l'époque de Louis XIV.
XVIII. — Epoque de transition : Le Sage, J.-B.
Rousseau, Fontenelle, La Molhe, Racine le fils,
Massillon.
XIX. — La première moitié du dix-huitième siè-
LITTÉRAT. ÉTRANGÈRES
1188
LOCOMOTIVE
cle ; débuts do Voltaire et de Montesquieu. —
V. Voltaire, Montesquieu.
XX. — Le dis-liuitièiiie siècle, de l'apparition de
l'Encyclopodio à la mort de Voltaire et de Rous-
seau. — V. Encyclopédistes, Voltaire, Rousseau
(dans la I"= et dans la II' partie).
XXI. — Le dix-liuitième siècle, de la mort de
Voltaire et de Rousseau k la Révolution, André
Cliénier. — V. CIténier {André).
XXII. — La littérature française classique sous le
Directoire, le Consulat et l'Empire.
XXIII. — L'école nouvelle du commencement du
XIX' siècle : Chateaubriand, M°" de Staël, Bé-
ranger, etc.
XXIV-XXV — L'école romantique dans la poésie
et au théâtre. La prose dans la première moitié
du XIX' siècle ; histoire, roman, etc.
XXVI. — La littérature française contemporaine.
XXVII-XXX. — Révision générale.
Outre les articles auxquels renvoie ce pro-
gramme, on pourra consulter aussi un certain
nombre d'articles de notre cours de littérature et
style, tels que Poésie, Epopée, Li/ri(jue (ijenre),
Epitre, Faljle, Satire, Dramatique {genre) et
Drame, Comédie, Trarjédi<-, Prose, Orateurs, His-
toire et Historiens, Homnti ; et beaucoup d'autres
articles généraux ou spéciaux ; P/iitosop/iie {liis-
t-iire de tu). Critique, l-rimce (histoire). Renais-
sance, Siècle {seizième). Siècle {dix-septième),
Siècle {dix-huitième). Siècle {'Hi-neuvième), Louis
XIV, Dirccton-e, Consulat, etc.
I-ITIÉRATURES KTItANGÈUES. — L'étude
des littératures étrangères ne forme pas une partie
expresse du programme des examens du brevet
supérieur, et, en effet, comme il ne peut être ques-
tion d'oiger des instituteurs la connaissance de
plusieurs langues étrangères, on ne saurait rai-
sonnablement leur demander d'apprécier des lit-
tératures dont ils connaissent à peine quelques
fragments par des traductions. Néanmoins, comme
les notions générales de littérature impliquent
(V. Littérature et style) quelques vues d'ensemble
sur l'histoire littérah'e des principaux peuples ci-
vilisés ; comme la connaissance des langues an-
glaise, allemande, italienne et espagnole, qui fait
partie du brevet facultatif, doit être accompagnée
de quelques notions élémentaires sur les liitora-
tures correspondantes ; comme enfin il est inad-
missible que les plus grands noms et les chefs-
d'œuvre de l'esprit humain en dehors de la France
soient totalement étrangers aux maîtres et aux élèves
de nos écoles normales, nous avons jugé opportun
de grouper sous le titre trop ambitieux peut-être
de Littératures étrangères quelques leçons très
sommaires destinées à former, à ce point de vue,
le complément soit du cours d'histoire générale,
soit du cours de littérature française. Plusieurs
de ces leçons ne sont que des subdivisions d'une
leçon d'histoire générale; quelques-unes ont pris
un développement beaucoup plus grand en raison
de l'imporiance ou de la popularité du sujet.
Voici le programme que nous avons suivi :
PROGRAMME DU COURS DE LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE.
I. — Gciiérulitos. Divisions et limites du sujet. —
V. Littérature-^ étrangères, et les principaux ar-
ticles des cours de littérature et style.
II. — l.cs littératures de l'Inde, de la Perse an-
tique et de l'extrême Orient. — V. Inde, Perse,
Orient {Extrême).
III. — Littérature hébraïque. — V. fiî'i/e (dans la
I" Partie). hroHites, Juifs.
IV- VI. — Littérature grecque-. — V. Grèce (p. 9 0).
VII-IX. — Liitérature latine. — V. Latine {Litté-
rature).
X. — Littératures arabe et persane. — V. Klia-
lifes, Maiiomtt, Ptrse.
XI-XII. — Littérature italienne. — V. Italie
(p. 1080).
XIU. — Littératures espagnole et portugaise. —
V. Espagne 'p. 7(l4), Portui/al.
XIV-XVI. Liitérature anglaise. — V. Angleterre
(au supplément!, Shakespenre.
XVII-WIII. — Littérature allemande — V. Alle-
maqne (au supplément).
XI.\-XX. — Littératures américaine, belge, hol-
landaise, polonaise, russe, Scandinave, suisse.
— V. Etals-Uii'S ip. 726), Belgique (au supplé-
ment). Pays- liai, Poloyu:, Russie, Scandinaves
{Etats), Suisse.
On pourra consulter également, pour l'ensemble
des littératures étrangères, les articles C"7né'ie,
Dramatique {genre), Epitre, Epopée. Fable, His-
toire, Lyrique (genre). Orateurs, Ptiilosop/iie {His-
toire de la), Poésie, l'rose, Romun, Satire, Tra-
gédie.
LOCOMOTIVE. — I. DÉFINITION. — La loco-
motive est une machine h vapeur à haute pression,
munie de son générateur et portée sur des roues
qu'elle fait mouvoir elle-même. Elle sert à re-
morquer, avec une grande vitesse, les convois sur
les chemins de fer.
La locomotive diffère de la locomobile en ce que
cette dernière ne se transporte pas elle-même au
point où son action est nécessaire et qu'elle peut
être considérée, en quelque sorte, comme une
maclnne fixe, puisqu'elle ne change point de place
pendant la durée do son action.
II. HisroBiQiE. — Le premier essai de locomo-
tive est dû à un ingénieur français, Cugnot, qui
[ construisit, en n6'.l, une voiture à vapeur mar-
1 chant sur les routes ordinaires. Les expériences,
; faites en présence du ministre Choiseul et du pu-
blic, ne furent pas très heureuses. A cause de
\ l'insuffisance de la chaudière, la voiture ne pou-
I vait fournir une longue course ; son maniement
) était difficile et sa vitesse ne dépassait pas 4 kilo-
mètres i l'heure. On la voit encore aujourd'hui
, au Conservatoire des arts et métiers à Paris.
j La première locomotive marchant sur des rails
a été construite eu 1804 dans le pays de Galles
pour le transport du charbon de terre; elle remor-
quait 10 tonnes et sa vitesse était de 8 kilomètres
à l'heure. Son priiicipal défaut consistait dans
le manque d'adhérence sur les rails, de telle sorte
que, si l'on dépassait le poids indiqué précédem-
ment, les roues pnlinnient, c'est-i-dire tournaient
s.ins avancer. Pour remédier à ce grave inconvé-
nient. Blenkinsop eut l'idée, en I8ll,de placer
une roue dentée au milieu de la machine et une
crémaillère fixe entre les rails; Chapman, en
18U', remplaça la crémaillère par une chaîne sans
fin, paiallèle aux rails; Stephenson, en 1811, re-
1 lia les trois essieux par des roues dentées sur
( lesquelles passait une chaîne sans fin ; enfin, en
18.'5. Hackwonh trouva la véritable solution en
augmentant le poids de la locomotive, et en rem-
plaçant la chaîne et les roues dentées par une
I bielle d'accouplement.
Une deuxième question, aussi importante que
! la précédente, restait à résoudre : il fjUait trouver
! le moyen de pro>luire rapidement une grande
' quantité de vapeur sans augmenter les dimensions
! de la macliioe. En 1^28, un Français, Marc Séguin,
né k Annonay, résolut complètemeni le problème
par l'invention des chaudières tubulnires, dont la
première applicalion fut faite sur le chemin de
i 1er de Lyon à Saint Eiijnne.
I Le VU octobre IS.'Q eut lieu à Rainhill, en An-
' gleterre, un concours organisé par la Compagnie
I de Liverpool à Manchester, avec promesse d'une
forte récompense pnur l'inventeur do la locomotive
la plus parfaite, btephenson remporta le prix avec
la h'useï-, machine à chaudière tubuUire, dans la-
quelle le tirage était activé par un jet de vapeur
LOCOMOTIVE
— 1189 —
LOCOMOTIVE
dans la cheminée. Elle remorquait un poids de
38 tonnes avec une vitesse de 25 kilomètres.
Ce concours eut un retentissement considérable
et décida de la création des cliemiiis de fer.
Pendant une vingtaine d'années, l'attention dos
ingénieurs fut principalement portée vers l'aug-
mentation do vitesse dos locomotives. En 1846,
Stcplienson présenta une nouvelle macliine per-
fectionnée qui pouvait traîner au moins 100 ton-
nes avec une vitesse de 40 i 60 kilomètres et qui
fut adoptée aussitôtsur tous les chemins de fer. Ce
brillant résultat fut encore dépassé en ISiO par la
locomotive Crainpton, qui faisait 80à 100 kilomè-
tres par heure, et qui fut adoptée sur les grandes
lignes de France pour remorquer les trains ex-
press.
On divisait alors les locomotives en quatre
classes : machines à voyageurs, avec roues indé-
pendantes; mac/iifies mixtes, avec deux essieux
couplés ; machin"!! à marchandises, avec trois es-
sieux couplés ; machines express b. grandes roues
indépendantes.
Si les Anglais s'occupaient avec tant de succès
de la vitesse des locomotives, le continent, de son
côté , ne restait pas inactif et dirigeait ses re-
cliorches vers un autre point, la force de traction.
En effet, les lignes de chemins de fer les plus
faciles avaient été faites les premières et l'on
avait pu éviter les fortes pentes et les courbes
ayant moins de 7 à 800 mètres de rayon. Mais il
y avait d'autres lignes à faire dans des pays acci-
dentés, à travers des montagnes. C'est alors que
le concours du Semmering, en 1^52, dirigea les
études des ingénieurs vers les machines à forte
traction.
Quatre machines furent présentées à ce con-
cours; elles furent classées, par ordre de mérite,
de la manière suivante : Bavuria, IViener-Neu-
stailt, Seraing et VindiKona. Elles furent toutes
récompensées, mais aucune d'elles ne fut admise.
On peut dire que le concours du Semmering a
été le point de di'part de l'étude des machines à
grande puissance et faible vitesse, et qu'à ce titre,
il a une importance historique comparable à celle
du concours de Rainliill en 1829; il a donné lieu
Ma fameuse machine autrichienne t'"3er(/i, en 1853,
ayant 4 paires de roues couplées, pesant G2 tonnes
et pouvant remorquer, sur des pentes de 5 milli-
mètres par mètre, un poids de 4 à jUO tonnes
avec une vitesse de 30 kilomètres à l'heure.
Pour suivre maintenant l'historique de la loco-
motive, il suffit do jeter un coup d'oeil sur les
grandes expositions internationales.
L'Exposition de I8.S.5, à Paris, fut un reflet
assez exact de la situation des chemins de fer : il
y avait un certain nombre de machines puissantes,
entre autres trois machines Emjerth, dont une
exposée par le Oeusot, toutes les trois destinées
à la France. On voyait également h cette Exposi-
tion de 1855 une machine à 8 roues couplées, la
Wien-Raub, le premier système de ce genre, tel
qu'on l'emploie actuellement, et à côté la macliine
Crampt07i.
Les deux types opposés, Enç/eith et Crampton,
jouèrent un rôle considérable, mais furent bientôt
modifiés et transformés. En effet, la locomotive
Engerth, qui trônait à l'Exposition de 1855, après
avoir supplanté les quatre machines du concours
du Semmering, ne parait plus i l'exposition de
1878. La locomotive Crampton ne figurait même
pas à l'exposition de I8(;7.
En 18G2, à Londres, on trouve un dérivé de la
machine Engerth, la machine Steindin ff, qui re-
paraît à Paris en 1867, mais qui est bientôt aban-
donnée.
L'Exposition de I8G7 indiquait une tendance
bien accusée du renforcement des machines, qu'on
appelait mixtes dans l'ancienne classification, et
qui sont simplement des machines à voyageurs,
destinées à la traction rapide de trains express
lourds ou :\ la traction de trains ordinaires de
voyageurs sur des profils un peu accidentes.
Cette tendance est de nouveau constatée à Vienne
en 1873 el i\ Paris en 1878.
En effet, la notice sommaire insérée, selon l'ha-
bitude, dans le catalogue officiel de 1878, par les
soins du comité d'installation, résume la situation
en ces mots :
« Pour les machines locomotives, les progrès
portent principalement sur l'emploi plus étendu
des niaciiines i quatre roues couplées de grand
diamètre, pour le remorquage ;\ grande vitesse de
trains plus lourds que les trains anciens. »
III. Classification acti'Ei.i,e. — 1» Sur les gran-
des lignes, on emploie des machines à 4 roues
couplées pour les voyageurs, et à 6 roues couplées
pour les marchandises;
2" Dans les pays accidentés, on emploie des
machines h G roues couplées pour les voyageuïs,
et à 8 roues couplées pour les marchandises ;
3° Dans les chemins de fer d'intérêt local, on
emploie des machines-tenders \ G roues couplées,
dans lesquelles les réservoirs deau et de coke
font partie intégrante de la machine, pour tout la
service ;
-4° Enfin on emploie la macJiine-lcnder ordinaire
à 4 roues couplées pour la banlieue des grandes
villes et le service des gares.
IV. Description de la locomotive Stephenson.
— Toute locomotive comprend trois parties : la
machine à vapeur, le chariot, la chaudière et ses
annexes .
Dans la locomotive Stephenson, la machine à
vapeur se compose essentiellement de deux cylin-
dres à vapeur dont les pistons actionnent, chacun
par l'intermédiaire d'une bielle et d'une mani-
velle, l'essieu portant les roues motrices.
Le chariot se compose d'un châssis formé par
deux longues pièces en fer appelées longerons,
réunies à leurs extrémités par deux traverses eu
bois. Ce châssis repose sur les essieux des roues
par l'intermédiaire de forts ressorts en acier: il
est extérieur, c'est-à-dire que sa largeur est plus
grande que la longueur des essieux et qu'il en-
toure les roues. Ces roues sont au nombre de
six.
La chaudière proprement dite se compose d'un
gros cylindre horizontal appelé corps cylindrique,
qui est traversé, dans toute sa longueur, par un
grand nombre de tubes en cuivre, 120 à 150, s'a-
bouchant h une extrémité dans la boite à /eu, et
à l'autre extrémité dans la tioite à fumée. Le com-
bustible est placé sur une grille à barreaux mo-
biles et indépendants au fond de la boîte à fou.
Cette dernière est entourée d'eau de tous côtés,
sauf en dessous du cendrier et vers la porte
d'entrée. Les tubes sont entourés d'eau do tous
côtés. Le corps cylindrique est ordinairement re-
couvert à'xine dieniise ou enveloppe en bois pour le
garantir du refroidissement; il est muni de diffé-
rents appareils de sûreté : manomètre, indicateur
et robinets de niveau, soupape de sûreté w et
sifflet d'alarme J (flg. l).
Les gaz provenant de la combustion traversent
les tubes en cuivre en abandonnant à l'eau une
partie de la chaleur et s'échappent par la chemi-
née après avoir traversé la boite à fumée. Le tirage
est, d'ailleurs, activé par un jet de vapeur dans
la cheminée.
La vapeur formée dans la chaudière tend à
s'élever et se rend d'abord sous le dôme;), appelé
réservoir de vpeur. Un régulateur à papillon q,
espèce de robinet mu par la maneite r, sert à
fermer ou à ouvrir un gros tube longitudinal s,
entouré de vapeur. Si ce tube est ouvert, la vapeur
s'y précipite, descend deux tubes verticaux u, pé-
LOCOMOTIVE
1190 —
LOCOMOTIVE
nctre dans les deux machines i vapeur et. après
avoir agi sur les faces des pistons, revient dans
la cheminée par le tube r pour activer le tirage.
La tige de cliaque piston a s'articule avec une
bielle ce' que fait mouvoir l'essieu coudé des roues
du milieu et entraine la locomotive. Il faut remar-
quer que les deux coudes de l'essieu sont à angle
droit, l'un par rapport à l'autre, et non pas dans
le même plan. Le but de cette disposition est de
faire que l'un des pistons soit encore au milieu
de sa course quand l'autre est au bout de la sienne,
de manière que la locomotive avance régulière-
ment et non par saccades;
Un wagon spécial, appelé tender, qui suit im-
médiatement la locomotive, porte la provision de
combustible et d'eau nécessaire au service de la
machine. Un tuyau e' fait communiquer le tender
avec l'intérieur de la chaudière. Une petite pompe
aspirante et foulante, actionnée par le piston de
la machine à vapeur, extrait l'eau du tender et la
refoule dans la chaudière. Un robinet e. placé
sous la main du mécanicien, sert à régler l'ali-
mentation.
Aujourd'hui, le mode précédent d'alimentation
est absolument abandonné et remplacé par un
appareil très ingénieux appelé X'injecteur Gif-
fard.
La mise en marche des locomotives en avant
ou en arrière se produit à volonté à l'aide d'un
système de leviers articulés, que l'on voit en par-
tie sur la figure 1, au-dessous de la bielle, et qui
porte le nom de coulisse de Stephenaon.
On remarque encore en avant dos locomotives
une tige verticale, appelée clia':se-pierres, qui sert
à écarter les obstacles qui peuvent se trouver sur
les rails, et un rolntiet purgeur pour enlever la
vapeur d'eau condensée dans les cylindres.
V. Locomotive Crampton. — La figure 2 repré-
1 s ^J-
Fig. 1. — Locoinotivir Stcphens.
sente une locomotive Crampton, à faible puissance
et à grande vitesse, employée pour les trains
express.
Dans cette machine, les roues motrices sont
placées à l'arrière ; elles ont 2", 10 à 2",:)n de dia-
mètre,^ tandis que celles de la locomotive Stephen-
•son n'ont que l^jiO environ. C'est là qu'est la
cause principale de la différence de vitesse, car,
en supposant que les roues motrices fassent,
dans les deux cas, le même nombre de tours pen
dant des temps égaux, la machine Crampton par-
courra un chemin presque double.
La machine Crampton se recommande par une
grande stabilité qui tient à l'abaissement de son cen-
tre de gravité et à l'écartement des essieui ; tout
le mécanisme est placé à l'extérieur et facile à
surveiller.
VL Locomotive ENCEnTH. — La figure 3 repré-
sente une locomotive Engerth, à grande puissance
•et à petite vitesse, employée pour les trains de
marchandises. On a obtenu ce résultat en dimi-
nuant le diamètre des roues, en augmentant les
dimensions du foyer et de la surface de chauffe
pour activer la production de vapeur et en accou-
plant les roues par des bielles pour augmenter
l'adhérence sur les rails.
Dans cette machine, le tender est relié à la
locomotive par un boulon particulier qui permet
le passage dans les courbes : il porte une partie
du foyer. Les cylindres à vapeur sont extérieurs
et horizontaux et tout le mécanisme est visible.
VII. Mouvements anormaux. — Les locomotives,
indépendamment de leur mouvement de progres-
sion principal, sont sujettes à divers mouvements
anormaux qu'il importe de resserrer dans d'é-
troites limites si l'on veut éviter l'usure rapide du
matériel des chemins de fer et diminuer les chan-
ces de déraillement. Ces mouvements sont au
nombre de quatre, savoir :
I" Le mouvement de lacet ou mouvement si-
nueux, qui se propage dans toute l'étendue du
train et fait que celui-ci s'avance en serpentant.
LOCOMOTIVE
— 1191 —
LOCOMOTIVE
Il tient au défaut de symétrie des deux pistons
dont l'un va en avant pendant que l'autre va en
arrière, et il est fort difficile de l'éviter i moins
d'employer trois cylindres à vapeur.
2° Le mouvement de galop ou mouvement oscil-
latoire autour d'un axe perpendiculaire à la voie.
Il peut tenir à l'inclinaison des cylindres et à
l'insuffisance de la cliarge portée sur les roues
extrêmes. On le diminue en rendant les cylindres
horizontaux et en répartissant convenablement la
cliarge sur les essieux ;
3° Le motiveme?it de roulis ou mouvement
oscillatoire autour d'un axe parallèle à la voie.
Il peut tenir à l'imperfection de la voie dans le cas
Fig. 2. — Locomotive Crampton,
où les rails fléchissent inégalement, et au manque
forcé de symétrie dans le mouvement des bielles
qui relient les pistons aux essieux.
4° Le mouvement de t'ingage, ou mouvement
oscillatoire rapide d'avance et de recul. Il tient
aux réactions exercées alternativement par la va-
peur sur les bases de chaque cylindre et il est
impossible à éviter. C'est le moins dangereux pour
la sécurité des voyageurs, mais le plus désa-
gréable.
VIII. Renseignements divers. — Une locomo-
tive Steplienson coûtait 42 000 francs; une ma-
chine mixte, dans l'ancienne classification, coûtait
45(100 à 50000 francs; une machine Crampton,
55000 à 60000 francs, et une machine Engerth, en-
viron 100 000.
Fig. ;j. — Locomotive Engcrtii.
Dans la locomotive Stephenson, la vapeur se
forme à 5 atmosphères ; la force moyenne est de
60 chevoux-vapeur ■ la surface de cliaulTe, com-
prenant les parois de la chambre à feu entourées
d'eau et les parois intérieures des tubes, est de
50 mètres carrés. Le poids de cette machine est
de 12 tonnes; elle consomme environ 44 litres d'eau
■et 7 kilogrammes de coke par kilomètre.
La locomotive Crampton renferme 173 tubes.
au lieu de 150, et un foyer plus grand, ce qui
porte sa surface de chauffe à près de 100 mètres
carrés ; son poids est de 30 tonnes, et elle con-
somme environ 8 kilogrammes de coke par kilo-
mètre.
La locomotive Engerth a une surface de chauffe
de près de '.'00 mètres carrés -, la vapeur s'y forme
à une tension de 8 atmosphères; son poids total,
y compris le tender avec lequel elle est liée, est
LOCUTIONS VICIEUSES — 1192 — LOCUTIONS VICIEUSES
de 62 tonnes, et elle consomme 16 à 18 kilogram-
mes de coke par kilomètre.
IX. PnoBLÈME. — La distance entre les deux
gares de Cognnc et d'Angoulêmc étant de 50''',9li
est supposée parcourue en 1 li e ii re 3G minules par
une locomotive pesant 40 to7mes et à roues cou-
plées égal' s de l",f>0 flfe diamètre. On demande:
1° le noDitjre de tours faits par cliaque roue ;
2° le poids que pourra traîner cette locomotive, si
le coefficient de frottement est égal au 1/10 du
poids rie la machine et si le tirage esl à la charge
dans le rapport de 1 à 100.
Quand une roue fait un tour sans elissement,
la macliine avance d'une longueur égale à la cir-
conférence de cette roue. Dans le cas présent,
cette longueur est de
l",50X3,1416=4°,:i.
Autant de fois elle sera contenue dans l'a dis-
tance à parcourir, autant chaque roue fera de
tours.
50900 : 4,71 = 10807 tours.
La puissance de traction d'une locomotive est
limitée par l'adhérence sur les rails, et celle-ci
est égale au poids de la machine dans le cas des
roues couplées. Par conséquent, dire que le coef-
ficient de frottement est égal à l/lo revient à
dire que le train est entraîné par une force
égale à
40 : 10 = 4 tonnes,
et comme une force de traction de 1 kilogramme
est capable d'entraîner un poids de 100 kilogram-
mes, il en résulte qu'une force de 4 tonnes pourra
remorquer une charge de 40» tonnes.
[A. Bougueret.]
LOCUTIONS VICIEUSUS. —Grammaire, XXIll.
^ On appelle locutions vicieuses des façons de
parler contraires au bon usage et aux règles de
la grammaire. Un aréomiute pour un aéronaute,
rébarbarittif pour rébarbatif, allons promener
pour allons nous promener, il a recouvert la vue
pour il a recouvré la vue, sont des locutions vi-
cieuses, parce qu'elles altèrent la forme et le
sens des mots et qu'elles blessent les règles de
la syntaxe. En général, toutes les fautes contre la
pureté du langage sont des locutions vicieuses,
et la grammaire tout entière n'a pas d'autre
but que de nous indiquer le moyen de les
éviter.
On distingue deux sortes de locutions vicieuses :
le barbarisme et le solécisme.
1° Barbarisme. — Ce mot vient du grec har-
bcris7nos, qui vient lui-même de burbaros, bar-
bare. On sait que les Grecs appelaient barbares
tous les peuples étrangers; le barbarisme était
donc à l'origine une locution étrangère à la langue
grecque. Chez nous, c'est une faute qui dénature
la forme ou le sens des mots.
Ainsi on fait un barbarisme quand on dit :
Apprentive (une) pour Apprentie (une).
Aréostat
Cieux-de-lit (des)
Corporence
Colidor
Définitif (en)
Disez (vous)
Mairerie
Aérostat.
Ciels-de-lit (des).
Corpulence.
Corridor.
Définitive (en).
Dites (vous).
Mairie, etc.
Dans tous ces exemples, la forme régulière du
mot a été pervertie par une mauvaise prononcia-
tion.
On fait encore un barbarisme quand on emploie
une expression dans un sens qu'elle n'a pas, ou
qu'on unit deux mots qui ne peuvent aller en-
semble. Tels sont ;
Maison conséquente pour Maison considérable.
Recouvrir la santé — Recouvrer la santé.
Dessus la table — Sur la table.
Faites excuse — Je vous fais mes excuses.
Avoir des raisons — Avoir des contestations.
C'est, comme on le voit, une déviation du sens des
mots causée par l'ignorance ou par de mauvaises
habitudes, liecowrir et recouvrer, de^:^us et sur,
conséquent et considérable sont des paronymes
éloignés faciles à confondre pour des oreilles peu
délicates. Trop souvent les enfants trouvent chez
eux ou parmi leurs camarades ces locutions
vicieuses, contre lesquelles il faut réagir, car ces
fautes, légères en apparence, pourraient boule-
verser la langue si elles arrivaient à passer dans
le langage littéraire.
L'histoire de notre langue offre un exemple re-
marquable de l'influence du barbarisme dans les
évolutions du langage. Le français, qui vient du
latin corrompu et graduellement transformé dans
la bouche des Gaulois et des Francs, n'a été d'a-
bord qu'un tissu de mots tronqués, défigurés,
qu'on a peine à reconnaître dans le texte fameux
des serments de Strasbourg (812). Le barbarisme
joua alors un rôle important dans la formation
de la langue. 11 en reste des traces encore vi-
sibles, et l'on peut citer telle irrégularité qui
n'est qu'un lointain souvenir de ces anciennes
fautes de langage. Par exemple, les noms du genre
neutre en latin ont ordinairement donné des
noms masculins en français : membrum , le
membre; templum, le tetnple, etc. Mais dans la
basse latinité, le pluriel neutre a été souvent
confondu avec les noms féminins de la première
déclinaison, à cause de l'identité de la terminai-
son a; et c'est grâce à ce barbarisme que ponium
(pluriel poma) a donné le substantif féminin
pomme; folium Cpluriel folia), le féminin feuille ;
cornu (pluriel cornua), le féminin corne, etc.
C'est grâce encore à un barbarisme semblable
que le mot orgue est des deux genres en français.
11 était neutre en latin (ori^anum) et, comme tel,
il était terminé par a au pluriel (ori/ana); cette
désinence féminine a fait illusion à nos pères qui,
appliquant le genre féminin, disaient : une l/elle
orgue, de grandes orgues. Les latinistes de la
Renaissance, pour rapprocher le mot du latin, lui
enlevèrent le genre féminin (que le peuple
s'obstina d'ailleurs ,'i lui conserver), et dirent un
bel orgue, de beaux orgues. Les grammairiens,
pour plaire aux deux partis, décrétèrent que orgue
serait masculin au singulier et féminin au plu-
riel.
2° Solécisme. — Ce mot vient du latin solœ-
cismus, venu lui-même du grec soloïkismos, pro-
prement manière de parler particulière aux
habitants de Soles, en Asie-Mineure. On raconte
en effet que des colons athéniens, transportés dans
cette ville, perdirent avec le temps toute la pu-
reté de leur langue maternelle et donnèrent
naissance au verbe solcciser (parler comme à
Soles). De nos jours, faire un solécisme, c'est
parler contrairement au bon usage et blesser les
règles de la syntaxe. Le barbarisme porte sur les
mots, le solécisme porte sur la construction. Ainsi
désagrafer pour dégrafer est un barbarisme ; de
peur qn il se fâche pour de peur qu'il ne se fâche
est un solécisme. Dans le premier exemple, c'est
le mot qui est défiguré, dans le second c'est la
construction. Aussi les solécismes sont-ils plus
fréquents que les barbarismfs. Ces derniers ne
se rencontrent guère dans la langue écrite, si
ce n'est chez les écrivains qui se piquent de re-
produire au vif l'argot populaire. Les solécismes
au contraire peuvent échapper même à une plume
exercée, et nos meilleurs écrivains ne sont pas h
l'abri de ces petites défaillances.
LOCUTIONS VICIEUSES — IlO;^ —
LOGARITHMES
VoltairG a écrit dans la llcnriade :
Tantôt l'horreur du pcruplti el tantôt leur amour.
Leur se rapportant h peuple est au moins hardi.
Lamartine, dans Jncelyn :
Voir de combien de palme avaient grandi leurs troncs.
Il est clair que palme devrait être au pluriel.
Chateaubriand, dans le dénie du Christianisme :
Recevoir ceux qui entrent et ceux qui sohtent de
ce roijiiume de douleur. Entrer et sortir no peu-
vent avoir le môme complément.
Ces exemples suffiront pour montrer en quoi
consiste le solécisme.
On peut encore, dans certains cas, considérer
comme des fautes contre la langue le néoloijisme
et Varchaisme.
NÉOLOGISME. — Le néologisme est l'habitude
d'employer des termes nouveaux, ou de donner
aux mots reçus des significations différentes de
celles qui sont en usage. Il se dit aussi d'un mot
forge ou transporté sans nécessité d'une langue
dans une autre. Ainsi abêtissement, abracada-
brant, activer, américanisme, baby, balnéaire,
bock, bousculade, détective, ensoleillé.' leader,
maestria, etc., etc., sont des 7iéologismes. Il faut,
sinon fuir absolument l'emploi de ces mots que
l'Académie n'a pas encore admis dans son diction-
naire, du moins n'en faire qu'un usage très modéré.
Ainsi les inventions nouvelles exigent des noms
nouveaux ; on trouve un instrument qui porte au \
loin la voix, et on le baptise d'un nom formé de
doux mots grecs, téléphone (télé, loin, p/ion<?,voix) ;
de même pour phonographe, instrument qui écrit
la voix [phoyié, voix ; griiphû, j'écris) ; c'est fort
bien. Mais voici un autre instrument qui sert à
grossir la voix, à la rendre plus éclanle ; on le
nomme microphone, c'est-à-dire petite voix (de
mikros, petit, et plmni', voix) : c'est un non-sens.
Bien plus, un cornet acoustique a reçu le nom
à'nudiphone, terme hybride formé du latin audire
(entendre) et du grec phoni! (voix) ! Ce n'est pas
tout; on semble dédaigner sa propre langue pour
parler anglais ou italien en français. Pourquoi
square, wngon, ballast, reporter, gentletnan, ci-
cérone, etc., ont-ils remplacé carré, voilure, sable,
nouvelliste, gentilhomme, guide, etc. '? En géné-
ral, on ne devrait avoir recours à un néologisme
que pour enrichir la langue d'un terme qui lui
manque; en second lieu, il faudrait se conformer
dans la formation des mots nouveaux au génie,
aux formes propres de la langue.
Archaïsme. — Ce mot vient du grec archaXs-
mos dérivé d'arcliaios qui veut dire ancien ;
c'est remploi- d'expressions surannées, de mots
ou de tours vieillis appartenant à la langue du
moyen âge. Pieça mis pour depuis longlemps,
cejourd'hui pour aujourd'hui, moult pour beau-
coup, sont des arcliaismes.
Ce nom, dans un sens plus général, s'applique
encore au style des écrivains qui veulent imi-
ter le langage de nos anciens auteurs, soit en fai-
sant revivre quelques termes oubliés, soit en s'ef-
forçant do revêtir leur pensée d'expressions et
de tours familiers à nos pères. Sans remonter ici
jusqu'aux Latins, chez lesquels Lucrèce, Sal-
luste, etc., ont afl'ectionné certaines formes ar-
chaïques, nous pouvons citer chez nous La Fon-
taine, J.-B. Rousseau, Paul-Louis Courier, de Ba-
rante, Balzac, etc., qui ont écrit dos ouvrages de
longue haleine dans une langue arcliaique de con-
vention. C'est que cette langue naïve, et hardie
dans sa naïveté, semble donner à nos idées mo-
dernes, avec une couleur plus piquante et plus
vive, une allure plus pittoresque et un tour plus
original. C'est une sorte de renouveau du lan-
gage, toute une flore encore vivante et parfumée
dont la grâce toujours jeune séduit bien des gens.
Parmi les auteurs qui sont entre les mains des
élèves, La Fontaine surtout abonde en archaïsmes
i|ui semblent naturels dans sa langue pleine d'une
fine bonhomie. Les formes archaïques sont aussi
très nombreuses dans les dialectes provinciaux,
dans les patois qui ne sont autre chose que du
vieux français, et nos instituteurs peuvent relever et
corriger bien des anhaïsmes dans le langage de
leurs élèves. Enfin les notaires, les juges, les
avocats, etc., ont conservé un langage spécial, des
formules de jurisprudence qui n'ont guère varié
depuis leur origine et qui nous ont valu les bi-
zarreries de syntaxe et d'orthographe des lettres-
royaux, des ai/ants-droit, etc. Dans notre gram-
maire actuelle, quelques archaïsmes sont restés
et resteront sans doute encore longtemps, grâce
h la force de l'habitude : tels sont grand dans
grand route, graiid chose : la forme féminine eresse,
dans pécheresse, devineresse, etc. ; le pluriel de
vingt dans quatre-vingts, etc., débris de la vieille
longue disparue, aujourd'hui rangés parmi les
exceptions et les anomalies de la syntaxe, mais
qui rentraient autrefois dans la règle générale.
Ils servent du moins à nous faire comprendre par
quelle dérivation régulière et par quelle marche
progressive et naturelle notre langue est sortie
delà langue latine. fJ. Dussouchet.)
LUCiUlTHAIES. — Arithmétique, LUI, LIV.
— Etyra. : des deux mots grecs log'is, rapport, et
arithmos, nombre. — La connaissance des loga-
rithmes ne remonte pas à une époque bien reculée.
Dans le cours du xvi' siècle, quelques mathémati-
ciens avaient déjà cherché des procédés abréviatifs
do calcul ; ce fut au commencement du xvii« siècle
que, par l'étude des propriétés des progressions,
l'écossais John Neper ou Napier découvrit la
théorie des logarithmes, et donna ainsi aux sa-
vants le moyen d'effectuer rapidement les plus la-
borieux calculs. Cette théorie est susceptible d'être
exposée avec assez de simplicité pour qu'elle entre
naturellement dans le cadre de l'enseignement
primaire supérieur. C'est le caractère que nous
tâcherons de lui donner ici.
I. — DÉFINITION OES PROGRESSIONS. — On appelle
progression par différence une suite d« nombres
tels que chacun est égal au précédent augmenté
d'une quantité constante. Par exemple en ajou-
tant 2 à 1 , ce qui donne -3, puis 2 à 3, ce qui donne
5, etc., on obtient la progression:
4- 1.3.5.7.9.11.13
Le nombre constant qu'il faut ajouter à chaque
terme pour avoir le suivant est appelé raison do
la progression. Cotte raison peut être une frac-
tion aussi bien qu'un nombre entier.
On appelle fjrogre^sion par quotient une suite
de nombres tels que chacun est égal au précédent
multiplié par un nombre constant. Par exemple, en
multipliant 3 par 2, ce qui donne 6, puis 6 par 2,
ce (jui donne 12, etc., on obtient la progression :
«•3 :6: 12: 2i : 48:98
Le nombre constant par lequel on multiplie
chaque terme, pour avoir le suivant, est appelé
raison de la progression. Il peut être entier ou
fractionnaire.
II. — Propriétés oui ont donné naissance aux i.o-
chuthmes. — 1- Lorsqu'une progression par diffé-
rence a 0 pour premier terme, le second est lui-
même la raison et tous les autres termes sont les
multiples successifs de la raison.
Pour mettre plus de simplicité dans nos expli-
cations, représentons la raison par (/(lettre initiale
de différence) ; nous aurons la progression :
4- 0. d. 2rf. 3rf. 4rf. 5J. 6 /
Si dans cette progression on .additionne entre
LOGARITHMES
119i
LOGARITHMES
•eux deux ou plusieurs termes, par exemple le
troisième 2 d et le cinquième 4 d, la somme C d
est elle-même un multiple de la raison, et par
•conséquent elle est un des termes suivants de la
progression : c'est le septième.
2" Lorsqu'une progression par quotient a 1 pour
premier terme, le second est lui-même la raison,
•et tous les autres sont les puissances successives
-delà raison.
Représentons la raison par q (initiale du mot
quotient) ; nous aurons la progression :
^1 ', q l q^ l q^ ', q'* i q^ l q^ '.
Si dans cette progression on multiplie entre eux
•deux ou plusieurs termes, par exemple le troi-
sième q^ et le cinquième ç', le produit q'> est une
puissance de la raison; par conséquent il est un
des termes suivants de la progression : c'est le
septième.
3" La somme de deux ou plusieurs termes de la
progression par différence et le produit des termes
qui leur correspondent dans la progression par
quotient se correspondent aussi dans les doux pro-
gressions.
C'est ce qu'on voit clairement en mettant les
•deux progressions en regard :
•H-î rj: 7*: ç':^': </S: -/« : (1)
•^ 0. rf. 2rf. 3(/. 4f/. bd. 6rf (2)
La somme du troisième terme 2rf et du cin-
quième terme 4f/, dans la progression par diffé-
rence, est le terme Crf, qui occupe le septième
rang. Le produit du troisième terme 7* par le
cinquième terme 9', dans la progression par quo-
tient, est g', qui occupe aussi le septième rang.
De cette propriété découle une conséquence
importante. Supposons que les termes des deux
progressions, au lieu d'être représentés par des
lettres, soient des nombres, et qu'on ait besoin de
connaître le produit du troisième terme multiplié
par le cinquième ternie dans la progression par
quotient, il ne sera point nécessaire d'etTectuer
leur multiplication; il suffira d'additionner entre
eux le troisième terme et le cinquième terme de
la progression par différence, et de chercher la
somme parmi les termes suivants : le terme qui,
dans la progresionpar quotient, correspond à cette
somme dans la progression par différence, est le
produit cherché. En raison de cette correspon-
dance remarquable entre les termes des deux pro-
gressions, les termes de la progression par diffé-
rence ont été appelés loç/arithmes des termes de
la progression par quotient.
On peut donc donner cette définition : /es- loga-
rithmes des nombres sont les termes d'une progres-
sio7i par différejice commençant par 0 et corres-
pondarit à ces nombres considérés comme termes
d'une progression par quotient comnipnra7it par 1.
III. — RÈGLES POUR LE CALCUL LOGAIIITHMIOL'E. —
1" Lu loijnrithme du produit de den.i ou de plu-
sieurs fadeurs est égal à la somme des logarithmes
des facteurs.
C'est la propriété fondamentale que nous venons
de faire remarquer sur les deux progressions (1)
■et (2). En effet le troisième terme '2d et le qua-
trième terme .Irf de la progression par différence
sont les logarithmes du troisième terme ç* et du
quatrième q^ de la progression par quotiejit, et la
somme des deux premiers, bd, est le logarithme du
terme 9', qui est le produit des deux autres. Soit
donc p le produit des trois facteurs a, b, c; on
aura :
log.p = log. a + log. b -f log. c
S° Le logarithme du quotient de deux nombres
esi égal au logar.'tlime du dividende diminué du
logarithme du diviseur.
En effet le dividende étant le produit du diviseur
multiplié par le quotient, son logarithme est la
somme des logarithmes du divi-^eur et du quotient;
par conséquent on aura le logarithme du quotient
en retranchant le logarithme du diviseur de celui
du dividende. C'est ce qu'on peut présenter ainsi:
soit p le produit de a par b, on aura d'après le
principe précédent :
log. p = log. a -|- log. 6
ï-* =
;p — log. a
Nota. — On verra plus loin comment se fait la
soustraction quand le logarithme du diviseur sur-
passe le logarithme du dividende.
3° On obtient le logarithme d'une puissance
d'un nombre en multipliant le logarithme de ce
nombre par le degré de la pui'sonce.
Cette règle n'est autre que la première, dans le
cas où les facteurs du produit sont égaux. En effet
on a par exemple :
D'après la première règle on aura :
log. «3 = log. a -f log. a + log. a
ou :
log. n' = 3log. n
Aussi pour trouver le logarithme du carré d'un
nombre, on multiplie le logarithme de ce nombre
par 2; pour avoir le logarithme de son cube, on
multipliera son logarithme par 3, etc.
k" On obtient le logarithme d'une racine d'un
nombre en divisant le logarithme de ce nombre
par le degré de la racine.
En effet on a d'après la règle précédente :
log. «2 = 2 log. a
log. 63 = 3 log. 6
Or dans ces égalités a est la racine carrée de a-
et b est la racine cubique de 4^; on en tire :
log. a =
log. a'
IV. — Divers systèmes de logarithmes. — A une
même progression par quotient commençant par
1, peuvent correspondre diverses progressions par
différence commençant par zéro. Soit une progres-
sion par quotient ayant 'J pour raison, et deux pro-
gressions par différence ayant pour raison l'une
0, 1 et l'autre - :
•^•l: 2 : 4: 6 : 12: 24: 48:....
-=• 0.0,1.0,2.0,3.0,4.0,5. 0,C
■^«' r r '■ |- r '
1
(3)
W
(5)
Les termes 0,1 et r seront tous deux logarith-
2
mes du nombre 2 ; les termes 0,2 et ■- seront les
logarithmes du nombre 4, etc. Il y a donc une in-
finité de systèmes de logarithmes.
On appelle base d'un système de logarithmes le
nombre qui dans ce système a pour logarithme
l'unité. Ainsi dans le système fourni par la pro-
gression (5) la base serait G. Dans tous les systè-
mes le logarithme de 1 est 0.
V. — Logarithmes viilgaires. — On désigne par
ce nom les logarithmes dont l'usage est général. Ce
LOGARITHMES
1195 —
LOGARITHMES
sont cfiux qui so trouvent dans les livres intitulés :
Tdldcs (te logarithmes.
Ke système des logarithmes vulgaires est fondé
sur les deux progressions suivantes :
1 : 10: 100 : 1000 : lOOOO:
0. 1. 2. 3. ■*
(G)
m
Elles montrent que le logaritlime de 10 est 1 ;
que le logarithme de lOU est ;' ; que celui de 1000
est 3 ; celui de 10000 est 4, etc. La base est donc 10.
Mais comment a-t-on pu calculer les logarithmes
des autres nombres entiers 2, 3, 4 ,11, 12, 13, etc.?
C'est ce que nous devons essayer de faire com-
prendre.
Pour cela, imaginons qu'on insère un même
nombre de moyens proportionnels, 15 par exemple,
entre 1 et 10, ejure 10 et 100, etc., dans la pro-
gression par quotient, et autant de moyens dif-
férentiels entre 0 et 1, entre 1 et 2, etc., dans la
progression par différence (V. Progressions). Ces
moyens placés entre les termes des deux progres-
sions précédentes formeront avec eux deux nou-
velles progressions. La progression par différence
1 ; , .
aura pour raison — la progre-ission par quotient
aura pour raison la racine seizième de 10.
On peut obtenir la racine seizième do 10, en
extrayant d'abord la racine carrée de 10; puis la
racine carrée de cette racine carrée, ce qui donne
la racine quatrième; puis la racine carrée de la
racine quatrième, ce qui donne la racine huitième,
et enfin la racine carrée de la racine huitième, ce
qui donne la racine seizième. Cette racine seizième
de 10 est incommensurable; elle a pour valeurap-
prochée 1,154^8: représentons-la par A.
Nous avons alors les deux progressions :
«!:/(. -A': 43; lOrlOA: WkH 100: (8)
2 3 ..1.2
Les nombres entiers 2, 3, 4, 5, etc., ne se trouvent
pas dans la progression (8), puisque les termes
qui ont été insérés sont incommensurables ; mais
le nombre entier 2, par exemple, sera compris
entre deux termes consécutifs. On trouverait qu'il
est entre A* et k^. Le logarithme de 2 sera donc
4
compris lui-même entre — ,qui est le logarithme
5
de k', et — qui est le logarithme de k^, c'est-à-dire
lo
entre 0,25 et 0,3125. Par conséquent, en prenant
0,25 pour le logarithme de 2, on aurait un loga-
rithme trop faible, mais affecté d'une erreur moin-
dre que -—., et à plus forte raison -moindre que 0,1.
C'est de la même manière qu'on pourrait déter-
miner les valeurs approchées des logarithmes des
autres nombres entiers.
Il est évident qu'avec une approximation aussi
faible, les logarithmes ne rendraient pas de bien
grands services ; mais l'approximation sera d'au-
tant plus grande que le nombre des moyens insé-
rés sera plus considérable. Ce qui précède doit
.suffire pour donner une idée de la construction
des tables de logarithmes avec 5 décimales, ou
môme avec 7 décimales.
VI. — Cahactéristique d'un log.*rithme. — Les
deux progressions (6) et (7) montrent que les lo-
garithmes des nombres entiers depuis I jusqu'à
10 exclusivement s'étendent depuis 0 jusqu'à 1 ;
que les logarithmes des nombres entiers depuis 10
jusqu'à 100 s'étendent depuis 1 jusqu'à 2 ; que
ceux des nombres entiers depuis loo jusqu'à 1000
s'étendent depuis 2 jusqu'à 3, etc. Ainsi pour les
nombres entiers d'un chiffre, les logarithmes ont
tous 0 à leur partie entière ; pour les nombres en-
tiers de 2 cliiffres, les logarithmes ont tous 1 à leur
partie entière ; pour les nombres entiers de 3 chif-
fres, les logarithmes ont tous 'i à leur partie en-
tière. En d'autres termes, il y a autant d'unités à
la partie entière dit logarithme d'un nombre en-
tier qu'il contient de chiffres moins un.
Cette partie entière du logarithme, que l'on
reconnaît à l'inspection du nombre, se nomme
caractéristique. On doit toujours l'écrire avant do
chercher la partie décimale dans les tables, comme
on va l'expliquer dans ce qui suit.
VII. — Logarithmes hes nombres entiers ter-
minés PAR des zéros. — Soit le nombre 630 ;
comme il est égal à 63 X 10, son logarithme sera
égal au logarithme de di plus le logarithme de
10 qui est 1. Or on trouve dans les tables :
log. C3= 1, '19934.
En ajoutant 1 à ce logarithme, on aura :
log. 0-30 = 2,79934.
Le logarithme de 100 étant 2, on aurait de même :
log. 6300 = 3,79934.
De ce qui précède résulte la règle suivante : pour
avoir le logarithme d'un nombre entier terminé
par des zéros, on écrit d'abord- sn caractéristique
conformément à la règle précédente ; puis on lui
donne pour sa partie décimale la partie décimale
qu'on trouve dans la table, pour te nombre entier
considéré sans ses zéros.
Observation. — Quelques auteurs désignent la
partie décimale d'un logarithme par le nom de
mantisse emprunté aux Allemands. Il ne serait
pas moins utile de trouver quelque dénomination
moins longue que le mot caractéristique pour la
partie entière du logarithme. Pourquoi ne dirait-
on pas, faute de mieux, ïentier (le nombre
entier) ?
VIII. — Logarithmes des nombres décimaux. —
1° Le nombre est plus grand que 1. — Soit 153, B.
Ce nombre étant lo quotient de 1536 divisé par 10,
son logarithme sera égal au logarithme de 1538
diminué du logarithme de 10, qui est I.
Or le logarithme de 1536 est 3,18639; on aura
donc:
log. 153,6 = 3,18639 — 1
ou:
log. 153,6 = 2,18639
Soit encore le nombre 1,536. Le nombre étant le
quotient de 1536 divisé par lOHO, on trouvera son
logarithme en étant au logarithme de 1536 le lo-
garithme de lOOl), qui est 3. On aura donc:
log. 1,536 = 0,18639
Ainsi quajid un nombre décimal est plus grand
que 1, la caractéristique de son logarithme est ta
même que celle de la partie entière du nombre,
et pour avoir ta parti'- décimale, on prend dans In
table le logarithme du nombre comme si ce nom-
bre était un nombre entier.
2" Le nombre décimal est plus petit que 1. — Si
on divise par 10 le nombre décimal 1,5.36, on a
0,1536; le logarithme de 0,1536 sera par consé-
quent égal au logarithme de 1,536 diminué de 1.
On aura donc
log. 0,1 536 = 0,186.39—1.
Ne pouvant pas .soustraire 1 du nombre plus fai-
ble 0,18639, on se borne à indiquer la soustrac-
tion ; seulement comme il n'y a que zéro à la
partie entière, on y place le nombre entier sous-
tractif, en ayant soin de mettre le signe de la
soustraction au-dessus de lui, de la manière sui-
vante :
LOGARITHMES
log. 0,1536 = 7,18639.
— 1196
LOGARlTHxMES
Divisons encore 0,1536 par 10, ce qui donne
0,01536; on obtiendra de même le logarithme
do 0,015)6, en retrancliant 1 au logarithme de
0,1536 ; on aura ainsi :
log. 0,01536=^,18639.
Ainsi quand wi nombre décimal est inférieur ii 1,
la caractéristique de so}i logaritiime est négative,
et le nombre d'unilés dont elle se compose est
marqué par le ranq qu'occupe à droite de la vir-
fjule le pre-nier chiffre significatif du nombre dé-
cimal; la parti'i décimale du lo'/arithme est la
me'me que si le nombre décimal était iin nombre
entier.
Ce qui précède est résumé dans la règle sui-
vante :
Pour avoir le logarithme d'un nombre décimal,
on le cherclie dans la table comnio si le nombre
n'avait pas de virgule ; quant à la caractéristique,
on lui donne autant d'unités qu'il y a de chiffres
moins un à la partie entière du nombre décimal
quand il est plus grand que 1 ; s'il est plus petit
que 1, on donne à la caractéristique un nomlire
d'unités négatives marqué par le rang qu'occupe
le 1" chiffre significatif du nombre décimal à
droite de la virgule.
IX. — Logarithme d'une fraction ordinaire. —
Une fraction ordinaire n'étant que le quotient
de la division du numérateur par le dénominateur,
on obtiendra le logaritiime de cette fraction, en
retranchant du logarithme du numérateur le loga-
rithme du dénominateur.
Cette opération ne présente rien de particulier
quand le dénomin.ateur est plus petit que le numé-
rateur; mais elle exige quelques explications dans
le cas contraire.
17
Soit par exemple à chercher le logarithme de —
En appliquant la règle, on aura :
-r- = log. n — log. 24
Or les tables donnent :
log. 17 = 1,23045
log. 24= 1,38021.
Il s'agit donc ici de retrancher le plus petit lo-
garithme du plus grand. Voici comment on opère:
Oti ajoute à la caractéristique du plus petit lo-
i/nrilhme le nombre d'unités suffisant pour ren'Ire
t:e logarithme sitpériew à l'autre, et on effectue
alors la souitraction. Puis on diminue le resle
d'autant d unités qu'on en avait ajouté au premier
logarithme, ce qui revient à donner ce nombre
d'unités pour caractéristique au resle, avec le si-
gne — au dessus.
Dans l'exemple ci-dessus, on augmentera de 1
le logarithme de 17; du nombre ainsi obtenu on
retranche 1 ,3S0'2 1 , ce qui donne pour reste 0,85024 ;
puis diminuant ce reste de 1, on aura
Celte règle sera toujours applicable, même dans
le cas d'une division de nombres décimaux ; m lis
pour plus de facilité, on aura soin de multiplier
d'abord le dividende et le diviseur par 10, 100,
lOilO, etc., pour les convertir tous deux en nom-
bres entiers. Par exemple, si l'on avait à trouver
le logarithme de -1 — — , on chercherait le loga-
0,U24
rithme de —-—
240
X. — Soustraction des logarithmes a carac-
téristique négative. — Si l'on voulait obtenir le
0.11017
0,024
nombres en nombres entiers, on devrait de :
log. 0,0017 =^,23045
retrancher :
log. 0,024 = 2,.'i802I.
On effectue d'abord la soustraction sur la par-
tic décimale; puis, comme on a augmenté de 10
dixièmes le chiffre 2 des dixièmes du premier
logarithme, on augmente de I le chiffre 2 de la co-
lonne suivante dans le deuxième, conformément à
la règle ordinaire, ce qui donne 2 -|- 1 ou 1 à re-
trancher de ¥.
Or pour soustraire d'un nombre quelconque un
nombre négaiif, il faut ajouter au premier le
nombre ncgaiif pris comme nombre positif, c'est-
à-dire débarrassé du signe — . On retranchera
donc Tde lï en ajoutant 1 à 3, ce qui donne pour
reste J (V. Algèbre, règle de la soustraction). On
trouvera ainsi :
0,0017
0,0 .'4 ■
log. •
: 2,85024.
XI. — Division d'un logarithme a caracté-
ristique négative. — Il arrive souvent qu'on a
à diviser par un nombre entier un logarithme
dont la caractéristique est négative. Si cette ca-
ractéristique est divisible par le nombre entier,
ce qui a lieu, par exemple, dans la division de
7,85024 par 2, il n'y a aucune difficulté; car on a
alors T,42512.
Il n'en serait pas de môme, si l'on avait à diviser
ce logarithme par 3. Dans ce cas, la caractéristi-
que négative 7 n'étant pas divisible par 3, il fau'
remplacer "3 par jT, ce qui diminue le logarithme
de 1 ; mais par compensation on ajuute une unité
devant la partie décimale positive. On remplace
ainsi
2,85024 par 3 -f- 1,85024.
En effectuant ensuite la division par 3 sur la
partie négative et sur la partie posiiive, on trouve :
3S024 -
= 1,6167466..
Observation. — Dans la division d'un loga-
rithme, on conserve au quotient le môme nombre
de chiffres décimaux que dans le logarithme ;
mais on doit toujours augmenter de 1 le dernier
chiffre conservé, lorsque le chiffre suivant que
fournirait la division est 5 ou plus grand que 5.
D'après cette règle, on aura :
2,85024
= 7,61675.
XII. — Disposition des tables de logarithmes.
Il y a des tables qui contiennent avec 7
décimales les logarithmes de tous les nombres de-
puis 1 jusqu'à 108 000; d'autres tables contiennent
seulement avec 5 décimales les logarithmes des
nombres depuis I jusqu'à liiOOO. Ces dernières sont
bien suffisantes ; c'est de celles-là que nous allons
expliquer l'usage. Les deux principales sont celles
de HouCI, qui ont le format in-8, et celles de
Dupuis qui ont le format in-iK. Dans les unes et
les autres, on a bien fait d'omettre les caractéris-
tiques qui étaient dans les anciennes tables.
' Les tables de Houél renferment les nombres
LOGARITHMES
1197 —
LOGARITHMES
depuis 1 jiisqu'i 10 000 dans des colonnes con-
sécutives surjnontces de la lettre N, et vis-à-vis
les logarithmes dans les colonnes indir|uécs par
l'abréviation Log. placée en tôte. La troisième co-
lonne, surmontée de la lettre I), renferme les
différences qu'il y a entre les deux logarithmes
consécutifs placés à gauche.
Los tables de Dupuis ont reçu une disposition
un pou différente, qui est celle des grandes ta-
bles à 7 décimales. La première colonne k gauche,
marquée N. dans chaque page, ne présente que les
nombres de trois chilTres; mais le quatrième se
trouve en gros caractères dans la première ligne
horizontale placée soit au haut de la page, soit au
bas. Les deux premiers chiffres du logarithme
sont les deux chiffres isolés de la colonne O en
allant de haut en bas ; les trois derniers sont sur
la ligne horizontale du nombre et dans la colonne
qui correspond au quatrième chiffre placé en tète.
Par exemple, pour avoir le lo^'arillimo de 7523, on
cherche 752 dans la première colonne. Les deux
premiers chiffres du logarithme sont 81 ; les trois
autres sont GSl) sur la ligne horizontale de Ib! et
dans la colonne verticale portant en tète le chiffre
3. Mais quand les trois derniers chiffres du loga-
rithme sont marqués d'une étoile, il faut prendre
pour les deux premiers, dans la colonne O, non pas
les deux chiffres isolés qui sont au-dessus de la
ligne horizontale du nombre, mais les deux qui
sont au-dessous. Par exemple le logarithme de
C761 sera 3,83001.
XIII. — TnOUVER LE LOGARITHME d'uN NOMBRE
DONNÉ. — 1° Si c'est un nombre entier n'ayant
pas plus de quatre chiffres, la mantisse de son
logarithme se trouve dans la table, comme on vient
de l'expliquer.
Si c'est un nombre entier, terminé par ou plu-
sieurs zéros, ou un nombre décimal, on cherche
la mantisse du logarithme sans considérer les
zéros du nombre entier ou la virgule du nombre
décimal ; il ne reste plus qu à donner au loga-
rithme la caractéristique, conformément à la règle
indiquée plus haut.
On trouve par exemple :
log. 1519 = 3,I8IÔG
log. 1511100 = 5,18166
log.0, 1519 = 7,18156.
2° Si le nombre, sans compter les zéros qui
peuvent être à sa droite quand il est nombre en-
tier, ou sur sa gauche quand il est nombre déci-
mal, a plus de quatre chiffres, on opère de la
manière suivante.
Soit par exemple le nombre 3i,5.SG7. D'abord la
caractéristique du logariihme sera 1. Pour avoir
la mantisse, on déplace la vi'rgule dans le nombre
de manière à ce qu'il reste 4 chiffres à .sa gauche,
ce qui donne 3458,67; la mantisse cherchée sera
la même nue celle du logarithme du nombre
3458,67.
On prend dans la table le logarithme de la
partie entière du nombre, et on a ainsi, sans
écrire d'abord la caractéristique:
log. 3458 = 53882
Or la différence entre les logarithmes de 3458 et de
3459 est 13; cette différence est marquée dans
les tables de Houël; on la calcule à vue dœil
dans celles de Diipuis. Pour connaître la quantité
à ajouter à 5i8X2 afin d'avoir le logarithme de
3458,67, on fait le raisonnement suivant:
Si le nombre 3i5s augmentait de 1, son loga-
rithme augmenterait de 13 (unités du i" ordre
décimal).
Lorsque le nombre augmente de 0,^7, son loga-
rithme doit augmenter des 67 centièmes de 13,
c'est-à-dire de 8,76.
On ne prend que la partie entière, 8, de ce ré-
sultai; mais comme la partie décimale qui suit est
plus forte que 0,5, on doit augmenter 8 de I, ce
qui donne '.).
La mantisse du logarithme de 3458,67 est donc:
53882-1-9 = 63891
et par suite on a :
log. 345507 = 5,53891
On peut donner à ce petit calcul la disposition
suivante :
log. 3458 53882
pour 0,67 8,71
log. 3i, 5867 =1,53891...
Le produit de la différence 13 par 0,67 est inscrit
dans les tables, en dehors du cadre sur la marge,
dans les tables de Dupuis, et dans la colonne à
droite indiquée parP.p,-. (parties proportionnel-
les) des tables de Houël. Au-dessous de la diffé-
rence 13 est une double colonne; les nombres
I, 2. 3,... 9 qui sont à gauche sont les dixièmes de
l'unité ; ceux qui sont vis-à-vis, à droite, sont les
dixièmes de la différence 13. On trouve ainsi :
Pour 0,6
Pour 0,07
Pour 0,G7
DUPUIS
7,8
0,91
0,9
8,9 8,71 ou 9
Remarque. — La proportionnalité admise dans
ce calcul entre l'accroissement des nombres et
l'accroissement de leurs logarithmes n'est pas
rigoureusement vraie ; mais l'erreur qui en résulte
ici est assez faible pour qu'elle puisse être né-
gligée.
XIV. — Trouver le nombre correspondant a
UN LOGARITHME DONNÉ. — 1° On cherche la man-
tisse dans la table, sans faire attention à la
caractéristique ; si elle s'y trouve, on prend le
nombre qui lui correspond dans la colonne N. On
donne ensuite à sa partie entière autant de chiffres
plus un qu'il y a d'unités dans la caractéristique,
quand celle-ci est positive. Quand elle est néga-
tive, elle indique le rang que doit occuper à par-
tir de la virgule le i" chill're significatif du nom-
bre. On trouve ainsi :
Log.
1,21352
5,21352
Nombres
10,3 s
H,3.'.00
2,21352
0,(;1635
2° Soit à chercher le nombre qui a pour loga-
rithme 1,213,0. La mantisse no se trouvant pas
dans la table, on prend celle qui en approche le
plus sans la dépasser : c'est 2i:i52, et lo nombre
correspondant est 1635. Le nombre cherché est
donc compris entre l'35 et 1636, dont les loga-
rithmes ont entre eux une différence égale à 26.
La différence entre le logarithme donné 2l3(i0 et
lo logarithme V1352 est 8. Pour trouver l'augmen-
tation à donner au nombre li;;i5, on répète le
raisonnement déjà fait dans la question précé-
dente :
Si le logarithme 2I3.Î2 augmentait de 2n, le
nombre correspondant iG35 augmenterait de 1.
Lorsque le logarithme augmente seulement do
8, c'est-à-dire de 8 fois la 26' partie de 26, le
nombre doit augmenter de 8 fois la 20' partie de
l,ou de— ,ce qui fait 0,3. On ajoute donc 0,3au
nombre 16)5; puis la caractéristique du loga-
rithme donné étant 1, le nombre cherché doit
LOGARITHMES
— H98
LOGARITHMES
avoir 2 chiffres à sa partie entière. On trouve ainsi
10,303 pour le nombre demandé.
Si le logarithme était 7,21300, le nombre cor-
respondant serait 0, 1li353.
L'augmentation i faire au nombre pris dans la
table se trouve toute calculée dans les petites co-
lonnes placées au-dessous do la différence sur la
marge dans les tables de Dupuis, ou dans la colonne
P. pi: des tables de Houël. On cherche à droite
du filet vertical, sous la différence 2C,le nombre
qui approche le plus de la différence 8 : c'est
7,8 dans les premières et 8 dans les autres. Le
chiffre 3 qui correspond à gauche est le nombre
de dixièmes à ajouter au nombre entier 1635.
Observation. — On doit avoir soin de chercher
toujours le logarithme donné dans la partie de la
table contenant les nombres supérieurs à lOiiO, ce
qui donne d'abord l'avantage d'obtenir immédiate-
ment les quatre premiers chiffres du nombre. Il
y a une autre raison, c'est que la proportionnalité
admise entre les accroissements du logarithme et
du nombre correspondant ne donnerait qu'un
résultat inexact, si on opérait sur les logarithmes
des nombres inférieurs à 1000.
XV. — Nous terminerons cet article en appli-
quant les logarithmes à la résolution de quelques
problèmes.
Problème 1. — Calculer la surface d'un hexa-
gone régulier dont le côté a 38 centimètres.
Si on désigne le côté de l'hexagone par a, sa
surface S est exprimée par la formule :
S =
.1/7' X\'^
On a donc :
S =
3X38sXv'3
log.S =
S = l,5x38»Xv'3
= log. 1,5-f 2 log.33 + ^
log. 38 = 1,57978
lug. 3 = 0,47 71-2
21og. 38 = 3, 15956
ilog. 3 = 0,23856
log.l,.S = 0,17609
(421
415
log. S = 3,5
3751
05
S = 3751,5
L'hexagone a 37 décim. carrés 51 centim. car-
rés.
Problème 2. — Calculer la surface S d'une
sphère ayant un volume de 154 centimètres cubes
867 millimètres <ubes.
Si l'on prend le centimètre pour unité, et qu'on
pose V= 154,86'?, on trouve :
S = V 36 X u X V»
log. S = 2'»g V -flog. 36 -f log. TC
log. V =2.18996
2 log V =4,31992
log. 36= l,5.'.630
log. 7t =(i,i9715
3 log. S =
log. S =
I3U4....
on...
S =139,46
= 6,43a37
= 2,U44«
426
La surface de la sphère a 1 décim. carré 39 cen-
tim. carrés 46 millim. carrés.
Problème 3. - Une ville emprunte 185 000 /"r.,
qu'elle doit rembourser en 12 paiements annuels
égaux, dont le 1" aura lieu nn an après l'em-
prunt. Le taux de l'intéréi étant de 4, 50 °/., cal-
culer la somme à payer chaque année.
(Brevet facult. Aspirants. — Aisne; 1878).
Si on désigne par x l'annuité demandée, on
trouve :
^_ 185000 X 1.045'^ X 0.045
1,045's— 1
Les logarithmes i 5 décimales étant approchés
à moins d'un demi cent-millième, lorsqu'on doit,
comme dans cet exemple, multiplier un logarithme
par 12, l'erreur du produit se trouve seulement
moindre que 6 cent-millièmes et n'a pas ainsi
un degré d'approximation suffisant pour donner
le résultat avec l'exactitude nécessaire. Dans ce cas
il convient d'employer les logarithmes à 7 déci-
males. C'est pour en donner un exemple que
nous avons choisi ce problème.
Calcul be 1,045".
log. 1,04512= 12 log. ]^o45
log. 1,045 = 0,0191163
12 log. 1,045 = 0,229-3956
16958 746
.210
l,695Sij = l,()45'2
Calcul de x.
185000 X l,04'i"x 0,045
0,6J55S
185000 X 1,04512x45
_\ log. 185000 -^- log. 1,045'* -f log. 45
'■ — ] — log. 6:J5,88
log. 185000 = 5,2671717
log. 1,04512 = 0,2293956
log. 45 = 1.6532125
7,1407798
log. 695,88 = 2,8425344
log. x= 4,3072454
20288 392
03 62
x = 20288,3
XVI. — Des complfments. — Lorsque d'une
somme de logarithmes on doit retrancher une au-
tre somme de logarithmes, on peut remplacer la
soustraction par une addition, à l'aide de ce qu'on
appelle Comi lément d'un logarithme.
Soit le problème suivant : L'aire d'un sectfur de
cercle lic 13' a p ur .ni' /are 72 décimètres carrés.
Calculer taire de l'hexagone régulier inscrit dans
ce cercle.
(Brevet facult. Aspirants. — Paris; 1877).
Si on désigne par S la surface cherchée, on
trouve :
108 X 360X^3
In». o_( log. 1084- log. 360-1- log. v'3
^ ( —log. 13 — log. Il
Voici d'abord le tableau du calcul tel qu'il est
iiidiqué par la formule :
LOGIQUE
— H99 —
LOGIQUE
log. 13=1,11391
log.7t = 0.497 15
l.GllO'J
log. 108 = 2,03342
log. 3«0 = 2,5i03O
log.v/3 = 0,23856
i.r.ii09
log. s = 3,2niu
s =10489
Or on appelle complifment de la mantisse d'un
logaritlimo par rapport à l'unité, ce qu'il faut lui
ajouter pour la rendre éf;alo i 1. Ce compicmcnt
so trouve facilement; il suffit do retrancher de
gauclie h droite chaque chiffre de 9 et le dernier
seulement de 10. On a par exemple :
C de 11 394 = 88006 ;
C'de49715 = ;,0285.
Maintenant de la somme 4,82838 retranchons
d'abord la caractéristique de Log. 13, ce qui se
fait en changeant son signe ; on a ainsi :
4,82828
r.
Puis, si au lieu do soustraire encore la mantisse,
on ajoute au contraire son complément, ce qui
donne :
J,82828
l,8se0G
la somme de ces deux nombres sera trop forte de
1 ; il suffira donc de diminuer la caractéristique
de I, et d'ajouter h 4,82828 le logarithme~2, 88606.
En opérant ainsi on trouvera le môme résultat que
si on avait retranché 1,11304 de 4,iS28.'8.
De là cette règle : limqaou doit relvanc)ier un
logarithme d'un autre, on /jeut c/i"nger le signe de
lu caractéristique, la dimniuer ensuite de 1, rem-
placer la mantisse par son complément et ajouter
le logarithme ainsi transfiu mé au premier.
En appliquant cotte règle au calcul précédent,
on aura le tableau suivant :
log. 108 = 3,03342
log. 3liO = 2,55630
log.y/^ =0,23856
— log. 13 = 2,88606
— log. 71 = 1,50285
log. b = 3,21 i 19
Nous dirons franchement en terminant que cette
règle ne nous paraît pas mériter toute l'importance
que la plupart des auteurs y attachent; si nous
avons cru devoir l'indiquer, c'était moins pour
indiquer aux instituteurs une 'autre marche à sui-
vre dans ce calcul, que pour éviter le reproche
d'avoir laissé une lacune dans cet article.
[G. Bovier-Lapierre.]
LOGIQUE. — Psycliologie et logique, XV. —
1" Définition de la logique. — La logique est une
partie importante des sciences philosophiques et
morales. Elle doit être rattachée i. ce groupe
considérable de sciences en môme temps théori-
ques et pratiques, qui comprend la morale ou
éthique, l'esthéiique ou science du beau, la rhé-
torique, la politique, le droit. Elle est à la fois
une science et un art : une science, car elle nous
fait connaître les lois de la pensée, les conditions
normales du développement intellectuel; un art,
car elle nous apprend i régler lintelligeiicc, elle
nous enseigne les moyens de découvrir la vérité et
d'échapper à l'erreur.
La logique a été diversement définie, et cette
diversité provient précisément de ce qu'on l'a
considérée, tantôt sous son aspect théorique,
tantôt sous son aspect pratique : ou bien comme
un corps méthodique de vérités systématiquement
enchaînées, ou bien comme une série de maximes
et de préceptes relatifs h. l'art de bien conduire sa
raison.
Au moyen âge on l'appelait Yart de raisonner.
Aristote avait dit i pou près de môme : l'objet de
la logique, c'est la démonstration. Les auteurs de
la Logique de Vort-Royal. la logique classique de-
notre pays, eurent raison de modifier cotte défini-
tion, et de dire que la logique éiaitl'o;'/ dépenser.
C'était indiquer déjà qu'il y a d'autres opérations
intellectuelles que le raisonnement ; que l'obser-
vation, par exemple, que la simple perception
sont aussi l'objet de la logique, puisqu'elles con-
tribuent à la découverte de la vérité. Mais la défi-
nitioii de Port-lîoyal laissait tiop dans l'ombre les
caractères théoriques delà logique. Dans son célè-
bre traité intitulé tigstème de logique, le philoso-
phe anglais Stuart Mill donne, au contraire, une
définition qui a le défaut opposé : « La logi-
que, dit-il, est la science des opérations de
l'esprit qui concernent l'estimation de la preuve. »
C'est oublier que la loiiique a aussi pour but de
suggérer les procédés de la découverte, les moyens
destinés à atteindre des conceptions qni seront en-
suite vérifiées par les règles de la logique. Stuart Mill
se rapprochait davantage delà vérité quand, dans-
le sous-titre de son livre, il annonce qu'il va
exposer « les principes de la preuve et les mé-
thodes de l'investigation scientiliquc. >>
Peut-ôtie est-il impossible de définir briève-
ment la logique ; et faut-il se contenter de carac-
tériser cette science, comme le fait le logicien
anglais, M. Bain, en disant qu'elle est : 1° la
science théorique et abstraite qui expose les lois
fondamentales de toute affirmation, de tout juge-
mejit ; 2" la science pratique de toutes les fonues
de la preuve; 3° enfin, un système de méthodes
appropriées à la recherche et à la découverte de
la vérité. Sous ces trois aspects la logique n'a en
définitive qu'un seul et môme objet : la preuve
de la vérité. Mais cette preuve suppose, soit des
principes que l'analyse intellectuelle nous décou-
vre, la théorie du syllogisme, la théorie de l'in-
duction, soit des formes spéciales et un méca-
nisme compliqué d'opérations et de raisonnements,
soit enfiii, des combinaisons de moyens et de
procédés, en un mot des méthodes.
En résumé, la logique est la science à la fois-
théorique et pratique qui enseigne les conditions de
la vérité et les moyens d'y arriver. Elle ne sert pas
uniquementà vérifier des vérités déjà trouvées : elle
apprend à découvrir des vérités encore inconnues.
Sans doute, les découvertes scientifiques sont
plus d'une fois l'œuvre d'un hasard heureux, d'une
inspiration soudaine, mais il arrive aussi qu'elles
résultent d'une application studieuse des règles,
de la logique.
■^i" Histoire de la logique. — Il est intéressant de
recherchercomment la logique s'est constituée peu
à peu, comment elle est devenue ce qu'elle est
aujourd'hui, un corps de règles générales, appli-
cables, soit à l'exercice journalier de l'intelligence,
soit à la recherche scientifique de la vérité, le
code lie la pensée en un mot.
Ce qu'il faut noter tout d'abord, c'est que la
logique dépend de la psychologie. Elle n'est, h.
certains points de vue, qu'une psychologie abs-
traite. Au fond de toute logique, il y a un système
de p.sycliologie : dans la Logique de Port-Royal,
vous trouvez, comme point de départ, la théorie,
classique au xvii" siècle, qui distinguait dans l'es-
prit trois opérations essentielles, la conception, le
jugement, le raisonnement. IJe plus, la Logique de
/'or;-/('/7/r(/, admirable par tant d'autres parties, est
incomplète nt surannée aujourd'hui, parce que sos
auteurs n'ont pas fait à l'induction, (ians leur théo-
rie psychologique du raisonnement, la môme part
LOGIQUE
— 1200
LOGIQUE
qu'àla déduction. De même, dans les Logiques mo-
dernes, celles de Stuart Mil I et de M. Bain, par exem-
ple, il est facile de reconnaître tout un système de
psychologie empirique, qui n'admet guère plus
les principes rationnels et innés de l'intelli-
gence.
La logique n'est donc en premier lieu qu'une
application de la psychologie. A mesure que le
psychologue avance dans l'étude théorique des
phénomènes de l'esprit, le logicien progresse et
devient plus capable de déterminer les lois géné-
rales de la pensée. A coup sûr, il ne faut pas que
la logique soit le tableau réel, dos tâtonnements,
des incertitudes, des erreurs de l'esprit, pas plus
que la morale proprement dite ne peut être l'i-
,mage fidèle des mœurs des hommes, esquissée à
la façon des La Bruyère ou des La Rochefoucauld,
Mais la logique ne perdra pas son caractère idéal
et absolu, parce qu'elle aura appris à l'école de la
psychologie de quelle manière la pensée se ma-
nifeste et se produit. Y a t-il même pour elle un
autre moyen d'acquérir cette connaissance de
l'entendement, qui est son principal objet? L'exer-
cice réel des opérations intellectuelles convena-
blement dirigées n'est-il donc pas précisément la
même chose que leur exercice iiécessarve ? La
logique a-t-elle autre chose à faire qu'à transcrire,
comme règles et lois formelles, les applications con
crêtes que fait sans cesse de son entendement, non
pas seulement l'homme de science, mais le vulgaire
lui-même'?
Mais si la logique a beaucoup à gagner à se
rapprocher de la psychologie, si elle s'est accrue
sans cesse grâce au\ progrès des études psycholo-
giques , ce n'est pas seulement à cette source
qu'elle s'alimente et s'enrichit; elle progresse avec
les sciences elles-mêmes. En d'autres termes, ce
n'est pas seulement l'esprit considéré dans son
fonds éternel et immuable, c'est aussi l'esprit ap-
pliqué aux diverses recherches particulières de la
science, qui inspire et qui guide le logicien. Il en
est de la logique comme de la rhétorique et
de la poétique. On peut sans doute déterminer
en partie les lois de la rhétorique et de la poéti-
que, par une considération abstraite de la nature
humaine : on ne peut cependant compléter ces
arts et les mener à leur point de perfection, sans
étudier les oeuvres des orateurs et des poète* les
plus distingués. De même la logique se perfec-
tionne et se développe tous les jours par l'examen
attentif de l'oeuvre des grands savants. Il ne peut
y avoir de nouvelle science l'ondée, ni de nouvelle
méthode employée, sans qu'aussitôt il n'y ait lieu
d'ajouter un chapitre nouveau à la logique, et de
décrire de nouvelles formesde la pensée. Quelque-
fois, et grâce à la divination pénétrante d'un Bacon,
la logique devancera le travail de la science. D'au-
tres fois et le plus souvent, comme par exemple
pour la méthode expérimentale appliquée par
Claude liernard à la physiologie, ce sont les dé-
couvertes des savants qui précéderont et iiispire-
ront les réflexions du logicien. Descartes na écrit
son Dicouis de lo iiiétlioilf, qu'après avoir appli-
qué lui-même dans ses travaux scientifiques les
principes logiques qu'il y recommande ; le» Hèyles
jihilosopliiqups {lieyidœ ii/iilO'Op/imii/i) de Newton
ne sont que le résumé de ce que ce grand mathé-
malicien avait fait pour découvrir et établir la loi
de la gravitation universelle : l'illustre astronome
Herechell a consacré une partie considérable de
son Discours sur t'élud- d- la plii osoplàe nutu-
rrlle à exposer les règles d'après lesquelles il avait
dirigé ses propres études. Enfin la logique indue
tive, telle que l'ont organisée de nos jours les écri-
vains anglais VVIiewell, S^tuart Mill, .M. Bain, n'a
été possible que parce que de grandes découvertes
ijiductives ont signalé le travail scieniifique des
derniers siècles. La logique n'est donc pas seule-
ment une quintessence de la psychologie, elle est
aussi la synthèse de la science.
La logique est donc éminemment perfectible, et
l'on s'étonne que Kant ait écrit : n Depuis Aristote
la logique n'a pas beaucoup gagné quant au fond,
et même elie ne peut gagner beaucoup à cet égard. >■
Il est vrai qu'il ajoutait : « Mais elle peut très bien
acquérir en exdctitwle, en précision et en clarté. >■
Il faut aller plus loin que liant, et reconnaître
que depuis les Analytiques d'Aristote, ou, ce qui
revient au même, depuis la fin de la scolastique,
la logique a singulièrement agrandi son domaine
et renouvelé ses théories.
Même le syllogisme a été en quelque sorte ra-
jeimi et sa théorie renouvelée. Oji a appliqué des
symboles numériques et des signes algébriques
(voir les travaux des logiciens anglais De Morgan et
Boole) à l'expression des notions et dos proposi-
tions. La Logique de Port-Royal ne comptait que
dix-neuf modes concluants de syllogismes ; Hamil-
ton, le philosophe anglais, en exigeant que dans
les propositions la quantité du prédicat fût dé-
terminée aussi exactement que celle du sujet, a
accru le nombre des formes fondamentales et des
modes possibles au point que, dans une de ses
listes, il les énumère au nombre de cent huit.
Certes nous sommes loin de nous figurer qu'on ait
reculé les bornes de l'esprit humain en doublant
ou en triplant le nombre des syllogismes concluants;
mais nous croyons qu'il y a quelque progrès spé-
culatif, sinon quelque profit pratique, à déterminer
avec plus d'exactitude les conditions de la pensée
et du riiisonnement déductif.
D'autre part la logique inductive a été créée do
tontes pièces, non pas seulement par Bacon, dont
les intuitions pourtant si clairvoyantes ont aujour-
d'hui un peu vieilli, mais par des savants qui,
tels que Newton et Herschell, ont éprouvé par
leurs découvertes les méthodes expérimentales ;
et aussi par des généralisateurs comme Stuart
Mill, qui, venus après les grands progrès de la
science, n'ont eu qu'à résumer, à formuler en lois
le travail scientifique des derniers siècles. Com-
inent nier après cela la possibilité du renouvelle-
ment et du progrès des études logiques? Ce n'est
pas qu'en reconnaissant les accroissements de la
logique on veuille lui contester la fixité immuable
de ses principes, pas plus qu'on ne songe à nier
l'éternelle vérité de la géométrie, en refusant do
l'étudier dans Euclide. Mais que dirait-on, par
exemple, d'une poétique qui. composée du temps
d'Homère, ne traiterait que de la poésie épique et
ignorerait les autres formes de la poésie? Ne fau-
drait-il pas juger de même une logique, qui, après
les grands eflbrts et les grands succès de la mé-
thode inductive, telle que la science la pratique
depuis Bacon et son Sovum OrgahUm, voudrait en
demeurer à l'étude du syllogisme et à VUrganon
d'Aristote?
3" Divi'ion de la logique. — Aristote et après
lui la Logique de Port-liogal divisaient la logique
en quatre parties : d'abord la théorie des éléments
de la proposition, c'est-à-dire des idées; puis la
théorie de la proposition elle-même; en troisième
lieu l'étude du raisonnement que forment des
propositions unies entre elles par certaines lois;
enfin l'étude de la démonstration ou de la mé-
thode en général. Aujourd'hui cet ordre n'est
plus respecté. Chaque logicien dispose à son gré et
avec la plus entière indépendance les matières de
la logique. Ain-i Stuart -Mill divise son ouvrage en
six livres: 1" les m-nts et les propositions ; 2° le
rai'Oimemeid; :t'> Vinduclion; 4° les opérulùms
aurdirrirts de l'induclion ; 5" les sophisiiies ; 0° la
logique des sciences morales. Il y aurait beaucoup
à dire contre cette distribution des parties de la
logique, comme aussi contre la division adoptée
par AL liain et qui est sur certains points aualo
LOGIQUE
— 1201 —
LOGIQUE
gue à la précédente. La logique de M. Bain com-
prend six livres : I" Les mots, les idées, les pro-
po!'itions; T la déiluctiun; 3° Vimluction; i° la
difhiitkm; 5" la lor/iijue des sdences; G° /es so-
pliismes. Ce qu'il faut retenir de cos essais re-
marquables, c'est que la logique doit 6tre désor-
mais divisée en deux grandes parties, la laç/ique
iniluct'we et la loijique diii/uctive, — celle où l'on
traite des divers procédés qui conduisent l'esprit
des faits particuliers aux vérités générales, et
celle où sont étudiées les lois du raisonnement
inverse qui nous mène des véi'ités générales pré-
cédemment établies aux cas particuliers. Sans
doute on peut croire que la diversité apparente
de l'induction et de la déduction ne détruit pas
l'unité dos opérations logiques, et qu'il est permis
de résoudre cette antinomie créée par l'opposi-
tion des deux formes du raisonnement; mais mal-
gré tous les efforts qu'on pourra faire pour ra-
mener l'induction k la déduction, ou la déduction
à l'induction, il n'en restera pas moins nécessaire
d'étudier à part, dans leurs caractères spéciaux et
distinctifs, ces deux grandes formes de la pensée,
ces deux mouvements inverses du raisonnement
humain .
Cette division fondamentale une fois indiquée,
il faut en signaler une autre, celle de la logique
ijénérale, qui étudiera en eux-mêmes les procodés
du raisonnement, et la logique appliquée, qui sui-
vra dans les sciences le développement pratique
de ces procédés.
Enfin on pourrait encore distinguer la logique
positive, qui donne des lois pour la recherche de
la vérité, de la logique négative, qui démasque
l'erreur. Les formes régulières du raisonnement
•une fois connues, il est nécessaire d'étudier les
formes incorrectes, les paralogismes et les so-
phismes.
Ajoutons q>ic le postulat de la logique étant
l'existence de la vérité et la possibilité de la con-
naître, il ne sera pas inutile, au début des études lo-
giques, de consacrer quelques chapitres prélimi-
naires à ces questions : Y a-t-il de la certitude 7
Pourquoi doit-on repousser les arguments du
scepticisme? La réfutation du scepticisme est
«omme la préface de toute logique complète.
D'après cola, on peut juger des imperfections de
'la Logique de Port-Poi/ul, le seul texte français
que nous ayons encore à mettre entre les mains
■des élèves. Sans doute, il y a dans l'œuvre de
Nicole et d'Arnauld des parties durables, de fines
réftexions morales sur les égarements de l'amour-
propre, sur les sophismes, etc. ; mais il y a aussi
des parties vieillies, et surtout des lacunes consi-
dérables. Ainsi, le mot induction n'est prononcé
qu'une fois dans la Logique, de Port-lioyal, et
seulement par une étrange distraction i propos
des sophismes ou des faux raisonnements. On ne
s'explique pas que l'induction, sur laquelle Ar-
nauld garde un silence absolu quand il s'agit
d'analyser les procédés réguliers et légitimes du
raisonnement, apparaisse inopinément parmi les
sources d'erreurs. Le plus étrange, c'est que
Port-Royal savait parfaitement que' « toutes nos
connaissances commencent par l'induction, parce
que les choses singulières se présentent avant les
universelles. » Mais la force de l'habitude et l'au-
torité de la tradition condamnaient encore les
esprits les plus pénétrants du dix-septième siècle
à respecter les limites étroites de la logique dé-
■ductive.
Aujourd'hui, ce défaut n'est plus a, craindre : ce
serait plutôt le défaut opposé. Le syllogisme, qui
était le tout de la vieille logique, semble n'être
plus rien dans certaines logiques modernes, qui
le traitent de solennelle futilité. Il ne faudrait pas
oublier cependant que le syllogisme est l'expres-
sion parfaite du raisonnement déductif. Pour
V PAMIE.
avoir embrassé dans son domaine plus vaste et plus
compréhensif l'étude des règles de l'induction, la
logique ne doit pas oublier cette autre partie de
sa tâche, la déduction. Ne partageons pas le dé-
dain trop répandu de nos jours pour l'art syllo-
gistique, dédain qui veut se donner les airs d'une
plus grande force d'esprit, mais qui n'est au fond
qu'une paresse, une vaine délicatesse intellec-
tuelle. Sans doute, on comprend qu'au dix-sep-
tième siècle, au sortir de cette longue période où
des logiciens formalistes excluaient de leur science
tout ce qui ne se rapportait pas directement à la
théorie du syllogisme, Bacon, le logicien de l'in-
duction, se soit laissé aller à répéter le cri d'impa-
tience qui échappait déjà à saint Ambroise : A
dialectica Aristoielis libéra nos, Domine, « Délivre-
nous, Seigneur, de la dialectique d'Aristote. » Mais
aujourd'hui que la pensée est affranchie de la
tyrannie du syllogisme et qu'on n'a plus à craindre
l'abus de cette forme de raisonnement, il importe
que le logicien analyse avec soin les diverses
formes syllogistiques. Alors même qu'il serait
vrai de dire avec un ancien que « ceux qui s'en-
ferment dans la dialectique peuvent être comparés
aux mangeurs d'écrevisses qui, pour une bouchée
de chair, perdent leur temps sur un monceau
d'écaillés, n nous estimerions encore que cette
substance excellente, contenue au fond de la dia-
lectique, mérite que, pour arriver jusqu'à elle, on
passe par-dessus les difficultés qui la hérissent.
En résumé, le logicien moderne doit se proposer
pour but de réconcilier et d'associer la logique dé-
ductive d'Aristote et la logique inductivede Bacon.
Ce qui n'est pas moins important, c'est de con-
sidérer que la logique reste incomplète si elle se
contente de se tenir sur les hauteurs de la philo-
sophie générale, si elle ne se préoccupe pas de
descendre aux applications, d'être enfin une logi-
que élémentaire et pratique.
C'est pour cette raison que la logique doit élar-
gir de plus en plus la place qu'elle a toujours ac-
cordée à l'étude des diverses méthodes scienti-
fiques. Dans les traités modernes cette partie est
très développée. Ainsi la Logique de M. Bain con-
sacre plus de trois cents pages à, la logique des di-
verses sciences : mathématiques, physique, chimie,
biologie, psychologie, sciences de classification,
sciences pratiques, telles que la politique et la
médecine. Nous trouvons là une logique réelle et
technique qui suit pied à pied les sciences dans
leurs démarches, s'ajustant à tous leurs contours,
serrant de près tous leurs progrès, afin d'en extraire
la substance et de nous présenter, dans une série
de tableaux, les moyens dont dispose l'esprit hu-
main pour faire face à la diversité des problè-
mes scientifiques. Ces études de logique appliquée,
outre qu'elles peuvent fournir aux savants de pro-
fession des indications utiles, ont encore pour
résultat de contribuer à cette culture géiiérale de
l'esprit, qui est le but principal de l'éducation.
4° Utilité de la logique. —L'utilité de la logique
ne saurait être contestée. Sans doute, on devient
souvent un savant sans le secours de la logique,
mais avec l'aide de la logique on le deviendrait
plus commodément et plus fréquemment. Un au-
teur anglais, M. Galton, qui applique ingénieuse-
ment la statistique aux questions morales, a ouvert
dans ces derniers temps une enquête sur les con-
ditions du génie scientifique, sur l'éducation et le
régime intellectuel qui conviennent à la jeunesse
de» futurs savants : parmi les témoignages qu'il a
recueillis, il y en a un grand nombre dont les au-
teurs i-cconnaissent ce qu'ils ont dû à l'étude de la
logique.
Mais ce n'est pas seulement le savant, c'est
l'homme le plus humble et le plus modeste qui,
pour bien conduire ses jugements dans la vie pra-
tique, a besoin de s'être exercé à la dialectique,
76
LONGITUDE
— 120i —
LOUIS
d'avoir réfléchi sur les conditions de la vérité.
Sans doute le raisonnement humain est naturelle-
ment droit: mais il est exposé cependant à tomber
dans bien des pièges. L"ne étude attentive de la
logique, outre qu'elle fortifiera la lectitude natu-
relle de nos facultés de jugement, nous mettra en
garde contre les principaux écueils où peut aller
échouer notre raison. Rien de plus utile, par
exemple , que l'examen et l'analyse des formes
principales du sophisme, c'est-à-dire de ces rai-
sonnements captieux qui servent de point de dé-
pan à la plupart des préjugés et des superstitions
de l'humanité.
Ainsi, outre l'influence positive qu'elle exerce
^ur les progrès réels de la vérité, sur les grandes
découvertes scientifiques, la logique a aussi pour
résultat de « dégager le cerveau, de nettoyer la
tête, 11 selon l'expression de Hegel, c'est-à-dire de
réduire le nombre des erreurs, de dissiper les
chimères et les fantômes, d'empêcher les écarts de
l'esprit. De même que l'étude sérieuse de la poé-
tique et de ses lois nous débarrasserait des faux
poètes, soit en les décourageant, soit en les ren-
dant meilleurs, de même la connaissance appro-
fondie de la logique aurait tout au moins l'avantage
de diminuer le nombre des faux savants. Les
aberrations de l'esprit de système, les concep-
tions irréfléchies de l'imagination, les utopies
sociales, les préjugés et la superstition, en un mot
la déraison sous toutes ses espèces et sous toutes
ses formes, tout cela nous serait épargné en partie,
si tous ceux qui se mêlent de penser et d'écrire
avaient d'abord soumis leur esprit à la sévère dis-
cipline de la logique.
On ne saurait donc trop recommander l'étude de
la logique, et protester contre le discrédit où elle
semble tombée. L'irréflexion le plus souvent,
quelquefois l'esprit de système, ont admis et pro-
pagé nous ne savons quel dédain de la logique. De
plus en plus on s'imagine que la pensée émancipée
n'a pas besoin de s'astreindre à des règles, que la
meilleure logique, c'est le talent, le tempéra-
ment. Les politiques répètent volontiers ce lieu
commun, que les hommes des sociétés modernes
songent plutôt à revendiquer leurs droits qu'à prati-
quer leurs devoirs. Les savants pourraient avec
quelque raison faire entendre des plaintes analo-
gues. La liberté de penser, qui est le droit, tout
le monde la réclame avec raison : mais la logique
qui est le devoir, le devoir d'user d'après les règles
de la pensée libre, trop peu de gens se soucient
d'en apprendre les lois. [Gabriel Compayré.]
Parmi les ouvrages à consulter sur la logique, iious si-
gnalerons surtout : VOrganon d'Aristote, ie iVovum orga-
nuniit Bacon, la Logique de Port-Royal ; et au premier rang
des ouvrages modernes, les Essais' sur tes fondements de
nos eoruiaissauces^ par Cournot, ISal; divers essais de sa-
vants français contemporains: la Méthode dans tes sciences
de raisonnement, de M. Duhamel ; la Philosophie chimique,
de M. Dumas ; V Introduction à la médecine expérimentale,
de M. Claude Bernard ; enfin, le Système de logiqne de
Stuart Mill (traduction française de Louis Peisse, 1866): la
Logique tléànctive et inductive d'Alexandre Bain (traduc-
tion française de Gabriel t.ompayré, 1875).
LONGITUDE. — V. Latitude, Longitude.
LOTIIAIKI:. — Nom de divers souverains dont
les principaux sont mentionnés ci-dessous :
1° Fumille cnrlovingienne, branche ainée.
iothaire I", — Histoire générale, XVIII, —
fils aine de Louis le Débonnaire, fut associé à
l'empire dès 817; se révolta plusieurs fois contre
son père; puis fut en lutte avec ses frères, Louis
le Germanique et Charles le Chauve, qui ne vou-
laient pas reconnaître sa suprématie. Le traité de
Verdun (84 3) lui assura, avec la couronne impé-
riale, la possession de l'Italie, de l'Helvétie, de la
région à l'est du Rhône et de la Saône, et du
territoire situé entre la Meuse et le Rhin. Il mou-
rut en 855, et ses États furent partagés entre ses
trois fils.
Lothaire II, — Histoire générale, XVIII, —
second fils de Lotliaire I", reçut pour sa part
d'héritage le pays entre la Meuse et le Rhin, qui
prit de lui le nom de Lotharingie ou Lorraine.
A sa mort (869), la Lorraine fut partagée entre
Charles le Chauve et Louis le Germanique.
2° Famille carlovimjieiine, branche cadette.
Lothaire, — Histoire de Fiance, VII, — fils de
Louis IV d'Outremer, succéda à son père en 954.
u Roi sans territoire, sans soldats, sans finances,
il lutta vainement, durant trenle-deux années,
contre la féodalité déjà toute-puissante » (Bordier
et Charton). Le plus redoutable de ses grands
vassaux était Hugues Capet, fils de Hugues le Grand,
duc de France et futur fondateur d'une nouvelle
dynastie. Lothaire mourut en 986, laissant la
couronne à son fils Louis V, qui fut le dernier
des Carlovingiens de France.
3° Allemagne.
Lothaire de Saxe, — Histoire générale, XIX,
— d'abord duc de Saxo, fut élu roi de Germani»
en ir.'5, à la mort de Henri V de Franconie. Son
règne, qui s'intercale entre l'extinction de la mai-
son de Franconie et l'avènement de la maison de
Souabe, n'oft're pas d'événements importants.
Après s'être fait couronner empereur en 1133, il
mourut en 113" pendant une expédition en Italie.
LOUI.S. — Nom d'un grand notubre de rois de
France, et de plusieurs empereurs d'Occident ou
d'Allemagne. Nous consacrons ci-dessous une no-
tice à chacun de ces souverains, en donnant les
développements nécessaires au récit des règnes
les plus importants.
1° Rois de France.
Louis I"'. — V. Louis le Débonnaire, empereur.
Louis II le Bègue, — Histoire de France, VI,
— fils de Charles le Chauve, lui succéda en 877.
Son règne ne dura que deux ans. Louis le Bègue
dut confirmer le capitulaire de Kiersy, par lequel
son père avait reconnu l'hérédité des fiefs et con-
sacré l'organisation de la féodalité. 11 mourut en
S79.
Louis III, — Histoire de France, VI, — fils
aîné de Louis le Bègue, lui succéda et partagea
l'héritage paternel avec son frère Carloman. Les
deux rois guerroyèrent contre Boson, roi d'Arles,
et contre les Normands qui ravageaient la France
du nord-ouest. Louis battit ces derniers à Saucourt
en Picardie, et accorda ensuite à l'un de leurs chefs
les plus fameux, le pirate Hastings, l'investiture
du comté de Chartres. 11 mourut en 882. Carloman,
resté seul roi. continua à lutter contre les Nor-
mands, et mourut deux ans après son frère.
Louis Vf d'Outremer, — Histoire de France,
VII, — fils de Cliarles le Simple, fut appelé au
trône en 936 par Hugues le Grand, duc de France,
qui le fit revenir d'Angleterre où la mère de Louis
avait emmené ce prince pour le soustraire à ses en-
nemis pendant lerègne de Raoul. Mais il n'eutqu'un
pouvoir nominal, car les seigneurs étaient souve-
rains sur leurs terres, et le domaine royal ne com-
prenait plus que quelques villes. Louis fut en
guerre avec Uthoii I", roi de Germanie, dont il avait
épousé la sœur, et qui s'empara de la Lorraine ;
il eut aussi à lutter à plusieurs reprises contre
Hugues de France et divers autres vassaux puis-
sants. Dans une guerre contre le duc de Norman-
die, il fut fait prisonnier, et resta un an en capti-
vité. Il ne recouvra la liberté qu'en cédant à Hu-
gues le Grand Laon, la seule ville qu'il possédât
encore. Le roi Othon et le pape se déclarèrent
alors en sa faveur; il réussit à reprendre Laoïi,
et à se faire reconnaître par les seigneurs d'Aqui-
LOUIS
1203
LOUIS
tainc. Mais la mort l'arrêta inopinément dans sa
luiti: contn; Hugues ('Jii). Son fils LoiJiairo * lui
succ(5da.
Louis V le Fainéant, — Histoire de France, VIT,
— lils et successeur do Lotiiaire (OSG), se trouva
comme son père isoli! et sans force au milieu
d'unes féodalité belliqueuse, dont Hugues C.apet*
était le représ<'ntant le plus puissant. En dépit du
surnom que lui ont donné des chroniqueurs lios-
tiles, ce prince montra de l'énergie ; mais il mou-
rut au bout d'un an de règne, à peine âgé de
vingt ans, empoisonné, dit-on, par sa femme la
reine Blanche. Avec lui s'éteignait la dynastie
carlovingienne. Hugues Capet, qui n'avait pas été
étranger à la mort de Louis, se fit donner la
couronne.
Louis VI le Gros, — Histoire de Franco, IX, —
fils et successeur de Pliilippe I"', régna de 1 108 à
1137. Par son activité incessante et son habileté,
grâce aussi au concours de l'Eglise, la royauté,
jusqu'alors sans prestige et sans force au milieu
du monde féodal, commença à devenir une puis-
sance réelle. Louis sut obliger les seigneurs à recon ■
naître la juridiction de la cour royale, et réprima
souvent les brigandages des barons féodaux. Le
mouvement des communes agitait la France
du nord, et maint seigneur était forcé de concé-
der des chartes aux villes de son domaine : Louis
intervint quelquefois dans les querelles entre
bourgeois et nobles ; mais ce fut seulement pour
tirer le plus d'argent possible des deux partis
en lutte , et c'est il tort qu'on l'a représenté
comme le protecteur des communes : il ne per-
mit pas qu'il s'en établit sur son domaine personnel,
et se borna h donner aux villes qui relevaient
directement du roi, comme Paris et Orléans,
quelques privilèges, mais point de charte (V. Com-
mune!:, p. 409). A plusieurs reprises, il fut en
guerre avec !e roi d'Angleterre Henri I", auquel
il essaya inutilement d'enlever la Normandie. Ses
démêlés avec le duc d'Aquitaine au sujet de la
querelle du comte d'Auvergne et de l'évèque de
Clermont, avec l'empereur d'Allemagne Henri V,
allié du roi d'Angleterre, avec les villes flamandes,
accrurent l'influence de la royauté française. Le
dernier acte de son règne fut la conclusion du
mariage de son fils Louis avec l'héritière du du-
ché d'Aquitaine.
Une sorte de renaissance intellectuelle et poli-
tique se produit dans la France du nord à cette
époque. Tandis que les bourgeois des villes re-
vendiquent leurs libertés communales, l'Université
de Paris devient, avec Guillaume de Champeaux et
Abélard, un ardent foyer d'enseignement et de
disputes philosophiques; l'abbé Suger et saint Ber-
nard font briller l'Eglise d'un vif éclat, l'un par
l'appui qu'il prête au pouvoir royal, l'autre par
l'autorité de sa parole. Le moment approche où le
Nord, devenu par la civilisation l'égal du Midi,
pourra lui imposer sa prépondérance, et où se
constituera, par cette fusion, la nationalité fran-
çaise.
Louis 'Ville Jeune, — Histoire de France, IX,
— fils et successeur de Louis VI, avait épousé
Eléonore do Guyenne, fille du duc Guillaume X
d'Aquitaine, qui apportait en dot au roi de France
les provinces du sud-ouest (ll37). Prince dévot,
il prit la croix à la voix de saint Bernard, et
partit pour la Terre-Sainte en môme temps que
l'empereur d'Allemagne Conrad III (V. Croi-
sades), laissant la régence de son royaume à
l'abbé Suger. L'expédition n'aboutit qu'à un dé-
sastre. Revenu en France en 114!», Louis VII, irrité
do l'inconduite de sa femme, laisse un concile
prononcer le divorce, et bientôt Eléonore, séparée
de son premier mari, épouse Henri Plantagenet,
comte d'Anjou. Ce dernier, devi-nu ainsi le plus
puissant seigneur do France, obtient un an plus
tard la couronne d'Angleterre, et Louis VU voit
se dresser devant lui un rival redoutable. Ce fut
en vain que le roi de France accueillit Thomas
Becket , archevêque de Cantorbéry , l'ennemi
d'Henri Plantagenet, et que plus tard il soutint
les fils du roi d'Angleterre révoltés contre leur
père ; il ne parvint pas à ressaisir les possessions
qu'un divorce impolitique lui avait fait perdre. Il
mourut en 1 180.
Louis VIII, — Histoire de France, IX, — fils
et successeur de Pliilippe-Auguste, employa son
court règne (132:i-r.'3o; à atfermir la puissance
royale dans le Midi. 11 envahit d'abord l'Aqui-
taine, qu'il enleva au roi d'Angleterre Henri III,
et se fit prêter hommage par les seigneurs de ce
pays. Puis, soutenu par le pape, il entreprit une
nouvelle croisade contre les Albigeois, ou plutôt
contre le comte de Toulouse Raymond VII, qu'il
voulait déposséder : il conquit Avignon, ravagea
le Languedoc, mais dut battre en retraite sans
avoir pris Toulouse. Il mourut au retour de cette
expédition, probablement empoisonné.
Louis IX ou saint Louis (1226-1270). — His-
toire de France, X. — Etat du royaume. — Quand
la mort prématurée du roi Louis VIII mit sur le
trône son fils encore enfant, la royauté capétienne
était déjà forte, mais elle n'était pas encore
acceptée; la victoire de Bouvinos avait montré le
roi de France plus puissant que les barons, même
appuyés du dehors ; elle avait assis son autorité
sur une large base territoriale, en rendant ses
conquêtes définitives ; et depuis, Louis VIII avait
pu étendre le domaine au sud et à l'ouest; mais
si la féodalité était battue, elle n'était point
domptée ni désorganisée; elle restait à l'état
d'insurrection permanente contre le pouvoir nou-
veau qui ne te prêtait hommage à personne » et
voulait se mettre hors de pair, c'est-à-dire au-
dessus de la société féodale.
Réijence de Dlanclie île Caitille (1226-1236). — De
là, les ligues nombreuses et redoutables qui sa
formèrent contre l'autorité d'un roi mineur, et
dont sa mère. Blanche de Castille, eut à soutenir
l'effort. Par son énergie et son habileté quelquefois
empreinte de coquetterie, la reine maintint et
continua l'œuvre des rois précédents. S'appuyant
sur le peuple, elle fit coiivo((uer au sacre de son
fils les milices bourgeoises il 226); et deux ans
plus tard, c'est encore aux bourgeois de Paris
qu'elle fit appel pour protéger l'enfant royal contre
une tentative d'enlèvement projetée par les grands
barons. « Depuis Montlhéry jusqu'à Paris, le che-
min était plein, des deux côtés, de gens d'armes
ot autres, qui priaient à haute voix Notre-Sei-
gneur do donner au jeune roi bonne vie et prospé-
rité, et de le garder contre ses ennemis » (Tille-
mont, Histoire (le saint Louis). Elle rompit ainsi
la ligue qui menaçait son allié le comte Thi-
baut IV de Champagne (1230). Et quand le versa-
tile seigneur fut devenu infidèle à son tour, elle
lui imposa un traité sévère (1235), en disant :
Il Par Dieu, comte Thibaut, vous ne deviez pas
nous être contraire ; vous deviez bien vous ressou-
venir de la bonté que vous fit le roi, mon fils, qui
vint à votre aide, pour secourir votre terre contre
tous les barons do France qui la voulaient toute
brûler et mettre en charbon. » Le comte regarda
la reine qui était si sage ot si belle que de sa
grande beauté il fut tout ébahi... De là, il partit
tout pensif... Et parce que profondes pensées en-
gendrent mélancolie, il lui fut conseillé par
quelques sages hommes qu'il s'étudiât en chan-
sons de vielle et en doux chants délectables. Si
fit-il les plus belles chansons et les plus délec-
tables et les plus mélodieuses qui oncques furent
ouïes » (Chronique de Suint -Denis). Quand,
l'année suivante (I236>, Blanche de Castille aban-
donna la tutelle du roi, Raymond VII de Toulouse
LOUIS
— 1204
LOUIS
avait dû promettre sa fille et son héritage à Al-
phonse de Poitiers, frère de Louis IX (1229, traité
de Paris) ; le duc de Bretagne avait renoncé à
toutes possessions hors de son duché (123], traité
de Saint-Aubin du Cormier) ; le comte Thibaut
avait cédé au domaine royal Blois, Chartres et
CJiâteaudun (1235); le comte de Provence allait
donner sa fille et son comté à Charles d'Anjou,
troisième fils de Louis VIII; enfin le clergé avait
dû reconnaître la suprématie royale, quand la
reine-mère avait saisi les biens temporels des
évêques de Rouen et Beauvais pour châtier leur
désobéissance.
Saint Louis. — Mais le service le plus éminent
que Blanche rendit à la France fut de former le roi
q\ii devint saint Louis. A dix-neuf ans, d'après le
buste en or repoussé qui est à la Sainte-Chapelle,
" Louis était beau, d'une beauté fine et douce, qui
révélait sa grandeur morale, sans annoncer une
grande force physique; il avait des traits délicats
et purs, un teint éclatant, et des cheveux blonds,
abondants et brillants, que, par sa grand'mère
Isabelle, il tenait de la race des comtes de Hai-
naut. Il montrait des goûts vifs et élégants ; il ai-
mait les divertissements, les jeux, la chasse, les
chiens et les oiseaux de chasse, les beaux habits,
les meubles magnifiques. » (Guizot.) Mais le fond
de son caractère était la piété, la conscience mo-
rale, qui le poussa avant tout et toujours à bien
agir. A cet égard, il n'a pas eu de supérieur parmi
les princes que juge l'histoire; et il n'a eu qu'un
égal, Marc-Aurèle. « Marc-Aurèle et saint Louis
sont peut-être les deux seuls princes qui, en toute
occasion, aient fait de leurs croyances morales la
première règle de leur conduite ; Marc-Aurèle
stoïcien, saint Louis chrétien. » (Guizot.)
Sai7it Louis et la féodalité. — Mais si cette
conscience le poussait toujours à respecter le droit
de ses adversaires, elle lui fit maintenir le sien
avec la même impartiale fermeté. Hugues de Lu-
signan, comte de la Marche, avait épousé la veuve
du roi Jean d'Angleterre. L'orgueilleuse femme
ne voulut point subir la suzeraineté du nouveau
comte de Poitiers, Alphonse, frère du roi; Hugues
refusa outrageusement l'hommage. « Je te jure
d'un cœur résolu, dit-il au prince, que je ne serai
jamais ton homme lige ; tu as indécemment dérobé
ce comté à mon beau fils le comte Richard. >> Puis,
suivi de ses gens, il sortit de Poitiers au galop
(1241). Henri III d'Angleterre s'était aussitôt dé-
claré pour son beau-père. Louis réunit ses vas-
saux, et, menant rudement la guerre, il écrasa la
révolte par deux victoires au pont de Taillebourg
et près de Saintes. Le comte de la Marche perdit
une partie de ses terres et prêta humblement
l'hommage pour le reste. Cependant, comme on
engageait le jeune vainqueur à faire mettre à
mort un fila du comte, « quarante et un chevaliers,
quatre-vingts sergeants et autre menuaille, à
grand foison, » qui avaient longuement défendu le
château de Fontenay : « Non, répondit-il, l'un n'a pu
se rendre coupable en obéissant à son père, ni les
autres en servant leur seigneur. » (Guillaume de
Nangis.)
A-près avoir fait craindre sa force, saint Louis
voulut montrer sa modération, son esprit de jus-
tice, son amour de la paix. « Sa conscience li re-
mordait de la terre de Normandie et pour autres
terres que il tenait, que li roi de France, ses
ayeuls, avaient tolues (enlevées) au roi Jean d'An-
gleterre, dit sans terre.., et il s'entremit tous jours
([Ue il venait visiter le roi Henry (fils de Jean)
pour faire paix à li pour les dites terres. « (Guil-
laume de Nangis.) La négociation fut longue;
enfin le traité d'Abbeville fut signé (1259), malgré
les conseils de son entourage et les protestations
des Périgourdins, « qui n'affectionnèrent oncques
imis le roi. » Saint Louis rendit à Henri III le
Quercy, l'Agenais, le Limousin, la Saintonge raé"
ridionale, contre l'abandon de toutes les prétentions
des Anglais sur leurs autres anciennes possessions.
Les territoires restitués formaient le douaire
d'Eléonore de Guyenne, morte seulement en 1204
et qui n'avait pu être justement frappée par le
jugement des pairs de 1203.
■Toujours fidèle à cette politique prévoyante qui
supprimait d'avance les causes de guerre par un
règlement amiable, saint Louis renonça encore à
toutes ses prétentions sur le Roussillon, la Cer-
dagne et la Catalogne en faveur du roi d'Aragon,
qui, en retour, abdiqua tout droit sur le Langue-
doc et l'Auvergne. (Traité de Corbeil, 1258.)
En même temps, Louis IX n'oubliait point son
intérêt de roi ; il se montrait vigilant à ne manquer
aucune occasion d'étendre ses possessions ; il fit
renouveler à Raymond VII de Toulouse le traité de
1229, qui préparait la réunion du haut Languedoc
au domaine royal; il acquérait encore en 1239 le
comté de Màcon, en 1257 celui du Perche, en 1262
ceux d'Arles, Forcalquier, Foix et Cahors, de
sorte que ce règne d'un prince désintéressé est
l'un de ceux qui ont le plus contribué h l'extension
de la puissance territoriale des Capétiens.
Ascendant de saint Louis en Europe. — Pen-
dant que la France et la royauté unissaient de
plus en plus leurs destinées, l'Europe était pleine
de troubles et de contradictions. En Angleterre
Henri III luttait contre les barons; l'Espagne
échappait â peine aux mains des Maures pour
tomber dans l'anarchie féodale ; surtout l'Alle-
magne et l'Italie, le pape et l'empereur, étaient
plus que jamais on guerre acharnée. La papauté,
sous Innocent III et Innocent IV, avait quitté son
rôle d'arbitre pour exterminer les Albigeois et
détruire Frédéric II. Mais « le fer est impuissant
contre la pensée ; c'est plutôt sa nature, à cette
plante vivace, de croître sous le fer et de fleurir
sous l'acier. Combien plus, si le glaive se trouve
dans la main qui devait le moins user du glaive,
si c'est la main pacifique, la main du prêtre ! L'E-
glise perdant ainsi son caractère, ce caractère va
passer tout à l'heure à. un laïque, à un roi, au
roi de France. » (Michelet.) Par sa renommée de
droiture désintéressée, saint Louis en effet deve-
nait l'arbitre de l'Europe et le juge des partis.
C'est lui qui tranche la querelle des maisons de
Dampierre et d'Avesnes en lutte pour la Flandre
depuis la mort de la comtesse Marguerite. En
12t)4, Henri III d'Angleterre le prit à témoin de
son droit contre ses barons révoltés ; et Louis IX,
soucieux à la fois du droit royal et de la liberté féo-
dale, invita le roi à maintenir et les seigneurs à
observer la grande Charte de 1215, qui contenait
la formule de leurs prérogatives réciproques.
Si, dans la querelle du sacerdoce et de l'empire,
il ne pouvait arrêter les emportements des partis,
du moins donnait-il avec fermeté l'exemple et le
conseil d'une modération juste et désintéressée.
Si, en 1239, il rejetait l'offre du pape qui lui pro-
posait la couronne impériale pour son frère Robert
d'Artois, en 1241, il forçait l'empereur à mettre
en liberté les prélats faits prisonniers au combat de
Meloria; si, en 1244, il refusait de laisser tenir
en France le concile qui excommunia Frédéric II,
plus tard il n'acceptait point l'offre de Naples
pour son fils. i> Et de ces gens étrangers qu'il
avait apaisés, lui disaient aucuns de son conseil
que il ne faisait pas bien quand il ne les laissait
guerroyer; car se il les laissait apauvrir, ils ne
lui courraient pas sus si tôt.. Et à, ce répondait le
roi que ils ne disaient pas bien : car autrement,
par la haine qu'ils auraient à moi, ils me viendraient
courre sus, dont je pourrais bien perdre ; sans la
haine do Dieu que je conquerrais, qui dit : Benoit
(bénis) soient tous li apaiseurs. » (Joinville.)
Croisade de saint Louis. — La piété sincère
LOUIS
— 1205 —
LOUIS
ilfi saint Louis ajoutait encore au respect de ses
contemporains. Elle lui fit entreprendre les deux
dernières croisades, contre les vœux de sa mère,
de ses conseillers, de l'Eglise mCme que l'insuccès
dos expéditions précédentes avait à la fin con-
vaincue de leur inutilité. La roi était gravement
malade à Pontoise en ViH ; « l'une des dames
qui le gardaient voulait lui tirer le drap sur le
visage, disant qu'il était mort » (Joinville), quand
il fit vœu de prendre « sur son épaule la croix
du voyage d'outre-raer. !• Mais lorsqu'il voulut
partir, il se heurta aux prières de sa mère et de
ses meilleurs sujets. « Vous dites, répondit-il, que
je n'étais pas en possession de mon esprit quand
j'ai pris la croix; eh bien, comme vous le désirez,
je la dépose, je vous la rends. " Tous les assis-
tants se félicitaient, mais le seigneur roi : « Mes
amis, maintenant, à coup sûr, je ne manque pas de
sons ni de raison... je demande qu'on me rende
ma croix ; il n'entrera aucun aliment dans ma
bouche jusqu'à ce qu'elle soit replacée sur mon
épaule, n A ces paroles, tous les assistants dé-
clarèrent qu'il y avait là le doigt de Dieu. L'as-
cendant du saint roi sur les âmes était tel que
40,000 soldats et V,800 chevaliers s'embarquèrent
avec lui à Aigues-Mortes (1248). « En bref temps,
le vent enfla les voiles et nous enleva si bien la
vue de la terre que nous ne vîmes que le ciel et
l'eau ; le vent nous éloigna des pays où nous étions
nés ; et par là vous fais-je voir que celui-là est
bien fou hardi qui s'ose mettre en tel péril, en
péché mortel, car on s'endort le soir là, et on ne
sait si on ne se trouvera pas au fond de la mer au
matin » (Joinville). Après s'être arrêtés à Chypre,
les croisés arrivèrent devant les murs de Damiette.
« Je ne suis, dit le roi, qu'un homme dont la vie
s'évanouira comme celle de tout autre homme
quand il plaira à Dieu. Toute issue de notre en-
treprise nous est bonne... Combattons pour Christ.
C'est Christ qui triomphera en nous. » Et il sauta
tout armé dans la mer, pressé d'affronter les
Sarrasins. C'était la bravoure d'un chevalier chré-
tien, non l'habileté d'un général. Heureusement
Damiette effrayée capitula aussitôt (1240). Mais on
perdit dans le gaspillage et l'inaction cinq mois
dont profita le Soudan d'Egypte pour réunir une
armée. Si bien que les croisés, partis enfin contre
le Caire, se heurtèrent en désordre aux Musul-
mans qui gardaient Mansourah. Sans rien vouloir
entendre, Robert d'Artois chargea aussitôt avec
quelques chevaliers ; il périt avant que le roi pût
accourir. Les croisés gardaient pourtant le champ
de bataille. Mais le lendemain une innombrable
cavalerie vint assaillir le camp encombré de ma-
lades et de blessés. Egalement incapable d'avancer
ou de reculer, saint Louis dut se rendre avec les
10,000 hommes qui survivaient au désastre (1250).
Les souffrances et les outrages de la captivité mi-
rent encore en relief la hauteur de son àme et la
constance de son courage. Enfin il put partir en li-
vrant Damiette pour sa rançon et 500,000 livres pour
celle de ses soldats. Il passa encore quatre années
en Palestine, cherchant à obtenir pacifiquement la
délivrance de Jérusalem. Il faillit réussir auprès
du sultan de Damas (12.52). Enfin il dut revenir
en apprenant la mort de sa mère (1254), sans avoir
voulu visiter en pèlerin la cité qu'il n'avait pu
affranchir par les armes.
Administration de saint Louis. — Sous la ré-
gence de Blanche de Castille (1248-54'i, la France
étaitdemeurée paisible, troublée un instant (I25I)
seulement par le soulèvement des Pastoureaux.
Formées en Picardie, ces bandes populaires tra-
versèrent le pays jusqu'à Bourges, sous prétexte
d'aller en Terre Sainte délivrer saint Louis, a Lors-
qu'ils passaient par les villages et les villes, ils
levaient en l'air leurs masses, leurs haches et au-
tres armes, et par là se rendaient si terribles au
peuple qu'il n'y avait i)ersonne assez hardi pour
les contredire en rien. « (Guillaume de Naiigis.)
Bien accueillis de la régente à Paris, ils se laissè-
rent aller au pillage et à la violence. Excommuniés
alors, ils furent dispersés, poursuivis et assommés
« comme des chiens enragés ».
La paix était complète, quand saint Louis re-
prit en main le gouvernement; et désormais, à
l'exemple de son frère Alphonse de Poitiers, le
roi consacra toute son activité à la rendre sûre et
durable. Dans son domaine, il multiplia les ga-
ranties contre les abus des prévôts que Philippe-
Auguste avait chargés de l'administration finan-
cière, judiciaire et militaire ; ces magistrats durent
s'entourer o d'hommes suffisants » pour prononcer
leurs jugements ; ils furent astreints à ne rien ac-
quérir dans leur ressort pendant la durée de leur
charge ; et à l'expiration do leurs pouvoirs, ils
durent rester quarante jours dans la prévôté pour
que chacun pût obtenir justice contre eux auprès
de leur successeur ; d'ailleurs, ils étaient surveil-
lés par les baillis royaux ou grands-baillis d'A-
miens , Sens , Màcon , Saint-Pierre-le-Moustier
(Auvergne), que surveillaient à leur tour les en-
quêteurs royaux, chargés de visiter les provinces
et de redresser les abus. Le roi lui-même par-
courait chaque année ses domaines pour s'enquérir
des besoins et des vœux du peuple. « Maintes
fois advint qu'en été le roi allait s'asseoir au bois
de Vincennes, après sa messe, et s'accotait à un
chêne, et nous faisait asseoir autour de lui. Et
tous ceux qui avaient affaire venaient lui parler
sans empêcliement d'huissier ni d'autres gens. »
(Joinville.) En même temps, il faisait rédiger le
coutumierde l'Ile de France, connu sous le nom d'J?-
ta/jlissements de saint Louis ; le mariage des serfs
y fut consacré et garanti, mais la pénalité y reste
très rigoureuse. La trahison, le rapt, le vol sur la
voie publique, le vol d'un cheval y sont punis de
mort. Le vol simple entraine la mutilation (perte
de l'oreille ou du pied). La police était donc sé-
vère, au dedans comme au dehors du domaine.
Les routes devaient être entretenues par les sei-
gneurs ; enfin la monnaie royale, loyalement fixée,
eut cours forcé dans tout le royaume ; on voit
gravé surl'écude saint Louis les six fleurs de lis,
symbole de la réunion des provinces, avec la
croix au revers et la légende : Ludovicus, Dei gra-
nd, Fraiicorum rex (Louis, par la grâce de Dieu,
roi des Français).
Hors du domaine, saint Louis rencontrait l'ob-
stacle de la féodalité. Homme de son temps avant
tout, il ne contesta jamais le principe du droit féo-
dal. Seulement, placé comme roi à la tête du sys-
tème, au sommet de la hiérarchie, il se proposa
pour tâche d'en bannir la violence et d'y introduire
la justice. La royauté devint en ses mains le pou-
voir régulateur, capable d'imposer à tous le res-
pect des devoirs et des droits féodaux. Par l'ins-
titution de la Quaranlaine-le-Roi, il contraigjiit les
barons à laisser passer quarante jours, depuis
l'insulte, avant de commencer la guerre privée.
Par Vasseiirement, qui permettait au seigneur atta-
qué d'en appeler au roi, il mit la puissance royale
au service du faible, et changea ainsi la guerre en
procès ; c'était la cour du roi en effet qui devait
prononcer alors entre les deux adversaires. L'ins-
titution des cas royaux, qui soumettait à sa cour
ou parlement le jugement de certains procès rela-
tifs au droit féodal, et celle des appels à la justice
royale, subordonnèrent nécessairement toutes les
justices féodales. Enfin la suppression du duel ju-
diciaire et l'introduction dans le parlement de la
preuve par témoins, eurent pour résultat d'éloigner
peu à peu les seigneurs ignorants des tribunaux,
où ils furent remplacés par les légistes bourgeois.
L'ensemble de ces mesures, prises souvent d'ac-
cord avec le conseil des bourgeois des villes, avait
LOUIS
— 1206 —
LOUIS
pour résultat nécessaire de ruiner la souveraineté
judiciaire et administrative des barons au profit du
roi, qui, dit Beaumanoir, « devenait souverain par
dessus tout. » Grâce .\ ces lois d'ordre et de jus-
tice, le peuple s'accoutumait à regarder la royauté
comme un pouvoir tutélaire et bienfaisant aux.
faibles; la bourgeoisie, au seiu de laquelle le roi
choisissait ses agents administratifs, croissait ra-
pidement en richesse et en importance. i< Le
royaume, dit Joinville, se multiplia tellement par
la bonne droiture qu'on y voyait régner que le do-
maine, censive, rente et revenu du roi croissait
tous les ans de moitié. » L'industrie en même
temps s'organisait; pour la première fois, les cou-
tumes en matière d'industrie et de commerce, les
attributions des corps de métiers furent exacte-
ment rédigées par le prévfit des marchands de
Paris, Boylcau (Livre des métiers). L'activité de
la Hanse (Compagnie des bateliers) de la Seine,
les foires du Landit (près Saint-Denis), de Beau-
caire, de Champagne, étaient les signes manifestes
de la prospérité nouvelle du pays.
Huitième crotswie. — Saint Louis avait désor-
mais achevé son devoir de prince, de " pasteur
des peujjles ». Le chrétien pouvait songer i. lui-
même. Jamais l'ardeur religieuse n'avait été plus
puissante dans son cœur qu'aux approches de la
vieillesse. C'est cette foi même qui lui fit persé-
cuter cruellement les juifs et les blasphémateurs,
regrettable erreur de sa vie, qu'expliquent sans la
justifier les idées des contemporains. C'est elle
aussi qui le poussa à reprendre pour la dernière
fois la croisade. Excité' par son frère Charles
d'Anjou, que la victoire de Grandella avait fait roi
de Naples fl266), Louis IX se dirigea vers Tunis
(ISIOj. Sur ce rivage insalubre, les maladies dé-
cimèrent aussitôt l'armée; l'un des premiers, le roi
prit le germe de la mort. Couché sur un lit de
cendres, il fit appeler son fils qui fut Philippe III.
» Beau fils, lui dit-il, la première chose que je
t'enseigne c'est que tu mettes ton coeur à aimer
Dieu... Aie le coeur doux et pitoyable pour les pau-
vres, les chétifs, les malaisés, et les conforte et
aide, selon ce que tu pourras... Sois loyal et roide
pour tenir justice et droit à tes sujets ; aide au
droit et soutiens la querelle du pauvre jusqu'à ce
que la vérité soit éclaircie. » Quelques semaines
après, Pliilippe III rapportait tristement en France
les restes du dernier héros du moyen âge, qui
emportait dans sa tombe l'idée même des croisa-
des (1270).
D'autres princes ont servi le peuple; saint Louis
l'avait aimé ! De là vint le souvenir plein d'amour
que le peuple garda longtemps au « bon roi saint
Louis », et dont celui-ci s'était montré si digne,
comme prince et comme homme. Sa piété ne le
poussait pas seulement aux croisades; elle ne se
manifestait pas seulement par la construction de la
Sainte-Chapelle, qu'éleva Pierre de Montreuilpour
recevoir la couronne d'épines achetée en 1236 à
l'empereur latin Beaudouin ; elle fit surtout de
saint Louis la providejice des malheureux Chaque
jour, le saint roi prélevait sur sa dépense la nour-
riture de cent vingt-deux pauvres; souvent il sor-
tait du conseil pour rendre visite à ses serviteurs
malades; le vendredi saint, il servait à table treize
pauvres en souvenir du Christ et des apôtres; par-
tout il fondait des hospices pour les malheureux,
les Quinze-Vingts à Paris, les Hôtels-Dieu de
Pontoise, do Vernon, de Compiègne. C'est pour
cette ciiarité active et personnelle, plus encore
que pour ses croisades, qu'il a mérité d'être cano-
nisé, le 11 août 1297, par le pape Boniface VIII.
«Le monde a vu déplus grands capitaines que
saint Louis, de plus profojids politiques, de plus
vastes et plus brillants esprits, des princes qui ont
exercé au delà de leur vie une plus longue et plus
puissante influence; il n'a point vu de roi plus
rare, point d'homme qui ait ainsi possédé le pou-
voir souverain sans en contracter les passions et
les vices naturels, et qui ait à ce point déployé les
vertus humaines dans le gouvernement.» (Guizot.)
fl'aul Schâfer.]
Louis X le Hutin (c'est-à-dire le Querelleur), —
Histoire de France, XI, — fils aîné de Philippe IV
le Bel et de Jeanne, princesse de Navarre, reçut
en 1-307 la couronne de Navarre, et en 1314, à
la mort de son père, devint roi de France. Une
réaction se produisit immédiatement contre le
système de gouvernement de Philippe le Bel: les
nobles imposèrent au nouveau roi le rétablisse-
ment de la plupart de leurs privilèges féodaux, et
obtinrent la condamnation à mort d'Enguerrand
de Marigny, qui avait été le principal ministre
du monarque défunt. Bientôt après, Louis entre-
prit contre les Flamands une expédition qui n'a-
boutit pas; puis il mourut en 1316, ayant à peine
régné deux ans. Il eut pour successeur un fils
posthume, qui fut proclamé roi sous le nom de
Jean I'\ mais qui ne vécut que quelques jours. (V.
Philippe V et Guerre de Cent ans.)
Le principal événement du règne de Louis X,
c'est l'ordonnance célèbre par laquelle il annonça
l'intention de libérer à prix d'argent les serfs de
ses domaines. « Xotre royaume, disait-il, est
nommé le royaume des Francs; voulant que la
chose en vérité soit accordant au nom, nous avons
ordonné que par tout notre royaume la servitude
soit ramenée à franchise, et franchise soit donnée
à tous, abonnes et convenables conditions. » Mais
ce n'était là qu'une mesure fiscale ; et comme les
serfs montraient peu d'empressement à racheter
leur liberté, le roi, pressé d'argent, imagina de
les y contraindre, en frappant d'une taxe spéciale
ceux qui ne se rachèteraient pas. L'ordonnance
de 1315, qui ne fut exécutée que partiellement et
qui tomba bientôt en oubli, n'a pas la portée d'une
grande réforme politii|ue ; l'émancipation du peuple
des campagnes ne s'opéra que lentement et gra-
duellement; à la veille de la Révolution, il y avait
encore des serfs en France.
I Louis XI (1461-1483), — Histoire de France, XV,
j — fils et successeur de Charles VII, naquit à
Bourges en 1421. Dauphin, il fut l'allié de la féo-
dalité qu'il devait combattre plus tard comme roi.
Il prit part en 1440 à la révolte des grands, con-
nue sous le nom de Pruguerie. Charles Vil, pour
satisfaire l'ambition de son fils et sa turbulente
activité, lui confia le gouvernement du Dauphiné
! et le mit à la tête d'une expédition contre les
Suisses (bataille de Saint-Jacques, 1444). Le Dau-
phin se retira ensuite dans sa province qui devint
un foyer d'intrigues contre l'autorité royale. Me-
nacé par une armée que son père avait envoyée
! contre lui, il chercha un asile auprès du duc de
' Bourgogne, Philippe le Bon. C'est là qu'il apprit
! en 1461 la mort de Charles Vil et son avèjiement
1 au trône.
Louis XI, après avoir reçu le sacre à Reims,
rentra à Paris, escorté de son puissant protecteur.
Dans son impatience de gouverner, il réagit contre
l'administration précédente avec une imprudente
précipitation. Il destitua les ministres de son
père et s'entoura de petites gens, Olivier le Daim,
son barbier, Tristan l'Ermite, son prévôt ou son
bourreau, La Balue, qu'il fit évêque d'Angers et
cardinal. Il mécontenta le peuple en augmentant
la taille ; le clergé, en détruisant la Pragmatique
sanction de Bourges ; la noblesse, en supprimant
les droits féodaux et particulièrement le droit de
chasse ; l'Université, en lui enlevant ses privilèges.
Enfin il s'aliéna le vieux duc de Bourgogne et sur-
tout son fils, le comte de Charolais, plus tard
Charles le Téméraire, en rachetant les villes de
la Somme cédées au traité d'.\rras, Saint-Quen-
tin, Amiens, Abbeville, Péronne, Montdidior. Tous
LOUIS
— 1207 —
LOUIS
les mécontentements éclatèrent ,'i la fois. Les chefs
do la noblesse, le comte de (iliarolais, François II,
duc de Bretagne, le duc de Bourbon, le frère
même du roi, le duc de Berry, les exploitèrent
avec habileté, et conclurent, sous prétexte de dé-
truire les abus, une liç/ue du bien public. Louis XI,
après la bataille indécise de Montlhéry, assiégé
dans Paris dont la fidélité était douteuse, ne se
tira de la situation critique où il s'était mis par
son imprudence qu'en signant les deux traités de
Conflans et de Saint-Maur (HUf)). Il cédait la
Normandie à son frère, rendait au duc do Bour-
gogne les villes de la Somme, et reconnaissait
l'indépendance do la Bretagne. Ces traités au-
raient ruine le pouvoir royal, mais Louis XI en
les signant était disposé à ne pas tenir ses enga-
gements.
Le roi, après avoir fait déclarer par le Parle-
ment que la Normandie était inaliénable, envahit
celte province et en quelques jours l'enleva à
son frère (14G()). Le comte de Charolais venait de
succéder à son père sur le trône ducal de Bour-
gogne (15 juin 14fi"). On l'appelait déjà Charles le
'rerribleou le Téméraire. Il forma une nouvelle ligue
contre Louis XI avec le frère du roi, le duc de
Bretagne, le duc d'Alençon, les rois de Castille et
•d'Angleterre. Louis XI s'appuya sur les Etats
généraux réunis à Tours, se fit autoriser à garder
la Normandie et à forcer le duc de Bretagne Ji
l'obéissance. Il mena en effet une armée considé-
rable contre ce dernier, et le contraignit à signer
le traité d'Ancenis (1468). Mais il n'osa pas tenter
avec le duc de Bourgogne le sort d'une bataille ;
il se fiait davantage aux séductions de sa parole.
Il demanda et obiini une entrevue à Péronne,
lugubre résidence qui rappelait la captivité et la
mort de Charles le Simple. Le duc de Bourgogne
l'y reçut avec courtoisie ; il était déjà gagné par
les flatteries du roi, quand il apprit que les émis-
saires royaux soulevaient à ce moment tout le
pays de Liège. Sa fureur fut terrible; Louis XI
eût couru un grand danger s'il n'avait été averti
par le secrétaire du duc, Philippe de Commines,
qui plus tard devint un des conseillers et le plus
■célèbre historien de ce règne. Il fallut souscrire Ji
un traité humiliant. Le roi cédait à son frère la
Champagne, en échange de la Normandie ; et il
marchait, à côté du duc, contre les Liégeois qui
•combattaient aux cris de « Vive la France » (1468).
Il se vengea de toutes ces humiliations, en con-
damnant h une cruelle captivité de dix ans, dans
une cage de fer, La Balue, qui le trahissait.
Dans la deuxième partie de son règne, Louis XI
se montra plus prudent et plus habile. Il cher-
•cha d'abord à annuler les désastreuses conséquen-
ces du traité de Péronne. La Guyenne fut donnée
à son frère en échange de la Champagne qui aurait
livré Paris au Bourguignon. Le duc de Bretagne,
qui protesta, dut signer le traité d'Angers. Puis,
quand le roi eut gagné à son alliance les Suisses,
ie duc de Milan et les Ecossais, quand il eut
rattaché à sa cause un certain nombre de sei-
gneurs en leur conférant l'ordre an Saint-Michel,
il fit casser le traité de Péronne par les notables,
assemblés à Tours en 1470. Le duc de Bourgogne
forma aussitôt une troisième ligue avec le projet
de démembrer la France. .Mais la mort subite du
duc de Guyenne déconcerta ses plans. Charles le
Téméraire, accusant Louis XI d'un fratricide, se
jeta avec rage sur la Picardie. La ville de Nesie fut
saccagée, la population, réfugiée dans l'église,
égorgée ; Beauvais effrayé résista avec désespoir ;
une femme héroïque, Jeanne Hachette, se mita la
tête des soldats. Le duc échoua dans toutes ses
attaques; il poursuivit ses ravages dans la Nor-
mandie, ou il brûla Saint-Valéry et Neufchâtel.
11 avait compté sur les secours de François II.
Mais celui-ci avait dû accepter la trêve de Sen-
lis ; le Bourguignon y adhéra (octobre 1472).
Délivré de son plus puissant adversaire, Louis XI
frappa la noblesse. Le comte d'Armagnac, Jean 1",
fut tué dans Lectoure par les soldats du cardinal
d'Alhy ; le duc d'Alençon, qui avait voulu céder
ses Etats à Charles le Téméraire, fut condamné k
mort, son fils Hené à la prison perpétuelle ; le
comte de Saint-Pol fut jeié à la Bastdle, jugé et
décapité en place de Grève ; le duc de Nemours,
après deux ans da captivité, fut décapité malgré
les remontrances du parlement.
Pondant que Louis .\l fortifiait le pouvoir royal
contre les entreprises de la féodalité, Charles le
Téméraire se jetait dans les plus folles aventures.
Réunir ses provinces françaises à ses provinces
flamandes, reformer dans les bassins de la Saône,
de la Meuse et du Rhin l'ancien royaume de Lo-
tharingie, telle était son ambition. Il parut tout
d'abord réussir : l'archiduc Sigismond lui vendit
une partie de l'Alsace, et l'empereur Frédéric III,
avec qui il eut une entrevue à Trêves, était sur le
point, pour marier son lils Maximilien à Marie de
Bourgogne, de lui donner le titre de roi de Gaule-
Belgique. Mais Louis XI ne perdait pas de vue
les manœuvres de son adversaire. Frédéric III
refusa la couronne, l'arcliiduc reprit l'Alsace, et
les Suisses déclarèrent la guerre au duc et enva-
hirent la Franche-Comté. Pendant que Charles
mettait le siège devant la ville de Neuss, Louis
XI s'empara des principales villes de l'Artois et
de la Picardie. Le roi d'Angleterre, Edouard IV,
débarqua vainement à Calais ; ne trouvant pas l'ar-
mée de son allié sur laquelle il comptait, il signa
avec Louis XI le traité de Pecquigny. Charles le
Téméraire n'osant plus attaquer le roi de France, et
impatient de se venger des Suisses, signa à son
tour la trêve de Soleure (1475).
La guerre de Charles contre les Suisses fut fa-
tale à la maison de Bourgogne. Vaincu à Grandson
et à Morat, le duc mourut sous les murs de
Nancy (1477).
Charles le Téméraire ne laissait qu'une fille, Ma-
rie, âgée de vingt ans. Louis XI réclama le duché de
Bourgogne comme fief masculin et s'en saisit, ainsi
que de la Franclie-Comté. Il envahit en môme temps
la Picardie et l'Artois. Quanta la Flandre, il la re-
quit defoi et d'hommage. La princesse se soumit et
réclama son assistance contre les Flamands révoltés.
Louis XI la trahit secrètement. La malheureuse Ma-
rie vit ses deux principaux ministres condamnés à
mort par la populace excitée par les agents du roi,
et exécutés. Elle se jeta alors dans les bras de l'em-
pereur, et épousa Maximilien, fils de Frédéric III.
Ce mariage commença la longue rivalité de la
maison de France et de la maison d'Autriche.
L'armée de Flandre, commandée par d'Esquerdes
et de Gié, livra la seule bataille importante de
cette guerre aux troupes de Maximilien. L'en-
gagement eut lieu à Guinegate, près de Saint-
Omer. La victoire demeura indécise. La guerre
se prolongea jusqu'en 1482. A cette époque Ma-
rie de Bourgogne mourut d'une chute de che-
val, à l'âge de vingt-cinq ans. Elle laissait deux
enfants, Marguerite et Philippe le Beau. Les Fla-
mands, qui n'aimaii'nt pas Maximilien, le forcèrent
à signer la paix d'Arras (1482). Ce traité ratifiait
l'union de la Bourgogne à la France et stipulait
lo mariage de Marguerite avec le Dauphin, en lui
laissant pour dot la Franche-Comté et l'Artois.
Ainsi, sous le règne de Louis XI, la France
avait fait un pas immense vers son unité territo-
riale. Le domaine royal s'était agrandi de onze
provinces. La succession de Charles le Téméraire
en avait donné quatre : Picardie, Artois, comté
de Boulogne, duché de Bourgogne avec le Charo-
lais et Auxerre. Le testament do René d Anjou
lui en avait donné trois autres, Anjou, Maine,
Provence. Un procès avait valu à Louis XI lo_du-
LOUIS
— 1208
LOUIS
ché d'Alençon et le Perche; la mort de son frère,
la Guyenne ; son intervention dans les affaires
d'Espagne, le Roussillon et la Cerdagne.
Le pouvoir royal fut fortifié non seulement par
la lutte victorieuse contre la féodalité et les
agrandissements territoriaux qui en furent la
conséquence, mais par l'administration de Louis XI.
Le parlement de Paris reçut une nouvelle organi-
sation ; trois nouveaux parlements furent créés
en province, celui de Grenoble en 1451, celui de
Bordeaux en 14G2, celui de Dijon en 1477. L'armée
compta 50 000 hommes de troupes régulières, Ifs
milices des villes et 6000 Suisses. Le commerce
et l'industrie furent encouragés. Les principaux
traités prirent le nom de trêves marcliandes, à
cause des stipulations quSls contenaient en fa-
veur des marchands. La Rochelle et Bayonne de-
vinrent ports francs ; le nombre des foires fut
multiplie. Le roi permit aux nobles de faire le
commerce sans déroger, et il établit à Tours, en
1470, la première manufacture de soie. L'institu-
tion des postes, fondée par l'édit de 1464, fut
encore pour le commerce un puissant auxiliaire.
Louis XI favorisa les lettres et les sciences. L'im-
primerie de Paris date de son règne. Il en est de
même de l'enseignement de la langue grecque,
qui fut apporté en France par des réfugiés de
Constantinople. Plusieurs universités nouvelles,
comme celles de Valence et de Bourges, furent
fondées. Le roi accorda i\ Paris une école spéciale
de médecine. Le premier de nos grands poètes,
Villon, et le premier de nos grands historiens,
Commines, vécurent sous ce règne.
Louis XI, mourut en 148.3, à son château de
Plessis-lez-'Tours. Ce roi d'une activité si remuante
ne pouvait se faire à l'idée de la mort. Plus su-
perstitieux que religieux, il fit appel à tout ce
qui semblait pouvoir le rattacher k la vie. Mais
en vain fit-il venir de Reims la Sainte Ampoule et
de Naples saint François de Paule ; « le tout, dit
Commines, n'y fit rien et il fallait qu'il passât par
là où les autres sont passés. »
(Désiré Blanchet.]
Louis Xlli — Histoire de France, XVI, — fils
du duc Charles d'Orléans, connu comme poète;
petit-fils de Louis d'Orléans, assassiné en 1407,
et de Valentine Visconti ; arrière-petit-fils du roi
Charles V. Il avait épousé une fille de Louis XI,
et à la mort de ce prince, il disputa la régence à
Anne de Beaujeu iV. Gnei-re folle); mais il fut
vaincu et fait prisonnier. Rendu à la liberté, il se
réconcilia avec Charles VllI, auquel il succéda,
celui-ci étant mort sans enfants en 1498. Louis XII
répudia alors sa première femme, pour épou-
«er Anne de Bretagne, veuve du roi défunt, et
conserver ainsi la Bretagne à la France. Puis,
suivant l'exemple donné par son prédécesseur, il
prépara une expédition contre l'Italie, riche proie
dont les dépouilles tentaient la cupidité des hom-
mes du Nord. Par sa grand'mère Valentine Vis-
conti, Louis XII prétendait avoir des droits sur
le duché de Milan. Lne armée française com-
mandée par le condottiere italien Trivulce fit la
conquête du Milanais (1499) ; le duc Ludovic
Sforza, livré à Novare par ses mercenaires suis-
ses (1500), fut envoyé captif en France. Puis Louis
s'entendit avec le roi d'Espagne Ferdinand V pour
dépouiller de sa couronne le roi de Naples Fré-
déric; trahi par les Espagnols en qui il avait
cru trouver des alliés, Frédéric dut se rendre aux
Français (1501). Mais quand il fallut partager,
Louis et Ferdinand se brouillèrent; l'Espagnol,
plus perfide que son rival, finit par l'emporter :
tandis qu'il amnsait Louis XI! par des négocia-
tions trompeuses, son général, Gonzalve de Cor-
doue, attaquait les Français à l'improviste, les
battait à Seminara et à Cerignola (1503), et les
chassait du royaume de Xaples. Le traité de Blois
mit fin à la querelle : Louis XII conservait le Mi-
lanais ; le royaume de Naples devait revenir au
petit-fils de Ferdinand V et de l'empereur Maxi-
milien, Charles (le futur Charles-Quint) ; celui-ci
était en même temps fiancé à la princesse Claude,
fille de Louis XII, qui devait lui apporter en dot
la Bretagne et la Bourgogne (1504). Heureusement
pour la France, ce traité, qui menaçait d'enlever
au pays deux de ses provinces, fut bientôt déchiré ;
les Etats généraux déclarèrent que le roi n'avait
pu aliéner les provinces promises, et la princesse
Claude fut fiancée à François d'Angoulême (Fran-
çois I").
Cependant Jules II venait de succéder à Alexan-
dre Borgia. Le nouveau pape voulait constituer
l'unité de l'Italie sous l'autorité du Saint-Siège ;
pour cela, il lui fallait affaiblir Venise, seule puis-
sance italienne capable de balancer l'influence
de Rome; et expulser de l'Italie les étrangers qui
la tyrannisaient. Mais, pour abattre Venise, Jules II
s'allia d'abord à ceux-là mêmes qu'il espérait
pouvoir chasser ensuite : il forma la ligue de Cam-
brai, dans laquelle entrèrent le roi de France, le
roi d'Espagne et l'empereur (1508). Louis XII mar-
cha aussitôt contre Venise, dont l'armée fut mise
en déroute à Agnadel (1509) ; mais Venise elle-
même restait inexpugnable dans ses lagunes, et
une armée de Français et d'Impériaux mit en vain
le siège devant Padoue. Le pape, satisfait d'avoir re-
pris aux Vénitiens les villes de la Romagne, fit la
paix avec la république, et songea alors à l'expul-
sion des étrangers. S'alliant aux Vénitiens contre
les Français, il réussit à former une coalition
qu'il appela la Sainte-Ligue, et dans laquelle il fit
entrer les Suisses, l'Espagne, l'Angleterre et l'em-
pereur (1511). Seul contre tant d'ennemis,
Louis XII devait succomber : la brillante victoire
de Ravenne, qui coûta la vie au jeune général
Gaston de Foix, fut inutile ; les Français durent
évacuer le Milanais, où les Suisses et l'empereur
rétablirent Maximilien Sforza. En vain Louis XII
avait fait réunir un concile au moyen duquel il
espérait tenir en échec l'autorité du pape; en vain
il détacha de la Sainte-Ligue les Vénitiens, et es-
saya avec leur aide de reprendre le duché de
Milan; la défaite de Novare (151.3) consomma la
ruine de la domination française en Italie. En
même temps, le roi d'Angleterre Henri VIII débar-
quait à Calais, et voyait fuir devant lui à Guinrgate
l'armée que Louis XII avait envoyée pour l'arrêter
(Journée des éperons) ; mais une attaque des
Ecossais l'obligea à repasser le détroit. Les Suisses-
envahirent la Bourgogne, et vinrent menacer
Dijon, que la Tremoille sauva i force d'argent et
en signant un traité que le roi refusa ensuite de
ratifier.
Cependant Louis XII ne pouvait continuer la
lutte ; il négocia la paix, en faisant à chacun de
ses adversaires quelques concessions : le nouveau
pape Léon X obtint le désaveu du concile schis
matiquo ; Ferdinand V garda la Navarre espagnole
dont il s'était emparé en en chassant le roi Jean
d'Albret, allié de la France ; le roi d'Angleterre
obtint la ville de Tournai et une indemnité. Anne
de Bretagne était morte ; le vieux roi scella la paix
avec l'Angleterre en épousant la soeur de Henri VllI ;
mais il mourut trois mois après, le 1=' janvier
1515.
Les longues guerres d'Italie n'avaient abouti à
aucun résultat ; c'était en pure perte que tant de
sang avait été versé et tant d'argent dépensé. Ce-
pendant la situation intérieure du royaume était
moins mauvaise qu'on n'eût pu s'y attendre.
Louis XII, administrateur économe, avait trouvé
moyen, malgré ses guerres, d'alléger les impôts;
l'agriculture était florissante, la justice était
mieux rendue, et les Etats généraux réunis à
Tours en 1506 purent décerner au roi le titre de
LOUIS
— 1209 —
LOUIS
ph-c du peuple sans que l'opinion publique pro-
testât. Quoique, depuis Cliarlos VII, le pouvoir
royal se fût substitué définitivement au régime
de la féodalité, les règnes de Louis XI et do
Charles VIII avaient encore été troublés par des
révoltes des grands vassaux ; Louis XII fut « le
premier représentant du gouvernement incontesté
et unitaire qui devait régir la France jusqu'en
178'.), et imposer pendant trois siècles aux insti-
tutions, aux mœurs, aux tendances du pays, la
discipline de la monarchie absolue. » (Bordler et
Charton.)
liouls XIII, — Histoire de France, XXII, — fils
et successeur de Henri IV, n'avait que neuf ans
lorsqu'il devint roi sous la régence de sa mère,
Marie de Médicis (ICIO). Celle-ci ét.ait dominée
par un favori, Concini, aventurier florentin qu'elle
avait fait marquis d'Ancre et maréchal de France.
Abandonnant les projets de Henri IV contre la
maison d'Autriche, elle s'allia à l'Espagne, renvoya
Sully, et ne chercha qu'Ji assurer son pouvoir
contre les mécontents. Il lui fallut acheter la sou-
mission des grands seigneurs. Elle convoqua les
Etats généraux (IG14); mais cette assemblée, qui
se réunissait pour la dernière fois avant 1789, et
où un représentant du Tiers, Miron, fit entendre
inutilement quelques courageuses paroles (V.
Etats généraux), fvX congédiée sans qu'aucune ré-
forme eût été décidée. Les seigneurs continuaient
à murmurer contre l'autorité de Concini; celui-
ci, conseillé par Richelieu , évêque de Luçon,
essaya de quelques mesures de rigueur, et fit
arrêter le prince de Condé. Mais le jeune roi, à
qui pesait la tutelle de sa mère, et que poussait
un de ses familiers, Albert de Luynes, se débar-
rassa de Concini en le faisant assassiner (1617),
et exila sa mère à Blois. Louis XIII, que la faiblesse
de son caractère devait condamner à une perpé-
tuelle minorité, laissa ensuite le gouvernement à
Luynes: celui-ci comprima les tentatives de révolte
de la reine-mère ; et les protestants, dont les liber-
tés étaient menacées, ayant pris les armes, il vint
mettre le siège devant Montauban, une de leurs
places-fortes ; il y mourut O^îl). Louis XIII réussit
cependant à faire rentrer les protestants dans
l'obéissance ; il se réconcilia en même temps avec
sa mère, qui fit entrer au conseil royal l'évèque
de Luçon, devenu le cardinal de Richelieu (162"2).
A partir de ce moment, l'influence de Richelieu est
dominante, et c'est lui qui gouvernera la Franco
jusqu'à sa mort sous le nom du faible monarque.
Nous racontons ailleurs (V. Richelieu) les actes du
grand homme d'Etat qui fonda définitivement la
monarchie absolue, et qui reprit contre la maison
d'Autriclie la politique de Henri IV ; bornons-nous
à rappeler ici la guerre contre les protestants et la
prise de la Rochelle (IC28j,rabai6semeni des grands,
le pouvoir des gouverneurs de province contenu
par l'institution des intendants, l'alliance de la
France avec les adversaires de la maison d'Au-
triche et son intervention glorieuse dans la guerre
de Trente Ans. Richelieu mourut en 1 642 ; Louis XIII
ne lui survécut que six mois. Il avait épousé en
1615 Anne d'Autriche, fille du roi d'Espagne Phi-
lippe III, qui lui donna deux fils, Louis XIV et
Philippe d'Orléans.
Louis XIV dit le Grand, — Histoire de France,
XXIII, XXV, — né à Saint-Gcrmain-en-Laye, le
16 septembre 1638, mort à Versailles le 1" sep-
tembre 1715. On donna le nom de Uieudnnné au
prince qui, ondoyé dès sa naissance, no fut bap-
tisé que cinq ans plus tard. Le 21 avril 1643,
Louis XIII sur son lit de mort voulut que l'on
s'acqiiittàt envers le dauphin d'un devoir dont
jusqu'à ce jour on avait retardé l'accomplissement.
Le cardinal Mazarin et la priiicesse de Condé fu-
rent chargés de présenter le dauphin au baptême.
Sur le désir exprimé par l'enfant, on le baptisa
sous le nom de Louis. Porté ensuite sur le lit do
son père, celui-ci lui demanda comment il s'appe-
lait maintenant. « Louis XIV, » répondit l'enfant
avec naïveté. — « Pas encore, >> dit le roi en sou-
riant.
Les mémoires de Laporte, valet de chambre
de Louis XIV, et les mémoires de Monglat, mon-
trent combien fut négligée l'éducation de ce prince.
Les premières impressions qu'on lui donna ten-
daient à lui inspirer pleine croyance en sa propre
infaillibilité. On conserve parmi les manuscrits de
la bibliothèque de Saint-Pétersbourg un modèle
d'écriture que son professeur lui donnait à copier.
On y voit écrit six fois de suite, en grosses let-
tres péniblement formées, ces mots significatifs :
a L'hommage est dû aux rois ; ils font tout ce qui
leur plaît. )) On comprend que de telles maximes
aient faussé de bonne heure le cœur de cet enfant
et lui aient donné ce qu'il a eu au suprême degré,
la superstition de la royauté. Ce prince, qui écrira
plus tard dans ses mémoires que « les rois re-
çoivent de Dieu des lumières particulières >i, ne
doit pas être rendu seul responsable de cette doc-
trice du bon plaisir pratiquée par lui à outrance.
Cette responsabilité doit être partagée par un
entourage de courtisans qui pervertirent de bonne
heure l'esprit du roi. Saint-Simon a dit très jus-
tement : « Il était né bon et juste. Tout le mal
lui vint d'ailleurs. » Jeune, il n'aimait pas le car-
dinal Mazarin. Laporte nous apprend que la garde
dont le cardinal était entouré, et qui contrastait
avec l'abandon dans lequel il était laissé lui-
même, choquait son âme royale, et il le nommait
le grand Turc. D'ailleurs, dit Monglat dans ses
mémoires, « le prince ne se mêlait de rien. Le
cardinal n'allait jamais chez lui, mais il allait plu-
sieurs fois le jour chez le cardinal auquel il fai-
sait la cour comme un simple courtisan. Le car-
dinal recevait le roi sans se contraindre. A peine
il se levait quand il entrait et sortait, et jamais il
ne le conduisait hors de sa chambre. » Plus tard,
Louis XIV dissimula ou contint ses sentiments de
répugnance, et il parut reconnaissant envers Ma-
zarin des grands services rendus par celui-ci à la
monarchie. Il le laissait gouverner d'une manière
absolue, et il se livrait entièrement aux plaisirs de
son âge. Les efl'orts du maréchal de ViUeroy, nommé
gouverneur du prince après le duc de Beaufort, et
le zèle éclairé de son précepteur, l'abbé de Beau-
mont, avaientété également stériles. Il ne putjamais
apprendre le latin, bien qu'une traduction des Com-
mentaires de César ait été publiée sous son nom.
S'il apprit plus tard l'italien, ce fut pour plaire
à Marie Mancini. Il goûtait uniquement \e&
romans et les livres frivoles. La danse, les courses
de bague, l'équitation, la cliasse à tir, étaient ses
plaisirs favoris. Elevé au milieu des femmes qui
remplissaient la maison d'Anne d'Autriche, il no
tarda pas à écouter la voix de ses passions. De-
venu amoureux d'une dos nièces du cardinal,
Mario Mancini, il alla jusqu'à vouloir l'épouser. On
a beaucoup trop vante dans cette circonstance le
désintéressement et le patriotisme de Mazarin
rompant ces projets d'union et éloignant sa nièce.
Des travaux récents établissent que la fermeté
déployée alors par le cardinal lui fut imposée par
Anne d'.\utricho, qui s'emporta violemment contre
ce qu'elle considérait comme la plus humiliante
des mésalliances. D'ailleursle mariage de Louis XIV
avec Marie-Thérèse, fille de Philippe IV, roi d'Es-
pagne, et les fêtes splendides dont ce mariage fut
l'occasion, efTacèrent complètement le souvenir de
Marie Mancini.
Une éducation aussi négligée et des goûts aussi
frivoles avaient persuadé la cour que Louis XIV se
laisserait gouverner. Aussi l'étonnement fut-ii
grand, lorsqu'à la mort de Mazarin, on I6(il, le
roi déclara que désormais il dirigerait tout lui-
LOUIS
1210
LOUIS
même. Il tint son conseil réuni trois jours durant
afin de se mettre au courant de l'administration du
royaume. Il annonça qu'il consacrerait chaque jour
six heures aux affaires de l'État, et il prescrivit
aux ministres de ne rien signer, de ne rien payer
sans son ordre. Clioisy raconte qu'Anne d'Autri-
che rit de cette résolution et que les courtisans ne
crurent pas à sa durée ; mais en réalité il a tenu
cet engagement durant les cinquante-quatre an-
nées de son règne effectif (1601-1715).
L'atîaire de la succession d'Espagne a été le pivot
sur lequel a tourné tout le règne de Louis XIV.
Le remplissant pendant cinquante ans, elle a
amené les désastres de sa fin. Il est donc utile de
l'étudier dans ses causes afin de bien faire com-
prendre quelles en ont élé les péripéties. Eviter le
retour de la puissance formidable de Charles-
Quint, à la fois empereur d'Allemagne et roi
d'Espagne, et replacer l'Espngne dans sa sphère
naturelle de mouvement et d'action en la rame-
nant dans les voies de la France dont elle reçoit
et h laquelle elle procure une protection précieuse,
telle devait être la politique française au milieu
du XVII' siècle. Mazarin eut le mérite de le com-
prendre, en unissant Louis XIV à Marie-ïhérise,
de manière à ménager à ce prince la succession
d'Espagne. L'habile ministre résolut une question
nationale, et sa main prévoyante disposa pour
ainsi dire les événements fuiurs. Louis XIV ne
tarda pas à voir que là seulement était le moyen
de sa grandeur, et il mit tous ses efforts U tourner
à son profit toutes les conséquences de ce ma-
riage. Cette première période de son règne lut
vraiment grande et glorieuse. Il était admirable-
ment servi par des instruments incomparables
formés au milieu des fécondes agitations de la
Fronde, et soumis ensuite à une volonté ferme et
persévérante, instruments qui avaient reçu la vive
impulsion et le nerf que donnent les guerres ci-
viles, mais auxquels il sut imprimer une même
direction et un mouvement uniforme. Tels étaient
dans la guerre Turenne et Condé, dans la diplo-
matie et l'administration Lionne, Colbcrt et Le
Tellier, Aussi rien n'égale l'incontestable gran-
deur et la profonde utilité des actes de cette pé-
riode pendant laquelle, ne se contentant pas de
développer la prospérité du pays, de ressusciier
Ia_ marine, d'implanter en France l'industrie étran-
gère et de faire pénétrer l'ordre dans l'armée,
dans l'administration, dans les finances, il sut
aussi porter un regard attentif à l'extérieur, mé-
nager avec soin ses alliés, maintenir dans le repos
les puissances inquiètes et les préparer habile-
ment à la revendication de ses droits.
Aux yeux de l'Autriche, ces droits n'existaient
plus. Afin dempècher la réunion sur la même
tète des deux couronnes française et espagnole,
une renonciation à la succession d'Espagne avait
été imposée à Marie-Thérèse par son contrat de
mariage, qui la dépouillait ainsi du droit que là
loi espagnole accorde aux femmes de monter sur
le trône. Mais ce contrat, déjà, considéré par Louis
XIV comme radicalement nul, en ce que, essen-
tiellement particulier, il ne pouvait pas modifier
la loi fondamentale d'une monarchie, ce contrat,
rédigé d'ailleurs par Mazarin et Louis de Haro,
ministre d'Espagne, de telle manière que la re-
nonciation y était réputée clause de forme, n'était
pas exécuté par la cour de Madrid qui se refusait
à payer la dot accordée à Marie-Thérèse en
échange de ses droits Violé par l'une des parties,
il ne pouvait donc pas être opposé k l'autre.
Après avoir démontré ses droits futurs à la suc-
cession totale d'Espagne, Louis XIV trouve un
légitime moyen d'agrandissement dans une ques-
tion de succession partielle. Se fondant sur une
coutume en vigueur dans quelques provinces des
Pays-Bas, coutume qui donne l'héritage paternel
aux seuls enfants du premier lit, il demande à
Charles II, roi d'Espagne, enfant du second lit,
au nom de Marie-Thérèse, issue du premier, la
partie des Pays-Bas dans laquelle existe cette
coutume que l'on nomme droit de dévolution. Sur
le refus du roi d'Espagne, il entre en campagne,
et il se montre aussi surprenant par la rapidité
de ses coups que par la modération do ses de-
mandes. Il acquiert les places de Charleroi, Binch,
Atli, Douai, Tournai, Oiidenarde, Lille, Courtrai,
Armentières, Bergues, Furnes, avec leur terri-
toire, et il affermit ainsi, en les éloignant de la
capiule, les frontières septentrionales de la
France. Cette période fut une période de négo-
ciations merveilleusement conduites de IGUI h.
1607, et une période de guerre de 1667 à 1608,
année de la glorieuse paix d'Aix-la-Chapelle.
Mais si Louis sut consentir .au traité d'Aix-la-
Chapelle, dans lequel il évita d'alarmer l'Europe
par un agrandissement démesuré, il ne le fit pas
sans conserver contre la Hollande, qui l'avait ar-
rêté dans ses projets de conquête, un vif ressenti-
ment et sans former dès cette époque le projet de se
venger d'elle. Il faut reconnaître que la conduite
des Hollandais fut des plus inconsidérées. Qu'ils
eussent oublié que leur république était née et
avait grandi à l'ombre de la maison de France,
on peut l'admettre. Le souvenir des services ren-
dus ne saurait prévaloir en politique sur la crainte
d'un danger prochain. Les Hollandais avaient
eu raison d'être effrayés par l'invasion de la
Flandre et par le rapprochement des frontières de
France. Mais ils commirent une grave imprudence
en considérant la paix d'Aix-la-Chapelle comme
un triomphe qui leur était propre, et en humiliant
la fierté de Louis XIV par des médailles aussi
pompeuses que mensongères. Louis XI\, en pa-
raissant vouloir châtier leur ingratitude, obéit au
seul désir de venger son orgueil blessé. Il sembla
préparer une guerre de politique, mais en réalité
il prépara une guerre de ressentiment. Pendant
les quatre années qui s'écoulèrent entre la paix
d'Aix-la-Chapelle et l'invasion de la Hollande
(I6ijS-1072i, il négocia très habilement avec toute
l'Europe afin de la rendre favorable à l'exécution
de ses projets. Lionne l'y aida puissamment, et là
encore, surtout avec l'Angleterre, dont on acheta
\ prix d'argent le roi Charles il, on réussit dans
tontes les négociations entreprises.
Malheureusement Lionne ne vécut pas assez
longtemps pour faire prévaloir dans l'exécution
de la campagne contre les Hollandais la mèine
sagesse et la môme prudence que dans ses prépa-
ratifs. Il poursuivait en effet non pas leur ruine,
mais leur châtiment. Lionne mort, et un ministre
violent, Louvois, ayant succédé dans la faveur du
roi à un ministre sage, Louis XIV poussa sa vic-
toire jusqu'à ses conséquences extrêmes et com-
mit ainsi la faute capitale d'où résulteront tous
les désastres de la fin du règne. En voulant écra-
ser la Hollande, Louis XIV, loin de parvenir à
l'abattre, la réduisit à ces efforts désespérés et
sublimes qui produisent les retours de fortune.
Sur les cadavres des frères de Witt, massacrés
dans une insurrection, sur les débris du parti
français en Hollande, s'éleva Guillaume d'Orange,
qui, pour sauver son pays de l'invasion, n'hésita
pas à l'inonder en faisant rompre les digues. Le
défenseur de l'indépendance hollandaise devint en
108s celui du protestantisme anglais, et, sta-
thouder révolutionnaire de 1672, puis roi d'An-
gleterre, ne cessa d'être l'antagoniste le plus for-
midable de Louis XIV, le négociateur opiniâtre
de toutes les coalitions formées contre lui, son
ennemi implacable et finalement victorieux. C'est
l'inexcusable abus de la force auquel se laissa
entraîner Louis XIV qui a ouvert la carrière de
Guillaume IH, en lui inspirant la noble anibi-
LOUIS
— 1211 —
tion de délivrer son pays de l'invasion ; car il était
dans la destinée de ce grand homme de mériter
par un immense service rendu chacun de ses
agrandissements de fortune : il devint stathouder
en sauvant la nationalité de la Hollande, roi d'An-
gleterre en débarrassant celle-ci du despotisme,
chef de la ligne d'Augsbourg en préservant l'Eu-
rope de 1 assujettissement.
Néanmoins, si l'on tomba dès lors dans le mépris
de la modération et de la prévoyance, les consé-
quences de cette nouvelle poli tique ne furent pas im-
médiates, ou, du moins, furent compensées par l'ha-
bileté des généraux illustres que comptait encore la
l-rance. La campagne, conduite par Turenne, qui
incendia le Palatinat, puis après sa mort 16751 par
l.ondé, 1 admirable organisation de l'armée par Lou-
yois, aussi bon administrateurque politique violent,
les victoires remportées par Turenne, Condé et
Uuquesne, aboutirent au traité de Nimègue, signé
le 10 août IG78 et qui marque lépoque de la gran-
deur de Louis \IV. Par ce traité, la France acquit
la l'ranche-Comté et quatorze villes des Pays-Bas.
Ce fut encore Louis XIV qui rompit cette paix
en prenant violemment possession de Strasbourg,
de Kehl, de Dixmude et de Luxembourg. La trêve
de Katisbonne conclue en l(i84 sembla amener la
paix, mais sans apaiser les ressentiments de l'Eu-
rope, qui se manifestèrent en iGNii par la ligue
dAugsbourg, unissant contre Louis XIV, s'il vio-
lait de nouveau les traités, l'empereur d'Allemagne,
le roi d Espagne, la Hollande, la Suède et la Savoie.
L. avènement du prince d'Orange au trône d'Angle-
terre eut pour effet do joindre l'Angleterre aux puis-
sances déjà coalisées contre Louis XIV, et de substi-
tuer, à la ligue de 1688, la grande ligue de IG89.
Pendant ce temps, des événements importants se
produisaientà l'intérieur. Des différends s'étant éle-
vés entre Louis XIV et la cour de Rome à l'occasion
de la re.'ja!e, droit féodal grâce auquel les rois jouis-
saient des fruits temporels des archevêchés et des
évèches pendant leur vacance, Louis XIV voulut
faire juger la r,uerelle par le clergé de France lui-
même. Le 16 juin 1681, il convoqua une assem-
blée générale du clergé qui, réunie en I6S-.>, se
rangea de l'avis du roi. Le pape s'étant refusé k
accepter cette décision, l'assemblée du clergé de
ï rance chargea Bossuet de rédiger une déclara-
tion solennelle des maximes du pays sur la puis-
sance ecclésiastique. Adoptée i 1 unanimité, elle
]f J^omokguae par le parlement le 2.i mars
lb».i en même temps qu'un édit du roi qui pres-
crivait d enseigner la doctrine contenue dans cette
déclaration. Les quatre fameux articles de la dé-
claration portent en substance que le pape et
llig lise nont d'autorité que sur les choses spiri-
tuelles et n'en ont aucune sur les choses tempo-
relles ; qu en conséquence les rois (et nécessaire-
ment tous les gouvernements civils) ne sont en
rien soumis à l'autorité ecclésiastique. Cette doc-
trine n était pas nouvelle ; elle était conforme aux
maximes des libertés de VEglhe galUcane réu-
nies et publiées un siècle auparavant par Pierre
i;itnou et qui avaient toujours été pratiquées en
Irance, et elle n'était, selon Bossuet, .. que la
doctrine même de l'Ecriture et de la tradition. «
Colbert mourut en disgrâce le 6 septembre 168;!.
yuelque temps après, son œuvre principale fut
uetruite, ou du moins singulièrement compro-
mise par la révocation de l'édit de Nantes. Par
cet edit Henri IV avait, le 13 avril f598, accordé
a iioerte de conscience aux protestants et permis
1 exercice public de leur religion dans un certain
nombre de villes. En outre, il avait créé une
Chambre de l'Edit pour connaître des procès des
rtioimes. Cet edit, enregistré par le parlement le
^ levrier 1699, subsista jusqu'au 'Il octobre I68.i.
cédant alors à l'influence néfaste de M""-' de Mainte-
non, influence qui ne saurait être mise en doute
LOUIS
depuis la |)ublication des lettres complètes de la
princesse Palatine, duchesse d'Orléans, Louis XIV
révoqua l'édit de Nantes. Par là il chassa do
France des milliers de familles honnêtes et labo-
rieuses qui allèrent porter à l'étranger les secrets
de nos industries nationales. Plus de 200 000 pro-
testants émigrèrent. Le souvenir des Dragnmvides
est attaché à cette funeste mesure, qui porta au
commerce et à l'industrie de la France un coup
dont elle fut longtemps à se relever. Les Dragon-
nades consistaient à placer, chez les protestants
qui refusaient de se convertir, des garnisaires,
presque toujours des dragons, qui se livraient à
tous les excès, qui pillaient et torturaient jusqu'à
l'abjuration des infortunés. Aucun de ces excès
ne fut châtié, et Louvois prescrivait aux inten-
dants, en novembre 168."), « de laisser les soldats
vivre fort licencieusement. .- La révocation de l'é-
dit de Nantes et. les persécutions qu'elle amena
firent rapidement perdre à la France la supréma-
tie économique qu'elle avait conquise.
C'est à ce moment que Louis XIV entreprit,
contre la coalition formidable dont Guillaume d'O-
range était l'àme, la guerre dit,e d'Allemagne ou
de la ligue d'Augsbourg, qui dura huit années
(1689-169"). La France y conserva la réputation
de ses armes, mais LouisJ .\IV se vit en défini-
tive contraint de subir les conditions que lui dic-
tèrent les alliés. Le second incendie du Palatinat
(1689;, la conquête des trois électorats ecclésias-
tiques, la victoire de Luxembourg à Fleurus sur
les Allemands et de Catinat à StafTarde sur le duc
de Savoie (UMO), furent les événements principaux
des deux premières campagnes. En IU91, Louis XIV
s'empara de Mens, et en 1692, de Namur. Les vic-
toires remportées par Luxembourg à Steinkerque
(1692) et à Nerwinde (1693), et par Catinat à la
Marsaille (1693) furent balancées par la terrible
invasion de Victor-Amédée, duc de Savoie, et par
la défaite navale de la Hogue. Louis XIV, dont les
victoires avaient été stériles, fut contraint d'aban-
donner ses conquêtes pour avoir la paix. Par le
traiié de Ryswick (1697), il renonça à la Lorraine
et à la plus grande partie des réunions opérées
précédemment aux dépens de l'Empire. En outre,
il fut obligé de reconnaître le prince d'Orange,
Guillaume III, pour roi d'Angleterre.
La succession d'Espagne étant sur le point de
devenirvacanteparsuite delà débilité deCharles II,
Louis XIV s'était empresséde partager d'avance les
Etats espagnol? avec Guillaume d'Orange et l'empe-
reur Léopold, quand tout à coupon apprit, en même
temps qiielamortde Charlesll, l'existenced'un tes-
tament qui instituait pour unique hérilierPhilippe,
duc d'Anjou, second fils du Dauphin de France. Ac-
cepter ce testament, c'était annuler le récent traité
de partage et irriter profondément l'Europe. Au
lieu de calmer cette irritation fort naturelle,
Louis XIV l'aigrit et fortifia les craintes de tous
par d'inexcusables maladresses et par des fautes
capitales. Par des lettres patentes, il maintient au
duc d'Anjou (devenu roi d'Espagne sous le nom
de Philippe V, ses droits au trône de France, et
confirme ainsi le danger de voir un jour l'équilibre
européen rompu par la réunion sous le même
sceptre de deux grandes monarchies. En même
temps il fait prescrire par la cour de IWadrid à
tous les gouverneurs des possessions espagnoles
d'obéir désormais aux ordres du roi de France
comme à ceux de Philippe V. Puis il viole la paix
de liyswick par l'invasion inopportune des Pays-
Bas espagnols; et, en traitant comme roi d'Angle-
terre le fils de Jacques II, réfugié à Saint-Germain,
il blesse la fierté du peuple anglais auquel il sem-
ble imposer un maître. A l'Autriche qui, seule d'a-
bord, a rejeté le testament. Louis XIV vient de don-
nerainsi pour alliés la Hollande irritée de la violation
menaçante d'un territoire voisin, et l'Angleterre
LOUIS
— 1212 —
LOUIS
blessée d'un tel attentat à ses droits. Le hautain
monarque a dès lors le triste privilège de mériter
la devise que lui avait appliquée Louvois : a Seul
contre tous. »
Contre la nouvelle coalition qui se prépare, les
ressources de la France sont devenues bien insuf-
fisantes. Louvois est mort. Les grands capitaines ne
dirigent plus les armées. Turenne et Condé ne sont
plus. Le maréchal de Luxembourg, élève digne de
tels maîtres, a disparu comme eux, ainsi que les
deux plus redoutables marins qu'ait eus la France,
Duquesne et Tourville. A Catinat tombé en dis-
grâce, ont succédé les Marsin, les Tallard, les
Villeroy. M"» de Maintenon, conseillère fatale
dont Louis XIV avait fait sa femme, inspirait ses
.choix, ses ordres; grâce à elle, l'incapable Pont-
chartrain et le léger Chamillard occupaient la
place illustrée par Louvois et Colbert. Laterre.à la-
quelle les armées si souvent renouvelées ont en-
levé ses laboureurs, languit et souffre, et le
peuple, chargé d'impôts, désire ardemment la
paix, au moment même où de fausses mesures
Tiennent de précipiter la France dans une longue
guerre qui mettra son existence en péril.
Cependant ses débuts ne furent pas marqués par
des revers immédiats. L'armée française, habituée
jusque-là à vaincre, suivit quelque temps encore
l'impulsion donnée. Mais, comme lui manquaient
à la fois les généraux, l'argent et les soldats, elle
ne tarda pas à succomber. Tallard est battu à
Hochstedt (170*); Villeroy à Ramillies (l'Oii),
Philippe V est chassé de Madrid par les confédé-
rés, et, après la défaite que Marlborough fait es-
suyer à Vendôme près d'Oudenarde (HUS), il faut
songer à défendre les frontières elles-mêmes qui
sont envahies. Ce n'est pas tout. Aux revers qui
démoralisent l'armée et qui compromettent le
sort de la France, viennent s'ajouter les calamités
qui, pénétrant dans son cœur même, le rojigent.
La révolte des Oamisarcls, protestants des Céven-
nes exaspérés par les persécutions (1702-1704)
n'est apaisée que par un arrangement conclu avec
le chef des insurgés, Jean Cavalier. Une famine gé-
nérale, succédant h un hiver des plus rigoureux,
tombe sur le peuple et le décime (l 709). La mort
ne s'appesantit pas seulement sur lui ; elle entre
aussi dans la demeure royale et la ravage.
Louis XIV, accablé comme roi, est frappé comme
père. Son fils, ses petits-fils, le précèdent au tom-
beau. La duchesse de Bourgogne, dont le sourire
parvient encore à égayer la cour assombrie, est
ravie tout à coup, et de cette nombreuse posté-
rité, ornement et soutien de la couronne, splen-
dide cortège pour la longue vieillesse du roi, seul
un rejeton subsiste. Les yeux du monarque, qui
voyait naguère se presser autour de lui trois géné-
rations, ne se reposent plus maintenant que sur
un enfant faible et débile.
Louis XIV consenti s'humilier et k demander la
paix. Mais les sacrifices auxquels il se soumet, et
que Rouillé et Torcy sont allés annoncer à La
Haye aux plénipotentiaires, font naître chez les
alliés de nouvelles exigences plus rigoureuses en-
core. Le prince Eugène, Marlborough et le grand
pensionnaire de Hollande, Heinsius, qui sont ;i la
tête de la coalition, et qu'unit une haine commune
contre Louis XIV, ne se laissent plus diriger par la
prudence, qui est toujours modérée, et ils émettent
de telles prétentions que Louis XIV adresse un
appel à la nation. Cet appel est entendu. Un pa-
triotique enthousiasme étouffe les gémissements
et les cris de détresse qui depuis longtemps s'é-
lèvent de toutes parts. « Ce ne fut, dit Saint-
Simon dans ses mémoires, qu'un cri d'indigna-
tion et de vengeance. » Les volontaires accou-
rent, et Villars, mandé de la Savoie, se place h
leur tête. Mais il est battu h Malplaquet (1709).
tandis qu'en Espagne la défaite de Saragosse force
Philippe V d'abandonner une seconde fois sa ca-
pitale.
Louis dut céder davantage. Il envoya Polignac
et Huxelles à Gertruydenberg , proposant cette
fois : de ne plus donner aucun secours h son
petit-fils en Espagne, de rendre Strasbourg et
Brisach, de renoncer à la souveraineté sur l'Alsace,
de rasor toutes ses places depuis Bâlo jusqu'à
Philipsbourg, et de combler le port de Dunkerque.
Il alla même jusqu'à offrir un million par mois
pour aider les alliés à détrôner Philippe V. Mais
ces offres, qui s'étendaient avec ses désastres, ne
suffirent pas. On exigea qu'il détrônât lui-même et
tout seul son petit-fils.
Jamais la France n'a été plus près de sa perte.
Ses frontières septentrionales étaient envahies,
ses ports du sud menacés et un projet de démem-
brement était discuté par les coalisé^. De cet état
où l'avaient jetée l'orgueil et les fautes de Louis
XIV, elle fut tirée, grâce à la mort de l'empereur
Joseph et grâce à la chute du parti whig en An-
gleterre. Si l'archiduc Charles, remplaçant l'empe-
reur Joseph sur le trône impérial, fût en même
temps resté roi des Espagnes, l'Europe coalisée
eût rétabli en lui la puissance formidable de
Charles-Quint. C'est ce que l'on comprit en An-
gleterre. Le parti «hig, qui avait Godolphin pour
ministre et Jlariborough pour général, fut renversé
par le parti tory dirigé par Bolingbroke. Dès lors
la paix était assurée. Elle fut facilitée par la vic-
toire remportée par le duc de Vendôme à Villa-
viciosa en Espagne, et par celle de Villars à
Denain. Le célèbre congrès d'Utrecht, ouvert en
février 1712 et terminé le 11 avril 1713, régla les
conditions de la paix. On y établît comme l'une
des règles fondamentales du droit européen la sé-
paration perpétuelle des deux monarchies de
France et d'Espagne. Les Hollandais obtinrent la
fameuse barrière depuis longtemps demandée par
eux. et pour laquelle Louis XIV céda Menin,
Tournai, Furnes, Dixmude et Ypres. Les Anglais
eurent Gibraltar et Minorque arrachés à l'Espagne,
et la France leur accorda quelques-unes de ses colo-
nies, le coniblementduportdeDunkerque, la recon-
naissance de la succession protestante et le renvoi
du prétendant. Les Pays-Bas, le royaume de
Naples,les ports de Toscane et le duché de Milan
étaient réservés à l'empereur. Celui-ci n'agréa pas
tout d'abord ces contlitions. Mais, Villars s'étant
emparé de Landau et de Fribourg, les traités de
Rastadtet de Bade, conclus avec l'Empire en 1714,
ratifièrent les décisions du congrès d'Utrecht. Cette
longue contestation, pendant laquelle Louis XIV
avait failli tout perdre pour avoir eu une ambi-
tion trop démesurée, et n'avait été sauvé que par
l'ambition désordonnée des coalisés, se terminait
par l'établissement d'une dynastie française en
Espagne et par un partage.
Les graves périls auxquels le despotisme du roi
venait d'exposer la France furent pour Louis XIV
un châtiment, mais non une leçon. Jusqu'au der-
nier jour, il crut à son omnipotence et la ma-
nifesta par les actes les plus arbitraires. Ce
prince, qui était si jaloux de son autorité, se laissa
souvent diriger, et, après avoir pris durant de
longues années la voix de ses passions pour celle
de son devoir, il prenait maintenant la voix de son
confesseur pour sa conscience. C'est en cédant
aux habiles insinuations du père Tellier qu'il
chassa de leur retraite les solitaires de Port-
Royal, qu'il disgracia Fénelon, et qu'il se jeta dans
de ridicules querelles théologiques en faisant
condamner par le pape le livre du père Quesnel.
Ta)it d'intolérance en matière religieuse ne suffit
pas pour couronner tristement un règne dont les
débuts avaient été glorieux. Louis XIV, entraîné
par M"" de Maintenon, voulut élever sa vo-
lonté personnelle au-dessus des lois du royaume.
LOUIS
1213 —
LOUIS
^'C• se contentant pas de faire épouser ses enfants 1
adultérins par des princes et des princesses légi-
times, il les avait légitimés et leur avait donné le
pas sur les seigneurs du royaume. Il fit plus. Par
un édit do l'U, il leur reconnut des droits à la
couronne de France. 11 méditait des projets plus
désastreux encore; il préparait la réunion d'un
concile national appelé à proscrire une partie du
clergé, et il allait de nouveau rompre la paix du
monde en tentant de rétablir le lils de Jacques II
sur le trône d'Angleterre, quand uno maladie
mortelle s'empara de lui dans les premiers jours
du mois d'août ni.'>. La résignation qu'il montra,
le langage touchant qu'il tint, les regrets qu'il ma-
nifesta des fautes commises, font de sa mort un
spectacle qui n'est pas dénué de grandeur. Il eût
été h souhaiter qu'il eût appliqué durant sa vie les
beaux préceptes qu'il donna à son successeur en-
fant (le futur Louis XV) au moment des adieux
suprêmes.
Louis XIV mourut le 1" septembre 1715. Il avait
régné soixante-douze ans. Il avait épousé en
16G0 Marie-Thérèse, fille du roi d'Espagne, dont il
eut plusieurs enfants, parmi lesquels un seul vé-
cut, le dauphin Louis ; celui-ci eut, d'une princesse
de Bavière, le duc de Bourgogne, père de Louis XV;
Philippe, duc d'Anjou, roi d'Espagne sous le nom
de Philippe V; et le duc de Berry, Des liaisons
de Louis XIV avec M"' de la Vallière et M""" de
Montespan naquirent un grand nombre d'enfants
naturels ou adultérins.
Louis XIV possédait plusieurs des qualités qui
font les grands rois. 11 avait au suprême degré le
sentiment de la grandeur. La rareté et la brièveté
de ses paroles ajoutaient beaucoup à sa majesté.
11 n'avait pas dans l'esprit les heureuses saillies
d'Henri IV, mais son jugement était droit, et quand
ses passions ne l'aveuglaient pas, il voyait juste.
■' Jamais, dit Saint-Simon, personne ne donna de
meilleure grâce et n'augmenta tant par là le prix
de ses bienfaits; jamais homme si naturellement
poli, ni d'une politesse si fort mesurée, si fort par
degrés, ni qui distinguât mieux l'âge, le mérite,
le rang. » Appliqué, persévérant et résolu, il eut
l'esprit de détail et de suite, mais non ce haut
discernement et celte vue d'ensemble qui font les
grands politiques. Si sa vie manque de cette unité
qui distingue la vie de Richelieu s'avançant sans
cesse vers un but marqué d'avance, c'est parce
que Louis XIV laissa diriger sa vie à laquelle les
influences fort diverses de Lionne, de Colbert, de
Louvois, du père Tellier et de M"" de Mainte-
non donnèrent des aspects fort différents. Ce prince
qui a dit dans ses Mémoires « qu'un roi doit se
décider lui-môme, parce que la décision a besoin
d'un esprit de maître, et que, dans le cas où la
raison ne donne plus de con'seils, il doit s'en fier
aux instincts que Dieu a mis dans tous les hommes
et surtout dans les rois, » s'est le plus souvent
laissé inspirer ces instincts par ceux qui l'entou-
raient et qui savaient déguiser l'empire de l'esprit
sous la forme tantôt du conseil, tantôt de la flatte-
rie, tantôt du dévouement. Assurément Louis XIV
connut mieux que personne les services émi-
nents que lui rendit Colbert en restaurant les
finances, en fondant les manufactures, en proté-
geant le génie dans ses plus illustres représen-
tants. Mais pourquoi a-t-il cessé d'apprécier ses
services et l'a-t-il laissé mourir dans la disgrâce,
lorsque l'ascendant de Louvois s'est pou à peu
substitué à l'heureuse influence de Colbert? Assu-
rément aussi, Louis XIV s'est mis tout entier dans
la belle campagne diplomatique qui inaugure si
glorieusement son règne personnel. Mais comment
pourrait-on lui en laisser à lui seul le mérite,
comment pourrait-on contester la grande part qui
en revient à Lionne, lorsqu'on voit, à la mort de
ce ministre, le roi habile devenir un roi passionné,
passer brusquement d'entreprises modérées et
sages à des actes exagérés de vengeance, et com-
mencer une série do fautes qui devaient incliner
l'Etat vers sa ruine'? Si le merveilleux esprit d'ha-
bileté qui a inspiré la première période du règne
émane tout entier de Louis XIV, pourquoi cet
esprit n'a-t-il pas survécu à Lionne? Sont-cc des
événements imprévus et qu'on ne saurait imputer
au monarque qui ont porté plus tard un si rude
échec à sa politique? Xon, c'est lui seul qui, sui-
vant les inspirations de la passion, ou subissant la
néfaste influence d'une conseillère au génie étroit,
a détruit l'industrie nationale par la révocation de
l'édit de Nantes, et coalisé l'Europe contre la
France par un violent abus de la force en Hollande.
Les désastres de la fin du règne, pendant lesquels
Louis XIV reste personnellement très grand par
la résignation touchante et de magnifiques élans
de coeur, ces désastres résultent de ce qu'il a subi
sans cesse des directions, bien que très jaloux de
son pouvoir. Son règne ne présente de l'unité que
si l'on considère le caractère personnel du mo-
narque, qui est resté grand jusqu'à son lit de
mort.
Ce prince, qui a subi tant d'influences, a-t-il
lui-même exercé une influence aussi considéra-
ble qu'on l'a dit sur les grands hommes de son
temps? Les panégyristes le montrent se présen-
tant à la postérité avec un cortège de génies im-
mortels. On le voit ayant à la tête de ses armées
Turenne, Condé, Luxembourg, Catinat, Vendôme
et Villars. Duquesno et Tourville commandent
ses escadres. Lionne, Colbert, Louvois , Torcy
sont appelés dans ses conseils. Bossuet, Bour-
daloue, Massillon lui font connaître ses de-
voirs. Mole, Laraoignon, Talon et d'Aguesseau
illustrent son parlement. Vauban fortifie ses ci-
tadelles et Riquet creuse ses canaux. Perrault et
Mansart construisent ses palais qu'embellissent
Puget, Girardon, Poussin, Le Sneur, Mignard
et Le Brun, tandis que Le Nostre en dessine les
jardins. Corneille, Racine, Molière, Descartes,
Pascal, Quinault, La Fontaine, La Bruyère, Boi-
leau éclairent sa raison ou amusent ses loisirs.
Montausier, Bossuet, Beauvilliers, Fénelon, Flé-
chier, Fleury élèvent ses enfants. S'il fallait en
croire les panégyristes, toutes ces gloires auraient
plus ou moins profité de l'influence de Louis XIV.
Mais les dates sont impitoyables, et leur examen
attentif amène à réduire considérablement un
rôle démesurément grossi. Louis XIV n'a effecti-
vement régné qu'en IC61. Or, à cette époque,
Le Sueur était mort depuis six ans, et Poussin
s'était retiré à Rome, chassé de France par les
cabales de ses ennemis. Descartes était mort depuis
onze ans. Corneille avait depuis longtemps publié
tous ses chefs-d'œuvre, et Une devait guère donner
sous Louis XIV qu'y! 9e.>!7fl,s et JHî/a. Pascal, dont les
P)-ot'H!ci'i/es avaient paru depuis cinq ans,allalt mou-
rir. Enfin, Molière, La Fontaine et Bossuet avaient
alors trente-cinq à quarante ans ; Us étaient donc à.
cette époque en pleine possession de leur génie
qu'ils avaient déjà révélé, Molière par plusieurs co-
médies, La Fontaine par des contes, et Bossuet par
ses admirables sermons. Le vrai est que l'immor-
telle génération d'écrivains du xvii" siècle a reçu
son éducation littéraire antérieurement à Louis XIV,
qu'elle s'est formée pendant les troubles féconds
de la Fronde, et que la langue, devenue plus tard
plus délicate et plus souple, a perdu cette mâle
vigueur, cette originalité puissante qui la carac-
térisent durant la première moitié du siècle. Le
cardinal de Retz non plus ne dérive en rien de
Louis XIV, car c'est dans le demi-exil de Cora-
mercy et loin de la cour qu'il a écrit ses admira-
bles Mémoires. Il a puisé dans l'esprit du com-
mencement du siècle cette libre allure, cette
fierté dans la pensée, celte hardiesse dans le lan-
LOUIS
— 1214 —
LOUIS
gage, ces rudes et primitives qualités qui le dis- 1
iingueijt. Son génie ne s'est pas laissé énerver 1
par l'exquise politesse et l'élégante régularité que i
Louis XIV met en honneur. Il ne serait pas plus
exact d'attribuer h Louis XIV la moindre influence
surun autre auteur de mémoires, Saint-Simon, cet
écrivain si original et si sévère qui, mécontent de
son peu d'importance sous un roi auprès duquel
l'effaçaient des courtisans qui ne le valaient pas,
s'est dédommagé de ses froissements par ses ré-
cits, et, portant la lumière dans les recoins les
plus retirés et les plus sombres do cette cour si
brillante a la surface, en a montré les pompeux
ridicules et les misères cachées.
Racine, Fénelon, M°" de Sévigné, Boileau et La
Bruyère, tels sont les seuls écrivains qui appar-
tiennent vraiment au règne personnel de Louis XIV.
Or, parmi ces grands écrivains, il en est deux au
moins qui n'ont pas subi l'influence du roi : l'un,
Fénelon. qu'il nommait un bel esprit chimérique,
et dont la plupart des idées sont une protestation
peu déguisée contre les opinions dominantes,
contre le faste de la cour, contre le goût des
conquêtes ; l'autre, La Bruyère, qui atoujours vécu
loin de la cour, et qui assurément n'a pas été ins-
piré par Louis XIV dans son horreur pour la
guerre et dans ses éloquentes réclamations en fa-
veur des paysans si malheureux alors.
En réalité, legénie nes'épanouit que dansune ère
de liberté. Lesquatre grands siècles littéraires delà
France ont eu pour point de départ, le premier,
le XVI' siècle, le grand mouvement dans les idées
produit par la Réforme ; le second, les troubles
de la Fronde ; le troisième, la mort de Louis XIV ;
ie quatrième, la chute de Napoléon. Louis XIV a
eu la bonne fortune de recueillir une moisson
glorieuse, mais qu'il n'avait pas semée. Grâce au
poids dont il a pesé sur les esprits, à la fécon-
dité puissante de la première moitié du siècle a
succédé la plus complète stérilité. Les auteurs
dont l'esprit et le caractère se sont formés sous
le règne de Louis XIV sont Racine le fils, Campis-
tron et Jean-Baptiste Rousseau.
Il serait pourtant injuste de ne pas accorder
vine petite part à Louis XIV dans les grandes
choses accomplies par Colbert et Vauban avant
que ces deux immortels conseillers fussent tom-
bés en disgrâce. Les ordonnances sur les eaux et
forêts, sur le commerce et sur la marine ; la créa-
tion de la compagnie des Indes occidentales et
plus tard de la compagnie des Indes orientales ;
les frontières de l'est et du nord défendues par
un triple rang de forteresses ; Rochefort construit ;
Brest et Toulon armés ; l'agrandissement du Jar-
din des plantes, la construction de l'Hôtel des
Invalides et de l'Observatoire ; le château de Ver-
sailles éditié; Paris éclairé, pavé et rendu à la
sécurité par l'organisation d'une police forte : la
générosité du roi s'étendant jusque sur les artis-
tes et les savants étrangers ; la fondation de l'é-
cole de Rome, de l'Académie des sciences et de
celle des inscriptions ; la réorganisation de la bi-
bliothèque royale enrichie ; tout cela témoignera
toujours en faveur de Louis XIV, jusque dans la
postérité la plus reculée.
Mais ces mesures utiles, ces créations grandio-
ses, ces splendeurs éclatantes dissimulent trop aux
yeux des historiens officiels l'état de misère profonde
dans lequel était le peuple écrasé d'impôts et lit-
téralement réduit à la mendicité. De loin en loin,
s'élevaient quelques voix éloquentes et courageu-
ses qui portaient au roi la vérité. « La plus grande
partie des habitants de ma province (le Dauphiné)
n'ont vécu que de pain, de glands et de racines,
et présentement on les voit manger l'herbe des
prés et l'écorce des arbres, » écrivait Lesdiguières
en 1G"5. « Vos peuples, sire, meurent de faim,
s'écriait Fénelon. Au lieu de tirer de l'argent de
ce pauvre peuple, il faudrait lui faire l'aumône et
le nourrir. La France entière n'est plus qu'un
grand hôpital désolé et sans provisions. » Et Vau-
ban écrivait en 17117 : <i La dixième partie du
royaume est réduite à la mendicité et mendie
effectivement, n Mais ces audacieux défenseurs de
la vérité étaient traités d'esprits chimériques et
tombaient en disgrâce. Leur témoignage n'était
pas mieux accueilli de Louis XIV qu'il ne l'a été
ensuite des historiens officiels. Heureusement dos
chercheurs patients et consciencieux sont venus
depuis, qui se sont livrés à de minutieuses en-
quêtes et ont montré, par des travaux récents et
incontestables, ce qu'était cet ancien régime que
vantent ceux qui en regrettent les privilèges ré-
servés h quelque.s-uns, et que beaucoup jugent
encore sur une enseigne éclatante et trompeuse.
Il était, d'ailleurs, dans la destinée de Louis XIV,
d'être le pire ennemi du système de gouverne-
ment qu'il représentait, et de préparer par ses
actes pour l'avenir des résultats diamétralement
opposés au but qu'il poursuivait. Il voulut affermir
la religion catholique : il l'ébranla en troublant les
consciences, en provoquant des querelles théolo-
giques subtiles et en persécutant les protestants.
Il voulut faire de la noblesse le plus ferme sou-
tien du trône : il la déconsidéra en lui imposant
dans la cour une servitude abjecte et recherchée,
et en multipliant les charges qui anoblissaient. It
voulut détruire l'autorité des parlements : en
remettant à celui de Paris son testament, il le fit
lui-même rentrer dans la voie politique. Il voulut
faire oublier dans la dernière partie de sa vie les
scandales qui avaient marqué la première : il ne
parvint qu'à augmenter l'hypocrisie et à créer une
dévotion mensongère et superficielle. Il voulut
placer hors de toute atteinte l'autorité du monarque :
c'est avec lui que la monarchie commença à des-
cendre cette pente de décadence sur laquelle elle
ne s'arrêtera plus jusqu'à la Révolution. Enfin, il
voulut apprendre au monde tout ce qui peut être
entrepris de grand par la centralisation de tous
les pouvoirs entre les mains d'un seul : en réa-
lité, il a démontré, sans que, hélas! on s'en soit
toujours souvenu en France, à quelles catastro-
phes s'exposent les nations qui se sont livrées à
un seul homme. [Marins Topin.]
Louis X'W (1715-1774). — Histoire de France,
XWII-XXVIII. — Ce prince était l'arrièrepetit-
Hls de Louis XIV. Parvenu au trône à l'âge de
cinq ans, il a passé sa vie et son règne dans une
perpétuelle minorité. Le régent Philippe d'Orléans
:i7-.;G-n23), le duc de Bourbon (1723-1726), le
cardinal de Fleury (1720-1743), des ministres obs-
curs, des favorhes, le duc de (ilhoiseul (1756-Î770),
les <i'j«??!î)(i'id'Aiguillon,Maupeou et Terray (l770-
1774) ont dirigé les affaires de l'Etat. Sous ce mal-
heureux règne, le désordre des finances, les discus-
sions religieuses entre les jansénistes eties jésuites
ou uliramontains. les revers inouïs de nos armées,
les écrits des philosophes, et surtout l'abaissement
incroyable de la royauté cl de la noblesse, de-
vaient provoquer la ruine de la monarchie.
Les dernières années du règne de Louis XIV
avaient fatigué la France. Aussi applaudit-elle avec
transport à l'avènement du jeune roi. Le parle-
ment, heureux de casser le testament de Louis XIV,
qui nommait régent le duc du Maine, fils de M""
de Montespan , avait donné la régence au duc
d'Orléans. L'opinion publique réclamait d'ailleurs
une réaction contre le gouvernement précédent.
Le parlement de Paris avait hâte de recouvrer ses
prérogatives, jadis confisquées ; la haute noblesse,
si longtemps éloignée des affaires par des minis-
tres bourgeois, réclamait et obtenait l'institution
des Co7>seilt (171(1), nouveauté dangereuse et peu
durable, qui livrait à soixante-dix ministres le secret
de l'Etat. Au nom de la tolérance, le régent cessait
LOUIS
— 1215 —
LOUIS
Il iii^i'sécutioii contrôles protestants (édit de ni") ;
an nom de la liberté, on proscrivait les hypocrisies
holennidlos du dernier règne, jusqu'à tomber dans
la licence. Mal dirigé par son ancien précepteur
Dubois, dont il avait fait un conseiller d'Etat (nl.S),
le régent donnait il la France un exemple funeste.
A l'extérieur, la réaction se manifestait aussi par
des alliances avec l'Angleterre et la Hollande
(iUl), l'Empire (1718), et une rupture avec l'Es-
pagne (ni'J).
Louis XIV avait légué à son successeur de
graves embarras financiers. On essaya d'abord d'y
remédier par des suppressions d'offices et une re-
fonte des monnaies. On créa même une chambre
de justice contre les traitants, qui furent taxés
h I5C millions. Mais ces moyens furent insuffisants.
Un Ecossais, John Law, proposa de créer une ban-
que qui se substituerait aux compagnies de trai-
tants. On devait lui accorder en outre le monopole
des compagnies de commerce, et, grâce à ces res-
sources, comptant sur la confiance publique, Law
émettrait des billets tenant lieu de numéraire, et
procéderait au remboursement de la dette. C'était
la théorie du crédit. Elle parut tout d'abord dan-
gereuse. Law se borna à fonder (1710) une banque
particulière, qui devintensuitegénéralel 1717). Puis
il fut mis à la tête d'une compagnie du Mississipi,
dont les actions furent rapidement enlevées. La
banque fut enfin déclarée banque royale (1718). Les
actions alors se multiplièrent. Elles devinrent
l'objet d'un agiotage efl'réné. Le papier en circula-
lion dépassa de beaucoup le numéraire : le si/s-
tème tomba. H en résulta pour l'Etat une banque-
route, pour les particuliers un grand ébranlement
des fortunes, une incitation nouvelle au luxe et
aux jouissances matérielles. Les intrigues diplo-
matiques de Dubois, devenu premier ministre
(1722), n'étaient pas à ces maux une compensation
suffisante. Le régent mourut (1723).
Le désordre des finances était irréparable. Ni le
duc de Bourbon (1723-1726), conseillé par Paris-
Duvernay, ni le cardinal de Fleury (172C-1743),
malgré son économie, ne purent combler le gouf-
fre. Les réformes tentées par les contrôleurs gé-
néraux Orry (n:iO-l745). Machault (1745-1754),
Silhouette ("1759), Laverdy (17G )), furent impuis-
santes. L'abbé Terray (17(19-1774) assuma, à la fin
du règne, la responsabilité d'une banqueroute
inutile.
La bulle Unigenitus (1713) avait allumé entre
les jansénistes et les ultramontains une lutte qui
a duré autant que la monarcliie. Elle devint vio-
lente après la condamnation de Soanen. évoque
d'Embrun, par un concile que présidait M. de
Tencin, prélat fort décrié (1727). 1,'agilation passa
bientôt de l'Eglise au parlement et dans la rue.
Trois cents prêtres furent interdits à Paris. Le
parlement refusa, malgré l'ordre exprès du roi,
d'enregistrer la bulle (1730), tandis que les jansé-
nistes frondaient ouvertement l'autorité royale au
cimetière Saint-Médard (les convulsionnab-es) . Le
parlement fut exilé. Les magistrats continuèrent
néanmoins h. lutter contre les doctrines ultramon-
taines. En 1752, ils furent exilés de nouveau, pour
leurs attaques contre les curés de Paris. En 1756,
on supprima deux chambres. L'attentat de Pierre
Damiens (1757) décida le gouvernement à mettre
un terme k ces disputes. Les jésuites furent expul-
sés de France (1762). Le parlement de Paris,
comme pour s'assurer les faveurs du pouvoir, con-
damnait en 1759 VEspiit d'Helvctius et V Encyclo-
pédie; ^n 1762, VEmile et le Contrat social. Mais
il ne renonçait pas i son opposition tracassière et
sans_ but. Dès 17(i3 recommençaient d'aigres dis-
cussions sur les finances. Les parlements furent
supprimés (1771), et le chancelier Maupeou les
remplaça par de nouvelles cours de justice, qui sub-
sistèrent jusqu'à la fin du règne.
Les luttes entre les prêtres et les magistrats
étaient fatales à la religion comme au pouvoir.
« Je ne crois pas, écrit en 1722 la princesse Pala-
tine, qu'il y ail à Paris, tant parmi les ecclésiasti-
que que parmi les gens du monde, cent personnes
qui aient la véritable foi et même qui croient en
Notre-Seigneur. » Au moment de la Révolution,
un royaliste écrira : '< Le clergé est définitivement
aboli. On ne doit même plus en parler. »
La royauté, entre les mains de Louis XV, de-
vient méprisable. Dominé par des favorites, la du-
chesse de Chateaurnux et ses sœurs, M"= de Pom-
padour, enfin M"" Du Barry. le roi témoigne pour
les affaires de l'Etat la plus coupable indifférence. La
France ne retire que de médiocres avantages des
guerres de la succession de Pologne (173.3-1735), de
la succession d'Autriche (1740-1748) ; ellese couvre
de honte dans la guerre de Sept ans", qui a pour
conséquence la perle de nos colonies (1756-1763).
En vain Choiseul (1756-1770) donne quelque éclat
à la monarchie par d'utiles réformes militaires, la
conclusion du pacte de famille (1761), la réunion de
la Lorraine h la France (17CU', et la conquête de la
Corse 0768). Son successeur, l'incapable d'Aiguil-
lon, assiste impassible à la ruine de la Pologne et
delà Turquie f l77;'-n74).
Dans cette débâcle de la fortune nationale et de
l'honneur public, tout disparaît, jusqu'aux vertus
militaires. Aussi, dès le milieu du xviu' siècle, la
Révolution est-elle imminente. Ce ne sont point les
philosophes qui l'ont provoquée. La grande in-
fluence de la philosophie éclate seulement vers
1760. Mais dès 1748 on songeait h refuser l'impôt;
en 1750, le peuple de Paris se soulève et menace de
brûler Versailles; le mot de Révolution était déjà
dans toutes les bouches. D'Argenson écrit en 1753 :
< Dans l'esprit public s'établit l'opinion que la
nation est au-dessus des rois, comme l'Eglise uni-
verselle est au-dessus du pape. » L'attentat de
Damiens révèle dans les basses classes une haine
profonde pour celui qu'on appelait jadis le bien-
aimé. Le bas peuple, misérable dans, les villes
comme dans les campagnes, accuse le roi de spé-
culer sur les disettes et d'affamer ses propres su-
jets (pacte de famine, 1765). Les passions violentes
se calment et disparaissent pour un temps dans le
giand mouvement philosophique que dirigent
Voltaire, Rousseau et les rédacteurs de VEncyclo-
pédie. Louis XV meurt ( 1774), sauvé de la révolu-
tion, mais ayant perdu la monarchie.
[L.-G. Gourraigne.]
Louis XVI (1774-1792). — Histoire de France,
XXIX-XXXI. — Le règne de ce prince, petit-fils
et successeur de Louis XV, peut se diviser en
deux périodes : l" de 177» à 1789; 2° de 1789 à
la proclamation de la République.
r 1774-1789. — Pendant quinze ans, la royauté
essaie inutilement de réformer les abus. Le roi,
plein de bonnes intentions, appelle au secours '
de la monarchie les philosophes et les écono-
mistes.
La France accueillit avec un vif enthousiasme
le jeune successeur de Louis XV. Il avait épousé
en 1770 l'archiduchesse autrichienne Marie- Antoi-
nette, fille de Marie-Thérèse. On savait que le
nouveau roi n'avait rien de commun avec son père
le Dauphin, personnage incapable, qui était mort
en 1766. On rappelait comme un éloge le surnom
que lui avait donné l'ancienne cour, de <■ gros
garçon mal élevé. «On parlait de sa simplicité, de
sa pureté de mœurs, de ses habitudes sérieuses
et réfléchies, de son goût pour l'étude. On se fé-
licitait d'avoir, «après tant de rois gentilshommes,
un roi qui sût estimer et honorer le travail. C'était
un nouveau saint Louis ou un autre Henri IV, et
l'on célébrait à l'envi ses vertus par mille traits
ingénieux et touchants. »
Louis XVI eut d'abord à cœur de justifier ces
LOUIS
— 1216 —
LOUIS
■espérances. Il réduisit les dépenses de sa maison,
« se barricada d'honnêtes gens, " selon l'expression
d'un contemporain, renvoya les ministres de
Louis XV, et, après des hésitations, poussé, dit-un,
par salante. Madame Adélaïde, confia la direction
■des affaires à M. de Mauropas. Ce vieillard frivole,
connu surtout par ses épigrammes et ses chan-
sons mordantes, appela au contrôle général des
finances Turgot, intendant de Limoges, philoso-
phe et économiste. Le ministère de la guerre fut
confié à M. de Saint-Germain, un rude soldat, plus
allemand que français, la marine à M. de Sartine,
les affaires étrangères à M. de Vergennes. Le ver-
tueux Malesherbes devint ministre de la maison
du roi. Ces honnêtes gens voulaient effacer les
hontes et les crimes du dernier règne. On com-
mença par rappeler les parlements (m4). C'était
une faute, car les magistrats ne cessèrent désor-
mais de lutter contre les réformes devenues né-
cessaires, à l'exécution desquelles se liait la des-
tinée même de la royauté.
Les dissipations de Louis XV avaient encore aug-
menté la dette formidable laissée par Louis XIV.
Il fallait l'éteindre. La Krance du xviii' siècle, tra-
vaillée par les économistes, protestait contre les
règlements de Colbert, qui entravaient le com-
merce et l'industrie. Il fallait réformer ces institu-
tions surannées. Turgot tenta cette œuvre difficile
malgré la reine, Maurepas, la cour et les parle-
ments, ti Point de banqueroute, avait-il écrit au
roi, pas d'augmentation d'impôts, pas d'emprunts. •
Il voulait établir un impôt territorial frappant tous
les citoyens, abolir les jurandes et les maîtrises,
donner enfin à la France agricole la liberté du
commerce des grains. Il tomba (1776), et fut rem-
placé par Clugny, puis par Necker (octobre 1776).
Celui-ci était un banquier de Genève, qui avait
réalisé en France une fortune considérable. Son
grand mérite, aux yeux des pririlégiés, était d'avoir
combattu les idées de Turgot sur la circulation des
grains. Financier habile, N'ecker était fort avide
de popularité. Ami des réformes, il songeait à
tirer parti des besoins de la royauté pour procurer
des libertés au peuple. Plus administrateur
qu'homme d'État, il voulait surtout mettre l'ordre
dans la perception des impôts, réduire les frais
considérables des régies, établir enfin l'équilibre
entre les recettes et les dépenses, et faire savoir
au peuple que cet équilibre existait. Il lui fallut
cependant contracter des emprunts, pour per-
mettre à la France de figurer avec honneur dans
la guerre d'Amérique. 11 pensa augmenter la con-
fiance de la nation par la publication du fameux
Compte-rendti (1781). C'était l'apologie de son
administration. Necker, qui se contentait du titre
de directeur des finances, se déclarait supérieure
tous les ministres qui l'avaient précédé. Le déficit
était comblé, n La recette excédait la dépense de
ilix millions. Mais ce résultat merveilleux n'était
pas clairement démontré. On ne voyait pas, mal-
gré de vraies économies et des réformes admi-
nistratives, par quels miracles le ministre y était
arrivé ; lui-même semblait le démentir, en annon-
çant qu'il faudrait bientôt revenir au projet de
■Turgot, l'abolition des privilèges en matière d'im-
pôt; et en effet, il paraît que le déficit, non seu-
lement n'était pas comblé, mais s'élevait à 46 mil-
lions. » (Lavallée, Hist. des Français). Necker dut
quitter le ministère (mai 1781).
Alors commence une phase nouvelle dans l'his-
toire de Louis XVI. M. de Maurepas meurt (1781),
et la reine prend une grande influence sur l'es-
prit de son mari. Marie-Antoinette avait une in-
telligence superficielle. Toujours fidèle aux con-
seils de sa mère, l'impératrice Marie-Thérèse, à
Versailles elle était restée autrichienne. On le
savait, et d'instinct la nation ne l'aimait pas. D'un
caractère léger, elle commit,dans une cour qui con-
servait le respect officiel de l'étiquette, des impru-
dences que la calomnie a dénaturées plus tard (af-
faire du collier, ITS.jj.Et pourtant, malgré sa légè-
reté, la reine voulait devenir un personnage politi-
que. Elle le devint, pour le malheur de la France et
de sa famille; son intervention dans les affaires pu-
bliques no pouvait que hâter la Révolution. Rien
d'ailleurs ne pouvait désormais enrayer le mouve-
ment. La noblesse affichait des airs frondeurs et
des sentiments révolutionnaires. Comme la bour-
geoisie, comme le peuple, elle désirait un régime
nouveau, i la fondation duquel chacun pensait
mettre la main. Toutes les ambitions étaient dé-
chaînées. La France était inondée de pamphlets,
de brochures, d'ouvrages de toutes sortes, dans
lesquels chaque citoyen proposait son plan de
réforme et de gouvernement.
La royauté française tombait, mais tombait au
milieu des fêtes. Après Joly de Fleury, après d'Or-
messon, Calonne (1783-1787) épuisa le trésor pu-
blic par ses prodigalités. La dette était augmentée
de 800 millions! H fallut convoquer une assem-
blée de notables (février 1787). Calonne leur pro-
posa d'accomplir les réformes de Turgot. Mais il
était trop tard. Le cardinal de Brienne, successeur
de Calonne, se chargea de présenter au parlement
des ordonnances réformatrices, et de les faire
accepter. Le parlement, conduit par des hommes
d'action, d'Esprémesnil, Duport, opposa au minis-
tre une vive résistance (1787-1788). Il fallut sup-
primer les chambres des enquêtes et des requê-
tes, diminuer le ressort des parlements de pro-
vince, créer une cour plénière, qui n'était que la
grand'chambre devenue plus nombreuse. On sen-
tait s'écrouler la vieille organisation monarchique.
Brienne convoqua les Etats généraux pour le 5
mai 1789, et donna sa démission (août 1788).
Necker fut rappelé ; il mit tous ses soins à arrêter
une épouvantable famine causée par l'exportation
des grains, et la hausse subite des blés. Il n'eut
pas le temps de travailler seul aux réformes. Les
Etats généraux se réunissaient à Versailles. La
Révolution commençait.
2° 1789-171)2. — Nous n'insisterons pas longue-
ment ici sur le rôle de Louis XVI pendant la Révo-
lution, à laquelle nous consacrons un article spé-
cial (V. Révolution française). Incapable de s'as-
socier franchement à l'œuvre réformatrice de la
Constituante, il chercha toujours à revenir sur les
concessions qu'il avait dû faire. Bientôt, n'espé-
rant plus vaincre la Révolution sans l'appui de
l'étranger, il essaya de s'enfuir (1791). Ramené à
Paris, il jura fidélité à la constitution. La Législa-
tive lui imposa un ministère girondin, l'obligea à
déclarer la guerre à l'Europe (1792), et finit par
le suspendre de ses fonctions. La Convention pro-
nonça l'abolition de la royauté (21 sept. 1792) et
envoya Louis XVI à l'échafaud (21 janvier 179.3).
Marie-Antoinette l'y suivit, au mois d'octobre de
la même année. [L.-G. Gourraigne.]
Louis X'VII. — Histoire de France, XXXI. —
Nom donné par le parti royaliste au fils de
Louis XVI. Enfermé au Temple avec le reste de
sa famille après le 10 août 1792, il fut séparé de
sa mère en juillet 1793, et placé d'abord sous la
garde du cordonnier Simon (jusqu'en janvier 1794),
puis sous la surveillance directe de commissaires
de la Commune. Selon la version généralement ad-
mise, il mourut au Temple le 8 juin 1795 ; ce-
pendant, plusieurs historiens sérieux ont pensé
que l'enfant mort au Temple n'était pas le dau-
phin, et que le fils de Louis XVI avait été enlevé
par des mains inconnues.
Louis X'VIII, — Histoire do France, XXXIII,
XXXIV, — frère puîné de Louis XVI, porta d'a-
bord le titre de comte de Provence. Emigré en
1791, il prit part l'année suivante à la campagne
des Prussiens contre la France. Sur l'annonce de la
LOUIS
— 1217
LOUIS
mort du daupliin en 1795, il prit le titre de roi et
le nom de Louis XVIII, et fut reconnu en cette
qualité par les puissances étrangères. 11 résida
successivement à Vérone, en Allemagne, i Mittau
(Courlandn), à Varsovie; puis, quand le tsar
Alexandre fut devenu l'allié de. Napoléon, il se ren-
dit en Angleterre. Kii 1814, après la capitulation
4e Paris, il fut appelé au trône par l'ancien Sénat
impérial. Fort de l'appui de l'étranger. Louis XVIU
voulait rentrer en France en souverain absolu ; il
se décida pourtant, sur l'intervention du tsar qui
affectait des principes libéraux, h publier la décla-
ration de Saint-Oucn (2 mai), (jui garantissait à
la nation une partie des conquêtes politiques de
la Révolution. Le 30 mai, le nouveau roi dut
signer le traité de Paris, par lequel la France
reprenait ses limites de 1792. Le 4 juin, il octroya
à ses sujets une Charte (V. Constituiions) insti-
tuant le régime parlementaire. La majorité de la
nation, lasse du despotisme impérial, accueillit
d'abord la restauration des Bourbons avec faveur;
mais bientôt diverses mesures impopulaires, et
surtout les prétentions hautaines des émigrés
rentrés 6 la suite des armées étrangères, changè-
rent cette satisfaction en mécontentement. Napo-
léon, instruit de ce revirement de l'opinion, en
profita pour quitter l'île d'Flbe et tenter de res-
saisir le pouvoir (V. Napoléon t"') -, Louis XVIU,
alKindonné de tous, s'enfuit des Tuileries (18 mars
1815) et se réfugia à Gand. Après VVaterloo,
il revint derrière l'armée anglaise. Cette fois, la
France n'éciiappa au démembrement que voulaient
la plupart des alliés, que grâce à l'opposition de
l'Angleterre et de la Russie, qui se refusèrent h
détruire l'équilibre européen ; mais il lui fallut
payer une énorme indemnité de guerre, perdre plu-
.sieurs places fortes, et subir pendant trois ans l'oc-
cupation étrangère (second traité de Paris, novem-
bre 1815). Le parti royaliste prit sa revanche des
Cent-Jours par des massacres dans le Midi, à Mar-
seille, à Nîmes (Trestaillons), à Avignon, h Tou-
louse, etc. Le maréchal Ney et le général Labé-
doyère furent fusillés. La nouvelle Chambre des
députés, pleine de royalistes ardents, et qui a
gardé dans l'histoire le sobriquet de Chambre
introuvable, vota une loi des suspects, et l'éta-
blissement de cours prévotales pour juger les en-
nemis de la monarchie. Cette terreur blanche
dura quinze mois ; enfin, Louis XVIII, jugeant
lui-même que les excès des royalistes ultra met-
taient son trône en péril, prononça la dissolution
de la Chambre introuvable (5 septembre 181R) ; de
nouvelles élections donnèrent la majorité aux
royalistes constitutionnels. Les cours prévotales
totitefois ne furent supprimées qu'en 1818, année
qui ^ vit aussi la fin de l'occupation étrangère.
Louis XVIII, que son caractère portait Ma modéra-
tion, fit alors entrer au ministère son favori, M. De-
Cazes, qui inaugura la politique dite fie bnscule, en
s'efforçant de se tenir à égale distance des ultras et
des libéraux. Mais l'assassinat du duc de Berry par
Louvel (13 février 1820) amena la chute de M. De-
cazes, et rendit le pouvoir au parti rétrograde
qu'appuyait le frère du roi, le comte d'Artois ; une
nouvelle loi électorale attribua un double vote
aux électeurs les plus riches ; des mesures de
rigueur furent prises contre la presse, la liberté
individuelle fut suspendue. Des émeutes, des
conspirations répondirent à ces actes du pouvoir
(organisation de la charbonnerie, complots de
Toulon, de Belfort, de Saumur, des quatre ser-
gents de la Rochelle, 1831 et 1822) ; d'autre part,
une association à la fois religieuse et politique,
la congré/jation, dirigée par les jésuites, étendait
son pouvoir occulte sur toute la France, et faisait
entrer au ministère ses créatures, MM. de Villèle,
de Corbière et de Peyronnet (décembre 1821). Le
mmistère Villèle envoya en Espagne une armée
2' Partie.
française pour faire la guerre aux Certes libérale»
et rendre au roi Ferdinand VII le pouvoir absolu
(V. Guerre d'Uspaipie). Le député Manuel, ayant
protesté à la Chambre contre la guerre d'Espagne,
fut expulsé par les gendarmes ; toute la gauche
se retira avec lui (1823). Louis XVIII mourut l'an-
née suivante ; il laissait la couronne à son frère
Charles X.
2" Empereurs d'Occident, rois de Germanie, em-
pereurs d'Attemagne.
Louis I" le Débonnaire, empereur d'Occident,
— Histoire générale, XVIII ; Histoire de France, VI,
— fils de Charlemagne, succéda à son père en
814. Charlemagne, voulant se créer des lieute-
nants qui l'aidassent à porter le fardeau du pou-
voir, avait donné de son vivant à ses fils le gou-
vernement de divers pays, avec le titre de roi.
Louis imita cet exemple ; en 817, il donna à l'un
de ses fils. Pépin, l'Aquitaine; à un autre, Louis
le Germanique, la Bavière; l'aîné, Lothaire, fut
associé à l'empire, et eut le gouvernement de
l'Italie. Bernard, neveu de Louis, qui était déjà
roi d'Italie, se révolta contre cet arrangement; il
fut condamné à avoir les yeux crevés, et mourut
des suites de ce supplice. Louis le Débonnaire
eut un vif repentir de cette mort, dont il fit plus
tard une pénitence publique. En 829, ayant vou-
lu pourvoir son quatrième fils, Charles le Chauve,
il fit un nouveau partage de ses États ; mais ses
fils aines se révoltèrent et l'enfermèrent dans un
couvent. Remis en liberté, il eut à combattre une
nouvelle révolte, fut une seconde fois fait prison-
nier et détrôné (833). L'année suivante, la divi-
sion s'étant mise entre les rebelles, il se vit ren-
dre la couronne impériale, et accorda son pardon
à ses fils. Mais bientôt il lui fallut recommencer
la guerre contre son petit-fils Pépin II, Ji qui il
avait voulu enlever l'Aquitaine pour la donner à
Charles le Chauve, et contre Louis le Germanique,
qui trouvait sa part trop petite. Il mourut pendant
cette dernière lutte (840). Louis le Débonnaire,
que ses contemporains appelaient Louis le Pieux,
montra pour l'Eglise une respectueuse obéissance,
et laissa les papes s'affranchir presque entière-
ment de la suprématie impériale; en distribuant
des domaines à ses leudes à titre de possession
perpétuelle, il favorisa le mouvement qui devait
aboutir à la formation du régime féodal. Mais en
même temps que l'Eglise et l'aristocratie se forti-
fiaient, les diverses nationalités que Charlemagne
avait réunies de force sous l'autorité de son
sceptre commençaient à revendiquer leur indé-
pendance, (i Tons ces peuples profitèrent, pour
cela, des querelles de Louis le Débonnaire avec
ses fils; c'est ce qui donna à leurs efforts l'appa-
rence de guerres civiles, dans lesquelles ils sem-
blaient marcher en aveugles au gré de l'ambition
des princes ; mais en réalité, ils travaillaient à la
formation des Etats et de l'ordre social du moyen
âge. » (Lavallée.)
Louis II, empereur d'Occident, — Histoire gé-
nérale, XVIII, — fils aine de l'empereur Lo-
thaire, eut le royaume d'Italie avec le titre d'em-
pereur (85,')). A la mort de son frère Charles, roi
de Provence, il partagea les Etats de celui-ci avec
son autre frère Lothaire II, roi de Lorraine. Il fit
la guerre aux Sarrasins qui s'étaient établis dans
le midi de l'Italie, et mourut en 875 sans héritier.
Ce fut Charles le Chauve qui se fit donner après
lui la couronne impériale.
Louis le Germanique, roi de Germanie, —
Histoire générale, XVIII, — troisième fils de
Louis le Débonnaire; fut fait roi de Bavière en
817, et roi de Germanie en 833. Il se révolta à
plusieurs reprises contre son père, et, après la
mort de celui-ci, s'allia avec son frère cadet Char-
les le Chauve contre son frère aine Lothaire, qui
77
LOUIS-PHILIPPE
— 1218 —
LOUIS-PHILIPPE
avait reçu la dignité impériale (bataille de Fonta-
net, S4i ; serments de Strasbourg, 8i'.'). Le traité
de Verdun (843) régla définitivement le partage
de la succession de Charlemagnc entre les trois
frères : Louis le Gorjnanique eut les pays à l'est
du Rhin. A la mort de sou neveu Lotliaire II, fils
de l'empereur Lotliaire et roi de Lorraine, Louis
le Germanique partagea les Etats de ce prince
avec Cliarles le Chauve (87(i)- Il mourut en 87G,
laissant trois fils : Carloman, qui fut roi de Ba-
vière ; Louis, qui fut roi de Saxe ; et Charles le
Gros, qui fut roi de Souabe et obtint plus tard la
couronne impériale.
Louis III lAveugle, empereur d'Occident, —
Histoire générale, XVIII, — fils de Boson, roi
d'Arles, et petit-fils de l'empereur Louis II par sa
mère, vint en Italie à la mort de l'empereur Ar-
nulf, et ayant vaincu son compétiteur Bérenger,
se fit couronner empereur (90U). Mais trois ans
après, il fut défait par Bérenger, qui lui lit crever
les yeux et lui enleva la couronne.
Louis IV 1 Enfant. — Histoire générale, XVIII,
— fils et successeur d'Arnulf, roi de Germanie et
empereur d'Occident, fut le dernier des Carlovin-
giens d'AlleiTiagne. Devenu roi de Germanie en
Siil), h l'âge de six ans, il reçut la couronne impé-
riale en ios. Sous son régne, les Hongrois rava-
gèrent la Germanie. II mourut en 911 sans posté-
rité.
Louis 'V de Bavière, empereur d'Allemagne, —
Histoire générale, XIX. — fut élu après la mort
de Henri VII de Luxembourg. Il eut pour compé-
titeur Frédéric le Bel, fils d'Albert d'Autriche ;
après une longue guerre, il vainquit son rival à
Miihldorf, le fit prisonnier, et partagea ensuite le
pouvoir avec lui. Il fut en lutte avec les papes
d'Avignon elles rois de France Charles IV et Phi-
lippe VI ; ce dernier essaya de lui opposer le roi
de Bohème Jean l'Aveugle, qui prétendait à la
couronne impériale, et qui fut tué dans les rangs
français à Crécy. Ce fut k l'occasion de ces dé-
mêlM que la diète germanique rendit la pragma-
tique sanction de Francfort ( 133s), stipulant que
l'autorité impériale ne relevait que de Dieu seul,
et qu'elle so conférait par le libre choix des élec-
teurs, sans qu'il fût besoin de l'approbation du
pape. Louis V mourut en 1347. Après lui la cou-
ronne impériale rentra dans la maison de Luxem-
bourg.
LOUIS-PHILIPPK. — Histoire de France,
XXXV. — Louis-Philippe, fils aîné de Philippe,
duc d'Orléans, qui prit en 179V' le nom de Philippe-
Egalité, et d'Adélaide de Bourhon-Penthièvre, na-
quit :\ Paris le 0 octobre 1773. 11 porta jusqu'à la
mort de son père le titre de duc de Chartres.
En 178", il embrassa avec ardeur les principes
de la Révolution, combattit à Valmy, à Jemmapes
et en Hollande sous les ordres de Dumouriez, mais,
compromis dans les intrigues de son général, il
fut forcé comme lui de quitter la France, en 1793.
Odieux aux émigrés comme partisan de la Révo-
lution et comme fils d'un régicide, suspect à la
coalition qu'il avait refusé de servir contre son
pays, il se trouva bientôt sans ressources et dut
accepter une place de professeur au collège de
Reichenau, en Suisse. Après de longs voyages en
Danemark, en Suède, en Laponie et aux Etats-Unis,
il finit par se fixer à Londres où il négocia sa récon-
ciliation avec la branche ahiée des Bourbons. En
1809 il épousa Marie-Amélie, fille de Ferdinand IV,
roi des Dcu\-Siciles, et revint en Franco en 1814,
après la chute lie l'Empire. 11 y recouvra la plus
grande partie dos biens immenses de sa maison ;
mais Louis XVIII le traita toujours avec une froi-
deur calculée, et, sous des formes plus bien-
veillantes, Charles X dissimulait avec peine la
méfiance que lui inspirait le passé révolutionnaire
du duc d'Orléans.
Louis Philippe, sans renier les convictions de
sa jeunesse, et sans rompre ouvertement avec le
parti royaliste, sut garder une attitude de réserve
et d'attente silencieuse qui ménageait à la fois les
intérêts de sa popularité et sa situation de prince
du sang. La simplicité presque bourgeoise de sa
vie privée, l'éducation publique et libérale qu'il
faisait donner à ses enfants, lui conciliaient la
sympathie des classes moyennes. Le Palais-Royal
qu'il habitait devenait peu à peu, non pas un
foyer de conspirations, comme l'ont répété plus
tard les partisans de la légitimité, mais une sorte
de terrain neutre où se rencontraient les artistes,
les journalistes, les écrivains, les grands indus-
triels, les hommes politiques, qui y recevaient un
accueil empressé et parfois d'utiles encourage-
ments.
Le duc d'Orléans n'eut qu'à laisser faire ses
ennemis et ses amis : les fautes des uns rendirent
facile la tâche des autres. Quand éclata la révolu-
tion de 1830, les chefs de l'opposition, presque
tous familiers du Palais-Royal, MM. Thicrs,
Laffitte, Guizot, décidèrent sans peine la Chambre
des députés à olfrir au duc d'Orléans la lieute-
nance générale du royaume. L'intérêt, la pour ou
la raison groupèrent autour de lui tous ceux qui
voulaient la monarchie sans despotisme et la li-
berté sans désordre. Le 31 juillet, Louis-Philippe
se rendait à l'Hôtcl-deVille, en se faisant précé-
der d'une proclamation où il s'engageait à faire
désormais de la charti; une v(rilé, et le vieux
général La Fayette le présentait à la foule, qui
acclamait avec enthousiasme le prince et surtout
le drapeau tricolore flottant entre ses mains. Le
7 août, la Chambre lui offrait la couronne par
219 sulfrages sur Irt'l, et le 9 il était proclamé roi
des Français, sous le nom de Louis-Philippe I"
et prêtait serment à la Cliarte.
Les débuts du nouveau rèsne furent difficiles.
Louis-Philippe avait à combattre au dedans l'hosti-
lité de la noblesse et du clergé dévoués à la
branche aînée, la défiance des populations ou-
vrières qui rêvaient déjà la République, et c'indif-
' férence des paysans chez qui les seuls souvenirs
vivants étaient ceux de l'Empire. Au dehors,
l'Europe entière, à l'exception de la Russie, avait
[ reconnu le nouveau gouvernement, mais elle
conservait une attitude réservée sinon hostile, et
les insurrections qui avaient éclaté en Belgique,
en Pologne, en Italie, après la révolution de 1830,
pouvaient entraîner de graves complications.
Louis-Philippe sut triomplier de ces difficultés
sans éclat, mais avec une habileté qu'il serait in-
juste de méconnaître. Contre l'hostilité des légi-
timistes et des républicains, il chercha son point
d'appui dans la bourgeoisie, qui aimait, comme
lui, l'ordre et la paix, et qui désirait sincèrement
le maintien du gouvernement parlementaire.
; Fidèle à la Charte, mais sans accepter la fameuse
' maxime le roi règne et ne gouverne pas, il essaya
I de maintenir l'équilibre entre le parti conservateur
î représenté surtout par MM. Guizot, MoIé et de Bro-
i glie, et le parti du mouvement dont le clief était
M. Thiers, oscillant de l'un à l'autre selon les
fluctuations de la politique intérieure, mais en-
traîné du côté des conservateurs par ses sympa-
[ thies personnelles qu'il prenait volontiers pour
i l'opinion du pays. Au dehors, la base de sa poli-
! tique fut l'alliance anglaise, à laquelle il fit peut-
être trop de sacritices, mais que justifiait la
communauté des intérêts dans la plupart des
I questions européennes.
Jusqu'en 1834, on put douter du succès. Dès
les premiers jours du règne, le procès des ancieris
ministres de Charles X, les manifestations légiti-
mistes, les émeutes républicaines agitent Paris et
épouvantent la province; le ministère un moment
I populaire de MM. Laffitte et Dupont de l'Eure est
LOUIS-PHILIPPE
— 1219
LOUIS-PHILIPPE
forcé de se retirer. La situatiou extérieure deve-
nait chaque jour plus menaçante; la Pologne
soulevée contre les llusscs faisait i la France des
appels désespérés auxquels le gouvernement fer-
mait l'oreille, mais qui passionnaient l'opinion
publique; la Belgique insurgée contre les Hollan-
dais offrait au second fils de Louis-Philippe, le duc
de Nemours, une couronne que le roi se voyait
contraint de refuser ; l'Autriche profitait des
troubles des Etats Romains pour occuper toute
l'Italie centrale; il n'était pas jusqu'au tyran du
Portugal, don Miguel, qui ne se crût le droit d'in-
sulter la France impunément.
L'énergie d'un grand minisire, Casimir Pcrier,
comprima pendant quelque temps les agitations
80cialistes(insurrectiondeLyon,en novembre ls:!l)
ou légitimistes, arrêta les Autrichiens en faisant
occuper Ancône par les troupes françaises, vengea
l'honneur français à Lisbonne, et sauva l'indépen-
dance de la Belgique, dont le roi, Léopold de
Saxe-Cobourg, venait d'épouser une fille de Louis-
Philippe, en y envoyant une armée française qui
devait, à la fin de l'année 1833 (23 décembre), dé-
cider la défaite de la Hollande par la prise do la
citadelle d'Anvers.
La moit de Casimir Périer, emporté par le cho-
léra (16 mai 1832), amena l'une des crises les
plus redoutables qu'ait eu à traverser le gou-
vernement de Louis-Philippe : les légitimistes,
animés par la présence de la duchesse de Berry,
essayèrent do soulever la Vendée, les républicains
profitèrent des funérailles du général Lamarque
pour tenter à Paris un coup de main qui aboutit.
aux sanglantes journées des 5 et G juin i8:!V.
Vigoureusement réprimée, l'insurrection républi-
caine se renouvela à Lyon (9 avril 1834) et ensan-
glanta de nouveau les rues de Paris, le 13 et le
14 avril hS34. En même temps les attentats se
succédaient contre la vie du roi, qui n'échappa
que par une sorte de miracle h la machine infer-
nale de Fieschi (28 juillet 1835). Ces tentatives
criminelles eurent pour efl'et d'afl'ermir h l'inté-
rieur le gouvernement de Louis-Pliilippe en excitant
l'indignation du pays et en épouvantant l'opposition
elle-même : aux troubles de la rue succède le tra-
vail lent et ignoré des sociétés secrètes, et la tran-
quillité apparente ne sera plus troublée jusqu'en
1848 que par de nouveaux attentats contre la vie
du roi (deux en 183C. un en 184i), deux en 1840),
l'échauffourée républicaine du 12 mai 1839, et les
folles aventures de l'héritier des Bonaparte, le
prince Louis-Napoléon, à Strasbourg en 1836 et à
Boulogiie en 1840.
Mais les embarras extérieurs, un moment con-
jurés par la politique énergique de Casimir Périer,
renaissent après sa mort. Dans l'Europe méridio-
nale, deux représentants de la monarchie de droit
divin, don Carlos en Espagne et don Miguel en
Portugal, disputent le trône à Isabelle 11, fille du
roi Ferdinand VII, et à dona Maria, fille de don
Pedro, qui représentent la monarchie constitution-
nelle. En Orient, un ami delà France, Méhémet-
Ali, vice-roi d'Egypte, se soulevait contre son
suzerain le sultan de Constantinople et menaçait
de précipiter la ruine de l'empire turc. L'extension
de sa puissance excitait les ombrages de l'An-
gleterre, et fournissait à la Russie l'occasion d'of-
frir ou d'imposer sa protection au sultan. Tout en
partageant les sympathies qu'on accordait géné-
ralement en France au réformateur de l'Egypte
et à la cause constitutionnelle dans la Péninsule,
Louis-Philippe redoutait toute intervention trop
active dans les affaires de l'Espagne ou dans la
question d'Orient. Les événements lui donnèrent
raison en Espagne et en Portugal, où la cause
d Isabelle II et celle de dona Maria triomphèrent
sans que la France eût k intervenir directement,
tn même temps de brillants faits d'armes en |
Algérie (prise de Constantine, 1837 : expédition des
Portes do fer, 1839) et au Mexique (prise du fort
Saint-.Ican d'Ulloa, 1838) flattaient sans danger (Je
complications européennes l'aniour-propre natio-
nal, et rendaient populaires les noms des fils du
roi, le duc d'Orléans, le duc d'Aumale et le prince
de Joinville. Mais la question d'Orient faillit
compromettre toute l'œuvre politique de Louis-
Philippe en réveillant des rivalités et des défiances
endormies par la modération qui était la règle de
sa conduite.
En 1839, Méliémet-Ali reprit les armes con-
tre la Turquie que des défaites sanglantes et la
mort du sultan Alahmoud parurent un moment
mettre îi sa discrétion. L'.\ngleterre et la Rus-
sie se rapprochèrent pour empêcher la destruc-
tion de l'empire ottoman, et entraînèrent la Prusse
et l'Autriche dans une entente dont la France fut
exclue (traité de Londres, 15 juillet 1840), et qui
avait pour but de réduire Méliémet-Ali à l'E-
gypte.
M. Thiers, président du conseil depuis le
1" mars 1840, répondit à cette menace de coali-
tion par des mesures belliqueuses ; l'effectif de
l'armée fut augmenté, les fortifications de Paris
décrétées ; le sentiment national se prononçait avec
une vivacité que le gouvernement encourageait :
le retour des cendres de Napoléon, que le prince
do Joinville ramonait de Sainte-Hélène, réveillait les
souvenirs guerriers de l'empire. Un moment on
put croire 5 une guerre générale ; mais la France
n'était pas prête; Louis-Philippe recula devant
une responsabilité aussi grave : M. Thiers dut
faire place k M. Guizot (29 octobre 1S40), et la
France accéda h la convention du 13 juillet 1841,
qui laissait l'Egypte à Méhéraet-Ali et rétablissait
la paix en Orient.
Les hésitations de la politique française et l'é-
chec qu'elle avait subi devaient laisser des traces
profondes dans les esprits ; c'est une des princi-
pales causes des accusations si souvent répétées
contre la faiblesse de la politique extérieure sous
le gouvernement de juillet.
A partir de i84U, le principal conseiller de
Louis-Philippe est M. Guizot, le chef du parti
conservateur, qui se maintiendra au pouvoir jus-
qu'en 1S48.
Au dehors nos généraux poursuivent la con-
quête de l'Algérie. Notre adversaire le plus
redoutable, Abdel-Kader, réussit à entraîner dans
son parti le sultan du Maroc. La victoire du ma-
réchal Bugeaud sur les bords de l'isly force le
.Maroc à la paix, et Abd-el-Kader, a])rcs avoir
prolongé la lUtte pendant trois ans, est fait pri-
sonnier en 1847. La politique européenne du
ministère Guizot, prudente et que l'opposition
accusait d'être timide (affaires do Taîti, 1843-44,
l'indemnité Pritchard, 1844), ne montra de har-
diesse que dans une question où la famille royale
pouvait paraître plus intéressée que le pays.
Après une négociation laborieuse et malgré l'op-
j)osition de l'Angleterre, Louis-Philippe réussit à
décider (oct. 1«46) le double mariage de son plus
jeune fils, le duc de Montpensier, avec la sœur
de la reine Isabelle d'Espagne, et de la reine elle-
même avec un prince espagnol, neveu de Ferdi-
nand VII, don François d'Assise. Les mariages
espagnols portai'-nt une grave atteinte M'alliance
anglaise ménagée ju^que-là avec un soin si
jaloux.
Mais c'était la politique intérieure qui devait
entraîner la chute du ministère et celle de la mo-
narchie de juillet. En 1842 (13 juillet) la mort de
l'héritier du trùne, le duc d'Orléans, victime d'un
accident de voiture et qui laissait un fils de quatre
ans, le comte do Paris, avait ranimé par la pers-
pective d'une régence les espérances des partis
hostiles k la dynastie. Les légitimistes recommen-
LUMIERE
1220 —
LUMIERE
çaient leurs manifestations, découragées depuis 1 832
par le triste résultat de l'aventure de la duchesse
de Berry ; les républicain», tout en renonçant aux
émeutes, n'avaient pas désarmé; les sociétés se-
crètes se multipliaient; le socialisme recrutait de
nombreux adliérents parmi les populations ouvriè-
res; la bourgeoisie éclairée commençait à se lasser
d'un système politique qui remettait le gouverne-
ment du pays entre les mains d'une minorité dont
le seul titre était un certain chiffre de fortune et
de cens électoral. Dès 1842 on avait proposé d'ad-
joindre aux électeurs censitaires un certain nom-
bre de citoyens qui donneraient des garanties de
capacité aussi respectables au moins que les ga-
ranties pécuniaires.
Soutenu dans les Chambres par une majorité
'imposante, le ministère ne vit pas ou ne voulut
pas voir le danger; de mauvaises récoltes vinrent
aigrir le mécontentement populaire ; des troubles
sanglants eurent lieu dans les départements du
centre, des scandales éclatants qui se produisirent
dans l'entourage même de la famille royale furent
habilement exploités par les adversaires de la
monarchie, la réforme électorale devint le mot
d'ordre de l'opposition, et dès 1847 des banquets
politiques s'organisèrent dans toute la France.
Un banquet projeté à Paris par l'opposition et
interdit par le minsitère fut le signal de la révo-
lution de février 1848. Les troubles commencè-
rent le 21 février. « C'est un feu do paille, »
disait Louis-Philippe. Le surlendemain le feu de
paille était devenu un incendie : le roi et ses con-
seillers, étourdis par la rapidité des événements,
ne surent se décider à temps ni pour les conces-
sions, ni pour la résistance. Le 24 février les
barricades couvraient Paris, les Tuileries étaient
menacées, la Chambre envahie. Louis-Philippe
abdiquait en faveur du comte de Paris, trop lard
pour sauver sa dynastie, et pendant que le gou-
vernement provisoire proclamait la république, le
roi allait chercher un asile en Angleterre, où il
mourut au château de Claremont en 1850.
Ce règne de dix-huit ans, malgré les fautes
qti'on peut reprocher .\ Louis-Philippe, n'avait pas
été stérile pour le progrès moral et matériel de la
France.
La conquête de l'Algérie, la construction de nos
premières lignes de chemins de fer, les grands
travaux d'utilité publique (canaux, routes, ponts,
phares, etc.), la loi sur l'instruction primaire de
]833, la création du musée de Versailles, les encou-
ragements donnés aux caisses d'épargne, les adou-
cissements apportés aux lois pénales, enfin le res-
pect des libertés parlementaires et de la constitu-
tion dont le gouvernement de Louis-Philippe ne
s'est jamais départi, sont des titres sérieux à la
reconnaissance de la postérité.
Louis-Pliilippe a eu Imit enfants : 1» Ferdi-
nand, duc d'Orléans, mort en 1842 ; 2» la princesse
Louise, mariée à Léopold I", roi des Belges, morte
en IS.M; 3° la princesse Marie, mariée au prince
de Wurtemberg et morte en IS.S'J; 4° le duc de
Nemours; 5° la princesse Clémentine, mariée i un
prince de Saxe-Cobourg ; C le prince de Joinville ;
7° le duc d'Aumale ; 8° le duc de Montpcnsier.
lU. Pigeonneau,]
LtMIEHE. — Physique, XXX. — Les objets
extérieurs, quoique éloignés de nous, produisent
au fond de notre œil, sur la rétine, une impression
particulière, distincte de toute autre, variable
avec leur forme, leur couleur, etc. L'agent qui,
servant d'intermédiaire entre ces objets et l'u'il,
provoque la sensation dont il vient d'être parlé
porte le nom de lumière. Voptique est la bran- 1
che de la physique qui s'occupe des phénomènes lu- i
mineux et des lois qui les régissent. Nous voyons
les corps, parce qu'ils envoient de la lumière dans
toutes les directions et que nous sommes placés |
de façon à recevoir dans l'œil une portion de la
lumière émise. Du reste, cette lumière peut leur
appartenir en propre et alors ils sont dits lumi-
neux pm- eux-mêmes (le soleil, les étoiles, une
barre métallique portée à une haute tempéra-
ture, etc.), ou bien elle leur vient d'une source
étrangère, et ils ne font que la renvoyer dès
qu'elle atteint leur surface, en lui imprimant
une modification plus ou moins profonde (la lune,
les planètes, le sol, les arbres, une feuille de pa-
pier, etc.). Ces derniers corps sont dits sim-
plement éclairés; nous ne les voyons plus, dès
que la source qui leur fournissait de la lumière
s'est éteinte ou a disparu pour une cause quel-
conque.
11 y a encore une distinction à faire entre les
diverses substances de la nature au point de vue
de l'absorption plus ou moins complète qu'elles
exercent sur les faisceaux lumineux reçus par
elles : les unes ne laissent pénétrer la lumière
qu'à une très faible profondeur au-dessous de la
surface qui les limite; et alors le faisceau inci-
dent est en totalité renvoyé ou absorbé ; on le»
nomme suljstances opaques ; les autres laissent la
lumière traverser leur masse, au moins en partie;
on les nomme alors transparentes ou Iranslucides,
Dans la première catégorie, substances opaques,
nous trouvons un grand nombre de corps so-
lides, d'origine minérale ou organique (pierres, fer,
bois, etc.); dans la seconde, quelques solides de
structure vitreuse, cristalline ou cornée (verre,
cristal de roche, mica, gélatine, etc.), la plupart
des liquides et toutes les substances gazeuses. Il
faut ajouter qu'un solide quelconque n'est jamais
opaque dans le sens absolu du mot; pris sous
une épaisseur assez faible, il acquiert toujours
une eertaine translucidité ; ainsi l'or en feuilles
minces est vert par transmission ; l'argent que l'on
dispose en pellicules très peu épaisses, sur une
lame de verre, se laisse traverser par la lumière
bleue.
I. Propagation. — La lumière se propage en
ligne droite dans un milieu dont la nature et la
densité restent invariables. Cette loi se trouve'
pleinement démontrée par le fait suivant que tout
le monde peut vérifier : si, sur la ligne droite qui
joint un point lumineux, une étoile par exemple,
à l'œil d'un observateur, on interpose un écran
opaque, le point lumineux cesse aussitôt d'être
visible pour l'observateur ; il reparait dès que
l'écran est écarté et que la ligne droite dont il
s'agit n'est plus interceptée en un point quelcon-
que de son parcours. La ligne droite suivant la-
quelle la lumière se propage s'appelle rayon lu-
mineux.
Cette loi de propagation de la lumière permet
d'expliquer simplement, à l'aide de considérations
géométriques, les phénomènes de l'ombre et de
la pénombre que produisent les corps opaques
placés sur le trajet de faisceaux lumineux (^V.
Eclipse, page 638).
II. Vitesse de la lumière. — L'astronome Cas-
sini paraît avoir eu le premier cette idée, que la
lumière ne se propage pas instantanément, comme-
on l'avait cru jusqu'alors, mais que sa vitesse de
translation, quoique extrêmement grande, a ce-
pendant une valeur finie. En 1076, un autre astro-
nome, Rœmer, démontra nettement par l'observa-
tion des éclipses des satellites de Jupiter la réalité-
de cette conception de Cassini, conception que
Cassini lui-même, préoccupé d'autres idées, avait
déjà abandonnée. En étudiant les inégalités appa-
rentes de marche du premier satellite, que rend'
sensibles la fréquence de ses éclipses, Rœmer
établit que la lumière emploie 16 minutes '^6 se-
condes pour parcourir le diamètre de l'orbite
terrestre, ce qui correspond à la vitesse énorme
d'environ 76,000 lieues ou de 308 millions de ^
LUMIÈRE
— 1221 —
LUMIERE
ni(>tre8 par seconde ; c'est une vitesse dont nous
nous faisons difficilement une idée, liabitués que
nous sommes à l'observation des mouvements des
corps terrestres. Ainsi, tandis i\\ie la lumière ne
met qu'un peu plus de 8 minutes pour venir du
soleil .\ la terre, un train express de chemin de
fer faisant 15 lieues à l'heure emploierait plus de
deux siècles pour parcourir la même distance. Les
<-onclusions de Rœmer furent confirmées un peu
plus lard par l'astronome anglais Bradiey, qui prit
jiour point de départ de ses recherches un fait
tout autre que celui qu'avait utilisé Rœmer, celui
de Valierration de In lumière des étoiles.
Jusque-là, il faut le reconnaître, c'était par des
moyens tout à fait indirects, par des observations
astronomiques qu'on était parvenu à donner une
valeur approchée de la vitesse de la lumière. De
nos jours, M. Fizeau, en 184!), et Foucault, en
1850, entreprirent séparément de véritables expé-
riences pour arriver, d'une façon plus précise, à
l'évaluation numérique dont il s'agit.
Dans le procédé de M. Fizeau, un rayon lumi-
neux était envoyé de Montmartre à Suresnes ; il
tombait à Suresnes sur un miroir qui le renvoyait
ensuite à Montmartre où le recevait finalement
une lunette convenablement disposée à cet effet.
On mesurait alors aussi exactement que possible
le temps employé par ce rayon pour effectuer
l'aller et le retour, c'est-i-dire pour parcourir une
distance totale de 17 kilomètres. La longueur du
parcours effectué par la lumière et la durée de ce
parcours étant évaluées, on en déduisait, par un
«alcul fort simple, la valeur de la vitesse du rayon
lumineux. En réalité, le succès de l'opération dé-
pendait exclusivement de la sensibilité de l'appa-
reil chronométrique mis en jeu. Cet appareil, que
nous ne décrirons pas ici, était sans doute très in-
génieusement combiné : mais ce qu'on ne pouvait
réaliser dans les conditions où on s'était placé,
quelle que fût l'habileté de l'expérimentateur, c'é-
tait de faire traverser au rayon de lumière qui
cheminait de Montmartre à Snresnes et inverse-
ment une couche d'air calme et homogène. Ce
rayon à peu près horizontal passait forcement dans
une portion de l'atmosphère voisine du sol ; la
composition de cette couche était nécessairement
variable d'un point i l'autre ; et son agitation
■était permanente. Aussi, l'image observée, quand
on recevait le rayon de retour, était-elle toujours
plus ou moins tremblotante et l'époque exacte de
son extinction devenait-elle fort difficile à obser-
ver. Les résultats obtenus par M. Fizeau et un
peu plus tard par M. Cornu, qui a répété les
mêmes essais dans des conditions un peu meil-
leures, ne donnèrent pas la mesure de la vitesse
de la lumière avec plus de précision que les ob-
servations astronomiques.
Foucault n'avait voulu, b. l'époque de ses pre-
miers essais (en 1850) que comparer la vitesse de
la lumière dans l'air et dans l'eau. 11 avait con-
staté — fait d'une grande importance — qu'un
rayon lumineux chemine plus lentement dans l'eau
que dans l'air, à peu près dans le rapport de 3
à 4; de 18UI à 186'2, il alla plus loin et perfec-
tionna son procédé au point de le rendre apte h
fournir une évaluation plus exacte qu'aupara-
vant de la rapidité de translation de la lumière.
— Ses expériences peuvent être effectuées dans
une chambre de dimensions ordinaires. Voici
très succinctement en quoi elles consistent. Le
rayon lumineux provenant d'une source fixe va
successivement frapper un miroir plan, puis cinq
miroirs concaves, qui, après l'avoir renvoyé de l'un
à l'autre, lui font reprendre, mais en sens inverse,
sa marche primitive pour le faire pénétrer finale-
ment dans un microscope au foyer duquel est
placé un micromètre divisé. .\ ce moment, l'ob-
servateur dont l'œil est à l'oculaire dudit micros-
cope va pouvoir estimer le retard, s'il' existe,
éprouvé par le rayon de retour. Voici comment :
Les cinq miroirs dont nous venons de parler
développaient en réalité une ligne dont la lon-
gueur totale était de 20 mètres. Tout est dis-
posé de telle façon que si le filet lumineux chemi-
nait librement, comme il vient d'être dit, le point
du micromètre qu'il atteindrait à son retour dans le
champ de vision du microscope coïnciderait exac-
tement avec son point de départ, sur le même
micromètre, mais il n'en est pas ainsi : le miroir
plan que le rayon rencontre sur sa route n'est pas
immoijile ; il tourne au contraire avec une grande
vitesse. Ce même rayon se réfléchit alors une
première fois sur le miroir plan, peu après son
point de départ , il le rencontre de nouveau à
son retour, et, comme il ne le retrouve plus exac-
tement dans sa position initiale, puisque ce miroir
a tourné d'une certaine quantité pendant le va et
vient du rayon ; ledit rayon va se trouver dévié
de sa position première d'une quantité d'autant
plus grande que le miroir a tourné plus vite et
que lui-même a mis plus de temps pour parcou-
rir la distance qui sépare le point d'aller du point
do retour. On comprend qu'il existe une relatioo
déterminée entre la déviation subie par le rayon
de retour, déviation que l'on mesure sur le mi-
cromètre, la longueur totale du cliemin qu'il a
parcouru, la vitesse de rotation du miroir plan et
enfin la vitesse même de la lumière. Or de ces
quatre quantités, les trois premières sont four-
nies par l'expérience qui vient d'être indiquée ;
la quatrième, c'est-i-dire la vitesse de la lumière,
pourra donc en être déduite. Elle a été trouvée
égale à 398 millions de mètres par seconde, au
lieu de 308 raillions de mètres, chiffre de Rœmer.
Cette donnée numérique avait une grande im-
portance parce qu'elle permettait de rectifier une
mesure que nous avons intérêt à connaître avec
beaucoup d'exactitude, la distance du soleil à la
terre ou, si l'on veut, la parallaxe du soleil qui est
intimement liée avec cette distance. On croyait
cette dernière égale à 8", 57 ; elle doit être portée
à la suite des expériences de Foucault à 8'', 86.
Chose remarquable! les meilleures observations
enregistrées tout rccemiuent à propos du dernier
passage de Vénus sur le soleil (en 1874) con-
duisent exactement au même chiffre. Cette confir-
mation des résultats de Foucault nous montre,
d'une façon éclatante, ce que peut la méthode
expérimentale quand elle est sagement et rigou-
reusement appliquée. Une simple expérience
d'optique dans une chambre de quelques mètres
carrés de surface a suffi pour évaluer avec préci-
sion la distance de la terre au soleil.
m. Mesure de l'intensité de la lumière. — Pho-
tométrie. — Il est nécessaire dans bien des cas de
comparer les intensités de deux lumières, de savoir
par exemple à combien de bougies d'espèce déter-
minée et fixe équivaut une lampe, un bec de gaz,
un foyer électrique, etc. Cette comparaison est fon-
dée sur la mise en application d'une loi générale de
la nature qui se rapporte à la lumière, tout aussi
bien qu'à, la chaleur, à l'électricité, à la gravita-
tion, la loi de la raison inverse du carré de la
distance. En ce qui concerne la lumière, nous
l'énoncerons simplement de la manière suivante :
Les intensités de deux sources lumineuses, quand
ces sources produisent le même éelairement sur
une surface donnée, sont proportionnelles aux
carrés des distances qui les séparent de cette sur-
face. I étant l'intensité de la première source
placée à une distance d de la surface considérée,
I' celle de la seconde source placée à une distance
d' de la surface, on a ,7= '— . Partant de là, si
l'intensité V do la deuxième source est prise
comme unité on aura :
LUMIERE
— 1222
LUMIERE
-et il suffira de mesurer dans une expérience di-
recte fl et cl' pour obtenir la valeur numérique
-de l'intensité lumineuse cherchée.
Reste à savoir comment on pourra reconnaître
si une surface donnée reçoit un éclairement égal
et do la source dont on veut mesurer l'intensité
et de la source prise comme unité. Bien des mé-
thodes, dites photomélnques, ont été employées à
cet effet: celles de Bouguer, de Lambert, la méthode
des ombres comparées de Rumford, la perle tour-
nante de Wlieastone, la méthode de Bunsen fondée
sur la curieuse propriété que possède une tache
de matière grasse imprégnant, en son milieu, une
-feuille de papier blanc de disparaître complètement
quand les deux faces de l'écran en papier sont
également éclairées par les deux sources que l'on
compare. Il est encore d'autres procédés plioto-
métriques comportant un haut degré de précision
qui ont pour point de départ les phénomènes
étudiés dans la haute optique (double réfraction,
polarisation, etc.), et dont A ni go doit Être consi-
déré avec justice comme le premier inventeur.
Nous nous bornerons ici à indiquer très sommai-
rement le photomètre de Foucault, parce qu'il est
aujourd'hui très employé en France dans l'indus-
trie et notamment pour évaluer numériquement
l'intensité lumineuse très variable, d'un jour à
-l'autre, d'une usine à l'autre, du gaz de l'éclai-
rage.
Une lame de verre étant recouverte d'une
couche parfaitement homogène et très mince de
grains d'amidon est rendue par lii même unifor-
mément translucide dans toute son étendue. Elle
-constitue, dans le photomètre de Foucault, la base
verticale extrême d'un paiallélipipède en bois dont
l'axe est horizontal. D'autre part, la caisse prisma-
tique dont il est question est divisée en deux com-
partiments égaux par une cloison opaque verticale
elle aussi, et dont le plan est perpendiculaire à
celui delà lame de verre. Les lumières à comparer
. sont placées dans les dits compartiments, l'une à
droite, l'autre à gauche de la cloison médiane, et
leur mobilité est telle qu'elles peuvent, au gré de
-l'expérimentateur, être portées à une distance
-quelconque de l'écran de verre. Ceci compris, le jeu
de l'instrument s'explique de lui-même : l'ombre de
la cloison médiane provenant de la lumière de droite
porte sur la moitié gauche de l'écran translucide ;
pareillement, l'ombre qui provient de la lumièr''
de gauche recouvre la moitié de droite du même
écran. En faisant mouvoir la cloison dans son
plan pour la rapprocher plus ou moins de la lame
de verre, on parvient t\ juxtaposer les deux ombres
et alors, comme il y a continuité entre elles, il
est facile par le mouvement progressif de l'unie
des sources d'amener une égalité parfaite de
réclairement sur toute la surface de l'écran ami-
donné. A ce moment on mesure d et d' et l'on a
par suite la valeur -p- ou au besoin I en valeur
absolue, si I' est pris pour unité.
Le D' Javal a imaginé, dans ces derniers temps,
une sorte de photomètre fort simple pour la lu-
mière diffuse, à l'aide duquel on peut étudier les
variations de Védaiiimpnt aux divers points d'une
salle qui reçoit le jour d'une ou de plusieurs
fenêtres. Cette étude a de l'importance, quand il
s'agit notamment de nos salles de classe, dans les
écoles primaires. On veut aujourd'hui, et l'on a
raison, que l'éclairage soit unilatérnl et que la
lumière arrive du dehors à la gauche de l'élève.
C'est fort bien; mais encore faut-il que les
dispositions adoptées soient toiles que les élèves
les plus mal placés, ceux qui sont assis loin de la
fenêtre, reçoivent un jour suffisant. Comment
s'en assurer'? Le petit instrument du D' Javal
rend cet examen facile. Voici en quoi il con-
siste : Sur une feuille de papier blanc sont
tracées des raies noires parallèles, égales en lar-
geur et séparées les unes des autres par des in-
tervalles blancs qui sont aussi égaux entre eux.
Vues d'une certaine distance, les bandes ainsi for-
mées par cet ensemble de lignes alternativeinent
noires et blanches présentent à l'œil une teinte
uniforme, dont l'intensité lumineuse totale dé-
pend du rapport qui a clé établi entre la lar-
geur des intervalles blancs et celle des raies
noires. Cette largeur est-elle la même pour les
deux sortes de lignes, il est évident que la teinte
obtenue aura une intensité d'éclairement égale à
1/2 ou 0,.S0 de l'intensité offerte par la feuille de
papier blanc. L'intervalle noir est-il représenté
par 1, tandis que le blanc l'est par 2; la teinte
de la nouvelle bande correspondra aune intensité
lumineuse 0,66 et ainsi de suite. On pourra,
en faisant varier à volonté le rapport entre les
deux intervalles, noir et blanc, obtenir facilement
une série de teintes dont les intensités lumineiises
seront parfaitement connues et égales successive-
ment à 0,05 ; 0,10; 0,15 0,90 ; 0,95, et enfin,
100 centièmes. Qu'on étale ensuite ces teintes,
à la suite l'une de l'autre, sur une feuille de car-
ton blanc, en les numérotant ; et qu'enfin, immé-
diatement au-dessus de chacune, on perce dans le
carton une petite ouverture rectangulaire, une
sorte de fenêtre, dont les côtés verticaux soient
parallèles aux lignes blanches et noires et dont la
base inférieure les coupe par suite à angle droit;
on aura ainsi construit le photomètre dont nous
parlons. — Voici maintenant son eniploi : faites
tenir verticalement par un aide une feuille de
papier hlanc au point de la salle de classe où vous
voulez tenter une première expérience, en A, par
exemple ; tenez-vous vous-même tout près de la
fenêtre qui donne accès au jour dans la pièce ;
interposez alors le carton photmiiétre, entre votre
œil et la feuille de papier blanc tenue par l'aide
de telle façon que le rayon visuel en traversant
l'une des ouvertures du carton, l'ouverture n" 12
par exemple, aille rencontrer ladite feuille. Vous
reconnaîtrez alors, sans peine, par une comparai-
son que la juxtaposition des teintes rend facile,
si réclairement de la feuille blanche, en la place
qu'elle occupe actuellement, est plus grand ou
plus petit que celui qui vous est offert par la
bande n° 12. Ceci constaté, vous ferez mouvoir
lentement le carton devant votre œil, de gauche
à droite ou de droite à gauche suivant les cas,
jusqu'à ce que vous ayez amené, sur le trajet du
rayon visuel, une ouverture nouvelle qui vous
laisse voir la feuille de papier demeurée immo-
bile, avec le même éclairement que la bande sous-
jacente qui correspond à cette ouverture : vous
lirez, à ce moment, le numéro inscrit sous la bande,
soit 0,"0. — L'expérience sera répétée, dans
les mêmes conditions: en H, en C, etc., l'opérateur
restant à la même place et l'aide se déplaçant seul
pour porter la feuille blanche en ces différents
points; on trouvera pour B, 0,5;>; pour C, li,.35, etc.
La conclusion finale sera (|ue les diverses parties
de la salle sont très inégalement éclairées, et que
les enfants assis en A, B , C reçoivent des quanti-
tés de lumière qui varient comme les nombres 14,
11, 7.
IV. Changements de direction éprouvés dans
certains cas par le rayon lumineux. — La lumière
ne se propage rigoureusement en ligne droite,
avons-nous dit, qu'autant que le milieu qu'elle
traverse est homogène, ce qui veut dire que ce
milieu doit demeurer identique à lui-même, au
point de vue de sa nature propre et de ses pro-
priétés physiques, et conserver, en particulier, dans
toutes les directions une élasticité constante.
LUMIÈRE
— 1223
LUMIERE
Mais lorsque, sur son trajet, un faisceau lumineui
rencontre un corps nouveau, ces conditions ne
sont plus remplies; il éprouve alors h la surface
de séparation des deux milieux comme un double
brisement: une partie du faisceau est renvoyée en
sens inverse de sa marche primitive, il revient,
pour ainsi dire, sur ses pas, et cela dans une direc-
tion doterniinablo péométriiiuenient et qui dépend
exclusivement de l'angle que fait avec la surface
le rayon incident. Cette portion du faisceau ainsi
renvoyée est dite réfléchie régulièromont (V. /ie-
flexiun). Une autre portion du faisceau primitif
pénétre dans l'intérieur du milieu rencontré, au
moins quand celui-ci est transparent, et alors, au
lieu de former le prolongement en ligne droite du
rayon incident, le faisceau qui pénètre fait un cer-
tain angle avec lui; on le nomme rayon réfracté.
Seulement, le sens de la propagation n'est point
ici interverti comme dans le cas du rayon réfléchi.
Los lois de la réfraction ont été découvertes par
Descartes (V. Uéfraction).
V. Dispersmi de la lumière. — Spectre solaire.
— Il y a plus : lorsque la lumière blanche, celle
qui nous vient du soleil, change de milieu, qu'elle
passe par exemple de l'air dans un prisme de
verre pour émerger ensuite du prisme dans l'air,
ce n'est pas seulement un changement de direc-
tion, une sorte de brisement qui se produit; le
phénomène que l'on observe est beaucou]>- plus
complexe. Le faisceau émergeant du prisme, au
lieu d'être blanc comme l'était le faisceau inci-
dent, fournit sur l'écran qui le reçoit une image
colorée dans laquelle les couleurs sont toujours
distribuées dans l'ordre suivant : violet, indigo,
bleu, vert, jaune, orangé, rouge. Si les faces
d'entrée et de sortie de la lumière dans le prisme
de verre sont disposées de telle manière que leur
intersection, qu'on nomme Varéte de rèfriiiuenei' du
prisme, soit horizontale ; si, de plus, le faisceau
incident de lumière blanclie est cylindrique, la
tache colorée reçue sur l'écran a la forme d'un
rectangle allongé dont les longs côtés sont recti-
lignes et verticaux et dont les petits cotés sont
remplacés par des demi-cercles. Les couleurs sus-
nommées y sont distribuées sous la forme de
bandes parallèles entre elles et perpendiculaires
aux longs cotés du rectangle. Cette image colorée
porte le nom de spectre solaire. On la produit
également dans les mêmes conditions et avec la
même distribution des couleurs, quand on emploie
un faisceau de lumière blanche provenant de
sources autres que le soleil — la flamme du gaz
de l'éclairage, la lumière oxhydrique, etc. —
Dans tous les cas, le spectre solaire obtenu est
d'autant plus pur que le faisceau incident a des
dimensions plus restreintes dans un sens perpen-
diculaire h l'arête de réfringence du prisme.
On opère comme il suit : la lumière avant do par-
venir àla face d'entrée d'un prisme très purdeflint,
'de quartz ou de sulfure do carbone, passe par une
fente très étroite pratiquée dans un volet, laquelle
fente est parallèle à l'arcte réfringente. De plus,
sur le trajet du faisceau et à une distance de la
fente égale au double de la distance focale princi-
pale, on dispose une lentille convergente qui,
avant l'interposition du prisme, eut donné sur un
écran placé de l'autre coté de la lentille et à cette
même distance, une image blanche, nettement dé-
limitée dans tous les sens, et de même grandeur
que la fente. Cela réalisé, le prisme est placé sur
le trajet de la bande lumineuse étroite, et l'on
voit alors sur l'écran dont il vient d'être question
un spectre très pur à couleurs vives et parfaite-
ment distinctes.
Newton a le premier interprété avec une grande
exactitude ce phénomène de dispersion de la
lumière; il a prouvé par des expériences décisives
que la lumière blanche est composée d'une mul-
titude de lumières colorées simples, possédant
chacune une réfrangibilité propre. Tant que ces
rayons de couleurs très diverses cheminent paral-
lèlement, tant qu'ils afi'ectent notre rétine tous à
la fois en un même point, nous éprouvons cette
sensation spéciale dite de couleur blanclie; mais
aussitôt qu'ils changent de milieu — leur direction
primitive n'étant pas d'ailleurs perpendiculaire i
la surface de séparation qu'ils vont traverser —
tous ces rayons subissent individuellement en se
déviant de leur direction initiale la réfraction qui
est spéciale à chacun d'eux Dès lors, ils cessent
d'être parallèles soit dans l'intérieur du prisme,
soit quand ils en émergent; et, si on les reçoit
alors sur un écran, chacun forme une tache colorée
distincte en un point de cet écran dont la position
varie avec la valeur de la déviation subie. Théori-
quement, et en se plaçant dans certaines condi-
tions voulues, chaque rayon simple appartenant
à la lumière incidente devrait fournir une image
colorée ayant les mêmes dimensions que la fente
elle-même et les diverses couleurs devraient pou-
voir être séparées dans le spectre. 11 n'en est
rien ; c'est qu'en elTet les couleurs simples sont
loin de se réduire h sept dans la lumière blanche ;
il y en a des milliers; les images colorées que l'on
obtient par la dispersion dans le prisme, quelles
que soient les précautions prises, empiètent donc
toujours un peu l'une sur l'autre et on passe, par
nuances insensibles, d'une couleurprincipale iune
autre, — du ronge à l'orangé, de l'orangé au
jaune, etc.
Nous n'entrerons pas ici dans le détail des
démonstrations expérimentales très variées par
lesquelles Newton a établi le principe ci-dessus
énoncé ; nous citerons seulement la principale,
celle qui, par sa simplicité, paraîtra très pro-
bante au lecteur : un premier prisme décompose
un faisceau de lumière blanche et donne sur un
écran un spectre fortement étalé ; cet écran porte
une petite ouverture, une fente étroite, par la-
quelle on peut à volonté faire passer l'un ou
l'autre des rayons colorés, dont l'ensemble forme
le spectre. Au delà de l'écran, le rayon qui
traverse cette ouverture étroite peut être consi-
déré comme un rayon simple isolé de tous ses
voisins. On peut alors opérer sur lui, comme on
l'entend, sans être gène par la présence des autres
rayons, on peut en particulier l'étudier au point
de vue de sa réfrangibilité et évaluer numérique-
ment son indice de refraction. Newton en eH'et,
dans son expérience, faisait tomber successivement
sur un second prisme cliacun des rayons colorés
simples qui lui arrivaient du premier, dans une
même direction par la fente de l'écran, et il cons-
tatait que chacun d'eux subissait dans ce second
prisme une déviation déterminée qui n'apparte-
nait qu'à lui. Il trouvait, en effet, qu'après avoir
traversé le second prisme, chaque rayon simple
allait former son image colorée en un point diffé-
rent sur un second écran lixe. La couleur la plus
réfrangible est le violet ; la moins réfrangible, le
rouge ; les autres couleurs ont des réfrangibilités
intermédiaires entre ces deux-là. et l'indice de
réfraction (V. Rèfr'iclion) va régulièrement en dé-
croissant depuis le violet, où il estmaximum, jus-
qu'au rouge, où il est minimum.
Newton ne s'est pas contenté de faire l'analyse
de la lumière blanche en la décomposant, comme
il vient d'être dit, en ses éléments essentiels; il
est parvenu à eu réaliser la synthèse et cela par
plusieurs procédés. Voici l'une des méthodes em-
ployées : l'expérience est très concluante. On a
sept miroirs concaves parfaitement mobiles sur
des supports distincts ; on fait tomber sur leur
surface les diverses couleurs du spectre qu'a don-
nées un prisme dans les conditions déjà indiquées :
le violet sur le premier miroir, le bleu sur le se-
LUMIERE
— 1224 —
LUMIERE
con(î,etc., et on dirige les axes des réflecteurs de
manière à faire aboutir en un même point les
images colorées qu'ils fournissent. On constate que
de cette façon l'image résultante, celle qui est
produite par la superposition de toutes les images
partielles, est parfaitement blanche. On en conclut
forcément que l'ensemble de toutes les couleurs
que présente le spectre complet constitue bien
la lumière blanche.
L'appareil des sept miroirs rend facile pour
l'expérimentation la détermination des couleurs
complexes qui sont fournies par le mélange de
deux ou trois des couleurs simples du spectre. Il
suffit, par un mouvement convenable des miroirs,
de superposer uniquement les images que don-
nent deux ou plusieurs d'entre eux convenable-
ment choisis.
Les phénomènes si curieux qui résultent de la
décomposition et de la recomposition de la lu-
mière blanche permettent d'expliquer simplement
la coloration spéciale présentée par chacun des
corps de la nature. (V. Couleurs, page 517.)
VI. finies (lu spfcire solaire. — Le spectre so-
laire n'est pas continu ; son défaut de continuité
devient manifeste quand on le produit aussi pur
que possible en employant un prisme de flint
bien homogène, dépourvu de stries et de bulles,
et en opérant, en outre, comme il a été indiqué plus
haut. On trouve alors dans toutes les régions de
ce spectre lumineux une multitude de raies noires
ou de lignes obscures parallèles entre elles et
parallèles en même temps aux bandes chroma-
tiques brillantes ; elles représentent comme au-
tant de solutions de continuité. Ce fait impor-
tant n'avait pu être constaté par Mewton ; il a
été reconnu et étudié pour la première fois
par WoUaston, et par Frauenhofer ensuite. Ce
dernier physicien proposa même un classement,
qui a été conservé, de ces raies obscures en sept
groupes principaux se rapportant aux principales
couleurs du spectre, et il a désigné chacun de ces
groupes par des lettres luajuscules A, B, G, jus-
qu'à H. La raie A se trouve dans le rouge, D dans
le jaune, etc., H dans le violet, etc. L'n peu plus
tard, en recourant à des réfracteurs d'un grand
pouvoir dispersif et en multipliant le nombre des
prismes qu'un même faisceau lumineux doit tra-
verser, on a reconnu que les grosses raies, qu'on
avait crues d'abord simples, se dédoublaient elles-
mêmes en une foule de raies plus petites qu'on a
pu numéroter et qui permettent d'indiquer au-
jourd'hui d'une manière précise, quand on fait
une expérience, quel est le rayon sur lequel on
opère.
Les raies obscures existent dans le spectre,
quand il a pour origine un gaz ou une vapeur in-
candescente et que la radiation qui en provient
traverse avant d'arriver au prisme un gaz ou une
vapeur de même nature. Le spectre est au con-
traire continu et brillant quand il provient d'un
solide lumineux non susceptible de volatilisation,
au moins i la température à laquelle il se trouve
porté. Quand la source lumineuse est simple,
quand elle consiste, par exemple, en une vapeur
métallique d'espèce unique placée dans la tlamnie
du gaz de l'éclairage ou dans l'arc voltaique, le
spectre se réduit à un certain nombre de lignes
brillantes qui sont spéciales au métal employé et
qui sont alors caractéristiques de ce métal; ainsi
le sodium est caractérisé, on particulier, par une
bande brillante jaune correspondant au groupe D
des raies noires du spectre solaire.
MM. Kirchhoff et Bunsen ont donné de ces
faits curieux une explication rationnelle, aujour-
d'hui adoptée par tout le monde. Quand une
vapeur est portée à une haute température, elle a
une couleur qui lui est propre et qui représente
la résultante des rayons colorés émis par elle. Par
suite, le faisceau lumineux auquel elle donne nais-
sance, quand il sera décomposé par le prisme, ne
pourra que reproduire, en les distribuant sur un
spectre étalé, les seules radiations brillantes que
la dite vapeur a émises: on aura donc un spectre
discontinu, composé d'un certain nombre de
bandes lumineuses séparées les unes des autres
par des espaces obscurs. Tel est en effet le
phénomène observé dans ce cas. Si la source
lumineuse est un corps solide non volatil émettant
des radiations de tout genre, le spectre qui lui
correspondra ira du rouge au violet sans interrup-
tion, sans intervalles obscurs, et les raies noires
y feront complètement défaut.
Voilà un premier point expliqué. D'autre part,
on a démontré, dans l'étude de la chaleur rayon-
nante, l'égalité du pouvoir éniissif et du pouvoir
absorbant, égalité qui est toujours rigoureuse-
ment exacte, quand il s'agit d'un même rayon de
chaleur d'une réfrangibilité déterminée. Or, ce qui
est vrai pour la chaleur est encore vrai, dans l'es-
pèce, pour la lumière (V. Réflexion, Réfraction).
Si donc, dans l'expérience déjà citée du spectre con-
tinu fourni par un corps solide, nous interposons sur
le trajet du faisceau lumineux une atmosphère con-
stituée par la vapeur incandescente de sodium, —
nous prenons le sodium comme exemple, parce qu'a-
vec lui l'expérience est facilement réalisable, —
celle-ci, qui a un grand pouvoir émissif pour les
rayons jaunes, absorbera les dits rayons à raison de
son grand pouvoir absorbant pour la même radia-
tion, et dès lors le spectre primitif cessera d'être
continu ; les rayons absorbés manqueront dans
ce spectre. Là où se trouvait tout à l'heure la
ligne brillante D, une raie noire apparaîtra. C'est
ce phénomène qu'on a nommé Vinversion des
raies.
Une conséquence importante se déduit de cette
explication. Les raies noires du spectre obtenu,
les places qu'elles y occupent pourront servir dé-
sormais à reconnaître la nature des vapeurs
incandescentes existant dans la source lumineuse,
soit que ces vapeurs se trouvent dans le foyer
lui-même, soit qu'elles se montrent dans l'atmo-
sphère qui l'entoure. C'est ainsi qu'en aiialysant,
avec un soin minutieux, le spectre du soleil à
l'aide du spectroscopc ■ — groupement de prismes
possédant un grand pouvoir dispersif, — on est
arrivé à constater la présence du potassium,
dti sodium, du fer, du chrome, du nickel, etc.,
dans l'atmosphère de cet astre, et, au contraire,
l'absence de l'or, du mercure, etc. C'est encore
ainsi qu'on a pu découvrir de nouveaux métaux,
lubidium, caesium, thallium, etc., dans des pro-
duits minéraux où leur proportion était si minime
que les réactions chimiques ordinaires n'y avaient
rien signalé d'inconnu. Mais le spectre de la va-
peur de ces produits minéraux contenait des raies
nouvelles ; on en a conclu qu'il y avait des corps
simples nouveaux. Des recherches chimiques bien
dirigées ont en effet permis de les isoler.
La spectroscopie représente donc une méthode
d'analyse chimique des plus exactes, nous pouvons
dire aussi des plus précieuses, parce qu'elle est
plus sensible que tout autre. Le physicien, de son
cabinet, analyse journellement l'atmosphère du
soleil. Il constate la présence et il mesure la lon-
gueur des jets d'hydrogène qui en émanent par
intervalles et qu'on a nommés les protubérances ;
il étudie la constitution des étoiles, des comètes,
même des nébuleuses, et il arrive à cette con-
clusion, tous les jours confirmée par des observa-
tions nouvelles : les astres qui peuplent le firma-
ment sont composés des mêmes cléments sim-
ples que notre terre, l'hydrogène en particulier
se retrouve partout, jusque dans les plus faibles
nébulosités que nous apercevons avec les té-
lescopes.
LUMIKRE
1223 —
LUMIERE
Vil. Théories de la lumière. — Jusqu'à présent,
nous avons examinù lo mode de propagation de
la lumière et mesure? sa vitesse ; nous avons indi-
qué les niétliodos qui permettent de comparer les
inti-nsités des diverses sources ; nous avons, enfin,
suivi le rayon lumineux dans les différentes modi-
fications <|u'il subit en se propageant : réflexion,
réfraction, dispersion ; nous avons fait, en un mot,
ce qu'on a appelé, avec raison, Vetude f/éométric/uc
de la lumière. Le calcul, un calcul élémentaire,
s'applique, en effet, très simplement aux lois
expérimentales que les physiciens ont découver-
tes, et l'on a pu même analyser matliématique-
ment, jusque dans ses moindres détails, le disposi-
tif des instruments d'optique, lunettes, micro-
scopes, etc., dont la contruction est exclusive-
ment fondée sur ces lois elles-mêmes. — V. Opti-
que (Instruments d').
Tout cela a pu être entrepris et mené à bonne
fin sans qu'il soit devenu nécessaire de se deman-
der en quoi consiste l'agent lumineux et quelle
est sa vraie nature. Les questions qu'il nous reste
maintenant à examiner et qui forment le domaine
de la /laute optique, exigent, au contraire, pour
être résolues, la connaissance de la théorie géné-
ralement admise pour expliquer les phénomènes
lumineux. Il demeure entendu que nous nous appe-
santirons peu sur cet ordre de faits, parce que leurs
applications aux choses de la vie sont moins nom-
ibreuses et moins importantes et qu'ils exigent lo
.plus souvent l'emploi du calcul infinitésimal pour
•être bien compris. Toutefois, dans la haute optique
•comme dans l'optique géométrique, se trouve une
.partie élémentaire pouvant avec avantage être
introduite dans l'enseignement secondaire et pri-
(maire, et qui chez nos voisins figure déjà dans les
(Programmes de ces enseignements. On comprend
•difficilement qu'en France on ait jusqu'à ce jour
systématiquement réservé à l'enseignement supé-
rieur l'étude de tout ce qui a rapport à la diffrac-
tion de la lumière. Il y a li des faits intéressants,
susceptibles d'une application pratique, et qu'il
serait utile de vulgariser.
Quoi qu'il en soit, occupons-nous d'abord des
théories de la lumière, en conservant à cet exposé
un caractère tout à fait élémentaire. La plus
ancienne, la seule qui ait eu cours jusque vers le
milieu du xvii' siècle, est la théorie de l'émission ;
elle eut un adepte émincnt. Newton, et jusque dans
■ces derniers temps elle conserva d'ardents dé-
fenseurs. Le dernier et non le moins célèbre fut
jBiot, mort en 1862, qui, jusqu'à la fin de sa vie,
■ demeura fidèle à la théorie de l'émission et fit
• de vrais tours de force en analyse mathématique
,pour expliquer, à son aide, quelques phénomènes
■ de la haute optique.
L'idée de l'émission de la Jumière se présente,
il faut le dire, la première à l'esprit de l'expéri-
mentateur. Il semble naturel de penser que, si les
corps lumineux sont en rapport avec nous, mal-
gré la grande distance à laquelle quelques-uns
sont placés, c'est qu'une portion de la matière
qui les constitue se détache à chaque instant de
leur masse pour atteindre l'organe de la vision ; ils
doivent, pensait-on, lancer dans toutes les direc-
tions des particules émanées de leur surface. Ces
particules traversent l'espace avec une grande
rapidité, et elles sont tellement déliées qu'elles
peuvent même passer entre les molécules de cer-
■tains corps solides ou liquides, des corps dits
transparents, pour continuer ensuite leur marche
au-delà de ces corps. C'est ainsi qu'en pénétrant
dans les milieux de l'œil et en les parcourant
dans toute leur épaisseur, elles peuvent parvenir
jusqu'à l'épanouissement du nerf optique, jusqu'à
la rétine et là, par leurs chocs répétés, produire
■cette sensation spéciale que nous appelons lu vi-
sion. C'est encore ainsi qu'animées d'une grande
vitesse, elles vont choquer les obstacles placés sur
leur route et rebondir à leur surface conimi; des
balles élastiques, de même que la bille d'ivoire
rebondit sur la bande d'un billard qu'elle atteint,
en faisant l'angle de réflexion égal à l'angle d'in-
cidence; et c'est là précisément, on le sait, la loi
fondamentale de la réflexion de la lumière à la
surface do séparation de deux milieux. On expli-
quait, de la même façon, et très simplement, la
réfraction, la dispersion, les lois relatives à l'in-
tensité de la lumière, en un mot, tout ce qui a
rapport à l'optique géométrique. Mais les difficul-
tés se montraient, et cette fois très sérieuses,
quand il s'agissait de rendre compte des phéno-
mènes de la nouvelle optique, des interférences,
de la diffraction, etc.
Huyghens, Young et notre Fresnel sont les vé-
ritables auteurs de la théorie nouvelle, de la
théorie admise aujourd'hui par tous les physi-
ciens et qu'on a nommée théorie des ondula-
tions. Voici en quoi elle consiste : Il existe dans
tout l'espace, dans celui qu'on appelle le vide
interplanétaire, comme dans l'intérieur des corps,
et entre leurs molécules, un milieu éminem-
ment élastique, l'éther, qui est le véhicule de la
lumière, de même que la matière pondérable est
le véhicule du son. Un corps est lumineux parce
qu'il a la faculté d'exciter un ébranlement dans
l'éther qui le baigne, et cet ébranlement va se pro-
pageant ensuite de proche en proche, avec la rapi-
dité que nous savons, dans tout l'éther environnant.
Le mouvement propagé par l'éther, analogue à celui
qui produit le son dans les milieux pondérables,
est un mouvement de va et vient, un mouvement
vibratoire, comparable, moins l'amplitude et la du-
rée, à celui d'un pendule. Dans ce qu'on appelle
le vide. 1 éther a partout et dans tous les sens la
même densité ; cette densité change au contraire
quand il se trouve dans les interstices d'une subs-
tance pondérable, gaz, liquide ou solide. Les mo--
lécules du corps exercent évidemment sur lui
une action spéciale qui modifie sa constitution.
Il arrive même que, dans les corps cristallisés, son
élasticité est variable autour d'un môme point sui-
vant qu'on choisit telle ou telle direction dans l'in-
térieur du cristal, à partir du point considéré. Des
modifications du même genre sont encore produites
dans l'éther qui remplit un corps solide, quand on
fait subir à ce dernier des compressions, des dilata-
tions, ou même des flexions; en un mot, pour les
partisans de l'hypothèse des ondulations éthérées,
le mouvement vibratoire île l'éther, c'est la h^mière;
l'nninoijilité île l'éther c'est l'obscurité. Aucune
particule ne se détache du soleil, des étoiles, etc. ,
pour venir jusqu'à la terre : c'est une communica-
tion, une transmission de mouvement ondulatoire
qui se produit dans le milieu éthéré interposé entre
les deux astres.
De touti's les expériences qui sont venues don-
ner à lathc'iii-ir iriliiyi;l]i<ns une éclatante confirma-
tion, la plus ciiiirln.nito est, sans contredit, l'expé-
rience dite tiMwijroi/ s i/e ft-e.>;«e/, laquelle se trouve,
au contraire, en contradiction formelle avec
l'hypothèse de l'émission. Fresnel fait tomber sur
deux miroirs plans A et B, formant entre eux un
angle fortement obtus, des faisceaux lumineux pro-
venant d'une môme source. Une réflexion a lieu sur
chacun des miroirs, et il en résulte des rayons ré-
fléchis par le miroir A qui se rencontrent sous
un angle très faible avec les rayons que réfléchit
le miroir B. Un écran convenablement placé en
avant du miroir les reçoit à leur point de rencontre.
Ces rayons qui se coupent ainsi à des distances
variables du miroir ont des différences do marche
ou d'espace parcouru qui peuvent être mesurées
avec exactitude par des méthodes géométriques.
Or, le fait observé est celui-ci : sur l'écran se
montrent des bandes alternativement brillantes et
LUMIERE
— 1226
LUMIERE
obscures dont la direction giinérale est parallèle à
la ligne d'intersection des deux miroirs. La bande
centrale est brillante, elle correspond à une (égalité
de marche des rayons concourants qui la forment ; i
droite et à gauche, et à égale distance de la bande
centrale, est placée une premièro bande obscure
qui correspond ;"i une différence de marche d des
rayons concourants. Puis viennent, systématique-
ment placées à gauclie et à droite de la bande
centrale et en s'éloignant d'elle, des bandes ou.
comme on les nomme liabituellement, des franges
brillantes se rapportant à une différence de
marclio '2'/ des rayons qui les forment, puis de
part et d'autre une seconde frange obscure répon-
dant à une différence de marche Ad des rayons
concourants, et ainsi de suite. D'une manière gé-
nérale, les bandes brillantes correspondent à des
différences de marche :
0. 2d. 4d. 6'/. etc ;
les franges obscures à des différences :
D. — 3'/. — 5d. — 'd. etc...
Comment comprendre l'exister. ce de ces der-
nières dans l'hypothèse de l'émission? Quelle que
soit l'inégalité des espaces parcourus par les rayons
lumineux, il n'en est pas moins vrai que dès l'ins-
tant que deux rayons concourent, le prétendu choc
des particules lumineuses du premier rayon s'étant
ajouté au choc d autres particules lumineuses du
second rayon, une clarté plus grande devrait être
la conséquence de ce concours. La production
d'une frange obscure dans ces conditions est donc
bien évidemment incompatible avec la théorie de
l'émission.
Avec le système des ondulations, au contraire,
tout s'explique. Le rayon lumineux, cette fois, est
constitué, nous le savons, par un mouvement on-
dulatoire de l'éther. Or, si les deux rayons ré-
fléchis par les miroirs se rencontrent au point où
la molécule d'éther qu'ils ébranlent l'un et l'autre
est sollicitée par eux .H se mouvoir dans le même
sens, la vitesse de cette molécule est égale îi la
somme des vitesses individuelles que possèdent
les deux rayons, elle est donc augmentée et la
lumière produite devient plus intense : de là
les franges brillantes. Si, au contraire, au moment
du concours des doux rayons, les vitesses de l'é-
ther provoquées par chacun d'eux sont de sens
inverse, la vitesse résultante est égale à leur diffé-
rence, la clarté produite est donc diminuée. Si
même les deux vitesses composantes sont égales,
comme elles sont de signes contraires, l'immobi-
lité de l'éther en sera la conséquence, et alors de
ta lumière ajoutée à de In lumière produira de
Cotscurilé.
Cette expérience célèbre des interférences des
rayons lumineux est très décisive, on le voit, en
faveur du système des ondulations.
Elle a permis en outre de mesurer la longueur
d'ondulation des rayons lumineux de diverses cou-
leurs, et de constater que celle-ci varie avec l'espèce
des rayons considérés. Dans tous les cas, cette
longueur est très petite, comme on va le voir :
Vî'i millionièmes de millimètre pour le rayon vio-
let, «30 millionièmes de millimètre pour le rayon
rouge, et elle va en croissant, d'une manière con-
tinue, depuis le violet jusqu'au rouge.
En combinant maintenant cette donnée numé-
rique, la longueur d'onde, avec le nombre déjà
indiqué plus haut pour représenter la vitesse de
la lumière, on arrive à reconnaître que le nombre
d'oscillations par seconde qu'exécute une molé-
cule d'éther est véritalilement énorme, do 704 tril-
lions quand il s'agit de la lumière violette, et de
480 trillions quand c'est la lumière rouge qui se
propage.
On explique complètement, en appliquant le
calcul mathématique à l'analyse des phénomènes do
diffraction, les moindres particularités que pré-
sentent les expériences. Ainsi, on rend compte des
franges brillantes qui se produisent dans l'ombre
géométrique produite par un écran opaque quand
un faisceau lumineux rase ses bords. On se
rend compte do la production d'une lumière
assez vive au centre même de l'ombre portée par
un disque circulaire opaque do diamètre étroit,
ce qui, au premier abord, avait semblé para-
doxal. Les anneaux colores des lames minces,
des bulles de savon par exemple, s'expliquent
encore dans la théorie des interférences en
partant toujours des principes de l'hypothèse des
ondulations.
VIII. Effets divers produits par les radiations
des corps lumineux. — Prenons comme exemple
les radiations solaires. Quand un faisceau de lu-
mière qui provient du soleil a traversé un prisme,
le spectre obtenu ne se compose pas seulement
de rayons capablesd'impressionner la rétine et d'a-
mener en nous une sensation lumineuse; il existe
encore au delà du violet et en deçi du rouge des
radiations spéciales que notre œil ne discerne pas,
mais que dos instruments convenables ou des réac-
tifs appropriés peuvent rendre manifestes. Au delà
du violet, les radiations nouvelles dont nous par-
lons sont capables de décomposer certains sels ha-
loides d'argent, l'iodure d'argent par exemple; en
deçà du rouge, les rayons non lumineux qui y sont
dispersés agissent sur le thermomètre et détermi-
nent une élévation sensible de température. Aussi
a-t-on été conduit tout d'abord à distinguer dans
le spectre solaire trois spectres différents, se su-
perposant en partie: un spectre calorifique empié-
tant d'une part sur le spectre lumineux et s'éten-
dant de l'autre côté bien au delà du rouge ; un
spectre lumineux, compris entre le rouge et le
violet; et enfin un spectre chimique empiétant
d'une part sur le spectre lumineux et s'étendant
ensuite beaucoup plus loin que le violet. Est-ce
à dire, comme quelques-uns l'ont pensé et écrit,
que le soleil envoie dans l'espace trois sortes de
rayons : des rayons calorifiques, des rayons lumi-
neux et des rayons chimiques'? Non ; chaque rayon
est capable, quoique à des degrés différents, de
produire les trois effets; tout dépend de la nature
et des propriétés du corps qui reçoit le rayon con-
sidéré et qui en subit l'influence.
La sensibilité de notre rétine est comprise entre
certaines limites; elle n'est mise en jeu qu'autant
que la radiation qui lui parvient a une longueur
d'onde plus grande que 4'23 millionièmes de milli-
mètre et plus petite que C20 millionièmes. Il en
est de même pour notre oreille, qui ne peut être
impressionnée par un son qu'autant qu'il n'est ni
trop grave ni trop aigu. Rien n'empêche que la
rétine de tel autre animal n'ait un degré de sen-
sibilité autre que la nôtre et ne nerçoive, par
exemple, ou des rayons ultra rouges ou des rayons
ultra-violets qui laissenlnotre rétine à nous tout à
fait insensible. Il faut ajouter d'ailleurs qu'il y a
une autre cause, et celle-là est prépondérante,
qui s'oppose elle aussi à l'impressionnabilité de
notre nerf optique par l'ultra-rouge et l'ultra-
violet : c'est que les milieux de l'œil, on l'a dé-
montré, qui sont nécessairement traversés par les
radiations de tout genre avant que celles-ci ne
puissent frapper la rétine, ont la propriété d'ab-
sorber en grande partie les deux sortes de radia-
tions dites obscures.
La même chose est vraie pour ce qui concerne
les actions chimiques et calorifiques du spectre
Polaire. L'action chimique n'est localisée ni dans
le bleu, ni dans le violet, ni dans l'nltra-violet ;
elle existe partout, dans le spectre obscur comme
dans le spectre lumineux, mais avec une intensité
très variable ; et, ici encore, l'effet obtenu est en
LUNE
— 1227
LUNE
relation avec l'espècp du réactif employé. Alors
que l'iodurc et le bromure d'argent no sont dé-
composés par la radiation spectrale qu'il partir de
la région voisine dos raies F, G et H jusqu'à
l'extrême violet, le clilorure d'argent subit, lui,
uue action très sensible à partir du rouge. En un
mot, il existe un certain rapport entre la longueur
d'onde du rayon capable d'agir et la nature chi-
mique, ou mieux, le groupement moléculaire du
réactif mis en jeu.
Le môme raisonnement s'applique enfin aux
radiations calorifiques. Il n'y a encore, cette fois,
qu'une difl'érence d'intensité d'une région h l'autre
du spectre. Quand on se sert, pour disperser la
lumière du soleil, d'un prisme de sel gemme qui
laisse passer également les rayons calorifiques de
toute longueur d'onde, et qu'on promène ensuite
dans toute l'étendue de ce spectre un thermomètre
sensible, on constate que la température va en
croissant du violet au rouge ; que l'accroissement
continue au delà du rouge dans la partie obscure,
jusqu'il une petite distance ; et qu'à partir de ce
maximum, elle décroît de plus en plus à mesure
qu'on s'écarte davantage de la portion lumineuse.
— Ajoutons qu'on a pu constater dans l'ultra-
rouge et l'ultra-violet des solutions de continuité,
des raies analogues aux lignes obscures du spectre
lumineux.
IX. Pliospliorescence. — Signalons enfin une
propriété très curieuse, manifestée par quelques
corps : certains sulfures alcalins ou alcalins ter-
reux.' les écailles d'huîtres calcinées, le bois
pourri, etc.; ces 'corps sont dits phosphorescents.
Quand ils ont subi une insolation prolongée, ils
sont capables de constituer par eux-mêmes une
véritable source de lumière et de répandre une
lueur dans l'obscurité. Seulement il est remar-
quable que la lumière propre qu'ils émettent
dans cette circonstance correspond toujpurs à
une longueur d'onde plus grande que celle qui
appartenait aux rayons excitateurs. En général,
du reste, une radiation est d'autant plus propre à
provoquer la phosphorescence dans un corps
qu'elle est plus réfrangible ou, si l'on veut, que
sa longueur d'onde est plus faible. Les rayons
ultra-violets en général exercent, dans ce sens,
une action plus énergique que les autres radia-
tions.
La durée de la phosphorescence dans les corps
est du reste très variable selon leur nature et leur
état moléculaire. Elle persiste plusieurs heures
dans le sulfure de strontium, une demi-seconde
dans le spath calcaire; j^ de seconde dans le
verre d'urace ; j^jôô "^^ seconde dans une solution
de sulfate acide de quinine. En outre ce dernier
corps prend une coloration d'un très beau bleu
quand on le place dans la région ultra-violette du
spectre. Un effet du môme genre est encore ma-
nifesté par quelques infusions végétales et en
particulier par l'écorce du marronnier d'Inde. On
avait donné à ces dernières substances le nom de
substances fluorescentes à raison de cette propriété
spéciale, mais, en réalité, la fluorescence n'est
qu'un cas particulier de la phosphorescence. 11
n'y a pas lieu d'établir entre les deux ordres
de phénomènes une distinction fondamentale.
[A. Boutan.]
LUNE. — Cosmographie, V. — La lune est cer-
tainement pour nous, après le soleil, le plus im-
portant des corps célestes de notre système. Sa
proximité de la terre permet aux observateurs
d'étudier en détail les accidents de sa surface,
et sa constitution physique; les particularités de
son mouvement de circulation autour de la terre
sont, par la raison même de sa faible distance,
extrêmement sensibles aux procodés de mesure as-
tronomiques ; il en résulte, il est vrai, pour la théorie
de ces mouvements et des inégalités qu'ils présen-
tent, des difficultés considérables : la théorie de
la lune estainsi la plus difficile, la plus compliquée,
mais, par cela môme, c'est la plus intéressante delà
mécanique céleste ; aussi a-t-elle été pour cette
science l'occasion d'importants progrès.
Mais à ces considérations d'ordre scientifique,
se joignent d'autres motifs d'intérêt que tout le
monde peut aisément comprendre. C'est l'action
de la masse de la lune, combinée avec celle du
soleil, qui produit les oscillations périodiques de
la mer, les marées'. Une influence analogue, mais
beaucoup plus faible, s'exerce sur les couches de
l'atmosphère. Les préjugés très enracinés du
public donnent à la lune, h son influence sur
les changements de temps, les vents et les pluies,
une importance bien autrement grande que celle
qu'ont pu constater les observations scientifiques.
Mais ces croyances exagérées, presque universel-
lement répandues, sont elles-mêmes une preuve
de l'intérêt qui s'attache à tout ce qui regarde
notre satellite.
Nous croyons donc devoir décrire, avec quelques
détails, les phénomènes lunaires, en laissant de
coté les éclipses et les murées qui sont l'objet
d'articles spéciaux dans ce Dictionnaire.
Mnuvernettl de t) arislation de la lune autour de
ta terre. — Deux phénomènes, accessibles l'un et
l'autre à l'observation vulgaire, démontrent la réa-
lité du mouvement de circulation de la lune au-
tour du centre de gravité de notre globe.
L'un consiste dans les phases ou apparences
lumineuses présentées par le disque lunaire, et
qui sont la conséquence des positions successives
que le globe de la lune occupe relativement à la
terre et au soleil. Quand la lune a la même longi-
tude que ce dernier astre, c'est-à-dire quand leurs
centres sont dans un même plan perpendiculaire
à l'écliptique (fig. I), notre satellite tourne vers
nous son hémisphère obscur : la lune est nou-
velle ou en coijoiiction; elle est invisible. Si sa
latitude était en même temps nulle ou inférieure
à r environ, il y aurait éclipse totale ou partielle
du soleil.
A partir de ce moment, la lune s'éloigne en
apparence du soleil ; la différence de longitude des
deux astres va en augmentant ; quand, après un
intervalle de sept à huit jours, elle atteint ItO",
la lune est au premier quartier ; la moitié de
son disque se trouve éclairée, et dans l'inter-
valle la phase lumineuse, qui a commencé par un
mince croissant, a été en augmentant d'une ma-
nière insensible. La Lune est alors en qundrnture.
EUepasse septou huit joursplus tarde» opposifion,
et alors la différence des longitudes de la lune
et du soleil est de 180°. La lune montre son dis-
que entièrement éclairé: c'est la pleine lune;
c'est aussi l'époque où ont lieu les éclipses de
lune, partielles ou totales. Puis, après une période
encore égale, on arrive au dernier quartier (différ
rence de longitude de 270°) ; le disque est éclairé
à moitié sur son côté occidental. Enfin, au bout
d'un intervalle de huit jours, la phase se réduit à
un croissant de plus en plus mince, pour dispa-
raître tout à fait : on retombe sur la conjonction
ou nouvelle lune.
Ces apparences ou phases s'expliquent de la
façon la plus simple par le mouvement de la
lune autour de la terre, dans le sens de l'occi-
dent à l'orient. Un coup d'oeil jeté sur la figure 1,
qui présente notre satellite dans ses priticipales po-
sitions sur soii orbite, suffira pour montrer com-
ment les phases lunaires sont liées à ces posi-
tions. La période comprise entre deux conjonc-
tions ou deux phases semblables est de 29 jours
12 heures 41 minutes 3 secondes. C'est ce qu'on
nomme la révolution s\innitique.
Le second phénomène intimement lié au
LUNE
— 1228 —
LUNE
rpliases et révélant comme celles-ci le mouvement
de la lune, est le mouvement apparent qu'elle
•décrit d'un jour à l'autre sur la voûte céleste, et en
vertu duquel elle parcourt successivement toutes
lui-même, mais avec une vitesse à peu près treize
fois aussi grande. Le soleil chaque jour s'avance
d'à peu près 1» vers l'orient; le mouvement moyen
diurne de la lune est de 13° 10'; de sorte que son
ies constellations, dans le même sens que le soleil I passage au méridien retarde chaque jour d'envi-
Fig. 1. — Orbite de la Lune. —Principales phases.
TOn 50 minutes. En 57 jours 7 heures 43 minutes 1 tater. En notant, à un moment donné, sa distance
11 secondes 5, elle est revenue à son point de dé- ! à une étoile, on voit, une ou deux heures après,
part, et la durée de cette période est celle de sa ] cette distance augmentée ou diminuée selon la po-
révolution sidérale. Dans le cours d'une nuit, ce ; sition du disque i 1 orient ou à I occident de 1 e-
•mouvement apparent de la lune est facile à cens- I toile.
Fig. 2. — Révolution synodique et révolution sidérale.
A quoi tient la dififérence d'environ 2 jours
5 heures que l'on constate entre la révolution syno-
dique de la lune et sa révolution sidérale? Pour-
quoi la lune met-elle plus de temps à revenir au
soleil qu'à une étoile donnée?
Il est aisé de se rendre compte de cette diffé-
rence, si l'on réfléchit que la terre tourne autour du
soleil, pendant que la lune tourne ellc-mùme autour
de la terre. La lune étant nouvelle en L (flg. 2),
c'est que la ligne TL passe par le soleil ; quand
LUNE
— 1229 —
LUNE
cette ligne sera, après une révolution complète
autour du centre de la terre T, revenue on T'L'
parallèle à sa position première, la révolvlion si-
dérale sera accomplie ; pour nous, le centre de la
lune correspondra au même point du ciel, à la
même étoile. Mais la lune ne sera pas encore en con-
jonction ; co n'est qu'après un intervalle nouveau de
î jours i heures que, la terre étant en T" et la
lune en L", la ligne T"L" passera de nouveau par
le soleil, ou que, du moins, les deux astres au-
ront même longitude.
L'orbite de la lune autour du centre de gravité
de la terre considérée comme immobile est une
courbe dont le plan ne coïncide pas avec le plan
de l'orbite terrestre. Son inclinaison sur ce der-
nier est égale, en moyenne, i 5" 8' 48". A chacune
de ses révolutions, la lune coupe donc deux fois
l'écliptique : co sont ces points qu'on nomme les
nœuds; l'un d'eux est le nœud a^'ora(/an/, parce qu'il
se rapporte au passage de la lune de l'hémisphère
austral dans l'hémisplière boréal; l'autre est le
nœud ilesi'endant. C'est quand la lune est dans le
voisinage d'un de ces nœuds ou à ce nœud même
qu'ont lieu les phénomènes des éclipses, parce
qu'alors seulement le soleil, la terre et la lune
peuvent avoir leurs centres ou au moins une partie
de leurs points en ligne droite; et c'est par cette
raison que le plan de l'orbite de la terre a été
nommé édiptique; il faut que la lune soit dans
ce plan pour qu'il y ait éclipse. Seulement la con-
dition n'est pas suffisante : il faut encore que la
lune se trouve à l'une des syzygies, c'est-à-dire-
à l'opposition ou à la conjonction.
Les nœuds de la lune ne conservent pas la
même position d'une révolution à l'autre; ils rétro-
gradent, c'est-à dire marchent en sens inverse du
mouvement d(' la lune. Ils accomplissent un tour
entier dans une période de 18 ans 2/3 environ.
C'est dans une période un peu différente, de 18 ans
1 1 jours, que le soleil, la lune et la terre se retrou-
vent dans une position identique, et qu'alors les
éclipses qui ont eu lieu dans la période antérieure
se reproduisent à peu de chose près les munies.
Quelle est la forme de l'orbite lunaire? En mesu-
rant jour parjourles dimensions apparentes du dis-
que de la lune, on trouve qu'elles varient d'une façon
continue entre deux limites extrêmes, ce qui prouve
que la distance de la terre i son satellite varie "en
sens inverse des dimensions du disque. L'orbite
n'est donc pas circulaire. C'est en effet une ellipse,
courbe ovale dont le centre de la terre occupe un
foyer, et dont le grand axe ne conserve pas dans
l'espace une position invariable. La lune est au
jiériijée, quand elle occupe l'extrémité de l'axe la
plus voisine de nous; elle est à ['apogée, lors-
qu'elle se trouve à l'autre extrémité.
Quand nous disons l'orbite lunaire, nous enten-
dons parler de la ligne que la lune trace à chacune
de ses révolutions, dans l'hypothèse de l'immobi-
lité de la terre. C'est cette courbe qui est affec-
tée, dans SCS éléments, d'une série d'inégalités
ou perturbations dont nous n'avons pas k parler
Fig. 3. — La Terre et la Lune, dans leurs i
ici, et dont s'occupent les astronomes qui étudient
la théorie de la lune. Mais, en réalité, puisque
la terre se meut autour du soleil, en même temps
que son satellite gravite autour d'elle, la courbe
que trace la lune dans l'espace est fort com-
pliquée; c'est une suite de courbes sinueuses de
forme cycloidale, présentant leur concavité au
soleil.
Quel est le rapport des distances de la terre à
la Itine et au soleil, ou si l'on préfère, quelle est
la distance de la terre h la lune, mesurée en
rayons du globe terrestre? C'est un problème qui
a été résolu approximativement par les anciens,
mais dont le calcul exact, avec Ifes procédés de me-
sure de la science moderne n'offre pas de diffi-
culté sérieuse. On a trouvé le nombre 60.273, c'est-
à-dire que le centre de la lune, k sa distance
moyenne de la terre, et le centre de notre globe
sont séparés par un intervalle d'un peu plus de
60 rayons équatoriaux terrestres et 1/4. C'est envi-
ron 384 500 kilomètres, ou 90 125 lieues. A l'apo-
gée, la distance de la lune est plus grande, et au
périgée, plus petite ; la différence, en chacun de ces
cas, est des 55 millièmes de la distance moyenne :
c'est ce dernier nombre qui exprime la valeur de
l'excentricité de l'orbite lunaire. Il s'agit ici des
distances des centres : si l'on voulait obtenir les
distances des points les plus rapprochés des sur-
faces des deux astres, il faudrait ôter, des nom-
bres cités, la somme des rayons de la lune et de
la terre, soit environ 8 120 kilomètres.
La figure .3 représente la distance de la lune
a la terre en proportion exacte avec les rayons
des deux astres. 11 est bon de rappeler qu'il" y a
environ 23 200 rayons terrestres de la terre au
;ais rapports de dimensions et de distance.
soleil, d'où il suit que la distance du soleil est
environ 385 fois plus grande qoe celle de la lune.
En rappelant ces données d'astronomie, le pro-
fesseur pourra, à l'aide de comparaisons familiè-
res, essayer de les graver dans la mémoire des
enfants. Par exemple il leur fera calculer le temps
que mettrait un train express de chemin de fer
établi entre la terre et la lune : ils ne trouve-
raient guère moins de 300 jours; un boulet de
canon, conservant sa vitesse initiale de 500 mètres
par seconde, mettrait environ 8 jours 5 heures à
franchir la même distance. Enfin, le môme projectile
mettrait près de 10 années pour arriver au soleil.
Dimensions de la lime. — La distance de notre
satellite étant connue, un calcul très simple per-
met, d'après ses diinensions apparentes (31' 8" ou
à peu do chose près le diaitiètre apparent du so-
leil), de calculer ses dimensions réelles. Son dia-
mètre est égal à 0.273 rapporté au diamètre équa-
torial de notre globe ; c'est un peu plus du quart.
En considérant la terre et la lune comme sphé-
riques, on trouve, pour la surface de notre satel-
lite, le treizième environ de la surface terrestre;
pour son volume, entre le 49' et le 50" ;fig. 4).
Traduisons en unités kilométriques ces nombres
relatifs. Le rayon de la lune mesure 1 740 kilom.,
soit 435 lieues ; son diamètre, 3 480 kilom. ou 870
lieues. Enfin sa surface évaluée en kilomètres
carrés donne le nombre approché 38 000 000 : c'est
près de 4 fois la superficie du continent européen,
un peu moins que celle de l'Asie; c'est un excès de fi
millions sur la surface du continent africain.
Mouvement de rotation île la lune. — La lune,
comme tous les corps célestes de notre monde so-
laire, est soumise, dans son mouvement de trans-
LUNE
— 1230 —
LUNE
lation circumterrestre, aux lois de Kepler, ou plus
jusiement aux lois de la gravilatioi). A-t-elle,
comme tous ces astres, un mouvement de rota-
tion sur elle-même? C'est ce que l'examen de sa
surface permet de décider, même sans qu'il soit
besoin de faire usage de télescopes. Les taclies
du soleil, celles qu'on aperçoit sur Mars, sur
Jupiter, ont permis, par l'étude de leurs déplace-
ments apparents, de leurs retours à la surface des
disques, de constater et les mouvements de rota-
tion, et leurs directions et leurs durées.
En examinant les taches de la lune, on ne tarde
pas à être frappé, comme le furent les astrono-
mes anciens, de leur fixité relative. La lune sem-
ble présenter toujours les mêmes taches, dans des
positions identiques, relativement à la terre : c'est,
en un mot, toujours la même face (ou h peu près)
qu'elle nous montre. En fant-il conclure, comme
on le fait souvent avant d'y réfléchir, que le globe
lunaire n'a pas de mouvement de rotation? Tout
au contraire. En effet, un corps est dépourvu de
mouvement de rotation, lorsque, quel que soit
son mouvement de translation dans l'espace, ce
sont toujours les mômes points de sa surface qu'il
présenterait à un observateur supposé lui-même
immobile et placé à une distance suffisamment
grande. Il tourne au contraire, si ces divers pointa
sont successivement présentés à tous les points
d'une circonférence qui l'ejiveloppe. Or, la lune
est dans ce dernier cas, par le fait de son mouve-
ment de circulation autour de la terre ; l'une quel-
conque des taches i|u'elle nous présente sans
cesse est donc successivement tournée vers des
points différents de l'espace, et cette circonstance
particulière de la permanence qui caractérise la
face dirigée vers nous ne prouve qu'une chose,
à savoir que la durée de son mouvement de rota-
tion est précisément égale à la durée de son mou-
vement de révolution. Son jour sidéral est de 27
jours 12 heures, son jour solaire est de 29 jours
5 heures.
L'axe de rotation de la lune est presque per-
pendiculaire à l'écliptique, de sorte que, quand
elle est à ses nœuds, c'est-à-dire dans l'écliptique,
on aperçoit également de la terre le pôle boréal
et le pôle austral de notre satellite ; mais quand
elle s'éloigne des nœuds, et atteint sa plus grande
élévation au-dessus ou au-dessous de l'écliptique,
c'est-i-dire sa latitude maxima, c'est l'un ou l'autre
des pôles qui se trouve invisible de la terre, tan-
dis que l'on aperçoit au delà de l'autre pôle une cer-
taine zone de la surface lunaire. Cette oscillatioa
des taches lunaires du nord au sud est ce qu'on
nomme la lil^ration en latitn.ie. Il y a aussi une
libration en Imgitude, due à l'inégalité de vitesse
de la lune sur son orbite, et à l'inégalité qui en
résulte dans les angles de rotKtion et de transla-
tion. Enfin, la lihroiion diio-ne consiste en ce que,
dans le meuvement qui fait passer la lune de
l'horizon au méridien à son point le plus élevé,
ce n'est pas le même point de la surface lunaire
qui occupe le centre du disque : ce ne sont pas
identiquement les mêmes régions qui sont en vue
aux divers instants de la trajectoire diurne.
De toutes ces oscillations optiques il résulte,
en définitive, que de la terre on voit plus de la
moitié de la surface de la lune. D'après Béer et
Mœdier, 576 parties sur lOnO sont accessibles à
l'observation. Voyons maintenant ce que donne
l'observation sur l'aspect du disque ou de la sur-
face do notre satellite.
Consiilution orographique et physique de la
lune. — Vu à l'œil nu, le disque lunaire est par-
semé de taches sombres ou gris.itres sur un fond
lumineux blanchâtre, et d'un plus petit nombre
de J,aches blanches, plus brillantes que le fond.
Les contours en sont assez nets pour qu'on dis-
tingue et reconnaisse aisément les diverses régions
de la surface tournées vers nous. Ce premier exa-
men suffit, comme on l'a dit plus haut, à constater
lODs comparées.
que la lune tourne toujours la même face vers la
terre.
Avec une lunette d'une faible puissance, la
configuration des grandes taches devient très
nette, et l'on peut en tracer tous les contours.
C'est dans la moitié supérieure ou boréale
qu'existent les plus grandes taches grisâtres; la
moitié inférieure ou australe est presque entière-
ment lumineuse et blanche, sauf vers la partie
orientale où les taches sombres descendent plus
loin vers le sud. On donne généralement le nom
de mers aux taches grisâtres, bien que certaine-
ment ce ne soient pas des agglomérations liquides.
En examinant la surface de la lune au télescope,
on voit aussitôt que, dans toutes les parties de la
surface, existent une multitude de cavités des
dimensions les plus variées, mais qui toutes af-
fectent la forme circulaire ovale, cette dernière
forme étant d'autant plus allongée qu'on approche
plus du bord du disque. Ces cavités sont toutes
limitées par des bords en relief, des sortes de
remparts dont les ombres portées soit à l'intérieur,
soit à l'extérieur, indiquent nettement qu'il s'agit
généralement d'ouvertures pareilles aux cratères
de nos volcans terrestres (Hg. 5). Dans loutes, la
profondeur interne surpasse de beaucoup l'élé-
vation extérieure.
Les cratères lunaires sont beaucoup plus nom-
LUNE
1231 —
LUNE
breiu dans les parties lumineuses du disque que
dans les taclies sombres ou mers. Il est à remar-
quer, en outre, que ces dernières elles-mêmes ont
généralement la forme circulaire, et que leurs
bords forment aussi dos saillies prononcées, mais
interrompues et décliiquetées. L'intérieur des
mers est donc plus uni, comme si le sol avait été
comblé par des alluvions ; c'est la région des
plaines, par opposition aux parties blancliâtres du
disque qui forment la région montagneuse.
Tous CCS détails, que le télescope montre avec
netteté dans toutes les phases, sont admirablement
accusés lorsque la lune n'estque partiellementéclai-
rée. Au premier ou au dernier quartier par exemple
(fig. G), les bords de la ligne de séparation de la
lumière ou do l'ombre sont comme dentelés, et
l'on y voit avec évidence la structure cratériforme
de presque tons les accidents du sol. Les bords
de certains cratères apparaissent seuls éclairés
sur la limite de l'ombre, et, dans l'ombre nuMiie,
on aperçoit des points lumineux qui ne sont autres
que les sommets de montagnes que le soleil
éclaire les premiers avant le lever, ou les derniers
après le coucher du soleil sur la lune.
Outre les cirques ou cratères que nous venons
de décrire, la lune offre encore des montagnes
isolées ou pics, et un certain nombre de chaînes
ayant quelque analogie avec les chaînes de mon-
tagnes terrestres. Les pics se trouvent assez sou-
vent situés au centre ou tout au moins à l'inlé-
rieur des cirques. Quant aux chaînes, la plupart
bordent les grandes taches grisâtres appelées
mers, et il y a toute apparence que ce ne sont
autre chose que les remparts en partie détruits de
ces anciennes circonvallations.
Lu fiirnie circulaire de la grande majorité dos
montagnes de la lune les a fait, dès le début des
observations télescopiques , considérer comme
ayant une origine volcanique on éruptive. Peut-on
les assimiler en effet aux formations volcaniques
terrestres? Une assimilation complète parait diffi-
cile, quand on songe aux dimensions énormes
d'une grande partie des cirques. Ce qui est pro-
bable, c'est que leur formation est due à l'action
des forces internes ([ui, s'exerçant sur l'écorce du
globe lunaire alors que celui-ci était nouvellement
solidifié, brisèrent cette écorce suivant les lignes
de moindre résistance, c'est-à-dire suivant des pe-
tits cercles de la sphère, et formèrent, par soulè-
vement, les remparts en partie disloqués aujour-
d'hui qui simulent des chaînes de montagnes. Plus
tard, par le fait d'une consolidation plus com-
plète de l'écorce, et aussi par l'affaiblissement
de la force expansive des gaz intérieurs , de
nouveaux soulèvements eurent lieu, et cela sur
une échelle progressivement décroissante, jus-
qu'aux plus petits cratères qui criblent, pour ainsi
dire, la surface de certaines régions lunaires.
Un mot sur les dimensions des cirques. Les
plus grands atteignent en diamètre des dizaines,
des centaines de kilomètres. Le cratère Schickardt
mesure d'un bord h l'autre 25G kilomètres. Platon,
Ptolémée, Hipparque, (Copernic, Tycho sont des
cirques qui ont depuis ISO jusqu'à 90 kilomètres
de diamètre. Les plus petits cratères ont ii peine
un kilomètre. Quant aux hauteurs dos montagnes,
chaînes, remparts des cirques, pics isolés, elles
sont également considérables. Les remparts du
cratère iVewlon dominent le fond intérieur de
plus de 7001) mètres. Clavius, Casatus, les monts
Dœrfel et Leibnitz mesurent de "000 à 7500 mè-
tres d'altitude ; Tycho a 51:00 mètres, et Eratos-
thènes, 4S00. Ces hauteurs sont, relativement aux
dimensions du globe lunaire, plus grandes c|ue
celles des montagnes de la terre les plus éle-
vées.
Tels sont, en négligeant des particularités fort
curieuses, les caractères de l'orographie de la
LUNE
— 1232 —
LUNE
lune. Il nous reste, pour achever de donner une
idée de sa constitution pliysique, à transcrire quel-
ques données astronomiques et météorologiques.
D'après les calculs les plus récents, la masse de
la lune est égale à la 81' partie de la masse de
la terre : c'est une quantité environ 26 millions
de fois plus petite que la masse du soleil. Quant
à sa densité, elle surpasse un peu les G dixièmes
de la densité de notre globe. Rapportée à l'eau,
elle est égale à 3.30; c'est la densité de plusieurs
minéraux de la croûte terrestre, et aussi des mé-
téorites du type commun. A la surface de la lune,
l'inteiibité de la pesanteur n'est que le sixième
environ de l'intensité de la pesanteur à la surface
de la terre.
Le mouvement de rotation de la lune, combiné
avec celui de translation autour de la terre, dé-
termine à sa surface les mêmes phénomènes de
jour et de nuit que nous avons ici. Mais la durée
en est considérablement plus grande. Dans les
régions équatoriales de la lune, le jour dure 3,S4
heures environ, et à cette journée si longue suc-
cède une nuit de même durée.
Pour se faire une idée exacte des effets qu'une
aussi longue présence et une pareille absence
des rayons solaires sur un même horizon doivent
produire à la surface de notre satellite, il faut y
joindre cette circonstance, que la lune n'a point
d atmosphère et pas d'eau, et qu'ainsi les rayons
de lumière et df clialeur n'ont eu à traverser,
quand ils frappent le sol, aucun milieu absor-
bant, gazeux ou vaporeux. Pendant la nuit, le
rayonnement s'effectue donc dans les espaces
célestes avec une intensité extrême. A la chaleur
directe de près de quinze jours d'un soleil ardent,
succède le froid d'une longue nuit absolument
sereiiie.
La lune est, en effet, comme nous venons de le
dire, privée d'atmosphère, comme le prouve l'ab-
sence de toute réfraction observable, lorsque les
étoiles, par l'effet du mouvement diurne, sont
occultées par son disque. Cette preuve négative
indique tout au moins que l'atmosphère lunaire,
si elle existe en effet, est d'une rareté exces-
sive.
Quant à l'absence d'eau, elle résulte de la par-
faite netteté avec laquelle tous les détails de la
surface s'observent do la terre. S'il y avait de
1 eau, rivières, lacs ou mers, la faiblesse ou la
nullité de la pression atmosphérique en rendrait
la vaporisation très facile , des nuages se forme-
raient et en quelques points absorberaient la
lumière, masqueraient de taches plus brillantes
ou plus sombres, suivant les cas, les accidents si
LUNE
— 1233 —
LUXEMBOURG
'minutieux do la surface du sol. Or, rien do pareil
n'a jamais pu ôtre observé.
La météorologie de la lune, d'après tous les
éléments que nous venons de passer en revue et
qui touchent i sa constitution physique, est donc
probablement fort différente de la météorologie
terrestre. Il parait peu probable que notre satel-
lite possède actuellement des fitres organisés,
soit végétaux, soit animaux, et les habitants de
la lune, dont on a si souvent parlé, sont tout au
moins très problématiques.
Influences de la lune sar la terre. — La lu-
mière que la lune réfléchit vers la terre, et qui
n'est autre que celle du soleil, sans modification
appréciable au spectroscope, sert à éclairer nos
nuits, à la vérité d'une façon bien imparfaite, c'est-
à-dire bien inégale ou irrégulière. Mais c'est la
moindre des influences que notre satellite exerce
sur le globe terrestre.
En premier lieu, la lune agit sur la terre par
sa masse. Combinée avec l'action de la masse du
soleil, l'action de la masse lunaire produit la pré-
cession des équinoies, dont la période est, comme
on sait, de 26 000 années environ ; seule, elle dé-
termine la nutation, autre phénomène astronomi-
que dont la période est de 18 ans ïf'i.
Ces deux influences tiennent à la forme aplatie
de notre globe, au bourrelet équatorial qui en
résulte.
Une autre influence beaucoup plus manifeste est
l'action de la masse de la lune sur les eaux de
l'Océan, laquelle se combine également avec celle
du soleil, et produit les mouvements périodiques
des marées '.Bien que la lune soit 26 millions de
fois moins pesante que le soleil, grâce à sa proxi-
mité, elle a sur les marées une action environ deux
fois et demie aussi forte que le soleil lui-même.
Outre les marées océaniques, la lune produit,
pour les mêmes raisons, des marées atmosphéri-
<}ues dont la période doit évidemment être la
même. Mais les observations les plus minutieuses
■et les plus prolongées n'ont permis de constater,
de ce chef, qu'une influence extrêmement faible,
puisque la hauteur du baromètre n'en est affec-
tée au maximum, dans nos latitudes, que de la
18' partie d'un millimètre. A l'équateur, où l'ac-
•tion est maximum, les variations dues à cette in-
fluence de la lune ne dépassent pas I millimètre
de pression.
Ce n'est donc pas à cette cause qu'il est possi-
ble d'attribuer les changements de temps que l'o-
pinion publique ou le préjugé veut à toute force
considérer comme en dépendance avec les phases
de la lune. Est-ce au rayonnement, lumineux, ou
•calorifique, de cet astre qu'il est possible d'attri-
buer des changements aussi considérables? Les
rayons lunaires ont une action chimique incontes-
table, puisqu'ils permettent de très belles repro-
•duciions photographiques des phases du disque ;
mais cette action agit sur dos substances chimi-
ques spéciales, non sur les gaz de l'atmosphère.
•Quant k la chaleur, elle existe et a été mesurée.
Melloni et d'autres physiciens, en concentrant la
radiation de la lune à, 1 ai. le de miroirs ou de len-
tilles, ont obtenu des indices d'une augmentation
sensible de température. Peut-être, aux limites
■de l'atmosphère, avant l'absorption due aux cou-
■ches de cette enveloppe, la chaleur qui provient
de» rayons de la lune est-elle assez grande pour
■expliquer des changements notables : rien n'est
prouvé encore à cet égard II faut ajouter que les
savants qui ont fait des hypothèses sur linfluence
de la lune sur le temps, n'ont pas établi d'une
façon certaine qu'il y ait une relation entre les
phases de la lune et les changements de temps,
vents ou pluies, pression barométrique, tempéra-
ture, etc. C'est cependant par là qu'il faudrait
.commencer.
2' PARTIE.
Le public n'en demande pas si long. Les culti-
vateurs, les marins et nombre de gejis avec eux,
ont coutume de fonder leurs prédictions météoro-
logiques sur l'àL^c de la lune; que l'événement
les trompe ou non, ils ont foi à cette influence :
tous les raisonnements ne les convaincraient pas
de leur erreur. [A. Guillemin.]
LUXE.UBOCltG. — Nom d'une famille qui a
donné cinq empereurs i l'Allemagne.
Henri Vil, — Histoire générale, XIX, — était
comte de Luxembourg lorsque les électeurs le
choisirent pour succéder à Albert I" d'Au-
triche (1308,1. Keprenant les projets des empe-
reurs de la maison de Souabe, il passa les Alpes en
1310 à la tête de quelques soldats pour se rendre
en Italie, où Dante l'appelait comme un sauveur.
Le pape Clément V l'excommunia, mais avec l'ap-
pui des Gibelins il put se faire une armée, et
essaya de reconquérir le royaume de Naples. Il
mourut avant d'avoir réussi, en 1314, empoisonné
par un moine. Son fils Jean l'Aveugle, qui avait
épousé l'héritière du royaume de Bohême, ne lui
succéda pas comme empereur; la couronne impé-
riale passa sur la tête de Louis de Bavière. Mais
à la mort do celui-ci, elle revint dans la maison
de Luxembourg, par l'élection à l'empire du roi
de Bohême Charles, fils de Jean l'Aveugle.
Charles IV. — (V. Charles IV, empereur d'Al-
lemagne, p. 382.)
■Wenoeslaa, — Histoire générale, XX, — fils
de Charles IV, devint à la mort de son père (1378)
roi de Bohême et empereur d'Allemagne. Livré h
des vices honteux, il laissa l'empire dans une
complète anarchie, déchiré par des guerres pri-
vées que la diète essaya en vain de faire cesser.
Cet empereur, que ses sujets appelaient l'Ivrogne,
fut déposé en 1400; mais il conserva jusqu'il sa
mort (1419) le gouvernement de la Bohême. Ce
fut sous son règne, comme roi de Bohême, que
Jean Huss prêcha une réforme religieuse et que
commença la guerre des Hussites (V. Guerre îles
Hussites, p. 924). H eut comme successeur sur le
trône impérial Robert de Bavière.
Josse, — Histoire générale, XX, — marquis de
Moravie, cousin de l'empereur Wenceslas, fut élu
empereur à la mort de Robert de Bavière (1410),
mais mourut après trois mois d'un règne sans
importance. Il avait eu pour compétiteur Sigia-
mond, frère de Wenceslas.
Sigismond, — Histoire générale, XX, — roi de
Hongrie par son mariage avec la fille du roi Louis
le Grand, et frère de Wenceslas, fut élu empe-
reur en !4in, en même temps que Josse, dont la
mort le laissa bientôt seul maître de l'empire.
Comme roi de Hongrie, il avait dû faire la guerre
aux Turcs, et avait perdu la célèbre bataille de
N'icopolis (1391)), malgré le secours que lui avait
apporté une armée de chevaliers français (V. Mon
yrie). Le grand schisme d'Occident (V. Papauté)
agitait alors l'Europe catholique; le concile de
Pise (1409) n'avait fait que l'aggraver; pour y
mettre fin, Sigismond fit décider la réunion du
concile de Constance (1414). On sait que Jean
Huss, cité à comparaître devant le concile, y vint
muni d'un sauf-conduit de l'empereur, et que ce-
lui-ci, au mépris de la parole donnée, laissa en-
suite brûler vil' le réformateur dont le concile avait
condamné la docirine. En lil9, la mort de Wen-
ceslas fil passer la couronne de Bohême sur la
tête de Sigismond, qui eut alors à combattre la
redoutable insurrection des Hussites ^V. Guerre
dei //(^svi^s, p. 924), contre lesquels échouèrent
pendant quinze ans toutes les forces de l'empire.
(;e ne fut que grâce aux divisions des Bohémiens
que Sigismond, après la chute du parti taborite,
parvint à se faire reconnaître comme roi da
Bohême en souscrivant aux conditions que lui im-
posèrent les Hussites du parti utra(/uifti;. Il mou-
18
LYRIQUE (GENRE) — 1234 — LYRIQUE (GENRE)
rut en 143«, et avec lui s'éteignit la maison de ] moyen âge, la poésie a commencé par le cliant.
Luxembourg. Albert d'Autriche, son gendre, lui Homère a immortalisé les aèdes helléniques qui
succéda sur le trùne impérial
LVMPIIE. — Zoologie, XXXIV. — Les vaisseaux
lymphatiques constituent un appareil vasculaire
distinct du réseau capillaire sanguin, circulant
dans tout l'organisme et venant déboucher, par
deux canaux, dans les veines sous-claviéres gauche
et droite.
Certains de ces vaisseaux lymphatiques rampen
charmaient la cour des rois grecs par des chants
improvisés aux accords de la lyre ; deux mille ans
plus tard, les troubadours et les trouvères allaient
de château en château, le luth ou la harpe en main.
C'est à ces antiques souvenirs qu'il faut remon-
ter pour expliquer le ternie de Poésie lyrique.
Etyinologiquement et historiquement la poésie
lyrique est avant tout un chant; la lyre dont
sous la muqueuse de l'intestin pour y former un , s'accompagnait le poète primitif a disparu, mais
système distinct, celui des vaisseaux ch^li/'èi-es, } elle a donné à cette poésie son caractère distinc-
chargc de l'absorplion intestinale. Tous les autres, ; tif entre la poésie épique et la poésie dramatique,
constituant les vaisseaux li/mphatiques propre- | Elle n'a ni les longs et majestueux développements
ment dits, recueillent dans tout l'organisme dos j de l'épopée, ni la saisissante vivacité du drame;
produits provenant soit de la transformation des | mais, par un charme analogue à celui de la musi-
tissus, soit de l'excédant du liquide cédé par les , que, elle exprime les sentiments les plus intimes,
capillaires aux organes pendant l'acte de la nutri- j les plus profonds de l'âme humaine. Joies et
tion générale. Le liquide en circulation dans les , douleurs, espérance et souvenir, fièvre du com-
chylifèress'appi-Ue le cAv/e; celui que transportent j bat, orgueil du triomphe, élans du patriotisme,
les lymphatiques se nomme la bjn.phe. \ ivresse des passions, langueurs de la rêverie, en-
L' étude du système chylifère et colle du chyle . trainements de la volupté, enthousiasme de la
ont été faites "avec celle de l'absorption intesli- vertu, illusions de la jeunesse, tendresses et fu-
nale (V. A/'Sorption); nous n'avons donc ici qu'à ' reurs de l'amour, amertumes du remords, tris-
nous arrêter quelque peu aux lymphatiques vrais. | tesses du deuil, jeux cruels de la fortune, éter-
L'origine de ces canaux dans les tissus est peu j nelle instabilité de l'homme, inquiétudes ineffables
connue; ils paraissent d'abord longer les vaisseaux j et curiosités inassouvies de l'âme humaine, tel
capillaires auxquels ils adhèrent, puis ils forment | est l'objet de la poésie lyrique. Elle peut vraiment
des troncs libres et, après avoir traversé plusieurs | dire comme le poète : rien de ce qui est humain
glandes ou ganiilins lym/iliatiques où ils forment , ne m'est étranger. A la différence des autres for-
des enchevêtrements pelotonnés avec des capil- mes de la poésie, celle-ci n'est pas un langage
laires sanguins, ils débouchent ou bien dans l'ap- | exclusivement réservé i certaines conditions de
pareil veineux par l'intermédiaire de la grande , l'homme ou de la société, assujetti à des règles
veine lymphatique s'ouvrant dans la veine sous- | rigoureuses, enfermé dans des limites infranchis-
Clavière gauche, ou bien dans le cnnal ihoracique sables. Elle a la richesse et la souplesse, l'éten-
par l'intermédiaire d'un seul vaisseau; de sorte ' due et la variété de l'âme humaine, dont elle est
que la lymphe est finalement mêlée au sang vei- | l'écho le plus pur, le plus clair, le plus libre,
neux, mais tout près du cœur. Ce liquide n'est Car suivant une juste et vive image, la lyre dont
pas formé de déchets, mais bien de substances , elle fait vibrer les cordes, à proprement parler,
n'ayant qu'à subir l'action de l'oxygène de l'air | c'est le cœur de l'homme. Aussi le philosophe
pour redevenir propres à se fixer dans les tissus; I Jouffroy a-t-il pu dire : la poésie lyrique, c'est la
aussi, immédiatement après son mélange avec le poésie elle-même. _ ' ,
sang veineux (sang non nutritif), il est projeté par | De cette définition même ressort 1 impossibilité
le cœur dans l'appareil pulmonaire où, par la res
piration, il sera en même temps que le sang vei-
neux converti en sang artériel.
Le sang veineux est donc le sang privé d'élé-
ments nutritifs ; il s'est formé dans tout l'orga-
tout ensemble et l'inutilité d'une classification mé-
thodique des diverses formes poétiques comprises
sous le nom de genre lyrique. Les noms qu'on leur
donne rappellent pour la plupart 1 idée de chant ;
les n)Ots ùde et hi/mji'' sont les équivalents grecs
nisme; la lymphe est un produit de la désassimila- de chant, clmnson, cantique. Ces petits poèmes
tion générale, mais contenant des éléments de ré- 1 changent d'allure, de ton, de rhylhme, de carac-
paration qui se mêlent au sang veineux au moment , tère suivant qu'ils sont un chant religieux (psau-
où celui-ci va subir l'action de l'oxygène de l'air j mes, hymnes, cantiques), un chant de guerre, un
sous la muqueu-e respiratoii'e ; et le chyle est un j chant de fête ou de triomphe (dithyrambe, péan),
liquide provenant de l'absorption digestive, ( onte- 1 un chant d'amour (ode anacréontique, romance,
nant aussi des éléments de réparation et se com- I chanson, etc ), un chant de douleur (élégie,
portant comme la lymphe. | thrène, etc.). Quelques-uns jaillissent du fond de
La structure des vaisseaux lymphatiques est ; l'âme sans effort et sans règle, expression natu-
celle des vaisseaux chylifères, et la lymphe a relie et naïve du sentiment; d'autres prennent
beaucoup d'analogie avec le chyle
Chez certaines personnes ayant la peau fine et
blanche, les glandes lymphatiques sont sujettes à
des engorgements déterminant leur inflammation ;
on dit alors que ces sujets ont le teniiiérament
lymphatique. Par suite d'accidents comme des
une forme convenue et se plient à des conditions
métriques et rhythmiques tout artificielles (son-
net, rondeauj. M. Vapereau propose de rame-
ner tous les modes de poésie lyrique à trois types:
(( l'hymne, l'ode et la chanson. L'hymne, dont
le psaume et le dithyrambe sont des variétés.
contusions ou des blessures, les ganglions du , représente la poésie lyrique s'attachant à des su-
membre atteint peuvent s'enflammer et devenir le i jets religieux, élevant l'âme veis la divinité et lui
siège d'une douleur qui cause une gène dans les < adressant des hommages ou des actions de grâce
mouvements du membre tout entier
Enfin il est bon de savoir que, lorsque une plaie
(coupure, brûlure, etc.) se cicatrise, le travail de
réparation se fait aux dépens d'un liquide visqueux
que les éléments voisins de la partie malade
laissent exsuder et qu'on nomme lynifihe plastique.
Ce liquide, qui permet aux organes élémentaires
du tissu disparu de se refaire, n'est pas identique
à la lymphe proprement dite. [G Philippim.]
LYUI(JL'E (Genre). — Littérature et style, 111.
— Dans l'antiquité grecque comme dans notre
La poésie lyrique garde le même nom quand elle
exprime le sentiment patriotique. Le mot hymne
réveille l'idée d'une manifestation collective du
sentiment religieux ou national. L'ode est l'ex-
pression de sentiments plus individuels et, sur
des sujets variés, rappelle à l'esprit les formes
particulières du rliythme où s'est enfermée la poé-
sie lyrique. La chanson désigne, avec non moins
de variété, des inspirations d'i.n ordre moin»
élevé et qui sont restées plus intimement unie»
au chant. »
LYRIQUE (GENRE) — 1235 — LYRIQUE (GENRE)
Nous n'cntreprfindrons pas d'esquisser l'his-
toire de la poésie lyrique i travers tous les âges
et chez les divers peuples du monde civilisé.
Nous croyons mieux faire, pour donner une idée
des dilTérenles formes du genre lyrique, de trans-
crire ici quelques morceaux caractéristiques.
En consultant les articles spéciaux que nous con-
sacrons aux diverses littératures, le lecteur trouvera
d'ailleurs quelques détails sur la poésie lyrique
chez les Indous, chez les anciens Hébreux, chez
les Grecs et les Romains, enfin, chez les différents
peuples modernes, et particulièrement en France.
— V. Inde, Isrnélites, Grèce, Z-a^/jîe (Littérature),
L'tti'm titre française, Troubwlours, Altemnijne
(au supplément), i4nry/eifn-e (au supplément), Ês-
paçjne. litats-Vnis, Italie, Scan liriiwes (Etats), etc.
iJans l'espèce d'anthologie — nécessairement
très sommaire —que nous donnons ci-dessous, on
lira la tr,iduction d'un hymne du liuj-Yed'i, d'un
psaume, d'une ode de Pindaro, d'un chœur
do Sophocle, d'une chanson populaire grecque,
de deux odes d'Horace ; puis quelques mor-
ceaux qui permettront de suivre le développement
des diverses formes do la poésie lyrique dans
notre littérature, en commençant à, Charles d'Or-
léans, Marot et Ronsard, et passant par Malherbe,
Jean-Baptiste Rousseau et Lebrun, pour aboutir
à la splendide floraison de l'école romantique et du
lyrisme contemporain. Nous n'avons pas prétendu
ne donner que des chefs-d'œuvre : il fallait bien,
pour n'être pas trop incomplet, citer quelques stro-
phes de certains lyriques du XV!!"^ et du xviii» siè-
cle, malgré les défauts d'une poésie toute de con-
voiiiion et trop souvent déclamatoire. D'autre part,
nous n'avons pu accorder autant de place que nous
l'eussions voulu aux poètes contemporains : en
dehors des grands noms qui s'imposent, le man-
que d'espace nous a obligés à ne faire qu'un choix
très restreint parmi les talents aimés du pu-
blic.
POÉSIE LYRIQUE ANCIENNE.
UN HYMNE DU RIG-VÉDA.
'Le Rirj- Véda, ou Véda de la louange, est le plus ancien
des qualre li\res sacrés des Indous. L'hymne dont nous
dounons la traduction est Je premier de la 1" seclion).
A Agni (le feu).
1. Je chante Agni, le dieu prêtre et pontife, le
magnifique Agni, héraut du sacrifice.
'2. Qu'Agni, digne d'être chanté par les richis
(poètes) anciens et nouveaux, rassemble ici les
dieux.
.3. Que par Agni l'homme obtienne une fortune
sans cesse croissante, glorieuse et soutenue par
une nombreuse lignée.
4. Agni, l'offrande pure que tu enveloppes de
toute part s'élève jusqu'aux dieux.
5. Qu'avec les autres dieux vienne vers nous
Agni, le dieu sacrificateur, qui jnint à la sagesse
des œuvres la vérité et l'éclat varié de la gloire.
6. Agni, toi qui portes le nom d'Angiras, le bien
que tu feras à ton serviteur tournera à ton
avantage.
7. Agni, chaque jour, soir et matin, nous ve-
nons vers toi, t'apportant l'hommage de notre
prière.
s. A toi, gardien brillant de nos offrandes,
splendeur du sacrifice ; à toi, qui grandis au sein
du foyer que tu habites.
9. Viens à nous, Agni, avec la bonté qu'un père
a pour son enfant; sois notre ami, notre bien-
faiteur. [Traduetiun de Langlois.)
PSAUME CXXXV (PS. CXXXVI DE LA VOLGATE).
(Sur les Psaumes, V. Israélites, p. 1063.)
Au bord des rivières de Babel
Nous étions assis et nous pleurions,
En nous souvenant de Sion.
Aux saules de la campagne
Nous avions suspendu nos lyres,
Car là nos ravisseurs nous commandaient des pa-
[roles do chant.
Nos oppresseurs des accents de joie :
(1 Chantez-nous un cantique de Sion I »
Comment chanterions-nous le chant de
Sur la terre étrangère! [Jéhowah
Si jo t'oublie, Jérusalem,
Que ma main soit oublieuse aussi !
Que ma langue s'attache à mon palais,
Si je cesse de songer à toi.
Si je ne mets point Jérusalem
Au-dessus de toutes mes joies !
Garde, Eternel, aux fils d'Edora
Le souvenir du jour de Jérusalem,
A ceux qui disaient : Rasez, rasez,
Jusi|u'à ses fondements !
Fille de Babel, dévastatrice.
Salut à qui te paie pour ce que tu nous as fait!
Salut à qui saisit et écrase
'l'es nourrissons contre le rocher!
[Ti-uduction de M. Reuss.)
PiNDARE, xiv" Olympique.
(Sur Pindare, V. Grèce, p. 910.)
Pour le jiitne Atopichos, vainqueur dans
le stade.
Strophe 1. — Vous qui régnez sur les eaux de
Céphise, habitantes d'une résidence aux beaux
coursiers, ô Grâces, illustres souveraines de la
brillante Orchomène, protectrices des antiques
Minyens, écoutez moi ! Je vous implore. C'est par
vous qu'iirrive aux mortels tout ce qui plaît, tout
ce qui charme; que l'homme est sage, qu'il est
beau, qu'il est, renommé. Car les dieux eux-
mêmes, sans les Grâces vénérées, ne président
ni chœurs, ni banquets ; mais, arbitres de tout ce
qui se fait dans le ciel, assises sur des trônes
près d'Apollon Pythien à l'arc d'or, elles rendent
un hommage éternel au père de l'Olympe.
Sirophe .. — Auguste Aglaé. Euphrosyne amie
des chants, filles du plus puissant des dieux, exau-
cez mes vœux, et toi aussi, Thalie qui chéris les
vers, regarde cette pompe qui s'avance légère,
dans la joie du succès. C'est pour chanter Aso-
pichos dans mes hymnes, sur le mode lydien, que
je suis venu. Car la cité des Minyens a vaincu à
Olympie, grâce à toi. Va maintenant dans la noire
demeure de Perséphone, ô Echo ; porte à un père
cette glorieuse nouvelle ; vois Cléodème, et dis-
lui que son fils, dans les vallons de Pise la fa-
meuse, a couronné sa jeune chevelure des ailes de
la victoire.
Sophocle, Chœur de la tragédie d'CEdipeà Colone.
(Sur Sophocle, V. Grèce, p. 911. Le chœur que nous tra-
duisons, et qui célèhre les louanges de l'Altique, est
celui que, selon la tradition, Sophocle, âgé de plus de
quat<e-vin::ts ans. lut devant ses juges, lorsqu'il dut. en
réponse a l'aetion judiciaire que lui avaient intentée des
fils ingrats, piouver qu'il jouissait encore de la plénitude
de ses facuhe,.)
Stro/jhe 1 . — Etranger, te voilà dans le plus
beau séjour de cène contrée riche en coursiers,
dans le blanc Colone. Ici le mélodieux rossignol
chante au fond des vallons verdoyants, caché sous
le lierre rO' geâtro, ou dans le bois sacré que nul
pied ne foule, impénétrable aux rayons du soleil.
LYRIQUE (GENRE) — 1236 — LYRIQUE (GENRE)
et dont les arbres cliargés de fruits sont toujours
respectés des orages : là Dionysos aux joyeux
transports aime à errer, entouré de ses divines
nourrices.
Antistrophe 1. — Là fleurit chaque jour sous la
rosée du ciel le narcisse aux belles grappes, anti-
que couronne des grandes déesses, et le safran
doré. Les sources du Cépliise qui ne tarit jamais
versent sans cesse une eau limpide qui court
dans la plaine et féconde ces fertiles campa-
gnes, où se plaisent aussi les chœurs des Muses
et Aphrodite aux rênes d'or.
St: ophe 2. — On y voit un arbre que ne possè-
dent, dit-on, ni la terre d'Asie, ni la grande Ile
dorienne de Pélops (le Péloponèse), un arbre qui
' vient de lui-même, sans culture, effroi des lances
ennemies, et qui dans cette contrée s'élève vigou-
reux, l'olivier au feuillage glauque, nourricier de
l'enfance. Nul chef ennemi, jeune ou vieux, ne
pourra jamais le détruire et l'arracher, car sur lui
veillent sans cesse le regard de Zeus, protecteur
des oliviers, et Athéné aux yeux bleus.
Antistrophe 2. — J'ai encore à dii-e le plus beau
titre de gloire de cette grande cité, le don d'un
dieu puissant : l'art d'élever et de conduire les
coursiers, et de voguer sur les mers. 0 fils de
Kronos, c'est toi qui l'as élevée à ce degré de
gloire, souverain Poséidon ; par toi, elle a connu la
première le frein qui dompte les chevaux; par toi
le vaisseau poussé par la rame que gouverne une
main habile vogue rapidement sur les flots, émule
des agiles Néréides.
CHANSON D'raHHOUIOS ET d'aRISTOGITON.
(Cette chanson populaire, composée on l'honneur des deux
libérateurs d'Athènes par un auteur inconnu, se chan-
tait à Athènes dans tous les banquets comme une sorte
d'hymne national.)
1.
Je porterai mon glaive dans une branche de myrte,
Comme Harmodios et Ai istogiton,
Lorsqu'ils tuèrent le tyran
Et qu'ils rendirent Athènes libre.
2.
Cher Harmodios, tu n'es point mort,
Mais on dit que tu habites dans les îles des
[bienheureux
Où sont Achille aux pieds légers
Et Diomède, le fils de Tydée.
Je porterai mon glaive dans une branche de myrte.
Comme Harmodios et Aristogiton,
Lorsqu'à la fête des Panathénées
Ils tuèrent le tyran Hipparque.
4.
Votre gloire sera éternelle.
Cher Harmodios, cher Aristogiton,
Parce que vous avez tué le tyran
Et que vous avez rendu Athènes libre.
HOHACE, ODES.
(Sor Horace, V. l'article Latine [Littérature], p. 1127).
A Dellius (livre II, ode in).
Toujours égal et ferme au sein de l'infortune.
Défends-toi des transports dont une 4ine commune
Dans la prospérité se laisse enorgueillir,
Dellius. Notre sort à tous est de mourir,
Soit qu'un sombre chagrin ait rempli notre vie,
Soit qu'au sein de la joie elle ait coalé gaiment,
Et que, sur le gazon étendus mollement,
Un Falerne fumeux l'ait souvent embellie.
Vois-tu ces ormes verts, ces pins hospitaliers,
Mariant leurs rameaux à de blancs peupliers?
Ce ruisseau fugitif dont l'onde transparente
Sur des cailloux polis en gazouillant serpente?
Fais-y porter du vin, des parfums et des fleurs.
Des fleurs que nous verrons, hélas, sitôt fanées.
Et jouis doucement de ces belles journées
Que te laissent encor les infernales sœurs.
Ces bois, ces beaux vergers que le Tibre caresse,
Cet élégant palais qu'éleva ta richesse,
Il faudra les quitter; un héritier joyeux
Dépensera tout l'or dont tu repais tes yeux.
Fils de pauvre ou de roi, puissant ou sans asile,
Nul n'échappe à Phiton.Nos noms sont, tôt ou tard.
Tirés tous sans pitié de l'urne du hasard
Et la barque fatale à jamais nous exile.
{Traduction île M. Goupy.)
A la fontaine de Bandusie (livre III, ode xiii).
0 fontaine de Bandusie, plus claire que le cris-
tal, digne d'être honorée d'un doux tribut de vin
et de fleurs, demain tu recevras l'offrande d'un
chevreau à qui son front, armé de cornes nais-
santes.
Promet des amours et des combats. Promesse
vaine : car il rougira de son sang tes eaux si
fraîches, le rejeton du troupeau lascif.
L'heure brûlante de la Canicule enflammée ne
saurait t'atteindre ; tu offres une aimable fraî-
cheur aux bœufs fatigués de la charrue et au
bétail errant.
Toi aussi tu seras comptée parmi les fontaines
illustres, car je chanterai l'yeuse qui domine le
rocher creux d'où jaillissent tes eaux murmu-
rantes.
POÉSIE LYRIQUE FRANÇAISE.
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.
Et s'est vestu de brouderie.
De souleil luisant, cler et beau.
Il n'y a beste, ne oyseau.
Qu'en son jargon ne chante, ou crie :
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.
Rivières, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie
Goûtes d'argent d'orfaverie.
Chascun s'abillc de nouveau.
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.
Charles d'Okléans (mort en 1465)
DIZAW.
A la reine de Navarre.
Mes créanciers, qui de dixains n'ont cure,
Ont lu le vostre, et sur ce leur ai dict :
« Sire Michel, sire Bonaventure,
La sœur dn Roy a pour mny fatct ce dict. »
Lors euli, cuydant que fusse en grand crédit.
M'ont appelé Monsieur à cry et cor.
Et m'a valu votre escript autant qu'or,
(jtr promis ont, non seulement d'attendre.
Mais d'en prester (fo/ de marchant) encor.
Et j'ay promis ,.oy de Clément) d'en prendra
Clément Mabot (mort en 1614).
i
Je vous envoyé un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies;
Qui ne les eust à ce vospro cueillies,
Cfceutes à terre elles fussent demain.
il
LYRIQUE (GENRE) — 1237
Cela vous soit un exemple certain
Que vos bcautoz, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront toutes flétries,
El, comme fleurs, périront tout soudain.
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame;
Las! le temps, non, mais nous nous en allons.
Et tost serons estendus sous la lame.
Et des amours desquelles nous parlons.
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle.
Pour ce aimez-moi, ce pendant qu'estes belle.
Ronsard (mort en 1586).
PARAPHRASE DU PSAUME CXLV.
N'ospcrons plus, mon âme, aux promesses du monde,
Sa lumière est un verre et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nons de les suivre.
C'est Dieu qui nous fait vivre,
C'est Dieu qu'il faut aimer.
En vain, pour satisfaire à nos lâches envies.
Nous passons prèsdesroistout le tempsde nos vies
A souffrir des mépris et ployer les genoux.
Ce qu'ils peuvent n'est rien ; ils sont comme nous
Véritablement hoinmes, [sommes.
Et meurent comme nous.
Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière
Dont l'éclat orgueilleux étonnait l'univers;
Et dans ces grands tombeaux, où leurs âmes hau-
Font encore les vaines, [taines
Ils sont mangés des vers.
Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre;
Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de
[flatteurs,
Et tombent avec eux d'une chute commune
Tous ceux que leur fortune
Faisait leurs serviteurs.
Malherbe (mort en 1628).
(Contre le livre de Benserade, les Métamorphoses d'Ovide
mises en rondeaux.)
A la fontaine où l'on puise cette eau
Qui fait rimer et Racine et Boileau,
Je ne bois point, ou bien je ne bois guère ;
Dans un besoin, si j'en avais alTaire,
J'en boirais moins que ne fait un moineau.
Je tirerai pourtant de mon cerveau
Plus aisément, s'il le faut, un rondeau.
Que je n'avale un plein verre- d'eau claire
A la fontaine.
De ces rondeaux un livre tout nouveau
A bien des gens n'a pas eu l'heur de plaire;
Mais quant à moi j'en trouve tout fort beau :
Papier, dorure, images, caractère.
Hormis les vers, qu'il fallait laisser faire
A La Fontaine.
Chapelle (mort en 1686).
Les cieux instruisent la terre
A révérer leur auteur :
Tout ce que le globe enserre
Célèbre un Dieu créateur.
Quel plus sublime cantique
Que ce concert magnifique
De tous les célestes corps !
Quelle grandeur infinie I
Quelle divine harmonie
Résulte de leurs accords I
LYRIQUE (GENRE)
De sa puissance immortelle
Tout parle, tout nous instruit.
Le jour au jour la révèle,
La nuit l'annonce à la nuit.
Co grand et superbe ouvrage
N'est point pour l'homme un langage
Obscur et mystérieux.
Son admirable structure
Est la voix de la nature
Qui se fait entejidre aux yeux.
Dans une éclatante voûte
Il a place de ses mains
Ce soleil qui, dans sa route.
Eclaire tous les humains.
Environné de lumière.
Cet astre ouvre sa carrière
Comme un époux glorieux.
Qui, dès l'aube matinale.
De sa couche nuptiale
Sort brillant et radieux.
L'univers, à sa présence.
Semble sortir du néant.
Il prend sa course, il s'avance
Comme un superbe géant.
Bientôt sa marche féconde
Embrasse le tour du monde
Dans le cercle qu'il décrit;
Et, par sa chaleur puissante,
La nature languissante
Se ranime et se nourrit.
Oh! quêtes œuvres sont belles,
Grand Dieu ! Quels sont tes bienfaits!
Que ceux qui te sont fidèles
Sous ton joug trouvent d'attraits!
Ta crainte inspire la joie ;
Elle assure notre voie,
Elle nous rend triomphants;
Elle éclaire la jeunesse.
Et fait briller la sagesse
Dans les plus faibles enfants.
J.-B. Rousseau (mort en 1741).
LE LAC DE GENÈVE.
(Ce morceau fut écrit par Voltaire en arrivant dans sa
campagne des Délices, près de Genève.)
O maison d'Aristippe, i> jardins d'Epicure,
Vous qui me présentez, dans vos enclos divers.
Ce qui souvent manque à mes vers,
Le mérite de l'art soumis à la nature ;
Empire de Pomone et de Flore sa sœur,
Recevez votre possesseur ;
Qu'il soit, ainsi que vous, solitaire et tranquille.
Je ne me vante point d'avoir en cet asile
Rencontré le parfait bonheur :
Il n'est point retiré dans le fond d'un bocage ;
Il est encor moins chez les rois;
Il n'est pas môme chez le sage :
De cette courte vie il n'est point le partage ;
Il y faut renoncer ; mais on peut quelquefois
Embrasser au moins son image.
Que tout plaît en ces lieux i mes sens étonnés.!
D'un tranquille océan l'eau pure et transparente
Baigne les bords fleuris de ces champs fortunés ;
D'innombrables coteaux ces champs .sont couron-
Bacchus les embellit; leur insensible pente [nés ;
Vous conduit par degrés à ces monts merveilleux
Qui pressent les enlers et qui fejident les cieux.
Le voilà ce théâtre et de neige et de gloire,
Eternel boulevard qui n'a point garanti
Des Lombards le beau territoire.
Voilà ces monts affreux, célébrés dans l'histoire.
Ces monts qu'ont traversés, par un vol si hardi.
Les Charles, les Othon, Catinat et Conti,
Sur les ailes de la victoire.
LYRIQUE (GENRE) —1238— LYRIQUE (GENRE)
Que le chantre flatteur du tyran des Romains,
L'auteur harmoiiipux des douces Géorgiques
Ne chaîne plus ces lacs et leurs bords magnifiques,
Ces lacs que la nature a creusés de ses mains
Dans les campagnes italiques.
Mon lac est le premier : c'est sur ses bords heu-
Qu'habite des humains la déesse éternelle, [reux
L'àme des grands travaux, l'objet des nobles vœux.
Que tout mortel embrasse, ou désire, ou rappelle,
Qui vil dans tous les cœurs, et dont le nom sacré
Dans les cours des tyrans est tout bas adoré,
La liberté ! J'ai vu celte déesse altièrc,
Avec égalité répandant tous les biens.
Descendre de Moral en habit de guerrière,
Les mains teintes du sang des fiers Autrichiens
Et de Charles le Téméraire.
Devant rlle on portait ces piques et ces dards.
On traînait ces canons, ces échelles fatales.
Qu'elle-même brisa, quand ses mains triomphales
De Genève en danger défendaient les remparts.
Un peuple entier la suit : sa naïve allégresse
Fait atout l'Apennin répéter ses clameurs;
Leurs fronts sont couronnés de ces fleurs que la
[Grèce
Aux champs de Marathon prodiguait aux vain-
(queurs.
C'est là leur diadème; ils en font plus de compte
Que d'un cercle à fleurons de marquis oude comte.
Et des larges mortiers à grands bords abattus.
Et de ces mitres d'or aux deux sommets pointus.
On ne voit point ici la grandeur insultante
Portant de l'épaule au coté
Un ruban que la Vanité
A tissu de sa main brillante;
Ni la Fortune insolente
Repoussant avec fierié
La prière humble et tremblante
De la triste Pauvreté.
On n'y méprise point les travaux nécessaires ;
Les éiats sont égaux, et les hommes sont frères.
Liberlé, liberté, ton trône est en ces lieux.
La Grèce où tu naquis l'a pour jamais perdue,
Avec ses sages et ses dieux.
Rome depuis Brulus ne t'a jamais revue.
Chez vingt peuples polis i peine es-tu connue.
Le Sarmate à cheval t'embrasse avec fureur ;
Mais le bourgeois à pied, rampant dans l'esclavage.
Te regarde, soupire et meurt dans la douleur.
L'Anglais, pour te garder, signala son courage;
Mais on prétend qu'à Londre on te vend quelque-
[fois ;
Non, je ne le crois point; ce peuple fier et sage
Te paya de son sang, et soutiendra les droits.
Aux marais du Batave on dit que tu chancelles ;
Tu peux te rassurer : la race des Nassaux,
Qui dressa sept autels à tes lois immortelles.
Maintiendra de ses mains fidèles
El tes honneurs, et tes faisceaux.
Venise te conserve, et Gênes t'a reprise.
Tout à cùté du trône à Stockholm on t'a mise;
Un si beau voisinage est souvent dangereux.
Préside à tout Etal où la loi t'autorise,
Et restes-y si tu le peux.
Embellis ma retraite où l'amitié t'appelle;
Sur de simples gazons viens l'asseoir avec elle.
Elle fuit comme toi les vanités des cours.
Les cabales du monde, et son règne frivole.
G deux divinités ! vous êtes mon recours ;
L'une élève mon àme, et l'autre la console;
Présidez à mes derniers jours.
'Voltaire (1"65).
LA JEDNE TARENTINE.
Pleurez, doux alcyons! ô vous, oiseaux sacrés.
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez !
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine !
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine :
Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a pour celte journée.
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras seront parcs.
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles.
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe : étonnée, et loin des matelots,
Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher.
Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par son ordre bientôt les belles Néréides
S'élèvent au-dessus des demeures humides.
Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphyr déposé mollement ;
Et de loin, à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas, autour de son cercueil :
« Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée,
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.
L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds,
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux ! »
Andbé Chénieh (mort en nU4).
LE VAISSEAU le Veiigeitr.
Au sommet glacé du Rhodope
Qu'il soumit tant de fois à ses accords touchants,
Par de timides sons le fils de Calliope
Ne préludait point à ses chants.
Plein d'une audace pindarique.
Il faut que des hauteurs du sublime Hélicon
Le premier trait que lance un poète lyrique
Soit une flèche d'Apollon.
L'Etna, géant incendiaire.
Qui d'un front embrase fend la voûte des airs,
Dédaigne ces volcans dont la froide colère
S'épuise en stériles éclairs.
A peine sa fureur commence,
C'est un vaste incendie et des fleuves brûlants.
Qu'il est beau de courroux, lorsque sa bouche im-
Vomit leurs flots élincelants ! [mense
Tel éclate un libre génie.
Quand il lance aux tyrans les foudres de sa voix;
Telle à flots indomptés sa brûlante harmonie
Entraîne les sceptres des rois.
Toi que je chante et que j'adore,
Dirige, ô libert', mon vaisseau dans son cours.
Moins de vents orageux tourmentent le Bosphore
Que la mer terrible où je cours.
Argo, la nef à voix humaine,
Qui mérita l'Olympe et luit au front descieui.
Quel que fût le succès de sa course lointaine,
Prit un vol moins audacieux.
Vainqueur d'Eole et des Pléiades,
Je sens d'un souffle heureux mon navire emporté ;
11 échappe aux écueils des trompeuses Cyclades,
Et vogue à l'immortalité.
Mais des flots fût-il la victime.
Ainsi que le Vengeur il est beau de périr :
Il est beau, quand le sort vous plonge dans l'abîme,
De paraître le conquérir.
Trahi par le sort infidèle,
Comme un lion pressé de nombreux léopards,
Seul au milieu de tous, sa fureur étincelle;
Il les combat de toutes parts.
LYRIQUE (GENRE)
1239 — LYRIQUE (GENRE)
L'airain lui déclare la guerre;
Le fer, l'onde, la flamme entourent ses héros.
Sans doute ils triompliaient ; mais leur dernier ton-
Vient de s'éteindre dans les flots. [nerre
Captifs, la vie est un outrage :
Ils profèrent le goufl're h ce bienfait honteux.
L'Aiiglais, en frémissant, admire leur courage;
Albion pâlit devant eux.
Plus fiers d'une mort infaillible,
Sans peur, sans désespoir, calmes dans leurs com-
De ces républicains l'ànie n'est plus sensible [bats.
Qu'à l'ivresse d'un beau trépas.
Près de se voir réduits en poudre.
Ils défendent leurs bords enflammés et sanglants.
Voyez-les délier et la vague et la foudre.
Sous des mâts rompus et brûlants !
Voyez ce drapeau tricolore
Qu'élève en périssant leur courage indompté;
Sous le flot qui les couvre, entendez-vous encore
Ce cri : Vive la hberté !
Ce cri, c'est en vain qu'il expire,
Fitoufl'é par la mon et par les flots jaloux :
Sans cesse il revivra, répété par ma lyre ;
Siècles, il planera sur vous !
Et vous, héros de Salamine,
Dont Téthys vante encor les exploits glorieux.
Non, vous n'égalez point cette auguste ruine,
Ce naufrage victorieux.
Ecouciiard-Lebrun (mort en 180").
LA PBOMENADE.
Roule avec majesté tes ondes fugitives,
Seine; jainie à rêver sur tes paisibles rives.
En laissant comme toi la reine des cités.
Ah ! lorsque la Nature, h mes yeux attristés.
Le front orné de fleurs, brille en vain renaissante;
Lorsque du renouveau l'haleine caressante
Rafraîchit l'univers de jeunesse paré.
Sans ranimer mon front pâle et décoloré;
Du moins, auprès de toi que je retrouve encore
Ce calme inspirateur que le poète implore.
Et la mélancolie errante au bord des eaux.
Jadis, il m'en souvient, du fond do leurs roseaux,
Les nymphes répétaient le chant plaintif et tendre
Qu'aux échos de Passy ma voix faisait entendre.
Jours heureux ! temps lointain, mais jamais oublié,
Où les arts consolants, où la douce amitié.
Et tout ce dont le charme intéresse à la vie,
Egayaient mes destins ignorés de l'envie I
Saint-Cloudjje t'aperçois; j'ai vu, loin de tes rives.
S'enfuir sous les roseaux tes naïades plaintives;
J'imite leur exemple, et je fuis devant toi :
L'air de la servitude est trop posant pour moi,
A mes yeux éblouis vainement tu présentes
De tes bois toujours verts les masses imposantes,
Tes Jardins prolongés qui bordent ces coteaux.
Et qui semblent de loin suspendus sur les eaux:
Désormais je n'y vois que la tngo avilie
Sous la main du guerrier qu'admira l'Italie.
Des champêtres plaisirs tu n'es plus le séjour:
Ah! de la liberté tu vis le dernier jour!
Dix ans d'etVorts pour elle ont produit l'esclavage I
Un Corse a des Français dévoré l'héritage I
Elite des héros au combat moissonnés.
Martyrs avec la gloire à l'échafaud traînés.
Vous tombiez satisfaits dans ujie autre espérance !
Trop de sang, trop de pleurs ont inondé la France;
De ces pleurs, de ce sang un homme est l'héritier!
Aujourd'hui dans un homme un peuple est tout
Tel est le fruit amer des discordes civiles, [entier !
Mais les fers ont-ils pu trouver des mains serviles?
Les Français de leurs droits ne sont-ils plus jaloux?
Cet homme a-t-il pensé que, vainqueur avec tous,
Il pouvait, malgré tous, envahir leur puissance '?
Déserteur de l'Egypte, a-l-il conquis la France'?
Jeune imprudent, arrête : où donc est l'ennemi!
Si dans l'art des tyrans tu n'es pas affermi
Vains cris! plus de sénat; la république expire;
Sous un nouveau Cromwell naît un nouvel empire.
Hélas! le malheureux, sur ce bord enchanté.
Ensevelit sa gloire avec la liberté.
Crédule, j'ai longtemps célébré ses conquêtes;
Au forum, au sénat, dans nos jeux, dans nos fêtes.
Je proclamais son nom, je vantais ses exploits.
Quand ses lauriers soumis se courbaient sous les
ijuand, simple citoyen, soldat du peuple libre, [lois,
Aux bords de l'Eridan, de l'Adige et du Tibre,
Foudroyant tour h. tour quelques tyrans pervers,
Des nations en pleurs sa main brisait les fers;
Ou quand son noble exil aux sables de Syrie
Des palmes du Liban couronnait sa patrie.
JVIais, lorsqu'on fugitif regagnant ses foyers.
Il vint contre l'empire échanger les lauriers,
Je n'ai point caressé sa brillante infamie;
Ma voix des oppresseurs fut toujours ennemie;
Et tandis qu'il voyait des flots d'adorateurs
Lui vendre avec l'Etat leurs vers adulateurs,
Le tyran dans sa cour remarqua mou absence :
Car je chante la gloire, et non pas la puissance.
Le troupeau se rassemble h la voix des bergers ;
J'entends frémir du soir les insectes légers;
Des nocturnes zéphyrs je sens la douce haleine ;
Le soleil do ses feux ne rougit plus la plaine ;
Et cet astre plus doux, qui luit au liaut des cieux,
Argenté mollement les flots silencieux.
Mais une voix qui sort du vallon solitaire
Mo dit: Viens; tes amis ne sont plus sur la terre;
Viens ; tu veux rester libre, et le peuple est vaincu.
Il est vrai : jeune encor, j'ai déjà trop vécu.
L'espérance lointaine et les vastes pensées
Embellissaient mes nuits tranquillement bercées ;
A mon esprit déçu, facile à prévenir.
Des mensonges riants coloraient l'avenir.
Flatteuse illusion, tu m'es bientôt ravie!
Vous m'avez délaissé, doux rêves de la vie ;
Plaisir, gloire, bonheur, patrie et liberté.
Vous fuyez loin d'un cœur vide et désenchanté.
Les travaux, les chagrins ont doublé mes années;
Ma vie est sans couleur; et mes pâles journées,
M'offrent de longs ennuis l'enchaînement certain,
Lugubre comme un soir qui n'eut pas de matin.
Je vois le but, j'y touche, et j'ai soif de l'atteindre ;
Le feu (|ui me brûlait a besoin de s'éteindre;
Ce qui m'en reste encor ti'est qu'un morne flambeau
Eclairant h mes yeux le chemin du tombeau.
Que je repose en paix sous le gazon rustique,
Sur les bords du ruisseau pur et mélancolique !
Vous, amis des humains, et des champs, et des vers.
Par un doux souvenir peuplez ces lieux déserts;
Suspendez aux tilleuls qui forment ces bocages
Mes derniers vêtements mouillés de tant d'orages;
Là quelquefois encor daignez vous rassembler;
Là prononcez l'adieu: que je sente couler
Sur le sol enfermant mes cendres endormies
Des mots partis du cœur et des larmes amies !
M.-J. Chénier (mort en 1811.)
LA SAINTE-ALLIANCE DES PEUPLES.
J'ai vu la Paix descendre sur la terre.
Semant de l'or, des fleurs et des épis.
L'air était calme, et du dieu de la guerre
Elle étouft'ait les foudres assoupis.
Il Ah ! disait-elle, égaux par la vaillance.
Français, Anglais, Belge, Russe ou Germain
Peuples, formez une sainte alliance.
Et donnez-vous la main.
LYRIQUE (GENRE) — 1240 — LYRIQUE (GENRE)
m Pauvres mortels, tant de haine vous lasse :
Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil.
D'un globe étroit divisez mieux l'espace ;
Chacun de vous aura place au soleil.
Tous attelés au char de la puissance,
Du vrai bonheur vous quittez le chemin.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.
» Cliez vos voisins vous portez l'incendie;
L'aquilon souffle, et vos toits sont brûlés,
Et quand la terre est enfin refroidie
Le soc languit sous des bras mutilés.
Près de la borne où chaque Etat commence
Aucun épi n'est pur de sang humain.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.
» Des potentats, dans vos cités en flammes.
Osent du bout de leur sceptre insolent
Marquer, compter et recompter les âmes
Que leur adjuge un triomphe sanglant.
Faibles troupeaux, vous passez sans défense
D'un joug pesant sous un joug inhumain.
Peuples, formez une sainte alliance.
Et donnez-vous la main.
» Que Mars en vain n'arrête point sa course ;
Fondez des lois dans vos pays souffrants.
De votre sang ne livrez plus la source
Aux mis ingrats, aux vastes conquérants.
Des astres faux conjurez l'influence ;
Effroi d'un jour, ils pâliront demain.
Peuples, formez une sainte alliance,
El donnez-vous la main.
» Oui, libre enfin, que le monde respire;
Sur le passé jetez un voile épais.
Semez vos champs aux accords de la lyre ;
L'encens des arts doit brûler pour la paix.
L'espoir riant, au sein de l'abondance.
Accueillera les doux fruits de l'hymen.
Peuples, formez une sainte alliance.
Et donnez-vous la main. »
Ainsi parlait cette vierge adorée.
Et plus d'un roi répétait ses discours.
Comme au printemps la terre était parée :
L'automne en fleurs rappelait les amours.
Pour l'étranger, coulez, bons vins de France ;
De sa frontière il reprend le chemin.
Peuples, formez une sainte alliance.
Et donnez-vous la main.
BÉRANGER (1818).
LE VKVX SERGENT.
Près du rouet de sa fille chérie.
Le vieux sergent se distrait de ses maux.
Et, d'une main que la balle a meurtrie.
Berce en riant deux petits-fils jumeaux.
Assis tranquille au seuil du toit champêtre.
Son seul refuge après tant de combats,
Il dit parfois : « Ce n'est pas tout de naître ;
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas !
Mais qu'entend-il I le tambour qui résonne;
Il voit au loin passer un bataillon ;
Le sang remonte à son front qui grisonne ;
Le vieux coursier a senti l'aiguillon.
[ Hélas! soudain tristement il s'écrie :
II C'est un drapeau que je ne connais pas.
Ah ! si jamais vous vengez la patrie.
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas ! »
» Qui nous rendra, dit cet homme liéroîque.
Aux bords du Rhin, i Jemmapes, à Fleurus
Ces paysans, fils delà Bépiiblique,
Sur la frontière à sa voix accourus.
Pieds nus, sans pain, sourds aux lâches alarmes.
Tous à la gloire allaient d'un même pas.
Le Rhin lui seul peut retremper nos armes.
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas !
» De quel éclat brillaient dans la bataille
Ces habits bleus par la victoire usés !
La liberté mêlait à la mitraille
Des fers rompus et des sceptres brisés.
Les nations, reines par nos conquêtes,
Ceignaient de fleurs le front de nos soldats.
Heureux celui qui mourut dans ces fêtes!
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas!
» Tant de vertu trop tôt fut obscurcie :
Pour s'anoblir nos chefs sortent des rangs ;
Par la cartouche encor toute noircie,
Leur bouche est prête à flatter les tyrans.
La liberté déserte avec ses armes.
D'un trône à l'autre ils vont offrir leurs bras;
A notre gloire on mesure nos larmes.
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas! »
Sa fille alors, interrompant sa plainte.
Tout en filant, lui chante à demi-voix
Ces airs proscrits qui. les frappant de crainte,
Ont en sursaut réveillé tous les rois.
't Peuple, à ton tour, que ces chants te réveillent :
11 en est temps ! « dit-il aussi tout bas.
Puis il répète à ses fils qui sommeillent :
"Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas! a
BÉRANGER (1823j.
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages.
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais, sur l'océan des âges.
Jeter l'ancre un seul jour ?
0 lac ! l'année à peine a fini sa carrière.
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asscoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;
On n'entendaitau loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents, inconnus à la terre,
Du rivage charme frappèrent les échos :
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :
(1 O temps, suspends ton vol! et vous, heures pro-
Suspendez votre cours ? [pices,
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
» Assez de malheureux ici-bas vous implorent.
Coulez, coulez pour eux;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent;
Oubliez les heureux.
» Mais je demande en vain quelques moments en-
Le temps m'échappe et fuit; [core.
Je dis à cette nuit ; sois plus lente; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
1) Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons!
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de
11 coule, et nous passons! » [rive;
Temps jaloux, se peut-il que ces momentsd'ivresse
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur?
LYRIQUE (GENRE) — 1241 — LYRIQUE (GENRE)
Hé quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace!
Quoi 1 passes pourjamais?quoi ! toutentiersperdus?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus ?
Eternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?
Parlez, nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?
O lac I rochers muets ! grottes I forêt obscure I
Vous que le temps épargne et qu'il peut rajeunir.
Gardez de cette nuit, gardez, belle Nature,
Au moins le souvenir 1
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau laCj elTdaiis l'aspect de teif riântS coteaux.
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux 1
Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre an front d'argent qui blanchit ta sur-
De ses molles clartés 1 [face
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé.
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire.
Tout dise : ils ont aimé!
Lamartine (Méditations poétiques).
Le CHENE.
Voilà ce chêne solitaire
Dont le rocher s'est couronné :
Parlez à ce tronc séculaire,
Demandez comment il est né.
Un gland tombe de l'arbre et roule sur la terre ;
L'aigle à la serre vide, en quittant les vallons.
S'en saisit en jouant et l'emporte à son aire,
Pour aiguiser le bec i ses jeunes aiglons;
Bientôt du nid désert qu'emporte la tempête
Il roule confondu dans les débris mouvants.
Et sur la roche nue un grain de sable arrête
Celui qui doit un jour rompre l'aile des vents.
L'été vient, l'aquilon soulève
La poudre des sillons, qui pour lui n'est qu'un jeu,
Et sur le germe éteint où couve encor la sève
En laisse retomber un peu.
Le printemps, de sa tiède ondée
L'arrose comme avec la main ;
Cette poussière est fécondée,
Et la vie y circule enfin.
La vie 1 Ace seul mot tout œil, toute pensée,
S'inclinent confondus et n'osent pénétrer;
Au seuil de l'Infini c'est la borne placée.
Où la sage ignorance et l'audace insensée
Se rencontrent pour adorer I
Il vit, ce géant des collines;
Mais avant de paraître au jour,
Il se creuse avec ses racines
Des fondements comme une tour.
11 sait quelle lutte s'apprête.
Et qu'il doit contre la tempête
Chercher sous la terre un appui ;
Il sait que l'ouragan sonore
L'attend au jour.... ou s'il l'ignore.
Quelqu'un du moins le sait pour lui!
Ainsi, quand le Jeune navire
Où s'élancent les matelots.
Avant d'affronter son empire
Veut s'apprivoiser sur les flots,
Laissant filer son vaste câble.
Son ancre va chercher le sable
Jusqu'au fond de vallons mouvants.
Et sur ce fondement mobile
Il balance son mât fragile,
Et dort au vain roulis des vents.
Il vit ! Le colosse superbe
Qui couvre un arpent tout entier.
Dépasse à peine le brin d'herbe
Que le moucheron fait plier.
Mais sa feuille boit la rosée;
La racine fertilisée
Grossit comme une eau dans son cours;
Et dans son cœur qu'il fortifie
Circule un sang ivre de vie.
Pour qui les siècles sont des jours.
Les sillons, où les blés jaunissent
Sous les pas changeants des saisons,
Se dépouillent et se vêtissent
Comme un troupeau de ses toisons ;
Le fleuve nait, gronde et s'écoule;
La tour monte, vieillit, s'écroule;
L'hiver effeuille le granit;
Des générations sans nombre • ■ •
Vivent et meurent sous son ombre:
Et lui ? voyez, il rajeunit I
Son tronc que l'écorce protège.
Fortifié par mille nœuds,
Pour porter sa feuille ou sa neige
S'élargit sur ses pieds noueux;
Ses bras que le temps multiplie.
Comme un lutteur qui se replie
Pour mieux s'élancer en avant.
Jetant leurs coudes en arrière.
Se recourbent dans la carrière,
Pour mieux porter le poids du vent.
Et son vaste et pesant feuillage,
Répandant la nuit alentour.
S'étend, comme un large nuage.
Entre la montagne et le jour;
Comme de nocturnes fantômes.
Les vents résonnent dans ses dômes;
Les oiseaux y viennent dormir,
Et pour saluer la lumière
S'élèvent comme une poussière,
Si la feuille vient à frémir.
La nef dont le regard implore
Sur les mers un phare certain,
Le voit, tout noyé dans l'aurore,
Pyramider dans le lointain.
Le soir fait pencher sa grande ombre
Des flancs do la colline sombre
Jusqu'au pied des derniers coteaux.
Un seul des cheveux de sa tête
Abrite contre la tempête
Et le pasteur et les troupeaux.
Et pendant qu'au vent des collines
Il berce ses toits habités.
Des empires dans ses racines,
Sous son écoroe des cités;
Lh, près des ruches dos abeilles,
Arachné tisse ses merveilles.
Le serpent siffle, et la fourmi
Guide à ses conquêtes de sables
Les multitudes innombrables
Qu'écrase un lézard endormi.
Et ces torrents d'âme et de vie.
Et ce mystérieux sommeil,
Et cette sève rajeunie
Qui remonte avec le soleil ;
Cette intelligence divine
Qui pressent, calcule, devine
Et s'organise pour sa fin;
Et cette force qui renferme
Dans un gland le germe du germe
D'êtres sans nombre et sans fin;
Et ces mondes de créatures
Qui, naissant et vivant de lui,
Y puisent êire et nourritures
Dans les siècles comme aujourd'hui ;
LYRIQUE (GENRE)
Tout cela n'est qu'un gland fragile
Qui tombe sur le roc siérile,
Du bec de l'aigle ou du vautour ;
Ce n'est qu'une aride poussière
Que le vent sème en sa carrière,
Et' qu'échauffe un rayon du jour!
Et moi, je dis: Seigneur, c'est toi seul, c'est ta force.
Ta sagesse et ta volonté
Ta vie et ta fécondité ;
Ta prévoyance et ta bonté !
Le ver trouve ton nom gravé sous son écorce.
Et mon œi!, dans sa masse et son éternité.
LAMAnTixE (1826. Hat-iiiunies poétiques
et religieuses).
LA NUIT DE MAI (fragment).
— 1242 — LYRIQUE (GENRE)
L'homme n'écrit rien sur le sable
A l'heure où passe l'aquilon.
J'ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j'ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j'en pourrais dire.
Si je l'essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.
Alfked de Jli'SsET (mort en 1857).
LA MORT DU LOUP (fragment).
I
La muse.
Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau'?
O poète! un baiser, c'est moi qui te le donne.
L'herbe que je voulais arracher de ce lieu.
C'est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du cœur ;
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais pour en être atteint, ne crois pas, ô poète.
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux.
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage.
Dans les brouillards du soir retourne à ses ro-
Ses petits affamés courent sur le rivage [seaux,
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie.
Ils courent i leur père avec des cris de joie,
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée.
De soii aile pendante abritant sa couvée.
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur :
L'Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partag. ant à ses fils ses entrailles de père.
Dans son amour sublime il berce sa douleur;
Et, regardant couler sa sanglante mamelle.
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle.
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du diviji sacrifice.
Fatigué de mourir dans un trop long supplice.
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent.
Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,
11 pousse dans la nuit un si funèbre adieu.
Que les oiseaux des mers désertent le rivage.
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées.
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le cœur.
Leurs déclamations sont comme dos épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant ;
Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.
Le poète.
O Muse! spectre insatiable.
Ne m'en demande pas si long.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche.
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche.
Et, sans daigner savoir comment il' a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
II
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa louve et ses fils, qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois.
Sans ses deux louveteaux, la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
III
Hélas I ai-jepensé, malgré ce grand nom d'hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes!
Comme l'on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse,
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
— Ah ! je l'ai bien compris, sauvage voyageur.
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur !
Il disait : « Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoique fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier, est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tache
Dans la voie où le sort a voulu t'appeler.
Puis, après, comme moi, soufi're et meurs sans par-
[1er. ..
Alfred de Vigny, lii43.
l' ENFAXT.
Lorsque l'enfant parait, le cercle de famille
Applaudit à grands cris: son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux.
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître.
Innocent et joyeux.
Soit que Juin ait verdi mon seuil, ou que Novembre
Fasse autour d'un grand feu vacillantdans la cham-
Les chaises se toucher, [bre
Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire :
On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.
Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme
Qui s'élève en priant.
L'enfant parait : adieu le ciel et la patrie.
Et les poètes saints ! la grave causerie
S'arrête en souriant.
LYRIQUE (GKNRE)
— 1243 —
LYRIQUE (GENRE)
Enfant, vous Clés l'aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forCt dont les sombres ramures
S'emplissent pour vous seul do suaves murmures
Et de rayons dorés 1
Car vos beaux yeux sontpleiiisdndouceurs infinies ;
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,
N'ont point fait mai encor!
Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange;
Tûle sacrée! enfant aux cheveux blondsl bel ange
A l'auréole d'or!
Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés;
Laissant errer sa vue étonnée et ravie.
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie,
Et sa bouche aux baisers !
Seigneur, préservez-moi, préservez ceux que j'aime.
Frères, parents, amis, et mes ennemis mémo
Dans le mal triomphants,
Dejamais voir. Seigneur, l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseau, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants!
Victor Hugo [les Feuilles d'automne).
A SON FRERE.
(Un frère du poète était mort jeune, à la suite d'une
maladie qui avait altét'é sa raisou.)
Puisqu'il plut au Seigneur de te briser, poète.
Puisqu'il plut au Seigneur de comprimer ta tète
De son doigt souverain,
D'en faire une urne sainte à contenir l'extase.
D'y mettre le génie et de sceller ce vase
Avec un sceau d'airain ;
Tu pars du moins, mon frère, avec ta robe blanche !
Tu retournes à Dieu comme l'eau qui s'épanche
Par son poids naturel!
Ta retournes à Dieu, tête de candeur pleine.
Comme y va la lumière et comme y va l'haleine
Qui des fleurs monte au ciel!
Doux et blond compagnon do toute mon enfance.
Oh! dis-moi, maintenant, frère marqué d'avance
Pour un morne avenir;
Maintenant que la mort a rallumé ta flamme,
Maintenant que la mort a réveillé ton âme,
Tu dois te souvenir!
Tu dois te souvenir des vertes Feuillantines,
Et de la grande allée où nos voix enfantines,
Nos purs gazouillements, [laines,
Ont laissé dans les coins des murs, dans les fon-
Dans le nid des oiseaux et dans le creux des cliênes,
Tant d'échos si charmants!
O temps! jours radieux! aube trop tôt ravie!
Pourquoi Dieu met-il donc le meilleur de la vie
Tout au commencement?
IVous naissions! on eût dit que le vieux monastère
Pour nous voir rayonner ouvrait avec mystère
Son doux regard dormant.
T'en souviens-tu, mon frère? après l'heure d'étude,
Oh! comme nous causions dans cette solitude,
Sous les arbres blottis.
Nous avions, en chassant quelque insecte qui saute.
L'herbe jusqu'aux genoux, car l'herbe était bien
Nos genoux bien petits. [haute,
Vives tètes d'enfants par la course effarées.
Nous poursuivions dans l'air cent ailes bigarrées :
Le soir nous étions las;
Nous revenions, jouant avec tout ce qui joue.
Frais, joyeux, et tous deux baisés k pleine joue
Par notre mère, hélas!
Elle grondait : — Voyez comme ils sont faits ! ces
[hommes!
Les monstres ! ils auront cueilli toutes nos pommes.
Pourtant nous les aimons.
Madame, les garçons sont le souci des mères;
Car ils ont la fureur de courir dans les pierres
Comme font les démons !
Puis un môme sommeil, nous berçant comme un
[hôte.
Tous deux au môme lit nous couchait côte à côte;
Puis un même réveil.
Puis, trempé dans un lait sorti chaud de l'étable,
Le même pain faisait rire h la môme table
Notre appétit vermeil !
Et nous recommencionsnos jeux, cueillantpar gerbe
Les fleurs, tous les bouquets qui réjouissent l'herbe,
Le lis à Dieu pareil.
Surtout ces fleurs de flamme et d'or qu'on voit, si
Luire ii terre en avril comme des étincelles [belles,
Qui tombent du soleil!
On nous voyait tous deux, gaieté de la famille,
Le front épanoui, courir sous la charmille,
L'œil de joie enflammé...
Hélas! hélas: quel deuil pour ma tète orpheline!
Tu vas donc désormais dormir sur la colline,
Mon pauvre bien-aimé!
Tu vas dormir là-haut sur la colline verte,
Qui, livrée à l'hiver, h tous les vents ouverte,
A le ciel pour plafond :
Tu vas dormir, poussière, au fond d'un lit d'argile;
Et moi je resterai parmi ceux du la ville
Qui parlent et qui vont!
Victor Hugo (Les voix intérieures.)
SOUVENIRS.
O souvenirs ! printemps! aurore !
Doux rayon triste et réchaufl'ant !
— Lorscju'elle était petite encore,
Que sa sœur était tout enfant... —
Connaissez-vous sur la colline
Qui joint Montlignon à Saint-Leu,
Une terrasse qui s'incline
Entre le bois sombre et le ciel bleu ?
C'est là que nous vivions. — Pénètre,
Mon cœur, dans ce passé charmant !
Je l'entendais sous ma fenêtre
Jouer le matin doucement.
Elle courait dans la rosée
Sans bruit, de peur de m'éveiUer ;
Moi, je n'ouvrais pas ma croisée.
De peur de la faire envoler.
Ses fri-res riaient... — Aube pure!
Tout chantait sous ces frais berceaux,
Ma famille avec la nature.
Mes enfants .avec les oiseaux!
Je toussais, on devenait brave ;
Elle montait à petits pas,
Et me disait d'uji air très grave :
« J'ai laissé les enfants en bas. »
Qu'elle fût bien ou mal coifl'ée,
Que mon cœur fût triste ou joyeux,
Je l'admirais. C'était ma fée.
Et le doux astre de mes yeux !
Nous jouions toute la journée.
O jeux cliarmants I chers entretiens !
Le soir, comme elle était l'aînée,
Elle me disait : « Père, viens !
(I Nous allons l'apporter ta chaise.
Conte-nous une histoiie, dis! »
El je voyais rayonner d'aise
Tous ces regards du paradis.
LYRIQUE (GENRE) — 1244
Alors, prodiguant les carnages,
J'inventais un conte profond.
Dont je trouvais les personnages
Parmi les ombres du plafond,
Toujours, ces quatre douces têtes
Riaient, comme h cet âge on rit.
De voir d'affreux géants très bètes
Vaincus par des nains pleins d'esprit.
J'étais l'Arioste et l'Homère
D'un poème éclos d'un seul jet;
Pendant que je parlais, leur mère
Les regardait rire, et songeait.
Leur aieul, qui lisait dans l'ombre.
Sur eux parfois lovait les yeux,
Et moi, par la fenêtre sombre.
J'entrevoyais un coin des cieux !
4 sept. 1846.
Victor Hugo {les Contemplations).
PAROLES D EXIL.
Puisque le juste est dans lablme.
Puisqu'on donne le sceptre au crime.
Puisque tous les droits sont trahis ,
Puisque les plus fiers restent mornes.
Puisqu'on affiche au coin des bornes
Le déshonneur de mon pays ;
0 République de nos pères.
Grand Panthéon plein de lumières,
Dôme d'or dans le libre azur,
Temple des ombres immortelles.
Puisqu'on vient avec des échelles
Coller l'empire sur ton mur;
Puisque toute âme est affaiblie.
Puisqu'on rampe; puisqu'on oublie
Le vrai, le pur, le grand, le beau.
Les yeux indignés de l'histoire.
L'honneur, la loi, le droit, la gloire.
Et ceux qui sont dans le tombeau ;
Je t'aime, exil ! douleur, je t'aime !
Tristesse, sois mon diadème!
Je t'aime, altière pauvreté 1
J'aime ma porte aux vents battue.
J'aime le deuil, grave statue
Qui vient s'asseoir à mon côté.
J'aime le malheur qui m'éprouve;
Et cette ombre où je vous retrouve,
O vous i qui mon cœur sourit.
Dignité, foi, vertu voilée,
Toi, liberté, fière exilée,
Et toi, dévoûment, grand proscrit !
J'aime cette île solitaire.
Jersey, que la libre Angleterre
Couvre de son vieux pavillon ;
L'eau noire, par moments accrue.
Le navire, errante charrue,
Le flot, mystérieux sillon.
J'aime ta mouette, ô mer profonde.
Qui secoue en perles ton onde
Sur son aile aux fauves couleurs.
Plonge dans les lames géantes.
Et sort de ces gueules béantes
Comme l'âme sort des douleurs !
J'aime la roche solennelle
D'où j'entends la plainte éternelle.
Sans trêve comme le remords.
Toujours renaissant dans les ombres.
Des vagues sur les écueils sombres.
Des mères sur leurs enfants morts !
Décembre iSbI.
Victor Hogo (/es Châtiments].
LYRIQUE (GENRE)
LE SEMEUR.
C'est le moment crépusculaire ;
J'admire assis, sous un portail.
Le reste de jour dont s'éclaire
La dernière heure du travail.
Dans les terres, de nuit baignées.
Je contemple, ému, les haillons
D'un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.
Il marche dans la plaine immense.
Va, vient, lance la graine au loin.
Rouvre sa main et recommence ;
Et je médite, obscur témoin.
Pendant que déployant ses voiles,
L'ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoiles
Le geste auguste du semeur.
Victor Hcgo {les Chansons des rues et des boi<).
LA BRETAGNE.
0 landes, ô forêts, pierres sombres et hautes.
Bois qui couvrez nos champs, mers qui battez nos
[côtes,
Villages où les morts errent avec les vents,
Bretagne ! d'uù te vient l'amour de tes enfants?
— Des villes d'Italie où j'osai, jeune et svelte.
Parmi ces hommes bruns montrer l'œil bleu d'un
[Celte,
J'arrivais plein des feux de leur volcan sacré,
Mûri par leur soleil, de leurs arts enivré.
Mais dès que je sentis, ô ma terre natale.
L'odeur qui des genêts et des landes s'exhale,
Lorsque je vis le flux, le reflux de la mer.
Et les tristes sapins se balancer dans l'air.
Adieu les orangers, les marbres de Carrare !
Mon instinct l'emporta, je redevins barbare.
Et j'oubliai les noms des antiques héros
Pour chanter les combats des loups et des taureaux.
A. Bhizeux.
SUR LA NA1SSA.NCE d'uN ENFANT.
Au fracas de l'airain, cloche ou canon qui gronde.
Dans un pli de la pourpre au monde présente.
Quand un enfant naissait, futur maître du monde.
Autour de son berceau je n'ai jamais chanté.
Mais je te chanterai d'une voix libre et fière,
Toi, pauvre nouveau-né, toi fils du paysan !
Et l'héritier sans nom d'une obscure chaumière
M'aura pour son poète et pour son courtisan.
(> Semez, semez des fleurs sur l'enfant qui repose,
1) Ornez-le de vos dons, n dirai-je à tes parrains;
Et je ne t'offrirai, moi, ni jasmin ni rose.
Mais, symbole meilleur, l'épi chargé de grains !
Joseph Autran [Poèmes des beaux jours),
A UN grave ÉCOLIER.
Monsieur l'écolier sérieux,
Vous m'aimez encor, je l'espère !
Levez un moment vos grands yeux;
Fermons ce gros livre ennuyeux.
Et souriez à votre père.
Il est beau d'être un raisonneur.
De tout lire et de tout entendre.
De remporter les prix d'honne\ir!...
C'est, je crois, un plus grand bonheur
D'être un enfant aimable et tendre.
Lorsqu'on a fait tout son devoir.
Que la main est lasse d'écrire.
Quand le père est rentré le soir.
Avec les sœurs, il faut savoir
Jouer, causer... même un peu rire.
LYRIQUE (GENRE) — 1245 —
Vous verrez chez les vieux auteurs,
Expliqués au long dans vos classes,
Que la muse, b. ses sectateurs,
Ordonne, en quittant les hauteurs,
D'aller sacrilier aux Giâces.
Autres temps, autres conseillers 1
Dans le savant siècle où nous sommes,
On voit déjà les écoliers
Avec l'algèbre familiers.
Aussi maussades que les hommes.
Chez moi, qu'il n'en soit pas ainsi:
Contre les pédants je réclame;
Je suis poète, dieu merci!
Kt j'ai pour principal souci.
Mes enfants, de vous faire une âme.
Avant de savoir l'allemand,
La physique et le laiin niêmc.
Aimez! c'est le commencement;
Aimez sans honte et vaillamment,
Aimez tous ceux qu'il faut qu'on aime!
Mais il est trop peu généreux
D'aimer tout bas et bouche close.
A ceux que l'on veut rondre heureux,
Dos souhaits que l'on fait pour eux
Il faut dire au moins quelque chose.
Les vrais bons cœurs sont transparents;
On y voit toutes leurs tendresses.
Ah ! chers petits indifférents.
Gâtez un peu vos vieux parents ;
Leur bonheur est dans vos caresses 1
C'est beaucoup d'avoir la bonté:
Montrez-la bien, qu'on en jouisse!
Il faut que, dès avant l'été.
En fleurs de grâce et de gaîté
Votre bon cœur s'épanouisse.
Voyez ! dans le meilleur terrain.
Parmi les blés hauts et superbes.
C'est Dieu <|ui mule de sa main
Le bluet d'azur au bon grain.
Le pavot rouge ît l'or des gerbes.
Vous, ainsi, savants, mais joyeux,
Charmez la maison paternelle :
Quand on a le sourire aux yeux,
A la lèvre un mot gracieux,
La vertu même en est plus belle.
VlCTOB DE LaPRADE.
LYRIQUE (GENRE)
Midi, roi des étés, épandu sur la plaine.
Tombe en nappe d'argent dus hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine ;
La terre est assoupie en sa robe de feu.
L'étendue est immense et les champs n'ont point
[d'ombre.
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
Dort lâ-bas, immobile, en un pesant repos.
Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée.
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil :
Pacifiques enfants de la terre sacrée.
Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.
Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entro eux,
Une ondulation majestueuse 1 1 lente
S'éveille, et va mourir k l'horizo]] poudreux.
"Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi
[les herbes,
'Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.
Homme, si, le cœur plein de joie ou d'amertume.
Tu passais vers midi dans les champs radieux.
Fuis ! la nature est vide et le soleil consume :
Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.
Mais si, désabusé des larmes et du rire.
Altéré de l'oubli de ce monde agité.
Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire.
Goûter une suprême et morne volupté,
Viens, le soleil te parle en lumières sublimes;
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
Et retourne, k pas lents, vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le néant divin.
Leconte de Lisle.
le vase bbisé.
Le vase où meurt cette verveine
D'un coup d'éventail fut fêlé.
Le coup dut effleurer à peine,
Aucun bruit ne l'a révélé.
Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D'une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour.
Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s'est épuisé.
Personne encore ne s'en doute;
N'y touchez pas, il est brisé !
Souvent aussi la main qu'on aime,
Effleurant le cœur, le meurtrit;
Puis le cœur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt.
Toujours intact aux yeux du monde.
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde;
Il est brisé, n'y touchez pas !
Sully-Prudhomme {Stimces et poèmes).
La petite chaise.
Ils avaient perdu leur enfant.
Je fus les voir : du pauvre père
Je serrai la main en pleurant.
Sans oser regarder la mère.
Et lorsque je pus lui parler,
Tandis qu'il cachait son visage :
(c Je ne viens pas vous consoler,
Mais reprenez un peu courage ;
Vers Dieu l'ange a pris son essor.
— Oui, me dit-il; mais, triste chose I
Notre ange, avant-hier encor,
Jouait, souriait, était rose ;
Et maintenant, fit-il plus bas.
Il est froid sous la terre humide...
L'herbe pousse déjà là-bas...
Et la petite chaise est vide. »
Louis R1TI8DONNE.
La lettre.
Souflet.
La lettre qui m'arrivo est de noir entourée :
Elle annonce la mon, et j'hésite à l'ouvrir.
Mon âme n'est jamais tranquille et rassurée
Acette voix qui dit: « Quelqu'un vient de mourir 1 »
Ami, vieillard, enfant, fille ou femme adorée,
Quel est le corps glacé qu'un marbre va couvrir?
Sous quel toit la douleur est-elle encor entrée?
Qui va porter le deuil, et quelscœursvontsouffrir?
Je devrais le savoir ! mais l'heure est trop remplie.
De délais en délais, l'âme en soi se replie :
On remettait hier, on oublie aujourd'hui.
A l'ami de vingt ans on ajourne un sourire.
Et la lettre de mort un matin vient vous dire :
«Vous ne leverrez plus jamais 1... Priez pour lui! »
Eugène Manuel.
MACEDOINE
— 12/t6 —
MAGNÉTISME
M
MACÉDOINE. — Histoire générale, VUI-X. — Le
royaume de Macédoiue, dont les origines remon-
tent à l'époque mythique, était séparé de la 'f lies-
salie au sud par les monts Cambuniens. de l'il-
lyrie à l'ouest par le Pinde, et de la Tlirace h l'est
par le fleuve Strymon ; les Balkans le limitaient au
nord. Il était habité par une population non hellé-
nique, d'origine pélasgique, et parlant une langue
différente de celle des Grecs : aussi ceux-ci re-
gardaient-ils les Macédoniens comme des Barbares.
Lors des guerres médiqucs, la Macédoine fut con-
trainte de payer un tribut aux Perses, et le roi
Alexandre \" dut accompagner Xerxès dans son
expédition contre les cités grecques; mais le
prince macédonien, qui n'obéissait aux Perses qu'à
regret, fit passer à plusieurs reprises aux Grecs
des avis utiles, et obtint par li d'être admis dans
leur alliance quand les Asiatiques eurent été re-
poussés. Sous le règne de ses successeurs, la
Macédoine, livrée aux guerres civiles, ne joua
qu'un rôle effacé. Mais Philippe II, monté sur le
trône en a59, sut en faire une puissance militaire,
et son habileté à profiter des discordes des villes
helléniques le rendit maître de la Grèce ;V. Grèce,
p. DOU). Alexandre 111. le Grand, continua l'œuvre
de Philippe, et fonda sur les ruines de l'empire
perse une vaste monarchie militaire (\ . Alexundre).
Après la mort d'Alexandre, la Macédoine, restée
d'abord simple province du nouvel empire sous le
gouvernement d'Antipater, redevint un roj'aume
indépendant où régnèrent successivement, de .306 à
'ni, Cassandre, fils d Antipater, Démétrius Polior-
cète, Pyrrhus d'Epire, Lysimaque, Séleucus,
Ptolémée CéraunuK, Antigone Gonatas, fils de
Démétrius Poliorcète puis de nouveau Pyrrhus.
Antigone Gonatas, après la mort de Pyrrhus (27v),
recouvra la couronne, c|iii devint héréditaire dans
sa famille. Nous racontons, à l'article Grèce, les
tentatives d'Antigone Gonatas et de ses succes-
seurs DéraétriusH, Antigone Doson, et Philippe IH,
pour replacer les Grecs sous leur autorité. Phi-
lippe III, que son ambition mit aux prisns avec les
Romains, protecteurs prétendus de la liberté de la
Grèce, fut battu à Cynocéphales (197), et dut payer
un tribut à Rome. Persée, son fils, essaya de re-
lever la puissance de la Macédoine, fut vaincu à
Pydna par le consul Paul-Emile (I6S), et conduit
captif à Rome. Ce fut la fin de la puissance macé-
donienne ; quelques années plus tard, le sénat ré-
duisait la Macédoine en province romaine (142).
MACHINES. - V. Mécanique.
MACHIA'ES AGRICOLES. — V. Instruments
aratoires.^
M.VGINÉTISME. — Physique, XXV. — Etymolo-
gie : du grec magnés, aimant. — On trouve dans la
nature assez fréquemment, et en particulier en
Suède et à l'île d'Elbe, un minerai de fer qui
jouit d'une propriété spéciale, singulière, qui avait
attiré l'attention des anciens et qui, plus tard,
à l'époque des alchimistes, fut l'objet des dis-
sertations les plus étranges. C'est Vaimant ou
pierre i'aimant (V. Aimcnil), que les chimistes
ont aussi nommé, en appliquant les principes de
la nomenclature, fer oxijdulé, oxyde sal n de fer.
Ce minerai attire le fer et l'acier. Plongé dans la
limaille de fer, il la met en mouvement quand elle
est placée i une faible disiance de lui, la fixe à sa
surface et l'y maintient adhérente malgré l'aciion
de la pesanteur qui f nd à la faire tomber.
Cette propriété d'attirer le fer n'est pas liée né-
cessairement, comme on pourrait le croire, à la
nature chimique do l'aimant ; la composition de
ce corps peut demeurer la même, son groupement
moléculaire le même, et la propriété susdite dis-
paraître; qu'on chauffe au rouge la pierre d'ai-
mant, et le phénomène d'attraction qu'elle exer-
çait auparavant suj- le fer n'existera plus désormais.
Semblablement, si on prépare artificiellement
l'oxyde salin de fer, en faisant passer, par exem-
ple, de la vapeur d'eau sur du fer pur chauffé au
iouge, on obtient bien une substance dont la com-
position chimique est celle de l'aimant naturel ;
mais la propriété d'attirer la limaille ne se mon-
tre pas pour cela dans le produit ainsi obtenu.
L'aimant naturel renferme 1i,'t de fer pour 27,6
d'oxygène, ce qui correspond à la formule Fe^ O'
ou bien FeO, Fe^O'. FeO, le protoxyde de fer,
jouerait par hypothèse, dans le composé, le rôle
de base, et le sesquioxyde Fe^O^ celui d'acide.
C'est li ce qui fait coiisidérer ce corps comme un
véritable sel, un oxyde salin ; il résulterait, en effet,
de l'union d'un acide avec une base. Dans la pro-
duction artificielle de l'aimant que nous indi-
quions, il y a un instant, la réaction est repré-
sentée par la formule cliimique :
3Fe -f 4H0 = Fe»0» -f- 4H
L'eau se décompose, en passant sur le fer chauffé
au rouge ; l'oxyde salin Fo^O'' prend naissance
dans le tulie de grès ou de porcelaine où le fer
avait été d'aboid placé, et l'hydrogène se dégage.
Quelle que soit la manière d'interpréter au point
de vue chimique la constitution de la substance,
le fait fondamental, la propriété caractéristique
subsiste. Sous certaines conditions le corps Fe'''0''
attire le fer doux, et on le dit dans ce cas un ni-
mnnf. Mais alors même qu'il perd la propriété
d'attirer la limaille, il conserve toujours celle d'ê-
tre attiré lui-môme par un aimant voisin ; il de-
meure, comme on dit, magnétique. Ainsi, dans le
langage convenu des physiciens, une substance
peut être magnétique, sans être pour cela un ai-
mant : le fer est magnétique et n'est pas un ai-
mant, au moins dans les conditions ordinaires ;
l'oxyde salin de fer est toujours magnétique ; dans
certaines circonstances seulement, il est constitué
à l'état à'aimant. En tout cas, on désigne sous le
nom de magn'-t sme le chapitre de la physique
qui s'occupe des faits et lois générales se ratta-
chant aux phénomènes d'attraction manifestés par
les aimants.
1 .Faits fondamentaux. — La propriété que poS'
sède la pierre d'aimant peut être communiquée,
par voie de simple contact, i des barreaux de fer
doux ou d'acier trem|ié. On prend généralement,
h. cet effet, des barreaux prismatiques d'une lon-
gueur de 3U à 40 cent , de 4 cent, de largeur et
l"^,.') d'épaisseur. Ils deviennent de véritables ai-
mants, quand on les a frottés avec l'aimant natu-
rel ; on les nomme même, pour ce motif, aimants
artificiels. Seulement la propriété d'aimantation
transmise ainsi au fer doux n'est chez lui que tem-
poraire ; elle disparaît rapidement aussitôt que
l'action de l'aimant naturel a cessé; tandis qu'elle
persiste dans le barreau d'acier trempé et peut
môme acquérir chez lui une très grande énergie.
— Voilà le fait. — On ne sait en donner aucune
explication ; et quand on dit, pour en rendre
compte, que l'acier a une force coercitive dont le
fer doux est dépourvu, on n'emploie en définitive
qui', des mots, de simples mots destinés à cacher
notre ignorance. Ce qui reste comme certain, c'est
que l'aimant donne au fer doux une aimantation
MAGNETISME
— I2il —
MAGNETISME
paxsaijire, tandis qu'il communique à l'acier trempé
une aimantation pevniuneiite.
Pour étudier les faits généraux du magnétisme,
il est plus ('omniode d'employer les aimants arti-
ficiels d'acier, auxquels on donne sans peine tou-
tes les Cormes que l'on veut, que de recourir aux
aimants naturels. Le minerai qui constitue ces
derniers se prête difficilement aux expériences.
Donc, quand nous parlerons désormais d'un ai-
mant, on devra entendre qu'il s'agit d'un aimant
artificiel constitue par une barre d'acier trempé
possédant les dimensions indiquées plus liaut.
I" jiropriété. — L'action attractive ne s'exerce
fins avec lu même iiitensité dons toutfs les régions
ilu barreau aimant''; elle va, en i/énérnt, en crois-
sant, (In milieu oit elle est nulle jus'iue vers les extré-
mités cil 'lie est maximum. On démontre expéri-
mentalement cette propriété de plusieurs manières :
on présente successivement les diverses sections
du barreau à une petite aiguille de fer doux, sus-
pendue comme un pendule au bout d'un long fil.
On constate que l'attraction sur ce pendule se
manifeste à une distance d'autant plus grande que
la section mise en regard de lui est plus voisine
de l'extrémité. La section moyenne et les sections
voisines n'attirent nullement ledit pendule.
Voici encore un second moyen, — et celui-ci est
très saisissant, — d'établir le même principe par
l'expérience : on place sous un carton ordinaire,
qui a 60 cent, de lojig sur 40 de large, un bar-
reau aimanté; et, avec l'aide d'un tamis, on fait
tomber, en l'éparpillant, de la limaille do fer sur
le carton. On reconnaît alors après avoir donne,
avec la main, quelques petites secousses au carton
pour que le frottement ne soit pas un obstacle au
mouvement de la limaille, que celle-ci, au lieu de
dessiner simplement la forme du barreau, en s'ac-
cumulant également aux différents points qui lui
■ correspondent, — ce qui arriverait à coup sûr, si
les différentes régions du barreau attiraient le
fer avec la même énergie, — s'agglomère unique-
ment vers les sections extrêmes du barreau en
figurant des courbes assez régulières, et qu'elle
manque presque complètement vers la région
moyenne. On a appelé la figure, ainsi dessinée
par la limaille sur le carton, fanl6me magnétique.
De cette expérience très facile à exécuter dé-
coule une double conclusion. Premièrement, on
en déduit la démonstration de la propriété signa-
lée, laquelle est même rendue de celte façon aussi
claire que possible. On est convenu d'appeler
pôles les extrémités de l'aiguille où semble con-
centrée l'action magnétique, et l'gne neutre ou
section neutre, la région intermédiaire. En second
lieu, la même expérience nous prouve que la pro-
priété magnétique s'exerce à' distance, non seule-
ment à travers l'air, mais encore à travers les corps
solides tels que le canon, l'^n variant la nature de
l'écran interposé entre le barreau et la limaille, on
arrive à reconnaître que cette propriété de trans-
parence pour le magnétisme, analogue à la transpa-
rence qu'a le verre pour la lumière, existe pour
toutes les substances, le fer et l'acier exceptés.
2" pro/ir-iété. — Une aiguille aimantée posée
sur un pivot vertical et mohile dai,s un plan ho
rizontal se dirige et s'oriente, sous l'mfluen'C
seule lie lu terre, à ),eu prés dani la direction 'lu
sud au nord. Cette propriété se démontre aisé-
ment en recourant, non pas au barreau aimanté
ordinaire qui serait trop lourd, mais à une mince
lame d'acier trempé à laquelle on donne la forme
d'un losange très allongé, dont la grande diagonale
a par exemple de 10 à 15 centimètres et la petite
1 o\> '2 centimètres. Cette lame ainsi taillée reçoit
le nom d'uiguille aimantée ; elle porte, fixée en
soii milieu, une chape en acier dur ou en agate
qui permet de la poser sur un pivot vertical ter-
miné en pointe. De cette façon, le frottement
qu'elle exerce sur son support est très faible et
par suite sa mobilité est très grande. Dans ces
conditions, on recormaît que ladite aiguille, aban-
donnée h elle-même, prend toujours une direction
invariable, sensiblement du nord au sud — donc
elle se dirige. On reconnaît en outre que le
même côté de l'aiguille est toujours pointé vers
le nord et le même côte toujours vers le sud —
donc elle s'oriente. On a beau l'écarter avec la
main de sa position normale, l'aiguille y revient
constamment d'elle-même aussitôt qu'on la laisse
libre, après avoir exécuté un certain nombre
d'oscillations à droite et à gauclie de cette position,
et l'orientation primitive ne tarde pas à se repro-
duire.
;)" propriété. — U7i long barreau aimanté sur le
milieu duquel on place une aiguille aimantée,
mobile comme à l'oi dinaire sur son pivot, proiluit
sur celle-ci le même effet que produisait tout à
l'heure ta tenre ngissant seule. On prend un bar-
reau aimanté de .SO centimètres, on met sur son
milieu le support de l'aiguille, puis sur le sup-
port l'aiguille elle-même ; on voit alors que, quelle
que soit la direction donnée au barreau, l'aiguille
lui demeure invariablement parallèle. Elle se
trouve comme liée, comme soudée au barreau, au
point do vue de ce parallélisme remarquable qui
ne se dément pas un instant quel que soit l'azi-
mut dans lequel le barreau soit porté : — en
réalité le barreau dirige l'aiguille et annule mo-
mentanément l'effet de la terre, parce qu'il est très
rapproché de l'aimant mobile. De plus, l'aiguille
est oiieiitée comme dans le cas précédent, dans
ce sens que la même moitié de l'aiguille regarde
toujours la même moitié du barreau.
Ce n'est pas tout : si on marque à la craie de
la même lettre sur l'aiguille et sur le barreau les
moitiés qui se correspondaient invariablement pen-
dant que se réalisait l'expérience précédente (on
inscrit par exemple la lettre N sur une des moitiés
et la lettre S sur 1 autre), on constate que chaque
moitié du barreau attire la moitié de l'aiguille qui
lui correspond, c'est-i-dire celle qui porte la même
lettre. Ainsi le côté N du barreau attire le côté N
de l'aiguille ;S du barreau attire S de l'aiguille. Le
moyen de procéder à cette constatation est d'ail-
leurs facile: 1 opérateur prend le barreau à la main
et présente successivement N de ce barreau à N
de l'aiguille et S à S. L'expérience réussit toujours.
Elle est très concluante. Nous en déduirons que
lorsque l'aiguille est sous l'inlluencc exclusive de
la terre (le barreau se trouvait alors fort éloigné
d'elle) tout se passe comme si la terre renfermait
à peu près dans le plan méridien du lieu un bar-
reau aimanté dont le pôle nord attirerait le pôle
nord de l'aiguille et dont le pôle sud attirerait en
même temps le pôle correspondant.
4° propriété. — Les pôles de même nom se re-
poussent, les pôles de nom contraire s'attirent.
Qu'on place, à une assez grande distance l'une de
l'autre, deux aiguilles aimantées tout à fait pa-
reilles, piisées l'Iiacune sur son pivot et parfaite-
ment mobiles, l'une et l'autre dans un plan hori-
zontal. Comme on doit s'y attendre, d'après ce qui
vient d'être dit, les deux aiguilles, obéissant à
l'action de la terre, se placeront en équilibre dans
des directions rigoureusement parallèles. Les pôles
nord des deux aiguilles peuvent être considérés
comme étant de môme espèce, de même nom,
puisqu'ils jouissent des mômes propriétés; ils
subissent en effet la môme action de la part de la
terre et ils seraient l'un et l'autre attirables par le
même pôle convenablement choisi du barreau
qu'on leur présenterait. Même conséquence en ce
qui concerne les deux pôles sud. Or, si on prend
i la main l'une des deux aiguilles et qu'on approche
son pôle nord du pôh', nord de l'autre aiguille de-
meurée mobile, on constate une répulsion exercée
MAGNETISME
1248
MAGNETISME
sur cette dernière. Pareillement, le pôle sud de
l'aiguille rendue fixe repoussa le pôle sud de l'ai-
guille mobile. Enfin le pôle nord de la première
attire le pôle sud de la seconde et semblablement,
le pôle sud de la première attire le pôle nord de
la seconde. On arrive comme conclusion nécessaire
à cet énoncé formulé plus haut : les pôles de mé^ne
nom se repoussent, ceux de nom contraire s'at-
tirent.
2. Hypothèse des fluides magnétiques. — Jus-
qu'à présent nous sommes restés dans le domaine
exclusif des faits; essayons maintenant, à l'aide
d'une hypothèse, d'en fournir l'explication. H faut
se garder de considérer cette hypothèse comme
représentant exactement la vérité des choses. Elle
n'est, en réalité, qu'un moyen commode de grou-
per les faits entre eux et de montrer leur dépen-
dance. Voici cette hypothèse.
On admet que dans toutes les substances ma-
gnétiques il existe deux fluides distincts qui s'y
trouvent en quantité telle que, combinés ensem-
ble, ils se neutralisent complètement : ils forment
ce qu'on nomme le fluide neutre. Ces fluides pos-
sèdent la propriété de s'attirer l'un l'autre; mais,
par suite île la nature ou du mode de groupe-
ment des particules pondérables au milieu des-
quelles ils sont placés, ou bien encore par l'cfTet
de forces extérieures, ils peuvent, dans certains
cas, demeurer séparés, et alors chacun exerce
autour de lui une action (jui lui est propre et que
rien ne contrebalance. En outre les particules d'un
même fluide magnétique se repoussent elles-
mêmes. On admet enfin que, dans le fer doux,
aucune résistance n'est opposée par la matière qui
forme le métal ni à la séparation des deux fluides,
quand une force extérieure intervient, ni à leur
réunion lorsque, étant déjà séparés, la force en
•question cesse d'agir. Dans l'acier au contraire,
dans l'oxyde salin de fer, etc., cette résistance
opposée au mouvement dans les deux sens des-
dits fluides se montre incessamment ; elle est plus
ou moins énergique pour l'acier suivant son degré
de trempe et aussi suivant qu'il est plus ou moins
•carburé.
Partant de là, voici comment on explique les
Xaits précédemment signalés :
1" Aimantation d'un barreau d'acier. — J'ai un
barreau d'acier trempé j pour l'aimanter, je pro-
mène à sa surface et toujours dans le même sens
l'un des pôles d'un aimant naturel. Que se passe-
t-il 'i le fluide neutre contenu dans le barreau se
décompose: l'un des fluides, celui qui est de nom
contraire à celui du pôle excitateur, est attiré et
entraîné dans le sens de l'aimant, l'autre fluide est
repoussé et se porte en sens inverse. L'action
grandit à mesure que j'augmente le nombre de
rictions jusqu'à une certaine limite, et alors je
puis impunément éloigner l'aimant naturel; les
deux fluides resteront séparés dans le barreau à
raison de la propriété spécifique de l'acier, pro-
priété mentionnée plus haut. Mon barreau est de-
venu un aimant permanent.
2° Direction etorientationde l'aiquille aimantée.
— D'après ce qui a été dit plus haut, la terre elle-
même peut être considérée comme un aimant
toujours existant; donc, une aiguille aimantée
mobile autour d'un axe vertical devra, pour obéir
aux actions magnétiques du globe, se placer tou-
jours parallèlement à l'aimant terrestre, son pôle
nord devant être de nom contraire au pôle nord de
la terre puisqu'il est attiré par lui ; son pôle sud
de nom contraire au pôle sud de la terre puisqu'il
subit de sa part une attraction. De là par suite
la direction et l'orientation de l'aiguille mobile.
3° Actions mutuelles des aiguilles aimantées. —
Je présente le pôle nord d'une aiguille au pôle de
même nom d'une autre aiguille : ces pôles devront
se repousser, puisqu'ils renferment l'un et l'autre
des fluides de même espèce ; le pôle nord de l'un
attirera le pôle sud de l'autre, puisqu'ils contien-
nent des fluides d'espèce différente.
4" Attraction du fer doux par l'aimant. — Enfin,
un aimant naturel ou artificiel devra attirer le fer
doux; car le fluide libre de l'aimant décomposera à
distance le fluide neutre du fer doux, attirera dans
la région la plus voisine le fluide de nom contraire
etrepoussera dansla partie la plus éloignée le fluide
de même nom ; le fer doux deviendra ainsi un ai-
mant temporaire, qui se précipitera par sa partie
la plus voisine du pôle excitateur de l'aimant vers
ce pôle lui-même; seulement, aussitôt que l'ai-
mant permanent sera éloigné, le fer, au point de
vue magnétique, retombera dans son inertie pri-
mitive; il perdra toute trace d'aimantation.
Ici se place une indication dont il est bon de
prendre note pour pouvoir saisir l'explication des
phénomènes magnétiques dans les cours et dans
les livres. On a, en France, par une anomalie qui
au premier moment parait singulière, nommé pôle
austral le pôle nord de l'aiguille aimantée et pôle
boréal son pôle sud. En voici la raison. Admettre
l'existence de l'aimant terrestre, c'est supposer
que l'hémisphère nord renferme un fluide libre
d'une espèce — on l'a très naturellement nommé
fluide boréal, — et l'hémisphère sud le fluide de
l'autre espèce qu'on a nommé austral ; jusqu'ici
tout est logique. Mais si, de l'aimant terrestre, nous
passons à T'aiguille aimantée mobile, nous sommes
forcés d'admettre que le côté de cotte aiguille qui
se porte librement vers le nord de la terre ren-
ferme un fluide de nom contraire au fluide boréal
du pôle terrestre, puisqu'il est attiré par lui. Il en
sera de même pour le pôle sud. Nous devons
donc dire que le pôle nord d'une aiguille est un
pôle austral et le pôle sud un pôle boréal. Telle
est la synonymie adoptée depuis longtemps dans
notre pays.
On explique de la même façon, en partant de
l'hypothèse des deux fluides,une foule d'expérien-
ces intére*isantes que l'on fait dans les cours.
Nous n'y insisterons pas ; nous signalerons deux
de ces expériences seulement, en laissant au lec-
teur le soin d'en trouver l'explication.
I. Lorsqu'on tient suspendu à un aimant un mor-
ceau de fer doux, celui-ci devient capable d'en
attirer un second, ce dernier un troisième, etc.. de
manière qu'on a ainsi comme un chapelet de frag-
ments de fer devenus tous solidaires. Eloigne-t-on
l'aimant permanent, tous les morceaux de fer se
détachent d'eux-mêmes et tombent.
II. Un morceau de fer se maintient suspendu au
pôle d'un aimant et ne tombe pas malgré son poids ;
vient-on à approclier du pôle en question le pôle
de nom contraire d'un autre aimant, on voit, quand
les deux pôles sont à une petite distance l'un de
l'autre, se détacher de lui-même le fragment de
fer doux.
Jusqu'ici les deux fluides magnétiques ont dii pa-
raître au lecteur se rapprocher beaucoup, par leurs
propriétés et leurs actions mutuelles, des deux
fluides électriques. Il n'en est rien ; la différence
est profonde. L'expérience suivante est décisive à
ce point de vue Qu'on prenne une aiguille à tricoter,
— elle est formée, comme on sait, d'acier trempé, —
et que par des frictions exercées, toujours dans le
môme sens, avec lu pôle d'un aimant, on la con-
vertisse en un aimant permanent. Une de ses moi-
tiés manifestera la présence du fluide boréal
libre et l'autre moitié la présence du fluide austral.
Si les deux fluides étaient effectivement séparés,
comme le sont les fluides électriques positif et
négatifdans un cylindre conducteur soumis à I in-
fluence d'une source; s'ils se trouvaient l'un dans
la moitié australe, l'autre dans la moitié boréale
de l'aiguille, on devrait en coupant l'aiguille par
le milieu emporter sur chaque fragment l'un des
MAGNETISME
1:2 ia
MAGNETISME
deux fluides seulement. Or l'expérience donne un
toul autre résultat : quand on coupe l'aiguille par le
milieu, on obtient deux aimants au lieu d'un seul ;
cliaquo fragment possède ses deux pôles sans au-
cune interversion, le pôle austral et le |)ôle boréal
gardant la position qu'ils avaient avant la rupture.
On peut continuer ainsi, briser l'aiguille en une
foule de petits morceaux. Chacun d'eux constitue
toujours après la séparation un aimant complet.
Que conclure de Ihl C'est que les fluides magnéti-
ques ne se portent pas d'un bout du cylindre d'acier
à l'autre. Chaque molécule, si l'on p-ut ainsi parler
poui- être plus intelligible, chaque molécule de
fluide neutre ne se dédouble pas , elle avait primi-
tivement dans le fer ou l'acier non aimantés une
position quelconque, et l'ensemble des positions
occupées par les diverses molécules était tel que
la résultanie de leurs actions sur une molécule
extérieure était nulle. Mais dès qu'il se manifeste
une influence magnétique venant de l'extérieur,
les molécules de fluide neutre se dirigent et s'o-
rientent toutes dans le même sens ; il s'établit alors
dans la lame magnétique ce qu'on a appelé une
polarité déterminée. On peut du reste par le rai-
sonnement se rendre compte de l'effet que pourra
produire une polarité de ce genre, et l'on arrive à
reconnaître que grâce à elle il se manifestera une
action australe prodominante dans une moitié de
l'aiguille, une action boréale prédominante dans
l'autre.
Une explication des phénomènes magnétiques,
beaucoup plus rationnelle que la précédente, a été
donnée à l'article Electricité. Les découvertes
d',\mpère ont montré qu'un aimant n'était en dé-
finitive qu'un solénoidf d'une espèce particulière,
c'est-à-dire qu'on pouvait le considérer comme con-
stitué par un système de courants circulaires mar-
cliajit dans le même sens. Tout s'explique simple-
ment dans la théorie électro-dynamique. Nous ne
pouvons ici que la rappeler. Nous dirons seulement
que c'est grâce aux électro-aimanls dont l'invention
est due à Arago, que l'on est parvenu h constituer
les aimants temporaires, de beaucoup les plus puis-
sants. Une simple barre de fer doux contournée en
fer .'i cheval et entourée d'une bobine d'un long
fil de cuivre, acquiert une aimantation tellement
énergique, quand on fait passer un courant dans
la bobine, qu'on peut soulever à son aide des ar-
matures de fer doux portant un poids de plusieurs
centaines de kilogrammes.
3. Dia magnétisme. — Ces mêmes électro-ai-
mants ont permis, en outre, de reconnaître la fa-
culté magnétique dans une foule de corps où
elle n'était môme point soupçonnée. Pendant long-
temps, on avait considéré le fer et ses composés,
plus trois autres métaux, le nickel, le cobalt et le
chrome, comme les seules substances magnéti-
ques; mais lorsqu'il put disposer de la puissance
magnétique que procura l'emploi de l'clectro-
ainiLint, Faraday ne tarda pas h reconnaître que la
iMti'gorie des substances sensibles à l'aimant était
Il > nombreuse. On peut môme dire d'une manière
gi'iiérale que tous les corps de la nature sont in-
fliii'ncés par un aimant : solides, liquides et gaz.
Il ''xiste toutefois entre eux une différence essen-
u^'lle : les uns, placés entre les deux branches
d lia électro-aimant en fer à cheval, se dirigent sui-
v.int la ligne qui joint les deux pôles, axialement,
selon l'expression de Faraday; ceux-là sont attirés
cl se comportent comme le fer; ce sont donc les
cnips proprement maijnHiques ou p'na'nar/?iéti-
V'"v,; les autres se placent dans une direction per-
p^'iidiculaire à la ligne des pôles, éqwitorialement :
ils sont repoussés par l'aimant. Faraday les nom-
mait rfi«mo9He;,<^ues. Les principaux parmi ces
(liriiiers sont le bismuth, l'antimoine, le zinc,
l'iLiii), le mercure, l'argent et le cuivre. Un petit
bjii eau de bismuth d'un centimètre ou un cenli-
2« PARTIE,
mètre et demi do longueur, suspendu à un fil fin et
placé entre les deux pôles d'un fort électro-aimant,
accuse très nettement, par une rotation, la pro-
priété diamagnétiiiue dont il jouit : aussitôt qu'on
fait passer le courant il tourne pour se fixer dans
la position équatoriale. Les nombreux composés où
entre le fer sont tous magnétiques, alors môme
que ce métal n'y est représenté que par une très
faible proportion. Ainsi, le verre à bouteille est
magnétique; il faut cependant ajouter que le prus-
siate de potasse ou ferro-cyanure de potassium est
diamagnétique, quoiqu'il renferme du fer. L'eau
est dianKiLjn tique, roxygèiie magnétique, etc.
4 Magnétisme terrestre. — On s'est demandé
quelle est au juste la nature de l'action que la
terre exerce sur une aiguille aimantée. Est-elle
par exemple comparable à celle de la pesanteur'?
L'expérience a nelteiuent répondu : Nan, le globe
n'exerce point une action de transport sur l'aiguille
aimantée; son action est purement directrice.
En effet, si l'action magnétique de la terre pou-
vait être assimilée à la force de la pesanteur, elle
seiait représentée finalement par une résultante
unique appliquée en un certain point de l'aimant
considéré, de même que la résultante des action*
de la pesanteur, le poids, est appliquée au centre de
gravité. Cette résultante serait ou verticale, ou ho-
rizontale, ou oblique. Or, elle n'est pas verticale.
En voici la preuve : on suspend un barreau d'acier
trempé au-dessous de l'un des plateaux d'une ba-
lance très sensible, de manière à ce que son axe
soit vertical. On lui fait équilibre avec une tare
placée dans l'autre plateau. On aimante ensuite
fortement le même barreau et on le suspend de
nouveau sous le même plateau, dans les mêmes con-
ditions qu'auparavant. On reconnaît que son poids
aiparent n'a pas changé. Cependant, si l'action
magnétique du globe se réduisait à une force ma-
gnétique unique de sens vertical, elle agirait ou
pour taire mouvoir le barreau aiiuanié de haut en
bas, ou pour le pousser de bas en haut. Le bar-
reau ne bouge pas, malgré la grande sensibilité'
de la balance, donc la force en question n'existe
pas, ou du moins, dans la condition où est exécu-
tée l'expérience, sa pesanteur est inférieure à la
force d'un milligramme. La force terrestre est-elle
horizontale ? Pas davantage. Placez une aiguille
aimantée sur une lame de liège posée elle-même
sur l'eau ; vous verrez le liège tourner de manière
à faire prendre à l'aiguille la direction nord-.sud,
puis un équilibre final s'établira; l'aiguille n'en-
traînera le lièffc ni dans un sens ni ilans l'autre;
donc, point de force horizontale. Enfin, si la force
terrestre avait une direction oblique, cil ■ pourrait
être décomposée en deux forces, l'une horizon-
tale, l'autre verticale; or aucune de ces deux
composantes n'existe réellement. L'expérience l'a
établi ; donc la résultante elle-même fait défaut.
1» Couple terrestre. — En somme, l'action ter-
restre est comparable à ce (|u'on nomme un couple
en mécanique (V. Mécnnique); elle se ramène à un
ensemble de deux forces égales, parallèles, agissant
en sens contraire, et appliquées chacune à l'un des
pôles de l'aiguille aimantée. Pour se rendre un
compte exact de ceci, il ne faut plus laisser au
mot pôle le sens un peu vague qui lui a été attri-
bué jusqu'ici. Précisons. Soit une molécule M de
fluide magnétique boréal libre placée à qui'lques
mètres de distance de l'une des moitiés AC de
l'aiguille aimantée, la moitié australe par exemple,
dont nous supposerons la longueur ésile à cinq
centimètres. Chaque particule magnétique du fluide
austral AG agira par attraction sur M. Il y auiadonc
autant de forces attractives intervenant qu'il y a
de particules libres en AC, et de plus ces forces
pourront être considcrêes comme parallèles entre
elles à cause de la faible longueur de l'aiguille et
de la distance relativement grande qui la séparo
79
MAGNETISME
— 1230
MAGNETISME
de M. Ces forces attraciives parallèles entre elles
seront inégales, mais elles conserveront toujours
leurs rapports de grandeur, quelle que soit la po-
sition qu'on donne à l'aiguille par rapport à M,
car leur intensité relative ne dépend que de la dis-
tribution du magnétisme dans l'aiguille, laquelle
demeure invariable. Mais on sait (V. Mé aiiiifue)
que lorsque, sur un corps solide, agit un système
de forces parallèles dont les rapports de grandeur
sont constants, toutes ces forces sont rempiaçables
par une résultante unique igale à leur somme,
parallèle à leur direction et appliquée en un point
déterminé, invariable aussi, et qu'on nomme le
centre des forces parallèles. Dans l'espèce, toutes
' les actions de M sur AB se réduiront donc à une
seule force qui sera leur résultante et qui passera
par un point fixe de AB. Ce point lixe, c'est pré-
cisément le pôle. Eh bien, quand on considère
l'action magnétique exercée par le glcbe sur l'ai-
guille aimantée tout entière, cette action peut être
représentée par deux forces égales, parallèles et
de sens contraire, appliquées chacune à un pôle de
l'aiguille et formant par suite, par leur ensemble,
un véritable couple. L'aiguille, sous leur influence,
ne peut, si elle est libre, si par exemple elle est
suspendue à, un fil fin par son contre de gravité,
que tourner, de manière i devenir parallèle aux
forces du couple. Alors, en etfet, les deux forces
agissant en sens contraire et suivant la même ligne
droite se détruisent, s'annulent, et l'aiguille reste
en équilibre.
Ceci nous conduit à une méthode fort simple
pour trouver la direction des forces terrestres. 11
faudra déterminer: 1° le plan du couple; ■.J" la
ligne suivant laquelle agissent les forces dans ce
plan.
2° Angle de déclinaison. — Le plan du couple
est fourni par l'aiguille dite de d'cnnnisnn. C'est
précisément le petit appareil r ui a servi jusqu'à
présent à nos expériences. Par tâtonne i ent, on ar-
rive en eifet à donnée à la moitié de l'aiguille, qui
doit être le pôle boréal, un surcroit de poids M tel
que l'aiguille se maintient horizontale (quand elle
est aimantée), malgré l'action magnétique du globe
qui tend à incliner au-dessous de l'horizon le côté
nord de l'aiguille. En d'autres termes, le centre
de gravité proprement dit de l'aiguille n'est point
sur le prolongement du pivot vcrticul qui la sup-
porte, et quand elle est désaimantée, l'aiguille
penche du côté du sud. Quand elle est aimantée,
elle se maintient au contraire rigoureusement ho-
rizontale. Elle tourne alors autour du pivot vertical,
et après quelques oscillations elle vient se placer
nécessairement dans le plan même du couple ter-
restre. Là seulement elle peut se maintenir en
équilibre stable. Les composantes verticales des
forces du couple s nt détruites par la résistance
du support de l'aiguille, et ses composantes liori-
zontahes ne peuvent s'annuler réciproquement
qu'autant que l'aiguille se place dans leur propre
direction. Le plan vertical passant par les deux
pôles de l'aiguille en équilibre est donc exactement
le plan même du couple terrestre.
On a ainsi reconnu que le plan du couple ter-
restre, ou le méridien magnétique d'un lieu, ne
6e_ confond pas habituellement avec son méridien
géographique. L'angle que font les deux plans
porte le nom d'a.c/le ite déclinaison. Quand le
pôle nord de l'aiguille aimantée s'écarte du méri-
dien géographique vers l'est, la déclinaison est
dite orieulcde; elle est occidentale, quand le môme
pôle s'écarte, au contraire, vers l'ouest On a
imaginé des appareils spéciaux assez compliqués,
que nous n'avons pas à décrire ici, pour mesurer
l'angle de déclinaison avec une grande exactitude.
3» Angle (f inclinaison. — Le plan du méridien
magnétique étant maintenant déterminé, si nous
rendons mobile dans ce plan autour d'un axe qui
lui soit perpendiculaire une aiguille aimantée de
manière que sou centre de gravité se trouve sur
l'axe de rotation, cette aiguille devra tourner
dans son plan, qui est le plan même du couple
terrestre, jusqu'à ce qu'elle se place dans la direc-
tion des forces qui le constituent. A cette condi-
tion seulement, elle pourra rester en équilibre.
Or l'expérience montre que l'aiguille dite cette
fois d'inclinaison n'est généralement pas horizon-
tale. En ce moment, h Paris, le pôle nord plonge
en-dessous de l'horizon d'environ (15° 31;'.
L'angle que forme avec Ihorizon la moitié nord
d'une aiguille aimantée mobile autour d'un axe
horizontal dans le plan du méridien magnétique
du lieu se nomme l'ongle n' inclinaison.
La connaissance de la valeur, en un lieu donné,
des angles d'inclinaison et de déclinaison, fournit
la position du couple magnétique terrestre. Quand
on yjoint la mesure de l'iniensito magnétique, on
a déterminé ce qu'on appelle les éléments du ma-
gnétisme terrestre en ce lieu.
4° Variations des éléments magnétiques. — La
détermination des éléments magnétiques a un
grand intérêt ; leurs variations se lient avec les
changements de tout genre qu'éprouve notre
globe. On a reconnu que la déclinaison et l'incli-
naison en particulier subissent des variations sé-
culaires, des variations diurnes affectant les unes
et les autres une périodicité réelle, et enfin des
variations accidentelles, en relation avec l'appari-
tion des orages, des aurores boréales, avec les
tremblements do terre.
Voici quelques aperçus sur les variations sé-
culaires à Pans : 1° de la déclinaison ; elle était
orientale en 1580, et sa valeur de 11°, 30', il y a
juste 300 ans; puis l'aiguille s'est rapprochée de
plus en plus du méridien terrestre, et la déclmai-
son est devenue nulle en 1603. A partir de cette
époque, l'aiguille s'est écartée de plus en plus du
méridien vers l'ouest et le maximum de la décli-
naison occidentale a été de i2°,34' en 1SI4. De-
puis l«U, l'aiguille revient sur ses pas; elle se
rapproche de plus en plus du méridien ; la décli-
naison a successivement été de 20», 41 en 1K48;
de iy°,0',6 en 181! l; de 16°56',4 en janvier 18i9;
2° de l'inclinaison; depuis 1071, l'angle d incli-
naison va en diminuant à Paris d'une manière
continue comme si nous descendions progressive-
ment vers une latitude magnétique moins élevée.
Il semble que le pôle magnétique terrestre se-
loigne de nous de plus en plus. L angle d incli-
naison en 1611 était da 75°; il a diminue depuis
d'une manière continue: 68°, l' en IS'io; OO-.O a en
1863; B;>°, 31, 8 en janvier 1879. ,
Ces mêmes éléments magnétiques considères 4
la même époque ont des valeurs très différentes,
d'un lieu à l'autre. Ainsi, en juin 1870, la décli-
naison étant à Paris de 17«,l9 avait pour valeur à
Lyon 15°37- 15°,1 à Marseille, 2U%23 à Brest. On
a pu même marquer sur la carte de France des
lignes d'égale déclinaison magnétique; ces lignes,
dans leur allure générale, affectent un certain pa-
rallélisme et font un angle très sensible avec la
méridienne géographique. Ainsi la ligne corres-
pondmt, le 15 juin 187U, à la déclinaison de 18
passait par Rouen, le Mans, Niort en France, et
Logrono en Espagne. La ligne donnant la déclinai-
son de 1 7° passait un peu à l'est de Melun, à Bourges,
à Guérei, un peu à lest d'Auch, etc. Il va sans
dire nue les lignes elles-mêmes ne sont pas fixes,
elles vont en se déplaçant d'une manière continue
avec le temps. ,„„
Pour la valeur de l'inclinaison, on trouve des
variations tout aussi considérables quand le Heu
d'observation change. D'une manière générale,
quand on marche de l'équiiteur vers le P"le "o™-
1 angle d'inclinaison va en croissant. On ti ouve
même un point de la terre vers la latitude de 7d ,
MAHOMET
1251 —
MAHOMET
où cet angle prend la valeur do 90". En ce point,
les forces du couple terrestre sont verticales,
l'aiguille d'inclinaison devient verticale elle-même.
Au contraire, dans une série de lieux voisins do
l'équaleur, l'inclinaison est nulle; la courbe qui les
réunit porte le nom d'équateur masnétique. L'c-
•quateur magnétique ne se confond pas exactement
avec l'équateur géographique ; la courbe qui lui
correspond présente une forme sinueuse, elle
offre dans son ensemble la figure d'un grand
cercle dont le plan formerait avec celui de l'é-
<iuateur terrestre un angle de 12" et demi. Au sud
de l'équateur magnétique, le pôle sud de l'aiguille
plonge au-dessous de l'horizon, et d'autant plus
qu'on s'avance davantage vers les latitudes élevées
de l'hémisphère austral.
Quant aux variations diurnes de la déclinaison,
«lies sont très faibles: pendant la nuit l'iiiguille
reste à peu près immobile; le matin elle marche
de l'est vers l'ouest à Paris, puis, le soir, à partir
de une lienre de l'après-miili. elle revient sur ses
pas pour reprendre à 10 heures du soir sa position
primitive.
5. Procédés d'aimantation. — On distingue
plusieurs pi-océdés d'aimantation qui doivent être
employés, l'un ou l'autre, suivant les cas : celui
de la simple touche avec frictions, celui de la
louche séparée, celui de la double touche (V. Ai-
montuliO''). Nous indiquerons le plus facilement
exécutable, le procédé de la simple touche ; nous
J'avons déji expliqué dans ce qui précède ; peu de
mots sufliront pour comploter ce qui a été déjà
dit On pose sur une table de bois le barreau d'a-
cier trempé AB que l'on veut aimanter, on tient
d'autre part Ji la main un barreau aimanté puis-
sant A'B' qui doit servir d'excitateur, et on promène
ce dernier sur le barreau fixe en le plaçant verti-
calement en contact avec Ini. En exerçant des fric-
tions continues, toujours dans le même sens, de
A vers B, par exemple, on arrive après plusieurs
passes à l'aimanter à saturation. Si l'on a choisi
Je pôle A pour provoquer l'aimantation, on cons-
tate à la fin que le dernier point touché B est un
pôle de nom contraire h A' et le premier point
louché A un pôle de môme nom. Il est bon de
retourner le barreau et d'opérer encore des fric-
tions comme auparavant en conservant toujours le
sens du mouvement déjà adopté.
On peut aussi aimanter très énergiquement un
(barreau en le plaçant dans l'intérieur d'une bobine
de fil de cuivre que traverse un courant électrique.
CV. Électricité.)
Enfin on peut produire l'aimantation par l'action
de la terre qui sert alors d'aimant excitateur.
Une barre de fer doux placée .dans une direction
parallèle à 1 aiguille d'inclinaison est par là môme
aimantée, mais d'une façon transitoire: le pôle
austral est en bas et le pôle boréal en haut.
L'aimantation se conserve en partie si, pendant
que dure l'influence terrestre, on fait éprouver à
la barre une action mécanique ou moléculaire
quelconque : choc, friction, torsion, action chimi-
que. Les barres de paratonnerre, qui sont implan-
tées verticalement au sommet des édifices, pren-
nent de l'aimantation sousl'actlon de la terre et la
gardent parce qu'elles se rouillent à leur surface
pendant que s'exerce l'influence terrestre.
L'application de l'aiguille aimantée à divers
usages pratiques, entre autres à la navigation, a
donné naissance à la boussot\ — V. Boussole.
TA. Boutan.]
MAHOMET. — Histoire générale, XVII ; Litté-
ratures étrangères, X. — Mahomet naquit .à la
M^'^n."'; ^'^rs l'an 57u. Orphelin de bonne heure,
•réduit à une extrême pauvreté, il futdabord con-
ducteur de caravanes Ce genre d'exister. ce plai-
sait a ses mstincis contemplatifs; ses voyages le
jmirent en rapport avec des hommes de toute
nation, il apprit bien des choses inconnues de ses
compatriotes. Son mariage avec une riche veuve,
Khadidja, lui fit des loisirs. Il se livra dès lors à
l'étude et à la méditation. Tous le.s ans, il faisait
une retraite dans la solitude du mont Ilira, près
de la Mecque. Là, sous un ciel ardent, par l'effet
de la prière, du jeûne, son imagination s'exalta.
Ses idées, jusqu'alors confuses, prenaient devant
lui une forme visible, il sentit « qu'un livre
avait été écrit dans soyi cœur. » )1 commença à
dicter les sourates du Coran, que lui soufflait, di-
sait-il, l'ange Gabriel.
Htat de l'Arnliie. — L'Arabie était alors pro-
fondément divisée. Les tribus se pillaient et s'en-
tretuaient avec un furieux acharneinent. L'anar-
chie était dans les idées aussi bien que dans les
mœurs. La fameuse pierre noire tombée du ciel,
les génies, les ogres, les idoles de toute espèce
étaient adorés ensemble. La C'iùha ou grand tem-
ple de la Mecque était un pandénionium. Mais
tous les habitants de l'Arabie se réclamaient d'une
même origine, ils avaient des traditions commu-
nes, une langue, une littérature. A défaut de
croyances précises, ils avaient un culte organisé
dont le sanctuaire était à la Mecque, où l'on ve-
nait déjà en pèlerinage.
Prédications de Mahomet. L'Héijire. — Ce fut
en se servant de ces éléments d'unité que Maho-
met entreprit de réunir en nation ces peuples
épars et de leur donner une religion. Doué d'un
remarquable talent d'écrivain et d'orateur, il
allait sur les places, dans les marchés, parlant,
prêchant, convertissant. Les Coréischites, qui
étaient maîtres de la Mecque, s'alarmèrent de ses
progrès. Chassé par la persécution, il se réfugia
dans une ville voisine, Yatreb, qui prit le nom de
Méilinni-el-Nabi, cité du prophète. C'est de cette
fuite ou hégire que date l'ère musulmane (622).
Fin de Mahomet. — A Médine, Mahomet orga-
nisa sa religion et son gouvernement.il se défendit
victorieusement contre ses ennemis, prit à son
tour l'olTensive, et tantôt négociant, tantôt com-
battant, soumit toute l'Arabie. Il rentra en vain-
queur dans la Mecque, dont il voulait faire sa ca-
pitale, et installa son culte dans la Caaba. Déjà
il portait ses vues au delà de l'Arabie, il expédiait
au roi de Perse et à l'empereur d'Orient des mes-
sages menaçants qu'allaient bientôt suivre des
armées, lorsqu'il mourut en HXl L'unité politique
de l'Arabie était un fait accompli, son unité reli-
gieuse était fondée pour des siècles sur une base
solide : le Coran.
Le Coran. — Le Coran est l'enseinble des dictées
que Mahoinet composait dans ses extases et qu'il
faisait écrire par ses disciples et ses secrétaires
sur des feuilles de papyrus ou des os de mouton.
Chaque dictée forme une sourate, chaque sourate
se divise en versets. Le Coran n'est point un livre
didactiiiue ni un récit continu. C'est à la fois un
livre religieux, un code, un recueil de narrations
où les prescriptions, les récits, les descriptions se
succèdent avic une variété et une richesse inouïes.
Le ton général n'est pas celui d'une démonstra-
tion. Mahomet procède par affirmations, par apos-
trophes, par images éclatantes ; il parle autant aux
sens qu'à l'esprit. Pour prouver l'existence de
Dieu, il atteste le soleil, la lune, le spectacle des
L'Islamisme dans le Coran. — Les doctrines
relio-ieuses contenues dans le Coran peuvînt se
raniener à deux principes essentiels: la croyance à
un Dieu unique ; la croyance à une vie future où les
actions de chacun seront examinées et deviendront
l'objet d'une récompense ou d'un châtiment. Au
jour du ju"cinent, les morts se présenteront pour
passer le p'oiit Et-Sirdt, plus étroit qu'un cheveu,
plus effile que le tranchant d'une épéc. Les vrais
fidèles pourront le franchir et iront jouir d'une
MAIRES DU PALAIS — 1252
MAISONS
félicite éternelle dans le paradis toujours vert,
aux frais ombrages, aux eaux jaillissantes. Les
autres, précipités dans les abîmes, y subiront des
tourments sans fin.
L'Islamisme dans riiistràre. — Tel est le dogme.
Le credo musulman tient dans ces quelques mots:
Dieu ist lieu et Maliomt est son prophète. Tout
le reste nVst que règlements du culte, prescrip-
tions de morale, de politi(|ue ou simplement
d hygiène. L'idée fondamentale se dégage avec
une pi ccision et une netteté intelligible pour tous.
Des millions d'iiorames l'acceptèrent. En un siècle,
l'islamisme, par la parole et surtout par le sabre,
avait conquis l'ouest de l'Asie, le nord de l'Afrique
-et l'extrémité de l'Europe. A son abri, des États
s'organisèrent, des civilisations fleurirent. Dans
l'histoire de l'iiunianiti', le moyen-âge musulman
mérite une plus belle place que le moyen âge chré-
tien. Mais .andls que le reste du monde marchait.
1 Islam est demeuré stationnaire. Les sociétés qu'il
a formées n'ont eu ni Rcnais'iance ni Kévolution.
Elles sont menacées de périr, si l'Europe ne leur
reporte la lumière qu'elle leur a prise autrefois.
[Maurice Wahl.l
MAIItES DU l'ALAIS. —Histoire de France,
IV. — Ce titre désigne, à l'époque mérovingienne,
un personnage dont les attributions primitives
sont assez mal connues, et qui paraît avoir été
simplement, au début, le premier officier de la
maison royale, désigné par le roi lui-même pour
remplir ces fonctions. Mais dès le règne de Sige-
bert, dans la seconde moitié du vi* Mècle (V.il/cVo-
i'Bji'c'S;, le maire du palais, en Austrasie. nous
apparaît comme le chef électif des leudes, c'est-à-
dire des grands du royaume; et il en est bientôt
de même en Bourgogne et en IVeustrie. Clotaire II
s'engage, en 614, à ne jamais intervenir dans l'é-
lection des maires du palais; et pendant que les
royaumes francs sont réunis sous l'autorité nomi-
nale d'un seul souverain, les maires occupent
dans cliar|ue royaume la place d'un vice-roi. Sous
le règne de Dagobrrt et de son fils Sigehert II,
Pépin de Landen ou Pépin le \ieux est maire du
palais en Austrasie, et il acquiert une telle puis-
sauce, que cette dignité devient héréditaire dans
sa famille. Grimoald, son fils, lui succède, et,
« voyant le mépris des Ausirasieiis pour la race du
grand Clovis, il relégua le fils de Sigehert dans un
monastère d'Irlande, et fit nommer roi son propre
fils, Childebert. Mais le moment n'était pas encore
venu de renverser l'antique laniille des rois che-
velus. Les Austrasiens s'unirent aux Neuslriens
contre Giimoald, qui fut tué avec Childebert. »
(Lavallée.) La tentative prématurée de Grimoald
ayant échoué, les royaumes francs se trouvèrent
places de nouveau sous le gouvernement nominal
des rois neustriens, au nom desquels comman-
dèrent successivement deux maires célèbres, F,r-
kinoald et Ebroin. Cependant l'Austrasie supportait
impatcmnient le joug. Un petit-fils de Pépin le
Vieux par les femmes. Pépin d'Héristal, y devint
chef des leudes, et, après la mon d'Ebroin, vain-
quit les Neustriens .'i Tcstry (GS'i). Cette victoire
assura définitivement la prépondérance de l'Aus-
trasie, et donna à Pépin d'Héristal un pouvoir
qu'il devait transmettre à S( s descendants. Pépin
se conlenla du titre de maire du palais, et laissa
la couronne au roi de Neustric Thierry III et à
ses faibles successfuis Clovis III, Childebert III,
Dapobeit III, que l'hisioire a appelés les rois
fanéi vis. A sa nnort en 7 M, il eut pour successeur
son fils Charles Maitel. qui, après avoir comprimé
une tentative dis Neustriens pour reconquérir
leur indépendance devint le maître de tout l'em-
pire franc, sans prendre toutefois la couronne,
et en conservant à roté de lui des simulacres de
rois pris dans la famille mérovingienne. Il confis-
qua les biens de l'Eglise, qu'il distribua à ses
leudes, et sauva la Gaule de l'invasion musul-
mane, en battant les Arabes à Poitiers Ci 3?). Char-
les Martel laissa deux fils, Carloman et Pépin le
Bref, qui se partagèrent le pouvoir; mais bientôt
Carloman se retira dans un cloître, et Pépin con-
serva seul l'autorité. Déjà pendant un moment,
sous Charles Martel, le irône était resté vacant à
la mort de Thierry IV (737); Pépin le Bref, conti-
nuant la politique des chefs austrasiens, fit cou-
ronner en 742 Childéric III ; mais dix ans plus
tard, jugeant qu'il pouvait sans danger rompre
avec la tradition jusqu'alors respectée, il déposa
le dernier représentant de la famille mérevin-
gierne, et se fit proclamer roi lui-même (75"^). Son
alliance avec le Saint-Siège, à la suite de ses expé-
ditions en Italie contre les Lombards, affermit
son autorité, et lorsqu'il mourut en 7C8, nul ne
songea à disputer la couronne à ses héritiers.
L'nc race nouvelle avait remplacé celle de t.lovis;
Charlemagne *, fils et successeur de Pépin le
Bref, allait achever l'étonnante fortune des des-
cendanisdrs maires d'Austrasie en rétablissant i
son profit l'emplie d'Occident.
31.\ISONS. — Hygiène, VII. — Nousavons rare-
ment le privilège de faire construire notre de-
meure, souvent même nous ne pouvons guère la
choisir, et nous sommes obligés de tirer le meil-
leur parti possible d'une construction mal conçue
et mal exécutée. Peut-être les architectes de l'a-
venir apprendront-ils l'hygiène. De nos jours, ils-
ne s'en occupent point, il semble que cela ne Eoit
pas de leur ressort. 11 s'en faut de beaucoup que
le confort des habitations progresse du même pas
que le luxe des constructions et des aménage-
ments : c'est le contraire qu'il faudrait. Lorsque
l'hygiène sera vulgarisée, l'opinion publique for-
cera les architectes et les spéculateurs h bâtir des
maisons saines. Jusque-là, on ne peut espérer au-
cune réforme sérieuse.
Il iraporie donc à chacun de savoir d'après quel-
les règles une habii.ntion doit être construite, afin
d'apprécier, en toute connaissance de cause, les
qualités et les défauts de celle qu'il habite ou se
propose d'habiter. Si le choix est possible, ces
connaissances seront d'un grand secours. Dans le
cas coniraire, elles serviront du moins à suggérer
les piécautions nécessaires pour pallier les défauts
du local imposé et défectueux.
Nous aurons soin, d'ailleurs, après avoir décrit
ce qui devrait être, d'indiquer les compromis, les
petits moyens qui peuvent rendre moins dange-
reuse une habitation malsaine.
Emilaomenl. — La localité, le sol, le voisi-
nage, l'exposition doivent être l'objet d'un minu-
tieux examen, soit pour fixer son choix, soit pour
prendie toutes les précautions possibles lorsque
la nécessité permet seulement d'atténuer certains
désavantages. Le inil/'U dans lequel se trouve l'ha-
bitation apporte naturellement des modifications
dans sa construction et son aménagement; nous
en parlerons en détail en traitant ce mot.
Constiuctioti. — Les bons matériaux de con-
struction doivent être mauvais conducteurs de la
chaleur, non hygroscopiques, inattaquables par
les moisissures, non susceptibles de dégager des
gaz délétères. Les questions de prix, de durée, de
beauté, sont tout à fait secondaires. Le granit, le
grès, la pierre meulière, le calcaire dur, remplis-
sent toutes ces conditions. Le calcaire tendre, qui
fournit à Paris la plus grande partie des pierres
de taille et des moellons, est plus sujet à retenir
Ihumidité. Cependant on a inventé plusieurs pro-
cédés qui le rendent imperméable à la surface.
Lun d'eux consiste à l'imprégner de silicate de
potasse. Ine peinture à Ihuile de lin cuite et sa-
turée de litharge serait également utile.
C'est surtout pour les fondations et le rez-de-
chaussée qu il importe d'employer des matériaux.
MAISONS
— 1253 —
MAISONS
inaccessibles h l'Immidito, comme la pierre meu-
lière jointe au ciment. Au niveau des fojidations,
le sol devrait ôtre parfaitement draini', puis rece-
voir une couclie de scories ou do pieii-ailles re-
couvi'rte par une assise de ciment. De cette ma-
nière on serait sur qu'aucune cxlialaison dange-
reuse ne pourrait sV.leverdu sol pour se répandre '
dans la maison. Il serait mfime avantageux de bi- j
tumer le sol et les murs de la cave.
La brique bien cuite, en partie vitrifiée, vérita- \
blc pierre siliceuse artificielle, est d'un excellent
emploi pourvu qu'on la joigne avec du ciment. La
terre pilée, ou pisé^ peut servir aux constructions
sur les terrains très secs, ;\ la condition de proté- j
_ger les murs contre la pluie et les infiltrations.
Le meilleur plâtre est celui qui exige le moins
d'eau pour se gâcher au degré convenable. Dans
toutes les parties basses ou exposées à l'Iiumiditc
on doit lui substituer le ciment. Le plâtre, en effet,
est très liygroscopique, et au bout de quelque
temps l'humidité qu'il retient produit le salpètrage
des murs, défaut auquel on ne peut guère remé-
dier.
Les bois employés dans les constructions sont
sujets à une décomposition lente produite par une
sorte de fermentation et par la production de moi-
sissures. C'est IJi une cause de dangers et d'insa-
lubrité qu'il serait facile de prévenir en imprégnant
ces bois d'acide pyroligneux ou d'autres substances
préservatrices. En tout cas, il faut savoir que les
bois coupés en sève sont fatalement destinés à une
.prompte destruction. On choisira les essences les
plus résistantes et surtout on prendra soin que
l'humidité n'ait accès nulle part.
Si les maisons des villes laissent tant à désirer,
sous tous les rapports, que dire de celles des
paysans dans la plupart de nos provinces ? L'es-
pace étroit enclos entre les quatre murs est recou-
vert d'un toit de chaume surbaissé, fertile réser-
voir de moisissures suspectes. Le sol de terre
battue se détrempe et s'imprègne de boue et de
fumier; souvent même des animaux domestiques,
admis dans une intimité compromettante, rendent
la place inhabitable pour leurs maîtres, stoïque-
ment entassés dans des lits clos étages comme
ceux des cabines de navires. L'impôt des portes et
fenêtres ingénieusement éludé a fait percer dans
le mur des trous bouchés en hiver par de la
paille. A côté de la maison un tas de fumier dont
le purin forme ruisseau devant la porte, puis l'é-
table dont les émanations se mêlent i celles du
(purin. Parfois même, un vide dans la muraille
met celle-ci en communication directe avec lu mai-
son pour que les animaux puissent y prendre leur
.nourriture dans l'auge ou le râtelier.
Certes le mal n'est pas partout aussi grand ;
mais, presque toujours les constructions rurales
semblent un défi à l'hygiène et à la bienséance.
La réforme viendra de la vulgarisation de l'hygiène
qui fera aimer, avec le bien-être relatif, tout ce
qui augmente la dignité humaine. Pour améliorer
l'hygiène rurale, il faudrait d abord choisir judi-
cieusement l'emplacement des habitations, les
construire de façon à ne pas marchander l'air et
la lumière, isoler les dépendances de l'habitation
humaiiie, adopter pour les fumiers les fosses étau-
ches et couvertes, placées loin de la maison et loin
des puits Ensuite, l'instruction bien dirigée ap-
prendrait au paysan qu'il a intérêt à soigner sa
maison, son fumier, sa santé, celle des siens, que
c'est pour lui la meilleure des spéculations. Quand
il en sera convaincu, le reste sera facile.
^ Malgré leurs misérables demeures, les paysans
résistent à une foule de causes de maladies ou de
dégénérescence, parce que la plus grande partie
de leur vie se passe au grand air. Les ouvriers des
villes sont encore plus mal partagés. Ils forment une
population chétive, malingre, rabougrie. Après un
travail forcé dans les ateliers où l'encombrement,
les émanations, les poussières, conspirent contre
leur existence, ils s'entassent dans de misérables
réduits, où régnent le méphitisme et l'asphyxie ;
c'est là une des plaies de notre temps. Les consi'ils
de salubrité pourraient beaucoup pour atténuer
le mal. On a réussi en partie en quelques pays.
Mais la question du logement des ouvriers est lort
complexe, elle touclie à l'organisation môme de
la société, aux salaires; il faut donc se résigner k
donner des conseils palliatifs. En les suivant, on
rendra supportable ce qui est, et peu b, peu l'es-
prit public améliorera, sans secousses, la vie ma-
térielle des travailleurs. L'hygiène est une science
sociale : elle joindra sa voix aux revendications lé-
gitimes et profitera des progrès apportés par le
temps dans l'organisation de la société.
La création de grandes ciléx ouvrières, sortes de
casernes fatalement insalubres, — au physique et
au moral, — cède aujourd liui le pas aux essais
bien mieux compris de petites maisons isolées ou
par groupes de deux à quatre, comme celles de la
Société mulhousienni', de la Cnmimgnie des Mines
de Blnnzy. Aujourd'hui les bons modèles ne man-
quent pas, il s'agit de tiouver les moyens de les
rendre graduellement accessibles h tous. Les plus
intéressés sont ceux qui doivent faire le plus d'ef-
forts ; on peut leur dire : Aide-toi et la société t'ai-
dera.
Distribution et usage. — La maison la plus hum-
ble doit avoir une salle commune destinée aux
réunions de la famille et aux relations. Si l'espace
manque, elle pourra fort bien servir aussi de salle
à manger, pourvu que l'on ait soin d'y établir,
après chaque repas, un rapide courant d'air, qui
chasse les odeurs et les émanations. Que cette
salle commune, àme de la maison, réunisse tou-
tes les conditions désirables de confort : tempéra-
ture douce, air pur, beaucoup de lumière, des
meubles bons à l'usage ; tout cela dispose favora-
blement l'esprit, fait aimer la maison, et c'est là,
en hygiène, comme en morale, un point essentiel.
L'amour du foyer crée des habitudes régulières,
des plaisirs simples, des satisfactions toujours
prêtes qui contribuent puissamment à entretenir
l'esprit et le corps dans de bonnes conditions. Le
salon do parade et la salle à rainger sont des piè-
ces de luxe pour lesquelles on sacrifie à tort l'es-
pace et l'argent qui seraient mieux employés ail-
leurs. Les tentures sombres, les meubles d'apparat
n'ont rien de commun avec l'hygiène. Si les occu-
pations exigent un cabinet de travail, que ce soit
une pièce grande, bien éclairée, dont on puisse
facilement régler la température. Surtout, qu'elle
permette de s'isoler des bruits domestiques comme
des bruits du dehors, car le cerveau se fatigue
beaucoup plus lorsqu'il est obligé de faire sans
cesse abstraction de ces bruits pour rester seul
avec lui-même. Une double porte, une double fe-
nêtre, peuvent beaucoup pour produire cet isole-
ment et maintenir une température uniforme.
Nous passons dans noire chnmhre à conclier au
moins un tiers de notre existence; mais comme
cette partie de notre vie est absolument privée,
nous croyons que tout est assez bien pour cette
pièce dont le salon et la salle à manger réduisent
à l'envi les dimensions. En fait, on couche n'im-
porte où, dans un cabinet, une alcôve, une sou-
pente; il semble que là où l'on peut placer une
couchette un homme peut dormir. On devrait
chercher tout le contraire. Que la chambre à cou-
cher soit vaste, bien éclairée, visitée du soleil, le
grand assainisseur. Que l'air s'y renouvelle natu-
rellement par la cheminée ouverte, on sera sur
alors qu'elle sera plus utile comme appareil de
ventilation que comme appareil de chauffage. Ou
aura donc soin de ne pas l'obstruer en baissant
le rideau mobile ou en y plaçant un devant de cho-
MAISONS
— 1254 —
MAISONS
mince. Le trou béant n'est pas joli .\ l'œil, mais
c'est un poumon qui fait respirer cette cliambre
où l'air doit sans cesse se renouveler. Il y aurait
d'ailleurs un moyen de tout concilier, ce serait
de fabriquer des devants de cheminée en toiles
métalliques peintes et ornées comme des stores.
Il serait bon, en outre, de pratiquer près du pla-
fond une ventouse dans le tuyau de la cheminée.
L'air vicié s'écoulerait naturellement par cette
issue, que l'on pourrait fermer quand la cheminée
servirait au chauffage.
La chambre à coucher, pour une personne, de-
vrait cuber 61) mètres environ, pour que l'air s'y
maintienne dans un état de pureté convenable
sans recourir h une ventilation forcée. En huit
I>€ures nous absorbons dans nos poumons .3,G00
litres d'air et nous exhalons 180 litres d'acide car-
bonique. Ce gaz n'est pas à proprement parler
toxique, mais il est irrespirable. L'air pur n'en
contient que trois à quatre dix-millièmes, l'air
d'une salle de spectacle, d'une classe, devient
malfaisant et cause des maux de tête, de l'engour-
dissement, dès qu'il en contient quelques milliè-
mes. Jugez quelle doit être l'atmosphère d'un
réduit étroit où l'on passe huit ou dix heures,
quelquefois en compagnie d'une lampe , d'un
chien, qui doublent la production de gaz irrespi-
rable.
Notons que l'accumulation d'acide carbonique
ne constitue pas le plus grand danger de l'atmo-
sphère confinée d'une chambre à coucher. La peau
et les poumons exhalent aussi dans l'air des va-
peurs, des miasmes qui imprègnent la literie, les
rideaux, les papiers de tenture, les murs même
et qui constituent, dans certaines circonstances,
un véritable poison dont les effets se traduisent
quelquefois par une maladie aiguë, et le plus sou-
vent par une détérioration générale de la santé
que l'on attribue à toute autre cause.
La laine des matelas et des couvertures, la
plume et le duvet surtout, retiennent facilement
les miasmes. Ces deux derniers articles devraient
être bannis de la literie, car outre leur facile
contamination ils habituent à une chaleur moite
qui est malsaine. La laine est facile à nettoyer et
à désinfecter, il n'y a donc pas lieu de la pros-
crire, pourvu qu'on procède fréquemment à son
épuration. Les sommiers élastiques tendent à rem-
placer partout la pnillusse, véritable sac à pous-
sière et à moisissures. Faute de sommier élasti-
que, que le premier matelas soit fait de paille, de
balles d'avoine, de spaihes de mais, de crin végé-
tal, mais à la condition de renouveler très sou-
vent ces substances pour assurer en même temps
l'hygiène et le confort.
Supprimez les rideaux de lit, obstacle au re-
nouvellement de l'air, refuge des insectes, réser-
voir de poussière s et de miasmes. Aérez chaque
jour et exposez s 'il se peut au soleil les pièces de
la literie. Comme on fait son lit on dort et l'on se
porte.
Là où les circonstances le permettent, nous vou-
drions voir sacrifier, au besoin, une des pièces de
luxe pour en fa ire la chuml.re (les enfanta. Lors-
que le mauvais temps ou d'autres causes ne leur
permettent pas les ébats au grand air, qu'ils aient
au moins à la maison une pièce h eux, en rapport
avec leurs besoins. Pas de rideaux aux fenêtres
presque toujours ouvertes, pas de meubles qu'il
faille traiter avec cérémonie, rien qui gêne les
franches allures, mais ujie natte sur le plancher
pour amortir les bruits et au besoin les chutes.
Des jouets simples, qui soient une occasion d'exer-
cice et de jeux actifs. Nous voudrions bannir la
poupée, inventée pour immobiliser les enfants,
ces o bandits aux lèvres roses >i qui ne doivent
pas être .. sages » si l'on veut qu'ils se portent
bien. I
L'adulte de 20 ii 25 ans respire de 18 à 2(1 fois
par minute, l'enfant de 5 ans, 2C fois. Ces chiffres
montrent que les besoins respiratoires de l'en-
fant sont bien supérieurs à ceux de l'adulte,
et comme, d'autre part, il résiste beaucoup moins
aux causes d'affaiblissement ou de maladie, on
comprend qu'il lui faut beaucoup d'espace et
beaucoup d'air pour se développer convenable
ment. Le luxe mal entendu tue autant d'enfants
que la misère, en les condamnant à l'immobi-
lité, au silence, en les privant d'air et de lu-
mière dans des appartements calfeutrés et capi-
toimés.
Les ihamtres de domestiques devraient peu
différer de celles des maîtres au point de vue de
l'hygiène. Nous admettrons qu'elles soient moins
confortables, parce qu'elles sont moins habitées,
mais la santé, l'hygiène, ne connaissent point de
distinctions sociales. Il y a égalité parfaite devant
les rhumes et les fluxions de poitrine, Tétiole-
ment faute d'air et de lumière, l'asphyxie ou l'em-
poisonnement dans une atmosphère confinée. Si
la classe des serviteurs est utile, indispensable, il
importe de la maintenir dans les meilleures con-
ditions possibles, même au seul point de vue de
l'économie sociale. Il appartient aux maîtres de
veiller à ce que les chambres des serviteurs soient
aménagées et entretenues de manière à leur assu-
rer le confort et la salubrité compatibles avec les
circonstances, mais les serviteurs doivent s'ins-
truire eux-mêmes des principes élémentaires de
l'hygiène pour les appliquer avec soin et zèle ou
pour réclamer les améliorations urgentes dans
leur installation.
A la campagne et dans les petites localités les
ctiishies des maisons bourgeoises sont d'ordinaire
assez vastes, suffisamment aérées et disposées de
telle façon que les odeurs ne pénètrent pas dans
les appartements. Mais chez les paysans, la salle
commune dont nous avons parlé sert aussi à la
préparation des repas, de sorte qu'aux mille
odeurs et émanations qui s'y rencontrent, s'ajou-
tent les vapeurs culinaires, les senteurs acres et
tenaces de graisses surchauffées. La plus humble
maison rurale devrait avoir une cuisine séparée,
pour assurer la propreté et prémunir l'habita-
tion contre les émanations, la fumée qui s'en dé-
gagent.
Dans les grandes villes, la cuisine fait corps,
d'ordinaire, avec l'appartement ; on lui donne à
regret, un coin obscur, étroit, carrelé, disposé de
la façi'n la plus ingénieuse pour ruiner la santé
des personnes qui y séjournent et pour incommo-
der plus ou moins les autres. Le fourneau chauffe
fortement la tête, tandis qu'un courant d'air froid
passant sous la porte glace les pieds; le tirage
illusoire de la Itotte laisse disperser aans la pièce
l'oxyde de carbone, source immédiate de malaise,
de maux de tête, et source lointaine d'un vérita-
ble empoisonnement chronique. Par intervalles,
des bouffées de vapeurs acres et irritantes achè-
vent de rendre irrespirable cette atmosphère
viciée. Ajoutez à cela un évier dont le tuyau ou-
vert dégage une odeur méphitique dœufs pourris.
Telle est la cuisine du plus grand nombre des
logements de Paris et des grandes villes. 'Voici ce
qu'il faut faire pour la rendre moins dangereuse et
moins disagréable à tous égards. Sur le dallage
mettre une natte épaisse; poser un bourrelet au
bas de la porte et à mi-hauteur des côtés : établir à
la hauteur de la tête une prise d'air pur par la
porte ou la fenêtre ; pratiquer une venlouse près
du plafond pour l'échappement du n.auvais air ;
ventiler en grand, par un courant d'air, — sans y
rester exposé, — dès qu'il s'est dégagé une cdeur
un peu lotte, et après la préparation de chaque
repas: employer fréquemment, et partout, la
brosse et le savon. L'évier nécessite dos soins spé-
MAISONS
— 1255 —
MAISONS
ciaux. Plus tard, les architectes sauront los dis- [ avoir plus de O^ilG de hauteur. On les fait d'or-
posor de manière à ne pas en faire des foyers dinaire planes ou légèrement inclinées on avant,
d'infection. On peut assainir les plus mal cons- de sorte qu'il faut un efiort musculaire consi-
truils par de grands lavages avec une solution
bouillante de potasse. Pour empêcher l'air impur
de refluer par leur orilice, une soupape ou un
bouchon de métal suffisent à la rigueur. Pour faire
mieux, on couvre l'orifice d'un petit appareil fil-
trant, mobile, en forme de cloche, dont le bord
ajoure repose sur une rainure pleine d'eau, de sorte
qu'en laissant passer les liquides il s'oppose à la
rentrée de l'air.
Les cabinets de toilette, ganle-rolies, débarras
sont trop souvent des cabinets esigus. privés de
lumière et d'air, laboratoires suspects où s'élabo-
rent, fermentent et se multiplient les poussières,
les miasmes, les vapeurs, les moisissures, les in-
sectes. A tout cela, il faut de l'air, des nettoyages
à fond renouvelés souvent. Le mieux serait de
réui.ir dans une seule pièce nue, aérée, ensoleil-
lée, toutes ces dépendances qui sont d'autant moins
nécessaires que l'ordre règne davantage dans la
maison. Bannissez les vieilleries de toute sorte ; si
tout est en usage et en vue vous serez obligés de
tout entretenir en bon état.
Tout est à faire, chez nous, dans la construction
et l'aménagement des cabinets. La meilleure dis-
position est celle qui permet aux matières de se
rendre directement à l'égout, en totalité ou après
séparation des parties solides dans des appareils
mobiles. Pour cela il faut un service d'eau
abondant, des soupapes bien disposées et une
ventilation spéciale des tuyaux, afin que l'air des
égouts no pénètre pas périodiquement dans l'ha-
bitation. Le système de fosses fixes est absolu-
ment barbare et homicide. Même lorsqu'elles sont
munies d'un Iwjnu dévent pour les gaz en excès,
elles infectent nécessairement les habitants chaque
déra hie pour porter le corps en avant pendant
qu'on l'élève; cet effort serait notablement dimi-
nué si l'on inclinait légèrement les marches en
arrière.
L'ascension un peu rapide de quatre étages fait
souvent monter le pouls de 72 à l'IO pulsations
par minute. Les fonctions du cœur ei des pou-
mons se trouvent donc gravement compromises
pendant quelque temps, chaque fois qu'on renou-
velle cette gymnastique. Les personnes disposées
aux maladies de ces organes ou qui en sont déjà,
atteintes doivent tenir compte de ce fait. Vivre
quelques étages plus haut ou plus has peut abré-
ger ou prolonger notablement leur existence.
Voici d'ailleurs un moyen pratique de réduire au
minimum la fatigue de l'ascension. Prenez une
longue et profonde respiration et gravissez dou-
cement les marches jusqu'à épuisement de l'air
lentement expiré : arrêtez-vous alors et recom-
mencez la manœuvre ; vous serez surpris du sou-
lagement produit par cette simple précaution.
Descendons un instant à la cave. Nous savons déjà
que le sol doit être drainé, recouvert d'une cou-
che épaisse de matériaux hydrofnges, puis de
ciment ou de bitume. Les soupiraux seront ouverts
toute l'année, protégés seulement par des bar-
reaux de fer, et l'on fera en sorte que les corri-
dors, les escaliers qui y conduisent soient secs
et bien aérés. Cette pièce doit être aussi sèche,
aussi salubre qu'une chambre à coucher, sans
quoi elle répand dans la maison des exhalaisons,
des miasmes, des germes de moisissures qui en
font un véritable foyer d'infection. Le bois, les
provisions, les tonneaux y seront disposés de telle
sorte qu'une sur\eillance journalière permette de
fois que s'abaisse la cuvette. De plus, il se produit remédier au moindre accident, d'assainir aussitôt
toujours quelque fissure dans ce réservoir d'im- | qu'on aura découvert de l'humidité ou des moisiS'
mondices, et le sol des caves, l'eau des puits se
trouvent tôt ou tard souillés sans remède. De
graves épidémies de fièvre typhoïde sont dues à
cette cause. A la fosse fixe il faut donc abso-
lument substituer la fosse mobile en attendant
mieux.
Dans les campagnes le moyen le plus simple, le
plus salubre consiste dans l'emploi de la terre
sèche et pulvérisée ou des cendres sans valeur
pour ''ecouvrir immédiatement les matières qui
sont tombées dans un tonneau. On ne perçoit
aucune odeur, il n'y a pas de fermentation pu-
tride. Ce moyen est non seulement facile et hygié-
nique, mais il rembourse bien vite les frais mi-
nimes d'installation, car le contenu des tonneaux
forme un excellent engrais. Il est facile d'improvi-
ser une trémie qui laisse tomber à volonté un peu
de poussière sèche, mais à la rigueur on pourrait
la verser de toute autre manière. Si l'on prend
les précautions nécessaires et si l'on emploie assez
de niatières absorbantes, ce tonneau pourrait re-
cevoir aussi tous les détritus de la cuisine. L'im-
portant, c'est que tout soit bien couvert et soc à
la surface. La plus humble habitation rurale,
munie de cet appareil, sera mieux partagée que les
somptueuses maisons de Paris.
Un mot seulement sur les ecaliers. C'est par
eux, d'ordinaire, qu'arrive l'air extérieur lorsque
les fenêtres sont bien closes. Il y aurait avantage
et même économie à les chauffer en hiver au
moyen d'un poêle, afin que l'air froid n'arrive pas
subitement dans les pièces chaufl'ées. Mais en tout
cas, il importe qu'ils soient parfaitement aérés,
car c'est aussi par l'escalier que le mauvais air
d'iin appartement s'introduit chez les voisins pour
y porter la gène, le dégoût ou !a maladie.
Les escaliers droits sont plus commodes que
ceux dits tournants. Les marches ne devraient pas
sures. Il faudrait des ordonnances de police pour
obtenir la construction rationnelle des caves et
l'assainissement de celles déjà construites. Tout
ce qu'on peut faire comme palliatif, c'est de chauf-
fer au moyen d'un poêle pour sécher les murs et
le sol, d'élever tout ce que l'on y conserve sur des
madriers ou mieux des pierres, et d'établir une
ventilation aussi complète que possible.
L'hygiène des animaux est à peu près la même
que celle des hommes. Si l'on veut en tirer tout le
profit possible, on a intérêt à tenir sains et propres
les locaux qui leur sont affectés. Ceux qu'on né-
glige le plus, les porcs, sont justement ceux qu'il
importe de soigner davantage. La réforme sur ce
point est partout possible ; il suffit d'en faire com-
prendre l'utilité, la nécessité. Même en supposant
les écuries, les élables, les p-^rclievies, les pou-
laillers, les pigeonniers, etc., tenus avec la plus
rigoureuse propreté, la nature même de ces an-
nexes entraîne toujours l'accumulation de détri-
tus et d'immondices d'où se dégagent des odeurs,
des miasmes toujours désagréables et dangereux;
ce sont des nids de parasites. 11 est donc indispen-
sable d'éloigner tous les bâtiments destinés aux
animaux de ceux habités par les hommes.
C'est une erreur de croire, sur la foi de tradi-
tions sans fondement, que l'air des étables est
hygiénique pour les gens sains ou malades.
Mieux vaut coucher, bien couvert, dms une cham-
bre froide que dans l'atmosphère d'une ctablo ou
d'une écurie chauffée par les exhalaisons des
animaux et toujours imprégnée de miasmes
qu'une circonstance impossible i prévoir peut
rendre dangereux.
HumiilM. — Toute maison humide est mal-
saine. Au bout d'un certain temps ses habitants
ressentent un trouble général des fonctions qui
s'accuse par le lymphatisme, l'atonie, l'anémie,
MAISONS
— 1256
MALADIES
le scorbut, les scrofules, les rliumalismes; la
même cause suffit pour causer des maladies
mieux déterminées ou plutôt mieux localisées :
angines, bronchites, fluxions de poitrine, pleuré-
sies, hydropisies. C'est surtout l'humidité froide
qui est dangereuse- Dans la même maison et au
niCme étage, les pièces situées au nord seront
meurtrières, tandis qu'on habitera sans trop d'in-
convénients celles au midi.
Lorsque l'humidité tient à la construction même
et non à l'aménagement, elle est à peu près irré-
médiable. Cependant il y a des palliatifs qu'on ne
■doit pas négliger. Le plus important, le plus
«fficace, c'est d'élever la température, en com-
mençant par la cave et le rez-de-chaussée. C'est
aussi le remède le plus facile à employer dans
jjne maison à loyer, où l'on ne peut ou ne veut
pas faire des dépenses d'amélioration. Un calorifère
placé dans la cave avec bouches de chaleur dans
les corridors, les escaliers et les pièces du rez-de-
chaussée, suffira presque toujours pour diminuer
■dans une forte mesure les dangers de Ihumidité.
Si ce moyen est trop dispendieux, que l'on chauffe
avec des poêles, depuis octobre jusqu'en mai, les
chambres habitées.
Si les réparations et améliorations sont possi-
bles, la première consiste à dminer le sol sous le
bâtiment et alentour. Cela suffira, dans bien des
cas, pour sécher les caves et les murs du rez-de-
chaussée. Mais si les pierres poreuses, impré-
gnées de matières organiques, ont donné lieu à la
formation de salpêtre qui recouvre leur surface
d'une inflorescence blanclie, l'assèchement du sol
par le drainage ne suffira pas pour sécher les
murs, parce que le salpêtre, substance hygromé-
trique, attire et retient l'humidité de l'air. Dans
ce cas, le chaufl"age constituera le meilleur pallia-
tif. On couvre souvent de lambris de bois les murs
salpêtres; c'est un moyen de diminuer la propor-
tion d'humidité qui s'exhale des murs, mais le
bois pourrit infailliblement et la surface inté-
rieur des lambris se couvre de moisissures dont
la présence est toujours suspecte. On éviterait cet
inconvénient en interposant une mince feuille de
plomb entre le mur et le revêtement de bois.
La maison la mieux construite est humide long-
temps après son achèvement. Les pierres perdent
lentement leur eau de carrière; le mortier et le
plâtre sèchent plus lentement encore. Habiter
une maison nouvellement construite, essui/T (es
plâtres, comme l'on dit, c'est s'exposer sciemment
et fatalement aux maladies causées par 1 humidité, j
Dans les grandes villes, on emploie maintenant
des appareils de chaufl'age pour hâter l'assèche-
ment des locaux neufs : c'est une excellente me-
sure qu'il faudrait généraliser et rendre obliga-
toire, mais on se fait souvent illusion sur son
efficacité et l'on ne continue pas assez longtemps
le chauffage forcé pour permettre aux parties
profondes des murs d'en éprouver l'influence.
Quelques moyens empiriques permettent d'ap-
précier le degré d'humidité d'une maison, d'une
chambre. Le sel gris y devient proniptemeni hu-
mide, la chaux vive pulvérisée se délite en fixant
l'humidité de l'air et l'on peut apprécier la quan-
tité d'eau absorbée en la pesant avant et après
1 expérience.
A moins d'urgence, on ne doit habiter une mai-
son qu'un an après son achèvement. Si l'on est
forcé d'y vivre prématurément, le chauffage éner-
gique et continu constitue la seule ressource pour
atténuer l'influence dangereuse de l'humidité.
Dans une maison humide, la literie devra être
«xposéo le plus souvent possible au soleil ; la toile
■sera bannie du lit et des vêtements; l'usage de la
iJanelle sur la peau est de rigueur.
En attendant qu'il ne soit plus permis de cons-
truire une maison contrairement aux lois du l'hy-
giène, il importe que chacun apprenne à recon-
naître les qualités et les défauts des logements
tels qu'ils existent, et qu'on vulgarise les connais-
sances élémentaires au moyeu desquelles une
maison défectueuse peut être habitée avec le moins
de risques. Lorsqu'on en comprendra l'importance,
on choisira son logement avec plus de soin qu'on
ne le fait d'ordinaire, et lorsqu'on sera forcé de
vivre dans un milieu malsain, on s'appliquera h
combattre les conditions défavorables par les
moyens que nous venons de résumer.
[Dr. Safl'ray.]
MALADIES. — Hygiène, XVI, XVIll. — Chaque
milieu exerce sur la santé une influence plus ou
moins lente, plus ou moins manifeste, mais dont
l'efl'et contribue toujours à maintenir, améliorer
ou détruire la santé. L'école, considérée comme
I milieu au point de vue hygiénique, offre tous les
! inconvénients des locaux exposés à l'encombre-
! ment, source de méphitisme et de contagion. Nous
traiterons plus loin (V. Trnvnil, Vue)àe l'influence
spéciale du travail scolaire. Nous devons nous
, borner i donner ici quelques notions générales
I mais précises sur la riialaaie, puis à signaler celles
! que les maîtres doivent s'efforcer de reconnaître
j dès le début pour interdire l'école aux enfants qui
en sont atteints.
La santé et lu moladie. — La santé est un état
caractérisé par le fonctionnement régulier et con-
cordant de nos organes, en harmonie avec le mi-
lieu où nous vivons. Cet état constitue un idéal
I dont nous trouvons peu d'exemples, surtout chez
les peuples raffinés ; mais heureusement nous
' sommes organisés de telle sorte que nous pouvons
nous en écarter sensiblement sans que notre exis-
tence se trouve compromise.
Entre la santé parfaite et la désorganisation qui
produit la mort, on peut établir une série conven-
tionnelle d'états intermédiaires commençant à
l'indisposition et finissant à la maladie grave ou
mortelle. Le langage usuel est suffisamment pré-
cis : par indisposition, on entend un désordre peu
considérable et passager des fonctions; par mala-
die un désordre de longue durée. Au point de vue
médical, le mot maladie indique, en outre, l'idée
de lutte ou plutôt de réactio7i des organes contre
une cause de désordre ou de destruction. Quelque-
fois un organe a reçu simplement une impres^ioti
passagère, subite même. Cette impression a troublé
sa vie, sa manière d'être, il lui faut un certain
temps pour rentrer dans son érat normal. Souvent
aussi l'impression a persisté, accumulant son in-
fluence, aggravant en proportion les troubles
fonctionnels, de sorte qu'ils se prolongent long-
temps après la cessation de la cause. Il peut arri-
ver enfin que l'impression soit permanente et dès
lors ne permette pas le rétablissement de l'équi-
libre dans les fonctions. Que cette impression
provienne du froid, de la présence d'un gaz délé-
tère, d'un liquide vénéneux ou de parasites mi-
croscopiques, le résultat est le môme : il y a
réaction contre la cause morinde en vertu d'une
loi de notre nature, et ce sont les phases de cette
réaction qui constituent la maladie.
Dans la plupart des cas la maladie ne consiste
pas dans la présence matérielle d'un principe, d'un
agent, d'une substance qu'il s'agit de détruire ou
de chasser. Le plus souvent, lorsque les désordres
fonctionnels se manifestent, la cause impression-
nante a cessé d'agir, l'ennemi est hors de portée,
il ne reste que la réaction naturelle, qui constitue
la maladie. Que trois personnes s'exposent en-
semble au froid, dans des conditions identiques,
l'une sera atteinte d'un coryza (rhume de cerveau),
l'autre d'une fluxion de poitrine, la troisième
d'une névralgie. Il n'y a eu qu'une cause, le froid ;
il n'a fait pénétrer dans l'économie aucun principe
morbide matériel, mais il a causé trois impres-
MALADIES
1257 —
MALADIES
sions qui ont afiocté (les points dilTércnts et se sont
traduiti's par trois maladies distinctes.
Tout ce qui produit sur nos organes une im-
pression perturbatrice peut devenir une cause de
vuilridic. Ces causes peuvent être prochaines ou
éloignées, externes ou internes, principales ou
accessoires, générales ou locales, mécaniques, phy-
siques, chimiques ou physiologiques. De plus, les
causes sont jjfédisjiosanles ou délerhdnanles.
Parmi les causes prédisposantes de maladies, il
y en a qui sont générales, qui afl'ectent tous ceux
qni y sont soumis ; telles sont ; la pression atmo-
splicrique, la composition de l'air respiré, la quan-
tité et la nature de la lumière, les climats, les
saisons, etc. ; elles produisent les maladies locales,
les eni/émies. D'autres causes prédisposantes sont
individuelles et dépendent de la personne même
ou des circonstances spéciales de sa vie. De ce
nombre sont : l'âge, le sexe, le tempérament, la
constitution, les maladies antérieures, l'hérédité,
les impressions morales, la profession, les habi-
tudes, les aliments, le vêlement, l'exercice.
Los causes prédisposantes nous donnent seule-
ment une aptitude h être affectés par d'autres
causes plus spéciales que l'on appelle causer dé-
termimntes^ telles que le froid, le chaud, les
écarts de régime, les chocs, les blessures, les
caustiques. Parmi les causes déterminantes, quel-
ques-unes ont un caractère spécifique, comme les
parasites, les venins, les virus, les effluves, les
miasmes, les eaux souillées, l'air confiné.
On appelle symptômes les, troubles morbides qui
se manifestent à nos sens. Les uns se rapportent
aux fonctions, comme la difficulté de respirer, le
■manque d'appétit, la fréquence du pouls, la para-
lysie; les autres révèlent des altérations dans la
structure intime ou dans l'apparence des organes:
gonflement, rougeur, amaigrissement, ossifica-
tion, etc. Quelques-uns frappent à première vue;
d'autres ne se laissent découvrir qu'après un
examen minutieux et méthodique. Parmi les
symptômes, il y en a qui constituent l'aspect prin-
cipal de la maladie, d'autres qui ne sont qu'ac-
cessoires; il faut distinguer enfin ceux qui appar-
tiennent au désordre initial et ceux qui résultent
de désordres dépendants de la maladie principale.
Notons d'ailleurs que la maladie peut demeurer
longtemps latente et ne se révéler par aucun
symptôme bien déterminé.
Il arrive souvent que la maladie se propage par
contact, par cantagion, ou même par l'infection de
l'eau ou de l'air qui deviennent les véhicules de la
cause spécifique : c'est ce qui arrive pour les épi-
démies.
Toute maladie passe parles périodes A'invasîon,
■àe progrès, d'état et de rfec/(>! /.quant à la durée,
elles sont aiguës ou clironiques. Elles se terminent
par la ffuécî'son, la sufjstitui ion d'une autre maUi-
die, Vnllération permanente d'un ou plusieurs
organes, ou par la mort. Notre organisme est dis-
posé de telle aorte que la mort est la terminaison
la plus rare.
Ces notions sommaires suffisent pour faire com-
prendre combien il est difficile, dans la plupart
des cas, de former un dirigno'-tic exact, complet,
c'est-à-dire de reconnaître la nature de la maladie,
les troubles fonctionnels et organiques apparents
ou latents, principaux ou accessoires, etc. Mais le
diagnostic ne suffit pas, il faut encore établir un
prono.</ic, prévoiret prédire, dans certaines limites,
la durée, la marche et la terminaison de la ma-
ladie.
Devoirs de Finslituteur. — Seul le médecin est
compétent pour établir un diagnostic assure. Mais
il importe que les parents, les instituteurs,
apprennent à reconnaître les symptômes d'un cer-
tain nombre de maladies. Pour l'instituteur, c'est
«n devoir impérieux, car il doit refuser l'entrée
de l'école h tout enfant qu'il soupçonne atteint
d'une maladie contagieuse. Il faut même qu'il soit
pessimiste dans son appréciation, car le tort qu'il
causera en faisant perdre à un enfant quelques
heures de classe n'est pas comparable h celui au-
quel il expose le sujet lui-même et ses camarades,
en usant de tolérance ou de temporisation. Dès
qu'il soupçonne ujie maladie, il doit informer les
parents et n'admettre l'enfant que sur un certificat
du médecin constatant ou la Ijonne santé de l'en-
fant, ou le C'iracièie 71011 contagieux de la maladie,
ou la guèrison assez complèie et ancienne pour
que tout danger de contagion soit passé.
(lu'il soit donc bien entendu que l'instituteur,
après avoir acquis les notions premières de l'hy-
giène médicale, ne sera pas apte à porter un dia-
gnostic sur. Il ne doit pas prétendre i cela. Mais
la connaissance de ces notions élémentaires le
mettra à même de reconnaître, avec une précision
suffisante, certains caractères qui lui suffiront
pour agir sans faiblesse comme sans légèreté. A
défaut d'un diagnostic précis, qui est souvent dif-
ficile, môme pour le médecin, au début d'un certain
nombre de maladies, il suffira que certains signes
généraux indiquent un danger. Il importe de ne pas
perdre de temps, quitte à se tromper et i. croire
malade un enfant simplement indisposé, car pour
beaucoup de maladies contagieuses, le danger de
diffusion commence avant le développement com-
plet des syiuptûmes. Ce que l'on doit demander
aux instituteurs, aux directrices de salles d'asile,
c'est bien moins un diagnostic de la maladie que
la connaissance de certains signes caractéristiques,
communs d'ailleurs à plusieurs affections, et qui
suffisent pour faire isoler l'enfant qui les pré-
sente.
On peut ranger en deux grandes classes les ma-
ladies contagieuses : celles qui sont accompagnées
de fiéore ; celles dans lesquelles la fièvre n'existe
pas. Les premières comprennent les maladies
éruptives, les plus fréquentes et les plus graves
parmi les affections contagieuses de l'enfance. La
fièvre est donc un symptôme général suffisant
pour motiver le renvoi d'un enfant à ses parents
jusqu'à l'avis du médecin. Peu importe que l'on
se trompe sur la nature de la fièvre et sur ses con-
séquences. S'il s'agit d'une indisposition passa-
gère, l'enfant se rétablira mieux chez lui qu'à
l'école, dont le séjour ne peut, dans ces conditions,
lui être profitable en aucune façon. La fièvre la
plus bénigne exige du repos, des soins, et celui qui
en souffre est incapable do profiter du séjour à
l'école. Il n'y a donc lieu d'avoir aucun scrupule
à cet égard; tout enfant fiévreux doit être exclu do
la classe. Cette précaution devient surtout impé-
rative lorsqu'il règne une épidémie de fièvres
éruptives. Il faut alors épier les moindres symp-
tômes, éloigner le malade avant toute contagion et
lui assurer un traitement immédiat.
Que l'on ne s'inquiète pas de reconnaître à quel
genre de fièvre on a affaire. L'important c'est de
savoir qu'elle existe. Le médecin lui donnera son
vrai nom. Or il y a deux caractères auxquels les
personnes les moins initiées à la médecine recon-
naîtront la fièvre : augmentation delà température
du corps, accélération du pouls. Il suffit de placer
la main sur la poitrine, ou même d'ordinaire sur
les joues, le front, pour reconnaître la chaleur
insolite de la peau. 11 est bon de se servir toujours
d'une montre pour constater l'accélération du
pouls ; cependant avec un peu d'habitude (que l'on
doit s'exercer à acquérir), les doigts qui pressent
l'artère du poignet apprécient avec une approxi-
mation suffisante la dureté etla fréquence du pouls.
La fièvre est ordinairement accompagnée de quel-
ques symptômes accessoires : soif, frissons ou
sueurs, manque d'appétit, langue blanchâtre,
rouge ou sèche, alanguissement ou éclat des yeux,
MALADIES
— 1258
MALADIES
mal de tête, fatigue, abattement ou excitation déli-
rante.
Nous allons passer en revue les maladies que
les parents et les instituteuis, les directrices de
salles d'asile, ont intérêt il connaître à cause de
leur caractère contagieux.
Fièvres éiuptives. — Variole ou petite vérol''.
— Dès le commencement, douleur dans les reins,
puis dans le dos et la poitrine, vomissements,
fièvre intense. 11 peuty avoir délire et convulsions.
Du troisième au cinquième jour commence, à la
face, une éruption de points rouges qui deviennent
des taches, puis des pustules dépriméesau centre.
Du quatrième au sixième jour s'étalilit la snppura-
tion, accompagnée de fièvre. Du neuvième au
dixième jour, les pustules se dessèchent, les
croûtes tombent, laissant des taches rouges et des
cicatrices. C'est pendant celte dernière période
que la maladie se transmet le plus facilement par
les poussières desséchées : il est utile, pour pré-
venir leur dissémination, de graisser la peau avec
une pommade ou de l'enduire de glycérine. L'en-
fant devra être baigne plusieurs fois avant de ren-
trer à l'école.
La variole est rare dans les asiles et dans les
écoles où les enfants ne sont admis qu'avec un
certificat de vnccine, car d'ordinaire ils n'ont pas
atteint l'âge où la vaccination cesse d'être efficace,
puisque son action préservatrice dure une dizaine
d'années. Mais en temps d'épidémie de variole,
les instituteurs devront avoir soin de faire vacciner
tous les enfants âeés de plus de dix ans.
Varicelle on petit: léro/e voli.n'e. — C'est une
maladie sans giMvité. La fièvre, toujours peu in-
tense, passe parfois inaperçue. On voit d'abord
quel(|ues taches rosées qui se déve!opp(ln en
bulles grosses t o nme un petit pois. L'eau qu'elles
contiennent se trouble, se dessèche et les croûtes
qui en résultent tombent sans laisser de cicatrices.
Le cuir chevelu est toujours atteint.
Pou<,eole. — Elle débute par un rhume de cer-
veau avec accès de fièvre, puis arrive une toux
sèche. Quelquefois il y a des saignements de nez
et de la diarrhée. Du troisième au quatrième jour
apparaissent à la face, au cou, des taches rouges
semblables h des morsures de puce, qui se réunis-
sent en groupes irrégnliers. Souvent elle se com-
plique de bronchite assez grave. Cette alTection de
l'enfance est éniinemment contagieuse, mais pour
les petits malades qui gardent la chambre et ne
sont pas exposés au froid la terminaiscn est presque
toujours favorable.
La convalescence, qui dure une dizaine de jours,
commence lorsque la peau se dépouille de son
épidémie. 11 est bon alors de la graisser ou de
l'enduire de glycérine pour empêcher la disper-
sion des pellicules, source de contagion. Des bains
sont nécessaires avant la rentrée h l'école.
Scarl'tine. — Le début est celui d'un mal de
gorge compliqué d'un accès de fièvre. Vers le
deuxième jour, quelquefois dès le début, apparaît
aux mains, aux pieds, à la face, aux articulations,
à la partie interne des cuisses, une éruption de
petites taches roses pointillées, accompagnée de
fièvre, parfois d'un peu de délire. Le pointillé pro-
vient de points plus élevés qui deviennent de pe-
tites vésicules. Les articulations sont souvent
douloureuses. Après deux ou trois jours les sym-
ptômes s'apaisent et l'épiderme commence à se
détacher en larges écailles.
Quelquefois la maladie est si bénigne que la
chute de l'épiderme appelle pour la première fois
l'attention . Dans d'autres cas il survient h la gorge,
au poumon, au cerveau, des complications sérieuses.
L'usage de la fianelle est indispensable pendant
la convalescence, qui est longue et réclame des
soins minutieux, suitout pour préserver du froid.
Il faut au moins six semaines après la chute de l'é-
piderme pour q le le danger de contagion soi
passé. En temps d'épidémie de scarlatine, on ferai'
bien de donner aux enfants, tous les deux jours,
deux ou trois giuttcs de teinture de belladone. Ses
vertus préservatrices ne sont pas prouvées, mais à
cette dose c'est un médicament inoffensif et il
semble avoir produit de bons résultats.
Onillms. — Cette maladie se rapproche, sous
certains rapports, des fièvres éruptives contagieu-
ses, et nous pouvons, sans inconvénient, la men-
tionner ici.
Au début malaise, fièvre, gêne vers l'articula-
tion de la mâchoire, puis gonflement douloureux
de \î glande parotide et des parties voisines. D'or-
dinaire, les deux côtés de la face sont pris succes-
sivement. La tuméfaction se résout, le plus
souvent, au bout d'une huitaine de jours ; quelque-
fois elle se porte sur d'autres organes.
Fièvre typhoïde (nommée aussi muligne, pu-
tride, muqueuse). — Le début n'est jamais brus-
que. L'enfant est abattu, il perd les forces et
l'appétit, puis la fièvre se déclare, accompagnée de
mal de tête, saignement de nez, ballonnement du
ventre, diarrhée fétide, stupeur, somnolence, dé-
lire ; du sixième au douzième jour apparaissent,
sur l'abdomen et la poitrine, des taches sem-
blables b. celles produites par des piqûres de puce.
Tels sont les symptômes de la première période.
L'enfant cesse forcément de fréquenter l'école
avant l'apparition des plus graves, mais sa pré-
sence est dangereuse dès le début ; par conséquent
il importe d'agir aussitôt que les premières indi-
cations sont corroborées par le développement de
la fièvre.
Maladies non fébkiles. — Stomatite ulcéreuse.
— Les débuts sont pou marqués et n'appellent
gucie l'attention; parfois cependant il y a un peu
de fièvre. Les gencives, l'intérieur des lèvres et
des joues, le voile du palais, se couvrent peu à peu
d'ulcérations grisâtres, saignantes, qui s'aggravent
a^'Sez rapidement. La fétidité extrême de l'haleine
est ordinairement le premier symptôme que l'on
remarque.
Anç/rne diphtêrilip e, ou maligne, couew euse.
— Cette maladie éminemment contagieuse consiste
dans la formation d'une exsudation membraneuse
(fausse membrane, couenne) d'un aspect lardacé,
jaunâtre ou no râtre, qui recouvre d'abord les
amygdales, puis l'arrière-gorge. Quand ces fausses
membranes gagne it le larynx, la maladie prend le
nom de croup. Il importe de ne pas confondre le
croup, maladie terrible et parfois foudroyante,
avec la luri/m/ite slriduieuse ou faux croup. Cc\\xi-
ci débute brusquement par une toux rauque et
sifflante, mais sonore; c'est une affiction principa-
lement spasmodique. L'examen de la gorge ne
montre pas de fausses membranes.
L'angine diphtéritique débute par un peu de
gêne dans la gorge et d'enrouement, comme un
cas de simple mal de gorge. 11 ne faut donc jamais
négliger de visiter avec soin cet organe, dès qu'un
enfant y accuse i:n trouble quelconque. L'examen
au moyen d'une cuiller dont le manche abaisse la
langue suffit pour constater la présence ou l'ab-
sence de fausses membranes. A mesure que celles-
ci gagnent les fosses nasales, elles causent un
enchifrènement du nez avec écoulement plus ou
moins abondant. Les glandes qui se trouvent er
arrière de l'angle de la mâchoire s'engorgent, et 1(
gonflement s'étend vers le cou.
Coqueluche. — C'est une alïection nerveuse
contagieuse et épidémique. A son origine il n'es
pas facile de la distinguer d'un simple rhume: ce
pendant on remarque déjà que la toux se produi
par quinlei ou accès isolés et surtout la nuit
Cette période un peu indécise peut durer plusieur
semaines. Enfin la maladie prend son caractèr
spécial. L'accès débute par un malaise, puis la tou
I
MALADIES
125!)
MALADIES
convulsivc se déclare par secousses rapides, pres-
que iniiitcrrompuos, suivies d'inspirations sifflan-
tes. Chaque accès se compose ordinairement d'un
certain nombre de quintes qui se succèdent il peu
d'intervalle, mais la première est la plus violente.
Lorsque le calme se rétablit, l'enfant rejette des
mucosités épaisses. Souvent les efforts produisent
le vomissement. L'expectoration met fin à l'accès,
qui dure environ une minute. Cette maladie se
complique souvent d'accidents graves.
Di/ssenlei-ie ou fui- de sauf]. — Ce dernier nom
suffit pour différencier la dyssenterie de la diarrhée.
Colle-ci n'est qu'un catairhe de l'intestin qui sé-
crète plus de niueus (glaires) qu'à l'état normal
Dans la dyssenterie, l'intestin enflammé sécrète du
mucus mêlé h. une exsudation sanguine. Les be-
soins d'aller à la garde-robe sont fréquents, les
matières rendues sont peu abondantes. Les coli-
ques et le malaise obligent bientôt le malade à
garder la chambre. Dès le début il faut empêcher
l'enfant de se rendre aux cabinets d'aisance, car
la dyssenterie peut être contagieuse.
Maladies parasitaires. — Gale. — On donne ce
nom ù une maladie de la peau causée par un petit
insecte iacanis) long d'un tiers de millimètre et
un peu moins large, qui ressemble h. une micros-
I copique tortue. Dans le principe, sa présence se
décèle, particulièrement aux pieds, aux mains, aux
poignets, par de petites vésicules qui produisent
une vive démangeaison nocturne. Souvent elles
"lit été écorchées par les ongles et se trouvent
remplacées par une croûte brunâtre. De la vési-
cule part souvent un sillon grisâtre ou brunâtre,
long de quatre à cinq millimètres, semblable à une
ésratignure, et terminé par une petite bosselure
|iliis foncée. Ce sillon est creusé la nuit par l'in-
secie, qui habite le fond de la bosselure et y dé-
piise ses œufs.
Comme les poux, la gale a eu ses défenseurs :
nn la considérait comme un dépuratif digne de
lespect, voire même de reconnaissance. Aujour-
dliui, on s'en débarrasse le plus tôt possible en
tuant l'insecte parasite, sans se préoccuper des
ronséquenccs chimériques attribuées à ce traite-
miiii rationnel par la médecine populaire.
L'insecte de la gale ayant des habitudes noctur-
nc'S, la maladie se communique principalement la
nuit : cependant la contagion diurne est toujours
|iiissible, et l'isolement des enfanis atteints s'im-
pose jusqu'à parfaite guérison.
Teignes. — Nous admettrons ici trois teignes
ésultent de la présence de végétaux parasi-
Dès le commencement, des démangeaisons an-
noncent l'invasion du parasite. Elles deviennent
bientôt in.supportables, et le cuir chevelu exhale
une odeur fétide caractéristique. L'enfant atteint
de teigne doit être éloigné jusqu'à complète gué-
ri.son certifiée par le médecin.
La Icifjne foiisiiranf'- doit son nom à ce qu'elle
produit sur le cuir chevelu une véritable tonsure
large de deux i cinq centimètres. Au début de l'in-
vasion, les cheveux noirs deviennent rougeâtres;
les blonds, d'un gris cendré; en même temps ils
sont grêles et friables. Bientôt leur base se trouve
étoufice par la végétation parasitaire et tous les
cheveux se cassent à deux ou trois millimètres au-
dessus du niveau de l'épiderme. Le fond de la pla-
que ainsi tonsurée semble chagrinée, elle prend
une teinte bleuâtre et laisse échapper une poussière
grise. Quelquefois le mal est limité à une seule
plaque, mais le plus souvent il se forme plusieurs
centres qui gagnent de proche en proche.
La feigne déealvante ou pelade, au lieu de pro-
duire des plaques croûteuscs ou des tonsures, fait
disparaître entièrement les cheveux ou les poils
de la partie attaquée. La peau reste unie, douce
au toucher et très blanche. Les sourcils sont fré-
quemment le siège de cette variété de teigne. Elle
est d'ailleurs plus envahissante que les autres et
peut, de proche en proche, se répandre sur tout
le corps.
Au début on ressent d'ordinaire une assez vive
démangeaison, mais on ne remarque pas toujours
dans la couleur et la nature des cheveux les chan-
gements qui annoncent l'invasion des autres tei-
gnes.
Souvent cette affection passe inaperçue pendant
assez longtemps, de sorte qu'avec ses allures assez
innocentes elle est, au fond, plus dangereuse, au
point de vue de la contagion, que les antres variétés
qui attirent promptement l'attention. 11 y a donc
lieu de surveiller périodiquement la tête des en-
fants pour signaler les premiers symptômes.
Ophtiialmies. — Toutes les fois que les paupières
sont tuméfiées et sécrètent du mucus ou du pus
ou un mélange de liquides sanieux, on doit se hâ-
ter d'isoler et de faire traiter l'enfant atteint d'oph-
thalmie, sans s'inquiéter de savoir s'il s'agit d'oph-
tIialmierf!'joA?e/!'^!7we,;jt/c!(/pn(e ou autre. Dans tous
les cas il y a danger de contagion, et souvent la
maladie fait des progrès si rapides que le médecin
est impuissant. On doit donc toujours considérer
l'ophthalmie comme grave et nécessitant dos soins
urgents. Surtout, que l'on ne perde pas de temps
t.iires analogues aux champignons, mais d'une or- à essayer les recettes de familles, ou celles qu'ôf-
ganisation tout à fait élémentaire et si petits qu'on frent les guérisseurs de village. Il y a des ophthal
ne peut les reconnaître qu'i l'aide du microscope.
_ Ces végétaux se propagent au moyen de semences
j j d'une ténuité extrême, qui peuvent flotter dans
j ! l'air et disséminer la maladie. Mais le plus sou-
jjj j vent la contagion provient du contact d'un objet
j I imprégné de ces semences ou ,ipo>es, comme un
' j \ peigne, une brosse, une coiffure. En règle générale,
j I il faut donc veillera ce que les enfants ne s'expo-
1 i sont pas à ces contacts toujours suspects dans les
t, I aggloniérations. Chaque teigne est caractérisée par
, j I un végéta) particulier, dont le développement et la
■ j j multiplication h la surface de la peau sont accom-
,J pagnes de symptômes spéciaux.
i.l I ^^ teigne proprement dite, ou leir/ne fweuse,
i petit occuper toutes les régions garnies de poils,
mais siège particulièrement au cuir chevelu. Les
cheveux se décolorent, deviennent grêles, cassants ;
il se forme à leur base des croûtes jaunâtres qui
,', i se rejoignent pou à peu sur des espaces assez con-
'j|Sidérables, et même envahissent toute la tète. Ces
J, croûtes, formées de sérosité, de débris et de se-
.,^i menées du végétal parasite, s'écaillent, tombent
'en poussière, et leur dispersion sème partout la
"maladie.
mies dans lesquelles il suffit de quelques heures
perdues pour occasionner la perte des yeux.
Maladies du svsTiiME nerveux. — Epilep.iie, ou
haut mal, mal caduc. — Celte terrible maladie
peut se transmettre soit par suite de la frayeur
que cause la vue d'une attaque, soit simplement
par imitation. II importe donc de savoir la recon-
naître, afin d isoler les enfants dès le début de
l'attaque. Les maîtres useront, pour cela de pru-
dence et de discrétion; ils se garderont bien de
prononcer le nom de la maladie, et en éloignant
les élèves de leur camarade, ils auront soin de dire
que c'est une indisposition passagère, qui réclame
la tranquillité et l'isolement. On pourra donner à
l'accident le nom de syncope, dire que l'enfant se
trouve mal.
Quelquefois la personne épileptique prévoit, par
certaines sensations, l'arrivée de l'attaque et peut
s'y préparer; mais le plus souvent l'invasion de la
crise est soudaine.
Quelquefois l'attaque est bénigne (petit mal),
c'est un vertige épileptique, qui consiste dans la
perte de la connaissance et du mouvement. Tantôt
le malade marche rapidement en ligne droite ou
MALADIES
1360 —
MAMMIFERES
■en tournoyant, puis tombe, la face pâle, les yeux
fixes; taniôt le mal le surprend au milieu d'une
phrase, d'un mouvement, et il demeure comme
frappé de la foudre. Dans quelques cas il se remet
presque aussitôt, achève lactioii ou la phrase com-
mencée, sans avoir conscience de ce qui est arrive ;
dans d'autres, il demeure un peu assoupi et in- I
conscient.
L'enfant sujet au petit mal doit être l'objet d'une
surveillance spéciale; si les attaques sont rares et '
bénignes, il serait sans doute rigoureux do lui re- '
fuser l'entrée de l'école; mais on a lieu de craindre j
que la maladie ne prenne la forme plus grave du
grand mal, qui est une cause d'exclusien. |
Au moment de l'attaque, l'enfant pâlit, pousse
d'ordinaire un cri, et tombe sans connaissance. Le j
■corps se raidit, puis s'agite en mouvements con- |
vulsifs de plus en plus violents. L'insensibilité est
complète. La face devient rouge violacée, les traits
grimacent, une écume abondante sort de la bou-
che. Peu à peu le calme se rétablit, la face pâlit.
un assoupissement profond remplace l'agitation !
convulsive. I
L'attaque dure ordinairement de deux îi dix mi- '
nutes, mais elle peut se prolonger pendant plu-
sieurs heures. Il est inutile de chercher à conte- j
nir le malade, on doit se borner Ji le placer de
telle sorte qu'il ne puisse se blesser.
Attaque de nerfs. — Il est rare que cette af- !
fection atteigne les pptites filles en âge d'école ; j
cependant on doit savoir la reconnaître, surtout
pour ne pas la confondre avec l'épilepsie. Une
émotion violente, une contrariété sont les causes
ordinaires de l'attaque de nerfs, qui n affecte pas l
le sexe masculin. Elle est remarquable par l'agita-
tion générale, les cris, les pleurs, rarement ac- j
compagnes de la perte de connaissance.
6i une enfant est sujette aux attaques de nerfs,
sans qu'on puisse les attribuer à une cause for-
tuite et extraordinaire, il devient nécessaire de
l'éloigner de l'école jusqu'à guérison complète.
C'est, en effet, une des maladies qui se transmet-
tent le plus facilement par imitation, et une fois
produite, elle peut dégénérer d'une façon; alar-
mante.
Chorée ou Danse de Saint-Giiij. — Les filles
sont particulièrement sujettes à cette névrose,
qui consiste en mouvements involontaires, irrégu-
liers, ordinairement bornés h un membre, au cou,
à la face, mais qui peut se généraliser. 'Tout en-
fant atteint de cette maladie doit être éloigné de
l'école, car c'est une de celles qui se propagent
par imitation.
Tic convulsif. — Il consiste en mouvements lo-
caux habituels, involontaires, de certains muscles
et particulièrement de ceux de la face. Ce tic non
douloureux fait faire des grimaces grotesques ou
hideuses, dont la vue est une cause de désordre
ou de dégoiit. De plus, les enfants sont portés à
les imiter, par raillerie d'abord, puis sous l'in-
fluence de ce que l'on a nommé la i:ontngio?i ner-
veuse, c'est-à-dire l'imitation inconsciente. Une
fois l'habitude prise, le tic acquis devient aussi
rebelle que la maladie naturelle. Pour tous les cas
un peu marqués, il y a donc lieu d'exclure de l'é-
cole les enfants atteints du tic de la face.
Les indications sommaires que nous venons de
donner ne constituent pas pour les non initiés
des connaissances médicales, et ils ne doivent
point s'en jirévaloir à ce point de vue. Elles suf-
fisent toutefois pour permettre à ceux qui ont
charge d'enfants d'exercer sur leur santé une sur-
veillance intelligente, afin de remplir le devoir
délicat mais impérieux de les exclure de la classe
dès qu'ils présentent les symptômes des maladies
que nous venons d'énumérer. Ils y apporteront
toujours le tact, l'humanité, les formes bienveil-
lantes, qui adouciront, pour les parents et pour
les élèves, la rigueur de mesures pénibles, mais
nécessaires pour sauvegarder la santé de l'école et
assurer aux malades un traitement immédiat.
[D' Saffi-ay.]
MAMMIFÈRES. — Zoologie, IV. — On sait que
les animaux peuvent être répartis en un certain
nombr ■ de groupes principaux, ou embranche-
ments, dont le premier est constitué par les Ver-
tébrés, c'est-à-dire par des êtres très élevés en or-
ganisation et pourvus d'une charpente solide qui
est elle-même formée de pièces- osseuses ou vertè-
bres, tandis que le dernier renferme des êtres
d'une simplicité extrême, les Zoophytes et les In-
fusoiref:, qui touchent par certains côtés au règne
végétal. A leur tour ces embranchements se subdi-
visent en groupes secondaires ou classes. Les Ver-
tébrés, par exemple, comprennent cinq classes :
les Poissons, les Batracien^:, les Reptiles, les Oi-
seaux et enfin les Mammifères, qui occupent le
sommet de la série et dont nous allons dire quel-
ques mots.
Les Mammifères, étant les premiers des Vertébrés,
sont par cela même le* premiers des animaux, et
ils ont à leur tête l'espèce humaine, en faveur de
laquelle on a voulu parfois créer un ordre, une
classe ou même un règne à part.
A première vue, les mammifères se distinguent
des vertébrés des autres groupes par leur forme
extérieure et par la nature de leurs téguments.
En effet, leur corps est ordinairement muni de
quatre membres qui servent tous à la locomotion,
ou qui peuvent être affectés eu partie à la préhen-
sion des aliments; la tête est distincte et le corps
est très souvent recouvert de poils. Mais il n'en
est pas toujours ainsi : certains mammifères
aquaùques en effet, tels que les baleines, ont la
tête confondue en arrière avec le tronc, les mem-
bres antérieurs transformés en nageoires, les
membres postérieurs atrophiés, le corps presque
glabre, surmonté d'une nageoire dorsale et terminé
par une nageoire caudale ; bref, ces animaux aqua-
tiques ont tout à fait l'apparence des poissons,
avec lesquels on les confond trop souvent. Les
baleines cependant ont le même mode de dévelop-
pement que les autres mammifères, comme eux
elles produisent des petits vivants, comme eux
elles les nourrissent dans les premiers temps
avec du lait, liquide sécrété par des organes par-
ticuliers nommés mamelles.
Il n'y a en effet qu'un nombre assez restreint
de mammifères qui naissent les yeux ouverts et
qui soient capables de courir immédiatement à
droite et à gauche à la recherche de leur nourri-
ture. La plupart ont besoin des soins de leurs pa-
rents ; quelques-uns même viennent au monde
dans un tel état de faiblesse qu'ils doivent s'abri-
ter, pendant un certain temps, dans une poche
disposée sous le ventre de la mère. C'est le cas des
kangourous, des sarigues, dontil seraquestion dans
un autre article (V. i\Jarsuijiau.i:).
Les poils qui couvrent les diverses parties du
corps des mammifères varient beaucoup sous le
rapport du nombre, de la longueur, de la qualité
et de la couleur.
Les uns, comme les cheveux de l'homme, sont
longs, souples, etfins; d'autresaucontraire, comme
les piquants du porc-épic, sont épais et asseï
durs, assez aigus pour constituer des armes dé-
fensives ; d'autres encore s'aplatissent en écailles
de manière à former la cuirasse des tatous et des
pangolins; ceux-ci sont d'une seule couleur; ceux-
là marqués de zones ou d'anneaux, etc.
La forme du corps des mammifères est déter-
minée par le squelette, qui offre en général la
même disposition que dans l'espèce humaine. On
constate cependant dans certains groupes des mo-
difications de détail : le nombre des vertèbres de
la région antérieure ou de la partie postérieure du
MAMMIFERES
1261
MAPPEMONDE
corps augmente ou diminue suivant que la tête est
portée sur un col allongé, comme chez la girafe, ou
bien au contraire enfoncée dans les épaules,
comme chez l'ours; suivant f|ne la queue est bien
développée, comme chez le lion, ou rudimentaire,
comme clicz le cerf. De même la forme, la lon-
gueur et lo nombre des dents sont en rapport avec
le régime; les manmiifères qui vivent de racines
et de graines dures ont des incisives bien déve-
loppées, ceux qui mangent de l'herbe ont de larges
molaires, ceux qui se nourrissent de chair, de
puissantes canines.
Sans être aussi profondément iléguisés que les
baleines, s'il est permis d'employer cette expres-
sion, certains mammifères marins, les phoques,
ont déjà les extrémiiés de leurs membres dispo-
B''es en forme de rames; d'autres au contraire,
qui pourcherclier leur nourriture ou pour échapper
à leurs ennemis doivent courir rapidement à la
surface du sol, ont les pattes longues et grêles, la
portion correspondant au cou-de-pied et au poi-
gnet s'ctant étirée pour ainsi dire et le nombre
des doigts s'étant réduit. C'est le cas des chevaux,
des cerfs, des antilopes, etc. Chez la taupe,
luus les os des bras ont subi une modification
luécisément inverse; ils sont extrêmeiuent courts
et massifs, et la main affecte la forme d'une large
polie. La tête présente également chez les mam-
mifères une très grande variété de formes; elle
est tantôt épaisse et arrondie, tantôt allongée et
piiiiitue : les oreilles sont tantôt i peine distinctes.
laiitôl longues et dressées ; la région frontale est
parfois surmontée d'appendices simples ou ra-
iiirux, droits ou recourbés, qu'on appelle des
lj<'k ou des cornes suivant qu'ils sont caducs ou
<|iiils persistent pendant toute la durée de la vie
de l'animal. Quelquefois enfin, comme chez l'élé-
phant, le nez s'allonge démesurément et constitue
une trompe au moyen de laquelle l'aniiual peut
saisir les objets, cueillir des leuilles et les porter
à sa bouche, ou se défendre contre ses ennemis.
Nous avons déjà rappelé que les dents ne sont
pas disposées chez tous les mammifères suivant
un plan uniforme ; quelquefois mêmn ces organes
sont remplacés, comme chez les baleines, par des
lames cornées ou fanons, ou simplement, coiume
chez les ornilhorhynques, par des lames garnis-
sant les bords du museau et ressemblant au bec
d'un oiseau palmipède. Signalons encore, pour
terminer ce qui est relatif à l'appareil digestif, la
nature plus ou moins complextide l'fStomac, qui.
chez les mammifères heibivores d.ts ruminantx,
se décompose pour ainsi dire en plusieurs parties
distinctes; les dimensions plus ou moins considé-
rables de l'intestin, le développement inégal des
glandes salivaires, du foie, du-pancréas, etc.
L'appareil respiratoire et l'appareil circulatoire
présentent une plus grande fixité ; le premier en
effet est toujours constitue par une trachée-ar-
tère, des broiiches et des poumons à petites cel-
lules; le second par des artères, des veines et un
cœur à quatre cavités, deux oreillettes et deux
ventricules.
Nous ne saurions, sans sortir des bornes qui
nous sont tracées, insister sur les degrés de per-
fection que peuvent offi-ir le systime nerveux et les
organes des sens ; nous avons eu du reste l'occasion
de signaler ailleurs la finesse de lodorat chez le
chien , la délicatesse de l'ouic chez le cheval, la
faiblesse de la vue chez la taupe, et nous avons
montré que les différences de cet ordre sont en
rapport avec les mœurs de l'animal et les condi-
tions dans lesquelles il se trouve placé.
En étudiant lo genre de vie, le régime, les al-
lures, la physionomie et la structure intime de
tous les mammifères, on est parvenu à découvrir
entre eux, soit des points de contact, soit des dis-
semblances, et par suite on a pu les distribuer
en un certain nombre de groupes d'importance di-
verse, en espèces, en genres, en familles, en tribus
et en ordres. Quelques-uns de ces groupes sont
nettement définis et par consé(|uent admis sans
conteste par tous les naturalistes ; d'autres, au
contraire, se fondent les uns dans les autres par
des transitions insensibles, de sorte qu'il est difficile
de leur assigner des limites précises, et que tous
les auteurs no leur attribuent pas une égale éten-
due. Tout le monde n'étant pas d'accord du reste
sur la valeur qu'il convient d'attribuer à tel otii
tel caractère, il y a de notables divergences entre
les classifications proposées successivement pour
la subdivision intérieure de la classe des mammi-
fères.
La classification que nous indiquerons ici, et qui
est empruntée aux savants les plus autorisés, re-
pose principalement sur les modifications qui
existent dans le mode de développement des
mammifères, dans la conformation de leurs mem-
bres et dans la disposition de leur système den-
taire.
Nous avons dit plus haut que certains mammi-
fères naissent dans un état d'imperfection ex-
trême, tandis que d'autres, et ce sont les plus
nombreux, au moins dans la nature actuelle,
viennent au monde avec tous leurs organes ;
chez les premiers, les deux hémisphères du
cerveau offrent une structure peu compliquée et
restent indépendants l'un de l'autre ; chez les
derniers, au contraire, ces mêmes parties sont
marquées à leur surface de sillons plus ou moins
nombreux et rattachés l'un à l'autre par un rorps
ciitleiix ou mésûlûbe. On peut donc subdiviser
imniédiateiuent la classe qui nous occupe en deux
grandes catégories: 1° les Mamtinfh-es diiiel-
pliiens ; 'i" les Mammifi'res monodrl/jlnens.
Les Mammifères didelphiens à leur tour com-
prennent deux groupes secondaires ou oi-dres : les
Marsui'iai'X et les Monotrèmes, qui sont chacun
l'objet d'un arti' le spécial. De leur côté, les Mam-
mifères monodelphiens se composent de Mammi-
fères ortlinaires, conformés pour vivre ordinaire-
ment à terre, et ayant par conséquent le corps
couvert de poils et porté par quatre membres, et
de Mammifères pisc formes, conformés pour une-
existence aquatique et ayant le corps pres(|ue nu,
terminé en arrière par une nageoire, privé de pat-
tes postérieures et muni seulement de membre»
antérieurs complètement transformés. Les Cétacés
et les Siréniens (V. Cétacés) constituent à eux
seuls la catégorie des Mammifères pisciformes;
niais il y a un beaucoup plus grand nombre de
Mammifères ordinaires.
En tête de ceux-ci se placent les Bimanes,
groupe comj.osé de l'espèce humaine (V. linces
humaine^) : puis, à un niveau notablement infé-
rieur, viennent les Quadrumanes, c'est-à-dire les
Singes et les Lémuriens (V. Singea); plus bas en-
core les Chiro/ii-res *, les Insectii'ores ', les llon-
g'urs ', les Carnieores ordinaires', \<ii Carnivores
marins qu'on appelle aussi les Amphibies *, les
Prohos'idieJis ' ou Eléphants, les Pun-ins ', les
Jumentés (ces trois derniers groupes étaient au-
trefois réunis en un seul et formaient l'ordre des
Paclii/dermes ') ; enfin les liuniinants *.
Pour l'étude détaillée de ces différents ordres,
nous renvoyons le lecteur aux notices particu-
lières qui leur sont consacrées dans le corps du
Dictionnaire. |E. Oustalet]
i»l AIT KM ON DE. — Géographie générale, I. —
Forme du glitlic. — On connaît depuis fort long-
temps la foi me du globe que nous habitons, puisque
Thaïes de Milet, G X) ans avant l'èie chrétieiine, en-
seignait déjà sa sphéricité. Mais ce ne fut (|ue doux
mille ans plus tard, au début du xvi' siècle, que Ma-
gellan, en accomplissant pour la première fois la
circumnavigation de la terre, vérifia par l'expérience
MAPPEMONDE
1262 —
MAPPEMONDE
la réalité de cette théorie Dos lors aussi, on con-
nut à grands traits la distinction des eaux et des
terres émergées h la surface du globe, connais-
sance qui devient chaque jour plus complète h
mesure que les nations civilisées pénètrent da-
vantage chez les peuples encore barbares, s'ou-
vrent de nouvellet routes que les difficultés ma-
térielles avaient jusqu'ici tenues fermées, ou,
perfectionnant leurs pro;cdôs d'expérimentation,
mesurent d'une manière plus précise les dimen-
sions de la terre, et les coordonnées géographi-
ques ainsi que l'altitude de chaque lieu.
Les mers et /es lerres. — Quoiqu'on n'ait pas
encore pu délimiter autour de chaque pùle l'es-
pace occupé par les terres et celui qui, bien que
couvert par les glaces, se rattache aux mers, on
peut dire que les trois quarts de la surface du
globe sont du domaine de l'océan.
Leur dislriOiiliun sur le globe. Les grands
océans. — La distribution des continents et des
mers n'est pas uniforme sur les diverses parties
du globe. Au sud de l'équatcur les océans sont
beaucoup plus étendus qu'au nord, et entre les
eûtes occidentales de l'Amérique et les côtes
orientales de l'Asie, l'immense océa/i l'iicifique
couvre à lui seul près de la moitié du globe.
A l'est de l'Amérique, Vocéan Atlantique, bien
moins vaste que le Pacifique, puisqu'il n'a que
;)5U0 kilomètres de largeur entre la côte du Bré-
sil et celle de Guinée, a néanmoins suffi pour
isoler l'.incien et le nouveau monde jusqu'à Chris-
tophe Colomb. Aujourd'hui les navires le traver-
sent en une dizaine de jours entre l'Europe et
l'Amérique du nord. Le troisième grand océan, ce-
lui des Indes, qui s'étend au sud de l'Asie et h
l'est de l'Afrique, n'a été tj'aversé dans son entier
qu'au XVI' siècle, lorsque les Portugais abordèrent
aux lies de la Sonde, et les Hollandais k la côte
d'Australie.
Avec les océans qui s'étendent probablement
jusciue sous les glaces des deux pôles, et que,
pour cette raison, on appelle océa?t glacial du
nord ou océan Arctique, ucean glacial du sud ou
océan Antarctique, les trois grands océans que
nous venons de nonmier forment les grandes di-
visions maritimes du globe.
/.'S continents. — L'ancien continent, constitué
par la réunion de l'Asie, l'Afrique et l'Europe, est
baigné par ces trois océans et l'océan Arctique.
Le nouveau continent formé par l'Amérique est
enveloppé par l'océan Pacifique, l'océan Atlanti-
que et l'océan Arctique.
De ce dernier côté, les deux continents ne sont
séparés l'un de l'autre que par le détroit de Beh-
ring, et la chaîne des iles Aléoutiennes, jeiées à
la rencontre de la presqu'île asiatique de Kam-
ichatka, constitue un second trait d'union entre
les deux mondes. Peut-être, Ji une époque incon-
nue, des tribus asiatiques, émigrant de proche en
proclic, ont-elles suivi cette route pour venir peu-
pler le continent américain.
Au nord-est de l'Amérique, le Groenland et l'Is-
lande jalonnent aussi le chemin de 1 Europe, et
les navigateurs Scandinaves ont ainsi trouvé la
route du Labrador avant que Colomb n'abordât à
son tour sur le nouveau continent.
C'est donc par le nord que les terres sont le
plus voisines, c'est de ce côté qu'elles tournent
leurs rivages les plus étendus. Au sud, au con-
traire, elles se terminent par des promontoires
étroits : le cap Horn pour lAmérique du sud, le
cap do Bonne-Espérance pour l'Afriiiue, le cap
Comoriji pour l'Inde, le cap Remania, à l'extrémité
de la presqu'île de Malacca, pour l'Indo-Chine.
Les mers sfcondn^res. L-s grands (golfes et les
archipels. — Enire ces caps, les océans Pacifique,
Atlantique et Indien s'ouvrent de larges débou-
chés sur l'océan Antarctique. Au nord, au contraire.
la communication avec la mer polaire ne se fait lar-
gement qu'entre l'Europe et le Groenland, et elle
est réduite à des détroits à l'est et h l'ouest de l'A-
mérique.
Nous avons déjà cité le détroit do Behring ; le
canal de Baffln, qui sépare le Groenland des terres
de Parry, se partage en plusieurs canaux. A l'ouest,
le canal de Lancastre forme l'entrée du pa'^sage
N.-O. Au nord, le cajial de Smith conduit dans la
mer paléocristique, c'est-à-dire de glaces ancien-
nes, où l'hommo a gagné jusqu'à présent la plus
haute latitude, 83° environ.
Les rivages do l'océan Pacifique so développent en
courbes régulières du côté de l'Amérique, où l'on
ne remarque que la presqu'île de Californie et
le golfe ou la mer Vermeille qui la sépare du
Mexique, puis, au nord, les archipels de l'A-
laska et de la Colombie britannique, et au sud,
ceux du Chili et de la Patagonie. Du côté de l'Asie
au contraire, le Pacifique projette une suite de
mers intérieures, celles de Behring, d'Ockotsk, du
Japon, la mer Jaune, la mer de Chine, que des pres-
qu'îles comme le Kamtchatka et la Corée, et des
archipels, comme les .\looutiennes, les Kouriles,
les îles du Japon, les Philippines couvrent du côté
du large.
La mer des Indes entame aussi le continent par
de vastes golfes, ceux du Bengale et d'Oman, les
golfes Persique et Arabique ou mer Rouge.
L'océan Atlantique découpe encore davantage
les rivages de l'Europe. L'étroit canal de Gibral-
tar débouche dans la Méditerranée, dont les ri-
vages partagés entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique
ont été le berceau de quelques-unes des plus an-
tiques civilisations. La Manche et le Pas-de-Calais,
la mer du Nord et la Baltique pénètrent au loin
dans l'intérieur des contrées septentrionales de
l'Europe.
Allant au-devant du golfe .\rabique, la Médi-
terranée faisait de l'Afrique une presqu'île ratta-
chée à l'Asie par le seuil bas et étroit de l'isthme
de Suez, avajit qu'on n'y eût ouvert le canal mari-
time qui en fait actuellement un des principaux
points de passage du commerce.
Du côté de l'Amérique, l'océan Atlantique pro-
jette sur les côtes de l'Amérique centrale la mer
des Antilles, qui, avec le golfe du Mexique, forme
la séparation entre l'Amérique du nord et l'Amé-
rique du sud, et qui n'est séparée de l'océan
Pacifique que par l'étroit isthme de Panama, où
un canal maritime fera bientôt sans doute penaant
au canal de Suez.
Dans l'océan glacial Arctique, il faut citer l'ar-
chipel qui couvre l'Amérique. Au sud de cet ar-
chipel s'ouvre sur le continent la vaste baie
d'Ilndson ", puis, à l'est du Groenland, d'où descen-
dent les plus vastes glaciers du monde, le Spitzberg
et la terre nouvellement découverte de François-
Joseph forment des archipels presque toujours
couverts de glaces. La Nouvelle-Zemble enve-
loppe au nord-ouest la mer de Kara, limite com-
mune de l'Asie et de 1 Europe. Au nord de ce
continent, la mer Blanche entame profondément
le rivage de la Russie.
C'est au long de l'océan Indien qu'on trouve les
plus vastes îles du monde, l'Australie qu'on appelle
quelquefois le troisième continent, Madagascar, la
Nouvelle-Guinée, Bornéo, Sumatra. On ne trouve,
au contraire, dans tout l'océan Pacifique, au nord
de la Nouvelle-Zélande, qu'un très grajid nombre
de petites îles. Dues pour la plupart aux construc-
tions des coraux, elles semblent les embryojis d'un
continent en formation.
Le relief des continents. — Les montagnes, qui
surgissent sur le sol des continents, n'y sont pas
plus symétriquement distribuées que les eaux à
la surface du globe. Il y a des îles fort petites où
s'élèvent des pics très élevés. Chacun connaît de
MAPPEMONDE
1203
MAPPEMONDE
réputation In pic de TéndriiTe dans les Canaries,
qu'on aperçoit de 40 lieues en mer. Java et les
autres îles de la Sonde, Hawaî au centre du Paci-
fi(|UO, renferment do nombreux pics de ,i h 4000
nii'trcs d'altitude.
Sur les continents, c'est au pourtour des océans
pUiiCi qu'au centre des terres qu'on rencontre les
chaînes et les sommets les plus élevés. Ainsi l'o-
céan Pacifique est enfermé, en Amérique, par la
chaîne des A ndes, la Sierra-Nevada de Californie, le
mont Saint-Elie et le mont Beautemps de l'Alaska,
où l'on trouve des sommets de 4 0(iO, 5 00ii, UiMiO
mètres d'altitude et au deli, à quelques lieues do
la côte. En face, sur les rivages de l'Asie, les volcans
du Kamtchatka, des îles du Japon, et les Alpes
de l'Australie ferment cette ceinture, sur laquelle
se rencontrent presque tous les volcans du globe
qui n'ont pas encore perdu leur activité.
L'Himalaya, où se trouvent les plus hautes
sommités de la terre, n'est pas au centre du con-
tinent asiatique ; le Caucase unit la mer Noire à.
la Caspienne, et c'est presque au bord de celle-ci
que s'élève en Perse le haut mont Dcmavend.
En Europe, le pied de l'Iîtna baigne dans la mer
Ionienne, la Sierra Nevada d'Espagne borde presque
le détroit do Gibraltar, les fjords de la Norvège
découpent les hautes montagnes de la Scandinavie.
Eu Afrique, les monts Camérones se dressent au
bord du golfe de Guinée, et le Kénia et le Kiliman-
djaro non loin de l'océan Indien. Et l'on pon.rralt
encore multiplier ces exemples.
Les grands bassins. — Les versants que sépa-
rent les montagnes sont donc très inégaux en
étendue. L'océan Pacifique ne reçoit que trois
fleuves considérables, le Kiang. le Hoang Hô et
l'Amour. L'Amérique ne lui envoie que l'Orégon
et le Colorado, ce dernier aux eaux rares.
C'est dans l'Atlantique ou ses dépendances, au
contraire, que débouchent les deux fleuves les
plus considérables du monde par la masse de
leurs eaux, l'Amazone et leLivingstone, les fleuves
les plus longs par l'étendue de leur cours, le
Mississipi, le Nil, et d autres encore très consi-
dérables, comme le Saint-Laurent, l'Orénoque, la
Plata.
Les glaciers du Tibet s'écoulent dans l'océan
Indien par le Gange, le Brahmapoutre et l'Indus,
et les eaux de la Sibérie vers l'océan Arctique par
la Lena, l'iéniséi, l'Obi.
Au centre des continents, la sécheresse est assez
forte pour que l'évaporation sur les nappes où se
réunissent les eaux compense l'apport de fleuves
quelquefois considérables. La Caspienne boit ainsi
le Volga, le fleuve le plus long de l'Europe, dont le
bassin couvre la moitié de la llussie ; l'Aral absorbe
le Syr et l'Amou-Daria descendus des hauts gla-
ciers du Pamir. La mer Morte boit le Jourdain. Le
Balkachi et plusieurs lacs de la Mongolie jouent
le même rôle. Il en est ainsi du lac Tchad, en
Afrique, du lue Sale dans les Etais-Unis, du Titi-
caca en Bolivie, et de quelques nappes de la Con-
fédération argentine dans l'Amérique du Sud.
La circulation des eaux, /,e^ C"it"inls maritmies.
— Les eaux des océans, échauffées par le soleil
sous l'équateur, s'élèvent et font place dans les
profondeurs de la mer à des eaux plus froides et
plus lourdes telles que celles des contrées plus
éloignées de l'équateur : il tend donc naturelle-
ment à s'établir à la surface de la mer un courant
se dirigeant de l'équateur vers chacun des pôles,
tandis qu'en dessous do ce courant superficiel
règne un courant inverse dirigé vers le foyer
d'appel.
Mais les eaux à l'équateur, entraînées dans le
mouvement de rotation de la terre de l'ouest i
l'est, sont animées dans ce sens d'une vitesse plus
grande que les points du globe situés sur des pa-
rallèles plus élevés, puisque dans les vingt-quatre
heures elles doivent parcourir la circonférence
de l'équateur, plus grande (|ue celle d'un parallèle.
Les eaux qui s'éloignent de l'équateur doivent
donc s'incliner vers l'est, tandis que celles qui se
rapprochent de l'équateur doivent, pour une raison
inverso, im liner vers l'ouest.
La rotation de la terre détermine une autre na-
ture de courants. Les eaux et l'atmosphère enve-
loppant le globe ne le suivent pas aussi vite dans
son mouvement de rotation que les corps attacliés
à sa surface. Ces eaux, comme lair, semblent donc
reculer par rapport aux rivages dans le sens de
l'est à. l'ouest. C'est ce qu'on appelle les courants
équatoriaux, situés au nord et au sud de l'équa-
teur. Ils ont pour conire -partie un contre-courant
équatorial suivant l'équateur même dans le sens
de l'ouest ii l'est.
Le Gulf-str-arn. — Parmi les principaux courants
maritimesilfaut citer celui duGuIf stream.Issu du
golfe du M exiqne, ce courantsuii les côtes des Etats-
Unis, traverse l'Atlantique, où il se bifurque en deux
grandes branches. L'une d'elles baigne toutes les
côtes de 1 Europe occidentale, les réchaufl'e, y
verse des pluies bienfaisantes et s'étend au nord
de la Scandinavie jusque dans les parages com-
pris entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble. La
seconde branche du Gulf-stream s'infléchit au
sud le long des côtes de l'Afrique. Uiie troisième
branche intermédiaire vient contourner le golfe de
Gascogne.
Le KouroSii'O. — Un second courant analogue
au Guif stream part des côtes du Japon, traverse
le Pacifique et vient baigner les côtes de l'Améri-
que septentrionale. C'est le Kmno-Sivo, dont les
efl'ets, analogues à ceux du Gulf-stream, donnent
à la Californii^ un climat pareil à celui du Portugal,
et à l'Alaska celui de la Norvège.
Les deux courants froids les pins remarquables
sont celui qui arrive du pôle nord le long des
côtes du Labrador, en charriant de grandes mon-
tagnes de glaces descendues des glaciers du
Groenland. Ces montagnes fondent à la rencontre
des eaux plus chaudes dans le voisinage de Terre-
Neuve, y déversant au fond de la mer les pierres
et les autres matières solides qu'elles tenaient en-
f< rmées dans leur masse. C'est là l'origine du
fameux banc. Au delà le courant froid, poursui-
vant sa route, plonge sous les eaux chaudes du
Gulf-stream et reparait ensuite à la surface à
l'ouest des Bernuides Un autre courant froid ve-
nant du pôle antarctique refroidit les côtes du
Chili et du Pérou.
Les courants maritimes ont une grande influence
sur le climat des pays qu'ils baignent. Ils servent
aussi à faciliter on à entraver la marche des na-
vires. C'est d'après l'étude qu on en a faite qu'on
trace aujourd'hui la route la plus sure et la plus ra-
pide à suivre pour se rendre d'nn point à un autre.
.Mais plus d'un marin inexpérimenté aura été Jeté
hors de sa route par un courant dont il n'a pas été
le maître. N'est-ce pas ainsi sans doute que les
terres isolées de la Polynésie avaient été successive-
ment découvertes et peuplées par des blancs
sortis de l'Asie? Oui sait même si les ancêtres des
Indiens d'Amérique n'avaient pas ainsi traversé
tonte l'étendue du Pacifique?
Les vtnts réguliers. — Les vents n'ont pas une
influence moins grande sur les climats que les
courants maritimes. De même que les eaux ma-
rines, l'air est appelé constamment des pôles vers
le point an zénith duquel se trouve le soleil dans
la zone lorride. et comme le foyer d'appel se
trouve animé dans le mouvement do rotation de
la terre d'une vitesse plus grande que les paral-
lèles d'où viennent ces vents, ils semblent se di-
riger vers l'ouest en se rapprochant de l'équateur.
Ces vents, qui se nomment les W'ss, soufflent
ainsi du nord-est au sud-ouest dans l'hémisphère
MAPPEMONDE
1264 —
MAPPEMONDE
nord, du sud-est au nord-ouest dans l'hémisphère
sud pour les océans Parifiqueet Atlantique. Dans la
merdes Indes, le soleil passant alternativement au
nord et au sud de l'équateur, le foyer d'appel se
trouve différent pendant le printemps et l'été de
ce qu'il est pendant l'automne et l'hiver. Durant
cinq mois la mousson souffle du nord-est, et
pendant cinq autres mois du sud-ouest. Chacune
des deux moussons est séparée par un mois de
calmes.
Les vents alises et les moussons, reconnus de-
puis longtemps par les marins des nations les
moins civilisées, ont joué le plus grand rôle dans
les pérégrinations et les émigrations de ces peu-
ples. Les Arabes, les iMalais, les Hindous n'entre-
prennent leurs voyages qu'i l'époque de la mousson
favorable. (V. Cowatits.)
Clirnals. Division île la terre en cinq zones. —
Le climat d'un lieu tient tout d'abord à sa lati-
tude ; et c'est ainsi qu'on partage la terre en cinq
zones : au centre, la zone torride compri&e entre les
deux tropiques, et dont chaque point voit le soleil
passer à son zénith au moins pendant un des jours
de l'année ; puis les deux zones tempérées, situées
entre chaque tropique et le cercle polaire du même
hémisphère, dont les habitants, sans jamais avoir
le soleil ;\ leur zénith, ne le perdant du moins ja-
mais de vue pendant vingt-quatre heures consécu-
tives ; et enfin les deux zones pnlaires, qui ont au
moins une nuit et un jour de vingt-quatre heures
chacun par an.
Mais l'altitude, l'exposition, le voisinage des
océans ou des montagnes, le régime des vents et
des pluies, la nature même du sol viennent mo-
diller singulièrement l'uniformité du climat à
laquelle seraient soumis les points de même
latitude, si cette dernière circonstance seule était
déterminante.
Les températures moyennes les plus élevées se
rencontrent dans l'hémisphère septentrional sur le
Soudan en Afrique, le golfe du Bengale en Asie,
la mer des Antilles en Amérique. Dans l'hémi-
sphère sud, les lignes isothermes suivent à peu
près les degrés de latitude; mais dans l'hémi-
sphère nord, elles dessinent au contraire des cour-
bes très irrégulières. Grâce au Gulf-stream, la
température est aussi douce aux îles LolToden
qu'à Terre-Neuve, au Spitzberg i|ue dans le nord
de la baie d'Hudson. Le nord de la Sibérie et de
l'Amérique, tourné vers le pôle arctique, est sou-
mis à une température moyenne très rigoureuse.
A l'embouchure de l'Amour, située à la même
latitude que Copenhague, la moyenne de l'année
est la même qu'au cap Nord de l'Europe.
En général, l'hémisphère sud est plus froid que
l'hémisphère nord, à cause de la plus grande
masse d'eaux qui le recouvre ; les côtes occiden-
tales de l'Europe et de l'Afrique sont plus échauf-
fées que les rivages de l'Amérique qui leur font
face. Pour l'Amérique septentrionale la tempéra-
ture, à latitude égale, est plus élevée sur la côte
occidentale que sur la côte orientale. C'est l'in-
verse pour l'Amérique méridionale.
Les pluies. ■ — Les pluies se déversent aussi très
irrégulièrement à la surface du sol. Le Sahara
africain, l'intérieur de l'Arabie, de la Perse, de la
Mongolie forment une zone presque continue où
la sécheresse de l'atmosphère est extrême et où
il ne tombe jamais d'eau. Il en est de même au
centre de l'Australie, sur les côtes péruvienne et
bolivienne du Pacifique dans l'Amérique du sud,
et sur quelques points du littoral mexicain ou du
Colorado américain.
Par contre le soleil pompe dans les mers équa-
toriales une masse énorme de vapeur qui se dé-
verse généralement en orages et pluies très
épaisses. C'est là ce qui donne à la végétation in-
lerlropicale une si grande force. Généralement
c'est au long des rivages que les pluies tombent
en plus grande abondance. Il en est ainsi dans
le golfe du Mexique, sur les cotes occidentales de
la Patagonio, de la Colombie britannique, dans l'A-
mérique septentrionale, sur les côtes de Norvège,
de Malabar, etc. La côte du Pacifique, dans l'A-
mérique méridionale, fait exception, comme nous
l'avons vu.
Les montagnes sont aussi de grands condensa-
teurs de l'humidité des nuages sous forme de
pluies ou de neiges. Ainsi, sur le versant sud de
l'Himalaya, il tombe chaque année plusieurs mè-
tres d'eau.
Les elesirls, IfS forêls, les cultures, les ptHura-
qes. — L'humidilé est indispensable à la végéta-
tion : aussi le Saijara et le désert de Kalahari, au
sud de l'Afrique, sont-ils extrêmement arides. Les
premiers explorateurs qui ont tenté de traverser
le continent australien y ont péri de soif et de
faim. Le désert du Co' ', dans la Mongolie, celui
de Thur, au nord-ouest de l'Inde, les steppes de
la Faim dans le Turkestan, les déserts de l'Arabie,
sont aussi désolés. L'Europe n'ofl'i-e de solitudes
semblables que sur quelques points du littoral de .
la Caspienne. L'Amérique a le désert qui sépare
le Texas du Colorado, et celui d'Atacama, où l'on
n'exploite que dos nitrièressurles confinscommuns
du Pérou, de la Bolivie et du Chili.
A part Ces divers déserts, les zones tempérées
sont pour la plus grande partie couvertes de forêts,
que les hommes défrichent successivement pour y
substituer diverses cultures plus productives. Cer-
taines régions, toutefois, ne se sont pas recouvertes
spontanément de forêts et restent à l'état de pâ-
turages quand la pluie y fait verdir l'herbe. Au
centre de l'Asie et dans le sud de la Kussie, les
steppes sont le domaine des principales races no-
mades, les Tartares, les Turcs, les Mongols, les
Kirghiz, les Kalmouks. A l'ouest du Mississipi,
la prairie s'étend jusqu'au pied des Montagnes
Rocheuses : c'est l'ancien domaine des Indiens
chassant le buffle, devenu aujourd'hui le Far West
américain, où se créent chaque jour de nouvelles
fermes et (|ui sera bientôt entièrement recouvert
d'épis et de moissons. Les pampas de la Républi-
que argentine, les plaines de l'Australie et de
1 Afrique méridionale nourrissent aujourd'hui les
plus nombreux troupeaux du monde.
Les deux zones glaciales sont généralement sté-
riles, offrant çà et là quelques mousses ou lichens
dont les rennes seuls savent se contenter. Les
rares habitants de ces contrées doivent chercher
dans la pèche et dans la chasse des animaux à
fourrures le principal aliment de leur misérable
existence.
Les races humaines. — On trouvera aux articles
Europe, Asi'', Afrviue, Amérique, Australie,
Oiéanie, les détails concernant les divers peuples
qui se partagent le globe. On ne peut pas encore
démêler d'une manière certaine la filiation qui
rattache les races provenant de croisements aux
trois grands types blanc ou caucasique, jaune ou
ouralo-altaique, et enfin nègre. On ne connaît pas
non plus exactement les migrations qui ont dû
s'effectuer successivement pour les disperser de
leur point d'origine sur les diverses parties du
globe. L'Asie oiientale et septentrionale reste
toujours le principal domaine de la race jaune,
l'Europe est presque tout entière habitée par des
blancs, ainsi que le sud-ouest de l'Asie, l'Inde et
1 Amérique. L'Afrique est la terre des noirs.
(V. Haces huitaines.)
Les aliments. — Bien que chaque pays cherche
à tirer de son sol sa propre subsistance, la faci-
lité des échanges tend de plus en plus à conci'n- j
trer sur les points les plus favorables les diverses ;
cultures utiles.
Le blé, qui forme la base de la nourriture de la
MAPPEMONDE
— 12G3 —
MAREE
plus graiulo partie de l'humanité, est produit par
riiuropcs lesÈlats-Unis, la Sibérie centrale, le nord
di' l'Afrique, la Mésopotamie. 11 occupe ainsi sur
If globe une zone continue située dans l'hémi-
splièrc septentrional. Le (ihili, l'Uruguay, l'Aus-
tralie, le sud de l'Afrique en produisent en petite
quantité dans l'autre liéraisphère.
Le riz, qui forme l'aliment préféré des Asiati-
ques, est produit par l'Inde, l'Indo-Chine et la
(iliine, et un peu par les États-Unis.
La viande qui n'est pas produite sur place est
importée, dans les pays à population trop dense,
(le l'Amérique du sud, de l'Australie et des États-
Lliiis.
Les nations européennes envoient leurs marins
pSclier la moruo ii Terre-Neuve, les harengs, raa-
(|ueroaux et autres poissons sur les côtes d'Is-
lande et de Norvège. Les mers de la Chine et du
Japon, la Caspienne et les eaux du fleuve des
Amazones sont aussi très poissonneuses.
La France, l'Espagne, l'Italie, la Hongrie sont les
principaux pays producteurs de vins. On cultive
encore la vigne en Grèce et en Asie Mineure, en
Californie, dans l'Australie, en Algérie et au Cap
de Bonne-Espérance .
Le sucre qu'on ne retire pas de la betterave est
fourni aux raffineries européennes par l'Inde, les îles
de la Sonde, la Louisiane, les Antilles et Maurice; le
thé vient de la Chine, le café du Brésil, de Ceylan,
di> Java, de la Réunion et de Mokha, le cacao de
l'Amérique centrale et du Venezuela.
Le coton vient des États-Unis, de l'Inde, de la
Chine, du Brésil ; la soie, de la Chine et du Japon,
de l'Asie occidentale, de l'Italie, de la France; la
laine, d'Australie, de la Plata, du Cap de Bonne-
Espérance; les cuirs, de l'Amérique du sud.
Le tabac vient surtout des États-Unis, des An-
tilles, de Turquie, de Hongrie, des Philippines,
de l'Inde et de la Chine.
Les mitips. — La houille, ce pain de l'industrie,
est surtout exploitée en Angleterre et exportée
dt? là dans les divers pays du globe. C'est une
ilrs grandes sources de fortune de l'Angleterre, car
iMus les navires qui viennent y décharger leurs
niarcliandises sont assurés ainsi d'y trouver tou-
jiMirs un fret de retour. Les États-Unis viennent
.lu second rang sous ce rapport. La Chine possède
les plus vastes bassins houillers, mais ils sont
encore trop mal exploités pour compter dans la
consommation générale. On en peut dire presque
autant des gisements de la Russie.
Le fer est le métal le plus répandu à la surface
du globe. L'Angleterre et les États-Unis en sont
les plus grands producteurs. La Suède, l'Espagne,
l'Algérie fournissent les plus estimés. L'or existe
plus généralement dans les pays chauds, tels que
la Californie, l'Australie, la Guinée ; toutefois l'Ou-
ral en renferme d'importants gisements, comme de
la plupart des autres métaux. L'argent mélangé au
plomb se trouve surtout dans le Nevada aux Ëtats-
Unis, au Mexique, au Pérou, dans la Bolivie, dans
l'Altai, en Asie. Le cuivre est exploité au Chili,
sur les bords du lac Supérieur, en Australie, en
Espagne, en Suède, en Sibérie, et les minerais en
sont apportés h Svvansea, en Angleterre, où on les
fond presque tous.
L'étain vient de Malacca ; le zinc, de Sardaigne
cl d'Espagne.
Lfs grandes roules maritimes. — Pour opérer
les divers échanges auxquels ces produits donnent
lieu entre les nations, pour transporter les émi-
grants qui, des contrées encombrées de l'Europe
ou de l'Asie, se dirigent vers les terres fertiles du
IVouveau-Monde, les navires des divers Etats sont
conduits à suivre un certain nombre de routes
pnncipales.
L'une des plus fréquentées est celle qui de
1 Europe occidentale conduit sur les côtes des
^« Partie.
Etats-Unis qui leur font face de l'autre ci^té de
rAtlanti(|UC. Hambourg et Brème pour l'Alle-
magne, Rotterdam pour la Hollande, Anvers pour
la Belgique, le Havre pour la France et surtout
Londres, Liverpool et Bristol pour l'Angleterre,
expédient jourjiellement leurs navires sur New-
Vork, Boston et Philadelphie.
Plus au sud, les navires partis du Havre ou de
Saint-Nazaire, pour la France, se dirigent sur les
Antilles, la Vera-Cruz au Mexique, et Colon-
Aspinwall, sur l'isthme de Panama.
Bordeaux et Lisbonne expédient leurs navires à
Rio-de-Janeiro et à la Plata, où débarquent égale-
ment beaucoup d'émigrants italiens venus de
Gènes.
Londres, Liverpool, Bristol et Plymouth en An-
gleterre, Marseilleet Bordeaux en France, envoient
leurs navires desservir les escales de la côte oc-
cidentale d'Afrique, depuis le Sénégal jusqu'au
cap de Bonne-Espérance
Cette ancienne route des Indes est maintenant
désertée en partie depuis l'ouverture du canal de
Suez.
Les navires qui sillonnent la Méditerranée, ce
grand lac intérieur, en venant de Gibraltar, Mar-
seille, Gènes, Trieste, de la Turquie et de la
Russie méridionale, se rencontrent i Port-Saïd,
traversent le canal de Suez, et se séparent au
débouché de la mer Rouge, les uns, en petit
nombre, pour desservir la côte orientale d'Afrique,
Maurice et la Réunion, la plupart pour gagner les
Indes. Parmi ces derniers, les uns se dirigent
sur Bombay, les autres par Ceylan, sur Calcutta.
Pointe-de-Galles, sur la côte sud-ouest de Ceylan,
est un nouveau point de bifurcation entre la route
de Melbourne, en Australie, et celle de Singapour,
au sud de la presqu'île de Malacca.
De Singapour, les navires vont aux îles de la
Sonde ou remontcjit la cote de l'Asie, desservant
la Cochinchine, Canton et Chang-Uai en Chine,
Yokohama au Japon. Pour ceux qui sont partis
d'Europe, c'est lace qu'on appelle l'extrême Orient.
Le Pacifique est aussi sillonné par des routes
régulières. Sau-Francisco en Californie est direc-
tement relié avec Yokohama et les ports de la
Chine. Par Ilonoloulou, port des lies Sandwich, il
communique avec Sydney, en Australie, et la Nou-
velle-Zélande. De San Francisco, d'autres navires
vont à Panama en suivant les côtes du Mexique,
et à Panama aboutissent les lignes qui desservent
les côtes occidentales de l'Amérique méridionale,
la Colombie, le Pérou, le Chili, et relient ces pays
avec l'Europe par ujie route plus directe et moins
périlleuse que la pénible voie du cap Horn.
|G. Meissas.]
MARÉE. — Mouvement périodique d'élévation
ou d'abaissement, de flux ou de reflut de la mer;
il est du à l'action attractive que le soleil, et sur-
tout la lune, exercent à la surface de la terre.
Cette action varie en raison des masses qui
s'attirent et en raison inverse du carré des distan-
ces. Le soleil a une masse beaucoup plus grande
que celle de la lune, mais celle-ci est plus rap-
prochée de la terre que le soleil. L'influence de
la dislance l'emporte ici sur celle de la masse, et
l'action lunaire est prépondérante.
La lune attire davantage les points de la sur-
face terrestre diriges vers le satellite que le cen-
tre terrestre; elle atiire davantage le centre que
les points de la surface opposés au satellite. Les
deux extrémités du diamètre terrestre passant par
la lune sont donc l'une plus, l'autre moins attirée
que l'ensemble du globe, en sorte que si l'on
prend pour unité l'attraction moyenne, l'une des
extrémités semblera attirée vers la lune et l'autre
repoussée en sens contraire. Ce diamètre s'allon-
gera, et la surface terrestre semblera légèrement
renflée aux deux extrémités considérées.
81»
MAREE
1:260
MARIE SÏUART
C'est ainsi du moins que les clioses se passe-
raient si la terre était immobile, tournant tou-
jours le même point vers la lune. Il n'en est pas
ainsi. La terre tourne sur elle-même et la lune
tourne autour de la terre. II résulte de ces mou-
vements combines que tout le pourtour de la
terre passe succi;ssivement en regard de la lune
qui nous semble effectuer sa rotation complète en
24 heures 50 minutes environ. Le double renfle-
ment des eaux fera donc lui-même sa rotation
complète en 24 heures 50 minutes. Chaque jour
la mer montera et descendra deux fois, chaque
marée du jour étant de 50 minutes en retard sur
la marée du jour précédent.
Mais ces deux' immenses vagues qui courent
ainsi à la surface des mers ne répondent pas in-
stantanément à l'appel de la lune ; elles sont traî-
nées à son arrière. Au lieu d'êire à son maximum
quand la lune passe au méridien, la marée en quel-
ques lieux commence alors à peine à monter et
n'atteint guère son plus haut point qu'après un
temps variable suivant les localités. Ce relard se
nomme établissement du port; il est peu consi-
dérable sur les côtes qui bordent les grands
océans ; il augmente progressivement à mesure
qu'on pénètre plus avant dans des mers plus re-
tirées dans les terres. Voici quelques exemples
de ces retards ou établissements de ports :
Embouchure de la Gironde.... 3', 51°'
Bordeaux 7 ,45
Bayonne 4 ,5
Brest .3 ,46
Saint-Malo G ,10
Clierbourg 1 ,58
Dieppe 11 ,8
Dunkerque 12 ,13
La hauteur des marées est très variable suivant
les localités. En plein océan elle est peu considé-
rable ; mais quand la masse d'eau mise en mou-
vement pénètre dans des golfes largement ouverts
ou dans des mers intérieures communiquant avec
l'océan par des espaces très étendus, cette masse
brusquement arrêtée par la côte peut atteindre à
des niveaux très élevés.
On appelle wiité de hauteur de la marée pour
un port donné, la quantité dont l'eau s'y élève,
dans une marée moyenne, au-dessus du niveau
que la mer y garderait si les marées n'existaient
pas Cette unité de hauteur change d'un port à.
l'autre. En voici quelques exemples :
Dunkerque 2>",6S
Calais 3 ,13
Dieppe 4 ,40
Le Havre 3 ,57
Cherbourg 2 ,82
Granville G ,15
Saint-Malo 5 ,68
Brest 3 ,21
Lorient 2 ,24
Entrée de l'Adour 1 ,40
Dans une marée moyenne à Granville, la mer
monte à environ 6 mètres au-dessus de son ni-
veau et descend ensuite à 6 mètres au-dessous,
ce qui fait une excursion totale de 12 mètres. A
l'entrée de l'Adour, l'excursion correspondante
serait inférieure à 3 mètres ; elle est presque nulle I
dans les ports français de la Méditerranée, mais
sensible au fond de l'Adriatique. Ces conditions
influent nécessairement beaucoup sur les habitu-
des et le régime des ports. Les ports où les ma-
rées sont fortes ne sont généralement accessibles
qu'à la mer luontante et on profite pour la sortie
de la marée descendante. Des bassins munis d'é-
cluses s'ouvrant à la marée montante et se fer-
mant quand la mer descend permettent de main-
tenir les bâtiments à flot pendant les basses mers.
Les côtes voisines peuvent, au moyen de bassins
doubles coiumuniquant, l'un avec la haute mer,
l'autre avec la basse mer, se créer ainsi des for-
ces motrices considérables et toujours prêtes.
Les marées sont loin d'être toujours égales dans
un même lieu. Nous n'avons tenu compte en effet
que de l'action lunaire. L'action solaire, quoique
plus fdible, n'est pas négligeable; mais elle ne se
superpose pas exactement à la première. Les
doubles marées lunaires se succèdent à des inter-
valles de 2 1 heures 50 minutes environ ; les doubles
marées solaires se succèdent à des intervalles de
24 heures seulement. Les unes et les autres se
superposent exactement aux époques des nouvelles
et des pleines lunes, surtout dans les périodes
d'éclipsé de soleil ou de lune, aux syzygies. Elles
se contrarient dans les gundratures, quand la lune
est au quart ou aux trois quarts visible. Alors la
haute mer solaire coïncide avec la basse mer
lunaire, ou réciproquement, et l'excursion totale
de la marée en est notablement réduite ; c'est
l'époque de la morte eau des marins. Toutefois,
de même que le maximum de la température
n'arrive pas à midi, quand le soleil est le plus haut
et nous verse le plus de chaleur, de môme la
marée maxima ne coïncide pas exactement avec
les syzygies, elle arrive 36 heures plus tard. Les
effets s'ajoutent, et la marée augmente d'amplitude
tant que la cause qui la produit est supérieure
aux frottements qui tendent à la restreindre.
La théorie mathématique des marées, ébauchée
par Xewton, a été développée dans tous ses dé-
tails par Laplace. Aujourd'hui on calcule la hau-
teur de chaque marée dans un temps indéfini, et
la Connaissani:e des temps publie à l'avance la
table des grandes marées de chaque année. Ces
résultats théoriques étant connus, pour en déduire
1 la hauteur de la marée dans un port donné, il
I suffit de multiplier le nombre inscrit dans la
I Connniss'ince nés temps par l'unité du port en
I queition. Toutefois, le résultat ainsi obtenu n'est
\ pas toujours conforme à la réalité, parce que le
calcul suppose une atmosphère calme qu'on ne
rencontre pas toujours. Quand le vent souffle en
tempête de la mer à la côte, l'impulsion qu'il
produit sur la mer s'ajoute à l'efl'et naturel de la
marée, qui peut alors acquérir une énergie excep-
tionnelle et produire de véritables désastres en
submergeant et détruisant sans retour de vastes
étendues de terrain. C'est ainsi sans doute que
les lies anglaises de la Manche ont été séparées
du continent, dont le niveau baisse graduellement
d'ailleurs, bien qu'avec une extrême lenteur, dans
ces parages. Il en est de même des grandes inon-
dations de la Hollande. Inversement, un vent fort,
soufflant de la terre vers la mer, peut, en refou-
lant les eaux, réduire à une proportion ordinaire
une marée annoncée comme devant être très
forte.
Quand la marée apparaît à l'embouchure de cer-
tains fleuves, tels que la Seine, elle y produit une
vague énorme qui remonte rapidement le cours du
fleuve : c'est le mascaret. [Marié-Davy.]
MAUIU STLIART. — Histoire générale, XXII.
— Fille du roi d'Ecosse Jacques V et de Marie de
Lorraine, celte princesse, née en 1542, fut élevée
en France par les soins de ses oncles le duc de
Guise et le cardinal de Lorraine. En li58, elle
épousa le dauphin François, et la même année, la
reine d'Angleterre Marie Tudor étant morte, elle
prit le titre de reine d'Angleterre comme étant la
plus proche héritière de Henri VIII (pour l'Europe
catholique, Elisabeth, fille d'Anne Boleyn, éiail un
enfant illégitime). Son époux devint roi de France
en 1551), à la mort de Henri 11, et aussitôt les on-
cles de Marie Stuart s'emparcretit du gouverne-
ment (V. François II). Mais François mourut à la
I
MARIE-THERESE
— i-ic-
MARSUPIAUX
Vm (Ift 15G0, fit la roine-mère Catherine de Mcdicis
«ibligcu alors Mario à partir pour l'Ecosse, où elle
<lcvait ri^gner. Elle y commit faute sur faute. Pou
aimée des Ecossais, dont le plus grand nombre
avait embrassé les doctrines calvinistes précliées
par John Knox, elle acheva de soulever ses sujets
contre elle par ses deux mariages successifs, avec
lord Darnley (1506), qui fut bientôt assassiné, et
dont la mort fut imputée à Marie, puis avec le
meurtrier mônie de Darnley, lord Bothwell (I5U").
Les Ecossais se révoltèrent sous la conduite de
lord Murray, frère de Marie ; celle-ci fut faite pri-
sonnière; mais ayant réussi à s'échapper, elle se
réfugia en Angleterre. Elisabeth avait de nombreux
griefs contre Marie Stuart, qui lui avait autrefois
contesté sa couronne : quand elle eut sa rivale
entre les mains, elle prétendit lui l'aire rendre
compte du meurtre do Darnley, en vertu du droit
«ie suzeraineté de la couronne d'Angleterre sur
'Celle d'Ecosse ; puis elle retint Marie en captivité,
sous prétexte qu'elle n'avait pas sulfisamment dé-
montré son innocence. Marie Stuart, prisonnière
d'Elisaiyeth , intrigua de tous côtés pour recouvrer
sa liberté et détrôner son ennemie. Les complots
de ses partisans furent tous déjoués par Elisaliolh,
qui se conlenta, pendant do longues années, de
faire surveiller plus étroitement sa captive. Mais
la rivalité de ces deux femmes devait aboutir à un
dénouement tragique. Marie Stuart avait pour elle
le pape, le roi d'Espagne Philippe II, les ligueurs
français, tous les mécontents d'Angleterre; Elisa-
beth se sentait sérieusement menacée. Une der-
nière conspiration ayant été découverte (I5SU),
Marie Stuart y fut impliquée; une commission
spéciale la condamna à mort. Elisabeth, qui joignait
riiypocrisie à la cruauté, aurait préféré se dé-
.barrasser secrètement de sa rivale par le poison ;
.n'ayant pu y parvenir, elle se décida enfin à faire
exécuter la sentence, et Marie porta sa tête sur
.l'échafaud (1587).
.< Toute l'Europe avait les yeux sur cette lutte
■entre deux femmes qui se détestaient, l'une dans
sa prison, l'autre sur le trône; mais la première,
aidée par la ligue catholique, son esprit ardent, la
magie incroyable de sa beauté non encore flétrie,
semblait plus puissante que la seconde, tyranni-
que, vieille, haie d'une partie de ses sujets. Ces
deux femmes représentaient les deux principes qui
Jiataillaient en France ; la mort de l'une ou de
l'autre semblait devoir être la ruine des causes
qu'elles défendaient. Si Elisabeth désirait ardem-
ment la mort de Marie, et plusieurs fois môme
avait demandé à ses gardiens de la faire périr en
secret, Marie fomentait tous les complots contre
la vie d'Elisabeth, se croyant.pleinomeiit dans son
droit, cherchant la liberté par tous les moyens,
usant des seules armes qu'elleeùt en son pouvoir...
Ce fut un événement qui fit tressaillir l'Europe, et
-dont le retentissement est venu jusqu'à nous : une
reine jugée, condamnée, exécutée! La Réforme en
reçut partout une grande force; le Irùne d'Elisa-
beth se trouva consolidé; <■ l'espérance qu'ont eue
les Guises de jouir de l'Angleterre, dirent les pro-
testants de France, est morte avec la reine d'E-
cosse. » Le catholicisme en jeta des cris de fureur ;
il mil au rang des saints la malheureuse Marie;
il se prépara à des représailles terribles. Sixte-
Quint renouvela la bulle de déchéance contre la
-loui^e de la liretagne; Philippe 11 hâta l'armement
d'une flotte formidable pour venger la martyre
et mettre sur sa propre tête la couronne d'Angle-
terre » (Lavallé>3^
MARIE-THÉRÈSIi:. — Histoire générale, XXV.
— Fille de l'empereur d'Allemagne Charles VI, le
dernier des Habsbourgs directs, Marie-Thérèse
d'Autriche devait hériter des vastes domaines de
son père, qui avait cru lui en assurer la paisible
jouissance en faisiuit recotniailre à toutes les cour^-
d'Eurupe la pragmatique sanction, acte par leque
il assurait sa succession à cette princesse. Mais à
peine Charles VI fut-il mort (1710) que Marie-Thé-
rèse se vit attaquée par la Prusse, la Bavière, la
France, l'Espagne et la Sardaigne (V. Guerre de
la succession d'iis/iiiijite}. La jeune souveraine sut
tenir tète à cette formidable coalition; elle réussit
à faire donner la cimroniie impériale à son époux,
François de Lorraine, duc de Toscane, et après
huit ans de guerre, elle vit son pouvoir assuré dans
les Etats autrichiens : elle avait dû seulement céder
la Silésie à la Prusse et une partie du Milanais au
roi de Sardaigne. La période de paix qui suivit
permit à Marie-Thérèse d'accomplir des réformes
administratives qui témoignèrent de la sag^'sse de
ses vues. Engagée ensuite dans la guerre de Sept
Ans [Y. Guerre deSeptAiis), elle essaya inutilement
de reprendre la Silésie. Plus tard, elle s'associa à
Frédéric 11 et à Catherine de Russie pour accom-
plir une des grandes iniquités de l'histoire, le
partage de la Pologne (1773). Elle régna jusqu'en
1780. Dès 1705, à la mort de son époux, elle avait
fait donner le titre d'empereur à son fils aîné Jo-
seph Il : mais ce fut timjours elle qui exerça di-
rectement l'autorité dans ses Etats héréditaires
pendant les quarante années qu'elle passa sur le
trône.
MAHIE TUDOU. — V. Tudor.
MARIME. — V. Navigation.
MARIOTTE (Loi de). — V. Elasliciié.
MARSUPIAUX. — Zoologie, XII. — En parlant
des mammifères en général (V. Mammifères),
nous avons dit que parmi les vertébrés il en est
uu certain nombre qui naissent dans un état d'im-
perfection extrême et qui achèvent leur dévelop-
pement dans une poche [marsupiuin], placée sous
le ventre de la mère. Cette poche, formée aux
dépens de la peau de l'abdomen, est soutenue par
deux os particuliers ou plutôt par deux tendons
ossifiés, et renferme les mamelles auxquelles les
petits demeurent quelque temps attachés.
Les mammifères qui présentent cette disposi-
tion singulière et chez lesquels le développement
des jeunes est plus tardif que d'ordinaire, consti-
tuent l'ordre des Mursupiitux, caractérisé d'ail-
leurs par un certain nombre de caractères anato-
miques, et entre autres par l'indépendance des
deux hémisphères du cerveau. Dans les temps re-
culés, c'est-à-dire aux époques géologiques anté-
rieures à la nôtre, ces animaux comptaient des
représentants jusque dans nos contrées ; mais à
l'heure actuelle ils sont confines dans l'hémisphère
austral, et se trouvent principalement dans l'A-
mérique du Sud, à la Nouvelle-Hollande, en Tas-
manie et à la iNouvelle-Guinée. Dans ces diverses
contrées ils revotent des formes variées, corres-
pondant à des différences de régime, certains d'en-
tre eux étant insectivores, d'autres rongeurs, d'au-
tres carnassiers, d'autres, enfin, complètement
herbivores ou frugivores.
Parmi les marsupiaux insectivores ou Ent<mio-
phriges, nous citerons les Pernrnèles, qui vivent en
Australie et qui so reconnaissent à leur tète poin-
tue, à leur corps ramassé, porté sur quatre pattes
terminées par des doigts inégaux. Les trois doigts
médians du membre antérieur sont en effet beau-
coup plus développes que les doigts latéraux, le
pouce du membre postérieur est atrophié, et les
deux doigts suivants sont soudés jusqu'à la ph.a-
laiige unguéale. Ces animaux bondissent plutôt
qu'ils ne marchent, et se servent de leurs pattes de
devant pour porter les aliments à leur bouche.
Ils exercent de grands ravages dans les plantations,
en fouillant la terre pour découvrir des insectes
ou des vermisseaux.
Les Tiii/lacines et les Dasyures sont d'autres
marsupiaux des terres australes, aussi carnassiers
une les loups et les civettes du l'Ancien-Monde.
MARSUPIAUX
1268 —
MAZARIN
Aussi les Anglais établis en Tasmanie ont-ils
donné le nom deZi'Ora ii;olf (loup zébré) à la T/iy-
Uirine ci/itocéphn/c. qui, dans les premiers temps
de la colonisation, faisait une rude guerre aux
troupeaux, et qui, maintenant, repousséo dans
l'intérieur du pays, donne la cbasse aux kangou-
rous. Cette tliylacine ressemble beaucoup au loup
par la taillis et la forme générale du corps, mais
elle a la tête plus longue, la queue garnie de poils
plus courts, les dents au nombre de 40, etc.
Quant aux dasyures, dont on connaît plusieurs
espèces propres à l'Australie et h la Terre de Van
Diémen, ce sont des animaux do moyenne taille,
au mufle nu, au corps effilé, couvert d'un pelage
doux, bien fourni et souvent moucheté.
Dans les mêmes contrées que les dasyures
habitent d'auires marsupiaux bien différents et
par l'aspect extérieur et par le régime : ce sont
les F/iascol'j?xti;s ou Konlas, au corps court, dé-
pourvu de queue et revêtu de poils laineux, i la
tête grosse, aux oreilles petites et toufl'ues, aux
pattes robustes, dont les doigts, au nombre de
cinq, sont armés pour la plupart d'ongles puis-
sants. Dans leur dentition ces animaux singuliers
offrent aussi des particularités curieuses ; à la
mâchoire supérieure, il y a trois paires d'incisi-
ves, deux canines très petites et cinq paires de
molaires ; à la mâchoire inférieure, une paire seu-
lement de grandes incisives, point de canines, et
le même nombre de molaires qu'à la mâclioire
supérieure, ces dernières dents étant séparées des
incisives par une large bane. Les koalas ont un
pelage gris varié de roux et de blanchâtre : ils se
nourrissent de feuilles et de fruits, et grimpent
sur les arbres avec tant de lenteur qu'on les a
surnommés parfois les Paresseux d'Australie.
Les Plialangtrs n'appartiennent pas exclusive-
ment à la faune australienne ; ils se rencontrent
aussi à la Nouvelle-Guinée et aux Moluques, où on
les désigne généralement sous le nom de Cous-
cous. On les reconnaît immédiatement à leur
queue longne et pesante et à leurs pattes posté-
rieures munies d'un pouce opposable et ongui-
culé. Ils sont plus ou moins nocturnes, se tiennent
ordinairement sur les arbres, et se nourrissent de
substances végétales, d'insectes, d'œufs, et même
de petits oiseaux. Quelques-uns d'entre eux
exhalent, parait-il, une odeur camphrée très carac-
téristique.
Le Phalancier tacheté d'Amboine est sujet à de
grandes variations de couleurs ; il est tantôt mar-
qué de larges plaques rousses sur fond blanc, tantôt
mi-partie roux et blanc, tantôt même d'un blanc pur.
Le P/iatanger renard, qui \il en Australie, ressem-
ble, en dépit de son nom, plutôt â un Lémurien, h
un Galago, qu'à un renard de nos pays. Enfin le
Phalanger iviin, type du genre Dromicie, qui a
pour patrie la Terre de Van Diémen, n'est guère
plus gros qu'un loir.
Très voisins des phalangers, \es Pélaurisfes s'en
distinguent par la présence de membranes laté-
rales au moyen desquelles ils peuvent, à la manière
des écureuils volants, se soutenir quelque temps
dans les airs, quand ils s'élancent d'une branche
à une autre branche, souvent fort éloignée. Ils
n'ont d'ailleurs pas toujours la queue préhensile
comme les phalangers. Le Pétaurisie t(iguano'vle,àe
la Nouvelle-Galles du Sud, est une espèce d'assez
forte taille, au pelage noir, varié de gris et de
brun cendré ; le Belidé sciurin est notablement
plus petit, et YAcrobnle pi/gmee, qui se nourrit
principalement d'insectes, peut être comparé,
pour le régime et la dentition, à nos musaraignes
<iu museltes.
Les Ka/if/ouroiis jouent parmi les marsupiaux à
peu près le même rôle que les ruminants parmi
les mammifères ordinaires. C'est dire qu'ils sont
exclusivement herbivores. Si leur tube digestif est
très développé, leur estomac n'est toutefois pas
aussi compliqué que celui des ruminants; en ou-
tre leurs membres, au lieu d'avoir à peu près la
même longueur et de reposer ordinairement sur
le sol par l'extrémité des doigts, enfermés dans un
sabot, présentent une grande disproportion et ne
servent pas tous au même degré à la locomotion :
les membres antérieurs, en effet, singulièrement
raccourcis, restent appliqués contre la partie su-
périeure du corps quand l'animal est en observa-
tion ou quand il progresse par une série de bonds
successifs; dans l'un et l'autre cas, le corps, lé-
gèrement incliné, s'appuie non seulement sur les
tarses des membres postérieurs, mais encore sur
la queue, qui acquiert des dimensions extraordi-
naires et constitue pour ainsi dire un cinquième
membre. Par la forme de leur tête et par la nature
de leur pelage, les kangourous ressemblent un peu
aux lièvres et aux lapins, mais ils en diffèrent
par l'allongement bien plus marqué des membres
postérieurs, terminés par quatre doigts dont l'un
est armé d'un ongle tranchant, par le dévelop-
pement de la queue, par la structure des dents
molaires, et enfin par les proportions du corps,
qui sont beaucoup plus fortes. Une espèce de
l'Australie méridionale, le Kangourou géant, me-
sure en effet plus de deux mètres de long de-
puis le bout du museau jusqu'à l'extrémité de la
queue, et pèse souvent plus de lUO kilogrammes.
Tous les kangourous, il est vrai, n'atteignent pas
des dimensions aussi considérables, et dans \in
groupe voisin, parmi les Potnrous, on trouve
même des espèces de très petite taille. Les kan-
gourous sont en Australie l'objet d'une chasse ac-
tive à cause des qualités de leur chair.
En Amérique, l'ordre des marsupiaux est repré-
senté par les Sarigues, auxquels Linné donnait
le nom de Didelphes, qui a été appliqué plus tard'
par extension à tout le groupe des mammifères^
pourvus d'une poche abdominale. Les sarigues
ressemblent un peu aux kangourous par leurs
membres postérieurs, en général plus dévelop-
pés que les membres antérieurs, mais ils ont le
museau plus pointu, la queue écailleuse et pré-
hensile, et ils ne dépassent point la grosseur
d'un cliat domestique. On les trouve sur une
grande partie du continent américain, depuis les
États-Unis jusqu'au Paraguay. Ce sont des ani-
maux nocturnes qui se tiennent d'ordinaire sur
les arbres, et se nourrissent de fruits, d'insectes
et de petits oiseaux. D'après Audubon, le Sarigue
opossum, qui vit sur les bords du Mississipi, s'at-
taque même au gibier à poil et aux volailles des
basses-cours. Une autre espèce du Brésil, le Sa-
rigue crabier, a des mœurs légèrement différentes,
et comme son nom l'indique, fait la chasse aux
crabes et autres crustacés marins.
Chez les Micourés, marsupiaux américains pro-
ches parents des sarigues, la poclie abdominale
est incomplète et remplacée par un double repli
longitudinal de la peau du ventre. Les petits de-
meurent un certain temps sous cet abri, puis ils
grimpent sur le dos de leur mère, enroulent leur
queue à la sienne et se font ainsi transporter jus-
qu'à ce qu'ils soient assez forts pour chercher
eux-mêmes leur nourriture. Le Brésil, la Guyane
et la Nouvelle-Grenade possèdent plusieurs es-
pèces de micourés.
Enfin chez les Hémiures. qui se trouvent à peu
près dans les mêmes régions, la queue est nota-
blement plus courte que chez les micourés, mais
la forme du corps est sensiblement la même.
fE. Oustalet.]
MAMMILIE>' I et II. — V. Uolishourq.
M.iZARlK — Histoire de France, XXIII. — Jules
Mazarin naquit en lGrt2 à Pescina dans les
Abruzzes (Italie:. Elevé dans la maison des Co-
lonna, il embrassa d'abord la carrière des armes.
MAZARIN
12(!',) —
MECANIQUE
et fut nommé en iri22 capitaine d'infanterie. Mais
SOS goûts le portaient plutôt vers la diplomatie,
dont l'Italie était alors la terre classique. Lors de
la ïuerro de la succession de Mantoue, devant Ca-
sali' (1(!30), il révola son gonie brillantniais un peu
tliL'àtral, en arrêtant deux armées qui allaient en
venir aux mains. Désigné désormais à l'attention
dos gouvernoments italiens, il fut nommé nonce
du papo en France (16:!'i-I()36), rendit de grands
services ,\ Riclicliou, fut naturalisé Français ( Hi'iO),
promu cardinal (IGil), et, le lendemain môme de
ia mort de Riclielicu, nommé premier ministre
(5 déc. lG-4'2).
Après la mort de Louis XIII (1643), il devint le
véritable maître du pouvoir, qu'il conserva jusqu'à
la fin de sa vie (lUO!). Souple et rusé, il rompit
avec les traditions politiques de son énergique
prédécesseur, attendant tout du temps qui calme
les haines. Il est certain d'ailleurs que Mazarin,
qui ne fut jamais prêtre, exerçait une vive in-
fluence sur la régente Anne d'Autriche. Pout-ôtre
même l'épousa-t-il secrètement. Grâce h cette
intimité avec la reine-mère, il put triompher sans
peine de la cabale des Impoi-lants (l(!i3). Et cepen-
dant, jamais ministre n'avait été moins popvilaire.
On reprochait à Mazarin les faveurs, onéreuses
pour la France, dont il comblait sa fanjille. Son
frère Michel, archevêque d'Aix (IGi.'j), vice-roi de
Catalogne (16t"), devenait cardinal (Hi47), et cette
promotion coûtait I2 millions à l'Etat. Les nièces
de Mazarin, « lesMazarinettes, » richement dotées,
épousaient un Conti, un Mercœur, un comte de
Soissons. Protecteur des arts, ami de Corneille,
de Chapelain, de Balzac, grand admirateur de
l'opéra italien, qu'il introduisit on France (Orphée
et Eurydice, 1647), le ministre avait les goûts dé-
licats d'un prélat de la Renaissance italienne. Ce
désordre élégant, qui contrastait avec l'attitude
austère de Richelieu, choqua l'opinion publique.
Ji'obJes, parlementaires et bourgeois, irrités de la
.grande puissance du ministre, et de la gestion
■déplorable des finances, s'unirent pour renverser
Mazarin (1644-1G53). Le ministre brava l'opposition
€t garda le pouvoir (V. Fronde).
A l'extérieur, Mazarin a continué avec talent et
■succès la politique de Richelieu : voili son vrai
titre devant la postérité. Les armées françaises se
•couvrent de gloire dans la dernière période de la
guerre de Trente Ans. Les victoires de Rocroy et
■de Carthagène (lGi3), de Fribourg (IG44), de Nord-
lingen (IG45), de Lens, de Lavingen et de Sumars-
ihausen (1648) obligent nos adversaires Ji accepter
des traités de Westphalie (IG4S). La France obtient
la cession définitive des Trois Evôchés, Pignerol,
l'Alsace sauf Strasbourg, Brisach, Philipsbourg,
■et la liberté de commerce sur le Rhin. En intro-
•duisant la Suède en Allemagne, elle modifie h son
profit l'équilibre des Etats allemands. Des traités
■d'alliance sontsignés aveclaBavièreilfi.ïl),leBran-
debourg (IGoG) ; enfin la ligue du Rhin (1658) place
■sous la protection de la France les petits Etats de
l'Allemagne du nord. La confédération franco-
allemande mettra sur pied 10 0(10 hommes. La
France ne fournira pas moins de IGOU soldats et
80» chevaux. Ce grand succès diplomatique console
Mazarin de n'avoir pu empêcher l'élection de
Léopold de Habsbourg à l'Empire (IG.!").
La branche espagnole de la maison d'Autriche
avait refusé de traiter avec la France en 1648.
Pendant les troubles de la Fronde, l'Espagno avait
repris Barcelone, Ypres, Dunkerque. La défection
de Condé lui avait donné Rethel, Sainte-Me-
nehould et un général qui passait pour invin-
cible (1652). Mais dès I6.i3, la guerre est poussée
avec vigueur. Les Espagnols sont arrêtés sur la
Somme, battus à Stenay et à Arras (ICo4). Cam-
brai, Valenciennes, Condé sont assiégés (16.55-
1656). Mazarin s'allie alors avec Cromvvell (1656-
165"), et les Espagnols sont écrasés à la bataille
des Dunes (1658). Epuisée d'hommes et d'argent,
l'Espagne signe le traité des Pyrénées (1659). Elle
cède à la France le Roussillon, la Cerdagne, une
partie de l'Artois, Thionville, Montmédy, Avesnes;
Louis XIV épouse l'infante Marie-Thérèse, dont la
dot s'élèvera à 500 0110 écus d'or. Mais on stipule
que, dans le cas où cette dot ne serait pas payée,
la renonciation delà n'ine de France à la succes-
sion de son père Phili|)ne IV deviendra nulle.
Condé enfin fait sa soumission et rentre en France.
En 1660, l'Europe entière était pacifiée. Dans le
midi et dans le centre, l'Espagne et l'Autriche,
ennemies de la France, étaient vaincues. Dans le
nord, les traités d'Oliva et de Copenhague avaient
assuré la prépondérance politique de la Suède,
notre alliée. Mazarin qui, devant l'étranger, avait
eu le cœur vraiment français, laissait la France
puissante et honorée. [L.-G. Gourraigne.]
MÉCANIOUE. — La m'fcamque a pour objet
l'étude des forces et des elïets qu'elles produisent
sur les corps auxquels on les applique. Dans la
partie de cette science appelée dijnamique, on s'oc-
cupe de déterminer les diverses circonstances
du mouvement d'un corps lorsque l'on connaît les
forces qui agissent sur lui. La statique est la
partie de la mécanique qui traite dft l'équilibre des
forces appliquées à un corps solide ; on y déter-
mine les relations qui doivent exister entre les
forces pour que le corps prenne un mouvement
égal à zéro ; c'est donc un cas particulier de la
dynamique, celui où le corps doit rester en repos
sous l'action des forces qui le sollicitent. Mais
comme, une fois ce dernier problème résolu, il
est facile d'y ramener l'autre, on commence ordi-
nairement l'élude de la mécanique par celle de la
statique.
On a vu, à l'article Force, comment h. l'aide d'un
pcson à ressort on peut comparer toutes les forces
à un poids et les exprimer on kilogrammes ; com-
ment on représente, par une ligne, le point d'ap-
plication d'une force, sa direction et son intensité.
Nous admettrons comme évidents les axiomes
qui suivent et qui nous seront utiles par la suite;
la seule difficulté qu'éprouvent les élèves, en li-
sant les premières pages d'un livre de mécanique,
tient à ce que beaucoup d'auteurs entourent ces
vérités d'un appareil de démonstrations moins
claires que les énoncés eux-mêmes : 1° Une force
appliquée à un corps solide peut être appliquée
en un point quelconque de sa direction pourvu
que ce nouveau point soit lié invariablement au
premier. Ainsi la force F appliquée en K (fig. 1)
Fig. t.
peut être transportée en B et prendre la position F'
sans que l'état du corps soit changé, "l" Si deux
forces qui sollicitent un corps solide, libre de
tourner dans tous les sens, agissent suivant la
même droite, en sens contraire, et ont la même
intensité, elles tiennentce corps en équilibre ;telles
sont les forces F et F". Si les forces sont iné-
MECANIQUE
— 1270 —
MECANIQUE
gales, ou bien n'agissent pas en sens directement
contraire, le corps se mettra en mouvement sous
l'action de ces forces. Ainsi, que deux personnes
de même force, placées aux extrémités d'une ta-
ble, la poussent dans le sens de sa longueur, mais
en sens contraire, elles ne produiront aucun effet ;
que l'une d'elles pousse à droite ou à gauche de
cette direction, la table tournera.
Composition des forces concourantes. — On
appelle résultante d'un système de forces F, F', F',
appliquées à un corps solide, une force qui peut,
à elle .seule, les remplacer toutes ; on dit que les
forces F, F', h", sont les composantes de la
force R. Par conséquent, étant donné un corps
sollicité par plusieurs forces F, F', F", dont la
résultaote est R, si l'on applique au corps une
nouvelle force — R égale et directement opposée
i R, l'ensemble des forces F, F', F'' et — R tien-
dront le corps solide en équilibre.
Un système quelconque de forces n'a pas tou-
jours une résultante unique, il est même rare
qu'il en ait une ; mais, dans le cas particulier où
les forces sont appliquées au même point, on peut
toujours remplacer les forces proposées par une
seule appliquée au même point ; nous étudierons
d'abord comment on détermine les éléments de
cette résultante.
Proposition I. — Si deux forces concourantes
agissent suivant la même droite et ont la même
direction, leur résultante est une force appliquée
au même point, agissant suivant la même direction
et dont l'intensité est égale à la somme des deux
premières. Si les forces agissent dans des di-
rections opposées, l'intensité de leur résultante
est égale à la différence des intensités.
Cette proposition est évidente
Proposition II. — Si un nombre quelconque de
forces agissent suivant la même droite, les unes
dans un sens, les autres dans le sens opposé, leur
résultante est égale à l'excès de la somme des
forces qui tirent dans un sens sur la somme des
forces qui tirent en sens contraire. Cette résul-
tante agit dans le sens des forces qui ont donné
la plus grande somme.
Cette proposition est encore évidente.
Considérons maintenant deux forces F et F' ap-
pliquées .'i deux points A et B d'un corps solide et
dont les directions passent par le même point O;
on peut remplacer ces deux forces angulaires par
une seule, et la règle à suivre s'appelle /)«i-a//p/o-
gramme dfS forcex; c'est une des propositions les
plus importantes de la statique.
Proposition III. — La résultante de deux forces
angulaires est située dans le plan de ces deux
forces ; elle est dirigée suivant la diagonale du
parallélogramme construit sur les lignes qui re-
présentent les forces en grandeur et en direction;
son intensité est représentée par la diagonale de
ce même parallélogramme.
Démonstration expérimentale. — \Uachons (fig. 2)
trois poids de 4Hg, 5"?, 6Hs, h des cordons aB,
AC, AD, réunis au point A par un nœud; faisons
passer les deux premiers sur des poulies très mo-
biles, dont les axes sont implantés dans un tableau
noir; laissons pendre le troisième cordon AD ; l'en-
semble de ces poids prendra bientôt une position
d'équilibre et nous pourrons dire qu'alors la force
de 6Hg appliquée au point \ suivant la verticale AD
fait équilibre aux forces F = 4"? et F' = 5"; ap-
pliquées directement au point A suivant les di-
rections AB et AC ; les poulies de renvoi ont sim-
plement pour but de remplacer les tractions des
poids F et F', qui agissent suivant la verticale, par
des tractions dirigées suivant les cordons obli-
ques AB et AC. Une fois l'équilibre établi, la
force R est donc égale et directement opposée à
la résultante des forces F et F' : cette résultante
est donc dirigée de A vers Z dans le prolongement
du cordon vertical AD, et, pour vérifier l'énoncé de-
notre proposition, il suffit de faire la construction.
R=ff™=
Fig.
suivante sur le tableau noir qui est parallèle h-
la figure formée par les cordons et à une petite-
distance de cette figure :
Prenons sur AB la distance AM =4iiin, et sur
AC la longueur AN ^ 5''™, c'est-à-dire sur les.
directions des cordons des longueurs proportion-
nelles aux intensités des composantes F, F': ache-
vons le parallélogramme AMNG, et nous trouverons:
1° que le sommet G est sur AZ, ce qui démontre -
que la résultante est dirigée suivant la diagonale
du parallélogramme construit sur F et sur F' ;
2° que cette diagonale AC contient 6 décimètres,
ce qui prouve qu'elle représente en grandeur
aussi bien qu'en direction la grandeur de cette
résultante qui est de 6"ï. Les deux parties de-
l'énoncé sont donc vérifiées, et cette démonstra-
tion expérimentale suffit parfaitement ; elle nous
paraît même préférable à la démonstration théo-
rique, qui est très longue et que beaucoup d'élè-
ves apprennent par cœur sans la bien comprendrfi.
Relations entre les composantes et la résul-
tante. — Proposition I. — Le carré de la résul-
tante de deux forces angulaires est égal à la
somme des carrés dei composnates plus deux f'is
le produit de ces forces multiplié par le cosinus
de leur angle.
En effet, considérons (fig. 3) deux forces F et F'
faisant entre elles l'angle .A; dans le triangle ACD
nous aurons :
AD2 = AC2-f CD-' — -ÎAC X CD cos ACD
et comme
ACD = 180° — CAB = Î800 — A,
cos ACD= — cos A,
nous trouverons en substituant
AD2 = AC2 -I- CD' -f 3AC X AB cos A,
c'est-à-dire
r.3 = F2 -f- F's -i- 2F X F' X Cos A.
Co?>séqucnce. — Si les foCces F et F' sont roc-
MECANIQUE
1271 —
MÉCANIQUE
tanfîultiiros, l'angle A est droit, son cosinus est
nul l'i l'on a :
R2 = F2 + F'3.
Ainsi le carré de la résvltnnte de deux forces rec-
tanyu/aires est égal à la somme des carrés des
composantes.
PuoposiTioN II. — Si l'on considère deux forces
F, F' et leur résultante R, // exi-te un rapport
constant entre chai une de ces forces et le simcs de
l'ani/le formé par les directvms des deux autres.
En effet, le triangle ACD fournit la relation :
CD
AC
R
R
sin CAD sin ADC
c'est à-dire
sin (ISO"— C)
R
sin(F',R) sin iF, R) sin (F, F')
Décomposition d'une force en deux autres. —
Problème. — Etant données une force R appli-
quée au point A et deux directions AX et AY
Issues de ce point et situées dans un ipème plan
avec R, on propose de décomposer cette force li
en deux autres F et F' dirigées suivant les direc-
tions AX et AV.
Solutw}i. — On peut déterminer les intensités
des forces F et F' par un tracé graphique ; il suffit
de mener par l'cxtréniito D de la force R les pa- j
rallèles DC h AX et DB h AY ; ces parallèles dé- |
terminent sur AX et AY' des longueurs AB et AC
proportionnelles aux composantes cherchées F
et F'.
Si l'on veut calculer les intensités F et F', il
suffit de s'appuyer sur la proposition précédente :
elle donne les relations :
F et F' qui sont représentées par les lignes 0\
et OB, nous construirons le parallélogramme
OABB' ; puis nous composerons la résultante OU'
avec OC qui représente F', ce qui nous donnera
la résultante OC ; composant OC et OD, nou.s
obtiendrons OD', et il ne restera plus qu'à compo-
ser OD' et OE, en construisant le dernier parallé-
logramme OD'EE' ; sa diagonale OK' représentera
la résultante de toutes les forces pour sa direction
et son intensité. Il est bien clair qu'il n'est pas
nécessaire de tracer tous les côtés et les dia-
gonales de ces divers parallélogrammes ; il suffit
de marquer le contour AB'CD'E'.
Remarque. — Si le contour se ferme, la résul-
tante totale est nulle et les forces se font équi-
libre.
PAUAt.LÉLiPiPÈUE DES FORCES. — Comme cas par-
ticulier, considérons trois forces F,F',F", appli-
quées au point O (fig. 5) et représentées par les
Remarque. — Si les composantes doivent être
à angle droit, on a :
sin BAC = I, et par conséquent
F = R sin CAD = R cos BAD
F' = R sin BAD = R cos CAD.
Ainsi, chaque composante est égale au produit
de la résultante par te cosinus de l'angle compris
entre sa direction et celle de la résultante, ou
bien chacune des composantes est fa projection de
la résultante sur les directions données.
Composition d'un nombre quelconque de forces
concourantes. — Proposition I. — Pour Irourer
géumétriqui-inent la résultante d'un si/stème de
forces F, F', F", appliquée» au même point O et
dirigées d'une manière qutlcotique dans l'espace,
on construit ^fig. 4) u7i contour polgr/onal AB'CD'E'
dont les côtés sont respectivement éqnux et paral-
lèles aux lignes 0A,0B,0C,0D.0E' qui repré^en-
te?it ces forces ■ on joint au point d'a/jplication O
l'extrémité E' de ce omtour, et celte ligne OE' rc-
préseiite la résultante en grawlenr et en direction.
En effet, si nous composons d'abord les forces
fig. 5.
lignes OA,OB,OC non situées dans un mêmi
plan ; leur résultante sera représentée pour se
direction et son intensité par la diagonale OD du
parallélipipède construit sur ces trois forces.
Si les trois forces forment un trièdre tri-rectan-
gle, leur résultante R est donnée par la formule:
RS=F2 4.F'2-|-F"»
car dans un parallélipipède rectangle le carré de
la diagonale est égal à la somme des carrés des
trois (limensions.
Problème. — Décomposer une force en trois
autres dont les directions ne sont pas situées dans
un même plan.
Soit OD la force R qu'il s'agit de décomposer
en trois autres dirigées suivant les directions
OA,OB,OC. On obtiendra les intensités de ces
trois composantes en menant par le point D trois
plans parallèles aux plans OAB, OAC, OBC ; cha-
cun d'eux coupera la troisième direction, et les
longueurs OC, OB, OA ainsi déterminées repré-
senteront les intensités des composantes incon-
nues.
Conséquence. — Si les trois directions données
sont rectangulaires, chaque composante est égale
à la projection de la force donnée sur la direction
de cette composante; son intensité est égale i
celle de la résultante multipliée par le cosinus
de l'angle que fait cette résultante avec la direc-
tion de la composante considérée.
En effet, le triangle DOA est rectangle en A et
l'on a :
OA = ODco3AOD
OB = ODcosBOD
OC = ODcosCOD
Si donc l'on pose
OA = x, OB=y, oc=z
AOD = a, BOD = p, C0D = y
on aura pour les trois composantes de la force R :
X = Rcosï, Y = Rcosp, Z==Rco9Y.
Ces formules sont générales et représentent,
quelle que soit la direction de la force, la projection
MÉCANIQUE
121-2
MECANIQUE
de cette force sur les directions OA,OB,OC. Il
euffit de regarder comme positives les composantes
suivant les directions OA.OB.OC et comme né-
gatives celles qui tirent suivant leurs prolonge-
ments. En effet, si l'angle a est obtus, son cosinus
est négatif, et le produit R cos a le sera aussi ; mais
alors la composante X sera dirigée en sens con-
traire de OA ; donc U cos a pris avec son signe
représentera à la fois la grandeur et le sens de
la première composanle.
Problème. — Déterminer par le calcul la résul-
tante d'un système quelconque de forces concou-
rantes.
Solution, -r- Soient F,F',F"..., les forces données
appliquées au même point 0 d'un corps solide.
Menons par ce point irois axes rectangulaires de
direction arbitraire, OX, OY, OZ (flg. (i), auxquels
nous rapporterons les forces F, F', F" Pour que
les positions relatives de ces forces soient bien
déterminées, il suffit que nous connaissions les
angles que fait chacune d'elles avec les trois axes ;
nous désignerons les angles que fait F avec
OX, OY,OZ, par a, p, y ; nous appellerons de
même a', p', y', les angles qui correspondent à
F', etc.
Décomposons chacune des forces en trois autres
dirigées suivant OX, OY, OZ : nous aurons pour
les composantes de F :
F cos a, Fcosp, F cos y,
pour celles de F' :
F' cos a', F' cos 3', F' cos y',
et ainsi de suite.
Toutes les forces dirigées suivant OX se com-
poseront en une seule que nous appellerons X,;
de même les composantes suivant OY fourniront
une résultante Y',, et celles qui agissent suivant
OZ donneront la résultante partielle Zi ; nous au-
rons par conséquent:
Xj = F cos a -1- F' cos a' 4-....
Y, = F cos p -f F' cos p' -1-....
Zj = Fco3 y-|-F'cosy'+....
Il ne restera plus qu'à composer les trois forces
rectangulaires X,,Y,,Z,, pour avoir la résultante
définitive R ; nous aurons donc :
n2 = X,2 + Y,2 + Z,^
Quant à la direction de cette résultante, elle
sera donnée par les angles a, b, c, qu'elle fait
avec les trois axes; les cosinus do ces angles sont:
cos a=j^, cosi:
■r '
R
Proposition II. — Pour que plusieurs forres
concourantes se fassent éqiiilibre, il fout el il
suffit que la somme algébrique des projections
de ces forces sur trois axes rectanqulaires quel-
conques passant par ce point soit égale à zéro pour
cliucun de ces axes.
En effet, pour que la résultante R soit nulle, il
faut et il suffit que l'on ait à la fois :
X, = 0, Y,
:0, Z,
Il faut bien remarquer que le corps ne serait
pas nécessairement en équilibre si la somme des
projections des forces était nulle pour un seul
axe, si l'on avait par exemple Xj = 0 seulement :
en effet, il pourrait se faire que la résultante K
fût située dans un plan perpendiculaire à l'axe
OX sans être nulle ; mais si l'on a en même temps
Y'i = 0 et Z| ^ 0, cette résultante est nécessai-
rement égale à zéro.
Moments des forces concourantes situées dans
un même plan. — Ou appelle vioment d'une force
F par rapport à un point O (Hg. 7J le produit
F X OP de son intensité par la distance de ce
point à la direction de la force ; ce point est appelé
centre des moments, f^i\a perpendiculaire abaissée
sur la force en est le bras de levier.
Il est clair que le moment d'une force est nul
quand celte force passe par le centre des moments.
Les moments des forces F et F' par rapport au
point 0 (fig. 8) sont :
FXOA et F'XOA';
mais si l'on imagine que la figure soit mobile
autour du point O, on voit que la force F tend à
faire tourner la figure dans le sens des aiguilles
d'une montre, tandis que la force F' tendrait à la
faire tourner en sens contraire. On caractérise
cette opposition de sens des rotations fictives de
la figure autour du point 0, sous l'action séparée
des forces F et F', par une opposition de signes ; on
dit que le moment de F est positif et que celui de
F' est négatif ; on met le signe -\- devant le premier
et le signe — devant le second en écrivant :
M„ F = -1-FX0A, M„ F'=F'xOA'.
Cette convention est utile pour généraliser les
formules et pour réduire h un seul plusieurs
énoncés.
Proposition. — Etant doiiné un nombre quel-
conque de forces concourantes situées dans le
même plan el leur résul'ante, le moment de cette
résultante par rapport à un point quelconque du
plan des forces est égal à la somme algébrique
des moments des comiioxantes.
Considérons d'abord le cas de deux forces con-
courantes F et F', appliquées au point A ; soit R
leur résultante et 0 le centre des moments (fig. !)) ;
il faut démontrer que
R X OP" = F X OP -I- F' X OP'.
Pour cela il suffit de remarquer que chacun de
ces produits représente le double de l'aire d'un
iMKCANIOUE
1273 —
MEGANKJUE
triangle ayant pour sommet lo point 0 i?t pour base
la force considérée ainsi :
FX0P = 2 tri OAF,
F'XOP' = 2triOAF',
nxOP" = 2 tri OAR;
tout revient donc à démontrer que
tri 0 AR = tri OAF + tri OAF'
Prenons OA '(fig. 10) pour base commune i ces
triangles, abaissons des points F, F' et R les per-
pendiculaires FH, F'H', RK sur la direction OA;
et menons FL parallèle h OA ; nous aurons :
RK = KL + LR = HL + FH'
Ainsi la hauteur du triangle OAR est égale Si la
somme des hauteurs des deux autres; ce triangle
OAR est donc équivalent à la somme des trian-
gles OAF et OAF', et le moment de la résultante
est égal h la somme des moments des composantes.
Dans !e cas de la figure, les trois forces tendent
à produire autour du point O des rotations fictives
de même sens, et les trois moments sont positifs :
si les rotations étaient de sens contraires, l'énoncé
du théorème serait encore exact, en tenant compte
•des signes que nous sommes convenus d'attribuer
aux moments.
Soit maintenant un nombre quelconq ue de forces
^' ^\ F" concourantes et R leur résultante;
nous composerons d'abord F et F' en une seule R],
et nous aurons;
M_^ Ri = M^ F + M^F';
il faudra composer maintenant R, et la troisième
force F", ce qui donnera une résultante R,, pour
laquelle ^ ^
^o'^2 = M„Rj-f M F",
ou
M^ R2 = M^ F -f M^ F' + M^ F" ;
et amsi de suite jusqu'à ce que l'on ait composé
toutes les forces. Nous aurons donc en définitive :
M^ R = M^ F + M^ r + M^ r" + M„ F"' + ....
•^^IfSénévinié du théorème est démontrée.
utiliti; da théorème des moments. — La propo-
sition précédente, connue sous le nom de tMorème
de Varif/iwii. permet de trouver la direction de la
résultante d'un système de forces concourantes:
si l'on a calculé l'intensité de cette résultante et
son moment par rapport à un point 0, on en con-
clura lo bras do levier de cette force; il suflira
donc de décrire du point 0 pris pour centre une
circonférence avec ce bras de levier pour rayon et
de mener parle point A, où concourent toutes les
forces, des tangentes à celte circonférence ; celle do
ces deux tangentes dont le moment aura le même
signe que la somme algébrique des moments des
composantes F, F', F"... sera précisément la ré-
sultante cherchée.
Moments de forces concourantes non situées
dans le même plan. — Si les forces angulaires
F, F', F',... que l'on compose, ne sont pas situées
dans un même plan, on ne peut plus dire que le
triangle ayant pour sommet un point O quelcon-
que et pour base la résultante est équivalent à la
somme des triangles ayant môme sommet et pour
bases les forces F, F', F". Mais ce théorème est
encore exact si l'on projette sur un même plan
le système des forces F, F', F".... et R.
Définilioii. — On appelle moment d'une force
par rapport à un axe AB (fig. 1 1) le moment de la
D
C
v\
/\ i
1 'l /'•"''
projection de la force sur un plan perpendiculaire
à l'axe, le centre du moment étant le point où
l'axe rencontre le plan de projection. Ainsi le
moment de la force F' par rapport à l'axe AB s'ob-
tient en projetant F' en F" sur un plan RR' per-
pendiculaire à AB et faisant le produit de F" par
sa distance AS au pied de l'axe AB.
Proposition. — Se l'on considère un système de
forces concourantes dirii/ées arbitrairement dans
t'esijace et leur résultante, le moment de celte ré-
sultante par rapport à un axe fixe quelconque est
é//al à ta somme alrjébrique des moments des com-
posantes.
Considérons d'abord (fig. 12) deux forces F et F'
C
MECANIQUE
1274 —
MECANIQUE
concourant au point A ainsi que leur résultanio
R, et projetons le parallélogramme ABCD sur
un plan V: nous obtinndroiis un parallélogramme
abcd dont les côtés f ni f sont les projections de F
et de F' et dont la diagonale )' est la projection de R.
Si donc nous rapportons cette figure contenue dans
le plan V à un point 0 quelconque de ce plan,
nous aurons:
Mais, par définition, le moment de /'par rapport au
point O est précisément le moment de F par rap-
port :■! l'axe ÔX, nous aurons donc :
M R = M„^F + M^^F'.
Prenons maintenant trois forces angulaires F, F',
F" non situées dans le môme plan ; le théorème
précédent s'appliquera à la résultante partielle
R, de F et de F', puis à la résultante R de R, et
de F", qui est la résultante définitive du sys-
tème des trois forces. On pourra donc écrire en
général :
M„^R = M^F-f M^/'+ M^^F" + ....
quel que soit le nombre des forces et leur disposi-
tion autour du point A.
Rpna'que. — Si l'on mène par un point O pris
arbitrairement dans l'espace trois axes de coordon-
nées rectangulaires OX, CV, OZ, auxquels on
rapporte le système des forces concourantes F, F'
F"... ainsi que leur résultante R, on pourra pro-
jeter cet ensemble de forces sur les trois plans
ZOl', ZOX, XOY, et le théorème des moments pris
par rapport au point O s'applique à chacune de ces
projections: le triangle ayant 0 pour sommet et
la projection de la résultante pour base sera équi-
valent à U somme de triangles ayant même som-
met et pour base les projections des forces; on dit,
pour abréger, que lu moment de la résultante R
par rapport à chacun des axes OX, OY, OZ, est
égal à la somme algébrique des moments des com-
posantes. On pourra donc tracer sur chacun des
plans de coordonnées la projection de la résultante
R, et cette résultante sera connue dès que l'on
aura ses trois projections sur les trois plans de
coordonnées.
Composition des forces parallèles. — Pnoposi-
TlON I. — Deux forces parulUles et de même se?is
appliquées aux extrémités d'une barre rigide ont
Uhe résultante parallèle à leur direction, de même
sens, égale à leur somme et appliquée à la barre
en un point qui partage cette droite en deux
segments additifs inversement proportionnels aux
forces rontigiiè'f.
Soient P et Q (fig. 13) deux forces parallèles et
R2 =
de même sens agissant aux points A et B d'un corps
solide ; on peut les assimiler à deux forces angu-
laires dont le poiiit de concours s'est éloigné à
l'infini ; on voit donc que leur résultante R doit
être parallèle à chacune des composantes ; de plus
elle est égale à leur somme, puisque l'on a :
: P2 + Q2 + 2PQ cos 0» = Ps -I- Q> 4- 2PQ
= (P + Q>^
ou, en extrayant les racines :
R = P + Q.
Il est facile de trouver le point I de la barre ri-
gide auquel est appliquée cette résultante R : en
effet, étudions fig. 14) la figure obtenue lorsque les
y?
forces P et Q sont encore concourantes, et prenons
les moments de P, de Q et de R par rapport au
point I; le moment de R sera nul, puisque cette
force passe par le centre des moments, et nous
aurons :
«)
PXIK — QxIL = 0
Si maintenant nous considérons la figure (13) ob-
tenue lorsque les forces P et Q, tournant autour
des points A et H, sont devenues parallèles, nous
voyons que les bras de leviers IK et IL sont en
ligne droite, et les triangles semblables AIK, BIL
fournissent la proportion
IK _ AI
IL ~ÏB
Nous aurons donc, en remplaçant dans (1) les
bras de leviers IK et IL par les lignes AI et IB
qui leur sont proportionnelles
PxAI = QXIB,
ce qui revient à écrire :
P_IB
Q~AI
Proposition II. — Deux forces parallèles et de
sens contraires appliquées aux eitrémités d'une
barre rigide ont une résultante égale à leur diffé-
rence, de même sens que la plus grande et appliquée
en unpoint du prolongement de la barre rigide qui
divise celte droite en di-ux segment): souslractifs
inversement proportionnels aux forces contiguëi.
Le système de deux forces parallèles et de sens
contraires peut être assimilé à la limite d'un
système de deux forces angulaires faisant entre
elles un angle très obtus voisin de 180° et dont le
point de concours s'éloigne de plus en plus.
En comparant les deux figures l.S et IG on voit
MECANIQUE
— iTi
Tig. 10.
que la résultante R est encore ici parallèle aux
composantes P et Q, et qu'elle estcgalo Ji P — Q,
puisque l'on a dans ce cas
R2 = ps + Q2 4-2PQcosl80'' = P2 + Q« — ÎPQ,
ou
R2 = (PQ)2
c'est-ïi-dire, en extrayant les racines carrées,
R=P-Q
Enfin le tliéor6me des moments fait voir que
cette rosuliante est appliquée en un point I du
prolongement de AB tel que l'on ail :
P X IK = Q < IL
Mais les triangles semblables AIK et BIL montrent
que les bras de levier IK et IL sont proportion-
nels aux segments lA et IB; on aura donc :
P X lA = Q X IB,
Remarque. — S/ t'oi> considère dfux forces
parallèles et leur résultmite , il existe un rapport
constant entre l'intemité de chacune de ces foi ces
et la droite qui joint les poi7its d'application des
deux mitres.
En effet, si les forces sont parallèles et de
même sens, on a :
P + Q
P
AI + BI
IB
R
AB~
P Q
IB ~ 1a'
Si les deux forces parallèles sont de sens con-
traires, on a :
P — Q AI — BI
l'
BI
R
AB
P ■ Q
BI Al'
Cette proposition nous sera utile pour décom-
poser une force en deux autres forces parallèles,
connaissant leurs points d'application.
Proposition III. — Le moment île la résultante
de deux forces parallèles par rapport à un point
quelconque de leur plan est êgid à la somme
algébrique des moments des composantes.
Nous admettrons ce théorème comme consé-
quence de celui relatif aux moments des forces
angulaires ; nous considérons en effet les forces
parallèles comme doux forces angulaires dont le
point de rencontre s'est éloigné indéfiniment, ot
la proposition étant toujours vraie, quel que soit
l'éloignement du point de rencontre, est encore
vraie à la limite.
Proposition IV. — Deux forces parallèles et de
sens contraires n'ont pas de résultante.
En effet, nous avons trouvé pour la distance BI :
BI = ABXn-^
o — MKCAMOUK
Si la différence P — Qtend vers zéro, BI augmente
indéfiniment. On voit donc que la résultante du
système do deux forces parallèles rigoureusemouc
égales est transportée à l'infini et a une intensité
égale à zéro. Un pareil système ne peut donc
être remplacé par une force unique. On l'appellc
couple. Le liras de levier d'un couple (fig. H) est
la dislance AB des deux forces.
Hemnrque. — La somme des moments de l'en-
semble des deux forces qui constituent un couple
s'appelle, pour abréger, moment de ce couple. Il'
est facile de voir que le moment d'un couple par
rapport à un point du plan de ce couple, ou par
rapport h tout axe normal à ce plan, est constant
et égal au produit do la valeur commune de»
deux forces par le bras de levier.
En effet, soit 0 le centre des moments (fig. 17),
le moment de la force P (c'est la force F de la
figure ci-contre) est PxO.\; celui de la seconda
force Q (qui est la force — F de la figure) est
QxOB; ces deux moments de signes contraires
ont pour somme :
(OB-OA)P=--.PX AB;
on voit donc que le moment d'un couple (fig. 18)
Fi?. IS.
est représenté par l'aire d'un parallélogramme ayant
la force pour base et le bras de levier pour hauteur ;
ou bien encore par l'aire du parallélogramme qui
aurait pour bases opposées les deux forces.
PnoDLi-ME. — C'iinposer un nondjre qaelconqut
de forces parallél-s ii/ipliquées à un corps solide.
Soient (fig. 19) les forces F, F', F",... appliquées
Fig. 10.
MÉCANIQUE
— 1276
MÉCANIQUE
aux points A,B.C,D d'un corps solide. Composons
d'abord les deux premières F et F' ; leur résul-
tante Ri appliquée au point L, devra se composer
avec F", ce qui fournira la résultante R, appliquée
en Lj ; en continuant ainsi, on obtiendra la résul-
tante définitive R appliquée au point L.
On voit donc que la résullanle d'un nombre
^juelconque île forces pnrnllèles et de même sens
<ippliquëes à ilifférents points d'un corps solide est
■égale h leur somme, parallèle à leur direction, et
<igit dans le même sens que les furces proposées.
Si les foi;ces parallèles n'étaient pas de même
sens, on composerait en une seule R, les forces
F, F', F", F'" qui tirent d'un coté, puis en une seule
Rjles forces F,,Fi',F,",F, " qui tirent en sens con-
traire, et l'on aurait ainsi les résultantes partielles:
R, = F + F' -f- F" + F'" -I-...
R, = F, + F,'-f r,"-|-F,"'+...
Alors trois cas peuvent se présenter : 1° les ré-
sultantes partielles Rj et R, sont inégales, elles
se composeront en une seule et l'intensité de la
résultante définitive sera :
R=(F + F' +...)- F, + F,'-f...);
le système de toutes les forces se réduira donc h
une force unique.
2" Les forces Ri etRj sont égales et directement
opposées; leur résultante est nulle et toutes les
forces appliquées au corps se font équilibre.
3° Les forces Rj et Rj sont ésales, mais non di-
rectement opposées ; l'ensemble des forces pro-
posées se réduit à un couple.
Centre des forces p.\r.\li.èles. — Étant donné
un système de forces parallèles appliquées à un
corps solide, si l'on mcline successivement toutes
les forces dans différentes directions, de telle sorte
qu'ellfs restent toujours punillèles entre elles et
conservent leurs grandeurs et leurs points d'appli-
cation, les résultantes dit système dans ces diffé-
rentes positions passeront toujours par le même
point. Ce point s'appelle centre des forces paral-
lèles.
Reprenons en effet la composition des forces
parallèles F,F',F". ..: la première résultante par-
tielle R] est appliquée au point L, de AB dont
la position ne dépend que des intensités de F et
de F' et nullement de leur direction ; il en sera
de même de la position du point L, d'application
de la seconde résultante partielle Kj, et ainsi de
suite. On voit donc que la position du point d'ap-
plication L de la résultante définitive R restera
la même, quelle que soit la direction des forces
parallèles.
Définition. — On appelle centre de granité d'un
«orps le centre des forces parallèles, qui sont les
poids de toutes les particules de ce corps.
Moments d'un système quelconque de forces
parallèles appliquées en divers points d'un corps
solide. — Projetons le système de forces parallèles
P,Q,S,T. et leur résultante R, sur un plan V pa-
rallèle à leur direction; elles se projetteront en
vraie grandeur. Prenons un point 0 quelconque
de ce plan et abaissons de ce point des perpendi-
culaires /), q. s, (,. . . sur les projections de P, de Q,
de S...; les produits P/j, Qq,.... Rc représenteront
les moments des forces P. Q... R par rapport au
point 0 ou par rapport c\ l'axe OX perpendicul^iire
au plan V, et l'on aura, en considérant les forces
parallèles comme un cas particulier des forces
concourantes,
Pp + Q-Z + Ss -(-... = Rr.
Ainsi, en donnant des signes convenables au mo-
ment, on peut dire encore ici que le moment de la
résultante iCun système de forces parallèles par
rapport à un axe est égal à la somme algébrique
des moments des composnnles.
On donne souvent de ce théorème un autre
énoncé, qui n'en diffère pas au fond, en introdui-
sant une définition nouvi'Ue, celle du momcril
d'une force par rapport h un plan parallèle à sa
direction.
On appelle moment d'une force par rapport
à un plan le produit de cette force par la distance
de son point d'application ii ce plan. Ainsi le mo-
ment de la force P ;fig. 20) par rapport au plan V
Fig. 20.
qui lui est parallèle est égal ^ P X Aa ; ce moment
reste le même quel que soit le point du corps solide
situé sur la direction de P auquel on suppose ap-
pliquée la force P.
Admettant cette définition, on peut dire que le
momeyit de la résultante de plusieurs forces par
rapport à un axe est égal à la somme des mo-
ments ile< composantes.
F.n effet, prenons le cas de deux forces parallè-
les de même sens P et Q ; soit O le point de ren-
contre du plan V avec la ligne AB qui joint les
points d'application, nous aurons, en prenant le
moment des trois forces par rapport au point O :
RxCO = PXAO + QxBO;
mais les triangles semblables OAc, 0B4, OCc,
fournissent les valeurs :
0B = 0Cx5^
Ce
et en substituant ces expressions dans la première
égalité, on trouve, après avoir chassé le dénomi-
nateur :
RxCc = PXA« + QxBé.
On étendrait facilement cette proposition au cas
d'un nombre de forces parallèles.
Il faut bien remarquer que ces moments par
rapport au plan V ne sont autre chose que les mo-
ments des forces par rapport à un axe situé dans le
plan V et perpendiculaire à la direction commune
aux forces P.Q...En eft'et,si nous menons un planU
perpendiculaire à V et parallèle aux forces, les
distances Aa, Bé, Ce, se trouvent reportées paral-
lèlement à elles-mêmes sur le plan U aussi bien
que les forces P et Q, quand on projette toute
la figure sur ce nouveau plan U. Les distances An,
B6, sont donc précisément les distances d'un
point quelconque de l'intersection des plans U
et V aux projections des forces P, Q..., sur le
plan U, et l'on voit que les moments par rapport
k un plan ne sont autre chose que les moments
par rapport à un axe. La distinction nous parait
donc assez inutile; elle nous semble même fâ-
cheuse parce qu'elle fait perdre de vue la géné-
ralité de cette proposition de géométrie qui s'ap-
plique aussi bien aux forces parallèles qu'aux
I forces concourantes, qu'aux forces dirigées arbi-
MECANIQUE
1277 —
MECANIQUE
traii-oment dans l'espaco : si l'on projette sur
un plan un système qu<'lcoiK|UO de forces et sa
résultante, le triangle qui a pour sommet un point
quelconque de ce plan et pour base la projection
de la résultante est équivalent h la somme des
triangles ayant môme sommet et pour bases les
projections dos composantes.
Applications. — 1° Déterminer la position de la
résultante d'un système de forces parallèles à l'aide
du tliénréme des moments.
Si l'on mène un premier plan V parallèle à la
direction de ces forces P, Q, S, et si l'on mesure
leurs distances ;y, r/, s, au plan V, on aura pour le
moment de la résultante :
nr = Pi, + Q.j + Ss,....
et l'on en tirera :
_ P;» + Q'? + S.^+....
Décomposition d'une force en d'autres forces
parallèles. — Soit U la force donnée appliquée
ig. 13), il s'agit de la décomposer en deux
eji I
autres forces parallèles appliquées aux points A
et B situés sur la droite AIE et de part et d'autre
du point I. Soient P et Q ces composantes incon-
nues ; nous avons déjà trouvé la relation
AB~m~AI'
elle fournit pour los intensités P et Q des com-
posantes qui sont alors de môme sens que R :
AU
AB
P + Q+S + ....
La résultante sera donc située dans un plan pa-
rallèle à V situé à la distance r. Si l'on mène
maintenant un second plan V parallèle aux forces,
on aura pour la distance ;■' de la résultante ii ce
plan V :
,_P;'' + Q7'4-s>-'-f-...-
P-i-Q + s + .-
La résultante R sera donc aussi comprise dans un
plan parallèle à V et situé i la distance r'; R se
trouvera doue à l'intersection de ces deux plans.
2° Déterminer la position du centre des forces
parallèles ou du centre de gravité d'un corps.
Soient A, B,C,... les points d'application des forces
parallèles F, F', F",...etL le centre des forces pa-
rallèles; rapportons le système à trois plans de
coordonnées rectangulaires XOY, XOZ, YOZ, et
désignons para, A, c les coordonnées du point A,
par a', b', c' celles de B par x, y, z les coor-
données inconnues de L; nous aurons, en prenant
les moments de F, F', F",... et de leur résultante U
par rapport aux plans 'iOZ, XOZ, XOY :
Si le point I était sur le prolongement de AB (fig. U),
1 les deux composantes seraient de sens contraires ;
j la plus grande serait appliquée en A, qui est le plus
1 voisin de I, et l'on aurait pour les intensités de
i ces forces les mêmes expressions (|ue plus baut.
On peut se proposer de décomposer une force V
! eu trois autres parallèles V", F", F'" (fig. 21), dont
Fo + FV,
+ F'
a"
-t- ....
F -f. F
F* + F'tj
+ F'
+ F'
+
h"
-1-....
F + F
Fc + FV
+ F"
' + F'
+
c"
+ ....
F + F' + F"-h...,
Si nous supposons un corps pesant de poids P
formé de n particules de poids égaux à p, nous
aurons pour les coordonnées.du contre de gravité :
p (a + «' + a") _ " + <•' + a" -)- ....
y ■■
np
■ h' -t- «" -
0" +■
ses coordonnées sont les moyennes arithmétiques
entre les coordonnées de ses différentes particules.
On en déduit :
1° Que le centre de gravité d'un corps qui a un
centre de symétrie est précisément ce centre de
symétrie ;
2° Que le centre de gravité d'un triangle est au
point de rencontre de ses trois médianes ;
3° Que le centre de gravité d'une pyramide est
sur la droite qui joint le sommet au centre de gra-
vité de la base et au quart de cette ligne à partir
de la base.
Nous ne pouvons indiquer ici tous les théorèmes
remarquables sur les centres de gravité des sur-
faces et des volumes définis géométriquement:
nous renvoyons pour les énoncés et les démonstra-
tions aux traités de statique.
les points d'ai)plication sont B, Ll, U. Soit A le
point où la force F coupe le plan BCD ; nous sup-
poserons d'abord ce point dans l'intérieur du
triangle BCD. Joignons AB et décomposons F en
deux forces, l'une F' appliquée en B, l'autre R au
point E où aB rencontre le coté DC. Nous décom-
poserons ensuite la seconde force R eji deux autres
F" el F'" appliquées aux points C et D. Comme
toutes ces forces sont de même sens, nous devrons
avoir :
F = F'-|-F"-f F'".
Lorsque la force F perce le plan du triangle BCD
en un point A' situé en dehors du triangle, les
trois composantes ne sont plus dirigées dans le
môme sens.
Coiuposition d'un nombre quelconque de for-
ces situées dans le n.ême plan. — PiiopOSITION. —
Un .siiattiiw de forces diri,/érs iirhitrairement dans
un iiii/iur plan se réduit l"U/ours il une force ré-
svttiintt' iinii^uc nu ii un seul i ouple.
Soiuiit, en elVct (lig. Tlj, les forces F, F', F"... ap-
pliquées aux points M, M', M".... d'un plan , choisis-
sons arbitrairement dans ce plan deux points A et B,
et joignons-les au point M; nous pouvons décom-
poser la force F en deux autres /' et /'i , dirigées
MECANIQUE
— 1278 —
MECANIQUE
la première suivant MA, la seconde suivant MB;
<le même, joignant M'A, MB, nous décomposerons
F' en deux autres /" et fi , et ainsi de suite jusqu'à
ce que cliacune des forces proposées ait été ainsi
décomposée en deux autres passant l'une par le
point A, l'autre par le point B. Le système pro-
posé sera alors remplacé par deux groupes de for-
ces ; le premier composé des forces
f, /"i r •••• appliquées au point A,
le second des forces
Ai A'i A" — ■ appliquées au point B.
Le premier groupe donnera une résultante uni-
que Rj, le second la résultante Rj, et il ne res-
tera plus qu'à composer ces deux résultantes
partielles R, et Rj : si elles ne sont pas parallèles
et de sens contraire, elles se composeront en une
seule R qui sera la résultante unique du sj'stème
proposé ; si elles sont parallèles et de sens con-
traire, elles donneront un couple; enfin, si les
•deux forces Rj et Rj sont égales et directement
■opposées, les forces proposées se feront équilibre.
Retnurque. — La décomposition précédente de
chacune des forces proposées en deux autres
/ et /i n'altère ni la somme des projections de
ces forces sur un axe quelconque, ni la somme
de leurs moments par rapport à un point quel-
conque du plan. — De même, lorsque l'on com-
pose en une seule toutes les forces appliquées
aux points A et B, la somme des projections et la
somme des moments est conservée ; on conclut
de là les deux propositions suivantes ;
1» Lorsque l'on a réduit à une seule force ou à
un couple l'ensemble de plusieuis forces situées
dans un même plan, la projection de la résultante
ou du couple résultant sur un axe quelconque est
égale à la somme algébriqne des projections des
forces proposées sur ce même axe ;
2" Le moment de la résultante ou du couple
résultant par rapport à un point quelconque du
plan des forces est égal à la somme algébriqne
des moments des forces proposées.
Problème I. — Déterminer la résultante unique
d'un système de forces dirigées dnns le même /da/i.
On tracera dans leur plan deux axes rectangu-
laires OX, OY, et l'on déromposera chacune des
forces en deux autres dirigées p.irallèlement à ces
^xes; la somme algébrique de ces projections
suivant OX, sera :
X] = F cos ot + F' cos a' + ...
/;elle dos projections suivant OV sera
Y) = F sin a -|- F' siii a' + ...
et la grandeur de la résultante U sera
en équilibre, il faut et il suffit que les deux con-
ditions suivantes soient à la fois remplies :
i" Que la somme alyéhrique des projections de
toutes les foi-ces sur deux axes quelconques tracés
dans ce plan soit nulle pour chacun de ces axes;
2" Que la somme des moments de ces forces par
rapport au point de rencontre de ces axes soit égale
à zéro.
En effet, pour que le corps soit en équilibre, il
faut et il suffit que les forces appliquées se rédui-
sent à deux forces égales et directement opposées;
et lorsque ceci a lieu, la somme des projections
et la somme des moments est nulle. Ces condi-
tions sont de plus suffisantes, car si la première
est remplie, les forces ont une résultante nulle
ou se réduisent à un couple ; mais si la seconde
condition est aussi remplie, les forces ne peuvent
se réduire à un couple; par conséquent, si les
deux conditions précédentes ont lieu à la fois, la
corps est en équilibre.
Composition d'un nomJsre quelconque de for-
ces dirigées arbitrairement dans l'espace. —
Proposition 1. — U?i nombre quelconque de forces
peut toujours se réduire à trois forces appliquées
en trois points donnés à volonté dans le corps.
En effet (fig. 23) soit F l'une des forces données
R = VX,^-)-Y,2.
Sa direction sera donnée par les deux égalités :
Xi Yj
cos a ^ "îT^ 1 sui a ^ .==
i\ n
« étant l'angle que fait R avec l'axe OX.
Quant à sa position dans le plan, elle sera don-
née par le théorème des moments. On calculoia
la somme des triangles ayant pour sommet com-
mun le point 0 et pour base les forces; ce sera
la surface du triangle ayant pour base la résul-
tante, et l'on en déduira facilement la hauteur.
Alors du point O comme centre avec cette hau-
teur pour rayon on décrira un cercle, et la résul-
tant'; sera la tangenie à ce cercle parallèle à la
-direction trouvée plus haut et dont le moment a
le signe convoiiabl
appliquée au point M ; joignons ce point à trois
points arbitraires A, B, C, et décomposons la force
F en trois autres dirigées suivant MA, MB, MC;
faisonsde même pour les autres forces F', F", F'"....
Nous aurons en définitive un premier groupe de
forces appliquées en A, un second en B, un troi-
sième en C... Chacun de tes groupes donnera une
résultante unique, et nous obtiendrons ainsi une
force R appliquée en A, une force R' appliquée en
B, et une force R' passant par le point C. La ré-
duction d'un systtane quelconque de forces à trois
sera donc effectuée.
Proposuiok II. — Un nombre quelconque de
forces peut toujours se réduire à deux dont l'une
passe par un point dunué. — Réduisons d'abord
le système proposj à trois forces R, R', R" appli-
quées aux poiiits A, B, C choisis arbitrairement.
Menons un plan par la force R' et le point A (fig. 24),
Propositio.v. — Pour qu'un corps sollicité pa.
rs forces situées dans un mène plan soi
plitsieu.
un second plan par la force R' et le point A ; ces
deux plans se couperont suivant la droite AD ;
choisissons sur AD un point A' quelconque et
traçons les lignes AC, AB, puis A'C et A'ii. La force
plan soit , R' pourra se décomposer en deux autres que l'on
MECANIQUE
— 1279 —
MECANIQUE
iransportora l'une en A, l'autre en A'. On peut do
nièiMC! décomposer la force U" en deux autres di-
rigées suivant les prolongements de AC. et A'C et
transporter ces composajite.s aux points A et A'.
On n'auradoiic plus en définitive que deux groupes
<[r, forces appliquées aux points A et A'; le premier
groupe se réduira à une seule force Bj et le se-
cond groupe h une seconde force R, ; nous aurons
donc achevé la réduction à deux forces R, et Rj du
système de forces appliquées au corps solide II
est important de bien se rappeler que l'une dos
résultantes partielles Rj passe par le point A
choisi arbitrairement.
Heinayqiie — Lorsqu'on réduit un système de
forces d abord h trois, puis à deux résultantes
partielles comme nous venons de le faire, on n'al-
tère ni la somme des projections des forces sur
un axe, ni la somme des mouients. On peut donc
dire :
1° Que la somme dos projections sur un axe
quelconque des résultantes R, et Rj est égale h
la somme des projections des forces primitives ;
2° Que la somme des moments de ces deux ré-
sultantes Rj et Rj par rapport i un axe quelcon-
que est égale à la somme dos moments de forces
proposées.
Phopositiois III. — Ptnii- que des forces quelcon-
ques appliquées ii un covfts solide se fussent équi-
libre, il faut et il suffit :
1° Que la somme des projections des forces
proposées sur un axe quelconque soit éyale à zéro;
2" Que la somme de< moments île ces forces par
rapport à Uiiaxe quelconque soit également nulle.
D'abord ces deux conditions sont nécessaires,
car si les forces F, F', F' se font équilibre, les ré-
sultantes R, et Rj doivent être égales et directe-
ment opposées ; la somme de leurs projections et
colle de leurs moments sont donc séparément
égales à zéro.
En second lieu ces conditions sont suffisantes :
en effet, lorsque la première condition est satis-
faite, les deux résultantes partielles R, et R, sont
égales, parallèles et dirigées en sens contraires ;
elles se détruisent donc ou bien forment un cou-
ple; mais si la seconde condition est aussi remplie,
R, et Rj ne peuvent former i>n couple. Donc lors-
que les deux conditions précédentes ont lieu h la
fois. Ri et Rj tiennent le corps en équilibre, et il
en est de même des forces proposées qui forment
un système équivalent.
Des six équations d'équilibre. — On rapporte
le corps et les forces qui le sollicitent à trois
axes de coordonnées rectangulaires ox,oy,oz;
il est facile do voir que si la somme des projec-
tions des forces sur ces trois axes est séparément
nulle pour chacun d'eux, la 'somme des projec-
tions sur un axe quelconque sera certainement
nulle; de même si la somme des moments des
forces appliquées est nulle pour chacun de ces
axes, la somme des moments de ces forces pour
un axe quelconque sera nulle également.
Les conditions que doivent remplir les forces
appliquées à un corps pour tenir ce corps en
équilibre ne sont donc pas en nombre infini;
elles sont au nombre de six, savoir :
La somme des projections des forces sur ox = 0
— — — 0,'/ = 0
~ — — oz = 0.
. . oa; = 0
.. oij = a
.. oz = 0.
: suivante :
= 0
La somme des moments par rapport ;
On les écrit en abrégé do la mani
-r„_^=0, IF =0, IF
2M F = 0, 2M F:
; M _F = 0 ;
le signe 2 indique la somme de quantités analo-
gues à celles qui suivent ; F veut dire projection
de F sur ox ; M F veut dire moment de F par rap-
port à ox.
Cas où le corps est mobile autour d'un point
fixe. — S'il y a dans le corps un point fixe autour
duquel il puisse tourner librement, on peut choisir
ce point fixe pour le point d'application de la ré-
sultante partielle R,; cette force est alors dé-
truite par la résistance du point fixe supposée
indéfinie. Pour l'équilibre il faudra que la se-
conde résultante partielle Rj passe égalementpar le
point .\ ; en d'autres termes, les forces doivent se
réduire k une seule passant par le point fixe A.
L'intensité de cette résultante totale est indiffé-
rente pour l'équilibre à cause de la résistance du
point fixe; la seule chose importante, c'est que cette
force passe par le point fixe. On voit donc que les
trois premières équations d'équilibre, qui fournis-
sent simplement l'intensitc de la' résultante, ne
fournissent pas de conditions auxquelles les for-
ces doivent satisfaire pour qu'il y ait équilibre; il
ne reste plus que les trois éqii.itii)iis (].■-. niuments
qui fournissent l'aire et la iinbiiidu ilu iri,iiit;lr ayant
le point A pour sommet et la rcMiliiuir |m;ir base.
Ce triangle doit avoir une aire ég.ili- à zei-o puisque
la résultante passe par le point A ; sus trois pro-
jections sur les trois plans de coord(]nnoes doivent
être également nulles, les seules conditions que
doivent remplir les forces se réduisent donc à
IM F = 0, IM F = (l, IM F = 0.
ox oy u;
Ainsi, quand un corps est mobile autour d'un
point fixe, il faut et il suffit pour l'cquitibre que
la somme algébrique d'S mnmcnls tics forces fiiir
rapport à trois axes rectnnrjulaires passan! par le
point soit nulle pour chacun d'eux.
Cas où le corps est mobile autour d'un axe
fixe. — Supposons le corps mobile aut lur d'un
axe fixe le long du(|uel il ne peut glisser, et en
équilibre sous l'action de forces (inrlcoiiquos ;
nous choisirons pour le point d'application A do la
résultante partielle Rj, lequel est arbitraire, un
point situé sur l'axe fixe ; cette fijrce se trouvera
détruite, et il est clair que la seconde résultante
partielle I!2 doit rencontrer aussi cet axe, sans quoi
le corps ne serait pas en équilibre Ainsi dans le
cas actuel les deux résultantes partiidles Rj et Rj
doivent rencontrer l'axe de rotation ; peu importent
leurs intensités, l'axe se chargin-a de détruire ces
forces en leur opposant une résislanC'.' indéfinie ;
donc les trois sommes de proj^'ctions peuvent être
quelconques et les trois premières équations d'é-
quilibre peuvent être laissées de cùté, elles ne
fourniront aucune condition. 11 n'en est pas de
même des équations des moments. Si l'axe fixe a
été choisi pour l'axe ox, les moments des for-
ces R] et Rj par rapport à ox doivent être nuls,
puisqu'elles rencontrent toutes les deux l'axe, et
c'est la seule condition qu'elles doivent remplir,
car peu importe leur disposition par rappurt aux
deux autres axes.
La seule condition d'équilibre est donc ;
2 \,\^J = 0.
Ai?isiquaiid un corps ne peut que tourner autour
d'un nxe fixe, il fiul et il suffit piuir l'équilibre
que la somme al(pb' iqw des mouu.'nls des forces
données par rapiiurt à cette droile suit éi/ali:n zéro.
Si le corps pouvait glisser le long de l'axe ox,
les résultantes Rj et Rj ne tiendraient le corps
en équilibre que si chacune était perpendiculaire
."i cet axe ; il faudrait pour l'équilibre que l'on eût
une seconde condition :
£F
= 0,
MECANIQUE
— 1280
MECANIQUE
c'est-à-dire que la somme algébrique des pro-
jections des forces données sur la droite le long
de laquelle le cor/js peut glisser fut égale à zéro.
Cas où le coips est assujetti à s'appuyer sur
un plan fixe. — Si nous supposons qu'aucun
l'rottemeiit ne s'exerce entre le corps et le plan, il
faudra que toutes les forces se réduisent ù une
seule, perpendiculaire au plan d'appui ; son inten-
sité du reste peut être quelconque, car le plan
étant inébranlable détruira toujours cette force.
Ainsi la somme algébrique des composantes per-
pendiculaires au plan peut avoir une valeur arbi-
traire, mais la somme des composantes parallèles
au plan doit être nulle, sans quoi le co)-ps glisserait
sur le plan. Cette idée fournit les conditions d'é-
quilibre qui en sont la traduction algébrique.
Prenons pour plan des axes ox et oy le plan fixe,
et pour troisième axe la perpendiculaire <iz à ce
plan ; si nous projetons toutes les forces sur ox et
sur oy, la somme des composantes de chacun de ces
groupes doit être séparément nulle, ce qui s'écrit
en abrégé :
SF =0, SF =0;
ox oy
d'autre part, la résultante étant perpendiculaire
au plau xoij donnera sur ce plan une projection
égale à zéro, et son moment par rapport à l'axe oz
sera nul; il doit donc en être de même de la
somme des moments des forces primitives, et la
troisième condition que doivent remplir ces forces
pour qu'il y ait équilibre doit être :
i: M^.F = 0
Ai7isi pour qu'un corps qui repose sur un plan
fixe suit en équilibre sous l'action de plusieurs
forces, il faut : 1° que la somme des projections
des forces données sur deux ox'js rectangulaires
tracés dans le plan fixe soit nulle séparément
pour chacun de ces axes ; 2° que ta somme de leurs
moments pa'- rapport à u?l aie perpendiculaire
au plan soit égale à zéro.
Machines simples.
On appelle machine un corps ou un ensemble
de corps gênés dans leurs mouvements par des
obstacles fi.xes et au moyen desquels on peut
mettre en équilibre des forces de grandeur et de
direction quelconques.
Pour que les forces appliquées aune machine se
fassent équilibre, il n'est pas nécessaire que leurs
résultantes soient nulles, il suffit que ces résultantes
soient dirigées vers les obstacles qui les détrui-
sent par leur résistance supposée indéfinie.
Une machine est simple lorsqu'elle est formée
d'un seul corps solide. On distingue ordinairement
trois machines simples^ d'après la nature de l'ob-
stacle qui gène le mouvement du corps. Ce sont :
1° le levier, 2" le tour, 3" le plan incliné. Dans
le levier l'obstacle est un point fixe ; dans le tour
c'est un axe fixe ; dans le plan incliné l'obstacle est
un plan inébranlable contre lequel le corps s'ap-
puie et sur lequel il peut seulement glisser.
Une machine composée est un ensemble de ma-
chines simples liées entre elles ; elles sont très nom-
breuses et leur disposition varie à l'infini suivant le
genre de travail auquel on les destine. Nous n'é-
tudierons ici que les machines simples, et au lieu
de les considérer en mouvement, nous nous borne-
rons pour l'instant au cas où elles restent en repos
sous l'action des forces appliquées.
1° Levier. — Un levier est une barre AB (fig. 2.^)
dont les extrémités sont sollicitées par deux forces
et qui est mobile autour d'un point fixe O appelé
point d'appui du levier. — L'une de ces forces P
s'appelle puissance, l'autre Q est la résistance ; le
point d'appui O peut se trouver entre les deux
points \ cflj d'application des deux forces P et Q,
comme dans les figures ':ô et 20, ou bien sur le
prolongement de cette ligne (fig. 27) ; les deux dis-
positions ci-contre portent le nom de levier du pre-
mier genre (fig. 2jj, levier du second geni-e (fig. 27).
Condition u'éuiilibue. — Lorsqu'un levier est
sollicité par lieux forces, il faut et il suffit pour
qu'il g ait équilibre : 1° que tes deux forces et le
pouit d'appui soient dans un même plau; 2° que
leurs intensités soient en raison inverse de leurs
iiistujices uu point fixe ; 3° que ces forces tendent à
faire tourner le levier en sens contraire autour de
ce point fixe.
En etîet la résistance opposée par le point fixe
tient lieu d'une force R' appliquée au corps en ce
jioint, et cette force R' jointe aux forces P et Q
doit tenir en équilibre le corps supposé entière-
ment libre. On voit donc que les forces P et Q
doivent avoir une résultante unique R égale et di-
rectement opposée à la réaction R' du poicit fixe :
cette résultante R doit donc passer par le point
fixe O et son moment par rapport à ce point étant
nul, la somme algébrique des moments des forces
P et Q l'est aussi. On doit donc avoir :
PxOC — QxOD = 0,
ce que l'on écrit :
P X ;) = Qî ;
les perpendiculaires OC = p, 00 = q abaissées
du point fixe sur les directions des forces P et Q
s'appellent bras de levier de la puissance et de la
résistance. 11 est clair que si p = q, on doit
avoir P = Q. C'est le principe sur lequel on s'ap-
puie pour peser un corps à l'aide de la balance or-
dinaire.
CiiAiiGE DU POINT d'appui. — Elle n'est autre
chose que la résultante R des forces P et Q trans-
portées parallèlement à elles-mêmes au point 0.
MECANIQUE
1281 —
MÉGANIQUE
• Balance. — La balance estun levier du premier
Ronre (nii sert, à comparer le poids d'un corps h
l'uniKi do poids c'est-à-dire au gramme.
Elle se compose (fig. 28) d'une barre rigide appe-
lée ftéau, traversée en son milieu 0 par un couteau
d'acior qui fait saillie des deux cotés et qui repose
par ces extrémités sur un obstacle ; le fléau peut
tourner librement autour de 1 arête mousse du cou-
teau. Ce fléau porte à ses deux extrémités A et B, à
l'aide de cordons et de crocbets, deux plateaux
destinés à recevoir les poids marqués et le corps
qu'il faut poser ; les distances AO, BO sont les deux
bras de levier du fléau. Perpendiculairement à sa
■longueur le fléau porte une aiguille qui oscille en
même temps que lui; l'extrémité de cette aiguille
parcourt un petit arc de cercle gradué, et le zéro
■de la graduation correspond k la position verticale
-de l'aiguille et par suite k la position horizontale
du fléau.
Pour faire une pesée, on place le corps dans
■un des plateaux, et des poids marqués dans l'autre
jusqu'à ce que l'aiguille revienne librement au
.zéro. Quand ou a par tâtonnements obtenu cet
■état d'équilibre, la somme des poids marqués
•donne le poids du corps.
CONDITION.S DE JUSTESSE o'UNE BALANCE. — Il faUt :
1° que le centre de gravité de la partie niuhil-',
c'est-à-dire du fléau et des bassint, soU situé stir
iaperpendici'laie n la liine droite AOli qui joint
les trois points de. 'uspension; 2° qm- les de" x liras
■de lever du fliau soient rigoureusement éiaur.
VÉRiFicvTioN d'une BALANCE. — On l'abaudonne
à elle-même, les plate.iux étant vides; si, après
quelques oscillai ions, l'aiguille vient se placer au
zéro, la première condition de justesse est rem-
plie et le centre de gravité du iléau est convena-
blement placé. S'il n'en est pas ain,si, on corrige ce
défaut en roulant une petite feuille do plomb ou
d'étain amour du bras de levier .-jui est trop léger.
On place ensuite dans les plateaux doux poids
que l'on règle de telle sorte que l'aiguille s'arrête
au zéro. L'équilibre étant établi, on transporte
dans le plate^ju de droite le poiils qui éiaità gau-
che et vice vrsn; si l'aiguille est encore au zéro,
on peut affirmer que les bras de levier sont égaux
MÉTHODE DES DOUBLES PESÉES. — On peut avec
une balance qui n'est pas juste faire une pesée
■exacte, en procédant comme il suit :
On place le corps à peser dans l'un dos plateaux
et on lui fait équilibre avec de la grenaille de
plomb placée dans l'autre ; on enlève le corps et
on le remplace par des poids marqués jusqu'à ce
que 1 aiguille revienne au zéro. Alors la somme de
1' Partie.
ces poids marqués représente exactement le poids
du corps.
2» Tour ou Treuil- — Le tour est un cylindre
horizontal (lig. '."J) mobile autour do deux tourillons
qui reposent sur des coussinets. Une corde enroulée
sur le cylindre porte à l'une de ses extrémités un
poids, et, pour faire monter le poids, il suffit de faire
tourner le cylindre de manière à enrouler la corde
qui le soutient. A cet effet le cylindre porte une
roue de rayon beaucoup plus grand, et l'on tire sur
une corde qui passe dans la gorge de cette roue.
Dans le treuil des puits {fig. aO), l'axe de l'un des
Fig. 30.
tourillons se prolonge, se coude deux fois à angle
droit et forme la manivelle à laquelle est appliquée
la force de traction des mains de l'homme. Dans le
treuil des carriers (fig. 31 et »2), la grande roue est
MECANIQUE
1282 —
MEDICAMENTS
munie de chevilles sur laquelle montent les
hommes de la manœuvre ; la force motrice est le
poids de leur corps.
Condition D'ÉQUiLisnE. — Pour qu'une force mo-
trice F appliquée à un treuil tienne en équilibre
un poids P, il iaut qu'en muliipliant F par le rayon
de la roue et P par le riiyon du cylindre, on ob-
tienne d(U\ produits égaux. En d'aulrns termes :
la force motrice doit être au poids soulevé comme
le rai/O'i iln c/lindre Càt au rayon de la roue ou
de lu tuanivelle.
En effet, un treuil est un corps solide assujetti
à tourner autour d'un axe fixe,- il faut donc pour
l'équilibre que la somme des moments des forci s
appliquées, par rapport à cet axe. soit égale à zéro.
Soit li le rayon de la roue, )• celui du cylindre, on
doit avoir:
P/ =FxR,
et l'on voit que dans les roues de carriers le poids
de deux ou trois hommes peut suffire pour faire
équilibre à celui de pierres énormes.
La résultante des forces P et F rencontre l'axe
et est détruite par cet axe. Si on la décompose en
deux autres appliquées aux points m' et m", rai-
lieux des tourillons (fig. 2!)), on a la charge qu'ils
supportent, et les forces R' et R" éga'es et oppo-
se es sont les réactions do ces tourillons; ces forces
■ !• tiennent lieu et le treuil supposé libre est en
équilibre sous l'action des forces P, F, R' et R"
auxquelles il convient d'ajouter le poids H de l'ap-
pareil appliqué en son centre de gravité G et qui
n'est pas du tout négligeable.
3° Plan incliné — Cette machine simple est
formée d utie surface plane résistante inclinée à
l'Iiorizon et sur laquelle un corps est assujetti Ji se
mouvoir.
Soit AB (fig. .3.3) la ligne de plus grande pente du
plan incliiié, c'est-à-dire la perpendiculaire aux ho-
rizontales de ce plan, AH la projection horizontale
de cette ligne, BH le fil à plomb mené par l'extré-
mité la plus élevée ; on dit que :
AB est la longueur du plan
AH est la base —
BH est la hauteur —
et l'on appelle inclinaison du plan l'angle BAH
que fait avec l'horizontale la ligne de plus grande
pente.
Considérona seulement le cas le plus simple,
celui d'un corps MiV de poids Q tenu en équilibre
par une force P parallèle au plan incliné : nous
pouvons décomposer le poids Q en deux autres for-
ces, l'une normale au |i|an incliné, l'autre parallèle
à sa longueur; QQ", qui est la composante normale.
Fig. 33.
sera détruite par la résistance du plan, et la force
de traction P devra seulement faire. é(|nilibre à la
normale composante IQ" parallèle au plan. — Cal-
culons donc IQ" : Les triangles semblables IQQ" et
ABH fournissent la proportion
qui donne
1_Q^'
IQ
BH
'ÂÏÏ
IQ"=Qx
AB
On doit donc avoir pour l'équilibre
BH.
AB'
:Qx:
de là résulte l'énoncé suivant :
Condition d'équilibbiî. — Lorsque la direction
de la puiss nce eU parallèle nu plan inclue, l'i/i-
tensité de cette puissance est au poids du corps
quelle tient en éifuiliàre sur le plan comme la
hauteur du plan est à sa Injujnenr.
Nous venons d'exposer dans cet article les prin-
cipes généraux de la compo-'siiion des forces; nous
en avons déduit les conditions que doivent remplir
les forces appliquées à un corps solide pour qu'il
y ait équilibre; enfin nous avons appliqué ces
principes généraux au cas des machines les plus
simples. C'est le résumé rapide de la première
partie de la mécanique. — 11 nous reste à exposer
les principes généraux de la dynamique et à étu-
dier, comme application de ces principes, les ma-
chines h l'état de mouvement c'est-à-dire les ma-
chines produisant un travail industriel. C'est ce
que nous ferons dans un second article au mot
Truv/iil. [E. Burat.]
SlKniCAMENTS. — Hygiène, XVL— L'hygiène
doit so sar'ler d'empiéter sur le domaine de la
inédecino. li prescriptv n d s romi'dcs n'est pa»
do son resso t Mais, pour apprcc.er 1 Ltit d»; sauté
et de lual die, Ihygicnisie a le« n ùe savoir ce-
qu'on entei.d par ces mots, il est i bl;go d'acqui'rir
(|uelques notions élémentaires sur le mude d'inva-
sion, les symptômes et le ti-aitrment général des
affections les plus communes. L'hygiène doit ser-
vir à mettre en garde contr.; les erreurs, les pré-
jugés qui forment le fond do ce qu'' l'on dit et
lait dai s la pratique domestique de la médecine.
11 est donc ut. la, nécessaire môme, rie connaître
sommairement ce que c'est qu'un médicament oii
un remède et comment ils agissent. De saines no-
tions sur ce sujet préviendrunt beaucoup d'impru-
dences et de malheurs, c'estlà do la bonne hygiène.
Lorsque le médecin a interrogé, examine le ma-
Inde, établi son diagno.itic, c'ost-à dire classé,
étiqueté pour ainsi dire la maladie, il ne se pose
pas cette question: quel est le remède? mais bioi>
celle ci : quel traitement et quelle médication
MÉDICAMENTS — 1283
MEDICAMENTS
vais-je adopter? Il fait iilors son plan de campa-
gne, sauf i le modifier selon 1ns circonstances.
Aussi, comme un général d'armé;, so trouve-t-il
fliiclqiii'rois dans l.i nécessité de choisir enirc ces
trois résolutions : battre en retraite tout on sur-
veillant l'ennemi, s'abstenir en attendant les évé-
nements, af;ir et sonner la cliarge. Le médecin
choisit entre l'aOsleiilion, Vcxpectution cl le irai-
tement ailif.
L'abstention est parfois le seul parti sage, quoi-
qu'il déplaise aux malades, car ceitaines malidics
constituent un bien relatif, au moins pour quelque
temps, préviennent des accidents plus dangereux
qui prcndraieni le de^sus par suite d'une inter-
vention intempestive. L'expectative, très mal \ue
des malades et de leur entourage, est le parti le
plus sage dans un grand nombre de cas où il suffit
d'interpréter la nature et de surveiller la rénction
toute physiologique qui constitue la maladie. L'in-
tervention active une fois résolue, il reste à fixer le
mode de traitement et la nature de la médication.
Le traitement pourra être purement hygiénique,
préventif, préparatoire, radical ou palliaii!', général
ou local, interne ou ixterne, rationnel ou empiri-
que. Expliquons ces deux dernières expressions.
Si le siège et la cause d'une maladie sont bien
connus, s'il n'y a aucune hésitation dans le dia-
gnostic, le traitement est dit rationnel, parce qu'il
agit en pleine connaissance de cause et d'ujie
façon presque mathématique, au moyen d'agents
dont il connaît le mode d'action. Mais dans le cas
contraire, et en attendant de pouvoir établir un
traitementrationnel.on peut employer des moyens
dits empiriques dont l'effc t a été constaté sans
qu'on en ait trouvé l'explication. Le traitement
empirique s'adresse aux symptômes et combat
surtout I élément douleur.
Enfin il est un autre traitement qui seul accom-
plit presq\ie des miracles et qui contribue puis-
samment au succès de tous les autres, c'est le
traitement moral. Personne ne conteste riiilluence
des passions, de l'imagination sur le fonctionne-
ment de nos organes. Un élève do Boerhaavo fut
obligé de renoncer à la médecine parce qu'il
éprouvait, à courte échéance, les symptômes des
maladies décrites par le savant professeur. Nos
anciens rois guérissaient les scrofuleux par l'im-
position des mains ; dans le même temps, on
faisait disparaître certaines tumeurs en y appli-
quant la main desséchée d'un pendu. Tout le
monde connaît les succès extraordinaires des pi-
lules de mie de pain. Le courage diminue la gra-
vité ries maladies et en abrège la convalescence ;
la joie cause d'heureuses modifications dans la
circulation et le fonctionnemerit des nerfs : « les
jiiyeux guérissent toujours, » disait Ambroise Paré.
Lis modificateurs moraux sont donc, entre les
mains du médecin, de puissants auxiliaires; c'est
i lui de les choisir selon les circonstances, pour
en obtenir les plus grands effets.
Le nombre des remèdes est considérable et va
chaque jour grandi-sant, en attendant qu'une ex-
périence plus mûre, des observations exclusive-
ment scientifiques, permettent de restreindre cet
appareil encombrant dont s'embarrasse la méde-
cine actuelle. Mais si les remèdes sont presque
innombrables, il n'y a, heureusement, qu'un petit
nombre de médications.
Un remède n'est point une substance qui, in-
troduite dans nos organes, y pourchasse un prin-
cipe morbide, le neutralise ou le tue. Quehiues
contre-poisons et les remèdes antiparasitaires
agissent seuls de cette façon. On entend par re-
mède un agent capable de produire sur nos or-
ganes certaines impressions qui en modifient les
lonctions, la manière d'être, de même que les
causes de maladie ont été pour eux des sources
d impressions pertubatrices. A l'impression qui a
causé une accélération fiévreuse de la circulation,
si nous opposons une impression capable de
contre-balancer la première, nous aurons appliqué
avec succès un remède. Mais il y a plusieurs
moyens d'obtenir cette impression médicairice ;
plusieurs remèdes la produisent à des degrés di-
vers et avec des effets accessoires variés. Il y aura
donc un choix h faire; c'est une question do dé-
tail. L'important est d'établir tout d'abord quelle
nature d'impression et par conséquent quelles
modifications de fonctions ou de manière d'être
nous voulons obtenir : c'est en cela que consiste
la médication.
Ces principes étant bien établis, nous allons
passer rapidement en revue les piincipales mé-
dications et les remèdes les plus importants dont
elles disposent.
Médication tonique. — Elle a pour but de sti-
muler les fonctions, d'accroître la force, le volume
de certains organes, afin de rétablir l'équilibre
vital qui constitue la santé. Tout ce qui contri-
bue i ce résultat est un tonique ; aussi les plus
importants sont-ils les aliments, la lumière, l'exer-
cice. Rien ne peut remplacer ces agents naturels.
Le fer, par exemple, ce reconstituant dont on
exagère singulièrement les vertus, n'est utile que
comme adjuvant des moyens hygiéniques que nous
venons de mentionner.
On attribue h quelques toniques tirés du règne
végétal la propriété d'augmenter la force de résis-
tance vitale par une action spéciale sur le système
nerveux. De ce nombre sont : le Quassia, le Mar-
ronnier d'Inde, la Gentiane, la Centaurée, la Chi-
corée sauvage, et le Quinquina, que remplacent très
bien, à ce point de vue, nos plantes indigènes.
Médication ash-ingente. — Elle complète sou-
vent la médication tonique en excitant la vitalité
des tissus, en resserrant les trames relâchées.
Elle emploie les végétaux riches en tanin : écorce
de Chêne, Cachou, Ratanhia, Bistorte, Noyer ; des
sels de Honib, l'Alun, etc.
Méilicatio7i excitante. — Son but est d'occasion-
ner une exaltation de la vitalité, une sorte de
fièvre éphémère. Pour cela, elle utilise les plantes
aromatiques : Anis, Angélique, Thym, Mélisse,
Menthe, Sauge, Camomille, Arnica, Gingembre,
Cannelle, Girofle ; quelques autres sans arôme,
comme le Raifort sauvage, le Cresson; elle emploie
encore la Chaleur, TAIcool, le Thé, le Café. Lors-
qu'il s'agit d'influencer spécialement les mimi-
branes muqueuses, surtout celles des bronches,
on choisit les balsamiques : Térébenthine, Gou-
dron, Soufre, Genièvre, Benjoin, baume de Tolu.
Pour augmenter la sécrétion urinaire, on admi-
nistre la Pariétaire, la Scille, l'Asperge, le Nitre,
qui possèdent des propriétés diurétiques bien
établies. Enfin, pour obtenir une abondante sécré-
tion de la peau, on prescri les sudoriflques :
Gayac, Salsepareille, Sassafras, etc.
Lorsqu'on a en vue de donner du ton, do l'éner-
gie aux muscles, on a recours à des remèdes dits
exci'airurs, dont les plus utiles sont la Noix vo-
mique, l'Ergot, l'Électricité, le Massage, lu Gymnas-
tique.
Médication irritante. — Elle repose, en grande
I partie, sur des hypothèses, et même des préjugés.
Que l'on emploie des Alcalis, des Acides ou de la
Moutarde pour produire une légère inflammation
superficielle qui stimule le système ni;rveux et
augmente la circulaiion capillaire, rien de miinix,
ce procédé peut rendre de grands services. Mais
espérer qu'une mouche de Milan, ou teut auiro
dérivaltf. posé sur le bras, y attirera de préten-
dues humeurs qui causent un mal d'oreille, rien
de moins fondé en théorie comme en pratique.
L'action du vésicatoire n'est pas non plus celle
qu'on lui attribue d'ordinaire ; le liciuide qui s'y
accumule provient exclusivement des vaisseaux oa-
MEDICAMENTS — 12
pillaires et jamais dVpanchements profonds'
comme celui de la pleurésie. Quant à la cautéri-
sation, elle rend d'incontestables services en dé-
truisant les tissus désorganisés et en provoquant,
dans les parties encore saines, une vive circulation
qui favorise la formation d'une cicatrice.
Médication altérante. — Il fallait un terme vague
pour exprimer quelque chose d'assez mal défini.
L'expérience a indiqué que le mercure, l'iode,
l'arsenic, les sels alcalins, agissent sur toute
l'économie en ralentissant la nutrition et la for-
mation.de produits accidentels ordinairement in-
flammatoires. La médication ait rante exige une
surveillance minutieuse, sous peine de produire de
véritables maladies qu'il faudrait combattre en-
suite par un long usage des toniques et des
agents liygiéniques.
MédicatV'Ti évacuante, — Elle comprend les vo-
mitifs et les purgatifs. Les vomitifs sont destinés
quelquefois à vider rapidement l'estomac, par
exemple dans les cas d'empoisonnement; mais le
plus souvent on ne désire utiliser que leur action
sur le système nerveux, ce sont : le Tartre siibié
(émélique), l'Ipécacuanha, la Violette, le Nar-
cisse, etc.
On peut séparer les purgatifs en deux grandes
classes : les sels de soude, de pelasse, de magné-
sie, qui produisent une exsudation de séii,m des
vaisseaux capillaires, en même temps qu'une stimu-
lation de l'intestin; el les agents irritants qui ren-
dent beaucoup plus actifs les mouvements naturels
de l'intestin et causent un véritable catarrhe de la
muqueuse dont il est tapissé, ce sont : les huiles
de Croton, d'Epurge, de Ricin ; le Jalap, l'Aloès,
la Coloquinte, le Séné, la Hliubarbe, le Nerprun,
le Sureau, les fleurs et les feuilles de P6cher, la
Manne, lo Calomel, etc. Notons toutefois que la
purgation, c'est-à-dire la sécr tion liquide de l'in-
testin ne provient pas toujours d'une irritation
directe causée par les purgatifs et peut se pro
duire par une simple action nerveuse; peut-être
les deux effets se combinent-ils toujours après
l'ingestion d'un purgatif.
Quel que soit l'agent employé et son mode
d'action, le liquide rejeté par l'intestin provient
du sang ; de là cet adage : purger, c'est saigner.
On distingue ordinairement trois classes de pur-
gatifs : les laxatifs, dont l'action douce ne cause
aucun trouble général, tels sont la Manne, lo
Miel ; — les drastiques, qui opèrent avec énergie,
violence même, et dont les effets se font sentir
dans toute l'économie : de ce nombre sont
l'huile de Croton, la Coloquinte, la Bryone, le
Jalap ; — les calluirtiques, comme le Séné, l'huile
de Ricin, tiennent lo milieu entre les laxatifs et
les dra'^ticiues. Cette division n'a rien de bien
rigoureux pu squ'il suffit de varier les doses pour
obtenir des eff.ts plus ou moins prononcés.
Mé'liciiion aimante. — Elle se propose de
diminuer la vitalité, de ralentir la circulation ;
c'est l'opposé de la médication excitante. Ses prin-
cipaux moyens d'action sont : la saignée, les pur-
gatifs, la diète, le froid, les bains.
Dans celte classe, il faudrait ranger les modica
ments dits émollients, les tisanes si chères à la
médecine domestique, préparées avec le Chien-
dent, la Guimauve, la graine de Lin, les quatre-
fleurs, et qui n'ont guère d'autres vertus que cel-
les, — très appré' iables d'ailleurs, — de l'eau
chaude qui seit à faire les décoctions ou les ijifu-
sions. Cependant, si ces tisanes anodines con-
tiennent du iiiuciln{je,dp. la fécule, du sucre, il est
évident quelles sont utiles, comme aliments légers
Médication sédative. — Celle-ci a principale-
ment pour but de diminuer la force de la circu-
lation; ses agents sont : le Froid, l'Anlimoino, le
Bromure de potassium, le Véràtre vert, le Col-
chique, la Digitale.
54 — MEDICAMENTS
Médication antispasmodique . — Son objet con-
siste à calmer les surexcitations nerveuses. Elle
y réussit au moyen de la Valériane, de l'Assa-
fœtida, du Musc, du Camphre, du Tilleul, de la
fleur d'Oranger, de l'Ëtlier, du Chloroforme. Ces
deux derniers agents, employés à dose un peu
forte, constituent des atiesthé'iques; non seule-
ment ils calment les nerfs, mais ils produisent
l'insensibilité : leur emploi prolongé amènerait la
mort par asphyxie.
Médication stupéfiante. — Elle n'emploie guère
que les narcotiques, qui agissent puissamment sur
le système nerveux: ce sont la Belladone, la Jus-
qniame, le Datura stramonium, le Tabac, la Mo-
relle, le Pavot, et surtout l'Opium avec tous ses dé-
rivés, Morphine, Laudanum, etc. La médication
stupéfiante exige les plus grandes précautions,
surtout chez les enfants. On a vu une seule goutte
de Laudanum tuer un enfant à la mamelle.
Médication antiparasitaire. — Elle s'adresse à
un ennemi connu, déterminé, qui a élu domicile
à la surface du corps ou dans l'iniérieur des orga-
nes. Ses principaux moyens d'action sont le Sou-
fre, la Staphisaigre, le Borax, le Mercure, l'Arsenic,
la mousse de Corse, le Semen-contra, la Santonine,
la Fougère mâle, la Suie, etc. Cette médication
devient chaque jour plus importante, parce que
l'on croit pouvoir attribuer à la présence de para-
sites microscopiques, végétaux et animaux, un
certain nombre de maladies dont la nature était
inconnue.
Médication spécifique. — Certains agents comme
les poisons, les virus, produisent toujours des
désordres identiques dans des organes déterminés;
il y a aussi des médicaments qui jouissent d'une
sorte de faculté d'élection et agissent spécia-
lement sur certains organes ou combattent,
à coup sur, certaines maladies, sans que nous
puissions expliquer leur mode d'action; on leur
donne lo nom de spécifiques : tels sont la Quinine,
dans le traitement des fièvres intermittentes, le
Mercure, dans celui de plusieurs maladies de la
peau. L'idéal de la médecine serait d'avoir pour
chaque maladie un spécifique, en attendant de
comprendre comment il agit. La médecine popu-
laire voit un spécifique dans tous les remèdes, et
ne demande point à comprendre.
Maintenant que nous avons quelques notions
justes sur les maladies, les médications et les
remèdes, revenons à cette médei.ine pop'-iaire qui
vante encore les « remèdes de précaution », les
« remèdes qui ne font pas de mal s'ils ne font
pas de bien », et les fameuses recettes transmises
de père en fils, — surtout de mère en fiUo, —
avec la foi aux rebouteurs et aux sorciers.
Le temps n'est pas loin où l'on croyait indis-
pensable de se faire saigner au moins une fois
l'an, par précaution. Aujourdliui on continue,
toujours par précaution, à se a rafraîchir », à se
« dépurer le sang » de temps en temps. Si les
remèdes de précaution n'étaient qu'inutiles, ce ne
serait qu'un peu de temps et d'argent perdus.
Mais ils causent un affaiblissement passager qui
rend plus sensible aux impressions morbides, ils
accoutument l'économie à l'effet des remèdes qui
agissent moins bien lorsqu'on en a besoin ; enfin,
la médication périodique produisant une habi-
tude, on se procure artificiellement, à échéance
fixe, une espèce do maladie qui ne cède qu'à un
traitement devenu nécessaire.
Quant aux remèdes qui ne peuvent pas faire de
mal, il faut s'entendre, i. 'infusion de quatre-fleurs
peut causer la mort d'un malade si vous essayez
de le guérir avec cette tisane inerte au lieu d'ap-
peler le médecin.
Que dire des remodes populaires inscrits par la
m :re de famille à cùté des recettes pour les confi-
tures, et de ces panacées auxquelles l'annonce
fait une lucrative popularité? Si les ingrédients] donc 6tre en raison inverse des nombres 3 et 2;
iont actifs, le médecin seul est compétent pour c'est-à-dire que la quantité cherchée de la seconde
les employer; s'ils sont inertes, ils vous feront , ,,,,,.. , 3 , „ , „„ ,
perdre un temps précieux. Que pensez-vous espèce de hk doit 6tre les - de 60 hect. ou 00 hcc-
l'une « eau pour les yeux » qui s'offre de guérir | tolitres.
outes les atrcclions internes ou externes des
jrganes de la vue ? Le succès des banalités rou
.".: 7 j A 1 X 1, „, ,i„ „ „ ■„ ..„ ' qunncite aonnee par l excès au prix fort
in.èrcs et des reclames à la mode noi.s prouve , ^. ^ ^ ^ produit par l'exi
lue le pubhc amie à Être trompe ; mais à cause ^ . J ' ^ . , P P
Je cela nous devons faire effort pour I instruire et ' ■' . '^ ' " ,,
MÉLANGES (RÈGLE DE) — 1285
MEMOIRE
On voit qu'il a fallu, dans ce cas, multiplier la
quantité donnée par l'excès du prix fort sur le
'excès du
le désillusionner, morne au risque de lui déplaire,
pour détruire les préjugés, héritage des temps
de ténèbres, moisissures de l'esprit que fait dis-
paraître la lumière. [D' Saffray.]
MICDIli:. - V. l'erse.
MÉI.ANGKS (Règle de). — Arithmétique, XLV.
— Nous donnons le type du calcul à effectuer
On pourrait se proposer beaucoup d'autres
quesiions sur les mélanges; mais ce seraient des
problèmes spéciaux qui ne rentreraient pas dans
la Règle de mélanyes, objet de cet article.
[H. Sonnet.]
SIÉ3I0IRK. — Psychologie, VIII. — La mémoire
est la faculté que nous avons de retrouver en
pour résoudre les questions usuelles relatives ' nous des notions antérieurement acquises, ou plus
aux mélanges de liquides ou de matières sèches, exactement de nous retrouver nous-mêmes tels
et dont les principales sont analogues aux sui- que nous étions à tel ou tel moment du passé. A
vantes : proprement parler, nous ne nous souvenons que
I. _ 'un fermier a mélangé trois espèces de blé, des états divers de notre esprit, parce que nous
savoir : 90 hectolitres à 25 fr. l'hectolitre, KiO/icc- | ne nous souvenons de rien qui n'ait été l'intuition
tolitres à ni , M, et 'iO hectolitres à 'lu fr. ; quelle ' ''^médiate de la conscience. Le langage usuel
semble contredire cette assertion, mais seulement
en apparence : Je me souviern de telle personne...
signifie Je mu souviens d'avoir vu telle personne.
En d'autres termes, nous ne nous souvenons que
de nous-mêmes ; l'objet de la mémoire, pour le
moi, c'est le moi lui-même dans le passé.
Le fait de la mémoire est le souvenir. Les no-
tions que nous avons acquises s'affaiblissent avec
le temps, disparaissent, puis se montrent de nou-
veau soit spontanément, soit par l'effet d'un tra-
vail de notre esprit. C'est ce retour qui constitue
est la valeur d'un hectolitre du mélange'/
90 hectol. i. 25' représentent une valeur j
de 90 fois 55, c'est-à-dire 2250'
ICO hectol. à 22',!)0 représentent une valeur
do ICO fois 22',50, c'est-à-dire 3G0O'
S(i hectol. à 28' représentent une valeur
de 30 fois 28f, c'est-à-dire 840'
La valeur totale du mélange est donc GG90'
Le nombre total d'hectol. étant de OO-t-lCO -1-30
ou ','SO, on aura la valeur d'un hectolitre du nié- ! le souvenir, lequel est par conséquent tantôt in-
l.iii;;e en divisant 6690 fr. par 280, ce qui donne 1 stinctif, tantôt volontaire : ce qu'on nomme la
'-':'■'. X9. ] mémoire du cœur est le sentiment de reconnais-
Oii voit que, pour résoudre les questions de ce sauce que fait naître en nous le souvenir des ser-
t;riirc, il faut/'aiVe la somme des produits des prix vices qu'on nous a rendus ou des bienfaits que
/.nj- les quantités correspondantes, et diviser la ' nous avons reçus. Quand le souvenir est vague,
cumule par la quantité totale. I inconscient, on l'appelle réminiscence. Le souve-
II. — Un mnrchand de vin a du vin à 0',80 lu j nir complet, conscient, suppose deux éléments:
litre, et du vin à 0',.i5; il veut obtenir 120 litres . la représentation mentale des objets que la mé-
d'un mélange qui vaille 0',C0 le litre; co)/;'.ien , moire nous rappelle; la reconnaissance do ces
ik> ra-t-il prendre de Cun et de l'autre? Ou re- , objets comme ayant été déjà perçus par nous,
marquera que chaque litre à CiSO qui sera vendu La mémoire, comme toute faculté, a ses lois.
O'.iiO occasionnera une perte, de 0',20; au con- Pour les connaître, analysons un fait de souvenir.
traire chaque litre à 0',56 qui sera vendu 0',G0 , L'acte seul d'écrire lo titre de cet article me rap-
duimera lieu à un gain de o',05. Pour que lo , pelle le chapitre que le philosophe écossais Reid
gain ( onipense la perte, il faut donc que les quanti- ^ a consacré à cette faculté, et les réflexions que ce
tés mélangées soient en raison inverse des nombres chapitre a suggérées au philosophe français Royer-
50 et 5, ou 4 et 1. On obtiendra donc les quan- ] Collard. Je ne me souviens pas seulement que
titos demandées, en divisant 120 lit. en deux par- , Reid a écrit ce chapitre, mais je me souviens du
lies, dont la plus petite soit le cinquième de 120, i volume où il est imprimé, et de la place qu'il oc-
x'est-à-dire 24 lit., et l'autre 4 fois celle-là, c'est- [ cnpe dans le volume. De tous ces faits, je ne
à-dire 9G lit. Ainsi on prendi-a 24 litres à 0',S0 et retiens pour le moment que le premier, à savoir
96 litres à O',o5. l'idée d'un chapitre de Ri-id. Je sais qu'il existe,
La règle à déduire de ce raisonnement est donc j'en ai donc acquis autrefois la notion ; cette notion
la suivante : faire la différence entre le prix le plus ] reparaît aujourd'hui, et je la reconnais : il s'est
haut et le prix moyen, la différence e?itre le prix j donc écoulé un certain temps entre la première
moyen et le prix le jilus bas, et diviser le nombre perception et la seconde, et de plus je suis le
d'unités du mélunge à obtenir, en deux parties qui même être que j'étais alors. De là les deux condi-
soient en raison inverse de ces deux différences, tiens du souvenir : la durée et l'identité person-
On peut remarquer que la règle n'éprouverait nelle. Elles constituent la loi de la mémoire. Il est
aucune modification si l'une des matières à mé- bien évident, en effet, que, pour reconnaître un
langer était considérée comme sans valeur; sou
lement la seconde différence se confondrait dans
cr cas avec le prix moyen.
111. — Au lieu de donner la quantité totale du
mélange, on peut donner la quantité de l'une
des matières mélangées. Soit proposé, par exemple,
ce problème :
On a GO hectolitres de blé à 28 fr.; combien
faut-il y mêler de blé à 23 fr. pour faire un mé-
lange dont In valeur soit de 25 fr. l'hectolitre? La
différence entre 28 et 25 est 3; la différence entre
25 et 23 est 2 ; les quantités mélangées_doivent
état dans lequel je me suis déjà trouve, il faut
que j'aie duré dans l'intervalle, car, pour qu'une
chose soit 1 objet de la mémoire, il faut qu'elle
soit passée ; mais il faut en outre qu'en durant, je
n'aie pas changé dans mon fond, que je sois reste
identique à moi même. — En même temps que la
durée et l'identité sont nécessaires à l'exercice de
la mémoire, c'est à la mémoire que réciproque-
ment nous en devons la double notion. IVous ne
pouvons concevoir qu'une chose soit passée, c'est-
à-dire nous souvenir, sans concevoir uno du-
réej quelconque entre le moment présent ,et ce-
MEMOIRE
— 1286 —
MEMOIRE
lui où nous en avons eu une première idée. D'autre
part, il n'y a point de souvenir sans la conviction
que nous existions au temp» que le souvenir nous
rappelle. Pour llionime qui perdrait cotte convic-
tion, le passé serait anéanti; il lui semblerait
qu'il commence d'exister ; tout ce qu'il aurait
pensé, tout ce qu'il aurait dit, fait ou éprouvé
avant cet instant pourrait lui paraître appartenir
à une autre personne, mais il ne pourrait se l'im-
puter à lui même, et sa conduite future ne présen-
terait rjen qui fût la suite de sa conduite passée.
Par là môme — et cela intéresse directement l'édu-
cation — disparaîtraittoute obligation, toute respon-
sabilité :on n'est responsable que de soi-même, ou,
quand on l'est des autres, c'est dans la mesure où
l'on a action sur eux. Quant à la notion de durée, il
faut bien qu'elle se dégage un jour ou l'autre de
l'intelligence enfantine, pour que les mots de pré-
sent, passé et futur lui présentent un sens et que,
par exemple, l'enseignement du verbe soit possible.
Si nous reprenons le fait ci-dessus, dont l'a-
nalyse nous a permis de formuler la loi de la mé-
moire, nous y trouverons encore la preuve des
rapports de la mémoire avec deux autres facultés,
l'imagination et l'association des idées. Non seu-
lement je me rappelle un certain passage des
œuvres de Reid, mais je revois en esprit le vo-
lume dont il fait partie ; mon souvenir est enve-
loppé dans une image, il est une image. Non seule-
ment jo pense à Reid, mais je pense àlVoyer-Collard,
parce que celui-ci a également traité de la mé-
moire : les deux souvenirs se tiennent, l'un vient
naturellement à la suite de l'autre. Ainsi double
secours pour la mémoire, mais non sans quelque
réciprocité d'inconvénients. L'imagination se mêle
parfois si intimement à la mémoire, que la con-
fusion s'établit entre les produits de l'une et de
l'autre, même involojitairement. « A beau mentir
qui vient de loin, » dit le provei be ; et cependant il
peut y avoir autant et plus d'illusion que de men-
songe dans tel récit qui parait incroyable. Le voya-
geur, en retraçant les scènes qui l'ont frappé, ne
clierclie pas à tromper; mais, l'imagination aidant,
il force la couleur du tableau dont le cadre est
réel, et bientôt sa peinture n'est plus la repro-
duction exacte des choses ; ses souvenirs ont pris
un air de fiction. Quant à l'association des idées,
c'est une opération qui simplifie et facilite le tra-
vail de la mémoire, mais comme elle est spontanée
et involontaire, elle a besoin d'être gouvernée
par la réflexion et la volonté. Elle devient alors la
plus sûre et la plus rationnelle des méthodes pour
cultiver la mémoire. Quand nos idées sont rangées
dans un ordre systématique, conforme autant que
possible à celui de la nature ou aux lois de la rai-
son, les souvenirs naissent et se suivent comme
d'eux-mêmes. « Il est indubitable, dit l'auteur de
la Logique de Port Royal, qu'on apprend avec
une faciUté incomparablement plus grande et
qu'on retient beaucoup mieux ce qu'on enseigne
dans le vrai ordre, parce que les idées qui ont
une suite naturelle s'arrangent beaucoup mieux
dans notre mémoire et se réveillent bien plus ai-
sément les unes les autres. »
La liaison logique des idées est donc la meilleure
des mnéniotechnies. On donne ce nom à des pro-
cédés fondés sur la faculté d'associer les idées,
mais artiticicls : par exemple, l'idée de telle cou-
leur associée à celle de tel nombre rappellera
cette dernière idée. Ce sont donc des rapports
factices et accidentels que l'on suppose entre les
idées que l'on veut retenir et les signes auxquels
on les associe. Ces moyens donnent quelquefois
des résultats assez surprenants, mais ils ont l'in-
convénient grave de fausser à la longue le juge-
ment. Or, il ne faut pas cultiver la mémoire au
préjudice du jugement, mais faire marcher de front
ces deux facu'tés.
j On remarque dans la mémoire de grandes di-
^ versités selon les individus. Les uns retiennent plus
facilement les notions acquises par les sens, avec
les signes qui les représentent, comme les formes,
les couleurs, les sojis; d'autres, les idées fournies
par la raison, comme les chiffres, les idées,
abstraction faite de leur formule. De lit, d'une
part, la mémoire physique ou mémoire des mots :
c'est celle des enfants, des peintres, des musi-
I ciens, des poètes, en général des hommes d'imagi-
nation; et, d'autre part, la mémoire rationnelle ou
I des choses, celle des mathématiciens, des histo-
riens, des philosophes. Mais on rencontre encore
1 des variétés dans ces deux sortes de mémoire :
tantôt la mémoire est paresseuse, rebelle, tantôt
elle est vive et obéissante; tantôt elle est fidèle,
tantôt elle laisse échapper le souvenir à peine
formé. Ces inégalités s'expliquent jusqu'à un
certain point par le degré d'impression de la no-
tion primitive dans l'intelligence et par le degré
^ d'intérêt de cette même notion. Quand l'esprit a
été très vivement frappé par une idée, il est na-
turel que le souvenir s'en reproduise plus vite.
D'un autre côté, la mémoire est dans un rapport
nécessaire avec l'intelligence elle-mômo dans
l'ensemble de son développement, et l'on peut
dire que plus on est intelligent, éclairé, instruit,
plus on a de mémoire. Un esprit lourd, peu ouvert,
a peu de mémoire : pour avoir des souvenirs, il
faut d'abord avoir des idées. Enfin il y a des in-
I fluences physiologiques : le sexe, la santé, l'état
du cerveau, l'âge. Les vieillards perdent la mé-
I moire; s'ils la conservent en partie, elle leur rap-
pelle les époques les plus lointaines de leur
existence et non les faits contemporains. A la suite
de certaines maladies, on perd la mémoire ou
totalement ou partiellement : c'est l'amnésie
(privation de la mémoire). Une lésion du cerveau
sufllt pour produire un résultat analogue.
Quelles que soient les diversités et les inégalités
I de la mémoire, elle peut toujours se fortifier par
' l'habitude, et elle ne peut pas se passer de
' l'exercice : aucune faculté ne demande à être
I tenue plus constamment en haleine ni ne se dé-
j grade plus vite. Bien cultivée, elle présente à des
degrés divers trois qualités principales dont la
réunion complète constituerait la perfection de la
mémoire : la facilité à apprendre, la ténacité à
conserver, la promptitude à reproduire le sou-
I venir.
On a tenté plusieurs explications de la mémoire,
I en se demandant ce que deviennent les notions
acquises jusqu'à ce qu'elles se montrent de nou-
, veau. Les uns ont cru qu'elles restent dans le
moi, latentes et obscures, mais réelles et prêtes à
I se raviver au premier signal. D'autres n'ont adopté
cette opinion que par rapport aux idées ration-
nelles, et ont attribué au cerveau la conservation
des idées sensibles. Ni l'une ni l'autre de ces
hypothèses ne répond à la question. 11 est bien
évident qu'il faut tenir compte du cerveau dans
la production et dans la reproduction d'une idée,
le cerveau étant, non la cause, mais l'instrument
indispensable de la pensée. Ce n'est pas ici le lieu
d aborder l'examen du rôle qu'il joue dans le
travail de l'intelligence; mais nous rappellerons,
en ce qui concerne la mémoire, une série de phé-
nomènes dont le premier l'intéresse directement :.
à la suite d'une impression cérébrale (faitphysi(
logique) se produit un fait psychologique, sensa-
tion, idée on volitiun. Quand le même faij
physiologique se reproduit, provoqué par uni
circonstance semblable ou analogue, le fait psyi
chologique primitif se manifeste aussitôt comme
étant l'effet d'une même cause, et la conscience,
qui l'avait perçu une première fois, le perçoit
de nouveau. La mémoire, qu'on a considérée si
souvent comme une faculté à part et inexplicable,
MERCURE
— 1287 —
MEROVINGIENS
n'est donc en résurai5 que la conscience qui per-
çoit une seconfie fois les phénomènes internes
qu'elle avait déjà perçus. [Paul Housselot.j
iMIil». — V. OcèU'is.
MEllCCRE. — Cliimie, XX. — Le mercure ou
vif-argent s'appelle en grec et en latin hydrar-
yi/ron ou hydrargi/rum, c'est à-dire argent liquide,
d'où sa notation chimique Hg.
Propriétés pliysifjues. — Le mercure est le seul
métal liquide à la température ordinaire. Il est
d'un blanc éclatant, et est doué au plus haut
point do la propriété de réflécliir la lumière. Il est
sans odeur. Sa densité est de 13,6. il est très bon
conducteur do la chaleur, d'où la sensation de
froid qu'il produit quand y plonge la main. Il est
très dilatable ; son coefficient de dilatation est
0,00018. Il est bon conducteur de l'électricité ;
grâce i la facilité que l'on a de l'obtenir pur, et
d'en avoir une colonne de dimensions parfaite-
ment mesurables, on a pris pour unité de con-
ductibilité électrique celle d'une colonne de mer-
cure de 1 mètre de long et de I millimètre carré
de section à la température de 0°.
Le mercure se solidifie à — •3!j'',5. On a pu opérer
sur le mercure solide pendant des hivers sibériens ;
il tient alors par sa malléabilité, sa ductilité et
sa ténacité le milieu entre le plomb et l'étain ; il
désorganise les tissus animaux et produit, quand
on le touche, une sensation analogue h la brûlure
d'un fer rouge; sa densité est alors l\,i.
Le mercure bout à 300» ; la densité de sa va-
peur est (>.98.
Propriétés chimiques. — Chauffé au contact de
l'air un peu au-dessous du point de fusion, le
mercure absorbe lentement l'oxygène et se change
en oxyde rouge. Il ne décompose l'eau à aucune
température , ni en présence des acides. Les
acides chlorliydrique. phosphorique, sulfureux,
sulfurique faibles sont sans action sur lui; l'acide
azotique et l'eau régale le dissolvent à froid;
l'acide sulfurique concentré l'attaque à chaud en
dégageant de l'acide sulfureux ; il se combine il
froid avec le chhire, le brome et l'iode, et, trituré
en présence de l'eau, avec le soufre. Le mercure
dissout un certain nombre de métaux en formant
des amalgames, étain, plomb, zinc, argent, or; il
ne se combine pas dans les conditions ordinaires
avec le fer, le magnésium, l'aluminium, le pla-
tine.
Le mercure contenant des métaux en dissolution,
autres que l'or et l'argent, peut se purifier à
l'aide d'une petite quantité d'acide azotique qui
dissout les métaux étrangers, et d'un lavage. La
poussière, peut-être un oxydule qui le ternit, peut
être enlevée en le filtrant dans un cornet ou un
entonnoir ayant un très petit trou. Le dernier
globule retenu par capillarité contient toutes les
impuretés. On peut en tout cas le purifier par
distillation.
Usiiç/fs. — Le mercure sert il des préparations
pharmaceutiques, à la confection des baromètres,
thermomètres, manomètres, à l'étamage des glaces
(vieux procédé insalubre tombant en désuétude).
^ la métallurgie de l'or et de l'argent, à l'amalga-
imation du zinc des piles, etc.
Composés. — Les principaux composés du mer-
cure sont les suivants :
Oxyde rouge (bioxyde) obtenu par calcination
■du métal ou même de son azotate ; c'est la base
■d'une pommade célèbre contre les ophtalmies .
Oxyde noir (protoxyde ou suboxyde), sans im-
portance. La poudre noire obtenue en triturant
le mercure avec un corps gras parait n'être que
du mercure en très petits globules.
Bichlorure ou perchlnrure 'sublimé corrosif),
obtenu par l'action directe du chlore ou de l'eau
régale sur le mercure, ou par la distillation sèche
■d'un sel de peroxyde de mercure mêlé à du sel
marin; corps soluble dans l'eau et surtout l'al-
cool, volatil au rouge sombre, cristallisable. Poi-
son et remède violent, agent chlorurant, précieux
pour la conservation des herbiers et autres objets
d'histoire naturelle.
Protochlorure (calomel), obtenu par la tritura-
tion de 3 parties de mercure avec 1 de sublimé
corrosif et lavage k l'eau bouillante, ou par dis-
tillation sèche des protosels de mercure avec le
sel marin. Purgatif autrefois très employé, son
usage diminue.
lodure rouge (biiodure), obtenu directement ou
par double décomposition. Kmployé en pharmacie,
dans la teinture (coûteux et dangerouxj ; il se
dissout en grande quantité dans l'iodure de po-
tassium. La dissolution saturée et concentrée est
le liquide transparent le plus dense connu ;
comme elle se mêle à l'eau en toute proportion,
elle fournit des liquides de densités voulues entre
1 et 4, utiles au lapidaire et au minéralogiste,
en leur permettant de séparer immédiatement
des pierres précieuses f.emblables en apparence.
Sulfure (cinabre, vermillon) naturel ou artiticiel ;
il fournit, quand il est très finement pulvérisé,
une très belle cojleur rou^e.
Parmi les divers sels, signalons seulement : le
sulfate, employé pour la peinture et pour des
piles puissantes de petite dimension ; l'azotate de
bioxyde, cautérisant énergique; l'eau en quantité
lui enlève une portion de son acide et le trans-
forme en sous-azotate insoluble blanc, réaction
caractéristique du mercure ; le fulminate, qui sert
il la préparation des amorces de canon et de
fusil.
Etat naturel, extraction. — Le mercure se
trnuve surtout à l'état de sulfure, souvent impré-
j gné de mercure métallique; les mines les plus
célèbres sont celles d'Almaden en Espagne, d'I-
dria en Carniole, du Pérou et du Japon. Le procédé
général consiste en une distillation du minerai
avec une quantité convenable d'un corps propre
à retenir le soufre, de la limaille de fer ou un
j mélange de chaux et de charbon. Les mines d'Al-
I maden sont exploitées depuis 2 500 ans; Pline
rapporte que de son temps les Romains en ex-
trayaient annuellement ;jO0iiOO kilos; elles oc-
cupent aujourd'hui un millier d'ouvriers et four-
nissent IIOUOOO kilos par an; toutes les autres
mines en fournissent ensemble 250 UOO. Le prix
j du mercure, de 4 à 5 fr. le kilo avant 1x25, est
depuis celte époque porté à 10 ou 12 fr., par
suite, dit Laboulaye, de la cession provisoire des
mines d'Almaden à la maison Kothschild par le
gouvernement espagnol.
Le vif-argent est un des corps sur lesquels les
alchimistes se sont le plus exercés; grâce à sa
propriété de dissoudre les métaux, ils comptaient
en faire l'agent principal des transmutations qu'ils
espér.aient. Ils avaient donné aux métaux les noms
des dieux ou des planètes : celui de mercure est
le seul qui soit resté en usage, le mot de vif-
argent et surtout celui d'hydrargyre ne s'employant
presfjue pas. [Paul Robin.]
MEIIOVI.NGIENS. — Histoire de France, III-IV.
— L'histoire de la famille Mérovingi 'iine, depuis
la mort de Clovis *, peut se diviser en quatre
périodes : 1° de àll à iiGl, sous les fils de Clo-
vis, les conquêtes des Francs continuent; 2° de
Siil à 028, sous les fils de Clotaire I'^', les guerres
civiles désolent l'empire franc; 3" de 628 à G3S, le
règne de Dagobert marque l'apogée de la puissance
mérovingienne ; 4° de 038 à 7.i2 la décadence
commence et s'achève ; c'est répo(iue des rois fai-
néants et des maires du palais ; c'est l'avènemeni
d'une nouvelle race, celle des Carlovingiens.
Première période (5II-5B1). — Les quatre fils de
Clovis se partagèrent, suivant la coutume germa-
niiiue, l'armée et les trésors de leur père; ils s'o-
MEROVINGIENS
— 1288
MEROVINGIENS
tablirent, pour exercer le commandpmenl sur les
peuples vaincus, dans quatre résidences diffé-
rentes, Thierry à Metz, Clodomir à Orléans, Cliil-
debert à Paris, Clotaire à Soissons. Le nombre
des leudes donnait la puissance militaire, les tré-
sors assuraient le dévouement des leudes. Aussi
les quatre fils suivirent-ils l'exemple de leur père :
ils recommencèrent les expéditions pour contenter
les Francs, les pillages pour enrichir le fisc, et
les trahisons pour se ruiner et se massacrer les
uns les autres.
Thierry conquit la Thuringe par la guerre et la
perfidie. Il persuada à Hermanfried, un des rois
thuringiens, déjà meurtrier de son frère Bertaire,
de tuer son troisième frère Baderic. « Si tu le
tues, lui dit-il, nous partagerons son pays. >> La
femme d'Hermanfried, Amalaberge , ambitieuse
et cruelle, le poussait également au crime. Un
jour elle ne servit au roi que la moitié du repas.
" Quand on se contente de la moitié d'un royaume,
dit-elle, il faut se contenter de la moitié d'un
repas. » Baderic fut tué. Thierry envahit aussitôt
la Thuringe et vainquit Hermanfried ; puis, lui
prodiguant les promesses et les serments, il l'at-
tira dans son royaume, le conduisit de ville en
ville et lui jura une amitié inviolable. Un jour,
enfin, que les deux rois se promenaient seuls sur
les remparts de Tolbiac, Hermanfried tomba du
haut du mur, « poussé on ne sait par qui, « et se
brisa la tête. Thierry occupa la Thuringe. Mais
ses soldats étaient mécontents de ces expédi
tions pénibles et peu fructueuses dans les forêts
marécageuses de la Germanie ; ils sommèrent leur
roi de les conduire en Bourgogne et le menacèrent
de l'abandonner. Thierry, tout effrayé, leur dit :
« Venez avec moi dans l'Auvergne qui s'est ré-
voltée contre ma puissance; la terre est bonne et
les habitants seront à vous ; mais surtout ne sui-
vez pas mes frères ! » La malheureuse Auvergne
subit à son tour les douleurs de l'invasion qu'elle
avait évitées jusqu'alors, et les Francs emmenè-
rent de longues files de captifs liés deux à deux,
qu'ils vendaient chemin faisant. « Rien ne fut
laissé aux habitants, si ce n'est la terre, que les
vainqueurs ne pouvaient emporter. »
Le fils de Thierry, Théodebert, lui succéda, et
sembla possédé de l'esprit aventureux de ses an-
cêtres : il entraîna luO.OOd hommes en Italie,
passa le Tessin sur un pont de cadavres, trompa
et battit tour à tour les Goths et les Grecs qui se
disputaient la vallée du P6, et mourut au retour
de l'expédition.
Sous son jeune fils, Théodebald, les maires du
palais Leutliaris et Bucplin entreprirent encore
au delà des Alpes une expédition funeste à la fois
aux envahisseurs et au pays envahi. Théode-
bald mourut (555), et le royaume des Francs de
l'est ou Austrtisie fut partagé entre les autres
rois. I
Clodomir, roi d'Orléans, se tourna contre la !
Bourgogne où régnaient les deux fils de Gonde- !
baud, Sigjsmond et Gondemar. La vieille reine
Clotilde poursuivait contre les enfants de son
oncle la vengeance du meurtre de son père. « Que
je n'aie point à me repentir, avait-elle dit à ses
fils, de vous avoir nourris avec tendresse ; que
votre indignation ressente mon injure, et mettez
vos soins à venger la mort de mon père et de ma '
mère. » Dans une expédition, Clodomir s'empara
de Sigismond et le fit jeter dans un puits avec sa
femme et ses enfants. Mais bientôt il fut puni de
son crime ; à la bataille de Vézéronce (534) il
tomba dans une embuscade et fut tué. Dix ans !
après, Childebertet Clotaire soumirent la Bourgo-
gne à la domination franque. |
Clotilde avait pris avec elle, à Paris, les trois
enfants de Clodomir. Un jour, Childebert et Clo-
taire se concertèrent et firent dire à leur mère : '
Il Envoie-nous les enfants, que nous les fassions-
rois. » La reine embrassa ses petits-enfants et
les fit partir en disant : « Je croirai n'avoir pas
perdu mon fils, si je vous vois régner à sa place. »
Quand Childebert les tint en son pouvoir, au palais
des Thermes, il envoya à sa mère Arcadlu8,undeces
Romains qui mettaient leur esprit de ruse au ser-
vice des passions violentes des barbares. Celui-ci
se présenta tenant d'une main une épée et de
lautre des ciseaux. « Très glorieuse reine, dit-il
froidement, nos seigneurs, tes fils, te font deman-
der conseil sur ce qu'on doit faire des enfants ;
veux-tu qu'ils vivent la chevelure coupée, ou veux-
tu qu'ils soient égorgés? » Clotilde, stupéfaite et
hors d'elle, s'écria dans l'égarement de la dou-
leur : « S'ils ne sont pas rois, j'aime mieux les
voir morts que tondus ! » Arcadius se hâta de se
retirer, sans lui donner le temps de la réflexion,
et porta cette réponse aux deux rois. Alors Clo-
taire prit le plus âgé par le bras, le jeta contre
terre, et, lui plongeant un couteau dans l'aisselle,
le tua impitoyablement. Son petit frère, tout trem-
blant, embrassa les genoux de Childebert, qui se
laissa attendrir. Mais i lotaire furieux : « Laisse-
le, cria-t-il, ou je te tue à sa place! C'est toi qui
m'as poussé à faire ceci, et voilà que tu manques
à ta foi I » Childebert lui jeta l'enfant ; Clotaire le
saisit et lui enfonça son couteau dans le flanc.
Alors les serviteurs et les leudes de Clodomir
firent irruption dans la chambre, enlevèrent le
jeune Clodoald que ses oncles allaient tuer, et
le déposèrent au monastère de Nogent, qui prit
le nom de Saint-Clodoald ou Saint-CIoud. « Ces
choses étant faites, dit Grégoire de Tours, Clo-
taire alla se promener tranquillement par la
ville. »
Childebert étant mort (558), Clotaire resta seul
roi. Les Saxons lui refusèrent le tribut et le bat-
tirent ; ses leudes le maltraitèrent et faillirent le
tuer pour le forcer à les mener au combat; son
fils, Chramne, se révolta ; il le saisit, l'attacha
dans une chaumière avec sa femme et ses enfants,
et y mit le feu. L'année suivante, il fut pris de
la fièvre et disait en gémissant : " Que pensez-
vous que soit le roi du ciel, qui tue ainsi de si
grands rois'? » Et il rendit l'esprit (5G1). Il laissait
quatre fils, Sigebert, Chilpéric, Contran et Caribert.
Deuxième période (561-62S). — Sous les fils
et les petits-fils de Clotaire I", les Francs tour-
nèrent leurs armes contre eux-mêmes . Sige-
bert fut roi d'Austrasie ou de Metz ; Chilpéric,
roi de Xeustrie ou de Soissons; Contran, roi de
Bourgogne ou d'Orléans; Cariberl, roi de Paris et
d'Aquitaine. La mort de ce dernier en 567, et le
partage de ses Etats entre ses frères, réduisit à
trois le nombre des royaumes francs.
C'est à cette époque qu'éclata la guerre civile
connue sous le nom de rivalité de la Neustrie et
de l'Austrasie. Elle fut provoquée par la différence
des moeurs des deux peuples francs et par la
haine violente de deux femmes. Les Francs Aus-
trasiens, établis sur les bords du Rhin et de la
Moselle, près du berceau de leur race, avaient
peu subi l'influence du christianisme et de la ci-
vilisation romaine; ils avaient conservé les institu-
tions et les coutumes de la Germanie. Les Neus-
triens, au contraire, vivant au milieu des popula-
tions gallo-romaines, en avaient adopté les mœurs
et les usages. Les doux peuples frères étaient
ainsi devenus peu à peu étrangers l'un à l'autre.
La rivalité de Brunehaut et de Frédégonde en fit
des ennemis.
Le roi Sigebert, honteux de voir ses frères
épouser des femmes de service et changer d'é-
pouse à leur caprice, fit demander la main de
Brunehaut, fille dAthanagilde, roi des 'Wisigoths.
Il l'obtint et célébra son mariage à Metz, au milieu
d'un nombreux concours de leudes francs et de
i
MEROVINGIENS
— 1289 —
MÉROVINGIENS
noblos gaulois. Rien n'y manqua, ni los longs et
bruyants festins, ni les éclats de la gaieté germani-
que, ni les clianls rauques des barbares, ni mùme
les vei-3 latins d'un Italien bel esprit, que tout le
monde applaudissait pour avoir l'air de le com-
prendre, le poiHo Fortunatus. Tant de gloire donna
de la jalousie à Cliilpéric. 11 renvoya sa femme-
servante Frédégonde, et fit demander la main de
la sœur aînée de Brunehaut, Galswintbe. Cette
jeune princesse, d'un caractère doux et timide, vit
cette alliance avec effroi, et sa mère partageait
toutes ses anxiétés. « Sois heureuse, ma fille,
disait-elle; mais j'ai peur pour toi, prends bien
garde. » Le roi Atlianagilde, désireux de consolider
son alliance avec les Francs, consentit à cette
union. Cliilpéric aima sa nouvelle lemme d'abord
par vanité, parce qu'elle était fille de roi, puis
l)ar avarice, parce qu'elle lui avait apporté une
riclie dot ; enfin il s'en dégoûta, et un matin la
malheureuse reine fut trouvée étranglée dans son
lit. Frédégonde reprit sa place. Sigebert, excité
par Brunehaut qui voulut venger sa sœur, accusa
son frère d'assassinat, conquit toute la Neustrie,
mais lut assassiné devant ïournay par des émis-
saires de ï"rédégonde (à75). Cette femme à l'àme
féroce ne recula devant aucun crime pour assurer
la couronne h ses enfants : elle fit périr tous les
fils ([ue Chilpcric avait eus d'une première femme,
Audovère; mais ses propres enfants furent empor-
tés par la maladie. En 684, Cliilpéric fut assassiné
par une main restée inconnue ; quatre mois aupa-
ravant, Fi-édégonde avait donné le jour h un fils qui
devait survivre i sa mère et lui succéder.
Pendant que Frédégonde épouvantait la Neustrie
par ses crimes, Brunehaut faisait reconnaître en
Austrasie l'autorité de son fils, Childebert II.
Mais elle essaya vainement de soumettre à sa loi
la sauvage indépendance des leudes. Des révoltes
éclatèrent ; Brunehaut, revêtue de l'habit de
guerre, voulut se jeter au milieu des hommes
d'armes : « Femme, lui dit le chef des leudes,
retire-toi, qu'il te suffise d'avoir régné sous le
nom de ton mari ; maintenant, c'est ton lils qui
règne, et son royaume n'est pas sous ta garde,
mais sous la nôtre. Va-t'en donc, de peur que les
pieds de nos chevaux ne t'écrasent contre terre. »
Brunehaut parvint cependant à reprendre son
pouvoir, et, pour l'assurer contre de nouvelles
révoltes des grands, elle ménagea à son fils
Childebert l'alliance de son oncle Contran, le plus
doux et le plus pacifique des rois mérovingiens. Au
traité d'Andelot (587). Childebert et Contran se re-
connurent héritiers l'un de l'autre au cas où ils
mourraient sans enfants ; ils devaient rester unis
contre les trahisons des grands;. et, pour s'assurer
la fidélité de leurs leudes, ils leur garantissaient
l'hérédité de leurs bénéfices, concession importante
qui était un premier pas vers le régime féodal.
Forte de cette alliance , Brunehaut recom-
mença la lutte contre Frédégonde. IMais ses sol-
dats furent vaincus à Droisy, près de Soissons
{h9S). Childebert mourut sans avoir pu réparer
cette défaite. Ses deux fils Théodebert II et
Thierry II régnèrent en Austrasie et en Bourgogne.
Leur aïeule, Brunehaut, régente pendant leur
minorité, tenta une fois encore le sort des armes.
Frédégonde fut de nouveau victorieuse à Latofao
f5i!(j), et mourut l'année suivante, au milieu de
toutes les grandeurs, laissant la couronne h son
fils Clotaire 11.
Tout autre fut la mort de Brunehaut. Cette
friiime qui avait l'instinct de la civilisation voulut
'( iiibiittre la barbarie par des moyens barbares.
I 11 issée de l'Austrasie par une révolte des grands,
( llr retrouva son autorité en Bourgogne et l'exerça
.•i\''C une cruauté inouïe : elle fit lapider l'évêque
il. Vienne, saint Didier, et chassa saint Colora-
ban de son monastère de Luxeuil. Un moment
elle réunit ses deux petits-fils contre Clotaire II,
et, victorieuse à Dornians et à Etampes 'CU0-C04),
elle enleva une partie de la Neustrie. Mais la dis-
corde ayant éclaté entre Théodebert et Thierry,
elle prit la défense de ce dernier et fit mettre à
mort Théodebert. Les leudes furent indignés de
tant de crimes et de tant d'ambition. A la mort
de Thierry, ils offrirent à Clotaire II les deux cou-
ronnes d'Austrasie et de Bourgogne et lui livrè-
rent la vieille reine, n Lorsque Brunehaut fut
amenée en présence de Cloiaire, dit le vieux chro-
niqueur Frédégaire, celui-ci sentit se ranimer la
haine furieuse qu'il lui portait, et il lui reprocha
d'avoir causé la mort de dix rois francs. Ensuite,
il la livra pendant trois jours à tontes sortes de
tourments, et la fit passer sur un chameau i tra-
vers toute son armée. Après cela, elle fut atta-
chée par les cheveux, par un pied et par un bras
'.i la queue d'un cheval très vicieux qui la brisa,
membre par membre, à coups de pieds, en l'en-
traînant dans sa course. » Ainsi se vengeaient les
Francs de la femme énergique qui .ivait voulu les
plier au joug de la loi et de la volonté royale.
Clotaire 11 (G13-6'i8) resta l'humble sujet de l'a-
ristocratie qui l'avait fait vaincre. « Ce Clotaire
était patient, instruit dans les lettres, craignant
Dieu, grand bienfaiteur des églises et des prêtres,
très charitable envers les pauvres, plein de bonté
et de piété envers tous. Néanmoins il aima un
peu trop la chasse des bètes fauves, et, vers la fin,
il prêtait trop facilement l'oreille aux suggestions
des femmes. Il en fut vivement blâmé par ses
leudes. » Le pauvre roi eut besoin de toute cette
patience, dont le loue le vieux chroniqueur, pour
porter le joug pesant que sa victoire venait de lui
imposer. Il resta entre les mains des grands,
conseillé, redressé, surveillé, réprimé. On luifit
assembler le fameux concile de Paris (015), réii-
nion de leudes et d'évêques qui prit à tâche d'é-
crire dans la loi les conquôies de l'aristocratie
laïque et ecclésiastique. Le gouvernement fiscal
et absolu que les Mérovingiens avaient essayé
d'établir fut irrévocablement condamné , et la
royauté fut réduite à l'impuissance. Rétablisse-
ment des élections canoniques, et, par consé-
quent, annulation de l'influence royale dans le
choix des évèques; défense au fisc de mettre la
main sur les successions dont un testament ne
disposait pas, d'augmenter les impôts et les péa-
ges, d'employer les juifs pour les percevoir; res-
ponsabilité des juges et des autres officiers du
roi ; restitution des bénéfices enlevés aux leudes;
défense au roi d'accorder à l'avenir des permis-
sions pour enlever les riches veuves, les reli-
gieuses et les vierges; peine de mort contre celui
qui oserait enfreindre un seul de ces articles :
tels sont les principaux points de la Constitution
perpétuelle dictée au roi par le Concile de 615.
Tous les abus de l'autorité royale sont condam-
nés; ceux du gouvernement des grands vont com-
mencer.
3« période {Gn-^ii). — Les Francs au septième
siècle. — Le fils de Clotaire II, Dagobert (G-'S C3S)
fut le plus puissant des rois Mérovingiens. Après
la mort de son frère Caribert, à qui il avait aban-
donné l'Aquitaine, il rentra en possession de cette
province. A la môme époque, il reçut l'iionuiiage
de Judicael, duc des Bretons, et se trouva ainsi
maître de tout l'empire des Francs. Il essaya de
ramener un peu d'ordre dans cette société si trou-
blée, et, reprenant les idées de Brunehaut, il
voulut élever la royauté au-dessus des factions
des grands. Il éluda les prescriptions de la Cons-
titution perpétuelle et fit revivre le système de
l'administration romaine. Sa cour devint aussi
fastueuse que celle des empereurs : il siégeait,
les jours de fête, sur un trône d'or massif forgé
par saint Eloi, qui avait été orfèvre et directeur
MEROVINGIENS
— 1290 —
MEROVINGIENS
de la monnaie royale de Paris, avant de devenir
évoque de Noyon. Dagobert bâtit l'abbaye de
Saint-Denis, dota les églises, mais écrasa le peu-
ple d'impôts. Celui qu'on a appelé le Sa'omon des
Fra7ics a laissé après lui le souvenir d'une magni-
ficence dont le déniiment de ses successeurs
devait encore augmenier le prestige.
Quelles ont été les conséquences de l'Invasion
"VVisigotlis à la fin du v' siècle, la loi Salique et
celle des Ripuaires au commencement du vu*.
La Loi salique est le monument capital de cette
époque. Rédigée une première fois avant la con-
quête du bassin de la Seine par les Krancs, elle a
été l'objet de plusieurs rédactions postérieures
dont l'une remonte à lépoque de Clovis. La loi
Salique, dit Guizot dans son Histoire de la eiviti
\
germanique, et en particulier de l'invasion fran- 1 satinn in l'i-ance, traite de toutes choses, du droit
que, sur la constitution de la société gauloise'?
Elles ont, été moins grandes qu'on ne le pense gé-
néralement. M. Fustel de Coulanges, dans un li-
vre remarquable sur les Ins'iluii'Hs politiques de
^ancienne France, a pu dire que l'invasion n'avait
apporté en Gaule ni un sang nouveau, ni une nou-
velle langue, ni un nouveau caractère, ni des
institutions essentiellement germaniques.
Les Gaulois ne firent que changer de maîtres :
au fisc impérial succède le fisc royal, au coinié ro
politique, du droit civil, du droit criminel, de la
procédure civile, de la procédure criminelle, de la
police rurale, et péle-mèle, sans aucune distinction
ni classification. Quand on regarde de près au con-
tenu de cette loi, on s'aperçoit que c'est essentielle-
ment une loi pénale, que le droit criminel y tient
presque toute la place. Le droit politique n'y ap-
paraît qu'indirectement et par allusion à des insti-
tutions, à des faits qui sont regardés comme établis
et que la loi n'a aucun dessein de fonder. Sur le
main le fii-f barbare, à l'oppression systématique ' droit civil, elle renferme quelques dispositions
la domination brutale et fantasque. Toutefois les ' plus précises. C'est un Code pénal. On y compte
impôts se payèrent en nature plus souvent qu'en
monnaie, et devinrent par conséquent moins
écrasants. Les rois eux-mêmes ajoutent volontiers
à leur titre ceux tous romains de prince, pnirice,
homme illustre. Us prennent les insignes impé-
riaux, la couronne d'or, le troue d'or, le sceptre,
la chlaniyde et la tunique de pourpre. Leurs ima-
ges les représentent en costume d'empereurs ro-
mains et en robe consulaire. Bientôt même, ils
sentirent qu'ils avaient besoin dune administra-
tion dont les Romains connaissaient seuls le mé-
canisme. Us les appelèrent h eux, les opposèrent
à leurs leudes indociles et farouches, et consultè-
rent avec une véritable prédilection les ovèques
et les patrices romains.
Les terres de la Gaule formèrent trois sortes de
34:J articles de pénalité, et 65 seulement sur tous
les autres sujets. Les délits prévus dans la loi Sa-
lique se classent presque tous sous deux chefs, le
vol et la violence contre les personnes. Sut :U3 ar-
ticles de droit pénal, 150 se rapportent à des cas
de vols, et dans ce nombre 74 articles prévoient et
punissent les vols d'animaux. La loi entre à ce
sujet dans les plus minutieux détails : le délit et
la peine varient selon l'âge, le sexe, le nombre des
animaux volés, le lieu et l'époque du vol. Les cas
de violence contre les personnes fournissent
113 articles, dont 30 pour le seul fait do mutilation,
également prévu dans toutes ses variétés. Cette
législation qui révèle des mœurs violentes, bruta-
les, ne contient point de peines cruelles; elle
semble porter à la personne et h la liberté des
propriétés. Les alleux étaient les lots tirés au sort hommes libres au moins, un singulier respect", car,
entre les conquérants, qui y vivaient dans une , dès qu'il s'agit d'esclaves et même de colons, la
indépendance absolue, obliges seulement au ser- cruauté brutale reparaît, la loi abonde en tourments
vice militaire, lorsque l'assemblée générale déci- [ et en supplices; mais pour les hommes libres,
dait la guerre. Les bénéfices ou bienfaits étaient ; Francs et même Romains, elle est d'une extrême
des portions distraites par les rois ou les chefs ! modération. Quelques cas seulement de. peine de
puissants de leurs propres domaines ; ils les confé- \ mort ; encore peut-on s'en racheter. Point de peines
raient à leurs compagnons ou fidèles sous certaines corporelles, point d'emprisonnement. L'unique
conditions. Tantôt viagers, tantôt héréditaires, ! peine écrite, à vrai dire, dans la loi Salique, est la
tantôt révocables à volonté, tantôt temporaires, les j composition, Wehrijeld, VV'î'A'î'jfW, c'est-à-dire une
bénéfices obligeaiejit toujours le détenteur à des certaine somme que le coupable est tenu de payer
services militaires et domestiques. Les terres tri-\ à l'ofl'ensé ou à sa famille. Au Welirgeld se joint,
èutaires, qui étaient les plus nombreuses, payaient dans un assez grand nombre de cas, ce que les
un cens au trésor du roi ou à un propriétaire par- i lois germaniques appellent le Fred, somme payée
ticulier.
Comme les terres, les hommes libres se trouvè-
rent répartis en trois classes. Les leude; francs ou
gallo-romains demeuraient près du roi dans sa
truste ou suite, ou bien ils étaient chargés de gou-
verner Uii ou plusieurs cantons en qualité de ducs
au roi ou au magistrat, en réparation de la viola-
tion de la paix publique; c'est l'amende. A cola se
réduit le système pénal de la loi.
Quntriéme pério'le (038-752). — Les rois fui-
iiéiuts. — Après le règne de Dagobert, la décadence
des Mérovingiens commença : les descendants de
ou de comtes. Les hommes libres, alirimnns ou Mérovée et de Clovis ne furent plus que les >0(.'
racliiiii bourgs étaient les propriétaires d'alleux qui i fuineauts, tristes instruments aux mains des tout-
n'étaient pas comi'agnons du roi. Leur nombre di- ! puissants maires du palais '. Ces magistrats, qui
minua rapidement, parce que leur isolement les 1 avaient la surveillance générale de la maison et
exposait aux entreprises des grands. Les tribu-
taires disparurent aussi peu à peu, les uns réduits
au servage, les autres élevés au rang de béné-
ficiaires.
Il y avait en Gaule autant de lois que de nations,
mais toutes avaient trois principaux caractères
•communs. Elles étaient purement pénales, c'est-à-
dire qu'elles ne s'occupaient qu'à réprimer les
crimes et les délits. Elles admettaient la coutume
du Welirgeld ou composition, par laquelle un cou-
pable pouvait toujours se racheter à prix d'argent.
Enfin, elles instituaient dans l'instruction des
procès les con/uratcurs, qui attestaient par ser-
ment la véracité de l'une des parties. Toutes ces
lois étaient des coutumes traditionnelles, origi-
naires de la Germanie, qui furent rédigées posté-
rieurement, la loi des liurgondes et celle des
de la truste du roi, étaient devenus les premiers
officiers du palais et les plus grands personnages
après le roi. Réunissant à la fois les charges de
l'État et les fonctions de la domesticité, ils se
trouvèrent à la fin les chefs des leudes et les mi-
nistres de la royauté. Leur puissance avait grandi,
à mesure que diminuait l'autorité des rois. Bru-
nehaut, qui voulut arrêter leurs empiétements, fut
vaincue; Clotaire II fut obligé de promettre sous
serment à Warnachaire de ne jamais lui enlever
la mairie ; Dagobert échappa un moment à la ty-
rannie de ce magistrat des grands ; ses descen-
dants y retombèrent h jamais. Dans l'Austrasie,
les maires trouvaient une royauté faible, une .aris-
tocratie puissante : ils se tournèrent contre les
Mérovingiens, qu'ils cherchèrent à supplanter.
Dans la Neustrie, ils voyaient des institutions ro-
MEROVINGIENS
1291
MEROVINGIENS
mairies encore vivacos, des leudos peu nombreux,
un peuple dès longtemps habitué au pouvoir ab-
solu; ils se firent les champions du pouvoir royal
<iu'ils exerçaient, et les adversaires de l'aristocra-
tie, des Austrasiens et de leurs maires, membres
de la grande famille d'Horistal.
Dans cette lutte nouvelle de l'Austrasie et de la
Neuslrie, ce dernier pays soutint sans trop de dé-
savantage la lutte, grâce au génie violent d'Ebroin.
Ce maire du palais, issu du pays de Suissons, pos-
sesseur de grands domaines, mais d'une naissance
peu illustre, avait pris le gouvernement de la
Neustrie et de l'Austrasie, au nom du jeune Clo-
taire III, fils de Clovis II, et petit-fils de Dago-
bert, tandis que les Austrasiens choisissaient pour
maire WuU'oald, et pour roi Childéric II, frère de
Clotaire III. Ebroin commença par supprimer l'ar-
ticle de la Constitution perpétuelle qui ordonnait
de choisir les comtes parmi les grands proprié-
taires des comtés, brisa sans scrupule toutes les
résistances, forçi la reine liathilde, mère de Clo-
taire, à se réfugier dans le monastère de thelles,
et mit à mort les évoques de Paris et de Lyon.
Léodegaire ou saint Léger, évoque d'Aulun, se
fit le défenseur de l'édit de GI5 et dos privilèges
conquis par les grands. L'hostilité des deux adver-
saires éclata en 670, à la mort du roi.
Kbroin craignit, en réunissant les Francs pour
l'élection du nouveau roi, de leur donner l'occa-
sion de connaître leurs forces et d'attaquer son
autorité. C'est pourquoi il se hâta de proclamer
■Thierry III, troisième fils de Clovis II, et doniia
ordre aux Francs, qui accouraient, de rentrer
chez eux sous peine de mort. Ils se conjurèrent
contre lui, brûlèrent, selon la coutume g'^ruiani-
que, les maisons de ses partisans, et donnèrent la
couronne de Neustrie h Childéric II. Ebroin, sur-
pris par ce mouvement soudain, fut abandonné de
tous et se réfugia dans une église. Ses trésors fu-
rent pillés, lui-même fut tondu et enfermé au
couvent de Luxeuil : le pauvre Thierry III eut le
même sort, il fut enfermé au monastère de Saint-
Denis. La chute d'Ebroin eut les mêmes consé-
quences que celle de Brunchaut : les grands im-
posèrent leurs conditions au roi qu'ils venaient de
reconnaître. Mais en s'établissant en Neustrie,
dans la France romaine, Childéric se mit à suivre
les exemples d'Ebroin. Léger le menaça de la ven-
geance divine s'il ne tenait son serment ; le roi
l'accusa de comploter la destruction do la royauté,
et l'envoya à Luxeuil rejoindre Ebroin. Alors il
s'abandonna à tous ses caprices, et osa faire bat-
tre de verges le leude Bodilon. Peu de temps
après, il fut égorgé dans la forêt de Bondy avec sa
femme et son enfant (673).
Une effroyable anarchie s'ensuivit. « Les exilés,
dit la Vie Un Suint Léger, accouraient comme des
serpents qui sortent de leurs cavernes, tout gon-
flés de venin, au retour du printemps. » Ebroin et
saint Léger quittèrent ensemble Luxeuil, après
avoir renouvelé entre les mains de l'abbé le ser-
ment d'oublier le passe. Ils entrèrent à Autun avec
leurs partisiins, et se dirigèrent vers Paris, où
était le roi Thierry, qui venait de quitter son mo-
nastère. En chemin, leur accord se rompit; Ebroin
s échappa la nuit, se réfugia dans ses domaines
de Soissons et y rassembla ses amis, tandis que
Leudès, fils d'Erkinoald, était proclamé maire du
palais par Léger et les leudes de Burgondie.
Ebrom prit hardiment l'offensive. Il opposa à
Thierry un prétendu fils de Clotaire III, Clovis III,
battit Leudès à Pont Saint-Maxence, sur l'Oise, et •
le força de s'enfermer avec son roi dans les murs
de Crécy. L'Austrasie et la Burgondie repoussaient
encore le faux roi et le faux maire: pour abattre '
les révoltés, Ebroin mit le siège devant Autun. [
t>amt Legiîr, qui n'avait montre jusqu'alors que
les qualités d'un chef de parti, se souvint de son '
titre d'évêque. Il fit distribuer aux pauvres sa
vaisselle d'argent, ordonna un jeiine de trois jours,
demanda pardon à ceux qu'il avait offensés, et,
se dévouant pour son peuple, sortit de la ville et
se livra. On lui creva les yeux, on lui coupa la
langue et les lèvres, et il comparut, ainsi mutilé,
devant le concile de Marly. Les partisans d'Ebroin
le condamnèrent, et il fut décapité au fond d'un
bois (678).
La prise de Crécy livra à Ebroin Leudès et
Thierry : l'un fut massacré, c'était un rival ; l'au-
tre fut épargné, co n'était qu'un instrument.
Ebroin lui rendit sa couronne et se débarrassa de
Clovis III, qui n'était plus bon à, rien. Alors,
vainqueur partout, en Burgondie comme en
Neustrie, il usa de son pouvoir sans scrupule et
sans pitié. Il enleva les terres du domaine royal
aux leudes qui les occupaient, les repartit entre
ses créatures, constitua une classe nombreuse de
petits bénéficiaires, qui étaient tout à lui parce
qu'ils tenaient tout de lui, confisqua le patrimoine
des grands rebelles, et les força à s'exiler en
Austrasie. En mémo temps, il gagna à, sa cause
ceux des évêques qui aimaient l'ordre civil et
l'administration romaine, saint Ouen de Rouen,
saint Prix d'Auvergne, saint Réol de Reims, saint
Egilbert de Paris. Les évêques d'origine franque,
tels que saint Genest de Lyon, firent seuls cause
commune avec les leudes.
Ebroin poursuivit ses ennemis jusqu'en Austra-
sie : il réclama leur extradition ; les maires Pépin
d'Héristal et Martin la refusèrent, et il envahit
leur pays. Vainqueur à Latofao, il assassina Mar-
tin en trahison, et allait pousser jusqu'au Rhin
lorsqu'il périt lui-même. Un leude, nommé Her-
manfriod, qu'il avait insulté, l'attendit un diman-
che matin, armé d'une hache. Ebroin sortait pour
aller aux matines, lorsque son ennemi lui brisa
la tête (G81J.
La mort d'Ebroin marque la chute de la puis-
sance royale des Mérovingiens. Son successeur,
Bertaire. voulut continuer son œuvre, et marcha
contre Pépin d'Héristal à la tête « d'une grande
multitude de petites gens. » Il fut battu et tué ï.
Testry (687). La Neustrie était vaincue par l'Aus-
trasie, la royauté par l'aristocratie, la famille de
Clovis par celle de Pépin.
Désormais, en effet, les rois mérovingiens
Thierry, Clovis, Childebert, Dagobei-t, Chilpéric
ne régnent plus que de nom. Lo pouvoir appar-
tient tout entier à Pépin d'Héristal, à Charles
Martel , à Pépin le Bref qui ont l'autorité sans
avoir lo titre de roi. En 752, Pépin le Bref, avec
l'assentiment du pape Zacharie, fit déposer dans
l'assemblée de Soissons le dernier Mérovingien,
Childéric III, qui fut relégué au monastère de
Sithieu, près de Saint-Omer. Cette révolution, qui
substituait à la dynastie mérovingienne la dynastie
carlovingienne était depuis longtemps préparée
et acceptée par les peuples francs; aussi passa-t-
elle inaperçue. [Désiré Blanchet.]
Lectures et dictées. — La mort des enfants de
FbédégoiNue. — Agitée par ses craintes mater-
nelles, Frédégonde se trouvait un jour avec le roi
Hilperik (Chilpéric) dans la pièce du palais où
leurs deux fils étaient couchés, en proie à l'acca-
blement de la fièvre. Il y avait du feu dans l'àtre
à cause des premiers froids de septembre et pour
la préparation des breuvages qu'on administrait
aux jeunes malades. Hilperik, silencieux, donnait
peu de signes d'émotion; la reine, au contraire,
soupirant, promenant ses regards autour d'elle,
et les fixant, tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre d^^
ses enfants, montrait, par son attitude et ses
gestes, la vivacité et le trouble des pensées qui
l'obsédaient. Dans un pareil état de l'àme, il arri-
vait souvent aux femmes germaines de prendre la
parole en vers improvisés ou dans un langage plus
MEROVINGIENS
— 1292 — MESURES ANCIENNES
poétique et plus modulé que le simple discours.
Soit qu'une passion vélicmente les dominât, soit
qu'elles voulussent, par un épancliement de cœur,
diminuer le poids de quelque souffrance morale,
elles recouraient d'instinct à cette manière plus
solennelle d'exprimer leurs émotions et leurs sen-
timents de tout genre, la douleur, la joie, l'amour,
la liaine, l'indignation, le mépris. Ce moment
d'inspiration vint pour Frédégonde; elle se tourna
vers le roi, et, attachant sur lui un regard qui
commandait l'attention, elle prononça les paroles
suivantes :'
» 11 y a longtemps que nous faisons le mal et
« que la bonté de Dieu nous supporte; souvent
i( elle nous a cliàtiés par des fièvres et d'autres
Il maux, et nous ne nous sommes pas amendés.
» Voilà que nous perdons nos fils ; voilà que les
« larmes des pauvres, les plaintes des veuves, les
n soupirs des orphelins les tuent, et nous n'avons
« plus l'espérance d'amasser pour quelqu'un.
o Nous thésaurisons sans savoir pour qui nous
o accumulons tant de choses ; voilà que nos tré-
■I sors restent vides de possesseur, pleins de ra-
« pines et de malédiction.
0 Est-ce que nos celliers ne regorgeaient pas
<i de vin ? Est-ce que nos greniers n'étaient pas
a combles de froment? f^st-ce que nos coffres n'é-
i< talent pas remplis d'or, d'argent, de pierres
« précieuses, de colliers et d'autres ornements
(i impériaux? Ce que nous avions de plus beau,
« voilà que nous le perdons. »
Ici les larmes qui, dès le début de cette lamen-
tation, avaient commencé à couler des yeux de la
reine, et qui, à chaque pause, étaient devenues plus
abondantes, étouffèrent sa voix. Elle se tut et
resta la tête penchée, sanglotant et se frappant la
poitrine, puis elle se redressa, comme inspirée
par une résolution soudaine, et dit au roi : « Eh
<i bien ! si tu m'en crois, viens et jetons au feu tous
« ces rôles d'impôts iniques ; contentons-nous, pour
« notre fisc, de ce qui a suffi à ton père, le roi
Il Chlother. » Aussitôt elle donna l'ordre d'aller
chircher dans ses coffres les registres de recense-
ment que Marcus avait rapportés des villes qui
lui appartenaient. Lorsqu'elle les eut sous sa
main, elle les prit l'un après l'autre et les jeta
dans le large foyer, au milieu des tisons brûlants.
Ses yeux s'animaient en voyant la flamme enve-
lopper et consumer ces rôles obtenus à grand
peine; mais le roi Hilperik, étonné bien plus que
joyeux de cette action inattendue, regardait sans
proférer un seul mot d'acquiescement. « Est-ce
« que tu hésites, lui dit la reine d'un ton impérieux ;
Il fais ce que tu me vois faire, afin que, si nous
n perdons nos fils, nous échappions du moins aux
n peines éternelles. »
Obéissant à l'impulsion qui lui était donnée,
Hilperik se rendit à la salle du palais où les actes
publics étaient réunis et conservés ; il en fit
extraire tous les rôles dressés pour la perception
des nouvelles taxes, et commanda qu'ils fussent
jetés au feu. Ensuite il envoya dans les diverses
provinces de son royaume des hommes cliargos
d'annoncer que le décret de l'année précédente
sur l'impôt territorial était annulé par le roi, et
de défendre aux comtes et à tous les officiers
fiscaux de l'exécuter à l'avenir.
Cependant la maladie mortelle suivait son cours;
le plus jeune des deux enfants succomba le pre-
mier. Ses parents voulurent qu'il fût enseveli dans
la basilique de Saint-Denis, et ils firent transpor-
ter sou corps du palais de Braine à Paris, sans
l'accompagner eux-mêmes. Tous leurs soins se
portaient des lors sur Chlodobert, dont l'état ne
donnait plus qu'une faible espérance. Renonçant
pour lui à tout secours humain, ils le placèrent
sur un brancard, et le conduisirent à pied jusque
dans Soissons, à la basilique de Saint-Médard. Là,
suivant une des pratiques religieuses du siècle,
ils l'exposèrent, couché dans son lit, près de la.
tombe du saint, et firent un vœu solennel pour
le rétablissement de sa santé. Mais le malade,
épuise par la fatigue d'un trajet de plusieurs-
lieues, entra en agonie le jour même, et il expira
vers minuit. Cette mon émut vivement toute la
population de la ville ; à l'impression de sympa-
thie que cause d'ordinaire la fin prématurée des
personnes royales, se joignait, pour les habitants
de Soissons, un retour personnel sur eux-mêmes.
Presque tous avaient à pleurer quelque perte
récente. Ils se portèrent en foule aux funérailles-
du jeune prince, et le suivirent processionnelle-
ment jusqu'au lieu de sa sépulture, la basilique
des martyrs samt Crépin et saint Crépinien. (Au-
gustin Thierry, Récits des temps mérovingiens,
septième récit.)
MESURES AJfClENîNES (Conversion des). —
Arithmétique, XXXVII. — 1. — Avant l'établisse-
ment du système métrique, il y avait en France un.
grand nombre de mesures, variant d'une conirée
à l'autre ; nous ne parlerons que des principales-
MESURES DE i.ONGtEi'B. — L'uuité principale était
la toise ; elle se divisait en 6 pieds, chaque pied en
12 ^0!;e'>s et chaque pouce en 12 lirjn.s. Le quart
du méridien, mesuré par les astronomes français,
a été trouvé de 5,l30,"i0 toises. Il en résulte que
5,1.30,740 toises valent Kl, 000,000 de mètres. On
obtient donc la valeur de la toise en mètres en
divisant 10.000,000 par 5,130,740, ce qui donne
1 ",94904. En divisant par 8, on obtient pour la
valeur du pied 0°, 32484 ; divisant par 12, on trouve
pour la valeur du pouce 0",02"0" ; et la 12' par-
tie de ce dernier nombre, soit 0",0»2256, est la
valeur de la ligne. A l'aide de ces valeurs on peut
former le tableau suivant :
t toise vaut l'",9400-i
2 — 3 ,8!!8U7
3 — 5 ,84-11
4 — 1 ,19615
5 — 9 ,74518
1 pied vaut
2 —
3 —
0-,32481
0 ,64908
0 ,97452
0 toises valent 1 1°',69422
7 — 13 ,64326
S — 15 ,59229
9 — 17 ,541-33
10 — 19 ,49037
4 pieds valent 1 ,2993&
5 — 1 ,62430
7 pouces valentO ,18949'
8 — 0 ,21656
9 — 0 ,24.363
in — 0 ,27070
11 — 0 ,29777
7 lig. valent 0'°,015791
8—0 ,1118047
9—0 ,0-.'0302
0 ,022558.
0 ,024814
10 —
1 pouce vaut 0", 02707
2 — 0 ,05414
3 — 0 ,08131
4 — 0 ,10828
5 — 0 ,13535
6 — 0 ,10242
1 ligne vaut 0°,0n2356
2—0 ,004512
3—0 ,0067(17
4 _ 0 ,006023
5—0 ,011279
6 — 0 ,013535
L'usage de cette table est des plus faciles ; soit
à convertir en mètres une longueur de 3 toises
5 pieds 9 pouces 10 lignes ; la table donnera sup-
cessivement :
pour 3 toises 5", 8471
pour 5 pieds 1 ,6'.'420
pour 9 pouces.... 0 ,".'4363
pour 10 lignes 0 ,02;55S
Total 7",13'i498
ou, à très peu près, 7", 737 et demi.
2. — Pour opérer la conversion inverse, on re-
marque que 10,01 0,000 de mètres valent 5,l3ii,740
toises ; un mètre vaut o'.5Wi074. Pour convertir
en toises un nombre donné de mètres, il faudra
donc multiplier 0',5I30';4 par ce nombie : la par-
tie entière exprimera les toises on multipliera
MESURES ANCIENNES — 1293 — MESURES ANCIENNES
la partie fractioiinairo par G: la partie entière du
produit exprimerï les pieds; on multipliera la
nouvelle partie fractionnaire par 12 : la parue en-
tière du nouveau produit exprimera les pouces ;
enfin, en multipliant la dernière partie fraction-
naire par 12, on aura les lignes.
On trouvera ainsi que
1» équivaut i 3P Op 11>,S.
'J»,8088 équivaut à a^ 0'' 2p 4', 2.
3. mrsuhes de supeuficie. — La toise ayant
pour valeur n.Ol'JOi.on obtiendra celle de la toise
carrée en multipliant ce nombre par lui-même, ce
•qui donne ■'i'"i|,Ty87. La aC partie de ce nombre, soit
O"»i,1055, représente \& pied carré. On obtiendrait
la valeur du pouce carre en divisant celle du pied
■carré par IVi. On pourrait à l'aide de ces valeurs
former un tableau analogue au précédent ; mais
nous no croyons pas devoir le reproduire parce
qu'il a pou d'applications. On le trouvera dans
l'Annuaire du Bureau des longitudes.
A l'aide des valeurs ci-dessus, on trouvera que
ISTi 2jP"l équivalent à:
3""l,7987 X 13 -h 0™q,1055 X 25,
c'est-à-dire 53'"i, 0206.
Pour opérer la conversion inverse, on remarque-
ra que la valeur du mètre en toises étant
0''',513uTi, on obtiendra la valeur du mètre carré
•en toises carrées en multipliant ce nombre par lui-
même, ce qui donne uT'l,-.'6;i2'i5. Pour convertir
en toises carrées un nombre donné de mètres
carrés, il faudra donc le multiplier par O^q, 20:124.') ;
la partie entière du produit exprimer-a les toises
carrées; on multipliera la partie décimale par 36,
-et la partie entière de ce produit donnera les
pieds carrés; on muUipliera la nouvelle partie dé-
-cimale.par 144, et la partie entière de ce produit
donnera les pouces carrés. On trouvera ainsi que
imq équivaut à, OTq, 9''i, 68pq et 2/3 environ.
13'"q,75 équivalent à a^q, 22Pq, 44p'),1.
4, — HESunrs de volume. — La valeur de la
toise en mètres étant l",949i)l, on obtiendra celle
■de la toise cube en élevant ce nombre à la 3"
puissance, ce qui donne 7"*, 403860. En divisant
par 216 (cube de 6), on obtiendra pour le volume
du pied cube 0'":',II3127G. A l'aide de ces valeurs
-on trouverait que ïTs^ijoPa valent lS""3^9-)oii2.
Pour opérer la transformation inverse, on par-
tira de la valeur du mètre en toises, soit 0'',5i;i074 ;
le cube de ce nombre sera la valeur du mètre
cube en toises cubes ; on trouve (JT^, 13,^)004. Pour
■convertir en toises cubes, pieds cubes, etc. un
nombre donné de mètres cubes, il faudra donc le
imulliplier par ii,13.>UG'i : la partie entière expri-
mera les toises cubes ; ou multipliera la partie dé-
«imale par 2IG; la partie entière du produit don-
nera les pieds cubes : on multipliera la nouvelle
partie décimale par 1728 (cube do 12); la partie
•entière du produit donnera les pouces cubes, etc.
On trouvera ainsi que
(«s équivaut à 29f3 300?» environ,
•et que
4"'3,57S équivalent à Vii^l 86jp3 environ.;;
5. — MESuiiEs *GiAmEs. — L'ancienne unité des
j mesures agraires était ra;'pe?t<, do \(ii perch'S car-
rées. Mais on distinguait deux espèces de perclies,
la perche de Paris, valant 18?, et la perche des
eaux et forêts valant 221"
Supposons d'abord qu'il s'agisse de la perche
<le Pans. Sa valeur est 0»,32481xl3 ou 5",84712 ;
la perche carrée est le carré de ce nombre, ou
:i4""l,1887 ou 5, très pou près 3i"iq,19. Dès lors
l'arpent vaut 31 ares, 19.
S'il s'agit de la perche des eaux et forêts, sa va-
leur est 0'",32'tS4 X "22 ou 7™, 14648 ; la perche
carrée est le carré do ce nombre, ou 51"iq,0722.
Dès lors l'arpent vaut h\ ares, 07.
Pour obtenir, au contraire, l'expression del'heo-
tare on arpents, il faut diviser l'unité par 34,19
s'il s'agit de l'arpent de Paris, ou par f)l,07 s'il
s'agit de l'arpent des eaux et forêts, ce qui donne
dans le premier cas 2 arp,,924y, et dans le second
l arp,,9;.80.
A l'aide de ces valeurs on a formé le tableau
suivant:
Arpents
Hectares
des Eam et Forets
1 arpents des
Eaux
en hectares
et Forêts.
1
arpent vaut
0,5107
1
hect. vaut
1,0580
2
—
l,li2U
2
—
3,9160
3
—
1,5322
3
—
5,x741
4
2,042iJ
4
—
7,8321
5
—
2,5.')36
5
—
9,7901
6
^
3.0643
6
—
11,7481
7
—
3,5751)
7
—
13,7061
8
—
4,085S
8
—
l.'),G6i2
9
—
4,5'.»6:>
9
—
17,6222
10
—
5,1072
10
—
19,5802
Arpents
Hectares
de
P,iris 011 lieclares.
en arpents de
Paris.
1
arpent vaut
0,3419
1
hect. vaut
2,9249
2
—
0,68)8
2
—
5,8499
3
—
1,0J^S7
3
—
8,7748
4
—
l,3(i7.S
4
—
I1,69J8
5
—
1,7094
5
—
14,G2'i7
G
—
2,0513
6
—
I7,.i497
7
—
2,3932
7
—
50,47 i6
8
—
2,7351
S
—
23,3995
9
—
3,(1770
9
—
26,3245
3,4l89 10
2K,2494
Il faut roni'irquer que le même tableau peut
servir à convenir las ares en perches ou les per-
ches en ares, puisque la perche est le 10^' de
l'hectare.
Soit à convertir 126 arpents 58 perches des
eaux et forêts en hectares. On aurait à addition-
ner :
100 fois Oi>,5107
10 fois 1 ,0.'14
10 fois 2", ,',530
1 fois 4 ,0858
soit 51', 07
10 ,2143
0 ,2.iGG6
0 ,O40-i58
Total.
0111,5806
Soit au contraire à convertir 'JS'',45 en arpents
de Paris; on aura à additionner:
10 fois 2Garp.,32ii soit.... 263arp.,2'i5
1 fois 23 ,3915 .... '23 ,3995
10 fois 11 p. ,6198 1 ,10998
1 fois 11 p. ,6247 0 ,ri6.'47
Total.... 287arp.,9G9T
6. — MESURES DE CAPACITÉ. — La principale unité
do capacité était le /loisteau; il se divisait en IG
titrons ; et 12 boisseaux formaient un setier. Le
boisseau valait 13 litres, le setier valait donc 12
fois 13 ou ISG litres; et le litron valait le IG° do
13 litres, soit Oi,8i2^'>. On trouvera facilement, i
l'aide de ces nombres, qu'une capacité de •) setiers
7 boisseaux et 11 litrons équivalait à 507', 931 ou
environ 5 hectolitres, 67 litres et 91 centilitres.
On employait aussi la pinte, qui valait 'J',9.13,
et le muid qui valait 2 hectol. (iia.
7. — MESUIIES POUR LE DOfS DE CHAUFFAGE. — La
mesure la plus usitée était la co'de des eaux et
fori'l'-; qui valait 3 st. ,839 ; et la voie, qui en était
la moitié ou I st., 9195-
MESURES ANCIENNES — 1294
Métalloïdes
3. —POIDS. — L'ancienne unité de poids était la
livre; elle se divisait en •-> marcs, ou 16 onces,
chaque once en h gros, et chaque gros en 72 jrramî.
On en déduit aisément que la livre contenait
16 X S X 12 ou 9-'lG grains. Les mesures précises
exécutées i l'époque de rétablissement du sys-
tème métrique ont donné pour la valeur du kilo-
gramme 1^8.'7 grains,15. La valeur de la livre en
kilO''rammes .s'obtient donc en divisant 9216 par
188-f7,l.i, ce qui donne 0 kil. ,489505847. En divi-
sant succesfivement par 16. par 8, par 72, on en
déduit la'valeur de l'once, du gros et du grain.
On obtient au contraire la valeur du kilogramme
en livres en divisant 18827,15 par 9216, ce qui
donne 2 liv., 042876519.
Ces rapports ont servi à former les tableaux
suivants ;
L
vres
Kilogrrammes
en kilo
jiammes.
en livres.
1 livre vaut 0,48951 I
I
kilog. vaut
2,0129
2 —
0,979iil
2
—
4.0858
3 —
l,4C«52
3
—
6,l2.s6
4 —
1,9.5802
4
—
8,1715
5 —
2,44703
5
—
10,2144
6 —
293:03
6
-
12,2673
7 —
3,420.4
7
—
14,3001
8 —
3,91605
8
—
lli,3i30
9 —
4, 4055 .S
9
—
18 38:.0
10 —
4,89606
10
—
20,4288
Onces en
grammes.
Gros en grammes.
1 once vaut 30,59
1
gros vaut
3,82
2 —
61,19
2
—
7,6.i
3 —
91,78
3
—
11,47
i —
I22,:t8
4
—
15,30
5 —
15'.' ,97
5
—
19,1'.!
6 -
18:1,56
«
—
22,94
7
214.16
7
—
i6,77
8 —
2.4,75
9 —
275 35
10 —
305,91
Grains en
grammes.
îrammcs en
jrains.
10 grains valent 0,5'îl
I
gramme vaut
18,83
20 —
I.(i62
2
—
37,65
30 —
1,.593
3
—
56,48
40 —
2,125
4
—
75,31
50 —
2,G5'i
5
—
94,14
eo —
3,187
6
—
112,96
70 —
3,718
7
—
131,79
8
—
150,62
9
—
169,3i
10
—
188,27
Soit à convertir 5 livres 13 onces 7 gros et 60
grains en kilogrammes et fraction de kilogrammes,
on aura à additionner :
pour 5 livres 2', 44753
pour 10 onces 0 ,:i0.in4
pour 3 » 0 ,0^178
pour 7 gros 0,02677
pour 6U grains . 0 .Ii03 S
Total.. lS8i520
Soit au contraire à convertir 25',74 en livres,
onces, etc., on aura à additionner:
pour 20 kil 4illiv.,85S
pour 5
pour 7 liectng. (le 10' de 7).
pour 4 décag. (le 100° de 4).
Total....
,2144
,4300
,I'8I7
5211V. ,58 il
Multipliant la partie décimale par 16, on aura
9 onces,3i.SG ; mnllipliant la nouvelle partie déci-
male par 8, on trouvera 2 gros,7648 ; multipliant
enfin cette dernière partie décimale par 72, on aura
55 grains, 61^56.
Le poids dont il s'agit équivaut donc à 52 livres
9 onces 2 gros et 55 grains.
9. — M0^^A1ES. — L'ancienne unité monétaire
était la livre loi rnois ; elle se divisait en 20 sous,
et chaque sou en 12 deniers. La livre valait donc
20 X 12 ou 240 deniers. La loi du Ta germinal an
IV ( 14 avril 179.'.) a fixé la valeur de la pièce de 5 fr.
à 5 liv. 1 sou 3 deniers ou 5 liv. — , ou -— de
16 lu
livre ; la valeur du franc, qui en est la 5' partie,
est donc — de livre, ou 1 l.v.,0I25.
Réciproquement la livre vaut les — du franc
ou 0 fr., '.876543
le sou, qui en est la 20" partie,
vaut donc 0 fr. 0493827
et le denier, qui est la 12« partie
du sou, vaut 0 fr. 0041152
Soit par exemple à convertir II livres 17 sous
6 deniers en francs et centimes ;il faudra prendre
11 fois Ofr. 9S7i 543, plus 17 fois 0 fr. 0(93827,
plus 6 fois 0 fr. 0041152; en faisant le calcul, on
trouve 11 fr. 7;'8 ou environ 11 fr. 73.
Soit, au contraire, à convertir 13 fr. 50 en livres,
sous et deniers. On multipliera I liv. ,0125 par i:'.,5,
ce qui donne M liv. .66875. On multipliera la partie
décimale par 20, ce qui donne 13 sons, 37 ..00. On
multipliera la nouvelle partie décimale par 12, ce
qui donne 4 deniers, 5. La somme proposée équi-
vaut donc i 13 livres, 13 sous et 4 deniers — -.
[H. Sonnet.]
MÉTALLOinES. — Chimie, II, IV, VI-X. — La-
voisier divisait les corps simples en métaux, corps
non métalliques et gaz. Cette classification était
bonne au temps où l'on ne connaissait, outre les
métaux usuels, que le carbone, le soufre et le phos-
phore, où les théories sur les gaz se ressentaient
encore de l'influence de celle du phlogistiqtie,
même d.ins l'ouvrage de celui qui l'avait ruinée.
On disait, et l'on répète encore aujourd'hui : les
corps métalliques ont un éclat spécial, font miroir,
réfléchissent la lumière, les images, sont bons
conducteurs de l'électricité et de la chaleur, pa.r
suite froids au toucher; leurs oxydes sont neutres
ou basiques, ils sont sans action sur la teinture
de tournesol et la ramènent au bleu lorsqu'elle a
été rougie par un acide. Les corps non métallique»
(et c'est strictement vrai pour le charbon, le soufre
et le phosphore) n'ont pas l'éclat métallique, sont
mauvais conducteurs de la chaleur et de l'électri-
cité ; leurs combinaisonsavcc l'oxygène sont acides,
rougissent la teinture bleue de tournesol. Plus tard
l'incorporation des gaz et surtout de l'azote parmi
les corps non métalliques raffermit encore cette
distinction. L'étude de l'action de la pile sur les
composés binaires conduisit à formuler cette
loi incomplète : les corps métalliques vont au pôle
négatif, ils sont éleciro-posiiifs. les corps non mé-
talliques vont au pôle positif, ils sont électro-né-
gatifs.
La découverte d'un grand nombre de corps
simples nouveaux, pendant le premier t'çrs du
siècle, lantôtluten favrur de cette classification, —
le sélénium, le tellure vinrent se placer tout natu-
rellement à côté du soufre; le potassium, le so-
dium, etc., répondirent encore mieux au type
métal que les métaux usuels, — tantôt elle lui fut
contraire : plusieurs corps incontestablement con-
sidérés comme métaux se présentèrent sous la
forme pulvérulente; l'iode, par contre, a l'éc'a'
méiallique. L'étude plus complète des corps déjà
connus lui porta un coup fatal ; l'arsenic, l'anti-
METALLOÏDES
— 1293 —
METALLOÏDES
moine , parfaitomoru métalliqvies d'apparence, al-
lèrent rejoindre l'azote etlepliospliore; li' graphite,
variiiio du cari one, surpasse certains métaux en
éclat et en conductibilité; plusieurs métaux, l'or,
l'étain, le manganèse, etc., forment avec l'oxygène
des acides bien définis. C'est vers I8Î3 que Uor-
zelius donna aux corps non métalliques le nom
malheureux de métalloïdes (semblables à des mé-
taux) ; Ampère a adopté ce nom, et, dans sa Philo-
sojihie (les sc)eni:es, a compté seize métalloïdes
groupés en quatre classes, de quatre corps chacune :
1" fliisse : Oxygène, soufre, sélénium, tellure.
2° c/asse; Chlore, brome, iode, fluor.
3" classe : Azote, phosphore, arsenic, antimoine.
i' classe: Hydrogène, carbone, bore, silicium.
Les conceptions de cette sorte, fondées autant
sur des idées à priori que sur des observations
réelles, entravent un instant les progrès de la
science par l'influence qu'exerce sur les chercheurs
le grand nom de leur auteur.
De ces quatre classes, la seule nattirelle est celle
du chlore, que Lavoisier supposait l'acide le plus oxy-
géné d'un radical dont l'acide muriatique (aujour-
d'hui chlorhydrique) était la première combinaison
avec le générateur des acides. Dans la première
classe, l'oxygène est beaucoup plus séparé des trois
autres corps que ceux-ci ne le sont entre eux. Dans la
troisième classe, les différences ne sont guère moins
tranchées que les similitudes, et l'antimoine va sou-
vent rejoindre l'étain parmi les métaux. Dans la qua-
trième, l'hydrogène a été placé de force, par respect
pour la classification quaternaire; les chimistes qui
tiennent encore à la division en métalloïdes et en
métaux, le rangent souvent parmi ces dernifrs, tan-
dis que les phénomènes de substitution étudiés en
chimie organique lui assignent une proche parenté
avec le chlore, le brome etl'iode. Entre le carbone
et le silicium, oscille le bore, tantôt rapproché,
tantôt éloigné de l'un ou de l'autre, suivant les
considérations les plus en faveur.
La pioportion des équivalents des corps d'une
classe est souvent très remarquable. Par exemple
ceux du fluor, du chlore, du brome, de l'iode sont
à peu pi es dans les rapports de 1,2, ■1,5, 1 ; ceux
de l'oxygène, du soufre, du tellure sont comme 1,
2 et 4 ; mais par exemple le sélénium se place
plus difficilement par son équivalent dans cette
série que le phosphore, qui s'en éloigne à tout
autre égard. De sorte que, jusqu'à ce que de nou-
veaux points de vue soient présentés, il ne faut
accorder que peu d'importance à ces curieuses
coïncidences numériques.
Somme toute, la classification artificielle des
corps simples en métalloïdes et métaux a fait son
temps, et il faut souhaiter de voir le premier do
ces mots tomber le plus tô; possible en désuétude.
Nous l'avons suivie ici k cause de son intérêt his-
torique et parce qu'elle n'a pas encore été rem-
placée par une meilleure.
Le Dictionnaire consacre des articles spéciaux i
un certain nombre de métalloïdes, savoir: oxygène,
hydrogène, carbone (V. Ch'irbon). soufre, azote,
phosphore, chlore, fluor, silicium (V. Silice). Les
autres n'ayant pas d'articles spéciaux, nous allons
donner à. leur sujet quelques brèves indications.
Arsenic. — Solide, à éclat métallique, cristallin,
volatil au rouge sombre; densité 5,(1; obtenu par
la réduction de l'acide arsénieux; s'allie aux mé
taux en les rendant durs et cassants. — L'acide
arsénieux, AsO', est blanc, crisiallisable, soluble
dans 20 parties d eau ; c'estleterrible poison conjm
sous le nom d'arscic : il corrode et perce les mem-
branes de l'estomac ; on combat ses efl'eis à l'aide
de l'hydrate dox>de de fer récent, de la magnésie
calcinée, et en provoquant en même temps les
vomissements. A petite dose, c'est un médicament
précieux contre l'asthme, l'anémie. Il sert à chauler
les blés; les semences trempées dans sa dissolu-
tion ne sont plus dévorées par les mulots et autres
animaux nuisibles; il entre dans la composition de
la ynort aux rrits, et sert b. la préparation du savon
arsenical, indispi'nsable aux empailleurs. Il forme
des sels bien délinis également très vénéneux. ^
L'acide arséniqne, AsO'', est beaucoup plus soluble,
encore plus vénéneux; mais il offre moins de dan-
ger, étant un solide déliquescent, tandis que l'a-
cide arsénieux industriel se rencontre le plus sou-
vent sous forme de poudre blanche à peu près
sans odeur ni saveur, et peut se confondre avec
beaucoup d'autres corps ; il forme aussi des sels
dont plusieurs, entre autres l'arséniate de fer,
sont employés comme médicaments. — L'hydro-
gène arsénié, gazeux, à odeur alliai ée, très véné-
neux, décomposable par la chaleur rouge, s'obtient
quand on produit do l'hydrogène dans un liquide
arsenical; de \b, un moyen de recueillir les moin-
dres traces d'arsenic contenues dans une dissolu-
tion, et un moyen de recherches dans les cas
d'empoisonnement. Les substances suspectes sont
carbonisées par l'acide sulfurique, le charbon est
repris par de l'eau distillée, la dissolution est
versée dans un appareil à hydrogène ordinaire.
Le gaz produit brûle avec une fumée blanche
odorante ; en interposant de la porcelaine dans la
flamme, elle se recouvre de taches miroitantes;
on peut obtenir des anneaux noirs dans le tube
de dégagement en le chauffant avec une lampe !l
alcool; ces anneaux, ces taches sont de l'arsenic
isolé dont on peut constater l'identité. Ce procédé
de recherches est dû au chimiste Marsh qui lui a
donné son nom. Quand il est employé dans une
expertise médico-légale, il est indispensable de
faire parallèlement l'expérience avec les mêmes
réactifs, mais sans y ajouter les liquides suspects.
Il existe un assez grand nombre d'arséniures na-
turels employés comme minerais. — L'arsenic en
poudre s'enflamme dans le chlore et forme dos
chlorures d'arsenic, vapeurs asphyxiantes décom-
posables par l'eau.
Iode. — L'iode, d('couvert en ISf 1 dans les eaux
mères des soudes de varechs, a été étudié en 1813
par Gay-Lusîac. Il s'obtient en traitant un iodure
alcalin par l'acide sulfurique et le peroiyde de
manganèse, réaction analogue à l'une de celles qui
produit le chlore. C'est un corps solide, opaque,
d'un gris métallique, crisiallisable par solution
dans l'ai'ide iodbydrique et par sublimation. Il
fonda 107, bout il i8o° en donnant une vapeur vio-
lette très dense (S, 8), est peu soluble dans l'eau,
très soluble dans l'alcool et le sulfure de carbone.
On en reconnaît des traces à l'état libre par la co-
loration d'un bleu intense qu'il donne h l'amidon.
L'iode existe en très petite quantité dans l'eau de
mer, et se rencontre dans les plantes marines. Il
se retrouve dans leurs cendres, autrefois princi-
pale source des sels do sonde, et reste dans h's
eaux mères d'où on l'extrait; l'azotate de soude na-
turel contient jusriu'à 2 p. lOli d'iodure. Par ses
composés, I iode est un corps très précieux pour la
médecine et la phoingrapbie. — Il forme avec
l'oxygène des composes, acides bypo-iodique, 10',
iodique, 10^, et hypeiiodique. 10', sans importance
praii |ue. — Avec l'hydrogène il forme l'acide
iodliydrique, analogue de lacide chlorhydrique
et ayant des propriéiés comparables à celles de ce
corps; il s'obtient par l'action de l'hydroi^ène sul-
furé sur l'iode en présence de l'eau.
L'iode forme des iodures avec tous les métaux
et plusieurs mcialloides.
L'icdure d'azote est une poudre noire explosive,
comparable au chlorure d'azote. L'iodure de potas-
sium, composé naturel existant dans les eanx
mères, ou obtenu artificiellement par l'action Ao
l'iode sur la potasse et la Calcination du sel résul-
tant pour décomposer la portion d'iodate foi mie,
est un dépuratif énorgique très employé on mé-
METALLOÏDES
— 1206 —
METAUX
decine. Il sert aussi en photographie, mais moins
que les iodures d'ammonium, de zinc, de cad-
mium, de fer. Ces trois derniers s'obtiennent par
combinaison dirette à froid en présence de l'eau;
l'iodure d'ammonium par la combinaison directe
de l'ammoniaque et de l'acide iodliydrique. L'io-
dure d'argent, contenant plus ou moins de bro-
mure, forme la couche sensible des plaques pho-
tographiques; il s'obtient pardouble décomposition.
L'iodure de mercure istun type d'iodacidc se com-
binant avec l'iodure de potassium.
Le irbme est un liquide très brun, d'une odeur
très pcnôtrante provoquant la toux, densité "2, 0;
il bout à .3". Par ses propriétés cliimiques, phar-
maceutiques, indusiriellos, son état dans la na-
ture, il se rapproche de l'iode de la faron la plus
remirquable. .Sa préparation est analogue à celle
de l'iode. La dissolution de bromure de potassium
est entre les mains des médecins un des meilleurs
calmants du système nerveux.
Le boi'e, qui a de grandes analogies avec le car-
bone, se présente comme lui sous trois états:
amorphe, grapliioide, adamantin. Nous parlerons
seulement de celte dernière forme. Elle s'obtient
en fondant ensemble à une très haute tempéra-
ture IdO grammes d'acide borique et 80 d'alumi-
nium ; ce dernier décompose l'acide borique, une
partie forme de l'alumine, 1 autre dissout le bore,
et quand la dissolution se concentre, le bore cris-
tallise i l'état de diamant, des lavages à la soude
caustique, aux ac des chlorhydrique et fluorliydri-
que enlèvcni l'aluminium, l'acide borique, le fei-
et le silicium ; reste le bore qui contient jusqu'à
4 p. 10(1 de carbone, et qui est après le diamant le
«orps le plus dur. Sa poussière polit le diamant;
ce corps est probablement appelé à un certain
avenir industriel. Les deux autres ot»ts du bore
sont sans importance. L'acide borique est le seul
■composé oxygéné du bore; c'est un produit natu-
rel qui se trouve dans certaines eaux thermales
et spécialement dans les lagoni de Toscane. Il est
soluble dans l'eau, et encore plus dans l'alcool dont
ia flamme est alors d'un vert caractéristique ;
aucun raétalloide ne l'attaque seul; mélangé avec
du charbon, il est attaqué par le clilore et forme
du chlorure de bore ; l'acide fluorhydrique forme
avec lui du fluorure de bore gazi-ux et de l'eau. 11
sert à fabrii)uer le borax ou borate de soude. Il
fond à une haute température et dissout alors l'a-
lumine; par le refroidissement celle-ci cristallise
et forme le corindon artiflciel et ses variétés, le
rubis, le spinelle. Le borax sert à décaper les mé-
taux que l'on veut brastr, souder avec les sou-
dures fortes do cuivre, d'argent ou d'or; il forme
alors un verre fusible dissolvant les oxydes métal-
liques et conserve chimiquement propres les sur-
faces métalliques à souder.
Le sélénium est analogue au f oufre dans presque
toutes ses propriétés, et les séléniures se trouvent
en fort petite quantité mélangés aux sulfures
exploités dans la Thuiinge et le Harz. A l'état
amorphe, c'est un solide noirâtre brillant. Il est
inutile d'éiudier les acides séléuieux et solénique,
l'hydrofrène séléiiic, les autres séléniures, qui
ressemblent beaucoup aux composés sulfurés cor-
respondants Signalons seulement cette propriété
si remarquable, spéciale au sélénium et décou-
verte en l.'S'G par M. Siemens. Le sélénium est
comme le soufre un très mauvais conducteur de
l'électricité. Or sa résistance diminue immédia-
tement quand il est exposé i la lumière. Si l'on
interrompt un circuit électrique et qu'on le ré-
tablisse à travers une petite goutte de sélénium
fondu et prisse entre deux lames de verre, On
possède un appareil qui est d'une excessive sensi-
bilité aux impressions lumineuses et les traduit
en un mouvin'ent de l'aiguille du galvanomèlre.
Cette expérience est très intéressante au point de
vue théorique ; elle montre l'exemple le plus parfait
delà transformation de lumière en mouvement. On
se rappelle la découverte faite par Scheele du bru-
nissement de chlorure d'argent etde sa décomposi-
tion parla lumière; en un demi-siècle cette expé-
rience intéressante a enfanté la photographie;
qui sait l'avenir réservé à la sensibilité du sélé-
nium? Déjà on s'en est servi pour fabriquer un
œil artificiel dont la paupière s'abaisse comme les
nôtres en présence d'une impression lumineuse
intense.
Le tellure, encore plus rare que le sélénium, se
rencontre combiné au plomb, à l'argent, et rare-
ment natif. Il a l'apparence de l'étain et est cris-
tallisable. Sa densiié est 6.26; son équivalent 64,
double de celui du sélénium. 11 est en tous points
analogue au soufre et au sélénium ; sa conductibi-
lité électrique varie, comme celle du sélénium,
selon la lumière à laquelle il est soumis; il se
prête dont à l'expérience de Siemens.
[Paul Robin.]
METAL'X. — Chimie, II, XI, XVll-XX. — On
indique comme premier caractère distinctif des
métaux un éclat particulier, dit éclat métallique;
en masse ils réfléchissent la lumière, conduisent
bien la chaleur et l'électricité. Quand les métaux
ont la forme pulvérulente sous laquelle ils se pré-
sentent souvent, ces caractères disparaissent.
Leurs oxydes sont en général neutres ou basiques.
Pas plus que le précédent, ce caractère ne les
distingue des métalloïdes * d'une manière ab-
solue.
Laissant de côté une définition qui ne saurait
être irréprochable, comparons à divers points de
vue les principaux métaux.
Pri'priétés phxjsiques. — Les métaux sont tous, à
l'exception du mercure et de l'hydrogène — si on
range ce corps parmi les métaux, comme le font
plusieurs chimistes — solides à la température
ordinaire ; plusieurs, et spécialement le bismuth et
l'antimoine, peuvent cristalliser.
Opaques dans les conditions ordinaires, ils sont
translucide* et même transparents en lames très
minces; ainsi l'or battu, collé sur une lame de
verre, se laisse traverser par la lumière verte,
l'argent déposé par un procédé chimique sur les
miroirs de télescopes en verre, par la lumière
bleue.
Les couleurs des métaux sont en général mas-
quées ou atténuées par la grande quantité de
lumière blanche qu'ils réfléchissent. En faisant
réfléchir le même rayon lumineux sur plusieurs
surfaces successives d'un même métal, la lumière
blanche diminue à cliaque réflexion et la couleur
propre du métal apparaît avec son intensité réelle ;
l'or est jaune, le cuivre rouge, le strontium et
l'argent jaunâtres, le fer gris, le zinc bleuâtre, etc.
Voici la densité de quelques métaux en nombres
ronds :
I latine. 21 à 23; or, 19; mercure, 1:1.6; plomb,
11,3 ; argent, 10,4; cuivre. S, s; fer, 7, s; étain, 7,8;
zinc, 6,'.l ; aluminium, 2,6 (à peu pr s celle du
verre et du silex) ; sodium, U,u7 ; potassium, 0,S6 ;
lithium, 0.5!i.
La fusibilité des métaux e.st cg.ilement très
variable. Voici une liste des principaux points de
fusion :
iVlercure, — 39"; potassium, -t-5.'i°; sodium, 90";
étain, 2ï8"; bismuth, 264"; plomb, 'iW\ zinc, 41()";
argent, I0"0"; cuivre, 110'°; or, I2iii°; fonte de
fer, i2.'>ii°; fer forgé, l.SnO"; platine, 200 °; iri-
dium, 2500°; l'osmium n'a pu être fondu. Ces der-
nières températures ne sont qu'approchées; des
recherches compliquées sur l'énergie mécanique
des diverses couleurs des spectres donnés par les
métaux chauffés à dos températures croissantes
permettent en ce moment à M. Crova de réviser
et de préciser ces nombres.
I
METAUX
— 1297
METAUX
Quelques mélaim sont volatils ; le nierciire bout
à 360»; le cadmium, le poiassiuin, lo sodium, le
zinc, au rouge plus ou moins vif; ou peut les dis-
tiller.
La quantité de clialeur qui dans le môme temps
traverse une même section des divers métaux peut
être représentée par les nombres suivajits :
Argent, lOliO; cuivre, 736; or, &.'!2; zinc, 193;
fer, 119; plomb, 8i; plaline, 8i; bismuth, 18.
La conductibilité électrique est l'iiiverse de la
longueur des fils de môme section qui, mis entre
les pôles d'une môme pile, produisent le môme
affaiblissement dans l'intensité du courant. Voici
ces longueurs d'après M. E. Becquerel :
Argent, de ii3 à lOO; cuivre, de 8:) à 91 ; or, 04
à 65; étain, 13,"; fer, 12,'2; plomb, 8; platine, 8;
mercure, 1,^0.
La chaleur spécifique ou quantité de chaleur
nécessaire pour élever d'un môme nombre de de-
grés un même poids des oivers corps est, en pre-
nant pour uniié celle de l'eau, pour les métaux
suivants : potassium, 0, HO; fer, 0,1 H ; zinc, 0,090;
cuivre, 0,095; argent, 0,0.. 7 ; mercure, 0,033; pla-
tine et or, 0,032 ; plomb, 0,031.
La facilité qu'ont les métaux de se travailler
au marteau ou au laminoir constitue la malléabi-
lité. L'ordre do malléabilité des métaux est le
suivant, en allant du plus au moins malléable :
or, argent, aluminium, cuivre, étain, platine, plomb,
zinc, fer, nickel.
La ductiliié est la propriété qu'ont les métaux
de pouvoir s'étirer à la filière en fils plus ou moins
fins. L'ordre dans lequel ils possèdent cotte pro-
priété est le suivant : or, argent, platine, alumi-
nium, fer, cuivre, zinc, étain, plomb.
La ténacité d'un corps se représente par le
nombre de kilogrammes capable de rompre par
traction un til d'un millimètre carré de section.
Voici celle de quelques métaux : cobalt, 108 ; fer,
02 ; cuivre, Z\ ; platine, 31 : argent, 21 ; or, 16,6;
zinc, 12,4; étain, 3.9; plomb, 2,i.
La dureté des corps se mesure d'après la faculté
qu'ils ont de rayer ou de ne pas rayer certains
corps, d'être ou de n'ôtre pas rayés par eux. Les
minéralogistes se servent de 10 types depuis le
diamant jusqu'au talc ; prenons-en 3 qui diviseront
les métaux en 4 séries de dureté : 1. Le manga-
nèse, le chrome rayent le verre. 2. Sont rayés
par le verre et rayent le marbre : le fer. l'anli-
moine, le zinc. 3. Sont rayés par le marbre : le
platine, le cuivre, l'or, l'argent, le bismuth, l'étain.
i. Le plomb est rayé par l'ongle. Ajoutons-y le po-
tassium et le sodium, qui se pétrissent comme de
la cire sous l'huile de naphte ^ 15°; le mercure,
qui est liquide.
La conuaissancc de ces propriétés est notre
guide dans les applications industrielles des mé-
taux, et nous les choisissons d'après les résis-
tances qu'ils doivent ofl'rir à l'action des forces,
des agents de toute nature.
Propiieti'S rhbni'iucs, — Il serait long et peu
profitable d'examiner séparément l'action des di-
vers agents chimiques sur la série des métaux.
Pour avoir des idées d'ensemble, il faut nécessai-
rement établir des groupes, classer les corps étu-
diés. Or une classification en une seule série des
métaux d'après leurs propriétés chimiques reste
toujours imparfaite, comme toutes les classifica-
tions en série unique. Tels corps rapprochés par
un caractère s'éloignent si l'on en considère d'au-
tres, et la classification dépend de l'importance
accordée à telle ou telle propriété.
Classification des méliiux. — Voici celle que l'on
emploie généralement aujourd'hui ; elle a surtout
pour base l'action sur les métaux de l'air et de
l'eau aux diverses températures; nous laissons
de côté un certain nombre de corps fort rares,
incomplètement connus et qui n'ont actuellement
2* Partie.
d'intérêt que pour les chimistes; cette classifica-
tion comprend 3 classes et K sections :
I" CLAssK. — Métaux s'oxydant directement à
une température plus ou moins élevée; leurs
oxydes ne sont pas complètement réduisibles par
la chaleur seule.
I" sedioTi. — Décomposent l'eau à la tempéra-
ture ordinaire : potassium, sodium, litliium, ba-
ryum, strontium, calcium.
2° seclinn. — Décomposent l'eau vers 100" :
magnésium, manganèse.
.3" section. — Décomposent l'eau vers le rouge,
ou à la température ordinaire en présence des
acides: fer, nickel, cobalt, chrome, zinc, cadmium.
4° section. — Décomposent l'eau au rouge, mais
pas à froid en présence des acides ; forment avec
l'oxygène des composé acides (sont métalloïdes à
cet égard, le dernier corps est souvent rangé
dans cette catégorie) : tungstène, molybdène, os-
mium, titane, étain, antimoine.
5' section. — Décomposent à peine l'eau aux
hautes températures, et pas en présence des aci-
des : cuivre, plomb, bismuth.
1" CLASSE. — Ne s'oxydent à l'air à aucune tem-
pérature. Oxydes irréductibles par la chaleur, et
môme par l'hydrogène et le charbon seuls.
6' section. — Aluminium, glucinium, etc.
3« CLASSE. — Oxydes facilement décomposes par
la chaleur.
7= sedion. — Absorbent l'oxygène à une tem-
pérature peu élevée; se réduisent à une tempé-
rature supérieure : mercure, palladium, etc.
8' section. — Inaltérables à toutes températu-
res : argent, or, platine, iridium.
Les métaux des deux premières sections ne peu-
vent être employés au même titre que les autres,
à cause de leurs affinités puissantes. Ce sont des
réducteurs énergiques, dont l'un surtout, le so-
dium, a sous ce rapport une grande importance
indusirielle. Le magnésium donne par sa combus-
tion une lumière des plus intenses, utilisable en
photographie.
En outre la plupart des métaux ne sont pas ou
sont peu employés purs, mais le sont surtout à
l'état d'alliages.
Le Dictionnaire consacre un article spécial à un
certain nombre de métaux usuels, fer, zinr, étain,
plomb, cuivre, mercure, argent, or, platine; il
traite do quelques autres à propos de leurs oxydes,
potasse, soude, chaux, terres métalliques compre-
nant les oxydes de baryum, strontium, magné-
sium, aluminium. Nous parlerons brièvement ici
de quelques autres.
Le Ala7iyanèse métallique a peu d'intérêt; il
s'obtient par la réduction de son oxyde h une très
haute température. Il est le plus dur des mé-
taux. — Laissons de côté son proioxyde, MnO,
son sesquioxyde, tous deux peu siables et sans
intérêt, son oxyde salti Mn^O' ou MnO,MnsO';
parlons seulement de son peroxyde MnO-. Ce
corps se trouve assez abondamment dans la nature
et est appelé pi/rolusiie par les minéralogistes; il
abandonne une portion de son oxygène par la cha-
leur seule, et une portion encore plus grande en
présence de l'acide sulfuriquo. Son mélange avec
ce corps agit comme source d'oxygène naissant, ot
sert à extraire le chlore, le brome, l'iode, des chlo-
rures, bromures et iodures. La richesse d'un man-
ganèse s'estime par la quantité de chlore qu'il
peut produire. Les verriers en jettent parfois dans
le verre fondu pour diminuer la teinte verdàtre
produite par le protoxyde de fer en le peroxydant
et en y ajoutant la couleur propre du verre man-
ganiquo. Si l'on ajoute un excès de ce sovnn des
verriers, le verre a une teinte violacée. — Le per-
oxyde de mangHnèse, chauffé avec la potasso ou
mieux l'azotate de poiasse, donne un sel violet très
colorant, le permanganato de potasso, KO.Mu'O''.
MÉTAUX
1298 —
MÉTAUX
Ce corps agit comme oxydant énergique sur les
matières organir|ues en dissolution dans l'eau et
se transforme eu manganate vert; cette propriété
l'a fait autrefois appeler le caméléon minéral. Le
permanganate de potasse sert à éprouver la pureté
de l'eau pntable; sa dissolution est employée en
lotions oxydantes et antiseptiques ; sans présen-
ter les inconvénients du chlore, elle possède plu-
sieurs de ses avantages. L'usage ne peut que s'en
répandre utilement. — Les sels de protoxyde et
de sesqtiioxyde de manganèse, d'une couleur ro-
sée, n'ont aucun intérêt pratique.
Le Chrome est la base d'un certain nombre de
couleurs employées dans diverses industries,
d'où son nom. Comme métal, il n'a pas d'inté-
rêt. Son sesquioxyde, Cr^O^, est très réfractaire,
il sert à la peinture sur porcelaine ; l'hydrate
de cet oxyde donne un vert-émeraude inaltérable,
non vénéneux, remplaçant avantageusement les
verts arsenicaux pour l'impression des tissus et
des papiers. — L'alun de chrome, isomère à l'alun
proprement dit, est remarquable par son dimor-
phisme. — L'acide chromique est un oxydant des
plus énergiques; tous ses sels sont fortement co-
lorés. Les chromâtes de potasse sont employés
dans la teinture. Le chromate de plomb ou jaune
de chrome, obtenu par double décomposition k
l'aide des précédents et d'acétate de plomb, a
toutes les teintes du jaune à l'orangé suivant que
la précipitation a été faite en présence d'un excès
de l'un ou de l'autre réactif. Les chromâtes de po-
tasse se forment par l'action à chaud du salpêtre
et du carbonate de potasse sur le fer chromé
naturel, FeO,Cr 0', et servent i fabriquer tous les
autres composés du chrome.
Le Nickel et le Collait onl de nombreuses analo-
gies comme état naturel, préparation, composés;
tous deux s'obtiennent par l'action de l'hydrogène
sur les oxydes. Le premier est très employé depuis
quelques années à cause de son inaltérabilité à
l'air; on le dépose par la galvanoplastie sur les
instrtiments de fer et d'acier employés dans I in-
dustrie, la chirurgie, etc., de manière à les préser-
ver de la rouille. Les monnaies divisionnaires de
Belgi(iue, de Suisse et des Etats-Unis sont de pe-
tites pièces élégantes et propres formées d'un alliage
dans lequel domine le nickel. — Les sels de nickel
sont verts; la dissolution du sulfate est une des
couleurs les plus pures, c'est-à-dire qu'un rayon
de lumière qui a traversé ce liquide ne donne
qu'une seule couleur quand on la reçoit dans un
spcctroscope ; ce vert est complémentaire du rouge
égalemejit très pur fourni par la fuclisine. Quand
(jn regarde à travers cette dissolution, on voit les
objets comme les voient les personnes incapables
de discerner les couleurs et que l'on appelle dal
toniens. — Les sels de cobalt hydratés ou dissous
«ont roses; secs, ils sont bleu violacé. Le verre
bleu est coloré pnr l'oxyde de cobalt ou smalt. Ce
métal fsl la base du bleu Thonard, ou bleu d'azur
artificiel; un précipité d'oxyde de zinc et de cobalt
constitue une belle couleur, le vert de Rinman.
Quand on écrit avec une dissolution étendue d'un
sel de cob.ilt, surtout le chlorure, les caractères
sont invisibles sur le papier; ils paraissent en
bleu quand on chauffe le papier; telle est l'encre
sympathique connue depuis longtemps, et à qui
l'introduciiim des caites postales avait donné
un certain renouveau. Du p.ipier buvard, du linge
imprégnés de chlorure de cobalt concentré chan-
gent de cnnlenr suivant l'état hygrométrique de
l'atmosphère. On a utilisé cette propiiété pour
faire un prétendu prophète du teniLS composé
d'un disciuo de papier cobaké entouré de cinq cou-
leurs de comparaison variant du rouge au bleu, et
des fleurs artificielles aux couleurs changeantes.
Ces deux métaux ilonnent des produits utilisés
pour la peinture sur émail et sur porcelaine.
Le Cadmiwm est un métal voisin du zinc, fusible,
disiillable, combustible comme lui Ajouté parpar-
ties égales à l'alliage Darcet, il forme un corps
très fusible, dit alliage de Woocl, restant un cer-
tain temps pâteux ii la température ordinaire et
parfaitement bon pour le plombage des dents. Le
sulfure de cadmiuiu, le seul qui soit jaune, fournit
une très belle couleur, dite jaune indien. Les
autres sels sont sans importance.
Le Tungstène est un métal très rare, qui a ce-
pendant peut-être un avenir industriel dans la
fabrication du noir d'aniline.
Le Molybdène n'a d'importance que comme
base du molybdate d'ammoniaque, réactif spécial
servant à reconnaître le phosphore.
L'Usmium est le seul corps simple qui ait ré-
sisté à toute tentative de fusion, et, chose étrange,
ses composés oxygénés sont volatils.
Le Titane parait augmenter la dureté du fer et
de l'acier qui en contiennent une petite quantité.
Ce métal et ses composés n'ont d'intérêt que pour
les savants.
Les quatre métaux précédents sont de la fa-
mille de l'étain.
VAidinioine est tantôt classé parmi les métal-
loïdes i côté de l'arsenic, tantôt parmi les métaux
[ auprès de l'étain. 11 a l'éclat métallique, est
j cristallin, fragile, facile à pulvériser. Sa densité
est G, 7. 11 fond vers 500", est volatil au rouge vif,
' brCile h une haute température en répandant une
, fumée blanche d'oxyde d'antimoine. Il s'enflamme
' surtout en poudre dans le chlore à la température
ordinaire. Il est attaqué par les acides concentrés
I et chauds.
L'antimoine isolé est sans usage. Allié îi quatre
parties de plomb, il forme le métal des caractères
d'imprimerie. L'antimoine forme un certain nom-
bre de composés qui sont ou ont été employés en
' pharmacie ; loxyde d'antimoine, Sb G', base ou
acide peu énergique, vomitif violent, générale-
^ ment remplacé aujourd'hui par l'émétique, tar-
trate double de ce sesquioxyde et de potasse.
L'acide antimonique, Sb^O', forme avec la potasse
I le seul léactif de la soude. La dissolution ré-
cente d'antimoine de potasse précipite les sels de
soude même assez étendus.
L'hydrogène, préparé avec une eau contenant de
l'antimoine, contient de l'hydrogène antimonié
qui ofl"re à peu près les mêmes réactions que 1 hy-
drogène arsénié dans l'appareil de Marsh. Les ta-
ches et les anneaux d'antimoine sont beaucoup
moins volatils que ceux d'arsenic et d'une nuance
de noir un peu roussâtre. Le protochlorure ou
beurre d'antimoine sert pour cautériser les tnorsures
ou piqûres d'animaux venimeux, -pour bronzer le
[ fer et le préserver de la rouille, en le recouvrant
d'une couche d'antimoine moins altérable que lui.
Le sulfure naturel a l'aspect métallique et est
très fusible. Un oxy.^ulfure rouge, le kermès, pré-
I paré à l'aide d'une réaction assez cotnplexe avec
j le sulfure naturel et le carbonate de soude, est uti
médicament très ancien et encore très employé
contre les affections pulmonaires.
Le Bismuth se trouve i l'état natif; il est blanc
rougeâtre, cristallin et très fusible. Sa densité est
est !),8. Il fond à 'JG'r et, comme dans le cas de
! l'eau, le solide surnage au-dessus du liquide; on
obtient de maanifiriues géodes de cristaux en lais-
sant refioidlr le bNmuth fondu, perçant d'uii fer
rouge la couche supérieure qui vient d ■ se solidifier,
et faisant écouler l'excès de liquide. Sa faible cori-
ductlbillté pour la chaleur et l'électiiclté le fait
employer comme l'un des cotnposants des piles
Ihermo-électriques, l'autre étant du cuivre ou de
l'antlirolne II est le type des corps dlamagucti-
qnes : un barreau de bismuth librement suspendu
entre les deux pôles dun aimant est (également
repoussé par les deux et se met en croix avec la
MÉTAMORPHIQUES — 1299 — MÉTAMORPHIQUES
ligne qui les joint. Cinq parties de bismutli, trois '
d'étain et doux de plomb fonnent l'alliage de Dar-
cet, fusible dans l'eau bouillante. Le bismuth
brûle à une liaute leuipéralure, s'onnarame dans
le chlore froid. ^ I
Uc ses composés, le plus intéressant est l'azo- ]
tate ; le sel acide est décomposé par l'eau en
acide azotique et sous-azotate insoluble, remède
excellent, prompt et sans danger contre la diar-
rhée. Co même sel est le fard, dont 1 usage dét5- !
riore la peau. Le phosphate est remarquable en
ce qu'il est insoluble et fournit un des moyens de ,
dosage de l'acide phosphorique.
Le Glucinium, analogue de l'aluminium, fournit \
des sels à saveur sucrée, d'où son nom. C'est
une curiosiié de laboratoire.
Le PaUa'lium, compagnon fréquent et analogue
du platine, est plus précieux que l'or. Il donne
avec l'argent l'alliage qui se prête le mieux i la
gravure, et est très inaltérable : on l'emploie pour
les graduations d instruments de précision.
Vliiilium, que l'on trouve aussi à côté du platine
et qui a des propriétés semblables, forme avec lui
un alliage fort dur qui tend à remplacer le pla-
tine pur pour la fabrication des appareils de
«himie.
Le mineni de platine est encore accompagne
d'autres métaux excessivement rares, rhodium,
ruthénium, qui n'ont d'intérêt que pour le chi-
miste. [Paul Robin.]
MÉTAMOItPIIIOUES (Roches). — Géologie, V.
— Les sorties de matières en fusion de l'intérieur
de la terre ne se sont pas bornées à amener vers
sa surface les divers amas de roches ignées ; jointes
aux éruptions de gaz et à l'action de la chaleur
centrale, elles ont ejicore plus ou moins modifié
les matériaux proexistants, en donnant lieu h des
phénomènes importants, dont les géologues ne se
sont occupés que dans ces derniers temps et auxquels
ils ont donné le nom de métamorphisme des
rocks.
On n'a d'abord connu que le métamorp/nsme de
rconlact, c'est-à dire les altérations actuelles, et les
caractères particuliers que présentent quelquefois
les roches do sédiment au contact des basaltes et
•des trachytes, caractères que l'on attribuait aux
■effets de la chaleur développée par ces roches.
C'est ainsi que l'on avait remarqué, par exemple,
que des bancs do craie ou de calcaire compact
prennent, dans le voisinage des basaltes, ans tex-
ture lamellaij'e ou saccharoïde, un aspect brillant
et un commcincement de translucidité ; que de la
houille se trouve transformée en anthracite, que
Je lignite devieut plus sec et se divise en paralle-
.pipèdes, que des grès sont crevassés et prennent
un aspect vitreux, que des s'chistes argileux de-
viennent plus durs et passent au jaspe ou à la
j>orcellanite. Mais depuis que l'on attribue à des
•éjaculatlons intérieures l'origine des dykes por-
.phyriques et des filons cristallins, on a vu aussi
«n effet de C"S éjaculalions intérieures dans les
■différences qui existent souvent entre les parties
des nichis nfpluniennes qui avolsinent ces ma-
tières et celles qui en sont éloignées. D'un autre
côté, on a reconnu aussi que ces différences no
■consistent pas seulement dans la cohérence et
dans la texture des roches, mais qu'elles s'éien-
dcnt même à leur nature, c'est-i-dire que l'on
voyait, par exemple, le calcaire passera hidoloraie
■ou au gypse, les roches schisteuses aux roches
.felrtspatliiques ou talqueuses, d'où l'on a conclu
que des émanations contenant, entre autres, du
magnésium, du pota'isium, du sodium, rendus
-gazeux par leur combinaison avec d'autres corps,
•et aidés par le développement de la chaleur, s'é-
taient introduites dans l'intérieur des roches cal-
•caires ou schisteuses et y avaient donné lieu à des
•couibinaisoiis nouvelles. Ces idées ont d'abord
rencontré beaucoup d'opposition ; mais la facilite
avec laquelle elles expliquent des faits dont on
ne pouvait se rendre raison auparavant, les ont
fait assez généralement adopter, et elles ne peu-
vent plus être contestées depuis que l'on est par-
venu à produire expérimentalement des résultats
analogues.
Dans les contrées où les dépôts stratifiés ont été
fortement disloqués, relevés ou renversés, les
roches sont généralement plus cohérentes et plus
cristallines que celles des contrées où elles sont
restées en couches horizontales, et, comme elles
se rapprochent beaucoup plus que celles-ci des
roches métamorphiques, on attribue aussi leurs
propriétés à une action métamorphi<|Ue que
M. Daubrée a appelée rcf/i nale, parce que, au
lieu d'être restreinte h de petites portions de
roches, elle s'étend sur de vastes étendues. Cette
action métamorphique, plus générale, est moins
évidente et moins facile i concevoir que celle
qui s'est opérée au contact des roches en fu-
sion ; aussi n'aurait-on peut-être jamais pensé i
l'admettre, si l'on n'y avait été conduit par l'ob-
servation du métamorphisme de contact; mais on
ne peut plus contester son existence depuis que
l'on a reconnu qu'un même dépôt composé de
craie, de sable et d'argile dans une plaine en cou-
ches horizontales, passe à l'état de marbre, de
quarzite et de schiste satiné dans une montagne en
couches disloquées, état de choses que M. Elle
de Beaumont a ingénieusement comparé à un tissu
à moitié charbonné. Du reste, une lois que l'on a
reconnu que des émanations de l'intérieur ont pu
modifier des portions de roches, on peut conce-
voir que les phénomènes qui ont soulevé et dis-
loqué de grandes parties de l'écorce terrestre, ont
produit une chaleur et des émanations suffisantes
pour que l'action métamorphique se fît sentir sur
tout le massif disloqué. Lorsque l'on a commencé
à faire ce rapprochement, on assimilait entière-
ment cette action au métamorphisme de contact,
et on l'attribuait à l'action immédiate des roches
éruptives qui avaient traversé soulevé des dé-
pôts disloqués ; mais, comme il existe des contrées
où la tiansformation a eu lieu sans que l'on y
aperçoive des roches éruptives, et que l'on voit
souvent de ces roches qui ont traversé les masses
stratifiées sans que les parties de ces dernières
qui avoisinent les premières soient différentes de
la masse principale, on doit reconnaître que la
modification est due à une action plus générale
que celle do l'injection dos roches éruptives. On
conçoit d'ailleurs que quand celles-ci, en crevas-
sant l'écori^e terrestre, parvenaient jusqu'au jour,
elles perdaient bientôt une partie do leur chaleur,
et que les émanations gazeuses qui s'en échap-
paient se dissipaient dans I atmosphère, tandis
que, quand le massif de roches stratifiée-l mettait
un obstacle au passage du liquide intérieur, la
chaleur dont celui-ci était doué, et les matières
gazeuses qui s'en échappaient, devaient exercer
une action beaucoup pins générale sur la masse
qui faisait obstacle à leur passage.
On voit par ce qui précède qu'il ne doit pas
exister do limites tranchées entre, les roches mé-
tamorphiques et les autres matériaux qui compo-
sent l'écorce du globe, lin effet, l'action métamor-
phique partant du point de contact des matières
cjaculces avec celles qu'elles traversaient, on con-
çoit que ses effets doivent aller en diminuant d'une
manière presque insensible; de sorte qu'il doit
être souvent impossible de savoir où elle s'est ar-
rêtée, d'autant plus qu'il y a encore d'autres cau-
ses, notamment la pression, qui peuvent modifier
les caractères originaires des dépôs.
Les phénomènes du métamorphisme donnent
.lussi une explication très facile de l'origine des
minéraux duséminis dans des roches d'une autre
MÉTÉOROGNOSIE
1300 —
METEOROGNOSIE
nature ; ou, pour mieux dire, la formation de ces
minéraux n'est qu'une simple conséquence du
méianiorpliisme; car, si la clialeur a dilaté les
roclies préexistantes et permis l'iniroduction dans
leur sein d'émanations de natures différentes, le
jeu des a'fiiiités a du donner naissance à la for-
mat-on de cristaux divers, de même que, dans nos
chaudières de cristallisation et dans nos fourneaux
de fusion, nous voyons se former des cristaux de
diverses naiures. Cette manière de voir explique
pourquoi' les minéraux disséminés sont si rares
dans les dépôts neptuniens non motamorplii(|ues,
et pour(|Uoi ceux que l'on rencontre dans les dé-
pôts métamorpliiques ont en général beaucoup de
rapport avec ceux qui se trouvent dans les roclies
plutoniennes. Il est à remarquer b. ce sujnt que,
dans les roches trappéennes et au voisinage de
ces roches, il s est principalement formé des
hydrosilicates, tandis que ce sont des silicates
anhydres qui se trouvent dans les granités et dans
les dépôts voisins des granités.
Les changements résultant de l'introduction de
principes étrangers dans des roches préexistantes
ont aussi donné les moyens d'expliquer le nlive-
ment r/px conclies qui recouvrent certains amas
lenticulaires, notamment ceux de gypse enfermes
dans des marnes triasiques. En effet, le calcul dé-
montre que si du calcaire est transformé en
gypse, celui-ci prend un volume beaucoup plus
considérable que celui du calcaire. Or, lorsqu'on
voit que l'eau, en se congelant, brise les vases les
plus lenaces, et que de simples racines d'aibros
soul('venl des pierres d'un grand poids, on conçoit
que le gonflement éprouvé par le calcaire Iran.s-
formé en gj'pse puisse relever et même renveiser
les couches qui le recouvr, lient.
Enfin le métamorplii-mn ■ i nibiné avec les mou-
vements (|ue les soulève'ii''nts ont imprimés aux
dépôts, donne les moyens de concevoir l'origine de
la fo inlion, c'est-à-dire des feuillets schisloides
contrastant avec la direction des couches, ainsi
que cela a lieu si fréquemment dans les ardoisières
des Ardennes; fait dont il était impossible de se
rendre raison, car si ces feuillets résullaiint du
dépôt successif des sédiments, leurs plans auraient
dû et le parallèles 00 peu 0bli(|ucsà ceux des couches
qu'ils forment. On conçoit au contraire, et l'ex-
périence a prouvé, que réchauffement d'une roche
dihitjnt lies molécules donne à celles-ci de I apti-
tude à glisser les unes sur les autres lorsque la
roche est mise en mouvement sons une forte prns-
sinn, et qu'il peut en résulter la formation d'une
texture feuilletée dont les joints de clivage sont
parallèles à la direction de ce mouvement.
Actuellement, un ceitain nombre de géologues
regardent comme métanrorphiqucs un grand
ensemble do roches cristallines stratifiées situées
au di'ssous de tous les terrains sédimentaires à
fossih's; mais nous préférons les considérer en-
core comme le résultat de la consolidation h'Ute
des parties les plus extérieures du globe terrestre
et 1rs décrire sous leur ancien nom do lenvihts
primitifs *. [V. Raul n.]
HIKTAVAr.!'.. — ■y. Exploitn'inn (Si/slè'nes d').
AIÉ'I KOliOL-oroSli:. — Météorologie, XX. —
Art de prévoir les changements de temps d'après
certains signes ou pronustici.
l'r,.i}iislics founiis i,a<- l'homme et Ifs animaux
— Un grand nombre de personnes dont le sys-
tème nerveux a acc|uis un c rtain degré d'irrita
bilité soit par suite de maladies ou d'affections
rhumaiisraalfs, soit par alTaiblisscmeiit du système
musculaire ou sanguin, soit par toute autre cause,
^c^scntl•llt fréquemment des indispositions plus
ou moins graves aux époques de changement do
temps. A l'approche de la pluie, les hirondelles
rasent la terre de leur vol, les lézards se cachent,
les chats se fardent, les oiseaux lustrent leurs
! plumes, les mouches piquent plus fortement, les
i poules se grattent et se couvrent de poussière,
I les oiseaux aquatiques battent des ailes et se bai-
gnent. Tous ces actes se rattachent à des causes
diverses : l'accroissement de chaleur et le calme
humide qui précèdent l'arrivée des orages, les
mouvements électriques de l'atmosphère, tout
aussi bien que l'arrivée de la pluie. Tous ces pro-
nostics n'ont donc de valeur pratique que si une
observation attentive et prolongée a permis de leS'
rattacher à l'état de l'atmosphère et h ses varia-
tions. L'emploi des instruments donne une base
plus précise à ce travail de comparaison, sans eil'
I diminuer la nécessité.
l'ionosHcs généraux. — Sur la surface de l'Eu-
I rope, les variations du temps sont sous la dépen-
dance des fluctuations du courant équatorial,
(V. Cimrantsaérvnsit man?;sl, etdcs mouvemcnt&
tournants qui s'y succèdent à de courts intervalles
, (V. Oriiges, Tenij ê es. : Le ciel y est généralement
I couvert ou nuageux sur le trajet du courant équa-
torial : d'autant plus qu'on est plus près des côtes
ou qu'on est plus élevé sur le versant occidental
des massifs mintagneux; d'autant moins qu'on-
est plus avant dans l'intérieur des terres ou qu'on
est mieux abrité par les montagnes. Le ciel est
pur dans les régions oii sont établis les courants
de retour ou courants polaires ; il e^t encore
beau, mais d'une manière moins constante, dans-
la région comprise entre le courant équatorial et
le courant polaire.
Les massifs montagneux produisent des dévia-
tions quelquefois considérables dans le courant
équatorial ou polaire, et il est nécessaire d'en
tenir compte dans chaque région de la France.
Chaque branche dérivée dunneia lieu à des pro-
babilités de pluie d'autant plus ^irandes qu'elle
marchera de régions plus chaudes vers des ré-
gions plus froides ou qu'elle gravira ries pentes
plus prolongées. Les probabilités se changeront
presque en certitude à l'approche de chaque bour-
rasque tournante, forme sous laquelle se présen-
tent à peu près toutes les perturbations atmosphé-
riques de 1 Europe.
Il est presque sans exemple qu'un mouvement
tournant de lair ait abordé l'Europe sans y semer
des pluies, et qu'une pluie un peu importante
survienne sans se rattacher au passage plus ou
moins proche ou lointain d'un mouvement tour-
nant. Ces derniers sont accusés, sur le bulletin
météorologique quotidien, par la forme concave,
dirigée vers le centre du mouvement, que prennent
les lignes d'égale pression barométrique à la sur-
, face de notre continent — V. l'rei ixion du temps.
! Le passage d'un mouvement tournatit en vue
d'un lieu donné ne dure généralement qu'un pe-
tit nombre de jours; les pluies qu'il amène sont
encore moins prolongées, surtout en été ; mais ces
phénomènes se suivent souvent à des intervalles
rapprochés, et l"ur ensemble peut constituer toute
une saison ou toute une année pluvieuse. Les ora-
ges suivent la marche des pluies. Il ne s'en forme
jamais dans la région occupée par le courant po-
laire, mais seulement dans le courant équatorial.
Quelquefois cependant il s'en forme dans la bran-
che descendante de ce dernier courant vers le sud,
alors que, limité dans son expan.sinn sur l'Europe,
il pénètre au travers de l'Allemagne ou de la
France sur le bassin de la Méditerranée.
l'ronoslics tiies du bnrnmelre. — La hauteur du
baromètre en un lieu varie avec la direction du-
courant général qui règne en ce lien et (|ue les gi-
rouettes accusent d'une manière beaucoup moins
sûre que la niaiclie des nuages. Cette hauteur est
moindre que la moyenne quand on est en plein
courant éipiatorial ; elh- augmente gradnellemeiit
quand on s'approche do la rive méridionale du lit
de ce courant; elle est supérieure à la moyenne-
METEOROGNOSIE
1301 —
METEOROGNOSIE
■quand on est placé en (lel)or3 du courant, dans la
concavité de l'orbe qu'il décrit, entre le courant
équalorial ot lo courant de retour ou courant po-
laire. L'iiscillation des courants oquatorial cl po-
laire il la surface de l'Europe produit donc des
oscillations correspondantes dans les hauteurs du
baromètre ; mais ces oscillations sont généralo-
mi'ut progressives et à longues périodes, durant
plusieurs semaines, quelquefois des mois entiers.
Les périodes de pression barométrique générale-
ment basse ne sont pas continues, elles sont en-
trecoupées par des iiausses barométriques acci-
dentelles et temporaires dont cliacune se rattaclie
au passage d'une bourrasque avec retour ou
recrudescence du mauvais temps. Ctiaque bour-
rasque tournante est, en effet, précédée et suivie
d'une hausse barométrique; elle est accompagnée
d'une baisse qui atteint son maximum au centre
môme de la bourrasque. L'oscillation accidentelle
qui en résulte dans la hauteur du baromètre est
d'autant plus brusque et plus profonde que le
centre do la bourrasque pa.sse plus près de nous
et que la perturbation est plus intense.
En suivant la marche du baromètre, on recon-
naîtra, par un retour à la hausse succédant i une
baisse, que le centre de la bourrasque, après s'être
approché de nous, commence h s'en éloigner.
Le baromètre est donc l'instrument par ex-
cellence de la prévision du temps en France;
mais il est nécessaire de se familiariser avec ses
indications par une pratique de tous les jours.
On peut y employer soit un baromètre à cadran,
ancien système, soit un baromètre métallique,
anéroïde, holostérique, etc. On ne doit jamais
s'en tenir à ses indications actuelles ; mais con-
sulter ses mouvements, en partant, autant que
possible, de sa hauteur moyenne dans le lieu où
il est placé.
Dans les périodes de beau temps, le baromètre,
généralement haut, varie peu. Sa baisse peu pro-
noncée indi(|ue une bourrasque passant au loin
dans le^ nord, mais sans nous atteindre. Si la
baisse s'accentue et se prolonge, c'est que lo cou-
rant équalorial s'approche de nous amenant des
temps variables et souvent des pluies. Les signes
barométriques acquièrent alors des valeurs très
inégales suivant qu'on est en plein été, dans une
période de temps orageux, ou bien qu'on est en-
tré dans la saison froide, de l'automne au prin-
temps, époque des tempêtes. Dans cette dernière
■les oscillations du baromètre sont profondes. Dans
la première, au contraire, elles sont faibles et les
plus forts orages arrivent souvent quand le baro-
mètre est à sa hauteur moyenne. Toute baisse
du baromètre dans les périodes de temps va-
riables indique une tendance à la pluie, mais
l'arrivée de celle-ci est généralement précédée
4'un ou deux beaux jours. Toute hausse du baro-
mètre indique une tendance au beau temps, mais
souvent précédé de pluies peu durables. Le baro-
mètre continuant à mor.ter, le beau temps s'ac-
centue; mais si le vent des nuages, qui a lourtié
vers l'ouest ouïe nord ouest, cesse de continuer
à gagner le nord et le nord-est, surtout s'il rétro-
grade vers l'ouest, ce n'est qu'un répit : une nou-
velle bourrasque suit la première et, produira la
même série d'effets.
Pronnstics tvés du thermomètre. — En hiver, la
température est généralement douce sur le trajet
du courant équatorial, en même temps que le ciel
est couvert ou pluvieux. Sur celui du courant po-
laire elle est au contraire d'autant plus froide que
ce courant vient de plus l"in dans le nord-est.
Entre les deux courants, l'air est calme, le ciel
souvent brumeux; le froid moins vif est plus hu-
mide et plus désagréable.
Durant l'été, la température baisse au contraire
•en plein courant équatorial sous l'action das nua-
ges et dos pluies. Le courant polaire est chaud et
sec ; l'évaporation qu'il produit à la surface de
notre corps nous aide à supporter la chaleur;
mais la sécheresse jointe à une grande lumière
amènent quelquefois le hâle des récoltes. Entre
les deux courants l'air est calme, chaud et hu-
mide ; la chaleur devient pénible. Les fluctuations
du courant équatorial vers le sud ou le nord
amèneront donc des fluctuations correspondantes
dans la température d'un même lieu, mais elles
sont généralement à longues périodes. On les
retrouve encore en plein courant équatorial, mais
elles y sont dues aux bourrasques tournantes et
elles ne durent alors que quelques jours, sauf à
se renouveler à des intervalles plus ou moins
rapprochés. Sur chaque disque tournant de l'air,
la température est à son maximum sur le demi-
cercle méridional et antérieur, là où les vents souf-
flent d'entre sud-est et sud-ouest; elle est à son maxi-
mum dans le demi-cercle septentrional et posté-
rieur, lioii les vents soufflent d'entre oueslet nord-
est. Le passage d'une bourrasque tournante estdonc
précédé d'une hausse du thermomètre en même
temps que d'une hausse du baromètre; mais le
baromètre a déjà commencé à descendre que la
température continue à monter. Ce passage est
suivi d'une baisse du thermomètre en même
temps que le baromètre se relève. C'est alors
que les gelées blanches sont particulièrement à
craindre dans le printemps. Succédant à une pé-
riode de quelques jours humides et chauds,
elles trouvent de jeunes pousses pleines de sève
nouvelle et très sensibles au froid.
Si, malgré la hausse du baromètre, l'air reste
tiède, lèvent rétrogradera vers l'ouest. C'estqu'une
nouvelle bourrasque suit la première : le beau
temps sera de courte durée.
Le thermomètre employé peut êlre un thermo-
mètre à alcool, qui est d'un prix peu élevé; autant
que possible on le place au nord; s'il est adossé à
un mur, il doit en être écarté de 10 à Vl centi-
mètres. La température la plus basse de chaque
nuit est celle à laquelle M. do Gasparin attachait
le plus d'importance. Elle est donnée par le ther-
momètre à minima à alcool, que l'on pose dans
une position presque horizontale, le réservoir un
peu plus bas que l'extrémité opposée, et qu'on
redresse chaque jour après la lecture, pour re-
mettre l'index en contact avec l'extromiié libre de
la colonne liquide.
D'après M. de Gasparin, le vent soufflant de la
région cliaude et humide, si la température mi-
nima de la nuit s'abaisse, la pluie est très proba-
ble pour le jour môme ou le jour suivant.
Si cette température minima s'élèvo pendant
que régnent les vents froils et secs, ces derniers
sont près de leur fin, et il peut y avoir pluie par
rentrée des vents du sud. La fi,xité des minima
annonce la continuité du môme temps.
Les minima haussant graduellement annoncent
que l'air devient moins sec, qu'il se sature de va-
peur et qu'on marche vers la pluie. L'inverse a
lieu quand le ciel tourne au beau temps.
Pronostics lunmres. — Parmi les dictons les
plus enracinés dans le peuple se trouvent ceux
qui s'appuient sur les phases de la lune ; ce sont
aussi les plus controversés parmi les météorolo-
gistes. Il en est ainsi en particulier de la lune
rousse. Cette lunaison coïncide à pou près avec
la période critique des gelées tardives. Elle a
longtemps tenu lieu pour les cultivateurs d'al-
manach et d'instruments météorologiques ; et on
l'a considérée comme la cause des faits dont elle
n'est que le témoin accidentel. Quand la lune
brille, le ciel est clair; quand le ciel est clair, le
refroidissement nocturne est intense au printemps
et les gelées blanches sont à craindre, surtout si
elles succèdent à une période de jours pluvieux
METEORE
— 1302
METEOROLOGIE
et chauds. L'action de la lune sur le baromètre,
sur le tliermomètre, sur la pluie ou l'état du ciel,
est tellement problématique qu'il est à peu près
impossible de la constater par des chiffres pri^cis
et que les résultats obtenus changent ou se ren-
versent d'un lieu à l'autre ou d'une année à l'au-
tre. La crédulité publique a étendu l'influence
des phases lunaires à toutes les opérations agri-
coles, h tous les actes de la \ie des champs. Avec
M. de Gasparin, l'un de nos plus grands agrono-
mes, not;s dirons aux personnes les plus prévenues
en faveur des influences lunaires : Ou vous pensez
que ces influences résident principalement dans
les modifications qu'elles impriment à l'atmosphère
et, par contre-coup, à la végétation ; alors simpli-
fiez votre tâche : adressez-vous aux résultats sans
remonter aux causes, consultez, pour planter, se-
mer, récolter, etc. .l'état du terrain ft l'état du ciel,
sans vous préoccuper des phases de la lune. Ou
bien vous croyez que la lune agit par elle-même
sur la plante, sur la marche occulte de la sève, etc.
Cette opinion a été soumise à de nombreuses vé-
rifications, fondées sur des données précises régu-
lièrement enregistrées et non sur de fugitifs sou-
venirs, et rien n'est venu en confirmer l'exacti-
tude. Les concordances et les discordances se
présentent toujours en égal nombre et de valeurs
semblables, et on en trouve l'explication dans
les faits purement météorologiques et nullement
dans les phases lunaires. [Marié-Davy.]
MÉTÉOBE. — Météorologie VU et XIII. —
Étym : du grec météôros, élevé. — Dans le langage
des météorologistes, ce mot s'applique à tous les
phénomènes qui se produisent dans l'atmosphère.
Les nuages, la pluie, la neige, sont des météores
aqueux, comme l'arc-en-ciel ; les couronnes, les
étoiles filantes sont des météores lumineux. — V.
Méténrotoqic, Phénon,è?tes optiques de l'atmosphère.
HÉTEORITES. — Nom primitivement donné
aux pierres tombées du ciel. — V. AéiolUlies.
MÉTÉOROLOGIi;. — La météorologie ou science
des météores a pour objet l'élude des variations
du temps et des climats, ainsi que la recherche
de leurs causes et de leurs effets.
La météorologie est très ancienne. Dès le com-
mencement des temps historiques, on trouve dans
les traditions des peuples les moins civilisés quel-
ques notions de météorologie particulièrement
applicables à la prévision des changements de
temps; dans les ouvrages des peuples de l'antiquité
classique, on rencontre une foule d'observations et
de lois météorologiques consignées avec soin.
Malgré cette origine reculée, et malgré ses rap-
ports continuels avec l'astronomie, la météorolo-
gie est encore peu avancée. C'est qu'elle est essen-
tiellement une science d'observation portant sur
des faits d'une mobilité extrême, et que pendant
de longs siècles les observateurs, dépourvus de
tout moyen de mesure, devaient s'en tenir à l'exa-
men du ciel et des vents et aux impressions fu-
gitives et changeantes que les interrpéries exer-
cent sur nos organes. Ses progrès les plus mar-
qués datent d'une époque récente.
L'invention du thermomètre * à la fin du seizième
ou au commencement du dix-septième siècle ; celle
du baromètre* vers le milieu du dix-septième siècle,
ont déjà permis de substituer des évaluations pré-
cises aux indications vagues qui les avaient pré-
cédées, et d'agrandir le champ des observations.
Avec le pluviomètre, dont l'usage est à peu près
contemporain des deux premiers, et la girouette,
dont l'origine est très lointaine, on a l'ensemble
des quatre instruments principaux qui ont long-
temps suffi à l'étude générale des climats du g!obe
et des intempéries des saisons. Aujourd'hui encore
ils forment la base du travail des avertissements
météorologiques en usage dans la plupart des pays
civilisés. Mais si leurs indications, augmentées de
celles que fournit l'examen direct de l'état du cie!,
peuvent conduire à la découverte des causes des
variations du temps, elles sont insuffisantes pour
en faire connaître les effets sur la végétation ou
sur la santé publique. Ici, le champ de l'observa-
tion s'élargit et se transforme. Pour discerner
quelles sont les données météorologiques réelle-
ment actives sur la végétation, quelles seront les
conséquences immédiates ou lointaines des allu-
res d'un climat ou d'une saison sur les cultures
engagées ou sur celles qu'il convient d'entrepren-
dre, les rapprochements vagues, indéterminés ne
peuvent conduire qu'à l'erreur ; l'étude exacte de
la marche des cultures doit être constamment as-
sociée à celle de la marche des saisons : les me-
sures doivent y être faites avec un égal soin. On
constate alors que les résultats ordinaires fournis
par le baromètre, le thermomètre, le pluviomètre,
la girouette et l'inspection du ciel sont incomplets
au point de vue agricole ; qu'il est un autre élément
aussi essentiel à évaluer que la chaleur et l'hu-
midité : c'est la lumière que le ciel nous départit
en proportions très variables. L'éclairement des
plantes ne peut pas être évalué avec quelque pré-
cision par la simple inspection des nuages; on le
mesure exactement avec Vacti?w»iètre.
Même augmenté de l'actinomètre, le matériel
d'observation du météorologiste est donc encore
très simple ; mais la valeur du tr ivail qu'on en tire
au point de vue de la science ressort principale-
ment de la réunion et de la discussion de l'ensem-
ble des données similaires recueillies sur la plus
grande étendue possible de la surface du globe.
La théorie de la plupart des phénomènes mé-
téorologiques, envisagés en eux-mêmes et sur place,
est déjà très avancée grâce aux travaux des physi-
ciens. C'est l'étude de leur origine, de leurs causes,
de leurs effets qui laisse le plus à désirer. Déjà,
cependant, llumboldt, en réunissant les obser-
vations de température connues de son temps, a
pu figurer sur une sphère terrestre le mode gé-
néral de répartition de la chaleur à la surface du
globe. Berghauss, à l'aide des relevés de pluie
également épars, a pu construire une carte approxi-
mative de la répartition des pluies sur la terre, en
sorte que l'on connaissait déjà deux des éléments
de la distribution géographique des plantes libres
et des cultures.
Maury, en compulsant un nombre considérable
des livres de bord tenus par les marins pendant
leurs traversées, a pu reconnaître et figurer sur des
cartes le mode général de circulation de l'atmo-
sphère sur la surface des océans ; il a pu en même
temps tracer aux navigateurs les routes les plus
courtes en durée pour se rendre d'un point à ui>
autre ; et les traversées les plus longues ont été
abrégées de plus d'un tiers. 'Tous ces grands tra-
vaux d'ensemble, plus ou moins imparfaits à l'ori-
gine, se complètent peu à peu. Ils constituent de
grands progrès qui en appellent d'autres.
Pour reconnaître la nature des liens intimes
qui unissent entre eux les divers climats du globe ;
pour trouver l'origine, la cause, la nature, le mode
de progression et les signes précurseuis des per-
turbations atmosphériques auxquelles nous som-
mes exposés, les observations faites à des dates
indéterminées sur les divers points de la terre et
des mers ne suffisent pas; il y faut, de plus, la
simultanéité de ces observations permettant la
construction de cartes synoptiques du temps dres-
sées chaque jour, afin de figurer l'état général de
l'atmosphère à un même instant, et de suivre les
changements qui s'y produisent d'un jour à l'autre.
Plus les régions embrassées gagnent en étendue,
plus il convient au début de limiter les données
employées et de les réduire à celles qui ont lo
plus d'importance au point de vue du travail en-
trepris.
MÉTÉOROLOGIE
— 1303
METEOROLOGIK
Le grand mouvement nidléorologicino dont nous
sommes témoins a eu son origine en France dans
la seconde moitié du siècle dernier.
Lavoisior, frappé de l'importance des premières
observations de borda sur la possibilité de prédire
le temps h courte écliéanco, s'entendit avec lui
pour ouvrir di-s conférences auxquelles prirent
partl.aplace.d'Arcy, Vandermonde, Montigny, etc.
Il s'agissait d'établir des instruments et surtout
dos baromètres comparables sur un grand nom-
bre do points de la France, de l'Europe, et môme
de l'univers. Nombre de ces instruments furent
distribues par Lavoisior, et, quand on en a lu la
description, il n'est pas difficile de s'assurer que
quelques châteaux possédaient encore, il y a peu
d'années, des instruments donnés par lui b. cotte
occasion.
L'idée éminemment française de Lavoisier dis-
parut avec lui, mais pour être reprise par la France
dans des conditions plus favorables. C'est h l'Ob-
servatoire de Paris que fut conçu et réalisé le pro-
jet de réunir en un bulletin quotidien les obser-
vations simultanées faites à la môme beure le ma-
tin de chaque jour dans les principales stations de
l'Europe et expédiées à Paris par télégraphe. C'est
là que furent inaugurées les premières cartes
synoptiques du temps sur l'Europe, que furent
rédigées les premières cartes de la marche des
tempêtes sur l'Atlautiquo, de la marche des orages
sur la France.
Tout cet ensemble de recherches qui s'est gé-
néralisé en Europe et qui a été établi sur une très
large échelle en Amérique, a pour principal objet
la science des mouvements de l'atmosphère, et les
avertissements qui en peuvent découler concer-
nant les changements de temps probables dans un
avenir très prochain. Il est loin de répondre h
tous les besoins de l'agriculture.
Il est sans doute des circonstances dans les-
quelles l'annonce faite quelques heures à l'avance
de l'arrivée d'un orage qui compromettra la ren-
trée d'une récolte ou cette récolte elle même, peut
rendre i l'agriculteur de grands services. Il en est
de même de l'annonce des crues qui menacent ses
intérêts les plus chers. Mais, en dehors de ces cas
spéciaux, l'agriculteur subit passivement les intem-
péries. Ce qui lui serait plus généralement et pltis
pratiquement utile, serait de lui apprendre les re-
lations vraies qui exislent entre les variations du
temps et la marche de ses cultures ; de lui fournir
les moyens de prévoir quelle sera la valeur de ses
récoltes pendantes et, par suite, de pallier pour
lui leur insuffisance ou de profiter le mieux pos-
sible de leur succès; de le renseigner enlin, s'il
se peut, sur les caractères probables d'une année
agricole qui va commencer, afin qu'il puisse régler
ses emblavures au mieux de ses intérêts.
Pour cultiver avec économie et profit, il faut
connaître sa terre et son climat; il faut, de plus,
savoir de quelle façon la plante cultivée se com-
porte en présence des éléments climatériques ou
autres au milieu desquels elle vit, ce qu'elle exige
d'eau, de chaleur, de lumière; ce qu'il lui faut
d'engrais divers en raison de l'eau, de la chaleur
et de la luniière dont elle dispose. L'observateur
qui travaille pour la météorologie générale four-
nit les matériaux d'un type uniforme et convenu,
qui seront élaborés dans l'établissement central
d'où lui reviendront les résultats déduits de l'en-
semble. Tout en continuant cette collaboration né-
cessaire, le météorologiste agricole doit travailler
aussi pour son propre usage, sur le terrain qu'il
occupe et que nul ne connaît mieux que lui. Il
doit y associer sans cesse l'observation de la mar-
che des cultures à celle de la marche des saisons,
afin de se pénétrer de leurs liens communs, trop
généralement faussés par des préjugés nés d'une
interprétation incomplète de faits eux-mêmes in-
suffisamment étudiés. Rien n'est plus propre d'ail-
leurs à développer ses facultés d'observation et à
accnltre les plaisirs des champs.
La météorologie agricole est loin d'avoir suivi la
marche progressive imprimée à la météorologie
générale. Elle a été magistralement traitée par
M. de Gasparin dans son Cours d'agriculture. De-
puis cette époque, déjà un peu éloignée cepen-
dant, nous ne voyons guère qu'on ait songé !i com-
bler les nombreuses et importantes lacunes que
l'éiuinent agronome signalait lui-même aux mé-
téorologistes. La cause en est restée la même que
de son temps. « Préoccupé des grands problèmes
de la physique générale du globe, dit M. de Gas-
parin (t. II, p. 21, de son Cours d'agriculture), le
météorologiste néglige les détails qui sont les plus
importants pour nous. Qu'il soit question, par
exemple, des abaissements de température, nous
devons consulter leurs effets sur le sol, sur les
plantes, les époques où ils arrivent, leur coïnci-
dence avec l'état de la végétation, qui les rendent
plus ou moins pernicieux ou indifférents ; les
régions du glohe qu'ils affectent, leurs limites qui
indiquent les limites des différentes cultures, les
probabilités de leur retour en chaque lieu, ce qui
mesure les chances de réussite de certains végé-
taux, etc. Toutes ces notions appartiennent bien
à la météorologie, mais elles importent peu aux
physiciens, tandis qu'elles préoccupent vivement
l'agriculteur. Les premiers insisteront sur les
questions qui se rattachent i la tem|iérature de
l'espace, à la chaleur intérieure du globe, tandis
que nous devons surtout étudier ce qui se passe
dans le milieu où vivent nos plantes, la couche
d'air en contact avec la terre, la couche de terre
où plongent leurs racines. »
Il en est de môme de la question capitale de la
lumière qui, en l'absence d'un instrument de me-
sure, a coûté tant de peines h M. de Gasparin pour
la sortir du vague où elle était laissée. Les météo-
rologistes physiciens se préoccuperont surtout du
pouvoir lumineux du soleil, du degré de transpa-
rence de l'atmosphère sous un ciel accidentelle-
ment pur. Le météorologiste agronome, au con-
traire, s'efforcera surtout de mesurer la somme
effective de lumière que le ciel envoie par tous les
temps aux plantes, qui ne peuvent vivre et croître
que sous l'action de cette lumière.
La météorologie doit être étudiée sous toiis ses
points de vue, dans ses lois générales aussibien
que dans ses applications diverses : les premières
servant de guide sîir dans les secondes; mais, dans
les campagnes surtout, celles-ci ne doivent pas
être sacrifiées à celles-li. C'est dans ce sens qu'il
convient de développer le programme suivant.
Nous le partageons en deux parties : la première
consacrée à la météorologie générale; la seconde
consacrée à la météorologie agricole. Les dévelop-
pements h donner à l'une et à l'autre peuvent
changer avec les conditions spéciales dans les-
quelles est fait le cours.
PROGRAMME DU COURS
1"= partie: Mistéorologie généiiale.
I-IV. — La météorologie, sa place dans les
sciences, son utilité. — L'atmosphère, sa compo-
sition, éléments constants ou variables qu'elle con-
tient ; son action sur les températures du globe.
— Températures de l'air suivant l'altitude et sui-
vant les saisoiis. — Températures à la surface du
sol ; leur distribution suivant la latitude et dans le
cours des saisons. — Circulation générale de l'at-
mosphère et des mers ; leurs causes; leur influence
réciproque sur les températures dos continents. •—
Lignes isothermes. — V. A/mosjihne, Air, Cha-
leur, Rajonnemeid, Température, Thermomètre,
MÉTIERS
— 1304 —
METIERS
^Baromètres, Coumnt, Ilumid4é, Hygrométrie, Ge!,
Gelée blanche, Givre.
V-V'I. — Perturbations de l'atmosplière, vents,
tourbillons et tempêtes. — Origine et mnde de
.progression des vents et tempêtes. — Influence
des vents sur l'état du ciel et sur la température
de l'air et du sol. — V. Vents, Tempêtes, Baro-
mètre.
^ VII-X. — Météores aqueux; nuages, pluie, neige,
grêle. — Relations qui existent entre la pluie et la
circulalion générale de l'atmosphère ; répartition
générale des pluies à la surface du globe. — Rela-
tions qui existent entre les pluies et les veots,
tourbillons ou tempêtes; distribution des pluies i
la surface de la France. — Influence do la position
du lieu, de son altiiude et des circonstances lo-
cales. — Quantité d'eau tombée par jour de pluie,
fréquence des pluies et nébulosité du ciel suivant
les saisons. — V. Nuages, Pluie, Serge, Baromètre.
XI-XII. — Electricité atmosphérique ; orages,
éclair, foudre, tonnerre ; paratonnerre. — Magné-
tisme terrestre. — V. Electricité, Orages, Foudre,
Piiratomt' rre, Mugnéti^me.
XIII. — Phénomènes optiques de l'atmosphère ;
aurores boréales, arc-en-ciel, halos : météores, mé-
téorites, bolides, aérolithes. — V. Méléorfs, Aéro-
lilhes, l'hénomènes optiques de l'atmosphère.
II' partie: Météobologie agricole.
XIV-XIX. Influence de l'eau sur la végétation ;
■pluies, irrigations. — Influence de la chaleur sur la
végétation; chaleur atmosphérique, chaleur so-
laire ; durée des cultures. — Influence de la lu-
mière sur la végétation ; qualité des récoltes. —
■Climats, régions agricoles ; limites des cultures.
— V. Climiils, Régions agricoles. Pluies, Irriga-
tions, Inon'latio7is.
XX. — Avertissements météorolopiques. — Pro-
nostics du temps. — V. PrévisioJi du temps, Mé-
tévrognosie. Baromètre. [Marié-Davy.]
MIÎTIKRS. — Connaissances usuelles, XI. —
Il est difficile de tracer une ligne de démarcation
précise entre les métiers et la grande industrie.
On peut dire que les premiers sont ceux auxquels
les ouvriers travaillent individuellement ou en
trèspetitsgroupes,oùils n'emploient que des outils
relativement simples et dans lesquels leur force
musculaire est généralement le seul moteur. Dans
la grande industrie, au contraire, la force muscu-
laire de l'ouvrier ne compte plus; sa puissance
directrice elle-même perd chaque jour de son
importance, à mesure que les grandes machines-
outils se perfectionnent et se spécialisent.
Ce n'est pas ici le lieu de chercher k évaluer
d'avance les conquêtes que l'industrie est encore
appelée h faire sur le domaine des anciens mé-
tiers, ni d'apprécier leur influence probable sur
le bonheur humain. En tout cas l'étude et la pra-
tique des métiers resteront les seuls moyens de
cultiver une faculté humaine importante, jusqu'ici
négligée dans l'éducation générale, nous voulons
dire l'habileté manuelle ; c'est grâce k la posses-
sion de cette faculté autant qu'à des conceptions
théoriques ou empiriques que les inventeurs ont
fait^ les grandes découvertes industrielles, et c'est
-vraisemblablen ent elle aussi qui sera le facteur
principal des progrès de détail réservés k l'avenir.
C'est afin d'attirer l'attention sur le développe-
ment de cette faculté, que nous allons présenter
quelques considérations sur les principaux mé-
tiers.
L'impossibilité de tout dire à la fois, le besoin
de suivre un ordr-e déterminé, de rapprocher les
travaux qui ont entre eux des rapports de diverse
nature, tout cela nécessite une classification, et, ici
comme ailleurs, trouver une bonne classification,
c'est avoir fait la majeure partie de la besogne.
La classification qui séduit tout d'abord consiste
à diviser les métiers d'après la nature des besoins
qu'ils sont destinés à satisfaire : alimentation, vê-
tement, logement. Son inconvénient est de laisser
de côté un certain nombre de métiers préparatoi-
res à ceux de cuisinier, de tailleur et de maçon, et
d'éloigner les uns des autres des travaux analo-
gues. Du reste aucune classification n'est parfaite,
et la classification dite naturelle est un idéal dont
on se rapproche sans doute, mais qu'on ne peut
atteindre. Nous préférerons donc une classification
qui fasse mieux comprendre les relations, les
analogies des divers métiers, leur dépendance ré-
ciproque, les progrès que peut introduire dans l'un
l'imitation des procédés employés dans un autre.
Celle que nous adoptons a pour point de départ la
nature des modifications que 1 on fait subir aux
matériaux. Ces modifications sont de deux sortes :
chimiques ou géométriques. De li deux grandes
classes.
La première comprend la cuisine, la conserva-
tion des aliments, les industries accessoires ou
préparatoires aux métiers du vêtement et du loge-
ment, telles que la préparation des fibres textiles,
la tannerie, la teinture, la fabrication des produits
chimiques.
La seconde peut être subdivisée en trois, d'après
le nombre des dimensions dominantes des objets
fabriqués ou employés comme matières irumédia-
tes.
Dans la première subdivision se place la filature
des fibn. s textiles, de la laine, de la soie, licorderie,
le tréfilage des métaux; citons, parmi les industries
qui s'y rattachent encore, la fabrication des clous,
des épingles, des aiguilles, des chaînes.
La seconde comprend les tissus, tricots, travaux
au croihet, toile et réseaux métalliques, la con-
fection des vêtements, et en général le travail du
papier, du carton, des étoffes, des cuirs, des lames
métalliques.
Dans la troisième, nous placerons à part la cul-
ture, l'action de l'ouvrier n'étant qu'une aide ac-
cessoire ou une direction des effets naturels, et
prendrons pour type : le modelage, d'où dérivent
la poterie, la briqueterie, la verrerie, la forge, la
fonderie; et la sculpture, comprenant le travail du
bois, des blocs métalliques, de la pierre, les divers
genres de gravure. Un grand nombre des métiers
que nous avons cités se sont plus ou moins com-
plètement transformés en grandes industries, et
des articles spéciaux leur ont été consacrés dans
ce Dictionnaire. Nous nous contenterons, dans
les quelques considérations que nous allons pré-
senter ici, d'indiquer ce qui ne le serait pas ail-
leurs.
A. MÉTtERS QUI FONT SUBIR AUX MATIÈRES PBE-
MrÈRES UNE MODIFICAT.ION CHIMIQUE. — Les ani-
maux mangent leur nourriture telle que la nature
la leur fournit, et pour un certain nombre d'entre
eux le travail de la digestion absorbe une partie
notable de leur énergie. Une découverte qui a
transformé les conditions de la vie humaine a dé-
montré que l'action du feu retuplaçait une partie
du travail d'assimilation, qu'un aliment cuit se
digérait plus facilement que le môme aliment cru ;
et la saveur de cet aliiuent a paru meilleure, ob-
servation probablement connexe avec la première.
Les innombrables expériences qui ont suivi cette
découverte ont fondé l'art de la cuisine. Cet art
en est arrivé aujourd'hui k comprendre une cer-
taine quantité do préceptes pratiques qui devraient
trouver leur place dans tout bon enseigneiuent.
La cuisine, dont la boulangerie, la pâtisserie, la
préparation des conserves, ne sont que des bran-
ches, devieiit déjà souvent, comme ces dernières,
une grande industrie. Les manutentions militaires,
la conrpagnie anglaise du pain aéré emploient
des machines, des fours continus dirigés par des
METIERS
— 1305
METIERS
mécaniciens plutôt que par dos boulangers. Dans
les grands liùtels des capitales, lus casernes, les
prisons, le cuisitiier emploie aux divers degrés
les appareils perfectionnes des industries chimi-
ques. Tandis que le procédé d'Apport, fondé sur
la destruction par la chaleur des germes de fer-
mentation contenus dans les aliments enfermés
dans des vases h(;rmétiquement clos, ne s'applique
gnf're que sur UJie grande échelle, toutes les mé-
nagères de la campagne et les petils marchands
des villes salent et fument la viande, sèchent des
légumes, des champignons, des fruits.
Des métiers préparatoires cités dans notre pre-
mière classe, il n'y a guère que la préparation,
teillage, rouissage du lin et du chanvre, le lavage
de la laine, qui occupent des travailleurs isolés;
tous les antres sont complètement conquis à la
grande industrie.
B. MÉTIERS QUI FONT SUBIR AUX MATIERES PRK-
UIÈRES UN CHANGIÎMENT DANS LA FORME GÉOMÉTRIQUE.
— 1. Oliiels OÙ II'. Iriiiail ne porie que sur nue s^ule
dimension. — On pourrait en dire autant de la
plupart des métiers de cette classe : la quenouille
et le fuseau sont tombés en dé-uétude; on voit
encore le cordier, entouré de chanvre et marchant
à reculons, arracher de sa ceinture les fibrilles qui
composeront le brin, mais ce n'est plus toujours
un malheureux enfant qui tourne la roue : les
ports militaires ont des corderies comparables aux
filatures, sauf la dimension de l'objet fabriqué. Le
bijoutier emploie encore la filière aux trous dimi-
nuant graduellement pour obtenir le fil d'or ou
•d'argent dont il ne peut avoir d'avance toutes les
dimensions désirables, mais l'industrie seule four-
nit le fil de fer, de cuivre, de laiton. A l'aide
d'un marteau qu'il manie avec une rapidité pro-
digieuse, le cloutier antique détache d'une baguette
de fer rougie un clou irrégulier, pendant que la
machine coupe à froid le fil do fer, en façonne
sans bruit et par simple pression la tête aux formes
géométriques. La chaîne de grosses dimensions
rentrerait plutôt dans notre dernière division ;
celle de taille moyenne seule se fabrique à. la
main à froid ; i l'industrie encore appartiennent
les chaînes à forme compliquées et celles de pe-
tites dimensions, qui atteignent leur minimum sur
les fusées des montres et des chronomètres.
II. Oi'jcti où le travail porte sur deux dimen-
sions. — La seconde division est le vrai domaine
des métiers proprement dits, sinon complètement
en ce qui concerne la fabrication des matériaux à
deux dimensions, au moins quant 5, leur utilisation.
Après que l'industrie a fourni le papier *, le car-
ton, les étoffes de toute espèce, le cuir", les
lames métalliques, c'est l'ouvriçr qui, guidé par
des principes géométriques, les découpe à l'aide
de procédés analogues. Le problème général est ce-
lui-ci : étant donnée une surface déterminée, une
partie du corps humain par exemple, la recouvrir
de portions de diverses surfaces doveloppables. Le
cas le plus simple est évidemment l'emploi immé-
diat des surfaces planes elles-mêmes, comme pour
la plupart des cartonna;;es. Mais ordinairement le
plan doit être plus ou moins déformé, et modifié
avec une précision qui varie suivant le but à
atteindie. De plus, à leur flexibiliié les matériaux
employés ajoutent une certaine somme d'élasticité
ou de malléabilité qui facilite le problème. Les
étoffes, les toiles métalliques aux mailles carrées
peuvent dans certaines limites s'allonger ou se
raccourcir dans le sens des diagonales et prendre
la forme de surfaces assez compliquées; les lames
d'argent, de cuivre, de fer peuvent à l'aide d'un
martelage, qui les allonge surtout dans le sens
perpendiculaire à la panne du marteau, être re-
pousséos. et prendre les formes les plus variées.
L'industrie obtient sans choc, par des pressions
successives, des elTets encore plus surprenants et
réussît, entre des poinçons et des matrices par-
faitement adaptées, à étendre ou à contracter des
lames que les moyens anciens eussent déchirées
ou froissées. Les tricots, les travaux au crochet, le
filet, soiit relaiivement peu annexés à la grande
industrie, et offrent à l'ouvrière les ressources
les plus variées; les mailles sont formées par un
seul fil dont les tours successifs viennent se lier
aux précédents d'une manière plus ou moins in-
time; la possibilité de fixer plusieurs points nou-
veaux à un seul ancien, ou inversement, d'aug-
menter ou de diminuer, permet de donner au tissu
toutes les formes, tous les ornements imaginables ;
de plus, le fil, dans les deux premiers tissus sur-
tout, n'est pas tendu, reste arrondi, ce qui leur
donne beaucoup d'élasticité et les rend spéciale-
ment propres h. la confection des vêtements qui
doivent s'appliquer exactement, tels que les bas,
les gants, etc.
Quels que soient la nature de la surface plane
déformée et le rôle qu'elle doit remplir, il est
rare qu'un seul morceau puisse suffire à l'exécu-
tion de l'objet demandé. Les procédés pour join-
dre les divers morceaux offrent de l'analogie
dans tous les métiers que nous plaçons dans cette
seconde classe. Citons, en première ligne, la sou-
dure autogène qui permet de réunir en une seule
deux lames de plomb dont les bords sont juxta-
posés, en fondant successivement leurs divers
points à la flamme du chalumeau. L'usage de
flammes puissantes et de petites dimensions per-
met d'étendre ce procédé .\ d'autres métaux ou
tout au moins d'employer pour le laiton, par
exemple, des soudures qui diffèrent i peine par
leur fusibilité, leur couleur, leurs diverses pro-
priétés, du métal qu'elles ont à joindre. Le fer-
blantier, le plombier emploient des soudures
tout à fait dilTorentes des métaux à unir, et leur
travail a l'analogie la plus proche avec celui du
cartonnier, du relieur, de l'ébéniste ; la colle forte,
la colle de pâte remplacent les alliages fusibles ;
les mêmes précautions sont h prendre pour le
rapprochement des surfaces h. unir, pour le net-
toyage parfait qui assurera leur adhérence à la
substance interposée.
La couture des étoffes, des peaux, du cuir fut
sans doute l'un des premiers métiers. L'aiijuille
rudinientaire, os pointu ou arête de poisson per-
cée, se retrouve dans les anciens restes de la ci-
vilisation primitive; l'aiguille moderne, merveille
de perfection et de bon marché, lype de ce que
peuvent accomplir les forces industrielles, est
l'instrument inévitable de toutes les ménagères.
Nous devons renvoyer pour les détails sur ce sujet
aux traités spéciaux, bien qu'une partie théorique
des plus intéressantes y soit toujours négligée ; c'est
cependant grâce à l'intuition de cette théorie que
le métier si minutieux de couturière a subi dans
ces vingt dernières années une transformation
complète par l'introduction de la machine à cou-
dre. Tout a dû être mélhodiquement calculé,
longueur, tension, résistance des fils, distance
des points successifs. A l'aiguille qui passe tout
entière il travers l'étoffe, entraînant un bout de
fil limité, on a substitué l'aiguille entrant en par-
tie dans l'étoffe et y laissant un fil illimité dont
chaque point se bouclait avec le précédent ; la
machine fondée sur ce principe, employant un
seul fil d'une longueur triple de la couture effec-
tuée, forme le point de chaînette décousable, ce
qui e~t tantôt un inconvénient, tantôt un avan-
tage. Une deuxième sorte de machine, dont lo
travail n'avait aucune analogie avec celui que la
couturière efl'ectue h la main, produisit à l'aide
de deux aiguilles et de deux fils indéfinis un puint
difficilement décousable, qui compte encore des
amateurs; mais la machine à navette, inventée si-
multanément par Singer et par llowe, paraît le der-
!-.lr:TIERS
— 130G
MEXIQUE
1
nier mot du progrès, détails ;\ part. Deux fils de lon-
gueur égale à la couture s'entrelacent à chaque
point. L'un, indéfini, est conduit par boucles suc-
cessives à travers l'étoffe par une aiguille sembla-
ble à celle de la machine à point de chaînette ;
l'autre, enroulé sur une petite bobine placée dans
la navette, traverse h chaque point la boucle for-
mée par l'autre fil ; tous deux se serrent en même
temps, et le résultat est un point presque identi-
que à celui des selliers et des cordonniers. Ces
derniers cousent avec deux fils imprégnés de poix
agglutinante, portant aux extrémités, au heu
d'aiguille, une soie de sanglier raide et suffisante
pour introduire le fil dans un trou percé d'avance
avec une alcne.
Le rivetage, employé à joindre les cuirs, les
lames métalliques, est analogue ii la couture ; le
fil de fer ou le rivet a ses deux extrémités élar-
gies par choc ou pression, la jonction est parfaite.
Ajoutons, comme mode de jonction des lames métal-
liques, le bouclage des ferblantiers, l'assemblage
à queue des chaudi'onniers, lesquels donnent,
après que la pièce est soudée ou brasée, un ré-
sultat d'une solidité absolue.
III. Oljjels où U travail parle sur les Irais di-
mensions. — Dans cette dernière section, nous ne
citons que pour mémoire le métier de cultivateur
et ses nombreuses variétés. 11 ne façonne pas
directement la matière ; il vient en aide aux forces
naturelles des êtres organisés, en dirige l'action
en intervenant sans cesse dans la lutte pour
l'existence qui est le fait dominant de la vie ani-
male et végétale ; il entrave ou arrête le déve-
loppement des espèces les moins utiles ou nuisi-
bles, facilite le développement de celles qui lui
servent.
Le travail de la matière, quand ses trois dimen-
sions sont d'égale importance, peut se rapporter
à deux types, le modelage et la sculpture. Ce
sont bien les deux premiers efforts de rimmaiiité,
ei, quelque grand que puisse être dans l'avenir le
rôle de la machine, le modelage et la sculpture
sont des domaines d'où la main ne sera jamais
chassée. Si, dans leurs manifestations les plus
élevées, ces travaux appartiennent à l'art, plu-
sieurs métiers proprement dits s'y rattachent. La
poterie, la briqueterie donnent toutes les formes
aux diverses argiles que des cuissons convenables
transforment en véritables pierres.
Le verrier modèle i son gré le verre amené par
la chaleur à l'état pâteux, le forgeron agit sur le
fer ramolli; mais, moins favorisé que le verrier,
il n'obtient de résultats qu'à l'aide des chocs du
marteau. 11 n'appartient qu'aux puissances de la
grande industrie de modeler les métaux chauds
ou froids comme des matières plastiques. Les mé-
dailles, les monnaies se coupent sans bruit à
l'emporte-pièce, et la plus fine gravure y est non
frappée, mais imprimée par de formidables presses
aux mouvements déterminés de la manière la plus
exacte. La fonderie elle-même se rattache de loin
au modelage, soit par la fabrication de moules à
l'aide du sable, de l'argile, soit par la pression que
ceux-ci exercent sur la matière amenée par la
fusion au maxin.um de plasticité.
La taille de la pierre est à la sculpture ce que
l'art du briquetier est au modelage. La scie pour
les pierres tendres, le burin et le marteau pour
toutes, sont les instruments à l'aide desquels l'ou-
vrier applique sa force musculaire et son adresse.
Le graveur sur métal, sur bois, conserve presque
toujours l'outillage individuel ; la molette tournant
rapidement est indispensable au lapidaire, au gra-
veur sur pierre, et commence ii pénétrer, trans-
formée, dans le façonnage du bois et des métaux.
De la sculpture dérivent les travaux plus géomé-
triques du charpentier, du menuisier, du tour-
neur, du mécanicien. En général les surfaces qu'ils
produisent peuvent être considérées comme en-
gendrées par des lignes droites, des cercles; d'où
l'usage d'appareils tantôt rudimentaires, tantôt
compliqués, spécialement propres à produire ces
surfaces, rabot, tour, foret.
Par les piocédés employés pour joindre les di-
verses pièces d'un même objet, les métiers de
cette section se rapprochent de ceux de la précé-
dente. Les clous, les chevilles, les vis sont les
analogues des rivets ; les assemblages du charpen-
tier, du menuisier ne sont que des modifications
de ceux employés dans le travail des lames minces.
Les colles diverses, les soudures y jouent le même
rôle.
A la fin de notre rapide promenade îi travers les
métiers, nous trouvons la construction des édifices,
depuis la plus humble masure jusqu'au palais.
Dans la jonction des masses pesantes de pierre,
de mêlai ou de bois qui les composent, on s'ar-
range autant qui! possible pour que ces matériaux
restent en équilibre sous la simple action de la pe-
santeur, abstraction faite des mortiers, des ciments
considérés comme agglutinants ; et, quand c'est
impossible, il faut avoir recours aux puissants
liens de fer qui seuls peuvent longtemps résister
à un effort continu. Les mortiers, les ciments ne
servent qu'i combler les vides, ou à résister à des
actions temporaires notablement inférieures à
celle de la pesanteur. Leur rôle diffère donc es-
sentiellement de celui des colles et des soudures.
A cette courte revue des métiers, sous le rap-
port technique, il y aurait h ajouter quelques no-
tions sur l'histoire de leur naissance, de leur dé-
veloppement; mais, à ce point de vue, h défaiit
d'une nomenclature avec dates précises dont il
serait impossible de retrouver les éléments, on
trouvera tout ce qui est nécessaire dans les ar-
ticles Indusirie et hiceniinn. fPaul Robin.]
MEXIQUE. — Histoire générale, XVII-XXVI. —
I. Temps primilifs. — L'histoire des premiers ha-
bitants du Mexique est tout ii fait inconnue. C'est
seulement à partir du vi" ou du vu" siècle de no-
tre ère que l'on constate en cette contrée l'exis-
tence d un corps de nation et d'un gouvernement
à peu près régulier. Lesïoltèques, peuplade venue
du Nord (et qui parait originaire- de l'.Vsie), enva-
hirent vers l'an o44 (s'il faut en croire les tra-
ditions du pays) le haut plateau d'Anahuac.
Ils y établirent le culte du dieu QuetzalcohuatI,
comme l'attestent les pyramides de Cholula, de
Papantla et de Téotihuacan. Leur domination fit
place, au x= ou xi" siècle, à celle des Chichimè-
ques, des Tlascalais, des Acolhuis, nations plus
grossières, qui se disputèrent longtemps le pays,
mais finirent par se policer au contact des vain-
cus. Le Mexique subit encore, du \i' au xiii" siècle,
une troisième invasion, celle des Aztèques. Ces
derniers venus, vaincus d'abord et asservis par les
Acolhuis, construisirent, après avoir recouvré
leur indépendance, la ville de Tenochtitlan (que
les Européens ont appelée Mexico, de Mexi ou
Mexitli, ancien chef divinisé des Aztèques). A par-
tir de cette époque (l32ô), ils ne cessèrent d'éten-
dre leur empire. Le plus puissant et le plus re-
douté de leurs rois parait avoir été Montézuma,
qui vivait au commencement du xvi' siècle. A ce
moment, si l'on ne tient pas compte du petit Etat
de TIascala, qui formait une sorte de républi-
que, l'immense région comprise entre la Califor-
nie et l'Amérique centrale constituait une monar-
chie féodale, dont le chef ne régnait qu'à condi-
tion de respecter les privilèges de ses vassaux. La
noblesse possédait presque toutes les terres et
n'avait d'autre métier que celui des armes. La plèbe
vivait dans le servage: des terres communes {cal-
pulli). lui étaient assignées dans chaque province
pour sa subsistance. Les prêtres, fort nombreux,
attaches aux temples \teocallij des divinités meu- ;
y.::::
raiiios (dont la principale était Mexi ou lluitzilo-
polli, personnification du soleil), sacrifiaient sou-
vent des victimes liumaines. Mais, en dehors de
CCS pratiques sanguinaires, les mœurs do la nation
étaient assez douces. Les Aztèques cultivaient la
terre avec soin. De nombreuses routes leur faci-
litaient les relations commerciales, mais ils ne
possédaient pas de bétes de somme. L'or et l'ar-
gent abondaient dans leur pays, mais s'ils excel-
laient ;\ en confectionner dos objets d'art, ils n'a-
vaient pas l'idée d'en faire des moyens d'échange.
]is avaient du goût pour les sciences niatliémali-
ques, ))our l'astronomie, et avaient dressé un
calendrier plus parfait que celui des anciens Ro-
mains. Enfin, leurs aptitudes artistiques nous sont
révélées par leurs délicates poteries et par ceux
de leurs monuments relioieux (pyramides tron-
quées, tombeaux, etc.), qui ont échappé au van-
dalisme fanatique des conquérants (ruines de Pa-
lenqué, d'Ytzalan, etc.).
II. Conquête iiu Mexique par les Espagnols. —
Dès 1515, Velasquez, gouverneur espagnol do
Cuba, avait fait explorer par Hernandez de Cor-
dova la presqu'île du Yucatan. Un peu plus tard,
un autre de ses lieutenants, Grijalva, s'avança
jusqu'à Guajaca et put apercevoir les bannières
blanches de Montézunia. Mais la conquête du
Mexique ne commença qu'en 1519. Elle fut l'œuvre
de Fernand Cortez, gentilhomme ambitieux et
hardi, qui, envoyé par Velasquez, puis rappelé,
refusa d'obéir, biûla ses vaisseaux et commença
par fonder la ville de la Vera-Cruz. Il n'avait avec
lui que ,'i53 soldats (dont 13 armés de mousquets
et 32 d'arquebuses), 16 chevaux et 10 petits ca-
nons de campagne. Mais, bien secondé par ujie
jeune fille du pays, qui lui servait d'interprète, et
profitant de la terreur inspirée par les armes à
feu aux indigènes, qui le prenaient pour le dieu
Quetzalcohuatl, il poussa rapidement jusqu'au
centre de l'empire, Comme il détruisait partout
les temples, brisait les idoles et imposait de force
le christianisme, les prêtres de Cholula essayèrent
de l'attirer dans un piège, pour le massacrer, lui
et ses hommes. Cortez se vengea en saccageant
cette ville, dont il fit égorger presque toute
la population. L'Etat de TIascala s'était sou-
mis à lui. Plusieurs caciques, vassaux de Mon-
tézuma, étaient aussi devenus ses auxiliaires. Le
roi de Mexico voulut éloigner les étrangers par
de riches présents, qui ne firent que surexciter
leur convoitise. Obligé de recevoir pompeusement
Cortez, ce malheureux souverain devint bientôt
son prisonnier. Le conquérant dut, il est vrai, en
mai I5'.!0, quitter la capitale pour marcher contre
Narvaez, que Velasquez avait envoyé contre lui, et
que, du reste, il ne tarda pas S faire passer sous
ses ordres. En son absence, son lieutenant Alva-
rado avait fait périr les principaux chefs de la no-
blesse mexicaine. Un soulèvement national s'était
produit. Cortez, rentré h Mexico, vit tomber Mon-
tézuma, tué par les insurgés, et se trouva dans
une situation si critique qu'il crut devoir se retirer
— de nuit — avec sa petite troupe, pour aller de-
mander des renforts à ses alliés (I" juillet). Moins
de six mois après, il était de retour avec deux
cent mille auxiliaires. Guatimozin, successeur de
Montézuma, ayant refusé de traiter avec lui, le
siège de Mexico fut régulièrement entrepris (mai
15'il). Il dura plus de 80 jours et amena la prise
et la destruction presque totale de la ville
(13 août). Plus de cent mille habitants avaient
peri. Les Espagnols recueillirent des richesses
immenses. Guatimozin fut pris et, comme il refu-
sait d'indiquer l'endroit où était caclié le trésor
de son prédécesseur, on l'étendit sur des char-
bons ardents avec un de ses miiiistres. Ce dernier
poussant des gémissements : Et moi, dit le roi,
iuts-je donc sur un lit de ruses ? Bientôt, du reste,
Cortez fit mettre b. mort Guatimozin et la plupart
des caciques mexicains. Il est juste de dire qu il fit
rebâtir Mexico et qu'il n'épargna rien pour attirer
dans la Nouvelle-Espagne (ainsi qu'il appelait sa
conquête) la civilisation européenne. La prise de
possession de l'empire des Aztèques par les Espa-
gnols fut complétée par les expéditions heureuses
<|ue l'audacieux aventurier envoya ou conduisit
jusque dans le Guatemala et le Honduras (i5'21-
15'.'5). Plus tard, il fit explorer et parcourut lui-
môme les côtes occidentales du Mexique et parti-
culièrement la presqu'île de Californie (1533-1536).
Mais après avoir enrichi Charles-Quint en lui
donnant, comme il disait, plus de provinces que
ses ancêtres ne lui avaient laissé de villes, il
éprouva toute l'ingratitule de ce prince, qui lui
retira le gouvernement de la Nouvelle-Espagne.
11 mourut à Séville, presque oublié, en HAÏ.
m. Le Mexique sous la dimiinntin espagnole.
— Pendant près de trois siècles, li> Mexique a été
soumis à un joug de fer et presque stérilisé par
un despotisme religieux et administratif dont il se
ressent encore cruellement de nos jours. Les vice-
rois (dont le premier fut Mendoza, nommé en 1536),
étaient, il est vrai, révocables; le pouvoir judiciaire,
attribué à laudiencia ou tribunal suprême, leur
échappait; le Conseil dfs Indes, siégeant à Séville,
avait sur eux un droit de contrôle; enfin il leur
était défendu de prendre femme dans la Nouvelle-
Espagne et d'y acquérir des terres. Ils n'en exer-
çaient pas moins, vu l'éloignement de la métro-
pole et l'impossibilité d'une surveillance exacte,
une autorité presque arbitraire, dont ils n'usaient
en général que pour s'enrichir par tous les moyens.
Au-dessous d'eux, douze Hi/e?îda»/s procédaient à
peu près de même dans les provinces (Potosi,
SoDora, Durango, Guadalaxara, Yucatan, Mexico,
Oaxaca, \era-Cruz, Michoacan, Puebla, Zacatecas
et Guanaxuato). Dans les villes, les pouvoirs, d'a-
bord électifs, des alcades et regidores d'une part,
des ayuntamienloi (ou conseils municipaux) de
l'autre, ne tardèrent pas à être usurpés par le
gouvernement central. Non contente des revenus
énormes qu'elle tirait des mines d'or et d'argent,
presque inépuisables, du Mexique, l'Espagne s'at-
tribua dans cette colonie le monopole de l'impor-
tation et de 1 exportation. Elle y interdit ou res-
treignit singulièrement certaines cultures qui
auraient enrichi ce pays (celles du cacao, du café,
de l indigo, par exemple). Quant aux colons, ils
avaient commencé par décimer, comme à plaisir,
la population indigène. Charles-Quint, il est vrai,
garantit aux Mexicains, par une loi, la liberté per-
sonnelle. Les neuf dixièmes des indigènes n'en
demeurèrentpas moins, jusqu'à la fin du xviii' siè-
cle, serfs de la glèbe. Les chrétiens purs ou espa-
gnols exerçaient seuls les fonctions publiques et,
presque seuls, possédaient les terres. Les bastes
ou métis étaient artisans. Au point de vue reli-
gieux, l'Inquisition régnait au Mexique comme en
Espagne. Un clergé fanatique, astucieux et peu
instruit, disposait d'immenses richesses et mainte-
nait lanationdans une ignorance telle que, sur plus
de 4 millions d'habitants que comptait la colonie
au commencement de ce siècle, trois ou quatre
cent mille à peine savaient lire et écrire.
IV. (iuerre de iindépenilunce. — Les métis, qui
formaient la classe la plus énergique de la popula-
tion, aspiraient depuis longtemps à l'indépen-
dance. Les Indiens étaient prêts à les soutenir.
L'usurpation de Joseph Bonaparte en Espagne
(1818) servit de prétexte aux patriotes mexicains
pour se soulever. Le cuié Hidalgo, qui, en 1810,
donna le signal de la guerre de l'Indépendance, fut
battu et fusillé (ISll). Morelos, qui réunit un
Congrès et Ht voter une constitution (18r2i, n'eut
pas un sort plus heureux. Mina, qui prit les armes-
en 18 li, fut également mis à mon. Mais la révolu-
MEXIQUE
— 1308 —
MILIEU
•tion espagnole de 1R20 eut son contre-coup au
Mexique. Le général Augustin Iturhide, après s'èlre
insurgé contre le vice-roi Apndaca (février I8.'l),
le força de quitter le pays. Il finit par se faire pro-
clamer empereur par un congrès (i8;2,.Mais, vio-
lemment attaqué par plusieurs de ses lieutenants
(Vittoria, Gucrrero, Saiita-,\n.ia), il dut abdiquer
(1" mai 1823) et faire place à la république.
L année suivante, il reparut en armes au Mexique,
mais fut presque aussitôt pris et fusillé (!) juillet
1824;. yittoria, qui venait de faire adopter (janvier,
par le Congrès une constitution semblable à celle
des Etats-Unis (moins le principe de la tolérance
religieuse), fut le premier président de la fédéra-
tion mexicaine. Il lui fallut, pour satisfaire au vœu
national, expulser une grande partie des Espagnols
qui étaient restés dans le pays. L'affrancliissement
<le l'ancienne colonie fut complété par la défaite et
la capture du gé.)éral Barradas, lieutenant de
Ferdinand VU (1829).
V. Guerres civiles et intenjenfion françatse. —
Malheureusement, le Mi-xique était mal préparé
par le régime oppressif qu'il avait si longtemps
subi i l'exercice régulier du gouvernement répu-
blicain. Le peuple n avait presque pas conscience
de ses droits. Les généraux n'avaient d'autre
souci que de s'emparer du pouvoir. Les principes
de l'unitarisme et du fédéralisme, la liberté et la
religion, n'ont guère été, dans ce pays, depuis
1824 jusqu'à nos jours, que des prétextes à coups
d'Etat. Jusqu'en 1865 le parti unitaire et rétro-
grade a eu presque constamment le dessus, grâce
à Santa-Anna qui, parvenu au pouvoir après plu-
sieurs révolutions militaires (IS-îi) et renversé
-vainement quatre fois, a exercé plus de vingt ans
sur son pays la plus déplorable influence. C'est
sous son administration que le Texas s'est déclaré
indépendant, (1S36J. L'annexion do cette contrée
aux Etats-Unis (ISlS) amena (1846-1^48) une guerre
funeste au Mexique, qui dut céder à ses puis-
sants voisins non seulement le territoire en litige,
mais le Nouveau-Mexique et la Californie (1848).
Après la chute définitive de Santa-Anna, la fédé-
ration étant rétablie, le président Comonfort (I8.16)
essaya sans succès de réconcilier les partis. La
guerre civile sévit pendant plusieurs années avec
une nouvelle violence. Enfin, après le court pas-
sage au pouvoir du général Miramon. cliampion
de l'aristocratie et de l'Eglise (18.VJ-1860'i, les li-
béraux venaient de triompher avec Onega et
se retournèrent presque tous contre lui (conspi-
ration de Santa-Anna). Le gros de la nation le
baissait et soutenait moralement Juarez, dont les
guérillas tenaient encore une grande partie du
pays. Quand Napoléon 111, reconnaissant enfin la ,
faute qu il avait commise, et sommé par les Etats- .
Unis de rendre le Mexique à lui-même, ann(mça j
l'intention de rappeler ses troupes, Maximilien, ,
qui ne put le faire revenir sur sa détermination,
se montra d'abord disposé i abdiquer (déc. ISGB).
Mais, cédant aux instances et aux promesses d'une
partie du clergé, il se décida finalement à défen-
dre seul sa couronne. En février 18lj7, l'armée
française, sous les ordres de Bazaine, se retira.
Les troupes républicaines réoccupèrent aussitôt
presque tout le Mexique. Maximilien était allé
s'enfermer îi Queretaro (13 mars). Deux mois
après, la trahison de Lopez le livra au gnéral
Escobedo, qui l'assiégeait (15 mai). Il ne tarda
guère à être jugé, condamné à mort par un con-
seil de guerre, et fusillé (19 juin) en même temps
que les généraux Miramon et Mejia, qui, jusqu'au
bout, étaient demeurés ses partisans.
VI. Le Mexique riepuis la mort de Maximilien.
— Le 15 juillet 18G7, Juarez rentra triomphale-
ment à Mexico, Réélu président en ociobre, il
s'appliqua à eff'acer les traces de l'invasion, fit
voler l'amnistie de 1SU9 et s eH'orça par des lois
sages (sur la presse, sur le jury, etc.) et par des
entreprises utiles (chemins de fer, lignes télégra-
phiques, etc) d habituer le pays au régime de la
liberté et aux travaux de la paix. Malheureuse-
ment, de nouvelles insurrections se produisirent.
Juarez, maintenu ila présidence en octobre 1H71,
luttait énergiquement contre les rebelles, quand
une mort subite l'arrêta dans son œuvre répara-
trice (juillet 1872), Son successeur, Lerdo de
Tejada, a fait voter en 18'!3 des lois destinées à
aft'ranchir la société civile de l'autorité ecclésiasti-
que. Vivement attaqué par le clergé, qui n'a pas
hésité à fomenter des troubles graves dans plu-
sieurs Etats, il a été renversé, après une longue
lutte, par le général Porfirio Diaz (1876), Mais ce
dernier, qui est devenu président en avril 187",
appartient au même parti que son prédécesseur
et semble devoir continuer la politique de Juarez
et de Lerdo de Tejada. [A- Debidour.]
MIAS.MES. — V. Coninqio'i et Hnniiiliié.
MILIEU. — Hygiène, IV et V. — En hygiène,
on appelle milieu l'ensemble des circonstances
Juarez, et ce dernier venait de prendre posses- 1 extérieures qui inQuencent le développement et
■ ■- ■ le fonctionnement des organes; qui moditient
sion de la présidence (I8CI), lorsque le Mexique
eut à repousser l'invasion étrangère. L'Angleterre,
1 Espagne et la France, au nom de leurs nationaux,
dont les intérêts avaient été lésés par le gouver-
nement toujours obéré de Mexico, occupèrent de
concert la Vera-Cruz. De ces trois puissances, les
,deus premières, ayant reçu satisfaction, se reti-
rèrent après la convention de la Soledad (1862).
Mais la France, ou plutôt Napoléon 111, qui exi-
geait le payement intégral d une créance usuraire
et qui se proposait de conquérir tout le pays
pour y rétablir la monarchie, persista dans son
action, L échec du général Lorencez devant Pue-
bla(5mai 1862) ne 1 arrêta pas. En février I8i;3,
le général Forey, à la tête de 3.S,nuO homme-^,
reprit l'offensive. Cette fois, Puebla, rempart de
Mexico, dut capituler, après deux mois de siège
(mai), et les Français entrèrent dans la capitale
du Mexique (lO juin), pendant que Juarez, sans
■désespérer, se retirait vers le nord. Bientôt, sous
la pression d'S vainqueurs, la constituiion fut
renversée, l'empire proclamé et la couronne ofi'ene
à l'archiduc Maximilien d'Autriche. Ce prince, qui
vint s'établir à .Mexico en juin 1864, n'eut jamais
pour lui que quelques traîtres, appartenant pour
la plupart à l'Eglise et au parti de la réaction, et
<}ui, dès 186U, le trouvant sans doute trop libéral,
l'homme au point de vue physique, intellectuel
et mor.U. Toutefois l'hygiène étudie surtout en
détail les modifications physiques.
Nous allons embrasser, en traitant ce sujet,
tout ce que nous aurions pu éparpiller aux mots
Atmospltére, Eau, Hlect-icité, Sd, etc.; mais
nous renvoyons pour certains détails spéciaux
aux mots Climat, Epidémies, Contagion, Maisons,
Profession.
L'AIR. — Air libre. — Le corps de l'homme est
soumis, au niveau de la mer, à une pression
d'environ 18 000 kilogrammes. Cette pression se
trouvant également répartie à l'intérieur et à
l'extérieur, nous n'en avons pas conscience et elle
n'entrave pas nos mouvements. Les poissons sup-
portent, pour la même raison, des pressions cent
fois plus considérables, sans rien perdre de leur
agilité.
Si nous descendons au fond d'une mmn, la pres-
sion augmente; elle diminue lorsque nous nous
élevons au-dessus du niveau de la mer. Des expé-
riences récentes permettent d'expliquer l'influence
de la pression sur le sang. Quand elle augmente,
le sang contient plus d'oxygène et la proportion
d'acide carbonique est sensiblement dimmuée.
Quand la pression diminue, on constate un ap-
MILIEU
— 1309 —
MILIEU
pouvi'isspment en oxygènfi et en acide ca''bonir|uc.
Il est rare que l'on séjourne assez prorondénieiU
dans l'inlérieur de la icire pour que l'accroisse-
menl de pression baroniétri(|ue modifie pnissara-
nieiit les Tondions. On se trouve d'ailleurs sou-
mis ti d'autres causes ppriurbatricos beaucoup
plus iniporlanies, viciation do l'air, liumidiié, ab-
sence de lunnèie, qui compliquent les résultats.
La niOmc pression, produite artificiellement, à la
surface, ne produirait qu'une certaine accéléra-
tion des fonctions vitales.
Les liabiianls des montagnes et des hauts pla-
teaux, soumis à une faible pression atmosphéri-
que, ont le sang moins oxygéné que les habitants
des plaines basses. Cette condition entraîne une
diminution dans la force musculaire. Us ont besoin
d'un excédent de nourriture réparatrice pour
accomplir le même travail que l'homme de la
plaine.
Sur les lieux élevés, la phiisie est rare, mais
le poumon cl le foie se congestionnent facilement;
les fièvres des marais otlrent moins de fré-
quenci^ et de gravité que dans les lieux bas.
L'air des montagnes produit ccriainemeiit sur
les voyageurs et les nouveaux venus une action
excitante, tonii|ue, mais il faut tenir compte du
changement de régime, de milieu, d'habitudes.
Les montagnards, en France, ne présentent pas
une mortalité moindre que les gens des plaines
et des vallées. C'est d'ailleurs dans cet air, dont
on vante par routine les qualités, que vivent, sur
divers points du globe, à diverses hauteurs, les
êtres dégénérés que Ion nomme crétins. Un exer-
cice suffisant, la vie au grand air, des habitudes
régulières aguerrissent le montagnard, mais il
faut attendre de nouvelles études pour attribuer
une influence bienfaisante au séjour des monta-
gnes. On sait déjà qu'il ne faut pas y envoyer les
malades atteints de phtisie aiguë ou d'autres affec-
tions du poumon, ceux qui s-uuffrent du cerveau
ou du coeur. Les personnes qui s'en trouvent le
mieux sont celles d'un tempérament lymphati(|ue,
débilitées par l'anémie, le séjour des grandes villes,
l'hypocondrie. Mais les bons résultats obtenus
ne dépendent pas, probablement, de l'air des
montagnes, de sa moindre pression, mais de sa
pureté, et surtout du cliangement d'habitudes de
ceux qui vont y chercher la santé.
En Europe, il y a au plus Vil Oi'O individus vi-
vant à une altitude de f.'On mètres. Les religieux
du Saint-Goihard, qui résident à 2075 mètres,
ceux du Petit Saint-Bernard, à vS.SO mètres, suc-
combent, au bout de peu d'années, i la phtisie ame-
née graduellement par l'appauvrissement du sang.
L'effet produit, varie d'ailleurs beaucoup avec
la latitude. Ainsi on trouve dans les Andi's des
villes florissantes à des hauteurs de 2CU0 à 4iiOU
mètres. Poiosi, la ville la plus élevée du globe
(40(iO mètres) compte plus de 2(J ÛUO habitants.
Lorsqu'on s'élève rapidement dans l'atmos-
phère, en gravissant une n^ontagne, loffort mus-
culaire fait perdre graduellement au sang une
portion de sou oxygène (jui n'est pas renouvelée.
Les accidents nommés ,„nl d s m ■atnfines, fati-
gue, douleurs articulaires, fréquence du pouls,
palpitations, soif, nausées, commencent à se faire
sentir, en Europe, vers 4. Ou mètres, mais, dans
les pays où la limite des neige^ perpétuelles
est bien plus reculée, l'air étant moins froid, on
consomme moins doxygcne pour arriver i. celle
hauteur, et les accidenis sont ri'tardés.
L'air en mouvement ou vent agit sur Ihomme
par son action mécanique, par ses qualités météo-
rologiques, par les matières qu'il traOKpurte.
Les bouffées de vent modéré produisent sur la
peau un effet comparable à celui .les vagues, elles
agissent mécaniquement, compriment les vais-
seaux capillaires superficiels et favorisent la cir-
culation. Le bain d'air peut donc être tonique. %v
le vent est rapide, il cause une compression qui
peut devenir douloureuse et susciter une réaction
trop vive du sang refoulé.
La vitesse de. l'air augmente l'effet de ses pro-
priétés méiéorologi(|ues, surtnul en raison de sa
température et de son humidité. L'air froid en
repos nous impressionne bien moins que s'il est
agité, car alors de nouvelles molécules se mettent
à chaque instant en contact avec l'épiderme pour
lui enlever de la chaleur. Si le vent est humide,
le refroidissement de la peau est encore plus sen-
sible, car la vapeur d'eau est meilleur conducteur
lie la chaleur que l'air. L'air chaud et immobile
nous semble étouffant parce que les parties en
contact avec la peau se saturent d'humidité et s'op-
posent dès lors à la transpiration pulmonaire et
cutanée, .■sources de froid que nous favorisons par
une ventilation ariiticielle.
Les vents acquièrent certaines qualités suivant
les pays qu'ils traversent. Ainsi en France les vents
qui nous arrivent du nord-est, après avoir par-
couru la Sibérie, la Russie et une partie de l'Alle-
magne, sont froids et secs ; les vents du sud et du
sudest, soufflant de l'intérieur de l'Afrique, se
chargent de vapeurs en traversant la Méditerranée
et nous apportent un air chaud et humide dont
l'influence déprimante est manifeste Les vents
d'ouest, qui arrivent de l'Atlantique, dans la direc-
tion du courant marin chaud nommé Gulf-Stream,
sont chaigés de vapeurs qui se condensent en
pluie s'ils rencontrent un courant d'air froid. La
présence des montagnes change la direction, la
sécheresse et l'humidité des vents. Ainsi un cou-
rant chaud et humide, passant sur un sommet
glacé, y perdra sa vapeur d'eau et son calorique;
il desrendra froid et sec dans la plaine.
L'air en mouvement entraîne souvent des pous-
sières, des miasmes, des émanations dangereuses.
AU voisinage îles marais le vent dissémine les
germes des fièvres intermittentes. Un rideau d'ar-
bres suffit pour empêcher cet effet pernicieux des
vents locaux.
Air lonfiné. — L'air qui a servi à la respiration,
ou qui est demeuré quelque temps en contact
avec notre corps est empoisonné. Il n'y a de santé
parfaite qu'à lair libre ou continuellement renou-
velé. L'air confiné est une des principales causes
d'affaiblissement, de maladies et d'abàiardisse-
meiit. Voilà des vérités qu'il faudrait avoir toujours
présentes à l'esprit.
On peut respirer, sans éprouver de gêne sensi-
ble, une atmosphère chargée artificiellement d'un
centième d'acide carboniiiue pur. Mais i|uand l'air
d'une chambre se Irouve charge, par la respira-
tion, de la même proportion d'acide carbonique
dégagé par les poumons et par la peau, on y
éprouve un malaise qui devient bientôt intoléra-
ble. C'est que les poumons et la peau ne versent
pas seulement dans l'air de 1 acide carbonique formé
aux dépens de son oxygène, ces organes exha-
lent en même temps plus.eurs substances azotées,
putrescibles, qui inlectent rapidement le milieu
où elles se dégagent. Le danger de l'air confiné
provient surtout de leur présence, mais l'accumu-
lation d'acide carbonique complique toujours l'as-
phyxie, ou plutôt l'cmprisonnenieut causé par
l'air confiné.
Un animal renfermé dans un espace clos dans
lequel on entretient l'arrivée d'un courant d'oxy-
gène, meurt lorsi|UO sa présence a produit une
quantité d'iicide carbonique assez considérable
pour s'opposer à la sortie do l'acide carbonique
du sang. .M is si on absorbe à mesure l'acide car-
bonique exhalé, l'animal meurt néanmoins dans le
milieu artificiel bien pourvu d'oxygène, si l'almo-
splièco non renouvelée laisse accumuler les matièro.t
azotées.
MILIEU
— 1310 —
MILIEU
C'est donc la présence de matières organiques
d'origine animale qui rend spécialement dange-
reux l'air confiiiô. Pour constituer Vencotn/jty-
ment au point de vue de l'iiygiène, ccst-à diie
un danger sérieux, il n'est pas nécessaire que le
nombre de personnes rassemblées dans le même
local soit considérable, il suffit qu'il y ait dispro-
portion entre le nombre de ces personnes et la
quaniité d'air pur dont elles disposent. Un seul
homme dans une petite chambre peut produire
l'encombrement et succomber aux effets de l'air
confirié. Les animaux agissent comme l'Iiomme.
L'encombrement ne se manifeste pas d'ordinaire
par l'appaiiiion soudaine de maladies graves
comme le typhus, mais sous son influence les ma-
ladies communes deviennent plus nombreuses,
puis prennent graduellement un caractère grave
et épi'lémiqufi. Cependant le typhus peut éclater
d'emblée lorsque l'air est rapidement empoisonné
par le miasme humain. On ne connaît pas la na-
ture de ce poison, on ne peut attribuer les acci-
dents morbides à la seule présence d'organismes
microscopiques, agents de putréfaction dans notre
corps et partout ailleurs, mais sa présence se ré-
vèle toujours par des symptômes que le médecin
classe aujourd'hui sans hésiter.
L'air confiné n'agit pas toujours en provoquant
une maladie aiguë. Son action peut être letite et
miner graduellement la santé jusqu'à produire la
phtisie pulmonaire. Les observations suivies dans
les casernes, à bord des navires et dans les locaux
encombrés, concordent à démontrer que la phtisie,
le fléau qui fait le plus de victimes, peut prove-
nir uniquement du manque d'air pur. De plus,
l'agent virulent de la phtisie est transmissible
et coramunicable, de sorte qu'une fois répandu
dans une caserne, un navire, une prison, une
maison particulière, un atelier, toutes les person-
nes qui respirent cet air empoisonné sont sous le
coup de la maladie, et les plus faibles, les prédis-
posées sont les premières victimes. Ainsi le miasme
humain suffit pour causer par infection la phtisie
pulmonaire, dont le produit morbide, le tubercule,
peut ensuite se prop^igerpar contau'on.
On ne saurait trop insister dans les leçons
d'hygiène sur l'importance capitale du milieu eii
ce qui concerne l'air respirable. L'air pur est aussi
nécessaire, plus nécessaire même que l'alimetit,
car on peut vivre plusieurs jours sans manger, et il
suffit de séjourner qutiques heures dans l'air
confiné, empoisonné par le miasme humain, pour
mourir sur place ou pour contracter le germe de
maladies monclles. Il faut absolument vaincre à
ce sujet l'indifférence; le seul moyen, c'est d'é-
clairer sur le danger. 11 ne suffit pas de dire : « Res-
pirez un air pur ; n on doit discuter, prouver, inté-
resser, émouvoir. Répétez en toute occasion cette
phrase de J.J. Rousseau : « L'haleine de l'homme
est mortelle à l'homme. » afin que l'on comprenne
l'importance de la venlilalion constante et du net-
toyage fréquent de tout ce qu'a touché le miasme
humain : linge, vêtements, literie, meubles, mu-
railles. Un milieu d'air pur est un milieu de santé
et de longévité.
La LiMiÈiiE. — L'homme n'a pas seulement be-
soin d'air libre et pur,illui faut, comme à la plante,
la lumière qui modifie les phénomènes de la vie.
Placez des œufs de grenouille dans deux vases
pleins d'eau 1 un transparent, l'autre .paquc; dans
le premier ils se développeront normalement, dans
le second il n'v aura que des rudiments d'em-
bryons. Des têtards placés au soleil dans les
mêmes conditions se développent d'une façon
très différente. Les plantes s'étiolent et meurent
dans l'obscurité : les fleurs, les fruits sont de la
lumière vivante.
Allez dans les crèches, dans les salles d'asile,
■daus les écoles des grandes villes et contemplez ces
frêles créatures, chétifs descendants d'une géné-
ration débile. Voyez-le, ce petit : membres grêles,
démarrhe hésitante, mouvements indécis, chairs
flasques, peau terne d'un jaune cendré, cou long
et maigre, tête trop forte en apparence parce que
le corps est en retard, pommettes saillantes, nez
pincé, lèvres minces et pâles, oreilles plates et
transp.arentes, œil enfoncé dans un cercle bleuâtre,
expression anxieuse, physionomie de vieillard.
Cet enfant a vécu dans un mauvais milieu, privé
d'air et de lumière. De l'air! du grand soleil! de
libres ébats sur l'herbe! voilà le salut. Avec cela
vous en ferez un enfant rose et joufflu, un peu
diable, il le faut, mais cœur d'or, car le fond est
bon quand le corps est sain. Puis, quand il sera
fort, vers les dix ans, vous pourrez l'envoyer à l'é-
cole, à la condition qu'il y trouve en abondance
l'exercice, l'air et la lumière.
Ce n'est pas seulement l'enfant du travailleur,
du prolétaire, qui s'atrophie dans une atmosphère
sombre et confinée. La postérité de ceux que l'on
appelle " les heureux de la terre » n'est pas mieux
partagée. L'avantage est môme parfois du côté de
l'enfant pauvre. La rue ou le chemin lui appar-
tiennent et il peut, de temps à autre, y jouer en
liberté. Mais dans les classes aisées, l'éducation
première commence par supprimer tout ce dont
l'enfant a le plus besoin. Les appartements sorit
bien clos, assombris par des tentures, et Bébé doit
\
comprendre, avant son premier mot et son pre-
mier pas. que l'immobilité est l'apanage des en-
fants bien élevés. Aussi Bébé est sage, mais à quel
prix! sauf une peau de satin et de fines petites
manières, on dirait le frère jumeau de celui (|ue
nous contemplions tout à l'heure. Les parents di-
sent qu'il est délicat, mignon, mais pour nous,
l'un et l'autre sont d'innocentes victimes de l'igno-
rance, de l'ir.souciance, des préjugés. Plaignons-
les également, car ces corps débiles ne peuvent
servir de demeure à des âmes bien trempées; en
étiolant le corps, on atrophie et pervertit l'intelli-
gence. De l'air! do la lumière!
Nous renvoyons au mot Vue pour ce qui con-
cerne 1 influence de la lumière sur ce sens et sur
ses organes.
Les eaux. — Nous n'avons à envisager l'eau que
dans ses rapports avec le milieu dont elle modifie
les propriétés.
Ea"X en mouvement. — La vapeur d'eau répan-
due dans l'atmosphère fait varier notablement l'in-
fluence de celle -ci sur l'homme en rendant l'air plus
ou moins conducteur de la chaleur, pins ou moins
apte à s'incorporer la transpiration pulmonaire cl
cutanée. Lorsqu'elle se condense sous forme de
brouillard, de pluie, de neige, elle apporte auss'
dans le milieu ambiant des perturbations impor
tantes qui affectent plus ou moins les fonctions
la santé. Les pluies assainissent l'atmosphère en
faisant retomber les poussières, elles lavent aussi
les arbres, les routes, les rues, les toits des mai-
sons, mais elles forment, en bien des endroits
des flaques d'eau qui deviennent, en été, un
source de danger, et elles entretiennent les marais
véritables foyers de maladies. L'aliernaiice d
pluies et de sécheresse pendant la saison chaud
déveliippe souvent, dans des régions exemptes d
marécages, le dégagement de miasmes et l'appi
rition de fièvres intermittentes.
L'air marin est plus pur que celui des cont
nents, il contient du sel et d'autres substanci
actives en petite quantité. Lorsque 1 on peut eyit
le combrement et combattre les effets de I h
midité par des vêtements et une nourriture co
vcnable, le séjour sur la mer ne parait pas et
une cause spéciale de maladies. L'aimosphe
maritime est môme favorable aux indivi.ius affi
blis, étiolés, atteints de maladies clironiques <
système nerveux
mais il faut tenir compte d
MILIEU
— 1311 —
MILIEU
cITcts tout puissants d'un bon régime, du clian-
gomont d liubiludei, do la distraction, etc.
L'oviiporalioii do l'eau des rivières et des fleuves
est une cause appréciable do rel'roidisscnient ; de
plus elle «iodllie loialement l'état hygrométrique
de l'air et produit des brouillards insalubres. Ces
cours d'eau entraînent une grande quantité d'im-
mondices et nettoient les parties hautes de leur
lit, mais ils déposent sur leurs bords, près des re-
mous, et surtout dans les parties basses, un limon
riche en matières putrescibles et en germes dan-
gereux; aussi la navigation fluviale, dans les pays
chauds, est-elle beaucoup plus dangereuse que la
navigation mariiime. Il y a des pays où le bord
des fleuves et surtout leurs deltas sont des
milieux meurtriers.
L'iiommo contribue puissamment, par son sé-
jour et par son industrie, à souiller et à infecter
les eaux courantes.
Dans l'eau infectée les poissons meurent en se
putréfiant. Le cresson caractérise les eaux très
salubres. Dans les eaux corrompues, les algues
perdent leurs couleurs vertes et se réduisent aux
plus petites dimensions.
Eaux stagnantes. — Il reste encore beaucoup à
faire pour préciser l'elTet des eaux stagnantes et
leur rôle dans la production ou la propagation de
certaines maladies. Miiis l'observation la plus su-
perficielle suffit pour établir que le voisinage des
marais, des terres alternativement sèches et
mouillées, est insalubre dans tous les pays. La
présence d'eaux stagnantes h la surface du sol, ou
même à une petite profondeur, modifie le milieu
d'une manière toujours défavorable et souvent ter-
rible. Il se produit une sorte d'empoisonneinriit
spicial qui débilite et ouvre la porte à tous les
germes spécifiques de maladies : fièvres palu-
déennes, dyssenterie, fièvre jaune, etc. 11 se
peut d'ailleurs que l'eau serve en outre de véhi-
cule à ces germes pour les iutioduire dans l'orga-
nisme.
Ce qu'il importe de constater dans l'état actuel
de nos connaissances, c'est la coïncidence fatale
do certaines altérations générales de la vitalité, et
de certaines maladies, avec la présence des eaux
stagnantes.
Les précautions à prendre pour en diminuer
ou en annuler l'action sont les suivantes : Ou-
vrir aux eaux dormantes des lits profonds en
pente ou en assurer l'écoulement par le drainage
du sol. Eviter de séjourner dans le voisinage.
Faire bouillir l'eau avant de l'employer comme
boisson. La clariliir dans de grands réservoirs par
le repos, puis par l'addition de 5 centigrammes
d'alun par litre. Ce dcrniiT moyen ne constitue
qu'une ressource extrême, car l'alun, même à
cette dose, ne serait sans doute pas inofl'ensif
après un long usage d'eau ainsi modifiée. Nous ne
mentionnons le filtrage qu'en dernier lieu, parce
que les bon'; filtres sont rares et deviennent promp-
temcnt inutiles. Le seul qui offre des garanties
sérieuses est le filtre à la briise récemment
été nte, renouvelée chaque iour. Notons d'ailleurs
que le meilleur filtre ■iarifi'e l'eau sans la purifier
entièrement, et que certains germes suspects pas-
sent au travers des appareils dont on dispose dans
la pratique journalière
Le SOL. — Les qualités du milieu résultent de
1 ensemble des modifications causées par l'air, les
eaux et le sol. Celui-ci agit de diverses manières :
par son étendue, son élévation, sa constitution,
la naiure et l'état de la surface.
La constitution géologique d'un lieu exerce une
influence considérable sur la végétation et sur la
santé des habitants. Sur les terrains graniti(|ues,
les eaux sont potables et s'écoulent facilement,
1 air local est sec, la végétation suffisante, condi-
tions qui constituent d'ordinaire un sol salubro.
Les schistes ardoisiers offrent des caractères à
peu près semblables, mais moins décidés. Les
terrains calcaires se laissent entamer pai- les eaux
sans leur pi-rmettre de filtrer à travers leur
masse, do sorte qu'il s'y forme des marécages ou
des couches stagnantes souterraines : les eaux
chargées do calcaires sont potables, mais de qua-
lité iiiférieurc. La craie, plus poreuse que le cal-
caire, laisse filtrer les eaux, de sorte que, si elle
ne repose pas sur un lit imperméable d'argile, le
sol est généralement sec et salubre. Les sables
peuvent constituer de bons et de mauvais sols.
Le sable pur, en masses épaisses, donne aux eaux
un écoulement facile, et, à moins qu'il ne recouvre
une couche argileuse, les miasmes paludéens ne
sont pas à craindre. Mais si le terrain sablon-
neux consiste, comme dans les Landes, en un
mélange de grains siliceux et de matières organi-
ques, les pluies peuvent y développer des mias-
mes, des effluves dangereux, surtout lorsque le
sous-sol est imperméable. De plus les sables
chargés de chaux et de magnésie rendent les eaux
impropres aux usages domestiques.
Les plus mauvais terrains sont d'ordinaire ceux
où dominent l'argile, les conglomérats, les allu-
vions. Les eaux coulent difficilement à leur sur-
face, s'y infiltrent plus difficilement encore, de
sorte qu'il s'y forme des marécages et des cou-
ches stagnantes souterraines.
Généralement les sols cultivés depuis long-
temps sont salubres. Les besoins de la culture
ont obligé à les améliorer, et la végétation active
empêche l'accumulation do l'humidité ainsi que
la production de principes nuisibles.
La nature de la surface du sol, sa couleur, la
présence ou labsence de végétation naturelle ou
cultivée, modifient l'absorption et la radiation du
calorique et par là la température locale. Les sa-
bles s'échauffent plus que les argiles; le calcaire
réfléchit la chaleur solaire; les terres noires l'ab-
sorbent; les plantations, les forêts, entretien-
nent la fraîcheur et l'humidité. Les terres ri-
ches en humus absorbent une grande quantité
d'eau et leur humidité engendre facilement des
effluves ; de plus, il s'y forme souvent de vastes
nappes souterraines dont la présence est un
danger.
On voit par cet exposé succinct que les pro-
priétés d'un lieu quelconque résultent d'une
foule d'éléments dont il est assez dificile d'appré-
cier séparément la valeur et que compli(iuent les
circonstances de climat, do saisons, etc. 11 est
avéré que certaines localités donnent lieu à des
endé-ntes ou maladies limitées à une population
restreinte. De (dus, le sol joue un rûle considéra-
ble dans la production du germe de plusieurs ma-
ladies épidéniiques, et surtout du choléra et de la
fièvre typhoïde. Le sol semble nécessaire à la for-
maiion de certains principes morbides, entre
autres celui des fièvres paludéennes. Cependant
ils se déve'oppent aussi dans un milieu artificiel,
comme la cale d'un vaisseau mal entretenu. Mais
dans cet égout du navire, on retrouve tous les élo-
luents d'un terrain marécageux imprégné de ma-
tières organiques en décomposition.
Ces indications générales suffisent pour donner
une idée des qualités hygiéniques d'une localité.
L'humidité étant le plus grand fléau, on s'attachera
partout à modifier, à assainir les terrains inondés,
marécageux, imperméables. Le dessèchement des
étangs et des marais, la canalisation des eaux mal
encaissées, le drainage, les amendements, la cul-
ture, h-s plantations appropriées, suffisent pres-
que toujours pour assaillir une localité. Les admi-
rables résultats obtenus depuis un demi-siècle
doivent servir d'exemple et d'encouragement, d'au-
tant plus que toute opération de ce genre produit,
avec une amélioration hygiénique, une plus-value
MINERALOGIE
1312 —
MINERALOGIE
considérable des terrains modifiés par l'industrie
humaine.
Dans tontes les régions suffisamment peuplées,
l'homme peut lutter avantageusement contre les
défauts naturels du milieu. Quelques générations
meurent à la peine, et lèguent à leurs descendants
une terre propice. Dans les régions plus favori-
sées, il suffit d'un peu de peine pour recueillir le
fruit de son travail et se faire un milieu salubre.
Les grands travaux pub'ics y contribuent pouf une
large -part ; mais chacun doit agir dans son petit
domaine, dans son champ, autour de sa maison,
pour que l'air, les eaux, le sol, concourent k lui
assuri-r ces biens inestimables : sanié, bien-être,
longévité. [D' Saffray.]
miM'.RALOGlE, MI\nnAi:x. — On appelle
minéraux tous les corps de la nature qui existent
sans avoir la vie, et sans présenter les organes
qui l'entretiennent. La minéralogie est la science
qui étudie les minéraux, bur composition, leurs
propriétés, leur manière d'être, leurs gisements,
leur importance, le rôle qu'ils jouent dans la na-
ture, leurs applications aux arts, à lagricullure,
à l'industrie. C'est une science naturelle, et l'une
des plus anciennes au point de vue de l'observation.
Théopliraste et Pline avaient déjà réuni dans l'an-
tiquité des notions souvent un peu vagues, mais
aussi précises que le permettait l'état général des
connaissances de leur temps. Les découvertes de
la géologie archéologique nous montrent que
l'homme a trouvé dans les pierres ses premiers ou-
tils de labourage, ses premières armes et sa pre-
mière parure. L'homme a plus tard appris à ex-
traire et à travailler les métaux. Aussi n'a-t-il
apprécié d'abord les pierres que pour leur couleur
et leur dureté, surtout pour leur résistance au
choc Puis il a cherché les matières minérales qui
pouvaient lui procurer le cuivre, le fer, le zinc,
l'étain, l'argent, qui lui étaient devenu? néces-
saires. L'or, ne se rencontrant qu'à l'état métalli-
que, fut un des premiers métaux employés. Aus-
silôt qu'il y eut une chimie, cette science apporta
son concours à la minéralogie. Aujourd'hui encore
la minéralogie est une science naturelle en tant
qu'elle s'occupe d êtres de la nature; mais ses
méthodes d'investigation sont empruntées à la chi-
mie, à la physique et même à la géométrie.
Les minéraux se distinguent d'abord les uns des
autres parleur composition chimique ; on ne pourra
pas confondre ensemble, évidemment, le carbonate
de fer et le sulfate de chaux. La qualité de la
matière dont est composé un minéral a donc avant
tout de l'importance. Mais la chimie enseigne que
tous les corps ont une composition définie, et
qu'en outre deux corps peuvent avoir des pro-
priétés très différentes, lorsque leurs éléments,
tout en étant identiques au point de vue de la
qualité, ne se trouvent pas combinés dans les
mêmes proportions. 11 faut donc tenir compte de
la quantité comme de la qualité. L'analyse chi-
mique permet de résoudre ce double problème.
Les données de la chimie sont loin de suffire
à la connaissance des corps. Tous les composés
Inorganiques, lorsqu'ils prennent l'état solide,
peuvent revêtir une forme régulière, et se présen-
ter à l'étal de cristaux (V. Crisia'). Ce n'est pas
tout : la forme cristalline exicrieure d'un corps
correspond à une disposition intérieure symétri-
que, à un arrangement déterminé de ses parties
constituantes. L'orientation des plus petites par-
ties d'un cristal est régulière et toujours la même
dans une même direciinn ; elle constitue la struc-
ture cristalline; elle règle le nombre et l'inclinai-
son relative des plans superficiels, elle est en har-
monie également avec les phénomènes physi(|ues
auxque's donne lieu dans le cristal l'action des
forces de la nature, chaleur, lumière, éicciricité.
Dans un cristal du système cubique, la vitesse do
la lumière, la dilatation, la propagation delà cha-
leur restent constamment égales à elles-mêmes
dans toutes les directions. Dans les cristaux qui
présentent des facettes disposées symétriquement
par 4 ou par un des multiples de ce nombre autour
d'une direction et d'une seule, et dont le type est un
prisme droit à base carrée, la vitesse de la lumière
reste la même autour de cette direction unique,
la dilatation est aussi constante, ainsi que la dis-
tance à laquelle une source de chaleur transmet
une même température. Toutes ces propriétés
atteignent au contraire leur maximum do diffé-
rence suivant la direction de principale symétrie
crislallographique. Les cristaux dont le type est
un hexagone régulier ou un rhomboèdre dans le-
quel on observo 3, 6, quelquefois 9 ou même
\i faces symétriques autour d'une seule direc-
tion, rentrent au point de vue physique dans le
cas précédent. Dans les cristaux des autres sys-
tèmes, il y a toujours trois directions rectan-
gulaiies entre elles, que les physiciens appel-
lent pri'Cijiales, où la vitesse de la lumière, la
dilatation par la chaleur, la facilité avec laquelle
se propagent les changements de température,
présentent le maximum et le minimtim de leurs
diffcrence.s extrêmes, et une valeur intermédiaire.
Nous ne pourrions, sans être obligé d'entrer
dans de trop longs développements, montrer com-
ment ces directions sont les seules où l'actioi»
d'une force donne lieu à une réaction qui lui reste
parallèle.
Nous nous contenterons de dire qu'elles coïnci-
dent avec les axes cristallographiques dans les
cristauxdu prisme droit à base rhombi'iuc; que dans
les cristaux du prisiue oblique à base rectangu-
laire ou rhombique, l'une d'entre elles est per-
pendiculaire au plan de symétrie; et que dans les
cristaux du prisme doublement ob ique, elles n'ont
ni les unes ni les autres de position qu'on sache
déterminer jusqu'ici par rapport aux arêtes visi-
bles d'un cristal.
Sans nous étendre beaucoup sur ces phénomfr
nos pliysii|nes, nous devons dire que, si on taille
dans un cristal du système quadratique fprisme
droit à base carrée) ou du système hexagonal ot)
rhombnédrique, une plaquf ayant ses deux faces
parallèles entre elles et perpendiculaires à l'axe
de principale symétrie, et qu'on interpose cetti
1 plaque entre deux niçois en croix, on observe de;
anneaux colorés circulaires traversés par unecroi:
noire. (On appelle yiicol un rhomboèdre de spatl
I d Islande, caibonate de chaux, qui a été coupé ei
; deux moitiés qu'du recolle ensuite avec du baum
' de Canada, et qui ne laisse plus passer qu'un de
deux rayons polarisés auxquels donne lieu ui
rayon de lumière naturelle en traversant le cris
tal.J La symétrie des couleurs autour du centr
est en harmonie avec celle des facettes que pré
sente le cristal d'où la plaqne a été tirée.
Toutes les autres propriétés des cristaux sor
aussi en harnnonie les unes avec les autres en mêm
temps qu'avec celles dont il vient d'être questior
et par exeiuple celle de la dureté, celle du clivagi.
Dans un cristal la dureté peut varier d'une direci
tion à une autre; mais dans les cristaux qui possi'
dent une direction de principale symétrie, el
reste la même pour toutes les directions du plaj
perpendiculaire à cette ligne. Il en est de mèn(
de la cohésion, et l'on peut même dire que c'ej
de la cohésion que tout le reste dépend dans f
cristal. De la cohésion dépend avant tout le ci
vage, cette propriété que possèdent un grand noij
bre de cristaux de se diviser, quand on les frap;!-
à l'aide d'un marteau, en fragments à faces planf|
Le diamant se rencontre en morceaux de forr
plus ou moins régulière, mais qu'on ratuène pai
clivage à celle de l'octaèdre régulier. Les forn
du calcaire sont extrêmement variées ; toutes p
«
MINERALOGIE
— 1313 —
MINERALOGIE
le clivage se réduisent i. dos parallélipipèdes b.
'€ faces inclinées l'une sur l'autre d'un angle de
.105°5' ou de son supplément.
Puisque ces caractères sont toujours d'accord les
■uns avec les autres, on n'a pas besoin de les ob-
•servor tous à la Ibis; car l'un d'entre eux permet
de prévoir ceux qu'on n'a pas examinés.
Leurs connexions nous dévoilent la structure de
la matière ; il importe donc de les connaître ; mais
l'étude en est délicate ; elle exige une connais-
sance profonde de la cristallographie.
Il est d'autres propriétés qu'on envisage dans les
•corps pris en blocs. Telles sont la densité, la du-
reté, la couleur.
La (leiixité d'une matière, c'est le quotient de son
:(poids par celui d'un égal volume d'eau distillée
prise à la température de 4 degrés.
La d'ireté d'un corps est sa résistance plus ou
moins grande aux frottements. Le gypse et le talc
sont facilement rayés avec l'ongle ; le calcaire, le
phosphate de chaux cristallisé ou apatite, le, sont à
j'aide d'un burin. On a dressé une échelle des du-
retés, dont les degrés sont occupés par des ma-
tières prises comme des types auxquels on com-
>pare les autres. La plus tendre, le talc, a le pre-
mier rang ; la plus dure, le diamant, porte le
n" 10.
Echelle des duretés : I, talc ; 2, gypse; 3, cal-
caire; 4, fluorine; 6, apatite; B, feldspath;
7, quartz ; 8, topaze ; 9, corindon ; 10, diamant.
hi, couleur est un des caractères les plus faciles
àobservor, mais les plus capricieux. Lorsqu'il s'a-
ji- gitdes pierres, elle a en général un médiocre in-
■ iorèt au point de vue scientifique, bien c|u'à elle
-iMile elle donne quelquefois au contraire une va-
Irur considérable dans le commerce à une matière
iB : <|ui par elle-même aurait peu de prix. Un corindon
« j rouge dont la couleur n'est pas franche, ni homo-
I gène, est peu recherché. Mais que la couleur en
■-) ioit vive, bien uniformément répandue, et la lim-
"iâii^é complète, il devient le rubis, estimé quel-
lui'lois plus clier que le diamant. Il ne faut pour-
I (;iiit que des quantités d'acide chromique bien dif-
;j(^| liciles à doser à cause de leur poids insignifiant
lB« PO""" produire cette métamorphose. La couleur ici
,.,,i,jest purement accidentelle : aussi la substance ré-
„,(luitc en poudre fine parait-elle souvent incolore.
Dans les substances métalliques elle est des plus
importantes et des plus caractéristiques; elle est
„,, essentielle, propre à la matière même. L'azurite,
, .jiun carbonate de enivre hydraté, est bleue en pou-
,Udre comme en masse. Le cinabre, vermillon natu-
J.Tel, est d'un rouge vif, même à, l'état de poussière
..daussi fine que possible.
■M ^'^j^' ^^^ ^ussi un caractère souvent utile S
,,(. considérer. Le diamant a un éclat gras, particu-
lier, appelé ndamantin, qu'on retrouve dans les
,„, sels de plomb. Le cristal de roche a ce qu'on ap-
UjiPelle I éclat vitreux, celui du verre.
, J La cassure enfin, c'est-à-dire l'aspect des surfa-
ites obtenues à l'aide du choc, a quelquefois une
^ arande utilité pratique. Les substances clivnbles
ij, tinrent après cette opération des laces planes et
jII lisses dans certames directions. D'autres ont une
cassure inégale, comme le cristal de roche ; cer-
taines une cassure condioidale, comme le verre.
La cassure dite esrjuilleuse ressemble à celle du
bois mal rabote (.agates, etc.).
tl ..•,n''nm,i*n?*"°°j " ^n a classé les minéraux en
rrfn^nn^ml'T- •?* P'''"<^ipes bien difl-érents. La
c mpos tion chimique doit être évidemment con-
"^ ermen. P^m"**"" ""f^T}" '"^ composés qui ren-
ferment le même métal, les autres <-,.u^ ',ui ont
le même acide ou mieux qui contiennent le mê i.e
élément électro-négatif. Ilestplus commode pour
II industrie de grouper ensemble les minerais du
fer, ceux du cuivre, de l'argent, etc. Il est plus
2° Paiitie.
conforme aux relations naturelles de la composi-
tion chimique des corps et de leur forme, de leur
structure, de réunir en groupes les sulfates, les
carbonates, quel que soit le métal qu'ils contien-
nent. Dans ce rapide résumé, nous adopterons la
classification chimique suivante : I Corps simples
non métalliques. Il Métaux natifs. III Sulfures.
IV Oxi/des. V. Chlorures et Fluorures. VI Sili-
ciites. VII Carbonates. VIII Phosphates et Azotates.
IX Sulfales.
I. Corps simples non métalliques : le soufre ; le
carbone et ses variétés.
Le soufre forme de petits amas, des veines, mé-
langés h des marnes, aux environs de Caltanisetta
et de Girgenti en Sicile. Il a cristallisé dans des
fentes de ces roches en octaèdres droits k base
rhombique. Il est d'un jaune caractéristique, et brûle
à l'air en donnant lieu à la production du gaz acide
sulfureux, dont l'odeur est connue de tous ceux
qui ont brûlé des allumettes soufrées.
Le carbone se présente dans la nature sous
deux états bien dift'érents ; l'un est celui du gra-
phite, qui est disséminé dans les calcaires et les
gneiss en écailles luisantes, d'un gris noirâtre,
diiuces et onctueuses au toucher, facilement raya-
bles par l'ongle, ou qui constitue des masses gre-
nues assez importantes dans le district d'Ir-
koutsk, en Sibérie, îi Borrowdale, en Cumberland.
Il sert à la fabrication des crayons, lorsqu'il peut
se couper en petites baguettes : il vaut dans ce
cas de :10 à 50 fr. le kilogramme. Le second état
du carbone est celui qui fournit le diamant
(V. Pifrres). Ces deux espèces, le graphite et
le diamant, ont une origine minérale. Il n'en
est pas de même des matières appelées anthra-
cite, houille ou charbon de pierre, lignite, tourbe.
Celles-ci ont une origine végétale ; ce sont des
plantes soumises dans le sein de la terre, après
leur enfouissement dans les sables ou les argiles
qui les enveloppent, à des températures élevées
en même temps qu'à des pressions considérables.
On a donné à du bois un faciès analogue à celui
des charbons fossiles, en le soumettant à l'action
combinée dune haute température et d'une haute
pression, h'an'hra-ite ne renferme guère que du
carbone; il a la cassure conchoidale ; il est d'un
noir un peu jaunâtre: il exige pour brûler un
courant d'air très actif. La houille, dun beau
noir, contient ordinairement des proportions plus
ou moins grandes d'hydrogène, qui lui donnent
ses propriétés les plus importantes : 3 à 4 0/0
(houilles maigres) ; .■>,2 à ô,8 0/0 (houilles à
gaz). Le lignite, qui donne à la distillation beau-
coup d'eau, de matières bitumineuses, d'acide
pyroligneux, d'alcool, est un moins bon combusti-
ble que le précédent; il fournit la matière appe-
lée jai/el ou jais, dont on se sert pour la fabrica.-
tion de parures de deuil. La tourbe n'est qu'une
agglomération de végétaux, dont l'altération con-
siste en ce qu'ils renferment plus de carbone que
le bois, environ 55 0/0.
II. Métaux natifs. — Les métaux les plus im-
portants qu'on connaisse à l'état natif sont le
cuivre, l'argent, l'or et le platine. Ils cristalli-
sent en octaèdres réguliers. Le platine et l'or
se rencontrent en petites lamelles ou en mas-
ses arrondies appelées pépites dans des allu-
vions, ou couches formées de sable quartzeux
mêlé de fer titane. On a trouvé quelques pépi-
tes d'or d'un poids considérable. On en cite
une de C.alifornie qui pesait 60 kilogrammes. L'or
est aussi répandu en filaments ou en lamelles
dans dos fissures qui déchirent le quartz des
filons dans un assez grand nombre de régions où
les roches cristallines affleurent à la surface du
sol; mais il est en prénéral assez rare. L'argent
sort en filaments plus ou moins déliés, contournés,
d'autres minorais du même métal, particulière-
83
MINERALOGIE
1314 —
MINERALOGIE
mont du tullure; il est étalé en lames sur les
parois des fentes des silex.
Le cuivre natif offre les mêmes allures; mais
sur les bords du lac Supérieur, on l'extrait aussi
en blocs quelquefois considérables, mêlé à do
l'argent également natif.
Le fer natif a peu d'intérêt au point de vue
industriel. M. Nordenskiôld en a trouvé en blocs
engagés dans le basalte d'Ovifak, île de Disko,
Groenland, qui renferment du nickel et se rap-
prochent à s'y méprendre du fer météorique,
tombé des espaces célestes.
III. Sllfi res. — Ils fournissent un grand nom-
bre des minerais métalliques. Le sulfure di: jilontb
ou galène cristallise dans le système cubique ; il
se clive en cubes ; il se présente le plus souvent
en masses lamellaires ou grenues, tendres, d'un
gris d'acier un peu bleuâtre, i cassure lisse et
brillante. C'est le principal minerai de plomb
(SG,5 de plomb et 13,5 de soufre;. Il contient en
général un peu d'argent, jusqu'à 'A et 4 millièmes,
et quelquefois moins de 2 dix-millièmes. La
A/e«^e (ZnS) ou sulfure de Einc cristallise aussi
dans le système cubique et se clive suivant les
faces du dodécaèdre rhomboidal. Elle est jaunâtre
et transparente, quelquefois brune ou même noire
et presque opaque par suite de mélanges avec des
oxydes de fer ; elle a un peu l'aspect de la cire ; elle
renferme : zinc 66,72; soufre ;!3,"2,s. La cobaltiue,
sulfo-arséniure de cobalt (cobalt 'ib,i'i ; soufre
19,35 ; arsenic 45,1 s) est mélangée souvent de
nickel et de fer; elle cristulUse eu dodécaèdres
pentogonaux modifiés par les faces de l'octaèdre
régulier ou du cube. C est, avec la smatline, biar-
séniure de nickel, la source à peu près unique
du cobalt, qui joue un si grand rôle dans la fabri-
cation du bleu d'azur ou bleu de cobalt.
Les bi^ulfures de fer simple (FeS*), appelés
p!/riles, sont divisés en deux espèces que distingue
leur forme cristalline. Ils contiennent en poids :
fer 45,74; soufri- bi,2lj. L'un est cristallisé en
cubesmarqués souventsur les trois faces adjacentes
d'un même solide d'un seul système de stries, les
stries d'une face étant perpendiculaires à celles
des deux autres faces. Souvent les cristaux sont
des dodécaèdres pentagonaux ou d'antres formes
bémièdres, qui n'ont que la moitié des faces
qu'elles devraient avoir si le cube primilif avait ses
éléments remplacés par toutes les faces que com-
porte la symétrie du cube proprement dit. Cette
pyrite, appelée pyrite ord nain- ou cubique, est
d'un jaune d'or; elle est quelquefois assez abon
dante en petits grains ou en peiils cristaux dans
les schistes argileux, les ardoises. Elle fait feu au
briquet, la seconde pyrite, appelée mnrrassUe.
speerkies, est d'un jaune plus pâle; les cristaux
ont pour type un prisme droit i\ base rlionibique, mo-
difié par les faces d'un ociaèdre droit à base rec-
tangle; ils sont souvent rassemblés en boule, en
rognons irréguliers dans les terrains secimdaires
ou tertiaires. On prend souvent les deux pyriies
pour de l'or; mais les grains en sont bien moins
lourds: leurdensiié est inférieure à 5. c'est-à-dire
h peu près quatre fois plus petite que celle du
métal précieux.
Le sesquisulfure d'antimoine (Sb^S'), du ^libine.
a une couleur analogue à celle de la galène, mais
il est tendre au point de laisser sa trace sur li
papier; les cristaux sont allongés dans une direc
lion ; ils ont la forme de longues bagueites, r|uel
quefois de libres Courbes; ils présenient une di-
rection plane de clivage des plus faciles et de;
plus nettes.
Le sesquisulfure d'arsenic, o>7i»Hf»/, fournit l'au
ripigmentum ou peinture d'or employée dam
la teinture en jaune des bois blancs, ou par lei
Orientaux dans la préparation d'un dépilatoire. Le
sulfure de mercure (HgS) est nommé cinabre ;
il cristallise dans le système rhomboédrique; il
est composé en poids de mercure 86, '29 et soufre
13,71. Chauffé avec de la limaille de fer ou de la
chaux, il abandonne son métal qui distille, et
qu'on recueille dans des récipients convenablement
refroidis. La couleur d'un rouge écarlate de ce mi-
nerai le fait employer quelquefois en peinture sous
le nom de vermillon natif; mais on préfère en
général fabriquer le vermillon au moyeu du soufre
et du mercure, parce qu'on obtient un composé
plus pur et de couleur plus nette que la combi-
naison naturelle.
Les sulfures de cuivre sont assez nombreux;
mais ils renferment d'autres métaux. Le piincipal
est la chalkop!/! ite ; c'est le plus abondamment ré-
pandu; il contient environ :15 p. 1(10 de cuivre,
autant de soufre et iiO de fer. Il est d'un jaune
verdàtre, brillant, quelquefois varié de reflets
rouges ou bleus par suite d'altérations en général
superficielles; il a l'aspect métallique; la pous-
sière en est noire. Il est soluble dans l'acido azoti-
que, et la dissolution se r.o'ore en bleu céleste
quand on y ajoute de l'ammoniaque, et laisse dé-
poser en môme temps un précipité jaunâtre de
sesquio\yde de fer hydraté. A côté de ce sulfure
se placent la phillipsiie ou cuivre panaché; le cui-
vre gris, ou tétraedril- , appelé encore panabase,
à rause des nombreux métaux cuivre, fer, zinc,
mercure, argent, qu'il peut renfermer; la biU'--
nunite, qui est comme le précédent un sulfo-anti-
moniure, mais qui ne renferme que du cuivre el
du plomb.
Les sulfures d'argent sont en assez grand nom-
bre aussi; celui dont la composition est la plu»
simple est Vargi^rose (AgSl, dont la teneur en ar-
gent est de 87 "/g. Il est noir, il cristallise en cube»
ou sous une des formes du système cubique ; mais
les ciistaux nets sont rares; ce m lierai forme sou-
vent comme des enduits ou même des taches à la
surface des matières que renferment les filn/is
Les autres minerais d argent soi. t des sulfo-aiitimo-
niures. Les uns ont la poussière noire ; par,
exemple la p-iAhuruse et la poh/basite, celle-ci
contenant encore environ 7» "/o d'argent. Les,
autres ont la poussèi-e rouge : {apyraryyril/; dont
la teneur en argent est de 6U %; elle crisialhse
dans le système rhomboédrique ; la protislite, qui a
les mêmes formes, et m' s'en distingue que par s:
poussière qui est d'un rouge aurore, tandis que
celle de la pyrargyrite est de couleur plus sombre
Chimiquement, la pyrargyrite est un sulfo-aniimo
uiure, et la proustite un sulfo-arséniure d argent
IV. Groupe dus o.xvdes. — Il fournit égalemen
un assez grand nombre de minerais. On y distin
»ue d'abord le. îiii're „ji/diib^ (C.a'-O), composé d
SS 78 de cuivre et 11,'.''-' d'oxygène, cristallisé e
cubes ou sous une des formes du système cubi-
que dont la poussière a la couleur rouge brique
soluble dans l'acide azotique qu'il colore en ver
et réductible en globule de cuivre au feu de r(
duction sur le charbon, lorsqu'on active la flamœ
au moyen du chalumeau.
Puis viennent les minerais les plus abondan
du fer (V. Fer, p. 764). D'abord \^ ,?.agnétite, (
oxyde de fer magnétique (FeO.Fe^O') renferma;
72 5 do fer et 27,:. d'oxygène. Elle a la poussiè
noire elle cristallise en octaèdres réguliers. <
dodécaèdres rhomboîdaux ; elle agit foriement s
l'aiguille aimantée; certaines variétés, d aspc
ordinairement terreux, attirent et repoussent
même pOle dune aig.ille aimantée suivant la i
gion de leur masse qu'on présente h 1 aiguille ; el|.
ont le magnétisme polaire; on les appelle pier-.!
d-ui t rv. Miigiieti'iiie). Le /.;• otigtsl" est I
sesquioxyde de for .Fe^O»), qui ne contient pj
que 70 p 10" de métal. Cet oxyde cristallise }
rhomboèdres modifiés par des scalénoèdres d 1
les faces se rencontrent suivant uu hexagone r
I
'
MINERALOGIE
— 1313 —
MINERALOGIE
fialior; les faces en sont assez souvent irisées;
mais la fjonssière en est rouge, un peu violacée ;
les collections possèdent touti's des échantillons
do ces masses cristallisées de lîle d'Iîlbe, à reflets
vorts, bleus, routes ou de couleur d'or. L'oxyde
appelé iimimite contient Qe l'eau, environ 15 p.
1(10 ; c'est du sesquioxyde de fer hydraté ; la pous-
sière en est d'un jaune tirant plus ou moins sur
le brun. Cet oxyde colore en jaune une grande
quantité d'argiles, de grès, de calcaires, de marnes,
comme le précédent les colore en rouge. La limo-
nite en forme do pois (variété pixolilluque), ou de
grains aussi petits que des œufs de poisson (va-
riété oohthiqne), est le minerai de fer le plus ré-
pandu en France; c'est le moins riche en métal.
Les o.\ydes de manganèse servent à la prépara-
tion de l'oxygène en même temps qu'à l'extraction
du métal appelé manganèse, (|ui est employé dans
la préparation de l'acier. Le plus riche en oxy-
gène est le bioxyde (iVlnO*) ou pyrnlusit'. 11 a la
poussière noire et se présente en fibres divergen-
tes, en cristaux cannelés qui dérivent d'un prisme
droit à base rhombe. Un oxyde qui lui ressemble
beaucoup extérieurement, mais qui a la poussière
brune, est ractcrfèsei,Mn-0'HO).
Ënliu, il est un oxyde métallique d'autant plus
intéressant à mentionner que c'est le seul minerai
d'étain connu; c'est la cassiléritr, bioxyde d'étain
ou acide stannique naturel (SnO^i, qui contient
théoriquement ISJii d'étain et 31.38 d'oxygène.
11 est toujours crist illisé ; les cristaux sont des
prismes à base carrée combinés à des octaèdres
de même section, quelquefois il des dioctaèdres
"i\ doubles pyramides à. huit faces très aiguës. Us
s iut rarement incolores, ordinairement d'un jaune
'lunàtre, quielquefois noirs; la poussière en est
ilore. Ils se groupent souvent deux à deux, de
'in à ménager entre eux un angle rentrant, une
■ uttière qui donne au groupe la forme d'un bec,
'l'pelé par les mineurs Oec d'étain. La cassure en
'st inégale et l'éclat un peu résineux. Chauffés au
rlialumcau sur le charbon après avoir été pulvéri-
ses, puis mélangés avec du carbojiate de soude, ils
donnent de l'étain métallii|ue. Les oxydes, et par-
ticulièrement les aluminaies, comprennent encore
un certain nombre d'espèces minérales, dont nous
renvoyons la description au mot Pierres, parce que
leur aspect n'a rien de métallique et les fait res-
sembler aux substances pierreuses.
V. GnOUPE llES CHL0ni:RES, FLLOHURES. — LcS
deux chlorures métalliques véritablement impor-
tants sont celui d'argent et celui de cuivre. Le
dilorure d'argent, argeiil corné, kérar.iyre des
minéralogistes, est incolore et transparent à l'état
Irais ; mais, sous l'influence de la lumière solaire,
il devient gris, puis brun, enfin noir. Les cristaux
très rares de cette espèce appartii'nnent au sys-
tème cubique. Le chlorure d'arac^ni se coupe faci-
lement à l'aide d'un couteau, qui en détache des
copeaux ayant la translucidité de la corne. Ce mi-
nerai, qui renferme argent 75,25 et chlore 21,75,
se rencontr" en petites masses, en enduits, en
croûtes, môle à des sulfures argentifères, surtout
dans les mines du Pérou, du Chili et du Mexique.
hatacamite est un oxychlorure de cuivre d'un
beau vert émeraude, qui se trouve dans le désert
d Atacamaen Bolivie, en masses cristallines assez
considérables pour être traitées comme minerais
de cuivre.
Les autres chlorures ou fluorures les plus im-
portants sont le sel gemme et la fluorine. Le set
yemme, ou chlorure de sodium, cristallise en cubes,
en cubooctaedres; il se présentP, en masses quel-
quefois limpides, à clivages cubiques, ou colorées
en bleu, en vert, par des matières organiques, en
rouge par un oxyde de fer; il forme des dépôts
souvent considérables dans le silurien des États-
Unis et dans les terrains permiens ou triasiques
du Mansfeld, du Tyrol, du versant fran(;ais de, la
chaîne des Vosges et du versant allemand de la
ForOt-Noire, dans le crétacé d'Algérie, dans le ter-
tiaire de Wieliczka en Pologne, de Cardona en
Espagne. La fluoriiin, fluorure de calcium (CaFl),
est une substance do filon. Elle sert de gangue à
beaucoup de sulfures métalliques, pyrite, galène.
Elle est ou cristallisée en cubes différemment mo-
difiés, ou en masses cristallines k clivages paral-
lèles aux faces de l'octaèdre régulier. Elle offre à
peu près toutes les couleurs du spectre. On croit
que les vases murrhins si célèbres dans l'anti-
quité, promenés par les Homains du siècle d'Au-
guste et des suivants avec la plus grande pompe
dans leurs triomphes, étaient faits de cette jolie
maiière. On en fabrique encore vn Angleterre des
coupes et des objets d'ornement d'un assez grand
prix; les variétés violettes sont les plus employées.
Quelques minéralogistes modernes pensent que
les vases murrhins étaient en améthyste.
VI. Ghoupk des silicates. — Un petit nombre
renferment assez d'oxydes métalliques pour être
classés parmi les minerais; mais il se rencontrent
en cristaux disséminés ou en masses de peu d'im-
portance ; en outre le traitement de la plupart d'en-
tre eux serait difficile ou trop coûteux par rapport
au prix du métal qu'on en retirerait; aussi figu-
rent-ils plutôt parmi les objets de collection, et
parmi les espèces qui intéressent les savants ou
les amateurs que parmi les matièresindustrielles.
lieux silicates pourtant ont do l'importance à ce
dernier point de vue : l'un est un minerai de zinc,
l'autre un minerai de nickel.
Le silicate hydraté de zinc, appelé calamine, et
contenant 07,5 d'oxyde do zinc, 25 de silice et
7,5 d'eau, forme des masses cristallines, fibreuses,
mamelonnées; les cristaux, dont les formes peu-
vent être rapportées à un prisme droit à base
rhombique, portent des facettes dissemblables aux
extrémités d'un môme axe. Cet axe est eu même
temps pyroélecirique, en ce sens qu'il présente
des pôles électriques de noms contraires à se»
deux extrémités, lorsiiu'il a été porté à une tem-
pérature un peu élevée.
Le stlicnte de nicket, utilisé pour l'extraction
de ce métal, est un composé de silice, de magné-
sie, de nickel et d'eau, que M. Garnier a décou-
vert à la Nouvelle-Calédonie, où le minerai est ré-
pandu en amas considérables dans des serpenti-
nes. C'est une matière tendre, facile i rayer avec
la pointe d'un burin. Elle est d'un beau vert éme-
raude, lorsqu'elle est riche en nickel ; elle en con-
tient alors jusqu'à 34 p. 100 ; elle est d]un vert
pomme lorsqu'elle est pauvre. On en a distingué
deux espèces appelées l'une garniérite, l'autre no«-
niéite, aussi mal définies scientifiquement l'une
que l'autre. Les deux espèces proviennent des
environs de Kanala, et non de Nouméa, comme
pourrait le faire croire un de leurs noms.
VII. GiiooPE DES CARBONATES. — Lcs carbouatcs
sontsolubles avec efl'ervescence dans les acides, au
moins à une température inférieure à celle de l'é-
bullition. Il y a dans ce groupe quelques minerais
fort utiles et d'un traitement assez simple ; car il
suffit de les chauffer en présence du charbon pour
en extraire le métal. Plusieurs cristallisent dans le
système rhoniboédrique ; ils sont appelés isomor-
phes h cause de la double analogie de leurs formes
cristallines, surtout de celle donnée par le clivage,
qui est pour tous un rhomboèdre d'environ l(i6°,
et de leur constitution chimique qu'on peut tou-
jours ramener à la formule M0C02(CM0' dans la
notation atomique).
Le carbonate de fi^r (FeOCO^), sidérose ou fer
spulliiffue, est d'un gris clair, tirant d'ordinaire sur
le jaune ou même sur le brun, lorsqu'il est altéré.
Il se présente en masses cristallines, facilement
clivables, en cristaux dans les filons. Mêlé de ma-
MODERNES (TEMPS) — 1316 — MODERNES (TEMPS)
titres argileuses, il so rencontre dans les couches
du terrain houiller, en rognons plats, ovoïdes, qui
renferment ordinairement dans leur intérieur des
débris d'animaux de cette époque, de sauriens par
exemple.
Lecarbonate de z\nc{ZnOCO^)onsnntli>:oniie,est
associé i la calamine dans les gisements de la
Vieille-Montagne. 11 constitue à lui seul de riclies
dépôts dans les mines du Laurium, en Grèce, que
les anciens ont exploitées au temps de Périclès
pour la galène argentifère qui s'y trouvait mêlée.
L'argent extrait de cette galène a fait la fortune
des Athéniens.
Le carbonate de manganèse (MnOCO*), diallo-
qile des minéralogistes, est fort peu abondant.
Le carbonate de plomb (PbOCO*), céi use, a une
formule chimique du môme type que celle des car-
bonates précédents; mais il cristallise en prismes
droits àbaserhombique ; au chalumeau, sur le char-
bon, il perd son acide carbonique, son oxygène, et
donne un globule de plomb métallique.
Enlin, deux carbonates de cuivre hydraté, l'un
bleu appelé azwite, ou shessylithe, et cristallisé
en prismes obliques àbaserhombique; l'autre, d'un
beau vert, ordinairement concrétionné ou mame-
lonné, qui porte le nom de mulaciiite, tels sont
les principaux carbonates qui fournissent des mi-
nerais. La malachite, à cause de sa belle couleur,
est souvent employée dans l'ornementation, sur-
tout dans les mosaïques ou en incrustations.
Nous traitons au mot Pierres des alu minâtes,
silicates, carbonates, phosphates et sulfates en
général, des services que rendent leurs espèces
principales, du rôle qu'elles jouent dans la na-
ture, et particulièrement dans la constitution de
l'écorce solide du globe terrestre; nous y parlons
également des pierres précieuses.
[Edouard Jannettaz.]
MODERNES (TEMPS). — Histoire générale,
XXXIX-XL. — On fixe ii l'année 1453 le terme
du moyen âge. Il serait plus exact de prolonger le
moyen âge d'un demi-siècle et de dater de l'année
15(j0 le commencement des temps modernes. En
France, en Angleterre, en Allemagne, les grands
Etals d'alors, l'année 14j3 ne termine rien: en
Orient, l'Empire byzantin succombe, mais son ago-
nie avait commencé le jour où les Ottomans mi-
rent le pied en Europe En 1,S00, au contraire, on
voit poindre une révolution dans les croyances et
une révolution dans les lettres ; on peut prévoir
les conséquences inévitables de la double révolu-
tion déjà accomplie, dans la politique par la vic-
toire de la royauté sur l'aristocratie, dans les rela-
tions sociales et économiques par les inventions et
les découvertes nouvelles. La Réforme se prépare,
la Renaissance commence, la Féodalité est vaincue,
l'Amérique est ouverte : voilà des événements
autrement Importants que le bombardement de
Constantinople par Mahomet II et l'établissement
d'un camp turc sur terre chrétienne.
Cette constatation faite, nous adoptons la date de
1453; elle est arbitraire, mais elle est en usage dans
l'enseignement, et employée dans la langue cou-
rante.
S'il est difficile de préciser l'année exacie où
commencent les temps modernes, il est plus ma-
laisé encore de leur assigner un terme et de dire
quel événement et quel jour marquent le début de
ce qu'on appelle l'histoire contemporaine. Sup-
primons donc cette distinction vaine, et réunissons
dans un récit ininterrompu les quatre siècles qui
nous séparent du moyen âge ; montrons les vieilles
institutions ébranlées, les vieilles opinions battues
en brèche, l'ancienne unité catholique rompue, la
société féoiiale dissoute. En Allemagne, en France,
en Angleterre, la lutte est ouverle, encore incer-
taine dans sa marche, hésitante dans ses principes,
mais fort nette dans son but, contre le système po-
litique et religieux qui a prévalu de Constantin à
saint Louis. Cette lutte, qui s'appelle la Réforme au
XVI" siècle, la guerre de Trente ans ou la Révolution
d'Angleterre au xvii' , la Révolution française au
xviii*. elle se poursuit sous nos yeux, au xix'. et elle
ne semble pas près de son terme. Nous allons eu
esquisser les traits principaux, en montrer les con-
s-équences plus sensibles de siècle en siècle, prou-
ver que tout a concouru depuis quatre cents ans,
malgré des apparences contraires, des haltes pro-
longées, des pas en arrière, de cruels malheurs
publics et privés, au développement de l'esprit
humain, au progrès de la moralité humaine. 5
Dans la seconde moitié du xv siècle une im-
portante révolution s'accomplit en Europe : la mo-
narchie absolue triomphe de la féodalité. Cette
victoire fut chèrement disputée et la noblesse
féodale ne fut pas seule vaincue; de précieuses
libertés succombèrent avec elle.
Dans aucun pays le triomphe de la royauté ne
lut plus complet ni plus inattendu qu'en Angle-
terre. Au sortir de la guerre des Deux Roses, le roi
reste seul debout sur les ruines de l'aristocratie
décimée par les boucheries de VVakefield, Towton,
Barnet et Tewkesbury. Un prince habile, mais
sans grandeur, le cupide Henri Tudor, vainqueur
de Richard III à Bosworth (1485), réconcilie par
son mariage avec l'héritière d'York les deux roses
rivales et règne en despote. L'aristocratie, réduite
de 53 à 29 lords, perd en 1487 le droit de mainte-
nance, en 1492 celui de substitution. Henri VII
choisit ses ministres, un Epsom, un Dudley, parmi
les gens de rien, comme fait Louis XI, et amasse,
à force d'extorsions, un trésor de 300 millions.
Son autorité en Irlande comme en Angleterre est
sans bornes. Le gouvernement anglais est entré
dans la voie de l'absolutisme, qu'il suivra pen-
dant un siècle et demi; le parlement et la nation
ne songeront à revendiquer leurs droits qu'à
l'avènement de la dynasi ie impopulaire des Stuarts.
En Ecosse, la nature même du sol, sans parler
des traditions d'indépendance, explique l'acharne-
ment de la lutte entre les rois et la noblesse : les
Ross, les Grampians, recèlent des tribus indomp-
tées ; les îles n'obéissent qu'au Lord des lies.
Jacques II Stuart (1437-1460) poignarde de sa
main Guillaume de Douglas et organise la Cour
des sessions. Jacques III (li60-1488) est vaincu à
Bannock Burn par une ligue des seigneurs et
assassiné après la bataille. Jacques IV (1488-1513)
établit des cours de justice royale dans le Nord et
soumet les Hébrides.
En France, Charles VIT et Louis XI poursuivent
et atteignent le même but par des moyens bien
différents.
Charles VII accepte et fait siennes (1445-14o3)
les réformes financières de 1355 et 1413, établit
un budget (14431, met un terme au désordre ju-
diciaire par l'ordonnance do Montils-les-Tours
(1453), fait rentrer dans le devoir l'Université et
ses 20,(iOO écoliers trop souvent déchaînés. Faible
et indolent par nature, il sut se montrer vigou-
reux et actif contre les seigneurs; il les attaqua
de front par l'établissement de la taille royale
(1439), la création d'une infanterie (1448) et dune
cavalerie (1450) permanentes.
Louis XI fit le bien à coup de hache, et le mal
aussi volontiers que le bien. Après les fautes de
son début (traités de Conflans et Saint-Maur) U se
montre plus prudent, sait avancer ou reculer à,
propos, signe le traité d'A"cenis, les trêves d A-
miens, de Senlis, de Soleure, enlevé Commines,
l'historien, à son colérique rival, Charles le feme-
1 aire, et après les défaites du duc de Bourgogne à
Grandson, h Morat, à Nancy, couronne sa lutte
contre le dernier représentant de la grande féo-
dalité par le traité d'Arras (148.'). Fils dénature,
MODERNES (TEMPS)
1317 — MODERNES (TEMPS)
mauvais père, frère barbare, voisin perfide,
Louis XI, s'il ne fut ni un bon roi, ni un grand
roi, fut un souverain de ferme volonté et un des
fondateurs de la France moderne.
Son successeur (1483), « jeune homme de peu
de sens, plein do son vouloir et peu accompa^nd
do sages gens «, était faible et sans culture d'es-
prit ; mais l'œuvre paternelle fut continuée par
madame de Beaujeu, « la moins folle femme du
monde. " Chaque jour le pouvoir royal établissait
plus solidement sa suprématie. Louis XU (l498)
justifia cet accroissemciit d'autorité par un gou-
vernement bienfaisant, d'allure moins despotique
en apparence, aussi absolu au fond.
La révolution que nous étudions fit perdre à
l'Espagne quelques libertés, mais surtout une
prospérité, une intensité de vie que la monarchie
absolue n'a pas su lui conserver, qu'elle cherche
encore à travers les convulsions de son histoire
contemporiiine.
Ferdinand le Catholique, souple et ferme, pru-
dent jusqu'à la méfiance, fin jusqu'à la fausseté,
est le digne contemporain des Louis XI et des
Borgia : il s'appuie sur la bourgeoisie contre les sei-
gneurs, dépouille les grands de leurs terres, intro-
duit l'étiquette qui oblige les nobles à plus de
déférence, proscrit les guerres privées (1-iSS).
Isabelle, plus noble, plus fière, plus généreuse,
soutient ou relève Gonzalve de Cordoue, Christo-
phe Colomb, tous les hommes supérieurs victimes
des défiances ou des jalousies de Ferdinand. L'u-
nion politique des deux époux donne k l'Espagne
I unité territoriale, l'unité de gouvernement, l'unité
religieuse assurée par res|)ulsioii des juifs, la prise
de Grenade etl établissement (lel'inquisitionl 1478)
A la mort d Isabelle (1504), Ximénès de Cisne-
ros, cardinal, grand inquisiteur et gouverneur de
Castille, acheva d'affranchir la couronne de la
tutell-î des grands vassaux en « écrasant leur fierté
sous .ses sandales, n
A Lisbonne, le féroce Jean II (148I-I48.S) con-
fisque tous les privilèges de l'aristocratie, poignarde
Au nombre des pays soumis de nom à cet Empire,
il faut citer l'électoral de Brandebourg, luoins
pour son importance au xv" siècle que pour sa
future grandeur; la ligue helvétique, indépen-
dante de fait depuis cent cinquante ans ; l.i Bo-
hême, tour k tour réunie à la Hongrie et à la
Pologne. Cette dernière est encore la première
puissance du Nord ; elle vient de soumettre la
Prusse et de pénétrer jusqu'à la Baltique. Les hé-
ritiers de Casiiuir JV (1445-119;') régneront à Var-
sovie, à Prague et à Pesth.
A lextrémité orientale de l'Europe, Ivan Vasi-
lievitch est un des premiers artisans de la gran-
deur russe (UG2-lôO.'>). Il s'intitule « grand prince,
par la grâce de Dieu souverain de la Russie ; »
mais ses sujets, vêtus de peaux, vivant grossière-
ment dans des huttes de bois, ressemblent beau-
coup plus aux soldats d'Attila qu'à leurs contem-
porains de Venise ou de Florence.
Les Etats Scandinaves sont plus avancés, malgré
la rigueur du climat et la difficulté des communica-
tions : la prépondérance y appartient au Danemark,
qui a civilisé la Suède et la Norwège, mais qui ne
parviendra pas à les retenir sous sa domination.
La Turquie est alors une grande puissance.
Mahomet II, maître de Constantinople, a soumis
la Grèce, renversé les Comnène en Asie et fait
de la Mer Noire un lac ottoman. Seules Belgra-
de et Rhodes lui ont résisté victorieusement. A
l'intérieur il ne s'occupa que de fortifier l'anuée :
aucun plan ne présida à l'organisation politique
des provinces conquises. Les Turcs ne cherchè-
rent jamais à s'incorporer les vaincus; méprisant
toutes les nations, ils ne prirent pas plus leurs
vices qu'ils ne communiquèrent les leurs ; ils
restèrent en Europe ce qu'ils étaient en Asie,
tour à tour altiers et efféminés, quelquefois cruels,
plus souvent indifférents et dédaigneux.
A la fin du xv" siècle la révolution religieuse
était accomplie dans les principaux États de l'Eu-
rope, en France, on Angleterre, en Espagne ; la
révolution littéraire était préparée par la décou-
le duc de Viseu (1484,, « enseignatu à tous les rois j verte de l'iniprimorie et U'dift'usion'des livres; la
du monde l'art de régner. » comme dit le Ca- révolution économique s'annonç.iit par les grands
moëns. Emmanuel le Fortuné (I49Ô-1S2I) traite
les villes comme Jean II a traité l'aristocratie.
Datis le mouvement de concentration politique
qui s'opère en Europe, l'Italie fait exception avec
l'Allemagne : elle reste morcelée ; seule la tyran-
nie est en progrès; dans chaque Etat le pouvoir
d'un seul tend à remplacer les oligarchies oppres-
sives ou les démocraties turbulentes. La pénin-
sule oulilie ses libertés perdues et l'invasion im-
minente, dans le culte dos beaux-arts , dans les
travaux de la pensée, dans le prestige déjà décli-
nant de la religion. <t Les princes et la noblesse
s'amusaient plus à se rendre ingénieux et sçavans
que vigoreux et guerriers. » (Montaigne).
En Allemagne, les Habsbourg, qui sont remontés
sur le trône en 1438, sont plus soucieux d'agrandir
leur maison que de maintenir la paix publique.
Frédéric III, « le souverain de la chrétienté, »
ne peut empêcher Matliius Corvin d'occuper
vienne et la basse Autriche pendant cinq ans
(1485-1190). Son successeur est le célèbre Maximi-
lien, l'écrivain, le poète, le héros du Tkeuerdunk,
1 ami de Peutinger, le chevalier errant de l'empire,
qui promène des Pays-Bas en Italie ses coudes
perces, ses besoins d'argent et ses projets roma-
nesques. Sous son régne s'achève la constitution
du corps germanique par lu création du conseil
aulique et la division de l'Alleniagoe en dix cercles.
Alaximihen pratiqua avec succès la politique ma-
trimoniale, établitune armée permanente (lansque-
nets et reitres) et chercha vainement à donner à
1 empire d'Allemagne la prépondérance qu'il dut
plus tard aux victoires de Charles-Quint et à l'an-
nexion de 1 Espagne.
voyages d'exploration au delà des mers. Seule, la
révolution religieuse restait à faire : ce sera l'œu-
vre du siècle suivant.
Voltaire compare le xvi= siècle à une robe de
soie et d'or ensanglantée; aucune époque, en effet,
ne fut plus sanglante ni plus glorieuse ; dans tout
l'Occident le xvi« siècle est un âge héroïque.
L'Espagne est alors la puissance prépondérante
et dangereuse. En làlt;, Charles d'Autriche re-
cueille l'héritage de Ferdinand d'Aragon. Il a
appris en Flandre l'art de gouverner; il mécon-
tente pourtant ses nouveau-x sujets dès 1(! début
et provoque l'insurreciion des coniuneros. Lais-
sant k ses Flamands le soin de la comprimer, il.
va prendre possession de la couronne impériale-
au risque de perdre celle d'Espagne (15v0). L'al>-
sence de concert entre les révoltés espagnols,
l'antipathie entre les royaumes, entre les villes,
entre la noblesse et la bourgeoisie, assurèrent la
victoire de la royauté. De retour en Espagne,
Charles se montre plus prudent; il publie une
amnistie, il adopte les mœurs, le costume des
Castillans, il parle leur langue et trouve parmi les
rebelles repentants les plus dociles artisans de sa
grandeur, de ses succès, de sa domination dans
le inonde entier. Dès 1540, absorbé par les art'aires
d'Allemagne, il laisse le gouvernement de l'Es-
pagne à son fils Philippe, en faveur duquel il ab-
dique en l5.')6; la môme année il se retire au
monastère do Saint-Just, où il expirera deux ans
plus tard (IS.SS).
Philippe 11, génie étroit et barbare, dans un
règne de quarante ans, précipita la décadence de
MODERNES (TEMPS) — 1318
MODERNES (TEMPS)
l'Espagne. La volonté implacable, l'orgueil inflexi-
ble, le fanatisme d'un sectaire qui ordonne le meur-
tre un crucilix à la main, lui tiennent lieu des dons
qui ont fait la grandeur do Cliarles-Quint. Sa ré-
sidence préférée, l'Escurial, est moins un palais
qu'un sépulcre. Il laisse le grand inquisiteur con-
damner à mort son fils don Carlos; son épouse
Elisabeth meurt peut-être empoisonnée. Ce des-
pote est l'âme même de l'Inquisition. L'Espagne
sous son règne est soumise à un régime abrutis-
sant : tranquille et misérable, elle prend une
physionomie sinistre, monacale, qui sied bien à
son appauvrissement. Philippe II fait banque-
route en 1575 et en I59G; il laissera une dette
d'un milliard, le commerce nul, l'industrie anéan- '
tie. Le plus riche pays de l'Europe, le plus in-
dustrieux, le mieux cultivé, s'esi comme pétrifié
entre les mains sanglantes du n démon du Jlidi ii.
De toutes ses entreprises, une seule semble avoir
réussi : la conquête et l'annexion du Portugal. |
L'histoire de l'Espagne est souvent confondue
avec celle de l'Allemagne dans la première moitié
du XVI" siècle. Elu empereur en 1519, couronné
en 15'iO, Charles Quint fait élire roi des Romains, !
en 15:il, son fi-ère Ferdinand, déjà souverain de '
l'Autriche, de la Hongrie et de la Bohême : leur
puissance eût menacé l'indépendance des princes
et des Etats allemands, si Ferdinand n'avait eu à
lutter contre les Turcs et Charles-Quint contre
la Réforme. Après l'abdication de Charles-(1uint
(IjSO), Ferdinand prit la couronne impériale sans
demander le consentement da pape, et mit fin !
ainsi à la dépendance où le Saint-Siège avait long-
temps tenu l'Empire. I
_ Maximilien II, qui essaya vainement de se faire
élire roi de Pologne, fut sinon un prince remar- [
quable, au moins un modèle de tolérance et de
sagesse. Son successeur Rodolphe II M.'i'G) ne
mérite pas le même éloge; gâté par l'influence de
sa mère, sœur de Philippe II, par la déplorable
éducation qu'il reçut des Jésuites en Espagne, il
prit ouvertement parti dans les querelles reli-
gieuses, il fut maniaque, morose ou violent jus-
qu'à la frénésie : toutes les espérances de ses su-
jets se tournèrent vers .Mathias, troisième fils de
Maximilien II; Rodolphe mourut en 16 2, peu de
mois après avoir subi l'humiliation d'une abdica-
tion forcée.
Dans l'histoire de l'Angleterre, le xvi« siècle
forme une période à part ; jamais peuple plus at-
taché h ses franchises n'accepta plus docilement
despotisme plus sanglant, outrages plus répé-
tés à ses convictions. C'est dans la servitude et
dans les larmes que les Anglais ont fait l'apprentis-
sage du gouvernement représentatif et de la liberté
religieuse Henri VIII (15' 9-1547), le premier de
ces tyrans malfaisants,- attaque sans relâche la reli-
gion et la liberté de ses sujets ; Edouard V'I, en-
fant maladif, intelligent et bon, monte sur le
trône à neuf ans et succombe à dix- sept en 1 i53.
Jeanne Grey règne dix jours. Marie la Sanglante
est la digne épouse de Philippe II. Elisabeih, qui
inaugure la grande politique anglaise et donne i
ses sujets un demi-siècle de gloire et de despo-
tisme, est un \rai roi. Sous le règne de cette
femme, qui mourut peut-être d'un dépit amou-
reux (icu:i), commencent toutes les institutions,
toutes les fondations qui devaient assurer plus
tard la puissance, la richesse, même les libertés
de l'Angleterre.
Il manqua une Elisabeth à l'Ecosse pour sauve-
garder son indépendance : Marie Stuart, qui
excite encore aujourd'hui de nombreuses sympa-
thies, les doit surtout à sa fin si touchante et à
l'hypocrite cruauté de ses bourreaux : la noblesse
de sa mort a fait trop oublier les fautes, les crimes
peut-être de sa vie.
En France, ce siècle do despotisme s'ouvre par
le règne du Pèif ilu peuple. Prince chaste, sévère
et grave. Louis XII eut le mérite peu commun de
fonder un gouvernement honnête, sérieux et appli-
qué. Le règne de son successeur est celui du bon
plaisir: le roi gentilhomme, moins occupé de ses
affaires que de ses amours, tranchant du despote
avec le Parlement, immolant les liberiés de l'Eglise
gallicane, mérite comme souverain toutes les sévé-
rités de l'histoire qu'il ne désarme que comme
appréciateur délicat des écrivains et des artistes.
Henri II, a de belle prestance etd'honnête accueil,»
mais aussi lourd d'esprit qu'actif de corps, infé-
rieur à son père comme politique et comme soldat,
le valant comme moralité, laissa moins de regrets
encore. Le règne de François II voit commencer
la longue et fatale domination de Catherine de
Médicis. Après la retraite du chancelier de L'Hôpi-
tal (15G.S), qui défendit quelque temps, dans une
cour dissolue, la raison, le bon sens et la tolé-
rance, Morvilliers est sans influence ; Birague est
le type du magistrat de cour servile etfértCî. Le
maître vaut les vali-ts : Charles IX est un poltron
effaré que la peur rend féroce ; Henri III est n en
certaines choses au-dessus de sa dignité, on d'au-
tres, au-dessous même de l'enfance. " Son long
duel avec Henri de Guise se termine par la double
tragédie de Blois (15SS) et de Saint-Cloud (1589).
Henri II avait rompu le dernier lien entre la
France et l'Italie: celle-ci, dominée par l'étranger
qui l'asservit, passant sans regret d'un maître
à un autre, est incapable d'affirmer sa nationalité.
L'affaiblissement de l'esprit militaire fut la prin-
cipale cause de l'abaissement de l'Italie : les vertus
guerrières encore vivaces en Pologne maintiennent
ce pays parmi les puissances prépondérantes,
malgré les vices de sa constitution, l'anarchie de
ses diètes, la turbulence de sa noblesse. Sigismond
I" (15Ui;-1548) est un dos héros de son siècle, au
dire de Paul Jove. L'extinction desJagellonsen 1572
introduit définitivement l'élection dans la consti-
tution polonaise ; et en 1587 une élection orage ise,
en portant au pouvoir Sigismond Wasa, met pour
quatre-vingt ans la Pologne dans une quasi dépen-
dance de la Suède.
L'alliance de la royauté et du peuple, qui aurait
pu sauver la Pologne, s'est accomplie en Suède
avec Gustave Wasa : elle a soustrait ce pays à la
dépendance du Danemark où l'aristocratie toute
puissante annule le roi.
En Russie, le règne de Vassili IV (1.S05-1533) est
effacé entre ceux des deux terribles Ivan III, son
père, et Ivan IV son fils. Ce dernier continue
énergiquement la lutte de l'autocratie contre
le pouvoir oligarchique des anciens princes sou-
verains, qui ne pouvaient se résigner à n être que
des sujets. Ivan IV a une physionomie à part dans
la galerie des princes du xvi' siicle; il a tous
leurs vices sans leur hypocrisie : la Russie est
encore un Etat orienial et son chef un barbare.
Les Ottomans aussi sont des Orientaux, mais
tous leurs sultans ne sont pas des b.irbares : si
Sélim l'Inflexible vaut Ivan IV, Soliman le Magni-
fique flô'.'O-l.'iCtJ) peut rivaliser avec Charles-
Quint. Ses crimes, communs en Orient, n'ont pas
diminué sa gloire aux yeux des Turcs. Le n lé-
gislateur » est resté le plus grand de leurs sultans.
Son successeur Sélim II l'Ivrogne, le vaincu de
Lépante (1572), ouvre la série des sultans elTéminés.
Au milieu de l'Europe monarchique, la Suisse est
avec Venise la seule république indépendante. Le
xvi« siècle n'est pas la période la plus honorable
de son histoire: c'est pour de l'or que se battent
désormais les vainqueurs de Grandson et de Morat.
La Suisse, par sa constitution fédérative, échappe
à la concentration du pouvoir aux mains d'un seul ;
dans les grands Etats d'aiors, France. Angleterre,
Suède, Russie, Turquie, même en Allemagne, le
pouvoir absolu s'exerce sans obstacles. Deux mo-
MODERNES (TEMPS) - 1319 — MODERNES (TEMPS)
iKircliic3 seulement font exception, le Danemark | cliampion vigoureux. Plillippe II essaya d'imposer
<'t la Pologne : 1 aristocratie y est puissante, la à toute l'Kurope les décrets du concile rie Trente
royauté annulée, la nation opprimée; les Dano_ ,
peuple et roi, sauront s'affranchir au xvii' siècle ;
les Polonais le tenteront trop tard au xviii'.
Le système d'équilibre et la politique de coalition
qui datent de l'année l'iO.i et de la bataille de
Fornoiie commencent avec les guerres d'Italie :
ces guerres remplissent une longue période de
■soixante-cinq ans (HO.i-là.'pg). Sous Charles VIII
de brillants faits d'armes, l'initiation des Français
aux merveilles de l'art et à la corruption do l'Italie
sont les seuls résultats d'une déplorable expédi-
tion. Louis XII, plus déloyal que son prédéces-
seur, est aussi maladroit; Ji aucun moment de son
règne il ne comprit combien les chevauchées au
delà des monts étaient contraires aux intérêts de
la France: Ferdinand le Catholique et Jules II
n'eurent qu'i exploiter ses fautes, le premier
pour agrandir sa maison, le second pour chasser
les barbares de l'Italie. François I" ne fut pas plu.s
habile : après le grand et stérile succès de Mari-
gnan, il perd en un jour h l'avie le fruit de cinq
années de guerres : le traité de Cambrai no com-
pense pas la déshonorante convention de Madrid;
en l.SSo Charles-Quint est le maître do l'Italie et
le premier souverain de l'Europe. Il triomphe des
et l'Inquisition : il fut vaincu partout : en France
par Henri IV, en Angleterre par Elisabetli, chez
les Bataves par le prince de Nassau, Guillaume
d'Orange ; sa victoire sur les Turcs h Lépante resta
stérile, et son succès en Portugal augmenta ses
charges sans augmenter sa puissance.
L'année même de sa mort, le traité de Vervins et
l'éditde N'antes sont deux nouvelles condamnations
de sa politique.
Les grandes découvertes maritimes remontent
à la fin du xv' siècle, la création des grands
empires coloniaux ne date que du xvi'. Les Por-
tugais reconnaissent successivement Madère, les
Açores, les lies du Cap Vert, et fondent des éta-
blissements au Congo; en l'iSG, Barthélémy Diaz
atteint le cap des Tempêtes et entrevoit la route
que Vasco do Gama doit parcourir onze ans plus
tard. C'est sur la côte de Malabar qu'abordèrent
les trois petits navires du grand marin. Après lui.
Cabrai fonde h. Calicut la première des colonies
européennes : une tempête qui le jette à l'ouest
lui fait découvrir le Brésil. Albuquerque étend et
affermit l'empire portugais, prend Socotora, Or-
muz, et triomphe de Venise unie au Soudan d'E-
gypte. Après Goa, Ceyian et Malacca furent occu-
lurcs comme il a triomphe des Français; Soliman pés et donnèrent à Lisbonne la mer du Bengale
le Magnifique, en possession de Rhodes, convoite la ! l'alliance du roi do Siam et de Pégu, le commerce
yallOe du Danube : il bat les Hongrois et pénètre \ avec la Chine et le Japon augmentent encore cette
jusqu à, Vienne ou I union de l'Allemagne chré- ' puissance : elle ne déclinera que par la faiblesse
tienne arrête ses conquêtes. François I" ne sait j de la métropole, par le développement maritime
pas profiter de l'utile alliance des Ottomans : les
dernières guerres et les derniers traités de son
de l'Espagne et de la Hollande.
Le Portugal avait mis plus d'un siècle à fonder
règne laissent pourtant la France intacte. Entre ! cet empire. L'Espagne est maîtresse de tout un
Henri a et Charles-Quint, puis Philippe II, la lutte! monde en moins de cinquante ans. Un Génois,
recommence avec plus d'ardeur. Allié des protes- Chrislophe Colomb, en cherchant par l'ouest la
lants allemands, le roi de France s'empare des Trois! route des Indes, trouve l'Amérique le il novem-
n-.K'M," .T^'" ''^ f°''''"»e de Charles- ] bre M9.' ; Nunez lialboa traverse l'isthme de
Vmnt a Metz et I hilippe II, malgré son alliance j Panama et aperçoit le grand Océan ; un avenlu-
avec Marie ludor, malgré sa victoire de Saint- rier, Fernand Cortez, découvre et occupe le Mexi-
Vuentin, ne peut enlever h la France ses récentes ' que avec cinq cents soldats, seize chevaux et dix
conquêtes : mais e traité de Cateau-Cambrésis lui ,' canons : trois autres aventuriers, Pizarre, Alma-
aonne Naples, Milan et les Pays-Bas. I gro et Luques, envahissent le Pérou avec deux
voiution de 1,,S9 Lest d abord l'Allemagne du conquêtes qu'il divise en deux gouvernements,
nord qui se détache de Rome, puis la Suède que celui de Mexico et celui de Lima.
y^^.r 1 .^'!f '"■.'■*'■'"= ^," Danemark et entraine Toutes ces dérouvertes ouvrent une nouvelle
ji" ,„ '.""'«'•aiiisme ; 1 Angleterre, qui annonce carrière à l'activité de l'Europe et de nouveaux
c,?, o-I^"*^ c ■ " ^"^ divorce avec le continents à la civilisation ; la marine et le com-
fni nm m' • n^f*^.' °j Zwmgli meurt pour la merce se développent, et l'E-pagne, enrichie parles
nnni f • '' ^' "^ x" , ^Omine assez longtemps métaux précieux du nouveau continent, aurait
pour idire de Genève la Rome du proieslaniis.ne ; ] menacé l'ancien de sa redoutable prépondérance,
le uanemark, ou noblesse et royauté sont d'accord si elle n'avait rencontré deux obstacles à sa tyran-
pour établir le luthéranisme. Quand le peuple
veut tirer les conséquences politiques et sociales
des doctrines prêchées par Luiher et par Calvin,
reformés et catholiques sont d'accord contre l
nie, la Renaissance qui éclaira les esprits, la Ré
forme qui les émancipa.
Malgré l'intérêt qui s'attache à l'histoire politi-
,,.__„„ , . , - , ---- que, religieuse et économi(|ue du xvi' siècle, sa
sacramentaire.s et les anabaptistes, mais reprennent grande attraction, c'est l'histoire littéraire et a
îes armes au ^ndemain de la bataille. La lutte | tistique, c'est la R
entre Charles Quiut et les protestants se termine
au profit de ceux-ci: l'intérim et le traité d'Augs-
bourg consacrent le triomphe de la Réforme en
Allemagne au moment même où elle s'établit en
Angleterre sous Edouard VI : le règne de Marie la
sanglante et sa réaction désespérée en faveur du
catnolicisme, font place au despotisme d'Elisabeth
qui rcg e souverainement le dogme et le culte de
ce que Ion a appelé l'anglicanisme. Le Saint-Siège
]-il» nf ^P "' i"^l^<'^-^ que Cliarles-Quint: le con-
cile de Trente reformera le catholicisme sans ra-
mener les dissidents k l'unité catholi.,ue. Les pays
FrZl' T' i"""^"' '=°"^™« rAllen'iagne, et la
Ln^ u ''"«:';;ûnie aurait peut-être échappé .-i Rome
«ans Henri IV. L'ortîiodoxie rencontra ptiurtant un I
que, c'est la Renaissance, c'est le grand mou-
vement scientifique qui l'accompagne.
Dans toutes les directions l'esprit humain prit
un rapide essor : affranchi de la lourde domina-
tion de l'Église, il s'élança hardiment dans les
voies naturelles, en politique, en littérature, dans
les arts, comme les Colomb et les Gama s'élan-
çaient sans crainte sur les Océans inconnus. — V.
Siècle [seizième).
Le traité d'Augsbourg, l'édit de Nantes, et la
victoire d'Elisabeth sur Philippe II, semblaient
avoir clos les luttes religieuses. Elles se rouvrent
au xvir- siècle et englobent toute l'Europe dans
une guerre mémorable.
Les successeurs de Charles-Quint menaçaient
MODERNES (TEMPS) - 1320 - MODERNES (TEMPS)
les conquêtes de la Réforme en Allemagne : les
protestants, pour faire face à l'Espagne, à la mai-
son d'Autriche et au Saint-Siège, s'appuyèrent sur
la France et sur les puissances protestantes du
Nord. Du côté des catholiques, le grand rôle ap-
partient à l'empereur Ferdinand II : il triomphe
facilement du médiocre Frédéric V, électeur
palatin; il bat également le roi de Danemark,
t.liristian IV, avec l'appui de Maximilien de Ba-
vière, de Tilly, de la Ligue catholique, et surtout
d'un aventurier de génie, Wallenstein. La Réforme
semble anéantie par l'édit de restitution (1629).
Lintcrvention de Gustave-Adolphe et de la Suède
lui rend la victoire et la prépondérance : celle de
Richelieu et de la France, de la Hollande et de ses
grands amiraux, assurent la défaite de l'Autriche,
de l'Espagne et du catholicisme : les traités de
Munster et d'Osnabruck consacrent l'indépendance
des Provinces-Unies et de la Suisse, l'avènement
d'une nation jeune et vigoureuse, la Suède, l'a-
grandissement de la France et celui des princes
protestants.
La lutte générale des deux religions est termi-
née par le traité de Westphalie : la guerre entre
elles ne dépassera plus les limites de chaque Etat.
En Angleterre, cette lutte se prolonge pendant
tout le xvii' siècle et aboutit à deux révolutions à
la fois politiques et religieuses, en 1648 et en IC.SH,
qui eurent pour dernière conséquence la fonda-
tion définitive de la monarchie constitutionnelle
dunscepays. mais auxquelles l'Europe ne prit au-
cune part. La religion anglicane, menacée par
l'Irlande catholique et par l'Ecosse presbytérienne,
persécute les non-conformistes: les Stuarts pré-
tendent exercer le pouvoir absolu des Tudors ; la
foi et les libertés font cause commune, la révolu-
tion est inévitable : préparée par l'incapacité de
Jacques I", hâtée par la mauvaise foi de Char-
les I", elle commence dès 1610. Le Long Parle-
ment obtient la condamnation de Strafford, s'em-
pare du pouvoir exécutif et prend la direction de
la guerre. Il est d'abord soutenu par la secte des
indépendants. Leur chef, Cromwoll, vainqueur des
troupes royales, maître de Charles I", le fait con-
damner h mort par un parlement intimidé (I64'.J),
proclame la République et dissout le Long Parle-
ment. Après la défaite de l'Irlande catholique
et de l'Ecosse presbytérienne, il prend le titre de
Protecteur et sait rendre à l'Angleterre la pré-
pondérance en Europe. Son fils Richard n'a ni le
goût, ni l'ambition du pouvoir : la défection du
général Monk rétablit la royauté redevenue, après
vingt années de lutte, aussi absolue sous Charles II
que sous Charles I". Les Stuarts restaurés n'ont
rien appris, rien oublié : l'opposition parlemen-
taire leur arrache le bill dhabeas coi-piis; la
nation, menacée encore une fois dans sa religion
et dans ses libertés, les chasse définitivement en
lt88, et impose à leur sucéesseur, Guillaume d'O-
range, la célèbre Déclaration des droits qui fonde la
monarchie constitutionnelle au delà de la Manche.
Pendant que la liberté de conscience recevait
en Angleterre une solennelle confirmation, le
fanatisme étroit remportait en France une déplo-
rable victoire : l'édit de Nantes était révoqué. Cet
acte funeste était la conséquence du régime des-
potique inauguré au xvi' siècle, poursuivi au xvii"
par Henri IV, par Richelieu et par Louis XIV;
mais Henj-i IV rachetait la tyrannie par l'esprit et
la bonne humeur, Richelieu par la grandeur du
but qu'il visait et qu'il atteignit; Louis XIV tendit
S les briser tous les ressorts du gouvernement : à
l'intérieur comme au dehors sa politique est né-
faste. Son ambition, ses fautes punies par de
cruels revers, ont tour h tour porté à l'apogée et
mis à deux doigts de sa ruine cette monarchie ab-
solue, sévère pour le peuple, hostile à l'étranger,
appuyée sur un clergé asservi, sur la police et sur
l'armée. Il faut oublier le roi et reporter sa pen-
sée sur Colbert. sur Louvois, sur Vauban, sur les-
grands généraux, sur les grands artistes et les-
grands écrivains, pour laisser k ce siècle le nom
que l'histoire trop complaisante lui a donné.
Ce n'est pas seulement en France que l'abso-
lutisme est en progrès. En Espagne, un prince
fastueux et misérable comme son royaume, Phi-
lippe III, se laisse gouverner par un favori, le duc
de Lerme ; son fils Philippe IV n'a ni plus de vi-
gueur, ni plus de volonté : Olivarez est le Riche-
lieu de ce Louis XIII. Charles II est le dernier et
indigne rejeton de Charles-Quint au delU des Pyré-
nées, qui vont s'abaisser devant un prince de la.
maison de Bnurbon. L'Espagne a perdu le Portu-
gal, reconquis par Jean de Bragance,le Roussillon,
l'Artois, la Flandre et la Franche-Comté cédés à la
France victorieuse.
Dans l'autre branche de la maison d'Autriche
la décadence est moins rapide : Mathias, Ferdi-
nand II montrent encore quelque vigueur; le long
règne de Léopold n'est pas sans gloire; mais la
vie et la puissance ne sont plus ni à Vienne ni à
Madrid, elles passent h Amsterdam, à Stockholm, à
Paris et à Londres ; Moscou et Berlin ne comptent
pas encore : le Grand Electeur vient de mourir
et Pierre I" se révèle à peine.
Le xvn' siècle, comme le xvi', brille surtout de
la gloire des lettres, mais il n'a ni sa fécondité, ni
son originalité. Le pouvoir absolu a accompli son
œuvre, discipliné les esprits et effacé les carac-
tères. La guerre seule, qui va bien au despotisme,
est en progrès : peu de noms pi uvent être com-
parés à ceux de Wallenstein, de Turenne, de
Condé, de Montccuculli. La civilisation, le goût,.
l'instruction grnérale sont plus répandues en l'on
qu'en 1600, sous Louis XIV que sous Henri IV :
on n'oserait affirmer que l'esprit humain soit plus
émancipé; que la société européenne soit plus
libre et plus heureuse; mais Louis XIV va mou-
rir, l'heure approche des grandes ruines et des
grandes reconstructions. — V. Siècle [dix-septiéme].
Le XVIII" siècle s'ouvre par une guerre géné-
rale : l'Espagne, qui expie par un abaissement et
une misère sans égale sa lutte contre la civilisa-
tion et la 1 borté des esprits, est transmise par
l'arrière-petit-fils de Philippe II h un petit-fils de
Louis XIV ; Charles II se donne comme succes-
seur Philippe V. L'Espagne accepte cette dynastie
nouvelle : l'Europe forme une nouvelle ligue Ji la-
Haye contre l'ambition conquérante de Louis XIV:-
Angleterre, Empire, Provinces-Unies, Brandebourg-
et Hanovre s'engagent à ne laisser au nouveau roi
d'Espagne que la Péninsule. Grâce à trois hom-
mes énergiques, Eugène de Savoie, Mariborough et
Heinsius, la coalition atteint son but : après treize
ans de luttes, qui ont mis la France à deux doigts
du démembrement, qui la laissent ruinée pour
vingt ans, le traité d'Utrecht (II avril ni3i donne la
Sicile, le Milanais et le titre de roi au duc de Sa-
voie, la Haute-Gueldre et le titre de roi de Prusse
à l'électeur de Brandebourg. Gibraltar, Minorque.
la baie d'Hudson, l'Acadie, Saint-Christophe ei
Terre-Neuve à l'Angleterre. Les traités de Ras-
tadt et de Bade confirment celui d'Utrecht : ils
enlèvent à l'Espagne les Pays-Bas, Naples, la Sar-
daigne, le Milanais et les présides de Toscane.
Louis XIV meurt au lendemain de ces traités
(1715). Ses excès de pouvoir ont rendu un relâche-
ment général nécessaire et certain.
De la mort de Louis XIV à la révolution fran-
çaise, le maintien de l'équilibre dans l'Europe cen-
trale, assuré par la guerre de la succession de Po-
logne, par celle de la succession d'.\utriclie, et par
la guerre de Sept ans, est surtout l'œuvre de l'An-
gleterre et tourne au profit dt^ sa grandeur, tandis
qu'à l'Orient s'élève par l'affaissement do la
MODERNES (TEMPS) — 1321 — MODERNES (TEMPS)
SnJ'ilo Pt do la Turr|uio et par l'anéantiasenient ds
la PoliiRiio une nouvi'lle et redoutable puissance,
la Russie, et qu'à l'Occident, au delà des mers, se
prépare ot s'établit avec éclat la féconde liberté
de rAinérique.
L'histoire politique et militaire, les agitations
stériles des peuples h celte époque n'otfrent pas
le mémo intérêt que l'histoire des esprits qui
vont enfanter les grands renouvellements de la fin
sirrir. C'est surtout la France qui prépare la Révo-
lution, c'est elle qui doit l'accomplir, comme c'est
l'Ile qui en est restée le foyer et qui en a goûté
tous les fruits doux ou amers : c'est elle qu'il
faut reçiarderpour comprendre combien cette révo-
lution était nécessaire. Le pouvoir royal absolu,
l'Eglise et l'Etat confondus, la justice vénale, la
législation compliquée et inique, la misère entre-
tenue par les lois et châtiée comme un crime,
voilà ce que les philoscplies ont attaqué, voilà ce
qne le grand mouvement de n«9 a emporté. Les
philosophes proclament que la souveraineté réside
dans !a nation, ils veulent que la loi protège éga-
lement tous les cultes : Montesquieu, Rousseau,
les Encyclopédistes, l'école des économistes, tous
contribuent à l'rcuvre communii; Voltaire, le vrai
chef de l'armée pliilnsophique, en affjchant son
prosélytisme antichrétien, ruine la domination
de l'Eglise sur les esprits des hommes et sur les
affaires du monde, il inspire à tous l'horreur de
la persécution et le respect de la liberté de con-
science. Il fut le véritable artisan de la çhûte des
jésuites, qui privait l'Eglise de son plus ferme ap-
pui et qui commençait bien d'autres destructions.
Sans doute Voltaire et les philo.sophes attaquent
sans ménagement la société et la religion. Sans
doute ils ont précipité les esprits au delà du
monde réel en les détournant violemment de ce
qui existait, et préparé les biens et les maux de la
révolution, sa grandeur et ses excès : cette révolu-
tion en était-elle moins légitime, moins nécessaire ?
Nous n'avons qu'à comparer le passé au présent
pour proclamer qu'elle fut un inestimable bien-
fait. — V. Siècle (dix-huitième).
nÉvoLiiTioN (USO-ITJO).
1789. Ouverture des Etats généraux à Versailles
(5 mai). — Assemblée nationale (17 juin). —
Serment du Jeu de Paume (20 juin). — Assem-
blée constituante (9 juillet). — Prise de la Bas-
tille (14 juillet). — Nuit du 4 aoiit. — Journées
des 5 et ti octobre.
En Amérique, présidence de Georges Washing-
ton. — Révolte des Pays Bas contre Joseph II.
1790. Réorganisation de la France par la Consti-
tuante. — Première fêle de la Fédération
(14 juillet).
Mort de Franklin aux États-Unis. — Mort de
Joseph 11.
17(11. Mort de Mirabeau (2 avril). — Fuite du roi
à Varennes (20 juin). — Massacre du Champ-
de-Mars (17 juillet), — Congrès et déclaration
de Pilnitz (27 août). — La nouvelle Constitu-
tion est sanctionnée par Louis XVI (13 septem-
bre). — Clôture de la Constituante (30 septem-
bre).—Ouverture de la Législative (!=' octobre).
Traité de Sistowa entre l'Autriche et la
Turquie, et proliminaires de Galatz entre la
Turquie et la Russie. — l.a Pologne se donne
une constitution moins anarchique.
1792. Louis XVI déclare la guerre à François II
(20 avrili. — Journée du 20 juin. — Les Prus-
siens envahissseni la France (5 juillet). — Ma-
nifeste du duc de Brunswick (25 juillet).— Prise
des Tuileries et renversement de la royauté
(10 août). — Massacres de septembre (2, 3, 4 et
5 septembre). — Clôture de la Législative et
victoire de Valmy (20 septembre). — Ouverture
de la Convention et proclamation do la Répu-
blique (21 septembre). — Ministère Roland;
domination des Girondins. — Victoire de Jem-
mapes (9 novembre). — Commencement du
procès du roi (i 1 décembre).
Fondation d'une cnpilale fédérale, Washington,
aux f.tats-Onis. — Paix définitive de Jassy entre
la Russie et la Turquie. — Assassinat de Gus-
tave m à Stockholm.
1793. Exécution de Louis XVI (21 janvier). — La
Convention déclare la guerre à l'Angleterre et à
à la Hollande (1" février), puis à l'Espagne
(7 mars).— Soulèvement de la Vendée (10 mars).
— Défaite de Uumouriezà Neerwinden (18 mars).
— Création du Comité de salut public (27 mars).
— Duraouriez passe aux Autricliiens (4 avril).
— Chute des Girondins (31 mai). — Constitu-
tion de 1703 (23 juin). — La France est en
guerre avec toute l'Europe ; la moitié des dé-
partements sont soulevés. — Décret de la levée
en masse (23 août). — Commencement de la
Terreur (5 septembre). — Loi des suspects
(17 septembre). — Loi du maximum (29 sep-
tembre). — Arrestation de soixante-treize Gi-
rondins (3 octobre). — Prise de Lyon (9 octo-
bre). — Exécution de Marie-Antoinette (16 oc-
tobre). — Calendrier républicain (24 octobre).
— Exécutionde vingt etun Girondins (31 octobre,
10 brumaire an II). — Fête de la Raison (lO no-
vembre, 20 brumaire). — Prise de Toulon
(19 décembre, 211 frimaire). — Déroute des
Vendéens au Mans (23 décembre, 3 nivôse).
En Amérique, deuxième présidence de Was-
hington. — Second démembrement de la Polo-
gneî au profit de la Piusse et de la Russie.
1794. Exécution des hébertistes (24 mars, 4 ger-
minal). — Exécution des dantonistes (5 avril,
K; germinal). — Fête de l'Etre suprême (S juin,
20 prairial). — Loi du 22 prairial (10 juin). —
Victoire do Fleuras (2C. juin, 8 messidor). —
Chute de Robespierre (-.'7 juillet, 9 thermidor).
— Domination des thermidoriens. — Marat au
Panthéon (12 septembre, 2(J fructidor). — Fer-
meture du club dos Jacobins (S novembre.
18 brumaire an III). — Rappel des soixante-
treize Girondins (8 décembre, 18 frimaire). —
— Abolition du maximum (23 décembre, 3 ni-
vôse).
Agonie de la Pologne. — Défaite de Kos-
ciusko à Macejovice (10 octobroj.
1795. Pichegru entre à Amsterdam (20 janvier,
1" pluviôse). — Déportation de plusieurs mem-
bres des anciens comités révolutionnaires
(1" avril, 12 germinal). — Paix avec la Prusse
(25 avril, 10 germinal;. — Insurrection du parti
montagnard (20 mai, 1" prairial). — Mort du
dauphin au Temple (8 juin, 20 prairial). _—
Exécution des derniers Montagnards (17 juin,
2i» prairial). — Victoire de Hoche à Quiberon
(17 juillet, 29 messidor). — Paix avec l'Espagne
(22 juillet, 4 thermidor). — Constitulion de
l'an m (22 août, 5 fructidor). — Insurrection
royaliste (5 octobre, n vendémiaire an IV). —
Dernière séance de la Convention (26 octobre,
4 brumaire). — Installation du Directoire et des
conseils des Cin(| Cents et di'S Anciens.
Partage définitifde la Pologne (8 octobre).
I7H6. Fin de la guerre de Vendée. — Abolition
des assignats. — Glorieuse campagne de Bo-
naparte en Italie. — Moreau et Jourdan en
Allemagne reculent devant l'archiduc Charles.
— Proclamation de la république batavo; for-
mation de la république cispadane.
En Russie, mort de Catherine 11 et avènement
de Paul 1".
1797. Fin de la campagne d'Italie. Victoire du
MODERNES (TEMPS) — 1322 — MODERNES (TEMPS)
Rivoli (janvier). Traité de Tolentino avec le
Saint-Siège (19 février). Préliminaires de Leo-
lien (18 avril). — Coup d'Etat du Directoire
contre les royalistes des deux conseils (4 septem-
bre, 18 fructidor an V. — Monde Hoche (18 sep-
teuibre). — Traité de CampoFormio (l" octobre).
— Républiques ligurienne et cisalpine. — Re-
tour de Bonaparte en Krance (décembre).
Aux Etats-Unis, présidence de John Adams. —
En Prusse, mort de Frédéric-Guillaume II. —
A Constantinople, essai de réformes euro-
péennes par Sélim III.
179-. Republique romaine (février). — Républi-
blique helvétique (mars). — Départ de Bona-
parte pour l'Egypte (mai). — Deuxième coalition.
— Bataille des Pyramides (21 luillet). — Dé-
sastre d'Aboukir (I" août). — Etablissement de
la conscription (8 septembre .
Toussaint Louverture k Haïti chasse les blancs
et proclame l'île indépendante.
nM9. République parthénopéenne (janvier). —
Assassinat des plénipotentiaires français ù Ras-
Udt (avril). — Victoire du Mont-Thabor (avril).
— Triomphe des Jacobins aux élections de
l'an VII (mai). — Loi des otages (juillet). —
La France perd l'Italie, sauf Gênes. — Souvaroff
et Korsakoir en Suisse. — Victoires de Masséna
i Zurich et de Brune à Bergen i septembre) : la
coalition est repoussoe. — Bonaparte revient
d'Egypte (octobre). — Coup d'Etat du 18 bru-
maire (il novembre). — Consiitution de l'an VIII :
un Sénat, un Corps législatif, un Tribunat;
Bonaparte premier consul.
Dans llndci, Tippou-Saîb, allié de la France,
succombe àSeringapatam. — Mort de Washing-
ton aux Etats-Unis.
CONSULAT ET EMPIRE (n99-18U).
ISCO. Traité de Luçon avec la 'Vendée ; soumis-
mission de la Bretagne. — Préfectures et sous-
préfectures. — Banque do France. — Complots
jacobins et chouans. — Kléber, vainqueur à
Héliopolis (.0 mars), est assassiné au Caire
(It juin). — \ ictoires de Moreau à Engen,
Mieskirch, Biberach, Hohenlinden (3 décemlire),
de Bonaparte à Montebel o età .Marengo (I5juin).
L'Irlande est réunie à l'Angleterre et à l'E-
cosse ; les Iles Britanniques n'ont plus qu'un seul
Parlement. — Toussaint Louverture est prési-
dent à vie. — Election de Pie VU, h Venise;
il succède à Pie VI, mort prisonnier à Valence,
en I79y. — Les sept lies Ioniennes sont consti-
tuées en république par la Russie et la Turquie.
1801. Restauration du catholicisme en France.
Concordat (15 juillet). — Traité de Lunéville
avec l'Autriche. — Menou, battu i Aboukir,
perd l'Egypte.
Pitt quitte le pouvoir qu'il a exercé dix-sept
ans (8 février). — Aux Etats-Unis Thomas Jeffer-
son est président. — Assassinat de Paul I".
1802. Paix d'Amiens entre la France et l'Angle-
terre. — Lois organiques, complément du Con-
cordat (8 avril). — Réorganisation de l'ensei-
gnement (l" mai). — Création de la Légion
d'honneur. — Vote plébiscitaire du consulat h
vie (mai) — Réorganisation de l'Institut.
1803. Nouvelle guerre avec l'.^ngleterro. — Prépa-
ratifs de Boulogne. — La France vend la Loui-
siane aux Etats-Unis. — Médiation de Bonaparte
en Suisse.
1804. Conspiration Cadoudal et Moreau. — Enlè-
vement et exécution du duc d'Enghien (20 mars).
— Adoption du Code civil par le Corps législa-
tif. — Napoléon, empereur (18 mai).
1805. Napoléon, roi d'Italie. Eugène de Bcauhar-
nais, vice-roi. — Troisième coalition. Levée du
camp de Boulogne. Campagne do 1805. Capitu-
lation d'Ulm (20 octobre). Trafalgar (21 octobre).
Austcriitz (2 décembre). Traité de Presbourg
(26 décembre). — Suppression du calendrier
républicain fixée au 1" janvier 1806 (an .\IV).
I80U. Mort de William Pitt (janvier) et de Fox
(septembre). — Université impériale. — Joseph
Bonaparte, roi de Naples, Louis Bonaparte, roi
de Hollande — La féodalité impériale : grands
duchés, duchés, comtés, baronies. — Confé-
dération du Rhin. — Quatrième coalition :
léna, Auerstasdt. — Napoléon à Berlin. — Blo-
cus continental.
180'. Eylau et Friediand. — Traité de Tilsit
(8 juillet). — Jérôme Bonaparte, roi de West-
phalie. — Le grand-duché de Varsovie est
constitué. — Réunion des Etats de l'Eglise à la
France. — Occupation du Portugal. — Sup-
pression du Tribunat. — Cour des comptes.
180S. Fontanes, premier grand-maître de l'Univer-
sité impériale. — Entrevue de Rayonne. —
Joseph Bonaparte roi d'Espagne. — Occupa-
tion de Rome. — Murât, roi de Naples. —
Guerre d'Espagne.
1809. Cinquième coalition ; Eckmiihl, Essling et
Wagram (6 juillet). — Traité de Schiinbrunn
(14 octobre . — Divorce de Napoléon et de José-
phine (IG décembre).
Guerre de la Russie contre la Suède et la
Turquie. — En Suède, abdication de Gustave IV
et proclamation de Charles XllI.
18:0. Napoléon épouse Marie-Louise. — Abdica-
tion de Louis Bonaparte, roi de Hollande. La
Hollande est réunie à la France.
Premières agitations dans les colonies espa-
gnoles de r.\mérique. — Bernadette est pro-
clamé prince royal de Suède et adopté par
Charles XIII.
1811. Naissance du roi de Rome (20 mars).
Massacre des beys Mameluks par le pacha
d'Egypte, Méhémet-Ali.
1812. Campagne de Russie.
Les Etats-Unis déclarent la guerre à l'Angle-
terre. — Traité de Bucharest entre la Turquie
et la Russie.
1813. Sixième coalition. — Campagne d'Allema-
gne. Liitzen, Bautzen, Leipzig. — La France
est envahie. — Résistance du Corps législatif à
Napoléon : il est ajourné.
18U. Campagne de France. — Entrée des alliés à
Paris (.il mars). — Le Sénat nomme un gouver-
nement provisoire et proclame la déchéance de
Napoléon. — Son abdication (G avril).
L.A RESTAURATION (1814-1830).
1814. Napoléon part pour l'Ile d'Elbe (20 avril). —
Louis XVIII débarque à Calais (24 avril). — Dé-
claration de Saint-Ouen (2 mars). — Traité de
Paris (30 mai). — Octroi de la charte constitu-
tionnelle (4 juin).
Ouverture du Congrès de Vienne (I" novem-
bre'. — En Italie, restauration de l'ancien régime
et des Jésuites. — En Espagne, tyrannie de Fer-
dinand VII; soulèvement du Mexique, du Chili,
du Venezuela et de la Nouvelle-Grenade. — Aux
Etats-Unis, victoires, puis défaites des Anglais
et traité de Gand.
1815. Napoléon au golfe Juan (1'' mars), à Lyon
(8 mars), à Paris (2ii mars). — Les Cent-Jours.
— Louis XVIII à Gand. — Acte additionnel
(22 avrilj. — Acte final du Congrès de Vienne
(9 juin). — Campagne de Belgique ; Waterloo
(is juin). — Seconde abdication de Napoléon
{22 juin). — Il part pour Rochefort '29 juin). —
Seconde capitulation de Paris (3 juillet). — Ren-
trée de Louis XVIU (8 juillet. i— La Sainte
Alliance (20 septembre). — Deuxième traité de
Paris (20 novembre). — Terreur blancho en
MODERNES (TEMPS)
France. Cours prévôtales. — Murât fusillé h
Pizzo le 13 octobre.
Organisation de la confédération germanique.
— Promesses libérales des princes. — Progris
de la révolte des colonies espagnoles en Améri-
que. Bolivar au Venezuela. — Aux Etats-Unis,
victoire du général Jackson à la Nouvelle-Or-
léans sur les Anglais.
I8|(i. Dissolution de la Chambre introuvable. —
Missions dans les départements.
Indépendance des provinces unies de La
Plata. — La Serbie se révolte contre les Turcs.
1817. Suppression des cours prévfitales.
Fête de la Wartbonrg en Allemagne (18 octo-
bre). Discours séditieux. — Indépendance du
Chili et du Venezuela. — Monroë, président des
Etats-Unis.
1818. Congrès d'Aix-la-Chapelle. — Evacuation de
la France par les alliés. — Ministère Decazes-
Dessolles. — Le roi de Rome est nommé duc de
Reichsladt.
L'Angleterre signe des traités avec différentes
puissances pour l'abolition de la traite. — Avè-
nement de Bernadette ((;iiarles XIV),
1819. Progrès des idées libérales en dépit des lois
restrictives. — Agitation révolutionnaire en
Allemagne. — Assassinat de Kotzebue par Sand.
— Mesures réactionnaires votées par la diète
de Francfort et le Congrès de Vienne. — In-
dépendance de l'Uruguay. — La Nouvelle-
Grenade et Quito affranchis par Bolivar forment
la république de Colombie. — Fermentation dé-
mocratique et socialiste en Angleterre, — Cons-
pirations libérales en Espagne. — Opposition
des Belges au gouvernement de Guillaume I".
— Gouvernement libéral et modéré d'Alexandre
l" en Russie.
ISîO. Assassinat du duc de Berry (13 février). —
Chute du ministère Decazes. — Naissance du duc
de Bordeaux (','9 septembre).
Sucre, lieutenant de Bolivar, affranchit le Pé-
rou, — En Portugal, en Espagne, révolutions
constitutionnelles, — Avènement de Georges IV
ù Londres. — Insurrection victorieuse dans les
Deux Siciles. — Congrès de Troppau et de Lay-
bach, — Révolte d'Ali, pacha deJaiiina,en Epire.
1821. Mort de Napoléon à Sainte-Hélène (5 mai).
— Ministère Villèle (là décembre).
Intervention de l'Autriche dans les Deux Si-
ciles et dans le Piémont. — Iturbide généralis-
sime de l'empire du Mexique. — Début de
l'insurrection hellénique.
I.S'22. En France, déplorable gouvernement des
ultra-royalistes, des jésuites et des missionnai-
res. — Nombreuses conspirations ; émeutes.
En Angleterre, Canning premier ministre. — Don
Pedro, empereur héréditaire du Brésil. — En
Portugal don Miguel, en Espagne Ferdinand VII
tentent une contre-révolution. — Congrès de
Vérone, — Indépendance du Mexique, Iturbide
empereur 'Augustin 1"). — Lutte entre les
Grecs et les Turcs.
1823. Intervention de la France en Espagne,
rétablissement de l'absolutisme. — Manuel
exclu de la Chambre (.3 mars).
Indépendance du Guatemala. — Mort de
l'ie VII. Election de Léon XII.
18'-'4, La Chambre septennale. — Mort de Louis
XVIII. Charles X.
Réactions sanglantes en Italie et en Espagne.
— Echec de don Miguel à Lisbonne. —Iturbide
fusillé au Mexique.
ISV.i. Un milliard est accordé aux émigrés. — Vote
de la loi du sacrilège. — Mort du général Foy.
Mort d'Alexandre 1". Avènement, de Nicolas I".
182C. Perpétuelles révolutions et guerres fréquen-
tes entre les républiques américaines, le Brésil,
l'Espagne. — Intervention de la diplomatie anglo-
1323 - MODERNES (TEMPS)
russe dans la question grecque. — Nouvelle
tentative des Miguelistes en Porttigal. — Révolte
et massacre des Janissaires àConstantinople.
1827. Dissolution de la Chambre des députés. —
Elections libérales. — Chemin de fer de Saint-
Eiienne.
Bataille navale de Navarin. La flotte ottomane
est détruite. — Mort de Canning, Wellington
premier ministre, — Don Carlos proclame en
Catalogne par les apostoliques qui ne trouvent
pas Ferdinand Vil assez absolu, — Don Miguel
proclamé à Lisbone : sa régence durera quatre
ans.
18','8. Chute du ministère Villèle. Cabinet Mar-
tignac. — Ordonnance du 16 juin sur les petits
séminaires : les Jésuites quittent la France pour
la plupart.
Les Russes déclarent la guerre à la Porte
qu'ils attaquent en Europe et en Asie. — In-
tervention anglo-française en Grèce.
1829. Ministère Polignac.
Le Zollverein est conclu entre la Prusse, la
Hesse-Darmstadt, la Bavière, le Wurtemberg,
— Affranchissement des catholiques d'Irlande,
voté par le Parlement anglais. — Convention de
Londres en faveur de la Grèce. — Succès écla-
tants des Russes ; traité d'Andrinople. — Indé-
pendance de la Grèce. — Mort de Léon XII.
Election de l'ie VIII. — Odieux gouvernement
de Don Miguel : près de lonoon personnes exé-
cutées, bannies ou emprisonnées en un an.
1830. Adresse des 221.— Dissolution de la Cham-
bre (i6 mai). — Réélection des •,'21 fjuillet). —
Conquête d'Alger. — Les ordonnances (25 juil-
let). — Révolution des 27, 28, 21) juillet.
LA MONARCHIE DE JUILLET ( 1830-18-'l8).
1830. Abdication de Charles X et du Dauphin
(2 août). — Proposition Bérard offrant la cou-
ronne au duc d'Orléans (7 août). — Premier mi-
nistère do Louis-Philippe (Dupont de l'Eure). —
Ministère Laffitte (2 novembre). — Procès des
ministres de Charles X.
En Amérique, retraite de Bolivar, — A Lon-
dres, avènement de Guillaume IV et du cabinet
wliig de lord Grey, — Premier chemin de fer
pour voyageurs entre Liverpool et Manchester.
— Abolition de la loi salique en Espagne.
Naissance d'Isabelle. — Mort de Pie VIII à
Rome. — Révolution de Bruxelles (25 aoiit).
Les Belges victorieux adopient la monarchie
conslitulionnelle, à l'exclusion de la maison d'O-
range. — Révolution à. Varsovie.
1831. Manifestation légitimiste i Paris : sac de
l'archevêché. - Cabinet du 13 mars (Casimir Pé-
rier). — Insurrection de Lyon. — Expédition de
Mcdeah contre les Kabyles.
Léopold roi des Belges (4 juin) Interven-
tion de la France en Belgique. — Election du
pape Grégoire XVI. — Insurrection dans les
Etats pontificaux. — Nouvelle intervention des
Autrichiens en Italie, des Françnis en Portugal.
— Les Russes maîtres do Varsovie; sanglante
réaction ; émigration. — Réformes de Mahmoud
en Turquie.
1832. Choléra de mai h septembre : il emporte
Casimir Périctr. — La duchesse de Berry en
Vendée. — Prise d armes des républicains les
5 et 6 juin h. Paris. — Mort du duc de Reich-
sladt à Schœnbrunn. — Cabinet du II novem-
bre (Soult). — Prise d'Anvers par Gérard et
Haxo. — Occupation d'Ancone par la France.
Oihon de liavière roi de Grèce. — Lord Grey et
lord John Russell font adopter la réforme élec-
torale. — Premiers succès des constitutionnels
en Portugal. — Ibrahim, fils de Méhémet-Ali,
bat les Turcs en Syrie.
MODERNES (TEMPS) — 1324 — MODERNES (TEMPS)
1833. Loi Guizot sur l'instruction primaire. —
Extension du Zollverein en Allemagne. —
Avènement d'Isabelle II, régence de Marie-
Christine ; les carlistes proclament don Carlos
sous le nom de Charles V. — Agitation entrete-
nue en Italie par Mazzini. — Don Pedro triom-
phe enfin de don Miguel en Portugal. — La
Russie, puis la France et l'Angleterre, intervien-
nent dans la lutte entre le sultan et Méhémet-
Ali.
1834. Insurrections républicaines à Paris et k
Lyon.
Le congrès de Vienne diminue les pou-
voirs de la diète au profit do l'absolutisme.
— Ministère Robert Peel-Wellington. — Lutte
entre les constitutionnels et les absolutistes en
Espagne et en Portugal. — La Suisse est forcée
de dissoudre les comités révolutionnaires ita-
liens qui se sont formés chez elle. — Schamyl,
i la tête des Circassiens, lutte contre la Russie.
1835. Ministère de Broglie-Thiers. — Attentat
de Fieschi. — Lois de, répression dites de sep-
tembre. — Succès d'Abdel Kader en Algérie.
Chute de Robert Peel, cabinet Melbourne, Rus-
sell, Palmerston. — En Espagne guerre car-
liste.
183(1. Ministère Thiers, puis Mole. — Mort de Char-
les X à Goritz. — Tentative du prince Louis-
Napoléon à Strasbourg.
Agitation entretenue parO'Connell en Irlande.
1837. Inauguration du musée de Versailles. —
Prise de Constantine.
Avènement de Victoria. — Le Hanovre est sé-
paré de l'Angleterre. — Crise commerciale en
Angleterre, aux Etats-Unis
et à Robert Peel. — ■ Insurrection polonaise : I»
république de Cracovie est incorporée à l'Au-
triche. — Isabelle épouse don François d'Assi-
ses ; sa sœur doha Louisa le duc de Montpen-
sier. — • Election de Pie IX : ses premiers actes
sont libéraux.
184". Disette, émeutes en province. — Divers pro-
cès scandaleux, où sont compromis de liants
personnages, portent atteinte au prestige du
gouvernement. — Agitation pour la réforme
électorale ; banquets réformistes.
En Italie, Pie I.\ continue à se montrer libé-
ral, et quelques souverains l'imitent. — Guerre
du Sonderbund en Suisse : la ligne séparatiste
des sept cantons est vaincue par l'armée fédé-
rale. — Guerre entre les Etats-Unis et le Mexi-
que ; cession du Nouveau-Mexique et de la
Nouvelle-Californie aux Etats-Unis.
LA SECONDE BÉPfBLIQDE ET LE SECOND EMPIRE
(1848-1870).
1848. France. — 34 février. Gouvernement provi-
soire, proclamation de la République. — 4 mai.
Réunion de la Constituante. — 9 mai. Commis-
sion executive. — 15 mai. Tentative de RIaiiqui
et Barbes contre l'Assemblée. — '2^ juin. Rap-
port de Falloux concluant à la dissolution immé-
diate des ateliers nationaux ; insurrection contre
l'Assemblée, journées de juin. — 24 juin. Ca-
vaignac chef du pouvoir exécutif. — 17 septem-
bre. Louis-Napoléon élu député à Paris. —
4 novembre. Adoption do la nouvelle Constitu-
tion. — 10 décembre. Election de Louis-Napo-
léon comme président de la République.
V
18 :S. Intervention de la France dans la répuhVi- \ Allent'igne. — 13-14 mars. Révolution h Vienne,
(|nfi Argentine et au Mexique. — Evacuation
d'AncÔne.
1839. Chute du ministère Mole (mars\ — Insur-
rection de Blanqui et Barbes {12 mai). — Minis-
tère Soult.
Par le traité de Bergara Espartero met fin à la
guerre carliste. — Nouvelle guerre entre Ibra-
him pacha et le sultan.
18iO. Ministère Thiers (1" mars); la question
d'Orient amène sa chute. — 2' tentative de
Louis-Napoléon, à Boulogne. — Cabinet du 29
novembre (Soult-Guizot).
Campagne anglaise dans les mers de Chine.
1841. Nouveaux troubles en province.
Solution de la question d'Orient par le traité
des détroits (13 juillet). — Cabinet Robert Peel.
Seconde campagne anglaise en Chine. Campagne
désastreuse dans l'Afghanistan. — Espartero ré-
gent en Espagne. — Les républiques de l'Amé-
rique centrale se séparent.
184'.'. Mort du duc d'Orléans. — Vote de la loi des
chemins de fer.
Robert Peel, quoiqtie tory, propose des réfor-
mes libérales et établit la taxe du revenu. 3"
campagne anglaise en Chine : traité de Nankin.
2'' campagne dans l'Afghanistan.
1843. Ouverture des chemins de fer de Paris à
Rouen et à Orléans. — Protectorat français sur
les iles de la Société.
Ligue libre-échangiste fonnée par Cobden.
1844. Victoire de Bugeaud sur l'Isly. — Traité de
commerce avec la Chine. Afifaire Pritchard.
En E>ipagne, retour de la reine-mère. — Mort de
Bernadette en Suède; son fils Oscar I" lui suc-
cède. — Sonderbund ou alliance séparée des
sept cantons catholiques en Suisse.
1845. Insurrection générale des Kabyles : ils sont
vaincus par Lamoricière et Cavagnac.
Annexion du Texas aux États-Unis.
1846. Evasion de Louis-Napoléon. — Crises finan-
cières et alimentaires.
Triomphe du libre-échange, grâce à Cobden
démission de Metternich. — 17-19 mars. Révo-
lution à Berlin. — 20 mars. Révolution à Mu-
nich ; Louis I''' abdique en faveur de Maximi-
lien I". — Février-mars. Agitation en Hongrie,
Kossuth. — Avril. Guerre en Schleswig. Insur-
rection républicaine dans le grand-duché de
Bade. — 25 avril. L'empereur d'Autriche accorde
une constitution. — 10 mai. Les jésuites ban-
nis d'Autriche. — 15 mai. Nouvelle révolution
à Vienne. L'empereur Ferdinand se réfugie
en Tyrol. — 18 mai. Ouverture du Parlement
de Francfort. — 22 mai. Ouverture de la Consti-
tuante prussienne. — 2G mai. Le Parlement de
Francfort nomme larchiduc Jean vicaire de
l'empire. — Juillet. Guerre en Hongrie : les
Hongrois sont dirigés par Kossuth et Rem;
contre eux combattent les Croates sous Jella-
chich. — 1 3 août. Ferdinand 1=' revient à Vienne.
— Septembre. Insurrection dans le grand-duché
de liade et à Francfort. — 6 octobre. Nouvelle
révolution à Vienne ; Ferdinand quitte de nou-
veau sa capitale. — 2S-31 octobre. Bombarde-
ment et prise de Vienne par Windischgrœtz. —
9 novembre. Exécution de Robert Blum. — 2 dé-
cembre. Abdication de Ferdinand en faveur do
son neveu François-Joseph. — 5 décembre. La
Constituante prussienne est dissoute par la
force ; le roi fait lui-même une constitution.
Italie. — Janvier. Insurrection de la Sicile. — Fé-
vrier. Constitutions accordées en Piémont, à
Naples, en Toscane. — 15 mars. Constitution
accordée par Pie IX. — 18 mars. Insurrection à
Milan. Les Autrichiens évacuent Milan et Venise.
— 25 mars. L'armée de Charles-Albert entre à
Milan. La Toscane, Naples et le pape se joignent
au Piémont pour former la ligue italienne. —
9 et 11 avril. Révolutions àModène et à Parme.
— 18 avril. Victoire de Charles-Albert à Goito.
— 25 juillet. Déroute des Piémnntais Ji Custozza.
— 5 avril. Radetzky rentre à Jlilan. — 9 août.
Armistice entre Charles-Albert et l'Autriche. —
10 août. Venise, abandonnée par Cliarles-Al-
MODERNES (TEMPS) — 1325 — MODERNES (TEMPS)
bfti't, proclame la république. — Septembre.
Bombardement et prise de Messine. — 24 novem-
bre. Pie IX f|uilte Uome pour se réfuRier k
Gaiile. — Il décembre. Constituante italienne
convoiiuoo îi liome.
Poloi/ue. — Mars et avril. Agitation et insurrec-
tions dans le grand-duché de Posen et à Craco-
vie, bientôt compriméi^s.
Anijleteire. — 10 avril. Manifestation chartiste à.
Londres. Le même mois, troubles en Irlande.
Suisse.— 12 septembre. Constitution fédérale. —
11) novembre. Election du premier conseil fédé-
ral suisse.
J849. France. — 22 avril. Expédition romaine
sous le général Oudinot. — 2S mai. L'Assem-
blée législative remplace la Constituante; les
républicains y sont en minorité. — 13 juin. Ma-
nifestation dite du Conservatoire contre l'expé-
dition romaine; proscription de Ledru-RoUin.
— Suppression des clubs.
Alleniaij7ie. — Janvier. Commencement de la
guerre de Hongrie. — 28 mars. Le jiarlement
de Francfort offre la couronne impériale au roi
de Prusse, qui refuse. — 14 avril. Kossuth dic-
tateur de la Hongrie ; déchéance des Habsbourg
proclamée. L'Autriche demande des secours à
la Russie. — Mai-juin. Insurrections à Dresde
et dans le grand-duché de Bade. — Le parle-
ment de Francfort quitte cette ville, et bientôt
sera dissous. — 13 aoiit. Capitulation de Vilàgos,
par laquelle le général Goergey livre l'armée
hongroise à la Russie. Fin de la révolution
hongroise; sanglantes exécutions ordonnées par
le général autrichien Haynau.
Ualie. — Février. Ouverture de la Constituante
romaine. République proclamée à Rome, puis
à Florence. — Mars. Charles-Albert recommence
la guerre contre l'Autriche. Il est vaincu à. No-
vare (23 mars), et abdique en faveur de Victor-
Emmanuel 11, qui fait la paix avec l'Autriche.
— Avril. Les Autrichiens rétablissent la plupart
des princes italiens dans leurs Etats. — 25
avril. Le général Oudinot débarque à Civita-
Vecchia. — Siège de Rome, défendue par Gari-
baldi. La ville est prise le 3 juillet; restaura-
tion de Pie IX. — 22 août. Capitulation de Ve-
nise, assiégée par les Autrichiens depuis près
d'un an.
Etats-Unis. — Présidence du général Taylor, dé-
mocrate.
185(1. France — 15 mars. Adoption do la loi orga-
nique de renseif;nement. — .Mai. A la suite de
plusieurs élections républicaines, l'Assemblée
législative vote la loi du 31 mai, qui restreint
le suffrage universel. — Juillet. La majorité
monarchiste de l'Assemblée, commençant à
craindre un coup d'Etat de Louis-Napoléon,
institue une commission de permanence pour
surveiller le président. — 'i& août. Mort de Louis-
Philippe à Claremont. — Août et septembre.
Voyages du président en province; manifes-
tations bonapartistes. — Octobre. Revue de
Satory, cris de Vive l'empereur. Le général
Changarnier. commandant militaire de Paris, se
prononce nettement contre la propagande bona-
partiste.
Allemagne. — Juillet. Guerre dans le Holstein
entre les Danois et les Allemands ; les Danois
sont vainqueurs.
Etats-Unis. — Mort du président T;iylor; il est
remplacé par le vice-président Fillmore.
1851. France. — Janvier. Louis-Napoléon destitue
le général Changarnier. — Mai. Expédition de
Kabylie, destinée à créer des généraux en vue
d'un coup d'Etat. — Mai-juin. Nouvelles tour-
nées du président en province. — Juillet. L'.\s-
semblée refuse de réviser la constitution, c'est-
à-dire de permettre la rééligibilité du président,
dont les pouvoirs expireront en 1852. — Novem-
bre. Le président propose l'abolition de la loi
du 31 mai; l'Assemblée rejette cette proposi-
tion. Est également rejetée la célèbre proposi-
tion des questeurs, tendant à donner au prési-
dent de l'Assembléo le droit de réquisition di-
recte des troupes. — 2 décembre, tîoup d'Etat
de Louis-Napoléon contre l'Assemblée. — 3 dé-
cembre. Combats dans Paris. Mort de Baudin. —
4 décembre. Massacres sur les boulevards. —
Dans plusieurs départements, tentatives de résis-
tance comprimées. — 8 décembre. Décret du pré-
sident ordonnant la transportation sans jugement
de tous les individus regardés comme dangereus
par la police. — '20 déceinbri'. Le peuple français
approuve le coup d'Etat par 7 millions de oui.
Aiiglelerre. — Mai. Première Exposition univer-
selle, au Palais de Cristal.
1852. Frrmce. — 9 janvier. Décret ordonnant la
transportalion ou le bannissement de 79 repré-
sentants. — 14 janvier. Nouvelle constitution :
un président, un sénat, un corps législatif, lo
suffrage universel. — 24 janvier. Rétablisse-
ment des titres de noblesse. — ifi février. Le
15 août est déclaré seule fête nationale. — 17 fé-
vrier. Décret sur la presse. — Août Divers
Wannis, entre autres M. Thiers, obtiennent l'au-
torisation de rentrer. — 9 octobre. Discours de
Bordeaux : « L'empire, c'est la paix. » — 7 no-
vembre. Sénatus-consulte ordonnant le rétablis-
sement de l'empire. — ".iO novembre. Le peuple
français approuve le rétablissement de l'em-
pire par 8 millions de votes. — 2 décembre.
Proclamation de l'empire.
Angleterre. — Décembre. Ministère de coalition
de lord Aberdeen, lord John liussell et lord
Palmerston.
1853. Frame. — 30 janvier. Napoléon III épouse
Eugénie de Montijo.
Iialie. — Soulèvement k Milan. Le gouvernement
autrichien met la Lombardie en état de siège.
fiu.ssie et Turquie. — Mai. Rupture des relations
diplomatiques entre la Russie et la Turquie. —
Juillet. Entrée des Russes à Jussy. — Octobre.
Déclaration de guerre de la Turquie k la Russie.
— Novembre. Destruction de la flotte turque à
Sinope.
Etdls-Unis. — Présidence du général Pierce, dé-
mocrate.
1854. Itussie et Turquie. — Janvier-septembre.
Guerre dans les provinces danubiennes. Siège
de Silistrie. Les troupes russes se retirent
en septembre. — Mars. Traité d'alliance entra
la Turquie, la France et l'Angleterre. — Avril.
Bombardement d'Odessa. — Août. Prise de Bo-
marsund. — Septembre. Débarquement des
alliés en Crimée; le 20, bataille de l'Alina. —
Octobre. Commencement du siège de Sébasto-
pol. — 5 novembre. Bataille d'Inkermann.
Iliilie. — Kl décembre. Pie IX publie le dogme
de l'ImmaculéeConception.
18.i5. Husiie et Turquie. — Janvier-septembre.
Continuation du siège de Sébastopol. — 2 mars.
Mort du tsar Nicolas; Alexandre II lui succède.
— Mars. Le Piémont, où Cavourest ministre, se
joint aux alliés — Juillet-août. Expédition an-
glo-française dans la Baltique. — 9 septembre.
Evacuation de Sébastopol par les Russes. —
L'armée anglo-française passe un second hiver
en Crimée.
France. — Mai. Attentat de Pianori contre Napo-
léon III. — Mai. Ouverture de la deuxième Ex-
position universelle, k Paris.
Anateterre. — Janvier. Ministère Palmerston.
1856. France. — 16 mars. Naissance du prince
impérial. — 30 mars. Traité de Paris qui mnt
fin k la guerre d'Orient.
Suisse, — Septembre. Insurrection royaliste i
MODERNES (TEMPS) — 1326
MODERNES (TEMPS)
Neucliâtel. Conflit entre la Suisse et la Prusse.
IS.'i';. France. — Juin. Secondes électiojisau Corps
législatif. Cinq députés de l'opposition sont
nommés h Paris. — Juin-juillei. Soumission
de la grande Kabylie.
Suisse. — Le conflit entre la Suisse et la Prusse
est réglé par le traité de Paris (mai).
Etats- U/iis. — Présidence de Buchanan, démo-
crate.
Ciii/ie. — Expédition anglo-française en Chine.
Inde. — Mai-décembre. Grande révolte des Ci-
payes.
1838. France. — H janvier. Attentat d'Orsini. —
19 janvier. Loi de sûreté générale.
Angleterre. — Février. Le rejet d'un bill relatif
aux réfugiés étrangers amène la retraite de
lord Palmerston. — Ministère tory Derby Dis-
raeli.
It'ilie. — Novembre. Conflit entre le Piémont et
l'Autriche.
Chine. — L'expédition anglo-française aboutit aux
traités de Tien-tsin, ouvrant la Chine aux étran-
gers.
Inde — L'insurrection des Cipayes est étouffée
dans des flots de sang. — 4 août. Le gouverne-
ment de l'Inde est enlevé i la Compagnie des
Indes et transmis à la couronne.
\%;,'.t. Fr-nci-, llalie, Autriche. — Avril. L'Autriche
déclare la guerre au Piémont. Napoléon III,
allié de Victor-Emmanuel, déclare la guerre
à l'Autriche. La Toscane, Parme, Modène,
chassent leurs souverains. — Mai. Garibaldi
guerroie dans les Alpes lombardes. — ;'2 mai
Mort du roi de Naples Ferdinand H. François II
lui succède. — 4 juin. Ilataille de Magenta. —
Soulèvement de plusieurs villes des Eiats pon-
tificaux. — 30 juin. Sac de Pérouse par les sol-
dats du pape. — 24 juin. Bataille de Solférino.
— 11 juillet. Paix de ViUafranca. La Lom-
bardie est annexée au Piémont. — Août, sep-
tembre. Sans s'arrêter aux stipulations de ViUa-
franca, la Toscane, Parme, Modène, les Léga-
tions et la Romagne se donnent à Victor-Em-
manuel par le vote de leurs représentants.
Angleterre. — Ministère whig Russell-Palmerston-
Gladstone.
Russie. — Conquête définitive du Caucase, soumis-
sion de Schamyl.
Egypte. — Commencement du percement de
l'isthme de Suez.
Etats-Unii. — Octobre. Prise d'armes de John
Brown à Harper's-Ferry.
18' 0. France. — Janvier. Traité de commerce avec
l'Angleterre. — Mars. La Savoie et Nice cédés à
la France par Victor-Emmanuel. — Septembre.
Expédition de Syrie. — Novembre. Expédition
de Cochinchine, prise de Saîgoun.
Italie. — Mars. Plébiscite en Toscane et en Emilie,
rendant définitive l'annexion au Piémont. —
Mai. Garibaldi et les Mille débaniuent en Sicile.
— Septembre. Garibaldi entre à Naples. Les Pié-
montais envahissent les Etats pontificaux. La-
moricière est vaincu i CastelfiJardo (18 sep-
tembre). — Octobre. Le royaume des Deux
Siciles se donne à Victor-Emmanuel par un vote
national. Siège de Gaëte, où s'est enfermé
, François II.
Etats-Unix. — Novembre. Election de Lincoln
comme président. Triomphe du parti républicain.
Chine. — Avril. Nouvelle expédition franco-an-
glaise. — Octobre. Pillage du Palais d'Eté.
Entrée des allies à Pékin. La Chine consent à
l'exécution des traités de Tifn-tsin.
1861. Frayice. — Par la con\tention de Londres
(octobre), la France s'engage à intervenir au
Mexique avec l'Angleterre et l'Espagne.
Italie. — Victor-Emmanuel prend le titre de roi
d'Italie. — Juin. Mort de Cavour.
Prusse. — Mort de Frédéric-Guillaume IV. Son
frère Guillaume I" lui succède.
liussie. — 19 février. Ukase du tsar Alexandre II
. émancipant les paysans russes.
Étnts-lhiis. — Février. A la suite de l'élection de
Lincoln, quinze Etats, sous la présidence de Jef-
ferson Davis, se séparent de l'Union. — Avril.
Commencement de la guerre entre le Nord et
le Sud.
186J. - France. La guerre du Mexique est blâmée
par l'opposition.
AnyMerre. — Mai. Ouverture de la troisième Ex-
position universelle à Londres.
llalie — Août. Prise d'armes de Garibaldi en
Sicile. Il passe en Italie pour marcher contre
Rome : il est vaincu, blessé et fait prisonnier à
Aspromonte par les troupes de Victor-Emmanuel
(■.'9 août).
Prusse. — Octobre. Ministère de M. de Bismarck.
El'its-Unis. — Continuation de la guerre civile. —
22 septembre. Proclamation de Lincoln émanci-
pant les esclaves à partir du 1" janvier 18B3,
moyennant indemnité.
Mexique. — Négociations entre le président Juarez
et les puissances alliées. L'Angleterre et l'Es-
pagne, ne voulant pas de l'établissement d'un
empire mexicain, se retirent et laissent la
France agir seule.
13f;:i. France. — Mai juin. Elections générales.
Triomphe de l'opposition à Paris et dans quel-
ques villes.
Allemagne 't Danemark. — Conflit au sujet de
la succession des duchés de SchlesvvigHolstein.
Pologne. — Janvier. Insurrection qui dure toute
l'année, et qui est réprimée .cruellement par
, Mouravieff.
Etats-Unis. ^Continuation de la guerre civile.
Mexique. — 17 mai. Prise de Puebla. — 8 juin.
Prise de Mexico. — II) juillet. Une asstmblée de
notables proclame empereur l'archiduc Maximl-
lien.
1861. Fronce. — Convention du 15 septembre, par
laquelle la France s'engage à retirer ses troupes
de Rome dans un délai de deux ans. En re-
vanche, Victor-Emmanuel promet de respecter
le territoire pontifical et de prendre Florence
pour capitale.
Italie. — Pie IX proteste contre la convention de
septembre et lance l'encyclique et le syllabus
fs décembre).
Allemagne 1 1 Danemark. — Février-juillet. Guerre
dans les duchés danois. Le Danemark doit les
céder à l'Autriche et à la Prusse.
Etiits-Uîiis. — Continuation de la guerre civile.
— Novembre. Réélection de Lincoln comme
président.
Mexique. — Juin Arrivée de Maximilien à Mexico.
— Octobre. Décret de Maximilien ordonnant de
traiter les défenseurs de l'indépendance comme
des malfaiteurs.
181)5. France. — Progrès de l'opposition républi-
caine ou libérale. La convention de septem-
bre a en outre aliéné le haut clergé; vives dis-
cussions sur l'encyclique et le syllabus.
Allemagne. — Brouille entre l'Autriche et la Prusse
au sujet de la possession des duchés danois.
Italie. — Mai. Transfert de la capitale de Turin
à Florence.
Etiiis-Unis. — -3 avril. Prise de Richmond, capi-
tale de la confédération du Sud. — 14 avril.
Assassinat de Lincoln. Le vice-président An-
drew Johnson le remplace. — .Mai. Fin de la
guerre civile par la capitulation des dernières
armées du Sud. — Octobre. Un amendement à
la Constitution, abolissant l'esclavage, est adopté
par la majorité des Etats.
Mexique. — Des volontaires belges et autrichiens
viennent renforcer les troupes de Maximilien.
MODERNES (TEMPS)
1327
MODES
— Résistance désespérée des républicains. —
I.e gouvernument des Etats-Unis proteste contre
l'intervention armée do la France.
ISGC. Friince. — Avril. Napoléon III se décide, sur
les monaces des Etats-Unis, à retirer ses trou-
pes du Mexifiue. — Il se forme à la Clianibre
un parti libéral dynastique à la tête duquel
est Emile Ollivier.
Anijletevie, — Chute du ministère Russell-Glad-
stone, dont le biU do réforme électorale est
rejeté. — Ministère tory Derby-Disraéli. —
,\gitation des fénians en Irlande.
Allemagne et Italie. — Mars. Alliance secrète
entré la Prusse et l'Italie contre l'Autricbe. —
Juin. La Prusse déclare la guerre à l'Autricbe
et il ses alliés allemands, Saxe, Hanovre, Hesse.
L'Italie leur déclare la guerre en même temps.
— 2i juin. Défaite des Italiens àCustozza. —
3 juillet. Victoire des Prussiens à Sadowa. —
20 juillet. Défaite de la Hotte italienne il Lissa.
— 2\ août. Paix de Prague entre l'Autriche et
la Prusse. La Prusse s'annexe le Hanovre,
le duché de Nassau, la Hesse et Francfort.
L'Autriche est exclue de l'Allemagne. Fon-
dation de la Confédération du Nord, sous la
présidence de la Prusse. — 3 octobre. L'Autri-
che cède la Vénétie ii l'Italie par le traité de
Vienne, contre une indemnité. — Décembre.
Les troupes Irançaises évacuent Rome, con-
formément à la convention de septembre ;
elles sont remplacées par divers corps de
volontaires.
Turquie. — Insurrection en Crète.
Etats-Unis — Conflit entre le président Johnson,
favorable aux sudistes, et le Congrès.
Mexique. — Les troupes françaises commencent à
évacuer le Mexique. — L'impératrice Charlotte
vient en Europe et y cherche vainement des
appuis; elle perd la raison. — Les républicains
reprennent le dessus.
iSBl. Fiance. — 19 janvier. Napoléon III concède
à la Chambre le droit d'interpellation et annonce
des mesures libérales. — 1" avril. Ouverture
de la quatrième Exposition universelle à Paris.
— 6 juin. Attentat de Berezowski sur Alexan-
dre II. — Octobre. Nouvelle intervention fran-
çaise en faveur du pape ; à Montana (3 novem-
bre), c( les chassepots font merveille, n
Angleterre. — Le ministère tory fait voter lui-
même un bill de réforme électorale.
Allemaqne. — Février. Première session du
Reichstag de la confédération du Nord, élu par
le suffrage universel. — Conflit diplomatique
avec la France au sujet du Luxembourg.
Autriche. — Réorganisation de la monarchie aus-
tro-hongroise : elle est divisée en deux frac-
tions autonomes, Cisleithanie et Transleithanie
(Hongrie).
Italie. — Septembre. Grande agitation populaire
en faveur de l'annexion de Rome à l'Italie ;
Garibaldi est arrêté il Sinalunga. — Octobre.
Expédition de Garibaldi contre Rome. Une
armée française est envoyée pour défendre le
pape. — 3 novembre. Défaite de Garibaldi ii
Mentana.
Etats-Unis. — Le congrès vote un blâme à l'a-
dresse du président Johnson.
Me.T,i<jue. — Les dernières troupes françaises se
retirent. — Maximilien, fait prisonnier, est fu-
sillé à Queretaro (t9 juin).
1868. France. — Mars. Lois sur la presse, sur
l'armée et sur les réunions publiques, en exé-
cution des promesses du t9 janvier. Publica-
tion de la Lanlerne. — Octobre. Le gouverne-
ment français refuse d'évacuer Rome. — Novem-
bre. Manifestation sur la tombe de Baudin.
Procès ; retentissante plaidoirie de Gambctta
pour Delcscluzc.
Angletej're. — Décembre. Chute du ministère
Disraeli. Ministère Gladstone.
Espagne. — Septembre. Révolution qui renverse
le trône d'Is.ibelle. Gouvernenietit provisoire
de Serrano et Prim.
Turquie. — L'insurreciion Cretoise, quidure depuis
deux ans, est réduite à l'impuissance.
Etats- Unis. — Procès du président Johnson de-
vant le Sénat. Il est absous. — tlection du
général Grant à la présidetice.
1869. France. — Mat-juin. Elections générales;
l'opposition l'emporte dans les grandes villes,
et réunit les deux cinquièmes du total des suf-
frages exprimés. —Juillet. Ij'empereur promet
de nouveau des réformes libérales. M. Rouher
quitte le ministère et devient président du Sénat.
— Septembre. Sénatus consulte introduisant
quelques réformes parlementaires. — Novembre.
Élections complémentaires. Rochefort est élu à
Paris.
Allemagne. —Janvier. Le gouvernement prussien
met sous séquestre les biens de l'ex-roi de
Hanovre et de l'ex-électeur de Hes^e.
Angliterre.—imWsl. Acte du Parlemetit pronon-
ç.tnt le disestublishment de l'Eglise anglicane
d'Irlande.
Esjag'ie. — Février. Ouverture des Certes consti-
tuantes.—Vote d'une constitulioti monarchique.
Serrano est chef provisoire du pouvoir exécutif
avec le titre de régent. — Juillet. Commence-
ment de l'insurrection carliste. — Août. Insur-
rection des républicains fédéraux à Valence,
comi rimée en octobre.
Italie. — 8 décembre. Ouverture du concile œcu-
ménique du Vatican.
\ST U.France. —2 janvier. Ministère Etnile Ollivier.
— 12 janvier. Grande manifestation populaire
aux funérailles de Victor Noir, tué par Pierre
Bonaparte. — Février. Tentatives insurrection-
nelles dans Paris. — Mars. Procès et acquittement
de Pierre Bonaparte. — 8 mai. flébiscite:
1 .SOOiifllI votants se prononcent contre le régime
impérial. — Juin-juillet. Conflit diplomatique
avec la Prusse au sujet de la candidature du
prince de Hohenzollern au trône d'Espagne. —
15 juillet. La guerre cotitre la Prusse est votée
par les Chambres sur la demande d'Emile
Ollivier. — 2 août. Premier engagement à
Saarbruck. — Défaites de Wissembourg (4 août),
de Wœrth et de Forbach ((Saoût). — 9 août. Mi-
nistère Palikao. — Batailli'S devant Metz (IB-
IS août), où Bazaine se laisse enfermer. L'armée
de Mac-Mabon, où se trouve l'empereur, cherche
à rejoindre Bazaine; elle est coupée par l'en-
nemi et cernée à Sedan l:iii août). — Capitula-
tion de Napoléon III (î septembre). — Révolution
h Paris il la nouvelle de la capitulation de Sedan ;
chute du régime impéiial; installation du gou-
vernement de la Défense nationale (4 septembre).
Esf.ngne. — Mai. Espartero refuse la couronne. —
Juillet. Le prince de Hohenzollern la refuse aussi,
à cause de l'oiiposiiion de Napnléon III. — 16 no-
vembre. Le prince Amédée, fils de Victor-
Emmanuel, est élu roi par les Cortès. — 28 dé-
cembre. Assassinat de Prim.
Italie. — Juillet. Le concile du Vatican vote l'in-
faillibilité du pape. Les troupes françaises
évacuent Rome. — 20 septembre. Rome est oc-
cupée par les troupes italiennes. — Décembre.
Le parlement italien vote la translation de la ca-
pitale à Rome. [Edgar Zevort.]
MODES. — Grammaire française, XIII. — Quelle
que scit la voix que l'on considère, active, passive,
moyenne ou réfléchie, un môtue temps peut y
passer par des formes diverses (|ui, sans altérer en
rien la significaiion propre du verbi', la présentent
ceppudaiit sous des aspects différents (|iii consti-
tuent en quelque sorte auiatit de manières d'être
MODES
1328 —
MODES
de cette signification. Les grammairiens appellent
mortes ces différents états, et ce terme, mode, dé-
rive du latin rnodus, qui signifie manière.
On pourrait donc définir les modes les différents
états par lesquels peut pa<ser, dans n'importe
quellf. voix, la significition du verbe.
Mais cette définition, si elle n'était expliquée
par la pratique de la conjugaison, serait certaine-
ment aussi peu intelligible que le mot lui-même
pour la plupart dos élèves. L'intelligence des en-
fants reste longtemps rebelle aux formules abs-
traites; de sorte que pour se faire comprendre de
ces jeunes esprits, le meilleur moyen est encore
de recourir aux exemples, et, quand on le peut,
aux comparaisons les plus familières. Le terme
mode se prête tout naturellement à l'emploi de ce
dernier procédé. Puisque l'on assimile d'ordinaire
les mots à des personnages qui jouent un rôle
dans le drame du discours, on pnurra dire aux
élèves que le verbe peut jouer, dans chaque voix,
six I ôles particuliers, et iiU3, pour représenter ces
six personnages, il prend drs manier s d'être tt
suit en qu-lqut sorte des modes différentes, de
même que nous revêtons des costumes différents
selon que nous devons travailler, faire des visites,
aller à la chasse ou à la pêche, etc. Mais, de même
<iu'en revêtant ces vètemciits divers, nous restons
toujours ce que nous étions auparavant, de même
la signification propre i chacune des voix du
verbe ne s'altère point en passant par les modes :
elle ne fait que se présenter dans des étals diffé-
rents. Examinons, par exemple, les deux phrases
suivantes: «J'ai récité ma leçon, — Récitez lOtie
leçon. 1) IJans les deux cas, le verbe réciter a la
même signification ; dans les deux cas, réciter veut
dire : « reproduire de vive voix un passage aj'pris
par roiur. » Mais, dans la première phrase, "j'ai
récité ma leçnn,» il n'y a que {'indication d'un
fait. Celui qui dit « J'ai récitent affirme que l'ac-
tion de reproduire un morceau de mémoire a cer-
tamement été accomplie. Le verbe se présente
donc ici au mode indicatif, dont le caractère dis-
tinctif est l'affirmation positive du fait exprimé
par le radical du verbe.
Si l'on me dit, au contraire : « Récitez votre
leçon, u je sens très bien que la signification pro-
pre du verbe n'a nullement changé; mais je com-
prends en même temps qu'elle se présente sous la
forme d'un nrdre, d'une injonction i laquelle je
dois obéir; je m'explique en conséquence que
cette manière d'être nouvelle sous laquelle le verbe
réciter m'apparait maintenant, constitue un mode
particulier, que l'on appelle le mode impératif, du
latin imperare, qui signifie commander.
Si l'intelligence des élèves restait rebelle à des
explications aussi familières, il faudrait se rési-
gner, pour le moment, à leur présenter simple-
ment rénumération des modes. Si, au contraire,
on les trouvait assez bien préparés par leurs études
antérieures pour qu'ils puissent compretidre l'ex-
plication scientifique de la modalité, on leur rap-
pellerait tout d'abord que les mots n'ont pas été
faits d'une seule pièce; que le verbe, en particu-
lier, s'est formé d'éléments assez nombreux, que
l'analyse peut encore séparer dans les plus anciens
idiomes de la famille à laquelle appartient la
langue française, bien que nous ne distinguions
plus aujourd'hui, dans les verbes de notre langue,
que le radical et les désinences personnelles. On
ajouterait enfin que l'idée accessoire qui constitue
le mode, était, comme celle du temps, primitive-
ment exprimée par un suffixe auxiliaire qui. placé
à la suite du radical, s'est, avec le temps et sous
l'influence de l'accent tonique, soudé à ce radical,
ou même confondu avec lui au point de devenir
le plus souvent méconnaissable. (V. Griimmahe
comparée, page 8i)ii.) On démontrerait ainsi,
par des preuves irrécusables, que les modes
constituent, comme nous le disions en commen-
çant, amant à'élots différents par lesquels peut
passer, dans chaque voix, la signification du verbe,
et, en réalité, autant de manières de conjuguer
chaque temps dans ses voix différentes.
Il y a, en français, six modes : 1° l'Indicatif, où
le fait exprimé par le radical du verbe est pré-
senté comme certain, posiiif. Aussi appelle-t-on
l'indicatif le mode de Vaffiimatiou. Ex.: » Nous
allons fini notre devoir et nous étudio7is notre le-
çon. )i
2° L'Impératif, qui sert h commander {impe-
rare), h ordonner l'accomplissement de l'acte ex-
primé par le verbe. Exemple : « Etudiez votre
leçon ; finissez votre devoir. »
3° Le Coiidttinnel, qui, comme son nom l'in-
dique, devrait exprimer que l'action marquée par
le verbe s'accomplira moyennant certaine condi-
tion. Exemple : « Tu deviendmis savant si tu
étudiais. » Ce mode correspond à celui qu'on
appelle optatif [optare, souhaiter) dans les gram-
maires grecques ; et par le fait, comme mode,
le conditionnel ne sert jamais qu'à l'expressioti
d'un souhait, d'un désir. Ex. : « Que je voudrais
être riche ! je désirerais tout savoir! » Dans tous
les autres cas, notre prétendu conditionnel n'est
plus qu'un temps, qui appartient au mode indica-
tif; il sert tout simplement d'imparfait au futur,
et, en réalité, il est absolument formé comme lui,
de l'infinitif et de l'auxiliaire : toute la différence
consiste en ce que le futur est formé de l'infinitif
et du préserd de l'ijidicatif du verbe avoir, tandis
que le conditionnel est formé de Vimparfad du
même auxiliaire. Ex. : J'aimer-ai, j'imnrr-ais (ais
est tiré do avais). Pour se convaincre d'ailleurs
que le conditionnel n'exprime par lui-môrae au-
cune condition et peut même s'employer pour
exprimer l'affirmation la plus absolue, il suffit
d'introduire un petit changement de temps dans
cette phrase, qui n'a certainement rien de condi-
tionnel : " Je V'jus assure que je reviendrai l'an
prochain. » Mettons le verbe assurer à l'imparfait,
et nous serons, en conséquence, forcés décrire :
i< Je vous assurais que je reviendrais l'an pro-
chain. » Or ce n'est pas évidemment le change-
ment de temps qui a pu introduire dans cette
phrase une idée de condition; donc le condition-
nel n'est en réalité ici qu'un temps, c'est-à-dire
['imparfait du futur.
i" Le Subjonctif présente l'accomplissement de
l'action marquée par le verbe comme subordon-
née à une autre action, c'est-à-dire comme dépen-
dant d'une circonstance exprimée dans une pro-
position précédente. Ex. : « Le maître exige — que
nous apprenions nos leçons. » L affirmation est
donc loin d'avoir, dans ce mode, le même degré
de force et de certitude que dans l'indicatif. « Le
maître veut que nous travaillions, » c'est fort
bien; mais travaillerons-nous^ On devra donc faire
remarquer avec soin la différence qui sépare Vin-
dicatif du sub/iinctif, en disant que le premier
exprime ce qui, en réalité, est, a été, vu sera;
tandis que le subjonctif exprime ce qui peut ér.re.
b° V Infinitif s'appelle ainsi parce qu'il présente
la signification du verbe dans sa généralité la plus
indéfinie : aussi l'a-t-on souvent comparé à un
nom. Certains infinitifs, il est vrai, sont devenus
de véritables noms, comme le savoir, le devoir, etc.
L'infinitif cependant se distingue du nom, dans les
cas où un long usage n'a pas amené une assimila-
tion absolue, en ce qu'il éveille toujours l'idée d'un
sujet accomplissant l'acte qu'il exprime. Aussi le
dormir et le sommi-il sont-ils loin de présenter le
môme degré d'abstraction.
li" Le Participe, comme son nom l'indique, par-
ticipe de la nature du verbe et de l'adjectif. Il
tient du verbe en ce qu'il peut avoir, comme lui,
un sujet et un complément, et concourir à la for-
MOIS
1321) —
MOIS
mation do proposilions absolues; il tient de l'ad-
jiicuf en ce qu'il s'emploie comme lui pour expi-i-
jiier certaines manières d'être. Cette double uature
du participe on fait un terme 1res original, et, à
re titre, il a été regarde à bon droit comme une
(les parties du discours.
Exercices. — Un moyen excellent de faire con-
stater par les élèves les diiïorences qui caracté-
risent les modes, c'est de leur donner, comme
(!xercicos, des morceaux à tranffornu^r, c'est-i-
dire, à changer do telle sorte que les verbes pas-
sent successivement d'un mode à un autre. Nous
allons en donner quelques exemples.
Le maitre commence par dicter à ses élèves le
morceau suivant :
« Mon cher enfant, tu f/nrderas toujours la plus
grande circonspection à l'égard d'un chien qui te
semblerait présenter les symptômes de la rage.
Quand une personne aura été mordue, tu emploie-
ras immédiatement les moyens suivants : tu pren-
dras un fer qui puisse pénétrer dans toute la pro-
fondeur de la plaie ; (a l" row/iras dans un feu
ardent ; tu l'irc-as la plaie avec de l'e.iu froide et
salée, lu en recouperas les bords, et /«la sèc/ieras
soigneusement; tu cuutéris''riis profondément avec
le fer rougi à blanc et tu hrûlerus même les chairs
au delà do la partie qu'a atteinte la morsure. »
Ce morceau se prête à diverses transformations
de modes. On peut, en eflet :
1° Faire remplacer la deuxième persomie du
singulier du futur de Vindicatif par la même per-
sonne du présent, de V impératif. Exemple :
« Mon cher enfant, garde toujours..., e«(/j/oie...,
prends..., etc. u
2° On peut faire mettre les verbes à la deu-
xième personne du pluriel du même temps :
<' Mes chors enfants, gardez toujours..., em-
ployez..., prenez..., etc. »
3° On pourra ensuite faire mettre les verbes au
mode conditionnel. Ex. : « Mon cher enfant, tu
devrais garder..., tu empluii'i-ai'i..., etc. »
Quand une petite modification est nécessaire,
comme dans l'exemple précédent ou dans le sui-
vant, le maître l'indique en donnant le devoir. Il
peut même faire modifier l'exercice de vive voix.
4° On pourra faire passer l'exercice précédent
au mode subjonctif, en introduisant il faut, il
est nécessaire, il est utile..., avant les verbes qui
sont au futur.
Ex. : .< Mon cher enfant, U faut que tu gardes...
Il faut que tu emnloies..., il est nécessaire que tu
saisisses..., il connient que lu ro'ffis-es...
5° En mettant les verbes des propositions prin-
cipales à un autre temps du mode itulicatif ou du
conditionnel, on pourrait exercer les élèves sur la
concordance des modes.
Exemple : « Si une personne était mordue, il
faudrait que tu employasses..., il cmuiendrait
que tu saisisses... »
Tous les morceaux ne se prêtent pas indifférem-
ment à toutes ces transformations. Le maître, en
faisant lui-même les modifications avant de don-
ner le devoir, se rendra compte des difficultés
qu elles présentent, et pourra, s'il y a lieu, lever
tous les ob>tacles en faisant exécuter de vive voix
les transformations qui lui sembleraient devoir
embarrasser les élèves. [C. Rouzé.]
MOIS. — Connaissances usuelles, VJII. — La
première unité que les hommes durent employer
pour évaluer la durée du temps fut le jour, c'est-
a-aire l intervalle qui s'écoule entre deux levers
consécutifs du soleil {W.Joiir). Ils ne tardèrent
pas a sentir le besoin dune unité plus grande,
pour des intervalles de temps plus considérâ-
mes. ce fut encore dans le ciel qu'ils la trouvè-
rent. Les changements daspects de la lune frap-
paient 1 attention de tout le inonde; en les voyant
«accomplir régulièrement dans une durée de T.)
i' Pahtie.
ou ;îO jours environ, on adopta tout naturellement
cette période, ot on évalua la durée du temps par
le nombre decesporiodes, coinmefont les sauvages
de l'Amérique qui comptent encore aujourd'hui par
lunes, en disant que tant de lunes se sont écoulées
depuis tel événement, ou qu'une chose aura lieu
,^ la première, ;\ la seconde lune, etc. Telle est l'o-
rigirio du iii:,i\ ; elle peut encore s'appuyer sur des
prriivi's l'ij iMoliif^iques.
Eu effet, les mots grecs mené, lune, et méi, mois,
sont évidemment dérivés l'un de l'autre; de là
encore vient le mot latin mens-is, qui, se trans-
formant peu à peu dans le langage populaire de
nos ancêtres, devint d'abord mens par la chute de
la terminaison is, puis mes, usité encore aujour-
d'hui dans certains patois, et enfin mois par le
changement de son de la voyelle e. Cette parenté
entre les noms du mois et de la lune se montre
aussi dans l'allemand, qui possède jhohi/, lune, et
mottrti, mois, et dans l'anglais où l'on trouve moon,
lune, et munlh, mois.
La durée de la période des phases de la lune étant
de 29 jours et demi environ, les mois lunaires eurent
naturellement 29 et 30 jours. Comment donc est-
on arrivé aux mois actuels dont les uns ont 31 jours,
les autres 30, et parmi lesquels un a seulement 28
et quelquefois 29 jours? C'est ce quia été expliqué
aux articles Calendrier et Ere.
Le mois des Grecs était divisé en trois parties
égales nommées décades, du mot déca qui signifie
dix; dans les mois de 29 jours ou mois caves (par
opposition aux mois pleins, qui avaient 30 jours), la
troisième décade n'avait que 9 jours. La première
décade s'appelait décade <lu mois comnienr.ant ; la
seconde, décade du m'ds dans son milieu; la troi-
sième, décade du mois finissant. On indiquait le
jour du mois par le rang qu'il occupait dans une
décade ; mais dans la troisième, les jours se comp-
taient à reculons : ainsi, le o troisième jour de la
décade du mois finissant » était le vingt-huitième
jour des mois pleins, le vingt-septième des mois
cave<. Le premier jour du mois s'appelait noumé-
nie, c'est à-dire nouvelle lune.
La nomenclature des noms donnés aux mois
grecs est trop peu utile pour qu'elle figure ici; pas
sons immédiatement aux mois du calendrier romain.
Selon la tradition, Romulus établit une année
de dix mois lunaires et les désigna d'abord par leur
rang : preni'er mois, deuxième mois, etc. Mais
bientôt après il donna au premier le nom de
Martius (mars), en l'honneur de Mars, le dieu de
la guerre, dont il se disait le fils. Le second reçut
le nom d'Aprilis (avril), qu'on tire du verbe latin
aperire, ouvrir, parce que c'est l'époque où la
terre s'entr'ouvre en quelque sorte pour la germi-
nation et la végétation des plantes. Le nom de
Aiams(mai',que prit le troisième, vient, dit-on, de
la déesse Mala, mère de Mercure; le quatrième
prit le nom de Junius (juin) en l'honneur de Junon,
la reine des dieux. A partir de juin, les mois étaient
désignés par leurs numéros d'ordre : le cinquième
s'appelait quintiis, le sixième sextilis, le septième
september, le huitième october, le neuvième no-
vemher, le di.xième december.
L'année de Komulus s'accordait trop peu avec
l'année solaire pour qu'on n'éprouvât pas bientôt
la nécessité de corriger ce grossier calendrier.
Aussi iVuma ajouta-il deux mois à l'année, en les
plaçant au commencement, avant les dix autres
auxquels il conserva leurs noms, do sorte que le
dernier s'appela toujours december, quoiqu'il fût
désormais le douzième.
Le premier des deux mois ajoutés fut nommé
.lanunrius (janvier), de Janus, le dieu à deux faces,
parce qu'il semblait, comme ce dieu, regarder d'un
côté l'année qui finit et de l'autre l'année qui
commence. Le second reçut le nom de Febi-U'irius
(février/, du mot fel/run, sacrifices expiatoires.
MOLIÈRE
— 1330
MOLIERE
parce que c'était dans ce mois qu'étaient célébrées
les fêtes expiatoircsenriionneurdesniorts. Comme
les douze lunaisons équivalent à 354 jours, N'uma
donna un jour de plus à l'année, car un nnmbre
pair était regardé comme funeste. Sous l'influence
de cette idéej les mois eurent alternalivemrnt des
nombres impairs de jours, 29 et 31 ; février, à cause
de son caractère funèbre, conserva le nombre
pair 28.
Le premier jour du mois était désigné par le
nom de crdendeg, d'un verbe ciilare qui signifie ap-
peler, parce que c'était ce jour-li que les prêtres
annonçaient les fêtes du mois au peuple réuni.
Les calendes ne se trouvent que dans le calejidrier
romain ; de là vint le proverbe « renvoyer aux ■ a-
tendes grecques, » c'est-à-dire h une époque ima-
ginaire, comme on dit quelquefois la semaine des
trois jeudis.
Deux autres jours, celui des noues et celui des
ides, divisaient le mois romain en trois parties iné-
gales; les nones arrivaient le 7 et les ides le 15
dans les mois de mars, mai, juillet et octobre, le
5 et le 13 dans les autres.
Les Romains ne comptaient pas les jours du mois
dans le môme ordre que nous, mais en sens inverse.
Ils les désignaient parle rang qu'ils occupaient avant
le jour des nones, des ides, puis des calendes du
mois suivant. Par exemple le premier jour d'avril
s'appelait les calendes d'avril ; le i avril était le 4
des nones d'avril, le 3 avril était le troisième jour
des nones, le 4 avril était le deuxième jour des
nones, le 5 s'appelait les nones d'avril, \enait en-
suite la période des ides: le G avril était le hui-
tième jour des ides d'avril, le 7 avril était le
septième jour des ides, le 8 avril le sixième jour
des ides, et ainsi de suite jusqu'au 13 avril, date
à laquelle tombaient les ides en ce mois-là. Enfin
venait la période des calendes, dont les jours,
comptés d'après leur distance des calendes du
mois suivant, s appelaient dix-builième juur des
calendes de mai (14 avril), dix-septième, seizième
jours des calendes de mai (15 et IG avril), etc.,
jusqu'au 1" mai, jour des calendes.
La réforme apportée au calendrier par Jules
César a été expliquée au mot Calendrier, ainsi
que l'origine des noms de Juillet et d'août donnés
aux deux mois Quintilis et Sextilis.
Le jour supplémentaire qui fut alors ajouté à
chaque quatrième année fut placé dans le mois de
février et intercalé entre le 5 et le G des calendes
de mars (v4 et 25 février), jour anniversaire de
l'expulsion du dernier roi de Rome ; mais pour ne
pas changer le nombre pair 28 attribué au mois
de février, le jour intercalé fut appelé deuxième
six des calendes de mars, en latin biss-xius calen-
darutn Marlii; delà vint l'épithète de bissextilis,
bissextile, donnée à l'année de 36B jours.
La réforme grégorienne, au .xvi' siècle, n'a
rien changé aux noms ni à l'ordre des mois.
En nH3, la Convention nationale, in donnant à
la France un nouveau calendrier, enleva aux mois
leurs noms traditionnels, pour y substituer des
noms nouveaux, dus au poète Fabre d'Eglantine
(V. Ciilendr er). Ce calendrier fut mis en vigueur
le 24 octobre 1793; mais on lui donna un effet
rétroactif, en faisant commencer la première année
de l'ère républicaine au 22 septembre 1792. 11 fut
aboli par Napoléon en 18(15.
[G. Bovier-Lapierre.]
MOISSON. — V. Céréales.
MOLIÙI'.E. — Littérature française, XIL —
Le plus grand nom peut-être dos lettres françai-
ses, l'écrivain que Sainte-Beuve eût proposé de
députer à un congrès des génies de tous les peu-
ples pour représenter la France. De même que
(Corneille a créé cliez nous cette forme de l'art que
l'on appelle la tragédie et lui a donné, malgré les
étroitesses de tout genre qu'il iui lallut subir, mie
élévation, un sublime qui sont restés sa marque
propre, ainsi Molière, laissé plus libre dans son
œuvre, a donné à la comédie française classique
une forme, une allure, un esprit qui font de lui
un créateur.
Il faut dire au moins un mot de l'homme. C'est
la figure la plus sympathique de tout le xvii' siè-
cle : je n'en excepte pas La Fontaine, qui avait
un peu trop d'abandon moral. On sent en lisant
Molière qu'il avait pour le vice, la bassesse, la
tyrannie ces haines vynureusfs qu'il a mises au
cœur de son Alceste. Cela était pssez rare alors.
Il est né à Paris (1U22), il y est mort, à peine
âgé de cinquante et un ans ; mais il n'y a pas passé
toute sa vie, ce qui fut pour lui, poète comique,
un grand avantage. On sait, en effet, que vers
l'âge de vingt à vingt-deux ans, après de fort so-
lides études, il fut pris d'une vocation irrésistible
pour le théâtre, essaya de tenter la fortune à Pa-
ris même, avec une troupe formée par lui, et
n'ayant pas réussi, se mit à courir la province.
Cette vie aventureuse et souvent misérable eût
sans doute élé la perte d'un esprit médiocre; pour
lui, ce fut un stage fécond, la préparation la plus
efficace qu'il y eût. Si les vices, les travers, les
ridicules sont la matière indispensable de la
comédie et la proie même du poète, c'est en pro-
vince que la chasse est le plus facile et le plus
abondante. Les provinciaux sont sujets à se don-
ner plus volontiers en spectacle; ils s'étalent da-
vantage, ils ont le ridicule plus expansif, les
prétentions de tout genre plus accentuées. Il fit
donc là sa première moisson d'originaux; mais ce
ne fut qu'à Paris qu'il mit en œuvre ces trésors
accumulés. Il est fort prubable que dans ses pé-
régrinations il écrivit pour sa troupe plus d'une
comédie plus ou moins au pied levé : on a con-
servé quelques titres de ces essais informes en-
core ; luais en réalité, dans cette première partie
de sa vie qui va au moins jusqu'à trente-cinq ans,
Molière est surtout chef de troupe et acteur. Il
ne devient auteur, sans cesser d être comédien,
que vers 1G58, Tannée où il donne sur un théâtre
de Paris sa pièce des Précieuses i-iiicules. On
raconte qu'à la première représentation, un vieil-
lard se leva au milieu du parterre et s'écria :
(i Bravo, Molière ! courage. Molière I Voilà enfin
la véritable comédie I » Anecdote suspecte, et en
tout cas, ce vieillard eût bien restreint le génie de
Molière. La pièce des Précieuses ridicules^, si
charmante qu'elle soit, n'est après tout qu'une
pièce d'actualité, la satire d'un ridicule de la modo
dans un certain monde. Il devait aller bien
au delà.
On sait de quel poids était alors le jugement de
la cour sur les œuvres d'art quelles qu'ellesfus-
sent : c'était la cour qui faisait les réputations.
Il n'y avait pas bien longtemps que la société
suivait les représentations dramatiques, grâce à
l'exemple donné par Richelieu, qui persuada au
roi Louis XIII qu'il devait montrer comme soii
ministre un intérêt particulier pour tout ce qtil
touchait le théâtre. Le roi rendit même un édit
en faveur des comédiens, défendant expressé-
ment que leur profession put leur porter préju-
dice dans le commerce public et leur être impu-
tée à blâme en quoi que ce fut. On ne voit pas
que l'Eglise ait protesté alors contre tant d'in-
dulgence, elle qui se montra si sévère plus tard-
Mazarin aimait aussi le théâtre, mais il préfe-
rait la comédie ou plutôt la farce, à la tragédie.
C'est lui qui installa en France les Italiens,
troupe bouffonne qui fut toujours la plus riche;
ment subventionnée, jusqu'au jour où le roi
Louis XIV, devenu \ieux, chassa ces étrangers.
C'était donc comme une tradition établie, que
le roi se déclarât le protecteur des auteurs et
acteurs dramatiques. L'une des troupes avait le
MOL[ÈRE
— l.CM
MOLIHIIE
titre (lo troupe du roi, comédiens ordinaiivs de
Sa Majesté, et était subventionnée d'une façon
si exiguë, sept ou liuit mille livres, qu'elle avait
grand besoin des contributions volontaires du bon
public pour pouvoir subsister.
A partir de IGGO, le roi Louis XIV témoigna de
l'intérêt ïi Molière : c'était juste, c'était marque
du goût. On a singulièrement exagéré cette protec-
tion, jusque-lS qu'on a prétendu qu'un jour le
roi, pour venger Molière des dédains de quelques
officiers de sa maison, fit asseoir le comédien h sa
table et le servit de ses propres mains. Cette anec-
dote, relatée pour la première fois par M"' Cam-
pan en 1321, n'a aucun fondement sérieux, et de
plus elle est en opposition formelle avec les rè-
gles les plus élémentaires de l'étiquette suivie à
la cour du roi qui eut l'honneur de servir do
modèle à Napoléon I" (|iiand celui-ci voulut ren-
chérir sur les splendeurs dont les monarques
aiment à s'entourer. La protectinn de Louis XIV
fut cependant réelle. D'abord, il accorda une sub-
vention à Molière ; puis il montra hautement en
toute occasion que les pièces de Molière et son
talent de comédien avaient l'heur de lui plaire ;
ce qui détermina les courtisans, en gens bien
appris, à applaudir le poète acteur de leur mieux;
enfin, dans certaines circonstances où le génie de
Molière essayait de sortir du cadre un peu étroit
des libertés permises et de mettre sur la scène
des originaux redoutables, l'hypocrite de religion,
l'immortel Tartuffe, lo roi, jeune alors et non
encore troublé et ravalé par des terreurs dévoles,
donnait au poète l'autorisation de faire jouer
(après quelques hésitations)- la comédie que le
crédit des amis de Tartuffe a fait si souvent inter-
dire. Il est regrettable qu'à la mort de Molière
le roi ne soit pas intervenu d'une manière plus
directe et plus courageuse pour assurer à ce grand
homme des obsèques dignes de lui. Il fut enseveli
à la dérobée, de nuit. Le génie du poète n'avait
pu sauver le comédien. Disons à l'honneur de
Boileau que, le seul h peu près de tous les gens
de lettres, il eut le courage de protester contre
cette inhumation furtive :
Avant qu'un peu de terre obtenu par prière
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière.
{É/jUre à Racine.)
C'est lui aussi, dit-on, qui eut la hardiesse de
dire un jour à Louis XIV, qui lui demandait quel
■était le premier poète do son règne : « C'est Mo-
lière. I) Cela surprit fort le roi. qui ne voyait guère
•en Molière qu'un amuseur supérieur aux autres.
Ce n'est guère le lieu de parler ici avec quel-
ques détails de la vie privée "de Molière. Elle est
peu connue d'abord, nul homme n'était mains en
dehors, jusque-là que nous n'avons pas une ligne
de son écriture ; ensuite, il faudrait discuter et
réfuter, documents en main, les calomnies que
les amis do Tartuffe ont semé(!s et sèment encore
contre ce grand homme, qu'ils ont accusé, par
exemple, d'avoir épousé sa fille. Cela donne une
idée du reste. Molière était bon, généreux, ser-
viable. 11 encouragea, aida à ses débuts Racine,
qui ne le lui rendit guère, il honora hautement
•Corneille qu'on négligeait, et lui paya deux mille
livres ^o\xr Attila, pièce médiocre en somme.
Ce qu'était la comédie avant iMolière, on l'aura
bientôt dit. Corneille avait donné l'admirable mo-
dèle du Menti-ui\ spécimen du comique noble,
emprunté i» l Espagne, mais quLne détermina pas
un mouvement chez nous. Quelques pièces gaies,
amusantes, composées surtout de scènes facétieu-
ses, sans liaison et sans composition, comme les
Trois Orontp de Bois-Robert, lest wion^'/ires de Des-
marets, bref, à peu près rien. Ce qui était seul
vivant et prospère, c'était la farce : les Italiens
.nous avaient transmis ce goût, et Mazarin, nous
l'avons dit, acclimata à la cour les bouffonneries
de son pays. Ajout(nis notre Tabarin, et si l'on
veut encore, notre Scarron dont la comédie bur-
lesque (Dun Japket d'Arménie) n'est pas si mépr.-
sable.
Les éléments de l'œuvre de Molière se compo-
sent de ce fond éternel de vices, de ridicules, de
travers de tout genre qui constituent la nature
humaine, et qui se manifeste par des formes di-
verses suivant les mœurs de chaque pays et de
chaque époque. Donc deux parties dans lœuvre :
l'une qui est l'accessoire, la peinture de la société
avec ses usages, ses goûts, ses idées, son train
ordinaire, ce qui fait enfin qu'extérieurement pour
ainsi dire, un homme du .xvii' siècle ne i-esseinblo
pas à, un homme du xix=. Cette partie, bien que
secondaire, offre un grand intérêt, et elle eût
offert chez Molière un intérêt tout-puissant, si le
poète eût été plus libre. Que de vices, de préju-
gés, d'iniquités, d'abus de tout genre, qui étaient
pour ainsi dire la société elle-même, et dont la
peinture lui était interdite ! Il a osé montrer l'hypo-
crite de religion, mais il n'a pas osé dépeindre
le courtisan, si ce n'est en passant, et h la légère.
Il n'a pas parlé du traitant, du magistrat, de tant
d'autres, qui étaient comme les ressorts d'une
société fondée sur des institutions que nul ne
songeait à examiner. Ce qui l'a attiré, ce que son
génie a saisi et rendu avec une incomparable
puissance, c'est cette partie de l'œuvre qui a pour
but non la peinture des mœurs du jour, partie
éphémère et périssable, mais ce que l'on peut
appeler la partie éternelle, impérissable, la
peinture des caractères. L'homme du xvii« siècle,
il l'a montré; mais il a surtout étudié et montré
Ihomme, il a pénétré ce fond invariable et mys-
térieux qui se retrouve sous toutes les différences
de costume, de langage, de mœur.s, etc., etc.
Cette conception de l'art, c'est-à-dire la pein-
ture de ce qu'il y a de plus général dans la na-
ture humaine, détermina la forme de l'art créée
par Molière, la comédie dite classique. On sait
avec r|uelle rigueur jalouse et inflexible les diver-
ses classes de la société étaient séparées les unes
des autres : il en fut de même dajis les genres
littéraires. Ils ne devaient sous aucun prétexte se
confondre les uns avec les autres. Qu'on lise avec
quel soin Boileau, le législateur du Parnasse,
marque les barrières qui les séparent. La comédie
forma donc un genre bien distinci, et surtout
bien à part de la tragédie. La tragédie prenait ses
personnages dans le monde des rois, des héros,
des princes; la comédie prit les siens dans le
monde de la bourgeoisie; la tragédie prenait ses
sujets dans les grands intérêts et les passions
d'ordre supérieur, la comédie se renferma dans
les événements qui composent le train ordinaire
de la vie moyenne, surtout le mariage; ejifin, la
tragédie avait le ton et le style sublimes, la co-
mt.'die eut un langage familier, simple, naturel.
C'est une étrange difficulté, disait iVIolière, que
de faire rire les iionnètes gens; et tous les criti-
ques de quelque poids, à commencer par Horace,
estiment que les diffii^ultés du genre ne le cèdent
en rien k celles qu'offre la tragédie.
Voici comment procède Molière.
Il choisit un des travers, des ridicules, des vices
de la nature humaine, soit l'avare, Ihypocrile, le
bourgeois vaniteux, le malade imaginaire, la femme
pédante ; ce s.ra son personnage principal, le
centre môme de l'œuvre. Il groupe autour de ce
personnage les personnages secondaires, destinés
soit à collaborer au but (luo poursuit le premier,
soit à le combattre Delà l'action, ou la lutte. Une
partie des acteurs du drame seconde lesdess(tins
annoncés dès le principe par le héros, l'autre par-
lie fait tous ses efforts pour les faire échouer. Il
s'agit presque toujours d'un mariage. L'avare, le
MOLIERE
— 1332 —
MOLIERE
bourgeois vaniteux, le malade imaginaire, l'enti-
ché de dévotion, tous dominés par une passion
égoïste et tyrannique, ne poursuivent qu'une
chose, de sacrifier leur fille in un époux qu'elle
n'aime pas, elle, mais qui leur convient, à eux,
parce que cette union les accommode : la pé-
dante est bien aise d'avoir un pédant pour gen-
dre, le malade imaginaire d'avoir un médecin tou-
jours sous la main, l'avare de se débarrasser de sa
fille sans donner de dot. Le conflit s'engage donc
entre ces tj'rans, ces oppresseurs, d'une part, et
de l'autre les victimes si intéressantes qui ont
pour elles les droits de la jeunesse et de l'amour.
Les moindres incidents mettent en relief la passion
dominante du tyran ou son ridicule à qui il est
prêt à tout immoler. Arguments des personnes
raisonnables, supplications des victimes qui se
débattent, plaisanteries et railleries des person-
nages secondaires, notammejil des braves ser-
vantes, les Nicole, les Dorine, les ïoinon, tout
contribue à nous présenter sous tous les aspects
ces originaux dont la plupart sont devenus des
types et qui personnifient quelqu'une de ces
maladies morales que la comédie a pour but de
peindre.
On a blâmé souvent les dénouements de Molière,
et non sans raison; lui-même semble y attacher
peu d'importance. Ils sont le plus souvent invrai-
semblables, ou arrivent un peu à la diable. Le
dénouement heureux ou le mariage était imposé
au poète par la loi du genre ; il a subi cette loi.
Mais il savait bien, ce grand observateur, que les
choses ne se passent point ainsi dans la réalité,
que les passions absolues et tyranniques dont sont
possédés les Harpagon, les Orgon, les Argan
mêmes, ne cèdent jamais et accomplissent leur
œuvre, qui est de se satisfaire coûte que coûte,
detoui immoler à elles-mêmes; qu'elles ont dans
ce combat, qui est l'action du drame, toute la force
de leur côté, et ces droits invincibles dont la so-
ciété arme les pères, qu'enfin le plus souvent
elles écrasent, anéantissent la résistance des op-
primées. Ce spectacle, on ne pouvait le montrer
aux yeux, il n'eût pu être supporté, Molière a
donc sacrifié la réalité il ces protestations de la
conscience que l'injustice dans la violence sou-
lève en nous, mais sans se dissimuler que ces
tyrans, vaincus sur la scène, ne l'étaient jamais ou
presque jamais dans la vie réelle. C'est parla que
son œuvre, si vraie dans la peinture des caractè-
res, ne va pas jnsqu'îi rendre la conclusion su-
prême qui est la peinture do la réalité sociale, ce
qui n'est pas d'ailleurs le but du poète.
Cette partie de l'œuvre de Molière appartient à
ce que l'on est convenu d'appeler le comique
noble : elle obtenait presque sans restriction l'as-
sentiment de Boileau.
C'est par là que Molière, illustrant ses écrits,
Peut être de son art eiit remporté le prix.
Mais il y en a une autre, que le sévère critique
et les juges plus ou moins délicats ne pouvaient
admettre, C est celle qu'ils désignaient sous le
nom de comique bas. Achevons en efi'et la cita-
tion de Boileau; il nous apprendra quels étaient
les scrupules et les dégoûts de certains critioufs.
Molière, dit-il, eût remporté le prix de son art,
Si, moius ;uni du peuple, en ses doctes peinlures
H n'eut fait trop souvent grimacer les figures,
Quitté pour le lioultoii l'ajrréable et le lin,
Et sans lionli- à léience allié Tabariu.
Dans ce sac lid.ciile où Scapin leiiveloppc,
Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope.
Le comique bas, c'est Monneur de Pnurcfaugnac,
les Foiirb'-riis île Scapin, une bonne partie du
Malade nnnqfnaii-e et du Bow-gems i,ent tliomm'i,
SyanaicUe, eic. Les gens de bonne compagnie
étendaient la condamnation i d'autres pièces en-
core ou à des parties de pièces. 11 faut savoir gré-
à Molière de n'avoir point voulu sacrifier cet élé-
ment comique: il a sa place dans l'art, qu'on ne
doit jamais borner. 11 y a dans toutes les littéra-
tures des chefs-d'œuvre qui touchent au burlesque,
ou tout au moins au bouffon. Aristophane et Plaute-
chez les anciens, et sans aller clierclier si loin,
notre littérature nationale du moyen âge doit sa
supériorité bien plus â l'élément comique qu'à ces
longues et souvent fastidieuses épopées que nous
nous efi'orçons d'admirer aujourd'hui. Nos fabliaux,,
le roman de Renart, certaines de nos farces,
comme celle de Pathelin, l'incomparable boufl'on-
nerie semée par Rabelais dans son Pantagruel,
voilà les autorités sur lesquelles Molière pourrait
s'appuyer s'il en avait besoin.
On ne voit pas d'ailleurs que les contemporains-
aient été aussi difficiles que Boileau; mais c'est le
gros public, dit-on, le peuple, les habitués des
tréteaux et de Tabarin. Bien d'autres, j'imagine,
se rencontraient volontiers avec les spectatetirs
qu'on affectait de mépriser. Ce qui est certain,
c'est que .Molière était loin de dédaigner les suffra-
ges qui venaient de ce côté, et s'il faut tout dire,
c'étaient ceux qu'il préférait. Le bon goût, eu le-
vrai goût, répétait-il, tient encore au parterre, qui
lui du moins est sincère et indépendant. Les cour-
tisans riaient et applaudissaient sur commande,
(|uand le roi les y autorisait et pour plaire au roi;
les gens qui avaient donné leurs quinze sous pour
s'amuser librement, en prenaient pour leur argent
sans recevoir de mot d'ordre de personne.
Si l'on ne craignait de dépasser les limites de
cet article, qui ne peut être (|u'un résumé, on
tiaiterait la question de la morale dans le théâtre
de Molière, Elle a été fort attaquée et par des ar-
guments qui n'étaient pas, il s'en faut, bien con-
vaincants, s'ils étaient sincères, Bossuet, qui garda,
le silence tant que Molière vécut et plut au roi,
découvrit vingt ans après la mort du poète une
foule d'infamies dans ses pièces; J.-J. Rousseau
prétendit que Molière avait voulu dans son Uisan-
tkrope rendre la vertu ridicule. Je ne parle pas
de ceux qui dans tous les temps ont essayé de
faire expier au poète le Tartuffe et le Don Juan.
— L'auteur comique n'est pas un moraliste de
profession , il laisse cette tâche aux prédicateurs.
Il n'agit sur les âmes que par des impressions, et
la sphère de son action même est dans le monde
idéal.
L'œuvre de Mol'ère, prise dans son ensemble,
est saine. Elle fait haïr les oppresseurs, les tyrans
de la volonté qui immolent tout à leur passion
unique; elle apprend à rire des exagérés, quand
ils sont inofl'ensifs et simplement ridicules. Elle
prêche le bon sens, la douceur, l'humanité, tout ce
que le^ avares, les hypocrites. Les vaniteux, les-
maniaqncs oublient et persécutent. Ce n'est pas |
là toute la morale, mais ce n'est pas non plus si I
peu de cliose.
La gloire de Molière a été toujours en grandis-
sant. D'autres, parmi les plus grands, ont subi des
éclipses, lui s'est élevé sans cesse de plus en plus
dans l'admiration des hommes. Au xviii' siècle,
l'Académie, regrettant qu'il n'ait pu compter parmi
ses membres, donna du moins l'hospitalité à son
buste, avec cette inscription du poète Saurin :
Hien ne manque à sa gloire : il manquait à la nôtre.
Les étrangers, sauf certains critiques allemands,
proclamèrent sa supériorité. Gœtbo avait pour lui
la plus vive admiration. Los Anglais n hésitent
pas à le mettre à côté de leur Shakespeare, Au
xviii' siècle, l'Italien Goldoni s'honorait de se dire
un de ses humbles disciples. On sait enfin que
la France lui a enfin élevé une statue, en face de
la maison où il est mort, et un tombeau. Depuis
MOLLUSQUES
— 1333 —
MOLLUSQUES
quarante ans, ses œuvres ont été l'objet d'innom-
brables études ; l'admiration , on pourrait dire
l'amour public, ne so lassent pas. Lo xix° siècle
semble vouloir payer au grand poète la dette que
ses contemporains du grand siècle n'ont acquittée
qu'en partie. [Paul Albert.)
MiH.LUSQUES. — Zoologie, XXVIII. — L'om-
brancliement des Mollusques comprend des ani-
maux mous, caractérisés par un système nerveux
formé d'un double collier œsophagien sans chaîne
ventrale, et par un système circulatoire incom-
plot, lacunaire.
Il peut se diviser en sept grandes classes : les
Céphalopodes, les Céphalophores, les Solénocon-
ques, les Lamellibranches, les Brachiopodes, les
Bryozoaires et les Tuniciers.
Les trois dernières classes renferment les ani-
maux les moins élevés de l'embranchement des
Mollusques. Le système nerveux typique so réduit
à un seul collier chez les Brachiopodes et à un
seul ganglion chez les Bryozoaires et les Tuni-
ciers. Ces trois classes sont réunies ensemble
pour former le sous-embranchement des MoUus-
coïdes, les quatre premières formant le sous-
cmbranchoment des Mollusques proprement dits.
Céphalopodes (Classe des'. — Les Céphalopodes,
dont les types bien connus sont le Poulpe, le Cal-
mar, le Nautile, occupent, par leur organisation
élevée, le premier rang parmi les mollusques.
Ils ont un corps parfaitement symétrique, et
nettement divisé par un étranglement en deux
parties, l'une, la tête, portant huit ou dix bras bien
développés, l'autre, le tronc, dans lequel se trou-
vent renfermés les viscères Le manteau, fixé à
l'animal sur la face dorsale, forme à la face ven-
trale une grande cavité palléale, divisée en deux
à sa partie inlérieure, au moyen d'une membrane
musculaire.
De cette cavité palléale fait saillie sur la ligne
médiane une sorte de tube, l'entonnoir, qu'on
considère comme l'analogue du pied chez les
autres mollusques. C'est un tube cylindrique ré-
tréci en avant, fendu en dessous chez le nautile,
et dont la base très large est en communication
directe avec la cavité palléale.
A l'intérieur de cette cavité se trouvent deux
ou quatre branchies lamelleuses, dont la surface
est baignée par un courant d'eau, pénétrant par la
fente du manteau. Cette eau est rejetée au dehors
par l'entonnoir, en entraînant les résidus de la
digestion, grâce aux contractions du manteau, la
fente palléale se fermant alors au moyen de carti-
lages spéciaux par et le jeu de muscles particuliers.
Dans la cavité palléale ou branchiale, on ren-
contre un certain nombre d.'ouvertures.
Sur la ligne médiane, sous l'entonnoir, se
trouve, à côté de l'orifice terminal du tube diges-
tif, l'ouverture d'une glande spéciale, pyriforme,
existant presque généralement, et qui sécrète un
liquide noir, au moyen duquel l'animal peut s'en-
tourer d'une sorte de nuage opaque et cacher sa
fuite à ses ennemis.
Au-dessous et de chaque côté existent les ori-
fices de deux grands sacs, dans lesquels sont des
imasses spongieuses développées sur les artères
branchiales et qu'on considère comme des reins.
Outre ces orifices, on trouve chez les Céphalo-
podes femelles un ou deux orifices servant h la
sortie des œufs, suivant qu'ils appartiennent au
.groupe des Décapodes ou h celui des Octopodes.
La têie, en général d'une forme globuleuse,
porte latéralement des yeux énormes qui ont une
grande analogie avec ceux des poissons.
Au-dessus des yeux, se trouve une couronne
formée par huit appendices, désignés sous le nom
de bras. Ces bras, excepté chez lo nautile où ils
sont peu développés, sont munis à leur face infé-
rieure de ventouses ou de griffes.
La bouche, située au milieu des bras, est en-
tourée d'un repli circulaire cutané, formant une
sorte do lèvre. Les mâchoires très développées
ont la forme d'un bec de perroquet renversé.
C'est au moyen de ce bec très puissant que les
Céphalopodes déchirent leur proie, et non avec les
ventouses qui tapissejit leurs bras et qui ne ser-
vent qu'à la saisir et h la maintenir. Outre les
mâchoires, la bouche présente une masse buccale
très développée armée de sept rangées de cro-
chets et analogue à la râpe linguale des Céphalo-
phores.
Les Céphalopodes, à. l'exception du nautile, ne
possèdent qu'une coquille interne rudimentaire
ou nulle.
Leur peau lisse est munie de cellules h pigment
variable et auxquelles on a donné le nom de chro-
niatophores.
Ces chromatophores, disposés sur des plans dif-
férents, sont des cellules contractiles contenant
des granules pigmentairos, toujours d'une cou-
leur uniforme dans chacune d'elles, et produisant
des taches rouges, brun jaunâtre, bleues ou vio-
lettes, qui, suivant que les cellules sont dilatées
ou contractées, s'étendent plus ou moins et sont
d'une nuance plus ou moins foncée. Ce sont ces
contractions et dilatations alternantes et par
groupe, qui produisent ces remarquables varia-
tions dans la couleur de la peau des Céphalopodes
et les aident puissamment h échapper à leurs en-
nemis. Au-dessous de ces chromatophores placés
sous la volonté de l'animal, il existe encore une
couche de petites paillettes brillantes, qui don-
nent k la peau son éclat chatoyant et argenté.
A l'intérieur, les Céphalopodes sont pourvus
d'un squelette cartilagineux, que l'on compare
souvent au squelette interne des vertébrés. Ce
squelette sert à protéger les centres nerveux très
condensés chez ces animaux, et à fournir des
points d'attache aux muscles. L'appareil digestif
se compose d'un long œsophage dans lequel vien-
nent déboucher deux paires de glandes salivaires.
Chez les Octopodes, l'œsophage présente un élar-
gissement assez considérable auqnel on donne le
nom de jabot. L'estomac, arrondi, a des parois
épaisses offrant à l'intérieur des plis longitudi-
naux. Au point où il se continue avec l'intes-
tin, se trouve un vaste caecum en général con-
tourné en spirale et dans lequel viennent dé-
boucher les deux canaux excréteurs du foie très
volumineux. L'intestin remonte ensuite presque
sans circonvolutions, pour aller s'ouvrir au dehors
sous l'entonnoir.
L'appareil circulatoire est bien plus compliqué
que chez les autres mollusques. Le système vei-
neux lacunaire tend à disparaître et il est rem-
placé en grande partie par des vaisseaux à paroi
propre se continuant par de fins capillaires, met-
tant en relation directe le système veineux et le
système artériel.
L'appareil respiratoire se compose de deux oii
quatre branchies lamelleuses situées dans la cavité
du manteau.
Les Céphalopodes se divisent en deux grands
groupes suivant qu'ils ont deux ou quatre bran-
chies. Ces deux groupes sont : les Tétrabranchiaux
ou Céphalopodes â quatre branchies, et les Di-
branchiaux ou Céphalopodes pourvus de deux
branchies.
Tétrabranchiaux. — Les Céphalopodes tétra-
branchiaux, autrefois très nombreux, ne sont plus
représentés actuellement que par un seul genre,
le genre Nnidile.
Dans le nautile, la tête est entourée d'un grand
nombre de tentacules filiformes, que l'on regarde
comme correspondant aux ventouses des bras des
autres (léphalopodes, les bras du nautile étant
rudimentaires. Seul parmi les Céphalopodes ac-
MOLLUSQUES
— 1334 —
MOLLUSQUES
tiiellement vivants, le nautile est pourvu d'une
coquille externe cloisonnée.
La coquille, épaisse, est divisée par des cloisons
transversales en chambres remplies d'air et tra-
versée s pai' un siphon médian. Elle est constituée
par une couche calcaire extérieure, et par une
couche épaisse de nacre à l'intérieur. Los Chinois
profitent de cette disposition pour sculpter sur la
couche externe des dessins qui ressortent sur le
Tnid nacré situé au-dessous. Les nautiles, qui ne
sont plus représentés actuellement que par quatre
ou cinq espèces vivant dans les mers des Indes,
ont apparu dès le terrain silurien.
Les genres fossiles les plus importants de ce
groupe des Tétrabranchiaux sont : les Gonialites,
apparaissant presque en môme temps que les
nautiles, mais s'arrôtant dans le trias; les Céra-
tiles, allant du dévonien à la craie; les .\mmonites.
si abondantes surtout dans le terrain jurassique ;
les Orlhoceras, à coquille droite, apparaissant dès
lo silurien inférieur.
Dibranchiaux. — Les Céphalopodes dibranchiaux
portent autour de la bouche huit bras armés de
ventouses ou quelquefois de crochets.
Outre ces huit bras, un certain nombre de genres,
formant le sous-ordre des Décapoilps, possèdent
deux longs appendices plus ou moins réiractiles,
dont les extrémités, en forme de massue, possè-
dent seules des ventouses ou des griffes.
On donne à ces appendices le nom de tentacu-
les ou de bras tentaculaires. Chez les Céphalopo-
des dibranchiaux dépourvus de ces deux appendi-
ces tentaculaires, et formant le sous-ordre des
Octo/'orles, les bras sont réunis à leur base par
une membrane plus ou moins développée et for-
mant une sorte d'entonnoir au fond duquel se
trouve la bouche.
Les huit bras sessilcs sont ordinairement coni-
ques. Chez l'Argonaute femelle seule, deux des
bras se replient sur eux-mêmes et sont pourvus
û une membrane très extensible chargée de sécré-
ter une coquille très délicate, dans laquelle l'a-
nimal place ses œufs. Cette coquille n'a aucun
rapport avec les coquilles des autres mollusques
qui sont des sécrétions du manteau. A la surface
interne de ces huit bras et sur toute leur lon-
gueur, se trouvent des ventouses disposées en
plusieurs séries, excepté dans le genre Eledone,
où il n'y en a qu'une seule rangée.
Chez les Octopodes, les ventouses sont sessiles
et entièrement charnues. Chez les Décapodes
les ventouses sont pédonculées, et leurs parois
latérales, très minces, sont garnies sur leurs bords
d'un anneau corné et dentelé. C'est surtout au
moyen de cet anneau que ces animaux saisissent
et maintiennent leurs proies.
Les bras tentaculaires portent aussi, sur leiir
extrémité renflée, des ventouses à anneau corné.
Mais dans le genre Onychoteuthis, ces ventouses
sont remplacées par de forts crochets pouvant
rentrer comme les griffes des chats. Aussi ces
animaux sont-ils redoutés des plongeurs.
.\ucun de ces Céphalopodes dibranchiaux ne
porte do coquille externe sécrétée par le manteau.
Mais chez la plupart des Décapodes, le manteau
sécrète dans la région dorsale une coquille in-
terne plus ou moins délicate ou rudimentaire.
Chez les Calmars, la coquille est formée d'une
substance cornée, homogène, d'un brun jaunâtre.
D'après sa forme, elle a été comparée h une
plume [pluuie de calmar), ou à un fer de lance.
Cette coquille présente, en effet, une tige amincie
à une de ses extrémités et deux ailes latérales
plus ou moins longues.
Chez les Seiches, la coquille est bien différente.
Elle est aussi large et aussi longue que le corps,
très épaisse en avant, concave en arrière à la face
interne ; elle se termine en arrière par une petite
pointe qui fait souvent saillie au-dehors de l'a-
nimal. Cette coquille est très légère et très po-
reuse. Elle est formée de couches cornées, sépa-
rées par des dépôts calcaires.
Dans le seul genre Spirule.la coquille interne est
spiralée et cloisonnée ; les diverses chambres de la
coquille sont traversées par un siphon marginal.
Quelques genres de Décapodes ont pu, grâce
à leur coquille, se conserver dans les terrains
géologiques; de tous ces genres, le plus impor-
tant de beaucoup est le genre Bélemnite, dont le
rostre surtout, bien conservé, et atteignant par-
fois une très grande taille, est l'arialogue de la
pointe qui termine la coquille des Seiches.
Les Céphalopodes dibranchiaux peuvent être
considérés comme jouant, parmi les mollusques,
le rôle que les oiseaux de proie remplissent
parmi les oiseaux. Bien armés, doués en général
d'une locomotion en arrière rapide, grâce en
panie au mouvement de recul qu'ils impriment à
leur corps en rejetant violemment par leur siphon
l'eau qui remplit leur cavité palléalc, ce sont de
terribles destructeurs de poissons, de mollus-
ques et de crustacés, qu'ils déchirent bien sou-
vent sans les manger. D'un autre côté, ils ont
aussi de nombreux ennemis ; un grand nombre
de cétacés ne vivent presque exclusivement que
de céphalopode^ ; les thons et beaucoup d'autres
gros poissons s'acharnent i leur poursuite ; les
albatros, les pétrels les chassent aussi la nuit,
quand ils apparaissent à la surface de l'eau.
Ces animaux atteignent parfois une taille assez
considérable. Dans la Méditerranée, on rencontre
des poulpes dont les bras, quatre ou cinq fois plus
longs que le corps, dépassent 1 mètre. Dans les
mers du Sud en Océanie, on en rencontre quel-
quefois d'une taille énorme ; ainsi celui que M. Ve-
lain a trouvé sur la plage de l'ile Saint-Paul me-
surait •;", 15 de long. Aussi ces animaux pourraient
très bien'attaqucr une barque et la couler; mais
il y a loin de là au monstre imaginé par Denis de
Montfort, et qui était capable, d'après lui, de cou-
ler un trois-mâts.
Dans certains pays, les Céphalopodes sont as-
sez recherchés comme nourriture. C'est ce qui a
lieu dans la Méditerranée et le golfe de Gasco-
gne. Dans le Nord de la France, on n'en mange
que très peu, mais on s'en sert comme d'appât.
C'est surtout dans la pêche à la morue qu'ils sont
utilisés.
L'osselet interne des Seiches est aussi d un grand
usage. Il y en a dans presque toutes les cages,'
et les oiseaux captifs y trouvent le calcaire qui
leur est nécessaire. On s'en sert encore pour faire
de la poudre de sandaraque. L'encre de seiche
était autrefois employée pour faire de l'encre de
Chine et de la scpia.
Parmi les Octopodes vivant dans nos mers, or
trouve les genres suivants :
O'topus (poulpe , dont les bras très longs son
munis de deux rangées de ventouses; le poulpe
commun est quelquefois appelé pieuvre;
Eledone, dont les bras n'ont qu'une seule ran
gée de ventouses ;
Argnnin.ta; la femelle, plus grande que le maie
possède deux bras en forme de nageoires, qui si
crètent une coquille mince.
Parmi les Décapodes nous trouvons les : !
Sepia (seiche), dont le corps large est pourvi
de deux longues nageoires latérales ; ■
Udiao (calmar), dont le corps très long^ ei
pourvu à son extrémité de deux nageoires trian
gulaires; , , , . j „
Sepiola, les plus petits Céphalopodes de ni
côtesj à corps arrondi en arrière et muni de dei
nageoires demi-circulaires;
Onychoteuthis, dont les tentacules sont pourvu
de crochets
MOLLUSQUES
1333
MOLLUSQUES
Céphalophores (Classe des). — La classe des
(i('|)lial(i|ihorcs se divise en trois sous-classes
bien riisiincles:
Li's Cidstn-o/n'ilcs, caractérises par un pied large,
niusi-ulairc, scrvuiil d'organe de reptation.
Les l'tijropodes-, chez qui le pied est transformé
en deux nageoires latérales.
Les llétéropodcs, chez qui le pied est transformé
en une na;;'eoiro verticale.
Les animaux des deux dernières sous-classes
sont essentiellement pélagiques.
Gastéropodes (Sous-classe des). — Los Gasté-
ropodc^s, dont les escargots, les limaces sont des
représentants bien connus, sont caractérisés par
un pied musculaire, très développé, au moyen
duquel ils rampent. Leur tète bien distincte
porte doux et quelquefois quatre tentacules, deux
yeux bien développés situés tantôt k la base des
tentacules, tantôt i l'extrémité de la paire tontacu-
laire postérieure. La bouche s'ouvre dans une ca-
vité armée de màclioires latérales et d'une râpe
linsuale souvent très longue et pouvant dépasser
la longueur du corps de l'animal. Cette cavité est
suivie de rœ«ophage et de l'estomac plus ou moins
développé. L'intestin, après quelques circonvolu-
tions, vi(.'nt s'ouvrir en général sur le côté droit en
arrière de la tète.
La cavité du corps constitue le plus souvent un
sac viscéral atténué de plus en plus vers son
extrémité postérieure et enroulé en spirale. Toute
cette masse est entourée par le manteau qui, dans
les Gastéropodes munis d'une coquille, en tapisse
tout l'intérieur et la sécrète.
Entre le manteau et le pied se trouve ménagée
une cavité dans laquelle se trouvent les organes
respiratoires. Ces organes se composent de deux
branchies inégalement développées. Cependant
cl;ez la plupart des Gastéropodes terrestres et
chez quelques-uns de ceux qui vivent dans les eaux
douces (Limnées. Pliyses), ces branchies n'existent
p.is, mais alors la paroi supérieure de la chambre
est parcourue par un réseau très riche de vais-
seaux, à travers les parois desquels se fait l'en-
dosmose des gaz. Tous les Gastéropodes jouissant
de ce dernier mode de respiration sont réunis
dans un même groupe sous le nom de Mollusques
pulmonés.
La coquille calcaire qui enveloppe le plus sou-
vent les viscères, et dans laquelle l'animal peut
généralement rentrer entièrement, est ordinaire-
ment univalve et enroulée en spirale; l'enroule-
ment, à, de rares exceptions près, est dextre, c'est-
ii-dire que l'ouverture de la coquille est à droite;
chez les Clausilies, les Physes, la coquille est sé-
nestre, l'ouverture étant à gauche. On rencontre
quelquefois des monstruosités sénestres dans les
espèces généralement dextres.
L'ouverture est souvent entière; souvent aussi
elle est échancrée en avant ou prolongée en un
canal. Cette échancrure ou ce canal indique la po-
sition de l'oritice respiratoire.
Dans les Patelles, la coquille est en forme de
coupe, et chez les Oscabrions elle est formée de
pièces placées bout h bout et mobiles les unes sur
les autres ; l'animal a alors une forme anuelée et
peut s'enrouler en boule. Enfin la coquille peut
s'atrophier beaucoup, comme chiz les Limaces, ou
même disparaître entièrement. Lorsque la coquille
est spiralée, l'animal porte fréquemment à l'extré-
mité du pied une pièce calcaire ou cornée au
moyen de laquelle il peut fermer l'ouverture.
Celte pièce est l'opercule. Il ne faut pas la con-
fondre avec la production calcaire que sécrètent
certains Mollusques dépourvus d'opercule , en
particulier les Escargots, et au moyen de laquelle
ils ferment leur coquille au moment de l'hiberna-
tion. Cette pièce, complètement indépendante de
l'animal, est l'épiphragme.
Tous les Gastéropodes pulmonés sont herma-
phrodites ; la plupart des autres mollusques sont
dioï(|ue9, c'esl-i-dire 6 sexes séparés.
Les Gastéropodes terrestres pondent des œufs
isolés, entourés d'une enveloppe calcaire; les
Gastéropodes aquatiques, à l'exception de quelques
espèces vivipares, subissent des métamorphoses et
pondent des chaînes d'oeufs, ayant souvent des
formes bizarres.
la larve au sortir de l'oeuf est constamment
pourvue d'une coquille et d'un disque céphalique
bilobé. Ce disque ou voile est garni de cils vibra-
tils qui permettent à l'animal de nager librement.
Plus tard, la coquille disparaît chez les Gastéro-
podes nus, le voile est remplacé par le pied, et l'a-
nimal auparavant nageur ne peut plus que ramper.
Les Gastéropodes peuvent se diviser en deux
groupes principaux : les Gastéropodes pulmonés
et les Gastéropodes à branchies.
Les Gastéropodes pulmonés comprennent pres-
(|ue tous les mollusques terrestres: les Limaces,
les Hélices ou colimaçons, et quelques espèces
vivant dans les eaux douces : les Limnées, les
Physes, ;i coquille sénestre, les Planorbcs, à co-
quille discoïde.
Les Gastéropodes à branchies sont presque
tous marins et contiennent un nombre considéra-
ble de genres, parmi lesquels les principaux sont:
les Murex ou Rochers, dont la coquille est garnie
d'épines, les Pourpres, les Porcelaines, les Cônes,
les Strombes, les Haliotides ou Oreilles de mer, les
Patelles, les Oscabrions. Les Paludines vivipares
de nos eaux douces appartiennent à ce groupe.
A l'exception des Hélices (escargots), des Halio-
tides (oreilles de mer) et d'un petit nombre d'au-
tres espèces, les Gastéropodes ne sont pas utilisés
comme aliments. Les coquilles épaisses des
Strombes et des Casques sont employées dans la
fabrication des camées.
Les Murex, les Pourpres sécrètent une liqueur
prenant au soleil une belle teinte violette. C'est
de cette liqueur que les anciens tiraient la couleur
si renommée de la pourpre.
Presque tous les mollusques terrestres, à l'ex-
ception des Testacelles, sont herbivores et par
conséquent nuisibles à l'agriculture. Parmi les
mollusques marins, ce sont au contraire les
e-pèces carnivores, en particulier les Murex, les
Nasses, qui sont nuisibles. Ces animaux peuvent
en effet percer au moyen de leur râpe linguale les
coquilles des bivalves et en dévorer l'animal. Ils
sont surtout nuisibles dans les huîtrières, où ils
occasionnent de nombreux dégâts.
Ptéropodes (Sous-classe des). — Les Ptéro-
podes, qu'on désigne souvent sous le nom de Pa-
pillons de la mer, présentent au-dessus de la bou-
che deux grosses nageoires latérales, qui, par leurs
battements, font progresser 1 animal.
Le corps est tantùl nu et sans manteau distinct,
tantôt il est enveloppé d'une coquille symétrique
ou spiralée, cartilagineuse ou calcaire ; dans ce
cas le manteau est bien développé et couvre en
avant la cavité palléale.
La bouche, située à l'extrémité céphalique, est
entourée, chez les Ptéropodes nus, d'appendices
parfois munis de ventouses analogues à celles des
Céphalopodes. Elle fait suite à une cavité armée
de mâchoires et d'une râpe linguale. L'œsophage,
très long, est suivi d'un estomac spacieux et d'un
large intestin à plusieurs circonvolutions. Les or-
ganes de la respiration se composent, chez les
Ptéropodes à coquilles, de rudiments de branchies
situées dans la cavité palléale. Chez les Ptéropo-
des nus, ils manquent entièrement ou consistent
en lamelles foliacées situées à l'extrémité posté-
rieure du corps.
Tous les Ptéropodes sont hermaphrodites; les
œufs sont pondus en longs cordons flottant libre-
MOLLUSQUES
— i33G —
MOLLUSQUES
ment à la surface de la mer. Les larves sont libres
ot ont un voile cilié à deux lobes et une coquille.
Le voile est ensuite remplacé par les deux na-
geoires, la coquille disparaît pour toujours ou pour
être remplacée par une nouvelle.
Les Ptéropodes ont été divisés en deux groupes,
suivant qu'ils ont une coquille ou qu'ils en sont
dépourvus.
Parmi les Ptéropodes à coquille, les principaux
sont : les Hi/ales, à coquille globuleuse, symétri-
que, transparente, munie de trois pointes en ar-
rière; les Cleodora, dont la coquille a la forme
d'une pyramide triangulaire ; les Limnctnes, Ji co-
quille spiralée, sénestre ; les Cijmbulie-^, dont la
coquille en forme de nacelle est cartilagineuse.
Parmi les Ptéropodes nus, il y a les tV/oi, dont
le corps est dépourvu de branchies et la tête armée
de deux tentacules ; les Pneiimodermom, ayant
des branchies externes et une tête armée de tenta-
cules à ventouses.
Tous ces animaux de petite taille sont do haute
mer, où on les rencontre parfois en bandes con-
sidérables. Dans les mers polaires, les Clios ser-
vent de nourriture aux baleines.
Héféropodex (Sous-classe des). — La sous-classe
des Hétéropodes comprend un petit nombre d'ani-
maux remarquables par leur transparence. Leur
pied est transformé en une nageoire caudale très
développée et en une nageoire ventrale portant un
petit suçoir, qui leur permet d'adhérer aux algues.
Tandis que la partie antérieure du corps, ponant
deux tentacules, est très allongée, la niasse viscé-
rale est très petite et logée dans une coquille
transparente, spiralée ou patelliforme.
Les Hétéropodes sont dioiques. Les larves sont
pourvues, comme chez tous les Céphalophores,
d'un voile bilobé et d'une coquille; le pied porte
en outre un opercule. Ce voile, parfois l'opercule
et même lacoquille tombent, le pied se transforme
en nageoire et la métamorphose est accomplie.
Tous ces animaux sont pélagiques et progressent
lentement au moyen des mouvements de leur
nageoire, la face ventrale tournée en haut. Ils sont
tous carnassiers et saisissent les petits animaux
marins au moyen de leur râpe linguale très déve-
loppée.
Les principaux genres de cette sous-classe sont:
les Carinaii-es, à coquille patelliforme; les Atlan-
tes, à coquille spiralée, et les Firotes, dépourvues
de coquille.
Solènoconques (Classe des). — Cette petite
classe de Mollusques renferme des êtres inter-
médiaires entre les Céphalophores et les Lamelli-
branches.
Comme les Céphalophores, ils présentent une
coquille univalve ayant la forme d'un tube allongé,
conique, ouvert à ses doux extrémités. L'animal,
de forme analogue, s'y tient caché, fixé par un
muscle à la partie inférieure. La bouche est aussi
armée d'une râpe liiiguale, elle est suivie d'un
pharynx, d'un estomac et d'un intestin à plusieurs
circonvolutions. Mais comme chez les Acéphales,
le corps est symétrique, dépourvu de tète ; le
cœur qui manque est remplacé par une sorte de
bourse traversée par le rectum. Les larves libres
ont une coquille presque bivalve et un voile ana-
logue à celui dos Lamellibranches.
Le genre principal des Solènoconques est le genre
Deninle.
Ces animaux vivent enfoncés dans la vase, ou
rampent à l'aide de leur pied trilobé. Ils sont car-
nivores, et se nourrissent de Foraminifères et de
petits Lamellibranches.
Lamellibranches 'Classe des). — La classe des
Lamellibranches ou des Conchifères comprend des
mollusques acéphales tous aquatiques, et, à l'ex-
ception de quelques genres, tous marins. L'animal
est logé dans une coquille i ivalve, dont les deux
valves très souvent symétriques sontréunies entre
elles, sur la face dorsale, par un ligament élas-
tique, déterminant leur écartemenl. En outre,
leurs bords supérieurs présentent des dents et
des fossettes qui, s'engicnant les unes dans les
autres, contribuent h les réunir solidement. Ces
bords constituent ce qu'on appelle la charnière.
A l'intérieur, les deux valves sont tapissées par
une membrane très fine qui les sécrète. Les deux
lobes de celte membrane ou manteau recouvrent
l'animal comme la couverture d'un livre.
Souvent les bords du manteau sont libres et
portent, comme chez les Peignes, les Limes, des
taches pigmentaires considérées comme des yeux.
Plus souvent, les bords sont réunis entre eux, ne
laissant que deux ou trois ouvertures pour l'en-
trée et la sortie de l'eau et pour le passage du
pied de l'animal. Parfois ces ouvertures d'entrée
et de sortie de l'eau sont prolongées en forme de
tubes musculaires , susceptibles de s'allonger
beaucoup, en particulier dans les espèces fouis-
santes. Ces tubes ou siphons sont situés à la
partie postérieure de l'animal. Par le siphon bra-
chial, le plus éloigné du dos, pénètre l'eau chargée
des matières alimentaires et des gaz nécessaires
;\ la respiration ; par le siphon anal sort l'eau qui
a servi à la respiration, en entraînant les détritus
de la digestion. Ces siphons sont parfois réunis
entre eux, les deux canaux n'étant séparés que
par une simple cloison musculaire.
Immédiatement sous le manteau se trouvent,
de chaque coté, deux paires de lamelles foliacées
en forme de peignes; ce sont les organes de la
respiration, les branchies. Elles sont fixées sur
l'animal par le bord supérieur ou dorsal et se
réunissent entre elles à la partie postérieure.
Entre ces branchies se trouve le corps de l'nni-
I mal, formant une sorte de sac où sont logés les
viscères, et un piert plus ou moins extensible en
forme de soc de charrue. C'est au moyen de ce
pied que se meuvent les Lamellibranches suscep-
tibles de se mouvoir. Chez certaines espèces,
comme les moules, les huitres perlières, les jam-
bonneaux, ce pied est creusé, à sa face dorsale,
d'une gouttière au fond de laquelle se trouvent des
glandes sécrétant des fils soyeux, au moyen des-
quels l'animal se fixe aux corps étrangers. Cet
organe d'adhérence porte le nom de byssus.
La bouche, en forme de fente, est entourée de
deux paires de lamelles trianguhiires, dont la sur-
face est tapissée de cils vibratiles entraînant les
particules alimentaires vers la bouche. On ne
trouve chez les Lamellibranches aucun organe
comparable à la râpe linguale des Mollusques
plus élevés. Le tube digestif, sans traces d'esto-
mac, est contourné en spirale, et après avoir tra-
versé le cœur situé sous la charnière, il s'ouvre
au dehors à l'extrémité d'un petit tube.
Le reste du corps est occupé par des glandes
volumineuses, parmi lesquelles il faut citer sur-
tout le foie.
Deux muscles puissants, transversaux, situés
l'un en avant de la bouche, l'antre à la partie pos-
térieure, sont fixés aux deux valves et ont pour
objet de fermer la coquille. Ces muscles laissent
sur chaque valve des empreintes très nettes,
désignées sous le nom d'empreintes musculaires.
Souvent le muscle postérieur s'atrophie et dispa-
rait même entièrement dans certains genres, en
particulier dans les huitres.
Parmi les mollusques lamellibranches, les uns
restent constamment fixés; c'est ce qui a lieu par
exemple pour l'huître, qui adhère aux roches au
moyen de sa valve gauche qui est la plus bom-
bée.
D'autres espèces restent fixées au moyen du
byssus qu'elles sécrètent. D'autres restent enfouies
dans le sable ou dans la vase ; elles ont alors un
MOLLUSQUES
— 1337 —
MOLLUSQUES
i,i,Hl tiTS drvcloppé, qui leur perniRt de fouiller le
l 1 .. de s,pl,ons IrU longs dont les c^trem, es
neûvent vcni arflourer i la surface du fond. Cer-
tains bivalves, comme les Pholades, se creusent
re dS.re dans des sols plus durs et .é.e an
Les genres dépourvus de cliarnières présentent
cncoe^d'antres différences fondamen.ales ; ce qm
a permis de diviser les Bracluopodcs en deux
^''T"'l\f Brachiopodes pourvus d'une chnrnière,
un^^^^mi^^ed.. des sols pl;.^u.<Hmém<=d^^^^ ,,,,,,,3 et par
des roches. D'autres, comme 'esTarcts cieuse t le c ^^ ^^^.^ dépourvu d'anus. ^ , _____
(les rocnes.u aunes, .-.».....<= ■-- '-~:;^.^ mn^irié
bois et peuvent occasionner des degats conside
râbles on ruinant les digues et '«s navires
EnHn un grand nombre de f,% '^^ "'J^^,^
vivent indépendants et se meuvent à la s»'l*/« ''"
sol et sur les plantes marines au moyen des con-
racUons de le'ur pied, ou «".""v-ant et en refer-
mant brusquement leur coqudle (Limes, Peignes)
a plupart des Lamellibranches sont dioiques .
les œu s, en nombre considérable, sont retenus
entr?"es lobes du manteau et les feuillets des
branchies. Us restent 1.1 jusqu'à l<=ur eçlosion e
même chez certaines espèces, comme ^'^^^'J'^f
de. nos eaux douces, les jeunes y demeut'-
un tube digestif dépourvu danus.
Ce groupe, le plus nombreux, comprend les gen-
res principaux siivantst Terchmlula, Rhjnconella ,
Sub-ifei-, Piodiictus, Ortliis.
■2" Les Braohiopodes sans charnières; -dans ce
groupe le test e.st corné, le tube digestif est
pourvu d'un anus. Le genre le plus important de
ce •troupe est le genre Lmg"la. . „„
Si on ouvre la coquille d'un Brachiopode, on
voit que sur chaque valve est adhérente une a-,
mè le membraneise, analogue au ^■"anteau des
Lamellibranches, mais toujours •<'^.deux lobes du
anleau des Bracbiopodes sont disjoints et les
même cnez eeriainr.o. ^^i^^.^^-, ------ ,„„„,;„. manteau des Bracniopuuu» nu.ii. ^..jj"- ■-- -- - -
de nos eaux douces, les jeunes y d<>me"re t jus- '»;" «f" ?,n,„, pénètrent, ce qui n'a pas lieu
qu'à, ce qu'ils aient atteint le tiers de la taille des »;;|^^"',-^/'Larnellibranches. Le manteau est en
Tous les Lamellibranches subissent des meta- ]
morphoses. Les embryons nagent t''"JO"'-f, Ij?;^:
ment dans l'eau, au moyen d iin voile un obe
qu'ils portent à leur partie anleneure et dont la
surface est couverte de cils vibn^ils. Ils peuven
ainsi se répandre à de grandes distances ce qm
est en général absolument impossible à leurs
''*Ap"ès quelques jours de cette existence errante.
les animaux sédentaires choisissent la place qu ils
occuperont toute leur vie. L'Huitre se fixe par sa
coquille, la Moule et le Jambonneau hlent un
byssus. La Mye et le Solen creusent dans e
sable ou dans la vase, le Taret creuse le bois la
Pholade la roche. En même temps leur vmle ois-
parait et la larve acquiert sa forme définitive.
D'après la présence ou l'absence de siphons,
les Lamellibranches sont divisés en deux grands
groupes : les Siphoniens et les Asiphoniens. Dans
le groupe des Siphoniens nous trouvons les Lucines,
lesCyclas, les Vénus, lesTellines, les Myes, les So-
lens ou Couteaux, les Pholades, les Tarets, etc.
C'est aussi dans ce groupe, qu'on place le genre
fossile si important des Hippurites.
Les plus remarquables des Asiphoniens sont : les
Huîtres, les Pintadines, les Moules, les Tridacnes
ou Bénitiers, les Peignes ou coquilles de baint- ,
Jacques, et les .lambomieaux. 1
Beaucoup de bivalves sont comestibles ; quel-
ques-uns, comme les Huîtres, les Moules, sont
très recherchés et leur culture a donne naissance
à des industries très lucratives, telles que 1 os-
tréiculture et la mytiliculture.
D'autres, et en particulier la Pintadme ou
Huître perlière, sont recherchés pour la beauté de
la nacre de leur coquille et pour les perles qu Us
produisent. Enfin, dans quelques pays, on hle les
fils très soyeux du byssus des Jambonneaux.
Brachiopodes (Classe des). - Les Brachiopo-
des, comme les mollusques lamellibranches, sont
pourvus d'une coquille à deux valves; mais cette
coquille est toujours privée de nacre, et tandis
que chez les Lamellibranches l'une des valves
est droite, l'autre gauche, ici l'une est ventrale,
l'autre dorsale. En outre, chez les
es Bracliiopodes
les deux valves, toujours équilatérales, sont iné-
quivalves. La valve ventrale, la plus grande, est
pourvue, en général, d'un crochet au moyen du-
quel elle se fixe aux corps étrangers, ou au tra-
vers duquel passe un organe d'adhérence. La
valve la plus petite ou dorsale est toujours libre
et imperforée. Ces deux valves sont le plus
souvent articulées au moyen de deux dents
courbes, situées sur le bord de la valve ventrale
et reçues dans des fossettes de la valve opposée.
L'articulation est si complète qu'on ne peut sépa-
rer les deux valves sans rupture.
:;",i:" s^Lamëinir^anches. Le -anteau est en
outre bordé de filaments chitmeux présentant des
stries de forme variable avec les espèces.
Sous le manteau, on ne trouve pasd organes
comparables aux branchies des Lamellibranches
Z s on rencontre deux lamelles frangées, ayant
r m-me de bîas enroulés en spirale, d'où e nom
de Brr-c/»o;.o.te donné à ces animaux. Ces la-
melles par ent de chaque côté de la bouche et
sin u^portées par un appareil apophysaire cal-
aire ou corné, a!lhérent à la valve dorsale, e de
forme diflerente avec les genres Ce support so
idë empoche les lamelles de «'étendre et de sor-
tir au dehors; c'est tout au plus si, chez les
Ungules l'extrémité des bras est susceptible d une
faible extension. . , , •,
Ces bras, grâce au mouvement ''aP'de des «u
vibratiles qui les recouvrent, servent à en rahier
les particules alimenta.res vers '« '~ • '^
concourent aussi d'une façon très efficace avec le
manteau à la respiraùon. Le corps proprement
dit d>. Brachiopode occupe une faible place
près de la charnière, et sa plus grande partie es
remplie par le foie très volumineux et granu
'""tÔus les Brachiopodes sont marins. On les
trouve dans toutes les mers et k toutes les profon-
deui^ Ce sont de tous les Mollusques les pre-
Ss qui aient apparu, et ils étaient smtout
abondants dans les te^nsjrnnan^es^^^^^.^^^
Bryozoaires Classe aes; „ ,„ .rlvistpnre
sont des animaux qui, par le'"", ™f f', ''/IV.^Jet
élevés. On les place maintenant il cote des
'"crque'Zma'Te la'côlonie est placé dans une
nelie loge dont les parois sont, ou cornées ou
petite iog,,uui 1 arriver aussi que
3"... s.'?» p...cto « 7"r>;"","„'r,
Br:nï:;'Êi.nrs!,'.r?"^Hî
MOLLUSQUES
— 1338
MONGOLS
Cet épistorae n'existe que chez les Bryozoaires
pourvus d'un '.ophopliore en forme de fer à che-
val. La bouche est suivie d'un œsophage cilio,
conduisant dans un estomac d'où part l'intestin
f|ui remonte vers le haut et va s'ouvrir au dehors,
au-dessous du lophopliore.
Des muscles puissants permettent à l'animal de
rentrer entièrement dans sa cellule.
Dans les Bryozoaires marins, le lophophore
n'est plus en forme de fer à cheval, mais circu-
laire avec la bouche centrale. 11 n'y a plus d'épis-
tome. Le reste de l'animal est semblable i ce que
l'on trouve chez les Bryozoaires pourvus d'un
lophophore en fer à cheval.
Les tentacules sont creux et communiquent
avec la cavité générale, remplie du liquide sanguin
dans lequel flottent les viscères; les tentacules
servent h amener, grâce au mouvement de leurs
cils vibratiles, les particules alimentaires vers la
bouche, et en même temps concourent à la respi-
ration avec les autres parties du lophophore.
Dans beaucoup de Bryozoaires marins, on ren-
contie près de l'ouverture des cellules où sont
logés les animaux, des organes particuliers, que
l'on considère souvent comme des individus mo-
difiés de la colonie. Ce sont les Aviculaires et les
Vihracuhires.
Les Aviculaires, ainsi nommés à cause de leur
ressemblance avec un bec d'oiseau, peuvent saisir
les petits organismes qui passent dans leur voi-
sinage et les maintenir jusqu'à leur mort; ces
organismes sont alors entraînés vers la bouche sous
l'action du courant produit par les cils vibratils
des tentacules. Les Vibraculaires sont des organes
semblables aux aviculaires; seulement, au lieu de
pinces, ils portent un filament très long et très
mobile.
Les Bryozoaires se reproduisent par œufs, et
aussi par bourgeons restant fixés à la colonie et
au moyen desquels cette dernière s'accroît.
D'après la forme de leur lophophore, et par
suite, d'après l'existence ou non d'un épistome,
les Bryozoaires ont été divisés en deux grands
groupes :
1° Les Phylactolcmes, à lophophore en forme de
fer à cheval, renfermant presque tous les Bryo-
zoaires d'eau douce. Les principaux genres de ce
groupe sont les Cristatelùi, les Plwnatella, les
Alcyo7fl/a, etc.
2° Les Gymnolèmes, h lophophore circulaire,
tous marins, à l'exception des Vrnatelln et des
Palurlic-lla qui vivent dans les eaux douces. Les
principaux genres de ce groupe très nombreux
sont les Crisin, Tubuliporii, Fludra, Cellularia,
Mfmhranipora, Eschura, etc.
Les Bryozoaires se fixent sur la plupart des
corps que l'on trouve dans l'eau, tels que pier-
res, coquilles, liges et feuilles de plantes aqua-
tiques. Quelques Cristatelles seules peuvent ram-
per sur les corps submergés.
Les Bryozoaires étaient très répandus aux diver-
ses époques géologiques, et en particulier à l'épo-
que de la mer jurassique, dans les sédiments de
laquelle on retrouve un très grand nombre de
débris de Bryozoaires.
Tunioiers Classe des). — Les animaux de cette
classe, dépourvus de coquille, ont le corps pro-
tégé par une peau coriace, la tunique, qui leur a
fait donner le nom de Tuniciers. Cette peau est
percée de deux orifices; l'un s'ouvre dans une vaste
cavité, le sac branchial, tapissée de cils vibratiles,
et au fond de laquelle se trouve la bouche. Par
le second orifice sortent les détritus de la diges-
tion et l'eau qui a servi à la respiration. La cir-
culation présente chez ces animaux un phéno-
mène remarquable. Le cœur, en forme de long
vaisseau, est animé de mouvements rapides qui se
propagent sur toute son étendue ; au bout de
quelques instants ces mouvements s'arrêtent et
reprennent en sens inverse, de sorte qu'alternati-
vement les vaisseaux sanguins jouent le rôle de
veines ou d'artères.
Tous ces animaux sont hermaphrodites. Leurs J
larves, toujours libres, passent par des métamor- 1
phoses ; ils ont en général une longue queue qui ;
leur permet de se mouvoir. Outre la reproduction
par larves, certains tuniciers se reproduisent J
encore par bourgeonnement. r
Les Tuniciers peuvent se diviser en deux grands '
groupes, les Ascidies et les Salpes.
Dans le groupe des Ascidies, on rencontre : les
Ascidies simples, vivant isolées, fixées sur les
pierres ou dans le sable, et dont la tunique se
recouvre de corps étrangers;
Les Ascidies agrégées, vivant en colonies for-
mées d individus placés sur des stolons ramifiés;
Les Ascidies composées, formant des colonies
dans lesquelles les différents individus sont con-
fondus dans une enveloppe commune. Ces asci-
dies, de couleurs très vives, se développent sur les
algues et les pierres ;
Enfin les Pyrosomes, dont les individus sont
réunis en colonies libres. Ces colonies ont la forme
d'un long cylindre ouvert à une de ses extrémités.
Ces animaux sont remarquables par leurs brillan-
tes couleurs et leur phosphorescence.
Le groupe des Salpes comprend dos animaux
présentant le phénomène de la génération alter-
nante. C'est du reste chez ces animaux que ce
phénoiuène a été pour la première fois observé.
On les rencontre soit isolés, soit réunis en lon-
gues chaînes flottant à la surface de la mer. Les
Salpes isolées sont asexuées et produisent à leur
intérieur, par bourgeonnement, les Salpes en chaî-
nes; ces dernières, de forme différente, sont
sexuées et donnent naissance aux Salpes isolées.
Ces animaux transparents et phosphorescents
flottent à la surface de la mer et progressent au
moyen des contractions de leur manteau.
D'après cette élude des Mollusques, on peut
voir que tous, à l'exception de quelques genres,
sont marins; que les Lamellibranches presque
seuls ont une utilité immédiate, et encore assez
peu importante, soit comme aliments, soit comme
producteurs de nacre et de perles. Mais au point
de vue géologique, les mollusques, au moins ceux
qui sont pourvus d'une coquille, ont une toute
autre importance. En effet, par leur nombre con-
sidérable, ces mollusques contribuent puissam-
ment à extraire le carbonate de chaux dissous
dans les eanx de la mer, et leurs débris, aujour-
d'hui, comme aux époques géologiques antérieu-
res, jouent un rcMe important dans les modifica-
tions que subit sans cesse l'écorce terrestre.
[J. Poirier.]
MO>'GOLS. — Histoire générale, \X-XM. —
Les Mongols, qui paraissent descendre de la tribu
des Tatares, établie entre l'Altai et le lac Baïkal
et dont le nom a été corrompu au moyen âge en
celui de Tartares, sont les nombreuses tribus
nomades qui habitent le haut plateau appelé
Mongolie (et en Chine : Tao-tsi, Terre des herbes),
compris entre la Chine proprement dite au S.,
la Sibérie au N., la Haute Tarlarie h l'O., la
Mandchourie à l'E., et qui renferme au centre le
vaste désert de Gobi ou Chama et le Kliou-khou-
noor. Ces Mongols, dont le nombre encore in-
connu peut être évalué de ".' à 4 millions, ont donné
leur nom à la race mongolique ou race jaune.
(V. Races humaines.)
Ils se divisent aujourd'hui en Mongols occiden-
taux ou Kalmoucks, qui comprennent plusieurs
peuplades : les Kochots, les Dzoungares, les Dur-
bets, les Torgoouts ; et en Mongols orientaux,
qui comprennent les Khalkhas, les Bouriates, les
Kortchins, les Naimans, les Toumets.
MONGOLS
1339
MONNAIE
L'iiistoii-G de ce peuple est d'abord ir^s obscure,
l'ii 'i\'t avant J.-C, l'empereur cbinois Tsi-Cbi-
lloan;;-'!'!, de la dynastie dos Tbsin , élève la
grande muraille pour arrêter les incursions de ces
peuplades entraînées par les Hiong-nou ou Huns,
(|ui appartiennent comme eux à la famille tartaro-
cbinoise. Puis, pendant près de quinze siècles,
riiistoire ne mentionne plus les Mongols.
Au moyen ftge, les difl'érentes peuplades mon-
goles ont été réunies deux fois sous une même
dcmiiiation. La première fois en 12113, par le cbef
d'une grande tribu, Temoudgin, qui fut surnommé
Tcliingis-Klian ou Gengis-Kan, le « chef des chefs. »
Avec une armée que la terreur Ht croire innombra-
ble et qu'on n'évalue qu'h '20(jOO hommes, il con-
quit, par lui-mftme ou par ses fils, l'empire des
Huns du Kharisnae, la Perse et la moitié de la
liussie d'Europe. Il mourut en r227, au moment
de conquérir la Chine, que subjuguèrent ses suc-
cesseurs. Son empire, l'un des plus vastes qui aient
jamais existé, se divisa en quatre royaumes : le
Kaptchak ou royaume de la Horde d'Or, le royaume
d'Iran, le Djaggathai, et la Mongolie propre avec
la Chine. Les chefs de ces royaumes (khanals) pri-
rent le titre de Khans ; celui de Mongolie fut le
Khan suprême ou Grand-Khan. Ces khanats de-
vaient former les parties intégrantes d'un empire
unique; mais avant la fin du xiii" siècle, la sépara-
tion était complète. En I'iG.3, l'empire de la Horde
d'Or se divisait en cinq khanats : le klianat des
Tarlares Nogais, entre le Don et le Dniester, qui
fut détruit au xviii' siècle ; le khanat de Crimée,
qui fut définitivement réuni à la Russie par le
traité de Constantinople (l'I84) ; le khanat d'As-
trakhan, qui y fut réuni en 1654; le khanat de
Kaptchak, détruit par Ivan III en liSI ; et le kha-
nat de Kliazan, qui fut réuni à la Russie en 15a2.
Le khanat d'Iran fut détruit par un descendant
de Gengis-Khan, Timour-Leng ou Tamerlan, chef
d'une tribu du royaume de Djaggathai, qui, pour
la seconde fois, réunit tou^ les Mongols sous la
même domination. Il s'empara du Djaggathai tout
entier, et prit Samarcand pour capitale; puis il
conquit la Khowaresmie, le Kachgar, le Khoraçan,
la Perse, l'Arménie, et s'empara de Delhi en Inde,
en I3'.)8. Il revint en Syrie, vainquit le sultan
turc Bajazet à Ancyre (1402), et mourut en se
dirigeant vers la Chine. A la mort de Tamerlan,
tous les peuples qu'il avait conquis reprirent leur
indépendance ; la domination mongole ne réussit
à s'affermir que dans l'Inde avec Baber, petit-
flls du conquérant, qui y fonda l'empire appelé
l'empire du Grand-Mongol. Cet empire s'étendit
bientôt sur tout i'Hindoustan et la Perse; quel-
ques provinces restèrent sôus la domination di-
recte de leurs princes (radjahs); les contrées im-
médiatement soumises aux Grands-Mongols se divi-
sèrent en 12 provinces (soubabiesj subdivisées el-
les mêmes en provinces secondaires (nababies). Cet
empire commença à déchoir dans la seconde partie
du règne d'Aureng-Zeb, cinquième successeur de
Baber. En H^S, l'invasion du Persan Nadir-Schah
et le pillage de Delhi inaugurèrent la période de
troubles où cet empire fut attaqué par les Abdalis,
les Mahrattes, les Français et surtout les Anglais,
qui conquirent successivement le Bengale (1769),
Bénarès, la sultanie de Mysore , Seringapatam
(1793), le Sindh (184a), le Pendjab i:I849), le Bé-
rar (18o4), et le royaume dOude (I85G). En Chine,
la domination mo])gole, renversée par la dynastie
nationale des Ming (l:i6«), fut relevée en lt)44 par
la dynastie mandchoue, qui règne encore, et qui
peu à peu soumit la plupart des Mongols; la
Mongolie constitue aujourd'hui une des six par-
ties de l'Empire chinois.
Les différentes peuplades mongoles, divisées
en grandes tribus commandées chacune par un
chef, et on hordes, sont disséminées sur tous les
points de la Mongolie : les Torgoouts, établis dans
le Turkestan, puis au xvu' siècle en Russie, sont
revenus dans la Dzoungarie (1771), que peuplent
les Dzoungares ; les Kochots habitent le Khou-
khou-noor; les Durbets, mêlés autrefois aux Dzoun-
gares et aux Kochots, se sont établis depuis le
xviii" siècle sur les bords du Volga et de U
Kouma, où ils forment les troupes légères de la
Russie pour la défense des frontières; le Turkes-
kan oriental, conquis par les Mongols en 1758, i
été soumis par les empereurs mandchoux, ainsi
que les trois khanats des Klialkhas. Les steppes
des Kirghiz ont été conquises par la Russie ya
1819.
Depuis que le boudhisme leur a été prêcha,
les Mongols sont devenus pacifiques et hospii.a-
liers ; le vol et le pillage sont rares parmi eux.
Les lamas, prêtres et moines boudhistes, exercent
une puissante influence. Les empereurs chinois,
qui ne craignent rien tant qu'une nouvelle coali-
tion de toutes ces tribus, favorisent de tout leur
pouvoir le lamaïsme ; ils fondent des lamaseries
et donnent des revenus aux lamas selon le degré
qu'ils occupent dans la hiérarchie ; ceux-ci, compo-
sés de presque tous les cadets de famille, forment
au moins un tiers de la population. Les empe-
reurs s'assurent encore la soumission des Mon-
gols en donnant en mariage h leurs princes des
princesses chinoises auxquelles ils font une pen-
sion qu'une désobéissance peut leur faire perdre.
(Th. Lindenlaub.]
MO>".NAin. — La monnaie est une certaine mar-
chandise qui, d'un commun accord, est reçue d»ns
une contrée en échange de toutes les autres mir-
cliandises. C'est pourquoi l'on dit qu'elle sert de
dénuminalew cominwi à toutes IfS valeurs. La va-
leur d'une marchandise exprimée en monnaie,
c'est-à-dire à l'aide de ce dénominateur commun,
s'appelle le prix.
Sans la monnaie, les hommes seraient réduits
à un troc grossier : ici un mouton s'échangerait
contre un certain nombre de lapins, contre un fer
de charrue ou une mesure de blé; \h, celui qui
voudrait acheter de la farine ofl'rirait des fruits o»
des légumes. Il n'y aurait pas de terme général
de comparaison des valeurs, parce qu'il n'y aurait
pas de mesure commune ; le commerce serait tou-
jours difficile, souvent impossible et nécessaire-
ment très restreint. Au contraire, lorsqu'on dit: un
mouton vaut 30 francs ; un lapin, 5 francs ; un soc
de charrue, 10 francs ; une mesure de blé, 25 francs,
on a une expression claire de la valeur relative des
choses et l'on se rend aisément compte qu'un
mouton vaut deux mesures de blé ou cinq socs
de charrue, et qu'un lapin n'a que le cinquième
de la valeur d'une mesure de blé.
Si la monnaie n'avait pas elle-même une valeur
réelle, elle ne pourrait pas servir à mesurer des
valeurs. On ne peut comparer que des quantités
de même nature: il faut ujie longueur pour me-
surer les longueurs, un poids pour mesurer lee
poids. La monnaie n'est donc pas seulement une
mesure commune ; elle doit être aussi un équiva-
lent. C'est un principe qu'il importe de ne pas
perdre de vue. Il existe bien des instruments d'é-
change qui ne sont pas des équivalents, comme les
sous ou les billets de banque; mais ceux-ci cona-
tituènt, les premiers une monnaie divisionnaire
qu'on n'est obligé de recevoir qu'en quantité très
limitée et pour la commodité des petits paii'ments,
les seconds une monnaie fiduciaire, c'est-à-dire une
monnaie reposant sur la confiance, et représenta-
tive d'une monnaie réelle.
Dans certains pays, on a employé comme mon-
naie diverses marchandises d'uji usage très général,
telles que le bétail chez les anciens, le tabac en
Virginie, les peaux de martre en Russie. Mais les
métaux précieux, or et argent, présentent ae«
MONNAIE
— 1340 —
MONNAIE
avantages si grands que les peuples civilises les
ont, depuis l'antiquité, adoptés pour la fabrication
delà monnaie. En efl'et, ils ont:
1° Une granité valeur soiisimpetit volume. Le fer
et le blé n'auraient pas cette qualité. Si l'on avait
un paiement de 1000 francs à faire en plomb ou
en charbon de terre, on serait embarrassé pour le
transport, tandis qu'on met très aisément lUOO francs
en or dans sa poche et qu'on porte même sans
peine lOOo francs en argent (s kilogrammes).
2° Une parfaite homogénéité de toutes les parties
et la divisilnhié de ces parties sans altération de
la valeur. Un diamant vaut beaucoup plus que l'or
à poids égal ; mais deux diamants de même poids
ont, suivant leur eau et leur taille, des valeurs très
différentes. Lorsqu'un diamant est cassé en plu-
sieurs morceaux, les morceaux n'ont plus qu'une
valeur totale très inférieure à celle qu'avait le dia-
mant entier. Tout kilogramme de laine n'est pas
l'équivalent d'un autre kilogramme de laine ; il
en est ainsi de la plupart des marchandises. Au
contraire, un kilogramme d'or fin ou d'argent fin,
de quelque mine qu'il provienne, est exactement
semblable à tout autre kilogramme d'or ou d'ar-
gent fin.
3» Vinalti'rabilité. Si l'on payait avec des fruits,
celui qui les aurait reçus et qui ne les aurait pas
consommés ou cédés prompiement. les verrait
pourrir et perdrait bientôt tout son avoir. Si l'on
payait avec du bétail, il faudrait le nourrir et ce
■bétail serait également exposé i périr. Si c'était
avec du fer, il finirait par s'oxyder.
4° La fixité de la valeur. Il n'y a pas de valeur
qui soit entièrement fixe. Toutes les marchandises
subissent à cet égard, suivant l'offre et la demande,
des variations auxquelles les métaux précieux n'é-
chappent pas eux-mêmes entièrement. Mais il y
a une grande différence entre l'offre des métaux
précieux et celle de la plupart des marchandises.
Le blé récolté, par exemple, est en très grande
partie consommé quand vient la récolte suivante;
l'offre consiste donc chaque année dajis la der-
nière récolte, laquelleapuêtre bonne ou mauvaise;
la valeur se trouve ainsi très sensiblement affec-
tée par l'abondance ou la disette. On peut en dire
à peu près autant des autres marchandises que la
consommation détruit ou transforme.
Il n'en est pas de même de l'ur et de l'argent,
dont une petite partie seulement est transformée
ou employée par l'industrie, et dont la majeure
partie circule à l'état de lingots, de pièces de mon-
naie ou même d'objets fabriqués, sans s'altérer.
Aussi l'offre des métaux précieux consiste t-elle
dans presque toute la masse qui s'est accunmlée
durant la suite des temps. Que la production des
mines soit plus ou moins abondante à un moment
■donné, cette offre ne se trouvera que légèrement
modifiée d'une année à l'autre. C'est pourquoi
la valeur des métaux précieux, qui a beaucoup
changé par une action lente et continue dans
le cours dos siècles, est beaucoup plus lixe d'une
année à l'autre que celle du blé ou de la plupart
des marchandises.
Si la valeur du métal avec lequel la monnaie est
faite n'est pas absolument fixe, il importe du
moins que la quantité de métal fin qui constitue
l'unité monétaire soit invariable. C'est un principe
qui est généralement reconnu aujourd'hui. Les
gouvernements le méconnaissaient souvent dans
les siècles passés, où les altérations de monnaies
étaient fréquentes.
Le système monétaire de la France, décrété en
principe par l'Assemblée constituante et par la
■Convention (7 avril no.i), a été organisé par la loi
dit 7 germinal an \I fis mars 180:3). L'unité mo-
nétaire est le franc, pièce pesant 5 grammes d'ar-
gent à90U/louO, et contenant par conséquent is'-jâO
d'argent fin.
Les multiples et sous-multiples d'argent qui se
trouvent aujourd'liui dans la circulation sont: la
pièce de 5 francs, celles de 2 francs, de ."lO cen-
times, de 20 centimes (laquelle a remplacé celle
de 23 cent.).
Les pièces d'or, qui étaient de 40 et 50 francs
dans le principe et qui sont aujourd'hui de 100,
de iO, de 20, de 10, de 5 francs, sont frappées
à raison de I kilogramme d'or fin pour lô kilo-
grammes 1/2 d'argent fin; c'est pourquoi la pièce
de 20 francs pèse (i5%4.')161 à !I00/I000 de fin
(6«',4516l — 08',(i4S161 d'alliage = b«',W(,'ti% de
fin X 1 5,5 = 00 grammes d'argent fin ou 4=',50 X 20).
Les pièces de bronze, refondues en 1852, ont
une valeur nominale de 10 centimes, de 5 centimes,
de 2 centimes et de 1 centime ; mais leur valeur
réelle est be.iucoup moindre, puisque la pièce de
10 centimes ne pèse que 10 grammes et que le
kilogramme de bronze ne vaut pas aujourd'hui
2 francs sur le marché. Aussi sont-elles considé-
rées comme une simple monnaie d'appoint : la loi
limite à. 5 francs la somme qu'un créancier est
tenu d'accepter de son débiteur en monnaie de
bronze.
Depuis 1864, le gouvernement français, voulant
rendre impossible l'exportation des monnaies
divisionnaires d'argent que sollicitait alors le
haut prix de ce métal, a décidé que les pièces de
'.; francs, de 1 franc, de 50 centimes et de 20 cen-
times seraient fabriquées au titre de 8-35/1000 de
fin seulement, au lieu de 9U0/1000. Aussi la circu-
lation de ces pièces, qui n'avaierit plus une valeur
intrinsèque égale à leuT valeur nominale, a-t-elle
été limitée, comme celle des pièces de bronze ;
les particuliers ne sont pas obligés de les accepter
pour une somme supérieure à 50 francs.
Le 23 décembre 1SG5, la France conclut avec
la Belgique, l'Italie et la Suisse une convention
monétaire par laquelle ces Etats adoptèrent le
système français; la quantité de monnaie divi-
sionnaire que chacun eut le droit de fabriquer
fut limitée à 6 francs par tête d'habitant. La
Grèce fait, depuis 1808, partie de cette union, dé-
signée sous le nom d'union monétaire latine. La
baisse de l'argent a obligé les Etats à signer plu-
sieurs conventions spéciales par lesquelles ils ont
limité d'abord (de ls74 à 1818), puis suspendu
(depuis 1878) le monnayage de l'argent.
De 1795 au 31 décembre ls78, les monnaies d'or
et d'argent frappées en France à diverses époques
ont été :
i" Répuhliiius
i" Emphe...
Restaiiratien..
Lûuis-i*hilippe
2" République
2' Empii-c....
3« Riipublique
Dont
de 20 francs ur
■4-27.2
6iS1.9
926.8
887.8
1247.3
1756.9
459.2
626.2
42-1.0
5511.9(2)
;i) OntclédémoDoliscspourTI millions do picccs de 10 cl de
) Irancs petit modelé.
(2) Ont été démonèlis.'S pcMir S2 raillions rie pièces de 0 fr. 23,
le 2 te., de 1 fr., de 0 fr. 50 el de 0 fr. 20.
(Extrait de l'Annunire du Bureau des Longi-
twl-s.)
Nous joignons h ce tableau deux autres tableaux
indiquant d'une manière sommaire le système
monétaire des principaux Etats civilisés.
MONNAIE
1341 —
MONNAIE
États qui ont la môme monnaie que la France ou certaines monnaies frappées daprès
le système français.
ÉTATS.
INITK SIOMCI-AIHE.
IM!SF1IV.\TI0NS.
Kiaiic.
Franc.
Lire
Dr.ichmi''. Loi de" 1867. — Con-
vention de isCK.
Divisée en 100 eentesimi.
La Suisse n*a pas frappé de monnaies d'or,
La drachme se divise eu lOU lepla.
Le ley est divisé en 100 banis.
La Serbie se riîseive le .Ir.iil .l'adopter, quand elle le
l,i:.Il,L-n,. ,, i,,,|,|ir, ,ir|,inOr i i„bre 1868, dcsmou-
n.i.r, ,1 i|,ir, I, sv.f.Hir iiithu,; msis Ics aueieiiues
niou]i:.ie> du ^^bl.■HlL■ de Isù i biilisist-enl et l'on compte
encore en léanx (0 fr. ::ii) ou eu piastres fortes (5 fr. 20).
L'unité monétaire qui est le florin (2 fr. 47) n'est pas con-
forme au système français. La réforme de 1870 a créé,
conformément à ce système, la pièce d'or de 8 floricis
= 20 fr. ; la pièce de 3 llorins = 5 fr.
La ref.irme de 1877 a établi l'étalon d'or; la pièce de
10 marcs pèse 2b', 903226 d'or ûu.
Divisé en 10 decimos.
Divisé en iO dincros ou 100 centi.
Divise en lUO centav.,s.
l" États unis àla France
par la comention mo-
nétaire de déc. 1S65 :
iTiLlK
SUISSB
Ghbcb
'2" États ayant une mon-
naie semblable à celle
de la France :
Dinar (1 fr.) Loi de 1S7S
Peseta (1 fr.) Uécr. de 1868
Florin (-2fr.47j Laide iS.ÏS
Harka ou marc (1 fr.) Loi de
1877.
Peso d'or{D fr.) Loi de 1871.
Venezolano (5 fr.) Loi de 1871.
Piastre (6 fr.) Loi de 1863.
Sol ou soleil (5 fr.) Loi de 1804.
Peso (5 IV.) Lois de 1851 ell871l.
Piastre (5 Ir.) Loi de I8tj3.
l'SPiGNK
il» Élats ayant certaines
monnaies semblables à
celle de la France ;
AUTniCUE-HONGlUE
Finlande
Y
.
Principaux États qui ont un système monétaire différent du système français
(D'après M. Sudre, Annuaire du Bureau des Longitudes, et II, de Walaicc, Almanach du Commerce.)
Ahg
Pays-Bas
Hambourg
AOTBlCHB-HoNCn
Portugal
Emi-ire ottoma>.
VNITE
ftlONÉTAlRB.
Livre sterling (sou-
verain de 20 shil-
lings) Loi de 1S70,
Mark (de iOU pft-n-
fligs).Loide IS71.
Marc banco (niou-
naie de coiiinte du
la banque).
Florin (de lOOkreut-
Piastre (40 paras.
Loi de 18H.
Uouble(IOO kopecks)
(de 100 ores).
Y.\LEL;II au PAIIi
3100
(il existe un autre titrf
plus ancien).
3100
il existe un autre titn
plus ancien).
3157.40 21
3137.40
203.70
310O
(ileiistcd'autr
rilINCIPALES MONNAIES
alant un peu plus
MOflorins); pièce
; lu IL, etc.
: 20 marks; 10
arks (couronne).
)i : ducat (un pc
plus de 8 11 ■ ■
pièce de 8 flurins
(20 fr.).
)r : couronne (10
iniiréis).
>r : bourse (500
piastres).
)r : </., impériale
(5 rouEles)."^
)r : 20 kroners.
(10 shilliogs).
Arg. : couronne (5
shil.); shilling.
Ars. : florin, 25
cents, etc.
Arg. : 20 kreulze
Arg. : Teston (100
ré-.s).
Arg. ; 20 piastres;
piaslr.; l/apiaslr.
Arg. : rouble.
Arg.
30 I
MONOCOTYLÉDONES — 13'i2 — MONOCOTYLÉDONES
DiaiiMAIiK.
NOIIVÈGE .
Même monnaie que
celle de la Suède,
d'après la con
vention de 1872
ratifiée en 1873 et
1874.
SUM. . . .
JiPOîï...
Étits-1 i>
MSXIQUB.
Cuba
PiHiGUÀÏ
Uruguay
RÉPUBLIQtJe ARGEK-
Piaslre (de 40 paras)
Piastre
Roupie. (Règl. di-
1870.)
Thomaa
Taël M 000 chas)
Tical
ïen (100 sen). Loi
de 1S71.
Dollar d'or (100
c.-nis). Lois de
1873 et 1878.
Peso (de 100 cenla-
vos). Loi de 18(i7.
Peso
Piastre forte. (A Bue-
iios-Ayres,ou eomp
te en peso-papel,
valant Ofr. 216.)
Miiréîs. Décr. dt
1870, etc.
VALEl R AU PAIR
doi-. d'argent.
0.6i
i.3S
3.16
5.18
3100
3100
PRINCIPALES MO.NXAIES
Or : SO piastres.
Or : i5 piastres.
Or : molmr (IS rou-
pies).
Or : clioman (100
Arg. : 5 piastre
Arg. : 1 piaslr(
Arg. : 1/4 roupie.
Arg. : abassis (4
chahis). cllahis).
de cuivre et plomb,
lant 0f,0073, est la seule pièce de
xiiiaie. Les lingots et les piastres
rveut à la circulation.
Arg. : Tical.
Arg. : 20 seo.
10 yeu.
aigle (10 dol.)
doll
Or : 10 pesos. .'trg. : 10 ccntavos.
Le dollar des États-Unis, les piastres
d'Espagne et du Mexique servent à la
Arg. ; dollar ; 1/,
dollar; âp ceutst
lac
ulatic
)r ; quadruple (IC
piastres).
)r : once [17 pias-
tres) ; écu d'or (un
peu plus de 4 pias
\rg. : piastre d'ar-
gent.
\rg. : j.iastre, boli-
viau (I/2 piastre).
Arg. : SOO réis.
MOTJOCOTYLÉDOiVES. — Botanique, XXV. —
Etym. : des deux mots grecs monos, seul, et cot'/-
ledon, objet en forme de cuiller. — Les plantes
phanérogames de l'embranchement des Monocoly-
lédones sont caractérisées, ainsi que leur nom
l'indique, par la présence d un seul cotylédon à
leur embryon. Passons brièvement en revue les
caractères généraux de ces plantes.
La graine des monocotylédones comprend tou-
jours deux parties, l'une intérieure, Vamande, l'au-
tre extérieure, le spermodenne ou tégument ^émi-
nnl. L'amande est constituée pur un embryon et
une réserve nutritive ou albumen. D'une manière
générale, l'embryon des plantes monocotylédonées
est très développé dans la graine mûre, même
chez celles de ces plantes que leur vie aquatique
ou épiphyte semble avoir le plus dégradées. Cet
embryon se compose d'une région centrale axile,
Xaxe hi/fiocoti/lè, qui se termine inférieurement
par un filament d'une ténuité extrême. Ce lila-
ment a reçu le nom de suspens'ur, parce que jus-
qu'à une date récente on admettait qu'il avait pour
mission de fixer la jeune plante a la paroi du sac
embryonnaire. Les belli»s recherches de M. ïreiib
sur le rôle du susponscur ont montré que chez les
monocotylédones, cet organe sert le plus souvent
d'organe spécial d'absorption, pour l'embryon qui
[V.. Levasseur.]
en est muni ; chez les rares monocotylédones dont
le suspenseur ne se développe pas, l'absorption
des matières nutritives se fait également bien par
tous les points de la surface de l'embryon. L'axe
hypocotylo présente vers sa région supérieure un
seul appendice généralement très développé : c'est
le cotylédon unique, caractéristique des plantes
monocotylédonées. Ce cotylédon unique est tou-
jours un réservoir de matières nutritives de na-
ture albuminoïde. Parfois ce cotylédon, dont la
forme est des plus variable, présente sur un point
de sa surface une large expansion dorsale que l'on
qualifie de suçoir ou de scilellum, le mot suçoir
désignant le rôle physiologique que cette partie
remplit à la germination, le terme scutellum in-
diquant la ressemblance que cette partie présente
avec un bouclier. Le cotylédon unique de l'em-
bryon des monocotylédonées, grâce à son grand
développement, enveloppe complètement l'extré-
mité supérieure de l'axe hypocotylé ; la fente se-
lon laquelle se touchent les bords du cotylédon
est la fente gemomlaire ; on la voit très facilement
sur des germinations de mais. Au fond de la fente
gemmulaire, on voit le bourgeon gemmulairo ter-
minant supérieurement l'axe hypocotylé. En par-
courant la description qui précède, on remarquera
que l'embryon monocotylédoné ne présente pas
MONOCOTYLÉDONES — 1343 — MONOCOTYLÉDONES
d'indication de racine, bien (|ue par licence de
langage on continue encore à désigner snus le
nom do radicule (petite racine) la région inférieure
de l'axe liypocotylé.
Chez ces végétaux, les racines ne se développent
que très tardivement dans l'épaisseur même de la
région inférieure de l'axe liypocotylé. Pour arriver
au jour, cliaque racine perfore les tissus superfi-
ciels de cette partie de la plante. Il en résulte une
collerette à la base de cliaquo racine; cette colle-
rette a reçu le nom de coléorhize; les racines el-
les-mêmes sont dites endurhhie-.
Sauf clioz les orcliidées *, qui se distinguent des
autres monocotylédoncs par leur mode de vie épi-
pliyte et parfois liumicole, l'embryon se présente
comme il vient d'être dit. Dans les orchidées, au
contraire, l'embryon se présente sous la forme
d'un globule cellulaire sphérique, homogène dans
toutes ses parties. Il est impossible de distinguer
dans ce corps si s.mple les diverses parties que
nous avons nommées précédemment. Dans ces em-
bryons, l'axe liypocotylé, la gemmule et le coiylé-
don ne se forment que pendant la germination.
Autour de rembryoïi, et contre lui, se trouve la
réserve nutritive que nous avons nommée nlhu-
men. Cette réserve nutritive consiste en amidon
chez les graminées ', les cypéracées ; en cellulose,
en matières grasses et en matières albuminoides
chez les palmiers". Lorsque la réserve nutritive est
formée pour ujie large part par de la cellulose,
cette matière peut présenter une très grande du-
reté et donner la substance connue sous le nom
à'ivoiri- véfft'il. Cette matière, sur laquelle nous
aurons occasion de revenir, nous est fournie par
une sorte de palmier, le phytelc-phas, qui croit
aujourd'hui dans les marais du Gange. Dans les
typha, les sparganium, les pandanus ou paquois,
la réserve nutritive de l'albumen consiste surtout
en matières albuminoides cristallisées; ce sont les
cristaltoides. On montre bien ces cristalloldes en
laissant séjourner des lames minces des albumens
de ces plantes, dans une solution aqueuse extrê-
mement étendue de bleu d'aniline ^oluble h l'eau.
Même dans le cas des réserves amylacées, on trouve
toujours dans l'albumen une certaine quantité
d'huile et de matière albuminoide ; tout le monde
connaît le gluten que l'on extrait de la farine du
froment, en enlevant par le lavage l'amidon avec
lequel il est mêlé. Exceptionnellement, comme
dans le cocotier, l'albumen des monocotylédones
demeure pulpeux, semi-fluide ; telle est l'origine
du lait que l'on retire de la noix de coco.
Le spermoderme ou tégument séminal des mo-
nocotylédones est assez simple. Il se réduit à une
pellicule très mince qu'il est impossible de sépa-
rer du péricarpe chez les graminées ; il devient
dur, noir, crustacé chez les liliacées *. Ailleurs la
surface du tégument séminal demeure sèche et
membraneuse, tandis que sa partie profonde de-
vient ligneuse et se charge doxalate de chaux et
de matières fortement colorantes. Parfois la pelli-
cule superficielle de la graine se gélifie sous l'ac-
tion do l'eau et lui fournit ainsi un moyen de fixa-
tion au sol ; c'est un phénomène analogue i ce que
nous voyons se produire k la surface des graines
de lin, de melon, de cresson, de moutarde. Un
petit nombre de spermodermes présentent des ex-
pansions en forme d'aile qui favorisent la disse
mination des graines.
Lors de la germination, une partie seulement de
la plante monocotylédonée sort d'abnrd de l'enve-
loppe de la graine, grâce au grand dévidoppement
que le cotylédon prend à cette époque. Par lal-
longemer)t très considérable de ce cotylédon, l'axe
hypocotylé et la gemmule sont poussés hors du
spermoderme et enfoncés dans le sol à une cer-
taine profondeur. A ce moment seulement on voit
naître les premières racines, dont le riile physio-
logique spécial à, cotte période de la vie de l'être
est de fournir à celui-ci un moyen do fixation.
Tant qu'il reste quelque chose de la réserve nu-
tritive enfermée dans la graine, la partie supé-
rieure du cotylédon y demeure engagée et absorbe
la réserve imtriiive. Quand l'albumen est épuisé,
ou bien le cotylédon se flétrit et meurt, ou bien il
se dégage complètement de son enveloppe sémi-
nale, arrive il la surface du sol et remplit pendant
un temps plus ou moins long le rôle d'une feuille
ordinaire. Un des meilleurs exemples qui se
puisse indiquer pour observer toutes ces phases de
la germination des monocotylédones nous est
fourni par l'oignon.
Les racines des monocotylédones sont toujours
adventives. L'organe que l'on qualifie de pivot
chez quelques palmiers n'est <|ue la région infé-
rieure de l'axe hypocotylé, et c'est à tort que cer-
tains auteurs l'ont assimilé à une racine pivotante
placée dans le prolongement direct de la tige. Les
racines des monocotylédones sont très nombreu-
ses, cylindriques, grêles, très peu l'amifiées, blan-
ches quand elles so."-t enfouies dans le sol, brunes
lorsqu'elles sont superficielks. Ces racines ne
présentent qu'un seul faisceau libéro-ligneux, i
plusieurs centres de développement. Le nombre
des centres de développement de cet unique fais-
ceau peut s'élever jusqu'à soixante et quatre-vingts
dans les racines des palmiers. Le faisceau de la
racine des monocotylédonées ne présente jamais
de zone cambiale, et par suite ne présente pas d'ac-
croissement secondaire; par suite aussi le volume
de ce faisceau demeure toujours fort petit et la
racine elle-même reste grêle. Un renouvellement
rapide et une production toujours abondante de
nouvelles racines supplée au faible développement
de chacun de ces appareils. La surface de la ra-
cine est toujours constituée par une couche su-
béreuse, qui prend un développement exception-
nellement puissant chez les orchidées épiphyies,
comme les vanilles, les dendrobium, etc. Dans
ces plantes spéciales, en dehors de son rôle pro-
tecteur, le liège superficiel des racines aériennes
a pour mission d'emmagasiner de l'air et de l'eau,
puis de retenir ces fluides à proximité de la sur-
face absorbante. Les racines des monocotylé-
dones sont très rarement tubéreuses. On coimaîl
cependant queli|ues exemples de racines transfor-
mées en tubercules chez ces végétaux; telles sont
par exemple celles du ûios'.orea 4atoto.<, connue
vulgairement sous le nom d'Iynanie de Chine ou
de fatale de Chine, et qu'il ne faut pas confondre
avec la patate provetiant de VIpomea ùatat is,une
convolvulacée ; telles sont encore celles de quel-
ques orchidées. On retire d.i ces derniers tuber-
cules une sorte de tapioca connu sous le nom do
salep. Quelques monocotylédones peuvent vivre
sans racines; telles sont par exemple certaines
broméliacées; d'autres n'ont jatnais de racines,
telles sotit le corallorhiza et 1 épipogon. Les mo-
nocotylédones sans racines remplacent ces organes
par de petits poils absorbants qui naissent sur
toute la surface de la tige; ces plantes vivent
d'ailleurs dans des etidroits très humides et très
sombres.
La tige développée des monocotylédones pré-
sente une surface lisse parfois revêtue d'une sorte
de vernis siliceux comme dans les graminées, les
cypéracées. Le revètetnent siliceux des cypéracées
forme à leur surface de très petites épines tran-
chantes ; tout le monde a touché la /evhe, qui
maintient les talus des canaux et des rivières;
chacun sait aussi combien les bateliers de la na-
vigation des canaux se plaignent du préjudice que
leur cause cette plante par la rapidité avec laquelle
elle use et coupe les cordages les plus solides.
Tout le monde connaît encore des exemples de
pâturages ruinés parce que quelques touffes do
MONOCOTYLEDONES
1344 — MONOCOTYLEDONES
leiche s'y sont développées et que les bêtes à
cornes et les chevaux qui veulent manger cette
leiche se coupent la bouclie et la langue. Sauf
dans un très petit nombre de monocotylédones,
la tige de ces végétaux demeure grole et se ■•a-
milie peu. Ce n'est guère que dans les palmiers,
les yuccas, les agaves que la tige des monocoty-
lédones prend un certain développement en
diamètre et en hauteur. Dans le palmier rotang,
dont on retire le jonc à canne, la tige, tout en con-
servant un diamètre très faible, présente une lon-
gueur qui peut atteindre 200 et même 300 mètres.
La tige des monocotylédones présente uu très
grand nombre de faisceaux libéro-ligneus à un seul
centre de développement; tous ces faisceaux sont
plongés au sein d'un parenchyme ou tissu fonda-
mental. La surface de l'organe est constituée par
une lame épidermique. Quelques mots sur chacun
de ces éléments, faisceaux libéro-ligneux, tissu fon-
damental et épidémie, ne seront pas inutiles. Clia-
que faisceau libéro-ligneux comprend une petite
masse de bois primaire, composée de trachées de
vaisseaux rayés et de quelques fibres ligneuses, et
une masse principale de liber composée de cellu-
les grillagées, de fibres primitives et de paren-
chyme libérien. Les cellules grillagées, toujours
très simples, du liber des faisceaux de ces tiges,
ont été désignées par Hugo von Mohl sous le nom
de vaisseaux propres, alors qu'on ignorait leur
véritable nature; ce nom est encore en usage
dans beaucoup de manuels élémentaires. Excep-
tionnellement, le faisceau libéro ligneux peut pré-
senter des laticifèrcs. Eu général dans cliaque fais-
ceau le liber et le bois sont situés sur un même
rayon qui passe par le centre de la tige, le liber
étant plus près de la périphérie de la tige, le bris
au contraire étant plus près du centre de cet or-
gane. Dans sa course à travers la tige, chaque
faisceau part d'un faisceau siiué plus bas que lui-
môme et voisin de la périphérie; de là on le voit
s'avancer peu i peu vers le centre de la tige, dont
il apprO' lie plus ou moins, puis il s'incline de nou-
veau vers la périphérie et se rend dans une feuille ;
toute cette évolution s'est faite, non dans un plan,
mais bien sur une sorte de surface gauche. Aux
différents poims de sa course, un faisceau n'a pas
toujours la même constitution ; il est plus simple à
sa partie inférieure que vers sa région supérieure
ces éléments aux fibres libériennes et les ont
rattachés aux faisceaux libéro-ligneux. Cette
erreur a entraîné certains industriels dans une
fabrication désastreuse, en leur faisant rechercher
dans des végétaux monocotylédones comme l'alfa,
le phormium, le jute, des fibres textiles compara-
bles à celles du chanvre et du lin. Ces dernières,
étant constituées par des libres libériennes, ont
des qualités de longueur, de souplesse, et de
finesse qu'il est ridicule de demander à des fibres
mécaniques. L'épiderme qui revêt la tige aérienne
des monocotylédones est remarquable par sa lon-
gue durée, et la faculté que possède chacune de
ses cellules constituantes de se cloisonner perpen-
diculairement à la surface de la plante pendant
un temps fort long. Vu le faible grossissement des
tiges des monocotylédones en diamètre, ces végé-
taux ne présejiicnt que rarement des phénomènes
de déconication comparables à ceux que nous
observons sur la surface des arbres de nos pays.
Beaucoup de monocotylédones ont des tiges
souterraines dont les bourgeons latéraux ou ter-
minaux viennent à la surface du sol et donnent
les hampes florales. Les tiges souterraines sont
généralement transformées eu rhizomes, c'est-à-
dire que chacun de leur-i entre-nœuds se raccour-
cit, augmente de diamètre dans des proportions
souvent considérables ; les faisceaux de la tige se
pressent les uns contre les autres et ne forment
plus qu'une inasse minime concentrée autour du
centre du rhizome; la région corlicale du tissu
fondamental est alors très développée. La surra;e
des rhizomes est très souvent constitué ■ par une
couche subéreuse. Le rhizome se montre donc
comme un appareil d hibernation comprenant un
réservoir, c'est le rhizome lui-même, et des points
de végétation qui sont les bourgeons latéraux du
rhizome. Ces points de végétation sont destinés à
redonner chaque année ou périodiquement les
parties florales.
Quelques tiges courtes de monocotylédones et
les bourgeons qu'elles portent se transforment en
bulbes par l'épaississement des écailles qui les re-
vêtent. Tout le monde connaît les bulbes de l'oi-
gnon, de la jacinthe, du lis.
Les feuilles des monocotylédones sont simples,
entières, ou déchiquetées en lanières, sessiles, em-
brassantes, à nervures généralement parallèles.
Dans sa course, un faisceau a donné généralement \ Chez quelques asparaginées et chez les dioscorées,
naissance à plusieurs autres faisceaux, il a aussi j la nervation des feuilles est exceptionnellement ré-
touché un certain nombre de faisceaux, ses voi- | ticulée. Dans quelques juncus, les feuilles sont
sins, avec lesquels il s'est parfuis plus ou moins i cylindriques et cannelées. La surface des feuilles
confondu. Cette marche assez compliquée de cha- l des monocotyléd'nes est presque toujours lisse,
que faisceau de la tige, jointe au grand nombre | luisante. La feuille par elle-même est assez cou-
de ces faisceaux, justifie l'idée exprimée dans la : sistante. Les stomates sont disposés en files pa-
plupart des ouvrages botaniques, à savoir que les • rallèles à la longueur des feuilles, sur toute la
faisceaux sont dispersés sans ordre dans la tige surface, ou seulement sur la face inférieure de
des monocotylédones. Rarement le faisceau 11- j ces organes. Chaque stomate forme par lui-même
béro-ligueux de la tige des monocotylédones pré- : un appareil assez compliqué. Dans quelques plan-
sente une zone cambiale. Ce faisceau jie peut donc tes, les stomates sont cachés au fond de canne-
croîire eu épaisseur d'une manière tant soit peu lures plus ou moins profotides; le rôle de ces can-
notable: on dit qu'il est /■«■««. 11 en resuite aussi nelures est d'immobiliser une certaine quantité
que la tige des plantes monocotylédonées ne peut ; d'air dans le voisinage de la surface d'absorption
non plus augmenter beaucoup en diamètre, à moins des gaz. La plupart des feuilles des monocoty-
que, comme dans les dragonniers, il ne se produise lédones ne se détachent pas imiuédiatement de
à la périphérie de la tige une zone spéciale d'épais- I la tige qui les porte, lorsqu'elles cessent d'être
sissement dans laquelle apparaissent de nombreux utiles à la plante. Dans les plantes des régions
faisceaux secondaires. Le tissu fondamental qui \ tropicales où cette disposition est le plus ac-
rattache entre eux les faisceaux libéro-ligneux centuée, la feuille se détruit sur place. La pré-
est formé de cellules polyédriques à parois minces sence de tous ces débris de feuille autour de
gorgées de suc. A cet état, ce lissu est comparable la tige fournit à celle-ci un revêtement très
à la moelle et à l'écorce des plantes dicotylédo- puissant constitué par une sorte de bourre
nées. Dans quelques palmiers le tissu fondamen- . brune, très recharchée aujourd'hui pour la fabri-
tal de la tige se fibréfie et forme ces éléments cation des tissus grossiers en filasse de palmier,
que M. Schwendener a désignés sous le nom de Ce n'est que dans des plantes très avancées en
fibres mécaniques. Quelques botanistes, trompés âge que, par suite de la décortication, la surface
sur la véritable nature de ces fibres n)écaniques, redevient lisse. Les feuilles des monocotylédones
par leur position et par leur aspect, ont assimilé , sont disposées sur la surface de la tige en séries al-
MONOnOTYLEDONES
13'(S —
MONOTRÈMES
ternes représentées par les cycles i • J • ' • iî • jîj .
Rarement le cycle do groupement des CouillKs sur
la tig;e de ces plantes est plus élevé que ,',. Les
feuilles des monocotylédones sont généralemt^nt
iuermes ; toutefois, dans les brnniéliacties, quel-
ques palmiers, les smilax, les d'uilles présentent
des aiguillons tranchants très acérés. Dans le bo-
napartca, chaque aiïuillon porte à son extrémité
une ouverture qui fait communiquer une sorte de
glande avec l'extérieur.
Chaque Ouille de monocotylédone comprend
une double lame d'épiderme renlbrcée intérieure-
ment de fibres mécaniques. Otépiderme recouvre
une masse de tissu pareiichymateux nu tissu fon-
damental dans lequel courent parallèlement les
uns aux autres et parallèlement à la lungueur de
la feuille des faisceaux libéro-ligneux dont la struc-
ture ne diffère pas de celle îles laisceanx de la
tige. La raison en est que les faisceaux foliaires
sont les terminaisons dos faisceaux tigellaires.
Chaque faisceau libéro-ligneux est le plus ordi-
nairement revêtu d'une lame pé ipliérique de fi-
bres mécaniques qui ont pour but non .seulement
de le protéger, mais encore de régulariser les
pressions qui peuvent se faire sentir sur la masse
libérienne du faisceau, lors de la circulation des
gaz dans la feuille.
Dans quelques bulbes, les feuilles réduites à l'é-
tat d'écaillés charnues sont transformées en réser-
voir de nourriture. Dans les rhizomes souterrains,
les feuilles se réduisent à l'état de petites écailles
membraneuses.
La fleur des végétaux monocotylédones, lors-
qu'elle est complète, présente généralement de
dehors en dedans : 1° Deux verticilles alternants
comprenant chacun trois pièces colorées ou non.
Ce double verticille d'enveloppes florales forme le
périanthe; sauf dans les fluviales, il ne fait jamais
défaut; "2° deux verticilles alternant entre eux
et avec les précédents et comprenant chacun trois
étaraines ; 3° deux verticilles alternant entre eux
et avec les verticilles précédents et comprenant
cliacun trois carpelles. En résumé, la fleur com-
prend donc un périanthe. un androcoe et un gy-
nécée. Tous les trois ont six pièces disposées trois
à trois sur deux rangs. De là l'idée de considé-
rer toutes les fleurs des monocotylédones eoinme
formées de verticilles floraux composés chacun de
trois pièces élémentaires. De là la symétrie par
trois, qne l'on regarde comme caractéristique de
ces fleurs. Des adhérences plus ou moins grandes
peuvent réunir plus ou moins les termes de cha-
que verticille, ou encore les termes de verticilles
consécutifs. Les pièces d'un verticille peuvent faire
défaut en tout ou en partie.* Une pièce d'un ver-
ticille peut s'hypertrophier tandis que d'autres
s'atrophient. En combinant convenablement toutes
ces dispositions, on a l'explication des divers types
de fleurs que l'on rencontre chez les diverses fa-
milles de végétaux monocotylédones.
La placentaiion des monocoiylédones est géné-
ralement axile; les orchidées sont u.i des rares
exemples de placentation pariétale chez les végé-
taux de cet embranchement, et quelques aroidées
un des rares exemples de placontatioii basilaire.
Les ovules d-s monocotylédones sont anatropes
et bitégunientés; rarement ces ovules sont or-
thotropes, comme chez les ériocaulonées, les ira-
descantiées, le vallisneria spiralis et quelques
aroidées.
Le pollen des monocotylédones est formé gé-
néralement do petites cellules globuleuses qui
sont dispersées et déposées sur les stigmates des
organes femelles p.ir les insecies Dans les orclii
dées, les cellules du pollen demeurent accolées les
unes aux autres par une nialièrc gommeuse très
adhésive. Ces masses polliniijues ont reçu le nom
?* Parti».
de pollinies; comme le pollen ordinaire, elles sont
apportées sur les stigmates par les insectes, en
particulier parles abeilles. Dans les zostères, mo-
nocotylédones qui vivent dans la mer, le pollen est
constitué par de petites cellules allongées vermi-
formes. Il y a tout lieu de croire, d'après les der-
nières recherches, que ces tubes polliniques dtî la
oslère germent dans l'intérieur même de l'an-
thère où ils se sont formés, et qu'ils perforent la
tissu de l'anthère et celui du pistil pour arriver
jusqu'à l'ovule sans qu'il soit nécessaire pour eui
d'être déposés sur le stigmate.
Au moment de la fécondation, les fleurs des mo-
nocotylédones sont quelquefois le siège d'une élé-
vation de température très considérable. Cette pé-
riode d'excitation s accuse parfois par la produc-
tion de nectars ou de parfums ; les plus connus
de ces parfums sont ceux émis par les aroidées.
L'odeur bien connue de VAnim nwcu/nlum, vul-
gairement nommé gouet ou pied-de-veau, rappelle
celle de la viande corrompue, à ce point que les
mouches viennent visiter les fleurs de l'arum et s'y
laissent emprisonner. ,
Le fruit qui succède à l'ovaire varie beaucoup
d'un groupe (Je monocotylédones à l'autre; ainsi
le fruit est un caryopse chez les graminées, c'est
un achaine chez les cypéracées, c'est une capsule
à déhiscence variée chez les liliacées, les orchi-
dées; c'est une baie charnue à la surface, lorsque
la graine est insuffisamment pourvne d'appareils
dissominateurs, comine cela se voit dans beaucoup
d'asparaginées. Le fruit de quelques monocoty-
lédones peut atteindre un volume et un poids
énorme; tel est le fruit du cocotier et surtout le
fruit du iO'ioicea SecheUamm, qui atteint le poids
de II) kilogrammes. A l'article P" "/îe-s, on trou-
vera tous les détails désirables sur ces fruits et
sur les croyances auxquelles leur singulier mode
de dispersion a donné naissance. Presque tous
cesfruitsmonstrneux sont recouverts, vers l'époque
où ils se détachent des arbres qui les produisent,
d'une sorte de bourre brune très épaisse qui les
protège, amortit le choc au moment de la chute
et les empêche de s'écraser en tombant sur le
sol.
Nous n'insisterons pas ici sur les usages généraux
des monocotylédones ; nous reviendrons sur ce
point en traitant chacune des princifiales familles
en particulier. V. à cet efl-et les articles Palmiers,
d'aminées, Lh-ioï'/ées, Mnswées, Orc/ii lées.
La grande majorité des monocotylédones est
originaire des régions chaudes du globe. Plusieurs
d'entre elles sont aquatiques, submergées ou
nageantes; tels sont les potamogetons, les vallisne-
ries, les lentilles d'eau, les hydrochaùs, les slra-
tiotes. Quelques-unes même habitent la mer. com-
me les zostères, les posidonies.
fC.-E. Bertrand.]
MOÎNOTRÈJIES. — Zoologie, XII. — Tout à
côté des Marsupiaux', mais à un degré encore
moins élevé dans la série zoologique, se placent
\i"i Mo"Otrèu,es, qui si-mblent établir le passage
entre les Matnmifères et les Oiseaux. Comme chez
ces derniers, en effet, l'intestin débouche dans
un vestibule comtnun, dans un chot/ue, au lieu
de s'ouvrir directement au dehors. D'autre part
les dents proprement dites ^ont représentées par
des tubercules cornés, ou font môme complète-
ment défaut, tandis que les lèvres sont garnies
de lames cornées qui acquièrent souvent un très
grand développement et simulent le bec d'un oi-
seau. Enfin, quniim'il n'y ait point de poche pour
log'T les petits immédiatemint après la nais-
sance, il existe cependant eti avant du bassin deux
os semblables ii ceux qui soutiennetit, chrz les
marsupiaux, un repli de la p^au de l'abilomen.
Jns(|U à ces derniers temp.s, on croyait qu il ii'exis-
tait que deux animaux offraot ces
a
cala
MONTESQUIEU
— 1346 —
MONTESQUIEU
d'organisation, VCrmlhorhi/7ique et VFchidné, qui
habitcut l'Australie et la Tasmanie ; mais tout ré-
cemment on a découvert à la Nouvelle-Guinée une
troisième forme, un Ecliidné qui, tout en étant
parent de celui de la Nouvelle-Hollande, diffère
cependant de ce dernier par quelques caractères
anatoniiques.
L'Ornitliorhynquc et l'Echidné d'Australie sont
connus depuis la fin du siècle dernier; ils ont
d'abord été réunis par G. Cuvier à l'ordre des
Edentcs, puis élevés au rang de sous classe par
de Blainville, sous le nom de Monotrèmes, em-
prunté à E. Geoffroy-Sainl-Hilaire. Le premier de
ces mammifères singuliers, VOrmt/iorhi/nqw pa-
radoxal, est ainsi nommé à cause de ses mâchoi-
res prolongées en bec de canard et pourvues seule-
ment d'une paire de grosses dents cornées qui
sont situées à la place occupée ordinairement par
les dents molaires; il a le corps terminé par une
queue élargie et aplatie en dessous, comme celle du
castor, mais velue sur sa face supérieure ; son
corps est revêtu de poiLs courts, et ses pattes se
terminent par cinq doigts pourvus d'ongles ro-
bustes, et réunis entre eus par des membranes
analogues à celles de la patte d'un canard et par-
ticulièrement développées aux membres anté-
rieurs. Cet animal étrange habite la Tasmanie et
l'Auitraiie, et estconnu des colons anglais sous le
nom de Watermole (taupe de rivière). Il se ticni
en effet au bord des rivières, barbotte parmi les
plantes aquatiques, et nage avec l'agilité d'un
poisson; sa nourrittlre consiste en larves d'insec-
tes, en vers et en petits mollusques. Les mâles
ont le talon armé d'un éperon corne, muni d'ujie
fente qui sert à l'écoulement d'un liquide vis-
queux. Ce liquide, sécrété par une glande parti-
culière, logée dans la cuisse, est, contrairement
à ce qu'on avait pensé d'abord, dépourvu de toutes
propriétés venimeuses.
Les Ecbidnés diffèrentdes Ornithorhynques par
leur corps garni de piquants plus forts que ceux
des hérissons, et entremêlés do quelques poils,
par leur tête prolongée en un bec très effilé, qui
porte en avant une bouehe d'une petitesse
extrême, et enfin par leurs pattes disposées non
pour fendre les eaux, mais pour fouir. Le^
mœurs de l'Echidné de la Nouvelle-Guinée sont
encore inconnues, mais tout porte à supposer
qu'elles ne diffèrent pas sensiblement de celles
de l'Echidné du continent australien et de la
Tasmanie. Ce dernier, VEchidné vpineux, vit dans
les endroits sablonneux où il recherche les vers
et les insectes, particulièrement les fourmis et les
termites II les cherche avec le bout de son mu-
seau, qui parait doué d'une grande sensibilité, et
les capture au moyen de sa langue qui est enduite
d'une salive visqueuse et peut être projetée hors
de sa bouche. Au moindre danger, l'Echidné se
met en boule et présente de toutes pans des
piquants acérés. Les mâles portent en outre,
comme les Ornithorhynques, des ergots au talon.
L'Echidné, de même que l'Ornithorhynque, a
l'intelligence extrêmement bornée. Pendant le
jour il reste caché dans un trou et ne se montre
qu'à la chute du jour. Ses mouvements sont
d'une lenteur extrême. A diverses reprises, des
Ecliidnés ont vécu en captivité dans les jardins
zoologiques de l'Europe, et particulièrement dans
la ménagerie du Muséum d histoire naturelle de
Paris. [E. Oustalet.]
MOJiTF.SOl'IKf. — Littérature française. XI\.
— Charles de Secondât, baron de la Brède et de
Montesquiei,), naquit au château de la Brède, non
loin de Boideaux, le 18 janvier itjsO. Son père,
ancienjtofficior (|ui avait de bonne heure quitté le
service, comprit, dès l'enfa'ice, quelles espérances
autorisait l'esprit vif et curirux de son fils, et pa-
rait avoir fait de son instructioji sa principale
sollicitude. Dès l'adolescence, le jeune Secondât
témoigna d'une véritable vocation pour l'étude du
droit ; à peine ses études classiques terminées, il
s'y lança avec toute l'ardeur de ses vingt ans.
Son oncle paternel, qui était président à mortier
au parlement de Bor.ieaux, encourageait ces étu-
des. Le 24 février 1714, au temps où le grand roi
vivait encore, Montesquieu, âgé de vingt-cinq ans,
fut nommé conseiller au parlement de Bordeaux.
Deux années plus tard, en niii, son oncle, qui
n'avait pas de fils et le considérait comme son hé-
ritier, lui légua avec la plus grande partie de ses
biens sa charge de président à mortier. Ainsi Mon-
tesquieu, à peine âge de vingt-sept ans, se trouva
possesseur tout h la fois et d'une fortune consi-
dérable et d'une des plus hautes situations de la
magistrature d'alors.
Ce double avantage n'était pas fait cependant
pour le satisfaire. Nous voyons, à ce moment,
Montesquieu, avec ces curiosités multiples qui
sont comme l'apanage de la jeunesse, tourner de
tous côtés son activité. En même temps qu'il
remplit les devoirs de sa charge et poursuit ses
travaux juridiques, il se sent attiré vers d'autres
études : il se montre l'un des membres les plus
actifs de l'académie de Bordeaux récemment
fondée ; il publie en 1719 le Projet d'une étude
ptiysique de la len-e, où il fait appel au concours
de tous les savants ; il écrit divers opuscules.
Deux ans plus tard, en i;2l, il remet à un édi-
teur étranger le manuscrit des Lettres pn-snnes.
Qui eût pu croire qu'un livre pareil était l'œuvre
d'un grave magistrat, d'un président à mortier d'un
parlement?
Le succès fut prodigieux. Le livre eut coup sur
coup un nombre d'éditions considérable, en un
temps où le public lettré n'était pas h beaucoup
près ce qu'il est aujourd'hui. Montesquieu lui-
même a constaté, non sans une satisfaction bien
excusable, ce succès : « Les éditeurs, a-t-il écrit,
allaient tirant les passants par la manche et leur
disaient: « Monsieur, faites-nous des Lettres ptr-
snnes. » C'était alors le temps de la régence et
l'aurore du xviii' siècle se levait. Après la vieil-
lesse du grand roi, et le règne triste et austère de
M'"" de Maintenon, il semblait que la France op-
primée depuis près de quarante ans fut déli-
vrée d'un poids qui pesait sur sa poitrine. Une
réaction s'accomplissait, violente et excessive
comme toutes les réactions. Le livre de Montesquieu
résumait ce qui était dans la conscience et ie seii-
timent de presque tous. On y trouvait un esprit
frondeur et hardi qui a toujours été comme le génie
propre de la race française, une satire amère du
régime qui venait de disparaître et n'avait laissé
dans l'opinion que des souvenirs détestés, une
foi robuste en la possibilité d'un avenir meil-
leur, que tous partageaient, l'invitation à des ré-
formes libérales que tous souhaitaient et appe-
laient; et, ce qui en France n'a jamais rien gâté,
le livre tout entier était écrit dans une langue
vivo, alerte, précise, piquante et un peu raffinée,
pleine de nerf et de sève, qui donnait au bon
sens même et à la vérité l'allure pi(|Uante du pa-
radoxe. Les Français ont toujours aimé à s'eiilen-
dre dire leurs vérités quand elles sont bien dites :
on trouvait une saveur piquante à entendre un
étranger, un barbare, un Persan — comment peut-
on être Persan' — se moquer si spirituellement
des Français et des Pan siens, et leur faire si galam-
ment la leçon. Faut-il ne rien omettre? L'époque
de la régence était une époque libertine, et le
xviii» siècle tout entier ne guérit jamais bien de
cette maladie. Certaines pages sensuelles et eroti-
ques des Lettres p-rr^O'^es ne nuisirent pas. elles
non plus au suce, s de l'ouvrage : et certaines let-
tres en firent lire à beaucoup pluhicu: s autres que,
sans celles-ci, ils n'auraient peut-être pas lue».
MONTESQUIEU
— 1347 —
MONTESQUIEU
Quand nous relisons aujourd'hui. les Lettres /le r-
sn/ies, instruits par l'œuvre l'ntiore de Montesquieu,
et par les progrès de la science dont il a été en
partie l'auteur , il est permis de penser que
pont-ôtre nous les comprenons mieux que ne le
fircni ceux qui lespreniieis les connurmit. Sons
une forme légère, une pensée profonde et sé-
ricmse s'y manifi;stc : pensée devenue banale de-
puis, mais qui alors était bien faite pour étonner,
pour scandaliser même. La voici : c'est que
tout ce <iue l'homme considère volontiers comme
étant la vérité absolue, b, savoir les idées politi-
ques, religieuses, morales, les institutions, les
mœurs, les opinions, tout cela est en réalité non
pas ;ibsolu, mais relatif; c'est que des conditions
■de vie différentes ont amené des constitutions
diverses de la société, des conceptions diverses de
l'État, de la famille, de la religion, du bien et du
mal, et que ce n'est le plus souvent (|ue par
ignorance que nous condannions tout ce qui s'est
fait ailleurs et que nous admirons sans réserve
tout ce qui se fait chez nous. Tout V Esprit i/cs
lois était, on le voit, déjà en germe dans les
Lettres persiines.
Il ne pouvait suffire à un esprit aussi vigoureux
que celui de IMoTitesquieu de s'être borné à laisser
entrevoir ses pensées sous une forme légère. Ce
qui l'avait tenté d'abord, c'était la satire de tous
les préjugés qu'il voyait acceptés autour de loi
comme d'incontestables vérités, et il avait cédé
h la tentation d'écrire cette satire ; mais en
l'écrivant, à mesure qu'il réfléchissait lui-même
"davantage, il était amené à entrevoir un second
livre derrière le premier, un livre où, renonçant
à toutes les ficùons, il laisserait parler la raison
seule; où il expliquerait ce que sont les sociétés
humaines, comment elles se forment, s'adminis-
trent, se transforment: de quelles forces multiples
elles se composent, quel rôle y jouent les divers
intérêts, par quelles lois elles se fondent, s'ac-
croissent, déclinent et enfin se succèdent. 11 vit là
une œuvre utile et grande, que personne encore
n'avait tentée, qui pourrait être la gloire d'un
liomme en même temps qu'elle serait l'œuvre de
toute une vie. Il ne se sentait pas incapable de
l'entreprendre.
Nous voyons alors Montesquieu prendre un
grand parti. Il n'est pas de spectacle plus inté-
ressant que ces vies dont un homme fait ce qu'il
•veut; avec une sorte de généreux égoisme, il immole
tout à un besoiii impérieux qui l'emporte, renonce
à toutes les autres ambitions, et suit sans hésiter
l'appel du génie intérieur.
En 1726, Montesquieu vend sa charge de prési-
dent à mortier au parlement de. Bordeaux. 11 re-
nonce à la carrière qui eût pu l'élever à de pins
hautes dignités encore. Qu'eût dit l'oncle qui l'a-
vait fait son héritier s'il eut été lémoin de celte
résolutiim? On peut compter qu'il l'eût désavoué
et maudit. On peut compter aussi que ses amis
(le Bordeaux furent sévères pour Montesquieu et
attribuèrent sa décision soit à la paresse, soit à
une coupable inquiéiude d'esprit. Mais Montes-
quieu savait ce qu'il faisait.
Il vient à Paris d'aboid : il passe deux années
dans la grande ville, et. non sans quelques difli-
cultés, il est nommé membre de l'Académie fran-
çaise. 11 est admis dans l'illustre compagnie le '24
janvier 1728. Il est permis de penser qu'il attachait
à ce titre une importance considérable, et nous
allons aussitôt voir pourquoi.
.\vant d'entreprendre le grand ouvi-age qu'il
médjte et pour lequel, depuis plusieurs années
déjà, il accumule les matériaux, Montesquieu veut
voyager. Il veut parcourir l'Europe entière. Il a
beso]]i de visiter les diverses nations pour obser-
ser l.'urs mœurs et leurs iiistituiioiis; il veut les
visiteraussi pour s'eni lettmir partout avec les hom-
mes émincnts formés par une autre éducation que
l'éducation française, rencontrer d'autres idées,
observer des préjugés divers, et ainsi se mieux
guérir lui-même de tous les préjugés que malgré
lui il conserve encore. Son titre d'académicien lui
ouvrira toutes les portes et le fera bien accueillir
partout.
Il a trente-neuf ans. 11 est dans toute la vigueur
de sa raison, et pour voir il a de bons yeux. Les
livres lui ont appris tout ce qui peut être appris
du passé : il lui reste à coniiaîire le présent qui ne
s'apprend bien que par l'observation, et qui lai-
dera à voir le passé avec des clartés nouvelles,
quand demain il revienilra dans son cabinet à ses
études et à ses livres. Bien ne fait mieux com-
prendre Montesquieu que ce besoin de voyager
pour s'instruire à une époque où si peu de Fran-
çais voyageaient. 11 ne sera pas un voyageur
comme l'aimable président de liiosses, pour qui
un tour en Italie n'est qu'une longue partie de
plaisir et qui consacre les loisirs de la route à
raconter gaiement à ses amis ce qu'il a vu. Il
voyage pour lui seul et il voyage pour apprendre.
Ce n'est pas un touriste, c'est un studieux : il
passe indifférent sur les curiosités qu'il rencontre,
il n'écrit guère ; il se borne à observer et à réfléchir,
à prendre des notes pour lui-même. S'il éprouva,
vers la fin de sa vie, la tentation d'écrire le récit
do ses voyages, il ne semble pas qu'il ait exécuté
ce dessein.
Il a quitté Paris en 1728. Il se rend d'abord à
Vienne, alors le grand centre allemand, la capitale
du Saint-Kmpire, et visite également la Hongrie.
De là il descend en Italie ; il séjourne à Venise,
à Rome, à Gênes ; puis, par la Suisse et la vallée
du Rhin, il se rend en Hollande, où il s'arrête.
Tous ces voyag(^s durent une quinzaine de mois.
De Hollande, à l'automne de li2y, il se rend en
Angleterre. L'Angleterre à ce moment avait,
depuis quarante ans environ, fermé l'ère de ses
révolutions politiques. Elle avait définitivement
fondé ce gouvernement constitutionnel et parle-
mentaire que seule au monde alors elle possédait.
Elle y trouvait, malgré les menaces intermitten-
tes des prétendants, et la paix et la prospérité.
Le spectacle d'un peuple libre, se gouvernant
lui-même sous l'autorité d'un roi et en possession
de l'exercice de tous les droits individuels, droits
de la conscience et droits politiques, frappa vive-
ment Montesquieu. 11 se plut à étudier, longue-
ment et par le détail, et le mécanisme de la con-
stitution anglaise et les mœurs d'où ces institu-
tions étaient sorties et qui faisaient leur force. 11
garda toute sa vie une vive admiration pour le
peuple anglais, son culte de la liberté, son res-
pect de la légalité, son amour quasi supersti-
tieux du formalisme et des traditions : on ne s'é-
tonnera pas qu'un magistrat et un légiste ait été
particulièrement frappé de ces vertus. L'Angle-
terre garda dès lors dans son admiration une
place privilégiée. Il n'était pas étonnant non plus
que l'Angleterre ait plus tard fait entre tous les
écrivains français une place à part au philosophe
politique qui lui avait si parfaitement rendu jus-
tice.
Montesquieu s'attarda deux années entières
en Angleterre, accueilli là, comme il l'avait été
partout", avec la plus grande faveur. A la lin de
i7:il, il rentre en l'raiice. 11 a vu tout ce qu'il vou
lait voir : il a fait sur les gouvernements et les
sociétés une ample provision d'observations; ce
qu'il lui faut maintenant, pour mener à bien l'œu-
vre entreprise, c'est le recueillement et le silence.
S'il n'eût été qu'un homme de plaisir, aimant à
jouir do la vie — et il n'était point par naiure in-
différent au plaisir — Paris avait à lui offrir les
pins séduisantes distractions. Son nom et sa répu-
tation lui ouvraient les portes de tous les salon», et
MONTESQUIEU
— 1348 —
MONTESQUIEU
ga fortune lui pcrmoltait de mener la vie du plus
limable seigneur. Mais il avait de plus nobles
ambitions et il sentait qu'il avait à faire de ses
forces un plus noble emploi. A son retour
d'Ano-leierre il s'arrête J( peine à Paris: il reprend
mot tout ce qu'il vaut que de constater qu'après-
bientôt un siècle et demi, et malgré tous les pro-
grès accomplis depuis lors par la science bistori-
<iue, il est demeuré classique. Certains détails
ont pu être corrigés depuis : l'ensemble demeure
le chemin de sa province, il va s'enfermer dans debout; toutes les recberches de
son château de la Brèdo. Pendant de longues an- ajouté que bien peu à ce qu avait devine la perspi-
nées il n'en sortira guère que pour passer çà et cacité de Montes.|Uieu. Il avait du même coup
k quelques semaines à Paris, où il est toujours créé pour ainsi dire un genre nouveau : la pli.loso
fort^ recherché, ou entreprendre dans le midi
quelques rapides voyages. Le reste de son temps,
il le passe dans son cabinet, étudiant l'histoire
et les législations, pnursuivant sur l'antiquité, sur
le moyen âge. sur les temps modernes, ce grand
et persévérant travail dont il attend la gloire.
Il n'aborde pas tout d'abord cependant^ ce
grand ouvrage. Les éludes de droit de sa jeu-
nesse avaient fixé son attention sur le peu-
ple romain, qui a constitué autrefois la science
juridique. Il avait été vivement frappé par le
spectacle de cotte race singulièrement forte, te- ,
nace en ses entreprises, qui à l'origine est seu- j
lement une petite cité du centre de l'Italie, qui
peu à peu. par son énergie, ses vertus, sa patience,
son ambition aussi et sa politique, impose son
joug à toutes les cités voisines, conquiert l'Ita-
lie, puis l'Espagne, l'Afrique, la Gaule, la Grèce
et l'Orient, fait de la Méditerranée un lac romain,
et devient la maîtresse de tout l'univers alors
connu. Puis un autre spectacle ne l'avait pas
moins frappé: Rome conquérante du monde suc-
combant sous sa propre grandeur; l'empire suc-
cédant à la république, comme la république
avait succédé à la royauté : les vices remplaçant les
Tenus; cette puissance prodigieuse qui si lente-
ment avait grandi, déclinant et s'affaiblissant, pé-
rissant sous ses propres fautes après s'être élevée
par ses vertus, retombant enfin au néant d'où elle
était sortie. Son séjour en Angleterre lui avait en
quelque sorte mieux fait comprendre la Rome
antique, dont une aristocratie fermement atta-
chée ^ ses droits et une démocratie vaillamment
résolue à réclamer la liberté avaient fait la gran-
deur, et qui avait marcljé vers la décadence sitôt
que l'équilibre entre ces deux forces, opposées
mais également miles, avait disparu. De la vic-
toire de la démocratie l'empire était sorti par une
loi nécessaire, et avec l'empire la décadence, dans
l'abaissement de tous sous la loi d'un despote.
La conclusion ne déplaisait pas à Montesquieu,
baron lui même, fort peu démocrate et qui ve-
nait de voir par l'étude do l'Angleterre ce que
peut pour la grandeur d'un pays une aristocratie
qui défend ses privilèges avec énergie, mais qui
en même temps a la conscience de ses devoirs
et ne cheicho pas !i s'y dérober.
Il remet à plus tard son grand ouvrage. Il s'ar-
rête à en écrire comme un chapitre détaché.
Reprenant à son tour cette histoire romaine qui
a sollicité Machiavel, Bnssuet, Saint-Evfemond, il
relit tous les historiens, et il s'efforce de lire entre
les lignes de leurs livres. Par delà l'histoire ro-
maine, telle qu'un Rollin l'a écrite avec uoe can-
deur innocente et prête à accepter toutes les
fables, il en entrevoit une autre qui ramène les
légend.s à la réalité, et ne veut prendre conseil
que du bon sens et de la raison : histoire d'où le
peuple romain sort bien plus glorieux et plus vrai-
ment grand que de tous les recils menteurs de
ics propres annalistes, car on y sent bien mieux
i. quel effort de volonté, à quelle politique habile
et résolument poursuivie, il a dû son triomphe,
avant que le.s mèmescauses naturelles qui l'avaient
élevé précipitassent au^si sa chute.
De celte étude paticnti', de cette concentration
de pensée soli aire sort le petit volume intitulé :
Cons d riilicn' -^r / ' yan'lnur et l ■ démit ne- des
Romains, qui parut en 1734. C'est dire en un seul
phie de l'histoire. Combien peu sans doute, parmi
les lecteurs des Lettres persanes, avaient imaginé
que I écrivain qui tenait la plume d'Usbek était un
si profond penseur et capable d'une telle gra-
vité 1
Montesquieu s'était donné à lui-même la preuve
de sa force d'esprit et de sa vigueur d'expression.
Il ne lui restait plus qu'à se consacrer tout entier
à la composition de ce grand ouvrage de synthèse
historique et de philosophie politique qu'il médi-
tait depuis dix années déjà. A en rassembler pa-
tiemment les matériaux, à en ordonner les matiè-
res, à l'écrire, il employa quatorze années. On petit
dire que depuis l'âge d'homme il y mi'ttait déjà
toutes ses pensées. Il semble que, vers 1740, vin
sujet particulier le tente de nouveau, comme l'his-
toire des Romains l'avait tenté déjà. Au cours de
ses études historiques, il avait rencontré la physio-
nomie de Louis XI, et il avait été d'abord séduit
et par l'énergie sombre de l'homme et par la gran-
deur de son œuvre. On a dit que cette histoire
avait été écrite, puis jetée au feu par l'étourderie
d'un secrétaire. Quand on sait le soin avec lequel
Montesquieu conservait, non pas seulement ses
manuscrits, mais jusqu'à ses moindres brouillons
d'écrivain, l'aventure parait très singulière. Ce qui
est vraisemblable, c'est iiu'en effet Montesquieu
songea d'abord à écrire une histoire de Louis XI:
c'est aussi qu'après en avoir écrit un certain nom-
bre de chapitres, que probablement on retrouve-
rait encore dans les papiers dont a hérité sa fa-
mille, il renonça à son projet. 11 sentait que son
grand ouvragi^ était ce qui pressait d'abord, que là
était le monument qu'il importait d'achever.
Enfin l'année l';48 vint et V Esprit des las parut.
Cette date est restée une date littéraire mémora-
ble, môme en ce xviii» siècle où parurent tant d'ou-
vrages qui sont demeurés des événements Insto-
ri(|ues. D'intimes amis auxquels l'auteur avait
communiqué son manuscrit, entre autres Helve-
tius. s'effrayèrent, parait-il, de l'austérité du
livre et prièrent Montesquieu, dans l'intérêt de sa
réputation, de ne pas le publier. Il n'en crtit que
lui même, et il eut raison. Le succès de 1 Espnt
des lois, en effet, fui prodigieux : il n'obtmt pas
moins de vingt et une éditions en moins de deux
années • succès sans précédent et depuis même sans
égal pour un livre de haute raison. Voltaire, qui;
n'aimait qu'à demi Montesquieu et sur lequel Mon-
tesquieu de son côté faisait bien des reserves --
et combien en effet ces deux hommes ne diffe-
raient-ils pas? — a exprimé en un mot toute la
beauté de cet ouvrage : .. L'humanité avait p^'rdu
ses titres: Montesquieu les lui a rendus. »
On peut faire à YEsprit des lots plus d une cri
ique fondée. On a pu signaler ce qu'a de factici
et de faux la théorie générale posée par 1 auteur
nue l'honneur est le ressort des monarchies comnni
la vertu celui des républiques: on a pu montre
le décousu de certaines parties; on a pu surtou
relever dans le style, tantôt une brièveté senten
cieuse qui va jusqu'à l'obscurité, tantôt un cou
de l'antithèse qui va jusqu'à l'affectation et ai
raffinement du bel esprit. Quel écrivain na se
défauts, et Montesquieu a certainement eu le
siens Penseur solitaire, vivant dans 1 étude, 1
lecture <1 la méditation plus que dans la realitC
lia été certainement disposé à abuser de 1 abstra(
tion, et à construire une humanité plus logiqu
MONTESQUIEU - 1340 - MONTESQUIEU
et plus absolue que jamais elle n'a pu se montrer;
écrivain sévère à l'excès pour lui-même, il a ni-
contrstablfment visé plus que de raison ;\ eiifer-
moi' chaque pensée en une forme brève et saisis-
sant!- presque toujours tendue et souvent forcée.
La meilleure langue est k coup sur celle qui se met
le mieux il la portée de l'esprit moyen d'S lec-
teurs et pour 6tre comprise n'exige point d etlort.
VEsfvit des lois- est assurément une lecture la-
borieuse : mais personne ne s'y est un peu apph-
mu- sans être largement payé de sa peine : on a
pu «lire iustpmcnt de Montesquieu ce que lui-mônie
disait de Tacite, qu'il abrogeait tout parce qu il
voyait tout. L'Esprit des lois ne sera jamais un
livre populaire: il ne s'adresse qu'aux e^prns déjà
cultivés, et qu'un peu d'aridité ne rebute pas •
On en eut vainement clierché la trace dans let
livres les plus illustres. .„„, rp.w/
Ce n'est pas cependant encore là tout lt>pnt
,les tms. La France d'alors, lasse d abus sans
nombre dont le poids devenait plus \^»>'-f J''
jour en jour, à mesure que la raison s éveillant
en comprenait mieux l'injusuce, à mesure aussi
que le iliai.gement des mœurs .avait supprimé la
raison d'être de la plupart des privilèges appc ait
de tous ses vœux une réforme : elle l appelait
dans le gouvernement, elle l appelait dans 1 ao
ministration, dans l'ordre judiciaire, dans la ré-
partition des impôts, dans la condition civile, poli-
tique, religieuse des individus : la réforme ayant
refusé de s'accomplir, elle finit par faire une ré-
volution. Le livre de Montesquieu, s il nous parle
;,cu7i liVr^ne fait penser davantage, et il 1 avec développement de l'a'it'q^jité d» rnoy«n
^u, di^lfTla^Icliarge dJ l'auteur, que s'il i.e.t ^^^^ ^:ZZ::^:'i:i^^l^.]l^
adopté la forme rapide et sommaire, toute nerveuse
et concentrée, qu'il a cboisie, nne longue série de
volumes n'et\l pas été de trop pour faire tenir tou-
tes les réflexions et toutes les pensées qu'il a en-
fermées en ce seul ouvrage.
La durable valeur de 1 Esprit des lois est non
pas dans la thèse contestable qui en fait l'apparente
unité et qui est le système du livre ; elle est dans "^■'"j"';' "=■;■;-;;;.', .rMontesquicu est fermement
les observations si précises, et presque toujours , «/piibique de i-K Montesquieu
profondes et fortes, qui le remplissent, sur l anti- j attache à , '"^'~ i,!^^ «.fp^o^, le système féo-
qui.é.sur le moyen âge, sur les constitutions des | ^'f " » '; P^^ ^°" ^^~7.,P° jes capacités dn
div.rs pays. On peut dire que personne, plus .|Ue , dal ; I n a point conhance ""''^ .« l'exemple de
jiontesHuL, nj contribué ^ ^on^e. j.^ou. f^^^^:^^:;::::^^^^::;^^^':^
laire directement la critique de ce qui existe en
France ou de proposer des reformes directes. Le
philosophe n'est pas un pamphlétaire, et il plane
Volontiers au-dessus des lieux et des temps. Ne
demandons pas davantage au baron de IVrontes-
quieu d'être un partisan de la République, et qui
d'ailleurs, en 17 48, pouvait en France prévoir la
philosophique. Tout le mouven.ent moderne des
sciences historiques est sorti de lui pour une part
considérable. Mais l'originalité véritable de l'ou-
vrage est dans ces chapitres qui précisément
étonnèrent et même scandalisèrent le plus les
contemporains : dans ceux où il signale le ca-
ractère relatif de toutes les institutions, des lois,
des mœurs, de la moralité elle-même. Si étrange
veux; mais s'il veut conserver et Ij.'jst""»""
la noblesse et celle de la royauté, s il i^stime que
hors de Util n'est point de s^l"^^<=^4>;e = Pas^é
de la France doit régler son avenir, il f «" ''"^e â
la royauté de renoncer b. son pouvoir ''bsola, aaii-
.ereu\ pour elle-même, oppressif P^-^- ^^^/^J^;!
q;;; p^;;aisïe"i;„œnti.dicUon,,on peut toe^ quau- j -ssi bien^c^ie^de ses^d^iu : U^-^am^^
1 esprit ne fut à la fois plus systématique et paysans et vilains, les gaauiesûe ai e
,ins absolu que celui de Montesquieu. Le pre- viduelle. Il i.e '=™/ PtV,,nt 'société dur
er il a bien montré comment il y avait en l'hu- 1 .ir.tuellement en France une société Qur
manité comme plu-ieurs humanités différentes
I de fonder
niier il a-b^e,; montré comment il.y.avait^en Thu- ] J^^«- ^isl^^iil^'X dë^ S^ »X;
idéal, il l'a vu en Angleterre
neincnt et là une autre, amené à considérer ment, la monarchie, l aristocraue "' "•"
comme le devoir la pratique de telles ou telles et rend le progrès P°\l'^^''- ^J^^J^''^^^^\^,c^n
vertus, parfois même de tels ou tels vices : aussi sécurité, sans aucune de.f^' ^ec'J'isses ou auc
c'est presque toujours pour ne pas connaître suf- de ces redoutables enfa.'^eme. ts ou peut
fisarament les conditions d'existence des époques bret; la fortune, la ^'P, '"f'i^'l^^, '"""iou que
ou des contrées qui diffèrent de la nôtre, que nous C'est cette partie du livre de Montesquu u q _
plus gl'i
esprits d'alors, et particulièrement le magnilique
Essai sur les mœurs de Voltaire lui-même, pour
voir combien il était difficile à un Français d'alors
de comprendre uu d'expliquer ce qui choquait sa
raison, et de quel service la science moderne est
redevable à Montesquieu.
Ln autre mérite original de l'Esprit des lois,
c'est d'avoir bien marqué, dans la vie des na-
tions, l'impoi tance du rôle de la richesse, les ef-
fets du commerce, la place des échanges. C'est
l'avènement de l'économie politique dans l'his-
toire, dont elle est nn facteur si considérable. Les
historiens jusqu'alors s'en étaient à peine doutés. |
vait'être amené pour eux sans compromettre
l'équilibre d'une société.vieille déjà fe^ P --""
sièiles. Les hommes qui, comme Malesherbes et
Turgot, essayèrent de réconcilier la wy^^te „?','*
nation en extirpant les abus, furent des disciple»
véritables de Montesquieu. ,. „ ,„ ^,,.„,p^.
Quinze ans environ après le livre de Montes-
quieu, un autre livre de philosophie sociale paru .
le Contrat social de Rousseau. Fils d une petite
république, Rousseau fondait toute rorganisatioa
politiciue sur la souveraineté populaire, et i»
souveraineté populaire directement exercée L,e
livre de Montesquieu devait conduire a la ro-
MONTESQUIEU
— 1350 —
MOHALE
forme politique : celui de Rousseau à la révolu-
tion. A partir de ce jour, la lutte fut entre les
deux écoles. On l'a dit bien souvent : {'Esprit da
lois fut l'évangile de la Constituante, le Contrat
social fut celui delà Convention. La Constituante
proclama les droits individuels et établit la
royauté constitutionnelle. On sait comment et
pour quelles causes multiples la réforme de
l'Assemblée constituante échoua. 11 ne resta plus
qu'à faire la révolution. Sur la ruine de la mo-
narchie constitutionnelle s'éleva avec la Républi-
que la souveraineté populaire.
Nous sortirions du cadre de cette étude en recher-
chant si ce fut un bien ou un mal que la réforme
rêvée par Montesquieu n'ait pu s'accomplir. Aussi
bien les philosophes proposent dans leur cabinet
et les événements disposent. 11 est souvent hasar-
deux, et plus souvent inutile, de rechercher si ce
qui s'est accompli eût pu ne pas s'accomplir ou
s'accomplir autrement. Il est temps de revenir à
Montesquieu lui-même, et il nous reste peu de
choses à dire.
Il avait achevé l'oeuvre de sa vie et mené à bien
la tâche entreprise. Il était comme épuisé luimêmo
de ce prodigieux effort de vingt longues années. A
partir de li'iS, il ne prend plus que rarement la
plume ; en n.SO, pour écrire une courte Défense rie
l'Esprit dis lois, contre certaines critiques vio-
lentes; en 1751, pour envoyer le fragment de Ly-
simugiic à l'académie de Nancy qui l'avait appelé
dans ses rangs; en 17,S4, semble" t-il, pour composer
le roman d'Arsnn et hménie, publié en HS-i seule-
ment par son fils, et où se irahit une imagination
affaiblie. Il songeait à écrire une relation de ses
voyages; sa vue, qui n'avait jamais été bien forte,
baissait ; il était devenu presque complètement
aveugle. 11 partageait désormais son temps entre
Paris, où il était fort recherché et comptait de
fidèles amitiés, et son cliàteau de la Brède. Ce fut
à Paris que la mort vint le prendre le 10 février
n.S5. Une fièvre inflammatoire, qui lui laissa jus-
qu'à la dernière heure la lucidité de l'intelli-
gence, l'enleva en quelques jours. Il avait un peu
plus de soixante-six ans.
La vie d'un homme comme Montesquieu est tout
entière dans ses livre*. Il avait vécu pour étu-
dier, penser, réflécliir. Il avait pris la meilleure
part d'actinn, celle qui est durable. L'humanité
cependant aime les petits détails sur les grands
hommes, et désire connailre la personne et le
caractère de ceux qu'elle admire. Ajoutons donc
ici quelques-uns de ces traits. Montesquieu, dans
sa jeunesse, avait aimé le plaisir. Au fond l'étude
fut sa seule passion : o Je n'ai jamais eu, disait-
il lui-même, de chagrin qu'une demi-heure de
lecture n'ait dissipé. » Il n'était pas indifférent à
l'argent ; on l'a accusé d'avoir été un voisin proces-
sif et un seigneur qui n'entendait pas qu'on tou-
chât à ses droits. Mais ce qu'il faut ajouter,
c'est que, rigide sur le chapitre de ses driùts, il
était aussi un seigneur sans morgue et charitable.
On a cité souvent, entre beaucoup d'autres, un
trait de sa bii^nfaisance. Un jour, à Marseille, ayant
pris une barque pour se promener dans le port, il
remarque que les mains de sou batelier sont bien
blanches pour le métier qu'il exerce. Il l'inter-
roge, il apprend qu'il est ouvrier joaillier de son
état, fils d'un négociant de Marseille que les cor-
saires ont pris et emmené à Alger. Joaillier la
semaine, le dimanclie le fils se fait batelier pour
soutenir la famille et amasser s'il se peut la ran-
çon du père. De retour sur le quai, Montesquieu
jette sa bourse au jeune homme et se dérobe. Quel-
que temps après la famille marseillaise est surpri-
se de voir revenir le pore et apprend que sa rançon
a été payée. Montesquieu, plus tard, revenant à
Marseille, est reconnu par le jeune homme, qui se
précipite vers lui, ne doutant pas qu'il soit leur
bienfaiteur inconnu : Montesquieu le repousse,
disant qu'il ne sait de quoi on lui parle. Ce fut
seulement à la mort de .Montesquieu que l'on
trouva sur ses livres l'envoi d'une somme de sept
mille livres à un banquier anglais de Cadix, et que
l'on sut par celui-ci que la somme avait servi à
payer la rançon du négociant marseillais Robert,
il ne suffit pas sans doute d'avoir l'âme généreuse
pour écrire Y Espi it f/e. lois ; mais on est toujours
heureux d'apprendre qu'un giand homme a été,
liumain, et que le cœur s'est trouvé chez lui à la
hauteur de l'intelligence. [Charles Bigot.]
MOR.\LH. — Psychologie et Morale, XIX. —
On peut définir la morale, la science des principes
ou du principe par lequel doit se diriger la vo-
lonté de l'homme.
.^'ous disons que la morale est une science. Il
y a des faits appelés ntoraux dont l'existence et
les caractères sont universellement reconnus.
Certaines actions sont jugées moralement bonnes,
d'autres moralement mauvaises ; auteurs ou té-
moins, soit des unes, soit des autres, nous éprou-
vons des sentiments divers; nous admettons que
l'homme a des devoirs à remplir, qu'il mérite
d'être récompensé s'il les accomplit, puni s'il les
viole. Autant de faits que la science des mœurs
ou morale constate, explique, et se propose de
ramènera l'unité d'un système.
Nous disons de plus que la morale est la science
des principes ou du priitcipe par lequel doit se
diriger la volonté de l'homme. En effet, toute règle
de conduite est un principe d'action qui s'appli-
que à un grand nombre de cas particuliers.
C'est un principe, par exemple, qu'il faut être
fidèle à sa parole, c'en est un autre qu'il faut
pardonner les injures, etc Autant de devoirs,
autant de principes. Mais ces principes, dans leur
multiplicité presque indéfinie, doivent pouvoir se
subordoinier les uns aux autres, et se rattacher à
un principe suprême, dont ils ne sont que les
conséquences et comme les déductions néces-
saires.
La science de la morale a pour objet de déter-
miner cette hiérarchie de principes et de formu-
ler celui duquel tous empruntent leur valeur et
leur autorité.
Ces principes, ou ce principe, disons-nous
encore, doivent diriger la volonté de l'homme.
Le caractère essentiel de la volonté, c'est la li-
berté.
La conciliation du libre arbitre humain, soit
avec le déterminisme des phénomènes de la natu-
re, soit avec la prescience et la providence divines,
peut présenter au métaphysicien des diflicultés-
presque insolubles ; mais pour le p.sychologue et
le moraliste, la liberté est un fait que le senti-
ment iiitérieur atteste avec une irrrésistible clar-
té. Nous sentons que nous sommes libres, c'est à-
dire que nous pouvons choisir entre tel ou tel
motif d'action, vouloir ou ne pas vouloir, et cela
suffit pour établir notre responsabilité.
Si la liberté est proprement la possibilité de
choisir entre deux ou plusieurs motifs, il faut,
pour que la liberté se détermine, qu'il y ait une
raison de ce choix. Tous les motifs ne sauraient
donc avoir une valeur égale. Or, les motifs se
ramènent facilement à trois, qui sont le plaisir,
l'intérêt, le devoir, ou, en d'autres termes, l'a-
gréable, l'utile, l'honnête.
On agit en vue du plaisir, quand on ne se 'pro-
pose qu'une satisfaction immédiate de la sensi-
bilité, quelles qu'en doivent être d'ailleurs les
conséquences. Le motif du plaisir n'implique
qu'un faible degré de réflexion : il est à pevi près
puiement in'-linctif, et reçoit ordinairement le
nom de mobile.
On ag t par intérêt, quand on recherche, non
un plaisir immédiat, passager, et que suivra peut-
MORALE
— 1331 —
MORALE
être une (imilciii- intonsn et ilurablo, mais hi
somme la plus grande possible de satist'aclioii, ac-
compagnée de la moindre quantité possible de
peine. On voit ainsi nue celui qui Sii détermine
par intérêt est nécessairement un calculateur. Il
réfléchit sur les conséquences plus ou moins
probables, plus ou moins lointaines de ses actes;
il embrassi', par la réflexion, une période plus ou
moins longue de l'avenir. Ce n'est plus ici la spon-
tanéité du mobile instinctif : c'est l'intelligence
en pleine possession d'elle-même, modérant les
impulsions d'une sensibilité aveugle, mais ten-
dant en réalité, et par une voie plus sûre,' au
môme but que celle-ci, savoir, le plaisir ou tout au
moins l'absence de douleur.
Tout autre est le motif du devoir, ou motif
moral. Il se manifeste dans la conscience par
opposition avec les deux précédents. Régulus
s'est engagé h reprendre ses cbaines s'il échoue
dans la mission que lui a confiée le sénat de Car-
thage ; il sait (|uels supplices l'attendent : épou-
vantée par l'aspect de la douleur, sa sensibilité
lui crie de violer sa parole. Sa femme, ses en-
fants, ses amis, sa patrie même qui peut avoir
besoin encore d'un général longtemps victorieux,
unissent leurs prières : ne semble-t-il pas que
l'intérêt (tel au moins que l'entend un vulgaire
égoïsme) soit ici d'accord avec la sensibilité ?
Mais non ; il a juré, et le devoir commande de ne
pas manquer à son serment. Sur un théâtre
plus humble, dans des circonstances moins tra-
giques, s'impose à chacun de nous, et plus d'une
fois pendant le cours de sa vie, le même choix
qu'à Régulus.
Les motifs du plaisir et de l'intérêt sont égoïs-
tes, car ils n'ont en vue que la satisfaction de
l'individu. Le motif du devoir est désintéressé,
car il commande surtout le sacrifice du bonheur,
de la vie même; seul encore, le motif moral est
(ibligatniie. Il faut entendre par IJi qu'il s'impose
à la liberté sans la contraindre. 11 apparaît comme
un ordre, absolu, inconditionnel; il est, pour
parler le langage de Kant, un impératif catégori-
que. Il ne dit pas : fais ceci, pourvu que tu y
trouves ton plaisir ou ton intérêi ; mais : fais ceci,
dusses-tuen souffrir, dusses-tu en mourir. Le noble
adage : fais ce que dois, advienne que pourra,
exprime d'une manière populaire et saisissante
ce que Kant traduit par les deux mots d'impératif
catégorique.
Le motif moral, qui ne saurait venir, ni de la
sensibilité, ni de la réflexion appliquée aux
moyens d'acquérir la plus grande somme possible
de jouissances avec la moindre somme de peines, ne
peut avoir sa source que dans la faculté de concevoir i
l'absolu, l'inconditionnel : c'est la raison. Le mo-
tif moral, puisqu'il commaii'de, est. une loi; et j
cette loi a son fondement dan.s la raison. Disons ;
mieux, elle est la raison môme en tant qu'elle
éclaire et dirige la volonté, ou, comme dit Kant,
la raison pratique.
Ainsi, d'une part, la liberté, capable de choisir
entre plusieurs motifs, d'autre part, la loi de cette
liberté appelée raison pratique ou loi morale,
telles sont les deux conditions essentielles de
la science des mœurs. Les êtres raisonnables et
libres sont seuls susceptibles de moralité. Les
partisans de la doctrine évolulionniste n'ont pas
réussi à prouver que les animaux inférieurs à
l'homme soient, même au plus faible degré, des
êtres moraux ; il faudrait pour cela qu'ils eussent
établi que l'animal est raisonnable et libre, et
cette démonstration, ils ne l'ont pas fournie.
Par suite encore, toutes les causes qui altèrent
ou détruisent dans l'homme la liberté et la raison,
détruisent on diminuent sa responsabilité. Toiles
sont la folie, l'idiotie, certaines maladies nerveu-
ses, la sénilité extrême, etc.; l'enfant non plus n'est
pas responsable, avant un certain âgi\ Il sembler
que la passion, l'ivresse devraient abolir de môme
la responsabilité ; mais elle subsiste, bien qu'a-
moindrie peut-ôtre, car il dépendait do la volonté
de ne pas laisser prendre soit à la passion, soit à
des habitudes funestes, une force qu'elle devient
h la longue à peu près impuissante à combattre.
Mous avons dit précédemment que la loi morale
est absolue et obligatoire. On lui attribue ordi-
nairement un troisième caractère, celui de l'uni-
versalité. Si la raison révèle à tous les esprits les
mêmes vérités nécessaires, la loi morale, on raison
pratique, ne doit-elle pas imposer les mêmes or-
dres il toutes los volontés'/ Pourtant il est difficile
de contester que d'un peuple à l'autre, d'une épo-
que à une autre époque, ne se manifestent des
divergences profondes dans les jugements moraux.
Le sauvage commet sans scrupule des actes i|ui
pour nous sont abominables : où donc retrouver
dans l'histoire cette unité niorale de l'espèce
liiimaine dont parlent certains philosophes 'I
« Trois degrés d'élévation du pôle, dit Pascal,
changent toute la jurisprudence... Plaisante jus-
tice qu'une rivière borne : Vérité en deçà des
Pyrénées, erreur au delà! >-
Sans discuter à fond cette objection, ce qui
nous entraînerait trop loin, contentons-nous d'ob-
server que si la raison est le privilège de l'huma-
nité, elle est loin d'être également développée
chez tous les hommes. De même en est-il do la
conception d'une loi morale. Les difficultés de
l'existence matérielle, l'obligation d'une lutte de
tous les instants contre une nature ennemie,
l'ignorance, la superstition peuvent maintenir in-
définiment à l'état embryonnaire les facultés su-
périeures de l'âme. Pourtant, môme chez les
peuplades les plus dégradées se retrouve la cons-
cience morale, avec ses traits essentiels. " En fait,
dit M. Henri Joly, la générosité, la clémence, la
véracité, la foi dans la parole donnée, voilà des
venus dont on trouve des exemples nombreux
dans les populations les plus grossières. » Les
témoignages les plus récents et les plus authenti-
ques des voyageurs sont unanimes sur ce point.
Avec la civilisation, la notion du bien et du mal
croît en précision, en clarté, en délicatesse " Le
pillage et le brigandage, autrefois privilèges des
héros, sont devenus le refuge des malfaiteurs; et
en même temps la propriétc' est devenue plus
accessible à tous et de mieux en mieux garantie.
L esclavage sous toutes ses formes, ainsi que les
cruautés exercées sur la conscience au nom de la
foi. ne sont déjà plus que des souv'-nirs... Le
pillage, le massacre des vaincus, la réduction dos
prisonniers en esclavage, les armes empoisonnées,
les courses, ont été de plus en plus flétries et
condamnées, comme le droit d'épaves et le droit
d'aubaine et autres restes de l'état barbare. »
(P. Janet, cité par M. H Joly.) S'il n'est pas rigou-
reusement exact de diie avec Socrate et Platoii
que nul ne péclie que par ignorance, il reste vrai
néanmoins que l'homme est d'autant plus porté à
faire le bien qu'il le connaît mieux et qu'en géné-
ral le progrès do la moralité est proportionnel à
celui des lumières, liisiruiri!, c'est moraliser.
Nous avons déterminé l'existence et les carac-
tères de la loi morale; il nous reste à en recher-
cher l'essence et la formule. Dire qu'elle est
l'obligation de faire le bien et d'éviter le mal, ce
n'est pas assez, car on demandera ce que c'est
précisément que le bien et le mal Une sorte
d'instinct, qu'on appelle sens moral, nous révèle
sans doute, avec une clarté ordinairement suf-
fisante pour la pratique, quelles actions sont
bonnes, quelles autres mauvaises; mais la science
exige qu'on rende compte de ces révélations
mêmes, qu'on les ramène à leur principe.
Plusieurs systèmes ont été proposés. Pour les
MORALE
— 135-2
MORALE
uns, la loi morale a son fondoment dans la vo-
lonté divine. Sa (ormule serait ainsi : obéis aux
commandements du ^ouverain législateur. Ces
commandements, lileu les aurait gravés lui-même
dans la conscience humaine, ou exprimés direc-
tement à certains élus, chargés par lui de les
transmettre et rie les interpréter au reste du genre
humain, lîne telle doctrine est au moins dénuée
de preuves philosophiques. La volonté de Dieu
nous est impénétrable. Nous affirmons qu'il ne
peut rien vouloir de contraire à la loi moiale,
mais parce que nous connaissons cette loi immé-
diatement et par elle-même, et qu'il est contra-
dicioire avec l'idée d'un être pariait qu'il puisse
vouloir le mal. Loin d'être le principe de la loi
mor.ile. la volonté divine ne saurait en être que
l'expression. D'autres, ce sont les utilitaires, ont
prétendu ramener la loi morale soit i l'intérêt
pariiculier, soit à l'inté et général. Mais l'intérêt,
si bien enti-ndu qu'on le suppose, n'est point
obligatoire; et c'est par là, nous l'avons vu, (|U0
l'utile se distingue de l'honnête. Sans doute, en
un sens très élevé, l'intérêt suprême pour l'indi-
vidu c'est de faire son devoir, et Cicéron a montré
admirablement l'ideniité fondamentale de Ihon-
ncte et do l'utile: mais cette sorte d intérêt qui
peut exiger jusqu'au sacrifice de tout bonheur
terrestre n'est pas celle qu'eniendent les parti-
sans de système égoïste (Epicure, Hobbes, Hel-
vétiusl.
Quant à l'intérêt général, ou. selon la formule
de Bentham. le plus grand bonheur possible du
plus grand nombre possible, il ne peut avoir é\i-
demment d'autres caractères que ceux des inté-
rêts pariicnliers dont il est la résultante et la
synthèse. Outre qu'il est très difficile à détermi-
ner, il lui manque, à lui aussi, d'être obligatoire
en soi. Que si parfois nous sommes moralement
tetius de subordonner notre utilité individuelle à
celle du plus grand nombre, c'est en vertu d'un
principe supérieur à l'ulilité, fùtrce celle de tout
le seiire humain. Fonder la morale sur l'intérêt
jinblic, c'est justifier, c'est glorifier tous les crimes
i|U enregistre l'Iiistoiie au nom de la raison- d'Etat.
11 est bien vrai qu'en fait le plus grand bonheur
du plus grand nombre possible ne saurait être
mieux assuré que par la pratique universelle de la
loi luorale: mais il s'n£;it ici de principes, et théori-
quement, ils restent profondément distincts. (Les
représentants les plus éminents du système de
l'intérêt général sont, depuis Bentham, Stuart
Mill, Bain, H. Spencer, Darwin. 1
Selon nous, lessence véritable de la loi morale,
c'est une conception idéale nue nous nous formons
nécessairement de l'humanité, h l'occasion et à
pro|)os de no're propre conduite ou de celle des
autres. Sommes-nous témoins des eiuportements
de la colère, de la vengeance? nous concevons le
type d'un homme maître ae lui-même, capable de
pardonner l'injure: aux excès d'une basse sensua-
lité, nous opposons le modèle de la sobriété et de
la t' m|)erance, à la lâcheté, le courage, à la dureté
d'un cœur que ne peuvent émouvoir les sonfl'ran-
ces d'auirui, la bienveillance, la philantlimpie, la
charité. C'est d'après cet homme idéal que nous
nous jugeons nous-mêmes et que nous jugeons
nos semblables. A toutes les époques, à tous les
degrés de civilisation, l'humanité s'ett ainsi re-
présentée une image plus parfaite d'elle-même,
et il y a progros dans ces conceptions successives
de l'idéal moral. Mais toujours et partout s'im|iose
à elle l'obligation d'y tendre de plus en plus. C'est
li proprement la loi morale, que l'on pourrait for-
muler ainsi : eflorce-toi de réaliser par ta conduite
le type de l'humanité que tu portes en toimêiue ;
ou plus simplement encore : efforce-toi d'être
homme.
Les stoïciens n'entendaient pas autre chose par
leur maxime célèbre : il faut vivre conformément
à la nature. Ce qui constitue la nature d'un être,
c'est ce qui l'achève, le rend parfait : la vraie nature
de l'homme n'est donc pas la sensibilité intérieure,
qui lui est commune avec les animaux, mais la
rai^on et la liberté. Vivre conformément ii la nature
que conçoit l'idéal du sage, vivre confoi raétnent au
bien, à la perfection, autant de formules identi-
([ues de la loi morale.
Le devoir consiste il obéir en tout et partout k
cette loi. Le droit n'est en moi qui' l'obligation
pour autrui de respecter ma liberté dans ses ma-
nifestations légitimes. Le respect du droit d'autrui
s'appelle la justice. Quand, non cotitent de ne pas
nuire à mon semblable, je fais en sorte d'écarter
tous les obstacles qui s'opposent au plein déve-
loppement de sa liberté, souffrance, misère, igno-
rance, etc., que je travaille selon mes forces à son
bonheur, je dopasse la justice ; j'atteins la charité.
Nous avons dit qui^ ta pratique du devoir exige
souvent des sacrifices pénibles pour la sensibilité.
Néanmoins il est contradictoire aux yeux de la
raison que le malheur soit la conséquence de la
vertu. Nous affirmons invinciblement que quicon-
que fait le bien doit tôt ou tard en être récompensé,
pourvu que l'espoir de celte récompense n'ait pas
été le motif principal et déterminant de sa con-
duite. On appelle méri-e ce droit au bonheur ac-
quis par un être à qui rien n'a coûté pour accom-
plir la loi morale. Le démérite est ce qu'on pourrait
appeler le droit à la punition pour celui qui l'a
violée.
Les sanctions d'une loi sont les peines et les
récompenses attachées à la pratique ou à la viola-
tion de cette loi. La loi morale a différentes sortes
de sanctions.
La vertu, c'est-à-dire la pratique constante et
habituelle du devoir, est accompagnée d'une satis-
faction profonde, d une sérénité d'âme inaltérable.
Le coupable, au contraire, est, selon la gravité de
la faute, mécontent de soi ou déchiré de remords.
La santé ou la maladie, conséquences ordinaires
de la vertu ou du vice, l'estime ou le mépris de
nos semblables, les châliiuents prononcés par les
tribunaux humains, autant de sanctions plus ou
moins efficaces. Mais toutes sont insuffisantes,
car l'intensité du remords est presque toujours en
proportion inverse de la perversité du criminel;
une constitution vigoureuse peut résister à toutes
les débauches, l'estime et le mépris peuvent s'é-
garer sur de fausses apparences; enfin la justice
dos hommes, toujours faillible, ne recherche et
ne punit que les actes qui compromettent l'ordre
et la sécurité sociale. De là, aux yeux des plus
grands moralistes, tels que Platon et Kant, la
nécessité d'une sanction définitive dans une vie
ultérieure ; c'est le fondement le plus solide de la
croyance à l'immortalité de la personne humaine.
Nous n'insisterons pas sur cette partie de la
morale qu'on appelle morale particulière, et qui
n'est que l'exposition méthodique des principaux
devoirs qui s'imposent à Ihonime. Contentons-
nous de mppeler les grandes divisions générale-
ment adoptées : Morale inilividui-Ue, nu devtiirs de
l'homme envers lui-même (devoirs envers son
corps : fortifier, développer le corps pour en faire
un serviteur docile de l'intelligence et de la vo-
lonté, interdiction du suicide; devoirs envers son
àme : cultiver les diverses facultés conformément
à la loi du bien) ; — Morale domestique, ou devoirs
de l'individu dans la famille: — Morale sociale ou
devoirs de l'homme envers l'Etat, envers l'huma-
nité (justice et charitéi; — Morale religieuse, ou
I devoirs de l'homme envers Dieu. On admet quel-
' quefois, sous le nom de morale réell", une classe
I spéciale de devoirs envers les choses et envers les
I animaux. On peut douter néanmoins que cette di-
1 vision soit parfaitement justifiée: les devoirs de
MOUSSES
1353
MOUSSES
l'iinmiiii' oiivci's les animaux poumiient bien n'clre
qu'nne extension de ceux qu'il a envers lui-niftme
(m- pns endurcir son cœur et contracter des liabi-
tudcs de cruauté en maltraitant sans raisou des
fctri's inelVensirs;. Les mauvais traitcMuenis envers
les l)ùtcs sont d'ailleurs interdits, sous certaines
peines, par la loi française (loi Granimont).
[L. Carrau.j
MOU l'AUTK. — V. Populittion.
MOUSSUS. — Botanique, XXVUI. — Etym. : de
l'allemand ancien nios, i|ui signifie mousse. —On
(U'-sifïUO sous le nom général de Mousses de petits
végétaux cryptogames cellulaires, qui lorcnent
dans la nature actuelle un groupe très nettement
isolé de tous les groupes voisins. Tout nous porte
;\ regarder les mousses comme les plus élevés j
des cryptogames cellulaires. Malgré l'extrême dé- 1
licatessB de leurs tissus, certaines mousses ont été
conservées à l'état fossile ; leur présence a été si- |
gnalée dnns les terrains les plus anciens; et celles |
de ces formes anciennes que Ion peut leconnaitre 1
diffèrent assez peu des espèces actuelles. |
Dans l'histoire complète du développement i
d'une mousse on distinguo trois stadies; 1° le i
stade fruit; 2° le stade prolonema ou stade /î'a-
mniteux ; .S" la phase adulte ou de mousse pro- 1
prement clita. _ '
L'embryon des mousses n'est jamais libre. Sitôt
forme, il se développe, et les premières phases de
son déveliippemciii s'accomidissent au sein de l
l'archégone dans lequel il a pris naissance. Lorsque ,
la jeune plante a aciuis un certain développement,
elle rompt l'arcliégoiio dont la partie supérieure |
demeure à son sommet, la recouvrant comme une
sorte de chapeau. Cette pièce protectrice, qui per-
siste parfois pendant un temps très long au
sommet de la plante, a reçu le nom de cni/fe. Les
premiers développements de la mousse ont pour
effet de la transformer en un appareil spécial que
l'on nomme la capsule ou le fruit. A cet effet le !
corps de la jeune plante se partage en trois parties.
L'inférieure demeure fixée sur la plante mère; elle
se tuméfie légèrement ; c'est à la fois un suçoir
pour la plante et aussi un moyen de fixation. La
région moyenne du corps de l'embryon s'allonge
en un pédicelle très délié, que l'on jiomnie le
liédoncule ou la soi)- de la capsule. Cette soie se
renfle supérieurement en un corps globuleux
nommé npopkiise, à l'extrémité duquel se dresse
la capsule proprement dite, qui résulte delà trans-
formation du tiers supérieur du corps de l'em-
bryon. I.a capsule était d'abord formée par un tissu
cellulaire homogène plein, recouvert superficielle-
ment par une couche de cellules épidermiques
iTun seul rang de cellules. Dans la région moyenne
de l'épaisseur du tissu de là capsule, à une dis-
tance sensiblement la môme de la surface et du
centre de l'organe, on voit s établir une rangée
de cellules qui se transforme bientôt en un sac
spoiifère. Ce sac sporilère, complètement déve-
loppé, forme donc une sorte de ceinture lâche et
plissée autour d'une colonne centrale. La colonne
centrale de la capsule s'étale supérieurement en
un disque qui se raitaciie à la couche opidermique,
et termine le fruit par une sorte de dôme de forme
variée. A la maturité, la partie supérieure du fruit
de la mousse se détache et s'enlève à la manière
d'un couvercle, d'où le nom d'oprrcu/e par lequel
on désigne quelquelols cette partie de la plante. Le
bord de l'ouverture faite dans le fruit par la chute
de l'opercule tst te i éristome. Les caractères des
principaux genres des mousses sont tirés de l'or-
nementaiioii plus ou moins complexe de ce péris-
tome ; cestauisi (|ue les Téirapliisontquatre dents
au périslome. les Splaehnum en ont seize, les
Grimmia en ont trente-deux, le Polylric commun
en présente jusqu'à soixante-quatre. Haiement
l'opercule demeure en place, comme dans les
Andréa ; alors la capsule mûre se déchire latérale-
ment pour mettre les spores en liberté.
Par la chute de l'opercule et la déchirure du sac
sporilère, les spurcs ou cellules dissémitiatrices
produites dans son intérieur tombent sur la terre
humide et lit germent immédiatement. Sous l'ac-
tion de l'humiditc la régioti superficielle solide et
dure de la paroi cellulaire de la spore se brise, et
la région inierne molle de cette môme paroi s'al-
longe au dehors en un filament grêle qui est une
nouvelle forme de la plante. Cette nouvelle forme
de la monsse est désignée sous le nom de proto-
nemji. Le stade ptoionema, dans le développement
des mousses, est la phase à laquelle ces êires se
montrejit comme constitués par de petits fila-
ments verdàtres. Le proionema se ramifie abOQ-
datiimi^nt. iiienlùt, eti certains points, on voit le
protonema émettre vers le sol des poils fixateurs,
véritables crampons qui l'altachenl au sol d'une
manière définitive. Dans la région du protonema
qui vient démettre ses poils fixateurs, on voit le
filament se segmenter, et la niasse cellulaire pro-
duite s'édifier bientôt en une sorte de tige chargée
de petites feuilles; nous trouvons etifin l'aspect
sous lequel nous sommes habitués à voir ce que
tout le monde nomme les mousses.
Dans cette troisième phase de leur développe-
ment, que l'on regarde ordinaiiement comme la
phase adulte de la plante, la mousse se compose
d'une tige grêle courte ; les plus élevées de ces
tiges n'atteignent pas 0"|,()0. Cette tige est plus
ou moins ramifiée selon les genres. Elle porte
toujours do petites écailles membraneuses ou feuil-
les, arrangées en disposition spiralée. La struc-
ture des tiges des mousses est des plus simples;
c'est une masse de cellules à parois très forte-
ment épaissies, d'autant plus petites qu'elles sont
plus voisines de la périphérie de l'organe. Les
cellules extérieures forment à la surface de la
tige un revêtement épidermique. Toutes les parois
cellulaires des mousses prennent avec l'âge de
vives colorations et déterminent les couleurs de
ces végétaux. Dans les mousses les plus élevées
en organisation, on trouve au sein des cellules
épaisses de la tige des cordons do cellules à pa-
rois minces, (|Ue l'on désigne sous le nom de lais-
reauj:, en les assimilant à tort aux faisceaux tibro-
vasculaires des mononoiylédones et des fougères.
L'existence de ces faisceaux n'est pas constante
pour une même espèce: elle dépend surtout du
volume pris par la tige lors de son développement.
Quant aux feuilles des mousses, fré(|Uemmetit elles
sont constituées par une lame d'un seul rang de
cellules plus rarement on trouve deux rangs de
cellules à parois minces dans l'épaisseur de la
feuille, l'iès souvent les feuilles des mousses sont
chargées de petites pelotes cellulaires nommées
pnip' gules; ce sont des sortes de végétations in-
formes qui naissent i la surface des feuilles. Les
propagules >e détachent facilement de la feuille sur
laquelle elles sont nées, elles tombent sur le sol
humide et donnent en s'y développant immodiate-
meni une nouvelle tige de mousse. Les propa-
gules sont donc des organes de dissémination.
Les feuilles des mousses sont colorées en vert par
de la chlorophylle granulée. 'Vu la délicatesse de
la texture de leurs feuilles, les mousses ne peu-
vent vivre que dans les endroits humides. Les
quelques spécimens de mousses que l'on rencon-
tre parfois dans les pays exposés à la sécheresse
n'y vivent que pendant la saison des pluies et
disparaissent avec le premier rayon de soleil.
Les organes reproducteurs des mousses appa-
raissent à l'exirémité des liges et des raniificaiions
latérales de ces tiges. Ces organes sont de deux
sortes. Les un-;, nommés on'li ndies, correspon-
dent aux anthères des phanérogames ; ce sont
de gros sacs cellulaires qui produisent dans leur
MOUTON
1354 —
MOUTON
intérieur de très petits corps nommés attthéru-
zoldes.he^ aiitlicrozoidcs correspondent aux grains
de pollen produits par les anthères. Ctiaquo ari-
tliérozoîde se présente sous la forme d'un filament
très fin portant i sa partie antérieure deux fils
vibratiles extrêmement mobiles et à son nxtré-
mité opposée une vésicule pleine d'amidon, i^cs
anthérozoïdes nagent dans l'eau et s'y déplacent
avec une très grande rapidité. Les autres nrganes
reproducteurs, ceux qui correspondent aux pistils
des végétaux phanérogames, consistent en des
sortes de petites bouteilles nommées ay-chéf/oyia.
Chaque archégone contient dans sa partie basi-
laire un globule protoplasmique nommé ortsphéie.
A la maturité de l'archégone, son tube s'ouvre,
recueille les anthérozoïdes, qui agissent sur
l'oosphère. Par le fait de cette actioji des anthé-
rozoïdes, l'oosphère est transformée en embryon.
Cet embryon forme la graine de la mousse, mais
cette graine, au lieu de quitter la plante mère,
se développe immédiatement sans se séparer de
rétro qui lui a donné naissance. Selon les genres,
les anthéridies et les archégone» forment des
groupes distincts. Ailleurs, les atithéridies sont
mêlées parmi les archégones; des groupes d'an-
théridies et d'archégones forment ce i|u'nn appelle
les fleuis de mousses. Selon que la tige d'une
mousse se termine par un fruit ou selon que ce
sont ses ramifications qui portent les fruits, on a
les Mousses acrocarpes et les Mousses pleuro-
carpes.
Aux mousses on rapporte quelquefois les Sphai-
gnes, petits végétaux très semblables aux mous-
ses, qui vivent surtout dans les marais tourbeux.
Les sphaignes se distinguent des mousses par un
sac sporifère en forme de calotte sphériflque au
lieu d'être en forme de ceinture, et par des spo-
res de deux espèces, les nues petites, nommées
microspo<es, les autres très volumineuses et ap-
pelées pour cette raison des mncrnspures.
Généralement aussi, on rapproche encore des
mousses les Hépatiques. Les hépatiques, avec
une histoire très semblable h celle des mousses,
difTèrent de ces dernières par leur forme générale
à l'état d'adulte. Beaucoup d'hépatiques adultes
se présentent en eflTet sous la forme de lamelles
foliacées, dans lesquelles oti ne peut rieti reconnaî-
tre qui soit comparable, même de loin, à une ti-'C
ou à des feuilles. Les hépatiques différent encore
des mousses par la présence dans leur sac spori-
fère d'un appareil destiné à favoriser la disséiui-
nation des spores. Ce sont de petites cellules élas-
tiques nommées elatires, très sensibles aux varia-
tions de l'état hygrométrique de l'air et qui, sous
cette influence, exécutent des mouvements brus-
ques qui ont pour résultat la projection des spores
à quelque distance. Le type des hépatiques est le
Murchantiii po! iimnrpha,(\m se développe entre les
pavés des cours humides et sans soleil.
Usages de- mou^sps. — Les mousses ne servent
guère dans nos régions qu'à l'emballage des
objets fragiles Les horticulteurs, mettant à profit
les propriétés spongieuses des mousses, les em-
ploient souvent pour maintenir l'humidité autour
de leurs cultures Dans les pays froids, les mous-
ses sont utilisées pour couvrir les habitations;
grâce à leur faculté de conserver la chaleur, elles
protègent très efficacement les habitations contre
les rudes atteintes de l'hiver. Quelques mousses
servent à la nourriture des animaux. En Laponie
ce sont les mousses qui, associées aux lichens*,
forment la majeure partie de la nourriture des
ennes pendant l'hivpr. Dans l'économie générale
du gh'be, les mousses entrent, pour une part im-
portante, dans la production de la totirbe et du
terreau. [G. -E. Bertrand.]
MOUTON ET n.VCnS OVI.VES. — Agricul-
ture, XV. — Le mouton est un des priticipaux
animaux domestiques agricoles. Sa domestication
remonte aux âges les plus reculés Les moutons
formaient dans l'antiquité la principale richesse
des peuples pasteurs; les conditions de leur pro-
duction se sont modifiées en Europe: mais dans
plusieurs parties du nouveau monde, il existe au-
jourd'hui encore d'immenses troupeaux aussi
considérables, sinon plus, que ceux dont l'histoire
a gardé le souvenir.
Le iriot générique de mouton est employé pour
désigner les individus, à quelque race qu'ils ap-
partiennent: mais, en langage absolument correct,
il s'applique aux mâles châtrés. Le mâle est ap-
pelé hédei, la femelle bre'is ; les jeunes sont dé-
signés, pendant leur première année, sous le nom
d'agiieaux ou d'a.y?!e//es; à un an, ils deviennent
antennis et antmais'-x. La brebis porte, en
moyenne, 150 jonrs. Dans les circonstances ordi-
naires, en France, on adopte trois époques pour
les agnelages ou naissances ; l'hiver (décembre-
janvier), le printemps (février et mars), l'été (juin).
1,'allaitement des agtieaux par leur mère doit durer
de quatre à cinq mois.
La peau des moutons porte une espèce spéciale
de poils désignée sous le nom de luine ; ce sont
des poils fins, longs, onduleux et souples. A la
laine sont môles en proportion variable des poils
rudes et grossiers, qu'on appelle jnrre; le jarre se
rencontre surtout à la base de la queue et sur les
membres.
Les produits que l'agriculteur demande au mou-
ton sont la viande, la laine et le lait. Ce dernier
produit est tout à fait accessoire, et ce n'est que
dans des circonstances assez rares qu'il acquiert
de l'importance, principalement pour la fabrica-
tion du fromage.
rendant longtemps, la laine a été le produit à
peu près exclusivement recherché dans 1 élevage du
mouton. Sous l'inlluence des anciennes méthodes
de culture, où de nombreuses jachères et des
biens communaux étendus pouvaient recevoir et
nourrir à bon niaiché de grands troopeaux, le
mouton ne comptait que pour la laine qu'il pro-
duisait. En outre, en raison des difficultés de
communication, et de son faible poids sous un
grand volume, la laine était un objet difficile à
transporter, et elle se vendait à des prix élevés.
On a donc cherché à en encourager la productioi»
en France, et c'est dans cette pensée que le gou-
vernement préconisa, au siècle dernier, l'introduc-
tion et la propagatmn du mouton mérinos. Mais,
depuis une quarantaine d'années, les conditions-
ont beaucoup changé ; la propriété territoriale
s'est sensibl ment modifiée, la jachère a perdu
du terrain, les communaux se sont divisés et ont
été cultivés. L'élevage du mouton n'a donc pu se
faire suivant lesanciens errements. D'un autre côté,
la laine, pressée en balles compactes, a pu voyager
faciletuent, en même temps que sa production
prenait d'énormes proportions dans r.\mérique
du Sud et en \ustralie: par suite, son prix a
baissé. La production de la viande de mouton,
jadis secotidaire, est, par suite de ces circons-
tances, devenue le côté priticipal de l'élevage. Les
anciens grands troupeaux ont disparu dans quel-
ques régions. De nombreuses piaint-s se sont
élevées au sujet de cette transformation. Pour y
répondre, il suffit de comparer la situation des
agriculteurs aux deux époques : elle est incontesta-
blement metlleure aujourij'hui. La transfortnation
leur a donc été favorable.
I L'élevage du mouton est principalement di-
rigé aujourd'hui vers la production de la viande.
Pour que celle-ci soit avantageuse, il a fallu trans-
foriner les anciennes races françaises i our leur
donner plus do précocité, c'cst-h-dire pour faire
arriver les animaux en moitis de temps à leur
1 complet développetnent. Pour atteindre ce but.
MOUTON
— 1353
MOUTON
on peut suivre deux niciliodes. La pri^mièro con-
siste h croiser les anciennes races avec des races
doj^ plus parfaites au point do vue de la préco-
cité. Quelques races anglaises ayant été antériiu-
rement développées dans ce sens, ont été choisies
par un certain nombre d'agriculteurs pour faire
ces croisements. Le principal exemple est dans
le croisemeni. disliley-mérinos, très apprécié dans
le rayon de Paris et dans le nord do la France, et
qui a donné au mérinos une ampleur de formes
jadis inconnue. La deuxième méthode consiste
dans le développement des qualités qui consti-
tuent la précocité, au moyen de 1 1 sélection entre
les animaux d'une mémo race. Cette méthode a
aussi été adoptée pour la race mérinos : c'est par
son emploi qu'ont été créées les variétés de mé-
rinos du Soissonnais, du Chatillonnais, dont le
développement est presque aussi rapide que celui
des races dites à viande, en môme temps que ces
variétés ont gardé l'avantage de fournir une laine
abondante et de qualité supérieure.
Pendant longtemps, l'opinion qu'une race de
moutons ne peut pas être à la fois bonne produc-
trice de laine et bonne productrice de viande, a
prévalu parmi les agriculteurs. Mais les faits ont
démontré que cette opinion était erronée. Les
mérinos précoces obtenus aujourd'hui dans les
centres qui viennent d'être indiqués n'ont rien
perdu des qualités qui ont fait la réputation de la
laine mérinos. En môme temps, le poids de leur
toison n'a pas diminué: et cela devait être, puis-
que, quand on cherche à rendre une race plus
précoce, on tend ;'i diminuer, dans le corps oes
animaux, le volume des parties les moins utiles,
c'est-à-dire les membres, le cou et la tête, où la
laine est toujours de moindre qualité.
Quelques parties de la France sont plus spé-
cialement des régions i moutons. Ce sont surtout
les plaines du Berri, de la Beauce, de la Brie, de
la Champagne, et dans le Midi une partie de la
Provence et du Languedoc. Dans ces pays, les
troupeaux de moutons sont mis à la pâture pen-
dant une bonne partie de l'année ; on les sort de
la bergerie au printemps, pour les y rentrer pen-
dant l'hiver. Les pâturages socs, à herbe courte,
sont ceux qui conviennent le mieux; les moutons
réussissent peu dans les terrains bas imperméa-
bles, plus ou moins humides et marécageux. Les
bois ne forjnent pour eux qu'un pâturage médio-
cre, surtout quand ils sont très couverts et rem-
plis de broussailles. Quant à la quantité de mou-
tons qu'un pâturage peut nourrir, il est impossible
de l'indiquer d'une manière tant soit peu précise ;
elle dépend de la nature des pâturages, et de
leur produit, variable suivant les conditions cli-
matériques des années. En'géiiéral, le pâturage
dure de 170 à 180 jours par an.
Pendant l'hiver, les moutons sont nourris à la
bergerie : la nourriture qui leur convient la
mieux consiste en fourrages divers, et on raci-
nes Les fourrages les plus avantageux sont les '
mélanges de trèfle et de paille d'orge ou d'avoine, 1
les pailles de féverolles, etc. Quant aux racines,
ce sont les betteraves, les carottes, les navets,
coupés en tranches minces, mélangés avec des
balles ou des pailles hachées, ou encore avec du
son. Cette nourriture leur est distribuée dans
des crèches, qui doivent être maintenues dans un
grand état de propreté. Les rations journalières
varient suivant le poids et l'âge des animaux.
Les béliers doivent être séparés des brebis |
d'une manière constante. Plusieurs méthodes [
sont employées pour la reproduction; celle qui
parait la plus commode est de mettre, au moment
opportun, un bélier pendant quelque temps dans
un compartiment spécial avec une quinzaine de
brebis.
En dehors de l'élevage des moutons, un grand
.nombre d'agriculteurs, surtout dans les régions
plus spécialement consacrées à la culture des cé-
réales, se livrent îi leur engraissement. Pour cette
sorte de spéculation, les moutons sont achetés au
moment de la moisson, et parqués sur les chau-
mes. Ils commencent h s'y engraisser, et ils arri-
vent à leur état complet dans la bergerie, pendant
l'hiver, sous l'inlluence d'une nourriture plus
concentrée. Le principal bénéfice de cotte opéra-
tion est dans la diflcrcncc dn poids do l'animal
au moment do l'achat et à celui de la vente. Les
moutons sont ainsi employés, comme les bœufs,
dans la région de la betterave, à consommer et
transformer les résidus des distilleries et des su-
creries, drèches, pulpes, etc.
Chaque année, les moutons sont soumis à la
tonte. Cette opération a pour but d'enlever limr
laine à l'époque la plus favorable pour que les
animaux n'aient pas à sonfTrir des intempéries.
La fin du printemps est, dans la plus grande
! partie de la France, le moment le plus propice.
La qualité de la laine est très variable suivant
! les races qui la fournissent. En pratique, on dis-
] tingue un grand nombre do sortes de laines.
( D'une manière générale, la finesse et la longueur
de la laine sont les deux qualités qui sont le plus
recherchées. Au point de vue de la finesse, on
classe les laines en superfines ou extrafines,
\ laiiies fines, laines urdiuaires et laines intermé-
diaires. Il serait peut-être préférable de ne consi-
dérer que trois catégories : laines fines, laines
communes, laines grossières. Mais c'est une ques-
1 tion de commerce et d'appellations qu'il est difficile
! de changer. Au point de vue de la longueur,
I c'est l'égalité dans la longueur des brins qu'il faut
' surtout rechercher dans une toison. Cette égalité
existant, les laines longues sont celles qui sont le
I plus appréciées. Après ces qualités, celles qu'il
■ faut principalement rechercher, sont l'élasticité
ou le nerf, la douceur et la force ; cette dernière
qualité dépend principalement de la nature du
suint dont la toison est imprégnée.
Autrefois la tonte des moutons se faisait avec
des /oire.ç ; aujourd'hui on possède plusieurs ap-
pareils spéciaux désignés sous lo nom de tondeu-
ses, qui présentent l'avaiitage de faire plus l'api-
dement une tiinte plus régulière, sans blesser la
peau du mouton, ainsi qu il arrive trop souvent
quand l'ouvrier tondeur n'est pas très expéri-
menté.
Lorsque le mouton est tondu sans lavage préa-
lable, on dit que la laine est en suint; quaiid la
toison a été lavée avant d'être enlevée du corps
de l'animal, la laine est dite lavée l'i dos. Il y a
une diminution de près de 40 p. 100 dans le poids
de la toison ; mais la laine est vendue notablement
plus cher. Il est difficile de se prononcer sur
l'avantage de cette pratique, usitée dans quelques
contrées, notamment en Lorraine, en Champagne
et en Bourgogne, tandis qu'elles est proscrite
ailleurs, particulièrement dans la Beauce.
Classification ues uaces ovines. — La classi-
fication des races ovines a été faite d'après des
méthodes très difl'érentes. Ainsi que nous l'avons
fait pour les races bovines (V- Bœu/), nous
suivrons la classification adoptée par Sanson,
parce qu'elle repose sur des caractères précis et
bien déterminés. On a vu, à propos des races bo-
vines, quelle est la base de cette classification; il
n'y a donc pas à y revenir ici.
I.a première catégorie, celle dite des races bra-
chycépliales, comprend quatre races spéciales : la
race germanique, la race des Pays-lîas, la race des
dunes, et la race du plateau central.
La rfice i/eri>,anique, de grande taille, à tête
chauve,,'! toison grossière avec brins très longs, à
peau épaisse, est surtout une race de bouchoiie,
mais donnant une viande de qualité ordinaire.
MOUTON
1356 —
MOUTON
Cette race appartient à l'Europe centrale; on en
trouve une variété Tort intéressanie en Angleterre ;
c'est la variété Leicester ou dUhlen, remarquable
aujourd hui par ses aptitudes de précocité et de
production d'une grande quantité de viande. Le»
animaux de cette variété arrivent à peser jusqu'à
lOn kilogr. et au delà, avec un rendement consi-
dérable en viande nette. Cette race a été intro-
duite en l'rance, il y a une quarantaine d'années ;
elle a été surtout croisée avec la race mérinos.
La raci; des Pni/s-Has est aussi d'assez grande
taille, donne une laine grossière, mais a un déve-
loppement assez précoce. Elle s'étend panicu-
lièrement en Hollande; en Angleterre, la variété
New-Kent appartient à cette race.
La race des dunes est de taille moyenne; elle
se distingue par une peau de couleur foncée; sa
toison est courte et frisée; elle niojUre les carac-
tères d'une grande précocité ; elle donne une
viande délicate et abondante. La principale va-
riété est la variété Soutkdown, originaire d'Angle-
terre, mais qui s'est répandue depuis quelque
temps dans toutes les parties de l'Europe; cette
variété est celle qui a le corps le plus régulière-
ment développé, avec le squolettc le plus réduit.
En Erance, elle a été principalement introduite
avec succès dans le centre et dajis l'ouest. A coté
de la variété Southdown. il l'aut citer celles appe-
lées Oxl'ordsliire et Sliropshire, qui ont les mômes
qualités, mais à un moindre degré, avec une taille
plus élevée.
La nice du plnteau central parait urigi' aire du
centre de la France. Elle est de petite taille, à
laine courte et frisée présetitant des mèches
pointues; la face est courte, le front un peu
bc.iibé; elle s'engraisse assez facilement Les prin-
cipales variétés sont celles di.'S moutons auver-
gnats, limousins, raarcliois. La variété limousine
aune laine de meilleure qualité.
La deuxième catégorie, celle des races doliclio-
cépliales, comprend sept races : race du Dane-
mark, race britannique, race du bassin de la Loire,
race des Pyrénées, race méiinos, race de Syrie
et race du Soudan.
La race du Danemark est de grande taille,
avec les membres longs et la tète volumineuse.
Le corps est étroit, et la toison est assez courte
et grossière ; la chair est de qualité médiocre.
Les principales variétés sont celle des landes du
Nord, celle des polders, la variété flamande ou
picarde, la variété poitevine. Ces doux dernières
seules sont françaises.
La race irilannique est aussi de très grande
taille ; sa toi>on est longue et douce ; elle a été
améliorée au point de vue de la précocité. Les
principales variétés sont les Coiswold et les
Cheviot. Elles sont conlinées en Angleterre.
La race du bassin de la L ire est générdlement
de taille moyenne ; quelques variétés sont plus
développées. La tête est petite. La toison est fine
et d'une bonne qualité. La chair est délicati-. Elle
présente deux variétés principales, la variété ber-
richonne et la variété solognote. La variété ber-
richoiHie, d'un tempérament rustique, donne de
belle laine, et elle s'engraisse facilement. On fait
avec succès des croisements de cette race avec
des southdowns pour produire des animaux de
boucherie d'une grande précocité. Quant à la va-
riété solognote, quoiqu'elle soit généralement
assez négligée, elle peut, avec de bons soins,
donner d'excellents résultats.
La rnce des Pi/rénécs, de grande taille, avec une
forte tête, une laine longue mais grosse, habite
les vallées des Pyrénées ; elle s'est étendue au-delà
de cette zone dans le midi de la France. Ses
principales variétés sont les basquaise et béar-
naise landaise et gasconne, kuraguaise, albigeoise
et du Larzac. Cotte race est une de celles qui sont
le plus spécialement élevées au point de vue de
la production du lait. C'est avec le lait di'S brebis
du Larzac qu'on fabrique le célèbre fromage
de Roquefort, et ses similaires dans le Languedoc.
La ra e mérihos est originaire d'Espagne. La
tête est forte et presque toujours porte des cor-
nes volumineuses. La taille varie ; elle est géné-
ralement assez forte. La toison est extrêmement
abondante; la laine est fine et longue. Le sque-
lette est volumineux, et la croissance est tardive,
sauf dans quelques variétés améliorées au point
de vue de la précocité. La production de la laine
est l'aptitude prédomitiante de la race mérinos.
Celte race s'étend aujourd'hui dans la plupart des
parties de l'Europe, en Australie, en Amérique,
au sud de l'Afrique. C'est au xvi," siècle que des
moutnns mérinos ont été introduits pour la pre-
mière fois en irance, mais leur grande extension-
date du siè. le dernier. Elle a eu un tel succès ((u'elle
ne forme pas moins de la moitié de la population
ovine du pays. On distingue un assez grand nom-
bre de variétés de mérinos : les principales varié-
tés françaises sont celles du Roussillon, de la Cham-
pagne, de la Brie, de la Beauce, du Cliatillonnais,
du Soissonnais. Datis ces dernières variétés, on
compte aujourd'hui un certain nombre de trou-
peaux dans lesquels les éleveurs se sont attachés
à obtenir une grande précocité, sans nuire aux
anciennes qualités si remarquables de la toison
du iTiérinos ; la production du mérinos précoce
tond à prendre une extension de plus en plus
grande.
La race de Syri', d'assez grande taille, à toison
assez grossière, est originaire du pays dont elle
porte le nom. Parmi ses variétés, celle dite bar-
barine est assez répandue en Algérie et dajis le
snd-est de la France. Sa laine est plus longue,
mais elle est toujours assez grosse. Le inouton
baibarin a des qualités prolifiques et laitières re-
marquables. C'est cette variété qui forme surtout
les grands troup-'aux exploités, dans le midi de
la France, d'après le système de la transhuiiuince.
Ce système consiste à faire émigrer les troupeaux,
pendant l'été, sur les lieux élevés, pour qu'ils y
trouvent la nourriture qui manque dans les plai-
nes brûlées par le soleil. La transhumatice «si une
bonne opération au point de vue du profit qu'on
retire du troupeau ; ir.ais elle a de graves inconvé-
nients pour les régions montagneuses qu'elle con-
tribue puissammenl à dénuder. Toutefois, il faut
faire obseiver que cet inconvénient disparaîtrait,
si l'on aménageait avec plus de soin, sur les pen-
I tes, les pâturages à moutons qui ne sont le plus
j souvent l'objet d'aucune surveillance.
i La race du Soumn, répandue dans l'Afrique
centrale, ji'olTre aucun intérêt pratique pour les
agriculteurs français.
Entre les races qui viennent d'être décrites, il
s'opère souvent des croisements qui se terminent
par la prédominance dans les produits, au bout de
quelques générations, de la race la plus puissante.
Les croisements dishiey-niérinos en forment, en
France, le lype le plus connu.
Mtdddies d- s moulons. — Les conditions d'une
bonne hygiène sont la première condition de l'éle-
vage du mouton, comme de tous les animaux
domestiques. La plus simple prudence conseille
d'éloigner des troupeaux toute cause de maladie.
Nous ne pouvons donner ici que la liste des
principales maladies qui attaquent les moutons.
Ces maladies sont: le sang de rate, endémique
dans quelques régions, notatumetit en Beance; le
claveau, le tournis, le piétin, la gale, la niétéori-
sation, le muguet, etc.
Bergers. — 11 est essentiel d'avoir un bon ber-
ger pour conduire un troupeau. Tant vaut le
berger, tant vaut le troupeau. Une école spécialede
bergers a été créée à Ratnbouillet en ISli. bile
MOUVEMENT
— 1357 —
MOUVEMENT
est appeloH Ji rondrft des sorvicrs, en foiirnisRant
aux prnpriétniros àf iroupeaux dos berj^ers capa-
bles qui font trop souvent défaut.
[Henry Sagnier.]
MOI'VEMFNT. — Physique, I. — Le mouvement
est l'état d'un corps qui se transporte d'un point
Si un autre do l'espacn. L'observation journalière
nous apprend que les corps, !\ la surface de la
terre, n'occupent pas toujours la môme place,
mais qu'ils ch.Tnp;ent ou peuvent changer de posi-
tion relativement les uns aux autres. Ceux qui
changent de place sont on monrpment; ceux qui
paraissent occuper toujours la môme position sont
en reiox. Mais la propriété de pouvoir èlre mis
en mouvement, autrement dit la mobilité, appar-
tient ."i. tous les corps : c'est une propriété générale
de la matière.
On reconnaît qu'un point matériel est en mou-
vement quand si dislance i d'autres points sup-
posés immobiles vient h changer. C'est habituelle-
ment il deux axes rectangulaires d'un plan ou à
trois plans perpendiculaires que l'on rapporte les
positions d un point ou d'un corps de l'espace. Si
ces axes ou ces plans soot réellement lixes, le
mouvement du point que l'on y rapporte est réel
ou nfjxolu Si au contraire les axes cm les plans de
positionsonteux-niènies un mouvementpaniculier.
celui du corps ou du point, par rapport à eux,
n'est ([w'iipjinrent ou rclatil. Ainsi les mouve-
ments de va et vient qu'exécute un voyageur dans
on wagon ou dans la chambre d'un navire en mar-
che ne sont que re'alifs, parce que les divers
objets auxquels il rapporte les positions successi-
ves qu'il occupe, sont eux-mêmes en mouvement.
Tous les mouvements que nous observons à la
surface de la terre sont relatifs, puisque notre
globe tourne sur lui-même en même temps qu'il
évolue autour du soleil. Nous ne connaissons pas
plus le repos absolu que le mouvement absolu; il
n'existe pas sur la terre, qui emporte dans son
double mouvement tous les corps situés à sa
surface. Il n'existe pas plus dans le monde plané-
taire ; car on sait que les astres, longtemps suppo-
sés fixes, accomplissent aussi des mouvements de
translation ou de rotation. Le mouvement apparaît
donc pour ainsi dire comme un des attributs es-
sentiels de la matière.
Parmi tous les mouveinents réels ou possibles, '
il en est quelques-uns qui peuvent êt:e défi;;is avec
une grande simplicité et dont il importe de for-
muler les lois fondamentales.
Si l'on ne considère que la direction parcourue
par le mobile dans son déplacement, le mouve-
inent est recHlir/ne quand sa trajectoire est une
ligne droite ; il est cm rilipi^, quand la trajectoire
est une courbe; dans ce dernier cas, le mouve-
ment change à chaque instant de direction, car il
suif les éléments rertilignes infiniment petits dont
l'ensemble forme la courbe.
Si l'on considère dans le mouvement l'espace
parcouru et le temps employé h le parcourir, on
arrive à la notion du mimvement uni/orme et du
motiviment vnrié.
Mmtwme'it tu.iforme. — Le mouvement est
uniformi' quand les espaces parcourus dans des
temps égaux sont égaux, c'est-à dire quand l'es-
pace croit proportionnellement au temps compté
depuis l'origine du mouvement.
I/espace parcouru dans l'unité de temps, (on
prend comme unité de temps la seconde) mesure
«lors ce qu'on appelle la rutesse du mobile.
En sorte qu'on connaîtra l'esp ice parcouru dans
un temps donné en multipliant le temps évalué
en secotides par le chemin parcouru en une se-
conde, c'est à-dire en multipliant la vi esse par le
tenips; c'est ce que l'on exprime par la formule
e — v.t, où p représente l'espace, » la vitesse, t le
nombre de secondes.
Ce mouvement est celui que présentent les
corps entièrement abandonnés à eux-mêmes, puis-
qu'on verin de l'inertie, ils ne peuvent rien chan-
ger aux conditions de leur mouvement, C'est celui
de la terre autour de son axe, celui de la propaga-
tion du son, dont la vitesse est de S-l i mètre» par
seconde, celui delà lumière, qui i)arcourt environ
28(1 Oi 0 kilomètres par seconde.
Mouvemnit vnrif. — Le mouvement est dit
vnrié quand les espaces parcourus pendant des
temps égaux ne sont plus égaux entre eux. il est
accéléré, si les espaces parcourus dans des temps
successifs égaux croissent sans cesse; retardé,
si ces espaces diminuent d'une manière contenue;
mixte, si les espaces varient alternativement dans
un sens ou dans l'antre.
On ne peut plus dire ici que la vitesse du corps
est l'espace qu'il parcourt dans l'unité de temps,
puisque cet espace change sans cesse. On ne peut
plus indiquer que la vitesse moyenne ou la vi-
tesse à un instant donné.
La vile^xemi'f/ennf est la vitesse du mouvement
uniforme dont il faudrait supposer le corps animé
pour que, dans le même temps, il fasse le même
chemin que celui qu'il fait réellement. Si on la
prend pour un temps un peu long, elle ne donne
pas une idée très approchée du mouvement réel
:\ chaque instant.
La ri/esse à un instant donné, c'est l'espace que
parcourrait le corps dans l'unité de temps qui suit
l'instant considéré, si, à partir de ce moment-là,
le mouvement se conservait sans s'accélérer ou se
ralentir. Cette vitesse nécessite l'indication pré-
cise du moment auquel on la considère, sans quoi
elle n'aurait plus de sons ; et elle ne donne pas
l'espace réel parcouru par le corps, mais celui
que le corps pourrait parcourir dans l'unité de
temps, si tout à coup le mouvement redevenait
uniforme.
Mouvment uniformémfnt l'arié. — Il peut arri-
ver que la vitesse, après chaque seconde, varie
d'une quantité constante; le mouvement est alors
uniformément accéléré ou retardé, suivant que la
vitesse a augmenté ou diminué.
Cette quantité constante dont la vitesse aug-
mente ,^ chaque seconde dans le mouvement uni-
formément accéléré s'appelle Vaccélér(it:on ; il
surfit de la connaître pour pouvoir trouver la
vitesse d'un mobile après un temps donné t. Si
on la désigne par o, qu'on appelle F„ la vitesse
initiale que possédait le corps avant l'application
de la cause accélératrice, la vitesse K, après le
temps t. sera donnée par la formule K= K„ -j- af
et par V = /it dans le cas particulier où le corps
part du repos.
Ces délinitions posées, on trouve facilement la
loi suivant laquelle s'accroit, avec le temps, l'es-
pace parcouru par un mobile animé d'un mouve-
ment uniforméiuent accéléré. Le cas le plus sim-
ple est celui oi'i le corps part du repos : l'espace
parcouru est le produit de la moitié de l'accéléra-
tion par le carré du temps. C'est le cas des corps
qui tombent dans le vide ; les espaces qu'ils par-
courent sont proportionnels aux .carrés des temps
employés îi les parcourir.
Com/iositicn des monve'nents , — Lorsqu'un
corps, assujetti à se mouvoir sur un plan fixe, y
parcourt une certaine longueur pendant un temps
déterminé, il y parcourra encore la môme ligne
dans le même temps, si le plan se trouve animé
d'une vitesse qui le transporte en une nouvelle
position pendant ce temps-là. L'exactitude de celte
assertion est établie par l'expérience journalière ;
on sait en effet que les différentes piè:es d'une
inonti-e se nienvent de la mêiiid manière les unes
par rapport aux autres, que la monti'e soit en repos
ou en mouvement. On en a déJuit la marche
réello dans l'espace d'un mobile soumis à deux
MOYEN AGE — 1358 — MOYEN AGE
vitesses simultanées. Galilée a montré le premier I La possession de la terre, souvent contestée,
que les vitesses se composent comme les forces ', élevait des barrières entre les peuples et aussi
et que la vitesse résultant de deux vitesses simul- 1 entre les individus. Partout la classe des hommes
tanéns est représentée, en grandeur et en direction, ! libres devenait de moins en moins nombreuse. Le
par la iliager);ile (lu |.ar.ilkM(i;;t;iiiinio consiruii sur pouvoir resiait aux riches propriétaii es du sol,
les doux droilus représentani k'» directions et les ' aux ducs, comtes et barons, au profit desquels se
grandeurs des deux vitesses primitives. | constituait le régime des bénéfices et des fiefs.
Production ries mouvements. — On conçoit sans 1 C'était le morcellement, à la place de l'unité gran-
la moindre difficulté comment naissent les mou- , diose et chimérique que Charlemagne avait rêvée,
vements uniformes et les mouvements accélérés, ] La féodalité grandit, dans une société renouvelée,
au moins dans le cas où ils se font en ligne droite. . qui eut une littérature, des mœurs, en un mot une
Lorsqu'une force unique, qui reste identique à i civilisation parliculiére. Puis cette société vieillit
elle-mênip, agit sur un corps toujours dans le à son tour. Elle avait eu ses jours de gloire au
même sens, elle lui impr.me, dans sa propre direc- temps des premières croisades ; elle avait écrit
lion, un mouvement qui va en s'accélérant régu- son histoire dans les poèmes des trouvères et les
lièrement. Et si à un instant donné la force cesse sentences des cours d'amours. L'ordre féodal se
d'agir sur le mobile, celui-ci, persévérant dans l'état transforma, comme se transforment toutes les
où il se trouve alors, continue à se mouvoir uni- institutions humaines. Au bruit des révolutions
fermement avec la vitesse qu'il possède i cet ins- qui ébranlaient le pouvoir des papes, des empe-
tant. reurs et des rois, les peuples se rappelèrent leurs
Les mouvements curvilignes peuvent être natu- ' droits qu'ils semblaient avoir oubliés. La discus-
rellement produits par une force changeant con- sion, qui est une forme de la liberté, pénétra
stamment de direction; mais ils résultent parfois partout, dans les conseils des souverains, dans les
aussi de l'action d'une force de direction constante; écoles, dans le sanctuaire même. Les communes
c'est quand le mobile, animé d'une certaine vitesse se fondèrent, la bourgeoisie naquit, rivale souvent
initiale, tend à se mouvoir de ce chef suivant une i heureuse de la noblesse; le chaos des siècles
droite difl'érenle de celle que l'action seule de la passés tendit à disparaître : le moyen âge arrive à
force lui ferait parcourir. [Haraucourt,] l'apogée de sa brillante maturité.
MOYEIV AGI':. — Histoire générale, XXXIX-XL. Le xiit' siècle mérite de former à lui seul une
— On appelle Moyen âge la période qui sépare l'an- période complète, la troisième. Dans toute l'Europe,
tiquité des temps modernes. un ancien ordre de choses fijiit, un régime nou-
Divisions du inoyei ùije. — Peut-on assigner au veau commence. Dans l'histoire politique, litté-
moyen âge une origine et une fin précises? Dans raire, artistique, ce siècle laisse d'impérissables
la série des siècles qu'on aura groupés sous cette souvenirs. C'est le couronnement radieux d'une
dénomination générale, pourra-t-on marquer des œuvre qui a coûté dix siècles de patience et d'ef-
divisions rationnelles'? Voih'i les questions que l'on forts obscurs. Puis l'horizon s assombrit de nou-
doit examiner tout d'abord. . veau ; la quatrième et dernière période du moyen-
L'histoire du monde romain ne s'arrête pas brus- âge se termine au milieu des guerres sanglantes
quement à la mort de Théodose f.395). Pendant qui déchirent l'Occident et l'Orient. C'est l'enfan-
quatre-vingtsans encore l'empire a existé, sinon de tement douloureux de l'Europe moderne,
fait, lu moins de nom. A la fin même du v» siècle, Méthode critique . — L'histoire du moyen âge
après la déposition du dernier empereur, Komulus n'a pas toujours été écrite avec impartialité. Cer-
Augustule, l'idée d'empire a survécu à un événe- tains historiens ont été trop sévères, d'autres trop
ment depuis longtemps prévu. D'ailleurs la chute complaisants. C'est l'honneur de l'école historique
de l'empire n'a pas eu pour résultat l'anéantisse- contemporaine d'avoir étudié sans passion et d'a-
ment soudain des lois, des institutions, de la so- près une méthode scientifique ces âges si long-
ciété romaines. L'esprit romain a survécu à la temps méconnus ou méprisés. Dès le xviii* siècle,
puissance de Rome. Les idées romaines, ou, en France, Fréret, BouUynvilliers, Duclos, Mably,
comme on disait alors, la « romanité » a subsisté commençaient l'élude approfondie de nos antiqui-
forte et vivace, conservée par la littérature, les tés nationales. Depuis ce temps on peut dire que
loi.s, la religion même, qui montre dans la Rome la science du moyen âge est restée essentiellement
des empereurs la capitale du monde chrétien, française. Les travaux, d'ailleurs remarquables.
Mais l'uniformité que l'empire avait durement qui ont été publiés i l'étranger depuis un demi-
imposée au monde a cessé d'être. Des peuples peu siècle, les ouvrages de Ferrari et de Sisraondi
ou point n romanisés » franchissent des frontières pour l'Italie, de Roth, de VVaitz et de Wariikœnig
longtemps respectées, et sur un sol jodis romain pour l'Allemagne et la Flandre, de Geyer pour les
fondent des Etats barbares. Longtemps les deux pays Scandinaves, ne sauraient se comparer à
sociétés vivent côte à côte pour ainsi dire. On peut l'œuvre si considérable des érudits français,
étudier dans les documents contemporains leurs MM. Guizot,Amédée et Augustin Thierry, Michelet,
histoires distinctes, comme l'on voit deux fleuves Guérard, de Pétigny Lehuerou, Pardessus, de Ro-
couler parallèles avant de confondre leurs eaux, zièrc, Boutaric,ZcHer, Fustcl de Coulanges, Renan
C'est par un mouvement insensible que s'est mo- ont apporté dans ces difficiles études tout ce qu'ils
difiée et transformée l'antiquité classique. Il a avaient de perspicacité, de science et d'inipartia-
fallu quatre siècles pour achever la fusion des lité. Ils ont interrogé les écrits de la décadence
barbares et des peuples qui avaient directement latine et les codes des barbares, les annales des
subi l'influence de Rome. C'est 4 ô ans après la monastères, les polyptiques des abbayes, et les
monde Thoodose qu'un Germain, Charlemagne, a chartes des villes. La philologie est venue en aide
établi sur des bases nouvelles l'empire d'Occident, à l'histoire. La littérature et l'art ont apporté des
Ces quatre siècles '.'Î9.i-800) peuvent former une contributions nouvelles à la connai^.sance de ces
première période. Des éléments combinés du i orna- temps reculés. Des générations d'hommes que l'i-
nisine et du germanisme, le moyen âge va sortir, gnorance ou la malveillance des siècles avaient
Les successeurs de Ch.irlemagne ont succombé, condamnées â l'obscurité, reparaissent enfin à la
moins par leur propre faiblesse, que par la riif- lumière. On écarte les idées préconçues que
ficulté de l'œuvre à accomplir. Les peuples, même Voltaire, .abusé pour celte fois, avait répandues
barbares, qui durant de lonLrs siècles de migra- contre le moyen âge. 11 n'y a pis de siècle stérile,
tions incessantes n'avaient point oublié l'origine pas de génération inutile. L'humanité marche
commune devenaient, en se fixant enfin sur le toujours, et le liavail le plus lent, le plus obscur
sol, de plu- on plus étrangers les uns aux autres, de l'homme s'appelle encore le progrès.
MOYEN AGE
— 1359 —
MOYEN AGE
Les bornes de cet article ne nous permettent j
pas d'entrer dans linis les détails de l'iiistoire du
moyen âge. Nous nous borneions à indiquer les |
traits généraux do cette époque, en renvoyant
aux articles spé> iuux dont on trouvera la nonien- ^
clature au mot Histoite. [
1" Période (•■i9n-«o0). — Dès la fin du iv" sii'Cle, (
l'empire romain était menacé de tous côtés par les
Barbares. Sur le Uliin, le Danube, se pressaient les
peuples germaniques et slaves, avides de trouver
sur un sol plus fertile et sous un ciel plus doux '
un établissement durable. En Orient, sur le lit- |
toral de la mer Noire, des peuplades inconnues
s'ébranlaient vers la Mœsie et Constanlinople,
avant-garde frémissante de tout un monde en
marche. Sur les bords de l'Euphrate, depuis deux
siècles, Rome luttait avec peine contre les Perses
régénérés. Au Midi, des cojifins de l'Arabie Pétrée \
aux colonnes d'Hercule, le-i légions disséminées ■
et comme perdues au milieu des déseris, recu-
laient devantl'invasion obstinéedes Africains etdes i
Arabes, soldats, brigands et marcliands. Sur les
mers, entin, où les pirates ne redoutaient plus un
Pompée, les Sarrasins au Midi, les Normands dans
le Nord, ne craignaient pas d'insulter par des in-
cursions fréquentes b. la majesté mécojinue du
peuple romain. Pour mieux résister aux efforts
d'aussi nombreux adversaires. Théodose partagea
l'empire entre ses deux fils. L'un régnerait en
Italie, l'autre à Constantinople. Le vieux monde
semblait à la veille de s'écrouler sous la pres-
sion formidable d'un monde nouveau
Un tel état do choses ne surprenait pas les
hommes du V siècle. Ils s'effrayaient bien moins
que nous ne le supposons d'une situation depuis
longtemps prévue, plus grosse de menaces en ap-
paieiico qu'en réalité. Beaucoup de tribus barba-
res étaient depuis des siècles au service de l'Em-
pire ; les territoires contigus aux frontières étaient
couverts de villages, où sous les noms à'alnés,
féd''irs, co ODS, vivaient des milliers de ces dan-
gereux amis. Lorsque l'empire fléchit sous son
propre poids, lorsque les provinces, et dans les
provinces, les villes habituées à se gouverner pres-
que comme des républiques indépendantes,
brisèrent le lien fragile qui les unissait, surtout
lorsque la race de Théodose en Occident se fut
éteinte {ihh), les Barbares songèrent il tirer parti
de leur force et de la faiblesse de Rome. Ils
déchirèrent le pacte qui les liait h Théodose et h sa
famille. Les fédérés Wisigoths,Burgundes, Franks,
s'estimèrent indépendants. Sous un Euric, sous
un Gondebaud, sous un (Jlovis, ils étendirent les
limites des terres que Rome leur avaitjadis don-
nées, en récompense de leurs services militaires.
Ils s'emparèrent des biens d\i ft,r, propriété des
empereurs, ils dépouillèrent parfois les anciens
possesseurs, en leur ejilevant les deux tiers du
sol ; ils créèrent enfin des Etats autonomes, sans
souci des alliances d'autrefois, imitant les Bar-
bares qui par la force de leur épée s'étaient im-
posés à l'empire, les Suèves et les Alains en Es-
pagne, les Vandales en Afrique, les Angles et les
Saxons dans la Grande-Bretagne, les Slaves sur le
cours moyen du Danube. Attila menace Rome ;
Genséric la prend. Le Tatar à demi sauvage, en-
nemi de Rome, se rencontre avec le Wend'-
civilisé, jadis ami des empereurs. La barbarie
X officielle, >> parée de titres romains, semble
donner la main à une barbarie inconnue venue
des déserts de l'Orient. L'empire a cette fois
cessé d'exister. Bientôt Odoacre lo Héiule, puis
Théodoric l'Ostrogoth, sont les maîtres de l'Italie.
Et copenilant, cet empire si facilement détruit
s'impose longtemps encore au respect di'S Barba-
res. Rome, n'étant plus la capitale politique du
monde, c'est vers Constantinople qu'ils tourjient
leurs regards, l.h règne le César d'Uriunt, le seul
((ui, dans cette Europe partagée entre les « roi-
telets 1) (i-i-i/ult) barbares, porte le titre incon-
testé d'cniptreur llusileus). Devant lui Théodoric,
prince puissant, s'incline ; c'est à lui (|U0 Clovis
demande la pourpre consulaire. Mais Constantino-
ple est trop éloignée de la Germanie, de l'Espagne,
de la Gaule, de l'Italie même, pour manitenir
longtemps son hégémonie politique. Au \l° siècle,
gouverné par un homme de valeur, Juslinien, que
secondent de bons généraux, l'empire d'Orient
pourra faire illusion sur ses forces réelles. L'Ita-
lie, l'Afrique, sont un instant reconquises. Mais
cette restauration du passé, qui irait contre la
fatalité immuable des choses, ne saurait être ni
durable ni vraie. L'empereur de Constantinople a
beau s'intituler successeur des empereurs de
Rome. Il n'est point le représentant d'une épo-
que morte, d'une civilisation qui chaque jour
s efface. Lui aussi, il appartient à des temps nou-
veaux. L'empire byzantin est bien un Etat du
I moyen âge, avec ses passions religieuses, son
enthousiasme mystique au temps d'Héraclius, sa
j langue dégénérée, chac|ue joer plus corrompue et
plus étrangère au grec de l'antiquité classique.
Constantinople n'aura plus que de lointains rap-
ports avec l'Europe occidentale. De son ancien
1 pouvoir au delà du Danube et de l'Adriatique,
elle ne gardera plus que des titres pompeux, con-
servés avec un faste tout oriental par les chancel-
leries impériales. D'ailleurs, elle aussi est mena-
cée par les Barbares. C'est un prodige que cet
I empire, réputé si faible, ait pu résister pendant
dix siècles aux efforts de redoutables agresseurs.
.\u vu' siècie, un Arabe, Mahomet, prêche une
I religion nouvelle qui impose comme un devoir la
guerre contre les infidèles. Une grande révolu-
tion s'opère dans l'Orient. Poussés par une force
irrésistible, les Musulmans renversent l'empire
persan, occupent tout le Nord de l'Afrique, con-
quièrent l'Asie-Miiieure : mais Constantinople der-
rière ses hautes murailles les lient en respect.
Les Slaves, bien plus nombreux que les peuples
germaniques, envahissent les bassins moyen et
inférieur du Danube. Constantinople résiste en-
core. Il est vrai que bientôt la capitale constitue
seule presque tout l'Empire. Au delà de la Ma-
ritza, l'autorité des empereurs est à peine recon-
nue. L'un d'eux constate avec tristesse au x' siè-
cle que ce la Grèce tout entière est devenue slave. »
L'Europe était comme émancipée. Les royautés
barbares purent alors se développer en liberté.
Mais ici se manifeste la grande influence de
Rome sur les destinées politiques du monde
qu'elle avait gouverné. Les peuples qu'elle n'avait
pas conquis, au delà du Rhin, du Danube et de
la mer Noire, restent soumis au régime dangereux
des tribus confédérées. Rien n'est plus obscur
ni plus triste que l'histoire de la Germanie pro-
prement dite, de la Russie, de la presqu'île Scan-
dinave durant ces premiers siècles. Au contraire,
dans les anciennes provinces romaines se fondent
des royautés qui, pour être exercées par des bar-
bares, ne tendent pas moins à devenir absolue.'-.
Dans la Grande-Bretagne, la Gaule, l'Espagne, l'I-
talie, les souverains conservent l'ancienne admi-
nistration impériale, s'entourent de cours qu'ils
essaient de rendi'e pompeuses, et dont les digni-
taires portent les vieux titres romains. Les an-
ciens impôts sont presque toujours conservés ; la
loi remanie est presque partout en vigueur à côté
des lois barbares ; les codes mômes des Wisigoths
et des Burgundes sont adoucis par l'influence bien-
faisante des codes romains. Dailleurs, ces ten-
tatives pour fonder un pouvoir absolu soulèvent
parfois la colère des peuples. Après la mort dt
t;iovis (511), après la conquête de la Bourgogne,
éclate la guerre terrible des Austrasieiis et des
Neustriens, envenimée par les tendancos .autori-
MOYEN AGE
— 1360 —
MOYEN AGE
tairos de Bruneliaiit En Espagne, les succes-
seurs de Keccarèdi» et de VVamba ont peine h
contenir leurs '•ujets révoltés. Eu Italie, l'aristo-
cratie lonibanle l'itte contre le,< souverains, et
finit par détruire le pouvoir des rois.
Ces guerres générales, qui remplissent l'histoire
de l'Europe du vif au vu" siècle, compromettaient
singulièrement la force des Etats barbares. La
(;aule franke est sérleusemenl menacée par les
Frisons, les Saxons, les Alamans ; elle ne se
débarrassera de ce danger permanent que par un
brusque changement de dynastie L'Espagne, après
la bataille de Jerez ("lli, est conquise sans diffi-
culté par les Arabes. L'Italie enfin est à chaque
instant menacée par les pirates de toutes nations
et de toutes religions qui écument la Méditer-
ranée. Partout la diversité des pouvoirs avait en-
gendré l'anarchie, et l'anarchie la faiblesse. L'Eu-
rope, si longtemps habituée à l'unité politique de
Rome, qui était une entrave, mais aussi un appui,
semblait jetée hors de ses voies. C'est le trait
caractéristique du moyen âge d'avoir substitué, à
l'unité politique, l'unité religieuse, et d'avoir cher-
ché dans 'a Rome des papes le lien moral qu'on
demandait jadis à la Rome des empereurs.
Quand les Barbares, de gré ou de force, péné-
trèrent dans l'empire l'Eglise était déjà forte. La
hiérarchie ecclésiastique était constituée. Le con-
cile de Constantinople (381) avait reconnu à l'évè-
que de Rome la suprématie sur le monde chré-
tien. Protégée par les empereurs, l'Eglise avait
fait des conversions nombreuses. Les lioths, no-
tamment, avaient reçu l'Evangile d'HIphilas. Les
prédications, il est vrai, n étaient pas toujours
orthodoxes. Parmi les Barbares surtout, I hérésie
d'Arius était en faveur. Mais l'église de Rome
devait plus tard triompher. Dans l'empire, la loi
romaine avait donné aux évèques une grande
puissance. Sous le titre de '< défenseurs, » ils
étaient devenus de véritables magistrats munici-
paux, parlant au nom de la cité, nourrissant les
pauvres, surveillant les prisons, protégeant les
orphelins. La plupart des évèques d'ailleurs appar-
tenaient aux famillfs nobles. Leur grand nom
joint à leur caractère religieux leur donnait une
autorité acceptée par tous. Après la chute de
l'empire et la disparition dos fonctionnaires im-
périaux, le diocèse remplaça la province. En face
des Barbares, l'évèque conserva ses anciennes
fonctions politiques et ecclésiastiques.
Saint Paulin, saint Hilaire. Sidoine Apollinaire,
saint Aignan appartiennent à l'histoire politique
autant qu'à l'hi-stoire religieuse. Attila s'arrêtait
devant Rome à la voix de Léon !'=■'. Le plus bar-
bare des Barbares semblait rendre un suprême
hommage, à la puissance de l'Eglise qui allait
pour des siècles transformer l'Occident.
Les évèques défendaient devant les chefs bar-
bares les privilèges de la religion chrétienne. Les
moines la rendaient populaire. L'Orient possédait
depuis longtemps des monastères. Les couvents
de la Thébaide et de la Palestine étaient célèbres.
Mais la rêverie mystiqu". l'amour des discussions
subtiles, l'impatience de la règle, condamnaient
les moines d'Orient h rester inutiles ou à devenir
dangereux. Dans l'Occident, h Noirnioutiers, h
Ligugé, à Lerins, se fondent des monastères où le
travail est itriposé comme règle essentielle. En
Italie, saint Benoît crée le couvent du Mont Cas-
sin et impose S ses moines di'S obligations sévères.
En Irlande Columban combat les restes du drui-
distne et fonde des abbayes d'où sortiront des
missionnaires nombreux, fondateurs aussi de cou-
vents (Luxeuil, Saint-Gall). La foi se répand et
l'orthodoxie s'impose. Le catholique Clovis a dé-
truit en Gaule les royaumes ariens des V isigoths
et des Burgnndes. Il semble avoir triomphé par
l'Eglise et pour lEglise. Les Franks sont les
soldats de la papauté, qui voit grandir son auto-
rité durant tout le vi' siècle. Le pape saint Gré-
goire (59tl-(i04), le premier des grands papes du
moyen âge, s'attribue comme une sorte de supré-
matie temporelle et spirituelle sur l'Espagne, la
Gaule. l'Italie, l'Allemagne, la Grande-Bretagne,
où un roi se convertit La papauté siège triom-
phante dans l'église de Latran. fondée vers le
milieu du V siècle. Toujours prête à affirmer, à
exagérer même ses droits, elle devient d'autant
plus puissante sur les Barbares que ceux ci sont
plus pénétrés par la civilisation latine et la foi
chrétienne. A la fin du vu' siècle. Rome se débar-
rasse de l'autorité, d'ailleurs nominale, des Césars
byzantins. Korte de sa liberté et de sa puissance
morale, la papauté ne pourra-t-elle pas avec des
éléments nouveaux créer un nouvel empire romain 4
d'Occident"? '\
Au viii" siècle, les royautés barbares semblent ,
près de mourir d'une sénilité précoce. Menacée de
perdre, après l'Espagne et l'Orient, le nord de l'Italie,
la Germanie peut-être, où les Saxons païens ont
fondé une confédération puissante, la papauté se?
décide h accomplir une ré\oUition. Aux Mérovin-
giens décrépits elle substitue une famille nouvelle,
qui a pour ancêtres un évèque et un soldat. Lliar-
les Martel a arrêté les .Arabes. con(|uérants de
l'Espagne : Pépin le Bref menace les Lombards, et
fonde la puissance temporelle des papes; Cnarles
extermine les Saxons, détruit la royauté lombarde,
arrête les invasions musulmanes. Le •i.î décembre ,
de l'an SIMI, le pape pose la couronne impériale sur
la tête de Charlemagne. L'Eglise et lEmpire.
comme au temps de Constantin, semblent se con- |
fondre, union fatale qui couvrira l'Europe de
ruines et de sang.
2- Période, du IXe au XII" siècle. — L'empire
créé par Charlemagne ne survécut pas longtemps
à son fondateur. Des Pyrénées à la mer du Noid,
de l'Atlantique à la Theiss et h l'Elbe, se pres-
saient trop de nations diverses. Si l'Italie et la
Gaule, conservant encore le souvenir des Césars
romains, consentaient à devenir provinces d'un
nouvel empire d'Occident, la Germanie tout en-
tière se montrait peu disposée à reconnaître l'au-
torité d'un seul chef, résidant au delà du Rhin.
Dans la Gaule même et dans 1 Italie, comme on ne
sentait plus la forte tuain de Charlemagne, les
luttes intestines recommençaient; l'aristocratie
militaire et religieuse, mise en possession d'une
grande partie du sol, cherchait à conquérir l'in-
dépendance. Vingt ans après la mort de l'empe-
reur, une désagrégation lente, symptôme de la
mort, détruisait en détail son œuvre. Sous le règne
de Louis le Débonnaire (814-S40), les partisans de
l'unité impériale essayèrent en vain de faire triom- ■
pher leurs idées. La bataille de Fontanet (SU) et
le traité de Verdun (S4:<; consacrèrent un démem-
brement devenu ini'vitable. La Gaule, l'Italie,
l'Allemagne se séparèrent. Une fois encore, en
884, le monde occidental n'eut qu'un seul chef.
Mais Charles le Gros fut déposé (887). et les dilTé-
rents pays qui .ivaient composé l'empire se sépa-
rèrent pour toujours.
La séparation ne se fit pas sans d'affreux dé-
sordres. On eût dit que le vieux monde ie déchi-
rait. Le IX' siècle mérite bien le nom de i. siè-
cle de fer ». L'Europe entière semble se couvrir
de sang et de ruim s. Ce ne sont pas seulement
des guerres privées qui désolent la Gaule, l'Italie
et l'Allemagne. Des invasions inces-antcs de.
Normands an nord, d'Arabes au sud, rie Hongrois
à l'est, de Slaves sur les frontières de l'empire
byzantin, viennent .ajouter à l'iiorreur de ces
temps si troublés. L'invasion danoise ébranle toute
l'île de Breiagno. Le monde Scandinave, agité par 4
des convulsions intestines, est comme projeté en
dehors de ses limites séculaires. L'invasion s'é-
MOYEN AGE
i:jgi —
MOYEN AGE
tend sanglante ot rapide sur l'Écosso, les Ildbridcs,
les Orcados, l'Islaiidc, le Groenland au nord-ouest,
sur lu Ôussio h l'est où Uurik fonde vers 802 un em-
pire Scandinave ; à l'ouest, les mers sont sillonnées
par les longues barques des Normands ((ui vou-
draient fonder aussi des établissements dans
l'Europe occidoniale. Au deli du Danube, les ca-
valiers Magyars, menaçant la « Marclie orien-
tale u (OEsterrcicli, Autricbe), préparent la fonda-
tion du futur royaume de Hongrie. C'est le temps
enfin où le monde slave franchit décidément le
Danube et couvre de ses innomljrables tribus la
presqu'île dos Balkans. Vu monde nouveau s'im-
pose Ji Uyzance, et transforme tout, jusqu'au nom
des pays qu'il occupe (Péloponèse, Moroe). Dans
l'Espagne enfin, les successeurs d'Abder-Rab-
man, (\m s'était déclaré indépendant en 755, ont
à combattre les fréquentes révoltes de leurs sujets
musulmans, tandis que le royaume cbrélien dos
Asturies commence contre l'islamisme une lutte
qui a dure six cents ans.
C'est cependant de ce sang et de ces ruines
que sont sortis les Etats du moyen âge. Le monde
barbare, qui avait si longtemps roulé sur lui-
même, semblable à, une mer agiiée. se calme onfi i
et s'arrête. Malgré tant de sang répandu, le
ix" siècle n'est pas un temps de mort; c'est un
siècle de vie et de création féconde.
L'empire romain avait laissé après lui le sou-
venir de l'unité fondée sur la loi. Cliarlemagne
avait cbercbé l'unité dans la foi religieuse. Celte
foi avait inspiré la première renaissance des let-
tres et des arts en Gaule, en Italie, en Angleterre.
La religion parut désormais un élément indispen-
sable il la fondation et à la durée des nouveaux
Etats. Du X' au xu= siècle, le clirisiianismo se
répandit en Norvège, en Suède, en Pologne, en
Russie, en Hongrie, môme dans les Etals fondés
par les Slaves, bulgarie, Croatie, Serbie. A ces
nouveaux venus lo christianisme semblait donner
droit de ciié, à côté des Etals plus anciens de
l'Occident et du midi. Cette unité religieuse était
d'ailleurs toute morale. Elle respectait les natio-
nalités, se bornant à inspirer au monde une foi
ardente et mystique dans l'Evangile.
Vers le même temps l'Europe adoptait un ré-
gime politique presque uniforme, celui de la féo-
dalité. Fondée dans des sociétés composées d'élé-
ments romains et d'éléments germaniques, la
féodalité emprunte des traits aux deux civilisa-
tions de Rome et de la Germanie. L'empire ro-
main avait connu les patrons et les clients, les
nobles qui possédaient le sol et |ps colons qui
le cultivaient, sans parler des esclaves. Dans la
Germanie, la truste, le comitat étaient des insti-
tutions analogues k la clientèle romaine. Les codes
romain et barbares proclamaient la grande auto-
rité du patron, chef de la famille, « qui parle au
nom des autres » (m'oido'il /, de mui'/, bouche .
Au milieu des troubles du ix» siècle, le principe
de la i-ecommnnilal on {de com»vnil<iiv] l'umporta.
Les plus faibles se groupèrent autour des plus
forts, leur confiant la défense de leur personnes
et de leurs terres. Le caractère disiinciif de la
société est désormais l'attachement à la pro.iriélé
foncière. Aux divers modes de possession corres-
pondent diverses formes dans l'ordre polili(iue et
social. La terre sur laquelle s'exerce un droit
absolu de propriété se nomme nlleu. La terre
dont on ne (.os ède que la jouissance, ou sur la-
quelle s'exerce un droit de po-,ses>ion incomplet,
se nomme béihifice ou fief. Celui qui lient une
terre en fief d'un autre homme est vassal d'un
suzerain. La vassaliié, d'ailleurs, n'entriine pas la
servitude. La cérémonie da l'hommage, par la-
quelle le vassal se lie au suzerain, respecte la
liberté des doux parties contra tantus. Au-dessous
des vassaux, les colons, aussi nombreux et aussi
2' P*RTIE.
variés qu'au temps de l'empire, paient des rede-
vances aux seigneurs. Enfin au dernier degré de
la société sont placés les esclaves. Voili les ca-
ractères généraux du régime féodal. Sans doute,
dans divers Etats, on doit remarquer quelques
difféiencos de détail. En Orient, par exemple,
la féodalilé n'existe à proprement parler que
pour les terres militaires ou impériales donmes
en récompense à des soldats. Dans les pays gou-
vernés par les Musulmans, la féodalité est sur-
tout personnelle et administrative; elle ncst
(|u'uno forme particulière d'une hiérarchie reli-
gieuse et militaire. Dans le fond elle est en-
core analogue à la féodalité européenne et chré-
tienne. Sur les points où Arabes et chrétiens se
rencontrent, en Kspagne et en Oriejt, chroni-
queurs et poètes soni frappés moins des diffé-
rences que dos ressemblances des deux régimes.
Partout, sous des noms divers, l'aristocratie do-
mine. Dans le groupe des Etats Scandinaves se
retrouvent les vieilles divisions germaniques par
dizaine, et rentnine, les réunions de district, les
liiiqs ou assembice-i générales dans lesquelles les
hommes libres règlent les affaires du pays. Ces
institutions, plus démocratiques que celles de
l'Europe centrale et méridionale, se moilifient dès
le xi' siècle, sous l'influence du droit romain et
du droit canon. L'Europe tout en;ière parait alors
soumise aux mêmes règles. Au-dessus des diffé-
rences internes de chaque peuple se forme un ré-
gime politique unique, sorte de patrimoiiie com-
mun à tous les Etats européens. Partout les
hommes s'assetnblent et les Etats se fondent
d'après des lois communes basées sur l'identité
de cause, la possession territoriale, et l'identité
de but, le maintien de la propriété foncière.
La féodalité parait arriver i son plein épanouisse-
ment danslecourant du xi' siècle. Loin d'entretenir
la barbarie, comme on l'a cru si longtemps, elle lui
impose des barrières, ot l'arrête. Ses institutions,
loin d'être un chaos, sont fort régulières ; ses lois
sont'fixes dans leur rauliiplicité. De véritables
écoles de législation se fondent et produisent de
savants jurisconsultes. La iNormandie surtout se
distingue dans ce grand travail d'organisation
politi(|ue et judiciaire. Litileion et Glanville sont
les premiers des grands feudistes au moyen âge.
Plus tard, l'Angleterre normande produira liracton
et Briiton. L'Ilalie possédera les codes de Obertus
ab Orto et de (ierardus Niger (xu« siècle): l'Alle-
magne a lo code intitulé Vclu^ auctor de Hen-ft-
ai'. La féodalité semble appelée moins à con-
quérir des Etats qu'à, les organiser. Au lendemain
mè ne de l'invasion normande (xi= siècle), l'An-
gleterre est féodalement divisée entre 70 i graniis
barons et GOil.i barons inférieurs A la tin du
même siècle, lorsque la France et l'Europe mirent
le pied sur le sol de l'Asie, la féotalilé s'implanta
naturellement dans ce pays où vivaient cependant
des races si diverses Les Assise< de Jérusalem
furent rédigées avec soin, au milieu même du
tumulte des batailles. Elles devaient plus tard
servir de base aux travaux de PliiUppe do Navarre
et de Jean d'Ibelin (xiii" siècle).
Les résultats de la féodalité n'ont pas été mé-
diocres. Elle a pres.|iie partout effacé pour loti-
jours les distinctions de races; elle a multiplié
les familles agricoles, protégées plus qu'on ne pour-
rait le supposer par les institutions féodales Elle
a répandu l'activité et la vie dans les campagnes
longtemps abandonnées. Bile a appelé un grand nora-
bre'dhommos à la possession du sol. ICntin, dans un
autre ordre d'idées, elle a partout inspiré une lit-
teraturo originale. Il no faudrait pas exagérer ce-
pendant les bienfaits de ce régime politique. La so-
ciété féodale était rude. Milgfé l'innuenco de
l'Eglise, malgré t'instiiution religieuse ot iniliiaiije
de" la chevalerie, qui intéressait les forts à la
86
MOYEN AGE
— 1362 —
MOYEN AGE
défense des faibles, le moyen âge est un temps | motifs de desaccord. En Allemagne en Italie,
de passions fougueuses ot de luttes sanglantes, dans l'Europe catholique 1 Etat devait-il absorber
Dès le x« siècle, l'aristocratie féodale affirme sa l'Eglise, en transformant les evéqueseï les abbé»
puissance. En Allemagne, elle domine les faibles
Un Luiipold en Bavière, un Otto en Saxe, un Gi-
selbert en Lorraine sont les véritables maîtres des
du' liés allemands. En France, les seigneurs peu-
vent en 0S7 opérer une révolution tout aristo-
cratique, en plaçant sur le trône un prince féodal,
Hugues Capot. En Italie un marquis d'Ivrée, un
duc de Frioul se disputent la couronne. Le pape
lui-môme est obligé de défendre contre les barons
la papauté qui n'est plus qu'un fief. Partout,
d'ailleurs, la force et les prétentions de l'aristo-
cratie féodale donnent naissance à des guerres
privées. L'Allemagne est troublée par les Glierard
et les Mattfried, les Conrad et les Bamberg ; la
France par Foulques Nerra et Eudes de Blois.
Pendant près d'un siècle dure celte effervescence
qui agite toute l'Europe et trouble l'Eglise même.
Les évêquos et les abbés sont entrés dans n le
siècle. • Leurs mœurs sont celles de la société mili-
taire ; les évêchés et les abbayes deviennent des
souverainetés dont on trafique ouvertement: c'est
ce qu'on appelle la simonie. Le clergé renonce
partout au célibat ; l'Europe va se couvrir peut-
être d'une caste sacerdotale. Sous toutes les for-
mes, dans le sanctuaire comme dans les cbàteaux,
la féodalité, qui a morcelé le sol. morcelle l'au-
torité. Le mysticisme religieux, développé dans
l'isolement, pousse les hommes i de grandes
aventures. Au xi' siècle, la race normande se
répand dans le midi de l'Italie (llliG-i053), en
Angleterre (1066) ; des chevaliers bourguignons
s'établissent dans la péninsule hispanique (lOl.O;.
Ils fonderont plus tard le royaume de Portugal
(M4u). Enfin l'Europe entière, emportée dans un
élan de foi, se précipite à la fin de ce siècle vers
le tombeau du Christ. C'est une démocratie im-
mense, qui ne connaît encore que ses Oevoirs, et
qui semble ignorer ses droits. Aujourd'hui, elle
obéit docile à l'aristocratie qui la mène, peut-être
elle se soulèvera demain.
La féodalité avait établi des rapports intimes
d'homme à homme, de pouvoir à pouvoir. Si le
vassal dépond du seigneur, et le seigneur du roi,
le roi à son tour ne dépendra-t-il de personne ?
Question redoutable, que la papauté a voulu ré-
soudre à son avantage.
Dans la seconde moitié du x' siècle, un Alle-
mand, Otton I"', avait essayé de rétablir l'empire
de Charlemagne. Il iiarvinl difficilement h impo-
ser son autorité à l'Allemagne et à l'Italie : les
autres souverains se gardèrent de reconnaître
cette suzeraineté nouvelle; quelques-uns, comme
le César de Byzance, refusèrent de donner au
César germanique le titre d'empe eur. Les nations,
en effet,étaient désormais trop distinctes pour qu'on
pût constituer à nouveau 1 unité rêvée par Charle-
magne. Ce n'est qu'un dehors de la politique, dans
le monde chrétien, que cette unité pouvait se ren-
contrer. Home espéra réussir où les Oitons avaient
échoué. Au XI' siècle, avec le moine Hildebrand et
Pierre Damien, elle entreprit la réforme profonde
de l'Eglise, créant des ordres religieux, inteidisajit
la simonie et le mariage des prêtres, chorchaiil
aussi dans le passé dos litres à la domination du
monde, con>ultant à cet effet les Evangiles et les
Décrétales, trouvant partout inscrites la glorifica-
tion de l'Kglise et la puissance du successeur de
Pierre. Devenu pape, Hildebrand iGrégoire VU)
voulut réaliser son rêve. Il imposa le respect absolu
du Saint-Siège à l'Espagne, au Portugal, à l'Angle-
terre, à la Pologne, à la Jrance même. Il entama,
enfin, avec l'Empiii' une lutte qui devait duier
deux cents ans. Lnire le pape et l'empereur ces
deux unités puissantes et terribles que Charlema-
gne avait léguées au monde, surgissaient de graves
en de simples vassaux militaires? L'Eglise devait-
elle supprimer l'Etat? Rendrait-elle les princes
ecclésiastiques indépendants des souverains tem-
porels, « avec de vastes territoires dépourvus de
charges, avec des droits dégagés d'obligations,....
placés dans un pays sans lui appartenir, membre»
de la république chrétienne ? »
Le débat qui s'engageait était politique autant que
religieux. Au xii" siècle, au temps de Frédéric I"
et d'Alexandre III, le caractère politique domine.
Il ne s'agissait plus seulement de la papauté et
de l'empire, mais aussi des villes de la Lombardte,
qui avaient grandi au milieu de la lutte. Garde-
ront-elles leurs privilèges ourccevront-elles les con-
stitutions de l'empire':' Au siècle suivant, la ques-
tion se déplace de nouveau. Les papesinnocent m et
Innocent IV défendent l'indépendance de 1 Italie,
que FrédéricII voudrait annexer àl'empire allemand.
La papauté semble victorieuse à la mort de Frédé-
ric II (r.'5(l). La maison des Hohenstaufen s'étemt ;
l'Italie et l'Allemagne reprennent chacune séparé-
ment le cours de leur destinée. Mais le triomphe
de la papauté n'est qu'apparent. Au xiV siècle, un
pape est fait prisonnier dans Rome; le Saint-Siège
est transféré h Avignon. Pendant plus d'un demi-
siècle, le chef de l'Eglise n'est que le lieutenant
d'un souverain laïque. En réalité les papes sor-
taient vaincus d'une lutte qui avait duré près de
trois siècles. Ils devaient renoncer à tenir dans
une complète dépendance les sociétés civiles.
Mais cette lutte, que des hommes énergique»
avaient fièrement soutenue, aux dépens mcnie de
la papauté, n'était pas sans gloire. Le Saint-biège
a rendu de grands services au monde du moyen
âge il a préservé l'Europe occidentale de la do-
mination allemande; il a rudement ébranle une
féodalité orgueilleuse et re^loutable; en saillant
contre les Césars allemands au peuple des villes,
il a révélé à celui-ci toute sa force; enfin, il a
lancé surlOccid.nt ses missionnaires et ses iiioi-
nes sortis du peuple, véritable arme^- révolution-
naire, qui, pour lutter contre le despotisme laïque,
jetait îi tous les vents le mot de liberté.
Pendant la longue lutte du sacerdoce et de 1 em-
pire le rc^gime féodal se modifie. Les villes gran-
dissent; la bourgeoisie prend de l'importance.
Alors s'accomplii ce qu'on a appelé la révolution
communale. Dans le nord de l'Italie, les villes qui
ont conservé le souvenir des constiiuttons ro-
maines, Pise, Gènes, Milan, avaient toujours pos-
sédé une « commune ... Le commerce les mettait
en relations permanentes avec le midi de la France.
Là aussi les communes se formèrent. Les chartes
de fondation fureniimiiées en Espagiieeten Portu-
gal. Les communes du Norddérivent surtout des as-
sociations de marchands ou gliilds, dont on signale
l'existence en Flandre, en Angleterre, dans les Etats
Scandinaves, en Allemagne, en Russie. Dans ces
pays, comme dans la Fiance septentrionale, le
mouvement communal ne s'est pas opère sans
troubles. Il a fallu lutter contre une aristocratie
jalouse, conquérir les chartes d'indépendance. De
là les associaiions de communes, la H-inse, ou
union des armateurs du Noid, la ligue du Rhin
formée par les villes de commerce situées le long
du fleuve. Du nord au midi, les villes deviennent
puissantes. Des relations s'établissent entre elles
Déjà l'horizon semble s'élargir. La foi religieuse
n'est plus désormais le seul mobile q"> PP^^f» 'f
hommes. Dès la iroisiome croisade ("**•'■, If."""
blesse i.resque seule figure dans ces expéditions
plus pompeuses qu'utile-. La bourgeoisie sadonne
au commerce et s'enri.hit. A la nob!es-e de nais-
sance elle oppose une noblesse de fortune. Adver-
saire de la féodalité, elle est l'alliée naturelle de
MUYLIN AGE
— 1363 —
MOYEN AGE
tous ceux qui luttont contre les institutions féo-
dales.
En France, la bour<;eoisio s'est alliée de bonne
heure ii la royaulo. Dans cette alliance, elle a
perdu l'indépendance communale, mais cette indé-
pendance, i la fin du xii* siècle, dégénérait déjà
en de graves désordres. Sous Louis VI, Louis VII
et surtout Philippe-Auguste, la royauté française
so développe, au temps où dans d'autres pays, en
Allemagne, en Angleterre, dans les Etats Scandi-
naves, les rois luttent péniblement pour le main-
tien do leur autorité. Dans l'Europe troublée, la
Franco apparaît comme un pays véritablement uni
et désormais réglé. Suger a donné i la royauté la
force qui lui manquait. Saint Bernard réforme
l'Eglise de France. Abailard le philosophe « met à
jour les secrets de Dieu, et jette au vent les plus
hautes questions. » Ses disciples vont répandre
dans le monde la pensée libre du maître. Arnaud
do Brescia sera pendu à Rome pour avoir rêvé de
république. Le politique qui a dégagé la royauté
des entraves féodales, le théologien qui demande
à la raison la confirmation de la foi, le penseur qui
voudrait sonder tous les mystères, annoncent des
temps nouveaux. L'aristocratie féodale est comme
rejetéo au second plan. Les rois et les peuples sont
en présence, moins pour se combattre que pour
s'unir. De cette union toute politique la cojisé-
quence est pour les uns la force, pour les autres
la richesse, plus de sécurité, la gloire enfin des
lettres et des ans.
3. et 4' périodes, du XIII» siècle à l'an 1453.
— Le xm" siècle marque l'apogée de la France
au moyen âge. Philippe-Auguste et surtout saint
Louis ont organisé le pouvoir royal. Les commu-
nes, de gré ou de force, se soumettent il l'auto-
rité des prévôts du roi. Le midi de la France,
dompié par la terrible guerre des Albigeois, de-
vient moins étranger au reste du royaume. La féo-
dalité, frappée par Philippe- Auguste, s'incline avec
respect devant Louis )X dont l'Eglise a fait un
saint. L'Allemagne est en proie aux troubles du
grand interrègne; l'Italie est déchirée par les
g'ierres civiles ; l'empire grec d'Orient a disparu
ponr faire place à un empire latin; l'Angleterre
est affaiblie par les longues luttes des barons, des
bourgeois et des rois ; la Suède est attristée par
les drames sanglants doiit le palais des Foikungs
est le théâtre; seuls le Danemark et la Grande-
Hanse ont quelque puissance dans les régions du
Nord. Au milieu de ce désordre général, la France
voit s'accomplir avec lenteur mais sûrement l'œu-
vre de l'unification territoriale. Son inlluence est
prépondérante sur la Méditerranée, à Montpellier,
à Marseille, dans les Deux-Siciles, où s'établit une
maison française, dans la Moréê occupée surtout
par des chevaliers français, à Constanlinople où
régnent des empereurs latins soutenus par la
Franco, en Egypte, où domine notre influence
commerciale ; saint Louis essaye même de fonder
un établissement chrétien h Tunis Dans le même
temps, le français tend à devenir la langue de la
science; il est déjà celle de la poésie. L'université
de Paris, fréquentée par des étudiants de toutes
nations, brille d'un éclat incomparable. Guillaume
do Samt-Amour, OJon de Douai, Chrétien de
Beauvais, Rutobœuf. JoinviUo, saint Bonaventure,
saint Thomas, un des plus ailmirables génies du
moyen âge, publient leurs ouvrages. Des corpora-
tions d'archit.'Ctes et de maçons couvrent la France
et l'Europe occidentale de magnifiques cathédrales.
Le royaume, riche et prospère à l'intérieur, reçoit
u.ie organisation administrative. Le parlement est
hxé a Pans, les états généraux sont assemblés.
A 1 extérieur, la France devient redoutable sous
1 hilippe le B.l, l'ennemi des Anglais et le vain-
queur des pape.i;.
Mais Cette ère de prospérité s'arrête brusque-
ment au xiv' siècle. Une lutte qui devait durer
cent ans met aux prises la France et l'Angh'terre.
Les deux pays sont ruinés. Il faudra plus tard les
gouvernements de Charles VII et de Louis XI en
France, pour réparer les malheurs que le sage
Charles V n'avait pu conjurer. Cette guerre terri-
ble est loin d'ailleurs de desservir la France. Le
patriotisme naît enfin, et Jeanne d'Arc en est la
piTsonnification éclatante. Les provinces occupées
par les Anglais reviennent à la couronne, et ce
retour resserre le lien qui unissait déjà les autres
pays do France.
L'Angleterre, après la guerre étrangère, connaît
la guerre civile ; elle subit la sanglante que-
relle des deux Roses. L'aristocratie en sort dé-
cimée, et Henri Vil (148j) peut sans difficultés
établir le pouvoir absolu chez une nation très
attachée pourtant à ses droits. L'Espagne va
bientôt trouver l'unité nationale, sous Ferdinand
et Isabelle. L'Italie voit tomber les républiques.
Des familles priocières régnent à Milan et à Flo-
rence, comme à Naples. Venise, seule des grandes
villes italiennes, conserve sa constitution répu-
blicaine et aristocratique. L'Allemagne, si long-
temps divisée, a comme pressonii l'unité possi-
ble, sous la dynastie des Luxembourg. Mais cette
famille slave, dont Prague est la capitale de pré-
dilection, ne saurait plaire aux Allemands. En
H'-W, la couronne impériale revient à la maison
vraiment allemande des Habsbourg. Les Etats
Scandinaves, Suède, Norvège et Danemark, signent
en Li9" l'union de Calmar, et n'ont plus qu'un
seul souverain. L'Orient, perdu lentement par les
Grecs, est occupé par les Turcs, qui, en 1453, en-
trent à Constantinople, consolident leur pouvoir
dans la presqu'île des Balkans, et fondent une
1 administration solide sur cette terre classique du
désordre. La Russie enfin, envahie par les Tatares
au xiii" siècle, secoue leur domination sous
Ivan III (14G.3J. Moscou devient la capitale défini-
; tive d'un monde qui se dégage des ténèbres du
I moyen âge. Dans toute l'Europe, « nous voyons
] la même tendance à la centralisation, à l'unité, à
la formation et à la prépondérance des intérêts
généraux, des pouvoirs publics. »
Une révolution s'accomplit en effet au xV siè-
' cle. Au régime féodal et aux constitutions com-
munales, qui n'avaient pu rien produire de dura-
! ble, on substitue un ordre politique fondé sur
, l'absolutisme du pouvoir royal. Cette révolution
; rencontre sans doute des résistances. A la fin du
j xiV siècle, des troubles éclatent en France sous
j Charles VI, en Angleterre et en Allemagne, où
I deux souverains sont déposés, dans les Flandres
j dont les grandes et tumultueuses cites sont le
foyer révolutionnaire de l'Europe. Ce mouvement
J s'apaise dans la seconde moitié du xv= siècle. Le
principe du pouvoir personnel l'emporle dans la
, politique, au moment où les idées démocratiques
bouleversent l'Église.
En 131s, la nomination de deux papes provoque
le Grand-Schisme. En 1409. la chrétienté a trois
papes à sa tète. Pour réformer les déplorables
abus de l'Église, des conciles se réunissent à Con-
stance f 141 il, à Bàle (li:il). Malgré les proposi-
j tiens démocratiques de Gersoii, d'Ailly, des doc-
teurs français et anglais, ces conciles ne par-
j viennent pas à limiter l'autorité des papes. Les
gouveinenients laïques fixeront eux-mêmes des
barrières au pouvoir pontifical', par des pragmati-
ques sanctions. D'ailleurs, pour n'avoir pas per-
mis une réforme, l'Église est menacée d'une révo-
lution. Les Flandres et l'Angleterre, depuis le
tenip"; de Wicleff, sont hostiles à Rome. A Con-
stance, le pape et l'empereur ont fait brûler Jean
Huss et Jérôme de Prague. Mais l'Allemagne cen-
tral', est ravagée par une guerre de religion. Le
désordre est au comble. En Saxe, sur les bords du
MUSCLES
— 1364 — MULTIPLICATION
Rbin. dans les universités allemandes se forment
de libres associations d'étudiants, dont l'espfit et
les tendances annoncent la Rél'oinie.
Le mouvement littéraire du \y' siècle vient ap-
porter encore dos forces nouvelles aux idées démo-
cratiques. L'imprimerie, répandue déjà avant
1453, est un agent de progrès, le plus rapide et le
plus sûr que les liommes aient jamais connu.
Plus de morcellement comme dans les temps pas-
sés, plus de pouvoirs locaux, plus d'idées locales.
Le domaine dos esprits s'étend; l'intelligence des
hommes, mieux cultivée, deviendra plus libérale
et plus haute. La Renaissance fera aimer la liberté.
La politique aussi est simplifiée. D'un côté se
dressent les rois, qui marchent vers le despotisme
personnel, de l'autre les peuples qui obéissent et
souffrent, mais qui rêvent déjà d indépendance.
[L.-G. Gourraigne.]
MOYF.rraE PR0l'0RTI01>?il LLIi. — V. Li'jn'S
proportiont'tttes.
ML'SCLES. — Zoologie et Physiologie, XXXVL
— Définition. — Les muscles sont des oiganes
fibreux qui, sous l'influence de la vulonlé, ou
d'excitations étrangères à celle-ci, sont capables
de se raccourcir dans le sens do leurs fibres et
provoquent les mouvements des parties auxquelles
ils sont insérés.
Diverses espèces de muscles. — Il y a deux grou-
pes principaux de muscles : 1° les muscles à fibres
striées; i° les muscles à fibres lisses.
Le premier groupe se subdivise lui-même en
deux catégories de muscles, ceux qui s'insèrent
sur 1rs os et font mouvoir les pièces du squelette
en obéissant à la volonté, et ceux qui forment la
paroi cliarciue du cœur et déterminent, en se con-
tractant, la dilatation et la contraction do ce vis-
cère.
Le groupe des muscles à fibres lisses comprend
ceux qui sont annexés aux viscères (le cœur
excepté), et les mettent en mouvement en se rac-
courcissant indépendaiTiraent de la volonté.
Muscles a fibiies srniÉiîs. — I» Muscles du sque-
lette. — Ilssont constituésparlajuxtaposition d'un
très grand nombre de filaments microscopiques
appelés fibrilles musculaires, ayant jL. je milli-
mètre environ, et tous dirigés dans le même sens,
ou bien pouvant diverger par faisceaux, ou bien
encore pouvant devenir concentriques et constituer
un anneau circulaire autour de certaines ouver-
tures. La fibrille musculaire est coupée transver-
salement par des bandelettes alternativement
blanches et rouges, d'où résulte leur aspect strié.
Les fibrilles, se groupant en faisceaux, constituent
les fibres musculaires dont la réunion forme le
muscle tout entier ; celui-ci est recouvert par
une membrane appelée api n< vi ose, très résistante,
luisante, qui se replie dans son intérieur pour
déterminer des cloisons si' p:irant des groupes do
fibres.Sur l'aponévrose s'insèrent les fibrilles mus-
culaireSj et cette membrane se cent nue à chaque
extrémité du muscle par un ligament fibreux, le
tendon, dont les éléments sont aussi en continuité
avec les fibres musrulaires. C'est par l'intermé-
diaire des tendons que les muscles s'attachent
au périoste (gaine fibreuse des os). On conçoit
dès lors que du raccourcissement simultané de
toutes les fibres musculaires, il résulte des trac-
tions sur les pièces articulées du squelette, et que
celles-ci puissent exécuter des mouvements. Lors-
que les niusclis entrent en jeu, leur tempéra-
ture augmente, et ils transforment une grande
quantité de sang artériel en sang veineux. C"s or
ganes sont sous la dépendance des nerfs raciii-
diens. Lorsque l'on coupe un nerf qui se rend à un
muscle, celui-ci perd la faculté de se mouvoir vo-
lontairement.
Les muscles do la vie animale, ceux que nous
venons d'étudier en général, recouvrent ordinaire-
ment les os; dans la région du tronc, ils consti-
tuent les parois charnues des ca>ités thoracique
et abdominale. Sur le^ membres, ils sont groupés
par faisceaux musculaires, ne délimitant pas de
cavité. Dans les intestins, ils couvrent les vais-
seaux et les nerfs ; ils sont recouverts par la peau,
qui, au niveau de certains inteivalles musculaires
(bouche, nez, anus), se modifie en muqueuse pour
former la membrane qui tapisse intérieurement la
surface des viscères.
2° Muscles du ro'ur. — La couche musculaire
du coeur est formée de fibrilles musculaires striées,
plus fines que celles des muscles ordinaires. Elles
présentent de plus un caractère qu'elles ont de
commun avec celles de la langue, d èiro anastomo-
sées, c'est-à-dire d'êire réunies entre elles par de
petites branches transversales et obliques.
Muscles a fibkes lisses. — Jamais ils ne sont sou-
mis à la volonté; ils se contractent sous l'in-
fluence de filets nerveux appartenant au système
nerveux de la vie organique, et sont généralement
situés dans les parois des viscères. Dans l'intestin
en particulier, ils forment une couche superposée
à la muqueuse, composée défibres longitudinales,
coupées perpendiculairement par des fibres trans-
versales : au niveau de l'estomac s'ajoutent des
fibres obliques. Les fibres ont jfj à -i^ de millimè-
tre de longueur; leur diamètre le plus grand est
en moyenne de -r^ de millimétro; elles sont fusi-
formes, blanches, et présentent un noyau allongé
dans leur région centrale. [G. l'hilippon.]
ML'LllI'LIC.iTlOIV. — Arithmétique, VI- VIU.—
1. — On renconire, dans l'addition, un cas particu-
lier remarquable : c'est celui où tous les nom-
bres à additionner sont égaux. Soit proposée cette
addition :
658
658
658
658
658
658
4606
On voit qu'ici l'opération a pour but de répéter
7 fois le nombre 058; elle prend alors le nom de
multiplication. Le nombre 658 que l'on répète
s'appelle le mnHiplicinile; le nombre 7. qui indi-
que combien de fois on répète le multiplicande,
s'appelle le multiplicateur, et le résultat de I ope-
ration porte le nom de pro'vit. Le multiplicande
et le muLiplicateur sont les deux fncieurs du
produit. En faisant l'addition à la manière ordi-
naire on reconnaît que Ii58 multiplie par 7 donne
pour produit 4Gii6. Mais l'opération peut se faire
d'une manière plus simple. On remarque en effet,
que la colonne des unités ronfe-rme 7 fois le cliiB're
8- le résultat de l'addition de cette colonne est
donc le résultat de la multiplication de 8 par 7.
De même la colonne des dizaines renferme 7 lois
le chiffre 5; et l'addition de cette colonne a pour
résultat le produit de 5 par 7. On verrait de même
que le résultat de l'addition de la colonne des
centaines est le produit de G par 7. Si donc on
savait d'avance les | réduits des nombres 8, 5, 0
par 7 l'opération se trouverait abrégée; on dirait :
7 fois 8 font 5B, je pose 6 et retiens 5 ; - 7 fois o
font 35, et 5 de retenue font 40, je pose 0 et re-
tiens 4 • — 7 fois ti font 4-2, et 4 do retenue font 46,
je pose'e et avanpe *, ce qui donne bien 46011.
La même simplification se présenterait, toutes
les fois que le muliiplicateur ne dépasse pas .1,
si l'on savait par cœur les produits des nombres
d'un chiff.-e p:T les nombres d'un chiffre. Ces pro-
duits sont reunis dans le tableau ci-dessous, au-
MULTIPLICATION
— 13G3 — MULTIPLICATION
(luel on donne le nom de TahU de mulUplicatvm
(ou Table de Pyiliagorc, du nom du pliilosoplie
auquel on en attribue l'invention).
î. — Table de multiplication.
1
3
4
6
7
S
9
2
■ï
6
8
10
12
14
1(1
18
3
G
11
12
1.',
18
21
2i
4
8
12
10
20
28
32
3C
10
15
2i)
30
35
40
45
(1
12
18
24
30
36
42
48
51
7
14
21
28
35
42
40
5G
63
8
16
24
32
40
48
50
i;4
"2
9
18
27
36
45
54
63
72
81
produit prccéd(!nt (s'il y en a une). L opération
n'est ici qu'une addition abrogée.
5. — Supposons maintenant que le multiplicande
et le muluplicaieur aient un nombre quelr.onque
de chiffres, et soit, par exemple, îi multiplier
250 319 par 4087.
250319
4087
Iu23u53753
Pour former cette table, on écrit sur une pre-
mière ligne horizontale les 9 premiers nombres.
On forme une seconde ligne horizontale en ajou
tant à eux-mêmes les nombres de la première.
Ou forme la troisième horizontale en ajoutant aux
nombres de la seconde ceux de la première; on
forme la quatrième ligne horizontale en ajoutant
aux nombres de la troisième ceux de la première,
et ainsi de suite jusqu'à la neuvième ligne.
Pour se servir de la table, on prend, dans la
première colonne verticale, le multiplicande, et
l'on suit la ligne horizontale qui commence par
le multiplicande jusqu'à ce qu'on arrive à la co-
lonne verticale qui commence par le multiplica-
teur; le nombre inscrit à la rencontre de ces deux
lignes est le produit que l'on cherche. Ainsi, pour
trouver le produit de 8 par 7, je prends dans la
première colonne verticale le nombre », et je suis
la ligne horizontale commençant par 8 jusqu'à ce ,
que j'arrive à la colonne verticale commençant
par 7 ; le nombre 50, inscrit à la rencojitre de ces
deux colonnes, est le produit de S pur 7.
3. — On a vu, dans la numération, que l'on rend i
un nombre 10 foi-; plus grand en mettant un zéro à
sa droite; on le rend 100 fois plus grand, en met- I
tant deux zéros à sa droite: lOO l fois plus grand
en mettant trois zéros, et ainsi de suite. Par con- ,
séquent, lorsqu'il s'agit de multiplier un nombre i
par 10, 100, lOUO, lOOJO, etc., il suftit d'écrire, à
la droite, un, deux, trois, quatre zéros, etc. Par
exemple le produit de 75^1 par lOOo est 759000.
4. _ Les règles de la multiplication se déduisent
aisément de ce qui précède.
Supposons d'abord que, le multiplicande étant
quelconque, le multiplicateur soit un nombre
d'un seul chiffre; et soit, par exemple, à multi-
plier 05« par 7. On écrit le multiplicateur au-
dessous du multiplicande:
058
7_
4000
et on les sépare par un trait du produit à chercher.
Faisant ahn's usage de la table de multiplication,
oh muliiplie successivement cliaque chiffre du
multiplicande par le muUiplicatour, en ajoutant à
chacun de ces produits la retenue provenant du
L'opération a pour but de répéter 4087 fois le
multiplicande. Pour y parvenir, nous le répéterons
d'abord 7 fois, puis 80 fois, puis 400O fois. La pre-
mière opération partielle rentre dans lo premier
cas, et l'on obtient pour premier produit 1752 233,
que l'on écrit au-dessous du trait. Il s agit
maintenant de répéter le multiplicande 80 fois;
mais comme 8 i n'est autre chose que lu fois S,
on arriveia au résultat en répétant le multipli-
cande N fois, et en répétant 10 fois le résultat
obtenu. Le produit du multiplicande par 8 est
■1002552, et pour le répéter 10 fois il suffirait de
mettre un zéro à la droite; on l'écrirait alors au-
dessous du premier produit partiel; mais on peut
se dispenser décrire le zéro : il suffit de placer
le premier chiffre à droite du produit partiel con-
sidéré, au rang des dizaines, c'est-à-dire au-des-
sous du chifl're 8 par lequel on a multiplie. Reste
à répéter le multiplicande 400' fois. Comme 40110
revient à lOOO fois 4, on obtiendra le résultat
cherché en répétant le multiplicande 4 fois, et en
multipliant le résultat par lOOii, ce à quoi on par-
viendra sans écrire de zéros à la droite du pro-
duit partiel obtenu. lOOlïTii, mais en plaçant le
chiffre 6 do ses unités au rang des mille, c est-à-
dire sous le chiffre 4. par lequel on a multiplié.
On tire alors un trait au-dessous du dernier pro-
duit partiel, on fait la somme de ces produits
partiels, ce qui donne le produit total 1 0'.'3o53 753.
6 — Il peut arriver que le multiplicande ou le
multiplicateur, ou tous deux à la fois, soient ter-
minés par des zéros; on peut alors laire la multi-
plication s ins avoir égard à ces zéros, sauf à écrire
à la droite du prortuit autant de zéros qu il y en
avait au multiplicande' et au multiplicateur. Si, par
exemple, on avait h n.nl.iplirr 9 000 par OOO, cela
reviendrait à m^^Wr,A\rr mio-i par 0, et :\mulliplier
le résultat par .on, w \- produit de 90U0 par 6
' est 54 000, et pour inullipiier ce résultat par 100,
il faut écrire deux zéros à la droite, cequi donne
5400000. On voit que ce résultat n est autre
chose que le produit 51 de 9 par 0, à la droite du-
I quel on a mis les trois zéros du multiplicande et
I les deux zéros du multiplicateur.
7 — L-i rèqli' 'Ip In mnliipUcalion peut S énoncer
de la manière suivante : Écrivez te mulliphcnleur
au-ilessous du muUtfdic.d-, et tirez un trait nu-
dessous d„ mullii'li'-'itmr; mulUiMez sncces^we-
' ,nent rlKiiiiir rhiiïn- du multiplicande par les
unités du L„/l,,,u,.,lno: en ayant soin d'ajouter
à cliaa..r ,.n.d,ul bi 'eteniK- prnvennnl du produit
pié-eàenl- fermez 'le In même m-miere le pro'iuit
du multplicnnde par chaque chpedn multudicn-
leur en niiont snin de p a'-.er (>:s unités du produit
vartirt ■iniU /- rlii/frr ■/" inidlii.ticateurqui a lourni
{■'):'„ /ni' nnrft^'l: lirrz un trait sons Ic dernier
',/,,/ ,„irii'i, r' f'ii es Ift somme de tous ces
produil-u c,- st-rn k- produit total.
Si le multiplicnnde et le multiplicateur snnt
terminés par des zéros, failes la mul il'l":">'on
sans avoir éqard à ces zé'os, et, à la droi'e du
produit ohtriiu. placez autant de zéros qu il y en
avait nu ijidfiitlicande C au multiplicateur.
\ La multiplication se désigne par le caractère
MULTIPLICATION — 1366
MULTIPLICATION
Mais, au lieu de compter 5 unités par ligne lieri-
zonlale et do les répéter 3 fois, on peut compter
3 unités par colotine verticale et les répéter b Ibis.
Ce tableau représente donc indifféremment le
celte ligne; nous aurons ce tableau ;
X placé entre les deux facteurs. Ainsi 7 X " '"di- 1 facteur 4 sur une même ligne et répétons 3 fois
que le produit de 1 par 8; de même 369X13 indi- ' — •" '■ - -" ■-^•l■'-■ ■
que le produit de 3C9 par 75.
g. Le produit dp deux nombres reste le même,
dans quelque or. ire qu'on les tnultiplie. Soit, par
exemple, à multiplier 5 par 3, on obtiendra tontes
les unités du produit, si l'on écrit h unités sur
une même ligne, et qu'on écrive 3 de ces lignes
comme l'indique le tableau ci-dessous :
qui, lorsque l'on compte par lignes horizontales,
présente bien le produit de 4 par 5, répéié 3 fois,
c'est-à-dire (4 X 5) x 3. Mais si l'on compte par
lignes verticales, ce même tableau présente le
produit de 4 par 3, répété b fois, c'est à-dire
(4 X 3) X 5. Oes deux produits sont donc équiva-
lents ; et le même raisonnement peut s'appliquer
à des nombres quelconques.
Il en ré^ulte que l'on peut intervertir l'crdre de
deux facteurs consécutifs quelconques, et, avec
cette faculté, on peut, par des permutations suc-
r I I cessives, amener chaque facteur à occuper dans
produit de 5 par 3, ou le produit de .) par b. Le ! jg produit telle place que l'on voudra. On p,-ut
raisonnement étant indépendant des noiiibres 5 et i ^^^^ admettre comme démontré qu'un p^oilvit de
3, la conclusion s'applique à deux nombres quel-
conques; ce qui démontre la proposition énoncée.
On peut la vérifier sur la table de multiplication;
ainsi 7 X 8 et 8 X 1 donnent également 56 ; 6X5
et 5X11 donnent également 30.
Cette propriété sert, à faire la itreuve de la mul-
tiplication. La preuve d'une opération est une se-
conde opération que l'on exécute pour s'assurer de
l'exactitude de la première. La preuve de la mul-
tiplication se fait naturellement en prenant le
multiplicateur pour multiplicande et le multipli-
cande pour multiplicateur; le produit doit être
le même Soit, par exemple, h multiplier 729 par
358, on obtient directement 2(jii,98-i ; et, si l'on
recommence l'opération en changeant l'ordre des
facteurs, on obtient le même produit; ce qui petit
faire supposer que la première opération était
exacte :
729 358
358 729
5-32
3645
2187
TûôâsF
32 V 2
716
2506
2GU982
9. _ Tout produit d'nn nombre par un autre
est ditni;. //i///e du premier. Ainsi le produit de l7
par un nombre quelconque est un multiple de 17.
Ainsi encore chaque ligne horizontale de la table
démultiplication renferme les multiples successifs
du nombre placé en tête de cette ligne ; il en est
de même pour les nombres inscrits dans une
même colonne verticale.
On peut avoir à faire le produit de plus de deux
nombres; on peut demander, par exemple, de
multiplier 4 par 3, de multiplier le produit par 5,
et ce dernier produit par 7. C'est ce que l'on ap-
pelle des !i uitipl ridions successives; le dernier
résultat est regardé comme le produit de tous les
facteurs employés. Dans l'exemple ci-dessus, ce
résultat pourrait s'écrire :
4x3X5X7.
On démontre que le produit final est indépen-
dant de l'ordre des multi|dications.
10. C. S. — Dans un produit de plus de deux
facteurs, on peut toujours intervertir l'ordre des
deux premiers, puisque la multiplication dont il
s'agit précède toutes les uutres, et que dès lors on
n'a à considérer qu'un produit de deux facteurs.
Mais on reconnaît facilement que l'on peut in-
tervertir l'ordre de deux facteurs consécutifs quel-
conques. Par exemple, au lieu de multiplier 4 par
5 et le produit pur •!, on peut multiplier 4 p.;ir :i.
et le produit par 5. Ecrivons, en effet, 5 fois le
plusieurs fadeurs e>t indépendunt de l'ordre de
ces facteurs.
II. — Au lieu de multiplier un nr,mbre succes-
siiienieid par plusieurs fœteurs, on ptut le mul-
tiplier juir le proilidt I fffctiié de et' mêmes fac-
tei'r.<. Par exemple : au lieu de multiplier 4 suc-
cessivement par 5 et le produit par 3, on peut
multiplier 4 parle produit effectué de .S et de 3.
En effet, l'ordre des facteurs successifs étant
indifférent, on a :
(4 X 5) X 3 = (5 X 3) X 4
ou, en changeant l'ordre de ces deux facteurs,
(4 X 5) X 3 = 4 X (5 X 3)
ce qui démontre la proposition pour trois facteurs.
On retendrait de la même manière à un nombre
de facteurs quelconque.
CoROLLAinES. — l. Pour multiplier tin produit
par un nombre, il suffit de multiplier pur ce
nombre un quelconque des facteurs du produit.
Je dis, par exemple, que, pour multiplier par II le
produit 4 X 5 X 3, il suffit de multiplier par 1 1 le
facteur 5. On a, en effet, d'après les propositions
précédentes,
4x5x3xll = ix5xllx3 = 4x(5xll)x3
le signe (5 x M) représentant le produit effectué
de 6 par 11. Cette égalité démontre la proposi-
tion. , . ,
11. On rend un produit 2,3,4, etc. fois plus
grand en multipliant par V, 3, 4, etc. l'un des
facteurs de ce produit. .
12. _ Quand tous les facteurs d un produit
sont égaux, ce produit es' ce que l'on appelle une
puissance do l'un de ces facteurs ; cette puissance
est d'ordre marqué par le nombre des facteurs
3X3 représente la seconde puissance de 3 ;
3X3X3 1* troisième puissance de 3;
3X3X3X3 li quatr.ème puissance de 3 ;
Pour écrire une puissance d'un nombre, on se
contente décrire ce nombre, et l'on place à sa
droite, et un peu au-dessi^s, un nombre que l'on
appelle un exiiosnnt et qui indique le nombre des
facteurs ésaux. Ainsi, 32, 33,3', 36..., représentent
la deuxième, la troisième, la quatrième, la cin-
quième puissance de ;i, etc.
II résulte de ce qui a été dit au numéro II, que
multiiilier un nombre successivement par 2, 3,
4. eic. fact' urs égaux à un autre nombre, revient à
le multiplier par la seconde, la troisième, la qua-
MUSACÉES
— 1367 —
MUSACEES
trième, etc. puissance de ce second nombre. Ainsi
4 X.'> X 5 X .'i revient îi 4 X &■'■
13. KxEiiciOEs. — Effectuer les produits suivants:
45(17x89:1
.",0:t2 -. lUC)
12uOx80()
ï X :i X 4 x r> X G. .
CX.SXix:iX2..
7X»^ liop...
S*XV Rép...
nép.
Hép.
lîop.
nép.
lîép.
4 0-8:i:îl
35.1.' 592
1000 001)
■|20
120
507
800
[H. Sonnet.]
MVSACÊES. — Botanique, XXV. — Étym. : le
mot Musai ées est tiré du mot latin mus-i par le-
quel on désigne les bananiers.
Définition. — Les Musacces sont des vi'gétaux
monocotylédonés caraclérisos par leur fleur irré-
gulière liypogyne avec une ou plusieurs étamines
stériles. Presque tous les botanistes réunissent
aux Musacces les familles des Zingi/iéracéi-s et des
Cannnc'i'es, pour former la classe des Scitnminées.
Eu égard à l'utilité majeure que présentent les
plantes de ces deux dernières familles, nous fe-
rons aussi connaître leurs caractères principaux
par comparaison avec ceux des Musacées.
Caractères t,oiani(jues. — Les graines des Mu-
sacées sont ovoïdes ou triangulaires; elles pré-
sentent souvent un arille charnu ou membraneux
(Ravmiilii), ou poilu (Urama); dans ce dernier
cas, r.irille est très vivement coloré en bleu cé-
leste ou en rouge de Saturne ; c'est un organe
destine à favoriser la dissémination des graines.
Le tégument séminal de ces graines est extrême-
ment épais, très solide, et fréquemment relevé
en manière de bourrelet autour du bile ; sous le
spermodorme, on trouve un albumen farineux,
blanc, très volumineux, qui doit son origine aux ma-
tières nutritives qui se sont accumulées dans les dc-
■bris du nucelle de l'ovule ; nous avons donc affaire
dans ce cas à un périsperme; l'albumen véritable
fait défaut. Au sein de cette réserve nntrilive de
nature amylacée, nous remarquons un embryon
plus ou moins allongé, mais toujours droit.
La germination des graines des Musacées de-
mande, pour s'accomplir, un temps considérable.
La tige des Musacées se réduit à une liampe
florale qui présente, vers sa partie supérieure,
une inflorescence très cbargce de fleurs, et, tout
à fait à son extrémité, un gros bourgeon charnu
utilisé souvent comme légume, et qui, très sou-
vent aussi, sert à multiplier les Musacces par
bouture. La tige ou hampe est enveloppée par les
gaines persistantes des feuilles.
Les feuilles sont alternes, pétiolces, simples,
entières, très volumineuses; chacun sait en effet
que les nègres utilisent les feuilles de bananiers
pour couvrir leurs cases. La nervure médiane de
ces feuilles est très épaisse; elle émet latérale-
ment des nervures secondaires tiès fines, paral-
lèles entre elles.
Les racin''s des Musacées sont presque toutes
dos racines adventives; elles sortent, de très
bonne heure, de toute la région inférieure de la
tige.
La fleur présente de dehors en dedans : 1° un
périanthc formé de six pièces très différentes les
unes des autres, comme dimensions, comme forme
et comme coloration. Les six pièces de ce périan-
the sont disposées sur deux rangs, et toutes sont
insérées au sommet même de l'ovaire; 2" un an-
drocée formé de six pièces, disposées, elles aussi,
sur deux rangs au sommet de l'ovaire. Des six
pièces de l'androcée, cinq sont des étamines nor-
malement constituées; la sixièm'^ est une foliole
de forme variée ; 3" un gynécée formé par un ovaire
infère à trois carpelles ; cet ovaire est lui même
surmonté d'un style très long terminé par un stig-
mate globuleux trilobé. Les ovules sont anatro-
pes. généralement nombreux dans chaque loge
de l'ovaire. Ils sont bitégumentés et très volumi-
neux ; on les trouve dans cha(|Uo loge dans l'an-
gle interne de la loge ; ils sont insérés sur un
seul rang.
Le fruit qui résulte de la transformation de
l'ovaire des Musacées sous l'influence de la fé-
condation est une sorte de gros cylindre charnu
indéhiscent chez les bananiers. Uans le genre
Knccnala, le fruit est une capsule ligneuse à
cloisons très épaisses, qui s'ouvre à la maturité
en trois valves. La structure des parois de la ca-
psule des liavenatn est des plus compliquées.
Les Zingibrracées se distinguent des Musacées
par ce fait que toutes le» pièces de leur androcée
sauf une seule sont transformées en lamelles folia-
cées. La dernière pièce de l'androcée est une éta-
mine régulièrement constituée. Les Zingibéracées
ont de plus leurs ovules disposés sur deux rangs
dans chacune des loges de leur ovaire.
La graine des Zingibéracées présente souvent
un arille ; son spermoderme s'élève aussi en
forme de bourrelet autour du micropyle. Vu l'é-
paisseur excessive du tégument de la graine,
colle-ci demeure entière au moment de la germi-
nation ; l'embryon doit, pour se trouver en liberté,
soulever une sorte de petit couvercle conique
produit par une transformation des plus sini.'u-
lières des bords du micropyle. Les graines des
Zingibéracées ont un double albumen. L'albumen
externe ou périsperme est de nature amylacée ;
il correspond à l'albumen des Musacées ; l'albu-
men interne est de nature charnue, huileuse ;
c'est le véritable albumen, celui qui se produit
autour de l'embryon dans l'intérieur même du
sac embryonnaire.
Les Zingibéracées ont souvent des rhizomes
souterrains, rampants et vivaces, qui émettent de
distance en distance des tiges aériennes ou des
hampes florales. Les autres caractères des Zingi-
béracées ne diffèrent pas des caractères correspon-
dants des Musacées.
Les Cannacées sont des Zingibéracées dont
l'étamine fertile est à demi stérilisée , c'est-à-dire
que l'une des loges de l'antlière des Zingibéracées
demeure stérile; l'étamine elle-même est trans-
formée en une sorte de languette foliacée. Le
style (les Cannacées diffère aussi de celui des
Zingibéracées par sa forme en languette. L'em-
bryon des Cannacées est courbé en cercle, tandis
que celui des Musacées et celui des Zingibéracées
sont droits. La graine des Cannacées no présente
qu'un seul albumen amylacé, ((ui correspond à
l'albumen externe des Zingibéracées. La graine
du T/ittlia dealhnta, une Cannacée, mérite une
mention toute spéciale à cause du singulier
organe disséminateur dont elle est pourvue.
Dans l'épaisseur de l'albumen de cotte graine,
on trouve deux canaux demi -circulaires pleins
d'air; ces deux canaux communiquent entre
eux dans la région du bile. Tout cet appareil
est disposé de telle façon que la graine du Tha-
liii, étant placée dans l'eau, vient flotter à la sur-
face, le hile sortant notablement du liquide.
De la sorte, la graine peut nager pendant assez
longtemps. A l'état sauvage, les Tlmlia habitent
les bords des lacs peu profonds. Leurs graines
miires tombent dans l'eau, puis viennent nager à
la surface du liquide. Les vents et les courants
assurent la dispersion de ces graines. Les exem-
ples de graines pourvues de vessies natatoires sont
extrêmement rares dans la nature actuelle ; à l'é-
poque liouiUère, au contraire, ou connaît de très
nombreux exemples de plantes pourvue^ de ces
ampoules natatoiies destinées à assurer la dissé-
mination des graines par l'eau.
Usiigrs (les scilaviinéfs. — Toutes les Scitami-
nées sont des plantes originaires des régions tropi-
MUSACEES
1368
MUSIQUE
cales du globe. Les Musn ou Bananiers sont origi-
naires àtt l'ancien continent ; ils ont été importés
en Amérique et sont maintenant cultivés dans
toutes les régions chaudes du nouveau continent.
Le fruit des Bananiers fournit h l'Iionime un ali-
ment farineux sucré qui, par la fermentation,
donne une boisson rafraîchissante rappelant le
puiqué des Mexicains ; la moelle de leur tige et
le bourgeon terminal de leur inflorescence se
mangent cuits en guise de légumes. La culture
des Bananiers n'est pas moins importante entre
les tropiques que celle des céréales et des tuber-
cules farineux dans les régions tempérées. On es-
time qu'un plant de Bananiers peut fournir par an
jusqu'à trois r-'gimes de fruit, chaque régime
pesant '27 kilogrammes; on arrive ainsi à calculer
qu'un hectare de Bananiers produirait annuelle-
ment environ 2iiOlOU kilogrammes de bananes
sous l'équateur. A la Nouvelle-Grenade le rende-
mont moyen des Bananiers est encore de 700. d ki-
logrammes à l'hectare. Des pétioles des Bananiers,
on relire une filasse dont les nègres font un fil
très estimé.
Le Havfnala mndai^ascariensis, dont le nom po-
pulaire est l'Arbre du voyageur, tire ce dernier
nom du fait suivant : les feuilles du Buvena/a
engaînent la tige et forment autant de réservoirs
dans lesquels la rosée s'accumule ; en perforant
avec une vrille la base de la feuille, on voit s'é-
couler une eau limpide et fraîche qui permet au
voyageur d'étuncher sa soif. Les graines du Rnve-
nalii, broyées et cuites avec du lail, fournissent
aux liabiianis de Madagascar une bouillie dont ils
sont très friands. Les ariiles bleus do ces mêmes
graines donnent une huile volatile abondante très
employée à Madagascar contre les attaques de
rhumatisme.
La racine du Gingembre, une des «quatre épices»
du moyen âge, que les seigneurs du xiV siècle
achetaient au poids de l'or, a été transplantée des
Indes dans les Antilles par les Espagnols. Cette
racine possède une odeur forte, acre, piquante;
les médecins l'emploient comme un stimulant
puissant ; elle entre en cette qualité dans la fa-
brication d'une bière anglaise fort en usage dans
le nord de l'Europe. On peut aussi la confire dans
le sucre.
Les racines de Galanga étaient naguère employées
pour la fabrication d'une sorte de confiture.
Les racines des Co-tus contiennent un principe
amer qui les fait employer dans l'Inde comme
toniques. Les Cosfiis fournissent aussi une belle
matière colorante jaune très employée en tein-
ture. On retire aussi des Curci.ma, qui sont des
plantes voisines desCosiUi,une matière colorante
jaune très belle fort employée dans l'industrie.
Quelques Curcuma donnent en ouire une farine
comparable à celle que l'on extrait des Mnrantn.
Les fruits des Amomiim sont connus sous
le nom de cardnmomcs ; ils sont utilisés à cause
de leurs propriétés excitantes et stomachiques.
La maniquette ou graine de paradis est une graine
qui provient d'une espèce à'Amoinmn originaire
de la Guinée ; elle sert à donner de la force au
vinaigre, et parfois à falsifier le poivre noir.
Les feuilles odoriférantes des llfnecotmia sont
employées par les Péruviens, au dire de Pôppig,
contre les douleurs rhumatismales.
_ Le Maranfa arundinacea est cultivé dans les An-
tilles pour la farine que l'on retire dr sa moelle
réduite en pulpe. La farine de Maraii.u est sur-
tout connue sous le nom d'acjow-ioo/. Le rhizome
cru du Muinnta arund nncea contient un principe
vénéneux qui disparaît .'i la cuisson. Les tubercu-
les du Maranla ol ouii'i, cuits et assaisonnés avec
du poivre, remplacent aux Antilles nos pommes
de terre.
La racine des Canna est diurétique. On retire
du spermodermc des graines de certains Canna
une matière colorante pourpre d'une très belle
couleur. [C.-E. Bertrand.]
MUSIQUE. — La musique est l'art des sons.
Pour lire la musique et comprendre cette lec-
ture, il faut connaître les signes au moyen des-
quels on l'écrit, et les lois qui les coordonnent.
L'étude de ces signes et de ces lois est l'objet de la
Théorie lie la musique.
Tous les signes se placent sur la portée, qui est
la réunion de cinq lignes parallèles et horizon-
tales. L'espace compris entre ces lignes se nomme
interligne. Les lignes et les interlignes se comp-
tent de bas en haut. Ex. :
5? ) _
i' 1 :.^
y 1 ^
i" ligue, Jl
I. SIGNES EMPLOYÉS POUR ÉCRIRE LA MUSIQUE —
A. Signes principaux. — Les signes principaux au
moyen desquels on écrit la musique sont : 1° les
no'es; — 2" les clefs; — 3° les silences; — 4° les
dllération'^.
Les notes. — Les notes représentent des durées
et des soirs.
Selon leurs différentes figures, les notes expri-
ment des duré' s différentes. — Selon leurs diffé-
rentes positions sur la portée, les notes expri-
ment des sons différents.
Figures des notes {signes des durées). — Il y a
se/it figures de notes qui sont: la ronde O, la
blanche ,0 , la noire • , la croche /• , la double
croche 10 , la triple croche ^, et la quadruple
'"Q-
Lorsque plusieurs croches, doubles croches, tri-
ples croches ou quadruples croches sont placées
les unes à côté dos autres, on peut remplacer les
crochets par des barres unissant ces notes. Le
nombre des barres doit toujours être égal pour
'chaque note au nombre des crochets qu'elles rem-
placent. Ex. :
Deus croches.
Trois double
p r"u
"OJ"
Les figures de notes étant disposées dans l'or-
dre indii|né ci-dessus, la ronde représente la plus
longue duré", et chacune des autres figures vaut
la moitié de la figure qui la précède. Ainsi : la
roU'Ie vaut 2 blanches, ou 4 noires, ou 8 croches,
ou IC doubles croches, ou 32 triples croches, ou
fj4 quadruples croches.
Position des notes sur la portée (s'gnes des sons).
— Les no/es, quelles que soient leurs figures, se
placent sur la portée : soit sur les lignes, soit
dans les interlignes.
On place également une note au-dessous de la
1" ligne et une au dessus de la 5'.
Lignes siipidémentaii es. — On peut aussi écrire
d'autres notes en dehors de la portée, soit au-
dessous, soit au-dessus. On emploie pour cela de
petites lignes nommées lignes supidémintaires,
dont le nombre n'est pas limité et qui s'em-
ploient de la manière suivante :
MUSIQUE
1369 —
MUSIQUE
Au-dessus iln hi portée
^ O » ^
* ^ 5 ï
Au-dessous de la purlée.
t^»ms des notei. — Il n'y a que sept >/oms de
notis pour exprimer tous les sons. Ce sont :
1 2 3 4 S 6 l
ui ou do, ré, mi, fa, sol, h, si.
Ces notes fonnont une série de sons allant du
grave à l'aigu, et que l'on nomme série ascirulanti-.
En prononçant ces noms de notes dans 1 ordre
inverse, on obtient une série de sons allant de
l'aigu au grave, et que l'on nomme série ''«f ™-
daiite. On peut ajouter une ou plusieurs séries ù
la première. .
On nomme octave la distance qui sépare deux
notes de même nom, appartenant ii deux séries
voisines. ....
Les clffs. — Les clefs sont des signes qui ser-
vent à fixer le nom des notes. Elles se placent au
commencement de la portée.
Il y a trois figures de clefs : la clef de fa, la clef
d'!(/ et la clef do soi. Les clefs qui sont le plus
employées sont : la clef de sol, sur la deuxième
ligne, et la clef de fn, sur la miatrihne ligne. La
première sert à écrire les sons aigus, et la se-
conde les sons graves.
Chaque clef donne son nom à la note placée sur
la ligne même qu'elle occupe :
Clef de sol 2' ligne. Clef de fa 4" lisnc.
Le nom d'une note étant connu, il est facile
de trouver le nom des autres notes, car elles se
succèdent toujours dans l'ordre indiqué précé-
demment.
Noms des notes écrite
soi la si ut
Chaque ligure de silence a une durée corres-
pondante h celle d'une figure de note : la panse
vaut une rujid- ; la demi-pause, une blanche; le
soupir, une noire; le den,i-soupr,wm c>oclic;le
quait de soupir, une doulde croche; le huitième
de soupir, une triple croche; el le seizième de
S'iupir, une quadruple crache.
L'altébation. — L'altération est un signe qui
modifie le son de la note h laquelle il est affecté.
Il y a trois altérations :
1° Le aièse t, qui élève le son de la note (le
rend plus aigu) ;
2° Le hemol [>, qui abaisse le son de la note
(le rend plus grave);
3° Le bécarre Ij, qui détruit l'effet du dièse ou
du bémol.
L'altération se place : 1° devant la note dont
elle modifie le son; son effet se produit sur toutes
les notes de même nom qui se trouvent dans la
même mesure; 2" au commencement delà portée
et immédiatement après la clef; son effet se pro-
duit alors sur toutes les notes de môme nom pen-
dant la durée du morceau.
B. Signes secondaires. — Les signes secondai-
res sont : 1° le voi7it et le double point; — 2° le
trio/et; — 3° la liaison.
Le point. — Le point se place après une note
et augmente la valeur de cette note de la moitié
de sa durée primitive. Ainsi la ronde vaut deux
blanches; étant pointée, elle en vaudra trois.
On place également le point après les figures
de silence.
Le double point. — On peut aussi placer deux
points après une note ou un silence. Le second
point augmente la durée do celte note ou de ce
silence de la moitié de la durée du premier point
(c'est-h-dire augmente encore d'un quart de sa
durée primitive la note ou le silence déjà pointé).
Une blanche suivie de deux points équivaut a
la valeur de : une blanche, une noire et une cro-
che.
rites en Clef de fa, 4' ligne
m
mi ré ut si la sol fa mi
La succession de deux notes immédiatement
voisines forme le nouvemeni ronjoint ; ceWe ie
deux notes non voisines forme le mouvement dis-
joint.
Les silences. — Les silences sont des signes qui
indiquent l'i?!ie/'7-up(!on '/«son. Selon \e\ivs diffé-
rentes figures, les silences expriment la durée
plus ou moins longue de cette interruption.
Figures des silences. — Il y a sept figures de
silence, qui sont : la pause "«^, la 'lemi pause -m-,
le soupir y, le demi-soupir M, le quart de sou-
\r y, le huitième de soupir y, le seizième de
pir
soupir
r
Le triolet. — Le triolet est la division ternaire
d'une figure de note. .
On emploie, pour représenter le triolet, les
figures de durée que nous connaissons déjà ; seu-
lement, trois de ces figures (ou un nombre de
figures équivalant à la même somme de valeur)
employées dans une division ternaire, ont une
valeur égale h deux des mêmes figures employées
dans une division binaire.
On place le cliiffre 3 au-dessus ou au-dessous
du triolet; ce cliitIVe 3 suffit pour indiquer la divi-
sion ternaire. Ex. :
Ce triolet de croches équivaut à une noire.
Un triolet peut ne pas former un groupe de
trois notes égales, pourvu que la somme île ses
durées sod éqniuulenie à celle des irui. notes éga-
les. Le silence peut aussi faire partie d'un tnolet :
MUSIQUE
1370 —
MUSIQUE
On nomme double triolet, sizain ou sextolef,
l'union en un seul groupe de deux InoUls voisins.
Au lieu d'indiquer par un 3 chacun des triolets
séparés, on indique le dnuble trio'et par un 6
placé au milieu du groupe entier. Ex. :
LLLUJ
La liaisoh. — La liaison est un signe qui unit
deux notes de même son et presque toujours de
même 7!0"', quelle que soit leur durée.
Elle indique l'adjonction de la valeur de la se-
conde note h la valeur de la première ; on dit
alors que ces notes sont liées. Ex. :
On peut également lier, les unes aux autres,
plus de deux notes consécutives. Ex. ;
n. LA GAMME. — LES INTERVALLES. — On
nomme gamme diatonique une succession de sons
disposés par mouvement conjoint et selon les lois
de la tonalité. (La tonalité fera l'objet de notre
S'' chapitre.)
Les sept notes se succédant ainsi : ut-ré-mi-fa-
sol-la-si, et auxquelles on ajoute un huitième son,
forment une gumme diat^/iigiie. Ce huitième son
n'est autre que la première note répétée à l'octave
supérieure.
Chaque note d'une gamme prend aussi le nom
de degré.
Ton et demi-ton. — Les degrés ou notes de la
gamme ne sont pas également espaces entre eux ;
entre les uns la distance est plus grande, entre
les autres elle est plus petite. La distance plus
grande se nomme ton, la distance plus petite se
nomme dem'-ton.
Le demi-ton est placé entre le .3' degré et le 4«,
entre le 7' degré et le 8'. Le ton est placé entre
les autres degrés de la gamme.
Cette gamme pourrait être figurée par une échelle
dont les échelons, inégalement espacés entre eux,
en leprésenteraient les notes en degrés :
La
Sol
<k ton
1 ton
1 ton
1 ton
1/2 ton
1 ton
1 ton
'i' degré
6' degré
5' degré
i' degré
3« degré
2' degré
1" degré
La gamme diatonique est donc composée de cinq
tons et deux demi-tons. Elle peut commencer par
toute autre note que la note ut.
Division du ton. — Un ton peut se diviser en
deux demi-tons. Entre deux notes séparées par un
ton, soit ut-ré, on peut faire entendre un son in-
termédiaire. De la note ut à ce son intermédiaire
il y a un demi-ton. De ce son intermédiaire à la
note ré, il y a un autre demi-ton.
Ce son intermédiaire peut s'obtenir : 1° en éle-
vant le son de la note inférieure par un dièse #
(le dièse élève d'un demi-ton le son de la note
devant laquelle il est placé) :
\ '""■. k '""•
0 >'""■ /^'°
2° En abaissant le son de la note supérieure par
un bémol b (le bémol abaisse d'un demi-ton le
son de la note devant laquelle il est placé):
Demi-ton diatonique. — Demi-ton chromatique.
— Les deux demi-tons formant un ton ne sont pas
égaux ; l'un est un peu plus grand que l'autre. Le
plus petit se nomme demi ton diidoniqne. C'est
celui qui se place entre deux notes de noms diffé-
rents.
^
Le plus grand se nomme demi-ton chromatique.
C'est celui qui se place entre deux notes de même
nom, mais dont l'une est altérée.
*C
m
I
Un ton contient toujours deux demi-tons de
natures différentes : l'un diatonique, l'autre chro-
matique.
L'enharmonie. — L'enharmonie est le rapport,
l'espèce de synonymie (|ui existe entre deux notes
de noms différents, mais affectées toutes deux au
même son, soit ut | et lé \r, mi et fa b.
Les notes formant l'enharmonie se nomment
notes enharmoniques.
Les inlervalles. — On nomme intervalle la dis-
tance qui sépare deux sons. On mesure un inter-
valle par le nombre de degrés qu'il contient, y
compris le son grave et le son aigu. Le nombre de
degrés est exprimé par le nom de l'intervalle. Ainsi
l'intervalle contenant 2 degrés se nomme seconde;
3 degrés, tieice;i degrés, quarte; .S degrés, qui'i'e;
6 degrés, sixte; ' degrés, 'Cfjtiéme; S degrés,
oJiive; 9 degrés, neuvième; etc.
MUSIQUE
quinte.
1311 —
MUSIQUE
L'intervalle est ascendant ou descendant; sim-
ple ou redoublé. L'intervalle est ascendant lors-
qu'on le mesure en partant du son grave; il est
descendant lorsqu'on le mesure en partant du son
aigu. L'intervalle est simple lorsqu'il n'excède pas
l'étendue d'une octave ; il est redoublé lorsqu'il
excède l'étendue d'une octave.
Qunlifi alion fies mlertmlles. — Les intervalles
contenant le même nombre de degrés ne sont pas
toujours égaux entre eux ; ainsi les deux tierces ut-
mi et id-mi \> ne sont pas égales, puisque la pre-
mière contient deux tons et que la seconde con-
tient seulement un ton et un demi-ton diatonique.
Il y a donc plusieurs espèces de secondes, de
tierces, de quartes, etc. Pour distinguer ces dif-
férentes espèces, on emploie plusieurs qualifica-
tions qui sont : minew, majeur et juste. La se-
conde, la tierce, la sixte et la septième peuvent
être mineures et majeures. La quarte, la quinte
et l'octave peuvent être justes.
Composition des intervalles :
o j i mineure 1 demi-ton diatonique.
Secondes... j ^^^^^^^ j t^^^ ^
Tifirrtxi I ""'"^"ï"*^ * *o" «t 1 demi-ton dîat.
ixerces.... j majeure 2 tons.
Quarte juste 2 tons et 1 demi-ton diat.
Quinte juste 3 tous et 1 demi-ton diat.
Sixtes * mineure 3 Ions et 2 demi-tous diat.
{ majeure 4 tons et 1 demi-ton diat.
„ ,., l mineure 4 tons et 2 demi-tons dint.
Septièmes., j „,^j^„^^ _ j j„„^ ^^ , j^,,,,.;^,, ^-^^
Octave juste 5 tons et t derai-tuns diat.
Il y a encore les qualifications de diHfmué et d'm/j-
menté. A l'exception de la seconde, tous les inter-
yalles peuvent être diminués. Un intervalle dimi-
nué a toujours un demi-ton chromulique de moins
que le même intervalle juste ou mineur.
A l'exception de la septième, tous les intervalles
peuvent être rnigmentés. Un intervalle augmenté
a toujours un demi-ton chromatique de plus que
le môme intervalle juste ou majeur.
On voit par ce qui précède qu'un intervalle tire
son nom du nombre de degrés (|u'il contient, et sa
qualification du nombre de tons et de deEiii-tons
qui séparent ces degrés.
Renversement des intervalles. — Renverser un
intervalle, c'est intervertir la position respective
des deux sons qui le forment, de façon que le son
grave de l'intervalle i renverser devienne le son
aigu (lu renversement. On opère le renversement
d'un intervalle, soit en transposant le son grave
de cet intervalle à l'octave supérieure, soit en en
transposant le son aigu à l'octave inférieure.
Les intervalles simples peuvent seuls être ren-
versés.
Dans le renversement l'unisson devient octave,
la i" devient 7°", la 3" devient (J", la 4'" devient
à", la o" devient 4", le d" devient 3''', la "."" de-
vient 2"", l'octave devient unisson.
Remorque. — Le chiffre représentant l'intervalle
à renverser et le chiffre représentant son renver-
sement, additionnés ensemble, donnent pour total
lo nombre 9.
Intervalle
3", 4'", S'", 0"
, 6'», 5", 4'", 3"
Totauj
Par le renversement les intervalles mineurs de-
viennent majeurs, les intervalles majeurs devien-
nent mineurs. — Les intervalles justes restent
justes. — Les intervalles diminués deviennent aug-
mentés, les intervalles augmentés deviennent di-
minués.
Ainsi le renversement d'une 3°° majeure est une
G" mineure. Le renversement d'une 4"" juste est
une 5" juste.
m. L\ TONALITÉ. — La tonalité est l'ensemble
des lois qui régissent la constitution des gammes.
Prise dans un sens plus restreint, la toncdité ou
le ton exprime l'ensemble des sons formant une
gamme diatonique.
On a vu que les huit notes formant la gamme
diatonique sont disposées ainsi: deux tons consé-
cutifs, un demi-ton, trois tons consécutifs et un
demi-ton.
Cette disposition est le résultat de la résonance
naturelle des corps sonores. Cette gamme est en-
gendrée par les trois sons générateurs ut, l'a et
sol. Ces trois sons générateurs sont nommés pour
cette raison noies tonales, et occupent ies 1", 4%
et ô" degrés de la gamme.
Noms des degrés de la gamme. — Chaque son
peut être la première note, le premier degré d'une
gamme semblable à la précédente. Pour éviter
tonte confusion, chaque degré, quel que soit le
nom de la note qui le représente, a reçu un nom
particulier qui caractérise la position qu'il occupe
dans la gamme et la fnnction qu'il y remplit.
Le I" degré se nomme tnniqne; le 2', sus-toni-
qtt;\a 3', médiante;le i' , sous-dominante ; le h' ,
dominante: le (i*, sus-dominante; le 7', note sn-
si/ile; et\e H', oetare.
Gammes nouvelles. — Pour former une nouvelle
gamme en prenant pour tonique une autre note
que \'ut, il faut que les notes de cette nouvelle
gamme soient disposées de la même façon que les
notes de la gamme d'ut ; c'est-à-dire, que les
demi-tons soient placés: le premier du 3' au 4'
degré, et lo second du 7" au IS".
La nouvelle gamme fermera alors le même
chant que celui de la gamme à'ut. Pour cela, il faut
modifier le son de certaines notes en l'élevant ou
l'abaissant au moyen des altérations '^dièse ou
bémol;.
Gammes contena:t des notef diésées. — La
gamme dont une seul' note estdiésée est la gamme
de sol. La note diésée est /a. — La gamme dont
deux notes sont diésées est la gamme de ré; les
deux notes diésées sont fa et ut. — La gamme
dont trois -otes sont diésées est la gamme de la;
les trois notes diésées sont /«, nt et .-ol. — La
gamme dont 7 "a</e noies sont diésées est la gamme
de mi; les quatre notes diésées sont /a, ut, sol et
ré ; et ainsi de suite.
On voit: l"quo les gnmmes qui contiennent des
notes diésées se succèdent par une pro /rcsston
iiscendnnle do quinte en quinte; 'J" que chaque
nouveau dièse se présente également dans l'ordre
ascendant de quinte en quinte.
Armureou ormniurede In clef [en dihes). — Les
dièses qui font partie d'une gamme (do la tonalité)
se placent dans leur ordre de succession, immé-
diatement après la clef, au commencemcmt de la
portée, et sur les mêmes lignes ou dans les mêmes
interlignes que les noies qu'ils altèrent.
MUSIQUE — 1372
MUSIQUE
(W (28) (3 j?) (4 C)
(5t?) (6 8) (7 8)
Les dièses placés ainsi forment l'armure fie la
clef (armure en dièses) et leur effet se continue
pendant tonte la durée du morceau, i moins que
l'armure de la clef ne soit modifiée. L'armure de la
clef (en dièses) indique la tonalité dans laquelle
un morceau est écrit : le dernier dièse affectant
toujours ia note sensible, la tonique est, pur con-
séquent, la note placé''- un nemi-tnn rjialrmique
au-dessus. Ainsi : avec trois dièses à la clef qui
sont fil, ut, et S"/, le dernier dièse étant sol, la to-
nique est /n, demi-ton diatonique au-dessus. On
est donc, avec trois dièses, dans le ton de la.
Gammes contenant des notes /j-nioUsées. — La
gamme dont une seule not- est bémolisée est la
gamme de fa; la note bémolisée est si. — La
gamme dont deui: not^s sont bémolisées est la
gamme de si 1? ; les deux notes bémolisées sont si
et mî. — La gamme dont D-ois Jiotes sont bémoli-
sées est la gamme de mi l>; les trois notes bémoli-
sées sont si, mi et lu. — La gamme dont ijuafie
notes sont bémolisées est la gamme de /o t ; les
quatre notes bémolisées sont si, mi, la et ré, etc.
On voit: r que les gammes qui contiennent
des notes bémolisées se succèdent par une pro-
gression di^scen'laiite de quinte en gi'inle;'i° que
chaque nouveau bémol se présente également dans
l'ordre descendant de q'ànte en quinte.
Aimure de la clef {en bémoU). — Les bémols
qui font partie d'une gamme (de la tonalité) se
placent dans leur ordre de succession, immédiate-
ment après la clef, au commencement de la portée,
et sur les mêmes lignes ou dans les mêmes inter-
lignes que les notes qu'ils allèrent.
Les bémols placés ainsi forment l'armure de la
clef (armure en bémols; et leur effet se continue
pendant toute la durée du morceau, à moins que
l'armure de la clef ne soit modifiée.
L'armure de la clef (en bémols) indique la tona-
lité dans laquelle un morceau est écrit; l'avant-
dernier bémol affectant toujours la tonique, le
nom d- t'avant-devnier bémol est aussi, par consé-
quent, celui de la tonique. Ainsi : avec trois bé-
mols à la clef, qui sont si \>,tin b et la l7,ravant-
dernier bémol étant mi k mi \> est le nom de la
tonique ; on est donc dans le ton de mi t».
Les modes. — On appelle mode la manière d'être
de la gamme diiionique.
11 y a deux niodts: le mode majeur et le mode
mineur.
La gamme étudiée jusqu'à présent est la gamme
diatonique du mode majeur, ou, par abréviation :
gamme mnjeure. Dans la gamme minmrc, les
demi-tons sont placés différemment. En jetant un
regard en arrière sur la gamme majeure, on re-
marque: 1" que la tonique et la médi- nte, soitîi^et
»iî dans la gamme d'u< majeur, forment l'intervalle
de tiera majeure; 2° que la tonique et la sus-
di^mitumie, soit ut- la dans la mémo gamme, for-
ment l'intervalle de ^ixte majeure.
Dans la gamme mineure celte tierce ei cette
sixte sont mineures.
La ii'édinnle et la sus-dominante d'une gamme
majeure seront donc abaissées d'un demi-ton chro-
matique pour former une gamme mineure; par
suite de cette modification de la tierce et de la
sixte, la gamme mineure contiendra trois demi-
tons diatonii/ues placés entre le 2° et le 3» degrés,
entre le 5= et le i,', et entre le "" et le 8=.
La médiante et la sus dom nante n'offrant pas,
dans ces deux gammes, les mêmes rapports de dis-
tance avec la tonique, constituent les caracières
distinctifs des modes, et pour cette raison pren-
nent le nom de notes mo'iates.
Gamaifs relatives. — On nomme gammes rela-
tives deux gammes n'ayant pas la même tonique,
dont l'une est majeure et l'autre mineure, et qui,
toutes deux, sont formées des mêmes sons, ont la
même armure de ta clef.
Ainsi la gamme à'ut majeur a pour gamme rela-
tive mineure la gamme de la.
Mais cette gamme mineure offre un point dé-
fectueux; le T degré est à un ton du 8%
et perd ainsi sa qualité de note sensible, puisque
la note sensible ne doit être séparée de la toni-
que que par un demi-ton diatonique.
Pour rendre à ce 7' degré sa qualité de note
sensible, on l'altère en l'élevant d'un demi-ton
cliromatique, mais l'altération qui élève le 7* de-
gré de la gamme mineure ne fait jamais partie
de l'armure de la clef.
Gamme de la mineur.
altération.
La gamme mineure es une tierce mineure au-
dessous de sa gamme relative majeure et vice
versa.
Les deux gammes relatives ayant la même ar-
mure de la clef, pour reconnaître dans laquelle de
ces deux gammes est écrit un morceau de musi-
que, il faut chercher dans les premières mesures
la note qui n'est pas commune aux deux gnmmes.
Cette note est la dominante du mode majeur,
qui, dans la gamme mineure, élevée d'un demi-
ton chromatique, représente la. no e sensitde. Donc,
si cette note n'esi pas attirée le morceau est dans
le mode majeur ; si, au contraire, elle est élevée
d'un demi-ton chromatique, le morceau est dans
le mode mineur relatif. Ainsi, avec deux dièses à
la clef, on est, soit en ré majeur, soit en si mineur.
Si le la, dominante de ré majeur, n'est pas altéré,
on est en ré majeur; si, au contraire, le la est al-
téré par un S, on est en si mineur dont la # est la
note sensible.
Gamine chromatique. — La gamme chromati-
que est celle qui ne contient que des demi-tons
diatoniques et chromatiques.
Toute gamme majeure ou mineure peut être
transformée en gamme chromatique. Cette trans-
formation s'opèi'e en faisant entendre le son in-
termédiaire qui se trouve entre tous les degrés
espacés entre eux par un ton.
ildulatio'i. — La modulation est le changement
de ton ou de mode, et, en même temps, la transi-
tion au moyen de la(iuolle ce changement s'opère.
MUSIQUE
— 1373 —
MUSIQUE
La modulation est déterminée par l'altération
d'iiiio, ou do plusieurs noies du ton dans lequel
on est. (^es altérations, étrangères au ton que
Ion c|uitie, ai'parliennent au ton dans lefiuel on
entre. , ,
Si lo ton dans lequel on module n est que pas-
sager, on place immédiatement devant les noies
qu'ails' allèrent los accidents appartenant à ce nou-
veau ton. Si an contraire le ton dans lequel on
module doit persister pendant un temps assez
noui'elU meswe par de nom-eoiix chiffres qu'on
placeraitapros une double barre de séparation. Kx. :
W^
Le chiffre supérieur [numérateur), exprime la
qunntilii de valeurs formant une mesure. Lé chif-
, . Ire inférieur (d«?îO";»ia(e'i'-), exprime la çw'ii'i,' de
long, on remplace l'armure de la clef du ton que ^gg valeurs. Ainsi : l exprime une mesure formée
l'on a quitté par celle du ton où l'on module Lg ^^^^ quarts de ronde, cest-idire de deux
IV. L4 MESliUE. — Les règles qui pré»idei_it k \ „„|^p^ ^
noires.
On énonce les différentes mesures par le nom
des chiffres qui les représentent : par conséquent,
une mesure composée de deux quarts de ronde
(deux noires), et chiffrée \, se nomme « mesure à
l'ordonnance des différents signes de durée font
l'objet de l'étude de U mesure.
Barres de mesuiie. — La mesure est la division
d'un morceau de musique en parties égales. Cette
division s'indique au moyen de barres qui traver- , , ,
sent perpendiculairement la portée, et que l'on aeM.r quntre. » .... ,
nomme bnrres de mesure. On emploie une abréviation pour les mesures
L'ensemble des valeurs, notes ou silences, qui qui se chiffrent par ; et par J.
se trouvent comprises entre deux barres de me- ç^^^^^ ■ ^^ ^^^.^^'^^ 2 g^j indiquée par un
sure, forme une me-ure. La somme de ces valeurs ' ' 2
doit ftire égale pour toutes les mesures d'un même ' seul ?, ou par le signe (Tj (c barré). Celle qui se
morceau (à moins qu'il n'y ait un changement de 1 ^^^^ , ^^^ .^^^^ ^_^ ^^^^ „^
mesure), hx. : _, '
le signr rv (c).
Mesukes simples. — La mesure simple est celle
dont la somme des valeurs formant chaque temps
équivaut à un signe de valeur simple, S"it : une
ro7id", une btunche, une >i"ire ou une c/ oc/i".
Le chiffre intérieur (dénominateur) indique
la durée, qu'occupe un temps. Ce chiffre est 1
pour une roude, i pour une blanche, 4 pour une
nuire, et 8 pour une croche.
Le cliiffre supérieur (numérateur) indique la
quaniitu de ces valeurs, par conséquent le nombre
lie temps. Ce chiffre sera donc i pour une mesure
à 2 lempi, .i pour une mesure à 3 temps, et 4
pour une mesure à k tempi.
Les mesures simples les plus usitées sont celles
dont chaque temps est occupé par une nuire. Elles
se chiffrent ainsi :
On voit que chaque mesure renferme une
somme de valeurs égale à une bt-nch''.
La fin d'un morceau de musique s'indique tou-
jours par une rfoifi/e barre de mesure. La doulde
barre se place aussi pour séparer deux parties
d'un morceau : elle est alors bun e de rue^ine et
bane de séparation; ou avant un changement
d'armure de la clef; ou enfin avant un change-
ment de mesure.
Les temps. — Une mesure se subdivise en 2, .3
ou 4 parties qu'on nomme ttmps. Il y a donc la
mesure i 2 teu,ps, la mesure à 3 temps, la mesure
à 4 tC'ups.
Tous les temps d'une mesure n'ont pas une im-
portance égale au point de vue de l'accentuation.
Les uns doivent être articulés plus foriemenlque
les autres; les premiers se nomment <em;js /oits,
et les autres (?■/ ps /aib'e<. Les temps forts sont:
le t'i-emier temps de chaque mesure, et, de plus,
le troisième temps de la mesure b. quatre temps.
Chaque temps peut se subdiviser à son tour en
pl"°-eurs parties ; la première partie d'un temps
est /'<7'e relativement aux autres, qui sont Iniblei.
Lorsque les temps d'une mesure sont divisibles
par deiix, on les nomme teutfis binaii es, et ils
constiti'cnt la mesure simple. Lorqu'ils sont divi-
sibles f ar trois, on les nomme leuips ternaires, et
ils tuiistitucnt la mesure 'Omiosée.
Les termes de mesure sit'jple et de mesure com-
posée &onl employés par tous les musiciens; mais
il serait plus rationnel de les remplacer par ceux
de un sure à teiups binaires et mesure à temps ter-
naires.
Lts CHIFPRFS I [ndi'-aleurs des différentes mesu-
res]. — Les différentes mesures sont indiquées
par doux chiffres disposés sous forme de fractions
(moins labaire qui, dans les fractions, sépare les
deux chiffres), dont la ronde est l'unité.
Deux temps
(2 est le Dumératf]
Trois temps
(3 est le numérat')
Les mesures suivantes sont aussi employées
fréquemment:
à trois temps
croche par temps.
Ex.
Ces chiffres se placent au commencement du
morceau, immédiatement après l'armure do la clef.
Si un cliaiigement de mesure se présentait dans
Mesures composées. — La TOe«!i)"> rnmpo^ée est
celle dont la somme des valeurs formant chaque
temps équivaut à un signe de valeur pointée, soit
ViVia rniide pi in'ée, une btunche po ntée, une nuire
poiutée ou une croche poiitée:
Le chiffre i;fériuur (dénominateur), indique la
dune, qui occupe un tiert de teuii's Ce chiffre
est 2 pour une bluuclic, tiers d'une ronde pointée;
4 pour une nniie, tiers d'une blanche poiniée;
le Courant du même morceau, on indiquerait la 1 8 pour une croche, tiers d'une noire pointée ; et
MUSIQUE
1374 —
MUSIQUE
IG pour une double croche, tiers d'une croche
poiiuée.
Le chiffre supérieur (numérateur) indique la
qnaitlité de ces valeurs, et par conséquent ne
peut être que G, 9 ou 12.
le thilTre G imliquanl 6 lien Je lemps, pour Ij mesure a 2 lem|]!
— 9 — 9 — — a —
— 12 — 12 — - 4 -
Les mesures composées les plus usitées sont
celles dont chaque temps est occupé par une
noire pointée. Elles se chiffrent ainsi :
Dcu\ temps Trois temps Quatre temps
(6 est le uumérat') (9 est le niiinérat') (12 est le numéral')
une noire pointée par temps (8 est le dénominateur)
Les mesures suivantes sont employées aussi
quelquefois :
mesure à 2 temps
ayant une blanche pointée
par temps
Mesure à 3 temps
,vant une croclie pointée
par temps.
Manière de battre la mksube. — Battre la me-
sui-e. c'est marquer par des signes de la main
l'ordre et la durée de chaque temps.
Mesui-e à deux temps.
Le 1" temps se bat en bas. — Le 2« temps, en
haut.
Mesure à trois temps.
Le 1" temps se bat eu bas. — Le 2^ temps, à
droite. — Le 3' temps, ch haut.
Mesure à quatre temps.
Le 1'" temps se bat en fins. — Le 2' temps, à
ijiiuc'.e. — Le 3' temps, « droite. — Le i« temps,
m liiiut.
Dans les mesures d'un mouvement lent, on peut
marquer la division de chaque temps en répétant
eu raccourci chacun des signes principaux.
Le rythme. — Le rythme est l'ordre plus ou
moins symétrique et caractéristique dans lequel
se présentent les différentes durées. — Parmi les
formes rytlimique-, il en est deux fort importan-
tes : la syncope et le contre-temps .
La M/ncope. — La sync pe est un son artietdé
sur un temp-- ftiible ou sur la partie faible d'un
temps, et pro'cngé sur uu lempt fort ou sur la
partm forte du temps. Ex. :
ble d'un temps, mais ne se prolongeant pas sur le
temps fort ou sur la partie forte du temps.
Ce temps fort ou cette partie forte du temps est
alors occupé par un silence. Ex. :
Le MoivEMENT. — Le mouvement est le degré de
lenteur ou de vitesse dans lequel doit être exécuté
un morceau de musique.
Les signes qui expriment des durées (notes ou
silencesi ont entre eux une valr-ur re/ntive, mais
aucun de ces signes n'a une durée absolue. C'est
le mouvement qui détermine la durée absolue de
ces différents signes.
Il y a une graude variété de mouvements, depuis
le plus lent jusqu'au plus vif. Le mouvement est
indiqué par des termes italiens que l'on place au
commencement d'un morceau et au-dessus de la
portée. I es termes suivants expriment les princi-
paux mouvements, en allant du plus lent au plus
rapide :
TEnHBS. ABnEVUTION- SIGNIFICATION.
Largo Large.
LargtieUo Moin? lent que Largo.
Lenio Lent.
A'îagio Minns lent que Lento.
Andante And".... Modéré (allant).
Andantino .4..d'"»... Moins leot que Andante.
Allegretto AW-" Moins vif que Allegro.
Allegr-j AU' Gai, vif.
Presto Pressé, rapi-le.
Prestissimo Presf^".. Très pressé, très rapide.
A térntion d / mouvement. — L'expression
d'une phrase musicale peut quelquefois exiger
que le mouvement soit animé ou ralenti. Ces al-
térations du mouvement sont indiquées par les
expressions suivantes qui se placent dans le cou-
rant du morceau :
POUn AMMBII LE MOCVBUBNT.
nto.
imé.
Acceieran'io..
En accélérant.
Plus de mouvemeat .
Stretlo Serré.
Rallentand->
Bitardando.
Bitenuto. . . .
Slurgando..
sl,i
En ralentissant.
En retardant.
Retenu.
En élargissant.
sons articulés sur le 2« et le 4« temps (/e>//)« fai-
bles), et prolongés sur le 1" et le -i' [temf.i
forts,.
POUn SUSPENDRE LA MARCUR REGeLIEIlE DU MOUTSMENT.
Ad libitum ad liblt A volonté.
A piacere A plaisu-.
Senza tempo Sans mesure.
Après l'altération du mouvement, le retour au
mouvement régulier s'indique par ces termes :
Tempo )
A tempo 1" mouvement,
^' Tempo )
t Point d'rgw et point fCarrèt. — Le mouve-
' ment peut être momentanément suspendu. Cette
suspension, dont la durée est indéterminée, s'ex-
prime par le sign ■ suivant T
Placé au-dessous ou au-dessus d'une note, ce
signe prend le nom de jOint d'orgue.
sous articulés sur la 2' partie do chaque temps
{partie fiible), et prolongés sur la I" partie du
temps suivant (partie [frie). '
Le œntri -temps. — Le contre-temps est un son ,
arhcii.'é sur vu temps fai' In ou sur la ; ^rtie fai-
MUSIQUK
— 13"i
MUSIQUE
l'li\c/ ail-dessous ou a\i-dessus d'un silence, il
^iid le nom de point d'arrcl.
Ce signe indique que la durée de cette note ou
de ce silence doit être prolongée au de/à de sa
valeur, aussi longtemps que l'exige le bon goût
de l'exécutant.
Adiiéviatio\s. — Barres de reprise. — On a vu
que la double barre indiquait la fin d'un morceau
ou d'une de ses parties principales. L'une de ces
parties prend le nom de rrpri<e si elle doit 6tro
exécutée deux fois. On indi<|U(^ la reprise par deux
points placés auprès de la double barre, et il
faut répéter la partie qui se trouve du côté de ces
points.
Si, dans la répétition d'une partie, on devait,
en la terminant, remplacer une ou plusieurs me-
sures par une ou plusieurs autres, on l'indiquerait
ainsi :
I V fois.H 2™ fois. I
Renvoi. — Le renvoi .^' est un signe qui, lors-
qu'il se présente pour la seconde fois, indique
qu'il faut retourner à l'endroit où il s'est déjà
montré et, de cet endroit, continuer l'exécution
jusqu à la fin.
Lorsque le re7ivo': indique qu'il faut revenir au
commencement du morceau, ce renvoi est ordi-
nairement accompagné des mots DA CAPO (de la
tête, du commencement), ou par abréviation,
D. C.
Lorsqu'on reprend un morceau au commence-
ment, et qu'«/i^' ou plusieurs reprises se ren-
contrent jusqu'à la fin, chacune de ces reprises ne
doit pli'S éire expcuiée qn'une-foi<.
Particularités relativks a la mesure. — 1° Lors
qu'une mesure est en silence, qmlle que soit la
mesure, on riii'liqu-' pur une pnuiC.
2" Lorsque 2 ou 4 mesures sont en silence, on
les indique par le bâton de deux pauses surmonté
d'un 2, pour deux mesures, et par le bâton de
quatre pauses, surmonté d'un 4 pour quatre
mesures.
Bàlou de 2 pan
Bâton 'le 4 pa
^ "4
gne I— ( surmonté du cliiCTrc indiquant le nombre
de mesures de silence.
Cet exemple indique un silence de 10 mesures.
Ce signe s'emploie seulement dans les parties
séparées d'un morceau d'ensemble.
4° Lorsque la première mesure d'un morceau
commence par des silences, on les supprime or-
dinairement.
au lieu de
■— ^ r y -I — T — "-■ 0 r — a
■3° Lorsqu'il y a un plus grand nombre de me-
sures en silence, on place sur la portée le si-
Historique. — On n'est point d'accord sur l'his-
toire de la musiqui' dans l'antiquité. Cette partie
de la science est encore obscure et mal connue,
et il n'y a guère de sujet où l'on ait vu naître un
plus grand nombre de divagations prétentieuses
et fastidieusrs. Des écrivains systématiques ont
abandonné l'iiistoiro de la musique modi/rne. qu'ils
ne savaient guère, pour celle de la musique .mti-
que, qu'ils ignoraient profondément. Nous croi-
rions ridicule de discuter ici des opinions qui ne
sont que subtiles ou bizarres.
Nous appellerons toutefois l'attention sur un
petit nombre de faits insuffisamment observés.
Nous ferons remarquer par exemple qu^ la mu-
sique grecque, dont les traditions populaires en
Orient et la tradition ecclésiastique dans les deux
rites ont pu nous conserver que!q\ics types légè-
rement dégradés, semble s'être distinguée sou-
vent par un caractère extatique et mystique qui
se marquait surtout dans la musique des temples.
Cette musique de lyres, do flûtes, de cymb.iles et
de voix, respirait même quelquefois une fureur
bachique et orgiastique dont on peut se faire une
idée en lisant le petit traité (attribué à Lucien),
IJe la déesse de Si/rie.
C'est une musique du même genre que faisaient
entendre aux empereurs romains ces musiciens
dont il est souvent question dans VHistoir!- d'Au-
guste, ces orchestres, ces chœurs nombreux con-
fondus dans la suite immense des Césars, mêlés
avec leur cortège d'acteurs, de danseurs, de cour-
tisanes et de mimes.
Nous devons égdement appeler l'attention sur
la musique qui, en dehors du monde gréco-latin,
subsista à Jérusalem jusqu'à la destruction du
temple d'Ilérode par Titus. Divers litres ou débuts
de psaumes, queli|ues passages dos livres narra-
tifs de la Bible, notamment des Hois et dos Pura-
lipoménes, les traditions qui se rattachent aux
noms d'Asaph et de Jodithun, donnent l'idée
d'une musique vocale et instrumentale majes-
tueuse, sans qu'il soit possible de déterminer
quel était le caractère et le vrai style de cette
musique.
Cet art disparut avec le Temple : la musique
gréco romaine elle-même s'altéra profondément
quelques siècles après, dans l'éiat de décadence
et de barbarie où clait tombé le monde Pendant
le moyen âge, la musique n'exista guère qu'à
l'église, dépourvue do tout caractère artistique,
et privée môme d'une notation suftisaramcnt pré
cisc.
MUSIQUE
— 1376
MUSIQUE
Cependant, quelques musiciens, presque tous
ecclésiasùques, travailleurs appliqués et observa-
teurs parfois pénétranis, accumulèrent lentement
des expériences et des remaniues qui renouvelè-
rent peu à peu l'état de la science musicale. On
convient aujourd'hui d'attribuer à Gui d'Arezzo,
moine du xi' siècle, l'inve tion de la notation
modi-rne, perfectionnée par Franco de Cologne au
xiif siècle et par Jean de Mûris dans le xiv siè-
cle. Ce .système de notation, contre lequel on a
élevé de futiles objections, n'a pas été sans in-
fluence sur le merveilleux développement de la
musique, car il se prêtait à exprimer, d'une ma-
nière limpide et d'abord saisissable, les détails les
plus ténus dans les combinaisons les plus vastes.
C'est vers le temps de la Renaissance que les
maîtres flamands tirent, les premiers, entendre
des compositions régulières à plusieurs voix. La
musique polyphonique, jusque-là déshonorée par
d'informes puérilités et parfois abaissée jusqu'au
rang d'un bruit grotesque, acquit peu à peu la
sûreté, la puissance et la souplesse, grâce aux
travaux de ces maUres du contre-point. iVous ne
pouvons que nommer, sans caractériser leur ma-
nière, les grands musiciens de cette époque de
sève extraordinaire, Willaert, Josquin des Prés,
Roland de Lassus.
Dans le xvi» siècle, Goudimel, en France, mé-
rita l'un des rangs les plus élevés parmi les mai
à un point qui permit de l'atteindre aux artistes
de l'âge suivant. Le Florentin Lulli vint en France,
ettr.ivaiUapourla fasiueuse cour de Louis XIV. Ses
œuvres pleines d'élégance et de noblesse pâlissent
devant celles des maîtres du xviii° siècle, qui
n'ont fait à quelques égirds qu'eiiricliir et épu-
rer le style dans lequel avait écrit Lulli.
Les bornes de cet article nous interdisent même
de nommer les autres maîtres do cette époque.
Nous ne pouvons cependant omettre le Sicilien
Scarlalli, qui écrivit dans les dernières années du
siècle, et dont on admira la grâce voluptueuse et
le sentiment délicat.
C'est â la fin du xvii" siècle et presque simulta-
nément que naquirent quelques-uns de ces grands
et surprenants artistes qui devaient faire dusièi;l<}
suivant le commencement de la plus belle époque
de la période héroïque de l'art musical. Rameau
vint au monde en 1B83, Bach et Hœndol en 1B85,
Marcello en 16s6.
Marcello, la perle et le joyau de l'école véni-
tienne, littérateur érudit et politique raffiné, re-
nouvela dans ses psaumes, en l'ornant sobre-
ment, le .«tyle vocal des maîtres d'un autre âge.
Hsndel, né en Allemagne, alla triompher en An-
gleterre, et fut. pour ainsi dire, adopté par la
nation qui lui donna un lit, funèbre enire ses
princes et ses héros, à peu de distance de Shake-
speare. D'abord attaché au magnifique duc de
^!. . ->• 1 I., Li~,.,,].^i v.«:i_
rita l'un des rangs les plus élevés parmi les mai- speare. u anoru auac e au ■.■ag.Mu.i^.v^ ^>.>, ^v-
îres du -rand style vocal. On distingue dans ses Chandos, puis au roi d Angleterre, Haendel, br.l-
o^uvres quelques-uns des caractères qui ont, en lant d'esprit et de verve, g and organiste, compo-
tout c^enre illustré l'école française, un mélange : sitour fécond pour le clavecin et pour I orchestre,
exquil de finesse et d'imagin.,tion, de fougue et { s'est surtout illustre par ses incomparables ora-
j!1.,?„„ ^i" ,:o.„» c, Hb riir.,nrtinn I torios. Ces ouvrages ma estueux, ou brûle un feu
e erâce de verve et de distinction. lorios. (.es ouvrages .iidjeaiucu.., uu ..,..<. "■■■--
Goudimel eut pour élève P-ilestrina , le plus 1 extraordinaire, qui etincellent du plus ardent
grand musicien qui ait com,osé dans cestylo qu'on I coloris , sont composes dans un style tout i
nomme le sivie fi-uré. Comme l'a écrit Halévy, ; fait propre à ce maure. En Allemagne, Bach se
Tombla que le ciel eût fait naître Palnstrina montrait le plus puissant et le plus ingemcux des
pour consoler le monde de la mort de Raphaël. j organistes, .1 prodiguait les cnefs-d œuvre en
^ La musique de l^alestrina est en merveilleux | plus d'un genre, et écrivait ces deux ^..«îon.
accord avec la peinture et l'architecture, avec lart ■ immortelles, do.it l'une au moins a sa place sur
dé' oralif de son temps. Elle semble faite pour , la liste, assez brève, des chefs-d œuvre de 1 esprit
-..: i-„ r»,..„n„,,oo orrilsoo rip 1.1 Renaissance, humain.
animer les fastueuses églises de la Renaissance
Elle se relie et se raccorde pour ainsi dire aux
humain.
En Fiance, enfin, Rameau déployait les taltints
File se relie et se raccorde pour ainsi Qire aux r.n r lance, enim, i,a...i=<.v. >i=H.",-.v ...,. .».„...-
dômes et aux colonnades. Chateaubriand a oit : d'une dos plus rares natures de musicien qui aient
"T^.-i. L„. K„„„„ oo= h,.„ir. n„nn entend autour ' iamais paru dans le monde. Il y a eu peu de l-ran-
uoilies eu auA \^v.piv/nii«^i^o. ^. .,.„■.
« Qu'ils sont beaux ces bruits qu'on entend autou
des dômes ! » On n'en saurait entendre aucun qui
puisse valoir l'harmonie pure, noble, élégante en
son austérité, du triste et suave Palestnna.
A côté de Palestrina, lécole romaine de ce
U une UU3 piU^ luiisoiif'i.uiv.' "^ ... ...j,^ -j...
jamais paru dans le monde. Il y a eu peu de Fran-
çais d un génie aussi original que ce grand homme,
à la fois artiste inspiré et théoricien philosophe.
Lui aussi combattit et s'illustra dans plus d'une
carrière ; mais le meilleur do sa gloire lui vint de
A côté de Palestrina, leco e romaine ûe ce i carrière ; mais le nu-. hbui uu=.a ;,.....>. .-..■..- —
temps produisit d'autres grands maîtres.- et parmi j ses opéras où Diderot disait qui y avait ..de
euT G?egorio Allegri, dl la famille du Corrège, airs de danse qui dureront éternellement, .. eto^u
dont le a Mi erere » écrit pour deux chœurs, l'un règne partout une splendeur fa; -"■
inuatre et l'autre à cinq voix, a passé longtemps , imposante.
stueuso, magnifique,
Rameau était grand organiste comme Bich et
Hajodel. Il contribua comme eux â fixer et à per-
fectionner le style de cet instrument, paien à l'o-
rigine, qui accompagna dans le cirque les jeux,
les pantomimes, les évolutions des factions bl.jue
et verte, et qui, devenu l'instrument mystiiiue par
excellence, est aujourd'hui l'une des plus magiques
puissances, l'un des plus forts enivi-ements de la
musique sacrée.
C'est dans le xviii» siècle que brillèrent en
France plusieurs artistes excellents, tels que Mon-
delssohn et Mevcrbeer. I donville, qui ayant, durant leur vio, passionné le
Les p c^nie s^opéras dignes de ce nom furent ' monde le plus spirituel et le plus relevé, son
écHÎ 't^UaUepar'îes maîtres de l'école qui suc- tombés après leur mort, ï>'>^]J'^l^'^^'°'^\ll
céda à celle de Palestrina. iNous citermis ici Mon- serait trop long de déduire iç, dans un oubli
toverde (mort en IiU3), qui semble avoir, le pre- immérité d où ils sortiront quelque jour
mer, an^a^Ié exaci^m^ntet déterminé avec'ri- . ^afindusiècle ut marquée par m, dos plns^^^^^^^^^
gueur la nature du quatrième et du septième ' événements de l histoire de la musique Nou> vou-
degré de la gamme, et\ui. en caractérisant ainsi Ions parlerde l'avènement de t''.";'l;_f"^'^ 'i^"» f«
lAe,i~if./e efla so'.s-dlan.nto, contribua i lixer , l'^■■'^,Ond^■>t[emarquerâcesu et quecest à Paris
la tonalité et à préparer l'évolution de la musique avec 1 appui des poè.es français, avec '« ^«=»"^^
moderne 'l*^* décorations ingcnieuses de notre Opéra, de
l.ans lé xviie siècle l'opéra continua de se dé- | nos l^biles et experts m.nteurs en scène, que plu-
velopper, et, sans arriver k la perfection, fut porté 1 sieurs parmi les plus grands musiciens étrangers
a.lliaLICVlj.aM."^'"^""!- ,"!---- ij ,1
pour une merveille musicale, miracle d inspira
tion, prodige d'exécution.
Dans le même temps florîssaîl l'école vénitienne,
digne de b iller magnifli|uement dans la cité de
Mantegna, de Titien et de Véronèse.
A peu près vers la môme époque, sous I in-
fluence de Luther. l'Allemagne introduisait la mé-
lodie populaire à l'église. Tout le monde connaît
ce choral de Luther quia été, de nos jours, traité
avec infiniment d'art et de richesse par deux des
musiciens les plus raftînés de ce temps, Men-
delssohn et Meycrbeer
MUSIQUE
— 1377 —
MUSIQUE
vinrent écrire leurs cliefs-d'iuuvre les plus origi-
naux. Ainsi en at-il été do Gluck, de Saccliiui,
plus lard do SpoiUini, de Rossini et de Meyorbeer.
Ce fuit est sunout remarquable pour ce qui con-
cerne Gluck et Meyerbeer, à qui, pour des rai-
sons diverses, tous les théâtres de l'Europo
étaient ouverts. Il est certain que l'opéra, tel
qu'il s'est constitué i la lin du xviii* siècle et au
commencement de celui-ci, est vraiment une créa-
tion do la France, ou plutôt de Paris.
La venue de Gluck eu France donna naissance
à une querelle fastidieuse qui parut mériter la
devise applicable, d'après Voltaire, à toutes les
querelles : ■■ Sottise des deux parts. » Des opinions
extravagantes et des systèmes peu intelligibles
furent soutenus par des plillosoplies qui ne s'en-
tendaient pas touioufs eux-mônies. On opposait
l'un à l'autre Gluck et Piccini, et l'on croyait que
ces grands maîtres différaient justement par où
ils se ressemblent le plus.
D'autres musiciens obtinrent de grands succès
à Paris, dans le temps où Gluck y donnait les
deux luhii/énie.i. Nous ne pouvons omettre Salieri,
qui eut la gloire de travailler avec Beaumarchais,
et Grétry; ce dernier mit dans ses ouvrages la
grâce et la finesse qui parent les tableaux des
peintres de son temps.
Tandis que Paris semblait ainsi la capitale mu-
sicale de l'univers, on voyait fleurir et se dévelop-
per en Allemagne cette grande école viennoise,
qui devait transformer la musique symphonique
et amener l'art musical à produire en ce genre
•des effets inattendus. Haydn commençait d'écrire
cette innombrable quantité d'œuvres dont la plu-
part sont des chefs-d'œuvre. Il semble que nul
musicien ne puiise lui être comparé, si l'on con-
sidère sa fécondité, la richesse infinie et le bril-
lant de son esprit, l'éclat doux et soutenu de son
imagination. Mozart, né quelques années après
Haydn, se montrait supérieur et novateur en tout
genre, déployait l'originalité la plus éclatante, l'ac-
tivité la plus inconcevable, et par une fortune qui
n'a été accordée à aucun autre musicien, laissait
des ouvrages qui sont des modèles accomplis,
dans la symphonie, dans la musique de chambre,
à l'église et au théâtre.
Cependant les chefs de l'école italienne de ce
temps-là, Cimarosa et Paisiello, se rendaient cé-
lèbres par des ouvrages sans nombre, où respire
cette gaieté d'Italie, sensuelle et capiteuse, essence
infiniment précieuse et subtile.
Le xviii' siècle avait été, comme on le voit, pour
la musique, une période de fécondité admirable
et qui lient du prodige. Cependant la période qui
s'étend des vingt dernières années du siècle aux
quarante ou cinquante premières de celui-ci, est
peut-être encore plus extraordinaire par la réunion
des génies et des talents. On peut dire que cette
époi|ue où brillent presque simultanément, à côté
de Haydn et de Mozart encore vivants, des maîtres
comme Beethoven, Sponlini, Cherubini, Weber,
Rossini, Mendeissolin, Meyerbeer, est dans l'his-
toire de la musique quelque chose d'analogue à ce
<iue le xvi« siècle fut dans l'histoire de la peinture
italienne, une période de maturité opulente et ma-
gnifique, l'époque du plus riche épanouissement,
de la floraison la plnsétincelante et la plus délicate.
Beethoven, adniir.ible en plus d'un giinrc, ma-
nifesta sa plus grande puissance dans la sympho-
nie : il y déploya, avec une simplicité magistrale,
une sobriété énergique; il sut donner à ses gran-
des compositions un coloris tour à tour funèbre,
héroïque, pastoral, triomphal. Quoique lart ait
depuis raffiné sur certains moyens, les symphonies
de lieothovon demeurent jusqu à ce jour le mo-
dèle achevé, la plus haute expression do la musi-
<iuc instrumentale.
C'est peut-être à Weber qu'appar'ieni, en face
"' Partie.
de Beethoven, le rang le plus élevé parmi les mu-
siciens du môme temps. Il joignit à la sensibilité
profonde et touchante des poètes de sa r.ace une
grâce qui n'est qu'à lui. Mien n'a égalé la force
et, si l'on ose le dire, la véhémence de son senti-
ment musical, si ce n'est la finesse de sa gaieté,
le charme de son sourire.
Que dire dos musiciens qui écrivaient en France
à peu près dans le même temps que Beethoven
donnait ses plus beaux chefs d'oeuvre? Losueur,
auteur de systèmes trop célèbres et d'opéras trop
oubliés ; Méhul, l'un des compositeurs qu'admirent
le plus aujourd'hui ceux-là mêmes qui en musique
font profession d'être des hérétiques et des dissi-
dents. Dans l'histoire de l'opéra, une place singu-
lière et éminente doit être attribuée à Spontini.
Peu de musiciens peuvent lui être comparés pour
la pureté et l'élégance des récitatifs, la noble et
sitvante architecture des ensembles, la couleur
exquise de l'orchestration et la splendeur héroï-
que du tout.
Vers le même temps, Cherubini affectait dans la
musique d'église une manière d'écrire ingénieuse
et docte, où il déployait l'entente de toutes les
ressources, de tous les artifices de l'ancien style
intrigué.
Ce fut vers 1810 que commença de se produire
Bossini, l'un des plus grands Italiens qui aient
jamais paru et dont le génie doit être admiré
comme l'une des productions les plus précieuses
de cette terre où vécurent Virgile et Raphaël.
Après .avoir conçu et exécuté maint chef-d'œuvre,
il passa de longues années dans le repos, à la
manière de Shakespeare qui laissa sécher sa plume
après avoir écrit, la Tempête.
Rossini était venu comme Gluck triompher à
Paris, lorsqu'arriva dans cette ville un musicien
qui devait à son tour s'emparer de l'opéra où il
règne à cette heure presque sans partage. Gia-
como Meyerbeer, auteur de quelques opéras ita-
liens, ne reçut pas d'abord en France un très
grand accueil, et Stendhal, alors l'un des juges
attitrés du dilettantisme mondain, affecta de le
traiter en amateur riche, en fils de banquier juif,
qui écrit pour se divertir : il censura la monoto-
nie et même la vulgarité de ce qu'il nommait 3e,s
cantilènes. Bientôt Meyerbeer donna fioàert le
Diable et les Huguenots. Soit dans ses opéras que
tout le monde connaît, soit dans ses autres ou-
vrages, il montra, outre le génie, les ressources
d'un homme qui avait infiniment d'esprit et qui
l'avait riche et fécond, apte à briller en tout genre
de talent.
Mendeissolin, dans les mêmes années, écrivait
ses symphonies, ses chœurs, ses pièces d'orgue et
de chambre, ses oratorios de Paulus et d'É'/is. On
l'a souvent rapproché de Meyerbeer, quoique ces
deux grands artistes aient été maîtres en des gou-
res différents. Tous deux en effet, érudits et dé-
licats, ont ceci de commun, qu'ils sortaient de ce
inonde Israélite de Berlin, si raffiné, si curieux, si
docte, qui produisit les Heine, les Rahel, les
Michaël Béer, les Henriette Herz, et tant d'autres
personnalités éclatantes ou distinguées.
Nous ne pouvons que nommer ici les artistes
les plus originaux de cette période qui comprend
la première moitié du siècle. L'Italie, après Ros-
sini, avait vu naître liollini, talent si délicat, com-
parable à ces poiiitres qui, par la grâce et la
finesse de leur pinceau, se sont fait une place à
part, sans parvenir à se fixer au premier rang.
Parmi les compositeurs de notre pays, citons
Boieldieu et Auber. Boîeldieu, musicien charmant
et fécond aux mélodies fraîches et distinguées, et
dont le chef-d'œuvre, la Dame Blandie, se main-
tient avec honneur au répertoire. Auber, esprit si
français, P.irisien mondain et sceptique, qui écrivit
en so jouant plus de cinquante ouvrages de ce style
87
MUSIQUE
1378
MUSIQUE
étincebnt et léger qu'on a vainemeut tenté de dé-
crier. Herold. niulgrc sa mon prématurée, s'est mis
au rang des plus grands artistes. Aucun musicien
né en France ne l'a peut-être égalé pour l'abon-
dance et la fougue des iûécs. jointes chez lui à un
esprit luminei x et riant et à une pompeuse ima-
gination. Ses mélodies, claires et colorées, brillent
d'un air de grâce et d'immortelle jeunesse.
Nous nommerons cntin Fronienlal Halévy, qui
fut un prosateur élégant et pur, en même lemps
qu'un grand musicien, et qui a excellé dans la mu-
sique légère et ironique, ainsi que dans le style
fasiueux et magnifiquement décoratif. Parmi ses
grands opéras, il en est plusieurs qui ne sont point
demeurés au répertoire et qui renferment néan-
moins des morceaux de la plus rare élégance et
des fragments de la plus imposante majesté.
Depuis un certain nombre d'années, on voit dis-
tinctement se dessiner dans l'iiistoire de la musi-
que "ne période nouvelle. Cette période n'est
pas ninins fe'conde en talents que celles qui l'ont
précédée. Pour ne mentionner que deux artistes
qui sont dés aujourd'hui au-dessus de toutes les
discussions d'écoles, nous citerons MM. Ambroise
Thomas et Gounod, deux maîtres accomplis et ex-
quis avec des manières fort distinctes On peut dire
que c'est h la période présente qu'appartiennent les
ouvrages de Berlioz, puisque, s'ils sont écrits de-
puis un assez grand nombre d'animées, ils ne sont
parvenus que depuis peu, du moins en France,
au succès retentissant Berlioz, apprécié surtout
comme symphoniste, fut simultanément un grand
musicien et un littérateur inégal, mais brillant et
ingénieux.
Quelles conjectures peut-on former sur l'avenir
de la niusi(iue? Doit-on croire il sa future apo-
tliéose, ou à sa prochaine décadence'' Ce qui est
certain, c'est que la plupart des penseurs de l'é-
poque (t-nire lesquels on peut citer MM. Michelet
et Benan) ont considéré que la musique était une
des plus grandes originalités de ce temps-ci. Les
progrès qu'elles a réa'isés, son développement, sa
diffusion ont paru une acquisition capitale de l'es-
prit Immain, une conquête qui, toute proportion
gardée, se peut comparer à la découveiie on it la
propagation de l'alpliahet phonét que. Il semble
qu'un art si jeune et si puissant doive être encoie
réservé à des destinées brillantes, à de merveil-
leuses aventures. Certes il est permis de douter
que la musique retrouve jamais une réunion de
génies et de talents comme celle qui se produisit
vers la fiii du dernier siècle. Ne vit-on point, après
le Cii.qufcenlo, la peinture italienne décliner et
s'appauvrir/ Toutefois, il faut se garder de irom-
peuses analogies, considérer que la musique est
un domaine à part, et ne point croire que tout pé-
rit alors seulement que tout se Irons fonne.
Enfin il faut surtout remarquer que la musique
est de nos jours un objet d'attenlion singulière,
de curiosité passionnée, de sollicitude ingénieuse
et constante. L'en.^eignement populaire et général
de la musique, t-l (|U'il est par e.vemple ré. ■lise à
Paris, peut avoir des consé(|uences iticalculables,
en répandant la culture d'un sens si noble et si
pur. C'esi iiinsi qu'on préparera des générât ioos qui
seront à la fois plus son-bibles et plus intelligentes.
Il n'est pas diHiteux qu'en travaillant ainsi à pio-
duire des oreille^ plus délicates et des âmes plus
fines, on ne réussisse à susciter des compositeurs
à qui ne manquenmt ni les eACCutants accomplis,
ni les auditeurs eritliousi^stes. [A. Danlianser.j
iVous dunnoos ci-dessous le programme de l'en-
seignement musical, actuellement adopté dans les
écoles de la ville de Paris, pour les élève- des
cours m^jcn et ^upérieHr. de même que le pro-
gramme de l'examen aui|uel sont astreints le^ in
stituteurs et institnlrires de Paris pour obtenir le
certificat d'aptitude i 1 enseignement du chant
dans les cours élémentaires (cet enseignement est
donné par des professeurs spéciaux aux élèves du
cours supérieur et de la première division du cours
moyen). Nous y joignons en outre le programme
du cours de musique des écoles primaires de la
ville de Bruxelles.
PROGRAMME
PKOGRA.MME UE 1" AN>£E.
Cours tuojeii.
1" TRlMESTBi;.
( Octobre , novembre et décembre. )
Etude des signes principaux.
Lu portée. Lignes supplémentaires.
Les Jiotes. Figures des notes.
— Position des notes sur la portée.
— Noms des notes.
Les clefs. Définition.
— Etude spéciale de la clef de sol.
Gamme dut majeur Sa division en tons et dcini
tons.
— Noms des degrés de la gamme
— Explication sommaire des intervalles
compris dans la gamme d'ut majeur.
— Exercices d'intonation sur ces mêmes
intervalles.
/)!e/f'e d'inti.naliiin, orale et écrite sitnultanément,
en rapport avec les exercices du trimestre.
2'' TRIMESTRE.
(Janvier, février et mars.)
Figures des noies. Signes de durée.
Lés silences. Leurs différentes figures.
Théorie de lu mesure simple a deux et à quatre
temps.
— Exercices pratiques sur ces mesure', en
employatit seulement la ronde, la blan-
che et la u..ire, ainsi que les silences
équivalents.
AlVration'i. Le iiièse, le bétnol et le bécarre.
— Demi-ton diatonique et demi-ton chroma-
tique.
Gamme de li mineur. Explication sommaire des
intervalles compris dans la gamme de la
mineur.
— Exercices d'intonation sur ces mêmes in-
tervalles.
Dictée d'intonation, orale et écrite simultanément,
en rapport avec les exercices du trimestre.
3' TRIMESTRE.
Avril, mai et juin, i
Gamme chromatique.
— La croche et le demi-soupir.
— Le point, le triolet et la liaison.
T',é rie de la „„ >w simpli- à trois temps.
— Exercices pratiques sur cette mesure.
G'ovm" desol maj-w, mi mineur, fa majeur et ré
m neur. Armure de la clef.
D'Cte iCintoim ion 't ile dwée, orale et écrite
simultanément, en rapport avec les exercices
du trimestre.
Chimts l'aàUs avec paroles, à une ou à deux voix.
(Juillet.)
Récnpilu'-li'in gménde.
Etude de morceaux pour la distribution des prix.
Résumé.
A la lin de cette année d'étude, les élèves stu-
dieux doivent cire en état ;
MUSIQUE
137'J
MUSIQUl
r De cliaiilor un morceau facile écrit dans une
mesure simple, soit à'2, à 3 ou à 4 temps, pouvant
contenir les dilTérenles valeurs comprises de la
ronde i la croclie inclusivement, et dans une to-
nalité majeure ou mineure pouvant avoir une alté-
ration h la clef;
2° De faire une dictée très élémentaire ;
;i» 1)0 répondi'c nux questions de tli('orie qui
découlent do ce programme.
Recommandations générales.
Division de ta leçon.
On conseille aux professeurs de diviser ainsi
cliaque leçon d'une liaure, sauf les modifications
que les circonstances exigeraient :
Consacrer environ 10 minutes h la théorie.
10 — à la dictée.
10 — aux exercices au
tableau.
15 — aux exercices du
solfège.
15 — aux chœurs avec
paroles.
Total tiU minutes.
Emission <lu son.
1° S'attacher au mécanisme de la respiration ;
2° Faire prendre le registre du fausset à partir
du fit placé en clef de sol dans le premier inter-
ligne.
Mesure.
Rxiger que tous les élèves battent la mesure
par des mouvements de la main, et ne jamais to-
lérer que les temps soient marqués par des mou-
vements du pied.
Chant avec paroles.
Indépendamment des nuances et du style, veil-
ler à ce que la prononciation soit correcte.
PROGRAMME DE 2" ANNÉE.
Cours supérieur.
1" TRIMESTRE.
(Octobre, novembre et di^ccmbre.)
Itécaijitulation rapide des matières de la 1" année.
lnt''rvaUes. li\iCi\Me.s simples et redoublés, leur
composi ion, leurs renversements.
Gamme ma/eure. Sa constitution, le tétracorde,
gammes en dièses, gammes on bémols.
Mesures à ^ et à ^.
— Signes de reprise, renvoi, point d'orgue,
point d arrêt.
Dictée d'iatonation i-t de Jurée, orale et écrite
simulianément, en rapport avec les exercices
du trimestre.
Chœurs à 2 ou .•} voix, selon le degré d'avance-
ment des élèves.
(Ja
'2' TRIMESTRE,
nier, février et nie
Gamme m!n''are. Sa constitution; gammes rela-
tives.
— La double croche, la triple croche et la
quadruple croche, ainsi que les silences
équivalenis
— Le double point. Le sextolet ou sixain.
Théorie de la mesure composée à 2 et à 4 temps
— Exercices pratiques sur ces mesures.
Dictée d'intonation et de dur e, orale et écrite
simultanément, en rapport avec les exercées du
irimcslre.
'hœurs k 3 voix.
'.i' TKIMEiTllE.
(Avril, mai et juin.)
Gnaini' cliromatique' tonale. Double dièse, dou-
ble bémol.
Enharmonie. Gammes enharmoniques.
— Modulation.
Théorie de la mesure composée à 3 temps I ^ I ■
— Du mouvement, explication du mélrononie.
— Exercices pratiques sur les mesures.
Dictén telle qu'elle se pratique au concours.
Chœurs à a voix.
(Juillet.)
r.écapitulation générale.
Etudes des morceaux pour la distribution de»
prix.
PROGRAMME
de l'examen pour le certificat d'aptitude à l'en-
seigneuient élémentaire du chant dans les éco-
les primaires de la ville de Paris.
L'examen portera sur les matières suivantes :
Epreuves écrites :
1° Dctée musicale ;
2° Bédaction sur une question d'enseignement
musical.
Epreuves orales :
1° Lecture h première vue d'une leçon de sol-
fège en clef de sol ;
2° Interrogation sur les principes généraux de
la musi(|ue ;
3° Execution par cœur, sans accompagnement,
d'un petit chant d'école, choisi par le jury, dans
un cahier de six chants scolaires présenté par le
candidat. (Il sera tenu compte du bon choix de ces
chants.) Exécution du même chant dans un autre
ton indiqué par le jury.
Chant d'une mélodie avec paroles, choisie et
préparée d'avance par le candidat. (Le candidat
sera accompagné au piano.) Il sera plutét tenu
compte des qualités de goût et de diction que de
la qualité de la voix.
Epreuves facultatives :
Le candidat pourra faire constater qu'il a la
pratique do l'accompagnement au piano. Mention
en sera faite sur le certificat.
PROGRAMME
des cours de musique des écoles primsdres de la
ville de Bruxelles.
L'enseignement comprend : I» la connaissan
des notes; 'i" les valeurs jusquos et y compris la
double croche comme complément d'un temps
3° les silences équivalents; i" les mesures en 2
en 3 et en 4 ten.ps on commence par la mesure
en ■.; temps) -, 5" les mesures composées les plu
usinées; (i" le ton; 1° le mode; 8° exercices de
solfège, mélodies et morceaux de chant d'en-
semble.
DIVISION DES MATIÈRES d'eNSEIGNEMENT.
Classe inférieure.
(3* division.)
Des notes.
Valeurs: ronrirs, blanches, noires.
Sileucrséqu.val.iits.
Inlouatioua : «. Uillérenles lonililés s»ni uiin ire a la ciel ;
— 4. L.'s di uiilun-i par auilitinu ;
c. Gamme iniueu e par audiliba.
Uesuie en îel en ^ temps.
Mélodies simples et canons avec paroles.
MUSIQUE — l'iSO —
Classe moyenne.
(J. division.)
Lps lalrurs, y compris la croclic.
Silences équivaliiiils.
Intonations : a. Différentes tonalités sans armure a !a clef;
' — b. Les demi-tons par audition ;
c. Gamme mineure par audition.
Mesures en 2, en 3 et en 4 temps.
Exécution de moiceaui d'ensemble et de canons avec
paroles.
Classe supérieure.
(1- division.)
y compris la double croche comme complé-
MYRIAPODES
meut d'un le
Silences éq-iiTaleiits,
Intonations
_. I) fferenles tonalités avec armure à la clef;
b. Dièses et bémols;
— c. Gamme mineure.
Mesures simples et composées les plus usitées.
Exécution de m.irceaui d'ensemble à 2 et à 3 voii, et ca-
nons avec paroles.
Dans les classes inférieures, les institviteurs
enseignent les signes grapliiques à leurs élèves
trois fois par semaine, un quart d'iieure par
leçon.
Ils leur font apprendre, par audition, des mélo-
dies qui sont chantées en classe, aux cliango-
mentsde inatièrcs, aux entrées et aux sorties.
Tous les trimestres, le muîire de musique fait
faire une composition dont la matière est donnée
par rin.specieur. Le résultat de cette composition
est remis à l'inspecteur, qui constate ainsi les
progrès des élèves.
Pour former ses trois divisions, le maître de
musique aura égard h la force des élèves et non
à la classe à laquelle ils appartiennent dans
l'école.
Dans les trois divisions, la première moitié de
la leçon doit être consacrée aux applications et
aux exercices d'application et de solfège; la se-
conde moitié à l'exécution de mélodies, de canons
avec paroles, de morceaux d'ensemble à une, à
deux et à trois voix.
Les exercices de solfège seront à une et à deux
voix pour la division inférieure ; à une, à. deux et
à trois pour les deux divisions supérieures,
gradués écrits dans le diapason de la voix des
enfants.
Les morceaux d'ensemble devront être bien
rythmés, simples d'harmonie et de mélodie, et les
paroles, à la portée des enfants.
Pour la deuxième année, il serait bon de com-
mencer chaque leçon par une gamme majeure,
une gamme mineure et une gamme chromatique,
ainsi que par quelques exercices vocalises dans
lesquels on s'attacherait spécialement à la respi-
rat'on et au timbre.
MVRlArOUES (Classe des). — Zoologie, XXV.
— On les appelle vulgairement Miliepieds, mot
quia une signification tout àfait analogue.Ces arti-
culés, que Cuvier réunissait encore aux insectes,
ont été constitués en une classe distincte par La-
treille; ils se reconnaissent tout de suite, mémo
pour les personnes peu accoutumées à l'observa-
tion, à l'existence d'une très grande quantité de
patles articulées, à peu près semblables les unes
aux autres, de nombre très variable au reste, puis-
qu'il va de vingt-quatre ou douze paires (Polyxèiie,
Gloméris) à plus de trois cents certains Géophi-
les). On ne trouve plus de séparation en trois ré-
gions, la tète, le thorax, l'abdomen, mais uni',
tète suivie d'un grand nombre d'anneaux portant
chacun une ou deux paires de pattes. A ne con-
sidérer que l'aspect extérieur de ces animaux, on
leur trouve une ressemblance éloignée avec les
Annélidos *, surtout avec certains genres marins,
comme hs Ncréidi;s, pourvus de pattes latérales
avec houppes de branchies ; il y a des myriapodes,
les Polyxènes, les Gloméris, qui se rapprochent
beaucoup plus des crustacés à sept paires da
pattes, c'est à-dire des cloportes soit terrestres,
soit marins.
L'analogie la plus réelle des myriapodes est
avec les insectes, non pas en prenant ceux-ci h
l'état adulte, où ils n'ont plus que six pattes, mais
en considérant certaines formas larvaires, ainsi
les chenilles des papillons et surtout les fausses
chenilles des mouches-à-scie, qui ont en général
encore plus de pattes que les chenilles. Leur or-
ganisation intérieure est k peu près la même que
celle des insrctes.
Los myriapodes ont de vraies métamorphoses,
au moins dans beaucoup de genres, et on peut
même dire qu'ils sont pendant plusieurs jours des
insectes à six pattes. De l'œuf sort un ver d'abord
sans pattes, présentant bientôt après des seg-
ments distincts; puis, à la suite d'une mue, appa-
raissent antérieurement trois paires de pattes;
ensuite l'animal s'accroît en longueur d'avant en
arrière, de nouveaux anneaux se dessinent et de
nouvelles paires de pattes s'y joignent. Les myria-
podes n'oot jamais d'ailes.
Les myriapodes n'ont pas de représentants
aquatiques. On peut dire que ce sont des articu-
lés essentiellement terrestres et presque oxclusi-;
vemenl de la surface du sol, car il y en a peu qui
puissent grimper aux arbres, entre les crevasses
de l'écorce et surtout dans les espaces obscurs
qu'elle laisse entre elle et l'aubier. Ils craignent
la lumière et la sécheresse, et pour les éviter se
réfugient dans les fissures, sous les pierres, sous
les feuilles sèches, dans la mousse, au milieu des
fumiers et du terreau meuble. Leur nourriture
est variée ; certains, les plus utiles pour nous,
sont des carnassiers d'insectes et do limaces ; beau-
coup vivent d'insectes morts, de détritus d'origine
animale ou végétale, et de fruits, surtout quand
ils ont été crevassés par la pluie ou entamés par
le bec des oiseaux ou les mandibules des guêpes.
Classiticatlon. — Les myriapodes se divisent,
d'une manière très naturelle, en deux ordres, que
nous désignerons parles noms de deux genres foii-
damentaux, en leur donnant une signification gé-
nérale ; ce sont les [aies et les Scolopendres.
IcEs. — La tête est munie d'antennes d'un
petit nombre d'articles, également épaisses par-
tout, et les pièces de la bouche n'ont pas de glan-
des à venin ; les pattes, presque toujours au nom-
bre (le deux paires par anneau, sont insérées au-
dessous du corps, plus ou moins près de la ligne
médiane du ventre ; les orifices de ponte de la
femelle sont situés à la région antérieure du corps,
sous le quatrième anneau, ce qui est un caractère
de crustacés.
Nous commencerons l'étude de cet ordre par un
singulier et très petit animal, à corps mou, oblong
et déprimé, d'un jaune grisàire, de '.' millimètres
seulement de longueur : c'est le Poh/xène à queue
en pinc-mi, à tête large et hérissée de petites
soies grises, le corps composé de douze anneaux
ayant chacun une paire de pattes, avec de jolies
houppes de poils écailleux sur les cotés et terminé
par deux appendices ornes chacun d'un pinceau
de soies argentées. Cet animal, assez rare près de
Paris, se trouve sous les écorces. Si nous en par-
lons, c'est qu'on l'a signalé en Allemagne comme
un destructeur acharné du phylloxéra des racines
de la vigne; en supposant le fait bien constaté, il
n'en serait pas moins fort difficile d'amener en
nombre immense ces minuscules créatures au
pied dû chaque cep de vigne.
On trouve dans les bois ombragés, sous les
pierres et les feuilles tombées et humides, des
myriapodes à peau crustacée. grisâtre, sans pin-
ceaux sur les côtés, se roulant en boule rnmme
les cloportes de bois ou arm.-idillcs, auxquels ils
MVRIAi'UDKS
lasi
MYRIAPODES
ressemblent beaucoup d'aspect, mais dont ils se
distingucni par uiio quantilc bien plus gmnde do
pattes, car elles sont au noujbre de 34 clii^z les
niàlos et iO clicz les fenielles, la plupart des douze
anneaux en portant deux paires. Ce sont les Glo-
méris, et l'espèce la plus commune dans le midi
de la France est le Giomérii bordé, dont la tfite
et les anneaux sont entourés de rouge ; on trouve
près de Paris deux autres espèces d'un gris
plombi5, dont l'une a les anneaux entoures de
blancliâtre.
Les Iules proprement dits ont le corps très long
et cj'lindrique, avpc des yeux simples très rappro-
cliés et de nombreuses et très petites pattes,
deux paires par anneau, atteignant jusqu'au nom-
bre de l'JO paires dans certaines espèces, s'inscrant
très près les unes des autres en dessous du ventre,
ce qui fait que ces myriapodes marchent fort len-
tement. Sur les côtés du corps, des glandes lais-
sent suinter par des pores un liquide dont l'odeur
forte rappiUe celle des gaz nitreux.
Les luios viv^nt sous les mousses humides et
les feuilles mortes ; il en est qui se cachent sous
les pierres; d'autres habitent sur le bord des eaux,
ou dans les terrains sablonneux, ou enfin sous les
mottes de terres. Il y a deux espèces très com-
munes partout, sortant volontiers sur les sentiers
après la pluie et se roulant sur le sol en spirale plate
ou s'accrochani aux écorces des arbres Ce sont le
Iule lerrestr , long de 30 il i» millimètres, grisâ-
tre, avec deux raies plus pâles de chaque côté du
dos, et le luie iies snô/es, ayant sur le dos une
double ligne rougeâtre. Les Iules vivent de détri-
tus végétaux, peut-ê re aussi d'insectes mons.
Dans un genre voisin, privé d'yeux, se trouve le
Blnniul- à i/otiiteletles, dont le corps est d'un
blanc jaunâtre très pâle, avec 74 pattes, les seg-
ments ayant presque tous un point rouge de cha-
que côté, ce qui forme comme deux rangées de
gouttelettes. Ce myriapoda est nuisible, car il sh
nourrit de fruits qu'il cnuse à l'intérieur eji se
cachant par crainte do la lumière, de sorte qu'il
les vide de leur pulpe sans qu'on s'en aperçoive
au dehors. 11 fait souvent du tort aux cultures des
grosses fraises ananas et les perce de trous.
Les Polydesmes sont aveugles, aplatis, avec des
anneaux subiectanglts, tronques latéralement et
bordés, la plupart des anneaux portant deux paires
de pattes, qui sont sous le ventre, mais moins
rapprochées que chez les Iules ; aussi les l'o-
lydesmes marchent plus vite. On les trouve dans
les lieux humides, sous les pierres, sous les feuil-
les tombées et autres débris végétaux. Les plus
communs sont le J'idi/rtesme aplani, la « Scolopendre
à 60 pattes » de Geoffroy, ntrirâtre et chagriné en
dessus, d'un blanc cendré en dessous, les pattes
rougeâtres, et le Polijdesme à pattes pâles, dont
les anneaux ont une couleur ferrugineuse, avec
deux points jaunâtres.
Scolopenhhes. — La tête est large et le corps
toujours aplati; les segments n'ont jamais qu'une
paire de pattes rejeiées latéralement, ce qui
permet une marche rapide; les mandibules sont
très fortes, aiguës et en faucille; la seconde paire
de mâchoires offre à sa base une paire de crochets
acérés, ayant près de la pointe un trou par où
coule le venin d'une glande interne, appareil tout
à fait analogue aux chélicères venimeux des
araignées; les ouvertures pour la ponte des œufs
sont situées à lextrémilé anale de l'abdomen,
comme chez les insectes. La plus grande partie des
scolopendres sont des articulés carnassiers, des-
tructeurs d'insectes, de larves, de limaces, par
suite très utiles ; l'instituteur doit recommander
le respect de ces animaux aux enfants, qui sont
toujours tentés de les écraser en raison de leur
aspect bizarre, parfois effrayant.
Les Scolopendres proprement dites ont des
a;;neaux égaux et vingt et une paires de pattes,
les dernières plus longues et plus fortes; il y a des
assemblages dyeux lisses. Dans l'extrôme midi de
la France et en Algérie se trouve la Seolopemire
mordante, de 70 à 75 millimètres, d'un ferrugineux
verdàtre, très carnassière d'insectes; elle mord
fort ementavec ses mandibules, en même temps que
la piqtire de ses crochets cause une douleur très
vive, suivie d'enllure locale, sans véritable danger
pour l'homme ; on dit, en revanche, que les énormes
scolopendres des pays chauds ont une piqiire très
redoutée, causant de graves accidents à l'homme.
Les Lithobies (c'est-à-dire « vivant sous les pier-
res ») présentent en dessus des plaques dorsales car-
rées, ahernativement plus grandes et plus petites,
oITiant quinze paires de pattes et des yeux simples
agrégés. L'espèce la plus commune, répandue dans
toute la France, est la Lilhnhif à leninlle, d'un
brun tantôt roussàtre tantôt noirâtre, devant son
nom â ses fortes pattes de deriière, simulant uno
tenaille Elle mord, mais faiblement et sans dan-
ger; dans son jeune âge elle est comme étiolée,
car elle vit alors dans des lieux très obscurs. On
la trouve sous les pierres, sous les écorces hu-
mides, sous les pots à fleurs, dans les fissures des
vieilles charpentes, et elle est carnassière. D'an-
tres utiles carnassiers sont les Cryptops (« œil
caché »), qui ont les yeux nuls ou non apparents,
les derniers segments épineux, et vingt et une
paires de pattes, dont les dernières sont plus
fortes ; nous avons plusieurs espèces à pattes
poilues, ferrugineuses sur le dos, plus pâles on
dessous, vivant surtout dans le bois pourri et sous
les écorces, et qui sont fréquentes dans les jardins.
LesScutigères (" porte-écusson ») présentent de
longues antennes grêles comme des fils, et des
yeux composés, à nombreuses facettes, analogues
à ceux des crustacés supérieurs; le corps, propor-
tionnellement plus court que celui des genres pré-
cédents, est recouvert en dessus do huit plaques,
ou boucliers, tandis qu'en dessous sont quinze
demi-segments portant une paire de pattes, ter-
minées par un tarse grêle et très long, formé d'un
gr.nnd nombre d'articles; les dernières paires de
pattes sont plus longues et plus fortes que les
autres. Ce genre est ^epro^enté par une espèce
nommée la Sctitigére ardiiéfid'', longue de 4 centi-
mètres en\iron, d'un jaune roussâire ou couleur
de cire, avec trois lianes bleues longitudinales sur
le dessus du corps, les pattes très longues et très
grêles, surtout les dernières, portant des bande»
bleues. Ce myriapode, répandu du nord de l'Europe
jusqu'au nord de l'Afrique, perd ses pattes avec la
plus grande facilité si on cherche â le saisir ou
seulement si on le lait tomber, et leurs articles
restent quelque temps agités de mouvements con-
vulsifs, comme les longues pattes arrachées aux
Faucheurs (V. Arac/niid's). On croirait voir une
araignée à pattes multiples, quand on aperçoit ce
bizarre animal dans sa course rapide ; il vit dans
les celliers, les granges, les greniers inhabités, les
vieilles charpentes, et nous est très utile en dori-
nant la chasse aux insectes qui rongent les bois
ouvrés et surtout à leurs larves dites Vers de buis.
Il détruit encore les chipories dans les serres.
Les Géophiles(" amis delà terre »; ont la tête â
peu près triangulaire, et dépourvue d'organes de
vision, le corps démesurément long, avec des seg-
ments et dos pattes très nombreux, parfois plus de
trois cents; ce corps est déprimé et s'élargissant
peu h peu jusqu'à une certaine distance de la
tôle. Bien que les pattes soient petites, leur inser-
tion très latérale permet aux Géophiles une course
rapide dans une reptation ondulée qui rappelle les
serpents ; souvent on les voit grimpant sur une
crête et la dépassant, la moitié antérie.uro du corps
descendant, tandis que l'autre monte. Los Géophi-
les vivent le plus ordinairement dans l'humus du
MYIVTACEES
— 1382
MYRTACEES
sol, ce qui est en rapport avec leur nom; on les
trouve sous les pierres, dans les trous des vieux
murs, sous le fumier et jusque dans les liabita-
tions.Iis reclicrclient encore les endroits liumides,
le bord des ruisseaux, les bosquets touffus, le pied
(les arbres et les mousses. D'après une croyance
populaire, ces animaux s'introduisent dans les na-
rines des personnes endormies, séjournant dans
les fosses jiasales et y amenant de graves désor-
dres. Les journaux de médecine rapportent même
des cas paihologiques de ce genre où d'intoléra-
bles douleurs cessèrent après que le géophile
l'Ut éié expulsé da nez. Nous ne trouvons pas à
ces récils, qui portent cependant le caractère
d'une parfaite bojine foi, une autlienticité suf-
lisante, car ils proviennent de personnes qui ne
bontpas babituées aux observations précises.
Certains Géopliiles sont nuisibles, car ils pénè-
trent à l'intérieur des fruits conservés dans les
garde-mangers et les rongent; parfois on ne peut
réprimer un mouvement de dégoût, presque d'ef-
froi, quand on voit sortir brusiiuement d'un beau
fruit qu'on porte à la boucbe une sorte de petit
serpent jaunâtre', couleur babituelle des Géophi-
les. L'espè e qui attaque principalement les fruits,
surtout les pèches, les prunes et les abricots, est
le Gé phile cnrpop/mge, long d'environ .S centi-
mètres, marqué sur tout le dos d'une ligne d'un
brun violet boi'dée de jaunâtre, la tète et la ré-
gion anale jaunâtre, il faut placer auprès des
A ces premiers caractères on peut encore ajouter
la courbure de lembryon et son Kfand volume ; la
consistance du tégument séminal de la graine, et
la présence constante de résines odorantes dans
les feuilles de ces plantes. Les Myrtacées se rap-
prochent beaucoup des Granatées et des Calycan-
tliées. M. Brongniart a réuni ces trois familles dans
sa classe des Myrtoïdées.
Caractères botaniques. — La graine des myr-
tacées nous présente ne dehors en dedans : 1° un
tégument séminal crustacé extrêmement dur,
ligneux, très résistant. Ce tégument acquiert son
maximun de puissance dans les beriholleiia, dont
les graines se vendent sous le nom de noix de
Hié'il; 2° un embryon très volumineux, charnu,
gorgé de matières grasses. Cet embryon est en
général très fortement courbé sur lui-même ;
dans les bertholletia et les barringtonia, il est
souvent fort difficile de mettre en évidence ses
deux cotylédons ; à plus forte raison ne peut-on
pas montrer sa gemmule. Dans un peut nombre
de myrtacées. la graine présente, en plus des
deux parties ci-dessus mentionnées, un albumen;
cet albumen toutefois n'acquiert qu'un faible dé-
veloppement.
La germination de la graine des myrtacées
n'offre aucune particularité digne d'être notée.
La racine des myrtacées est pivotante, toute-
fois le pivot se développe peu ; en revanche la
racine se ramifie abondamment. Toutes les raci-
Iruits des feuilles de chou repliées en quatre, où nés des myrtacées sont extrêmement contour-
se loge ce millepied, et le détruire. 11 y a des [ nées; leur écorce, très épaisse, est très riche en
Géophiles qui deviennent pliospliorescents dans principes actifs; plusieurs de ces écorces contien-
l'obscurilé à certaines époques, la lueur prove- nent aussi des glandes qui sécrètent des matières
nant de l'exsudation, surtout entre les anneaux et fortement colorantes.
sous le ventre, d'une substance qui éprouve a ] La lige des myrtacées est généralement li-
lair une combustion lente et laisse une raie lu- gneuse, elle peut acquérir un très grand déve-
mineuse après les corps sur lesquels l'animal a loppemcnt en hauteur et en diamètre; c'est ainsi
marché; c'est tout à fait analogue à ce qui se [ que dans les eucalyptus de la Nouvelle-Hollande,
produit sous le ventre des vers-luisants IV. Co- \ on voit cette tige atteindre une hauteur de 130 mè-
téoptèrfs). L'espèce qui présente principalement , très et une circonférence de \i mèiros. Selon les
cette propriété est le Géup/nle é.ectnque, ainsi espèces, le bois des myrtacées est tendre et blanc,
nommé parce qu'il sort surtout de dessous les comme dans Ihs eucalyptus, ou au contraire
mottes de terre après les orages. A peu près de dur, veiné et colore, comme dans les myrtes. Le
la longueur de l'espèce précédente, il est en entier bois des myrtacées est toujours fortement impré-
d'un jaune d'ocre, l'extrémité de la tête blanchâ- gné de matières résineuses. Cette circonstance
tre, et en arrière de celle-ci un collier jaune rou- i donne h ces bois une grande valeur, car elle
geâtre ; les pattes sont assez longues et celles de les rend presque imputrescibles, et surtout les
la dernière paire plus grosses. La phosphores- | met à l'abri des attaques des animaux perforants,
cence paraît exister aussi, mais moins régulière- Ceux des bois des myrtacées qui présentent une
ment, chez le Géophile phosp'ioré et parfois chez certaine dureté sont recherchés pour l'ébéniste-
le Géophile carpophage. Une espèce très remar- |rie; plusieurs sont utilisés par la parfumerie à
quable est le Géophiie de Wolckenaer, long de cause de leur oileur suave. L'écorce de la tige
plus de deux décimètres, ayant jusqu'à 326 pattes, : des myrtacées est presque toujours lisse, sèche ;
le premier tiers du corps et la tète d'un jaunâtre elle est assez mince. Lorsque la décortication se
pâle, le reste d'un brun ferrugineux, sauf le der- produit, les pellicules de rithydome qui se for-
nier anneau qui est jaune comme la tête; il y a ment se réduisent à de très petites écailles qui se
comme des traînées sanguinolentes le long du détachent très peu de temps après leur formation,
corps Ou a rencontré cet énorme millepied dans \ Toutes les écorces des myrtacées sont gorgées de
des jardins de l'intérieur de Paris, sous le fu- j baumes et de résines que l'on peut extraire par
mier, sous les pierres et dans la terre; on le des incisions longitudinales,
trouve aussi dans les appartements et surtout \ Les feuilles des myrtacées sont simples, en-
dans les ateliers et magasins de bois des éb^nis- | tières, persistantes; presque toutes sont couver-
tes, qui l'appellent le « roi des scolopendres ». Nous tes. au moins supérieurement, d'un cmluit cireux
sommes portés à supposer que cette espèce n'est ' parfois très épais. Ces feuilles ne portent de sto-
pas indigène, mais a été introduite cachée dans 1 mates que sur leur face inférieure. Dans lesjeu-
ies fissures des bois d'ornement exotiques. } nés eucalyptus, les feuilles sont de tous points
Les instituteurs verront, par les ext-mples qui semblables à la description qui précède ; à un âge
précèdent, qu'ils peuvent tirer des sujets de le- plus avancé, à ces premières feuilles en succèdent
cens dites de c/iose<, même de l'élude des ani- d'autres qui, au lieu d'être insérées sur la tige
maux les plus dédaignés et qui appellent le moins horizontalement, sont insérées verticalement; de
l'attention. _ [Maurice Girard.] telle sorte qu'au lieu de recevoir les rayons solai-
SiYIlTACEES. — Botanique, XXII. — Klym. : res de face, ceux-ci frappent la feuille de champ.
Wyrtacéps est tiré du nom grec nii/itos qui dési- Ces feuilles insérées verticalement sont croiton.
gne l'arbre que nous appelons myrte. ; des feuilles ordinaires réduites à leur pétiole; on
Dépniti'n. — Les Myrtacées sont des plantes les nomme phyllodes. La surface feuillue des
dicotylédonées à étamines nombreuses, insérées myrtacées est extrêmement étendue, grâce au
sur l'ovaire; à ovaire pluriloculaire et pluriovulé. grand nombre des feuilles de chaque branche et -i
MYRTACÉES
— 1383 —
MYRTACEES
1 aljondaïUo ramification des brandies de la tige.
\ cotm grande surface fouillée correspond une
Iri's grande aciivilé Iranspiratoire, et par suite la
Ki'aiide surface feuillue dés myrtacces fait de ces
végétaux dos agents de dessèchement des marais,
'l'outos les fouilles des myrtacées produisent en
al)ondanco dos matières résineuses très odorantes
<'.os matières résineuses sont sécrétées par des
glandes spéciales très petites, closes de toutes
parts. I.eur forte réfringence permet de les dislin-
gnei- il l'œil nu par transparence h travers la
feuille, comme auiant di' petits points blancs.
Les fleurs des myrtacées sont le plus souvent
solitaires et liermaplirodites. Chaque fleur com-
prend ordinairement, de dehors en dedans : 1° un
calice à cinq dents, coloré, persistant, d'une con-
sistance assez grande. Ce calice se voit encore sur
lo fruit mûr, comme une sorte de couronne de con-
sistance ligneuse; 2" une corolle à cinq pièces. Cha-
que pièce est insérée sur un bourrelet qui borde
intérieurement la base du calice. Dans quehjues
myrtacées la corolle fuit défaut; on môme temps
aussi les dents dn calice sont caduques. Dans les
eucalyptus, qui peuvent servir de type à ces
myrtacées anormales, les dents du calice soudées
supérienrcment forment une sorte de calotte qui
se détache au moment de la floraison ; .3" un an-
drocée formé d'un nombre considérable d'étami-
nes généralement égales entre elles. Dans le
conroupita, un certain nombre des étamines sur-
passent, de beaucoup les autres par la longueur
de leurs filets. Dans les beauforlia, chaque filet
staminal se divise en un certain nombre de fila-
ments plus gièles dont chacun porte h son extré-
mité une anthère biloculaire. Les an hères sont
fréquemment fortement colorées en orangé ; 4° un
gynécée qui se réduit Ji un pistil trilocul..ire ou
tétraloculaire, toujours nettement infère. Le pistil
est surmonté d'un style simple, lequel se termine
supérieurement par un stigmate sphérique. Cha-
cune des loges de l'ovaire prési'Ote, dans son angle
intérieur, un placenta charnu hémisphérique
dont la surface est toute couverte d'ovules. De ces
ovules, les supérieurs seuls se développent et
sont fécondés: les inférieurs s'atrophient et de-
meurent stériles. Les uns et les autres acquiè-
rent pourtant un tégument ligniux; les ovules
fei-tiles se distinguent aisément des autres par
leur «rande taille et leur forme allongée. Tous ces
ovules ont deux téguments, tous sont anatropcs.
Le fruit des myrtacées présente toujours des
parois épaisses et une consistance assez grande.
Dans les myrtes, ce fruit est une sorte de baie.
Dans les eucalyptus, le fruit, arrondi ou tétragone,
a la consistance du cuir; ses parois sont gorgées
de résine. Dans les bertholletia et les conrou-
pita, le fruit en se développant prend un très
grand volume; ses parois acquièrent une consis-
tance ligneuse telle qu'il faudrait employer la
liache pour les ouvrir.
Les dranalée' diffèrent des myrtacées par leur
ovaire à deux étages de loges, l'étage supérieur
est tétraloculaire, l'étage inférieur est triloculaire.
A cet ovaire succède un fi'uit tout particulier,
nommé balauste ou grenade. Ce fruit présente
une coque papyracée, un certain nombre de lo-
ges, et dans cha(|ue loge des graines dont le té-
gument est mi-partie ligneux et mi-partie charnu.
La pulpe rosée et sucrée qui recouvre la graine
des grenades a pour but d'assurer la dissémina-
tion de es graines par les oiseaux. L'embryon
des granatées est fortement plissé dans l'inté-
rieur de leur graine. La famille des granatées ne
contient qu'un seul genre, le genre Punica ou
grenadier.
Les Cribjcanlhées se distinguent des myrtacées
et de> granatées : i" par l'apparition précoce de
leurs fleurs qui se montrent en môme temps que
leurs feuilles; 2" par le grand nombre des pièces
do leur calice; 3° par leur corolle h neuf pétales ;
i' par leurs étamines au nombre de cinq seule-
ment; 5" enfin, par leur gynécée composé de dix
carpelles presque indépendants les uns des autres.
Chacun de ces carpelles se transforme en un fruit
qui est un achaine comparable à ceux de la benoîte.
Tous ces caractères font des calycanthées un
type intermédiaire entre les myrtacées et les
rosacées.
Usages des Myrto'idèes. — Un grand nombre
de Myrloidées fournissent il, l'homme des produits
dont il tire parii pour son alimentation, pour son
industrie, ou comme médicament. Nous nous bor-
n-rons h ciier les genres principaux.
Les eucalyptus, grands arbres originaires de
l'Australie, fournissent d'excellents bois de cons-
truction; les feuilles de ces plantes, macérées
dans l'alcool pendant un certain temps, donnent
une liqueur aromatique qui peut remplacer l'absin-
the. La croissance de l'eucalyptus est des plus
rapides. En quelques années, un eucalyptus, venu
do semis, devient un grand arbre, (À>tte plante a
été transportée de ,son pays d'origine daii,j l'Inde,
dans l'Amérique, en Alg('"rie,et môme en Provence.
Partout l'eucalyptus a prospéré et, dans un temps
très court, a provoqué le dessèchement dés marais
et par suite l'assainissement des localités où il a
été planté. C'est ainsi que les environs de Bouffarick
en Algérie, qui éiaient considérés autrefois comme
un foyer d'infection etde miasmes pestilentiels, sont
devenus l'un des points les plus sains et les plus
riches de l'Algéri-, grâce aux plantations d'euca-
lyptus qui y ont été faites. Dix années ont suffi à la
transformation de ce pays jadis inliabitable. Les
eucalyptus plantés :i lioufl'arick, il y a trente ans à
peine, sont aujourd'hui des arbres gigantesques.
A l'heure présente le gouvernement italien entre-
prend le dessèchement et la désinfection des
Marais Pontins en ayant recours à des plantation»
d'eucalyptus.
Les melaleuca.en particulierle M-lalewa minor,
originaire des îles Moluques, et le ,1/. viridiflora,
originaire delà Nouvelle-Calédonie, fournissent par
la distillation de leurs feuilles fraîches une huile
aromatique verte. En vieillissant cette substance
perd sa coloration verle: par fraude on lui rend sa
coloration primitive à l'aide du chlorure de cuivre.
L'huile de melaleuca est connue sons le nom de
liuile de Cnjp.pui. Abandonnée il l'air pendant un
certain temps, elle perd son odeur première et con-
serve une odeur spéciale qui rappelle à s'y mé-
prendre celle de l'essence de rose faible; au-si la
plus grande partie de l'huile de Cajeput est-elle
utilisée pour falsifier l'essence de rose liquide.
Les Myrtiis de la Grèce, de l'Italie, de la Provence
et do l'Espagne ne sont guère utilisés que comme
arbrisseaux d'ornement. Jadis le myrte était con-
sacré il la déesse Vénus; exceptionnellement on
en faisait un attribut de iVlinervc. Les feuilles de
myrte servaient à préparer une eau aromatique
très usitée contre les maladies des yeux. Le
Mi/rtus pimenta ou Ewjeniii pimenUi est un
arbre de la Jamaïque. On le culiive avec grand
soin dans les Antilles- on le plante en bordure le
long des promenades; son feuillage dure toute
l'année. Toutes ses parties sont aromatiques et
sont usitées dans son pays d'origine. Nous n'en re-
cevons que les fruits secs; ce sont de petites baies
sèches de la grosseur d'un pois; leur surface est
toute couverte de tubercules. Chacun de ces tu-
bercules du piricarpe esi formé par une glande.
Les fruits du Myrtiis pimenta possèdent une
odeur très forte et très agréable qui tient h. la fois
du girofle et de la cannelle : aussi lui a-t-oii donné
les n(nns de ont'' épve et de pinu-nt de In Jmn. ïqw.
Le piment Talicirjd, qui nous vient du Mexique, est
formé par les fruits du Myrtus ati-is. Le poivre de
MYTHE, MYTHOLOGIE — 1384 — MYTHE, MYTHOLOGIE
Chevet on piment couronné ou poivre de Sai7lt-
Viiicenl provient du Myrtus pimentoides.
Les psidiuni ou goyavierb, les jambosa ou jam-
bosiers, les josséiiia ou néfliers de l'île Maurice
produisent des fruits très estimés à cause de leur
saveur très parfumée, acidulée et sucrée. On les
conserve en marmelade.
Les couroupita de la Guyane sont de très grands
arbres, dont le bois est fort rcclierclié pour les
constructions. Les couroupita produisent un fruit
dont la grosseur peut atteindre celle d'une tête
d'enfant; son poids dépasse parfois 5 kilogrammes.
Il est gorgé d'une pulpe sucrée acide très agréable.
Ces fruits sont très rechercbés par les naturels
du pays.
Les quatelés de la Guyane ou Leiythis sont des
arbres très semblables aux couroupiias et servent
aux mêmes usages. Leurs fruits, nommés marmites
de singe, consistent en une capsule ligneuse très
épaisse, en forme d'urne, pourvue vers le milieu
de sa hauteur d'un bourrelet proéminent. I. a par-
tie supérieure de ce fruit est formée par un opercule
conique qui se prolonge en un axe quadrangulaire.
C'est à la base de cet axe que sont fixées les se-
mences, peu nombreuses. A la maturiié, l'opercule
se détache tout seul, et les e;raines sont mises en
liberté. L'amande enfermée dans la graine est très
riche en matières grasses ; au Brésil et à la Guyane
on en retire une huile très recherchée aujour-
d'hui pour la fabrication des savons communs.
Les juvia, touka ou chûtaigniers du Brésil sont
de très grands arbres originaires des bords de
rOrénoque. On les cultive aujourd'hui en grand à
Cayenne et dans tout le Brésil. Ces arbres, outre
leur bois qui est très estimé, nous fournissent des
fruits volumineux qui rappellent beaucoup ceux
des lecythis. Les graines qui sont enfermées dans
ces fruits sont très volumineuses. On les nomme
châtaignes du Brésil ou noix de Para. L'amande
qu'elles contiennent est très riche en matières
grasses. M. Correnwinder, qui le premier a fait
l'analyse de cette graine, y a trouvé jusqu'à 60 p.
100 de matières huileuses. L'huile que l'on retire
des graines des noix de Para est de très bonne
qualité; elle peut rivaliser avec l'huile d'olive. Le
nom botanique des juvia est liertlndtelia excelsa.
Le Ciiryophi/tlus aromaticiis ou girollier est un
arbre originaire des îles Moluques, d'où il a passé
dans l'Ile Bourbon vers 1710. Deux ans plus tard
Il était transplanté à Cayenne; de là il a gagné peu
à peu toutes jios autres colonies. Le giroflier pro-
duit le girofle du commerce. Les clous de girofle
sont formes par les fleurs du giroflier cueillies
avant que leur corolle, qui est caduque, ne se soit
détachée. Les fleurs de girofle sont sécliées au
grand soleil sitôt après la cueillette. Le girofle,
soumis à la distillation, en présence de l'eau,
fournit une huile lourde dont on retire l'essence
de girofle. Cette dernière substance est très em-
ployée en parfumerie.
Les Pumca ou grenadiers sont originaires de la
Mauritanie ; c'est de là que leur vient leur nom bo-
tanique, qui rappelle les Carthaginois. Les grena-
diers sont cultivés aujourd'hui sur tout le littoral
méditerranéen et dans toutes les régions tempé-
rées du globe. La racine fraîche du grenadier est
un puissant vermifuge ; de tous les remèdes em-
ployés contre le taenia, c'est de beaucoup le plus
prompt et le plus efficace; mais il importe que la
racine soit employée toute fraîche. La pulpe sucrée
du fruit est fort recherchée. L'écorce du fruit est
employée par les tanneurs comme succédané de
l'écorce do cliêne; cette écorce est alors désignée
sous le nom de malicor.
L'écorce du Cnli/c- nt/iui /loridui est employée
en Amérique comme tonique stimulant.
[C.-E. Bertrand.]
MYTHE, MYTHOLOGIE. — Mythe (du grec
mythns, récit, conte; plus tard, liciion, fable) est
le nom commun de ces anciens récits tradition-
nels que l'on trouve à l'origine de toutes les his-
toires et que l'on peut ranger en deux genres: ou
bien ils décrivent des faits de l'oidre naturel,
mais interprétés comme des exposants de drames
divins ; ou bien ils incorporent une idée morale
dans une forme historique et dramatique. Dan&
les deux cas, ce qui est permanent, ou fréouent,
ou périodique, dans la nature et dans l'humanité,
est ramené à un événement accompli une foi»
pour toutes, et le drame, bien que fictif, est tenu
pour réel. — La Mythologie est ou bien la science
qui s'occupe de rechercher l'origine, le sens et
les ramifications de ces mythes divers, ou bien
leur simple exposition.
Il n'y a pas encore très longtemps que cette
notion du mythe est acquise à la science. Notre
littérature classique ne la connaît pas. Pour elle»
il n'y a que les deux catégories de l'histoire réelle
et de la futile inventée à dessein, avec la claire
conscience qu'elle n'est qu'une fiction. Il a fallu
les recherches approfondies qui se sont faites ^
la fin du siècle dernier en France et surtout en
Allemagne sur le terrain de l'histoire religieuse,
pour qu'on découvrît la vraie nature des récits
mythiques, lesquels ne sont ni des histoires ni
des fables, ne racontant ni des faits réellement
accomplis comme les premières, ni des faits d'in-
vention arbitraire et voulue comme celles-ci.
Toutes les religions de l'antiquité sont plus oti
moins mythiques. La mythologie la plus connue
parmi nous est la mythologie grecque, bien que les
noms par lesquels nous désignons les divinités
mythologiques soient latins (Jupiter, Junon, Nep-
tune, Diane, Mercure, Mars, Minerve, Vénus, etc.).
Cela tient d'abord à ce que la mythologie grecque,
plus riche et plus belle que la mythologie latine,
se répandit de bonne heure en Italie et se fusionna
avec celle-ci, mais en lui donnant beaucoup plus
qu'elle n'en reçut ; puis, la conquête romaine ap-
porta dans notre Gaule cette religion gréco-latine
qui absorba, chez nous aussi, bon nombre d'élé-
ments de la vieille religion gauloise, en les frappant
à son empreinte, mais toujours avec la prépondé-
rance marquée de la mythologie grecque; enfin la
littérature et les beaux-arts en maintinrent le sou-
venir en lui empruntant toute sorte de sujets
dont la poésie, la peinture, la sculpture, le théâtre
profitèrent beaucoup. Mais il ne faut pas consi-
dérer cette mythologie classique comme la seule
existant autrefois. Toutes les nations, non seule-
ment la Grèce et l'Italie, mais encore la Germanie,
la Perse, l'Inde, la Chine, I Egypte, les peuples
dits sémitiques (Chaldée, Assyrie, Phénicie, Ara-
bie. etc.1, noire Gaule, les populations indigènes
de l'Amérique, celles de l'Afrique et de la Polyné-
sie, etc., ont eu ou ont encore leur mythologie
distincte. Nous supposons dans ce qui va suivre
que nos lecteurs connaissent, au moins en gros,
les principaux récits de la mythologie gréco -latine
ou classique.
Comment se sont formés les mythes ?
Pour le comprendre, il faut se reporter en ima-
gination aux âges de la complète ignorance, quand
l'homme commençait seulement à sortir de la vie
purement instinctive et à jeter un regard curieux
sur le monde. Il fut alors, comme nous l'avons
tous été dans notre enfance, porté à animer, à
personnifier, à dramatiser les choses inanimées.
L'enfant croit aisément que sa poupée ou son che-
val de bois sont dos êtres animés. S'il se fait mal
en se heurtant contre une chaise, cette chaise est
méclionte et il la bat pour la punir. La lune lui
fait l'efTet d'une tête humaine qui le contemple.
C'est dans un état d'esprit tout semblable que
l'homme regarda primitivement les phénomènes
! de la nature. Dans l'éclair il vit tantôt les replis
MYTHE, MYTHOLOGIE — 1385 — MYTHE, MYTHOLOGIE
d'un grand serpent de fou, tantôt la lance ou
l'épée brandie par un guerrier céleste caché der-
rifre la nue orageuse. Le tonnerre fut son cri de
guerre, ou le roulement de son chariot, ou le mu-
gissement de taureaux monstrueux. Dans le vent
il crut entendre les hurlements d'une meute
aérienne lancée par des chasseurs, ou bien les
doux accords d'une lyre invisible. Les nuages
furent tantôt do bonnes vaches laitières qui nour-
rissaient la terre, tantôt les bœufs du soleil, ou
des cygnes, ou des dragons monstrueux. L'orage
était un combat entre des puissances lumi-
neuses, bienf.iisantes, amies des hommes, et des
puissances ténébreuses, destructives, redoutables.
Ainsi se formèrent, non pas encore des tni/t/ifs,
mais des éléments mi/thiques dont le rapproclie-
ment et la mise en action formèrent ensuite les
mythes compleis.
Du moment en effet que la nature paraissait
ainsi remplie d'êtres animés, ayant des sentiments,
des désirs, des passions tout à fait analogues à
ceux de l'homme, il était tout simple d'appliquer
à leurs rapports apparents les analogies de la vie
humaine. Ainsi l'aurore paraît avant le soleil, qui
semble la poursuivre, vouloir s'unira elle, et devant
lequel elle disparaît. L'aurore personnifiée fut
donc considérée comme l'amante, ou la fiancée, ou
la victime du soleil également personnifié. La
terre, stérile pendant l'hiver, se couvre de ver-
dure et de fleurs, k.rsque le ciel redevient plus
doux : de là l'idée d'un mariage fécond du cîpI
(Uranus, Saturne, Jupiter) et de la terre (Géa,
Gérés, Lalone, Sémélé, etc.), et ce mythe est i la
base d'une quantité de mythologies. Cette pro-
pension à, dramatiser ainsi les faits de l'ordre
naturel étant, en Grèce surtout, le partage d'une
race éminemment imagiiiative et artistique, donna
lieu à ces innombrables récits où sont décrits les
rapports, les alliances, les parentés, les amours
et les rivalités des innombrables dieux et déesses
de la religion grecque.
C'est ce qui nous explique pourquoi l'on peut
attribuer à ces divinités tant de défauts ou d'actes
qui nous paraissent contraires à la perfection di-
■vine. Les phénomènes de la nature ne sont ni
moraux ni immoraux; mats si on les personnifie,
si l'on dramatise leurs rapports apparents, ils peu-
vent très bien donner lieu à des représentations
d'un caractère blâmable. Par exemple Apollon est
le soleil, les nuages rouges de son coucher sont
des bœufs qu'il fait paître le soir, Mercure est le
vent frais du crépuscule qui les chasse. L'imagi-
nation mythique traduit immédiatement ce phéno-
mène en disant que Mercure détourne les bœufs
d'Apollon, les lui vole et s'enfuit avec eux.
Une fois cette forme mythique donnée aux phé-
nomènes de la nature, on comprend aisément
qu'antérieurement à la naissance de la philosophie
et de toute science réfléchie, mais à l'époque où
les questions morales commençaient à se poser à
leur tour devant l'esprit humain, cette même forme
ait servi d'expression à certaines vérités d'expé-
rience pratique et donné lieu à ce second genre
de mythes, moins nombreux que le premier, mais
non le moins remarquable ni le moins instructif,
qui incorpore une idée morale dans un récit, fictif
iM) réalité, mais tenu pour réel. Le plus célèbre
'le ces mythes, celui de Prométhée enchaîné et
i irturé sur un rocher pour avoir voulu le bien des
liommes et leur avoir communiqué, avec l'art de
faire du feu, les moyens de la civilisation, est un
des plus tragiques, et il a inspiré l'un des chefs-
d'œuvre du drame grec (Trilogie d'Eschyle sur
Promélliée),
Lorsque dans l'antiquité elle-même les esprits
plus éclairés ne purent ajouter foi comme aupara-
vant à tous ces naïfs récits mythologiques, il s'en
I fallut bien que leur véritable origine fût reconnue
par ceux qui s'en occupèrent. L'explication la-
plus répandue, bien qu'elle fût inadmissible, et
que bien des modernes ont reproduite au cours
des deux derniers siècles, fut que les dieux et les
déesses étaient d'anciens rois et reines divinisés
après leur mort. Cette explication s'appuyait en-
tre autres sur le fait qu'on montrait en Crète le
berceau et le tombeau de Jupiter. Mais non seu-
lement en Crète, de plus, en bien des endroits
de l'Asie, on avait des dieux mourant en hiver
pour renaître au printemps (Adonis, Atys, etc.),
et les mythes dont ils étaient les héros n'étaient
autre chose que la dramatisation du cours régu-
lier de l'année. Ce genre d'explication, aujour-
d'hui tout à fait abandonné, s'appelle l'n'hémé-
risme, du nom d'Evhémère, bel esprit qui vivait à
la cour du roi macédonien Cassandro dans la
seconde moitié du iV siècle avant notre ère, et
qui contribua beaucoup à la mettre à la mode.
On appelle mi/thologie comparée une science
spéciale qui s'occupe de rapprocher les traditions
mythiques des diverses nations pour en rechercher
les traits communs et les origines, soit distinctes,
soit identiques. Cette science a jeté de vives lu-
mières sur les origines anté-historiques et les
parentés des peuples. C'est elle qui a porté le
dernier coup à l'évhémérisme en montrant que les
noms de beaucoup de divinités grecques étaient
déj!i connus et invoqués sur les bords de l'Indus
par les Aryas, cousins germains des Grecs, mais
se dirigeant vers le sud, tandis que les Grecs avan-
çaient dans la direction de l'ouest ; que ces noms
sanscrits ne sont pas autres que ceux qui dési-
gnaient, dans la langue commune primitive des
deux branches, le ciel, l'aurore, le soleil, la lune,
le vent, les nuages, en un mot la plupart des
phénomènes personnifiés sous les noms des dieux
grecs.
La vieille mythologie gauloise est encore très
mal connue, bien qu'on travaille à la faire sortir
de vingt siècles d'oubli. Elle a pourtant laissé des
traces nombreuses, soit dans les superstitions de
nos campagnes (dames blanches, fées, lutins), soit
dans certaines légendes à, la fois boufl'onnes et tra-
giques comme celle de Gargantua (qui paraît
avoir été une personnification du soleil dévorant,
insatiable), soit enfin dans de poétiques récits,
comme la légende de la Mélusine, qui devint le
mythe d'origine de la célèbre maison de Lusi-
gnan. On en trouve aussi d'intéressants débrisdans
les vieux contes de fées que l'errault a si agréa-
blement contés et qui ont charmé notre enfance.
Comme on abuse aisément de toute idée nou-
velle, on abusa aussi de la théorie des mythes en
voulant l'appliquer à tout et partout, au point de
reléguer dans le domaine du mythe des person-
nages et des événements parfaitement historiques.
C'est à ce genre d'abus que répondit un spirituel
pamphlet bien connu qui démontrait que, selon
cette théorie. Napoléon 1" n'avait jamais existé.
A son tour l'auteur do cette démonstration mé-
connaissait qu'il y a des règles qui permettent de
distinguer quand un récit est mythique et quand
il ne l'est pas. 11 est clair qu'un événement ra-
conté, un personnage décrit par des contempo-
rains ou par des hisloriens rapprochés de soa
temps, ne saurait être classé parmi les mythes,
surtout quand ce qui nous en est dit, bien que
surprenant ou rare, n'est en contradiction ni avec
les lois de la nature, ni avec les données de l'expé-
rience commune. De plus on peut s'assurer de la
réalité historique d'un fait allégué, si l'on est suf-
fisamment certain de ce qui le précède et de ce
qui le suit, et si l'on trouve que ce fait est la tran-
sition logique et naturelle de ses antécédents à
ses conséquents. On voit tout de suite l'applica-
tion que l'on pimt faire de cette double règle ;; la
personne et à l'histoire de Napoléon I".
NAPOLEON
1386 —
NAPOLEON
Mais quand le merveilleux du récit est en con-
tradiction dli'ccte avec toute expérience, .|uand
aucun document écrit, rapproché des événements
racontés, ni; nous permet de faire la part du réel
et du légendaire, quand enfin il y a des raisons
pliilologiques, ethnologiques, comparatives, pour
appuyer lliypothèso du caractère mythique de ce
récit, rien ne serait plus arbitraire que de la re-
pousser sous le prétexte qu'on a quelquefois vu
des mythes où il n'y en avait pas.
il faut se rappeler enfin que le mythe est fils de
l'imaginaiion et du travail spontané, irrélléclu, de
l'esprit humain. Par conséquent il e-t étranger
aux âges de réflexion et de travail méthodique. On
voit la faculté de produire des mythes aller en di-
minuant h mesure que les peuples s'instruisent
et s'éclairent. Du mythe, on passe à l'histoire
my hiquo, c'est à-dire contenant des parties
mythic|ues mêlées à des parties historiques et
allant toujours en diminuant. Au moyen âge il se
forma encore de véritables mythes dans la tradi-
tion populaire, celui par exemple du Juif Errant,
concepiion bizarre qui personnifie pourtant si bien
la destinée lamentable du peuple juif à cette
époque. Bien des légendes locales sont de véri-
tables mythes racontant la victoire du christianisme,
entés souvent sur un mythe païen antérieur qui
rarontait la victoire ries forces lumineuses et bien-
faisantes sur les puissances des ténèbres. De nos
jours l'influence piépondérante des classes ins-
truites empêche absolument les mythes de se
constituer et de se répandre. Pourt:int les éléments
mythiques sont encore i l'état latent au fond des
masses encore étrangères à la culture moderne;
on en voit quelquefois surgir comme des ébauches
ou des commeticements, lorsqu'un personnage ou
un événement frappe vivement l'iinaginalion po-
pulaire, et le tour d'esprit mythologique ne dis-
paraîtra tout à fait que le jour où linstiuclion
publique aura partout répandu sa lumière.
[Albert Réville.l
N
N"APOLEO\ (IVabulione, Napolenne).— Histoire
générale, XXVI ; histoire de France, XX.XU.
XXXVI. — Ce nom appartient à l'histoire générale
au même titre que ceux d'Alexandre ou de César.
Il rappelle un homme de guerre prodigieux dont
le inonde ne cessera plus de parler avec un éton-
nement mêlé d'épouvante.
Dans notre histoire, il désigne une dynastie im-
périale, maintenant éteinte, après avoir fourni
deux fois, depuis le début du siècle, des souve-
rains à la France, et lavoir deux fois livrée vain-
cue aux horreurs de l'invasion étrangère.
La légende bonapartiste compte quatre Napo-
léons ; 1 histoire, deux seulement. Quant à ces deux
pseudo-souverains que leurs partisans appellent
Napoléon II et Napoléon IV, ce furent de pauvres
enfants, dont la courte et tragique destinée, faite
pour éveiller la pitié, dévoile la fragilité des plus
grandes fortunes politiques.
I.
Le premier Napoléon est né à Ajaccio le 15 août
nc.Q. Selon M. luni, cette date serait fausse; et
Je but de cette falsification aurait été la nécessité
de produire un acte rie naissance conforme au
règlement d'entrée de l'Ecole militaire où Charles
Bonaparte désirait faire entrer son fils Napo-
léon.
La maison était noble, et, paraît-il, d'une no-
blesse fort ancienne que Napoléon renia un itistant
en 179!, mais qu'il prit soin plus tard de faire re-
monter jusqu'à des temps fabuleux et à des ori-
gines impériales (Comnènes). Charles Bonaparte
s'était comproiuis dans le parti opposé à la France
avec Paoli ; mais il avait su faire sa paix, et trouva
même le moyen de s'assurer la faveur de M. de
Marboeuf, gouverneur de lile.
En 1779, Napoléon entra à l'Ecole militaire de
Brienne. Là, comtue datis sa famille, sa nature
artieme se révéla : c'était un enfant passionné,
opiniâtre; ce fut un écolier capricieux. A Brienne,
plus tard à Paris en 1784, il vécut solitaire et taci-
turne, travaillé du mal du pays, du sentiment de
sa pauvreté, probablement ridicule par sa tour-
nure, son accent étranger, son langage incorrect et
ses façons rudes.
Il venait de prendre rang au régiment de la
Fère comme lieutenant en second quand son père
mourut (l7^5). Quoiqu'il ne fût pas l'aîné de la
luaison, son caractère, son grade, si modeste qu'il
fût, enfin la ti.midiié de Joseph lui donnèrent l'idée
et presque le droit de jouer le rôle de chef de
famille.
La tâche était lourde : Charles Bonaparte laissait
huit enfants, et nulle fortune, sans autre protecteur
qu'un vieil oncle, l'archidiacre Lucien. Est-ce à
cette préoccupation honorable, ou bien aux fantai-
sies itivincibles d'un caractère indisciplinable, qu'il
faut dès lors attribuer l'irrégularité des états de
service du jeune offieier?
M. lung r.e laisse aucun doute sur ce point :
preuves en main, il montre qu'en congés réguliers
ou non. Napoléon a passé hors du régiment àS mois
sur 99 de grade Dans toute autre circonstance, il
n'aurait eu d'autre alternative que la démission
ou le con'-eil de guerre ; mais de 1789 à 1 79:! la dé-
sorganisation des services militaires était si géné-
rale que de telles irrégularités pouvaient passer
inaperçues.
Moins Français que Corse, et moins attentif aux
événements terribles qui agitaient sa nouvell •
patrie qu'aux querelles de son clocher, c'est d'A
jaccio ou de Corte plutôt que de Paris que le
jeune Napoléon se souciait alors. Mêlé aux intrigues
fort obscures qui au bout de deux ans firent de
Paoli I ennemi déclaré de la France, un jour même
dénoncé comme traître et fauteur de guerre civile,
il fut etifin réduit à quitter la Corse avec sa famille
proscrite et ruinée.
Tout espoir de devenir un héros corse étant
perdu pour Napoléon, il se rejeta avec ardeur vers
la France. Le Sotipçi'rf'' /;wi('/j(re(|u'il écrivit alors,
et qui fit un certain bruit, fut un coup de maître: la
ferveur d'un dévouement aussi résolu aux idées
révolutionnaires le désignait pour quelque com-
mandement. La République avait besoin d'hommes
d'action : Toulon venait d'être livré à l'ennemi;
il fallait le reprendre au plus vite. La légtïnde qui
représente Bonaparte comme sauvant par un
éclair de génie l'opération du siège comprotnise par
l'iiieptie des généraux, est une ittjure pour des su-
périeurs auxiiuels Napoléon lui-même rendait jus-
tice. Sa conduite d'ailleurs avait été fort brillante
et fut signalée à la Convention, qui le nomma gé-
néral de brigade en t7t)4 à l'armée d'Italie.
Le 9 thermidor eut un contre-coup ten ibie sur
la fortune des Bonaparte. Disgracié à cause de
sps ri-lations avec les Robespierre, Napoléon subit
une courte captivité de quinze jours, puis perdit son
NAPOLEON
1387
NAPOLEON
commandement, refusa une compensation en Ven-
dée et donna sa démission.
Réfugié k Paris, fatiguant le ministère de ses
mémoires, b'efTorçant de ne point se faire perdre
de vue et prêt à tout, il accepta au 13 vendomiiiii-e
le soin de combattre la réaction royaliste.
Sa victoire du parvis de Saint-Hocli lui valut le
grade de général de division, avi'c le commande-
ment en chef de l'armée de l'intérieur. C'était le
temps du Directoire; et comme l'avait prédit
Duport en 1791, le moment approchait où « la Ré-
volution ferait naufrage sur l'écueil du tiiilitn-
risme. •
En face d'un gouvernement justement décrié
pour ses tripotages et ses faiblesses, au milieu
d'une société ivre de repos après le péril de l'in-
vasion, il eût élo vraiineiit prodigieux qu'un géné-
ral n'eût pas la lentalioii de profiter de sa répu-
tation pour saisir le pouvoir, sauver l'ordre,
comme on dit en pareille occurrence, et fonder sa
fortune sur quelque aventure, dont l'illégalité
pourrait être atténuée par l'impopularité même
du gouvernement au détriment duquel elle serait
commise.
Cette tentation, Bonaparte l'eut, et la satisfit
au 18 brumaire. Il n'y a pas lieu de retracer ici le
détail des deux grands événements sur lesquels il
avait fondé sa réputation miliiaire, en supplantant
dans l'opinion publique des compagnons d'armes
aussi méritants et plus anciens que lui. Tout le
monde sait la campagne d'Italie de iTOti et la
campagne d Egypte.
En ITJC, le Directoire, tout en ordonnant un
débarquement en Irlande , jetait trois armées
sur la route de Vii'nne. La petite armée d'Italie
fit merveille sous Bonaparte : les Alpes tournées
en avril, la cour do Turin contrainte à la paix, Mi-
lan occupé, la Lombardie conquise et pacifiée, l'A-
dige franchi, les Autrichiens rejelés dans le Tyrol,
le pape et les petits princes rie l'Emilie admis à
traiter, la cour de Naples dédaignée, l'Autriche
quatre fois revenant îi la charge pour sauver Man-
toue des coups de Bonaparte, et quatre fois battue
en août, septembre, novembre 1798, et janvier
1797 à Lonato, Roveredo, Arcole. Rivoli ; puis
■Bonaparte courant sur Vienne malgré l'archiduc
Charles, arrivant au Semmering, et signant comme
il avait combattu, sans ordre ou malgré les ordres
reçus, d'abord un armistice à Léoben. puis la paix
i Campo Formio (17 oct. 17u7), et sacrifiant Venise
d'un trait de plume.
Bonaparte s'était révélé tout entier : art d'en-
flammer les troupes, d'improviser des ressources,
d'enfler ses moindres succès, do traiter les afl'di-
res_ et les hommes avec cette brusque impétuo-
sité qui paralyse l'cfl'ort de l'ennemi, coupp court
à toute objection et colore d'un éclair de génie
les actions les plus imprudentes ou les caprices
les plus injustes.
Au retour, qui fut triomphal, le Directoire se
sentit gêné en face de son impérieux général, en qui
il lui était facile do reconnaître moins un servi-
teur qu'un rival. Il écouta donc avec faveur la
singulière proposition que fit Bonaparte de porter
la guerre en Egypte pour réduire à la paix l'An-
gleterre inexpugnable chez elle.
_ Tout fut préparé dans le secret ; rien ne fut
épargné, et l'expédition, partie en mai 1798, dé-
buta merveilleusement : Malte enlevée aux ( he-
valiers, puis Alexandrie et le Caire aux Mameluks
après une victoire au pied des Pyramides de Gizeh
(vl juillet).
Cependant le désastre d'Aboukir isolait l'armée
de Bonaparte; deux armées turques vinrent l'atta-
quer dans sa conquête; il les battit au mont Tha-
fcor, à Aboukir [IV.t'.)). Mais il avait échoué en
byrie (levant Saint-Jean-d'Acre, et la route des
Indes restait fermée. Dès lors, et malgré son zèle
pour la colonisation do l'Egypte ou ])Our les tra-
vaux de son Inst tut 'lu Caire, le sentiment de
son impuissance l'envahit. Son devoir était de
rester avec ses troupes; son intérêt lui parut être
de revenir en Fran e : il partit donc, sans ordre,
jurant qu'il allait ramener un renfort.
Le 9 octobre il débarquait; le 16 octobre il en-
trait .'i Paris, le 9 novembre il frappait son coup
d'Etat du 18 brumaire, et, prenant en mains la
direction suprême des affaires militaires, de la
diplomatie et du gouvernement intérieur, il ré-
duisait les plus glorieux généraux do la Révolu-
tion au rôle de simples lieutenants.
Il On avait vu tant de coup d'Etats qu'on s'était
habitué h. les luger moins par leur moralité que
d'après leurs suites. »
Au 18 brumaire. Bonaparte eut pour lui la con-
nivence d'une majorité désenchantée de la liberté
et incapable de prévoir que le régime nouveau
amcne'-ait fatalement le retour de maux encore
plus grands que ceux qu'il venait réparer.
Ce régime, c'était la monarchie, en dépit, de
l'illusion républicaine que le partage apparent du
pouvoir consulaire était chargé d'entietciiir. Le
préambule de la constitution de l'an Vlll disait :
(c La Révolution est fixée aux principes qui l'ont
commencée, elle est finie. »
Cette assertion souleva bien quelques opposi-
tions; mais, fort des 4 millions de suffrages obte-
nus lors du plébiscite, servi par une police vi-
goureuse, entouré de fonctionnaires choisis par
lui il tous les degrés, le premier consul poursui-
vit son œuvre.
Désintéressée ou non, eUe fut évidemment fé-
conde et habile.
11 réconcilia la France avec la cour de Rome, au
moyen d'un nouveau Conconlnt établi sur des
bases plus conformes à notre droit public; il rou-
vrit les églises au culte, inais sans rendre au
clergé ni ses biens, ni son indépendance; il donna
enfin une sanction éclatante au principe d'égalité
proclamé en 1789, dans le C"rfe cio l iies Frajiçm's.
Mais en môme temps il fondait, sous le nom de
LégiQ'i d'Ho'inew, un système de distinctions qui,
peu à peu, devait accoutumer le pays au rétablis-
sement d'une hiérarchie sociale sans laquelle il
est k peu près impossible de fonder et de soutenir
une mon.irchie.
De môme, les cadres si souvent admirés de no-
tre administration publique, qui servirent d'abord
au rétablissement rapide de l'ordre, se prêtèrent
un peu plus tard, avec une commodité bien dange-
reuse, à la constitution du gouverncinent le plus
despotique qui ait jamais asservi un peuple libre
et vainqueur.
De tous les services rendus au pays par le gou-
vernement consulaire, le plus sensible fut la paix
avec l'Autriche et l'Angleterre. Après quelques
ouvertures mal reçues, la campagne de 1 0 i, illus-
trée par la victoire de Bonaparte à Marengo
(14 juin) et par celle de Moreau à. Hohenlinden
rî décombre\ aboutit à la paix de Lunéville (février
UOi), qui laissait l'Angleterre sans alliés.
Bonaparte voulait la contraindre à traiter. Les
malheurs de l'armée d'Egypte pesaient en effet
sur lui comme un remords : car il n'avait pu faire
parvenir ni un renfort, ni l'escadre nécessaire au
rapatriement, et les glorieux débris de cette ar-
mée venaient de capituler à Alexandrie et au
Caire (mai-août i801).
Successivement il essaya de nouer contre l'An-
gleterre deux coalitions maritimes : celle du Nord
échoua par la mort de l'aul 1" de Russie (mars) et
par la capitulation de Copenhague (avril 1801);
mais celle du Sud aboutit, après la chute do Pitt,
à la paix d'Amiens ('.'5 mars IK02).
Digne dos deux grandes nations qu'elle réroii-
ciliait, et féconde, si elle pouvait durer, en résul-
NAPOLEON
1388
NAPOLEON
tats que Fox et Bonaparte se plaisaient à escomp-
ter, cette paix fut malheureusement rompue au
bout d'un an, le 17 mai 1x03.
Pendant cet intervalle, la France avait réglé
souverainement le sort de l'Italie, annexé le Pié-
mont, créé 1 ' royaume d'Etrurie, la république du
Valais. Bonaparte était intervenu en Suisse pour
créer sous le nom û'nite i<e méiliatiou une consti-
tution fédérale, et en Allemagne pour régler le
grand débat excité par la question des icndunsa-
tions. Enfin le rachat de la Louisiane et l'expédi-
tion contre les nègres révoltés de Saint-Domingue
attestaient son dessein d'étendre partout l'action
de la France, déjà prépondérante sur le conti-
nent.
Cette liaule situation de notre pays, un désac-
cord survenu à propos de Malte et de l'Egypte,
d'imprudentes paroles dans les deux pays, rame-
nèrent la guerre.
Cette fois, la paix du monde allait être troublée
pour plus de douze ans! S'il y a injustice à pré-
tendre que cette rupture de la paix doit être im-
putée à Bonaparte seul, la suite de l'histoire
prouve surabondamment qu'il fut plus d'une fois
le maître d abréger la durée ou de restreindre les
proportions de la guerre.
Ce n'est plus, dès lors, en magistrat responsable,
investi d'un pouvoir limité, qu'il use du droit de
guerre ou de paix, mais en souverain, fondateur
de dynastie, et qui subordonne les intérêts du
pays aux calculs sensés ou non d'une politique
toute personnelle.
Quelques efforts que l'on fasse, la politique
napoléonienne ne peut donner le change à l'his-
toire. Malgré la solennité des déclarations de
Napoléon, s'il aime la France, c'est parce qu'elle
met à la disposition de ses fantaisies impériales des
ressources que sa passion de gloire et de con-
quêtes aime à croire inépuisables. La France n'est
qu'un moyen d'action ; le but, c'est la grandeur de
Napoléon, empereur, roi des rois, remaniant l'Eu-
rope, faisant et défaisant des rois, des princes, des
nobles, rendant la France solidaire des haines
qu'il excite, ripostant i d'utiles conseils par l'in-
jure, et quand la défaite vient avec l'épuisement,
ne sachant encore accuser que les hommes ou
les éléments, puis tombant sans autres remords
que l'échec.
C'est en isni, le 18 mai, qu'un sénatus-consulte,
suivi d'un plébiscite (l! nov . ), rétablit le régime mo-
narchique au profit de Bonaparte. Déjà, prévenant
ou satisfaisant ses secrets désirs, en l'an X on lui
avait décerné de la même façon une dictature vé-
ritable sous le nom de consulat à vie (3 août
1802).
Le nom d'empereur faisait meilleur efl'et, et pour
rehausser l'éclat de sa couronne, Napoléon I"
n'épargna aucune des coûteuses fantaisies de ce
qu'on appelle une cour. La complaisance intéres-
sée des pouvoirs publics et des personnages les
plus illustres assura le succès de cette parodie de
l'ancien régime ; et bientôt même le pape vint en
personne, à Paris, donner le sacre à cette majesté
sortie de la Révolution.
Il faut rendre cette justice à Napoléon qu'il n'a-
vait pas rêvé l'empire pour s'endormir au pouvoir.
Préludant par l'occupation du Hanovre à son
projet de descente en Angleterre, il eût voulu
prendre corps à corps sa grande ennemie. De
juillet IxOi au mois d'août ISnb, quatre tentatives
furent faites par la marine française ; mais la mort
de Latouche Tiéville, celle de Bruix, les tempêtes,
enfin l'incapacité de Villeneuve firent avorter le
dessein. Le camp de Boulogne fut levé, et comme
l'Angleterre avait trouvé le moyen de former sur
le continent une troisième coalition. Napoléon
courut sur le Rhin chercher une revanche écla-
tante.
L'Autriche, la Russie, la Suède, Naples, irritée»
de la constitution du royaume d'Italie par Napo-
léon et de l'annexion de Gênes à la France (mars-
juin ISi'.S), avaient signé une alliance (9aoûl). L'em-
pereur, devançant l'attaque et prévenant la jonc-
lion de ses ennemis, passe le Rhin, manœuvre par
le Meiu et le Neckar. coupe les Autrichiens de la
rou'O de Vienne, les fait capituler à Ulm (VO oct.).
et court au-devant des Russes. Avant son entrée
dans Vienne (i'i nov.), il avait appris la destruc-
tion de sa flotte par Nelson k Trafalgar (vl oct.).
Il la venge par sa victoire d'Austerlitz '2 déc),
suivie de la paix de Prcsbourg qui coûte à l'Au-
triche Venise et son territoire.
De plus, en se retirant. Napoléon bouleversa
l'Allemagne du sud-ouest au profit de ses trois
alliés, la Bavière, Bade et le W urtembeig. En face
de la Co7i/é'lernlioii du fi''î", placée sous le pro-
tectorat de la France, l'Autriche dut abdiquer le
titre impérial en Allemagne (I '2 juillet 1806). D'au-
tre part Naples et Amsterdam étaient devenues ca-
pitales de deux Bonapartes, Joseph et Louis ; tonte
une première série d'Etats feudataires s'implantait
sur l'Europe occidentale, sans qu'il y eût profit ou
nécessité pour la France. A ce système d'annexions
ou d appendices, uniquement inspiré par la vanité.
Napoléon se flattait d'avoir assuré l'appui de l'Es-
pagne et de la Prusse.
Or, au milieu de négociations trompeuses avec
l'Angleterre, l'empereur fut surpris par une qua-
trième coalition. Sans consulter ses forces, et
convaincue qu'elle servait de jouet à Napoléon, la
Prusse déclarait la guerre !li oct), s'appuyant d'une
part sur l'Angleterre, de l'autre sur la Russie qui
n'avait pas traité en 1n05.
Sans tenir compte de la mauvaise humeur de
l'Espagne fatiguée d'une alliance exigeante et com-
promettante, Napoléon marcha sur l'Elbe par le
Mein. En un mois la monarchie prussienne fut
détruite ^batailles d'iéna et d'Auerstœdt, octobre
I8UG); les Russes furent devancés dans la Polo-
gne, que notre approclie enflamma d'espérances
bientôt déçues (déc. 1806).
Ici la victoire fut plus lente et plus difficile ; les
boues de la région polonaise, la rigueur de 1 hi-
ver, la résistance de Dantzig, l'équivoque batnille
d'Eylau H-S fév. 1807) donnèrent à réfléchir à Napo-
léon. Il sentit la nécessité d'une grande alliance;
et par force ou par caprice, plus que par préfé-
rence calculée, après la bataille de Friedland
(U juin), il acheta l'alliance russe au traité de ïil-
sitt, dont la Prusse, la Pologne et l'Allemagne
firent tous les frais : une nouvelle fournée de rois
et de princes fut faite (Jérôme Bonaparte, roi de
■\Vestphalie, le roi de Saxe, grand-duc de Varso-
vie, etc.) : après quoi, Napoléon revint h son idée
fixe, la guerre avec l'Angleterre.
De Berlin, le décret du b/ocus fontinental
(Il nov. IH06) avait répondu aux violences de
l'amirauté anglaise contre nos marchands ou nos
alliés. Napoléon voulait empêcher l'Angleterre de
trouver nulle part en Europe un débouché pour
ses marchandises. Pour que cette politique sau-
vage aboutit, il fallait deux choses : à la France
une marine qui pût tenir la mer et assurer à l'Eu-
rope son appiovisionnementde denrées coloniales ;
à l'Europe une résignation absolue à toutes les
exigences d'une politique qui ne permettait plus
à personne de garder la neutralité.
En elTet, résolus ou contraints i ne plus admet-
tre qu'il y eût des neutres entre eux. Napoléon et
Canning saisirent ou atteignirent tout ce qui était
à leur portée ou à leur convenance. Le bombarde-
ment de Copenhague inaugura cette époque de
terreur en Europe (août 1807).
Au tsar, avec l'assentiment de Napoléon, la
Finlande à défaut des provinces danubiennes qu'on
lui laisse espérer ; aux Anglais, la mer et les
NAPOLEON
1389 —
NAPOLEON
colonies laissées sans défensfi ; à Napoléon, tout
ce qu'il peut atl''indre; les porls de l'Adriatique,
la Toscane, le Portugal ("27 oct. IS07), Flossin^ue,
Wcsel (IKHS), enfin l'Kspagne. Prise depuis ilOi,
sinon malgré elle, du moins au deli de sa volonté
et de ses iniéréts, dans notre alliance contre l'An-
gleterre, et visiblement lasse depuis is()6. l'Espa-
gne fut indignement trompée en isng, h l'entrevue
de iiayonnc, où, sous prétexle d'interposer entre
Cliarles IV et son fils Ferdinand une médiation
amicale. Napoléon retint les deux rois prisonniers,
et, de sa soûle autorité, donna aux Espagnols pour
roi son propre frère, Joseph.
L'injure fut vivement sentie, et si terrible que
fût Napolénn, le peuple espagnol entreprit de lui
résister énergiquement.
Cette guerre fut recueil où se brisa la fortune de
Napoléon. Engagée d'une façon immorale, mal
conduite avec des contingents insuffisants et dis-
persés, aggravée par des jalousies d'état-majnr,
elle aboutit en 1811 à l'invasion de la France (V.
Gun-re it'Espnyne.)
L'Europe — bostile ou sujette, — n'avait pas
assisté inerte k cette lutte d'un peuple sans ar-
mée régulière contre l'empereur ou ses lieute-
nants. Dès IS"!), en elîcr, créant une diversion
favorable à l'Espagne, I Autriche avait repris les
armes.
Cette cinquième coalition a été définie « l'al-
liance des dynasties, des peuples, du sacerdoce et
du commerce contre Napoléon » : ceci sera plus
vrai de la sixième, car en I8'i9, l'Autriche fut seule
h. soutenir le choc. Elle fut vaincue encore, soit en
Bavière (batailles d'Abensberg, Landshut,Eckmulil,
Katisbonne en avril), soit auprès de Vienne,
mais non sans avoir tenu la fortune indécise pen-
dant les six semaines qui séparèrent les deux
batailles d'Essling (22 mai) et de Wagram ((i juil-
let). Réduite à signer la paix, puisque personne
n'entrait en ligne et que les Anglais venaient
d'échouer sur Anvers et sur Madrid, elle fut en-
core démembrée par le traité de Vienne (14 oct.).
Napoléon avait eu un moment do grande inquié-
tude dans l'île Lobau, quand le pape s'était en-
hardi jusqu'à lancer contre lui une excommuni-
cation, motivée par des violences politiques ou
par l'àpreté des débats relatifs aux Aitichs orgn-
niques. Pour détruire les espérances de ceux qui
l'avaient cru battu, et pour accroître les effets de
sa victnirej Napoléon poussa alors ses annexions,
au nord jusqu'à Lubeck, au centre jusqu'au Sim-
plon, au sud jusqu'à Rome ,18iiS-l810j. Peuples,
rois, pape, femme, frères, sa volonté, sa police,
ses armées ne ménageaient plus personne : garni-
sons partout; le pape enlevé et prisonnier, l'im-
pératrice Joséphine répudiée, le roi Louis de
Hollande détrôné, etc., etc.
Bientôt la splendeur de son mariage nouveau
avec la fille de l'empereur d'Autriche (1" avril
ISlO) parut ajouter à sa puissance un nouvel éclat ;
et le 20 mars 181 1 , la naissance de celui qu'il pro-
clama pompeusemer.t roi île R'^me mit le comble
à la fortune du soldat parvenu : il y avait dès lors
une dynastie napoléonienne!
Maître d'un empire de 131 départements et de
CO millions d'habitants, roi d'Italie, protecteur de
la confédération du Rhin et de la Suisse, suze-
rain des rois de iXaples, d'Espagne, de VVestpIia-
lie et des grands feudataires, entouré d'une haute
noblesse qu'il a créée, plus obéi, plus riche et
plus fort que ne le fut jamais Louis XIV, gendre
do 1 empereur d'Auirich", patron des rois de
Saxe, B.ivière et Wuitemberg, allié du tsar et des
rois de Danemark, de Suède, il se trouva si haut
placé que la têt.; acheva de lui tourner.
Cependant, dès le In avril 1810, le tsar rompait
le blocus continental. L'infatuation était alors telle
chez Napoléon que, loin de redouter celte guerre,
il semblait l'avoir désirée. Pendant une année,
il fit ses préparatifs, levant dans toute l'Europe
des contingents nombreux, mais peu sûrs ; puis
quand tout fut prêt, il franchit le Niémen (24 mai
1812), sans se soucier de la Suède qu'il avait
irritée, ni de l'Espagne. Par Wilna, Smolensk,
au prix d'une seule bataille à Borodino, sur la
Moskowa (7 sept.), il arrive à Moscou.
Mais la paix qu'il est venu chercher fuit devant
lui, et un mois plus tard, quand l'heure de la
retraite arrive, l'hiver tombe si rudement sur la
grande armée que , lorsqu'elle repasse le Nié-
men, le 3'i décembre, ce n'est plus qu'une in-
forme et lamentable cohue d'hommes débandés,
estropiés par le froid, sans canons, sans bagages
et sans chef : car Napolron a pris les devants, et
comme lui. Murât a déserté, sentant chanceler
son trône de Naples.
Tout autre se serait rendu à l'évidence et se fût
résigné à traiter. Mais Napoléon, incorrigible,
ne voulut voir dans cet effroyable désastre qu'une
surprise de l'hiver dont le printemps devait le
venger. Sans écouter les plaintes de la France,
sans considérer les dispositions ini|uiétantes de
l'Europe, il leva de nouvelles troupes, substituai
la vieille garde presque anéantie une jeune garde
héroïque encore, et reparut sur la Saale et
l'Elbe pour rallier les débris de la grande armée
ramenés par le prince Eugène de Beauliarnais,
toujours fidèle et dévoué, malgré l'injure faite à
sa mère, l'iraporatrice Joséphine.
Une dernière fois la victoire sourit à Napoléon,
mais à quel prix ! Les victoires de Lûtzen et de
Bautzen lui coûtaient une armée (mai 1813).
La paix lui fut offerte, à des conditions si ho-
norables qu'il fallait être insensé pour s'y refuser.
Oii comprend dès lors que pour éviter de porter
cette lourde responsabilité. Napoléon ail essayé
de travestir toutes les ouvertures qui lui furent
faites en autant de manœuvres déloyales desti-
nées à masquer la trahison de l'Autriche. La
publication des papiers de Metternicli a jeté un
peu de lumière sur cet entêtement meurtrier
de Napoléon qui, ne pouvant se résigner à ne plus
paraître dicter la paix au monde, rompit l'ar-
mistice de Pleswitz, rendit inutiles les conférences
de Prague et reprit les armes.
Du Ifi au l'J octobre fut jouée et perdue autour
de Leipzig la partie décisive. On l'a nommée avec
raison la Bataille des nalions. La Prusse était
vengée, l'Allemagne délivrée. La revanche com-
mençait pour nos ennemis.
Ce fut à grand'peine que Napoléon put attein-
dre la frontière de France, c'est-à-dire le Rhin,
laissant en Allemagne plus de 100 0 m hommes de
bonnes troupes dispersés en garnisons inutiles,
tandis que, pour faire face à l'invasion qu'il fal-
lait prévoir, il n'avait que des invalides ou des
recrues.
Les trois souverains, vainqueurs à Leipzig,
déclarèrent que, puisque Napoléon était le seul
obstacle à la paix du monde, leur devoir était de
l'anéantir ou de lui imposer un traité. Dans ces
conditions, ils lui firent parvenir de Francfoitun
projet de traité sur la base de celui de Lunéville ;
pui>, n'ayant pas reçu de réponse en temps utile,
ils lancèrent une proclamation à la France, ren-
voyant la respon.sabilité de la guerre à l'Implaca-
ble ennemi du repos de tous.
Ceci fait, trouvant le Rhin dégarni de troupes, ils
le franchirent; 1 Alsace ne fut pas défendue; la
Lorraine ne le fut qu'à peine. C'est à Châlons-sur-
Marne que les maréchaux eurent l'ordre de se con-
centrer autour de Napoléon.
Le 2h janvier I81i commence ce qu'on a appelé
la campagne de France. Après une jonction que
l'empereur ne put empêcher 11" févrierj, BIfichor
et Scliwartzenborg se séparèrent p lur marcher
NAPOLEON
1390 -^
NAPOLÉON
sur Paris par la Marne et par la Seine, afin de di-
viser les forces de Napoléon.
Avec une admirable rapidité, l'empereur court
sur llluclier, et du 10 au H février l'écrase et le
réduit de moitié à Champaubert, Cliàteau-Tliierry,
Montmirail et Vauxcliamps. Se tournant aussiiot
contre Schwarizenberg, il le bat, essaie de le couper
à Montereau, et rentre vainqueur dans Troyes. (Ce-
pendant un congrès s'était ouvert à Cliàiillon-sur-
Seine, sous la direction de lord Castlereagli, offrant
cette fois à la France les froiitiè es de 179;; et
ralliaiice de Cliaumoiit assignait le 20 mars comme
dernier délai à Napoléon avec qui la coalition re-
fuserait h l'avenir de traiter. Les liostiliiés ne s'é-
taient pas interrompues. Malheureuses ave c Soult
aux Pyrénées, avec Au^ereau dans la vallée du
Rhône, elles le devinrent dans la vallée de la
Seine, quand BIQchcr, opérant entre la Marne et
l'Aisne, eut réussi à donner la main h l'armée du
nord après la capiiulation de Soissons et les com-
bats de Craonne, de Laon (7, lo mars).
Napoléon si-ntait approclier l'heure suprême.
Son activité éiait redevenue prodigieuse; ses res-
sources étaiejit nulles. Il appelait le peuple aux
armes; il essayait d'exalter le palrioiisme; mais
comme il en avait tari la source, le pays épuisé
n'opéra pas cette levée en masse que l'empereur
espérait et qu'en d'autres temps la hainn de l'in-
vasion et l'enthousiasme pour la République
avaient réussi à provoquer.
Tentant sur les derrières de l'ennemi une ma-
nœuvre désespérée. Napoléon découvrit Paris.
Le .tl mars, presque sans bataille, après quelques
heures de vive fusillade, les alliés y entrèrent,
au milieu d'une population anéantie de surprise
et désarmée.
Le gouvernement avait fui sur la Loire ; Napo-
léon, revenu en hâte, campait dans Fontainebleau.
Alors on vit quel néant laissait derrière lui le ré-
gime impérial, le pays qu'il avait ruiné d'hommes
et déshabitué des discussions politiques ne fut pas
consulté.
Trois éléments seuls concoururent h l'œuvre de
la déchéance de Napoléon, ei le silence du pays
ratifia cette sentence prononcée par le sénat, h.
la requête du tsar Alexandre et au profit des rois
Bourbons, qui suivaient de si près les alliés qu'on
a pu dire qu'ils étaient rentrés dans leurs four-
gons.
Talleyrand. confident disgracié de Napoléon, et
personnellement lié au tsar, conduisit cette courte
campagne. Le 2 avril la déchéance est volée au
Sénat ; le 3 elle est ratifiée par le Corps législatif;
et le 4 un gouvernement provisoire de cinq mem-
bres lance une proclamation annonçant ce fait à la
France et au monde.
Cependant Napoléon, tiraillé entre la colère et
l'impuissance, rêvant de folies aventures, accu-
sant son entourage de trahison, se refusait à l'é
vidence d'une situation si netie. Il e^^ayait de
sauvegarder au moins les droits de son llls, et
n'abdiquaiique sous cette réserve. Mais leU' corps,
qui lui seivait d'avant garde, et que commandait
Marmont, ajant fait défection, l'abdication pnre et
simple fut signée le G avril. Le sort du vaincu fut
réglé avec générosité ; on lui assignait un domaine,
un revenu; on lui laissait une garde. Il partit. A
la poétique et légendaire scène des adieux do
Foiiiaineblean, s'oppnse la longue série des malé-
dictions et des menaces qui, dans le voyage de
Fontainebleau à l'ile d'Elbe, vinrent troubler les
sombres inédilaiions et mettre même une fois en
péril la vie du niuîirc déchu.
L'cniui, le dépit, la crainte d'être enlevé, le
remords, !'• spociacle des avides coii'pétiiion^ dont
le par agedr ses dépouilles était l'objet au congrès
de Vienne, 1 invincible conviction (|ue tout n'était
pas perdu, enfin quelques flatteuses consolations
prises pour un ordre pressant de venir délivrer la
France du joug des Bourbons, lui donnèrent la
fatale idée de tenter une restauration.
Son imagination voyait déjà la l'rance éclatant
en bravos, l'aigle volant de clocher en clocher jus-
(|u'au)i tours de Notre-Dame, l'Europe acceptant le
fait accompli au prix de promesses pacifii|ues, et
la dynastie des Napoléon sauvée du naufrage !
Hélas ! cette lugubre folie s'appelle les Cent jours.
De mars à juin 1SI5, Napoléon s'est donné la
satisfaction de remplir encore une fois le monde
du bruit do son nom.
Il débarque au golfe Juan le 1" mars 181.'). Dé-
robant sa marche à travers la montagne, il arrive
le s à Grenoble, le 12 à Lyon ; et comme sou parti
se grossit, il fait acte de souverain dès lors, dis-
sout les Chatnbres, convoque les collèges électo-
raux, et poursuivant sa marche, embrasse le 17 à
Auxerre Ney venu pour l'arrêter. Le 20 il est à
Paris, et cet étourdissant voyage s'est accompli
sans que la royauté des Bourbons ait rien su ou
■ pu faire pour l'arrêter,
« Je suis la liberté et la paix, >• disait Napoléon
voulant rassurer d'un coup la Franco et l'Europe.
Mais le moyen de se faire croire lui manquait. La
liberté, ne l'avait-il pas traitée pendani quinze ans
comme une ennemie de sa gloire? Après l'avoir
outragée au 18 brumaire, quelle place lui avait-il
faite dans ses conseils? Cependant, connue il ne
pouvait pas faire moins que les Bourbons eux-
, mêmes, il substitua à la ( harle de lxi4 un Acle
adUilioimel aui consUfution^ de l' Empire, dont les
principes étaient ceux d'un gouvernement vrai-
ment libéral, mais don! le titre déplut à tous ceux
I à qui le régime impérial avait laissé de si tristes
I souvenirs. Publié le "^ mai, sous forme de décret,
et solennellement adopté au Champ de mai du
1" juin, cet acte de réconciliation de Napoléon
avec la liberté était au fond peu sincère. L'arti-
cle t;7, qui interdisait au peuple français le rap-
pel des Bourbons, dévoilait les préoccupations
auxquelles avait obéi l'empereur. Or l'intrigue
s'agitait déjà pour ménager celte restauration; et
le mini-tre Fouché s'y mêlait sans trop de se-
cret. En somme, la France restait défiante, et
l'enthousiasme ne la gagnait pas. En Vendée, il
Bordeaux, à Toulouse la réaction royaliste avait
écla;ô.
1 Quant à l'Europe, elle avait retiré ses ambassa-
deurs dès le Ti mars, puis refusé de recevoir ceu.\
de Napoléon (30) ; et par deux fois le ".'.S mars, le
il mai, le mettant au ban des nations, elle
avait préparé ses armées. Un million d hommes
allait être levé contre nous : c'était la guerre à
I mort.
Napoléon, qui s'était hâté d'appeler Carnot au
minisicre, ouvrit les Chambres le 7 juin, confia à
j ses ministres le soin de présenter un rapport sur
I la siluat on, et courut à la froniièie : il eût voulu
du moins épargner à la France 1 horreur de l'iii
i vasion. De plus, il coiupiait surprendre ses ennc
[ mis en voie de formation. Ce fut vite fait de et >
. dernières ressources amassées à grand'peiin'
\ Passage de la Sambre, bataille de Ligny et des
Quatre Bras, enfin bataille de Waterloo (18 juin) :
I en cinq jours tout était fini ! Vingt jour.-- plu.s tard.
I le 8 juillet ISI.S, Louis XVLl se réinstallait au\
Tuileries. S'échappant sur lo soir du champ d ■
I bataille où il n'avait pu trouver la moit, Napo-
I léon avait du VO au Vil juin tenté de retenir le poii-
voir. Encore une fois la pensée d'un coup d'Etat
1 hanta son esprit; mais, avertie par Fo. clié, la
Chambre prit les di'vants. Contraint \ s gner un
j acte d'abdication qu'il ne consentait que sous
] léserve des droits de son fila (ri juin , quittant
j Paris le 2.S, la Malmaison le 2!l au moment nvi
1 Fnuché s'abouchait avec M. de Viirolles et avec
I Wellington pour précipiter, en dehors et en dépit ■
NAPOl.KON
13iH
NAPOLEON
de ses collègues du {gouvernement provisoire, la
rcstiiuralion des Bourbons, Niipoloon vint il Roche-
fort Ne pouvant écliapper b. la surveillaiico des
croisrurs anglais, il prit le parti de se remettre
à la géi'.érosito de l'Angleterre il5 juillet). Mal lui
en prit : car, s'il faut écarter la légende des tor-
tures do toute sorte méchamment multipliées par
sir Hudson Lowe, on peut sans peine imaginer
(luel long et rude supplice fut pouç Napoléon
déchu l'oisiveio dans la. solitude effroyable do Sainte-
Hélène. 11 y mourut le 5 mai |s21, et ses restes
n'ont été lamenés en France que le 15 décembre
l.s4n par les soins du gouvernement de Louis-
Philippe.
Ainsi finit l'homme extraordinaire dont l'histoire
commence à pouvoir êire écrite, et dont la puis-
sante originalité impose à tout patriote plus d'ef
froi que d'admiration.
Le pouvoir de Napoléon reposait sur le prestige
qui s'attache aux noms glorieux, sur la recon-
naissance due aux services rendus, mais aussi sur
une équivoque. Comme il était le fils de la liévo-
lution, on l'en croy.iit le continuateur; on voyait
en lui l'incarnation de la France nonvelle.' Cènes
l'histoire a le droit de lui demander des comptes
sévères : car jamais il n'en rendit au pays qui
s'était livré à lui avec cette imprudence assez
commune aux nations héroïques.
Dans l'ordre politique, la constitution im|iériale
de l'an XII revenait au vieu principe de la trans-
mission héréditaire du pouvoir. Sous le nom de
majorats et de substitutions, le droit d'aînesse
reparaissait dans notre droit civil en faveur de
la noblesse impériale. Les dotations, les sénalore-
ries, le niaréchalat, la création de grands digni-
taires, l'organisation d'une cour que le maître
voulut très luxueuse, reconstituèrent et cette tra-
dition servile de l'ét quelte où les caraclèies s'a-
nioindiissent, et cette iradiiion de p odigalité, si
dangereuse poui la fortune publique. L'Acte addi-
tionnel, qui maintint la pairie héréditaire, et les
décrets de Lyon du 1; mars i815, témoignèrent
que jusqu'au dernier jour Napoléon testa entiché
de Cl! système de distinctions absolument anii-
déniocraiiques.
Assisté de douze ministres, parmi lesquels
quatre seulement ont eu un instant d'itifluence
(Talleyratid jusqu'en 18(13, Fouette jusqu'en l«iO,
Cantbucérès et Maret), il garda jusqu au dernier
moment la passion de connaître le détail de toutes
les affaires. On eût dit que l'adminisi-ation le re-
posait des soucis de la guerre. Le Conseil d'Etat,
qui dans sa pensée devait être une pépinière d'ad-
ministrateurs, rendit en quatorze atis plus de
soixante mille décisions. Les .trois codes de
procédure civile, de commerce, d'instruction cri-
minelle et le Code pénal furent i ubiiés. Quant au
Sénat, ce fut la cheville ouvi ièie du gouvernement.
Il Fait pour proscrire et conscrire, " a dit Daunou,
c'est lui qui eut la garde et la police de toutes
nos libertés publiques. C'est entre ses mains que
tomba la totalité du pouvoir législatif, après la
suppression du tribu at (ISliT) et au dolrinientdu
corps législatif, devenu après isl» u tat lorps siins
voix, .v/,n< ijeux, sari' O'eilti-^ ! v
Depuis la réorganisation des collèges électo-
raux à vie, sous la hante direction d'un grand élec-
teur, l'élection n'était plus qu'un rouage inutile.
Le césarisme dès lors touchait à son idéal :
l'ordre dans le despotisme, la police coitime pre-
mier riiuage de gouvernement, l'état de siège
comme régime politique!
Pour les budgets pas de discussion D'ailleurs les
finances sont exactement régies, mais dans le se-
cret. M. Mollien, ministre du trésor ( t.sOC), orga-
nise une caisse de service et surveille la cottipta-
bilitéen partie double du budget ordinaire. Quant
au domaine extraordinaire (ISiti), l'empereur en
dispose seul, sans contrôle ; la dette flottante, il la
liquide d'un trait de plutne par la consolidation en
bloc de l'arriéié (l,Si;i) ; la Banque de Fiance lui
avance en ([uatorze ans 880 raillions; entiii la sai-
sie des biens communaux lui fournit de nouvelles
ressources. Quand il fallut faire le bilan de l'ein-
pire au i" avril 1814, le chifi're de la dette ins-
crite n'était iiue de ij'i millions de rente.s ; mais un
an plus tard, après les Cent jours, la dette était
accrue de plus de 1.5t)U millions !
D'ailleurs, au milieu de ces baiailles à peine
interiotïipues, la Franco souffrait. Malgré les ad-
mirables découvertes de cette époque, et les tra-
vaux de ceux qu'il appelait, dans un jour de bon
sens, >«■ (jruiiils ieue'nntx j.oiir la bonne ijucrre,
Chaptal. BerthoUet, Foutcioy, 'l'einanx, Ober-
kampf, Richard et Lenoir, Bicguet, etc., le rap-
port de Monlalivet (l«li) constatait la gène. L'abus
des conscriptions, le blocus avaient désolé les cam-
pagnes, enrayé le commerce. Par contre l'indus-
trie, sollicitée do se développer pour suffire aux
besoins du pays et profiter de l'éloigneraent mo-
mentané des concurrents anglais, avait accompli de
réels [irogrès. Mais la disette sévissait, dans cette
tnême atinée 1810 oij tout semblait promettre à
l'empire la gloire et la durée.
Dans l'ordre matériel, d'immenses et impérissa-
bles travaux attestent l'activité excitée | ar I em-
pereur. Mais dans l'ordre moral, quelle stérilité I
quelle inqui'te surveillance I L'armée, cette pépi-
nière de citoyens, était devenue moins nationale
qu'impériale. La conscription devint odieuse, et il
lallut une véritable armée pour traquer les déser-
teurs. Mais on ne put étouffer « le cri fies mères. »
Pour suffire aux besoins de la guerre, on leva
des cnniingotils étrangers, mais ils donnèrent plus
d'inquiétude que de secours; enfin on mobilisa la
garde nationale; niais on se défiait tant de cette
force vive, que Paris assiégé ttianqua d'armes ou
de poudre pour se défendre en 1814 !
On avait tracé pour l'instruction publique en
ISilS un cadre splendide; mais si 1 Université im-
périale, docile et menée comme un régiment,
trouva des élèves pour ses lycées, et des étu-
diants pour ses facultés, le gouvernement smible
s'être peu soucié de peupler les écoles primaires.
Dans l'ordre littéraire, pauvreté absolue : l'Ins-
titut trouve des candidats pour ses prix décen-
naux ; mais l'historien littéraire ne peut qu'indi-
quer les désastreux effets de la censure implucable
et de la presse officiidle. (;'est seulement dans
les rangs de l'oppositi m littéraire, et parmi ces
idèoloijifs que la police impériale tra(|uait par-
tout, qu'il faut chercher des noms illustres :
Chateaubriand, M"" de Staël. Royer-Collard, de
Maistre, etc. La science et l'an, naturellement
moins redoutables, puisque Irur domaine ne con-
fine pas à la politique, eurent une pan plus
grande aux faveurs du maître et moins du tra-
casseries à subir. Laplace, Lalande, Lagratige,
Monge,Gi'offi oy Saint-llilairo.Cuvier, Bicliat,Brun-
gniart; David et son école, les Drouais, les Gé-
rard, les Gros, les Girodet, les Vernet, enfin
Prudhon et (Chaude', etc., enrichirent de décou-
vertes précieuses et de chefs-d'œuvre nombeux
la science et l'art français pendant l'époque con-
sulaiie et impériale.
II
Ce qui suit est de moindre importance. Si de
1815 à I8:i2 il y eut un parti napoléonien, si en
I«I5 et en 1 3.', les rois de la Sainte-Alliance, les
Bourbons et le gnuveinement de Juillet crurent
devoir prendre di'S précautions de police contre la
famille lion.iparte, il ne faut pas en conclure <|ue
celui <|U on a l'Iiiibitude d appeler iVapoléon 11 ait
joué un rôle quelconque ou manifesté la lenlalioii
NAPOLÉON
— 1392 —
NAPOLEON
de reprendre la place de son père. Après 18'3I,
•chef officiel d'une dynastie déchue et d'une fa-
mille proscrite, le duc de Reiclistadl n'a pas
d'histoire. Ce pauvre enfant, qui mourut sans
laisser d'héritier, n'avait eu à aucun moment la
direction du parti qui gardait, en face des Bour-
bons, sa foi à l'empereur.
Ce parti était un étrange amalgame de libéraux
ardents et de soldats fidèles qui, pi'ndantle temps
de la Restauration, entretinrent pieusement la
légende napoléonienne et continuèrent à exalter
ce rég me si peu libéral et si tristement tombé du
faite de sa gloire. Si l'on cherche la cause qui fit
«e rallier alors au bonapartisme des amis de la
liberté, il faut se rappeler la crainte, fondée ou
non, qu'eurent pendant quinze ans tant de Fran-
çais do voir sombrer dans une réaction cléricale
et aristocratique toutes les conquêtes de la révo-
lution de nS'J.
C'est sur cotte équivoque que s'est établie la
fortune de celui qui s'appelait le prince Louis, et
dont il nous reste à raconter l'histoire comme chef
de l'Etat français sous les deux titres de prince-
président de la République, puis d'empereur
Napoléon III. — Pour le détail des faits qui sui-
vent, nous préférons renvoyer à la série chrono-
logique de l'article Modernei {^Tenps). parce qu'il
nous semble prématuré de prétendre donner à
l'exposé de ce règne la forme rigoureuse d'un ré-
cit historique.
Napoléon III était né le 20 avril ISng. C'était le
troisième fils du roi de Hollande, Louis Bonaparte,
et de la reine Hortense. Esprit cultivé, caractère
singulier fait de dissimulation et d'audace, mais plv»-
tôt mystique que réellement actif, le prince Louis
n'était guère connu, avant I8:f2, que par quelques
■ouvrages techniques sur l'artillerie, ou par quel-
ques entreprises qui témoignaient de son besoin
de se produire. En IsSI, il avait combattu dans
les rangs de l'insurrection romaine, et reçu des
Polonais révoltés l'invitation de se mettre à leur
tête.
La mort de son cousin le duc de Reichstadt fai-
sait de lui un personnage. Pour se révéler à ses
partisans, il ne lui suffisait plus de quelques
écrits; le 30 octobre ls3(i, à Strasbourg, il vint
tenter la fidélité de la garnison. Cette téméraire
aventure ne pouvait aboutir. Il fut pris, mais non
gardé prisonnier. On a nié qu'il ait fait le ser-
ment de ne jamais revenir. Quoi qu'il en soit, la
mort de sa mère {'i oct. 1S37) le ramena d'Améri-
que en Europe. Forcé do quitter la Suisse pour ne
pas exposer ce pays à la colère du gouvernement
de Juillet, il se réfugia en Angleterre.
C'est alors que, sous le titre li'li/ées napMéo-
niennes, il fit une apologie si peu déguisée du
césarisme, que ce livre ne peut manquer de pa-
raître à tout esprit un peu libéral la meilleure
critique de cette fausse démocratie impériale dont
on a essayé tant de fois de faire un idéal de gou-
vernement.
Bientôt après, il voulut tenter de nouveau la
fortune, et vint débarquer à Boulogne avec quel-
ques compagnons. Arrêté aussitôt, il fut cette fois
traduit devajit la Cour des pairs.
Condamné à la prison perpétuelle et enfermé
au fort de Ham, il employa les loisirs de sa capti-
vité à des études politiques et sociales, collaborant
à divers journaux, et publiant un livre sur VEx-
tinction du paupérisme.
Enfin, le 25 mai 184C, il réussit à tromper la
surveillance de ses gardiens et gagna la Belgique,
puis l'Angleterre. Deux ans plus tard, la Révolu-
tion de 184s abaissait la barrière qui lui fermait
les portes de la France.
Aussitôt l'agitation commença autour de son
nom. Une quadruple élection lui permettait un
retour presque triomphal. Le prince différa pour-
tant, et déclara qu'il n'avait pas recherché l'hon-
neur d'être représentant du peuple. « Si le peu-
ple m'imposait des devoirs, ajoutait-il, je saurais
les remplir. «
Le V4 septembre seulement, il arrivait à Paris;
le 26, il siégeait à l'Assemblée constituante, et le
12 octobre il obtenait l'abrogation des lois de 1815
et de \i.A contre les Bonaparte.
A la fin de l'année eurent lieu les élections
pour la présidence de la République : ce fut le
nom du prince Louis-Napoléon Bonaparte qui sor-
tit de l'urne le lO décembre 1848, avec cinq mil-
lions et demi de suffrages, contre un million et
demi de voix pour le général Cavaignac.
L'élection s'était faite sur le nom de Bonaparte.
Le président s'en prévalut pour reprendre la tra-
dition consulaire. On vit commencer alors le duel
déloyal de la République et du magistrat qui,
lié à elle par un serment solennel, n'eut qu'une
idée fixe : la détruire pour refaire l'empire. De
môme que son oncle, il mit quatre ans à fran-
chir tous les degrés du trône ; mais tandis que
le premier consul avait à son actif en 1804 d'é-
clatantes victoires, une grande situation en Europe,
et la réputation bien établie d'un chef d'Etat ac-
tif, ingénieux, habile, son neveu ne s'était révêlé
ni comme capitaine, ni comme politique.
Ses adversaires furent à coup sûr fort mala-
droits; ils manquèrent de clairvoyance, d'esprit
de conduite et de mesure; ils lassèrent l'opinion
sans la satisfaire : en un mot ni la Constituante, ni
la Législative ne furent à la hauteur de leur tâche.
Mais le prince, qui ne fut supérieur parle talent
il aucun de ses adversaires, n'eut la victoire qu'au
prix d'un forfait.
Le 2 décembre 1851, un coup de force coupa
court à toute discussion, et sur le terrain déblayé
par la terreur, le prince, servi par la nouvelle
constitution de 1852, n'eut aucune peine à fonder
l'empire.
Sept raillions et demi de suffrages ayant donné
raison au président dès le20-.'l décembre 1851,
l'empire, qui fut proclamé le jour anniversaire du
coup d'Etat, se prétendit invinciblement fondé sur
la volonté nationale.
A cause de son origine, et sans manquer à ses
engagements envers ce parti ultra-conservateur et
clérical, qui s'était livré au prince pour échapper
au spectre du socialisme, le gouvernement impé-
rial semble avoir pu la pensée d une organisation
sociale. Napoléon III ne pouvait oublier en effei
qu'il avait écrit autrefois sur l'extinction du pau-
périsme ; de là une multiplicité de lois intéressant
l'ouvri(!r : loi déterminant le nombre des heures
de travail dans les fabriques, loi des logements
insalubres {18.S0-52), crèches et salles d'asile (1852-
I85:t), gratuité des secours médicaux (18 i4), so-
ciétés de secours mutuels (I8(i0j, asiles du Vési-
net et de Vincennes; organisation do l'assistance
judiciaire (1851), caisse de retraite pour la vieil-
lesse (1850) ; plus tard orphriinats sous le patro-
nage de l'impératrice Eugénie ou du prince impé-
rial, société du prince impérial (IsGJ), etc. .Mais
la tutelle intéressée de la philanthropie impériale
ne laissait aucune place à la liberté dont l'ouvrier
est au moins aussi soucieux que de son bien-être.
Bientôt l' Internationale donna aux travailleurs
l'idée d'une organisation plus indépendante. Le
pouvoir en prit ombrage; les poursuites ordon-
nées en 1868 prouvèrent que le charme était j
rompu.
La b mrgeoisie française s'était ralliée à l'empire
par amour de l'ordre et parce que le nouveau
gouvernement lui avait promis, avec la paix dans
la rue, la prospérité et le mouvement des affaires.
L'empire lui donna longtemps saiisl'action : im-
menses travaux de construction et île démolition ,
dans les grandes villes, îi Paris, Lyon, Marseillej
NAPOLEON
— 13'J3
NATURALISTES
surtout, dcvoloppement de notre premier roseau
do cliemins de fer, et création d'un deuxième ré-
seau, expositions universelles d'industrie de 1855
et 18tn ; multiplication ou réorganisation d'éta-
blissements de crédit : Crédit foncier, Crédit mo-
bilier { 1 S52), Comptoir d'escompte ( 1 854 ), Banque de
France (1857), Crédit agricole (18.S8J, Caisse de la
boulangerie (1853-54, etc.) ; enfin inauguration d'un
nouveau régime commercial sur la base du libre
échange (janvier 186U). Mais peu h peu la situa-
tion tinancièro s'assombrissait; la faculté d'ouvrir
des crédits en l'absence des Chambres fut un péril
signalé dès 1861; les ministres gardèrent encore
le droit d'opérer des virements de fonds de chapi-
tre h chapitre; le contrôle des budgets était nul ;
les déficits s'entassaient, mal compensés par des
emprunts toujours couverts avec un empresse-
ment trompeur, mais pleins de périls que la voix
impuissante de l'opposition dénonçait au pays. Les
élections générales de 1861) manifestèrent nette-
ment cette réaction de l'opinion publique. Les
troubles recommencèrent dans la rue, servant de
prétexte aux brutalités de la police. La nouvelle
génération grandissait avec un sentiment d'hosti-
lité visible contre le gouvernementimpérial ennemi
des « libertés nécessaires n qu'avait dès 1861 récla-
mées M. Thiers. « Le 2 décembre est un crime! »
s'était écrié M. Ernest Picard en 1865. En dépit
de la volte-face pseudo-libérale que se chargeait
d'exécuter le cabinet du "2 janvier 1870; en dépit
du succès douteux du plébiscite de la même année,
l'empire était décidément impopulaire dans les
villes.
Les campagnes étaient moins hostiles. A l'aide
des concours régionaux (1850-BOj, de plus de 700
comices agricoles, d'expositions universelles agri-
coles (1855- 56); à l'aide surtout de la loi munici-
pale, l'empire disposait là d'une popularité réelle.
D'autre part la prospérité de notre agriculture
avait répandu le bien-êlre dans les campagnes ;
et ce bien-être y éteignait toute autre passion.
L'attitude du clergé n'était pas aussi bonne.
Comme l'empire n'a jamais su jusqu'à quel point
il convenait à ses intérêts d'épouser la cause de
l'Eglise, l'Eglise de son côté n'a jamais eu pour
l'Empire qu'une sorte de fidélité intéressée. Le
maintien entêté du pouvoir temporel du pape, l'in-
fluence manifeste de l'impératrice réagissant con-
tre les tendances anti-cléricales de quelques mi-
nistres, étaient des gages auxquels le clergé s'est
montré sensible, mais sans se départir d'une cer-
taine réserve qui témoigne que le régime impérial
ne lui inspire pas une confiance absolue.
Une formule restée célèbre rappelle la première
et la plus populairedes promesses de Napoléon III :
« Ueiiipire, c'est la paix! » avait-il dit à Bordeaux.
Jamais assertion plus formelle n'a reçu démenti
plus complet. Toujours en quête de quelque aven-
ture, mêlant d'une façon singulière l'audace et
l'indécision dans ses projets, sans crédit eu Europe,
excitant des rancunes ou des craintes par la mobi-
lité de son attitude souvent agressive, finalement
sans alliés en face du terrible ennemi qu'il pro-
voque en 1870, Napoléon 111 a porté dans toutes
les parties du monde les forces de la France, et
quelquefois avec lionneur. Mais ces forces, que
son caprice a souvent gaspillées sans profit pour
notre pays, il n'a su ni les réparer, ni les tenir en
état. Fier de la bonne tenue de sa garde impé-
riale, satisfait de quelques inventions techniques
dont ses flatteurs exaltaient la puissance, il ne se
rendit jamais compte ni de l'insuffisance des ap-
provisionnements, ni de celle des contingents.
L'art de la guerre se renouvelait chez nos voisins,
sans qu'il y prît garde, quoique provenu. Au jour
suprême, l'armée, qu'on croyait prête, ne se trouva
ni suffisante en nombre, ni pourvue : matériel
de siège ou de campagne, moyens de concentra-
2° Pautie.
tion, intendance, état-major, vivres, armes et direc-
tion : tout fit défaut à nos soldats, sauf le courage
désespéré et impuissant. La loi militaire de 1868,
qui pouvait être le salut, était restée lettre morte,
soit par incurie, soit par défiance politique; et la
garde mobile se trouva inexpérimentée, incapa-
ble de servir.
Aussi c'est par un désastre presque sans exem-
ples que finit l'histoire militaire du second em-
pire.
Il était allé bien loin dans toutes les directions,
mais il ne sut pas préserver le pays de l'invasion,
ni l'en délivrer : 1852, conquête de la Kabylie ;
1854-56, guerre de Crimée contre la Russie ; 1859,
guerre d'Italie contre l'Autriche, annexion de Nice et
de la Savoie (en 1860); 1857 et 1861, guerres de
Chine; 1857 à 1862, guerre de Cochinchine; 1861,
expédition de Syrie; 1861-66, guerre du Mexique,
cette triste et coûteuse aventure qu'on a osé appe-
ler la «plus grande pensée du règne;» 1807, expédi-
tion de Montana pour la défense du pouvoir tempo-
rel du pape ; 1870 enfin, guerre contre la Prusse,
pendant laquelle Napoléon III capitula le 2 sep-
tembre à Sedan, perdant du même coup sa dynas-
tie et la France que d'autres ont réussi à sauver,
sans pouvoir éviter toutefois de livrer au vain-
queur implacable, comme la rançon des fautes de
l'empire, l'Alsace et la Lorraine.
Depuis ce jour. Napoléon III est mort le 9 jan-
vier 1873 à Chislehurst en Angleterre; et la mort
de son fils unique, le prince Loui.s-Napoléon, tué
au pays des Zoulous le l" juin 1879, a marqué
l'extinction d'une dynastie dont la déchéance
avait été ;9olennellemeut proclamée le 38 février
lb71 par un vote de l'Assemblée nationale.
[I. Melouzay.]
NATURALISTES. — De tout temps l'attention
de l'homme a été sollicitée par le globe sur lequel
il vit, par les animaux et les plantes qui se multi-
plient autour de lui. On peut donc dire que l'obser-
vation delà nature est aussi ancienne que l'homme
lui-même ; il s'en (aut, cependant, que cette étude
se soit constituée dès l'abord en science distincte ;
que les premiers observateurs aient été des luitu-
rtilistes, dans le sens que nous attachons aujour-
d'hui à ce mot. En Europe, c'est dans les œuvres
des poètes et des philosophes qu'il faut chercher
les premières notions des anciens sur les plantes
et les animaux. Esculape, Orphée, Cliiron de Thes-
salie sont donnés comme ayant connu aUx temps
mythologiques les propriétés médicinales de cer-
taines plantes; l'armée grecque qui assiégea Troie
avait pour médecins deux fils d'Esculape, Machaon
et Podalire, dont Linné a donné les noms aux
deux plus beaux papillons de notre pays, Homère,
Hésiode possédaient des connaissances précises
sur un assez grand nombre de plantes et d'ani-
maux.
Mais quittons les temps légendaires, et arrivons
à l'époque historique. Anaximandre (610-547 av.
J.-C. I, disciple de Thaïes, avait déjà spéculé sur les
origines de l'humanité; il pensait, comme on l'a sup-
posé bien souvent depuis, que les hommes avaierit
été successivement poissons, reptiles et mammi-
fères. Pythagore 1 608-50'.) av. J.-C.) s'était occupé
de botanique ; Alcméon de Crotone (500 av. J.-C.)
est le premier qui ait disséqué des animaux et
se soit occupé de lour mode de développement; il
annonça que chez eux la tète se développe la pre-
mière ; Empédocle (444 av. J.-C.) attribuait aux
plantes un sexe ; il les croyait douées de sensibi-
lité et avait entrevu certaines analogies entre l'œuf
et la graine.
Anaxagore (.')00-428 av. J.-C), maître de So-
crate, admettait que la lune et les planètes
étaient habitées comme la terre. Leucippe, in-
venteur des atomes, eut pour disciple Démocrite
(490-381 av. J.-C), qui étendit la théorie de son
NATURALISTES
— 1391
NATURALISTES
maître, découvrit les canaux de la bile, assigna ;\
ce liquide un rôle dans la digestion, et écrivit sur
diverses parties de la botanique.
On doit à Socratc (nO-400) d'avoir sévère-
ment critiqué les liypotbèses diverses à l'aide dos-
quelles ses prédocessesseurs et ses contenipo- j
rains essayaient d expliquer le monde ; il mérite
d'être considéré comme l'un des fondateurs de la !
méthode scientifique. Le plus célèbre des méde- |
cins de l'école de Cos qui ont porlé le nom d'Hip-
pocrate parait avoir vécu de son temps. Malheu-
reusement, dans toute cette longue période, les
observations sont rares, et servant de points de !
départ à des spéculations hasardées, qui remet- 1
tent sans cesse en question les faits déjà dé-
couverts; il en résulte que ces faits ne sont '
jamais réunis en un faisceau qui puisse porter le j
nom de science. i
Malgré le nombre considérable des philosophes
qui se succèdent, il faut arriver jusqu'à Aristote 1
(ïSi-.322!, pour trouver un liomme qui, ayant fait
lui-môme un nombre considérable d'observations, I
soit en môme temps capable de les grouper en
corps de doctrine.
La Chine, sous ce rapport comme sous tant d'au-
tres, avait précédé l'Europe. L'empereur Yu a écrit
un traité d'histoire naturelle, le Clian-Hai-King,
2vOO avant notre ère. Les connaissances scienti-
fiques des autres peuples de l'Orient sont géné-
ralement consignées dans leurs livn's sacrés, où
l'on trouve souvent des preuves incontestables
d'une étude attentive de la nature.
L'œuvre d'Aristote, dont les études avaient été
favorisées par les conquêtes d'Alexandre son élève,
est l'une des plus considérables qui aient jamais
été produites par un seul homme. Ce grand homme
s'était occupé de toutes les branches de l'histoire
naturelle ; observateur savarjt et judicieux, il était
arrivé à acquérir sur les êtres vivants des connais-
sances dont la justesse et l'étendue nous éton-
nent encore aujourd'hui. Ses œuvres de botani-
ques sont perdues ; mais ses divers traités sur
VHisloire des anininux, sur les Parties des ani-
maux et sur la Génération îles animmix, sont
demeurés comme des monuments de son génie.
Dans le premier, il divise les animaux en ani-
mnur san/fums et eu animiui ex-^angurs. Ces
deux grandes divisions correspondent aux Verté-
brés et aux Invertébrés de Lamarck. Chacun do
ces groupes est divisé en groupes secondaires
dont plusieurs diffèrent à peine de ceux que nous
adoptons aujourd'hui. C'est là un véritable essai
de classification. Le traité des Parties 'les animaux
est une sorte d'anatomie comparée. Dans le traité
de la Génération des animaux, on trouve déjà des
observations précises sur le développement du
poulet dans l'œuf, et sur les métamorphoses des
insectes, auxquels Aristote attribue cependant une
génération spontanée.
Théophraste (371-286 av. J -C), successivement
le disciple de Platon et d'.\ristote, fut surtout
botaniste et minéralogiste, et devint le chef d'une
brillante école. Il ne connaissait pas moins de
400 plantes et en réunit un grand nombre dans
une sorte de jardin botanique qu'il légua à sa
mort à la république d'Athènes.
Les guerres qui suivirent la mort d'Alexandre
firent passer la plupart des savants grecs en Egypte,
où les Ptolémées favorisèrent longtemps la science,
qu'ils cultivaient eux-mômesavec succès. On attri-
bue à Ptolémée Philadelphe (-309-277; un ouvrage
sur les animaux vrais et fabuleux, qui suppose un
esprit critique très éclairé. Ce sont toutefois, dans
l'école é.'yptienno, les sciences médicales, prin-
cipalement l'anatomie, qui l'emportent sur l'his-
toire naturelle proprement dite. Proxagoras dis-
tingue les veines des arières, Héropliile (■'îî")
mo lire que les nerfs sont différents des tendons,
reconnaît l'isochronisme du pouls et des batte-
ments du cœur; Erasistrate découvre que le cer-
veau tient tous les nerfs sous sa dépendance, et
décrit le premier les vaisseaux chylifères. Les
persécutions de Ptolémée Physcon et de son fils
Ptolémée Sotor mirent fin aux succès de l'école
d'Alexandrie (8i).
On peut encore compter parmi les naturalistes
Nicandre (i" siècle av. J.-C), médecin d'Attale III,
dont les traités Theriaca et Alexijjharmaca sont
respectivement consacrés aux animaux venimeux
et aux poisons. Dans toute celte longue période,
les sciences naturelles sont cultivées surtout en
vue de leur application, et semblent perdre le
caractère philosophique qu'Aristote avait réussi à
leur donner.
Les Romains sont loin de s'élever, môme dans
cette direction pratique, à la hauteur des Grecs.
On trouve, cependant, dans les Commentaires do
César, de précieux renseignements sur les ani-
maux de la Germanie, et Lucrèce ('.15-44), contem-
porain de César, consacre à la science un su-
blime poème où il développe d'une fav'on magis-
trale la philosophie d'Epicure et expose relative-
ment à la Nature des clioses des idées qui se rap-
prochent à certains égards de quelques-unes des
conceptions de la science moderne. Lucrèce croit
que les premiers animaux avaient des lormes
monstrueuses et n'étaient même parfois que des
organes privés de corps et capables cependant de
vivre ainsi isolés. Virgile et surlout Ovide se
montrent en plusieurs passages de leurs poèmes
excelleLits observateurs; Ovide peut môme comp-
ter comme ayant possédé des connaissances fort
étendues en histoire naturelle. Les jeux du cir-
que, le goût des Romains raffinés pour la bonne
chère et les mets extraordinaires, firent connaître
à Rome un assez grand nombre d'animaux étran-
gers à l'Europe. Tout ce qui concerne ces ani-
maux se trouve opars dans des ouvrages traitant
des sujets les plus divers. Le géographe Strabon
(50 av. J.-C.) a exactement décrit les poissons du
Nil ; le médecin Dioscoride (qui vivait dans le
1" siècle de notre ère) a joui longtemps d'une
réputation de botaniste que ne justifie pas la va-
leur de ses ouvrages. De tous les naturalistes
romains, celui qui s'est acquis la plus grande
célébrité est Pline l'Ancien [a-'i'i apr. J.-C), mort
victime de la science en voulant observer la pre-
mière éruption du Vésuve. L'Histoire naturelle
de Pline ne comprend pas moins de trente-sept
livres, et traite en réalité de tontes les scien-
ces d'observation. C'est u)ie immense compila-
tion de plus de deux mille ouvrages dont un grand
nombre sont perdus .aujourd'hui. .Malheureuse-
ment Pline semble avoir peu observé par lui-
même, et il a recueilli côte à côte d'excellentes
observations et les récits les plus fantastiqiies.
Les onvrages d'Athénée et d'Elien ne sont guère,
comme ceux de Pline, que de simples compilations.
Elien cite cependant soixante-dix espèces de mam-
mifères, cent neuf espèces d'oiseaux, cinquante es-
pèces de reptiles, cent trente espèces de poissons
dont la plupart ont pu être reconnus. On peutcon-
sidérer comme un naturaliste Oppien, dont les
trois poèmes, les Cynéyétiijues, les Halieuliqw's et
les lieutiques contiennent de précieux renseigne-
ments sur les animaux que l'on chassait ou que l'on
pochait habituellement de son temps. Nous arri-
vons enfin à un homme dont l'influence a long-
temps été considérable sur la médecine, Galien,
né à Pergame l'an 131 de J.-C, mort vers l'an 2011.
Galien s'attache surtout à faire revivre les doctri-
nes d'Hippociate; cherchant à tout expliquer par
quai re éléments, l'eau, la terre, l'air et le feu, quatre
qualités, le chaud, le froid, l'humidité, et le sec,
quatre humours, le sang, la bile, la pituite et l'a-
trabile. Ses principaux ouvrages ont pour titre :
NATURALISTES
1395
NATURALISTES
Des miminislratiom aniitomiques. De l'usaye des
parties, Tln'rapeulique, etc. Son nom est Ih der-
nier (]ui mérite d'ûtre cité parmi les hommes de
science de l'antiquité.
An moyen âge les Arabes sont à peu près les
seuls héritiers des philosophes de l'antiquité. A
partir du ix' siècle on voit les sciences médicales
prendre chez eux un épanouissement remarqua-
ble. Hippocrate, Aristote sont traduits en langue
vulgaire. Mais dans cette période singulière la
magie se trouve sans cesse alliée à la science
et à la métaphysique. Rhazes (850-923), Avicenne,
Avenzoar (lO^O-llOI), Averrhoès (1120-1198) son
élève, ont laissé la réputation de médecins fort
habiles et fort instruits ; néanmoins les savants
arabes s'abandonnent beaucoup plus h la spécu-
lation qu'à l'observation ; le philosophe domine
ordinairement en eux, et s'ils ont largement con-
tribué à nous conserver les traditions scientifiques
des anciens, il faut reconnaîtra qu'ils ont fait faire
à l'anatomie, à la physiologie et au diagnostic des
maladies peu de progrès réels. Ils avaient cepen-
dant une connaissance approfondie des propriétés
des plantes, et on leur doit l'inlroduciion dans la
thérapeutique d'un assez grand nombre de médi-
caments.
L'influence des Arabes fut considérable sur
l'esprit des hommes qui cultivèrent la science en
Occident durant le moyen âge. C'est h elle, en
;;rande partie, qu'il faut attribuer ce mélange sin-
^'U lier de l'astrologie et de l'alchimie à la science vé-
ritable, mélange dont les plus grandes intelligences
ne surent pas toujours se garder et qui eut pour
résultat d'amener dans l'esprit du vulgaire une
confusion complète entre les savants et les sor-
ciers. Kogcr Bacon (1214-1292) lui-môme, quoique
]irotcstant de la nullité de la magie, sacrifia large-
mcr,t à l'alchimie. C'était un homme d'un vaste
savoir et un expérimentateur habile ; à lire cor-
tains passages de son Opns majus, on croirait qu'il
a deviné les plus belles inventions modernes ; il
parait aussi avoir connu l'art de fabriquer des
poudres explosibles. Ce fut un de ceux qui con-
iiibuérent le plus i ramener les hommes d'études
L l'observation de la nature. Les savants de cette
i pu. |ue cultivaient d'ailleurs simultanément toutes
1' • sciences : ils unissaient étroitement la prati-
lUC de la médecine, les discussions philosophi-
<jU0S ou mime théologiques, à la reciierche de la
pierre philosophale et de la transmutation des
métaux. Aussi peut-on considérer comme des na-
turalistes les alchimistes tels qu'Arnaud de
Villeneuve (I23«-I3i4;, qui découvrit l'alcool, Ray-
mond LuUe, et Albert le Grand (l 133-1 280\ domi-
nicain, puis évêque de Ratisbonne; et qui abandon-
na l'épiscopat pour se livrer exclusivement à la
culture et i l'enseignement des sciences. Albert le
Grand écrivit de nombreux ouvrages d'alchimie
et d'hisioire naturelle. On compte parmi ses dis-
ciples le fameux saint Thomas d'Aquin (122"-I2Ti),
iqui Pic de laMirandole attribue un ouvrage d'al-
chimie, et que l'Eglise catholique place encore
au rang le plus élevé parmi ses hommes de
science. Durant le vu" siècle quelques voyages,
tels que ceux de Guillaume Hubruquis et de Marco
Polo, firent connaître l'Asie orientale ; Marco Polo
est le premier qui ait pénétré en Chine et au Ja-
pon, mais le récit de ses voyages fut longtemps
considéré comme une œuvre d'imagination. Mal-
gré l'invention de l'imprimerie (l43l), malgré les
grands voyages de Christophe Colomb et U dé-
couverte de l'Amérique (1492 , le xv" siècle pour-
suit encore longtemps les errements scientifiques
du xni« et du xiv'; mais au xvi= siècle la lumière
commence à se faire dans les esprits, et d'impor-
tantes recherches scientifiques sont entreprises.
André Vénale (l5U-l.^(il) régénère l'anatomie;
Fallope, Eustache, ^Spicgel, Ingrassias, Botal,
Varole, ont tous attaché leur nom k la découverte
de quelque organe ou de quelque particularité de
structure du corps humain. Les recherches de
Fabrice d'Acquapendente (1537-1CI9), celles de Co-
lombo et de Césalpin,qui fut aussi un botaniste re-
marquable, préparent la découverte de la circula-
tion du sang, nettement entrevue parle malheureux
Michel Servet (I. 509-1 ;i5.')), briilé à Genève, comme
hérétique, par Calvin. C'est aussi à cette époque
que vécut le célèbre cliirurgien de Henri II,
Anibroise Paré (1517-1590), qui, en dehors de son
mérite comme praticien, songea le premier à com-
parer le squelette des oiseaux i celui des mammi-
fères. A côté de cette renaissance de l'anatomie
se manifeste aussi une renaissance évidente de la
botanique et de la zoologie. Jean et Gaspard Bau-
liin, morts le premier en ICJIS, le second en ÎC24,
publient, toutou s'occupantde médecine, d'impor-
tants ouvrages do botanique; Pierre Belon, né
en 1518, assassiné au bois de Boulogne en 15G'i,
ècrbiii \\n& H stiiire ■•'"itureUe des poissons mnrini
et une Histoire des oiSfWix; il compara entre eux
les organes des divers animaux qui avaient fait
l'objet do ses études, et ouvrit ainsi la voie à l'ana-
tomie comparée. Ala même époque, Rondelet (1507-
1566) publia une fort belle Histoire naturelle des
poitsoHS, où l'on trouve un véritable essai de classifi-
cation naturelle. Mais les naturalistes de ce siècle
les plus remarquables par leursavoir furent Conrad
Gessner, de Zurich (l510-laC5) et l'Italien Aldro-
vande( 1527-1605). Gessner publia, outre divers tra.
vaux philosophiques et scientifiques, une Histoire
des animaux en quatre volumes in-folio, et divers
écrits de botanique dans lesquels il établit sur les
organes de fructification la première classification
scientifique des végétaux; il traite aussi dos cris-
taux, et pense que les fossiles peuvent bien être
les dépouilles d'êtres vivants. Aldrovande est l'au-
teur d'une vaste Histoire naturelle dans laquelle
il traite des trois règnes de la nature, et qui fut
imprimée en grande partie sous les auspices du
sénat de Bologne. Ce fut aussi un des titres de
gloire du grand artiste Bernard de Palissy (15110-
1589) d'avoir énei-giquement soutenu que les fos-
siles étaient des restes d'animaux, la plupart
marins, et que les mers avaient autrefois couvert
une vaste étendue des continents. La foi dans l'ob-
servation, dans l'expérience, dans la raison se
substitue ainsi peu à peu à la foi dans l'autorité,
aux discussions sans fin sur les opinions dos mai-
Ires, dont la philosophie scolastique nous offre le
triste tableau. Tandis que de nombreux investiga-
teurs prêchent d'exemple et ajoutent h nos con-
naissances dans toutes les directions, sans trop de
souci de l'autorité, quelques hommes hardis
comme Argentier proclament leur confiance exclu-
sive dans la raison et préparent ainsi l'avène-
ment de François Bacon (I561-1U2U) dont Vln--
tauratio nvKj'ia posa pour la première fois les
vrais principiîs de la piiilosophie et de la méthode
scientifique. Bacon déclare que l'homme de
science doit avant tout appuyer ce qu'il affirnu'
sur l'expérience, et il étend même la méthode
expérimentale à la recherche de l'origine des
êtres. Dans sa Noya Atlantis, sorte de projet d'un
établissement uniquement consacré au progrès
des sciences naturelles, comme l'est notre
Muséum d'histoire naturelle, il recommande de
tenter la métmwtriihose des organes et de recher-
cher, en faisiiid varier les espèces, comment elles
se sont multipliées et div ■rsifiie^. C'est la première
expression scieniificiue de l'idée que les espèces
de plantes et d'animaux ne sont pas immuables,
et que le monde vivant n'est parvenu h. l'état
actuel que par une série de lentes et graduelles
modifications. L'illustre philosophe put connaître
avant de mourir l'une des plus belles découvertes
ducs \ la méiiiode expérimentale, celle do la cir-
NATURALISTES
— 1390 —
NATURALISTES
«
culation da sang annoncée dès t619 par Harvey,
médecin de Jacques I" et de Charles I", et élève
de Fabrice d'Acquapendente qu'il avait assisté
dans ses recherches sur les valvules des veines.
Cette découverte donne un nouvel élan aux re-
cherches anatomiques. Aselius retrouve les vais-
seaux chylifères, Pecquet montre qu'ils sont des-
tinés i puiser dans le sang les matières assimila-
bles et qu'ils les transportent dans le canal tlio-
racique par lequel elles sont versées dans la
circu
1634 doit marquer dans l'histoire des sciences
naturelles, comme date do la fondation h Paris,
sur les instances de Guy de Labrosse, du jardin
botanique qui devait plus tard devenir le Jardin
des plantes et que la Convention réorganisa sous
son nom actuel de Muséum n'histoire naturelle.
Cependant le nombre des animaux et des plan-
tes recueillis en Europe ou rapportés de leurs
voyages par les navigateurs augmente considéra-
blement. Tout d'abord il était facile de les diviser
ui.>.ulation. Rudbeck et Bartholin se disputent la | en groupes plus ou moms étendus dans lesquels
découverte des vaisseaux lymphatiques ; Wirsung I une description ordinairement réduite à une courte
fait connaître le canal pancréatique; Bartholin et : phrase permettait de reconnaître chaque espèce.
Sténon complètent l'étude des glandes salivaires. L'espèce était elle-même designée soit par 1 un de
Wepfer, Schneider, 'iVillis, Vieussen, étendent sesnomsvulgaires.soitparlaphrasecaracteristique,
les connaissances acquises sur le cerveau, dont ils \ à laquelle on tentait parfois de substituer des noms
précisent le rôle; enfin Ruysch, par l'application tirés du grec, mais trop souvent forgés de la façon la
aux recherclies anatomiques d un procède qui
consiste à injecter des liquides colorés dans les
vaisseaux et les cavités, fit faire de grands progi'ès
à l'histoire de l'appareil vasculaire.
Vers la même époque, l'application à l'étude
des organismes d'une autre méthode d'investiga-
tion fut encore plus féconde. Presque en même
temps, Malpighi, professeur de médecine à Bolo-
gne (1G2S-Ii.9f), Leuwenhock de Delft (Ir,;i2-1T^3)
et Swammerdamm (lf;3"-16S0), introduisent l'em-
ploi des verres grossissants dans les recherches
d'histoire naturelle, et sont aussitôt récompensés
par de magnifiques découvertes Malpighi fait con-
naître un grand nombre de particularités de struc-
ture des organes humains, découvre les trachées
des insectes et étudie le développement du poulet;
on doit à Leuwenhoek d'avoir révélé aux n«tura-
listes l'existtnce des infusoires; il paraît aussi
avoir connu la reproduction des pucerons sans
le secours de la fécondation, dont la réalité fut
mise hors de doute bien plus tard par Bonnet de
Genève, et il fit sur la génération par bourgeonne-
ment des polypes des observations qui devaient
demeurer oubliées jusqu'aux recherches de Trem-
bley. Swammerdamm, qui publia une grande par-
tie de ses travaux sous le litre de Bihlin naturœ,
plus étrange. Les plus sages nomenclateurs arrivent
peu à peu à l'idée de désigner chaque espèce par
un nom générique et un nom spécifique, corres-
pondant le premier au nom de famille, le second
au prénom que l'on emploie pour désigner les indi-
vidus dans la vie civile. C'est là l'idée fondamen-
tale de la nomenclature binaire, quo Linné (HOÎ-
ITÎS) appliqua avec une admirable netteté à tous
les êtres vivants. Son S>/stème de ta nature,' -pw-
blié en 1135, fit époque dans la science et lui valut
une réputation universelle. On a dit de lui qu'il
avait été le législateur de l'histoire naturelle, et
de nombreux naturalistes ont, en effet, convenu —
ce qui est du reste une injustice — de ne pas accep-
ter dans la science de nom antérieur à Linné. Le
système de classification adopté par Linné pour
les végétaux eut surtout un prodigieux succès; les
découvertes récentes relatives à la sexualité des
plantes y étaient pour la première fois appliquées ;
ce n'était pourtant, comme Linné en prévenait lui-
même, qu'un sysième, c'est-à-dire un moyen com-
mode d'arriver au nom d'une plante, et non une
méthode naturelle de classification dans laquelle
toutes les plantes auraient été disposées d'après
leur degré réel de ressemblance. Mais le système
de Linné se recommandait par son admirable prè-
le monde savant : Redi combat par des expériences
d'une réelle précision l'hypothèse, morte aujour-
d'hui, des générations spontanées. Newton signale
déjà, à la fin de son Optique, cette uniformité de
structure des animaux à la démonstration de la-
quelle Geoffroy Saint-Hilaire devait consacrer sa
vie scientifique; et Pascal, dépassant Bacon, croit
que les êtres animés n'étaient à leur début que des
individus informes et ambigus dont les circon-
stances permanentes au milieu desquelles ils vivaient
ont décidé originairement la constitution ; Syl-
vius Leloë, de Leyde, soutient que tous les phéno-
mènes qui se produisent dans les viscères sont
analogues aux réactions qu'on voit s'accomplir
dans les cornues des laboratoires de chimie;
Swammerdamm établit les bases de la doctrine du
développement des animaux par formation succes-
sive des parties; Jean Ray, rompant avec les tra-
ditions aristotéliques, propose un système de
classification des animaux et des plantes d'une ad-
mirable précision, et il contribue largement h
faire connaître la sexualité des végétaux, soupçon-
née autrefois à diverses reprises, mais démontrée
par les recherches de Millington, Grew, Bobart,
Camerarius, Buccone, etc. Tournefort (16.')6-1"08)
combat cette grande découverte; nia'is ses Inslilu-
tiones rei herbariœ ne lui assurent pas moins une
incomestable illustration; on y trouve une classi-
fication des plantes fondée sur la structure et la
disfiosition des fleurs, et le groupe naturel que les
naturalistes désignent sous le nom de genre y est
pour la première fois clairement défini. L'année
raliste suédois. . , ■
Il s'en faut cependant que les travaux de Linnu
aient été dès l'abord universellement acceptés. 11
rencontra d'ardents contradicteurs, parmi lesquels
Héaumur (l«83-n:.7), Bufi-on (1707-1788), Adan-
son (17'27-180li), Charles Bonnet (I i2(i-l (93), de
Genève etc Réaumur, physicien et naturahste,
doit surtout sa grande réputation sous ce dernier
titre a ses Mémoires pour servir a l lastoire des
insectes, où sont consignées les plus patientes et
plus ingénieuses recherches sur les mœurs et les
métamorphoses de ces animaux. Adansnn eut le
courage de demeurer pendant cinq ans au Séné-
gal dont il voulait faire connaître les productions ;
son Histoire naturel e dn Sémgnl n'a jamais ete
terminée; ses Familles d';s p'a7ite< témoignent
d'une grande justesse de vues; Adanson était
un esprit d'une vaste étendue : il avait conçu le
plan d'une encyclopédie des sciences humaines
qu'il voulait réaliser à lui seul, et les matériaux
qu'il recueillit pour cela formaient un ensemble
tellement formidable, que la publication na
même pu en être entreprise. Buffon s est eleve au
premier rang des naturalistes, non pas tant par
la beauté de ses descriptions qui ont rendu 1 his-
toire naturelle attrayante pour tous, que par les
vues générales vraiment grandioses qui signa-
lent ses écrits. 11 fut tour à tour épris de mathé-
matiques, de physique et d'histoire ""'"'^'le- s^
première œuvre de naturaliste est sa Tiéoncde la
terre (1749), la dernière ses Epoques de la Salure
(1778) qui eurent un si grand retentissement;
NATURALISTES
1397
NATURALISTES
V Histoire (te minéraux, celie des unimaux et cell(>
de, Vtwinme tionnetit entre ces deux dates. Buffon
admet que la terre et les planètes ont d'abord été
des globes incandescents qui se sont graduelle-
ment refroidis, mais conservent encore une plus
ou moins prande clialeui- intérieure. La terre a
été à un certain moment couverte par les eaux. Ce
sont les eaux qui en ont façonné la surface et ont
déterminé lentement la formation de ses reliefs,
produisant ainsi « des effets qui arrivent encore
tous les jours; » les couches parallèles des strati-
fications géologiques, les fossiles répandus par-
tout par bancs immenses, sont pour Bufl'on les
preuves irréfutables de l'action des eaux. Il croit
à la disparition d'espèces anciennement existantes,
pense qu'un grand nombre d'animaux peuvent
naître par géiiération spontanée, admet la créa-
tion d'espèces primitives distinctes, mais attribue
cependant à ces espèces une variabilité suffisante
pour qu'elles aient graduellement donné nais-
sance à. un grand nombre d'autres espèces diffé-
rentes les unes des autres. Le climat, la nourri-
ture et la domesticité sont pour lui les principales
causes de variation. Il considère les climats
comme ayant déterminé le mode de distribution
des animaux sur la terre, fait le premier remar-
quer qu'aucune espèce n'est commune aux ré-
gions chaudes des deux mondes, et pose ainsi les
bases de la géographie zoologique. Seule l'espèce
humaine aurait échappé à cette influence et se re-
trouverait essentiellement une dans toutes les
parties du globe. Buffon insiste sur l'uniformité
du dessein qui a présidé à la création des animaux ;
cette uniformité , que démontrent les travaux
anatomiques faits pour lui par Daubenton, il es-
saie de l'expliquer par l'hypothèse qu'il existe une
foule de petits êtres, de molécules viuanies iden-
tiques, sauf les dimensions, aux êtres vivants de
grande taille qui résultent de leur association. Il y
aurait enfin, suivant lui, des passages gradués
entre la plupart des formes animales. Si l'on peut
retrouver dans ces idées quelques-unes des opi-
nions émises avant Buffon, il faut reconnaître qu'il
les fait absolument siennes par la façon dont il les
expose et dont il les enchaîne; d'autres sont des
vues de génie dont l'influence sur les sciences
naturelles a été considérable ; nous les retrouve-
rons plus tard développées et conlirmées par les
successeurs de l'illustre intendant du jardin du
roi.
Buffon ne s'est jamais occupé que des animaux
supérieurs. Cependant autour de lui d'importantes
découvertes sur les animaux inférieurs préparent
une révolution dans les idées courantes sur le règne
animal. Peysonnol démontre (1T27) l'animalité du
corail et fournit ainsi le premier exemple d'ani-
maux bourgeonnants les uns sur les autres à la
façon des plantes et demeurant unis toute leur vie
dans une étroite communauté comme peuvent le
faire les branches d'un arbre. Les naturalistes les
plus compétents se montrent d'abord incrédules ;
mais les mémorables recherches de Trembley sur
Ieshydresd'eaudouce(n40) déterminent un revire-
ment d'opinion. Bernard de Jussieu se rend au
bord de la mer pour étudier à nouveau les flustres,
les cschares et les organismes voisins, que tous
les naturalistes classaient jusque-là parmi les
algues, et reconnaît en eux, à son grand étonne-
rnent, de véritables animaux. Cette découverte
d'animaux composés, d'animaux vivant en colonies,
est fondamentale, mais son importance n'a guère
été comprise que de nos jours. Quelques années
après (UàQ), Bernard de Jussieu yWM-Vill) for-
mulait sa méthode naturelle de classiflcation des
végétaux, publiée seulement d'une façon complète
en 1789 par son neveu Antoine-Laurent de Jus-
sieu (1748-1836). Abandonnant les errements de
Lmné, qui ne s'était servi dans son système que
d'une seule série de caractères, les do Jussieu font
appel h tous les caractères fournis par la plante,
mais ils établissent que ces caractères n'ont pas tous
la même valeur; il en est d'importants, d'autres de
secondaires : c'est le principe même de la sut/ordi-
nation (les caractères, dont Cuvier devait faire à
son tourcinquante ans plus tard la pierre angulaire
de sa classilication du règne animal. Le degré d'im-
portance des caractères est établi au moyen de leur
degré de généralité : un caractère présenté par un
très grand nombre de plantes est évidemment plus
important qu'un caractère restreint à quelques
espèces ; le premier pourra servir h distinguer
des divisions très étendues telles que les classes,
le second sera un caractère de genre, et dans l'in-
tervalle on trouvera de même des caractères de
familles, d'ordres ou de tribus. Ainsi les carac-
tères fournis par les différents organes de la plante
peuvent intervenir tour à tour dans la classifi-
cation, et l'ordre de leur succession est en quel-
que sorte déterminé expérimentalement. Le prin-
cipe de la méthode naturelle était trouvé ; mais
l'application peut en être faite de manière très di-
verse; i mesure que l'on connaît plus exactement
la structure d'un plus grand nombre de plantes,
limportanco relative des caractères peut se modi-
fier, et des caractères nouveaux peuvent réclamer
«lans les méthodes une place qu'on ne leur avait
pas faite tout d'abord. H n'y a donc pas lieu de
s'étonner que Bernard et Laurent de Jussieu ne
soient pas arrivés d'un seul coup à la perfection ;
on n'a cessé depuis eux de chercher à représenter
dune façon plus complète, dans la méthode, les
véritables affinités des plantes, et ces tentatives
ont illustré des botanistes tels que de CandoUe,
Adrien de Jussieu, Lindley, Endlicher et surtout
Adolphe Brongniart.
On n'est arrivé que plus tard à une classification
naturelle des animaux. Le système de Linné a
conservé la prédominance jusqu'au moment où
Cuvier (i7C9-1832), dans son Hàr/ne animal distri-
Ijué d'après son organisatiimilUlG), montrant l'im-
portance exceptionnelle du système nerveux, in-
troduisit dans la science l'idée des types de struc-
ture, et démontra que tous les animaux connus
de son temps étaient conformés suivant quatre
types, quatre plans généraux caractérisant autant
d'embi-ajichements.
Pendant que vers la fin du xviii' siècle se déga-
gent les idées qui doivent conduire i une appré-
ciation de plus en plus exacte des rapports que les
organismes présentent entre eux, une révolution
profonde, accomplie dans les sciences physiques,
montre sous un jour tout nouveau les rapports des
organismes avec le milieu qui les entoure. Ce mi-
lieu était pour ainsi dire inconnu. Les découvertes
de Scheele, de Priestley, do Lavoisier nous dévoi-
lent sa constitution: eu 1774, Scheele en Suède,
Priestley en Angleterre découvrent l'oxygène ;
en 1776, Lavoisier démontre qu'il fait partie inté-
grante de l'air et qu'il donne en se combinant avec
le carbone le gaz môme qu'exhalent les animaux
et qui est l'aliment par excellence des végétaux,
l'acide carbonique. Presque en même temps, l'eau
perd comme l'air le caractère d'élément que lui
attribuaient les anciens chimistes ; Cavendish on
extrait l'hydrogène, el Lavoisier démontre irréfuta-
blement en 1783 que cet hydrogène, se combinant
avec l'oxygène de l'air, forme de l'eau, de même
que le charbon forme de l'acide carbonique en brû-
lant dans l'air. La théorie de la combustion est
établie ; celle de la respiration en est une consé-
quence immédiate: alors apparaît entre le règne
animal et le règne végétal une admirable harmo-
nie : les animaux versent sans cesse dans l'atmo-
sphère des torrents d'acide carbonique formé aux
dépens de l'oxygène de l'air. Les végétaux s'empa-
rent de cet acide carbonique, le décomposent, en
NATURALISTES
1398
NATUMALISTES
gardeni U' carbone et restituent à l'air l'oxygène
C|ue les animaux lui enlèvent; la substance même
des végétaux sort ensuite à l'alimentation des ani-
maux, et ceux-ci, après leur mort ou même de leur
vivant, rendent au sol, où les végétaux les retrou-
vent, les substances qu'ils ont prises à ces derniers.
Haies (16'i7-l"i)l), dans sa Statique des rniimnux
et dans sa Statique liesvégélmiT, avait déjà clierché
h déterminer ces rapports des êtres vivants avec le
milieu qui les entoure; il peut être considéré
comme ayant jeté les bases de la physiologie végé-
tale ; mais que pouvait être la pliysiologie à une
époque où ni l'oxygène, ni l'ijydiogène, ni l'azote
n'étaient connus, où la nature de l'air, de l'eau, de
l'acide carbonique restaient à déterminer, où l'on
ignorait même en quoi pouvait consister ce phé-
nomène fondamental : la comijinaison chimique?
Ingenhonsz. de Saussure, Sennebier. poursuivent
dans des voies nouvelles l'œuvre de Haies. Au
temps do Lavoisier, on commence d'ailleurs à
peine à entrevoir les liens qui unissent entre
eux ce que l'on nomme les agents physiques ; les
propriétés les plus importantes de l'électricité sont
encore inconnues , les iiliysiciens ont bien imaginé
des ftuide'i pour expliquer la ehaieur, la It/mièi'",
Yéleriricité, le magnéti'" e, des fcrces pour expli-
quer Yatlra'tion de? astres, la culiésinn des molé-
cules des corps, Vulfinité qui pousse les éléments
i\ se combiner; mais rien ne relie ces conceptions
diverses, et telles sont encore les habitudes de
l'esprit humain que l'on accepte ces mots de ftvide
et de force, comme désignant des êtres mystérieux
dont l'existence est au<si inexplicable que celle
des êtres vivants eux-mêmes. La science n'en a
pas moins trouvé ses voies: toutes les questions
s'agrandissent, les horizons prennent la plus vaste
étendue ; un immense travail se fait dans les idées
et prépare l'avènement des hommes de génie dont
la brillante pléiade resplendit au seuil du xix' siècle.
En France, la Convention, sur le rapport de Lakanal,
inspiré par les héritiers scientifiques de Buffon,
organise, avec une hauteur de vue qu'on a rarement
retrouvée depuis, le Muséum d'histoire naturelle, et
s'efforce d'y concentrer tout ce qui peut en faire
un véritable <> Temple de la nature. » Lamarck,
Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvjer, donnent bientôt
aux sciences naturelles une portée que l'on ne con-
naissait pas. Comme introduction à son cours de
zoologie du Muséum, Lamarck (n44-lfi2:i)f d'a-
bord botaniste et collaborateur de Candolle, pu-
blie en 1809 sa Philosophie zoologique, ]iremière
et puissante tentative d'explication de l'origine
des animaux. Il y regarde les espèces actuelles
comme descendant d'espèces qui les ont précédées
qui se sont graduellement transformées sous l'in-
fluence des milieux et de l'habitude, et dont les in-
dividus modifiés ont transmis par liérédité h leur
descendance hMirs nouveaux caractères. Son His-
toire natwelte des animaux sans vertèhres {18IG à
182'.'). où il classe et décrit avec une méthode ri-
goureuse la multitude des animaux inférieurs, lui
a mérité d'être appelé le Linné français. Etienne
Geoffroy Saint-Hihiire (l"72-IH44), font entier do-
miné par l'idée de démontrer Yunité de composition
du régne animal, dote l'anatomie comparée de
ses véritables moyens d'investigation , trace le
chemin dans lequel elle n'a cessé de marcher de-
puis lui ; montre le parti que l'on peut tirer de
l'embryogénie par les comparaisons anatoniiques,
explique par les lois naturelles du développement
la formation, chez l'homme et les animaux, de ces
monstrtn.S'tés que tant de gens considèient encore
comme miraculeuses, et crée ainsi une science
nouvelle, la tcratolngie. Il croit aussi à la mmab
lité des formes spécifiques, et attribue à la seule
influence des milieux les changements qu'elles ont
subis. Cuvier soutient au contraire limmuabilité
absolue des espèces. Tandis que ses deux col
lègues considèrent, dans une certaine mesure, les '
êtres vivants comme le résultat de l'action du
monde extérieur sur une ou plusieurs formes pri-
mitives, qui se sont modifiées a\ ce le milieu dans
lequel elles devaient vivre de manière à être tou-
jours en harmonie avec lui, Cuvier pense que le»
êtres ont été créés d'un coup pour vivre dans des
conditions déterminées. Geoffroy recherche dans les
animaux les traces plus ou moins effacées du type
primitif d'où ils dérivent, Cuvier nie ce plan primitif:
pour qu'un animal puisse vivre dans des conditions
données, il faut que ses organes présentent cer-
tains rapports déterminés par ces conditions elles-
mêmes, et qu'ils soient en harmonie les uns avec
les autres : il y a donc entre le's formes des organes
une coirélaliim, qu'il appartient à l'anatomie com-
parée de déterminer. Les lois de ces corrélations
une fois établies, il doit être possible de reconsti-
tuer presque entièrement un animal dont quel-
ques parties seulement sont connues. C'est en
s'appuyant sur ce principe, devenu le principe fon-
damental de \n paléontologie', qwe Cuvier a pu dé-
montrer que la terre a été jadis peuplée d'animaux
dont les espèces ont aujourd'hui complètement
disparu, et reconstituer dans une certaine mesure
les formes de ces animaux. En présence de ce
fait, Cuvier se trouve conduit par ses idées sur
l'invariabilité de l'espèce à admettre de périodi-
ques cataclysmes, de périodiques révotuUons du
globe qui auraient détruit le plus grand nombre
des espèces vivant à un moment, espèces périodi-
quement remplacées aussi par des créations suc-
cessives. La géologie, à laquelle les travaux de
Cuvier devaient donner un si brillant essor, la
paléontologie, qu'il a fondée, sont venues depuis
infirmer ces deux hypothèses; le géologue anglais
Ch.Lyell, reprenant l'idée de Buflbn.a montré bien
nettement que les causes actuelles, qui agissent
lentement sous nos yeux, mais accumulent leurs
effets pendant de longs siècles, suffisent à expli-
quer tous les phénomènes géologiques; et d'autre
part les innombrables recherches des paléontologis-
tes modernes s'accordent àprouver que les espèces
animales et végétales d'une période géologique
donnée n'ont jamais disparu en bloc, mais se sont
éteintes graduellement, une à une, tandis que des-
espèces nouvelles prenaient successivement leur
place.
Au moment mêmeoùenFranceCuvier et Geoffroy
Saint-Hilaire captivaient l'attention des savants par
les grandes luttes scientifiques qui s'élevaient en-
tre eux. en Allemagne se développait, sous l'in-
fluence de SchcUing, l'école de la Philosophie de lu
nature, qui attribuait à la raison humaine uno
puissance suffisante pour découvrir sans le secours
de l'observation les lois du monde physique. Oken
(ITig-lSôl) fut, parmi les naturalistes proprement
dits, le plus éminent représentant de cette école;
il acquit une influence considérable sur ses com-
patriotes. On lui doit d'avoir attiré l'attention sur
les similitudes qui existent entre les diverses par-
ties d'un même organisme, et d'avoir exprimé, en
même temps que le grand poète Gœthe, la pensée
probablement vraie, que le crâne dos animaux su-
périeurs n'est autre chose qu'une association de
vertèbres modifiées. Cette idée qu'un même organe
peut se répéter chez un être vivant tout eri pre-
nant des formes variées, conduisit Goethe à démon-
trer quelques années après que, chez les végétaux,
les divers appendices et notamment les parties va-
riées de la fleur, pétales, étamines, etc . ne sont
autre chose que des feuilles modifiées. Comparer ■
ensemble les diverses parties d'un même orga- I
nisme, comme le faisaient Gœthe et Oken; com-
parer dans des animaux différents les organes qui
se correspondent, comme le faisait Geoffroy Saint-
Hilaire; rechercher dans des animaux de même
type les modifications de formes qu'entraînent
NATUUAL1ST15S
131)'J
NATURALISTES
dans les divers organes les modifications d'un
orgnno donné, comme lo faisait (Uivier : ce sont li
trois des points de vue essentiels de Yannlomie
compiiri'e; une part dans la fondation de cette
science revient donc h chacun des grands hommes
que nous venons de nommer. Une place doit ôtrc
réservée auprès deux à Vicq d'Azir (17)8-1794), et
à IWockel (17SI-1S33). Pendant que l'anatomie com-
parée se constiiuait ainsi, un autre naturaliste cmi-
nent, Von BaCr, fondait l'embryogénie comparée
ou science du développement des animaux et, par
une méthode Ji lui, arrivait, relativement au nom-
bre de types du rf'gne animal, h des résultats dont
la concordance avec ceux de Cuvier a été fort re-
marquée. M. Milne Edwards a depuis nettement
précisé IIS44) tonte limporlance de lombryogé-
nie pour l'appréciation dos rapports des êtres; il
n'y a aujourd'hui encore que bien peu de chose
à ajouter à ce qu'il disait il y a trente-six ans.
Aux côtés de ces hommes illustres, une part plus
modeste, mais grande encore, revient à deux zoo-
logistes, Savigny et Latreille. Le premier a laissé
d'immortels Mémoires sur les ntiimauv sans verlé-
bres; le second eut lo mérite de concevoir avant
Cuvier une méthode de classification naturelle des
insectes : c'est lui qui a donné h. l'entomologie
cette précision qui en fait l'une des branches de
la zoologie la plus propre à former déjeunes natu-
ralistes. De Blainville (i777-l.s50), Isidore Geoffroy
Saint-Hilaire (1805-1361), .4udouin (1797-1841) sou-
tiennent la gloire scientifique de leurs prédéces-
seurs. Le premier s'efforce même de créer une
école indépendante; il croit à une sn-ie nnimalt
qui ne comprend pas tous ces organismes, mais
'un certain nombre d'entie eux, autour desquels
viennent se ranger des lypes dégradés qui rom-
praient la série générale si on essayait de les y in-
tercaler, mais qui forment eux-mêmes série quand
on les range autour du type fondamental auquel
ils se ratiai'hcnt. De Blainville rejette la classifi-
cation de Cuvier et lui en substitue une autre,
fondée sur le mode de symétrie des animaux.
Les découvertes paléontologiques de Cuvier
devaient amener dans la géologie une révolution
profonde. VVerner (175i'-1817), le grand minéralo-
giste de Freiberg, partisan résolu de l'explication
de tous les phénomènes géologiques par l'action
des eaux, classait les diverses couches de l'écorce
terrestre d'après leurs caractères minoralogiques;
Alexandre Brongniart (1770-184") eut le premier
l'idée de faire appel aux fossiles pour déterminer
l'âge relatif des couches et distinguer, en dehors
de tout caractère niinéralogii|UO, les couches con-
temporaines de celles qui ne le sont pas. Cette
méthode de classification des-terrains devait deve-
nir plus tard, grâce aux patientes recherches du
savant concliyliologiste Deshayes(n!)5-1K75) et aux
généralisations de sir Charles Lyell, la méthode
exclusive des géologues. Enfin, comme si toutes
les branches de l'histoire naturelle devaient à
cette époque recevoir une impulsion nouvelle du
grand établissement que la Convention avait en
France consacré à leur culte, Haiiy (I743-:8Î'2)
achevait d un coup la crist(dlo<irapi:ie dont Berg-
mann et Rome de Lille avaient à peine avant lui
Jeté les bases.
A l'école de médecine de Paris, Bichat (1771-
180.3) faisait de son coté entrer l'anatomie dans
des voies nouvelles. 11 professait que les divers
organes et appareils étaient constitués de parties
essentiellement les mêmes dans tout l'organisme,
les éléments aiiatomiques. groupés eux-mêmes en
tissus et en systèmes d'organes semblables; il de-
vint ainsi le fondateur d'une science nouvelle,
l'histologie ou science des tissus; mais il ne put
connaître, faute de procédés de recherche suffi-
sants, les véritables éléments anatomiques. 11 mou-
rut à l'âge de trente et un ans, avant d'avoir vu réa-
liser les découvertes qui devaient donner un élan
si remarquable à la science qu'il venait de fon-
der.
Vers 1S15 seulement, l'invention du microscope
achromatique et les. perfectionnements rapides
do cet instrument par Amici, Chevallier, etc.,
mettent dans les mains des naturalistes un pro-
cédé d'investigation d'une grande puissance. On
pénètre plus avant dans la structure des animaux
et des végétaux, et l'on suit avec plus d'attention
les phénomènes intérieurs qui s'accomplissent en
eux. Turpin( 1775-1 84"), de Mirbel(177G-lS54) signa-
lent dans les végétaux, comme constituant essen-
tiellement la base de leurs tissus, de petits utricu-
les sur lesquels Raspail attire de nouveau l'atten-
tion, et que Schwann finit par considérer comme
les éléments nécessaires de tout organisme,
comme produisant par leurs associations et leurs
transformations diverses tous les tissus; ce sont
les cellules, dont la considération produit dans les
sciences de la vie une révolution aussi complète
que celle produite en chimie par la découverte et
la détermination précise des corps simples. C'est
grâce au microscope qu'Adolphe liroiigniart (1801-
1S76) peut entreprendre ses recherches sur la
fécondation des plantes, et fonder la paléontologie
végétale par ses éludes sur les végélaux fossiles.
En Allemagne le microscope permet encore h.
Ehrenberg (1795-1876) de saper les fondements
mêmes de la u philosophie de la nature », en détrui-
sant la croyance Ji la génération spontanée des
animaux et des végélaux les plus simples, dont il
fait connaître les nombreux modes de reproduc-
tion. On doit à Ehrenberg d'avoir décrit et figuré
une multitude infinie d'êtres microscopiques dont
l'existence était à peine soupçonnée, et d'avoir
montré la part immense que ces petits êtres ont
prise à l.i formation des couches géologiques les
plus puissantes. Mais, enthousiasmé par ses dé-
couvertes sur quelques-uns d'entre eux, les Uoii-
fères, séduit par certaines idées théoriques,
Ehrenberg se laissa entraîner â attribuer aux infu-
soiros une organisation beaucoup trop compliquée.
11 fut vivement attaqué sur certains points, et l'un
de ses contradicteurs les plus ardents fut notre
compatriote Dujardin, professeur à la Faculté des
sciences de Rennes, à qui l'on doit la découverte de
ce fait important qu'il existe une substance douée
de vie, sans être organisée, qui forme le corps
des infusoires, et à laquelle il a donné le nom de
sarcode. Cette substance, retrouvée depuis dans
tous les éléments constitutifs des êtres vivants,
n'est autre chose que le protoplasma, dont Hugo
von Mohl et IVlax Schultz ont montré l'importance
hors ligne, et qui doit être considéré comme la
substance vivante fondamentale, la base physique
de la vie. Comparable à certains égards â un com-
posé chimique, mais possédant toutes les facultés
qui sont l'essence de la vie, le protoplasma n'e-
xiste jamais qu'à l'état de petites masses indépen-
dantes qui revêtent ordinairement la forme de CH-
tule-^: Ce sont là les véritables éléments anatomi-
ques, ceux que Claude Bernard a appelés les ou-
vriers de la vie, ceux dont les propriétés contien-
nent l'explication do la structure comme aussi des
fonctions diverses des organismes. L'idontité de
ces éléments dans les deux règnes a ramené ce
grand physiologiste à concevoir, à l'exemple de
Lamarck, une science générale de la vie, la biolo-
gie, ayant pour objet de réduire à un cnseml)le de
lois communes les phénoiuènes, jujque-là considé-
rés comme antagonistes, do la vie végétale et de
la vie animale. Ce fut la préoccupation constante
des dernières années de l'homme de gériie qui
fixa à la physiol'ii/ie ejcpéritnentale une voie défi-
nitive, jalonnée déjà par les travaux de Spallan-
zani, de Réaumur, de H,iUer (17r8-m7), à la fois
poète, médecin, botaniste et physiologiste, de
NATURALISTES
— l'iOO —
NATURALISTES
Charles Bell {n7i-1842), de Jlagendie (1783-1S55),
(le riomens.
Longtemps on s'était, à quelques exceptions près,
borné à étudier les êtres vivants à leur état
adulte, à classer et à décrire les formes que l'on
découvrait sans trop se préoccuper de suivre un
même organisme dans les diverses phases de son
existence. Les insectes, avec leurs métamorpho-
ses, paraissaient une exception unique parmi les
êtres vivants. Les grands voyages, tels que ceux
de Pérou et Lesueur, de Lesson, de Quoy et Gai-
mard, etc., font connaître un grand nombre de
formes nouvelles de zoophytes et d'autres ani-
maux marins, et ramènent l'attention sur ces sin-
guliers organismes. Lesueur, décrivant certains aca-
lèphes (1815), est amené à les considérer comme
des colonies flottantes d'animaux qui, bien que
nés les uns des autres, et demeurant tonte leur
vie associés, revêtent cependant dans la même
colonie les formes les plus différentes. Dans l'un
de ses voyages, Adalbert de Chamisso, à la fois
poète, romancier et naturaliste, fait connaître
(1819) des animaux, les Salpes, qui revêtent alter-
nativement deux formes différentes h chaque gé-
nération, de sorte que les enfants ne ressemblent
jamais à leurs parents, mais bien i leurs grands
parents. Un pasteur norwégicn, Sars, de Bergen,
découvre (1835) des faits entièrement analogues
sur les D'édiises; le grand physiologiste Johannes
Millier (1801-1 s58) fait connaître le mode de dé-
veloppement plus étrange encore des étoiles de
mer et des oursins; une série de découvertes
successives de Boianus, von Baër, Mehlis, Nord-
man, Creplin, Dujardin, Zeder, von Siebold, de
Filippi font entrevoir des phénomènes analogues
dans le mode de propagation encore mystérieux
•les helminthes ou vers parasites de l'intestin et
de divers autres organes de l'homme et des ani-
maux ; enfin, un éminent naturaliste danois, Ja-
petus Steenstrup, réunit tous les faits observés jus-
qu'à lui sur les zoophytes et les vers, et développe
en 1842 sa grande théorie des g'néralioju alter-
7tantes. qui a reçu de P -J. van Beneden et de
M. de Quatrefages d'importants développements.
Les travaux de von Baër, de Prévost et Dumas,
de Wagner, de Purkinge, de Lallemand, de l'ou-
chet, de Cosle, avaient établi sur des bases iné-
branlables la généralité de la reproduction par
voie sexuée ; la théorie des générations alteinan-
tes donnait à la reproduction par voie de simple
bourgeonnement ou de division transversale du
corps une importance qui s'accroît chaque jour
et qui paraît destinée à devenir de premier ordre.
Les faits de génération alternante ne sont pas
limités d'ailleurs aux animaux: on les retrouve chez
un très grand nombre de cryptogames, et la con-
naissance du mode de propagation de ces plantes,
celle de leurs singuliers éléments reproduct'-urs,
doués de mouvement comme de petits infusoires,
constitue encore un progrès important du prin-
cipalement aux travaux tl'Agardh, de Loger, de
Berkeley, de MohI, de Thuret, de Derhès et
Solier, de Pringsheim, de de Eary, etc. Des liens
nouveaux se trouvent ainsi établis entre les ani-
mauxet les végétaux.
La géologie fait à son tour de rapides progrès,
î^es anciens géologues se partageaient en pluto-
niens et en neptuniens, les uns attribuant à l'ac-
tion exclusive du feu, les autres à l'action non
moins exclusive de l'eau la conformation actuelle
de la surface du globe. En 1811, Lreislak à Rome,
dans son ouvrage sur la structure extérieure du
globe, fait la part de ces deux éléments: le globe,
d'abord à l'éiat de fusion, s'est refroidi, sa surface
s est solidifiée ; les eaux s'y sont condensées et
n'ont cessé depuis lors de contribuer ;\ la modifier.
Mais le feu central n'a pas cesse pour cela d'in-
tervenir. On distingue nettement les roches ignées
' des roches sédinuntnires, dont quelques-unes ont
subi au contact de ces dernières, portées à une haute
température.des modifications importantes; Hutter
appelle l'attention sur ces modifications, et désigne
les roches qui les présentent sous le nom de roches
' métamori'hiqu's. Alexandre de Humboldt il'69-
1859), esprit encyclopédique, recueille dans ses
I voyages une foule de documents relatifs à la cons-
i titution physique du globe et les expose d'une
I façon magistrale dans son grand ouvrage, le Cos-
\ mus. Léopold de Buch et Elle de Beaumont éta-
! blissent d'une façon définitive 1k théorie du sou-
lèvement des montagnes. Elle de Beaumont (1798-
1874) tente même d'exprimer la disposition géné-
rale des principaux systèmes de montagnes au
moyen de lois géométriques. C'est à. cet illustre
géologue et à son collaborateur Dufrénoy que
l'on doit la carte géologique de France. Mais le
feu et l'eau à l'état liquide ne sont pas les seules
causes qui ont contribué à modifier le relief du
globe. On s'aperçoit qu'il faut aussi faire inter-
venir dans une large mesure l'action des glaciis.
Les observations de Venetz, de Charpentier ont
montré que les glaciers de la Suisse ont eu autre-
fois une plus grande étendue. Louis Agassiz reprend
ces observations et arrive à conclure que les gla-
ces ont couvert, pendant une période relative-
ment récente, une grande partie de l'hémisphère
boréal et ont laissé en maints endroits des traces
de leur passage. On a cru longtemps que la fin
de cette période glaciaire marquait la date de
l'apparition de l'homme sur la terre, mais des
découvertes récentes tendent à reculer beaucoup
plus l'époque de cette apparition. Non moins pa-
léontologiste que zoologiste et géologue. Louis
Agassiz tente de préciser les caractères des in-
nombrables fossiles découverts depuis Cuvier
et de déterminer leurs rapports avec les êtres
qui vivaient de nos jours. Les uns lui semblent
conserver toute leur vie les traits des embryons
des animaux actuels : ils constituent des tfijies
embryonnaires ; d'autres paraissent présager par
certains de leurs caractères l'apparition prochaine
de types nouveaux : ce sont les tijpes prophé-
tiques ; d'autres enfin réunissent en eux des ca-
ractères que l'on ne trouve plus aujoiird'hui
qu'isolés sur des êtres assez éloignés les uns dos
autres : ce sont les types ■•ynthétigufs. Tous ces
fossiles étendent singulièrement l'idée que les
êtres vivants nos contemporains peuvent nous
donner de la nature et de la variété des formes
organiques. Louis Agassiz croit, comme Cuvier, à
la fixité de ces formes ; mais les paléontologistes
sont pressés sans relâche par les conséquences
inévitables de leurs découvertes; il est hors de
doute que les espèces animales et végétales
ont été plusieurs fois totalement renouvelées à la
surface du globe. Ce renouvellement a eu lieu
sans cataclysme ; \es espèces ont disparu une à
une, ont été remplacées une à une de telle façon
que leur ensemble a subi une transformation
lente et graduelle. Comment se sont produites les
espèces nouvelles? Ont-elles été tirées du néant;
leurs premiers représentants ont-ils été faits d'un
coup à l'aide de la matière inerte; ou bien chaque
forme spécifique nouvelle n'est-elle que le ré-
sultat de la transformation d'une forme analogue
qui l'a précodée? Il faut décider entre ces trois
alternatives ; les probabilités en faveur de la der-
nière augmentent chaque jour.
En 1H59, un naturaliste qui s'était déjà illustré
par un voyage autour du mondej, où il avait recueilli
d'innombrables observations et qui lui avait permis
de donner l'explication, bien des fois tentée avant
lui, de la formation des îles de coraux cjui abon-
dent dans le Pacifique, Charles Darwin, publie
son livre sur VCrigine d<s espècis, en même
temps qu'un de ses compatriotes, A.-R. Wal-
NAVIGATION
— 1401 —
NAVIGATION
laco, exprime des vues analogues dans uu ou-
vrage sur la Sélection naturelle. Les idées de
Lamarck reviennent au jour ; mais Darwin et
Wallace montrent par quel mécanisme la varinbi-
lilé des formes, et la transmission par /icrMiié
des caractires acquis, peuvent produire dfs es-
pèces nouvelles et non de simples variétés sans
aucune stabilité. Les variations qui constituent
un avantage pour les êtres qui les présentent sont
seules conservées : elles sont l'objet d'un choix,
d'une détection nnturelli', conséquence de la lutte
pour la vie dont les animaux et les végétaux nous
offrent l'émouvant spectacle. Les impossibilités
apparentes qui n'avaient pas permis aux théories
de Lamarck et de Geoffroy Saint-Hilaire de ré-
sister h l'opposition de Cuvier s'évanouissent.
Quoiqu'il reste encore bien des points obscurs
dans la théorie de la transformation des formes
spécifiques, un grand nombre de naturalistes se
rallient à une doctrine qui leur donne l'espé-
rance de soulever un jour le voile qui couvre l'ori-
gine des êtres vivants : de là un mouvement
scientifique dont il est impossible aujourd'hui de
nier la grandeur Les rapports des Êtres, les clas-
sifications, l'anatomie comparée, l'embryogénie, la
répartition géographique des formes vivantes ap-
paraissent sous un jour nouveau. A l'ancienne con-
ception de la nature vient s'opposer une concep-
tion toute difl'érente. Nous avons essayé de montrer
dans cet article les pierres successives que les
siècles ont portées i l'édifice que nous voyons
subir de nos jours une métamorphose nouvelle.
[Kdmond Perrier.]
NAVIGATION. — Temps anciens. — La navi-
gation remonte :\ la plus haute antiquité, et l'on
s'égare dans les récits fabuleux lorsqu'on tente
d'en pénétrer l'origine. Les notions que l'on pos-
sède sur l'art nautique des anciens peuples se
bornent à quelques images grossières peu propres
à fixer les idées. Ce n'est d'ailleurs que lorsque
la navigation a acquis un certain développement
et qu'elle est devenue l'un des principaux agents
de la civilisation, que son histoire est intéressante
à étudier.
La pirogue des anciennes populations lacustres
ou des Océaniens, creusée dans un simple tronc
d'arbre, et le radeau, composé de roseaux assem-
blés, de tronçons d'arbres réunis, sont probable-
ment les premiers flotteurs employés par les
hommes pour se mouvoir sur l'eau; la perche,
appuyée au fond, dut être le premier engin de
propulsion.
L'invention des rames et du gouvernail remonte
aussi aux temps les plus recules; ces créations
d'ailleurs, comme celle du navire, ont dû être
communes à tous les peuples établis sur les ri-
vages de la mer.
Après être resté longtemps informe, l'art nau-
tique reçut sa première impulsion des Phéniciens;
c'est ce peuple qui semble tout d'abord avoir
compris que la mer, loin d'être un invincible
obstacle aux transactions des hommes, était au
contraire appelée à les rendre plus faciles. C'est
aux Phéniciens que nous devons les premiers per-
fectionnements des navires de mer, 1 emploi des
voiles, l'usage de l'ancre, d'abord simple pierre
lourde, puis crochet en fer, celui du lest pour as-
surer la stabilité des embarcations, de la sonde
pour mesurer la profondeur des chenaux, de la
rose des vents, etc.
Les Phéniciens furent longtemps les maîtres de
l'empire des mers; Sidon et Tyr, aujourd'hui dé-
laissées, montrent encore les vestiges de leurs an-
ciens ports. Ils conquirent les lies voisines de leur
pays, Chypre, Rhodes, la Crète, les Cyclades. Parla
mer Rouge, ils entrèrent dans les golfes Arabique et
Persique, et avancèrent jusqu'aux Indes, où ils se
rendirent maîtres de Taprobane (Ceylan). Duns la
Méditerranée, ils naviguèrent lo long du littoral
africain, où ils fondèrent Carthage, et créèrent
des établissements sur les côtes de la Gaule et de
l'Espagne jusqu'au détroit de Gadès. C'est h l'Her-
cule des Phéniciens qu'est attribuée la célèbre lé-
gende des colonnes d'Hercule.
Des Phéniciens la suprématie sur mer passa
aux mains des Carlhaginois, dont la domination
s'étendit sur toutes les lies connues de la Médi-
terranée, et qui possédèrent pendant plusieurs
siècles l'empire absolu de la mer. Dans ses luttes
avec Syracuse, qui durèrent près de deux cents ans,
Carthage équipa des flottes considérables, se chif-
frant par plusieurs milliers do navires, et livra de
nombreuses batailles navales. Elle ne réussit ce-
pendant pas à subjuguer sa rivale, qui parvint
même à la menacer sur le sol africain.
Syracuse ne fut pas du reste sa plus redoutable
ennemie; elle eut à soutenir contre Rome une
lutte terrible, pendant laquelle elle disputa long-
temps à cette dernière l'empire du monde et où
elle finit par succomber. C'est au début des guerres
puniques que les Romains, jusqu'alors sans ma-
rine, équipèrent leur première flotte, que Duilius
conduisit cependant à la victoire, malgré l'infé-
riorité des bâtiments qui la composaient. Dans
cette première bataille navale, lo général romain
craignant, avec ses lourds vaisseaux construits à la
hâte et ses équipages peu exercés, de ne pouvoir
lutter avantageusement contre les navires légers
et maniables des Carthaginois, inventa les cor-
bemix, sorte de mains de fer destinées à accro-
cher les bâtiments ennemis et à faciliter l'abor-
dage ; ces terribles engins, en portant l'épouvante
parmi les Carthaginois, contribuèrent à leur dé-
faite.
La troisième guerre punique amena, à la suite
d'un siège mémorable, la chute de la puissante
ville africaine.
Carthage avait dû son origine au trafic des
Tyriens ; l'activité de sa navigation avait contri-
bué au rapide développement de sa grandeur;
sa situatioii était d'ailleurs plus avantageuse
que celle de Tyr. Les transactions des Cartha-
ginois s'étendirent au delà des colonnes d'Her-
cule, .sur la côte occidentale d'Afrique, visitée par
Hannon, auquel on attribue un périple resté cé-
lèbre, et sur la côte d'Europe, explorée par Hi-
niilcon. Les historiens rapportent même qu'une
grande île de l'Océan fut découverte et habitée
par les Carthaginois.
Les Grecs furent également d'habiles naviga-
teurs; mais il est difficile de préciser l'origine de
leur marine, les faits de leur histoire étant déna-
turés par les légendes et les fictions de l'époque
fabuleuse. Bien que Thucydide attribue aux Corin-
thiens la première construction des galères à trois
rangs de rames, il est présumable que ceux-ci tinrent
des Phéniciens leurs connaissances sur la naviga-
tion et la construction des vaisseaux. Quoi qu'il
on soit, les colonies grecques contribuèrent puis-
samment au progrès de la civilisation. Phocée et
Milet, en Asie Mineure, marchèrent en tête de
toutes les autres : les Phocéens fondèrent Mar-
seille, dont les vaisseaux, sous la conduite du
Massilien Pythéas, remontèrent les côies de
l'Europe occidentale et colonisèrent la Gaule et
l'Espagne ; Milet fonda de nombreuses villes dans
la mer Noire.
L'asservissement de l'Asie Mineure par les Perses
arrêta le développement colonial des Grecs et pro-
voqua les guerres médiques, qui placèrent Athè-
nes au premier rang des villes maritimes. La
bataille de Salamine, la plus belle bataille navale
des temps anciOTis, fut gagnée par Thé.mistocle
qui, avec 'lOO voiles, défit la flotte des Perses forte
de 1300 bâtiments.
La guerre du Péloponèse entraîna ensuite la
NAVIGATION
— 1402 —
NAVIGATION
mine d'Ailièncs, en consolidant la puissance de
Sparte. Après Sparte, 1 hèbes occupe quelque ^
temps le premier rang. On arrive ensuite à la dé-
cadence de l'empire des Grecs et au berceau de
la puissance macédonienne, puissance qui se de- ^
veloppe rapidement, mais en restant plus conti-
nentale que maritime, car les exploits sur mer de •
Philippe et d'Alexandre se bornent en somme au
siège de Byzance et à la prise de Tyr. !
Alexandre avait cependant conçu de vastes pro- i
jets maritimes; il avait fondé, entre Tyr et (Car-
tilage dont il voulait anéantir la piiissajice commer-
ciale, la ville d'Alexandrie, que sa situation même
destinait à être l'entrepôt du commerce de l'E-
gypte et de la mer Rouge. Il se proposait encore
d'envoyer des colonies sur les côtes du golfe
Persiquo et do porter ses armes dans l'Arabie;
ses idées de conquête s'étendaient aussi sur l'A-
frique et il méditait la destruction de la puissance
des Cartliaginois, alors à son apogée. Ce fut dans
ces vues et pour d'autres desseins maritimes
encore plus hardis qu'il avait réuni une grande
quantité de navires, qu'il avait équipé de nou-
velles flottes et fait construire, aux bouches de
l'Euplirate, un immense port pouvant contenir
plus de mille vaisseaux.
Les successeurs du grand conquérant stiivirent
les traces qu'il avait marquées dans la voie mari-
time. Les Ptolémées, à qui échut l'Egypte, ouvri-
rent une route d'Alexandiie aux Indes : l'un d'eux,
Philadelphe, se rendit puissant par l'étendue de
ses flottes et exerça son empire sur la Syrie, la
Cilicie, la Lydie, les Cyclades, où il fit aTfluer par
le trafic des mers les richesses de 1 Orient. Séleu-
cus, qui hérita de la Babylonie, s'appliqua aussi
au progrès de la marine; dans les guerres qu'il
eut avec Antigène, l'un et l'autre couvrirent de
leurs flottes la mer Méditerranée. Le fils de ce
dernier, Dcmétrius Poliorcète, pour se rendre
maître de l'Asie, équipa une flotte de 5i 0 voiles,
où l'on voyait, dit Plutarque, des vaisseaux de
quinze rangs de rames, qui, malgré leurs dimen-
sions extraordinaires, possédaient toutes les qua-
lités nécessaires pour la marche et révolution.
Les Homains, avant la première guerre punique,
n'avaie:it aucune idée des choses de la mer, du
moins pour la réunion des flottes et leur emploi à
la guerre. A la suite de la victoire de Duilius, les
progrès de leur marine furent rapides et, après
avoir longtemps disputé à Carthage l'empire de la
mer, ils finirent par anéantir cette puissance Ce-
pendant les circonstances seules les conduisirent
par la suite à équiper des flottes. Au début de la
guerre contre Miihridate, roi de Pont, Sylla recon-
nut la nécessité d'avoir une flotte pour agir contre
un ennemi dont la puissance consistait principale-
ment en forces maritimes, et chargea Luculhis
d'en assembler une. Plus tard, lorsque Jules Cé-
sar, après avoir soumis les Gaules, songea i la
conquête de l'Angleterre, il dut faire venir des
vaisseaux et des matelots de toutes les provinces
conquises.
Après avoir vaincu Pompée et être parvenu à
la suprême puissance. César donna ses soins à la
navigation, fit construire des ports, des jetées,
des phares sur le littoral, et rendit l'embouchure
du Tibre et le port d'Ostie accessibles aux plus
forts navires. La bataille d'Actium vit aux prises
les deux plus formidables flottes qu'eussent en-
core équipées deux puissances ennemies, iprès
l'établissement de l'empire, lorsque la Méditer-
ranée connut la sécurité de la « paix romaine, »
la marine marcliande prit un développement con-
sidérable, tandis qu'au point de vue militaire,
l'art naval n'ofl're plus guère de faits intéressants,
ni de progrès marqués.
Pour terminer ce rapide aperçu de l'histoire de
la marine des anciens peuples, disons quelques
mots des navires dont ils se sfrvaient. Les vais-
seaux en usage étaient de deux sortes : les uns,
diis vaisseaux ronds, étaient destinés au commerce
et au transport; les autres, appelés vaisseaux
longs, mus par les rames et les voiles, étaient
généralement connus sous le nom de galères. Les
Giecs divisaient ces dernières en nt'ûières, diètes,
trières, etc.. selon qu'elles étaient maiiœuvrées
par une, deux ou trois rangées de rames. Les
Komains employaient les termes correspondants
de vnirrme'i, hirènies, trirèmes, etc.
Jusqu'à trois rangs de rames, on conçoit la pos-
sibilité de superposer les bancs de vogue ; mais
lorsqu'il s'agit d'expliquer les dispositions adop-
tées pour les rameurs dans les quatrirèmes, quin-
quérèmes, etc., et surtout dans les galères h seize
ou i. quarante rangs de rames, on se trouve arrêté
par la longueur démesurée que la superposition
eût donnée aux rames supérieures, dont la ma-
nœuvre eût été impossible. Il faut admettre que
ce sont là des appellations défectueuses et que
l'on doit entendre, non pas seize ou ([uarante éta-
ges de rameurs, mais seize ou quarante files, ran-
gées probablement en échelon, comme les mai|-
clies d'un escalier, en pariant de l'une des extré-
mités de la galère pour aller vers l'autre.
Les trières des Grecs, ou les trirèmes des Ro-
mains, étaient les galères les plus employées,
ayant les meilleures qualités nautiques pour la
marche et l'évolution ; elles portaient à l'avant un
éperon pour l'attaque par le choc, et l'on estime
à 150 hommes en moyenne l'équipage qui les
manœuvrait. Elles étaient pontées de l'avant h
l'arrière et généralement gréées de deux mâts.
Moyen âge. — De la chute de l'empire d'Occident
jusqu'à la prise de Constantinople par les Turcs, la
géographie fit peu de progrès, la navigation et
l'architecture navale restèrent à peu près station-
naircs. Les galères à un seul rang de rames fu-
rent en grand usage sur la mer Méditerranée :
d'une longueur de 40 à 50 mètres, sur une lar-
geur de 5 à G mètres, et assez basses sur l'eau,
elles difl'éraient peu, potir la forme et les dimen-
sions, des anciennes tri'ères grecques. Los 7iefs.
nni'ft, ou vaisseaux ronds de haut bord, étaient
particulièrement en usage dans l'Océan ; phis
courts et plus creux que les galères, ces bâti-
ments naviguaient surtout à la voile. Les Scandi-
naves employèrent pour la haute mer des Drakars
à rames et à voiles. Mais toutes ces construciions
ne présentaient pas un progrès bien marqué sur
celles des anciens navigateurs.
Parmi les nations maritimes du moyen âge, il
faut citer en première ligne les Northnions, har-
dis navigateurs ou plutôt pirates, conduits par
leurs terribles Wlk^ngs, dont la guerre é'ait la
continuelle occupation. Au ix' siècle, les Norwe-
giens déjà établis aux Orcades, aux Hébrides, aux
Shetland et aux Féroc, découvrirent l'Islande,
qu'ils colonisèrent et qui devint le point de dé-
part d'expéditions nouvelles; celles-ci amenèrent
à leur tour la découverte du Groenland et de
Terre-Neuve.
Au commencement de ce même siècle les Nor-
mands ou Danois ravagèrent les côtes de la Grande-
Bretagne, ainsi que celles de la Gaule, dont ils dis-
putèrent le territoire aux Francs. Pendant long-
temps leurs navires firent des acscontes sur les
côtes et remontèrent le cours des grands fleuves,
pillant et dévastant tout sur leur passage. Vn
siècle après la mort de Charlemagne, ils finissent
par s'étaldiren Neuslrie. Plus tard, ils se signa-
lèrent par de grandes expéditions; en I06G,
Guillaume de Normandie conquit l'Angleterre;
vers la même époque des chevaliers normands
s'établissaient an midi de l'Italie et en Sicile.
A peu près abandonnée au début de la nfonar-
chie française, la marine fut l'objet de la soUici-
NAVIGATION
— M03 —
NAVIGATION
tudo de, r.liarlemagne, qui ontrctint plusieurs flot-
tes suf les deux mers, dont les côtes étaient
fréf|uemment ravagées par les Normands et les
Sarrazins.
A l'exception dos expéditions d'outre-mer pro-
voquées par les Croisades et des épisodes qui ont
fait arriver jusqu'à nous les noms do Primauguct
et d(î Prégent, l'histoire maritime de la France
n'offre jusqu'à François 1" aucun fait saillant
digne d être mentionné ici.
Les républiques italiennes, au contraire, brillè-
rent au moyen <àge par leur marine. Gênes, au
commencement du x" siècle, après s'être débar-
rassée des Sarrazins, s'enrichit par le commerce
et la navigation et fournit aux princes chrétiens
de puissants secours pour le transport des Croi-
sés. Elle fut la rivale de Pise, avec laquelle elle
eut à soutenir de nombreuses luttes et dont ellu
consomma la ruine après la célèbre victoire navale
qu'elle remporta eu 1234 auprès de l'île de la
Mt'loria.
Venise fut de bonne heure maîtresse de l'Adria-
tique. La quatrième croisade, qui amena la prise de
Consiantinople, lui donna les plus belles stations
maritimes de l'Empire grec» les ports de la Morée,
l'Arcliipel, l'île de Crète et une partie de Cons-
tantinople. Mais la part que les Génois prirent
ensuite au rétablissement des empereurs grecs
sur le trûiie de cette dernière ville amena la lutte
des deux puissantes républiques. Après avoir été
sur le point de succomber, Venise finit par domi-
ner sa rivale jusqu'à la fin du moyen âge et ne
perdit ses colonies de l'Archipel et de la Morée
qu'après l'entrée des Turcs à Consiantinople.
Dans le Nord, la célèbre Ligue hanséaiique ren-
dit de son côté à la navigation de grands services
par les ra|iports commerciaux qu'elle établit entre
les peuples. D'abord formée en TMI par un traité
entie Hambourg et Lubeck, la Hanse se grossit
rapidement de nombreuses villes maritimes et
pendant plusieurs siècles étendit sa navigation et
son trafic sur le littoral de la mer du Nord et de
la Baltique.
L'invention do la boussole avait ouvert une
ère nouvelle à la navigation et à ses progrès ; elle
amena de grandes découvertes maritimes qui
changèrent la face des choses et firent passer aux
nations occidentales l'empire des mers, jusque-là
réservé aux peuples de la Méditerranée.
C'est au napolitain Flavio Ginja que l'on at-
tribue généralement cette grande invention ;
mais il est cependant reconnu que dès le xii" siè-
cle les marins provençaux, et au xiii« les Nor-
mands, employèrent la rnarinelte, barre de fer
aimantée, maintenue en suspension sur l'eau à
l'aide d'un morceau de liège. Il semble égale-
ment avéré que les Arabes se servirent dès le
SI' siècle de la boussole, dont ils tenaient l'inven-
tion des Chinois. Quoi qu'il en soit, c'est à cette
importante découverte que la navigation dut de
prend] e un développement extraordinaire.
11 est intéressant de remarquer que les pre-
miers efforts tentés pour franchir les limites ma-
ritimes connues ne furent pas l'œuvre des Etats
qui avaient le plus cultivé jusqu'alors l'art de la
navigation. C'est aux Portugais et aux Espagnols
que lut réservée la gloire d'ouvrir la voie" des
grandes découvertes.
Le Portugal avait cependant déjà acquis une
certaine renommée dans la science nautique. L'in-
fant don Henri, quatrième flls de Jean le Grand,
après s'être distingué à Ceuta et à Tanger, orga-
nisa plusieurs expéditions, qui amenèrent la dé-
ccuverte de Madère, l'occupation des Canaries,
déjà reconnues par le français Jean de Béilien-
court, la découverte des Açores, celle des îles du
Cap-Veit, l'exploration des côtes occidentales
d'Afrique, où l'échange de quelques captifs mau-
res donna liea à la traite des noirs. Don Henri,
surnommé le navigateur, fonda auprès du cap
Saint-Vincent une académie nautique ; c'est à lui
que l'on attribue l'invention des cartes plates, les
seules en usage sur mer avant les cartes rédui-
tes de Mercator. En liTI, les Portugais franchis-
saient l'équateur et observiiient les étoiles, in-
connues jusqu'alors, de l'hémisphère austral;
quinze ans plus tard, Barthélémy Diaz atteignait
le cap des Tempêtes, que Jean JI appela le cap do
Bonne-Espéranci', dans la pensée, prompteinent
réalisée, que cette découverte devait un jour
ouvrir la route des Indes.
Ce sont ces entreprises hardies des Portugais
qui engagèrent le Génois Christophe Colomb à
venir offrir ses services à Jean II, roi de Portugal.
Repoussé par ce dorjiier, il s'adressa à Isabelle
d'Espagne, qui lui confia trois caravelles, avec
lesquelles le grand navigateur découvrit l'Améri-
que (.U octobre 149"^). Nous renvoyons à l'article
liécouverfes pour le récit de cette glorieuse
expédition et de celles de Vasco de Gania aux Indes
orientales et de Magellan autour du monde.
Temps modernes. — De cette époque mémora-
ble datent les grands progrès de la navigation et
le perfectionnement rapide de la construction
navale. Aux caravelles de Colomb, longues de
'.'i à 30 mètres et larges de " à S mètres, succé-
dèrent des navires de mer de ."iO à 60 mètres de lon-
gueur, de 9 à IC mètres de largeur et de 6 àS mètres
de profondeur. Les galions d'Espagne, affectés à
l'importation des richesses du Nouveau Monde, at-
teignirent jusqu'à lOnO et 1200 tonneaux.
L'usage de la poudre à canon, (jui avait suivi
de près celui do la boussole, contribua aussi à
l'accroissement des dimensions des bâtiments;
les avaries considérables que causaient les bou-
lets dans des navires de faible échantillon ame-
nèrent l'augmentation de l'épaisseur dos mem-
brures et des murailles; celles-ci furent ensuite
percées de sa/iurds pour la volée des pièces d'ar-
tillerie, longtemps placées sur les ponts ou dans
les encombrants châteaux d'avant et d'arrière. Les
batteries se superposèrent ensuite l'une à l'autre,
et le vaisseau do ligne fut créé.
La découverte des Indes occidentales et orien-
tales ne fut pas laseule conséquence de l'invention
de la boussole; la navigation s'étendit aussi vers
les deux pôles : les Anglais, les Allemands, les
Hollandais cherchèrent longtemps un passage par
le nord de l'Europe, pour aller en Chine ; la Nou-
velle-Zemble, le Spitzberg. furent découverts la
même année par le navigateur anglais Willoughby
(I65:i). La grande pèche, cet auxiliaire puissant
de l'alimentation publique, reçut également un
essor considérable dès la fin du xv= siècle.
Les conquêtes des Espagnols dans le Nouveau
Monde donnèrent à Charles-Quint un empire co-
lonial immense .- le Mexique, la Floride, les An-
tilles, la Nouvelle-Grenade, le Chili, le Pérou
étaient autant de provinces espagnoles. Toutcfoii
cette domination n'éiait effective que sur le litto-
ral, et il fallut de longues années pour que ces
établissements, fondés par des poignées d'aven-
turiers, pussent acquérir la forme d'Etals régu-
liers, et pour que la civilisation s'étendit dans
l'intérieur de ces vastes contrées; il fallut sur-
tout attendre que l'agriculture et l'industrie
succédassent à la soif trop ardente des richesses
faciles.
A la mort de Charles-Quint, la marine espa-
gnole atteignait son apogée; Philippe II, son fils,
assista à la ruine de sa flotte, l'inoinKibte Armada,
détruite par l'Angleterre. L'Espagne perdit alors
la plus grande partie de ses colonies et de celles
des Portugais dont elle s'était emparée. L'empire
des mers passa aux Anglais et aux Hollandais.
11 convient de mentionner ici un événement
NAVIGATION
1404 —
NAVIGATION
maritime, important par ses conséquences : c'est
sous le règne de Pliilippe II que don Juan d'Au-
tiiclie, choisi pour commander les forces navales
réunies de l'Espagne et de l'Italie, défit la flotte
ottomane à la célèbre bataille de Lépante. De
cette défaite datent les débuts de la décadence des
Turcs, dont la puissance devenait inquiétante
depuis les exploits des frères Barberousse, qui
avaient tenu tète h Charles-Quint et à. Doria, l'un
des plus grands marins de ce siècle.
Les Hollandais profitèrent les premiers, après
les Portugais, des grandes découvertes de Vasco
de Gama et de Magellan. Après un premier voyage
aux Indes orientales, ils s'établirent dans les Mo-
luques, que les Portugais avaient découvertes, et
créèrent, en 1G02, la célèbre compagnie des Gran-
des Indes, qui fonda un comptoir i Java, et bâtit
la ville de Hatavia, encore aujourd'hui le centre
du commerce néerlandais dans le grand archipel
d'Asie. Ils s'établirent ensuite successivement à
Sumatra, h Bornéo, h Malacca et même au Japon,
dans le port de Nangasaki, où, dès ICàO, ils pu-
rent, à l'exclusion de tous autres étrangers, faire,
jusqu'à nos jours, le trafic avec les Japonais.
Les Hollandais firent en même temps d'impor-
tantes découvertes : le détroit de Lemaire, dans
le sud de l'Amérique, entro la Terre de Feu et la !
Terre des Etats, le cap Horn, déji vu par l'Anglais j
Drake, une partie de la Nouvelle-Hollande, la
terre de Van Diénicn, appelée aussi Tasmanio, du
nom du célèbre navigateur Tasman.
Au milieu du XMi' siècle, la Hollande était la
première puissance maritime du monde. Plus de
lîOfl navires entretenaient son commerce exté-
rieur et ses importantes flottes de guerre étaient
conduites par les Tromp et les Ruyter.
En IGol éclatèrent les premières hostilités entre
la Hollande et l'Angleterre. L'amiral Tromp, après
avoir battu les anglais à Douvres, fut défait h son
tour dans les batailles de Portland, des Dunes et
de Catvvyk ; les Provinces-Unies durent alors se
soumettre à VA'.te de navir/aiion et reconnaître la
suprématie de l'Angleterre.
En IGJl, dans la guerre qu'ils firent au Portu-
gal, les Hollandais perdirent le Brésil qu'ils
avaient conquis peu à peu et occupé pondant
quinze ans; mais ils s'emparèrent de la colonie du
Cap, où ils fondèrent la ville de ce nom, chassè-
rent les Portugais de Ceyian, de Bornéo et de Cé-
lèbes, et les dépouillèrent de leurs principaux
établissements du Malabar.
La seconde guerre qu'ils eurent à soutenir contre
l'Angleterre et qui fut en partie provoquée par
la traite des noirs, dont chacune des deux nations
voulait avoir le monopole, leur fit perdre Nieuw-
Amsterdam, aujourd'hui New-York, dont ils avaient
jeté les premiers fondements en Ia21. Ils acqui-
rent Surinam.
Après que Louis XIV eut dissous la triple
alliance, formée contre lui par la Hollande, l'An-
gleterre et la Suède, la France attaqua les Pays-
Bas par terre et par mer. Les Hollandais, sous la
conduite de Piuyter, avec 50 vaisseaux, tinrent
tête, dans plusieurs batailles remarquables, à la
flotte franco-anglaise forte de 80 vaisseaux, et
l'habileté du célèbre amiral contribua puissam-
ment au rétablissement de la prospérité de son
pays.
Lorsque Guillaume III monta sur le trône d'An-
gleterre, la marine hollandaise ne fut plus qu'une
annexe de celle de l'Angleterre ; elle servit à
accroître la puissance de cette dernière et, à par-
tir de cette époque, elle courut rapidement ^ers
sa décadence. La guerre de l'indépendance des
Etats-Unis lui porta le dernier coup et fit perdre
à la Hollande une partie de ses colonies. Mais cette
nation occupe cependant aujourd'hui encore le
second rang comme puissance coloniale.
Ce n'est guère que du règne d'Elisabeth que
datent les débuts de la prospérité navale de l'An-
gleterre. Avant cette époque l'histoire anglaise
mentionne bien quelques grands faits maritimes,
des descentes en France, et même plusieurs vic-
toires navales, parmi elles, celle de l'Ecluse en
l:!40, mais ces faits isolés ne justifiaient pas les
prétentions de souveraineté des mers que s'ar-
rogeait cette nation. A l'époque des grandes dé-
couvertes, qui rendirent si puissantes l'Espagne
et le Portugal, à l'exception des deux Cabot, Véni-
tiens d'origine au service de l'Angleterre, qui
firent plusieurs voyages d'exploration, et de
Hugues Willoughby, qui découvrit en 15531eSpitz-
berg. les annales britanniques ne mentionnent
aucune illustration maritime.
La lutte contre Philippe II d'Espagne donna la
première impulsion h. la marine anglaise. Pour
tenir tête à X'invmcihle Aniwda, Elisabeth fit
d'énormes préparatifs de défense sur les côtes et
réunit, k force de sacrifices, une flotte d'environ
200 bâtiments de guerre. L'inhabileté de l'amiral
espagnol et de ses équipages, aussi bien que les
mauvai"s temps, facilitèrent la victoire des Anglais,
victoire qui ne leur coûta que la perte d'un bâti-
ment, alors que les Espagnols virent disparaître
80 vaisseaux et plus de 12 000 hommes; cette
expédition avait englouti 300 millions (1588). Quel-
ques années après, l'amiral Howard, le vainqueur,
avec Drake, de VAnnaila, précipitait la ruine de
la marine espagnole, en s'emparant de Cadix et
en brûlant dans ce port une nouvelle flotte.
La compagnie des Indes orientales, fondée en-
suite par Elisabeth (ICnO), donna l'essor au mou-
vement maritime commercial de l'Angleterre et
ouvrit la voie à de nouvelles découvertes géogra-
phiques. Plusieurs navigateurs avaient déjà illus-
tré ce règne par des voyages d'exploration remar-
quables; parmi eux il faut citer : Francis Drake,
qui, en 1577, franchit le détroit de Magellan, prit
possession de la Californie et revint en Europe par
les Indes et le cap de Bonne-Espérance; Davis,
qui donna son nom au grand détroit glacé qui
sépare le Groenland du Cumberland ; Raleigh, qui
entreprit de coloniser l'Amérique du nord et qui
fonda en 1584 l'établissement de la Virginie. Les
explorations de ce dernier furent l'origine, sous
Jacques I"', de nombreux établissements des An-
glais dans l'Amérique du nord, dont la colonisa-
tion fut par la suite très rapide, grâce aux puri-
tains. Plusieurs expéditions, qui honorent les
navigateurs anglais, furent aussi entreprises en
vue de rechercher un passage au nord du Nou-
veau Monde. En 1610 Hudson explora l'immense
baie qui porte aujourd'hui son nom, mais que le
Danois Anskold avait déjà découverte ; le pilote
Baffin, l'un des compagnons d'Hudson, parvmt en
iei6 jusqu'à cette vaste mer qui lui doit son
nom. L'exploitation des pêcheries reçut égale-
ment un grand développement au xvii* siècle ;
les armements pour la pèche do la morue et celle
de la baleine acquirent en Angleterre une exten-
sion considérable.
En 1651 fut promulgué par Cromwell le fameux
Ade de 7iavigufion,âe&ùn6 à exclure les marines
étrangères des ports de la Grande-Bretagne et à
réserver aux seuls marins anglais le monopole du
commerce avec les colonies. Cet acte, auquel
l'Angleterre a dû en grande partie sa prospérité
maritime, et qui n'a été aboli qu'en 1850, frappait
la Hollande dans son commerce et sa navigation
et provoqua la première guerre de l'Angleterre
avec cette puissance maritime.
Jusqu'à François If, nous l'avons dit, la manne
fut à peu près délaissée en France comme force
militaire; les diverses expéditions maritimes qui
avaient précédé cette époque avaient été entre-
prises avec des flottes mercenaires rapidement
NAVIGATION
— 1405 —
NAVIGATION
cnnipéos. Ce règne vit les premiers efTorls tentés
en vue do créer une marine nationale permanente.
François I" appela auprès de lui le célèbre marin
pénois André Dorla; colui-ci, à la tête des galères
françaises, battit en 15-24 la flotte de Charles-
Quint sur la côte do Provence, mais tourna en-
suite ses armes contre les Français qu'il cliassa
de Gènes, à la suite de sa rupture avec François
I" qui n'avait pas tenu les promesses faites en
faveur de sa patrie.
Kn l.'iVS le HorentinVerazzani, envoyé par l'ran-
rois I" en exploration sur les côtes d'Amérique,
prenait possession do Terre-Neuve; en 1534 le
Français Jacques Cartier remontait le fleuve
Saint-Laurent et donnait le Canada h la France.
Sous Henri IV, en 159s, l'Acadie, déjà visitée
par Verazzani, était colonisée par les Français du
Canada, et en 1G04 se fondaient les premiers éta-
blissements de la France équinoiiale, devenue
plus tard la Guyane. Telles étaient nos colonies à
l'avènement de Louis XIII.
Notre flotte était alors à peine ébauchée ; Riche-
lieu fut chez nous le véritable créateur de la manne.
Ce ministre fonda des arsenaux, fit construire des
bâtiments, organisa la flotte et la marine du com-
merce, créa l'académie royale de marine, destinée
i former la jeunesse au métier de la mer, et des
écoles d'hydrographie dans les principaux centres
maritimes. Il commença les établissements du
Sénégal, de Cayenne, de Madagascar, de Bourbon
et d'une partie des Petites Antilles.
Mazarin laissa ensuite dépérir l'œu\Te de son
prédécesseur ; mais le génie et l'activité de
Colbert portèrent bientôt la puissance navale de
la France à son plus haut degré de grandeur ;
sous ce ministre l'élan fut dunné h nos colonies
languissantes, qui s'accrurent des comptoirs de
Chandernagor et de Pondichéry; la marine fut
reconstituée, la construction navale transformée
par la suppression des châteaux d'arrière et d'a-
vant qui alourdissaient inutilement les vaisseaux;
la flotte, considérablement accrue, comptait «00
1. aliments, dont 110 vaisseaux de ligne, portant
l.jOilli canons et plus de liiO.OOO hommes d équi-
page. Les arsenaux furent agrandis, des bassins
de radoub creusés, le port de Rochefort créé, do
vastes travaux entrepris à Dunkerque et au Havre.
Le recrutement du personnel de la flotte fut as-
sure par l'institution des classes, devenue par la
suite l'inscription maritime, qui a survécu jus-
qu'ici à toutes nos révolutions. Enfin une caisse
de retraite créée pour les gens de mer, les ordon-
nances de la marine promulguées, l'administra-
tion organisée, tels sont les faits qui témoignent
de l'activité et du génie ds grand ministre de
Louis XIV.
Le premier soin de Colbert fut de purger la
Méditerranée des corsaires barbaresques qui l'in-
festaient; les flottilles d'Alger et de Tunis furent
détruites. Lors des premières hostilités entre
l'Angleterre et la Hollande, Louis XIV, allié de
cette dernière, ne participa que faiblement aux
luttes maritimes des deux puissantes nations et
ménagea ses forces navales, qu'il réservait à d'au-
tres vues. Unie plus tard â celle des Anglais,
notre flotte, conduite par d'Estrées, prit part
contre Ruyter h plusieurs actions dont le résultat
fut indécis. De nouvelles expéditions dirigées par
Duqucsne contre les corsaires de Tripoli, le bom-
bardement d'Alger, la soumission de cette der-
nière ville par TourviUe, le bombardement de
Gènes, sont les premiers faits qui illustrèrent
notre marine avant qu'elle eût à se mesurer avec
celle de l'Angleterre. C'est à la chute de Jacques II
que commença entre les deux nations celte lutte
trrrible qui devait durer plus d'un siècle et où
s'illustrèrent en France, sous LouisXIV, avecToiir-
ville, Jean Bart, Duguay-Trouin,Forljin et Cassard.
Notre cadre restreint ne nous permet pas d'en-
treprendre le récit détaillé de l'histoire maritime
de la France et des autres Etats d'Europe dans les
temps modernes. Nous nous bornerons â rappe-
ler brièvement les faits les plus importants, et à
mentionner les progrès réalisés tant dans la ma-
rine de guerre que dans la marine marchande.
Sous la Régence, la marine française sembla
s'être éteinte avec les dernières illustrations du
règne précédent; mais nos colonies reçurent ce-
pendant une certaine impulsion. Sous Louis XV,
nos armes reprirent quelque éclat dans les Indes
orientales : La Bourdonnais s'illustrait au siège de
Mahé, à Négapatam, â Madras, et Dupleix, à Pon-
dichéry, montrait un génie supérieur.
C'est sous ce règne que disparurent les galères,
dont la chiourme de vogue fut versée dans les ba-
gnes créés à Toulon, à Brest et â Rochefort. Des
expéditions scientifiques restées célèbres furent
entreprises : Mauportuis, Clairaut et d'autres sa-
vants étaient envoyés, en nsii, en Laponie par le
ministre Maurepas, pour la mesure d'un arc de
méridien. La Condamine et Bouguer se rendaient
dans le même but au Pérou, auprès de l'équateur.
Lacaille, en 1750, allait au cap de Bonne-Espé-
rance observer le ciel austral. Enfin d'autres sa-
vants étaient envoyés aux Indes et â l'Ile Rodrigue
pour observer le passage de Vénus sur le soleil.
Lorsque la guerre de Sept ans éclata, notre ma-
rine, qui avait fait des efforts pour se relever,
n'était cependant pas en mesure de tenir tète à la
flotte puissante de lAnglelerre.
La France perdit le Canada, que Montcalm,
sans secours, disputa glorieusement aux troupes
du général Wolf et à la flotte de l'amiral Saunders.
Partout les revers poursuivirent nos colonies,
sans flotte pour les protéger ou les ravitailler. En
1761 Lally, bloqué à Pondichéry, sans un seul
bâtiment, sans vivres, après avoir longtemps ré-
sisté, avec 700 hommes, à une armée de 20 OilO hom-
mes et à une escadre de 14 vaisseaux, fut contraint
de se rendre. L'année suivante voyait la perte de
la Martinique, de Sainte-Lucie et de la Grenade.
En 176:) le traité de Paris consacrait la perte ir-
révocable du Canada et de l'Indoustan et l'aban-
don définitif de la Louisiane, donnée i l'Espagne,
notre alliée, qui échangeait la Floride contre les
Philippines et Cuba, que leur rendaient les Anglais.
Choiseul et après lui Praslin travaillèrent acti-
vement à relever la marine; ils réorganisèrent les
arsenaux et le personnel et s'occupèrent de la
flotte, qui s'éleva bientôt à 75 vaisseaux de ligne.
Des navigateurs expédiés dans les différente.*
mers du globe enrichirent â cette époque les
sciences nautique et géographique d'importantes
découvertes. Bougainville visita les lies Pomotous
(Touamotou), Tahiti, les Samoa, les Nouvelles-
Hébrides, les grandes Cyclades, les lies de la
Louisiade, la Nouvelle-Irlande, la Nouvelle-Guinée.
L'Angleterre envoya Cook entreprendre plusieurs
voyages de circumnavigation. L'illustre navigateur
commanda trois e.xpédiiions restées célèbres; il fit
le tour de la Nouvelle-Zélande, découvrit le dé-
troit qui sépare les deux grandes lies et qui porte
aujourd'hui son nom ; il visita les côtes orientales
de 1 Australie, les terres australes, en pénétrant
dans la znne glaciale, reconnut dans l'Océanie
l'archipel de Cook, les îles Tonga, la Nouvelle-
Calédonie, les lies Sandwich, franchit le détroit
de Behring, sans pouvoir trouver le passage qu'il
pensait exister au nord de l'Amérique, et revint
aux Sandwich, où il fut tué par les naturels.
Sous Louis XVI, la marine, relevée de ses dé-
sastres, paiticipa glorieusement à la guerre de
l'indépendance des Etats-Unis; les noms de d'Es-
taing, de Vaudreuil, de Du Couédic, di: Laniotto-
Piquet, de Guichen, de Sufl'ien, méritent d'être
rappelés.
NAVIGATION
— 1406 —
NAVIGATION
Après la conclusion de la paix, Louis XVI
s'eflorça de maintenir la flotte au niveau où
l'avait placée cette dernière guerre ; des tra-
vaux importants furent entrepris dans nos ports,
la digue de Clierbourg fut commencée , nos
constructions navales furent perfectionnées par
l'illusiro ingénieur Sané, de nouveaux voyages
de circumnavigation entrepris, parmi lesquels
celui de l'ijiforiuné Lapérouse, qui s'était fait
connaître déji dans la baie d'Hudson , en dé-
truisant les forts de Wales et d'York. Mais le
recrutement de l'état-niajor de la flotte, conti-
nuant à se faire dans les seuls rangs de la no-
blesse, devait bientôt avoir des conséquences
fatales pour nos armes. Lors de la révolution,
Icniigralion amena rapidement la disparition à
peu près complète de nos officiers de marine.
La Convention fit d'inutiles efl'orts pour reconsli-
tuer le personnel naval; elle ne put remplaciT
ces cbefs expérimentés qui venaient de diriger
nos flottes victorieuses; elle dut envoyer à la mer
des escadres mal équipées et surtout indiscipli-
nées.
A cette époque appartiennent néanmoins quel-
ques faits remarquables, parmi lesquels il faut
citer la fin héroïque du Vengeur (1794).
Les guerres de la Révolution, du Consulat et
l'Empire, où la France ne put opposer à l'Angle-
terre, sur mer, des forces égales, eurent pour ré-
sultat la perte de presque tout ce qui nous restait
de colonies. C'est en vain que par le hlccui conti-
nental (180"), Napoléon essaya de frapper le com-
merce anglais : dans cette luite implacable, ce fut
le conquérant de l'Europe qui eut le dessous. A
!a chute de l'Empire, l'Angleterre était maîtresse
absolue de la mer.
Sous la Restauration, la marine française se re-
constitua cependant. Favorisée par la paix générale,
la navigation reprit son rôle de progrès : de nom-
breuses expéditions sillonnèrent les mers du
globe. Les Français Freyciiiet, Duperrey, dans le
grand Océan, le Russe Kotzebue, les Anglais John
lloss, Parry, Franklin, dans les régions polaires,
contribuèrent au développement des connaissances
géographiques.
En 1823 notre marine restaurée se montrait de
nouveau : la guerre d'Espagne amenait devant
Cadix une flotte de 07 bâtiments et l'amiral Uu-
perré, déjà célèbre par ses exploits dans l'Inde,
bombardait les forts et obtenait la reddition de la
place.
Le règne de Charles X fut également marqué
par plusieurs expéditions autour du mond*!. L'An-
glais Beecliey fut envoyé au détroit de Behring ;
iîoss entreprit un second voyage dans les mers
antiques; Dumont d'Urville, guidé par les indi-
cations du navigateur anglais Dillon, retrouva à
Vanikoro les débris des bâtiments de Lapérouse.
En 18"27, les escadres réunies de la France, de
I Angleterre et de la Russie couraient au secours
de la Grèce et anéantissaient à Navarin la flotte
turque. Cette même année, l'insulte faiie à notre
consul par le dey d'Alger amenait le blocus de
cette ville et, trois ans plus tard, le vice-amiral
Duperré, avec une flotte de lOil bâtiments de
guerre, convoyant une autre flotte do .iOO navires
de commerce, débarquait à Sidi-Fen'uch une ar-
mée de i" OiiO hommes, commandée par le général
Bourraont, qui s'emparait d'Alger et jetait les
premiers fondemeats de notre domination en Al-
gérie. Sept bâtiments à vapeur faisaient partie de
cette flotte.
La vapeur, destinée à apporter dans la marine,
comme dans l'industrie, ujie révolution complète,
avait fait son apparition en France peu de temps
auparavant. C'est au marquis de Jouff'roy que l'on
attribue la première application de la vapeur à la
navigation fluviale; mais les premiers essais qu'il
tenta en 1776 sur le Doubs et en 1783 sur le
Rhône, n'aboutirent pas à une solution pratique
de la question. L'Américain Fulton, après des
échecs en France et en Angleterre, réussit, dans
son propre pays, à mettre ses idées à exécution.
En 181)7 un bateau à vapeur naviguait sur d'Hud-
son, entre New-York et Albany. En 1819 un autre
navire à vapeur partait de l'Amérique et traversait
1 Atlantique. En 181'2 seulement l'Angleterre fit
les premiers essais, sur la Clyde, de ce mode de
navigation, qui ne commença à être appliqué en
France qu'eu 1SI9 et dont l'adoption définitive fut
assez lente. Ce ne fut que vers 184» que l'hélice
commença à être en usage pour la propulsion des
bâtiments de mer.
Sous Louis-Philippe, la marine i voiles atteignit
son plus haut degré de perfection. Ce règne compte
quelques faits maritimes, dont les plus impor-
tants sont : pour la France, l'expédition du Tage,
dont l'entrée fut forcée par l'amiral Roussin tn
1S31; celle de Saint Jean-d'Ulloa, le blocus de
Buenos-Ayres, la prise de possession des îles
Marquises, le bombardement de Tanger et de Mo-
gador; du côté de l'Angleterre, la prise de posses-
sion de la Nouvelle-Zélande, l'occupation d'Aden,
la guerre de Chine, amenée par la question de l'o-
pium, dont le gouvernement de Pékin voulait in-
terdire la vente, l'occupation des îles Chusan, la
prise de Canton et de Shanghai, succès qui dé-
cidèrent le traité de Nankin (1842", ouvrant aux
nations européennes cinq ports du Céleste-Empire
et reconnaissant aux Anglais la possession de l'ilc
de Hong-Kong.
En 1845, une division navale française, sous les
ordres de l'amiral Tréhouart, livrait aux Argentins
le combat d'Obliga'lo, qui ouvrit la libre naviga-
tion du Rio de la Plata. Vers cette même époque,
Franklin entreprenait son dernier voyage au pôle
nord; trois ans plus tard, commençaient les fa-
meuses expéditions anglaises et américaines en-
voyées à sa recherche et qui amenèrent la décou-
verte, en 1SS3, du passage du nord-ouest par Mac
Lure et, en 1854, celle de la mer de Kane par l'A-
méricain de ce nom.
Sous le second empire, la marine i vapeur, qui
avait déjà pris un certain essor à la fin du règne
de Louis-Philippe, acquit, surtout lors de la
guerre de Russie, un développement important;
l'emploi de 1 hélice comme propulseur définitif
permit de créer, en France, le véritable vaisseau
do ligne à vapeur, qui provoqua la rapide trans-
formation des flottes. Les approvisionnements
amassés dans nos arsenaux maritimes depuis
les dernières guerres de Napoléon 1" servi-
rent à créer de nouvelles constructions. Dans la
guerre qui commença en 1 5'i contre les Russes,
le rôle de la marine fut immense; le bomiiarde-
ment des villes du littoral, le transport et le dé-
barquement dos troupes en Crimée, leur ravitaille-
ment, les expéditions de la mer Baltique, de la
mer Blanciie, de Petropaulovski, le blocus des
côtes russes, la destruction dos ports de la mer
Noire et de la mer d'Azoff', lenvoi des marins aux
batteries de siège, sont autant de faits qui ont
contribué au succès de cette guerre. Aucune ba-
taille navale ne fut cependant livrée. La marine
russe, dont les débuts ne datent que de Pierre
le Grand, était pourtant nonibi'euse, mais impuis-
sante à lutter contre les flottes alliées des deux
plus grandes nations maritimes.
Cette môme guerre, qui avait déjà amené_ la
transformation des bâtiments à voiles en bâti-
ments à hélice, et où la marine française avait
brillé par des types admirables de Taisseaux à
vapeur, donna également naissance aux navires
cuirassés. Les résultats obtenus par les lourdes,
mais puissantes batteries blindées, employées au
siège de Kinburn, firent décider la construction,
NAVIGATION
-. I.'i07 —
NAVIGATION
sur nos chantiers, des premières frégates cuiras-
sées qui marquèrent alors le mouvement vers le
progrès récent.
I.a guerre de Russie fut bientôt suivie d'autres
événements militaires qui nécessitèrent l'emploi
«le notre marine. En 18i8, l'amiral Uigault de Ge- :
nouilly, à la tète d'une expédition franco-cspa- \
gnole, occupa Tourane, en Cochiiicliine, et enleva
Saif;on, qui devait devenir le siège de notre gou-
vernement colonial de l'extrême Orient. L'année j
suivante éclatait la guerre d'Italie, pondant la-
quelle le rôle de notre marine se borna à des
transports de troupes et à l'envoi dans l'Adriati-
que d'une imposante flotte, que la rapidité des
événements du continent rendit inactive.
lin ISGO, les forces navales alliées de la Franco
et de l'Angleterre ouvraient à nos troupes le clie-
min de lu capitale du Céleste-Empire, et la p.aix
était à peine signée avec cette nation, que l'ami-
ral Oliarncr emportait, en Cocliincliine, les lignes
de Ki-lioa, pendant que l'amir.il Page remontait le
Cambodge et s'emparait de Mytho.
En 18UI éclata aux Etats-Unis la fameuse guerre
de la sécession, où les combats de Monilnn don-
nèrent naissance à une forme particulière de bâ-
timents. En 1SG2 avait lieu l'expédition du Mexi-
que. En 18ii6 la guerre de la Prusse et de l'Italie
contre l'Autriche donna lieu à un fait marilime
d'une grande importance pour l'avenir des ba-
tailles navales : ce fut le premier clioc des bâti-
ments cuirassés. La flotte italienne, composée de
36 bàdmenis, dont 12 cuirassés, se rencontra à
Lissa avec l'escadre autrichienne de l'amiral Te-
gethof, forte seulement de 7 frégates blindées et
de 2 1 bâtiments en bois ; elle se retira après avoir
perdu une frégate cuirassée coulée par le choc
d'une frégate autrichienne également cuirassée, un
monilor incendié et environ 700 hommes.
Enfin, pour clore cette nomenclature des faits
de l'histoire maritime contemporaine, nous parle-
rons du rôle de la flotte pendant la guerre de
Prusse. Au début des hostilités, il avait été ques-
tion d'expédier dans la Baltique une escadre cui-
rassée et une flotte de transports avec 40,000 hom-
mes. Mais la rapidité de nos défaites sur terre
mit à néant ces projets, et deux escadres bloquè-
rent dans leurs ports les forces navales prussien-
nes. L'absence de petits bâtiments spéciaux empê-
cha toute opération offensive; mais nos divisions
navales lointaines tinrent la mer libre à nos natio-
naux et arrêtèrent le mouvement commercial des
Allemands
Nous finirons cet aperçu de l'historique de la
navigation et de la marine par l'examen de l'état
actuel des choses.
La science nautique a acquis aujourd'hui un
degré de perfection qu'il semble difficile de dépas-
ser. Les grandes voies maritimes sont sillonnées
par des milliers de bâlimonls à voiles et à vapeur,
par des lignes régulières de magnifiques paque-
bots, â bord desquels on retrouve toutes les com-
modités de la vie. La météorologie nautique, à
laquelle l'essor a été donné par les remarquables
travaux de l'Américain Maury, a conduit progres-
sivement à la connaissance des meilleures routes
<i suivre pour utiliser les vents et les courants ré-
gnant îi chaque époque de l'année. L'hydrogra-
phie des mers, poursuivie par les principales na-
tions maritimes, a établi la confignialion exacte,
et dans ses moimlres détails, des côtes maritimes
du globo et des dangers qui les bordent. Six
mille phares régulièrement entretenus sur le lit-
toral du monde entier guident le marin par la
puissance et la diversité de leurs feux ; des balises
nombreuses lui signalent l'existence des écueils
sous-marins, «oit en attirant ses regards, soit en
frappant ses oreilles par la production, à l'aide de
la houle do sons d'une graniie puissance. Des
règlements internationaux sont adoptés par les
marines pour prévenir les terribles catastrophes
des rencontres k la mer. De nombreuses stations
de sauveta','0, munies de tous les engins propres à
sauver la vie des naufragés, sont échelonnées le
long du littoral des pays civilisés. La terre est
partout fouillée pour alimenter de combustible ces
hottes immenses qui traversent les mors. Des dé-
pôts do charbons sont établis partout où le sol n'a
pas encore été creusé. De vastes pêcheries sont
entreprises dans les parages reconnus les plus
poissonneux, en Islande, à Terre-INeuve où cette
industrie occupe plus de trois mille bâtiments.
D 'S câbles télégraphiques transmettent la pensée
i travers les océans.
Une voie nouvelle, ouverte en 1860, rapproche
aujourd'hui de l'Europe les peuples de l'extrème-
Oi-ient et de l'Océanie. L'isthme de Suez est percé;
un canal long de 162 kilomètres, large de 60 mètres
et profond de 8 mètres, fait communiquer la Médi-
terranée à la mer Rouge : grande œuvre de civili-
sation qui immortalise le nom de son créateur,
M. de Lesseps, dont la ferme velouté poursuit
encore cet autre projet grandiose de séparer les
deux Amériques et d'inaugurer une nouvelle route
pour le Pacifique. Enfin le passage du nord-est,
reconnu récemment par les Suédois Nordenskiôld
et Palander, au nord de l'Europe et de l'Asie, est
appelé, sinon à devenir une route commerciale
pratique, du moins à étendre le domaine scienti-
fique et peut-être même les relations de certains
peuples.
Le temps semble proche où les antiques nations
orientales et les peuplades océaniennes, subissant
l'influence civilisatrice des nombreuses relations
que créeront ces voies multipliées, seront entraî-
nées il leur tour dans le grand mouvement mari-
time, auquel elles n'ont pas encore participé. Déjà
le Japon, renversant ses anciennes traditions, s'est
lancé dans le progrès, et le vieil empire chinois
lui-même a commencé à ébranler ses antiques
institutions.
En ce qui concerne les flottes actuelles destinées
à la guerre, l'introduction des cuirasses et des
tourelles en a amené la transformation complète.
Les anciens vaisseaux do cent et de cent vingt ca-
nons ont fait place à des bâtiments portant un
petit nombre de pièces d'une artillerie formidable,
destinée â percer les plaques de cuirasse, dont
l'épaisseur atteint jusqu'à 60 centimètres. Un
éperon terrible en acier, placé à une certaine pro-
fondeur sous la ligne de flottaison, arme le taille-
mer de ces colosses bardés de fer. L'adoption des
torpilles pour la destruction instantanée de ces
coûteuses constructions, dont le prix atteint plu-
sieurs dizaines de millions, modifie également les
conditions de la guerre maritime dont elle anéan-
tit les anciennes tactiques.
Ces torpilles, dont la première application fut
faite par les Russes, en I8.i5, dans la mer Baltique,
sont aujourd'hui de plusieurs espèces selon leur
destination : les unes, dites doi-'iianlc'. reposent
sur le fond ou sont mouillées entre deux eaux ;
chargées de poudre ou do coton-poudre, elles
sont enflammées soit par l'électricité, soit par le
choc même des bâtiments; d autres, dites auto-
motrices, sont de véritables petits navires sous-
marins, en forme de cigares ; lancées tout d'abord
au moyen de l'air comprimé, elles conlinuetit leur
course dans une direction rectiligtie ou circulaire
prévue, à l'aide de petites hélices mises en mou-
vement par une machine à air comprimé placée à
l'intérieur. Elles peuvent atteindre une vitesse de
vingt-cinq nœuds (46 kilomètres à l'heure). D'autres
sont remorquées par les bâtiments en marche dont
elles défendent les approches; d'autres enfin sont
portées au bout d'un mâtereau disposé à lavant
d'embarcations à vapeur filant jusqu'à vingt nœuds
NAVIGATION
1408
NEIGE
(37 kiloni. à l'heure). Ces dernières torpilles sont
également ennamniées soit par l'électricité, soit
par leur choc contre le navire.
11 est reconnu qu'une torpille, chargée de 15 ki-
logrammes de coton-poudre, éclatant à l",5(> au-
dessous de la surface de l'eau et à 30 centimètres
de la muraille du plus fort cuirassé, suffit pour le
faire immédiatement sombrer.
LaFrance qui, la première, adonné l'impulsion
aux types nouveaux des navires de guerre, consacre
chaque année un budget de 165 millions à l'entre-
tien de sa flotte ; celle-ci occupe aujourd'hui, par le
nombre des bâtiments qui la composent, le se-
cond rang parmi les nations maritimes.
Notions techniques. — Au point de vue techni-
que, la navir/ittion est cette branche de la science
nautique qui a pour but de déterminer la route à
suivre sur les mers pour aller d'un point à un
autre et la position du navire sur le globe h tout
instant de cette route. La position d'un lieu sur la
terre étant donnée par sa latitude et sa longitude,
c'est à la connaissance de ces coordonnées géogra-
phiques que tendent les moyens employés. Lorsque,
dans la recherche de ces éléments, la navigation
agit sans le secours des astres, elle prend le nom
de navigation par Vestirne, et lorsqvi'elle utilise la
position et la marche des astres dans la voûte cé-
leste, elle prend le nom de navigation astronomi-
que ou Itautuiiére.
Dans la première, les moyens employés sont
élémentaires et leur intelligence ne nécessite que
quelques explications très simples. Si le bâtiment
navigue le long d'une côte, sans perdre la terre
de vue, ce qui constitue le cutjidiv^e, le problème
est réduit à sa plus simple expression et se borne
à la connaissance des écueils sous-marins qu'il
importe d'éviter, à celle des courants qu'il faut
utiliser ou écarter, à l'emploi de la boussole : c'est
le pilotnqe.
Dans la navigation au long cours, alors que le
bâtiment franchit des étendues considérables de
mer, le marin combine l'estime avec les observa-
tions des astres. Sans vouloir entrer ici dans des
détails que ne comporte pas cet article, il peut
être utile de donner l'explication de quelques
termes usuels employés dans la marine. La navi-
gation par l'estime comprend la connaissance du
point de départ du bâtiment, lorsque celui-ci va
perdre la terre de vue, la direction à suivre ou
celle suivie, et la longueur de chemin parcouru.
Les deux premiers éléments sont obtenus à l'aide
de la boussole et de la carte marine; le troisième
à l'aide du loch.
La boussole, que les marins appellent compas,
est généralement connue de tout le monde, aussi
n'avons nous besoin d'entrer ici dans aucune expli-
cation h. ce sujet (V. Boussole et Orientation).
Les cartes marines employées dans la navigation
sont les cai-tes réduites, dites aussi caitCide Mer-
cator, du nom' de l'inventeur de cette projec-
tion (1569); elles satisfont à cette double condi-
tion de représenter la route du bâtiment par une
ligne droite faisant, avec les méridiens qui y sont
tracés, le même angle que la route réelle, suivie
sur le globe, fait avec les plans méridiens de la
terre, et de conserver aux points de la carte les po-
sitions relatives que les points correspondants ont
sur le globe. La route suivie, lorsque le bâtiment
ne parcourt pas un méridien ou un parallèle, est
une courbe à double courbure appelée toxodnimie,
qui, coupant tous les méridiens sous un même
angle, se rapproche indéfiniment du pôle sans
pouvoir l'atteindre. Les arcs loxodromiques sont
représentés sur la carte réduite par des lignes
droites.
Enfin le loch, qui sert à estimer la vitesse des
bâtiments, n'est autre qu'un simple flotteur, con-
venablement disposé, que l'on abandonne dans le
sillage du navire, à l'aide d'une corde, ou ligne,
graduée en nceudi. La longueur théorique du
nœud est de 15", 43 ; c'est la 12U" partie du mille
marin. Le mille, qui vaut I8S2 mètres, est le
tiers de la lieue marine représentant elle-même
la 2U' partie du degré de la terre, soit 5i55 mètres.
Le mille est donc la U0° partie du degré, c'est-à-
dire la minute. Le temps pendant lequel on estime
la vitesse du bâtiment, c'est-à-dire pendant lequel
on file le loch, est de 30 secondes, précisément
la liO" partie de l'heure, de telle sorte que le
nombre de nœuds filés en 30 secondes répond
au nombre de milles parcourus en une heure :
ainsi, dire qu'un bâtiment file 12 nœuds, c'est dire
qu'il fait 12 milles dans une heure, soit 4 lieues
marines, soit 22 kilomètres et 220 mètres. Dans
la pratique on a reconnu qu'il était nécessaire,
pour l'exactitude des résultats, de faire subir à la
longueur théorique du nœud une petite réduction,
et cette longueur réelle est de U"',61.
La navigation astronomique s'occupe de la dé-
termination des latitude et longitude du lieu du
navire. Cette détermination, qui résulte de formu-
les établies par la science, se base sur des obser-
vations faites à l'aide d instruments dedeuxsortes :
les instruments à réflexion, octant, sextant, cercle.
pour l'observation des hauteurs des astres au-dessus
de l'horizon de la mer, et les chronomètres pour
la connaissance, à tout instant, de l'heure du pre-
mier méridien. Oa sait que la longitude d'un lieu
est la distance de ce lieu à un méridien de con-
vention, dit premier méridien (l'observatoire de
Paris, pour la France, celui de Greenwich pour
toutes les autres nations maritimes, sauf l'Espagne
qui conserve encore celui de San Fernando;. Cette
distance a pour mesure l'arc de l'équateur com-
pris entre ces méridiens; elle n'est autre que l'in-
tervalle de temps qui sépare le passage des plans de
ces méridiens par le centre du soleil pendant le mou-
vement de rot;ition de la terre sur son axe. L'heure
d'un lieu s'obtient par l'observation directe de la
hauteur des astres et à l'aide d'éléments astrono-
miques, convenablement modifiés, que l'on extrait
d'un ouvrage spécial, publié régulièrement et plu-
sieurs années d'avance : en France par le Bureau
des longitudes, c'est la « Connaissance des temps ; >.
en Angleterre par l'observatoire royal de Green-
wich, c est le Nautic'd almanw.h.
[A. lianaré, capitane de frégate.]
IVEIGE. — Météorologie, VU-X. — La neige
résulte de la condensation lente de la vapeur
d'eau dans une atmosphère dont la température
est notablement au-dessous de h° ; elle remplace
la pluie dans les régions ou dans les saisons
froides. Les flocons de neige sont d'autant plus vo-
lumineux que l'air est plus chargé de vapeur et
que sa température est moins abaissée au-dessous
de zéro.
Lorsqu'on reçoit pendant l'hiver un flocon de
neige sur un corps de couleur sombre et qu'on le
regarde avec une forte loupe, on voit qu'il est
formé par l'agglomération d'un nombre plus ou
moins grand de cristaux dont les formes très va-
riées dérivent toutes de l'hexagone, polygone régu-
lier à six côtés et à six angles égaux, ou du trian-
gle équilutéral. Les lamelles cristallines juxtapo-
sées, dans les figures les plus compliquies, for-
ment toujours entre elles un angle de 60 ou
de 120°.
Chaque lamelle cristalline, prise isolément, est
d'une transparence parfaile ; mais les faces qui
la terminent sont très polies et brillantes. Cha-
cune d'elles réfléchit une notable partie do la lu-
mière qu'elle reçoit; et comme elles sont extrê-
mement nombreuses, môme sous une faible épais-
seur de neige, la somme de lumière réfléchie
donne à l'ensemble un aspect de vive blancheur.
Celte neige qui semble si pure a, ceiiendant
NEIGE
_ l'iO!) —
NIVELLEMENT
ramassé pendant sa chute au li-avei'b de l atmo-
sphère, toutes les poussières quelle a rencon-
trées ; ot, si on la fait fondre, elle donne une eau
rarement transparente, surtout près des villes
industrielles : elle est moins pure que l'eau de
pluie. ,
Les flocons de neige ont un poids très faible
on comparaison de leur volume. Leur chute dans
l'air est donc très lente; la couche qu'ils forment
il la surface du sol occupe une épaisseur beau-
coup plus considérable que celle de l'eau qui pro-
vient de leur fusion ; d'autant plus considérable
iiue l'air est plus humide et la température plus
ilouce. Il faut de C ii 18 ou 20 centimètres de neige
pour donner 1 centimètre d'eau de fusion, dont
le poids est 10 kilogrammes par mètre carré.
A Paris, et dans les plaines, la chute de la
neige peut être accompagnée, comme la pluie ou
la grôle, d'éclairs et de tonnerres. Ce phénomène
est rare, toutefois, parce que les orages s'y montrent
peu durant l'hiver; que l'orage est alors accom-
pagné de coups de vents. La neige est, dans ce
cas, le plus souvent roulée. Il est beaucoup plus
cpmmun dans les pays de hautes montagnes sur
lesquelles la neige peut tomber en toute saison.
La température de l'air décroît assez rapide-
ment h mesure qu'on s'y élève en hauteur. Cette
diminution de la température est en moyenne de
r par 100 ou -JUO mètres d'élévation, suivant les
lieux, les saisons et l'état de l'atmosphère. Il en
résulte que, quel que soit le degré de chaleur que
l'on éprouve à la surface du sol, on trouvera
toujours dans l'atmosphère une couche de niveau
variable dans laquelle le thermomètre marque-
rait 0°. Plus haut la température est encore plus
basse. Il peut donc neiger dans la montagne alors
qu'il pleut dans la plaine.
En toutes les régions du globe, on peut ren-
contrer des montagnes assez élevées pour que la
neige tombée en certaines saisons ne puisse y
fondre entièrement dans le cours de toute une
année : elles pénètrent alors dans la zone des
neiges perpétuelles. Cette zone couvre la surface
entière du globe, de l'équateur au pôle ; seule-
ment, elle est généralement d'autant plus élevée
au-dessus du niveau prolongé de la mer qu'on
avance plus près de l'équateur. Les circonstances
locales peuvent toutefois en modifier sensiblement
la hauteur. En voici quelques exemples :
Cotes <li' Noiwe(,'c
Oural scptcntnonal
Alpes
Pyrénéfis
Etna (Sicile)
Himalaya, versant septentrional
— versant meridion-'
Abyssinic
Sierra Nevaihi fAnicii(|ue n
llionalo) :
Andes ,1e Quito
Détroit «le Magellan
7IM5'.\-
-i6 0 .N'
.13 0 >■
:17 30 N
31 0 N
31 0 N
31 0 N
19 U N
3930
4Ô01J
4' .30
4SI3
1130
La neige, tant qu'elle est à l'état de blancheur,
est un très mauvais conducteur du froid; elle
ralentit la pénétration de la gelée dans le sol et
préserve de ses effets les plantes qu'elle recou-
vre. Dès qu'elle commence à fondre par l'action
des pluies ou d'un air chaud, elle absorbe, pour se
transformer en eau, une grande quantité de cha-
V Partie.
leur qu'elle fait passer h l'état latent; elle devient
alors une source de fraîcheur en quelque lieu
([U'elle soit déposée.
La neige peut disparaître aussi sans trop chan-
ger d'aspect, soit par simple évaporation dans
l'air, soit sons l'influence des rayons solaires ;
mais comme elle réfléchit énergiquement ces der-
niers, elle n'en retient qu'une faible partie et
fond lentement; mais si des poussières, des cen-
dres, couvrent sa surface, chaque grain opaque
absorbe une plus forte proportion de ces rayons
et active la fusion.
La neige est quelquefois rouge, surtout dan»
les régions polaires ou dans celles des neiges
perpétuelles. Cette coloration est due à un petit
champignon, VUredo nioiiUs, qui a la propriété
de végéter sur la neige. [Marié-Davy.]
NEUFS. — V. Systènw nci-veux.
NIVKLLKMENT. — Arpentage, VIII et IX. —
Opération accessoire de l'arpentage qui a pourbut
de déterminer la distance des différents points
d'un plan à une même surface horizontale qu'on
appelle le phm île lepè-e ou de compavnnon.i^p.
plan de repère est arbitraire ; on le prend ordinai-
remint au-dessous de tous les points du terrain
qu'on veut représenter ; la distance d'un point
quelconque du terrain à ce plan est ce qu'on
nomme la ciAe de ce point. On peut se donner ar-
bitrairement la cote d'un point particulier du ter-
rain ; l'opération consiste alors à déterminer les
différences de cote entre ce premier point et tous
— Un nivellement peut être simple ou com-
posé. Il est simple lorsqu'il s'agit de trouver la dif-
férence de cote de deux points Aet B peu éloignés
l'un de l'autre, de telle sorte qu'on puisse, par une
seule station, obtenir le résultat. Le plus souvent
on opère avec \enweriiid'eau. — y. Arpent/ig,' (In-
struments d'.) — On établit l'instrument en un point
C, qui no soit pas éloigné de plus de 40 ou 50 mètres
de chacun des deux points A et B. On fait dresser
une iniic au point A; on dirige, à l'aide do l'ins-
trument, un rayon visuel horizontal vers cette
mire ; et l'on fait élever ou abaisser le voijant
jusqu'à, ce que le rayon visuel passe au centre,
ou du moins par un point de l'horizontal qui le
coupe en deux parties égales ; l'aide fixe alors le
voyant à la mire, et lit, sur la division qu'elle
porte, la hauteur du centre du voyant au-dessus
du talon de l'instrument, qui est posé sur le
sol. On fait transporter la mire au point B; l'o-
pérateur, sans déplacer le niveau, fait tourner
le tube autour de son axe vertical, mène un rayon
visuel horizontal vers sa mire, fait fixer le voyant
comme il a été dit, et tire la hauteur de son centre
au-dessus du talon. La différence entre les hau-
teurs lues sur la mire exprime la diflérence de cote
des points A et B. Le point IS est au-dessus on
au-dessous du point A, suivant que la hauteur
mesurée en B est plus petite ou plus grande que
celle qui a été mesurée au point A.
2. — Le nivellement est composé lorsque la dif-
férence de niveau que l'on cherche ne peut être
obtenue qu'à l'aide de plusi 'urs stations intermé-
diaires. C'est ce qui a lieu quand la distance des
deux points est un peu considérable, car il arrive
alors que les rayons visuels horizontaux menés
d'une station intermédiaire, passent, l'un au-dessus
d'une des deux mires et l'autre au-dessous du talon
de l'autre. Oo choisit alors, entre les points A et
B, un certain nombre de points intermédi^iires
M i\, P, etc., assez rapprochés pour que la difTé-
re'nco de cote des deux points consécutifs puisse
être obtenue par un nivellement simple; et l'en-
semble de ces nivellements simples constitue le
nivellement composé.
Soient /i„ ot A, ces hauteurs lues sur les mires à
la première station, entre A et M; /i, et A, les
80
NIVELLEMENT
— 1410 —
NOM
hauteurs analogues obtenues à la seconde station,
entre M et N ; /14 et A5 les hauteurs lues à la troi-
sième station, entre N et P; et ainsi de suite.
Les différences successives entre les cotes se-
ront /(o ~ ''11 Ih— ''3. ''» — ''5. etc.; la différence
totale sera donc:
Aj — /(, + //. — //3 + /,j — /(5 + etc.,
ou, ce qui revient au même,
(//o-f/ij + Ai + etc.) — (/(,4-;,3 + /,. + etc.),
c'est-à-dire la somme des coups arrière diminuée
de la somme des cuups avant, en entendant par
i:oiip de nivfiau la hauteur lue sur la mire.
Le point B sera au-dessus ou au-dessous de A
suivant que cette différence totale sera positive
ou négative. Si elle était nulle, les points A et B
seraient au même niveau.
11 est bon, surtout lorsque le nombre des sta-
tions intermédiaires est considérable, de vérifier
l'opération en allant de B vers A, si l'on a été
d'abord de A vers B ; en théorie, les deu.\ opéra-
tions devraient donner la môme différence de
cote, au signe près. Il est rare qu'on obtienne
cette précision ; mais si les deux résultats ne dif-
fèrent que de 1 à 2 décimètres par kilomètre,
quand on a opéré avec le niveau d'eau, ou de I à
'i centimètres quand on a opéré avec un niveau
plus précis, on regarde l'opération comme suffi-
samment exacte, et l'on se contente de répartir
l'erreur également sur toutes les cotj'S, sauf la
première. ;-i l'erreur était plus considérable, il
faudrait reprendre les opérations.
3. — Pour tenir une note exacte des opéra-
tions parlielles, on ouvre d'oidinaire un registre
spécial qui porte le nom de registre de nivelie-
rnent. Il se compose de " colonnes. La 1" contient
les numéros d'ordre des points successivement
observés. Les 2* et 3' reçoivent lis hauteurs de
mire observées, savoir les coups arrière dans la
'l' et les coups avant dans la 3«. Les 4° et i>' co-
lonnes sont affectées aux différences entre les
coups arrière et avant; ces différences s'inscrivent
dans la i' colonne si elles sont positives, et dans
la 5'^ si elles sont négatives. Les cotes déduites
de ces différences s'inscrivent dans la B' colonne,
en tète do laquelle on a eu soin d'inscrire la cote,
donnée ou arbitrairement choisie, du point de
départ de l'opération. La V colonne est réservée
aux observations.
■i. — Il est rare que, dans les opérations d'ar-
pentage proprement dit, on ait besoin de faire
connaître exactement le relief du terrain sur le-
quel on opère; mais il est utile cependant que
l'arpenteur ait quelques notions sur la représen-
tation de ce relief. L'élément principal de cette
représentation consiste dans les courbes horizon-
tales.
Supposons le terrain coupé par un plan hori-
zontal : l'intersection de ce plan avec la surface
du terrain jouira de cette propriété que tous ses
points auront la même cote. Et réciproquement :
si l'on réunit, par une ligne droite, ou brisée, tous
les points du terrain qui ont la môme cote, cette
ligne sera une ligne horizontale.
Pour se procurer une pareille ligne, on se place,
muni d'un niveau d'eau, ou d'un instrument plus
précis, en un point du terrain dont la cote soit
connue; on règle le voyant d'une mire de telle
sorte que son centre soit à une hauteur, au-des-
sus du lalon, égale à la hauteur du niveau em-
ployé. On fait porter cette mire sur le terrain, et
on fait varier sa position jusqu'à ce que, en visant
avec le niveau dans sa direction, le rayon visuel
passe par le centiedu voyant; on est sur alors que le
point où repose la hiirea la même cote que le point
où l'on stationne; et on y fait planter un piquet
Sans changer de station, on fait une série d obser-
vations analogues, en variant la direction hori-
zontale de la visée; on obtient ainsi sur le terrain
autant de points que il'on veut ayant la même
cote que la station ; on lève, à la planchette,
le plan des piquets qui ont été plantés; par les
points obtenus on fait passer une courbe continue;
c'est la courbe horizontale correspondante à la
station choisie. On détermine de la môme manière
les courbes horizontales qui correspondent à
d'autres stations. En général on les choisit de
manière que les courbes horizontales obtenues
soient équidistantes, de 5 mètres en .S mètres, de
10 mètres en 10 mètres, suivant l'étendue et le re-
lief du terrain. L'ensemble de ces courbes suffit
pour donner tine idée de ce relief.
5. — On associe aux courbes horizontales deux
autres espèces de courbes.
En premier lieu on trace une série de lignes
rencontrant à angle droit toutes les courbes hori-
zontales successives; ces lignes, auxquelles on
donne le nom de hachures, expriment des pentes
d'autant plus grandes que la portion comprise
entre deux courbes horizontales consécutives est
plus petite; et le rapport de cette portion de ha-
chure à la distance connue des deux courbes
horizontales, sert de mesure à la pente moyenne
entre ces deux courbes.
On fait aussi usage de ce qu'on appelle des
profils. Si l'on suppose, par exemple, que le ter-
rain soit coupé par un plan vertical, l'intersec-
tion sera un profil; et, connaissant les projections
horizontales et les cotes d'un nombre suffisant de
points de cette courbe, il sera facile d'en obtenir
la représentation à une échelle quelconque. Au
lieu d'un plan vertical, on peut employer un cy-
lindre à générations verticales, et, en opérant de
même manière, on se procure le profil du terrain la
suivant une courbe quelconque tracée sur ,sa sur-
face.
On multiplie les profils, soit rectilignes, soit
curvilignes, de manière à obtenir tous les rensei-
gnements nécessaires pour la représentation du
relief.
De plus amples détails sur ce sujet appartien-
draient à la topographie plus qu à l'arpentage.
[H. Sonnet.]
NOM ou SUBSTANTIF. — Grammaire, L\. —
Le uom (en latin, nomen, et, en grec, onoma ou
O'it/iii'i) est le mot qui sort à désigner les per-
sonnes et les choses. Les Latins appelaient le nom
sutjstantivuin quand il désignait des individus,
tandis qu'ils le nommaient (idjectivum, quand il
servait à exprimer leurs qualités. De ces deux
catégories de noms, nous avons formé deux es-
pèces de mots distinctes : i'adj-'clif et le substnn-
lif. Mais ce terme .substantif, dont le sens précis
est assez difficile ù saisir pour les enfants, et
qui d'ailleurs ne répond pas toujours exactement
à l'usage pour lequel on l'avait créé, s'emploie de
moins en moins dans nos classes, et finira bientôt
par céder la place à ce mot si simple, le nom, qui
est beaucoup plus juste et beaucoup plus familier
aux élèves.
Noms propre.i. Noms conimuiis. — Au point de vue
de la compréliension, c'est-à-dire du nombre des
individus auxquels un même nom peut s'appliquer,
on distingue deux sortes de noms : le nom prupre
et le nom commun. Le num /riipre (du latin pro-
/j//«.>-, qui appartient à un seul, qu'on ne partage
point avec d'autres) est celui qui ne désigne
qu'une seule personne ou une seule chose. Exem-
ples: Adam, Eve, faris, tu Heine, les Alpes.
Au contraire, le nom coinniun (du latin commu-
his, qui appartient à tous) est celui qui désigne
tous les individus de la même espèce. Tels sont
homt/'C. f'tmme, ville, fleure, qui peuvent se dire
indifféremment de toics les hommes, de toutes les
femmes, de loules les villes et de tous les fleuves.
NOM
— 1411
NOM
La compréhension dos noms, quii'tait très étroile
il l'oripine, qu.iiid on ne. connaissait qu'un indi-
vidu, ou que quelques individus d'une espèce,
s'est élargie avec le progrès des connaissances, et
voici ce que dit Condillac de cette transformation
des noms pi op'-es en noms cutinnuns :
« Si nous n'avions pour substantifs que des
noms propres, il les faudrait multiplier sans fin :
les mots, dont la multitude surchargerait la mé-
moire, ne mettraient aucun ordre dans les ob-
jets de nos connaissances, ni, par conséquent,
dans nos idées, et tous nos discours seraient
dans la plus grande confusion. On a donc classé
les objets, et les substantifs, qui étaient des
noms propres, sont devenus des noms communs,
lorsqu'on a remarqué des choses qui ressem-
blaient à celles qu'oJi avait déjà nommées. (Con-
dillac, Grammriire, 11" partie, ch. i''.) n
Les enfants demandent quelquefois si des noms
tels f\\iA.exnndie, < hurles, Heiin, qu'ils trouvent
employés pour désigner des individus nombreux
et différents, sont des noms propres. On leur fera
facilement comprendre que ces noms ne peuvent
être des noms communs, on appelant leur atten-
tion sur le sens exact de ce terme, et en leur di-
sant qu'un nom cutnrnun doit pouvoir s'appliquer
à n'importe quel individu de l'espèce à laquelle il
appartient.
Noms concrets, noms abitraits. — Lorsqu'un
objet se présente à nos regards, nous remar-
quons en lui un certain nombre de manières d'être.
Sa couleur nous révèle sa forme et son étendue;
le toucher peut aussi nous apprendre s'il est lisse
ou rugueux, dur ou mou, etc. Je vois un arbre,
par exemple ; il me parait gris ou vert, suivant la
saison ;il est petit ou grand, mince ou gros, élancé
ou touffu. C'est parce que ces qualités se <lé<eio,,-
pent en quelque sorte nvec ('■oitcrescunt) l'objet
que l'on considère, qu'on a appelé noms concrets
ceux qui désignent des objets considérés avec l'en-
semble de leurs qualités. Ainsi, arlire, jnrd'n.
maison. Iinmine, sont des nous concrets, puisque
leur aspect révèle une quantité plus ou moins
considérable de manières d'être. C'est à ces noms
concrets seulement que peut convenir la dénomi-
nation de substiiiiti/<, puisque les obiets qu'ils
désignent sont les seuls qui éveillent dans notre
esprit l'idée d'une su'.staiice, c'est-à-dire d'une
sorte de fond qui semble se tenir sous (sub-sture)
ces qualités et leur servir de base et d'appui.
Mais, parmi toutes les manières dètre d'un
objet, je puis en considérer une isolément, et la
détacher (a/,s/)-«//e/<') en quelque sorte, par une
opération de mon esprit, de l'objet auquel elle
appartient. Ainsi que je sois frappé, par exemple,
des dimensions que présente le tronc de l'arbre
que j'examinais tout à l'heure, je dirai : <. la ç/ros-
seur et la hauleur de cet arbre m'ont étonné. »
J'a,i ainsi abstrait, c'est-à-dire détaché deux ma-
nières d'être de l'arbre ; je puis aller plus loin
encore, je puis prêter, en quelque sorte, une
existence indépendante à ces produits de l'abstrac-
tion, et dire : « La qnmiteur et l'éMimtion frappent
vivement tous les hommes. » On appelle, en con-
séquence, noms abstraits ceux qui, comme qrnn-
cleur, élévation, désignent des nianif'res d'être sé-
parées de l'objet auquel elles appartenaient.
Noms collertifs. _ Les noms collertifs (du
latm lollectum, supin de colnijcre, réunir) se
nomnient ainsi parce que. môme au singulier, ils
e.\prinient une réunion, une collection, un nom-
bre plus ou moins considérable d'individus ; tels
sont : muititui/e, foule, i-ifvnté, nombre, etc.
Il y a deux sortes de noms collectifs : les col-
lectifs (léneriiux et les collectifs partitifs.
Un collectif est général quand il comprend une
catégorie tout entière d'individus. Kx. : la /ouïe
des hommes. Il est ici question de l'humanité
tout entière.
Un collectif est partitif, lorsqu'il ne désigne
qu'une partie de l'espèce dont il s'agit. Exemple :
une foule de gens. Il n'est pas question, dans ce
cas, de toute l'humanité. Cette distinction est
importante. Kn effet, bien qu'un écrivain soit tou-
jours libre d'appeler l'attention du lecteur sur le
collectif ou sur le nom qui lui sert de complé-
ment, c'est ordinairement avec le collectif que
le verbe s'accorde quand ce collectif est gé-
néral, tandis qu'il prend le nombre du com-
plément quand le collectif est partitif. On dira
donc :
« La foule des hommu^ est sujette ii l'erreur. —
Une foule d'enfants se perdent par la lecture des
mauvais livres. »
On reconnaît que le collectif est général,
quand il est précédé de l'article défini ou de l'ad-
jectif démonstratif ; au contraire, le collectif est
partitif quand il est précédé d'un adjectif in-
défini, comme un, une.
Noms composés. — On appelle noms composés
ceux à la formation desquels concourent deux ou
plusieurs radicaux. Tels sont : philoso/ihos, en
grec, philosophas, en latin, qui ont donné le mot
français philosophe. Dans la langue grecque et la
langue allemande, les mots composés se forment
avec la plus grande facilité. Les radicaux se sou-
dent les uns aux autres, et la désinence s'ajoute
au dernier radical. En français, si l'on excepte
ceux qui dérivent du latin ou du grec, les noms
que les grammairiens français ont appelés com-
posés se forment par juxtaposition. Tels sont :
chi.u-fleur, porte-étendard, pot-au-fu.
Ces noms ne sont pas en réalité composés,
mais bien plutôt 7"a'<a/.o,ses. On verra, à la fin de
cet article, comment les noms se composent à
l'aide des affixos.
Noms mdc finis. — On appelle indéfinis, les
noms qui désignent un nombre indéfini, indéter-
miné, de personnes ou de choses. Tels sont : peu,
beaucoup, lu plupart, quantité, tmp, assez, etc.
Il faut remarquer que peu et heauc'uip ne doi-
vent point s'employer comme collectifs, sans un
complément qui les détermine. Ne dites donc pas :
cbeuucoup pensent ainsi, » mais : " beaucoup
à'hnmmes, de personnes, pensent ainsi. »
Du genre. — En grammaire, on appelle genre
la propriété qu'ont certaines parties du discours
de distinguer le sexe.
En fiançais, il n'y a que deux genres : le mas-
culin et le féminin. Notre langue n'a conservé
aucune trace importante du genre neutre, qui
désignait généralement, en grec et en latin, ce
qui n'appartenait ni au sexe mâle, ni au sexe
femelle.
Les noms d'hommes et d'animaux mâles sont
du genre masculin ; les noms de femmes et d'a-
nimaux femelles sont du genre féminin. De plus,
on a attribué, en français, le genre masculin et le
genre féminin à la plupart des noms qui avaient,
en latin, l'un ou l'autre de ces genres.
Quant aux noms neutres, ils sont généralement
devenus masculins en passant du lalin en fran-
çais. Cependant, quelques pluriels neutres, étant
terminés en a, ont été pris à tort pour des noms
féminins de la première déclinaison latine, qui
ont aussi a pour désinence. Ainsi foliu, pluriel
neutre de fulium. a donné le nom féminin feuille.
Il en est de même de piru, puma, etc., qui ont
formé la poire, la pomme.
Iieu,aii/ues sur le i/en^e de quelques noms. —
Quelques noms soin tantôt du masculin et tantôt
du féminin. Ainsi, amour, del'ce et orgue sont
du masculin au singulier et du féminin au plu-
riel. La grammaire historique rend compte de
celte anomalie. En co qui concerne le mot
NOM
1412
NOM
amour, elle nous apprend que les mots mascu-
lins en or du latin sont presque tous devenus
féminins en passant dans la langue française. Les
savants du moyen âge ayant voulu restituer au
mot amour son genre latin, ne réussirent que
pour le singulier. On écrit, en conséquence, U7i
fol amour, de folles amourx.
Quant au mot déliera, il vient du mot latin
neutre delicium, dont le pluriel était du féminin ;
deliciic. On s'explique donc facileiuent qu'il ait
également ces deux genres en français, lie même,
orgue, masculin au singulier, reproduit le neutre
orqnnum; tandis que le pluriel féminin a été
calqué sur le pluriel neutre orgnna, que l'on a
pris, comme nous l'avons dit plus liaut, pour un
nom féminin de la première déclinaison.
Gent (qui vient du latin gens, race, famille)
est féminin au singulier comme en latin; « la
gent écnliére. » Au pluriel, " les gens, » il désigne
collectivement les liommes et les femmes, et, par
conséquent, devrait être exclusivement du mascu-
lin. Il semble qui! se soit fait sur ce mot un com-
promis ; les adjectifs qui précèdent immédiatement
ce nom prennent son genre étymologique, c'est-à-
dire le féminin; tandis que les adjectifs qui le sui-
vent prennent le genre qu'a ce nom au figuré, le
mnsctdin. On écrira donc : « Formés par l'expé-
rience, les vieilles gens sont pruihnts, soupçon-
neux, » ce qui parait très bizarre quand on ne re-
connaît pas la cause de cette anomalie. Quant
au mot unis, précédant i/rus. il se règle sur l'eu-
phonie. On écrit : « tout les honnêtes gens, u
parce qulujiniéte n'a pas au féminin une forme
spéciale ; et on dit : « tnuffs les vieil/es gens, »
parce que vieilles est une forme spéciale qui for-
cément appelle le féminin toutes. — Gens est uni-
quement du masculin quand il éveille spéciale-
ment l'idée d'honnnes : « de nombreux gens d'af-
faires, les vrais gens do lettres. »
Parmi les noms qui ont les deux genres, il faut
encore citer les suivants :
Aigle, oiseau, est du masculin, îi moins qu'on
ne désigne spécialement la femelle : " On fit en-
tendre Ji l'aigle enfin qa'clle avait tort. « (La Fon-
taine.) Au figuré, il est du féminin ; « les aigles
romaines ii (les enseignes).
Couple, signifiant simplement dtajc. est du
féminin : « une roupie de perdreaux. >■ Il est du
masculin quand il exprime l'idée d'union, d'en-
tente : « un couple bien assorti. »
Foudre, au propre, est du féminin ; dans le
sens figuré, il est du masculin : « un foudre de
guerre. »
CEuvre était autrefois du masculin au singu-
lier; il l'est encore au figuré et dans le style sou-
tenu : 0 le grrind œuvre, tout l'œuvre de Cor-
neille. » Mais, dans le style ordinaire, il est
du féminin, et il vaut mieux lui donner dans
tous les cas ce genre : « une bonne oeuvre, une
belle, œuvre. »
Orge n'est du masculin qu'en pharmacie, « de
l'orge perlé, de l'orire mondé. ■> Dans tous les
autres cas, il est du féminin.
Pàque, fête des Juifs, est du féminin singulier
et prend l'article : « manger la Pàque. » — Pf'i-
ques, fête des chrétiens, est du masculin singu-
lier : « Pâques est tardif cette année. » Au figuré,
il est du féminin pluriel : « faire de tonnes P.i-
ques » fc'est-a-dire faire une bonne communion).
Ce qu'il importe de faire remarquer avant tout
aux élèves, c'est que le changement du genre est
presque toujours la conséquence d'un change-
ment de signification.
Formation du féminin dans les noms. — La
langue française a des noms spéciaux pour dési-
gner les deux sexes dans la famille, ou encore
dans les espèces animales qui, de temps immé-
morial, vivent dans la domesticité do l'iiommc.
C'est ainsi que nous disons : homme, femme,
père, mère, oncle, tante, net^eu, nièce, fils, fille,
— et, de même : chuval, jument, binuf, taureau,
vache, génisse, bouc, c'ièvre, bélier, brebis, coq,
poule, etc.
Notons en passant que certains mots, comme
chevid, bœuf, mou/on, s'emploient non pour expri-
mer l'idée de sexe, mais pour désigner ces ani-
maux comme alimoits ou comme espèces.
Lorsque le nom spécial manquait, on a pu tirer
le féminin du masculin, quand la terminaison s'y
prêtait, do même qu'on forme le féminin de l'ad-
jectif (V. Adjertif). Exemple : ours, ourse; chien;
chienne; chat, chatte; tigre, tigresse; loup, louve.
Cependant l'usage n'a pas étendu cette formation
à tous les cas, et fort souvent l'on emploie les
mots mâle et femelle, que l'on ajoute au nom pour
désigner de quel sexe on parle, bien que la dési-
nence du masculin se prêtât tout naturellement à
la dérivation d'un nom féminin. On dit, par exem-
ple, un pinson, un chardonneret mnlc, un pinson,
un chardonneret /'fme//p, ou encore une femelle de
pinson, de chardonneret.
Notons encore que le mot enfant peut s'em-
ployer pour désigner les deux sexes, mais seule-
ment au singulier; on dira donc, en parlant d'une
fille : « une charmante enfant. " Au pluriel, ce
mot est exclusivement du masculin.
Du nombre dans les noms. — On entend par
nombre, en grammaire, Vindication de l'unité ou
de la pluralité.
Il n'y a, en français, que deux nombres, le sin-
guliei , qui ne désigne qu'un seul objet, et ie plu-
riel, qui en désigne une quantité plus ou moins
considérable.
Les Grecs avaient un troisième nombre, dont on
ne trouve que quelques traces chez les Latins :
le dîiel, qui servait à désigner les objets qui se
présentent généralement par couple dans la na-
ture : les deux yeux, tes deux mains, les deux
pieds.
Formation du pluriel. — Le pluriel se forme
généralement en ajoutant un s au singulier. Exem-
ple : le livre, les livres. Cette règle nous vient du
latin. Des six cas que pouvaient prendre les noms
déclinables de cette langue, deux seuls survécu-
rent enfin aux mutilations que subit la langue la-
tine depuis le jour où elle fut introduite dans la
Gaule par les légions de Jules Cé.sar. Ces deux cas
étaient Vnccusatif siiigulier et ['ocrnsatif pluriel,
le premier terminé généralement par le suffixe m,
et le second, par le suffixe .ç. Il est dès lors natu-
rel que la forme de ces deux cas ait servi de mo-
dèle à notre singulier et à notre pluriel. De là ces
noms singuliers qui, comme la rove, le livre, la
couleur, représentent les accusatifs rosnm, li-
brum, colorem, tandis que les noms pluriels les
roses, les livres, les couleurs ont été calqués exac-
tement sur rosns, libres, colores et leur ont em-
prunté l's désinentiel.
Quant aux noms français qui ont été formés
de noms neutres latins, dont l'accusatif pluriel se
termine par a, et non par .s, ils n'auraient pas dû
logiquement prendre un s au pluriel. Et, en effet,
nous avons remarqué plus haut que quelques-uns
de ces pluriels neutres avaient même formé des
noms singuliers, comme la joie, la feuille. Mais
comme ces noms étaient de beaucoup les moins
nombreux, on leur a appliqué le procédé le plus
général, et on a écrit les tetnpies. les arme^, bien
que teriipla, arma ne fussent point terminés par
un s.
Remarques sur la formation du pluriel. —
1" Quand un nom est déjà terminé par un s au
singulier, il est naturel que l'on n'ajoute point ce
signe pour former le pluriel. On écrit donc : le fijs,
li-s fils. Il on est de même si le nom se termine
par .1 ou par :. qui n'étaient ([uc des équivalents
NOM
— i'ii;j
NOM
de s dans notre ancienne langue, où l'on écrivait
indifféremment /es lois ou les loiv; un 7îes ou un
2" Cet emploi de a; pour s est maintenant de
règle pour former le pluriel des noms en au et en
eu, et l'on est forcé d'écrire i/es couteaux, des che-
veux (la seule exception est landau, pluriel lan-
daus, espèce de voiture);
3" On emploie encore exclusivement \'x pour
former le pluriel de sept noms en ou, bijou, cail-
lou, chou, genou, hiOou, joujou Et pou. Les sLUtrea
noms en ou suivent la règle générale.
4° Les noms en al font leur pluriel par le chan-
gement de cette terminaison at en aux, qui n'est
qu'une prononciation adoucie de als. On écrivit
d'abord des ch-vuls; puis, des chevaus, et, enfin,
en substituant k Va son équivalent x, on forma
des chevaux.
Quant à cette tendance de l h s'adoucir en m,
nous en trouvons des exemples dans Vuugirard
pour Valgirard, chccau-Uger pour checal-Uger,
et surtout dans le passage du latin en français :
n/ia-aube; aftp;'-autre ; ea/uus-chauve, etc.
Quelques noms en al, cependant, suivent la
règle générale. Les plus usités sont hiil, carnaval,
chacal, régal, qui prennent un s au pluriel.
5° Sept noms en ail forment aussi leur pluriel
par le changement de ail en aux. Ce sont : bail,
corail, émail, soupirail, travail, vantail et vitmil,
peu usité au singulier. On écrira donc den baux,
des coraux, etc. Tous les autres noms en ad sui-
vent la règle générale.
Noms ù double pluriel. — Le double pluriel de
certains noms a pour but d'en exprimer le double
se.ns propre oa figuré.
Ainsi, aïeul fait aïeuls quand il désigne le
grand-père et la grand'mère, et nieux. quand il
désigne les ancêtres. Ces deux pluriels ne sont
d'ailleurs que deux formes absolument équiva-
lentes. (V. plus haut ce que nous avons dit de
l'équivalence de s, x, z.) — .iil fait nulx, chez le
jardinier, et ails, chez le botaniste. — Ciel fait
deux pour désigner la voûte apparente, et ciels
pour exprimer tout ce qui en présente l'image. —
Œil fait yeux pour tous les noms qui ne présen-
tent aucune équivoque : les yeux du pain, du
fromage, de la vigne ; on sait très bien que ces
objets n'ont pas d'organe visuel; mais on dit des
yeux de bœuf, de perdrix, de cliat, de serpent,
pour désigner lorgane de la vue, et des ouïs de
bœuf, de perdrix, de chat, etc., pour exprimer
tout ce qui ressemble aux yeux de ces animaux.
De même, travail fait son pluriel avec .«, quand
il conserve son sens primitif, et désigne cet assem-
blage de poutres (Irabes), qni sert à contenir les
chevaux vicieux ; ou encore quand il désigne des
études, des comptes, faiis en commun ; mais il fait
travaux dans tous les autres cas.
Noms invariables. — Un certain nombre de
noms, pris dans leur sens propre, ne s'emploient
point au pluriel. Tels sont, par exemple, les noms
abstraits, comme ta vieillesse, la jeunesse, la pau-
rcffé, la yloire, le bonheur, l'adversité.
Cependant, beaucoup de ces mots peuvent s'em-
ployer au figuré et prendre le pluriel. On dira,
par exemple : «■ cet homme ne débite que des pau-
vretés )), c'est-à-dire des mots vides de sens, des
hajiatités.
On ne fait jamais varier non plus les noms for-
més à l'aide d'un adjectif ou d'un verbe et de
l'article: te juste, le beau, le boire, le manger. Il
en est de même des noms de métaux, l'or, le fer,
l'urgent, à moins qu'on ne veuille spécifier : « les
fers de la Suède sont excellents. »
Sont encore invariables les noms des arts et des
sciences : l'agriculture, la chimie, etc. L'usage
apprendra toutes ces particularités.
Au contraire, il y a des noms qui ne s'emploient
qu'au pluriel. Tels sont: ancêtres, annales, ar-
moiries, appas, arrérages, brouisuilles, catacombes,
décombres, funérailles, mœurs, vêpres, vivres, etc.
On les trouvera tous dans les grammaires.
Pluriel des noms dérivés des langues étran-
gères. — Les noms étrangers qu'a francisés un
long usage prennent le signe du pluriel. On écrit
donc : des accessits, des agendas, des atbunn, des
alibis, des alinéas, des altos, des bravos, dos ilo-
minos, des iluos, des factums, des folios, des im-
broglios, des numéros, des opéras, des oratorios,
des panoramas, des pensums, des quiproquos, des
quolibets, des récépiasés, des trios, des vivats, des
zéros.
Comme c'est l'usage qui est ici le seul guide,
il ne faut pas toujours rechercher la logique dans
la formation de ces pluriels. Ainsi, en dit nn pen-
sum, des pensums, tandis qu'on dit un errata, des
errata, bien que pensum ait pour pluriel pensa,
I tandis qu'errata a pour singulier erratum en
latin. Mais comme un errata est une liste de
fautes, on ne le trouve point en français avec la
forme du singulier. De même, on ne devrait pas dire
des alibis, avec un .v, puisque alibi est un adverbe.
11 faut, pour se tirer de toute incertitude, con-
sulter le Dictionnaire de l'Académie, qui fait seul
autorité en cette matière.
L'Académie fait invariables duplicnta, errata,
maximum, recto, verso. Elle écrit des cicérone, des
quintettes, des ladics, des tories ou torys.
Quelques mots conservent le pluriel qu'ils ont
dans la langue d'où on les a tirés. On dit donc :
des carbonnri, des dileitunti, des lazzaioni, des
soprnni, 11 serait bien ;\ soubaitor qu'on appliquât
enfin à tous les noms étrangers la règle générale.
Les noms qui ne prennent pas la marque du
pluriel sont:
1" Ceux qui sont formés de plusieurs parties.
Exemple : des ex-voto, des in-ocliivo, des post-
scriptum, des Te-Deum. Cependant l'Académie
écrit des autodafés en un seul mot.
2° Les noms des prières : des Ai e, des Confiteor^
des Pater. Cependant l'Académie écrit : des Allé-
luias .
Pluriel des noms composés. — Les mots qui
concourent, en français, à la formation des noms
dits cumpO'iés, sont : le 7iom, Va/ljectif, le verbe,
la préposition et {'adverbe. De ces cinq mots, le
nom et l'adjectif sont les seuls qui puissent pren-
dre la marque du pluriel.
En formant le pluriel des noms composés, on
doit examiner si les parties composantes sont unies
par un rapport de concordance ou par un rapport
de coinplcnienl. Ainsi, dans coffre-fort, le second
terme ne sert qu'à qualifier le premier, au Con-
traire, dans le mot chef-d'œuvre, le premier nom
a pour complément déterminatif celui qui le suit.
De là les règles suivantes :
1» Un nom composé formé de deux noms dont
le second qualifie le premier, prend la marque du
pluriel aux deux parties composantes. Ex. :
Un chou-fleur, des choux- fleurs.
i" Si le nom est composé d'un nom et d'un ad-
jectif, la règle est la même. Ex. :
Un coffre-fort, des coffres-forts.
Une basse-cour, des basses-cours.
3° Si le nom est composé de deux noms dont le
second sert de complément déterminatif au pre-
mier, le premier seul prend la marque du plu-
riel. Ex. : Un chef-d'œuvre, des chefs-d'œuvre,
un holel-Dieu, des hôtels-fjieu.
Quelquefois le nom déterminant est placé le
premier. Ex. : un havre-snc, des havre-sacs, c'est-
à-dire des sacs à l'avoine (hafer, en allemand).
Quelquefois aussi on sous-cntend le nom qui
seul renferme l'idée de pluralité. Ex. : des te'te-à-
téte, c'est-à-dire des entretiens où l'on est tête à
tdte.
NOM
1414
NOM
4" Si le noQi est composé d'un verbe et d'un
nom, lo nnm seul prend la marque du pluriel, à
moins qu'il n'exclue toute idée de pluralité. On
dira donc : un possi'pnrl, des passeport-:, mais on
écrira : un sen e-léle, des serre-têt--, parce qu'on ne
serre qu'une tête dans un bonnet.
C'est en venu de ce principe qu'on a proposé
d'écrire au singulier un essuie-mains, parce que
l'on n'essuie pas une Sfule main.
5° Si le nom est composé d'un nom et d'un mot
invariable, il est naturel que le nom seul prenne
la marque du pluriel. Ex. : Un contre-coun, des
contre-coups', un avunt-courtur, des avant-cou-
reurs.
(i" Si le nom composé ne renferme que des élé-
ments invariables de leur nature, aucune partie ne
prend la marque du pluriel. Ex. :
Un in-douze, des in-douze.
Un oui-dire, des oui-nire.
Un pass--iiartout, des passe-pnrtout.
Pluriel des nnms propres. — Lorsque les noms
propres conservent leur caractère spécial et ser-
vent h distinguer certains individus de tous ceux
qui leur ressemblent, ils restent invariables. On
dira donc : « Les doux Corneille et les deux Racine
ne sont pas également célèbres. " On dira de
même : « Envoyez-moi deux Télémaque, » c'est-
à-dire deux exemplaires du livre intitulé Télé-
maque.
Mais, lorsque les noms propres sont employés
pour désigner une espèce, ils deviennent de
véritables noms communs. On écrira donc :
Un Auguslc
nt pout fairp *li'> \irgiles,
c'est-à dire, un empereur éclairé comme Auguste
peut faire surgir des poètes semblables a Virgile.
On dira de même :
La Seine a des Bourbons, le Tiijre a des Césurs.
parce que ces noms, Bourbims et Céiars, sont des
litres g-nériques communs à tous ceux qui appar-
tiennent A la même dynastie.
On dira encore, en vertu du même principe :
des Elz vil s, des Pouss-ns, des Raphaèh. parce que
ces noms sont employés au figuré, pour désigner
les œuvres qu'ont produites les imprimeurs et les
peintres célèbres dont il s'agit.
Les noms propres prennent encore la marque
du pluriel quand ils désignent plusieurs pays.
Exemple: les deux Siciles, les deux Amériques, les
deux tasiilles, toutes les Russies. Ces noms pro-
pres sont de véritables attributs des noms com-
muns teires, provinces, pays, royaumes, sous-
entendus.
Oriqine des noms propres et des noms communs.
— Lorsqu'un objet se présente à nos yeux, nous
sommes frappés de certaine qualité, de certaine
manière d'éire qui le caractérise et lui donne sa
physionomie particulière. Les noms qui ont servi
à désigner les personnes, les animaux et les
choses, ont été tirés des caractères spéciaux que
présentait chacun d'eux. Lorsqu'on analyse ces
noms, on trouve, dans chacun d'eux, deur éléments
irréductibles, que l'on a, pour ce motif, appelés
7-ucines, parce qu'ils sont, en quelque sorte, les
germes dont les noms ont été formés.
Il y a deux sortes de racines. Pour rendre celte
explication plus facile, empruntons un exemple à
la langue française. Soit, par exemple, le mot
roses, au pluriel. Si je compare ce nom pluriel
avec le singulier rose, j'y trouve un élément de
plus, la lettre s. Ces deux parties, rose et la lettre
s, représentent préci^ément les deux sortes de ra-
cines dont les mots ont été formés. Le premier,
rose, représente une racine verbale ou nominale,
qui a pour propriété de désigner les objets. Ces
racines, verbales ou nomindes. contiennent la. si-
gnification des mots, et en forment en quelque
sorte la base : aussi appelle-t-on thèmes les radi-
caux qui sont le produit direct de ces racines et
de leurs combinaisons. Dans le mot phibsoplie,
par exemple, il y a deux racines, philosophe, dont
la réunion forme un radical.
Mais ce n'était pas assez que d'avoir désigné les
individus par leur qualité essentielle. Il fallait
encore, pour la commodité du langage, pouvoir
exprimer les rniypnrts dans lesquels ces individus
se trouvent avec tout ce qui les entoure. L'expres-
sion de ces rapports se fait à l'aide d'une seconde
espècede racines que l'on a, pour ce motif, appelées
démonstratives ou indicatives. Quand nous disons,
en français, cet homme-ci a frappé cet homme-là,
les paiticules et et là déterminent la positinn des
deux hommes par rapport h. nous, ci désignant
celui qui est le plus voisin, et lii celui qui est le
plus éloigné. Eh bien, toutes les désinences qui,
dans les langues anciennes, servent à déterminer
la position des individus ou à les montrer comme
on le fait par un geste, sont tirées des racines in-
dicatives. Les pronoms qui ne sont, en quelque
sorte, que des gestes écrits, à l'aide desquels on
désignerait les individus dont on ne saurait pas le
nom, n'ont pas d'autre origine.
Pour en revenir au mot /o.?es, la première partie,
rose, exprime l'idée rie la fleur qui porte ce nom.
Quant à la lettre s, elle exprimait, au pluriel, dans
la langue latine, un rapport d'éloignement, et ser-
vait, par conséquent, à l'indication d'un complé-
ment direct, sur lequel se /lortoit l'acte marqué
par le verbe, Vobji-t, qui supporte l'action, étant
naturellement plus éloigné des yeux de l'observa-
teur que le sujet qui accomplit cet acte.
On a vu, à la formdion du pluriel, comment
cet s a pris, en français, un rôle tout différent de
celui pour lequel il avait été créé.
Tous les éléments qui servent îi former les mots
peuvent donc se diviser en deux grandes catégories :
la première et la plus considérable contient les par-
ties fondamentales des radicaux, c'est-à-dire celles
qui en renfermentlasignification; la seconde, beau-
coup moins considérable, renferme les affixes, qui
s'ajoutent aux radicaux pour marquer les rapports
qu'ils souliennent dans le discours et exprimer
les idées de tas, de nombre, de genre, de temps,
de mode et de personnes. \\ . Ornmoiaire com-
parée.)
Formation des substantifs. — Pour former un
7iom ou sub-tnntif, il faut, comme on vient de le
voir, deux éléments. Ainsi, lonp se dit en latin In-
liis et en grec lyko-i. Si nous comparons lupui et
hjko', nous y trouvons un même suffixe, .«, qui
marque proximité comme notre particule ci, et sert
à indiquer le sujet; c'est la désinence. Ce qui pré-
cède cette désinence, c'est-à-dire lupu. lyUo, ce
sont les radicaux auxquels est attaché le sens de
loup. Tous les noms ont la même origine ; tous
ont été noms propres tant que l'on n'a connu
qu'un individu de l'espèce qu'ils désignent ; tous
sont devenus noms communs quand ils ont été
employés pour désigner un nombre plus ou moins
considérable d'individus.
îsoms composés-, uoois dérivés. — Les noms
com/iosés proprement dits sont formés de radi-
caux devant lesquels on place un ou plusieurs
affixes qui, dans cette position, prennent le nom
de préfixes. Ainsi, controdiction, désobéissanci-,
mésinieiligence, formés des noms diction, obéis-
sance, intelligence, et des préfixes contra, dés,
)7tés, sont véritablement des noms composés.
Les principaux préfixes employés en français
sont a (idée d'éloignement). arf(idée de tendance
vers), ante (antériorité), bene (bien), bis (deux
fois), cire (autour), C'>« (ensemble), contra (op-
position), de (séparation), e et ses différentes
formes (sortie, expulsion), in ou en (contenance,
introduction, tendance, privation), mé ou mes
NOM
1413
NOMBRES DECIMAUX
(mal, difflcultù), )ivé (antériorité), pro (pii avant,
pouv), rc (redoublement, réciprocité, opposition,
rénovation), .to/i (sous), sK/cr (sur), ^■";i.s'(au delà).
Déi-ivé.i. — Quand un aftixe s'ajoute il la xuito
du radical, il projid le nom de suffire, et le nom
ainsi formé est un nom iléiivé. (V. Dcrivntinn.)
lilxemple : paroissien, feuittar/e, formés des
noms paroisse et /etiille, et des suffixes ien ctage.
Les noms dérivés peuvent se former de sub-
stantifs à l'aide des suftixes ade (qui exprime
l'idée d'assemblage), at (profession), oge (état),
OH, nin, ien (état, collection), ard (espèce), aire,
ter, er (profession), ilie, ice, esse (état, manière
d'être). Exemple : colotmade, cnrdinalat , escla-
vat/e, charltita», épinard, statuaire, calvitie, com-
plice, allégresse, etc.
On peut encore tirer des noms dérivés des
adjectifs, h l'aide des suffixes esse, ice, ise, ie, ti,
lire, qui indi(|uent un élat, une manière d'être.
Exemple : sage , saç/esse ; avare , avarice ; sot,
s:;tlise; malade, mula'lie; pauvre, pauvreté; y exi,
verdure.
On peut aussi en tirer des verbes, ^ l'aide des
suffixes iide. ai/e, ance (état, inaction), eur, euse,
eresse, ice (celui qui fait une action), (s. vi-nt,
lire (résultat d'un acte), air (lieu où se fait l'acte),
on, ison, aison (action). Exemple : snUule, bbm-
c/iissai/e, vengeance, chanteur, chanteuse, venge-
resse, logis, logement, trottoir, salaison, bouchon,
blessure, etc.
Beaucoup de noms dérivés des verbes ne sont
à proprement parler que l'infinitif même : le
deuoir, le savoir, le manger; ou le participe
passé féminin : la dictée, la livrée, la tenue, la
revw^; ou le participe présent: un mo7itant. \m
mourant. Ces mots ne sont pas de véritables
noms dérivés.
Exercices. — Voici un moyen commode et
amusant d'apprendre aux enfants l'onhograplie
d'usage et la signification des noms. Le maître
partage le tableau noir en deux colonnes. Il écrit
deux ou trois noms dans la colonne de gauche ;
puis il écrit dans la colonne de droite, mais en
intervtrtissiint l'ordre, des noms qui indiquent
d'une manière générale la signification des pre-
miers. Exemple :
Colonne de gauche. Colonne de droite.
Violon. — Sabre. -— Arbre. — Fleur. —
Peuplier. — P,ose. — Arme. — Animal. — In-
• 'hien. strument.
Voici maintenant comment se fait cet exercice,
qui intéresse au plus haut point les enfants.
L'élève écrit sur son cahier le premier nom de
la colonne de gauche : violon: Il cherche ensuite,
dans la colonne de droite, le nom qui indique ce
que c'est qu'un violon, et il forme, h l'aide de ce
mot, une proposition :
Le violon i-st un instrument.
Procédant de même h l'égard des autres noms,
il écrira successivement :
Le sabre est une arme. — Le peuplier est un
arbre. — La rose est mie fleur. — Le chien est un
animal.
Ces exercices pourront servir une seconde fois,
dans l'étude de la formation du pluriel des noms.
11 suffira de faire transformer les propositions de
cette manière :
Les violons .\ont des iii^truments, etc.
On tirera encore un excellent fruit de ces exerci-
ces, si l'on veut compléter la définition. On ferairoM-
ver à l'élève les réponses nécessaires, en le ques-
tionnantavec adresse : « Un violon est un mslrume/it
de musique,» etc., etc. Des exercices ainsi faits
vaudront les meilleures leçoni de clisses. Mais il
faudra que le maître évite avec le plus grand soin
de multiplier les noms outre mesure dans un
même exercice, ce qui embarrasserait le jeuie
élève; il faudra aussi qu'il prenne garde de mettre
dans la colonne de gauche deux noms auxquels
s'appliquerait un même nom de la colonne de
droite. On ne placera donc point deux noms d'ar-
bres, deux noms de plantes, etc.
Noms concrets-, noois nbstraits. — Pour bien
faire comprendre aux enfants la différence qui
distingue ces noms, on pourra les exercer d'abord
à former des noms abstraits. Exemples :
1° Des adjectifs suivants, formez des noms ab
straits, sur ce luodèle : Prudent, la prudence; sage,
la sagesse.
Prudent.
Constant.
Souple
Vieufaisaut.
Paiicnt.
Juste.
Abondant.
Sage.
Triste.
Confiant.
Tendre.
2° Formez des noms abstraits, à l'aide des ad-
jectifs suivants, sur ces modèles : Laid, la laî-
deur; fertile, la fertilité.
Haut.
Gros.
Froid.
Large.
.3" Enfin, dans un morceau dicté, on fera sou-
ligner d'uii trait les noms concrets, et de deux
traits les noms abstraits.
Pour apprendre aux élèves à former le pluriel
des noms dits composés, tout en exerçant leur
sagacité, on leur donnera une liste de noms, à la
suite desquels on leur dictera des propositions où
chacun des noms proposés doit trouver place, et
ils devront compléter ces phrases.
Exemple: Basse-cour.— Clvf-lieu. — Passeport.
— Serre-téte. — Passe-partout.
Phrases a compléter. — Les — sont des clefs
qui ouvrent toutes les portes d'un établissement.
Los paons sont l'ornement de nos — . Les villes
les plus importantes de nos départements en sont
les — . Les États de l'Europe ont abolijla formalité
des — . Les femmes du Midi remplacent souvent
les bonnets par des — .
On emploiera le même moyen, indépendam-
ment des dictées, pour apprendre aux enfants la
formation du féminin.
Exemple : Orphelin. — Paysan. — Fermier. —
Instituteur. — Patron. — Blanchisseur.
Phrases a coMPLÉTt'.n. — Les jeunes filles ap-
prennent à lire chez leur — . Sainte Geneviève est
la — de Paris. — Une fille qui a perdu son père
et sa mère est une — . Jeanne d'Arc était une — .
La — prend le plus grand soin de la basse-cour.
— La — repassera la robe blanche.
On les exercera de même à former le pluriel.
Exemple : Corps. — Troupeau. — Aveu. —
Clou. — Journal. — Soupirail.
Phrases a compléter. — Les bergers sont les
gardiens des — . Les — sont des écrits quotidiens
ou périodiques — . Les — sont des ouvertures qui
servent à aérer les caves. — C'est avec le mar-
teau qu'on enfonce les — . Nous mériterons notre
pardon par des — sincères.
Nous ne voulons pas multiplier ces exercices.
Les maîtres sauront les modifier do manière à
enseigner l'orthographe tout en formant le juge-
mont de leurs élèves. [C. Rouzé.J
NOSIBKUS lniCIMAL'X. — Arithmétique,
XV-XVIII. — (Pour la numération des nombres
décimaux, V. Numération.)
l. — Addition. — Si l'on a des nombres déci-
maux à additionner, on peut d'abord, en écrivant
des zéros à la droite de quelques-uns d'entre
eux, ce qui n'en altère pas la valeur, leur faire
exprimer il tous des unités décimales du même
ordre ; la somme devra donc aussi exprimer des
unités décimales de cet ordre; on fera donc la
fomiTie cninmo s'il s'agissait de nombres entiers,
NOMBRES DÉCIMAUX — 1416 — NOMBRES DÉCIMAUX
et l'on fera L-xpriniei- au total des unités du même
ordre que les unités additionnées.
Soit, par exemple, à additionner les nombres
2,5 — 2,1498 — 1,32 et ",166. On pourra d'abord
les écrire ainsi :
2,5000
3,1498
1 .3300
',1660
14.1.358
en leur faisant expiimer des dix-millièmes. La
somme de ces dix-millièmes, faite par le môme
procédé que pour les nombres entiers, est 141358
dix-millièmes ou 14,13i8. On voit que, pour addi-
tionner 'les 7wmbies déciniuUT, il faut /es écrire
les uni au-dessous d'S autres, de mnnière que les
unités lie même "rdre se correspondent (les zéros
rais îi droite pour l'explication ne sont pas néces-
saires dans la pratique), faire la somme comme si
c\taieni des nom>'re< tntio-s, et placer, au résul-
tat, une mrqvle décimale au-dessous des virgules
des nombres à addiiionner.
On pourra exercer les élèves sur les exemples
suivants :
0,883
0,164
2.11
1.415
0,15-
0,186
l,3il3
3.163
1.2310
0,9
(I.9S
1.8
0.87
0,75
1.2387
2.51
2,000
8.888
3,141(1
2. — SoiJSTBACTlox. — L'opération est la môme
que pour les nombres entiers, quand on a placé
les nombres donnés de manière que les unités de
même ordre soient dans une même colonne.
Kx. :
17,3285 8,75
9,65 3.2964
,6785
5,4536
On a quelquefois ù retrancher une fraction dé-
cimale de l'unité ; on verra facilement que l'opé-
ration peut se faire, en commençant par la gauche,
d'après cette règle : retrancher tous les chiffres
de 9, et le dernier de 10.
Exemple :
1,
(l,49715(;S
3. — Multiplication. — Supposons d'abord
que le multiplicateur soit entier : et soit à mul-
tiplier 7,325 par 14k. Le but de l'opération est
alors de répéier 146 fois le nombre 7.325 ou 7325
millièmes; la multiplication devra donc se faire
comme pour les nombres entiers : mais le produit,
au lieu d'exprimer des unités, devra exprimer des
millièmes; il faudra donc séparer sur la droite
trois décimales, c'est-à-dire autant de décimales
qu'il y en avait au multiplicande. On trouvera
1069, i50 ou simplement 10(i9,45.
Supposons en second lieu que le multiplicateur
soit décimal et qu'on ait à multiplier 7,325 par 1,46.
Le but de l'opération dans ce cas n'est plus de
répéier le multiplicande 146, mais de répéter 116
fois la 10»' partie du multiplicande i c'est-à-dire
prendre les 146 centièmes de ce multiplicandei.
Or, pour en prendre le 100% il suffit de reculer la
virgule de deux rangs vers la gauche, ce qui donne
0,07i25; et, en multipliant, par I i6 on obtiendra
10,6945(1 ou 10,1)915. On voit que l'opération est la
même que dans le premier cas, si ce n'est qu'il
faut séparer à la droite du produit, non plus
seulement 3 décimales comme au multiplicande,
mais 3 plus 2, c'est-.à-dire autant do décimales
qu'il y en avait au multiplicande et au multipli-
cateur réunis.
La règle de la multiplication des nombres déci-
maux est donc la suivante : faire lu inultiplica-
tion sans avoir égard aux virgules, et séparer sur
la droite dn produit uutnnt de décimales qu'il y
en avait dans les deux facteurs réunis.
On trouvera ainsi que le produit de :
5,8 par 4,25 est 24,650 ou 24,65
13,75 7,836 107,74500 107,745
9,125 2,16 19,71000 19,71
Il peut arriver qu'on ait à séparer au produit
plus de chiffres décimaux que ce |iroduit n'a de
chiffres ; on y supplée à l'aide de zéros placés à
la gauche. Soit, par exemple. ;\ multiplier n,(J08
par 0,u7 ; le produit, abstraction faite des virgules,
est 56, et l'on a cinq décimales à séparer ; on met-
tra donc quatre zéros à la gauche de 50; et, en
séparant les cinq décimales, on obtiendra 0,00055.
4. — Division. — Nous supposerons d'abord
que le diviseur soit entier, et qu'on ait h diviser,
par exemple, 1069,45 par 146. L'opération a pour
but de prendre la 14()° partie de 106945 cen-
tièmes : on opérera donc comme si le dividende
était entier, en se rappelant que le quotient doit
exprimer des centièmes. On trouvera 732 cen-
tièmes, et un reste de 7.3 centièmes. Ce reste vaut
730 millièmes, dont la 146'' partie est 5 millièmes.
Le quotient complet est donc 7.325.
Il n'arrive pas toujours que le quotient se ter-
mine; mais on peut toujours prolonger la division,
on mettant un zéro à la droite de chaque reste
pour le convertir en unités de l'ordre immédiate-
ment inférieur. On arrête l'opération lorsqu'on
juge avoir obtenu au quotient une approximation
suffisante. Soit, par exemple, à diviser 4.096 par
35; les calculs auront la disposition ci dessous :
4,096 L35
20
Après avoir obtenu au quotient 0,117, on trouve
pour reste 1 millième ; multipliant par 10, on ob-
tient 10 dix-millièmes, dont la 35' partie est
Odix-millièmes ; les 10 dix-millièmes valent lOOcent-
millièmes, dont la 35° partie est 2 cent-millièmes,
et il reste 30 cent-millièmes, qui valent 300 luil-
lièmes dont la :i,5'' partie est 8 millionièmes : et il
reste 20 millioniètnes. On pourrait pousser l'ap-
proximation plus loin si on le jugeait nécessaire.
Supposons, en second lieu, que le diviseur
soit décimal, et soit i diviser 1069,458 par 1,46. On
ramène ce cas au précédent en multipliant le di-
vidende et le diviseur par 100, car on a alors h
diviser 1069*5,8 par le nombre entier 146. Cette
opération n'altère pas le quotient, car si l'on ap-
pelle D le dividende, d le diviseur, q le quotient
et r le reste, on a :
D = rfX '/ + '•.
Cette relation ne sera pas altérée en multipliant
tous les termes par lOU; on aura donc, en remar-
quant que, pour luultiplierpar 1 00 le produit rfx q,
il suffit de multiplier le facteur d,
100D=100rfXî-f 100»',
ce qui exprime qu'en divisant 100 D par 100 d, on
obtient encore le munie quotient q; le reste r est
seul multiplié par 100.
NOMENCLATURE
ivn —
NOMENCLATURE
Uans l'Gxmuple actuel, Ir calcul donno poui-iiuo-
tieiit ":i2,j();.4....
La règle de la division des nombres décimaux
est donc la suivante : Rendre le diviseur entier, en
supprimant la virgule; avancer la virç/ule du di-
vidende d'autant de rangs vers la droite qu'il y
avait de décimales au diviseur; faire la division
eomme dans le cas dus nombres entiers.
[H. Sonnet.]
NOMENCLATURE. — Chimie, H. — Après que
Lavoisier, par son analyse de l'air, eut donné l'ex-
plication du pliénomènc cliimique, en faisant voir
([ue tout corps provient d'une union intime ou d'une
séparation dont les éléments se retrouvent tout en-
tiers, la clef de l'analyse chimique fut trouvée, et
les chimistes, pouvant connaître dès lors la compo-
sition des principales substances usitées dans leurs
laboratoires et dans leurs recherches, sentirent la
nécessité de leur donner des noms rappelant celte
composition. Juscpi'à Lavoisier, les produits chimi-
ques ou pharmaceutiques sur lesquels s'exerçaient
les recherches des alchimistes portaient des noms
plus ou moins bizarres, ou n'ayant aucune signi-
fication, ou rappelant au contraire par leurétymo-
logio les fausses idées qu'on s'était faites sur
leur composition ou sur leurs propriétés. Une
science étant la connaissance certaine des rapports
existant entre les éléments des choses dont elle s'oc-
cupe, exige un langage précis, systématique et ap-
proprié, exprimant et représentant ces rapports.
En arithmétique, par exemple, la numération
est la nomenclature des nombres fondée sur la
méthode d'après laquelle ils ont été formés. De
même, dans la nomenclature chimique, le nom d'un
corps doit être en rapport direct avec la constitu-
tion qu'on lui a trouvée par l'analyse. Guyton de
Morveau, né à Dijon en 1137, proposa le premier la
réforme du langage chimique dans un travail qui
a pour titre : Mémoire sur les dénominalions chi-
miques, la nécessité d'en perfectionner le si/slème,
les règles pour y parvenir, suivi d'un tableau
d'une nomenclature chimique.
Vers le milieu de 1"86, BerthoUet, Fourcroy,
Lavoisier et Guyton de Morveau se réunirent pour
examiner ensemble le projet de nomenclature pro-
posé par Guyton, et arrêtèrent d'un commun accord
le plan d'une réforme exigée par le progrès de la
chimie. Tous les chimistes d'alors, même les plus
attachés aux traditions du passé, comprenaient la
nécessité de cette réforme. « Ne faites grâce, écri-
vait Bergmann à Guyton, à aucune dénomina-
tion impropre; ceux qui savent déjà entendront
toujours; ceux qui ne savent pas encore enten-
dront plus tôt. >i
.^près huit mois de conférences, presque journa-
lières avec ses collègues, dit M. F. Hœfer, Lavoisier
communiqua à la séance publique de l'Académie
des sciences du IS avril 1787, les principes de la
réforme et du prrfectiunnement lU la nomencla-
ture de In chimie, et il les développa dans un
second mémoire lu le 2 mai suivant.
L'œuvre collective de ces savants porte particu-
lièrement sur les corps composés; ceux-ci ont été
divisés en acides, en bases et en sels (V. Acides,
Bi'ses et f'eis). Cette nomenclature est une vérita-
ble classification ; c'est, avec la théorie de la com-
bustion, la base fondamentale de ce qu'on a appelé
l'école de Laioisier ou l'école chimique française.
L'ensemble des noms des corps simples ne
constitue pas, à vrai dire, une partie de la nomen-
clatu[-e ; ces noms n'ont rien de systématique et leurs
origines sont très diverses; tantôt le nom rappelle
une propriété réelle ou apparente, comme oxijyéne,
qui veut dire n producteur d'acide », ou azote,
signifiant .. absence de la vie u ; tantôt il rappelle
l'un des principaux composés du corps, comme
lifldrogènc, qui veut dire o producteur do l'eau » ;
tantôt enfin il date de l'antiquité et appartient à
la langue littéraire, commi' or, argeal, frr, etc.
— V. Corps simples.
Ces noms ont été conservés parce que l'usage
les a consacres et qu'ils en valent d'autres.
NOMENCLATllKE DES CORPS BINAiniîS DONT I.'uN DES
ÉLÉMENTS EST L'oxYoiiNE. — On appcllc corps bi-
naires des corps composés formés de deux corps
simples. Les plus importants et les plus nombreux
sont ceux qui contiennent de l'oxygène. Ils portent
le nom générique d'oxydes. Ce nom doit être suivi
de celui du corps simple qui est combiné à l'oxygène
et qui spécifie l'oxyde. Ainsi on dira: oxyde de fer,
oxyde de plomb, oxyde de phosphore, oxyde
d'azote, oxyde de carbone, pour désigner des com-
binaisons formées exclusivement d'oxygène et do
l'un de ces corps.
Quand on brûle du phospliore dans l'air sec
sous une cloche, il se forme des fumées blanches
résultant de la combinaison du phosphore et de
l'oxygène de l'air, car le gaz restant après la con-
densation des fumées est de l'azote. Cette sub-
stance blanche est acide; mise dans de l'eau, elle
s'y combine énergiquomentet s'y dissout : la dis-
solution a une saveur fortement piquante, et elle
rougit le tournesol bleu; c'est ce qu'on appelle un
acide i,V. Acide). Le composé acide résultant de
la combinaison de l'oxyuène et du phosphore s'ap-
pelle acide phosphorique ; il n'était pas nécessaire
de faire entrer dans cette dénomination la mention
de l'oxygène : elle y est sous-entendue, l'oxygène
étant le générateur habituel des acides.
Si 0(1 met dans l'eau la substance blanche qui
résulte de la combustion du potassium i l'air, elle
s'y dissout aussi, mais elle a une saveur brûlante,
caustique, tout à fait différente de celle de l'acide ;
elle verdit le tournesol et ramène au bleu celui
qui a été rougi par un acide; cette combinaison
du potassium avec l'oxygène, dont le vieux nom
est potasse, sera inscrite dans la nomenclature sous
le nom d'oryde de potassium et s'appellera une
base, ainsi que tous les oxydes qui auront des
propriétés semblables. La chaux, qui est de Voxyde
de calcium, est une base; la magnésie, qui est de
Voxyde de magnésium, est une base ; la soude,
oxyde de sodium, est une base.
Si nous mettons un acide en présence d'une
base, nous arriverons par tâtonnements à obtenir
une substance qui n'aura ni les propriétés carac-
téristiques de l'acide ni celles de la base ; ces pro-
priétés opposées, pour ainsi dire, se seront neu-
tralisées; le composé nouveau sera un sel ou corn-
posé ternaire. Il y a des oxydes métalliques, comme
celui qui se forme h l'état de poussière jaune sur
le plomb fondu, qui ne se dissolvent pas dans l'eau,
n'agissent ni sur le tournesol ni sur aucune couleur
végétale, et qui sont cependant capables de former
des sels en neutralisant les acides: ce sont aussi
des bases, car c'est li le caractère le plus impor-
tant d'une base.
Nomenclature des acides cordenant île l'oxygène.
— L'acide qui se forme par la combustion du phos-
phore dans l'air sec est appelé amte phosplio-
riQuc.
Le gaz acido qui se dégage de la combustion du
charbon ou carbone est appelé acide carbona/ue.
Il suffit de nommer les acides chlo'iquc, iodique,
azotique, pour qu'on en devine la composition.
Quand on tient dans les doigts un bâton de phos-
phore mouillé, ou simplement des allumettes chi-
miques humides, il s'en dégage des fumées d'une
odeur désagréable et ayant les caractères des
acides. L'analyse chimique de cette substance a
montré qu'elle était, comme l'acide phosphorique,
formée de phosphore et d'oxygène, mais qu'à
poids égal elle contient moins d'oxygène; on l'ap-
pelle acide phosphoreux ; de même on dit acide
azoteux., chloreux, etc., pour désigner des acides
moins riches on oxygène que les acides phospho-
NOMENCLATURE
— 1418
NOMENCLATURE
rigue, azotique, chlûrigiie.'Sous pouvons donc dire,
avec les illustres auteurs de la nomenclature, que,
quand un corps simple forme avec l'oxygène un
ou deux acides, on désignera l'acide unique ou prin-
cipal en faisant suivre le nom du corps simple de
la terminaison ique qui se substitue à \'e final ; le
second acide, le moins oxypéné, se nomme en met-
tant eur à la place de ique. On comprendra faci-
lement le sens des quelques exceptions qui suivent,
dans lesquelles la forme française du nom des
corps simples est légèrement modifiée : acide 5»/-
furique, acide sulfuietix ; &c\àe anti»io7tique, acide
anttmotiieux ; acide orsénique, acide arséniejix ;
acide mang (inique, etc.
Quelquefois un m6me corps simple forme avec
l'oxygène trois, quatre et même cinq acides. Pour
former leurs noms, on emploie les préfixes hi/po,
per ou hyper, prépositions d'origine grecque qui si-
gnifient, la première, au-dessous, la deuxième, au-
dessus. Ainsi on dira : acide hiipochloreux, acide
hypocltloriijue, pour désigner des acides moins
riches en oxygène que les acides cliloreiuc et
chlorique, et acide liy/ien-h/nrique et hypermanya-
nique pour désigner des acides plus oxygénés que
les acides clilorique et mangnnique.
La série importante qui suit, en résumant ce
que nous venons de dire, en fera retenir l'ensemble:
Composés oxygénés acides du r/ilore :
Acide pe7- ou liypercMovigue
— ch\oriqiie
— hypocMorique
— chlorc'îix
— /lypocMoreux.
• On voit par ces exemples, dit M. H urlz, que le
degré d'oxydation est exprimé dans la nomencla-
ture française par certaines modifications qu'on
fait subir à l'adjectif qui marque Yeipèce d'acide,
le mot ucide lui-même étant pris comme substan-
tif et marquant le genre. On modifie cet adjectif
tantôt en faisant varier la terminaison, tantôt en
le faisant précéder de liypo ou per. »
Nonienclature des oxydfs non acides. — Un
même corps simple peut former avec l'oxygène
plusieurs oxydes qui ne diffèrent dans leur com-
position que par les quantités d'oxygène combi-
nées à un même poids de l'autre corps simple.
Le premier degré d'oxydation est le protoxyde ;
le degré le plus élevé est le peroxy/e.
Pour la même quantité du métal ou du métal-
loïde, le deidoxyde ou binxyde renferme deux fois
plusd'oxygène que \e protoxyde ; le sesquioxydeea
renferme une fois et demie autant. Ainsi on dit :
protoxyde de manganèse, ^esquioxi/de de manga-
nèse, oioxi/de ou peroxyde de manganèse, pour
désigner des combinaisons de manganèse et d'o-
xygène dans lesquelles les quantités d'oxygène
croissent, le poids de manganèse restant le même,
comme 1, |-, '2.0n devine lasignificationdesnoms:
protoxyde de plomb, sesquioxyde de fer, protoxyde
de mercure, bioxyde de mercure. On dit quelque-
fois, d'après Berzelius et par analogie avec la no-
menclature des acides : oxyde mercweux, oxyde
tnercurique ; oxyde (en'eux, oxyde (errique.
Nomenclature des corps composés binaires ne
CONTENANT PAS d'oxygène. — Comiiinaiious d'un
métnlliiide et d'un métnl. — On termine en me
le nom du métalloïde qui caractérise le genre du
composé, et le nom ainsi modifié est suivi du
nom du métal qui définit l'espèce. Ainsi on dira:
cldorure lie fer, indure de potn.tsinm, pour repré-
senter les combinaisons du chlore et du fer, de
l'iode et du potassium; par exception, on dit .<«/-
fwc de fer, arsémure de cuivre, etc.
Un même métalloïde peut former avec un mé-
tal plusieurs combinaisons dans lesquelles, pour
un même poids du métal, les quantités du mé-
talloïde seront entre elles comme 1, -ir , 2, etc.
On dira, comme pour les oxydes, chlorure de fer,
iesqiiiMorure lie fer, bi:-li/orute de fer, proto-
sulfure de plomb, bisulfwe de cuivre.
Combinaisons d'un métalloïde avec un autre
métolloide. — On applique les mêmes règles qu'aux
combinaisons précédentes, en tenant compte de
ceci : que le nom générique (celui que l'on devra
terminer en ure] est celui du métalloïde qui dans
la décomposition du composé binaire par la pile se
porte au pôle positif. Ainsi on dira : cldorure de
phosphore, .ml/nre d'arsenic, et chlorure de sou-
fre, etc. Le chlorure, le bromure, l'iodure et le
sulfure d'hydrogène, qui se comportent comme des
acides, ont été appelés liydrucidfs, et on les dési-
gne presque toujours parles noms suivants : acide
clilor hydrique, acides iodhydrique, bt omhydrique,
sulfhydrique, flunrhydrique.
De même que les acides se combinent aux
oxydes pour former des sels, de même deux chlo-
rures, deux iodures, deux sulfures, deux bromu-
res peuvent se combiner ensemble pour former
des composés ternaires analogues aux sels, l'un
jouant le rôle d'acide, l'autre le rôle de base.
Un chlorure acide se combinant à un chlorure
basique forme un chlorO'."! ou chlorure double.
Ainsi le chlorure de platine en se combinant au
chlorure de potassium forme un cldorure double de
plntine ef de potassium. On le désigne quel-
quefois sous le nom de chloroplatinale de po-
tassium.
Le persulfure d'antimoine et le protosulfure
de sodium forment ensemble un sulfo-set ap-
pelé sulfo-anlinioninte de sodium ou simplement
sulfantimoninte de sodium.
On rencontre encore quelquefois les noms de
chlori'les, sulfi'Ies, que Berzelius avait donnés aux
chlorures et aux sulfures acides.
Enfin, nous dirons qu'on nomme alliages les
combinaisons des métaux entre eux. On dit ul-
linge de plomb et n'étain, allioye de cuivre et de
zinc, etc. Quand le mercure entre dans un alliage,
celui-ci porte le nom d'umalgnme : amalgame
d'étain, etc.
Nomenclature des composés ternaires ou sels.
— Pour ces sortes de composés, la nomenclature
française sous-entend que, dans la constitution du
sel, l'acide et la base, quoique intimement liés, res-
tent distincts. Cette hypothèse, qui n'est pas ad-
mise par tout le monde, s'appuie cependant sur
quelques faits importants réunis dans ce qu'on
appelle les lois 'le Hertholltt. On peut, par exem-
ple, chasser l'acide d'un sel, soit par la chaleur,
soit par un autre acide, sans que la base ait été en
rien altérée.
Il faudrait donc que la base se fût reformée
pendant la réaction, si les éléments de l'acide et
de la base avaient été unis dans le sel, de telle
façon que ces deux composés binaires n'aient plus
eu d'existence propre.
Dans l'hypothèse sous-entendue dans la no-
menclature française, on peut dire que les com-
posés terniures sont des combinaisons binaires de
second ordre.
Le nom d'un sel est formé de la combinaison
du nom de l'acide et de celui de la base ; le pre-
mier indique le genre, l'autre l'espèce. Si l'acide
a un nom terminé en iqne, le nom générique
du sel se termine en nie, et le nom spécifique
est celui de l'oxyde qui joue le rôle de base. L'a-
cide azotique en se combinant à de la potasse ou
oxyde de potassium formera de Vuzoïate de polaise.
On dira de même :
Azotate de deutoxyde de mercure ou azotate
mercurique ;
Sulfate de protoxyae de fer ou sulfate ferreux ;
.NOMENCLATURE
— I'(l9
NOMENCLATURE
Pliosplmie ilf c/i(iux;
Ciirhuiie rlf priitoxijde île plomb ;
Ar^t'iitiile Ile /lofusse ;
C/rnra/i: lie poliiS!te, etc. ; ces noms indiquent
es combinaisons des acides azotique, sulluWque,
)liospiiorique, carbonique, arscnique, clilorique
l'ec les oxydes dont les noms suivent les mots
erminos en aie.
Si, au contraire, l'acide porte un nom terminé
ni eiir, le nom générique du sel sera lormé par
e remplacement de ctix par iie. On dira : ArsénUe
le siiiide, phO''plnle île chaux, sulfite de soiiflf,
izolili' lie polavie, pour représenter les sels formés
les acides arsénieux. phosphoreux, sulfureux, azo-
eux avec les bases dont les noms suivent les mots
KTminés en ite.
On nomme seli ncides les sels qui renferment
plus d'acide qu'il n'en faut pour saturer la base.
(Vinsi on connaît deux combinaisons de l'acide
sulfureux avec la potasse : l'une renferme deux
fois plus d'acide sulfureux que l'autre pour le
même poids de potasse; la première s'appellera
liisulfite de potasse, la seconde sulfite neutre de
potasse. On dira de même : sulfate neutre de pa-
sse et bisulfate de potaxse.
On connaît trois carbonates de soude, dont les
quantités d'acide carbonique pour un même poids
de soude sont entre elles comme I, ^, 2; on les
appelle : Carbonate de soude, sesquicarbonate de
onde, bicarbonate de soude.
D'antres sels contiennent un excès de base : on
les appelle sels bu.siques. Tels sont : le sous-sul-
fate du bioxyde de cuivre, le sous-azotate de bis-
muth; on dit souvent de cuivre, de bismuth, de
pininb, etc., au lieu de dire il'oryde de cuivre,
d'o.ryde de bismuth, d'oxyde de plomb, etc.
Lorsqu'une certaine quantité d'acide se combi-
rir :i diverses quantités d'une même base pour
Ifiiiiiei- plusieurs sels différents, celles-ci sont
'■inr,' olles comme (, 2, 3, et on le rappelle par
les mots luoiio, bi, Iri placés en avant du mot
l"ish/ite. Ainsi les expressions :
Azotate de deutoxyde de mercure monohasique ;
Azotate de deutoxyde de mercure bdjasique;
\zoiate de deutoxyde de mercure Iribusique,
i-oprésentent trois sels formés d'acide azotique et
d'une môme base, le deutoxyde do mercure, mais
on proportions telles, que, pour une môme quan-
tité d'acide, il y a dans le 2° deux fois plus de
base, et dans le 3" trois fois plus que dans le
premier.
Sels doubles. — Un sel peut se combiner à un
autre sel en formant un composé tinaire de troi-
sième ordre ou qua ernuire et qu'on appelle un
■<el double. Ainsi, si on verse du sulfate d'alumine
dans du sulfate de potasse, on obtient de petits
cristaux à'aluu: l'analyse de ce corps montre qu'il
'SI. forme par la combinaison des deux sulfates.
On lo nomme sul/ate doub'e de potasse et d'aln-
iiiiiv. C'est en s'appnyant sur cette hypothèse,
reposant du leste sur un grand nombre de faits,
qu« Berzelius, le célèbre chimiste suédois, a
exprimé l'idée que toutes les combinaisons chi-
miques se faisaient entre deux corps : simples
pour former un composé binaire ; binaires pour
former un composé ternaire ou sel ; ternaires
pour former un composé quaternaire. C'est cette
manière de voir qu'on a appelé la théorie dnnlis-
tique. L'étude des composés organiques l'a mise en
défaut malgré les efforts de son illustre auteur
(V. Chimie organique). Aujourd'hui, comme plu-
sieurs autres théories qui l'ont successivement
remplacée, elle représente une partie, mais une
partie seulement de la vérité. C'est ainsi que
notre insatiable et légitime désir de tout expli-
quer par ce que nous savons déjà, nous porte à |
faire des théories générales qui embrassent tout,
mais que nos connaissances si incomplètes rendent
forcément imparfaites et provisoires.
Formules chimiques. — Les formules chimiques
sont les expressions abrégées et exactes de la
composition des corps ; elles représentent non seu-
lement les corps simples constituant un corps
composé, mais aussi les proportions suivant les-
quelles ils s'y trouvent unis.
Les noms dos corps simples s'écrivent par leurs
symboles qui sont formés par la première lettre,
ou par les deux premières du nom français ou de
son équivalent latin ou arabe, ou par les deux pre-
mières consonnes, ou enfin par les deux pre-
mières consonnes des deux premières syllabes;
c'est l'usage qui les apprend. Nous allons don-
ner la série des symboles des principaux corps
simples :
KOMS
SÏMBOT.ES
Hydrogène .
H
OxygèiiP . . .
II
Soufre
S
Sélénium...
Se
Tellure....
Te
Azote
Az
Phosphore..
Ph
Arsenic. ...
As
rhlorc
r.l
Fluor
l'I
Bi'ônie
Br
lod,.
i
r.iu-honiy....
(;
Bore
Bo
Potassium..
K (kalinm)
Sodium ....
Na(nn(nu»!)
Daryuni....
r.alcium. . . ,
. Ha
Magnésium.
Aluminium.
. Mg
. Al
Manganèse .
r.hrôme . . . .
. Mn
Fer
. Fe
Zinc
. Zn
Plomb
. Pli
Elain
Antimoine.,
r.uivre
Sn {stajutum)
. Sb {stibium)
. Cu
Argent
Ag
Platine ...
PI
Mercure. . . .
Itg (liydrar-
gyrum).
Pour obtenir la formule d'un corps composé bi-
naire, on place à côté l'un de l'autre les symboles
des corps simples qui le constituent.
Ainsi pour représenter l'eau, qui est formée par
de l'hydrogène et de l'oxygène, on écrira HO. La
formule 00 représentera de l'oxyde de carbone ;
CaO, de la chaux ou oxyde de calcium.
Le symbole d'un corps simple ne représente pas
seulement son nom, mais encore la proportion sui-
vant laquelle il entre dans la combinaison, en un
mot son èquivnlenl '. Ainsi HO n'exprime pas seu-
lement que l'eau est formée d'hydrogène et d'oxy-
gène, mais encore que ces doux éléments y en-
trent dans la proportion de I à H, qui sont les équi-
valents de l'hydrogène et de l'oxygène.
CaO indique que dans la chaux le calcium et
l'oxygène sont combinés dans la proportion de 20
à (S, ces deux nombres étant, le premier l'équiva-
lent du calcium, le deuxième celui de l'oxygène.
SO-i, formule de Vai.ide sulfurique anhijiire, ex-
prime que ce corps composé est formé par du
soufre et de l'oxygène dans la proportion de IG à
3 -|- 8, c'est-à-dire de I équivalent de soufre pour
3 équivalents d'oxygène. D'après ces exemples,
on comprendra tout de suite les relations de com-
position qui existent dans les séries suivantes :
CIO. Acide hyperchlopeux.
C103, — chloieux.
CIO'., - hjperelilorique.
C105, — rhlmique.
CW, — pcichlorique.
MnO, Proloxyde de manga-
Mn^O-*, Sesquioxyde de man-
Mn02. Bioxyde de manganèse.
MnOa. Acide manganique.
Mn^O'ï, Acide permangani-
qiie.
.\zO. Protoxvde d'azote.
Az02, Bioxyde d'azote.
AzO-^, Acide azoteux.
AzO^, Acide hypoazotique.
AzO^, Acide azotique.
KeS, Protosulfurc de fer.
FcSS', Sesquisulfure de fer.
Formule d'im corps binaire de deuxième ordre
ou sel. — On sait qu'en versant de la potasse dans
de l'acide sulfurique ou réciproquement, on obtient
NOMENCLATURE
1420 —
NORMANDS
une liqueur neutre qui est formée par la combi-
naison de ces doux corps binaires. La formule de
ce sel, qui est du sulfate de potasse, se formera en
mettant à ciité l'une do l'autre la formule de l'acide
et celle de la base, en commençant, généralement
du moins, par celle de la base : KO.bO-'; les deux
formules doivent être séparées par une virgule.
CaO,CO- représente du carbonate de chaux ;
JVaO,AzO!> de l'azotate de soude; PbO,CO-du car-
bonate do plomb. Ce qui précède parait aussi na-
turel que logique; cependant cette manièi-e de
représenter un sel implique une hypothèse îi la-
quelle nous avons déjà faitallusion. On comprend,
en effet, que le carbonate de plomb peut être for-
mulé autrement: au lieu d'écrire PbO,CO-, on
peut écrire PbC,0-', cette dernière formule repré-
sentant les proportions de plomb, de carbone et
d'oxygène qui constituent le carbonate de plomb
sans aucune indication hypothétique sur la ma-
nière dont les atomes de ces corps junivent être
groupés dans la molécule de carbonate de plomb;
tandis que, dans la formule PbO,C02, on suppose
que la mulénde biiinire PbO est juxtaposée ;i la
molécule C0-. Nous avons déjà dit plus haut que
cette hypotiièse, fondée sur un grand nombre de
faits à la vérité, ne pouvait pas cependant rendre
compte de la plupart des réaclions que présentent
les composés organiques.
Formules des xels acides et des- sels Oasiques.
— L'équiva/ent d'un corps composé est égal à la
somme complète des équivalents des corps simples
qui le constituent. L'équivalent de l'eau est égal
à I + 8= HO; celui de l'acide sulfurique h I(i -j-
8 + 8-1-8 = SO^ ; celui du sesquioxyde fer = 28
X 2 + 8X3= Fe^O^. L'équivalent du sulfate de
potasse sera: (21 + 8 =KOj + (10 + 8 X 3 = S0^)
= 6!) = K0,S0».
Le sulfate de sesquioxyde de fer, qui contient
3 équivalents d'acide sulfurique pour chaque
équivalent de sesquioxyde. s'écrira : Fe-O^jSSO^.
Le bisulfate de potasse : KO,2S03. Le phosphate
tribasique de chaux : :iCaO,Ph05, etc.
('o;'/).< quaternaires on sels doubles. — La for-
mule de l'alun ou sulfate double d'alumine et de
potasse s'écrit :
A1203,3S03, K0.S03
Sulfate d'alumine Sulfate de potasse.
Les deux formules des deux sulfates se juxtapo-
sent pour former celle du sulfate double.
Nous avons cru devoir donner en détail la no-
menclature si simple, si précise et qui a été si
féconde, de Lavoisier et de ses illustres collabora-
teurs, p.'irce que nous la regardons comme la leçon
la plus importante d'un cours de chimie.
Cependant l'expérience de l'enseignement mon-
tre que la plupart des élèves arrivés à la fin de
leur cours sont incapables d'écrire la formule d'un
corps composé qu'on leur nomme, aussi bieji que
de nommer la substance représentée par une for-
mule écrite. A quoi cela tient-il surtout? A ce
qu'ayant trop rapidement passé sur cette impor-
tante leçon, et ne la sachant point par conséquent,
ils ne comprennent point les leçons suivantes; la
chimie leur paraît difficile, rebutante, ils la négli-
gent complètement, et cola tout simplement parce
qu'ils n'en savent point le langage. Une formule
est pour eux un jargon incompréhensible capable
de rebuier la plus heureuse mémoire. Ou ne sau-
rait donc trop insister dans le commencement
est très utile au contraire, avant de commencer la
nomenclature, et afin de familiariser les élèves
avec les noms et avec les choses, de consacrer plu-
sieurs leçons (trois ou quatre au moins) à des gé-
néralités appuyées d'un grand nombre d'expériences
choisies, répétées lentement devant l'auditoire, au-
quel on doit faire toucher les substances dont on
se sert. [A. Jacquemard.)
NORMANDS. — Histoire générale, XVHI; His-
toire de France, VII-VIIL — C'est sous le nom de
Normands ou Northmans (hommes du Nord) qu'on
a désigné, au moyen âge. les pirates de race Scan-
dinave (Danois, Suédois et Norwégiens) qui, dès
le XI" siècle, s'élancèrent sur l'Europe et les îles
Britanniques. Marins excellents par la situation
de leur pays, aventureux par caractère, par reli-
gion (leur paradis n'était ouvert qu'aux braves
morts en combattant), ils montaient des barques
d'osier recouvertes de cuir, et, sous la conduite
d'un roi de mer. coiinai^.sant les lettres mysté-
rieuses qui, gravées sur les rames ou sur l'épée,
préservent du naufrage ou de la mort, ils allaient
à la découverte et à la conquête. Leurs premiè-
res incursions on Europe eurent sans doute
pour cause la' guerre que fit Charlemagne aux
Saxons ; l'empereur construisit contre eux des
forteresses et des flottilles qui ne purent pas les
arrêter. En 8B2, un de ces chefs normands, Rurik,
appelé par les habitants de Novgorod, en Russie,
contre leurs voisins, prit le titre de grand-duc des
Varègues.et fonda le premier des Etats normands,
dont le rôle devait être si important jusqu'aux
temps modernes. A partir de cette époque, les
courses des Normands ont deux buts : les terres
polaires et les côtes d'Angleterre et de France.
Entraînes dans les mers du IVord par la pêche de
la baleine, ils s'établissent aux îles Feroé, vers
861 ; en Islande, vers 870, où ils fondèrent un pe-
tit Et.at; puis dans le Groenland (« terre verte >>),
qui fut découvert et baptisé par Eric le Roux
(vers 982). Le Labrador, découvert aussi par
eux, ne reçut ce noiu qu'au xV siècle. Pendant
ce temps, profitant de l'anarchie qui suivit le
règne de Charlemagne, d'autres bandes rava-
geaient les côtes de France. Elles choisirent trois
stations principales : 1" station de la Meuse et de
l'Escaut, d'où elles étendirent leurs incursions
sur la Hollande, la Zélande, la Frise, la Flan-
dre, le Hainaut et les bords du Rhin jusqu'à Aix-
la-Chapelle. Charles le Gros ayant tué en trahi-
son leur chef Godefried, les Normands de la
Meuse s'unirent aux Normands de la Seine et
assiégèrent Paris, que défendirent Eudes, comte
de l'Ile-de-France, l'évêque G»zUn et Ebles, abbé
de Saint-Germain des Prés. Ils furent vaincus à
Louvain, en 891, par Arnulf de Germaiiie qui mit
fin à leurs ravages ; 2" station de la Loire ; ils re-
montèrent ce fleuve jusqu'en Auvergne, après
avoir pillé Nantes. En 86U, Robert le Fort, comte
de Paris, périt en leur livrant la bataille de
Brisserte. Dans le pays entre Seine et Loire vivait
aussi un paysan nommé Tertulle, que Charles le
Chauve créa sénéchal d'Anjou. Il fut la tige des
Plantagenets. Le chef des Normands de la Loire,
Thiebold, s'établit entre Chartres et Tours et de-
vint la tige des coiutes de Blois et de Champagne
(879) ; 3" station de la Seine, d'où ils pillèrent
Rouen (891), et les rives do la Seine jusqu'à Paris.
Ils songèrent ensuite à rester dans ce pays « qui
languissait inculte et tout couvert de grands
d'un cours sur l'importance absolue de la nomencla- bois.» RoU, leur chef, s'établit à Rouen: Charles le
ture. Les élèves sont aussi efl'rayés, sinon décou- i Simple lui offrit la main de sa fille Gisèleàcondition
rages, par ces noms bizarres qu'on leur prodigue | qu'il se ferait chrétien, et lui céda, par le traité de
dès la première ou la deuxième leçon. Quoique la | Saint-Clair sur Epte, le pays situé entre l'Epte
connaissance de la nomenclature soit indispensable ! et la Bretagne, qui prit le nom de Normandie (911).
pour suivre fructueusement un cours de chimie, il ! RoU divisa la terre entre ses compagnons: les
n'est point pour cela nécessaire de l'expliquer dans ] Neustriens furent réduits à l'état de serfs et do
la première ni même dans la deuxième leçon ; il . colons. La Normandie devint entre ses mains riche
NUAGES
l'iiil —
NUAGES
ot pi-ospcrc, mais les Normands couservoreiil
toujours Iftur ancien amour des expéditions loin-
taines, ('t avec leur établissement ne se termina
point leur rùle en Kurope.
F.n lOlfi, fiuaranto chevaliers normands de Neus-
trie, revenant d'un pèlerinage en Terre-Sainte,
arrivèrent h Salerne au moment où la ville était
assiégée par des Sarrasins ; ils les attaquèrent,
les vainquirent et se mirent à la solde des prin-
ces d'Italie. Le duc de Naples leur donna Aversa
en récompense do leurs services. En 1033, les fils
dun gentilhomme du Cotentin, Tancrède de Hau-
t(!villo, amenèrent en Italie une bande plus nom-
breuse, chassèrent les Grecs de la Pouille et l'é-
rigèrent en comté. Attaqués par le pape Léon IX,
ils le vainquirent près deCivitella etobtinrent de lui
l'investiture de la Pouille, de la Calabre et de la Si-
cile (105:!). Le dernier des fils de Tancrède, Robert
Wiscart ou le Rusé, lui paya tribut et prit le titre de
duc de Pouille et ie Calabre ; un de ses frères régna
sur la Sicile. Les INormands devinrent alors les dé-
fenseurs'dévoués du Saint-Siège et de l'Kglise. Ils
soutinrent Grégoire VII contre Henri IV,- empe-
reur d'Allemagne, dans la querelle des investitu-
res, et forcèrent l'empereur à lever le siège du
château Saint-Ange (1084). Ils prirent aussi une
part active aux croisades. Lorsque la première
croisade fut prôchée (109.S), la Pouille et la Cala-
bre étaient gouvernées par Boëmond, fils de Ro-
bert Wiscart, qui partit à la tête de son armée et
s'établit à Antioche que l'on érigea en principauté.
Boêmond commanda une seconde expédition en
1107, et voulut la mener à la conquête de Constanti-
nople ; mais il échoua dans son projet. La domination
normande finit, dans le royaume des Deux-Siciles,
en 1194, par la conquête d'Henri VI, empereur
d'Allemagne, héritier, par sa femme, du dernier
roi normand Guillaume.
Pendant ce temps, la puissance des ducs de
Normandie n'avait cessé de s'accroître sous le
gouvernement de Robert le Magnifique. Les
Normands étaient entrés en relations avec la
Grande-Bretagne ot avaient essayé d'y rétablir
les rois saxons. A la mort du dernier roi da-
nois, le fils d'Ethelred II. Edouard le Confes-
seur, réfugié en Normandie, monta sur le trùnc.
Los Normands, avec lui, devinrent tout puissants
en Angleteirp. A sa mort (1066), Guillaume le Bâ-
tard secondé par le pape Alexandre II, disputa le
trône au fils du comte saxon Godwin, Harold. Il
envahit l'Angleterre, vainquit Harold k Hasiings
et soumit tout le royaume. Une enquête territo-
riale consignée dans le r/rani-lerriev, ro/e roi/nt
ou (jion'l rôle, ou, comme l'appelèrent les Saxons,
Doomsdny-book (livre du jour du jugement), di-
visa tout le royaume en G"2,.')ll0 fiefs partagés entre
les compagnons de Guillaume. Les Saxons, ré-
duits à l'état de serfs, furent soumis à la taille,
aux lois du couvre-feu, d'anglaiserie, etc. Le
code de chasse et le code forestier leur fermèrent
les forêts. Le français-roman, que les Normands
avaient perfectionné et employé les premiers dans
leurs poésies, fut désormais la seule langue em-
ployée dans les actes publics, en Angleterre. —
V. Scandinaves {Etats}, Churles le Simple, Guil-
laume-le Conquérant, Italie, An'fleterre.
[Tli. Lindenlaub.]
.NOKWÈGE. — V. Scandtnnres (Étatx).
NUAGIÎS. — Météorologie, VII-X.— Les nuages
sont des brouillards vus de loin ; ils en reprennent
l'aspect quand on s'en approche ou qu'on y pé-
nètre. Leur nature change suivant la situation
qu'ils occupent et suivant la saison.
Le plus ordinairement, dans nos climats, les
nuages sont formés par des amas de vapeur con-
densée en globules liquides d'une extrême ténuité.
Ces globules tombent dans l'air avec une lenteur
d'autant plus grande qu'ils sont plus fins. Si la
masse d'air dans laquelle ils descendent c^t, au
contraire, animée d'un mouvement ascensiomicl
d'ensemble, il peut arriver qu'ils montent (Ui
réalité, malgré leur chute relative: une barque
qui remonterait le cours d'un fleuve avec une vi-
tesse moindre que celle de l'eau descendrait en
réalité par rapport aux rives. Aussi voit-on gé-
néralement les nuages monter ou descendre avec
les heures du jour.
La couche d'air dans laquelle se forment les
nuages est saturée de vapeur d'eau; la couche
d'air placée au-dessous ne l'est généralement pas
encore; les globules d'eau qui y pénètrent dans
leur chute se vaporisent promptement, comme les
panaches de vapeur condensée qui s'échappent
des cheminées des locomotives se dissipent dans
l'air plus ou moins sec. C'est une seconde cause
de délimitation inférieure des nuages. Quant ii
leurs limites latérales, elles sont dues à la dis-
tance ; leur précision apparente disparaît à mesure
qu'on s'en approche davantage. Ces limites d'ail-
leurs sont perpétuellement changeantes au gré des
courants d'air intérieurs. L'épaisseur des nuages,
plus variable encore, peut quelquefois atteindre et
dépasser un millier de mètres.
Parmi la masse des globules qui composent un
nuage, il s'en trouve de plus volumineux que
d'autres et dont la chute est plus rapide. Les pre-
miers peuvent heurter les seconds et les absor-
ber; ils augmentent progressivement de volume
Jusqu'il former des gouttes de pluie.
Les globules d'eau, une fois formés, peuvent
subir l'action de froids inteuses sans se congeler.
Les physiciens disent qu'ils sont alors à l'état de
surfusion; mais s'ils touchent un corps solide, et
surtout un fragment de glace, ils se congèlent su-
bitement : de là ces verglas désastreux comme
celui du ?0 janvier 1879.
Si la condensation de la vapeur d'eau a lieu h
une température inférieure i 0°, cette vapeur,
au lieu de se condenser en globules aqueux,
se transforme en lamelles cristallines très fines
qui restent isolées ou se groupent en flocons de
neige, chaque cristal en appelant un autre. Dans
le premier cas on a un brouillard cristallin du nord,
dans le second on a une chute de neige. Les
brouillards cristallins en couches très minces et
vus de très loin forment, luôme pendant l'été, ces
nuages filameiUeux qu'on nomme cirrus.
Les météorologistes attachent une assez grande
importance à la forme des nuages. Quelques-uns
même divisent ces formes en classes très nom-
breuses dont ils font une nomenclature détaillée.
.\ous indiquerons seulement quelques-unes des
formes principales.
Les cirrus, o queues de chat » des marins, sont
des nuages extrêmement élevés, très légers et très
déliés, composés, comme il vient d'être dit, de
particules cristallines de vapeur congelée. On peut
les rencontrer on toute saison. Ils accusent l'inva-
sion des courants du sud-ouest dans les hautes
régions de l'air.
Si cette invasion fait des progrès assez lents, les
lamelles do glace fondent, les filaments se ras-
semblent, les nuages deviennent pommelés, le ciel
se moutonne.
Les cumutui, « balles de coton u des marins, ont
des formes arrondies, massives, souvent très volu-
mineuses. Ce .sont surtout les nuages d'été, ou do
montagnes; ils sont dus à la condensation de la
vapeur .au sein des masses d'air soulevées par les
courants ascendants.
Les stratus sont des nn.ages de formes très
alloiifjées, ayant l'aspect de bandes, que l'on aper-
çoit près de l'horizon. Ils sont, le plus souvent, i
peine visibles des lieux qu'ils dominent; la per-
spective seule, les montrant par la tranche, les fait
paraître plus compacts.
NUMERATION
— iA-2-2 —
NUMERATION
Les 7ii>nhus sont des nuages bas, étendus, d'où
s'échappent le plus souvent les pluies ou les
neiges.
Les brumes ou bionillavrls sont des nuages plus
ou moins denses, descendant jusqu'à la surface
du sol, s'y formant même le plus souvent, et au
milieu desquels nous sommes plongés.
Lfs nuages, quelle que soit leur forme, peuvent
prendre naissance dans deux conditions différen-
tes, mais pouvant se superposer.
Quand le temps se refroidit, soit par l'effet du
rayonnement terrestre, soit par l'invasion de vents
desri'gions du nord, une partie do la vapeur conte-
nue dans l'air ne peut plus y conserver l'état ga-
zeux ; elle se condense (cirrus brumes, brouillards^
Quand l'air chaud et humide des régions voisines
du sol monte progressivement dans l'atmosphère,
soit par l'effet de l'inégal échauffement des terres
couvertes de cultures différentes, soit par l'effet
des inégalités d'un sol accidenté ou montagneux,
cet air se refroidit progressivement par le fait
même de son ascension et de l'expansion qu'une
diminution de pression produit en lui. Il arrive
finalement à une hauteur ou à une température à
laquelle il ne peut plus garder toute sa vapeur,
qui se condense en partie (cumulus). Les monta-
gnes élevées sont fréquemment couronnées par
des nuages ayant cette seconde origine, et c'est à
des nuages de cette nature que les marins recon-
naissent au milieu des grands océans équatoriaux
la présence, au loin, d'ilôts même des plus petites
dimensions. [Marié-Davy.]
NUITS. — Histoire générale, XXXIX-XL., —
Nous complétons notre article Jow nées par l'énu-
mération des Nuits historiques les plus célèbres.
Ce sont : la nuit de la Saint-Brice (100'2), dans
laquelle les Anglo-Saxons égorgèrent tous les
Danois établis en Angleterre; la nuit triste (la
noclie triste en espagnol, l"' juillet Ii'20), durant
laquelle Cortez et ses compagnons, assaillis par
une insurrection des indigènes, durent évacuer
Mexico; la nuit de la Saint-Barthélémy (V4 août
1ÔT2) : souillée par le massacre des protestants
français; la nuit du 4 août 1789, durant laquelle
se tint la fameuse séance de l'Assemblée consti-
tuante où eut lieu la renonciation aux privilèges
féodaux .
AUMÉUATIOIV. — Arithméti(|ue, I-llL —
Étym. : du latin numerntio, action de compter.
Nombre ; unité. — Qu'un enfant interrogé au ta-
bleau soit invité par le maître à dire combien d'élè-
ves sont assis à la table qui est devant lui; il compte
et répond qu'il y en a six, par exemple : le terme
six est un nombre, et l'élève est Viiniié. Qu'on lui
demande ensuite d'indiquer la longueur de la ta-
ble ; il porte le mètre d'un bout de la table à l'au-
tre, et s'il trouve qu'il y est contenu quatre fois par
exemple, il est dit que la table a une longueur de
quatre mètres; ici \e terme (juatre est un nombre
et le mètre est l'unité.
D'après ces exemples (qu'on fera bien de multi-
plier) on voit que meswcr une ijuuntitê qiielcun-
que, c'est chercher combien de fois elle contient une
certaine quantité de même espèce, connue ou adop-
tée par l'ustifje.
Cette quantité connue, qui sert à évaluer les
quantités de môme espèce, est appelée uwté.
On appelle notnbn: l'expression qui indique
combien il y a d'unités dans la quantité mesurée.
Unité fractionnaire; nombre fractionnaire ; trac-
tion; n '/nbre entier. — On peut avoir à mesurer une
quantité moindre que l'unité. Soit par exemple à
mesurer la longueur d'un cahier : le mètre, qui est
l'unité ordinaire de longueur, étant trop grand, on
emploie pour mesure une des dix parties égales
dont se compose la longueur du mètre et qui s'ap-
pellent rfec!»ié()r; si elle se trouve contenue trois
fois, par exemple, dans la longueur du cahier, on
fait connaître cette longueur en disant qu'elle a
trois décimètres. Dans ce cas, trois est le nombre
et le drcimélre est l'unité. Mais cette unité, n'é-
tant qu'une des parties égales dans lesquelles le
mètre est subdivisé, peut être appelée unité frac-
tionnaire, du mot fraction qui signifie partie, por-
tion de quelque chose.
Pour mesurer une longueur moindre que le mè-
tre, on pourrait prendre toute autre partie du mè-
tre comme unité; par exemple, en le partageant eu
deux parties égales, on aurait la motié du mètre
ou demi-mètre ; en le partageant en trois, on aurait
la troisième partie appelée aussi ficc.s-; en le par-
tageant en quatre parties, on aurait la quatrième
partie appelée aussi quart; en cinq, six, etc., on
aurait la cinquième partie, la sixième partie du
mètre, etc. L'une quelconque de ces parties égales
étant employée comme mesure de longueur sera
une unité fractionnaire. On dira par exemple que
la largeur de la table est égale à trois quaris de
mètre, que la longueur d'une règle est égale à cinq
fois la huitième partie du mètre, ou, comme on dit
souvent, à cinq îiuitièmes de mètre.
Il n'est pas nécessaire que l'unité soit effective-
ment divisée en plusieurs parties égales ; il suffit
que l'esprit conçoive cette division ; par exemple le
prix d'un objet sera un tiers, un quart, deux cin-
quièmes de franc.
On appelle donc undé fractionnaire une partie
quelconque de l'unité entière qui est empliiyée
aussi comme unité pour la mesure d'une quantité.
Le nom de cette unité est facile à former ; on
ajoute la terminaison ième au nom du nombre
qui indique en combien de parties égales on a par-
tagé l'unité entière pour former cette unité frac-
tionnaire : un ciiiqu'ème, un sixiè'ne, un dixième,
etc. Seulement on emploie de préférence les mots
flemie, tiers, quart, nu lieu de deuxième, troisième,
quatrième pariie.
Le nombre ({ui exprime des unités fractionnai-
res esl appelé nonhre fractionnaire ; celui qui
n'exprime que des unités entières est un nombre
entier.
Quand le nombre fractionnaire exprime une
quantité moindre que l'unité entière, il porte le
nom de fraciv.n. Ainsi cinq tiers de mètre, neuf
quaris de franc sont des nombres fractionnaires;
deux tiers de mètre, tmis quarts de franc sont des
fractions.
Nombre abstrait ; nombre concret. — Un nom-
bre, suit entier, soit fractionnaire, n'est pas tou-
jours accompagné du nom de l'unité, comme quand
on dit par exemple : un, deux, trois, ou bien une
demie, il eux tiers, trois quaris, etc., sans avoir en
vue une espèce d'unité plutôt qu'une autre. Dans
ce cas le nombre est a/.strait, c'est-à-dire séparé
de la quantité à laquelle il se rapportait. Par op-
position, le nombre qui est accompagné du nom
de l'unité est appelé nombre concret (du latin con-
crctns, épais, solide); par exemple trois fra. es, cinq
sixièates de mè're.
Formation desnombres; numération. — Quelque
grand que soit, par exemple, le nombre des hari-
cots contenus dans un sac, tout enfant conçoit
parfaitement qu'en ajoutant un haricot à ce nom-
bre, puis un autre et ainsi de suite, on obtient
des nombres qui peuvent aller en augmentant ainsi
indéfiniment sans aucune limite. Il était donc né-
cessaire de trouver un moyen pour désigner tous
les nombres, quelque grands qu'ils puissent être,
par des noms faciles à retenir et à composer : c'est
en cela que consiste la numération.
La numération est un système de règles d'après
lesquelles tous les nombres peuvent être désignés
à l'aide de quelques mots et écrits à l'aide de quel-
ques caractères.
Bornée U la formation des noms qui désignent
les nombres, elle se nomme numération parlée;
NUMERATION
1-4^23 —
NUMERATION
appliquée Ji l'écriture des nombres, elle se nomme
numération écrite.
Numération parlée. — Môme avant leur entrée
;\ recule, les enfants savent tous que le nombre qui
ne désigne qu'une seule cliose.une seule unité, est
appelé un ; que un ajouté i lui forme le nombre
dc"X ; que un ajouté î deux forme le nombre /;'0(>',
et qu'on continuant à ajouter un successivement à
un nombre précédent, on a les nombres appelés
r/uatre, cinq, six, sept, liuil, neuf et dix. Quoique
la plupart des élèves soient capables de compter
plus loin : onze, <J"UZP, etc., arrêtons-nous à dix.
Observons que, l'esprit se trouvant fatigué par l'at-
tention qu'exigent des nombres trop grands, un
marchand, par exemple, compte ses œufs par dou-
zaines, en disant trois douzaines, quatre douzaines.
De même, et probablement à la vue des dix doigts
des deux mains, on a formé de dix unités un
groupe considéré comme une nouvelle unité plus
grande nommée dizaine, et on compte les objets
par dizaines : une dizaine, deux dizuines, trois
dizaines, etc., jusqu'à neuf dizaines. Au lieu de
une dizaine, on emploie le mot dix qui est plus
court; les autres nombres de dizaines sont aussi
remplacés par les mots suivants, tirés du latin :
deux dizaines, vingt; trois dizaines, trente; quatre
dizaines, quarante; cinq dizaines, cinquante; six
dizaines, soixante; sept dizaines, septa^de; huit
dizaines, huitanle ; neuf dizaines, nouante.
iMais, par une irrégularité regrettable, les termes
septante, huitante et nouante sont peu en usage, et
à leur place on dit : soix-inte-dix, quatre-vingts,
quatre-vingt-dix .
Pour désigner un nombre contenant des dizaines
et des unités, on joint au nom des dizaines celui
des unités : vinql-cinq, trente-huit, etc. Cepen-
dant au lieu de dix-un, dix-deux, dix-trois, dix-
quatre, dix-cinq, dir-six, on se sert de mots équi-
valents venus du latin : onze, douze, treize, qua-
torze, quinze, seize. Au delà on reprend la règle :
dix-sept, dix-huit, etc.
Avec ce qui précède, on est en état de désigner
tous les nombres depuis un jusqu'à nonante-neuf,
ou, pour employer l'expression plus usitée, quatre-
vingt-dix-neuf.
En ajoutant une unité simple à ce dernier nom-
bre, on a neuf dizaines plus une dizaine ou dix ili-
zaines: ce nombre est appelé eut. Le groupe dedix
dizaines est considéré aussi comme une troisième
espèce d'unités appelées centaines, et on compte
par centaines, comme on compte par dizaines et
par unités simples : une centnine, deux centaines,
etc., ou plutôt cent, deux cents, etc., jusqu'à neuf
cents.
l'our désigner un nombre contenant des centai-
nes, des dizaines et dos unités, on joint au nom
des centaines celui des dizaines et des unités; par
exemple : Deux cent trenti'-q uatre ; cinq centquutre-
vingt-dix-sfpt {poaTcinq cent Clouante sept), etc. On
est ainsi en étal de compter depuis un jusqu'à neuf
cent qnnlre-vingt-dix-neuf(neufcfnt nonante-neuf).
On distingue les unités simples, les dizaines et
les centaines par ordres: les unités simples sont
les unités du premier ordre; les dizaines sont
celles du deuxième ordre ; les centaines, celles du
troisième ordre.
Augmenté d'une unité simple, le nombre neuf
cent quatre-vingt-dix-neuf devient un nouveau
nombre contenant neuf centaines, neuf dizaines et
une dizaine, c'est-à-dire dix centaines; on le
nomme anlle. Le groupe de mille unités simples
est regardé comme une nouvelle unité, qui est
celle du quatrième ordre ; ces unitt^s se comptent
comme les unités simples : un mille ou plus sim-
plement mi/le, dfux mille, etc. jusqu'à neuf mille.
Pour ne pas répéter sans nécessité les détails des
explications précédentes, il suffira de dire pour ce
qui •îuit que dix unités de mille font la dizaine de
mille, ou unité du cinquième ordre, que dix di-
zaines de mille font la ceritame de mille on unité
du sixième ordre, que dix centaines de mille font
Vunité de million ou unité du septième ordre, et
ainsi de suite : dizaine de million, unité du hui-
tième ordre; centaine île »)i.7îOî(, unité du neu-
vième ordre ; unité de hillinn, dizaine de billion,
centaine de billion. L'unité de billion est aussi
appelée milliard, particulièrement en termes de
finances.
Il est inutile de pousser cette nomenclature plus
loin, et d'énoncerdes unités telles que les tnllwns,
les quitlritlions, etc., qui, par leur grandeur on de-
hors do toutes les réalités ordinaires, ne disent
rien à l'esprit des élèves.
(;e qui est plus important, c'est la remarque
suivante: les unités des divers ordres se succèdent
de telle manière que chacune vaut dix unités de
l'ordre immédiatement inférieur. Tel est le prin-
cipe de la numération parlée.
Ainsi le nombre dix sert de base à ce système
de numération, qui pour cette raison s'appelle tiu-
mératinn décimale.
Observons encore que les divers ordres d'unités
forment naturellement des groupes contenant
chacun les trois ordres : unités, itizaines et cen-
taines. Ces groupes sont les classes d'unités prin-
cipales : classe des unités simples; classe des
mille, classe des raillions, etc.
Pour éviter toute équivoque, on se rappellera
que le mot unité seul désigne toujours l'unité
simple, celle du premier ordre.
Numérntion écrite. — Chaque ordre ne contient
pas plus de neuf unités ; car treize p-M exemple est
la môme chose que une dizaine et trois nniiés;
de même quarante-huit désigne quatre dizaines et
huit unités. Par conséquent neuf caractères suf-
fisent pour représenter les neuf nombres d'unités
de chaque ordre ; ces caractères, nommés chiffres,
sont :
1 un; 2 deux; 3 trois;
4 quatre; 5 cinq; (I six;
7 sept; 8 huit; 9 neuf.
Ces chiffres nous viennent des Arabes.
Ainsi le chilTre 7 représentera aussi bien sept
unités de mille que sept centaines ou sept di-
zaines ou sept unités simples ; mais il faut qu'en
môme temps il indique l'ordre des unités qu'il
exprime. C'est ce qui se réalise d'après la règle
suivante : le cliiffre des unités simples étant écrit
le premier, celui des dizaines sera le second en
allant de droite à gauche, celui des centaines le
troisième, celui des unités de mille le quatrième,
et ainsi de suite, de sorte que l'ordre aes unités
d'un chiffe est marqué par le rang qu'il occupe.
Par exemple, dans le nombre 675li, le chilTre 6
exprime 6 unités du quatrième ordre ou 6 raille, le
chiffre 7 exprime 7 unités du troisième ordre ou
7 cents ; le chifl're 5 exprime 5 unités du deuxième
ordre ou 5 dizaines (cinquante); enfin le chiffre 9
exprime 9 unités du premier ordre ou 9 unités
simples.
Il peut arriver qu'au-dessous de ses unités les
plus élevées, un nombre manque d'un ou même de
plusieurs des ordres inférieurs. D.ins ce cas, pour
que chaque chiffre occupe le rang qu'il doit avoir,
on écrit à la place des ordres qui manquent le ca-
ractère 0, nommé zéro. Ainsi le nombre quatre cent
sept unités contient 4 unités du troisième ordre,
7 unités du premier, et n'a pas de dizaines ; il s'é-
crira 407. Le nombre quatre cent soixante-dix
(quatre cent septante) contient 4 unités du troi-
sième ordre, 7 du second et n'a pas d'unités du
premier; il s'écrira 47(1.
Le zéro chez les Arabes portait le nom deçafar,
qui signifie u vide ». Importé en Italie, ce mot de-
vint cifra et zefirn. La syllabe fi étant brève, ce
NUMÉRATION
au —
NUMERATION
dernier mot se réduisit à zcra, pendant que le
premier finit par désigner les neuf autres carac-
tères; notre terme chiffre n'est autre que le mot
àfra avec la prononciation italienne du c. Les
Anglais ont conservé au mot chiffre [cipher] son
sens étymologique de zéro ; les neuf autres carac-
tères portent le nom de fir/ures. qu'ils ont eu
longtemps aussi en français.
De ce qui précède ressort ce principe : Dans
tout nombre écrit, un chiffre de ranu quelconque
exprime îles unités dix fois plus grondes que
celles (tu chiffre qui est immédiati'ment à sa droite.
C'est là le principe fondamental de la numéra-
tion écrite.
liét/lc pour écrire les nombres. — U't éci it suc-
cessivement de qauche à droite le chiffre rfes
centaines, le chiffre des dizainrs et celui des uni-
tés de chaque classe (('unités prni'ipales, en coin-
mençunl par la classe le plus élevée et en ayant
soin lie mettre un zéro à la plaie de chaque ordre
inanqumit iluiis le nombre.
Soit par exemple: Irente-qunlre niillioni vingt-
liuit mille SIX i enl sept unités. Ce nombre con-
tient 34 millions ; la classe dos mille n'a pas de
centaines et renferme seulement 2 dizaines et 8
unités; la classe des unités simples contient (j
centaines et 7 unités, mais pas de dizaines. Ce
nombre s'écrira donc ainsi :
34028C07.
Hégle pour lire un nombre écrit en chiffres. —
P-mr lire un nombre, on le divise en tranches de
trois chiffres par des poirits à partir de la droite;
la dernière peut n'avoir qu'un ou deux chiffrer.
Chaque franche correspond ainsi aux clauses d'u-
nités principales. La première à dioife représerite
la classe des unités simples, la seconde celle des
mille, etc., et dans chaque tranche le primier
chiffre à droite exprime les vnitis, le second les
dizaines et le troisième les centaines. On ht alois
chaque tranche de gauche à droite en énonçant
après chacune le nom de la classe de ses unités
pri7icipales . .
Nota. — Nous n'avons pas besoin de recomman-
der aux maîtres de commencer par des nombres
n'ayant pas plus de trois chiffres, et de monter
graduellement à ceux de six chiffres, puis i ceux
de neuf, sans dépasser les billions. Au delii ce sont
des nombres fantastiques dont les élèves n'auront
jamais à faire usage.
Influence des zéros sur la drode d'un nombre
entier. — Un nombre entier prend une valeur 10
fois plus grande, quand on écrit un zéro sur sa
droite; lu» fois plus grande, quand on en écrit
deux ; 1000 fois plus grande, quand on en écrit
trois, etc.
En effet, soit le nombre 68 ; avec un zéro sur sa
droite il devient 680. Dans le premier, le chiffre 8
exprime des unités simples, et dans le deuxième
des dizaines ; le chiffre 6 dans le premieriexprime
des dizaines et dans le deuxième des centaines :
par la présence du zéro, chaque chiffre du nombre
a donc pris une valeur 10 fois plus grande que
celle qu'il avait auparavant.
De là. cette distinction entre la râleur absolue
d'un chiffre et sa valeur rehdive, c'est-iVdire celle
qu'il prend d'après le rang qu'il occupe.
Nl!Ml':HAT10N DES NOMBRES DÉCIMitlX. — Des pluS
fortes unités aux plus faibles, une unité de chaque
ordre est la 10" partie de celle qui la prccc'^de im-
médiatement; si donc on prolonge la série des
ordres d'unités au-dessous des unités simples, on
a d'abord la Ki'partie de l'unité, puis la 10" partie
du 10", qui est la lOO' partie de l'unité, puis la
ni" partie du 100°, qui est la lOOO» partie de l'u-
nité, etc. : c'est ce que montre de la manière la
plus nette le mètre avec ses subdivisions en déci-
mètres, centimètres et millimètres.
Ces unités fractionnaires sont appelées unités
décimales (du latin decimus, dixième), parce que
chacune est la 10' partie de la précédente; elles
doivent être regardées comme la continuation de
la série des ordres d'unités entières.
Un nombre qui exprime des unités décimales
est appelé |)iO»(/j'e décimal; s'il est moindre que
l'unité entière, il prend le nom de fraction déci-
male. Ainsi 'i mètres et 3 dixièmes est un nombre
décimal; 3 dixièmes de mètre, 34 centièmes de
franc sont des fractions décimales.
Règle. — Pour écrire un nombre décimal, on
écrit d'ubor I la partie entière du nombre, eu la
marquant par ui zéro s'il n'y a pas d'uni'és en-
tières; à droite on place une virgule, puii au
\" rang à droite de cette virgule le chiffre des
dixièmes, au 2" rang le chiffre des centièmes, au
'i^ rang celui des millièmes, etc. On a soin de
mettre un zéro i la place des unités décimales qui
manqueraient.
Par e-aemple.poMT quatre unités trente-huit mil-
lièmes deux ceni -millièmes, on écrira 4,0.3802.
Souvent la fraction décimale à écrire est énoncée
comme un nombre entier suivi du nom de la der-
nière unité décimale : trois mille huit cent deux
cent-millièmes. Dans ce cas on l'écrit comme un
nombre entier ."i la droite de la virgule, en ayant
soin que le dernier chiffre à droite se trouve au
rang indiqué par l'ordre de ses unités décimales.
Aussi le cent-millième devant être au 5' rang, le
nombre 380.' devra être précédé d'un zéro, et on
écrira 0,03802.
Observation. — A propos do la virgule, nous
devons profiter de cette occasion pour protester
contre la détestable habitude prise par les im-
primeurs d'employer la virgule à séparer les nom-
bres en tranches de trois cliiffres. et de l'omettre
à la place qui lui appartient. Sous prétexte de
faciliter la lecture du nombre, ils le rendent inin-
telligible, comme le montre cet exemple extrait du
compte rendu d'un journal financier: Les recettes
des Tramwnys-Nnrd sont de 54,128; celles de la
semaine précédente n'avaient été que de 50,469.
C'est aux auteurs qu'il appartient de combattre
cet abus; nous le signalons particulièrement aux
rédacteurs des Bulletins départementaux de l'ins-
truction primaire, où cette confusion se montre
trop souvent dans les énoncés des problèmes.
Conservons k la virgule son emploi traditionnel,
et, pour contenter tout le monde, séparons par un
petit espace blanc les tranches de trois chiffres.
Règle. — Pour lire un nombre décimal, on lit
d'abord la partie entière, piii< la partie décimale
en la faisant suirre du 7iom de l'unité décimale
du dernier chiffre à droite. Soit par exemple le
nombre 237. 40658. On dira : 23" unités 40 mille
658 cent-millièmes. On peut dire aussi : 237 unités
406 millièmes 58 cent-millièmes; ou 237 unités 40
centièmes 658 cent-millièmes, etc.
Remarque. — On peut même lire le nombre dé-
cimal, sans faire attention à la virgule, comme si
c'était un nombre entier exprimant des unités
marquées par le rang qu'occupe le dernier chiffre
à droite de la virgule.
Par exemple, le nombre 4,35 se lirait 435 cen-
tièmes.
Observation. — Il importe que les élèves s'habi-
tuent k envisager le nombre décimal comme un
nombre entier. C'est en se mettant à ce point de
vue qu'il est facile de faire marcher de pair l'é-
tude des opérations sur les nombres décimaux
avec celle des nombres entiers. Les commençants,
sans y rencontrer plus de difficulté, y trouveront
l'avantage de pouvoir résoudre de petits problèmes
oiii ils pourront opérer sur des fractions décimales
du franc et du mètre, par exemple, aussi bien que
sur les unités entières.
De ta présence des zéroi sur lu droite d'une frat-
1
NUMERATION
1423 —
NUTRITION
tion (léi-imale. — On peut, écrire ou supprimer
des zéros sur la droite d'une Iraclion décimale
sans altérer sa valeur.
En effet soit 2,:i'(,c'03t-à dire 2 unités 34 centiè-
mes: en mettant un zéro adroite, on obtient 2, -UO.
La partie entière, 2 unités, n'a pas changé ; mais
il la partie décimale, 34 centii'nics a été remplacé
par 310 millièmes; le nombre des unités décimales
est devenu dix fois plus grand, et en môme temps
les unités sont devenues dix fois plus petites : la
valeur de la fraction décimale n'a donc pas
clianc;é.
Déplnoement de In virgule. — Si dans un nombre
décimal on avance la virgule vers la droite d'un
rang, sa valeur devient dix fois plus grande; de
deux rangs, cent fois plus grande; de trois rangs,
mille fois plus grande.
Par exemple, si dans le nombre 4,728 la virgule
est avancée de deux rangs à droite, ce qui donne
472,8, chaque chiffre prend une valeur cent fois
plus forte : 4, qui dans le premier nombre exprime
des unités simples, exprime dans le second des
centaines; 7, qui exprime dans le premier des
dixièmes, exprime dans le second des dizaines,
et la dizaine vaut lOn dixièmes; etc.
Réciprijqu'ment, si l'on recule la virgule h gau-
che, le nombre devient dix foi* plus faible pour un
rang, cent fois plus faible pour deux rangs, etc.
Des aulr-s si/stémes de numération. — Le sys-
tème décimal a pris sans doute naissance dans le
nombre des doigts des deux jnains; mais il est
évident qu'on aurait pu adopter comme base tout
autre nombre. Nous en trouvons un exemple dans
l'usage populaire de rompter par doazdiws; il
provient aussi de l'habitude de compter sur les
quatre doigts, qui, avec leurs trois phalanges, for-
ment un groupe de quatre fois trois ou douze. La
douzaine est donc l'unité du second ordre ; celle
du troisième vaudrait douze douzaines; elle est
encore usitée dans le commerce sous le nom de
grosse : une! groise d'écheveaux de fil pour dire
douze douzaines d'écheveaux. Ce système de nu-
mération dundédmrile se retrouve dans les subdi-
visions des anciennes unités de longueur : le pi'd,
qui se divisait en 12 pouces; le pouce, en 12 lignes;
la ligne, en 12 points. Pour écrire des nombres
dans ce système, il faudrait employer onze chiffres
plus le zéro.
Le système qui exigerait le moins de chiffres
est celui où une unité de chaque ordre serait
compo^oededeux unités de l'ordre immédiatement
inférieur : c'est le .système binnire. 11 n'a d'autres
chiffres que I et 0. Dans ce Système l'expression
10 indique 1 unité du T ordre ou 2 unités sim-
ples ; l'expression lOJ indique 1 unité du 3» ordre,
ou 2 unités du 2" ordre, ou 2 fois 2 unités du
1"', c'est-à-dire 4 unités simples, etc.
Numération romaine. — Nous ne devons pas
finir cet article sans exposer la numération ro-
maine, qui est encore en usage aujourd'hui pour
les inscriptions gravées sur les monuments, pour
les chapitres et les divisions d'un livre, et souvent
sur les cadrans des horloges.
Tout ce système repose sur les sept nombres :
1 S 10 .'iO 100 500 1000
qui sont désignés par les lettres suivantes :
I V X L C D M.
Pour représenter deux ou trois unités de l'un
des quatre premiers ordres, on répète la lettre
correspondante à cette unité deux fois, trois fois :
2, H; 3, III; 20, XX; .30, XXX-
201, CG;;iO0, CGC; 2000, IVI.VI.
Pour quatre unités d'un ordre quelconque on
écrit cinq u n rs de cet ordre moins une, en
'j.' l'AKTn.:.
plaçant l'unité .'i soustraire à gauche de cinq :
4, IV; 40, XL; 400, CD.
Pour les nombres six, sept, huit unités de l'un
des trois ordres on écrit cinq plus un, cinq plus
deux, cii.q plus trois, en plaçant à la droite de
cinq le nombre d'unités du même ordre à lui
ajouter :
6, VI ; 7, VII; 8, VIII ;
Gii, LX; 70, LXX; 80, LXXX ;
GUO, DC; 700, DCG; 800, DGCC.
Pour neuf unités d'un ordre quelconque, on agit
comme pour quatre, c'est-à-dire qu'on écrit dix
unités moins une :
9, IX ; 90, XC ; 900, CIVI.
D'après ce qui précède, on écrit un nombre
quelconque inférieur à deux mille en plaçant à la
droite du nombre de mille le nombre des cen-
taines, puis le nombre des dizaines et enfin le
nombre des unités simples. Voici quelques exem-
ples :
14, XIV. 250, CCLIX.
18, XVIII. 432, CDXXXU.
10, XIX. (15S DC.LVIII.
37, XXXVII. 830, DC(',C\XX.
76, LXXVI. 0.S7. CMLXXXVIL
1517, MDXLVIl.
1880, MDCCCLXXX.
Il n'y aurait aucun intérêt pour nous à écrire
des nombres supérieurs .'i mille. Nous termine-
rons par la remarque suivante : dans la numéra-
tion romaine, toute lettre est diminuée de la lettre
moins forte qui la précède, et au contraire aug-
mentée de la lettre moins forte ou égale qui la
suit. [G. Bovier-Lapierre.]
NUTRITION. —Zoologie et Physiologie, XXXII ;
Botanique, II. — Les êtres vivants ne durent qu'à
la condition de se renouveler sans cesse dans toutes
leurs parties. La durée totale de chaque être est
.soumise à des limites tracée^ d'avance par la
nature. Chaque instant de son existence use les
matériaux dont il est construit ; les portions usées,
véritables détritus, tendent à se séparer, à s'élimi-
aer par voie à'excri'tion ou à s'immobiliser sous une
forme vivante qui ne fait qu'accroître le volume
de la plante ou de l'animal.
En physiologie, vii re et se nourrir sont syno-
nymes, car tout ce qui vit, être ou tissu, faisant
partie d'un être s'use et se renouvelle; or cette
rénovation n'est autre chose que la nutrilinn.
La nutrition constitue une fonciion commune
aux animaux et aux vé::étaux, mais elle s'exerce
dans les deux règnes avec des dilférences nota-
bles. On peut considérer les végétaux comme des
appareils réducteurs, qui fnnn>"'nt ch's principes
immédiats organiques au ' n il's .léinents chi-
miques empruntés au nu. ml ■ ininri.il ; tandis que
les animaux, appareils ch' (■iiniliii~iion, brûlent ces
principes immédiats qu'il sont incapables de
former.
Cependant cette manière d-^ comprendre la nutri-
tion, attrayante par sa simplicité, n'est pas con-
forme aux principes généraux de la physiologie. En
réalité nous ne devons admettre aucune différence
entre la nutrition d'un élément végétal et celle
d'un élément animal. Dans les végétaux il existe
comme dans les animaux un milieu intérieur qui
contient des sucs nutritifs et des gaz accumulés
pour l'usage. Lorsciu'un bourgeon pousse, il brûle
ces matériaux alimentaires et produit comme ré-
sidu de l'acide carbonique ainsi que le ferait un
tissu animal.
L'organisme animal peut, comme l'organisme
végétal, former dans son milieu inférieur les
principes immédiats nécessaires à la nutrition de
NUTRITION
— 1426
NUTRITION
ses éléments : albumine, fibrine, sucre, etc. Par
conséquent les pliénomènes nutritifs de réduction
et de combustion existent dans les di'ux icgnes,
seulement la puissance réductive existe au mini-
mum chez les animaux, car ils ne peuvent trans-
former que des matières déjà très élaborées, tan-
dis qu'elle existe au maximmn chez les végétaux
qui peuvent agir sur les éléments minéraux, et
même fixer Tazote et le carbone de l'air.
Celte disproportion des phénomènes de réduc-
tion et de combustion dans les animaux et dans
les végéiaux leur fait altérer l'air d'une manière
inverse. Les végétaux, à l'aide de la matière verte
(chlorophylle), attirent l'azote ainsi que le carbone
de l'air et dégagent de l'oxygène ; les animaux sont
pourvus de globules sanguins qui attirent l'oxygène
nécessaire aux combustions et aux fermentations
tandis qu'ils restituent à l'atmosphère de l'aride
carbonique. Mais au lieu de considérer le résultat
prédominant des actions vitales par rapport au
milieu extérieur ou ambiant, si nous considérons
le milieu intérieur, nous constatons que les végé-
taux et les animaux le vicient de la même ma-
nière. Les gaz de l'atmosphère intérieure des
plantes et des animaux sont l'oxygène, l'azote et
l'acide carbonique. Au printemps, (|uand se pro-
duisent h'S phénomènes de nutrition et de bour-
geonnement, l'oxygène disparait et l'acide carbo-
nique augmente dans l'atmosphère intérieure du
végétal. Fendant l'hiver, elle est très pauvre en
acide carbonique, comme l'atmosphère intérieure
des animaux hibernants dont les appareils de
combustion sont au repos et engourdis. Nous pou-
vons donc conclure que si les manifestations de
la nutrition végétale et animale sont différentes
dans le milieu extérieur, elles sont, au fond, les
mêmes dans le milieu intérieur.
Il est prouvé aujourd'hui que la nutrition ne ré-
sulte pas d une assimilation directe : les aliments
digérés et absorbés ne vont pas immédiateiuent
se fixer sur les tissus; ils sont d'abord employés à
former dans l'intérieur de l'organisme un liquide
alimentaire, réserve toujours prête à laquelle
puisent également les éléments organiques pour
y chercher les matériaux de leur rénovation. Le
sang lui-même n'est pas augmenté, enrichi, par
une simple addition d'aliments dissous et modi-
fiés par les sucs digestifs; il s'assimile d'abord
ces matières par une véritable génération orga-
nique, pour leur donner une vie nouvelle, une
organisation spéciale, c'est un pro luit de sécré-
tion dont la composition varie à peine avec 1 ali-
mentation, et dans lequel se produisent des prin-
cipes immédiats qu; n'existent pas tout formés
dans les aliments. Une certaine quantité de ma-
tières accumulées et transformées dans le sang
ne sont utilisées que fort taid, au fur et à mesure
des besoins ; elle constitue utie réserve précieuse
en cas d'abstinence prolongée. Aussi ne peut-on
espérer retrouver à courte échéance, dans les
sécrétions et les excrétions, tous les matériaux
assimilés par le sang.
Le liquide alimentaire doit contenir, en outre, des
matériaux nutritifs dissous dans leau, dessub.stan-
ces qui semblent destinées à jouer le rôle d'ej.c!^'«'s
nutritifs, par exemple le sucre, l'oxygène. Notons
toutefois que la présence de l'oxygènn no semble
pas indispensable au développement de certains
tissus.
Dans chaque être, la nutrition constitue un
phénomène général, une action vitale qui s'exerce
sur toutes ses parties," tous ses tissus, toutes ses
cellules. Mais si nous la considérons dans une
cellule isolée, nous voyons que le nui/au sert de
centre au mouvement d'accroissement,, de repro-
duction, de régénération. On distitigue, en elTet,
dans chaque cellule, l'enveloppe, son contenu,
plus le noyau qui lui-mciiie rculerme un nuciéule.
Le noyau des cellules paraît être le centre des
actions nutritives. Dans le muscle, par exemple,
le noyau de la cellule persiste à l'intéiieur do la
paroi de la fibre tubulaiie, il se forme autour de
ce centre, comme par sécrétion, une matière or-
ganisée, le priUop/usnia, qui sert à la nutrition
du tissu.
Il résulte de ces considérations que la nutrition
et le développement dépendent, avant tout, d'une
aptitude spéciale qui réside dans le tissu, et pour
mieux préciser, dans le noyau des cellules de
chaque tissu. Si cette aptitude est diminuée,
suspendue, annulée, les qualités du milieu in-
terne, la qualité des matières alimentaires ne
produiront aucun résultat.
En résumé, la nutrition est une propriété com-
mune à tous les éléments anatomiques des végé-
taux et des animaux, par laquelle s effectue la
rénovation continuelle des tissus usés par la vie,
sans altérer la forme ni les propriétés caractéris-
tiques (le chaque élément, de chaque tissu. C'est
la plus générale des propriétés vitales, on peut
même dire qu'elle caractérise la vie, car les au-
tres forces ou propriétés vitales ne se manifes-
tent que si la nutrition a lieu, tandis qu'elle peut
être la seule force en action sensible dans un être
vivant.
La nutrition se compose essentiellement de
deux actes : la désassimilution, par laquelle les
parties usées s'éliminent . Yassimi ntion, paria-
quelle des parties neuves et identiques se for-
ment pour les remplacer. Pour que ces deux actes
s'accomplissent, tl faut que l'oj»/o<e * permette
Vuljsorijtio i * et la. sécrétion ". Notons toutefois
que l'absorption et la sécrétion ne s'accomplis-
sent dans les éléments anatomiques, dans les
cellules, que d'une manière tout à fait locale, en
vue de la vie de l'élément Isolé, mais que dans
le sens ordinaire, ces deux fonctions appartien-
nent au tissu lui-même considéré comme en-
semble d'éléments contribuant à former un or-
gane.
Nutrition des aniiuaux. — Le sang forme pour
les animaux le milieu intérieur dans lequel la
nutrition puise ses matériaux de reconstruction.
Par conséquent, la nutrition se trouve sous la
dépendance de la circUntion ', de la respiratiou '
et aussi de la digestion ' chez les animaux supé-
rieurs. Ces trois fonctions préparent, dissolvent,
élaborent, transforment, les matériaux apportés
du dehors pour les rendre propres il la nutrition.
Les matières azntées (alburainoides; aliments
rénovateurs ou plastiques par excellence, sont
transformées par les sucs digrstifs en matières
(dtjuminosinues, susceptibles de pénétrer, par os-
mose, dans le sang qui les transforme à son tour
en albumine et en fibrine auxquelles les tissus
emprunteront la matière première de leur nutri-
tion, c'est-à-dire de leur rénovation et de leur
accroissement. Le sang, chargé de ces principes
réparateurs qu'il porto à tous les éléments aiia-
tomiques, reçoit en échange les produits de l'u-
sure vitale, de la combustion des éléments : urée,
acide urique, créatine, etc., qui sont éliminés par
les sécrétions.
C'est dans le sang que les matières non azotées
(fécule, graisse, etc.) subissent leur transfor-
mation. Leur rôle est spécialement calorifique,
elles ne nourrissent les tissus qu.; dans une pro-
portion infiniment restreinte; quand un animal
engraisse, ce n'est pas par suite de la nutrition,
du développement des tissus, mais par l'interpo-
sition de graisse accumulée. Les matières azo-
tées, au contraire, nourrissent sans engraisser.
L'organisme possédant la propriété de trans-
former en matières grasses les matières amylacées,
une nourriture féculente équivaut à une nourri-
ture riche en matières grasses.
OBLIGATIONS
— 1427
OBLIGATIONS
Lorsque les malières amylacées ou sucrées font
défaut dans l'alimentation comme cliez les ani-
maux carnivores, l'organisme possède en outre la
remar(|uable propriété de fabrif|uer la quantité de
ces substances indispensable à la nutrition.
Bien que les sels minéraux participent très peu
aux phénomènes nutritifs, leur présence dans le
san^' n'est pas moins importante; ils favorisent les
métamorplioses des substances organiques et re-
tardent la désassimilation. Le sel commun (chlo-
rure de sodium) exerce une action niat.ifeste. Ainsi
un lot do bœufs augmente, en moyenne, par année,
4o 6 kilogrammes par 100 kilogrammes de fuin
consommé sans sel, tandis qu'un lot semblable,
nourri de foin salé, augmente de " kilogrammes.
NuTUiTiON nES VÉGÉTAUX. — Les aliments des
plantes consistent en gaz et en sels niinorjux so-
îubles. Les gaz sont absorbés surtout par les feuil-
les, et fort peu par la tige et les racines. Celles-ci
puisent dans le sol les aliments minéraux. 1
Les animaux, parvenus à une certaine période
■de leur existence, cessent de croître, et chez eux
la nutrition se borne à maintenir l'équilibre entre
la perte et le gain d«s tissus. Dans les plantes la
nutrition constitue un accroissement continuel;
elles perdent toujours moins qu'elles n'acquièrent
•et |)Oussent constamment des bourgeons qui de
viennent des feuilles et des fleurs; quelques-uns
même grandissent constamment dans toutes les
dimensions.
La tige s'accroît en hauteur et en diamètre ; cliez
iei dicoti/lédones, l'accroissement en diamètre est
déterminé par la formation de nouvelles couches
■de bois. Entre la dernière couche formée et l'ccorce
se trouve une couche de tissu utriculuire lâche
nommée couche généi-a'rice. Son tissu est rempli
de sucs nutritifs (carabium) qui s'accumulent pen-
dant la période la plus active de l.i végétation et
qui s'enricliit par résorption d'une partie des élé-
ments des feuilles lorsque celles-ci se détachent
à l'automne. Lorsque la sève devient active, la
plupart des utricules s'allongent, leur par.d s'é-
paissit, ils se transforment en fibres; d'autres
augmentent à la fois en diamètre et en longueur,
se ponctuent, et les cloisons qui les séparent dans
le sens de la hauteur se résorbant, il se forme des
vaisseaux. C'est cette agrégation de vaisseaux et
de fibres qui constitue la couche nouvelle de bois.
Toutes les parties des plantes débutent par l'élat
■utriculaire, de sorte que leur accroissement, leur
nutrition s'opère d'après un procédé à peu près
identique.
L'accroissnment en hauteur des tiges dicoty'édo-
■nées se produit parle dévetoppemeiit du bourgeoji
terminal, continuation de ]a.ge»imule de l'embryon.
Chez les mriHOColi/li'dones, l'accroissement on
diamètre se fait d'une manière un peu différente.
La tige est surmontée d'nn bourgeon terminal re-
couvert de feuilles à l'état rudimentaire. A mesure
que ces feuilles s'accroissent, se séparent, elles
repoussent celles qui les avaient précédées et les
font tomber. En môme temps il se forme des fais-
ceaux/ï'/co-'ascii aires qui augmentent le diamètre.
Hygiène générale de la nutrition. — Nous
avons iiidiqué an mot alimenta* les propriétés nu-
ti^itives des substances les plus communément
utilisées pour la nutrition de l'iiomme. 11 nous reste
seulement à signaler en peu de mots l'inHuonce
hygiéni<|ue de la nutrition. La pénurie ou l'abon-
dance de l'alimentation exercent une influence
considérable sur le physique et le moral : on en
découvre les conséquences dans la fécondité, la
moralité et la prospérité des peuples. C'est donc
le devoir des législateurs de développer l'agricul-
ture, les moyens de transport, de faciliter la con-
servation des denrées, de laisser entrer librement
les produits étrangers.
Si Ion consulte les statistiques, on trouve qu'en
France il existe une relation constante entre le
prix du blé, les mariages, les naissances et la taille
de la population. La mortalité comparée des riches
et des pauvres démontre que la perte annuelle
sur cent individus est plus que doublée chez le
pauvre, et l'on ne peut s'empêcher de reconnaître
que la nutrition insuffisante contribue pour la plu»
large part à cette différence. On arrive au môme
résultat si l'on compare la population des divers
arrondissements de Paris. Le precnier arrondisse-
ment perd 1 habitant sur 52, et le douzième, 1
sur ïG.Dans les quartiers pauvres et riches la vie
moyenne varie de 2i à 4.' ans. Si l'on compare les
départements riciies et ceux où la vie misérable
rend l'aliiniMitaLion insuffisante, on constate une
différence de douze ans dans la vie moyenne des
individus. L'augmentation factice du prix des
denrées alimentaires par des octrois produit un
résultat semblable. Ainsi rinsuffisance de l'ali-
mentation, de la nutrition, agit d'une manière des-
tructive, elle dégrade l'espèce en diminuant la sta-
ture, en restreignant la fécondité, on ouvrant la
porte à une foule de maladies.
La nutr'tion exerce aussi sur les centres ner-
veux, sur l'intelligence et le moral une action ma-
nifeste. Aus'iiàtous les points de vue la nutrition
constitue une des questions hygiéniques et so-
ciales les plus importantes, et Mirabeau avait bien
raison de dire : « Le pot au feu du peuple est la base
des empires. » [D' Saffray.]
0
OBLIGATIONS. — Aritlimétique, XLVL — Les
■villes, les compagnies de chemin i de 1er, les so-
ciétés financières ou industrielles ont besoin, dans
certaines circonstances, d'emprunter de l'argent;
l'emprunt, après avoir été autorisé par l'Etat, s'ef-
fectue dans des conditions spéciales.
Pour cela, la compagnie met en vente à un prix
déterminé, et sous le nom à'ohligalions, dos titres
par lesquels elle s'engage à payer, en retour du
prix qu'elle a reçu, un intérêt fixe annuel, et à
rembourser, à certaines époques, un capital géne-
lalement plus élevé que celui qu'elle a reçu. Par
exemple les obligations des chemins de fer fran-
çais sont remboursables à 50:i francs et produisent
chaque année un intérêt de i5 francs, sauf l'impôt
d'environ — dont il est frappé au profit de l'État.
Les obligations peuvent passer des mains de
celui qui ItiS a acquises en la possession d'une
autre personne, moyennant un prix qui est plus
ou moins élevé que le prix d'émission. suivanti|H(;
la situation financière de la Compagnie est plus ou
moins prospère et inspire par là môme plus ou
moins de confiance. La vente de ces litres se fait
à la Bourse et par le ministère des agents de
change.
11 y a deux espèces d'obligations : les obligations
no>nmalives et les obligations au porteur. Los
premières sont inscrites au nom de leur possess(mr,
et leur transfert à une autre personne est soumis ;i
certaines formalités qui sont dans les attributions
des asrents de change. Les autres sont la propriété
de celui qui les possède, qui les porte, sans que
son nom figure nulle part, et elles peuvent Cire
OBLIGATIONS
— 1428 —
OGEANIE
transmises de main en main, sans que la compa-
gnie ait à intervenir en rien.
L'intérêt est ordinairement payé deux fois par
an, à six mois d'intervalle. Pour le loucher, il suffit
de délaclier de l'obligation un petit coupon indi-
quant l'intérùt et l'époque de l'échéance et de le
présenter à la compagnie, qui le retient en en
donnant le montant au porteur. Quant au rem-
boursement du capital, la compagnie, en émettant
son emprunt, indique combien elle remboursera
d'obligations cliaque année et, par suite au bout de
combien d'années le remboursement intégral sera
effectué. C'est par un tirage au sort que sont dési-
gnées les obligations à rembourser chaque an-
née.
Citons un exemple. La compagnie des chemins
de l'Ouest a contracté un emprunt nu moyen d'une
série de ;iOt)(inu obligations renjboursabies à
500 francs et donnant lieu à un intérêt semestriel
de 7", 50 Le remboursement a commencé en 1873
par96i obligations: en 1874 elle en a remboursé
:)9:i; en 1 875 le nombre a été do UI2:!, et il va ainsi
en augmentant d'année en année, de telle sorte
que l'amortissement de cet emprunt sera accompli
en 1951 par le remboursement des iil)74 obliga-
tions qui resteront à cette dertiière époque. Au
1.3 juillet I8.S0, ces obligations étaient cotées à la
Bourse au cours de 3S4 francs.
Les obligations émises pir les villes sont assez
souvent (Ion obligations ii prinwx, c'est-à-dire que
des lots d'ujie cename valeur en une somme d'ar-
gent sont attribués à un nombre déterminé des
numéros sortis h chaque tirage. Elles peuvent être
coiTiparces aux billets d'une loterie dont le tirage
doit avoir lieu en plusieurs fois, et où l'on est
assuré de voir sortir son billet tôt ou tard, en
percevant l'intérêt jusqu'au moment de sa sortie,
et avec la chance d'ameneravec lui nii lot supérieur
au |)rix du billet. Par exemple la ville de Paris a
contracté un emprunt en 187(>, au moyen de
V5SI)h5 obligations qui furent émises à 4G5 francs,
qu'elle rembourse à 50t> francs, et pour lesquelles
elle paye un intérêt semostiiel de lu francs.
Quatre tirages ont lieu chaque année, les 10 fé-
vrier, 10 mai, 10 aoiit, 10 novembre, et à chaque
tirage le 1" numéro sortant a droit à un lot de
100 Oun francs, le 2' à un lot de lOOon francs, le
3« h un lot de 5i 00 francs et les dix suivants à uji
lot de I 000 francs chacun. Les auir.-s numéros ne
reçoivent que le capital de 500 francs. Le rem-
boursement, commencé en 1877. ne se terminera
qu'en 19 9. En raison des chances que ces obliga-
tions offrent d'amener un lot, leur prix s'est assez
vite élevé au-dessus du pair, c'est-à-dire du capi-
tal de 500 francs.
Valeur d'une obligation.à un moment donné. —
La valeur d'une obligation à un moment donné ne
dépend pas seulement de lintérêt qui lui est
attribué, mais encore des rhanc-s quelle a de
sortir au prochain tirage et d'apporter ainsi à son
propriét ire un capital supérieur ."i celui qui cor-
respond à l'intérêt. Envisagée à ce point de vue, la
valeur do l'obligation exigerait pour être déterminée
des calculs de probabilités tout à fait semblables
à ceux qui se rapportent aux Assurances sur la vie,
ce qui est complètement en dehors du cadre où
nousdevons nousrenfermerlci. Dans les problèmes
que les obligi.tions peuvent fournir à l'enseigne-
ment primaire, elles doivent être regardées sini-
pienient comme un capital ordinaire d'une valeur
variable, an. Icigneaux rentes * sur l'Etat et produi-
sant un certain intérêt ; ces questions ne sont plus
alors que des problèmes d'intérêt. Ln voici quelques
exemples :
1" Piioiit.ÈME. — On achète des obligations Ouest
nu cours de 384 francs; à quel taitx place-ton
non argent ?
l'ne somme de 384 francs rapportant 15 francs.
I franc rapporterait -r^ ;
ino francs rapporteraient
15 X 100
384
= 3",90.
2' Problème. — Un iiinlirulicr i-i'iil arlirter des
obligations Ouest de mnin.if „ >,. /„,,, ,/,, ifvenu
amiuel dedbO francs ; r/nrl ra/,il,il il,,,i.il employer
à cet achat, indépendaininetd des frais de négo-
ciation, site cours de ces obligations est 384 francs ?
Ce capital doit être égal à autant do fois 384
francs qu'il y a de fois 15 dans 650; il est donc
égal à
-j£x 384=10 040 francs.
Si on veut tenir compte de l'impôt qui réduit le
revenu annuel de 15 francs à environ 14 francs, on
devra dans ce problème remplacer 15 par 14, ce
qui exigera un capital plus élevé pour avoir un
revenu net de G50 francs.
3= Problème. — Un homme achète le 5 aoril 20
otjligatiotis de la ville de Paris {emprunt IsTii), au
coitrs rfe 52.i",.'i0 ; U les revend le US juillet au
cours rf(?5l9 francs, après avoir touché le Ib avril
un coupon de \U francs réduit par l'impôt à '.)'',3S.
Y n-t-il pour lui bénéfice ou perte dans cette opé-
ration 1
Entre le prix d'achat et le prix de vente de l'o-
bligation, il y a à son détriment une difl'érence
égale à
t25,50 — 519 = 6",.^0.
Mais il a touché dans l'intervalle 9'', 35 par obli-
gation. Il a donc en résumé un bénéfice égal à
9,35- 6,50 --=2",8.i.
Sur 20 obligations il réalise donc un bénéfice
égal à
2,85x20 =57 francs.
Ces exemples suffisent pour montrer quels pro-
blèmes on peut avoir à traiter sur les obligations
dans les cours de l'enseignement primaire; c'est
aux maîtres à savoir y meitre de la variété. Par
exemple, dans ce dernier problème, ils pourraient
ajouter : à quel taux cet homme a-t il placé son
argent, lorsque dans l'intervalle du jour de l'achat
au jour de la vente il a gagné 57 francs ?
fG. Bovier-Lapierre.]
OCKAME. — Géographie générale, VI — Bor-
nes; LONGITUDES ET LATITUDES; SUPERFICIE ET PO-
PUL.^TION. — L'Océanie tire son nom du Grand
océan, qui enveloppe de toutes parts cette cin-
quième partie du monde, excepté à l'ouest, où elle
est baignée par la mer des Indes. Son nom a
souvent varié. On l'a appelée hide du Sud, Po-
hinésie, Nouvelle-Hollande. Le premier de ces
noms correspond aux îles du nord-ouest, voisi-
nes do l'Indo-Chine, et qui furent reconnues
longtemps avant les autres, à l'époque de la décou-
verte delà route maritime de l'Inde. Lo second est
réservé aux innombrables îles et Ilots semés dans
les mers du Sud. Le troisième ne désigne plu»
que le vaste continent appelé plus généralement
Austi'alie, nom qui est encore donné à l'ensemble
de ce monde d'Iles disséminées dans le Pacifique
austral.
Les limites ont varié comme le nom. La plu-
part des géographes groupent sous le nom d'O-
céanie toutes les îles du Pacitique répandues entre
l'Indo Chine et la Chine à l'O., le Mexique et l'A-
mérique du Snd à l'E. ; d'autre"-, en distinguent
les lies du nord-ouest, situées entre le détroit de
Malacca et la mer de Chine d'une part, la mer
Arafoura (c'est-à-dire des Alfourous) de l'autre, et,
sous le nom d' -lustralasie, les rattachent à l'Asie,
dont el es semblent le prolongement méridional.
Les plus occidentales se rappro.-liHnt en effet de
ce continent par leurflore et leur faune, ainsi que
OCI'LXNIE
I i-2!t —
OCEANIE
par leur populalion. Nous suivrons l'usage qui en
fait une panie de l'Océanie.
Dans ces limites l'Ocoanie s'étend sur 158 degrés
do longitude et sur 81 de latitude. Elle couvre en
cITet de ses innombrables archipels et îles l'im-
mense étendue de mer qui sépare l'Asie de
l'Amérique, depuis 93° long. E. jusqu'à lir long.
O., depuis 25° lat. N. jusqu'il 56° lat. S. Elle ap-
partient à la fois aux liémisplières oriental et occi-
dental, boréal et austral. La plupart de ses îles et
archipels sont situés au centre de ce dernier
hémisphère, qui présente la plus grande masse
«l'eau et où les terres ne figurent que pour un
dixième. Sa superficie est de lu 9ol (lOO kilomètres
carrés, sapopulation estdeSs millions d'habitants,
dont :iO raillions et demi pour l'Australasie, qui
n'en forme que la cinquième partie.
GnANDES uivisioNS. — L'Océanie se divise en
quatre parties : 1° l'Aiixtralasie, appelée encore
Malais'te, du nom de la race dominante, au N.-O. ;
H" l'Australie ou Nouvelle-Hollande, avec ses dé-
pendances au S.-O. ; 3° la Mclanésie au S.-E.,
longue chaîne d'archipels et d'îles, la plupart
grandes, élevées et volcaniques, commençant sous
l'Equateur, à l'E. des Moluques avec la Nouvelle-
Guinée, et se prolongeant au delà de la Nouvelle-
Zélande jusqu'à ûC° lat. S.; i" la Polynésie et la
Micronésie, à l'E. et au N. ; innombrables groupes
d'îles la plupart petites, basses et de formation
corallienne, essaimes au loin sur le Pacifique, dans
la direction de l'Amérique centrale et méridionale,
commençant à l'E. des Philippines, auxMariannes,
et s'éparpillant des deux côtés de l'Equateur,
jusqu'au sud du tropique du Capricorne.
I. AusTn.iLAsiE ou Malaisie. — Elle s'étend du
30° lat. N. au 10° lat. S., du 91° au 13λ long. E.
Les îles dont elle se compose, disséminées sur
cette vaste étendue de mer, entre l'océan Indien
elle Pacifique, entre l'Asie et l'Australie, semblent
des fragments d'une masse de terre qui faisait
communiquer ces deux continents. Toutefois,
quoiqup situées sous les mêmes latiludes, aux
deux côtés de l'Equateur, elles forment deux
groupes distincts séparés par un détroit profond,
le détroit de Lombok, entre 1 île de ce nom et
Bali : à l'O. le groupe (;!rfo-c/ti«ow, kl'E. le groupe
australien. « Au groupe de l'ouest, une civilisation
et des religions venues de l'Asie, dos forêts exu-
bérantes, rappHiant l'Inde et l'Indo-Chine, l'élé-
phant, le rhinocéros, le tigre royal, les bêtes à
cornes, les grands animaux sauvages, les singes
de l'Asie et du Vieux Monde.., Au groupe de l'est,
rien de l'ancien continent, ni bêtes énormes, ni
félins, ni singes ; des eucalyptus, des acacias, le
kangourou..., la flore et la "faune de l'Australie. »
(0. Reclus.)
L'archipel indo-chinois comprend les grandes
îles de la Sonde, c'est à direSumatraet Java, Bali,
Bornéo et Ips Philippinei. Les petites lies de la
Sonde, ( élèbes et les .Moluques composent l'ar-
chipel australien.
Archipel indo-chinois. 1° Sumatra, la plus occi-
dentale, longe la presqu'île de Malacca, dont elle
est séparée par le délroit de ce nom. Elle est en-
tourée d'une ceinture de petites îles : Bam, Nias,
Pagai, Eng(.no, au S.-O., Bm.litox, Banca, riches
CJi étain, LiNGiNotun groupe d'îlots dans le détroit,
au N.-E. C'est une grande île de 42-i (100 kil.
carrés, traversée dans sa longueur par une chaîne
volcanique dont un des pics, \e Gowionr; d'Indra-
pour, dépasse 41100 mètres. L'Étiuateurla coupe à
peu près par le milieu. Les Hollandais en possèdent
les trois quarts, et en tirent en abondance les
produits qui alimentent leur commerce colonial :
l'aloès, le camphre, le piment, surtout le poivre
noir, la principale richesse de l'île, qui fournit
près de la moitié delà production totale du globe;
des métaux précieux, tels que l'or et le diamant.
La partie N.-O. forme l'État indépendant d' 4lchin.
La population est d'environ '2 millions d'ànies ;
elle se compose de Malais, de Chinois, d'Arabes
et d'un petit nombre d'Européens. Les principales
villes sont: Palembanq, 40 000 hab. ; Padanq,
30 000; Bencouten.
1° Java et Madura. L'île de Java, avec Madnra
qui en est une dépendance, est séparée de Su-
matra par le détroit de la Sonde, de Bornéo par
la mer qui porte son nom. Elle est, comme Su-
matra, traversée par une chaîne de volcans, la
plupart en activité, ilontle plus élevé, le Sémirou
(3 800 m.), dépasse les plus hauts sommets des
Pyrénées et atteint presque ceux des Alpes. Les
flancs de la chaîne sont couverts de vastes forêts
de tek. Au pied s'épanouit une végétation exubé-
rante. ChaufTée par le soleil des tropiques, mais
moins près de l'Equateur que Sumatra, Java tient
le premier rang pour les produits de son sol parmi
les colonies des Indes orientales néerlandaises.
Elle no le cède qu'au Brésil pour la production du
café (60 0011 tonnes par an). La canne à sucre
(I2n00i) tonnes), le tabac (1)0 000 tonnes), le thé
(I 1100 tonni's) et le riz, qui y occupe les trois
quarts des terres en culture, constituent avec le
café la grande richesse commerciale de cette île,
dont la Hollande, qui en a monopolisé les produits,
tire d'énormes revenus. « Java est une usine, les
Malais et les 250 000 Cliinois en sont les ouvriers,
les 29 000 Européens les contre-m:nircs, le gou-
vernement hollandais le patron qui nr£;anise, sur-
veille, tyrannise avec sagesse et s'enrichit. »
(O. Reclus.) Aussi, bien qu'elle n'ait que 134 G07
kil. carrés, le tiers de la superficie de Sumatra, est-
elle près de 10 fois plus peuplée : 18 3 KiOOO hab.
(Malais, Chinois, Arabes, Hindous, Européens).
Batavia en est le chef-lieu et la résidence du gou-
verneur général des Indes orientales néerlandaises,
90 000 hab. Les autres villes les plus importantes
sont : Sourabai/a. 9l)000 hab., Saniarang, situées,
comme la capitale, sur la côte septentrionale. —
2liO kil. de chemins de fer.
3° Bali, à l'E. de Java, dont elle est séparée par
un détroii peu large, est la plus orientale des iles
du groupe indo-chinois; chef-lieu, Karangassim.
4° Bohnéo. la plus grande île du monde après
la Nouvelle-Guinée: 748 000 kil. carrés, plus grande
que la Franre de près d'un tiers, avec 2 millions
et demi d'habitants (Malais païens on Musulmans,
Chinois). Elle est séparée de Java au S. par la mer
de la SoEide. des Célèbes à l'E. par le détroit de
Macassar, d"s Philippines au N. par la mer de
Mindoro ; la chaîne des îles Soulous et la longue
île l'alawan la joignent presqu'à ce groupe. Bornéo
fait panie des Indes néerlandaises, mais elle n'est
colonisée que sur les côtes; l'intérieur est encore
inconnu. La partie nord-ouest forme le royaume
indopendantde Bornéo, borné à l'E. par une longue
chaîne dont le point culminant, à l'extrémité sep-
tentrionale, le Kini-lielou, s'élève à 4(i0!l mètres.
Près de cette côte se trouve l'île anglaise de La-
houan. Le nord-est fait partie du ro'/aume de
Soiilou, ainsi que les îles de ce nom qui relèvent
nominalement de l'Espagne.
Bornéo ist. comme Sumatra, coupée par l'Equa-
teur, sa végétation se rapproche de celle de Java.
Comme ces iles, elle est couverte de forêts riches,
on bois de luxe, d'ébénisterie et de teinture. On
y trouve aussi de la houille, dos métaux précieux,
tels que l'or et le diamant, des gîtes d'aniimoino.
— Band;eriiianing, Ponitana et Santhas, sur la
côte S. et S.-O., sont les principaux établissements
hollandais.
5° Philippines. — L'Archipel espagnol des Phi-
lippines, au N. de Bornéo, s'étend du .S° au lu"
lat. N. Les îles dont il se compose sont, comme
celles de la Sonde, volcaniques et d'une grande
feitilité. Leurs richesses, moins bien exploitées
OCEANIE
— 1430 —
OCEANIE
que celles des colonies lioUandaises, consistent
en bois de construction (tek), sucre de canne,
café, et surtout en tabac. Leur superficie est de
291 OilU kil. carrés, avec une population de CIG:îiiOO
hab. (Malais, Alfourous ou Haraforas, Tapales,
Négritos, Cliiiiois). La plus septentrionale, LiçoN
ou Manille, n'est séparée do l'île chinoise de For-
niose, que de 1° 30'. Ses principales villes sont :
Manille, 100 OOT hab., résidence du gouverneur,
et Siial, sur la côte occidentale. — MI^nANA0 la
plus méridionale, touche au S.-O. aux iles Sou-
lou ; Zamboanija el Sp/aiiga sont les plus impor-
tants établissements. — Les autres îles de cet
archipel sont : Minooro, Palawan, Paxay, .N'eghos,
ZÉBD, Leyte et Samar.
Arcldijel Australien. — 1» Petites îles be la
SoNiiE. — Elles sont séparées des grandes par le
détroit de Lonibok et s'étendent parallèlement à
rEijuateur au N. et au S. du 10° lat. S., entre le
112° et le 125° loi'g. E. Lombok, île volcanii|Ue de
5 500 kil. carrés ; chef-lieu : Mota^U'u. — Simbanva,
près de trois fois plus grande (|uc la précédente
(15 C20 kil. carrés), couverte, comme elle, de vol-
cans dont l'un, le liniboro, est célèbre par la ter-
rible éruption de 1815; chef-lieu : liima. — Sumba
ou Sandeldosch (forêt de sandal), 2 200 kil. car-
rés. — Flohès, 20 000 kil. carrés, séparée de la
précédente par la petite île de Komoho. — Timor,
la plus orientale et la plus grande du groupe,
30 000 kil. carrés, plus grande que la Belgique;
environ 1 5l'0 000 hab. (Malais, Chinois, Papouas!.
Ile volcanique, riche en bois de sandal. Elle est
partagée entre les Hollandais et les Portugais. La
partie occidentale et la plus considérable appar-
tient aux premiers dont la domination ou la suze-
raineté s'étend sur tout l'Archipel. Chef-lieu :
Koupanq. La partie orientale ou portugaise a pour
chef lieu Dilli. — A cette île se rattachent au N.
SoLOR, Ombay, Wetta ; au S. Sava et Rotti.
2° CÉLÈBES, au iN. du groupe précédent, sépa-
rée de Bornéo par le détroit do Macassar et des
Cette dernière, située en face de la colonie de
Victoria, en est séparée par le détroit de liass
large de 240 kil., et semé d'îles (Kings, Flinders,
Fourneaux et Barren). Plus grande que la Hol-
lande et la Belgique réunies {07 801 kil. carrés),
elle ne compte encore que 105 000 habitants mal-
gré la douceur de son climat dans la zone tem-
pérée du sud (entre le 40° et le 'i2°} et sa luxu-
riante végétation. Devenue en 1HI3 colonie an-
glaise, elle fut jusqu'en 185^1 un lieu de déportation.
Elle changea alors son nom de Vnn Ùiémen et
prit celui de Tasuumie (d'Abel Jansen Tasman,
qui la découvrit au milieu du xvii" siècle). La po-
pulation indigène avait alors entièrement disparu,
détruite par u la chasse aux Noirs », à laquelle se
livraient les cnnvicts; ses derniers débris, réduits
en I8.3.i k 200 individus, s'étaient éteints sous le
climat trop rude de l'île Flinders où on les avait
déportés. La Tasmanio a pour chef-lieu Ho'art-
Toimi, h l'embouchure du Dervent; "iO 000 hab.,
et pour villes principales : Laumeslon et Georf/c-
town, stations pour les baleiniers de la mer du Sud.
m. Mélanésie. — A l'E. de l'Australasie s'é-
tend autour du continent australien une double
chaîne d'archipels et d'îles, l'une intérieure,
l'autre extérieure. La première commence i l'E.,
des Moluques avec la Nouvelle-Guinée et se ter-
mine au S. de la Nouvelle-Zélande. Les îles de
ce groupe, généralement grandes, sont situées
dans l'hémisphère du sud et forment, avec le con-
tinent australien, la Mélanésie. La seconde enve-
loppe la précédente, commence à l'E. des Philip-
pines avec les Mariannes et s'infléchit vers le
S.-E., en coupant l'Equateur, puis se prolonge
dans la direction de l'Amérique du sud. Les îles
qui composent ce groupe, à la différence des pre-
mières, sont toutes de très petite dimension, les
unes élevées et volcaniques, les autres basses et
de formation corallienne, lentement bâties sur
des plateaux sous-marins n'ayant pas plus de 50
mètres de profondeur par d'innombrables insectes
Philippines par un bras de mer auquel elle donne 1 madréporiques. Presque tous ces archipels, situés
son nom. C'est une île de 2115 OiiO kil. carrés, . au S. de l'Equateur, ont reçu le nom d'îles des
grande comme .30 départements français. Elle est | mers du Sud. Ils forment la Polynésie et la Micro-
traversée nar l'Equateur et bizarrement découpée ' nésie. On trouve en outre un certain nombre d'îles
sur la mer des Moluques en quatre presqu'îles à tra-
vers lesquelles une chaîne volcanique allonge ses
rameaux. Les Hollandais occupent environ la
moitié de la superficie de l'île, avec 330 OuO hab,
et de groupes d'îles tout à fait isolés, tels que les
îles Sandwich ou Hawaî.
Les indigènes du premier groupe appartiennent
à la race des Papouas ou Nègres océaniens, au
(Bougis, Malais, Chinois, Arabes, Hollandais). Leurs teint d'un brun noirâtre, aux cheveux noirs, cré-
principaux établissements sont au N. Menar/o, au { pus et rudes, au visage plat, au nez proéminent.
S. Macassar ou Vluatdingen. — A Célèbes se
rattachent au N. les îles Siao et Sangiiir, h l'E.
les îles XtJLLA, au S. les iles Bodton et Molna.
3° MoLuguEs. — On les appelle encore Iles kvs.
Dans l'échelle des êtres humains ils occupent
l'un des degrés les plus bas. Toutefois les nègres
des îles occidentales sont moins sauvages que
ceux du continent dont on les a distingués sous
Epices, de leur principal produit ; entre Célèbes, 1 le nom de MéUmésie7!s. Leurs voisins de l'est
les Philippines et la Nouvelle-Guinée. Elles se I et du nord, les Pohjné.tiens et les Mii:ro7ie\'iipns,
composent de trois grandes îles; Gilolo, Ceram, I répandus sur l'immense étendue du Pacifique,
BouRoc, et de plusieurs petites : Mortv, 'Iebnate, 1 depuis la Nouvelle-Zélande jusqu'aux îles San-
TiDOR, Batchian, Oby, Amboine, etc. Gilolo , la ' dvvich, sont moins rebelles à la civilisation. Leur
plus grande, est coupée par l'Equateur et traver-
sée par tine chaîne volcanique. Elle a '.'6 (lOi) kil.
carrés. Ses côtes, découpées comme celles de Cé-
lèbes en 4 presqu'îles ouvertes sur la mer des
Moluques, sont bordées de récifs de corail. Am-
boine, dans l'île de ce nom, est le chef lieu de
l'Archipel et la résidence du gouverneur hollan-
dais.
4° L'Archipel de Banoa, au S., du précédent,
se compose de 4 lies couvertes de plantations de
couleur plus claire, leurs mœurs et leur langage
les rapprochent des Malais et des Hindous. Un
grand nombre ont adopté le catholicisme ou le
protestantisme. « Cependant ils s'adonnent en-
core ça et là à l'anthropophagie avec ses conséquen-
ces : guerres civiles, massacres, razzias, engrais-
sement d'esclaves, et tous pratiquent le tatouage. >>
(0. Reclus.)
Quoique situés dans la zone torride. aux Antipo-
des de l'Afrique tropicale, ces îles jouissent d'un
muscade. La principale est Timor-Lai't. — Au j climat plus doux que celui de l'ancien monde
N.-E., sont les îles Arrou. sous les mômes latitudes; la chaleur y est tem-
n. AiSTUALiE et SCS dépendances. — Nous pérée par le voisinage de la mer. et elles ressen-
avons décrit ailleurs V Australie '. A ce conti
neni se rattachent plusieurs îles mélanésiennes,
telles que Melleville et Bathurst au N.-O.,
MinoLEToN, Lord Howk et Noufolk à l'E. ; l'île des
Kangourous et la grande île de Tasmanie au S.
tent l'influence des vents alizés qui soufflent régu-
lièrement toute l'année. On y trouve le cocotier,
le sagoulier, l'arbre à pain, l'igname, de magnifi-
ques forôls peuplées par d'innombrables espèces
d'oiseaux.
1
OGEANIE
— 1431
OGEANIE
1° NouvELLE-GuiNÉK. — Cette île. la plus grande
<iu monde, appelée encore Pai'iiuasie du nom de
la race qui l'Iiabile, s'étend du ^'.-0. au S -E ,
entre le 128" et le 150" long, orientale, sur une
longueur de 2235 kil. Au N.-O., elle touche pres-
que à l'Equateur, au S.-E , elle atteint 11° latit.
australe. Kétrocic i ses deux extréniiti^s, elle pré-
sente au centre une grande masse de terre
d'une largeur de ()25 kil. La côte occidentale est
profondément creusée par le golfe de Geelvink
jusqu'au cap d'Urville. Au S., elle est séparée de
l'Australie par le détroit do Torrès large de 225
kil., et embarrassé de récifs de corail qui en ren-
dent la navigation dangereuse. L'intérieur est
peu connu. La souveraineté de la Hollande est
toute nominale et ne s'étend que sur quelques
districts de la côte N.-O.
2° Au N., de la Nouvelle-Guinée, de l'O. à l'E. :
les iles de rAMiiiAiiTÉ, le IVouvei.-Hinovre, la
Nouvelle- Iri.anue ou Tombara, la Ncuivkllk -Bre-
tagne ou îles BiUAiiA, séparée de la INîouvelle-Gui-
néc par le détroit de Danipieire.
3° A l'extrémité orientale et la Nouvelle-Guinée,
l'Arcliipel peu connu de la Louisiade, habité par
des Papouas anthropophages.
4» Plus à l'E., séparé de l'Australie parla mer de
Corail, et entouré, d'écueils madrépoiiqnes : l'Ar-
chipel des îles Salomon ou Nouvei.le-Georgie du
12° au lb° lat. S.; les principales sont : Uoligai\-
viLLEs, Choiseul, IsAisiLLE , la plus grande du
groupe, MalaïTa, Gcadalcanar avec un volcan de
3200 m. ; Saint- (.hristoval. — Les iles de Sainte-
Croix, dont la plus grande est Nitendi. C'est sur
les écueils de l'une d'elles, Van'icoro, que se bri-
sèrenl les deux vaisseaux de Lapérouse.
5" L'Archipel des Nouvelles-Hébrides ou des
îles du Sai\t-Esprit, du 20° au 10" lat. S. : l'île
du Saint-Esprit, la plus grande, Mallicolo, Sand-
wich, Erhomango. Tanna.
6° La Nouvelle-Calédonie, découverte par Cook
en mt et occupée par la France en l.sSî. Elle
s'allonge du N.-O. au S.-E., entre le 20" lat. S.,
et le ironique de Capricorne, depuis le cap Ton-
nerre au N. jusqu'au cap du Prince VVales au S. Sur
17513 kil carrés. Elle est entourée, comme d'ail-
leurs toutes les iles de cette partie do l'Océanie
d'une ceinture de récifs madi-époriques. L'inté-
rieur est traversé par une longue chaîne dont le
pic le plus élevé, le Mont HnmboUU, a l'altitude des
hauts sommets du centre de la France {I6't2 m).
On y trouve la végétation tropicale, principale-
ment la canne à sucre- L'arbre à pain, toutefois,
n'a pu s'y acclimater. La •population, de 58 ;i00
hab., est (le la race des Papouas anthropophages.
Noumfa, sur la côte S.-O., est le chef-lieu de la
colonie. — De la Nouvelle-Calédonie dépendent :
l'île des Pins, les îles Lovalty ou Loyauté dont
la plus grande est Lifoa ou Chabrol ; Mari, Ou-
ytk, toutes trois de formation corallienne.
"" Nouvelle-Zélande, la « Grande-Bretagne de
la mer du Sud, » mais avec une superficie qui
dépasse de plus de 40 OllO kil. carrés celle de la
Grande-Grot;igne d'Europe : 270 050 kil. carrés.
Découverte en IG42. par le navigateur ■hollandais
Abel Tasnian, elle fut visitée en HB!) par Cook
qui reconnut qu'elle se composait de deux îles
séparées par un détroit qui a roi;u son nom : Te-
Ika-a Maoui, au N., Te-waî-Pounamou au S. Elles
s'étendent du W 20' au 4tl'' 40' lat. australe. Elles
sont traversées par une chaîne do montagnes dont
les sommets les plus élevés sont, dans l'île du
Nord, le Tungariro (lO.iO m.), le mont Egmont
(2480 m.) et le lUiap-hn (2700 m.); dans celle du
Sud, le mont Cook (396n m.) point culminant des
Alpes 'lu Sud. De leurs flancs s'échappent de nom-
breux cours d'eau ; les plus considérables sont,
dans l'île du Nord le Waikalo qui traverse le lac
Taupo ; dans celle du Sud le Mulynoux qui sort
des lacs Hnwea et Wanaka. Située dans la zone
tempérée australe, la Nouvelle-Zélande jouit d'un
climat doux et salubre ; son sol, bien arrosé et
d'une grande fertilité, est propre à toutes les cul-
tures européennes. On y trouve des arbres gigan-
tesques, telsqne le Datiiara austrtili^, de 58 mè-
tres de haut, fournissant une résine dont l'expor-
tation atteint quelquefois i million 1/.' de francs.
En 185'J, on y a découvert d'importants gisements
aurifères. Mais une de ses principales richesses
consiste dans les laines de ses 6 millions de mou-
tons.
Déclarée colonie anglaise en IS40, la Nouvelle-
Zélande n'a cessé depuis de prospérer. Elle avait,
en I87G, Il55 kil. de chemins de fer. Un service
régulier de paquebots la met en commuincation
avec Sydney et San Francisco (ligr,es d'AukIand à
Sydney et à San Francisco par Honoloulou). La
population est de 4l4 0iiO hab., non compris les
Maoris, peuple indigène, de race polynésienne,
converti par les missionnaires anglicans, et dont
il ne restait plus, en 1h7I, que 37 0 lO individus.
En 18' G la colonie a été divisée en G3 comtés, y
compris l'île Stewabt, son appendice méridional
qui en est séparé par le détroit de Foveaux. Les
villes principales sont : dans l'île du N. : Wel-
lington, siège du pailement colonial, sur le dé-
troit de Cook, 1051)0 hab., avec son port iVîc/iO/-
so7i; Aukland. principale place de commerce,
21 «"0 hab.; dans l'île du S. : Dunedin, l-S 000 hab.,
Chriulchiirrh 17 000 hab.. Ne son .S8li0 hab., port
sur la côte septentrionale. Porl Lyltlrt- n sur la
côte orientale. — A l'E. de la Nouvelle-Zélande,
l'Angleterre possède : les îles Brouuhton (Ijhatham,
Pitt, Cornwallis), lîle Bounty, l'île des Antipo-
des; au S. les îles Aukland, Campbell, Macodaiiie
et Eherald
IV. Polynésie et Micronésie. — 1° Iles Vixi ou
Fidji (aux Anglais); entre 20" et 15° lat. S., en-
viron 2' 0 îles, dont deux grandes : Viti-Lévou,
11 600 kil. carrés, 40 ;\ 50iiOii hab., et Vanoua-
LÉvoii, G 500 kil. carrés. La population totale de
l'Archipel est de 13'i 000 hab., en partie convertis,
en partie encore anthropophages.
W lies Samoa ou des [Navigateurs, ou Bougain-
viLLE, du nom du célèbre navigateur français qui
les visita en 170^; sous le 14« parallèle S ; en
partie d'origine volcanique; 3 0i)0 kil. carrés. Les
indigènes, au nombre de IGOOno, ont le teint
moins noir que les autres Polynésiens; ils sont
chrétiens, en grande ni.ijorité protestanls. Les
principales sont : Oupoulou, Sawaî, Tutuila, Ma-
^0M0, Manoa. — A l'O., les îles Walli et Fou-
TOUNA sont sous le proteciorat français.
3° Au IS . de ces deux archipels, entre l'Equa-
teur et le 10° parallèle S. : les îles d'ELLiCE, dont
la principale est Plvster ; le groupe du Phénix
(Enderbury et Sydney) ; le groupe de 1 Union.
4° Iles Tonga ou des Amis, entre 18° et 20° lat.
S.; 150 iles presque toutes basses : Tongabatou
est la plus grande ; Vavao, Tufoua, Laté. L'Ar-
chipel compte environ 2 000 habitants sur une su-
perficie de I 000 kil. carrés.
5° Archipel de Cook ou Iles Harvey, sous le
20° latitude S. ; 800 kil. carres ; environ p.' 000 hab.,
convertis au chrisiianisme. Les principales sont :
Rarotonga et MvNr.iA.
0° Iles de la Société, par 17° latitude S., de
formation volcanique. Elles ont été visitées deux
fois par Cook et après lui par Bougainville et
d antres navigateurs. Les cultures euroiiéennes
qu'ils y ont propagées y prospèrent sous le beau
ciel ausiralien. Taiti ou Otaheiti, la plus méri-
dionale et la plus grande, 1 lOO kil. carrés,
lOonO hab., chef-lieu Papéiii, est sous le protec-
torat français, ainsi que Moorra ou Amko, Te-
touaroa et Maîtéa. Les indigènes sont convertis
au christianisme. Le roi réside dans l'île RaîatiU.
OCEANIE
— 1432
OCEANS
— Au S. de cet archipel, les îles Toubouai et Va-
viTOU sous le tropique du Capricorne, Kapa sous
le '2'° latitude S. sont placées également sous le
protectorat de la France.
1° Iles Toamotou ou Basses ou Archipel Dan-
gereux, répandues entre 15"2° et lli» longitude]
occident., entre 14° et 25° latitude S ; 79 petites
îles, plates, basses, parmi lesquelles des alolU, '
îlots bàlis annulairenient ou en croissant par des
polypes autour des lagunes. A ce groupe se ratta-
chent les îles Gambier, sous le protectorat de la |
France; la piincipale est MANGAnÉVA, située pres-
que sons le tropique de Capricorne. Au S.-E. l'île
PiTCAiiiN, colonie pénitenti.aire de matelots anglais, i
Plus à l'Est, l'Ile volcanique de Paqies, do toutes
les îles polynésiennes habitées la plus voisine de
r.Améri(|ue (Chili). — Les Si-Oll insulaires de ce
vaste archipel sont en partie chrétiens dans les
îles occidentales, en partie païens et encore an- |
thropophages dans les îles les plus orientales.
8° Iles Marqcises, vers le 10" latitude S., au
nombre de 11; sous la domination française ;
12iU kil. carrés, GOOi.) hab., la plus belle race
polynésienne, en partie convertis ou catholicisme.
Les principales sont : Nouka-Hiva, chef-lieu Taio- j
huc; Hiva-Oa, Washington ou Hoi'A-Houna.
9° Poli/'.è.sie desÉtats-Utiis. — Au N. et au S.
de l'EquaK-ur, entre 10° lat. N. et 12» lat. S., I
les Etats-Unis possèdent sur la route de l'Aus-
tralie : WALKrn. Christmas, Washington, Sama-
liANG, Palmvra, Barber, Jarvis, Bboke, Peniihyn,
Flint. — Dajis les mêmes parages les îles an- [
glaises de Fanning, Malden, Staihiuck, Caroline.
La llicronésie, située au N.-O. de la Polynésie,
se compose de 4 groupes :
r Les Mariannes ou Iles tes Larrons, rangées
du nord au sud sur une ligne qui va du 20° au 14° »
lat. N. Leur superficie est do I 0'9 kil. carrés, avec 1
8 000 hab. Deux sont occupées par les Espagnols ;
les autres sont inhabitées. La |)lus grande est Goam.
2° Les Carolines (i l'Espagne), rattachées au '
gouvernement des Mariannes; entre 10° et 7° lat.
N., 12S° et 105° long. E.; 1384 kil. carrés;!
18 800 hab. î
Entre cet archipel et les Philippines, les îles Pa-
LAOS (à l'Espagne), 897 kil. carrés, lOOOi) hab., et
Pelew.
3° Archipel de Marshall, entre 15° et 5° lat. N.,
avec les iles Ralik et Fiadak.
4» Archipel des Mulgraves, ou Gilbert ouKi^g-
SMILL, n iles au N. et au S. de l'Eciuateur, dont les
principales sont Tarava et Mabaki.
Royaume d'HAWAi ou îles Sandwich. Cet archi-
pel, situé sous le 2U° lat. N. et sous le tropique
du Cancer est composé des îles Hawai ou Owaihi,
MaOII, MoLAKAi, LANAÏ, OaHOC, KaOLAÎ. NlHAOU,
Kahoulahi : I9 75G kil. carrés; 1)7 OOn hab. con-
vertis au protestantisme. Hawai, la plus méridio-
nale et la plus grande (12 010 kil. carrés), a deux
volcans, le Maouivi-Ken de 4 RIO mètres et le
Mununa-Lori qui s'élève à 4 220 moires, et dont le
cratère a 11 kil. de tour. Dans Maoui le pic H'iti'i-
Itala se dresse à 3 100 m. La capiiale du royaume
est H onoloulou. dans Oahou, 15000 hab., princi-
pale station navale entre les Etats-Unis et la Chine;
ville principale Hilo, dans Hawni, 4 OaO hab.
Découvertes en 1776, par Cook, qui y périt
trois ans plus tard, ces îles, habitées alors par
une population encore sauvage, sont devenues en
1864 un Etat constitutionnel. Leur position entre
l'Amérique du Nord, la Chine et l'.Australie leur
donne une grande importance qui ii'a cessé d'ang-
menter depuis l'achèvement du chemin de fer du
Pacifique. Un service régulier de paquebots met
Honoloulou en communication avec San-Francisco
d'une part, Aukiand et Sydney de l'autre. Los
Etats-Unis sont en possession du protectorat de
l'archipel depuis I8j1. [F. Oger.]
OCÉANS. — Géographie générale, 1 et XX. — On
donne le nom d'Océan à cette masse d'eaux qui
couvre environ les trois quaris du globe terrestre,
et dont les divisions naturelles forment les mers
particulières désignées par des noms distincts.
Profondeur des océans. — Généralement peu
profonde au voisinage des terres, la mer se creuse
rapidement, mais d'une manière fort irrégulière.
Le Pas-de-Calais, entre la France et l'Angleterre,
n'olTre nulle part une tranche d'eau assez épaisse
pour recouvrir les tours Notre-Dame, par exemple.
Le Zuiderzée n'offre aucun chenal qui puisse
amener les grands navires d'aujourd'hui jusqu'au
port d'Amsterdam. En revanche, dans les fjords
de la Norvège, la sonde descend aussi bas que les
falaises du littoral s'élèvent au-dessus des eaux;'
la baie de Biscaye, sur les côtes de France et
d'Espagne, forme une fosse profonde.
Peu à peu on étudie le fond de la mer comme
la surface du sol émergé. On y trouve, comme sur
les continents, des plaines, des vallées, des hau-
teursiisolées ou rattachées en chaînes de monta-
gnf s et en plate.iux. La plus grande profondeur,
mesurée d'une manière certaine aujourd'hui dans
le grand Océan Pacifique, dépasse 8 kilomètres et
demi. Elle se trouve au voisinage des iles KifUriles,
h l'ouest d'une vaste dépression qui s'étend de-
puis les côtes du Japon jusqu'à cellesde Californie.
C est aussi dans la partie occidentale de l'Atlanti-
que, entre les Bermudes et la Nouvelle-Ecosse
qui se trouve la vallée la plus profonde de cette
dernière mer.
Volume des eaux de la mer et des terre- émer-
gées. — En moyenne, on évalue à 4300 mètres la
profondeur générale des mers, tandis que l'altitude
moyenne des terres émergées ne dépasse pas
330 mètres. Il en résulte que le volume des eaux
de la mer est environ trente-six fois aussi consi-
dérable que celui de la croûte terrestre qui s'é-
lève au-dessus de leur niveau.
' C'est cette masse énorme d'eaux qui, lente à
échauffer comme à refroidir, tempère les ardeurs
! de l'été, modère les froids de 1 hiver, fournit à la
î végétation l'huraiJité dont elle a besoin pour se
développer.
' Salinité des eaux de la mer. — Les eaux de la
mer sont salées ; par évaporation, ell''S laissent de
35 à 40 parties de substances salines pour liitio par-
ties d'eau, et le sel de cuisine ou chlorure de so-
' dium forme, à lui seul, les 3/4 de ces substances
, salines.
Les causes, qui font varier le degré de salinité
dos eaux marines, sont faciles à comprendre. A
l'embouchure des fleuves, la mer est moins salée
qu'au large. Les mers qui reçoivent de nom-
breuses rivières, comme la mer Noire ou la Bal-
tique, sont moins salées que r.\tlantique, et leurs
eaux deviennent de plus en plus chargées à mesure
qu'on les puise plus près des détroits qui leur
servent de débouchés. Dans les mers soumises i
une forte évaporation solaire comme la Méditer-
ranée on la mer Rouge, la salinité devient très
forte et augmenterait sans cesse, si les eaux arri-
vant des autres mers pour combler le vide pro-
duit ne tendaient constamment par leur mélange i
rétablir l'équilibre. Mais qu'une cause accidentelle
vienne à isoler une partie de ces mers du reste
des Océans, comme cela est arrivé sans doute
pour les cliolts algériens et tunisiens, et pour un
lac situé entre le golfe d'.Aden et le plateau de
lAbyssinie, la nappe ainsi formée diminue rapi-
dement do niveau depuis qu'elle no reçoit plus le
trop plein des autres mers. Et cette nappe lacustre
ofi're cette singularité de se trouver, bien qu'au
milieu des terres émergées, à un niveau inférieur
à celui des mors. C'est le cas de la mer Morte et
de la Caspienne.
Glaces polaires et flottantes. — Si l'cvaporation
OCEANS
— 1-433
OCEANS
solaire augmente la salinité des mers, la forma-
tion (les glaces dans les mers polaires conconrt au
mC'mo résultat, puisque les glaçons ne renferment
gurrc r|Uf 5 lnilli^mes de sol au liou de afi ou 40.
l'uis, (jiins les nuTS où ils viennent fondre, les
glaçons .likiucissent les eaux comme les fleuves
près de leur eniboucliure.
Ces glaces, qui se forment constamment dans
les régions froides des pôles, et môme dans les
mers fermées des régions tempérées comme la
Baltique ou la mer Noire pendant 1 hiver, sont en-
traînées par les courants vers l'équateur avec les
grandes masses gelées des glaciers du Groenland.
Les navires, qui traversent l'Atlantique entre
l'Europe et les Elafs-Unis, rencontrent au voisi-
nage de Terre-Neuve d'énormes montagnes de
glaces flottantes contre lesquelles ils risquent do
se briser, d'autant plus que la fonte de ces glaçons
entretient darjs ces régions un brouillard dos plus
épais au travers duquel on ne voit qu'à quelques
mètres. Ces glaçons dépassant quelquefois de 120
ou 150 mètres le niveau des eaux, on peut en con-
clure qu'avec la partie immergée ils atteignent
de lOOO Ji 1200 mètres d'élévation totale. Ce sont
do vraies montagnes longues quelquefois de plu-
sieurs kilomètres, revêlant les formes les plus
diverses et les plus bizarres et qui cheminent
lentement vers le sud. Brisées les unes contre les
autres, arrêtées quelquefois par les inégalités du
fond de la mer, fondues par les eaux plus chaudes,
les vents et les rayons solaires, elles disparais-
sent lentement avant d'avoir accompli la moitié
de la course qui les conduirait du pôle à l'équa-
teur. Des navires emprisonnés dans les glaces ont
ainsi dérivé vers le sud pendant plusieurs centaines
de jours avant de recouvrer leur liberté. Il y a peu
d'années le glaçon du Polans a porté pendant six
mois de niallieureux naufragés réduits h la der-
nière extrémité quand ils furent rencontrés et
sauvés par un navire.
C'est au sud de Terre-Neuve que fondent géné-
ralement les derniers glaçons dans l'hémisphère
septentrional, mais dans l'iiômisphère opposé, les
montagnes de glace s'avancent jusque près du cap
de Bonne-Espérance, sur le -ib' de latitude. En re-
montant vers le pôle, on trouve ces glaçons de
plus en plus nombreux. Finalement, ils forment
une vraie barrière, h travers laquelle les navires
ne peuvent s'engager qu'en courant les plus
grands risques. Cette barrière ou banquise se dé-
place suivant l'intensité des courants ou desvenis
qui peuvent la fondre ou la repousser. Parfois
elle chemine tout entière vers le Sud, et Parry,
ayant quitté son navire pour atteindre le pôle avec
des traîneaux en cheminant sur les glaces,
marche en vain dans la direction de l'éloile po-
laire sans s'élever en latitude. La dérivation de
la banquise lui fait perdre ce que la marche lui
fait gagner. On nepcutpas assigner k cette barrière
unelatiiude moyennesuivant les saisons. Geriaines
mers, comme la mer de Kara, restent quelquefois
fermées par les glaces pendant des années en-
tières, tandis qu'à d'autres moments, la fiavigation
y redevient relativement facile.
Couvanls locaux. — L'écoulement des fleuves
vers la mer, et l'évaporation produite par les
rayons du soleil tendent, en sens inverso, à mo-
difier localement le niveau des eaux marijies. La
différence de densité entre les eaux chaudes et les
eaux froides, les eaux douces et les eaux salées,
est une autre cause qui tend aussi à détruire l'é-
quilibre dans les divers points de la nappe mai'ine.
Mais cet équilibre n'est pas rompu d'une manière
durable à cause de la mobilité des molécules li-
quides qui se déplacent consiaiument pour venir
combler les vides pour précipiter au fond les
eaux salées et froides plus denses que les eaux
douces et chaudes. C'est là l'origine d'une foule
de courants locaux. Le détroit de Gibraltar est
traversé par un courant, allant de, l'Atlantique
dans la Méditerranée rendre à cotte mer l'eau
que lui enlève l'évaporation solaire et que les
fleuves de son bassin ne suffisent pas à rempla-
cer. Par coiitre, les eaux salées et lourdes de la
Méditerranée s'écoulent vers l'océan en dessous
de ce courant superficiel pour prendre la plice des
eaux moins salées et moins lourdes de l'Atlantique.
On trouve dans le détroit de Bab-el-Mandeb la
reproduction de ce qui se passe au détroit de
Gibraltar. Les eaux de l'océan Indien viennent
remplacer les eaux de la mer Rouge, sur laquelle
l'évaporation n'enlève pas chaque année une
tranche de moins de 7 mèires d'épaisseur, et qui
ne reçoit ni pluie ni rivière, mais, par contre, les
eaux salées de la mer Rouge s'écoulent dans les
profondeurs du détroit pour remplacer les eaux
plus douces de l'océan Indien.
Le détroit de Constantinople est parcouru su-
perficiellement par un courant rapide faisant plu-
sieurs kilomètres à l'heure, car la mer Noire reçoit
le tribut de plusieurs fleuves puissants qui
exhausse son niveau. Mais au fond du détroit
règne un contre courant qui amène les eaux
lourdes et salées de la Méditerranée à la place
des eaux relativement douces du Pont-Euxin.
Ce ne sont là que des courants locaux, qui ne
peuvent être comparés aux courants généraux
causés par la rotation de la terre et sa révolution
annuelle autour du soleil. (V. Courants, Mappe-
monde.)
Marées. — Les. marées ', comme les courants
généraux et locaux, mélangent sans cesse les eaux
de la mer, et c'est ainsi qu'elles offrent à peu près
partout la même composition chimique.
Venls. — Une troisième cause d'agitation, les
vents, n'agit qu'à la surface des eaux marines,
mais grâce à la fluidité des molécules liquides, ces
vents les relèvent en bourrelets séparés par des
vallées profondes, et le trouble, qui se produit
ainsi en un point de la mer, se propage de proche
en proche comme un mouvement vibratoire.
D'autant plus régulièrement transmise que rien
ne vient la troubler, cette vibration se transmet
très vite et bien plus loin que le vent qui lui a
donné naissance, de sorte que c'est aux endroits
les plus calmes en apparence que les lames se
Pressentie plus haut. Elles sont au contraire dé-
primées quand le vent tombe directement sur elles,
ou que plusieurs lames arrivant des divers points
de l'horizon, dans des directions différentes, sui-
vant le souffle qui les a fait naître, viennent s'a-
battre ou se détruire l'une l'autre.
On trouvera au mot Courants la description des
courants aériens réguliers comme les courants
marins.
Si les diverses causes de tous ces phénomènes,
prises isolément, sont simples à comprendre, il
est souvent diflicile de dcnièler en chai|UO point
la part qui revient à chacune d'elles Et c'est à
cette étude qu'on s'applique chaque jour davan-
tage pour mieux a pprendi-e à utiliser la mer comme
grande voie de communication. C'est depuis peu
d'années aussi qu'on s'est occupé de l'étude du
fond de la mer, à propos de la pose des câbles
télégraphiques qui relient les continents entre eux.
Immersions et émerijenees des rivages. — N'y
a-t-il pas là du reste le laboratoire où se sont for-
mées succe-sivoment les diverses couches géolo-
giques actuellement émergées, et où s'en forment
maintenant de nouvelles qui surgiront à leur tour.
Sans atiendre les grandes convulsions qui sou-
lèvent les montagnes ou engloutissent les conti-
nenls, on voit chaque jour certaines côtes s'élever
au-dessus des flots qui les baignaient naguère,
tandis (|ue d'autres, au contraire, s'enfoncent au-
dessous des eaux.
OCÉANS
— 1434 —
OCEANS
La Norvège et les côtes septentrionales de l'Asie 1
sont dans une période d'émergence, il en est de
même des côtes méridionales du Spitzberg et de
la Nouvelle Zombie, rie l'Ecosse, de la Barbarie,
du littoral du la mer Rouge, d'une partie de l'A-
natolie, de l'île de Sumatra, du Chili, du sud-ouest
du Groenland.
En revanche, au contraire, les deux rives du dé-
troit de Smith, qui conduit de la mer de Baffiri
dans la mer polaire, lo littoral de la Floride et
des Carolines, celui de la Guyane et l'embouchure
de l'Amazone s'afl'aissent comme le delta du Nil,
lo littoral dn la Baltique et celui des Pays-Bas.
Modifications de la forme des rivaijes. — Pous-
sées par les vents, les courants, les marées, les
eaux de la mer modifient sans cesse la forme des
rivages. Là, aidées par les météores, elles démo-
lissent les falaises, ici, chargées des dfbris qu'elles
ont pulvérises peu i peu, elles vont combler les
golfes. Tantôt elles entassent miette à miette sur
la rive des dunes de sable, qu'elles repoussent
constamment vers l'intérieur si on ne les arrête
par des plantations, tantôt elles déposent des cor-
doiis littoraux qui isolent peu à peu de la pleine
mer des lagunes et des étangs.
Arrêtant le courant des fleuves, les eaux de la
mer les forcent à déposer à leur embouchure une
barre qui, dans les mers sans marée, obstrue bientôt
leur cours et les force à s'ouvrir une nouvelle
route. Là au contraire où la marée se fait sentir,
le mouvement du flux et du reflux balayant sans
cesse lo chenal maintient l'ouverture. C'est pour
cela que les grands fleuves qui débouchent dans
des mers fermées ne peuvent recevoir les grands
navires. Les porls sont obligés de se créer dans le
voisinage : Alexandrie, à l'ouest des bouches du
Nil, Marseille, à l'est du Rhône. Venise n'est pas
sur le Pô, ni Barcelone, sur l'Ebre. Dans les mers
à marée, au contraire, presque tous les grands
fleuves ont leur port de mer : Hambourg sur l'Elbe,
Londres sur la Tamise, Anvers, sur l'Escaut, le
Havre et Rouen, sur la Seine, Bordeaux, sur la
Gironde, etc.
Ces fleuves, cependant, ne sont pas immuables;
l'embouchure de la Gironde, celle de la Seine se
sont bien des fois modifiées depuis les temps his-
toriques. Sur la Seine, le port d'embouchure est
descendu successivement de Lillcbonne à Harfleur,
puis au Havre. L'Adour a déplacé son embouchure
de plusieurs kilomètres.
Diverses parties de l'Océan. Océan Atlantique.
— La partie de l'Océan, qui baigne les côtes occi-
dentales de la France et de l'Europe, porte le nom
à'Océan Atlantique. Il a environ 4 000 kilomètres
de largeur entre notre p.iys et les rivages les plus
rapprochés de l'Amérique, qui leur font face à la
même latitude. Mais entre la côte du Brésil et
celle de Guinée, la largeur de l'océan Atlantique
se réduit aux trois quarts environ de cette distance.
L'océan Atlantique projette, à l'est, entre les
côtes d'Europe et celles d'Afrique, la Méditer-
ranée et ses dépendances avec lesquelles il com-
munique par le détroit de Gibraltar. Plus au nord,
il projette la Manche, qui, par le Pas-de-Calais,
conduit dans la mer du Nord; le canal Saint-
Georges et le canal du Nord, qui, avec la mer
d'Irlande, séparent cette même île de la Grande-
Bretagne. Enfin entrel'Écosse etla Norvège s'ouvre
la mer du Nord, qui communique avec la Baltique
par les détroits danois.
A l'ouest, du côté de l'Amérique, l'océan Atlan-
tique projette la merdes Antilles entre l'Amérique
méridionale et la chaîne des Antilles, et le golfe
du Mexique, où conduit le canal de Baliama, entre
la Floride et (;uba.
Au sud, l'océan Atlantique s'otivre largement
sur lo Grand océan Austral ou Antarctique ^ntre
le cap de Bonne-Espérance et le cap Horn.
Au nord enfin, i! communique avec Vocéan Bo-
réal ou Arctique par la large mer qui sépare la
Norvège du Groenland, et où s'élèvent l'Islande et
les îles Féroë.
Entre le Groenland et le Labrador, le détroit de
Davis ouvre une nouvelle série de communications
de l'Atlantique avec la mer Polaire, Au Nord, le
détroit de Davis se continue par la mer de BafSn,
les canaux de Smith, de Kennedy et de Robeson»
qui aboutissent à la mer paléocrystique de Nares,
où l'homme a approché le plus du pôle nord, sans y
trouver de mer libre de glaces. A l'ouest du détroit
de Davis, le détroit d'Hudson conduit à la vaste
baie du même nom, qui creuse profondément le
territoire du Dominion de Canada. A l'ouest de la
mer de Bafftn, le détroit de Lancaster, continué
par celui de Barrow, forme l'entrée au passage du
N.-O., c'est-à-dire d\i passag3 conduisant de l'At-
lantique dans le Pacifique par le nord ducontinent
américain. Ce passage a été découvert par Mac
Clure, il y a un quart de siècle.
Ce n'est que depuis un an qu'on a, non pas dé-
couvert, mais elTectuépourla première fois complè-
tement le/)«ss«3ef/i( iV.-£. , en allant de l'Atlantique
dans le Pacifique par le nord de l'Europe et de
l'Asie.
Océan Pacifique. — Qu'on arrive d'un côté ou
de l'autre, de l'est ou de l'ouest, on passe de
Vocéan 4 relique dans le grand océan Pacifique
par le détroit de Bering, qui n'a que 92 kilomètres
de large entre l'Asie et r.\mérique.
Entre ce détroit, la presqu'île asiatique du Kam-
tchatka et la chaîne des Aléoutiennes, la mer
porte le nom de mer de Bering, comme le détroit,
puis elle s'élargit rapidement jusqu'à 15000 kilo-
mètres de largeur sur l'équateur entre l'Amérique
centrale et la Nouvelle-Guinée . C'est le crand
océan Pacifique A l'est, du côté de l'Amérique, il
ne projette qu'un seul golfe important, celui de
Californie. A l'ouest, au contraire, du côté de l'Asie,
il forme une série de mers secondaires, dont le sé-
parent des chaînes d'archipels. A l'ouest des Kou-
riles, c'est la mer d'Ockotsk; à l'ouest du Japon,
la mer du Japon ; entre le Japon et la Chine, la
mer Jaune ; à l'ouest des Philippines et de Bornéo,
la mer de la Chine.
Les Philippines commencent la série des archi-
pels qui séparent le Pacifique de ['océan Indien.
Le détroit de Macassar, entre Bornéo et Célèbes,
celui des Moluques, entre Célèbns et Gilolo, et
celui de Torrès, entre la Nouvelle-Guinée et l'Aus-
ralie, conduisent du Pacifique dans les mers inté-
rieures qui baignent ces archipels. On en ressort,
à l'ouest, sur la mer des Indes, par le détroit de
Malacca, entre la pointe méridionale de l'Asie et
l'île de Sumatra, et par le détroit de la Sonde, entre
Sumatra et Java.
De tous les canaux qui séparent ensuite les
îles de la Sonde entre elles, le plus important
est celui de Lomboc, entre les îles de Bail et
de Lomboc. A l'ouest de ce détroit, Sumatra,
Java, Bornéo, les Philippines appartiennent, par
leur flore' et leur faune, au monde asiatique. A
l'est, au contraire, l'Australie et les îles voisines
forment un monde à part. Et les sondages faits à
leur pourtour indiquent l'existence de deux pla-
teaux sous-marins distincts qui servent chacun de
socle à ces deux groupes d'archipels.
Au sud de l'océan Pacifique, l'archipel de la Nou-
velle-Zélande forme aussi un monde distinct qui
s'élève seul entre le Pacifique et le grand océan
Antarctique.
Océan Antarctique. — C'est sur ce grand océan
Antarctique que s'ouvrent tous les autres grands
océans Pacifique, Indien, Allaniiqne. C'est là que
se trouve la plus grande étendue d'eau, que
naissent les grandes lames de marée, quesetrouvfr
aussi la plus vaste région inconnue à l'homme.
ODORAT
— 143o —
ODORAT
Ross no s'est avancé de ce côté que jusqu'au 78"
de latitude, tandis que Nares, au nord, a dépasse
le S:i". La terre la plus inéridionalo, située sous le
méridien de la Nouvelle-Zélande, s'appelle terre
Victoria. lA se dressent dos montagnes volcaniques
hautes comme nos Alpes. En suivant le cercle po-
laire de l'est i l'ouest, on rencontre successivement
la terre de Vilkes au sud de l'Australie, celles de
Kcnip et d'Knderby au sud de l'océan Indien,
celles de Graliam et d'Alexandra, vis-îi vis l'Amé-
rique.
Ocëan Indien. — L'océan Indien, qui baigne les
côtes méridionales de l'Asie et orientales do
l'Afrique, ne mélangeait ses eaux h celles de l'At-
lantique qu'au sud du cap de Bonne-Espérance,
avant le percement du canal de Suez, qui ouvre une
communication directe entre la mer Rouge, dépen-
dance de la mer des Indes, et la Méditerranée,
dépendance de l'Atlantique. Le détroit de Bab-el-
Mandeb, le canal de Suez, le détroit de Gibraltar
forment trois portes successives il franchir dans ce
voyage. Les Anglais y oni occupé Aden, Chypre et
Gibraltar sans compter Malte, qui sépare la Médi-
terranée en deux bassins distincts.
Océan Arctii/i/e. — Nous avons dit par où cette
mer communique avec les antres océans. Mais
pas plus que pour l'océan Antarctique, on ne con-
naît ses limites. Où finit le Groenland, qui sépare
l'Atlaiilique de la mer de BafHn '? Jusqu'où s'éten-
dent les terres qu'on a vues au nord du passage
nord-ouest et à l'ouest du canal Robeson? Au nord
de l'Europe on connaît trois archipels : le Spitz-
berg, la terre François-Joseph et la Nnuvelle-
Zemble. Au nord de l'Asie, on ne connaît que
l'archipel de la Nouvelle-Sibérie et la terre de
Vrangel, non loin du détroit de Bering.
[G. Meissas.]
ODORAT.— Zoologie, XXXVIII.— Hygiène, XIV.
— Les substances susceptibles de se volatiliser
se répandent dans l'air et nous avons conscience
de leur présence par le sens de l'odorat, mis en
jeu par \'olfaili"n.
Pour exciter le sens de l'odorat, il faut que les
particules odorantes ou effluves contenues dans
l'air se dissolvent dans l'humeur dont la membrane
intérieure du nez est enduite. Si les narines sont
desséchées, comme pendant la période inflamma-
toire du coryzn (rhume de cerveau), la perception
des odeurs est impossible.
Des nerfs spéciaux recueillent l'Impression ol-
factive et la transmettent au cerveau qui perçoit
une sensation. Le volume de ces nerfs est très
variable et proportionné, le' plus souvent, au dé-
veloppement de l'odorat.
Chez certains animaux, ce sens est la source
d'indications compIii|uées et très précises sur la
nature et les propriétés des aliments, des bois-
sons, etc. Souvent le flair les renseigne mieux
que la vue. Chez l'Iiomme et le singe, l'appareil
nerveux de l'odorat est peu développé; il l'est
moius encore, d'ordinaire, chez les cétacés et les
oiseaux.
^ La partie extérieure et saillante de l'organe de
l'olfaction, appelée le nez, constitue une cavit^i
limitée par des os de la face et partagée par une
cloison en deux chambres ou fosses nasales dont
l'orilico externe s'appelle narines. Les fosses na-
sales, dont la surface se trouve augmentée par des
saillies osseuses, est tapissée par une muqueuse
nommée membrane piluitaire à cause de l'humeur
jadis nommée pitnife qui la lubrélie.
Les nerfs fournis par l'appareil olfactif pénètrent
dans le nez par un grand nombre de petits trous
percés dans la lame criblée de l'os ethmoîde;
mais ces nerfs bouchent parfaitement les trous, do
sorte qu'il n'existe aucune communication entre
le nez et le cerveau.
Les narines communiquent, h la partie posté-
rieure, avec l'arrière bouche et quand celle-ci est
fermée, fournissent l'air directement h la trachée-
arière. Cependant cette disposition varie chez les
animaux inférieurs.
Chez 1 homnie et chez beaucoup d'animaux les
cavités olfactives sont en rapport avec dos exca-
vations formées dans les os avoisinants. Ces exca-
A
Fig. i. — Organe de l'oJoral.
— ô et 6', sinus; — c, lobe olfactif fournis-
sant les nerfs de l'odorat qui se répamlent sut- la nncmbrane
pituitaire; — d, rameau nasal de tt cinquième paire de
nerfs; — e. autre filet de la cinquième paire ; — /", orifice
de la trompe d'Eustacbe.
vations sont parfois considérables et embrassent
la plus grande partie du crâne; elles servent sans
doute à emmagasiner les émanations odorantes.
Le nez varie beaucoup de forme et reçoit un
nom spécial selon la disposition en trompe, muffle
ou boutoir. Quelques chauves-souris ont le nez
fig. 2. — Tèle ilu FliïHiisluiiie vampire.
entouré d'une feuille nasale, destinée à recueillir
et concentrer les effluves. -i
L'odorat est faible chez les reptiles, presque
nul chez les oiseaux. Les poissons perçoivent les
odeurs par deux appareils qui ne communiquent
pas avec la bouche et qui sont revèius de nom-
breuses lamelles richement pourvues de ni'rfs.
Les insectes reconnaissent les odeurs au moyen
ODORAT
— l-'iUC. —
OISEAUX
des antennes. Cliez quolques-uns le sens de l'o-
dorat très développé les guide vers la nourriture
convenable et vers les individus-dc la même es-
pèce.
On peut considérer r"dc?at comme complé-
mentaire du goût. Si l'on comprime fortement les
narines extérieures, on avale sans en distinguer
la saveur les substances les plus répugnantes. Les
maladies du nez, l'habitude de priser du tabac ou
du camphre émoussent le sens du goût. Celui-ci
est ordinairement prévenu en faveur des sub-
stances dont l'odeur e?t agréable, mais l'habitude
suffit pour en faire aimer d'autres qui paraissent
d'abord repoussantes. Les animaux sont d'ailleurs
mieux servis que l'homme par t'instinrt nuirilif
auquel l'odorat sert de guide. Cependant môme
chez l'homme les perceptions olfactives acquièrent,
par l'habitude, une délicatesse remarquable. Mais
l'habitude des odeurs fortes suffit également pour
émousser la sensation qu'elles produisent jusqu'à
y rendre absolument insensible; c'est ce qui ar-
rive aux ouvriers d'un grand nombre de profes-
sions.
Les odeurs exercent une romarqualde influence
sur le système nerveux. Quelquefois la médecine
utilise leur action irrilante pour provoquer une
sécrétion abondante de mucus et de larmes. Quel-
ques odeurs produisent nne excitation spéciale
des sens et de l'intelligence, accompagnée de sen-
sations agréables ; d'autres dites i-irei/ses, comme
celles de la jusquiame, du pavot, du stramonium,
Anleones de l'abeille.
engourdissent l'intelligence et les sensations,
amènent la somnolence et la céphalalgie (mal de
tête).
Les odeurs les plus agréables peuvent d'ail-
leurs provoqurT des accidents lorsqu'elles s'accu-
mulent dans une atmosphère non renouvelée;
elles occasionnent du malaise, des maux de tête,
des nausées, des vomissements, parfois même la
syncope et l'asphyxie.
Les femmes nerveuses sont spécialement im-
pressionnées par les odeurs. On en voit tomber
en syncope à la seule vue d'une fleur odorante;
certains parfums leur causent des attaques de
nerfs. L'imagination est pour beaucoup dans ces
efleis maladifs. On rapporte qu'une dame qui ne
pouvait, disait-elle, souflrir l'odeur de la rose, se
trouva mal en recevant la visite d'une de ses
amies qui en portait une à la ceinture, et cepen-
dant cette fleur néfaste était artificielle. H y a
d'ailleurs, sous ce rapport, u bon nombre d'hom-
mes qui sont femmes», et nous avons connu un gé-
néral qui entrait en fureur à la vue d'un ananas.
Il ne faut pas confondre l'influence de l'impres-
sion olfactive avec les accidents d'asphyxie ou
d'empoi.sonnement causés par des substances
odorantes. Celles-ci peuvent, en efl'et, vicier l'air
et le rendre irrespirable, ou bien y répandre un
principe vénéneux dont l'absorption produit des
troubles plus ou moins graves, et parfois mortels.
Ces indications sommaires suffisent pour indi-
quer l'hygiène de l'odorat.
On maintiendra dans son intégrité l'appareil
olfactif en évitant, autant que possible, les refroi-
dissements, causes d'angines et de coryzas ; en
s'abstenant de priser des substances irritantes ou
odorantes ; en n'usant de parfums que d'une façon
intermittente et avec beaucoup de modération.
Les enfants s'introduisent souvent dans les nari-
nes des corps durs susceptibles d'y provoquer une
inflammation ; il faut les surveiller à ce sujet et re-
tirer sans retard les corps étrangers. Pour cela, il
suffit, le plus souvent d'introduire quelques gouttes
d'huile dans la narine en penchant fortement la
tête en arrière, puis de provoquer une sorte d'é-
ternuement artificiel en tenant la bouche fermée.
[D' Safl'ray.]
OEIL. — V. Vue.
OlSi; AUX. - Zoologie, XIV-XVIIL — Les Oi-
seaux constituent parmi les animaux vertébrésune
subdivision, une classe des plus naturelles et des
mieux délimitées. Il suffit en efl'et. pour caracté-
riser les Oiseaux, de dire que ce sont des vertébrés
ovipares, dont la circulation est double et com-
plète, qui ont le sang chaud, la peau garnie de
plumes, et les membres antérieurs transformés en
ailes. Les oiseaux en effet pondent des œufs qui
sont presque toujours couvés soit par la mère
seule, soit alternativement par les deux parents,
ou qui, plus rarement, sont soumis à l'action des
rayons solaires. De ces œufs sortent, au bout
d'un temps qui varie suivant les espèces, des pe-
tits, d'abord couverts de duvet, et souvent incapa-
bles de pourvoir à leur nourriture. Ces petits sont
généralement l'objet des soins les plus touchants
de la part de leur père et de leur mère; ils gran-
dissent peu à peu, ils sont capables de sortir du
nid, et de voltiger aux alentours, et ils se revêtent
de plumes normales, bref, au bout de quelques
mois, ou quelquefois seulement au bout d'un an,
ils ressemblent à leurs parents et présentent tous
les caractères distinctils de leur espèce.
Tous les oiseaux ont le torps, ou du moins la
plus grande partie du corps abritée par des plu-
mes, c'est-à-dire par des productions analogues
aux poils des mammifères, mais d'une structure
beaucoup plus compliquée. Dans une plume on
distingue en effet un tube corné, ouvert inférieu-
rement et surmonté d'une tige, puis des barbes
qui s'insèrent le long de celte tige et qui sont par-
fois elles-mêmes munies de barbules. La plume
naît dans une sorte de capsule, ayant un bulbe
central, elle grandit, se montre à nu et épanouit
latéralement ses barbes qui étaient d'abord enrou-
lées ; enfin au bout d'un certain temps, elle se
fane, elle tombe, pour faire place à une plume
nouvelle. Ce phénomène de la mue a lieu à des
époques variables, une ou deux fois par an, mais
n'affecte pas toujours la totalité des plumes; il
est accompagné d'une sorte de malaise général
qui détermine souvent chez l'oiseau la suppression
de la voix pendant un sertain temps.
Les plumes varient beaucoup sous le rapport de
la forme et de la couleur. Quelquefois elles sont
réduites, comme dans l'aile des Casoar^, à une tige
rigide, à une sorte de piquant, d'auires fois elles
ont des barbules flexibles qui no s'accrochent pas
les unes aux autres, d'autres fois encore elles for-
ment une lame dont toutes les parties adhèrent
solidement. Il y a des plumes d'un blanc pur ou
d'un noir uniforme, des plumes teintes en rouge,
en bleu, en vert, en jaune vif, des plumes aux
reflets métalliques ou irisés. Celles qui forment
le bout des ailes et la queue acquièrent en général
plus de longueur et de résistance que les autres,
et servent à la locomotion ; elles sont plus spéciale-
ment désignées sous le nom de pemifs, par oppo-
sition aux plumes onlinaires qui revêtent le reste
du corps.
Dans leur charpente osseuse les oiseaux diffè-
rent notablement des mammifères, mais la plu-
part des modifications qu'ils présentent à cet égard
OISIÎAUX
li37
OISEAUX
résultent de la (raiisformatioii des membres anté-
rieurs en organes de locomotion aérienne. Le
sternum, co grand bouclier osseux qui cloisonne
en avant la cavité ilioracique, acquiert en efl'et,
chez les oiseaux, un développement exceptionnel,
et est presque toujours (sauf chez les Oiseaux
t'.oureurs) pourvu d'une arête plus ou moins sail-
lante, d'un /iréclicl, do cliaque côté duquel pren-
nent leur insertion les muscles moteurs du bras.
Sur le bord supérieur de ce bouclier s'appuient
en général, deux arcs boutants qu'on appelle les
o.s' cariicoïùiens parce qu'ils correspondent à l'a-
pophyse coracoïdo des mammifères. Ces os s'ar-
ticulent supérieurement avec l'omoplate, avec
l'humérus et avec la clavicule. Celle-ci constitue,
avec l'os correspondant du côté opposé, une sorte
d'arc, légèrement élastique, qu'on nomme la four-
rhelte, et qui a pour but de maintenir l'iScartement
des épaules pendant ces mouvements nécessités
par le vol. Cet arc, plus ou moins développé et plus
ou moins évasé, vient parfois rejoindre le sternum,
mais d'autres fois en reste indépeiularit L'humérus
ainsi que le radius et le cubitus, qui lui font suite,
ne présentent chez les oiseaux rien de particulier,
si ce n'est qu'ils peuvent recevoir dans leur inté-
rieur une certaine quantité d'air, mais la tnain
est pour ainsi dire méconnaissable : le carpe
est très réduit, et le métacarpe consiste en deux
os, réunis par leurs extrémités seulement, et por-
tant, sur le coté, un pouce rudimentaire, et à
l'extrémité un doigt médius à deux phalanges et
un petit doigt à une seule phalange. C'est sur
cette main, profondément modifiée, que prennent
leur insertion les plus longues peimes, celles
qu'on appelle les rémiyes, tandis que d'autres
pennes moins longues, et nommées pennes secon-
daires, viecment s'attacher sur le bras et l'avant-
bras. Les proportions de ces pennes influent na-
turellement sur la forme de l'aile et par suite sur
la puissance du vol. Ainsi chez les Autruches, les
Nandous, les Casoars et les Aptéryx, qui peuvent
courir sur le sol, mais qui sont privés de la faculté
de s'élever dans les airs, et chez les Pingouins, qui
se servent de leurs membres antérieurs pour
nager, les rémiges sont atrophiées, tandis qu'elles
acquièrent au développement inusité chez les
Frégates, oiseaux de mer qui se meuvent dans
l'espace avec une rapidité extraordinaire.
Les oiseaux, par suite de la transformation de
leurs membres antérieurs, ne reposent sur le sol
que par leurs membres postérieurs, ce sont des
animaux bipèdes; ils ont besoin conséquemment
d'avoir le bassin solidement soudé àla colonne ver-
tébrale. Chez eux les os des'hanclies, les os ilia-
ques, se réunissent avec les vertèbres sacrées et
lombaires pour constituer un os uni ne, mais
d'ordinaire les os pubis ne se rejoignent pas an-
térieurement, de sorte que la ceinture osseuse
reste ouverte. La tète du fémur ou de l'os de la
cuisse est rfçue dans une cavité placée tantôt
vers le milieu de la longueur du bassin, tantôt
plus en avant ou plus en arrière, et de ces diffé-
rences de position résultent des différences dans
la station de l'oiseau; d'autre part le fémur s'ar-
ticule avec un tibia plus ou moiiis allongé, sur le
côté duiiuel est placé un péioné, ordinairement
très grêle; au bout du tibia vient se placer un os
résultant de la fusion de trois baguettes, de trois
métacarpiens, qui correspondent à trois doigts
antérieurs, et présentant en arrière un autre petit
métacarpien auquel s'attache le pouie ou doigt
postérieur. L'os unique formé par la fusion des
métacarpiens porte le nom de inrsf ou de taiso-
mélalunien ; \\ représente le canon du cheval, et
c'est biim à tort qu'on le considère comme la
jatiibe. c'est en réalité le pied de l'oiseau, l't ce
qu'on nomme le gemm n'est autre rhnso que le
talon. Dans certains cas le doigt postérieur et par-
fois môme l'un des doigts antérieurs peuvent man-
quer; c'est ce qui arrive par exemple chez l'Au-
truche d'Afrique. La portion du membre anté-
rieure correspondant à la jambe est en partie ca-
chée sous les téguments, et des plumes retombent
ordinairement sur le talon et môme sur le haut
du canon; dans sa portion inférieure le tarso-mé-
tatarsien est ordinairement dégarni déplumes, et
couvert de sortes d'écaiUos ou de petites plaques
accolées; il en est de même des doigts qui ont
plusieurs phalanges et qui se terminent par des
ongles tantôt presque droits, tantôt recourbés en
forme de griffes. Chez les oiseaux aquatiques,
chez les Pulmipèdes ', les doigts antérieurs et
parfois niêtne le doigt postérieur sont unis par
des membranes qui transforment le pied en une
véritable rame.
Les côtes sont rattachées au sternum, non plus
par de simples cartilages, comme chez les mam-
mifères, mais par des arcs osseux, et chacune
d'elles offre un prolongement, une apophyse qui
vient s'appuyer sur la côte suivante. Les vertèbres
de la région dorsale sont généralement soudées et
immobiles, afin de donner plus de solidité à la
cage thoraciq ne, tandis que les vertèbres cervicales
peuvent jouer l'une sur 1 autre et permettent au
cou de s'allonger ou de se raccourcir en se ployant
en S. Cette disposition est particulièrement frap-
pante chez les Hérons, chez les Cygnes, chez les
Cormorans, etc. La tôte est relativement petite ;
dans les premiers temps de la vie sa portion crâ-
nienne présente comme chez les mammifères deux
frontaux, deux pariétaux, un occipital, deux tem-
poraux, un sphénoïde et un ethmoide distincts,
mais tous ces os se soudent de très bonne heure.
La face est formée en majeure partie par les mâ-
choires, dont l'une, la mâchoire supérieure, est
unie au front, mais conserve presque toujours une
certaine mobilité, tandis que l'autre, la mâchoire
inférieure, est suspendue au crâne par l'intermé-
diaire de l'os tym unique ou as citrri. Entin la
tète peut exécuter des mouvements plus étendus
que chez les mammifères, car elle repose sur la
colonne vertébrale par un seul pivot, par un seul
condyle.
Les deux mâchoires ou, comme on dit plus
généralement, les deux mandibules, sont recou-
vertes d'étuis cornés dont l'ensemble constitue le
bec. Ces étuis, moulés pour ainsi dire sur les os
sous-jacents, suivent tous les changements de
forme des mandibules, ils s'allongent de manière
h constituer une pince eflilée chez les Oiseaux-
Mouches, ils s'élargissent démesurément chez les
Engoulevents, ils s'aplatissent chez les Spatules,
et se raccourcissent au contraire chez les Rapaces
et chez les Granivores. Leur bord est parfois garni
de lamelles, comme chez les Canards, ou plus sou-
vent taillé en biseau tranchant, ou bien encore
dentelé, comme cliez les Faucons, les Pies-griè-
ches, etc., mais ne sert jamais i la mastication,
et ne remplace dans aucun cas les dents des
mammifères. Le bec est essentiéllomHnt un or-
gane de préhension, et quelquefois la langue con-
court au même but, pouvant être projetée au de-
hors, grâce aune disposi lion particulière de l'os hyoï-
de.C'est ainsi que chez les Pics la langue, engluée
d'une salive visqueuse, va saisir à une certaine
distance, dans les fentes de l'écorce, les menus
insectes dont ces oiseaux font leur nourriture.
Chez les Perroquets la langue est épaisse et
charnue, et chez les Oiseaux de proie elle est
encore assez molle, mais dans l'inmiense majorité
des passereaux elle est sèche, triangulaire et ar-
mée de crochets et de dentelures; elle ne peut
guère, par conséquent, être employée comme or-
gane de gustation. Au-dessons d'elle sont placées
\i:s glandes salivaires, qui sécrètent une liumeur
épaisse et gluante.
OISEAUX
1438 —
OISEAUX
L'arricre-bouclie, confondue en avant avec la
bouche, se continue en arrière par l'oesophage;
celui-ci se dilate en une première poche digestive,
nommée jatiot. Dans cette poche, qui nian(|ue chez
les espèces piscivores, les cléments séjournent
pendant un certain temps, puis ils passent dans
le veiihicule nicceiduriê^ véritable estomac dont
les parois renferment un grand nombre de petites
glandes sécrétant du suc gastrique ; enfin, après
avoir subi certaines inodiflcations, ils tombent
dans le f/i'si'-r, poche généralement assez vaste,
et dont les parois sont tantôt membraneuses, tantôt
épaisses et musculaires. (Je dernier mode de
structure peut être observé chez les oiseaux gra-
nivores qui ont besoin de triturer des graines ré-
sistantes, le premier au contraire se rencontre
chez les oiseaux insectivores ou carnivores. L'in-
testin, moins long que chez les mammifères, se
subdivise également en deux portions distinctes,
l'intestin grêle et le gros iniesiin, et le point de
jonction de ces deux portions est indique par l'in-
'section de deux tubes aveugles, de deux cœca.
Enfin le gros intestin débouche dans un vestibule,
dans un cloaque, à côté de l'oviducte et des ca-
naux urinaires. Le foie est très volumineux chez
les oiseaux, et verse ses produits, soit directe-
ment dans l'intestin, soit dans un réservoir biliaire,
dans une vésicule du fiel. Le pajicréas est assez
développé, la rate assez petite, et les reins, de
forme irrégulière, s'allongent sur la face infé-
rieure de la voûte du bassin.
Le sang des oiseaux circule de la même façon
que celui des mammifères, mais il renferme des
globules plus nombreux et de forme elliptique,
et quand il s'est vicié en traversant les diverses
parties du corps, il peut se trouver en contact
avec l'air, pour se régénérer, non seulement dans
les poumons, mais encore sur un grand nombre de
points. La respiration chez les oiseaux est double,
si l'on peut s'exprimer ainsi : les poumons en
efl'et, placés contre les côtes, présentent à leur
surface inférieure plusieurs ouvertures qui com-
muniquent avec degrandesccliules membraneuses
pénétrant jusque dans les interstices des muscles.
Les dimensions et le nombre de ces cellules et
par suite la quantité d'air distribuée aux diverses
parties du corps, sont, toutes cho-ies égales d'ail-
leurs, en rapport avec l'énergie des mouvements
que l'oiseau doit exécuter. Souvent même, comme
chez les Eperviers et les Albatros, le fluide aérien
pénètre dans tous les os des membres.
Grâce à cette activité de la respiration, les oi-
seaux consomment beaucoup plus d'oxygène que
les mammifères, et résistent moins longtemps à
l'asphyxie. Ils produisent aussi beaucoup de cha-
leur et peuvent élever la température do leur
corps jusqu'à 4'2 ou même 45 degrés centigrades.
Beaucoup de volatiles sont doués d'une voix
très puissante relativement à leur taille, et cer-
tains d'entre eux sont des virtuoses consommés.
En général tous les oiseaux cliaiueurs possèdent,
au-dessous du larynx proprement dit qui ne sert
que fort peu à la production des sons, un larynx
inférieur, soito de tambour osseux, surmonté
d'une membrane mince et communiquant avec
deux tubes qui résultent de la terminaison dos
bronches et qui sont pourvues de replis ou de
cordes iiocoi'.v. L'air en s'échappant entre ces lèvres,
qui peuvent être plus ou moins tendues, et en fai-
sant vibrer les parois du tambour osseux et la
membrane supérieure, munies elles-mêmes de
muscles spéciaux, produit cette succession de sons
rythmés qui constitue le chant de l'oiseau.
En raison de la nature cartilagineuse de la lan-
gue, le gnùt est peu développé chez les oiseaux;
l'odorat n'est guère plus parfait, malgré la gran-
deur souvent considérable des fosses nasales,
l'ouïe laisse beaucoup à désirer, et le toucher ne
] peut s'exercer que sur des points extrêmement
î restreints : la majeure partie du coros est en effet
[ recouverl,e de plumes, les lèvres sont cachées
sous des étuis cornés et; les pattes sont garnies de
plaques et de scutelles. En revanclie le sens et la
vue est véritablement exquis. Les yeux sont très
grands relativement au volume de la tête, et à la
, rétine est annexée une membrane plissée en éven-
tail et qui, suivant plusieurs naturalistes, aurait
pour objet d'augmenter l'étendue de la surface
visuelle. La pupille est ronde, l'iris très contrac-
tile, la cornée transparente grande et convexe, la
sclérotique fortifiée par un cercle de pièces osseu-
ses. Enfin aux deux paupières horizontales se
joint, pour protéger l'org.me de la vision, une
I troisième paupière, verticale et semi-transparente.
Certains oiseaux qui, lorsqu'ils étainnt perdus dans
les nues, distinguaient avec facilité de petits ani-
maux cheminant à la surface du sol, voient avec
la même netteté, lorsqu'ils sent redescendus sur
la terre, les objets placés dans leur voisinage
immédiat ; il est donc probable que dans cette
classe de vertèbres, l'œil jouit, plus que dans tout
autre groupe, de la faculté précieuse de s'accom-
' moder aux distances.
1 Certaines parties du cerveau qu'on appelle les
lobes optiques acquièrent un développement en
rapport avec la puissance de la vision et se mon-
, trent à découvert et en arrière des hémisphères
cérébraux. Ceux-ci sont lisses, dépourvus de cir-
I convolutions et plus ou moins indépendants l'un
' de l'autre, par suite de l'absence d'un corps cal-
' leux ; le cervelet est sillonné de plis transversaux,
et presque réduit au lobe médian ; enfin la moelle
épinière, très allongée, présente deux renflements
' correspondant 5. l'origine des nerfs des membres.
I Nous n'avons pas à insister ici sur les facultés
intellectuelles des oiseaux. Chacun sait que ces
' animaux sont capables non seulement de pourvoir
à leurs propres besoins, mais de trouver la nour-
' riture qui convient le mieux à, leurs petits, qu'ils
' construisent, souvent avec un art admirable, des
demeures pour abriter leur progéniture, que cer-
tains d'entre eux s'associent pour former de vé-
ritables colonies, et que les uns habitent cons-
tamment les pay.s qui les ont vus naître, tandis
que d'autres, à l'approche de la mauvaise saison,
émigrent vers des climats plus doux.
Dans la nature actuelle, on connaît plus de dix
mille espèces d'oiseaux, qu'il a fallu nécessaire-
ment répartir en un certain nombre de groupes
d'ordre supérieur Mais les naturalistes sont
loin d'être d'accord sous les limites qu'il convient
d'assigner à ces différents groupes, aux genres, aux
familles et aux ordres, et depuis un certain nom-
bre d'années la classification des oiseaux a subi
de nombreux remaniements. Ne pouvant, sans
sortir des limites qui nous sont tracées, indiquer
tous les changements qui ont été proposés dans
ces derniers temps et dont quelques-uns d'ailleurs
ne sont pas universellementadoplés. nous croyons
préférable de nous en tenir à l'ancienne classi-
fication de G. Cuvier. Ce grand naturaliste, em-
ployant principalement les caraitères fournis par
le bec et les pattes, c'est-à-dire par des organes
dont la structure est généralement en rapport
avec le régime, a subdivisé la classe des oiseaux
en six ordres : linpaces, Passereiux. Grimpeurs,
Gallinacés, Echns^iers et Palmipèdes. Chacun de
ces ordres est dans ce Dictionnaire l'objet d'un
article spécial ; nous n'avons donc pas à signaler
maintenant les différences (|ui les séparent ; mais
nous devons constater que les caractères tirés de
la forme du bec, delà longueur des pattes, de l'in-
dépendance des doigts ou de leur réinion au
moyen de membranes peuvent souvent induire en
erreur : ainsi pour ne citer qu'un ou deux exem-
ples, les Serpentaires d'une part, les Autruches et
I
OLEINEES
1439
OLEINEES
les Casoars de l'autre, rapportés primitivement
aux Kclidssiers à cause de leurs tarses allongés,
ne peuvent plus être laissés dans cette division,
les Serpentaires étant do vrais Rapaces par l'en-
semble de leur organisation et les Autruclies mé-
ritant de constituer avec les Nandous, les Casoars
et les Aptéryx un groupe pariiculier sous le nom
d'Oiseaux Coureurs. De même les Pigeons s'écar-
tent à beaucoup d'égards des Gallinacés et les
Perroquets sont supérieurs en organisation aux
autres Grimpeurs.
[E. Oustalet.]
OLKINÉES. — Botanique, XX. — Etym. : Du
latin Olea, olivier. — Définition. — Famille de
plantes dicotylédonées angiospermes que l'on
place dans la classe dos Diospi/ruidees à côté des
.Snpotres. des Ef'énacées, des llicinèes, des Styra-
c-êes. Cette classe elle-raônie appartient au groupe
dos gamopétales hypogyjies; c'est-U-dire que les
Heurs des Inospyroi^lées ont des pétales soudés
en une seule pièce et que leur ovaire est libre,
tous les autres verticUles floraux étaiU insérés au-
dessous de lui.
A la suite des Oléinées, nous dirons quelques
mots des autres familles de la classe des Diospy-
loidées ; car toutes renferment des végétaux uti-
lisés par riiomme.
Caractères botaniques des Oléinées. — Les vé-
ï;élaux de celte famille sont tous des arbres comme
le frêne, ou des arbustes comme le Iroëne. Us
présentent des feuilles opposées, pétiolées, dé-
pourvues de stipules; ces feuilles sont simples
chez l'olivier, le lilas ; elles sont découpées, impa-
ripennées, chez le frêne.
L'inflorescence des oléinées est généralement
une grappe composée que l'on désigne quelquefois
sous le nom de Ihyrse (Ulà^). Les fleurs présen-
tent, de l'extérieur à l'intérieur : 1° un calice mo-
nosépale à quatre divisions parfois si réduites
que le calice semble manquer; 2° une corolle
gamopétale à quatre lobes plus ou moins pro-
fonds; chez le frêne commun cette corolle fait dé-
faut; elle existe au contraire chez le frêne à
manne ; 3° deux étamines insérées sur la co-
rolle et alternant avec ses lobes ; les anthères très
développées sont biloculaires et à déhiscence
longitudinale ; 4" un ovaire libre, supère, à deux
loges qui alternent avec les étamines et dans cha-
cune desquelles, il y a ordinairement deux ovules.
L'ovaire est surmonté d'un stigmate entier chez
la lilas, bifide chez l'olivier; il donne un fruit sec
ou un fruit charnu. Chez l'olivier, ce fruit est
une drupe, chez le troène, c'est une b'ii' ; chez
le lilas, le fruit, sec et déhiscent, s'ouvre à la ma-
turité en deux valves loculicides; chez le frêne, le
fruit est sec et indéhiscent; on le nomme santare ;
il est caractérisé par ce fait que l'un des côtés de
son péricarpe se prolonge en une aile qui a pimr
but de faciliter la dissémination de l'unique graine
qu'il renferme.
Beaucoup d'auteurs divisent les oléinées en
deux sous-familles : 1° les oléinées vraies qui ont
un fruit charnu; 2" les Fraxinées dont le fruit est
samaroîde ou sec et déhiscent.
Carnciéres hotuniijue.i des Jusminéet. — Tout h
colé des Oléinées se place la famille des Juftni-
nées qui pendant longtemps d'ailleurs a été consi-
dérée comirie une tribu des Oléinées.
Les Jasminées sont des arbustes ou des arbris-
seaux souvent volubiles ou grimpants qui difl'è-
rent des oléinées : 1» par leurs feuilles souvent
alternes et toujours composées, parfois à une seule
foliole articulée, le plus souvent à trois, ou cinq,
ou sept; 2° par leur corolle gamopétale qui est
rarement à quatre divisions, mais presque toujours
à cinq ou à six. — Le fruit est toujours une
baie.
Le tableau suivant suffira pour nous faire con-
naître les caractères botaniques des autres fa-
milles de la classe des Diospyroidées.
phroililes;
litariiines ex-
Irorses
ennomlireét'al
des lobes ilc la '
n. II..
Sapotles.
(i;..njll.: /,-
loties.)
iioiulir.'d.mlild
(le cclLli • EbÉNACÉeS.
lies 1.1 bes lie l
Calice
gamosé-
pale ;
corolle
(r.oiMlle, 3 à 6
lobes). /
i.pe ;
(Lobes
3-4-3).
■miiphi'odites, j
'-^^al a celui ' Iliginèbs.
1 de la corolle \
e 1,1 corolle.
y
ulée:
fniU
lobcs- I Ovaire à loges plui
i charnu, huit a dix étamines iu-
\ trorses, fleurs herm.iphro'tites
1 (Lobes de la corolle, D-4-li-7).
Usages des Oléinées. — 1» Le lilas est cultivé
exclusivement comme plante d'ornement. Les
Turcs font des tuyaux de pipe avec les jeunes ra-
meaux dont ils retirent la moelle.
2° Les frênes sont des arbres élevés qui crois-
sent spontanément en Europe et dans l'Amérique
septentrionale. Leur bois, à cause de son élasti-
cité, sert à. faire des limons de voiture, des
échelles, des chaises, etc. Le feuillage du frêne
élevé (Fraxinus excelsior) est la nourriture habi-
tuelle des cantharides, à tel point que vers la
milieu de juin, l'arbre est entièrement dépouillé
de ses feuilles. L'écorce du frêne a été proposée
comme succédanée du quinquina.
En Sicile et en Galabre, on cultive deux espèces
de frêne, le fraxinus ornus et le fmxinus rotun-
difolia qui ont la propriété de laisser exsuder
spontanément, ou par suite do la piqtire d'une
Cigale (Cicfida Omi), une quantité considérable
d'une liqueur sucrée appelée Manne. Ordinaire-
ment, on provoque ai'tiH(;iellement la sortie de la
manne, par des incisions que I on pratique dans
l'écorce de l'arbre, depuis le commencement de
juillet jusqu'à la fin d'octobre. Mais la manne de
qualité supérieure est celle qui est recueillie en
juillet et en aoîit, parce que, séchant au fur et à
mesure qu'elle sort de l'arbre, elle est tout i fait
pure; on lui donne le nom de Manne en larmes, à.
cause de la forme quelle afl'ecte. Au contraire, la
manne qui s'écoule pendant les mois de septem-
bre et d'octobre est souvent mouillée par la pluie,
elle sèche lentement, coulo le long de l'arbre et
englobe des matières étrangères; eile a beaucoup
moins de valeur que la première. — A l'état frais,
la manne est nutritive; mais elle renferme un
principe immédiat, la mannde, qui s'altère rapi-
dement et devient purgatif. C'est à cause de cette
propriété que la manne est utilisée en médecine.
Si on dissout la manne dans l'eau et si on la
souinot ît une longue ébuUilion, elle perd ses
qualités purgatives.
OLÉINÉES
— 1440 —
OMBELLIFÈRES
3» Les oliviers sont les arbres les plus utiles
do cette famille. Ils sont origiii;iires do l'Orient
et se sont répandus sur tout le rivage de la Mé-
diterranée, où on les cultive exclusivement pour
leur fruit qui est une drupe dont la partie
charnue renferme une (|uantité considérable
d'iiuile. Tout le monde connaît l'huile d'olives ;
on l'obtient en exprimant dans un pressoir les
olives écrasées ; du reste le procédé change un
peu d'une ville il l'autre. Partout cependant,
l'huile qu'on obtient à la première expression,
sert seule à l'alimentation ; l'autre est employée
pour la fabrication des savons et pour l'éclairage.
L'huile d'olives est souvent falsifiée îi l'aide de
l'huile de pavots ou huile d'œillette.
Un moyen fort simple de reconnaître la falsi-
fication consiste à remplir à moitié une bouteille
avec l'huile qu'on veut éprouver, et à agiter for-
tement, puis à laisser reposer ; si l'huile d'olives
est pure, sa surface devient rapidement très lim-
pide ; si elle est mêlée d'huile d'œillette, fut-ce
dans la proportion de 0,1 seulement, il reste à sa
surface un certain nombre do bulles d'air; on dit
que riiuile forme chapelet.
Un autre procédé, non moins simple, consiste h
faire congeler 1 huile, en entourant de giace pi-
lée, le vase qui la contient; l'huile dreillette sur-
nagera liquide au-dessus de l'hnilo d'olives con-
gelée; si le mélange est dans la proportion de
2 d'huile d'olives pour 1 d'huile d'œillette, il ne
se congèlera rien.
Dans les environs de Naples, on recueille sur la
surface des troncs d'oliviers, une substance rou-
geàire plus ou moins transparente qu'on appelle
i/oiitm" d'olivier et qui se rapproche beaucoup de
la SiircoC'Ule.
Les olives elles-mêmes sont comestibles; on les
cueille avant la maturité, on les fait macérer dans
la saumure, et on les mange crues ou cuites.
Les feuilles de l'olivier et son écorce ont été
autrefois employées comme médicameiits astrin-
gents, ainsi que les feuilles du troène.
U.1 'f/es t/es J'isminées. — Les plantes de cette
famille ne se recommandent que |iar leur beauté,
leur élégance et l'odeur suave de leurs fleurs.
Celte odeur est due à une huile volatile que l'on
fixe et que l'on conserve au moyen de l'huile de
lien. C'est surtout avec les corolles du Jn-miti
Smn'ac (arbrisseau indien) et celle du Jasmin
d'Kspagne que se prépare l'essence de Jasmin.
Usni/es des S'ipnées. — Les arbres de cette fa-
mille sont presque tous utiles à l'homme; les uns
fournissent des fruits très recherchés; ce sont les
Lu UDi'i de l'Oré?i"que, les S'ipo il'i )'-,les Chri/so-
l'/ii/lliim arbres des Antilles); les Bassin et les
liiilD-iairia (arbres de l'Inde). Des jirainns du Bus-
sia l/ut'inicen (Inde) et de celles du BuS'ia P'irkii
(Sénégal), on retire par expression une huile
fixe qui se fige promptement et que l'on nomme
Ijiitrre 'le Galnn. Ce beurre est fort usié comme
aliment, et fait l'objet d'un commerce assez
étendu, dans l'Inde et au Sénégal. D'autres Sapo-
lées fou^n^^sent des bois de construction (|Ue l'on
désigne dans le commerce sous les noms de bois
dp fer (le Cayenne et Lois d»? natte. Enfin de
Vlsonnndra liuttn, arbre qui croît à Bornéo et
dans les environs de Singapore, s'écoule en abon-
dance, un suc qui n'est autre que hi rjuitu-
perrlia. Cette substance a la propriété de se ra-
mollir dan< l'eau chaude, et de pouvoir prendre
alors toutes les formes qu'on veut lui donner ; en
se refroidissant, elle se durcit de nonve.iu et con-
serve la forme qu'elle a acquise. Elle est d'un
usage extrêmement répandu dans l'industrie; on
en fait dos moules pour la galvanoplastie, des
manches de fouet, etc., etc.
Usag s des Eh na- ées. — Cette famille fournit à
l'industrie le bois i'éhrne; ce bois provient de
grands arbres qui appartiennent tous au genre
DIosfirus ; il est d'un noir uniforme et d'un grain
très fin ; sa dureté est fort grande; ce n'est qu'en
vieillissant que le bois acquiert sa couleu> noire;
à l'état d'aubier, il est presque blanc; aussi n'est-
ce que les parties centrales des vieilles tiges, que
l'on emploie dans l'ébénisterie.
Us'ijje des Hiciiiées. — Les plantes de cette
famille, utilisées par l'homme rentrent toutes dans
le genre Houx. Les houi; renferment un prin-
cipe amer nommé ilicine. Les feuilles du houx
vomitif (//f.r roinituria) sont employées en guise
d'émétique par les sauvages de l'Amérique sep-
tentrionale; celles du houx du Paraguay rempla-
cent le thé de Chine dans l'Amérique du Sud;
celles du houx commun [l/ex aquifoliutji) ont été
usitées comme fébrifuge ; on a même proposé
d'employer l'Uicine comme succédanée de la qui-
nine. C'est l'écorco de ce même houx qui donne
la glu des oiseleurs. Le bois du houx est serré,
dur, très solide, et recherché pour l'ébénisterie.
Usngp' des Sti/rncées. — Deux arbres de cette
famille fournissent des baumes : Valirioufier offi-
cinal {Styrax officinale), arbre de la région médi-
terranéenne qui donne le stor'ix\ le sii/rax ben-
zoin, arbre dos Moluques et des Iles de la Sonde,
qui fournit le benjoin. Ces deux baumes découlent
des arbres par des incisions que l'on pratique
dans l'écorce. Chacun d'eux se compose d'une
résine aromatique unie à une huile volatile et à un
acide cristalli>able nommé acide benzoique.Le ben-
join est rougeàlre ; il exhale une odeur de vanille et
d'ambre ; le storax est blanc jaunâtre : son parfum
est aussi des pins agréables. |^C.-E. Berfand.]
O.UBICLI.II'UKCS. — Botanique, XXI. ' —
Etym. : Des deux mots latins umbella, parasol,
et ferre, porter, c'osl-à-dire qui porte des parasols
ou ombelles, à cause de la forme de l'inflorescence
qui s'appelle ombelle.
Définition. — Les Ombellifères sont caractéri-
sées par leur inflorescence, leurs ovules, et leurs
glandes résinifères. On rattache aux Ombellifères
les deux petites familles des Cumèes et des Ara-
liacées qui ont avec elles les plus grandes affini-
tés. La plupart des auteurs regardent les Ombel-
lifères comme formant un groupe intermédiaire
I entre les Gamopétales hypogynes représentées
par les Sambucinées et les Dialypétalos épigynes
représentHCS par les Rosacées.
I Caractères botaniques. — La graine des Om-
j bell.fères n'est jamais libre; elTe demeure tou-
' jours enfermée dans le péricarpe; elle contient
j un embryon très petit, dicotylédoné, droit, enve-
I loppé de tous côtés par un albumen corné très
j riche en matières aleuriques. Le tégument de la
graine est tellement aplati contre la paroi du fruit
que son existence a souvent passé inaperçue.
La racine des Ombellifères est pivutaïue, bien
développée; elle s'enfonce perpendiculairement
dans le sol ; chaque pivot porte deux rangées ver-
i ticales diamétralement opposées de radies se-
! condaires. Dans la ciguè rireiise, le pivot reste
' court et se renfle en un tubercule arrondi. Chez
le Crirum bulbo-r.nstaninn, certaines r.icines se-
\ condaires, profondément enfoncées dans le sol,
' se transforment en tubercules. Ces derniers sont
! comestibles, et dans certaines régions de la France
\ on les vend sous le nom de truffes blanches. La
racine principale de l'impératoire rampe horizon-
talement à peu de distance de la surface du sol.
Dans le céleri rave, le panais, la carotte, le pivot
se développe énormément sous l'influence de la
j culture et se transforme en une m.i-se charnue
1 comestible. Le pivot des Ombelliréres est très
généralement transformé en organe d'hibernation.
! Ce fait est surtout évident chez les Ombellifères,
à végitation bisannuelle et chez les Ombellifères
j vivaces.
OMBELLIFERES
1441
OMBELLIFERES
La lige des ombellifères est orilinairoment
herbacée, fistuleuse et assez élancée ; cette tige ne
ilovieijl arborescente que chez un très petit nom-
bre dionibellifores originaires de la i\ouvelle-Ca-
lédonie. La structure de cette tige est très remar-
quable, à cause des l'aisceaux libériens qu'on
trouve dispersés au sein de la moelle, et aussi h
cause de certains faisceaux secondaires qui peu-
vent se développer dans la même région. Ou voit
fréquemment ces productions singulières de la
moelle de la tigo des ombellifères s'entourer
d'une couche subéreuse, en même temps qu'elles
subissent une dégénérescence qui les transforme
en tissu glandulaire excrémentitiel. Très fréquem-
ment, au point de sortie des faisceaux de la tige
qui se rendent dans une feuille, on voit ceux-ci
prendre une orientation différente de l'orientation
normale.
Les feuilles des ombellifères sont embrassan-
tes, pétiolées; leur limbe est très profondément
<lécoup6, excepté dans le genre Bupleurum.
L'inflorescence des ombellifères est une om-
belle composée, excepté dans les genres /ls/ra«/i«,
Uydrocoli/le, Didiicus ; VomheWe est transformée
en capitule dans le genre Eri/ngium, par suite du
raccourcissement considérable des pédicelles flo-
raux. Chacune des parties d'une ombelle composée
a reçu le nom d'ombellule. Selon les genres, la
base de l'ombelle est nue et dépourvue de feuilles,
ou bien, au contraire, présente une sorte de colle-
rette ou d'involucre ; une collerette analogue peut
exister à la base de chaque ombcUule ; ces invo-
lucres secondaires portent le nom A'invulucelles.
Les fleurs des ombellifères sont blanches ou jau-
nes ; exceptionnellement, rouges ou bleues. Ces
Heurs sont hermaphrodites, plus rarement uni-
sexuées par avortement. Les fleurs hermaphrodi-
tes présentent de dehors en dedans : l" un calice
rudimentaire à cinq divisions très petites, presque
nulles; 2° une corolle à cinq pétales qui alternent
avec les divisions du calice; dans la fleur non en-
core épanouie, chaque pétale est plié en deux
vers sa région moyenne ; ces pétales sont caducs
et souvent inégaux entre eux, les plus grands
étant extérieurs ; 3° un androcée formé de cinq
étamines qui alternent avec les pétales ; la corolle
et l'androcée sont insérés sur un disque épigyne
qui couvre le haut de l'ovaire; la déhiscence des
anthères est longitudinale et marginale, presque
introrse;4'' un gynécée composé de deux carpelles
cohérents et d'uji ovaire biloculaire. La direction
des carpelles est telle que l'un d'eux regarde
l'extérieur de l'ombelle, tandis que l'autre en re-
garde l'intérieur. Chaque loge de l'ovaire des
ombellifères ne contient qu'un ovule très gros,
anatrope, unitégumenté, à nucelle excessivement
petit, tellement que pendant longtemps son exis-
tence a été mise en doute. A la maturité, les deux
carpelles se séparent l'un de l'autre et devien-
nent deux achaines, qu'on appelle méricarpes ;
chacun d'eux reste suspendu au sommet d'une
sorte de support central nommé columelle, ou
carpopluire; ce carpophore reste simple comme
dans le Scandix peclen, ou bien se bifurque de haut
en bas comme dans le fenouil.
La classification des ombellifères est fondée
sur l'ornementation du fruit; celui-ci présente
dix côtes saillantes primaires, qui sont séparées
l'une de l'autre par des sillons ou inlléciiles ;
dans l'épaisseur de la paroi du péricarpe, on re-
marque généralement des glandes résinifères que
Ion désigne en botanique descriptive sous le
nom de vittœ ou bandelettes.
Les ombellifères sont divisées en deux tribus :
1° Les HeM-séininées, caractérisées par leurs
graines à face commissurale plane ou convexe;
2« Les Curui-sémhiées, caractérisées par leurs
graines à face commissurale convexe ou canaliculée.
" Partie.
Les AiiALiACKES ne diffèrent des ombellifèrci?
que par leurs fleurs en grappes, leurs fruits char-
nus pluriloculaires et la variété extrême de leur
port ; témoin VAdoxa, qui est une plante humi-
cole, qui vit dans le terreau de nos bois, presque
entièrement cachée sous les feuilles sèches ; le
Lierre, qui est une plante grimpante; et li^s A ralin,
qui sont arborescents et que l'on cultive dans les
salons comme plante d'ornement à cause de leur
feuillage.
Les Cornées, que l'on rapproche des araliacéos
et des ombellifères, en diffèrent par les caractè-
res suivants : ce sont des arbres à feuilles entiè-
res, opposées, à fleurs tétramères et à fruit dru-
pacé, h noyau osseux. Leurs feuilles sont persis-
tantes comme celles de presque toutes les ara-
liacéos.
Usages des Ombellifères. — Les ombellifères
comprennent un grand nombre d'espèces ; les unes
alimentaires, les autres médicinales ou vénéneu-
ses. Ces propriétés si différentes sont dues à des
principes qui résident en proportions variables
dans les feuilles, la racine ou le fruit. Les racines
contiennent principalement des substances rési-
neuses ; les fruits possèdent une huile volatile ;
les feuilles sont quelquefois aromatiques et condi-
mentaires, et, d'autres fois, elles renferment un
principe narcotique acre. Les plus employées et
les plus connues des ombellifères sont :
1° Les Férules, qui donnent à la médecine des
gommes-résines, telles que Vcissa-fœtiila,\esaga-
penam on gomme séraphique, le galbanum, le
laser. Vossa-fœtida vient de Perse ; c'est une sub-
stance qui ressemble au benjoin, altéré par l'hu-
midité et les moisissures ; elle répand une odeur
d'ail très fétide ; sa saveur est acre, amère ; les
Persans la vendent comme un condiment déli-
cieux ; elle est ordonnée par les médecins d'Eu-
rope pour combattre les vapeurs et l'asthme. Les
autres gommes-résines que nous avons citées en
même temps que Vassa-fœtida possèdent des pro-
priétés analogues ;
2" Le Dorema ammoniaeum, qui produit la
gomme ammoniaque ; cette gomme-résine est
d'une saveur d'abord sucrée, puis acre et amère ;
on l'emploie pour stimuler les fonctions des vis-
cères abdominaux et des organes respiratoires ;
3° Les Ciguës. On désigne sous ce nom un cer-
tain nombre de plantes très vénéneuses, assez dif-
férentes les unes des autres pour que les bota-
nistes aient cru devoir en faire des genres différents.
On distingue trois sortes de ciguës : 1" la ciguë aqua-
tique {Cicntarix virosa); cette plante est caracté-
risée par le suc jaunâtre très vénéneux qui s'é-
chappe de sa lige et de sa racine lorsqu'on vient à
les couper; 2» la ciguë tachetée ou grande ciguij
(Conium maculatum) ; cette dernière espèce res-
semble beaucoup h la suivante, h la taille près ;
3» la petite ciguë (.Elhusa cynopium), caracté-
risée par sa tige glauque, striée de lignes rouges,
par ses feuilles finement découpées, d'un vert
sombre, d'une odeur désagréable et suspecte quand
on les froisse entre les doigts. A côté des Ciguës
viennent se placer la Phellendrie aquatique, \'A-
clie odorante, dont la racine aromatique est em-
ployée en médecine, à cause de ses propriétés
amères et apéritives ; VAche cultivée ou Céleri,
transformé par la culture, qui fournit une racine
et des feuilles comestibles très en usage dans le
nord de la France;
■'i" Le Persil (Petroselium sativum) et le Cer-
feuil(.htthrisatscaref'olium),quisontcu\livésdnns
tous les jardins potagers pour l'odeur agréable
que leurs feuilles, hachées, donnent aux ali-
ments ;
6° Le Panais [Pastinaca saliva) et les Sium, pro-
duisant une racine succulente d'un arôme agréa-
ble;
91
OMBRES
1442 —
OMBRES
6° Les Biiniitm, certains Canon, l'Aracacha es-
culenld, qui produisent des tubercules radicaux
souterrains, gorgés d'une substance féculente
comestible qui leur a valu le surnom de noix
de terre. h'Axantlie siifranée présente la même
disposition ; mais ses tubercules oblongs contien-
nent un suc laiteux jaunissant à l'air et très véné-
neux;
1' Le Carum-Carvi, V Ani.^ (Pimpiiiella an'isum),
qui fournissent , par la macération de leurs fruits dans
l'alcool, des liqueurs aromatiques vendues sous le
nom ianisette. Les fruits du Fenouil [Feniculum
vulgare), del'An.géli(jue, du Cumin (Citminum iij-
minum), de VAnHh odorant, sont usités comme
condiment. En outre, la tige et les jeunes feuilles
A' Angélique, confites dans le sucre, forment un
dessert recherché ;
8° L'Egopode des goutteuses (.Fgopodnim poda-
gravia), le Crithmum rnuriiiminn on Perce-pierre,
le Peucedanum officinal'; le T/iapsia villosa, le
Myrrhis odorata, l'Hi/drocoti/te asudigne et le Co-
riandrum sativuin, fournissant à la médecine des
médicaments stimulants par leurs racines, leurs
feuilles ou leurs fruits. Le Thapsia vdtosa, en
particulier, possède une racine qui contient une
huile extrêmement active, qu'on emploie quelque-
fois comme succédané de l'huile de croton pour
amener une forte rubéfaction de la peau ;
9° La Cai-otte commune {Daucus carotta), dont
la racine sucrée est comestible. Les fleurs de la
carotte infusées dans l'alcool donnent la liqueur
connue sous le nom d'huile de Vénus qui forme
la base de certaines eaux de toilette.
Usages des Araliaoèes. — Les pousses de VHel-
wingia sont mangées au Japon en guise d'as-
perges.
Les Aralies de l'Amérique du Nord sont esti-
mées comme dépuratives et sudoritiques. On em-
ploie, en cette qualité, les rhizomes de YAralie
midiciiule, l'écorce de l'Aralie épineuse et la ra-
cine de VAratie en grappes.
Les feuilles du Lierre sont aromatiques. Leur
matière verte dissoute dans l'axonge sert au pan-
sement des ulcères.
La racine de Ginsenq (Panax quinqnefolium) a
eu, au siècle de Louis XIV, une telle renommée,
que les ambassadeurs Siamois en avaient apporté
en présent au grand roi ; elle ne poussait qu'en
Chine et se vendait trois fois son poids d'argent.
Mais, un peu plus tard, on la trouva dans l'Amé-
rique du Nord et particulièrement au Canada; elle
perdit dès lors la plus grande partie de sa valeur;
on l'emploie encore en pharmacie comme médi-
cament sudorifique et excitant.
Usages des Cornées. — Le bois des cornées est
d'une très grande dureté ; l'écorce des Cornouil-
lers est amère et astringente ; on l'administre dans
l'Amérique du Nord comme succédané de la qui-
nine. Les drupes du Cornus mas ont une saveur
légèrement acide et astringente ; la graine du Cor-
nouiller sanguin contient une huile fine propre à
l'éclairage et à la fabrication du savon.
Le Benthamia porte-fraise est un arbrisseau du
Népaul et du Japon dont les fruits offrent l'aspect
d'une fraise et possèdent une saveur agréable.
Dans les cornées, ou peut encore citer I'^Ih-
cuha, arbrisseau originaire du Japon, que l'on
cultive généralement dans les jardins d'Europe
comme plante d'ornement à cause de ses feuilles
coriaces, panachées et persistantes, et de ses fruits
d'un très beau rouge vif.
rC.-E. Bertrand.]
OSIBRES (V. Géométrie descriptive et Lavis). —
Une des applications les plus intéressantes de la
géométrie descriptive consiste à déterminer les
ombres qui existent sur les corps mis en projec-
tion et celles qui sont portées par ces corps sur
les plans de projeclion ou sur d'autres corps.
F.n effet, si l'on veut donner du relief k un des-
sin, c'est-à-dire faire paraître certaines parties
en creux, d'autres en saillie, on a recours à des
effets de lumière et d'ombre. Le principal mérite
des peintres et des dessinateurs est de rendre
l'illusion complète et de laisser croire à l'existence
réelle des saillies et des creux.
Pour résoudre quelques problèmes relatifs
aux ombres du point, des lignes, des surfaces
et des solides, nous adopterons la convention sui-
vante :
La direction des rayons lumineux est celle de
la diagonale d'un cube, qui se dirige de haut en
bas, de droite à gauche et d'avant en arrière, en
supposant le cube appliqué contre le plan vertical
et reposant sur le plan horizontal.
Ex. : la diagonale Sa du cube, fig. 1, est la posi-
F'S- !•
tion du rayon lumineux dans l'espace ; ses pro-
jections sont.w, s'a, sur les deux plans; elles font
45° avec la ligne de terre ; mais la diagonale elle-
même fait un angle de .3.S°16' avec chacune de ses
projections, parce qu'elle est l'hypoténuse d'un
triangle rectangle qui a pour côtés de l'angle droit
une arête du cube et la diagonale d'une face
de ce cube. Le rayon lumineux ainsi adopté
sera le rayon à 45» et l'angle de 35" 16' sera Va7i-
gle ç iphi).
Cela posé, soient une source lumineuse S, flg. 2,
qui envoie des rayons dans tous les sens, et un-
point matériel A, c'cst-h-dire un solide qui a un
volume infiniment petit. Ce point intercepte un
rayon lumineux et produit une ligne d'ombre qui,
théoriquement, doit se prolonger à l'infini.
Soit un plan situé à une certaine distance du
point A. La ligne d'ombre produite par A ren-
contre le plan en a : on dit que a est romb?e por-
tée par A sur le plan.
Ce problème simple nous indique la métliode
générale pour tTOn\ev l'ombie portée par un point,
et, par suite, par une figure quelconque sur les
OMBRES
— 1443 —
OMBRES
plans de projection : nn fait passer par If point
dimnc un rayon lumineux et l'on aétermine la
tract de ce rayon sur le premier plan qu'il ren-
contre, soit l'Iiiirizontal, soit le vertical.
Pour bien fairu comprendre ce qui suit, nous
devons donner la règle employée pour trouver les
traces d'une droite.
Pour avoir la trace horizontale d'une droite,
c'est-à-dire le point où elle rencontre le plan hori-
zontal, on prolonge la projection verticale jusqu'à
la ligne de terre et Von élève une perpendicu-
laire à cette ligne de terre jusqu'à la rencontre
de la projectii.ii liorizontale.
De môme, p'iu- nmir la trace verticale d'une
droite, on pro/'i/ii/r lu jirojectioJi horizontale jus-
qu'à la ligne de terre et l'on élève une perpendi-
culaire à cette ligne de terre jusqu'à la rencontre
de ta projection verticale.
Ex. : thei tv , fig. 3 et fig. 4, sont les traces de
deux droites quelconques de l'espace.
Soit donc un point matériel aa' (fig. 5), dont on
Fig. 5. Fig. 0.
veut trouver l'ombre portée sur les plans de pro-
jection.
Le rayon lumineux à 4.S% passant par le point
aa', a sa trace horizontale au point ah, qui est l'om-
bre demandée.
Si l'on veut l'ombre portée par le point 6//
(fig. 6), on la trouve sur le plan vertical au point
Soit maintenant une droite matérielle ah, a'b'
(fig. 7), dont on veut avoir l'ombre portée sur les
plans de projection.
Le rayon lumineux passant par aa' a sa trace
horizontale en a/,, et celui passant par 64', en 4;,.
1 ombre cherchée est la ligne ai, hh.
La figure 8 donne l'ombre portée par une droite
sur le plan vertical.
Il arrive souvent qu'une partie d'une droite
porte ombre sur le plan vertical et l'autre partie
sur le plan horizontal : dans ce cas, l'ombre forme
Fig. 7.
un coude sur la ligne de terre. Ainsi, la droite ab,
a'h' (fig. 9), porte ombre suivant une ligne coudée
qui va du point «u au point 6a. On a déterminé les
Eig. 9.
Fig. 10.
deux traces horizontales an et h/, des rayons lumi-
neux et on les a réunies par une droite en ayant
soin de s'arrêter à la ligne de terre pour remonter
vers la trace verticale a„.
Voici d'autres positions d'une droite :
L'ombre portée par une droite verticale est une
ligne à ii" sur le plan liorizontal et une perpen-
diculaire à la ligne de terre sur le plan vertical
£x. : fig. 10.
L'ombre portée par une perpendiculaire au plan
(vertical est une ligne à ib' sur le plan vertical et
>•
Fig. 11.
Pig. 12.
une perpendiculaire à la ligne de terre sur le plan
horizontal. Ex. : fig. 11.
L'ombre portée par une parallèle aux deux
plans de projections est une parallèle à la ligne
de terre, égale à la ligne de l'espace. Ex. : lig. 12.
Si nous passons maintenant à l'ombre portée
par une surface plane quelconque, nous n'aurons
qu'à déterminer l'ombre portée par son périmè-
tre, lequel est composé de lignes droites ou do
lignes courbes. Nous trouverons des applications
nombreuses de cette question dans l'étude des
corps solides; qu'il nous suffise en ce moment de
dire qu'une surface plane quelconque parallèle ."i
OMBRES
1444 —
OMBRES
un des plans de projection porte sur ce plan une
ombre égale à elle-même, et, sur l'autre plan, une
ombre qui est cette surface déformée.
Ainsi un rectangle, un liexagone régulier, un
cercle, etc., parallèles au plan horizontal, portent
respectivement ombre sur ce plan suivant un rec-
tangle égal, un liexagone égil, un cercle égal, etc.,
et, sur le plan vertical, suivant un parallélo-
gramme, un hexagone irrégulier, une ellipse, etc.
Résultat inverse si ces figures sont parallèles
au plan vertical.
Occupons-nous maintenant des corps solides.
Fig. 13.
Soient une source de lumière S et un corps
opaque A (fig. 13).
Les rayons lumineux qui partent de S enve-
loppent le corps opaque en formant un cône qui
rase ce corps opaque suivant une courbe appelée
la ligne de séparation d'ombre et de lumière, ou
simplement la ligne d'ombre propre, de manière
que toute la surface du corps située à gauche de
la courbe est éclairée, et que toute la surface située
à droite est dans l'ombre.
Soit un plan P situé h droite du corps opaque.
Les rayons lumineux, après avoir touché le
corps, viennent rencontrer ce plan et y forment
une courbe appelée la ligne d'ombre portée, de
manière que toute la surface comprise dans cette
courbe est dans l'ombre et que toute la partie du
plan située hors de la courbe est éclairée.
Supposons que la source lumineuse s'éloigne à
l'infini : le cône lumineux précédent devient un
cylindre qui enveloppe également le corps et y
détermine une ligne d'ombre propre, différente de
la première; il donne aussi, sur le plan P, une
courbe d'ombre portée, plus petite que la pre-
mière. Dans le premier cas, on a une ombre au
flamleau sur le plan P, et dans le second, une
ombre au soleil.
A la rigueur, on pourrait dire que le soleil, qui
n'est pas à une distance infinie des corps, produit
un cône d'ombre au lieu d'un cylindre ; mais l'er-
reur est insensible et l'on est convenu d'admet-
tre que ses rayons sont parallèles. C'est l'om-
bre au soleil qui est presque excl,usivement em-
ployée dans le dessin géométrique.
Dans l'un et l'autre cas, on peut, dès mainte-
nant, indiquer une méthode générale pour trouver
les ombres propre et portée d'un corps de forme
quelconque : on fait passer des plans par la
source lumineuse, ou parallèlement aux rayons
lumineux, plans qui coupont le corps A et le plan
P ; on mène i chaque courbe d'intersection des
tangentes parallèles aux rayons lumineux, que
l'on prolonge jusqu'au plan P. Les points de con-
tact de ces tangentes forment la ligne d'ombre
propre, et leurs traces sur le plan P forment la
ligne d'ombre portée.
Citons, à l'appui de ce qui précède, un certain
nombre d'applications.
1° Ombres d'un cube.
Soit un cube placé sur le plan horizontal, à
une assez grande distance du plan vertical pour
avoir l'ombre tout entière sur ce plan horizontal
(fig. U).
Tel qu'il est placé, le cube n'a pas d'ombre pro-
pre visible en projection, parce que la face d'a-
vant, qui est seule vue en projection verticale, et
la face supérieure, qui est seule vue en projection
horizontale, sont éclairées. Quant à l'ombre portée,
on sait d'avance qu'elle se composera d'un carré
cb^l^^d^ égal à la face abcd, et de deux lignes à 45°.
6*1 et fWj, qui sont les ombres des deux arêtes
verticales b, b'b" et a,a'a".
Rapprochons maintenant le même cube du plan
vertical de manière h avoir de l'ombre sur les deux
plans de projection ^fig. 15).
Nous construisons le contour précédent o6,c,aio',
comme si le plan vertical n'existait pas, puis
nous relevons l'ombre à partir de la ligne de
Iprre pour venir passer par les traces verticales
rf'i et e'i des rayons lumineux. Une partie de l'om-
bre est cachée par le cube lui-même.
OMBRES
— 1443 —
OMBRES
Si nous plaçons le cube contre le plan verti-
cal {fig. 16), nous obtenons le triangle rectangle
isocèle iA,6'' pour le contour de l'ombre portée.
Enfin, si nous plaçons le cube à une Iiauteur
suffisante pour avoir l'ombre tout entière sur le
Faisons passer un rayon lumineux par le som
met de la pyramide et déterminons ses traces
sh et Su; joignons ensuite d sh et h sk. ^'ous voyons
a' ,fV e'c' d
plan vertical, nous obtenons la fig. 17, analogue îi
la fig. U.
2° Ombres d'un prisme droit.
Soit un prisme hexagonal droit reposant sur le
plan horizontal (fig. 18). ■
On voit immédiatement qu'il y a trois faces
latérales qui sont éclairées, ainsi que la base
supérieure, et qu'il y a trois faces latérales dans
l'ombre. Parmi ces dernières il n'y en a qu'une
seule qui soit visible sur le plan vertical et qui
donne Yombre propre du prisme.
Le rayon lumineux rase le prisme suivant
l'arôte verticale projetée au point e, puis suivant
les arêtes horizontales ed, c'd' ; de, d'e' ; ef, e'f', et
enfin suivant l'arête verticale projetée au pomt f.
L'arête verticale projetée en e donne une ligne
d'ombre à 46° jusqu'à la ligne de terre, puis une
verticale jusqu'en t-', ; les arêtes projetées hori-
zontalement en cd, de et rf portent ombre sur le
plan vertical respectivement suivant les lignes
c'id\, d'ic'i et e'i f'^; enfin, la verticale projetée
en f donne une ombre terminée au point f'i, ana-
logue à celle portée par l'arête projetée en c.
Il faut remarquer qu'une portion de l'ombre por-
tée sur le plan vertical est cachée par l'élévation
môme du solide.
.3" Ombres d'une pt/ramiile.
Soit une pyramide octogonale régulière repe-
sant sur le plan horizontal (lig. 19). j..,.
Fig. ts.
immédiatement que les arêtes latérales ds et (As
de la pyramide sont les séparatrices d'ombre |et
Fig. 19.
de lumière, c'est-îi-dire que les quatre faces situées
il gauche de ces arêtes sont éclairées, tandis que
les autres sont dans l'ombre. En élévation,'; une
OMBRES
— 1446 —
[OMBRES
seule de ces faces est visible. Voilà pour l'ombre
propre.
L'ombre portée parla pyramide tout entière sur
les plans de projection est limitée par l'ombre
portée par ces mêmes arêtes ds et h.s ; elle se dirige
d'abord vers le point sh. puis se relève, à partir de
la ligne de terre, vers le point Sv.
4° Ombres d'un rylindre.
Soit un cylindre droit reposant sur le plan hori-
zontal (fig. 20).
Les rayons lumineux rasent le cylindre suivant
rige d'abord vers le point .••Vi. puis, arrivée àla ligne
de terre, se relève au point su.
Il faut remarquer que les deux génératrices d«
séparation d'ombre et de lumière, sr et srf, sont
les lignes de contact de deux plans tangents for-
més par des rayons lumineux rasant le cône. Les
traces de ces plans forment les limites de l'ombre
Fig. 20.
les deux génératrices verticales c,r'r" et d.d'd",
et suivant la demi-circonférence cbd. Les deux
génératrices en question sont les lignes de sépa-
ration d'ombre et de lumière ; elles déterminent
l'ombre propre du cylindre.
Pour trouver l'ombre portée, il suffit de se rap-
peler que la base supérieure du cylindre porte
ombre, sur le plan horizontal, suivant un cercle
égal, dont le centre est en rij, et sur le plan verti-
cal, suivant une ellipse qu'il est facile de déter-
miner par points ou au moyen de deux diamètres
conjugués, qui sont les ombres portées par deux
diamètres perpendiculaires de la base supérieure
du cylindre.
Ainsi, la génératrice cc'c" porte ombre suivant
la ligne ce, à 45"; l'arc horizontal projeté en ce
porte ombre suivant un arc égal et parallèle c iC, ;
l'arc projeté en ebd porte ombre suivant l'arc
d'ellipse Cii'irf'i; la génératrice dd'd" porte om-
bre suivant la ligne brisée dfd\.
5° Ombres d'un cône.
Considérons successivement des cônes droits h
22" 1/5, à 45° et Cî" 1/2, c'est-à-dire des cônes
dont les génératrices font des angles de 1/4, 1/2 et
3/4 d'angle droit avec l'axe.
Soit un cône i 22° 1/2 situé sur le plan horizon-
tal (flg. 21).
Menons un rayon lumineux par le sommet du
cône; déterminons ses traces sa et Si-; par le
point Sh, menons deux tangentes à la base du cône
et traçons les génératrices sr, !,'c', et sd, s'd' :
nous avons immédiatement l'ombre propre et
l'ombre portée du cône. La première est limitée
par les deux génératrices en question, dont une
seule est visible en élévation; la seconde se di-
portée, et leur intersection est précisément le
rayon lumineux passant par le sommet du cône.
Soit maintenant un cône à 45" situé sur le plan
horizontal (lig. 22).
Le rayon lumineux passant par le sommet a sa
trace horizontale en Sh. Si l'on mène, de ce point,
deux tangentes à la base du cône, on obtient
l'ombro portée suivant le contour csn b ; l'ombre
propre est comprise entre les génératrices xb et
se, et l'on voit que cette ombre propre est entière-
ment invisible en élévation.
Soit enfin un cône à ti?" 1/2 (fig. 2.3).
Si l'on mène un rayon lumineux par le sommet
du cône, il se trouve tout entier dans l'intérieur
du cône, de sorte qu'on ne peut pas mener de
OMBRES
— mi —
OMBRES
tangente par la trace horizontale si,, ce qui prouve
que le cône n'a ni ombre propre ni ombre portée.
C" Oinhref de la sphrrc.
Soit une splière oo' reposant sur le plan hori-
zontal (fig. 24).
Cette sphère est inscrite dans un cylindre
fprmé par les rayons lumineux, qui la rasent sui-
vant un grand cercle dont le plan est perpendi-
culaire à leur propre direction. On sait, d'ailleurs,
que ces rayons lumineux sont inclinés h l'angle ç
de 35° 16' sur le plan horizontal.
l'our bien voir la position du cylindre en ques-
tion, prenons une nouvelle ligne de terre Lj Tj,
parallèle à .so. Sur le nouveau plan vertical, la
sphère se projette en o'.; les rayons lumineux,
suivant la direction .s',o j faisant l'angle ç avec
L,T, ; le' cercle de contact .se projette suivant
la droite «i''»,', perpendiculaire :'is',o',.La projec-
tion horizontale de ce cercle est l'ellipse a c h d :
c'est la ligne de séparation d'ombre et de lumière
sur le plan horizontal.
En opérant sur le plan vertical comme sur le
plan horizontal, on obtiendra une ellipse identi-
que à la précédente.
L'ombre portée sur le plan horizontal est la
trace, sur ce plan, du cylindre circonscrit à la
sphère : c'est une ellipse dont le petit axe est
égal au diamètre de la sphère, et dont le grand
ai^e est inn == m\H^',
1° Du ressaut (les ombres.
Nous allons terminer cette étude par une ap-
d' d;
' ^
! /
? \
y --
ï^"' ^
^~^,
•oN
/f
' v^ ^
[■
i
b
Fig. 2fi.
plication fréquente des ombres, principalement
dans les dessins d'architecture.
Lorsqu'un corps porte ombre sur plusieurs
plans parallèles, ou plus généralement encore sur
plusieurs surfaces, cylindres, cônes, etc., placées
les unes devant les autres, l'ombre passe de l'une
à l'autre de ces surfaces en se rapprochant ou en
s'éloignant du corps qui porte ombre et en chan-
geant de forme suivant la nature des surfaces.
Os mouvements constituent ce que l'on nomme
le ressaut des ombres. On dit que l'ombre res-
saute d'un corps sur un autre.
Soient, par exemple, ah, a'U les projections de
l'arête horizontale d'un larmier, et une série de
plans verticaux indiqués en projection horizontale
(fig. 25).
L'ombre de l'arête est une ligne horizontale sur
OPTIQUE (INSTRUMENTS D') — 1448 — OPTIQUE (INSTPiUMENTS D')
<!ianii> de ces plans verticaux, parallèles et éclie-
iuiinés ; lorsqu'ils s'éloignent de l"i,2",3'", l'ombre
iM'scend ou ressaute de 1"',2",3'"; lorsqu'ils se
rapprochent, au contraire, l'ombre s'élève; donc la
ligne brisée en projection horizontale, prise à
partir de ah, se reproduit exactement en projec-
tion verticale à partir de n'A' pour limiter l'ombre ;
il suffit dp faire un calque.
Il faut ajouter à cette ombre portée par l'arête
du larmier l'ombre de chaque plan vertical sur
celui qui vient après et qui est situé en arrière.
Ainsi l'arête verticale rc'r" du premier plan porte
ombre sur le second suivant la verticale '.'ic'ic"!.
Soit encore proposé de trouver l'ooibre portée
par l'arête horizontale d'un larmier sur une série
de moulures verticales, dont la forme est indiquée
en projection horizontale (fig. 26).
En raisonnant comme dans l'exemple précédent,
on voit que, pour avoir l'ombre portée par l'arête
o' , a'b' sur la série des moulures, il suffit de
décalquer, à partir de ab, le profil donné en pro-
jprtion horizontale et de le reporter sur le plan
vertical, à partir de a'b' . Il faut ajouter, en outre,
les ombres portées par les moulures les unes sur
le.- autres en se servant de rayons à 4ô" menés
taiigentiellement à chaque moulure sur le plan
horizontal.
On obtiendrait de la même manière l'ombre
lioitce par une ligne verticale sur des moulures
liorizontales. [A. Bouguerel.]
OPTIQUE (Instruments d'). — Physique, XXXII.
— Les instruments d'optique sont formés, tantôt
par des groupements de lentilles {dw/itinque),
tantôt par des combinaisons de miroirs et de len-
tilles (cntadioplrigue). Tout ce que nous allons
dire sur la théorie et l'emploi de ces instruments
suppose donc chez le lecteur une connaissance des
lois et faits principaux se rapportant à la réflexion *
et à la réfraction* de la lumière.
Nous étudierons d'abord les instruments les
plus simples, ceux qui n'exigent que l'emploi
dune seule lentille : loupe, chambre noire, cham-
i>rc claire. — Nous passerons ensuite à l'examen
iIj-s appareils plus complexes : 1° résultant de
i assemblage de plusieurs lentilles : microscope
co iiposé, lunette astronomique, lunette terrestre,
lunette de Galilée ; 2° obtenus par des combi-
naisons de lentilles et de miroirs : télescope de
Nrwtou, de Foucault.
I. Loupe. — Quand un objet n'a que de très
petites dimensions,
nous le voyons mal,
s'il est placé à une
distance de l'œil égale
à la distance de la vi-
sion distincte (25 ou
30 centimètres pour
les vues ordinaires),
parce qu'il nous en-
voie tmp peu de lu-
mièri' et que la sensi-
bilité de la rétine est, Fig. 1.
nous le savons, fort
limitée. Si, pour mieux l'apercevoir, nous le rappro-
chons de la pupille, une plus grande quantité de la
lumière qu'il diffuse pénètre, il est vrai, dans les
milieux de l'œii ; mais les rayons qu'il émet se pré-
sentent alors avec un degré de divergence trop pro-
noiicé et son image ne se forme plus par suite sur la
rétine elle-même; elle devientvague,mal déterminée
et finalement les détails de l'objet nous échappent
complèiement. Ainsi, le phylloxéra de la vigne, qui
n'a qu'un tiers de millimètre environ dans sa
plus grande longueur, nous paraît, à l'œil nu,
co;nme un grain de poussière informe ; nous ne
distinguons ni ses pattes, ni ses antennes, etc. La
Joujie, qui n'est qu'une simple lentille conver-
gente de verre, a précisément pour but de per-
mettre ce rapprochement si désirable de l'objet du
côté do la lentille, tout en nous le faisant voir ou
plutôt en plaçant son image ;\ la distance de la
vision distincte.
Les deux conditions voulues pour une vision
nette sont donc ainsi réalisées : clarté suffisante,
parce que l'objet est très voisin de ro?il, et en
même temps transport de son image i 25 ou 30
centimètres, afin que celle-ci puisse se former avec
netteté sur le réseau rétinien.
En somme, l'effet produit par l'interposition
de la loupe, représente pour nous comme un
grossissement de l'objet. Aussi dit-on habituelle-
ment, pour rendre l'impression produite : telle
loupe grossit trois fois en diamètre, telle autre
cinq fois. La figure 1 nous permettra d'expliquer
simplement, par la marche des rayons lumineux
dans le verre convergent, l'effet signalé. La len-
tille .M est d'un court foyer, un centimètre par
exemple ; l'objet de petite dimension ub est placé
entre le foyer principal de la lentille et la len-
tille elle-même ; il se trouve donc, en réalité, à
un très petit nombre de millimètres de distance de
l'œil K. Si la lentille n'existait pas, il est bien clair
que cet objet ah (dont nous exagérons volontaire-
ment ici les dimensions pour rendre la figure in-
telligible), placé trop près de la pupille, ne nous
donnerait de lui-même qu'une image confuse.
Mais, grâce à la loupe, les rayons tels que a M
qu'il envoie sont déviés de leur direction : lorsqu'ils
passent de l'air dans un milieu plus réfringent, le
verre, ils sont rendus convergents et viennent
pénétrer dans l'œil dans une direction telle que
KM, exactement dans les mêmes conditions que
s'ils partaient de A, point de concours de leurs
prolongements respectifs. L'œil verra donc l'extré-
mité supérieure du petit objet non point en a,
où elle se trouve réellement, mais bien en A. Il
suffira alors de. porter, par voie de tàtonnement,la
lentille aune distance convenable de nh ou d'ef-
fectuer ce que l'on appelle la mise au point, pour
que KA soit précisément égale à la distance de la
vision distincte de l'observateur. La même ex-
plication se rapporte aux rayons émanés de t, et
finalement' l'œil apercevra, à la distance de 25
ou 30 centimètres, l'image du très petit corps ab,
situé pourtant très près de sa pupille; il verra
donc ce dernier nettement et de plus il le verra
amplifié; car AB et ab sont des lignes parallèles
interceptées par les côtés d'un même angle AOB ;
et AB est plus loin du
sommet O que ab.
Le grossissement sera
. , . AB , CO,,
égal à —r- ou à — 11
° ah co.
sera d'autant plus fort
pour un même obser-
vateur que eo sera plus
faible et par suite que
la lentille aura un plus
court foyer.
— Loupe. Voilà une théorie
tout à fait élémentaire
de la loupe. Si l'on veut maintenant une explication
plus complète, il faut se reporter à ce qui est
dit (article Réfraction) sur la marche de la lumière
dans les verres convergents.
Puisque, par hypothèse, ab est îi une distance
de M plus petite que la distance focale principale
de la lentille: l'image que celle-ci doit fournir est
virtuelle, droite, située du même côté de la len-
tille que l'objet et plus grande que lui. On ob-
tiendra alors facilement par une construction géo-
métrique l'image du point o. A cet effet, on mè-
nera par ce dernier point inie ligne qui ira passer
par le centre optique 0, on la prolongera de part
et d'autre de a et de 0. L'image do a sera néces-
sairement, nous le savons, sur l'axe secondaire nO.
OPTIQUE (INSTRUMENTS D) — IM'J — OPTIQUE (INSTRUMENTS D')
Rn second lieu on consifK^rera, parmi les rayons
lumineux qui partent du point it, celui qui est
parallèle à l'axe principal : soit «M ; ce rayon, k
son émergence, ira passer par le foyer principal
de la lentille en F, et alors l'image de a sera
nécessairement au point de concours A des rayons
tels que Off et MF qui, ;\ leur sortie de la loupe,
viendront traverser la pupille. Même construc-
tion pour l'image de A et pour chacun des autres
points appartenant à l'objet nh.
Quant au grossissement delà loupe, nous avons
déjà vu que — r était égal a -— , ou, en prenant
les notations ordinaires (V. Ilé/'rartion], égal à
- . Mais, dans le cas du foyer virtuel des lentilles
P
convergentes, on a entre /j et// la relation :
î-_i ='
P !>' ~ ?
a ou :
P f
Remplaçant- par sa valeur dans l'expression
du grossissement, on a :
AB
ah ■■
P' + f
f
Or, p' ou CO = KC — KO. D'autre part, KC, c'est
la distance de la vision distincte de l'observateur,
nous l'appellerons D ; KO c'est la distance de l'oeil
à la lentille, nous la nommerons l ; on aura donc :
p' = D — /
et finalement :
AB
ab ''
Mais f—lne représente qu'un très petit nom-
bre de millimètres, 3 ou 4 au plus ; ce nombre
est négligeable en présence de D, qui en repré-
sente de 250 à 300 ; et alors on a simplement :
AB_D
valeur à laquelle nous étions arrivés plus haut
par des considérations élémentaires.
Ce qu'il faut retenir de tout ceci, c'est que pour
avoir un fort grossissement il faut recourir à une
loupe d'un très court foyer, du, ce qui est la
même chose, h une lentille dont les faces présen-
tent une grande courbure. Or, quand la courbure
est grande on ne peut utiliser pour la forma-
tion desimages que
les rayons inci-
dents qui s'écar-
tent peu de l'axe
principal ; les au-
tres produiraient
une déformation
considérable de l'i-
mago. L'élimina-
tion nécessaire de
ces derniers rayons
produit un affai-
blissement notable
dans la clarté de
l'image, afl'aiblis-
sement qui peut
être tel que les dé-
tails de l'objet ne
soient plus percep-
tibles. Pour obvier
à cet inconvénient on a recours h un éclairement
artificiel de l'objet à étudier (fig. v). La loupe / i
Microscope î
court foyer est enchâssée dans un anneau métal-
lique qui, en s'évasant vers le haut, permet à l'œil
de l'expérimentateur de trouver un point d'appui
résistant pendant la durée de l'observation. Le sup-
port de cette loupe est mobile à l'aide d'une cré-
maillère que l'on fait mouvoir dans le sens vertical
à l'aide du bouton V. Cette disposition rend facile
la mise au point; car, pendant que la loupe se dé-
place, l'objet à étudier demeure fixe sur le porte-
objet 'C. La loupe seule est mobile et peut être
placée à telle distance de l'objet qu'il plaît à
l'observateur d'obtenir. Enfin, un miroir concave
M, qu'on peut faire tourner autour d'un axe, per-
met de concentrer sur l'objet, en l'y accumulant,
la lumière des nuées ou celle d'une lampe placée
dans le voisinage de l'appareil.
Le petit instrument que nous venons de dé-
crire sert constamment au botaniste et à l'ento-
mologiste. Une loupe simple ou une oiloupe logée
I dans un petit étui de corne est aujourd'hui d'un
prix très abordable pour tout le monde. Chaque
instituteur doit avoir la sienne ; elle lui sera d'une
grande utilité soit pour sa propre instruction,
soit pour faire bien comprendre aux enfants de
son école là constitution de la fleur, de la graine,
l'organisation des insectes, etc. Il n'y a pas
de leçons de chof:ps, il n'y a pas d'explications re-
latives aux questions élémentaires d'histoire natu-
relle à la plus facile intelligence desquelles la
loupe ne puisse concourir utilement.
II. Ceiambiie noire. — Une lentille convergente est
enchâssée dans le trou du volet d'une chambre her-
métiquement close de toute part, en vue d'empêcher
la pénétration accidentelle de la lumière extérieure.
Nous savons que, dans ces conditions, un objet
éclairé placé en dehors de la chambre sur l'axe de
ladite lentille et à une distance de cette dernière
plu<: grande que la distance focale principale, vien-
dra former dans l'intérieur de la chambre, sur un
écran convenablement placé, son image réelle et
renversée. Quand, à la suite de tâtonnements
convenables, l'écran aura été mis au point, l'image
en question sera d'une netteté parfaite, et un des-
sinateur pourra avec un crayon tracer sur l'écran
lescontours de l'objet avec la même exactitude que
s'il s'agissait du calque d'un dessin ordinaire. Le fait
s'explique sans difficulté, en partant de la théorie des
lentilles convergentes (V. Réfraction); p repré-
sentant la distance de l'objet à la lentille, et étant
supposé plus grand que f, longueur focale de celle-
ci, on a pour la distance p' de l'image réelle à la
vf f
même lentille :;y = -i-i--,= — - — -, C'est précisé-
V-t , t
r
ment à celte distance p' qu'il faut placer l'écran
pour que l'image obtenue possède toute la netteté
désirable.
De plus, le rapport de grandeur de l'image et de
l'objet étant donné, dans ce cas, par l'expression
f
-p on voit que, si p est plus petit que 2 f,
l'image est plus grande que l'objet ; si p = 2 /■, l'i-
mage et l'objet ont les mômes dimensions; et enfin,
si p est plus grand que 3 /, l'imago devient plus
petite que l'objet et d'autant plus petite que p a
une plus grande valeur. Dans le premier cas, c'est-
à-dire quand le corps éclairé est placé entre le
foyer principal de la lentille et le double de la
longueur focale, ce corps est donc amplifié ; il se
montre grossi sur l'écran. L'instrument qui réa-
lise cette condition porte, suivant sa destination,
le nom de méyascope ou celui de lanterne ma-
ç/ique.
L'appareil à projection, si utilisé aujourd'hui
dans les cours scientifiques, n'est qu'une variété
de la lanterne magique. L'objet ou la photogra-
phie dont l'image agrandie doit, être projetée sur
OPTIQUE (INSTRUMENTS D') — 1450 — OPTIQUE (INSTRUMENTS D')
un écran est, en efl'et, placé entre le foyer prin-
cipal d'une lentille convergente et le double de
sa longueur focale; seulement, pour que l'image
dont il s'agit, et qui se trouve amplifiée par la
lentille, soit visible dans ses moindi-es détails pour
tout un auditoire, on a le soin de concentrer, i
l'aide d'un miroir concave ou d'une boule de
verre, une masse énorme de lumière sur l'objet
en question. La lumière utilisée à cet effet est
fournie soit par une lampe i gaz oxhydrique, soit
par une simple lampe i pétrole renfermée dajis
une sorte de lanterne sourde.
Dans le troisième cas, alors que l'objet est au
delà du double de la longueur focale, l'image pré-
sente une réduction de l'objet, mais sans que,
pour cela, ce dernier se trouve déformé ; elle est
d'autant plus petite que le corps s'éloigne davan-
tage de la lentille. C'est dans l'appareil nommé
_ chambre noire des
dessinateurs et dans le
daguerréuti/pe que ce
troisième cas est réa-
Usé.
Toutefois, dans la
chambre noire des
dessinateurs, on n'em-
ploie pas une lentille
véritable, mais bien
un prisme qui est l'é-
quivalent dune len-
tille. Ce prisme (ftg.
3) a une face anté-
rieure convexe. C'est
par elle que pénètrent
dans le verre les
rayons lumineux émis
par l'objet; puis une
face inférieure con-
cave par laquelle
émergent les mêmes
rayons. En passant de
la première face à la
seconde, ils trouvent sur leur route une surface
plane convenablement inclinée pour s'opposer
à leur sortie et qui fait fonction de miroir plan.
C'est, on le voit, le phénomène de la réfle.iion
totale de la lumière i la surface de séparation de
deux milieux inégalement réfringents qui est ici
utilisé. En tout cas, l'ensemble des deux faces con-
vexe et concave produit sur la lumière le même
effet qu'un ménisque convergent, et «ne image
réelle des objets éloignés vient se peindre en A sur
un écran disposé pour la recevoir. Qu'on imagine
alors le prisme-lentille avec sa garniture formant
la partie centrale et culminante d'une sorte de
tente dont il figurera comme la cheminée ; qu'on
dite du nouvel appareil est constituée par une
caisse parallélipipédique en bois, dont une moitié
N est fixe et l'autre M mobile. La paroi postérieure
de la caisse porte un écran en verre dépoli et à
coulisse C, sur lequel viendra se peindre l'image
des objets extérieurs. Cela dit, le mode d'em-
ploi du daguerréotype s'explique de lui-même.
On 4>rige le tube AB vers l'objet à reproduire. Par
un mouvement progressif, en avant ou en arrière
suivant les cas, de la caisse mobile M, on amène
l'écran i la position voulue derrière la lentille pour
que l'image de l'objet s'y reproduise avec netteté, et
on achève enfin la mise au point très exactement
en faisant tourner le bouton V. 11 n'y a plus alors
qu'à substituer au verre dépoli l'écran sensibilisé,
sur lequel l'image laisse désormais une trace
durable, pour que la reproduction fidèle de l'objet
puisse s'opérer dans de bonnes conditions. Nous
n'avons pas à insister davantage sur ce point, les
détails opératoires relatifs à la sensibilisation de
la plaque, à la durée de la pose, à la fixation de l'i-
lîl. CiuMBRE CLAinE. — La chambre claire a la
même destination
se représente ensuiie le dessinateur assis sous la \ mage sont donnés à l'article P/iotogrop/ne.
tente et entouré complètement d'un rideau d'étoffe """ "^ - - - . -. . .
noire pour faire chambre obscure; qu'on le suppose
ayant devant lui, en A, une table posée sur le sol j que la chambre
qui lui permette de dessiner commodément l'i- noire ; mais elle est
mage projetée sous ses yeux, et l'on comprendra : beaucoup plus em-
ce qu'est au juste la chambre noire du dessina
leur. L'artiste pourra aisément tracer avC'
plus parfaite exactitude sur une feuille de pa . .
pier les contours du paysage ou du monument ' tographie a accom-
v«rs lesquels il aura dirigé la face convexe du ' pli les grands pro-
prisme. I grès que tout le
Le daguerréotype, qui est devenu la chambre monde peut appré-
noire usuelle des photographes, conduit par un cier, la chambre
moyen différent à un résultat semblable. Cette fois, noire ne sert plus
c'est une véritable lentille convergente L (fig. 4) ' pour ainsi dire aux
ou plutôt une lentille double LE, qui est em- 1 dessinateurs. Ceux-
ployée. Elle est placée dans uu tube de cuivre ' ci ont recours, de
BL que l'on peut faire mouvoir parallèlement à préférence, à l'ins-
""■^ <.,„ !. l'aifig (j'ui, pigiioi, V et d'une crémail- trumenf"-"
ployée aujourd'hui
la I que celte dernière.
I Depuis que la pho-
îDaguer-
T
^
, — Chambre claire.
1ère; et cela, le long d'un tube fixe A qui s'em- re. La chambre claire a été conservée pour la topo-;
boite dans BL. La chambre noire proprement \ graphie ; elle permet, en campagne et sans reoou-:
OPTIQUE (INSTRUMENTS D') — l'w» — OPTIQUE (INSTRUMENTS D')
rir i uiio installation gênante, d'effectuer, avec
quelquu rigueur, des levers de plan. Le colonel
ilu g('!inc Laussodat a perfection n<i, dans ce» der-
niers temps, ce petit instrument, et en a fort ingé-
nieusement péfjuJarisc l'emploi. Nous nous borne-
rons ici h indiquiT le principe de la chambre claire.
Un prisme quadrangulaire de verre, dont la sec-
tion droite ABCD est représentée dans la fig. 5, di-
rige vers l'œil de l'opérateur, placé au-dessus de la
lentille 1 et de l'arôte D, los rayons lumineux prove-
nant de l'objet il étudier. Ces rayons tombent d'a-
bord sur la face AU du prisme dans une direction
telle que L; ils subissent doux, fois, après avoir
pénétré dans le verre, une réflexion totale, d'abord
sur la face BC, puis sur la face CU ; tinalement ils
arrivent dans l'œil et lui fout percevoir l'image des
objets comme le ferait un simple miroir convena-
blement disposé. L'oeil, placé de façon à ce que sa
pupille soit divisée en doux parties égales par le
plan vertical qui contient l'arôte D, projette ins-
tinctivement cette image sur une feuille de papier
blanc posée en E sur une table et éprouve la même
impression que si elle y existait réellement. L opé-
rateur peut donc avec son crayon en dessiner tous
les contours. Seulement, la grande difficulté, c'é-
tait l'adaptation de l'œil à la fois à la vision d'ob-
jets éloignés, ceux dont l'image est fournie par le
prisme, et à. la vision nette d'un objet distant de
SO centimètres, à savoir le crayon que manie le
dessinateur. On a résolu la difficulté par l'emploi
d'une lentille I convenablement ajustée et que tra-
versent avant d'arriver à l'œil les seuls rayons
venant de l'objet éloigné. Leur point de concours
est ramené par cette lentille au point E, et l'œil
peut alors voir en môme temps et très distincte-
ment l'image qmi se projette sur le papier et la
pointe du crayon qui y trace des lignes.
Les angles dièdres du prisme quadrangulaire
employé ont les valeurs suivantes:
A= 90»,0
B= 67",5
C=135°,0
D= trr,5
On prouve, h l'aide de considérations géomé-
triques très simples, que danscesconditions, tout
rayon incident qui pénètre dans le prisme parla
face AB en émerge par la face AD, en prenant
finalement une direction exactement perpendicu-
laire h sa direction initiale. Ainsi, si le rayon
incident L est horizontal, le rayon émergent qui
lui correspond est vertical. Les deux réfractiojis
que le rayon subit en traversant le prisme se
compensent exactement, et tout se passe finalement,
au point de vue de la déviation totale, comme si la
lumière avait traversé un milieu à faces parallèles.
IV. Microscope composé. — Quel est le premier
inventeur du microscope? Cette question de prio-
rité est demeurée fort incertaine. Les uns en attri-
buent la découverte à un Hollandais, Zacharie Jans,
d'autres en font honneur au naturaliste Leuwen-
hoeck, son compatriote. Ce qu'il y a de positif, c'est
que le microscope composé date de la fin du sei-
zième siècle ou des premières années du dix-sep-
tième. Ce qu'ily a d'incontestable aussi, c'est que,
dans son état premier et à raison des images peu
nettes et par trop irisées sur leurs bords qu^U four-
nissait, cet instrument n'avait au point de vue scien-
tifique qu'une médiocre importance. Euler, le pre-
mier, en 1769, démontra la possibilité de le rendre
achromatique, et c'est la réalisation pratique en
1816 par Frauenhoferde l'idée d'Euler qui a fait du
microscope un de nos meilleurs instruments de
recherches. Amici de Modèno.Pritchaid et Ross en
Angleterre, Charles Chevalier, Lerebours, Ober-
hauser et Nachet en France ont ensuite porté l'ins-
trument, par des modifications successives, au degré
de perfection que nous lui connaissons aujourd'hui.
Dans sa plus grande simplicité, le microscope
est constitué par une lentille convergente 0
(fig. 6), dite iihjeitif, qui
doit fournir, des très pe-
tits objets 0 il examiner,
une image cd réelle ren-
versée et agrandie : c'est
dire que l'objet sera
placé entre le foyer p)in-
cipal de la lentille objec-
tive et le double de la
longueur locale. Cette
image réelle est ensuite
grossie par une seconde
lentille B, par une vraie
loupe, dite oculaire, qui
la transforme en une
image virtuelle CD por-
tée à la distance de la
vision distincte de l'opé-
rateur. La lentille b est
désignée sous le nom
d'objectif, parce qu'elle
est placée du côté de
l'objet; la lentille B est
appelée oculaire parce
qu'elle est tournée vers
l'œil. On comprend, sans
qu'il soit nécessaire d'y
insister, que l'objectif et
l'oculaire devront être
portés par des tubes de
métal s'emboîtant l'un
dans l'autre, et permet-
tant de taire varier la
distance dps doux lentil- rig
les. De plus la distance
du porte-objet a au mi-
croscope lui-même pourra changer au gré de l'o-
pérateur, afin do réaliser la mise au point et d'ob-
tenir le maximum de netteté.
Cette simple description et la marche des rayons
lumineux indiquée dans la figure 6 permettent de
comprendre tout de suite qu'il se produit ici un
double grossissement de l'objet.
En premier lieu, par la lentille b. L'objet étant
placé entre le foyer principal et le double de la
distance principale, on sait (V. Héfraclion) que
le rapport de grandeur de l'image et de l'objet est
f
égal Ji — - — , expression dans laquelle /'représente
la distance focale principale de l'objectif et p la
distance de l'objet à l'objectif. Or;; étant par hy-
pothèse <. 2 f cl > f ; f est nécessair.'iuent
plus grand que p — f et par conséquent l'image
est plus grande que l'objet. Elle est d'autant plus
grande que p a une valeur plus voisine de celle
do /'. Donc l'objet et par suite le porte-objet a
seront toujours dans le microscope placés très
près de l'objectif, attendu que la longueur focale
de ce dernier est toujours très courte. — En se-
cond lieu, l'image réelle cd que donne l'objectif
se transforme en image virtuelle CD par le fait de
la loupe B ; l'on a donc, comme nous l'avons
vu plus haut, pour le nouveau grossissement :
— = \ D étant la distance de la vision dis-
tincte de l'observ-ateur et f la longueur focale de
l'oculaire.
On a par suite : d'une part, par le fait de l'ob-
jectif ;
cd f
grandeur de l'olijet p — f'
d'autre part, par le fait de l'oculaire :
CD ou grandeur finale do l'image D
lid "" /■'
OPTIQUE (INSTRUMENTS D') — 1452 — OPTIQUE (INSTRUMENTS D')
En multipliant ces deux égalités membre à mem-
bre, cd disparait comme facteur commun et l'on
grandeur de l'image
arrive à ce résultat final :
grossissement =
D/-
grandeur de l'objet
On en conclut que pour un même microscope
le grossissement dépend à la fois de la distance,
de la vision distincte de celui qui l'emploie et. en
outre, de la distance ;; de l'objet à la lentille ob-
jective. ^
On mesure liabiluellement ce grossissement j -^g-;"5;";,'r—p^^-î;"p3; -f^;-™:-^ ™-
blcs, il ne faut guère dépasser un grossissement
de 500 qui correspond en réalité à une étendue
superficielle égale à 250, OuO fois celle de l'objet.
Pour des études d'histoire naturelle dans une
école normale primaire, par exemple, des grossis-
sements de 10, 20, 30, iO fois en diamètre sont
toujours suffisants. Ce qu'il faut demander avant
tout au microscope, c'est de donner des images
bien éclairées, nettes dans leurs contours et nettes
aussi quand elles correspondent i des couches
un peu profondes de l'objet. Cette dernière qua-
lité constitue \e pouvoir de pénétration dumicros-
par une expérience directe. Sur le porte-objet a ^^^^ j ^^^^^ ^j^ ^^^^^^^^ ,g^ appréciations les
est pose un micromètre divise en centièmes de mil- i ,yj ^(j,.^,^ sur la forme et la constitution des
imètre. C est une lame de verre à la surface de | J"^. ^ j^^ ^^- ^^^ ,.g„ ^ ^ observer,
laquelle on a trace au diamant des traits opaques, ^^^ ^^ ^^ microscope sont des plus impor-
distants lun de l'autre d un centième do railli- , ,^j^jg g^ ch\m\^, il permet une étude exacte et
mètre. On met 1 œil à 1 oculaire : la distance | ^^^g^^^ ^^^ séparation des cristaux les plus ténus
des traits paraît plus grande. Si. pour l'obser-
vateur, elle est par exemple égale à un milli-
qui quelquefois se mêlent et se confondent dans
un même dépôt, si on se contente de les examiner
mètre, on en conclut que le grossissement a pour , ^ [,^j, ^^^ ;, ^j^^^j, ^^^ indications exactes sur la
valeur KiO. Dans le cas qui nous occupe, la me- (.ons,iiuUon des liquides animaux : sang, urine,
sure du grossissement revient donc à ceci :deter- 1 p^^. ^^ ,^3 ^^^^^^ ferments qui interviennent
•■■Hier en millimètres et fractions de millimètre modifier les substances organiques. Il est
quelle est la grandeur apparente de l'image vir
tnelle fournie par l'oculaire. Il suffit pour résou-
dre pratiquement ce problème de munir l'ocu-
laire d'une petite chambre claire (V. plus haut)
et de projeter l'image grossie du micromètre que
donne le microscope sur une règle graduée en mil-
limètres et que l'on n placée juste à la distance de
la vision distincte. Si l'image de l'intervalle cor-
respondant à deux divisions consécutives du mi-
cromètre recouvre exactement un millimètre et
demi de la règle graduée, ou bien deux miUimè
l'instrument favori du médecin et du naturaliste
qui ne peuvent pénétrer sans lui dans la profon-
deur des tissus vivants quand il s'agit d'étudier leur
constitution normale ou de constater leuraltération.
Il sert dans l'industrie pour reconnaître les fraudes
et aussi pour guider le fabricant qui a souvent
intérêt à estimer avec précision la finesse des
laines, des soies qui lui sont livrées et qui, s'il n'y
prend garde, peut être victime de mélanges frau-
duleux, non reconnaissables à l'œil nu.
, , . I V. Lt'NETTE ASTRONOMIQUE. — L'hîstoîre dc l'in-
ires de cette règle, on en conclut que le grossis- mention de la lunette astronomique est envelop-
soment est, dans le premier cas, de 150 en dia- ^^ ^^ nuages comme le sont presque toujours
mètre et de 200 dans le second. Cette détermina- [g^ premiers faits qui se rapportent aux gran-
tion, on le voit, est des plus faciles. ,. . J des découvertes. La légende se mêle infaillible-
Le microscope ramené au degré de simplicité ^ ^^.^^ ^g ^^^ ^ ,j réalité, et il devient bien
que nous venons d'indiquer constituerait un mau- difficile, à deux cents ans de distance, de saisir
vais instrument; les images qu'il fournirait seraient ^^^^ exactitude la part de vérité qu'il serait inte-
rnai définies, mal arrêtées ; leurs bords présente- cessant et juste de mettre en évidence. C'est,
raient des irisations désagréables. Une bonne ob- j ^^^^^ ^jj y^ légende, le fils d'un fabricant de
servation serait impossible avec une appareil aussi j im^ettgg ^e Middlebourg qui fut conduit, par un
heureux hasard, à placer des lentilles de verre
défectueux.
On a rendu le microscope nchromatique en in-
troduisant, entre l'objectif et roculaire,une troisième
lentille, dite lentille de champ, qui ramène sur la
surface d'un même cône, dont le sommet est à la
pupille, les différentes couleurs simples que les
premières réfractions avaient séparées (V. Lu-
yifière, p. l'iTi). Alors, toutes ces couleurs se
superposant pour l'œil de l'observateur lui don-
nent la sensation de la lumière blanche ; les irisa-
tions disparaissent complètement.
On est même allé plus loin depuis 1823 : onachro-
matise à la fois l'oculaire et l'objectif. Grâce aux
travaux persévérants des physiciens et des cons-
tructeurs que nous avons nommés plus haut, le
microscope est devenu un excellent instrument,
un appareil de précision qu'on peut se procurer
.Tujourd'hui à un prix très modéré.
Quand l'objet à étudier e>t transparent, on l'é-
claire fortement en dessous, en dirigeant sur lui la
lumière des nuées concentrée par un miroir con-
cave ; quand il est opaque, on l'éclairé par dessus à
l'aide d'une lentille convergente convenablement
disposée. On a construit des microscopes dont
le grossissement dépasse 2,000 en diamètre. C'est
une folie : l'image perd alors en clarté et en net-
teté ce qu'elle gagne en surface ; on ne voit
plus aucun détail de l'objet d'une façon distincte,
tout est nuageux, et c'est alors que, l'imagination
aidant, on peut, tout i son aise, faire du roman en
dans des positions relatives telles que leur grou-
pement constitua la lunette d'approche. Galilée
aurait eu connaissance du résultat obtenu en
Hollande ; il se serait aussitôt mis à l'œuvre et il
n'aurait pas tardé b. découvrir la lunette qui porte
son nom. Elle est formée essentiellement par la
combinaison d'une lentille biconvexe servant d'ob- |
jectif avec une lentille biconcave placée à une dis- I
tance convenable de la première et servant d'ocu- '
laire. Ce qu'on peut affirmer, en tout cas, c'est '
que dès l<i09 le céK'bre astronome italien dont
nous parlons était en possession d'une lunette
d'approche qu'il venait de construire et à l'aide de
laquelle il put faire dans le ciel de curieuses
observations. Le plus fort grossissement qu'il'
employa était égal kh'i. Peu après Galilée, Kepler
remplaça la lentille biconcave de l'oculaire par
une lentille biconvexe. Kepler est donc véritable-
ment le premier auteur de la lunette astronomique
telle que nous la construisons aujourd'hui.
La lunette astronomique étant destinée, comme
son nom l'indique, à observer de la terre les astres
qui peuplent le firmament, a par là même sa len-
tille objective placée h une immense distance de
l'objet à observer. L'image réelle de cet objet
viendra donc se former en avant de ladite leniille
et tout près de son foyer principal ; elle sera de
plus renversée et infiniment plus petite que l'ob-
jet. Si l'on dispose alors, sur le trajet des rayons
histoire naturelle et substituer la fantaisie i la • qui ont déjà donné naissance h l'image aérienne
réalité. Pour se placer dans des conditions favora- 1 un oculaire convergent, de telle façon que l'imagt
OPTlUUEdNSTRUMENTS D) — 1433 — OPTIQUE (INSTRUMENTS D')
réelle en qviestion se trouve pliicée entre le foyer
principal de la lentille oculaire et cette lentille
elle-mfime, l'image de l'astre sera vue en réalité
à travers une loupe, elle sera par suite amplifiée,
conservera sa situation première, renversée comme
elle l'était d'abord, et l'image virtuelle que don-
nera cet oculaire pourra sans peine être portée à
la distance de la vision distincte de l'observateur.
La figure 7
l'objectif et vont former en ba une image réelle et
renversée. Ils continuent leur marclic, traversent
l'oculaire pour arriver h l'œil et prennent à leur
sortie de l'oculaire des directions telles que leurs
prolongements vont se couper en 13'A' pour con-
stituer l'image virtuelle que l'observateur aperce-
vra à la distance de sa vision distincte. 11 lui suf-
fira, en effet, pour obtenir ce résultat, de dépla-
cer lentement le tube de l'oculaire, dans un sens
ou dans l'autre, de manière à effectuer, par tâton-
nement, la mise au point dans chaque cas.
Dans ces conditions, la longueur totale de la
lunette sera sensiblement égale à la somme des
longueurs focales de l'objectif et de l'oculaire.
Dans la lunette de Galilée, l'oculaire était,
nous l'avons dit, formé par une lentille biconcave,
mais dans ce cas, ledit oculaire devait être placé,
pour jouer le rôle de loupe, entre A« et l'objectif
lui-même ; et dès lors la longueur de la lunette était
seulement égale à la différence des deux longueurs
focales. De plus, dans la lunette astronomique
ordinaire, l'image est renversée par rapport i
l'objet, ce qui n'offre aucun inconvénient, quand
on observe un astre ; tandis que, dans la lunette
de Galilée, l'image est droite comme l'objet lui-
même.
Le grossissement s'évalue facilement par la
théorie. On appelle ici grossissement le rapport
de l'angle sous lequel l'objet est vu directement
par l'observateur, sans l'interposition d'aucun
instrument, à. l'angle sous lequel il est vu à
travers la lunette. En nommant O et 0' les centres
optiques de l'objectif et de l'oculaire, qui ne sont
pas indiqués sur la figure, mais que le lecteur
se représentera facilement, le grossissement
, , ,. B'O'A'
sera égal à , ou, ce qui est la même chose,
hO'a
aOb
Or, si les deux angles dont il s'agit avaient, l'un
et l'autre, leur sommet au centre dune même cir-
conférence, leur rapport serait égal au rapport des
arcs compris entre leurs côtés, et comme ici les
angles sont très petits, on peut prendre au lieu du
rapport des arcs le rapport des cordes qui les sou-
tiennent.
Cherchons donc la valeur de ce dernier rap-
port. — Soit décrite de 0' comme centre une
circonférence de rayon 1 ; sur cette circonférence,
1 arc compris entre les cotés de l'angle iO'a pour-
rait être considéré comme égal à ~, en nommant
f la longueur focale de l'oculaire. Pareillement,
1 arc compris entre les côtés de l'angle «06 sur
cette même circonférence de rayon 1 aurait pour
expression — ; F étant la longueur focale de l'ob-
jectif. Donc le rapport —rrr ou le grossissement
sera représenté par -p divisé par-^ c est-à-dire
F
par — • On
voit donc
que le gros-
sissement
4 de la lunet-
te astrono-
mique sera
d'autantplus
fort que l'ob-
jectif sera
à plus long
foyer et l'ocu
laire à plus
court foyer.
Ni la lunette de Galilée, ni celle de Kepler
n'auraient jamais acquis l'importance qu'elles ont
aujourd'hui, sans la découverte de l'objectif achro-
matique. Elle est due à un célèbre opticien anglais,
Dollond, qui la fit connaître vers le milieu du dix-
huitième siècle. Dans les lunettes d'approche
primitives, les bords de l'image présentaient,
comme dans le cas du microscope primitif, des
irisations d'autant plus prononcées que le gros-
sissement était plus fort ; il eût donc fallu forcé-
ment restreindre ledit grossissement et s'en tenir
à de faibles instruments. Dollond eut l'idée d'ac-
coler pour former son objectif une lentille con-
vergente de crown à une lentille divergente de
flint. En choisissant convenablement les courbures
des deux verres et en tenant compte en même
temps des valeurs de leurs indices de réfraction
qui sont notablement différentes, il parvint à détruire
la dispersion sans supprimer la réfraction. Celle-ci
n'était que diminuée parle groupement du crown et
du nint. On avait donc toujours dans l'objectif ainsi
constitué un système lenticulaire qui demeurait
convergent, mais qui, en même temps, et c'est là le
point essentiel, éliminait dans les images toute colo-
ration accidentelle. En réalité, la découverte de
Vnhjerlif achromiiiique a été le plus grand pro-
grès en optique instrumentale qui ait été accompli
dans le dix-huitième siècle. Sans exagérer la lon-
gueur de la lunette, on a pu dès lors obtenir des
grossissements considérables, et conserver en
même temps aux images une clarté suffisante.
Cette clarté, on le comprend aisément, dépend
du diamètre de l'objectif; aussi, s'est-on efforcé
avant tout d'obtenir de larges disques de crown et
de flint bien homogènes, dépourvus de stries et de
bulles. Par leur association, ces disques convena-
blement taillés pouvaient seuls donner do bons ob-
jectifs achromatiques. C'est un industriel suisse,
M. Guinand, qui a rendu par l'excellente fabri-
cation des deux sortes de verre le plus grand ser-
vice à la science.
L'oculaire a été à son tour perfectionné. Au lieu
de l'oculaire simple formé d'un seul verre, on em-
ploie assez souvent un système de deux lentilles,
se compensant l'une l'autre, au point de vue de
l'aberration de sphéricité et de l'aberration do ré-
frangibilité. L'un des oculaires doubles le plus
souvent utilisés dans ce but est celui de Ramsden,
dit oculaire positif : il est formé de deux verres
plan-convexes dont les faces convexes se regar-
dent.
La lunette astronomique ne sert pas seulement
à l'observation des corps célestes ; elle sert en-
core, et cet autre usage a de l'importance, h la me-
sure des angles. Lecercle répétiteur, le théodolite,
OPTIQUE (INSTRUMENTS D') — 1454 — OPTIQUE (INSTRUMENTS D')
le catliétomètre portent une ou plusieurs lunettes
dont les déplacements sur des limbes f;raduels
permettent d'évaluer les distances angulaires de
deux points donnés. Il fallait seulement, pour f|ue
cette mesure eût quelque exactitude, établir dans
la lunette une ligne à points de repère fixes qui
guidât sûrement l'observateur quand il dirige-
rait l'instrument vers un point détermine. Cette
ligne porte le nom d'axe optique; elle est fixée,
quant à sa position, par deux points invaria-
bles : !° le centre optique de l'objectif ; 2° le
point de croisement de deux fils se coupant à
angle droit, point de croisement que l'on met tou-
jours au foyer de l'oculaire. L'ensemble des
deux fils adaptés ainsi à la lunette constitue
le réticule. Ce réticule est placé en avant de l'o-
culaire de Ramsden
et en est , par là
même, rendu indé-
pendant. Vise-t-on
un point de laterre?
La ligne droite qui
joint ce point à son
image va passer né-
cessairement par le
centre optique de
la lentille objective.
Si donc, dans cha-
que observation, on
fait mouvoir cette
lunette jusqu'à ce
que l'image du point
extérieur coïncide
avec la croisée des
fils de rélicule, on
sera sûr que la li-
gne nommée axe
optique et qui est invariable de position dans la
lunette ira rencontrer le point examiné.
\'I. Lunette tbrbestbe. — La lunette astronomi-
que, avons-nous dit plus haut, donne des images
renversées des objets ; son emploi serait donc fort
incommode pour l'observation des objets terres-
tres. On l'a rendue propre à ce dernier usage en
intercalant entre l'objectif et l'oculaire, un système
de deux lentilles convergentes dont la position et
la distance sont calculés de façon à produire un
redressement de l'image que donne l'objectif, et
cela, avant qu'elle n'aille se former au foyer de
l'oculaire. La figure 8 donne la marche des rayons
tapose deux lunettes pareilles, à\iei jumelles, pour
rendre plus commode pour l'observateur la vision
des objets peu éloignés, vision qui se fait alors
sans aucune gêne par les deux yeux à la fois.
VIII. TÉLESCOPE DE Kewton. — Les télescopes,
dont la destination est la même que celle des lu-
nettes, sont constitués par un système de miroirs
et de lentilles. L'objectif y est représenté par un
miroir concave, l'oculaire par une sorte de micros-
cope. Gregory, Newton, Cassegrain et Uerschell
ont construit des appareils télescopiques offrant
chacun une disposition spéciale, et qui portent
leur nom. Le principe théorique est le même pour
tous ; l'agencement des miroirs et des lentilles est
seul dift'érent. Nous nous bornerons ici à décrire
brièvement le télescope de Newton, en signalant
toutefois le perfec-
ionnement de pre-
iiier ordre queFou-
ault a introduit
lans sa construc-
>n.'
Un miroir conca-
>e M (fig. 9) est
|ilacé au fond d'un
ong tube de métal ;
I axe de ce miroir
coïncide sensible-
nent avec l'axe géo-
iiétrique du cylin-
Ire que le tubecon-
-titue. Quand on
lirige le télescope
. i!rs un point du
ciel, les rayons lu-
tte lerreslre. mineux émanés de
ce point arrivent pa-
rallèles entre eux et parallèles à l'axe principal du
miroir. Ils iraient donc converger, après réflexion,
à son foyer principal sensiblement placé au rai-
lieu du rayon de courbure; mais avant que leur
croisement ne s'effectue, les rayons réfléchis sont
interceptés par un miroir plan m incliné de 45° sur
l'axe, lequel les rejette latéralement vers la lentille
oculaire. L'image ab obtenue est ensuite trans-
formée par l'oculaire en une image virtuelle
agrandie que l'observateur peut examiner tout à
l'aise, lorsque, par la mise au point de l'oculaire,
il l'a portée à la distance de la vision distincte.
Au miroir plan m, on substitue souvent un pris-
lumineux dans ce nouveau cas. O'' et O'" sont les me de verre à réflexion totale, prisme de très
deux lentilles
supplémentai -
res; 0' est la
lentille oculaire
ordinaire ; ba
représente l'I-
mage réelle et
renversée for-
mée par l'objec-
tif. Cette image
est redressée
par les deux
verres 0" et 0'"
et vient se for-
mer droite en
a'b' d'où l'œil
l'aperçoit vir-
tuelle et agrandie en A'B'.
VII. Lunette de Gaulée. —La lunette de Galilée,
dont il a été plusieurs fois question dans ce qui pré-
cède, a, nous le savons, une lentille divergente, bi-
concave d'ordinaire, pour oculaire; elle présente
l'avantage de donner directement l'image droite
des objets, mais elle ne comporte pas un grossisse-
ment aussi considérable que la lunette astronomi-
que. On ne l'emploie guère aujourd'hui que comme
lunettede spectacle. Habituellement incme,onju\-
petite dimen-
sion qui rem-
plit l'office du
miroir plan, et
dans de meil-
leures condi-
tions que lui.
Le grossisse-
ment du téles-
cope a la même
expression que
celui de la lu-
nette astrono-
mique. Sous sa
forme la plus
sim])lo, il est
représenté par
dans lequel F est la longueur
focale principale du miroir concave et f celle de
l'oculaire supposé simple.
Le miroir du télescope était, jusqu'à Foucault,
creusé dans l'épaisseur d'une masse métallique,
sorte de bronze formé de plusieurs métaux que
l'on mélangeait dans des proportions déterminées
au moment de leur fusion. L'alliage dont il s'agit
était composé en moyenne de 07 p. 100 de cuivre
Télescope de Newton.
le rapport
OPTIQUE (INSTRUMENTS D) — i455 —
OR
pt àt; :Vi d'ctuiti ; un disfine obtenu par la voie
du moulage, il la suiio de la fusion préalable de
l'aiHuge, présentait, h l'une de ses faces, une
courbure h peu près splicrifiue. Puis, par une
usure progressive eNécnlée à la main, on achevait
do donner à la surface concave assez grossière
t(ne le moulage avait fournie la forme et le poli le
plus parfait qu'il ftait possible d'obtenir. Eu tout
cas, le miroir en ([ueslion avait toujours mallieu-
l'cusemcnt un poids considérable. Celui que con-
Strttisit Lord Koss, et dont le diamètre dépassait
T",30, no 'pesait pas moins de 3,800 kilogrammes.
Ajoutez h. ce poids celui du tube et des pièces an-
nexes, et vous arrivez ii un chiffre total de plus de
10,000 kilogrammes. Cette lourde machine était,
on le comprend, d'un maniement des plus diffi-
ciles et l'emploi en était forcément très limité. Le
télescope d'Herscliell, que le célèbre astronome
anglais avait construit lui-même et dont il avait
travaillé le miroir de ses propres mains, était
moins lourd, il est ■vrai, que celui de Lord Ross,
mais il fallait encore recourir h des cabestans
pour le mouvoir.
Si, en dehors de cet inconvénient si grave du
poids énorme de l'instrument, on tient compte de
cette autre circonstance plus importante encore,
à savoir l'impossibilité oii l'on est de travailler
convenablement une surface métallique quelle
qu'elle soit ; si l'on sait que les miroirs d'Herschell
et de Lord Ross présentaient, par suite, aux diffé-
rents points de leur surface, des inégalités nota-
bles dans la courbure, inégalités qui Ôtaient beau-
coup de leur netteté aux images, on se rendra
compte sans peine du progrès considérable que
les travaux de Foucault ont amené dans la cons-
ti'uction du télescope.
'IX. TÉLESCol'E DE ToucAOLT. — Foucault a sub-
stitué, en premier lieu, le verre au bronze pour
la confection du miroir, c'est-à-dire un corps so-
lide d'une densité de "i.h h un corps d'une den-
sité égale à IL C'était déjà un grand pas de fait ;
ttiais le point capital dans la découverte du sa-
vant français, c'est la méthode tout à fait originale
à laquelle il a eu recours pour le travail du miroir
de verre. Il est parvenu b. donner à volonté à la
surface réfléchissante, ou la courbure sphérique
la plus parfaite qu'on puisse imaginer, ou la cour-
bure parabolique ; et, dans ce dernier cas, nous
le savons, l'abprration de sphéricité disparait
Complètement. Foucault a construit des miroirs
d'une surface tellement régulière que les varia-
tions de courbure les plus fortS's qu'on pouvait
'y découvrir étaient inférieures à un dix-millième
de millimètre. Aussi l'observation des astres à
l'aide du télescope Foucault donne-t-elle le spec-
tacle le plus admirable qu'on puisse concevoir.
'L'es nébuleuses résolubles se montrent composées
de milliers do petites étoiles d'éclat variable. On
se croirait en présence du bouquet persistant
tl'un feu d'ariifice. Les planètes sont vues avec
une netteté de contours et de détails qui permet
xine étude approfondie de leur constitution physi-
que. Les deux plus grands miroirs qui aient été
construits dans le système Foucault ont, l'un, 80
centimètres de diamètre, l'autre l'",'20. L'exposé de
la méthode de Foucault ne saurait entrer dans le
cadre de cet article. Le lecteur devra se repor-
ter aux traités spéciaux sur la matière.
C'est pourtant le verre, nous l'avons dit, qui four-
nit la surface réfléchissante, et Ion sait que le pou-
voir réflecteur du verre est assez faible ; la clarté
des images sera donc très réduite dans les nou-
veaux télescopes ? Il n'en est rien : la difficulté a
été habilement tournée. On argenté la surface du
miroir après qu'elle a été amenée à la courbure
Voulue et au degré de poli le plus parfait. Cette
argenture est d'une facilité extrême. Foucault
avait d'abord utilisé le procédé Drayton qu'on avait
mis en œuvre en .Angleterre pour l'étamage des gla-
ces.11 l'abandonna plustard pourlui substituer celui
d'un de ses élèves. .M. A. Martin, procédé qui est fondé
sur la propriété que possèdent les solutions des
sels d'argent de se réduire à froid en présence des
alcalis sous l'action du sucre interverti. Le miroir
de verre plongé dans une liqueur de ce genre se
recouvre uniformément d'une couche d'argent
poli, couche tellement mince qu'elle demeure
translucide.
Cette lame si ténue d'argent qui revêt le ratroii-
de verre a un pouvoir réflecteur de 0,92 environ,
tandis que le pouvoir réflecteur du métal des mi-
roirs ne dépasse pas 0,6't. .Mnsi, ce n'est pas sou
lement au point de vue de la netteté des images,
mais encore au point de vue de leur clarté, que
le télescope de Foucault l'emporte de beaucoup
sur ceux de Newton et d'Herschell.
Quant à l'agencement optique du miroir et de
l'oculaire, Foucault a adopté le mode suivi par
Newton, mais en perfectionnant encore l'instru-
ment dans cette autre direction. [A. Boutan.]
on. — Chimie, XX. — tlistorupie. — Les qua-
lités remarquables de l'or ont fait rechercher de
bonne heure ce métal, dont la valeur se trouve
augmentée par la rareté.
C'était l'Inde, l'Afrique, l'Arabie, la Macédoine,
la Thrace, l'Espagne, l'Italie, etc., qui fournis-
saient l'or aux peuples anciens. On en fil d'abord
des vases, des ustensiles, des statues, etc.
L'or fut employé de très bonne heure comme
monnaie, c'est-à-dire qu'il servit à représenter la
valeur des objets et qu'il facilita les échanges ou
le commerce.
Le métal précieux était employé tel que la na-
ture le fournissait ; il n'était donc pas pur, et les
monnaies d'or de l'antiquité ne pouvaient avoir
des titres fixes comme les monnaies de nos
jours.
A la découverte do l'Amérique, les gîtes auri-
fères du Pérou, du Mexique et du Brésil fourni-
ront une telle quantité d'or, que la valeur de ce
métal diminua d'environ les deux tiers.
La découverte de nouveaux gisements en Sibé-
rie (18 i2), en Californie (1847) et en Australie
(vers 18ôO) a augmenté encore d'une manière
assez considérable la quantité d'or versée annuel-
lement dans la circulation.
Aussi l'usage de l'or, qui d'abord était très res-
treint, s'étend-il chaque jour davantage, et la
monnaie d'or est-elle aujourd'hui la monnaie cou-
rante.
Élnt nnturel. — 'L'or n'a qu'une très faible af-
finité pour les autres corps. C'est pourquoi on ne
le rencontre guère que sous les trois états sui-
vants : I» à Vêtit natif; l'alité avec quelques mé-
taux ; 3» comhiné avec le tellure.
C'est à \'état natif que le métal précieux se
trouve le plus communément. Il contient toujours,
dans cet état, de l'argent et du cuivre. L'argent
lui donne une teinte verdâtre, le cuivre aug-
mente son éclat. Parfois l'or natif renferme aussi
du fer (jui le rend bleuâtre.
On trouve des filons d'oc natif dans des roches
cristallines ; on le rencontre également dans les
mines d'argent, et surtout dans les terrains d'allu-
vions ou dans des sables de transport.
Dans ces sables, l'or se présente sous la forme
de paillettes ou sous celle de petits grains arron-
dis. Quelquefois ces grains, que l'on désigne sous
le nom de pépites, atteignent la grosseur d'une
noisette. On a même rencontré des pépites d'un
poids considérable. La plus forte qui ait été dé-
couverte jusqu'à ce jour a été fournie par les mines
de l'Australie (en 1858) ; elle pesait 60 kilog.
Certains fleuves et certaines rivières roulent,
dans leurs sables, des paillettes d'or. Ces fleuves
et ces rivières prennent leur source dans des ter-
OR
— 1456 —
OR
rains formés de roches cristallines aurifères, et
parcourent de longs espaces sur ces mêmes ter-
rains.
On peut citer en France la Garonne, l'Ariège,
le Rhône, le Rhin, l'Aidèche, l'Hérault, etc.
Extra<:tion. — Pendant longtemps l'or charrié
par ces cours d'eau a donné lieu à une exploita-
tion plus ou moins active, suivant que la valeur
de l'or recueilli offrait une rémunération suffisante
aux orpailleurs ou chercheurs d'or.
Le procédé d'extraction était d'ailleurs des plus
simples ; l'orpailleur se bornait à tendre une pièce
d'étoffe de laine sur une large planche; puis cette
planche était inclinée vers la rivière et disposée
de manière à ce que le poil de l'étoffe se trouvât
tourné vers le haut de la planche.
L'orpailleur puisait ensuite de l'eau et du sable
dans la rivière à l'aide d'une forte sébile en bois
ou en corne, munie d'un manche solide. Il ver-
sait le tout sur la partie supérieure de la plan-
che : le sable roulait au bas de l'appareil, entraîné
par l'eau, tandis que les paillettes d'or, plus den-
ses, étaient retenues par les poils du drap de
laine.
Lorsque l'ouvrier jugeait que ce drap était assez
chargé de poudre d'or, il le brossait et faisait
tomber dans une autre sébile cette poudre, qu'il
vendait d'autant plus cher quelle était plus riche
en or pur.
La main-d'œuvre étant devenue très chère et les
sables aurifères de nos rivières contenant fort peu
de métal précieux, cette exploitation a complète-
ment cessé en France.
Mais elle se continue en Russie ,dans l'Oural)
et en Californie, où l'on rencontre des sables of-
frant une teneur en or beaucoup plus forte. Le
procédé d'extraction n'est d'ailleurs plus aussi pri-
mitif : les sables sont d'abord lavés pour être dé-
barrassés des matières terreuses qui les accompa-
gnent le plus souvent ; ils sont aussi séparés,
par le criblage, des cailloux qu'ils peuvent conte-
nir. L'or est ensuite enlevé soit à l'aide de la
fusion, soit pirVumnlyamation.
Le procédé de ïarnalgamatiou consiste à mettre
le sable aurifère en contact avec du mercure, qui
dissout l'or.
L'amalgame une fois obtenu, il n'est pas difficile
de séparer l'or et le mercure.
Pour extraire l'or des roches quartzeuses, on
brise et l'on réduit en poussière ces roches, à
l'aide de machines appropriées, qui opèrent en
même temps, non seulement le lavage de la pous-
sière aurifère, mais encore l'amalgamation du métal
précieux.
Ce procédé perfectionné permet aujourd'hui de
traiter avec avantage des terrains dont la teneur
en or est très faible (l kil. d'or par 4000 tonnes
de minerai), et la production annuelle atteint
le chiffre énorme de plus de 40 milliards de
francs.
Propriétés physiques. — L'or a une couleur
magnifique et caractéristique ; il acquiert par le poli
un éclat des plus vifs. Il est inaltérable par la plu-
part des agents chimiques, même par les acides
énergiques, tels que les acides sulfurique, azoti-
que et chlorhydrique. Parmi les métalloïdes, il
n'y a que le chlore et le brome qui l'attaquent à
froid.
L'or jouit d'une malléabilité et d'une ductilité
extrêmes. .Vussi l'on est parvenu à le transformer j
en feuilles d'un dix-mUliétne de millimètre d'é-
paisseur, et à le tirer en fil d'un diamètre si faible
qu'avec 1 gramme d'or on obtient 3000 mètres
de fil.
Par contre il n'est pas très tenace, car un fil d'un
diamètre de 2 millimètres rompt sous le poids de
08 kilogrammes.
L'or a besoin d'être allié au cuivre pour devenir
plus dur et résister davantage à l'usure résultant
de la circulation.
Il fond et se volatilise à la température d'environ
1200 à 1300 degrés.
Son poids spécifique rapporté à celui de l'eau
est de 1H,5.
Propriétés chintii/ues. — L'or a pour symbole
Au; son équivalent rapporté à 100 d'oxygène est
12'27,75 ; rapporté à 1 d'hydrogène il est de 98,18.
L'or ne se combine pas directement avec l'oxy-
gène, n'importe à quelle température ; néanmoins
il existe deux oxydes d'or, un protoxyde Au*0, et
un sesquioxyde ou peroxyde, Au-O^. On obtient
ces deux oxydes indirectement, le premier en pré-
cipitant le protochlorure d'or, Au^Cl, par une disso-
lution étendue de potasse, le deuxième en faisant
bouillir une dissolution de perchlorure d'or, Au-Cl^,
avec de la potasse en excès, et en ajoutant un peu
d'acide sulfurique à la dissolution.
Ces deux oxydes ne se combinent pas avec les
oxacides pour former des sels. Le protoxyde est
indifférent; le peroxyde joue le rôle d'acide lors-
qu'il est mis en présence des bases alcalines, telles
que la potasse. C'est ce qui le fait désigner encore
sous le nom d'aride aurique.
Parmi les oxacides, il n'y a que l'acide sélénique
et l'acide iodique qui puissent dissoudre l'or.
Les hydracides du chlore, du brome, de l'iode
et du fluor, additionnés d'oxacides peu stables, tels
quelesacides azotique, chlorique, bromique, etc.,
(lissolvent également l'or.
Mais le plus énergique dissolvant de ce métal
est l'eau régale, composée de quatre parties d'a-
cide chlorhydrique à "22° et d'une partie d'acide
azotique à 40^
L'or forme avec le chlore deux composés chi-
miques, le protoclilorure (Au"-Cl) et le perchlorure
(Au'-C13). Ce dernier, qui esi regardé encore par
certains chimistes comme un sesquichlorure, est
le seul composé chimique important de l'or.
On se procure le perchlorure d'or en faisant
évaporer la dissolution d'or obtenue à l'aide de
l'eau régale.
Il cristallise et se présente sous la forme de
paillettes; il est soluble dans l'eau et dans
l'éther.
La médecine l'emploie dans le traitement de
certaines maladies.
Il sert aussi à reconnaître les eaux qui renfer-
ment trop de matières organiques pour pouvoir
être employées sans danger comme boisson.
Usages de l'or. — L'or étant doué d'une très
grande malléabilité et d'une très grande ducti-
lité, se laisse docilement façonner suivant les besoins
de l'industrie et suivant les caprices du luxe le
plus exigeant. L'industrie en fait des vases, des
ustensiles, des bijoux, etc. Il enrichit les étof-
fes de soie et les divers articles de passemente-
rie, tout en rehaussant leur éclat.
A cause de son inaltérabilité par la plupart des
agents, tels que lair, le soufre, les gaz, etc., il
sert à recouvrir les autres métaux, comme le
cuivre, le laiton, l'argent, etc., qu'il préserve contre
les agents extérieurs, et auxquels il communique
son poli et son éclat.
Le bois, le carton, la porcelaine, etc., sont éga-
lement recouverts de minces couches d'or.
Pour appliquer l'or sur les autres métaux,
l'industrie a recours à divers procédés dont
les plus employés sont : 1° la dorure au mer-
cure ; 2° la dorure à la /feuille et au bouchon ;
o" la dorure par immersion : 4" enfin la dorure
gaU'Uiiiijue. Ce dernier procédé a remplacé tous
les autres i peu près complètement depuis 1840,
époque à laquelle il a reçu de remarquables per-
fectionnements de Mil. Elkington et de Ruolz.
(V. Galvanoplastie.)
Comme cela a été indiqué plus haut, l'or n'est
ORAGE
— 1457 —
ORAGE
■jamais employé snul ; il est toujours allié h une
certaine quantité de cuivre.
ï?L'ur lies monnaies françaises est un alliage de
000 parties d'or pur et de 100 parties de cuivre.
On dit pour cela qu'elles sont au titre de 0,900.
Les médailles d'or sont toutes au litre do 0,910,
les bijoux à celui de 0,7;)0. La loi reconnaît trois
aitres (0,920, 0,840 et 0,750) pour les autres ou-
vrages d'or (ustensiles et vaisselle).
Des agents de l'État sont chargés du contrôle
des objets d'orfèvrerie. L'épreuve se fait approxi-
mativement (10 à 20 millièmes près) à 1 aide de
la picriv de tourlœ, et d'une manière précise à
l'aide de la couiieUat'ioii. [J. Bousquet.]
OUACK. — Météorologie, XI-XII. — Trouble at-
mosphérique dont le caractère principal est fourni
par les manifestations électriques de l'air: éclair,
foudre, tonnerre.
Naturr (les orai/e^. — L'explication des orages
par l'électricité remonte à la découverte même de
cet agent, et la première étincelle tirée de l'ambre
par Wall fut immédiatement comparée aux éclats
<l9 la foudre. Mais c'est Franklin qui le premier
ifit connaître l'identité des deux phénomènes.
Dans les premiers mois de 1150, Franklin dévelop
état aqueux primitif, nuage, pluie ou neige. C'est
dans les régions intertropicales, là où l'évapora-
tion est le plus active et où la condensation est le
plus abondante, que les orages se montrent avec
le plus de fréquence et d'énergie. Les auroreu bo-
réales, qui ne sont que de grandes et silencieu-
ces manifestations électriques dans les régions
voisines du pôle, sont toujours accompagnées du
retour du courant équatorial vers ces hautes ré-
gions. Nos orag(!S, enfin, se produisent dans des
conditions analogues.
Electricité des nwiqes. — hi. plupart des nuages
sont électrisés positivement, comme l'atmosphère
au sein de laquelle ils se forment. Les nuages
électrisés négativement sont cependant très nom-
breux; ce fait est dû à plusieurs causes. Le sol,
soumis à l'ialluence de l'électricité positive de
l'atmosphère, s'électrise négativement sur tous ses
points en saillie. Les brouillards qui le recouvrent
pendant certaines nuits, puis s'élèvent le matin
dans l'ail- pour y former des nuages; le* nuages
qui naissent aux sommets des montagnes élevées
par la condensation des vapeurs qu'y apportent les
brises, sont généralement négatifs. Quand deux
couches de nuages sont superposées, la plus
pait, dans deux lettres adressées k P. Collinson, ses élevée est le plus fortement électrîsée ; l'électri
opinions sur l'origine de la foudre, et il décrivait ' ' '' ^ :.i-i-: -„r„..i.!., „ i,
l'instrument qui devait préserver les édifices de
ses atteintes, le paratonnerre. Il invitait en même
'temps les physiciens français à réaliser l'expé-
rience qu'il se proposait de faire lui-même sur un
■clocher de Philadelphie alors en construction.
Dalibart fut prêt le 10 mai I75'.', h Marly-la-Ville,
un mois avant que Franklin, impatient des lenteurs
■apportées à la construction du clocher, y substi-
tuât un cerf-volant iiu'il lança à l'approche d'un
■orage. Le cerf-volant réussit mal d'abord ; mais
une petite pluie fine étant survenue et ayant
mouillé la corde, celle-ci devint conductrice de
l'électricité et on put tirer de vives étincelles de
■son extrémité liée à un support isolant. Dalibart
avait suivi la première idée de Franklin : il fixa
dans un jardin situé au milieu d'une plaine élevée
cité positive du nuage inférieur, refoulée vers le
bas, s'écoule avec les premières pluies, et bientôt
ce nuage inférieur se trouve chargé d'un excès
d'électricité négative que l'influence y développe.
Les pluies sont donc chargées tantôt d'électricité
positive, tantôt d'électricité négative, comme les
nuages d'où elles s'échappent.
Quand deux couches de nuages inégalement
électrisées sont en présence, des éclairs peuvent
jaillir entre eux ; quand un nuage électrisé dans
un sens quelconque se rapproche de la surface
du sol, des éclairs peuvent encore s'en échapper
et venir foudroyer un objet terrestre. Mais il ar-
rive très souvent que des éclairs jaillissent de la
partie supérieure ou latérale d'un nuage entière-
ment isolé, mais surchargé d'électricité. Ces éclairs
sont généralement très ramifiés et se perdent dans
et sur un support isolé, une barre de Lt mètres les hauteurs.
■de hauteur et terminée par une pointe d'acier Sur terre et en rase campagne, le bruit dn ton-
poli. Au moment où des nuages orageux passèrent nerre peut être entendu à six ou sept lieues de
au-dessus de la barre, celle-ci s'électrisa assez distance, au plus, du point où part l'éclair. L'éclair
fortement pour donner de longues et brillantes au contr.iire, ou lillninination qu'il produit, peut
étincelles
Electrv'Até aiinosphcrique. — L'atmosphère est
constamment chargée d'électricité^ même pendant
les plus beaux temps, et les variations de cet
agent sont régulièrement observées dans les prin-
-cipaux observatoires du globe. On n'obtient géné-
ralement aucun signe électrique dans les lieux bas
■ou couverts par des édifices ou des arbres ; mais
dans les lieux môme incomplètement découverts,
ces signes commencent à se montrer i une petite
distance du sol et des objets qui le recimvrent, et
ils augmentent progressivement ;\ mesure qu'on
s'élève plus haut au-dessus de la surface terrestre.
Sous un ciel sans nuages, les signes électriques
«ont toujours positifs, c'est-à-dire que l'atmo-
sphère est chargée de l'électricité positive ou vi-
trée que le frottement de la laine développe sur
le verre; mais quand des nuages apparaissent, et
surtout quand la pluie tombe, même à plusieurs
kilomètres de l'observateur, les signes deviennent
le plus souvent négatifs. Sous l'influence des
nuages orageux, ils peuvent acquérir une très
grande énergie, tout en changeant rapidement de
sens.
L'origine de l'électricité atmosphérique est assez
mal connue; elle n'a pu être fixée par aucune
expérience directe bien concluante, et il est pro-
bable qu'elle est multiple. Une des opinions les
plus répandues la rattache k l'évaporation <le l'eau,
•et peut-être au retour de la vapeur formée à son
î* Partie.
être aperçu à une distance do trente ou quarante
lieues. De là les éclairs sans tonnerre, appelés
éclairs de chaleur: ils sont dus à des orages loin-
tains. , .
Formation des orafjes. — Les orages des régions
interlropicales, dans la zone équatoriale des pluies,
se forment généralement sur place, au milieu des
nuages produits par la condensation des vapeurs
de la nappe équatoriale ascendante. Ils y sont en
permanence, comme les nuages et les pluies, et,
comme eux, se déplacent annuellement à la sur-
face du globe à la suite du soleil.
Dans nos régions tempérées, les orages sont
beaucoup plus rares; ils sont loin d'accompagner
toutes les pluies ; mais on peut les entendre en
toute saison, en hiver comme en été, bien que
cette dernière saison soit plus favorable à leur
produciion.
Les brises ascendantes le long des flancs méri-
dionaux ou occidentaux des massifs montagneux
produisent des nuages locaux assez fréquemment
accomp Ignés d'orages également limités; mais le
plus ordinairement, les orages de l'Europe ont un
caractère plus général. C'est particulièrement sur
le parcours du courant équatorial et sur la partie
méridionale d'un mouvement tournant, plus ou
moins accentué dans l'air, qu'on les rencontre
(V. C.oumnls, Teinfidtrs). Ils parcourent donc à la
surface de la France des bandes plus ou moins
étroites et longues, se propageant quelquefois dos
ORAGE
— 1458 —
ORAGE
eûtes de l'Océan jusqu'en Belgique on en Allema-
gne. Cliuque dcparlement place leur origine vers
sa limite occidentale, alors que quinze ou vingt
départi_ment>. quelquefois, peuvent être traversés
non par les mêmes nuages orageux, mais par le
même groupe d'orages qui se succèdent ou se re-
laiejit progressivement.
Pendant l'été, et sur le trajet du courant éqiia-
torial, le plus faible mouvement tournant peut
faire naître des orages sur la partie méridionale
de son disque tournant, et les semer tout le long
de son parcours. Plus on avance dans la saison
froide, plus ce mouvement tournant doit être in-
tense pour provoquer de véritables orales.
Mais si les grandes manifestations électriques
sont ainsi provoquées par les bourrasi|ues tour-
nantes de I air dont le diamètre dopasse plusieurs
centaiiies de lieues, elles peuvent aussi provoquer
elles-mêmes des girations plus circonscrites et
dont l'énergie atteint quelquefois des proportions
redoutables. Ce sont les tromlies qui dévastent
le sol sur de longues bandes généralement très
étroites. Le mouvement de giraiion,de tourbil-
lonnement, qui caractérise tous les troubles de
l'atmosphère, étroits ou étendus, énergiques ou
faibles, est la conséquence directe du mouve-
ment de rotation de la terre sur elle-même, ce
qui produit leur généralité d'aspect et aggrave
leurs effets comme leur durée totale. C'est en
même temps aux circonstances de leur forma-
tion et de leur propagation que nous devons la
possibilité de les prévoir et de prévenir de leur
arrivée.
lirèie. — La grêle est un des fléaux les plus
redoutables des orages. Son mode de formation
est très obscur et très controversé. Pendant long-
temps on admit avec Volta qu'elle prenait nais-
sance entre deux couches de nuages supprposés,
électrisés en sens contraire et donnant lieu à un
va-et-vient rapide, de l'un à 1 autre, des grêlons
qui pouvaient ainsi grossir par dépots successifs
et acquérir des poids souvent considérables. Mais
des grêles redoutables se produisent même quand
il n'existe qu'une seule couche de nuages.
Par contre, il n'est pas de grêles qui ne soient
accompagnées d'une violente agitation de la masse
nuagHUSe, et trè? souvent elles marchent avec de
véritables trombes dont l'axe de rotation descend
jusqu'à la surface du sol. Il est probable que ces
trombes existent dans la région nuageuse alors
même qu'elles ne se font pas sentir jusqu'à nous.
Ces trombes, qui se produisent surtout (|uand la
température décroît rapidement dans le sens de
la hauleur, ont pour effet de mélanger brusque-
ment des massHs d'air d'inégales températures:
d'accroître encore le froid par la raréfaction de
l'air dans l'axe du tourbillon; de brasser violem-
ment les grains de neige, de grésil, de grêle, de
les entrecliO(|uer et de b'S souder les uns aux
autres. Ce sont les chocs des grêlons les uns contre
les autres qui produisent le bruit caractéristique
qui précède les nuages à grêle, et tous les obser-
vateurs qui se sont accidentellement trouvés au
milieu de ces nuages ont été témoins de la vio
lente agitation produite eu eux et dont l'appa-
rence est encore visible à de grandes distances.
Les grêlons croissent par dépots successifs d'eau
congelée à leur surface et par soudures de plu-
sieurs grêlons en un seul.
Fréqueniy; des mayi's. — Très fréquents et
même quntidiens dans les régions intertropicales,
pendant la saison des pluies, ils sont rares dans
les régions des alizés; ils reparaissent en de-
hors des tro|)iques, et leur nombre annuel dé-
croît progressivement à mesure qu'on s'appro-
che des pèles. Voici le tableau des nom lires
moyens des orages annuels dans diverses localités
du globe :
Sombre dejouv~ d'orage en année moyenne.
r.nlcutla 00 Padoue I7,î
Ilio Janeiro .'iO,6 Strasbourg 17
Marvland /,.! Toulouse 15,4
Martinique 39 Utrcthl 15
Abvssinie 38 Pari? 13, G
Guadeloupe 37 Leyde 1-2,5
Viviers (Ardèrhe) 34.7 Athènes il
Québec (Canada) 23,3 Polpéro(r.ornouaillcs). i»
Buenos Ayres 22,5 Pétersbourg 9,t
Denainvilliers (Loiret:. 20,6 Londres 8.3
Smvrne 19, Pékin 5,8
Berlin 18,3 Le Caire .3. S
[Marié-Davy.]
Hygiène, IV. — Toutes les actions chimiques,
mécaniques et vitales qui se passent dans l'inté-
rieur de la terre, à sa surface et dans l'atmo-
sphère, donnent lieu à des dégagements d'électri-
cité. Nous sommes donc constamment soumis à
l'influence de cet agent. Cette influence est encore
peu connue. Elle se manifeste principalement lors-
qu'il survient une perturbation dans les phéno-
mènes ordinaires.
L'instrument appelé élecliosi'ope * permet de
constater, môme dans les temps les plus calmes,
la présence de l'électricité dans l'atmosphère : au
point de vue de l'hygiène, on pourrait la con-
sidérer comme un de ses éléments constitutifs^
Cette électricité, comme celle des nuages, est
ordinairement pofitice, tandis que le sol est élec-
trisé nég'ilivement.
Notre corps, en contact avec le sol, sert d&
londucteur par lequel les deux électricités se re-
composent. Nous n'avons pas conscience de ce
passage continuel du courant électrique à travers
nos organes, lorsque l'énergie vitale est asser
forte pour dominer les causes légèn-s de pertur-
baiion. Mais dans certains états de faiblesse, do
langueur, et dans quelques maladies nerveuses,
nous devenons de beaucoup plus impressionna-
bles, et des changements presque insignifiants,
dans le mineu où nous vivons causent toute une
série de troubles variables, selon les individus.
On ne peut nier l'influence des temps orageux
sur l'organisme : mais pour apprécier la part de
l'électricité il faudrait expérimenter en dehors des
conditions ordinaires L'orage se complique tou-
jours de changements dans la pesanteur de l'air,
dans la température, la direction des vents, le
de;;ré d'humidité, etc., de sorte que les consé-
quences des temps orageux sont la résultante de
tous ces éléments combinés avec les variations
électriques. Pour Ihygiéniste, l'orage ou le temps
orageux consiste donc en un certain nombre de
perturbations du milieu qui réagi-sent les unes
sur les autres et impressionnent l'organisme hu-
main.
Sous l'influence des orages, les personnes mala-
des, nerveuses, éprouvent du malaise, de l'agita
tien, des douleurs dans la tête ou les articula-
tions. Les rhumatisants, les névralgiques, sentent
revenir d'anciennes douleurs ou augmenter celles
dont ils souffraient. La respiration devient difficile
pour les malades atteints de certaines affections
des poumons ou du cœur. L'exaceibalion des acci-
dents morbides amène prématurément une crise
fatale chez des malades qui auraient pu vivre
encore quelque temps.
Malheureusement nous sommes impuissants
contre ces perturbations atmosphériques qui mo-
difient et souvent compiomettent notre santé. Il
n'y a aucun moyen pratique de se soustraire à
l'influence des temps orageux, dpendant nous
pouvons beaucoup, par l'hygiène, pour nous pré-
munir. Rarement les gens sains, robustes, habi-
tués à la vie en plein air et menant une vie régu-
lière, ressentent les effets des orages. Par consé-
quent, tout ce qui contribue à préserver de l'étio-
lemeiit, du ttenushme, devient un moyen de se
ORAGE
l'i59 —
ORATEURS
préserver aussi des influences dépressives des
temps orageux. Contre l'orage nous ne pouvons
rien ; nous pouvons beaucoup pour nous rendre
insensibles à ses efTots.
La fouilie consiste dans la recomposition in-
stantanée de deux excès d'électricités contraires
soit entre deux nuages, soit entre un nuage et la
terre. C'est une étincelle électrique semblable à
celle que produisent noS appareils de physique,
mais de dimensions infiniment plus considérables.
Comme le fluide électrique parcourt l'atmosplière
plus viie que la lumière, l'individu foudroyé est
frappé avant môme d'avoir vu l'éclair. Quant au
tonnerre, ce n'est que le bruit incffensif produit
par un mouvement subit de l'air, répercuté par
les nuages, la terre, les édifices, les forêts.
Rien de plus variable que les effets du fou-
droiement. Quelquefois la personne atteinte en
est quitte pour une commotion plus ou moins ^
forte; souvent le choc seul suffit pour tuer instan-
tanément. On a vu des gens foudroyés conserver
l'attitude, le geste dans lequel la mort les a sur-
pris. On peut être tué par la foudre sans en être
touché; il suffit de se trouver à peu de distance
de son traj t : on succombe alors à l'asphyxie, ou
it ce que l'on appelle choc en retour qui produit
une conimoliiin analogue îi celle de la foudre.
Dans quelques cas la foudre ne laisse aucune
trace, mais le plus souvent on observe sur le ca-
davre des brûlures ou des plaies, les vêtements
sont brûlés, lacérés, dispersés. Les personnes
foudroyées restent d'ordinaire affligées de quebjue
infirmité : céciié, surdité, paralysie.
L'éclair est le plus souvent dirigé des nuages
vers la terre, mais on a vu des gens frappés par
un éclair ascendant, qui entraînait au sommet d'un
arbre ou d'un édifice des parties de leurs vête-
ments.
. L'usage de sonner les cloches poitr écarter l'o-
rage n'a pas encore disparu de nos campagnes. Il
importe donc de détruin^ ce vieux préjugé qui a
causé déjà bien des malheurs. L'ébranlement pro-
duit dans l'air par la cloche est sans doute négli-
geable, mais le métal est bon conducteur, il se
trouve dans un lieu élevé où s'accumule l'élec-
tricité terrestre, et par conséquent dans les
meilleures conditions pour attirer I électricité des
nuages et produire une étincelle. De plus, la corde
de la cloche, pour peu qu'elle soit mouillée ou
humide, de>ient un bon conducteur et porte l'é-
tincelle jusqu'au sonneur, qui tombe foudroyé. En
Bretagne, vingt-quatre sonneurs ont été tués ainsi
pendant la même nuit.
On prétend généralement qu'il est dangereux,
pendant l'nragn, de courir à pied ou à cheval, de
marcher contre le vent, de produire un courant
d'air dans les maisons. Il y a un fond do vérité
dans cette croyance populaire. La forme en zig-zag
de l'éclair nous prouve i|ue l'électricité suit dans
l'air les parties les meilleures conductrices. Or la
moindre perturbation suffit pour créer des cou-
rants plus ou moins conducteurs qui viennent
remplir le vide produit par un homme qui court,
par un courant d'air, etc. Si faible que puisse être
cette chance de danger, on fait bien de ne pas
s'y exposer.
La foudre frappe de préférence les lieux et les
objets élevés où s'accumule le fluide terrestre. On
doit donc éviter leur voisinage. Le plus sûr est
de rester tranquille en rase campagne, et d'éviter,
en tout cas, l'abri des arbres ou des maisons un
peu hautes. Rien ne justifie le préjugé populaire
qui attribue k certains arbres, tels que le hêtre, le
laurier, le bouleau, l'érable, une sorte d'immunité
contre la foudre.
Les accumulations d'hommes et d'animaux, les
clei)ôts de matières susceptibles de fermenter ou
de dégager des vapeurs, produisent des courants
ascendants bons conducteurs de l'électricité, qui
favorisent le passage de la foudre. Autant que
possible il faut s'isoler pendant les orages, s'éloi-
gner des groupes, des meules de foin et de paille,
dont la forme conique et l'élévation favorise d'ail-
leurs l'accumulation du fluide terrestre.
Les vêtements do lin et de coton, surtout s'ils
sont humides, conduisent assez bien l'électricité
et deviennent dangereux pendant les orages. Ceux
de laine et surtout de soie étant mauvais conduc-
teurs peuvent préserver daus une certaine me-
sure.
Dans les maisons, la suie des cheminées, le tain
des glaces, les dorures, les objets et ornements en
métal étant bons conducteurs, constituent un voi-
sinage dangereux pendant l'orage. Le mieux est
de s'isoler auiant que possible des murs, et môme
du sol. Pour cela, on pourrait interposer entre le
corps et le sol un support mauvais conducteur,
en soie ou en verre : le plus sûr serait de s'ntendre
dans un hamac suspendu par des cordes de soie
bien sèche; mais évidemment ces précautions sont
peu pratiques et le plus souvent superflues.
On a essayé avec succès de combattre les orages
en allumant sur tout un district des feux de paille,
de broussailles, etc., distants de 80 à 100 mètres."
Ce moyen mériterait d'être essayé en grand, car
on lui attribue la préservation de la foudre et de
la grêle.
Quant aux maisons, il n'y a qu'un moyen de les
préserver, c'est de les surmonter d'un paraton-
nerre établi selon les règles de l'art et soigneu-
sement e'itretcnu.
Les méfaits de la foudre sont incontestables,
mais on a essayé de la réhabiliter par compensa-
tion, en prouvant qu'elle rend aussi de grands ser-
vices : voici comment. Lorsqu'une étincelle élec-
trique passe dans de l'oxygène, ce gaz acquiert
une odeur et des propriétés spéciales, son pimvoir
oxydant est singulièrement accru et il peut servir
de désinfectant éner;;ique. Les premiers expéri-
mentateurs qui s'occupèrent de ce phénomène
crurent que l'étincelle électrique formait, dans
l'oxygène, un corps nouveau qui fut appelé ozone.
Le nom est resté, mais il s'agit simplement
d'oxygène électrisé.
Il y a dans la nature plusieurs sources d'ozone.
Vraisemblablement tout ce qui produit de l'élec-
tricité au contact de l'oxygène donne naissance k
de l'oxygène électrisé. On constate toujours sa
présence dans l'air. L'atmosplière des bois, prin-
cipalement des bois d'essences résineuses, est
riche en ozone, ainsi que l'atmosplière maritime.
La foudre en produit rapidement de grandes quan-
tités.
On a cru pouvoir attribuer k un excès d'ozone
l'exacerbalion de quelques maladies catarrhaies,
I mais le fait n'est pas prouvé, tandis qu'on peut
raisonnablement supposer, avec le vulgaire, que
les orages purifient l'air parce qu'ils accumulent
en un point donné une quantité d'ozone capable
d'oxyder et de rendre inoffensifs certains mias-
mes dangereux.
Il faut reconnaître, quant à présent, quo cet
agent modifie le milieu, le rend plus stimulant,
peut-être même le purifie, mais que son action,
favorable aux personnes bien portantes ou sim-
plement affaiblies, peut être irritante pour des
sujets atteints de certaines affections II serait
prématuré d'affirmer autre chose. [D' SalTray.J
onAlliUKS. — Littérature et style, IV. — Le
mot orateur, dans son sens primitif et étymo-
logique, orator en latin, rketor en grec, signifie
Il celui qui piirle. » Il s'est appliqué d'abord à
l'homme qui a pris la parole dans une assemblée,
qui a harangué une foule, sans qii on attachât èi
celte expression une idée d'habileté ou de talent.
C'est encore en ce sens qu'aujourd'hui on désigna
ORATEURS
— 1460 -
ORATEURS
par ce mot celui qui parle en public, bien ou mal,
qu'il soit député, sénateur, membre d'un conseil
municipal ou d'une réunion quelconque : « L'ho-
norable orateur a dit ceci », n le précédent orateur
pense cela. » Toutefois, dans son acception la
plus étendue et la plus élevée, le ternie d'orateur
sert à désigner celui qui possède un certain talent
d'élocution, naturel ou acquis par le travail, qui sa
sert ou qui est prêt à se servir habilement de la
parole en toute occasion et qui arrive parfois à l'é-
loquence.
Oii rattache d'ordinaire l'idée d'éloquence à celle
d'orateur. Cependant il n'existe pas entre elles une
connexité nécessaire et constante. L'orateur vise à
être éloquent, sans y réussir toujours. De môme, on
peut être éloquejit sans être orateur. On a défini
souvent l'éloquence le talent de persuader. Cette
définition estincomplète:elle nedonne pasl'idéede
cette llamme qui allume tout à coup les regards
d'un homme, qui lui faittrouver des accentschaleu-
reuxet émus, et qui communique à une foule la pas-
sion qu'il veut lui faire partager. L'éloquence est,
pour ainsi dire, intermittente. Elle éclate à certains
moments, et se soutient rarement dans toute la
suite d'un discours. Elle existe parfois dans une
phrase, dans un mot, dans un geste et peut se
trouver même chez l'homme ignorant et grossier.
Le vieux sanvage répondant aux Européens qui
voulaient le chasser de soji pays natal : « Dirai-jo
aux os de nos pères : levez-vous, et marchez de-
vant nous vers une terre étrangère! » prononce une
phrase éloquente. De même le centurion Virginias
brandissant le couteau avec lequel il a frappé sa
fille Virginie, et menaçant le décemvir Appius,
trouve des accents éloquents pour exciter le
peuple à la révolte. L'indignation et la douleur
paternelle animèrent ce jour-là sa parole. Ou l'eût
étonné en le saluant du nom d'orateur.
L'orateur, au contraire, s'est formé peu à peu
par le travail et l'habitude k l'usage de la parole.
L'étude et la réflexion lui ont appris à trouver les
meilleurs arguments pour porter la conviction
dans les esprits, à Irs disposer de la manière la
plus favorable, ejifin à les présenter dans les ter-
mes les plus propres à persuader et à charmer
ses auditeurs. S'il est réellement bien doué par la
nature, il rencontrera au moment opportun l'ins-
piration qui doit rendre son langage vivant et
animé, et l'enthousiasme qui conduit à l'élo-
quence.
De tout temps, il y a eu des hommes qui, sous
l'empire d'une émotion puissante, ont prononcé un
jour des mots ou même des discours éloquents.
C'est aux époques seules de culture intellectuelle
que l'on voit des orateurs. L'examen rapide que
nous allons faire des temps et des hommes remar-
quables par leur talent oratoire confirmera la jus-
tesse de cette observation.
Orateurs anciens. 1° Grecs. — Le peuple grec,
si heureusement doué parla nature, acompte de
tout temps des hommes diserts et habiles à parler.
Dans Ylliade et l'Odyssée d'Homère, toutes les
affaires se décident en conseil après délibération.
Ulysse et Nestor y occupent la première place, et
font prévaloir leur avis par la persuasion. Cepen-
dant les Grecs eux-mêmes ne leur donnaient pas
le nom d'orateurs. Ils ont réservé cette désignation
aux personnages d'une époque bien postérieure,
qui avaient perfectionné leurs dispositions natu-
relles par l'étude et la connaissance des règles de
l'art oratoire, qui n'ont pas été éloquents une fois
seulement, mais qui, dans toutes les circonstances
où ils ont ou à, parler, l'ont fait avec méthode et
avec habileté.
Périclès (né vers -iOi, mort en 429 avant notre
ère) est le premier auquel les anciens s'accor-
dèrent i donner le titre d'orateur. Il a longtemps
gouverné, par l'ascendant de sa parole, la Répu-
blique démocratique d'Athènes. On vantait entre
autres discours son oraison funèbre des soldats
morts pendant la première année de la guerre du
Péloponèse.
Il serait trop long d'énumérer ici tous les orateurs
qui ont brillé en Grèce au v' et au iv« siècle avant
notre ère ; nous nous bornerons à mentionner les
noms des dix orateurs attiques que les grammai-
riens d' .Alexandrie ont compris dans ce qu'ils ap-
pellent le Canon des orateurs classi(jiies.
Antiphonde Rhamnonte en .\ttique (mort en 411)
composa, le premier, des discours à prix d'argent
pour les orateurs politiques et les plaideurs dans
l'embarras. Il nous reste 15 discours de lui. —
Andocide, né à Athènes en 4GS, a laissé 4 discours
consacrés à ses propres afl'aires. — Lysias, né
h Athènes en 4.i9, mort en :i79, avait composé
2-33 harangues dont il nous reste seulement 'ii
consacrées h des causes judiciaires. — Isocrate ne
prit jamais la parole en public. Ce fut le maître
d'éloquence le plus renommé de toute la Grèce. Il
écrivit des discours que d'autres devaient pro-
noncer. Sur les 60 qu'on lui attribuait, 21 sont
parvenus jusqu'à nous. Il était né en 4 16 et mourut
en 338. — Isée, élève d'Isocrate et maître de Dé-
mosthène, a laissé 11 discours, qui sont tous rela-
tifs à des affaires de succession. — Lycurgue,
d'Athènes, né en 408,morten3"26, fut, au contraire,
un orateur politique. On a, avec quelques frag-
ments, un admirable discours de lui, une accusa-
tion dirigée contre Léocrate. — Hypéride, d'A-
thènes, mort en 3'.'2, prit une grande part, aux
côtés de Démosthène, à la direction des affaires
politiques d'Athènes, mais ses discours ont péri;
il ne nous reste que des fragments de l'oraison
funèbre qu'il prononça en l'honneur des guerriers
morts dans la guerre contre Antipater. — Dinarque,
né à Corinthe vers 360, s'établit de bonne heure à
Athènes, où il devint le chef du parti macédonien.
Il nous reste de lui trois discours d'accusation,
dont le plus remarquable est celui qu'il prononça
devant le peuple contre Démosthène, son adver-
«aire politique.
Les plus célèbres de ces dix orateurs attiques
sont les deux rivaux d'éloquence, Eschine et Dé-
mosthène. Eschine naquit à Cothoce en Attique
en 393, et mourut à Samos en 314. Il n'avait écrit
que les trois discours (|ue nous avons. Les anciens
les nommaient les trois Grâces. Bien qu'il sou-
tienne contre Oémosthène une cause funeste à sa
patrie, celle du roi de Macédoine, on admire la
grâce, l'abondance, le charme de sa parole. Tou-
tefois il est inférieur à son rival, qu'on s'accorde
à proclamer le premier des orateurs de l'anti-
quité.
Démosthène, né à Péanie en Attiqne en 385,
mort en 322, est la personnification de l'éloquence
grecque. Il prit part d'abord i dos luttes judiciaire»
pour arracher les débris de sa fortune à des tu-
teurs infidèles. 11 écrivit ensuite des plaidoyers
qui lui valurent beaucoup d'argent et commen-
cèrent sa réputation. 11 aborda ensuite la tribune
politique, après s'être proparé par de longs exer-
cices. Il ne réussit pas d'abord, mais à force de
persévérance, il parvint à vaincre sa timidité, et
une sorte de bégaiement qui gênait sa parole. Il
se fit le champion de la liberté de son pays, et
essaya de lutter contre l'influence et les intrigues
de Philippe, roi de .Macédoine. Celui-ci, rendant
justice à son adversaire, déclarait qu'il redoutait
plus un discours de Démosllione (jne toutes les
armées grecques réunies. 11 nous reste de lui 61 dis-
cours dont 3(1 sont consacrés à des causes judi-
ciaires. Les 31 autres sont relatifs à des affaires
publiques et ont été prononcés, soitdevant l'assem-
blée du peuple, soit devant les tribunaux appelés
à juger les causes politiques. Les plus célèbres
soiit les 1 1 harangues connues sous le nom de
ORATEURS
— imi —
ORATEURS
Phllippiques et dirigées contre le roi de Macédoine.
Mais le: chef-d'œuvre de l'éloquence de Démosthène
est le plaidoyer désigné sous le nom de Discours-
pour la couroiinn. Un ami de Démosthène, Ctcsi-
phon, avait proposé de décerner à Démosthène
une couronne d'or en récompense des services
rendus par lui i Athènes. Eschine accusa Ctési-
plion d'avoir proposé une mesure illégale, et atta-
qua la conduite politique de Démosthène. Celui-ci
défendit Ctésiphon et justifia sa propre conduite
par une longue harangue, que Cicéron traduisait
pour se former h. l'éloquence, et pour laquelle on a
épuisé toutes les formules d'éloges et d'admiration.
Eschine, vaincu dans ce débat, fut obligé de s'exi-
ler d'Athènes.
Avec Démosthène périt la liberté de la Grèce.
11 n'y eut plus après lui, sauf son contemporain
Démétrius de Phalère, que des avocats aussi obs-
curs que les causes qu'ils plaidaient.
2° Lcdina. — A Rome, tant que dura la République,
la parole fut toute-puissante au Sénat et devant
l'assemblée du peuple. Il y eut dès l'origine des
hommes éloquents. Nul doute que Brutus, le
vengeur de la chaste Lucrèce, n'ait atteint la vé-
ritable éloquence en excitant les Romains à chas-
ser les ïarquins de leur ville. Ménénius Agrippa,
qui apaisa une sédition en racontant au peuple
retiré sur le Mont Sacré l'ingénieuN apologue des
membres et de l'estomac, dut être aussi un haran -
gueur habile. Toutefois lalangue latine, longtemps
rude et presque barbare, se prêtait difficilement
k la grande éloquence. La tradition d'ailleurs
interdisait l'emploi de l'art oratoire dans les dis-
cussions du Sénat ; d'un autre coté, les harangues
agressives que les tribuns du peuple adressaient à
la multitude ne visaient ni à l'élévation du senti-
ment ni Jl la beauté de la forme. Aussi Cicéron,
qui s'est fait l'historien de l'éloquence romaine,
ne compte de véritables orateurs qu'à une épo-
que relativement récente.
Parmi eux, il place le premi'r Scipion Africain,
le vainqueur d'Annibal (né vers 235, mort IS4 av.
J.-C.) qui, accusé de concussion par les tribuns,
dédaigna do se défendre, et ejitraîna la foule der-
rière lui au Capitole pour rendre grâces au \ dieux
de la victoire de Zaïna. Caton l'Ancien ou le Cen-
seur (23-5-149), outre les nombreux ouvrages qu'il
avaitcomposés, avait laissécent cinquante discours
que Cicéron connaissait et dont il nous reste de
nombreux fragments. Son éloquence était pleine
de véhémence, de douceur, et mêlée de bonhomie.
Cicéron ne craint pas de la comparer à celle de
l'orateur attique Lysias.
Après Caton, le second Scipion Africain, qui
détruisit Carthage et mourut en r.'9, se distingua
par une éloquence simple et énergique. Les deux
Gracques, Tibérius Gracchus (mort en 133) et son
frère Caius Gracchus (mort en 121), furent des
tribuns ardents et passionnés dont la parole gé-
néreuse excitait plus tard l'admiration de Cicéron.
Mais ils ne nous sont connus que par des frag-
ments insuffisants. Nous n'avons rien ou presque
rien de l'orateur Marcus Antonius, né l'an 143,
mort l'an 87, de Licinus Crassus (140-91). de
Q. Hortensius, le rival de Cicéron (115-5U avant
notre ère). Nous savons seulement par le témoi-
gnage de Cicéron lui-même qu'ils avaient un
grand talent de parole, et qu'ils', ont été les ora-
teurs les plus éloquents de l'époque qui l'a pré-
cédé.
Cicéron, le plus grand orateur romain (né à Arpi-
nuin, l'an lOU.mort en 43av. J.-C), nous est connu
coinme écrivain par ses nombreux ouvrages do
rhétorique, de philosophie, par sa correspondance
volumineuse, et comme orateur par cinquante-six
discours qui nous dévoilent sous toutes ses faces
son admirable éloquence. Il se fit d'abord connaî-
tre au barreau, par ses plaidoyers, surtout par
ceux qu'il écrivit contre Verres, le magistrat pré-
varicateur de Sicile, et qu'on nomme les Verrincs.
Consul, il démasqua et combattit la conspiration de
Catilina par ses quatre Catilinaires. Enfin, après
la mort de César, il prononça, comme sénateur,
quatorze harangues principalement dirigées contre
Antoine, et qu'on a appelées P/iilippignes par une
allusion glorieuse aux discours composés par Dé-
mosthène contre le roi de Macédoine. Il n'est pas
possible d'avoir plus d'an, d'abondance, d'esprit, de
souplesse que n'en montre Cicéron dans ses œuvres
oratoires. Aussi a-t-il exercé une grande influence
sur la littérature romaine tout entière. Son nom est
devenu, même pour les modernes, synonyme d'élo-
quence. On l'a souvent comparé et presque tou-
jours préféré à Démosthène. Fénelon seul, au
xvii' siècle, mettait Démosthène au-dessus de lui.
Les modernes, plus sensibles àla valeur des idées
qu'au charme du style, semblent s'accorder à.
mettre en première ligne Dcmosthcne « à qui on
ne pourrait rien retrancher, o et à placer après
lui Cicéron, « à qui on ne pourrait rien ajouter, o
Aussi, contrairement à l'opinion ancienne qui ad-
mirait surtout les Verrinrs et les Catilinaires. plus
abondantes et plus fleuries, on leur préfère au-
jourd'hui les Philippiques de Cicéron, moins ornées,
où la préoccupation de l'homme politique lui fait
oublier plus souvent les artifices et les règles de
l'art oratoire.
Avec Cicéron finit l'éloquence politique à Rome,
comme elle avait fini en Grèce avec Démosthène.
Sous l'empire, il n'y eut plus que des avocats et
des rhéteurs. On cite, au i"' siècle de notre ère,
Quintili(>ii, Pline le Jeune. Pui^, bien que l'éloquence
soit cultivée avec passion en Italie, en Espagne, en
Gaule, on ne voit plus surgir de nom vraiment
remarquable. De nombreux orateurs plaident des
causes sans gloire, ou composent des panégyriques
sans conviction, où la médiocrité des idées n'a
d'égale que la faiblesse du style.
Ei.oijCENCE si-CKÉE. Eglise grecque. — Cependant,
avec le christianisme, un nouveau genre d'élo-
quence, l'éloquence sacrée, s'était introduit dans le
monde romain. On comprend sous ce nom les ser-
mons prononcés par les prêtres et les évêques.les
homélies, sermon d'un genre plus familier et plus
simple, les panégyriques des saints, et les orai-
sons funèbres des membres de l'Eglise. Les prin-
cipaux orateurs de l'Eglise grecque sont saint
Athanase, évoque d'Alexandrie (29ii-313) ; saint
Grégoire de Nazianze (3-.'8-3s9), archevêque de
Constantinople dont il nous reste, entre autres
œuvres, cin(|uanle sermons; saint Grégoire de
Nysse. né h Sébaste vers 33(i, mort vi-rs 400, au-
teur de nombreux sermons ; saint Basile, frère du
précédent, né vers 'i'id k Césarée en Cappadoce,
mort en 37», qui a laissé des sermons remarqua-
bles par l'élévation du style et la largeur des
idées; saint Jean Chrysoslome, ou «bouche d'or»,
dont le nom seul suffit à caractériser l'éloquence.
Il naquit à Antioche vers 344, fut patriarche de
Constantinople, et mourut en exil en 407. Il a
laissé un grand nombre d'homélies, de discours et
de panégyriques qui étincellent de beautés, malgré
l'époque de décadence littéraire à laquelle ils
appartiennent.
ICgli^e latine. —L'Eglise latine compte un moins
grand nombre d'orateurs sacrés que l'Eglise grec-
que. En ellct, la barbarie corrompit plus vite la
langue latine. En outre, les prêtres ont affaire à
des auditeurs plus grossiers, plus ignorants, qui
comprennent à peine la langue qu'on leur parle
et les enseignements religieux qu'on leur donne.
On cite cependant : saint Hilaire de Poitiers, né
vers 300, mort vers 307 ; saint Jérôme caractérisait
son éloquence impétueuse en appelant Hilaire le
Moise de l'éloquence /«(mi? ; saint Ambroise, évoque
de Milan (340-397). auteur de sermons et do
ORATEUHS
— 1.462
ORATEURS
traités qui font autorité dans l'Eglise; saint Jérôme,
né vers l'an 3.0 à Siridoii dans la Dalnialie, mnri
en 4'.'0, connu surtout par la traduction latine qu'il
fit de la Bible et qu'on nomme la Viilgate; saint
Paulin, évoque de Noie, né à Bordeaux en 3ô3, mort
en 431, sermonnaire et poète très remarquable ;
enfin saint Augustin, le plus éminent des pères d.;-
l'Eglise latine, né en 351 à Tagaste en Numidie,
mort évoque d'Hippone en 430; ses Cuiife^sions si
célèbres, de même que ses nombreux écrits théo-
logiques, no doivent pas faire oublier qu'il a été
l'orateur le plus éloquent de son temps; toutefois
son stjle, par l'affectation et les ornements de
mauvais goût, iraljit une époque de décadence et
de barbarie.
Oratcl'bs MonERXES. — Nous n'avons pas eu lieu
de partager en classes distinctes les orateurs an-
ciens. Le même liomme d'ordinaire brillait à la
fois au barreau et à la tribune poliiique. Il n'en
est pas toujours ainsi chez les modernes. Tel
avocat illusire n'a jamais abordé la politique. Tel
orateur éminent de la Chambre des députés n'a
jamais plaidé de cause au Palais de justice. ÎVous
partagerons donc ici les orateurs en trois grandes
classes : 1° les orateurs sacrés. 2" les orateurs ju-
diciaires, 3° les orateurs politiques. Nous dirons
ensuite quelques mois de l'éloquence académique
et de l'éloiuence militaire.
1° Orateurs sacrc's. — L'éloquence n'a pas man-
qué aux orateurs sacrés du moyen-âge, malgré la
barbarie et l'ignorance des temps où ils vivaient :
il suffit de citer, avec Pierre l'Ermite, qui prêche
la première croisade en lOyS, saint Bernard, né à
Fontaine en 10:»l,mort en 11.3; saint Thomas
Becket de Cantorbéry. 1119-ino ; saint Thomas
d'Aquin, 12-2:-l27i; Gerson, né près de Rethel.
en 13(i3, mort en I4'29, .'iqui on atiribue Vhnilaiion
de Jésits-Clirist. Les temps orageux de la Ligue,
au XVI' siècle, ont vu de nombreux orateurs, mais
qui avaient plus de passion que de charité chré-
tienne et d'éloquence.
Le premier grand orateur digne de ce nom est
saint François de Sales, né en I-6Î en Savoie,
mort en lt>.;2. L'an li.iri il prêcha le Carême dans
la chapelle du Louvre avec tant de succès
qu'Henri IV voulut le retenir et le fixer en France.
On vante encore Jean de Lingendes (1j'.15-1GG6),
aumônier de Louis XIU et auteur de sermons et
d'oraisons funèbres estimés.
Mais tous les noms dos orateurs sacrés pâlissent
devant les grands hommes nui illustrèrent le
iviie siècle, si fécond en génies de toute sorte.
Bourdaloue, né à Bourges (16.2-1704), com-
mença à prêcher à Paris en !■ 6». Il y obtint un
succès si éclatant qu'il futchargé dix ans do suite
de prêcher l'Avent ou le Carême de\ani Louis .\IV
et toute la cour. On goûtait surtout les portraits et
les peintures morales qu'il traçait dans ses ser-
mons; il en reste un grand nombre.
Bossuet, no à Dijon (Iti27-n(l4), fut surtout célè-
bre au xvii" siècle par les oraisons funèbres qu'il
a prononcées. Les trois plus remarquables sont
celles de la reine d Angleterre, de la duchesse
d'Orléans, et du prince de Condé. On appréciait
moins ses sermons qui, du reste, n'étaient pas
imprimés. Aujourd'hui qu'ils ont été publiés, on
les trouve aussi remarquables que ses oraisons
funèbres, et un met Bossuet comme sermonnaire
au-dessus même de Bourdaloue
Flécliier, évêque de Nimes, né près d'Avignon
en 1632, mort en i;iO, se fit connaître par des
«çrmons qui eurent beaucoup de succès, avant
de composer des oraisons funèbres. La plus belle
de ses oraisons, celle de Turenne, atteint souvent
l'éloquence, bien qu'on reproche à l'auteur un style
trop fleuri, et un abus des antithèses qui finit par
fatiguer. Il aécnt aussi des panéfjyriques des saints,
qui ne sont pas exempts des mêmes défauts.
Mascaron, évêque de Tulle, né en 1634 à Mar-
seille, mort en l70l, prêcha devant Louis XIV l'A-
vent de I6G6 et le Carême de lOU'.t. Il étHit très
goûté du roi malgré la hardiesse de sa parole. Il a
composé plusieurs oraisons funèbres, entre autres
celle d'Henriette- d'Angleterre, duchesse d'Orléans,
où il eut à lutter contre le souvenir de celle de
Bossuet, et l'oraison funèbre de Turenne, où il
égala, s'il ne dépassa pas l'oraison de Flécliier.
Son style est véhément et plein d'imag''S, mais il
n'évite pas toujours la subtilité et l'enflure.
Fénelon, archevêque de Cambrai, né au château
de Fénelon dans le Querry en 16 >l, mort en 171Ô,
a composé beaucoup d'ouvrages pour l'éducation
du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV,
entre autres le Téi.''ninqne. Il se livra toute sa vie
à la prédication et y obtint par l'onction et la
douce chaleur de sa parole les plus grands suc-
cès. Toutefois il écrivait rarement ses discours,
et ceux qui nous restent nous donnetitunc faible
idée de son éloquence abondante, familière et
persuasive.
Massillon, évêque de Clermont, né à Hyères en
1663, mort en 1762, écrivait, au contraire, ses
sermons avant de les prononcer. Il en a laissé plus
de cent. Les plus célèbres sont ceux du Petit €<•-
le'ine, ainsi appelés parce qu'ils furent prêches
pendant le Carême de 1717 devant le jeune roi
Louis \V ; le sermon sur l'aumône et celui sur lu
petit nombre rfe. élus sont les plus remarquables
par leur éloquence. Il prononça aussi l'oraison
funèbre de Louis XIV, qui offre de très grandes
beautés.
Après lui, l'éloquence sacrée n'offre plus au
xviii" siècle que des noms secondaires, malgré la
réputation du sermon sur l'Ecernité, prononcé i
Saint-Sulpice par le père Bridaiiie (17 11-176"), et
les 2.i6 missions que cet infatigable prédicateur
prêcha dans toute la France. Le cardinal Maury,
né près d'Avignon en 146, mort en ISI7, a com-
posé un Essai sur l'éloquence de la chaire, des
panégyriques et des sermons écrits dans une
langue correcte et facile, mais d'une éloquence
moyenne.
Le XIX' siècle a compté beaucoup de prédica-
teurs élégants et estimables. Deux seulement ont
montré un véritable talent, le père Ravignan, tié
à Bayonne en l';93, mort en ls58, et le père La-
cordaire, né dans la Côte-d'Or en 1802, mort en
1861.
Les prédicateurs protestants les plus célèbres
sont, en Allemagne, Luther, né en liS3, mor^ en
l.')4H ; Mélanchthon, son disciple, né en 14'i7 dans
le Bas-Palatinat, mort en 15fin. Calvin, né à Noyon
en Picardie en i.'.09,mort àGenèveen 564, a com-
posé beaucoup d'écrits, et prononcé des sermons
remarquables. En Angleterre, Sterne, né en 1713,
mort en 1768, s'était fait connaître par des ser-
mons avant d'écrire le Voijngi- ■■enti-i'ental ; on
vante beaucoup aussi les sermons de Hugues
Blair, né en 1718 à Edimbourg, mort en ISOO; ils
ont été traduits en français.
2° Orateur^ judiciaires. — L'éloquence judiciaire
ne remonte pas en France au deli du règne de
Louis XIV. Avant le progrès du gnùt amené par
les chefs d'œuvre de la littérature du xvii' siècle,
les avocats parlaient une langue barbare, héri-sée
de termes de droit et de citations latines. Ceux
qui eurent le plus de renommée sous Louis XiV
se ressentent encore des défanis de leurs prédé-
cesseurs, et ont une éloquence lourde et souvent
pédantesque. Tels sont Olivier Patru, né à Paris
en 1604, mort en 1681; Lemaislre, né à Paris en
1608, mort en 1658 ; Orner Talon, né à Saint-Quen-
tin en l.i9i, mort en I6:i2; l'avocat général Denis
, Talon, né en 1628, mort en 169s.
L'avocat Cochin, né à Paris en 1687, mort en
I 1747, ouvre brillamtnent le xvin' siècle, et mar-
i
ORATEURS
— 1463 —
ORATEURS
<jue un progrès réel sur ses devanciers. Il brillait
surtout dans l'improvisation ; aussi les plaidoyers
qui nous restent de lui paraissent-ils inférieurs à
sa réputation. Gerbier, né i Rennes en 172."), mort
«n n«8, surnommé l'aigle 'lu bat-renu, a peu écrit.
Ceux qui l'ont entendu ont fait le plus grand éloge
<ie SCS discours.
La Chalotais, procureur-général au parlement
de Bret.igne, né à Ucnnes en 1701, mort en 1785,
sn fit connaître par ses écrits contre les jésuites,
et par les mémoires justificatifs qu'il écrivit pen-
dant sa longue détention au château de Saint-
Malo. Ces mémoires ont de l'éloquence et oflrent
un vif intérêt.
On cite encore avec éloges Servan, né à Romans
en 1737, mort en 1807 : son discours sur la justice
criminelle exciia en 17(;fi le plus grand enthou-
siasme. Le président Dupaty, né à la Rochelle en
1744, mort en i;sS,est moins connu par ses dis-
£ourSj qui sont excellents, que par ses Lettres sur
l'ItiUie, ouvrage superficiel et ampoulé. Lally-Tol-
lendal, né h Paris en 1751, mort en 18;10, est célè-
bre par les mémoires qu'il écrivit pour obtenir la
réhabilitation de son père, moit sur l'échafaud
en nCG, et par le plaidoyer qu'il composa pour
Louis XVI; Malo^herbes, né i Paris en 1721,
mort en l79i, s'illustra surtout par le touchant
plaidoyer qu'il prononça à 72 ans pour Louis XVI
dont il avait été ministre.
Portails, né en Provence en 1745, mort en 1807,
6st moins comui par les éloquents discours qu'il
prononça contre Beaumarchais et Mirabeau, que
par la part importante qu'il prit à la rédaction du
Code civil. H eut pour principal collaborateur
Tronchet, né à Paris en 1726, mort en 18u6, qui
fut aussi un orateur distingué.
Dans le xix* siècle, les plus célèbres orateurs
judiciaires sont Lacuée, né à Bordeaux en nt>7,
mort en 182.i ; Borryer, né à Paris en 17!I0, mort
en 18G8, le défenseur du maréchal Ney, l'orateur
du parti légitimiste, et aussi célèbre par ses dis-
cours politiques que par ses plaidoyers; Dupin
aîné, né à Varzy eu 1783, mort en lS(i5, célèbre
comme jurisconsulte et comme personnage poli-
tique; Chaix d'Ëst-.\nge, né à Reims en IHOO, avo-
cat habile, fécond en ressources, mais qui n'obtint
pas, comme orateur poliiiiiue, les succès qu'il
-avait mérités comme avocat.
Le barreau compte de nos jours un grand nom-
bre d'avocats éniinents, mais leurs noms n'appar-
tiennent pas encore à l'histoire. .
Les avocats les plus distingués de l'Angleterre
contemporaine furent O'Connell, le célèbre agita-
teur irlandais, né en 177.5, mort en 1847, qui débuta
d'abord au barreau et y eut les plus grands succès
avant d'- se lancer dans la politique ; et Lord tirou-
.gham, né en 1)78 àEdinbourg, mort à Cannes ou
1868. Ses succès au barreau le firent nommer de
bonne heure membre du Parlement. La cause la
iplus célèbre qu'il ait plaidée est celle de la reine
Caroline, accusée d'adultère par le roi d'Angle-
terre Georges IV.
3° Orateur X puh tiques . — Malgrél'éloquence dont
Robert Miron, prévôt des marchands de Paris
-{mort en lli41), fit preuve aux Etais généraux de
iol4. malgré quelques orateurs dont la parole re-
tentit avec éclat dans des circonstances sembla-
bles, l'éloquence politique ne date réellement en
France que de la révolution de 178'.). Fénelon en
indi(|nait la raison dès I7l5. « Chez nous, toutes
les affaires publiques, dit-il, se décident en secret
dans le cabniel des princes ou dans quelque négo-
ciation particulière : aussi notre nation n'est point
.excitée à faire les mêmes efforts (|ue les Grecs
pour dominer par la parole. L'usage public de
l'éloquence est maintenant presque borné aux
jirédicateurs et aux avocats ».
Le premier et l'un des plus grands de nos ora-
teurs politiques est le fameux Mirabeau (Gabrie
Honoré de llic|uetti, comte do), né au Bignon près
do Nemours Cil 17 i9, mort en 17'JI.'i'out le monde
connaît les paroles éloquentes qu'il répondit h.
IVl. do Dreux-Brezé : » Allez dire à votre maître
que nous sommes ici par la volonté du peuple
et que nous n'en sortirons que par la force des
baïonnettes «.Cependant ses plus beaux discours,
même celui conirn la lianqueroule, perdent à la
lecture. Ils devaient, en effet, une grande partie
de leur valeur à la voix sonore de Mirabeau, b. son
geste véhément, h ses accents passionnés.
A côté de Mirabeau se placent son adversaire
l'abbé Maury, que nous avons déjJi nommé; Bar-
nave, né à Grenoble en 1701, mort en li'J2, dont
le plus éloquent discours e-t celui qu'il prononça
devant le tribunal révolutionnaire; Cazalès, né dans
la Haute-Garonne ; I752-I8U.'>) ; Meunier, né à Gre-
noble, |758-I8n6; Malouet, né à Riom en 1740,
mort en 1814. Ensuite vinrent les orateurs connus
sous le nom de Girondins : Vergniaud, le plus
éloquent, né à Limoges en 1759, mort en ITiiS ;
sa parole, moins ardente et moins passionnée que
celle de Mirabeau, avait plus de finesse et de pé-
nétration ; Guadet, né à Saint-Kmilion en 1758,
mort en 1793; Gensonné, né à Bordeaux en 1758,
mort en 1793; Brissot, né à Warville, près de
Chartres en 1754, mort en 1793; Isnard, né à
Grasse en 1751, mort en 1k3U; Louvet, né à Pa-
ris on 1764, mort en 1797.
Quelques-uns des adversaires des Girondins,
Danton, né à Arcis-sur-Aube (i7i9-l794), Robes-
pierre, né à Arras {1759-17:'4), et Saint-Just, né
à Decize {I76M-I791), avaient aussi un grand ta-
lent de parole.
Sous l'Empire, il n'y eut plus de tribune poli-
tique. Avec la Restauration, l'éloquence ri parut
dans nos assemblées délibérantes. Les orateurs
qui y montrèrent le plus de talent furent : le gé-
néral Foy, né ù. Ham en 1775, mort en 1825, qui
déploya à la tribune une éloquence remar-
quable, et la mit au service de la liberté et des
principes consiitulionnels; de Martignac, né SiBor-
deaux en 1776, mort en 1832, qui aurait sauvé
la Restauration sans le ministère Polignac ; Ben-
jamin Constant, né à Lausanne en 17B7, mort en
1830, chef de l'opposition au gouvernement de
Charles X; Royer-Cbllard, né a Sonipuis, dans
la Marne, en 176i, mort en 184.i, qui prononça
des discours admirables, notamment contro la
loi d'ainesse et la lui du sacriièye. ot obtint une
telle popularité qu'en 1827 sept collèges électoraux
l'envoyèrent spontanément à la Chambre des dé-
puiés.
Le gouvernement de Louis-Pliilippe a compté
aussi un grand nombre d'orateurs éminents qui
ont illustré la tribune française. Il suffira de citer:
Casimir Périer, né i Grenoble en 17; 7, mort en
1832, qui montra autant de talent comme orateur
que de décision et de fermeté comme ministre;
Guizot, né ft Nîmes en 1787, mort en 1874, dont
la parole élevée et hautaine sut maintenir une
majorité trop docile, pendant son long ministère
de Ik40 à 1848; Borryer déjà nommé parmi les
orateurs judiciaires; enfin Lamartine, né à Màcon
en 17;iO, mort en 1869. La révolution de I8:i0 avait
décidé le poète à entrer dans la politique. Son
rôle devint des plus actifs vers la fin du règne
de Louis-Philippe. Membre de l'opposition, il
contribua à amener la révolution de IS48 et fut
nommé au 2i février membre du gouvernement
provisoires Ses plus beau.x discours politiques da-
tent de cette époque.
Ledrii-RoHin, né à Paris en 1807, se fit con-
naître d'abord sous le règne de Louis-Philippe
par l'opposition ardente qu'il fil h son gouverne-
ment. Organe du parti républicain, il enllanimait
par sa parole les passions populaires. Il contribua.
ORATEURS
— 1464 —
ORCHIDÉES
avec Lamartine à préparer la révolution de 1848.
Mais ses qualités d'administrateur, de politique,
d'iiomme de gouvernement furent loin de ré-
pondre i son talent d'orateur.
Tliiers, né à Marseille en 1797, mort en 1877, a
dans sa longue existence montré les plus rares et
les plus grandes qualités d'orateur politique.
Journaliste, il attaqua avec vivacité le gouverne-
ment de Charles X, et signale premier la protes-
tation contre les ordonnances de 1830. Ministre de
Louis-Philippe ou membre de l'opposition de 183ii
à 1848, il ne cessa de prendre la parole sur les
questions les plus importantes. Rappelé au Corps
législatif sous l'Empire, il y prononça son fameux
discours sur Ipx iiOcrtcs 7iéce.'.-saires, qui eut un si
long et si durable retentissement. Enfin on connaît
le rùle parlementaire qu'il a joué depuis IS'^O jus-
qu'à sa mort. Son testament politique fut la lettre
qu'il adressait, après le coup d'État du IC mai 1876,
aux électeurs de son quartier, et que la France
entière lut avec admiration. Sa veuve publie au-
jourd'hui les discours de son illustre époux. Ce qui
caractérise l'éloquence de Thiers, c'est sa force de
persuasion. Sa parole simple, claire, limpide, son
art d'élucider les questions les plus obscures, ga-
gne peu à peu les auditeurs. Les convictions des
plus opiniâtres sont déjà ébranlées, lorsque
quelques accents élevés et patriotiques achèvent
de les entraîner.
En Angleterre, l'éloquence politique date du
xvjii" siècle et a offert d'éclatants modèles à nos
orateurs delà Révolution. Les plus célèbres sont:
lord Chatham, né en 1708 à Westminster, mort
en 1778; son plus beau discours est celui qu'il
prononça, presque mourant, dans le Parlement
anglais pours'opposer à ce que l'Angleterre recon-
niit l'indépendance des États-Unis ; son fils Wil-
liam Pitt, né en 1759, ministre à vingt-trois ans,
.mort en 1806, qui fut l'ennemi acharné de la
France pendant la Révolution, et ne cessa de diri-
ger par sa parole un Parlement indocile et las des
défaites répétées essuyées par l'Angleterre pen-
dant les guerres de la République; Fox, né à
Londres en 1749, mort en 18in, qu'on a surnommé
le Dcmosthène de l'Angleterre: il fut l'adversaire
et le successeur de Pitt ; liurke, né à Dublin en
nSO, mort en 1707, qui se distingua surtout par ses
Violentes attaques contre la Réuolution française.
Les orateurs anglais de notre époque sont infé-
rieurs en général .'i leurs devanciers. La parole
règne toujours dans les deux Chambres. Mais les
orateurs, ce qui vaut peut-être mieux, s'attachent
surtout à parler en hommes d'affaires ; leur langage
est simple, juste, quoique trop prolixe ; il n'a pas
l'envergui'e et les grands coups d'aile des orateurs
du xviii" siècle.
i° Eloquence acarlémirjue.—'Est-'ûbienutUe,apTès
ces grands genres d'éloquence, de parler de l'élo-
quence académique? On appelle de ce nom, dans
les traités de rhétorique, le discours que chaque
membre de l'Académie française prononce lorsqu'il
vient s'y asseoir pour la première fois, et le dis-
cours qu'on lui adresse en réponse. Cela ne con-
stitue pas un genre bien étendu. On y comprend
aussi les compositions littéraires mises au concours
par l'Académie et dont la meilleure obtient une
recompense. Mais il est rare que la même per-
sonne se livre plusieurs fois à ces compositions
annuelles, réservées plutôt à des jeunes gens qui
veulent se faire connaître. Par exception, lecélèbre
■i f"*^ Cî-î'-'-nsâ) concourut cinq fois au xvni"
siècle et remporta cinq fois le prix d'éloquence,
avant d'entrer à l'Académie française.
A l'éloquence académique appartiennent aussi
les éloges des membres défunts composes par le
secrétaire perpétuel de certaines académies. Deux
hommes seuls, remarquables par leur longévité,
ont eul'occasion d'en pronoiicerun graud nombre :
Fontenelle (1657-1757), comme secrétaire perpétuel'
de l'Académie des sciences, et M. Mignet, né à
Marseille en 1796, secrétaire de l'Académie des
sciences morales et politiques. Les Éloges de
M. Mignet sont des modèles d'élévation et de
style.,
5° Éloquence niilUaire. — L'éloquence militaire
aussi est un genre qu'on n'a pas souvent l'occasion
de pratiquer. Elle comprend les harangues et les
proclamations qu'un général adresse à ses soldats.
Dans la réalité, elle se borne à quelques mots
énergiques, et n'a pas les développements que les
historiens anciens lui donnent par une fiction
qui ne trompe personne. Cependant, on admire
avec raison les proclamations que Napoléon I"
adressait soit à l'armée, soit aux populations au
milieu desquelles il se trouvait. Elles enflammaient
ses soldats et étonnaient les peuples par leur-
grandeur et leur éclat un peu déclamatoire. Les
plus célèbres sont la premier.- proclamation à l'ar-
mée d'Italie, et les deux proclamations adressées-
l'une aux populations de l'Egypte, après la bataille
des Pyramides, et l'autre aux habitants de Vienne
en Autriche après la bataille de Wagram.
[Victor Cucheval.]
ORCHIDEES. — Botanique, XXV. — Etym. :
Le mot Orchidées vient du nom du principal genre
de cette famille, qui est le genre Orcliis, et le mot
Orcliis est lui-même un mot grec qui signifie-
pliinte liulhettse.
Défitiilion. — Les Orchidées sont des plantes
monocotylédones caractérisées par leur pollen ag-
gloméré en grosses masses nommées poUinies,
par leur embryon non différencié, par leur pé-
rianthe irrégulier et par leur androcée presque
toujours réduit à une anthère.
Caractères botaniques- — La graine des orchi-
dées se compose d'un tégument séminal mem-
braneux formé d'un seul rang de grandes cellules,
à parois généralement minces, plus rarement
épaissies sur leur face profonde, comme dans
la vanille; sous ce tégument séminal, on trouve
un embryon globuleux non différencié en axe, ni
appendice ; souvent le tégument sémijial de la
graine des orchidées semble s'étendre de chaque
coté du corps central de cette graine, comme une
sorte d'aile générale. Cette disposition a en vue
de faciliter la dispersion des graines ; seul, le genre ■
Vanille fait exception avec ses graines noires,
brillantes, lourd s et de consistance crustacée.
Lors de la germination, il s'écoule un temps très
long entre le moment où la graine est confiée au
sol et celui où l'embryon, en voie de germination,
déchire le tégument séminal. A cette époque, il
n'est pas encore possible d'indiquer le point de
végétation et, par conséquent, le sommet de l'em-
bryon. Bientôt, en un point absolument quelcon-
que de cet embryon, ou voit surgir une ou plu-
sieurs racines ; il n'y a pas là de racine principale
comme cela arrive habituellement chez la plupart
des autres plantes.
Les racines ordinaires des orchidées sont
aiivnlh'ef, c'est-à-dire qu'elles naissent en un
point absolument quelconque de la surface de la
plante. Elles sont cylindriques, arrondies à leur
extrémité, et offrent un aspect tout particulier.
Elles ne se ramifient jamais. On voit très fréquem-
ment plusieurs de ces racines adhérer entre elles
par un tissu parenchymateux ; on appelle ctado-
des de racines ces régions communes à plusieurs
racines. Si, comme il arrive souvent, un cladode
de racines devient le siège d'une hypertrophie
cellulaire et en même temps un magasin de ré-
serves nutritives, on le désigne, en botanique
descriptive, sous le nom de lubeccule diijilé.
Lorsque les racines adventives des orchidées
doivent vivre dans l'air, loin du sol, on les nomme
racines aériennes, et leur surface se recouvre
ORCHIDÉES
1165
ORIENT (EXTRÊME)
d'une enveloppe blancliàtre que l'on nomme ve-
lamen ; le velamen ]i'est autre chose qu'une pilo-
rliizo ordinaire qui ne subit pas d'exfolialion ; le
velamen est par conséquent un revêtement subé-
reux qui protège la surface de la racine. Dans un
petit nombre de plantes, ces racines aériennes se
cliargont de cliloropliylle et jouent ainsi partielle-
ment le rôle de feuilles.
La tige des orchidées est généralement assez
peu développée, rampante ou dressée, parfois
très grêle et se terminant par une hampe florale
nue. Dans un petit nombre de genres, chacun des
entre-nœuds de cette tige se renfle en un tuber-
cule d'une forme toute particulière. Ce n'est que
dans le genre Vanille que la tige présente un
très grand développement; mais, même dans ce
cas, elle demeure herbacée et conserve une struc-
ture très simple.
Les feuilles des orchidées sont engainantes,
entières, allongées, à nervures parallèles peu nom-
breuses ; ces feuilles sont, la plupart du temps,
presque radicales. Ce n'est guère que dans le genre
Vanille qu'on trouve les feuilles dispersées sur
toute la surface de la plante. Y,n approchant de
1 inflorescence, les feuilles se réduisent à l'état de
petites écailles.
La fleur des orchidées se compose d'un périan-
the hexaphylle dont les pièces fort dissemblables
les unes des autres sont disposées sur deux rangs.
L'une des pièces du verticille intérieur de ce pé-
rianthe prend un développement considérable et
une forme spéciale; on lui donne le nom de
labelle ; très fréquemment le labelle présente un
enfoncement ou éperon dans lequel est cachée
une glande dont le nectar a pour but d'attirer les
insectes qui doivent concourir à la fécondation de
la fleur. Les diverses pièces de la fleur sont insé-
rées au sommet de l'ovaire qui devient par cela
même infère. L'androcée ne comprend qu'une
seule étamine opposée au labelle, hypertrophiée
et adhérente au style qui surmonte l'ovaire ; cette
anthère est biloculaire; tous les grains de pollen
de chaque loge demeurent adhérents les uns aux
autres et forment ce que l'on nomme une pollinie;
très fréquemment chaque pollinie se prolonge en
une sorte de bec ou caudicule. En regard de l'an-
thère le siyle porte une glande ou rétinaele qui
produit une humeur visqueuse très adhésive ; cette
humeur se répand jusque sur les caudicules, et
s'y attache ; en séchant, elle se contracte, tire à
elle les pollmies, par l'intermédiaire des caudi-
cules et vient ainsi en aide à la déhiscence très
imparfaite des loges de l'anthère.
L'ovaire est uniloculaire, tricarpellé, et présente
trois placentas pariétaux bilobés qui sont chargés
d'une multitude d'ovules anatropes bitégnmentés.
Dans l'épaisseur des parois ovariennes, on trouve
parfois des glandes septales très développées.
L'ovaire est surmonté d un style court massif qui
se termine par un stigmate glanduleux très
grand et fortement courbé en forme de cuiller ;
la concavité de ce sligm.jte regarde vers le sol.
Dans la position ordinaii'C, le stigmate semble
placé immédiatement au-dessus de l'anthère.
Les pollinies sont transportées sur le stigmate
par l'intermédiaire des insectes hyménoptères.
La fleur d'un petit nombre d'orchidées difl'ère
quelque peu de celle que nous venons de faire
connaître : c'est ainsi que dans le Ci/pripedium, le
périaiithe et l'androcée ont une symétrie binaire
et un ovaire infère tricarpellé.
Le fruit des orchidées est une capsule déhis-
cente en trois ou six valves ; très souvent, dans
les orchidées de nos pays, les trois valves inter-
placentaires restent unies entre elles au sommet.
Pendant le développement du fruit et la formation
de la graine, on voit souvent les suspenseurs des
embryons s'étaler à la surface des placentas, pour
y absorber les matières nutritives que ceux-t
contiennent.
L'ensemble des caractères des orchidées nous
montre ces végétaux comme des types profon-
dément dégradés, et ce fait s'accorde parfai-
tement avec l'habitude, générale chez les plantes
de cette famille, do vivre soit comme plantes
humicoU", soit comme plantes èpiphytes. Un très
petit nombre d'orchidées sont franchement para-
sites : telles sont le Liniodorum, la Neottia nidus
avis; dans ces deux plantes, la chlorophylle est
remplacée par des cristalloîdes rouges. Certaines
orchidées sont tellement dégradées qu'elles ne
présentent jamais de racines ; telles sont le Cora-
lurhiza et VEpipogon.
Usages des Orchidées. — Los plantes de la fa-
mille des orcliidées sont très recherchées Ji cause
de la bizarrerie et de la beauté de leurs fleurs,
qui ressemblent tantôt à un papillon, tantôt à une
abeille, tantôt à un singe, etc. Leur culture de-
mande le plus ordinairement la serre chaude et
des soins assidus; elle est devenue en Angleterre
et en Belgique l'objet d'une véritable passion. Les
célèbres horticulteurs Veitch et Linden entretien-
nent à grands frais des voyageurs dans les ré-
gions tropicales du globe pour y recueillir spé-
cialement les orchidées. Aussi Linné, qui, au
milieu du siècle dernier, ne connaissait qu'une
douzaine d'orchidées exotiques, pourrait-il lire au-
jourd'hui, sur les catalogues des horticulteurs an-
glais, les noms de 3 500 espèces de ces végétaux.
Parmi les orchidées, peu nombreuses, qui
sont utiles à l'homme, nous citerons :
1° Les Vayiilles. C" sont des plantes sarmen-
teuses qui croissent dans les régions chaudes et
humides du Mexique et de la Guyane. La culture
les a acclimatées dans les Antilles, au Brésil, et
dans l'Ile lUaurice. On les cultive pour leur fruit.
Ce fruit est une capsule longue, noire, dont les
graines globuleuses, coriaces, fort petites, sont
plongées dans un tissu placentaire qui sécrète
une huile balsamique à laquelle est dû le parfum
délicieux du fruit. La vanille est employée dansia
préparation de quelques mets délicats. La variété
la plus estimée est celle qui vient de l'île Bourbon.
Conservée dans un endroit sec, elle se couvre de
cristaux blancs d'acide benzoique. La vanille du
Mexique, qui est la plus commune et la moins par-
fumée, est connue dans le commerce sous le nom
I de vanilbm.
1 2" L'Affrecum fragrans ou Faham, originaire
j des lies Mascareignes. Les feuilles de cette plante
sont vendues sous le nom de thé de Bourbon ; elles
' ont une saveur amère et une odeur de fève tonka.
I 3" Les Orchid, qui produisent un p<;tit tubercule
I dont on extrait une fécule très légère connue
sous le nom de salep. Le salep nous vient de
l'Asie-Mineure et de la Perse. Bien que les es-
pèces qui produisent le salep soient indigènes
dans l'Europe centrale, ces plantes n'y sont pas
assez abondantes pour y permettre la fabrication
directe de cette fécule.
Le sijlep se mange cuit comme le tapioca ou in-
corporé au chocolat. [C.-E. Bertrand.]
OuiaiXE. — V. Ouï?.
OKfiANISÉS (Klres). — 'V. Règnes.
ORlE.\T (KXTItÈ.Hlî). — Histoire générale, I.
— L'extrême Orient comprend les deux empires
de la Chine et du Japon.
Chine. — Les Chinois font remonter leur anti-
quité à 81600 ans avant leur ère historique. La
Chine était alors gouvernée par des dieux, puis
par des souverains descendant des dieux, tels que
Fu-Iii, Chin-Noiinij et Yao, auxquels on attribue
l'invention du feu, des maisons, de l'agriculture,
t des arts et métiers, de la médecine, do l'écriture,
\ du calendrier, etc. L'époque historiiiue commence
I en 2(i'J8 avec le règne de Hoang-Ti, que les Chi-
ORIENT (EXTRÊME)
1466 — ORIENT (EXTRÊME)
nois regardent comme leur premier législateur.
En 22(i5 l'empire, éli-ciifjusqu'alors, devient liéré-
ditaire, et Yu fonde la dynastie Hia, qui règne jus-
qu'en n(:6. Le dernier empereur de cette famille,
Li-Koué, déposé à cause de ses cruautés, fut rem-
placé par Tchinfj-Timg qui fonda la dyjiastie
Chang (IVQ-WTi). Celle des Tclicou lui succéda
«t occupa le trône jnsqu'en 24". Son fondateur,
Wou-Wang, fit rédiger le Thcou-li, recueil de lois
politiques et sociales déjà existantes et suivies en-
core aujourd'hui. Sous le règne do Liiig-Ncuig na-
quit Confucius (55I-4';9). La dynastie des Tcliéou
fut renversée par l'usurpateur T/isin. qui mit un j
peu d'ordre dans l'empire morcelé et bouli-versé,
et qui fonda une dynastie nouvelle i2ilj-i9';;, la-
quelle donna son nom à l'empire : Thsina. Chine.
lin des successeurs de ïhsin, Chi-Hoang-Ti. éleva,
vers 214,1a grande muraille contre les Hiong-nou
(Huns). On dit que, pour se délivrer des impor-
tunités des hauts fonctionnaires qui à son auto-
rité opposai. ut les traditions, il fit brûler tous
les livres relatifs aux mœurs et à l'histoire de la
Chine. A la dynastie des Thsin a succédé celle des
Han'àa 197 av. J.-C.à 2vOap. J.-C.) Sous les llan,
la Chine eut des rapports officiels avec l'empire ro-
main, qu'elle appelait Taï-Tsin et où elle éiait
■connue sous le nom de Sénque 'pays de la soie).
Une ambassade chinoise s'arrêta, en revenant,
dans l'Inde, et en rapporta lu religion de Bouddha
(le F6 des Chinois).
Après les Han, la Chine, livrée aux discordes,
se divisa en deux empires : celui du Nord formé
par une invasion de Tartares, et celui du Sud.
En 589, la dynastie des Soui monta sur le trône
€t réunit les deux empires. Celle des long lui
succéda (617-90") et fut très brillante. Sous'cotte
dynastie, la Chine étendit sa domination, par force
ou par soumission volontaire, sur la Corée, le
Japon, le Tliibrt, le Turkestan, la Mongolie, le
pays des Mandchoux, le Toiikin, le Cambodge,
la Cochincliine, Siam, Hainan et Formose. Elle
prit pour capitale Signan-fon. Après les Tang,
les troubles éclatèrent de nouveau et les dynas-
ties se succédèrent rapidement,; la deuxième
dynastie des Song se maintint plus longtemps
(990-127:')- Sous son règne, le Nord do la Chine
fut envahi par les Tariares , les empereurs n'en
conservèrent une partie qu'en se soumettant à
un tribut; ils durent transporter lenr résidence
& Hang-tchou-fou. Délivrés un moment par les
Mongols sous la conduite de Gengis-klian qu'ils
avaient appelé, ils furent bientôt les victimes
de leurs alliés. Gengis khan conquit la Chine
par deux victoires et fit périr l'empereur avec
tous les membres de la famillj des Song. Son
petit fils Kublal Khan, connu en Chine sous le
nom do ThiTsoii, fonda la vingiiènie dynastie
chinoise, celle des A/o^o/s ou Vefi I I2fy-13^.>), qui
administra sagement l'empire. Sous le règne de
cette dynastie, les missionnaires et les voyageurs
européens pénétrèrent dans la Chine, connue
alors en Eui'ope sous le nom de Cathay. Le plus
illustre d'entre eux est Marco Polo. Avec icluiu
ou T'.ï-Tsung l<^', monta sur lo trône la dynastie
nationale dés Ming (13t)8-i6'i4 . Les Européens
commencèrent, pendant cette période, à entretenir
des relations suivies avec l'empire; les l'ortugais
s'établirent ,\ Macao (1522), et le jésuite Mathieu
Ricci fonda des missions avec assez de succès
(1583 . La dynastie aujourd'hui régnante, celle
des Tnl-isiug ou des Tariurps-Mand,:hou.T, a été
imposée à la Chine par la conquête (lG4i). Elle
a déjà donné à la Chine sept empereurs, dont le
dernier, Clii-sang, est monté sur le trône en ISGI.
Ces princes ont conquis la Mongolie, Formose,
le Thibei, le Kaschj;ar, la Dzoungario ; ils ont
introduit, dans l'empire , lo faste et la servi-
lité des royaumes orientaux, mais ils n'ont rien
changé à l'administration plusieurs fois séculaire.
A la fin du .wur siècle ont commencé les démê-
lés qui durent encore entre l'Europe et la Chine.
L'Angleterre profita la première dos mauvais
traitements exerces contre les Européens pour
prendre pied dans l'empire. Les ambassades de
lord Macartney (i:U2)et de lord Amherst (IS02/
n'eurent point de résultats, et en I8!5 tous les ca-
tholi(|ues furent chassés ; les missionnaires de
Pékin eurent le môme sort en I82N. Le privilège
de la Compagnie des Indes ayant ces^é en 1834, le
gouvernement anglais ne craignit plus de se voir
fermer le port de Canton sans intervention possi-
ble, et, désormais seul chargé de protéger son
commerce, il chercha une occasion de commencer
les hostilités, La Chine l'offrit bientôt. L'empereur
s'émut des effets de l'opium introduit en grande
quantité malgré sa prohibition, et de l'exporlation
de l'or et de l'argent donnés seuls en paiement.
Les commerçants européens furent retenus pri-
sonniers jusqu'à ce (|u'ils eussent livré leurs car-
gaisons d'opium : la guerre commença (I8:i9). Les
Anglais bombardèrent Canton et arrivèrent jusqu'à
Nankin. Une convention signée dans cette ville
(1812) mit fin à la guerre de l'' pium et imposa aux
Chinois la légalisation du commerce de l'opium, la
cession de Hong-Kong à l'Angleterre, une indem-
nité de loi millions de fr. et l'ouverture des cinq
ports conquis au commerce européen. M. deLagre-
née, représentant de la France à Canton, entama à
son tour des négociations et, de sa propre autorité,
imposa a la Chine le traite de Vampora (1841), qui
donnait à la France les avantages du traité de
Nankin, permettait aux Chinois d'embrasser le
christianisme et prescrivait la restitution des
églises bâties depuis i'iTl qui n'avaient pas en-
core été converties en pagodes. La France obtenait
en outre un acte officiel lui donnant le droit de
faire des réclamations.
Pendant cette période d'embarras, la secte des Né-
nufars, ayant pour but de placer sur le trône une
dynastie n^tiojiale, fit de rapides progrès et abou-
tit à une révolte. A la voix des I clvmg-mao ou re-
helles aux longs c/ieyeii.r, les populations se soule-
vèrent; en mars lS.i3, Nankin tomba entre leurs
mains et l'empereur des rebelles proclama l'ou-
vertured'une ère nouvelle, celle de la ('•ron le-Paix
ou Tai Ping II s'empara ensuite d Emouy et de
Shang-Haî. Une nouvelle guerre avec l'Europe,
dont nous parlerons tout à l'heure, empêcha le
gouvernement de diriger toutes ses forces contre
les insurgés: toutefois, attaqués, après les truites
de ISUl, par l'armée franco-anglaise, ceux-ci ont
perduNankin ctShang-Haî,mais ilsrestaientencore
maîtres, en 1878, d'une partie des provinces cen-
trales. La révolte du Turkestan amena la sépara-
tion de ce pays d'avec l'empire (1873), celle des
Chinois musulmans ou Pamis (IS75) vient enfin
d'être apaisée.
En I8j(i, les Anglais, profitant des einbarras du
gouvernement chinois, et s'api'uyanl sur une
prétendue insulte faite à leur pavillon, reprirent
la guerre avec l'alliance de la France. Canton
fut pris; l'armée franco-anglaise remonta le Pé-ro
(Pei-ho) jusque près de Pékin (IS:i8). Les traités
de Tien Tsin et la convention commerciale de
Shanghaï ouvrirent aux Européens les cinq nou-
veaux ports de .Niou-Cliouang, Teng-Tchéou,
Souatan, Thai-Ouan, Kioung-Tchéou, cédèrent' à
la Russie le territoire de l'Amour qu'elle avait
occupé en 18.i5, consacrèrent la résidence perma-
nente à Pékin d'ambassadeurs européens, et
fixèrent les droits de douane à 5 p. 100 de la va-
leur dos marchandises importées ou exportées ; la
taxe fut abaissée pour la soie et le thé, 1 interdic-
tion du commerce de l'opium fut levée. Mais lors-
qu'on 1859 les envoyés français et anglais se pré-
sentèrent aux bouches du Pé-ro, l'entrée leur en
ORIKNT (EXTRÊME) - 1^67 - ORIENT (EXTRÊME)
futrfifusôe; la guerre recommença (rSGO). L'armée
n-anco anglaise s'empara de l'ije de Cliusai), et,
après lecombat de Peli-Tang. des forts de Ta-Kou ;
elle marrlia ensuite jusqu'àTong Tcliéou, à II. ki-
Inmèircs de Pékin. Pendant que le gouvernement
cliiiiois amusait les ambassadeurs par des négo-
ciations, l'armée européenne fut attaq\iée, i l im-
proviste, par les Tarlares, près de Tcliang Kia-
Wang, mais, victorieuse au pont de Pa-li-Kau.elle
entra 'il Pékin. Les traités y furent signés. Ils
cunfirn.èient ceux de Tien-Tsin, donnèrent une
indemnité de 60 raillions à la France et à l'Angle-
torre, restituèrent aux chrétiens tous les établis-
sements religieux, et ouvrirent au commerce eu-
ropéen trois nouveaux ports: Tien-Tsin, Tcliing-
Kiang, Han-Kéou. Un ministère des affaires
étrangères fut créé en I8GI, et les ambassadeurs
français et anglais s'établirent dans la capitale. A
la mort de l'empereur, le prince Kong, son frère,
qui avait signé les traités, s'empara du gouverne-
ment malgré le conseil de régence, et prit la tutelle
de son neveu Clii-Sang, âgé de sept ans. Depuis
cette époque, les fonctionnaires de l'empire se
divisent en deux partis : celui de la résistance et
celui du progrès ; les progressistes veulent em-
prunter à l'Europe ses armes perfectionnées son
instruction scieniilique, son organisation militaire,
ses engins de défense, afin de préserver la Chine
d'une nouvelle attaque et d'une ruine imminente;
le parti de la résistance, qui veut, avec un patrio-
tisme moins éclairé, conserver intactes les mœurs
nationales, est en minorité, et, grâce à l'appui du
prince Kong, les progressistes ont commencé avec
succès la réalisation de leurs projets. Un arsenal
et une école de marine militaire ont déji été fon-
dés èi Fou-Tcliéou.
Les Chinois appartiennent h la race jaune et à
la famille indo-sinique ; ils ont le visage large,
les yeux noirs, petits et relevés vers les tempes,
la bouche et le nez petits, les pommettes saillan-
tes, le teint jaune, les cheveux noirs et légère-
ment crépus Ils n'ont pas de barbe. Les Chinois
sont doux et polis jusqu'à l'obséquiosité, mais
aussi fourbes, poltrons et ■lains. Leur langue ap-
partient à la famille des langues monosyllabiques,
elle n'a ni genre ni nombre; elle comprend la
langue officielle ou langue mandarine, et un grand
nombre de dialectes ; ceux-ci ne sont point compris
lorsqu'on les parle hors de leurs provinces respec-
tives, mais la langue écrite est. comprise partout.
L'écriture chinoise se trace de haut en bas; elle
compte 3fi185 caractères, outre 12'i lettres-mères
servant à former les autres.
Les Chinois qui veulent arriver aux fonctions pu-
bliques sont astreints à des examens destinés à cons-
tater leur degré d instruction. Les bacheliers ont le
monopole de l'enseignement, peuvent porter le bou-
ton d'<ir sur leur chapeau et de\eniT inrindan?is,
titre que portent seuls ceux qui remplissent une
fonction publique. Les mandarins forment doux
classes : les muniarins civils ou /"Itrés, et les mun-
dariyis miidai'-'-s.On dislingue, dansle mandarinat,
un certain nombre de grades. Le plus liant, celui
" •iid''mii:ie-n (kan-lin), s'obtient après une épreuve
d'à
dont l'empereurlui-même est le juge suprême.
Trois religions se partagent la Chine: la religion
d'Yu. qui est celle de l'Etat et des lettrés, établie
par Confucius; le Tao-tse (ou la Raison primi-
tive', doctrine enseignée par Lao-tseu, et le culte
de Fô ou le Bouddhisme.
Les Chinois sont très indifférents en matière de
religion ; les sectateurs des deux premières reli-
gions surtout sont le plus souvent libres-penseurs ;
néanmoins la prati(|ue de leur religion est un
grand moyen de conserver leur ascendant sur le
peuple allaclié aux superstitions les plus gros-
sières. Les I\oui-tz; (Ouigours), incorporés Ji l'em-
pire auxviis siècle, sont restés musulmans et sont
assez libres. Les juifs, au nombre d environ .>() 000,
pratiquent librement leur culte. Le christianisme,
intruduit par les Nostoriens, au vu' siècle, et pro-
pagé plus tard par les jésuites, au xvii« et au xviii
siècle, s'est heurté à l'indifférence des Chinois et
aux persécutions du gouvernement; les efforts
des missionnaires n'ont réussi qu'à conserver à
peu près intact le nombre des familles converties.
Les Chinois se divisent en quatre classes : celle
des lettrés ou de la noblesse, dans laquelle on peut
entrer après avoir subi trois examens publics;
celle des agriculteurs, celle des industriels et
celle des commerçants. Les maîtres de maisons
de jeu, les acteurs, les coiffeurs et les bateleurs
sont exclus des fonctions publiques. .
Le gouvernement chinois est une monarchie
absolue, héréditaire sans ordre déterminé dans la
ligne masculine. Le piince, Fils i/n ciel, réside à
Pékin, et à Djé liol en été. Il a pour conseil les
Ts ise-SiaiiO', mandarins nommés par lui. Ce con-
seil dirige neuf départements : Hnat'ons •■vec les
pans Iribu' aires , intà-iew\ finances, cul le, guerre,
justic, trnvnnx pubbcs, extérieur, censure. Les
provinces gouvernées, deux par deux, par un
[soni-Tho'i, ont chacune un gouverneur gênerai
ou vice-roi appelé T^ong-Konan. Chaque ville de
premier ordre est gouvernée par un kouan fou
qui dirige, en même temps, un ceriain nombre de
villes de deuxième ordre. Les villes du troisième
ordre sont sous l'autorité d'un mandarin Les
bourgs ont un Tso-Thnng, et les villages (Paô) un
Yû. Ces lonctionnaires sont amovibles, nommes et
rétribués par l'empereur, sauf le Yù qiii est
nommé par le mandarin et non rétribué. U n y a
ni classes privilégiées, ni places héréditaires. Cha-
que province doit envoyer à Pékin une redevance
en nature et en espèces. Les bureaux de douane,
très nombreux, prélèvent les droits sur les raar--
chandises. Tous les hommes de 2U à CO ans paient
une capitation. Il n'y a pas de monnaies d or ou
d'argent ; le commerce se fait par lingots dont l u-
nité de poids, variable selon les provinces est le
lue ou liang (37 grammes .,), ou par feuilles de
métal ou par papier. 11 n'y a qu'une monnaie de
cuivre, le safiéqw^ achi-n, dont la valeur, sujette
à des variations, est d'à peu près l/-' centime.
L'empereur ne paie que ses mandarins, ses sol-
dats et son sérail ; chaque province lève ses contri-
butions et se suffit à elle-même. L'armée s élève à
peu près à un million d'hommes avec l'arrière-ban.
Elle se compose de l'armée tartare et de l'armée
chin .ise. L'ai mée tartare, la moins nombreuse, mais
la plus solide, comprend lecontingentregulieretle
contingent irrégulier. Le premier, qui se rapproche
le plus de notre armée permanente, comprend tous
les hommes valides de la race tartare-mandchoue et
garde les places fortes. Quand il est appelé à mar-
cher, ce qui n'a lieu qu'à la dernière extrémité, il
reçoit une solde régulière partie en espèces, partie
en nature; ses généraux \Tch'im i-kui) sont tar-
tares-mMidchoux. Le contingent irreguher est com-
posé des Tartares-Mongols disséminés sous les
ordres des différents petits princes, et se divise en
huit bannières. Les Tartares-Mongols vivent dans
leur patrie et ne marchent qu'à l'appel de 1 empe-
reur. L'armée chinoise, composée de volontaires,
est répartie dans les dix-huit provinces de la
Chine. Chaque soldat est enrôlé dans sa province
et ne sert qu'une partie de l'année. Le chiffre
de l'effectif est très variable ; la discipline presque
nulle. Los grades sont donnés au concours. Les
armes étaient l arc et litlèche; le fusil tend de plus
en plus à s'y substituer. La marine militaire
compte environ son bâtiments, et 5 0 lO hommes,
commandos par deux amiraux. — L'agriculture, éle-
vée, par les lois et les coutumes, au-dessus des
auti'-es professions, est très développée ; ses pro-
duits sont les légumes, le colon, le thé, le mûrier,
ORIENT (EXTRÊME) — 1468
ORIENT (EXTRÊME)
le tabac, l'indigo, la canne à sucre, le riz, le blé,
le maïs, l'avoine, la vigne. Le gouvernement pro-
page des notions sur l'éi ononaie agricole, la tein-
ture, et l'éducation des vers à soie. — Le com-
merce des Cliinois avec les Mongols se réduit aux
objets de première nécessité; avec les Russes, il
ne porte guère que sur les draps, les fourrures
et le thé, mais, dans les provinces chinoises et
dans les ports ouverts au commerce européen, il
est très actif. Parmi les principaux entrepôts de
commerce intérieur, nous citerons seulement
Emouy, Canton, ChaoHing, Ou-Tcliang, Yo-
Tchéou, Nang-Khang, Nankin. Les villes affec-
tées au commerce extérieur sont : Kuéi-Lin-
Fou, Yauug-Tchang-Fou, Maimatschin, Y.irkand,
Kaschgar, Ladak, Ssa-Lha. Le port do Cha-Pou
est ouvert aux Japonais ; ceux de Canton, Emouy,
Fou-Tchéou-Fou, Ning-Po, Shang-liai le sont aux
Européens. Les Portugais possèdent Macao, et
les Anglais, Hong-kong. Les articles d'exportation
sont le thé, la soie, le sucre, le riz, les plan-
tes médicinales, les épices, l'ivoire, la porce-
laine, l'étoffe dite 7tanki>i, les ouvrages de laque
et d'écaillé. Les articles d'importation sont : l'o-
pium, les tissus de coton, les draps, les fourrures,
les objets en cuivre et en laiton, les fils d'or et
d'argent, les glaces et verres, l'acier, l'étain, le
plomb, le corail, la cochenille. — L'esprit mercan-
tile des Chinois leur a fait braver les décrets qui
leur interdisent de s'expatrier; ils se sont répan-
dus à Java, aux Philippines, h Singapour, à Siam,
h Calcutta, en Australie, sur les côtes occidentales
de l'Amérique, au point de se substituer aux tra-
vailleurs indigènes et de provoquer des révoltes
de la part de ceux ci. Le travailleur chinois ou
coolie (prononcez kou/i] est sobre, actif et éco-
nome. De là les préférences des entrepreneurs
anglais ou américains, qui vont les chercher par
convois et font avec eux un traité qu'ils tiennent
plus ou moins honnêtement. Le coolie revient !
toujours dans son pays, soit vivant, avec le pécule I
qu'il a amassé, soit raort pour reposer au milieu I
des siens : il fait promettre à celui qui l'engage j
de renvoyer son corps dans la province qu'il a '
quittée. — Les sciences, plus avancées en Chine
jusqu'au XV" siècle que partout ailleurs, sont res- j
tées stationnaires ; l'imprimerie, la poudre à ca-
non, la boussole, dont on fait remonter l'invention
à l'an 2CU2, et le gnoinon qui daterait de I lOlt, in-
ventés par les Chinois, n'ont été perfectionnés ou
employés qu'en Europe. Les Chinois font peu de
mathématiques, mais le système décimal est en
usage parmi eux depuis longtemps. La médecine
se réduit en Chine à l'usage des siinples ou à des
pratiques superstitieuses ; les Chinois ne connais-
sent ni la physique, ni la chimie, ni l'astronomie.
Ils se servent du levier, de la poulie, du treuil,
de la roue dentée, et ils ont emprunté aux Euro-
péens la vis et la vapeur qu'ils appliquent à la
cuisson des aliments. Leur seul moyen de trans-
port est la brouette dont le milieu repose sur un
essieu muni de deux roues, auxquelles on peut
ajuster une petite voile pour se faire aider par le
vent. Mais 400 canaux facilitent les transports par
eau. — Les Chinois n'ont point d'architecture pro-
prement dite. Les maisons n'ont qu'un rez-de-chaus-
sée qu'entourent des cours ; elles sont couvertes
en tuiles jaunes, pour les palais impériaux, rouges
pour ceux des princes, grises pour les habitations
ordinaires; le papier remplace les vitres aux fenê-
tres. Les temples sont ou des tours (pagodesj, ou
des éJifices, à peu près de même forme que les
maisons d'habitation, mais ornés de peintures, de
bois précieux, d'animaux fantastiques, etc. Les
Chinois ne savent représenter les objets que par
la peinture. Leur peinture est caractérisée par des
teintes très pâles et un manque absolu de pers-
pective et de proportions. — La littérature chinoise
est la plus riche de l'Asie; en \~13, l'empereur
Kien-long ordonna de former une bibliothèque
des ouvrages les plus estimés; en 1810 elle comp-
tait déjà 7S,73I volumes comprenant des ouvrages
do législation, de philosophie, d'histoire, de géo-
graphie, de jurisprudence, des lexiques, des en-
cyclopédies, des livres bouddhiques en grand nom-
bre, des romans, des pièces de théâtre, etc. Un
certain nombre de ces ouvrages ont été traduits
en français, les principaux sont : le Chou-kini),
collection de documents sur l'histoire des quatre
premières dynasties chinoises, traduit par Gaubil,
mo, et par Pauthier, 1841 ; le Thi'ou-li, code
d'institutions politiques, traduit par Biot, 1851,
;^vol.in-8°; le Tn-hio, ou art de gouverner sageinent
les peuples, traduit par Pauthier, ls.'!";le Tliong-
Kian-Kiang-mou, abrégé chronologique de l'his-
toire de la Chine, traduit par le P. Mailla [His-
toire génér.ite de la Chine, 1177-83, \1 vol.
in-4°) ; le Fo-kou-'-ki, relations des royaumes bou-
dhiques , traduit par A. Rémusat, 183(1, in-
4", etc. — L'année chinoise commence à l'équi-
noxe de printemps. Les Chinois se servent, pour
compter le temps, d'un cycle de 60 ans composé
de dix signes, appelés troncs, qui marquent les
décades, et de douze autres signes, appelés bran-
ches, qui marquent les mois. Les signes du cycle
décadaire sont exprimés par les noms des cinq
éléments répétés deux fois ; ceux du cycle duo-
dénaire sont désignés par le nom de douze ani-
maux. Pour préciser les années des cycles sexa-
génaires déjà écoulés, les souverains donnent aux-
années de leur règne un nom particulier. — Le
cycle sexagénaire actuel a commencé en Chine en
186li. — Pour la géographie de la Chine, V. Asie.
Japon. — Il est à peu près certain que le Ja-
pon a été peuplé d'abord parles Ebiû, Yessos o\i
Ainos, dont les derniers descendants, voisins des
Esquimaux par leur type, sont en train de dispa-
raître. A une époque préhistorisque, une colonie
étrangère vint s'établir au sud du Japon et étendit
bientôt ses conquêtes. La ressemblance entre le
type des Javanais pursetceluidesJaponaisde haute
race pourrait faire supposer que les envahisseurs
étaient malais. Toutefois l'origine de la race japo-
naise est encore controversée. La légende attribue à
Jin-mu. premier m; A-nrfo (souverain), fils de la déesse
du Soleil, la fondation delà dynastie impériale.
L'histoire du Japon se divise en deux périodes:
lapremière (oshéi, s'étend de 660avant J.-C.à 1192
après J.-C ; c'est celle de la puissance des mi-
kados; la deuxième (ashéi), ll9-.'-)SGS, correspond
au pouvoir des S'ogouns (appelés aussi taïkouns)
ou commandants militaires : mais ce n'est qu'au
xvii« siècle que la transition est accomplie et
que le siogounat est une institution légale et
incontestée. Sudjin, dixième mikado (97 à 30
av. J.-C), introduisit le premier qtielque régu-
larité dans la vie nationale, établit un impôt
du sang, une corvée, encounigea l'agriculture, fit
creuser des canaux d'irrigation, construire des
navires, et divisa l'empire en quatre commande-
ments militaires à la tête de chacun desquels il
plaça un siogoun. Au ii*^ siècle après J.-C, les Ja-
ponais conquirent la Corée et lui imposèrent tribut.
Ils se trouvèrent, par ce moyen, en contact avec
la civilisation chinoise alors dans toute sa splen-
deur. Le bouddhisme remplaça bientôt l'antique
mythologie indigène. A la fin du m' siècle, les
livres de Confucius pénétrèrent au Japon!: de
cette époque datent l'écriture et l'histoire vérita-
ble. Les classes se formèrent peu à peu, et en
794 la cour vint se fixer à Kioto. Les empereurs,
asservis par une aristocratie nombreuse et tur-
bulente, ne furent bientôt plus que des rois
fainéants. Bientôt aussi les principales familles
se disputèrent le pouvoir; alors commença une
longue suite de troubles dans laquelle on n'a à
ORIENT (EXTRÊME)
1469
ORIENT (EXTRÊME)
remarquer que peu d'évcneraents importants :
uue attaque tentée, sur le Japon, par les Coréens
et les 'l'artaros deGengis-khan, mais qu'un typlion
lit avorter (liSO); l'introduction du christianisme
par les jésuites do Macao qu'y amena en 1549 le
portugais Mendez Pinto, jeté par un naufrages sur
les côtes du Japon (154'^), et qui obtint d'abord
la faveur de quelques princes à qui il avait fait
prosont de fusils i mèches ; enfin, une nouvelle
(■xpédition en Coréo pour y établir le tribut
(I.'jOS). a cette époque, le gouvernement du Japon
l'St tout entier entre les mains d'un descendant de
la grande famille de Minatomo, Yég'is, qui se trans-
porta do KaiTiakura à Yédo (15»(0, y lit bâtir le
siro (forteresse), restaura le bouddhisme dont le
centre fut transporté à Yédo, et légua à ses des-
cendants un pouvoir qu'ils conservèrent 250 ans.
En 1558, les Portugais abordèrent de nouveau
au Japon et furent confinés dans l'îlot de DôSima.
Les Hollandais s'étaient établis à Firando, où les
Anglais vinrent les rejoindre de 1GI3 à 10',!3. Mais
en lii38 les rivalités des Franciscains et des Do-
minicains, leurs excès, amenèrent une réaction :
tous les chrétiens furent égorges ; les Portugais,
expulsés, furent remplacés, à Dé-Sima, par les
Hollandais qui y restèrent enfermés jusqu'en 1856.
On les tint dans une étroite surveillance; ils ne
purent avoir que des bateaux dont la forme ne
permettait pas de s'éloigner des cotes ; le nombre
des bâtiments étrangers pouvant aboider chaque
année fut réduit de 5 à 2 ; il fut défendu aux in-
digènes de répondre aux questions des étrangers
sur leur pays; les liiiimios (princes) ne purent se
voir sans une autorisation spéciale; depuis cette
époque les Japonais devinrent inquiets, soupçon-
neux et insociables.
Sous Charles II, les Anglaisavaient essayéen vain
de prendre f ied dans l'île : on leur en refusa
l'entrée sous prétexte que leur roi avait épousé
une princesse portugaise. Le Japon, mentionné
pour la première fois par Marco Polo, ne fut plus
connu que par les récits de quelques voyageurs :
Kœmpfer (16:)0), Thunberg (m2-lT;5). Les Kusses
échouèrent également au Japon, en 1806 : l'ami-
ral Golowine fut détenu pendant trois ans ; les
Anglais n'eurent pas plus de succès en 18u8, 1811
et 1849. En 1851, le Commodore Perry fut envoyé,
par les Etats-Unis, demander au Japon un traité
d'amitié et de commerce. L'empereur ne répondant
pas, le tuteur du siogoun de Yédo signa, avec les
Américains (1854) d'abord, puis avec les Anglais,
les Russes (18.55), les Français' (1858), Ils Hollan-
dais, les Autrichiens, un traité leur ouvrant les
ports de Hakodaté, Kanawaga et Nagasaki. Ayant
envoyé, en I8G0, une ambassade aux Etats-Unis,
ce fut un prétexte de révolte, et il fut assassiné.
Après huit ans de troubles, le siogounat dispa-
rut, et le pouvoir impérial fut restauré ; les per-
sonnages formant l'entourage de l'empereur, les
chefs de clans révoltés, formèrent un conseil et
prirent en main le gouvernement. Les Européens
furent confirmés dans leur concession, le mikado
promit la création d'une assemblée délibérante,
l'abolition des anciennes coutumes barbares, la
distribution d'une jus,tice impaniale, et déclara
ouverte une ère nouvelle, l'ère de Mei-dji, qui
sigjiifie youverner clairement . Il transporta sa ré-
sidence à Yédo, aujourd'hui Tokio, et défendit au
peuple de se prosterner sur son passage. Les
clans furent convertis en ken (départements), les
daimios ne furent plus que des adniinistrateuis.
Mais le décret qui ferme le Japon aux étrangers
n'a pas encore été révoqué, laccès du pays est
toujours interdit aux voyageurs, à moins d'une
permission spéciale qu'on peut toujours leur re-
fuser s'ils ne sont ni ministres, ni consuls. Un
vaisseau ne peut entrer dans un port qu'en cas
d'avaries graves. Les Européens ne peuvent s'éloi-
gner de leur concession de plus de 40 kilomètres.
Les traités de 1850 ont été renouvelés en 1874, et
un traité postal a été conclu entre l'Amérique et
le Japon. Depuis l'arrivée des Européens au Japon,
et la guerre de 1860-1868 contre l'antique orga-
nisatioji féodale, le gouvernement ne s'est occupé
que de faire passer, dans les mœurs et l'adminis-
tration, les traditions européennes. Pour s'y con-
sacrer tout entier, il a conclu avec la Corée un
traité qui l'alTrancliit définitivement d'un tribut
depuis longtemps réclamé, jamais paye (1876).
Au contact des mœurs et dos idées européennes,
sous l'influence du gouvernement, l'état social et
les mœurs se sont profondément modifiés. Le
mikado, descendant des dieux, était considéré
comme le représentant et l'héritier de la divinité,
l'intermédiaire entre son peuple et le ciel, le chef
et le souverain juge du clergé, comme une sorte
de père spirituel ; depuis qu'il a cessé d'être invi-
sible, les Japonais, qui se prosternaient devant sa
litière, ne le saluent même plus au passage, ce qui
leur a attiré récemment un rappel i l'ordre sous
forme de décret. Toutefois ils continuent à s'aban-
donner à sa direction avec la même confiance
passive. Le trône était héréditaire et passait, à
défaut d'héritier direct, ^ un neveu ou h. un des
fils que le mikado avait eus des douze « servantes
de rimpcralrice, » prises dans les cjuatre familles
chargées de lui fournir des épouses. Ces princes
et les membres de cinq autres familles qui se per-
pétuaient sans mélange, formaient une caste guer-
rière qui conserva longtemps le pouvoir. Au-des-
sous il y avait les daimios et les 4«»iuii/v/( (nobles).
Tout cela a été balayé par la guerre de 1860-1868.
Le mikado, après avoir renversé le siogoun, a
repris le pouvoir direct avec l'assistance d'un pre-
mier ministre qui seul signe les décrets. Cette
mesure est un moyen de gouvernement : un décret
est-il impopulaire, on déclare que le ministre a
mal rendu la pensée du monarque et on le retire.
En 1875 il a été créé une assemblée i/rs «i illardi
(genro-in), sans attributions définies, et une assem-
blée annuelle des préfets qui dure 50 jours. Les
débats sont secrets dans ces deux corps. Quant
aux daimios et aux samouraï, ils ont été remplacés
par des employés d'administration, et vivent, sans
pouvoir et sans influence, de pensions que leur fait
le gouvernement. Le peuple n'a aucun droit politi-
que ; il ne peut même porter les armes ni monter
à cheval ; mais déjà la classe des marchands, des
entrepreneurs de travaux industriels et des ban-
quiers est sortie du mépris où on l'avait reléguée;
les lois somptuaires ont été supprimées, et le
mikado a commencé à entrer en rapports avec ces
classes inférieures dont l'argent lui est nécessaire.
L'opinion publique n'existe pas, mais la presse
commence à s'étendre ; le nombre des journaux
s'est élevé de 1 à 15 de 1873 à 1877.
La législation japonaise est l'œuvre du siogoun
Yéyas. Elle renl'erme des préceptes de morale,
des lois constitutionnelles, des pénalités, des sou-
venirs personnels, des conseils sur l'art de gou-
verner. Elle a plutôt le caractère d'un testament
que d'un code, aussi n'était-il permis qu'à cer-
tains fonctionnaires de la consulter. Il en reste
surtout une soumission aveugle de la part du peu-
ple envers ses supérieurs, une certaine bonté de
la part de ceux-ci, et, enfin, cette éliquette méti-
culeuse qui, au Japon comme en Chine, est le
fondement des relations sociales.
Ces lois déféraient les fonctions de juges aux
gouverneurs de province; elles sont confiées ac-
tuellement à des magistrats particuliers. Des tri-
bunaux de première instance ont été établis dans
60 ken. Quatre cours de justice se partagent l'em-
pire, et deux de leurs membres font chaque année
une tournée dans leur ressort. Au-dessus de ces
cours en est une autre instituée en 1879, et qui a
ORIENT (EXTRÊME) — 1470 — ORIENT (EXTRÊME)
pour mission do réformer les arrôts mal rendus.
Ces lois pénales, refondues une fois déjà depuis la
composition des Cent-Lo s, sont l'objei d'un travail
encore inachevé. La question préparatoire a été
récemment abolie, et une prison cellulaire a été
construite à Tokio. Les condamnés à perpétuité
sont reiégnésdans l'ilot de Skuda-Sima, où on les
occupe k des travaux pour lesquels ils sont payés.
La peine de mort ne s'applique plus que par la dé-
collation ou par l'étranglement. Les cotidamiiés
s'y soustraient souvent par le suicide. Ce genre
de mort est quelquefois ordonné par le gouverne-
ment comme châtiment d'un crime politique ; il
consiste à s'ouvrir le ventre (hara-kirij, et n'est
pas une peine infamante.
Le service militaire, exclusivement réservé au-
trefois aux samouraï, est obligatoire et universel
depuis 1S72. L'armée a été parla tement organisée
par une mission militaire que le gouvernement
français a mise à la disposition du mikado en 18b7 ;
son costume est à peu près celui de l'armée fran-
çaise ; sa hiérarchie est la même. Elle a pour
armes le canon et le fusil. Une école militaire sur
le modèle de Saint-Cyr, un arsejial militaire et
un arsenal maritime ont été fondes par des offi-
ciers français. L'organisation de la inarine est di-
rigée par des officiers anglais. L'instruction est
très favorisée au Japon. Chaque village a son
école , et un homme ne sachant ni lire ni
écrire serait difficile à trouver. Vers sept ans.
les enfants apprennent l'alphahet, puis vont à
l'école où on leur enseigne suivant leur rang
les principes qui doivent guider leur vie: 1 or-
gueil et le mépris de la mon ou l'obéissance et
l'amour de la médiocrité ; à tous, les formules de
politesse que tout Japonais rougirait d'ignorer, et
surtout la vénération pour le mikado. A douze ans,
ils savent tous lire et écrire. Le siège des études
clasviques est à Say-Kio. Il y a au Japon dix éco'es
supérieures sous l'autorité immédiate du ministre
de l'instruction publi(|ue, et 6201 écoles particu-
lières entretenues parles provinces. On y apprend
le japonais, le chinois, les sciences physiques, la
chimie, l'histuire naturelle, la médecine, les scien-
ces e.'iactes ot les langues européennes, surtout
l'anglais. Mais cette instruction, termitiée vers
seize ans, ne s'adresse exclusivement qu à la mé
moire. Il y a en outre des écoles spéciales où
les cours se font en langue étrangère, le japonais
ne pouvant se plier aux ex'gences du langage
scientifique. Ce sont ; I école de médecine, à Tokio,
où les cours se font en allemand, l'école de droit
où ils se font en frjiiçais, l'école centrale, teclmiciil
school, où ils se font en anglais. Le gouvernement
a créé ausr.i des écoles secondaires de femmes, des
écoles professionnelles et une écolo normale. Pour
subvenir m tant de dépenses, il a fallu modifier le
système financier. Les impôts ne sont plus perçus
qu'en espèces. Ils ont pour unité le prix courant,
variable d'ailleurs, de la mesure de riz appelée
koku. Chaque année le gouvernement publie le
budget projeté, mais le peuple n'est pas en me-
sure de lo contrôler; do plus le règlement des
comptes reste secret. Les principdes sources du
revenu public sont aujourd'hui l'impôt foncier, le
produit des postes, dos douanes, l'impôt sur le
salaire des employés, le produit des travaux pu-
blics et établissements de l'Etat. La dette publi
que comprend la dette étrangère, les deux em-
prunts contractés à Londres à 7 et à 9 p. 100, la
dette inscrite envers les créanciers indigènes, et la
dette flottajite représentée par lo papier monnaie.
La décadence du commerce rend les ressources
du Japon insuffisantes pour ses besoins. Très flo-
rissant après les traités de 185:i-lS.Si', ce commerce
décline peu à, peu, malïré l'ouverture des nouveaux
ports de Yokohama, Osaka, Hiogo, Yédo et Nie-
gala, ruiné et entravé par la concurrence, le manque
de capitaux et la persistance hors des villes de
l'ancien genre de vie. Le Japon consomme peu et
ne vend guère plus. A part les cotonnades an-
glaises et les mousselines de, laine qui se répan-
dent un peu partout, le commerce n'est alimenté
que par les quelques milliers d'habitants qui ont
adopté les modes européennes. Les principaux
articles d'exportation sont le thé, qui se vend sur-
tout en Amérique, mais sans grand bénéfice, les
soies, aussi chères que les nôtres, mais de qua-
lité inférieure, enfin les porcelaines, les bronzes,
les objets de laque. Le gouvernement, craignant
de perdre son indépendance nationale, se refuse
à promulguer les lois civiles et commerciales qui,
ouvrant le Japon au crédit européen, lui permet-
traient de faire des routes, de cultiver son sol et
d'exploiter ses mines- Les rares voies de commu-
nication et les moyens de transport trop primitifs
sont encore un obstacle au commerce. Outre les
canaux qui relient Tokio ot Osaka avec les ports,
il n'y a qu'un chemin de fer entre Tokio et Yoko-
hama et un autre entre Kobé et Osaka ; le reste
du pays ne renferme que des routes insuffisantes
et mal entretenues. Les tran.^pnrts se font sur mer
par des jonques oti de petits sifamfrs ; sur terre,
h dos de chevaux dans les campagnes, dans des
carrioles traînées par des hommes dans les villes.
Les seuls moyens de locomotion pour les voya-
geurs sont les chevaux, la carriole et le kango,
espèce de panier muni de perches que soutien-
nent des porteurs. Le service postal est fait par
des coureurs de relais en relais. Une li;ne télé-
graphique a été établie de Nagasaki à Hakodaté et
dans l'île de Yéso. Le gouvernement est presque
seul à s'occuper d'.igriculture ; il a fonde une
ferme-modèle a Tokio et une ferme-école à l'Ile
de Yéso. Quelques terrains ont été défrichés,
mais il rest". encore de vastes espaces abandon-
nés faute de bétail.
Il n'y a pas d'architecture au Japon. L'absence
de vie politi(|ue, les doctrines bouddhistes, les
frtquents sinistres ont contribué à la construction
d'édifices de bois sans caractère monumental. Il
n'y a pas non plus de sculpture : le bronze est
trop cher et le marbre n'existe pas. Il n'y a de
statues que les Bouddha impassibles et les dieux
grimaçants qui ornent les temples. La peinture
est, en revanche, très développée. On la re-
trouve partout : sur les panneaux de bois des
temples, sur les paravents de papier, sur les
écrans de soie, etc. Elle représente tantôt des
scènes héroïques avec des formes roides, tantôt
des scènes patriarcales ou comi(|ues où la fami-
liarité est poussée souvent jusqu'à la caricature,
tantôt des oiseaux, des fleurs, etc. D'ailleurs,
comme la peinture chinoise, elle n'a ni propor-
tions, ni perspective, ni justesse de coloris. La
musique n'était connue autrefois que des musi-
ciens de a cour; cette charge a été abolie, et la
notion musicale sera bientôt étrangère au Japon.
La musique japonaise est à la fois criarde et lamen-
table, peu variée et souvent faussée par les instru-
ments. Il y a deux sortes de danses : la danse sa-
crée qu'on ne voit qu ila cour, et la danse populaire,
plus vive, en usage dans toutes les réjouissances.
La littérature japonaise est pauvre, surtout décom-
positions poétiques que le caractère tout positif et
formaliste des Jap iuais n'a pas su créer et que la
langue n'eût pu exprimer. Elle consiste principa-
lement en chroniques, dont la plus renommée est
le Gengi momigatari, œuvre de la poétesse Mura-
saki; en drames, comédies, dont le principal mé-
rite est une exacte imitation de la vie réelle, en
romans, contes sat'u-iques ou allégoriques et pro-
verbes.
La religion du Japon a d'abord été le shinto
(voie des dieux), ou adoration des K'imi, c'est-i-
dire des forces de la nature transformées en gc-
ORIENTATION
— 1471 —
ORIliNTATION
11109, auxquels se sont môlcos, depuis le vi" siècle,
les doctrines de Confucius, de l.ao-tscu et du
liouddjiisme. Il n'y a pas d'idoles dans les leni-
ples du shinto; le culte se réduit à des fôies en
l'honneur des Kami, à des offrandes de gâteaux,
d'iiuilo, d'oisHaux vivants et il des représentations
ilraniatic|uos; le shinlu n'a ni dOf£me, ni morale,
il n'enseigne que le culte des ancêtres et l'imita-
lion lit: leurs exemples. Il n'a pas conservé sa pu-
reté, mais s'est amalgamé au bouddhisme et a vu
'liniinuer considérablement le nombre do ses sec-
iiteurs. La religion dominante est le bouddhisme;
liais lîi, comme en Chine, il se borne à des prati-
Muos toutes machinales et h. des superstitions gros-
• iéres qui n'ont plus cours que dans le peuple ;
I incrédulité la plus complète règne dans les autres
classes.
La langue japonaise appartient à la famille des
langues agglutinantes; elle est divisée en un grand
nombre de dialectes. L'écriture est celle de la
Chine simplifiée et adaptée à la langue ; l'écri-
ture vulgaire comprend 47 caractères.
Pour la géographie du Japon, V. Asie
[Th. Lindenlaub.]
ORIENTATIOIV. — Connaissances usuelles,
VIII. — I- Mé'id eus et méridienne. Points cardi-
}inux. — S'orienter, c'est déterminer où est l'o-
rient, c'ost-i-dirc comment sont placés sur l'ho-
rizon ce qu'on nomme les quatre points car-
diiiaiiv; c'est, plus généralement, savoir rap-
porter les directions horizontales à une direction
première fixe : cette direction, qui s'appelle le
nord d'un cùlé, le sud de l'autre, est pour chaque
lieu la direction des pôles, ou mieux, la tr.ice
horizontale du plan qui passe par les deux pôles
elle centre delà terre, coupant sa surface suivant
un grand cercle qu'on nomme méridien terrestre.
Ce plan lui-même, considéré en un point particu-
lier de la terre, est un plan vertical dont le prolon-
gement coupe la voûte céleste suivant un grand
cercle qu'on nomme méridien céleste. Il divise en
deux parties égales le cours de tous les astres,
dont cliacun atteint, au moment où il « passe au
méridien », le poi..t le plus élevé du cercle oblique
qu il décrit.
La ligne horizonta'e suivant laquelle se projette
le plan méridien sur le sol s'apprl\e méridienne;
c'est une petite portion locale du grand cercle du
méridien tiTrestre : le .■.■(«/ ou mcdi (medin dies,
milieu du jour) est sa direciion considérée du côté
où dans noire zone tempérée se trouve le soleil
au milieu du jour, et le nord ou septentrion la
direction opposée. Dans la zone tempérée de l'autre
hémisphère, au Chili, au Cap, en Australie, c'est au
contraire du côté du nord i|ue se trouve le soleil.
Si l'on mène, au lieu où l'on est, une horizontale
perpendiculaire à la tnéiidienne, elle donne la
direction des deux autres points cardinaux : lest
ou orient, situé à droite quand on regarde le nord,
à gauche quand on regarde le sud, c'est-à-dire du
côté oii les asties se lèvent ; l'ouest ou occident,
situé du côté oppose, vers lequel les astres se di-
rigent et se couchent.
Toutefois, les directions précises nommées est
et ouest, qui marquent au ciel les extrémités de
l'axe du méridien céleste, ne sont pas du tout,
comme le disent à tort beaucoup de traités élé-
meniaires de géographie, les « points où le soleil
se lève et se couche » ; il n'y a que deux jours par
an où le soleil se lève à l'est'etse couche à l'ouest;
ce sont les deux jours d'équinoxc, le "il mars et le
22 septembre, où le soleil décrit le grand cercle
de l'équaleur céleste, coupé en deux parties égales
par Ihorizon. Au printemps et en été, le soleil
décru des cercles parallèles plus élevés, qui vont
coupi-r l'horizon en deux points plus avancés vers
le nord; en automne et en hiver, il décrit des
cercles parallèles plus bas, dont une moindre por-
tion reste au-dessus de l'horizou, et qui vont le
couper en deux points de plus en pins reculés vers
le sud. lîn France, pendant les mois de juin et de
juillet, le soleil se lève au N.-E. et se couche au
N.-O. ; pendant les mois do déoenibre et janvier, il
se lève au S -E. et se couche au S.-O. C'est donc
toujours la ligne iV.-S. qu'il faut déterminer pour
s'orienter; c'est-i-diro que l'orientation sur place
consiste ;\ déterminer la méridienne.
IL l'ians et caries. Rose des vents. — L'orienta-
tion d'un plan ou d'une carte locale consiste à
tracer sur ce plan ou cette carte la direction
d'une méridienne. On trace dans un coin du plan,
quand cette direction est connue deux traits per-
pendiculaires dont l'un, marqué N.-S., ou désigné
par une fleur de lys du côte du nord, est parallèle
à cette direction. Quant aux cartes géographiques,
on a l'Iiabitude d'en tracer toujours le c^dre de
manière il ce que le méridien du milieu de la carte
soit parallèle à l'un de ses bords, le nord en haut,
le sud en bas. l'est à droite et l'ouest à gauche'
Les marins ont adopté, pour désigner les diverses
directions de l'horizon, une subdivision des points
cardinaux dont la figure est connue sous le nom
de cosp des ven's. La circonférence s'y trouve di-
visée en trente-deux parties dites rianlis, dont
chacun vaut 1 1 degrés '/i, et dont les noms sont
formés de ceux des points cardinaux, de la manière
suivante : les bissectrices des quatre angles droits
des points cardinaux s'appellent des noms réunis
des côtés de l'angle qu'ils bissèquent : nord-est
(N.-E.„ nord ouest [Îi.-O.), sud-ouest (,S.-0 ), sud-
est (S.-E.); les bissectrices des huit angles ainsi
formés se désignent encore d'après la même règle :
nord-nord-est (N. l'V.-E.), ouest-nord ouest (O. N.-
O.), ouest-sud-ouest (O.-S.-O.) , sud-sud ouest
(S. -S.-O.), sud-sud-est ;S.-S.-E.;, est-sud-est {E.-
S.-E ), est-nord-pst (E.-N.-E. , et nord-nord-est
(N.-N.-E.). Déjà ces huit noms sont bien moins
usités que les huit premiers. Quant aux bissectri-
ces des seize angles ainsi obtenus, il n'y a guère
que les marins qui en fassent usage : leurs noms
sont formés de celui des huit principaux dont le
rumb considéré est le plus voisin, et de celui du
côte duquel on se porte, précédé du moi quart,
puisqu'on n'a fait que le quart du chera n vers
lui. Ainsi le voisin du nord, du côté du nord-est,
s'appelle nord-quan-nord-est ; tandis que le voi-
sin du nord est du côté du nord s'appelle nord-
est-quart-nord.
III. Détermination de la méridienne par le soleil.
— Le soleil, avons-nous dit, semble décrire dans
le ciel des cercles obliques toujours parallèles,
ayant pour axe commun une ligne constante, l'axe
du monde, inclinée sur l'horizon d'un angle égal
il la latitude du lieu (V. Latitude). Ces cercles
sont plus bas en hiver, plus hauts en évé, de sorte
qu'en France, en juin, les deux tiers du cours du
soleil sont au-dessus de l'horizon, et en décembre
seulement un tiers.
La directiiin du plan vertical où se trouve le
soleil ;\ la même heure chaque jour varie donc
continuellement, excepté celle du milieu de son
cours, du point le plus élevé du cercle qu'il décrit
chaque jour, du point où il est à midi vrai. La
direction de l'omhre d'une tige verticale à ce mo-
ment sera donc toujours la môme; c'est à ce mo-
ment que l'ombre est la plus courte, puisque le
soleil est au point le ilus élevé de la journée. Le
cours circulaire du soleil étant si/metrique de part
et d'autre de cette position, elle se trouvera tou-
jours la bisseciricede l'anglede deux ombres égales
forméfS par la tige le matin et le soir quand le
soleil sera à deux points situés exactement à la
même hauteur, il deux moments également éloignés
de I heure de midi.
Or, on aura plus exactement la posilion de deux
ombres égales, le matin et le soir, quand la hau-
ORIENTATION
— 1472 —
ORIENTATION
teur de l'ombre varie rapidement, que vers midi
où cette liauteur varie très peu pendant que le
soleil parcourt presque horizontalement la partie
supérieure de son cercle.
D'après cela, pour tracer une méridienne, on
dressera bien verticalement, dans un lieu décou-
vert, une tige bien droite sur un plan horizontal
bien dressé au niveau. On décrira sur ce plan des
cercles concentriques du pied de la tige comme
centre, ayant pour rayon de une à trois ou quatre
fois la hauteur de la tige : on marquera, dans la
matinée, les points où l'ombre de l'extrémité de la
tige vient juste raser ces cercles, et on fera de
même dans la soirée, à des heures sensiblement
équidistantes de midi (le midi vrai n'est pas le
même que le midi moyen. V. Cadran solaifp). La
bissectrice commune de toutes ces positions
d'ombres égales est la méridienne.
IV. Orientation de nuit. Étoile polaire. — On
pourrait, la nuit, tracer la méridienne au moyen de
la pleine lune exactement comme le jour au moyen
<iu soleil, car la lune décrit au ciel des cercles
parallèles semblables à ceux du soleil; mais il y a
un moyen bien plus simple d'obtenir immédiate-
ment la direction du plan méridien : les étoiles
aussi décrivent ces mêmes cercles parallèles, et
comme leurs rayons vont en diminuant du côté du
pôle céleste, s'il y a des étoiles très voisines de ce
pôle, les cercles qu'elles décrivent sont très petits,
et les étoiles doivent être visibles toujours du même
côté du ciel, et faire reconnaiire le pôle.
11 se trouve en effet de ce côté, pour nous qui
habitons l'hémisphère nord du globe (l'autre hémi-
sphère n'a pas cet avantage), deux constellations
bien connues, de forme assez semblable, mais
tournées en sens inverse, la (Grande Ourse et la
Petite Ourse, et la dernière étoile de la queue de
cette dernière, l'étoile polaire, n'est qu'ai degré '/î
du pôle, c'est-à-dire qu'elle décrit autour du pôle
un cercle dont le diamètre n'est pas plus de trois
fois celui de la lune.
Oes constellations sont formées cliacune de sept
étoiles principales, ce que rappelle le nom de
des vents imprimée sur une matière très mince et
très légère.
.Mais le point important à considérer ici est que
la direction de l'aiguille n'est pas rigoureusement
du sud au nord; elle en diffère d'un an,i>;le variable
avec les lieux et avec les temps, qu'on appelle dé-
rlinaison {V. Magnétisme). En France cet angle
peut varier de (i dfgrés, de N'ice à Brest. L'.in-
nuaire du Bureau des longitudes a publié une
petite carte de ses valeurs pour 1876; mais en ce
moment, la déclinaison en France diminue rapi-
dement (d'un degré en six ou sept ans). On peut
donner le chiffre de 16 degrés pour sa valeur sur
la ligne moyenne Lillo-Paris-Pau vers 1SS2 ou 188;{
(15 degrés en IS'JO), avec 3 degrés de plus pour
Brest et 3 degrés de moins pour Nice, les lignes
intermédiaires étant sensiblement équidistantes
et parallèles. C'est de cet angle qu'il faut écarter
vers la droite la ligne nord-sud de la rose des
vents en laissant à gauche la pointe bleue de l'ai-
guille, pour avoir avec la boussole l'orientation
véritable.
VI. Applications scolaires. Ohservatoire popu-
laire. — Toute école doit avoir au moins la direc-
tion de la méridienne tracée dans chaque classe,
sur le plafond ou sur le sol, afin que lo maître
puisse, en parlant des points cardinaux, les dési-
gner de la main dans leur vraie position. On
trouve chez plusieurs éditeurs des roses des vents
peintes sur une grande feuille de papier qu'on peut
coller au plafond. Si l'on trouve difficile de tracer
la méridienne, dans la classe, d'une manière ma-
thématique, on peut toujours l'obtenir approxima-
tivement en prenant, le soir, la direction de l'é-
toile polaire, ou la direction de l'ombre d'une
ligne verticale de porte ou de fenêtre i midi
précis.
Un instituteur intelligent pourrait construire h
peu de frais, dans le point du préau découvert le
mieux exposé et le plus éloigné des murs, un ap-
pareil d'orientation qui serait en même temps un
excellent indicateur des heures et un moyen puis-
sant de faire comprendre aux enfants le mouve-
septentrion donné souvent au point nord. Quatre ment diurne apparent du soleil et des autres
de ces étoiles forment un quadrilatère, les trois
autres une ligne aboutissant à l'un des angles
comme le timon d'un chariot, d'où le nom popu-
laire de Chariot, par lequel on désigne quelquefois
la Grande Ourse.
Le pôle céleste forme avec la Polaire et l'étoile
suivante de la queue de la Petite Ourse un petit
triangle dont il est facile de retenir la forme et
qui permet, avec un fil à plomb, de vérifier le soir
assez exactement la position de la méridienne
qu'on atirait tracée par le procédé précédent, ou
même de la tracer directement avec deux jalons
dans la cour d'une école.
V. La boussole. — Lorsque les astres du ciel ne
sont pas visibles, lorqu'on se trouve, par exemple,
dans des souterrains ou dans des bâtiments, sous
le feuillage d'une forêt ou simplement sous un ciel
nuageux, on peut s'orienter au moyen de la bous-
sole, qui n'est autre chose qu'une aiguille d'acier
aimantée tournant librement dans un plan hori-
zontal. (V. Aimant, Boussole, Maynétisine.)
La boussole commune, en France, est un losange
très allongé en acier dont on laisse le bleu de la
trempe du côlé qui se dirige vers le nord; l'autre
moitié, limée, a la couleur du métal. Elle tourne
sur un pivot dans nne boite au fond de hiqnelle
est une rose des vents, tandis que le cercle par-
couru par les pointes de l'aiguille est divisé en
360 degrés. Dans la boussole marine, au contraire,
le barreau aimanté porte un disque léger sur le-
quel est peinte la rose des vents, qui se trouve
ainsi toujours orientée. 11 serait facile d'imiter
cette disposition, et de construire de petites bous-
soles d'orientation dont l'aiguille porterait une rose
astres. .\vec un cerceau d'enfant, d'environ un
mètre de diamètre, placé verticalement dans la
plan méridien, et soutenu par une tige de fer
verticale solidement enfoncée dans un pieu, on
aurait la position du plan méridien : une baguette
de bois, fixée i son centre, inclinée sur l'horizon
de l'angle de la latitude du lieu (43° à. .Si- en
France), et dépassant le cercle par ses deux ex-
trémités en pointes, représenterait l'axe du
monde, et serait facile à fixer au moyen de l'étoile
polaire : un cercle de même diamètre que celui
du méridien, fait avec une bande métallique
mince, large de deux doigts, et ayant cette tige
pour axe, pourrait représenter l'équateur solaire;
en le divisant en 2i parties égales, numérotées
de I à XII de chaque côté, on aurait les divisions
d'un cadran solaire équinoxial, l'ombre de l'axe
venant sur ces divisions aux différentes heures
du jour; enfin, quatre petites vergettes de fer,
placées horizontalement suivant les diamètres dos
cercles, qu'elles solidifieraient, représenteraient
la direction des quatre points cardinaux ; on pour-
rait les terminer par quatre lettres de métal,
N, E, S, O, fixées sur lesc ercles. L'extrémité de la
tige verticale pourrait porter une petite girouette
pour donner la direction du vent, si la cour était
grande et le lieu bien découvert.
Il serait à désirer que des appareils de ce genre,
servant en quelque sorte d'observatoires popu-
laires, fussent construits .\ bon marché par le
commerce et fournis aux écoles ou aux commu-
nes. C'est certainement la forme la plus instruc-
tive et la plus propre aux explications de tout
genre qu'on puisse donner à un cadran solaire.
ORTHOGRAPHE
— liT.i —
ORTHOGRAPHE
Uni! municipalité gcndi'euse pourrait même, au
grand protilde l'instruction populaire, le construire
en matoriaux durables et dans des proportions
airliitfictnrales, et en faire un prtil monument i
publie i|ui ornerait utilement (a place située de- j
vaut l'ocole communale. [Albert Dupaigne.J ^
(»UM l'IIOLO(iIU. — V. Oisraux.
OKTIKXillAl'IIE. — Grammaire, VII. — On di-
sait autrefois plus correctement Vovthoijraphie,
(irajihie désignant to\ijours la science et ijraphe
le savant: la i/éograpliie et un géograplie, la cal-
/ii/raphie et un calliyraphe, etc. Quoi qu'il en
soit, l'orlhograplie ou l'ortliograpliie est la maiiiôro
d'écrire les )«,o/s et les />/()-«ses d'une langue, selon
l'usage établi et les règles de la grammaire.
I. Orthographe des mots. — C'est l'ortliographe
proprement dite, qui consiste:
r A écrire chaque mot dans son état simple
avec les lettres ou les signes phoyiétiqnes dont il
doit se composer; c'est ce qu'on appelle ordinai-
rement Yorlhographe d'usage.
2° A écrire les mots variables avec les modifica-
tions qui leur sont propres, modifications qui por-
tent le plus souvent sur la terminaison (par
exemple le chant, les chants ; il c!ia7iti.n, je
chant \\)y mais quelquefois aussi sur le radical des
mots {mourir, je iiiEvrs) ; cette partie de l'ortho-
graplie porto le nom d'orthographe de principes
ou à'orlhographe grammaticale.
L'ortliograplie de principes s'appelle aussi or-
thographe relaliue, parce que c'est la manière d'é-
crire les mots selon la relation ou le rapport qu'ils
ont dans le discours, abstraction faite do la forme
qui leur est propre.
L'orthographe d'usage est ainsi nommée parce
que, ne dépendant pas des règles de la grammaire
proprement dite, l'usage semble en être le seul
•régulateur. Cependant cette partie de l'orthogra-
phe n'est pas plus arbitraire que l'autre, et il
vaudrait mieux l'appeler orthographe absolue,
puisque c'est la manière d'écrire les mots absolu-
ment, c'est-à-dire seîi/s, isolés, tels qu'ils sont dnas
les dictionnaires, en particulier dans celui de
l'Académie.
A. Orthographe absolue. — L'orthographe des
mots dépend essentiellement de la nature des so)is
ou des éléments matériels qui les constituent. On
appelle orthographe ratiomielle ou phonétique la
manière de représenter ces sons de la langue, soit
par des lettres, soit par d'autres signes, dits
orthographiques, selon les règVes propres à la pho-
nétique française. Mais, en français, l'orthographe
n'est pas toujours la représentation fidèle de la
prononciation ; comme, en général, c'est l'origine
du mot qui en détermine l'écriture, cette ortho-
graphe étymologique est souvent en désaccord avec
l'orthographe rationnelle. Ainsi, par exemple, les
■trois premiers sons du mot chapeau sont repré-
sentés régulièrement par les lettres ch, a,p, qui,
en français, ont pour valeur propre de servir à
marquer ces sons ; au contraire, le son final n'est
pas rendu par son signe propre o, mais bien par la
combinaison dos voyelles eau, à cause de l'étymo-
logle. la forme ancienne de chapeau étant cluipet.
1. Quant aux lettres dont on se sert en français
pour marquer les divers sons de la langue, elles
peuvent être élymuto.^iques ou seruiles.
^ a) Les lettres étymologiques oont données par
l'étymologie latine ou romane; elles sont étymo-
logiques mémo quand elles ne sont pas de prove-
nance latine, si elles ont été introduites dans
l'ancienne langue en application des lois de la
phonétique française, comme d dans peindre, et
t dans croître, (jù la consonne linguale ou dentale
det ta. été intercalée pour cause d'euphonie entre
/( et r : peiii-u-re, ou entre s et ;■ : crois-t-re, d'où
croître.
Les lettres étymologiques sont sonorei ou
2» Pahtie.
maellcs, selon qu'on les fait entendre ou non dans
la prononciation. Les lettres muettes sont des
voyelles, mais plus souvent des consonnes. Les
voyelles étymologiques qui peuvent être muettes
sont a, e,o. !«, comme dans août, .seiir, paon, qua-
lité. Los consonnes muettes sont surtout dos con-
sonnes fortes qui se présentent au commencement
ou à la fi}i des mots, comme dans a/franchir, ap-
pauvrir, asservir, attendrir, diffamer, effacer ; des,
Ut, vers, fort, sans, rhunt ; beaucoup plus rare-
ment au (/iiïi'ew, comme dans baptême, Aisne, etc.
Au commencement des mots, la consonne nulle
provient toujours de la consonne finale d'un préfixe
qui s'est assimilée à la consonne initiale du mot
simple, d'où résulte une consonne redoublée qui
se prononce comme une consonne simple, par
exemple dans appauvrir, de ad et pauvre. En gé-
néral les consonnes finales ne sont muettes qu'ac-
cidentellement, et elles seraient mieux appelées
quiescentes, parce que, si elles se reposent souvent,
elles se font do nouveau entendre soit dans la
liaison des mots, par exemple des amis, soit dans
la flexio.i et la dérivation, par exemple haut, haute,
hauteur; c'est la raison pour laquelle l'orthogra-
phe moderne, qui a supprimé dans l'intérieur des
mots presque toutes les consonnes purement
étymologiques, les a au contraire conservées quand
elles sont finales.
6) On appelle lettres servîtes celles qui, ne se
prononçant pas, ne servent qu'à donner à la con-
sonne ou à la voyelle qui précède telle ou telle
prononciation. Les lettres servilcs peuvent être
des voyelles ou des consonnes. Les voyelles ser-
viles sont u, qui maintient au q et au c devant e
et i le son guttural (en pareil cas eu devient pres-
que toujours qu) : gueule, guichet, ruvque,
quille, et e, qui donne à ces consonnes le son lin-
gual de ,/ et de s : gagsure, doucsâtre. Les con-
sonnes serviles sont l, m, n, s, t ; elles apparaissent
comme doubles consonnes à la fin des mots. Dans
la règle le doublement des consonnes ne devrait
avoir lieu que dans la pénultième accentuée, c'est
à-dire suivie d'une syllabe muette : tandis que
toutes les syllabes non accentuées sont brèves, la
pénultième qui a l'accent tonique est le plus souvent
longue quand elle est suivie d'une consonne
simple, comme dans fête, idiome, zone, rose date,
et elle devient brève quand elle est suivie d'une
consonne redoublée, comme dans dette, pomme.
Couronne, rosse, patte. Mais les exceptions à cette
règle abondent, et la pénultième accentuée peut
être brève quoique suivie d'une consonne simple,
par exemple parole, et d'autre part le doublement
de la consonne a souvent lieu sans nécessité après
une voyelle atone, puisque cette voyelle est tou-
jours brève, de telle sorte que la consonne qui suit
ne sert à rien et est une lettre complètement pa-
rasite, par exemple honneur, rayonner, barannie,
cantonnier, monnaie, tonner, sommet, elc. En re-
vanche, après un e muet qui doit recevoir l'accent
Ionique, le doublement do la consonne est néces-
saire pour marquer que cet e muet est devenu so-
nore, comme dans d Jette, il appelle, qu'il vienne,
où ce doublement de t, de / ou de 7i produit le
même effet qu'un accent grave sur l'e pénultième :
jéte, appelé, viène.
Les consonnes l et n sont dites mouillées quand
elles sont suivies imméaiatement du son du j
allemand ; ce son se marque en français par un / ou
par un g préposé à la consonne mouillée et qui doit
être considéré comme une lettre servilo, quoique
étymologique: feuille àf folium,siGne designum.
2. Les signes orthographiques étaient inconnu»
au vieux français et ne remontent qu'au xvi« siè-
cle.
Ces signes, qui suppléent jusqu'à un certain point
aux lacunes et aux défectuosités de notre alphabet,
sont des caractères qui servent à marquer tantAt
ORTHOGRAPHE
— 1474 —
ORTHOGRAPHE
\e son {signes phonétiques) et tantôt la forme
(signes /'oi-mad/s) des mots.
al. Les signes iihonébques sont la cédille, le
tréma, V apostrophe et les accents écrits.
La èédi/Ze est un signe qu'on place sous le c
pour lui donner le son de la sifflante s ; on mit
.l'abord un : après c : faczon, puis on le souscri-
vit au c : façon. j n .
Pour indiquer que les groupes de voyelles,
comnip ni et au, doivent se prononcer séparément,
oa place sur la seconde le signe appelé tiéma (••) :
iiaïf Saûl. On met encore le tréma sur Ve de la
comme signes diacritiques les lettres italiques
opposées aux lettres droites ou romaines.
/)). 11 n'y a qu'un signe funnatif, c'est le trait
d'uniO'i (-), qu'on place entre les parties constitu-
tives d'un mot composé, comme chef-d'œuvre,
c'est-à-d re, dic-sei.t, ou entre deux ou plusieurs
mots tellement unis qu'ils semblent n'en former
qu'un au point de vue de l'accentuation, comme
viens-tu? niiez- vous-en, etc.
B. Ohthogkaphe relative. — L'orthographe re-
lative est l'orthographe des flexions ou terminai-
sons des mots variables, dont la grammaire ensei-
svllabe finale que lorsque Vu est sonore : rigué, gne l'origine et 1 emploi dans des règ es précises ;
syllaoe '''^^^'' J -^ ^^ prononcerait comme c'est pourquoi on l'appelle aussi orthographe de
fique. . ,,
Pour éviter l'hiatus ou la rencontre de voyelles
dans deux mots qui se suivent, la langue clide la
voyelle qui termine le premier mot, quand cette
règles ou de principes.
Cette orthographe, iio dépendant que des règles
de la grammaire, est certaine et ne peut pas nous
induire en erreur. C'est une règle générale que
les substantifs et les adjectifs font leur pluriel en
vove e est un e muet, et la consonne qui précède les substantifs et les adjectils lont leur pluriel en
se /7e alors à. la voyelle initiale du mot suivant; , s, quelques-uns en x, que le féminin se forme en
mais la voyelle élidée dans la prononciation ne ajoutant un e, et que la terminaison des verbes
IW nas dans récriture, sauf dans quelques mo- ' varie selon le temps, le mode et la , personne.
l'est pas dans l'écriture, sauf dans quelq
nosyllabes où l'e muet est remplacé par le signe
appelé apostrophe ('): l'ami = Ie ami, faune =
Tout cela est du ressort de l'ctymologic ou pre-
annelé anostrophe ('): l'ami = /e ami, faune = i mière partie de la grammaire et ne présente au-
%^^meflÊZ. l'élision existe sans qu'elle soit cune difflculté ; avec un peu d attention ones^t sur
niarq
uée dans l'écriture : quelque autr^, entre eux , de ne pas s'y tromper. 11 n en est pas tout à faU
"!?„.,•„!.;. pntr'P.uxl ^ de même des règles de concordance que donne la
= quelqu'autre, entr eux)
Ve muet est remplacé par une apostrophe :
syntaxe, grâce aux subtilités que se sont plu à y
introduire la plupart des grammairiens; mais il
est facile de débarrasser la syntaxe de toutes ces
subtilités et de réunir en quelques pages toutes les
"VtTh'wirvïfnn':' il ett saisi deflroi' ~ 1 règles concernant l'accord des mots, ainsi que
2 uan^ queiquLsp , j elle . jusquen . maire élémentaire de la lingue française (p. I2i
1» Dans les monosyllabes le (article et pronom).
, me, te, se. ce, que, ne, de: l'aiiii, j'honore, il
'aime, je t'avertis, il s'amuse, c'est juste, qu'il
" '■ -il pas, il est saisi d'effroi.
ilqUL'S polysyllabes composés de que,
que, devant toute voyelle . jusqu'en
oique, lors(juc, puisque, parce que,
ots sont suivis de il, elle, on, un : ^
^qu'elle, puisqu'on, parce qu'une des phrases consiste uni-iuemenl
loue, presque, ainsi que entre, dans , tion des règles de la pouctualion
5 composes : quelqu'un, pre,s-?«'i'/e, coulent d'une analyse %«/»e réel
savoir : a) jusque, devant toute voyelle . jusq
Suiss>-; h quoique, lorsifw, puisque, parce que,
quand ces mots sont suivis de il, elle, on, un :
quoiqu'il, lor '"' " ""
faute : c] que
tous les mots
entr'ade. Hors ces cas, l'e des mots quoiqu
lorsque, quelque, etc., n'est pas remplacé par une
apostrophe : quoique étranger, lorsque André,
puisque aucun de vous, parce que en Italie, quelque
autre, presque usé, entre eu-c, entre autres, etc.
La voyelle finale des monosyllabes la et si s'é-
II. Orthographe des phrases. — L orthographe
' uement dans l'applica-
Lion, règles qui dé-
réelleraent digne de
ce nom.
La lionctuotion consiste à marquer, pardos signes
convenus, les divisions ou la fin des phrases (si-
gnes objectifs), et la manière actuelle dont nous
considérons telle ou telle proposilion, tel ou tel
membre de la proposilion (signes snh/edtfs). Les
lide cônîme ré muet : l'âme, ,e l'n, vue, s'il pleut, signes objectifs sont : le point (.), le s gne ûe
Les accèrî;/to"7s qu'il ne faut pas confondre 1 ponctuation le plus fort et qui se met à la hn de
Les accents eu Us, qu ^p^^^ ^^ ^^^.^ _ , v^ ^^^^^^ ^^^^^ indiquer que le sens est tou à fait
é. l'accent orave , terminé ; la virgule (,), le signe de ponctuation le
plus faible et qui s'emploie dans la phrase de
subordination pour séparer, dans certains cas, la
avec l'accent tonique, sont au no
l'accent aigu ('), comme dans café, l'accent grave
("), comme dans père, et l'accent circonflexe ("^
comme dans fête.
"L'accent aigu se place ordinairement sur tout proposition subordonnée de la P,^|"'=iP^'^' ,«' f.^"'
^r"îe^^inant^a^syllabe.^xceptéqua.idcet;|a^phras^
qui expriment
ibies que le
e es suivd'ûê syllabe muette finale, auquel cas ! pour en séparer les termes s.milau-j
es quand . n'est pas le signe du pluriel : abcès, | P«;f • Pj^^^^f'^^f g^nerl dl séparer les proposi-
tions coordonnées, soit de marquer les divisions
pôle, dôme, cône.
On emploie encore l'accent grave et l'accent
circonflexe comme slgno purement diacritique,
c'est-à-dire qui sert à distinguer les mois sans
influer aucunement sur la prononciation : a. pré-
position, et a, verbe; l't, ça, oit, adverbes, et la.
article, ça. pronom, ou, conjonction ; — jeune,
7/iiir sûr, crû, dû, ot jeune, mur, sur, cru, du.
Le's lettres majuscules sont aussi des signes dia-
critiques qui servent à distinguer des noms com-
muns les noms propres et les noms communs em-
ployés comme noms propres ; le Portugal, t Aca-
démie française, etc. On peut encore considérer
signe de ponctua-
quant une separ
aussi être considéré comme
jjQP V Piinii"-'''"n.
ni Variations de 1 orthographe. — L'orthogra-
phe de l'ancienne langue était indécise et flot-
tante, mais elle se distinguait par une grande
simplicité et, en somme, elle dillorait moins de
lorthographe actuelle que de celle de Rabelais ou
de Montaigne. Voici comment M. Rracliot a résume
ces variaiions de notre ortliograplie :
u II n'existe, en théorie, que deux systèmes d or-
thographe : le premier qui liKure exac-eraent l.i
prononciation ou orlliographe phonétique; le se-
ORTHOGRAPHE
— 1473 —
ORTHOGRAPHE
coud qui s'altaclio plutôt i rappeler l'origine du
mot et est dit ortliograplie iHj/mulDi/ii/ui;. L'orilio-
gi'aplie plion6tir|UO, exacte peiiiture de la voix,
n'admet que des lettres vivantes ou pronoucées :
elle écrira filautropie , oi'/elùi, fitoiofin, comme
muis écrivons faisan (do /ihasianos'', fanlnisin
(du grec phantasia), fantôme (de iiliantnsma). A
coté de ces lettres actives, l'orthographe étymolo-
gique admet, au contraire, des lettres mortes, qui
rappellent aux yeux l'élymologie, mais qui ne
jouent aucun rôle dans la prononciation ; telle
i:st, par exemple, la consonne p dans exempt i,de
ftemplus), baptiser (de baplizare) : dans ce sys-
tème on écrira phaisan, pliantaisie, phiinto^nif ;
sH/'et, venant de sufijectuin, sera orthographié
su'iject, etc.
» Au point de vue do la pure logique, le sys-
tème phonotique est la seule orthographe ration-
nelle; l'orthographe étymologique .manque en
effet de base, puisqu'elle ne s'appuie que sur l'or-
thographe d'une langue antérieure, et que d'autre
p;irt elle suppose arbitrairejnent que les étymolo-
gios sur lesquelles elle se fonde pour imposer aux
mots telle ou telle lettre parasite sont indiscu-
tables. D'ailleurs, l'orthographe d'une langue,
comme la langue elle-même, n'est point faite pour
quelques lettrés, mais pour l'ensemble de la na-
tion : le /■ de faisan n'empêchera pas plus l'hellé-
niste de reconnaître dans cette forme le grec pha-
sianos que le j)h de philosiplue n'aidera les illet-
trés à retrouver l'origine du mot.
" De ces deux sy.stèmes orthographiques, le
moyen âge, à l'origine, adopta le premier, la lan-
gue de la Renaissance adopta le second, et notre
orthographe actuelle est le résultat d'un compro-
mis très arbitraire entre les deux. Le moyen âge
chercha d'abord à modeler l'orthographe sur la
prononciation : au xii' siècle on écrivait comme
aujourd'hui neveu (de netiotrm), recevoir (reci-
fiere), ensevelir (insepelire) ; le xvi" siècle, pour
rapprocher ces mots de leurs originaux latins,
écnvit /<e/iye//, recupvoir^ R7tsepvi'lv\ sans se douter
que le p Utin existait déjîi dans tous ces mots
sous la forme du v; do même les formes du xii'
siècle devoir [debere), fièvre (februn), février
(frbruarium), sont devenues auxvi' siècle aeifoic,
fiebvre, febvrier. Le moyen âge, changeant le d
latin on it, écrivait lait {Iwtem), fait {fadu-n),
iriiil [tractuin], nuit [noctem); le xvi« siècle refait
ces mots en laict, traict, faic't, nuict. Cette re-
clierche d'orthographe érudite, quiavait commencé
dos le xv= siècle avec les clercs et les premiers
i);iducteurs des livres de l'antiquité, s'accrut
d une manière démesurée sous la Renaissance,
pav l'influence que prennent alors les imprimeurs
orudils : Robert et Henri Estienne surchargent
les éditions sorties de leurs presses d'une foule
de lettres parasites empruntées i l'orthographe
des langues anciennes. 'Cette invasion de lettres
muettes jette un tel trouble dans l'orthographe,
qM'une réaction en sons inverse ne tarde point à
Si' produire. Meigret etrillustre Ramus, qu'approu-
VMil Ronsard, Du Bellay et toute l'école nouvelle,
tentent contre les Estienne et l'école des éli/nio-
t'^jistes^ de ramoner l'orthographe au pur système
poonetique. Cette tenutive échoue, et l'orthogra-
piie étymologique persiste, en s'allégaant, quelque
peu, jusqu'à la fin du xvii» siècle. Malgré les
efforts de Corneille et de Bossuet, l'Académie con-
serva presque intact ce sysième orthographique
dans la première édition de son Dictionnare
(i'i94); elle proscrivit même l'usage des accents
o: ne jugea point à propos d'adopter l'orthogriphe
de Richelet, qui écrivait télé pour leste, épée pour
e--pée, etc..
» Ce fut seulement en n40.d-ins sa troisième
e.lition, que l'Académie remplaça par l'accent l's
étymologique; elle écrivit alors tête, épée, apôire;
elle supprime de même le d muet de advoeat, nd-
venlure, etc., qu'elle avait jusque-là conservé.
Mais elle n'osa point aller jusqu'au changement de
ni en ai que Voltaire proposait, et jusqu'en 18.38,
elle écritye conîtoissois^ il étoit, il marchoit ; ce fut
seulement dans sa sixième édition que l'Académie
sanctionna la réforme voltairienne.
» Notre orthographe contient, malgré ces utiles
réformes, plus d'un reste de la manie érudite du
svi" siècle : le moyen âge écrivait autr-' (alter),
paume (palmaj, pous (puisus) ; le xvi' siècle, aul-
tre, paulrn-, poult ; nous avons repris pawiie et
autre, mais nous avons gardé ponts. Le moyen âge
disait oser (otisare;, oreille ('/iiricula), p -vre [\>au-
per), trireau (tawrellum), acheter (acca;)'are), bali-
ser (bap/izare), dérou/e (derup/a), escri^ (scri/)(us);
le xvi" siècle, '/Mser, awreille, pauvre, taureau, et
de même aclia/j<er, ba/Wiser. dérou/j^e, escripi.
L'orthographe moderne a repris oser, mais non
povre ; oreille, niiiis non t ^reau ; acheter, mais
non ba/iser. Les lettres doubles qui infestent notre
vocabulaire sont encore l'héritage du xvi° siècle ;
nous écrivons arbitrairement et sans aucune raison
d'étymologie, ni de prononciation : aba(is et aba<-
to'w, — chan-etier et chariot, coureur et cou/rier,
— timo'iier et cano;i7iier, canto?ial et cantoïi«ier,
félonie et baro«/iie, patroHal et patro;i«er, to/mant
et déto/iation, — agrandir et aj(/raver, a/daoir et
ap/;laudir, a/i^-auvrir et apercevoir, etc.
» Le moyen âge écrivait nacion, porcinn. Au
lieu de garder cotte orthographe qui nous per-
mettait de conserver au t un son unique, les lati-
nistes rétablirent dans tous ces mots le ti latin :
de là les inconséquences de prononciation telles
que les édit oris et nous éditions, les portions et
710US apportions, les inspections et nous inspec-
tions, etc.
» Cette orthographe dite étymologique, qui ne
représente pas la prononciation, devient même
tout à fait arbiiraire quand elle repose, comme
cela est arrivé plus d'une fois au xvi" siècle, sur
une étymologio erronée. De même que peser vient
de pejuaie. le latin pensum (au sens de poids)
donna le vieux français poi-, comme mensis a
donné mois, tensa toise. Le xvi' siècle, qui tirait
pois de pondus, voulut conformer l'orthographe
du mot à cette fausse étymologie et écrivit poids,
dont nous avons hérité et qui sous cette forme a
perdu, en apparence, toute parenté avec peser. ^
» Il est à souhaiter que, dans la septième édition
qu'elle prépare du Dictionnaire de l'usage, l'Aca-
démie, qui a déjà fait en lS3i tant d'utiles réfor-
mes dans notre orthographe, persiste dans cette
voie en supprimant la plupart des doubles lettres
et en bannissant bon nombre de ces prétendus
signes étymologiques. » [ISràchet, Morceaux choisis
dcf yunds tc-'.t) dns du xvi" siècle, p. LXXIU.)
Malheureusement l'Académie n'a pas répondu à
cet appel, et la septième édition de son Diction-
naire, qui a paru en IS77, n'a guère amélioré
notre orthographe. Non seulement l'Académie n'a
pas fait disparaître les anciennes bizarreries de
cette orthographe, mais elle y en a ajouté de nou-
velles et elle n'a pas même su éviter les contra-
dictions. Voici à ce sujet quelques indications
sommaires qui pourront être utiles aux maîtres
ausîi bien qu'aux élèves.
Emploi des voyelles : l'Académie continue à
écrire les voyelles muettes môme quan 1 elles sont
complètement inutiles, comme dans bœuf, 'iiœurs,
loast, paon, heaume, etc; elle supprime le e éty-
mologique dans Voir et le conserve dans seoir,
mais olle écrit je surseoirai ol j'assoirai, etc.
Emploi des consonnes : capricwd, fabricant,
provocant, suffocant, vacant et chof/ lant, mar-
quant, pratiqu 'nt, trafiquant,e\,c ; excédant fpar-
ticipe) et excédent (adjectif), excellant et excellent,
néyligeunt et négligent, etc. ; — aphte, apo-
ORTHOGRAPHE
— 1476 —
ORTHOGRAPHE
phtegme, autochtone, diphtongue, hémorragie, \gle-né, nouveau-né, nouveau venu, court vêtu;
hérrwti oïiles, hi/poco7idre, ichtyophagf, opidalmie, corps-saint, corps de ganle; eau-de-vie, enu de
phtisie, rythme, etc. : rapsode et rhapsode, flegmi', rose ; état-major, tiers état ; haut- fond, haut four-
et phlegrne, frénésie et phrénésie. para/e et pa- neau; faux-fuyunt, faux frais, faux mmnayeur;
rophe, fantasmagorie et pliantasmugorie, parélie francs-tireurs, corps francs; pied-de-cliat, pied
et parhélif, etc. de l/œuf; pot-mi-feu, pot pourri; c'est-à-dire, cest
Doublement des consonnes : l'Académie a éga- à savoir; au-devant et au deliors, au-d' ssus, au-
lisé rorlliograplie des mots assonance, cnnsoiumce , dessous et en dessus, en dessous; là-dessus et là
et dissnn'-m-e, emmailloter et démailtoter; mais dedans; ici-bas, là-bas et en bas; là-fiaut et en
elle continue à' écrire résonner, résonnutit et ré- \ haut; par-ci p^r-là et par in) par là, par deçà;
sonance ; consonne et consonont, consonance ; abat- par-devers, par-dessous et jjar devant sa chambre
tre, abattement et ahatage, abatis (à côté de lattis); (mais par-devant notaire) ; très bon, trotte menu ;
assujettir et nssujétir, carotte, calotte et compote, havresac ; morte-eau et eau morte; un téte-à-téte
camelote; ballotter, culotter, crachotter,dccrutt'-r, et tête à tête 'adv.), avenir et à-venir (subst.);
grelotter, gar' tter,eXt.., et barboter, chevrot'r, cla- rouvieux ou loux-vienx; bis-blanc et pain bis ;
poter, caillouter, lorloter, fricoter, grignoter, an homme bien-disant, de soi-disant docteurs, à
gigoter, etc. ; tabletterie et buffleterie ; sijfler et bras-le-corps, acompte, afin, atour, averse et à
persifler, gifle ; souffler, essouffler et boursoufler, verse, à-coup, à-propos, à vna-Veau, etc.; contre-
emmitoiifler, etc.; chamtte, charrue et chariot; bawle, contrepoison et contre-ordre, contre-poil,
courrier et coureur; baronnieet félonie ; cancaner etc.; endos, encaisse, entrain, en-téte, en-cas; en-
et camionner; bananier, marinier, nautonier, ti- trecouper, entrelacs, entrecôte, entresol, entremets
monier, etc., et bâtonnier, braconnier, chiffon- et entre-bdilter. entre-temps, entre-voie, etc. ;
nier, marronnier, prisonnier, vannier, etc; imbé- ' soucoupe et sous-sot, etc.; surpoids, surtut et
cile et imbécillité; accourir et acoquiner, atlen- ' sur-arbitre, susdit et sus-énoncé, etc. ; malsain
dre et atermoyer, approfondir et aplanir, ullon- et mal-cire, mal-oppris ; non pareil et non-sens,
ger et alourdir, etc. non-payement, non seulement, les gens non inlé-
Emploi de la cédille :rfouc«î<w au lieu de rfo!«- ressé^', etc.; boutefeu et boute-en-train; cuille-
çâtre. botte et caille-lait; claquedent et casse-cou; léche-
Em'ploi des accents : l'Académie écrit mainte- frite et à léche-a'oiyts; passavant, passeport, pas-
nant je siège, d'après la règle générale, mais elle sepoit et passe-debont, passe-droit, pusse-partout,
maintient l'ancienne ortliograplie dans tussé-je, passe-temps, etc.; porteballe, portecrayon,porte-
dussé-je, etc.; elle écrit avec l'accent grave ba- faix, portefeuille, portemayiteuu et porte-aiguille,
rrme, orfèvre, poète, sève, troène, prèle; avecVac- porte-clefs, p'.rte-drapeau, porte-liqueurs, portè-
rent aigu : énamourer (contrairement \k l'étymo- montre, porte-voix, etc. ; coivlamnulion par corps
logie qui exige e7iamourer, comme enivrer, enor- elle par-corps; quant à moi et le quant-à-n.oi,
gueillir, etc.). goéland, goélitte, goémon, pépin, bien fnre et le bien-faire, cette description est
pépie, pétiller ; avènement , affrètement, soutène- \hors d'œuvre et un lors-d'œuvre. crier sauve qui
ment, tènemint et événement; complètement, dià-^., peut et ce fut un sauve-qvi-peut.
et complètement, subst. ; règlement et dérègle- , Ponctuai ion : Vive la liberté! et vive le vm.
ment, subst., et règlement, déréi/lément, adv. ; Ah! mon Diu,qu'avez-ious fait? Eh! mon bieu,
réclusion et réclusion, celer et celer, etc. L'Acadé- laissons cela. Ah! quelle chute! et : Oh Ineu, que
mie écrit maintenant sans accent circonHexe : gaine je souffre ! Oh çà, parlons de nos affaires. 0 tcaips,
et gainier, goitre, levure, masse et masser (termes â mœurs ! 0 mon Dieu ! — Plaise à Dieu qu il re-
6e jeu); elle admet également aboiement et vienne sain et sauf! Plût à Bieu que cela fui, etc.
aboiment, dénouement et dénoûment, dénuement IV. Rétorme de l'orthographe. — Comme on
et dénùment, engouement et etigoùment, en- l'a vu plus liaut, l'orthograplie de 1 ancien fran-
jouement et enioûmeyit, etc. Elle écrit angélus , çais était très simple et en somme beaucoup plus
et angélus, ad hoc et ab hac, optime, nec rationnelle que celle qui l'a remplacée après la
plus ultra, a posteriori, a priori, vice versa et à Renaissance. Gttte orthographe moderne de Ma-
minimâ, med-culpd, nota benè, sine quà non; rot et de Rabelais, toute hérissée de lettres eiy-
soul, sower et saoul, saouler ; palustre et palâtre; mo\og\i:\ne& mntWes, dont trois siècles n ont pu
trinôme et binôme, monôme, etc. ' nous débarrasser entièrement, est encore la no-
Emploi des majuscules : amen et Ave; les an- , tre aujourd'hui, sinon dans les détails, du moins
techrisls et Y Antéchrist; le Bas-Empire et la dans l'ensemble. Il y a là une tradition d autant
basse Bretagne, les busses Pyrénées; le Très-Haut, plus puissante qu'elle remonte à une époque ou
le haut /iAi'sun liant pays, le haut mal; VEsprit- '. la langue française s'est fixée et est entrée dans
Saint, VEaituresamle, hsainte Vierge, la sainte la phase classique de son histoire, et cest prect-
Famille, la sainte Bible, les lieux suints, le saint \ sèment à cause de cette tradition que toute relor-
sépulcre; saint Jean, la Saint-Jean, le saint-père, i me radicale de l'orthographe française est entou-
\e saint-siège, le saint-office, le ia«i<-e??îpi>e; ' rée de difficultés presque inextricables.
Noire-Seigneur ; le conseil des dix, les dix, les | 11 est bien prouvé cepc ndant que de tous les
Seize, \esQuurante;]î Grammaire de Port-Royal •■ idiomes romans, c'est le français qui possède le
et le dictionnaire de l'Académie ; un bon barème, .système orthographique le plus défectueux,
c'est un ion Bai ème; la satire mc7iippée et U Mé-\ Ce système a en eflet deux défauts bien graves:
nippée; le Pont-Neuf, le Long parlement, le )• 11 manque de signes simplf» pour exprimer
Thédlre-Francaic,la. Comédie française, lesFrancs des sons simples, savoir . les voix pures que nous
saliens, les girondins, les trois heures; c'est un représentona par les combinaisons de voyelles ou
S'ivoyard (homme grossier), un scapin, un séide, et eu; les voix nasales, de a, de e, de o et de eu,
c'est son sosif, un se/-i'ice de sèvres, une garniture qui se rendent par une voyelle suivie de n ,on m ,
de vulenciennes, etc. c'est à-dire la nasale de l'a par an ou e«,la nasale
Emploi du trait d'union : l'Académie écrit un de l'e parain, ein ou in, la nasale.de l'o par on et
blanc-seing et un blanc seing, un acte sous-seing , la nasale de l'eu par un ; la chuintante forte que
privé et un acte sous seing privé, un sajis-cœur nous représentons par cA, et enfin les consonnes
et un soîis cœur, le sans façon, le sans gène, le mouillées dont la notation par ill et gn est très
libre-échange et le libre échange, le coton-poudre défectueuse, parce quo ;// et yn ont une double
et le coton poudre, la gomme-résme et la gomme valeur phonétique, comme on peut le voir dans
résine, le laisser-aller et le laisser aller, \e qu'en- les mots, fille et ville, agneau et ognus, etc.
dira-t-on et le qu'en dira-t-on; clairsemé, aveu- 1 'i" Certaines consonnes ont en français un dou-
ORTHOGRAPHE
— 1477 —
ORTHOGRAPHE
l>le ou niCnie un triple emploi, d'où il résulte que
lo mùiiK! son peut se rendre par plusieurs signes,
comme l'y forte, qui est représentée par s, s.f, c, ç,
t et X, comme dans sel, /jo^se, ceci, maison, nn-
tion, soixante. Ces emplois multiples de la môme
lettre sont très fréquents et compliquent inutile-
ment notre orthographe.
l'our que cette orthographe fût complètement
rationnelle, il faudrait : 1° que chaque son fût re-
présenté par un signe distiiict, et 2° que chaque
signe ou lettre eût un son qui lui fût propre et
ne servit pas à marquer d'autres articulations.
Plusieurs essais de réforme ont été tentés dans
ce S(!ns, afin de rapprocher l'écriiure le plus pos-
sible de la prononciation. Après Mcigret et Ramus,
dont nous avons déjà parlé, on peut citer parmi les
réformateurs les plus marquants : au dix-septième
siècle, Cliiflet, Ménage, l'abbé Dangeau et-Riche-
let; au dix-huitième, Regnior-Desmarais, Buftier,
l'abbé Girard, Dumarsais, Duclos, Wailly etBoau-
zée ; et dans notre siècle, Domergue, Volney,
Marie, Féline, Erdan, Raoux et Ambroise-Firmin
Didot. Mais ces tentatives ont toutes échoué, parce
que la plupart ne tenaient pas assez compte, soit
de l'étymologie, soit de la flexion et de la dériva-
tion des mots.
Et cependant l'orthographe se modifie constam-
ment et insensiblement dans le sens d'une plus
grande simplification « On n'a, dit Littré, qu'à com-
parer l'orthographe d'un temps bien peu éloigné,
le XVII» siècle, avec celle du nôtre pour recon-
naître Combien elle a subi de modifications. Il
importe donc, ces modifications étant inévitables,
qu'elles se fassent avec système et jugement. Ma-
nifestement le jugement veut que l'orthographe
aille en se simplifiant, et le système doit être de
combiner ces simplifications de manière qu'elles
soient graduelles et qu'elles s'accommodent le
raii'ux possible avec la tradition et l'étymologie.»
(Histoire de la Imir/ue française, I, H?7.)
Voici, croyons-nous, les améliorations de détail
qui auraient le plus de chance d'être adoptées,
parce qu'elles constitueraient, non pas une révo-
iulion, qui bouleverserait toute noire orthographe,
mais une simple évolution, qui pourrait s'opérer
tout naturellement et pour ainsi dire sans se-
cousse.
1° Remplacer l'y par i dans tous les mots d'ori-
gine grecque, où il a le son de cette voyelle ; on
écrirait donc annlise, sttle, comme l'on écrit ami-
don, cristal, au lieu de annlijse, style, umi/ilon,
crystai, et l'on conserverait Vr/ comme lettre fran-
çaise avec sa valeur propre à'i consonne (y espa-
gnol,y allemand), telle qu'elle s'est conservée en
général, sauf après l'a où y vaut aujourd'hui deux
i dont le premier se combine avec ia de manière
h former le son c, tandis que le second est un i
consonne qui commence une nouvelle syllabe, de
telle sorte que pai/er sonne comme pai-i/er, ce qui
n'était pas le cas dans l'ancienne langue où l'on
prononçait pn-ycr sans modifier le son de l'a,
prononciation qui s'est conservée dans les noms
propres, comme Bai/onn-', Mayenne, et même dans
quelques verbes et noms communs, tels que bayer,
muyonnnise, etc.
2" Supprimer la lettre h partout où elle est inu-
tile, ce^t-à-dire au commencement des mots, quand
elle est mu"tte, et dans les combinaisons ch ayant
le son de c dur, rli, th, etp'i, qu'on remplacerait par
f; on écrirait donc iver, arcuïsme, cro'iique, rétori-
gue, rul/arbe, atlète, m'tO'le, alfahet, épitafe,
comme étique, colère, école, rapsode, trésor, fai-
san, fanal, fl-yme, soufre, qu'on écrivait autre-
fois/ierii9U.,V./,o/(!,.e, escole, rhapode, tlirésor,
ptwisan, phanal, pldeyme, sonplire ; il n'y aurait
d'exception que pour quelques mots où e'i sonne
comme c dur devante et i : arJ(éologi ', ecchymose,
mnlacliite, orchestre.
3" Remplacer partout l's faible par z et écrire
poizon au lieu de poison.
4" L'emploi de l'accent circonflexe est tout par-
ticulièrement abusif; car, si ce signe doit indi-
quer l'allongement de la voyelle, il y a beaucoup
de voyelles qui ont l'accent circonflexe, bien
qu'elles soient brèves, comme o dans hôpital,
tandis qu'une foule d'autres ne l'ont pas, lors
même qu'elles sont longues. Il serait donc préfé-
rable de supprimer partout ce signe et de le
remplacer, sur l'e terminant la syllabe, soit par
l'accent grave dans la pénultième tonique, soit
par l'accent aigu partout ailleurs ; on écrirait donc
sans accent jimlel, conmme on écrit ohjet, mais
avec l'accent grave fête, hlème, et avec l'accent
aigu fêter, blêmir, etc. On pourrait peut-être
conserver l'accent circonflexe dans les mots
tels que dcre, bdilhr, chasse, jeûne, mâtin, pêcher,
tâche, mûr, sûr, crû, dû, pour les distinguer des
homonymes acre, bailler, chasse, jeune, matin,
pêchi'r, ta-he, mur, sur, cru, du.
b" Dans les consonnes doubles, il n'y a que la
seconde qui se fasse entendre, la première est
nulle. L'Académie et tous les dictionnaires, depuis
celui de Boiste jusqu'à celui de Littré, disent
qu'on prononce quelquefois les lettres doubles,
comme pp dans appétence, mm dans imnvvulê.
Il dans illustre, etc. Rien de plus contraire au
génie de notre langue. On ne peut d'ailleurs
émettre deux fois de suite le même son-consonne,
par ex. Il dans illustre, sans séparer les deux ar-
ticulations par une voyelle, si faible qu'elle soit,
comme l'e muet dans le lustre. Il faut excepter
les consonnes c et </ devant e, i : accès, siygérer,
parce qu'alors le premier e ou ^ conserve le son
guttural qui lui est propre, tandis que le second
c prend le son d's et le second q le son de ,/'. Sauf
dans ce dernier cas, les doubles consonnes se
prononcent donc comme les consonnes simples, et
l'on simplifierait beaucoup l'orlhographe si l'on
supprimait toutes celles qui sont nulles, en écri-
vant, comme dans les premiers temps, acroire,
agraver, atendre, aservir, apeler, an^ncer, ahii-
ter, aroser, doner, courone, somet, volée, etc. Par
cette réforme on rendrait uniforme l'orthographe
de tous les verbes en eler et eter: il yle et il
appelé (au lieu de appelle), il achète et il jètc (au
lieu de jelt'') .
C Supprimer dans l'intérieur des mots toutes
les consonnes parasites, comme p dans baptiser,
compter, etc.
1" On a vu plus haut que, pour l'emploi du trait
d'union, l'Académie ne suivait aucun système et
qu'elle tombait dans les plus étranges contradic-
tions. Pour sortir de ce dédale et simplifier l'or-
thographe des mots composés, il n'y a qu'un
moyen, c'est de les réunir le plus possible en un
seul mot. Nous renvoyons pour les détails de cette
réforme à l'ouvrage de Didot sur l'orthographe et
à celui de M. Darmesteter sur la formation des
mots composés.
8" Substituer l's à l'x dans les noms et les ad-
jectifs qui prennent cette dernière consonne
comme marque du pluriel ; on écrirait donc les
beaus bafraui et non pas les beaut hnteaux. On
étendrait plus tard cette réforme à tous les mots
où la consonne finale a; a la valeur de s, comme
dans je veux, heureux, etc.
Nous nous arrêtons ; peut-être est-ce déjà trop
pour la routine, si puissante partout, mais plus
particulièrement sur le terrain de la grammaire
et de l'orthographe. Il faudrait donc ajourner les
autres modifications à introduire dans notre sys-
tème orthographique, comme l'emploi de y pour
le g doux (;/ juija pour jugea), de / cédille pour
distinguer les mots terminés en lie et tion, qui se
prononcent tantôt avec lo son de t et tantôt avec
OSMOSE.
— 1478
OTHON OU OÏTON
le son de s {ineptie, les rations), de ly et ny pour
mouiller les deux consonnes l et ?i (palye, si-
nyal), etc.
V. Exercices d'orthographe. — Mous avons vu
que l'ortliograplie d'usage a ses règles, tout aussi
bien que l'orthographe dite de principes ; c'est ce
qu'on oublie trop souvent. A ce point de vue, on ne
saurait trop recommander l'étude de la dérivation
et de la composition des mots au moyen des suf-
fixes et des préfixes, étude aussi intéressante
qu'utile pour la connaissance de, la langue, bien
qu'elle ait été à peu près complètement négligée
jusqu'à nos jours. Comment hésiter sur la manière
d'écrire salutaire, pilier, clievreau, alpin, ter-
rasse, glacis, finesse, hautain, nuée, jetée, bon-
té, etc., quand on sait que ces mots sont formés
des primitifs salut, pile, chèvre, a/pe, terre, glnce,
fin, fiant, nue, jeté, bon, etc., au moyen des
suffixes aire, ier, eau, in, asse, is, esse, ain, ée, e,
té, etc. ? On ne saurait non plus être embarrassé
d'écrire exorbitant, inonder et innommé, ces
mots étant formés de orbite, onde et nonnné, au
moyen des préfixes ex et in ; comme, devant une
consonne, le j- de ex s'élide, tandis que le n s'as-
simile aux liquides l et r, cela suffit pour expli-
quer pourquoi on écrit avec un seul r éniption
(de ex et rumpere, rompre) et avec deux r irrup-
tion (in et rumpere).
Il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer
que les recueils de dictées dont on se sert dans
beaucoup d'écoles ne s'occupent guère que de
l'orthographe de principes et semblent renfermer
toutes les difficultés grammaticales dans le cadre
étroit des règles sur les participes, les quelque et
les quoique, etc. Les instituteurs feront bien de
ne pas trop s'en tenir à ces recueils et de consa-
crer un peu plus de temps à l'étude sérieuse du
matériel même de la langue, c'est-à-dire des mots
envisagés au double point de vue de leur significa-
tion et de leur orthographe.
Enfin on ne saurait trop recommander aux maî-
tres d'accorder à la ponctuation beaucoup plus
d'importance qu'on ne le fait généralement, et
pour cala il est essentiel d'analyser la phrase
d'après une méthode toute différente de celle qui
est suivie par nos anciennes grammaires. Soit,
par exemple, la phrase suivante à ponctuer :
M La parole de Dieu est semblable à la semence
a du laboureur: si une pierre dure la reçoit, elle
Il ne germe pas; si elle tombe parmi les ronces,
« elle est ctoulTée; si une bonne terre la reçoit,
« elle produit une récolte abondante. »
Il ne servirait de rien, pour la ponctuation de
cette phrase, de se borner, comme on le fait, à dis-
tinguer les propositions subordonnées des princi-
pales; il faut que l'analyse pénètre plus profondé-
ment dans la structure de la phrase et qu'elle la
décompose, d'abord dans ses parties principales,
puis dans ses divisions secondaires et teniaires, de
la manière suivante :
Cette phrase de coordination compr.'nd deux
parties qui sont dans un rapport copulatif et sont
séparées par les deux points ; la première partie
est une proposition simple ; la seconde est com-
posée de trois propositions copulatives entre les-
quelles se place le point-virgule, signe de la coor-
dination, et chacune de ces propositions a à son
service une proposilion subordonnée exprimant
une condition et séparée de la principale par une
virgule, signe de la subordination. [G. Ayer.]
Ouvrages à consulter. .4. -F. DiJot, Obserualions sur
lorthogruphr ou ortogrnfii- fraticuise, 2' édition, 1868;
Darmesli ter, Traité de lu formation des mots composés
dans la hingue française. 1875; AyiT, Grammaire compa-
rée de la langue française.
OS. — V. Squelette.
OSUOSE. — Botanique, VII; Zoologie, XXXII.
— Etym. : du grec ôsmos, action de pousser.
L'osmose est la propriété que deux liquides dif-
férents ont de se mêler à travers les parois
membraneuses qui les séparent. — Supposez un
vase divisé en deux compartiments par une cloison
membraneuse : que dans l'un des compartiments
on mette de l'eau salée, dans l'autre de l'eau
pure; il s'établira à travers la membrane deux
courants inverses ; de l'eau salée traversera la
cloison pour aller se mélanger à l'eau pure; et de
l'eau pure passera en sens contraire pour aller
diluer de plus en plus l'eau salée : et ce phéno-
mène continuera, jusqu'à ce que la proportion
d'eau et de sel soit la même de part et d'autre.
Voilà ce qui constitue Yosmo^e.
Supposez que l'un dns liquides soit dans une
cavité par rapport à l'autre ; celui-ci pourra être
considéré comme extérieur relativement au pre-
mier; le courant liquide de dehors en dedans
s'appellera endosmose, et le phénomène inverse
exosmose.
Dutrochet a fait le premier une expérience que
l'on peut facilement répéter, et qui met parfaite-
ment en évidence l'endosmose; l'appareil dont il
se servait s'appelle endosmométre.
C'est un tube ouvert à ses deux extrémités ; son
extrémité inférieure est renflée en forme de ré-
servoir dont le fond est formé d'une membrane
fermant exactement le tube. Dans celui-ci on
met de l'eau alcoolisée et rougie ; on marque alors
le niveau de la liqueur dans le tube, puis on met
en contact la membrane avec de I eau pure. On
voit alors le niveau s'élever dans l'endosmomètre.
C'est que l'eau extérieure a traversé les pores de
la membrane, pour venir se mêler à celle du
tube.
C'est par des phénomènes d'osmose qu'on ex-
plique les échanges nutritifs entre les divers élé-
ments dont se composent anatomiquement les
corps vivants, par exemple, l'absorption des sub-
stances alimentaires transformées dans l'intestin
et qui passent soit dans les vaisseaux cbylifères,
soit dans la veine porte. — C'est également l'os-
mose qui est la force active principale dans l'ab-
sorption des racines.
Il faut se garder de confondre l'endosmose avec
l'imbibition ou la Hllration, qui jouent un rôle
très important, mais tout spécial, dans les phéno-
mènes physiologiques. [G. Philippon.]
OTIIOA' ou OTTO>". — Histoire générale, XVIII-
XIX, XXVII. — i\om de quatre empereurs d'.Vlle-
magne, dont les trois premiers appartiennent à la
maison de Saxe, et le quatrième à la maison
Guelfe.
1" Mai<ion de Saxe.
Othon I", fils et successeur d'Henri I"' l'Oise-
leur, reçut la couronne d'Allemagne en 9-ifi. Il eut
d'abord à combattre plusieurs grands vassaux qui
refusaient de reconnaître son autorité, et qui s'é-
taient alliés au roi de France, Louis IVd'Outrcmer.
Il les vainquit, et, maître incontesté de l'.MIoma-
gne. il assura la sécurité de ce pays par sa grande
victoire sur les Hongrois à Augsbourg (955), et
par diverses expéditions contre les Bohèmes, les
Polonais et les Danois. Profitant ensuite dos dis-
cordes de lltalie. il marcha au secours d'Adélaïde,
veuve du roi italien Lothairo, attaquée par Béren-
ger II, l'épousa (9oI), et, plus tard, détrôna Bé-
renger, et prit pour lui même la couronne d'Italie
et la couronne impériale (9li"2). Il avait rétabli
ainsi, au profit de la Germanie, l'empire de Char-
lemagne, ne laissant en dehors de sa domination
que cette partie de la Gaule où régnaient encore
les derniers Carlovingiens. Le mariage de son fils
avec la princesse grecque Théophanie lui donna
en outre des droits sur l'Italie méridionale.
Ces succès méritèrent à Othsn le surnom de
ouïe
— 1479 —
ouïe
Oraitil. Mais ses licritiers ne surent pas main-
tenir l'Allemagne au degré de puissancs où il l'a-
vait portée. Il mourut en 973.
Othon II, fils d'Otlionl'" et d'Adélaïde de Bour-
gogne, succéda à son père en 913. Il dut faire la
guerre au roi de Bavière qui lui disputait la cou-
ronne, et au roi de France, Lotliairc, qui réclamait
la Lorraine. Il battit Lotliaire, s'avança jus(|u'à
Paris et fit la pai\ en gardant la Lorraine, et on
cédant à un frèra de Lotliaire le duclié de Bra-
bant. Après avoir rétabli le pape Benoit VII, qu'a-
vait détrôné le consul Crescentius, il employa les
dernières années de son règne îi guerroyer dans
l'Italie méridionale, qu'il disputa aux Grecs en
vertu des dioits qu'il prétendait tenir do son
épouseTliéoplianie; mais il ne réussit pas à la con-
quérir. Il mourut en 983.
Othon m. fils d'Otlion II et petit-fils d'Othon F',
régnade 1)S3 h 1002. Pendant sa minorité, sa grand-
mère Adélaïde et sa mère Théoplianie exercèrent la
régence. Devenu majeur, il se rendit en Italie, força
les Romains i reconnaître son autorité, mit a mort
leur consul Crescentius, et donna la tiare ponti-
ficale au savant évêque français Gerbert (Sylves-
tre II), qui avait été le précepteur de son père.
Il mourut à l'âge de vingt-deux ans, empoisonné,
dit-on, par la veuve de Crescentius. Il eut pour
successeur son cousin Henri II le Saint.
2° Maison Guelfe.
Othon rv de Brunswrick, fils du duc de Ba-
vière Henii le Lion, fut élu empereur en 1198, .'i
la mort de Henri VI de Souabe. Il eut pour com
pétiteur Pliilippe de Souabe. frère de Henri VI
La lutte entre les deux rivaux dura dix ans ; mais
Philippe ayant été assassiné par Othon de Wittels-
bach, Othon IV demeura seul maître. Bientôt le
pape Innocent III, qui avait d'abord été son allié,
se brouilla avec lui, et lui suscita un nouveau
compétiteur, le jeune Frédéric II de Hohenstaufen.
Le fait le plus important du règne d'Othon IV est
sa guerre contre le roi de France, dans laquelle
il eut pour allié le roi d'.\ngleterre, Jean-sans-
Terre. Philippe-Auguste le vainquit à Bouvines
IVili). Othon mourut en \-IiS, et Frédéric II
fut reconnu empereur par toute l'Allemagne.
ouïe. — Zoologie et physiologie, XXXIX ;
Hygiène, XIV. — L'audition, ou le sens de l'ouïe,
a pour siège l'oreille. Ce sens permet de per-
cevoir les bruits produits par les vibrations des
corps solides, liquides ou gazeux, les suns musi-
caux formés par des vibrations isoclinmes ; il fait
distinguer Vinlensite du bruit ou du son, le timbre
qui indique la nature de l'objet vibrant.
L'appareil auditif est placé sur les cotés de la
tête. On y reconnaît trois parties : l'oreille externe,
Voreille moyenne eiVoreiHe interne.
L'oreille externe comprend lepavillon ou conque
auditive et le méat auditif. Le pavillon n'existe
que chez les mammifères, et même les espèces
souterraines, comme la taupe, et les espèces aqua-
tiques, manquent de cet appendice destiné à re-
cueillir les oniles sonores ou vibrations de l'air, ou
de l'eau. Chez l'homme, cette partie est bordée
par un repli régulier et terminée inférii^uroment
par un ''otiule graisseux La chauve-souris est pour-
vue d'un o/y/Z/on, sorte de petite conque logée dans
la grande (fig. 2), qui lui permet de fermer le tube
auditif pour se recueillir etse livrer au sommeil. C'est
le prolongement de la partie de l'oreille humaine
nommée trayus que l'on voit à la partie antérieure
et moyenne de l'oreille, en avant du méat auditif.
La conque est munie, à la base, de muscles,
très Qéveloppés chez certains animaux, qui per-
mettent de l'orienter dans la direction du bruit.
Le méat auditif ou conduit de l'oreille externe
80 termme à l'oreille moyenne. Les animaux aqua-
tiques peuvent le fermer par la contraction d'un
muscle circulaire. La peau qui garnit ce tube
renferme un grand nombre de petites ijtamies qui
sécrètent une matière jaunâtre appelée rerumen.
L'oreille moyenne consiste en une sorte de
caisse pleine d'air logée dans une cavité osseuse.
Elle est séparée de l'oreille externe par une mem
ulaii
I ifï i. — Oreille de 1 homnu
1 L.)ri.|ue .ludltive, — B, coiiduil du.lilif
, membrane du tympan; — 0, cai:^se du tj
enclume; — M, marteau; — G, canaux se
— H, limaçon ; — (, trompe d'Eustache.
brane tendue, le tympan, susceptible de vibrer
sous l'influence des ondes sonores de l'air ou de
l'eau. Du côté opposé, la caisse est fermée par
deux membranes tendues sur deux ouvertures
nommées fendlre ovale et fenêtre ronde; de sorte
que l'oreille moyenne peut être comparée à un
Tête d'oreillard.
tambour. Ce tambour est, rempli d'air à la pres-
sion extérieure, grâce à un conduit, nommé
trompe d'Eustache (du nom de celui qui l'a dé-
couvert) qui s'ouvre dans l'arrière-bouche.
La membrane du tympan est reliée 'a celle ilr
la fenêtre ovale par une chaîne de quatre pi^ins
pièces osseuses mues par des muscles. Ces osseli'ts
sont appelés, ;\ cause de leur forme parliculièrc,
le marteau, l'enclume, le lenticulaire (semblable
ouïe
1480 —
OVALE
à une lentille), et Vétrier. L'action des muscles et
des osselets détend ou raidit les membranes pour
faciliter ou atténuer leur vibration.
Fig. 3. — Les osselels de l'oreillo.
H, le marteau et ses muscles; -E, l'enclume; — L, le lenli-
culairc ; — K, l'étrier et sou muscle.
L'ensemble do l'oreille interne, logé dans un
os très épais, s'appelle labyrinltie: il comprend le
vestibule, trois canaux recourbés dits senti-circu-
laires, et le limaçon, qui doit son nom i sa ressem-
blance avec la coquille ainsi nommée. Tout le
labyrinthe est tapissé par une membrane sur la-
quelle s'étalent les extrémités des nerfs auditifs.
Cette membrane renferme un liquide gélatineux
qui transmet les vibrations.
Il semble que le vestibule donne la sensation
du tjruit, les canaux semi-circulaires celle du
timbre, et le limaçon, celle du ton, c'est-à-dire du
nombre de vibrations.
Chez les mollusques, l'oreille se réduit au ves-
tibule. I.e limaçon manque aux batraciens ; parmi
les poissons, il y en a qui n'ont que le vestibule,
mais la plupart possèdent en outre les canaux
semi- circulaires. L'oreille des crustacés, réduite
au vestibule, occupe la base des grandes antennes.
Fc;;. 4. — CoU|ie oblique du limaçon.
.,l:uue spirale exlt-rieure; — BB, iame spirale iotérieu
laquelle s'étendent les terminaisons a du nerf acousi
— C, séparation du deuxième tour d'avec le troisitn
D, rampe supérieure, vue au second tour ; — E, se
du lit
Cette description sommaire nous permet de
constater que l'ouïe est une sorte de toucher des-
tiné à constater et à interpréter les vibrations des
corps. Les vibrations violentes afi'ectent en outre
le cerveau d'une façon assez intense pour causer
de graves accidents et même la mort.
Comme les autres sens, l'ouïe s'émousse par
l'habitude des excitations violentes, se perfec-
tionne par une éducation méthodique.
L'ébranlement général produit par les bruits
intenses, spécialement par les détonatious, est
dangereux pour les personnes à poitrine délicate,
disposées à l'hémoptysie et aux maladies du coeur :
il cause souvent la perte complète de l'audition
chez les chaudronniers, les artilleurs, etc.
L'audition est sujette à des modifications pas-
sagères auxquelles on remédie souvent par des
précautions hygiéniques. Il faut éviter surtout les
brusques changements de température, les cou-
rants d'air, l'action prolongée du vent. Lorsque
l'accumulation du ceriuiien bourbe le conduit
externe, on le ramollit avec de l'huile pour en
faciliter l'extraction. Les soins de propreté sont
indispensables à tout âge, mais spécialement pen-
I dant la jeunesse.
C'est un tort grave de comprimer le pavillon
contre la tète par les attaches d'un bonnet. Non
seulement on aplatit et déforme cette partie, mais
on rétrécit le méat. Celui-ci éprouve souvi-nt un
rétrécissement, cause de demi-surdité, par suite
de la perte des incisives, qui fait porter le menton
en avant et en haut et déplace l'articulation de la
mâchoire : on y remédie en faisant remplacer les
dents absentes.
De même que l'on peut, au moyen de lunettes
bien choisies et bien graduées pallier les défauts
de la vue, on peut augmenter la faculté auditive
émousséeau moyen de divers instruments, tubes
ou cornets acoustiques. 11 y a longtemps que
Jurissen et Winkler ont conseillé l'usage de lattes
minces qui, placées entre les dents, transmettent
les vibrations sonores à la trompe d'Eustache.
llard a transformé cet instrument primitif en un
petit, porte-voix dont l'extrémité amincie en bec
de clarinette se presse entre les dents. 11 est bon
de rappeler le nom de ces inventeurs aujourd'hui
qu'on applique leur système modifié sous le nom
à'audiphiijie. Celui-ci consiste en une plaque mince
de bois, de caoutchouc durci ou d'autre substance
que l'on tient à la main et que l'on serre entre
les dents, en lui faisant prendre une forme légè-
rement concave. Les ondes sonores frappant cette
plaquo so communiquent à l'oreille interne par
les os du labyrinthe, et, si la surdité n'affecte que
l'oreille moyenne, on peut entendre assez distinc-
tement, au bout de quelques heures d'exercice.
L'inflammation de l'angine et du coryza peut se
propager à la trompe d'Eustache et causer une sur-
dité momentanée ou même permanente. L'hygiène
et les ablutions froides fréquentes éloigneront ce
danger. La propreté et l'hygicne préviendront éga-
lement la propagation au conduit auditif des ma-
ladies du cuir chevelu : impétigo, eczéma, gourmes.
Dès qu'un enfant se plaint d'un mal d'oreille, il
faut s'assurer qu'il n'y a pas introduit un corps
étranger et, s'il y a lieu, procéder immédiatement
i son extraction ; le plus souvent l'intervention du
médecin est nécessaire.
Pour l'ouie comme pour les autres sens, la
modération est de rigueur si l'on veut conser-
ver son intégrité et sa sensibilité. On s'accou-
tume, il est vrai, au bruit, mais son effet n'est pas
moins pernicieux. Par contre, si le calme, le si-
lence sont utiles dans la plupart des maladies, et
après les fatigues intellectuelles, l'absence absolue
de bruits donne à l'ouïe une sensibilité maladive
comme celle que contracte la vue des personiies-
privées longtemps de lumière. [D' Saffray.]
OVALE. — Géométrie, XXIV. — Etym. : du
latin ovum, œuf. — L'ellipse n'étant pa^^ facde a
tracer d'un mouvement continu sur le papier, on
a imaginé de construire des courbes qui en difle-
rent très peu, en les formant d'arcs de cercles qui
ont des rayons inégaux et sont raccordés ensemble y
ces courbes sont appelées ovnles. Parmi les diver»
procédés propres à les décrire, nous indiquerons
les principaux.
Il y a deux cas à examiner : 1» on donne seu-
OVALE
— 1481 —
OVALE
lompiit un axe ; 5* on donne les deux axes, comme
dans l'ellipse.
1. Ovale a un axe. — 1° Soit AA' l'axe donné.
On 11! divise en 3 parties égales (fig. 1); des points
do division C et D pris pour centres, on décrit
avec AC pour rayon deux circonférences qui se
coupent; des deux points d'intersection 1 et F. on
mène les diamètres IM' et IN', EM et F.N ; puis
du point E pour centre, on décrit avec EM pour
rnjon un arc de M en N, et de I pris pour centre,
avec le môme rayon, un are de M' en N'. On ob-
tient ainsi l'ovale AMINA'N'M', composé des deux
ïrcs égaux MN et M'N' dont le rayon est double
du rayon des deux autres.
Il est bon d'observer que le quadrilatère CIDE
est un losange.
2° On divise l'axe AA' en i parties égales (fig. 2},
. 1/
E^'
et des trois points de division C,G,D pris pour
centres, on décrit avec AC pour rayon trois cir-
conférences qui se coupent deux k deux. Par le
centre G de la première et chacun des deux points
où elle est coupée par la seconde on mène doux
droites; on fait de môme par le centre D de la
troisième et chacun des deux points où elle est
coupée par la seconde. Ces droites en se rencon-
trant déterminent un losmge GIDE. Du point E
pris pour centre avec EM pour rayon on décrit
un arc de M en N; puis àa point I pris pour cen-
tre et avec le môme rayon on décrit un arc de
M' en N'. On a ainsi l'ovale AMNA'N'M', composé
des deux arcs égaux MAM' et NA'N' raccordés par
les arcs égaux MN et M'N'.
3° Si l'on veut avoir un ovale plus étroit que
les deux précédents, on partage AA' en 5 parties
égales (fig. 3;. Des points de division C et D, on
Fig. 3.
décrit avec CA pour rayon deux circonférences;
puis des mômes centres, avec la distance GD
pour rayon, deux arcs passant en C et en D et se
coupant aux points I et E. De chacun de ces deux
points on mène des droites par les centres C et
D, ce qui forme un losange CIDE; puis du centre
E avec EM pour rayon on décrit un arc de M en
N, et du centre I avec le même rayon un arc de
M' en N'. On obtient ainsi l'ovale AM'VA'N'M'.
II. Anse de panied. — Dans la construction dos
ponts à voûte surbaissée, les ingénieurs préfèrent
souvent la forme de l'ovale à celle d'une vraie
ellipse, non seulement parce qu'elle se trace ra-
pidement sur le papier, mais encore par la plus
grande facilité (|u'ellc fournit pour l'exécution des
panneaux destinés à la taille des voussoirs. Dans
ces circonstances, ce n'est pas seulciuent le grand
axe qui est donné par la largeur de la rivière, le
petit axe est aussi déterminé par la hauteur que
doit avoir le pont. On a donc cherché h former
au moyen d'arcs de cercle des ovales dont les
deux axes sont donnés. La moilié de l'ovale si-
tuée d'un côté du grand axe est vulgairement ap-
pelée imse de panier; parmi les divers procédés
employés pour décrire celte courbe, nous en in-
diquerons trois des plus simples.
1° Anne de panier à 3 centres. — Soit AA' le
grand axe (fig. 4), et OB, perpendiculaire au milieu
de AA', la hauteur de la voûte.
Sur AA' pris pour diamètre, on décrit une demi-
circonférence qu'on divise en 3 parties égales
aux points H et H' ; on mène les cordes AH,
HG, GH', H'A' et les rayons 011 et 0(1'. Puis du
sommet B on tire BM parallèle il GH et BM' pa-
rallèle ix GH' ; on mène, du point M, la droite MD
parallèle au rayon HO, et de M' une parallèle au
rayon H'O, qui doit aboutir au môme point D du
prolongement de BO.
Le triangle AMC est semblable au trianfjle équi-
latéral AHO; donc CM est égal à CA ; de môme
le triangle DMB est semblable au triangle iso
scèle OHG; donc DM est égal à DB. D'après cela
on décrit du centre C avec GA pour rayon l'arc
AM, puis dn centre D avec DM pour rayon un
arc de M en B et en M', et enlin du centre G' l'arc
M'A'. On obtient ainsi l'anse de panier AMBM'A' à
trois centres C, D, G'.
Cette construclion est due h Iluyghens, célèbre
mathématicien hollandais du xvii' siècle.
2° A7ise de panier à 5 centres. — On divise en
5 parties égales AK = KH = IIH', etc., la demi-cir-
conférence décrite sur AA' comme diamètre
(fig. 5); on mène les cordes AK,KH,HG,GH', etc.,
et des rayons aux points K,H G,H',K'. On prend h
volonté sur AO un point C, par exemple au mi-
lieu de AO, et par ce point on mène une pa-
rallèle au rayon KO. Du point M où elle rencontre
la corde AK, on mène une parallèle h la corde
KH, et du sommet B une parallèle à la corde GH
ces deux parallèles se rencontrent en un point N
De ce point N on tire une parallèle au r:iyon HO ,
elle coupe la droite MGet la direction du i)etitaxe
aux points V et I).
Par la similitude des triangles ACVl et AKO,
des triangles MNF et KHO, des triangles \BU et
OVALE
1482 —
OVE
HGO, on reconnaît facilement que CM est égal à
CA, que FN est égal à FxM, que DB est égal à DN.
3)«
Fi?. 5.
D'après cola on déci-it du centre C l'arc AM, du
centre F l'arc MN et du centre D l'arc NB pro-
longé jusqu'en N'. En répétant ces constructions
à droite, on forme l'anse de panier AMNBN'M'A' .'i
6 centres C,F,D,F',C'.
3"" Anse de papier à 3 centres. ~- Le tracé sui-
Yant a été indiqué par l'abbé Bossut, mathématicien
français mort en 1814.
On rabat la hauteur OB sur le demi-axe OA
(fig. 6) en OT, ce qui donne leur différence AT,
ii)
Fig. 6.
et on porte cette différence en BH et BH' sur les
droites BA et BA'. Par le milieu des droites AH
et A'H' on mène des perpendiculaires, qui rencon-
trent le prolongement du petit axe au mémo
point D et coupent l'autre axe aux points C et C.
De ces points pris pour centres on décrit les arcs
égaux AM et A'M' ; puis du point D pris pour
centre avec DM pour rayon un autre arc joignant
le point M au point M'. Ce deuxième arc passera
par le sommet B; car d'après cette construction
la distance DB doit être égale à la distance L)M.
Pour le démontrer il suffit de faire voir qu'on a :
DB = DM = DK + CA -CK.
Afin d'abréger, posons :
OA = a; OB = i; AB = c.
On aura d'abord :
-fj) 0 — « + 6 .
AK = -
BK = :
-(a-
■é =
■-1- a — b
Des triangles rectangles semblables BDK et ABC,
on tire les deux proportions :
BD
AB
DK
Ao'
BO
BK
'bo
d'où DK =
a(c+a — h)
■ib
Des triangles rectangles semblables ACK et ABO,
on tire les deux proportions :
AC AK ,.., .^ c(c — « + M.
2'i
AC = -
AK
d'où CK =
b(c — a + b)
■2a
CK
BO~AO
D'après cela on aura :
DK-f CA-CK=°^'^+"-^^ I ^«^-"+b)_hjc-a±b)
^ 2i la '2a
En effectuant la réduction dans le deuxième mem-
bre, on trouve en effet :
DK + CA - CK = ilî±^ = BD,
ce qui démontre l'égalité énoncée.
[G. Bovier-Lapierre.]
OVE. — Géométrie, XXIV. — Etym. : du latin
oviim, œuf. — 1° Soit à construire un ove sur une
droite AA' (fig. 1). On décrit sur A A' comme dia-
mètre une circonférence ; des extrémités A et A , on
mène par le milieu C de la demi-circonférence
ACA' les droites ACD' et A'CD; puis de A pris
pour centre avec AA' pour rayon, on décrit un
arc de A' en D', et avec A' pour centre et le même
rayon un autre arc de A en D; enfin de C pris
pour centre avec le rayon CD, on décrit de D en
D' un arc qui raccorde les deux arcs précédents.
On obtient ainsi l'ove BADD'A', composé des
deux arcs inégaux ABA' et DD' raccordés par les
deux arcs égaux AD et A'D'.
Cette courbe se rencontre dans certains orne-
ments d'architecture C'est aussi la forme de la
section droite des égouts souterrains contruits
dans les grandes villes; la voûte est un pb-in
cintre et la partie inférieure se compose de deux
surfaces cylindres égales se raccordant à une autre
surface cylindre qui forme le fond.
2° Voici un autre tracé d'un usage assez fré-
quent pour la section droite à donner à un
égout.
Après avoir décrit une demi-circonférence sur
AA' comme diamètre (fig. 2), on lui mène une
perpendiculaire par le centre O ; on divise ce dia-
mètre en 4 parties égales et on le prolonge à
chacune de ses extrémités d'une longueur (Al et
AT) égale au quart OG du diamètre.
Des points 1 et I' pris pour centres, on décrit
avec IG' pour rayon, et à partir de G et de G',
deux arcs qui se coupent en un point C_; de ce
point C pris pour centre, on décrit une circonfé-
rence avec un rayon égal à OG ; puis on tire les
droites indéfinies IC et l'C, et des points I et I'
pris pour centres, on décrit, avec un rayon égal
OXYGENE
— 1483 —
OXYGENE
à lA', deux arcs, l'un de A en D et l'autre de A'
en D'. On obtient ainsi la section BADKD'A'.
Ordinairement c'est la profondeur de l'égout BK
qui est déterminée par la nature des lieux plutôt
que le diamètre horizontal AA'; l'ingénieur est
obligé alors de recourir au calcul pour trouver
les rayons des arcs qui doivent composer l'ove.
[G. BovierLapierre].
OXYDES. — V. Nomenclature et Oxi/géne.
OXY(iÈ>'E. — Chimie, 1. — C'est au mois
d'août 1774 que l'Anglais Priestley, célèbre par
les nombreux gaz qu'il a découverts, parvint à
isoler l'oxygène, et c'est l'année suivante que La-
voisier, en faisant l'analyse de l'air, montra que
l'oxygène constitue l'élément actif de la combus-
tion et de la respiration des animaux. Il peut au
premier abord sembler étonnant qu'on n'ait point
plus tôt découvert un gaz qui existe dans l'air et
dans l'eau. Mais pour se rendre compte de la dif-
ficulté d'extraire l'oxygène de l'air ou de l'eau, il
suffit d'en connaître les propriétés chimiques. En
effet, chaque fois qu on veut séparer deux gaz
combinés ou intimement mélangés, il faut en
fixer un dans une nouvelle conibinaison ; or lors-
qu'on essaie celte analyse sur l'air ou sur l'eau,
c'est toujours l'oxygène qui se combine avec le
corps que l'on fait intervenir. Ainsi, en faisant
passer de la vapeur d'eau sur du fer chaufl'é au
rouge, l'eau est décomposée, mais le fer est oxydé
et c'est l'hydrogène quiestnjisen liberté. Si on fait
brûler du phospljore, du cuivre, etc., dans l'air,
c'est de l'azote que l'on obtient en même temps que
de l'acide phosphorique, de l'acide sulfureux ou de
l'oxyde de cuivre.
Le problème industriel si important qui consiste
à pouvoir extraire à bon marché l'oxygène de l'eau
ou de l'air n'est pas encore résolu. Nous verrons
plus loin que cela peut cependant se faire indi-
rectement .
Propriétés de /'oxygène. — L'oxygène est un
gaz incolore, inodore, incombustible ei comburant.
C'est l'agent actif des combustions* et de la respi-
ration* des animaux. Une allumette en ignition
qu'on y plonge s'y rallume et y brûle avccvivacité;
le phosphore, le fer, le magnésium y produisent
une combustion d'une vivacité telle que la lumière
en est éblouissante; la température qui en ré-
sulte volatilise le fer et l'acide phosphorique au
moment où celui-ci se produit. Presque tous les
corps peuvent s'unir à l'oxygène ; quand la com-
binaison se fait à froid lentement, on l'appelle
combustion lente. Le phosphore que l'on tient
dans les doigts humides donne naissance à une
combustion lente ; il se produit dans ce cas de
l'acide pliosphoreux, moins riche en oxygène que
1 acide phosphorique. Le bois qui pourrit se com-
bine lentement à l'oxygène de l'air en dégageant
de l'acide carbonique. Le fer et les autres métaux
qui se rouillent, surtout dans l'air humide, se
combini'nl lentement à l'oxygène.
A une température plus ou moins élevée, tous
les métaux, excepté l'or et le platine, se combi-
nent directement à l'oxygène. C'est même comme
cela que se préparent certains oxydes métalliques
employés dans l'industrie, par ex. : la litharge, le
minium (oxyde de plomb), le blanc de zinc {oxyde
de zinc).
Parmi les métalloïdes, l'hydrogène, le carbone,
le phosphore sont ceux qui se combinent le plus
facilement à l'oxygène. A une température sufti-
samment élevée, les deux premiers enlèvent
l'oxygène h tous les corps qui en contiennent : c'est
ce qui fait qu'ils sont dits réductei'rs.
C'est i cause de cette précieuse propriété que le
charbon sous toutes ses formes, charbon de bois,
houille, anihracite, coke, est si employé dans la
métallurgie soit comme réducteur, soit comme
combustible.
L'hydrogène en brûlant dans l'oxygène pur
donne une flamme dont la température peut être
assez élevée pour fondre et volatiliser instantané-
ment le fer, le cuivre, le zinc, etc. {V. Hydrogéné).
On a cru pendant longtemps que l'oxygène,
l'hydrogène et l'azote ne pouvaient être réduits il
l'état liquide ou solide, et on les appelait pour
cette raison gaz permanents. Mais les belles expé-
riences de MM. Pictet, à Genève, et Cailletet, i
Paris, ont démontré que l'oxygène, aussi bien que
l'azote* et l'hydrogène, pouvait', sous une très hante
pression, être amené à l'état liquide. Ces résultats
ont démontré qu'aucun corps n'est essentielle-
ment gazeux, mais que cet état dépend seulement
des conditions de pression et de température
auxquelles il est soumis.
L'oxygène est assez peu soluble ; sa densité par
rapport à l'air est \,WM, c'est-à-dire qu'un litre
d'oxygène à 0" et sous la pression de TGo"™ de mer-
cure pèse 1,105(1 X le',?93, ce dernier nombre
représentant le poids d'un litre d'air i cette même
pression et i celte même température.
L'oxygène respiré pur produit une sensation de
fraîcheur agréable et souvent quelques vertiges.
On a essayé de le l'aire respirer pur aux phtisi-
ques, mais sans succès; mêlé d'air, et respiré tous
les jours, il améliore l'état des anémiques. Res-
piré à haute pression [h atmosphères d'oxygène
pur), il constitue un poison pour toutes les cel-
lules vivantes, d'après les expériences qu'a faites
M. Paul Bert sur les animaux et les végétaux ; il
tne les anim.aux avec d'alTreuses convulsions. Fait
inattendu, h cette dose il n'exagi' re pas les combus-
tions organiques, mais au contraire les ralentit, les
dévie et enfin les arrête.
Dans le phénomène de la respiration, l'oxygène
joue lin rôle universellement important; son ac-
tion sur l'organisme est une des conditions essen-
tielles de la vie ; c'est ce qui a fait dire à Lavoisier
que celle-ci est une véritable combustion. D'après
les récents et remarquables travaux de M. Pasteur,
les qnelques ferments* qui en apparence semblent
vivre et se développer sans oxygène empruntent
au contraire ce gaz, dont ils ont autant besoin que
les plus grands animaux, aux corps oxygénés au
milieu desquels ils se développent.
Les plantes elles-mêmes absorbent aussi de
l'oxygène et dégagent de l'acide carbonique.
I.'oxygène inti'rvient donc dans tous les phéno-
mènes vitaux qui s'accomplissent il la surface du
globe ou dans les profondeurs de l'Océan, puisque
les poissons respireni, aussi bien que dans la
plupart des transformations que subissent ii l'air
les substances minérales ou les débris organiques
qui s'y décomposent pour revenir plus ou moins
rapidement par une combustion lente à l'état mi-
néral {W. Fcrmeulniion).
PACHYDERMES
148 i —
PALEONTOLOGIE
Prépara/ion de l'orygène. — On obtient de
l'oxygène en décomposant de'! corps qui en con-
tiennent beaucoup, sels, acides on oxydes
Un moyen facile consiste à calciner dans une
cornue de gros portant un tube à, dégagement du
bioxyde de manganèse naturel. On l'achète à lion
marché en poudre grise légèrement brillante. Il
perd une partie de son oxygène, le tiers k peu près,
et on retrouve dans la cornue un oxyde brun de
manganèse. Voici la formule représentant la réac-
tion : 4Mii02 = Mn»0*XOs.
On peut encore traiter le môme bioxyde de man-
ganèse par l'acide sulfuriquo ordinaire ; l'expé-
rience peut se faire dans un ballon de verre, car
il n'est pas nécessaire de chaulTer à plus de 200°.
Le bioxyde de manganèse ne se combine point à
l'acide sulfuriquo pour former du sulfate de man-
ganèse, sans avoir perdu la moitié de son oxygène
et s'être ainsi transformé en protoxyde. Cette pré-
paration est peu employée. On obtient encore de
l'oxygène, comme l'ont fait Lavoisier et Priestley,
en calcinant l'oxyde rouge de mercure ; il aban-
donne tout son oxygène.
La préparation la plus employée consiste à
chauffer dans une petite cornue de verre avec une
lampe à ak'ool un mélange de chlorate de potasse
et de bioxyde de manganèse ; le dernier n'inter-
vient dansla décomposition du premier qu'en fa-
cilitant son échauffement lorsqu'il est fondu ; on
peut remplacer le bioxyde de manganèse par du
peroxyde de fer (colcotliar) ou par de l'oxyde do
cuivre. Le chlorate de potasse est très riche en
oxygène, comme sa formule l'indique: KO,CIO^;
b. une température inférieure à celle du rouge il
perd rapidement tout son oxygène, en laissant un
résidu de chlorure de potassium. KO,CIO° = KCI
-f O*. Le dégagement étant très rapide, il faut avoir
soin de remplir d'eau d'avance un certain nombre
de flacons et d'éprouveltes de manière k les glis-
ser rapidement dan^ la cuve à eau au-dessus de
l'ouverture du tube à dégagement, aussitôt que le
flacon (|ui .s'y trouve est rempli.
Le savant professeur H. Deville a dans ces der-
nières années donné un moyen d'obtenir de
grandes quantités d'oxygène à un prix très peu
élevé. C'est en décomposant l'acide sulfurique par
son contact avec des fils de platine portés au rouge.
C'est peut-être par ce procédé qu'on arrivera à
éclairer nos villes k la lumière oxhydrique (mé-
lange de gaz d'éclairage et d'oxygène brtilant à la
sortie du bec). Jusqu'à présent les essais tentés
dans cette voie semblent n'avoir pas réussi suffi-
samment, puisque la lumière oxhydrique n'est
point employée en grand.
Vers 1867 MM. Tessié du Motay et Maréchal or-
ganisèrent un éclairage au gaz oxhydrogène sur la
place de l'Hôtel-de-Ville et dans la cour des Tuile-
ries. Ils se procuraient l'oxygène en exposant à l'air
des manganates, qui, en absorbant de l'oxygène, se
transformaient en permanganates qu'on ramenait
ensuite à l'état de manganates en leur reprenant de
l'oxygène. Enfin on a essayé de prendre l'oxygène
h l'air en le faisant passer sur de la baryte chauffée
au-dessous du rouge; celle-ci se transforme en
bioxyde de baryum, qui. au rouge, abandonne son
excès d'oxygène et redevient de la baryte.
L'oxygène a pu être obtenu dans un état parti-
culier où ses propriétés chimiques sont extrême-
ment développées. Dans cet état il se combine
directein.mt et à froid à la plupart des métaux,
détruit les matières organiques.
On l'appelle alors 0~one.
L'oxygène existe pour ainsi dire partout, dans
l'air, daiîs l'eau, presque dans tous les produits or-
ganiques et dans la plupart des pierres ou des
roches constituant la croûte terrestre, depuis le
granit le plus dur jusqu'à l'argile !a plus plastique.
Dans l'air il est à l'état de luélange avec l'azote ;
partout ailleurs il est en combinaison solide ou
liquide ; dans les roches granitiques il est à l'état
de combinaison avec le silicium, constituant la
silice ou acide silicique, et avec le potassium, le
calcium, etc., constituant la potasse, la chaux,
bases qui dans ces sortes de roches sont combi-
nées à la silice. [A. Jacquemart.]
PACHVDER.MES. — Zoologie, X-XI. — Dans les
anciennes classifications zoologiques, l'ordre des
Piirh>j'lerm''s renfermait un grand nombre de
mammifères différant notablement les uns des
autres par leur structure intime, par leurs formes
extérieures, par leur régime et par leurs mœurs,
et n'ayant guère d'autre caractère commun que
l'épaisseur de leurs téguments. Aussi, dans ces
derniers temps, a-t-on jugé nécessaire de subdi-
viser ce groupe hétérogène en trois ordres: les
Proboscidiens' ou éléphants, les Jumentés ' ou
Périsso'Iactyles, et les Porcins'. [E. Oustalet.]
PACTE. — Histoire générale, XXXIX-XL. —
Nom donné dans l'histoire à diverses conventions
secrètes ou publiques, ainsi qu'à des actes consti-
tutionnels. Citons entre autres : 1" le Pacte de
famille, acte signé, à l'instigation du duc de Choi-
seul, en PCI, par divers souverains de la maison
de Bourbon (le roi de France, le roi d'Espagne, le
duc de Parme), qui unissaient leurs forces con-
tre l'Angleterre ; f \e Pacte de famine^ nom sous
lequel ou a désigné les agissements au moyen
desquels certains financiers provoquèrent des di-
settes artificielles en accaparant les grains sous les
règnes de Louis XV et de Louis XVI ; 3" le Pacte
de ISl.S, noiu donné à la constitution qui a régi la
Suisse de I81ià ISiiJ, et qui avait succédé à l'Acte
de médiation.
PALÉONTOLOGIE. — Géologie, IV.— Etym. :
du grec palnios, ancien, on. être, et lo;}os, science.
— La paléontologie est la science des fossiles '.
Dès la plus haute antiquité on a remarqué les
fossiles; leur nombre parfois prodigieux dans la
même couche et la régularité de leurs formes les
imposaient en quelque sorte à l'observation. Mais
ils n'ont pendant bien des siècles procuré aucune
notion sérieuse. Bien que beaucoup d'anciens,
parmi lesquels se détachent les grands noms de
Platon, de Pythagore, d'Aristote, de Pline, de Sé-
nèque, eussent signalé à maintes reprises les pé-
trifications, celles-ci ne donnèrent lieu jusqu'à la
fin du XV' siècle qu'à des dissertations tout à fait
vasues.
Au .xvi« siècle; les fossiles furent remarques
davantage; mais après en avoir fait do simples
caprices de la nature, on imagina, pour en expli-
quer l'origine et la nature, les hypothèses les plus
bizarres; de façon que malgré des éclairs inter-
mittents de génie, comme ceux que répandirent
Léonard de Vinci et Bernard Palissy, l'examen de
ces restes, qui devaient être si précieux pour la
science, ne fut qu'un siiuple détail de l'étude des
roches où ils sont renfermés.
C'est à notre compatriote Georges Cuvier qu'est
due sans conteste la création de la paléontologie.
Les découvertes de cet homme illustre ont eu
PALEONTOLOGIE
— 1485
PALEONTOLOGIE
pour premier thcâtro les plàtrières de Montmartre
et pour origine les trouvailles d'ossemi'nts fossiles
<lu'oii y fit. Comme on voit, la paléontologie est
essentiellHment française et sa création est un
titre do gloire pour notre pays.
La question capitale étudiée d'abord par Cuvier
fut de savoir si les fossiles proviennent d'êtres
difl'érents de ceux qui vivent actuellement. Déjà
l'observation des coquilles pétrifiées avait amené
à so faire la même demande à l'égard des mollus-
ques ; mais le problème avait dû être regardé
comme insoluble à cuuse de l'immense variété de
ces animaux inférieurs, et h cause aussi de la cer-
titude que les abîmes des mers profondes, où les re-
clierclies sont loin d'être complètes, nous réservent
pour plus tard la connaissance d'une faune innom-
brable.
Ces considérations conduisirent Cuvier à porter
toute sou attention sur les animaux supérieurs,
qui sont en nombre bien plus restreint et qui ne
peuvent échapper aussi facilement à nos investi-
gations. Mais il s'aperçut tout de suite que le pro-
blème qu il poursuivait supposait connue dans
tous ses détails l'ostéologie de tous les animaux
contemporains, et c'est ainsi que l'ajiatomie com-
parée, simple accessoire de travail principal, fut
créée en passant.
Nous n'insisterons pas sur les résultats obtenus
par Cuvier: ils peuvent s'exprimer en disant que les
êtres fossiles diffèrent des animaux d'aujourd'lmi,
et par conséquent que la faune a été renouvelée
à la surface du globe depuis les temps géologiques.
Cuvier montra aussi que par suite des lois de l'or-
ganisation animale, des fragments incomplets d'un
squelette peuvent permettre de reconstituer l'être
tout entier d'où ils proviennent, et même de déter-
miner une foule de particularités de celui-ci qu'on
ËÙt pu croire bors de l'atteinte de nos études,
comme celles qui regardent ses liabitudes et
même son aspect général. Ces conséquences ont
perdu depuis Cuvier un peu de la certitude ab-
solue qu'il leur attribuait, par suite de la décou-
verte de nombreux animaux participant à la fois
de caractères empruntés à divers types ; mais le
principe subsiste tout entier et constituera tou-
jours uns des plus grandes conquêtes de l'esprit
scientifique sur la nature.
Le nom du Pala^ot/teriinn, le plus frappant des
animaux de Montmartre, consacre le fait de la des-
truction des espèces aujourd'hui fossiles, et pour-
rait par conséquent s'appliquer à la plupart des
animaux dont s'occupe la paléontologie.
Il importe d'ajouter tout de suite que les fossiles
comprenant des plantes au môme titre que des
animaux, les conclusions générales sont les mêmes
à leur égard.
Mais, en montrant que la faune actuelle diffère
de la faune éteinte, Cuvier était bien loin d'avoir
épuisé le sujet, et son célèbre collaborateur, Alexan-
dre Brongniart, fut conduit par l'étude de la géo-
logie proprement dite à une notion complémentaire
de première importance. C'est celle des caractères
paléontologiques des formations successives.
Déj.\ Cuvier avait parfaitement remarqué que
les grands reptiles fossiles des couches jurassi-
ques fotit place, dans le plâtre de Montmartre, à
des animaux tout différents. Mais cette observa-
tion ne l'avait pas conduit où Brongniart arriva. En
effet, celui-ci reconnut que les fossiles caractéri-
sent les couches qui les renfermetit, de façon àpou-
voir servir à la détermination de làge de celles-ci :
ce fait d'application journalière est devenu la base
même de la géologie stratigraphique.
La première carrière venue montre les couches
successives renfermant souvent des faunes diffé-
rentes; et des carrières même distantes montrent
la même faune se poursuivant au même niveau.
La découverte de Brongniart a admis un vif
éclat par l'application qu'il en lit au classement
de couches dont l'âge réel n'était pas soupçonné.
Nous en citerons deux exemples.
Le premier concerne la montagne des Fiz, près
du Buet, dans les Alpes. Cette montagne est formée
de lits nombreux qui s'ijiclinent du N.-E. au S.-O.,
et qui à Servez, où ils se montrent par la trajiche,
semblent horizontaux. Vers le haut, sur la pente
roide qui va aux chalets de Sales, est une couche
noire, dure, compacte, d'un faciès très ancien et
qui renferme des coquilles. Or Brongniart, étu-
diant celle-ci, y recoiniut, contre toute attente, les
fossiles de la craie de Rouen. Malgré sa couleur et
sa situation élevée, c'est maiiitcnant sans hésitation
qu'on rapporte la couche alpine à ce niveau du
terrain crétacé.
En second lieu, auxDiablerets,lemcme géologue
signala une assise d'aspect analogue, mais dont les
fossiles, d'âge encore plus récent, datent de l'é-
poque tertiaire.
Les progrès de la science ont confirmé ces ré-
sultats si liardis, et chaque jour les géologues tirent
le plus grand parti de synchronismes de ce genre.
Nous n'avons pas à revenir sur le mécanisme de
la fossilisation, déjà exposé à l'article Fossiles; mais
il importe de fixer un moment notre attention sur
la manière d'être des fossiles dans les couches
qui les renferment.
Dans la plupart dos dépôts, ces débris ne jouent
par leur volume qu'un rôle tout k fait secondaire:
ce sont comme de simples accidents, plus ou
moins fréquents d'ailleurs, à l'intérieur des cou-
ches de sédiment. Parfois cependant, certaines
couches sont essentiellement composées de fos-
siles. Il en est ainsi pour diverses assises do la
pierre à bâtir de Paris et pour les couches de
sable des environs de Tours.
On assiste k la formation actuelle de semblables
accumulations sur une foule de points, et par
exemple sur les cotes de Normandie et de Bretagne,
où des coquilles charriées par des courants vien-
nent se réunir dans des anses déterminées, h la
suite d'un véritable triage. Parfois aussi l'accumu-
lation des fossiles est due au mode même d'existence
des animaux fossilisés. Ainsi, dans les lacs, il se
fait quelquefois des agglomérations de ces curieux
fourreaux minéraux dont s'enveloppent les larves
do phryganes (V. Insectes, p. 1028) pour protéger
leur corps, mou comme celui des vers, contre l'at-
taque des carnassiers. De même les huîtres édi-
fient, en se superposant les unes aux autres, des
bancs entiers qui passent pour ainsi dire en bloc
il la fossilisation. Mais c'est parmi des êtres bien
plus inférieurs encore que l'on trouve les construc-
teurs de roches de beaucoup les plus actifs. Les
rhizopodes ou foraminifères (V. Protozoaires) sont
des animaux de très petite taille, souveiit mi-
croscopiques, et dont le corps est protégé par
une enveloppe presque toujours siliceuse. Or, le
sable du littoral des mors est tellement rempli de
rhizopodes qu'il s'en montre quelquefois à moitié
composé. On en a compté Gi)W) dans une once de
sable de l'Adriatique, et 480, "00 dans 3 grammes
de sable des Antilles, ou :!,84U,OO0 dans une once.
Ces proportions nmltipliées par 1 mètre cube dé-
passent toutes les prévisions humaines et grossis-
sent tellement le nombre des chitl'res qu'on a de
la peine k lus saisir. Mais que sera-ce pour peu
qu'on l'étende il l'immensité do la surface des
cotes maritimes du globe ? Les restes de rhizo-
podes forment en grande partie les bancs qui
gênent la navigation, obstruent les golfes et les
détroits et comblent les ports. On ne sera pas
étonné d'après cela d'apprendre que des couches
entières du globe sont constituées par les restes
de rhizopodes fossilisés.
Les polypiers, dont le corail est un exemple des
plus connus, offrent l'image la plus saisissante de
PALEONTOLOGIE
— 1486
PALEONTOLOGIE
l'intervention de la vie dans l'accroissement des ;
couches du globe. Les débris qu'ils laissent après j
eux, au lieu de s'entasser pêle-mêle, se rattachent
intimement à la roche sous-jacente qui sert de ,
support et de fondement à l'édiflce qu'ils élèvent.
Ces débris se soudent entre eux pour constituer ^
des masses qui affectent des formes particulières j
dont les uto Is et les îles Lnfjoun nous montrent ^
l'exemple le plus remarquable. On cojinait dans
le terrain jurassique un énorme ensemble de cou-
ches auxquelles on a donné le nom de curallien-
nes, parce qu'elles représentent d'immenses atolls
fossilisés. ]
En se fossilisant, les végétaux édifient des ro-
ches aussi bien que les animaux : tantôt leurs dé-
bris viennent s'amasser en certains points où les
iharrient des courants ; tantôt ils s'accumulent sur
place de façon à constituer, toute proportion
gardée, des sortes d'atolls végétaux. I
Parmi les formatiojis du premier genre, on peut
citer les couches de bois charriées en Islande par
le Gulf-Stream. Ce bois originaire de l'Amérique
centrale fournit à l'Islande son principal com-
bustible. 11 forme par exemple au fond de la baie
de Verki un amas de 1 10 mètres de long sur 12 d'é-
paisseur. Beaucoup de couches de lignite des ter-
rains tertiairesontmanifestement la même origine.
Parmi les couches dues à des débris végétaux
accumulés sur place, nous nous bornerons à men-
tionner les tourbières, faciles à étudier dans une
foule de localités. Ce sont des sortes de maréca-
ges dans lesquels poussent diverses plantes et
spécialement des mousses connues sous le nom de
sphairpie'. Ce qui rend ces végétaux particulière-
ment propres au tourbage, c'est qu'ils poussent
exclusivement par leur sommet. A mesure que la
partie supérieure de la tige s'allonge, la partie in-
férieure jneurt et tend i se transformer en tourbe.
Des études très précises ont montré que le tour-
bage rend raison presque dans les moindres dé-
tails do la formation si importante de la houille
et des autres combustibles minéraux.
Ces notions générales une fois acquises, il nous
reste i en faire une application immédiate en
montrant comment les terrains superposés dont
se compose l'écorce terrestre sont caractérisés par
des fossiles particuliers.
Dans le terrain cambrien inférieur on a signalé
la présence du problématique Eozooi. Il se pré-
sente sous l'aspect de sinuosités régulières dans
lesquelles beaucoup de géologues se refusent ce-
pendant à voir les vestiges d'une organisation. Les
plus gros échantillons viennent du Canada; on en
a trouvé aussi en Europe et spécialement en Bo-
hème. Les Linrpiles caractérisent le cambrien su-
périeur : ce sont des mollusques * bracliiopodes dont
le nom vient de leur ressemblance avec une lan-
gue, et qui sont reconnaissables à leur coquille
allongée dont les deux crochets sont également
creusés d'un sillon interne par le passage du
muscle qui retient les deux valves.
A l'époque silurienne, nous devons signaler
tout spécialement, à cause de leur profusion, les
étranges animaux qu'on nomme des Trihibi'es. Ce
sont des crustacés ' qui se présentent habituelle-
ment sous la forme d'un bouclier ovale, composé
d'articles divisés en trois parties par des dépres-
sions longitudinales. Les mêmes terrains con-
tiennent beaucoup de mollusques. On y trouve
aussi des empreintes extrêmement abondantes dé-
signées sou.T le nom de grap/io it/ies; on s'accorde
à les considérer comme des polypes alcyonai-
res, mais on a eu successivement à leur égard les
opinions les plus contradictoires. D'abord on y a
vu des plantes. Liinié, en 17 6, les confondait avec
une foule d'objets fort différents, tels que des
dendriles, des marbres veinés, des fucus, etc.
On les a pris ensuite pour des céphalopodes cloi-
soiinés{\' . Molliisi]uef:), pour des foraminifères.etc.
C'est dans le terrain dévonien que les poissons
commencent à apparaître en nombre considérable :
ils sont extrêmement différents des poissons ac-
tuels. Parmi eux. le Céphalmpis, le Coccortœus, le
Pié'ichihys se signalent par des formes véritable-
ment étranges. Les trilobites n'existent plus qu'en
nombre relativement petit, mais à leur place on
trouve des crustacés bizarres dont le Plénjgotus
est un bon exemple : les carriers écossais, qui le
rencontrent souvent dans le vieux grès rouge, le
désignent sous le nom de Svruplii'i k cause de
deux appendices qui ressemblent un peu à des
aile? ; il est encore très mal connu, et se caracté-
rise par les grandes dents qui arment les diverses
pièces de ses téguments. C'est dans le terrain dé-
vonien qu'on trouve le Té'evpéton, qui est jus-
qu'ici le reptile le plus ancien. Des végétaux peu-
vent être cités en grand nombre : ils sont comme
l'annonce de ceux qui dans le terrain suivant ont
donné lieu à la formation du charbon de terre.
Les Lépidodenilviin^ et les Fougères sont particu-
lièrement caractéristiques.
Dans le terrain carbonifère on assiste à une vé-
ritable explosion botanique. 11 faut citer les genres
Sigîil 'na, Stigmriria, Spliempiens, Neoropteris,
Calamités, Curd nies, parmi ceux dont on trouve
les vestiges en plus grand nombre. Les études
récentes ont permis de reconstituer l'histoire de
ces plantes et de préciser les conditions climati-
ques de ces temps si éloignés. Beaucoup d'ani-
maux vivaient en même temps. Outre de nom-
breux mollusques marins, il faut mentionner des
poissons et des reptiles tels que \' Archégnsaure.
Le terrain permien peut être regardé comme un
affaiblissement du terrain houiller. On y retrouve
des plantes tout à fait analogues, mais avec une
exubérance incomparablement moindre et des di-
mensions plus restreintes.
Un contraste complet signale le trias : ici plus
de grandes forêts, la mer a repris son empire, et
I les mollu.sques associés aux Crinoides les plus
variés et les plus gigantesques forment, par leurs
dépouilles, des couches entières. Sur le sol conso-
lidé des plages de ce temps on a retrouvé avec un
très vil intérêt des pistes laissées par des ani-
1 maux errant sur le littoral de la mer. De nombreux
oiseaux et des batraciens gigantesques {C/ieiro-
, thenum) ont été ainsi révélés à la science par la
simple trace de leurs pas.
Le lias fournit une immense légion de reptiles
énormes et bizarres où l'art gothique aurait pu
trouver des inspirations. L'Ichthi/osaicr,', le Plé-
siosaiire, le Ptérod icti/le, diffèrent par des carac-
tères profoiids de tous les reptiles actuels et de-
vaient composer la faune la plus étrange qu'on
puisse concevoir. Des poissons et des mollusques
se mêlent à leurs débris, et parmi ceux-ci les Bé-
lemnites. dont la vraie nature a été le sujet de dis-
sertations sans nombre et de discussions longtemps
] continuées (V. Mollusque^, p. 13:Ji)-
Les reptiles continuent en grand nombre dans
l'épais ensemble de couches qui constituent le
terrain jurassique. C'est là aussi que prennent tout
leur développement les Aiiimundes et les Poly-
piers.
Ce sont encore les reptiles qui contribuent i ca-
ractériser le terrain crétacé ; mais ils se rappro-
chent des formes actuelles dont ils se bornent
souvent à peu près à exagérer beaucoup les di-
mensions. Les Céphalopode, sont représentés avec
un luxe inouï par les genres Bé eiiinites, Turritt-
tes,Baeulites, Scai hites, Ancglnceras, Hiiinite', etc.,
qui réalisent tous les modes d'enroulement que l'on
peut imaginer. Les mollusques bracliiopodes nous
, offrentles formes si spéciales des liudistes, qui n'ont
pas survécu i la période qui les a vu naître. Enfin les
I Foraniinifères ont pris un développement excessif,
PALMIERS
— 1487 —
PALMIERS
et composent en grande partie de leurs dépouilles
accumulées les épaisses couches de la craie blan-
che. La flore prend en même temps des caractères
qui font pressentir jusque dans les détails les vé-
gétaux d'aujourd'hui.
On peut dire que la période tertiaire représente
le règne des mammifères et des oiseaux. C'est
alors que vécurent le Palandhérium, VAnoplothé-
riuin, le Xypiiodon, le Mastoiionte, le Dinothé-
riuin, parmi les preiniers, le Gastomis parmi les
autres. Toutes les autres classes du règne animal
sont abondamment ri'présentés. Les Nummulites
sont des foraminifères tout à fait caractéristiques.
Les plantes oifront des formes très voisines de
celles de leurs cotigcnères vivant de nos jours,
mais le climat général est plus chaud, de telle
sorte que les palmiers, par exemple, abondent sous
la latitude de Paris.
Enfin les fossiles du terrain quaternaire sont
regardés à bon droit comme les ancêtres immédiats
des êtres actuellement vivants. En première ligne
doit être cité Vhomme, dont l'histoire est mainte-
nant reconstituée d'une manière à peu près com-
plète, non seulement au point de vue de son ostéo-
logie, mais en ce qui concerne ses usages et
même ses croyances philosophiques et religieuses.
Il faut aussi mentionner une foule d'animaux tels
que VOun, le Renne, le Cheval, qui ont générique-
ment et même parfois spécifiquement persisté.
Beaucoup d'autres au contraire ont absolument
disparu, comme le Megat/terium, le Mammouth,
le Dinornis, etc.
Ce qui précède suffit, pensons-nous, pour mon-
trer l'importance do la paléontologie. Ce n'est
pas seulement, comme on voit, une zoologie et une
botanique relatives à des êtres disparus, compa-
rables par l'étendue de leurs domaines à la zoo-
logie et h la botanique proprement dites : c'est le
résumé d'une série infinie de zoologies et de bota-
niques successives, correspondant aux diverses
époques géologiques au cours desquelles la faune
et la flore ont été constamment en se modifiant.
La paléontologie concerne donc un ensemble d'é-
tudes d'une immensité incompar.ible.
Mais elle a encore un autre titre plus considé-
rable à notre puissant intérêt, C'est elle en efl'et
et c'est elle seule qui, en nous faisant assister aux
modifications successives des êtres organisés, peut
nous promettre quelque notion sur l'origine même
de la vie à la surface de la terre
[Stanislas Meunier.]
l'ALIUlEltS. — Botanique, XXV. — Etym. : le
mot palmier vient du latin palmarius (arbre qui
parte des palmes).
Définition. — Les Palmiers sont des végétaux
monocotylédones arborescents dont les caractères
servent de transition entre ceux des Graminées ei
ceux des Liliacées. A cause de leur grand dévelop-
pement, quelques auteurs ont cru devoir consi-
dérer les palm.iers comme les représentants les
plus parfaits des végétaux monocotylédones.
Caractères botaniques. — Les graines des pal-
miers seprosententavcc des caractères qui varient
selon es genres dans lesquels on les considère.
Uans les dattiers, le tégument de la graine est
mmce ; il recouvre une masse albumineuse pleine,
de consistance cornée. En unpointde cet albumen,
on trouve un tout petit embryon. L'albumen du
tl.ittier offre une résistance très grande, qui fait
qn on désigne vulgairement la graine du dattier
sous le nom de 7ioi/au de datte. La réserve albu-
mineuse du dattier est formée de cellulose et de
matières grasses. Cette réserve se dissout très
■ontement au moment de la germination ; elle est
■ilors absorbée par le suçoir cotylédonalre. Dans
les cocotiers, la graine, extrêmement volumineuse,
se compose d'un testa ligneux sous lequel on ren-
contre une couche albumineuse blanche, charnue,
comestible. Le centre de cette graine est occupé
par une cavité ordinairement gorgée d'un liquide
blanc, laiteux, de saveur sucrée. Ce liquide n'est
autre chose qu'une partie de l'albumen, qui a con-
servé sa consistance fluide primitive. Il est connu
vulgairement sous le nom de lait de coco. L'em-
bryon de la graine du cocotier est très petit ; on le
trouve immédiatement sous le testa, dans la masse
de la partie charnue de l'albumen.
Au moment de la germination, le cotylédon
unique de l'embryon des palmiers s'allonge beau-
coup. Sa partie supérieure, transformée en suçoir,
reste engagée dans l'intérieur de la graine, dont
elle absorbe l'albumen au fur et à mesure de la
dissolution de celui-ci. La région inférieure de ce
cotylédon est amenée hors de la graine par l'élon-
gation même de cet organe. Cette partie inférieure
du cotylédon est transformée en une sorte de
gaine ou de tube qui contient la partie principale
du corps de l'embryon, l'axe hypocotylé. L'élon-
gation du cotylédon pendant la germination a sur-
tout pour but d'enfoncer le plus loin possible dans
le sol l'axe hypocotylé. Ces opérations prélimi-
naires terminées, on voit surgir une grosse racine
de la partie tout à fait inférieure de l'axe hypoco-
tylé. Cette première racine ou pivot n'a souvent
qu'une durée très éphémère. Parfois cependant ce
pivot persiste longtemps après la fixation de la
plante. Dans tous les cas, ce n'est que lorsque
déjà les racines fonctionnent activement comme
organes absorbants que le suçoir cotylédonalre se
flétrit.
La première racine des palmiers est peu volu-
mineuse, cylindrique, courte. Cette racine ne pré-
sente jamais d'accroissement secondaire. Son sys-
tème vasculaire se compose d'un seul faisceau
primaire, où le nombre des centres de développe-
ment ligneux est très considérable. En général,
peu de temps après la naissance de cette première
racine, on en voit naître un très grand nombre
d'autres sur toute la surface de la région basilaire
de la tige. Ces racines, que l'on qualifie d'adven-
tives, sont généralement grêles, cylindriques.
Lorsque ces racines adventives demeurent expo-
sées à i'air, leur surface prend un aspect feutré ;
elles ne se ramifient pas, elles ne s'allongent
guère non plus : ce sont alors bien plutôt des
organes de défense que des organes d'absorption.
Lorsque, au contraire, les racines adventives pé-
nètrent dans le sol, elles s'y allongent beaucoup,
se ramifient abondamment, et assurent à la plante
un puissant appareil d'absorption. A mesure que
la plante avance en âge, ses racines adventives
naissent de plus en plus haut sur sa tige. Toutes
ces racines adventives, se recouvrant les unes les
autres, se dirigent vers le sol en formant autour
de la région inférieure de l'axe aérien du végétal
une sorte de cône qui assure la stabilité de cet
axe. Toutefois, comme jamais les racines des
palmiers ne pénètrent h une très grande profon-
deur dans le sol, ceux de ces végétaux qui sont
arborescents à tigo dressée se laissent facilement
déraciner par le moindre vent. C'est pourquoi
beaucoup de palmiers arborescents ne peuvent
prendre tout leur développement que dans les
forêts, où ils sont abrités et soutenus par les arbres
voisins. Il arrive môme assez souvent que les pal-
miers cultivés en serre sont beaucoup plus élevés
que lorsqu'ils croissent en liberté, car dans la
station abritée qu'on leur assure, ils n'ont point
à craindre d'être déracinés.
La tige des palmiers est parfois un rhizome
court, rampant sous terre près de la surface du
sol, ou simplement couché sur le sol ; ces palmiers
k rhizomes sont ditsacaules; ils ont pour type le
genre Sabal. Selon les espèces, ce rhizome est
plus ou moins volumineux. La forme spéciah; de
certains de ces rhizomes très courts luur a valu
PALMIERS
1488
PALMIERS
le nom de sabots. Dans le genre Calanius ou Ro-
tani/ la lige, très élancée et très grêle, traîne à la
surface du sol ou sur les plantes basses qui le re-
couvrent. La tige des rotangs peut atteindre jus-
qu'à 200 et 300 mètres de longueur sur un
diamètre de 3 i 4 centimètres. Cette tige est re-
marquable par l'incrustation siliceuse vernissée
dont elle est revêtue et par sa grande flexibilité.
La tige du rotang n'est autre chose que le Jonc à
cannes. Dans d'autres genres, enfin, Pliœnix,
Chamœrops, Buctris, la tige s'élève du sol vertica-
lement ; c'est une grosse colonne cylindrique,
lisse ou revêtue par les débris des bases des an-
ciennes feuilles, que termine un magnifique dôme
de verdure. La vestiture de la tige verticale des
palmiers varie beaucoup d'un genre i l'autre.
Lorsque les feuilles se détachent nettement, la
surface de la tige est lisse, vernissée, marquée de
distance en distance par des cicatrices, qui indi-
quent la place des feuilles tombées : tel est le cas
des Vhamœduiœa. Cette surface lisse de la tige
peut être inerrae, ou bien au contraire garnie de
piquants noirs très acérés, à pointe simple ou
ramifiée. Dans les Chainœrops, les feuilles se dé-
truisent sans se détaclier de la tige ; celle-ci est
alors revêtue d'une sorte de bourre toute spéciale.
Ce n'est qu'à un âge avancé que cette tige se dé-
cortique et se sépare du revêtement tout particu-
lier qui la recouvrait. Dans quelques Thrinax, la
présence de cette bourre autour du tronc main-
tient à la surface de celui-ci une humidité cons-
tante. De la surface de ce tronc naissent un très
grand nombre de racines adventives qui se déve-
loppent dans l'épaisseur du revêtement de la tige
et le traversent. Tout le temps que ces racines
étaient enfouies dans la bourre de la tige, elles
trouvaient l'humidité nécessaire à leur développe-
ment et croissaient rapidement. Après avoir tra-
versé cette bourre, elles tombent dans l'air, où
elles se sèchent et se transforment en épines très
aiguës.
La structure de la tige des palmiers a été prise
pour type de celle des végétaux nionocotylédonés.
On ne remarque pas dans cet organe de zone cam-
biale comparable à celle des végétaux dicotylédones.
En revanche, on voit qu'il se compose d'un très
grand nombre de faisceaux dispersés au sein d'une
masse de tissu parenchymaleux ou tissu fonda-
mental. Le tout est recouvert d'épiderme. Chaque
faisceau se compose d'une petite masse ligneuse,
réduite le plus souvent à quelques trachées, et
d'une masse libérienne formée de cellules grilla-
gées très simples. Sur une section transversale
de la tige, les trachées de chaque faisceau sont
plus rapprochées du centre de l'organe que le
liber qui on dépend. Lorsque les faisceaux sont
très conipliiiués, on remarque en avant des tra-
chées, vers le centre de la tige, une lacune bordée
par quelques éléments libériens.
Chacun des faisceaux de la tige des palmiers
a une marche très sinueuse. Il nait d'un faisceau
situé plus bas, s'élève selon une ligne sinueuse,
tantôt s'approchant, tantôt s'écartant de l'axe de
la tige ; puis à un moment donné il se recourbe
vers l'extérieur, sort de la tige et se rend dans
une feuille. Chemin faisant, le faisceau que nous
avons considéré donne naissance Ji un certain
nombre d'autres faisceaux qui auront le même
trajet que lui dans l'intérieur de la tige. D'après
celte brève description, il est facile de voir que
les faisceaux des palmiers n'ont aucune solidité.
D'où vient pourtant la grande résistance des tiges
de quelques-uns de ces végétaux'? Dans un très
petit nombre de palmiers, comme les rotangs,
les éléments du faisceau, aussi bien les éléments
ligneux que les éléments libériens, se tibrifient
en avançant en âge et prennent une certaine soli-
dité ; plus généraleraont, une partie des éléments
du tissu fondamental dans lequel sont plongés les
faisceaux se transforment en fibres mécaniques.
Cette transformatioii s'opère surtout dans le voi-
sinage des faisceaux. Il en résulte bientôt que
chacun de ceux-ci est entouré d'un étui ou gaine
très solide. Toutes ces gaines finissant par se tou-
cher les unes les autres assurent à la tige sa
solidité.
On remarque que ces gaines mécaniques,
comme les a nommées M. Schwendener, sont
beaucoup plus nombreuses à la périphérie de la
tige qu'en son centre; de là vient que la surface
de la tige des palmiers est la partie la plus ré-
sistante de cet organe. Nombre d'auteurs ont dé-
signé les fibres mécaniques des palmiers par le
nom de fibres libériennes, les rapportant ainsi
aux faisceaux ; il en est résulté une confusion assez
grande dans la plupart des ouvrages qui traitent
des caractères anatomiques de ces végétaux. Il est
bon que le lecteur en soit prévenu. Les faisceaux
sortant de la tige pour se rendre dans les feuilles
sont extrêmement nombreux; leur arrangement
est invariable pour chaque genre; il en résulte
que, malgré le désordre apparent des faisceaux
de la tige des palmiers, ces parties sont néanmoins
disposées avec la plus grande régularité. De très
bonne heure la tige des palmiers atteint son
diamètre définitif, après quoi elle le conserve in-
définiment dans toute son étendue. Un très petit
nombre de palmiers, comme ÏArenya snccharifera,
présentent un renflement assez considérable veia
le haut de leur tige. Ce réservoir est d'abord plein
d'amidon. A l'époque de la floraison, l'amidon est
peu h peu remplacé par du sucre. La tige aérienne
des palmiers ne se ramifie pas ou se ramifie
très peu. Leurs rhizomes et leurs branches
souterraines au contraire se ramifient abon-
damment.
Chaque tige aérienne se termine supérieurement
par un bouquet de grandes feuilles au centre du-
quel est un bourgeon. Ce bourgeon est très re-
cherché chez quelques palmiers; on le mange
cuit en guise de légume : c'est le chou palmiste.
Lorsqu'on tranche le bourgeon terminal d'un pal-
mier, il s'écoule souvent une liqueur sucrée qui
donne par la fermentation le vin de palme. Les
bourgeons qui terminent les branches souter-
raines des palmiers à rhizomes peuvent être uti-
lisés comme succédanés des patates.
Les feuilles des palmiers sont toujours vertes,
coriaces, vernissées en dessus. Assez simples dans
le jeune âge, elles vont se compliquant de plus en
plus. Les feuilles des palmiers adultes soju péfis-
îées, à limbe entier, mais déchiré en lanières 4e
manière à donner à la feuille entière l'apparence
d'une feuille composée. Lorsque la feuille d'un
palmier s'est déchirée naturellement, elle peut
paraître pennée ou palmée. En général les déchi-
rures du limbe sont moins étendues dans le cas
des feuilles palmées que dans celui des feuilles
pennées. Ce sont les feuilles pennées qui forment
ce que l'on appelle vulgairement les palmes. Les
feuilles des palmiers peuvent atteindre de très
grandes dimensions; leurs pétioles robustes, li-
gneux, élastiques, sont très recherchés pour fabri-
quer des cannes et des manches de parapluies. Le
limbe de ces feuilles est rempli do faisceaux ùe
fibres méca[iiques qui leur donnent leur grande
solidité. Les feuilles des palmiers sont tantôt
inermes, tantôt pourvues de solides aiguillons très
acérés.
Les tleurs des palmiers sont très petites, insi-
gnifiantes pour ainsi dire ; elles sont réunies en
grand nombre sur des inflorescences généralement
enveloppées de voiles ou spathes de consistance
liés variable. Quelques-unes de ces spathes sojit
ligneuses, solides, et assez grandes pour qu'une
seule puisse fournir une pirogue capable de
PALMIERS
— 1489 —
PALMIERS
porter un homme et plusieurs jours de vivre. Dans
d'autres palmiers la spatlie est membraneuse ; en
se dessécliant, ses fibres deviennent indépen-
dantes les unes des autres, et forment un tissu
feutré très léger; les habitants des régions tro-
picales emploient ces spathes en guise de cha-
peau. En général les fleurs des palmiers sont uni-
sexuées. Leur périanthe a six divisions, petites,
verdàtrcs ou jaunâtres, cliarnues. Au centre de
ce périanthe on trouve le plus souvent, dans les
fleurs mâles, six étamines sessiles à anthères bilo-
culaires introrses ou extrorses, et dans les fleurs
femelles un pistil tricarpellé. Des trois carpelles
de ce pistil, bien souvent une ou deux loges
avortent ou ne se développent pas. Les stjles de
ces carpelles sont cohérents entre eux; les stig-
mates, au nombre de trois, sont simples et indé-
pendants. Chaque carpelle forme une loge ova-
rienne dans laquelle on observe deux ovules
bitégumentés. Le plus ordinairement un seul des
sixovules de l'ovaire est transforméen graine. Dans
un très petit nombre de palmiers, les Borassus, les
Lodoicea , chaque fleur mâle contient jusqu'à
vingt-quatre étamines, au lieu de six le nombre
ordinaire.
Le fruit des palmiers est une petite baie à
noyau très solide, ce noyau n'étant autre chose
que la graine, dans les dattiers, les chamœrops.
Chacun sait de quelle importance est la récolte
des dattes pour les habitants de certaines régions
du Sahara, cliez qui la datte forme la base de l'a-
limentation. Dans les sagoutiers, le fruit ressemble
beaucoup à un cône de pin renversé et vernis.
Dans les cocotiers, les lodoicea, le fruit acquiert
un volume considérable ; il est revêtu extérieure-
ment par une bourre épaisse, roussâtre, fibreuse ;
intérieurement cette bourre se transforme en une
sorte de noyau solide. Grâce à cette organisation,
les graines se trouvent protégées lors de la chute
du fruit qui est porté par des végétaux de très
haute taille.
Usages des Palmiers. — Presque toutes les
espèces de palmiers trouvent un emploi dans
l'écoiiomie domestique, dans l'industrie ou dans
l'horticulture. Tous les palmiers fournissent des
fibres textiles, propres surtout â la confection du
papier. Leurs grandes feuilles découpées en la-
nières entrent dans la fabrication de cordes, de
nattes, de paniers, de chapeaux. Le bois de beau-
coup de palmiers fournit des solives. Passons
brièvement en revue les espèces dont les produits
sont les plus connus.
Les Sayoutiers (Sagus rhumphii, S. lœvis), qui
croissent dans les lies Moluques, contiennent
dans leur tige une moelle farineuse très nourris-
sante : c'est le sarjou. Les Mauritin de l'Amérique
tropicale remplacent les sagoutiers dans les régions
où ils croissent. L'A renga sncdiarifera, le Borassus
flabellifurmis, le Mauritia vini/eia et le Sagus
rhumphii produisent aussi une sève abondante
dont on peut retirer du sucre, ou qui se convertit
par la fermentation en une boisson alcoolique
connue sous les noms de vin de palme, arrak,
tvddy, laymi.
Le Daliier est un arbre dioique ; ses fleurs fe-
melles donnent naissance chacune à trois baies,
dont deux avortent généralement; leur chair so-
lide, sucrée, un peu visqueuse, est une nourriture
fort recherchée des nègres et dos Arabes du pays
des dattes. Le dattier est le palmier le plus an-
ciennement introduit en Europe. La culture l'a
répandu dans le nord de l'Afrique et en Perse. Ce
végétal est originaire de l'Arabie. Les meilleures
dattesnousviennent des oasis centrales du Sahara ;
on peut encore en récolter jusque dans les envi-
rons d Elche en Espagne, mais ces dattes sont
acerbes et de mauvaise qualité. En Italie et en
Provence, le dattier n'est cultivé que pour ses
2* Partie.
.èun'les ou palmes, qui servent aux cérémonies do
dimanche des Rameaux dans le culte catholique,
ainsi qu'à celles de la Pâque juive. Partout ailleurs
en Europe le dattier n'est qu'une plante ornementale
dont la rusticité e>t à peu près celle de l'oianger.
Le Cocotier (Cocos nucifera) a reçu dos voya-
geurs le nom de roi des végétaux à cause de son
immense utilité. Ce palmier croît dans le voisinage
des mers de toutes les régions intertropicalos. Sa
tige, ses feuilles et les fibres qui les accompagnent,
sa graine, suffisent à tous les besoins dos peu-
plades qui vivent sous la zone torride : il leur
fournit du sucre, du lait, une crème solide, du
vin, du vinaigre, de l'huile, des cordages, de la
toile, des vases, du bois, des toitures, etc.
Le véritable chou puhnisle est le bourgeon cen-
tral des ^reca. D'autres palmiers donnent égale-
ment un chou, plus gros et plus savoureux que
celui de l'areca : ce sont le Cocos nucifera, l'A-
rengii saccharifera, le Maxitniliana regia, et notre
seul palmier indigène en Europe, le Chamœrops
humilii.
L'Elœis guianensis , grand palmier originaire
de l'Afrique occidentale, transporté et cultivé en
Amérique, a pour fruit une drupe dont le sarco-
carpe contient une huile jaune odorante nommée
/((«7e de palme, que l'on emploie à la Guyane aux
mêmes usages que l'huile d'olive. Cette huile de-
meure toujours fluide dans les régions tropicales.
Elle est importée en grandes quantités en France
et en Angleterre ; mais elle arrive figée en Europe,
où elle sert surtout à la fabrication des savons. La
graine de cet Elieis fournit aussi une huile blanche
très estimée ; cette huile n'est pas importée ea
Europe.
Le Cori/pha cerifera ou Carnaiiba des Brésiliens
et le Ceroxylon andicola des Péruviens produisent
une véritable cire qui exsude des feuilles et sur-
tout du tronc par les cicatrices des feuilles tom-
bées.
Le Coco des Maldives ou Lodoicea Sechellarum
est un arbre de très haute taille, dont le fruit
noir bilobé atteint une grosseur monstrueuse.
Pendant longtemps on n'a connu que le fruit de
cette plante, que l'on avait trouvé flottant dans la
nier, sans avoir jamais vu l'arbre qui le portait.
Les fables les plus invraisemblables étaient ad-
mises pour justifier l'origine mystérieuse de ce
fruit. A cette époque, le fruit du coco des Mal-
dives passait pour un antidote universel, jouissait
dune réputation extrême. Aujourd'hui ce n'est
plus qu'un simple objet de curiosité.
h'Arfca c/itechu de llnde, de Ceylan et des
Moluques produit la noix d'arec, dont la graille
sert à préparer un suc astringent. Cette amande,
mêlée à la chaux vive et au poivre héiel, forme le
masticatoire ordinaire des Indiens.
Le piaçiiba est une filasse incorruptible à l'ean,
qui nous est fournie par l'Attalea funifera et le
Leopoldina Pinçaha. Le tecum est un fil extrême-
ment solide, très fin, que les Brésiliens fabriquent
avec la filasse qu'ils retirent des feuilles de plu-
sieurs espèces de Baclris. Ce fil de tecum ne peut
être employé à faire des tissus, à cause de l'es-
pèce de mordant qui l'imprègne et qui lui donne
la propriété de la lime ; un vêtement de teciaii
appliqué sur la peau l'excorie ; si on le met snr
d'autres vêtements, il les râpe et les use très vite.
Le fil de tecum est jusqu'ici réservé à la fabrica-
tion des filets de pêche.
L'Hgphœne thebaïca, palmier d'Egypte remar-
quable par sa dichotomie, produit une gomme
résine nommée bdellium. Le brou ou coquo de son
fruit a la saveur du pain d'épice.
Le fruit du Calainus draco est imprégné d'une
résine rouge astringente nommée sang-dragon,
bien plus répandue dans le commerce de la dro-
guerie que le sang-dragon des Antilles, qui pru-
9i
PALMIPÈDES
— 1490 —
PALMIPEDES
vient des Pterocavpus, ou que le sang-dragon
produit par les Dracœua.
La sève du Corypha umhrficulifera est employée
comme émétique dans l'extrême Orient.
Presque tous les palmiers sont recherchés par
les horticulteurs et les amateurs do plantes, :i
cause de la beauté et de l'élégance de leur port
et de leur feuillage.
Distribution géographique des Palmiers. — Les
palmiers appartiennent exclusivement i la zone
torride et aux régions les plus chaudes de la zone
tempérée. Une seule espèce est indigène de l'Eu-
rope méridionale : c'est le Palmier nain [C'iamœ-
rops humilis), qui se retrouve avec beaucoup plus
d'abondance en Algérie. Ce palmier nain est l'un
des plus grands obstacles que les colons algériens
aient rencontrés au défrichement du sol, tant la
végétation de cette plante est intense et tenace.
Ce n'est que par le feu qu'on peut la chasser des
terrains où elle croit.
Certains palmiers vivent en société et occupent
seuls d'immenses espaces de terrain ; les uns
croissent dans les savanes inondées, comme les
Iriarlea. les autres au milieu des sables arides,
comme les Hi/ptiœne. Les palmiers sont relative-
ment rares en Afrique ; ils sont plus nombreux
dans l'Inde, l'Asie tropicale et l'archipel indien ;
ils abondent dans l'Amérique tropicale.
[C.-E. Bertrand.]
PALMIPÈDES. — Zoologie, XVIII. — Les oiseaux
qu'on désigne sous le nom de Pahnipèdes sont
particulièrement conformés en vue d'une existence
aquatique. Leurs membres inférieurs sont en effet
Les Palmipèdes peuvent être subdivisés, d'une
manière assez naturelle, en quatre tribus, savoir :
r Les Plongeurs ou Brac/iyptères.
2° Les Longipennes.
3° Les Totipidmes.
4" Les Lnmellirostres.
Les Plongeurs ont les ailes extrêmement courtes,
et ordinairement impropres au vol, et les pattes
implantées tout à fait i l'arrière du corps, ce qui
force l'oiseau à se tenir sur le sol dans une posi-
tion verticale et ce qui rend la marche extrême-
ment difficile. Aussi ces palmipèdes ne sont-ils
point faits pour fendre les airs, ni pour courir
sur le sol : l'eau est leur véritable clément. Li
ils se meuvent avec rapidité, se servant de leurs
ailes comme de nageoires et de leurs pieds palmés
comme de rames ou de gouvernail. Leur pUimagi',
très serré, est ordinairement lubrétié par une ma-
tière grasse qui empêche l'imbibition, et ne pré-
sente généralement que des couleurs simples, du
blanc, du noir, du gris, du roux ou du jaune.
A ce groupe appartiennent les Grèbes, les Plon-
geons, les Guillemots, les Macareux, les Pingouins
et les Manchots.
Les Grèbes, dont la dépouille est très recher-
chée par les fourreurs, ont le plumage lustré, le
corps trapu, la tête petite, souvent ornée d'une
sorte de huppe ou de collerette, le bec grêle et
pointu, les pattes courtes, les doigts antérieurs
réunis seulement à la base et bordés de mem-
branes découpées dans la plus grande partie de
leur longueur, comme chez les Poules d'eau. Le
Petit Grèbe ou Castagonux est très commun sur
transformés en rames, grâce il l'existence d'une 1 les eaux douces de la France. , .
membrane qui s'étend entre les doigts antérieurs | Les Plongeons, qui habitent les regionsjep^ten-
Tt qui comprend parfois aussi le pouce ou doigt trionales des deux mondes ressemblen aux G.^^^^^^^
postérieur. Cette particularité de structure per- par leurs f«'''"es générales, mais so de taille
met en général, de distinguer les Palmipèdes des plus forte et ont le plumage moins brillant.
Échàs^ïe'rs; parmi ces derniers on rencontre ce- _ Les Guillemots n'ont que l^'^Jlf^l'^^^/fll
pendant certains genres, tels que le genre Ga'ti- le pouce étant avorté, et '«""^/\''=,',f''" ,f'J,^.
nula ou poule d'élu, chez lesquels les doigts sont duites qu ils peuvent i peine voler. Ils ne quittent
déjà bordés d'une membrane étroite. Chez les Pal- guère les pays glaces du nord
mipèdes les pattes sont ordinairement placées très | Les Macareux se d'Sti.'guent par leur bec apla^^^
loin en arrière, dans la région abdominale ; le bec , latéralement en une •^■^«/5^''^„"'"P,^'.''^t','='t^'^'
est tantôt grêle et pointu, tantôt élargi en spatule, et susceptible de se partager en Plusieurs pièces
et garni dl lamelles sur le bord des^mandibules ; 1 qui se détachent à certaines ^^^f °"^-, ' ^P/^^^^^^",»
les ailes sont tantôt entièrement développées, ! la plus grande partie de leur vie s"r les eaux Qe
tantôt considérablement réduites, ou parfois même la mer, dans le voisinage des C"^.' f' f .^°'^™^ 'f
modifiées au point de constituer des organes de Guillemots font leurs nids au f" «" "^«^ ™S°.^^':
natation Les Pingouins ont le bec plus allonge, en rorme
Les Palmipèdes habitent les bords de la mer, de lame de couteau, mais leurs ""^"■■^ f "';' l"^"
des fleuves ou des étangs, et quelques-uns même près les mêmes que celles '*'=» ^'^^^^^^^''^ ^A„^d
passent la plus grande%anie de leur existence leurs espèces ^^^ P^""' ^'^'^^l^^^^^'f-J^ y^u^
loin du rivage, au milieu des fiots de l'Océan, i Pmgoum (Ao, "'V'^'"'V'''.L''''^^,P w'able oui
Beaucoup d'entre eux plongent avec facilité et actuelle, à la suite de '^'^.'j^f^^ '7''%'„TA^
nagent avec aisance entre deux eaux. Leur nour- lui a été faite dans les contrées septenti tonales de
riture consiste en plantes aquatiques, en vers, en I l'Europe. ,„ nin» Imit de^ré
mollusques et en poissons. Enfin les Manchots o^™"» f P'"/„ ''*" .^.^
Sur le sol, les Palmipèdes ont des allures gau- cette imperfection des organes du vol qui ca--"
ches et embarrassées, et, à quelques exceptions ' térise '«^ «'^eaux de leur groupe, leurs aiiescon
prè», ils sont incapables de se Percher; ils font ; sidérablemeot réduites étant couver es de^^^^^^^^
leurs nids sur des rochers, dans les trous, au mi- plumes semblables à ^es écailles et servant exclu
lieu des joncs et des broussailles, ou tout simple- i sivemout à la natation. l'^^^^f^f °"^f "' P"^,';'P\
ment sur la grève. Leurs oeufs sont tantôt d'un 'ement dans les terres australes dans es parage^
blanc pur, tantôt d'un jaune-verdàtre marbré de de la N'ouvelle-HoUande et h 1 extrémité meridio
taches brunes. Les petits qui en sorient sont cou- ; nale de l'Amérique. r,.„,,w,- „oi-
veru d'un duvet d'un gris brunâtre ou d'un blanc I La tribu des Longipennes »" df^ 6 a«d> to'
pur, puis ils revêtent une livrée plus ou moins /iers renferme des Pal'^'Pedes ^em^quables par
sombre, et ce n'est guère que dans la deuxième ou le développement de '«"■■^^''^f./f 't P^'^jé-
la troisième année qu'ils Icquièrent leur plumage de leur vol Chez tous i^f ,"'/<=^"^ '^f.'„ff,ent d^
définitif. Mais lors même ([uils sont parvenus h pourvu de dentelures, et les P'f''s n °„^^«" .,^!
leur développement complet, les Palmipèdes con- membranes palmaires qu e"'™ ''■^,^° =^' ('"^s
servent presque toujours, au-dessous de leurs rieurs, le pouce, quand il existe, étant toujours
plumes normales, une couche moelleuse de duvet ■ indépendant. i„„ uA.roi» Hnnt
dont on fait grand cas dans le commerce des pcl- | Dans ce groupe prennent place les t^etrm °oiu
leteries. A l'âge adulte les radies se distinguent le bec se termine par un crochet "-eco"™, ^^
ordinairement des femelles par la richesse ou l'é- dont les narines sont réunies ei un t"»^ Q"""'«
elat métallique de certaines parties de leur plumage. ^ couché sur la mandibule supérieure , les Aioairos,
PALMIPÈDES
— 1491
PAPAUTE
qui sont de véritables géants parmi les oiseaux
de mer, et qui, grâce à leurs ailes puissantes,
peuvent suivre pendant plusieurs jours un vais-
seau voguant à pleines voiles ; les Mouettes, au
bec allonge et simplement arqué vers le bout, aux
narines ouvertes par deux fentes étroites sur la
mandibule supérieure ; les Stercoraires, qui dif-
fèrent dos Mouettes par la disposition de leurs na-
rines et la forme de leur queue, généralement co-
nique; les Sternes ou Hirondelles de mer, au bec
ordinairement effilé, aux ailes considérablement
développées, à la queue profondément fourchue,
et les Rliyncliops ou Becs-en-ciseaux, aux mandi-
bules aplaties en deux lames inégales qui peuvent
s'opposer l'une i l'autre sans s'emboîter. Tous ces
oiseaux se nourrissent de chair morte, de mollus-
ques, ou de poissons vivants, qu'ils pèchent avec
beaucoup d'adresse ou qu'ils cueillent, pour ainsi
dire, à la surface des flots. Quelques-uns d'entre
eux, comme la Sterne fluviatile, remontent parfois
les cours d'eau jusqu'à une assez grande distance
dans l'intérieur des terres. Sur nos côtes abon-
dent les Mouettes à manteau gris, à manteau noir,
et à manteau bleu, et les Hirondelles de mer de
l'espèce dite Pinne-Garin.
Les Totipalmi's sont des palmipèdes par excel-
lence, ayant non seulement les doigts antérieurs,
mais le pouce lui-même embrassé par une vaste
membrane. Ils comprennent les Pélicans, facile-
ment reconnaissables à leur forte taille, à. leur
plumage blanc ou grisâtre, et surtout à la vaste
poche qui pend de leur mandibule inférieure et
qui sert de filet ou de réservoir à poissons ; les
Cormorans, c|ui sont également ichthyophoges,
mais dont la peau du cou est peu extensible et
dont le bec, au lieu d'être aplati, est grêle et re-
courbé à la pointe; les Fous ou Boubies, qui ont
l'ongle du doigt médian denté en scie, comme les
Cormorans, et le bec conique et dentelé aussi sur
les bords; les Frégates aux ailes démesurément
longues, à la queue profondément fourchue, au
bec long et crochu, aux palmaires largement échan-
crées; les Anhingas ou Oiseaux-Serpents, ainsi
nommés à cause de leur cou long et souple portant
une petite tête au bec pointu ; et les Phaëtons ou
Pailles-en queue, qui ressemblent à des Hiron-
delles de mer, sauf par la disposition de leurs pieds
et par la forme de leur queue munie de deux
pennes, de deux /<;•;«« extrêmement allongés.
__Enfin les Lninellirastres ont, comme leur nom
1 indique, le bec (en latin vost'iim) garni sur les
bords de lames parallèles ou de petites dents.
Leur langue, épaisse et charnue, est également
dentelée, leur gésier très grand et très muscu-
leux, leur trachée-artère souvent dilatée sur une
partie de son parcours, au-dessus de la bifurca-
tion.
Ces palmipèdes fréquentent plutôt les eaux
douces que les eaux salées; ils nagent et plon-
gent avec facilité, et leurs ailes, sans être à beau-
coup près aussi développées que celles des Fré-
gates, sont cependant assez fortes pour leur per-
™?J*r^.<l.' exécuter de lointains voyages. Dans cette
subdivision deux types prijicipaux sont à consi-
;1"' n ''"'^ canard, au bec plus ou moins aplati
et lamel eux, et le type harle, au bec cylindrique
et dentelé. —7 j 1
Au premier type appartiennent non seulement
les Lanards proprement dits que tout le monde
connaît mais les Cygnes, grands oiseaux au plu-
mage blanc noir fuligineux, ou mi-parti blanc et
noir, et les Oies, à la livrée généralement grise ou
Dianclie, aux jambes assez élevées, à la démarche
moins enibarrassce que celle des Canards.
La chair de la plupart des Lamellirostres consti-
tue un aliment agréable, aussi un grand nombre
L, -î" 5"."' .'''^ ' '"'"'*»• les Sarcelles et les Oies,
ont-Ils été de tout temi.s recherchés comme gi-
bier. D'autres, comme les Eiders, fournissent un
duvet très estimé, et d'autres enlin, réduits en
domesticité, peuplent nos basses-cours ou font
l'ornement de nos pièces d'eau. Parmi les der-
niers nous citerons le Cygne noir, le Cygne blanc,
le Cygne à col noir, l'Oie cendrée, le Canard vul-
gaire, lo Canard musqué ou Canard de Barba-
rie, etc.
Les Harles ont pour patrie les climats froids et
se répandent en hiver dans les pays tempérés.
(.'est dans cette dernière saison que l'on voit chez
nous le Harle vulgaire, qui est aussi gros qu'un
canard, lo Harle huppé, et le Harle pietto, dont la
taille est notablement inférieure.
[E. Oustalet,]
PAl'AUTE. — Histoire générale, .Wll-XXVI,
XXX. — L'histoire des premiers évoques de Rome
est très obscure. Lorsque Constantin eut fait de
l'Eglise chrétienne une Eglise d'Etat, les évoques de-
vinrent des personnages ofliciels ; ceux des capitales
de province ou mélropoUtams (archevêques) ob-
tinrent juridiction sur leurs collègues des petites
villes; enfin ceux de quelques cités importantes,
Rome, Alexandrie, Antioche, Constantinople,
furent, sous le nom de patriarches, les chefs
ecclésiastiques de toute une région. L'évèque de
Rome, qui se considérait comme le successeur de
saint Pierre, revendiquait en outre une suprématie
générale sur l'Eglise tout entière. Comme les
autres évèques, celui de Rome était alors élu
par l'assemblée des fidèles ; simple sujet de l'em-
pereur, il n'avait aucun pouvoir temporel; le titre
de pape, qui servit plus tard à le désigner exclu-
sivement, était donné à l'origine à tous les évoques.
Après la chute de l'empire d'Occident, l'évèque
de Rome fut successivement le sujet des rois os-
trogoths, puis celui des empereurs de Constanti-
nople qui gouvernaient l'Italie par leurs exarques
Vers 7311, à l'occasion de la querelle des iconoclas-
tes, Rome se souleva, chassa son gouverneur
grec, et le pape Grégoire II devint indépendant
de fait. Grâce à l'alliance de la papauté avec les
premiers Carlovingiens, les papes purent se main-
tenir contre les Lombards ; ils obtinrent en outre
de Pépin le Bref la donation de Ravonne et de la
l'entapolo, et de Charlemagno celle de Poreuse et
de Spolète : telle fut l'origine du pouvoir tempo-
rel de la papauté.
Du ix" au xi" siècle, durant l'époque féodale, les
papes ne jouent qu'un rôle cïacé clins les luttes
sans cesse renaissantes qui rerrplissent l'Italie.
Ils sont tour à tour les créatures de la célèbre
Théodora et de sa fille Marozia, puis des Othons
de Saxe ou de leur eniemi le consul Crescentius,
et de Henri III de Franconie. C'est alors que se
consomme, au milieu du xi' siècle, le grand
schisme d'Orient, qui sépara définitivement l'E-
glise grecque de lÉglise latine (V. Sehisme).
Mais le moment est venu où, tirée de l'obscu-
rité par une série de pontifes éminents, la papauté
va prétendre b. la domination universelle, et s'en-
gager dans des luttes retentissantes contre les cé-
sars d'Allemagne et les rois de France. L'impérieux
Grégoire Vil force Henri IV de Franconie à s'hu-
milier à Canossa, et accroît les Etats pontificaux
par l'adjonction du patrimoine de Saint-Pierre
(donation do la comtesse Matliilde); Urbain II
prêche la première croisade, et lance l'Occident
chrétien à la conquête de l'Orient infidèle; Alexan-
dre m tient tête à Frédéric Barberousse, et, en
réservant désormais aux seuls cardinaux le droit
d'élire les papes, assure l'indépendance du Saint-
Siège à l'égard du peuple romain et de l'empereur;
Innocent III se conduit on maître du monde, dis-
pose des couronnes, fonde l'inquisition, fait exter-
miner les Albigeois; Grégoire IX, et hiiiocent IV
poursuivent de leurs excommunications Frédé-
ric 11 et la race des llohenstaufen, qui finit par
PAPAUTE
— 1492
PAPAVERACEES
succomber; enfin Boniface VTII, le dernier des
grands papes du moyen âge, engage contre Phi-
lippe le Bel une lutte inégale, dont la conséquence
allait être l'abaissement du Saint-Siège et son
transfert à Avignon.
Pendant tout le xiv siècle et la première moitié
du xv', les papes n'ont plus que l'ombre de leur
ancienne autorité. Tant qu'ils résident à Avignon,
ils sont sous la main du roi de France ; et h peine
Grégoire XI s'est-il décidé à retourner à Home,
qu'éclate le grand schisme d'Occident, auquel une
longue série de conciles (Pise, Constance, Bâle,
Ferrare , Florence) eut grand'peine i mettre fin.
Les scandales du schisme avaient produit dans
l'Eglise une vive agitation ; des voix éloquentes
«'étaient élevées, demandant des réformes (Wi-
clefT, Jean Huss, Gerson). Cependant, grâce à
l'habileté d'Eugène IV et de Nicolas V, tout sem-
bla s'apaiser ; mais ce ne fut qu'un moment de
trêve.
La Renaissance venait d'ouvrir pour l'Italie une
ère nouvelle. Les papes se montrèrent les zélés
protecteurs des lettres et des arts (Jules II,
Léon X) ; mais en même temps la corruption de
la cour de Rome allait croissant ; les crimes d'un
Alexandre Borgia, les désordres du clergé, la
Tente des indulgences, la résistance de la papauté
h toute velléité de réforme, suscitèrent de nou-
Telles protestations : alors parurent Luther, Zwin-
gli, Calvin, Knox. La moitié de l'Europe rejeta
l'autorité du pontife romain.
La nécessité de combattre les progrès de l'hé-
résie rendit pour un temps i la papauté une vi-
gueur nouvelle. Paul III approuve l'ordre des
jésuites et assemble le concile de Trente; Paul IV
institue la congrégation de l'Index ; Pie V prêclie
a croisade contre 1rs Turcs, qui sont battus à
Lépanle; Grégoire XIII, l'auteur de la réforme du
calendrier, fait frapper une médaille commcmora-
tÏTe en l'honneur du ni.issacre de la Saint-Barthé-
lémy ; Sixte-Quint lutte avec énergie contre Eli-
sabeth d'Angleterre et Henri de Navarre. Mais au
XVII" siècle les passions religieuses sont moins
violentes : les guerres de religion font place aux
guerres politiques, le Snint-Siège se trouve subor-
donné à quelque grande puissance, 1 Kspagne,
l'Empire, ou la France. Louis .\IV, malgré son jes
pect pour la foi catholique, le prend de très haut
avec Alexandre VII, et menace même un moment
de rompre entièrement avec le pape Innocent XI,
à propos de la déclaration de 1C8'.'.
Au xvin* siècle, plusieurs papes semblent occu-
pés surtout de la querelle du jansénisme, que
Clément XI ravive par la bulle L'niffe?iitîts ; quel-
ques-uns de leurs successeurs, plus tolérants,
cultivent les lettres et sont même en correspon-
dance avec les philosophes : Voltaire dédie sa tra-
gédie de Mahomet à Benoit XIV ; Clément XIV
supprime l'ordre des jésuites, et meurt empoi-
sonné. Son successeur Pie VI voit éclater la Révo-
lution française : enlevé de Rome par ordre du
Directoire, il meurt en captiviié à Valence (n99).
Pie VII négocie le Concordat avec Napoléon
Bonaparte, qu il vientcouronner ensuite à Paris. Lui
aussi, il est plus tard enlevé de Rome, par ordre de
l'empereur, et retenu prisonnier à Fontainebleau.
Rendu à la liberté en 1HI4, il rétablit les jésuites.
Ses successeurs Léon XII, Pie VIII, Grégoire XVI. |
cherchent dans l'Autriche un protecteur contre
les tentatives de l'Italie révolutionnaire. Pie IX
(1846-1878) s'associe d'abord aux aspirations libé-
rales du peuple italien ; mais il abandoiuie bientôt
cette voie pour se faire, durant tout le reste de
«on long pontificat, l'inflexible défenseur de l'auto-
rité : il promulgue les dogmes de l'Immaculée
Conception et do l'infaillibilité du pape, et publie
l'Encyclique de 1861 et le Syllabus. En lS70, il
p«rd le pouvoir temporel que les papes avaient
exercé durant onze siècles. Son successeur est
Léon XIII. — V. Christianisme, ConciUs, Eglise^
Réforme, Sc/nsme.
PAI'AVÉR.iCÉES. — Botanique, XXIII. — Ety-
mol. : Le mot papavérncéei vient de papuver, qui;
est le nom latin du pavot.
Définition. — Les Papavéracces forment une
famille naturelle dont les caractères servent de
transition entre ceux des Renonculacées et ceux
des Crucifères; elles sont reconnaissables à leur
ovaire uniloculaire, supére, à leurs étamines
nombreuses, et à leur calice à deux sépales caducs.
Caractères botaniques. — Les graines des pa-
pavéracées sont excessivement petites ; néanmoins
elles ont une structure assez compliquée ; chacune
d'elles présente un petit embryon cylindrique, en-
vironné de toutes parts par un albumen qui con-
tient presque toujours une quantité considérable
d'une matière grasse, huileuse que l'on peut extraire
par la pression ou par le sulfure de carbone ; telle
est l'origine de l'huile d'oeillette. Le tégument sé-
minal de ces petites graines des papavéracées, mal-
gré sa faible épaisseur, présente une couclie exté-
rieure sèche, membraneuse, et une couche pro-
fonde, solide, fortement imprégnée d'oxalate de
chaux. Quelqaes-unes de ces graines sont munies,
sur le raphé, d'expansions cellulaires que l'on
nomme slrophinles. Les racines des papavéracées
sont pivotantes, mais elles demeurent toujours
très grêles et se ramifient abondamment. Leurs
tiges sont herbacées, annuelles ou vivaces ; de
même que les racines, elles contiennent un suc
laiteux, blanc, jaune ou rouge. Ce latex desséché
à l'air forme Vo/num. Leurs feuilles sont alternes,
simples, penni-nerviées, dentées ou penni-Iobées ;
elles contiennent aussi du latex.
Les fleurs des papavéracées sont hermaphrodi-
tes ; elles présentent, de dehors en dedans : 1° un
calice à deux sépales caducs libres, ou plus rare-
ment cohérents en une sorte de coiffe ; 2° une co-
rolle à quatre pétales rouges, jaunes ou blancs,
réguliers, hypogynes, chiffonnés avant leur épa-
nouissement ; :i° un androcée composé d'un nom-
bre considérable d'étamincs hypogynes, libres ;
4° un gynécée formé de plusieurs carpelles sou-
des en un ovaire ovoide uniloculaire, à placentas
pariétaux. Les ovules enfermés dans cet ovaire
sont bilégumentés, anatropes et hétérotropes. Le
style qui surmonte l'ovaire est court ou même
nul ; les stigmates, aussi nombreux que les pla-
centas, sont presque scssiles, aplatis en lames;
ils forment une sorte de plateau qui surmonte
1 ovaire.
A ia maturité, l'ovaire devient une capsule, plus
rarement une if/î'^i^e uniloculaire ; ses parois res-
tent toujours sèches, papyracées.
Les Fumariacées, que l'on rattache quelquefois
auxPapavéracées, ne'diffèrent do celles-ci que par
leurs pétales irréguliers, leurs étamines peu
nombreuses, souvent soudées en deux phalanges,
à anthères extrorses. et par leur ovaire unilocu-
laire k deux placentas pariétaux.
Usages des Papavéracées. — Les plus impor-
tantes parmi les papavéracées sont :
rLe Pavot somnifère, herbe annuelle origi-
naire de l'Asie; on en recueille le latex concrète ii
l'air; i. cet efl'et, on pratique un certain nombre
d'incisions à la surface de sa capsule encore jeune.
Le suc du pavot somnifère n'est autre chose que
Vopium de Chine. Celle substance renferme de
nombreux produits immédiats, dont trois au moins
sont narcotiques à un très haut degré, et parmi
ceux-ci deux surtout sont usités en médecine ; ce
sont la tiiorjiliine et la codéine. Pris Miaule dose,
l'opium est un poison mortel; mais l'habitude
émousso rapidement son action, et l'on peut arri-
ver par degré à en absorber des quantités consi-
dérables. Les Chinois mâchent, fument et boivent
ï
PAPIER
- 1493 —
PAPIER
lie l'opium d'une façon journalière ; cette sub-
stance leur procure une ivresse dont le renouvel-
lement 'quotidien devient pour eux un besoin
qu'ils satisfont ."i tout prix; les fumeurs d'opium
tombent bientôt dans un état d'abrutissement
complet, et ils linisseiit par mourir dans des accès
de folie qui rappellent ceux du delirium tremens.
On cultive en grand, dans le nord do la France,
une variété du pavot somnifère, le pavot noir, dont
les graines fournissent par expression une huile
douce comestible connue sous les noms d'huile
blanche ou d'huile d'œillette. Les pétales des
pavots et leurs capsules bouillis dans l'eau sont
émollients et légèrement narcotiques.
2" La Chélidome ou Granile éclaire, dont le latox
jaune est utilisé pour enlever les verrues; jadis
on l'employait pour dissoudre les taies qui se lor-
ment sur les yeux ; c'est même cette propriété
qui lui a valu le nom A'é'laire; aujourd'hui on a
renoncé à son usage parce que son acidité exige
■qu'on la manipule avec les plus grandes précau-
tions. — Le suc de \' Argemone mexicana possède
les mêmes vertus.
3° La Sanguinaria canadensis, dont la racine
renferme un suc rouge qui par ses propriétés rap-
pelle les propriétés sédatives de la digitale. Les
-graines sont narcotiques.
■4° Les Glauchim, les Eschhollzia, qui sont cul-
itivées comme plantes d'ornement.
Usages des Fumariacées. — En dehors de la
Fumeterre officinale et des Corijdabs, dont les
parties herbacées sont employées pour faire des
tisanes amères, toutes les autres fumariacées sont
cultivées comme plantes orjiementales. Parmi
elles, nous citerons le Diccntra speclahilis, qui
produit de magnifiques fleurs roses ; c'est le l>i-
W.y/r» des jardiniers. [C.-E. Bertrand.]
PAl'IEK.— Connaissances usuelles, II-V. — Tout
•d'abord, d'oùvientce nom? — Du mot papyrus, em-
ployé par les anciens pour désigner certaine plante
<)ui croissait particulièrement sur les rivages du Nil,
€t dont les fibres intérieures étaient employées à
fabriquer des lames flexibles, des feuilles sur les-
quelles on écrivit, en premier lieu chez les Egyp-
tiens, puis chez la plupart des autres peuples, qui
pendant bien des siècles furent tributaires de l'E-
gypte pour la fourniture de ce papier ou produit du
papt/rus. Pline le naturaliste asommairementdé-
crit le procodé qu'employaient les Egyptiens pour
préparer le papyrus. Après avoir dépouillé de son
écorce la plante, espèce de Souchct [Cyperus
,papyrus), qui dans le pays acquérait un dévelop-
pement considérable, on en tirait, par un tour de
■main particulier, d'assez larges pellicules qu'on
étendait les unes sur les autresen entre-croisant le
■sens des fibres, et qu'on faisait adhérer soit en
les frappant, soit en les pressant fortement. L'on
polissait ensuite par le frottement à l'aide d'une
grosse dent de cheval, et les feuilles étaient prêtes
à recevoir l'écriture. Chez les Egyptiens l'usage
de ce papier semblerait remonter à des époques
fort reculées, car l'on possède aujourd'hui des
manuscrits sur papyrus trouvés dans des tom-
Ibeaux datant d'au moins dix-huit siècles avant
•notre ère. Jusqu'à ce que le papyrus leur fût
venu de l'Egypte, les diverses nations de l'anti-
quité avaient écrit sur toutes sortes de substances
rigides ou flexibles, mais notamment sur des peaux
de bêtes plus ou moins bien appropriées i cet,
usage. Ce fut môme, dit-on, par suite de l'inter- j
dit que des rois d'Egypte mirent à une certaine
époque (250 ans avant J--C.) sur l'exportation
du papyrus, que dans le royaume de Pont, et en
la ville de Pergame, pour suppléer à la disette
du papier égyptien, on apporta de remarquables
perfectionnements aux procédés de préparation
des peau\ i écrire, connues sous les noms de 1
■ charta Pergami, membrana pergamena, ou plus!
simplement pergamen (qui est devenu notre mot
parchemin) ; les produits de cette industrie, dont
le secret se répandit, furent dès lors employés
concurremment avec le papyrus, qui cependant
resta plus particulièrement recherché jusque vers
le milieu du vii= siècle, où l'invasion des Arabes
en Egypte vint apporter un grand trouble à l'in-
dustrie de ce pays et à ses relations avec les peu-
ples européens. Un peu plus tard, ces relations
s'étant rétablies, l'Occident reçut i nouveau du
papyrus ; et pendant deux ou trois siècles encore
la plante du Nil garda son crédit, alors d'ailleurs
fortement diminué par les qualités de résistance,
de durée, reconnues au parchemin, qui était pres-
que exclusivement employé pour les actes et les
livres. Entre temps, au surplus, ces mêmes Arabes,
étendant leurs conquêtes du côté de l'Orient,
avaient connu, par le fait des caravanes établissant
le trafic avec les plus lointaines régions d'Asie,
un papier que les Chinois fabriquaient depuis
des temps immémoriaux avec le coton. Et non
seulement ils apportèrent dans leurs possessions
d'Occident de nombreux spécimens de ce papier,
mais encore ayant connu ou découvert les pro-
cédés à l'aide desquels les Chinois le préparaient,
ils établirent dès le ix' siècle, dans les pro-
vinces méridionales de la péninsule ibérique,
d'importantes manufactures de papier de coton
dont les produits, en même temps qu'ils faisaient
une redoutable concurrence au parchemin, consi-
dérablement plus coûteux, achevaient de ruiner
l'industrie du papyrus égyptien, qui ne pouvait
lutter ni au point de vue de la qualité, ni au point
de vue de l'économie, mais qui cependant resta
partiellement en usage, autant que l'on peut
croire, jusque vers la fin du -xi' siècle. Au papier
de coton d'ail leurs, dont les fabriques ne pouvaient
guère s'alimenter qu'en des régions cultivant ou
recevant facilement la matière première, s'était
peu à peu substitué le papier dit de c/d/fnns, c'est-*
à-dire fait avec les débris d'étofl'e de chanvre et
de lin. Dès le xii' siècle on en fabriquait sur
plusieurs points de l'Europe occidentale, et no-
tamment en France. On a conservé, en effet,
une charte datée de 1189 par laquelle un évêque
de Lodève, en Languedoc, autorise l'établis-
sement de moulins à papier sur l'Hérault. Au
siècle suivant des papeteries se créaient en Italie.
Au xiv' siècle seulement c'était le tour d'abord de
l'Allemagne, puis de la Hollande. Au xv» siècle
un essai fut fait en Angleterre, mais sans succès,
et ce ne fut qu'à la fin du xvi" qu'enfin cette in-
dustrie s'établit régulièrement dans ce pays, quia
aujourd'hui le second rang pour l'impurtance de
ses papeteries, le premier étant occupii par les
Etats-Unis qui ne fabriquent pas moins de 250 à
-30(1 millions de kilogrammes de papier, tandis que
la France en produit environ 150 raillions, contre
200 qui sont dus aux manufactures anglaises.
Quoi qu'il on soit des dates, d'ailleui^s assez
incertaines, où furent créées les papeteries des di-
vers pays, nous devons noter, comme coineidence
heureuse, que l'époque où cette fabrication eut
atteint dans ses principaux centres les perfec-
tionnements qui lui permettaient de livrer, avec
une économie relative, d'excellents produits^ est
aussi celle où fut inventé l'art typographique
dont elle devait si puissamment seconder les pro-
grès.
Or, sans nous préoccuper d'abord de l'état
actuel de cette considérable industrie, voyons sur
quels principes reposa dès l'origine et repose
encore d'ailleurs (car rien n'a pu être changé aux
données primitives) la fabrication du papier, telle
qu'elle nous est venue des peuples de l'extrême
Orient, et telle qu'elle se pratique aujourd'hui.
11 est dans le règne végétal une substance tech-
niquement appelée cellulose, que les botanistes
PAPIER
— 1494 —
PAPIER
définissent « une matière insoluble qui forme
essentiellement les parois des cellules, des fibres
et des vaisseaux «(Lemaout et Decaisne), et dont la
composition est identique dans tous les végétaux.
Notons même que la substance à laquelle on a
donne le nom de ligneux ou hoix n'est autre
chose que de la cellulose épaissie et condensée.
Cette cellulose, nous la recherchons le plus
communément dans des végétaux qui, par suite
de la disposition de certaines de leurs parties,
constituent pour nous des matières que nous
nommons textiles, ou propres à donner des fils
servant à la fabrication des tissus : notamment
dans les fibres corticales du chanvre, du lin, que
nous débarrassons pai- le rouissage des substances
gommeuses, résineuses qui y sont associées, ou
mieux encore dans le duvet qui enveloppe le
fruit du cotonnier et qui nous offre les fibres de
cellulose pures.
Etant donné cette cellulose h l'état de fibrilles
infiniment divisées, toute la théorie de la fabrica-
tion du papier se réduit i obtenir avec ces élé-
ments végétaux un feutrage analogue à celui
qu'on obtient en pressant, en foulant les poils de
divers animaux. A bien prendre, en effet, une
feuille de papier n'est autre chose qu'un mince
feutre végétal, car le tissu qui la constitue est
formé par l'enchevêtrement, par l'étroite adhésion
des brins de cellulose, ce dont il est facile de s'as-
surer en regardant à la loupe la déchirure d'une
feuille de papier, comme on regarderait à l'œil
nu la déchirure d'un morceau de feutre.
Cela constaté, nous devons comprendre que la
transformation des matières végétales en papier
donne lieu à deux opérations principales: 1" l'ex-
trême division des fibres de cellulose,?" la produc-
tion du mince feutre végétal. Nous allons voir
comment s'obtiennent ces résultats.
Le premier soin consiste à éplucher et nettoyer
les chiffons recueillis un peu partout, qui sont les
éléments les plus ordinaires de la fabrication. Tout
d'abord des femmes, qui reçoivent le nom de chif-
f07miéres, procèdent en même temps au triage et
au délissage. Le triage a pour objet de faire divers
lots des chiffons qui, selon leur finesse, leur nature,
leur couleur ou même leur degré d'usure, doivent
servir à confectionner telle ou telle qualité de pa-
pier ; le déli^sag" est le travail que font ces femmes
en divisant les chiffons en petits morceaux, en ou-
vrant ou coupant les coutures, les ourlets, en en-
levant tous les corps étrangers: boutons, agrafes,
baleines, œillets qui auraient pu rester adhérents
à ces débris de linge ou de vêtements. Cette double
opération ne peut guère être faite qu'à la main.
Une fois triés, délissés et coupés, les chiffons
sont battus ou blutés pour être débarrassés de
leur poussière: ce qui se fait i l'aide d'un grand
tambour ou blutoir en toile métallique qui les se-
coue énergiquement.
Autrefois, aprèsleblutagp, les chiffons, fortement
humectés, étaient déposés dans un lieu ordinaire-
ment souterrain qui avait reçu le nom do pourris-
soir, et où on les laissait séjourner jusqu'à ce
qu'il s'établît une sorte de fermentation qui avait
pour effet de désagréger les tissus. Aujourd'hui
cette opération a été abandonnée, parce qu'on a
reconnu qu'elle n'agissait qu'en altérant le prin-
cipe résistant de la cellulose. Aujourd'hui donc,
lorsqu'ils ont été blutés, les chiffons sont soumis
ïu lessivage, qui dissout les corps gras dont ils
pourraient être imprégnés. Puis ils sont rincés ou
lavés dans un grand courant d'eau pure, et l'on pro-
cède au <léfitiiclinr/e ou défilage, qui a pour objet de
les réduire en fibrilles aussi divisées que possible.
Ce travail était fait jadis par des marteaux, pilons,
ou maillets qui battaient les chiffons dans des cuves
ou bach'its, et qui «ont aujourd'hui remplacés par
des machines formées d'une caisse rù un cylindre I
se meut très rapidement en engrenant les lames
nombreuses dont il est armé, dans les lames dont
le fond de la caisse est également garni, mouve-
ment qui a pour effet de hacher les chiffons, les-
quels sortent de cet appareil à l'état de pâte, de
bouillie. Cette pâte cependant ou di'filé n'a pas en-
core atteint le dernier degré de trituration, mais
on a interrompu le travail pour pratiquer le blan-
chiment, qui autrefois était obtenu en exposant
pendant bien des jours et des nuits le défilé sur
un pré, où les effets alternatifs de la rosée, du
soleil, ou pour mieux dire de l'oxygénation atmo-
sphérique parvenait, mais lentement, aies décolorer
entièrement. Aujourd'hui c'est en faisant arriver
dans une auge, où la pâte est constamment remuée,
des courants de chlore liquide ou gazeux qu'on
obtient le blanchiment.
Le défilé est ensuite porté dans la cuve de raf-
finage, semblable à celle où a été opérée la pre-
mière trituration, mais avec cette différence que
les jeux de lames étant plus serrés, la matière y
est hachée plus menu, et se trouve convertie en
une pâte très fine, très homogène, composée de
cellulose relativement pure, que l'on peut aisément
étendre en une couche à la fois très unie et aussi
milice qu'on le désire. C'est alors que la première
série des opérations étant achevée, qui a eu pour
effet d'arriver à l'extrême division des fibres végé-
tales, on peut passer à la seconde, qui consiste i
produire ce feutre qui s'appelle feuille de papier.
Deux procédés sont aujourd'hui en usage pour
cette transformation : l'un, qui, de nos jours, est
absolument semblable à ce qu'il dut être dans les
papeteries des premiers âges, et qui donne ce qu'on
appelle le papier à la cuve, à la main, qui est ob-
tenu en feuilles séparées, et où le travail est dû
tout entier, en effet, à la main de l'homme ; l'au-
tre, d'invention toute moderne, donnant le papier
dit continu ou sans fin, et dont le travail est com-
plètement exécuté par une machine.
Il va de soi que la première et la plus ancienne
des deux méthodes a consacré, si nous pouvons
ainsi dire, des principes de fabrication qui sont
absolument respectés et suivis par la seconde ;
même point de départ, même but, mêmes résul-
tais ; les moyens d'action seuls diffèrent.
Notons que l'ancien procédé, qui peut d'ailleurs
sembler d'une simplicité vraiment élémentaire,
est encore usité de préférence quand on veut ob-
tenir des papiers recherchés à la fois pour l'aspect
et la solidité, et notamment destinés aux actes et
à certaines impressions d'amateurs.
Pour la fabrication du papier à la main, un ou-
vrier se place devant une cuve où une certaine quan-
tité de pâte a été délayée avec de l'eau, où elle est
en même temps maintenue tiède par un petit four-
neau ou un jet de vapeur, et remuée sans cesse
par un agitateur qui empêche que les parties
plus lourdes se déposent au fond. L'ouvrier, ou
plutôt Vouvreur (c'est le nom qu'on lui donne),
plonge dans la pâte une furme, espèce, de cadre
grand comme le format du papier à obtenir et dont
le fond est formé par un ensemble de menus fils
de laiton très rapprochés, soutenus par l'entre-croi-
sement de plusieurs tringles ; il prend sur ce cadre
une certaine quantité de pâte qu'il répartit égale-
ment par une manœuvre dont il a l'habitude; un
autre cadre dit couverte, qui s'emboîte exacte-
ment dans le premier, détermine l'épaisseur et le
format de la feuille de papier. L'eau qui délayait
la pâte s'étant écoulée à travers la toile métallique,
et la masse de pâte ayant dès lors formé d'elle-
même, par l'enchevêtrement de ses fibres, ce feutre
dont nous avons parlé, l'ouvrier enlève la couverte
et donne la forme h un autre ouvrier nommé cou-
clieur, qui, pendant que le premier s'occupe i rem-
plir un autre cadre, renverse la feuille sur un carré
de foutre ou de drap, nommé flotrc, et le recou-
PAPIER
— li'ôo —
PAPIER
vi'rt d'un de ces mômes carrés destiné à recevoir
la feuille suivante. Quand ces deux ouvriers ont
fait un nombre convenable de feuillus, ils les por-
tent sous une presse qui exprime la majeure partie
de l'eau qui y est encore retenue. Après cette pres-
sion, les feuilles possèdent déjà une résistance
suffisante pour pouvoir être séparées des flotres et
empilées par un ouvrier (le leveur) qui doit cepen-
dant agir avec les précautions résultant d'un tour
de main particulier. Ensuite, d'autres pressages
ont lieu pour chasser graduellement tout ce qui
peut rester d'eau dans la masse et pour effacer
les rugosités que ce contact des flotres a pu lais-
ser .\ la surface des feuilles ; puis le tout est porté
il Vétcmloir. Là les feuilles sont mises à séclier
sur des cordes où on les pose à cheval comme on
ferait de serviettes revenant du lavage. L'été,
l'air libre suffit à opérer le séchage; l'hiver, des
courants d'air chaud sont établis dans l'étendoir.
Une fois sèches, les feuilles doivent recevoir
Yejuollage, qui a pour but de faire que le papier
rendu imperméable ne boive pas lorsqu'on s'en
sert pour écrire. Cette opération se fait en plon-
geant les feuilles dans une légère dissolution de
colle animale ou de gélatine, additionnée d'un peu
d alun et de savon résineux. Séchées de nouveau,
elles reçoivent ensuite le lissage ou le satinur/e qui
doit lustrer leur surface et qui s'obtient en les sou-
mettant à de fortes pressions après les avoir pla-
cées entre des feuilles de carton très unies et très
dures. Si on les veut encore plus brillantes, on
procède au glaçage dont les procédés ne diffèrent
de ceux des précédentes opérations qu'en ce que
des feuilles métalliques, zijic ou cuivre, remplacent
les cartons intermédiaires et permettent d'obtenir
une pression dont l'effet est beaucoup plus sensible
stir le grain du papier.
Cela fait, il ne reste plus qu'à Irier les feuilles,
pour séparer les bonnes d'avec celles qui présen-
teraient quelques taches ou imperfections, et à les
ranger par mains de '.>5 feuilles qui, réunies par
20, forment lai-amede 500 feuilles, laquelle, après
avoir été pressée, enveloppée, entre dans le com-
merce .
Telle est la fabrication du papier à la cuve ou à
la main, qui fut seule pratiquée jusqu'à la fin du
dernier siècle, époque où les premiers essais de
fabrication mécanique furent faits, mais sans succès
décisif, à Essonnes, par un employé de la papete-
rie de François Didot, nommé Robert. L'idée fut
presque aussitôt reprise par le fils de François
Didot, qui, avec le concours d'ingénieurs anglais,
put enfin faire fonctionner régulièrement et fruc-
tueusement sa machine dans un établissement du
Hartfordshire. Et dès lors, non sans recevoir
toutefois de nombreux et importants perfection-
nements, fut inaugurée la fabrication mécanique
du papier, qui aujourd'hui produit les plus mer-
veilleux résultats.
Loin de nous le dessein de décrire cette ma-
chine perfectionnée, dont la complication même
n'a d'autre but que d'arriver à répéter aussi
exactement que possible, par des moyens auto-
matiques, l'ensemble des opérations de la main
humaine, à quoi d'ailleurs elle réussit dans une
telle mesure que quelques minutes à peine suffi-
sent pour que la masse de cellulose, entrant d'un
cOté de l'appareil, à l'état de pâte ou bouillie,
exactement préparée comme pour la fabi ication à
la main, avec cette seule difl'érence qu'on y a
mélangé les substances destinées à l'encollage, se
présente de l'autre côté à l'état de feuille d'une
longueur indéfinie, parfaitement séchée et relati-
vement lustrée.
Tout d'abord la pâte, au sortir d'une cuve où des
agitateurs la remuent sans cesse, tombe sur des
nappes de toile métallique où elle s'étale, et qui
la conduisen tp.ntre des rouleaux garnis de feutres;
ceux-ci la pressent, l'égalisent, et en expriment
l'humidité ; de là, elle est cojiduite entre des
I cylindres chauffés par la vapeur qui, en même temps,
sèchent et lissent la feuille produite. Enfin cette
feuille s'enroule d'une façon continue sur un dé-
I vidoir que l'on enlève quand il est garni d'une
quantité suffisante de papier, et que l'on remplace
par un autre. La feuille sans fin est ensuite dé-
coupée à diverses dimensions ou formats que l'on
désire avoir; et il ne reste plus qu'à opérer le
salinage, le glaçage et la mise en rame des feuil-
les, comme on a fait pour les papiers à la main.
Notons que les diverses dénominations données
aux formais en raison des longueurs et largeurs
relalivesdcs feuilles, jt'i*.?»?, raisin, cavalier, cloche,
double cloche, coquille, couronne, grand aigle,
granit soleil, etc., proviennent pour la plupart de
marques que les fabricants mirent dans le principe
dans les diverses papiers à l'aide de fils métalli-
ques disposes à cet effet parmi ceux qui consti-
tuent le fond de la forme, et qui donnent à la
feuille par des dilTérences d'épaisseurs cette fili-
grane que chacun a pu remarquer en regardant
le papier par transparence.
Un format, entre autres, cependant, le ministre
ou telliére, mesurant 45 centimètres sur 35, doit
son nom à ce que le papier de cette dimension
fut la première fois fabriqué sous Louis XIV pour
le service des bureaux du ministre Le Tellier, père
de Louvois.
Avons-nous besoin de mentionner que les di-
verses teintes données aux papiers s'obtiennent en
mélangeant, avant la fabrication à la main ou le
travail de la machine, telle ou telle substance co-
lorante à la pâte qui doit être employée.
De ce que la cellulose obtenue par la trituration
des chifl'ons de chanvre, de lin ou de coton, con-
stitue l'élément par excellence de la fabrication du
papier, il ne s'ensuit pas que d'autres matières
ne soient employées, car outre que pour les papiers
grossiers, de pliage, d'emballage on a coutume
de mettre en œuvre la paille de nos céréales et
maints débris de tissus même de provenance ani-
male, avec adjonction obligée cependant d'une
partie d'autres chifTons, l'on a encore en ces
dernières années fait, avec plus ou moins de suc-
cès, des essais portant sur les fibres de plusieurs
espèces de végétaux, Vagnve, l'orlie, le palmier,
et plus particulièrement sur une graminée qui
abonde dans les régions incultes de notre posses-
sion algérienne, où elle est connue sous le nom
vulgaire d'alfa. Plus récemment encore, on a ob-
tenu des papiers de bois relativement beaux et
résistants, et nous pouvons même constater que
ce genre de fabrication, en pleine activité déjà
dans certains lieux de Suède et d'Allemagne, sem-
ble vouloir prendre un grand développement. En
principe d'ailleurs, beaucoup de plantes peuvent
ofi'rir les fibres propres à la fabrication du papier,
mais la difficulté d'appropriation ressort le plus
souvent, malgré toutes les ressources dont dis-
pose actuellement la chimie, de l'impossibilité où
l'on se trouve, soit d'isoler, soit de décolorer les
fibres qu'on voudrait utiliser. Mais sans nul doute
de nouveaux progrès s'accompliront, dont nous
sont garants ceux qui viennent d'être réalisés dans
l'utilisation de la partie ligneuse des arbres : car
il faut bien le dire, encore que l'usage des divers
tissus végétaux soit plus considérable, plus ré-
pandu qu autrefois, la disette des chiffons, qui
devient de plus en plus grande en face de l'ac-
croissement de consommation du papier, menace-
rait de paralyser l'industrie papetière, si la science
et l'ingéniosité humaine, surexcitées par la néces-
sité, ne lui fournissaient bientôt d'inépuisables
éléments à mettre on œuvre
Disons pour achever quelques mots de certains
papiers spéciaux qui sont d'usage journalier et
PAPILLONS
1496 —
PAPILLONS
dont quelques-uns d'ailleurs n'ont du papier que
le nom. Le papier dit à calquer ou véqétnl est fa-
briqué avec de la filasse de clianvre ou de lin qui
n'a pas été décolorée; l'opération du calque se fait
encore parfois avec du papier dit qéUitine, qui
n'est autre chose qu'une feuille de gélatine cou-
ée très mince; le papier AU porcelaine, qui sert
jlus ordinairement pour les cartes de visite, est
un papier sur lequel on a étendu une couclie de
céruse ; le papier pelure a pour éléments des chif-
fons très purs et très résistants ; le papier Joseph
on papier de suie — qui d'ailleurs n'est nullement
fait avec de la soie — est dû au contraire ii des
chiffons très mous traités d'une façon particulière ;
il doii son nom à Joseph Montgolfler, qui l'in-
venta ; le papier goudron résulte d'une pâte formée
avec des débris de cordages goudronnés. Quant
flexible, de longueur très variable, roulée en spirale
au repos, entourée h sa base de deux palpes velus
ou écailleux ; parfois la spiritrompe manque et le
papillon ne prend pas de nourriture, comme on
le voit pour le ver h soie du mûrier. Les pattes
se terminent par des tarses de cinq articles, sauf
les cas d'atrophie; enfin l'abdomen des femelles se
prolonge quelquefois en tarière rétractile, quand
elles doivent pondre dans des cavités, ainsi entre
les fentes dos écorces (Cossus, Zeuzère).
Les lépidoptères ont des métamorphoses com-
plètes. Ils commencent par être des chenilles, ordi-
nairement à seize pattes, quelquefois moins (fig. 1).
Les pattes du thorax, dites en crochets, subsiste-
ront seules chez le papillon ; les pattes de l'abdo-
men, dites en mamelons, sont molles et se plissent
en pince pour serrer le pétiole des feuilles ; sou-
au papier dit, avec raison, de Chine (car telle est vent elles portent une couronne de petits crochets
sa provenance), mais qui du reste est dans ce pays
même un papier de choix, il est, dit-on, fabriqué
en général avec l'écorce d'un mûrier, qui par cela
même a reçu le nom de mûrier à papier, ou avec
la moelle d un a:a/ea. Remarquons que c'est un
papier plus grossier, obtenu du reste du coton,
qui au moyen âge servit de point de départ et de
modèle aux Occidentaux, lorsqu'ils fabriquèrent
leurs premiers papiers. Enfin l'on fait maintenant
usage, pour suppléer en beaucoup de cas au par-
chemin proprement dit, de certain parcliemin vér/c-
tal ou papier par.: he7?ini qui est fabriqué en plon-
geant pendant quelques instants, dans un mélange
par portions égales d'eau et d'acide sulfuriqueà 66°,
du papier ordinaire que l'on lave ensuite à grande
eau avec adjonction légère d'ammoniaque, et qui
acquiert dans cette opération non seulement la
ténacité et la sonorité, mais encore l'espèce de
transincidité membraneuse du parchemin animal,
qu'il remplace de la façon la plus économique.
[Eugène Mnller.]
PAPILLONS. — Zoologie. XXIV. — Nom vul-
gaire des insecte» adultes de l'ordre des Lépidop
tares.
Les insectes de
cet ordre ont qua-
tre ailes membra-
neuses , les infé-
rieures toujours
plus petites que
les supérieures;
ces ailes sont tou-
jours recouvertes
de fines écailles,
souvent colorées
des plus riches
nuances, qui font
de beaucoup de
ces insectes de vé-
ritables fleurs animées. Ces écailles, qui ont fait
donner aux papillons le nom de lépidoptères
(c'est-à-dire insectes h ailes écailleuses), restent
après les doigts comme une poussière fari-
neuse. Ce caractère est tout à fait général. On
voit bien quelques papillons à ailes vitrées et
transparentes comme celles des mouches : ainsi
certains Macroglosses, àitsSphinx gazés, et les Sé-
sies, qu'on prend d'ordinaire pour des hyméno-
ptères ; mais à léclosion, en sortant de leur chry-
salide, ces papillons ont les ailes couvertes dé-
cailles comme les autres: senlement ces écailles
ne tiennent pas et tombent dès que l'insecte a
donné quelques coups d'aile. Dans certains cas, les
femelles sont tout à fait dépourvues d'ailes, ou ne
les possèdent qu'à l'état de petits moignons im-
propres au vol. Les lépidoptères ont toujours deux
yeux composés ou à facettes; les organes de la
bouche sont conformés pour la succion du nectar
des fleurs ou de divers sucs liquides, et se compo-
sent essentiellement d'une spiritrompe cornée,
Fig. 1. — Chenille de Sph!
aidant la chenille à se cramponner sur la surface
des feuilles. On les sent très bien si on laisse
une chenille se promener sur le dos de la main.
La tête des chenilles odre en avant six très petits
yeux de chaque coté, et la bouche est formée de
pièces courtes et consistantes destinées à broyer,
car la nourriture de la chenille est tout à fait
difi'érente de celle du papillon. La très grande
partie des chenilles se nourrit de feuilles, parfois
de fleurs, de fruits ou de graines, rarement de
cire, de substances grasses, de matières animales
sèches (certaines Teignes); il y a des chenilles à
téguments blafards et décolorés, qui vivent dans
des galeries à l'intérieur des tiges de végétaux,
ainsi celles des Cossus et des Sésies. Quand les
chenilles passent leur vie à l'air, elles sont colo-
rées de teintes variées, avec divers dessins, ban-
des, chevrons, taches ; leur peau est lisse ou gra-
nuleuse, tantôt nue, tantôt couverte de duvets,
ou de poils plus ou moins longs et de prolonge-
ments variés. Les chenilles, et pour la plupart dès
la sortie de l'œuf, laissent sortir par un orifice de
la lèvre inférieure, la filière, des fils de soie, pro-
venant d'un liquide
visqueux qui su
solidifie à l'air,
sorte de salive éla
borée dans deux
glandes. Cette soie
sert aux chenilles
à se tenir sur la
feuille, parfois à
en rouler les bords
en cornet , ou à
accoler plusieurs
feuilles ensemble,
afin de se faire
une retraite, à fi-
ler de grandes toi-
les sous lesquelles elles vivent en commun dans
leur jeune âge, à se laisser pendre des branches
jusqu'au sol ; enfin cette soie est employée par
beaucoup de chenilles pour s'entourer de cocons
lors de leur métamorphose, cocons tantôt en soie
pure, tantôt en soie mêlée de poils de la che-
nille, de fragments végétaux ou de grains de
terre .
Après avoir subi plusieurs mues, ou change-
ments de peau, pendant lesquelles elles restent
immobiles et sans manger, les chenilles passent
h l'état nymphal, état de repos où elles ne pren-
nent pas de nourriture et perdent tous les jours
de leur poids par évaporation, à mesure que s'or-
ganise le papillon. Dans cette phase, l'insecte est
recouvert d'une peau dure, laissant voir grossière-
ment les formes futures du papillon, la tête et la
spiritrompe, les fourreaux des ailes, les antennes
et les pattes repliées en dessous, les anneaux de l'ab-
domen (fig. '.!).0n désigne alors l'insecte sous le nom
de fève, mot très juste en raison de sa forme et de
L troène.
PAPILLONS
1497 —
PAPILLONS
sa couleur brunâtre et plus souvent sous celui
A'attrélie et surtout de cknjsalUle, nom beaucoup
Fig. 2. — Chrysalide de Spliinn du liseron.
moins exact, car ce n'est que dans un petit nom-
bre de cas que le corps de l'insecte est alors cou-
vert de taches dorées ou argentées (certaines Va-
nesses et Nympliales), dues i de l'air intercalé
sous une mince pellicule. Les chrysalides se for-
ment tantôt absolument à nu sur le sol, tantôt
suspendues d'une manière variable par des liens
soyeux, tantôt enfin entourées des cocons dont
nous avons parlé. Les chrysalides peuvent éclore en
peu de semaines, ou bien passer l'hiver ou même
plusieurs hivers, avant de laisser sortir le papil-
lon. Celui-ci, d'abord mou et informe (\\%. 3), fend
avec sa tôte la peau du dos
de la chrysalide, étale ses
antennes et ses pattes, fait
pénétrer l'air dans les ner-
vures de ses ailes, ces ailes
étant d'abortl sous l'aspect
de doux moignons qui pen-
dent inertes, les sèche, les
fait vibrer et les étale peu
h peu, jusqu'à ce que, bien
raffermi et ayant rejeté par
l'anus le mécouium, excré-
ment liquide de l'état nym-
phal, il prenne son essor
dans l'atmosphère , route
nouvelle, interdite jusqu'a-
lors.
On peut élever en capti-
vité un grand nombre de
chenilles, soit recueillies au
dehors, soit nées des œufs
pondus par les papillons. 11 y a U\ pour les ins-
tituteurs de nombreux sujets de lerons de cliO-
ses ; les élèves s'intéressent beaucoup à suivre
ces curieuses métamorphoses. Il faut placer les
chenilles, avec des fragments dç la plante nourri-
cière ou la plante elle-même, dans une cage de
gaze ou de toile métallique, ou, plus simpleinent,
dans un pot à fleur recouvert d'un couvre-plat en
treillis de fil de fer. Le fond de la cage ou du pot
contiendra de la fine terre de bruyère, et, quand
on aura obtenu les chrysalides, on fera bien, pour
•éviter leur mort par dessic.ttion, d'injecter de
temps h autre une fine pluie de gouttelettes d'eau,
aJin de maintenir, le mieux possible, les condi-
tions naturelles d'humidité. L'instituteur peut
aussi placer certaines chenilles sur des rameaux
■d'arbustes du jardin de l'école, en entourant la
branche d'un manchon de gaze bien fermé h sa
'base ; les élèves suivront ainsi très facilement
toutes les phases de la vie de la clienille, et même
son changement en chrysalide, si celui-ci s'opère
sur la plante même et non en terre.
Classification. — Pendant longtemps en France
■on a subdivisé les papillons, d'après leurs mœurs,
en trois groupes : diurnes, cv('pusculaires, noc-
tiirw's; les instituteurs trouveront encore cette
division dans beaucoup d'ouvrages élémentaires,
même peu anciens. Cette division doit être abandon-
née, sinon pour le premier groupe, au moins pour
les deux autres. En effet, un assez grand nombre
àa leurs espèces, comme certains Sphingiens, les
Sesies, les Zygènes, beaucoup de Noctuelles, de
Phalènes, de Tordeuses et de Teignes, volent en
plein jour et souvent exclusivement; en outre il
n'y a pas de véritables nocturnes, car aucun papil-
lon ne demeure actif à la nuit avancée et profonde,
mais seulement au crépuscule, qui se prolonge
en été, chez nous, jusqu'à près de onze heures du
soir, dernière heure où volent encore quelques pa-
pillons. Nous diviserons les papillons en deux
sous-ordres, dont les noms sont tirés de caractères
fournis par les antennes, les Rhopalocères et les
Hétérocères.
Rliopalooères ou Diurnes. — Antennes se ter-
minant par un bouton plus ou moins renflé; ailes
inférieures estièrement libres des supérieures,
les quatre ailes presque toujours accolées au
repos et relevées porpendlculairenient au corps ;
vol pendant le jour seulement; chenilles en géné-
ral peu nuisibles. Nous indiquerons les princi-
paux groupes de ces papillons de jour, dont cer-
taines espèces frappent les yeux des enfants
par leurs belles couleurs.
Un premier groupe de Diurnes n'offre que quatre
pattes propres à la marche, les deux antérieures,
dites palatines, étant très raccourcies et entou-
rant le cou comme une collerette, au moins chez
les mâles. Les chrysalides sont nues et suspen-
dues par la queue, la tête en bas, au moyen d'un
court faisceau de fils de soie. Nous citerons les
Sat;/res, de couleur fauve, avec des taches ocel-
lées, et les Argé ou Demi-deuils, avec taches noires
sur un fond d'un blanc un peu jaunâtre ; ce sont
des papillons des prairies, des sentiers, des che-
mins de bois, dont les chenilles sont nocturnes et
vivent sur les graminées. Les Vanesses sont or-
nées de belles couleurs, et la plupart hivernent à
l'état adulte, pour reparaître au printemps et voler
aux premiers soleils, plus ou moins usées et
défraîchies. Telles sont trois espèces dont les che-
nilles se nourrissent d'orties, la Petite-Tortue, à
taches noires et bleues sur un fond rouge-fauve,
le Vulcain, à bandes de feu, le Paon de jour, avec
quatre superbes yeux d'un bleu violet sur les
ailes ; une espèce plus rare, le Morio, h fond d'un
pourpre sombre avec une large bordure jaune, la
chenille se nourrissant du saule, du peuplier et
du bouleau ; la Grande-Tortue, dont la chenille vit
sur les ormes et est quelquefois nuisible dans
l'extrême midi de la France ; la Belle-Damo, à
chenille mangeant les chardons et parfois nuisible
aux artichauts dans les années où le papillon est
commun : c'est en effet un papillon cosmopolite,
dont la race se renouvelle jusqu'au nord de l'Eu-
rope par des migrations venues d'Afrique; uil
passage considérable a eu lieu en France, en mai
et juin 1879, du sud au nord. Citons encore le
Robert le Diable ou Gamma, offrant en dessous,
aux ailes inférieures, la lettre grecque gamma.
Viennent ensuite, dans les bois, les Papillons-
Damiers, fauves avec une marqueterie de taches
noires; ce sont les Argipines-, dont les che-
nilles vivent sur les violariées, ayant souvent
en dessous des ailes inférieures des bandes ou des
taches nacrées, ainsi chez le Tabac-d'Espagne, le
Grand-Nacré et le Petit-Nacré ; et les Mélitées, analo-
gues aux Argynnes en dessus, offrant en dessous
des bandes et des ocelles jaunes variés, mais
sans taches nacrées. Les Nympliales habitent aussi
les bois. Trois grandes espèces, farouches et d'un
vol rapide, pompent, non pas le nectar dos fleurs,
mais le suc des plaies des arbres et celui des ma-
tières stercoraires des chemins ; ce sont, en juin,
le Grand-Sylvain, d'un brun fauve à bandes blan-
ches, la chenille vivant sur les trembles et les peu-
pliers, et en juillet les deux Mars, des peupliers,
avec les ailes des mâles offrant dans un sens un
riche reflet d'un bleu d'azur, les écailles étant de
deux couleurs, à la façon do ces images plissées,
qui représentent des objets très différents, suivant
qu'on les regarde à droite ou à gauche. Les Petits-
PAPILLONS
1498 —
PAPILLONS
Sylvains ou Deuils, noirs, avec une bande de ta-
ches blanclies, et dont les clienilles vivent sur les
cliivrefeuilles, ont un vol doux et se posent fré-
quemment sur les taillis qui bordent les routes de
bois et sur les ronces.
Un second groupe de Diurnes présente les six
pattes propres à la marche. Les chrysalides sont
nues, mais doublement attachées contre le support,
par un faisceau de soie caudal et par un autre, qui
foi-me un lien en ceinture autour du milieu du
corps. Nous y trouverons les Pol'/ommates fauves,
avec des ocelles variés en dessous, appelés aussi
Petits Porte-queues, car, dans certaines espèces,
l'aile inférieure se prolonge en un grêle filet; et
les Lycéiies, charmants petits papillons des prés,
des champs, des bords de routes, dont les mâles
sont bleus en dessus et les femelles brunes, avec
les mêmes taches et ocelles sur le dessous grisâtre.
Les chenilles sont larges et plates, d'aspect de
cloportes, à pattes très courtes, et vivent sur les
légumineuses. Les Piérides sont les papillons
blancs ; il y a deux espèces très nuisibles aux
choux, aux na-
vets, aux radis,
le grand papillon
blanc du chou et
le petit papillon
blanc de la rave.
Il faut détruire les
adultes et les che-
nilles de la pre-
mière espèce dans
les jardins pota-
gers ; heureuse-
ment que des en-
toinophages du
gOiU-e Micrognster
fout périr beau-
coup de chenilles.
On doit bien se
garder d'écraser
les amas de petits
cocons jaunes filés
par les larves sor-
ties du corps des
chenilles. Le Ga-
zé, blanc à ner-
vures noires, est
nuisible aux pru-
niers et aux aubé-
pines, et ses che-
nilles au prin-
temps vivent sur les arbustes sous de grandes
toiles qu'il faut flamber à la torche. Les Coliades
ont deux espèces principales, le Soufré, à ailes
d'un jaune soufre, et le Souci, à ailes d'un jaune
foncé, bordées de noir ; leurs chenilles vivent sur
les légumineuses fourragères et ne sont pas nui-
sibles, pas plus que celle de YAnthoclitins Au-
rore, dont l'apparition signale le début du prin-
temps, le mâle ayant le sommet de l'aile supé-
rieure d'un beau rouge orangé, les deux sexes
ayant les ailes marbrées de verdàtre en dessous ;
enfin citons les Citrons, à antennes roses, à ailes
anguleuses; celles du mâle d'un beau jaune ci-
tron, celles de la femelle d'un blanc verdàtre ; il
en est qui hivernent et qu'on voit voler au soleil
en février dans les bois encore absolument sans
feuilles ; les chenilles vivent sur les nerpruns et
les fusains.
LesGrauds Porte-queues appartiennent au genre
Pnpillon proprement dit. Le plus répandu est le
Machaon, jaune avec dessins noirs, des taches
en bordure et un œil violet et rouge contre la
queue de l'aile inférieure ; la chenille, verte avec
des incisions d'un noir do velours, vit sur les ca-
rottes et le fenouil, et laisse sortir du cou, quand
on l'inquiète, un tentacule rétractile et orangé.
en Y, caractère du genre. L'autre espèce, le
Flambé, avec de longues bandes noires, comme
des flammes, sur un fond jaune pâle, est moins
commune ; sa chenille se nourrit des feuilles du
prunellier et du prunier.
Enfin le dernier groupe des Diurnes, à six pattes
propres h la marche, est formé par les Hespériens,
petits papillons qui volent surtout dans l'après-
midi, par les clairières des bois et les champs, et
tiennent au repos leurs ailes seulement à demi
relovées ; les chrysalides sont fixées par la queue
et par des fils de soie entre-croisés au milieu d'un
réseau soyeux très lâche attaché entre les feuilles.
Hétérocères (anciens Crépusculaires et Noctur-
nes). — Dans ce sous-ordre, qui comprend la plus
grande partie des lépidoptères, et sur Idiuel
nous ne pouvons donner que des indications très
sommaires, les antennes ont toutes les formes
possibles, en dents de peigne, en fuseau, en fils,
crénelées, lisses ou poilues, etc. Outre les yeux
composés, ne manquant jamais, il y a souvent
deux stemmates ou yeux simples, cachés dans les
poils sur le des-
sus de la tête. Au
repos les ailes
sont parfois étalées
à plat ou horizon-
talement , plus
souvent repliées
en toit sur le
corps , les supé-
rieures recouvrant
complètement les
inférieures, enfin
les ailes pouvant
être roulées au-
tour du corps (cer-
taines teignes).
Les ailes inférieu-
res sont fréquem-
ment ornées de
couleurs très vi-
ves et très déli-
cates, en raison de
l'abri que leur of-
frent au repos les
ailes supérieures,
qui sont souvent
grises on brunes ;
la lumière déco-
lore promptemenl
ces ailes inférieu-
res des Hétérocères, et ce sont surtout les col-
lections de ces insectes étalés que les institu-
teurs doivent avoir soin de conserver en lieu
obscur. S'ils les laissent accrochées au mur et
au grand jour, bientôt tout sera efface, blanchi,,
méconnaissable. Enfin il arrive souvent, surtout
pour les mâles, que, par l'appareil du frein, les
ailes inférieures sont liées aux supérieures, de fa-
çon à les suivre dans tous leurs mouvements ; un
crinraide, à la base de l'aile inférieure, passe dans
un anneau corné, h l'insertion de l'aile supérieure,
comme un verrou dans sa gâche; les instituteurs
feront aisément voir à leurs élèves ce curieux mé-
canisme en prenant de gros Sphinx.
Les Sphinx, à spiritrompe très longue^ (fig. 4),.
ont des espèces qui nous arrivent d'Afrique,
comme le Sphinx du liseron et celui du laurier-
rose, et leurs ailes aiguës sont en rapport avec
ce vol puissant; les chenilles, souvent à demi dres-
sées, à la façon du Sphinx de la Fable jetant sa ter-
rible énigme aux passants, ont une corne sur le
onzième anneau. Le Sphinx à tète de mort, portant
ce lugubre emblème sur le corselet et faisant en-
tendre un bruit aigu, estnuisibleauxabeillesdansle
midi de la France, car il s'introduit dans les ruches
pour segorjçer demiel ; son énorme chenille jaunâ-
PAPILLONS
— 1499 —
PAPILLONS
trc rongo les feuilles de pomme de terre. Les chry-
sulidcsdos Sphinx reposentsur la terre, soit nues,
soit dans des coques mêlées de grains de terre et
do fragments végétaux. Les Zyjé/cs ou Sphinx-bé-
liers, à antennes en fuseau h l'extrémité (fig. 5), ont
Flf. 3. — Zygcne du trclli
de brillantes taches rouges, sur un fond d'nn noir
luisant, bleuâtre ou verdâtre, et volent assez lour-
dement au soleil ; leurs chenilles, qui vivent sur-
tout sur les petites légumineuses, filent, le long
des tiges, un cocon allongé, en bateau, de consis-
tance parcheminée. C'est également au soleil que
volent les Sésies ou Sphinx-gazés, h ailes sans
écailles, analogues à des hyménoptères ou à des
diptères (fig. 6), et dont les chenilles rongent l'inté-
rieur des arbres et des arbustes. La Sésie apiforme,
qui ressemble à un frelon, et la Sésie asiliforme,
sont nuisibles aux jeunes peupliers et bouleaux, la
Sésie tipuliforme aux groseilliers des jardins,
d'autres espèces aux pommiers.
Le groupe des Bombyciens présente les antennes
pectinées, au moins dans les mâles; les chenilles
de certains d'entre eux fournissent, par leurs co-
cons, les plus riches matières textiles qu'utilise
l'industrie humaine (V. Ver à soie'. Le genre
Atlncus, remarquable par les taches vitrées de ses
ailes, nous présente les plus grands papillons qui
existent; le plus grand papillon d'Europe est le
Grand-Paon de nuit, dont l'énorme chenille, verte
avec des tubercules poilus que termine une
étoile d'un bleu de turquoise, vit principale-
ment sur les poiriers et les ormes ; le Petit-
Paon de nuit, de taille moindre, a sa chenille sur
l'aubépine, la ronce, le charme, etc. Les :;henilles
des Paons de nuit ne sont pas assez nombreuses
pour être nuisibles, et filent pour se chrysalider
des cocons ouverts à un bout, par où sortira le pa-
pillon, et trop fortement incrustés d'une gomme
brunâtre pour que nous puissions en faire usage.
D'autres Bomhyciens sont très nuisibles aux
bois, aux champs, aux jardins. Les Bombyx pro-
cessionnaires du chêne et du pin, de couleur gri-
sâtre, ont leurs chenilles vivant dans des nids
soyeux, sur le tronc des chênes ou entre les bran-
ches des pins ; elles en sortent la nuit en proces-
sion pour dévaster le feuillage. Le Bombyx ncus-
trien pond ses œufs en bracelets autour des
branches des arbres fruitiers où ils passent l'hi-
Ter; il faut les détruire ; la chenille, dite livrée
en raison de ses bandes rouges et bleues, doit être
ramassée par les enfants sur les feuilles des pom-
miers et poiriers, et écrasée. On couvrira de gou-
dron au pinceau les œufs du Liparis disparate (le
mile est beaucoup plus petit que la femelle et
tous deux ont des bandes noirâtres en zic-zag), qui
adhèrent aux troncs des tilleuls et des ormes, sous
un tampon de poils roux arrachés du ventre de la
mère, et les œufs du Liparis du saule, bombycien
tout blanc, qui semblent couverts d'un enduit,
comme une bave de limaçon, sur les troncs des
peupliers et des saules. Le Liparis queue-dorée, éga-
lement blanc, avec un gros paquet de poils roux au
bout de l'abdomen de la femelle, est un ravageur
des vergers et des haies (fig. 7) ; les petites chenilles
Fi;. 7. — Lipa
qiicue-dol-(
passent l'hiver entre les feuilles terminales, assem-
blées en paquets par des fils de soie; il faut les
couper par les jours les plus brumeux et les plus
froids de décembre et de janvier et les briiler avec
soin, sans les laisser sur le sol.
Les Orgyes ont des chenilles offrant en avant
deux longues aigrettes de poils ; les femelles
n'ont que des petits moignons d'ailes et se posent
sur le cocon pour attendre le mâle. L'Orgye
antique est nuisible aux arbres à fruit et aux
rosiers ; on voit voler en plein jour, surtout en
septembre et octobre, le mâle, qui est très vif et
fauve, avec une étoile blanche sur chaque aile
supérieure qui l'a fait nommer l'Etoile (fig. 8). Les
, s. — Orgye auliqui
Psychés sont de très singuliers papillons; les mâles,
très petits, noirâtres, i antennes pectinées, volent
avec rapidité le matin ; les femelles, absolument
sans ailes, ressemblent à des larves ; les chenilles
des deux sexes sont couvertes de fourreaux for-
més par des brins d'herbe, ou des morceaux de
feuilles, d'où sortent seulement les pattes écail-
leuses et la tête. Enfin il y a des genres dont
les chenilles vivent à l'intérieur des tiges et font
souvent beaucoup de mal ; ainsi la grosse che-
nille du Cossus ligniperde, couverte d'écussons
cornés rougeâtres, abîme de ses galeries les troncs
des saules et des ormes; la chenille jaunâtre à
points noirs (Clienillo léopard des Anglais) de la
Zeuzèro du marronnier fait souffrir beaucoup
d'arbres do toute sorte dont les branches rongée?
il l'intérieur cassent sous les coups de vent ; le
PAPILLONS
— 1500 —
PAPILLONS
Fi g. 9.
papillon, blanc tacheté de noir, a été appelé la
Coquette. Il faut tuer les chenilles en passant un
fil de fer dans les trous. Les femelles des Cossus
et des Zeuzères ont une tarière rétractile qui
leur sert à pondre en-
tre les écorces (flg. 9);
il faut, dans le jour,
chercher les papil-
lons au repos sur les
troncs et les écraser.
Une tribu considé-
rable est celle des
Noctuelles, dont beau-
coup d'espèces, mal-
gré leur nom, volent
en plein jour ; les
espèces du soir sem-
blent au reste crain-
dre encore plus la
clarté de la lune que
celle du soleil. Les
antennes des Noc-
tuelles sont en géné-
ral grêles et comme
des fils ; leurs ailes
supérieures souvent marbrées ont de petites taches
sur le disque en forme de rein, et les ailes infé-
rieures, cachées au repos sous les autres qui s'a-
baissent en double toit, sont souvent blanchâ-
tres, ou jaunes
bordées de noir,
ou rouges avec
<les bandes noi-
res ; les chrysa-
lides sont le plus
souvent légère-
ment enterrées.
Il faut rechercher
les chenilles ou
écraser les adul-
tes de beaucoup
de Noctuelles;
^insi doit-on faire
pour la Noctuelle
potagère et la
Noctuelle du
chou, dont les
chenilles dévo-
rent les cultures
maraîchères, sur-
tout les choux et
les choux-fleurs;
pour les Agrotis,
dont les chenil-
les, appelées vers
gris par les agri-
culteurs, causent
le plus grand
dommage aux racines; celles de l'Agrotis point
d'exclamation (d'après une marque sur l'aile) aux
turneps, raves, choux et colzas; celles de l'Agrotis
des moissons aux betteraves, au point de compro-
mettre en certaines années la production sucrière
de la façon la plus grave. On doit signaler les
Plusies, qui volent très vivement en plein jour ;
leurs ailes supérieures sont ornées de beaux re
flets d'un vert doré ou de taches d'or ou d'argent,
simulant des lettres. La Plusie gamma (portant
la lettre grecque argentée gamma) est commune
partout et très nuisible en certaines années aux
prairies artificielles.
Les P/ialéniens tiennent en général leurs ailes
étalées à plat au repos ; leurs antennes sont plu-
nieuses ou simples. Leur caractère essentiel est
donne par les chenilles. Elles n'ont plus que dix
pattes, les six écailleuses et quatre au bout de
1 abdomen ; aussi, une grande partie de leur corps
«e pouvant s'appuyer sur lo support, elles relè-
', femelle.
Fig. tu. — Chenilles de la Phalène du sureau.
vent en boucle ou en compas, quand elles raar-
client, tout le milieu de leur corps, ce qui les a fait
nommer a7-penteuses oui/éométres {&g. 10). Souvent,
fixées sur les deux pattes anales, immobiles pen-
dant des heures en-
tières, elles ressem-
blent à de petites
branches sans feuil-
les. Beaucoup se lais-
sent tomber au bout
d'un fil. Les chrysa-
lides sont pour la
plupart en terre et
quelques-unes entou-
rées de ligers co-
cons. Nous citerons
la Phalène du groseil-
lier, blanche avec
des séries de taches
noires et jaunes, dont
les chenilles hiver-
nent sous les feuilles
sèches. Il faut ra-
masser en hiver les
feuilles sèches au
pied des groseilliers, et les brûler avec leurs pe-
tites chenilles engourdies. De singulières pha-
lènes sont les Hibernies ou Papillons do l'hiver,
qui se montrent, selon les espèces, de novem-
bre à février.
Les mâles sont
au repos sur les
feuilles sèches
ou sur les troncs
d'aibre, volant
parfois , s'il fait
du soleil ; les fe-
melles ont des
ailes nulles ou en
moignons rudi-
nientaires. Sont
très nuisibles
aux arbres fores-
tiers et fruitiers
la Phalène dé-
feuillante (flg. II
et 12), dont la
femelle, tout i
fait sans ailes,
ressemble à une
araignée allon-
gée, et la Phalène
liyémale , d'un
gi-is brunâtre
nuageux, parais-
sant en décem-
bre. La femelle
n'a que de très
petites ailes, sans usage. On la trouve en abon-
dance, le matin, après les vitres des lanternes
qu'on laisse allumées la nuit dans les vergers ou
Flg. 11. — Phalène défeuillanlo
maie.
Fiff. 12. — Phalène
défcuillante femelle.
dans les bois. Les femelles des Hibernies vont
pondre sur les bourgeons, que les petites che-
nilles dévorent au printemps, passant ensuite aux
feuilles ; on fera bien d'enduire de goudron gras
PAPILLONS
1501 —
PAPILLONS
la base des arbri's .fniitiiMs, afin d'cmpùclici- de
grimper les femelles incapables de voler.
l^a lin de l'ordre des lépidoptères comprend
un nombre con>ldérable d'espèces, dont certaines
sont de vrais fléaux, et qui ont été nomméc^s
MicHOLÉPiDOPTÈnEs par les entomologistes, parce
que leurs papillons sont presque toujours de
très peiite taille, ainsi que leurs chenilles, com-
pensant malheureusement cette petitesse par une
exirèmo fécondité. Nous en détacherons d'abonl
les Ga léries de la cire (fausses-teignes de Ré.ui-
mur). Nous en avons deux espèces très voisines,
l'une grande, dont les femelles ont jusqu'à 40 mil-
limètres d'envergure, les ailes étalées; l'autre
plus petite. La grande Gallérie de la cire est plus
répandue que l'autre dans la zone parisienne,
pioins au contraire dans les régions plus méri-
dionales de notre pays. C'est elle que les paysans
apiculteurs des environs de Paris appellent le
papillon. Les papillons des deux espèces ont les
aile.s supérieures découpées, à couleurs grisâtres
et nébuleuse?, les inférieures plus claires et
recouvertes au repos par les supérieures. Ils
volent peu, bien que pouvant le faire aisément,
mais courent et sautillent avec rapidité, leurs
écaillas luisantes et comme graissées les aidant i
passer par d'étroits interstices. Ils pénètrent le
soir dans les ruches, s'insinuent avec prestesse
pour pondre entre les gâteaux et échappent à
l'aiguillon meurtrier grâce à leur cuirasse d'é-
cailles. 11 en est qui pondent sur les fleurs, d(^
sorte que les abeilles transportent les œufs atta-
chés à leurs poils ou intercales dans le pollen
qu'elles amassent en provision dans les ce)luli;s.
Les chenilles des Galléries ont .seize pattes et
courent très vite, par des ondulations précipitéi^s
d'arrière en avant. Elles ne touchent pas au miel,
mais perforent les gâteaux de cire de tuyaux, en
méandres multiples, formés de soie mèiée de gra-
nules d« cire et d'excréments noirs. En ronjjeant
ainsi la cire, elles font effondrer pôle-mèle miel,
poUon, couvain et abeilles ; les chrysalides se pro-
duisent dans la ruche, eHtourées de cocons de soie
blanch», épais et consistants, comme gommés,
accolés les uns contre les autres. Il faut couper
largement toutes les parties de la ruche envahies
et les brùlar, puis fortifier la colonie par une
réunion, ou, si le mal est trop grand, transvaser
à la fumée les abeilles dans une autre ruche. La
petite Gallérie de la cire est moins nuisible, car
ses tuyaux et ses cocons restent d'ordinaire con-
finés dans une portion restreinte de la ruche.
Un groupe considérable d'espèces est celui des
Tordeuses, nommées souvent Pyrales, mot assez
impropre dans ce sens restreint, car presque tous
les papillons qui volent le soir sont attirés par les
lumières. Les chenilles, à seize pattes, se laissent
pendre à un fil de soie sortant de la bouche, qui
leur sert à descendre et à remonter, et, quand on
les touche, se tortillent comme de petits serpents.
La plupart se tiennent dans des feuilles qu'elles
roulent en cornet ou qu'elles assemblent en pa-
quet avec d'autres, rongeant ainsi les parties ver-
tes sous un abri qui les défond du soleil, les cache
k leurs ennemis et sous lequel elles deviennent
chrysalides. Beaucoup de ces chenilles font au
printemps des toiles sous lesquelles elles se tien-
nent en commun ; il en est qui mangent les grap-
pes de jeunes fruits, qu'elles enveloppent de soie,
et certaines rongent l'intérieur des fruits. Une très
redoutable Tordeusc est la célèbre Pyrale de la
vigne (fig. 13), le plus grand ennemi des vignobles
après le Phylloxéra '. C'est un très joli papillon, 5,
longs palpes accolés en pointe en avant, qui sem-
ble, posé sur les feuilles, un triangle émaillé de
jaune, de gris et de noirâtre, pondant ses œufs
aussi par plaques sur les feuilles, en juillet et
août i les petites chenilles éclosent en septembre
et passent l'hiver engourdies entre les écorces de»
ceps et sur les échalas, se réveillent au printemps
Fig. 13. — Pjrale de la vigne à ses divers états.
et dévorent les feuilles et les jeunes grappes,
feuilles et grappes enlacées dans un tissu soyeux.
Il faut pratiquer en hiver l'êtouillaiitnf/e, c'est-à-
dire tuer les chenillettes avec la vapeur d'eau
bouillante qu'on injecte sur les ceps et sur les
échalas. Une autre Pyrale, moins nuisible h la vi-
gne, est celle de la grappe (genre CorAy//;), dont
les chenilles vivent dans les jeujics grappes de
raisin, qu'elles enveloppent de soie au moment
de la floraison ; il faut les enlever à la pince pour
les raisins de treille qui ont une grande valeur et
les écraser ; en vignoble, on goudronnera ou on
flambera légèrement i la torche les jeunes grappes
attaquées. La Pyrale verte cause d'immenses dé-
gâts dans les forêts; en certaines années, les ar-
bres, au printemps, sont entièrement dépouillé»
de leurs feuilles, et les petits crottins qui tombent
sans cesse sur les feuilles sèches imitent le bruit
de la pluie. Les fauvettes et les rossignols hap-
pent au vol les innombrables chenilles qui pen-
dent à des fds. Les instituteurs comprendront,
par cet exemple, entre beaucoup d'autres, com-
i)ien il leur importe d'interdire sévèrement le dé-
nichage îleurs élèves. D'autres Pyrales attaquent
gravement les rosiers, les poiriers, les abricotiers
et surtout les pruniers. Les Pyrales des pins font
beaucoup de tort aux arbres résineux, surtout aux
pins sylvestres. Leurs chenilles rongent les bour-
geons terminaux dans lesquels elles restent ca-
chées en hiver, déterminent des écoulements de
résine qui épuisent les arbres, araèjient la des-
truction des aiguilles et obligent les branches à
se ramifier. Les Carpocapses sont le fléau des ver-
gers. La Carpncapse des pommes pond sur le
jeune fruit, et la chenille ou ver des p'>mmes perce
les pommes et les poires de ses galeries souillées
d'excréments, passe d'un fruit h l'autre dans les
paquets de fruits contigus ou se laisse tomber par
un 111 d'un fruit au fruit inférieur. La Carpocapse
PAPILLONS
— 1502 —
PAPILLONS
des prunes a une chenille qui attaque les prunes
et les abricots de plein vent, et les perfore de ses
tuyaux remplis d'une marmelade brune d'aspect
répugnant ; la chenille de la Carpocapse des châ-
taignes se nourrit de l'intérieur des noix, des
amandes et surtout des châtaignes, produisant les
marrons véreux qui constituent en certaines an-
nées un déchet considérable. Il faut, pour sauver
les récoltes futures, ou du moins diminuer le mal,
ramasser avec soin tous les fruits véreux dès qu'ils
tombent et même provoquer leur chute, les em-
porter au loin et les briiler. En hiver, on fera
bien d'ébouillanter à la vapeur les troncs des ar-
bres et le sol au-dessous d'eux, car les chenilles
de Carpocapses sorties des fruits s'y trouvent à
l'état dormant.
Les Teigiirs, encore plus petites généralement
que les Tordeuses, ont comme elles des chenilles
i seize pattes et marchant vivement h reculons, j
Les papillons, presque toujours minuscules et qui
ne prennent pas de nourriture, ont souvent les
ailes supérieures ornées des couleurs les plus |
vives et de bandes d'or et d'argent. Ces ailes
s'enroulent autour du corps au repos dans beau-
coup d'espèces. Les ailes inférieures sont bordées
inférieurement de longues franges de poils. Il est
difflcile de préparer pour les collections ces pa-
pillons si délicats, dont les belles écailles se déta-
chent des ailes au plus léger attouchement; le
mieux est de les faire périr dans le flacon de chasse
à cyanure de potassium, de traverser leur thorav,
sous la loupe, avec un fin fil de platine qu'on fixe ,
sur un petit cube de moelle de sureau, attaché ^
lui-même à l'épingle qui porte l'étiquette. |
Dans la catégorie des Fauxfe^-Teigni'S de Réau- !
mur, les chenilles vivent à découvert. Les Ypono-
meutes ont des papillons dont les ailes supérieures,
enroulées autour du corps, sont blanches, pique-
tées de petits points noirs. Une espèce pour les
pruniers, deux espèces très voisines pour les pom-
miers, causent d'immenses ravages. En mai et
juin, les arbres paraissent couverts de vastes toiles "
d'araignée, sous lesquelles les chenilles rongent
les feuilles en commun, se laissant pendre à un
fil, puis remontant si on les dérange; des toiles
nouvelles sont filées de place en place, selon le
besoin, jusqu'à ce qu'il ne reste plus une feuille ;
c'est sous les toiles également que les chenilles
se transforment en chrysalides, qui pendent la tète
en bas. Les papillons éclosent en juillet et août ; les
femelles pondent aux fourches des rameaux des
paquets d'œufs entourés d'une enveloppe de
gomme sous laquelle passent l'hiver les petites
chenilles qui naissent en septembre ; réveillées aux
premières chaleurs du printemps, elles commen-
cent aussitôt leurs nids soyeux ; c'est alors qu'il
faut les enlever avec des balais de houx ou les
flamber à la torche de paille. Si on a attendu plus
tard, quand les arbres ont des feuilles, il faudra
injecter i la pompe, sur les toiles, une forte eau
de savon noir ou des émulsions de pétrole dans
l'eau.
Beaucoup des Teignes qui nous occupent sont
des mineuses de feuilles. Trop faibles pour dévorer
toute la feuille, les chenilles se glissent dans des
galeries entre les deux épidermes, en rongeant le
parenchyme ; la feuille est sillonnée de mines
jaunâtres, se flétrit, ses bords se contournant. Des
espèces mineuses détruisent ainsi, dans les jar-
dins, les lilas, surtout ceux de Perse, les feuilles
des aulx et poireaux, celles des carottes, dont les
ombellules sont liées par des fils de soie, celles
du pêcher (le véreau des arboriculteurs), etc. Il
faut, au début du mal, arracher avec soin les
feuilles minées et les brûler ; les enfants peuvent
rendre, en ce genre, de grands services. Il y a de
ces Teignes sans fourreaux dont les chenilles ron-
gent les grains de blé ; ainsi l' OEcophore des crains,
dont la chenille lie ensemble plusieurs grains de
blé au milieu desquels elle file sa coque de soie
pour se chrysalider ; l'Alucite des grains, plus pe-
tite et plus nuisible, qui vit en chenille dans un seul
grain dont elle ronge toute la farine. Autrefois,
avant la facilité actuelle des transports, quand on
emmagasinait les grains, ces Teignes étaient com-
munes et causaient des pertes considérables. Il
faut employer contre elles les mêmes moyens que
contre les Calandres du blé et du riz (V. Coléop-
tères), à savoir les tarares h choc, le chauffage à
1 air chaud, la mise en silos avec du sulfure de
carbone. Dans l'extrême midi de la France, la
Teigne de l'olivier fait beaucoup de mal à cet
arbre. La première génération mine les feuilles,
la seconde, plus funeste, vit en chenille dans le
noyau de l'olive où elle entre à sa sortie de l'œuf
pondu sur le jeune fruit et dont elle sort à la fin
d'août pour se chrysalider sur le sol dans une co-
que de soie. Les olives percées tombent et sont
perdues pour l'industrie.
Réaumur appelle Teignes vraies celles dont les
chenilles s'entourent de fourreaux de protection
façonnés avec les matières mêmes dont elles vi-
vent. Il en est qui ramassent autour de leur corps
des lambeaux de l'épiderme des feuilles et s'en-
tourent de collerettes étagées qui les ont fait ap-
peler Teignes à falbalas par Réaumur. Il en est
une à fourreau noirâtre qui ravage parfois les poi-
riers et les pommiers, une à fourreau pareil, à une
robe blanche à plusieurs jupes, qu'on trouve sur
les feuilles du baguenaudier. De splendides Tei-
gnes dont les chenilles sont dans un étui lisse,
comme un papier gris, sont les Adèles, qu'on voit
voler en montant et en descendant le long des
buissons par les belles matinées de printemps ;
les papillons étincellent au soleil comme des pierres
précieuses vivantes ; le vol des mâles est très ra-
lenti par leurs immenses antennes, ayant vingt à
trente fois la longueur du corps et qui semblent
deux fins fils de soie ; les antennes des femelles
sont en soies épaisses, à peu près de la longueur du
corps. Nos maisons sont infestées par plusieurs
espèces de Teignes domestiques dont les écailles
laissent aux doigts une poussière jaunâtre. La
Teigne tapissière ronge les étoffes Je laine en ma-
gasin. Une autre espèce plus commune, la Fri-
pière, dévore noî vêtements de laine dans les armoi-
res (fig. 14). Les chenilles de ces Teignes s'entourent
Fig. 14. — Teigne des draps, très grossie.
de fourreaux de débris laineux (fig. 15). Les insti-
tuteurs pourront montrera leurs élèves une jolie
expérience renouvelée de Réaumur. En donnant à
manger à ces chenilles des morceaux de tissus de
laine de diverses couleurs, on ne tarde pas à les
voir habillées en arlequins. La chenille de la
Teigne des pelleteries coupe le poil des fourrures
pour s'en faire un tuyau feutré ; celle de la Teigne
des crins dévore les crins des meubles et des ma-
telas. Enfin, une autre Teigne se nourrit, à l'état
de chenille, des duvets des oreillers et des lits
de plume, des collections d'oiseaux et d'insectes.
Si les étaloirs chargés d'insectes sont b. l'air libre,
il est bon de couvrir le corps des insectes de tabac
à pri.^er ou de poudre de pyrèthre pour empêcher
cette Teigne, qui vole partout, de venir pondre
dessus. Pour se préserver de ces minuscules, mais
PARABOLE
1503 —
PARABOLE
si dangereux ennemis, il est bon d'aérer et d'ex-
I)Oser fréquemment ces objets à la lumière, que
liole peut être regardée comme une moitié d'el-
lipse dont les axes seraient infiniment grands.
C'est co que nous allons mettre en évidence, pour
en déduire ensuite la définition ordinaire de cette
courbe.
Soit une ellipse dont le grand axe est AA' (flg. 1),
Fig. 15, — Drap rongé par des chenilles de Teigne (gross
les chenilles de Teignes ont en horreur ; épouvan-
tées, elles se laissent tomber au battage. On peut
encore placer les objets infestés pendant un ou
deux jours dans des caisses bien closes avec de la
benzine, ou mieux, du sulfure de carbone, encore
plus toxique et qui s'évapore ensuite plus vite.
Ou bien on fera, entre les plis des étoffes ou dans
les matelas, des insufflations de poudre insecti-
cide de Vicat.
Le dernier groupe des papillons est formé de
petits insectes frappés de dégradation organique,
car leurs ailes, au lieu d'offrir une membrane con-
tinue, sont divisées en espèces de plumes fine-
ment barbelées ; les pattes de derrière, très lon-
gues et très grêles, sont armées de grands éperons
et sont très fragiles. Une espèce du genre Ptéro-
phore (porteur d'ailes emplumées), d'un beau blanc
de lait, commune dans les jardins, au bord des che-
mins, le long des haies, présente comme ailes cinq
élégantes plumes blanches (fig. 1 U); une autre espèce
plus petite, du genre Ornéode (aspect d'oiseau),
se trouve assez souvent collée aux vitres des mai-
sons de village, avec des ailes ayant l'apparence
d'un éventail étalé à douze divisions (fig. i7).
, 16. — Ptérophore penta-
dactjle.
— Ornéode hexa-
;tyle, grossi.
Les instituteurs feront bien de consulter, dans
l'intérêt de leurs leçons de choses relatives aux pa-
pillons, les ouvrages d'entomologie appliquée que
nous indiquons h la fin de l'article Insectes ; en
outre, pour étiqueter aisément leurs petites col-
lections scolaires, ils se serviront de la Faune élé-
mentaire des lépidoptères de France, par Berce
(Paris, DeyroUe), ouvrage qui, malheureusement,
ne contient pas les Microlépidoptères.
[Maurice Girard.]
PAIlABOLE. — Géométrie, XXIV. — Étym. : de
parabole, nom que les géomètres grecs ont donné
à cette courbe. — En parlant des courtes usuelles
^V. Courbe Utuellcs), nous avons dit que la para-
Fig. 1.
les foyers étant les points F et F'. Si on mène en
divers points de cette ellipse deux rayons vecteurs,
tels que mf et niF, et qu'on prolonge le plus grand
F'm d'une longueur mh égale à l'autre tnF, les
extrémités de ces prolongements, telles que />,
sont à une distance de F' égale au grand axe AA',
et se trouvent par conséquent sur une circonfé-
rence ayant le foyer F' pour centre, avec un rayon
égal au grand axe, et coupant le prolongement de
cet axe en un point G séparé de A par une distance
AC égale à AF. Chaque point de l'ellipse est k
égale dislance du foyer F et de la circonférence.
Supposons que l'ellipse grandisse indéfiniment,
en conservant le sommet A et le foyer F qui
restent fixes, et qu'on répète les mêmes construc-
tions. Les extrémités k des droites obtenues en
prolongeant chaque rayon vecteur issu du foyer
mobile F" d'une quantité égale à l'autre rayon
vecteur, seront sur une circonférence décrite du
foyer F" pour centre avec un rayon égal à AA",
et passant aussi en C, où elle est tangente à la
précédente, et chaque point de cette nouvelle
ellipse est encore également distant du foyer fixe
F et de la circonférence correspondante.
Or, à mesure que le second foyer s'éloigne de
plus en plus, la circonférence s'ouvre davantage
et diffère de moins en moins de la perpendicu-
laire DD' à l'axe, qui lui est tangente, et les jayons
vecteurs qui partent du foyer mobile font avec
l'axe des angles de plus en plus petits. Par con-
séquent, lorsque ce foyer est à une distance i'^fi-
ninient grande, le petit axe de l'ellipse qui a
grandi en même temps que l'autre est infiniment
grand, et il ne reste que la moitié représentée
par l'arc PAP'; l'autre moitié est pour ainsi dire
perdue dans l'infini. Les rayons vecteurs tels que
GX, venant du second foyer qui est à l'infini,
sont alors parallèles à l'axe ; la circonférence est
devenue la tangente DD', et chaque point I de
la moitié de l'ellipse infinie est également dis-
tant du foyer F et de la droite DD' ; cette demi-
ellipse infinie est précisément la parabole.
DÉFiNiiiON. — Nous arrivons ainsi k la défini-
tion ordinaire : la parabole est une courbe plane
non fermée telle que chacun de ses points e^t
\ éyalenieiU distant d'un point fixe qui se n'.mni
PARABOLE
— 1504 —
PARABOLE
foyer, H d'une droite fixe gui est la directrice.
CONSTRLCTION DE LA PARABOLE. — D'apfès Cette
définition, il est facile de décrire d'un mouve-
ment continu, non pas la parabole entière, mais
un arc de parabole, étant donnés le foyer et la
directrice.
1° Soit Fie foyer donné etDD'la directrice (fig. 2).
La droite CFX menée i)ar F perpendiculairement
i DD' est l'axe, et le milieu A de la distance CF
est le point nommé sonvnet de la parabole.
On applique une règle le long de la directrice,
et contre cette règle le petit côté de l'angle droit
d'une équerre GHK, à l'extrémité G de laquelle
est attaché un fil, dont l'autre bout est fixé au
foyer F, et qui a une longueur égale au côté GK
de l'équerre. On fait ensuite glisser l'équerre le
long de la règle, en tenant au moyen d'une
pointe le fil tendu sur le côté GK de l'équerre,
de manière qu'il forme une ligue brisée GMF,
dont les deux parties varient de longueur dans
le déplacement de l'équeiTe. La pointe placée
en M se déplace aussi et décrit l'arc de parabole ;
en effet la distance MK du point M à la directrice
et sa distance MF au foyer restent constamment
égales l'une h l'autre. L'arc qui sera décrit au-
dessous de ex est identique à celui qui est décrit
au-dessus.
2° On peut aussi construire un arc de parabole
en déterminant un nombre suffisant de ses points.
on marque le milieu A de la distance CF, qui est
le sommet de la courbe. En un point quelconque I
de l'axe on élève une perpendiculaire indéfinie ;
puis avec un rayon égal à la distance IC de ce
point à la directrice, on décrit du foyer F pris
pour centre un arc qui coupe cette perpendicu-
laire en deux points M et M' : ces deux points
appartiennent à la parabole. En prenant ensuite
d'autres points sur l'axe et en répétant les mêmes
constructions que pour le point I, on obtient
autant de groupes de deux points symétrique-
ment placés, comme M et M', par rapport à l'axe.
Il ne reste plus qu'à tirer un trait continu par
tous ces points
Exemples de paraboles. — Les comètes pério-
diques, c'est-à-dire celles qui doivent reparaître à
des époques plus ou moins éloignées, décrivent,
comme les planètes, autour du soleil des ellipses
dont cet astre occupe un foyer ; c'est ce que les
astronomes ont reconnu en les observant en divers
points de leur course. Mais pour la plupart des
comètes, ils ont trouvé à l'aide du calcul qu'elles
décrivent des ellipses tellement allongées que
leur orbite ne diffère pas d'une parabole ; c'est
ainsi que ces astres, après qu'ils ont passé près
du soleil, s'éloignent continuellement et ne seront
plus visibles pour nous.
Nous rencontrons aussi la parabole plus près
de nous dans la forme que prennent les câbles
qui soutiennent les ponts suspendus, dans le che-
min que suivent les projectiles lancés par un ca-
non ou une pierre à laquelle on a imprimé une vive
impulsion dans une direction différente de la ver-
ticale. 11 est bon d'observer que la résistance de
l'air altère toujours la trajectoire parabolique que
tend à suivre le mobile.
Tangente. — La parabole possède aussi une
propriété importanle, relative à sa tangente ; c'est
la même que celle de la tangente à l'ellipse.
Si du point de contact d'une tangente à la pa-
rabole on mène une droite au foyer et une droite
paralli-le à l'axe, ces deux droites font avec la
tant/ente des angles égaux.
Soit TS tangente en M à une parabole (fig. 4) et
MV parallèle à l'axe ; les angles VMS et FMT sont
4h
Soit F le foyer et DD' la directrice (fig. 3). On
mène l'axe CX perpendiculaire i. la directrice, et
égaux. Par suite, la normale MN, perpendiculaire
b. la tangente, est bissectrice de l'angle VMF.
Si l'arc de parabole PAP' tourne autour de
l'axe, la surface courbe qu'il engendre est un pa-
raboloîde, et en supposant que cette surface soit
métallique et bien polie à l'intérieur, on a ce qu'on
appelle un miroir poral-olique.
Qu'on mette ce miroir en face de la lune par
exemple ; les rayons de cet astre tombant sur ce
miroir peuvent être regardés comme parallèles.
PARASITES
1503
PARATONNERRE
Soit VM un do ces rayons; son angle d'incidence lia propreté obligatoire s'étend à tout le corps et
sur le réflecteur est V'M.\ ; l'angle do réflexion de- aux vêtements. La moindre négligence suffit pour
vaut lui être égal, le rayon réfléclii suivra la di
roction MF. Ainsi tous les rayons de lumière en-
voyés par la lune sur ce miroir iront, après leur
réflenion, se croiser au foyer F. Là se forme une
image réelle et toute petite de la lune A l'aide
d'une loupe d'un grossissement considérable, dis-
posée convenabiemi'nt dans le voisi'iage, on verra
l'image très amplifiée de la lune : cet instrument
n'est autre chose que le télescope.
Réciproquement, une lampe étant placée au foyer
d'un miroir parabolique, les rayons lumineux en-
voyés par celte lampe sur le nnroir seront réflé-
chis et suivront après cette réflexion une direction
parallèle à l'axe : ils forment ainsi un faisceau
/luniineu.'s cylindrique, qui peut se propag>'r à une
grande distance. C'est ainsi qu'étaient disposés
les phares, avant qu'on eût remplacé le réflecteur
parabolique par un système de lentilles.
La réflexion des rayons calorifiques s'opère
•comme celle des rayons lumineux. Par consé-
quent les rayons solaires tombant sur un réflec-
teur paraboli<|ue, se croiseront tous au foyer et
pourront enflammer un corps combustible placé
en ce point.
Des effets analogues se produiront pour les
rayons sonores. Ainsi un homme dont l'o-
reille serait placée au foyer d'une surface para-
bolique, entendrait des sons venus de loin et qui
resteraient imperceptibles pour d'autres person-
nes ; c'est un fait qui a été observé sur un
vaisseau qui se dirigeait vers la côte orientale
de r.\morique du Sud. Un matelot debout sur le
pont dit un jour qu'il entendait le son des clo-
• elles. Comme on était loin de la terre, on crut qu'il
plaisantait; mais plus tard on apprit qu'à, ce mo
ment même toutes les cloches avaient été mi
donner asile à des insectes dont la multiplication
cause une gfine insupportable ou de véritables
maladies.
L'instituteur ne se bornera donc pas à une ins-
pection sommaire et à des conseils généraux sur
les avantages de la propreté. Il lui faudra prendre
h partie chaque ennemi, le signaler aux enfants,
le décrire, leur inspirer du dégoût, de l'horreur
pour tous les parasites. La leçon familière et pra-
ti(|ue faite à. l'école sera sans doute répétée par
l'enfant à ses parents : ce sera un enseignement
et un avertissement.
Dans quelques campagnes, la routine, les pré-
jugés, la misère rendent difficile l'exécution des
règlements scolaires relatifs à la propreté. Dans
ces conditions défavorables, le maître doit redou-
bler de zèle, stimuler les enfants, les parents,
employer la persuasion sous toutes ses formes. Si
ses efforts sont vains, qu'il n hésite pas à consi-
dérer comme atteint de maladie contagieuse tout
enfant sur lequel il découvrira des traces de para-
sites : l'exclusion est alors indispensable.
V. Maladies, Helminthes, Insectes.
[D. Saffray.]
PAnATONKERRE. — Physique, XXIII. — Le
paratonnerre, destiné à préserver les édifices des
effets de la foudre, est une tige métallique verti-
cale, terminée par une pointe, placée sur le som-
met de l'édifice et communiquant intimement avec
le sol par un conducteur métallique non inter-
rompu. Il est fondé sur la propriété des pointes
de ne pas laisser l'électricité s'accumuler sur les
corps dont elles font partie, en présence d'un autre
corps fortement chargé d'électricité.
Lorsqu'un nuage orageux vient à passer assez
près d'un édifice, l'électricité qu'il renferme exerce
ses en branle à Rio-Janeiro, à l'occasion d'une une action d'influence sur les corps voisins non
fêle publique. Une voile gonflée par le vent avait encore électrisés ; une charge électrique est appe-
,pris à. cet instant la forme d'un réflecteur paraboli- lée au sommet de l'édifice et elle tend à se recom-
que, au foyer duquel l'oreille da matelot s'était trou- biner à l'électricité du nuage sous forme d'une
■vée par hasard. grande et vive étincelle. Le môme phénomène d'in-
SuRFACE d'un segment DE PARABOLE. — Il peut fluenco a lieu quand l'édifice est surmonté d'un
■ être utile de savoir évaluer la surface d'un seg- paratonnerre ; mais la pointe laisse échapper
ment de parabole compris entre le sommet A l'électricité au lieu de la retenir ou de l'accumu-
fig. 3) et une corde iWlM' perpendiculaire à l'axe. 1er ; et cette électricité va au travers de l'air, peu it
Nous nous bornerons à énoncer le théorème sui- peu, neutraliser celle du nuage ; la tension élec-
vant : Le seyment de parabole compris entre /e triciue de celui-ci diminue et il devient alors moins
sommet et une corde perpendiciduire à /'nxe es< dangereux, souvent même iiioffensif. Telle est dans
.les deux tiers du rr-d'inyle (jui aurnil celtrcordel la plupart des cas l'action du paratonnerre ; elle
_pour base et sa dislance au som'tnetpow hauteur, est tout antre qu'on ne se le figure généralement. On
SuiiFACE DE l'ellipse. — A Cette occasion nous croit qu'il attire l'électricité au moment où l'éclair
réparerons une omission qui a eu lieu dans part et qu'il la conduit dans le sol ; c'est tout le
l'article Ellipse, au sujet de la surface de cette contraire qui a lieu, puisque l'électricité pin-t de
courbe : elle est égale au produit des deux demi- la pointe pour se porter vers le nuage; et c'est
axes multiplié par n. Par conséquent les demi-axes si vrai, que dans les jours d'orage on peut voir les
étant représentés par a et é, on a nab pour la
surface de l'ellipse. [G. Bovier-Lapierre.]
PARALLÈLICS. — V. Lignes, Dmites et Plans.
l'AKALLÉLII'lPÈDE. — V. Pohjèdres.
PAUALLELOGRAM.ME. — V. Poiyijones.
PARASITES. — Hygiène, XVIII. - L'école
■étant un milieu éminemment favorable à la dissé-
mination des parasites, l'instituteur doit veiller,
avec un soin minutieux, à la propreté apparente
et réelle des enfants. L'inspection ordinaire ne
suffit pas. Des cheveux bien lissés peuvent en im-
poser sur la condition du cuir clievelu. Il serait
désirable que les écoliers eussent toujours les
cheveux très courts, cela facilite le nettoiement à
fond de la tête et permet d'apercevoir dès les pre-
miers jours les intrus qui cherchent à y prendre
domicile. La propreté et l'hygiène s'arcordent donc
à conseiller la coitTure en brasse, qui sied d'ailleurs
bien \\ un jeune visage.
Un^l figure bien nette, des mains bien lavées
paratonnerres surmontés d'aigrettes lumineuses
visibles dans l'obscurité.
Un nuage a-t-il une charge trop forte pour que
la pointe suffise i la neutraliser? le paratonnerre
est encore utile : c'est entre lui et le nuage que
jaillit l'étincelle électrique, parce que sa haute tige
métallique est le point de l'édifice le plus rappro-
ché du nuage, le plus rapidement électrisé et le
meilleur conducteur.
Pour qu'un paratonnerre soit dans de bonnes
conditions, il faut observer quelques précautions
dans sa construction. Les règles à suivre ont été
formulées en 1 854 par une commission de l'Académie
des sciences ; elles ont trait à la tige, à la pointe,
au conducteur et à la communication avec le sol.
La tige est une barre do 5 à « centimètres de
diamètre à la base, allant en s'amincissaiit. Elle se
termine à la partie supérieure par un cône de cui-
vre, visse etsoudé, au 1er et recouvert d'une couche
de plali le qui le préserve de l'oxydation. Autre-
sont de rigueur pour se présenter à l'école. Mais 1 fois on faisait les pointes plus effilées et l'cMrémitc
î" Paiitie:. Ui
PARIS
— 1506 —
PARIS
était tout entière en platine; mais, dans ces condi-
tions, elles pouvaient être fondues par la haute
température de l'étincelle et s'émousser trop faci-
lement.
A sa partie inférieure, la tige est solidement fixée
à la cliarpente du bâtiment, et elle porte le conduc-
teur qui doit la mettre en communication avec le
sol. Le conducteur est une barre de fer de 2 cen-
timèlres environ de côté, qui descend suivant les
contours de l'édifice et vient s'enfoncer dans le sol.
La communication avec le sol doit t;tre établie
de la manière la plus parfaite. D'ordinaire, on ter-
mine le conducleur dans l'eau d'un puits qui ne
doit jamais tarir. Autrement, il faudrait creuser
dans le sol une fosse assez vaste, la remplir de
charbon conducteur comme la braise de boulanajer
et y terminer la chaîne conductrice par un très
grand nombre de rameaux. Une nappe d'eau na-
turelle est de beaucoup meilleure ; mais une citerne
dont les parois sont imperméables à l'eau ne rem-
plirait pas les conditions.
Les grandes masses métalliques du bâtiment doi-
vent être mises en communication avec le conduc-
teur; sans cela, elles s'électriseraient très forte-
ment par influence, et l'étincelle pourrait jaillir
entre elles et le nuage malgré le paratonnerre.
Lorsqu'il y a plusieurs paratonnerres sur un
édifice, il est bon de les faire communiquer tous
ensemble et d'avoir pour chacun d'eux un puits où
aboutit le conducteur.
On admet qu'un paratonnerre peut protéger un
espace en cercle d'un rayon double de sa hauteur;
mais il n'y a rien d'absolument certain, et il est
probable que cette distance est le minimum du cer-
cle de protection.
C'est à Franklin que l'on est redevable de cet
appareil si utile, appliqué très heureusement au-
jourd'hui, non seulement sur beaucoup d'édilices.
mais aussi sur les constructions flottantes comme
les grands navires qui sont, tout autant que les
objets terrestres, exposés aux effets de la foudre.
[Haraucourt.]
PARIS. — Histoire de France. X.\XV1I1-XL. —
L histoire de Paris devance, explique et résume
celle de la France entière.
Elle la devance, car la plupart des grandes trans-
formations sociales, politiques ou intellectuelles,
avant d'être acceptées, acclamées par les provinces,
ont d'ordinaire été conçues, mûries, élaborées dans
le grand creuset parisien.
Elle l'explique, car la population parisienne, for-
mée du mélange de toutes les vieilles nationalités
. provinciales (plus des deux tiers des habitants de
Paris sont nés dans les départements), représente,
avec une parfaite harmonie, l'admirable équilibra
de vingt tempéraments divers, et concentre en
elle, avec une singulière énergie, les vagues aspi-
rations de la France entière.
Elle la résume enfin, car chez un peuple aussi
anciennement formé, aussi fortement centralisé
que le notre, le sort de la capitale a dû, aux heures
solennelles, décider du sort du pays. Voilà pour-
quoi toutes les grandes crises de notre vie natio-
nale ont eu là leur origine ou leur dénoiiment.
Pourquoi fnris deiinl cnpitale cl" la Friince. —
!• Causes politiques. — Pouniuoi Paris est-il de-
venu la capitale de la France'/' D'où vient ce pro-
digieux essor de la pauvre bourgade gauloise,
perdue, au temps de César, dans les roseaux do
' la Seine, et formant aujourd hui,de l'aveu de tous
les étrangr-rs, la plus étonnante cité de l'univers'/
Le temps, la nature et les hommes, tels sont les
trois facteurs de la j.'randeur parisienne. Vingt siè-
cles d'existence, une evcellente situation géogra-
phique et le caractère essentiellement novateur et
militant des Parisiens, voilà les éléments de celte
incomparable grandeur historique dont nous allons
brièvement raconter les débuts laborieux, les
étapes douloureuses, les éclipses passagères et les
derniers progrès.
Jetons les yeux sur une carte d'Europe. Nous y
verrons que d'impérieuses raisons politiques ont
dicté à chaque peuple le choix de sa capitale.
Pourquoi Londres est-il situé à l'extrémité sud-
est des îles Britanniques? C'est que, de tout
temps, l'Angleterre a dû faire tête à la France, aux
Pays-Bas et à l'Allemagne. Pourquoi la capitale
de l'Autriche est-elle à Vienne, et non sur le
cours central du Danube? C'est que l'Autriche
visait jadis à dominer l'Allemagne , et non
l'Orient slave. Pourquoi le tsar Pierre a-t-il, fou-
lant aux pieds la nature et les hommes, jeté
Saint-Pétersbourg au milieu des marécages bru-
meux de la Neva? C'est que la ville nouvelle me-
naçait la grande ennemie de la Russie d'alors, la
Suède. Et pourquoi la Suède elle-même avait-elle
fait de Stockholm le centre de sa puissance t
Pour dominer plus sûrement la Baltique.
Ainsi c'est une loi de l'histoire et une loi inflexi-
ble. Tout peuple doit porter sa capitale vers le
point le plus menacé de sa frontière, là où il faut
résister à l'ennemi. Et pour la France où donc sera
cette brèche ouverte à la frontière, celle plaie sai-
gnante encore du fer de l'étranger? Le seul aspect
de la carte suffirait à répondre, si l'histoire et les
souvenirs du peuple ne répondaient déjà trop
éloquemment.
Ce n'est pas du côté de ces peuples, latina
comme le notre, ayant mêmes goûts, même his-
toire, et parlant une langue sœur de la nôtre, les
Espagnols et les Italiens. Le danger, c'est l'inva-
sion du Nord, que ne peut arrêter la vaste plaine
ouverte qui s ouvre jusqu'au Khin ou expire à la
Manche. C'est l'invasion germanic|ue , anglo-
saxonne on purement allemande; c'est Edouard 111
ou Wellington, Biùcher ou Guillaume; c'est Crécy,
■Waterloo ou Sedan; c'est la lormidable concur-
rence de l'industrie allemande ou de la marine
anglaise. Dans cette région du nord ont eu lieu
toutes nos grandes luttes, padfiques ou militaires.
Là est le point vulnérable de la France. Voilà
pourquoi, des quatre grands bassins de fleuve qui
la sillonnent (Rhône, Garonne. Loire et Seine), le
plus septentrional éiait prédestiné, par l'impé-
rieuse nécessité de la politique, à devenir le centre
de sa nationalité et le berceau de sa grandeur.
2' Causes nuturellfs. — Etant donné que la ca-
pitale de la France dût, par la fo''ce des choses et
sous la pression du péril extérieur, venir s'asseoir
sur les rives de la Seine, voyons ce qu'avait fait la
nature pour la prospérité du Paris à venir.
Vers le cours central de la Seine s'étend, entre
deux rivières navigables lia Marne et l'Oise), une
plaine fertile que borne à l'horizon un cercle de
collines boisées. Les méandres du fleuve, les ren-
flements du terrain y forment comme un fossé
multiple et un rempart naturel de facile défense.
Voilà pour le pittoresque et pour la sécurité. Mais
ce qui distingue essentiellement ce vaste amphi-
théâtre, c'est la nature du sol, plein de fossiles,
étonnamment riche en matériaux de constructioii,
en grès, en chaux, en pierre blanche. Sous les ri-
ches vignobles qui le recouvrent, ce sol cache les
futures assises que prodiguera Paris à ses lastueux
monuments. Le meollon esta Montrouge. le plâtre
h Montmartre, le pavé à Fontainebleau, la brique à
Vaugirard. Et les nappes d'eau souterraines sont
prêtes à sourdre sous lo puits artésien.
Elargissons le cercle. De Saint-Germain, Marly,
Versailles, Montmorency, Bondy, Rambouillet,
Chantilly et Compiogne, se déroule comme une
vaste enceinte de forets offrant à la ville future du
bois pour ses bateaux, ses constructions et son
chauffage.
A l'est s'étend la Brie avec ses pâturages, la
Bourgogne et ses vignobles; à l'ouest, les champs
PARIS
— 1507 —
PARIS
de blé de la Bcauce et les plaines qui nourrissent
les troupeaux normands ; autant de réservoirs tout
prûts h alimenter le grand estomac parisien.
En résumé, la nature a dojiné largement à Paris
l'eau, le bois, la pierre, un sol fertile, tous lis
éléments réunis f|ui assurent la prospérité maté-
rielle d'une capitale. Essayons de voir ce que l'é-
nergie des hommes et le travail des temps en a
tiré.
Paris préhisloriqu!'. — Le sol où s'élève aujour-
d'hui Paris nous apparaît, à l'aurore des temps
historiques, comme parsemé de marécages qui s'é-
tendirent longtemps encore vers l'est (quartier du
Marais), et sillonné par deux ou trois ruisseaux
tombant des pentes de Montmartre ou traversant
le futur faubourg Saint-Germain. A l'ouest, une
forêt épaisse couvrait l'emplacement du Louvre et
se prolongeait d'une part sur les hauteurs de
Chaillot, de l'autre, au delà de la Seine, vers la
rive où s'étendit plus tard le Pré-aux-clercs. Dans
cette plaine verdoyante et marécageuse erraient
en abondance les loups et les sangliers.'
Paris yaulois. — C'est li que, ià ans avant notre
ère, Jules César, le conquérant des Gaules, décou-
vrit, dans une petite île boueuse de la Seine {l'Ile
de la Cité, dont la superficie n'était alors que de
là hectares), un amas de huttes faites de bois et
de paille, habitées par une pauvre tribu gauloise,
les Pwisii ou Parisiens. La ville s'appelait Lutèce
(Lucutetia .suivant Ptolémée et Lcuti-kia suivant
Julien], ce qui signifie en celtique, selon les uns
« le lieu fortifié » {Lu-tas-sry), suivant les autres
0 la ville au milieu des eaux » [Lou-tou-hezi).
César fut frappé de soli heureuse situation. Il
y convoqua l'assemblée générale des Gaulois (53).
Mais, dès l'année suivante, les Parisiens, sans s'ef-
frayer du sort de leurs voisins les Sénonais, accla-
maient le Vercingétorix, libérateur des Gaules, et
armaient 8 000 hommes pour la défense de la pa-
trie commune.
Labiénus, le meilleur lieutenant de César, mar-
che contre eux avec dts forces écrasantes (quatre
légions). Les Parisiens choisissent pour chef un
vieillard renommé pour son habileté et sa bra-
voure, Camulogène, et barrent la route à l'armée
romaine, liais Labiénus, par un mouvement tour-
jiant, force le passage de la Seine \ Melodunum
(Melun) et revient sur Lutèce pour la prendre à
revers. Les Parisiens, à cette nouvelle, brûlent
■ leur ville et se» deux ponts, et se cantonnent au
milieu des marécages pour couper aux Romains
toute retraite. Labiénus, bloqué à son tour, fran-
chit le fleuve (vers le Point-du-Jour) à. la faveur
d'une surprise nocturne, et s'ouvre une ligne de
retraite. Pour l'arrêter, les Parisiens livrent ba-
taille, soutiennent victorieusement le clioc de la
12" légion, mais sont bientôt enveloppés. « Pas
un Gaulois ne recula, » dit César. Ils se firent ex-
terminer tous sans lâcher pied, avec leur vieux
chef Camulogène (52 avant J.-C). Le lieu du dé-
sastre fut la plaine de Grenelle. C'est la première
bataille de Paris.
Paris . oma'ii. — La Gaule soumise, Lutèce re-
construite devint ville tributaire. Elle fut comprise,
après Auguste, dans la 1' Lyonnaise, au ii' rang
parmi les villes qui composaient cette province,
^es^omains voulaient en faire une cité latine. Us
y créèrent, pour la garder, un camp retranché (sur
la colline du Luxembourg) avec avant-posle sur la
montagne de Valérius (Mont-Valérienl. Pour la
gouverner, ils élevèrent un petit palais, agrandi
plus tard sous Julien, et qui devint les célèbres
lneriii.es, le plus antique monument qui subsiste
n "i'^l'î P""^ IST la montagne Sainte-Geneviève;.
Ils établirent un cirque (au faubourg Saint-Ger-
main) un grand aqueduc (à Arcueil), et plusieurs
templj.s pour propager la religion romaine, tem-
ples dédiés par Tibère à Mercure, Apollon ou Ju-
piter (sur l'emplacement de la future église Notro-
Damel. En face de ces constructions officielles
élevées sur la rive gauche s'étendaient, sur la rive
droite, des bains publics (au Palais-Royal), un
champ de sc])ulturcs {rue Vivienne), et un grand
nombre de villas quo dominait au loin le temple
élevé sur la colline d<! Mars (Montmartre).
C'est du règne de 'l'ibère que date, pour la cor-
poration dos « pilotes parisiens » [naidx parisiaci) ,
le précieux monopole des transports sur la Seine. De
là sortit plus tard la Confrérie des marchands de
l'eau et la l'anse parisienne, avec ses armes sym-
boliques et sa devise qu'a confirmée l'histoire :
Il Fluctuât nec mergilur ». Malgré bien des orages,
le vaisseau parisien ne devait pas sombrer.
Lutèce la gauloise était devenue, dès lors, sous
l'intelligente administration laline, le centre d'une
petite puissance navale. Là était la station de la
flotte romaine. Les hardis pilotes de la Cité cou-
vraient de leurs escadrilles marchandes toutes les
rivières de la Gaule du Nord. Certaines légendes
naïves, rappelées parGrégoire de Tours, affirmaient
que la ville était sacrée, que l'incendie n'y pou-
vait s'allumer, que les serpents n'en pouvaient fran-
chir le seuil.
L'arrivée du christianisme et des barbares de-
vait brusquement interrompre ce rêve de prospé-
rité.
C'est vers l'an 260 que saint Denis vint prêcher
la foi nouvelle à Lutèce. Saisi avec deux de ses
compagnons, Eleuthère et Rustique, il fut conduit
sur la colline de xMars et décapité. En mémoire de
son supplice, les chrétiens donnèrent à ce lieu le
nom, qui lui est resté, de mont des .Martyrs.
La religion nouvelle conserva pourtant, à Lutèce,
plus d'un adepte. Un concile s'y tint librement
en :)6l), et bientôt, sous Tliéodose, un enfant de
Paris, Marcel, en deviendra l'évoque et donnera
son nom à un des faubourgs du sud.
Cependant Constance Clilore avait embelli le
palais des Thermes, d'où partaient plusieurs voies
romaines. Après lui, le jeune César Juhen, un des
plus grands esprits de l'antiquité, s'éprit d'un vif
amour pour Lutèce. Il y fixa sa résidence, y passa
quatre années (:iJf!-3Cl) après avoir vaincu les
Alamans sur le Rhin. « J'avais établi, dit-il, mes
quartiers d'hiver dans ma chère Lutèce, ainsi
que les Celtes appellent la petite ville des Pa-
risiens. Elle est située sur le fleuve qui l'envi-
ronne de toutes parts, en sorte qu'on n'y peut
aborder que par deux ponts de buis (le Pont-au-
Change et le Petit-Pont). Il est rare que la ri-
vière déborde après les pluies d'hiver ou se des-
sèche pendant les chaleurs de l'été. Ses eaux
pures sont agréables à la vue et excellentes à
boire. L'hiver n'y est pas rude... On y cultive
de bonnes vignes et même des figuiers. » Ailleurs
l'élève du philosophe Libanius vante les mœurs
austères des Gaulois de Lutèce : « Ils fuient les
danses lascives , n'adorent Vénus que comme
présidant au mariage, et n'usent des dons da
Bacchus que parce que ce dieu est le père de la
joie. ■> Julien s'entourait, à Lutèce, de savants,
parmi lesquels Oribase, qui y rédigea un abrégé
de Galion. C'est le premier ouvrage connu qui ait
été composé à Paris.
Tandis quo le jeune César, enfermé, comme un
ascète, dans une chambre glaciale au plus fort de
l'hiver, méditait une lutte suprême, par l'épée et
par la plume, contre les chrétiens vainqueurs, une
nuit des légions se soulèvent, environnent le pa-
lais des Thermes à la lueur des flambeaux, et,
malgré les protostations de Julien, qui refuse l'e in-
pire et fait barricader les portes, ils le proclament
Auguste (361). Lutèce vit le dernier efl'ort de la
philosophie antique, personnifiée dans ce stoïcien
couronné.
Valentinien Graiien, Maxime ne tirent que pas-
PARIS
1508 —
PARIS
ser à Lutèce, y jetant quelques arcs de triom- [derniers défenseurs. Pourtant les Northmans
phe (3831. Les barbares d'outre-Rliin étaient déjà J-— -» '-"■"•• '" «i^"» «^"i-n» "»>• rfinoririo ^ „.,=
aux portes. Quand arriva le a Fléau de Dieu »,
ce fut, selon la légende, une jeune fille de Nan-
terre, Geneviève, qui releva le courage des Pari-
siens. Ils s'armèrent, et, du haut de leurs murs,
regardèrent passer les hordes d'Attila (451). Gene-
viève fut canonisée et devint la patronne de Paris.
Paris mérovingien. — Après la défaite de Sya-
grius (496), Clovis occupe la ville. Comme César, La disette, à son tour, engendrait divers genres
il on comprend l'importance, et se décide bientôt de peste : feu sacré, mal des ardents, lopre et
durent lever le siège, vaincus par l'énergie d'une
poignéa d'hommes, tandis que l'empereur Charles
le Gros, cantonné sur la colline de Montmartre,
reculait pour ne pas livrer bataille aux bar-
bares (88B).
L'invasion avait amené la famine. Au disièma
siècle, Paris souffrit vingt-cinq années de disette.
En 9'5, on en vint à manger de la chair humaine.
à en faire la capitale de son royaume ecclésias
tique et barbare (508). Il dédie aux saints Pierre et
Paul une église où il voulut se faire inhumer
iSainte-Geneviève). Paris se couvre dès lors d une
quantité de chapelles, d'abbayes, de basilique»
(Saint-Germain des Prés, Saint-Etienne des Grès,
Saint-Jean le Rond, Saint-Séverin, Saint-Marcel).
Clovis mort, la ville de Paris tombe aux mains de
Childebert. A la mort de Clotaire I", ses fils dé-
cident que Paris est une position assez impor-
tante pour rester indivise entre eux. Néanmoins,
Chilpéric I" y fixe sa résidence, et, en 584, oblige
la moitié de la population à partir pour accom-
pagner sa fille en Espagne. « Beaucoup de gens
s'étranglèrent, dit Grégoire de Tours ; d'autres
firent leur testament comme s'ils allaient mou-
rir; et grande était la désolation dans Paris."
On ne peut s'empêcher de comparer ce triste ta-
bleau à celui que présentait Lutèce sous la do-
mination des Romains.
Peu de temps après le grand concile do GIS,
tenu à Paris sous Clotaire II, la dynastie sanglante
des Mérovingiens rendit à la ville le service de la
quitter. Paris, redevenu simple bourgade, respira
du moins loin de ses barbares tyrans.
Paris carluvingien. — Paris se releva sous Char-
lemagne. Ses fabricants d armes, ses orfèvres, qui
se gloriflaientd'avoirpour patron saint Eloi, étaient
célèbres dans toute la Gaule. Le vainqueur des
Saxons donna à la ville renaissante deux écoles,
dont une devint célèbre (Saint-Germain l'Auxer-
rois),une administration régulière, un co«(<e (sorte
de préfet) et des échrvins (sorte de conseillers
municipaux). Enfin les habitants, réunis par lo
comte Etienne, votèrent les Capitiilaires, sorte da
constitution émanée de la première assemblée de
Paris.
Mais la prospérité de la cité, ressuscitée par
les u marchands de l'eau », grâce à la paix inté-
rieure de l'empire, attira bientôt les pirates du
Nord, les Scandinaves, les Northmans. Vainement
Louis le Débonnaire multipliait h Paris les conciles
(en 8'iO et en 829). Le danger était grand. Bientôt,
montés sur leurs pirogues, apparurent les terri-
bles « rois de la mer ». A quatre reprises Paris ou
ses environs sont ravagés. En 8il et 845, la ville
incendiée achète le départ des barbares. En 856,
nouvelle attaque : " Les Danois envahissent la
Lutèce des Parisiens, brûlent la basilique du
bienheureux Pierre et celle de Sainte-Geneviève,
ainsi que les bateaux et les maisons des mar-
chands. » En >i6l. ce fut le tour de Saint-Ger-
main des Piés qu'ils dévastèrent. Les Parisiens,
au comble de la misère, résolurent de se défendre
eux mêmes, puisque la royauté les abandonnait.
Aussi quand les Northmans reparurent, en 885,
ils trouvèrent la vaillante cité en armes, derrière
ses murailles de bois, appuyée sur trois fortes
tours, dont une à la place où s'élève le Palais de
Justice, et les deux autres aux extrémités des
deux ponts. L'évèque Gozlin et le comte Eudes
animaient la résistance. Le siège dura treize mois,
aggravé par le feu et la famine. Dans la nuit du
6 février 886, une crue de la Seine ayant emporté
le Petit-Pont, les barbares donnèrent l'assaut à
la tour qui en couvrait les approches, et massa-
crèrent, après une journée do combat, ses douze
fièvre noire. Les abbés de Saint-Germain dos Prés
et de Saint-Martin des Champs s'entre-battaient
sur ces ruines. Paris, sous les derniers Carlovin-
giens, devint un vaste charnier.
Paris féodal. — En arrêtant l'invasion étran-
gère, la cité avait dignement conquis son titre de
capitale. L'ai ènement de son dernier comte, Hugues
Capet, à la royauté, lui rendit le premier rôle
parmi les villes françaises (987). Au milieu de
l'anarchie féodale, Paris eut du moins dès lors ce
vague prestige qu'apportait avec elle la royauté
des Capétiens. Robert le Pieux, Henri I" y séjour-
nèrent, y multiplièrent les conciles (1050 et 105;t).
Philippe I" institua le prévôt de Paris. Louis le
Gros jeta les fondements de deux forteresses, le
Grand et le Petit Chàtelet. La royauté fit mieux
encore en protégeant l'École de Paris. De là allait
sortir cette brillante Université où Pierre Lombard,
Pierre Comestor, Guillaume de Champeaùx atti-
raient, par le charme de leur parole ou l'audace
de leurs doctrines, la fuule bruyante et bigarrée
dos étudiants de l'Europe entière. C'est là qu'en-
tassée dans les rues boueuses de la montagne
Sainte-Geneviève (futur ijunrlier Latin), cette jeu-
nesse pauvre et turbulente, fort peu disciplinable
et souvent dangereuse aux pacifiques bourgeois
de la Cité, a préludé à coups de syllogismes à
l'émancipation de la pensée et au réveil de l'es-
prit humain.
Au nord de Paris s'étendait lentement la ville
du commerce, autour de la forteresse élevée, sous
Louis VII, par les Templiers. Au sud était la
ville cosmopolite du travail et du plaisir, la cla-
meur des tavernes, les promenades au Pré-aux-
Clercs, les rixes avec le guet du roi, et la chaude
parole du tribun populaire qu'aimait Héloise et
qui fut Pierre Abélard.
L'importance de Paris, ville féodale et universi-
taire, fut facilement comprise des rois Capétiens.
Les trois règnes de Philippe-Auguste, de Louis IX
et de Philippe le Bel marquent trois grandes
étapes dans l'Iiistoire de la capitale.
Paris capétien. — « Le roi Philippe, dit Rigord,
était aux fenêtres de son palais à regarder la
Seine. Des voitures traversaient alors la Cité,
et remuant la boue, faisaient exhaler une odeur
insupportable. Philippe en fut sulToqué et conçut
dès lors un grand projet qu'aucun de ses prédé-
cesseurs n'avait osé entreprendre. Il convoqua
les bourgeois et le prévôt et leur ordonna de
paver avec de forts et durs carreaux de pierre
toutes les rues et voies de la ville. » Néanmoins,
on n'en para d'abord que deux, celle qui réunis-
sait les ponts de la Cité, et au nord de la Seine,
celle qui partait du Louvre pour finir à la porte
Baudoyer. ,
Le Louvre même fut construit, à l ouest de
Paris ; sorte de bastille royale dont la grosse
tour devint la prison des vassaux turbulents.
En môme temps, à la vieille enceinte de Louis
le Gros, Philippe-Auguste substituait une forte
muraille, garnie de nombreuses tours, et dont il
reste encore plus d'un vestige dans les quartiers
du sud (rue de la Vieille-Estrapade). Ce formidable
travail fut exécuté en vingt-cinq ans (1190 à 1215).
Paris comprenait déjà près de 'IWi hectares, et se
trouvait à l'abri d'un coup de main.
PARIS
— 1509
PARIS
D(! son côté, l'Université recevait sa charte ;
■ li'l'onse était faite aux officiers royaux comme aux
boui'fîpois de molester clercs ou étudiants. La
royauié, grâce ^ l'hilippe-Aususte, s'appuyait
d'une main sur les remparts, de l'autre sur les
écoles. Paris devenait i la fois place de guerre et
ville d'études.
Aussi la cité reconnaissante répondit-elle à l'ap-
pel do la royauté contre la noblesse féodale.
Apprenant que les barons voulaient fermer au
jeune Louis IX la route de la capitale, « les Pari-
siens sortirent en si grande quantité, dit Join-
ville, que le clioniin était plein de gens d'armes
jusqu'il Montlliéry. »
A .son retour dn la croisade, Louis IX voulut
payer, à son tour, sa dette de reconnaissance aux
Parisiens. Il accorde la liberté aux serfs royaux de
Pari.s. 11 confie la prévôté à Etienne Boileau,
bourgeois actif et intelligent, qui purge la ville
des truands et des malfaiteurs. Aux boiirgeois il
accorde la création d'une municipalité parisienne,
la Hanse, dont le chef recevra le titre de pré-
vôt des marchniids. En outre, au guet du roi,
police monarchique, il adjoint le giiet des mé-
lierx, formé par les Parisiens, qui auront la garde
exclusive, des portes et des marchés de la ville.
C'est l'origine de la milice bourgeoise, ou garde
nationale des temps féodaux.
Les étudiants n'étaient pas oubliés. Robert
Sorhon, confesseur du roi, jetait les fondements
de la Sorbonne, autour de laquelle allait grossir
bientôt, sous la protection du pieux Louis IX,
une innombrable troupe de moines dont se
moquait le trouvère Rutebeul', et qui se querel-
laient avec les joyeux étudiants.
Aux nombreux collèges groupés sur la mon-
tagne Sainte-Geneviève, Philippe III en joignit
encore quatre, parmi lesquels le célèbre collège
d'Harcourt.
Sous Philippe le Bel , nouveaux progrès de
Paris et de la royauté. Ce fut sous ce roi despote
et faux raonnayeur que la vieille cité capétienne
vit, le 10 avril ISO'.', à l'église Notre-Dame, s'ac-
complir une des plus grandes scènes de notre
histoire, la réunion des premiers états généraux.
La même année était fondé le célèbre Parlement
de Paris. La royauté procédurière s'appuyait sur
la Basoche. Paris devenait ville gouvernementale,
mais perdait insensiblement les franchises de sa
municipalité.
Aussi, dès 1.30G, le peuple, pressuré par la mal-
tôte et lassé de l'excès des impôts, s'insurge et
poursuit le roi Philippe jusqu'aux murs de la for-
teresse du Temple où la colère publique vient se
briser. Philippe, le lendemain de cette émeute,
fait pendre, aux quatre coins de la ville, vingt-huit
des bourgeois révoltés. La tyrannie s'aggrave. Les
Juifs sont dépouillés, expulsés, livrés aux rancu-
nes populaires. Les Templiers sont arrêtés, con-
damnés, exécutés (1314). C'est sur le terre-plein
du Pont-Neuf (alors nommé l'Ile aux Vaches) que
fut brûlé leur grand-maltre, Jacques de Molay.
Aussi, malgré la création de nouveaux collèges
(Bayeux, Navarre, Laon, Du Plessis, Montaigne,
Narbonne), malgré le bienfait réel d'une sévère
police, bien préfjêrable à l'anarchie des premiers
temps féodaux, le lourd despotisme do la royauté
devenait odieux aux Parisiens. « La ville prenait
de la superbe, » en.contemplant ses nombreuses
milices, son opulence et ses fêtes qui éblouis-
saient les princes étrangers. Quand les fils de
Philippe le Bel furent armés chevaliers, ce furent
de splendides réjouissances, des mystères où l'on
vit « Dieu manger des pommes, rire avec sa mère,
dire ses patenôtres avec ses apôtres ; les bien-
heureux chanter en paradis; les damnés pleurer
dans un enfer noir et infect. «
Pourtant, malgré toutes ces splendeurs, la co-
lère publique s'en prenait à la cour, et, sous les
fils do Philippe le Bel, au ministre Enguerrand
de Marigny, qui fut sacrifié et conduit an gibet de
Montfaucon. De sombres légendes voulaient qu'il
se passât, chaque nuit, des scènes d'orgie san-
glante à la Tour de Nesle, dont le noir profil s'é-
levait sur la Seine, en face du Louvre (vers le lieu
où se trouve aujourd'hui l'Institut). Ce n'étaient
qu'histoires de chevaliers ou d'étudiants poignar-
dés sur l'ordre do la reine Marguerite de Bour-
gogne, sorte de Messaline moderne, et précipités
dans les eaux de la Seine. De là le souvenir du
docteur Buridan, que le roman et le drame ont
popularisé.
Paris, h l'avènement des Valois, était une cité
puissante, comprenant 311 rues, divisée en trois
quartiers distincts. Il dépendait de la branche
nouvelle d'effacer le souvenir de Philippe le Bel
et de s'assurer le dévouement et l'appui des Pari-
siens. Mais la folle présomption et l'insolence des
Valois devaient rapidement perdre tout le Truit
des efforts accumulés des Capétiens directs.
Paris communal. — A cette époque, un double
mouvement de fermentation politique agitait l'Eu-
rope. Au nord s'élevaient les communes d'Allema-
gne : au sud. les municipalités italiennes ressus-
citaient, à force d'héroïsme, les plus beaux temps
de l'antiquité gréco-romaine. Placées entre ceS
deux mouvements, les villes françaises avaient
éprouvé, à leur tour, la contagion de la liberté.
Mais Paris, ménagé par les grands Capétiens, res-
tait encore une « ville royale ». L'invasion étran-
gère réveilla la cité, comme au temps de Charles
le Chauve, et, dans l'écroulement général, Paris
se trouva debout pour arrêter les Anglais.
La France doublement vaincue, à Crécy, à Poi-
tiers, le roi Jean fait prisonnier, le dauphin Char-
les déshonoré par sa piètre conduite au champ de
bataille, il semblait que l'ennemi n'eût qu'à paraî-
tre pour saisir la couronne mal affermie sur la
tête des Valois. Mais un bourgeois héroïque, le
prévôt des marchands, Etienne Marcel, prend en
main la direction des affaires. Il jette autour de
Paris une nouvelle enceinte, avec larges fossés et
fortes tours (de la porte Billy, voisine de l'Arsenal,
à la porte du Bois, voisine du Louvre;. Les trois
cents rues de Paris se hérissent de chaînes de fer,
avec poutres, pierres, tonneaux, pour arrêter, à
défaut de l'enceinte, ou les archers anglais ou la'
cavalerie des brigands féodaux. La barricade est
inventée, et Paris mis à couvert d'une attaque,
(t Ce fust grand faict, » dit Froissart, pourtant ami
des nobles, « et vous dis que ce fust le plus grand
bien qu'oncques prévôt di'S marchands fist ( l.'15G). n
Les états-généraux venaient d'être convoqués à
Paris. Etienne Marcel saisit la direction du mou-
vement, appelle à l'aide les grandes villes fran-
çaises. Pour le combattre, l'astucieux dauphin
Charles court haranguer le peuple au Pré-aux-
Clercs. Un prétendant à la couronne, Charles, roi
de Navarre, établit, pour lui répondre, une sorte
de club sous les piliers des halles. De son côté,
Marcel réunit les bourgeois à la place de Grève,
devant la maison aux Piliers (futur Hôtel de ville).
Paris devient un instant, comme l'Athènes de
Démosthène, le prix d'un tournoi d'éloquence.
Mais le danger augmente. Le Dauphin trahit
secrètement les états généraux. Les Parisiens
irrités envahissent le palais, massacrent dr.a\ des
ministres impopulaires, et Marcel est proclamé,
(i de par la volonté du peuple, » chef d'une sorte
de ri'publique parisienne où l'on adopte pour
emblème le chapi'.ron rouge et bleu (février 13.58).
Attaqué par le dauphin Charles et par l'armée
féodale, menacé par les Anglais, tralii par le
roi de Navarre, Paris est un moment soutenu
parle secours inespéré des paysans. Pour discipli-
ner l'élan furieux des Jacques, Etienne Marcel leur
PARIS
— 1510
PARIS
envoie deuï compagnies bourgeoises, qui partagent
la défaite des paysans sous les murs de Meaux
(1338). Le prévôt des marchands, désespéré, va
s'en remettre au douteux appui du roi de Navarre,
quand Jean Maillard l'assassine, une nuit, près
de la porte Saint-Antoine. Avec Marcel tombait la
commune de Paris (31 Juillet 1358J.
Rentré dans la capitale, le dauphin Charles
(Charles V), après une courte réaction, entreprend
de fortifier l'autorité royale si compromise par les
folies de son père. Sur la place même où avait
péri le glorieux prévùt des marchands, il jette les
fondements d'une redoutable forteresse qui devait,
pendant quatre siècles, menacer la ville frémis-
sante : la Bastille. A l'autre extrémité de Paris, il
fortifie le Louvre, y entasse le trésor, les archives,
la bibliothèque de la royauté 900 volumes). Enfin,
comme maison de plaisance, il fait élever le célè-
bre hôtel Saint-Pol, ou Hoste/ des grands eshate-
ments. Mais, pour se concilier les Parisiens
domptés, il leur accorde à tous dos lettres de no-
blesse, et choisit comme prévôt Hugues Aubryot,
dont la vigilance assure au moins à la ville la
sécurité des rues par l'expulsion des coupe-jarrets
et des malandrins.
La minorité, puis la folie de Charles VI rou-
vrent l'ahlme des guerres civiles. Le malheureux
Aubryot, pour avoir voulu sauver quelques fem-
mes juives sur lesquelles s'acharnait le fana-
tisme inintelligent des masses, est jeté à la Bas-
tille pour y finir ses jours o avec l'eau d'angoisse
et le pain de douleur, o Les scandales de la
cour et l'excès des impôts sur les vivres amènent
un soulèvement (1" mars |:18'.'). Les bourgeois
envahissent l'arsenal, y saisissent les maillets de
fer préparés en cas d'attaque anglaise, et en as-
somment les collecteurs. Charles VI, vainqueur
des Flamands, revient châtier les Maillotins. Il
renverse les murs de Paris, fait enlever les chaî-
nes des rues, et rançonne la ville rebelle ; 200
bourgeois sont décapités, 30n exilés (1383). La
féodalité victorieuse élève au cœur de la cité
domptée les fastueux hôtels d'Artois, de Nesle,
de Bohême et Barbette. Paris devient un lieu
d'orjjieet de meurtre. Olivier de Clisson est assas-
siné par le sire de Craon (I39'.'); le duc d'Or-
léans, par le duc de Bourgogne (UOI). La guerre
civile éclate entre le parti des nobles (Armagnacs)
et le parti populaire (Bourguignons). Un moment
le boucher Capeluche, l'écorclieur Caboche et le
vieux chirurgien Jean de Troyes terrorisent Paris
(1411). Les nobles ont bientôt leur revanche avec
Tanneguy-Duchâtel, qui décime la population.
Mais Perrinet Leclerc ouvre aux Bourguignons,
une nuit, la porte Bucy(l4l8", et les Armagnacs
sont massacrés à leur tour. Sur les ruines de
Paris dépeuplé par le carnage et la famine s'éta-
blit un prince étranger, Henri V, avec une gar-
nison anglaise (Is novembre 14"Mj. En vain Jeanne
d'Arc, traînant après elle ce fantôme de roi,
Charles VII, vient donner l'assaut \ la capitale
(H30). Elle est blessée sur les fossés de la porte
Sainl-Honoré (butte Saint-Roch). Six ans plus tard.
Armagnacs et Bourguignons, enfin réconciliés,
ouvraient la porte Saint-Jacques aux troupes roya-
les, guidées par le bourgeois Michel Lallier. Pour-
chassés, bloqués dans la Bastille, les Anglais
capitulèrent. Paris était enfin délivré (13 avril
143G).
Mais cinquante années de misère avaient fait de
la capitale un cadavre de ville. Dans ses ruelles
désertes, infectes et tortueuses, les loups couraient
la nuit dévorer les passants attardés. Tant de mai-
sons étaient désertes qu'on les démolissait pour
avoir du bois de chaufTage. Les houspilletifs et les
retoiideui s erraient àn\ portes. Des enfants affamés
pourrissaient sur les charniers comme une vermine
humaine. Les lépreux s'insurgeaient dans leur
prison de Saint-Lazare. Au couvre-feu, chacun
s'armait derrière sa lucarne grillée. Partout régnait
la misère et le meurtre, rue Vide-Goussot, rue
Tire-Boudin, rue Trousse-Vache. La royauté avait
beaucoup à faire pour tirer Paris de son linceul.
Par^s monarchique. — Louis XI, par ses allures
caressantes et populacières, sut vite capter la
sympathie des bourgeois. Désormais le sort avait
prononcé. Paris ne serait pas, comme Florence,
une brillante république; ce serait la capitale fa-
vorisée d'un royaume destiné !i former la nationa-
lité française. Ce serait la première des " bonnes
villes i>, et ses bourgeois s'enorgueilliraient du
titre de ■- bourgeois du roi ».
Louis XI, bien sur de leur appui, organisa en
soixante-douze compagnies les 30 000 hommes de
leur milice, augmenta les privilèges de la cité, y
établit la première imprimerie (i la Sorbonne), la
première librairie, et une école spéciale de méde-
cine. Mais, tandis qu'il devisait joyeusement avec
les marchands parisiens, les appelant ses amis,
ses ti compères », Louis XI faisait secrètement jeter
à la Seine, la nuit, dans un sac de cuir, les derniers
partisans des libertés municipales.
Sous Charles VIII et Louis XII, la ville assainie,
fiourvue d'égouts, dotée d'un pavage, vit refleurir
es soties, furces et moralités que jouaient, aux
jours de fôte, les clercs de la Basoche et les En-
fants sans souci. La Renaissance italienne et la Ré-
forme allemande allaient singulièrement modifier,
à partir de François 1*', l'aspect extérieur de la
cité et l'état Intellectuel de la population.^
Paris fut embelli, régénéré par la Renaissance.
C'est là que Pierre Lescot, Philibert Delorme,
Jean Goujon et Germain Pilon déployèrent leur
génie si gracieux et si multiple. Le vieux Louvre
abattu, transformé de prison en palais ; l'hôtel de
Cluny élevé par Jacques d'Amboise; le collège de
France fondé; l'imprimerie royale établie ; Villon,
Rabelais, Arayot, Ramus, les Estienne éveillant les
intelligences par l'ironie, par le rire, par l'érudi-
tion, par la critique, par la science, ce fut comme
une vie nouvelle et un épanouissement de l'esprit
parisien.
Pnris hgueur. — Cependant la guerre grondait
aux portes. En lfi2H et en l.i44, le danger parut
assez grand pour qu'on se décidât à élever, en
prévision d'une attaque espagnole, une nouvelle
ceinture de remparts autour des quartiers du
nord. La guerre civile fut autrement redoutable.
Déjà, sous François 1" et Henri II, la capitale avait
vu les premiers protestants français marcher au
bûcher ou à la potence. On estimait alors, sur
3001100 habitani,s, le nombre des huguenots à "
ou 8 000. Pour les détruire, Paris vit s'accomplir le
grand forfait de la Saint-Barthélémy (24 août I5"2),
précédé de l'empoisonnement de Jeanne d'Albret,
de l'attentat de Maurevel sur Coligny, et du triste
mariage de Henri de Navarre. « Le bruit continuel
des arquebuses, les hurlements des meurtriers,
les corps dctranchés tombant des fenêtres ou
traînés à la rivière, le pillage de plus de six
cents maisons, » marquèrent cette tuerie lamen-
table, où succombèrent Coligny, Ramus et Jean
Goujon.
La ville grandissait, malgré tant d'orgies san-
glantes. Près de ce Louvre d'où Charles IX affolé
avait tiré sur les huguenots fugitifs, Catherine de
Médicis faisait élever un palais splendide, sur l'em-
placement d'anciennes tuileries, dont il a gardé
le nom.
Mais les scandales de la cour des Valois, les
prédications frénétiques des moines, le vieux levain
démocratique qui fermentait dans la foule pari-
sienne, habilement exploités par la maison de
Guise, amenèrent la formation de la Ligne. Elle
naquit \ Paris, rue des Sept-Voies, dans une as-
semblée de bourgeois et de prêtres (I5S5;. La ville
PARIS
1511 —
PARIS
sosoulôve à l'arrivée du duc do Guise, enveloppa
la garde suisse dans un inextricable réseau de bar-
ricades (qui donnèrent leur nom Ji la journée), et
environne le Louvre, d'où Henri III apeuré s'é-
cliappe sous les coups d'arquebuse tirés de la
porte de Nosle. Il jure de ne rentrer dans sa ca-
pitale que par la brèclio (I58S).
La nouvelle du meurtre des Guises augmente
encore l'exaspération des Parisiens. Des chefs po-
pulaires, élus chacun par un des seize quartiers
<le la ville, s'emparent du pouvoir, sous le nom du
faible Mayenne. Déj."!, des hauteurs de Saint-
Cliiud, Henri III jette à la ville rebelle ces paroles
menaçantes: « Encore quelques jours, et l'on ne
verra plus ni tes maisons ni tes murailles I »
Mais un moine fanatisé, Jacques Clément, délivre
la capitale en poignardant le roi (1589).
Aucune page peut-être de l'histoire militaire
«l'égale la coura'.^euse résistance de Paris aux
troupes d'Henri IV. Dés l.'iSO, la ville repousse un
furieux assaut où 401) bourgeois périssent en dé-
fondant le faubourg du Pré-aux-Clercs. En 1,S90,
après quatre mois de siège et de combats conti-
ciuols, malgré la plus affreuse famine qui enlève
30 000 hommes et force des mères h manger leurs
enfants, la population tient ferme, se repaît de
•chevaux morts et de cadavres piles, se trahie en-
core aux proches ou meurt sans quitter les rem-
parts.
Délivré par l'armée espagnole, Paris, surexcité,
mal contenu par Mayenne, se déchire après la
victoire. Les bourgeois, les parlementaires, les
<■ politiques » inclinent à la paix. La masse popu-
laire, sous la conduite des Seize, les contient par
la terreur. Mais Mayenne effaré fait pendre les
chefs les plus ardents, et ruine ainsi tout l'espoir
■de la Ligue, qui voit échouer les états généraux
tenus à Paris en 1593, et à jamais ridiculisés par
les spirituels railleurs de la Ménippée. Henri IV
eonverti. car <t Paris vaut bien une messe, » achète
la ville h Brissac pour VOO 000 écus.et se fait li-
vrer une nuit les portes Neuve et Saint-Honoré.
Les Ligueurs sont surpris, les Espagnols expulsés,
et Paris, tout frémissant, dépose les armes
(23 mars 1594).
Encore une fois, il fallait réparer les ruines des
guerres civiles. Henri IV sut y parvenir, et, grice
à sa ruse gasconne, trouva moyen de léguer aux
Parisiens la légende d'un roi débonnaire. Pour
■éviter la mésaventure de son prédécesseur, il fit
joindre, par une immense galerie traversant les
remparts, le Louvre aux Tuileries, assurant ainsi
sa retraite en cas d'émeute. Henri acheva le Pont-
Neuf, commença la place Royale, agrandit le quar-
tier du Marais. L'influence italienne, renforcée par
Marie de Médicis, les modes espagnoles, adoptées
ii la cour, transformaient peu h. peu la rude gé-
fiération des guerres civiles. Mais de sourdes co-
lères grondaient toujours dans les foules. Henri IV
fut assassiné par Ravaillac (14 mai 1610).
Paris frondeur. — Ce fut la dernière vengeance
des Ligueurs. Sous Marie de Médicis et sous
Louis XIII, Paris, réconcilié avec la cour, se con-
tenta de chansonner le gouvernement sans le
combattre. Non loin de l'hôtel du Louvre, de-
meure officielle de la royauté, s'élevait l'hûtel de
(Rambouillet (rue Saint-Thomas\ quartier général
des gens de lettres. Ce fut là que trônèrent et Bal-
zac et Voiture; là que, po\ir la première fois, les
grands seigneurs altiers durent s'incliner devant
le talent, et reconnaître du moins aux bourgeois
l'égalité de l'esprit. Paris devint comme un foyer
d'opposition railleuse, où l'on critiquait Richelieu
avant que le mordant Scarron fit rire aux dépens
de Mazarin. L'opinion publique naissante ne fut
pas sans contribuer h. la chute du maréchal d'An-
cre, cet aventurier italien que le jeune Louis XIII
laissa assassiner au Louvre (1C17). Quand l'armée
espagnole menaça Paris (1636) après les premiers
échecs de la guerre de Trente ans, le peuple des
faubourgs courut en masse à l'Hôtel de ville s'en-
rôler pour la défense du pays menacé, n Oui, mon-
sieur le maréchal, nous voulons aller en guerre
avec vous! " criaient à La Force les crocheteurs
de la place de Grève.
Pour se concilier la faveur de Paris, le grand
cardinal y prodigue les monuments et les créa-
tions de tout genre. Le Jardin des Plantes est
ouvert ((62G); la célèbre Académie française est
fondée (1«35). On bâtit le Palais-Cardinal (Palais-
Royal) ; on rebâtit la Sorbonne-, on achève le
Luxembourg; on ouvre deux hôpitaux 'la Pitié,
les Incurables), et trois ponts sur la Seine. Une
nouvelle enceinte (celle des boulevards actuels)
enveloppe Paris au nord, à partir de l626. Enfin
le Pré-aux Clercs est purgé des spadassins et des
duellistes.
Paris soutenait Richelieu, tout en raillant ses
rigueurs. Les insolences d'Anne d'Autriche et les
petites ruses de Mazarin réveillèrent les colères
bourgeoises et le regret cuisant des libertés mu-
nicipales. La Fronde naquit.
Paris s'y porta d'abord avec enthousiasme. Pour
soutenir son Parlement et délivrer Broussel, la
ville s'insurge (25 août 1G48), élève autour du
Louvre 1600 barricades, force à la fuite la régente
et le petit Louis XIV; mais, trompée parles grands
qui réclament l'appui de l'étranger, elle rappelle
le roi l'août 1649), et assiste, sans y participer, à
la bataille du faubourg Saint-Antoine, où Condé,
bloqué par Turenne, n'est sauvé que par le canon
de la Bastille, dont mademoiselle de Montpensier
lui a ouvert les portes (2 juillet 1652). Sommés d'ap-
peler une armée espagnole, les députés de Paris
refusent, et sont massacrés par les soldats de
Condé, qui s'enfuit peu après, poursuivi par les
malédictions du peuple (octobre 1652).
Ainsi, pour ne pas trahir la cause nationale,
Paris avait sacrifié ses libertés, rappelé la régente,
accepté Mazarin. La réaction monarchiqne n'en
fut pas moins complote. Milices désarmées, chaî-
nes brisées, parlement muselé, garnison imposée,
privilèges municipaux abolis, Paris tomba à l'état
de ville sujette. Pour la réduire encore en lui en-
levant son rôle de capitale, Louis XIV transporta
la cour à Saint-Germain, et plus tard à Versailles,
où s'éleva la ville du roi en face de la ville du
peuple. La revanche de la Fronde devait se
faire attendre jusqu'au 14 juillet 1189.
Paris resta pourtant ce qu'on ne pouvait l'empê-
cher d'être, la capitale de l'esprit et du goût.
C'est là qu'écrivit Corneille, soutenu contre l'hos-
tilité du pouvoir par la faveur enthousiaste du pu-
blic; là que vécut quarante ans Racine; là que
naquit l'impétueux Boileau, l'ingénieux Regnard,
l'aimable Quinanlt, le sévère Arnault, le rêveur
Malebranche et l'incomparable Molière. C'est là
que travailla le sav.int l'ollin, digne successeur
de cet autre Parisien, l'historien De Thou ; là que
se fit applaudir le trop gracieux Marivaux. Et quel
éclat dans les arts! Claude et Charles Perrault,
François et Hardouin Mansard, quatre enfants de
Paris, révolutionnent l'architecture. Au peintre
Lesueur succède le graveur Picart, puis le sculp-
teur Coustou. Et sur les champs de bataille, Paris
envoie l'austère Catinat et l'ardent prince Eugène,
deux hommes de guerre, deux hommes d'opposi-
tion
La vieille cité frondeuse, dans sa disgrâce, est
protégée par le bourgeois Colbert, le plus grand
ministre de la monarchie absolue. Grâce à lui,
grâce à son influence, quatre Académies y sotit
fondées (Sciences, Inscriptions, Musique, Archi
teclure) ; l'Observatoire s'élève. Aux fastueux arcs
de triomphe des portes Saint-Denis et Saint-Mar-
tin s'ajoute l'utile création du jardin des Tuile •
PARIS
— 1512 —
PARIS
ries et des Champs-Elysées, dessinés par le Parisien : Aux émotions de la guerre d'Amérique succèdent
Le Nôtre. La colonnade du Louvre, la manufac- ! Ihs premiers tressaillements de la Révolution
ture des Gobelins, l'Hôtel des Invalides rappellent | C'est surtout à partir de la mort de Voltaire que
à la fois la splendeur artistique, l'activité manu- I Paris semble saisir la direction morale de la
faclurière et les pompes belliqueuses de l'époque.
La création d'un lieutenant de police (Nicolas de
La Reynie, 1607, puis d'Argenson, 1691) achève
de mettre aux mains du gouvernement l'adminis-
tration de la ville, mais lui vaut du moins la fer-
meture définitive de la Cour des miracles, quar-
tier général des scélérats fprès la porte de Saint-
Denis), l'éclairage des rues (:i 500 lanternes) et la
sécurité publique (archers du guet). La ville s'em-
bellit h. vue d'œil. « La rue d'Enfer, dit madame de
Sévigné, est devenue un vrai chemin de Para-
dis. » Malgré les proscriptions qui suivirent la
révocation de l'édit de Nantes, malgré la famine et
les rigueurs de l'iiiver de 1709, Paris comptait
déjà, à la fin du règne de Louis XIV, 600 000 ha-
bitants.
Paris philosophe. — L'opposition parisienne, long-
temps contenue, éclate à la mort du maître (1715).
Le peuple accompagne de ses railleries le cercueil
de Louis XIV qu'on porte à Saint-Denis. Après un
demi-siècle de compression politique, le vent est
aux idées nouvelles et aux modes étrangères. On ac-
cueille avec faveur la visite de Pierre le Grand
(1717); on acclame le financier John Law, et l'on se
jette, à corps perdu, dans son n système » (1718).
Aux folles espérances de la spéculation financière
succèdent les comédies religieuses (au cimetière
Saint-Modard). Les Parisiens, amis des jansénistes
par haine des jésuites qui dominent à Versailles,
soutiennent un moment les « Convui siimniiires ».
Cependant la cour amuse le peuple à coups d'exé-
cutions sanglantes. Au supplice de Dan'iens suc-
cède celui de l'héroïque Lally-ToUendal. A la place
de Grève, à la rue du Trahoir, on roue, on pend,
on brûle, on écartèle. C'est là le seul enseigne-
ment jugé bon pour le peuple en ce siècle qui de-
vait voir 1789.
MaisdéjMa foule s'agite. On se répète,! voix basse,
de lugubres histoires sur le Parc-auxCerfs. Louis
France, et donner au reste du pays l'impulsion
politique que suivra souvent l'Europe entière.
Paris révoluliiinnaire. — Les députés des états
généraux, réunis à Versailles, venaient de se pro-
clamer Assemblée nationale (17 juin); mais la
cour préparait un coup d'Etat militaire. Le renvoi
de Necker en est le premier acte. A cette nouvelle
(12 juillet), Paris s'enflamme, se soulève au Palais-
Royal, aux Tuileries, malgré la charge de la garde
royale allemande. La foule exaspérée court s'ar-
mer aux Invalides, et revient donner l'assaut à'
la vieille Bastille. Après cinq heures de lutte, la
forteresse détestée où la royauté avait enfermé-
Pélisson et Fouquct, La Bourdonnais, et Latude,
et Voltaire, tombait entre les mains du peuple
(14 juillet 1789). La contre-révolution ne s'en re-
leva pas.
Aussitôt Paris arbore les vieilles couleurs d'E-
tienne Marcel, dont il fait le drapeau tricolore;
organise la garde nationale, la municipalité pro-
visoire de 120 membres (25 juillet). Mais la fa-
mine augmente, et, avec elle, la colère des mas-
s s. Le .i octobre, tout Paris court au château de
Versailles pour y arracher Louis XVI aux conseils
de la réaction. L'Assemblée nationale rentre Ji
Paris, qui redevient enfin capitale de la France
(6 octobre 1789;.
Ce n'est pas ici le lieu de raconter les grandes
journées de la Révolution, de dépeindre les en-
thousiasmes ardents et patriotiques, et aissi les
délires farouches, les fureurs de la population pa-
risienne durant ces années terribles et sublimes
où Paris, luttant presque seul pour la liberté et la
patrie menacées, sauva l'unité nationale et assura
le triomphe des principes de la démocratie mo-
derne. Ce fut Paris qui, dans toutes les crises,
joua le grand rôle, le rôle décisif; ce fut lui qui
fit le 10 août, le 31 mai, et qui plus tard, au mo-
^ ,__ ment où les royalistes de vendémiaire assaillaient
XV, que Paris adorait au temps de Fontenoy (1745), I la Convention défaillante, sauva le gouvernement
n'ose traverser la ville pour aller à Saint-Denis et républicain par un dernier effort. Tout en ren-
prend la route qui porte encore le nom de la voyant à l'article Révolution française pour les
Révolte. En vain quelques créations utiles (Ecoles [ détails historiques, rappelons quf^lqufs-unes des
militaire, de droit, de médecine, promenade des impérissables créations dont cette héroïque et fé-
bculevards) sont ébauchées. La vogue est aux conde époque dota la grande ciié : le Muséum,
cnfès, mode nouvelle importée d'Orient par le l'Ecole polytechnique, le Conservatoire des Arts
Sicilien Procope et l'Arménien Pascal, mode qui et métiers, les Archives, le Musée du Louvre,
remplace avantageusement les caùnreis du xvii* ; l'Institut remplaçant les anciennes Académies,
siècle, où s'enivrait. Chapelle, où bataillait Boileau Paris, sous le Directoire, fatigué de tant de lut-
et où rcvait Molière. Déjà les cafés de la Ro:onde tes. avait perdu sa première énergie. Les coups
et de la Rét/ence deviennent le rendez-vous des ! d'État successifs de fructidor, floréal et prairial
curieux, des_ nouvellistes, des gens de lettres. | passèrent au milieu de l'indifl'érence générale.
Tandis que Paris populaire s'amuse aux facéties
de Lesage et aux bouffonneries gauloises de Piron,
les enfants de la grande cité ouvrent h la science,
à la géographie, à l'histoire, à la philosophie sur-
tout, des horizons nouveaux. La connaissance de
l'univers physique se précise grâce aux travaux
astronomiques des trois Cassini, aux recherches
dp Danville, aux découvertes de Bougainville,
aux explorations de La Condamine. L'histoire du
haut Orient progresse avec les Anquetil, qui dé-
brouillent du même coup le chaos de nos origines.
Et quel éclat dans le monde de la littérature et
de la pensée! Sans compter le doux Sédaine et
l'emphatique J.-B. Rousseau, n'avons-noiis pas
d'Alembert. Beaumarchais, et le roi intellectuel
du siècle. Voltaire !
Sous la frivolité apparente de l'époque, on sent
fermenter déjà les grands élans do 17S9. Déià
l'émeute gronde dans la rue. Toute la ville se lève
pour saluer Franklin, pour faire ovation au pa-
triarche de Ferney, qui vient mourir sous les
acclamations et les couronnes parisiennes (1778).
C'était le temps des danses, des théâtres, des fèies
symboliques, et l'on voyait trôner sur les boule-
vards les « muscadins n réfractaires aux armées
de la République. N'oublions pas pourtant une
innovation féconde. C'est le 22 septembre 1798
que l'on ouvrit, à Paris, au Champ-de Mars, la
première exposition des produits de l'industrie
nationale. L'idée devait faire son chemin.
Paris napoléo^iieti. — Survint le coup d'Etat de
brumaire. Bonaparte, se défiant des Parisiens,
multiplia d'abord contre eux les mesures arbi-
traires. Vn préfet de police fut créé, ayant sous ses
ordres 12 maires d'arrondissement nommés par le
pouvoir. Les journaux furent bàillo.inés, la liberté
des cultes .sacrifiée, la liberté individuelle foulée
aux pieds. Devenu empereur. Napoléon rêva pour-
tant de faire de Paris une capitale splendide. » Je
voulais, disait-il plus tard à Sainte-Hélène, (|u'elle
devint quelque chose de fabuleux, de colossal,
d'inconnu jusqu'à nos jours. « C'est à Paris que
furent célébrées toutes les grandes journ^'cs de
l'empire; là que Napoléon épousa Marie-Louise
PARIS
1513 —
PARIS
(ISin), li que naquit l'enfant cliétif qui devait être
Il lo roi do Uome (ISll) ».
Malgr(5 l'opposition timide des salons bourgeois,
malgré les souvenirs de république toujours vivants
dans le peuple, Paris s'éprit bientôt de la gloire
impériale, se grisa d'entliousiasme aux revues de
la vieille garde qui défilait au Cliarap-de-Mars, et
salua d'acclamations patriotiques les centaines de
di-apoaux captifs quecliaquo nouvelle année ame-
nait triomplialoment aux voûtes de Notre-Dame.
Les ponts d'Austerlitz et d'Iéna, ceux des Arts et
de la Cité, la vaste rue de Rivoli et tout le quar-
tier do la place Vendôme dont les noms rappe-
laient tant de victoires (Castiglione, Mondovi,
Moiit-Thabor, etc.), la Halle aux blés, les grands
quais, '20 nouvelles fontaines, la Bourse, les arcs
de triomphe du Carrousel et de l'Étoile transfor-
maient l'aspect du vieux Paris, devenu la capitale
de l'Europe. La colonne de la place Vendôme fut éle-
vée, après i80.'>, avec le bronze des canons conquis.
Vinrent les désastres de 1812, amenant l'auda-
cieux complot du général Mallet (IG octobre),
suivi de l'exécution des conjurés à la plaine de
Grenelle. Mais la noblesse et le clergé, ouverte-
ment favorables à l'ennemi ; la bourgeoisie, indif-
férente et ruinée par la guerre, ouvraient la
route à la coalition. Seul, le peuple des faubourgs
offrait encore ses bras à l'empereur. A Vitepsk, à
Valoutina, à Lùtzen, à Leipzig, les bataillons
formés d'enfants de Paris eurent l'honneur de la
journée. Dans cette dernière bataille, 1 300 jeunes
gens du faubourg Saint-Antoine avaient perdu la
vie en couvrant la retraite.
Un jour, on entendit gronder le canon des
Prussiens et dr'S Russes autour de la capitale
(30 mars 18U). Dès la veille, l'impératrice régente
avait fui. Le roi Joseph la suivait dans sa fuite,
laissant pour tout, ordre celui de capituler. Le
peuple trahi, furieux, indigné, assiégeait les mai-
ries en demandant des armes. Mais l'autorité fai-
sait croiser la baïonnette sur ces patriotes, parmi
lesquels était l'honnête, le pacifique poète Béran-
giT. Une poignée de désespérés, armés de piques
et de fusils de chasse, se firent massacrer aux
Buttes-Chaumoiit. à Montmartre, aux Batiguolles
(barrière Clicliy) autour du maréchal Monciy. Le
lendeiuain (31 mars) les émigrés, parés de la
cocarde blanche, acclamaient l'entrée des cosaques
sur les boulevards.
Moins d'une année plus tard, Paris voyait s'en-
fuir h. son tour le vieux Louis XVIII, et replantait
sur les Tuileries ses couleurs tricolores, foulées
aux pieds par les Bourbons (20 mars 1815). Pour
résister à l'Europe monarchique, les fédérés des
faubourgs, aussi ardents qu'en n93, vinrent offrir
à l'i'mpereur le foriuidable appui de la démocra-
tie en armes. Napoléon n'osa l'accepter. Il passa,
le 3 juin, au Champ-de-Mars, la dernière revue
de la grande armée, et partit pour Waterloo.
A la nouvelle du désastre, le peuple de Paris
offre encore une fois son secours révolutionnaire
à Napoléon pour sauver la France. Déjà l'ennemi
touche à Vaugirard, à Montrouge oii une suprême
bataille va s'engager. Mais la convention du 3 juil-
let, signée malgré les cris de rage de la popula-
tion, ouvre à Wellington et à Bliicher les portes
de la capitale.
Paris libéral. — Tandis que des acclamations,
payées par la police, saluaient le honteux retour
de Louis XVllI (.s juillet , que Paris, occupé par
quatre armées étrangères (Anglais, Prussiens,
Autrichiens, Russes) se voyait la proie des alliés
et assistait aux saturnales de la terreur blanche
(le général Labédoyère fusille à la plaine de Gre-
nelle, Ifiaoùt; le maréchal Ney devant l'Observa-
toire, 7 décembre; les généraux Mouton-Duvernet,
Chartran, etc.) ; tandis que la ville était rançonnée,
ses musées dévastés, ses monuments mutilés, son
drapeau déchiré ; un sentiment d'universel dégoût
s'élevait peu à peu dans les masses populaires.
Pendant les quinze années que dura la Restaura-
tion, Paris n'a jamais pardonné aux Bourbon.s ces
heures d'huniiliation 'nationale.
Les élections parisiennes de 1817 envoient à la
chambre cinq libéraux. Les chansons mordantes du
poète populaire, de cet enfant de Paris qui s'ap-
pelait Béranger, ridiculi>cnt les gouvernants du
jour. Aux conspirations sans cesse renouvelées, le
pouvoir répond par do sanglantes exécutions. Sous
Charles X, l'opposition grandit, les manifestations
s'accentuent aux funérailles du général Foy (18251,
du député Manuel, de La Rochefoucauld-Liancourt
(1827). La garde nationale de Paris est lirenciée.
A cette provocation, la ville répond en envoyant,
aux élections de 18'37, douze députés libéraux.
Enfin le vieux Charles X, en déchirant la Charte,
engage avec la capitale cette lutte mémorable de
trois journées qui peid à jamais les Bourbons
(27, 28 et 2!) juillet 1830).
La Restauration avafit prodigué à Paris les édi-
fices religieux et les chapelles expiatoires. Le
gouvernement de Louis-Philippe, proclamé roi
(le 9 août) au Palais-Royal, éleva, en mémoire de
son origine, la colonne de Juillet, qui couvre de
son ombre les restes des citoyens morts pour la
cause de la liberté. Dix-huit années de paix
allaient permettre au nouveau régime la répara-
tion de nombreu.x monuments (Madeleine, Hôtel
de ville. Palais de Justice), enfin et surtout une
œuvre capitale, la fortification de Paris.
Le ministère proposait la création de forts dé-
tachés ; l'opposition réclamait une enceinte conti-
nue. Les deux projets furent amalgamés li-ii! , et,
après de longs débats, l'exécution en fut confiée
à trois officiers généraux qui construisirent en
cinq années f l8''il-lS4Gj l'enceinte bastionnée et 17
ouvrages extérieurs.
La place nous manque pour rappeler les nom-
breux événements dont Paris fut le théâtre de 18-30
à 18i8. Il nous suffira de dire que le mouvement
frondeur du xvii' siècle, devenu philosophique au
dix-huitième, puis révolutionnaire en 89, républi-
cain en 92 et 93 ; un moment comprimé sous le
Directoire et l'Empire, puis, vivement ranimé sous
les Bourbons comme opposition libérale, se trans-
forma encore après les journées de Juillet. Le peu-
ple, envahi rapidement par les idées républicaines
et les théories socialistes, allait livrer plus d'un
combat au gouvernement de Louis-Philippe. Après
le procès des ministres de Charles X (décembre
183(1), la révolution de Pologne, la manifestation
de Saint-GeriTiain l'Auxerrois (février 1831), les
funérailles du général Lamarque provoquent une
terrible insurrection (5 et 0 juin 1832). Nouveau
soulèvement en 1834, signalé par les tristes évé-
nements de la rue Transit onain (avril). Le 28 juillet
183'., la machine infernale de Fieschi éclate sur le
cortège royal. Malgré la répression organisée parles
lois de septembre, les sociétés socrèles ne désar-
ment pas : le 12 mai 1839, une émeute éclate en-
core, conduite par Blanqui et Barbes. Puis, c'est
la rentrée dos cendres de Napoléon qui sert do
prétexte à une immense démonstration hostile au
gouvernement (14 décembre ISiO). Enfin, après
quelques années de tranquillité apparente, la po-
litique du ministère Guizol amène les banquets
réformistes, le soulèvement du peuple et la chute
de la royauté (2i février 1848).
Durant cette longue série de convulsions poli-
tiques, Paris avait produit, en trois quarts do
siècle, la plus merveilleuse pléiade de savants,
d'artistes, d'Iiommes de lettres et d'hommes de
guerre qui ait jamais illustré une capitale : Bailly,
Lavoisier, Fqurcroy, Darcet, les Bron^niart pour
la science pure ; Emile Burnouf, Letronne, Bois-
sonnade, Barbie du Boccage et Quatremère de
PARIS
— 1514 —
PARIS
Quincy pour l'archéologie et l'érudition ;La Harpe
et Villemain pour la critique ; Ecoucliard-Lcbruii,
M"" de Staol, Héranger, Legouvé, Scribe, Tocque-
ville pour les lettres ; Berryer pour l'éloquence ;
Mctor Cousin pour la philosophie ; David, Gros,
Paul Delaroche, Carie et Horace Vernct, Dela-
croix, Devéria, Gudin pour la peinture ; Horold
et Halévy pour la musique ; Lekain, Talraa,
M"' Mars pour la scène; aux armées, le maréchal
Maison et le général Friant.
Pari' répuh'irain. — La proclamation de la
République à l'Hôtel de ville ouvrit pour la grande
cité une nouvelle ère. Paris recouvra ses franchi-
ses, sa mairie centrale, l'armement de tous ses
citoyens. Les clubs reparurent; les journaux pul-
lulèrent, harcelant le gouvernement provisoire et
lui dictant les premières réformes qui l'ont honoré. :
Malgré plusieurs manifestations menaçantes, faites ,
tour à tour par les conservateurs et par les socia- 1
listes, la grande fête de la Fraternité, où 400 000 |
hommes armés défilèrent devant le gouvernement
nouveau, rappela les plus belles journées de la
première république. Mais les élections (4 uiai),
bientôt suivies de l'invasion de l'Assemblée (15 mai),
avaient fait éclater des haines qu'envenima la
misère. L'impolitique décret de la Constituante,
jetant brusquement sur le pavé les ouvriers des
ateliers nationaux, amena le lamentable drame
connu sous le nom de journées de Juin (du 22 au
26). Paris fut mis en état de siège par le général
Cavaignac, et une violente réaction jeta dans les
prisons 12 000 citoyens, au delà des mers 3 000
déportés. . , ,
Cependant, le prince Louis Bonaparte avait ete
élu à la présidence. Après la manifestation du 13
juin 1849, la ville désarmée, durement surveillée
par le général Changirnier, essaya vainenr-nt de
protester contre les lois réactionnaires de l'Assem-
blée législative. Paris, également hostile aux deux
pouvoirs en présence, le président Louis Bonaparte ^
et la majorité cléricale et royaliste de l'Assemblée;
humilié d'ailleurs et foulé aux pieds depuis la ré- ^
pression de Juin, allait voir s'accomplir le coup
d'Etat du 2 décembre 1S51. !
Pourtant, du 2 au 4 décembre, la capitale sans
armes tenta de résister à la troupe derrière ses
barricades. Les conspirateurs victorieux déporté- ]
rent arbitrairement plusieurs milliers de Parisiens.
Néanmoins, malgré la terreur, la ville ne donna '
pas la majorité de ses votes au pouvoir issu du
coup d'Etat (132 OuO otii sur 291 000 électeurs in-
SCrits). 1
Paris cosmopolite. — De même qu'au sortir du
régime austère de la Convention, on avait vu se
produire, au temps du Directoire, une ivresse de
volupté et un débordement de fêtes, de même,
.iprès les orages de la seconde république, on vit
s'ouvrir une ère de spéculations et comme une fré-
nésie de jouissances. L'Empire conçut le plan de
iiansformer Paris, de lui prodiguer tous les em-
bellissements matériels, d'en faire une ville uni-
que, cosmopolite, éblouissante, pour effacer le
souvenir des libertés perdues.
Administré par une commission municipale
nommée par le pouvoir, par 12 maires au choix
de l'autorité, surveillé par un préfet de police,
gardé par 30 000 hommes de troupes d'élite (garde
impériale), Paris avait perdu la dernière trace de
ses vieilles franchises. En revanche, l'ordre assuré
par la vigilance de la police attirait dans la ville
une innombrable multitude d'étrangers, exploi-
teurs, curieux, touristes, agents d'affaires. Pour
réaliser ce rêve grandiose, la destruction du vieux
Paris et la création d'une ville entièrement nou-
velle, l'Empire devait appeler forcément de tous
les points de la France, et même de l'étranger
(Belgique, Luxembourg), une immense armée d'ou-
vriers. Grâce à cette légion de travailleurs, Paris
voyait doubler sa population et devenait un des
principaux centres do l'industrie nationale, une
Babel commerciale et manufacturière. En 1866, la
population de la capitale et des faubourgs annexé»
dépassa le chiffre de I 8'25 OO'J habitants.
Il serait trop long d'énumérer la liste des non-
veaux boulevards éventrant les vieilles rues tor-
tueuses (Sébastopol, Saint-Michel, Saint-Germain,
Prince-Eugène), les larges avenues rayonnant au-
tour de l'Arc de-Triomphe ; les places du Louvre,
du Palais-Royal, de l'Hôtel-de Ville, créées ou
agrandies; la rue do Rivoli prolongée, le Louvre
achevé et réuni aux Tuileries ; les Halles centrales
construites. Des squares s'ouvraient sur plusieurs
points de la capitale; un parc était planté pour le
peuple auxButtos-Chaumont. Le préfet Haussmann
' attachait son nom à cette colossale transformation.
! Aussi l'Europe accourut-elle, pendant la guerre
I de Crimée, contempler aux Chainps-Elysées les
.merveilles de l'Exposition universelle (1855\ Et
' quand une loi nouvelle eut doublé l'étendue de
Paris et porté de 12 à 20 le nombre de ses arron-
dissements, de 48 à 80 celui de ses quartiers, par
, l'annexion de quinze communes suburbaines (1S60);
quand de nombreux travaux eurent encore embelli
la ville, versé l'air et la lumière aux extrémités
comme au centre (rues Turbigo, Auber, de Rome,
etc.i; ce fut le concours du monde entier qui se
pressa aux portes de l'Exposition universelle ou-
verte au Champ-de-Mars en I8CT. Tous les souve-
rains voulurent s'y rendre, depuis le tsar jusqu'au
sultan (la reine d'Angleterre avait déjà visité la ca-
I pitale à la fin d^' la guerre de Crimée). La splen-
deur extérieure de Paris n'avait jamais semble
aussi éblouissante.
Mais il y avait plus d'une ombre au tableau.
Outre les libertés perdues, que le vote populaire
des Parisiens réclamait chaque fnis avec plus d'in-
sistance trois députés de l'opposition en 1857, neuf
sur neuf en 186.) et en 1861)!; outre les spécula-
tions effrénées causées par la loi d'expropriation;
outre la cherté croissante des logements et les ri-
gueurs de l'octroi obligeant les familles pauvres à
se réfugier hors des barrières, loin du centre du
travail; un plus fatal symptôme commençait à
frapper tous les yeux. Paris tendait à devenir de
plus en plus une ville de luxe et de plaisir. La
guerre de 1870 allait être un bien sinistre réveil;
mais il devait en sortir aussi de salutaires leçons.
' Il n'entre pas dans le plan de ce Dictionnaire
'de poursuivre cet aperçu historique au delà
I du 4 septembre et de la chute de l'Empire. Les
' événements de « l'année terrible » sont encore
trop près de nous pour que l'histoire puisse les
1 inaer les épisodes héroïques ou douloureux du
rsiè'-'e,' les scènes tragiques de l'épouvantable
guerre civile qui suivit, sont encore dans toutes
I les mémoires. Laissons à une autre génération
' le soin de déterminer les responsabilités, de
1 constater les fautes, de flétrir les crimes, et d exer-
I cor cette justice impartiale qui n'appartient qu â
I la postérité. Avec la fondation définitive de la Ré-
' publique, une ère nouvelle s'est ouverte pour Pa-
ris et la grande cité marche désormais d un pas
assuré dans cette voie pacifique du progrès où la
euident le travail, la science et la liberté.
me de Parts dam l'histoire. - Nous venons
d'esquisser brièvement la glorieuse et sanglante
histoire des destinées parisiennes. Nous avons vu
naître, grandir et prospérer, malgré les invasions
et les guerres civiles, la bourgade gaiiloise, la
cité latine, la ville mérovingienne, royale, coni-
munale, berceau du monde moderne et mère de
la Révolution. Nous avons vu, au cours de sa
longue carrière, Paris nous apparaître sous tes
aspects les plus divers, entrepôt maritime, siè^e
de gouvernement, foyer scientifique, ville de plai-
sir et place de guerre. Nous avons vu le grand
PARIS
— 1515 —
PARLEMENT
TÔle de Paris considiSré comme centre de l'unité
française, et sa part d'influoncc dans la marche
générale de la civilisation. Sans vouloir faire ici
la philosophie de l'histoire parisienne, il nous
reste à préciser ce rOle, à résumer les traits sail-
lants et caractéristiques qui on constituent l'ori-
ginalité.
I. — La résistance à l'invasion romaine, l'hé-
roïque siège soutenu contre les Nortlimans, les
soulèvements du quatorzième siècle, les guorrcs
du quinzième, la défense acharnée dos ligueurs
parisiens contre Henri IV, des frondeurs contre
Louis XIV, la prise de la Bastille en 89, des Tui-
leries en '.!!, la bataille de juillet 1830, celles de
février etde juin 1848, la lutte inégale du î décem-
bre, enfin le douloureux siège de I870-I87I, attes
tent et proclament, à chaque époque, le bouillant
courage, l'ardeur patriotique et l'esprit militaire
des Parisiens.
Voilà pour les époques de crise; voici- pour les
époques de paix.
II. — L'interminable liste dos artistes, savants,
historiens, philosophes ou poètes qui, depuis le
moine Abbon et le trouvère Rnimbert de Paris,
depuis Rutebeuf et Villon, ont eu la capitale ou
pour berceau ou pour patrie d'adoption ; le succès
éclatant de la Ménippée, des Mnzaiinailes, des
chansons de Béranger. si éminemment parisien-
nes; tout atteste l'extrême aptitude littéraire, les
dons brillants d'imagination contenus par le sé-
vère bon sens, par-dessus tout enfin l'esprit ciiti-
que, incisif et mordant de Paris. L'ironie pari-
sienne emplit toute notre histoire; ironie naïve
avec Rutebeuf, funèbre avec Villon, sévère avec
Ramus, emportée avec Boileau, douloureuse avec
Molière, indignée avec Voltaire, cynique avec
Beaumarchais, touchante avec Béranger.
De cette aptitude doublement militante, par la
parole et par l'action, résulte un troisième carac-
tère, le plus essentiellement parisien, qui, de tout
temps, a fait la gloire et le malheur de la cité.
III. — Paris, i toutes les époques, a donné le signal
des grands mouvements nationaux qui ont eu leur
contre-coup au delà de nos frontières. Résistance
aux barbares; réveil des études philosophiques
au moyen âge, des libertés communales au qua-
torzième siècle, de l'unité française au quinzième ;
première protestation contre les tueries religieuses
au seizième (les « politiques »), contre le despo-
tique monarchique au dix-septième-(les frondeurs) ;
bruyantes ovations à la philosophie et à la science
au dix-huitième ; initiative du mouvement révolu-
tionnaire sous les trois grandes Assemblées (Cons-
tituante, Législative, Convention) ; protestations
libérales sous l'Empi'e, nationales sous les Bour-
bons, républicaines sous Louis-Philippe, sociales
après 184s; enfin, lutte opiniâtre contre le second
Empire, et défense désespérée contre l'invasion
élrangère; Paris a devancé toujours, dans ces di-
verses phases de sa longue existence, le mouve-
ment extérieur; souvent soutenu, plus souvent
combattu par les provinces, qui marchaient d'un
pas plus lent. C'est que Paris représente, comme
Athènes dans l'antiquité, comme Florence au
moyen âge, l'esprit novateur, initiateur par excel-
lence. « Paris s'en va seul; la France suit de force
et irritée; plus tard elle s'apaise et applaudit.
C'est une des formes de notre vie nationale. » (Vic-
tor Hugo.) Ces mots résument l'histoire de Paris.
De là les coalitions et les haines. Mais de là aussi
la sympathie de l'univers qui pense, l'admiration
des lettrés, la complicité de tous les propagateurs
d'idées nouvelles. Tous les poètes patriotes ont
chanté la grande ville : Eustache Deschamps au
temps des invasions anglaises; Lebrun-Pindaro
au xviiie siècle; Victor Hugo et Béranger au xtx=.
« Paris est la tête et le cœur de la France, » disait
déjà Vauban au xvii' siècle. « Paris est la Jéru-
salem notivoUe, » s'écriait, il y a quarante ans,
un Allemand enthousiaste, n Si j'étais riche et in-
dépendant, disait, au dernier siècle, l'historien
Gibbon, c'est à Paris que j'aurais fixé ma rési-
dence. » Gœlhe ne tarissait pas d'éloges sur
cette ville .. où les meilleures têtes sont toutes
réunies dans un même espace ; » sur " cette
ville universelle, où chaque pas sur un pont,
sur une place, rappelle un grand passé ; où cha-
que coin de rue a vu se dérouler un fragment
d'histoire où des hommes comme Molière, Vol-
taire, Diderot ont mis en circulation une abon-
dance d'idées que nulle part ailleurs sur la
terre on ne peut trouver ainsi réunies. » Ter-
minons par le jugement de notre vieux Montaigne,
que l'on n'accusera pas d'être un enthousiaste :
CI Paris a mon cœur dez mon enfance, et m'en est
advenu comme dos choses excellentes. Plus
j'ay veu depuis d'autres villes belles, plus la
beauté de celle-cy peult et gaigne sur mon af-
fection. Je l'aynie tendrement jusques à ses
verrues et à ses taches. Je ne mis Français
que par cette grande cité, grande en peuples,
grande en félicité de son assiette, mais surtout
grande et incomparable en variété et diversité
de commodités, la gloire de la France et l'un
des plus nobles ornements du monde. Dieu en
chasse loing nos divisions! »
Puisse, pour le bien du pays, ce dernier vœu
du moins être exaucé. [Paul Martine.]
PAHLIîMENT. — Histoire de France, XX.XV III-
XL. — Le nom de Parlement s'appliquait, à l'ori-
gine, à toute sorte d'assemblée. Il a été ensuite
réservé, en Angleterre, à l'assemblée des barons et
des députés des communes qui, dès le xiil» siècle,
partagea avec le roi le pouvoir législatif. En France,
il prit une signification toute différente, et servit
à désigner les corps judiciaires que le souverain
avait chargés de rendre la justice en son nom.
Nous allons rappeler brièvement l'origine et l'his-
toire des parlements français.
De très bonne heure, les rois eurent auprès
d'eux une courde justice. Dans cette coursiégoaient
côte à côte des seigneurs et des légistes. Un recueil
célèbre, les OUni, renferme les arrêts du parle-
ment, du règne de saint Louis à celui de Philippe
le Long; le plus ancien remonte à l'année 1V54.
Philippe le Bel, qu'on a appelé le roi des Uqistes,
donna au parlement une organisation régulière
(1308) : ce corps dut tenir ses sessions à Paris,
deux fois par an, et se composa de trois sections,
la Grand Chambre, la CUamhre des enquêtes et
la Chambre des requêtes; une chambre spéciale,
la Chamhre des cmptes, eut à s'occuper de l'ad-
ministration des finances du royaume (la Chambre
des comptes fut plus tard séparée du parlement
et constituée en corps indépendant). En même
temps, un second parlement était institué à Tou-
louse pour les pays de langue d'oc.
L'importance du parlement grandit vite. Les rois
avaient pris l'habitude de faire transcrire leurs
édits et ordonnances sur les registres de ce corps ;
cette formalité de Venregi^tnmunt se transforma
peu à peu en un véritable droit de contrôle con-
cédé aux magistrats judiciaires : il fut dès lors ad-
mis qu'une ordonnance n'obtetiait force de loi
qu'à la condition d'avoir été enregistrée ; et le par-
lement s'enhardit sijuvent jusqu'à discuter la vo-
lonté royale, à présenter des remontrances, et
même à refuser l'enregistrement demandé. Il est
vrai que ce refus no tenait pas devant une déter-
mination arrêtée du souverain de passer outre :
le roi se rendait en personne au parlement, s'y
plaçait sur le trône appelé lit de justic (de là le
nom de n lit de justice » donné à ces séances so-
lennelles), et ordonnait aux chambres réunies
d'avoir à enregistrer son édit sans discussion ; le
parlement alors cédait, et constatait la violence
PARLEMENT
1516 —
PARLEMENT
qui lui était faite par la mention : n enregistré du
très exprès commandement du roi. »
Louis XI, roi jaloux de son autorité, institua trois
parlements nouveaux, ceux de Grenoble, de Bor-
deaux et de Dijon, afin d'affaiblir le pouvoir de
celui de Paris. Le parlement de Paris n'en resta
pas moins la première cour judiciaire du royaume,
et il conserva cette position prépondérante môme
après que d'autres parlements eurent été succes-
sivement créés dans la plupart des provinces : h
Rouen et à Aix, sous Louis XII; à Rennes, sous
Henri II; à Pau et h Metz, sous Louis XIII; à
Besançon, à Trévoux, et h Douai, sous Louis XIV ;
enfin à Nancy, sous Louis XVI.
Au début, les conseillers au parlement étaient
nommés parle roi; à partir de 1401, ce fut le parle-
ment qui présenta lui-même au souverain les can-
didats. Mais François I",qui cherchait à grossir par
tous les moyens les revenus de la couronne, imagina
de vendre les charges judiciaires; et, dès ce moment,
les places de conseiller s'achetèrent à prix d'ar-
gent. Cet abus, si scandaleux qu'il fût, eut au moins
un bon côté : le magistrat, sa charge une fois
payée, se sentit plus indépendant de la couronne;
la fonction qu'il occupait était devenue une pro-
priété dont nul ne pouvait le déposséder. Le droit
de remontrance fut formellement reconnu au par-
lement par l'ordonnance de 15C5.
Dans les guerres de la Ligue, la magistrature
joua un rôle assez important. Soixante membres
du parlement de Paris, à la tête desquels était le
premier président Achille de Harlay, refusèrent
de reconnaître la révolte des ligueurs, et furent
mis à la Bastille par ordre des Seize (1589); les
autres membres, sous la présidence de Brisson,
adhérèrent à la révolte et devinrent le parlement
de la Ligue; mais bientôt ils furent trouvés trop
tièdes : Brisson et deux autres conseillers furent
pendus (151)1). Après la chute des Seize, le par-
lement, se ralliant au parti des poldi lUes. rendit
un arrêt pour le maintien de la loi salique (I.'.9.3),
et contribua ainsi à empêcher l'élection d'une
princesse espagnole au trône de France.
Lorsqu'Henri IV eut terminé les guerres de re-
ligion par l'édit de Nantes, une modification fa-
vorable aux protestants fut introduite dans les
parlements : il y eut désormais, au parlement de
Paris, une chambre spéciale exclusivement com-
posée de protestants, dite Cha>nhre 'le l'édit ; et
les parlements de Toulouse, de Bordeaux et de
Grenoble eurent des chambres mi-parties, c'est-
à-dire mixtes. Ce régime dura jusqu'à la paix
d'Alais (l6-.'!t), qui enleva aux protestants les pri-
vilèges civils et politiques que l'édit de Nantes
leur avait accordés.
Une autre modification importante, mais plus
durable, fut apportée à l'ancienne constitution des
parlements par l'édit de IG04, qui rendit les fonc-
tions judiciaires héréditaires, moyennant le paye-
ment par le titulaire d'une redevance annuelle
(la paillette).
A la mort d'Henri IV, Marie de Médicis crut
devoir s'appuyer sur le parlement, et ce fut d-^s
mains de celui-ci qu'elle reçut la régence : par
cet acte, ce corps prit une importance politique
qu'il n'avait pas eue jusqu'alors. S'enhardissant,
il voulut, après la clôture des états généraux do
1P14, essayer de prendre en main hi direction des
affaires; toutefois l'attitude résolue de la régente
le fit reculer, et il se contenta de quelques con-
cessions de pure forme. Mais, au commencement
du règne suivant, il renouvela ses prétentions
avec plus de vigueur et de ténacité. Comme Marie
de Médicis, Anne d'Autriche eut besoin de lui : le
parlement, invité h statuer sur la question de
régence, n'hésita pas à casser le testament de
Louis XIII en supprimant le conseil de régence
que le monarque défunt avait voulu imposer à la
reine. Mais, après ce premieracte, les magistrats
voulurent exercer eux-mêmes un contrôle effectif
sur le gouvernement; Varrét d'union, rendu par
le parlement, la chambre des comptes et la cour
des aides, déclara que des députés de ces trois
cours se réuniraient pour s'occuper de la réforme
de l'Etat. La reine essaya en vain de résister ; le
peuple prit le parti du parlement, et, Mozarin
ayant fait arrêter le conseiller Broussol (36 août
IGi8!, les Parisiens exigèrent et obtinrent sa mise
en liberté. Ce fut le commencement de la Fronde.
Dans un autre article (V. Fronde), nous avons
raconté cette lutte de la magistrature et d'une par-
tie de l'aristocratie contre le pouvoir royal. La
Fronde ne pouvait vaincre ; la bourgeoisie fran-
çaise, dont le parlement, d'ailleurs, ne pouvait se
dire le représentant légitime, n'était pas encore
mûre pour la liberté politique, et dut bientôt ren-
trer dans l'obéissance. On sait comment, un an
après l'occupation de Paris parles troupes royales,
le jeune Louis XIV réduisit le parlement au si-
lence; il chassait dans la forêt de Vincennes, lors-
qu'il apprit que les magistrats, auxquels il avait or-
donné d'enregistrer des édits établissant de nou-
veaux impôts, s'étaient réunis pour en délibérer; il
accourt au Palais dans son costume de chas-
seur, et, s'asseyant tout botté sur le M de justice,
il s'adresse en ces termes aux conseillers : « Cha-
cun sait combien vos assemblées ont excite de
troubles dans mon Etat ;... j'ai appris que vous
prétendiez encore les continuer, sous prétexte de
délibérer sur mes édits. Je suis venu ici tout
exprès pour en défendre la continuation, ainsi que
je fais absolument, et à vous. Monsieur le premier
président, de les soufl'rir ni de les accorder. » Le
parlement se le tint pour dit ; dans un lit de jus-
tice précédent, le roi lui avait enlevé le droit de
faire des remontrances; pendant les soixante
années qui suivirent, il redevint une simple ma-
chine à enregistrement. .
Il prit sa revanche à la mort de Louis XIV, lors-
que, appelé par le duc d'Orléans h casser le tes-
tament du grand roi, comme il avait casse celui
de son prédécesseur, il sembla redevenir un mo-
ment un pouvoir politique. Mais, quoiqu'il eut re-
couvré le droit de remontrance, le parlement ne
songeait pas à deman.ler dis réformes sérieuses;
sous couleur de bien public, ce qu'il poursuivait,
c'était la satisfaction de ses propres intertls, le
triomphe des passions sectaires dont ses membres
étaient devenus les adhérents opiniâtres. En haine
des jésnites, qui avaient dominé le gouvernement
de Louis XIV, les parlementaires s'étaient ralliés
au parti janséniste. Ils avaient été contraints
d'enregistrer la bulle Vnigemtus en l.l.i, noi»
toutefois sans qu'ils eussent réussi à y faire des
changements; mais en 1730, Louis XV exigea,
dans un lit de justice, l'enregistrement de la
bulle sans modifications ; le parlement protesta,
fut exilé, puis rappelé; et cependant les persé-
cutions contre les jansénistes continuèrent tu
1752 la querelle recommença au sujet des IjiUets
de confession; le parlement essaya de résister
aux exigences du clergé, et finit par donner sa
démission en masse ; il fallut l'attentat de Damiens
pour amener une conciliation : le roi, effraye, céda
alors et rétablit le parlement il757). Cinq ans
plus ta-d, un arrêt du parlement de Pans, appuyé
par tous les parlements de province, prononçait
l'abolition de l'ordre des jésuites, et cet arrêt
était confirmé par un édit royal. _ _
En même temps qu'ils triomphaient des jésui-
tes, les parlementaires se montraient les adver-
saires déclarés des idées philosophiques. Le parle-
ment de Paris avait condamné l'^'";;/" f '«'^ "
\ Emile; il avait fait périr le chevalier de Labarre.
accusé de blasphème, pendant que le parlement
de Toulouse prononçait la peine de la roue contre
I
PARONYMES
— 1517
PARONYMES
Calaset Sivvcii. Aussi l'opinion, loin de voir comme
autrefois dans les parlements les gardions des li-
bertés publiques, ne les regardait plus que comme
les défenseurs des vieux abus et de privilèges
odieux ou ridicules.
Lors(iue Louis XV, à l'instiRation de la Dubarry,
supprima par un coup d'Etat les parlements qui gê-
naient son auturilé absolue ,1771), et les remplaça
par les cours nouvelles que créa le chancelier Mau- du corps,
peou, la Krancene s'émut que médiocrement. Louis | g. Oais, s. m., voile ou tonte
\V1 toutefois, àson avènement, crut devoirles réta- , jouer ou pour coud
3. Bn<, du verbe battre. - B(i<, s. m., selle de l'âne.
4. Ilotté^ cliaussô de bottes. — Beauté, s. f.,
qualité de ce qui est beau.
5. Boite, du verbe boiier. — Boite, s. m., petit
coffre.
0. Chasse, s. f., action de chasser. — C/uhse,
s. f., coffre h reliques.
1. Cotte, s. f., vêtement. — Côte, s. f., partie
Dé, s. m., pour
blir; mais il eut lieu de s'en repentir: les magis-
trats réintégrés dans leurs privilèges se montrèrent
les ardents adversaires des réformes que tentèrent
Turgot et Malesherbes ; jalou.x de leur autorité,
qu'ils sentaient menacée à la fois par les cham-
pions de l'absolutisme royal et par les partisans
des idées nouvelles, ils harcelèrent le gouverne-
ment de leurs tracasseries, et donnèrent un té-
moignage éclatant de leur malveillance en acquit-
tant le fameux cardinal de Rohan lors du procès
du collier. Lorsque Loménie de Briennë, enfin,
voulut, pour rétablir l'équilibre des finances, créer
un impôt territorial qui devait frapper toutes les
terres indistinctement, la magistrature Ht une
violente opposition, et déclara l'édit illégal. Cette
opposition, quoique dictée par des motifs égoïstes,
rendit soudain les parlements populaires ; et la
déclaration du parlement de Paris 'juillet 1787),
portant que les états généraux avaient seuls le
droit de consentir les impôts, eut un immense
retentissement : ce fut l'acte préliminaire de la
Révolution française. En vain le roi essaya de
vaincre la résistance des parlementaires par des
lits de justice répétés, par l'exil, par l'arrestation
de deux membres du parlement de Paris, par des
mesures de violence contre les parlements do
9. Faite, du verbe faire. — Faite, s. m., le
sommet.
10. Halle, s. f.. place couverte pour le marché.
— Ildle, s. m., effet du vent sur la peau.
11. Jeune, adj., à la fleur de l'âge. — Jeune, s. m.,
abstinence.
12. Malle, s. f., coffre pour voyager. — Mâle,
s. m., l'opposé de la femelle.
13. Manne, s. L, panier. — Mânes, s. f., dieux
des morts chez les anciens.
14. Ma, adj. poss.. — Mût, s. m., arbre qui
porte les voiles.
15. Patte, s. f., pied de certains animaux. —
Pâte, s. f., farine détrempée.
16. Pomme, s. f., fruit du pommier. — Paume,
t. t., le dedans de la main.
17. Raisonner, faire un raisonnement. — Réson-
ner, rendre un son.
18. Sole, s. f. , poisson de mer. — Saule, s. m.,
arbre.
19. Tacher, faire une tache. — Tâcher, s'effor-
cer de.
W. Votre, adj. poss. — Vautre, du verbe se
vautrer.
Comme on le voit par ces exemples, la diffé-
rence entre deux paronymes consiste le plus sou-
province : il y eut des troubles en Bretagne, en [ yent dans la nature de la première syllabe qui est
Dauphiné ; on vit la bourgeoisie se soulever, les : longue ou brève, ouverte ou fermée. Aussi plu-
troupes refuser obi^issance, le clergé se prononcer , sieurs grammairiens les ajoutent aux homonymes,
en faveur des parlements. Louis -WI dut enfin ne regardant comme paronymes que les parony-
céder, et consentit à la convocation des états gêné- mes éloignés.
Mais à peine l'Assemblée constituante eut-elle
■commencé sa tâche rénovatrice, que les parlemen-
taires se retrouvèrent au premier rang des défen-
seurs obstinés de l'ancien répime ; aussi perdi-
rent-ils leur populariié aussi vite qu'ils l'avaient
conquise. On oublia le service qu ils avaient
rendu en bravant le despotisme royal ; on ne vit
plus en eux que les représentants des vieux abus
^ue la Révolution avait pour mission de détruire.
A une société nouvelle, il fallait d'ailleurs de nou-
velles institutions ; une réorganisation fondamen- courber, etc.
Voici quelques exemples de paronymes éloignés:
Abstraire, faire abstraction. — Distraire, dé-
tourner l'esprit d'une application.
Appareiller, ordinairement mettre à la voile. —
Apparier, assortir par couple.
Am?nstie, s. f., oubli des crimes commis contre
l'État. — - Armistice, s. m., suspension d'armes.
Denier, s. m. .pièce de monnaie. — Dernier, adj.
Infecter, répandre une mauvaise odeur. — In-
fester, piller, ravager.
Plier, mettre en double par plis. — Ployer,
taie de la justice était indispensable. Le G sep-
tembre I7U0, la Constituante décréta la suppres-
sion définitive et irrévocable des parlements, des
chambres des comptes, des cours des aides, et
de toute l'ancienne magistrature ; une somme de
quatre cent cinquante millions fut consacrée à
indemniser les possesseurs des offices abolis ; et
sur le principe do l'élection des juges par le peu-
ple, une magistrature nouvelle fut fondée.
TAIIONYMES. — Grammaire, XXll. — On
appelle paronymes les mots dont la prononciation
est assez voisine pour qu'on soit exposé à les con-
fondre, tels que goûte et goutte, mdlin et ma-
■tin, etc. On appelle encore paronymes des mots
qui ont une ressemblance de son encore plus
■éloignée, tels que anoblir et ennoblir, consommer
■et consumer. De là, deux classes de paronymes:
.1* les paronymes prochains ; 2' les paronymes
■éloignés.
■Voici la lisie des principaux paronymes pro-
■chains :
1. Ah! interj. — A, du verbe avoir.
2. Bailler, donner en bail. — Bâiller, ouvrir la
bouche.
Ces exemples suffisent pour montrer que tous
les mots de notre langue pourraient entrer dans
la liste des paronymes éloignés. Chaque nom,
chaque verbe n'a-t-il pas un voisin qui lui ressem-
ble, soit par le son, soit par le sens ? Et quand il
n'y a aucune analogie entre deux mots, comme
entre amnistie et, armistice qui sont pourtant cités
par la plupart des grammairiens, la prononciation
vicieuse du peuple et des étrangers, les jeux de
mots par à peu près, les ont bien vite rapprochés.
On entend dire tous les jours; « Qu'allait-il faire
dans cette gnbare a (barque), pour bagarre (que-
relle). — « Le lièore (pour le lierre) meurt où il
s'attache. » — ci C'est un domaine conséquent »
(pour considèrablr), etc. Ces confusions, nées de
l'ignorance ou de la fantaisie, ont produit des
effets curieux dans notre langue. C'est ainsi que
fasolet, diminutif de faseol [faseolus, petit hari-
cot), a été remplacé par flageolet (petite flûte) ;
réticule {reticulwn, petit filetj, par son paronyme
ridicule, etc. De pareilles erreurs nuisent à la pu-
reté de la langue. Les maîtres ne sauraient trop
réagir contre de semblables tendances, en insis-
tant fortement sur le sens propre et le sens figuré
PARTICIPE
— 1318 —
PARTICIPE
des mots français, en marquant ncitemenl les
nuances qui les distinguent et les diverses modi-
fications que les préfixes et les suffixes viennent
apporter au sens étymologique de la racine.
[J. Dussouchet.]
l'ARTICIl'E. — Grammaire, XIV. — Le parti-
cipe est un mot qui tient à la fois du vei-be et de
Vudjectif. . , .
Parlicipe vient du latm particeps (qui prend
part, qui participe à). Il tient du verbe dont il
dérive parce qu'il peut avoir les mêmes complé-
ments : « Les éclairs, nous effrayant tous, redou-
blèrent. » 11 tient de l'adjectif, parce qu'il marque
comme lui la qualité, la manière d'être : « Ce
conte est effrayant. «
Remarque. — Le participe n'est pomt une partie
du discours, c'est un mode impersonnel du verbe
comme l'infinitif (V. Verbe).
Il y a deux sortes de participes : le participe
présent et le participe passé.
1. Accord du participe présent. — 1° Le parti-
cipe présent employé comme verbe est toujours
invariable : « (^ette personne, tjHiijeant tous les
mallieureux, est vraiment charitable. »
Nos participes présents viennent des participes
présents latins; ceux-ci étant traités par les Ro-
mains comme de simples adjectifs, nos participes
présents furent toujours variables jusqu'à la fin du
seizième siècle. On trouve dans Rabelais : « Elles
sont femmes bien entendantes les beaux en-
droits ; » dans Amyot : « Des paroles s'adressantes
aux Ioniens; » Dans Malherbe ; « Des enfants
bienheureux ayants Dieu dans le cœur; » dans
Bossuet : « Des âmes virantes d'une vie brute
et bestiale ; » dans La Fontaine : « Donner la
chasse aux gens portants bâtons ; » etc. Ce fut
seulement en 1660 qu'Arnauld et Lancelot ensei-
gnèrent, dans leur Grammaire de Port-Rotjal,
qu'il y avait lieu de distinguer dans les formes en
aiit un adjectif verbal déclinabie et un participe
présent indéclinable. Ce principe erroné (que
Vaugelas avait admis en partie dès 1641) fut re-
connu par l'Académie dans sa séance du 3 juin
1679, et obtint dès lors force de loi. On trouve
cependant encore des traces de l'ancien usage
dans quelques termes de jurisprudence tels que :
des ayants cause, des ayants droit.
2° Employé comme adjectif, le participe présent
est dit adjectif verbal, et, comme tous les autres
adjectifs, est soumis aux règles de l'accord :
u Cette personne est obligeante. »
Le participe présent exprime l'actio7t {« l'orage,
en effrayant les animaux, dispersa tout le trou-
peau »), tandis que l'adjectif verbal exprime l'état
(« l'obscurité est effrayante »). Il faut donc savoir
reconnaître s'il y a état ou action.
Il y a action et par conséquent pas d'accord :
1° Quand le participe a un complément direct :
u On n'entendit plus les marteaux fmppant l'en-
clume, n ...
r Quand il est précédé de la préposition en :
« La mer s'avance en 7nugissant » (c'est-à-dire en
faisaid faction de mugir).
:,' Quand il e=t suivi d un adverbe : « Une tille
obéissatit bien ; des esprits agissant toujours. >.
Il y a état et par conséquent accord :
débris flottent, se dirigent vers la cête. Dans le
second eus, flottant s'accorde parce qu'il est adjec-
tif et marque l'état de ces débris, qui sont aban-
donnés depuis longtemps aux flots.
Le français crée des noms nouveaux à l'aide du
participe présent : de croyant, tranchant, débi-
tant, participes de croire, trancher, nébiter, il
forme un croyant, le tranchant, un débitant,
mots qui naturellement suivent au pluriel la règle
ordinaire des substantifs : des croyants, des tran-
chants, des débitants.
11 ne faut pas confondre les participes présents,
tels que m-gligeant, adhérait, différant, extrava-
guant,c\.a.. avec les adjectifs négligent, adhérent,
différent, extravagant, etc. Les premiers sont ré-
gulièrement formés, par le français, des verbes
négliger, adhérer, différer, extraoaguer. Les se-
conds sont de véritables adjectifs tirés directement
du latin. Ces adjectifs ne peuvent donc, en aucun
cas, être dits les adjectifs verbaux de négliger,
adhérer, etc.
En voici la liste à peu près complète :
1° Participes dont le radical diffère de celui de
l'adjectif :
Participes présents tirés des]
Adjectifs ou substantifs ver-
verbes français
COM
JBI-
baux tirés des participes
latins.
QOER, etc.
■".onvainquaot.
Coniaincanl.
Exlravnguant.
Extravagant.
Fabriquant.
Fabricant.
Fatiguaut.
Fatigant.
IntriKuanl.
Intrigant.
Sulîoquaut.
Suffocant.
"Vaquant.
Vacant.
2» Participes dont la terminaison diffère de celle
de l'adjectif:
Participes présents
tirés
des
Adjectifs ou substantifs ver
verbes français
ASHGILBR,
baux tirés des participes
iFFLUEE, etc.
latins.
.adhérant.
Adhéri-nt.
Ainuuut.
Afflueul.
UilTérant.
Dillérent.
Diverg.ant.
nivci-gcnt.
ÉquiY.ilant.
Equivalent.
Excellant.
Eicellenl.
Eipédjant.
Expédient.
Négligeant,
Précédant.
Négligent.
Piécédenl.
Présidant.
Président. )
Résidant.
Kéiident.
Violant,
Violent.
Le participe présent précédé de en forme ce
qu'on appelle en latin le gérondif (amando, en
aimant ; monendo, en avertissant). Cette forme
verbale, toujours invariable en latin, l'a été aussi
de tout temps dans notre langue. C'est là sans
doute l'origine de l'invariabilité de noire pnrticipe
présent, que les grammairiens ont peu à peu con-
fondu avec la forme du gérondif. Au contraire,
notre adjectif verbal, ordinairement tiré du parti-
cipe présent latin, qui était toujours variable, en a
conservé la variabilité.
II. Accord du participe passé. — 1" Principes
Quand le participe passé est joint
généraux.
V^Oua^d 'i'adîèctiT'verbar''esraccompagné du au substantif sans l'aide d'un verbe il est traite
rheétre ■ - Cette fleur est charnvmte. » comme un adjectif, c est-à-dire qu il s accorde
roBdie. ^.clv . ,^, j. ^ojjjours avec le nom en genre et en nombre:
Les mérites récompensés, les bonheurs passés.
Quand le participe passé est précédé du verbe
2o "Quand cet 'âdjectii' verbal est précédé d'un
adverbe : •> Une fille bien obéissante; des esprits
toujours agissants, u ,, i .
Quand la forme en anl est suivie d un complé-
ment indirect ou circonstanciel, le sens peut seul
indiquer s'il doit y avoir accord, .\insi l'on écrira :
a Voyez-vous ces débris flottant vers la cote'? »
mais : ■- Calypso vit des cordages flottants sur la
côte. '> Dans'le premier cas, flottant est invariable,
parce qu'il est participe et marque l'action : ces
être, il s'accorde toujours avec le sujet en genre
et en nombre : il est venu, elle est venue, ils sont
venus, elles sont venues-.
Quand le participe passé est précédé du verbe
avoir et n'est accompagné d'aucun complément,
il est toujours invariable : il a chanté, elle a
chanté, ils ont chanté, elles ont chanté.
PARTICIPE
4319
PARTICIPE
2° Parliciiie piiisc avec l'uuxiliaire étue. — Nous
avons dit iiiio le participe piissi' joiiU à l'auxiliaire
étri: s'acconlo toujours avec le sujet : la ville est
ouvn-tt-; le port est fci-mc; ces fleurs sont épa-
noui a.
Par conséquent, les verbes passifs, se conjuguant
tous avec l'auxiliaire être, ont leur participe passé
toujours d'accord avec le sujet : le roi est aimé, la
reine est aimée, les princes sont aimés.
Il en est de même dos quelques verbes neutres
qui se conjuguent avec être, tels qu'aWei', venir,
partir, arriver. Leur participe passé s'accorde
toujours avec le sujet : il est parti, elle est partie,
ils sont ;uar/!s, elles sont parties.
Dans les verbes impersonnels conjugués avec
être, le participe, s'accordant avec le sujet inva-
riable il, ne change jamais : il est survenu une
tempête ; il est arrivé des malheurs.
Le français crée dos prépositions nouvelles à
l'aide de certains participes passés , comme
excepté, attendu, passé, etc.; par exemple, dans
exeepté ma mère, attendu l'heure, passé l'épo-
que, etc. Dans ce cas, les mots excepté, atten-
du, etc., sont toujours placés devant le nom.
Mais les mômes mots sont participes et pren-
, nom l'accord quand ils sont placés après le
nom : sa mère exceptée, l'heure attendue, l'époque
passée.
S° Participe passé avec l'auxiliaire avoir. — Le
participe passé conjugué avec avoir s'accorde avec
sou complément direct quand il en est précédé :
les chevaux quejW vus ; les fleurs que j'ai coupées;
'^ue de services je lui ai rendus! combien de pro-
jets il a formés!
Mais il reste toujours invariable quand il n'a
point de complément direct, ou quand le complé-
, ment direct suit le participe au lieu de le précé-
der : )e lui ai porté la lettre; fui vu la rose; fat
YU des roses.
Le complément direct placé devant le participe
. est en général l'un des pronoms personnels : me,
. te, se, le, la, les, nous<i vous, ou le relatif que.
Mais dans notre vieille langue on plaçait souvent
en poésie le nom complément avant le participe.
Ex. : « Il avait dans la terre une somme enfouie »
(La Fontaine}; u Le seul amour de Rome a sa
main animée » (Corneille', etc. Du reste, les
règles d'accord du participe conjugué avec avoir
n'étaient pas observées par nos anciens écrivains.
Ils suivaient la langue latine qui disait : « copias
quas habehat puratas, les troupes qu'il avait
préparées, u faisant du participe'un adjectif qui
s'accordait toujours avec le complément. C'est
ainsi que ViUehardouin a dit : « Seignors, je ai
veues vos lettres, » c'est-à-dire « j'ai vos lettres
vues. Il C'est à partir du seizième siècle que l'usage
de l'invariabilité, quand le complément suit, com-
mence à se produire.
Les verbes neutres n'ayant jamais de complé-
ment direct, le participe passé de ces verbes con-
jugués avec avoir est par suite toujours invaria-
ble : Il Cette mauvaise actioji nous a ?iui; les
mères ont ijémi de tous ces malheurs. »
Nous avons vn que quelques verbes sont em-
ployés tantôt comme neutres, tantôt comme actifs.
Lorsqu'ils sont employés comme actifs, ils suivent
les règles du participe passé conjugué avec avoir.
Ainsi l'on écrira avec accord : o Cet homme nous
a fidèlement servis. » Mais lorsqu'ils sont employés
comme neutres, ils n'ont pas de complément
direct.- et leur participe reste invariable. Ainsi
l'on dira sans accord : « Ces livres nous ont beau-
coup servi 11 (c'est-à-dire ont servi ù nous).
a) Les participes couru, peté, valu soin invaria-
bles quand ils sont emnloyés au sens propre,
cest-ù-dire quand ils expriment lidoe de course,
de poid'.; de valeitr. Ëx, : « Je regrette les dix
mille francs que cette maison m'a coûté, parce
qu'elle ne les a jamais valu ; les deux heures que
j'ai couru m'ont essoufflé ; vingt kilogrammes !
cette caisse ne les a jamais pesé, n — Ces parti-
cipes varient quajid ils sont employés au si-ns
figuré, c'est-à-dire quand ils signifieju affronter,
estimer la pesanteur d'un objet, procurer. Ex.:
.1 Les dangers que j'ai courus sont nombreux ; les
caisses que j'ai pesées sont lourdes; voilà les cha-
grins que vous a valus votre paresse. »
b) Le participe passé des verbes vivre, dormir,
régner est toujours invariable. Ex. : « Les jours
qu'on a vécu dans l'oisiveté sont perdus ; les
heures qu'elle a d'irmi l'ont reposée; les années
que Louis XIV a réyné ont été bien remplies. »
C'est comme s'il y avait: pendant lesquelles il a
vécu... pendant lesquelles elle a dormi... pen-
dant lesquelles Louis XII' a régné.
Les verbes impersoimels conjugués avec avoir
n'ayajit pas de complément direct, leur participe
passé est nécessairement invariable : il a neigé, il
i plu, il a tonné.
Par analogie, on a étendu cette règle au parti-
cipe des verbes actifs employés comme verbes
impersoimels : les grandes chaleurs qu'il a fait ;
les inondations qu'il y a eu.
Les verbes réfléchis peuvent être soit des ver-
bes réfléchis par nature (s'écrouler), soit des ver-
bes actifs que l'on emploie comme verbes réfléchis
[se laverj, soit des verbes neutresemployés de la
même façon [se nuire). Suiya.\it ces trois cas, le sort
du participe passé est dilTérent.
Les verbes réfléchis par nature, tels que s'écrou-
ler, s'évanonir, se cabrer, etc., ont toujours leur
pariicipe passé variable et s'accordent avec le
pronom complément : « La jument s'est cabrée;
nous nous sommes évanouis ; la maison s'est
écroulée, >i c'est à-dire, la jument a cabré elle;
nous avons évanoui nous, etc. (l'auxiliaire être
dans ces verbes étant mis pour avoir, d'où l'ac-
cord, puisque le complément direct précède).
S'arroger est le seul verbe réfléchi par nature
qui n'ait pas pour complément direct le pronom
qui le précède : on écrira donc : ■. Elles se sont
arrogé certains droits qu'elles n'avaient pas; >< (se
signifie à soi et est complément indirect) ; —
c< Elles n'avaient pas les droits qu'elles se sont
arrogés » {arrogés s'accorde avec que, mis pour
lesquels droits, complément direct et précédant le
verbe).
On range parmi les verbes réfléchis par na-
ture certains verbes tels que apercevoir, attaquer,
attendre, douter, plaindre, prévaloir, saisir, tair-e,
etc., qui changent de sens en devenant réfléchis:
s'apercevoir, se douter, se taire, etc. Ex. : « Elles
se soM prévalues de leur faiblesse; elles se sont
tues. »
Les verbes actifs employés comme réfléchis font
toujours accorder leur participe: «Je me suis
lavée, ils se sont lavés •> (c'est-à-dire j'ai lavé moi,
ils ont lavé eux).
Quand le complément direct suit, le participe
du verbe réfléchi reste naturellement invariable:
11 Elle s est brûlé le doigt » {se est ici complément
indirect, elle a brûlé le doi./t à elle). — « Elle
s'est brûlée au doigt (c'est-à-dire elle a brûlé elle
au doigt; se étant ici complément direct).
Les verbes actifs imaginer, persuader, em-
ployés comme réfléchis, n'ont généralement pas
pour complément direct le pronom qui les pié-
cède et restent invariables: «Elles se sont ima-
giné que tout serait prêt; elles s'éiaient/j(;;'.«(i«rfe
i|u'on n'oserait les contredire. » Ici le verbe a
pour complément direct la proposition suivante.
Employés activement, ils suivent la règle géné-
rale : « Je connais les contes qu'elles ont imag nés
et les gens qu'elles oui persuadés. »
Cependant se persuader exprime parfois nnis
idée de réciprocité; alors le pronom »■<; commande
PARTICIPE
— 1520
PARTAGE DES TERRES
l'accord, parce qu'il est complément direct :
« Elles se sont mutuellement persuadées de leur
sincéiité. »
Le participe des verbes neutres employés
comme réflécliis reste toujours invariable, parce
que ces verbes ne peuvent avoir de complément
direct. Kx. : a Bien des rois se sont succédé sur
le trône ; elles se sont ri de nos menaces j il se
sont plu à mal faire. »
Remnr fîtes parlv ulières sur l'accord des pnrti-
■cip'-s passi'S. — Quand le participe est suivi d'un
infinitif, il s'accorde s'il a pour complément di-
rect le nom ou pronom qui le précède ; mais il
reste invariable s'il a pour complément direct
l'infinitif: ainsi le participe entendu varie dans
■cette phrase : « Ces femmes, je les ai entendues
chanter » (c'est-à-dire j'ai entendu ces femmes
chauler). Au contraire, dans « ces romances, je
les ai entendu chanter à Paris » (c'est-à-dire j'ai
entendu chanter ces lOmances), le pariicipe en-
tendu, ayant pour complément direct l'infinitif
chanter, reste invariable.
Le participe fait, suivi d'un infinitif, est tou-
jours invariable. Ei. : «Les maisons qu'il difait cons-
truire. »
Les participes dû, pu, voulu, sont invariables
lorsqu'on peut sous-entendre un verbe après eux.
Ex.: « Je lui ai rendu tous les services que j'ai
pu et que j'ai dû « (sous-enlendu, lui rendre). —
« Je lui ai lu tous les livres qu'il a voulu » (sous-
entendu que je lusse). — Mais on écrira: « J'ai
payé les ï,ommes que j'ai diLçs. »
Le participe passé, placé entre un que relatif et
la conjonction que, reste invariable: « Les livres
que j'avais ^/-esume que vous liriez » (parce qu'ici
le relatif que n'est pas le complément du parti-
cipe, mais du verbe de la proposition qui suit).
Celte tournure est d'ailleurs à éviter.
Le participe passé précédé de en reste invaria-
ble : «Tout le monde m'a ofl'ert des services, mais
personne ne m'en a rendu. »
L'accord a lieu quand le pronom en est précédé
d'un adverbe de quantité. Ex. : « Plus il a eu de
livres, plus il en a lus » (c'est-à-dire ///us de livres
il a lus) ; « Combien en ai-je vus mourir 7 » —
Dans ce cas le participe s'accorde, par syllepse
(V. Figures, p. 776), avec le nom dont le pro-
nom en rappelle l'idée. Dan» : Combien en ai-je eus
mourir, combien est mis pour combien d'hommfs,
et l'accord du participe est ici tout aussi logique
que dans: Combien y S07tt restés.
Mais l'accord n'a plus lieu si l'adverbe suit le
pronom en au lieu de le précéder. Ex. : a J'en
ai beaucoup vu; — j'en ai tant visité, a
Quand le, signifiant celn, précède le participe,
celui-ci est toujours invariable: «Sa tranquillité
n'est pas aussi assurée qu'il l'aurait désiré »
(c'est-à-dire il aurait désiré cela, à savoir que sa
tranquillité fût assurée).
Le participe passé précédé delà locution le peu
varie selon le sens de cette locution :
Lorsque le peu signifie une petite quantité, le
participe s'accorde avec le nom : « Le peu de
nourriture qu'il a prise l'a sauvé o (c'est-à-dire
cette quantité de nourriture, si petite qu'elle fût,
a su/ fi pour le sauver).
Lorsque le peu signifie l'insuffisance, le man-
que, le participe reste invariable : Ex. : « C'est le
peu' de nourriture qu'il a pris qui a causé sa
mort » (c'est-à-dire cest la trop petite quantité
de nourriture qui, etc.).
Du rôle du participe dans la proposition. —
Le participe peut occuper trois places dilïérentes
dans la proposition : I" il peut se rapporter au
sujet : « L'homme poussé par la faim devient crimi-
nel ; » 2° il peut se rapporter au complément :
« Plaignons l'homme tombé dans le vice ; » ■<■" il
peut, en apparence, ne se rapporter ni au sujet.
ni au régime : « Tout étant fini, nous nous sépa-
râmes. 1) On l'appelle, dans ce dernier cas, parti-
cipe absolu.
Quand le participe se rapporte au sujet et qu9
celui-ci précède : c. L'enfant, ai/ant mangé des
mets empoisonnés, mourut sur-le-champ , » on
ne doit pas répéter le sujet devant le verbe. Il
ne faut donc pas dire: « L'enfant ayant mangé des
mets empoisonnés, il mourut sur-le-champ. »
Le participe doit toujours se rapporter claire-
ment à un mot exprimé dans la phrase. Ainsi
l'on ne dira pas : « En vous accordant cette fa»
veur, c'est me pn-cw er un véritable plaisir » ;
mais : « En vous accordant cette faveur, je nie
procure un véritable plaisir. »
[J. Dussouchet.j
P.\RT.VGE DES TERRES. — Arpentage, XV. —
Le partage des terres est une opération d'arpen-
tage qui a généralement pour but de diviser uns
propriété entre plusieurs héritiers, soit en parties
égales si le terrain a partout la môme valeur, soit
en parties inégales si le terrain n'a pas partout la
même valeur ou n'off're pas les mêmes facilites
pour la culture, le transport des récoltes, l'arro-
sage, etc.
(.Nous dirons figures égales au lieu de figures
équivalentes. La première expression est moins
exacte, mais plus usitée.)
L Terrain d'égale valeur. — (a) Division en par-
ties égales; yh) Division en parties proportionnel-
les à des nombres donnés. — 1° Soit d'abord un
terrain de forme rectangulaire à diviser en 2, 3, 4...
parties égales sans conditions spéciales.
Il suffit de se transporter sur le terrain avec la
chaîne d'arpenteur, de diviser une des dimensions,
la largeur, par exemple, en "2, :3, 4... parties égales
et de jalonner des ligues perpendiculaires à cette
largeur.
2° Soit un terrain rectangulaire ABCD, entouré
de murs de tous côtés, ayant 58", 50 de long et
3(i",20 de large, que l'on veut diviser en trois par-
ties égales aboutissant à une porte commune située
en P, (fig. 1).
Fig. 1.
Il faut d'abord calculer la surface du terrain et
en prendre le tiers.
.^.S,ix:iG,-2
'/3 de la surface =
; = 70„""l, 90.
L'axe de la porte se trouve à 20 uiètres du côté
BC. Calculons la surface du triangle PBC.
:îfi,2X20
= 3G2""I.
Pour former une première part, il manque
705""l,0O — 3G2 = 3i3""l,90,
que nous allons prendre au moyen d'un triangle
PARTAGE DES TERRES — 1521
PARTAGE DES TERRES
BMP dont nous connaissons la hauteur, 3G",20. La
base MB s'obtient on doublant la surface et en
divisant par la hauteur.
343,90 X 2
MB= ■
3G,20
• = 19"'-
On détermine la base MN de la deuxième part,
représentée par le triangle MNP, do la mômo ma-
nière.
70.'.,90X2
MN = -
30,20
-=39"=
La troisième part est représentée par le quadri-
latère NADP.
Avant le tirage au sort des parts, il peut être
stipulé que la première, qui est la plus avanta-
geuse i cause de sa forme plus régulière et de ses
trois mursde clôture, restituera à la seconde, qui
est la moins avantage se, une bande de terre do
20 mètres carrés, par t'xemplo. Il suffit alors de
détacher de cette première part un petit triangle
MP»î dont la base M»; est égale à :
3o,ij
3* Soit un triangle quelconque à diviser en 5,
3, 4... parties égales au moyen de lignes issues
d'un même sommet.
Il suffit de se transporter sur le terrain avec la
chaîne d'arpenteur, de diviser le côté opposé au
sommet commun en 2, 3, 4... parties égales et de
jalonner des lignes droites vers ce sommet.
En effet, tous les triangles obtenus ont même
base et même hauteur ; ils ont donc môme surface.
4° Soit un terrain de forme triangulaire à diviser
en trois parties égales au moyen de lignes pa-
rallèles au côté LC, fig. 2.
On a de même, en considérant les triangles
semblables AFG et ABC;
AFG 2
ABC~3
AFG AF«
ABG~AB2
AF2 AG2
AB'—AC'
AGt
~AC«
_2
3
AF = AB y''! =6-.!,4X j^ =50,9.
AG = AC \/| = 48,5 X |4t2 = ^^'^*
Cet exemple suffit pour indiquer comment on di-
vise un triangle en un nombre quelconque de par-
ties égales ou en parties proportionnelles à des
nombres donnés au moyen de parallèles à l'un des
côtés.
.S" Soit un triangle à diviser en trois triangles
équivalents ayant chacun un des côtés pour basa
et le sommet commun, fig. 3.
IFig. 2.
On mesure les côtés AB et AG, puis les longueurs
AD et AF, AE et AG, que l'on détermine comme
il sera dit plus loin, et l'on jalonne les parallèles
DEetFG. ^
Les triangles ADEet ABC étant semblables, on a :
(1)
(3)
ADE_ I
ABC ""3
ADE _ AD2 _ AE2
ABC "" AB« ~ AC«
ADS _ AE2 _ 1
AB2 ~ AC2 ~ 3
(On démontre en géométrie que les surfaces de
deux triangles semblables sont entre ellfs dans le
même rapport que les carrés de deux côtés homo-
logues.)
Supposons que :
AB = G2°,4etAC = 48»,5.
On lire des égalités (3) :
AD = AB y/l = C2,i X j-J^ = 3G'".
AE = AG y/^ = 48,5 X p^ = 28».
2' Partie.
On divise le côté AB en trois parties égales; par
le point D on mène une parallèle à AC. et par le
point F une parallèle à BC. Ces deux lignes se
rencontrent au point 0, qui est le sommet commun
des trois triangles.il ne reste plus qu'à joindre
OA, OB et OC.
En effet, la parallèle FG est menée au tiers de
la hauteur du triangle, c'est-à-dire que HK^l/3
AH ; donc le triangle BOC, qui a la hauteur HK et
la même base que le triangle donné, est équiva-
lent au tiers de ce triangle. On démontrerait faci-
lement qu'il en est de même pour le triangle
AOC.
On ferait une construction analogue dans le cas
où les trois triangles seraient proportionnels à des
nombres donnés. Il suffirait de diviser le côté AB
proportionnellement à ces nombres et de mener
des parallèles.
6" Soit un terrain ayant la foime d'un trapèze
à diviser en 2, 3, 4... parties égales au moyen de
lignes joignant les côtés parallèles.
11 suffit de diviser ces côtés chacun en 2, 3,4...
parties égales et de joindre les points de division
correspondants.
En effet, on obtient ainsi des trapèzes ayant
mêmes bases et même hauteur, par conséquent
même surface.
7" Soit un terrain ayant la forme d'un trapèze
à diviser en quatre parties égales au moyen de
parallèles aux bases, fig. 4.
On prolonge les côt(5s non parallèles AB et CD
jusqu'à leur rencontre, au point E ; on calcule la
surface du triangle EAD et celle du trapèze ABCD ;
on détermine les points de division F, H, M. G, K,
N et l'on trace les parallèles FG, HK, et MN.
Les bases dutrapèzeont IH mètres et ô2 mètres
et la hauteur 48 mètres.
9G
PARTAGE DES TERRES
— 1522 — PARTAGE DES TERRES
{i' question), c'est-h-dire que l'on déterminerait
dircclement les points F, G, H, etc., au mo\en de
proportions comme celle-ci, par exemple :
:^
La surface du trapèze est esprimcc par :
- — ^^- X-i8 = 4224mq.
La surface do chaque part est donc égale à :
4224
= lOÔC"'-'!-
Pour calculer la surface du triangle AED, il faut
d'abord déterminer la hauteur EO, que nous re-
présentons par X. Or les deux triangles semblables
BEC et AED donnent la proportion :
48 + 0- 124
d'où l'on tire successivement :
48 X 52 -I- 52 J = 1242;.
VHx — b':x= 48x52.
nx = Î4Q0.
x= -r^ =24"", G
La surface du triangle AED est exprimée par :
ci:llo du triangle total CEC, par :
4224H-8S9,6 = 512;>'1.6.
Pour avoir la position de la première lia:ne de
division FG, il faut délaclicrdu triangle total I.EC
le petit triangle AED, plus une part du trapèze,
c'cst-i-dire une surface égale i :
890,6 -f 1050 = l'J55"'q. G.
En considérant les deux triangles semblables
AED et FEG, on a la relation :
FEG_ER3
AED~EU2
ia556 ER^
su'Jii ~~ :i4.(i2
V S'J'Jti
ER =
Ul,8
■ =5rM0
Il ne reste plus qu'à mesurer ER = 51™, 10 cl
à mener la ligne FG parallèle à BC.
On obtiendrait de la même manière les paral-
lèles IIK etMN.
Dans le cas où l'on pourrait mesurer directement,
sur le terrain, les quatre côtés du trapèze ainsi
que les prolongements xVE, ED et la hauteur EO,
le problème sciait résolu comme précédemment
FEG
BEC
FE2
BE»'
8° Soit un terrain ayant la forme d'un penta-
gone h partager en trois parties égales par des
lignes issues du sommet A (lig. 5).
On comiBence par transformer ce polygone en
un triangle équivalent, en conservant le sommet
indiqué, puis l'on divise le triangle en trois par-
ties égales. A cet effet, on prolonge le côté DC i
droite et k gauche, on mène la diagonale .\D, une
parallèle EF à AD, et la ligne AF. On peut rem-
placer le triangle AED du polygone par le nou-
veau triangle AFD, rar ils ont la même base AD
et la même hauteur, qui est la distance entre les
parallèles AD et EF.
On trace de même la diagonale AC, la ligne BG,
parallèle à AC, et la ligne AG. On peut remplacer
le triangle ABC du polygone par son équivalent
ACG, et le polygone tout entier se trouve alors
transformé en un triangle équivalent AFG. Il
suffit maintenant do diviser la base FG eii trois
parties égales et de joindre les points de division
au sommet A.
Il est évident que cette construction ne convient
que dans le cas où les points de division K et H:
se trouvent sur le côté DC du polygone, car s'ils
étaient en dehors, il y aurait, dans les parts, des
surfaces qui ne seraient point contenues dans le
terrain donné, de sorte que le tracé précédent,
toujours vrai au point de vue graphique, ne donne-
rait pas de solution pratique. On serait ramené au
tracé par tdtcunement que nous allons employer.,
9° Soit un terraiu bordé par une rivière à par^,
tager en trois parties égales au moyen de lignesj.
Fig. n.
PARTAGE DES TERRÎIS
lo23
PARTAGE DES TERRES
;;boutissant Ji un passage commun et de ma-
iiiiTO que les doux parts situées au bord de
l'eau reçoivent une augmentation égale à 1/ill de
Irnir surface, à cause des dégâts possibles de l'eau
(fig. fl).
Il faut d'abord calculer !a surface du terrain et,
pour cela, tracer une hnse (^opérations AB con-
venablement choisie, diviser le bord de la rivière
on lignes Ji peu près droites, planter des jalojis
|)ar tous les points de division ainsi que par les
•sommets C, D, E du polygone, et abaisser dos per-
pendiculivros sur cetie base d'opérations. Le ter-
rain est ainsi divise en triangles rectangles et on
trapèzes qu'il est facile d'évaluer:
18X9
•2
I?,4x28,5
2
15 X ;.-i,8
= 81,00
= 17G,70
= 306,00
= 370,60
I"trapczo= — ^ — xI5 = 1CÔ,00
2
18-1- -24
X35 = 5i2,50
X 12 = ÏJ-2,00
2
X27,6= 724,50
iC-l-52.RX8':,5 = 4!7l,'j0
Surface totale = 7089,10
l.a première et la troisième parts auront une
surface égale à :
'iO'iO.lO , 7080,1(1
Reste pour la deuxième :
TOSSJ.IO — 2410,27 X 2 = 22GS,5G
En examinant la figure, on voit tsut de suite que
la deuxième part se coojposera principalement d'un
triangle ayant sa base sur le côté ED du polygone
et sa hauteur suivant PU. perpendiculaii'e sur ED.
Cette perpendiculaire est égale à «."".SO. En sup-
4)osantque tonte la deuxième part soit un triangle
place sur la ligne ED, on obtiendrait la base en
•divisant le double de la surface du triangle par
<J4'",80, ce qui donne :
22fi8,5Gx2
La question est ramenée à déterminer la posi-
tion d un sommet de la base du triangle, celle du
point M, par exemple. .V cet effet, on t;ace, par
idtonnement. une ligue Pm: on calcule la surface
do toute la partie du terrain située à gaucho do
cette ligne, que l'on déplace ensuite dune lon-
gueur Mm, facile à déterminer.
La surface du terrain située à gauche do Vm se
•compose de deux triangles rectangles et d'un
■trapèze déjà mesurés, pois d'un nouveau trapèze
'^/'f'.^Â^ ^ "'°'* nouveaux triangles nhn, Ivk
■et klV. On a mesuré les bases et les iiauteurs
nécessaires pour calculer ces surfaces et l'on a
trouve :
fy=W"Vjk=1\;rjm='i';,'i-^rk= lo;P/i=18; /6-=10,5
18x9
2
4CX1G,5
triangle li-k =
— gkm
21 x^iG,4
= 81,00
= 379,50
= 97,50
= 175,50
= 487,20
1" trapèze = "^ X 15 = 105,00
i-|-4fi,4 ,
Trapèze fijmH = ■
2
XlO = 4Gi.O0
Total ,. .. 1847,-;0
Il manque i la première part une surface
égale à
2410,27 — 1847,70 = 5G3""I57
qu'il faut prendre au moyen d'un triangle situé
à droiti: de la ligne Pm et dont la base mM est
calculée de la manière suivante :
5fi2,57 X 2
= n'»,3G
La ligne PM étant déterminée, on mesure la sur-
face du triangle PMD, qui est égale i :
Il manque à la deuxième part une surface
égale à :
2208,56 - 2008,80 = 259,76
qu'il faut prendre au moyen d'un petit triangle
ayant pour base DPf sur le côté DB et pour hau-
teur la perpendiculaire PQ = GU" :
DX =
250,76 X 2
G6
,87.
Le terrain situé à droite de la ligne P-\ repré-
sente la troisième part.
10" Soit un terrain allongé, de forme très irré-
guiière, h diviser en doux parties égales suivant
la longueur (lig. 7).
Il suffit de tracer un certain noiiibr
lèles é(|Uidistaiit>'S suivant la largeur
de diviser toutes ces parallèles en de
égales et de j Jindre les poini^ de divis
■} de par
du terri
iix pari
10.1.
PARTAGE DES TERRES — 1524
PARTIES DU DISCOURS
Lorsque la ligne de partage est très sinueuse,
comme dans le cas présent, il convient de la rem-
placer par une courbe plus facile à tracer sur le
terrain ou même par une ligne droite en faisant
des comi^ejisaiions, c'est-à-dire en prenant et
restituant à chaque part des surfaces sensible-
ment égales. Exemple, la droite AB.
Partaye proportionnel à des nombres ilonnés. —
11° Une propriété ayant la forme d'un quadrila-
tère irrégulier a été achetée à raison de lâOÛU fr.
par trois acquéreurs, qui ont versé respective-
ment 7000, CuOO et 2U00 fr. : on demande un par-
tage proportionnel à ces nombres, à condition que
les trois parts aboulisseat à un point intérieur P
(fig. S).
Fig. 8.
Il faut d'abord calculer la surface du terrain tout
entier en le décomposant en deux triangles au
moyen de la diagonale DB, puis la surface d(; chaque
part proportionnellement aux nombres 2, G et 7.
On prendra la ligne PC, par exemple, comme
première ligne de pnriage ; on détachera un
triangle MPC appuyé sur le côté BC, ayant pour
hauteur PH et une surface égale à 2/Iâ de la sur-
face totale. On mesurera ensuite le triangle CPD
ayant pour hauteur PK, et l'on ajoutnra, pour coni-
pk'ter la deuxième part, égale à C/Iô de la sur-
face totale, un petit triangle DPX ayant pour
hauteur PQ. Il restera pour la troisièmo part,
é^aleà.7/15 de la surface, le pentagone irrégu-
lier P.NABM.
n. Terrain d'inégale valeur. — 12° Soit un
terraiu ayant la forme d'un hexagone irrégulier,
composé de trois classes de terre, à diviser en
trois parties de même valeur (fig. 9).
Fig. 9.
On jalonne au préalable des lignes de sépara-
tion des diverses classes de terre ; on calcule la
surface de chaque catégorie et le prix suivant les
habitudes locales, puis on procède au partage.
On comprend (|ue le problème est très com-
plexe et demande une grande expérience de la
part de l'arpcnieur.
Dans le cas présent, chaque classe a été divisée
en trois parties égales, ce qui a donné des lignes
de division très irrégulières, ahcd et efcjh. Une
première rectification des limites a été faite au
moyen des lignes inn et pq, par des compensa-
tions basées sur la valeur des terres, par exemple,
75 francs l'are en première classe, 30 francs en
deuxième, et 10 francs en troisième. Enfin, la
portion du milieu, à cause de sa configuration
plus régulière, et, par suite, plus avantageuse
pour la culture, a dû céder une petite bande de
terre représentant I/IOO de sa surface à chacune-
des deux autres, ce qui a donné les lignes défini-
tives MN' et PQ.
III. Bornage. — La consécration naturelle de
tout partage de terrain est un bornage avec pro-
cès-verbal à l'appui.
Les bornes sont généralement de grandes pier-
res brutes ou taillées, que l'on enfonce dans la
terre pour les garantir du soc de la charrue. On
met souvent quatre moellons en dessous, qu'on
appelle téinoms de la borne ; au milieu de ces-
moellons, on casse encore une tuile dont on rap-
proche les morceaux, appelés témoins muets ou
bien on emploie du charbon, dos fragments d'ar-
doise, des cailloux.
Les bornes se placent aux angles des terrains
pour indiquer le bout et le coté, ainsi que sur
les longueurs ; elles sont d'autant plus nombreu-
ses que les contours sont plus accidentés.
Il est nécessaire do marquer les bornes sur les
plans on indiquant leur éloignenieiit et môme les
angles qu'elles forment entre elles.
Des peines sévères sont édictées contre toute
personne qui arrache ou déplace une borne sans
une autorisation signée de tous les propriétaires
riverains ou un ordre du juge.
[A. Bougueret.]
TARTIES DU DISCOURS. — Grammaire, IX.
— On appelle ainsi, en terme de grammaire, les
diflférentes espèces de mots, le discours, ou encore
l'oraison, conmie l'entendent les grammairiens,
n'étant autre chose que la suite des mots ou des
phrases, en tant qu'ils expriment nos pensées.
On compte ordinairement dix parties du dis-
cours, dix espèces de mots : le nom, l'article,
l'adjectif, le pronom, le verbe, le participe, l'ad-
verbe, la prépositioi], la conjonction et l'interjec-
tion. Quelques grammairiens n'en comptent au-
jourd'hui que neuf ou même huit, faisant rentrer
le participe dans la catégorie du verbe et l'article
dans celle dos adjectifs déterminatifs. Chaque es-
pèce se subdivise en un certain nombre de sous-
espèces.
L'origine de cette classification dos espèces dé-
mets est fort ancienne. Elle remonte à Platon et
à Aristnte; l'école d'Alexandrie l'a singulièrement
perfectionnée ; adoptée par les grammairiens la-
tins du bas i-mpire et par ceux du moyen âge, elle
est parveime jusqu'à nous en ne se modifiant
guère que sur certains détails, et l'on peut dire
fort justement que les termes d mt se servaient
les Uenys le Thrace, les Apollonius Dyscole, les
Priscien pour enseigner la grammaire à la jeu-
nesse grecque OU à la jeujiesse romaine, « sont
ceux-là mêmes dont nous nous servons encore au-
jourd'hui. » (V. Grammaire, V partie du Diction-
naire, article de M. C. Bouzé.)
Est-ce à dire que cette classification réponde
bien à la réalité des choses? Sans vouloir subtili-
ser, sans vouloir se demander si les mots, tels que
Ihistoire de la langue nous les montre dans leur
naissance, leur développement et leurs transforma-
tions, répondetit bien à celte idée d^! catégories
irréductibles, qui seule caractérise véritablement
l'espèce, on est à tout le moins en droit d'exa-
miner si la classification des espèces grammati-
cales, telle que nous l'avons reçue de l'antiquité,
PARTIES DU DISCOURS — 1525 -
PASCAL
■ .o V, r„cnrit ,],.=. notions bien claires, et si i qualificatifs, qui désignent les manières d'être des
'?i;rr ^IS^ Tl^l... ses dlvl. |.^..s^et - -oses , d.s^,d.er.^U. qu.
dWs cel^un motSu s- jouS^^^ autre.' I sexualité ou de ce qu'on y assimile, des d.fferen-
M "^IJl^hî^n aiTncé Ouel est en effet, le mot tes circonstances de tendance, de milieu ou de-
mi leset ouvrais ce^cas? Je sais bien'quo l'on poque. Il y en a d'autres Hui ne désignent que de
d sV autroSetn '«4.ta«ù/etleno»<«.'i.c(</. ; simples rapports rapports de l-a'^»"- ^ pparte-
1 o„? .innn,l:,it -i une Catégorisation précise de nance, de dépendance, de conditionnalite, etc.,
v4ueou7ces toiles d'à "ai°ice métaphysiques. Le , lificatifs, les déterminatifs, les pronoms, les verbes
^Xes il mirui dénommé que l'adjectif? Kerie, (aux modes personnelsl, et, d'autre Pfrt, les w
Te ■6«m veut diîe mof. Le verbe, i'est donc le variables servant à marquer des rapports. Nous ne
m ,t Le mot nar excellence peut-être. Soit, mais, parlons pas ici de l'interjection qm, en so , n ap-
saà; compterTue lenom qui fait la loi au verbe, partient pas au langage articulé, et d«» '^^ Pl»"
nmirraTsans doute réclamer une juste prédomi- part des types rentrent dans d'autres classes ou
.■^ïnrT L erait 1 pas à désirer que la dénomi- sont des débris de propositions. App iquons-
ation mê ne des espèces de mots indiquât autant nous, k l'école, k faire reconnaître et distinguer
ue 'os"^bie^eurc^aTère spécial, ceîui qui fait ! par leurs tt-^i^t/^tV^cUÎnliauée^'D^ru merci
qu'ils sont des espèces ? Quand je dis '''',■<!'*' '■'. to"«e la variabilité, assez compliqu^^^^^^
mammifères, bimanes, moU,.s,i„es, etc., j'ai tout de leurs mamères d être et de leurs évomtions
de suite dans l'esprit des idées précises, et voilà
des noms d'espèces bien formés : nous n'en avons
pas de tels dans la grammaire.
Il y a même, malheureusement, pis ; u y a des
dénominations grammaticales qui induisent en
erreur, si bien que les règles concernant certaines
espèces de mots, c'est-à-dire, en définitive, les
observations et constatations purement expéri-
mentales et historiques relatives k leur manière
d'être, ne répondent point k la définition qu'on a
donnée, définition qui est une conséquence de la
dénomination môme de l'espèce. Voici, par exem-
ple, Vadverh''. L'Académie et la plupart des gram-
maires le définissent ainsi : « L'adverbe est une
partie invariable du discours qui se joint avec les
verbes, les iidjectifs ou les adverbes, et qui les
modifie de divorsrs manières. » Or cela est vrai
de certains adverbes et non de tous. Cela est vrai,
si l'on veut, de la plupart des adverbes de lieu,
des adverbes do manière ; cela n'est pas vrai des
■adverbes de quantité, au moins quand ils sont sui-
vis d'un complément, qui est un véritable régime.
<)uand je dis : Beaucoup de vin amène l'ivresse ou
Versez-mrji beaucoup de vin, il est clair que le
soi-disant adverbe beaucoup agit sur le verbe autre-
mont que comme un simple modiflcatif, puisque,
dans le premier cas, il est sujet et, d.ms le second,
complément direct. Ou il faudrait changer la défi-
nition de l'adverbe, ou il faudrait ôter de l'espèce
adverbe les mots comme beaucoup, assez ,
trop, etc., qui sont, par leur fonction, et quelque-
fois par leur forme, de véritables noms.
Nous n'avons poinl la prétention de vouloir for-
muler ici une classification scientifique des mots.
•Cela demanderait de grandes études et de lon-
gues démonstrations. Nous voudrions seulement
que l'instituteur, qui se perdrait certainement
rien qu'à essayer de mettre ensemble les innom-
brables théories nées ou à naître de cette source
indéfinie de difficultés, voulût bien s'attacher,
•dans son enseignement pratique, à quelques points
fondamentaux, indiscutés et indiscutables.
Il y a, dans notre langue — nous ne voulons
parler que de celle-là — des mots qui servent à
Jiommer les personnes et les choses ; il y a des
ue leurs luamcica vj^viy^ .-— v*^ ' _ ;
Mais de savoir si l'article et le participe sont,
oui ou non, des mots à part; si les articles
sont des déterminatifs ou si les déterminati s
sont des articles ; s'il faut dire des pronoms ad-
jectifs ou des adjectifs pronominaux, etc., que
tout cela ne nous touche point; ce n est point
afl'aire à nous, qui avons tant d'autres choses sur
les bras, je veux dire, tant d'autres matières né-
cessaires, indispensables, à enseigner à nos élevés.
Prenons la classification traditionnelle, tellO
qu'elle est donnée dans le livre de grammaire que
nous aurons choisi comme le meilleur, c est-a-dire
comme le plus simple, sans la critiquer, bien en-
tendu, comme nous l'avons fait ici, non pour les
élèves, mais pour les maîtres, sans nous y atta-
cher non plus, au moins dans les détails, comme
à parole d'Evangile. Servons-nous-en comme dun
langage commode, puisqu'il est accepté et en-
tendu de tous depuis des siècles, mats en le rédui-
sant au strict nécessaire, et restons persuades
qu'une phrase ou un mot bien compris vaudra
toujours cent fois mieux qu'une phrase ou un mot
bien analysés. Ce qui ne veut pas dire — et cest
par là que nous voulons terminer — qu il lame
supprimer l'analyse; il faut seulement la subor-
donner. [Cb- Defodon.j
PASCAL. — Littérature française, XI. -- Biaise
Pascal naquit le 19 juin Ui'23 à Glermont-Ferrand,
où son père exerçait les fonctions de président de
la cour des aides (tribunal chargé spécialement de
iugcr les diftérends en matière d'impôt). Il perdit
sa mère à trois ans. Son père alors vendit sa
charge et s'établit à Paris avec son fils et ses deux
filles, Gilberte (M""' Périer) et Jacqueline qui se
fit religieuse à Port-Royal et mourut en 1661.
Le jeune Pascal était de constitution délicate,
mais d'une prodigieuse précocité intellectuelle.
Son père, qui redoutait pour lui des études pré-
maturées, découvrit un jour que son fils de douze
ans « avec des barres et des ronds, » avait pour
ainsi dire invente la géométrie et qu'il était par-
venu tout seul jusqu'à la Si' proposition d Luclide.
A seize ans Pascal publiait un Traité des sections
coniques, , . .„ ,^i
En 1U39 il suivit à Rouen son père qui avait été
PASCAL
— 1526 —
PASCAL
nomme intendant ries tailles dans cette ville. Pour
l'aider dans ses calculs pénibles, il imagina sa
Machine à compter. Puis il s'acquit un renom
immortel dans l'histoire de la physique en démon-
trant la pesanteur de l'air, en expliquant ainsi
l'ascension des liquides dans les corps de pompe
vidés d'air et la limite de cette ascension en rai-
son inverso du poids du liquide. Il commença la
science dite Calcul des pro'-a'jilttés. il entrevit le
Calcul dijfén-ntitil et intéyi-al, enfin il inventa le
baquet. On veut même qu'il ait suggéré la pre-
mière idée des omnibus.
Pascal n'était pas seulement un savant et un
inventeur, c'était aussi un homme profondément
religieux. L'atmosphère morale de sa famille et
par conséquent la direction imprimée à son édu-
cation avaient fortement incliné sa pensée vers la
méditation des grands problèmes de la philoso-
phie et de la religion. A Rouen il subit l'influence
d'un ecclésiastique, disciple de Port-Royal, qui
jeta dans son esprit les germes de la tendance
janséniste à laquelle il demeura fidèle jusqu'à sa
mort. On sait que le jansénisme désigne cette école
religieuse à laquelle se rattachaient nombre d'hom-
mes distingues de cette époque, dont le centre
était à Port-Royal-des Champs prés Paris, et dont
le trait caractéristique était de joindre à un grand
zèle pour l'Eglise catholique, son culte et sa disci-
pline, des vues sur la grâce et sur les conditions
quelques années plus tard; mais on peut dire quo
la blessure est restée saignante, toujours oi>-
verte sur ses flancs. L'avenir nous apprendra si,
connne quelques-uns le croient, destinée ii s'élargir
et à s'envenimer toujours plus, elle ne dégénérera
pas en plaie mortelle.
Momentanément, en tout cas, le succès fut im-
mense. Ce fut un premier appel àl opinion publique,
qui se prononça vigoureusement pour l'auteur et
pour la cause qu'il défendait, au point que l'orage
qui menaçait le jansénisme fut détourné pour urî
temps. Du reste, Pascal se plongeait plus que
jamais dans les méditations religieuses, et il y ap-
portait, dans un mélange assez bizarre, la fougue
d'un esprit passionné, la profondeur et l'indépen-
dance d'un génie divinateur et les faiblesses d'une
dévotion superstitieuse. C'est ainsi qu'ils'imposait
des macérations et des pénitences qui achevaient
de détruire une santé déj.'i très affaiblie, qu'il ne
reculait pas deyant la nécessité de s'abêtir de mot
est de lui), si l'on ne pouvait autrement se pro-
curer la foi, et qu'il maintenait l'authenticité d'ui>
miracle assez puéril dont la Sainte-Épine de Port-
Royal aurait fait bénéficier une petite fille souffrant
d'une fistule lacrymale. Mais ce n'est pas par leur»
côtés faibles qu'il convient de juger les grands
hommes, et Pascal devait s'acquérir d'aulres titres
à l'admiration de la postérité.
Autant Pascal était volontairement croyant et
du salut qui la rapprochaient singulièrement du ! soumis aux traditions de l'Église gallicane (Si »!6r
calvinisme. Ajomons-y la morale trèsaustère qu'elle /cifcM sont condamnées à Rome, ce que fi/ con-
en déduisait et qu'elle opposait aux relâchements damyie est coridumné dans le ciel), autant son-
et aux indulgences, aussi dangereuses que subtiles, esprit élevé voyait avec terreur s'avancer le mo-
que le jésuitisme cherchait à introduire dans la ment où les bases mêmes de la révélation chré-
pratique de la dévotion. | tienne seraient contestées au nom de la phl-
Gependant l'altération de sa santé, minée par losophie, de l'histoire, de la science, en un mot
des travaux excessifs, fit que les médecins lui im- | de la raison. Chez lui les nouvelles notions du
posèrent des loisirs et des distractions. Pascal monde, telles qu'elles ressortent des découvertes
traversa quelques années de vie mondaine, , modernes sur la constitution de la terre et du
exempte, il est vrai, de tout libertinage, mais assez ' ciel (Le silence éternel de ces espaces infinis m'ef-
dissipée en apparence pour qu'on apprit avec sur- fraie), faisaient malgré lui la guerre ii des croyances
prise en 1G55 sa résolution de se retirer à Port- impliquant ou semblant impliquer une géologie et
Royal et de se livrer tout entier aux études et aux une astronomie encore enfantines Les doutes que
méditations religieuses dont il voulait désormais suggéraient à Montaigne les progrès des connais-
faire le seul aliment de sa pensée. sances géographiques, en lui révélant tant de pays
Est-ce, comme on l'a soupçonné, la blessure et de peuples où l'on vivait depuis des siècles
faite à son cœur par un amour déçu, ou l'influence dans une profonde ignorance du christianisme, où
de sa sœur Jacqueline, ou bien l'accident où il l'on professait des maximes de religion et de mo-
faillit périr en traversant en voiture le pont de raie diamétralement contraires aux nôtres, vis-à-vis
Neuilly, ses chevaux s'étant emportés et lui-même desquels la chrétienté n'était que la minorité du
étant resté quelque temps suspendu sur l'abîme, ' genre humain, ces doutes que le spirituel et char-
ou bien l'extase nocturne fpeut-être en rapport 1 mant écrivain résumait dans son continuel Que
physiologique avec cet accident) dont il conservait , sais-je? mais qui ne troublaient en rien sa belle
le souvenir écrit sur un scapulaire cousu dans son
habit, ou bien enfiji toutes ces circonstances en-
semble qui expliquent sa brusque détermination 7
Nous n'oserions nous prononcer, tout en faisant
observer qu'avec des caractères comme celui de
Pascal, on prend souvent pour la cause de pareilles
résolutions ce qui n'est que l'occasion accidentelle
d'une explosion dont les matériaux inflammables
se sont lentement et invisiblement déposés tout
au fond de leur être.
Quand Pascal s'associa ainsi aux Arnauld, aux
d'Andilly, aux Nicole, en un mot à cette élite de
penseurs qui formait alors l'état-major du jansé-
nisme, les affaires de ce parti religieux n'étaient
pas dans un état brillant.
Les intrigues du parti jésuitique avaient réussi
à compromettre le jansénisme à Rome, à la Sor-
bonne et auprès du pouvoir royal. C'est alors que
Pascal, cédant à l'indignation de sa conscience
d'honnête homme et de chrétien sincère, lança
contre la célèbre Compagnie ses immortelles Pro-
vinciales sous le pseudonyme de Louis de Mon-
talte (ll)56-lt)."i7). L'ordre de Loyola reçut du coup
une blessure à lacjuelle sans doute il a survécu et
dont il se vengea cruellement contre Port-Royal
humeur, se répercutaient dans l'âme de Pascal avec
une intensité doublée par l'accroissement des
sciences auquel il avait tant co])tribué et par le
sérieux pour ainsi dire tragique de son caractère.
Aussi, tout en luttant contre un dépérissement
physique dont l'issue fatale et prompte était cer-
taine, Pascal conçut-il l'audacieux projet de fonder
la vérité de la révélation chrétienne et des princi-
pales doctrines de l'orthodoxie sur un ensemble
de preuves irréfutables, capables de rendre la paii
à son esprit agité et à tous ceux qui auraient à
subir la même crise de la foi. La mort le surprit
au milieu de ce grand travail qui n'existait encore
dans sa pensée qu'à l'état d'ébauche et dont il avait
simplement tracé les linéaments ou les prélimi-
naires sur des feuilles éparses, sans ordre, que
ses amis trouvèrent dans sa chambre. Frappés des
beautés de premier ordre que recelaient ces notes
confuses, ils les publièrent en 10G9 sous le titre
de Pensées de Pascal, mais non sans opérer des
retranchements et des modifications là où les idées
de l'illustre défunt leur paraissaient dénoter trop
de hardiesse et pouvaient compromettre le renom
de son orthodoxie. Les éditions suivantes ne remé-
dièrent pas au mal. C'est en 1844 seulement que.
PASCAL
— 1527 —
PASSEREAUX
sur l'imitation de Cousin, M. Prosper Faugère
s attacha i reconstituer l'origiiial d après les ma-
nuscrits autographes réunis en un caluer à la
bibliothèque nationale. Ce travail, repris et com-
plété par M. E. Havet, nous a rendu le vrai Pascal
et ses vraies Pensées. , , ,
Il ne nous appartient pas de décider jusqu à quel
point Pascal aurait réussi dans sa vaste entreprise
s'il lui avait été donné de la mener à bonne fin. ue
nos iours certainement on lui eût reproche une
lacune énorme dans un travail de ce genre ou U
est continuellement question de la Bible, ûes
dogmes et des faits de l'histoire religieuse.
Pascal, savant physicien, géomètre de premier
ordre, profond penseur, manquait absolument
d'érudition et de critique. On le voit qui s extasie
sur des contre-sens et qui accepte les yeux fermé»
des traditions très contestables. Il est à cet égard
au-dessous même de son temps. Ce qui le relevé,
ce sont les aperçus pleins d'oriKinalité, de perspi-
cacité psychologique, de vérité expérimentale qui
viennent i chaque instant reluire comme des
éclairs à travers le nuage nécessairement obscur
de pensées et d'observations qu'il n'a pu mettre
lui-même dans l'ordre désiré. U serait parfois im-
prudent de considérer comme son opinion défini-
tive ou personnelle ce qui n'était peut-être qu un
premier jet d'idées sur lesquelles il se proposait
de revenir, ou qu'une note formulant telle objec-
tion, qu'il se réservait de réfuter, ou même qu une
boutade momentanée de son humeur mélancolique
et bizarre. Mais, nous le répétons, à de nombreux
« coups de griffe » on reconnaît le lion, et îi bien
des sillons creusés par son bnrin se revoie 1 incom
parable artiste. De plus il faut noter, en dehors
de toute conclusion, ce qu'il y a de nouveau et
de fécond dans son apologie de la religion chré-
tienne, c'est-i-dire la concordance mystérieuse ^
qu'il relève entre les besoins, les aspirations, les
misères de l'âme humaine et les enseignements
correspondants, en quehiue sorte coïncidants, de
cette religion. C'est par là surtout, bien plutôt que
par ses raisonnements souvent très faibles sur les
prophéties et les miracles, que Pascal a éié nova-
teur et qu'il a montré le chemin aux apologistes
de la folles plus éminents qui lui ont succédé, en
même temps qu'il jetait les germes d'une manière
nouvelle de comprendre la religion en général au
point de vue philosoplii(|ue et moral.
Mais c'esi surtout comme écrivain, comme 1 un
de nos plus grands nialires en l'art de se servir de
notre langue nationale, que nous avons ici Ji faire
son éloge. Peu désireux pour lui-même de la gloire
littéraire, il l'a conquise sans la chercher, parce
qu'il s'efforçait toujours de réaliser la perfection
dans tout ce qu'il faisait, dans la forme comme
dans le fond. Les Provinciales restent un incom-
parable modèle de controverse et de discussion
où la finesse de la pensée, parfois môme sa subti-
lité, ne font aucun tort à la vigueur du raisonne-
ment, où l'ironie, toujours de bon goût et contenue.
ne cesse que pour faire place aux accents de l'in-
dignatiun et de la passion légitime qui fait enfin
explosion. Si l'on y pense bien, on verra que Pas-
cal, dans son ardente éloquence de controversiste,
malgré les différences des temps, des caractères,
des sujets, des idées, annonce Bousseau et plus
d'un des grands orateurs de la tribune française.
C'est bien la même verve tempérée par le sen-
timent des proportions, la môme méthode de dis-
cussion harcelant l'adversaire avant de l'écraser
d'un coup final, la même clarté d'exposition jointe
à une dialectique acérée marchant droit à son but,
qualités éminemment françaises et qui ont fait h
juste titre de Pascal un de nos premiers classiques.
La phrase est limpide, simple, sans recherche
apparente, disant nettement ce qu'elle veut dire,
Bans aucune fioriture ni surcharge, sans affectation
d'élégance ou de rudesse ; c'est un style honnête et
loyal comme la pensée dont il est 1 expression,
robuste et de mouvement aisé comme le raison-
nement qui se dépluie sous ses formes magistrales.
11 rappelle h la fois les coups de crayon si forte-
menV dessinés d'un Callot et l'effet magique des
tableaux si magnifiquement colores d un Kem-
brandt.
Dans ses Pensées, écrites, nous l'avons vu, sous
l'inspiration du moment, parfois retouchées, mais
dont aucune n'a reçu de son aveu sa forme dotim-
tive il y a de temps à autre de l'obscurité et Oe
la rudesse. Mais que d'admirables sentences admi-
rablement exprimées! On dirait de médailles frap-
pées de manière à défier les siècles. (. est au
point que Sainte-Beuve a pu dire : « Pascal, admi-
rable quand il achève, est, peut-être supérieur là
où il est interrompu. » Tantôt c'est un tableau
condensé, mais d'autant plus tragique, des con-
tradictions et des déchirements du cœijr humain,
tantôt un résumé amer et piquant d observations
faites sur le vif, par exemple : « Lhamme nest
ni anqe ni léte, et le malheur est que qui veut
faire tanje fait lu bêle. » Ici c'est un aveu mélan-
colique de notre faiblesse quand il s agit de con-
quéi'ir une vérité qui se dérobe à nos efforts
pour l'atteindre ; là c'est un appel émouvant h. ces
. raisons du cœur que la raison ne connaît pas;-..
ailleurs c'est le sentiment de l'infini ou celiii de
la grandeur du roseau pensant, supérieur à 1 un.-
vers lui-même qui l'écrase, puisque « ; avantage
nue Vuaivcrs a sur lui, l'univers il en sait rien. »
En un mot, les Pensées sont un riche écrin où, à
côté do quelques pierres d'un éclat dou,teux ou
même encore enveloppées dans leur gf' iS>ie, on
découvre des diamants et des perles de la plus
belle eau. C'est une lecture de 1 âge mur plutôt
nue de la jeunesse, mais il est certain qu on y re-
vient avec d'autant plus de plaisir qu on avance
dans la vie et qu'on est mieux i même de goûter
à la lumière de ses expériences personnelles le
charme particulier de cette œuvre i»^'^l><=voe "ù
se sont déposées celles de l'un des plus étonnants,
génies qui aient marqué dans not-;«J;f^°^;:iii,.j
PASSEIIEAUX. - ZtJologie, XVi. - »« J""^
les groupes qui constituaient, poiar Ciiuer, a
classe des Oiseaux, celui qui a subi, S''-'^';^"^
travaux des naturalistes modernes, le P'f .g''''?.^
nombre de remaniements est assurément 1 ordre
des Pa,sereaux. A l'heure actuelle .1 b« '•^■«'"e
subdivisé, non plus en cinq sous-ordres ''èulement
mais en une série de familles dont es ""es sont
bien caractérisées, tandis que les autres se ratta-
chent intimement les unes aux autres par des
types de transition. Au milieu de ctjs formes si
diverses, il est bien difficile de saisir quelques
Traits qui soient communs à tous. les l'assereaux
On peut dire cependant que ces oiseaux sont tous
de petite ou de moyenne taille, qu ils ont pour
la pU.part, une charpente légère, un corps svelte
un^ec faible, des pattes médiocres, emplumées
dans la portion correspondant à la jatibe et ter-
minées par quatre doigts, dont un seul es dirigé
en arrière, les trois autres étant tournes on avant
Ces doigts sont le plus souvent independ.nts les
utis des autres, ou tout au plus reunis à la base
par une toute petite membrane située entre le
dol-t cxte.iie et le doigt médian. Il est impossi-
ble de caractériser l'ordre des Passereaux d une
ma ■.ère plus précise. C'est dire que ce groupe
n'est pas bien naturel et qu'il comprend en réa-
lité tons los oiseaux qu'on n'a pu faire rentrer
dans les cinq autres divisions : F.apacrs, Or m-
neùrs Gallinacés, Echassiers et Palmipèdes. Ainsi
les Pa'ss.reaux, comparés aux Rapaces, n ont pas,
comme ces de-niers, le bec crochu et les ongles
a°é^é^, ils diffèrent également des Grimpeurs par
PASSEREAUX
— 1528 —
PASSEREAUX
leur doigt externe toujours dirigé en avant ; ils
n'ont pas la mandibule supérieure voûtée, le corps
massif, les ailes arrondies comme les Gallinacés ;
leurs tarses ne sont pas en général aussi grêles,
aussi allongés que ceux des Ecliassiers, et leurs
doigts ne sont pas reliés par dos membranes na-
tatoires comme chez les Palmipèdes. Mais on
rencontre d'ailleurs parmi les Passereaux des dif-
férences considérables dans la structure et les
proportions relatives du bec, des membres anté-
rieurs et des membres postérieurs, aussi bien
que dans la nature et la coloration du plumage.
Lebocen alêne d'un Oiseau-Moucbe ne ressemble
guère au bec aplati et fendu jusqu'aux oreilles
d'un Engoulevent ; l'aile aiguë d'un Martinet n'est
pas taillée sur le même patron que l'aile obtuse
d'une Mésange ou d'un Pinson ; les pattes robus-
tes d'un Corbeau diffèrent beaucoup des tarses
minces et élancés d'une Bergeronnette ; et la livrée
verdâtre d'une Fauvette semble bien pâle à côté
des teintes métalliques et chatoyantes d'un Coli-
bri ou d'un Soui-Manga.
Les Passereaux ont en général le gésier mus-
culeux, l'intestin muni de deux appendices cœ-
caux, le larynx inférieur compliqué. Leur sternum
n'offre ordinairement qu'une seule écliancrure de
chaque côté ; parfois cependant il est doublement
entaillé, comme chez les Guêpiers et les Martins-
Pècheurs, ou bien au contraire n'est pas découpé
sur le bord postérieur, comme chez les Martinets
et les Oiseaux-Mouches.
Sous le rapport du régime et des mœurs, on
constate également parmi les Passereaux de nota-
bles différences : les Gobe-Mouches, les Hiron-
delles et les Fauvettes sont insectivores, les Moi-
neaux et les Chardonnerets recherchent surtout
les graines et les semences, les Loriots aiment
les fruits et particulièrement les cerises ; les
Martins- Pêcheurs saisissent les poissons avec
ordres, que nous allons énuraérer successivement
en indiquant leurs principaux types :
1° DENTinosTBES, ayant la mandibule supérieure
écliancrée de chaque côté, près de la pointe :
Pies-f/riè' lies, Ca^^icanx, Gobe-Mouches, Tyrans,
Mouchenâles, Cotingns, Jaseurs, D7-o7igos, ti:nga-
ras. Merles, Fourmiliers, Bréve\, Cincles. Philé-
clons. Mainates, Martins, Choqtiards, Loiiots,
Gou/ins, Becs-fins (c'est-à-dire Traquets, Itubiet-
tes. Fauvettes, Accenteurs, Roitelets, Trogh dytes,
Hocliequeves ou Lavandières, Bergeronnettes et
Farlouses), Manakins, Coqs de Roche, Eurylai-
mes, etc. ;
2° FissinosTnES, reconnaissables à leur bec court,
large , aplati horizontalement et profondément
fendu, et subdivisés eux-mêmes en deux sections,
las Diurnes (Hirondelles et Martinets) et les Noc-
turne'^ [Engoulevents et Podnrges) ;
3° CoNiRosTRES, au bec fort, plus ou moins coni-
que, et dépourvu d'cchancrure près de la pointe :
Alouettes, Mésanges, Bruants, Moineaux, Char-
domierets. Tarins, Serins, Limettes, lioinreuils,
Bec'^-croisés, furbecs, Colinus, Pique-CEufs, Cassi-
qiies, Etournenux, Boîtiers, Oiseaux de Para-
dis, etc. ;
4" Tencirostres, au bec grêle, allongé, droit,
ou plus ou moins arqué, sans échancrures laté-
rales : Sittelles ou Torcltepots, Anabates et Synal-
laxes, Grimpereaux, Eckeletles, Picucules, Dicées,
Hcorotaires, Soui-Maiigas, Arachnothères, Coli-
bris, Huppes, Promérops, Epiniaqnes, Cravis, etc.;
'o° Syndactyles, différant des quatre groupes
précédents par leur doigt externe réuni au doigt
médian dans la plus grande partie de sa largeur:
Guéiàers, Murnots-, Martins- Pécheurs, 'lodieis.
Calaos, etc.
A beaucoup d'égards cette classification laissait
à désirer, car elle était fondée principalement non
sur des différences dans la structure intime de
beaucoup d'adresse, et les Corbeaux mangent in- ' l'oiseau, mais sur des variations dans la forme du
différemment de la chair ou des substances végé
taies. De même il y a des Passereaux qui vivent
isolés comme les Huppes, et d'autres qui se réu-
nissent, au moins à certaines saisons, en troupes
nombreuses, comme les Etonrneaux. Certains
Passereaux, tels (|ue les Brèves et les Lavandières,
courent sur le sol avec rapidilo; d autres, comme
les Toucans, restent ordinairement perches; d'au-
tres enfin, les Martinets par exemple, ne font pres-
que point usage de leurs pattes, et portés sur
leurs ailes puissantes, fendent l'air qui est leur
véritable élément.
La plupart des Passereaux sot)t doués d'une voix
très forte relativement à leur taille, mais cette
voix est rude et désagréable chez les Geais, les
Pics et les Corbeaux, tandis qu'elle est singuliè-
rement harmonieuse chez 1rs Rossignols et les
Fauvettes. Aussi, depuis les temps les plus recu-
lés, un grand nombre de Passereaux ont-ils été
gardés en captivité, à cause de la douceur et de la
variété de leurs chants ; mais c'est à poine si l'on
peut citer dans cet ordre un ou deux oiseaux qui
soient devenus pour l'homme de véritables auxi-
liaires, des animaux domestiques.
Dans la dernière édition du Régne animal
bec. Or cet organe peut subir des modifications
profondes, pour satisfaire à certains besoins de
l'animal, sans que les os du corps et des mem-
bres éprouvent de notables changements, et d'au-
tre part le bec présente souvent une forme iden-
tique chez des passereaux dont la charpente os-
seuse n'est pas du tout constituée sur le même
type. En d'autres termes, en s'attachant exclusive-
ment à des caractères tirés de l'aspect extérieur,
on s'expose à placer dans un même groupe des
oiseaux qui n'ont pas les uns avec les autres des
ressemblances fondamentales, et vice ver^â à sé-
parer d'autres oiseaux qui, en dépit de différences
apparentes, sont en réalité con.struits sur le même
plan. C'est même ce qui est arrivé à Cuvier, qui a
rapproché les Martinets des Hirondelles, et qui
d'un autre côté a cru devoir éloigner les Graves
et les Choquards des Corbeaux proprement dits.
Ainsi, comme nous le disions plus haut, la clas-
sification proposée par ce grand naturaliste a été
profondément modifiée et certains genres ont été
dédoublés, ou même élevés au rang de familles.
Mais, comme cela arrive souvent, on est probable-
ment allé trop loin dans cette voie, et l'on a sans
doute exagéré le nombre des subdivisions de l'or-
(1859) l'ordre des Passereaux a été subdivisé par ! dre des Passereaux. Quoi qu'il en soit à cet égard,
Cuvier en deux grandes catégories : les Passereau;^
ordinaires, chez lesquels le doigt externe est libre
ou n'est réuni au doigt médian que par une ou
deux phalanges, et les Passereaux syndacti//es,
chez lesquels le doigt externe, presque aussi long
que le doigt médian, est soudé h ce dernier jus-
qu'à la pénultième phalange. Les Passereaux syn-
dactyles ne renferment qu'un seul groupe, tandis
que les autres se partagent de nouveau en quatre
groupes secondaires, d'après des caractères tires
exclusivement de la forme du bec. Ainsi, pour
Cuvier, les Passereaux comprennent cinq sous-
voici quelles sont les familles généralement ad-
mises, à l'heure actuelle, parmi les Passereaux :
1. * Bucconidés ou Barbus.
2. Mcédinidés ou Martins-Pècheurs.
3. Mcropidéi ou Guêpiers.
4. " Galbiilidés ou Jacamars.
5. * Momotitlés ou Mutinots.
G. * Todidés ou Todiers.
7. * Trogonidés ou Couroucous.
8. * Bucerotidés ou Calaos.
9. * Musophagidcs ou Touracos.
10. * Coliidés ou Colious.
PASSIONS
— 1529
PASSIONS
11. * CotinrjidèK ou Cotingas.
12. * Piprii/cs ou Manakins.
13. • liurylainiirlc' ou Eurylaimes.
li. ('o7-'iciadés ou Iîollier3.
15. l'anrlés ou Mosanscs.
16. Cerlhii'/és ou GrimpcrPaux.
n. Tiofjlodyliilés ou Troglodytes.
IS. Anabatiiiés ou Founiiers et Sittelles.
19. * Ménuridés ou Lyres.
20. Upupipidés ou Huppes.
21. * Pioméiopidés ou Pi-omérops.
l'2. * Méliphagidés ou Soiii-Mangas.
23. * Cœréhidés ou Guitguits.
24. ' Trochilidés ou Oiseaux-Mouches.
2.S. CypsHidés ou Martinets.
26. Cajirimulqidés ou Engoulevents.
2). ' TyrammUs ou Tyrans.
28. Muscieapidés ou Gobe-Mouches.
29. * Uicruridifs ou Drongos.
30. Hinindinidés ou Hirondrlles.
31. * Arlnmidc^ ou Langraycns.
32. Oriolidés ou Loriots.
33. * Pycnonoiidcs ou Ixos.
:!4. * l'illidés ou Brèves.
35. Hydroliatidés ou Cincles.
36. Turdidés OH Merles.
37. Liiscniidés ou Becs-fins.
38. Mdtaci/lidés ou Lavandières.
39. * Mniotil idés.
40. * K/i-eowi /es.
41. Laniidés ou Pies-grièches.
42. Almidiâés ou Alouettes.
43. Embérzidés ou Bruants.
■'i4. Fringillidés ou Gros-Bocs.
45. * Tanagri'lés ou Tangaras.
46. * Plocéidén ou Tiss^ rins.
47. * l' léridés ou Troupiales.
48. Sturnidés ou Etourneaux,
49. * Purai'ésidén ou Paradisiers.
50. Corvidés ou Corbeaux.
Dans cette liste, toutes les familles dont le nom
est précédé d'un astérisque ne comptent pas de re-
prosFntants dans notre pays. [E. Oustalet.]
P.iSSIONS. — Psychologie, IV. — Pour bien
comprnndre la nature des passions, il faut consi-
dérer d'abord que les phénomènes psychologiques
qu'on appelle ainsi se rattachent à la sensibilité,
c'est-.'i-dire à la faculté d'aimer ou de haïr et par
suite d'éprouver du plaisir ou de la peine, comme
les pensées, les raisonnements se rattachent à l'in-
telligencG, les résolutions libres à la volonté. Les
passions appartiennent à cette moitié inférieure de
l'âme, que les anci ns philosophes appelaient
l'âme irrationnelle, celle que l'instinct gouverne, où
la nature agit seule, et qui constitue dans l'homme
un monde à, part, distinct, de celui où régnent la
raison et la volonté réfléchie.
Comme tous les phénomènes de la sensibilité,
les passions, quelle que soit leur forme, ont pour
caractère essentiel qu'elles consistent en mouve-
ments d'amour ou d'aversion pour toi ou tel objet,
et qu'elles sont la source de toute sorte de jouis-
sances et de souffrances.
Mais le langage philosophique est si mal établi
que le mot passion a désigné, dans l'histoire de la
philosophie, et désigne encore des faits très diffé-
rents. Passion, pour le vulgaire, est synonyme de
trouble, de désordre violent de l'âme; et cepen-
dant pour DescartPS, pour Bossuet, l'espérance, l'ad-
mii-ation, ces états calmes et doux de la sensibilité,
étaient des passions. La passion a été tantôt déli-
nie l'état extrême, désordonné de chacune de nos
inclinations, toute affection poussée à l'excès; tan-
tôt elle a représenté les diverses modifications
que traverse, dans son évolution, chacun de nos
sentiments.
C'est dans ce sens que Bossuet et l'école carté-
sienne entendaient surtout la passion. Ainsi, le
traité de In Connaissa?ice de Dieu et de soi-même
distingue onze passions : l'amour et la haine, le
désir et l'aversion, la joie et la tristesse, l'audace
et la crainte, l'espérance et le désespoir, ot enfin
la colère. C'est là une énumération des diver-
ses crises par lesquelles passent, dans leur histoire
toujours semblable à elle-môme, les sentiments
du cœur humain. Le père qui aime ses enfants
tantôt se réjouit de leur succès, tantôt se sent
attristé par leurs malheurs : il désire tout ce qui
les rend heureux, il a de l'aversion pour tout ce
qui leur nuit, et ainsi de suite. Le patriote espère
la victoire, désespère après la défaite; dans la
lutte il passe de l'audace il la crainte ; il est plein
de colère contre les ennemis de sa patrie, enfin
il éprouve tour à tour les émotions contraires ana-
lysées par Bossuet sous le nom de passions. Bos-
suet ajoutait que le principe unique de toutes les
passions est l'amour : la joie en effet est un amour
satisfait, la tristesse un amour contrarié ; l'espé-
rance u» amour qui se représente complaisamment
les motifs qui lui promettent la satisfaction de son
désir ; la colère, un amour qui s'emporte contre
les obstacles semés sur sa route.
Spinoza, dans sa belle étude sur les passions,
véritable anatomie de la partie automatique de
l'âme humaine, attachait au mot passion la même
signification que Bossuet. La joie, disait-il, est la
passion par laquelle l'âme passe à une perfection
plus grande ; la tristesse, une passion par laquelle
l'âme passe à une moindre perfection. A la joie
et h la tristesse il ajoutait le désir, et s'efforçait
de prouver que toutes les passions naissent de ces
passions élémentaires.
Aujourd'hui il y a une tendance marquée chez
les philosophes à donner au terme passion une
interprétation ditférenic. Le sens philosophique du
mot se rapproche de son sens vulgaire. Les pas-
sions ne sont plus les éléments de la sensibilité :
elles sont au contraire des états éminemment
complexes et compliqués, où toutes les forces de
la sensibilité s'unissent et s'exaltent; elles sont
les inclinations elles-mêmes arrivées à leur pa-
roxysme, affranchies de tout frein, maîtresses et
souveraines de l'âme.
A ce point de vue, il y a autant de passions que
d'inclinations naturelles. Toute afl'cction peut sa
présenter tantôt sous une forme modérée et rela-
tivement calme, tantôt sous une forme passionnée.
Les inclinations personnelles et égoïstes, qui ont
pour principe l'amour-propre, les inclinations
affectueuses et sociales, qui dérivent de l'amour
d'autrui, peuvent toutes donner naissance à des
passions, les unes radicalement mauvaises, comme
l'avarice, l'orgueil, l'égoisme ; les autres mêlées
de bien et de mal, comme l'ambition, l'amour ; les
autres presque absolument bonnes, comme le pa-
triotisme. Les affections désintéressées et ab-
straites par lesquelles notre cœur s'attache à la
science, à la vertu, peuvent elles-mêmes dégé-
nérer en passions mauvaises ou s'exalter jusqu'à
des passions sublimes. L'ascétisme est la passion
de la vertu ; le fanatisme, la passion de la reli-
gion. En un mot il n'y a pas, dans l'homme, de
goût, quel qu'il soit, d'appétit, de tendance, qui ne
puisse en s'avivant, en s'enflammant, arriver à cet
état particulier et caractéristique qui s'appelle la
passion.
On a proposé un grand nombre do classifications
des passions. Les uns, préoccupes du point de vue
physiologique et de la part que les organes du
corps prennent au développement des passions,
ont distingué les passions organiques, — celles (|ui,
comme la gourmandise, dérivent d'appétits phy-
siques : les passions sensurirllet, — celles qui se
rattachent .lUx sens; enfin les passions ce/c/;c"/?s,
— celles où le cerveau joue le principal rôle. Sans
nier les rapports étroits qui unissent le pliysique
PASSIONS
1530 —
PAYSANS
au moral, surtout quand il s'agit delà passion, il
nous semble qu'en acceptant une semblable clas-
sification on méconnaîtrait le caractère psychologi-
que des phénomènes qui nous occupent. Ces phé-
nomènes doivent être étudiés en eux-mêmes et
classés d'après un principe psychologique.
C'est un principe de ce genre que proposait un
éminent physiologiste, Gratiolet, quand il distin-
guaii les passions en deux classes : les passions
honv/jcnes, c'esl-à dire simples, ou composées d'élé-
ments de même nature; et les passions hétéro-
gènes, c'est à-dire formées d'éléments différents.
A vrai dire toutes les passions appartiennent à la
seconde classe, et les prétendues passions homo-
gènes de Gratiolet ne sont pas des passions, dans
le sens actuel du mot.
La meilleure classification des passions est en-
core celle <iui les distingue d'après la nature de
l'objet qu'elles poursuivent. Tout pliénomène psy-
chologique a essentiellement pour caractère de
tendre à une fin, tantôt clairement conçue et vo-
lontairement recherchée, comme dans les actes de
la volonté, tantôt obscurément entrevue et instinc-
tivement poursuivie, comme dans les mouvements
de la passion. Il y aura donc autant de classes dis-
tinctes de passions qu'il y a de catégories de choses
agréables, sollicitant le désir.
Ce qui importe d'ailleurs, c'est moins de
dresser le tableau des passions, que de compren-
dre leur nature, de défin.r les caractères qui
leur sont communs h toutes, du se rendre compte
de leur puissance, de leurs effets sur l'âme, et
aussi des moyens qu'il faut employer pour les
combattre.
La passion peut être définie la recherche irré-
fléchie du plaisir. C'est par là précisément qu'elle
s'oppose à la raison. La raison tend volontairement
au bien : la passion tend aveuglément au plaisir.
Une fois établie dans l'âme, la passion y agit à
la façon d'une idée fixe. Le plaisir particulier
qu'elle aime, se représente sans cesse à l'intelli-
gence. L'esprit n'est plein que d'une seule pensée.
Le désir sollicité par cette image incessammont
renouvelée s'accroît et s'exaspère. Il n'y a plus de
place pour les autres affections. Toute réflexion
est impossible. L'âme entière est esclave d'un
désir uniijue. Les autres facultés sont abolies ou
tout au moins n'entrent en exercice que pour
aider la passion à atteindre son objet.
H est facile de comprendre d'après cela les effets
désastreux qu'engendre la passion. Aussi certains
philosophes, les stoïciens, par exemple, ont-ils cru
devoir la condamner et la proscrire absolument.
L'idéal de la sagesse consistait pour eux dans
l'impassibilité, c'est-à-dire dans un état de calme
parfait, que ne trouble aucune émotion. Sans
aller jusqu'aux paradoxes et aux exagérations des
stoïciens, il est impossible de ne pas reconnaître
combien la nature humaine s'abaisse et se dégrade
en général, quand elle abdique sa raison et sa
liberté, pour s'asservir à la passion. On ne saurait
trop s'étonner que des philosophes modernes,
comme Helvétius au dix-huitième siècle, comme
Fourier dans le nôtre, aient voulu réhabiliter l'in-
stinct irréfléchi, et par un excès contraire à celui
des stoïciens, proposé à l'homme comme idéal
l'émancipation des passions.
La vérité ne se trouve dans aucune de ces opi-
nions extrêmes. Il y a, quoi qu'en pensent les stoï-
ciens, des passions nobles, généreuses. Lorsque
l'objet de notre amour est louable, vraiment digne
d'être aimé, la passion, dans son ardeur irréfléchie,
dans son impétuosité violente, peut enfanter des
prodiges de vertu. D'autre part, quoiqu'on disent
moins doit il se proposer de n'être que passion.
Aussi est-il légitime de rechercher avec tous les
moralistes les moyens de prévenir les passions
avant qu'elles naissent, de les extirper quand elles
ont pris possession de l'âme. Mais autant il est
nécessaire d'engager la lutte contre elles, autant
il est difficile d'y réussir.
Voici commint Montaigne nous conseille d'a-
gir avec les passions que nous désirons surmonter.
Il C'e.st une doulce passion que la vengeance.
Pour en distraire dernièrement un jeune prince,
je ne luy allois pas disant qu'il falloit pre»t5r la
joue à celuy qui vous avoit frappé l'aultre, pour
le debvoir de cliarité ; ny no lui allois représenter
les tragiques événements que la poésie attribue
à cette passion : je la laissay là, et mamusay à luy
faire gouster la beauté d'une image contraire ;
l'honneur, la faveur, la bienvueillance qu'il acquer-
roit par clémence et bonté : je le destournay à
l'ambition... Partout ailleurs de mesme : une aigre
imagination me tient; je treuvepluscourt,quede la
dompter, la changer : je luy en substitue, si je ne
puis une contraire, au moins une aultre : tou-
jours la variation soulage, dissoult et dissipe. Si
je ne puis la combattre, je luy eschappe ; et en la
fuyant, je ruse : muant de lieu, d'occupation, de
compaignie, je me sauve dans la presse d'aultres
amusements et pensées, où elle perd ma trace et
m'esgare. »
C'est le même conseil que donne Bossuet,
quand il nous recommande de no pas combattre
les passions « de droit fil », c'est-à-dire de ruser,
de biaiser avec elles, comme on arrête les ravages
d'un torrent, non en lui opposant des digues qu'il
briserait, mais en détournant son cours dans une
autre direction. Le mieux est cependant d'empê-
cher la passion de naître, plutôt que d'avoir à la com-
battre. Pour l'âme comme pour le corps l'hygiène
vaut mieux que la médecine. Au début, quand la
passion éclate pour la première fois, il est aisé de
s'en débarrasser. Plu^ tard la guérison devient
difficile, parce que la passion a pris racine dans le
cœur; mais elle n'est jamais impossible, puisque
nous gardons toujours à notre portée ces deux
instruments de relèvement et de délivrance, la rai-
son et la liberté. [G. Compayré.]
PAYSAJiS. — Histoire générale, XXXIX-XL. —
L'histoire des classes agricoles formerait l'un des
chapitres les plus intéressants de l'histoire générale
de l'humanité. On ne la pas encore écrite; à
peine trouve- t-on chez les auteurs anciens, dans
les chroniques du moyen âge, et même dans les
livres de la plupart des historiens modernes, quel-
ques rares indications sur la condition des paysans
à chaque époque.
Dans les monarchies barbares de l'antique
Orient, Egypte, Assyrie, Perse, Inde, l'agriculteur
se trouvait réduit à la servitude ; il cultivait pour
autrui une terre qui ne lui appartenait pas. Il en
est à peu près de même dans la Grèce homérique :
le sol appartient aux princes ou à leurs compa-
gnons; les fermiers d'Ulysse, Eumée, Philétios,
sont esclaves. Dans la Grèce historique, du vi' au
II» siècle avant notre ère, il est difficile de se ren-
dre exactement compte de ce qu'était la condition
de la classe vouée à la culture de la terre; il sem-
ble qu'il y eut, à côté des esclaves ruraux em-
ployés sur les grands domaines de l'aristocratie,
un certain nombre de peiits propriétaires libres;
mais la population des campagnes était politique-
ment subordonnée à celle des cités : les citoyens
commandaient, les paysans n'avaient pas de part
au gouvernement. Athènes seule faisait exception:
les communes rurales avaient été fondues dans la
les fouriéristes, la raison est supérieure à la pas- grande communauté urbaine ; toute l'Attiqtie ne
sion : c'est à elle qu'appartient le gouvernement formait qu'une seule cité, et l'habitant de Mar^a-
de la vie humaine, et si l'homme ne doit pas être thon, d'Eleusis ou de Colone avait les mêmes droits
exclusivement une raison sèche et froide, encore | que celui de la métropole. Mais, là même, à cota
PAYSANS
— 1531 —
PAYSANS
(les agriculteurs libres et citoyens, il y avait uni3
liopuluilou scrvile, et le petit propriétaire qui cul-
liv.iit lui- môme ses quelques arpents de terrain
M\ faisait aider par des esclaves.
Aux premiers temps de Borne, la culture des
I hanips était le travail le plus honoré ; le patricien
vivait volontiers sur ses terres, et tenait lui-
nifime le manclie do la charrue. Cependant il ne
faudrait pas se représenter le peuple romain,
mCime dans son âge héroïque, comme une commu-
nauté de travailleurs libres et égaux; le vertueux
Cincinnatus avait des esclaves ; en outre, si la
simplicité de ses mœurs passa en exemple h la
postérité, c'est quelle n'était pas commune; il y
avait, dès celte époque, des Romains riches qui
vivaient à la ville du revenu de leurs domaines ; il
y avait aussi une population d'hommes libres, mais
non propriétaires (les prolétaires), qui louait ses
bras aux détenteurs du sol , patriciens ou
plébéiens enrichis. Il vint un temps où, le nom-
bre des esclaves s'étant immensément accru, les
prolétaires, qui ne trouvaient plus h s'employer et
qui demandaient à la République de lis nourrir,
constituèrent pour l'Etat une charge et un danger :
c'est alors qu'à plusieurs reprises, les tribuns
proposèrent que les terres publiques, conquises
sur les peuples italiens et dont les patriciens s é-
talent illégalement a|iproprié la jouissance, fussent
distribuées aux citoyens pauvres ; ils voulaient,
par la loi agraire, constituer une classe nom-
breuse de petits propriétaires. Cette tentative
échoua ; tout le sol italien fut bientôt la proie
d'un petit nombre de maîtres, qui faisaient cul-
tiver leurs immenses domaines par des troupeaux
d'esclaves; le même système d'exploitation fut
introduit dans les provinces, Sicile, Gaule, Espa-
gne, Afrique ; l'agriculture déclina, et le vaste ter-
ritoire de l'empire romain aurait eu peine à nour-
rir ses habitants, sans la fertilité exceptionnelle
de quelques districts, les greniers de Rome. Le
travail de la terre ne fut plus considéré que
comme une occupation servile. Les esclaves ru-
raux, ou colons, formaient les neuf dixièmes de la
population totale; moins durement traités que les
esclaves domestiques, ils avaient le droit de pos-
séder, de contiacter mariage légalement; ils
payaient à leurs propriétaires une redevance ; enfin,
ils ne pouvaient être vendus sans la terre à laquelle
ils étaient attachés, ni celle-ci sans eux.
Lorsque le christianisme eut Templacé les
vieux cultes païens, et la domination des barbares
celle des empereurs, rien ne fut changé dans la
condition de la classe agricole ; elle demeura es-
clave. Nous n'entrerons pas ici dans le détail de
ce que fut la servitude à l'époque barbare et féo-
dale ; nous ne rappellerons pas les misères du
malheureux paysan, les dures exactions dont on
l'accablait, les horribles cruautés auxquelles il
était en butte ; nous renvoyons à l'article Scr-vnge.
Il ne faudrait pas croire, cependant, que l'escla-
vage du paysan fût universel en Occident, et que
la main de fer des barons féodaux eiit réussi à
imposer partout un joug uniforme. Des circon-
stances locales, géographiques ou historiques,
avaient pu préserver de la servitude un district,
une province, toute une région ; les paysans y
étaient restés ou devenus maîtres du sol qu'ils
cultivaient, et avaient réussi à maintenir leur in-
dépendance. C'est ainsi qu'en Gaule, les popula-
tions agricoles de la Bretagne, de certains districts
T des Cévennes, des Alpes, des Pyrénées, avaient
■ échappé longtemps à l'asservissement général. En
Espagne, après l'invasion arabe, les chrétiens ré-
fugiés dans les Asturies y avaient constiiué une
nation égalitaire, où tout paysan était libre et
gentilhomme. En Grande-Bretagne, beaucoup de
vaillants Saxons avaient refusé d'accepter la domi-
nation des seigneurs normands, et maintenaient
par les armes leur flère indépendance; les com-
munautés des montagnards gallois et écossais
n'avaient jamais connu de maître. Enfin, dans
l'Europe du centre, du Nord et de l'Est, parmi les
populations germaniques et slaves, la féodalité
n'avait pris pied que lentement ; les paysans
avaient conservé, partout où ils l'avaient pu, leur
organisation primitive on communautés possédant
collectivement le sol, et plus d'un petit peuple
avait su garder ses franchises, les Suisses grâce à
leurs montagnes, les Frisons grâce à leurs marais.
On sait combien de fois, durant le cours du
moyen âge, les malheureux serfs des campagnes
réduits au désespoir protestèrent par des révol-
tes, toujours étouffées dans le sang, contre la bru-
talité de leurs seigneurs. Ces rébellions sans cesse
renouvelées n'aboutissaient qu'à des massacres
périodiques ; il semblait que le paysan fût à per-
pétuité condamné à vivre dans la condition d'une
bote de somme. Cependant, au xiv"^ siècle, on peut
croire un moment que les choses vont changer. Un
roi de France, Louis le Hutin, a solennellement
reconnu que « selon le droit de nature, chacun
doit naître franc, « et a offert la liberté aux serfs
qui voudront l'acheter; la puissance des seigneurs
décline devant l'autorité royale; les villes s'éman-
cipent en Flandre, elles obtiennent, en Angleterre
et en France, d'avoir des représentants au Parle-
ment et aux Etats généraux. Après le désastre de
Poitieis, la bourgeoisie parisienne, sous la con-
duite d'Etienne Marcel, tente une révolution poli-
tique et veut mettre l'autorité royale en tutelle.
L'esprit de révolte gagne alors les campagnes ; les
serfs de l'Ile-de-France, de la Champagne, de la
Picardie, se soulèvent (1368), massacrent les sei-
gneurs, brûlent les châteaux, et, s'organisant en
armée, annoncent l'intention de détruire la no-
blesse dans tout le royaume. La Jacquerie appor-
tait à Marcel un renfort inespéré : les bourgeois de
Paris, après quelque hésitation, s'allièrent avec
les paysans insurgés. De leur côté, les princes
(Charles de Valois et Charles de Navarre, devant le
péril commun, firent trêve à leur querelle; toutce
que la noblesse put réunir de furces fut envoyé
contre les Jacques. Ceux-ci furent défaits devant
la citadelle de Meaux, puis vaincus encore en plu-
sieurs rencontres par le roi de Navarre et le cap-
tai de Buch. Bientôt, privés de chefs, et incapables
de tenir tête à des adversaires bien armés, les
paysans virent leur cause perdue. Les seigneurs
se vengèrent, par des supplices affreux et une
extermination générale, de la rébellion qui avait
failli détruire leur pouvoir; au bout de quelques
semaines, la Jacquerie n'était plus qu'un sanglant
souvenir. La défaite des paysans entraîna la sou-
mission des Parisiens, qui, après l'assassinat de
.Marcel, durent ouvrir leurs portes au dauphin
Charles.
Vingt-cinq ans plus tard, une autre Jacquerie
éclatait en Angleterre. Les paysans révoltés, sous
le commandement de Wat-Tyler, s'emparèrent do
Londres ; mais, trompés par de fausses promesses,
ils se dispersèrent, et furent ensuite massacrés
par les troupes royales. La même année précisé-
ment (1382), les communes flamandes étaient
écrasées à Rosebeke, et Paris perdait de ses der-
nières libertés. Le xiv^ siècle s'achevait dans l'Eu-
rope occidentale par le triomphe des nobles et de
la royauté sur la bourgeoisie et les paysans. Pas
partout, cependant. Les paysans des montagnes
suisses avaient fait leur jacquerie aussi, et ils
étaient demeurés victorieux des seigneurs féo-
daux; les batailles de Morgarten, de Laupen, de
Sempach, de Na;fels, avaient consacré leur affran-
chissement.
L'émancipation des serfs n'avait pu s'accom-
plir d'un seul coup, par une révolution ; elle se fit
graduellement. Durant les xv« et xvi" siècles, en
PAYSANS
— 1532 —
PAYSANS
France, la condition des paysans s'améliora peu à
peu : un nombre toujours croissant d'entre eux
achetèrent leur liberté; mais, quoique devenu
libre de sa personne, le paysan n'en demeurait pas
moins soumis aux innombrables droits féodaux,
corvées et redevances.
Le commencement du xvi' siècle fut signalé, en
Allemagne, par une révolte générale des paysans
de la Souabe, de la Franconie et de l'Alsace, qui
demandaient, au nom des préceptes de l'Evangile,
un allégement des charges qui pesaient sur eux
(lôvâ). (je soulèvement fut étouffé dans des flots
de sang.
A la lin du même siècle, les paysans russes, qui
jusqu'alors avaient été des hommes libres, furent
réduits à la condition de serfs par un édit du tsar
Boris Godnunoir.
Au XVII' siècle, l'histoire s'occupe rarement des
paysans ; ils ont renoncé presque partout aux re-
vendications violentes, et semblent résignés à leur
sort, qui, pour être moins horrible qu'au moyen
âge, est encore bien digne de pitié. On connaît la
page que La Bruyère a consacrée aux paysans
français : « L'on voit certains animaux farouches,
des mâles et des femelles, répandus par la cam-
pagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, atta-
chés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent
avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une
voix ariiculée, et, quand ils se lèvent sur leurs
pieds, ils montrent une face humaine, et en effet
ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dan"! des
tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de ra-
cines; ils épargnent aux autres hommes la peine
de semer, de labourer et de recueillir pour vivre,
et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain
qu'ils ont semé. » On sait aussi avec quelle légè-
reté M"' de Sévigné raconte les penderies qui eu-
rent lieu en Bretagne à la suite de l'émeute de
IG7Ô, provoquée par le manqut de loi de Louis XIV
qui avait violé les droits reconnus de la province ;
•• On dit qu'il y a cinq ou six cents bonnets bleus
en lîasse-Bretagne qui auraient grand besoin d'être
pendus pour leur apprendre à parler... Nos pau-
vres Bas-Bretons s'attroupent quarante, cinquante
par les champs ; et dès qu'ils voient les soldats, ils
se jettent à genoux, et disent rj.eà culpâ : c'est le
seul mot de français qu'ils sachent. . . On ne
laisse pas de pendre ces pauvres Has-Breton*;
ils demandent à boire et du tabac, et qu'on les dé-
pêche. » Veut-on enfin un tableau de la situation
ilu peuple des campagnes vers la fin du règne de
Louis .MV ? voici comment s'exprime Vauban dans
la préface de la Dixtne royale, en dépeignant les
ahus exercés dans la levée des impôts : « Il est cer-
t.iin que ce mal est poussé à l'excès, et que si l'on
n'y remédie, le menu peuple tombera dans une ex-
Mémité dont il ne se relèvera jamais; les grands
<liemins de la campagne et les rues des villes et
<1"S bourgs sont pleins de mendiants, que la faim et
l'i nudité cliassent de chez eux... Par toutes les
r.-'cherclies que j'ai pu faire, depuis plusieurs an-
liéesque je m'y applique, j'ai fort bien remarqué que
<l.ms ces derniers temps, près de la dixième partie
ilii peuple est réduite à la mendicité, et mendie ef-
fectivement ; et que des neuf autres parties, il y en
a cinq qui ne sont pas en état de faire l'aumône k
celle-là, parce qu'eux-mêmes sont réduits, à très
pende chose près, à cette malheureuse condition...
n Je me sens encore obligé d'honneur et de con-
science de représenter à Sa Majesté qu'il m'a paru
que, de tout temps, on n'avait pas eu assez d'égard
en France pour le menu peuple, et qu'on en avait
fait trop pou de cas ; aussi c'est la partie la plus
ruinée et la plus misérable du royaume ; c'est elle
cependant qui est la plus considérable par son
nombre, et parles services réels et effectifs qu'elle
lui rend. Car c'est elle qui porte toutes les char-
ges, qui a toujours le plus souffert et qui souffre
encore le plus ; et c'est sur elle aussi que tombe
toute la diminution des hommes qui arrive dans
le royaume. » Ces paroles courageuses valurent à
Vauban la disgrâce royale.
Sous l'influence des idées propagées par les
philosophes et les économistes du xviii' siècle,
l'opinion publique commença enfin à se préoc-
cuper du sort des paysans. Voltaire plaida en fa-
veur des serfs ecclésiastiques de Saint-Claude;
Louis XVI émancipa les derniers serfs de la cou-
ronne. En Suisse, les populations rurales, oppri-
mées par les gouvernements oligarchiques, com-
mencent à réclamer l'égalité politique. L'Europe
s'était enthousiasmée pour les vxsurgents améri-
cains, qui avaient proclamé les premiers les droits
de l'homme. Plusieurs souverains philanthropes
essayèrent des reformes dont les agriculteurs, dé-
sormais respectés, devaient bénéficier. Mais !e
lourd édifice de la féodalité subsistait toujours ;
une révolution seule pouvait le détruire. Ce fut la
France qui en prit l'initiative. La nuit du 4 août
1189 emporta le régime féodal, et bientôt après,
par la vente des biens du clergé et de la noblesse,
la terre passa aux mains des paysans, devenus en
même temps citoyens et propriétaires.
Le contre-coup de la Révolution française se fit
sentir plus ou moins promptement dans l'Europe
entière. Certains pays conservèrent les vieux abus
féodaux pendant un demi-siècle encore; ainsi
l'Autriche, où le paysan ne fut émancipé définiti-
vement qu'en 1848. Dans beaucoup de monarchies,
l'aristocratie, en perdant ses droits sur le paysan,
conserva la propriéié de la terre, en sorte que les
populations agricoles n'ont pu y arriver à la pos-
session du champ qu'elles cultivent ; on sait i|uclle
misère et quelle agitation a produites en Irlande
une situation semblable, qui s'y perpétue depuis
des siècles et s'aggrave de la haine de races. La
Russie n'a aboli le servage qu'en 1861.
A l'heure qu'il est, on peut dire que les pays
civilisés se répartissent, au point de vue de l'agri-
culture et de la condition économique du paysan,
en deux catégories : les pays de petite et ceux
de grande propriété. La France est le type des
premiers, l'Angleterre celui des seconds. La
petite culiure favorise l'effort individuel ; elle
offre l'avantage de faire participer à la propriété
une proportion très considérable des travailleurs
agricoles; mais elle est restée, jusqu'ici, un obs-
tacle à l'application des perfectionnements que
la science moderne a apportés aux procédés d'ex-
ploitation du sol ; la grande culture, au contraire,
permet d'utiliser facilement ces procédés pour
obtenir à moins de frais une production plus
abondante ; mais les inconvénients d'un système
qui monopolise entre les mains d'un petit nombre
de privilégiés le territoire entier d'un Etat sont
tels, qu'ils ont fait naître, chez dos économistes
comire Stuart Mill, l'idée de la. nattû/ialisatio?i du
sol. Nous n'aborderons pas ces questions, qui ne
rentrent pas directement dans notre sujet, et nous
arrêtons ici ce rapide aperçu, en renvoyant, pour
d'autres détails, aux articles spéciaux que ce Dic-
tionnaire contient sur divers sujets touchant à
l'agriculture ou à l'histoire des paysans.
Lectures et dictées. — Le paysan français et la
liéoolu'ion. — Qu'est devenue maintenant la race
timide et servile qui portait la tête si bas, la bête
encore à quatre pattes '? Je ne peux plus la trouver.
Aujourd'hui ce sont des hommes.
Il n'y eut jamais un labour d'octobre comme
celui de 01, celui où le laboureur, sérieusement
averti par Varennes et par Pilnitz, songea pour
la première fois, roula en esprit ses périls, et
toutes les conquêtes de la Révolution qu'on vou-
lait lui arracher. Son travail, animé d'une indigna-
tion guerrière, était déjà pour lui une campagne
en esprit. 11 labourait en soldat, imprimait à la
PAYS-BAS
— 1533 —
PAYS-BAS
charrue le pas militaire, et, louchant ses botes
d'un plus sévère aiguillon, criait à lune: << H u 1
la Prusse! ", à l'autre: « Va donc Autriche -
Le bœuf marchait comme un clieval, le soc allait
âpre fit rapide, le noir sillon fumait, plein de
souffle et plein de vie.
C'est que cet homme ne supportait pas patiem-
ment de se voir ainsi trouble dans sa possession
récente, dans ce premier moment où la dignité
humaine s'était éveillée en lui. Libre et foulant
un champ libre, s'il frappait du pied, il s.ntait
dessous une terre sans droit ni dîme, qui déjà
était à lui, ou serait à lui demain... Plus de sei-
gneurs ! tous seigneurs! tous rois, chacun sur sa
terre, le vieux dicton réalisé: « Pauvre homme,
en sa maison, Roi est. »
Et en sa maison, et dehors. Est-ce que la France
entière n'est pas sa maison, maintenant? Hier, il
venait, tremblant, mendier la justice par devant
I^esswurs, comme si c'était une grâce; il fallait
payer d'abord, puis l'on se moquait de lui. Lui-
mcme aujourd'hui est juge, et il rend gratis la
justice aux autres. Le voilà, ce paysan, assesseur
du juge de paix, membre du conseil municipal,
l'un des treize cent mille nouveaux magistrats,
électeur (il y en avait entre trois et quatre mil-
lions] s'il paie l'impôt de trois journées de travail
par an. Et qui ne le paiera pas, qui ne sera pro-
priétaire, au prix où la terre se donne, s'ofiiant
avec de» délais si faciles, venant dire en quelque
sorte : « Prends-moi ; lu paieras quand tu pourras. »
La première récolte sulfisait souvent pour payer,
ou la première coupe, ou (luelques terres qu'on
revendait, ou quelque plomb pris d'un toit.
Mais ce n'est pas tout, mon ami, te voilà un
homme public, un citoyen, un soldat, un électeur;
te voilà bien respunsable. Sais-tu que lu as une
conscience qu'il te faut interroger? Sais-tu <iue ce
grand nombre de magistrats, incessamment re-
nouvelés, oblige tout le monde à son tour à de-
venir magistrat? C'est là en effet la grandeur de
la constitution de 91; laissant la puissance pu-
blique très faible, il est vrai, serrant très peu le
lien politique, restreignant peu, contraignant peu,
elle fait par cela même un appel immense à la
moralité individuelle. Loi aimable et confiante,
elle somme tous les hommes d'être bons el sages,
elle compte sur eux. Par son imperfection même
et son silence, la loi dit à l'homme : « N'astu pas,
dans ta raison, déjà une loi intérieure? Sers t'en
pour me suppléer au besoin, et deviens ta loi!...
Tu n'es plus un mallieureux serf, qui peut ren-
voyer à son maître le soin de la chose publique ;
elle est tienne, c'est ton affaire. A toi de la dé-
fendre et de la gouverner, à toi d'être, selon ta
force, la providence de l'Etat. »
Cet appel muet fut bien entendu. Ce ne fut pas
moins que l'éveil de la conscience publique dans
l'âme de l'individu. Une inquiète sollicitude de
l'intérêt de la patrie, de celui du genre humain,
remplit tous les cœurs. Tous se sentirent respon-
«ables pour la France, et elle-même pour le moiide.
Tous furent prêts à défendre, en la Révolution,
au prix de leurs vies, le trésor commun do l'hu-
manité. (Micbelet, Histoire de la Révolution fran-
çaise, tome IV).
PAVS-BAS (GÉouBAPHiE). — Géographie géné-
rale, \V.— I. Géographie physique. — Si7uaiî0H,
aspect général. — Le royaume des Pays Ras est
un Etat de 1 Europe centrale, limité à l'est par
l'empire d'Allemagne, au sud par le royaume de
Belgique, et enveloppé par la mer du .Xord du
côte de l'ouest et du nord.
Il tire son nom de sa situation topngraphique par
rapport aux pays voisins. C'est là que les trois
princi|iaux fleuves de la réginn avoisinante, le
Rhin, la Meuse et l'Escaut, vont finir dans la mer
par un grand nombre de bouches. Une bonne
partie du sol des Pays-Ras a été formée de leurs
alluvions, et l'ensemble du royaume forme une
vaste plaine qui émerge à peine au-dessus des
Ilots. Si, aux confins de la Prusse rhénane, du côté
d'Aix-la-Chapelle, on trouve quelques points du
territoire néerlandais atteignantjusqu'à "iOll mètres
d'altitude, partout ailleurs les rares collines de
50 mètres d'élévation forment des îlots distincts,
entourés de terres dont l'altitude dépasse de
quelques mètres seulement le niveau de la mer, et
descend même souvent au-dessous de ce niveau.
De fortes digues, construites à grand'peine, en-
tretenues avec grand soin, défendent ces terres
basses contre l'irruption des flots marins, et se
continuent le long des fleuves pour les empêcher
de promener leurs eaux de crue à travers les
champs cultivés.
Limites et contours. — Bien que la frontière qui
sépare les Pays-Bas du Hanovre allemand semble
conventionnelle sur la carte, les deux contrées
n'en sont pas moins naturellement séparées par
les marais et les tourbières qui s'étendent d'une
manière presque continue sur leur limite commune,
et que les armées romaines ne pouvaient déjà
franchir, à l'époque de leurs expéditions, que sur
de longues chaussées formées d'arbres abattus.
Du côté de la Belgique, la transition n'est pas
aussi marquée. On sait du reste que les deux États
n'ont été séparés l'un de l'autre qu'il y a une cin-
(luanlaine d'années.
Viiriatiom du littoral. — Quant à ses frontières
maritimes, qui sembleraient devoir être les plus
immuables, elles ont constamment changé, môme
depuis les temps liistoriques, sous l'influence des
tempêtes, des iléplacements des courants fluviaux
et maritimes, de l'affaissement du sol, comme on
l'a reconnu par plusieurs preuves irrécusables,
enfin par le travail de l'homme. Le plus souvent
les côtes de la Hollande sont bordées de dunes
sablonneuses, où l'humidité de la mer entretient
une végétation suffisante pour que les grains de
sable n'en soient pas emportés vers l'intérieur.
Ces dunes forment sur bien des points un rideau
protecteur contre l'invasion de l'Océan, mais quel-
quefois elles sont emportées parles flots.
Le Zuiderzée, sa formation. — Le Zuiderzée,
qui entaille profondément le territoire néerlandais,
n'était au moyen âge qu'un lac, l'ancien lac Flevo
des Romains, qu'une langue de terre, réunissant
la Hollande avec la Frise, séparait de l'Océan.
Depuis cinq cents ans, la mer, rompant cette faible
digue, en a fait un golfe. De même le Biesbosch,
archipel de canaux «t de terres marécageuses, qui
s'étend au sud de Dordreclit, était couvert de vil-
lages florissants, jusqu'à la nuit de la Sainte-Eli-
sabeth 1421, pendant laquelle il fut envahi par
les eaux et transformé en solitude désolée.
Les îles qui s'étendent au devant du Zuiderzée,
depuis le Helder jusqu'au golfe du Uollart où
déliouchc l Ems, et dont la côte extérieure continue
celle de Hollande, ont sans doute été rattachées
autrefois au continent.
On estiiue à G,OJn kilomètres carrés l'étendue
des terrains de la Ncerlande détruits par les inon-
dations ou les érosions de la côte, depuis le trei-
zième siècle. Les terrains reconquis par l'iioinine
n'atteignent pas une superficie aussi considérable,
38UU kilomètres carrés seulement, mais la valeur
en est bien supérieure à celle des terrains perdus.
Polders. — On donne le nom de polders à ces
terrains bas débarrassés des eaux qui les recou-
vraient, et mis en culture. Après la construction
des digues qui les entourent, les eaux en sont
épuisées par des moulins à vent (très nombreux
dans les Pavs-bas pour les difl'érents travaux de-
luandant de la furce motrice) et déversées dans des
canaux d'écoulement.
C'est ainsi qu'on a transformé en terres fertiles
PAYS-BAS
— 1534
PAYS-BAS
l'ancien lac ou mer de Har/em, vaste de 180 kilo-
mètres carrés. L'arcliipel de Biesboscli, presque
aussi vaste, sera reconquis à son tour. Ailleurs on
profile des apports de la mer pour constituer un
nouveau terrain solide. Ainsi une digue construite
entre la Frise et l'ile voisine d'Ameland arrête les
sables qu'y charrie l'Océan et ne tardera pas à
remblayer le détroit qui sépare actuellement l'ile
du continent.
Le projet le plus important dans ce genre do
travaux doit séparer de l'Océan toute la partie
méridionale du Zuiderzée et y créer près de
200000 hectares de terrain cultivable.
Pour fertiliser toutes ces terres, les Hollandais
ont à leur disposition les 18 millions de mètres
cubes d'alluvions fertilisantes que le Rhin, la
Meuse et l'Escaut vontcncore perdre chaque année
à la mer.
Climat. — Traversés par le 3' degré de longitude
E. de Paiis et le 5'2' de latitude N., les Pays-Bas
appartiennent par leur situation géographique h la
zone tempérée. Le voisinage de lOccaii y modère
les variations de température ; il ne fait jamais ni
trop chaud, ni trop Iroid en Hollande. La tempé-
rature moyenne de La Haye est de 18 à 19" cen-
tigrades pendant l'été, et de 3 à 'i" au-dessus de
zéro prndant l'hiver. La pluie n') tombe pas en
grande abondance, GS centimètres d'eau seulement
dans toute l'année. Cela n'empêche pas le climat
d'être excessivement humide, à cause des brumes
de la mer, et de la grande étendue des tourbières,
lacs et canaux couverts d'eau. Aussi est-il loin
d'Être sain, l.a vie moyenne est assez courte en
Hollande (en dessous de 40 ans), et la uionalité
par les fièvres très fréquente.
C'est par une propreté excessive que les Hollan-
dais luttent contre ces conditions défavorables.
Partout les maisons, les étables même, sont entre-
tenues et nettoyées avec des soins minutieux, qui
paraissent quelquefois ridicules aux étrangers.
Fleuves. — Les fleuves qui traversent les Pays-
Bas ont bien des fois déplacé leur cours au travers
des campagnes basses qu'ils arrosent. Tandis que
<lans notre hémisphère les fleuves tendent en gé-
néral, à cause du niouvemetit de rotation du globe,
à se détourner vers leur droite, c'est au contraire
vers leur gauche que se déplacent les cours d'oau
de Hollande. Gt-la tient à ce que les marées sont
beaucoup plus fortes au sud de la Hollande, vers
l'embouchure de l'Escaut, qu'à la latitude du Zui-
derzée. Il en résulte qu'au moment du jusant, les
fleuves descendent vers le point de lOccan où la
mer est au niveau le plus bas, c'est-i-dire au sud ;
et, au moment du flot, c'est encore du môme cùté
que se font sentir le plus fortement les courants
de marée et que se creusent davantage les chenaux.
Tandis que la direction générale suivie par le
Rhin à travers la Prusse rhénane le conduirait au
N.-O. dans le Zuiderzée, c'est la branche la plus
faible du fleuve, VYssel, qui suit cette voie en tra-
versant la Gueldre, où elle rencontre successive-
ment les villes de Deventer et de Zwolle.
L'Yssel n'est considérable qu'en temps du crue.
La plus grande masse des eaux du fleuve s'infléchit
i l'ouest: l'une de ses branches, le Waluil, passe à
Mmègue, célèbre par le traité de la fin du
xvii' siècle, et va se mêler à la Meuse un peu en
amont de Gorcuui; la seconde, le Leic, après avoir
arrosé Arnheim. se partage encore en deux nou-
veaux canaux, i.e. plus faible se dirige au N.-O.,
passe h Utrecht tt à Lcyile et va finir dans la mer
du Nord, non loin de cette dernière ville. C'est le
seul qui, jusqu'à son enibouihure, garde le nom
de Rhin. La grande masse du Lek se mêle ù, la
Meuse en amont de Rotterdam et va tomber dans
la mer du Nord à l'ouest de cette ville. Elle ali-
mente les canaux qui divisent la Hollande méri-
dionale en un grand nombre d'îles.
La Meuse, partageant le Limbourg entre la Bel-
gique et les Pays-Bas, passe au pied des remparts
de Maestricht, la capitale du Limbourg hollandais,
puis elle coule au N.-E. par Rurenumde i-t Venlo,
comme si elle allait se joindre au Rhin vers Wé-
sel, mais, à Venlo, elle se recourbe au N.-O., puis
à l'O., pour mêler ses eaux Scelles du Rhin, ainsi
que nous l'avons vu plus haut.
Quant kVEscuut. il enveloppe de ses eaux, cou-
lant dans de véritables bras de mer, les îles de la
Zélande, la plus méridionale des provinces qui se
sont unies pour former le royaume des Pays-Bas.
A gauche de l'Escaut occidental s'ouvre le port da
Terneuze, où aboutit le canal du sas de Gand ; à
droite de la même branche, Flessingue i êve d'en-
lever à Anvers son giand rôle maritime. Le che-
min de fer qui relie Flessingue au continent tra-
verse l'Escaut oriental, que des bancs de sable
envahissent et ferment à la navigation devant la
fameuse citadelle de Berg-Op-Zoom.
II. Géographie oomineroiale. — Canaux de
navirjalion. — Ces rivières navigables, dont on
évalue à 1 850 kilomètres la longueur totale, sont
complétées par un vaste système de canaux, dont
le développement atteint près de 2 500 kilomètres.
Ce sont les vraies artères de la vie en Hollande.
Elles s'étendent de tous les cotés, reliant entre
elles toutes les villes importantes, traversant les
campagnes, où elles permsttent d'apporter écono-
miquement les engrais et les ainendements_ de
toute nature. Quelques familles de petits négo-
ciants ambulants, en Hollande comme en Chine,
n'ont d'autre demeure que leurs bateaux. Dans
ce pays, tout coupé de rivières, de canaux d.e
navigation et d'écoulement, presque partout formé
de terres molles sans consistance, les routes sont
coûteuses à construire. Au commencement du siè-
cle, les villes les plus importantes n'étaient reliées
entre elles par aucune route de terre et ne co.ii-
muniquaient que par eau. Aujourd'hui les routes
suivent surtout le haut des digues, qui fournissent
aux chaussées une base solide et sont garnies de
briques, faute d'autre moyen économique d'em-
pierrement. Quant aux chemins de fer, ce n'est
que tardivement que les Hollandais se sont mis à
l'œuvre pour constituer leur réseau, persuadés
qu'ds étaient que les routes d'eau étaient pour
eux les meilleures. Maison trouveraitdifiicilement
ailleurs que sur les chemins de fer hollandais
des travaux d'art où l'on ait rencontré plus da
difficultés h. vaincre, et dont l'exécution fasse plus
d'honneurauxiuïéniours. Leponlde Muei-dijk,s\a
le Hollandsche-Diep, entre Bréda et Dordrechl, est
une merveille de hardiesse.
Parmi les canaux de la Hollande, les plus impor-
tants sont ceux qui donnent accès à la navigation
maritime.
Depuis une soixantaine d'années, le port d Am-
sterdam, inaccessible aux grands navires par la
voie du Zuiderzée, était relié à la mer du Nord,
au Helder, par le canal du Nord, profond de plu-
sieurs mètres etqui traverse dans toute salongucur
iplus de 80 kilomètres) la péninsule de Hollande.
Mais, ce canal devenant à son tour insuffisant,
on l'a remplacé par un canal qui se dirige tout
droit vers l'Océan, à l'ouest d'.\msterdam, et que
peuvent suivre les plus forts navires actuellement
en usage. La Meuse, à l'ouest de Rotterdam, e^t
en train d'être aussi aniiiliorée à son tour.
Commerce maritime. — C'est par la marine que
les Hollandais ont fondé leur puissance et acqtiis
leurs richesses. Il y a deux ou trois siècles, ils
étaient les convoyours des nations étrangères sur
toutes les mers et jouaient le rôle dont se sont
depuis emparés les .\iiglais. Leur talent pour pê-
cher et pour préparer les poissons, tels que les
harengs, fournissait à, la population une nourri-
ture économique. De plus, ils avaient suc:édo aux
PAYS-BAS
— 1535
PAYS-BAS
Portugais dans le rûle de grands fondateurs de
colonies, et, actuellement encore, ils possèdent
dans l'archipel asiatique un empire colonial beau-
coup plus vaste, plus peuplé et plus productif que
la mère patrie. (V. Colonies.)
C'est de Java que l'on tirait naguère encore
tontes les ressources nécessaires pour soulenir
rc(iuilibre du budget de la métropole, sans con-
tracter des emprunts comme tous les autres États
européens.
Actuellement lo rôle maritime des Pays-Bas a
beaucoup perdu de son importance relativement Ji
celui dos autres États, tant sous le rapport du
tonnage de la flotte commerciale que sous celui
du trafic effectué par cette flotte. Mais d'une ma-
nière absolue, il n'a pas décru. Les relations sont
très actives entre les Pays-Bas et les colonies de
la Malaisie, et entre l"s P.iys-Bas et les contrées
maritimes voisines : la Belgique, l'Allemagne,
la Piussie, et la Grande-Bretagne. Les Anglais
viennent clierclier li beaucoup d'approvisionne-
ments : beurre, fromage, bétail, œufs, volailles,
dont ils manquent cliez eux. L'Allemagne expédie
aussi par les Pays-Bas une partie de ses mar-
chandises lourdes. Les radeaux de bois qui des-
cendent le Rhin s'arrêtent à Dordrecht, où ils sont
dépecés, et leurs billes de bois livrées aux mou-
lins à vontdu voisinage y sont débitées sous toutes
les formes. Les navii-es de mer se chargent a Rd-
lerdam, le plus actif des ports de commerce delà
Hollande, qui entretient des relations avec le Congo
et autres pays ; les bateaux qui remontent vers
l'Allemagne, y reportent, entre autres matières
de chargement, des minerais importés d'outre-
mer pour les usines de la Prusse rîiénano.
Après Rotterdam, ville de près de l.joouO habi-
tants, le plus imporlant des ports est celui d'.'li«-
stefdam ; cette ville, qui est la plus peuplée du
royaume (.'ÎOO 000 hab.), en est véritablement la
capitale, bien qu'elle ne soit la résidence ni du
souverain, ni des chambres, ni du corps diploma-
tique, qui résident et siègent k La Haye.
Bien placée à l'angle S.-O. du Zuiderzée, au
point où les bouches du Rhin et de la Meuse sont
les plus voisines de ce golfe, Amsterdam tire son
nom de la rivière d'Amstel, qui débouche dans le
golfe de l'Y, baie secondaire du Zuiderzée.
Ce n'est pas une ville remontant au temps des
Romains, comme Nimègue ou Leyde ; ses dé-
buts no datent que de cinq cents ans environ;
mais elle a déjà occupé et occupe encore une
grande place dans le monde commercial pour les
atTaires de banque ; aujourd'hui on y fabrique des
machines hydrauliques ei autres; les constructions
navales, les rafflneries de sucre, les distilleries
et fabriques de liqueurs y sont considérables.
Centre dos beaux-arts en Hollande, Amsterdam
possède des collections admirables de tableaux;
pendant lon;;temps c'est à Amsterdam qu'on pu-
bliait les belles éditions, ou les livres que la cen-
sure eût interdits dans les pays voisins soumis à
un régime moins libéral. On fabrique encore dans
les environs de beau papier, qui est recherché par
les libraires étrangers. Enfin cette ville a eu long-
temps le monopole de la taille des diamants.
Il a fallu bien des efforts pour élever une ville
aussi considérable etaussi importante sur nn vérita
ble marécage, où les maisons, i eposant toutes sur
des masses de pilotis, ont fait comparer la ville h
une forêt sans branchage i eiournée sens dessus des-
sous. Erasme disait connaître une ville » dont les
habitants vivaient comme des corbeaux perchés
sur des arbres. »
Coupée de nombreux canaux, Amsterdam a été
comparée i Venise ; très juste sur un plan, cette
comparaison cesse d'être vraie quand on passe du
beau ciel et de l'atmosphère limpide de l'Adria-
tique aux brunies de la mer du Nord. La capitale
de la Il(dlande est une des villes les plus malsaines
et les plus atteintes par ks épidémies qu'on
puisse rencontrer en Europe.
Avec le liekler, qui offre une bonne radeàl'en-
trée du Zuiderzée, et Fli'xsiîigue, dont nous avons
dit les prétentions, voilà les principaux ports de
commerce de la Hollande.
Ses ports de rivière sont beaucoup plus nom-
breux; il faudrait énumorer presque toutes les
villes de l'intérieur : Maesti'icld, sur la Meuse,
charge de nombreux bateaux de la craie marneuse
qui forme la montagne de Saint-Pierre, pour aller
combler et amender les polders des Pays-Bas;
BoU-le-l.'uc, la capitale du Brabant hollandais,
importe aussi tant de matières premières pour ses
fabriques diverses de toiles et de draps, que l'ac-
tivité de son port peut être comparée à celle des
grands ports de mers.
III. Géographie industrielle et commerciale.
— Industrie. — Les Pays-Bas ne sont pas un
pays de grande industrie, comme la Belgique
ou l'Angleterre. On n'y trouve un peu de houille
que dans le Limbonrg; le coiubustible minéral est
fourni par les tourbières qui occupent encore une
vaste superficie ^des milliers d'hectares dans les
provinces orientales, le long de la frontière d'Al-
lemagne, et dans la Hollande proprement dite,
entre le Rhin et le Helder). Attaquées sur une
foule de points par les agriculteurs, qui y étendent
leurs domaines, les tourbières diminuent sans
cesse d'étendue. Ce sont les moulins à vont qui,
en Hollande, remplacent les moteurs à vapeur et
les chutes d'eau usitées dans les autres pays.
Nous avons déjà parlé de l'industrie d'Amster-
dam ; Rotterdam a aussi dans ses environs, notam-
ment à' Sc/aeJam, de ti-ès nombreuses distilleries.
On fabri(|ue en Hollande beaucoup de briques qui
servent au pavage des routes et à la construction,
et des poteries \Delft, entre Rotterdam etLa Haye,
a eu longtemps une grande réputation sous ce
dernier rapport ; Maestricld a d'importantes ver-
reries.
Les toiles de Hollande jouissaient aussi d'une
grande réputation. Elles venaient en partie de
Saxe pour être blanchies sur les prés de Ilaticm.
La mode est passée des velours d'Utrec/it, mais
Leyde fabrique des couvertures de laine et TU-
bourg, dans le Brabant, des draps.
Agriculture. — C'est l'^igriculture qui occupe
le plus de bras et fait actuellement la prospéi'ité
des Pays-Bas. Bien que la sixième partie du sol
soit recouverte par les eaux et que les tourbières
et autres terres incultes occupent encore une plus
vaste étendue, les Pays-Bas nourrissent une popu-
lation de près de 4 millions d'hommes sur un ter-
ritoire de 32 310 kilomètres carres. C'est une
population spocilique de 128 habitants par kilo-
mètre, qui n'est dépassée qu'en Uelgique et dans
le royaume de Saxe.
Les prairies occupent on Hollande la plus grande
partie du sol cultivable et nourrissent une belle
race de vaches qui sont les meilleures laitières du
monde. Le fromage et le beurre qu'elles fournis-
sent sont une des grandes richesses du pays. Les
chevaux de la Frise sont recherchés pour leur légè-
reté 01 leur cléganre, ceux de la Zolande pour leur
grande taille et leur force.
On cultive aussi en Hollande beaucoup de lin,
du tabac, et on y fait beaucoup de jardinage. Lus
Holland;iis recherchent les plantes de luxe et
sont grands amateurs de fleurs. Harlem était le
pays de proJnct on de ces fameuses tulipes qui
atteignaient di'S prix fabuleux. Les pommes de
terre réussissent bien dans les terres sablon-
neuses, et l'espèce en est fort recherchée dans
les pays étrangers.
Malheureusement les forêts sont peu étendues
dans cepiys; elles ont disparu du littoral qu'elles
PAYS-BAS
— 1336 —
PAYS-BAS
recouvraient presque entièrement autrefois et oi
elles pouvaient avantageusement garnir les dune
sablonneuses et autres landes incultes. La H'ii/e
la capitale, a été bâtie au milieu d'une des rare-
forêts conservées, qui fait précisément le charme
de cette résidence.
IV. Géographie politique. — Divisions. — Le
royaume des Pays-Bas est formé de la réunion
de onze provinces :
A l'ouest du Zuiderzce : la Hollande septentrio-
nale, chef-lieu Harlem, et la Hollande méridio-
nale, chef-lieu La Haye.
A l'est du Zuiderzce : Groningue, chef-lieu Gro-
ningue ; la Frise, chef-lieu Leeuvvarden ; Drenthe,
chef-lieu Assen ; Over-Yssel, chef-lieu Zwolle ;
Giielilre, chef-lieu Arnheim.
Au sud du Zuiderzée : Wrec/if, chef-lieu Utrecht.
Au sud du royaume, le long de la Belgique, lu
Zélande, chef-lieu Middelbourg, presque entière-
ment formée des îles entourées par les bouches
de l'Escaut ; le Bruljunl hollandais ou septentrio-
nal, chef-lieu Bois-le-Duc, et le Limbuurg hullan-
duis, chef-lieu Maestricht.
De toutes ces provinces, la Hollande est la plus
riche, la plus peuplée et a joué historiquement le
plus grand rôle. C'est pourquoi ou dit très sou-
vent la Hollande en parlant du royaume toutentier.
Population. — La population est très inégale-
ment répartie entre ces diverses provinces : de
250 habitants en moyenne par kilomètre carré
dans les deux provinces de Hollande, de plus de
lOi) dans Ltrecht, la Zélande, le Limbourg et Gro-
ningue, elle descend jusqu'à 44 habitants seule-
ment au milieu des tourbières de la Drenthe.
Celte population, d'origine frisonne, franqne et
saxonne (c'est sur son territoire qu'habiiaient
les Francs Salions, auteurs de la loi saliquc^, s'est
mélangée dans les temps modernes d'émigrés
fuyant la persécution politique ou religieuse, pro-
testants français émigrés à la suite de la révocation
de l'édit de Nantes, Juifs portugais, etc. Dans la
ville de Maestricht, le français est parlé par la
moiiié des habitants.
La religion protestante domine actuellement
dans les Pays-Bas. On y compte 2 2(J0 nOU protes-
tanis, 1 3U0 ÛOU catholiques, 70 000 Israélites. C'est
en Hollande qu'a pris naissance la secte des frères
Muraves.
Gra?ides villes. — Trois villes seulement ont
une population supérieure à 100 000 habitants :
Amsterdam, 300 000; Rotterdam, HO 000; Lh
Haye, UOUOO.
Uliecht, célèbre dans l'histoire par l'union qui
y fut conclue en l5T.i, entre les diverses provinces
néerlandaises, pour former une république fédé-
rale, puis par le traiié de 1713, qui mit fin à la
guerre de la succession d'Kspagne; Utrecht, où
les Etats-Généraux de la Hollande se réuniront
jusqu'à ce qu'ils fussent transférés à La Haye, est
une ville de 70 000 âmes. C'est le siège de l'ar-
chevêché catholique de la Hollande et celui de
l'archevêque des vieux catholiques. C'est en même
temps le »iège de l'une des quatre universités du
royaume. Les trois autres sont h Amsterdam, Lei/de
et GiO/.iHjue. (Ces deux dernières villes renferment
chacune une quarantaine de mille ànies.)
Gniivemement. — Le royaume des Pays-Bas
forme une monarchie constitutionnelle héréditaire.
Le roi nomme le bourgmestre de chaque com-
mune, dont le co/iseil municipal est élu par les
électeurs payant un certain cens. Le suffrage n'est
donc pas universel.
Le roi nomme aussi les commissaires présidant
les conseils de chaque province ou Etats provin-
ciaux, dont les membres sont choisis par des élec-
teurs astreints à payer un cens plus élevé et à
avoir atteint un âge plus avancé que les simples
cliicteurs municipaux.
Les mêmes électeurs nomment la deuxième
5 Charnière législative Avi royaume. Mais, au lieu de
coïncider avec les limites des provinces, les dis-
tricts électoraux sont découpés dans la surface de
tout le royaume, de façon que chaque député re-
présente un même nombre d'habitants.
La première chambre, qui forme avec les députes
Vasseuiblée des Etat^-Généraui, Cat nommée par
les Etats provinciaux et choisie parmi les plus fort
imposés du royaume. Elle accepte ou rejette en
bloc les lois votées par les députés.
La Hollande a rayé la peine de mort de son
code criminel. Elle n'est pas soumise au service
militaire universel. L'armée est alimentée par je
recrutement volontaire et la conscription. L'armée
coloniale, composée de volontaires et de merce-
naires étrangers, est distincte de l'armée euro-
péenne, j , D I
Puissance coloniale. — Les colonies de la Hol-
lande dépassent cinquante fois l'étendue de la
métropole, et la population en est sept fois aussi
considérable que celle de la Hollande. Comme
puissance coloniale, la Hollande n'est surpassée
que par la Grande-Bretagne. .
Grand-duché de Luxembourg. — Cet Etat, situé
entre la Belgique, la France et l'empire d'Alle-
magne, a pour souverain le roi des Pays-Bas, mais
il ne fait pas partie de ce ro\ aume. Il a une con-
stitution et une administration distinctes. Il est
gouverné par un lieutenant représentant le roi
grand-duc et par une chambre des députés élective.
De ISIô jusqu'en ItiHè, le Luxembourg a fait
partie de la confédération germanique ; sa capi-
tale, Luxembourg, était une forteresse fédérale,
où la Prusse tenait garnison. Depuis 1867, ce droit
a été aboli, le grand-duché a été neutralise et les
fortifications du Luxembourg rasées. Mais 1 Etat
est encore uni à l'Allemagne sous le rapport doua-
nier il fait panie du Zollve-ein. Sa superficie est
de 2587 kilomètres carrés, et sa population de
205000 habitants. La densité en est donc à peu
près la même que celle de la France.
Les Luxembourgeois sont presque exclusivement
catholiques. Sous le rapport de la langue, ils i>ont
partagés entre l'allemand et le français.
Luxembourg, \<>. seule ville importante du grand-
duché, a une quinzaine de mille âmes. Elle est
pittoresquement située sur l'AIzette, qui, par la
Saueret l'Our, va rejoindre la Moselle. Ces rivières
découpent profondément les plateaux élevés et
boisés des Ardennes, dont fait partie le grand-
duché. Sur une partie de leur cours, la Moselle et
l'Our le séparent de la Prusse rhénane.
"^ [G. Meissas.]
PAYS-BAS (HisTOiiiE, Lettres et Arts). --His-
toire générale, XXXI; Littér étrangère, XlX. -
Parmi les petits Etals que l'cquihbro européen a
laissés subsister jusqu'ici au milieu des grandes
puissances, il y en a peu dont l'histoire soit plus
intéressante que celle des 33 000 kilomètres car
rés avec leur population d environ 4 millions
d'hkbitants, qui forment depuis 1813, ou pour
mieux dire depuis la cession ^e la Belgique en
18.30,1e royaume des Pags-Ba-: (Nederland.. Les
Néerlandais aiment à faire remonter les origines
de leur nation à ces peuplades g<''''"^"''l»f ' ^l";-
sous le nom de Bataves, de Frisons, de Kanme-
phates, de Nerviens et sous d'autres encore des-
cendirent les grands fleuves de 1 Allemagne, à |
une époque impossible à.P™"^*^-- «'P^^A" '^''
sons inconnues, pour s'établir sur les bo^ds sa-
blonneux de la mer du Nord et sur les a temsse-
ments du Rhin, du Wahal et de la Meuse Les
noms de Friso et de Bato se sont conserves sinon
dans les légendes populaires, du moins dans le
langage des poètes, comme ceux des Pal"»'<^ocs
mythiques de ce peuple vaillant, actif, tenace qu
n'a jamais cessé de disputer son sol aux vagues et
PAYS-BAS
1537 —
PAYS-BAS
sa liberté aux tyrans. Les légions romaines, que
l'irrésistible César avait fait pénétrer jusque dans
ces marécages boisés et jusque sous ce ciel bru-
meux, eurent à enregistrer parmi leurs défaites
celles que leur infligèrent les Frisons, l'an 28, et
les Bataves, l'an (iO après J.-C.
La conquête romaine laissa peu de traces dans
cette plaine détrempée. Par contre, la grande inva-
sion des Barbares, au iv et au V siècle, germa-
nisa complètement ces contrées. Les Francs, au
midi, et, plus tard, les Saxons, à l'est, ne tardè-
rent pas à englober les anciens liabitants, au point
de faire disparaître les anciens noms de Bataves,
de Nerviens, etc. Les Frisons seuls réussirent h se
maintenir au Nord. Cependant eux aussi durent
se courber sous le sceptre de Cliarlemagne ("85).
Et lorsque les Saxons se furent soumis à leur
tour en 804, les Pays-Bas n'étaient plus qu'une
province du grand empire des Francs. Le traité de
Verdun, en 84.'!, partagea le pays entre Lotbaire
et Charles le Chauve. Plus tard la portion de Lo-
tbaire, la plus grande des doux, passa à l'Allema-
gne, et l'empereur d'Allemagne resta, pendant preS'
que tout le moyen âge, le principal suzerain des
fiefs nombreux que le système féodal avait créés
sur tous les points du pays. Des traités de cession
et des héritages limitèrent assez vite le nombre
de ces principautés, au point que déjà au xii' siè-
cle la presque totalité du pays se trouva répartie
entre trois chefs : le comte de Gueidre, le comte
de Hollande et l'évoque d'Utrecht.
La Hollande proprement dite, à laquelle se joi-
gnit en 13;.'3 la Zélande, cojistituait depuis 1018 un
fief héréditaire dont la puissance et la prospérité
ne firent que s'accroître et dont les seigneurs ne
redoutèrent pas de se mettre, à plusieurs repri-
ses, en guerre ouverte avec leur suzerain. Tempe-
parable entre les deux groupes de provinces ot
enlever pour toujours sept d'entre elles à la cou-
ronne de Habsbourg. Ce fut la réforme religieuse
dont Luther venait de donner le signal ot qui ne
tarda pas à gagner les Pays-Bas, d'abord du côté
de l'Allemagne, mais bienlùt aussi, et avec plus de
succès, du côté de la France et de Genève. Charles
combattit de toutes ses forces un mouvement qui
venait à rencontre de ses projets d'unification ;
l'histoire prétend même que le nombre des mar-
tyrs du protestantisme s éleva sous son règne à
50,000. L'esprit de centralisation l'amena en outre
à élaborer une codification des droits et des privi-
lèges que possédaient les Etats particuliers et le»
villes, qui équivalait pour plusieurs d'entre eux à
la suppression de ces privilèges. Des demandes
fréquentes d'argent et des contributions fort oné-
reuses achevèrent de réveiller partout un esprit de
mécontentement, que la popularité de Charles et le
prestige de son règne empêchèrent pour le mo-
ment de se changer en esprit de révolte, mais qui
ne tarda pas i engendrer des haines implacables
lorsque le vieillard fatigué eut abdiqué, en 1555,
en faveur de son fils.
Celui-ci, Philippe II, roi d'Espagne, se fit repré-
senter dans les Pays-Bas par sa sœur Marguerite
de Parme, qui résidait à Bruxelles. Il eut le bon
esprit de nommer en outre quelques lieutenants
(stadhouders) connus et aimés de la population,
entre autres Guillaume d'Orange pour la Hollande,
la Zélande et Utrecht. Il alla même jusqu'A ratifier
solennellement tous les privilèges de ses nouveaux
sujets. Mais bientôt des actes arbitraires, tels que
la division des Pays-Bas en dix-huit évêchés, l'éta-
blissement du terrible tribunal de l'inquisition et
l'interdiction de la liberté de culte et de conscience
aux réformés, rendirent ce serment illusoire. En
reur d'Allemagne. Elle eut successivement des I vain trois ou quatre cents nobles, unis par une
comtes de la maison de Hollande (1018-1299), des
maisons de Hainaut, de Bavière, de Bourgogne, et,
|i ir suite du mariage de Marie, fille de Charles le
Téméraire, avec l'empereur Maximilien, de la mai-
son d'Autriche (I46'M581j. Plusieurs des comtes
de la maison de Hollande, parmi lesquels nous
citerons Floris V, accordèrent aux villes de pré-
cieux privilèges afin d'opposer un contrepoids aux
prétentions des nobles ; quelques-uns d'entre eux
se distinguèrent dans les croisades. Le règne des
maisons de Hainaut et de Bavière coïncida avec une
déplorable guerre civile de longue haleine, connue
sous le nom de troubles des Hoeks (hameçons) et
des Cabillauds. Le règne des riches et puissants
ducs de Bourgogne jeta les bases de cette prospé-
rité fabuleuse et de cette puissante organisation
qui furent plus tard la gloire et la force des Pays-
Bas. Enfin, le plus glorieux rejeton de la maison
d'Autriche, Charles-Quint, réussit à conclure des
traités de cession qui firent passer successivement
en son pouvoir la Frise, Groningue, la Gueidre,
Drenthe, l'Overyssel et Utrecht. En 154:), ce grand
empereur possédait la seigneurie des dix-sept pro-
vinces néerlandaises qui forment actuellement les
Pays-Bas et la Belgique.
Cette union personnelle se changea en unité
politique par suite du traité d'Augsbourg en 1548;
et Charles n'eut qu'un rêve, celui d'assurer à sa
dynastie la possession de ces belles provinces, que
les flots des événements politiques, partis de pla-
ges diverses, venaient de dépo-er à ses pieds. 11 y
?ii?i' A*^ ''•"'*' '^"t®"" "" prince. L'agricultuie et
l'élève du bétail enrichissaient la campagne autant
fl?{f 'e commerce et l'hidustrie enrichissaient les
Tilles. Dans un espace de neuf ans, Charles re'ira
un bénéfice net de 40 millions de florins de ses
nouveaux Etats
alliance qui portait le nom de o compromis », pre-
sentèrent-ils une requête k la gouvernante. L'Es-
pagne n'avait que du dédain pour ces o gueux »,
et bientôt les excès d'une populace iconoclaste lui
fournirent un prétexte pour redoubler de sévérité.
L'arrivée du duc d'Albe, le digne serviteur d'un
maître soupçonneux, fanatique et cruel, en 1567,
déchaîna sur le pays cette terrible guerre d'indé-
pendance qui dura quatre-vingts ans et d'où l'Es-
pagne sortit affaiblie et humiliée, tandis que les
Pays-Bas y déployèrent une énergie indomptable
et y montrèrent cet amour invincible de la liberté
qui a élevé ce petit peuple au rang de nation mo-
dèle. L'exécution des comtes d'Egmont et de
Horn h Bruxelles, en 1588, équivalait à une décla-
ration do guerre. Guillaume d'Orange, qui s'était
réfugié en Allemagne, y rassembla bientôt^ une
armée, à laquelle ses vaillants frères, Louis et
Adolphe de Nassau, firent passer la frontière.
Nous ne pouvons songer à raconter ici toutes
les péripéties de cette guerre, qui vit tomber
tant de nobles héros, mais qu cimenta cette
union étroite entre les Pays-Bas et la maison
d'Oiange que les Hollandais considèrent aujour-
d'hui encore comme un des gages les plus sûrs
de leur indépendance. Au début, les chefs de
l'opposition, tout en accentuant fortement leur
haine contre le duc d'Albe, essayèrent de se
persuader à eux-mêmes et aux autres qu'ils combat-
taient pour le roi d'Espagne, leur seigneur légi-
time. Mais les événements ne tardèrent pas k
dissiper ces illusions et ces scrupules. La révoca-
tion du duc d'Albe, qui se vantait d'avoir livré
16,000 hommes au bourreau, en 1573, ne changea
rien à la situation. Son départ la compliqua
même en ce sons que les sympathies espagnoles
I gagnaient du terrain dans les provinces du sud.
Mais l'histoire avait déjà vu se produire un évé- tandis que celles du nord, bien plus protestantes,
nement qui, joint à d'autres circonstances, devait I sentaient leur antipathie pour l'oppression se
amener, quarante ans plus tard, un schisme irré- doubler d'un peu de méfiance vis-à-vis di: leur.*
2* Partie. 97
PAYS-BAS
1538 —
PAYS-BAS
alliés. Guillaume d'Orange et ses amis essayèrent l
de provenir un schisme en amenant la pacification
de Gand en 15'5. Mais les effets de celte alliance
ne furent pas durables. En lb'9, les délégués des
sept provinces du nord conclurent la célèbre
Union d'Ulreclit, qui fut le point de départ de
l'existence indépendante de la République des
Pays-Bas unis. En 15S1, une abjuration solennelle
mit fin à la souveraineté du roi d'Espagne sur ces
contrées, et en 15S8 la République fut définilive-
ment fondée et organisée. Mais déjà celui qui avait
été le principal promoteur de cette œuvre, Guil-
laume d'Orange, avait succombé en 1584, sous la
main d'un sicaire fanatique.
Plusieurs provinces élevèrent aussitùt au rang
de stadliouder son fils, le prince Maurice, qui se
signala surtout comme soldat et qui enleva plu-
sieurs villes à l'ennemi. Ce fut sous son stadhou-
dérat que les Pays-Bas conclurent avec l'Espagne
cette trêve do douze ans (n;0'.M621), qui livra la
jeune République à des luttes intérieures, mi-
poliiiques, mi-religieuses, connues sous le nom
de querelles des Remonstrants et des Contre-
Reiuonstrants, dont le vieux « pensionnaire » (c'est-
à-dire premier magistrat) des États de Hollande,
Oldenbarneveld. fut la plus illustre victime. Mais
ces troubles n'empêchèrent pas les Pays-Bas de
s'élever pendant ce temps-là à un degré de bien-
être, de gloire et de richesse, qui ne fut jamais
dépassé. Ce fut alors que la fameuse compagnie
des Grandes-Indes fonda, dans l'Archipel indien,
le pouvoir colonial des Hollandais.
Enfin, sous le stadlioudérat de Frédéric-Henri,
frère et successeur de Maurice, la paix de VVest-
phalie, conclue en 1G48, proclama l'indépendance
de la République des Pays-Bas, et lui garantit la
libre possession de toutes ses conquêtes. Dès lors
l'Union des sept provinces se sentait assez forte
pour s'engager contre l'Angleterre dans deux
guerres navales (I(;51-1C54 et'l6ii5-lG6"), qui ont
rendu célèbres les noms des amiraux Tromp, de
Ruyter, van Galen et Evertsen, et pour tenir tête
au puissant roi de France, Louis XIV. Celui-ci
trouva un adversaire redoutable dans la personne
de Jean de Witt, pensionnaire des Etats de Hol-
lande, auteur de la tiiple alliance entre les Pays-
Bas, l'Angleterre et la Suéde, en 1668, le véri-
table chef de la République pendant les années
qui séparèrent la mort de Guillaume II, fils de
Frédéric-Henri, de l'élévation de son fils Guil-
laume III à la dignité de stadhouder (16,=>0-1672).
Jalousé et poursuivi par ses adversaires politiques,
Jean de Witt, de même que son frère Cornélis,
succomba tristement dans une émeute de la popu-
lace de La Haye. Le jeune stadhouder, le même
qui, en IC88, monta sur le trône d'Angleterre,
d'où il avait chassé son beau-père Jacques II, com-
battit les armées de Louis XIV avec plus de
gloire que de succès. Comme il mourut sans lais-
ser d'enfants, sa mort amena pour la seconde
fois une de ces périodes qu'on pourrait appeler
des interrègnes, si le stadhouder avait été un
souverain. Mais il n'était que le gfiuverneur de
chacune des provinces qui l'avaient investi de ces
fonctions, et comme tel, le serviteur des Etats.
Il tenait, en outre, des Etats-généraux, espèce
de délégation collective des provinces dont se
composait la République, le titre de « capitaine
général et amiral de l'Union. » Jusqu'à la mort
de Guillaume III, la Hollande, la Zélande, Utrecht,
la Gueidre, et l'Overyssel avaient eu pour stad-
houder un descendant de Guillaume d'Orange ,
tandis que la Frise, Gronii'gue et Drenlhe avaient
pris leur gouverneur dans une ligne de la maison
de Nassau qui remontait à Jean, frère puîné du
Taciturne. Mais en 1747 le gouverneur de Frise,
qui s'appela désormais Guillaume IV, fut investi
par les autres provinces des fonctions que la mon
de Guillaume III avait laissées vacantes dès 1702.
Ses dignités furent déclarées héréditaires dans sa
famille.
Le XVIII» siècle vit décroître peu à peu la
gloire et la puissance de la République des Pays-
Bas. La guerre de la succession d'Espagne ne
lui apporta que des déboires. Ses dettes s'ac-
crurent d'une façon inquiétante. La mort préma-
turée de Guillaume IV laissa à la tête des afl'aires
un enfant de trois ans, dont la tutelle fut confiée
d'abord à sa mère, ensuite, après la mort de
celle-ci, au duc de Brunswick. Cette infiuence
allemande d'un côté, et de l'autre, h's troubles
politiques qui présageaient en Hollande, comme
partout, l'orage de la révolution, créèrent bientôt
une situation contre laquelle Guillaume V n'était
pas de force à réagir. Follement entraînée dans
la guerre d'indépendance des États-Unis d'Amé-
rique, la République des Pays-Bas dut conclure
une paix honteuse avec l'Angleterre. Le pays se
divisa de plus en plus entre les a patriotes », qui
avaient de fortes sympathies pour la France, et
les Orangistes, qui s'appuyaient sur rAUemagric.
En 1787 une armée prussienne fit pencher la
balance du côté des Orangistes. Mais lorsque,
dans l'hiver de 1794 à 171)5, le général français
Pichegru fit son entrée en Hollande, le stadhou-
der et sa famille se réfugièrent en Angleterre.
Le 16 mai ll'->b, le stadhoudérat fut supprimé,
et la 0 République batave « remplaça l'ancienne
République des Provinces unies. Les contre-coups
de la révolution française amenèrent dans les
Pays-Bas de nombreux changements, parmi les-
quels plusieurs dont les heureux effets durent
encore. Cependant le grand dictateur qui avait
exploité la révolution française à son profit, chan-
gea en 1806 la République batave en un «royaume
de Hollande », dont son frère Louis Bonaparte Itit
le titulaire. Mais déjà en 1810 ce roi, qui avait
réussi à gagner quelques sympathies parmi ses
nouveaux sujets, fut forcé de déposer la couronne,
et les Pays-Bas ne furent plus qu'un département
de l'empire français.
Cependant le canon de Leipzig annonça 1 ebou-
lement de cette construction gigantesque dans
laquelle la Hollande se trouvait enclavée. Après
bien des hésitiitions, elle osa secouer le joug étran-
ger- quelques hommes de courage et d initiative,
parmi lesquels il convient de citer Gysbert Karel
lan Hogendorp, rappelèrent d'Angleterre le fils de
l'ancien stadhouder. Celui-ci débarqua à Sdieve-
ningue en 1813, et fut reconnu, l'année d après,
pour chef de l'État sous le titre de « prince sou-
verain ». Le congrès de Vienne 1 éleva au rang de
roi et, pour le dédommager de la perte de quel-
nues-unes des colonies, telles que Ceyian et le
cap de Bonne-Espérance, dont l'Angleterre s é ait
eniparée, joignit à son territoire ce qu on appelait
les Pays-Bas autrichiens, cestà-dire les ancien-
nes provinces du sud. Mais, séparées depuis 1 Union
d'Utrccht, les provinces du Nord et celles du Sud
ne purent se résigner à cette union artificie le,
qui ne s'était faite que par ordre de la diplomatie.
La Belgique se révolta en 1830, et, ma gré «la
campalne de dix jours, » qui enllamma la popu-
[atimi néerlandaise d'un enthousiasme vraiment
remarquable, et qui vit s'enrôler ^ous les dra-
peaux jusqu'aux étudiants des universités, le roi
Êuillaume^I" dut céder. Après bien des hesiU-
tions et bien des embarras diplomatiques il re^
nonça enfin, en m:>, à la Belgique, ^t,' année
suivante, remit la couronne des ^aj-s-Bas à son
fils, Guillaume II. Celui-ci, le héros desQuatie-Bras,
jouit jusqu'à sa mort, en 1841), d une popula-
ire très méritée. Ce fut snus son «rgnc «n 18^8,
que le royaume des Pays-Kas fut dote définitive-
ment de la constitution l'I^e™'»/!"' '"1,^^'^^'';
encore. A la tête du pouvoir se trouve un roi
PAYS-BAS
— 1539 —
PAYS-BAS
constitutionnel entouré de ministres responsables,
qui forment avec deux chambres le pouvoir légis-
latif. Un des principaux auteurs de celte consti-
tution était M. Tliorbecke, liomnu^ d'Etat de pre-
mier ordre, qui a été jusqu'à trois fois le chef
d'un cabinet libéral sous le règne pacifique du
roi actuel Guillaume III. Depuis [8T-i, une guerre
longue et pénible contre les Atcliinois, dans l'île
de Sumatra, entame fortement le budget. Au
reste, sans être brillant, l'état du pays est pros-
père ; plusieurs réformes salutaires, parmi les-
quelles la laïcité de l'enseignement public, ont été
introduites depuis longtemps, et ni les luttes poli-
tiques, qui ne manquent pourtant pas d'âpreté,
ni le voisinage d'Etats puissants n'empêchent les
Hollandais d'espérer que leur petit pays ne ces-
sera jamais d'aljriter la liberté et le progrès.
Beaux-art3 et littérature. — La conquête ro-
maine a laissé en Hollande quelques débris d'an-
cienne architecture, tels que la Burg de Leyde.
Le style gothique s'est distingué dans ce pays plu-
tôt par la largeur que par la hauteur de ses églises.
L'éclosion de la vie bourgeoise au xvi* et au
xvn' siècle entraîna un assez grand nombre de
constructions laïques, parmi lesquelles il faut
signaler l'ancien hôtel de ville d'Amsterdam, con-
■struit par Jacob van Campen, en 1U.S8.
Quelques mausolées remarquables et surtout
les intérieurs des maisons et des palais prouvent
■que la sculpture a su s'élever dans les Pays-Bas
au-dessus du médiocre. Mais c'est surtout par ses
grands peintres que ce pays s'est conquis une
place importante dans le monde de l'art. Au
XV' et pendant la première moitié du xvi' siècle,
■c'est-à-dire pendant la première période de l'art
néerlandais, il n'y avait pas encore d'école hol-
landaise proprement dite. Ce ne fut que vers
le XVI' siècle que les peintres des provinces
du Nord 80 mirent à marclier d'un pas égal à
■celui de leurs confrères du Midi. Hubertus
Van Eyck trouva des disciples dignes de lui dans
Van Ouwater, Gérard de Harlem, et surtout dans
Lucas de Leyde (1494-1333). Ce dernier commença
à représenter dans la peinture la tendance laïque
qui pénétrait partout. Dans ses tableaux, le ca-
ractère biblique des persoruiages s'efface devant
l'importance que le peintre accorde aux acces-
soires. Cependant, on trouve encore chez lui,
comme dans toute l'école de "Van Eyck, jusqu'à
Quentin Mâtsys, cette immobilité des-flgures, cette
attitude raide des personnages qui rappellent l'an-
cien art hiératique.
Pendant la seconde moitié du xvi" siècle, on
revient au genre du xiv«, c'est-à-dire à l'imi-
tation des Italiens. Jean de Mabuse, revenu d'I-
talie en 1513, en donna l'exemple et trouva de
nombreux- imitateurs. Mais, malgré le talent de
plusieursd'entre eux, notamment de Frans Floris,
surnommé le Raphaël flamand, ce genre ne pou-
vait réussir. Le nu des écoles italiennes ne conve-
nait pas au climat humide des Pays-Bas, et le
réalisme des gens du Nord, qui aimaient à cher-
cher le détail, s'arrangeait dilHcilcment de la sim-
^jhcité classique et idéale de l'école italienne. Le
portrait seul perpétuait l'art national.
Le xvii" siècle amena une réaction qui fut
d autant plus forte dans les provinces du Nord
que, délivrées tout à coup du conlre-poids des
.provinces du Midi, elles penclièrent du coté où leur
naturel les entraînait. La guerre d'indépendance ne
■auscita pas seulement des héros, elle vit naître aussi
une brillante génération d artistes; tous les grands
peintres originaux de la Hollande ont été jeunes
pendant le premier quart du xvii» siècle. En même
temps 1 art hollandais se sépare définitivement de
lart belge. Pendant que, dans les Flandres, le
puissant pinceau de Rubens se plaisait à cette
ncliesse de tons vers laquelle l'atmosulière du
pays, en effaçant les contours des objets, appelait
surtout l'oîil du peintre, le Hollandais Rembrandt
(1G08-166'J) trouvait dans ce même air brumeux le
secret du clair-obscur et les effets de lumière que
le ciel hollandais n'a entièrement révélés qu'à lui.
Ce qui le distinguo en outre de son rival fla-
mand, c'est un caractère protestant et démocra-
tique, qui fit de lui le peintre du peuple. Parmi
ses disciples les plus célèbres, on doit citer Ferdi-
nand Bol et Govert Flinck.
Le portrait continua à être le genre préféré ; le
mâle pinceau de Frans Hais lui donna un éclat qui
n'a jamais été égalé, bien que ce peintre trouvât des
rivaux dignes de lui dans Micliel Mierevelt et Paul
Moreelse. Au portrait se rattacha en outre un
genre nouveau, qui consistait à réunir plusieurs
portraits sur une même toile, et que Rembrandt a
immortalisé par des chefs-d'œuvre tels que la Le-
çon ri'analomie, la Ronde de ndl, les Quatre
échevins. Les nombreuses corporations, qui ai-
maient à garnir leurs salles de réunion d'un
grand tableau représentant tous les membres en
costume de fête, contribuaient beaucou|) à favoriser
ce genre de peinture, dont, après les œuvres de
Rembrandt , le Banquet des arqiieOusiers de
Van der Helst est un des échantillons les mieux
réussis.
D'ailleurs, dans cet âge d'or de la peinture hol-
landaise, tous les genres étaient cultivés par des
maîtres. La vie du peuple était traiice avec une
verve et un réalisme inimitables par les deux
VanOstade, par JanSteen et Adrien Brouvver. La vie
des salons se retrouvait dans les tableaux de Phi-
lippe Wouwermans, qui représente, avec Berchem
et Karel Dujardin, un mélange spontané, naturel
et réussi d'école hollandaise et d'école italienne.
La bourgeoisie voyait peindre ses mœurs et ses
habitudes par Gérard Dow, par Terburg, Metsu,
Frans Van Mieris, appelés d'ordinaire n peintres
do conversation » pour les distinguer des autres
peintres de genre. Philippe do Koniiick et Aert
Van der Neer reproduisaient la nature de leur pays
avec un art merveilleux ; tandis que d'autres, tels
que Jean-Baptiste VVeeninx et Asselyn, idéalisaient
le paysage hollandais ou imitaient Poussin et
Claude Lorrain, Adrien Van den Veldc et .\lbert
Cuyp faisaient des bergeries, Paul Potter peignait
son magiiitique taureau, Hondekoeter ses oiseaux
à riche plumage. Jacob Ruysdael et Hobbcma fai-
saient revivre sur la toile toute la poésie capri-
cieuse et puissante d'une végétation opulente ; la
mer inspirait Willem Van den Vclde, Bakhuysen et
bien d'autres. Il n'y avait pas jusqu'aux natures
mortes qui, dans « ce pays de la bombance et de
la .iiangeaille », comme l'appelle M. Taine, ne fus-
sent traitées par des peintres de génie.
L'invention artistique finit avec l'énergie pra-
tique. Le xviii' siècle se borna à essayer d'imi-
ter le XVII' ou imita l'étranger. Cornélis Troost
est le seul peintre original de cette époque
qui mérite une mention spéciale. Au commen-
cement du xi.\' siècle, le classicisme français
trouva des imitateurs habiles dans quelques pein-
tres d'histoire. Aujourd'hui il convient de si-
gnaler Louis Meyer et Mesdag parmi les peintres
de marines, Israéls et Vervier parmi les peintres
de genre, Kockoeck. Schelfliout et Scliotel parmi
les paysagistes, Bo-.boom parmi les peintres d'é-
glise, Rocliusses parmi les peintres d'histoire.
Les Pays-Bas peuvent se vanter d'une histoire
littéraire qui, sans atteindre à la hauteur de leur
histoire politique et de celle de leur art, tient ce-
pendant un rang honorable dans l'histoire géné-
rale des littératures européennes.
Au moyen âge, los chansons de geste, les romans
de la table ronde, et un grand nombre d'aulrcs
poésies d'origine française furent reproduits dans
les Pays-Bas par des écrivains et des poètes qui,
PAYS-BAS
— 1540 —
PEAU
le plus souvent, mêlaient une note originale à
leur traduction. La rédaction néerlandaise du Ro-
man du Renard est un chef-d'œuvre. Mais le vrai
caractère néerlandais, l'énergie, le bon sens, la
simplicité, l'esprit démocratique ne se révéla dans
la littérature qu'à l'époque où la bourgeoisie com-
mençait à rivaliser avec la noblesse et même à lui
tenir tête. Le premier représentant de ce carac-
tère est Jacob Van Maerlant, le père de la poésie
didactique des Pays-Bas, contemporain du comte
Floris V, le héros populaire du .xm* siècle. A
la même époque , un moine de l'abbaye d'Eg-
mont, Melis-Stokf, moins démocratique que Maer-
lant, composa une u chronique rimée » qui n'a
jamais cessé d'être appréciée par les amis des
lettres. Le règne de la maison de Bavière amena
une certaine réaction contre le genre exclusive-
ment didactique dont Maerlant était le créateur ;
la fantaisie se vengea du dédain avec lequel le bon
sens et le goût de l'utilité pratique l'avaient
traitée. .
Cependant, elle ne parvint pas à supplanter ses
rivaux. Ce fut surtout dans les o chambres de rhé-
torique» qui, dès le commencement du xv= siècle,
avaient enlevé à l'Eglise le monopole des représen-
Utioiis dramatiques, et qui ont régné pendant deux
siècles dans le monde littéraire néerlandais, qu'on
retrouve ce goût de l'utile, cette gravité raide, ce
manque d'essor, qui engendrent facilement la ba-
nalité. Le règne brillant des ducs de Bourgogne
amena en outre une influence française qui ne
fut pas favorable au développement de la langue
nationale. Pendant toute cette période et jusqu'aux
efforts sérieux d'épuration faits au commence-
ment du xvii* siècle par Spieghel, Coornhert et
leurs amis, l'idiome néerlandais présenta un ca-
ractère bâtard déplorable. Les chambres de rhé-
torique, bien que, par leur esprit d'indépendance,
elles aient exercé une action heureuse sur la vie
sociale, n'ont fait que du mal à la littérature.
Il convient cependantde faire une exception pour
la célèbre chambre d'Amsterdam, « l'Eglantier »,
fondée en 1496, qui publia la première grammaire
hollandaise en 1584, et d'où sortirent, de 1578 h
ICOO, les initiateurs de l'œuvre d'épuration et de
relèvement que nous venons de citer. Mais ce fu-
rent surtout la Réforme et la Renaissance qui
ouvrirent une période de vie nouvelle à la litté-
rature néerlandaise. L'influence de la Réforme se
retrouve entre autres dans les traductions des psau-
mes de Clément Marot parDathenusetpar Philippe
Miu-nix, seigneur de Sainte-Aldegonde, l'ami de
Guillaume d'Orange, l'auteur justement célèbre
du u cluDit de Guillaume », le cliant dynastique,
presque le chant national des Hollandais. L'hu-
manisme, auquel l'Euroiie entière rattache le nom
du Rotterdamois Erasme, trouva un représentant
distingué dans le graveur Coornhert.
Mais l'action de la Renaissance ne devint puis-
sante et féconde que dans la première moitié du
xvii= siècle, l'âge d'nr de la littérature néerlan-
daise. Ce fut alors que, dans la maison hospita-
lière de Roemer Visscher, et de ses filles, Anna
et Maria Tesseischade, auteurs et poètes elles-
mêmes îi Amsterdam, se réunissaient 1 historien
Hooft, 'le grand poète lyrique et dramatique
Joost Van den Vondel, le noble et savant Huygliens,
père de l'astronome, le poète comique Brederoù,
le Jan Steen de la scène, le docteur Coster, qui
fonda une « Académie néerlandaise » d'où sortit je
premier théâtre hollandais. Hooft, qui avait voyagé
en Italie et en France, organisa plus tard, notam-
ment de lU-J'î à U;4'], un foyer littéraire plus re-
marquable encore, lorsqu'il fit de son château de
Muydcn, près Amsterdam, une espèce d'hôtel de
Rambouillet. Vondel, qui atteignit l'âge de 93 ans,
passe pour le plus grand des poètes hollan-
dais. Quelques-uns de ses drames, entre autres
le « Gysbrecht d'Aemstel », qui inaugura le théâ-
tre d'Amsterdam en 1()38, et surtout les belles
poésies lyriques dont, à l'exemple des Grecs, il
aimait h orner ses drames, lui ont valu cette ré-
putation. Mais il n'est jamais arrivé à la popula-
rité dont les Hollandais du .wii» et du xviii^ siècle
ont entouré Jacob Cats (ISII-ICBO), le chef de
l'école de Dordrecht, rimeur infatigable, moraliste
ennuyeux mais pratique, dont les œuvres ont été
appelées « la Bible des paysans ». L'un et l'autre
ont trouvé de nombreux imitateurs.
Le goût des classiques français a malheureuse-
ment contrarié le développement de la littérature
nationale à la fin du xvii« et au commencement
du xviii' siècle. Un poète comique original, Pierre
Langendyck, n'a pas vécu assez longtemps pour
tenir tout ce que promettait son talent. Mais la
seconde moitié du xviii" siècle a vu se produire
quelques œuvres éminemment hollandaises, le
Sfiectateur Iwllandais de Justus van Efi'en, revue
hebdomadaire humoristique dans le genre du
Spedator de l'.inglais Addison , et les romans
bourgeois de deux amies, Elisabeth Bekker (ou
WollV, d'après le nom de son mari) et Agatha
Deken.qui rappellent Richardson et Rousseau.
Le commencement de ce siècle vit se produire
des influences littéraires très variées, auxquelles-
les événements politiques n'étaient pas étrangers.
L'école sentimentale de l'Allemagne trouva un-
écho dans les drames de Feith. Le fameux Oran-
giste Bilderdyk, savant hors ligne et poète de
génie, mais caractère intraitable, fonda une bril-
lante école nationale. Helmers fut un poète patrio-
tique trop déclamai oire. Parmi les écrivains de la
période littéraire qui s'ouvre par l'année 18.30, \l
convient de citer les poètes ToUens, Potgieter,
Da Costa, de Gcnestet, tous morts, Ten Kate et
Schaepman, les romanciers Van Lennep, madame
Bosboom-Toussaint, Multatuli, le nouvelliste Cre-
mer, le poète dramatique Schimmel, le critique
littéraire Busken Huet. Le poète Beets a écrit,
comme étudiant, sous le nom de Hildebrand, une
série d'esquisses humoristiques qui resteront
toujours un des produits classiques de la littéra-
ture hollandaise. L'étude de la langue et de lar
littérature nationale, sérieusement cultivée depuis
que Sigenbeok occupa le premier une chaire de
langue néerlandaise à l'université de Leyde, en
1795, est brillamment représentée par les profes-
seurs Jonckbloet et de Vrics. Le dernier s'occupe
de publier le premier dictionnaire historique du
hollandais.
Un grand nombre de journaux et de revues ap-
portent au public des échantillons de prose parmi
lesquels il y en a de fort remarquables. Le théâ-
tre national a de l'avenir. Seuls les jeunes poètes
se font attendre. [A.-G. Van Hamel.j
PEAU. — Zoologie et Physiologie, XXXVIll ;
Hygiène, VIII. — La peau constitue une enve-
loppe membraneuse qui se moule sur les parties
externes du corps et lui donne sa forme. Cette en-
veloppe protège l'ensemble de l'organisme et le
met en rapport avec le monde extérieur par le
réseau nerveux qui forme l'organe du tact. Elle
remplit des fonctions très importantes comme or-
gane de sécrétion. De plus, elle est le siège d une
respiration plus ou moins rudimentalre qui com-
plète celle des poumons.
Si l'on examine au microscope un fragment de
peau humaine, on est surpris de voir combien
cette enveloppe, si simple en apparence, est com-
pliquée dans sa texture et dans son organisation.
A la surface, on voit une sorte de vernis imper-
méable, W-piilerme; au-dessous le derme, ou peau-
proprement dite, qui repose sur le peaucter ou
couche musculaire. Toute l'épaisseur, sauf 1 epi-
derme, est traversée de nerfs et de vaisseaux san-
guins.
PEAU
— 1541
PEAU
L'ëpiderme, dépourvu de vaisseaux et de nerfs, | y déverse le liquide sécrété parla glande aux di^pens
•est formé de cellules aplaties, la plupart à demi du sang. La sécrétion de la sueur a surtout pour
dessccliées, qui ressemblent assez à la corne. La objet do régulariser la température du corps. Aus-
Fig. 1. — SectioD de peau vue au microscope.
6, couches superficielles et profondes de Tépiderme; —
c, derme; — c', aréoles ou cavités remplies de graisse;
— rf, couche musculaire ; — e, e', glandes sudoripares et
conduits sudorifères; — /, follicule pileux et glandes sé-
bacées..
couche profonde de l'ëpiderme produit sans cesse
<ie nouvelles cellules: celles-ci repoussent celles
qui les recouvrent et remplacent successivement
les lamelles superficielles qui tombent lorsqu'elles
sont complètement sèches. Chez les serpents,
<;ette espèce de mue de l'ëpiderme est périodique,
■elle se fait en même temps sur tout le corps, de
sorte que l'animal semble changer complètement
de peau, tandis qu'il n'abandonne qu'un mince
fourreau épidermiquo recouvert d'écaillés.
Dans la partie profonde de l'ëpiderme se trouve
lepifjmeyit ou matière colorante delà peau. Cette
matière, assez variable dans ses teintes, produit
les différentes colorations de la peau chez l'homme
et les animaux. Certains reptiles, et surtout le
caméléon, peuvent à leur gré faire affluer le pi,;-
ment à la surface ou le concentrer dans les parties
profondes, ce qui produit de curieux changements
■de couleur. Quelques poissons possèdent la môme
faculté.
Le derme consiste en une sorte de feutrage de
tissu fibreux. A sa surface on voit des rangées ré-
gulières de petites éminences ou papilles aux-
quelles aboutissent les nerfs du tw-t . Le tissu du
derme est assez lâche dans les parties profondes ;
on y trouve un grand nombre de vides qui se rem-
plissent plus ou moins de graisse. Chez quelques
animaux comme le porc, les cétacés, cette couche
graisseuse prend un développement extraordinaire.
Le peaucier ou partie musculaire de la peau varie
beaucoup d'épaisseur sur les différents points du
■corps et dans les diverses espèces d'animaux; c'est
lui qui permet de remuer, de froncer, de secouer
pour ainsi dire la peau, comme le fait, par exem-
ple, le cheval, pour se débarrasser des mouches.
Quelquefois, comme chez le hérisson, le peaucier
sert à mettre en mouvement et à redresser une
série de poils ou de piquants destinés à protéger
l'animal .
Dans l'épaisseur moyenne de la peau se trouvent
logées des glandes fort compliquées, dites sudoripa-
res oiigiaLtide^ de \di sueur itig.i), quiconsistent en
tubes très déliés, pelotonnes sur (nix-mcmes. Au-
tour des tubes se trouve un double réseau do vais-
seaux sanguins (fig. 3). Le tube de chaque glande
aboutit à l'extérieur entre des cellules d'épidcrme et
Fîg. 2. — Glande sudoripare de la peau de l'horame-
rt, tuhe excréteur de la glande; — 6, partie contournée de
ce tube; — c, tissu lihreui dans lequel il est situé.
sitôt que le mouvement ou toute autre cause tond à
augmenter cette température, la sueur se répand à
la surface de la peau et son évaporation, absorbant
du calorique, produit un notable refroidissement.
Lorsque la sueur est peu abondante, elle ne forme
pas dos gouttelettes sur l'ëpiderme ; cette sécrétion
lente s'appelle transpiration insensible.
Fig. 3. — Réseau capillaire entourant une glande
su'loripare.
A côté des glandes sudoripares se trouvent les
glandes >-(Jéac(!e' {dese/mm. suif), qui sécrètent une
matière grasse destinée à lubréfier l'épiderme. Elles
sont ordinairement disposées autour des follicules,
sortes de sacs d'où sortent les poils, les che-
veux, issus d'un buU/e dont les cellules se repro-
duisent sans cesse et, en repoussant celles qui se
trouvent au-dessus, causent l'allongement du poil.
Certainsanimaux présententdes glandes sébacées
d'un volume considérable, d'où suintent des ma-
tières odorantes. Les oiseaux portent au-dessus du
coccyx un amas de glandes dont le produit grais-
seux sert à enduire et lustrer leurs plumes; ces
glandes sont particulièrement développées chez les
oiseaux aquatiques.
Los plumes ont une structure plus compliquée
que les poils, mais constituent aussi des appendi-
ces de l'ëpiderme. On peut, h la rigueur, en rap-
procher d'autres productions cornées, ongles, sa-
bots ou cornes proprement dites.
Chez les poissons, la peau est couverte d'ëcaiUes
PECHE
1542 —
PECHE
qui se rapprochent des ongles et des poils ; mais
dans beaucoup d'espèces ces appendices ont une
composition analogue à celle des os et de l'ivoire.
Quelquefois, comme chez le crocodile, la peau
s'encroiite de plaques osseuses, ou se recouvre,
comme chez le tatou et la tortue, d'une carapace
dure de matière osseuse ou cornée.
Ces notions sommaires sur la structure de la
peau suffisent pour faire comprendre combien il
importe de veiller à l'intégrité de cet organe si
étendu, si compliqué, appelé à rendre tant de ser-
vices, à exercer tant de fonctieiis Pour cela, il faut,
avant tout, une parfaite propreté*. Les frictions, le
massage, contribuent puissamment h donner à la
peau la souplesse et l'activité désirables.
La peau, étant riche en vaisseaux et en nerfs,
constitue un ensemble très délicat. Les impres-
sions morbides l'affectent d'une façon toute spé-
ciale. Non seulement ces impressions, — celle du
froid surtout, — reçues par la peau, retentissent
dans toute l'économie et causent des maladies sou-
vent fort graves; mais elle est le siège d'altérations
spéciales qui constituent les malaiiiet de la peau.
Dans la très grande majorité des cas, il faut l'œil
exercé du médecin pour établir le diagnostic de
ces maladies. Son intervention est d'autant plus
indispensable que la même altération apparente
peut être tout à fait insignifiante ou révéler l'exis-
tence d'un désordre constitutionnel grave, qui
exige un traitement actif et énergique. Entre la
forme anodine et la forme suspecte, le médecin
seul est capable de décider. [D' SafTray.]
PÈCHE. — Connaissances usuelles, II-V. —
Dans presque tous les pays le poisson fait con-
currence i la viande pour l'alimentation. Mais il
existe encore beaucoup de préjugés au sujet de
sa valeur nutritive. On répète des banalités plus
ou moins fondées, et en somme on ne rend pas
assez justice au poisson.
Pour apprécier la valeur réelle de cet aliment,
il faut recourir à l'analyse chimique. Or l'analyse
fournit des chiffres indiscutables qui placent le
poisson presque au même rang que la viande :
quelques poissons même ont un pouvoir nutritif
supérieur, an point de vue de l'azote, qui est l'élé-
ment le plus important.
Ainsi la viande de bœuf sans os contient 78 par-
ties d'eau, 3 d'azote et 11 de carbone. La raie con-
tient 75 parties d'eau, 3,8 d'azote et 1? de caboner.
Le congre ou anguille de mer contient 79 parties
d'eau et 4 d'azote. Le maquereau contient 83 par-
ties d'eau, 19 de carbone et 3,7 d'azote. La solo,
au contraire, renferme plus d'eau et moins de
matières nutritives que la viande de bœuf: 86 par-
ties d'eau, 13 de carbone et 1 d'azote.
Parmi les poissons d'eau douce, le brochet, la
carpe sont plus riches en azote que la viande de
bœuf; l'anLuille n'en contient pas plus que la sole,
mais elle renferme 30 p. lOli de carbone.
Le carbone des poissons provient principalement
de leur huile ou graisse liquide. Pour ceux que
nous venons de citer, la proportion pour 100 par-
ties est la suivante : raie, 0,5 ; congre, 5 ; maque-
reau, 7; sole, 0,3; brochet, 0,6; carpe, 1; an-
guille, 24.
L'expérience prouve que des populations ichthyo-
phages peuvent se renouveler pendant une loiigue
série de siècles sans aucune marque de dégénéres-
cence. Des essais faits sur les animaux ont fourni
les mêmes résultats.
Il importe de vulgariser ces données positives
pour encourager la consommation d'une denrée
que les clumins de fer peuvent mettre à la portée
des habitants de tout notre pays. En moyenne, les
poissons communs coiitent beaucoup moins que la
viande. Ainsi, i Paris, le congre se vend communé-
ment O'.CO à li'.fiâ la livre en détail, c'est-à-dire
80 p. 100 moins cher que de la viande de bœul
contenant la même proportion de déchet, et si l'on
tient compte du surplus d'azote qui compense et
au delà le surplus d'eau, on voit que sa valeur
nutritive est au moins égale.
Les lacs, les étangs, les rivières fournissent à la
consommation un contingent considérable, maia
qui pourrait être triplé et quadruplé si l'on prenait
à cœur de multiplier, d'élever, de protéger les
poissons comme les autres animaux destinés à l'ali-
mentation.
Il y a longtemps que l'on a constaté l'appau-
vrissement de nos eaux douces et même de celles
qui baignent nos côtes. Il faut aller chercher le
poisson au delà du domnine maritime, c'est-à-dire
à plus de trois milles en mer, pour que la pêche
soit rémunératrice. Annuellement, cette industrie
fournit à l'alimentation environ 47 000 000 de ki-
logrammes de poisson.
Ce n'est pas, d'ailleurs, la pêche régulière, telle
que l'autorisent les règlements, qui a causé le dé-
peuplement des eaux au point alarmant que l'on
constate. La pêche honnête, strictement réglemen-
tée, n'enlèverait chaque année qu'une quantité peu
supérieure à la production : ce qui épuise et sté-
rilise rapidement, c'est la pêche frauduleuse, la
souillure et l'empoisonnement des eaux et les mo-
difications apportées à leur régime par l'industrie
sous toutes ses formes.
Il est certainement plus facile et plus lucratif de
faire produire à l'eau des poissons que du blé à la
terre, mais comme on a laissé les étangs devenir
improductifs, il y a partout une tendance générale
à les dessécher pour les mettre en culture.
Il faut qu'une science nouvelle, \' aquiculture,.
répare les dommages causés par le bracoimage et
l'incurie. Aujourd'hui l'aquiculture ressortit à trois-
ministères : les travaux publics, la marine et l'a-
griculture. La loi de 1873, en confiant aux fermes-
écoles l'organisation de la pisciculture, semble
avoir reconnu que cette science pratique appar-
tient, de droit, à l'agriculture. Quand les cultiva-
teurs comprendront que l'eau peut, comme la.
terre, devenir une source régulière de revenu, ils
ne demanderont pas mieux que de devenir aqui-
culleurs. .
Les essais faits sur nos côtes et dans l'intérieur
sont fort encourageants, et sans doute le gouver-
nement, s'inspirant de ce qui s'est fait à l'étranger,
établira au ministère de l'agriculture un service
spécial d'aquiculture, qui possédera des établisse-
ments dans nos régions les plus importantes de
l'intérieur et du littoral.
Nous n'avons point à faire ici une monographie
de la pêche comprenant, outre celle des pêcheurs
de profession ou de vocation, la description des
engins, les règlements, etc. Nous nous bornerons
à traiter de la grande pêche, qui est encore pour
notre pays une industrii> prospère et contribue à
l'alimentation publique dans une notable propor-
tion.
Nos armateurs ont à peu près abandonné la pêche
de la baleine aux Anglais et aux Américains. Ces
grands cétacés deviennent rares, il faut les pour-
suivre dans des régions de plus en plus inaccessi-
bles, et ces campagnes exigent une organisation
pour laquelle noire commerce ne s'est pas pré-
paré.
La pêche du hareng est une des plus importan-
tes. Les Hollandais, les .Morwégiens, les Ecossais,
les Américains s'y livrent comme nous : elle
occupe de véritables flottes. L'industrie de la
pêche, de la préparation et de la vente du hareng
fait vivre plusieurs millions d'hommes. Dans les
ports situés entre Dunkerque et l'embouchure de
la Seine, on arme chaque année 3ii0 à 'iiO bâti-
ments pour la pêche du hareng : le produit moyen
de chaque campagne est d'environ 4 0U0 00U de
francs.
PECHE
— 1543
PEINTURE
On pOicho d'ordinaire lo liaroiig avec de grands i
filets dont le bord inférieur est tendu par des pier-
res, tandis (lue le bord supérieur est maintenu i
fleur d'eau par des bouées formées avec des barils
vidi'S. Los mailles des filets sont juste assez Rran-
dos pour permettre au liareng d'y enfoncer la tête
jusqu'aux ouies. Une fois que celles-ci ont passé, il
ne peut ni avancer ni reculer, on dit qu'il est
mniUé. Il arrive souvent qu'en quelques minutes
chaque maille retient un poisson.
Les liarengs destinés à être mangés frais sont
lavés et arrangés dans des paniers. Los autres
subissent une série de préparations. Par une in-
cision pratiquée Ji la gorge, on enlevé l'estomac
et les intestins, puis on sale les poissons dans des
barils ; au bout d î quinze jours on les retire de la
saumure et on les range dans des barils neufs poiir
l'expédition. Les liarengs saurs sont embrochés
par les joues sur des baguettes de bois et suspen-
dus au-dessus d'un feu doux.
Le hareng habite les mers de l'hémisphère bo-
réal jusqu'au 4â' degré de latitude. En certaines
saisons, il forme des bnncs longs et larges de
plusieurs lieues, d'une épaisseur énorme. En un
seul point de la Suède on en pêche chaque année
700 millions I Les femelles sont plus nombreuses
que les mâles, dans le rapport de 7 5,2, et chacune
porte près de 70 000 œufs. Autrefois on classait le
hareng parmi les poissons migrateurs, et l'on croyait
connaître exactement la route qu'il suivait chaque
année. Mais on a reconnu qu'il est stationnaire
et que son apparition soudaine dans certains pa-
rages vient simplement de ce qu'il quitte les par-
ties profondes de la mer pour vivre près de la sur-
face.
Environ 12000 marins sont employés chaque
année i la poche de la morue. Ils recueillent en
moyenne sênOOdOO de poissons, et cependant le
nombre de ceux-ci ne semble pas diminuer.
Il est vrai que leur fécondité est extraordinaire ;
on a compté dans une seulo femelle plus de
9 000 000 d'œufs, en sorte que la progéniture de
quatre d'entre elles, si elle prospérait, suflirait
aux besoins du monde entier.
On rencontre la morue dans toutes les mers
de l'hémisphère boréal entre le 4u" et le 60" degré
de latitude. Leur station favorite semble être le
grand banc de inorui', nom àonnè parles pêcheurs
h. un plateau sous-marin long de cent lieues et
large do soixante, qui s'étend devaiit l'Ile de Terre-
Neuve. Là, elles s'accumulent, à certaines époques,
en si grandes quantités, qu'un homme les pochant
à la ligne en peut prendre de trois à quatre cents
par jour.
Leur voracité facilite singulièrement la pêche.
Elles se jettent sur tous les appâts, même sur un
morceau de bois ou de plomb. Tout leur est bon,
et quand elles ont avalé une substance absolu-
ment réfractaire, elles rejettent par la bouche leur
estomac, le vident, le lavent et le remettent en
place en l'avalant.
On expédie, sous lo nom de cabillaud, une cer-
taine quantité de morues fraîches ; mais la grande
masse des poissons capturés est préparée de ma-
nière à assurer sa conservation. On coupe la tète,
on fend le ventre, et l'on extrait, avec l'estomac et
les intestins, une partie de la colonne vertébrale ;
alors on étend le poisson entre doux couihesdesel.
Plus tard on le ran go dans des barils avec du sel frais.
Le foie de la morue fournit une huile employée
en médecine, principalement dans les cas de scro-
fules et de rachitisme. Elle agit surtout comme
aliment gras ; on pourrait donc la remplacer écono-
miquemeni par d'autres substances de même
nature, sauf â y ajouter quelques milligrammes
d'iode par litre.
Le thon, au corps massif, fusiforme, atteint
deux mètres et plus de longueur. Sa pêche con-
stitue une des principales richesses des peuples
riverains de la Méditerranée. On sait aujourd'hui
que les thons ne quittent jamais cette mer, et se
contentent do changer d'altitude selon les saisons.
On pèche le thon â la ligne et au filet,. Pour la
pêche au filet, il faut le concours d'un grand nom-
bre de barques. Les filets, soutenus en haut par
des flottes de lièges, tendus en bas par des pier-
res, sont disposés de façon à former des couloirs
et des chambres. Au-dessous de la dernière cham-
bre on tend un grand filet. Le talent des pêcheurs
consiste à obliger les poissons à entrer dans le
dédale et à se réunir dans la chambre de mort.
Quand celle-ci est pleine, on soulève le filet du
fond et l'on massacre les captifs.
On expédie à l'état frais une faible partie de la
pêche; le reste est frit dans l'huile et conservé
dans des boites en fer-blanc soudées.
Malgré sa petite taille, la sardine est un rival
du hareng qu'elle surpasse de beaucoup en déli-
catesse. Elle se trouve en abondance sur nos côtes,
et malgré les causes de destruction auxquelles
elle est exposée, sa prodigieuse fécondité main-
tient l'espèce â peu près aussi abondante qu'au-
trefois. Elle habite d'ordinaire les eaux profondes;
mais en automne, i l'époque du frai, elle se rap-
proche de la surface et se réunit en grandes trou-
pes près des cotes, principalement il l'embouchure
des fleuves.
La pèche de la sardine constitue en divers pays,
et notamment en Bretagne, une industrie impor-
tante. On emploie des filets analogues à ceux
usités pour la pêche du hareng, mais i mailles
plus petites. Quelques-uns ont mille mètres de
long.
Une couche d'huile qui surnage indique aux
pécheurs l'endroit où se trouvent les sardines. On
dirige les barques de manière â encercler une
partie de la troupe, et au bout de quelque temps
les mailles sont presque toutes garnies d'un pois-
son.
La sardine se corrompt très vite, aussi est-on
obligé de la saler immédiatement. Les plus gros-
ses se préparent à la manière des harengs. Les
petites et les moyennes sont frites dans l'huile
et rangées dans des boîtes de fer-blanc qui sont
soudées, puis chauffées au bain-marie à un peu
plus de 100 degrés. Ainsi préparées, elles se con-
servent indéfiniment.
Lorsque l'on aura généralisé les essais d'élevage
de poissons dans de grands viviers marins, nos
côtes repeuplées fourniront à l'alimentation des
quantités énormes de poissons qui feront une
heureuse concurrence i ceux de la grande pêche ;
car il faut reconnaître que le poisson salé ou
fumé perd non seulement la plupart de ses qua-
lités agréables, mais aussi une notable proportion
de sa valeur nutritive. ÎD' Safl'ray.]
PEINTURIÎ. — La peinture dans l'antiquité.
— La peinture ne fut d'abord qu'une simple colo-
ration des matériaux employés par l'architecture,
appliquée soit h l'ensemble, soit aux détails sculp-
tés en creux ou en relief, puis h, certaines parties
des œuvres de la statuaire, aux vêtements des
statues par exemple. Il faut traverser bien des
siècles avant do voir la peinture produire ce que
nous appelons aujourd'hui un tableau. Elle com-
mença par s'essayer sur les grandes murailles des
édifices publics à représenter des scènes histori-
ques ou familières. Telle fut la peinture en
Egypte à l'époque des Osourtasen et des Uamsès.
Le Musée égyptien du Louvre nous offre des.
spécimens remarquables et fort intéressants de-
cette peinture à l'état d'adolescence : cercueils de-
momies, ornés de figures et d'inscriptions en cou-
leur, manuscrits hiéroglyphiques, tableaux funé-
raires. Une grande pureté de dessin, une grande
vivacité de coloris distingue la peinture égyp-
PEINTURE
1344 —
PEINTURE
tienne; mais comme les autres arts elle reste ira- ] de tout modèle conduit lart à un état de barbarie
ditionnelle, immuable. extrême. « On ne sait plus représenter l'homme
C'est en Grèce seulement que l'art devint ha- qu'assis ou debout. Les autres attitudes sont trop
main et sembla prendre vie. Selon les Grecs, qui
ont une légende gracieuse à l'origine de tous les
arts, une jeune fille de Sicyone, voyant sur le mur
'l'ombre de son fiancé prêt à la quitter pour un
long voyage, prit un charbon, suivit les contours
delà silhouette, et traça ainsi le profil. Le dessin
était trouvé. Chacun des progrès de l'art était
ainsi personnifié : c'était Cléophas qui avait le
premier appliqué la couleur au dessin, ,\pollo-
dore qui avait trouvé la perspective. Cette mytho-
logie artistique est fort longuement racontée par
Pline l'Ancien : mais ce n'est qu'à partir du
T' siècle avant notre ère qu'on trouve quelques
renseignements authentiques et des noms dignes
d'être cités. Polygnote de Tliasos, bien que réduit
difficiles. Les mains, les pieds sont raides et ont
l'air cassé; les plis du vêlement sont de bois, les
personnages seniblcnldes mannequins, les yeux ont
envahi toute la tête. » Mais qu'importe '? sur des
âmes incultes une figure grossièrement façonnée
aura plus de prise justement parce qu'elle est
symbolique.
« L'art du moyen âge parlait à ces populations
à demi sauvages la seule langue qu'elles pussent
comprendre, la terreur» (Ménard). Le jugement
dernier avec ses diables, ses flammes, ses sup-
plices, tel est le thème favori des peintres comme
des sculpteurs.
La peinture en Italie, du xi^ siècle aux temps
modernes. — Il s'opéra au xi* siècle une vérita-
à l'emploi de trois ou quatre couleurs seulement, ' ble renaissance sous l'influence de l'art byzantin,
donne à ses figures un véritable caractère de , Une école grecque s'établit à Rome, une autre à
grandeur et exécute des fresques monumentales,
vastes compositions qui réunissent jusqu'à deux
cents personnages. Ce fut lui qui décora le porti-
que du l'œcile, à Athènes.
he siècle de Périclès compte deux grands pein-
tres : Parrhasius et Zeuxis. Parrhasius peint sur
des tablettes mobiles, portatives : il crée le ta-
bleau ; de plus, il donne à ses figures l'expres-
sion, la passion, la vie. Zeuxis, son rival, l'em-
porte par le coloris : il invente la manière de
ménager la lumière et les ombres.
Mais le grand peintre de la Grèce, son Raphaël
pour ainsi dire, c'est Apelles. En lui tout était
Pise. Les œuvres des mosaïstes grecs donnent
l'éveil au génie italien. Les cités italiennes se pi-
quent d'émulation, architectes et sculpteurs se
mettent à l'œuvre ; la peinture suit de près ce
mouvement. Au début du xiii« siècle, les peintres
italiens se montraient déjà supérieurs aux Grecs
contemporains.
Cimabuë, né à Florence en 1240, ouvre la liste
des peintres italiens. Ce n'es' pas un novateur
bien audacieux, mais ses œuvres dénotent un pro-
grès (Louvre : Vieif^n aux anges).
Le fondateur de l'école italienne est Giotto. Ce
petit pâtre, que Cimabue rencontra dessinant ses
réuni, sentiment, exécution, ordonnance. 11 fut le ! chèvres sur le sable avec une pierre pointue, et
favori d'Alexandre, qui ne voulut pas avoir d'autre . dont il fil son disciple, est le premier peintre qui
peintre que lui. s'inspira directement de la nature. Il ne se con-
Aucune œuvre des peintres grecs n'est venue tente pas de juxtaposer ses personnages : il com-
jusqu'à nous. ÎNous pouvons cependant nous faire pose un ensemble. Il donne de l'expression k
une idée de cette peinture et de ses mérites. ses figures, et à ses personnages la vie et le
Les monuments de l'architecture et de la sta- mouvement (Louvre : trois tableaux sur Saint
tuaire disent assez si ce peuple était compétent François d'Assise). Giotto était à la fois peintre,
en matière d'art, et nous voyons chez lui les pein- sculpteur, ingénieur, architecte, poète. Cimabuê
très estimés à l'égal des sculpteurs. Les descrip- avait été architecte et peintre ; Nicolas de Pise,
lions de tableaux que nous trouvons dans les sculpteur et architecte. Ainsi dès les premiers
écrivains témoignent au moins de l'invention et noms qu'on rencontre se présente ce fait si remar-
de la richesse d'ordonnance des artistes. Nous ' qnable dans l'histoire de la Renaissance : la mer-
savons par eux que tous les genres cultivés de veilleuse aptitude des artistes à pratiquer toutes
nos jours étaient cultivés chez les Grecs : pein- les branches des beau.x-arls avec un égal succès,
ture religieuse, histoire, batailles, portrait, nature Giotto était devenu un illustre personnage : les
morte, scènes d'intérieur, et jusqu'à la caricature, princes et les papes se disputaient la faveur de le
Les fresques découvertes dans les catacombes et posséder. La place honorable que l'artiste prend
plus récemment à Herculanum et à Pompéi, [ alors dans la société italienne est encore un trait
montrent assez que les peintres de l'antiquité sa- particulier de l'époque,
valent traiter tous les sujets. Jean de Fiesole (Fra Angelico) ne connut pas cette
Les Romains, grands architectes et grands ingé- 1 gloire mondaine ; jeune, riche, doué d'un talent
nieurs, demeurèrent toujours étrangers à l'art de extraordinaire, il revêtit la robe des dominicains :
sculpter et à l'art de peindre. Ils n'eurent guère il consacra son pinceau à la peinture religieuse,
d'autres artistes que les artistes grecs venus à Ses œuvres reflètent la sérénité angélique de son
Rome après la conquête de la Grèce. Le faux goût âme. Un certain caractère hiératique emprunté
des vainqueurs eut la plus déplorable influence aux traditions byzantines est en parfaite harmo-
sur les artistes grecs eux-mêmes ; la peinture fut ' nie avec l'exquise naïveté, la suave délicatesse
bientôt réduite au rôle de décoration d'intérieurs, de ces figures, expression idéale du paradis rêvé
Au siècle des Antonins, elle était déjà tombée ' par le moyen âge (Louvre : Couronnement de la
très bas. 1 Vierge).
La dévastation de l'empire par les barbares, les Le commencement du xV siècle est marqué
ravages des iconoclnstes, accélérèrent la déca- ' par des progrès importants : Ucello fixe les lois de la
dence des arts. Il n'y avait plus de modèles à élu- ! perspective, Finiguerra invente la gravure en taille-
dier, la tradition se trouva rompue. Un mouve- i douce, Antonello de Messine rapporte de Flandre
ment de réaction contre les briseurs d images fit le secret de la peinture à l'huile, plusieurs artistes
multiplier les tableaux d'église. Mais jamais on ne ' s'adonnent à l'étude de l'anatomie qui achève de
fil de plus mauvaise peinture. Les peintres ne \ fixer les principes du dessin,
sont que des fabricants d'images du culte, et obligés i Ecnle florentine. — A cette époque une éclosion
de se conformer à un type traditionnel et ortho- merveilleuse d'artistes eut lieu en Toscane ; tout
doïe : type barbare, informe, sans expression et un groupe de peintres animés d'un même senti-
sans vie, qui n'avait d'ailleurs qu'une valeur sym- ' ment de rénovation fonda cette admirable école
bolique. | florentine qui a eu des rivales, mais n'a jamais
La beauté est proscrite comme païenne; on été surpassée. Masaccio (1401-1413) ouvre la mar-
craindrait d'étudier la nature : l'absence prolongée che. Il se distingue surtout par l'expression des
PEINTURE
1543
PEINTURE
figuri's; et l'expression sera le trait dominant des
artistes de la Renaissance et surtout des artistes
florentins. Ce trait, on le saisit déji dans Filippo
Lippi et dans Gliirlandajo.
Gliirlandajo eut pour élève Michel-Ange Buona-
rotti (1475-l.'>t)4), un de ces génies exceptionnels,
qui, doués d'une intelligence puissante et d'une
sensibilité extraordinaire, réalisent les conceptions
les plus grandioses et atteignent au sublime.
Michel-Ange est surtout sculpteur. Mais il a
peint de grandes compositions où se retrouvent
tous les caractères de son talent, et ses peintures
ne sont pas moins célèbres que ses statues.
Michel-Ange peintre est tout entier h la cha-
pelle Sixtine. Cette chapelle est une grande salle
longue de deux cents pieds. Le plafond est plat :
Michel-Ange l'a divisé en huit compartimenis de
toutes formes où il a peint divers sujets pris dans
l'Ancien Testament, telsquela Création de l'homme
et de la femme, le Déluge, le Serpent d'airain,
Judith. Dans la naissance des voûtes qui raccor-
dent le plafond aux parois latérales, il a peint les
figures isolées des prophètes et des sibylles. Tous
ces personnages sont surhumains non seulement
par leur taille gigantesque, mais par l'accent tra-
gique,et l'héroique passion qu'expriment ces corps
d'une étrange beauté. Michel -Ange a passé sa vie
à étudier le corps humain. Il place l'expression
non dans le visage, mais dans le corps tout entier.
Membres, muscles, charpente, attitudes, concou-
rent autant que les traits de la face k exprimer
les sentiments violents et les passions effrénées. Ce
langage, qui fut celui des sculpteurs grecs, a
été retrouvé par Michel-Ange. Son génie a peu-
plé ces voûtes d'une race unique de créatures
splendides, de demi-dieux h qui manque la séré-
nité des habitants de l'Olympe grec, mais en qui
vivent toutes les douleurs et toutes les audaces de
l'humanité consciente d'elle-même.
Le fond de la chapelle est occupé parla grande
fresque du Jugement dernier. Cette composition
grandiose est un clief-d'œuvre de disposition sa-
vante, et en même temps tout y est violent, pas-
sionné, excessif à ce point que nos âmes timorées
et routinières se sentent déconcertées devant cette
manifestation d'un génie surhumain. One bonne
copie du jugement dernier peut se voir à Paris
à l'Ecole des Beaux-Arts.
Une gravité noble, une énergie robuste et sim-
ple caractérisent l'art florentin. Cette génération
ardente déploie son activité dans tous les sens.
Chacun est à la fois sculpteur, peintre, fondeur,
orfèvre, ciseleur, architecte. Cette universalité de
talents éclate surtout chez Léonard de Vinci (U!)2-
1519). Il débute par la peinture, mais il est éga-
lement poète et musicien, et à un degré qui lui
vaut les plus brillants succès dans la noble so-
ciété florentine. En IiS3, il offre ses services à
Ludovic le More, comme ingénieur militaire et
ingénieur civil, affirmant sans hésitation sa supé-
riorité dans tous les arts libéraux comme dans les
arts mécaniques. Il fait une statue équestre de
François Sforza, creuse un canal, et continue i
peindre dans une manière nouvelle. La plus célè-
bre do ses œuvres est la fresque de la Cène, au
couvent de Sainte-Marie-des-Gràces à Milan. Cette
œuvre, aujourd'hui mutilée, dégradée, eu ruines,
produit encore une impression extraordinaire.
Toutes ces figures placées sur un même plan,
expriment avec la plus grande netteté les senti-
ments les plus forts et les plus variés. Le Christ
a un caractère idéal : c'est la première fois que
la peinture lui donne ce caractère, et aujourd'hui
encore cette tête de Christ est la plus belle qui
soit sortie de la main de l'homme.
Le Louvre possède de Vinci, outre plusieurs
Yiergef, deux portraits de femme, dont l'un est
peut-être le chef-d'œuvre de Léonard. C'est le
portrait d'une dame du temps, Monna Lisa,
femme do François dcl Giocondo : de là le nom de
la Joconde sous lequel est connue cette toile. Un
regard pénétrant, un sourire mystérieux donnent
à cette figure un caractère difficile à. déterminer,
mais en môme temps un charme étrange. C'est
un sourire de sphinx qui à la fois inquiète et fas-
cine. Cette expression de sentiments raffinés et
complexes est le propre de Léonard de Vinci.
Léonard fonda une nombreuse école d'où sont
sortis Bernard Luini et Lorenzo di Credi. Deux
grands artistes, qui ne furent pas ses disciples
directs, ont dû une partie de leur talent i l'étude
de ses œuvres : Fra Bartolomineo, ami do Savo-
narole (Louvre : Sainte Ciitherine de Sienne avec
plusieurs saints) ; André del Sarto, peintre d'une
élégance naturelle et exquise, qui répand sur ses
têtes de Vierge une grâce attendrie pleine de sé-
duction.
Après lui, l'école florentine tombe rapidement,
et présente à peine encore quelques maîtres sé-
rieux. Il faut citer le Rosso, qu'on nomma en France
maiire Roux. Appelé en 1530 p;ir François I", il
exécuta à Fontainebleau des travaux immenses.
Son influence sur la peinture française a été des
plus funestes.
Ecole lombarde. — On désigne sous ce nom un
certain nombre d'artistes qui se sont illustrés dans
différentes viiles du nord de l'Italie, et dont les plus
célèbres sont Mantegna, de Padoue (Louvre: la
Vierge (le la victoire, le Parnasse); Francia, de
Bologne (Louvre : un magnifique Portrait 'l'homme);
Vanucci, de Pérouse, connu sous le noin du Pé-
rugin (1446-1.S'24). Le grand titre de gloire du
Pérugin, c'est qu'il fut la raaitre de Raphaël : lui-
même fut un très grand artiste. Sans s'élever à
l'idéal mystique de Fra Angelico, il exprime le
sentim.ent religieux avec une pureté et une grâce
austère qui font de lui un peintre chrétien par
excellence. Sa couleur est d'un grand cliarme.
Sur un fond d'une teinte blonde et dorée, il dé-
tacha des tons vifs et brillants du plus bel effet.
Ses madones sont charmantes, ainsi que ses
anges. Raphaël n'aura qu'à donner à ces types un
peu plus d'ampleur et de noblesse pour arriver à
la beauté.
Le véritable chef de l'école lombarde, c'est le
Corrège (Antonio Allegri, 140i-1643). Il est le
peintre de la grâce, de la grâce saine et vivante.
Son originalité consiste dans l'importance donnée
au jeu de la lumière, l'emploi merveilleusement
habile du clair-obscur. Son clief-d'œuvre est une
Nativité connue sous le nom de la Nuit (Louvre :
Mariage rie sainte Catherine, Sommeil il'A'itiope).
Eciile romaine. — Cette école commence avec
le Pérugin, car il est le maître et l'instituteur de
Raphaël.
Raphaël Sanzio (I483-15ÎO) était originaire d'Ur-
bino,dans les Etats de l'Eglise. Orphelin à dix ans,
il fut confié au Pérugin qui le garda dix années.
Ce qu'on appelle la première manière de Rapliaël
comprend les peintures qu'il a exécutées sous l'in-
fluence du Pérugin, dont il s'assimile l'ingénuité et
la délicatesse. Le plus célèbre de ces tableaux est
laMariagedela Vierge, dontla composition estem-
pruntée textuellement au Pérugin ; mais le mouve-
ment et la vie font de cette copie une œuvre originale.
Raphaël va étudier ensuite i Florence les fres-
ques do Miisaccio, et y apprend à imiter fidèlement
la nature. En même temps il étudie les antiques:
Fia Bartolommeo lui enseigne la perspective. Les
cartons de Léonard de Vinci et de Michel-Ange
lui révèlent les ressources de 1 anatomio et une
puissance d'expression qui ne se trouve point
ailleurs. Sous toutes ces influences, il entre dans
sa seconde manière. L'œuvre capitale do cotte
période est la Madone du Louvre, connao sous le
nom de la Belle Jardinière.
PEINTURE
1546 —
PEINTURE
Raphaël fut cliargé de décorer au Vatican
quatre grandes pièces qui composaient l'apparte-
ment officiel de Jules 11, et qu'oTi appelle encore
les Chumhrei (Stanze). Dans la cliambre de la Si-
;)nature,\\ peignit la Despu/e duSnint-Sacrenvml,
l'Ec'le il'Atlién-s. la Jurisprudence, le Parnusse.
La deuxième et la troisième salles renferment
également chacune quatre fresques.
Au Vatican il décora aussi une de ces galeries
ouvertes que les Italiens appellent Logqie. Cette
galerie (les Loges de Raphaël) se compose de
treize arcades se terminant par de petites coupoles
dont chacune est ornée de quatre petites fres-
ques (six pieds sur quatre) ; les sujets, tirés de
l'Histoire Sainte, ont été dessinés par Raphaël, mais
exécutés par ses élèves. Les murs et les piliers
sont ornés d'arabesques d'une grande variété et
du style le plus pur.
Au nombre des œuvres célèbres de Raphaël, il
faut encore citer les portraits 6a Joueur de violon
et de la Fornarinn, une belle boulangère qui lui
servit de modèle pour ses madones; la Sainte-
Cécde, le Spasîtno (Eranonisscmenl du Christ, à
Madrid), la Tra»sfi(juration,\dL Vierge à la chaise,
la Madone Sixtine [b. Dresde).
Raphaël est inspiré par le génie païen de la Re-
naissance. Plus qu'aucun de ses contemporains,
il aime l'antiquité et recherche la beauté des for-
mes. Ses tableaux chrétiens n'ont rien d'ascétique.
Ses madones sont l'idéal de la jeune et glorieuse
mère de famillp.
Le meilleur élève de Raphaël fut Jules Romain,
grand peintre encore, mais qui ouvre l'ère de la
décadence.
Ecole vénitienne. — Les maîtres florentins se
préoccupent avant tout de la forme et sont d'ad-
mirables dessinateurs. L'école vénitienne demande
les moyens d'expression i la couleur. Sous un
climat brumeux qui rend les formes indécises,
c'est à la couleur que l'œil s'intéresse. Les Véni-
tiens adoptent la peinture à l'huile, plus brillante
que la fresque: ils n'aiment pas les tons crus qui
réjouissent les habitants do l'Italie méridionale:
il leur faut des couleurs rompues; ils sont sensi-
bles i l'harmonie des nuances. Ils tiennent de
l'Orient l'amour du faste. Chez eux l'imagination
est souveraine maîtresse. L'art vénitien procède
de la fantaisie; l'histoire, l'Ecriture même sera
traitée en roman; le sujet ne sera jamais qu'un
prétexte.
La peinture vénitienne commence au xv' siècle.
Avant cette époque on ne voit à Venise que des
artistes étrangers. Le fondateur de l'école est
Jean Bellini (U2G-lil6), qui eut pour élève le
Titien (Tiziano Vecelli, 1477-l.=)*ti), peintre sans ri-
val pour la largeur et la beauté de l'exécution, la
puissance et l'harmonieuse richesse du coloris.
Il est admirable dans l'art de peindre les femmes
et les enfants. S'il a moins de style que Raphaël,
il a plus de naturel et de charme. Il a laissé des
portraits de tousles hommes marquants de l'Italie:
portraits pleins de vie qui sont en même temps
des types de caractère et des documents histuri-
ques (Louvre: les Pèlerins d'Emmaiis, le Couron-
7iement d'épines, le Christ au tombeau, Jeune
femme à sa toilette, l'Homme au gant].
Paul Véronèse (Paolo Caliari, de Vérone, 1528-
1583) est le représentant le plus complet de l'é-
cole vénitienne. 11 s'occupa avant tout de réjouir
les yeux. Il choisit dans l'Evangile les épisodes
qui prêtent au décor et ."i la magnificence : les
repas. Sous le titre de .Vocet de Vunu, il repré-
sente une fête idéale, comme la pouvaient rêver
les riches patriciens de Venise. Un ciel bleu
tendre, une architecture élégante encadrent une
scène de festin où les nobles figures, les riches
étofl'es, les vases d'or, les instruments de musi-
que, composent un ensemble de l'aspect le plus
magnifique et le plus séduisant. Une lumière lim-
pide et argentée égaie le plus riche concert de
couleurs qui se puisse imaginer. Tout chez Vé-
ronèse est sacrifié au plaisir des yeux; mais il voit
noblement. Sa peinture est comme la belle musi-
que italienne qui, en enchantant les oreilles, ar-
rive i remuer le cœur (Louvre : Nocei de Cana,
Repas chez Simon, Jésus au Calvaire, Portrait de
femme).
Le Tintoret (Jacques Robusti, 1.Î12-1595) essaya
de combiner le coloris du Titien, son maître,
avec le dessin de Michel-Ange. Il est arrivé du
moins à se faire compter parmi les grands maî-
tres. Ce qui est remarquable chez lui, c'est le
mouvement. Les personnages ne posent pas; ils
se meuvent, et violemment. Sa fille Marietta eut
un sérieux talent et fit de bons portraits : elle
mourut jeune. Un tableau de Léon Cogniet (Mu-
sée de Bordeaux) représente le Tintoret peignant
sa fille morte.
Après le Tintoret, les peintres vénitiens ne se
distinguent plus de ceux du reste de l'Italie.
La déc'idence. — Elle commença à la mort de
Raphaël. Ses successeurs se mirent à imiter Mi-
chel-Ange et tournèrent en défauts toutes les
qualités du grand artiste. Chez ceux qui imitè-
rent le Corrège, la grâce dégénéra en fadeur.
Une famille de peintres de Bologne, les Carrache,
fondèrent une académie où ils enseignèrent à
combiner habilement les différentes qualités de
chacun des grands maîtres. Cette école éclec-
tique produisit quelques peintres à qui manque
le génie de l'invention, mais remarquables par
l'habileté du pinceau : le Guide (le Char de l'au-
rore), le Domiiiiquin (Communion de saint Jérôme;
Louvre : Sainte Cécile), l'Albane, le Guerchin.
On désigne sous le nom d'école napolitaine
une coterie d'artistes qui, vers la fin du xvi" siè-
cle, vinrent de différents pays s'établir à Jfa-
ples, et se rendirent fameux par leurs crimes et
leurs cabales autant que par leur talent. Ce sont
des peintres réalistes; les plus célèbres sont : le
Caravage (Louvre : un Grand .Maître de Malte)
et Salv.ator Rosa (Louvre : une Bataille, un
Pai/soge).
Au XVII' siècle l'Italie ne produit plus que
d'habiles décorateurs, comme Pierre de Cortone.
Au xvip siècle, on ne trouve guère à citer que
Canaletto, auteur de très remarquables Vues i/e
Ve?iisf.
L'école espagnole. — C'est un curieux phéno-
mène que Cfiie école qui apparaît sans que rien
la fasse pressentir, illumine tout un siècle du
plus vif éclat, et disparaît soudain et complète-
ment. Elle est une manifestation éloquente du
génie national.
Vélasquez (1599-1600) est le peintre de la cour
et de la noblesse. Nul historien ne présentera
d'une manière aussi saisissante la tristesse incu-
rable d'une race royale qui dépérit et la froide
hauteur qui tient lieu de majesté. Ces grands
d'Espagne tout empesés et dont la dignité se
soutient par l'étiquette, ces petites infantes paies
et souffreteuses, empaquetées dans de lourdes
jupes, en disent plus que tous les .Mémoires sur
l'Espagne au xvii= siècle. Vélasquez est un ti'ès
graud peintre : il a excellé dans tous les genres
(Madrid : les Pileuses, le Tableau des lances; Lou-
vre : Vlnfante Marguerit-).
Zuibaran est le peintre de cette populationhàve,
misérable, décharnée, de moines de toute robe
qui pullulait en Espagne. La flagellation, la médi-
tation funèbre, l'extase, tous les tristes épisodes
de la vie claustrale, tels sont les thèmes qu'il
traite d'un pinceau énergique, mais dont la bru-
talité même a sa poésie.
Murillo (IGl8-l(iS2! peint des sujets religieux,
mais dans un sentiment qui n'a rien d'ascétique.
PEINTURE
— 1547 —
PEINTURE
Sos jolies madones au regard noyé sont des An-
(lalouscs de race qui ont oul)lié leur éventail ; ses
moines sont de bons gras jésuites. En mémo
temps il peint les gamins, les mendiants, les
marchandes de fleurs dans toute leur réalité vi-
vante. Murillo est un génie suave qui éclaire tout
ce qu'il touche d'une clarté sereine et aimable.
(Louvre : la Conception, le Jeune mendiant, Sainte
Famille.)
Léoole allemande. —Il n'y a pas à proprement
parler d'école allemande. L'Allemagne peut seu-
lement citer quelques artistes d'un génie original
et puissant, mais que ne relie aucun ensemble
de traditions ou de tendances : Albert Durer
(m I-15VS), célèbre surtout par ses gravures sur
cuivre; Hans Holbein (U'JS-liSi), grand peintre
d'histoire, et le premier peut-être des portrai-
tistes. La décadence se produit immédiatement
après la disparition de ces grands maîtres. Au
commencement du xix' siècle, Cornélius, Over-
beck et Kaulbach ont inauguré le t-omantisme
allemand, par réaction contre l'influence française.
Cette influence est toute-puissante aujourd'hui et
n'est tempérée que par celle des artistes belges.
L'école flamande. — C'est h Cologne qu'on ren-
contre la plus ancienne école de peinture dans
les pays du Nord. Cette école existe déjà au
XIII' siècle, et suit alors les principes de l'art
byzantin. C'est li que durent étudier les frères
Van Eyck, fondateurs de l'école de Bruges, d'où
est sortie toute l'école flamande, et aussi l'école
hollandaise. Jean Van Eyck if 1441) n'a pas inventé
la peinture à l'huile; mais il a perfectionné le
procédé et l'a rendu praticable. Il est le Giotto
du Nord, l'initiateur. Ses tableaux sont de petite
dimension et traités avec le fini de la miniature
(Louvre : Vierge au donateur). Son élève Memling
(■{• 1484), avec la mèmeflnesse dedétail, idéalise ses
modèles. Il est, avec Fra Angelico, le plus illustre
représentant des tendances mystiques du moyen
âge. Les figures de Van Eyck et de Memling sont
laides : mais cette laideur pliysique rend plus tou-
chante l'expression morale de ces physionomies
sérieuses, d'où émane une grâce incomparable, la
grâce de la vertu naïve. Ces peintres mystiques
sont pourtant naturalistes: les accessoires, étoffes,
joyaux, fleurs, sont rendus avec une exactitude
minutieuse. La Châsse de Sainte Ursule, par
Memling (à Eruges), est un chef-d'œuvre d'inven-
tion épique et d'exécution précise : c'est la mer-
veille de la peinture microscopique. Quentin
Matzys (14GO-15.30) poursuit cette voie réaliste,
mais il opère une large coupe dans cette exubé-
rance de détails, et sauve l'art flamand de l'écuoil
où doit périr la peinture hollandaise. Il introduit
dans ses tableaux l'élément pathétique, qui sera le
propre de l'école flamande. Le premier il met en
pratique la grande loi de l'unité ; il a le sentiment
de la beauté, il peint des types bourgeois, mais
anoblis par le caractère et la distinction (Louvre :
Banquier et sa femme).
Pierre-Paul Rubens (1577-16(0), le plus grand
des peintres flamands, est un des quatre ou cinq
plus grands peintres qui aient existé. Fils d'un
échevin de la ville d'Anvers, il reçoit d'abord les
leçons d'Otto Venius, puis va étudier en Italie de
vingt-trois à trente et un ans. Doué d'une activité
prodigieuse, menant de front l'art et la diplomatie,
les sciences, l'archéologie et les lettres, fôté, ho-
noré partout comme peintre et comme ambassa-
deur, toute sa vie n'est qu'une suite de triomphes.
Avec une fécondité prodigieuse, il peint des sujets
de sainteté, des sujets d'histoire, des portraits, des
chasses. Depuis plus de deux siècles on vante sa
fertile imagination et la richesse do sa palette.
Mais le trait original et supérieur de son talent,
C est la puissance d'expression qu'il tire de certains
effets de couleur. Il est l'égal des Vénitiens comme
coloriste : nul Vénitien n'égala jamais sa puissance
dramatique. C'est à liruxelles et surtout à Anvers
qu'il faut voir liubens (Descente de croi.r, Assomp-
tiO'i , Clirisl à la pailie). Au Louvre, la Galerie
Médicis et la Kermesse ne peuvent donner une
idée exacte de ce puissant génie.
En Flandre, comme à Venise, les peintres cher-
chent leur idéal dans la couleur ; mais l'influence
de Florence et de Rome et la beauté des modèles
qu'ils avaient sous les yeux préserve les Vénitiens
de la laideur et des formes vulgaires. Privés des
monuments de l'art grec, en présence de types
moins purs, les Flamands se sont attachés à rendre
la fraîclieur et aussi l'exubérance des carnations.
Les cascades de chair que l'on reproche h. Rubens
lui-mèmo sont un trait caractéristique do l'école.
Van Dyck (15!)9-I611), élève de Rubens, a plus
d'élégance et do dignité dans les formes et par là
se rapproche des maîtres italiens. Il traduit la
pensée religieuse avec une poésie élevée : ses
portraits sont admirables et du plus haut style
(Louvre : Vierge aux donateurs, Charles I").
Jordaëns (1683-1678) exagère les défauts de Ru-
bens, il abuse des modelés charnus et tombe dans
les formes triviales.
Téniers (lGln-1694), peintre de genre, se rap-
procha' de l'école hollandaise.
L'école hollandaise. — Cette école se distingue
de l'école flamande par des caractères bien tran-
chés qu'elle a reçus de la Réforme et de la liberté
nationale. Les peintres hollandais traitent les sujets
chrétiens d'après l'Évangile et non d'après les
idées païennes. Chez eux le Christ a un corps
flétri par les austérités, mais illuminé d'une lu-
mière intérieure ; les apôtres, les disciples, sont
représentés comme il convient à des hommes du
peuple. S'il représente une scène biblique, le
peintre prendra également ses modèles dans la
rue ou dans la boutique. La lumière fait resplen-
dir d'un éclat glorieux ces humbles scènes, trans-
figure ces faces vulgaires et revêt l'ensemble d'une
haute poésie.
Rembrandt (1608-lCCO) est le grand maître de
l'école hollandaise. Nul n'a su tirer un parti plus
merveilleux du clair-obscur. Il aime à faire jaillir
une vive lumière du sein d'une masse d'ombre.
Là est son puissant moyen d'expression. Ses
œuvres les plus célèbres sont : à Amsterdam, la
Honde de nuit, la Confrérie des drapiers ; à La
Haye, la Leçon d'Anatomie ; au Louvre, les Pèle-
rins d'Emmaiis, le Philosophe. Ce grand peintre a
été un graveur admirable. Ses eaux-fortes ne sont
pas moins célèbres que ses tableaux.
Au-dessous de Rembrandt se place toute une
famille de peintres qui, dans de petits tableaux,
traitent des sujets familiers, des scènes d'inté-
rieur, et s'intéressent aux petits incidents de la
vie familière. Une bourgeoise recevant une visite,
un jeune homme écrivant une lettre, une vieille
femme dévidant du fil, une ménagère qui récure
ses chaudrons, tels sont les motifs où se plaît leur
pinceau délicat, et où le costume, l'ameublement,
les tentures, les ustensiles, grâce au jeu de la
lumière et au fini de l'exécution, intéressent les
yeux et quelquefois l'esprit. Parmi ces peintres de
la bourgeoisie, on distingue Terburg, Metzu, Gé-
rard Dow, le plus célèbre de tous, auteur de la
Femme niidropiquc.
Un autre groupe de peintres hollandais s'est
appliqué à reproduire les scènes de la vie popu-
laire prises surtout au cabaret ou dans les fêtes
villageoises. Les principaux sont Adrien Brauwer
et Adrien van Ostade.
D'autres ont su comprendre la poésie familière
de la nature et se sont épris de l'Iiumble paysage
de Hollande. Un bouquet de hêtres, un buisson,
une barrière, un tronc d'arbre renversé sur la li-
sière d'une forêt, tout émeut leur sympathie.
PEINTURE
— io48 —
PEINTURE
Albert Cuyp peint la nature florissante et en plein
midi. Paul Potter, contemporain de La Fontaine,
«st un peintre d'animaux; il prend pour héros les
bœufs et les clievaux de labour (Louvre : la
Prairie). Le grand poète du paysage hollandais
est Ruysdaijl : il a traduit la mâle et saine tris-
tesse de cette simple nature. Un pauvre buisson
qui résiste vaillamment à la tempête, voilà un
tableau de Ruysdaiil, c'est-à-dire un drame émou-
vant et un chef-d'œuvre. Ses Marines sont admi-
rables de poésie navrante (Louvre : le Buisson, la
Tempête). Hobbema peint la nature brillante, en-
soleillée, heureuse. Karel Dujardin découvre l'effet
pittoresque des vieux murs décrépits et des toits
délabrés.
Il est inutile d'énumérer les peintres de natwe
morte : leurs œuvres n'ont qu'un mérite d'exécu-
tion et un intérêt de curiosité. Il suffira de citer
■Van Huysura, dont les bouquets de fleurs sont
justement célèbres.
L'école française. — La peinture, en France,
resta longtemps bornée aux miniatures des mis-
sels et aux vitraux des églises. Les portraits de
Clouet (xvi' siècle) et deux tableaux du sculpteur
Jean Cousin, son contemporain, sont les plus an-
ciens monuments connus de la peinture française.
L'influence des artistes italiens de Fontainebleau
a été déplorable. Mais le xvii' siècle vit fleurir une
école de grande peinture. Cette école, un peu trop
négligée, exprime le génie propre de tiotre nation,
la grandeur unie au bon sens et i la raison, la
simplicité et la force, le génie de la composition
et celui de l'expression.
Le représentant le plus complet de cette école
est Nicolas Poussin (1594-I06d). Il passa la plus
grande partie de sa vie à Rome; mais, malgré son
culte pour l'antiquité et pour les maîtres italiens,
il est tout français par la clarté de ses concep-
tions, par le tour élevé et ingénieux qu'il donne à
l'expression de son idée, par la logique de ses ta-
bleaux où les qualités pittoresques sont toujours
employées pour expliquer et dramatiser le sujet.
Dans la peinture historique comme dans le
paysage, il est au premier rang : partout, il est
philosophe et littérateur autant que peintre. Le
sujet n'est pas pour lui un prétexte à peinture :
c'est une leçon morale qu'il veut imprimer dans
notre esprit, et il ne la sacrifie jamais à l'intérêt
optique. Ses paysages sont toujours composés en
vue de la scène, si peu de place que cette scène
occupe sur la toile (Louvre : Eliézer et Réttecca,
Moïie sauvé, les Bergers d'.ircadie, le Déluge).
Lesueur aussi ('.Bi"-1G.'>5) est un artiste émi-
nemment français, soucieux de la vérité et de la
logique : c'est en même temps un artiste chrétien.
L'Histoire de saint Bruno est un grand poème en
vingt-six tableaux où sont représentées les diverses
scènes de la vie monastique. Quelques-uns de
ces tableaux sont drs chefs-d'œuvre de poésie
ascétique. L'œuvre capitale de Lesueur est peut-
être V Ensevelissement du Christ. La douleur im-
mense, recueillie, de la mère de Jésus est admira-
blement exprimée.Quantaux sujets mythologiques,
Lesueur les a traités avec une naïveté chaste qui
y répand un sentiment chrétien.
Claude Gellée, dit le Lorrain (1600-1682), est
peut-être le plus grand des paysagistes. Il repré-
sente une nature idéalisée, mais observée et prise
dans la réalité. Il est le peintre du soleil. Per-
sonne ne l'a égalé dans la reproduction des effets
de la lumière du jour, n'a rendu avec autant de
puissance et de charme les rayons dorés s'épan-
dant sur de larges plaines, miroitant dans les
eaux, illuminant la cime des arbres. La magie de
son pinceau est inimitable. (Louvre : Vue du Cam/io-
Vaccmo, Port de mer uu soleil levant. Port au
soleil conchant, Ln fête vilUige^ise).
Philippe de Champaigne (I6U2-1672), né à
Bruxelles, est Flamand de naissance, mais il vint
en France avant l'âge do vingt ans, étudia sous
des maîtres français, et appartient à l'école fran-
çaise par la clarté de la pensée, et l'expression
précise de l'âme humaine, (l'est un génie essen-
tiellement chrétien. Il est comme le peintre
attitré de Port-Royal. Le tableau où il a peint
sa fille, sœur Sainte-Suzanne, malade, assistée
de la mère Agnès Arnauld, est admirable de fer-
veur et de foi.
Lebrun (IC.19-1C00) fut le premier directeur de
l'Académie de peinture fondée par Mazarin. Il
devint, sous Colbert, le peintre officiel de
Louis XIV, C'est un grand artiste. Il manque
d'inspiration; mais ses inventions sont nobles, et
il a le sentiment des grandes ordonnances. On lui
doit la décoration de la Galerie d'.\pollon, au
Louvre, et de la Galerie des glaces à Versailles.
Ses qualités se révèlent surtout dans une série
de tableaux sur la vie d'.\lexandre : la Tente de
Darius est son chef-d'œuvre. Parmi les toiles de
Lebrun que possède le Louvre, il en est une du
plus grand mérite, la Sainte Famille,
Jouvenet (1614-1717) est encore un peintre dé-
coratif, mais remarquable par l'expression drama-
tique.
L'école française s'est signalée dans le por-
trait par ses qualités naturelles de vérité et d'ex-
pression juste. Mignard et Rigaud ont peint tous
les princes, princesses, seigneurs et dames de la
cour au temps de Louis XIV et jusque vers le
milieu du xviii'' siècle. Largillière , s'il a peint
quelques princes, a mis le plus souvent son pin-
ceau au service des particuliers. Au xviii' siè-
cles, Latour mit h la mode les portraits au pastel ;
son portrait en pied de M'°' de Pompadour est
un chef-d'œuvre.
Les peintres d'histoire, contemporains et suc-
cesseurs de Lebrun, sont d'habiles décorateurs,
dont les compositions pompeuses et pittoresques
intéressent un moment les yeux sans rien dire h
l'esprit. Les Coypel, les Vanloo, Lemoyne sont
les coryphées de cette peinture théâtrale et sou-
vent maniérée.
Le peintre de la Régence est Antoine Watteau
(16S4-1721), excellent peintre qui a inventé un
genre et l'a porto à la perfection. C'est un artiste
de génie, car il a créé tout un monde, petit monde,
monde de fantaisie, mais qui fait illusion. Person-
nages de la comédie italienne dans leur costume
traditionnel, bergers en satin bleu, bergères en
satin rose, folâtrant sous des bosquets d'opéra;
monde factice et charmant, idéal de cette société
qui s'étourdit en criant : Après moi le déluge !
(Louvre : VEmbarquem-nt pour Ci/thére; Gille). _
Jouvenet et Pater, imitateurs de Watteau, lui
sont bien inférieurs. _ _
Le genre des pnstorales a été créé par Bou-
cher(n04-n"0), premier peintre duroi Louis XV,
et peintre particulier de -M"'= de Pompadour. La
société qui le patronnait fit de lui un peintre de
boudoir. Depuis vingt b. trente ans on s'est fort
engoué des peintres du xviii' siècle, et les
toiles de Boucher se vendent aujourd'hui encore
à des prix bien supérieurs h leur valeur réelle.
Boucher n'en fut pas moins un décorateur spiri-
tuel, un compositeur plein de charme.
Fragonard fit des tableaux rustiques, M époque
où Marie-Antoinette jouait h la laitière à Trianon.
Dans la seconde partie du xviii» siècle, deux
peintres célèbrent à leur manière l'avènement delà
bourgeoisie. Les fadeurs mythologiques font place
k la sentimentalité déclamatoire, et h l'observa-
tion des petits faits de la vie familière. Chardin
(1699-1779), reprenant à sa manière les traditions
de l'école hollandaise, peint les intérieurs bour-
geois, la mère de famille servant le repas à ses
enfants, les servantes puisant de l'eau. (Louvre :
PEINTURE
— 1549 —
PEROU
Intérieur de cuisine, \c Bénédicité.) Greuze traduit
sur la toile le roman et le drame, tels que les
compronneiit Jean-Jacques et Diderot. Il est trop
souvent mélodramatique, mais son accent est
passionné et sincère. (Louvre ; /Mceon/t'e de vil-
loge, la Mdléiliction paternelle, la Cruche cassée.)
Loutherbourg, le paysagiste, Oudry le peintre
d'animaux, sont des artistes estimables. Les mari-
nes de Josepli Vernct sont d'un grand peintre.
Un petit-neveu de Bouclier, Louis David (1748-
1725), pendant un séjour de cinq années à Rome,
étudia à fond l'antiquité et, à son retour, traita
exclusivement des sujets antiques : Bétisaire, le
Serment des Horaces, la Mort de Socratc Son
style est un compromis entre la nature vivante et
la statuaire grecque. Il se préoccupe avjnt tout
de la correction du dessin, et néglige le clair-obs-
cur au détriment de l'eflet pittoresque. C'est un
art de convention qui laisse froid et paraît banal.
David est pourtant un grand ariiste; son influence
a été considérable, et il a formé tout un groupe
de peintres éminents : Gros, Girodet, Isabey,
Léopold Robert, Ingres. Ce chef de l'école classi-
que, avec des idées très arrêtées, donnait un en-
seignement très large : ce sont ses disciples qui
ont inauguré le mouvement romantique.
Gros et Girodet introduisirent dans la peinture
française quelques éléments nouveau.x : Gros re-
produit les costumes militaires modernes, le pay-
sage et l'arcliitecture orientale (Louvre : Pestiférés
de Jaffa, Bataille d'Eylini) ; Girodet rend des effets
de lune et de brouillard.
C'est au Salon de 1819 qu'éclata la révolution
romantique. Trois tableaux émurent tous les es-
prits : le Naufrage de lu Méduse, par Géricault; les
Bourgeois de Calais, par Ary Sclieffer; la Barque
de Dante, par Eugène Delacroix. L'art classique
trouva pour soutien un peintre de premier ordre,
Ingres, qui a exercé sur l'art contemporain une
influence considérable. 11 s'inspira surtout de Ra-
phaël. Il lui empruntait la pureté des lignes, la
noble expression des figures, et, par le simple carac-
tère donné à des contours ou à des détails de mo-
delé, sut intéresser l'esprit aussi vivement que par
les scènes les plus dramatiques. Les tableaux qui
donnent le mieux la mesure de son talent sont
V Apothéose d'Homère, YOdalisque, la Source.
Le chef de l'école romantique fut Delacroix. Co-
loriste incomparable, il n'a aucun souci de la
forme et du dessin. Il cherche l'expression, le
caractère, fût-ce au prix de la "laideur. Mais il
tire de la couleur des effets magiques, et il reste
dans la tradition française par les qualités pitto-
resques et dramatiques [Massacre de Scio, Fem-
mes d'Alger, Nace Juive). Entre ces deux écoles,
plusieurs artistes de grand mérite suivaient des
voies diverses, mais originales et glorieuses : Léo-
pold Robert, qui traitait en haut style les épisodes
de la vie populaire en Italie (le Ketour de la fête
de la Madone de l'Arc, les Moissonneurs, les Pé-
cheurs) ; Ary Scheffer, le peintre des Mignons et des
Jtfo7'(/iier!7e.s ; Paul Delaroche, qui conquit une célé-
brité brillante par la peinture d'histoire anecdotique
(les Enfants d'Edouard, la Mort du 'lue de Gui^ei,
et qui a laissé une grande page : X'Hémiryele du
Palais des Beaux-Arts; Horace Vernet,le plus po-
pulaire de tous, le peintre de l'histoire militaire
contemporaine (Versailles : la Smala; Louvre :
Bataille de Clichg).
A l'époque où le paysage prenait dans la littéra-
ture une importance toute nouvelle, il se formait
une école de paysagistes français qui étudiait la
nature dans ses aspects les plus intimes et les
plus varies : ( orot était le chef de cette |)halange.
Brascassat et Rosa Bonheur se sont illustrés
comme peintres d'ariimaux. La peinture de fleurs
n a eu de noire temps qu'un représentant distin-
gue : Saint-Jean, de Lyon. [P. Ftuilleret.J
PEROU. — Histoire générale, XXXVI. — I. Temps
primiti/s. — Les plus anciennes traditions rattachent
les Péruviens aux Aymaras, (]ue le dieu Viracocha
ou Pachacamac, créateur du monde, aurait fait naî-
tre des pierres et des fontaines et répandus sur les
deux versants des Andes. Ce peuple, après avoir
atteint une certaine civilisation, dontténioignent les
ruines de Tiahuanaco, serait retombé peu k peu
dans la barbarie, au point de n'avoir plus pour ha-
bitalions que des cavernes, de ne plus cultiver la
terre, d'adorer les plantes, les animaux, et d'immo-
ler à ses divinités des victimes humaines. Il fut ré-
généré, au XI" siècle, par la race voisine des Qui-
cliuas, qui avait à peu près la même origine, mais
ne parlait pas la même langue. Ces derniers
attribuent la création de leur empire à Manco-
Capac, chef de la puissante famille des Incas, qui,
parti du lac de Titicaca, vint fonder, sur un haut
plateau des Andes, la ville de Cuzco, fit renaître
l'agriculture et apprit aux habitants du pays h fa-
briquer des instruments de travail, des armes,
des tissus. La monarchie qu'il institua et qui s'é-
tendit sous ses successeurs (Sinchi-Roca, Tupac-
Yupanqui, etc.) jusqu'à l'équaleur d'un côté, jus-
qu'au M° lat. S. de l'autre, était une théocratie
absolue, sous laquelle les populations, mainte-
nues dans un ordre parfait, jouirent d'un certain
bien-être matériel, mais perdirent toute initiative
et toute habitude de la liberté. Pachacamac, Tiime
(/!( ?«o«de, était représenté, dans la religion péru-
vienne, par le soleil, dont le culte était entretenu
dans des temples magnifiques par des prêtres
nombreux et dans des couvents par des vierges
sacrées. Le roi, regardé comme le fils du soleil,
ne formait d'unions légitimes qu'avec ses sœurs,
pour conserver la pureté de sa race. Ses parents^
les Incas, ne se mariaient point en dehors de leur
caste. Parmi eux étaient pris les vice-rois qui
gouvernaient les quatre grandes divisions do l'em-
pire. Les provinces étaient administrées par des
curacas héréditaires. Chaque groupe de lOOo, de
500, de 50 et de 10 familles avait un chef particu-
lier chargé d'appliquer les lois (qui frappaient de
mort les moindres délits), de surveiller les sujets
jusque dans leur vie privée, de distribuer les pro-
duits du sol, les vêtements, etc. Point de propriété
individuelle: les terres appartenaient au soleil ou
au roi. Les habitants étaient soumis au service
militaire et corvéables i merci. Us ne pouvaient
se marier que dans leur tribu et dans leur caste.
Armés d'un pouvoir sans limites, les souverains
péruviens purent faire construire des palais, des
temples, des routes (comme celle de Cuzco à
Quito) pourvues de tampus ou relais de poste.
Mais leur despotisme stérilisa dans l'empire tous
les arts naissants. L'architecture resta basse,
lourde et sans grâce. La médecine et l'astronomie
firent peu de progrès. L'or et l'argent, dont on se
servaitpour les usages les plus vulgaires, ne furent
même pas utilisés pour les échanges commerciaux.
Enfin les Quichuas, en guise d'écriture, n'em-
ployaient que les quipus, cordeleites dont les
nœuds et les couleurs formaient de véritables hié-
roglyphes.
II. Conrjuéte du Pérou par Ir's Espagnols. —
L'Inca Huayna-Capac, conquérant de Quito, était
mort en 1526. Deux de ses fils, Atahualpa et
Huascar, se disputèrent sa succession. Ce dernier
eut l'idée d'appeler à son secours trois aventu-
riers espagnols, qui, après une première recon-
naissance du pays (1524-1527), avaient reparu sur
la côte du Pérou, au nom de Charles-Quint, avec
180 soldats. Cotaient Pizarre, Almagro et de
Luque. Ils accoururent. Huascar fut, il est vrai,
vaincu, pris et peu après mis à mort. Mais Ata-
hualpa, qui redoutait fort ces étrangers à cause
de leurs armes à feu et de leurs chevaux, leu)-
envoya do riches présents qui ne firent qu'exciter
PEROU
— 1550 —
PERSE
leur cupidité. Il alla même au devant d'eux et les
rencontra h Cajamarca (novembre 1532). Là, sans
préambule, Valverde, chapelain des Esp.agnols,
somme 1 Inca de reconnaître Cliarles-Quint pour
suzerain et de se faire clirétien. Atahualpa refuse.
Aussitôt, Pizarre se saisit de lui et massacre son
escorte. Le malheureux roi livre, pour se rache-
ter, assez d'or et d'argent pour remplir une vaste
chambre. Il n'en est pas moins étranglé par ordre
du conguiytador, qui, peu après, au milieu de la
stupeur générale, s'empare de Cuzco, dont son
compagnon de Luque devient évoque. Les Espa-
gnols, entraînant avec eux des bandes résignées
de Quichuas, qui leur servent d'auxiliaires, se
portent dès lors dans toutes les directions. Benal-
cazar, envoyé vers le nord, occupe Quito, fonde
Guayaquil, traverse toute la Nouvelle-Grenade.
Almagro, se dirigeant vers le sud, atteint les
plaines de Copiapo et signifie aux indigènes les
volontés de Charbs-Quint et celles du pape. Pen-
dant ce temps, Pizarre construit Lima, future ca-
pitale du Pérou (15.35). Le soulèvement de Cuzco,
fomenté pur Manco-Capac, frère d'Atahualpa, com- ,
promet un instant l'œuvre commencée. Mais
Ahuagro accourt et reprend la ville. Il est vrai que
les conquérants ne tardent pas à s'enlre-déchirer.
Pizarre, qui a fait mettre à mort Almagro (1538),
est lui-même assassiné (1541). Son frère Gonza-
lez, après plusieurs victoires et bien des cruautés, ;
périt à son tour sur lécliafaud (1516). Mais l'au-
torité du roi d'Espagne sur le pays est maintenue
grâce au vice-roi La Gasca. Elle s'étend môme à
l'est des Andes, jusque dans le bassin de la Plata;
dans le sud jusqu'au Chili, où Valdivia fonde San-
tiago; dans le nord jusqu'à l'Amazone (voyages
d'Orellana en 1541, d'Aguirre en l.OGJ, etc.). Quant
aux Incas, après Sairi-Tupac, qui meurt prison-
nier, et Amaru-Tupac, qui est décapité par les
vainqueurs (1562), ils sont dépouillés de tout
pouvoir, rentrent dans l'obscurité et partagent la
servitude de la nation péruvienne.
m. Le Pérou sous la domination espagnole. —
Pendant près de trois siècles qu'elle a possédé ce
pays. l'Espagne n'a guère cherché à faire oublier
la barbarie des premiers conquérants. Sans souci
des ressources agricoles de cette belle contrée,
elle n'a jamais paru préoccupée que de l'extrac-
tion des métaux précieux, qui abondent dans les
Andes. La population, mise en coupe réglée par
les chercheurs d'or, décimée par le fanatisme de
l'Inquisition, tomba en quelques années de huit
à six millions d'habitants. Vainement les lois
royales reconnurent-elles la liberté personnelle
aux Indiens. Le Conseil des Indes, chargé de les
protéger, était trop loin. Le vice-roi et Vaudien-
cia ou haut tribunal étendaient sur toutes les pos-
sessions espagnoles de l'Amérique du Sud une
autorité arbitraire et de fait presque exempte de
contrôle. (La vice-royauté de Bogota ne fut créée
qu'en 1718, et celle de Buenos-Ayres qu'en me.)
Les capitaines-généraux placés à la tête des
grandes provinces étaient eux-mêmes si éloignés
de toute surveillance qu'ils pouvaient impuné-
ment commettre les abus de pouvoir les plus ré-
voltants. Les fonctionnaires ne songeaient qu'à
piller le pays. Les colons et créoles étaient exclus
des charges publiques. Quant aux Indiens, par-
qués dans leurs villages, réduits à la misère la
plus abjecte, ils étaient également soumis à la
mita, c'est-à dire réquisitionnés pour les trans-
ports ou pour les travaux des raines, devaient
payer des tributs exorbitants et étaient contraints,
grâce au repartimiento, d'acheter aux agents de
l'État (qui exerçait dans le pays tous les mono-
poles) les produits inutiles — et avaries — de l'in-
dustrie européenne ,on leur vendait, par exemple,
d'autorité, des lunettes ou des bas de soie, dont
ils n'avalent que faire). Il faut ajouter que l'Es-
pagne leur interdisait, par crainte de la concur-
rence, les cultures et les industries auxquelles
elle se livrait elle-même et qui eussent pu les
enrichir.
IV. Le Pérou indé pendant. — Cette politique
barbare et inintelligente porta ses fruits. La doci-
lité proverbiale des Péruviens fit place peu à peu
à une tendance toute différente, qui se manifesta,
dès le milieu du xviii» siècle, par de violentes
insurrections. En 174'?, un Inca fut proclamé
souverain par les indigènes. En 1780, un des-
cendant de Tupac-Amaru, Condorcanqui, groupa
autour de lui une grande partie de la nation.
Fait prisonnier, il périt dans d'affreux suppli-
ces. Mais ses neveux, Catari et Andrès, le ven-
gèrent par de sanglantes représailles. A partir de
cette époque, le Pérou ne cessa de revendiquer
son autonomie. Au commencement du xix' siè-
cle, lorsque l'usurpation de Joseph Bonaparte
donna aux colonies espagnoles un prétexte pour
se soulever, Pumacagua se mit à la tête des Qui-
chuas, et, cette fois, les créoles confondirent
leur cause avec celle des Indiens. Le parti na-
tional, tenu en échec pendant plus de dix ans par
les Espagnols, reçut enfin en IS.'O le puissant
concours de lord Cochrane et du général Saint-
Martin, que le Chili émancipé envoyait à son se-
cours avec une armée. L'n peu plus tard, Bolivar,
libérateur de la Colombie, arrivait à son tour au
Pérou, dont la victoire d'Ayacucho (I82i) com-
pléta l'affrancliissement. Malheureusement la par-
tie méridionale et orientale de ce pays forma
dès cette époque, sous le nom de Bolivie, une
république indépendante. Le Pérou proprement
dit, après avoir rejeté la constitution semi-mo-
narchique que Bolivar lui avait donnée en 1826,
adopta une organisation démocratique qui, vu
le peu d'habitude qu'il avait de la liberté, ne
tarda pas à produire l'anarchie (1827-18;'9). Des
généraux improvisés, tels que Gamarra, Orbegoso,
Lafuente, Salaberry, se disputèrent le pouvoir les
armes à la main. En 1836, le Pérou, divisé en
deux républiques, fut contraint par Santa-Cruz,
président de la Bolivie, de former avec cet Etat
une confédération que la jalousie du Chili ne tarda
pas à dissoudre (bataille de Jungay, 18:t9). S'il a,
depuis, recouvré son unité et son indépendance,
il a vu s'ouvrir une interminable série de coups
d'Etat militaires, dont le détail serait fastidieux.
Si l'administration ferme et intelligente du prési-
dent Castilla, qui a exercé le pouvoir, à plusieurs
reprises, de 1845 à 1861, lui a permis de faire
quelques progrès (développement du commerce,
de l'industrie, exploitation du salpêtre, du guano,
etc.); — si, sous Pezet, Causeco et Prado, lia pu
se mesurer honorablement avec l'Espagne (1864-
1866); s'il s'est enrichi sous Balta (1868-72) et
Pardo (1872-76) d'un important réseau de chemins
de fer et de grands établissements d'instruction
publique, il n'a pas cessé d'être la terre classique
àe% pronun(^iamiento<:, àes, dictateurs et des guerres
civiles. En 1872, les frères Gutti^rez, après s'être
emparés violemment du pouvoir, étaient massacrés
par le peuple de Lima. En 1876. Pardu était assas-
siné dans l'enceinte même du sénat. Enfin tout
récemment Prado, redevenu président en 1876,
était, au milieu d'une guerre malheureuse (qui
dure encore) contre le Chili, renversé par le gé-
néral Pierola (lR7ii) Le Pérou, qui pourrait être
un des Etats les plus r.clies du Nouveau-Monde,
doit à ces agitations la ruine de son crédit et
l'arrêt momentané de son industrie et de son
commerce. [A. Debidour.J
IM'Rl'EPiiDICULAlRE. — V. Lignes, Droites et
Plans.
rBItSE ET MF.DIE. — Histoire générale, V. —
Médie est la forme grecque du mot Mada, signi-
1 tiant pai/s, terre, et Perse vient du nom Parçâ.
PERSE
— 1551 —
PERSE
Géoqraphin. — La M(idie et la Perse occupent
la paiaie occidentale du vaste plateau situé entre
la mer Caspienne et la mer Erytlirée, le bassin du
Tigre et le bassin do l'Indos. Ce plateau a reçu le
nom de Krân (Iran), pays des Aryens. Toute la
partie centrale en est occupée par un vaste désort
sablonneux. La Médie proprement dite était à
l'angle nord-ouest du plateau, la Perse à l'angle
sud-ouest. La principale ville de la Médie était
Ecbatane (Hamadan), qui fut la capitale de l'em-
pire mède ; la Perse avait pour capitale Pasagardes
et Persépolis. Les deux pays sont froids dans la
partie montagneuse, très chauds sur les parties
qui conlinent au désert central. Le sol y est fertile
et riche en pâturages.
Histoire. — Les plus anciens renseignements
que nous ayons sur les peuples du plateau crânien
nous sont parvenus par l'intermédiaire des monu-
ments cunéiformes. Dès le xiii" siècle avant notre
ère, les conquérants assyriens soumirent les tribus
qui occupaient les abord.s du Haut-Tigre, et péné-
trèrent sur le plateau même. Vers lo milieu du
VIII' siècle, Toukiat-liabal-asar II (V. Assyrie),
après une pointe hardie poussée à travers le con-
tinent jusqu'au bord do l'Indus, commença la con-
quête des régions situées au nord-est et à l'est de
Ninive, entre la chaîne du Khoatras et la Cas-
pienne. La colonisation assyrienne continua sous
Sargon et sous ses successeurs, Sinakhô-irib,
Assour-akhé-idin, Assourban-habal : pendant un
siècle, la Médie proprement dite fut une véritable
province assyrienne, souvent révoltée contre ses
maîtres, mais toujours réduite à obéir. Les noms
de peuples, de villes et d'individus que nous y
font connaître les monuments, sont fort différents
par la forme de ceux que nous rencontrons dans
les documents de l'époque classique. Le pays
était habité en effet par une race distincte des
races aryenne et sémitique, et dont la langue se
rattache d'un côté à l'idiome parlé dans la Su-
siane (V. lilam), de l'autre aux idiomes altaiques.
C'est cette race qui paraît avoir donné à la con-
trée qu'elle peuple le nom national de Mada, lit-
téralement (1 le sol, la terre. » Vers le milieu du
VIII' siècle, des noms d'hommes et de tribus aryens
commencent à paraître, puis se multiplient : h la
fin du vil', les Aryens étaient maîtres de toute la
région et avaient réduit les anciens habitants à la
condition d'esclaves ou de tributaires.
La tradition éranienne, conservée.dans les débris
de l'Avesta, plaçait au centre de l'Asie l'origine
de la race des Mèdes et des Perses aryens. Là, sur
la lisière du Pamir, s'était étendu l'Airyanèm-
Vâedjô, 0 l'Habitation des Aryas. » Le froid en
chassa les Éraniens et les força i chercher une
nouvelle patrie ; sans cesse chassés de contrée en
centrée par la mauvaise volonté d'Angro-mainyous,
l'esprit du mal, ils avaient parcouru successive-
ment Çoughdliâ (la Sogdiane), Bakhdhî (la Bac-
triane) ou le « pays des hautes bannières,)) Niçâyà,
puis s'étaient séparés en plusieurs rameaux dont
l'un avait fini par s'établir dans le bassin moyen
de l'Indus (Heptahendou), tandis que les autres,
s'étendant vers l'ouest et le sud-ouest, conqué-
raient la partie du plateau qui borde le cours du
Tigre. Rien dans les monuments n'est venu, jus-
qu'à présent, confirmer les données de cette géo-
graphie mystique. On voit seulement que la race
éranienne se sépara en deux brajiclies principales,
dont l'une emprunta aux populations qu'elle vain-
quit le nomdeMadaï, les Mèdes, tandis que l'autre
s'appelait Parçâ, les Perses. L'histoire de leur
établissement fut altérée de bonne heure par la
légende populaire et par l'orgueil national. On
prétendit que les Mèdes, soumis aux Assyriens par
Sémiramis, s'étaient soulevés vers 78S contre les
descendants dégénérés de la grande reine, avaient
pris Ninive et fondé un grand empire indépendant
Le premier roi avait été Arbakès, à qui, après un
interrègne, avait succédé toute une lignée de rois,
quatre selon Hérodote, huit selon Clésias, de
Uéiôkès à Astyagès. Le fondateur réel de la puis-
sance éranienne fut Ouwakhshatrâ (Vakistarra),
que les Grecs connurent sous le nom de Kyaxarès.
D'après Hérodote, il aurait été fils de Phraonès
et aurait hérité de son père un empire déjà foriné.
On croit aujourd'hui qu'il était né sur les rives
de laCaspienne, entre l'Atrek et l'Oxus, et qu'il fut
avec son père le chef d'une migration éranienne
qui, après avoir arraché aux Assyriens la posses-
sion du plateau mède, serait descendue dans le
bassin du Tigre et y aurait été vaincue par le vieil
Assour-ban-habal ou par son successeur. Phraortès
aurait été tué dans la bataille et son fils Kya-
xarès se serait retiré dans les montagnes pour y
former une armée régulière. Surpris par l'invasion
des Cimmériens (634), il se délivra d'eux au bout
de six ans (027), et profita du coup terrible qu'ils
avaient porté à la puissance assyrienne pour re-
prendre contre elle ses projets ambitieux. Allié
au Chaldéen Nabou-bal-oussour, il assiégea Ninive,
la prit après un long siège (625), et partagea avec
Babylone l'empire du vaincu. Il eut pour sa part
l'Assyrie propre et tout ce qui en dépendait au
nord et au nord-est, c'est-à-dire l'Arménie et le
bassin du Haut-Euphrate, auquel il joignit bientôt
la Cappadoce et le Pont à l'ouest. Une guerre
indécise avec Alyattès, roi de Lydie, terminée par
l'entremise des Chaldéens, donna de ce côté
l'Halys pour limite à son empire (610). Une longue
paix suivit, qui dura le reste de la vie de Kyaxarès
et la plus grande partie du règne de son fils Astya-
gès. Mais ce dernier prince ;i'avait pas d'enfant
mâle, et sa couronne devait passer aux fils de sa fille
Mandane, mariée à un souverain vassal, Kambou-
zia 1", roi de Perse. Il descendait d'un certain
Akliamanish ^Achéménès), et était le troisième de
la lignée Le passage de la domination des Mèdes
aryens aux Aryens persans ne se fit pas sans luttes.
La légende veut qu'Astyagès, se sentant menacé
par Kouroush (Kyros ou Cyrus), fils de Mandane,
ait essayé de le faire périr une première fois, dès
sa naissance, puis vers l'âge d'homme. Quoi qu'il
en soit de ces récits, Kyros se souleva contre son
grand'père. le battit après une longue résistance
et le prit. Ce fut plutôt un changement de dynastie
qu'une véritable conquête : Astyagès et ses pré-
décesseurs avaient été rois des Mèdes et des Perses,
Kyros et ses successeurs furent rois des Perses et
des Mèdes.
Kyros tourna contre les anciens alliés des Mèdes
la puissance qu'il venait d'acquérir, et ce fut d'a-
bord aux Lydiens qu'il s'attaqua (554). Après une
première bataille indécise, Kroisos (Crésus), roi des
Lydiens, surpris en plein hiver, fut vaincu, et sa
capitale. Sardes, enlevée d'assaut. La conquête .
de l'Asie Mineure fut achevée par Mazarès et par
Harpagos, qui soumirent les Grecs de la côte,
tandis que Kyros s'enfonçait vers l'est et réduisait
les provinces de l'Asie supérieure, la Bactriane,
le pays des Saces, l'Arie, l'Arachosie et tout le
pays situé entre le fieuve de Caboul et l'Indus
(554-539 . Il s'assurait ainsi les forces suffisantes
pour abattre la Chaldée. La résistance ne fut ni
aussi forte ni aussi longue qu'on aurait dû s'y
attendre : le roi JNabounahid fut vaincu, Babylone
fut prise et toute la domination chaldéennc, du
golfe Persique à la frontière égyptienne, passaaux
mains des Perses (538). Une guerre contrel Egypte
devenaitinévitable. Avant de l'entreprendre, Kyros
se tourna encore une fois vers la Haute-Asie, oit
il disparut d'une façon mystérieuse (529). On ra-
conta depuis qu'il avait été b..tiu et tué par Tho-
myris, reine des Massagètes. Avantde partir en ex-
pédition il avait reconnu son fils aîné,Kambou/.ia II
I (Kanibysès ouCamhysej, pour successeur et assure
PERSE
— 1552 —
PERSE
à son second fils Bardiya(SmerdisUe gouvernement
de plusieurs provinces. Cambyse, pour écarter un
compétiteur possible, lit tuer son frère secrètement,
de manière que le meurtre restât ignoré de la foule,
puis partit pour l'Egypte. Le Pharaon Psamétik 111,
fils d'Amasis, venait de monter sur le trône : il fut
battu à Péluse et pris dans Memphis (525;. Sa dé-
faite entraîna la soumission immédiate de tout le
pays, et Cambyse voulut porter plus loin ses armes.
Mais les deux expéditions qu'il entreprit contre l'oa-
sisd'Ammon et contre le royaume éthiopien de Na-
pata échouèrent misérablement. La tradition rap-
porte que l'insuccès le rendit furieux : il maltraita
les Égyptiens et les Perses. Le mécontentement
se mit dans son empire, et le mage Gaumàta en
profita pour usurper la couronne sous le nom de
Bardiya. Cambyse partit pour le combattre, mais
se tua en route, les uns disent volontairement,
les autres par accident (520- Gaumàta ne lui sur-
vécut pas longtemps : sa fraude fut découverte et
lui-même massacré, au bout de six mois de règne,
par sept nobles Perses. Les conjurés élurent roi
l'un d'entre eux, Dariavoush (Darios), fils de Vis-
taçpa (Hystaspès), qui appartenait à la race des
Achéménides. Le nouveau monarque dut conquérir
son royaume. Babylone se souleva deux fois sous
des imposteurs qui se firent passer pour les fils
de Nabounahid ; la Médie, l'Arménie et l'Assyrie
reconnurent pour roi Khshàtritâ, descendant de
Kyaxarès; l'Elam et la Perse suivirent cet exemple
et se donnèrent à plusieurs reprises des souve-
rains indépendants. Six années entières (521-516)
furent employées à étouffer la rébellion et à réta-
blir la suzeraineté de Darios sur toute l'Asie.
Kyros et Kambysès avaient fondé l'empire ;
Darios, éclairé par l'expérience de ses débuts,
sentit le besoin de l'organiser. Il rompit avec les
traditions administratives des empires précédents,
et créa une tradition nouvelle. Il n'enleva pas
aux différentes races sur lesquelles il régnait leur
religion, leurs mœurs, leur langue, leur constitu-
tion : loin de là, il rendit aux Juifs, i qui Cyrus
avait déjà rouvert la Palestine, le droit d'achever
la construction de leur temple, laissa leurs suffèies
et leurs rois aux Phéniciens, ses monarques héré-
ditaires à l'Egypte. Mais au-dessus de ces auto-
rités locales, il établit un pouvoir unique. Il
divisa le territoire en grandes provinces dont le
nombre varia selon les époques. Au début, il était
de vingt-trois : la Perse (Parçà), l'Elam ou Susiane
(Ouvajâ), la Chaldée (Babirous), l'Assyrie (Athou-
râ), la Mésopotamie, avec la Syrie, la Phénicie et
la Palestine (Arabayâ), l'Egypte (Moudrayàj. les
peuples de la mer avec Chypre et la Cilicie (Tyiya
darayahyà), la côte grecque de l'Asie Mineure
(Yaounà), la Lydie et la Mysie (Çpardâ), la Médie,
l'Arménie, la Cappadoce (Katpatoukai, la Par-
thyène et l'Hyrcanie (Parthavà), la Zarangiène
(Zarânka), l'Arie (Haraîva), la Chorasmie (Ouvâ-
razmiya), la Bactriane (Bakhtris:, la Sogdiane
(Çoughdà),la Gandarie (Gandaral.les SaceSiÇaka),
les Sattagydes (Thatagous .■, l'Arachosie (Haraouva-
tis), les Maka, sur la mer Caspienne, etc. Ce nombre
augmenta par la conquête ; sur la fin du règne, il
âtait de trente et un. Pour éviter que ces pro-
vinces devinssent autant de principautés indépen-
dantes, Darios mit dans chacune d'elles trois
officiers de rang égal et qui ne relevaient que du
roi : le satrape, le scribe royal, et le commandant
militaire. Le satrape, qui pouvait être choisi |iarmi
les gens de race étrangère aussi bien que parmi
les Perses, avait un pouvoir illimité sur toutes
les affaires civiles et criminelles, réglait la répar-
tition des imi ùts et rendait la justice. Le scribe,
chargé ostensiblement de la chancellerie, était en
réalité un espion officiel attaché à la personne du sa-
trape et occupé à rendre compte en haut lieu de tou-
tes les actions de celui-ci. Le commandant mili-
taire avait en main tous les soldats perses ou
étrangers campés sur le territoire de la satrapie.
Ces trois officiers étaient en hostilité constante,
et l'influence de chacun contrebalançait 1 influence
des deux autres assez également pour les mainte-
nir tous dans le devoir. Ils étaient en relations
perpétuelles avec la cour par le moyen de cour-
riers qui allaient régulièrement en quelques
semaines du centre de l'empire jusqu'aux extré-
mités les plus reculées. Enfin, chaque année, des
inspecteurs nommés les Yevx et les Oreilles du
Itoi, arrivaient à l'improviste dans chaque pro-
vince, escortés d'une petite armée, examinaient
l'état des affaires, recevaient les plaintes, et au
besoin déposaient le satrape. Leurs rapports déci-
daient le plus souvent du sort des employés
royaux : au moment où le satrape .s'y attendait le
moins, un envoyé muni de pleins pouvoirs arri-
vait, s'emparait de son palais et de sa personne
et le mettait à mort. Ce système ne plut pas
d'abord aux Perses ; ils s'en allaient répétant que
Kyros avait été un père, Kambysès un maître, et
que Darios était un cabaretier. Ils étaient pour-
tant exempts d'impôts, tandis que les autres
provinces payaient un revenu en argent ou en
nature proportionné à leur richesse ou à leur
étendue. Pour simplifier les comptes, Darios créa
une monnaie nouvelle, qui prit le nom de dari-
qtie. L'or qu'il recevait annuellement montait à
82 799 •'■6G francs en poids, ou, en tenant compte
de la différence entre la valeur actuelle et la
valeur ancienne des métaux précieux, 063 000 000
de francs. Le tribut en nature n'était pas moins,
considérable : l'Egypte fournissait du blé pour
une armée de 120 000 hommes, la Médie 100 000
moutons, 4 000 mulets, 3 000 chevaux, etc. Ce n'é-
tait que l'impôt officiel : les employés du gouver-
nement vivaient sur la province, et leur entre-
tien devait coûter au moins autant que l'impôt.
Ce système, pour imparfait qu'il fût, était cepen-
dant supérieur à tout ce qu'on avait connu jus-
qu'alors. Darios, en le créant, créa une forme de
gouvernement qui resta le type de toutes les
grandes monarchies orientales.
La conquête ne s'arrêtait pas cependant. Vers
512, Darios envahit l'Inde, y fonda dans le bassin
de l'Indus une satrapie nouvelle, et fit explorer
les côtes de la mer Erythrée, entre l'embouchure
de l'Indus et le fond de la mer Rouge, par l'amiral
grec Skylax de Karyanda. Il se reporta ensuite
vers l'Occident, où la Grèce tentait son ambition.
Une grande expédition contre les Scythes, entre-
prise afin d'empêcher ces tribus nomades de l'at-
taquer en flanc ou sur ses derrières, tandis qu'il
serait occupé en Grèce, l'entraîna presque jus-
qu'au cœur de la Russie actuelle ; il en ramena
une armée exténuée, mais inspira aux Scythes
une terreur telle qu'ils respectèrent désormais
] son empire. La conquête de la Thrace et la sou-
mission de la Macédoine (506) d'un côté, l'asser-
j vissement des Grecs de Cyrène i50s), le mirent
; en contact direct avec les peuples de la Grèce
propre. Arrêté un moment par la révolte de l'Io-
nie, il reprit l'attaque en 4y2 avec Mardonios, en
490 avec Datis et Anaphcrnès ; la victoire des
; Athéniens à Marathon ouvrit l'ère des guerres
médiques et fut le premier échec sérieux que
subit la domination perse. On a vu ailleurs ce
que furent ces guerres (V. Grèce). Elles rem-
plirent ce qui restait du règne de Darios 1"
(4'.)0-4.s7) et tout le règne de Khshayarsha (Xer-
xès) I" (487-465); elles se terminèrent sous Arta-
xerxès (4G5-425) par un traité (419) qui consacrait
l'affranchissement des Grecs d'Asie et défendait à
tout vaisseau de guerre perse de se montrer dans
les eaux grecques. Ce fui le commencement de
la décadence. Tandis que les armées et les flottes
, du grand roi étaient battues par les ennemis du
PERSE
— 1353 —
PERSE
-dehors, au dedans les révoltes de satrapes, les
intrigues de harem et les conjurations do palais
alTaiblissai(tnt lo pouvoir central. Xorxès l"' avait
été assassiné; lo successeur d'Artaxerxès I"',
Xorxès II, fut tué après vingt-cinq jours do règne
par son l'rèro Sogdianos, qui subit le môme sort
après être resté sept mois et demi sur le trône
(i25-12i). Ce fut un fils illégitime, Ochos, qui tinit
par remporter et se lit couronner roi sous lo
nom de Darios II H'H-iOb). Son règne ne fut
qu'une longue suite de malheurs ot de crimes :
l'Asie Mineure, la Bactriane, se révoltèrent, l'E-
gypte se rendit indépendante sous Amyrtée HOb).
Après la mort de Darios II, la révolte de Kyros
lo jeune contre son frère Artaxerxès II Mné-
mon (4U1-40U) et la retraite des Dix Mille mon-
trèrent aux Grecs quelle était la faiblesse de
l'empire perse. Si, grâce aux luttes perpétuelles
des cités helléniques, Artaxerxès put interve-
nir avec honneur dans les affaires de la Grèce
et inaposer la paix d'Antalkidas (387), partout
ailleurs il éprouva des revers. Lorsqu'il mourut
en 362, ses armées venaient d'être repoussées
de l'Egypte. Son fils Ochos, qui prit en montant
suf le trône le nom d'Artaxerxès III, releva un
peu la puissance perse ; il réprima les révoltes
de Chypre, de l'Asie Mineure, de la Haute-Asie, et
finit, après des défaites répétées, par triompher
de la résistance do l'Egypte (345). Il mourut
en 340 empoisonné. Son fils Arsès ne fit que
passer (340-337), et Darios III Codoman avait à
peine eu le temps de s'établir solidement sur le
trône quand Alexandre de Macédoine envahit l'A-
sie. Les victoires du Granique (334), d'issos (333),
d'Arbèles (330), le meurtre de Darios (330) livrèrent
l'empire perse aux Macédoniens.
Mœurs el religion. — Les Perses avaient dans
l'antiquité un grand renom de bravoure et d'hon-
nêteté : la première chose qu'ils enseignaient à
leurs enfants était o tirer de l'arc et dire la vérité »
(Hérodote, I, 138). Pour le reste, l'éducation se ré-
duisait à quelques notions sur la religion et l'his-
toire. Le peuple conserva toujours ses vertus pro-
pres et son courage ; les grandes familles et la cour
se corrompirent rapidement au contact des autres
nations de l'Orient. C'est surtout en Médie que le
luxe et la mollesse firent des progrès considé-
La religion des Mèdes et des Perses était le maz-
déisme appliqué d'abord dans toute sa pureté, puis
gâté plus tard par l'ijitroduction d'éléments étran-
gers. Sous la seule forme ancienne que nous en
connaissions, elle proclame l'existence d'un seul
dipu, Ahoura-Mazda, dont le nom s'est altéré en
Ormuzd. Comme l'indique son nom, il est souverain
de tout ce qui existe et sait tout. Il a tout créé,
ni,ajs sa création a soulevé contre lui des forces mal-
faisantes, qui sont représentées par l'esprit du mal,
Angrô-maïiiyous ou Ahriman. La religion constate
donc l'existence de deux principfs ennemis, le bien
et lalumière, Ormuzd, le mal et les ténèbres, Ahri-
man, sans cesse en lutte l'un contre l'autre. Pour
créer et pour maintenir la création, Ormuzd a six gé-
nies bienfaisants, Amesha-çpentas (Amshaspands);
pour détruire la création d'Ormuzd, Aliriman a six
génies malfaisants ou Dervends. Sous les six chefs
principaux agissent des multitudes de Yazatas ou
bons esprits et de Dèvas ou mauvais esprits. De
même que le monde, l'homme est soumis à la ri-
valité du bien et du mal : il a une sorte d'ange gar-
dien. Kra-Arshi (Férouër), attaché à sa personne et
destiné è. fe garder contie l'attaque des démons.
La religion lui recommande de prier, de travailler,
surtout de cultiver la terre. « Celui qui fait pro-
duire du blé à la terre, < elui qui fait pousser les
fruits des champs, celui-là cultive la pureté : il
est plus pur en Ahoura-Mazda que s'il offre cent
sacrifices. » Le culte n'admettait ni temples ni
2» Partie.
statues : rien que des hymnes, quelques sacrifices,
et l'entretien du feu sacré qui jamais ne doit s'étein-
dre. Après la mort, tandis que le corps était exposé
aux oiseaux et aux bètos, l'âme passait en jugement
devant un génie, Kashnou. Au sortir du tribunal
elle s'engageait sur le pont Shinvat, qui mène au-
dessus de l'enfer jusqu'au paradis : l'âme coupable
tombait aux mains dos démons, l'âme pure allait se
rejoindre à Ahoura-Mazda. Ajoutons que le jour de-
vait venir où le mal cesserait d'exister et où tous les
êtres, y compris Ahriman, reviendraient à la vertu.
La religion d'Ahoura-Mazda avait été prèchée par
Zarathoustra (Zoroastre), qu'on croyait avoir vécu
en Bactriane longtemps avant la fondation de l'em-
pire achéménide. Elle se conserva assez pure dans
la Perse propre. En Médie, elle fut altérée par la
mélange de superstitions empruntées aux peuples
autochthones d'origine non aryenne: les mages, qui
formaient la classe sacerdotale, en firent un instru-
ment de domination. Elle survécut longtemps à la
conquête grecque, et subsiste encore aujourd'hui
chez les Parsii de l'Eran et de l'Inde. Les livres
sacrés renferment des fragments dont les plus an-
ciens forment l'Avesta et sont écrits dans le dia-
lecte zend, langue fort rapprochée de celle desins^
criptions achéménides.
Les Perses avaient emprunté à l'Assyrie son sys-
tème d'écriture cunéiforme; ils le modifièrent pro-
fondément pour l'adapter i leur langue, et en firent
un véritable alphabet irès difl'érent des syllabai-
res assyriens et chaldéens. Les Mèdes non aryeris
s'étaient bornés i prendre le syllabaire ninivite et
â l'appliquer presque sans modifications à leur
idiome. Onn'a d'autres monumentsde lalitlérature
de ces deux langues que quelques inscriptions dont
la plus longue, celle de Bisoutoun, raconte les
débuts du règne de Darios. La sculpture et l'ar-
chitecture perse dérivent directement de la sculp-
ture et de l'architecture assyrienne. Les monu-
ments de Persépolis en offrent de fort beaux spéci-
mens.
La Perse apr'ès la conquête d'Alexandre. —
La conquête d'Alexandre mit pour près de deux
siècles la Perse sous la domination des Grecs. Sa-
trapie plus ou moins indépendante de l'empire des
Séleucides, elle passa vers le milieu du second
siècle avant notre ère entre les mains des Parthes;
elle leur échappa vers le commencement du troi-
sième siècle après Jésus-Christ. Les légendes na-
tionales racontent qu'un descendant d'une an-
cienne famille royale, Ardecliâ (Artaxerxès), fils
de Pàpek, après avoir vécu obscurément du tra-
vail de ses mains, se souleva contre les Parthes,
détrôna leur roi Artaban IV, et rétablit en partie
au moins l'ancien royaume des Achéménides (2.'6).
Victorieux du côté de l'Orient, il rencontra du
côté de l'Euphrate les lésions romaines, et, malgré
quelques succès remportés sur Alexandre Sévère,
dut faire sa paix avec Rome. Rome et plus tard
Byzance devinrent dès lors l'ennemi héréditaire
de la dynastie nouvelle des Sassanides, comme la
Grèce l'avait été de l'empire des Achéménides.
Pendant quatre siècles, l'Arménie, la Mésopotamie
et l'Assyrie passèrejit, selon les circonstances, des
Romains aux Perses et des Perses aux Romains,
sans qu'aucune des deux puissances réussit \
gagner sur l'autre un avantage décisif. Aux que-
relles politiques se joignirent bientôt des haines
religieuses : les Perses, observateurs zélés de la
loi de Zoroastre, ne voulurent jamais permettre au
christianisme de s'implaniercliez eux. Un moment,
on put croire qu'ils l'emporteraient : Khosrou II
iChosroès) Parvis (.-.OO-a-M), d'abord battu par l'em-
pereur Maurice, profita de la lâcheté de Pliocas
pour conquérir successivement l'Arménie et la Mé-
sopotamie (00 i -600, la- Syrie du Nord (C07-(i08), la
Gappadoce (610), L'avènement d'Héraclius i(ilO) ne
changea rien d abord à la marche des événements:
PERSONNALITE
— 1534 —
PERSONNALITE
I
en 614 Damas, en 615 Jérusalem, en CIG Alexan-
drie et l'Egypte, en 61" Chalcédoine et la moitié
de l'Asie Mineure, furent perdues pour les Romains,
et Constantinople assiégée du côté de l'Europe
par les Avares, du côté do l'Asie par les Perses
(620). L'année 6'21 amena un brusque revirement
de fortune : dans une série de campagnes lieu-
reuses, Héraclius non seulement reconquit les
provinces perdues, mais porta la guerre au cœur
même du pays ennemi, et par la victoire de Ninive
(627) décida du sort de la guerre. Les querelles
de palais complétèrent le désastre : Chosroès fut
assassiné par son fils Siroès (628), et la paix rétablie
bientôt après. 11 semble que cette lutte i puisa les
forces des Byzantins et des Perses. Elle était h.
peine terminée que les Arabes entrèrent en lice.
Le dernier Sassanide.Yezdegerd III (G.'!'2-(i52), battu
i Kâdésiab (636), puis à Néliârend (641), lutta en-
core quelques années et finit par être assassiné
dans le Kliorassan où il s'était réfugié. La Perse,
convertie îi l'islamisme, perdit son indépendance
et ne fut plus qu'une province importante de l'em-
pire des Khalifes.
La civilisation du second empire perse nous est
assez peu conjiue. Quelques débris do palais, quel-
ques inscriptions, quelques bas-reliefs ne sulfisent
pas à nous donner une idée complète de ce
qu'étaient l'architecture et les arts du dessin à la
cour des Sassanides. Depuis le temps des Séleu-
cides, les Perses avaient renoncé .'i leur écriture
cunéiforme ; ils avaient adapté à leur langue l'al-
pliabet hébraïque et créé ainsi ce qu'on appelle
l'écriture ptf/;/i'ie. Un certain nombre d'inscriptions
et de morceaux des livres sacrés sont rédigés dans
ce système assez compliqué. Ce ne sont que les
fragments d'une littérature qui parait avoir été
assez considérable. Chosroès iNnurshirvân et son
ministre Bourzougmôs,Cliosroès Parvis, et son mi-
nistre Bouzourgoumid, recueillirent les traditions
antiques, et firent traduire les livresde l'Inde et sur-
tout le recueil d'apologues connu sous le nom de
Kalilah et Dimnah. La plupart des documents
recueillis alors restèrent ignorés pendant les pre-
miers temps de la conquête musulmane : ce n'est
c'est donc faire connaître ce qu'il y a de pluî
essentiel dans la nature humaine.
Comment la notion de la personnalité se déve-
loppe-t-elle en chacun de nous, ou, ce qui revient
au même, comment l'enfant apprend-il à se dis-
tinguer peu à peu de tout ce qui l'entoure? C'est
ce qu'il importe de rechercher tout d'abord.
Tout en admettant que la notion de la person-
nalité est vague et indécise dans les premier»
temps de la vie, nous croyons qu'elle s'éveille
d'assez bonne heure. L'enfant se distingue bien
vite de ses frères, de ses camarades. Il répond à
l'appel de son nom. 11 sait démêler ce qui lui ap-
partient de ce qui appartient aux autres. Le senti-
ment do la propriété, cette extension de la per-
sonnalité, est précoce chez lui. Le baby de deux
ans auquel on demande : « A qui est ce chapeau?
A qui sont ces joujoux? " répond déjà et sans
hésiter : ce A moi. u On ne saurait d'ailleurs s'é-
tonner de rencontrer chez l'enfant un sentiment de
l'individualité qui existe même chez l'animal. Le
chien, par exemple, a assez de mémoire pour com-
prendre qu'un nom propre le distingue et le désigne
à l'exclusion de tout autre animal de son espèce.
Il semble que l'enfant, dès qu'il a conscience
de ses sensations et de ses perception», doive né-
cessairement se les attribuer à lui-même ; que la
conscience du moi soit enveloppée dans toute
impression consciente. Une perception en effet,
une sensation, quelque obscure qu'elle soit, n'est
pas quelque chose d'impersonnel : elle est mienne,
elle apporte avec elle l'idée du moi auquel elle
appartient.
Telle n'est pas cependant l'opinion de certains
philosophes. Dans ses études sur la genèse de la
personiialiié (voyez le Cerveau, un volume de la
Bibliothèque scientifique intei-nationale), M. Luys
prétend que l'enfant considère l'ensemble de ses
sensations, de ses souvenirs, comme quelque
chose qui lui serait étranaer. La preuve, ajoute
M. Luys, c'est que l'enfant a pour habitude de
parler de lui-même à la troisième personne r
Il Paul veut ceci, l'aul sera sage. » Le fait est in-
contestable, mais l'interprétation que lui doiine
que vers le cinquième siècle de l'hégire, sous la : M. Luys est absolument erronée. Il n'y a là évi-
protection des Safïarides, qui régnaient en Perse, | demment qu'une insuffisance de langage. L'enfant
et des Samanides, maîtres de la Transoxiane, qu'ils a de la peine à apprendre le pronom je, mais
furent mis en œuvre. Le plus célèbre des grands \ quand il dit de lui-même : « Paul est bien content, »
poètes persans de l'époque musulmane, Firdaouçi, ilentejid la même chose que s'il disait: «Je suis bien
a résumé dans le Skah-^^ù'uéh ou Livre des Rois, content. " Ayant toujours entendu ses parents
toutce qu'on savaitde son tempssur les originesde : prononcer le mot" Paul >> quand ils parlaient de
la monarchie éranienne. Son œuvie, traduite par \ lui, il est tout naturel qu'il l'emploie à son tour
M. Mohl, lui a valu le titre glorieux de chantre na- j pour désigner sa petite personnalité naissante,
tional, et servit de modèle à tout un cycle épique, le D'ailleurs affirmer que l'enfant considère comme
Goushtap-Naméh, le Sam-!\'<iniéti, le Barzou-Na- étrangères à lui-même, comme quelque chose
méh, puisé comme elle aux sources originales. I d'objectif, ses premières impressions, c'est se
[G. Maspero.] | mettre dans 1 impossibilité d'expliquer la forma-
PERS0>.\'.4L1TE. —Psychologie, XVllI. — Tout | tien ultérieure de l'idée de personnalité. Si l'en-
être humain ressemble aux autres membres de la | faut commence par considérer ses sensations
grande famille humaine, et il a des ressemblances \ comme quoique chose qui ne lui appartient pas,
plus étroites encore avec les membres de sa on se demande comment il apprendra à les envi-
propre famille. L'hérédité transmet avec la vie à sager autrement. Si les premières impressions de
chaque homme nouveau des caractères déterminés , la conscience ne renferment pas l'idée du inoi,
qui donnent aux individus d'une même race un \ comment les impressions postérieures la coiitien-
même air de famille. Mais en même temps chaque ; draient-elles ? A mesure que l'enfant grandit, sa
homme a son caractère propre, sa physionomie ] conscience devient sans doute plus claire, plus
originale, ce qu'on appelle quelquefois d'un nom ! nette : mais elle ne change pas dans ses caractères
bizarre son idiosyncrusie. Les attributs essentiels | essentiels. Si elle était constituée à l'origine par
du type humain se retrouvent en lui, mais ils y une tendance naturelle à objectiver toutes choses,
prennent un tour particulier, une expression spé- | elle ne saurait cesser d'ob(5ir à cette Jendance,
ciale. En un mot chaque homme est une personne j et la distinction du sujet et de l'objet, c,ii moi et
et une certaine personne. | de nvn-moi, deviendrait impossible. Nous accor-
Les minéraux et les plantes sont des choses ; , dons volontiers que cette distinction est encore
les animaux sont à peine des individus; les i obscure dans l'esprit de l'enfant; mais nous
hommes sont des personnes. La personnalité est croyons, à l'inverse de M. Luys, que la disposi-
donc comme la forme suprême de la vie, cojnmo lion enfantine serait plutôt de tout subjectiver.
l'expression parfaite de l'être individuel. Définir la L'enfant a si bien la notion de la personnalité
personne, analyser les élém ents qui la constituent, ! que cette notion ne tarde pas à s'exagérer en lui.
PERSONNALITE
— 1555
PERSPECTIVE
Il a uno propension marquée à prendre de son
importance une liaute idée, à tout rapporter à
lui-mômo dans rirréflesion de son égoismo inno-
cent. C'est seulement en se comparant avec les
autres personnes d 'Ht il est d'abord disposé i igno-
rer ou h oublier l'existence, qu'il apprendra pou à
peu il enfermer dans de plus justes limites sa
personnalité envahissante.
Quoi qu'il en soit, la notion de la personnalité se
fonde sur la conscience, c'cst-i-dire sur ce fait
que nous percevons comme nôtres les pensées,
les sentiments, les actes de volonté qui se succè-
dent en nous. Chaque nouveau fait de conscience
est un élément nouveau de l'idée du moi. Par
conséquent la mémoire qui est comme la con-
science prolongée, qui représente et replace devant
notre esprit les impressions passées de la con-
science, la mémoire contribue à former l'idée de
la personnalité. Par la conscience seule nous avons
déjà la notion d'un être un et simple, distinct de
tous les autres, que nous appelons moi : par la
mémoire, nous y ajoutons l'idée d'un être identi-
que, c'est-à-dire qui reste le même à travers tous
les changements de la vis.
Après s'être organisé assez rapidement chez
l'enfant, le sentiment de la personnalité n'aban-
donne plus l'homme. La notion du moi est cepen-
dant sujette, dans des cas exceptionnels et assez
rares, soit à des obscurcissements passagers, soit
à des exaltations sinfîulières, à des exagérations
maladives. Il y a des fous qui croient qu'ils n'exis-
tent plus, qu ils ont été changés en verre, qu'ils
sont devenus une masse inerte. Dans d'autres cas
le malade se croit roi, empereur. Dieu ; il s'ima-
gine chaque matin avoir grandi d'un pied. Ce sont
les défaillances de la mémoire qui expliquent ces
anomalies. De même pour les cas de double per-
sonnalité comme celui de Félida X., où le même
individu vit on quelque sorte deux vies, tout à fait
indépendantes l'une do l'autre, oubliant dans la
seconde ce qu'il a été, ce qu'il a fait dans la pre-
mière. La mémoire est alors dédoublée, et par suite
avec elle la notion de la personnalité.
A la conscience, à la mémoire, ces deux élé -
ments essentiels de l'idée du moi, nous joindrons
la volonté. Si cette idée est encore faible et vague
chez l'enfant, c'est que l'enfant n'est pas capable
de vouloir. Ses facultés agissent automatiquement,
sans réflexion. Il ne se possède pas, il ne se gou-
verne pas lui-même. Ses geste's désordonnés, son
bavardage incessant, sa mobilité perpétuelle tra-
hissent un être peu maître de lui. Il faut un long
temps avant que les yeux et les mains de l'enfant
deviennent les instruments dociles de la volonté.
La notion de la personnalité n'est complète que le
jour où l'individu, usant de sa volonté, dirige et
maîtrise, comme il l'entend, soit ses organes phy-
siques, soit ses facultés morales. Ce jour-là en
effet l'individu se saisit non plus seulement comme
une intelligence consciente d'elle-même, mais
comme une force, comme une puissance active, qui
s'oppose à tout ce qui n'est pas elle, qui entre en
lutte avec les fatalités intérieures ou extérieures.
Nous avons raconté succinctement l'histoire, ce
que M. Luys appelle la g'Hése, de la notion de la
personnalité : par là même nous avons défini la
personnalité, et analysé ses éléments. Si la notion
de la personne est encore vague chez le tout petit
enfant, c'est que la personne elle-même n'est pas
enij^ore tout à fait constituée en lui. A mesure que
la inersoQHalité s'organise, la notion de la person-
nalité se^ développe et s'éclaircit. Être une per-
sonne, c'est avoir la conscience do soi, c'est aussi
être capable de se gouverner soi-même. Quand les
déistes, à rencontre des panthéistes, affirment
l'existence de la personnalité divine, ils entendent
que Dieu est un être conscient, distinct de l'uni-
vers par la conscience qu'il a de lui-iuêmo, et ca-
pable par sa toute-puissante volonté d'agir sur ce
même univers.
Certains philosophes de notre temps seraient
disposés à croire que la personnalité humaine n'est
qu'une apparence etune illusion. D'après M. Taine,
le moi n'est qu'une collection de sensations, c'est-
à-dire d'impressions conscientes, une série de sou-
venirs pour ainsi dire emboîtés les uns dans les
autres. La personnalité en définitive ne serait pas
autre chose que la conscience que nous en avons.
Il est difficile d'admettre une pareille conclusion.
D'abord la conscience elle-iuême n'est pas intelli-
gible s'il n'y a pas derrière elle quelque chose de
réel, un principe simple et identique, simple,
c'est-à-dire capable de ramener à l'unité des élé-
ments multiples dans une perception consciente,
identique, c'est-à-dire se perpétuant dans l'exis-
tence et se manifestant par le souvenir. En second
lieu, les philosophes dont nous parlons oublient
trop que la notion de la personnalité n'est pas seu-
lement une représentation : elle comprend un au-
tre élément, le sentiment vivace et persistant de
notre activité, de ce qui est le fond de notre être,
la force.
Par cela seul que nous faisons partie de la fa-
mille humaine, nous sommes tous des personnes ;
mai» il dépend de nous de l'être plus ou moins.
La personnalité n'est pas une chose absolue et qui
ne comporte pas de degrés. Elle n'est pas entiè-
rement donnée par la nature : elle est en partie
l'œuvre de l'éducation et de l'effort. Il y a des
hommes si irréfléchis, si inconsistants dans leurs
jugements, si légers dans leurs actes plus instinc-
tifs que volontaires, des hommes qui s'abandon-
nent si mollement au courant des passions, qui
adhèrent si servilement aux opinions d'autrui,
qu'on ose à peine dire d'eux qu'ils sont des per-
sonnes. Ceux-là seuls le sont véritablement qui
réfléchissent à tout ce qu'ils font, qui agissent avec
un sentiment continu de leur responsabilité, qui
par l'énergie de la volonté et la fermeté du carac-
tère, par la solidité des convictions, établissent
vigoureusement au milieu de la foule humaine leur
individualité propre. Cet idéal, il appartient à
chacun de nous de le poursuivre et de l'atteindre
par la réflexion, par l'effort, et de créer ainsi de
plus en plus ce qui est le but de la vie et le mot
de la destinée, une personnalité consciente et li-
bre. [Gabriel Compayré.]
PERSPECTIVE PRATIQUE. — La persfjedire
est l'art de reproduire sur une surface plane l'as-
pect des objets tels qu'ils se présentent à nous
dans l'espace.
La perspective linéaire étudie la reproduction
des contours des objets; la perspective aérienne
s'occupe plus spécialement des modifications
qu'apporte aux ombres et aux teintes la couche
d'air interposée entre les objets et l'œil du specta-
teur.
Nous n'exposerons ici que quelques procédés élé-
mentaires permettant à des élèves d'apprendre à
dessiner rapidement à simple vue des objets de
forme géométrique. La méthode que nous em-
ployons a fait ses preuves depuis longtemps
dans l'enseignement donné à l'école La Mariinière
à Lyon. A des élèves d'une intelligence ordinaire,
elle donne en quelques semaines une sûreté
de coup d'œil et de main fort remarquable.
Elle consiste à faire dessiner les élèves, à
distance et à main levée, d'après des modèles de
formes simples. Ces exercices sont gradués de
manière à parcourir successivement les iH'incipales
difficultés que présente le dessin des objets géo-
métriques. L'expérience a prouvé que ces exerci-
ces constituent la base la plus rationnelle et la
préparation la plus efficace à l'enseignement du
dessin d'imitation.
l Les procédés que nous allons décrire n'ont '■
PERSPECTIVE
— 1S56 —
PERSPECTIVE
aucun degré le caractère de méthodes géométri-
ques rigoureuses; et l'instituteur aura soin de le
faire remarquer dans tout le cours de l'enseigne-
ment ; ce sont do simples approximations ; mais
leur exactitude est en rapport avec celle des tra-
cés à établir et largement suftisante dans tous
les cas de la pratique du dessin à main levée.
Le matériel nécessaire se compose d'un tableau
noir et de quelques modèles en fil de fer, en bois
ou en zinc. Les élèves dessinent sur des tablettes
d'ardoise, ou h défaut, sur papier au crayon ten-
dre ; ils sont groupes autour du modèle à une dis-
tance de deux ou trois mètres.
Le principe do la méthode consiste à ramener
tous les tracés à des lignes droites horizontales et
verticales, dont on compare les grandeurs. Tour
faire cette comparaison, l'élève lient à bras tendu
son crayon, et s'en sert comme d'une mire ; il le
projette d'abord sur la ligne la plus courte,
l'extrémité du crayon correspondant à l'une des
extrcmités de la ligne, et il marque sur le crayon
avec l'ongle de son pouce le point correspondant à
l'autre extrémité de la ligne à mesurer; cette
mesure ainsi prise est reportée sur la ligne la plus
longue de manière à apprécier le rapport des lon-
gueurs des deux lignes. L'habitude de faire ces
comparaisons est promptement acquise.
Les rapports ou proportions ainsi trouvés sont
reproduits sur le dessin à exécuter. Pour la prati-
que de l'enseignement, une fois les modèles mis
en place, le professeur donne aux élèves la dimen-
sion principale de leur dessin ; il leur explique,
au tableau, les lignes qu'ils devront considérer,
et les proportions qu'ils devront mesurer, pour
arriver à compléter leur tracé.
Il est indispensable, pour obtenir des résultats
prompts et certains, de prncéder toujours du .:im-
ple au composé, et de ne passer à un nouvel exer-
cice que lorsque l'exercice précédent est exécuté
avec une promptitude et une précision irrépro-
chables.
Nous ne donnons ici que les exercices les plus
élémentaires. Il va de soi que ces exercices seront
plus ou moins étendus suivant le temps et les
ressources dont on disposera et suivant la nature
de l'enseignement à donner.
Premier exercice. — lieprodiiire une ligne in
Fig. ).
clinée AC, tracée par le maître sur le tableau
(fis- 1). , ,
Tracer une horizontale AB; chercher sur le
modèle combien de fois BC est
coiitenu dans AB.
Répéter cette même opération
sur le dessin, c'est-à-dire diviser
AB en autant de parties que l'on
en a trouvé.
Reporter une de ces divisions
au-dessus de B en BC.
Joindre le point C au point A.
Même opération pour la seconde
figure en prenant pour base une
Verticale ;fig. ?).
Pendant cette preTière leçon, le
professeur fera répéter cet exer-
cice en changeant l'inclinaison de
"S- -• la ligne tracée sur le tableau, jus-
qu'à ce que les élèves fissent ra-
pidement les comparaisons à bout de bras.
Second exercice. — Parallèles /loriznnlales.
Le professeur trace d'abord la figure 3 (dessin
géométral) et la fait ensuite copier à mairi levée
[lar les élèves à une dimension donnée.
Puis d'après un modèle en fil de fer, qui repro-
duit cette même figure, le professeur la fait exé-
cuter en dessin perspectif (fig. 4), chaque élève
voyant le modèle sous un aspect différent.
Tracer la verticale AG sur une longueur don-
née ; soit, 15 centimètres.
Comparer la largeur EC avec AG et tracer BD
indéfinie. Diviser AG en quatre parties égales,
chercher le point où viendrait aboutir sur AG la
ligne horizontale \in; déterminer ai isi n, qui dans
notre tracé se trouve au tiers de AH.
Jlême opération pour déterminer le point 0.
Par deux horizontales ponctuées partant de N et
de 0, on aura les points B et D et l'on achèvera
de tracer le carré en perspective.
Diviser BD en 4 parties égales et joindre ICL
avec HEK.
I
PERSPECTIVE
— 1557
PERSPECTIVE
On arriverait au môme résultat en prolongeant
AB et GD, jusqu'à leur rencontre; les lignes par-
tant de ce point do rencontre se dirigeant sur
U,E,K passeraient par 1,G,L.
Remarquer : 1° Que les lignes horizontales tra-
cées sur un plan vertical ne restent pas parallèles
en perspective; ces lignes horizontales parallèles
tendent à se réunir en un même point, appelé
point de concours ;
2° Que la largeur apparente d'un carré en pers-
pective est plus petite que la largeur réelle.
Un carré en verre divisé en seize carrés par des
horizontales et des verticales (fig. 5) pourrait être
utilisé dans le cas où quelques élèves ne parvien-
draient pas à apprécier les proportions ou incli-
naisons.
Troisième exercice. — Parallèles verticales.
Le professeur trace au tableau la figure 6 (dessin
A
B
■''\
'
c
i»
géoraétral), en procédant par les diagonales pour
obtenir les divisions du carré. Cette figure est en-
suite copiée i m lin levée par les élèves sur une
dimension dounée.
Les élèves doivent ensuite reproduire la même
figure en dessin perspectif, d'après un modèle en
fil de fer (fig. 7).
A C
'' l
^
B
V -
i)
V.
H
i^
,
i '
Établir le carré en perspective, ainsi qu'il a été
fait précédemment. Puis, par les diagonales ponc-
tuées BC et AD, déterminer le centre O, don-
nant EK; continuer la même opération dans cha-
que compartiment GH et IK.
Le professeur fera remarquer :
1° Que, les parallèles verticales restent parallèles
en perspective ;
2" Que ces lignes diminuent de longueur et d'é-
cartement au fur et à. mesure de leur éloigne-
ment.
Quatrième exercice. — Carré hurizonlal à mettre
en perspective. (Celte leçon, d'une grande impor-
tance, sera faite au tableau et reproduite par les
élèves.)
Déterminer l'axe XE, au milieu de AB, largeur
totale donnée (fig. 8).
IFig. 8.
Trouver le point C en comparant CA à CB ou
CE à, CA (il est ici au 1/:! de AB).
Déterminer la pente de SC en comparant SA à
AB.
Le rapport de AC h CB étant supposé comme
1 : 2; par le milieu de SA menons une horizon-
tale qui donnera le point H, d'où CH deuxième
côté du carré.
Cette construction est également démontrée
dans les figures 9, 10 et II.
Fig. 11. — r.ôl65 en ponte comme 1 : 7.
Pour compléter le carré (fig. 8), joindre S à H, par
une diagonale qui déterminera le centre 0 sur
l'axe.
Tracer de C en O, en la prolongeant, la 2' dia-
gonale; sur ce prolongement, reporter du centrée
la longueur CO en la diminuant d'un dixième en-
viron (la diminulion variera suivant la distance de
l'élève au modèle), pour obtenir le quatrième
angle D du carré.
Remarque. — On aura soin de faire remarquer
aux élèves que ces procédés ne sont pas géomé-
triquement exacts et qu'ils doivent être consi-
dérés comme des règles purement pratiques.
Cinquième exercice. — Pyramide droite à base
carré'' {fig. 12).
Tracer l'axe Ex; comparer aa à Ee (hauteur don-
née du dessin); chercher le point A sur aa et
construire le carré ABCD en perspective ; en joi-
gnant ABCD au sommet E on terixànera le tracé de
la pyramide.
Sixième exercice. — Cube vre'.ical. (Démon-
stration au tableau; modèle en filde fer copié par
les élèves.)
PERSPECTIVE
— 1558 —
PERSPECTIVE
\
£
X
C
AV
P
^
H
K
Yi.
b
^^^^
y
Ë:^^^^
0
(Modèle en fil de fer; démonstration au tableau.)
On donne la hauteur Ee de l'un des triangles de
base (fig. 14).
On en déduit par comparaison la longueur ai;
sur cette droite ab, chercher le point A et cons-
truire le rectangle en perspective ABDC.
Par le centre O, faire passer la médiane ef (elle
cnupe les deux arêtes BA etDC un peu au delà de
leur milieu).
Islever la verticale cE (hauteur donnée), joindre
E/et par le centre 0 élever la verticale Oo; en
prolongeant eo on obtiendra le point F et l'on achè-
vera facilement le tracé.
Huitième exercice. — Cercle vertical inscrit dans
un carré.
Le tracé géométral est d'abord reproduit par
les élèves sur une dimension donnée (fig. 15).
Fig. 13.
Tracer l'axe vertical X (fig. 13) sur lequel on in-
diquera la hauteur du cube, soit : 15 centimè-
tres.
Comparer la largeur M\ avec la hauteur donnée.
Reporter la moitié de cette largeur à droite et i
gauche de l'axe ; tracer deux verticales indéfinies,
AB et CD.
En comparant MP à PN, déterminer la troi-
sième verticale EG indéfinie.
Reporter sur cette verticale la hauteur donnée
(0»,15 par ex.) de la figure.
Chercher la pente BG et construire le carré
inférieur.
Avec la pente AE construire le carré supérieur.
Observation'. — Ces deux opérations étant exac-
tement faites, K se trouvera sur la verticale de H.
Recherche de la ligne d'horizon. — Dans l'exem-
ple choisi, le carré supérieur est un peu plus
fuyant en perspective que celui du bas; le rap-
port des hauteurs des deux bases du cube est en
perspective de 2 à 3. Divisant la hauteur en :î par-
ties, MN, ligne d'horizon, se trouvera k la deuxième
de ces parties.
Le professeur fera en outre remarquer que :
1° EC, AH, BK, GD, prolongées, se rencontre-
raient en un même point sur la ligne d'horizon.
Il en serait de même pour EA, GB, Cil, DK.
2» Que le point de vue est au milieu de la lar-
geur du modèle sur la ligne d'horizon.
3' Connaissant simplement les penies AE et CB
on pourrait déterminer la ligne d'horizon.
Septième exercici:. — Prisme triangulaire droit
à base isoscèle couché sur un plan horizontal.
Tracer un carré parfait, les deux diagonales et
les deux médianes EG et HK se coupent au centre
du carré.
E,H,K.G, détermineront quatre points de con-
tact du cercle.
Divisez OA en 7 parties égales, au delà du cin-
quième point de division portez 1/8 d'une division,
vous obtiendrez un point du cercle. On opère de
même sur chaque demi-diagonale, ce qui donne
3 autres points.
Par ces huit points tracer le cercle en le recti-
fiant jusqu'à ce qu'il paraisse parfait à l'œil.
Tracé perspectif . — On demande ensuite aux
élèves de mettre en perspective le modèle en fil
de fer (fig. 16), ce modèle étant verti^'al.
Mettre premièrement en perspective le carré
ABCD. Tracer les deux diagonales, élever en 0 la
verticale EG; tracer MN en divisant en deux par-
ties égales AD et BC. (MN devra passer par le
point O.)
PERSPECTIVE
1559
Diviser chaque portion de diagonale en 7 par-
ties. Par les 2/7 et les points dtt contact M,E N,G,
déji connus, faire passer le cercle.
Neuvième exercice. — Cercle horizontal inscrit
dans un carré, h reproduire d'après un modèle en
fil de fer(fig. U).
O.ÎO
A ; I :
^
P
^^
/
1
'^v
V2
E
A.
o
^
/
Fie- "•
PERSPECTIVE
Fig. 18.
Onzième exercice. — Cylindre droit à bases
circulaires placé verticalement, d'après un modèle
en fil de fer (flg. 10).
On donne la plus grande dimension du cercle
dessiné en perspective fAB = 0",20). •- - '.;.
Chercher par comparaison le rapport de CD,
diagonale du carré, h AB. Reporter G et D à égale
distance de l'axe O. Déterminer le point E, et
construire le carré comme précéd-mment, en
donnant k OF une grandeur égale aux y/lO envi-
ron dp OE.
Par O, tracer une horizontale, et sur cette droite,
de part et d'autre de O, indiquer AB, diamètre du
cercle.
Prendre les milieux m,n,o,p, des côtés du carré
en perspective.
Partager les demi-diagonales en 7 parties, faire
une marque aux 2/7 en partant de l'angle exté-
rieur.
Par ces huit points faire passer une ellipse qui
représentera le cercle en perspective.
Dixième exercice. — Cône, à reproduire d'après
un modèle en zinc (fig. 18).
Sur l'axe vertical indiquer EA, hauteur donnée,
s'assurer de la largeur de la base BC comparée à
AE, de la hauteur Ao, ou AD comparée à BC. Tra-
cer l'ellipse inférieure. Terminer le tracé du cône
en menant par le sommet les arêtes EB p,t EC
tangentes à l'ellipse de base.
Tracer l'axe GF, reporter à droite et à gauche
la moitié du diamètre des cercles qui est donné.
Établir la distance CA par rapport à CD, pour ob-
tenir le rectangle C,D,A,B.
Tricer l'ellipse passant par CGD, puis celle
passant par AB par rapport à la première.
Faire remarquer que les perspectives des cer-
cles horizontaux sont d'autant plus déprimées
qu'elles se rapprochent davantage de la ligne d'ho-
rizon.
Doi'ziÈME EXERCICE. — Ccrcles concentriques,
d'après un modèle en fil de fer (fig. 20).
Chercher le rapport de CD à AB, longueur du
diamètre donnée.
Tracer l'ellipse ABCD.
Trouver par comparaison la distance Aa par
rapport il «O.
Trouver c et d en divisant OC et OD dans la
même proportion que AO et OB.
PERSPECTIVE
i560 —
PESANTEUR
Remarque. — Ce procédé n'est qu'approximatif.
TnKizitiME EXERCICE. — Ccrcles verticaux paral-
lèles, ryliiidre druit horizontal, d'après un modèle
en fil de fer (fig. 21).
Fig. 21.
Le diamètre AB étant donné, on déterminera le
rectangle ABCD, en perspective, en comparant l'é-
cartement EF des verticales AB et CD à leur lon-
gueur, traçant. CD indéfinie en cherchant les in-
clinaisons BD et AC. Prenant les milieux E et F
des deux axes verticaux, on obtiendra l'axe central
EF de la figurp.
Sur deux horizontales wn et op on indiquera
la largeur apparente de chaque cercle comparée à
sa hauteur.
Ayant dans chaque cercle quatre points connus,
on figurera ces cercles par des ellipses en les rec-
tifiant jusqu'à complète satisfaction de l'œil.
Observation. — Pour les cercles en perspecti-
ve : tracer le diamètre géométral, qu'il soit ver-
tical, incliné ou horizontal, sur une perpendicu-
laire passant par le milieu de ce premier diamètre ;
marquer la largeur apparente de l'ellipse.
Tracer le cercle en perspective par ces quatre
points connus.
QuAToiiziÉME EXERCICE. — Table à mettre en
perpcctivc d'après nature (fig. 22).
ta distance SS donnée marque le point A sur
lequel on élèvera une verticale indéfinie. Sur cette
verticale indiquer la hauteur Ka des pieds en la
comparant à SS, construire le rectangle ABCD.
Chercher la position de a par rapport à Az, la saillie
des points cl et b. Construire le carré abcd. Par
les points ABCD établir la base de chacun des
pieds. En compléter le tracé et terminer par l'in-
dication de l'épaisseur 0.
QuiiNziÈME EXERCICE. — Chandelier, à mettre en
perspective d'après nature (fig. Ti).
Fig. 23.
Sur l'axe indiqué XX (hauteur donn'^e) chercher
la dimension CC comparée à XX. Indiquer les
hauteurs de B et A. Tracer la courbe inférieure,
les épaisseurs Ku et B4. Terminer par le tracé des
moulures.
Par la disposition des cercles il est facile, dans
cet exemple, de déterminer la hauteur MN de la
ligne d'horizon. [Alexandre-Auguste Hirsch.]
PESANTEUR. — Physique, III. — Tous les corps,
abandonnés à eux-mêmes, tombent vers la terre,
sans avoir reçu aucune impulsion primitive. C'est
un fait connu de tout le monde pour les solides
et les liquides, et s'il est moins facile à constater
pour l'air et les vapeurs, il ne s'applique pas moins
à tous les corps gazeux sans exception. Comme
tout mouvement suppose une force capable de le
produire, on a donné le nom de pesanteur i la
force qui fait tomber les corps.
Envisagée comme résultant de l'action du globe
terrestre sur les corps que l'on éloigne de sa sur-
face, la pesanteur n'est qu'un cas particulier du
phénomène général de Vuttruction '.
Considérée comme une force, elle doit avoir les
trois caractères essentiels de toute force : la di-
rection, l'intensité et le point d'application.
La pesanteur ne peut pas être assimilée à une
'mpulsion unique, car les plus simples observa-
tions prouvent que le mouvement de chute s'ac-
célère graduellement ; elle agit donc d'une ma-
nière continue sur les corps ; et de plus, si rien
ne contrarie son action, elle les fait tous tomber
également vile, quelles que soient leurs dimen-
sions ou leur nature.
Cette dernière proposition fut longtemps mécon-
nue ; l'observation ordinaire indiquerait en effet
que tous les corps tombant d'une même hauteur
n'arrivent pas à terre en môme temps ; les plus
lourds arrivent les premiers; la balle de plomb
met beaucoup moins de temps que le flocon de
neige pour parcourir la môme distance. Mais ces
différences de vitesse sont duos exclusivement à
la présence de l'air. On le démontre très simple-
ment à l'aide d'une expérience imaginée par New-
ton. Dans un tulie de 2 ou 3 mètres de long on
met de petits morceaux de plomb, de bois, de
liège, do papier, de barbe de plume et on
extrait l'air dntube- Si, quand il est vide d'air, on
le retourne brusquement, on voit tous les, corps
PESANTEUR
1561
PESANTEUR
qu'il contiont tomber en même temps ; mais si on
laisse renirer de l'air dans le tube, on voit repa-
ralii'e les différences de chute qui existaient entre
les corps.
L'influence de l'air se fait sentir également sur
les liquides. Les différentes parties d'un jet liquide
se divisent sous l'action de l'air, en tombant. Mais
qu'on renferme de l'eau dans un tube dont on
extrait l'air avant de fermer le tube, et que l'on
retourne brusquement celui-ci, toutes les parties
du liquide frapperont en même temps le fond, en
produisant un bruit semblable au clioc d'un corps
solide : c'est l'expérience d'un marteau d'eau.
1. Direction de la pesanteur. — La rapidité de
la cliute pour les uns, la résistance de l'air pour
les autres, empêchent de pouvoir déterminer la
direction de la pesanteur d'après la chute libre des
corps. Mais on l'obtient par l'appareil très simple
connu de tout le monde sous le nom de fil h
plomb. Que l'on suspende à l'extrémité d'un fil
très flexible un petit corps comme un morceau de
plomb : après un certain nombre d'oscillations,
l'appareil sera en repos, le fil tendu par le corps.
Il est bien évident que ce fil ne peut empêcher le
mouvement de la balle de plomb h moins d'être
dirigé suivant la ligne même que celle-ci tend à
parcourir. Donc la direction de la chute du corps
est donnée par le fil à plomb au repos.
Celte direction se nomme la verticale ; elle est
constante en chaque lieu et perpendiculaire à la
surface des eaux tranquilles. Comme la surface du
globe terrestre est sensiblement sphérique, les
verticales vont passer par le centre et sont en
chaque point le prolongement du rayon terrestre.
A cause de la grandeur relativement considérable
de celui-ci, les verticales de deux endroits rap-
prochés sont très sensiblement parallèles. C'est
sur cette remarque qu'est fondé l'emploi fréquent
du fil h plomb et du niveau triangulaire des ma-
çons pour établir la verticalité d'une arête ou d'un
mur et l'horizontalité d'une surface.
2. Point d'application de la pesanteur. —
Poids. — Centre de gravité. — La pesanteur agit
sur tous les éléments matériels des corps : que
l'on brise une pierre, chaque partie, si petite
qu'elle soit, tombera comme le corps entier. On
peut donc regarder chaque corps comme sollicité
par autant de forces verticales qu'il contient de
molécules matérielles. Toutes ces forces parallèles
ont une résultante unique, appliquée en un point
invariable de la position du corps. Cette force
unique, résultante de toutes les actions de la pe-
santeur surun corps, se nomme le //oirfs de celui-ci,
et le point d'application de cette résultante est le
centre de gravité.
Dis lors, pour contrebalancer l'effet de la pesan-
teur sur un corps, il faut opposer à la résultante
de ses effets sur chaque point matériel une force
égale et opposée à cette résultante, verticale
comme elle. C'est de là qu'on peut dire, au point
de vue purement physique, que le poids d'un
corps c'est l'effort qu'il faut faire pour l'empêcher
de tomber. Mais la pesanteur et le poids ne peuvent
pas être confondus ; l'une est la cause, l'autre est
l'effet.
La détermination du centre de gravité et la né-
cessité dy appliquer une force égale et opposée à
la résultante des actions de la pesanteur, pour
arrêter la chute d'un corps, ont été examinés à
l'article .Equilibre'.
3. Intensité de la pesanteur. — L'expérience
journalière prouve que la pesanteur est une force
continue qui imprime aux corps un mouvement
yarié. Mais pourconnaitre l'intensité de cette force,
il faut étudier de très près le mouvement qu'elle
provoqiifi sur les corps soumis à son action ; il faut
donc d'abord déterminer expérimentalement les
lois de la chute des corps.
A. Lois de la clnite des corps. — La rapidité de
la chute crée une première difficulté, parce qu'elle
rend pénible l'évaluation des espaces parcourus;
la variation de la vitesse en crée une seconde,
puisque pour la bien constater il faudrait pouvoir,
h un instant donné, supprimer la force qui produit
le mouvement.
On n'expérimente donc pas sur la chute libre,
h moins qu'on n'emploie l'appareil du général
Morin, où un corps, guidé dans sa chute, trace sa
marche sur un cylindre mobile animé d'un mou-
vement de vitesse connue. On déduit en effet les
lois de la chute du corps de la comparaison de la
marche qu'il a tracée, avec le temps pendant le-
quel il est tombé.
On préfère les appareils où le mouvement est
rendu assez lent pour que les observations soient
faciles et la résistance de l'air négligeable. Le
plus ancien est le plan incliné de Galilée ; le plus
employé est la machine d'Attwood.
1" Le pliiyi inc'iné de Gnlilée était une sorte
de gouttière demi-cylindrique creusée dans une
pièce de boisquel'onpouvait incliner plus ou moins
à l'horizon; le mobile était une balle de cuivre.
Il parait que Galilée employa pour le même objet
une longue corde bien tendue sur laquelle glissait
un petit chariot à roulettes très mobiles. Dans
cet appareil, à la chute directe était substituée la
descente très ralentie le long du plan; les vitesses
possédées par le mobile aux différentes époques
de son mouvement croissaient exactement comme
en chute libre, seulemenileurs grandeurs absolues
étaient d'autant moindres que l'inclinaison du
plan sur l'horizon était plus faible.
Dans tous les cas, les espaces parcourus dans
le mouvement de descente furent trouvés propor-
tionnels aux carrés des temps comptés depuis l'o-
rigine ; le mouvement était donc uniformément
accéléré et la pesanteur une force constante.
2° Machine d'Attwood. — Voici le principe de
cet appareil. Si aux deux extrémités d'un fil très
fin, enroulé sur une poulie très mobile, on attache
des poids égaux, l'équilibre subsistera dans toutes
les positions possibles. Mais si l'on pose sur l'un
d'eux P' un petit poids additionnel p, tout le
système se trouvera mis en mouvement ; le poids
\"+p descendra tandis que P s'élèvera; seule-
ment, à chaque époque du mouvement, la vitesse
sera beaucoup plus petite que celle dont, au même
instant, la masse additionnelle p eût été animée.
Dans les deux cas, en effet, la force motrice effi-
cace est toujours l'action de la pesanteur; mais
dans le premier, la masse à faire mouvoir est égale
à 2P -(-/). Si on suppose que les deux poids égaux,
soient chacun de 4U«',5 et le poids additionnel de
1 gramme, la masse à mouvoir sera de 100 ; par
conséquent, la vitesse acquise au bout du même
temps sera 100 fuis moindre. On comprend ainsi
qu'on peut ralentir le mouvement des corps qui
tombent sans altérer les lois de ce mouvement;
tout dépenii du rapport qu'on établit entre les
poids égaux P et le poids additionnel /;, ou plutôt
de la valeur du rapport
ïP-fp
L'appareil est fait d'une forte colonne de bois
haute de 2 mètres et demi environ et terminée à
sa partie supérieure par une plate-forme qui sup-
porte la pièce principale, c'est-à-dire la poulie.
Et pour obtenir la plus grande mobilité possible,
on fait reposer chacun dos bouts de l'axe de cette
poulie, non pas dans un coussinet fixe, mais sur
les circonférences croisées de deux roulettes très
légères. Le fil qui porte les poids passe à travers
la plate- forme et descend parallèlement à une
règle divisée le long de laquelle se meuvent dos
curseurs pleins et évidés, que l'on peut arrêter en
un point quelconque à l'aide d'une vis de pres-
sion.
PESANTEUR
— 1562 —
PESANTEUR
Pour compléter l'appareil , un compteur à
secondes est atlaclié à la colonne ; il donne la
mesure du temps dans les expériences et il règle
le départ du mobile dont on observe la chute.
On commence par déterminer, à l'aide de tâton-
nements, l'espace exact parcouru par le mobile
en une seconde. Soit par exemple 8 centimètres.
On porte le curseur plein d'abord à quatre fois
8 centimètres, soit 32, ensuite à neuf fois 8 cen-
timètres, soit "2, et dans cliacun de ces cas on
constate que le mobile met deux secondes d'a-
bord, trois secondes ensuite pour venir frapper
sur le curseur. On en conclut que les espaces
parcourus par un corps qui tombe sont propor-
tionnels aux carrés des temps employés à les par-
courir. La conséquence à tirer tout d'abord, c'est
que le mouvement imprimé par la pesanteur est
un mouvement uniformément accéléré.
Reste à vérifier la variation de la vitesse. Pour
cela, on ujet sur la masse qui doit descendre un
poids additionnel de forme allongée ; et l'on place
un curseur évido au point où il arrive après la
première seconde. L'ouverture annulaire du cur-
seur laisse passer la masse principale, mais arrête
le poids additionnel, en sorte que 1 action de la
force accélératrice se trouve instantanément sup-
primée. Alors le mouvement devient uniforme et
l'espace parcouru uniformément dans la deuxième
seconde est double de celui qui l'a été pendant
la première, d'un mouvement accéléré.
On recommence l'expérience en n'enlevant la
masse accélératrice qu'après deux secondes de
chute, et on constate que la vitesse acquise est
double de ce qu'elle était à la fin de la première
seconde.
La vitesse croit donc proportiounellement au
temps.
La machine d'Atwood permet de constater tou-
tes les conditions du mouvement varié, d'établir
que la pesanteur est une force constante, et que
l'accélération, ou la vitesse acquise i la fin de la
première seconde, est double de l'espace parcouru
pendant cette première seconde.
Cette accélération due à la pesanteur lui sert
de mesure, et on lui donne le nom d'inleuxité de
la pesanteur. On la représenie liabituellement
par çi, et si l'on appelle i' et e la vitesse et l'e-space
après un nombre de secondes égal à t, les for-
mules de la chute des corps ou du mouvement
varié sans vitesse initiale sont :
gt
e = 9 -
et en éliminant t:
V — V 2 se
La machine d'Atwood ne donnerait g qu'avec
une valeur approximative. Les lois du pendule
permettent d'en trouver une valeur plus exacte.
B. Pendule. — Un fil à plomb suspendu à un
point fixe revient dans la verli' aie après une série
d'oscillations qui peuvent se continuer longtemps
quand lasuspension estsuffisammentparfaice ;c'e.st
le pendule ordinaire. On le forme aussi d'une masse
pesante supportée par une tige dont l'exirémité
supérieure est traversée d'un petit prisme d'acier
reposant par son arête sur un plan fixe. La posi-
tion d'équilibre correspond au cas où la verticale
du centre de gravité passe par le point ou l'axe
fixe. Comme le mouvement oscillatoire dont l'ap-
pareil est animé quand il a été écarté de cetie
position est évidemment dû à l'action de la
pesanteur, on conçoit que son étude puisse
conduire à l'appréciation de l'intensité avec
laquelle la pesanteur agit. C'est à Galilée qu'est
ciue la première étude du mouvement pendulaire;
son attention avait été attirée sur ce sujet par
l'observation du mouvement d'une lampe sus-
pendue à la voùle d'une église ; il soumit le phé-
nomène à une étude attentive et vérifia par de
nombreuses expériences les lois que sa première
observation lui avait fait pressentir.
Pour établir ces lois, on applique les principes
de la mécanique au mouvement du pendule
simple, que l'on suppose formé d'un point maté-
riel suspendu à l'extrémité d'un fil inextensible
et sans pesanteur. L'oscillation simple est le mou-
vement d'une position extrême à l'autre, l'ampli
tude est l'angle compris entre les deux positions
extrêmes.
Si alors on désigne par l la longueur du pen-
dule rapportée au mètre, par t la durée d'une
oscillation rapportée à la seconde, et par g l'in-
tensité de la force accélératrice, ces trois quan-
tités sont liées entre elles par la relation / = n y _.
g
Cette formule, qui convient aux petites oscilla-
tions, à celles qui ne dépassent pas lO degrés,
montre que la durée d'une oscillation ne dépend
pas de son amplitude ; on exprime ce résultat en
disant que les petites oscillations sont isochrones;
c'est la loi fondamentale que Galilée avait d'abord
découverte.
Ajoutons que c'est cette propriété de l'isochro-
nisme des petites oscillations que Hiiyghens a
utilisée en adaptant le pendule aux horloges pour
en régulariser la marche.
L'emploi du pendule à la détermination de l'in-
tensité absolue de la pesanteur se présente de lui-
même. En effet, de la formule qui donne la durée
d'une oscillation, on tire g = -j^- Ainsi,pour
avoir g, la vitesse acquise au bout d'une seconde
par les corps qui tombent librement, il faudrait,
s'il était possible, mesurer avec soin la longueur
l d'un pendule simple, déterminer le temps / de
son oscillation, et substituer ces valeurs dans la
formule précédente.
En réalité, on opère toujours avec des pendules
composés, formes d'un grand nombre de points,
dont l'oscillation est plus rapide que celle des
pendules simples de même longueur, puisque
les points les plus rapprochés de l'axe tendent à
osciller plus vite que les points inférieurs et
accélèrent le mouvement de l'ensemble. Mais les
géomètres ont donné des règles pour calculer la
longueur du pendule synchrone au pendule com-
posé, c'est-à-dire la longueur d'un pendule sim-
ple qui fait son oscillatioji dans le même temps
que le pendule composé donné, et c'est la lon-
gueur de ce pendule simple qui entre dans le
calcul.
Des nombreuses expériences faites à Paris, on
a trouvé pour j la valeur 9"°, 808, d'où l'on déduit
t)",!)'.i3 pour la longueur du pendule simple qui
battrait la seconde.
C. Variations de l'intensité de la pesanteur. —
Si l'intensité de la pesanteur était la même pour
tous les points de la surface du globe, un même
pendule qu'on transporterait en différents lieux
oscillerait toujours de la même manière. L'expé-
rience démontre que la durée de l'oscillation
change avec la latitude ; elle au^tmcale' ^ mesure
que la latitude augmente, tout en restant sensi-
blement la même pour les points d'un même
parallèle. D'une manière générale, l'intensité de
la pesanteur est plus faible sur une montagne que
dans la vallée ; elle est surtout sensiblement plus
faible à l'équateur que dans la région des pôles.
Cette variation s'explique facilement lorsqu'on
regarde la pesanteur comme un cas particulier de
l'attraction universelle. Les corps les plus près
du centre de la sphère sont le plus attirés. Et les
lois du pendule viennent fournir une preuve de
l'aplatissement de la terre .tu pôle.
[Haraucourt.]
es
ivv'
PÉTROLE
— 1563
PHANEROGAMES
PETHOLE. — Chimie, IV. — Littéralement,
huile de pierre. Le pélrole est une substance
liquide, de la famille des bitumes, d'une consis-
tance plus ou moins épaisse ; sa couleur varie
selon son depré de pureté ; le pétrole brut, c'est-
à-dire tel qu'il sort de la terre, est d'une couleur
brune rougeâtre. Rectifié par la distillation, il est
incolore et parfaitement liquide; on l'appelle alors
quelquefois naplue on huile de naphle, ou encore
essence minérale, essence de )iilrote. Comme l'as-
phalte, le malihe, et tous les bitumes, le pétrole
est un mélange naturel, plus ou moins intime, et
en proportions variables, d'Iiydi-ocarbures qui dif-
fèrent surtout entre eux par leur point de fusion
ou par leur point d'ébullition.
Le pétrole possède une odeur empyreumatique
caractéristique qui est fortement développée dans
l'essence de pétrole.
Il est très combustible ; son inflammabilité dé-
pend de sa volatilité. Le pélrole brut ne s'enflamme
que très difficilement au contact d'une allumette
lorsqu'il est à une température inférieure à 'Ah'
centigrades ; l'essence de pétrole, au contraire, peut
prendre feu à l'approche d'une allumette h la tem-
pérature ordinaire. Cette propriété la rend dange-
reuse, aujourd'hui qu'on en fait un si grand usage
pour l'éclairage.
Distillé jusqu'à épuisement, le pétrole laisse un
résidu charbonneux tout semblable au coke. Le
poids spécifique du pétrole varie un peu avec son
origine et son degré de pureté, mais il est toujours
inférieur à !. Celui de l'essence est à peu près
0,83. Un litre d'essence pèse donc environ 830
grammes.
Origine du pétrole. — La plus grande partie de
l'énorme quantité de pétrole consommée actuelle-
ment en Europe provient de sources naturelles
extrêmement abondantes (|U'on a trouvées depuis
trente ans dans l'Amérique du nord, principale-
ment en Pensylvanie et dans le Devonsliire. On
connaît aussi des sources de pétrole en France,
en Italie, en Russie. A la Condemine, et h la Sar-
celière dans le département de l'Allier, on obtient
le pétrole par la distillation de schistes bitumi-
neux plus ou moins compactes. Avant la décou-
verte des nombreuses sources de l'Amérique du
nord, le pétrole provenait presque exclusivement
des bords de la mer Caspienne, des environs de
Bakou principalement. L'origine du pétrole est
fort probablement la même que celle de tous les
bitumes naturels. Comme ces diverses substances
ressemblent beaucoup, par leur composition,
aussi bien que par leurs propriétés, aux produits
bitumineux exlrails de la houille par distillation,
on a été porté à croire que le pélrole et les bitu-
mes provenaient d'une distillation naturelle, ac-
complie dans le sein de la terre, des dépôts houil-
1ers, ou des masses végétales qui en se transfor-
mant ont formé ces dépôts. De fortes objections se
présenient contre cette manière de voir ; la prin-
cipale, c'est qu'on rencontre ces substances dans
les terrains dont la formation est antérieure à celle
du terrain liouiller; on les rencontre jusque dans
les roches ignées. De plus on constate leur pré-
sence dans le voisinage des salses, des sources
thermales, des volcans, des fO"lai?ifs anlentes
produites par des combustions de gris'iu sortant
de terre et enflammé accidentellement. En résumé,
on peut dire que la manière dont s'est produit le
pélrole est encore à l'état de problème; nous
ajouterons seulrment que l'illustre géolo,.'ue Oma-
lius d'Halh.y ramène son origine à la cause des
phénomènes ignés.
Usages du pétrole. — De temps immémorial, le
peup e, en Perse, se chaufl'e et s'éclaire avec le
pétrole qui abonde, comme nous l'avons dit plus
haut, sur les bords de la Caspienne. Dans tout
1 Uriciit on l'emploie aussi depuis fort longtemps
comme spécifique contre les rhumatismes ; on
l'appelle alors Moum. Le moum est aussi em-
ployé comme vermifuge, puis extérieurement il
sert au pansage des blessures graves. La substance
médicinale, encore si employée aujourd'hui dans
le midi de la France, sous le nom d'huile d^ Ga-
bian, n'est autre chose que du pétrole provenant
des mines du village de Gabian (Hérault). Depuis
longtemps le pétrole est aussi employé à la con-
fection de certains vernis. On peut dire, malgré
tous ces usages déjîi anciens, que la consommation
du pétrole a été plus que centuplée, depuis un
quart de siècle, grâce à la découverte des nom-
breuses mines américaines, qui en fournissent
une si gr,Tnde quantité, que malgré cette consom-
mation véritablement prodigieuse, le prix du pé-
trole reste extrêmement bas, dans tous les pays
où il entre en franchise. Il est surtout employé à
l'éclairage; l'usage des bidons et des lampes fabri-
qués exprès pour son transport et sa consommation
a diminué considérablement le nombre des ac-
cidents qu'on enregistrait chaque année depuis
que ses usages sont devenus si nombreux.
L'Angleterre, la Relgique et la Hollande en font
une immense consommation. Dans certains ports
comme Rotterdam on sent le pétrole partout. En
Amérique, il sert aussi au cliaulïago des locomo-
tives et des autres machines à vapeur. En France,
des essais ont été faits depuis quelques années
pour cet usage, mais jusqu'à présent, le nombre
des machines chaulîées au pétrole est extrême-
ment restreint. On commence à fabriquer et à
vendre des foyers de cuisine se chaufl'ant au pétrole
et ne donnant presque i;oint d'odeur; néanmoins
la plus grande partie du pétrole consom.mée en
France sert à l'éclairage; une seule compagnie
française éclaire au pétrole plus de 2o() villes. On
introduit en France, chaque année et venant prin-
cipalement d'Amérique, par Bordeaux, le Havre,
Dunkerque, près d'un million de fûts de ISO kilo-
grammes chacun de pétrole brut, sans compter
lUOOOO i'ùis d'essence de pétrole. Les droits d'en-
trée en France s'élèvent à 25 francs les lOii kilog.,
et le pétrole se vend en détail ll',SO le litre. A
Anvers, où il n'y a pas de droit d'entrée, il se vend
2" francs les UiO kilog., et dans toute la Belgique
il est à U',oO le litre raffiné, l.ette di'iérence énorme
du prix de vente entre la Belgique et la France
n'est peut-être point l'unique cause qui fait qu'on
en con^omnle proportionnellement beaucoup plus
dans le premier de ces pays que dans le second.
En France le pétrole a, plus qu'ailleurs, conservé
la réputation exagérée d'une fort dangereuse sub-
stance lorsqu'il doit être employé aux usages jour-
naliers. [.\lfred Jacquemart.]
PHANÉUOGAMIîS.— Botanique, XV.— Etym.:
de deux mois grecs, signifiant mariage apparent.
— Ce mot a été formé par opposition au mot
Cryptogames, à une époque où la reproduction des
végétaux de l'enibrancliement des Cryptogames
était encore fort mal connue.
On désigne sous le nom de Phanérogames, tous
les végétaux dont la reproduclion est assurée par
le concours d'étamines et de pistils.
Les caractères généraux des Phanérogames sont
les suivants : 1° Tous les phanérogames ont une
tige * caractérisée par des faisceaux qui ne pré-
sentent qu'un seul centre de développement ou
de formation trachéenne; la terminaison inférieure
de cette tige a reçu le nom d'axe hypocotylô. Les
faisceaux de la tige sont peu nombreux en général
dans les phanérugames dicotylédones ; ils sont au
contraire très nombreux dans les phanérogames
monocotylédonés ; 2° Tous les phanérogames pré-
sentent des feuilles * ou appendices symétri-
ques par rapport à un plan qui passe toujours par
l'axe de la tige. Ces feuilles ne reçoivent qu'un
petit nombre de faisceaux dans les dicotylédones ;
PHÉNICIE
— 156 i —
PHENICIE
elles en reçoivent au contraire un nombre consi-
dérable chez les monocotylédones ; 3» Presque tous
les pbanérogames présentent des racines *. Le
premier de ces organes qui apparaît sur l'embryon
en voie de développement se place souvent h
l'extrémité inférieure de l'axe liypocotylé, dont il
semble alors être le prolongement (dicotylédones) ;
4° La dispersion des grains de pollen et leur dis-
tribution sur le stigmate se fait toujours dans
l'air; 5» Tous les phanérogames produisent des
graines *, c'est-à-dire des appareils chargés d'as-
surer la dispersion des jeunes plantes.
[C.-E. Bertrand.!
PHÉNICIK. — Histoire générale, IV. — D'a-
près la tradition grecque, le nom de Pliénicie vien-
drait de phoinix. patminr, et signifierait le pays
des palmes; d'après les conjectures de plusieurs
savants modernes, il dériverait d'un vieux nom na-
tional, Pœni, Puni, conservé plus tard par les
Carthaginois, et dont la forme originale Pyjm,
Pounit, se trouve sur les monuments égyptiens,
appliquée à des pays de l'Arabie et de l'Afrique
orientale.
Géoqraphie. — LaPhénicie proprement dite s e-
tendait le long de la côte syrienne, de la pointe du
Carmel au sud jusqu'en face de l'Ile de Cliypre,
sur une hauteur de cinquante lieues environ. Plus
tard on appliqua ce nom à toute la partie du lit-
toral située entre Juppé et l'embouchure de l'O-
ronte. La Pliénicie n'est à proprement parler que
la bande de terre resserrée entre le Liban et la
mer, et dont la largeur moyenne varie entre huit
et dix lieues. Elle est coupée de ravins et de val-
lées profondes qui servent de lits à des torrents
dangereux au moment de la fonte des neiges, le
Nahr-el-Kebir, le Nahr-el-Kelb (Lykos), l'Adonis ;
la partie sud du pays possède une véritable rivière,
le Litany (Léontès), dont le cours inférieur seul et
l'emboucliure se trouvent sur territoire phénicien.
Des forêts couvraient le flanc des montagnes, pins,
cyprès, cèdres d'une espèce particulière : le fond
des vallées et le penchant des cùteaux portaient le
palmier, l'olivier, le figuier, la vigne, le grenadier,
plusieurs espèces de céréales. Si petit qu'il fût, le
pays pouvait nourrir une population nombreuse.
Les villes, presque toutes situées au bord de la
mer, étaient, en partant du nord, Warath, Arad et
Simyra,Gebel(Byblos),Bérythe et Sid»n,<a/?e!<Wc,
Tyr et Ako (Saint Jean d'Acre). Tyr et Arad étaient
bâties sur des îlots fort étroits : Tyr avait en face
d'elle sur le continent un faubourg qu'on appelait
Palœo-Tyr, Tyr la Vieille .
Histoire. — Les traditions nationales plaçaient
l'origine des Phéniciens sur les bords de la mer
Erythrée et dans les îles du golfe Persique : deux
des Bahreîn portaient encore à l'époque gréco-ro-
maine le nom de Tyros et d'Arados. Ils en vinrent
avec le reste des tribus chananéennes, probable-
ment à la suite du grand mouvement de migration
qui produisit l'invasion des pasteurs en Egypte
(V. Egijpxe), peut-être vers le vingt-cinquième
siècle avant notre ère. Tandis qu'une partie des
tribus occupaient la vallée du Jourdain et celle
de rOronte, la partie qui devint plus tard la na-
tion phénicienne s'empara de la côte et y fonda ou
y agrandit les villes que nous venons d'onumérer.
Resserrés entre le Liban et la mer, les Phéniciens
se jetèrent bravement à la mer et devinrent bien-
tôt les marins les plus expérimentés de la première
antiquité. Le Liban leur fournit des bois de con-
struction en .abondance : ils chargèrent sur leurs
navires les produits de leur sol et surtout les pro-
duits de l'industrie des nations voisines, et allèrent
les porter aux peuples encore à moitié barbares
qui v.vaient sur les côtes de la Méditerranée.
Gebel parait avoir été celle de leurs villes qui
se développa le plusanciennement. Située presque
en face de l'île de Chypre, ses marins y passèrent
attirés par les richesses forestières et par les mi-
nes de cuivre : ils commencèrent à y fonder des
comptoirs et inaugurèrent le régime de colonisa-
tion qui réussit plus tard aux autres villes du pays.
Mais Gebel fut bientôt effacée par Sidon, « le pre-
mier-né de Canaan. » Sidon ne songea jamais à
devenir puissance continentale. Elle se contenta
d'exercer une sorte d'hégémonie sur le reste de la
nation, sauf Arad et Simyra, et n'essaya même
pas de résister aux Egyptiens quand ceux-ci
conquirent la Syrie. Elle pensa qu'il valait mieux
faire le commerce avec elle que do se rui-
ner à soutenir contre elle une lutte par
trop inégale. Depuis Thoutmôs I" jusqu'à la fin
de la xx= dynastie (V. Egypte), pendant six
siècles, elle resta soumise aux Pharaons et profita
de la sécurité que leur assurait leur protection
sur terre pour reporter sur mer tout ce qu'elle
avait de forces. Elle explora et colonisa toute la
partie orientale de la Méditerranée. Chypre fut oc-
cupée tout entière, puis la Crète, puis Rhodes et
les Cyclades. Tout au long des côtes de l'Asie Mi-
neure, en Cilicie, en Pamphylie, en Lycie, des cen-
taines de comptoirs dont beaucoup devinrent des
villes importantes, des pêcheries, des exploitations
de mines s'élevèrent : les flottes des Sidoniens,
franchissant les détroits de l'Hellespont et dii Bos-
phore, s'engagèrent dans l'orageuse mer Noire et
atteignirent la Colchide, même l'embouchure des
grands fleuves de la Russie actuelle. D'autre part,
la Grèce n'échappa point à leur influence, et tandis
que le Péloponèse les voyait s'établir à Cythère,
à Corinthe, sur les côtes de ce qui fut plus tard la
Laconie, l'Elie et l'Achaîe, une véritable colonie
pénétrait dans le bassin du Céphise avec Cadmos
et y fondait Thèbes. En même temps, la côte afri-
caine recevait la visite de leurs vaisseaux; Leptis,
Thapsus, Clique, devenaient le centre d'un véritable
empire dont la population mêlée d'indigènes et de
Chananéensportachezlesauteursclassiqueslenom
deLibypIiéniciens.On croit qu'ils pénétrèrent plus
loin, que la Sicile et l'Italie méridionale subirent
leur influence : mais le souvenir de leurs expédi-
tions s'effaça de bonne heure dans ces régions de-
vant la suprématie de Tyr.
Tyr avait été d abord la vassale de Sidon, et
peut-être n'aurait elle jamais réussi à se rendre
indépendante, si les Sidoniens n'avaient pas été
épuisés par la grandeur même de leur colonisa-
lion. Un peuple, d'abord soumis à l'Egypte, celui
des Philistins, profita de la faiblesse des grands
prêtres d'Ammon (V. Egypte) pour se livrer à
la piraterie, et se mit en rivalité avec les Sido-
niens: une de ses flottes battit la flotte phéni-
cienne et s'empara de Sidon vers 1200. Tyr suc-
céda presque aussitôt b. Sidon dans le rôle de mé-
tropole. Le développement des tribus helléniques
la força à renoncer en partie aux conquêtes que
Sidon avait faites de ce côté : elle ne conserva
guère dans la mer Egée que Thasos, Rhodes et
Mélos. Elle reporta toute son énergie sur les pays
occidentaux encore mal connus : la Sicile et Malle,
la Sardaigne, la côle septentrionale de l'Afrique,
les Baléares, la côle orientale de l'Espagne furent
explorées et colonisées tour à lour ; enfin le détroit
fut franchi et les flottes tyrienncs débouchèrent
dans l'Océan Atlantique. Elles trouvèrent là, entre
le Xucar et le Guadiana, un pays d'une richesse et
d'une fertilité merveilleuses, dont les mines d'or,
d'argent et de plomb attirèrent bientôt une popula-
tion" ombreuse. Malacca :Mulaga),Tartessos, Gadès
(Cadix^ devinrent le centre de la domination tyrienne
aux régions de Tarshish et servirent de point de
départ à de nouvelles explorations. On ne sait
jusqu'où les Phéniciens s'avancèrent le long des
côtes d'Afrique ; mais au Nord, ils allèrent cher-
cher l'étain jusque sur les côtes de la Cornouaille,
aux îles Cassitérldes (Scilly). Quand on songe que
PHENIGIE
— 1565
PHENIGIE
tous ces voyages ont été entrepris et exécutés
sans boussole par des navires dont les plus con-
sidérables avaient à peine la force de nos gros ba-
teaux de piclie, on ne peut s'empêcher d'admirer
l'énergie et l'iialjileté des pilotes tyriens : les
grands peuples maritimes îles temps modernes
nom rien fait de plus audacieux et do plus grand.
Tyr, ariivée à l'apogée de la puissance, se donna
des rois, dont le premier fut Abibal, contempo-
rain de David, lliram I "■, qui succéda à Abibal, fut
l'ami constant de Salomon (98(1-947) : il agrandit
Tyr, fournit au souverain israélite des architectes
et des sculpteurs qui bâtirent et ornèrent le tem-
ple de Jérusalem. En échange de ces services, il
obtint la permission d'équiper h Esiongéber, sur la
mer Rouge, une flotte qui alla au pays d'Ophir
(probablement l'Afrique tropicale) clierclier l'or,
l'ivoire et l'ébène. La bonne harmonie continua de
régner entre les successeurs d Hiram et ceux de
Salomon, même après que le schisme des dix tribus
eut amené la ruine de la puissance israélite.
Ithobaal (807-866) maria sa fille Izebel au roi
d'Israël Akab, et la fille d'Izebel, Atlialiah, fut plus
tard reine de Juda (V. Juifs); on put croire
un moment que le culte de Jéhovah serait rem-
placé chez les Hébreux par celui du Baal et de
l'Astarté phénicienne. Mais des luttes sanglantes
entre les nobles et le peuple alTaiblirent Tyr au
dedans et au dehors. Sous le règne de Pygmalion,
Cartilage fut fondée par un personnage mysté-
rieux auquel la tradition a doiiné un nom de déesse,
Dido, et bientôt la Ville-Nouvelle (Kart-Hadshat,
dont les Romains ont fait Carthage) enleva à sa
métropole la possession de l'Afrique, de l'Espagne,
de la Sicile (entre 8iO et 820). Vers le même temps,
les Assyriens commençaient à paraître en Syrie.
Assour-nazir-habal (8S5-8G0) imposa le tribut à
Tyr, à Sidon, k Gebel, à Arad. Tyr et Sidon ré-
sistèrent à ses successeurs, souvent avec bonheur.
Tyr fut assiégée dix ans sans succès par Sal-
manasar V et par Sargon II (V. Assyrie), et ne
fut réduite qu'en 7(io par Sinakhéirib. Mais ces
luttes, pour glorieuses qu'elles furent, achevèrent
de ruiner l'empire colonial des Phéniciens : Rhodes,
Thasos furent conquises, et Chypre à moitié colo-
nisée par les Grecs.
Désormais la Pliénicie se borna à faire le com-
merce de commission, ou, comme on a dit, le TOM-
lage des mers, pour le compte des difl'ércnts peu-
ples qui se partagèrent l'Orient. Alliée de l'Egypte,
elle repoussa Nabou-Koudour Oussour (V. Vhal-
dée) vers 574, et fournit au Pharaon Néko la
flotte qui fit le tour de l'Afrique pour le compte de
ce prince. Conquise par Apriès, elle passa sous la
domination d'Amasis, puis snus celle de Kyros,et
fut à partir de ce monn-nt une province de l'em-
pire perse. Elle fournit i Darios et àXerxès la plus
grande partie des flottes ([ui soutinrent contre les
Grecs les batailles des guerres médiques. Elle fai-
sait alors partie de la satrapie d'Arabie, mais ses
villes avaient chacune leur roi indépendant : c'est
ainsi que nous connaissons à Sidon Eshmounasar,
dorit le sarcophage est au musée du Louvre, et à
Gebcl Schavmelek. Une seule tentative de révolte
contre Artaxerxès Ochos aboutit à la desti-uction de
bidon. Tyr, demeurée fidèle au grand roi, arrêta
pendant sept mois Alexandre : il fallut, pour la
prendre, joindre au continent, par une digue, l'Ilot
qm la portait (332). Désormais enclavée dans l'em-
pire macédonien, la Phénicie, après avoir été dis-
putée pendant deux cents ans entre les Ptoléraées
û fcgypte et les Séleucides de Syrie, tomba définiti-
vement, à la mort de Cléopàtre 129), aux mains des
Romains.
lieligion. — La religion phénicienne était appa-
rentée de très près aux cultes babyloniens et
assyriens (V. Assyrie et Clmldée) ; mais pen-
aant la durée do la domination pharaonique
elle parait s'être imprégnée fortement de mythes
égyptiens. Le dieu suprême, le dieu-soleil qui
conserve et détruit tout à la fois, prenait comme
à Babylone le nom de maître, Baal [Bélos des
Grecs) : ses formes locales joignaient à ce titre
tantôt le nom de la ville où elles étaient adorées,
liual-Tsour ix Tyr [Tsour), Bnal-Sidm à, Sidon,
tantôt des épithètes, Meikirth (le rui de la ville, à
Tyr), Adonis, etc. Melkarth, introduit en Grèce
comme Mélicerte, fut de plus identifié avec l'Hercule
hellénique, et devint comme une personnification
de la colonisation tyrieime: son culte se retrouve
sur tous les points de la Méditerranée où les
Tyriens s'établirent. Les déesses qui accompa-
gnaient ces dieux n'en étaient le plus souvent que
la contre-partie féminine, et n'avaient pas toujours
une forte personnalité : c'étaient Baaiit (Beltis)
à Gebel. et surtout Astarté à Sidon. Le culte de
ces divinités, que l'on désignait d'une manière
générale sous le nom de Baalim, les maîtres, était
parfois voluptueux et sanguinaire : certaines d'en-
tre elles exigeaient le sacrifice humain par le feu,
et demandaient dans des circonstances solennelles
l'olTrande des premiers-nés ; la loi religieuse des
Phéniciens se trouvait consignée dans dos livres
dont une rédaction, attribuée à un certain Sancho-
niathon, nous est connue par quelques fragments
en langue gi-ecque. Les Phéniciens pensaient qu'il
y avait eu au commencement un air trouble et
venteux, un soiiflle (roudh) et un chaos confus et
sombre : le souffle devint amoureux de ses propres
éléments, les mêla par le désir, et de ce mélange
naquit la boue {mâthj ; de cette boue sortit la se-
mence et la génération de toutes choses.
Industrii-, commerce, littérature. — Les peuples
de l'antiquité classique attribuent la plupart des
grandes inventions aux Phéniciens : c'est une exa-
gération qui s'explique aisément, si l'on songe que
les Grecs, ayant connu ces inventions par les Phé-
niciens, furent tout naturellement portés à leur en
donner le mérite. En fait, les Phéniciens, placés
entre les grandes nations civilisées du vieux
monde, l'Egypte et la Chaldée, ne firent guère que
répandre et perfectionner ce qu'elles avaient
trouvé. Ils emiiruntorent l'art de fabriquer le verre
à l'Egypte, dérivèrent leur alphabet des hiérogly-
phes égypiiens, et apportèrent probablement avec
eux du voisinage de la Chaldée la science astrono-
mique et mathématique, qui fit d'eux les premiers
marins de l'antiquité. Tout ce que nous connais-
sons de leur architecture et de leur industrie
porte le sceau de l'imitation : leurs tombeaux, les
débris de leurs temples, la figure de leurs divinités
est surtout égyptienne, avec un mélange d'assyrien
ou de perse selon les époques. C'est justement ce
manque d'originalité qui explique la grandeur du
rôle qu'ils ont joué dans le développement de la civi-
lisation antique. Ils ont servi de lien entre le monde
oriental déjà en décadence et le monde occidental
encore barbare, et ont transporté pêle-mêle et sans
choix tout ce qui pouvait développer chez les peu-
ples méditerranéens le sentiment des arts et le
goût des sciences. Par l'échange, ils leur donnèrent
les modèles égyptiens et chaldéens, auxquels les
Grecs et les Italiens empruntèrent certaines formes
de leur architecture, de leur céramique, do leur
orfèvrerie. Les comptoirs furent non seulement
des marchés où l'on faisait le commerce, mais des
écoles où les tribus barbares du voisinage appri-
rent peu à peu la navigation, l'industrie, et con-
nurent certaines idées religieuses, qui influèrent
sur la direction de leur développement moral
ou philosophique. Les Grecs reçurent leur écri-
ture de la Phénicie, et par les Grecs le monde
entier.
Les principales industries purement phénicien-
nes étaient la fabrication de la poui-prc, la cons-
truction des navires et l'exploitation des mines. La
PHÉNOMÈNES OPTIQUES -1566— PHÉNOMÈNES OPTIQUES
pourpre, dont les nuances variaient du carmin le
nlus éclatant au noir le plus sombre, était extraite
plu;
de plusieurs espèces de coquillages, dont le plus
précieux était le Murer brayidai-is. Partout ou se
trouvèrent des bancs de ce mollusque, les Phéni-
ciens établirent des pêcheries et des teintureries,
sur les côtes de l'Asie Mineure, de la Crète, du
Péloponèse. Ces établissements étaient presque
toujours dans le voisinage de forêts qui fournis-
saient des matériaux abondants à la marine. Les
Phéniciens perfectionnèrent la construction des
navires à tel point que, même au temps de la ré-
publique athénienne, les vaisseaux sidoniens
étaient cités comme des modèles d'arrimage et de
solidité. Dans le bassin occidental de la Méditer-
ranée, dans le nord de la mer Enée, sur les côtes
du Poiit-Euxin où la pourpre n'abondait pas, ils
eurent des pêcheries, et des fabriques de salai-
sons, ou exploitèrent les mines, mines d'or i
Thasos et en Espagne, d'argent et de plomb, en
Espagne, d'étain dans la Colchide et les Cassité-
rides. Aujourd'hui encore, on trouve en Espagne
les débris de leurs galeries de mines.
Ils avaient une littérature assez complète, livres
historiques, livres religieux, traités d'agriculture :
quelques-uns de ces ouvrages, traduits en grec ou
même en latin (le traité du Carthaginois Magon
sur l'agriculture) nous sont connus par des frag-
ments malheureusement peu nombreux. Dans
la langue originale, un dialecte apparenté de très
près à l'hébreu classique, nous n'avons que quel-
ques inscriptions dont les plus longues sont celles
du sarcophage d'Eshmounasar au Louvre, un rè-
glement sur les sacrifices, découvert i Marseille, et
une stèle où est décrit le grand temple de Byblos.
[G. Maspero.l
l>IIÉ^OMÈ.\ES OPTIQUES DE L'ATMO-
SPIIÈIIE. — Météorologie, XUI. — On désigne sous
ce nom l'ensemble des effets de lumière et de
coloration auxquels donnent lieu dans l'atmo-
sphère le soleil, d'abord, puis l'électricité atmo-
sphérique, les astéroïdes errants qui pénètrent
dans notre atmosphère, etc. Nous décrirons les
principaux d'entre eux en les rangeant dans l'or-
dre alphabétique.
Anthclies. — Sorte d'auréole lumineuse qui en-
toure l'ombre d'une personne projetée soit sur
une surface gazonnée et couverte de rosée, soit
même sur un nuage. L'anlhélie n'est guère visible
que par la personne même qui projette son
ombre, et elle lui apparaît surtout autour de la
tête. Elle est due h la réOexion de la lumière par
les gouttes de rosée ou par les globules des nua-
ges placés en dehors de l'ombre portée, mais le
plus près possible de la ligne qui irait des yeux
au soleil et se prolongerait en avant de l'observa-
teur. A mesure qu'on's'éloigne de cette ligne, l'in-
tensité de la lumière réfléchie diminue assez ra-
pidement, en sorte que l'ombre de la tête paraît
seule enveloppée d'une auréole analogue à celle
dont on entoure la tête des saints, sauf qu'elle est
blanche et non colorée.
Aic-enciet. — 11 se voit, comme l'anthélie, dans
une direction opposée au soleil, e1 son centre se
trouve encore sur le prolongement de la ligne qui
irait de l'œil au soleil. Mais il a une autre cause
que l'anthélie, et ne se produit que quand il pleut
quelque part.
L'arc-en-ciel est dû à des rayons solaires qui
tombent sur les gouttes de pluie, pénètrent dans
leur intérieur en s'y réfractant, se réilocliissent
une fois ou deux sur leur surface interne, et s'en
échappent en subissant à leur sortie une nouvelle
réfraction. Les rayons solaires qui tombent sur
chaque goutte d'eau et couvrent leur hémisphère
éclairé peuvent ainsi être réfractés dans tomes les
directions, et sont rendus invisibles par leur dis-
persion. Mais il existe pour chaque goutte deau
une direction dans laquelle la dispersion est mi-
nimum ; l'œil reçoit dans cette direciinn un sup-
plément de lumière qui devient très sensible si le
nombre des gouttes d'eau qui l'envoient est suffi-
sant. La direction de la dispersion minimum n'est
pas fixe dans l'espace ; c'est son inclinaison sur les
rayons solaires qui l'est seule, en sorte que le
supplément de lumière peut se produire sur une
surface conique ayant l'œil pour sommet et pour
axe le prolongement de la ligne qui va du soleil
à l'œil de l'observateur. L'impression est donc celle
d'un cercle lumineux entourant cette surface co-
nique partout où il s'y trouve des gouttes d'eau.
Si la lumière était simple, on apercevrait en effet
un cercle lumineux unicolore, assez nettement
limité; mais la lumière solaire est composée d'une
somme de rayons de couleurs diverses se réfractant
de quantités inégales (V. Kéfrnction). A chacun
d'eux correspond un angle différent de déviation
minimum. Il en résulte que chaque arc-en-ciel se
compose en réalité de la juxtaposition d'arcs de
rayons inégaux et teints chacun de sa couleur pro-
pre. Ils empiètent les uns sur les autres et for-
ment une bande circulaire dans laquelle les cou-
leurs du spectre sont fondues et ne laissent voir
que les teintes principales : le violet du côté du
centre, puis le bleu, puis le vert lavé, le blanc
jaunâtre. Le rouge est à l'extérieur. Cet arc, sou-
vent très brillant, est dû à une seule réflexion des
rayons qui ont pénétré dans l'intérieur de chaque
goutte d'eau. On l'appelle arc intérieur.
Assez fréquemment, l'arc intérieur est entouré,
à distance, d'un second arc plus pâle, appelé arc
extérieur, qui est du \ des rayons ayant subi deux
réflexions à l'intérieur de chaque goutte d'eau.
Dans l'arc extérieur, la série des couleurs est ren-
versée ; c'est le rouge qui est en dedans et le
violet en dehors.
Nous n'avons parlé que de l'arc-en-ciel solaire
produit par une chute de pluie convenablement
placée. Il existe aussi des arcs en-cicl lunaires ;
mais ils sont rares et toujours très faibles. Les
uns et les autres n'ont qu'une seule et unique si-
gnification : c'est qu'il pleut là où on les voit;
ils ne nous promettent absolument rien pour l'a-
venir. , . ,, -,
Une pluie artificielle peut produire 1 arc-en-ciel
comme une pluie naturelle, car celle-ci n'agit
que par ses gouttes d'eau. Les jets d'eau, les cata-
ractes peuvent donc en produire à toute heure du
jour si on peut choisir un emplacement favorable
pour les observer. Généralement alors on ne voit
que des tronçons d'arc plus ou moins longs.
Aurore. — Parmi les rayons diversement colo-
rés qui composent la lumière du soleil, les rayons
bleus sont le plus fortement réfléchis par l'atmo-
sphère. La portion du ciel qui n'est éclairée pour
nous que par cette réflexion nous paraît donc
bleue. Mais les autres rayons continuent leur
route ; et comme, si on enlève du bleu à la lumière
blanche, on a une couleur orange, l'ensemble de
ces autres rayons paraîtra plus ou moins colore de
cette teinte, et d'autant plus que le soleil, étant
plus bas, ses rayons, transmis directement, auront
à traverser, pour venir jusqu'à, nous, une plus
irande épaisseur d'air atmosphérique. Tandis
qu'au lever du soleil le ciel est teinté de bleu vers
loccident, il est teinté de la couleur orangée vers
l'orient. L'inverse a lieu au coucher du soleil.
La vapeur d'eau condensée dans l'air agit indis-
tinctement sur tous les rayons colorés quelle re-
çoit. Elle a donc pour unique efl'et de laver M
blanc la couleur propre du ciel; mais la vapeur
d'eau, conseivant l'état gazeux, agit par sélectioû:!
sur la lumière bien plus énergiquement que 1 air
pur ; et comme la vapeur gaze.ise abonde dans
l'air, surtout dans la saison chaude ou les pays
chauds, c'est là surtout que l'aurore pj-end ses
PHÉNOMÈNES OPTIQUES — 1367 — PHÉNOMÈNES OPTIQUES
teintes les plus éclatantes. Les nuages sont alors
colorés comme la lumière qui les frapp». Quant
au ciel lui-même, la teinte orange est d'autant plus
pure qu'on la regarde plus près du soleil, et la
teinte bleue d'aulant plus pure aussi qu'on la re-
garde dans une direction plus éloignée. Le pas-
sage de l'une à l'autre a lieu par teintes mélan-
gées verdâlres inclinant soit à l'orange, soit au
bleu, soit qu'on s'approche, soit qu'on s'éloigne
du levant.
Dès que le soleil conii z/nce à s'élever au-dessus
do l'horizon, l'épaisseur de la couclie obliquement
traversée par ses rayons diminue rapidement,
ainsi que la prédominance de la teinte orangée
qu'on y remarque.
Les faits sont exactement du même ordre au
coucher du soleil.
Aurore boréale. — Elle n'a rien de commun avec
l'aurore. Elle est exclusivement d'origine élec-
trique.
L'aurore boréale est un phénomène essentielle-
ment mobile et variable, suivant les climats. A
Paris, les aurores boréales sont très rares, et
quand elles s'y montrent, ce ne sont le plus sou-
vent que de vastes lueurs rongeâtres simulant des
incendies. Quelquefois, cependant, on y distingue
nettement des rayons brillants qui dardent vive-
ment dans le ciel en changeant de place et de
couleur. L'aurore du '-H octobre 187(1 est une des
plus remarquables qu'on ait observées à Paris,
surtout par la forme de draperie qu'elle déploya
dans le ciel et par la vague lumière qu'elle laissa
dans les hauteurs. A Tours, cette aurore boréale
fut également très intense, mais elle ne s'y mani-
festa que par des jets de lumière ondoyante lancés
dans des directions diverses et émanant d'un cen-
tre assez étendu de lumière jaune orangée à reflets
rouges.
Les aurores boréales sont surtout complètes et
très fréc|uentes dans les régions septentrionales
voisines des régions polaires.
Un aspect pâle du ciel, dans le voisinage de
l'horizon et dans la direction du nord, précède
l'apparition de l'aurore. Bientôt la couleur devient
plus sombre, et l'on voit un segment circulaire
plus ou moins grand entouré d'un arc lumineui
d'un blanc brillant passant au bleu pâle.
Quand l'arc lumineux s'est formé, il reste sou-
vent visible pendant plusieurs heures. Toutefois,
11 n'est pas immobile : dans un -mouvement per-
pétuel, l'arc s'élève et s'abaisse, s'étend vers
l'est ou l'ouest et se rompt çà et là. Ces mouve-
ments sont surtout remarquables quand l'aurore
boréale s'étend et commeno^ à lancer des rayons.
Alors l'arc lumineux devient plus brillant sur un
point ; il mord sur le segment obscur et une lueur
brillante, semblable à celle de l'arc, monte vers le
zénith. Cette lueur s'élance avec la rapidité de
l'éclair jusqu'au milieu de la voûte du ciel. Tantôt
l'arcs'allonge, tantôt il se raccourcit, et ne conserve
presque jamais la même forme pendant plusieurs
minutes, mais se meut vers l'est ou vers l'ouest et
se courbe comme une draperie agitée par le vent.
Il pâlit ensuite peu à peu et disparaît enfin pour
faire place à d'autres rayons. Si ces rayons sont
très éclalants, ils présentent quelquefois des teintes
vertes ou d'un rouge foncé.
Le centre de chaque aurore boréale paraît placé,
non dans la direction du nord vrai, mais dans la
direction du nord magnétique. Pendant toute sa
durée et même quand l'aurore n'est pas visible en
France, l'aiguille aimantée est fortement agitée.
Les lignes télégraphiques, suriout celles qui sont
orientées au nord-sud, sont traversées par de forts
courants électriques continus ou intermittents qui
enipixhent les transmissions télégraphiques ou
y apportent une grande gêne.
Les relations qui existent entre l'opparition des
aurores boréales et l'état général du temps sont
très obscures. Il semble cependant que le phé-
nomène coïncide généralement avec la présence
ou avec le retour du courant équatorial vers les
régions polaires. Survenant à la fin d'une période
sèche, elles annonceraient le retour dos vents hu-
mides et pluvieux. Il faut se rappeler toutefois
que les aurores boréales retentissent simultané-
ment sur tout le pourtour du pôle, s'étondant à
l'Europe, h l'Asie et à l'Amérique du Nord, tandis
que les vents pluvieux ont une marche plus lente
et plus circonscrite.
Des phénomènes semblables aux aurores bo-
réales s'observent au pôle austral, comme au pôle
boréal. On les appelle (lumres australes.
Couronnes. — Ce sont des cercles lumineux
colorés qui entourent le disque du soleil et de la
lune quand des nuages légers ou des brumes
passent entre ce disque et notre œil. Les cou-
ronnes solaires sont assez difficiles à observer, à
cause de l'éclat de l'astre difficile à supporter
directement; il vaut mieux en voir limage réflé-
chie par la surface d'une eau tranquille. Les cou-
ronnes lunaires sont au contraire très communé-
ment observées. Elles sont d'autant plus larges
que les globules de vapeur condensée sont plus
fins et plus serrés. On peut du reste les repro-
duire artificiellement en interceptant la vue de
l'astre par une lame de verre recouverte d'une
poudre très fine et très régulièrement étalée en
couche mince et transparente. La fine buée qui
se dépose sur les vitres produit un eflet sem-
blable.
Les couronnes sont dues à des modifications de
la lumière transmise par les intervalles des grains
de poussière ou de vapeur condensée, modifica-
tions que l'on nomme diffraction.
Crépuscule. — Lumière qui continue à éclairer
le ciel après le coucher du soleil, ou qui l'éclairé
déjà avant son lever.
Les rayons solaires tangents à la surface de la
terre cessent d'arriver directement aux points de
la surface terrestre placés au delà du cercle de
contact; mais ces rayons n'en continuent pas
moins à éclairer les couches de l'atmosphère
qu'ils traversent, et à nous éclairer nous-mêmes
par réverbération.
On distingue deux crépuscules. Le crépuscule
ciiit finit quand la ligne qui sépare la portion de
l'atinospliore directement éclairée de celle qui ne
l'est pas, s'est élevée jusqu'au zénith. L'obscurité
du ciel est alors à peu près complète pour un
appartement ayant ses fenêtres à l'orient. C'est le
moment où les planètes et les étoiles les plus
brillantes commencent à paraître. Ce moment
arrive quand le soleil est descendu de 6 degrés
au-dessous de 1 horizon. La durée de ce crépus-
cule par un ciel pur varie en France de 30 à
47 minutes, selon la localité et la saison. La durée
du jour, mesurée par l'intervalle qui sépare le
lever du coucher du soleil, doit donc être aug-
mentée de 30 à 47 minutes le soir et d'autant le
matin.
Le crépuscule astronomique prend fin quand la
totalité de l'atmosphère visible cesse d'être direc-
tement éclairée. Il est alors nuit close.
La durée du crépuscule est bien courte dans les
régions équatoriales, où le soleil, après avoir passé
au zénith, descend presque verticalement au-des-
sous de l'horizon. Elle s'allonge à mesure qu'on
s'avance vers le nord, parce que le soleil suit une
ligne qui s'y rapproclie davantage de l'horizon ; il
lui faut alors plus de temps pour s'abaisser d'un
même angle au-dessous de cet horizon. Il est même
des régions situées au delà des cercles polaires,
où le soleil ne se couche jamais en été et ne se
lève jamais en hiver. Au printemps et à l'automne,
le soleil ne descend que très peu au-dessous de
PHÉNOMÈNES OPTIQUES - 1568 —
PHILIPPE
l'horizon, et la nuit entière n'y est qu'un long cré-
puscule, comme les jours d'iiiver.
Halos. — Ce sont des cercles et des lignes bril-
lantes qui, dans des circonstances exceptionnelle-
ment favorables, peuvent atteindre un degré de
complication difficile h décrire. Us se disiniguent
de l'arc-en-ciel en ce qu'ils apparaissent entre
l'observateur et le soleil. Ils sont colorés comme
les couronnes, mais mieux limites, plus complexes,
souvent accompagnés de cercles blancs plus ou
moins pâles qui se coupent et donnent h leurs
points de rencontre des images brillantes qu on
prendrait pour des images du soleil, et qu'on
nomme parlièlies. .
Il existe des lialos lunaires comme il existe des
couronnes lunaires; mais, tandis que ceux-ci se
montrent dans les cumulus, nuages formés de
"lobules de vapeur condensée en eau, les premiers
se montrent dans les cirrus, beaucoup plus élevés
que les cumulus et composés de fines aiguilles de
glace II n'est aucun de ces nuages qui n'en oflre
des traces; mais les halos complets sont très
rares. , , , .,
Les cercles colorés des halos dont le soleil ou
la lune occupe le centre sont dus à des phéno-
mènes de rétraction de la lumière passant au tra-
vers des prismes formés par les aiguilles de glace ;
les cercles blancs qui passent par le soleil ou par
la lune sont dus à des réflexions sur les faces an-
térieures de ces cristaux orientés par leur chute.
Mirage. — Le mirage est un phénomène de tout
autre ordre, qui n'est pas rare dans nos climats
et qui est très fréquent dans les pays chauds.
La lumière ne se propage en ligne droite que
dans un milieu bien homogène. Dans de l'air dont
la température changerait rapidement de la sur-
face du sol jusqu'à, une certame hauteur, les
rayons qui rasent obliquement la surface du sol
se relèvent ou s'abaissent suivant le sens de la
variation de la température. Si le sol est plus
chaud que l'air à une certaine hauteur, ce qui est
le cas pendant le jour, dans les pays chauds et
secs, les rayons tendent à se relever, h s éloigner
du sol. parce que l'air est plus réfringent là où
il est le moins chaud que là où il l'est le plus. Si
donc un rayon de lumière parti d'un objet lointain
situé près de l'horizon est lancé vers nous dans
une direction à peu près horizontale, en parcou-
rant une couche d'air de même température en
ses divers points, ce rayon r.ous parviendra à peu
près sans déviation et nous donnera la vue directe
de l'objet. Si en même temps un autre rayon parti
du même objet, mais plongeant un peu vers le sol,
rencontra sur son chemin des couches d'air de
plus en plus chaudes et moins réfringentes, chaque
couche le redressera un peu. Ce second rayon
parcourra donc une sorte d'arc de cercle dont la
concaviio sera dirigée vers le haut, et il pourra
venir jusqu'à l'œil en paraissant venir d'en bas;
il donnera une seconde vue de l'objet analogue
à celle qui serait produite par la réflexion d une
glace couchée sur le sol. C'est cette réflexion par-
ticulière, donnant une image renversée des objets
placés près de l'horizon, qui constitue le mirage.
Le plus ordinaire est celui que nous venons
d'esquisser; il produit l'efl'et d'une nappe d'eau
sur laquelle se réfléchissent les nuages, les arbres,
les objets terrestres faisant peu de saillie sur le
sol. Mais le phénomène peut être renversé quand
c'est ad contraire le sol ou la mer qui est plus
froid que l'air. On voit alors les objets éloignés
donner une image renversée, placée au-dessus
d'eux au lieu d'être au-dessous, comme si le mi-
roir était dans le ciel et non sur le sol. Il est enfin
des cas, sur le bord de la mer, où le mirage se
produit latéralement comme si le miroir était ver-
ticalement placé près de la mer.
A l'époque où le mirage et sa cause étaient peu
connus, ce phénomène a été rendu célèbre parles
snufl'rances qu'il a fait endurer aux soldats pendant
la campagne d'Egypte. Il est cependant presque
quotidien on France, notamment dans la plaine de
la Crau. [Marié-Davy.]
PHILIPPE. — Nom de six rois de France, et de
divers souverains étrangers.
1° France.
' Philippe I", — Histoire de France, VIII, — le
quatrième des rois capétiens, successeurd'HenriP',
régna pendant près d'un demi-siècle (1060-1108),
mais ne prit aucune part aux grands événements
qui agitèrent la Franco durant cette période. Il
avait treize ans, lorsque son vassal, le duc Guil-
laume de Normandie, conquit l'Angleterre (10B6).
Pendant les trente années qui suivent, on voit
Philippe engagé à diverses reprises dans d'obscures
guerres féodales contre les seigneurs ses voisins,
guerres où souvent il avait le dessous. Son union
illégitime avec Benrade, femme du comte d'Anjou,
attira sur lui les anathèmes de l'Eglise; il était
excommunié lorsque le pape Urbain II vint en Au
vergne prêcher la première croisade, à laquelle le
roi de France resta étranger. Vers la hn de son
règne, il associa à sa couronne son hls Louis,
dont l'activité et Ihabileté allaient donner à la
royauté une importance qu'elle n'avait pas eue
jusqu'alors. Philippe l" ajouta au domaine royal
le Gàtinais, le Vexin, et la vicomte de Bourges.
Philippe II Auguste, — Histoire de France, IX,
- fils et successeur de Louis VII, monta sur le
tiône en IlSO. Ce monarque, politique astucieux
et négociateur habile bien plus qu homme de
guerre, visa constamment à étendre 1 autorité
royale, et à s'emparer des possessions des Planta-
geiiets en France. Pendant les dernières années
du règne d'Henri II d'Angleterre, il lutta contre
ce prfnce en s'associant à ses fais révoltes. Après
la .nort d'Henri H, le pape Clément III ayant prê-
ché une croisade, il dut conclure la paix, et se
rendit en Orient avec Richard Cœur-de-Lion,
successeur d'Henri. Il en revint bientôt, ma gre
le blâme que sa défection lui attira. Prolitant de
l'absence et de la captivité de Richard, i essaya
de lui enlever la Normandie ; mais Richard revint
à son tour (U91), et une trêve fut conclue En
non Philippe, ayant répudié sa fenime Ingel-
burge de Danemark pour épouser Agnès de Mera-
nie, vit son royaume mis en interdit par Inno-
cent ni; trop faible pour lutter contre le P^Pe. Jj
céda, reprit Ingelburge, et obtint son P^'^Jon- En
même temps, il citait à comparaître devint u
pour être jugé par la cour des pairs, qui se réunit
alors pour la première fois, le nouveau loi d An-
gleterre, Jean sans Terre, accuse d avoir assassiné
fon neveu Arthur de Bretagne- sur son refus de
se présenter, Phili,.pe s'empara de la Pl"P"^ 1e=
liefs que les Plantagenets possédaient en I ance,
Normandie, Maine, Tourame, .A"J"" "/"''""•
Cestà cette époque qu'un certain nombre do se -
gneurs français s'embarquaieut pour la ; "oi
Lde (\. Cro.sa,les). Philippe les 1^'*^^ Pf "'. ^''"^
se joindre à eux; il était trop occupe du soin de
ses propres intérêts. Tout en agrandissant^ e do-
maine royal, il créait une milice (es ribaud,),
Srçait de se concilier la bourgeoisie en fayo-
i ant'îe développement des institutions mumc -
pales, protégeait 'U'uversue de Paris et y faisa
enseigner le droit romain. En U08, Innucei.t i i
prêcha la croisade contre les Albigeois (V. AJOi-
leois) : Philippe-Auguste laissa les ^<='S"f"" f"»
Nord marcher contre les hérétiques du Midi naa.s
malgré les avantages qui devaient ,'''îf"'^^«„^^ P»^'^
la royauté française de la conquête f '^ P/-^^^'^^^
il ne se joignit pa.s aux croises. S'^s d^.'"'^'"",,^^';?
Jean san's Terre n'étaient l»^,^"'"'"^*(i„f, '"'.y
avait pour alliés l'empereur d'Allemagne Ollion IV,
PHILIPPE
— 1569 —
PHILIPPE
et plusieurs seigneurs vassaux du roi do Franco,
entre autres le comte de Flandre. « J'ai aux nancs,
écrivait Philippe au pape, doux lions grands et
terribles, Otiion l'empereur et Jean d'Ansleterro;
aiusi je ne puis sortir de France. » Bientôt la
guerre éclata entre le roi de France et ses adver-
saires. Otiion, aidé des Flamajids, avait réuni une
puissante armée : riiilippe le battit à Bouvines
(l'.'U); en môme temps Jean sans Terre, défait
près de Nantes, fut contraint à la paix. L'année
suivante, les barons anglais, lévoltes contre leur
roi, offrirent la couronne au fils du roi de Fiance,
Loms. Celui-ci passa en Angleterre; mais Jean
étant mort, les barons préférèrent son fils à un
souverain étranger, et l'expédition française
échoua. Philippe-Auguste d'ailleurs avait désap-
prouve cette tentative; il aimait mieux consolider
ses premières conquêtes, se fortifier dans son
propre royaume, que d'aller chercher au dehors
(les possessions nouvelles ou une gloire stérile,
t. est ainsi qu'il refusa de participer à' la cin-
quième croisade (|-J17), et qu'il refusa également
a accepter le don que voulait lui faire de la Pro-
vence Amaury, fils de Simon de Montfort : c'est
A Louis yiH qu'il était réservé de prendre pos-
session de la France méridionale. Philippe-Au-
guste mourut en 122:!, âgé de cinquante-huit ans;
sa prudence, son habileté, sa sage administration,
■ont lait de lui l'un des principaux fondateurs de la
■a-oyauté française.
P^jllPPe III le Hardi, — Histoire de France, X,
— his de saint Louis, prit la couronne en Afrique,
à la mort de son père qu'il avait accompagné i la
8'croisade(1270) ; il se hâta de conclure la paix avec
le bey de Tunis, et de revenir en France. Il réunit
i la couronne I héritage de son oncle, le comte de
Toulouse ; puis, à la mort de Henri le Gros, comte
de Champagne et roi de Navarre, qui ne laissait
j';'"'_'"'S"C':e'ier qu'une fille, il fiança celle-cii son
nis Philippe ; la Champagne se trouva ainsi réunie
,iu domaine royal, et une expédition au delà des
Pyrénées assura au roi de France l'obéissance
des Navarrais (127C). A la fin de son règne, Phi-
qjpe 111 porta de nouveau ses armes en Espagne:
e roi Pierre III d'Aragon était en guerre Ivec
Charles d Anjou, roi deNaples et oncle de Philippe:
celui-ci envahit TAragon avec vingt mille chevaliers :
Il prit Girone après un siège difficile. Mais la
lotte française fut battue par les marins catalans ;
1 armée de terre était épuisée par "les maladies.
Phiippe dut battre en retraite, et mourut en arri-
vant à Perpignan (1285).
Ce fut sous le règne de Philippe III qu'eut
leu le premier anoblissement ; en même temps
les rotuneis obtinrentle droit d'acquérir des fiefs.
Philippe IV le Bel. — Histoire de France, XI —
Le roi etjes conseillers. — La personne de Phi-
lippe le Bel est peu connue; il n'y a pas eu auprès
de lui un Joinville pour noter les détails de sa vie
royauté prit de plus eu plus le caractère juridique
l^nt I /°'" w''".'^'^ ^ '"' ''»"'""• saint Louis. Mais
suHnm ,r ' T'f '^''" '*'' 'a J^^t'-^e ; Philippe fit
re, n"^M »f "^^ 'ï ''^''"'^"^- S«s principaux niinis-
sei^neurs • ""' ^'' '"""""'^^ '^'«P'^" "' de grands
de fa hn,,.,; ' .^""^'ent de la petite noblesse ou
cilmhpM f °;T-/"S"«™'«i de Marigny, qui fut
^areT n ,i f •" '■'é^°"<^'^ du roi, Pierre Flotte, No-
?]an .rii "'" successivement chanceliers, Pla-
voln'ntfpp. !.,'":"'' '!"'' Philippe employait le plus
mêmei fl'.f'';""'',-'^'""'"'' ''« s'inlitulaient c-ux-
rite" Ttaiem ,fT^'"-' '' '"''■ ^"''^'^ ''""«« favo-
uient to,^ n, '? '"'«s embrouillés qu'ils commeu-
de nrocS."' ^T •''=, ""^'"6 ««"» et les ruses
de procédure que la violence venait au besoin sou-
2'^ Partie.
Organisation administrative. — L'organisation
administrative ébauchée sous les règnes précé-
dents se continue et se complète sous Philippe-
le-Bel. Cotte organisation est surtout judiciaire ;
elle a son centre dans le parlement. Le parle-
ment est divisé en trois parties : 1° le grand
conseil, corps politique où siègent les principaux
officiers de la couronne; "2» la cour des comptes,
qui surveille déjà la gestion financière; 3° le par-
lement proprement dit, comprenant une grand'
chambre qui juge sur plaidoiries, une chambre
des enquêtes et une chambre des requêtes. Dans
les provinces, aux baillis et sénéchaux, prévêts et
viguiers établis précédemment, s'ajoutèrent une
foule de fonctionnaires nouveaux : procureurs du
roi, notaires, avocats, maîtres et peseurs des mon-
naies. Avec les sergents, sorte de milice qui assis-
tait les prévôts, cette administration devenait
nombreuse et compliquée.
Nouunau.x besoins de la royauté. Caractère
général de ta politique de Philippe le Bel. — Elle
était surtout coûteuse. Jusqu'alors le roi n'avait eu
d'autre charge que l'entretien de sa maison, le
revenu du domaine y suffisait amplement. Mais
alors se produisirent des besoins nouveaux ; Phi-
lippe le Bel chercha donc à se procurer des res-
sources nouvelles. C'est là le véritable mobile de
sa politique, le secret de son activité inquiète, de
ses ruses, de ses intrigues, de ses violences. II
avait besoin d'argent, et pour s'en procurer tout
moyen lui était bon. La question d'argent domina
sa politique intérieure, sa politique étrangère, sa
politique ecclésiastique.
Pulitir/iie Ultérieure. Les Elats-généraux. — Sous
le règne de Philippe le Bel se produit un événe-
ment considérable dans l'histoire politique de la
France. Le premier, il convoque des i tats-géné-
raux, c'est-à-dire des assemblées où figurent, à
côté des nobles et du clergé, des députés des
villes représentant le Tiers-Etat. Ce ne fut point
pour accomplir une réforme libérale ni pour asso-
cier la nation aux affaires que Philippe le Bel se
décida à cette innovation. Il convoqua les Etats
quatre fois en 1-302, en V.iU'S, en I3US et en 1314.
c'est-à-dire pondant sa lutte avec Boniface VIII,
pendant le procès des Templiers et au plus fort
de la guerre de Flandre. Il était sûr de trouver
dans ces assemblées une adhésion à ses actes et
un point d'appui pour sa politique. Il comptait
surtout sur elles pour se procurer des ressources.
A chaque fois il arracha aux Etats des votes de
subsides, Aussi était-ce un honneur peu recher-
ché que de venir siéger aux Etats-généraux. Les
députes des villes savaient bien qu'ils seraient
obligés de se taxer eux-mêmes, eux et les leurs,
et ils ne vouaient qu'à regret.
Itapports- avec la noljlesse. — A l'égard de la
noblesse, Philippe le Bel poursuivit la politique de
saint Louis, s'efforçant d'étendre la Quurantaine-
le-Roi/, les cas royaux; mais là aussi sa politique
eut surtout un caractère fiscal. A tout propos il
prononçait des confiscations. Il exigea pour les
flefs qui passaient des mains de la noblesse dans
celles de la bourgeoisie le paiement d'un droit de
franc fief. Mais les propriétés qu'on mettait en
vente perlaient ainsi de leur valeur, et c'était
sur la noblesse que pesait en définitive le nouvel
impôt. La noblesse manifesta à plusieurs reprises
son mécontentement. Vers la fin du règne elle
formait des ligues contre le roi.
Persécutions contre les Lombards et les Juifs, —
Il y avait des classes de la population plus faciles
à rançonner. Le commerce de l'argent était alors
tout entier dans les mains des Lombards et dos
Juifs. Plus d'une fois on arrêta en masse tous les
Lombards et on les obligea à acheter leur liberté.
Quant aux Juifs, tantôt on leur faisait payer des
tailles spéciales, tantôt on les emprisonnait pour
99
PHILIPPE
— 1570
PHILIPPE
les mettre à rançon. De temps en temps le roi
simulait une vertueuse indignation, leur repro-
chait de maltraiter les chrétiens par l'usure, et les
chassait du royaume. Alors il s'emparait da leurs
biens, prenait" en main leurs créances et les fai-
sait valoir pour son compte, se gardant de rien
rabattre des intérêts. On pardonne h saint Louis
son intolérance en faveur de sa sincérité. Philippe
le Bel mérite d'être jugé plus sévèrement.
Aliéialion dus monnuies. — Dans sa Divine Co-
médie, Dante a dépeint le supplice du roi faux-
monnaycvr. C'est de ce nom que les contempo-
rains appelaient le roi Philippe, et ce nom était
mérité. Quand il avait à payer, il augmentait la
valeur des monnaies; quand il avait à recevoir, il
la diminuait. Des perturbations désastreuses ré-
sultaient de ces brusques changements. Il n'y
avait plus de sécurité dans les transactions. A
plusieurs fois le peuple exaspéré fit des émeutes.
En 130G la maison de l'argentier Etienne Barbette
fut brûlée, et le roi, vivement poursuivi, n'échappa
qu'en se réfugiant dans la forteresse du Temple.
Poliliiiuf: étrangère. Traité de ïarasœn. — En
r28.j, quand Philippe le Bel devint roi, il trouva la
France engagée dans une lutte contre l'Aragon.
Cette guerre avait été entreprise par Philippe III
dans l'intérêt de la maison d'Anjou ; on y gagnait
plus de coups que de profits. Philippe le Bel se
hâta d'y mettre fin. Dès 1291 il signait le traité de
Tarascon. Le roi de Naples Charles le Boiteux,
prisonnier de l'Aragon, était remis en liberté. Il
abandonnait la Sicile à une branche cadette de la
maison d'Aragon. D'autre part, Charles de Valois,
flore du roi de France, renonçait à la couronne
d'Aragon que lui avait attribuée le pape et, en
compensation, recevait du roi de Saples l'Anjou
et le Maine.
Affaires i:'e Guyenne. — VhiMpps le Bel avait fait
la paix avec l'Aragon pour avoir les mains libres.
Il convoitait la riche province de Guyenne, déjà
florissante par la culture de la vigne et le com-
merce des vins. Il aggrava à dessein une querelle
insignifiante survenue entre des matelots français
et des matelots gascons, sujets du roi d'Angle-
terre. Il exigea que celui-ci vint en personne lui
donner satisfaction. Edouard 1" fut très embar-
rassé- Il était pour la Guyenne le vassal lie Phi-
lippe, et n'osait se mettre en rébellion ouverte
contre son suzerain. H avait assez à faire de sou-
mettre dans son ile les Gallois et les Ecossais.
Philippe lui proposa un accommodement : il se
contenterait d'une simple formalité ; son chancelier
Pierre Flotte irait occuper en son nom quelques
places de la Guyenne, les quitterait aussitôt et
tout serait dit. Edouard accepta. Pierre Flotte
alla en Guyenne, mais avec des troupes, et quand
il eut les villes il les garda. Edouard indigné com-
mença la guerre. Mais les hostilités ne furent
jamais poussées très vivement; en 1 303, après un
arbitrage du pape, Philippe le Bel rendit la
Guyenne.
Affaires de Flandre. — Au nord de la France
était un pays plus riche encore que la Guyenne.
La Flandre était alors la première contrée manu-
facturière de l'Europe : on y fabriquait des draps,
des étoffes, des dentelles, les villes étaient gran-
des, florissantes; la population nombreuse, active,
avait conscience de sa richesse et de sa force. La
féodalité pesait bien peu à côté de villes comme
Bruges ou Gand. Les nécessités du commerce
avaient établi des rapports intimes entre les Fla-
mands et les Anglais. L'Angleterre, qui n'était
alors qu'un pays de pâturages, fournissait les lai-
nes, matière première de l'industrie flamande.
Pour donner satisfaction à ses sujets, le comte de
Flandre, Guy de Dampierre, négocia un mariage
entre le roi Edouard et sa fille Philippa; le roi de
France, parrain de la jeune princesse, manifesta le
désir de la voir avant son départ. On la lui amena, et
quand elle fut près de lui il refusa de la laisser par-
tir (1300 . Aux réclamations du comte il répondit
pardesmenaces, et une armée entra en Flandre. Mal
secondé par ses sujets, négligé par EdouardI",Guy
de Dampierre fut battu et pris. On l'enferma au Lou-
vre, et Philippe le Bel prit possession de la Flandre.
C'était une belle conquête, mais il fallait savoir
la garder. Philippe gâta ses affaires par trop de
précipitation et d'avidilé. Dans un voyage qu'il fit
en Flandre, les femmes flamandes étalèrent un
luxe écrasant qui fut remarqué par la reine avec
dépit, mais dont le roi prit bonne note. Jacques
de Châtillon, envoyé comme gouverneur, montra
k la fois l'insolence d'un baron féodal et la cupi-
dité d'un chevalier es lois. Les Flamands, si jaloux
de leur indépendance, furent soumis à la tyrannie
la plus violente et la plus maladroite. On éta-
blissait des impôts sur tout, on frappait d'une
taxe proportionnelle le salaire des ouvriers. On
employait, pour des travaux faits au compte du
roi, des hommes qu'on refusait ensuiie de payer.
Les réclamations des notables et des chefs de
métiers furent brutalement repoussées par le gou-
verneur. Pour montrer aux plaignants qu'ils
avaient tort on les emprisonnait. Le parlement de
Paris, devant qui avait été portée l'affaire, donna
raison aux gens du roi. Les Flamands n'étaient
pas habitués à la patience : ils se firent justice
eux-mêmes. Un soulèvement éclata i Bruges :
4 0U0 Français périrent dans les \'épres flaman-
des. Une armée entra en Flandre pour les venger.
Elle rencontra les luilices flamandes près de Cour-
trai. Les Flamands n'avaient que de l'infanterie,
ils la rangèrent en bon ordre le long d'un canal.
Une attaque de front était dangereuse. Le conné-
table de Xesie et les chefs les plus expérimentés
parlaient de tourner la position ; mais l'impru-
dente ardeur de Bobert d'Artois entraîna toute
l'armée à un désastre. La lourde cavalerie féodale
s'embourba dans le fossé qu'elle voulait franchir,
et les Flamands n'eurent que la peine d'achever
leurs ennemis (1302). L'année suivante ils osèrent
pénétrer en France, et brûlèrent Thérouanne.
Philippe le Bel en personne dirigea la campagne
de 13ii4. Il trouva les Flamands fortement retran-
chés dans leur camp de Mons-en-Puelle, et se
garda bien de les attaquer. 11 resta en observa-
tion avec le gros de ses forces, tandis que ses trou-
pes légères couraient la campagne et promenaient
partout l'incendie. Les Flamands firent alors une
brusque sortie et faillirent enlever l'armée fran-
çaise.Le roi montra beaucoup de sang-froid, rétablit
le combat et remporta la victoire. Mais quelques
jours après, une nouvelle armée de 60 000 hommes
venait lui présenter la bataille. Philippe comprit
qu'il lui serait difficile de venir à bout d'une
telle résistance. Il fit la paix avec les Flamands,
remit en liberté leur jeune comte, fils de Guy d&
Dampierre, et ne garda que la Flandre française i
avec la ville de Lille, plus une indemnité de- j
20n 000 livres.
Luile de Philippe le Bel et de Boni/ace VlII. — jl
La lutte de Philippe le Bel et du pape BonifaceJJ
VIII, qu'on a regardée quelquefois comme la suite»
de la querelle des investitures, a eu en fait soj>l
origine dans une question d'argent. Il s'agissait -
de savoir si les papes pourraient se faire payer les-
expectatives, les annales, les grâces conciliatoires,
s'ils pourraient vendre des dispenses et des in-
dulgences, lever des dîmes, ou si les rois avaient
le droit, comme fondateurs ou collateurs de béné-
fices, d'en prendre leur part et d'établir des impôts.
Le roi et le pape se montraient pleins de sollici-
tude pour défendre, chacun contre son rival, les
intérêts du clergé et ceux des fidèles français.
Boniface VIII apporta dans la lutte toute la fougue
d'un caractère violent et absolu. Philippe le Bel
PHILIPPE
— 1371
PHILIPPE
fit prumn d'opiiiiàtrolù et de l'absenco do scrupu-
les qui lui était lialiituclle.
Lp. roi avait (Staljli dans ses Etats un impôt nou-
veau, la nialtote.dont il exigeait le paiement même
du chTgiS. Boniface publia la bulle Clericis laïcos,
par lai|uelle il défendait sous peine d'interdit Ji tout
cIci'C de payer, à tout laïque de faire payer. Philippe
riposta en interdisant tout envoi d'or ou d'argent à
Rome. Cette fois le pape se montra conciliant. Il était
engagé dans de violentes querelles avec la famille
romaine des Colonna, et ne voulait pas se faire du
roi de Trance un ennemi qu'il savait devoir être
redoutable. Il autorisa la levée d'un décime et
d'une année des revenus et bénéfices qui devien-
draient vacants. Les deux cours parurent réconci-
liées.
En l'an 130rt,Boniface VIH tint à Rome un jubilé :
300,000 pèlerins y affluèrent. Le pape fut trans-
porté de joie et d'orgueil. Il se déclara lui-même le
roi des rois et le chef de tous les fidèles. En même
temps il traitait rudement Pliilippe, lui envoyant,
pour le sommer d'aller en croisade, son ennemi
personnel Bernard Saissct, évoque de Pamiers. On
prétendait en France que Saisset intriguait pour
déterminer dans le sud-ouest une révolte contre
le roi et la formation d'un royaume du Languedoc.
Philippe le fit arrêter et demanda qu'il fût dégradé.
Le pape lança la bulle Ausculta fiii, dans laquelle
il tenait le langage le plus hautain : « Dieu nous
a constitué, quoique indigne, au-dessus des rois et
des royaumes. » 11 réclamait la mise en liberté de
l'évêque. Pierre Flotte alla lui déclarer que Saisset
resterait prisonnier et que l'or et l'argent ne sorti-
raient plus de France à destination do Rome. La
bulle était déjà très vive, Philippe la falsifia et
publia une contrefaçon conçue dans des termes
d'une violence odieuse. Il fit paraître une réponse
du même style et brûla la bulle. Le pape convo-
qua un concilCj le roi réunit les Etats-généraux
papauté h Avignon, inaugurant ainsi ce qu'on de-
vait appeler plus tard la captivité de liabi/lo7ic.
Destruction des Templiers. — Cependant le pro-
cès intenté i la mémoire de Boniface VIII durait
toujours. Nogaret faisait venir d'Italie tout un cor-
tège de faux lémoins. Le pape n'obtint qu'en 131 1
de faire cesser cette scandaleuse affaire ; mais pour
obtenir l'assentiment du roi, il dut sacrifier les "Tem-
pliers. L'ordre des Templiers, après la chute des
ICtats chrétiens d'Orient, s'était fixé tout entier en
Europe. L!i, les chevaliers vivaient paisiblement
des donations qui leur avaient été faites autrefois.
D'assezmecliants bruits couraient sur leur compte;
on les accusait de mener une vie scandaleuse, de
se livrer à la débauche, et de commettre des pro-
fanations dans leurs cérémonies secrètes. Il esC
difficile de savoir ce qu'il y avait de fondé dans ces
imputations. Philippe le Bol s'in<iuiéta peu de re-
chercher la vérité. Il avait vu un jour les riches-
ses entassées dans la forteresse du Temple, et ce
jour-là il avait songé às'en rendre maître. Il essaya
d'abord de se faire recevoir parmi les Templiers,
qui déclinèrent cet honneur. Il chercha un au-
tre moyen. Le 1-3 octobre i:iu7, dans toute l'éten-
due du royaume les Templiers furent saisis et em-
prisonnés. Alors commença un prucèsqui est resté
célèbre dans l'histoire d(!s grandes iniquités. En
i:ill le pape prononça la suppression de l'ordre.
En 1.313 eut lieu le supplice du grand-maître Jac-
ques de Molay et de plusieurs chevaliers. Mais les
dépouilles du Temple furent adjugées aux Hospita-
liers ; Philippe le Bol n'en put arracher que quel-
ques lambeaux.
Il mourut peu après (1314). Par ses rapines, ses
extorsions et ses violences il s'était rendu odieux
à toutes les classes de la nation. Le peuple le
comparait h l'Ante-Christ. Cependant son règne
n'avait pas été inutile. Il avait complété l'œuvre
administrative de ses prédécesseurs. Au dehors.
Mais le concile se montrait favorable à Boniface, l'influence de la France s'étendait sur tous les pays
qui préparait une bulle d'excommunication. Le environnants : l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie,
roi le prévint. Nogaret partit pour l'Italie avec la Un contemporain dressait déjà le plan d'une mo-
raission d'enlever le pape; ou devait l'amener à narchie universelle qui aurait eu pour chef le roi
Lyon, le faire comparaître devant un concile corn- , de France. jMaurice Wahl.]
posé avec soin, et provoquer sa déposition. No- Philippe 'V le Long, — Histoire de France, XI, —
garet s'adjoignit Colonna, l'ennemi mortel du pape; , second fils de Philipppe le Bel, devint régent du
tous deux levèrent une petite armée et surprirent royaume à la mort de son frère Louis le Hutin,
Boniface dans la ville d'Anagni. Le vieux pontife i qui laissait une fille et sa femme enceinte (1316).
plus qu'octogénaire monti a une fermeté invincible. La veuve de Louis accoucha quelque temps après
Il s'attendait à tout et il était décid'é à tout sup- d'un fils; mais cet enfant, proclamé roi sous le nom
porter. Ses ennemis le trouvèrent assis, la tiare de Jean I", ne vécut que cinq jours. Philippe
en tête, revêtu de tous ses ornements pontificaux, alurs invoqua la loi salique pour écarter du
On lui demandait d'abdiquer. Il s'y refusa énergi- trône sa nièce Jeanne, et se fit donner la cou-
quement malgré les injures, les menaces et les roime par l'assemblée dos barons (V. Guerre de
mauvais traitements. A la fin le peuple d'Anagni , Cent aux). Jeanne reçut toutefois plus tard le
indigné chassa Nogaret et Colonna. Mais la se- royaume de Navarre.
cousse avait été trop violente pour ce vieillard de Les six années du règne de Philippe V furent
86 ans. Il mourut un mois après (octobre 1303). | utilement remplies par des mesures d'adminis-
Benoil XI. Election de Clément V. — Son suc- i tration : organisation du conseil d'État, du par-
cesseur BenuH XI, homme doux et pieux, prononça , lement et de la cour des comptes, chartes données
une absolution générale dont il excepta le seul aux municipalités de l'Auvergne et du Périgord,
Nogaret. Celui ci, furieux, affirma n'avoir agi que ordonnances pour la gestion des forêts, pour l'éta-
pour le bien de l'Eglise, et produisit contre le pape i blissement d'un système de mesures uniques pour
défiinl des accusations infâmes. Benoit XI mourut les denrées, etc. La paix fut définitivement con-
en juillet 130i. Le saint-siège demeura vacant due avec les Flamands. Mais de cruelles persé-
pendant toute uni; année. Le parti français et le
parti italien, égaux en force dans le conclave, ne
pouvaient parvenir à s'entendre. On arriva enfin
à une transaction. Les cardinaux italien.-; désignè-
rent trois candidats, parmi lesquels les cardinaux
français devaient faire le choix définitif. Les Italiens
ne désignèrent que des ennemis de Philippe le
Bel; mais l'un de ceux qui montraient le plus d'a-
nimation, Bertrand de Goth, archevêque de Bor-
deaux, avait été gagné secrètement. Il lut élu sous
le nom de Clément V, et se mit à la discrétion du
roi de France. Il créa douze cardinaux nouveaux.
tuus du parti français, et transporta le siège do la | de Garcassonne
cutions furent exercées contre les franciscains, qui
attaquaient le luxe du haut clergé, contre les juifs
et les lépreux accusés d'empoisonner les fontaines.
En 13.0, on vit se produire dans une partie de la
France un mouvement analogue à celui des pas-
toureaux sous Louis IX ; le peaple des campagnes
se leva, disant qu'il voulait aller reconquérir la
Terre Sainte, abandonnée par les rois chrétiens.
Rassemblés en une armée, les pastoureaux entrè-
rent dans Paris, puis se dirigèrent vers le sud,
ravageant le pays sur leur passage ; mais ils
furent exterminés en Provence par le sénéchal
PHILIPPE
— 137:
PHILOSOPHIE
Philippe V mourut en 1323, et eut pour succes-
seur son frère Charles IV le Bel.
Philippe VI de Valois.—Hisloire de France, XII,—
fils de Charles de Valois et neveu de Philippe IV, prit
la couronne du consentement des pairs et d'-s barons,
à la mort de Charles IV (13-28) ; nous avons expli-
qué à l'article Guerre de Cent ans comment se fît
ce transfert de la royauté à la branche des Valois
par l'extinction de la ligne directe des Capétiens.
Une courte guerre contre les Flamands (victoire
de Cassel, 1328) inaugura ce règne. Quek|Uos an-
nées après éclata entre Edouard III d'Angleterre
et le roi de France cette querelle qui devait en-
fanter cent années de luttes sanglantes. Les
épisodes de la première période de la guerre, ba-
taille de l'Ecluse, bataille de Crécy, prise de Calais,
ont été racontés ailleurs (V. Guerre de l'eut ans,
p. 920). Nous n'avons donc pas h insister sur la fin
du règne de Philippe VI, qui mourut en 1350.
2° Allemagne.
Philippe de Souabe, — Histoire générale, XIX,
XXVIl, — fils de Frédéric Barberousse et oncle de
Frédéric 11, fut élu empereur par le parti gibelin
à la mort de son frère Henri VI (1 197). Les guelfes,
appuyés par le pape, lui opposèrent d'abord Ber-
thold de Za?hringen,puis Othon de Brunswick, fils
de Henri le Lion, duc de Bavière. 11 finit par
triompher, après une lutte do plusieurs années,
des prétentions d'Othon, qui dut se réfugier en
Angleterre (l'206). Mais bientôt après (I20s), Phi-
lippe de Souabe fut assassiné par un seigneur
de son propre parti, Othon de Wittelsbach. Othon
de Brunswick revint alors en Allemagne et régna
sous le nom d'Othon IV.
3° Espagne.
Philippe I«' le Beau, —Histoire générale, XXII,
XXIX, — fils de Maximilien I", empereur d'Alle-
magne, hérita de sa mère Marie de Bourgogne, en
1482, la souveraineté des Pays-lias ; épousa en
1496 Jeanne (surnommée plus tard la Folle), fille
de Ferdinand V et d'Isabelle la Catholique ; et à la
mort d'Isabelle en 1304, fut proclamé roi de Cas-
tille par les Cortès. Il mourut jeune, en 150(1, usé
par la débauche. Son beau-père Ferdinand prit alors
la régence du royaume de Castille, dont l'infant
Charles (Charles-Quint), fils de Philippe, restait
l'héritier présomptif.
Philippe II, — Histoire générale, XXII, XXIX, —
fils de Charles-Quint, roi d'Espagne de 1556 à
1593 jo"^ ^^ grand rôle dans les afïaires géné-
rales de l'Europe. Les événements principaux de
son règne ont été mentionnés à l'article Espagne
et dans plusieurs articles spéciaux (Guerres de
religion Angleterre, Pays-Bai, Italie, etc.,); nous
n'aurons pas h y revenir ici. Nous rappellerons
seulement que, dès 1540, Philippe était devenu
duc de Milan; qu'en 1544 il avait reçu la couronne
de Naples et de Sicile, et en 1545 la souveraineté
des Pays-bas. H avait en 15H épousé la reine Ma-
rie d'An°-leterre (qui mourut en 1558 et après la
mort de" laquelle Philippe épousa Elisabeth de
Valois en 1559). Philippe II se trouva ainsi le
prince le plus puissant de son temps, et se cons-
titua le défenseur de la foi catholique dans toute
l'Europe. Mais toutes ses entreprises échouèrent :
il perdit les Pays-Bas, vit sa puissance maritime
détruite par les Anglais, fut contraint de recon-
naître Henri IV comme roi de France, et maigre
la conquête du Portugal en 1580, laissa h sa mort
l'Espagne amoindrie et déchue ^.^■,„ ^,.,..
Philippe III, — Histoire générale, XXllI, XX1.\.
— fils et successeur de Philippe II, fut gouverné
pendant presque tout son règne (I558-1U21) par
son premier ministre le duc de Lerme, qui conclut
la paix avec l'Angleterre et les Pays-Bas, expulsa
les Maures (1609), faisant perdre ainsi h l'Espagne
ses sujets les plus industrieux, et maria la fille de
Philippe 111, Anne d'Autriche, au roi do France
Louis XIII (1G151. Philippe III, sous le gouverne-
ment duquel l'Espagne continua à décliner, prit
part à la guerre de Trente ans, comme allié de
l'empereur Fcrdinandll (V. Guerre de Trente ans).
Philippe IV, — Histoire générale, XXIII-XXIV,
XXL\, — fils et successeur de Philippe III, eut
pour ministre de 1621 à I(;42 le comte d'Olivarès,
qui recommença sans succès la guerre contre les
Pays-Bas, et se joignit à l'empereur dans la lutte
contre Richelieu (V. Guerre de Trente ans). Le
Portugal se souleva en 1610, et recouvra son in-
dépendance. .\près la disgrâce du comte d'Oliva-
rès, Philippe IV n'en continua pas moins la guerre
contre la France ; les armées espagnoles furent
battues à Rocroi(1643) et à Lens (1618), et, malgré
le secours que leur apporta Condé, elles essuyèrent
encore de nouvelles défaites h Arras (1654) et aux
Dunes (1658). Naples. révoltée sous Masanieilo
(1647\ avait failli échapper à l'Espagne. Enfin
Philippe conclut avec Mazarin la paix des Pyrénées
fl659), cimentée par le mariage de l'infante Marie-
Tliérèse avec Louis XIV. 11 mourut en 1665, lais-
sant l'Espagne, toujours plus affaiblie, il un enfant
débile et sans intelligence qui fut Charles II.
PhUlppe V, — Histoire générale, XXV, XXIX,
— duc d'Anjou, pelit-fils de Louis -XIV et second
fils du dauphin Louis, lut appelé au trône d'Es-
pasne par le testament du roi Charles II (1700).
Cefut en acceptant cet héritage pour son petit-fils
que Louis XIV prononça le mot célèbre : // n'y a
plus de Pyrénies. Mais l'avènement de Philippe V
fut le signal d'une guerre européenne qui dura
treize ans (V. Guerre de la succesUon d'Espagne),
et qui aboutit à la reconnaissance du préten-
dant français par l'iîurope moyennant la cession
de Naples, du Milanais, de la Sardaigne et de
la Belgique à l'Autriche, de la Sicile au duc
de Savoie, et de Gibraltar h l'Angleterre. Phi-
lippe V fut, comme ses prédécesseurs, constam-
' ment gouverné par des favoris : d'abord par la
princesse des Ursins, puis par le cardinal Albe-
I roni, devenu premier ministre en 1715. Celui-ci
I forma le projet de rendre h son maître les provin-
' ces que lui avait enlevées le traité d'Utrecht, et
' de lui donner en outre la couronne de France ;
mais après une courte guerre, ses projets échouè-
rent, et il fut disgracié (V. Guerre de ta qua-
druple alliance). Philippe V fut encore mêlé
à la guerre de la succession de Pologne, qui
donna ;t son second fils don Carlos les couronnes
de Naples et de Sicile, et à celle de la succession
d'Autriche, dont il ne vit pas la fin. Il mourut en
1746, et eut pour successeur son fils Ferdinand VI.
Il avait, dans la seconde partie de son règne,
encouragé les sciences, le commerce et l'industrie,
et fait quelques efl'orls pour régénérer l'Espagne.
PHILOSOPHIE (Histoire de la). — Psycholo-
gie, Logique, Morale, XXI. — Toute science
a son histoire qui raconte les efforts de ses fonda-
teurs, les travaux de tous ceux qui ont contribué à
l'organiser. Mais il s'en faut que l'histoire du passé
offre le même intérêt pour tous les ordres de re-
cherche scientifique. Certaines sciences, en effet,
comme les sciences exactes, ont eu la bonne for-
tune de trouver tout de suite leur méthode défini-
tive et d'entrer dès leur premier pas dans la voie
des découvertes incontestables et incontestées.
D'autres, comme la physique ou la chimie, n ont
été à l'origine iiu'un tas de rêveries ridicules, de
préjugés absurdes dont l'expérience des siècles
suivants a fait justice. Dans le premier cas, l'his-
toire de la science se confond avec la science elle-
même : dans le second, n'ayant guère à raconter
que des erreurs, elle est nécessairement peu inte-
i
PHILOSOPHIE
— 1573 —
PHILOSOPHIE
ressnnle et jicu instructive. L'iiistoire de la pliilo-
sophii^ a un caractère tout autre : car d'une part la
pliilosopliie a passé par une série de tâtonne-
ments et do vicissitudes qui semble n'être pas
close encore ; tandis que les axiomes de la géomé-
trie demeuraient immuables depuis Euclide, la
plupart des théories de Platon et d'Aristote vieil-
lissaient et passaient de mode ; d'autre part la
nature des conceptions pliilosophiq\ies est telle
que, même fausses et destinées îi faire place h
d'autres, elles contiennent toujours une part de
vérité et constituent un fragment important de la
pensée humaine.
Ainsi, à part quelques novateurs qui, comme
Descartes, pour réagir plus violemment contre les
préjugés du passé, feignaient de l'ignorer — Des-
cartes disait : « Je ne veux même pas savoir s'il y a
eu des hommes avant moi, » — les philosophes se
sont toujours complu à étudier de près les doctrines
de leurs devanciers, à suivre dans les. écoles de
tous les temps et de tous les pays la marche et le
progrès des idées vers la vérité. Outre le plaisir
que trouve l'esprit à entrer en commerce intime
avec les grands penseurs, avec ceux qui ont mé-
dité sincèrement, sinon résolu à fond, les grands
problèmes philosophiques, il est évident que la
philosophie elle-même a beaucoup de vérités par-
tielles î recueillir éparses dans les systèmes, dont
Leibnitz disait: « Les systèmes sont généralement
vrais dans ce qu'ils affirment et faux dans ce qu'ils
nient. »
Ce n'est pas d'ailleurs forcer les choses qu'at-
tribuer à la philosophie un rôle considérable dans
les affaires humaines, et par suite accorder une
extrême importance à son histoire. La place des
philosophes a été grande dans le monde. Ce sont
des noms de philosophes que l'on retrouve k l'o-
rigine des lois sociales, des constitutions politiques,
des grandes fondations morales. Ce sont des philo-
sophes encore qui ont combattu au premier rang
pour la tolérance et la liberté. Ce sont aussi des
doctrines philosophiques qui ont présidé aux plus
mémorables entreprises de l'esprit scientifique.
Sans doute nous n'irons pas jusqu'à cette exagération
d'un philosophe contemporain (Alfred Fouillée) :
a La Grèce du V siècle et du iv» siècle avant J.-C.
est tout entière dans Socrate, Platon et Aristote. »
Ce serait faire tort aux arts, à l'industrie, aux
événements militaires, à l'histoire elle-même, à
l'histoire publique ou privée qui n'a aucun rapport
avec la philosophie ; ce serait supprimer presque
la réalité, dont la philosophie, cet idéal, n'est pas,
tant s]en faut, la fidèle image. Les philosophes et
la philosophie ne gouvernent pas le monde, si ce
n'est dans la République de Platon : mais ils y ont
leur part d'influence par l'éducation qu'ils ins-
pirent, par les mœurs qu'ils s'efforcent de ré-
gler, par les sciences dont ils déterminent les mé-
thodes: de sorte que l'histoire de la philosophie est
bien véritablement l'histoire d'une des parties les
plus essentielles et les plus intimes de l'évolu-
tion humaine.
Les opinions philosophique.s, même prises dans
leurs généralités et sans entrer dans les nuances
infiniment variées des doctrines, sont si nombreu-
ses et si différentes les unes des autres, qu'il était
naturel que l'on s'efforçât d'établir quelque ordre
dans cette diversité, et de ramener à l'unité l'épar-
pillcment confus de la pensée libre.
Sans parler d'autres tentatives du même genre,
nous citerons seulement deux essais .systémati-
ques qui appartiennent l'un et l'autre à, la philoso-
phie française et à notre siècle, l'un à l'école spiri-
tuahste, l'autre à l'école positiviste. D'après Victor
Cousin, l'histoire de la philosophie serait une per-
pétuelle oscillation entre quatre systèmes qui se
succéderaient selon une loi régulière et un rythme
fatal, le sensualisme matérialiste, l'idéalisme, le
scepticisme et le mysticisme. La pensée humaine,
sollicitée par les sens extérieurs et séduite par le
spectacle du monde matériel, aurait d'abord incliné
vers le matérialisme absolu. Puis, par une tendance
inverse, se repliant sur elle-même et scrutant la
conscience, elle se serait éprise de l'idéalisme,
c'est-à-dire de la doctrine qui n'admet d'autre réa-
lité que les idées immatérielles. De la contradic-
tion de ces deux systèmes, impuissants à s'accor-
der, serait né le scepticisme, c'est-à-dire l'état de
doute permanent qu'engendre la lassitude de l'es-
prit. Mais, comme la pensée ne peut se résigner à
douter toujours, et qu'elle a besoin de croyance,
n'importe à quel prix, le mysticisme, c'est-à-dire
le renoncement à toute reclicrche scientifique et
l'adhésion aveugle, la foi non raisonnée aux sug-
gestions du sentiment, viendraità son tour clore le
cycle où évolue la pliilosopliie.
Pour écarter ce système plus ingénieux que
juste, il suffit de consulter l'histoire: les faits dé-
mentent absolument la loi de succession que
Cousin prétendait imposer aux doctrines philoso-
phiques; le mysticisme ne parait nullement des-
tiné à devenir la formule définitive de la pensée
humaine : à mesure qu'il progresse, l'esprit aspire
au contraire de plus en plus à des soluiions posi-
tives et à des croyances raisonnées. Ajoutons que
la multiplicité des conceptions, la variété des
formes de la philosophie n'autorise pas la classi-
fication arbitraire qui les ramène de force h quatre
types exclusifs.
Sans être entièrement vraie, la théorie d'Auguste
Comte et de l'école positiviste est cependant plus
satisfaisante. Elle distingue dans le développement
intellectuel de l'humanité trois états successifs :
l'âge théologique, l'âge métaphysique, enftn l'âge
positiviste. La première tendance des peuples a
été mythologique : avec plus d'imagination que de
raison, ils voyaient partout, derrière les phéno-
mènes physiques ou moraux, des êtres personnels,
des dieux. Plus tard la réflexion a écarté les
mythes, et dépeuplé la nature des mille divinités
qu'une fantaisie naïve y avait installées; mais à la
place des dieux détrônés, elle a admis des êtres
métaphysiques, des substances, des âmes. C'est
à l'ère du positivisme qu'il appartenait de congé-
dier sans retour ces entités abstraites, ces êtres de
raison, pour ne voir dans les choses que ce qui est
immédiatement saisi par les sens ou par la cons-
cience, le fait positif, le phénomène.
Telle est la n loi des trois états » : telle est la
théorie que le positivisme cherche à accréditer
avec d'autant plus de zèle qu'elle serait, si elle
exprimait la vérité absolue, la consécration de
son triomphe et le gage de son avènement défi-
nitif dans la pensée moderne. Mais tout en
reconnaissant que les positivistes ont raison de
distinguer et de démêler avec finesse trois ten-
dances opposées de la pensée humaine, il est
permis de contester la prééminence qu'ils récla-
ment pour l'une d'elles. La négation de toute
existence substantielle n'est peut-être pas aussi
nouvelle qu'ils le croient ; et d'autre part ni la
religion, ni la métaphysique ne semblent dispo-
sées à abdiquer devant un système qui interdit à
l'homme toute recherche sur son origine et sur
sa fin, toute croyance qui dépasse l'observation
et l'expérience.
Les vues générales, les classifications esquissées
à grandes lignes, fussent-elles de beaucoup su-
périeures en exactitude à celles de Cousin et d'Au-
guste Comte, ne dispenseraient pas d'ailleurs
d'étudier dans leur ordre chronologique les
faits particuliers de l'histoire philosophique. Il ne
saurait être question ici d'entrer dans le détail et
d'exposer, même succinctement, les opinions, le
rôle historique des différentes écoles; nous nous
contenterons d'indiquer les divisions du sujet.
PHILOSOPHIE
1374 —
PHILOSOPHIE
d'examiner les périodes principales avec leurs ca-
ractères les plus saillants.
C'est d'abord une question de savoir quelles
sont les limites vraies de l'histoire de la philoso-
phie. Faut-il, comme un historien allemand,
Brucker, remonter par deli le déluge, et se de-
mander sérieusement si Adam a été philosophe ?
Faut-il au contraire restreindre ses recherches :
dans la période classique de l'histoire de l'huma-
nité et fixer, comme point de départ de la philo-
sophie, les premières spéculations de la Grèce, le
sixième ou le cinquième siècle avant Jésus-Christ?
A vrai dire, la philosophie étant l'usage de la
raison réfléchie, il ne convient pas de compren-
dre dans son histoire les fables et les légendes de
l'antiquité, les religions primitives, en un mot ]
tout ce que l'école positiviste appelle l'âge my-
thologique. Néanmoins, jusque dans les concep-
tions les plus grossières de l'Inde, de la Perse, de '
la Chine et de l'Egypte, il y a déjà des germes de |
vérités philosophiques, et l'histoire de la philo-
sophie a le devoir d'étudier soii la métaphysique
panthéiste et la belle morale, par tant de côtés
analogue à la morale chrétienne, du brahmanisme
et du boudhisme indien, soit les doctrines de
Zoroastre, le législateur de la Perse, soit la mo- '
raie indépendante et exclusivement rationnelle
de Confuciuset de Mencius (600 et 400 avant J.-C),
soit enfin les idées religieuses enveloppées dans
les fables du polythéisme égyptien. De leur
côté les Hébreux, avec leur déisme sévère, avec ]
leurs doctrines individualistes, les Celtes et les
Gaulois avec leur amour de la liberté person-
nelle, avec leur mépris de la mort et leur foi pro- '
fonde à l'immortalité, réclament aussi quelques '
pages dans une histoire complole de la philoso-
phie.
Avec la Grèce seulement commence la véritable
philosophie, émancipée de toute théologie et
exclusivement fondée sur les libres efforts de la
raison. Désormais il y aura une tradition philoso-
phique, une succession non interrompue d'écoles
qui essaieront, chacune avec ses tendances propres,
mais avec des méthodes communes, de déchiffrer
l'énigme de la nature humaine.
La division adoptée pour l'histoire en général
peut être appliquée également à l'iiisloire parti-
culière de la philosophie. On aura donc à étudier
tour à tour la philosophie ancienne, la philosophie
du moyen âge, enfin la philosophie moderne.
La PHILOSOPHIE ANCIENNE Se subdivise elle-même
en diverses périodes, à raison des contrées où elle
s'est développée, ou des caractères communs qui
relient entre elles plusieurs écoles.
Pi eniière péi'iode. — Elle comprend tous les
philosophes antérieurs à Socrate, qui ont vécu et
enseigné soit sur les côtes de l'ionie, soit dans la
Grande-Grèce, soit dans la Grèce elle-même. Les
penseurs de ce temps ont cette ressemblance en-
tre eux, que, dans leurs spéculations un peu am-
bitieuses, ils prétendent expliquer la nature en-
tière et découvrir le principe des choses ; mais ils
se divisent sur la nature de ce principe. Les uns
sont dt's physiciens ; leur doctrine est matéria-
liste : ils voient la cause et la substance du
monde, ou bien dans un élément matériel unique,
l'eau, l'air, le feu (Thaïes, vers 60n ; Anaximène,
557 ; Heraclite, 500), ou bien dans une multitude
d'atomes corporels (les atomistes, Lcucippe et Dé-
mocrite). Les autres sont dos mathématiciens ; leur
doctrine est idéaliste : ou bien ils considèrent les
nombres comme les principes de toutes choses
(école itiiUi/iie ou pythagoricienne, Pythagore, 5S4,
Philolaiis, Archytas), ou bien ils n'adiueitent d'au-
tre existence que celle de l'être abstrait, absolu,
éternel (école éléote, Xénophane, 550 ; Parmé-
nide, 500; Zenon d'Eléc, 400). Enfin, entre ces
deux systèmes également al'firmatifs, quoique leurs
affirmations diffèrent, se place une école de scep-
ticisme dont la vogue fut grande au temps de
Périclès (les so/ihistes, Protagoras, Gorgias, etc.).
Deuxième pé7-iode. — C'est l'âge d'or de la phi-
losophie grecque. Trois noms y figurent, les plus
grands que la philosophie puisse citer, Socrate,
Platon, Aristote. Socrate (470-400) fut avant tout
un moraliste, préoccupé de rendre l'homme bon
et heureux. Délaissant les recherches de ses pré-
décesseurs sur ia nature de l'univers, il rappela
l'esprit humain à l'étude de lui-mêiue. 11 avait
appris d'ailleurs, de son maître Anaxagore, que le
monde est gouverné par une intelligence divine, et
quoique condamné pour crime d'impiété par les
fanatiques de son temps, il fut le plus sage, le
plus religieux des hommes.
Disciple de Socrate, Platon agrandit encore le
spiritualisme de celui-ci, et développa, quel-
quefois jusqu'il la chimère, la théorie des idées,
essences et types éternels des choses, dont le
monde matériel ne serait que l'image périssable.
Après lui Aristote, son élève, dirigea dans un autre
sens la pensée philosophique : à l'intuition en-
tliousiaste et un peu arbitraire, il substitua l'ex-
périence et l'observation, il s'astreignit aux lois
d'une logique sévère qu'il a transmise à ses suc-
cesseurs; enfin, génie universel et véritable ency-
clopédie vivante, il a légué à presque toutes les
sciences des principes féconds et durables.
Troisième période : écoles socratiques. — C'est
une époque de décadence philosophique comme
d'abaissement politique. La spéculation déserte
les hautes questions de la métaphysique pour se
rattacher h la morale. Un grand nombre d'écoles
se produisent et définissent, chacune â sa manière,
le souverain bien. Les principales sont l'école
stoïcienne et l'école épicurienne. La première,
fondée par Zénnn de Cittium (né vers l'an .36Î
avant J.-C), qui n'admet d'autre bien que l'honnête,
et qui, par le mépris des passions, par le dédain
des caprices de la fortune, par une haute idée des
devoirs, s'élève jusqu'au plus noble idéal de la
vertu; la seconde, qui placelebien dans le plaisir,
dans le plaisir délicat et raffiné d'abord, puis,
avec les disciples dégénérés d'Épicure (34t-270),
dans le plaisir quel qu'il soit, de sorte que l'épi-
[ curisme, après avoir à ses débuts rivalisé avec le
1 stoïcisme en fait de sagesse et de vertu, est
tombé vers la fin dans tous les excès de l'immo-
ralité voluptueuse.
Quatrième période : philosophie latine. — Les
Romains n'ont été en philosophie que les imita-
teurs et les copistes des Grecs. Ils ont emprunté
à la Grèce, avec Lucrèce, la doctrine matérialiste
et athée d'Épicure, avec Cicéron et Sénèque les
belles maximes morales de Zenon et des stoï-
ciens.
Cinquième période : philosophie ah'xandrine.
— Née dans les premiers siècles de l'ère cliré-
tienne, du mélange des traditions orientales avec
les idées platoniciennes, l'école d'Alexandrie
(Plotin, 205-'270 ap. J.-C, Porphyre, Jambliquc,
Proclus, 412-485) est la dernière manifestation de
la philosophie ancienne : elle lutte contre le chris-
tianisme, quoique profondément religieuse à sa
façon ; elle confond le monde avec Dieu et aboutit
au panthéisme ; elle se perd dans l'extase et sacri-
fie la raison à je ne sais quelle contemplation
mystique.
La PHILOSOPHIE DC MOYEN AGE est de toutes les
périodes de l'histoire de la pensée humaine la
plus stérile, la moins originale. Asservis soit â la
théologie chrétienne, soit à, l'autorité d'Aristote,
dont le nom est entouré d'un respect superstitieux,
les philosophes de ce teiups ne songent guère
qu'à commenter les dogmes religieux, à appliquer le
syllogisme à la foi. Des disputes verbales, des ar-
gumentations pédantesques remplacent les oxpé.
PHILOSOPHIE
— 1573 —
PHILOSOPHIE
ricnfHs fécondes et les raisonnements inventifs.
Quel(|ues esprits originaux, comme saint Anselme
(xi' siùcle), ou indépendants comme Abélard
(xii" siècle) viennent pourtant attester l'énergie
vivace do l'esprit liumain et rompre la froide mo-
notonie de la scolastiqne.
La PHILOSOPHIE MoDEnNE s'ouvre avec la philoso-
phie de lu liennissanci:, que certains historiens
rattachent k tort au moyen âge, tandis qu'elle est
incontestablemrnt, par la liberté de ses allures et
do ses opinions (Rabelais, Montaigne, Giordano
Bruno), par ses recherches et ses découvertes
scientifiques (Copernic, Galilée), lo vrai commen-
cement et comme la préface hardie de la pensée
nouvelle.
A partir de cette époque, l'iiistoire de la philo-
sophie exige de longs développements et com-
porte une multitude de détails. Les documeuts ne
manquent plus, comme pour certaines écoles de la
philosophie ancienne, et la fécondité de, la pensée
moderne contraste avec la slériUté de la pensée
scolastique.
Pour mettre quelque ordre dans cette partie de
son sujet, l'historien de la philosophie étudiera
tour à tour et séparément le xvii', le xviii", le
XIX' siècle, dans chacun des trois grands pays
qui semblent être la patrie privilégiée de la phi-
losophie, l'Angleterre, l'Allemagne, la France.
xvii' siècle. — La philosophie française a son
point de départ au xvii" siècle dans les travaux de
Descartes (i59G-16r>0), Le cartésianisme a pour
principe la distinction absolue de l'âme et du
corps, l'âme étant ramenée à la pensée, le corps à
l'étendue; la croyance rationnelle à, un Dieu par-
fait et infini, distinct de l'univers qu'il a créé;
■enfin l'idée d'un mécanisme universel, dont les
lois gouvernent le monde, après l'impulsion pre-
mière donnée par Dieu. La plupart des philoso-
phes français du siècle de Louis XIV subirent
l'influence de Descartes : Bossuet, Fonelon, les
solitaires de Port-Uoyal allient à la philosophie
chrétienne la méthode cartésienne. Malebranche
(1638-1715) mêle ses rêveries mystiques à la mé-
taphysique de Descartes.
En Angleterre, c'est l'influence de Bacon qui
domine Bacon (1561-lfi'JC) a surtout le mérite
d'avoir le premier codifié les lois de la méthode
expérimentale et inductive. Il suit en cela une
voie tout opposée i celle de Descartes, qui pra-
tique la méthode déductive. Ses successeurs Hob-
bcs (1588-11.79) et Locke (1072-1704) aboutissent
le premier à un matérialisme décidé, le second â
un sensualisme empirique.
En Allemagne, la philosophie du xvii' siècle
n'a guère à revendiquer qu'un grand nom, celui
de Leibnitz (leifi-niB;, d'abord disciple de Des-
cartes dont il se sépara plus tard. Aux substances
passives du mécanisme cartésien, Leibnitz sub-
stitue, dans son système, des causes, des substan-
ces actives, qu'il appelle des monades. La ma-
tière elle-même est composée, d'après lui, de
forces simples dont la nature est analogue à celle
de nos âmes. L'univers n'est plus une machine,
dont les ressorts inertes sont mis en mouvement
par Dieu : c'est un vaste ensemble de forces
agissantes, dont les rapports harmonieux ont été
réglés par le Créateur.
A côté des trois pays classiques de la philoso-
phie, la Hollande seule a le droit de figurer,
avec Spinoza (lG;l2-lG-7) ; ce philosophe part de
quelques principes cartésiens et construit un sys-
tème panthéiste qui confond Dieu avec le monde,
qui nie la volonté libre et qui soumet toutes cho-
ses aux lois d'une nécessité absolue.
xviii« iiécle. — L'influence de Descartes, toute-
puissante jusque-là en France, disparaît ou s'éteint
dès les premières années du xviii' siècle : les doc-
•trines. sensualistes et empiriques de Locke, qui
au siècle de Louis XIV n'étaient représentées que
par Gassendi et quelques beaux-esprits, acquiè-
rent une influence prépondérante. En outre, la
philosophie politique et sociale, négligée de parti
pris par Descartes, remplace dans les préoccu-
pations des penseurs la philosophie spéculative.
Enfin, tandis que le cartésianisme ne se servait
du libre examen que pour mieux s'assurer la po.s-
session de certaines croyances essentielles, la
philosophie du sensualiste CondiUac (17l.')-1780),
des matérialistes d'Holbach et Helvétius, du natu-
raliste Diderot, du déiste Voltaire, est avant tout
critique et négative. Rousseau seul, avec ses effu-
sions sentimentales et son déisme oratoire, repré-
sente avec quelque éclat la tradition spiritua-
liste.
Par un mouvement inverse h celui qui entraîne
vers l'empirisme la philosophie française du dix-
huitième siècle, la philosophie anglaise du même
temps échappe à l'influence de Bacon pour devenir
métaphysique et morale. Dès le début du siècle,
Berkeley (1085-1753) professe dans ses ouvrages
un idéalisme absolu : il nie l'existence de la ma-
tière et n'admet que l'âme et Dieu. Hume, il est
vrai (1711-1776), s'inspire de Locke et reprend en
les exagérant encore les traditions empiriques.
Mais son scepticisme positiviste n'éveille pas d'é-
cho en Angleterre, et la fin du siècle voit se dé-
velopper l'école écossaise, dont les chefs, Reid
(1710-1796), Dugald-Stewart (1753-18-^8), sans être
des métaphysiciens, soutiennent avec énergie les
croyances spiritualistes en se fondant sur le sens
commun et les vérités premières de la raison.
Le plus grand événement philosophique du dix-
huitième siècle s'est accompli en Allemagne, par
l'apparition de la philosophie de Kaiit (1724-1804).
L'auteur de la Critique de la liaison pure et delà
Critique de la Raison pratique a ouvert une voie
nouvelle à la pensée humaine, en associant i, la
critique spéculative la plus impitoyable le dogma-
tisme moral le plus sincère. Pour lui, l'esprit est
incapable de connaître les choses en elles-mêmes ;
enveloppé dans ses conceptions subjectives, il ne
peut saisir autre chose que les phénomènes, c'est-
à-dire les choses telles qu'elles apparaissent à nos
facultés ; la métaphysique ordinaire se trompe
quand elle prétend avoir l'intuition immédiate et
certaine de l'âme, do la liberté, de Dieu. Mais en
revanche toutes ces vérités, qui ne sont compro-
mises et rejetées que comme affirmations ration-
nelles, redeviennent certaines comme conditions
de la morale. La morale exige en effet que l'âme
soit libre, qu'elle soit immortelle, que Dieu existe.
De sorte que si la philosophie est impuissante à
établir une science raétapliysiquo, du moins elle
détermine des croyances métaphysiques fondées
sur la morale.
xix" siècle. — Il ne saurait être question ici de
tracer même une esquisse rapide des diverses
opinions philosophiques qui se sont succédé dans
notre siècle et se partagent encore les esprits. In-
diquons seulement d'un mot les principales éco-
les, ou tout à fait nouvelles ou renouvelées du
passé, que notre siècle a vues paraître.
En France, le cartésianisme a repris crédit,
avec des modifications importantes, soit dans le
spiritualisme profond et religieux de Maine de Bi-
ran (n70-l«2i), soit dans le spiritualisme éclecti-
que de Cousin (179'2-18()M) et de ses disciples. En
même temps, la philosophi' politiqu' et sociale
du dix-huitième siôcl-, se développe sous des for-
mes nouvelles dans les utopies de Saint-Si-
mon (17«;j-1825) et de Fourier (1772-1837). Avec
Auguste Comte (1798-I857J se fonde le positi-
visme, c'est-à-dire une doctrine scientifique qui,
réduisant la connaissance à l'étude des faits et de
leurs rapports, exclut toute spéculation métaphy-
sique et transcendante. Enfin et sans que nous
PHONETIQUE
— 1376 —
PHONETIQUE
prétendions tout embrasser dans ce court résumé,
l'école critique, avec M. Ronouvier, importe en
France, a\ec quelques changements, les doctrines
morales de Kant.
L'Angleterre continue soit l'école écossaise, avec
Hamilton (IT-S-ISÛG), soit la tradition de Hume,
avec Stuart Mill et les autres positivistes contem-
porains. D'autre part, en soutenant l'iiypothèse
de la transformation des espèces, M. Darwin ins-
pire une philosophie nouvelle dont M. Herbert
Spencer est le plus illustre représentant, et qui
explique la nature humaine, comme l'ensemble
du monde, par une évolution universelle.
En Allemagne, avec Fichte (n63-18l4), Hegel
(mO-1831), et Schelling (1175-1854) la spéculation,
que la critique de Kant n'a pas découragée, se re-
met à l'œuvre et se perd dans les nuages d'un pan-
théisme optimiste ; tandis que sous l'influence
des études physiologiques le matérialisme s'af-
tirme dans les écrits de Feuerbach et de Bùchner,
et que le pessimisme le plus bizarre fait un nom à
Schopenhauer (nsS-lSGOj.
Arrivé au terme de ses études, l'historien de la
philosophie n'a pas à se prononcer sur l'avenir ré-
servé aux efforts de plus en plus opiniâtres de la
raison humaine poursuivant la vérité. Seulement,
éclairée par le spectacle que lui offre le perpétuel
renouvellement des systèmes, toujours les mêmes
au fond, malgré les physionomies diverses qu'ils
prennent à travers les siècles et où se reflètent les
théories scientifiques des différents âges, il a le
droit d'augurer que la lutte des opinions ne finira
pas; que les grandes tendances de l'esprit hu-
main, tendance matérialiste et tendance spiritua-
lisle, n'abdiqueront jamais définitivement l'une
vis-h-vis de l'autre ; qu'elles continueront à inspi-
pirer des systèmes exclusifs ; qu'enfin la philoso-
phie, tout en se transformant et en se rapprochant
de plus en plus des méthodes rigoureuses de la
science, ne cessera pas, malgré les objurgations
du positivisme qui la condamne au silence, de
proposer en sens divers des conjectures raisonnées
sur la nature de l'homme, sur l'origine et la fin
des choses. [Gabriel Compayré.]
PHONÉTIQUE. — Grammaire française, 111.
— La phonéiique ou mieux la -phonologie est cette
partie de la grammaire qui traite des sens et de
leur représentation par des lettres. H y a cette
difl'érence entre les sons et les lettres, que les sons
appartiennent au langage parlé et les lettres au
langage écrit: dans le mot chapeau, par exemple,
il y a sept lettres et seulement quatre sons: ch-a-
p-eau.
I. Les soxs. — Les mots sont formés de sons arti-
culés que l'on divise ordinairement en voyelles et
en consoimes ; mais la véritable unité phonétique,
ce que l'on pourrait appeler l'élément primordial
ou la molécule du mot, c'est la syllabe. « La syl-
labe, a dit un profond linguiste, G. de Humbnldt,
ne se compose pas, comme nous semblons l'indi-
quer par notre manière d'écrire, de la réunion de
plusieurs sons divers: c'est un son simple, instan-
tané. La séparation en consonnes et voyelles est
purement artificielle. En fait, la consonne et la
voyelle forment une unité inséparable pour l'o-
reille, unité que notre écriture brise. La voyelle ne
peut pas plus être prononcée seule, comme on a
coutume de l'enseigner, que la consonne. Son
émission est toujours nécessairement précédée,
sinon d'une consonne bien déterminée, au moins
d'une_ aspiration, quelque légère qu'elle soit, et
qui n'est qu'une consonne affaiblie. Ainsi la con-
sonne et la voyelle ne sont que des conceptions
Idéales, qui n'ont aucune existence dans la réalité.»
En d'autres ternies, la syllabe est essentiellement
formée par la voyelle, et la voyelle dans la syllabe
a toujours la consonne pour appui ou soutien.
Or on distingue dans la syllabe trois propriétés
phonétiques ; la nature des sons qui la composent,.
sa7i(anh'W, et son ac<.'p«(; et l'on divise les voyelles,
d'après leur nature, en voyelles pures, voyelles
nasales et diphtongues; d'après leur quantité, en
voyelles longues et voyelles brèves ; et d'après la
place de l'accent, en voyelles accentuées ou toni-
ques et voyelles inaccentuées ou atones. Quant aux
consonnes, on les classe, d'après les organes arti-
culateurs et d'après l'intensité ou le plus ou moins
de force de l'articulation, en ordres (gutturales,
linguales ou dentales, et labiales), en degrés (muet-
tes ou explosives, spirantes, et liquidas), et en fa-
milles (fortes et faibles). En outre les consonnes
peuvent être simples ou combinées entre elles
(consonnes consécutives); ces dernières sont aux
premières comme les diphtongues sont aux
voyelles simples (pures ou nasales). — 'V. Lettres
et Accentuatioji.
II. Les LETTBES. — Les sons de notre langue se
représentent dans l'écriture par les lettres de l'al-
phabet latin. On appelle orthographe la manière
reçue par l'usage de transcrire les sons au moyen
des lettres, %t prononciation la manière dont ces
lettres doivent se faire entendre dans le langage
parlé. En français l'orthographe et la prononciation
ont réagi continuellement l'une sur l'autre. Si
l'orthographe a subi d'un siècle à l'autre de très
grands changements, la prononciation a varie
aussi, comme toutes les choses de la langue. Quoi-
qu'on puisse soutenir avec Génin qu'en gros cette
prononciation nous a été transmise traditionnelle-
ment et que les sons fondamentaux du français
ancien existent dans le français moderne, il est
certain aussi que la façon de prononcer les lettres
s'est modifiée de diverses manières, principale-
ment sous l'influence de l'orthographe, et il faut
ici tenir compte de la tendance générale qu'on a,
de nos jours, à conformer la prononciation h l'é-
criture. Or, comme Littré l'a fait remarquer, dans
une langue comme la nôtre, il ne peut rien y avoir
de plus défectueux et de plus corrupteur qu'une
pareille tendance. — V. Orthograplte et Pronon-
ciation.
Mais, pour bien connaître la valeur des lettres
en français, il faut remonter à leur origine. Or le
français est, malgré l'influence que les idiomes
germaniques ont exercée sur sa formation, une
langue essentielleiuent latine. H s'agit donc de
montrer commetit les mots ont passé du latin au
français, ou suivant quelles lois se sont modifiés et
transformés les sons de la langue populaire [lin-
gua romima 7'îtstica) apportée en Gaule par les
colons et les légionnaires romains; on d'autres
termes, il faut faire l'histoire des lettres latines.
Voici les traits essentiels de cette histoire, qui a
été écrite pour la première fois par le célèbre Diez,
le maître de la philologie romane.
Les sons de la langue ne se ir/odifient jamais au
hasard, et l'on peut ramener à un certain nombre
de lois les changements qu'ils subissent. Ainsi,
dans le passage du latin aux langues romanes mo-
dernes et en particulier au français, on constate
leur tendance générale à la simplification et une
disposition naturelle à éviter l'efl'ort que nécessite
l'émission de certains sons ; c'est ce qu'on a ap-
pelé le principe de la moindre action. Ce besoin
d'une plus grande commodité dans la prononcia-
tion a produit l'affaiblissement général des lettres
latines; par exemple le p latin s'adoucit en i'.-
sapn, sèi'e ; l'affaiblissement devient tel, en certains
cas, que la lettre latine disparaît entièrement :
aujustus, août.
Comme la langue française est, entre les idiomes
romans, celui qui est à la plus grande distance
géographique du latin, c'est aussi celui qui, dans
la façon des mots, s'éloigne le plus de la forme
latine. Mais, quelles que soient les modifications
qui atteignent le mot latin dans son passage au
PHONÉTIQUE
— 1577 —
PHONETIQUE
français, il conserve ses parties essentielles, qui
sont la syllabe accentuée ou tonique et la lettre
initiale du mot.
1 . La srjllahe acce7ituée en latin subsiste donc en
français, et de plus elle conserve l'accent toniqne
originel ; mais comme cet accent frappe la voyelle
et non pas la consonne, c'est la voyelle qui persiste
et se développe même en un son plus plein, tandis
que la consonne médiale, c'est-à-dire placée entre
deux voyelles, si c'est une muette ou la spirante
V, se déi/rai/e, c'est-à-dire descend d'un degré l'é-
chelle des articulations (la foite passe à la faible,
et la muette à la spirante), ou tombe complètement :
aeutus, aiju; capillus, clieweu ; doiare, douer.
S. La partie essentielle de la syllabe initiale est
la coiiso?me et non pas la voyelle; mais on ne peut
appuyer sur la consonne sans appuyer sur la
voyelle ; c'est pourquoi la syllabe initiale se main-
tient en général très ferme, mais souvent avec
une modification de la voyelle : captiviis, chétif.
Il s'établit ainsi dans les mots polysyllabes une
espèce d'équilibre entre la sijUabe accentuée, où
la voix appuie sur la voyelle, et la syllabe initiale,
où domine la consonne. Cette loi i'équilibre entre
les éléments phonétiques du mot est la cause prin-
cipale de la syncope ou chute des voyelles et des
consonnes à la médiale.
De là il résulte que les mots français (simples)
formés d'une manière organique ne sauraient dans
la règle renfermer plus do deux syllabes; les mots
à terminaison féminine peuvent avoir une syl-
labe de plus, mais cette syllabe, étant formée par
l'e muet, compte à peine. Ainsi les mots latins
blasp/icmare, ministeriio», tesrtmonîam, nau!-
cella, etc., deviennent en français blûrner, métier,
témoin, nacelle.
Quelle que soit la transformation que subisse
une lettre, cette transformation ne s'opère que len-
tement et ne fait jamais qu'un pas à la fois. Une
lettre ne change pas d'un seul coup d'ordre, de de-
gré ou de famille ; elle ne peut réaliser en une fois
qu'un seul de ces changements : c'est cette règle
qu'on a appelée principe de transition. Ainsi le
latin anima n'est point venu brusquement au fran-
çais moderne dnie: il a passé par les formes suc-
cessives anime au dixième siècle, aneme au
onzième, anmc au treizième.
C'est au moyen de ces intermédiaires qu'on
peut faire l'histoire d'un mot et remonter à sa vé-
ritable origine, ainsi qu'au sens primitif: on ne
doute plus que déluré indique celui qui ne se
laisse plus tromper, quand on a sous les yeux l'an-
cienne forme deleurré.
Dans le passage du latin au français, le son des
lettres dépend, soit de leur nature même, soit du
contact de certains sons, lorsque ce contact produit
un hiatus (de voyelles) ou une dissonance (de con-
sonnes).
Si les lettres latines ne se conservent pas intac-
tes, elles peuvent subir trois sortes de modifica-
tions :
^ 1° Tantôt la lettre latine se maintient, mais en
s'altérant en un son d'une autre nature {permuta-
tion), ou en se déplaçant pour s'associer à une
autre lettre dont le son l'attire et s'harmonise
mieux avec le sien [trunsposilion).
2° Tantôt la lettre latine disparaît entièrement,
soit qu'elle manque d'appui ou qu'elle soit incom-
patible avec une autre lettre (éliswn).
3° Tantôt les deux lettres voisines se maintien-
nent 1 une et l'autre, mais en appelant au milieu
Q elles un son étranger, destiné à rendre leur choc
impossible, savoir une spirante {h, y et v) pour sé-
P^fP"" 'es voyelles, et une muette ('linguale d et t)
ou labiale i et p) pour séparer les consonnes iad-
dition de lettres euphoniques).
Ainsi le latin crescere a donné régulièrement
I ancien français croistre : 1» par la permutation du
e en oi ; 2" par l'élision du e pénultième ; Z" par
l'addition do la linguale t entre .s et »■ : crois-i-re ,
enfin croistre a perdu le s, qui a été remplacé par
l'accent circonflexe, d'où la forme moderne croître.
Gloria a donné gloire par la transposition du i fît
la permutation du a en e muet. Scribere est de-
venu écrire par l'élision de la syllabe médiale he
et par l'addition d'un e initial, addition qui est de
règle devant se, si, sp, d'où esc, est, esp, dans le
vieux français, et éc, et, ép, dans le français mo-
derne, par l'élision de l's: escrire, écrire.
A. Histoire des voyelles latines. — La langue;
latine n'avait que les voyelles a, e, i, o, u, que l'on
peut grouper ainsi :
Les voyelles a, i, n (ou français) sont les
voix primitives qui sont communes à toutes les
langues; les autres, eet o, sont les voyelles acces-
soires, qui sont intermédiaires entre les voix pri-
mitives et en dérivent de diverses manières : e est
intermédiaire entre a et i, o entre a et u.
Ces cinq voyelles ont subi en passant en français
un sort bien différent, selon qu'elles étaient ac-
centuées ou non accentuées (atones).
I. Voyelles toniques. — Les voyelles latines
accentuées ou toniques persistent toujours en fran-
çais, mais en se modifiant de la manière suivante :
1. Les voyelles brèves &e diphtonguent toujours
et prennent ainsi un son plus ferme et plus plein :
e cto brefs se diplitonguent avec les voyelles infé-
rieures correspondantes i et u, comme préposi-
tives, d'où ie : fèbris, fièvre, et uo qui est devenu
eu, son intermédiaire entre e et o : fôcus, feu: —
i et u brefs se transforment d'abord en e et o
longs, puis se diphtonguent avec les voyelles infé-
rieures correspondantes i et m, comme postposi-
tives, d'où ei, qui est devenu ot : smus, sein ; hi-
be.TP, boire, et on: h'^pus, loup; — quant à l'a, il
se diphtongue exceptionnellement devant les li-
quides : manus, main.
2. Les voyelles longues par nature ne se traitent
pas de la môme manière. Les voyelles inférieures
i et u se maintiennent intactes, bien que ti ait
perdu son ancienne prononciation pour prendre le
son qu'il a actuellement et qui est intermédiaire
entre le son i et le son ou {u latin) : amfcus,
ami ; acHtus, aigu. Mais les voyelles longues su-
périeures a, e,o se comportent comme les brèves,
et u long se confond presque avec a bref, e long
avec i bref et o long avec o bref, de manière que
a long devient e ou ai: clavis, clé; panis, pain;
— e long devient ei, d'où oi: vena, veine; sérum,
soir ; — et 0 long devient eu (uo italien) : solus,
seul.
.3. Les voyelles longues par position, c'est-à-dire
suivies de deux consonnes dont la seconde com-
mence une nouvelle syllabe, persistent en général,
excepté les deux voyelles inférieures i, qui se
change en e, fi'rmus, ferme, et m, qui devient o et
plus souvent ou (u latin) : ce/lmen, comble; gîftta,
goutte.
Voici le tableau général des permutations des
voyelles accentuées :
Les diphtongues, qui étaient peu nombreuses
en latin, sont devenues en français des voyelles
simples ou combinées : chose de e«Msa, proie de
prfleda.
II. Voyelles atones. — Les voyelles latines
PHONÉTIQUE
— 1578 —
PHONETIQUE
atones ou non accentuées offrent beaucoup moins
de résistance que les vnjelles toniques. Lors-
qu'elles suivent la syllabe frappée de l'accent, ellps
s'assourdissent en e muet ou disparaissent : «nne
de arma, vil de \Uis, table de tabida. Lorsqu'elles
ia précèdent, elles se maintiennent, s'assourdis-
sent ou disparaissent en vertu d'une véritable loi
d'équilibre, les voyelles étant plus ou moins gra-
vement atteintes, suivant qu'elles sont plus ou
moins voisines de la syllabe accentuée : rglise
d'ecclesia, cheval de caballus, satité de sanùa'tem,
s.chete>- de ad-captare, bas-latin accoptare.
Dans le traitement des voyelles atones, il faut
tenir compte de Vliiuttis, c'est-à-dire de la ren-
contre de deux voyelles dans deux syllabes diffé-
renics d'un même mot. Les deux cas d'hiatus les
plus importants sont les suivants : ou bien l'hiatus
existait déjà, dans les mots simples latins : p/uere,
duo.-', tt/jia, païen, ecclesia, gtorin; ou bien il a
été produit, dans le passage du latin au français,
par la suppression d'une consonne médiale qui a
mis en présence les deux voyelles jusque-li sé-
parées : se{c)urus, gto(à)iiis, pa{g)a7ius, inva[d)e-
re, etc.
Voici les moyens qui ont été employés pour
éviter l'hiatus :
1° L'élision de la première voyelle ; duos, deux;
ecclesî'a, église ;
2° La consonnification de la voyelle atone (i ou
li) : tibî'a, libya, tige; palfa, palj'a, paille;
3" La contraction, au moyen de laquelle l'atone
se fond dans la tonique, eu, par exemple, deve-
nant u : sevwus, seiir, sûr ;
4° La transposition, en vertu de laquelle la
première voyelle est attirée par la tonique et
forme avec elle une diphtongue : glori'a, gloire;
5° L'iiitercalation d'une consonne {y, v, h) entre
les deux voyelles qui forment l'hiatus : pluere,
pleui'oir; gladius, glaii'e; payoraw, païen = payen;
ùivadere, enva/àr.
B. Histoire des co?iso?mes latinei. — Le sys-
tème des consonnes latines se composait des let-
tres suivantes :
Muettes fortes et p
— faibles g d b
Spirantes h s f, T
Liquides r 1 n m
Ces consonnes peuvent être simples ou consé-
cutives.
ï. Consonnes simples. — Il faut distinguer deux
groupes de consonnes simples, selon les degrés
de l'articulation : le premier groupe comprend
les liquides ; toutes les autres consonnes, spi-
rantes ou muettes, forment le second groupe.
1. Les liquides, étant les consonnes les moins
articulées, peuvent passer d'un ordre à l'autre et
se permuter entre elles ; mais dans la série r, I ,
n, m, les mutations ne peuventgénéralement avoir
lieu qu'entre les sons les plus rapprochés, c'est-
à-dire entre r et /, / et n, n et m, comme pei'e-
grinus, pè/erin ; titu/us, titre ; /ibella, niveau ;
mappa, ?!appe.
2. A l'inverse des liquides, les spirantes ne s'é-
changent point entre elles ; la sifflante s se per-
mute peu ; h disparaît partout comme son ; f per-
siste presque toujours ; enfin les semi-voyelles j
et D s'élident quelquefois au milieu des mots:
jejunus, jeun (à); pai'onem. paon.
Pour ce qui est dos mtietles, il faut tenir compte
de la place qu'elles occupent. A l'initiale, elles
persistent chacune à son degré d'articulation ; les
exceptions sont rares et disparaissent dans le
grand nombre d'exemples qui confirment la règle ;
en revanclie, la permutation des gutturales en
chuintantes a lieu même à l'initiale, comme capra,
chèvre ; çalbinus, /aune. Au milieu du mot, ces
consonnes montrent bien moins de consistance, et
l'on remarque ici un affaiblissement graduel, une
dégradation des muettes : les labiales et les gut-
turales passent de la forte b. la douce et même à
la spirante (p descend k b on k v, ch g : ap'icnla.,
aAeille ; sapere, sai-oir; ciconia, cigogne), et de la
douce à la semi-voyelle (6 devient v : ca'/allus,
chei'al) et plus souvent à la syncope (biéere, boire ;
auyustus, aoijt), qui est de règle pour les linguales
(ca/ena, chaîne ; aurfire, ouïr).
n. Consonnes consécutives, — Une consonne
peut se joindre à elle-mêms {terra) ou à une autre
consonne Ispi'a) : dans le premier cas, il y a re-
doublement, et dans le second combinaison.
1 . Les consonnes redoublées se conservent mieux
que les simples et ne subissent pas l'affaiblisse-
ment graduel qui atteint ces dernières h la mé-
diale : sa;j;.;inus, sa/jin ; saceus, sac; guHur,
goitre.
2. Combinaison de consonnes. — Nous enten-
dons par \k tous les groupes de consonnes diffé-
rentes qui se suivent dans le même mot. Il faut
ranger dans cette catégorie, non seulement les
combinaisons de deux articulations différentes qui
existaient en latin conformément aux lois phoné-
tiques propres à cette langue (s;j!C >, /'«•-/i/s), mais
encore les réunions de deux ou de ty'ois consonnes
qui ont été amenées en français par l'élision d'une
voyelle {jwl'care de judicare, solu're de solvere).
Or, ce choc d'articulations différentes a le même
sort que l'hiatus ou rencontre de deux voyelles ;
dans l'un et l'autre cas, la langue tend à simpli-
fier les éléments phonétiques par des moyens di-
vers (l'élision, la permutation, la transposition et
l'intercalaiion), et si, pour détruire l'hiatus, elle
change des voyelles en consonnes, par un pro-
cédé semblable elle évite le choc des articulations
en transformant les consonnes en voyelles ; c'est
ainsi que rage a été formé de raines par le chan-
gement d'une voyelle (ï) en consonne {j), et fait
de factus par le changement inverse d'une con-
sonne (<:) en voyelle (().
Il faut distinguer ici deux cas, selon qu'il y a
rencontre de deux ou de trois consonnes.
a] Lorsqu'il y a rencontre de deux consonnes
semblables, la seconde subsiste en général; la pre-
mière peut se conserver : porta, po'te; — ou s'é-
lider : spica, épi ; sub/ectus, sujet ; — ou s'assi-
miler à la seconde consonne : luc^are, luWer ; ga-
bata, gai'ia, jafie; — ou se résomire en une
voyelle [i ou u) : factus, fait ; cubitus, cu/i'lus,
coude ; — ou se transposer : auricula, auric'la,
oreille (c est d'abord devenu i : oreile, puis, par
transposition du i ou y, orelie ou orel;/e, qu'on
écrit oreille) ; — ou bien enfin une troisième con-
sonne est intercalée entre les deux : cingere,
cin're, ceinrfi-e ; caméra, cam'ra, chamére; cres-
cere, cres're, croître pour crois^re.
Une permutation remarquable est celle du /en u
devant une seconde consonne : ta/pa, taupe;
be/lum, bea;;,- si/vaticus, sauvage; co/lura, cou;
auscu/tare, écoîiter.
b) Dans la rencontre de trois consonnes, qui
est surtout amenée par l'élision d'une voyelle, il
faut considérer le sort de chacune d'elles.
1° La troisième consonne persiste toujours.
2° Lasecoîîrfene se maintient que lorsque cette
médiale est r ou s (s n'existe plus dans l'ortho-
graphe moderne) : lacrimn. lacr'ma, larme, "iî-
msterium, min'sterium, mestier, aujourd'hui mé-
tier; ou une muette suivie de r ou /, dans quel
cas la première consonne ne peut être que r, n,
m, s : perdere, pen/'re. peniro ; avunciilus, avun-
c'ius, oncle; umîra, omiie; s'rictus, csïroii, étroit;
spirilus, s/)'ritus, esprit.
'i" La première consonne tombe toujours ou
s'adoucit en i ou u : lacrima, lacr'ma, larme ;
PHOSPHORE
1579 —
PHOTOGRAPHIE
peciinare, pecl'nare, peigner; elle ne se maintient
(|U0 si c'est une dos liquides l,r,7i, m, mais alors
il n'y a pas, à proprement parler, de combinaison
ternaire, parce que la liquide appartient h la syl-
labe pr('cédente et se fond même avec elle : cii--
culus, cir-c'his, cercle; soivere, so/-v're, soudre.
Exercices. — Les explications qui précèdent
sont destinées au maître, qui doit savoir le plus
pour enseigner le moins, et ce moins doit consis-
ter ici à donner à l'élève les lois phonétiques les
plus simples, surtout celles qni rendent compte
des flexions et des dérivations, comme, par exem-
ple, la permutation de / en u dans les noms (clie-
va/, chevawx ; loya', loya»té) et les verbes (va/-oir,
je va!<x), de /"en o dans les adjectifs {vif, vive,
vivacité), de ou en eu et de e en oi et ie dans les
verbes (mourir, je m^îMrs ; devoir, je doi'a ; acqué-
rir, j'acquiTs), etc. [C. Ayer.]
Ouvrages à consulter. — Dîez, Grammaire des înn-
ffucs romanes, tr.itim'lioii fr.inçaisc, tome prtmier ; Ayer,
Phonologie de la langue française.
PnOQL'KS. — V. Amphibies.
vnOSl'IlORE. — Cliimie, VII. — Ce métal-
loïde doit son nom à la propriété qu'il a de luire
dans l'obscurité (l'adjectif grec pho^ihoros signi-
fie lumineux). C'est un corps solide h. la tempéra-
ture ordinaire, incolore ou jaunâtre, translucide ;
sa densité, à 10°, est 1,83; il fond à ■44"; son
odeur rappelle un peu celle do l'ail. Insoluble dans
l'eau, il se dissout facilement dans le sulfure de
carbone.
Le phosphore a été découvert dans les résidus
de l'urine, en 1069, par l'alchimiste Brandt, de
Hambourg. Un siècle plus tard, Gahn constata
dans les os la présence d'un composé phosphaté;
et bientôt un pharmacien suédois, le savant chi-
miste Scheele, trouva le moyen d'extraire le phos-
phore de la cendre provenant des os calcinés.
Son procédé est encore en usage aujourd'hui ; il
consiste il tra-ter successivement la cendre d'os,
mélange de phosphate et de carbonate de chaux,
par l'acide sulfuriquo étendu et par le charbon :
ion kilogrammes d'os calcinés contiennent de I(î à
n kilog. de phosphore, mais on n'en retire guère
que 8 ou 9 par le traitement indiqué.
On sait aujourd'hui que le phosphore joue un
rôle très important dans l'organisation des ani-
maux et des végétaux. Entrant pour une assez
forte proportion dans la composition des os, on le
trouve encore dans la substance cérébrale, dans
les nerfs, etc. Presque tous les végétaux en con-
tiennent, à l'état de sels; et il esta remarquer que
nombre de plantes, les céréales en particulier, ne
pourraient croître dans un terrain qui ne renfer-
tnerait pas en quantité suffisante des sels phos-
phatés. Tous les agronomes connaissent l'efficacité
des phosphates employés comme engrais. Et pour-
tant, cette substance si utile est un violent poison,
auquel malheureusement on ne connaît pas d'an-
tidote.
Sous l'action de la chaleur, le phosphore subit
■une modification moléculaire très curieuse : il
devient rouge, perd sa solubilité dans le sulfure
de carbone, sa phosphorescence et d'autres pro-
priétés encore ; il n'est plus vénéneux. L'influence
directe do la lumière solaire produit aussi cette
modification sur le phosphore.
Chaufl'é à "0°, et refroidi brusquement dans l'eau,
à 0°, il devient noir.
L'affinité du phosphore pour l'oxygène est très
énergique. A (iO°, il s'enflamme, à l'air, et brûle
en donnant une vivo lumière. Il ne faut le tenir
à la main que pendant un temps très court; un
contact plus prolongé suffirait pour cnnammor le
phosphore, et il en résulterait des brûlures dan-
gereuses. En cas d'accident, il faut laver la plaie
avec de l'eau dans laquelle on a délayé de la ma-
gnésie. Si l'on veut couper du phosphore, c'est
toujours sous l'eau que l'opération doit être faiteS
C'est d'ailleurs dans l'eau que l'on conserve lo
phosphore.
On connaît trois composés oxygénés du phos-
phore: l'acide hypophosphorcuxPhO, l'acide phos-
phoreux PhO^, et l'acide phosphorique PhO'. Les
deux premiers, très avides d'oxygène, décom-
posent les sels d'argent et de mercure, et passent
à l'état d'acide phosphorique.
L'acide phosphorique s'obtient en brûlant du
phosphore dans un ballon dont l'atmosphère est
bien desséchée. L'acide se dépose sous forme de
flocons neigeux; il est anhydre, et se montre très
avide d'eau; aussi l'emploie-t-on pour dessécher
les gaz. Projeté dans l'eau, il y produit un siffle-
ment aicu.
Cet acide présente trois degrés d'hydratation :
PhOs.HO; Ph05,2HO;Ph05,3HO; et, chose re-
marquable, les propriétés de ces trois composés
sont tellement difl'érentes, que chacun d'eux doit
Être regardé comme un acide distinct. Le premier
est monobasiquo, le deuxième bibasique, le troi-
sième tribasique. Celui-ci, qui est précisément
l'acide phosphorique ordinaire, s'obtient en chauf-
fant, dans une cornue de verre, une partie de
phosphore avec 15 parties d'acide azotique à 20"
Baume. L'acide phosphorique ordinaire est l'un
des éléments constituants des phosphates na-
turels.
Avec l'hydrogène, le phosphore donne aussi trois
combinaisons: un phosphure gazeux PhfP, un
phosphure liquide, PhH'^, et un phosphure solide
Ph^H. Le premier, que l'on peut obtenir en chauf-
fant doucement, dans un ballon, une dissolution
de potasse caustique avec du phosphore, s'en-
flamme spontanément au contact do l'air, mais
cette inflammation est due à la présence d'une
certaine quantité de vapeur de phosphure liquide
produit par la réaction ; pur, il ne s'enflammerait
qu'à 1110°. On explique les feu.r follets que l'on
observe parfois dans les cimetières humides par
la combustion de ce gaz, dont la formation serait
due à la décomposition des matières animales en-
fouies dans le sol.
Les affinités du phosphore pour le chlore, le
brome et l'iode sont très puissantes.
M. Dumas a fait, du phosphore, de l'azote et de
l'arsenic, une famille naturelle de métalloïdes,
caractérisée par la propriété qu'ont ces corps de
former avec l'hydrogène des composés gazeux qui
jouent le rôle de bases ou de corps neutres.
La plus grande partie du phosphore ordinaire
extrait par l'industrie est employée h. la fabrication
des allumettes. En substituant le pho.sphore rouge
au phosphore ordinaire, on obtient des allumettes
qui ne présentent aucun danger, car pour les en-
flammer, il faut faire usage d'un frottoir spécial,
et, comme nous l'avons dit, le phosphore ronge
n'est pas vénéneux. [H. Clerc]
l'IlOTOGRAPlUE. — Connaissances usuelles,
II-V. — Etym. : dos deux mots grecs phàs, lu-
mière, et rjraphein, écrire, tracer. — On raconte
qu'un jour de la fin du xvii= siècle (lfi9l)), un phy-
sicien napolitain, J.-B. Porta, resté d'ailleurs célè-
bre pour la part très grande qu'il prit au mouve-
ment scientifique de son époque, étant enfermé
dans sa maison, dont tous les volets étaient fermés,
remarqua que, par un trou de volet, pénétrait un
rayon de lumière qui semblait peindre sur le mur
blanc de la chambre plongée dans l'obscurité l'i-
mage d'une troupe d'enfants jouant au dehors.
Porta fit mieux que remarquer la chose, il l'étudia ;
et après avoir reproduit ce singulier effet par des
ouvertures nues, il reconnut que si l'ouverture était
garnie d'une lentille convexe, qui concentrait les
rayons lumineux, le phénomène, embrassant alors
un champ plus vaste, se produisait avec une netteté
parfaite. Et ainsi se trouva inventée la chamtire
PHOTOGRAPHIE
— 1580
PHOTOGRAPHIE
obscure ou chambi-e noire, qui pendant un siècle
'et demi eut sa place non seulement dans tous les
cabinets de physique comme un des plus curieux
appareils de démonstration des phénomènes opti-
ques, mais encore en beaucoup de mains comme
un jouet scientifique très amusant, de telle sorte
que la chambre noire et ses efl'ets étaient à peu près
de notoriété générale.— V.Ojo<iÇî(e (/?)«</ !imfn/sd').
Or pendant que les gens du monde se bornaient
à trouver singulières les images produites par la
chambre noire, le nombre fut presque toujours
grand des savants, des observateurs, des cher-
cheurs qui se demandaient s'il ne serait pas pos-
sible d'arriver un jour à la fixation de ces images.
En fouillant même attentivement les vieux docu-
ments, on pourrait signaler plus d'un essai, plus
d'une tentative avortés; mais nous ne saurions ici
nous livrer à ce travail. Toujours est-il que paral-
lèlement, si nous pouvons ainsi dire, aux recher-
ches qui étaient faites dans ce sens, d'autres ob-
servations ou expériences avaient lieu qui, sans
qu'on s'en doutât, préparaient indirectement l'une
des plus grandes et desplus merveilleuses décou-
vertes de l'époque moderne. Ces observations, qui
d'ailleurs remontaient en principe i des temps an-
térieurs à l'invention de Porta, furent notamment
celle de Fabricius et de plusieurs autres chimistes
constatant que les principaux sols ayant l'argent
pour base avaient la propriété de noircir à la lu-
mière. Ces expériences furent notamment celle du
physicien Charles qui, dès IT.SO, ayant imprégné
de chlorure d'argent une feuille de papier sur la-
quelle il dirigeait un rayon solaire, en interposant
la silhouette d'une personne qui faisait écran aux
faisceaux lumineux, obtenait sur la feuille de pa-
pier le profil de cette personne marqué en blanc
sur un fond noir ; ou encore l'essai de Wedgwood
qui obtenait une empreinte visible, mais fort im-
parfaite, de l'image que la chambre noire avait
projetée sur un papier enduit d'une solution de
nitrate d'argent, etc. En .somme de très menus
faits, qui doivent aujourd'hui un certain intérêt au
fait notable dont ils ont été suivis, mais qui se-
raient absolument oubliés sans l'événementraajeur
dont ils semblent être le prélude inconscient.
■ Donc, comme on était venu jusqu'au premier tiers
de notre siècle, sans qu'aucune apparence de so-
lution eût été apportée à l'important problème, il
se trouva que trois chercheurs aussi ingénieux
qu'opiniâtres, deux Français, Nicéphore Niepce à
Chàlons, Daguerre à Paris, un Anglais, Talbot, Ji
Londres, consacraient simultanément leurs veilles
h le résoudre, mais chacun par une voie différente.
Le premier, Niepce (ce n'est pas sans raison que
nous entrons ici dans quelque détail) prenait pour
point de départ de ses recherches cette remarque
aussi neuve que singulière, bien digne d'un subtil
observateur, qu'en exposant une plaque métalli-
que recouverte de bitume de Judée aux influences
de la chambre noire, il arrivait que partout où
avaient frappé les rayons lumineux recueillis et
projetés par la lentille, le bitume se modifiait de
telle sorte qu'il cessait d'être, comme en son état
primitif, soluble dans l'essence de lavande. De
telle sorte que si, après avoir exposé une plaque
ainsi préparée aux rayons de la chambre noire, on
la couvrait d'essence, le bitume se dissolvant dans
les points correspondant aux ombres, tandis qu'il
restait insoluble dans les points correspondant aux
lumières, on obtenait une planche qui était ana-
logue à celle du graveur à l'eau-forte, et qui, après
la morsure aux acides, devait donner des épreuves
du même genre que la taille-douce.
Le second chercheur, Daguerre, — qui n'a ja-
maisnipublié, ni fait connaître l'historique détaillé
de ses longs et multiples essais, — était destiné
à l'honneur bien mérité de donner son nom à une
magnifique découverte, sur laquelle nous allons
bienlôt revenir, et qui était aussi absolument la
sienne, qu'elle est, en réalité, étrangère à ce quo
nous appelons aujourd'hui du nom de photogra-
phie.
Le troisième, Talbot, partait pour ses travaux du
principe depuis longtemps avéré que les sels d'ar-
gent noircissent à la lumière ; mais, étant donnée
la lenteur de l'impression lumineuse, il s'était atta-
ché à découvrir ce que nous pourrions appeler Y ad ■
juvant de cet effet ; et il avait reconnu que si, après
avoir soumis pendant untemps relativement court
aux rayons de la chambre noire un papier imbibé
d'iodure d'argent, on le baignait dans une solution
d'acide gallique (extrait de la noix de galle), l'i-
mage jusqu'alors demeurée latente, si nous pou-
vons ainsi dire, appparaissait et devenait distincte
— bien entendu en sens inverse de la nature, puis-
que le noircissement du papier n'avait lieu que
sur les points correspondant aux parties lumineu-
ses de limage.
Mis en rapport par l'opticien Chevalier, Niepce et
Daguerre, qui s'étaient communiqué leurs procé-
dés, avaient formé une association ; mais le premier
étant mort peu de temps après, Daguerre dut seul
continuer les recherches, et au cours de l'année
1839 grand bruit fut fait tout à coup des résultats
qu'il avait obtenus. Bientôt l'Etat se fit acquéreur
du procédé, qui fut rendu public en une mémorable
séancede l'Académie des sciences(10 aotit 1839),et
le daquerreotype, première méthode pratique de
fixation des images de la chambre noire, était à bon
droit proclamé par l'enthousiasme général l'une
des inventions les plus merveilleuses des temps
modernes.
Une plaque d'argent, bien nettoyée, bien brunie,
et donnant par ce bruni même une surface noire,
était l'élément premier de l'opération ; après avoir
été soumise aux vapeurs d'iode, qui formaient à sa
surface une mince couche d'iodure d'argent, la
plaque, maintenue à l'obscurité, était portée dans
la chambre noire, dont on laissait l'image agir sur
elle pendant un temps plus ou moins long, selon
le plus ou moins de vivacité d'éclairage des objets
à reproduire. Au sortir de la chambre noire, la
plaque, encore soigneusement garantie de la lu-
mière extérieure, n'offrait aucune empreinte, au-
cune image; mais si, agissant à la faible lueur
d'une bougie ou d'une veilleuse, on posait cette
plaque au-dessus d'une cuvette contenant du mer-
cure, et que l'on chauffât un peu ce métal liquide,
pour en provoquer légèrement la volatilisation, il
arrivait que les blanches gouttelettes constituant
la vapeur mercurielle allaient se fixer sur la pla-
que d'argent iodurée, mais seulement aux points
correspondant aux parties lumineuses de l'image
produite dans la chambre obscure ; tandis que les
autres points n'en retenaient aucune, et restaient
nus. De là un dessin en blanc mat sur fond noir
brillant. L'image, avant de pouvoir être apportée au
jour ordinaire, avait besoin d'être débarrassée de
l'iodure, resté sensible aux rayons lumineux. On
la plongeait donc dans une solution d'hyposulfite
de sonde, qui détruisait cet iodure. On la lavait à
grande eau, on la séchait sur une flamme d'esprit
devin, et l'on avait enfin Vêijreuve daguerrieiine,
qui bien que n'offrant, au moins en principe, qu'une
image assez terne, afl'ectée en outre d'un miroite-
ment assez désagréable, ne laissait pas cependaiit
de constituer une des plus remarquables conquê-
tes inscrites jusqu'alors dans l'histoire des scien-
ces physiques ; un premier pas était fait vers l'éton-
nante solution du problème, qui consistait à
transformer le soleil lui-même en reproducteur
des tableaux d<mt il peignait les originaux.
Ajoutons que maints chercheurs ingénieux et sa-
vants, Claudet, Reiser, Thierry, Fizeau.s'étant lan-
cés sur la voie indiquée par Daguerre, de notables
et rapides progrès s'accomplirent, dont les plus
PHOTOGRAPHIE
— 1581 —
PHOTOGRAPHIE
importants furent l'adjonction des vapeurs du
brome à celles de l'iode, qui, centuplant \asensi/ji-
lUé de la plaque d'argent, diminuait d'autant la
durée do l'exposition à la chambre noire; et l'em-
ploi d'un précipité d'or pour aviver et fixer l'i-
mage, En quelques années le daguerréotype, dont
on ne saurait redire aujourd'hui la vogue, eut at-
teint son apogée ; mais, subissant la loi commune,
il ne se trouva guère consacré que pour se voir
presque aussitôt monacô de déchéance par la plio-
tographie sur papier, qui aujourd'hui l'a complète-
ment fait onblier, sans lui laisser, somble-t-il(mais
qui peut répondre des destinées ?) aucun espoir
de renaissance.
Depuis longtemps Talbot, avons-nous dit, pour-
suivait ses essais d'obtention de l'image photo-
graphique sur papier. Quand, au milieu de l'ad-
miration universelle, fut publié le procédé de
Daguerre, le chercheur anglais crut devoir faire
connaître le sien, mais malheureusement sans
pouvoir produire à l'appui autre chose que d'assez
informes résultats. C'en fut assez cependant pour
donner l'éveil, et provoquer les recherches en cette
nouvelle voie. Le progrès fut en réalité assez lent,
mais seulement au point de vue pratique, car
presque dès l'abord, la théorie expérimentale se
trouva nettement indiquée par MM. Blanquart-
Evrard de Lille, et Legray de Paris, qui tous deux
ne tardèrent pas à montrer des épreuves photo-
graphiques sur papier relativement fort satisfai-
santes. En principe, donc, le procédé était fixé,
mais, — curieux enchaînement des conquêtes du
génie humain — pour qu'elle pût prendre définiti-
vement rang parmi les arts usuels, cette décou-
verte attendait qu'une autre découverte fût faite,
qui, pour sembler appartenir à un ordre de choses
complètement étranger, n'allait pas moins devoir
sa seule et réelle importance à son application aux
expériences photographiques.
Le procédé photographique d'alors, — qui d'ail-
leurs est resté théoriquement le môme, — con-
sistait à baigner une feuille de papier léger et
d'un grain bien uni dans un bain d'iodure de po-
tassium, à le poser, après qu'il avait été séché,
sur une solution d',azot,ate d'argent, afin de former
un iodure d'argent (cette opération faite en lieu
obscur), à porter cette feuille, en la préservant
soigneusement de la lumière extérieure, dans la
chambre noire,, où elle restait soumise à. l'in-
fluence des rayons lumineux pendant quelques
instants; puis à la rapporter dans le laboratoire
obscur, où son immersion dans une solution d'a-
cide gallique faisait se développer une image in-
verse de la nature, ou néyatiue. Cette feuille, dé-
barrassée de son iodure parl'hyposulfite do soude,
lavée à grande eau et séchée, donnait un lijpe ou,
comme nous disons aujourd'hui, un cliché, à l'aide
duquel il s'agissait de produire l'épreuve positive,
ramenant l'image à son état naturel. A cet effet,
l'épreuve négative ayant été au préalable cirée h
chaud, pour donner plus de transparence aux par-
ties restées blanches du papier, on l'appliquait sur
une autre feuille qui, dans l'obscurité, avait été
imprégnée de chlorure d'argent par son séjour
successif sur un bain de sel de cuisine (ou chlo-
rure de sodium), puis sur un bain d'azotate d'ai'-
gent. Le tout était exposé aux rayons du soleil.
La lumière, traversant les parties transparentes du
papier, noircissait sur ces points le papier chlo-
ruré, qui restait blanc partout où les noirs de l'é-
preuve négative formaient écran. L'effet d'impres-
sion solaire étant arrivé h l'intensité voulue, on
détruisait la smsihiiité du papier chloruré par
! immersion dans l'hyposulfite de soude ; puis on
l.ivait et séchait l'épreuve positive qui était ache-
. p" réalité, quand ces diverses opérations avaient
ete bien conduites, les épreuves obtenues par ce
procédé ne laissaient pas d'offrir un certain inté-
rêt qui les faisait apprécier dos amateurs, surtout
quand elles étaient consacrées à la copie de mo-
numents ou de sites qui n'exigeaient pas trop de
finesse. Pour les portraits, que le daguerréotype
était arrivé h produire avec une délicatesse et une
douceur de modelé vraiment remarquables, et
moyennant une très courte exposition h la cham-
bre noiro, l'application était impossible. Le négatif-
papier, outre qu'il exigeait un temps de pose
beaucoup trop long, ne pouvait transmettre à l'é-
preuve positive, par suite de sa translucidité im-
parfaite, que des détails dont la netteté était de
plus atténuée par le grain du papier.
Ce qu'attendait la photographie pour prendre
son véritable essor, n'était donc autre chose que
la création de l'épreuve négative à l'aide d'un in-
termédiaire possédant les qualités de transparence
et de finesse qui manquaient au papier.
Ce fut un neveu de l'associé de Daguerre,
M. Niepce de Saint-Victor, qui, le premier, indiqua
la nouvelle marche à suivre, en substituant de la
façon la plus heureuse le cliché-verre au cliché-
papier. Etant donnée une feuille de verre, une
glace sans tain, M. Niepce la couvrait d'une couche
d'albumine (blancd'œuf) mélangéed'un iodure qu'il
faisait sécher, etqui, plongée, en lieu obscur, dans
un bain acide de nitrate d'argent, se coagulait et
constituait à la surface du verre une pellicule in-
soluble contenant l'iodure d'argent sensible à la
lumière. Et, traitant absolument le verre albuminé
comme on traitait l'épreuve sur papier, il obtenait
un négatif où l'image était d'une extrême délica-
tesse de détails, puisqu'elle se trouvait formée sur
une pellicule aussi mince qu'unie ; et qui avait
une transparence parfaite, puisqu'elle reposait sur
une feuille de verre.
Les épreuves positives que donnaient les néga-
tifs obtenus par le verre albuminé étaient d'une
finesse merveilleuse, mais le procédé, qui deman-
dait un temps de pose relativement assez pro-
longé, ne pouvait encore s'appliquer qu'aux vues,
paysages, objets d'art, sans qu'il fût possible de
songer au portrait et autres reproductions exi-
geant une opération plus rapide. Toujours est-il
qu'un pas immense était fait, et que la voie fé-
conde se trouvait indiquée.
Sur ces entrefaites, il arriva qu'un chimiste
découvrit le fulmi-coton ou coton-poudre, un
autre expérimentateur et observa que ce pro-
duit, déposé dans l'éther, s'y dissolvait et donnait
une sorte de liquide visqueux qui, répandu à l'air,
laissait évaporer son éther et se prenait en pelli-
cules transparentes qui, comme l'albumine, se
coagulaient et devenaient insolubles par l'immer-
sion dans une solution acide.
Ce composé sijigulier, fort préconisé, tout d'abord
pour le pansement dos plaies à soustraire au con-
tact de l'air, reçut le nom de coUodion. Bientôt,
presque simultanément, en France et en Angle-
terre, on eut l'idée de le substituer à l'albumine,
pour obtenir des épreuves négatives sur verre ;
et de cette substitution, qui eut pour effet de
donner i la couche ioduréc une sensibilité, une
subtilité d'impression aussi grandes que celle de
la plaque daguerrienne, date, en môme temps que
la déchéance du daguerréotype, ce que nous pour-
rions appeler l'ère de la photographie véritable,
qui, loin d'éluder aucune difficulté, semble au
contraire les rechercher pour les résoudre d'une
façon toujours plus triomphante, et nous montre
chaque jour quelque résultat plus étonnant, plus
merveilleux.
I! va de soi que nous ne saurions décrire en
détail ici les divers procédés particuliers qui ont
été ou qui sont encore en usage dans les ateliers
photographiques. Nous croyons avoirnctteraentin-
diqué les principes théoriques sur lesquels repose
PHOTOGRAPHIE
— 1382 —
PHOTOGRAPHIE
la photographie : ils n'ont pas varié ; nous les ré- ;
sumons : 1° seusiljilisatio?i d'une feuille ou pelli-
cule par l'iodure d'argent ; 2° exposition dans la
chambre noire, dont l'objectif a été braqué sur ^
l'objet i reproduire ; 3° développement de l'image
négative par des solutions qui, après avoir eu tout
d'abord pour base exclusive les sels extraits de la ,
noix de galle, ont maintenant pour succédanées ,
des solutions ferrugineuses (sulfate de fer ou cou-
perose verte) ; 4° destruction de la sensibilité par
des bains qui dissolvent l'iodure (hyposulfite de [
soude, cyanure de potassium) ; 5° lavage et sé-
chage de l'épreuve négative ou cliché ; C" tirage
de l'épreuve positive ; (•pération qui se subdivise i
en : sensibilisation d'un papier par un sol d'ar- '
gent ; séchage de ce papier ; application de ce pa- j
pier sous l'épreuve négative; exposition aux rayons i
de la lumière diffuse qui, agissant par transpa- \
rence. noircit le papier positif partout où les noirs
ou demi-noir^ du négatif ne forment pas écran ;
fixage de l'épreuve par la destruction d\i sel d'ar-
gent resté libre; enfin, lavage et séchage. Telles
sont, — avec quelques variantes pour des appli-
cations particulières, — les pratiques qui consti- i
tuent l'ensemble des opérations par lesquelles au- i
jourd hui on obtient, sous les formes les plus |
multiples et les plus imprévues, la solution du ,
grand problème qui, si longtemps, mit tant d'es- |
prits en travail, à savoir, la fixation des images ,
de la chanibi-'' noire.
Formes multiples et imprévues, avons-nous |
dit ; à quelles applications, en effet, ne se prête pas ^
cet art, dont la première manifestation date à ,
peine de quarante années, et qui, depuis vingt i
ou vingt-cinq ans seulement, est entré dans la i
période vraiment féconde de son histoire. j
Et d'abord, voici ces portraits, ces images qu'on i
pourrait appeler instantanées, où, grâce à la sub- !
tilité des procédés, des tours de mains propres aux J
opérateurs habiles, semble s'être immobilisée la vie \
du modèle. Puis ces vues, qui font que maintenant
nulle physionomie vraie des diverses régions du
globe ne reste incertaine devant le contrôle plioto-
graphiquo. Substitués aux infidèles tableaux que
rapportaient les voyageurs, et qui, presque toujours, ,
n.'attestaient que l'inhabileté ou la vision fantai-
siste de l'auteur, nous avons maintenant l'em- ,
preinte exacte de tout ce qui peut intéresser, in- '
slruiie, amuser. Voulons-nous mêine ajouter à la |
vérité, à l'illusion, alors la photographie nous
donnera les sites vus sous deux angles, répétant
la convergence de nos deux yeux, et, à 1 aide
du stéréoscope, nous nous croirions transportés
dans les lieux mêmes que représente la dou- ,
ble épreuve photographique, et qui retrouve- i
ront ainsi leur relief et leur étendue. S'agit-il, |
pour un conteur de voyage, pour un démonstra-
teur scientifique, de mettre sous les yeux d'un au-
ditoire nombreux les pays, les choses dont il
parle, alors la photographie, au lieu de tirer du
cliché négatif une épreuve positive opaque, tirera
sur verre albuminé ou coUodionné cette épreuve
qui. placée au foyer d'une lentille de lanterne i
magique, donnera, par le grandissemcnt optique,
ces magnifiques projections qui presque toujours
maintenant accompagnent les couis ou conféren- [
ces du genre de celles que nous venons d'indi- 1
quer. Et quels sujets, d'ailleurs, ne seront pas mis i
au nombre de ces projections, alors que la pho- i
togra|jhie, toujours prête aux œuvres subtiles, aura
fixé les images qui, fournies par le microscope. ]
nous initient aux existejices, aux organisations in-
fimes, aussi bien que les tableaux télescopiques i
qui enregistrent les phénomènes célestes ou nous
révèlent la con-,titution des astres? 1
Vous souvient-il du merveilleux concours que la
photographie dite microscopique nous prêta au
temps du siège de Paris, pour le transport dos I
dépêches, qui voyageaient au nomhrede plusieurs
milliers fixées sur une pellicule presque impercep-
tible, attachée h. la plume d'un pigeon messager?
A l'arrivée, on déroulait le mince tissu, on le pla-
çait au foyer d'an projecteur lumineux, et sur une
vaste paroi blanche se lisaient les nombreuses
correspondances (certains pigeons apportèrent
parfois sur des pellicules de collodion qui ne pe-
saient guère plus d'un gramme, un ensemble d'un
million de caractères, équivalant au contenu d'un
volume ordinaire). Et d'ailleurs n'avez-vous jamais
admiré les larges tableaux qui, gros en réalité
comn.e une pointe d'épingle, sont insérés dans
une breloque, dans un œillet de porte-plume?...
Au point de vue de la sûreté publique, ne savons-
nous pas les services que rend le portrait photo-
graphique pour l'établissement d'identité des gens
dont il est bon que la police garde le signalement?
Et n'est-il pas de notoriété générale que pour
mainte observation, mainte expérience scientifique,
la photographie est encore lijouant, aussitôt qu'on
l'y convie, le rôle d'enregistreur, de témoin irré-
cusable? etc., etc.
Ce n'est pas d'ailleurs, et aussi nombreux ou
importants qu'ils puissent être, à ces services eu
quelque sorte immédiats, que se borne l'interven-
tion de la photographie; car chaque jour nous la
trouvons participant d'une manière toute spéciale
h des travaux d'un autre genre. Sous le titre
à' héliogravure ou de photogravure, elle crée soit
des plajiches gravées en creux, dont on tire des
épreuves à la presse de taille-douce, soit des cli-
chés en relief qui peuvent prendre place dans les
formes typographiques, et servir à l'illustration
des livres, des journaux, en suppléant très
économiquement aux dessins gravés sur bois.
Sous le titre de photoglyptie, autre procédé de
gravure en creux, elle permet d'obtenir des épreu-
ves absolument semblables aux positifs photogra-
phiques, sur lesquels elles ont le grand avantage
d'un tirage beaucoup plus rapide, beaucoup moins
coûteux et d'une parfaite inaltérabilité.
Or il y a cela de remarquable que pour arriver
à la production de ces divers types de gravure,
les chercheurs ont remonté au delà des principes
originaux de Talbot et Daguerre pour aller retrou-
ver le procédé du premier Niepce, qui, n'ayant été
l'inventeur ni de la photographie sur plaque, ni
de la photographie sur papier, se trouve long-
temps après sa mort devenu l'initiateur aux divers
systèmes de photogravure. Là, en effet, reparait le
principe d'une substance dont le contact des
rayons lumineux modifie la manière d'être, et tout
d'abord même c'est ce bitume de Judée dont se
servait Niepce qui est mis eji cause. Seulement,
au lieu de soumettre cette substance au faible et
lent effet des rayons dont la vigueur s'atténue
dans la chambre noire, c'est en plaçant sous un
cliché photographique transparent la plaque en-
duite et en l'exposant aux rayojis directs de la
lumière céleste, comme pour le tirage des épreu-
ves positives ordinaires, qu'on détermine la modi-
ficatioii de la surface sensible. Cela fait, on dissout
les parties qui sont restées solubles, en conser-
vant celles que la lumière a rendues insolu-
bles : puis tantôt (héliogravure) on fait mordre
par des acides pour creuser le métal, qui porte la
couche impressionnée; tantôt i photoglyptie) cette
couche étant faite de gélatine devenue d'une den-
sité, d'une résistance extraordinaire, on en obtient
par une très forte pression l'empreinte en creux
sur une planche de plomb, qui sert au tirage des
épreuves : tout cela bien entendu par des procé-
dés particuliers, spéciaux, que nous ne pouvons
ici que constater sans prétendre à les décrj-e.
U/i mot nous reste à dire des essais réels ou
prétendus de photi.chromie, c'est-à-dire de l'ob-
, tontion d'images photograpliiques avec leurs cou-
PHYLLOXERA
— Vi8i —
PHYLLOXERA
leurs naturelles : problème considérable qui, mal-
gré (les recherches très actives, et quelques résul-
tats partiels, peut-être même plus illusoires que
positifs, nous semble pouvoir être encore consi-
déré comme restant tout entier h résoudre. Jus-
qu'i\ présent, à part quelques épreuves, d'ailleurs
très fugaces, où des chercheurs sérieux comme
MM. Poitevin, Niepce de Saint- Victor, Becquerel
ont obtenu quelques apparences d'empreintes
polychromes, l'on n'a guère vu que des imafies
à la coloration desquelles l'actisn photogénique
est complètement étrangère. Ces productions,
très agréables, très intéressantes à vrai dire, ne
sont rien de plus que des épreuves photoglyptiques,
où par des manipulations successives les couleurs,
juxtaposées comme dans la chromo-lithographie,
enluminent le dessin photographique proprement
(lit. Tout est donc encore h, trouver en ce sens. —
Trouvera-t-on ? Bien que reconnaissant l'espèce de
Caractère suprême de la difficulté à vaincre, nous
nous garderions bien de répondre né;;a.tiveraent ;
rar il est permis de tout attendre do l'ingéniosité
humaine. [Eugène Muller.]
PHYLLOXÉRA. — Zoologie, XXIV. — Ce nom
a deux significations. Il appartient d'une part à
un genre d'insectes, devenu le type d'une tribu,
les Phylloxériens, intermédiaire entre les Aphi-
diens ou Pucerons et les Cocciens ou Cochenilles,
dans les Hémiptères-homoptères (V. Insectes,
p. 1032). Ce genre fut établi d'abord pour un très
petit insecte, découvert dans le midi de la France,
dessdchaitt let feuilles de chêne par ses succions,
et de là vient le nom de Phylloxéra qui lui fut
donné. Une autre espèce, plus voisine de celle
do la vigne, existe aux environs de Paris, dans le
centre et le nord de la France, et se voit sous les
feuilles du chêne blanc ou pédoncule ; il y en a
encore d'autres sur les diverses espèces du genre
chêne ou Quercus; ces insectes sont sans impor-
tance.
Dans sa signification habituelle, le nom de Phyl-
loxéra s'applique à une seule espèce, vivant
exclusivement sur les vignes d'Europe ou d'.4mé-
lique, notamment sur la vigne cultivée en France
(Vitis vinifera, Linn.), et dont les ravages sont
devenus une calamité nationale, qui a nécessité
l'intervention des pouvoirs publics. La maladie de
la vigne, ou, plus exactement, la maladie phyl-
loxérienne, se reconnaît dans les vignobles à un
ensemble de caractères. Les points d'attaque ou
taches sont visibles à distance par l'aspect des
feuilles flétries, jaunies ou rouges, contournées
sur les bords, tombant en automne avant les
feuilles des vignes saines, et des raisins arrêtés
dans leur croissance et ridés, si le mal est invé-
téré. On est en outre frappé du rabougrissement
des ceps comparés aux ceps voisins, du faible nom-
bre de leurs feuilles, de la petitesse de celles-ci.
Quand l'attaque date de deux ou trois ans, on
aperçoit, au centre, quelques ceps morts et sans
feuilles, tout autour des ceps chétifs, n'ayant que
quelques feuilles et pas de fruits, puis une cein-
ture de ceps à feuilles flétries et tachées, enfin
une ceinture dernière de ceps verts et luxuriants
et cependant déji atteints par l'insecte sur leurs
racines. C'est là l'apparence si justement appelée
la tache d'/mi'e. Si on veut essayer d'arrêter le
mal à ses débuts par un arrachage, il faut aller
au delà de cette ceinture de ceps verts, et arra-
cher la bordure externe de ceps parfaitemi;nt in-
tacts sur les racines ; sans cela on risque de faire
une opération illusoire. La marche du mal est
quelquefois très rapide; par les temps de chaleur
et de grande sécheresse, favorisant la croissance
et la propagation de l'insecte, des ceps, isoles et
superbes, présentent, tout d'un coup, l'alioration
des feuilles et ont le lual sur leurs racines. Les
caractères qui précèdent peuvent tromper et être
dus à d'autres causes. 11 est absolument nécessaire
d'examiner les racines; un indice presque absolu
de la maladie est fourni par les radicelles, sur
lesquelles le phylloxéra se porte tout d'abord au
début de son attaque, car elles sont les parties
les plus tendres et les plus succulentes des raci-
nes de la vigne. Sous ses succions elles se gon-
flent sans cesser de s'allonger, et prennent l'aspect
de renflements fusiformes (Hg. 1), d'abord d'un
jaune blanchâtre, puis jaunissant, enfin devenant
bruns. Sur leurs dépressions, dans les plis fré-
quents do leurs courbures, on voit, attachés et
suçant, des phylloxéras, principalement jeunes
ou à l'état de larves (fig. 2). Puis les renflements
Renflements avec phyllû-
(figure très grossie).
tombent en pourriture, et l'insecte, pour se nour-
rir, gagne la surface des petites racines, puis des
grosses. Cette surface, au lieu de rester lisse,
comme dans les racines saines, devient raboteuse
et noueuse (flg. 3) ; le bois n'est plus blanc, mai»
prend une teinte d'un rougejviolacé.
Tout cela ne permet pas d'affirmer le mal ; les
renflements même, sans les insectes, n'apportent
pas une certitude complète. 11 faut v/ir l'insecte
sur les racines, de sorte que sa description en-
tomologique se trouve naturellement amenée. Cet
examen est très facile ; une loupe ordinaire suffit,
non seulement pour l'adulte, mais môme pour les
larves et los œufs. Il est inutile d'ai'racher le cep.
Il faut simplement faire sortir une racine d'un
coup de pioche et la couper. Avec la moindre habi-
PHYLLOXERA
1384 —
PHYLLOXERA
tude, on observe très bien le phylloxéra à l'œil
nu. Nous avons même reconnu, lors de notre mis-
sion dans les Cliarentes comme délégué de l'Aca-
démie des sciences, que les paysans préfèrent
^1!j4
lpl?l)p/ f\ I
pondent aussi des œufs, mais après leur accouple-
ment avec des mâles également privés d'ailes,
ce qui les sépare bien des mâles des Cochenilles
qui sont ailés.
1° Femelles sédentairps rosti'ées, sans ailes, et
larves. — C'est presque exclusivement sur les ra-
cines des vignes qu'on trouve, pendant toute la
belle saison, des phylloxéras privés d'ailes, du
sexe femelle, donnant, .sans le concours de màlos,
une série de générations successives, d'autant
plus nombreuses, que la chaleur est plus intense.
A l'état adulte, c'est-à-dire quand ils sont capables
de reproduire leur funeste postérité, ce sont des
insectes dodus et renflés, ayant un peu l'apparence
de petits poux, de couleur jaune rembrunie, ayant
.3 1
environ - de millimètre de long sur - de large.
Le corps est arrondi en avant, atténué en arrière,
partagé en segments par des sillons transversaux,
qui portent des rangées de petits tubercules
iig. 4 et 5). La tète se replie un peu au-dessous
Fig. 3. — Grosses racines chargées de phylloxéras (mal
déjà avancé).
abandonner les loupes et se fier à l'œil seul. Cela
provient de ce que ces hommes, habitués à se I
coucher à la fin du jour, n'ont pas, comme les ci- 1
tadins, la sensibilité de la rétine de l'œil émoussée
par l'action prolongée de la lumière jaune des i
lampes et surtout du gaz à éclairage. Quand les
vignes ne sont pas encore très gravement malades,
auquel cas le phylloxéra les quitte, comme un
convive qui se lève de la table dégarnie, les raci-
nes sont parfois tellement chargées d'insectes
qu'elles paraissent couvertes d'une poussière
jaune, et tachent en jaune les doigts qui les pres-
sent.
C'est en 1868, dans le Vaucluse, après plusieurs
années d'une maladie des vignes sans cause con-
nue, que M. Planchon découvrit sur leurs racines
un insecte, appartenant au genre Phylloxéra déjà
établi, et qui reçut de ce savant le nom de Phtjl-
loxera vastatrix (dévastateur). A peu près en
même temps, l'insecte fut reconnu et étudié en
Amérique, sur les vignes de ce pays, par des ento-
mologistes américains, et en Angleterre, par
M. Westwood, sur des vignes américaines, impor-
tées dans les serres à raisins, ou graphei-ies. L'é-
tude complète de l'espèce est due à .\I Balbiani,
professeur au Collège de France. L'évolution de
l'insecte, qui est au reste celle de tous les Phyl-
loxériens, est compliquée, car on y trouve trois
formes distinctes, offrant toutes des femelles qui
pondent des œufs et jamais des petits vivants,
distinction importante d'avec le cas des Pucerons.
Jl y a des femelles pondant des œufs sans le con-
cours des mâles, les unes sans ailes, les autres
ailées, et une troisième phase, renouvelant la
fécondité de l'espèce pour un grand nombre de
générations, dans laquelle on trouve, suivant
les lois ordinaires, des femelles sans ailes, qui
Fiir. -k — Femelle sans ailes, vue en dessus.
Fig. 5, — Femelle sans ailes, vue en dessous, et ses œuf^.
du corps ; elle porte sur les côtés deux yeux bnàns,
formés chacun de trois facettes. C'est que ces In-
sectes, souterrains d'habitude, ont besoin de per-
cevoir la lumière en certains cas ; ils peuvent en
effet passer sous le sol des racines d'un cep ;1
celles d'un autre, et même sortent de terre, se
promenant à la surface. On en voit par les jours
PHYLLOXERA
— 1385
PHYLLOXERA
<le chaleur, en so couchant à plat sur la terre ou
en examinant les mottes entourant les ceps ; les
phylloxéras se. rendent ainsi d'un cep à, un autre, par
les fontes de la terre desséchée, et ceci explic|uo
l'agrandissement graduel des taches. D'autre part
l'insecte porte, eu avant de la tête, deux furies
antennes, organes de l'odorat et de l'ouio. Elles
ont trois articles, les deux premiers gros et courts,
le troisième en massue allongée et dont l'extré-
mité est taillée en biseau obli(|ue. Enfin un bec
•ou rostre grêle se recourbe sous la tête, articulé,
analogue au suçoir avec lequel la punaise des lits
perce notre peau. Deux pièces internes accolées
forment une soie centrale, deux autres extérieures
constituent une gaine, et la sève de la racine
monte par capillarité dans l'e-space intermédiaire.
Les phylloxéras des racines demeurent continuel-
lement fixés en place par ce suçoir, dont le pre-
mier tiers s'enfonce dans la racine (fig. G). Sou-
Fig. 6. — Phylloxéra de pi-ufil, suçant une racine.
■vent, au microscope, on voit trois soies grêles
divergentes sous la tôte du phylloîséra; c'est la
soie centrale et ses deux valves qui se sont dis-
jointes. Les pattes sont courtes et grêles.
La mère pondeuse, ainsi fixée, pond en petits
tas, autour d'elle, des œufs ellipsoïdes, d'abord
•d'une couleur d'un beau jaune soufre, puis pre-
nant peu à, peu une teinte grisâtre et enfumée,
ayant 0'"",ï4 de long sur 0""", l'i de large, avec
deux points rouges à un bout, visibles au micros-
cope ; ce sont les yeux de l'embryon qui s'est for-
mé à l'intérieur. Au bout de huit jours environ
sort de cet oeuf une larve ressemblant, sauf la
taille, b la mère pondeuse; car le phylloxéra
appartient aux insectes à métamorphoses incom-
iplètes. Les petites larves sont d'un jaune un peu
verdàtre. Elles sont d'abord errantes et agiles; on
les voit se promenant sur les radicelles, remuant
vivement les pattes, et surtout les antennes,
qu'elles élèvent et abaissent akernativeraent l'une
après l'autre ; on dirait que ce sont des béquilles
dont elles s'aideraient pour marcher. Au bout de
trois ou quatre jours, la petite larve a choisi sa
place, enfonce son rostre dans la racine, et, dos
lors, demeure stationnaire. Les larves subissent
trois changements de peau, distants entre eux de
trois à cinq jours; tant qu'elles restent larves et in-
fécondes elles demeurent plus étroites que les mères
pondeuses et dépourvues de tubercules saillants
sur la face dorsale. Au bout de vingt jours environ
chaque larve est devenue une mère pondeuse
adulte, donnant à peu près une trentaine d'œufs. Les
pontes se succèdent pendant toute la belle saison,
2* Partie.
et i dos intervalles assez variables, courts si la
saison est sèche et chaude, plus éloignés quand le
temps devient froid ou pluvieux. On évalue à huit
en moyenne le nombre des générations de l'année ;
ce qui, h trente teufs par mère pondeuse, produit
en octobre une postérité do vingt-cinq à trenta
millions de sujets (le calcul ne peut avoir une
rigueur mathématique, car il y a des morts
accidentelles) pour un seul sujet de printemps.
Ainsi s'explique la progression effrayante de la
maladie phylloxérieniie.
A la fin de l'automne, plus tôt, plus tard, sui-
vant l'année, aux premières gelées blanches in-
tenses, les femelles cessent de pondre des œufs et
meurent. Un grand nombre de petites larves,
fixées aux racines par leur rostre, demeurent en-
gourdies pendant tout l'hiver. Elles sont difficiles
à voir, aplaties, ridées et brunâtres, se confon-
dant par la couleur avec celle de l'écorce de la
racine, entre les fentes de laquelle elles adhèrent,
ne prenant pas de nourriture. Si on porte ces
racines dans une chambre chaude, on s'aperçoit
que ces petits phylloxéras font de légers mouve-
ments, preuve qu'ils étaient seulement on tor-
peur. Au printemps, h une époque variable sui-
vant le climat, ils se renflent d'abord, signe qu'ils
ont aspiré de nouveaux sucs; puis, de leur peau
fendue le long du dos, sortent des larves jaunes
et dodues, dont la nouvelle peau molle est très
absorbante; c'est par conséquent une époque très
j favorable pour employer les agents insecticides et
j tenter, sinon de détruire, au moins de diminuer
j très fortement la désastreuse engeance. L'exis-
tence de ces larves d'hiver, à peau en quelque
sorte durcie et cuirassée contre le froid, nous fait
comprendre qu'il n'y a aucune chance de des-
truction du phylloxéra par le froid de nos hivers,
même les plus rigoureux, et, sous ce rapport, on
peut dire que l'expérience de l'hiver I.s7y-I880 a
été concluante. Nous avons du reste établi, par
des expériences directes, au moyen de mélanges
réfrigérants, que les larves d'hiver du phylloxéra
supportent sans périr des abaissements de tem-
pérature de — 8° à — 10° centigr. Or, e'i raison
de sa très mauvaise conductibilité, le sol demeure
toujours à. une température supérieure h zéro, à.
une profondeur moindre que celle où végètent les
racines des vignes chargées de phylloxéras. En
thèse générale, il règne une erreur répétée par-
tout, et que les instituteurs doivent chercher à
détruire, c'est que les hivers froids tuent les in-
sectes nuisibles et nous en débarrassent. Le froid
tue très bien les plantes, immobiles par nature ;
mais les insectes savent s'abriter par instinct pour
échapper à ses rigueurs, et nous ne craignons pas
d'affirmer que les hivers froids, loin de faire
périr les insectes, fortifient leur race.
2° FemHtes de tni'/ralion, ailées et roslrées. —
Si le phylloxéra ne possédait que la forme privée
d'ailes que nous venons de décrire, il aurait cessé
de ravager nos vignobles depuis longtemps. On
aurait en effet circonscrit les taches par des tran-
chées remplies de coaltar, et on aurait, à l'inté-
rieur, arraché les vigLies et empoisonné le sol.
Malheureusement pour nous, la nature, ainsi
qu'elle le fait po\ir beaucoup d'espèces de puce-
rons, semble avoir prévu le cas où le phylloxéra
des racines, ne pouvant se propager sur la terre
à, de grandes distances, eut été exposé à périr par
majique de nourriture, après avoir épuisé et dé-
truit un vignoble. A mesure que, la chaleur aug-
mentant, les sujets sans ailes des racines se mul-
tiplient en conséquence, quelques ind vidus ont
comme un instinct que la nourriture pourrait faire
défaut aux colonies souterraines. En effet, certai-
nes femelles pondeuses s'allongent et laissent
apercevoir sous la peau des rudiments de four-
reaux d'ailes. Une quatrième mue s'opère et donne
109
PHYLLOXERA
1386
PHYLLOXERA
igsue ù une iijraplie, tuberculée comme la mère
pondeuse, plus allongée et môme un peu étran-
glée en son milieu, pourvue aussi d'un long ros-
tre, portant sur les côtés du corps deux moignons
noirs, fourreaux des ailes supérieures, et deux
plus petits en dessous pour les ailes inférieures,
lisibles si on écarte les premiers Ifig. 7). Ces
- NjmpI
nymphes, d'où naîtront les pliylloxcras ailés, se
montrent surtout sur les renflements des radi-
celles, montent peu à peu au pied du cep, près de
la surface du sol et sortent même au dehors. Alors
le cinquième changement de peau s'opère, et les
femelles migratrices apparaissent, fécondes sans le
concours de mâles, comme les femelles sé'len-
taires des racines. Elles ressemblent un peu à de
microscopiques cigales, avec quatre grandes ailes,
claires et irisées, les antérieures bien plus lon-
gues que le corps, un peu enfumées au bout, où
oUes sont larges et arrondies, les postérieures
plus étroites et plus courtes. Les fortes nervures
de ces ailes montrent que ces femelles sont de
bons voiliers, malgré leur petite taille, environ
un millimètre, un peu plus grande par conséquent
que celle des femelles sans ailes des racines
(fig. 8). Si, dans un grand bocal de verre, on met
des racines de vigne ponant des nymphes, on ne
tarde pas i voir éclore des femelles ailées, volant
comme une flèche d'une paroi à l'autre du bocal.
On comprend tout de suite que ces femelles peu-
vent soutenir à l'air libre un vol de grande éten-
due, et que cette forme est celle de la propagation
du phylloxéra à grande distance. Avec l'aide des
vents, elles vont tomber à 8 ou 10 kilomètres de
leur point de départ, et c'est là l'extension nor-
male annuelle de la maladie phylloxérienne; mais
le transport peut être par accident bien plus ra-
pide, au njuyen des vents violents, à l'aide des
véhicules de toute sorte, pampres d'enveloppe,
raisins, voilures et wagons, l'homme même, tous
les objets sur lesquels ces femelles seront posées.
Ainsi s'expliquent ces foyers phylloxériques d'a-
vant-garde, à distances considérables des vigno-
bles d'invasion générale.
Il était nécessaire «lue ces femelles de migra-
tion fussent capables de voir les vignes au loin et
tout autour d'elles, afin de se diriger vers les lieux
propices. Klles sont luunies d'yeus de trois espè-
ces : latéralement leur large tête porte deux gros
yeux noirs, k nombreuses facettes, appareil de
vision panoramique, télescopes en tous sens pour
les distances éloignées ; puis, pour les visions rap-
prochées, les mêmes yeux à trois facettes que les
insectes des r.icines, et en outre, au-dessus de la
tête, trois yeux simples ou stcmraates. Le corps
Fig. s. — Femelle ailée, vue en dessus.
de ces femelles ailées est plus grêle que celui des
femelles des racines, les pattes et les antennes
plus longues ; leur couleur est d'un jaune terne,
avec une bande brune sur le dos.
C'est de juillet en septembre que ces femelles
ailées, par les jours de beau temps et de chaleur,
s'abattent sur les pampres, toujours par essaims
très nombreux en individus, fait important dont
nous verrons la signification. Elles sont munies
d'un rostre, plus court que celui du phylloxéra
des racines, au moyen duquel elles sucent les
organes aériens des vignes, jeunes feuilles et
boiirgeons. C'est dans leur duvet que, le plus
souvent, elles pondent, sans concours de mâles,
un petit nombre d'œufs, ceux-ci de deux gran-
deurs, d'abord d'un blanc jaunâtre translucide,
puis plus jaunes ; les gros œufs ont (i»",4Û de
long sur ti'"",20 de large, les petils 0"",2e sur
0"'",I3. Si la saison est plus avancée, c'est sous les
écorces exfoliées des ceps que ces femelles ailées
font leur ponte, et sur le sol même par les temps
humides et froids.
3» Sexués, mule et femelle, sans ailes et sans
rostre. — Des petits œufs précédents naissent
des mâles sans ailes, difiérence complète entre les
Phylloxériens d'une part, les Pucerons et les Coche-
nilles de l'autre ; des gros œufs naissent des femel-
les, aussi sans ailes. Ces phylloxéras sexués des deux
sortes, éclosant en général au commencement de
septembre, n'ont pas de rostre, qui est remplacé
par un court tubercule, ni de tube digestif (fig. 9
et 10); aussi, de même qu'un assez grand nombre
d'insectes, tels que les papillons du ver à soie,
les éphémères adultes, etc., ces sexués ne pren-
nent aucune nourriture et ne vivent que quelques
jours, uniquement consacrés à la reproduction.
Toujours errants, ces miles et ces femelles, très
petits, comparables à des avortons, courent çà et
là sur les ceps, se recherchent et s'accouplent.
PHYLLOXÉRA — 1387 —
PHYLLOXERA
iifs mâle et femelle (le lii fe-
Fig. 10. — Sejiué femell
On comprend pourquoi la migration des femelles
ailées a eu lieu par essaims considérables. Il était
nécessaire rjue les sexués sans ailes, ne pouvant
par conséquent se transporter qu'à faible dislance,
se trouvassent h la fois, en grand nombre, sur les
mêmes ceps, pour qu'il y eut chance de reproduc-
tion. La femelle sexuée n'a qu'un seul œuf, mais
énorme par rapport à son corps et dont elle est
toute gonflée peu de jours après l'accouple-
ment. Elle pond cet œuf d'hiver entre les exfo-
liations de l'écorce, où il est maintenu par un
petit crochet situé à un de ses bouts, toujours i
l'air et sur le cep seul, point capital. En eff'et
l existence de cet œuf, desUnc à passer l'hiver,
eût été fort compromise s'il eût été pondu sur les
feuilles, qui tombent à l'arrière-saison et que le
vent disperse. Il est cylindroide, arrondi aux deux
bouts, plus allongé que les trois formes d'œufs des
femelles vierges, non plus jaune, mais d'un vert-
olive, tout piqueté de noirâtre, de sorte qu'il est
fort difticUe à apercevoir entre les fentes de l'é-
corce. La mère meurt bientôt après sa ponte et
devient d'un brun-rougeâtro, toute ridée et rata-
tinée (lig. 1 1). De l'œuf unique de la femelle sexuée
naît au printemps, vers le mois d'avril ordinaire-
ment, un phylloxéra sans ailes, h. très long suçoir,
ayant àl'ifltérieur beaucoup d'œufs. Le cycle phyl-
- oEuf ail.
la poQte.
loxérien se trouve renouvelé pour un grand nom-
bre de générations par l'éclosion de ce sujet prin-
tanier, né selon les lois animales ordinaires. Une
partie de sa descendance gagne immédiatement les
racines et donne les mères pondeuses, souter-
raines et sans ailes de la première phase. D'autres
rejetons do l'œuf d'hiver se portent sur les feuilles
de la vigne, et leurs succions font naître à la face
inférieure des feuilles des galles en forme de
cupules, profondes de 2 à 3 millimètres, et dans
chacune desquelles se loge une mère pondeuse
sans ailes entourée de ses œufs. On a môme vu
en provenir des nymphes et des femelles ailées
de migration. Remarquons que ces phylloxéras
des galles sont tout à fait pareils à ceux des raci-
nes, et qu'on a pu, par expérience, les faire passer
sur les racines et réciproquement. Ces galles à
phylloxéras, analogues aux galles où so logent
diverses espèces de pucerons, sont très nom-
breuses sur les feuilles des vignes américaines,
mais rares sur nos vignes, où elles disparaissent
peu à peu c|uand la chaleur devient intense, soit
que leurs phylloxéras passent sur les racines, soit
qu'ils meurent par la dessiccation des galles.
Pour terminer cette longue et difficile entomo-
logie du phylloxéra, nous devons dire un mot de
la réapparition d'été, phénomène où quelques per-
sonnes avaient cru voir une nouvelle phase de
cette espèce multiforme. On observe subitement,
lors des grandes chaleurs de juillet, des phyllo-
xéras dans les vignobles soumis aux traitements
insecticides dont nous parlerons et qu'on pouvait
croire à l'abri du mal, au moins pour plusieurs
années. Leur origine tient i diverses causes : il y
a des phylloxéras sans ailes, des vignobles voi-
sins non traités, sortis de terre par les chaleurs
et que le vent qui les balaie pousse sur les vigno-
bles soumis aux opérations; d'autres proviennent
de quelques sujets isolés qui échappent toujours
aux traitements insecticides, môme à une sub-
mersion de cinquante jours, et à qui la chaleur
donne une fécondité extrême ; enfin un certain
nombre de ces nouveaux insectes des racines pro-
viennent des œufs d'hiver pondus sur les ceps,
parties dos vignes qui ne reçoivent pas les iasoc-
ticides réservés d'ordinaire aux racines et qui sont
au-dessus de l'eau dans les traitements par sub-
mersion.
Orif/iiie du PliylloxJra. — 11 importe beaucoup
que les instituteurs aient soin de détruire cette
opinion erronée que le phylloxéra s'est montré
PHYLLOXERA
— 1588 —
PHYLLOXERA
plus d'une fois sur les vignes k d'anciennes épo-
ques, et qu'il a ensuite, disparu de lui-même,
confiant optimisme eu rapport avec U par.-sse et
l'avarice et qui dispense de rien faire. Le pliyl-
loxéra est un insecte américain; il parait provenir,
comme lieu de sa première origine aux Etats-Unis,
des vignes sauvages naturelles de l'ouest, dans la
région du Colorado, et s'est propagé sur les vignes
américaines cultivées en vignobles et qui sont
d'autres espèces que notre vigne; deiiuis une
vingtaine d'années il a fait périr en Amérique un
grand nombre de cépages, ne respectant que
quelques espèces dites résistantes, h ',bois des
racines plus dur que dans la vigne d'Europe et
dont le chevelu des racines se régénère en bien
plus grande abondance. On a prétendu que ce
sont des vignes d'Europe qui ont donné le phyl-
loxéra h l'Amérique, d'où il nous serait revenu ;
une récente observation réduit à néant cette
hypothèse. A l'isthme de Panama, dans des forêts
sauvages, très loin de tout vignoble, sans commu-
nication avec l'Europe, on a trouvé sur une vigne
spontanée, en liane grimpante, le pliylloxéra,
identique à celui des vignes cultivées dans les
deux mondes. Le phylloxéra a été importé dans
les serres d'Angleterre et en divers points de la
France, dès que la facilité des transports a per-
mis aux pépiniéristes de faire venir des vignes
américaines, enracinées et en caisses, au lieu des
boutures d'autrefois, qui arrivaient souvent mortes
et desséchées.
Les vignes importées d'Amérique ont amené
en France la maladie phylloxérienne, en deux
centres originaires d'infection bien distincts, l'un
dans le S.-E. , l'autre dans le S.-O. Le premier, qui
remonte environ à ISà'i comme première consta-
tation du mal, se trouve non loin de Tarascon, au
plateau de Fujaut, près Roquemaure, dans le
Gard ; un autre point de départ du mai apparaît
en 18C6, dans la Gironde, tout près de Bordeaux,
dans les vignes des palus de Floirac ; depuis ces
époques le mal a été en progression continuelle.
Aujourd'hui plus de quarante départements sont
atteints, à divers degrés, y compris la Corse; dans
les pays voisins le mal a gagné les provinces rhé-
nanes, la Suisse, l'Italie, l'Espagne et le Portugal.
Les causes sont variables, soit le transport, par
les moyens que nous avons indiqués, des femelles
ailées, soit l'introduction imprudente de vignes
américaines infectées chez des pépiniéristes, soit
celle de plants de la vigne ordinaire provenant de
pays contagionnés.
Le Phi/tloxéia cause directe et unique de la ma-
ladie des viijnes. — Beaucoup de [lersonnes, ne
comprenant pas les immenseu effets que peuvent
produire les petites forces agissant simultané-
ment, se refusent à admettre les désastres produits
par les insectes, qui sont les véritables fléaux du
règne animal. Au lieu d'une cause simple, directe,
unique, bien des gens, surtout ces prétendus ;»n-
ticieiis qui ont fait et font encore tant de mal dans
la question du phylloxéra, mettent une étrange
obstination à chercher le complexe, l'obscur, le
mystérieux. On prétend que le phylloxéra, au lieu
d'être l'agent direct et primordial de la maladie,
n'en est au contraire que V effet, ou, tout au plus,
un symptôme, une cause accessoire peut-être ve-
nant ajouter son action à d'autres causes, les
seules importantes et dont elle dérive. Sf ulement
on s'entend peu sur ces causes premières et réel-
les. Pour les uns c'est l'humidité, pour les autres
la sécheresse ; le sol est épuisé par une culture sé-
culaire do la vigne k la même place ; le précieux
arbuste, toujours reproduit par bouture ou par
marcotte et non par semis, a dégénéré, comme si
les lois de reproduction des êtres supérieurs s'ap-
pliquaient nécessairement aux végétaux On a
invoqué la pratique, se généralisant de plus en
' plus, de la taille courte, etc. Pour tout esprit qui
consent à raisonner de bonne foi, rien de sérieux
dans ces préjugés. Depuis plus de vingt ans que la
' maladie phylloxérienne existe en France, on a
! passé par toutes les alternatives météorologiques.
i L'expérience a fait voir que l'insecte attaque les
1 vignes de tous les cépages, jeunes ou vieilles, dans
tous les sols, argileux, siliceux ou calcaires, qu'il
se porte sur les lambrnsques, ou vignes de semis
! accidentel, comme sur les vignes cultivées, qu'il
atteint également la vigne plantée en terre d'ancien
vignoble ou en terre vierge, les vignes de bouture,
comme celles de couchage, de taille longue ou
courte, etc. On n'a pas réfléchi que les vignes de
Bourgogne, par exemple, restaient parfaitement
saines, alors que celles du Vaucluse et du Gard
I étaientdélruites, et cependant toutes les influences
étaient les mêmes de part et d'autre ; seulement
le pliylloxéra n'existait pas sur les premières, tan-
dis que ses légions couvraient les racines des se-
condes. Dans tous les laboratoires d'expérience, on
a pris des vignes en pots, et contre leurs racines,
on a placé des fragments de racines portant des
phylloxéras. Au bout de peu de jours, les insectes
ayant passé sur le nouveau sujet, on a toujours
vu paraître les renflements des radicelles; puis la
racine pourrit, les feuilles se flétrissent et se sè-
chent, la vigne d'essai meurt; il y a Hi inoculation
du mal, à la façon d'une personne à la peau saine
qui se coucherait contre un varioleux. L'inverse
j s'est également produit; dans les serres à raisin
d'Angleterre, on a déplanté dos vignes souffrant
du phylloxéra, on a brossé et lavé les racines avec
un soin minutieux, de façon à enlever tous les
insectes, et les vignes, remises en terre, ont re-
pris leur vigueur et leur santé. Il y a là une dé-
1 monstration par directe et par réciproque, comme
en géométrie. Nous ne craignons pas de dire que
les instituteurs qui chercheront à détruire la fu-
neste doctrine du Phyllo.rira-effet rendront un
véritable service au pay-. Elle encourage toutes
les sourdes résistances aux prescriptions légales,
elle confirme les vignerons dans leur apathie, en
attendant nous ne savons quel secours naturel ou
surnaturel.
Destruction du Phylloxéra. — Le détestable
préjugé que nous venons de flétrir a empêché
d'arrêter la maladie de la vigne à son début, iiar
un arrachage énergique et forcé, comme on .igit
contre la peste bovine. U n'était possible qu'avec
des foyers très restreints ; actuellement le mal est
fait et'on ne détruira jamais complètement le Phyl-
loxéra. Nous devons seulement chercher à vivre
avec lui, à le limiter dans sa propagation, de
sorte qu'il permette la vie et la récolte du vigno-
ble. Cet état de tolérance ne sera obtenu que par
une intervention énergique et continue de l'homme,
comme il le fait depuis longtemps contre d'autres
insectes importés malgré lui, tels que la punaise
des lits, la blatte des cuisines, le puceron lanigère
du pommier, etc. Ce sont les insecticides seuls,
bien appliqués, qui peuvent nous permettre d'é-
quilibrer les ravages du phylloxéra avec l'existence
de la vigne, puisqu'il est parfaitement établi que
le phylloxéra cause seul sa maladie.
Le procédé le plus efficace, selon la découverte
de M. Faucon, est la submersion complète du vi-
gnoble phylloxéré, pendant au moins quarante
jours, l'eau dépassant d'environ un décimètre le
collet des ceps. Cette submersion s'obtient par
dérivation des cours d'eau naturels ou des canaux,
ou par des machines élévatoires; malheureusement
elle est impossible pour la plupart des vignobles,
et des meilleurs, c|ui sont si tués sur les coteaux, loin
des rivières et ruisseaux, des étangs et des sources.
Le meilleur agent chimique contre le phylloxéra
des racines est le sulfure de carbone, liquide très
inflammable, dont l'emploi exige certaines précau-
PHYLLOXERA
— 1589 —
PHYLLOXERA
lions. La méthode la plus générale de s'en servir
est l'usage direct, comme le fait la Compagnie
Paris-Lyon-Méditerranoc, sons la direction de
MM. les professeurs Marion et Catta, (jui ont
formé des moniteurs que la Compagnie met à la
disposition des propriétaires. Le sulfure de car-
bone est contenu et dosé à l'intérieur d'un pal en
fer, qu'on enfonce dans le sol autour des ceps (pal
injecteur Gastine). On fait ordinairement quatre
trous de pal par mètre carré, avec G il 10 grammes
de sulfure de carbone par trou, de façon à donner,
en deux fois, à huit jours de distance, 35 à 40 gram-
mes de vapeurs toxiques, diffusibles dans le sol,
par mètre carré. La seconde application, huit jours
après la première, est destinée à tuer les insectes
ccliappés à la première. Le mois de mars est une
e.'ccellente époque pour ce traitement, alors que
les phylloxéras d'hiver vont se réveiller; parfois,
dans les vignobles très attaqués, il est bon d'opé-
rer un second traitement en juin. Chaque traite-
mpiit doit être suivi d'une riche fumure avec chlo-
rure de potassium, pour fortifier la vigne. Les
engrais sont absolument sans effet sur le phyl-
loxéra ; mais il est certain par les faits et conforme
aux prévisions rationnelles, qu'une vigne bien
fumée, reproduisant aisément une foule de radi-
celles, résiste plus longtemps qu'une vigne en sol
maigre et pierreux, aux succions mortelles du
phylloxéra, destructeur du système souterrain,
qui est comme l'estomac de la plante. Les traite-
ments au sulfure de carbone ont déjà permis de
mninteiiif en récolte suffisante beaucoup de vi-
gnobles.
Un de nos plus iflustres savants, M. J.-B. Dumas,
s'est occupé de la destruction du phylloxéra avec
une sollicitude patriotique. 11 a cherché un com-
posé chimique, permettant au sulfure de carbone
de se dégager lentement dans la terre arable, sous
l'action de l'acide carbonique, qui y circule d'une
manière incessante, et à laisser en même temps
dans le sol un engrais potassique, si utile à la
vigne pour former le tarirate de potasse ou crème
de tartre du vin. Cette substance est le sulfo-
carbonate de potasse ; c'est du carbonate de po-
tasse où le soufre remplace l'oxygène, et qui, en
redevenant carbonate de potasse, met. en liberté
peu il peu le sulfure de carbone. Les traitements
au sulfo-carbonatede potasse s'opèrent maintenant
dans les Charentes, la Dordogne, la Gironde,
l'Hérault, sous la direction de M.Mouillefert. avec
l'aide des appareils hydrauliques de M. Hembert,
destinés à amener l'eau nécessaire. Le sol du vi-
gnoble est partagé par des bourrelets de terre en
cuvettes d'un mètre carré, et on verse dans cha-
cune de 40 à 50 grammes de sulfo-carbonate de
potasse, mélangé à la quantité d'eau nécessaire
(variable selon le sol et la sécheresse) pour imbiber
complètement, à la profondeur des racines, le vo-
lume de terre infesté ; cette quantité peut varier
de 8 à 15 litres par mètre carré; ensuite, pour
pousser ii fond la solution toxique, on verse 10 li-
tres d'eau pure. L'inconvénient capital du traite-
ment au sulfo-carbonate de potasse est d'exiger
l'emploi de l'eau.
Une méthode de destruction toute différente des
précédentes est de s'attaquer à l'œuf d'hiver, qui
est toujours sur les ceps et qui est l'origine pre-
mière des colonies souterraines. Si on parvient à
le détruire on préviendra le mal, ou du moins on
en retardera longtemps l'invasion. C'est donc sur-
tout aux vignobles non encore atteints sur les ra-
cines que s'appliquent les procédés de destruction
aérienne de l'œuf d'hiver. On peut opérer mécani-
quement par un décortiquage des ceps frottés avec
un gant à mailles d'acier (gant Sabalé), en ayant
grand soin d'enlever toutes les raclures d'écorce
et de les brûler. Il est préférable, comme le font
M. Boiteau près de Libourne et M. Prosper de
Lalitte, près d'Agon, de tuer l'œuf d'hiver sur les
ceps un peu avant son éclosion, c'est-à-dire en
février, mars ou avril, selon les climats, au moyen
du badigeon suivant : huile lourde de houille
2 parties, carbonate de soude 1, eau pure 2: on
fait bouillir pendant une heure à un feu doux, en
remuant le mélange. On obtient ainsi les eaux
mèi-rs qu'on conserve et (|u'on transporte dans des
barriques usuelles. On mélange ultérieurement un
litre de ces eaux mères avec neuf litres d'eau, et
c'est ce dernier liquide qui sert à opérer le badi-
geonnage des ceps au pinceau. Il contient, sur
100 parties : huile lourde 4, carbonate de soude 2,
eau pure 94. L'élément toxique est l'huile lourde,
qui entre profondément dans l'écorce et qui, em-
ployée seule, tuerait la vigne. Comme ce mélange
est instable et peu soluble, il doit être remué avec
soin et longtemps dans la barrique à eaux-mères,
toutes les fois qu'on y puise avec les bidons qui
sont remis à chaque ouvrier.
Nous ne ferons que citer, pour mémoire, deux
procédés mécaniques qui ont produit de bons
efl'ets, mais qui ne sont applicables que dans des
cas très particuliers. L'un est l'ensablement des
ceps, l'insecte ne pouvant pénétrer entre 1 s grains
de sable trop mobiles; l'autre est un tassement
énergique du sol qui maintient l'insecte comme
enfermé et sans pouvoir passer d'un cep à l'autre
ou envoyer au dehors les essains de femelles ai-
lées.
Beaucoup de viticulteurs ont placé leurs espéran-
ces sur des auxiliaires végétaux ou animaux. On a
annoncé nombre de fois que des plantes cultivées
intercalairement dans les vignes, plantes très va-
riées du reste, attirent le phylloxéra sur leurs
racines, en le détournant des racines do la vigne.
On montrera souvent aux instituteurs des racines
de graminées, ou de diverses plantes potagères,
chargées de pucerons qui sont confondus avec le
phylloxéra. Lesinstituteurs n'auront aucune peine
à reconnaître l'erreur, avec les caractères détail-
lés que nous avons donnés, principalement ceux
des antennes, et les figures qui accompagnent cet
article. Le phylloxéra attaque exclusivement la
famille végétale des Arnpélidées, représentée chez
nous par une seule espèce, la vigne ou Vîtisvini-
fera. La circonstance la plus fâcheuse pour nous
est l'existence de l'insecte sur les racines, à une
profondeur souvent très grande. Il est soustrait
par là aux influences atmosphériques, gelées,
pluies d'orage, vents froids, etc., funestes àbeau-
coup d'insectes aériens. Les entomophages inter-
nes (Iclineumons, Bracons, Chalcidiens), qui font
périr beaucoup de pucerons ou de cochenilles,
fixés aux tiges ou aux feuilles, ne pénètrent pas
dans le sol et ne peuvent atteindre le phylloxéra
des racines, tandis qu'ils sont nos meilleurs
auxiliaires contre la pyrale de la vigne, dont la
chenille, à l'air sur les feuilles, ne peut échapper
à leurs recherches. Les carnassiers des profon-
deurs du sol sont des insectes rares; on a bien
cité un myriapode, le Polyxène à queue en pin-
ceau, comme destructeur du phylloxéra souter-
rain ; un acarieo, le Trombidion ou Araignée
rouge des jardins, a été observé détruisant sur les
bourgeons les femelles ailées; mais ces articulés
sont bien peu nombreux. De plus, comment s'y
prendre pour les multiplier à volonté et les répan-
dre par légions sur chaque cep? La femelle ailée,
qui vole rapidement et ne reste pas en place,
comme un puceron sans ailes ou une chenille, se
trouve hors de l'atteinte des entomophages, qui
ont besoin d'un certain temps pour pondre à l'in-
térieur du corps d'un insecte, en perçant sa peau.
Il ne reste contre elle que quelques insectes car-
nassiers de proie vivante et des oiseaux insecti-
vores, dédaignant en général une aussi chétive
proie. Tous ceux qui habitent la campagne savent
PHYSIOLOGIE
— 1390 —
PHYSIOLOGIE
combien peu on doit attendre d'auxiliaires aussi [ Il est bon de rappeler ces principes en parlant
incertains et qu'il est impossible d'enrégimenter d'une science où ils ont été trop longtemps on-
contre l'ennemi. bliés. Nous ne devons pas plus chercher l'essence
Tout récemment r|uelques personnes ont fondé de la vie que le physicien ne cherche celle de la
de grandes espérances sur les cryptogames in- [ gravitation, le chimiste celle de l'affinité. Nous
secticides. Nous connaissons tous cette épidémie devons seulement étudier ses manifestations et
qui fait périr la mouche des maisons sur les murs chercher ses lois. Sa définition, nous la trouve-
et sur les vitres ; de son ven're gonflé sortent, en ronsdans ses phénomènes, sans la demandera son
s'irradiant, des filaments blancs, répandant par- [ essence, nécessairement inconnue.
tout des spores qui contagionnent d autres mou- Physiologie générale. — Les corps qui nous
elles; un assez grand nombre d'insectes sont atta- entourent se groupent en deux catégories. Les
quéspardesparasitescryptogamiques.D'aprèscela, ' uns sont immobiles, sans cesse semblables à eux-
on a pensé i un moyen de destruction du phyl- 1 mêmes, inertes, éternels si rien d'extérieur ne
loxéra, en lui communiquant une aflection de ce vient les détruire, identiques chimiquement et
genre, et on a prétendu, d'après des expériences ] physiquement dans leur masse entière. Ce sont
révoquées en doute depuis, qu'en répandant sur , les corps bruts ou inorganiques.
le sol des vignobles phylloxérés des infusions Les autres ont une forme déterminée, constant
contenant de la levure de bière, pareille, a-t-on
dit, au cryptogame des mouches, on ferait périr
de proche en proche les phylloxéras souterrains.
Nous regrettons de combattre des illusions. Quelle
quantité de levure de bière, en la supposant effi-
cace, ne faudrait-il pas ? En outre les épidémies,
soit animales, soit végétales, sont un des moyens
de la nature pour limiter le nombre des indivi-
dus d'une espèce; mais il estsans exemple qu'une
épidémie ait fait disparaître une espèce enentier.
Enfin les sporules de la levure ou d'autres crypto
ou évoluant suivant une loi constante; ils appa-
raissent, ils meurent; ils sont dans un état continu
de renouvellement moléculaire. Enfin ils possè-
dent une faculté qui les fait, en quelque sorte,
participer à la puissance ciéalrice, celle de pro-
duire des êtres semblables à eux. Ce sont les corps
organisés, les élres vivanla.
Parmi eux, maintenant, une division naturelle
se présente k l'esprit. Les uns, en effet, fixés au
sol, reçoivent par des racines une nourriture
qu'ils ne vont pas chercher ; ce sont les végétaux.
games sont des corps solides et non des gaz dif- Les autres, au contraire, se meuvent plus ou
fusibles. Ils seront arrêtés par la terre, agissant moins librement dans l'espace, cherchent et sai-
comme un filtre, et n'arriveront pas aux insectes ; sissent leur proie, et sont doues d'une sensibilité
souterrains. Notre conviction est qu'il n'y a ^ que démontrent leurs mouvements volontaires : ce
d'efficace que les insecticides gazeux, les seuls sont les anî»m"X. • j- . j-o-
qui puissent traverser le sol en tous sens. Ces êtres vivants peuvent être étudies à diue-
Biblior/raphi". — En présence du nombre con- rents points de vue. Le classificateur, botaniste ou
sidérable de travaux publiés sur le phylloxéra, ! zoologiste, étudiant leurs caractères extérieurs,
nous ne pouvons que renvoyer les instituteurs à cherche à les grouper en un ordre méthodique
notre peiit livre populaire : le Pla/lloxéra de la ' qui soulage la mémoire et présente comme un rac-
vigne, 3' édit., Paris, Hachette et O', 1880. Ils y courci de la nature. L'anatomiste scrute leurs par-
trouveront la liste des meilleurs mémoires à con- lies profondes, découvre le plan gênerai qui a pre-
sulter, et le texte des lois, décrets et circulaires ] sidé à leur organisation, et les modifications mille
les plus récents relatifs au phylloxéra; ils pour- I fois variées de son exécution. Le physiologiste va
ront rendre de grands services en ce genre par plus loin; il recherche le rôle des parties quadis;
leurs conseils et empêcher des résistances absur- tinguées l'anatomiste, il exarahie le corps vivante
des, car, si chaque citoyen est supposé connaître l'étudié dans ses actes extérieurs comme dans ses
la loi, en réalité presque tout le monde l'ignore, modifications intérieures : ce qui 1 interesse, ce
[Maurice Girard. 1 n'est plus la structure, mais le rôle; ce n est plus
[Maurice
PHYSIOLOGIE. — La physiologie a pour objet
l'élude des êtres vivants en action, et pour but la
connaissance des lois qui régissent la vie.
Nous étudierons rapidement, d'abord, la phy-
siologie générale, qui s'applique à tous les êtres
vivants, puis nous résumerons i grands traits la
physiologie spéciale des animaux voisins de
l'homme.
Il semble que la physiologie ne parle pas à
l'imagination. Elle ne dispose pas de l'infini dans
le temps, comme la géologie, dans l'espace,
comme l'astronomie. Sa grandeur réside dans la
difficulté des problèmes qu'elle se pose, non dans
les dimensions matérielles des choses. La vie est
aussi difficile à expliquer dans les êtres microsco-
piques que dans les êtres gigantesques. Ses pro-
blèmes sont profonds : nutrition, sensibilité, mou-
vement, volonté. Ils conduisent l'homme aux plus
hautes questions, jusqu'au seuil des causes pre-
mières.
Aussi, le physiologiste arrivé îi ces hauteurs
doit se défier de son imagination. Il doit se con-
tenter du comment et ne pas se demander pour-
quoi. Il doit se garder des idées théoriques pré-
conçues. 11 doit marcher d un pas lent, mais sûr,
et ne pas se lancer de prime-saut à la recherche
des causes premières. Celles-ci nous sont inter-
dites. Nous ne savons, a dit Pascal, que le milieu
des choses: le commencement et la fin nous se-
ront éternellement inconnus. Le physiologiste ne
plu. -
le plan, c'est la vie. Nous ne ferons ici que de la
physiologie.
Et tout d'abord, cherchant, parmi tous ces phé-
nomènes qui caractérisent les êtres vivants, celui
qui est le plus général, celui qui appartient à
tous, nous nous apercevons bien vite que ce
n'est pas la sensibilité, que ce n'est pas le mouve-
ment, puisqu'ils manquent chez les végétaux, que
ce n'est même pas la faculté reproductive, puisque
l'être organisé peut être considéré en dehors
d'elle; mais que c'est cette nutrition, ce mouve-
ment incessant, ce tourbillon qui sans cesse re-
nouvelle chacune des parties du corps vivant, et
nous serons amenés à prendre cette faculté pour
base do la définition de la vie,
La vie, dirons-nous avec de Blainvilie, se caracté-
rise par un double mouvement intestin de compo-
sition et de décomposition, que présente d'une
manière continue sans se détruire, toute matière
organisée, placée dans des conditions convena-
bles. . .
Cette composition, cette décomposition, com-
ment s'opèrent-elles? Sans aucun doute, suivant
les lois de la physique et de la chimie générale.
C'est une grande erreur, et mallieureusement en-
core enracinée aujourd'hui dans beaucoup d'esprits,
que de considérer les corps vivants comme le
siège de réactions spéciales et d'une chimie dite
vivante. D'une manière plus générale, c'est une
erreur de considérer la vie comme un agent mys-
doit S'occuper ni des origines^ni des destinées. 1 térioux, capricieux, défiant les règles et 1 expé-
I
PHYSIOLOGIE
— iriOl —
PHYSIOLOGIE
rieiice. Les phénomènes vitaux sont aussi nette-
ment déterminés que ceu\ do la matière brute,
accessibles, comme eux, àl'exporionce, réductibles
comme eux en formules, on lois. Dans les corps
vivants se passent des actes qni dépendent d'abord
des lois générales de la matière, et le pliysiolo-
giste doit tenir de celles-ci le plus grand compte.
Un être vivant qui tombe obéit à la pe.santeur
comme tous les corps bruts, et il est évident que
le sang qui revient des pieds vers le cœur doit
vaincre, entre autres obstacles, la gravitation qui
tend il l'entraîner en bas. Lorsque nous dilatons
notre poitrine p.ir une inspiration, l'air s'y préci-
pite absolument comme dans un soufflet, suivant
une loi physique bien connue. Les réactions clii-
miquos se passent dans le corps comme liors du
corps ; si l'on injecte dans une veine de l'amygda-
line, dans une autre de l'émulsine, ces deux prin-
cipes se rencontrant dans le sang, il se forme de
l'acide prussique qui foudroie l'animal : la chose
se passe dans l'organisme comme dans le verre
d'un chipiiste. Toutes les manifestations de la
vie, en un mot, s'opèrent suivant les lois physico-
chimiques de la matière. Mais ce qui caractérise
la vie, c'est d'être l'excitant de ces phénomènes
physico-chimiques. Le corps est le verre du chi-
miste, mais la vie est le chimiste même, qui pré-
pare les conditions des phénomènes et les force
ainsi à s'exécuter. Nous devons donc, dans l'ana-
lyse des propriétés de la matière organisée, distin-
guer des propriétés qui lui sont communes avec
la matière brute, et des propriétés qui lui sont par-
ticulières et dont les premières sont, pour ainsi
dire, les ministres, des propriétés vitales.
Revenons maintenant à notre caractéristique de
la vie. Elle suppose pour l'existence et pour l'en-
tretien de la vie deux éléments : 1° la matière
sous forme organisée ; '2° des conditions extérieu-
res et des milieux convenables.
Ceux-ci sont l'air, l'eau, des matières nutritives,
un certain degré de chaleur et peut-être aussi
d'électricité. Tout être vivant a besoin d'air, car il
est manifeste que dans le vide les liquides qu'il
contient disparaîtraient par évaporation ; de plus,
le gaz oxygène que l'air contient est le premier
moteur de toutes les moditications chimi"ques qui
se prissent dans les êtres vivants. L'eau ou l'hu-
midité est de même indispensable pour éviter la
dessiccation. Les matières alimentaires intervien-
nent nécessairement pour réparer les pertes inces-
santes des organismes, sans elles bientôt épuisés.
Quant à la chaleur enfin, les limites dans les-
quelles elle est compatible avec la vie sont fort
étendues, et occupentplus de 120° de l'échelle cen-
tigrade.
Arrivons à la matière organisée. Sa composition
chimique est des plus simples quant au nombre
des éléments constituants, des plus complexes
quant à leur arrangement. Parmi les soixante-cinq
ou soixante-dix corps simples connus, quatorze ou
quinze seulement entrent dans sa constitution,
et quatre surtout : oxygène, hydrogène, carbone,
azote, en forment la plus grande partie. Rare chez
les végétaux, l'azote prédomine, au contraire, chez
les animaux ; il entre dans la composition de la
chair, du blanc d'œuf, de la gélatine, de tous les
tissus. Les autres corps simples, soufre, phosphore,
chlore, fluor, sodium, potassium, calcium, silicium,
fer, manganèse, entrent pour une bien moindre
part dans la constitution des corps organisés. Les
matériaux qui forment ces corps par leur groupe-
ment peuvent être rapportés à quatre types:
1° Sels, eau ; 2» matières féculentes et sucrées;
3« matières huileuses et grasses ; 'i° matières albu-
minoïdes (chair, blanc d'œuf, gluten).
Mais laissons ces questions anatomiques, et ti-
rons-en seulemeiit cette conséquence physiolo-
.gique q ue les éléments, pour être complets, doi-
vent contenir tous ces matériaux en quantité suf-
fisante.
Au point de vue physique, la matière organisée
est demi-solide ou liquide. Quelquefois elle s'in-
cruste de matière calcaire et devient complète-
ment solide. La matière demi-solide se présente
sous des apparences de figure déterminée, les par-
ties liquides sont répandues dans les cavités qu'elle
forme ou dans leurs intervalles. C'est cet agence-
ment des particules qui constitue l'organisation, et
l'on comprend aisément que la vie n'aurait pu
exister ni dans une matière entièrement liquide
qui se répandrait aussitôt, ni dans une matière
entièrement solide, où les changements molécu-
laires n'auraient pu s'opérer.
La matière organisée est donc, en somme, com-
posée de particules figurées dans lesquelles ou
entre lesquelles se trouvent des liquides. Ce sont
ces particules, de forme déterminée et qu'on ne
peut diviser sans leur faire perdre leurs proprié-
tés, qu'on appelle les éléments anatomiques., c'est-
à-dire les deriiières parties dans lesquelles l'ana-
lyse anatonio-physiologique puisse réduire lus
corps vivants.
Ces particules, ces éléments se présentent ii
nous tantôt sous la forme de cellules, tantôt sous
celle de fibres, tantôt sous celle de tuhes. Leur
juxUposition constitue les tissu--, leur groupement
sous des formes à fonctions déterminées consti-
tue les .ji-ijanes.
Le corps vivant peut être comparé i une répu-
blique dont les éléments anatomiques seraient les
citoyens. Ei Je même que les citoyens remplissent
tous une fonction déterminée, de môme les clé
ments ont chacun leur rôle ; de même aussi qut,
tous les citoyens, quels qu'ils soient, présentent
ceci de commun qu'ils naissent, vivent, se nour-
rissent et meurent, de môme tous les éléments ont
ce caractère commun de naître, de vivre, de se
nourrir, de mourir.
Il est des êtres inférieurs qui ne paraissent com-
posés que d'un seul élément anatomique fsphœro-
coccus, amibe). Ces êtres sont tous aquatiques, et
cet élément, baignant dans un liquide chargé de
particules élémentaires, les absorbe directement.
Mais chez presque tous les êtres vivants, le
nombre des éléments anatomiques est immense ;
aussi ne peuvent-ils entrer tous directement eu
rapport avec les milieux extérieurs ; alors c'o'ît
dans le liquide qui les baigne, sève chez les végé-
taux, siing chez les animaux, qu'ils puisent tout
ce qui est nécessaire à leur nutrition ; ces liquides
ont donc mérité le nom de milien intérieur que
leur a assigné Claude Bernard, par comparaison et
par opposition avec les milieux extérieurs. Gom-
ment s'entretiennent ces liquides eux-mêmes,
c'est ce que nous verrons plus tard.
L'absorption constitue le premier temps de la
nutrition. Les matières absorbées subissent dans
l'intérieur de l'élément des modifications chimiques
qui varient avec la nature de celui-ci ; une partie
y est conservée, emmagasinée, c'est là ce qu'on
appelle l'assimilation ; l'autre est rejetée au de-
hors {c'cs\,\\ l'excrétion], et tombe dans le liquide
ambiant, milieu intérieur ou milieu extérieur.
Enfin, après un certain temps, 'es matériaux assi-
milés subissent une série de modifications chi-
miqups (désassimilalion), s'épuisent, deviennent
inutiles et même dangereux à l'élément dont ils
faisaient partie, et sont ii leur tour rejetés, eux
aussi, au dehors. Absorption, assimilation, désas-
similation, excrétion, tel est le cercle que par-
courent les matériaux de l'organisation, tel est
l'ensemble des phénomènes de la nutrition. An
milieu de ces changements dans ses molécules
constituantes, l'élément reste le môme dans sa
forme et dans ses propriétés; il constitue comme
une espèce immuable; il est comparable an lit
PHYSIOLOGIE
— 1592 —
PHYSIOLOGIE
d'nn fleuve dans lequel s'écoulent sans cesse des
eaux toujours renouvelées, et qui ne change pas
cependant.
La propriété àemitrition appartient, avons-nous
dit, à tous les éléments; mais cliez tous elle ne
se fait pas avec la même activité; chez tous le cercle
n'est pas parcouru avec une rapidité égale. Bien
mieux, dans le même élément cette rapidité varie
aux différents moments de son existence. On peut
enfin la ralentir expérimentalement, ou même
supprimer complètement le mouvement nutritif.
Si l'on fait en sorte que l'élément use peu, il
n'aura besoin que d'une faible réparation; c'est
comme une sorte do budget dont l'équilibre peut
. être obtenu à tous les degrés de la recelte et de la
dépense, et ce budget, si la dépense est nulle, peut
être amené à zéro.
Voici la preuve expérimentale de cette proposi-
tion étrange. 11 existe dans la mousse des toits un
animal fort petit, mais d'organisation fort com-
plexe , qu'on nomme rotifère. Spallanzani a le
premier constaté que ce petit animal peut être
impunément desséché, et qu'une fois desséché, il
peut être conservé pendant un temps indéfini,
immobile, semblable à un grain de sable. Si en-
suite on lui rend de l'eau, on le voit s'agiter, et
revenir à la vie. 11 est évident que par la dessicca-
tion ménagée, tout échange chimique, toute usure
do matériaux a été supprimée dans ses éléments,
et qu'il a pu vivre ainsi sans aliments, d'une vie
sans manifestation.
Il ne faudrait pas croire que ce phénomène de la
vie élémentaire indépendante est propre aux ani-
malcules dits inférieurs. Les éléments anatomi-
ques des êtres les plus rapprochés de nous pré-
sentent les mêmes phénomènes. Prenez un organe
d'un mammifère, coupez la queue d'un rat, par
exemple, où se trouvent des éléments nombreux
osseux, cartilagineux, tendineux, nerveux, et laissez-
la dans un tube pendant cinq ou six jours d'hiver.
Elle ne mourra pas pour cela, car si vous l'in-
troduisez par un petit trou sous la peau d'un autre
rat, vous la verrez^revivre, et même grandir, si elle
n'a pasencoie acquis son développement.
J'insiste sur cette dernière expérience, parce
qu'elle va nous permettre de proclamer une
grande vérité, à savoir l'unité physiologique.
Les manifestations de la vie sont infiniment va-
riées, quand on les examine dans les expressions
fonctionnelles; je m'explique. Une plante est fort
différente d'un animal; un insecte est fort diffé-
rent d'un poisson ; un ver de terre fort difiérent
d'un homme, et cependant, entre les propriétés
des éléments anatomiques de ces êtres si divers, il
y a identité complète, sauf de simples variations
en plus ou en moins. C'est dans la façon dont
sont mises en œuvre ces propriétés, c'est dans le
nombre proportionnel de certains éléments, dans
leur mode d'agencement, soit entre eux, soit avec
d'autres éléments, c'est en un mot dans la consti-
tution et les fonctions des organes que gisent
toutes les différences. Ceci nous montre qu'."! côté
ou plutôt au-dessus de la physiologie spéciale à
chaque être vivant, existe une physiologie géné-
rale qui embrasse les vérités vraies partout et qui
domine l'autre, laquelle ne révèle que des vérités
relatives à l'être qu'elle étudie. Cette physiologie
générale est une conquête toute moderne. Entre-
vue par Haller au siècle dernier, oubliée depuis
par les physiologistes classiques, elle n'a pas eu
dans ce siècle d'adepte plus fervent et plus fécond
en découvertes que mon' illustre maître, Claude
Bernard.
C'est de cette physiologie générale que nous
nous occupons ici, et c'est à elle encore qu'appar-
tient ce que nous allons ajouter, touchant les pro-
priétés des éléments anatomiques. La nutrition
est, à proprement parler, la seule qui leur soit
commune à tous; sans elle ils ne seraient pa»
vivants. Mais un grand nombre possèdent encore
la propriété vraiment merveilleuse de donner nais-
sance à des éléments semblables à eux. Cette nais-
sance se produit de trois manières différentes :
1° Cloisonnement d'un élément anatomique,
segmentation : l'oeuf des animaux nous en présente
le plus complet exemple;
2° Gemmation, formation à la surface de l'élé-
ment d'une saillie qui bientôt s'individualise par
une cloison, et reste adhérente à l'élément pri-
mitif;
3° Bourgeonnement, formation d'une saillie qui
se sépare de l'élément primitif pour vivre d'une
vie indépendante.
Plusieurs anatomistes pensent que ce ne sont
pas là les seules manières de naître des éléments
anatomiques. On les voit encore, affirment-ils,
apparaître de toutes pièces, au soin des liquides vi-
vants, dans le voisinage des autres éléments; ce
sont alors des granulations qui se groupent, et
qui s'entourent ensuite d'une membrane enve-
loppante, laquelle délimite l'élément.
Ces détails sont arides et semblent oiseux ; mais
à ces différents modes de la génération des élé-
ments correspondent autant de modes de la pro-
duction des êtres complets ; en outre, cette étude
est indispensable pour bien comprendre la façon
dont doit être posée la question de la génération,
si malheureusement nommée spontanée. Si celle-
ci existe, elle correspond à la naissance de toutes
pièces, au sein d'un liquide qu'on croyait mort,
et qui serait en réalité vivant.
Enfin si l'on songe que c'est par cette génération
des éléments que s'accroît l'être vivant, si l'on
songe que c'est cette génération exagérée qui
donne naissance à l'horrible cancer, on ne re-
grettera sans doute pas le temps consacré à son
étude.
Ce que nous avons dit jusqu'à présent s'appli-
que à tous les éléments anatomiques, qu'ils appar-
tiennent à des végétaux ou à des animaux. Comme
les éléments végétaux ne possèdent guère que
ces propriétés de nutrition, de reproduction, on
a donné à celles-ci le nom de propriétés végéta-
tives ; celles dont il nous reste à nous occuper
sont désignées sous le nom de propriétés ani-
males, parce que les animaux seuls les possèdent
à un degré marqué.
Mais avant d'en arriver à ce qui est spécial aux
animaux, il est nécessaire de dire quelques mots
d'un antagonisme qui existe en apparence entre
les cellules animales et les cellules végétales. On
sait, depuis Priestley, que les végétaux exposés
au soleil décomposent l'acide carbonique de l'air,-
fixent le carbone et exhalent l'oxygène, tandis que
Lavoisiera montré que tous les animaux absorbent
l'oxygène et forment l'acide carbonique.
Cet antagonisme tient exclusivement .^ la pré-
sence de la matière verte, de \aclilorophglli'. Les-
végétaux sans matière verte, comme les champi-
gnons, les parties de végétaux dépourvues de
celte matière, comme les bois, les fleurs, les
fruits, se comportent comme les animaux. Inver-
sement, certains animaux microscopiques, qui con-
tiennent de la chlorophylle, décomposent l'acida
carbonique. Enfin, les parties vertes elles-mêmes
absorbent de l'oxygène à l'obscurité.
L'antagonisme n'existe donc pas entre les ani-
maux et les végétaux, mais bien entre les cellules
à chlorophylle et celles qui n'en contiennent pas.
Arrivons maintenant à des propriétés spéciales
aux cellules animales.
Les animaux nous présentent, en effet, un phé-
nomène remarquable et à eux spécial ; ils se meu-
vent, et ce mouvement, dont à peine quelques
traces se voient chez les végétaux, leur permet
de lutter contre les influences extérieures cnne.
à
PHYSIOLOGIE
1593 —
PHYSIOLOGIE
mies, de se diriger au gré d'une faculté supérieure
qui leur est propre, do la volonté. Or, ce mouve-
niont résulte de changements dans la dimension
des parties de leur corps, et en dernière analyse
d'une propriété élémentaire qu'on nomme la con-
tractilité.
Aux plus bas degrés de l'échelle zoologique,
chez ces animaux gélatineux, homogènes, qui ne
semblent composés que d'un seul élément, cet
élément possède, avec les propriétés végétatives,
les propriétés animales. La matière glutineuse
qui les constitue est en effet douée de contractilité,
et sans cesse change de forme sous les yeux de
l'observateur. Chez certains animaux plus élevés,
on signale encore plusieurs éléments anatomiqnes
doués d'une contractilité obscure. Mais chez eux
déjà la contractilité vraie, si j'ose dire, est l'apa-
nage d'un seul élément, de Vêlement musculaire;
celui-ci possède par lui-même la propriété contrac-
tile, il la manifeste sous toutes les excitations
et ne l'emprunte à aucun autre élément.
La question que je tranche ici d'une manière
aussi nette a été bien souvent un sujet de con-
troverse. On s'est longtemps demandé si la con-
traction du muscle n'était pas due h l'action du
système nerveux dont nous verrons les éléments
entrer en contact avec lui. Déjà l'observation des
animaux inférieurs était contraire h cette idée. Une
expérience do Cl. Bernard dont je parlerai dans
un moment la détruit complètement.
Mais si le muscle se contracte en vertu d'une
propriété qui lui est spéciale, il ne saurait par
lui-même et spontanément mettre cette propriété
en jeu. Il ne la manifeste que sous l'influence
d'un excitant. Cet excitant, il le reçoit dans l'état
de vie par l'intermédiaire d'un élément spécial,
de l'élément nerveux. Mais cet élément nerveux
n'a pas non plus la spontanéité. L'excitant qu'il
apporte au muscle, il le reçoit lui-même, et il le
tient soit de la sensibilité, soit de la volonté.
Revenons encore une fois à ces êtres homogènes
dont nous avons déjà parlé. Chez eux la sensibi-
lité, la volonté, l'incitation motrice résident dans
cet unique élément qui les constitue. Tout est
confondu dans ces êtres rudimentaires ; aussi
ne nous étonnerons-nous pas de voir qu'ils peu-
vent être divisés en une multitude de fragments
dont chacun constitue une individualité et em-
porte une volonté.
Mais chez les autres animaux le système ner-
veux se compose de deux ordres d'éléments. Les
uns, tubulaires, forment les nerfs proprement
dits, qui s'irradient des centres dans toute la
périphérie du corps. Les autres , cellulaires,
constituent les centres nerveux d'où partent les
filets.
Ceux-ci possèdent la propriété de transmettre
les impressions qu'ils reçoivent, de les propager
dans toute leur étendue et dans les deux sens,
à la manière d'un fil électrique. L'une de leurs
extrémités aboutit à un centre nerveux, l'autre
se rend à la périphérie du corps, et ici, de deux
choses l'une : ou bien elle se termine dans un
élément musculaire, ou bien elle se termine dans
la peau, ou plus généralement dans quelque ap-
pareil de sensation, appareil incapable de se
mouvoir. Dans le premier cas, si on l'excite, le
muscle se contractera ; il y aura mouvement, mais
non pas sensation. Dans le second cas, si on l'excite,
il n'y aura aucune contraction locale, mais l'irrita-
tion se propageant vers le centre y ébranlera d'au-
tres éléments, y mettra enjeu d'autres propriétés,
et l'animal sur lequel on expérimente manifestera,
comme on dit, la sensibilité.
On a cru pendant longtemps que ces ébranle-
ments nerveux avaient un sens déterminé, que
les nerfs de mouvement étaient toujours centri-
fuges, et les nerfs de sensibilité toujours centri-
pètes. Voici une expérience très simple qui dé-
montre le contraire.
J'écorclie l'extrémité de la queue d'un rat, et, la
recourbant en anse, j'insinue la partie dépouillée
dans un trou fuit à la peau du dos. Les choses
étant ainsi fixées en place, il est possible, après
quelques jours, de séparer complètement la queue
de ses connexions premières. Elle pend alors le
long du dos de l'animal, et toute sensibilité y a
disparu. Mais voici qu'après plusieurs mois, cette
sensibilité reparaît, si bien que l'animal crie quand
on pince la queue parasitaire. Or il est facile de
voir que la sensibilité se propage maintenant dans
les nerfs en sens inversn de son cours primitif,
qu'elle se meut du gros bout vers le petit bout,
et non comme auparavant du petit vers le gros.
La proposition que j'ai avancée plus haut est donc
démontrée.
J'ai dit que le muscle ne doit pas au nerf sa
contractilité ; que le nerf suscite sa propriété
contractile, mais ne la lui donne pas. Pour arri-
ver à démontrer ce fait, il fallait pouvoir dé-
truire complètement le nerf sans toucher au mus-
cle : œuvre impossible au scalpel, comme chacun
le comprend. Cl, Bernard a découvert dans un
poison avec lequel les Lidiens de l'Amérique du
Sud empoisonnent leurs flèches, le curare, cette
propriété merveilleuse d'empêcher l'action du nerf
moteur sur le muscle, sans altérer la contracti-
lité du muscle. Chez une grenouille ainsi empoi-
sonnée, le muscle se contracte sous une incitation
directe, mais non plus sous l'incitation par la voie
nerveuse. C'est donc là encore une question ré-
solue.
Arrivons maintenant à l'élément nerveux des
centres, à l'élément celluleux. Cet élément est
toujours en rapport d'une part avec un ou plu-
sieurs éléments semblables à lui, d'autre part avec
des tubes nerveux, soit sensitifs, soit moteurs.
Or, voici les propriétésvraiment admirables dont il
jouit. Lorsqu'une impression lui est transmise par
le nerf centripète qui vient d'un appareil de sensa-
tion,l'élément celluleux transforme cette impression
sensitive en une impulsion motrice ; ce qui était
venu en sensibilité s'en retourne en mouvement,
si bien qu'une contraction musculaire, excitée par
cette incitation centrifuge, vient traduire aux
yeux cette incompréhensible transformation. Il y
a, comme on dit dans le langage physiologique,
réflexion de l'incitation apportée par le nerf sen-
sitif, et le mouvement ainsi déterminé est dit
mouvement réfle.xe. On peut, dans des expériences
délicates, sur certains animaux, isoler soit des
portions de centres nerveux, soit des centres très
petits et ne contenant que quelques cellules ;
l'excitation des nerfs sensitifs produit toujours le
mouvement dans les parties où se rendent les filets
moteurs qui naissent do ces cellules.
Certains centres nerveux (un seul chez les ani-
maux élevés) sont, comme nous le venons bientôt,
le siège des instincts et de l'intelligence. Ces
centres sont composés de cellules semblables à
celles des autres centres, auxquels aboutissent
des tubes nerveux semblables aux autres tubos.
Il est hors do doute que les incitations sensitives
qui déterminent les mouvements volontaires sont
transmises à ces cellules de la même manière, et
que le mécanisme de la transformation de la sen-
sibilité en mouvement est le même. Mais ces
cellules se caractérisent par ce fait qui dépasse,
et de beaucoup, en merveilleux, tout ce que nous
avons dit Jusqu'ici, à savoir que la sensibilité n'y
excite pas seulement des mouvements, mais y
éveille des idées, et encore que, sans excitation
extérieure, elles entrent en activité sous l'in-
fluence do la volonté, et témoignent cette activité
par le mouvement volontaire. Ce sont là les ins-
truments directs de la volonté ; cet incitant
PHYSIOLOGIE
— 1594 —
PHYSIOLOGIE
mystérieux et sublime peut remplacer l'incitant
ordinaire, la sensibilité, qui seule agit sur les
cellules des autres centres. Bien plus, rinlcKrité
de ces cellules est indispensable pour le libre
exercice de celte volonté : viennent-elles à être
lésées, les rapports anatomiques qu'elles ont
entre elles viennent-ils à être altérés, détruits, la
mémoire s'enfuit, la volonté se pervertit, la con-
science même, la notion du moi disparait. Mais
n'anticipons pas, nous allons bientôt nous retrou-
ver en face de ces importants problèmes.
Nous avons terminé la première partie de notre
étude, la pliysiologie générale, l'étude des pro-
priétés vitales des éléments anatomiques. Je
n'ai point parlé de leurs propriétés physico-
chimiques, parce qu'elles sont peu intéressantes;
je fais exception pour l'élasticité extraordinaire que
présentent certains d'entre eux, nommés par celte
raison fibres élastiques (ce qu'on appelle nerf de
bœuf en est exclusivement composé], et aussi pour
la Iranslucidilé remarquable de ceux de ces élé-
ments qui entrent dans la conslilulion des appa-
reils de la vision.
Arrivons maintenant à la seconde partie, à la
physiologie des organes, des appareils, des Êtres
entiers, à la physiologie spéciale ; et, pour le dire
avant toutes clioses, ce que nous dirons s'appli-
quera surtout à ce groupe des animaux vertébrés
auquel l'homme appartient par sa constitution
anatomique.
Physiologie spéciale. — On peut considérer
chaque élément comme un être distinct, vivant,
possédant des propriétés spéciales. C'est l'agglo-
mération de tous ces éléments qui constitue les
organes, comme le cœur, l'estomac, le cerveau,
organes qui ont chacun un rôle spécial, ou, comme
on dit, une fonction.
Parallèlement à la nutrition de iclémnit, nous
trouverons, dans l'étude des actes généraux de
l'être vivant, la jmtrition de cel être ; parallèle-
ment à leur propriété de reproduction, id. faculté
yénératrice ; parallèlement à leur coniraclilité,
son mouvement ; à leurs propriétés nerveuses, sa
sensibilité, sa volonté, ses instincts et son inltlti-
ijence.
Les éléments, avons-nous dit, se nourrissent
aux dépens d'un milieu intérieur, du sa>iij. Ce
sang oscille et circule dans des canaux, et chez
nous, son mouvement est déterminé par Ib jeu
d'une double pompe foulante qu'on appelle le
cœur. C'est là la fonction de la circulation.
Mais le sang s'épuise lui-même à fournir ainsi la
nourriture à chaque élément. Aussi, pour le réparer,
une série d'organes entrent en action, qui préparent
des matériaux aptes à la réparation du sang.
C'est là la digestion. \ous avons vu qu'il y a dans
le corps vivant quatre sortes principales de maté-
riaux : des sels métalliques, des matières fécu-
lentes et sucrées, des matières grasses, des ma-
tières^albuminoîdes; les aliments devront évidem-
ment contenir ces quatre ordres de matériaux.
Le mouvement incessant de nutrition qui cons-
titue la vie a pour cause et pour résuliat des
modifications chimiques qui ne peuvent s'opérer
que sous l'influence de l'air. Sans l'air ou plutôt
sans l'oxygène qu'il contient, la vie serait impos-
sible. Le sang doit donc apporter de l'air aux
éléments, pour les déterminer à se nourrir.
Aussi va-t-il en chercher aux poumons, et, se char-
geant ainsi de cet élément gazeux, il opère la
respiration.
Enfin les matériaux devenus impropres à la vie
de l'élément sont, comme nous l'avons vu, rejetés,
excrétés par lui. ils tombent dans le sang; mais
celui-ci ne pourrait, sans danger, les conserver;
il les rejette à son tour au dehors, à l'aide d'or-
ganes nommés glv7>des, qui les séparent et les
excrètent. Les matières albumineuses s'en vont
par les reins, sous forme A' urée; les matières
grasses parle foie, dans la bile; les matières fé-
culentes et sucrées par le poumon, sous forme de
gaz acide carbonique.
Telle est à grands traits l'histoire de la nutri-
tion. Elle estj on le voit, la même au fond pour
l'être tout entier que pour chaque élément; c'est
un circulus, un budget réglé, où la recette doit
équilibrer la dépense, et, là comme ailleurs, plus
on dépense, plus il faut recevoir, à peine de mou-
rir de misère, de faim.
Ajoutons que toutes ces modifications chimiques
donnent naissance à de la chaleur, d'où résulte la
culorification.
Je me contente de cette esquisse à larges traits,
ne pouvant ici entrer dans le détail des fonctions,
et je me hâie d'arriver à ce qu'il y a de plus inté-
ressant, et si l'on peut dire, de plus vivant chez
l'animal, aux fonctions de ses organes nerveux, à
sa sensibilité, à ses excitations motrices.
Reprenons une comparaison dont nous nous
sommes déjà servi : les éléments sont les citoyens
du corps, de la république organisée, vivante. Ces
citoyens ont des propriétés, des droits ; des pro-
priétés qui leur sont communes à tous, et certai-
nes qui sont spéciales à quelques-uns d'entre eux.
Ils ne vivent pas isolés, mais réunis les uns aux
autres en sociétés. Tantôt ces sociétés ne compren-
nent que des citoyens tous semblables; ce sont
des corporations, des systèmes, comme le système
musculaire, le système nerveux. Tantôt elles com-
prennent des citoyens différents les uns des autres,
et concouranttous à un but, à une œuvre détermi-
née ; tels sont les orgnnes, comparables aux villes.
Enfin, le sang, comparable aux ressources de
l'agriculture et de l'industrie, nourrit les éléments
comme celles-ci nourrissent les citoyens; et il cir-
cule dans ses canaux, sous la force impulsive du
cœur, comme elles circulent sur les grandes rou-
tes, poussées par le commerce.
Ainsi sont établies les conditions de la vie pour
les organes comme pour les sociétés.
Mais ce n'est pas tout; ces sociétés organiques
ne sont pas isolées les unes dos autres ; elles ne
concentrent pas leur activité en elles-mêmes, elles
la manifestent au-dessus. De plus, elles obéissent
(lux lois de l'Etat dont elles font partie ; elles sont
dirigées, surveillées, protégées par un gouverne-
ment. Ce gouvernement, c'est le système nerveux.
Elles ne pourraient, sans lui, constituer un tout
harmonique ; sans elles il ne pourrait exister. Ce
sont elles, ce sont les citoyens, les éléments qui
le nourrissent. Chacun d'eux, agissant dans sa
sphère, prépare des matériaux que le sang em-
porte, et avec lesquels il nourrit le système ner-
veux. S'ils cess;iient tous de travailler, le gouver-
nement mourrait bientôt d'inanition, et eux aussi.
C'est ce qui arrive à la fin, quand l'organisme vi-
vant meurt.
Qu'on me permette de poursuivre jusqu'au bout
cette comparaison ; elle nous servira à éclairer
bien des points obscurs, à exposition difficile.
Il y a des gouvernements locaux, agissant dans
une circonscription déterminée. On les appelle,
dans l'organisme, ijanqlions, moelle épinière. Ils
sont en rapport avec les villes et les citoyens, les
organes et les éléments, par des fils télégraphi-
ques, des nerfs, qui les avertissent de ce qui se
passe et qui transmettent leurs ordres. Pour toutes
les questions dont l'intérêt ne dépasse pas les bor-
nes do leur circonscription, ils jugent en dernier
ressort. Pour les autres, ils entrent en communi-
cation les uns avec les autres, se consultent, agis-
sent en commun. Pour les plus grandes, enfin,
celles dont l'intérêt einbrasse le pays tout entier,
ils ont recours au gouvernement central. Celui-ci
réside dans la tête ; c'est une partie de ce qu'on
appelle Vencéphale,
PHYSIOLOGIE
— 1595 —
PHYSIOLOGIE
Là sont les ministères, les organes centralisa-
teurs, régulateurs, qui envoient les ordres à l'em-
pire tout entier, à toute la macliine vivante; nous
verrons tout à l'heure quels ils sont.
Au-dessus d'eux plane la volonté, l'intelligence,
le chef de l'Etat. Quand il commande, tout obéit.
C'est lui surtout qui veille aux relations extérieu-
res. S'il est intelligent, énergique, s'il utilise bien
les forces du puye, le pays est glorieux; et de
môme si l'intelligence emploie heureusement les
forces vives de l'organisme, non seulement l'être
vivant exécute ses fonctions, mais il est applaudi
dans ses actes.
Mais il n'a pas besoin de s'occuper du détail des
questions intérieures. Que deviendrait un chef
d'Etat s'il lui fallait s'occuper de la charrue de
chaque citoyen ? Que deviendrait l'inlelligcnce
s'il lui fallait s'occuper de la digestion, de la nu-
trition, de l'excrétion, etc.'? Tout cela se fait sans
elle. Les ministères, les gouvernements locaux
s'en chargent; le mécanisme, l'automate est si
bien monté que ces détails de pot-au-feu s'exé-
cutent sans qu'elle s'en occupe et lui laissent
sa liberié. Ce chef de l'Etal réside dans la tête,
dans un organe spécial, le cerveau proprement
dit.
A ses ordres ou à ceux de ses ministres, tout
obéit, avons-nous dit. Les lois commandent au
commerce : c'est le système nerveux, en effet, qui
règle les battements du cœur, les accélère ou les
arrête ; c'est lui qui dilate les vaisseaux où circule
le sang, ou qui les rétrécit. C'est lui qui anime
les organes digestifs, qui veille aux mouvemejits
de la respiration, qui est l'incitant des sécrétions,
le régulateur de la chaleur animale.
Les gouvernements locaux de l'organisme reçoi-
vent leurs avis tous par la môme voie : c'est le
toucher général, le toucher do la peau, qui les
avertit. Mais le gouvernement général a d'autres
ressources : il a, si je puis ainsi dire, une police
spéciale, supérieure, admirablement organisée :
cette police, ce sont les se/is, la vue, l'ouïe, 1 o-
dorat, le goût, qui l'avertissent de tout ce qui se
passe de près ou de loin, et qui lui permettent de
veiller au salut du pays tout entier:
J'ai poussé bien loin cette comparaison : nous
allons voir combien cela va nous être utile. Je n'ai
pas tout dit, tant s'en faut. Ainsi, dans l'état ordi-
naire des choses, l'intelligence ne sent pas les
mouvements intimes de la nutrition ; mais qu'un
phénomène anormal se présente, la douleur l'a-
vertit, le chef de l'État s'occupe de cette rébel-
lion ; il commande, et tout s'ébranle pour conjurer
le mal ou pour l'éloufTer et rejeter la partie ma-
lade, le citoyen rebelle.
Et maintenant, quittons le langage figuré et
faisons de la physiologie pure.
Les centres nerveux principaux de l'homme, les
seuls dont nous nous occuperons ici. sont consti-
tués par une moelle épinière que protège la co-
lonnei!erlé//rale,etqmpénblTeeniieTenllnrn{mne/le
allongée) dans le crclne. Là, deux organes princi-
paux se trouvent surajoutés à son épanouissement
général, le cervelet e\, le cerveau.
Les nerfs qui viennent de toutes les parties du
corps se rendent à la moelle et y pénètrent par
deux racines : la postérieure (supérieure chez le
quadrupède), munie d'un ganglion, est exclusive-
nient sensible ; l'antérieure, exclusivement motrice.
Si l'on pince la première sur l'animal vivant, il
s'agite et donne des signes de douleur; si l'on
pince l'autre au contraire, il n'y a aucune mani-
festation de sensibilité, mais bien des contractions
dans les muscles où se rend le nerf.
Cette moelle est composée de deux parties :
I une, centrale, grise, contient beaucoup de cellules
nerveuses; l'autre, enveloppante, blanche, est
«xclusivement constituée par des tubes en conti-
nuation d'une part avec les nerfs, d'autre part
avec les cellules.
La moelle est un centre, un gouvernement local,
ou plutùt une série de gouvernements locaux.
Séparons un fragment de la moelle, en coupant
une grenouille par le milieu du corps; si alors
nous excitons un nerf sensible de la purtie pos-
térieure, si nous pinçons une patte, nous voyons
cette patte se remuer; il y a donc eu dans la
moelle réflexion de l'incitant sensitif et transfor-
mation en incitant moteur. Ces mouvements sont
nommés mouvements réflexes : ils sont purement
automatiques ; ce sont eux que nous comparions
tout à l'heure aux actions des gouvernements
locaux. Un exemple familier de cette sorte de mou-
vements est le mouvement de déglutition, complè-
tement involontaire quand l'aliment a dépassé l'ar-
rière-gorgo.
Les cellules nerveuses, les tubes nerveux, sont
en commuiiication les uns avec les autres, d'un
bout de la moelle à l'autre; aussi les impressions
reçues par la moelle se généralisent. Voici une
grenouille, à laquelle la tête seulement est coupée ;
si nous pinçons une patte, elle agite toutes les
autres.
Il est un point de la moelle fort curieux à étu-
dier : c'est dans la moelle allongée, vers l'en-
droit où elle entre dans le crâne. De là partent
les incitations qui déterminent les mouvements
respiratoires ; si on blesse ce point, ces mouve-
ments cessent tout à fait. C'est là que les torréa-
dors frappent les taureaux : c'est le nœud vital de
M. Flonrens.
A côté se trouvent les origines des nerfs jmeu-
mo-i/'istrigues, qui, entre autres destinations, se
rendent au foie. Or, si l'on pique cette origine, il
apparaît du sucre dans l'urine, l'animal devient
diabétique. Ce résultat extraordinaire, constaté
par Cl. Bernard, est en rapport avec la fonction
du foie, par lui découverte, de former du sucre.
Dans l'état ordinaire ce sucre se détruit dans
l'organisme au fur et à mesure de sa formation.
Quand celle-ci s'exagère, il apparaît dans l'urine.
Le cervelet est l'organe coordinateur des naou-
vements. Si on le blesse, si on l'enlève, l'animal
devient incapable d'exercer harmoniquement les
mouvements de la marche, du vol, etc. Il tourne,
recule, avance, culbute, mais ne peut conserver ni
son équilibre statique, ni son équilibre dynamique.
Lu cerveau n'a aucune part à ces mouvements,
ou plutôt ils peuvent s'exécuter, et harmonieuse-
ment, sans lui. Si on l'enlève, l'animal peut comme
auparavant marcher, voler, nager ; son cœur con-
tinue abattre, son intestin à digérer. 11^ vit, mais
il est réduit au rôle d'automate ; il n'a plus ni
intelligence ni instinct. Il n'a plus de volonté.
C'est donc dans le cerveau que résident ces fa-
cultés sublimes qui constituent l'individualité;
c'est là qu'est le moi : mémoire, imagination, ju-
gement, habitent le cerveau.
Et non pas tel ou tel point du cerveau; il ne
paraît pas y avoir localisation cérébrale, et ces
facultés semblent se présenter partout où apparaît
la cellule nerveuse cérébrale. M. Vulpian ayant
enlevé le cerveau d'une grenouille s'aperçut
qu'elle avait conservé une partie de son intelli-
gence ; elle cherchait et attrapait des mouches.
Or, l'autopsie lui montra qu'il avait involontaire-
mont laissé intacte la région postérieure du cer-
veau.
La phrénologie do Gall n'est qu'une suite d'er-
reurs que rien ne justifie. Le développement de
telle ou telle partie du cerveau n'est aucunement
en rapport avec telle ou telle faculté, et récipro-
quement la destruction de telle ou telle partit!
par une maladie quelconque n'entraîne pas la
disparition d'une faculté qui lui correspondrait.
On a bien constaté des rapports constants entre
PHYSIOLOGIE
— 1596
PHYSIQUE
Vincitation de telle ou telle circonvolution céré-
brale et les mouvements des membres. Mais ce
n'est pas là de la localisation à la façon dont l'en-
tendent les phrénologues. La découverte de Broca,
qui a montré que la destruction d'une partie très
limitée du lobe antérieur gauche du cerveau sup-
prime la faculté de parler, est bien plus intéressante.
La puissance intellectuelle est-elle en rapport
avec le volume du cerveau ? D'une manière géné-
rale, les animaux les plus intelligents ont le cer-
veau le plus volumineux. Il en est de même si l'on
compare entre elles les races humaines. Il en est
encore de même dans notre race quand on compare
en moyenne un certain nombre d'hommes intelli-
gents el un certain nombre d'hommes au-dessous
du médiocre. Nombre de grands hommes ont eu
un énorme cerveau : celui de Cuvicr pesait
1840gr.; d'autrn part, au-dessous de 1000 grammes,
un cerveau appartient toujours à un idiot. Mais il
ne faudrait pas croire qu'on peut juger de l'intel-
ligence par la balance et le ruban métrique. Sans
parler des objections et des difficultés purement
philosophiques, il faudrait, cela est évident, ne
tenir compte dans la comparaison que des parties
vraiment actives du cerveau, à savoir des cellules
et des tubes qui les relient, non de la gangue qui
les unit. Or, c'est ce qu'il est aujourd'hui impos-
sible de faire.
Les instincts et l'intelligence sont donc des
fonctions du cerveau, et leur exercice est entière-
ment lié à son intégrité.
Qu'est-ce que V instinct? C'est une faculté en
vertu de laquelle l'animal exécute un acte qu'il
n'a pas appris et dont souvent il no connaît pas
l'importance. Ainsi les femelles de beaucoup d'in-
sectes prennent pour enfouir leurs œufs des pré-
cautions de l'utilité desquelles elles ne peuvent
se rendre compte, car elles sont nées avec le prin-
temps et ne passeront pas l'hiver. Ces actes
sont souvent merveilleux de complexité : il suffit
de mentionner les fourmis et les abeilles. Mais
ces actes sont reproduits par tous les animaux de la
même espèce, fatalement, d'une manière toujours
identique, sans perfectionnement, parce qu'ils sont
exécutés sans calcul. Si, en effet, c'était par cal-
cul que l'abeille mesure la forme de ses cellules,
il y a longtemps qu'elle aurait inventé la géométrie.
h'intelligeme, au contraire, a conscience de ses
actes, les mesure, les varie, les perfectionne ; elle
observe, pèse, juge, choisit, se souvient, imagine.
Exemple : les araignées de même espèce tissent
toutes une toile construite sur le même plan :
instinct; mais chacune d'elles choisit le lieu et
varie les circonstances secondaires, la pose des
premiers fils : inlelligence.
Les animaux ne sont pas des machines, comme
le disait Descartes; ils ont, avec les facultés ins-
tinctives, les facultés affectives, les facultés intel-
lectuelles. Mais, chez eux, l'intelligence est pres-
que exclusivement au service de l'instinct; chez
l'homme, au contraire, l'intelligence commando à
l'instinct, et la domine tellement qu'elle l'annihile
presque.
L'intelligence des animaux, à peiue libre, reste
stationnaire, presque incapable de perfectionne-
ment. Le perfectionnement de l'animal est propre
à l'individu, mais ne se transmet pas h l'espèce,
hormis certains perfectionnements instinctifs.
L'intelligence animale conlient bien en germe,
en rudiment, toutes les facultés de l'intelligence
humaine, mais quelle différence dans le degré de
développement!
L'homme seul, observant les faits naturels, en
cherche et trouve les lois. Seul il a l'idée du pro-
grès et se perfectionne indéfiniment dans la triple
voie du vrai, du beau, du bien ; seul, il a le senti-
ment du bien et du mal moral. Seul il a la faculté
d'abstraction assez développée pour attacher à sa
pensée des signes particuliers qui constituent un
langage. Seul il s'imagine qu'il peut y avoir en lui
quelque chose d'immortel, et s'élève dans la série
des causes jusqu'à l'idée d'une cause première.
Cette rapiiîe esquisse des fonctions cérébrales
termine la physiologie de l'individu. La physiolo-
gie de l'espèce reste à faire tout entière : la gé-
nération, l'hérédité, la transformation des espèces
sont de son domaine.
Nous avons étudié successivement la vie dans
les éléments, dans les organes, dans l'organe cé-
rébral, dans l'individu. La mort doit être de même
envisagée dans l'individu, dans les organes, dans
les éléments. Si l'on enlève le cerveau, l'individu
est mort; les organes vivent encore, mais la des-
truction d'un élément important (musculaire, ner-
veux) tue l'organisme entier, et c'est ainsi que la
physiologie comparée enseigne à considérer la mort.
La mort est la condition de la vie ; tout être vi-
vant ne vit qu'à la condition qu'un autre être vi-
vant meure ; d'où la nécessité de la reproduction.
La vie a commencé sur notre terre, probablement
donc elle finira. Mais quand, comment? Questions
aussi insolubles que celle de savoir comment elle a
apparu. A la fin comme au début de cette rapide
étude, nous retrouvons cette grande vérité que
l'homme de science ne doit s'occuper ni des ori-
gines, ni des destinées. [Paul Bert.]
On trouvera à l'article Zoologiele détail du pro-
gramme des leçons de physiologie, et l'indication
des articles spéciaux auxquels il renvoie. L'article
Végétal contient en outre des notions générales
de physiologie végétale.
PHYSIQUE. — La physique était autrefois la
science de la nature, c'est-à-dire de ce grand
nombre d'objets divers que l'homme reconnaît au-
tour de lui par l'intermédiaire des sens. Son do-
maine allait s'étendant à mesure que les obser-
vations se multipliaient; il a fallu le diviser en
plusieurs branches formant chacune une science
distincte, mais rattachées les unes aux autres par
des points nombreux et s'empruntant des vérités
nécessaires à leur développement. On en a séparé
l'astronomie qui étudie les mouvements des corps
célestes, l'histoire nalurel/e, qui s'occupe tout spé-
cialement des êtres organisés, animaux et végé-
taux. Il restait encore à étudier les caractères na-
turels des corps, c'est-à-dire leurs propriétés, les
forces qui agissent sur eux, les phénomènes ou
les changements de toute nature qui s'y produisent
par leur action réciproque et ceux qu'y font naître
ces causes encore inconnues dans leur nature in-
time, la chaleur, l'électricité, la lumière, que nous
appelons des agents physiques et dont les effets
frappent tout observateur attentif. On a réservé à
la chimie les propriétés particulières à chaque
espèce de corps et les changements qui en altèrent
la nature. Il reste à la physique l'étude des pro-
priétés généralei de la mntière et des phénomènes
qui n'y apportent pas de chnugemenls permanents.
La physique appelle à son aide l'observation et
l'expérience ; l'observation, c'est-à-dire l'étude
attentive des objets qui se trouvent sous nos yeux,
l'examen scrupuleux des faits dont nous sommes
témoins dans la nature et qui se produisent sans
notre participation; l'expérience, qui consiste, au
contraire, à faire naître nous-mêmes, quand nous
le voulons, quand nous en avons le loisir, les phé-
nomènes que nous désirons étudier. Lorsqu'on
hiver, par un froid rigoureux, on suit attentive-
ment la formation de la glace dans un bassin, on
fait une observation; quand, au contraire, on dé-
termine, en été, la congélation de l'eau, par un
mélange réfrigérant ou par le vide, on fait une
expérience.
Ainsi, constater les phénomènes, décrire avec
soin les circonstances qui les accompagnent et les
1 conditions nécessaires à leur apparition, puis rc-
PHYSIQUE
1397 —
PHYSIQUE
clierclier la relation, la loi qui les unit, remonter
à la cause qui les produit, tel est le double rôle
de la physique.
Il n'est pas toujours possible de rattacher un
fait à d'autres faits connus par l'expérience, à des
propriétés dont l'existence matérielle est incontes-
table. Alors, le physicien supplée à, l'explication
vraie qu'il ne trouve pas, par une hypothèse qui rend
compte avec vraisemblance des phénomènes ilans
tous leurs détails, dans tontes leurs particularités.
Les hypothèses servent encore la science, bien
qu'elles se modifient parfois avec les progrès;
elles permettent d'établir une sorte d'unité dans
la multiplicité des phénomènes naturels; et elles
ont l'avantage de susciter des contradicteurs dont
les recherches agrandissent le champ de nos con-
naissances et nous dotent d'appareils nouveaux :
l'admirable découverte de la pile, i laquelle Volta
a été conduit en cherchant à renverser les opinions
que Galvani s'efforçait de faire prévaloir, en est
un des plus mémorables exemples.
Histoi ique. — La science de la nature tenait bien
peu de place dans l'ensemble des connaissances que
possédaient les anciens. Qu'on lise ce qui a rapport
à la physique et à l'histoire naturelle dans les écrits
d'Aristote, de Lucrèce, de Pline et de Sénôque, et
on constatera que tout se réduit à l'indication le
plus souvent incomplète ou inexacte des phéno-
mènes qui se produisent habituellement dans l'at-
mosphère ou dans le sol, et à des tentatives d'ex-
plications sans valeur.
Les faits, à de rares exceptions près, étaient
mal obseï vés, quelquefois même on les dénaturait
à plaisir pour qu'ils pussent servir de base ou
de démonstration à telle ou telle théorie plus ou
moins singulière sur la constitution de la matière
et des corps.
Ce qui a manqué aux philosophes anciens pour
arrivera pénétrer les secrets de la nature physique,
c'est la connaissance de l'instrument essentiel,
indispensable de toute recherche scientifique, de
cet instrument qu'ont utilisé avec tant de succès
les modernes : la méthode expérimentale. Ils
observaient tant bien que mal, mais ils n'expéri-
mentaient pas; ils voulaient plier la nature aux
exigences de conceptions purement idéales, au lieu
de tendre par de patients efforts à découvrir les
lois, lois immuables, qui régissent le monde ma-
tériel. Ils aimaient mieux tout rapporter à des
causes occultes que d'établir par des séries de
bonnes observations, par des expériences bien con-'
duites, la dépendance mutuelle des phénomènes,
leurs relations avec les agents physiques.
Le moyen âge n'a pas été plus heureux. Ce ne
«ont pas pourtant les expériences de laboratoire
qui cette fois ont fait défaut. Les alchimistes,
préoccupés do l'idée de la transmutation des
métaux, se sont épuisés en stériles efforts pour
réaliser leurs chimériques conceptions, (che-
min faisant ils ont sans doute, de temps k autre,
opéré quelque trouvaille ; on leur doit la prépa-
ration de ceriains composés d'antimoine que la
médecine emploie encore aujourd'hui ; on leur doit
la découverte du phosphore, que l'alchimiste Brandt
isola sans le vouloir, en cherchant la pierre philo-
sophale. N'ous trouverons encore un assez grand
nombre de préparations curieuses dont les ans et
l'industrie sont redevables aux alchimistes; mais
leurs découvertes, en somme, ne peuvcntêtre attri-
buées qu'à des hasards heureux. Les chercheurs du
moyen âge cheminaient en aveugles dans les sen-
tiers de la science, aucun flambeau n'éclairait leur
marche. Tout progrès sérieux était impossible dans
de pareilles conditions.
C'est au commencement du xvii' siècle (1G'20)
lue François Bacon, dans un ouvrage demeuré
célèbre, le Novum oi-ganum, démontra la néces-
sité de recourir toujours à l'expérience pour l'é-
tude des phénomènes naturels. Bacon jeta le pre-
mier dans ce livre la base véritable de la méthode
expérimentale; et quoique ses travaux sur les
sciences physiques n'aient pas une grande valeur,
il ne faut pas moins le considérer comme le pro-
moteur de cette doctrine féconde à laquelle la
science moderne doit ses rapides progrès.
Après Bacon et pendant toute la durée du
xv!!" siècle, cette branche de connaissance humaine
que nous nommons aujourd'hui la p/u/sk/iie, avec
les limites que nous lui assignons, n'existait pas,
à vrai dire, chaque savant travaillant à sa guise,
en obéissant à ses goûts et à ses tendances. C'était
un astronome, Galilée, qui, trenie ans avant la
publication du Novum oryimum, s'étaitoccupé tout
spécialement de la pesanteur et de ses lois et avait
formulé notamment les lois du pendule. C'était
un philosophe. Descartes qui, en 1637, faisait
paraître sa Dioptrique, qui est devenue l'un des
chapitres les plus intéressants de la physique mo-
derne. En lUiS, Pascal, à la fois philosophe, lit-
térateur et mathématicien, posait les bases do
l'hydrostatique dans son livre sur VÈquitibre dei
liqueurs. Newton (1704) publiait son Traité d'Ofi-
tique, œuvre étonnante pour l'époque et qui, à elle
seule, eût suffi pour illustrer son auteur.
Pendant le xviii' siècle, les découvertes des
hommes de science portèrent surtout sur l'élec-
tricité; les mémoires, les opuscules sur cette
branche nouvelle de la science se multiplièrent
d'année en année; et c'est seulement en 1743
qu'un savant français, l'abbé NoUet, put réunir et
grouper en un traité spécial, sous le titre do Leçons
de plii/sique expérimentale, les divers travaux
relatifs à la pesanteur, à la chaleur, à l'électricité
et à la lumière. Le domaine de la physique était
dès lors délimité. Quant à la chimie, la chimie
véritable, elle n'exisiait pas encore à l'état de
science distincte.
Il faut arriver ensuite à l'année 1816 pour trou-
ver un livre de physique véritablement complet;
c'est celui de Biot, qui porte ce titre : Traité de
plii/sique expérimentale et théorique. Cet ouvrage
a rendu à la science de très grands services. Ré-
digé avec clarté et méthode, il a signalé aux physi-
ciens du commencement du siècle les lacunes
qu'il fallait se hâter de combler, et indiqué la
meilleure voie i suivre pour enrichir la physique
de nouvelles découvertes.
En tout cas, dès cette époque la physique était
nettement séparée des sciences voisines, la méca-
nique, la chimie, l'histoire naturelle. Mais, il faut
bien le reconnaître, ces distinctions, ces sépara-
tions, ces classifications que nous sommes obligés
d'introduire dans les objets de notre étude, n'ont
rien d'absolu. Nous avons beau faire, la nature nous
déborde, elle s'impose à. nous avec la complexité
de ses manifestations; la physique et les sciences
voisines ont toujours eu des points de contact
nécessaires, et leur nombre ne fait que s'accroî-
tre tous les jours. Le courant électrique est un
agent puissant de décomposition chimique, que
nous utilisons sur une grande échelle pour la
galvanoplastie et la dorure ; où placera-t-on
l'électro-chimie : en chimie ou en physique '?
D'autre part, la thermo-chimie, dont un savant
français, M. Berthelot, a récemment posé les bases
d'une façon si majestueuse, doit-elle former un
chapitre de la physique ou bien une annexe do
la chimie'? La force vitale, que devint-elle après
les découvertes de Claude Bernard? Notre manière
de classer les phénomènes est évidemment tout à
fait artificielle. Il y a mieux : les agents physi-
ques eux-mêmes, pesanteur, chaleur, électricité,
lumière, représentent-ils des forces absolu ment dis-
tinctes, comme les physiciefis du dernier siècle et
du ccnnmencenient de celui-ci se sont acharnés i
le démontrer '? Non, il faut encore revenir de
PHYSIQUE
— 1598 —
PHYSIQUE
cette idée. La science actuelle emprunte le se-
cours ;\ la fois de l'expérience et du calcul pour
montrer partout l'unité. La force se transforme,
elle no s'augmente jamais. Ses manifestations
sont diverses, mais elle reparaît le cas éclicant
avec son énergie première. Avec do la chaleur
nous produisons du travail mécanique, de l'élec-
tricité, de la lumière, suivant les cas ; le travail
mécanique à son tour peut être transformé en
chaleur, en électricité, etc., et l'énergie se trouve
toujours intacte. Ce ([ui s'applique au monde des
minéraux est tout aussi vrai pour les êtres vivants,
pour les végétaux et les animaux dont les phy-
siologistes se chargent d'étudier les fonctions.
Il n'est pas jusqu'aux mondes planétaires pour
lesquels cette unité de plan et de composition ne
se trouve parfaitement établie.
Les conséquences de ce qui précède, c'est qu'il
n'est plus possible de délimiter avec précision le
champ do la physique ; elle pénètre, quoi qu'on
fasse, dans le domaine des autres sciences. Ces
distinctions pendant longtemps admises des phé-
nomènes physiques, chimiques et vitaux n'ont
rien de réel ; elles tendent à s'effacer de plus en
plus. On les conservera néanmoins pour rendre
possible le travail d'analyse de l'esprit humain à
la recherche de la vérité scientifique.
Méthodes d'enseiynement. —L'enseignement do
la physique peut être fait par deux méthodes :
On peut prendre pour base les propriétés de la
matière, considérées d'une manière abstraite,
grouper en formules algébriques les phénomènes
connus et les lois auxquelles ils sont soumis, s]a-
dresser à l'analyse mathématique pour déduire
les conséquences des lois élablies et prévoir les
résultats nouveaux ; c'est la méthode mathémati-
que, hardie dans ses déductions, mais à la portée
seulement de ceux qui ont une culture scientifique
suffisante.
Ou bien on peut prendre comme point de dé-
part la description des phénomènes saillants dont
nous sommes tous les jours les témoins plus ou
moins inconscients, et demander leur explication
à l'expérience et à l'observation ; c'est la méthode
expérimentale, sans contredit la plus commode et
la plus convenable pour l'enseignement élémen-
taire. Elle conduit comme la première à une no-
tion exacte de la nature ; l'expérience y précède et
y prépare la généralisation et la théorie, au lieu
d'en être le complément et la preuve. Les princi-
pes y sont rendus sensibles plutôt que démontrés
par des considérations théoriques ; des exemples
numériques nombreux et convenablement choisis
remplacent les formules algébriques trop abstrai-
tes et servent à fixer dans l'esprit les principales
lois physiques ; la description et les usages des
principaux appareils y occupent la première place.
On n'y présente pas d'abord le principe d'Ar-
chimède comme une conséquence des pressions
des liquides ; on le démontre expérimentalement ;
on l'applique à dos exemples divers ; le problème
posé i Archimède par Hiéron, ceux qu'on em-
prunte à la charge des navires dont on connaît le
volume et le poids, M'effort nécessaire pour tirer
de l'eau un corps lourd, permettent d'établir la
théorie des corps flottants et les conditions d'équi-
libre lies corps plongés.
La première partie de la physique est consacrée
à l'étude des propriétés générales de la matière
et aux propriétés particulières des solides, des
liquides et des gaz.
la deuxième partie passe en revue les phéno-
mènes dépendant des agents physiques, la cha-
leur, l'cleciricité et la lumière.
Et dans chaque chapitre, on groupe un choix
d'applications graduées, prises parmi les plus
usuelles et notamment parmi celles qui peu-
vent développer les connaissances météorologi-
ques, si importantes et encore si peu répandues.
La physique, ainsi envisagée, est accessible i
tous; à tous elle est utile. Outre qu'elle répond,
comme toutes les autres sciences, au désir de
nous rendre compte de tout ce qui se passe autour
de nous, elle détruit des préjugés vulgaires en
nous faisant voir comme tout à fait naturels une
multitude de phénomènes qui ont longtemps paru
surprenants et dont les esprits ignorants se font
encore une terreur chimérique ; de plus, elle est
d'une incontestable nécessité pour les arts et l'in-
dustrie, qui lui empruntent leurs procédés et leurs
appareils.
Voici le programme que nous avons suivi dans ce
Dictionnaire pour la distribution des articles de
physique :
PROGRAMME DE PHYSIQUE
PREMIÈRE SECTION.
I. — Trois états des corps : solides, liquides et gaz.
— Propriétés générales de la matière : impéné-
trabilité, compressibilité, exemples de péné-
trations apparentes, — porosité, — divisibilité,
exemples et applications. — Idée de la constitu-
tion hypothétique de la matière. — Mouvement,
— uniforme, varié. — Définition de la vitesse.
— Mouvement rectiligne et circulaire. — Inertie.
— V. Propi iétés des corps. Mouvement.
II. — Forces considérées comme causes du mou-
vement. — Leur comparaison aux poids. —
Trois éléments d'une force : direction, intensité,
point d'application. — Force résultante. — Pre-
mière notion de l'équilibre. — Forces parallèles,
— application aux leviers, — différents genres
de leviers avec exemple. — Notion simple du tra-
vail. — V. Force.
III. — Tous les corps tombent.— Pesanteur, — c'est
une force: direction {verticale, fil à plomb); in-
tensité fpoids) ; point d'application (centre de
gravité). — Exemples de l'équilibre des corps
pesants suspendus ou reposant sur un plan. —
Chute des corps dans le vide, dans l'air. —Pen-
dule, application à la mesure du temps, horloges.
— \. Pesanteur, Attraction.
IV. — Mesure des poids. — Balance. — Conditions
de justesse et de sensibilité. — Méthode des
doubles pesées. — Romaine. — Bascule. — V.
Eijuililjre.
V. — Propriétés particulières des solides. — Elasti-
cité. — Ténacité, résistance à la rupture : ponts
suspendus. — Dureté : modification par la
trempe, le recuit. — Ductilité : fils fins. — Mal-
léabilité : feuilles d'or. — V. Solides [Propriétés
des). E/asticiti'.
VI. — Liquides, leurs caractères. — Ils transmettent
les pressions; presse hydraulique de Pascal et
ses applications. — Leur surface libre est hori-
zontale : niveau des mers. — Pressions exer-
cées par l'eau, en vertu de son poids, sur le fond
des vases, sur leurs parois latérales. — Calcul
de ces pressions. — Applications aux roues à
action directe et à réaction. — Cas de plusieurs
liquides dans un même vase. — Niveau à bulle
d'air. — Cas d'un liquide dans des vases com-
municants : applications aux eaux naturelles, aux
conduites, au niveau d'eau, aux jets d'eau. —
V. Liquide, Ht/drostatique, Capillarité.
VII. — Principe d'Archimède. — Sa démonstration
expérimentale. — Corps plongés, corps flottants.
— Notions sur leur équilibre. — Lest. — Ap-
plications. — V. Archimède [Principe d'), Absorp-
tion, Equilibre.
VIII. —Poids du décimètre cube des divers corps.
— Notion de la densité. — Recherche de la den-
sité des solides et des liquides. — Principe des
méthodes: 1° par la balance, T par le flacon,
o° par les aréomètres. — Pèse-acide , — Pèse-
PHYSIQUE
— 1599 —
PIERRES
I
I
liqueurs, — Alcoomètre centésimal. — Leurs
graduations. — Leurs emplois. — V. Densité,
Àréoméire.
I \ . — Propriétés des gaz, surtout de l'air. — Prouve
que l'air est pesant ; — détermination approxima-
tive du poids d'un litre. — L'atmosphère presse
sur tous les corps. Expérience de Torricelli. —
Valeur de la pression atmosphérique sur 1 cen-
timètre carré. — Baromètre, sa construction,
ses usages. — V. Gaz, Air, Atmosphère, Baro-
mètre.
\. — Force élastique de l'air. — Ascension de l'eau
dans les tubes dont l'air est aspiré. — Loi de
Mariette, démonstration. — Mesure de la pres-
sion d'un gaz. — Manomètre. — V. Elasticité.
XL — Machine pneumatique. — Sa description. —
Son emploi. — Expériences du crève-vessie, des
hémisphères de Magdebourg. — V. Pneumati-
que {Miicliinf).
XII. — Appareils fondés sur la pression atmosphéri-
que. — Pompes (aspirante, foulante, aspirante
et foulante.) ~ Effort à y développer. — Pompe
de compression. — V. Fumpe.
XUL — Siphon, sa forme, ses emplois. — Principe
d'Archimède appliqué aux gaz. — Aérostats. —
Calcul de leur force ascensionnelle. — V. Siphon,
Aérostats.
DEUXIÈME SECTION.
XIV. — Chaleur. — Ses effets sur les corps. — Ce
qu'on entend par température. — Thermomètre,
sa construction, — ses graduations. — Sources
naturelles et artificielles de chaleur. — V. Cha-
leur, Thermomètre.
XV. — Preuves de la dilatation des solides, des li-
quides et des gaz. — Nombres comparatifs pour
ces trois sortes de corps. — Applications. —
Maximum de densité de l'eau. — Ses effets dans
la nature. — V. Dilatation.
XVI. — Changements d'état. —Passage de l'état so-
lide à l'état liquide. — Fusion et dissolution. —
Lois de la fusion, — exemples. — Chaleur la-
tente, fonte des glaces.— Mélanges réfrigérants.
— Solidification. — Ses effets divers. — V. Fu-
sion.
XVII. — Passage d'un liquide en vapeur : 1» dans le
vide, — force élastique des vapeurs, ses varia-
tions, — état de saturation; — vapeurs dans l'at-
mosphère; — ".;" dans l'air: — évaporation, — cir-
constances qui la favorisent, — froid qu'elle
produit, — formation de la glace ; — applications.
— V. Vapeur.
XVIII. — Ebullition. — Ses lois. — Influence de la
pression. — Distillation. — Chaleur latente. —
Chauffage au bain-marie, à la vapeur. — Appli-
cations.—V. E/jullition.
XIX. —Conductibilité des solides; — applications
des liquides et des gaz. — Chauffage de l'air, des
appartements : cheminées, poêles, calorifères.
— V. Conductibilité, Chauffage.
XX.-— Propagationdelachaleuràdistance. — Corps
qui émettent le mieux, qui réfléchissent, qui
diffusent, qui absorbent la chaleur. — Applica-
tions à réchauffement rapide d'un corps, à la
conservation de la chaleur, au rayonnement
nocturne. — V. Hayo7inement.
^XI. — Température de l'air i la surface du sol, va-
riations qu'elle subit. —Climats. — Vents, leur
production, leur vitesse. — Vapeur d'eau. —
Phénomènes qui en dépendent, — hygrométrie.
— Brouillards et rosée, — nuages, — pluie,
neige, grôle, etc. — V. Almosplière, Climats,
Hygromètre, et les divers articles du pro-
gramme de Météorologie.
.\XII. — Electricité. — Production de l'électricité
liar le frottement. — Corps conducteurs et iso-
lants. — Attractions et ré|)ulsions, électrosco-
pes. — L'électricité se porte h la surface des
corps ; — pouvoir des pointes. — Electrisation
par influence. — Expérience fondamentale. —
Appareils électriques. — Electrophore. — Ma-
chine à plateau de verre. — Expériences diver-
ses. — Bouteille de Leyde. — Ses effets. — V.
Eie-tricilé.
XXIII. — Electricité atmosphérique. — Eclairs. —
Foudre. — Paratonnerres; — notions sur leur
construction. — Dangers de se réfugier sous les
arbres pondant les orages. — Choc en retour. —
V. Elect'icité, Foud' e. Orage, Paratonnerre.
XXIV. — Electricité desactions chimiques. — Piles
les plus employées. — Effets chimiques de l'é-
lectricité ; décomposition de l'eau, des sels ; gal-
vanoplastie, argenture et dorure. — Lumière
électrique. — V. Electricité, Galvanoplastie,
Eclairage.
XXV. — Aimantsnaturelsetartiflciels. — Leurs pro-
priétés. — Procédés d'aimantation. — Boussole,
ses emplois. — V. Aimants, Magnétisme, Bous-
sole .
XXVI. —Aimants produits par l'action de l'électri-
cité, C sur l'acier, S" sur le fer doux. — Electro-ai-
mants, leurs formes, leurs usages. — Principe du
télégraphe. — V. Aimants, Magnétisme, Télé-
graphe.
XXVII. — Induction électrique. — Notions élémen-
taires sur son principe et les appareils qui l'u-
tilisent. — V. Electricité.
XXVIII-XXIX. — AcouSTiQLE. — Production du son.
— Propagation dans l'air, vitesse. — Réflexion,
échos et résonnances. — Qualité du son. — Vi-
brations des cordes et des tuyaux. — V. Acoui-
tique.
XXX. — Optique. — Propagation de la lumière. —
Lumière tombant sur un corps opaque: ombre,
pénombre ; comparaison des intensités lumi-
neuses. — Réflexion, — Miroirs plans et cour-
bes. — V. Lumière, Réflexion.
XXXI. — Lumière traversant les corps transparents.
— Réfraction, — mirage. — Dispersion, — cou-
leurs du spectre, — arc-en-ciel. — Actions chi-
miques des rayons solaires. — Lumière, Ré-
frnrtion. Phénomènes optiques de l'atmisphère.
XXXII. — Chambre noire et œil. — Images des objets.
— Distance et grandeur. — Instruments grossis-
sants : — loupe, — microscope. — Instruments
à projections : — lanterne magique. — Instru-
meiUs à rapprocher : — lunette, — longue-vue.
— \. Optique (Instruments d'). [Haraucourt.J
PIEItltKS (V. Minéralogie). — On a divisé les
substances minérales, bien avant d'en connaître
la composition, d'une part en pierres, d'autre
part eu métaux, ou matières indiquant par leur
éclat métallique une certaine teneur en métaux
plus ou moins faciles à extraire. Les pierres,
il est vrai, renferment souvent aussi des élé-
ments que les chimistes modernes appellent métaux,
tels que le potassium, le sodium, le magnésium, le
calcium, le baryum, le strontium, etc. ; mais ce sont
des métaux légers qui ne colorent pas les combi-
naisons dont ils font partie, et que leur prompte
altération à l'air, leur peu de ténacité empochent
d'employer h l'état métallique proprement dit.
M. Henri Sainte-Claire Ueville a cependant montré
que l'aluminium pouvait rendre un grand nombre
des services qu'on est habitué à demander aux
métaux proprement dits. Comme, en outre, plu-
sieurs substances minérales contenant du zinc, de
l'étaln, ressemblent plutôt à des pierres qu'à dos
minerais, on voit que la distinction des minéraux
en métaux et en pierres est purement artificielle.
Elle offre ce seul avantage de réunir les matières
qui ont des applications analogues. C'est encore
i ce point de vue des applications qu'il faut se
placer pour accepier la division dos pierres en
pii'i-)-es précieuses et en pierres proprrment dites.
I. Pierres précieuses. — La première qualité
PIERRES
— 1600 —
PIERRES
'une pierre, dite précieuse, est la dureté, qui pro- I on creuse des excavations dans le sol, et on lave
èire le poli naturel ou artificiel de ses faces contre les masses de terre qu'on en retire. On exploite de
" - ■ ■•• . ■■.! .^: même le lit des rivières, après en avoir détourné
d'
tèee le poL ...
le frottement. La seconde est l'éclat, propriété qui
est difficile à définir, mais qui est en rapport avec
l'indice de réfraction, et par conséquent avec le
pouvoir réflecteur, comme la physique le démon-
tre. Enfin, les pierres précieuses doivent posséder
des couleurs franches, vives, et, surtout lorsqu'elles
sont incolores, une limpidité parfaite. Les pierres
tout à fait transparentes sont dites d'une telle eau.
Plusieurs des groupes dans lesquels nous avons
divisé les espèces minérales (V. Minéralo(jie) four-
nissent des pierres précieuses.
1" groupe. Corps simples non métalliques. —
Le carbone à l'état de dinmanl. Il est cristallisé
en octaèdres réguliers, simples, ou portant sur
toutes leurs faces des pyramides triangulaires, et
souvent aussi en solides à 48 faces, dont les con-
tours sont arrondis. Il brûle dans l'oxygène ou
même dans l'air, à une liante température, mais
lentement, et le résultat de la combustion est de
l'acide caj-bonique. C'est la plus dure de toutes les
substances minérales. Il n'est usé que par sa pro-
pre poussière. Il a pour densité a..T>. Il a un
éclat gras, particulier, surtout avant la taille, lors-
qu'on en a nettoyé la surface. Les octaèdres bien
réguliers sont taillés en hrillunts. Pour cela, on
scie le cristal suivant un plan parallèle à sa base,
de façon à enlever une petite pyramide quadran-
gulaire, dont la hauteur doit êlre les ïj'i de celle
du cristal entier ; la face ainsi produite est appelée
table; 32 facettes disposées symétriquement autour
de la table forment avec elle le dessus. La moitié
inférieure de l'octaèdre fournit le i/ess-ous. Ses
quatre faces appelées pavillons alternent avec
d'autres plus étroites taillées sur leurs arêtes et
se raccordent par l'intermédiaire de facettes plus
petites avec celles du dessus.
Lorsque les cristaux naturels sont plats, on leur
donne la forme appelée taille à roses. Cette taille
se compose d'une face large appelée culasse, sur-
montée d'une couronne composée de 6 Ji 32 fa-
cettes triangulaires.
En général , le diamant n'est pas taille sans avoir
passé par les mains du clieeur, qui le fixe au bout
d'un bâton au moyen d'un mastic fusible à une
chaleur douce, y grave, dans une direction déter-
minée, une entaille assez profonde au moyen d'un
autre diamant à arête tranchante, et, plaçant en-
suite une lame affilée d'acier dans l'entaille, donne
avec une baguette de fer un coup sec sur le dos
de cette lame; la pierre se fend.
Quelquefois le clivage n'est pas nécessaire;
alors le diamant naturel est remis à Vébruleur,
qui l'use en le frottant contre un autre, de ma-
nière à ébaucher la forme qu'on désire lui donner.
Quant au poUssaoe , la dernière opération , il
s'exécute sur des disques de fer qui tournent sous
l'action de machines à vapeur avec une vitesse de
2000 tours par minute, et qui sont enduits à'égri-
sée délayée dans de l'huile d'olive. L'égrisée est
obtenue d'habitude par la pulvérisation de cristaux
de diamants tellement enchevêtrés que la masse,
appelée boorl, ne peut plus se prêter au clivage
ni à la taille, ou au moyen des éclats donnes par
l'opération du clivage, lorsqu'ils sont trop petits
pour être taillés utilement.
Le diamant se rencontre en cristaux disséminés
dans des sablns formés principalement de quartz.
Les mines de l'Inde forment des bandes isolées
sur la pente orientale du Dekhan et du plateau
d'Amarakantaka, au bord du pays élevé. Elles
sont h peu près épuisées. Celles du Brésil s'éten-
dent depuis la ville de Conceicio jusque bien au-
delà de Diamantina. La terre appelée cascalho
est une sorte de vase grise ou rougeàtre, empâtant
des galets de quariz, d'oligiste et d'une tourma-
line noire appelée Feijlto. Dans toutes ces mines
le cours.
Les mines du cap de Bonne-Espérance, décou-
vertes en 18(i7, ."i 1200 kilomètres du Cap, sur la
limite de la colonie de ce nom et des Etats libres
du fleuve Orange, consistent en une terre onc-
tueuse un peu bleuJtre, mêlée de fragments de
roches dures, et d'un grand nombre d'espèces
minérales, calcédoines, grenats, pyroxène, etc. La
lerre diamantifère remplit de grands trous, qui
sont comme percés dans des roches schisteuses.
L'unité de poids du diamant est le rarat, qui
équivaut à 205 milligrammes. Un brillant de I ca-
rat vaut de 120 à 220 fr., suivant ses qualités ;
un de 2 carats de 400 à 700 fr., un de 3 carats
de GOO à l'.'OO fr., etc. Lonetemps la règle de
Tavernier, célèbre voyageur qui fit une lortune
immense dans le commerce des pierreries, vers
la fin du xvii" siècle, a passé pour une loi accep-
tée par le commerce. Elle disait que pour évaluer
le prix d'un brillant, il fallait élever au carré le
nombre de carats que pèse la pierre, et multiplier
ce produit par le prix du premier carat. Aujour-
d'hui, les mines du Cap fournissent un si grand
nombre de grosses pierres, que le prix de celles-ci
est devenu très inférieur à celui que donnerait le
calcul précédent. Parmi les plus gros diamants se
distinguent: le Régent, qui pèse 136 carats V*i Q"'
est d'une taille parfaite, d'une limpidité admirable,
qui a été acheté dans l'Inde pour Louis XV, par le
Régent, moyennant une somme de 3, 1 25,000 fr., et
auquel l'inventaire des pierreries de la Couronne
attribuait en 1791 une valeur de 12,ii00.000 fr. ;
leKohi-Noor, la plus belle des pierres de la cou-
ronne d'Angleterre, qui pèse 103 carats 3/4 ;
l'Étoile du sud, qui pèse 134 carats 7/16.
4" groupe. Oxydes. — Ce groupe donne les
plus belles pierres de couleurs. L'alumine, l'oxyde
d'aluminium, Al'-O^, corindon des minéralogistes,
cristallise en rhomboèdres, en prismes hexago-
naux, en doubles pyramides à G faces. Le corin-
don a un éclat qui le rapproche du diamant,
à la suite duquel il se place immédiatement au
point de vue de la dureté. Coloré en rouge car-
min par un oxyde de chrome, il poi te le nom de
rubis oriental et atteint dans le commerce des
prix fort élevés. Coloré en bleu, il est appelé sa-
phir oriental ; c'est encore une pierre de grand
prix. Coloré en jaune, il devient la topaze orien-
tale, en violet, ['améthijste orientale. La densité
du corindon est de 4.1. L'alumine combinée à
de la magnésie forme un aluminate, appelé spi-
nelle, d'une manière générale, quelle que soit la
matière colorante qu'il renferme : on le nomme
ru'4s spinelle, lorsqu'il est coloré en rouge de
feu, comme le rubis oriental ou proprement dit,
par le même oxyde de chrome ; rubi< h'dais, lors-
qu'il est d'un rouge rose tirant sur le bleuâtre.
Le spinelle cristallise en octaèdres réguliers ; il
a pour densité 3.57, et pour dureté 8.
G" groupe. Silicates. — L'émeraude est la p^Ius
belle pierre qui appartienne à ce groupe. C'est
un silicate d'alumine et de glucine, cristallisé en
prismes hexagonaux, d'un beau vert d'herbe,
quelquefois d'une transparence parfaite, ayant
une densité égale à 2.07, une dureté intermé-
diaire enire celle de la topaze, qui est 8. et celle
du quartz qui n'est que de 7. La coloration verte
est communiquée au silicate par quelques milliè-
mes d'oxyde de chrome. Par lui-même, ce silicate
est incolore, quelquefois verdàtre, ressemblant à
l'eau vue par transparence sous une certaine
épaisseur. Cette dernière variété est appelée ai^we-
mnrine. Les variétés rousses ou tirant sur le jaune
sont confondues sous le nom de béryls.
Un silicate d'alumine et de chaux, contenant
PIERRES
1601 —
PIERRES
:! équivalents de chaux, 1 d'alumine, et 3 de silice,
dans lequel cependant une petite quantité de
cliaux est remplacée par du protoxyde de for, a
une belle couleur orangée, tirant sur le jaune
par transparence ; c'est V hyacinthe [Jncinla la-
hetla des Italiens). La densité en est d'environ
3. G, la dureté d'environ 7. L'hyacinthe fait par
sous le nom d'agalc, et plus spécialement sous
ceux de cornalines (agates rouges), sardoines (d'un
jaune orangé), chfi/soprases (d'un vert pomme),
agates oai/x (agates offrant des anneaux concen-
triques de couleurs variées). Les onyx i plusieurs
couleurs sont recherchées pour le travail des
amée.i. Les silex sont des agates à pâte encore
tio du groupe des grenats, dont le nom rappelle moins cristalline, plus compacte ; ils forment des
la couleur de plusieurs d'entre eux, celle du gre- nodules, des bancs, dans les couches do plusieurs
nadier; mais il y a des grenats verts. Les plus terrains ; lorsqu'ils ont été longtemps charriés par
employés sont d'un rouge violet, velouté, ou cra- les eaux, ils s'arrondissent et prennent la forme de
moisi foncé : ce sont les grenats orientaux, ou {/alels. Imprégné d'oxydes métalliques qui le ren-
si/rians, et non syriens, comme on dit quelque- | dent tout à fait opaque, le quartz est appcAéjnspe,
fois i tort. Leur composition se rattache au même
type chimique que celle de l'hyacinthe ; mais la
chaux est, dans une espèce, à peu près complète-
ment remplacée par du protoxyde de fer. Les
grenats syrians font partie des escarbouclfs des
anciens. Ils sont réunis par les minéralogistes
aux grenats vermeilles du commerce, pierres d'un
rouge un peu orangé, sous les noms <!ïulman-
dins ou à'almandin''s.
La silice combinée à l'alumine et à la magnésie,
mêlée d'un peu d'oxyde de fer, produit le saphir
iFeau, qui est d'un beau bleu comme le saphir,
mais dans une seule direction, et qui devient gris
ou presque incolore dans les autres. Deux équiva-
lents de magnésie, remplacée en partie par du
protoxyde de fer, un seul équivalent de silice,
telle est la composition du périilot ou olivine,
pierre d'un vert olive clair, et de peu de valeur.
Une combinaison de silice, d'aluuiine et de fluor,
où le fluor est regardé par la plupart des auteurs
comme uni b du silicium, cunstitue la topaze,
matière qui cristallise en prismes droits h base
rhombe surmontés d'octaèdres de même section.
C'est une pierre d'un jaune d'or, passant à, l'o-
rangé, dont la densité est 5.62, la dureté 8 : elle a
un clivage très net. Quelques variétés sont d'un
beau rose, ou rouges, et fournissent des rubis. On
appelle é/«/ee5 destopazes qu'on chauffe au moyen
d'amadou dont on les enveloppe; cette opération
les fait passer du jaune au rose.
Des silicoborates d'alumine, de fei>, de chaux,
de potasse, de soude, de lithine, renfermant en
outre du fluor, cristallisés en prismes hexagonaux,
quelquefois en prismes 5. neuf pans, à extrémités
dissymétriques, forment les tourmaltn'S, dont
certaines colorées en rouge sont taillées et vendues
comme rubis, sous le nom de ruhellites. Les tour-
malines sont généralement très allongées suivant
l'axe de leurs prismes ; lorsqu'elles ont été chauf-
fées, elles présentent des pôles électriques con-
traires aux extrémités opposées de cet axe pendant
leur refroidissement. On les appelait autrefois
tire-cejtdres, à cause de leurs propriétés élec-
triques.
La silice libre de toute combinaison, acide sili-
cique des chimistes, se rencontre dans la nature
sous deux états différents. Cristallisée en prismes
hexagonaux terminés par des pyramides à six faces,
elle porto le nom de quartz ou cristal de roche.
Les cristaux de quartz ont quelquefois des dimen
sions énormes; on en peut juger par celui qui est
exposé à l'entrée de la galerie du Muséum d'his-
toire naturelle. Pline citait déjà, ces grandes cavi-
tés appelées poches à cristaux, que des hommes
attachés k des cordes solides vont fonillerdansdes
fentes de rochers, sur les parois d'horriblesabîmes,
pour en extraire des morceaux d'un volume et d'un
poids souvent considérables. La vallée de Viesch
(Valais) est sous ce rapport une localité encore célè-
bre actuellement. Le quartz y est un peu enfumé,
colore en brun par des matières charbonneuses. Le
quartz coloré en violet a reçu le nom A'nmcthyste.
Cette matière n'est pas toujours cristallisée, ou
no I est qu imparfaitement. Elle forme quelquefois
une pâte à demi cristalline, translucide, connue
2' Partie.
et donne des matières de couleurs agréables, et
capables de recevoir un beau poli. Enfin, des grains
de quartz, quelquefois extrêmement petits, sont
d'ordinaire l'unique élément des sahles. Reliés
entre eux, cimentés par des dissolutions calcaires
ou siliceuses, ils constituent les grès, souvent
disséminés au milieu des sables qui leur ont donné
naissance, mais souvent aussi restés seuls debout,
semblables à des ruines gigantesques, après l'a-
blation des sables emportés par dos cours d'eau.
Le cristal de roche, les agates, les silex, les jas-
pes, les sables, toutes ces matières sont formées
de la même silice insoluble dans les acides, ex-
cepté dans l'acido fluorhydrique Ht dans les solu-
tions bouillantes des carbonates alcalins; elles ont
pour dureté 1, pour densité 2.()5, i moins qu'elles
ne contiennent beaucoup de matières étrangères.
Elles sont attaquables par la potasse en fusion.
Sous un second état, la silice a une dureté moin-
dre ; sa densité ne dépasse pas 2.2 ; elle devient
soluble non seulement dans la potasse en fusion,
mais dans les dissolutions bouillantes de potasse
ou des carbonates alcalins. Elle porte le nom d'o-
pale. Certaines opales fissurées d'une manière par-
ticulière montrent, sous l'influence de la lumière,
ces jolis phénomènes optiques dits phénomènes
des réseaux ; elles fournissent les jolies pierres à
reflets irisés, appelées op'iles nobles.
On trouve encore dans les silicates quelques au-
tres pierres qu'on peut appeler /«er/rs d'ornemen-
tation,ne servant plus, en général, que dans Vor-
nementation de luxe. Telles sont la serpentine,
hydrosilicate de magnésie, dont les nuances rouges
ou d'un vert tantôt clair, tantôt foncé, s'entremê-
lent agréablement ; le lapis-lazuli, saphir des an-
ciens, silicate dalumine, de chaux, de soude, avec
soufre et fer, d'une dureté médiocre, dont le fond,
d'un beau bleu d'azur, est souvent semé de cristaux
de pyrite d'un jaune d'or; les pagodites ou agat-
malolilhes, dont les Chinois fabriquent des sta-
tuettes ou des figurines grotes(iues,
T groupe. Les carbonates. — Solubles avec
effervescence dans les acides. Le calcaire ou car-
bonate do chaux (CaOCO-) cristallise en rhomboè-
dres, en prismes hexagonaux, en scalénoèdres et
sous des formes prodigieusement variées, que les
cristallographes savent tirer suivant des lois très
simples d'un rhomboèdre de I0j°,5', celui qu'on
obtient, du reste, en cassant les cristaux de cette
substance, quels qu'ils soient. Il a pour dureté i,
pour densité 2.7. Il forme des masses considéra-
bles, de véritables couches. Les marbres propre-
mont dits ne sont autre chose que des masses de
calcaire en cristaux très petits, mais où l'on aper-
çoit, quand ils sont fraîchement cassés, des petites
facettes de clivage. Les beaux marbres blancs de
Paros ressemblent souvent h des morceaux de
sucre. Il en est qui sont encore plus compacts.
Les cuuleurs que leur communiquent certains oxy
des métalliques ou d'autres matières étrangères,
les divers mélanges de ces couleurs, y ont fait dis
tinguer un grand nombre de variétés qui portent
des noms célèbres : le vert antiqw ou vert de Flo-
rence (calcaire mêlé do serpentine); lo marbre
Sainte-Anne, d'un gris bleu; le griotte,A'm\ rouge
101
PIERRES
— 1602 —
PIERRES
brun parsemé de taches d'un rouge de sang ; les
campons, à texture schistoide, etc.
On ne peut oublier de mentionner, k la suite
des marbres, ces belles variétés de calcaire trans-
lucide, à texture fibreuse, qu'on appelle albâties
ou onyx (onyx calcaire).
8' groupe. Phosphates, — Une seule pierre mérite
modifiés par des plans latéraux, se divisent en
lamelles hexagonales, en simples paillettes même,
répandues au milieu des argiles et des sables qui
proviennent de la démolition des roches cristal-
lines. Le mica se reconnaît dans le granité, dont il
est un élément essentiel, à son éclat brillant, vif,
h ce qu'on peut l'enlever aisément, au moins en
d'j être signalée : la turquoise orientale, d'un bleu : partie, à l'aide d'un canif, en lamelles minces,
céleste passant au vert-pomme. C'est un phosphate flexibles, élastiques, tandis que l'orthose forme
d'alumine hydraté, qui ne se présente jamais que
sous la forme de rognons ou d'incrustations.
II. Pierres proprement dites. — Un certain
nombre ont une importance considérable, en ce
qu'elles sont les éléments essentiels des roches,
c'est-à-dire de ces masses dont se compose l'écorce
solide du globe; plusieurs sont employées dans
l'agriculture.
6* groupe. Si'icates. — Ceux dont la com-
position est la plus simple sont des silicates de
magnésie et de fer. Dans la section précédente,
nous avons défini le péridot. C'est un élément
des roches, ainsi que d'autres silicates où la silice,
unie aux mêmes bases, ne se trouve plus, à leur
égard, dans les mêmes proportions. Les pyroiènes
des lamelles brillantes aussi, mais résistantes, à
contours différents. Quant au quartz, il se pré-
sente en grains d'aspect vitreux, semblables à des
fragments de sel gris.
Le dernier groupe de silicates important à con-
naître est celui du talc; c'est un silicate de ma-
gnésie hydraté, qui a de l'analogie avec les micas,
lorsqu'il est cristallisé", mais il est flexible, sans
être élastique; il est beaucoup plus tendre; il se
raye avec l'ongle ; il est très onctueux au toucher :
ses variétés compactes sont appelées stéatites et
fournissent la craie de Uriançnn, dont se servent
les tailleurs pour écrire sur le drap; pulvérisées,
elles donnent la poudre de gants .
'' groupe. Carbonates. — Le calcaire en est
sont des silicates de magnésie et de fer contenant l'espèce la plus importante. C'est un des éléments
2 équivalents de silice pour 1 des bases principaux des terrains stratifiés, qui sont formés
réunies. Les formes cristallines des pyroxènes dé-
rivent d'un prisme oblique à base rliombe. L'es-
pèce la plus importante de ce groupe est le py-
roxène ougile, qui est noir en masse, d'un vert
foncé lorsqu'on le regarde en lames très minces.
surtout de calcaires, d'argiles, de marnes, mélange
d'argile et de calcaire; toutes ces roches alternent en-
tre elles et avec des sables et des grès. 11 forme aussi
les stalactites, ces pyramides renversées qui pen-
dent du sommet d'un grand nombre de grottes, les
L'augite fond au chalumeau, mais elle est insulu- stalagmites où se dépose le carbonate de chaux
ble dans les acides, tandis que le contraire a lieu que les stalactites n'ont pas retenu, les pisolithes,
pour le péridot. L'augite et le péridot entrent sortes de dragées i couches concentriques, aban-
dans la composition d'un grand nombre de laves , données par des eaux chargées de calcaire, lors-
et de roches volcaniques. Près de l'augite se place qu'elles sourdent tumultueuses d'ouvertures pra-
la hornblende, matière également noire contenant l tiquées dans les roches qu'elles ont traversées;
aussi un peu d'alumine, mais un peu plus riche ] enfin les dépôts de la plupart des eaux incon-
en silice, cristallisant comme les pyroxènes en j stantes, qui, après avoir parcouru des couches de
prismes obliques à base rhorabe, mais d'angle dif- carbonate de chaux, viennent couler au grand air
feront. La hornblende concourt à la composition sur un sol moins perméable,
de beaucoup de roches éruptivcs appartenant soit | Quelquefois le carbonate de chaux est associé à
au groupe des granités, soit à celui des porphyres i du carbonate de magnésie. Les deux carbonates
noirs ou mélaphyres. composent ensemble la dolomie, dont les bancs
Les silicates d'alumine simple comprennent le tiennent aussi une assez large place dans la char-
disthène, souvent bleu, cristallisé en prismes dou- i pente du globe.
blement obliques, et l'andalousite, dont les prismes 8' groupe. Phosphates. — Le plus important
droits à section de losange empâtent fréquemment, 1 est le phosphate de chaux. Cristallisé, il prend le
sous le nom de ncacles, les schistes où ils sont dis- [ nom û'apatite, et se rencontre en prismes liexa-
séminés. I gonaux. ayant une dureté à peu près égale k celle
Plus complexes sont les silicates appelés i de l'acier. Il contient du fluorure ou du chlorure
fddspaths. Ils sont composés de 1 équivalent de calcium. Terreux, il imprègne des coquilles, ou
d'alumine, de 1 équivalent de potasse ou de soude, constitue des amas quelquefois assez volumineux,
et de chaux, quelquefois mélangés d'une petite | et remplit des poches, où il se mêle souvent à des
quantité de fer, raren^ent de magnésie, le tout argiles et à des débris d'ossements. En masse, il
associé à G équivalents de silice dans Vorlhose et j est quelquefois cristallin, plus souvent compact
Valbitc, à 4 1/2 ou à 5 dans ïongoclase, à 3 dans i ou terreux, et ne peut se reconnaître que par 1 a-
le labrailor. | nalyse. Il joue un grand rôle dans la préparation
Ils se clivent tous suivant deux directions planes 1 des engrais.
qui font entre elles un angle do Ou» (orthose) et 9" groupe. Sulfa'es. — Le seul vraiment abon-
d'environ 87° (les autres feldspaths). L'orthose dant est le sulfate de chaux hydrate (CaOSO ,2H0
cristallise en effet en prismes obliques k base appelé yi/pse. Le gypse cristallise en prismes obli-
rhombe; les autres feldspaths en prismes dou- , ques à base rhombe qui se clivent avec la plus
blement obliques. La dureté de tous est d'envi- grande facilité parallèlement au plan de syrnétrie;
ron 6; ils sont fusibles, quoique difficilement au il suffit d'appuyer un peu dans cette direction sur
chalumeau. Les feldspaths sont des éléments es- un cristal une lame tranchante pour obtenir dos
sentiels des granités, des gneiss; ils constituent feuillets aussi minces qu'on le veut. Dans les carne-
le fond de la pâte des porphyres, des roclies vol- res de gypse des environs do Paris, on trouve de
caniqucs. Ceux du dernier système s'y reconnais- i nombreux cristaux souvent volumineux, qui ont la
sent aux stries dont sont couvertes leurs faces. | forme de deux lentilles accolées dans une grande
Deux autres grands groupes de silicates entrent i partie de leur étendue^ laissant entre leurs parties
encore dans la composition des roches. L'un est libres un angle rentrant; elles se clivent perpen-
celui des micas, silicates d'alumine et de potasse,
renfermant les uns peu ou point, les autres une
grande quantité de magnésie, et généralement du
fluor, quelquefois de la lithine, etc. Ils sont ca-
ractérisés par la facilité avec laquelle leurs cris-
taux, qui sont des prismes droits k base rhombe
diculairement à leurs surfaces convexes ; les feuillets
obtenus par ces clivages ressemblent à des fers de
lance. Le gypse présente dos bancs quelquefois
d'une grande épaisseur et d'une grande étendue;
lorsqu'on en casse un morceau, on voit briller les
clivages des petits cristaux qui le composent et
PIPERAGEES
- 1603 —
PIPERAGEES
<\m le font ressembler au sucre candi. On recon-
naît facilement ces masses à leur peu de dureté;
elles se rayent avec l'ongle.
Cette matiùre porte vulgairement le nom de
pierre à plâtre. Chauffée, elle perd son eau ; si la
température à laquelle on l'a soumise ne dépasse
pas 100°, elle peut, après avoir été réduite en
poudre et gâchée avec une quantité d'eau con-
venable, reprendre l'eau qu'elle avait perdue par
calcination, et, une fois remise dans l'air sec, durcir
et se consolider de nouveau. C'est à cause de cette
propriété qu'on l'utilise comme ciment destiné à re-
lier les matériaux des maisons et des édifices ; prépa-
rée pour cet usage, c'est-à-dire chauffée, puis broyée
à l'aide de meules, elle porte le nom de plâtre *.
Parmi les autres sulfates naturels, on peut men-
tionner celui de baryte, la barytine ou spath
pesant, dont les cristaux se clivent par le choc
suivant les faces d'un prisme droit à, base rhombe,
ce qui les fait placer parmi les spaths ; leur poids,
considérable pour une pierre, puisque leur densité
Toutes ces parties de la plante: racine, tige,
feuilles, renferment de nombreuses glandes i
huiles essentielles, et une quantité prodigieuse
d'oxalate de chaux cristallisé en aiguilles ou en
prismes obliques, courts.
Les fleurs des Pipéracées sont groupées en cha-
tons grêles, cylindriques, presque toujours oppo-
sés aux feuilles. Tantôt les fleurs sont hermaphro-
dites, c'est-à-dire qu'elles présentent des étamines
et un pistil ; tantôt elles sont unisexuées, c'est-à-
dire qu'elles ne présentent que des étamines ou
qu'un pistil. A la base de chaque fleur, ou trouve
une bractée écailleuse; celle-ci peut être plus ou
moins éloigiice delà fleur; la fleur elle-même est
tantôt sessile, tantôt plus ou moins longuement
pédicellée. Dans une fleurhermaphrodite, on trouve
ordinairement deux, trois ou six étamines {deux
dans les Poivriers, Irois dans les Peperomia et six
dans les Zipi>elia), et au centre de ces étamines
un seul pistil composé d'un ovaire uuiloculaire
surmonté d'un stigmate sessile généralement lobé.
est d'environ 4.5, légitime l'épithète de pesant. \ Lorsque les fleurs sont unisexuées, on observe, à
Cette substance est intéressante, parce qu'elle ' la surface des chatons, des étamines en nombre
accompagne beaucoup de minerais et surtout les variable, entremêlées de pistils. Chaque pistil ne
sulfures de plomb et de zinc, dont elle forme j contient qu'un ovule dressé, orthotrope, bitégu-
souvent ce qu'on appelle la gangue dans les filons. ; mente.
' ' En mûrissant, le pistil devient une baie presque
j sèche : chaque fruit ne renferme qu'une graine.
Usages des Pipéracées. — Les Pipéracées sont
Etym : originaires des régions chaudes de l'Amérique, des
lies de la Sonde et de l'Inde; elles sont peu nora-
[Ed. Jannettaz
PIGEONS. — V. Gallinacés.
PILES. — V, Électricité.
PIPÉRACÉES. — Botanique, XXIV
de piper, nom latin du poivrier.
Définition. — Les Pipéracées sont des végétaux , breuses en Afrique. Les espèces ligneuses vivent
dicotylédones à fleurs incomplètes sans calice ni : en Asie et les herbacées en .Amérique,
corolle, à étamines hypogynes, à ovules ortliotro- Le genre qui fournit le plus d'espèces utiles à
pcs, bitégumentés. Les Pipéracées unies aux Sau- l'homme est le genre Piper ou Poivrier.
rurées forment un groupe très particulier de végé- Chacun connaît le poivre noir et le poivre blanc,
taux que beaucoup d'auteurs rapprochent des usités comme condiments sur toutes les tables; tels
Gymnospermes. j qu'ils sont vendus dans le commerce, le poivre
Caractères botaniques. — La graine des Pipé- noir est le fruit tout entier du poivrier noir (Piper
racées demeure toujours enfermée dans le l'ri;\i, ' nigriim), et le poivre blanc est ce même fruit par-
<iuelles que soient les préparations que l'on fasse [ tiéllement décortiqué. Pour obtenir le poivre noir,
subir au péricarpe. Le tégument séminal est tou- ' on cueille les baies du Piper nigrum un peu avant
jours réduit aune mince lame de "parenchyme 1 leur maturité; on les fait ensuite sécher au soleil,
conié; il protège un embryon très petit, dicotylé- en les étendant sur des toiles. Pour obtenir le
doné, à suspenseur presque nul, qui plonge tout [ puivre blanc, il suffit de cueillir ces mômes baies
entier au sein d'une masse albumineuse lenticu- après leur complète maturité, de les laisser rna-
laire. L'embryon et l'albumen qui l'entoure sont ! cérer dans l'eau, puis alors seulement de les faire
enchâssés dans la région supérieure d'un nucelle ■ sécher au soleil ; la partie charnue du péricarpe
volumineux, hypertrophié pendant la maturation, | s'exfolie alors sous le simple frottement, en rou-
et transformé, lui aussi, en une masse albumineuse. lant les fruits entre les mains. Le poivrier noir
De là vient que le poivre est cité comme présen- j croit spontanément dans les Indes orientales ; on
tant deux albumens. Dans le périsperme ou albu- le cultive au Malabar, à Java et à Sumatra. Lors-
men nucellaire, on trouve, outre les matières qu'il s'agit d'clablir une plantation de poivrier noir,
grasses et les essences volatiles, une quantité 1 on plante d'abord dans le terrain préparé, et à des
considérable de cristaux d'oxalate de chaux. distances convenables, des boutures d'un arbuste
On ne connaît guère que les racines adventives ! destine à protéger les jeunes pieds de poivriers;
des Pipéracées ; leur forme extérieure rappelle quand les boutures sont reprises et ont poussé
celledes racines de certaines orchidées. One section quelques branches, on plante deux pieds de poi-
transversale, pratiquée au travers d'une do ces ra- I vrier auprès de chacune d'elles; on laisse les
cines, montre que leur faisceau est complètement ^ plants en cet état pvndant trois ans ; au bout de
dépourvu de productions ligneuses secondaires. ' ce lemps, on les taille et on les étale horizontale-
C'est là un des nombreux points d'analogie invo- ment; c'est alors seulement que le poivrier coni-
ques par les auteurs, pour montrer les rapports mence à fleurir et à donner des fruits; le môme
des Pipéracées avec les Aracées.
La tige est grêle et sarmenteusc ; elle se com-
pose de nombreux faisceaux monocentres qui sem-
blent, au premier abord, dispersés sans ordre et
que 1 on a comparés à ceux des Monocotylédones :
en général, tout autour de cette tige, on trouve un
cercle plus on moins épais de faisceaux secon-
daires. Les faisceaux centraux seuls se rendent
dans les feuilles. La surface de la tige est fréquem-
ment revêtue d'une mince couche de liège à cel-
lules très aplaties.
Les feuilles sont opposées ou verticillées, sim-
plant fleurit plusieurs années consécutives.
Los fruits du Piper trioinim, originaire de
l'Aiie, et ceux des Piper cilrifulium, cr.icitum,
amulagn, originaires d'Amérique, sont employés
aux mêmes usages que ceux du Piper nigrum.
Le poive lun'i est l'épi entier, cueilli bien avant
la maturité, du Piper longum, arbrisseau des mon-
tagnes de l'Inde. La saveur de ses fruits est en-
core plus brûlante que celle du poivre noir.
Les feuilles du Piper tietel sont aromatiques et
amères ; les habitants de l'Asie équatoriale les
mêlent avec de la noix d'arec et de la chaux pour
A^^ ^' /^""'^''es, épaisses, à nervures faiblement composer un masticatoire dont ils font un usage
réticulées rappelant la nervation des Tamus et continuel. Ce mélange est utile pour exciter les
celle des Aroidées. facultés digestives dans ces pays chauds et liu
PLANETES
— 1604 —
PLANETES
mides ; mais l'abus du bétel devient pernicieux à la
longue ; il donne aux dents la couleur noire de
l'ébène et rend les gencives sanguinolentes.
La racine de Vnva (Piper methijstticum), broyée
et mâchée, puis mêlée avec du suc de coco, sert i
préparer une liqueur très enivrante et narcoti-
que; cette racine est employée en Angleterre
comme sudoritlque. L'ava est cultivé dans les îles
tropicales de l'océan Pacifique.
Le i"ruitdu cuhébe (Cubeba officmalis), nommé
poii:ye à queue ou cuhébe, est fort usité en phar-
macie ; on l'emploie en poudre, ou bien on en
extrait une huile volatile des plus actives. Il est
originaire de Java.
Lesfeuillesdu m'it>co{Arthfmteelonffata),pHnte
originaire du Pérou, servent aux mêmes usages que
le cubèbe. [C.-E. Bertrand.]
PISCICULTURE. — V. Pèche.
PLAIES. — V. Accide/its.
PLANÈTES. — Cosmographie, Vil. — On
donne le nom de planètes aux corps célestes qui
circulent périodiquement autour du soleil, en dé-
crivant des orbites dont nous donnerons plus loin
la définition géométrique.
Vues de la terre, qui en est une elle-même,
les planètes ont l'aspect des étoiles ; mais elles
s'en distinsiuent par un caractère qui a été remar-
qué par les plus anciens observateurs : tandis que
la multitude des étoiles n'ont d'autre mouvement
sensible que celui qui entraîne toute la voûte
céleste d'orient en occident, et leur fait décrire
une révolution en un jour sidéral (•,':! heures 5G mi-
nutesl, les planètes sont douées de mouvements
propres et indépendants du mouvement diurne,
auquel elles participent d'ailleurs. Le sens des
mouveipents propres apparents des planètes est,
en général, contraire à celui de l'ensemble du
ciel : il a donc lieu d'occident en orient.
De là, dès la plus haute antiquité, la distinc-
tion des étoiles en étoiles fixes et étoiles errantes
ou planètes (ce mot vient en effet du grec planéit's,
de pianos, errimt). Mais les astronomes anciens,
qui ignoraient le vrai système du monde, appli-
quaient le nom de planètes à tous les astres
doués d'un mouvement propre : le Soleil, la
Lune étaient pour eux des planètes, tandis que
la terre, qu'ils considéraient comme immobile
au centre du monde, n'en était pas une. Ils en
comptaient sept en tout, et par conséquent ne
connaissaient que cinq véritables planètes : Mer-
cure, Vénu«, Mars, Jupiter et Saturne. Le nombre
des planètes connues dépasse aujourd'hui deux
cents, ainsi qu'on le verra plus loin.
A l'œil nu, il n'y a d'autre moyen assuré de
distinguer les planètes des étoiles fixes, en dehors
de la constatation du mouvement propre, que de
bien connaître les configurations ou constellations
formées par les principales étoiles : la présence
d'une étoile de première ou de seconde grandeur
en une région où n'existe point habituellement
d'astres de cet éclat, indique à peu près certaine-
ment une planèie. On peut ajouter, maïs ce n'est
point un caractère absolu, que les étoiles fixes
scintillent fortement, tandis que les planètes ont
une lumière tranquille presque entièrement dé-
pourvue de cette sorte- de mouvement vibratoire.
Vues au télescope, les planètes (au moins les
plus considérables) paraissent sous la forme de
disques lumineux de dirimètres sensibles; quel-
ques-unes présentent des phases comme la lune.
Les étoiles fixes, au contraire, ne se montrent ja-
mais dans les lunettes que comme de simples
points lumineux. L'immensité de leurs distances,
comparées k celles des planètes et du soleil, est
la raison_ de cette différence d'aspect, comme
c'est aussi la raison de leur apparente fixité.
Enfin, un dernier caractère qui distingue les
étoiles des planètes, c'est que les premières
brillent, comme le soleil, d'une lumière qui leur
est propre. L'éclat des planètes est emprunté à
la lumière que le soleil leur envoie, et qu'elles
rolléchissent vers nous. D'où il résulte que la
terre, vue des planètes, doit se présenter égale-
ment sous l'aspect d'une étoile.
Voyons maintenant quels sont le nombre, l'ordre
et les mouvements réels des planètes, et com-
ment ces mouvements rendent compte de leur»
mouvements apparents.
Le Soleil est le centre commun autour duquel
circulent toutes les planètes. Dans l'état actuel de
la science, voici l'énumération de ces corps, dans
l'ordre de leurs distances croissantes à l'astre cen-
tral :
Mercure,
Vénus,
La Terre,
Mars,
20G petites planètes ou planètes télesco-
piques,
Jupiter,
Saturne,
Uranus,
Neptune.
Ainsi, le système planétaire se compose de
214 planètes principales, divisées en trois groupes :
le premier groupe comprend les quatre planètes
les plus voisines du soleil, qu'on désigne aussi
par le nom de planètes moyennes à cause de leurs
dimensions; le troisième groupe est formé des
quatre plus grosses qui sont aussi les plus éloi-
gnées : ce sont les gmsses planètes ; enfin, les
2u6 planètes télescopiques forment le second
groupe qui sépare nettement les deux premiers,
puisque sans exception toutes circulent dans l'in-
tervalle compris entre Mars et Jupiter.
Dans ce qui précède, il n'est question que des
planètes proprement dites, de celles qu'on appe-
lait autrefois planètes principales. Mais plusieurs
d'entre elles sont accompagnées de corps célestes
plus petits, qui circulent autour d'elles, comme
elles le font elles-mêmes autour du Soleil. On les
appelait autrefois plnnète serotidairfs. mais on
leur donne plus communément aujourd'hui le nom
de sate/litfs.
La Terre a un satellite qui est la Lune.
Mars a deux satellites.
Jupiter en a quatre, Saturne huit, Uranus qua-
tre et Neptune un.
Il y a donc vingt satellites connus dans le sys-
tème, de sorte que le monde planétaire se com-
pose en réalité, sans compter le Soleil, de ".'34 corps-
célestes. Nous n y comprenons pas, bien entendu,
les comètes qui forment une famille à part.
Orbites- des planètes. Lois- de Képln-. — C'est
à Copernic (1543) qu'est due la découverte du
double mouvement de la Terre : mouvement uni-
forme de rotation autour d'un axe invariable ;
mouvement de circulation ou de translation au-
tour du soleil. Ce grand homme étendit aux pla-
nètes la loi du mouvement de circulation reconnu
pour la terre même, et il put ainsi rendre compte
de toutes les circonstances de leurs mouvements
apparents, en bannissant de la science les hypo-
thèses compliquées de l'ancienne astronomie. Tou-
tefois, il conserva celle qui attribuait aux orbites
des planètes la forme circulaire (le cercle étant
pour les anciens la courbe parfaite, l'orbite par ex-
cellence) et qui supposait que les astres se meu-
vent avec une vitesse rigoureusement uniforme.
Ce reste des anciennes erreurs astronomiques
fut détruit par Kepler, qui donna les lois des
mouvements planétaires, formulées dans trois
énoncés célèbres, que nous allons reproduire ici.
La première loi de Kéj.ler est relative à la.
forme des orbites. Elle établit que •
PLANETES
— 1605 —
PLANETES
L'orbite décrite par chaqut planète est vne
courbe plane, une ellipse dont le centre du So-
leil occupe un des foyers.
Il résulte de 1;\ que la distance d'une planète au
foyer commun, au Soleil, ne reste pas constante
dans le cours de chacune de ses révolutions. Cette
distance est minimum, quand la planète se trouve
à l'une des extrémités du grand axe de l'ellipse :
c'est la distance pèriliélie. Elle est maximum,
quand la planète occupe l'autre extrémité du
grand axe : c'est alors la distance ap/iélie. C'est
enfin la distance moyenne, si la planète est à l'une
ou à l'autre des extrémités du petit axe de l'orbite.
Toutes les orbites planétaires sont des ellipses.
Mais ces ellipses, outre qu'elles n'ont pas les
mêmes dimensions, ne sont pas semblables.
Elles se rapprochent ou s'éloignent plus ou
moins de la forme circulaire, c'est-à-dire sont plus
ou moins allongées, plus ou moins excentriques.
L'élément qui les différencie de la sorte est ce
qu'on nomme en géométrie l'excentricité, c'est-à-
■dire le rapport entre la distance du foyer au cen-
tre de l'ellipse et le demi-grand axe. Plus est petit
le nombre qui mesure l'excentricité, plus l'orbite
approche du cercle ; plus il est grand, plus la
courbe s'éloigne de la forme circulaire. Parmi les
huit planètes des groupes extrêmes, c'est Vénus
et Neptune qui ont l'excentricité la plus faible.
Mars et Mercure qui ont la plus forte. Un grand
nombre, parmi les petites planètes, ont des orbites
très excentriques.
La seconde lot de Kepler est relative à la vitesse
de chaque planète sur son orbite, pendant le cours
d'une de ses révolutions. Cette vitesse n'est pas
constante ; elle varie avec la distance au Soleil, de
plus en plus grande quand cette distance diminue,
Seconde loi de iCùpler : éy;ilité des .-tires décrites
eii temps égaux.
de l'aphélie au périhélie; de plus en plus petite,
quand la distance va en croissant, du périhélie h
l'aphélie. Imaginons que l'orbite soit partagée en
un certain nombre de parties dont chacune soit
parcourue par la planète dans un même intervalle
de temps; et qu'on joigne le foyer ou le Soleil aux
points de division par autant de lignes droites ou
de rayons vecteurs. On aura ainsi autant de trian-
gles à bases curvilignes (tels que PP,S, PjPjS,
P»PsS, fig. 1) qu'il y a de divisions dans l'or-
bite. Or, Kepler a démontré que les surfaces ou
aires de tous ces triangles sont égales. La seconde
loi doit donc s'énoncer en ces termes :
Les aires décrites ou balayées par les rayons
vecteurs d'une planète autour du foyer solaire,
sont égales en temps égaux, ou sont proportion-
nelles aux temps employés à les décrire.
Les deux premières lois de Kepler régissent les
mouvements de chaque planète isolée sur son or-
bite respective; elles ne disent rien sur les rap-
ports que peuvent avoir ces orbites, de sorte qu'el-
les subsisteraient alors même qu'une seule planète
circulerait autour du Soleil- Il en est autrement
de la troisième loi, qui exprime les rapports
existant entre les dimensions dos grands axes et
les durées des révolutions de toutes les planètes
du système.
Supposons qu'on prenne pour unité des distan-
ces célestes la moyenne distance de la terre au
Soleil, c'est-à-dire le demi-grand axe de l'orbite
de notre planète, et qu'on exprime à l'aide de celte
unité les moyennes distances des autres planètes,
voici les nombres qu'on trouvera pour les huit
planètes principales:
Mercure 0.387
Vénus 0.723
La Terre 1 .1100
Mais 1.524
Ju|Ht.T 5.203 ,
S:.tiMiif 9.539
Iraii.n 10.183
NeptuiP' 30.037
Comparons à ces nombres ceux qui expriment,
en jours moyens, les durées des révolutions des
mêmes planètes. Nous trouverons la série suivante :
Neptu
S7.0C6
224.701
305.256
686.980
4,332.583
10,759.220
30,686.821
60,126.720
Cela posé, élevons au carré tous les nombres de
la seconde série ; élevons pareillement au cube
tous les nombres de la première. Puis cherchons
le rapport entre un cube quelconque et le carré
correspondant, c'est-à-dire divisons le premier
par le second. Nous trouverons le même quotient
pour toutes les planètes. C'est ce rapport con-
stant qui donne lieu à l'énoncé suivant de la troi-
sième loi de Kepler :
Les carrés des temps des révolutions sidérales
des planètes autour du Soleil sont proportionnels
aux cubes de leurs moyennes distances, ou, ce qui
revient au môme, aux cubes des grands axes de
leurs orbites.
De cette formule découle immédiatement une
importante conséquence : c'est qu'il suffit de con-
naître les durées des révolutions des planètes
pour en déduire leurs moyennes distances au So-
leil, ou les dimensions des grands axes. Dès lors,
qu'une seule de ces distances soit mesurée en va-
leur absolue, et aussitét toutes les autres s'en dé-
duisent par un calcul facile. C'est ce résultat que
les astronomes du dernier siècle sont parvenus à
obtenir en calculant la distance du Soleil à la
Terre, par l'observation des passages de Vénus sur
le disque de l'astre. Depuis, on a pu perfectionner
la méthode, trouver la distance du Soleil avec plus
d'exactitude, et enfin calculer ainsi les dimensions
réelles de toutes les orbites planétaires, celles de
tout le système.
Telle est la grande découverte due an génie de
Kepler. Ses conséquences ont été immenses. Après
Kepler, en effet, Newton est venu qui a fait voir
que les trois grandes lois dont on vient de lire l'énon-
cé ne sont que les corollaires d'une loi plus géné-
rale, de la loi de gravitation qui préside aux mou-
vements de tous les corps célestes. La gravitation
est la force qui maintient les planètes dans leurs
orbites autour du Soleil, qui fait mouvoir les satel-
lites autour des planètes, et la pesanteur n'est
autre chose que l'une des manifestations de cette
force universelle.
Pour achever ce qui concerne les mouvements
réels des planètes autour du Soleil, nous dirons
que les plans des orbites planétaires sont peu in-
PLANETES
— 1606 —
PLANÈTES
clinés les uns sur les autres. En rapportant ces
inclinaisons au plan de l'orbite de la Terre, c'ejt-
à-dire à l'écliptique, on trouve les angles suivants
pour les huit planètes principales. Nous y jo-
gnons les nombres qui mesurent les excentricités :
Inclinaison.
Exccntricit
30 24'
Jupiter
Saturne
tM9'
0.114825
1° 47'
0.008%
qi'on admet le double mouvement de translation
de cette planète d'une part et de la Terre de
l'autre, ces deux mouvements s'eJfectuant dans le
même sens, c'est-à-dire d'occident en orient. Un
coup d'œil jeté sur la figure 2 suffira pour faire saisir
la raison des conjonctions, des stations et rétro-
gr'Jations apparentes qu'on vient de décrire.
Vénus (ou Mercure) étant en V quand la Terre est
en T, toutes deux en ligne droite avec le Soleil S,
il y a conjonction inférieure. Le mouvement de la
planète sur son orbite est plus rapide que celui
Les faibles inclinaisons des orbites font que les
mouvements des planètes, sur la vovite céleste,
tels que nous les observons de la Terre, s'effec-
tuent dans une région très limitée du ciel. Ils
s'écartent peu de part et d'autre de l'écliptique,
et la zone où les planètes se trouvent ainsi renfer-
mées est celle qui est connue depuis l'antiquité
sous le nom de zodiaque et dont la largeur est d'en-
viron 18 degrés. Il faut dire toutefois que quelques-
unes des petites planètes ont des inclinaisons no-
tablement plus fortes, de sorte que, dans leurs
mouvements, elles s'écartent de l'ancien zodiaque.
Stations et rétrogradations des mouvements pla-
nétaires. Revenons maintenant aux mouvements
apparents des planètes, et voyons comment les
circonstances qu'ils présentent reçoivent leur ex-
plication de leurs mouvements réels combinés avec
celui de la Terre même.
Considérons d'abord les deux planètes les plus
voisines du Soleil, Mercure et Vénus, dont les or-
bites sont enveloppées par l'orbite de la Terre. On
les nomme pour cette raison ilanèt'S inférieures.
Deux fois par révolution, Vénus se trouve avoir
même longitude que le Soleil, et comme le plan
de son orbite est très peu incliné sur l'écliptique,
la planète devient invisible à ces deux époques,
parce que sa lumière se confond dans les rayons
du Soleil. Le même phénomène s'observe pour
Mercure. On nomme conjonctions ces deux posi-
tions particulières : conjonction supérieure celle
qui a lieu quand les planètes se trouvent au delà du
Soleil, conjonction inférieure quand elles passent
en deçà. Dans ce dernier cas, il arrivera que la
planète traverse en apparence le disque du Soleil,
et peut y être observée sous l'aspect d'un petit dis-
que noir. Ces derniers phénomènes ont lii-u, pour
Vénus, environ deux fois par siècle, à huit ans
d'intervalle , en juin et décembre ; pour Mercure,
les passages sont plus fréquents et se reprodui-
sent deux fois environ tous les treize ans, dans les
mois de mai et de novembre.
A partir de la conjonction supérieure, la planète
s'éloigne progressivement du Soleil vers l'orient ;
son mouvement est alors direct; puis il se ralentit
peu à peu et la planète Aeyïenistatioyinmre. Sa dis-
tance apparente à l'orient du Soleil atteint un
maximum qui est d'environ 48" pour Vénus, 29°
pour Mercure. Puis elle rétrograde, c'est à-dire
se rapproche peu à peu du Soleil, jusqu'au moment
do la conjonction inférieure.
Dans toute cette partie de son mouvement, la
pl.inète reste à l'orient du Soleil, et dès lors n'est
visible qu'après son coucher. Elle passe ensuitr,
en conservant son mouvement rétrograde, à l'ocri-
dent de l'astre, et redevient visible le matiji avant
son lever. Lorsqu'elle a atteint un point où son
mouveinent apparent s'est ralenti au point de de-
venir nul, la planète, de nouveau ste/!o«fiaire, est
à son maximum à'élomjation occidentale. A partir
de là, elle se rapproche du Soleil par un mouve-
ment direct, jusqu'à ce qu'elle parvienne à unn
nouvelle conjonction supérieure.
Rien de plus aisé à comprendre que ces oscil-
lations périodiques d'une planète inférieure, dès
' Eiplicati
I des movivements apparents d'une pla-
nète inférieure.
de la Terre sur la sienne ; les rayons visuels me-
nés à Vénus s'écarteront donc de plus en plus du
Soleil, jusqu'à la position Vj, où ils resteront sen-
sibl^ement parallèles; peu après, Vénus paraîtra
s'arrêter pour reprendre ensuite un mouvement
apparent de sens contraire. L'inverse aurait lieu
si l'on partait des positions T et V, où la terre et
Vénus sont en ligne droite avec le Soleil, mais de
chaque côté de l'astre, c'est-à-dire d'une conjonc-
tion supérieure.
Les mêmes mouvements et les mêmes positions
relatives des planètes inférieures rendent compte
de l'apparence qu'elles ofTrent à l'observateur.
et (basesd'une plauctc luféricure.
PLANETES
— 1607
PLANETES
lorsqu'on les examine au tcloscopc. On les volt alors,
tantôt sous forme de croissant délié, tantôt sous
colle d'un disque, plus ou moins complètement
éclairé ; elles présentent en un motdes phases sem-
blables aux phases de la Lune (flg. 3).
Les mouvements apparents des autres planètes
telles que Mars, Jupiter, Saturne, etc., c'cst-ii-dire
des planètes plus éloignées du Soleil que ne l'est
la Terre, en un mot des planâtes supérieures,
s'expliquent avec la môme facilité.
Deux fois par révolution. Mars (que nous pren-
drons pour exemple) se trouve en ligne droite avec
le Soleil et la Terre. Si la planète est au dcMi du
Soleil par rapport i nous, sa longitude est la même
que celle du Soleil, et l'on dit qu'elle est en con-
jonction. Si c'est la Terre qui est entre le Soleil
et Mars, la longitude de celle-ci diffère de celle
du Soleil de 180°; on dit alors qu'elle est en o/)|)osi-
tion.
Soit alors M (flg. -i) la position de Mars, etT celle
de la terre. Pendant que Mars, se mouvant d'occi-
dent en orient, parcourra les arcs Mïn, mm', mm"
de son orbite, la Terre ira dans le mémo sens en
i, t, t"...; mais le mouvement de la Terre étant
. 4. — ExplicutioQ des mouvements apparents d'u
nète supérieure.
: pla-
plus rapide que celui de Mars, les rayons visuels
Im, t'm', etc., iront aboutir sur la voûte céleste en
des points situés à droite de la position primitive
de la planète : celle-ci paraîtra donc rétrograder
dans le ciel. .Mais ce mouvement do rétrogradation
apparente ira en diminuant de vitesse ; un moment
arrivera où les rayons visuels t"m", t"'m"' conser-
veront leur parallélisme. Alors Mars semblera sta-
tionnaire. Une semblable station avait eu lieu avant
l'opposition, comme on peut s'en rendrecompte par
la similitude des positions des deux planètes. Après
la station qui suit l'opposition, les rayons visuels
divergent de nouveau, mais en sens contraire : le
mouvement de Mars devient direct et sa vitesse
croit jusqu'à l'époque de la conjonction, où cette
vitesse est maximum. Puis il continue d'être direct,
tnais avec une vitesse décroissante jusqu'à la sta-
tion qui précède l'opposition suivante.
L intervalle de temps qui s'écoule entre deux
conjonctions ou deux oppositions pour les planètes
sui)érieures, ou entre deux conjonctions do même
nom pour les planètes inférieures, ist ce qu'on
nomme la révolution tsyno(Hqiie de la planète, qu'il
ne faut pas confondre avec la révolution sidérale.
Celle-ci s'entend du temps que met la planète à
accomplir une révolution entière au même point
de son orbite. Nous avons donné les révolutions
sidérales des huit planètes principales, lesquelles
vontde 87 jours environ pourMercureà 165 années
pour Neptune. Les valeurs des révolutions syno-
diques sont entièrement différentes, parce qu'elles
s'entendent des mouvements apparents vus de la
Terre : voici en effet leurs valeurs moyennes pour
les mêmes planètes :
direct. rétrograde.
93 jours 23 jours
Durée
de ta révolution
.Mercure 1 16 jours
Vénus 584 —
Mars 780 —
Jupiter 3S9 —
Saturne .'JTS —
i;ranus 369 —
Neptune 367 —
Monographie des planètes principales. — Entrons
maintenant dans quelques détails sur les diverses
planètes du système, sur ce qu'on sait de leur
constitution physique, de leurs dimensions, de
leurs masses, de leurs mouvements de rotation.
Meucuke. — Cette planète, avons-nous dit, obser-
vée au télescope, présente des phases. En étudiant
les irrégularités présentées par les cornes du
croissant, on a constaté qu'elle tourne sur elle-
même, et que la durée de cette rotation est de
i'\ heures 5 minutes. Son diamètre est environ
les 38 centièmes du diamètre do la Terre, ce qui
donne à Mercure un volume de 18 :i 19 fois plus
petit que celui de notre globe : c'est la moins
volumineuse des huit planètes principales.
Mercure parait doué d'une atmosphère très
donse. Son disque, très lumineux, mais d'une
observation difficile, a paru traversé par une bande
grisâtre, qu'on croit coïncider avec la zone équa-
toriale. Sa masse n'est pas la quatre-millionième
partie de la niasse du Soleil, un peu moins de la
treizième partie de celle de la terre. Mais sa den-
sité dépasse celle de notre globe (l.3"6).
Les échancrures du croissant de Mercure ont
fait supposer qu'il existe à sa surface de très
hautes montagnes.
VÉNUS. — Mêmes apparences de phases que Mer-
cure. En étudiant les irrégularités de son croissant
et les tacites que le télescope a periuis d'observer
à la surface du disque, on a conclu que Vénus
tourne sur elle-même en 23 heures 21 minutes.
Son diamètre apparent est de dimensions très
variables, en raison des irrégularités considérables
que présentent ses distances à la Terre, lesquelles
varient entre 10 millions et 64 millions de lieues.
Elle a presque les mômes dimensions que la
terre. Son diamètre est 0.954 ; son volume 0.868.
On a cru remarquer, comme pour Mercure, un
aplatissement aux pôles de rotation ; nuis la me-
sure en est incertaine. La masse de Vénus est un
peu plus des trois quarts de la masse terrestre ;
sa densité est 0.905, celle de la Terre étant 1.
PLANETES
— 1608 —
PLANETES
On a la preuve que Vénus est entourée d'une | difficiles. On a constaté néanmoins l'existence k
atmosphère assez élevée et assez dense. La vivacité la surface de taclies obscures qui paraissent per-
de sa lumière rend les observations de son disque | niaTientes.
Mabs. — Les distances de Mars à la Terre va-
rient dans des limites très étendues, qui donnent
lieu à des'variations inverses dans les dimensions
apparentes de son disque. Dans certaines opposi-
tions, Mars n'est plus éloigné de nous que de
14 000 000 lieues, tandis qu'à l'époque des conjonc-
tions cette distance atteint près de lUOOOOOOOde
lieues.
Vu au télescope, le disque de Mars présente des
phases : à l'époque des quadratures son disque
ressemble au disque lunaire deux ou trois jours
avant ou après son plein.
Son diamètre n'est que les 54 centièmes de ce-
lui de la Terre ; son volume est 0.157, un peu
moins du sixième du volume de notre globe.
Mars tourne sur lui-même en ii heures 37 mi-
nutes ; ce mouvement de rotation a pu être me-
suré avec une grande précision, grâce aux taches
permanentes qui parsèment son disque. Ces ta-
ches ont d'ailleurs fourni les données les plus in-
téressantes sur sa constitution physique, qui aune
grande analogie avec celle de la Terre. Elles se
distinguent en taches lumineuses, de teinte légè-
rement rougcâtre, qui sont sans doute les terres
ou les continents de la planète, et en taches
sombres d'un gris bleuâtre qui en sont les mers.
En outre, on observe aux deux pôles de rotation
des taches blanches très lumineuses, dont l'éten-
due varie avec les époques ou saisons de chaque
hémisphère de Mars. Elles s'étendent en hiver et
diminuent en été : on croit donc que ce sont des
accumulations de neige ou de glaces, comme en
présente notre globe dans les deux zones polaires
boréale et australe.
Le globe de Mars est sensiblement aplati aux
pôles de rotation.
La présence d'une atmosphère vaporeuse a été
constatée par l'étude de taches mobiles qui se
promènent au-devant des taches permanentes.
La masse de Mars est la deux-millionième partie
de la masse du Soleil, la neuvième partie environ
de la masse de la Terre. Sa densité no dépasse
guère les sept dixièmes de la densité terrestre.
Mars a deux satellites qui circulent, le plus
voisin en 7 heures et demie, le plus éloigné en
30 heures un quart autour de la planète. Leur
découverte, toute récente, est due à l'astronome
américain Asaph Hall (août 1877).
Les petites planètes. — Les anciens ne connais-
saient, la Terre comprise, que six planètes. La
septième fut découverte en 1781 par Herschel ; c'est
la planète Uranus ; et ce n'est qu'en 1846 que Le
Verrier calcula, avant l'observation, les éléments
d'une huitième planète principale, qui fut Neptune.
Mais, dès le 1" janvier 1801, la première des
206 petites planètes aujourd'hui connues, Cérès,
fut découverte par Piazzi, et bientôt Pallas, Ju-
non etVesta vinrent augmenter le nombre de ces
petits astres, qui tous circulent dans l'intervalle
des orbites de Jupiter et de Mars. Presque tous
les ans, leur nombre s'accroît par des découvertes
nouvelles.
11 y a donc, entre les deux groupes des planètes
moyennes, que nous venons de décrire, et des
^'rosses planètes, une sorte d'anneau formé de
cette multitude de planètes, la plupart si petites
qu'elles sont tout à fait invisibles i l'œil nu. Au
télescope même, à part celles que nous venons
de nommer, elles paraissent comme de simples
points lumineux; aussi ne sait-on rien de leur
I constitution physique.
Leurs orbites sont renfermées dans une zone
dont la largeur est d'environ 4f) millionsde lieues,
et les durées de leurs révolutions sont comprises
entre 3 ans et 6 ans et demi environ.
Un astronome du xviii" siècle, Titius, trouva entre
lesdistances desplanètes au Soleil une relation em-
pirique, qui parut assez remarquable pour qu'on
lui donnât le nom de loi. Voici en quoi elle con-
siste. On écrit la série des nombres suivants :
0 3 C 12 34
96 192 .384...
PLANETES
— 1009 —
PLANETES
dont chaque terme (le second excepté) so forme
en doublant le précédent. A cliaque terme, on
ajoute le nombre 4, et alors on a la suite :
4 7 10 16 28 52 100 196 388...
Les planètes connues du temps de Titius étaient
Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne,
dont les distances au Soleil sont assez exactement
représentées par les nombres 4, 7, 10, IG, 52 et
100. La découverte d'Uranus, dont la distance
serait exprimée avec
la même unité par
le nombre rj2, pa-
rut confirmer encore
l'existence de la loi
en question.
Seulement, il y
avait une lacune ; le
nombre 2tl ne corres-
pondait alors h au-
cune planète connue.
On supposa qu'il de-
vait y avoir, entre
Mars et Jupiter, une
planète qui avait jus-
qu'alors échappé aux
observations. Et, en
effet, les découvertes
successives de Gé-
rés, puis de Pallas
et de Junon, répon-
dirent à l'hypothèse,
car leurs distances
moyennes au soleil
pouvaient se repré-
senter approximati-
vement par le nom-
bre 28. On crut
(lu'elles provenaient d'une planète unique dont
elles étaient des fragments. Toutefois la découverte
de Vesta, puis celles des nombreuses planètes té-
lescopiques, qui vinrent successivement prendre
la place do la lacune primitive, ne permirent point
de considérer la loi formulée comme rigoureuse.
En outre, Neptune, dont la distance réelle est ex-
primée par le nombre 308, est bien éloigné d'occu-
per la position marquée par le terme 388, qui de-
vrait caractériser la planète située au delà d'Uranus.
La loi de Titius n'est donc qu'une relation appro-
m
Sb^
r
1
■*,...,,:J
%
^^^^^Ê.
1
^,igrr>|iulfii|i;i?SgB^X
L.
A
N' ■ ■
■ Jupiter ■
chée, empirique; mais elle est bonne h retenir, et,
comme moyen mnémonique, elle permet de re-
trouver aisément les distances relatives des pla-
nètes principales au Soleil. On l'appelle aussi loi
de Hoite, du nom d'un astronome allemand qui l'a
exposée après Tiiius.
Jui'iTEB. — C'est la plus grosse de toutes les
planètes. Son diamètre on effet dépasse onze fois
le diamètre de la Terre, et son volume est près
de 1 400 fois(l 31)0) aussi considérable que le vo-
lume de notre globe.
Sa niasse, mille fois
moindre que la mas-
se solaire, est égale à
309 fois la masse ter-
restre, ce qui don-
ne pour sa densité
moyenne un peu
moins du quart de
ladensitédela Terre.
En observant Jupi-
ter au télescope (fig.
8), on aperçoit sur
son disque des ban-
des alternativement
sombres et lumineu-
ses, disposées paral-
lèlement et dont la
forme et l'aspect sont
continuellement va-
riables. Les bandes
brillantes sont con-
sidérées comme des
accumulations de
niasses vaporeuses,
de nuages qui ré-
fléchissent fortement
la lumière solaire,
et les intervalles obscurs qui les séparent comme
des parties plue transparentes de l'atmosphère
laissant voir le sol de la planète. Elles sont fré-
quemment parsemées les unes et les autres de
taches plus sombres, dont on peut suivre le mou-
vement sur le disque et qui ont permis de cons-
tater et de mesurer la rotation de Jupiter. On a
trouvé ainsi que son globe tourne en a heures
65 minutes autour d'un axe à peu près perpen-
diculaire à la direction des bandes. La rapidité
de ce mouvement de rotation explique parfaite-
upe ; tes baades de son disque.
ment la disposition des zones nuageuses dans
une direction parallèle à l'équateur de Jupiter. Elle
rend compte aussi de l'aplatissement du globe , apla-
tissement qui est assez considérable pour qu'on le
î"°"^'^'^ d'un premier coup d'œil; en mesurant
le diamètre équatorial et le diamètre polaire, on
trouve que leur rapport est celui des nombres
I"etl6; cet aplatissement de jL. est ainsi près
de n fois aussi considérable que l'aplatissement
terrestre.
L'année de Jupiter, on l'a vu plus haut, est
■égale à environ 12 années terrestres. Elle ne com-
prend pas moins de 10,477 jours solaires de la
planète. La faible inclinaison do l'équateur sur le
plan de l'orbite doit produire des variations très
petites et très lentes dans la durée relative des
jours et des nuits, comme aussi dans les climats
et dans les saisons.
Jupiter est entouré de quatre satellites : on les
voit, dans les lunettes, comme de petites étoiles
qui oscillent de part et d'autre du disque de la
planète, et qui subissent de fréquentes éclipses,
soit en passant derrière le globe de Jupiter, soit
en pénétrant dans le cône d'ombre que ce globe
projette dans l'espace h l'opposé du Soleil. Ces
quatre satellites circulent à des distances du cen-
PLANETES
1610 —
PLANETES
tre de Jupiter équivalentes à 6, 9, 15 et 27 de ses
rayon? équatoriaux. Les durées de leurs révolu-
tions sont les suivantes :
I" satellite, lo I j. 18 h. 27 m.
2" — Europa 3 13 H
3" — Ganymède 7 3 43
i" — Callisto 16 16 3»
Le plus petit, qui est le second, est seul moins
gros que la Lune. Le plus gros, Ganymède, dé-
passe des deux tiers le volume de la planète Mer-
cure.
Sati'rne. — Après Jupiter, dans l'ordre des dis-
tances au Soleil, nous rencontrons Saturne, qui
met SlV^innées 1/2 environ à accomplir sa révolu-
tion sidérale. Pour les dimensions, c'est la seconde
des planètes ; son diamètre, en effet, n'est pas in-
férieur à 9 fois 1/2 le diamètre terrestre, et son
volume vaut 700 fois le volume de la Terre. Enfin,
sa masse, égale à la 3 500* partie de la masse so-
laire, un peu moindre que le tiers de celle de Ju-
piter, est environ 92 fois plus forte que celle d»
notre globe.
C'est certainement la plus curieuse des planètes :
non seulement, avec ses huit satellites, Saturne
forme un sj'stème planétaire en miniature ; mais
il est environné à distance par un étrange ap-
pendice, unique dans le monde solaire. C'est un
anneau, ou mieux un assemblage d'anneaux con-
centriques entièrement indépendants du globe de
la planète et tournant autour de lui, à peu près
dans le plan de son équateur.
Vu au télescope, l'anneau de Saturne se présente
sous des aspects différents, suivant l'époque et la
position relative que la planète occupe par rapport
à la Terre. Tantôt il apparaît comme une double
Saturne et ses anneaux
anse lumineuse débordant le disque de Saturne,
tantôt son ellipse se rétrécit dans le sens de rota-
tion, tantôt il devient invisible ou à peine percep-
tible comme une ligne lumineuse très étroite : il
est aisé de se rendre compte de ces apparences
par les effets de la perspective.
Le globe de Saturne est fortement elliptique :
son aplatissement aux pôles n'est pas moindre de j^.
Sa surface, examinée au télescope, laisse voir des
bandes grisâtres parallèles à l'anneau, et certaines
taches qui ont permis, par leur mouvement de
progression, de mesurer la durée de la rotation de
la planète, qui est d'environ 10 heures 1/2. C'est
à peu près aussi la durée de la rotation du sys-
tème des anneaux.
L'appendice singulier qui constitue ce système
est formé de deux anneaux principaux séparés par
un intervalle vide. L'anneau extérieur, plus étroit
que l'autre, est légèrement grisâtre ; l'intérieur est
plus blanc ou plus lumineux; il est accompagné,
sur le bord interne, d'un troisième anneau sombre
et comme transparent. Ces anneaux sont-ils formés
de matière solide, liquide ou gazeuse ? Quelques
savants les considèrent comme composés par l'ag-
glomération d'une multitude de corps qui seraient
autant de satellites de la planète.
Quant aux huit satellites de Saturne, ils font
leur révolution en des temps qui vont de 22 heures
.37 minutes pour le plus voisin de Saturne jusqu'à
"9 jours 8 heures 53 minutes pour le plus éloigne.
Ce dernier est à une distance de G4 rayons de Sa-
turne du centre du globe central, c'est-à-dire h
près d'un million de lieues.
UnANi'S. — A une distance moyenne de 19 fois
la distance du Soleil à la Terre, circule Uranus,
qui accomplit sa révolution en 84 ans. Le globe de
cette planète a un diamètre égal à 4.2, celui de la
Terre étant pris pour unité ; son volume est 75 fois
plus gros que le volume terrestre. On a récemment
observé des taches qui donneraient une durée
d'environ 12 heures h la rotation d'Uranus. Quatre
satellites circulent autour de lui en des périodes
qui vont de ".! jours 12 heures à 13 jours 11 heures.
La masse d'Uranus est près de 16 fois celle de la
Terre, ou environ la 20 OOo" partie de la masse du
Soleil. Sa densité est 0.20'J ou un peu plus du
cinquième de celle de notre globe.
Neptune. — C'est la dernière des planètes connues
dans l'ordre des distances au Soleil. Klle circule
en 165 années dans une orbite dont le rayon moyen
mesure 30 fois le rayon de l'orbite terrestre, c'est-
PLANS COTES
— 1611 —
PLANS COTES
à-dire 1 100 millions de lieues. Neptune est invi-
sible à l'ouil nu, mais on a pu, au télescope, me-
surer son diamètre apparent et calculer son diamètre
réel, qui équivaut à 4 407 rayons équatoriaux de
la Terre. Son volume est donc environ 85 fois 1/2
le volume de notre globe ; sa masse, 17,500 fois
plus petite que celle du Soleil, est 18 fois 1/2 aussi
grande que la masse terrestre. Enfin, sa densité
est 0.21(i.
On ne sait rien de plus sur la constitution phy-
sique de cette planète. Elle a un satellite dont la
période de révolution est de 5 jours 21 heures.
La découverte de Neptune, faite en septembre
18'i(i par un astronome de Berlin, M. Galle, mérite
une mention toute spéciale. En efTot, son exis-
tence avait été prédite, et les éléments de son or-
bite approximativement calculés, d'après les seules
indications de la théorie de la gravitation univer-
selle. M. Le Verrier {et en même temps que lui,
un géomètre anglais, M. Adams),se fondant sur les
perturbations que subissait la planète Uranus,
en conclut à l'existence d'une planète jusque-là
inobservée, calcula les éléments de son orbite, et
détermina sa position pour l'automne de 1846 ;
c'est sur ces indications de M. Le Verrier que la
planète fut en effet trouvée.
En terminant cette description des planètes
principales, nous devons ajouter qu'on a observé,
pendant l'éclipsé totale de Soleil du 2:i juillet 1878,
deux points lumineux que les astronomes consi-
dèrent comme deux planètes plus rapprochées du
Soleil que Mercure. On soupçonnait l'existence de
ces corps, qui ont reçu la dénomination commune
de Vu trains.
Si l'on rapproche les uns des autres tous les élé-
ments qui précèdent sur les planètes, on ne peut
manquer d'être frappé de la similitude de ceux
qui concernent le groupe des planètes moyennes,
et pareillement de ceux relatifs aux grosses pla-
nètes.
Mercure, Vénus, Mars et la Terre ont des di-
mensions comparables, des volumes, des masses
et des densités peu différentes. Leurs mouvements
de rotation ont des durées presque égales.
Jupiter, Saturne, Neptune et Uranus sont con-
sidérablement plus volumineux : réunis, leurs
volumes valent 1 08(i fois les volumes des quatre
planètes moyennes; leurs masses valent encore
220 fois les niasses de celles-ci. Leurs densités
sont, au contraire, notablement plus petites, leurs
mouvements de rotation plus rapides, et laplatis-
sement de leurs globes plus fort. Toutes sont
accompagnées de satellites, tandis que Mars et
la Terre sont les seuls qui en aient parmi les pla-
nètes du premier groupe.
Toutes ces circonstances, jointes à celle de la
séparation des deux groupes par l'anneau des nom-
breuses planètes télescopiqucs, ont suggéré la
pensée que les différences signalées proviennent
d'une différence d'origine, et que les grosses pla-
nètes sont formées d'autres matériaux que les
moyennes ; les époques de leur formation sont
aussi probablement différentes. Quant aux petites
planètes, la communauté de leur origine ne sem-
ble pas douteuse. [Amédée Guilleniin.]
PLANS COTÉS (V. Géométrie descriptive). —
Nous avons vu comment on pouvait représenter
les figures géométriques, point, lignes et surfaces,
sujnoyeii de deux plans de projection. Mais lors-
qu'il s'agit de figures non géométriques, tout à fait
irréguHères, dans lesquelles les divers points ne
sont pas rattachés entre eux par des relations con-
nues, les projections ordinaires sont insuffisantes,
la notion du contour apparent est incompréhensi-
ble. Ainsi, il est impossible de mettre en projec-
tion ordinaire une portion du sol.
On a recours à un système particulier, appelé
les projections cotées, qui ne donne que la projec-
tion horizontale des figures et où l'on remplace la
projection verticale par des cotes.
Les projections cotées sont constamment em-
ployées dans l'étude des tracés de chemins de fer,
de canaux, de routes, dans les plans topographi-
ques sur la carte de France dite de l'état-major, etc.
r Le point. — Dans ce nouveau système, un
point sera représenté à la manière ordinaire sur
u.i plan horizontal, et cette projection sera accompa-
gnée d'une cote ou nombre indiquant la hauteur du
point au-dessus de ce plan horizontal.
Ainsi, flg. I, le point a, qui a la cote 3"",4, est
parfaitement déterminé puisqu'il se trouve sur une
verticale appuyée au point a et ayant 3",4 de hau-
teur.
2» La droite. — Une ligne droite sera reproae i-
tée par sa projection horizontale ordinaire avec
deux points cotés.
Ainsi, fig. 1, la droite bc représente une droite
BG de l'espace, telle que le point B se trouve sur
une verticale placée en i ayant 1",8 de hauteur, et
le point G, sur une verticale placée en c ayant
4", 5 de hauteur.
3° Ligne quelconque. — On voit que, pour re-
présenter une ligne brisée ou une courbe quel-
conque, il suffira de mener, par les divers peints,
des verticales sur un plan horizontal convenable-
ment choisi, de joindre les pieds de ces verticales
et d'inscrire, à côté de chacun d'eux, la hauteur
correspondante.
Exemple, la ligne brisée defyh, fig. 1.
Le plan horizontal ainsi adopté s'appelle plan
rie comparaison. Il est généralement situé au-des-
sous de tous les points qui sont dits à cotcpositi-
ves. Dans le cas où le plan de comparaison serait
situé au-dessus de certains points, ceux-ci seraient
à cotes négalires. Les cotes exprimées en nombres
entiers s'appellent des cotes rondes.
Dans le cas particulier où le plan de comparai-
son se trouve être le niveau des eaux de la mer,
les cotes représentent l'altitude des divers points.
Puisque l'une des projections est graphique et
1 autre numérique, il faut nécessairement que tout
dessin coté soit accompagné d'une échelle qui per-
mette de passer de l'une à l'autre.
Ainsi, toutes les parties do la figure I sont i
l'échelle de 0°>,005 par mètre, de sorte que la
longueur de la ligne 4c, qui est représentée
par 0,0311, est en réalité de 6 mètres.
4° Droites particulières. — Une droite horizon-
tale s'indique par deux cotes égales; une droite
verticale, par un point sans cote si elle est indéfinie,
et par un point avec les cotes des extrémités si
elle est limitée.
PLANS COTES
— 161-2 —
PLANS COTES
Exemple, fig. 1, l'horizontale Itl et la verticale
limitée m.
Problème I. — Trouver la vraie grandeur d'une
droite cotée.
Soit proposé de trouver la vraie grandeur de la
droite éc, (fig. 1).
On peut résoudre le problème graphiquement
et numériquement.
Dans le premier cas, on fait un rabattement du
plan déterminé par la droite BC de l'espace et par
sa projection bc sur le plan horizontal. Le point B
s'obtient en élevant une perpendiculaire iB =
l^jS à la ligne bc, et le point C, en élevant une
perpendiculaire cC =4'°, 5 à la même ligne. Il ne
reste plus qu'à tracer la ligne BC, qui est le qua-
trième côté d'un trapèze rectangle, dont les deux
bases sont verticales.
Dans le second cas, on remarque que la ligne
BC est l'hypoténuse d'un triangle BDG dont on
connaît les deux côtés de l'angle droit.
En effet, le côté DC est égal à la différence des
cotes données,
DC=4,5— 1,8 = 2">,7
et le côté BD = bc, mesuré au moyen de l'échelle,
a pour longueur 6 mètres. On a donc, en vertu du
lliéorème du carré de l'hypoténuse,
BCs = BD» -+- DÇi
BC =v'')* + 2,7« = 6"',58
On appelle pente d'une droite le rapport entre
la distance verticale de deux points quelconques de
cette droite et leur distance horizontale ; c'est aussi
la hauteur à laquelle on s'élève, quand on parcourt
sur la ligne une longueur représentée par un
mètre mesuré sur la projection horizontale. Le
tiiodule d'une droite est l'inverse de la pente,
c'est-à-dire qu'il est exprimé par le rapport de la
distance horizontale de deux points quelconques
à leur distance verticale. Ainsi la pente et le mo-
dule de la droite BC sont:
DC 2,7 „ ,
^ = BD=-5-='''^*
BD G . „.
"' = DC=ÏÏ77 = ''2^
La droite BC a une pente de 0'°,45 par mètre.
On dit de la même manière que la pente d'une
ligne de chemin de fer, par exemple, est de (r,25
par kilomètre pour indiquer que, chaque fois que
l'on parcourt une distance horizontale égale à un
kilomètre, on s'élève ou on s'abaisse d'une hau-
teur égale à 0",25.
Le produit de la pente d'une droite par le mo-
dule est toujours égal à l'unité :
|DC BD
"BD+DC"
PX'"=\rr: + Kr^ = i-
Problème II. — Etant données les projections
d'une droite cotée en deux points, trouver la cote
d'un point quelconque ; trouver les points à cote
ronde.
Soient la droite ai, (fig. 2), représentée à l'échelle
de I à 200 ou de 5"" par mètre, et le point c
dont on veut connaître la cote.
On fait le rabattement de la droite AB, comme
il vient d'être dit; on élève la perpendiculaire
cC sur ah et l'on évalue la longueur de cette ligne
à laide de l'échelle;. On trouve 3">,0.
C'est au moyen de deux constructions analogues
que 1 on reconnaît si deux lignes, qui se coupent
en projection, se coupent réellement dans l'espace.
Il suffit, en effet, de rabattre ces deux lignes et de
déterminer, sur chacune d'elles, la cote du point
de rencontre des projections. Quand les deux ré-
sultats sont identiques, c'est une preuve que les
lignes se coupent.
y 6S.3
Il y a trois points à cote ronde sur la ligne ab.
Pour les obtenir, il suffit de porter sur une per-
pendiculaire à cette ligne, à partir du pied, trois
longueurs égales à 3", 4" et 5", puis de mener des
horizontales jusqu'à la rencontre de AB et d'a-
baisser des verticales sur ab. Les points obtenus
d,e,f, sont équidistants.
Cette dernière construction nous indique le pro-
cédé général pour trouver la projection d'un point
dont la cote est donnée.
Problème 111. — Déterminer les cotes rondes
d'une droite, connaissant sa pente, sa direction et
la cote d'un point.
Soit proposé de coter une droite ab ayant une
pente de |, sachant que la cote du pointa est 8",5.
(Le lecteur est prié de faire la figure.)
On porte une longueur égale à 9 mètres à partir
du pointa; la cote du point obtenu est égale à
K",5 -j- 4 = 12™,5 ou 4,5 selon que la droite s'é-
lève ou s'abaisse. Les cotes rondes se déterminent
ensuite comme dans le problème précédent.
Ce problème apprend à mener par un point une
parallèle à une droite donnée, il suffit, en effet,
de mener une parallèle à la droite sur le plan ho-
rizontal et de lui donner la même pente et dans
le même sens.
5° Le plan. — Si l'on coupe un plan quelconque
par des plans horizontaux parallèles au plan de
comparaison, les horizontales du plan se projet-
tent parallèlement. Le plan peut être représenté
par deux horizontales ; mais il est également dé-
terminé par une seule ligne perpendiculaire à ces
horizontales, et c'est ce dernier moyen que l'on
emploie généralement.
Cette perpendiculaire aux horizontales d'un
plan s'indique par un double trait et se cote
comme une droite ordinaire ; c'est la ligne de plus
grande pente du plan ou encore l'échelle de pente
du plan.
Les problèmes relatifs à la droite s'appliquent
à l'échelle de pente d'un plan.
Soit un plan horizontal P, coupé par un plan
quelconque Q, (fig. 3).
Fig. 3.
PLANS COTES
— 1613
PLANS COTÉS
Si d'un point C, pris dans le plan Q, on mène
une perpendiculaire CD et une droite quelconque
CE sur l'horizontale AB, la pente de la première
ligne est plus grande que celle de la seconde.
En eflct, abaissons une perpendiculaire Ce sur
le plan P et menons cU et cE ; nous avons :
Ce
pente de CD = ^=;
cl)
Ce
'cE
pente de CE = -
mais cD est perpendiculaire à AU, parce que le
plan CcD est lui-même perpendiculaire à AB,
tandis que tE est une oblique à cette ligne. Donc
on a :
cD < cE,
ce qui prouve que la première fraction est plus
grande que la seconde.
Problème IV. — Un plan est déterminé par
trois points cotés, trouver son échelle de pente
et la cote d'un point quelconque.
Soient les trois points cotés a,b,c, et le point
non coté (/, (fig. 4).
On joint ab et bc ; on détermine, sur ces deux
lignes, deux points ayant la même cote, par exem-
ple, 4 mètres, par le procédé connu (prob. Il) ; on
joint ces points, ce qui donne une horizontale du
plan, et l'on mène une perpendiculaire en un
point quelconque de cette horizontale: c'est l'é-
chelle de pente du plan, qu'il est facile de graduer
en cotes rondes.
Pour trouver la cote du point d, on fait passer,
parce point, une horizontale du plan, qui rencon-
tre l'échelle en un point dont on détermine la
cote (prob. II).
On résoudrait facilement d'autres problèmes
analogues au précédent : trouver l'échelle de
pente d'un plan déterminé par une droite et un
point, par deux droites qui se coupent, par deux
droites parallèles.
6" Surface quelconque. — La méthode des pro-
jections ciitces est exclusivement employée pour
indiquer le relief du sol et pour représenter des
surfaces tout à fait irrégulières.
U faut, au préalable, faire deux opérations bien
distinctes, le levé du plan pour la projection ho-
rizontale, et le nivellement pour les cotes (V. ces
deux mots).
A l'aide du levé de plan, on représente les limi-
tes de la surface ; au moyen du nivellement, on
trace des lignes courbes horizontales ayant la
même cote en lous leurs points et représentant
des sections faites dans les surfaces par des plans
horizontaux. Ces courbes planes s'appellent cmir-
bes fie niveiiu. Elles sont généralement à cotes
rondes. Elles sont d'autant plus serrées quo la
pente est plus rapide (V. Nioellemenl).
Problème V. — Etant donnée une surface to-
pographi(|uo, représentée par des courbes de ni-
veau, on veut y tracer : l" un talus de pente ré-
gulière, ce qui revient îi trouver l'intersection de
cette surface avec un plan dont l'échelle de pento
est donnée; 3» l'axe d'un chemin ayant une pente
uniforme imposée d'avance. -".1
Soient la surface et l'échelle de pente données
en cotes rondos, et le point a, origine du chemin
à tracer (lig. b).
Par les points de division de l'échelle, on mène
des horizontales du plan, c'est-à-dire des per-
pendiculaires à cette échelle; on détermine les
inter.sections de ces horizontales avec les courbes
de mêmes cotes et l'on joint les points obtenus.
Pour tracer le chemin, dont la pente devra
être, par exemple, égale, à ~, il faut d'abord
chercher la distance horizontale qui devra exister
entre deux courbes de niveau, c'est-à-dire la dis-
tance qu'il est nécessaire de parcourir horizonta-
lement pour s'élever d'un mètre.
Il suftit évidemment de résoudre la proportion
suivante :
1 = 1.
15 X
A partir du point a, avec une ouverture de
compas, mesurée sur l'échelle et égale à 7",.'), on
décrit un arc de cercle qui coupe la deuxième
courbe au point b ; on joint nb : c'est la pre-
mière partie du tracé demandé. Au point b, on
opère de la même manière pour avoir le point c,
et ainsi de suite, pour toutes les courbes de ni-
veau.
Il est évident que l'on peut obtenir plusieurs
tracés issus du point a avec la même pente, puis-
que le premier arc de cercle courbe la deuxième
horizontale en deux points b et éj, et que ceux-ci
peuvent donner à leur tour quatre points c, Ci,
Cj. Cj. On prendra le contour le plus agréable à
l'œil et le plus facile à effectuer sur le terrain.
Application. — La plus utile application de la
méthode des plans cotés se trouve dans le tracé
d'une voie de communication.
Nous allons indiquer sommairement la suite
des opérations à faire pour le tracé d'une portion
de chemin de fer, entre deux points A et B im-
posés d'avance. 1° Examen de la carte de l'étal-
major, qui donne l'altitude des points A et B et,
par suite, une indication importante sur la pente
générale à adopter pour la ligne ; 2° tracé, sur la
carte, d'un premier parcours polygonal; :)" recon-
naissance du terrain et jalonnement do cette li-
gne polygonale (de grandes perches ou balises
sont plantées aux sommets des angles); 4'" modi-
fications successives du tracé, imposées par dos
difflcultés particulières d'exécution ou pour mé-
nager certains intérêts, et adoption définitive de
la ligne qui parait le mieux répondre à tous les
besoins ; 5° tracé des courbes à tous les angles.
PLANTAGENET
— 1614
PLANTAGENET
généralement des arcs de cercle, dont les rayons
ne peuvent être inférieurs à un minimum donné,
(500 mètres pour les grandes lignes, ïOOà 250 mè-
tres pour les lignes secondaires) ; pour cette opé-
ration intéressante, on mesure exactement les
angles avec des instruments de précision ; on cal-
cule la longueur des tangentes, et le développe-
ment des arcs, étant donnés les rayons : on me-
sure ces tangentes, à partir des sommets, pour
avoir les points de raccord ; on élève, de distance
en distance, des perpendiculaires sur ces tan-
gentes, sur lesquelles on porte des longueurs
calculées d'avance, et l'on obtient des points de la
courbe, que l'on indique par des piquets ;
6° chaînage et piquetage de la ligne (tous les
accidents du terrain sont indiqués par un piquet
ordinaire, les hectomètres sont indiqués par un
piquet plus fort, portant un numéro d'ordre :
exemple, 1 H, 2 H, et les kilomètres par un pi-
quet encore plus fort avec un numéro d'ordre,
portant la distance à partir de l'origine de la ligne :
exemple, iKm, 2Km) ; 1° construction du plan de
la ligne et de toutes les propriétés parcellaires
traversées, à 40 mètres environ de chaque côté
de l'axe (ce plan est généralement à l'échelle de
1 à 1000) ; 8° nivellement de l'ave et tracé du
profil en long, en prenant un plan de comparaison
inférieur à tous les points relevés, souvent le ni-
veau de la mer, et en prenant 1 échelle des ordon-
nées double de celle des abscisses, afin de mieux
indiquer les accidents du terrain (les ordonnées
ordinaires sont en trait rouge, celles des hecto-
mètres et des kilomètres sont en noir, le profil
du terrain est en noir et la ligne elle-même en
rouge); 9° nivellement et tracé des profils en
travers, c'est-à-dire de profils perpendiculaires à
l'axe passant par tous les piquets (sur chaque pro-
fil en travers, une horizontale en trait rouge in-
dique le niveau du point correspondant de l'axe
de la ligne ; les déblais, qui sont au-dessus, sont
marqués en teinte rouge, et les remblais, qui sont
au-dessous, sont marqués par une teinte jaune) ;
10° calcul des déblais et des remblais en interca-
lant dt'S plans verticaux à égale distance des pro-
fils en travers, de manière à déterminer des pris-
mes formés par ces sections, par les faces en talus
et par les plans horizontaux supérieurs et infé-
rieurs; 11° évaluation du coât total et du cou/
kilométrique, en tenant compte des difficultés de
transport, de la dureté des roches et des volumes i
déplacer respectivement à la pelle, i la brouette,
au tombereau et au wagon. [A. Gougaeret.J
PLANTAGE.NET. — Histoire générale. XVIII-XX,
XXVIII. — Nom d'une famille royale, d'origine fran-
çaise, qui a donné h l'Angleterre treize souverains.
Les notices ci-dessous, consacrées à ces princes,
compléteront les indications générales données à
l'article Angleterre.
Henri U (11541 189) était le fils de Geoffroy,
comte d'Anjou, du Maine et de Touraine, sur-
nommé Plantagenet à cause de la branche de
genêt qu'il avait l'habitude de porter à son cas-
que. Geoffroy d'Anjou avait épousé en 1127 la
princesse Mathilde, fille du roi d'Angleterre
Henri I" et veuve de l'empereur Henri V. Ma-
thilde était l'héritière de la couronne d'Angleterre;
mais, à la mort d'Henri I", les barons normands
refusèrent de la reconnaître, et prirent pour roi
un petit-fils de Guillaume le Conquérant par les
femmes, Etienne de Blois (1135). CeUii-ci, après
avoir eu à lutter pendant tout son rogne contre
les entreprises des partisans de Mathilde, finit par
reconnaître pour son héritier le fils de sa rivale.
Henri d'Anjou venait de s'unir k l'épouse divorcée
du roi de France Louis VI(, Eléonore d'Aquitaine,
qui lui avait apporté en dot ses vastes domaines, le
Poitou, l'Aunis et la Saintonge, l'Angoumois, la
Marche, le Périgord et la Gascogne, lorsqu'il suc-
céda en U5i h. Etienne, sous le nom d'Henri II; il
se trouva donc posséder, outre ses Etats anglais, un
tiers de la France, toutes les provinces occiden-
tales, de la Normandie à l'embouchure de l'Adour,
moins la Bretagne, qu'il acquit plus tard par le
mariage d'un de ses fils avec Constance, fille du
duc Conan IV.
Henri Plantagenet, malgré sa puissance, n'en
était pas moins le vassal du roi de France; mais il
nourrissait l'espoir de substituer sa famille à la
dynastie capétienne, et de réunir ainsi les deux
couronnes de France et d'Angleterre : à cet effet,
il négocia un mariage entre son fils aîné, Henri,
duc de Normandie, et une fille de Louis VII. Ce
projet échoua, le duc de Normandie étant mort
avant son père, et Louis Vil ayant eu de sa troi-
sième femme un fils qui lui succéda.
Les démêlés d'Henri II avec l'Eglise forment
l'événement le plus important de son règne. Il
voulut, par les constitutions de Clarendon, sou-
mettre les ecclésiastiques à la juridiction royale;
l'archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket, fit
l'opposition la plus vive k cette mesure, et, après
une querelle qui dura des années, le roi fit tuer
l'archevêque au pied môme de l'autel (1170). Me-
nacé d'excommunication, le roi abolit les constitu-
tions de Clarendon, fit hommage au pape de son
royaume qu'il transforma en fief du Saint-Siège,
et, moyennant ces actes de soumission, obtint son
pardon ; le pape lui accorda môme l'investiture de
l'Irlande, dont Henri fit aussitôt la conquête.
Cependant sa tyrannie et ses débauches avaient
excité contre lui son peuple et sa propre famille :
une révolte générale éclata, fomentée par sa femme
Eléonore ; ses trois fils aînés, auxquels il avait
donné ses provinces françaises, prirent les armes
contre lui, soutenus par le roi de France. Henri
calma les haines de ses sujets anglais par une
pénitence publique au tombeau de Thomas Bec-
ket ; il fit enfermer sa femme dans un couvent,
battit le roi de France, et parvint à ramener ses
fils à l'obéissance. .Mais la révolte de ces jeunes
princes, pleins d'orgueil et de turbulence, se
renouvela peu de temps après. Henri, l'aîné, et
: Geoffroy de Bretagne, le troisième, moururent; il
ne resta que Richard Cœur de Lion. Celui-ci, allié,
b, Philippe Auguste, le nouveau roi de France,
prit pour la troisième fois les armes contre sonj
père; le vieil Henri H, contraint à une paix,
humiliante, mourut de cliagrin (1189).
Richard Cœur de Lion (1189-1199), devenu roi!
à la mort d'Henri II, s'embarqua l'année suivante
pour la troisième croisade, qu'il entreprit de concert
avec Philippe-Auguste et Frédéric Barberousse
(V. C/-oisade.). Pendant les quatre années que dura
son absence et sa captivité en Autriche, son frère
Jean sans Terre, dernier fils d'Henri H, essaya
1 de s'emparer du pouvoir; il était appuyé par k
1 roi de France, qui, pour prix de son alliance, vou
j lait se faire céder la Normandie. Le retour d(
Richard (1194) déjoua ces projets : Jean sani
Terre fit sa soumission; Pliilippe Auguste, ayan
accepté la guerre, fut battu ; mais le pape s'in
terposa et une trêve fut signée (1199). La mêm
' année, Richard fut tué au siège du château d
Chalus en Limousin.
Jean sans Terre (1199-1216) succéda à son frer
Richard, qui était mort sans enfants. Son neve
! Arthur, fils de Geoffroy de Bretagne, lui disput
I la couronne et fut soutenu par le roi de Franct
Vaincu et fait prisonnier, Arthur fut égorgé
Rouen (1203). Philippe Auguste, se posant e
vengeur du jeune prince, s'empara de la No
mandie, de l'Anjou, de la Touraine et du Poitoi
1 Pour reprendre ces provinces, Jean forma pli.
tard une coalition contre la France : mais si
I allié l'empereur Otlioii IV fut vaincu à Bouvin -,
(1214), et lui-môrae, battu en Poitou, trouva à sti
PLANTAGENET
— 1615 —
PLANTAGENET
retour les barons anglais soulevés. Ils obligèrent
le roi à signer en 1215 la Grande Charte et 'd en
jurer l'observation; mais aussitôt après, Jean, qui
avait obtenu l'appui du Saint-Siège sous la pro-
messe d'un tribut annuel, se fit relever de son
serment par le pape Innocent III et recommença
la guerre contre ses barons. Ceux-ci appelèrent
le fils du roi de France, Louis (depuis Louis VIII),
et lui offrirent la couronne (l'ilG); ce prince dé-
barqua en Angleterre, mais sur ces entrefaites
Jean sans Terre mourut, laissant un fils en bas âge-
Henri III (ISie-l'il'i), fils de Jean sans Terre,
fut reconnu pour roi par la majorité des barons
anglais, qui abandonnèrent le parti du prétendant
français, préférant un souverain enfant qui serait
plus facile à gouverner. Louis dut retourner en
France (1217), et Henri III régna sans conteste,
après avoir juré d'observer la Grande Charte. Il
perdit, dans deux guerres contre Louis VIII et
Louis IX, la plupart des provinces que l'Angle-
terre avait conservées en France; mais plus tard,
saint Louis, par un traité qui fait plus d'iionneur
à sa générosité chevaleresque qu'à son esprit poli-
tique, lui rendit ou lui laissa le Limousin, le Pé-
rigord, le Quercy, l'Agénois, une partie de la
Saintonge, et le duché de Guyenne (1259). A l'in-
térieur, ce règne fut signalé par un grand événe-
ment, l'organisation du Parlement anglais; le roi
ayant à plusieurs reprises violé la Grande Charte,
les barons, réunis en parlement, proclamèrent le
statut d'Oxford (1258), qui plaçait la royauté sous
le contrôle d'un conseil de vingt-quatre barons.
Le roi, feignant d'abord de céder, se fit relever
Spenser. Le Parlement profita de ces circonstances,
favorables à l'extension des libertés nationales,
pour conquérir do nouveaux droits : dès 1.30"J, il
met des conditions au vote de l'impôt; en 1:512, il
nomme une commission de lords ordonnateurs,
et le consentement des Communes est expressé-
ment spécifié. La guerre contre les Ecossais avait
continué; la mémorable défaite des Anglais h
Bannock-Burn (1314) assura définitivement l'indé-
pendance de l'Ecosse. En 1325, une nouvelle ré-
volte des barons éclata ; ils voulaient se débarrasser
de la domination des Spenser. L'épouse même
d'Edouard, Isabelle, fille do Philippe le Bel, se
mit à la tète des révoltés : les frères Spenser fu-
rent pris et exécutés, le roi dut abdiquer en faveur
de son fils, et fut jeté dans une prison où Isabelle
le fit périr (1327).
Edouard III (1327-1377) régna d'abord sous la
tutelle de sa mère ; mais, dès qu'il fut majeur, la
soupçonnant d'avoir été l'auteur du meurtre
d'Edouard II, il la fit enfermer dans une forte-
resse. La couronne de France venait de passer
dans la famille de Valois à l'extinction des Capé-
tiens directs ; Edouard résolut de faire valoir les
droits qu'il pensait posséder comme petit-fils de
Philippe le Bol du côté maternel : ce fut l'origine
de la guerre de Cent ans. Le roi de France avait
pour allié le roi d'Ecosse, David Bruce : Edouard
tourna d'abord ses efforts de ce côté ; il accorda des
secours au prétendant Edouard Baliol, fils du
Baliol détrôné en 1297 ; celui-ci vainquit David
Bruce et occupa le trône à sa place. Ensuite il at-
taqua directement le roi de Fram-e. Ses victoires
ensuite de son serment par le pape, puis invoqua • et celles de son fils le Prince Noir, puis le traité
l'arbitrage de saint Louis ; les barons alors, sous
la conduite do Simon de Montfort, comte de Lei-
cester, prirent les armes : Henri 111 fut vaincu et
fait prisonnier (13Gi), et Leicester, devenu le
maître, compléta le Parlement en créani la Cham-
bre des Communes par une ordonnance qui pres-
crivait l'élection de deux chevaliers par comté et
de deux citoyens par bourg. L'année suivante, le
pouvoir de Leicester fut renversé, et lui-même pé-
rit à la bataille d'Evesham; mais Henri III, re-
monté sur le trône, n'osa pas révoquer l'ordon-
nance de 12GI. Il mourut en 1272.
Edouard I" (1272-1307), fils et successeur
d'Henri 111, eut un règne glorieux. Renonçant à
cherclier des agrandissements en France, il visa à
mettre sous sa domination la Grande-Bretagne
tout entière ; en même temps il accepta franche-
ment l'existence du Parlement, qui, à partir de ce
règne, siège d'une manière régulière. Une guerre
longue et acharnée lui donna le pays de Galles,
dont le dernier chef national, David, fut pris et
mis à mort (1283); l'héritier présomptif de la cou-
ronne d'Angleterre porta désormais le titre de
prince de Galles. L'ancienne dynastie des rois
d'Ecosse s'étant éteinte à la mort d'Alexandre III
(1286), Edouard fut appelé par les Ecossais à pro-
noncer entre deux prétendants rivaux, Jean Baliol
et Robert Bruce ; il désigna Baliol, mais en lui
imposant la condition de l'hommage féodal. Le
nouveau roi d'Ecosse essaya bientôt de s'afl'ranchir
des liens de cette vassalité; mais il fut vaincu et
pris Ji Dunbar (1207). Un noble écossais, VVallace,
continua la résistance; il fut livré par un traî-
tre, et l'Ecosse dut se soumettre aux Anglais.
Mais bientôt le fils de l'ancien rival de Baliol,
Bruce, se mit à la tète du parti national, se fit
couronner roi, et recommença la lutte (130C).
Edouard mourut avant d'avoir pu triompher de ce
nouvel adversaire (13117).
.Edouard II (1307-1327;, fils du précédent, prince
faible et débauché, fut gouverné par des favoris
qui causèrent sa ruine : Gaveston, dont l'orgueil
amena une révolte des barons, qui le firent pri-
sonnier et le tuèrent (1312), et ensuite les frères
de Brétigny, firent de lui le maître d'un tiers de
la Fiance ; mais en même temps il dut renoncer à
à ses prétentions à la couronne. Toutefois il re-
perdit la plus grande partie de ses conquêtes sous
Charles V. (V. Guerre de Cent ans.) Il mourut
en 1377.
De ce règne datent les premiers progrès de l'in-
dustrie anglaise; la bourgeoisie, qui s'enrichit et
qui fournità l'armée royale sa redoutable infante-
rie, prend une importance politique toujours plus
considérable. L'Angleterre s'affrancliit du ti'ibut
qu'elle payait au Saint-Siège depuis Jean sans
"Terre : le Parlement déclare que nul n'a pu assu-
jettir le pays à, un pouvoir étranger. VViclef com-
mence ses prédications hardies, s'attaquant d'abord
à l'autorité du pape, puis au clergé en général :
Edouard III le protège. Les idées de liberté et de
réforme sociale, qui avaient produit en France la
tentative d'Etienne Marcel et la Jacquerie, fermen-
taient aussi dans le peuple anglais ; elles allaient
faire explosion sous le règne suivant.
Richard II (1377-1399) était le petit-fils d'E-
douard III, auquel il succéda, son père Edouard,
prince de Galles (le Prince Noir) étant mort
en 1376. Il n'avait que onze ans lorsqu'il monta
sur le trône. La guerre contre la France était sus-
pendue ; mais l'Angleterre allait avoir k traverser
une crise intérieure. En 1381, les paysans de plu-
sieurs comtés, écrasés d'impôts, se révoltèrent
sous la conduite d'un ouvrier, VVat Tyler, et d'un
prêtre disciple de VViclef, John Bail. Ils marchè-
rent sur Londres, s'en emparèrent, et forcèrent
le jeune roi à leur livrer l'archevêque de Cantor-
bury et d'autres hauts personnages, qui furent mis
h mort. Mais le chef des révoltés, ayant été per-
fidement attiré à une entrevue avec le roi, fut tué
en trahison ; ses partisans, dispersés, furent en-
suite massacrés par petites troupes. C'est aux
doctrines de VViclef que la cour fit remonter l'ori-
gine de l'insurrection; aussi les adliéronts du ré-
formateur furent-ils proscrits et persécutés.
Itichard gouverna ensuite despotiquement, bravant
le mécontentement duParlementet des seigneui-s ;
mais en 1399, tandis qu'il était en Irlande poui y
PLANTES
— 1616 —
PLANTES
comprimer une révolte, son cousin le duc Henri
de Lancasire, qu'il .tvait dépouillé de ses biens et
exilé, rentra en Angleterre, appela aux armes ses
partisans, et s'empara de Londres. Richard, aban-
donné de tous, dut signer son abdication, et le
Parlement donna la couronne à Henri de Lancas-
ire; l'année suivante, le roi déposé fut assassiné
dans la prison où il avait été enfermé.
HemilV (ia9i)-1413). —V. Lancastre.
Henri V (1413-1422). — V. Lancustre et Guerre
de Cent ans.
Henri VI (1422-1471), — V. Lancastre, Guerre
de Cent ans et Guerre des Deux-Roses.
Edouard IV (H(>1-148:J), fils du duc Ricliard
d'Yorlw (V. Guerre des Deux-Roses), était devenu le
clief du parti de la Rose blanche après la bataille
de Wakefield (14(!f)), où son père avait été tué.
Aidé du puissant Warwick, il vainquit Henri VI h
Towton et à Exliam, et devint roi sons le nom
d'Edouard IV. Mais il se brouilla bientôt avec
Warwick ; et celui-ci, passant dans le parti de la
Rose rouge, lattit le nouveau roi à Nottingliam
(1470) et rétablit Henri VI sur le trône. Edouard IV
se réfugia auprès de Charles le Téméraire, duc de
Bourgogne, qui avait épousé sa sœur. L'année
suivante, il rentra en Angleterre, et recouvra sa
couronne par les victoires de liarnet et de Tew-
kesbury. Désormais maître incontesté de l'Angle-
terre, il devint l'allié de son beau-frère Charles
le Téméraire dans sa lutte contre Louis XI;
en 1476, il débarqua à Calais; mais, ne trouvant
pas l'appui sur lequel il avait compté, il conclut
avec le roi de France le traité de Pecquigny. Il
mourut en H.S3, laissant deux lils encore enfants.
Edouard V (1483), l'ainé des fils d'Edouard IV, lut
succéda sons la tutelle de son oncle le duc de
Glocester. Mais, au bout de deux mots, il pont as-
sassiné a la Tour de Londres, avec son jeune
frère, par les ordres de son tuteur. La fin tragique
des enfants d'Edouard a inspiré plus d'une fois
les peintres et les poètes. (V. le Richard lH de
Shakespeare, les Enfants d'Edouard de Casimir
Delavigne, et le tableau de Paul Delaroche au
Louvre.) , , „, r ,
Ricliard in(i48'3-l485), duc de Gloce«ter, frère
d'Edouard IV et oncle d'Edouard V, obtint la cou-
ronne en faisant périr son neveu. Mais son règne
fut de courte durée. En 1485, Henri Tudor,
comte de Richmond, prit les armes contre lui,
et le vainquit à liosworth. Richard fut tué dans la
bataille. Avec lui s'éteignit la maison des Planta-
genets, à laquelle succéda celle des Tudors.
IV. Tudor.) .... ,v
PLANTES ARBUSTIVES. — Agriculture, IX.
— En dehors de l'arboriculture et de l'exploitation
des forêts, l'agriculteur cultive d'une manière
spéciale un certain nombre d'arbres pour leurs
fruits ou les autres produits qu'il en peut tirer.
C'est surtout dans la région méridionale de la
France que les cultures arbustives trouvent leur
place Là, en efi'et, les cultures annuelles courent
le risque d'être à. peu près complètement (Je-
truites par la sécheresse, et ne donnent, la plu-
part du temps, que des récoltes chétives, tandis
que les racines des arbres et des arbustes vont
chercher dans les couches profondes du sol l'hu-
midité dont elles ont besoin. C'est donc utie des
faces principales de l'économie rurale du Midi que
CKtte prédominance des cultures arbustives. Quand
on remonte vers le nord, ce caractère disparaît :
ce sont, au contraire, les arbres qui deviennent
de plus en plus rares.
Les arbres principalement cultivés dans les
champs sont: 1° l'olivier; T l'amandier; 3» le
mûrier ; 1° la vigne ; h° le châtaignier ; G" le noyer.
.Nous allons domier quelques détails sur chacun
d'eux, en reportant :"i un article spécial, que justifie
son importance, ce qui doit être dit de la vigne.
1° Volivier est en France l'arbre caractéristi-
que de l'extrême région méridionale au sud-est,
dans la basse vallée du Rhône, depuis l'Ardèche
et la Drôme jusqu'à la mer, et sur tout notre lit-
toral méditerranéen. On le cultive, de temps im-
mémorial, pour ses fruits qui entrent dans l'ali-
mentation et dont on extrait une huile excellente.
La statistique évalue à 147 600 hectares environ
la surface qu'il occupe, et à 5 400 000 hectolitres
la production moyenne d'huile qu'on en retire.
L'huile d'olive, outre qu'elle est employée comme
comestible, forme la base du savon dont d'impor-
tantes fabriques se sont créées depuis longtemps
dans le Midi.
L'olivier vient dans la plupart des terres. Il
pousse très bien dans les terres fortes et profon-
des, mais il se contente aussi des terrains secs,
arides, sans profondeur. Il fait la richesse des
terres rocailleuses de certaines parties de la
Provence qui ne peuvent porter d'autre culture;
toutefois ses produits y snnt moins abondants.
Deux méthodes sont employées pour les planta-
tions : tantôt les oliviers couvrent toute la surface
du sol, en formant des massifs, tantôt ils sont placés
en cordons espacés de manière que l'on puisse
établir entre les lignes des cultures intercalaires :
c'est ce que, dans le midi, on appelle planter en
cuillères. C'est l'automne qui est la saison la plus
favorable pour planter, dans les terres sèches; le
printemps, pour les terres humides.
L'olivier doit être taillé avec soin. La taille re-
pose sur ce fait que l'arbre ne fleurit que sur le
bois de deux ans, et sur la nécessité de mettre les
fleurs et les fruits à une bonne exposition au so-
leil. La taille consiste à supprimer tous les ra-
meaux qui s'élèvent verticalement, à couper les
branches mortes, et les rameaux latéraux qui de-
viennent trop longs, à supprimer les rameaux qui
sont le plus intérieurs, de manière à donner i
l'arbre une forme sphérique. Sur les rameaux
conservés, on garde le bouquet terminal et seu-
lement qutiques-uns de ceux qui en sont le plus
rapprochés. Pour former la tête des jeunes arbres,
le tronc est ébourgeonné avec soin.
Pendant l'hiver, on butte le pied des arbres,
pour les soustraire à l'action des gelées. Ori pro-
fite do ce travail, pour leur donner l'engiais qui
leur est nécessaire; celui qui est le plus générale-
ment employé est le tourteau. Quand on fait des
cultures annuelles intercalaires, les engrais em-
ployés pour les cultures suffisent souvent peup-
les oliviers. Quand on a de l'eau à sa disposition,
il est bon de donner aux arbres deux ou trois ou-:
vragesau printemps et au commencement del'été.i
La cueillette des olives se fait un peu avant;
qu'elles soient complètement mûres. Cette opéra-*
tion, commencée au mois de novembre, est conti-l
nuée jusqu'à la deuxième quinzaine de décembre.
Le produit en fruits varie beaucoup suivant les
années, ainsi que suivant l'âge des arbres. Quand
l'arbre est en plein rapport, ce qui arrive au bout
de vingt ans à peu près, il donne 7 à 10 litres
d'olives suivant les espèces. Comme il faut géné-
ralement 750 litres d'olives pour fabriquer 100 li-
tres d'huile, on estime que le produit moyen d'un
arbre est de 1 litre d'huile. La quantité produite
par hectare dépend naturellement du nombre des
arbres. Dans le déparlement de Vaucluse, on es-
lime qu'un hectare produit annuellement 30 hec-
tolitres d'olives. La production de l'olivier sefl
maintient, en Provence, jusqu'à 45 à 50 ans ; en
Italie et en Corse, elle dure pendant beaucoup
plus longtemps. . .
Le froid, suivi d'un dégel rapide, est le princi;
pal ennemi de l'olivier. Cet arbre est aussi attaqtii
par divers insectes; les principaux sentie kerme;
rouge, qui se multiplie sur les branches, et la mou
che de l'olivier, qui s'attaque aux fruits.
PLANTES
— 1617 —
PLANTES
2° V Amandier se rencontre presque partout en
concomitance avec l'olivier ; mais il est moins dé-
licat, et on le retrouve dans la région plus septen-
trionale, avec la vigne. On en cultive plusieurs
espèces, qui| peuvent se partager en deux catégo-
ries : les amandiers à fruits doux, et les aman-
diers à fruits amers. Dans la première catégorie,
l'amandier princesse et celui dit i la dame sont les
variétés qui produisent les fruits les plus estimés ;
elles conviennent davantage aux pays méridio-
naux; elles fructifient mal en dehors de la région
de l'olivier.
L'amandier se propage par semis; le plus sou-
vent on sème en pépinière, et on met en place le
jeune arbre de cinq ou six ans. On peut gieffer
en pépinière amandier sur amandier, quand le
sujet a deux ans ; mais beaucoup de cultivateurs
ne greft'ent qu'après plantation définitive, ce qui
retarde notablement la mise h. fruit de l'arbre. La
plantation se fait on lignes espacées d'une dizaine
de mètres quand le terrain est profond : l'écarte-
ment peut aller jusqu'à 25 mètres, lorsque le
terrain n'offre qu'une faible profondeur. Cet
arbre est délicat et redoute les gelées blanclies;
c'est pourquoi on élève jusqu'à 1"',.50 et au delà
l'origine de la bifurcation des branches.
Comme pour l'olivier, et beaucoup d'autres arbres,
les fleurs et les fruits ne se développent que sur
le bois de deux ans. C'est d'après ce principe que
la taille doit être faite. On a surtout soin d'enlever
les branches gourmandes. Rarement on donne des
engrais aux amandiers; mais c'est à tort, car on
a constaté que ceux qui sont cultivés on ouillères
profitent des engrais donnés auo! cultures inter-
calaires.
On estime à 6 kilog. d'amandes cassées, c'est-
à-dire dépourvues de leur péricarpe, le produit
moyen d'un amandier en bon état d'entretien.
La récolte se fait le plus souvent en battant les
arbres avec des gaules faites en canne de Pro-
vence, qui n'endommagent pas les branches.
La gourme est la maladie qui attaque le plus
souvent l'amandier. Il a pour principaux ennemis :
parmi les insectes, un puceron et un kermès qui
lui sont spéciaux, ainsi que la piéride de l'olivier ;
parmi les végétaux, le gui qui se développe sur les
branches, et dont on débarrasse l'arbre par extir-
pation.
3° Le Mûrier est, comme les précédents, un
^rbre du midi. On le cultive pour la nourriture
que ses feuilles fournissent aux vers à soie. Parmi
les diverses espèces de mûrier, le mûrier blanc
est celui que l'on rencontre presque exclusive-
ment dans les cultures méridionales, principale-
naent dans les Cévennes, nù il avait pris une très
grande extension avant les épidémies qui ont sévi
«ur les vers à soie, et qui en ont fait diminuer la
culture; mais on a fait, depuis quelques années,
des replantatioas sur une assez grande échelle.
Cet arbre paraît originaire de la Chine et de la
Perse : il a été importé en Europe, avec la pro-
duction des vers à soie, par la Grèce et l'Italie.
^ Ce que l'on cherche dans la culture du miirier,
cest k la fois une grande quantité de feuilles, et
une valeurnutritive considérable dans ces feuilles.
La culture a amené la formation d'un certain
nombre de variétés qui ont des propriétés diver-
ses, à ce double point de vue. Los variétés le plus
estimées sont le miirier moretti, le mûrier multi-
caule, le mûrier rose, ainsi appelé de la couleur
de ses fleurs.
Le mûrier est cultivé tantôt à haute tige ou à
mi-tige,tantùt en arbuste. Dans les premiers cas,
les plantations sont faites en quinconces ou on
bordures ; les pieds sont espacés de 7 mètres dans
•les quinconces, et do 10 à 12 mètres dans les bor-
dures. Les mûriers en arbuste ou nains sont plan-
tes en haies ou en taillis; les pieds sont espacés
1' Partie.
plus ou moins suivant la nature du sol; leur
écartement se restreint parfois jusqu'à 50 centi-
mètres.
La multiplication s'opère par graines, par bou-
tures, par marcottes ou par greffes. La greffe se
fait le plus souvent en écusson ou en flûte sur
sauvageon obtenu par semis. D'après des obser-
vations faites avec soin, la production d'un mûrier
bien conduit va généralement en augmentant pen-
dant SCS vingt premières années ; elle reste sta-
tionnaire pendant vingt autres années, et elle va
en déclinant, lors(|ue l'arbre a atteint l'âge de
quarante à quarante-cinq ans; à partir de ce mo-
ment, le bois a pris trop de volume.
La taille du mûrier a un but absolument opposé
à celui de la taille des arbres cultivés pour leurs
fruits : il s'agit de lui faire produire la plus
grande quantité de feuilles, et aussi peu de fleurs
que possible. Pendant les premières années, la
taille forme la charpente de l'arbre, qui doit avoir
l'aspect d'un vase, afin que les jeunes branches
puissent se développer sans obstacles. Ensuite, on
taille de manière à ne laisser qu'un certain nom-
bre de bourgeons qui développent des rameaux
vigoureux, avec des feuilles grandes et abondan-
tes. Suivant la nature des sols, on taille l'arbre
annuellement ou tous les deux ans. La taille an-
nuelle se fait en été ; on la pratique après la
cueillette des feuilles, lorsque l'arbre est planté
en terrain assez frais pour pouvoir fournir de
nouveaux bourgeons qui se développent librement.
La taille bisannuelle est pratiquée au printemps
après la première récolte de feuilles; elle est
adoptée lorsque les arbres sont en terrain trop
soc ou sous un climat trop froid pour permettre
aux nouveaux bourgeons de se développer vigou-
reusement. Dans ce dernier cas, on partage les
mûriers d'un domaine en deux séries que l'on
taille alternativement, de manière à avoir, chaque
année, de la feuille en quantité suffisante pour
les vers à soie.
La feuille du miirier se développe très hâtive-
ment au printemps ; elle est quelquefois détruite
par les gelées blanches. La seconde pousse, tou-
jours plus faible et moins bonne, est alors la res-
source du cultivateur. La cueillette commence dès
que les bourgeons ont donné un nombre suffisant
de feuilles complètement développées ; on com-
mence par les haies et les taillis, où les feuilles
se.développent plus tôt que sur les arbres à haute
tige. La cueillette dure trente à quarante jours ;
il ne faut la commencer que lorsque la rosée du
matin est évaporée ; on l'arrête avant la fraîcheur
du soir : il faut surtout se garder de cueillir pen-
dant la pluie ; la feuille mouillée est toujours pré-
judiciable aux vers à soie.
Les travaux d'entretien du mûrier, en dehors
de la taille, consistent en deux labours qu'il con-
vient de donner, l'un à la fin de l'hiver, l'autre au
commencement de l'été. Ces labours maintiennent
la surface du sol ameubli et s'opposent à l'action
de la sécheresse; en outre, ils détruisent les
plantes parasites. L'arbre se trouve très bien de
l'emploi des engrais, qui en augmentent la produc-
tion dans des proportions 1res notables. Le fumier
est l'engrais le plus généralement adopté ; les
tourteaux peuvent aussi servir avec avantage, de
même que les détritus des magnaneries.
La production de la fouille de mûrier n'est pas
toujours unie à l'éducation des vers à soie. Les
éducateurs achètent le plus souvent la feuille qui
leur est nécessaire à des agriculteurs qui n'élè-
vent pas de vers à soie ou qui ont une production
de feuilles sensiblement supérieure à leurs be-
soins.
4" Le Châtaignier est cultivé dans un double
but : comme arbre donnant des fruits, et comme
arbre forestier dont les taillis donnent d'excel-
102
PLANTES
1618 —
PLANTES
lent bois pour faire les futailles. Le châtaignier
est un arbre de la région de la vigne et il mûrit i
ses fruits un peu au delii jusqu'en Bretagne, et |
sur des hauteurs où la vigne ne vient pas, comme
dans le Limousin. Pour miirir, la châtaigne a
besoin d'une chaleur soutenue et prolongée plu-
tôt que forte. L'arbre est assez sensible aux froids
du printemps ; s'il résiste généralement bien à
ceux de l'hiver, les gelées printanières lui sont
souvent nuisibles.
On cultive plusieurs espèces de châtaignes ; les
principales sont : le marron, qui se distingue par
sa forme presque sphérique et son fruit savou-
reu.x ; l'exalade ; la châtaigne verte. Le châtaignier
demande des terres meubles et profondes ; les sols
schisteux lui conviennent bien, et il y prend des
proportions considérables, de môme que dans les
alluvions siliceuses. On sème sur place les châ-
taigniers qui doivent être cultives comme arbres
forestiers, mais on plante ceux qui sont élevés pour
les fruits. On grelTe les bonnes variétés, afin de
les maintenir: quant au plant nécessaire à la plan-
tation, on peut soit l'acheter, soit le préparer en
pépinière. Les soins de culture sont peu impor-
tants : la taille consiste en un simple émoudage
pour enlever le bois mort, et les drageons qui
poussent au pied.
Un beau châtaignier porte 50 à 60 kilogrammes
de châtaignes chaque année. Les fruits sont ven-
dus soit dans leur état naturel, soit après avoir
été desséchés dans des séchoirs, pendant une
dizaine de jours, sous l'action du feu; les châtai-
gnes desséchées se réduisent :\ peu près au tiers
de leur volume primitif.
5° Le Noyer est cultivé dans les mêmes régions
que le châtaignier, à la fois pour la vente de ses
fruits et pour la préparation de l'huile qu'on en
extrait. A côté du noyer commun, on cultive plu-
sieurs autres variétés ; les principales sont : le
noyer à coque tendre, et le noyer tardif. Ce der-
nier est surtout précieux dans les contrées su-
jettes aux gelées printanières. La culture de cet
arbre est facile; elle ne demande, quand l'opéra-
tion de la greffe est faite, que quelques binages
annuels, et une taille assez simple qui consiste à
retrancher les branches les plus basses et qui
pencheraient trop vers le sol.
Pour faire ce qu'on appelle les cerneaux, on
cueille les noix avant leur maturité. C'est en août
que cette cueillette se fait, car celle des fruits
mûrs commence en septembre et se prolonge jus-
qu'à la fin d'octobre, suivant les climats. Après la
cueillette, les noix destinées à la fabrication de
l'huile sont mises en tas ; on laisse un certain
intervalle entre les deux opérations pour que
l'huile se développe dans le fruit.
Le produit des arbres varie dans de très fortes
proportions suivant les sols dans lesquels ils sont
plantés. On l'estime, en général, pour un arbre
de trente à quarante ans en pleine production,
de GO à 80 litres de noix. 11 faut ajouter que le
bois do noyer est très recherché par l'ébénisterie.
I Henry Sagnier.]
PLANTES INDUSTIVIELLF.S. — Agriculture,
VIU. — Les plantes industrielles sont celles dont
les produits sont transformés par les industries
agricoles, avant d'être livrés à la consommation.
Suivant la nature de ces produits et de leurs
transformations, on divise les plantes industrielles
en plantes sucrières, plantes oléagineuses, plantes
textiles, etc. Nous allons passer rapidement en re-
vue chacune de ces catégories.
Plantes sijcrières. — Betterave. — La betterave
est la seule plante sucrière cultivée en Europe.
Assez recherchée comme plante alimentaire dès
le XVI' siècle, la betterave entrait dans l'alimen-
tation des hommes et du bétail, lorsque la disette
du sucre colonial, effet du blocus continental sous
le premier empire, fixa l'attention sur ses pro-
priétés saccharifères signalées pour la première
fois, au milieu du xvm' siècle, par un chimiste
allemand. Depuis cinquante ans, la culture de la
betterave à sucre a pris une extension considé-
rable en France, en Belgique, en Allemagne, en
Autriche, en Russie. Tous les pays rivalisent d'ar-
deur dans la fabrication du sucre. L'honneur de
l'initiative de cette industrie revient tout entier à
la France.
On cultive plusieurs variétés de betteraves. Les
soins de culture sont les mêmes, qu'il s'agisse de
betteraves à sucre ou de betteraves fourragères.
La betterave blanche de Silésie, la betterave franco-
allemande de Simon-Legrand, la betterave dite
améliorée de Vilmorin, sont les variétés sucrières
qui donnent les meilleurs résultats en France.
Parmi les variétés de betteraves fourragères le plus
estimées, il faut particulièrement citer la jaune
globe et la jaune ovoïde des Barres.
La betterave est le plus souvent précédée par
une céréale dans l'assolement. La préparation da
sol, pendant l'hiver qui suit la somaillo, doit être
faite avec beaucoup de soin. Il faut surtout faire
des labours profonds, car la racine pivotante de
la betterave demande, pour se bien développer,
un sol ameubli. En même temps qu'on procède i
ces travaux, on fume abondamment, d'abord avec
du fumier de ferme, puis avec des engrais du
commerce comme compléments.
Les semailles se font au mois de mars ou an
commencement d'avril ; elles doivent être prati-
quées en lignes. Lorsque les plants sont levés,
on procède â plusieurs binages successifs dont le
but est d'ameublir la surface du sol et de la dé-
barrasser des mauvaises herbes. L'espacement
entre les lignes de betteraves doit être de 40 cen-
timètres environ ; quant aux racines, elles sont es-
pacées de 30 centimètres dans la ligne.
La récolte des betteraves se fait en octobre, et
même en novembre ; l'époque précise varie sui-
vant les terres et les années. Dans la plupart des
exploitations, l'arrachage des racines se fait en-
core à bras; mais on commence i utiliser plu-
sieurs instruments spéciaux soit pour enlever
les feuilles avant l'arrachage, soit pour sortir les
racines de terre. Le rendement moyen d'un hec-
tare de terre, dans les conditions ordinaires, est
de 40,000 kilog. de racines. Les cultivateurs, ven-
dant la betterave au poids aux fabricants do
sucre, ont intérêt h obtenir le poids le plus élevé.
Ce résultat est souvent obtenu au détriment de
la richesse en sucre de la racine. Il en résulte
parfois des conflits entre les uns et les autres. Il
est aujourd'hui démontré que l'on peut, avec des
variétés de betteraves bien choisies, et par la
culture serrée, obtenir à la fois rendement en
poids et rendement en sucre.
Aujourd'hui, les fabriques de sucre extraient,
en France, chaque aimée, 'ibO à 400 millions de
kilogrammes de sucre brut des betteraves qu'elles
travaillent. Les résidus des racines, connus sous
le nom de pulpes, reviennent .\ la ferme, et for-
ment une excellente nourriture pour le bétail.
Dans un certain nombre d'exploitations, des
distilleries ont été créées pour l'alcool de la bette-
rave. Les pulpes provenant des distilleries sont
également recherchées pour le bétail.
La culture de la betterave, en même temps
quelle donne un produit industriel d'une grande
valeur, est une cause générale d'amélioration des.
champs et d'une plus grande production en cé-
réales et en viande. Elle a enrichi tous les dépar-
tements où elle a été adoptée; elle continue
d'ailleurs à se développer.
Quant aux betteraves fourragères, elles sont,
après l'arrachage, conservées dans des caves ou
des silos; elles servent à l'alimentation du bétai;
I
PLANTES
iGiy
PLANTES
pendant l'hiver. On lc3 coupe en tranches minces
après les avoir lavées, et on les mélangi; Ji du son,
des balles, dos tourteaux ou des fourrages hachés.
l'i.ANiES oLÉAfiiNEUSEs. — Les plantes oléagi-
neuses sont cultivées pour l'huile qu'on extrait de
leurs graines. Les résidus de la fabrication do
l'huile forment les tourteaux, dont on se sert soit
comme engrais, soit pour la nourriture du bétail.
Les principales plantes oléagineuses sont le colza,
le pavot, la navette, la cameline, la moutarde.
Le cuiza est la plus importante dos plantes oléa-
gineuses cultivées en France. Il y en a deux va-
riétés : le colza d'hiver et le colza de printemps.
La première est la plus productive ; son rende-
ment est de 35 ;\ 40 heclolitres do graine à l'hec-
tare. Le colza demande un sol bien préparé,
assez bien fumé. Les semailles se font soit ii la
volée, soit en lignes, h l'automne, pour lo colza
d'hiver, et au mois de mars pour celui de prin-
temps. Le colza est coupé i la faucille un peu
«vant la maturité complote des graines; la mé-
thode généralement adoptée pour séparer les
graines des tiges est do battre celles-ci sur des
bâches dans le champ mémo, lorsque les plantes
coupées sont devenues suffisamment sèches. La
graine de colza étant sujette à s'échauffer, il ne
faut la mettre qu'en tas peu épais dans les gre-
niers. Quand le colza d'hiver a eu \ souffrir de
froids trop rigoureux, pendant l'hiver, on regarnit
les champs, dans les places où il y a des vides,
par de la graine de colza de printemps.
La tuiiic'tte, comme le colza, comprend deux
sortes, lune d'hiver qui est semée à l'automne,
l'autre de prijitemps qu'on peut semer en avril
ou en mai. La méthode i suivre pour la culture
de la navette est analogue i celle qui est adoptée
pour le colza. Le rendement est moins élevé, et la
graine, ii volume égal, donne moins d'huile que
celle de colza; mais la navette peut venir" avanta-
geusement dans des sols secs et calcaires. Quand
la navette d liiver est bien cultivée, son rende-
ment atteint 25 hectolitres par hectare; celui de
la navette de printemps ne dépasse pas 20 hec-
tolitres.
Le pavot ou œillette est cultivé sur une assez
grande échelle dans le nord de la France; sa
graine donne presque le tiers de son poids en
huile d'excellente qualité. De même que la plu-
part des plantes oléagineuses, il demande un bon
sol, fumé avec soin, et quelques binages. Les
semailles se font dès le commencement du prin-
temps, au mois de février, aussitôt que l'état du sol
le permet. Son rendement est do 20 i 2.'> hecto-
litres par heciare. Dès que les têtes de pavot
commencent à devenir grises, on les coupe, puis
on les fait sécher; le battage se fait au fléau. On
dislingue trois espèces de pavot : le pavot com-
mun à graines grises, le pavot noir ou aveugle, et
le pavot blanc.
La cumeline croit dans presque toutes les par-
ties de l'Europe, mais elle préfère les climats hu-
mides et brumeux. Les soins de culture sont les
mûmes (|ue ceux qui viennent d'être résumés.
Son rendement est d'environ 22 hectolitres de
grame h l'hectare.
La moutanle blcmche est plus rarement cultivée,
ba granie renferme beaucoup d'huile ; mais cette
plante demande une terre très bien préparée et
richement fumée. En outre, son rendement est
peu élevé : il ne dépasse pas 15 hectolitres par
hectare.
Pla.ntes textiles. — Les deux principales
plantes textiles cultivées en France sont le chan-
vre et le lin. Elles ont perdu une partie de leur
ancienne imporiance, à cause de l'extension qu'a
prise 1 usage des étoffes de coton.
Le chanvre donna une filasse grossière, mais
d une grande solidité. On en distingue deux va-
riétés : le chanvre ordinaire et le chanvre de
Piémont ou gigantesque, qui ne diffèrent que par
la taille. Le chanvre est une des plantes dont la
croissance est le plus rapide. Il peut venir dans
un grand nombre de sols, mais il préfère les terres
profondes des vallées. Il faut qne la tirre soit
profondément ameublie et bien fumée. Les se-
mailles se font i la fin du mois d'avril. Quand la
plante est levée, on procède à un sarclage, puis
i des binages. La récolte se fait do juillet en août.
Suivant l'usage auquel est destinée la filasse, les
liges sont coupées ou arrachées. Afin de faire
disparaître la substance gominenso qui imprègne
les filaments du chanvre, on procède au rouissage ;
cette opération consiste ^ faire séjourner les
gerbes de chanvre pendant quelque temps dans
l'eau. On les égoutti^ ensuite, et on procède au
toillage, c'est-à-dire h la séparation de la filasse de
la partie ligneuse de la tige ; le teillage est pra-
tiqué, soit avec des appareils très simples appelés
broyés, soit, depuis quelque temps, avec des
machines perfectionnées. Le rendement moyen
du chanvre peut être estimé i. lUOO kilogrammes
de filasse par heciare.
h&tin est cultivé suivantdosprocédés analogues
à ceux adoptés pour le chanvre. C'est une plante
encore plus délicate et qui demande plus de soin.
Les semailles se font au mois de mars. Les tiges
sont arrachées quand les capsules des fruits
commencent à se former. Le lin doit être soumis
au rouissage et au teillage, comme le chanvre. Il
fournit la filasse la plus fine et la plus estimée.
Son rendement moyen est d'environ 5U0 kilo-
grammes de filasse par hectare.
Le chanvre et le lin peuvent aussi être cultivés
comme plantes oléagineuses ; leurs graines don-
nent une huile d'excellente qualité.
Plantes tinctoriales. — Les plantes tinctoriales
sont celles dont ou extrait des matières propres h
la teinture.
Kaguoro la (jai-ance, qui donne une très belle
couleur rouge, était très cultivée dans le Midi.
Sa culture a été abandonnée, parce que l'alizarine
artificielle, créée par l'industrie à meilleur mar-
ché, est venue détrôner ses produits.
Le safran est surtout cultivé dans le Gâtinais.
Le stigmate de sa fleur donne une couleur d'un
beau jaune doré. Sa culture demande des soins
spéciaux sur lesquels il n'y a pas lieu d'insister
ici.
La gaude renferme, dans la partie supérieure
de ses tiges et dans ses feuilles, un principe colo-
rant jaune qui est très estimé. C'est aussi une
plante oléagineuse. Elle est principalomentcultivée
dans quelques parties de la Normandie, ainsi que
dans le Languedoc.
Le piislel fournit une couleur bleue se rappro-
chant de celle de l'indigo. C'est dans ses feuilles
que réside ce principe colorant. On les récolte
lorsqu'elles commencent à se violacer sur les bords,
puis on les broie sous une meule pour en faire
une pâte.
Plantes inol-strielles diveuses. — Parmi les
autres cultures industrielles, il en est deux sur
lesquelles nous devons encore insister : le tabac
et le houblon.
Originaire de l'Amérique, le tabac s'est très
bien acclimaté en Europe. Il appartient }\ la fa-
mille botanique des solanées, féconde en poisons.
Ses tiges s'élèvent souvent à uno hauteur de plus
de 'l mètres ; elles portent de grandes et larges
feuilles ; les fleurs sont roses ou d'un vert bleuâtre.
Les semailles se font en février. Quand les pre-
mières feuilles ont poussé, le plant est j'epiqué.
Il est important que le sol soit profondément la-
bouré et largement fumé. La première récolte dos
feuilles se fait en juillet ; elle est achevée à la lin
du mois d'août ou de septembre. Ou donne le nom
PLANTES
— 1620
PLANTES
de nianoques à la réunion d'un certain nombre de
feuilles liées ensemble par la queue. On les fait
sécber dans des locaux spéciaux avant de les li-
vrer. En France, où le gouvernement se réserve le
monopole de la fabrication ot de la vente des tabacs,
la culture de cette plante ne peut être faite que
dans un certain nombre de départements où elle
est autorisée, et les cultivateurs qui s'y livrent
doivent se soumettre aux prescriptions des règle-
ments administratifs sur cette matière.
Le houblon croit spontanément dans toutes les
parties septentrionales do l'Europe. La Lorraine,
les Vosges, le Nord et une partie de la Bour-
gogne sont les régions de la France où il est prin-
cipalement cultivé. Il lui faut une terre profonde,
fraiclie, mais où l'argile ne domine pas. Avant les
semailles, on fait un labour de défoncement et on
fume abondamment. La plantation s'effectue de la
mi-février à la mi-avril. Les jeunes sujets sont
généralement placés à 2 mètres de distance les
uns des autres; la moyenne du nombre des plants
doit être de 7000 à SÙOO par hectare. Les soins de
culture consistent dans l'échalassement qui a lieu
en mai, dans deux binages que l'on exécute en été
aux époques les plus favorables pour maintenir
la fraîcheur du sol. La récolte se fait à l'automne;
puis on enterre le bas des tiges conservé pour
repousser l'année suivante. Une houblonniôre en
bon sol et bien cultivée peut durer de quinze h
vingt ans. Les récoltes commencent la troisième
année. La récolte est, en moyenne, de 1500 à
2000 kilogrammes de cônes par hectare, plus 500
à ItiOO kilogrammes de feuilles et de tiges sèches
servant comme fourrage. On sait que les cônes de
houblon sont employés par les brasseurs pour
donner à la bière son goût particulier et pour la
préserver des altérations auxquelles les boissons
fermentées sont exposées. [Henry Sagnier.]
PLANTES LÉGUMINEUSES. — Agriculture,
Vn. — Les légumineuses sont des plantes dont
les graines, comme celles des céréales, servent à
la nourriture de l'homme et des animaux. Elles
sont caractérisées par la forme de leurs fruits qui
sont renfermés dans une gousse.
Les principales plantes légumineuses cultivées
sont les fèves, les haricots, les pois et les len-
tilles. Leurs graines contiennent une proportion
notable d'azote qui leur donne une grande va-
leur nutritive.
La fève est la plus importante des légumineu-
ses. Plusieurs variétés sont cultivées ; colle que
l'on rencontre le plus souvent est la fève gour-
£;ane, plus connue sous le nom de féverole.
La féverole préfère les terres compactes, un peu
humides ; elle entre dans l'assolement comme
plante sarclée ; elle peut se succéder plusieurs
fois à elle-même sans que le produit en souffre.
La terre doit être préparée par de nombreux la-
bours, pour les semailles qui peuvent se faire en
hiver, mais pour lesquelles il est préférable d'at-
tendre le mois de mars. La quantité de semence à
employer varie de 100 Ji 3i.O litres par hectare,
suivant qu'on sème au semoir ou à la volée.
Un hersage après la semaille, deux binages à la
houe, et enfin un buttage, tels sont les soins
d'entretien nécessaires pendant la ■ végétation.
Lorsque les cosses inférieures commencent à se
développer, on procède à l'écimage des tiges, opé-
ration qui assure un rendement plus élevé. La
récolte se fait dans le courant de l'été, lorsque
les cosses commencent i noircir.
Le rendement moyen par hectare est de 20 à
25 hectolitres de féveroles, plus ;;0U0 il 2500 kilo-
grammes de fanes sèches qui peuvent être con-
sommées en fourrage.
La culture des haricots est très répaudue dans
une partie du nord et de l'est de la France. On en
cultive doux groupes : les haricots à rames, dont
les tiges ont besoin de tuteurs, et les haricots
nains qui se soutiennent par eux-mêmes. Les va-
riétés de haricots à rames et nains dits de Soissons
sont les plus estimées pour l'alimentation.
Les haricots redoutent l'humidité, et deman-
dent une terre assez sèche. Ils entrent dans les
assolements comme plantes sarclées. La terre étant
bien préparée par plusieurs labours, on sème à la
lin d'avril ou au commencement de mai. Les se-
mailles doivent être faites en lignes espacées de
M) à 40 centimètres, et les semences doivent être
placées dans des poquets distants de 15 à 20 cen-
timètres. Après les semailles, avant la levée des
graines, on pratique un hersage en travers. Après
la levée, on fait deux binages, puis un buttage
complet. Enfin, lorsque les tiges sont assez éle-
vées, on les rame, c'est-à-dire qu'on les soutient
avec des gaulettes piquées obliquement en terre
et entre-croisées Ji leur sommet. Après la récolte,
on laisse les plantes achever de mûrir en javelles,
puis on les rentre pour procéder au battage. La
quantité de semence à employer par hectare est
de 150 litres environ. Le produit moyen varie de
25 à 35 hectolitres de graines, plus 2000 à 25DO
kilog. de fanes sèches.
Les pois comprennent un grand nombre de
variétés, pour lesquelles la culture est la même.
Les travaux ii faire sont d'ailleurs à. pou près les
mêmes que pour les haricots. Mais il ne faut pas
faire revenir cette plante avant cinq ou six ans
sur le même champ. La quantité de semence à
employer varie un peu suivant les variétés. Elle
est de 125 litres environ pour les pois dits culti-
vés, et 200 litres pour les pois gris, le tout par
hectare. Quant au rendement, il est, pour les pre-
miers, de 12 à 15 hectolitres de graine et 2300 à
3000 kilog. de fourrage par hectare; pour les
seconds, de 18 à 20 hectolitres de graines et 4000
à 4500 kilogrammes de fourrage. Les pois gris
sont donc la variété qui donne le rendement le
plus élevé.
Les lentilles fournissent pour l'alimentation
humaine des graines très nourrissantes, et pour
l'alimentation du bétail un excellent fourrage. La
lentille peut prospérer dans presque toutes les
parties de la France, mais elle préfère les sols
sableux ou calcaires aux terres argileuses. Les
travaux préparatoires pour cette culture consis-
tent en un labour et un hersage qui doivent être
faits pendant l'hiver. Les semailles doivent être
terminées au printemps ; elles se pratiquent en
lignes espacées de 40 à 50 centimètres. La quan-
tité de semence à employer par hectare est de
1 hectolitre environ. Pendant la végétation, on pro-
cède d'abord h un binage pour nettoyer la surface
du champ, puis à, un buttage énergique. On ré-
colte un peu avant la maturité complète de la
graine. Le rendement est de 15 à 20 hectolitres
de graines en moyenne, et de ISoO à 2OU0 kilo-
grammes de fourrage par hectare.
On cultive deux variétés do lentille commune :
la grande lentille, dont le grain est blond et aplati;
la petite lentille, appelée aussi lentille à la reino
OH lentillon, dont le grain est moitié plus petit
que le précédent, plus coloré et bombé.
Los t'cjces sont surtout cultivées comme plante
fourragère. Toutefois la consommation qui se fait
de leurs graines pour la nourriture du bétail leur
donne une place parmi les plantes légumineuses.
C'est dans les terres argileuses que la vesce
réussit le mieux. Pour préparer le sol, il suffît
d'un seul labour, suivi d'un hersage qui est pra-
tiqué immédiatement avant la semaille. Colle-ci
peut se faire dès le mois de mars ; elle se fait géné-
ralement à la fin de ce mois ou dans le courant
de celui d'avril. La quantité de semence à em-
ployer est de 1 hectolitre 1/2 par hectare pour la
vesce de printemps et de 2 hectolitres pour celle t
i
PLATINE
1C21 —
PLATINE
d'hiver. Quant aux travaux do nettoyage du sol
pendant la végétation, ils se réduisent à un her-
sage (|ui suit la semaille cl qui est destiné h en-
terrer les semences. La récolte se fait aussitôt
que !c champ présente un certain nombre de
gousses niiircs. Lo rendement est d'environ 15
hectolitres de graines, et ;J000 kilog. de paille
qui donne un excellent fourrage.
[Henry Sagnier.]
PLATINlî. — Chimie, XX. — Etyra. : de pla-
ttna, en espagnol diminutif de plate, mgent.
Le platine a été découvert vers 173(1 dans les
sables aurifères du Pinio, Amérique du Sud ; il
fut importé en Europe sous le nom de Platina dcl
Pinto on 1740, et en tH22, on le rencontra dans
l'Oural sous forme de pépites de 4, 'a, B et même
12 kilogrammes. Aujourd'hui ses principaux gise-
ments sont dans les monts Ourals, au Brésil, dans
la Nouvelle-Grenade; on lo trouve aussi à Haïti.
On le rencontre à l'état natif, dans des sables
d'alluvion, mélangé ii des métaux rares, tels que
l'osmium, le palladium, l'iridium, l'or, et sou-
vent aussi au fer, au cuivre, h l'argent, au plomb,
à des pyrites.
Propriétés. — Le platine est d'un blanc gris-
bleu, se rapprochant fortement de la couleur du
plomb; il est brillant comme l'argent. Sa densité
est 21,1.'). C'est, le. plus lourd de tous les métaux.
11 fond vers 2000° centigrades seulement. Pen-
dant longtemps on ne pouvait le fondre que très
difficilement et en petites masses; tous les objets
de platine se faisaient par le martelage. Il y a
une vingtaine d'années, M. Deville est parvenu ;\
le fondre facilement et en masses considéra-
bles, au moyen de la flamme oxhydrique ; on
fabrique maintenant aisément toutes sortes d'ob-
jets de toutes dimensions en platina. Le pla-
tine peut prendre un grand éclat; il est d'une
telle ductilité qu'on a pu faire des fils de platine
si fins qu'ils étaient difficilement visibles. Il est
aussi très malléable et très tenace quand il est
parfaitement pur, mais ces qualités sont très con-
sidérablement diminuées par les moindres traces
de substances étrangères, telles que le soufre, le
phosphore, l'arsenic, qui le rendent cassant.
Le platine est inaltérable à l'air; aucun acide,
même bouillant, ne l'attaque, mais l'eau rérjnle
(mélange d'acide azotique et d'acide clilorhy'dri-
que'i le dissout rapidement en le transformant en
chlorure de platine; à chaud il est également atta-
qué par le nitre et par la potasse ; il faut donc
se garder de cliauffer quoi que ce soit renfermant
de ces substances, dans des creusets ou des cap-
sules de platine qui coîitcnt fort cher et seraient
détériorés. Tous ceux qui travaillent dans les
laboratoires savent qu'un creuset de platine se
détériore rapidement au feu de charbon; cela
tient il la présence dans le charbon d'une certaine
quantité de sable ou de silice.
Chauffé h blanc, le platine se ramollit et se soude
à lui-même. Quand il est fondu, il absorbe l'oxy-
gène et l'abandonne en rochajit pendant lo re-
froidissement.
Lampe sans flamme; spirale de platine incandes-
cente. — Le platine a la propriété, dans certaines
conditions, de condenser les gaz à sa surface ; c'est
ce qui permet d'expliquer la curieuse expérience
dite de la lampe sajis flamme. Une spirale en fil
de platine est suspendue dans la flamme d'une
lampe ù esprit de vin, on éteint la flamme, aussitôt
le fil de platine rougit; ce qui est produit par la
chaleur dégagée par la combustion lente des va-
peurs d'alcool au contact de l'oxygène condensé h
la surface de la spirale métallique.
Eponije ou mousse de platine. Noir de platine.
— En calcinant le chlorure ammoniacal de platine,
on obtient pour résidu une masse spongieuse, terne,
d'aspect terreux; c'est du platine pur, léger, très
poreux, et qu'on a appelé éponr/e ou mousse de
platine. On appelle, au contraire, 7ioir de platine,
le métal obtenu en poudre noire par la réduction
de son bichlorure par lo zinc. L'éponge, et plus
encore le noir de platine, peuvent condenser dans
leurs pores des quantités considérables do gaz, et
donnent ainsi naissance ^ dos phénomènes cu-
rieux. D'après Mitscherlich, une masse de noir
de platine peut condenser jusqu'à 745 fois son
volume d'hydrogène et phisieurs centaines do fois
son volume d'oxygène. On provoque la combinai-
son instantanée d'un mélange d'hydrogène et
d'oxygène en y mettant du noir de platine; si on
le projette dans de l'alcool anhydre, celui-ci s'en-
flamme et brûle au moyen de l'oxygène antérieure-
ment condensé dans le noir et qui devient in-
candescent. En laissant tomber goutte i goutte do
l'alcool sur du noir ou sur de l'cponge de platine,
on ne tarde pas il sentir l'odeur do l'aldéhyde,
puis ensuite celle du vinaigre (acide acétique),
produits résultant de l'oxydation de l'alcool. En
dirigeant un jet d'acide sulfureux sur du noir de
platine, on obtient immédiatement de l'acide sul-
furique (V. Soufre).
Lampe à hydror/ène ozi briquet à hi/drofjèjie. —
On doit à Dœbereiner ou à Gay-Lussac une lampe
alimentée par l'hydrogène et qui s'allume à vo-
lonté par le contact de ce gaz avec une petite
massodenoir de platine. Elle a été perfectionnée et
est assez en usage aujourd'hui sous le nom de bri-
quet ;i hydrogène. La description en est facile à
comprendre ; le briquet ii hydrogène se compose
d'un réservoir contenant de l'eau acidulée par de
l'acide sulfurique; dans ce liquide plonge une cloche
fermée par en haut au moyen dune garniture mé-
tallique à robinet; dans l'intérieur de la cloche
est suspendu un morceau de zinc ; ce métal, au
contact de l'eau, donnera de l'hydrogène qui va
remplir la cloche en refoulant le liquide dans le
vase extérieur, et quand la cloche sera pleine, le
dégagement gazeux cessera, puisque le zinc ne
sera plus en contact avec l'eau acidulée. Si alors
on ouvre le robinet, le gaz sortira par un tube
elfilé et viendra s'enflammer sur une masse de
noir de platine convenablement placée an bout
d'un fil métallique. Au commencement, le gaz qui
sort de la lampe est un mélange d'hydrogène
et d'air, mélange explosible : aussi doit-on le
préserver du contact du noir de plalinc ; pour cela
celui-ci est recouvert d'un chapeau qui ne s'en-
lève qu'après l'épuisement du mélange déton-
nant.
Extraction du platine. — Avant les travaux de
M. Deville sur la fusion du platine, on l'obtenait
assez difficilement en lingot. Après plusieurs pré-
parations mécaniques, on traitait le minerai par le
mercurcpouren retirer l'orpar l'amalgamation, puis
on le chauffait avec de Veau réijale ; on évaporait
jusqu'il siccité, et le résidu était ensuite traité par
une dissolution concentrée de sol ammoniaque, co
qui donnait un précipité de chloro-platinatc d'am
moniaque laissant par la calcination un résidu
d'épongé de platine ; celui-ci, comprimé fortement
h plusieurs reprises, puis chauffé au blanc et mar-
telé, se transformait en un petit lingot que l'on
pouvait ensuite laminer.
Aujourd'hui, avec la flamme du gaz oxhydrique,
on opère la fusion du platine aussi facilement que
celle de l'or; l'opération, qui se fait dans des creu-
sets en chaux puiA3, peut donner d'une coulée des
blocs de 25, 30 et même 1)0 kilogrammes, comme
tout lo momie a pu en admirer ii l'exposition do
1878.
Sels de platine. — Les sels do platine n'ont
point assez d'importance pratique pour que nous
en parlions ici avec détail. Tous se réduisent par
la chaleur en donnant de l'éponge de platine.
. Traités par les alcalis, les sels de platine donnent
PLATRE
— 1622 —
PLATRE
des sels doubles dans lesquels le composé binaire
qui contient le platine joue le rôle d'acide ; en un
mot il se forme des plalinntes et non des sels à
base (le platine. Les chlorures de platine s'ob-
tiennent facilement par l'action de l'eau régale
sur le platine et servent h. préparer les autres sels
de platine; avec les clilorures alcalins ils forment
des chlorures doubles (V. Nomenclature), tels que
le chlorure double do platine et de potassium,
PtC12,KCl; le chlorure double de platine et d'am-
monium, PtCls.AzIl'Cl.
Alliages du platine. — Le platine du commerce
n'est presque jamais complètement débarrassé de
l'iridium et du palladium, avec lesquels il se
trouve dans la nature ; ces métaux en augmentent la
dureté sans en diminuer la ductilité. Le platine
forme avec le cuivre, lorsqu'il y entre seulement
pour i/jc, un alliage rose assez joli; 16 de cuivre,
1 de zinc, ' de platine donnent un alliage couleur
d'or, très ductile et inaltérable à l'air.
Usages du platine. — Le platine métallique est
emplojé fréquemment dans les arts et dans l'in-
dustrie. Les bijoutiers, les opticiens, Us orfèvres
en font des télescopes, des miroirs, etc. 11 en-
tre dans la fabrication des instruments de chi-
rurgie ; mais c'est surtout dans les laboratoires et
dans l'industrie des produits chimiques que ce
métal a rendu et rend les plus grands services.
On l'emploie pour faire des creusets, des capsules,
des spatules, et surtout des cornues pour la con-
densation de l'acide sulfurique. A l'Exposition
universelle de 1S78, nous avons vu de inagnifiques
cornues de platine dont la valeur dépassait cer-
tainement plusieurs milliersdo francs ;rune d'elles
valait môme ;J0 000 francs.
Le platine, à cause de sa haute température de
fusion et de sa conductibilité élecirique, sert aussi
i faire des pointes de paratonnerres. A l'état de
lingot, le platine se vend aujourd'hui de r2uO à
i;)|'0 francs le kilogramme.
[Alfred .lacquemart.]
PLATRE. — Chimie, XV. — La poudre blan-
che que tout le monde connaît sous le nom de
plâtre est du sulfate de chaux anhydre, SO-'.CaO.
Origine et préparation. — Le plâtre s'obtient
par la cuisson du sulfate de chaux naturel, cristal-
lisé, qu'on appelle \eggpye; celiii-cia pour formule
SO^,CaO,'2IIO ; il porte aussi le nom de pierre à
plâtre on plâtre cric. Le gypse se rencontre, en
assez grandes masses, dans les terrains Sfcondai-
res, situé tantôt au-dessus, tantôt au-dessous, du
sel gemme, qu'il accompagne souvent. La plupart
du temps le gypse, ainsi que les marnes et les ar-
giles qui l'accompagnent, au-dessus ou au-dessous
du sel gemme, est dépourvu de traces d'êtres or-
ganisés marins. On le rencontre en Autriche dans
les environs de Salzbourg, dans le Tyrol et le
Vorarlberg; dans le nord de la Suisse et du
Wurtemberg; dans la Saxe, laThuringe: dans
l'ouest de l'Angleterre, en Espagne, dans l'Amé-
rique du Nord et enfin en France, principalement
dans les alentours do Paris, où il est l'objet d'une
industrie fructueuse et fort importante; Montmar-
tre, Gagny, Argentouil, Montreuil, Franconville,
Herblay, Croil, Vaux, sont des centres d'extraction
qui desservent Paris et le nord de la France.
Le département de Saône- et -Loire, le Puy-de-
Dôme, la Côte-d'Or, approvisionnent le centre et
le midi de la France. Dans les alentours de Paris,
le gypse forme des collines, comme à Montmartre
et à Montreuil, où l'extraction se fait à ciel ou-
vert. Il est souvent en masse cristallisée, à texture
saccharoïde, compacte, grenue ; il est rayé par l'on-
gle; quelquefois il est limpide, d'autres fois blanc
opaque, jaune, grisâtre. On le rencontre aussi
sous forme de cristaux en f'i-r df lance, dérivant
d'un prisme oblique; on peut alors le diviser avec
un couteau en lames extrêmement minces et
transparentes, qui souvent reproduisent merveil-
leusement les phénomènes de coloration des la-
mes viijices, connus dos physiciens sous le nom
d'anneulix de Newton, parce que l'illustre savant
anglais en a le premier donné une explication.
Ce gypse laminaire a quelquefois remplacé le
verre pour couvrir de petites images; de là les
noms anciens àc pierre à Jésus, glace di Marie,
miroir d'âne. Si on chauffe l'une de ces lames
transparentes, simplement à la flamme d'une
bougie, elle devient immédiatement opaque, blan-
che et amorphe; c'est le résultat d'un commence-
ment do cuisson, autrement dit de déshydrata-
tions.
AibAtre gi/pseur. — Certains gypses, i grains
fins, durs, en masses demi-translucides, blanches
ou colorées, se travaillent facilement et sont em-
ployés, sous le nom d'albâtre gypscux, Ji faire des
vases, des socles de pendule, des lambris, divers
objets d'ornement. La Sardaigne, la Tosc.me don-
nent un très bel albâtre; on en trouve aussi à
Montmartre. L'albâire calcaire, qui est un carbo-
nate de chaux, est plus beau que l'albâtre gypseux
et coûte beaucoup plus cher.
Cuisson du plaire. — Lorsque le gypse a été chauffé
pendant trois ou quatre heures, au-dessus de 100",
il perd ses 2 équivalents d'eau, son aspect cristal-
lin disparaît, il est devenu du plâtre. Pulvérisé, il
possède alors la propriété, en présence de l'eau,
de s'hydrater de nouveau en formant une bouillie
qui. au bout de quoique temps, se transforme en
une masse solide, compacte.
Cela tient h. ce que les particules de plâtre, au
contact de l'eau, reprennent la forme cristalline,
augmentent de volume, se rapprochent, et se feu-
trent, pour ainsi dire, en s'enchevètrant. La cuisson
du plâtre se fait rapidement de 12ii° à l.'SO". Si on
chauffe au delà de i50°, le plâtre ne se prend plus
au contact de l'eau que fort lentement; enfin si
la température a atteint le rouge, il ne se prend
plus du tout, parce qu'il n'est plus susceptible de
recristalliser en absorbant de l'eau. Il résulte de
cette influence de la température de cuisson sur
les propriétés du plâtre, que le fabricant doit la
modérer et la régulariser dans les fours, d'après
les usages auxquels il le destine. Le plâtre qui sert
au moulage doit se prendre dans un tonips qui
varie de 6 à 8 minutes. Pour l'ess.iyer, on en
gnclœ une poignée dans une soucoupe de ma-
nière â obtenir une bouillie assez claire, puis on
attend, la montre à. la main, que les rides obte-
nues à la surface de la matière, par une légère
agitation, ne s'effacent plus ; le plâtre est pris.
La cuisson du plâtre se fait dans des fours an
maçonnerie, surmontés d'une couverture en tuile
à claire-voie, soutenue i quelque distance, au-
dessus du four, par une charpenti' en bois. Dans
ces fours, on forme une série de voûtes à sec, avec
les plus gros moellons de plâtre cru, et on sur-
charge les voûtes avec les morceaux plus menus.
Le chauffage se fait avec des branchages de bois
sec introduits dans les voûtes. La cuisson peut
durer 10 heures pour les plâtres ordinaires; elle
ne dure pas plus de 5 à 7 heures pour 1rs plâtres
h. mouler, qui doivent se prendre beaucoup plus
vite que les autres; dans ce cas là, elle se fait
dans des fours ressemblant à de grands fours de
boulanger. Dans aucun cas, la température ne
doit atteindre 200°; on la mesure avec des ther-
momètres placés dans des étuis en fer qu'on plonge
dans la masse de gypse en cuisson.
Au sortir du four le plâtre est pulvérisé par des
meules, puis tamisé et conservé à l'abri de l'hu-
midité ; sans cela il &'cvejUerait, c'est-à-dire qu'il
perdrait ses qualités. Le plâtre bien préparé doit
s'écliauffer un peu, lorsqu'on le met on présence
de l'eau.
On appelle plâtre au panier le plâtre grossier
PLATRE
— 1023 —
PLOMB
qui a été tout simplfiment tamisé avec un panier,
et pliiti-e au tas celui qui a été passé au tamis.
Usai/es ilu plâtre. — Les usages du plâtre sont
nombreux. Sa fabrication et son commerce sont
fort importants. Les murailles des habitations,
dans les villes surtout, sont enduites de plâtre.
Pour cet objet Paris en fait une consommation pro-
digieuse. Les mouleurs en fabriquent des sta-
tuettes, des médailles, des ornements de toute
sorte. Grâce au plâtre, on peut orner le plus mo-
deste logis des reproductions des chefs-d'œuvre
de la sculpture. Pour obtenir ces reproductions,
l'ouvrier verse, dans le moule en creux de l'objet i
reproduire, la bouillie claire obtenue en gâchant
le plâtre avec de l'eau. Celui-ci pénètre en se gon-
flant dans les plus petits interstices du moule, qu il
reproduit en relief.
Siuc. — En gâchant le plâtre à. mouler dans
une dissolution d'alun et de gélatine on obtient le
stuc, qui a une dureté beaucoup plus grande que
le plâtre. Le stuc se travaille comme le marbre
qu'il imite ; en introduisant dans la bouillie des
matières colorantes, on obtient, après la solidifica-
tion, un stuc veiné comme le marbre. Le stuc est
employé dans la décoration intérieure des mai-
sons de luxe, et dos monuments; les murs de Saint-
Pierre de Rome sont entièrement revêtus do stuc.
PhUriige des vhis. — Depuis longtemps on a
l'habitude d'ajouter du plâtre en poussière aux
vins do médiocre qualité ; cela les empêche de
s'acidifier et leur donne une plus belle couleur.
Le plâtre n'est pas véritablement un poison ; du
reste, il est très peu soluble dans l'eau et princi-
palement dans le vin ; mais en présence du tartre
(bitartrate rie potasse), qui existe toujours natu-
rellement dans le vin, il se forme du sullate do
potasse qui peut être toxique à une asSez faible
dose ; l'administration, après avoir pris l'avis du
conseil supérieur d'hygiène, a ordonné des pour-
suites, par une circulaire ministérielle du garde
dos sceaux, en date du lU août 188», contre les
commerçants ou les propriétaires qui livreraient
des vins contenant plus de 1 grammes de sulfate
par litre. Devant les protestations du commerce,
appuyées d'avis favorables émanant de chimistes
et hygiénisles compétents, les effets de la circu-
laire ministérielle ont été provisoirement suspen-
dus, jusqu'à ce que de nouvelles éludes aient été
faites sur cet important sujet.
Le plâtre en agriculture. — Nous ne pouvons
renoncer à rappeler ici la magnifique expérience
que fit Franklin, pour démontrer, de visu, â ses
voisins et connaissances, qui en doutaient, l'effi-
cacité de la poussière de plâtre répandue sur une
prairie artificielle. L'illustre Américain imagina de
semer du plâtre sur un champ de trèfle, suivant
de grandes lettres formant les mots : effet du plâ-
tre. Le trèfle poussa sur cet endroit plus vite et
plus abondamment qu'à côté, et au bout de peu de
lcmps,on pouvait lire en immenses lettres d'herbe :
effet du plâtre. Tout le monde fut convaincu, et
depuis cette époque le plâtre est employé dans
l'amendement des prairies artificielles : trèfle,
luzerne, sainfoin, etc., aussi bien en Europe
qu'en Amérique. On emploie de 'J à 3 hectolitres
par hectare. Beaucoup de cultivateurs pensent
que son efficacité est nulle lorsqu'on le répand
liur le sol nu, et qu'il faut le jeter à la volée sur la
récolte lorsqu'elle a déjà plusieurs centimètres de
hauteur; il est avantageux de choisir un temps
humide. D'après Mathieu Dombasle. le plâtre pro-
duit les meilleurs eft'ets, quand sec il est mélangé
à la semence et répandu sur le sol avec elle.
Riile chimiijue du plâtre dans lu végétation. —
D'après le célèbre cliimiste allemand Liebig, le
plâtre maintiendrait sur le sol en le condensant à
sa surface le carbonate d'ammoniaque gazeux pro-
venant de la décomposition des engrais azotés; il
se formerait une double décomposition, entre le
sulfate do chaux et le carbonate d'ammoniaque,
qui donnerait naissance à du sulfate d'ammonia-
que, sel à peu près fixe ; ce sulfate resterait sur le
sol à la disposition de la plante. M. Adrien do Gas-
parin, agronome distingué, prétend que le plâtre
a^it directement sur les plantes et qu'il est absorbé
par elles ; il soutient que précisément les plantes
qui prospèrent le mieux, sous l'influence de cet
amendement, telles que les légumineuses et les
crucifères, sont aussi celles qui contiennent lo
plus de sulfates. [Alfred Jacquemart.!
PLOMB. — Cliimie, XIX. — Propriétés du
plomb. — Le plomb est un métal d'un gris bleuâ-
tre, brillant quand il est fraîchement coupé ; le
plus mou des métaux, il est rayé par l'ongle et
laisse une trace sur le papier ; on peut en faire
des crayons. 11 faut bien se garder de confondre
les crayons de plomb, peu en usage aujourd'hui,
avec les crayons ordinaires, dits de mine de plomb,
qui ne contiennent pas un atome du métal dont ils
portent le nom {V. Charbon, p. 308). Le plomb est
très malléable; on en fait des feuilles qui peuvent
être très minces, soit au martelage, soit au lami-
nage ; sa ductilité est limitée, car il est peu tenace :
un fil de 0"',002 de diamètre se rompt sous une
charge de 9 kilogrammes; or on sait que pour ré-
duire un métal par la filière, il faut (|u'il puisse
résister à une traction assez forte relativement a
son diamètre. La densité du plomb est 1 1 ,35, c'est-
à-dire qu'un décimètre cube de ce métal pèse i
la température ordinaire I l's,3ôO grammes. C'est
le plus lourd des métaux communs: c'est pour cela
qu'on dit : lourd comme du plomb; mais le mer-
cure, lor, le platine, sont plus lourds que lui ; le
plaiine à volume égal pèse à peu près deux fois
autant. , , , , i.
Action de la chaleur sur le plomb. — Le plomb
fond à33'i°; à une température très élevée, il
donne des vapeurs, sans pouvoir pour cela se dis-
tiller.
Si on le laisse refroidir lentement, puis qu on
le décante avant que toute la masse ne soit soli-
difiée, on obtient une belle cristallisation de plomb
sous forme de double pyramide à quatre faces ou
octaèdre régulier. Chaufl-é à l'air, le plomb se
recouvre d'une pellicule irisée appelée cendre de
plomb ; cette pellicule se transforme rapidement
en une substance jaune appelée massicot; c'est de
l'oxyde de plomb. Cette couche protège le plomb
contre une oxydation plus complète, mais, si on
l'enlève au fur et à mesure qu'elle se forme, on
pourra transformer toute la masse do plomb en
massicot. , , ,■ j
Propriétés chimiriues du plomb. Action ries aci-
des. — Le plomb est moins oxydable que le fer,
le zinc, le bismuth, l'antimoine; il l'est plus que
l'argent, le mercure, l'or et le platine. Il l est plus
ou moins que le cuivre, selon les conditions.
Les acides chlorhydrique et sulfurique n atta-
quent pas le plomb à froid; mais, concentrés et
bouillants, ils le transforment, le premier en chlo-
rure le deuxième en sulfate ; on peut néanmoins
employer le plomb dans les chambres où se pré-
pare l'acide sulfurique et qu'on appelle chambres
de plomb. C'est également dans des vases de plomb
que se fait la première concentration de cet acide;
aussi contient-il toujours des traces de sulfate de
plomb, dont on peut du reste le débarrasser faci-
lemenl, si cela est nécessaire pour les usages aux-
quels il sera destiné. L'acide azotique attaque le
plomb à froid, ce qui fait que les chambres de
plomb sont vite détériorées, quand, dans la pré-
paration de l'acide sulfurique, on n'a pas soin d em-
pêcher l'excès d'acide azotique. La plupart dos
acides organiques, acétique, tartrique, citrique,
etc., attaquent le plomb en présence do l'air at-
mospliérique.
PLOMB
— 1624 —
PLOMB
Action de l'air à froid en présence de l'eau. —
Au contact de l'eau distillée ou des eaux pluviales,
et en présence de l'air, le plomb [s'oxyde rapide-
ment, et il se forme à la surface un liydrocarbo-
nate de plomb, vénéneux comme tous les sels de
plomb, et soluble dans l'eau ; il en résulte qu'on
doit éviter d'employer des tuyaux de plomb pour
recueillir les eaux de pluie, lorsqu'elles doivent
être utilisées pour la préparation d'aliments quel-
conques. Au contraire, on peut employer les tuyaux
de plomb avec les eaux ordinaires de puiis, de
fontaine, sans qu'ils présentent de danger ; ces eaux
contiennent des sels calcaires qui empêchent la
solubilité des composés plombiques.
Principnvx comprises du plomb. O.cijaes. — La
substance jaune, pulvérulente, qui se forme à la
surface du plomb cliauffé à l'air, et qu'on appelle
massicot, est un protoxyde de plomb, PbO ; on
peut encore l'obtenir en calcinant le blanc de ce- ,
j'Mse du commerce.
Si on chauffe le massicot jusqu'à fusion, on ob-
tient par le refroidissement des paillettes cristal-
lines, jaunes, vertes ou rouges, selon la rapidité
du refroidissement : c'est la l'itharye, qui a la
même composition chimique que le massicot. Ces
oxydes se combinent facilement, ;\ chaud, à 1 acide |
silicique (silice, sable) pour former un silicate,;
fort fusible; c'est ce qui fait que les creusets d ar- ]
elle se détériorent et sont perforés rapidement
quand on y chauffe des sels ou des oxydes de
plomb. Le cristal est un silicate de plomb. La h-
tharge se transforme à l'air en carbonate de plomb.
Lo massicot chauffé à l'air sans qu'il y ait fusion
se suroxyde en donnant le mnnum, belle poudre
rouge qui a de nombreux usages, et dont la com-
position est représentée par la formule PbO^.'.'PbO.
On distingue dans les arts les mmitims b. tm
feu et à deux feux, selon qu'ils ont été obtenus
après une ou deux chauffes ; les derniers sont plus
riches que les autres. Si on chauffe jusqu'à fusion,
le minium est décomposé et on a de la litharge.
Tous ces oxydes, comme du reste presque tous les
sels de plomb, sont réduits par le charbon h chaud
et donnent un culot de plomb (caractère analy-
ti(|ue). . .
Il est important de signaler ici une curieuse
propriété que la litharge on fusion au contact de
l'oxygène partage avec l'argent fondu : elle absorbe
une certaine quantité de ce gaz, qui se dégage
complètement pendant le refroidissement et peut
même, lorsque la masse est considérable et le
refroidissement brusque, produire une explosion
et une projection de matière. ^
Carbonate de plomb ou blanc de ceruse. — Le
blanc de céruse, appelé encore blanc de plomb,
est un produit extrêmement employé a;;" s la
peinture ; c'est un carbonate de plomb l.O-PbO.
Cette substance est complètement insoluble dans
l'eau ; elle noircit au contact des emanaiion s sul-
fureuses par suite de la formation du sulfure
noir de plomb ; c'est même pour cela qu on tend do
plus en plus à la remplacer par le blanc de zinc
(oxyde de zinc), puis aussi parce que sa fabrication
et son usage sont fortement nuisibles aux ouvriers.
La céruse se prépare en grand par deux procé-
dés : le procédé de dichy, dû à Thenard et le
procédé hollandais. Le premier consiste à faire
passer un courant d'acide carbonique dans de 1 a-
cétate de plomb auquel on a môle de la litharge.
Le second est fort ancien, et s emploie eu Hol-
lande et dans les Flandres : on recouvre de lumier
des pots de terre contenant un peu de vinaigre et
des feuilles de plomb enroulées cylindriquement ;
la chaleur produite par la fermentation du fumier
évapore le vinaigre (acide acétique) ; il se forme de
l'acétate de plomb, que l'acide carbonique prove-
nant du fumier en décomposition transforme en
carbonate de plomb.
Le blanc de Venise, le blanc de Hambourg sont
formés par des mélanges de céruse et de sulfate
de baryte.
Sel de Saturne ou acétate de plomb. — En trai-
tant la litharge par le vinaigre, on obtient des
cristaux blancs d'acétate de plomb; ce sel, qui a
pour formule PbO,C»H30',3HO, s'efneurit à l'air.
On l'appelait aussi autrefois sucre de Saturne,
parce qu'il aune saveurlégèrement sucrée. Quand
on le met dans l'eau ordinaire, il donne un liquide
blanc laiteux qu'on emploie en médecine sous le
nom d'eau blanche ou eau de Goulard.
On rencontre aussi dans les arts le chromale de
plomb, sous le nom àe jaune de chrome ; des chlo-
rures de plomb sous les noms de jaune de Cassel,
jaune minéral, jaune de Turner.
Caractères généraux des sels de plomb. — Tous,
comme nous l'avons dit plus haut, sont réduits
par le charbon ; tous noircissent par l'hydrogène
sulfuré (gaz des lieux d'aisance et des œufs pourris
ou encore gaz de plomb) ; tous sont vénéneux et
donnent à la longue, quand ils sont absorbés en
petite quantité, ce qui est le cas le plus commun,
les maladies dites saturnines, auxquelles les
peintres en bâtiment sont surtout exposés. Comme
préservatif, il est bon de prendre des boissons
! très légèrement acidulées par de l'acide sulfu-
i rique (D' Gendrin). ,,
Alliages du plomb. — 5 parties de plomb, 3 d e-
tain, 8 de bismuth fondues ensemble forment
l'alliage fusible de Uarcet qui fond dans l'eau
bouillante ; en variant les proportions de ces mé-
taux, on obtient des alliages qui diffèrent surtout
par leurs points de fusion ; celui de Darcet, qui
fond à 98", est le plus fusible. Les caractères
d'imprimerie contiennent "8 à 80 de plomb pour
20 à Tï d'antimoine. La potée d'étain, employée
par les potiers, contient Vï à 18 p. 100 de plomb.
Le plomb de chasse renferme quelques millièmes
d'arsenic ; cela lui donne la propriété de former
des grains de diverses grosseurs en tombant en
fusion et d une très grande hauteur sur des cribles
convenables. On en a fabriqué longtemps dans la
tour Saint-Jacques la Boucherie.
Vsages du plomb et de ses p7-incipaux coynposés.
— Le plomb est connu depuis la plus haute anti-
quité. Autrefois on l'appelait plomb noir, tandis
que l'étain était appelé plo»ib blanc et le bismuth
plotnb gris. Les alchimistes l'appelaient Saturne,
parce qu'il dissout (dévore) plusieurs métaux
quand il est fondu.
Le plomb est extrêmement employé dans des
constructions diverses : à la couverture des édi-
fices, à la fabrication des tuyaux de conduite
d'eau ; il recouvre les parois des chambres dites
de plomb où se fabrique l'acide sulfurique. On en
fait de la grenaille, du plomb de chasse, des balles
de fusil, des alliages, du massicot, de la litharge,
du sel de Saturne, etc.
Le massicot est employé à la fabrication du
minium. La litharge entre dans un grand nombre
de vernis (toiles cirées), dans l'émail des vernis,
dans l'émail des poteries, la fabrication des cris-
taux, la confection des emplâtres qui ne sont
qu'un mélange d'axonge et de litharge. Le minium
' sert à colorer en rouge la cire à cacheter ; il entre
dans la fabrication du lut des chaudières, dans la
peinture du fer, dans la fabrication du fliiit-glass.
La céruse sert à fabriquer le mastic des vitriers ;
on en fait une consommation considérable dans la
peinture en blanc des boiseries et des apparte-
ments; mélangée îi des traces d'indigo, la céruse
acquiert un beau reffet bleu. Dans l'antiquité les
dames s'en servaient comme fard. Enfin l'acétate
de plomb est très employé en médecine, principa-
lement contre les entorses, les foulures ; la tein-
turerie en fait aussi une grande consommation.
Tous les sels de plomb étant vénéneux, la théra-
PLUIE
— 1625
PLUIE
peutiquo no les emploie giitro que pour des usa-
ges externes.
MinéraliH/ie et métallurgie clic plomh. — On
compte plus de trente espèces minérales natu-
relles contenant du plomb ; c'est donc un métal
très répandu; néanmoins on ne l'a rencontré h
l'état métallique que ,dans de rares produits volca-
niques.
Le plus important de tous les minerais du
plomb, c'est la galène ou sulfure do plomb. La
galène rossonible h la plombagine et à la blende
(sulfure de zinc), mais elle s'en distingue par sa
grande densité, qui est 7,5. La galène est souvent
argentifère; on la rencontre dans les terrains de
sédiment aussi bien que dans ceux de cristallisa-
tion ; elle est cristallisée en cubes et en octaèdres.
Elle se trouve en filons réguliers, en amas, en
veines irrégulières et en nodules disséminés.
« La plupart de ces filons, dit Delafosse, sont ou-
verts dans les terrains de transition : à Sainte-
Marie-aux-Mines (Vosges), h Pontgibaud (Puy-de-
Dôme), puis dans la Lozère, dans le Cumberland
(Angleterre) ; là ils sont dans le calcaire carboni-
fère. Dans la Charente, on les trouve dans le cal-
caire jurassique. A Eiffel (Prusse liliénanej, la ga-
lène se rencontre en nodules et en grains dissé-
minés. » Le minerai le plus important après la
galène, c'est le carbonate ou ccruse naturelle ; ce
sont les deux seuls exploités. En France les mines
de plomb sont nombreuses, mais on en exploite
un nombre restreint, 6 ou 7 au plus. Ce sont celles
de Pontgibaud (Puy-de-Dôme), de PouUaouen
et Huelgoat (Finistère), Vialas (Lozère), Lacoste
(Gard),Pontpéan (llle-et-Vilaine), Bagnèrcs-de-Lu-
clion (Haute-Garonne). D'après Artliur Mangin,
les mines de plomb de France produisent annuelle-
ment 220 000 kilogr. de plomb, 155 000 de litliarge,
250 000 kilogr. de minerais triés vendus aux potiers,
et 3000 kilogr. d'argent.
La consommation annuelle du plomb en France
dépasse 20 OUO UOO de kilogr. ; c'est assez dire que
la plus grande partie nous vient de l'étranger,
Pour extraire le plomb de ses minerais on em-
ploie deux procédés : le procédé par réduction et
le procédé par réaction. Dans le premier, on ré-
duit le minerai par le fer ; celui-ci s'applique aux
minerais riches en gangue siliceuse ; le deuxième
consiste h faire réagir i chaud le sulfate et l'oxyde
sur la galène. Pour cela on la grille dans un
fourneau à réverbère, où elle se convertit en partie
en oxyde et en sulfate ; puis, pendant un second
coup de feu, on obtient du plomb par la réaction
de ce qui reste de sulfure sur le mélange d'oxyde
et de sulfate. Ce procédé s'applique surtout aux
minerais riches contenant an moins 50 pour 100
de plomb. On l'emploie on Angleterre, puis, en
France, en Bretagne et en Auvergne. On peut ré-
sunier comme suit les diverses opérations de cette
métallurgie : on débarrasse la galène de sa gan-
gue par le bkardugc et le lavage, puis on l'intro-
duit dans le four à réverbère, là elle subit les opé-
rations suivantes : 1° le grillage, qui transforme
une partie de la galène en oxyde et en sulfate ;
2° le brassage, qui consiste à brasser le mélange
sur le sol d'un four à réverbère : on obtient du
plomb ; 3° le resuage, qui a pour but de retirer
le plomb resté dans le minerai en réduisant
celui-ci par le charbon. Quelquefois les sous-
sulfures ou riiattes sont traités jiar le fer.
[Alfred Jacquemart.]
PLUIE. — Météorologie, VI1-X,XIV-X1X. — C'est
un des trois éléments essentiels de la diversité des
climats terrestres : lumière, chaleur, humidité.
La pluie est le résultat de la condensation de la
vapeur d'eau contenue dans l'air ; elle s'échappe
généralement des amas de cette vapeur condensée
qui_ constitue les nuages; mais des gouttes de
pluie peuvent aussi tomber d'un ciel en apparence
sans nuages. La vapeur condensée est alors très
disséminée dans les hautes et basses régions de
l'air; elle donne au ciel une teinte bleue plus paie
sans y former de masses nuageuses très distinctes.
Ces gouttes de pluie sont quelquefois très volu-
mineuses; elles grossissent, en tombant, de tous
les globules qu'elles rencontrent, ainsi que do la
vapeur quelles peuvent condenser dans leur chute.
D'autres fois, au contraire, on voit de loin un
nuage se résoudre en pluie, sans que les traînées
visibles qui en descendent s'étendent jusqu'au
sol. Les couches inférieures de l'air sont alors
chaudes et sèches et les gouttes de pluie s'éva-
porent avant de toucher le sol.
La distribution générale des pluies à la surface
du globe est la conséquence du mode de circula-
tion de l'atmosphère (V. Courants). Les particu-
larités de cette distribution sont le résultat du re-
lief de la surface terrestre et de la répartition des
continents et des mers.
Pluies entre les tropiques. — Da»s les zones
occupées par les vents alizés, les pluies sont très
rares; elles n'y surviennent guère que dans cer-
taines régions marquées par le passage des oura-
gans ou cyclones. On conçoit qu'il en soit ainsi.
L'air y progresse régulièrement des régions tro-
picales vers la zone du globe où la température
est le plus élevée ; sa capacité de saturation va
donc en croissant en même temps que sa vapeur
augmente. Tout s'y réduit à des rosées nocturnes-
généralement très abondantes.
L'aspect du ciel change complètement quand on
approche de la zone des calmes équatoriaux qui
sépare les deux alizés. Là viennent s'accumuler-
toutes les vapeurs amassées par les alizés dans
leur long parcours à la surface de l'Océan. Ces
vapeurs sont entraînées par la nappe équatoriale
ascendante vers les hautes régions de l'atmosphère.
Dans ce mouvement ascensionnel, la masse d'air .
se refroidit graduellement par le fait même de sa
montée et par suite de l'expansion que produit en
elle la diminution progressive de sa pression ba-
rométrique. Elle atteint bientôt son degré de
saturation, puis apparaissent les nuages. Dans
cette région, les pluies sont fréquentes et torren-
tielles, la chaleur molle et accablante, les orages
nombreux et violents. Le bruit du tonnerre y est
presque incessant à la surface des grands océans.
'L'anneau de nuages se déplace annuellement à
la surface du globe, en suivant d'un peu loin la
marche du soleil, comme si ce dernier le traînait
après lui. En été, l'anneau de nuages et ses pluies
se sont rapprochés du tropique nord : c'est, pour
cette partie du globe, la saison pluvieuse alternant
avec une longue saison sèche qui correspond à
notre hiver. Durant l'hiver, au contraire, l'anneau
de nuages et ses pluies se rapprochent du tro-
pique austral, et la saison sèche y correspond \
notre été. Entre ces limites, la zone des nuages,
dans son oscillation périodique, passe deux fois
par an au-dessus des régions équatorialesqui ont
alors deux saisons pluvieuses annuelles séparées
par deux saisons sèches. Les deux saisons plu-
vieuses sont à peu prèséquidistantes au milieu de
l'intervalle parcouru par l'anneau de nuages; elles
se rapprochent progressivement vers les limites
de ce parcours pour se fondre en une seule saison
qui correspond à nos mois d'été près du tropique
nord, et à nos mois d'hiver près du tropique aus-
tral.
Pluies en dehors des tropiques. — Au delà des
zones des alizés et des tropiques, nous retrouvons
dans chaque hémisphère le courant équatorial, qui
doit son nom à son origine (V. Courants). Ce cou-
rant sème les pluies sur son parcours comme l'an-
neau d(! nuages équatoriaux; seulement, il est
plus diffus, plus variable dans ses allures d'une
année à l'autre ; ses pluies sont moins constantes
PLUIE
1626
PLUIE
et régulières. Comme l'anneau de nuages, le cou-
rant équatorial suit aussi la marche du soleil sur
la terre. Il se rapproche des ironiques en liivcr et
s'en éloigne en etc. Il en résulte que dans le
voisinage du tropique nord, au-dessous du tropi-
que, il pleut en été, comme au Sénégal ; au-des-
sus du tropique, il pleut en hiver, comme en
Algérie.
Zotie des déserts. — Entre ces deux zones de
pluies de saisons opposées, se trouve une longue
bande où il pleut rarement : c'est la bande des
déserts qui traversent l'Afrique septentrionale de
l'Atlantique ;i l'Asie, et s'étend sur ce dernier
continent jusqu'en Chine, en remontant vers le
nord sous l'iiiriuence de la mer des Indes. Ces dé-
serts se retrouvent aussi dans l'Aniorique du
nord, mais beaucoup moins accusés parce que le
continent y est plus étroit. Nous les voyons encore,
mais également moins marqués, et pour la même
raison, sur l'.^frique et l'Amérique méridionales
et sur l'Austfalie.
Pluirs en Europe. — L'Europe méridionale est
soumise au régime des pluies d'hiver. A mesure
qu'on s'y élève vers le nord, cette saison se dé-
double en une saison pluvieuse d'automne et une
saison pluvieuse du printemps; mais, en même
temps, l'une et l'autre saison deviennent de plus
en plus diffuses et s'étendent à presque toute
l'année. Le relief du sol et le voisinage des océans
prennent alors une influence prépondérante. Dans
le nord de l'Europe, et môme dans le nord de la
France, le maximum des pluies tombe en automne
sur les eûtes occidentales ou sur les versants des
chaînes de montagnes exposés aux vents du sud-
ouest: il tombe en été dans l'intérieur du conti-
nent et surtout à l'est des massifs montagneux.
Abondance des pluies. — Sous le rapport des
quantités, les pluies donnent une hauteur d'eau
annuelle d'autant plus grande, en général, qu'on
est plus près de l'équateur dans la région inter-
tropicale, ou qu'on y est plus éloigné de la zone
des déserts. En dehors des tropiques, cette hau-
teur d'eau annuelle est aussi d'autant ])lus grande
qu'on est plus rapproché de ces lignes, sans ce-
pendant s'approclier trop près des déserts. Toute-
fois, la position des lieux par rapport :\ la mer, et
la direction des vents dominants, produisent des
diflérences considérables. Dans les régions inter-
tropicales, en Amérique, en Asie, en Afrique et
dans les grandes îles de l'Océanie, les côtes
orientales placées sous le vent des alizés sont
copieusement arrosées. Il en est ainsi, en parti-
culier, du Brésil et du Venezuela, en Amérique ;
des royaumes de Siam, d'Annam et de la Cliine
méridionale, en Asie ; des côtes d'.Vjan, de Zan^ue-
bar, de Mozambique, en Afrique ; des côtes orien-
tales de l'Inde pendant la mousson d'hiver et
surtout de leurs côtes occidentales pendant la
mousson d'été. Tandis que la moyenne des eaux
pluviales qui tombent i Paris est annuellement
de Om,30 environ, à Saint-Benoist, dans l'île de la
Réunion, M. Maillard a recueilli lG"',iO d'eau de
pluie en quatre ans, ce qui donne pour moyenne
annuelle 4", 12 par an. Dans l'Inde, la hauteur
totale de pluie annuelle varie de 2 à 3 mètres sui-
vant les localités; il en est à peu près de même
dans l'Amérique centrale et dans la Sénéganibie.
Si on considère que, dans toutes ces régions, les
chutes de pluie sont peu nombreuses, et souvent
de courte durée, on comprend que les averses
doivent avoir une intensité énorme; il en est qui
donnent en quelques heures 40 millimètres d'eau.
Dans l'intérieur des terres, cependant, l'abondance
des pluies diminue d'une manière notable. A
Seringapatam, dans l'Inde, et h Bogota, en Améri-
que, elle est à peine supérieure à celle d'Eu-
rope.
Les mêmes différences existent en Europe :
plus de pluie au midi qu'au nord, bien que le
nombre des jours pluvieux marche en sens con-
traire; plus de pluie sur les côtes ouest et sur
les versants occidentaux des chaînes de monta-
gne que dans l'intérieur des continents et sur
l'est des massifs montagneux.
Voici un tableau approximatif des hauteurs
moyennes de pluies annuelles qui tombent sur les
principales régions de l'Europe :
miUîm. d'eau.
Russie 3G0
Scandinavie 480
France septentrionale, Allema-
gne G80
Angleterre, régions de l'est... 090
Côtes occidentales de l'Europe. 740
Italie, au sud des Apennins,
France méridionale 810
Angleterre, régions de l'ouest. 9'30
Italie au nord des Apennins.. . . 12'J0
Sur certaines parties des côtes de Norvège, cette
hauteur peut dépasser 2 mètres.
Pluies '■n France. — La région méditerranéenne,
de Perpignan ,'i Nice, reçoit annuellement une
quantité de pluie supérieure à celle qui mouille
le bassin parisien; mais, surtout en Provence, les
pluies ne tombent guère que dans l'automne ou
dans le premier printemps; elles y sont très rares
en été, et cette circonstance, jointe il l'ardeur du
soleil, y fait donner la préférence aux cultures ar-
bustives quand on n'y dispose pas d'eaux d'irriga-
tion suffisantes. Cette rareté des pluies d'été dans
la Provence s'étend au nord sur le versant méri-
dional du Plateau central, et assez haut dans la
vallée du Rhône, tout en s'y affaiblissant graduel-
lement. Sur le reste de la France, les pluies d'été
augmentent progressivement h mesure qu'on re-
monte vers le nord et vers l'ouest. La quantité de
pluie qui tombe sur le bassin de la Seine dépend
avant tout de l'altitude des lieux, de leur orienta-
tion et de leur distance :\ la mer. Le Morvan, qui
0)1 forme la partie la plus élevée, peut recevoir
suivant les années de 1 h 2 mètres de hauteur
d'eau pluvi.ile annuelle. Quand des lignes de par-
tage des bassins divers, on descend vers la partie
inférieure du bassin de la Seine, on trouve du côté
de Paris une région de pluies minima, comprenant
une grande partie de la Champagne sèche, de la
Beauce et de la vallée de l'Oise. Enfin, quand on se
rapproche de la mer, la quantité de pluie augmente
de nouveau, môme pour les plaines basses. On y
retrouve à peu près les nombres obtenus dans les
parties montagneuses vers 400 mètres d'élévation
au-dessus du niveau de la mer.
A Paris et dans toute la région environnante, la
quantité de pluie tombée dans les six mois de la
saison chaude est beaucoup plus forte que la quan-
tité tonil)ée dans les six mois de la saison froide;
de 1859 il 1875 le rapport est de 00 ii 40. On sait
que les pluies estivales sont sans profit pour les
sources, sinon pour les récoltes. A mesure qii'on
s'approche du périmètre du bassin, dans ses points
élevés, l'accroissement des pluies porte plus sur
les pluies d'hiver que sur les pluies dété, en sorte
que la proportion de ces deux saisons se trouve
renversée, 47 à 53. Ce fait a une grande impor-
tance au point de vue des cours d'eau. Les pluies
d'hiver comme les pluies d'été ne donnent presque
rien aux sources dans la partie moyenne du bassin,
et elles donneront de moins en moins à mesure
que la culture fera des progrès, jusqu'au moment
où cette région pourradisposer d'eaux d'irrigations
suffisantes. C'est donc particulièrement sur les
bords du bassin que les nappes souterraines peu-
vent s'alimenter. Là, même, les pluies d'été n'ont
qu'une médiocre importance à ce point de vue
PLUTONIENS (TERRAINS) — 1627 — PLUTONIENS (TERRAINS)
spécial de l'alimentation des sources : ces eaux
phivi:iles, quand leur extrcnic abondance ne les
fait pas en partie ruisseler sur le sol vers les cours
d'eau, sont presque complètement dépensées sur
place par la végétation. C'est donc sur les pluies
d'iiiver qu'il fout papticnlièrement compter. Or
une partie de ces dernières se perd encore par
ruissellement ila surface du sol qu'elle enlève ou
appauvrit quand il est insuflisanimcnt protégé par
la végétation ; une antre partie s'écoule trop rapi-
dement par les conduits souterrains insulfisants
pour les emmagasiner. Les cours d'eau roulent
alors vers l'Océan, sans utilité quand c'est sans
dommages, des limons et des eaux qui seraient
d'un prix inestimable en été pour l'agriculture,
l'industrie et la navigation.
On répète souvent que le degré de civilisation
d'un pays se mesure par les quantités de fer et
de soufre qu'on y consomme annuellement. Il se-
rait bien plus juste do dire que le degré do civili-
sation dans un grand pays comme la France se
mesure par le degré de soin qu'on y apporte à l'a-
ménagement de ses eaux. Ce sont là en réalité des
formules inexactes parce qu'elles sont incom-
plètes. La civilisation a un caractère plus général
que le cercla des intérêts matériels ; il faut y join-
dre les intérêts intellectuels et moraux: mais les
uns et les autres se donnent un mutuel appui.
liùle agricole des pluies. — Il n'est personne
dans les campagnes qui ne connaisse, au moins
vaguement, le rôle de l'eau pluviale en agriculture.
Pas d'eau, pas de végétation possible; mais on erre
souvent dans l'appréciation exacte de la quantité
d'eau nécessaire à chaque espèce de culture. C'est
que l'agriculteur n'a guère que les eaux des pluies
sur lesquelles il puisse compter, et que celles-là
lui font souvent défaut au moment le plus oppor-
tun ; et que, quand elles surviennent dans la saison
chaude, elles sont accompagnées d'autres effets
qui nuisent à leur utilisation. On entend répéter
dans certaines contrées agricoles de France des
dictons populaires qui expriment une opinion gé-
nérale fruit d'une longue expérience: u Année de
foin, année de rien; Année pluvieuse, année de
mauvais grain... » C'est que les pluies supposent
les nuages, et que les nuages interceptant les
rayons solaires privent les récoltes de la lumière
qui leur est aussi nécessaire que la chaleur et
l'eau. En réalité, dans les régions à céréales, la
plante manque très souvent de l'eau qui assure-
rait les récoltes maxima si la lumière ne faisait pas
défaut dans les temps pluvieux ; qu'elle en manque
presque toujours dans les régions à ciel pur quand
l'irrigation ne vient pas suppléer à l'absence des
pluies. (V. Irrigalion.) La richesse territoriale de
la France doublerait aisément si, par un aména-
gement sagement conduit des eaux qui nous sont
versées par les pluies, on reportait sur la saison
d'été les eaux surabondantes de la saison froide.
liôle hycjiénique d'-s pluies. — Les pluies ont
encore une autre influence en ce qui concerne
l'hygiène. Elles nettoient l'atmosphère des pous-
sières vivantes qu'elle contient toujours en grand
nombre, et dont quelques-unes peuvent exercer
sur la santé publique une influence des plus fâ-
cheuses en propageant les épidémies qui, à cer-
tames époques, frappent l'homme ou les animaux.
(V. Poussières.) [Marié-Davy.]
l'LUTOINllîNS (Terrains). — Géologie, V. —
Elym. : de Pluton, dieu des enfers, du feu. —
Les_ phénomènes ignés qui se passent pondant la
période actuelle ont eu lieu pendant les périodes
antérieures.^ Alais si certains volcans, comme le
Vésuve et l'Etna actuels, ne sont qu'une conti-
nuation de phénomènes qui ont pris naissance
pendant les périodes antérieures, il est d'autres
massifs, comme le Cantal et le mont Dore, qui
ont une forme, une structure et une composition
analogues, mais qui ne sont plus le siège d'érup-
tions. Ce sont d'anciens volcans éteints qui ont été
dégradés, démantelés plus ou moins foriement
par les agents atmosi)hériques et neptuniens qui
agissaient comme aujourd'hui, mais avec beaucoup
plus d'intensité.
A diverses époques plus anciennes correspon-
dent d'autres matières qui affectent la forme de
simples épanchements produits vraisemblablement
chacun pendant un temps relativement court. Ils
sont formés par des roches massives non scoria-
cées, dont les formes extérieures, profondément
modifiées par les agents atmosphériques, n'olfrent
rien de commun avec celles des volcans propre-
ment dits. Telles • sont les roches ignées secon-
daires, les serpentines, diorites, etc. ; celles des
terrains primaires, les porphyres divers, et celles
qui sont sorties avant l'établissement des mers à
la surface du globe, c'est-à-dire pendant la forma-
tion des parties stratifiées les plus inférieures qui
nous sont accessibles, celles des terrains primitifs,
en un mot, les granits et autres roches massives
analogues.
L'étude des volcans actuels et éteints, des
roches massives d'éruption antérieures et aussi
des roches stratifiées cristallines les plus infé-
rieures, permet de regarder comme très probable,
on peut dire certain, l'état fluide, par fusion ignée,
du globe à l'état primitif.
Le gisement ou la manière d'être de ces roches,
les unes par rapport aux autres et aussi par rapport
aux roches stratifiées, fournit les indications les plus
certaines sur leur âge relatif. En effet, il est i n cnn tes-
tahle que les roches massives qui en traversent d'au-
tre?, soit massives, soit stratifiées et renfermant des
fragments ou des cailloux d'autres roches massives,
sont plus récentes que ces dernières. L'examen, dans
diverses contrées, des relations des roclies massives
ignées entre elles ou avec les roches stratifiées,
détermine d'une manièro suffisamment approxima-
tive et rigoureuse leur âge relatif ou géologique.
Les époques auxquelles les différentes roches
ignées sont sorties do l'intérieur de la terre sont
très diverses, et il s'est produit une succession
normale de roches qui a éprouvé peu d'interver-
sions. Les matériaux, d'abord très siliceux et sur-
chargés de quartz libre, ont fini par être moins
siliceux et ne plus renfermer de silice à l'état
d'isolement.
Toutes ces roches, on raison de leur origine
ignée, sont dépourvues de fossiles (à l'exception
de celles qui postérieurement à leur sortie ont pu
être remaniées et déposées dans le sein des eaux).
Mais elles sont souvent riches en minéraux plus ou
moins variés et remarquables : ceux-ci se trouvent
parfois disséminés dans les roches elles-mêmes,
soit qu'ils s'y soient formés au moment du rofroi-
dissoment et do la consolidation de celles-ci, soit
qu'ils aient été produits postérieurement dans leurs
cellulositos, à la suite de la décomposition occa-
sionnée par les agents atmosphériques ou de réac-
tions chimiques changeant plus ou moins profon-
dément la nature des roches et produisant ce qu'on
appelle le métamorphisme. Certaines espèces mi-
nérales associées à un très petit nombre d'autres
forment aussi des gîtes spéciaux, comme certains
minerais de fer, de zinc, etc.
D'autres fois les minéraux étrangers aux grandes
masses de terrain se trouvent dans des filons d'âge
plus ou moins dift'ércnt qui traversent, soit les
roches ignées, soit les roches stratifiées moins
anciennes. Ces filons ne sont autre chose que des
crevasses ou fentes qui ont été remplies posté-
rieurement à leur formation par des matières,
soit en fusion, qui se sont refroidies, soit réduites
en vapeur, qui se sont condensées, soit en disso-
lution dans des eaux thermales et minérales qui
les ont déposées.
PLUTONIENS (TERRAINS) — 1628 — PLUTONIENS (TERRAINS)
« A toutes les époques de l'histoire du globe, | gneiss altéré, ainsi que les diorites qui l'accorapa-
dit Elle de Beaumont, les phénomènes éruptifs gnent.
ont donné des produits appartenantà deux classes :
ceux qui sont volcanigues à ta manière des laves
arrivées à l'état de fusion, et ceux qui sont volca-
niques à la manière du soufre, du sel ammo-
niac, etc., déposés par volatilisation ou enlrainos
à l'étal moléculaire. Si on remonte le cours d
Les roches granitiques forment presque toujours
des montagnes à contours arrondis, à pentes
douces et U sommités plates et allongées; elles se
désagrègent facilement à la surface en donnant
des blocs arrondis parfois tremblants et des sables
juartzo-feldspathiques (arène) employés comme
périodes géologiques, on voit les premiers devenir pouzzolanes dans les constructions ; dans les
de plus en plus riches en silice. On voit en même
temps les seconds devenir de plus en plus variés.
Dans l'état actuel de la nature, les deux classes
de produits sont presque complètement distinctes ;
mais h l'origine des choses, elles l'étaient beau-
coup moins. On est conduit à concevoir qu'au
moment où la surface du globe terrestre en fusion
a commencé à se refroidir, les différents corps
simples s'y trouvaient répandus sans aucun ordre
déterminé. Tout semble avoir été confondu dans
ce chaos primitif où les premières masses grani
montagnes cependant, elles présentent souvent
aussi de grands escarpements, des pics, des ai-
guilles et des crêtes tranchantes et dentelées.
Pendant les diverses périodes primaires et se-
condaires il est arrivé au jour des roclies de
nature fort variée : porphyres divers, serpentines,
diorites, etc., dont l'ordre relatif n'est pas toujours
rigoureusement établi. Ces roches, qui paraissent
avoir été peu celluleuses, semblent s'être épan-
chées en manière de laves plus ou moins pâteuses
et no pas émaner le plus souvent de centres d'é-
tiques ont pris naissance ; mais peu à peu les { ruptions analogues aux volcans actuels ou anciens
■ ■ ■.. j^pg formes extérieures des massifs qu'elles con-
stituent n'ont rien non plus qui rappelle ces der-
niers, ce qui au reste n'a rien qui doive étonner,
car lors même eue ces roches auraient affecté
primitivement cette forme, elle aurait été effacée
par les agents atmosphériques et les nombreuses
révolutions du globe qui se sont succédé depuis
leur sortie.
Les principales roches porphyriqucs sont :
Le porphyre, orthose ou albite compacte avec
cristaux d'orthose ou d'albite et aussi de quartz et
de mica; massif, rouge, vert, gris ou noirâtre;
matières cruplives sont devenues moins siliceuses
et les émanatio7is volatiles, qui à l'origine renfer-
maient presque tous les corps simples, sont deve-
nues de plus en plus pauvres. »
Les roches massives d'éruption les plus an-
ciennes ou gra?iiti(jues sont toujours cristallines,
sans trace de cellulosité ou de boursouflement ;
elles semblent être arrivées de l'intérieur à l'état
pâteux et avoir formé des masses plus ou moins
étendues qni ne se sont guère déversées sur les
roches environnantes. Leurs formes extérieures
ont été si profondément modifiées par les agents
atmosphériiiues et les nombreuses révolutions du
globe qu'elles ont essuyées, qu'il ne reste plus
rien des formes primitives. Les formes actuelles
sont seulement en rapport avec le mode de désa-
grégation et de décomposition des roches.
Les principales roches granitiques sont les sui-
vantes :
Le granité, mélange d'orthose, de quartz et de
mica: laminaire ou grenu; parfois porphyroïtle
parla présence de gros cristaux d'orthose; massif,
rougcitre, grisou noirâtre; il renferme aussi des
minéraux disséminés : albite, pinite. Il forme sou-
vent des amas considérables; Limousin, Pyrénées,
Bretagne, Vosges, Saxe, Finlande, etc. On l'emploie
surtout pour les bordures et le dallage des trot-
toirs dans les grandes villes; celui de Laber en
Bretagne a fourni le soubassement de l'obélisque
de Louqsor à Paris ;
La syénite, mélange d'orthose rougeâtre et d'am-
phibole noire ; laminaire ou grenue ; parfois rendue
porphyroide par de grands cristaux d'orthose ; mas-
sive, rouge ou brun-rouge; quartz ou zircon dissé-
minés ; elle se montre dans les 'Vosges, le Tyrol, la
Saxe, la Norvège; c'est dans cette roche que près
de Syène les anciens Égyptiens ont taillé leurs
grands obélisques, aujourd'hui en partie trans-
portés dans les diverses capitales de l'Europe;
ha pegmatite, mélange d'orthose et de quartz;
laminaire ou grenue ; massive, jaunâtre ou rou-
geâtre ; elle renferme souvent des minéraux dis-
séminés, mica, talc, tourmaline ; en amas et filons
accompagnant le granité dans le Limousin, la
Saxe, l'Oural.
Le kaolin est le résultat de la décomposition
des roches précédentes, qui perdent leur potasse
et une partie de leur silice; il est pur ou impur
suivant la nature de la roche feldspathique grenue
qui lui a donné naissance, et souvent accompagné
de parties ferrugineuses. A Saint-Yrieix, près de
Limoges, où seulement le kaolin est très pur, on
l'exploite activement pour la manufacture de por-
celaine de Sèvres et celles de Limoges, et on
l'exporte même jusque en Russie et dans les
États-Unis ; il forme là une série d'amas, souvent
de 20 mètres d'épaisseur, disséminés dans le
pyrite en cristaux disséminés ; il forme surtout
les roches ignées des terrains primaires; Vosges,
Roanne, Maures, Cornouailles, Saxo;
h'eurile ou pétrosittx, orthose ou albite com-
pacte sans cristaux; massif; rouge, vert, gris ou
noirâtre ; elle accompagne ou remplace le por-
phyre ;
Le porphyre argilitigue, résultant de la décompo-
sition des porphyres et les accompagnant partout;
h'ophite ou porpliyre verl, feldspath et pyro-
xène formant une pâte compacte d'un vert plus
ou moins foncé avec cristaux verdâtres de feld-
spath ou vert foncé de pyroxène ; il renferme
parfois des amandes de <|uartz, agate, calcaire,
chlorite. C'est une des roches ignées di s terrains
primaires ; Vosges, Tyrol, Saxe, Hongrie, Grèce ;
Le mélapliyrc ou por/'liyre noir, labradoriteet
pyroxène noir, formant une pâte compacte, noir-
verdàtre, avec cristaux de ces mêmes minéraux et
cavités renfermant souvent du quartz, du calcaire
et des zéolithes cristallisées; la nigrine y est rare.
Une des roches ignées des terrains secondaires ;
Palatinat, Tyrol, lac Supérieur;
L'amphibolite, amphibole laminaire ou grenue;
cristaux disséminés de labradorite, épidote, gre-'
nat, pyrite; massive, formant une des principales
roches ignées des terrains secondaires ; Limousin,
Pyrénées. Piémont, Chili;
Le diorite, mélange d'amphibole et de labrado-
rite, laminaire ou grenu ; massif comme l'amplii-
boli'te qu'il accompagne ou remplace;
L'euphotide, mélange de diallage, soit verte, soi
bronzée, et de saussurite laminaire ou à gro:
grains, verte ou brune ; massive, elle est avec h
suivante une des roches ignées des terrains se
condaires; Corse, Apennins;
La variante, mélange de diallage et de saussv
rite compacte ; vert foncé avec globules plus pâle
et plus durs de saussurite; massive; Hautes-Alpe
dans la vallée de la Durance, Toscane. Dans 1«
Alpes, les diverses roches connues sous le nom c
spilites sont tantôt des variolites vertes et tant'
des wackes brunâtres b. amandes de calcaire
d'épidote, avec pyrite, fer oligiste, fer carbonat
etc., disséminés. Los calcaires au milieu desque
PLUTONIENS (TERRAINS) — 1629 — PNEUMATIQUE (MACHINE)
ces roches sont sorties sont tantôt magnésiens,
cellulaires, h l'état do cargneute, et tantôt ils sont
transformés en gypse, deux faits qu'on est assez
disposé i attribuer à l'inllnence des spilites et des
gaz qui ont dû accompagner leur sortie ;
La serpentine, compacie avec cristaux dissémi-
nés do grenat, aimant, eisenclirome, pyrite ; vei-
nules d'amiante ; massive; formant une des roches
ignées secondaires ; Limousin, Corse, Piémont,
Toscane, Saxe, Etats-Unis. Dans le Plateau central,
elle forme de Limoges à Itodez dos amas diriges
du N.-O. au S.-li. ; ello est d'un vert foncé avec
diallage, feldspath, grenat, pyrite, fer oligiste et
veinules d'asbeste. Des liions de quartz et de
baryte sulfatée paraissent se lier à des serpen-
tines ; ils sont accompagnés de cuivre gris argen-
tifère et de bournonite.La serpentine forme géné-
ralement des buttes aplaties très arides, couvertes
de roches noires.
Pendant la période tertiaire les terrains pluto-
niens sont des terrains volcaniques éteints. Tantôt
Us sont peu dérangés et affectent encore la forme
de grandes montagnes coniques, comme le mont
Dore, le Cantal, en France, les massifs anciens du
■Vésuve et de l'Etna, les îles Canaries, etc. ; tantôt
ils ont été extrêmement démantelés et morcelés;
des parties considérables ont été enlevées par les
actions dites diluviennes, et il ne reste que des
massifs dont les formes ne rappellent plus ou ne
rappellent que peu les volcans, les cratères ayant
disparu.
Les produits des volcans anciens se divisent en
deux groupes souvent associés dans le mèn\e mas-
sif : ceux qui sont dits trachytiques et ceux qui
sont dits basaltiques.
Les roches tracliytiques, qui forment assez rare-
ment les déjections des volcans actuels, présentent
les différentes sortes de roches suivantes : la pho-
nolite; ryacolitho compacte, massif, gris verditre
ou noirâtre, en amas ou filons; — le trachyte; rya-
colithe compacte ou légèrement grenu, poreux,
rude au toucher, renfermant assez souvent des
cristauxqui lui donnent la contexture porphyroïde ;
massif en coulées; blanchâtre, gris ou rougeitre;
cristaux disséminés d'amphibole noire et de mica ;
il forme un des éléments principaux des roches
volcaniques tertiaires : Auvergne, environs de
Bonn, Iles Canaries, Guadeloupe, Martinique; —
les obsidienne, rétinite, poncif ; roches à. l'état
vitreux qui se trouvent habituellement à la base
des coulées de trachytos et de phonolites : la
ponce du commerce vient prnicipalement des îles
Ponce et Lipari. — Il y a également des scories,
<les cendres irachytiques qui peuvent aussi être
décomposées. L'alunite est une roche épigone,
€n amas dans les trachytes, résultant de l'altéra-
tion de ceux-ci par les vapeurs sulfureuses ; mont
Dore, la Tolfa près Civila-Vecchia, Ischia, Milo,
Hongrie, Guadeloupe; exploitée pour la produc-
tion de l'alun.
Les roches basaltiques comprennent d'abord
les mêmes roches que celles des volcans actuels,
le basalte et les scories, et ensuite un certain
nombre d'autres qui proviennent souvent de leur
altération et qui sont les suivantes : la dul&riti;
mélange de labradorite et depyroxène noir; lami-
naire ou grenue, massive en coulées, grise ou
noire, renfermant très souvent de petits grains de
nigrine plus ou moins magnétique : Auvergne,
Hesse, Vésuve, Islande, Mexique; — la wacke, ré-
sultant de la décomposition des roches pyroxéni-
quos; gris-verdàtre ou brun-rouge. Les cavités
renferment souvent un grand nombre de miné-
raux cristallisés, notamment les zéolithes, le cal-
caire et le quartz. C'est le gîte des belles agates
dOberstem dans le l'alatinat ; — la pouzzolane
ou scorie décomposée rougeàtre ou brune : les
catacombes de Rome résultent de l'exploitation de
cette roche : à Pouzzoles elle est exploitée pour
la fabrication de la chaux hydraulique; — le pépé-
rinri, conglomérat de cendres et de scories décom-
posées : giis ou brunâtre; — le tu/'a, cendre
basaltique décomposée, gris ou brun. Les pépérino
et tufa dont les matériaux sont primitivement
tombés dans les eaux, renferment des restes
d'animaux et de végétaux comme à Ronca dans le
Vicentin, et en Islande. [V. Ilaulin.]
PNliUMATIQlîE (Machine). — Physique, XI. —
Etym. : de pnmma, souffle, air.
La machine pneumatique est destinée i raréfier
et môme à enlever presque totalement l'air ou
les gaz renfermés dans des espaces limités.
La première a été construite par Otto de Gué-
ricko, bourgmestre de Magdebourg, en IC'Ji,
époque où l'on ne savait encore produire le vide
que dans le tube do Torricelli. Cette machine,
d'une extrême simplicité, était formée de deux
pièces principales : un corps de pompe dans le-
quel se mouvait un piston solide, et un récipient
qui pouvait être mis en communication avec
lui; deux robinets existaient entre le récipient et
le corps de pompe, l'un (r) établissant la commu-
nication d'une de ces deux parties à l'autre, le se-
cond ()■') débouchant à l'extérieur. Le robinet (»■)
étant ouvert et l'autre fermé, on tirait le pistou;
l'air du récipient, en vertu de son élasticité,
passait alors en partie dans le corps de pompe.
On fermait )■, on ouvrait r', et en refoulant le piston
vers sa position première, on chassait à l'exté-
rieur l'air venu du récipient dans le corps de
pompe. Cette manœuvre était assez pénible; mais
au bout d'un temps plus ou moins long on arrivait
i raréfier beaucoup l'air du récipient.
C'est avec cette machine imparfaite qu'Otto
de Guéricke put vérifier l'exactitude des idées do
Torricelli et de Pascal touchant la pesanteur de
l'air et imaginer diverses expériences prouvant
la pression de l'atmosphère.
Boyle d'abord, Denis Papin ensuite perfection-
nèrent ce premier appareil, en y mettant deux
corps de pompe, en faisant mouvoir à l'aide d'une
manivelle et d'une roue dentée les deux pistons
munis de crémaillères, et en substituant aux robi-
nets des soupapes s'ouvrant et se formant par le
jeu même de l'appareil.
La machine moderne comprend donc doux corps
de pompe dans chacun desquels se meut un pis-
ton, dont l'un s'élève pendant que l'autre s'abaisse;
un conduit cylindrique allant so terminer au
centre d'un plateau de verre bien dressé qu'on
nomme la platine et sur laquelle on pose les
cloches dont on veut extraire l'air ; une soupape
ordinaire à chaque piston, une soupape conique
au fond de chaque corps de pompe. Celle-ci porte
une tige qui passe à frottement dur dans le piston
et vient buter contre le dessus du corps de
pompe. Un robinet il trois voies pour ouvrir ou
fermer la communication entre les corps de
pompe et le récipient ou bien laisser rentrer l'air
dans celui-ci ; une éprouvette avec baromètre in-
complet pour indiquer à chaque instant la pres-
sion de l'air viennent compléter l'appareil.
Le jeu do la machine est facile à suivre. Quand
le piston est au bas do sa course, les deux soupa-
pes sont fermées. Si on soulève le piston, il com-
mence par ouvrir la soupape conique, l'autre sou-
pape restant fermée, et l'air du récipient vient
en partie dans le corps de pompe. Sitôt que l'on
redescend le piston, il ferme la soupape conique,
comprime l'air attiré dans lo corps de pompe ; ot
quand cet air a acquis par la réduction successive
de son volume une force élastique suffisante, plus
grande que la pression de l'atmosphère, il soulève
la soupape du piston et s'en va. Ainsi l'ascension
du piston dans son corps de pompe y attire une
fraction de l'air du récipient; la descente envoie
PNEUMATIQUE (MACHINE) — 1630
cet air dans l'atmosphère. Il en résulte évidem-
ment qu'après un certain nombre de coups de
piston on aura beaucoup raréfié l'air du réci-
pient.
On comprend h priori qu'on ne puisse pas ar-
river i l'épuisement absolu puisqu'on n'enlève
jamais qu'une fraction de ce qui reste dans le ré-
cipient. Mais la loi de la raréfaction de l'air met
ce fait absolument hors de doute. Si on appelle V
le volume du récipient jusqu'à la soupape coni-
que, V le volume du corjis de pompe jusqu'à la
position supérieure du piston, H la pression ini-
tialedel'air; quand le piston est au bas de sacourse,
le volume d'air est V, la pression H; quand il est
en liant, le volume est V + u, et la pression de-
vient, d'après la loi de Mariette :
POESIE
V + i;
Donc, pour avoir la pression de l'air après un
coup de piston, il faut multiplier la pression du
coup précédent par la fraction constante :
\ + u
On en conclut que les pressions successives de
l'air dans le récipient sont exprimées par les ter-
mes d'une progression géométrique décroissante
dont la raison est :
V
Après ;; coups de piston, la pression finale est :
La pression tend vers zéro à mesure que n tend
vers linfini. Si donc, comme la théorie l'indique,
la pression peut devenir aussi petite que possible,
on voit en même temps quelle ne peut jamais de-
venir nulle.
Ajoutons que les imperfections du mécanisme
ne permettent pas do pousser la raréfaction aussi
loin que l'indique la théorie. L'une des plus im-
portantes est l'espace, si faible il soit, qui reste
entre la base du piston parvenu au bas de sa
course et le fond du corps de pompe ; on l'appelle
l'espace nuisible. Voici comment il limite le vide.
Quand la pression de l'air sous le récipient est
devenue très faible, l'ascension du piston n'attire
plus dans le corps de pompe qu'une faible masse
de cet air. Si alors tout cet air ainsi attii é dans le
corps de pompe et refoulé par le piston descen-
dant peut tenir entièrement dans l'espace nuisible
sans y avoir une pression supérieure à celle de
l'atmosphère, il ne peut plus soulever la soupape
du piston; il reste là, et le coup suivant on n'extrait
plus d'air du récipient.
Quelque soin que prennent les constructeurs
pour diminuer cet espace nuisible, les meilleures
machines ordinaires ne font le vide qu'à 2 ou 3 mil-
limètres : autrement dit, l'air reste dans le réci
pient a encore une pression de 2 à 3 millimètres
de mercure.
Babinet a imaginé une disposition qui permet
de reculer encore la limite du vide. Elle consiste
à intercepter la communication entre le récipient
et l'un des corps de pompe, quand la machine a
atteint sa première limite, et à employer exclusive-
ment ce corps de pompe à extraire du deuxième
l'air qui sous le piston descendant tend à y acqué-
rir une force élastique csale à celle de l'atmo-
sphère. C'est par une modification dans la forme ci
dans la disposition du robinet placé sur le conduit
du corps de pompe à la platine que l'on obtient
ce résultat. On arrive alors à ne laisser dans le
récipient qu'une pression d'un demi-millimètre de
mercure.
Macinne à mercure dite barométrique . — Le
vide obtenu par une machine pneumatique à corps
de pompe et munie du robinet de Babinet est
encore loin du vide barométrique. On a eu l'idée
do mettre le récipient dont on veut extraire l'air
en communication avec la chambre d'un baromè-
tre, et de cette manière on a pu obtenir un vide
bien plus avancé.
L'appareil se compose d'un long tube terminé à
la parue supérieure par un robinet à trois voies
qui peut le fermer, ou le mettre en communica-
tion par un tube coudé avec le récipient, ou
enfin l'ouvrir à l'air. Ce tube principal communi-
que par sa partie inférieure. à l'aide d'un long tube
de caoutchouc solidement fixé, avec un ballon ou
une cuvette remplie de mercure que l'on peut à vo-
lonté élever ou abaisser. Quand on soulevé cette
cuvette, le mercure monte dans le tube principal
jusqu'à la base du robinet.
Si donc on tourne le robinet pour mettre le
grand tube en communication avec l'atmosphère
et que l'on monte la cuvette, le grand tube se rem-
plit de mercure et l'air qu'il contenait s'en va.
On tourne le robinet pour mettre le tube en rap-
port avec le récipient et on descend la cuvette, le
mercure descend dans le tube que vient remplir
à sa suite l'air du récipient ; cet air est donc ra-
réfié par cette manœuvre. On ferme le récipient,
ou ouvre la communication avec l'atmosphère ; on
remonte la cuvette; le mercure remonte dans le
tube et chasse devant lui l'air qui y avait été at-
tiré.
On comprend qu'il suffise de répéter la même
manœuvre un certain nombre de fois pour faire
dans le récipient un vide très avancé. En em-
ployant du mercure très sec, on arrive à ne laisser
dans le récipient qu'un gaz n'ayant plus poiir force
élastique que quelques centièmes de millimètre,
et même quelques millièmes »vec les appareils
bien agencés.
Voilà les deux machines que l'on emploie dans
les laboratoires pour faire le vide, la dernière de
préférence à l'autre quand il s'agit de vider de pe-
titstubesle pluscomplètement possible. Lorsqu'on
veut dans l'industrie extraire des gaz de grands
récipients, on emploie des pompes.
[Haraucourt.J
POÉSIE. — Littérature et style, IIL — Ou-
vrons nos meilleurs dictionnaires, nous y trou-
verons toujours, à peu près dans les mêmes ter-
mes, la définition adoptée par l'Acamédie fran-
çaise : « La poésie est l'art de faire des ou-
vrages en vers. » Mais tous les dictionnaires
reconnaissent aussi que ce mot peut recevoir
une acception plus générale, et qu'il signifie
tantôt l'œuvre poétique elle-même, tantôt les qua-
lités spéciales qu'on lui demande, tantôt l'inspi-
ration d'où elle est sortie. Néanmoins, pour la
grande majorité des lecteurs, qui ont l'esprit peu
cultivé et ne diffèrent guère, en un pareil sujet,
des écoUers et des enfants, le vers même, le vers
seul est le signe visible, la marque de la poésie.
Il en faut toujours revenir à la leçon que le pro-
fesseur de philosophie fait à M. Jourdain : « Tout
ce qui n'est point prose est vers, et ce qui n'est
point vers est prose. » Voilà la notion première,
dans sa naïve simplicité. C'est par là qu'il faut
débuter. Mais si nous avions à donner aux enfants
et aux illettrés une idée de cette langue qu'on ne
parle pas couramment, comme dit Molière, com-
ment faudrait-il nous y prendre.» Il faudrait partir
des idées générales de rythme et de cadencej ap-
peler à notre aide le pas militaire ou gymnastique,
le tic tac du moulin, les sons de la cloche, tous les
bruits réguliers des machines en mouvement, des
POESIE
1631 —
POESIE
outils qui travaill(eiit, tout co qui marque la me-
sure, tout ce qui donne la sensation d'un arrange-
ment ou d'une rencontre symétriques, tout ce qui
constitue une alternance et une assonance, tout
ce qui, dans la danse et dans la musique, est né-
cessaire il toutes doux sans être ni l'une ni l'au-
tre. On arriverait ainsi, par analogie, h faire voir
que les sons de la voix, non pas seulement quand
elle clianto, mais simplement quand elle parle,
peuvent être mesurés, ryllimcs, groupes selon des
intervalles égaux et différents ^ qu'il y a comme
une marche syllabique des mots et des phrases,
que l'on peut battre la mesure de la parole, comme
on fej'ait celle du chant; et do même qu'avec les
lignes on peut tracer des ligures régulières, des
ornements, juxtaposés, alternés, accouplés, pareils
ou divers, on peut, avec les mots, avec les sylla-
bes, imaginer des combinaisons de rytlimes, des
figures sonores, sur lesquelles on appliquera ou
non la musique ou la danse, qui ont, une exis-
tence propre et produisent sur l'oreille une im-
pression déterminée, plus précise, plus appré-
ciable, plus intense ou plus délicate, il mesure
que l'on s'est accoutumé davantage à la percevoir.
Ce premier point établi, on prendrait successi-
vement des vers bien frappés, d'un rythme bien
franc, d'abord des vers isolés, puis des vers ac-
couplés, puis des stances, des strophes, avec
leurs combinaisons variées do syllabes et de
rimes, semblables à autant de figures géométri-
ques distinctes; on ferait compter les pieds, mar-
quer les repos, accentuer les rimes; ou désarti-
culerait le vers, la phrase mesurée ; on grossirait,
on simplifierait il dessein tous les effets pour les
rendre plus sensibles; on ferait l'éducation de l'o-
reille, au point qu'un vers défectueux blesseraii.
comme un accord incorrect, et une mauvaise i-ime
comme une fausse note. Puis, poussant plus loin
ces notions et ces exercices, expliquant que les
différentes langues peuvent avoir des procédés
différents, on ferait voir que dans celles do ces
langues où la quantité, c'est-à-dire la durée des
syllabes pendant leur énonciation, est très sensi-
ble à l'oreille, elle fournit, avec le nombre, un
nouvel élément de combinaisons rythmiques;
qu'il est d'autres sonorités finales que celles de la
rime, d'autres valeurs prosodiques que celles de
la syllabe ; qu'enfin les règles mêmes peuvent être
plus ou moins sévères et les artifices de la parole
mesurée plus ou moins perfectionnés. Voilà l'ins-
trument (le la poésie, voilà sa gamme et son anno-
tation, son solfège et sa grammaire; voilà cet art
de poésie, qui est d'abord et avant tout l'art, plus
ou moins grossier, de fabriquer des vers. Mais
quand on sait bien ce métier, quand on est devenu
expert à compter les pieds, à fixer les rimes, à ali-
gner les vers, à les entre-croiser, à les diversifier,
quel nom mérite-t-on '? Est-ce là le poète ? Non, c'est
là le versificateur, et chacun peut le devenir.
N'aurions-nous donc point encore fait un pas dans
la question, et ne savons-nous pas ce que c'est que
la poésie? Est-ce à un autre point de vue qu'il
faut nous placer? L'histoire do la littérature chez
les peuples civilisés nous fait voir qu'on a géné-
ralement admis différents genres de poésie,
comme on a distingué différents genres de pein-
ture. On a dit que la poésie était épique ou drama-
tique, lyrique ou élégiaque, satirique ou didacti-
que, etc. Faut-il, pour trouver la poésie, étudier
chacun de ces genres, et serait-ce dajis le carac-
tère propre à chacun d'eux que résiderait la poésie
véritable ? Y aurait-il autant de poésies difi'érentes
que de genres, et n'auraient-ils de commun que le
vers Entin, ne pourrait-on définir la poésie avec
quelques développements qu'en la prenant dans
une des lormes distinctes qu'elle clioisit, de sorte
qu U nous suffirait, dès à présent, et sans pousser
plus loin notre tâche, de renvoyer aux articles où
l'on traite do ces genres? Mais cette distinction
des genres, pour être généralement admise, est-
elle légitime? est-elle absolue? a-t-elle été recon-
nue de tout temps? a-t-elle été maintenue par la
critique moderne? Ces divisions, ces distinctions,
commodes comme tout classement, ne sont-elles
pas un nouvel embarras, dès qu'on veut appro-
fondir cette étude? La difficulté ne se présente-
t-elle pas sous une autre forme, dès qu'on veut
définir chacun de ces genres et pour chacun d'eux?
Ne se touchent-ils pas en plus d'un point? Et
pour no prendre qu'un exemple, a-ton pu donner
seulement une bonne définition de l'épopée? Rap-
pelons-nous co mot de Voltaire, si profond et si
vrai : u II faut, dans tous les arts, se donner
bien de garde de ces définitions trompeuses par
lesquelles nous osons exclure toutes les beautés
qui nous sont inconnues ou que la coutume ne
nous a point encore rendues familières. » Cette
distinction des genres, elle n'a été acceptée ni
dans tous les temps, ni chez tous les peuples; des
littératures entières ne pourraient s'y astreindre
et se les appliquer. En ces matières, tout est fac-
tice et de convention. Si tous les genres ne sont
pas arbitraires, tous, même le iliéàlre, se font des
emprunts mutuels; ils empiètent, quand ils ne se
confondent pas. On a essayé de simplifier, en ne
reconnaissant que trois genres véritables, le lyri-
que, l'épique et le dramatique. Mais qu'on res-
treigne ou qu'on multiplie les cadres de la poé-
sie, on n'a pas résolu le problème. Combien se
complique-t-il davantage quand on remarque que
la prose aussi, enrichissant sa palette, a fait à la
poésie l'emprunt de bien des couleurs : de sorte
qu'on a pu refuser à des versificateurs le don de
la poésie, et qu'on accordait ce don, sans con-
teste, à des écrivains qui n'avaient jamais manié
le vers, ou qui n'y faisaient preuve que de mala-
dresse et d'insuffisance !
Serait-ce donc que la poésie ne réside ni dans
le vers, ni dans la forme consacrée à chaque
genre? Et pour arriver à connaître enfin ce qu'elle
est, dans son essence, ne faudrait-il pas laisser un
instant les œuvres mêmes, et observer celui qui
les produit, le poète.' « L'élément humain, a dit
Schiller dans sa correspondance avec Gœthe, est
toujours le commencement de la poésie, qui n'en
est ([ue la plus haute expression. » C'est dans
l'homme, en effet, dans ses facultés, dans quel-
ques-unes de ses dispositions les plus intimes
qu'est la solution cherchée. C'est à la psychologie
qu'il faut s'adresser; c'est à la source des lois es-
tliétiques qu'il faut remonter; c'est à tous les arts,
et non pas h un seul, qu'il convient de demander
d'abord le secret des belles oeuvres de poésie,
comme de toutes les belles œuvres. Le langage
des esprits cultivés ne s'y trompe pas. Ils n'ont
point réservé exclusivement à l'art des vers ce
mot de poésie, qui veut dire création; ils ont re-
connu que dans chaque art il y avait, au-dessus
des procédés particuliers qu'il emploie, un élé-
ment commun, l'inspiration, un langage commun
aux poètes, aux peintres, aux sculpteurs, aux mu-
siciens, s'adressant, par des moyens différents, à
la sensibilité humaine, communiquant la notion
du beau sous des formes variées, mais à des con-
ditions identiques. Il en est de l'idée de la poésie
comme do l'idée de la science, comme de l'idée
du droit, comme de toutes les idées générales :
elles s'élèveni avec le progrès des lumières, avec
l'éducation, avec la comparaison ; elles sortent de
l'inconscient; chacune de ces idées s'enrichit, se
complète, s'éclaire. La pratique des arts est an-
cienne; la théorie qui les explique est récente.
Laissons donc un instant de côté les procédés
mêmes, les lignes et les couleurs, les sons et les
mots. L'objet de tous les arts étant l'expression
des sensations et des sentiments, la traduction par
POÉSIE
1632 —
POESIE
l'homme et pour l'homme des choses du deliors
et de celles du dedans, depuis la représentation
matérielle dos aspects ou des phénomènes de la
nature jusqu'à l'analyse des mouvements les plus
secrets de l'àme, voyons ce qui se passe chez ceux
tallisées pour toute la suite des générations: il est
la poésie, dans son acception la plus générale.
Mais si, parmi ces instruments dont l'art fait
usage, il en est un plus riche, plus soupic, plus
approprié à toutes les nuances de la pensée, qui
qu'on appelle artistes, et parmi lesquels il faut j peigne sans couleurs, chante sans musique, pé-
ran^er les poètes. Il n'est pas contestable que nètre au delà des surfaces apparentes, précise les
certains hommes, doues de facultés mystérieuses idées, approfondisse les sentiments, voyage dans
et spéciales, aperçoivent mieux les formes et les le passe, devance l'avenir, exprime le visible et
contours des choses, en sont plus vivement affec- I l'invisible, le fini et l'infini; qui puisse s'étendre
tés saisissent plus exactement les attitudes, les . et se restreindre, se proportionner à tous les
gestes, l'expression des visages, sont plus frap- I objets, traduire tous les pliénomènes, parcourir le
pés de l'ensemble ou des détails d'un site et ciel et la terre, refléter l'àrae et deviner Dieu :
d'un aspect de la nature, plus profondément tou- cet art-là ne sera-t-il pas le premier de tous, l'art
chés d'un son de voix, plus émus d'une façon vraiment créateur, et ne méritera-t-il pas plus que
d'agir ou de parler, plus sensibles à la joie ou à les autres de s'appeler la poésie, et ceux qui le
la douleur d'autrui, plus attentifs aux rapports cultivent les poètes ?
des choses entre elles, plus ardents à l'amour htfe poète, ce n'est donc pas seulement faire
fit à la haine, ou plus aptes à en surpremire chez des vers, c'est avoir, avant tout, une sensibilité
d'autres les traits distinctifs et les manifestations , plus exquise et plus affinée, ou une imagination
multiples. L'homme ainsi doué voit vite et juste ; I plus abondante, ou des impressions qui se pro-
il conserve, il reproduit, il transforme. Si les cir- i longent et s'engendrent les unes les autres, ou
constances l'ont favorisé, et qu'il ait à sa disposi- tous ces dons ensemble, et, avec eux, un goût
tion l'instrument nécessaire dont on lui a appris ou ' particulier de l'harmonie, un besoin de moduler
■dont il a reconnu l'usage, crayon, pinceau, ébau- ' les pensées ou les images et de les soumettre aux
choir clavier, parole, il fait passer dans une I lois d'une musique spéciale,
œuvre tout ce qu'il ressent, tout ce qu'il aperçoit, | La poésie a pu, dans le principe, et depuis en-
tout ce qu'il pénètre; il crée, il est poète, qu'il soit 1 core, s'associer à la musique et à la danse. Mais
Dante Puget Raphaël ou Mozart. Création, ex- ' elle est un tout, elle se suffit à elle-même, et,
pression : c'est ce qui constitue son génie; c est
par là qu'il sera dans le groupe d'élite, tandis
<jue d'autres manieront toute leur vie le pinceau,
tiendront la plume, frapperont le clavier, modèle-
ront l'argile, pour ne faire que des œuvres sans
valeur, sans originalité, sans poésie; car l'instru-
selon les temps et les lieux, elle traduit à sa façon
ce que l'humanité lui offre de plus expressif. On ne
circonscrit pas le champ de la poésie : elle raconte,
et nous avons l'épopée ; elle agit par des personna-
ges, et nous sommes au théâtre ; elle invective, et
l'ïambe apparaît; elle aime, elle chante, elle rit ou
ment ne vaut que par celui qui l'emploie ; le pro- i pleure, s'exalte ou so décourage, et voilà 1 elegie
cédé le métier est, sans doute, la condition de 1 ou l'ode; elle se joue en pièces gracieuses, et la
l'œuvre mais il n'est pas plus l'œuvre même que | poésie légère voltige au front des littératures;
la navette et les fils ne sont le tissu brodé, que les l elle s'impose des règles et les transgresse; elle
sept notes de la gamme, dans leurs raille combi- j imagine des genres et s'en afl'ranchit ; elle peut
naisons, ne sont la musique. être abondante ou laconique, attendrie ou cruelle.
Ainsi pour mériter ce nom d'artiste, il faut être [ souriante ou irritée, hautaine ou familière, flot-
doué d'abord, d'une façon générale, des facultés tante et vague ou précise et à contours rigoureux;
dont tous les arts ont un égal besoin, et par des- elle sera puissante et impétueuse ou calme et
sus tout de la faculté mère, l'imagination inspi- sereine; religieuse ou sceptique; pacifique on
ratrice- 'puis, posséder, grâce à un autre don ' guerrière : et ce sera toujours la poésie. Elle pourra
spécial, le maniement plus sur et plus parfait de vibrer comme une cloche, sonner comme une
tel ou tel outil particulier ; mais ce maniement, i fanfare, soupirer comme uno plainte, éclater
qui est un art aussi, est peu de chose, si la faculté ! comme un sanglot; caresser, crier, maudire;
nremiùre manque. Il faut voir et sentir d'une cer- ' chanter la joie, le deuil, l'ivresse, la gloire : et ce
îaine manière; faire vivre en soi, pour y mettre I sera toujours la poésie. Rien de plus capricieux
sa marque, le monde extérieur et le monde inté- I qu'elle : tantôt elle fuira l'histoire, tantôt elle y
rieur- il faut, par un phénomène unique, être à deviendra; elle dédaignera pendant des siècles la
la fois eu soi et hors de soi, sentir d'une façon nature extérieure, et, tout à coup, ne verra plus
personnelle et impersonnelle afin d'être à la fois qu'elle, s'absorbera en elle ; elle sera générale,
fidèle à soi-même et intelligible aux autres, .\insi abstraite, idéale, créant des types, planant au-
s'explique cet emploi que l'on fait si justement du dessus de la réalité, ou bien elle s enfoncera dans
mot poésie, pour l'appliquer aux œuvres d'art les le réel, se nourrira des menus détails de la vje,
dus diverses, aux objets naturels les plus dis- 1 sera exacte jusqu'à la brutalité, et, dans ses pein-
semblables 1 tures, marquera fortement, uniquement, la per-
Le point de rencontre de tant de sensations qui sonnalité restreinte du poète ; elle dessinera de
diffèrent est dans l'àme humaine qui les éprouve ' grandes figures historiques, ou de petites figures
fortement, qui les épure, qui les fixe et qui les ' contemporaines; elle peindra au naturel Lesar, «e-
restitue La foule, plus ou moins apte à rece- 1 ron, Richard III, ou imaginera un Achille, une Ui-
voir ces sensations répercutées, ne comprend rien don, une Boatri.x, un Hamlet ; elle sera toute no-
au phénomène qui les produit chez celui dont elle blesse et toute harmonie avec Lamartine, mais peu
salue le "énie. Elle voit, elle admire la nature, ! accessible au vulgaire, ou franchement populairo
mais sans y découvrir elle-même ce que l'artiste 1 et intelligible pour tous avec Beranger; elle s C e-
lui en montre; elle connaît, pour les avoir cprou- ] vera, s'abaissera, se dissipera, se concentrera , eue
vés, les mouvements de l'amour, mais sans l'ar- , sera pour les passions un stimulant ou un correc-
tiste, elle n'en pénétrerait souvent ni les agitations tif; elle inspirera un poème de vingt mille vers
passionnées, ni les émotions délicates, ni les dou- ' ou un sonnet de quatorze vers, un long .irame ou
cours infinies; elle a les élans du patriotisme ou ' une courte chanson: et ce sera toujours la poosie,
de la foi, mais elle en trouve la plus haute exprès- i c'est-à-dire un instrument à nulle cordes, toujours
sion dans les conceptions de l'art. Ainsi l'art est ' accordé dans toutes les langues, et dont le S'-""'
l'interprète supérieur de toutes les émotions dont ou le talent se plaît à jouer de miut, manières
l'homme est susceptible; l'art est la pensée, la sen- selon la disposition et le caprice du moment, yui
sibilité, l'imagination de l'humanité, fixées et cris- 1 ressemble moins à Homère qu Anacreon, a virgue
POESIE
— 1633 —
POESIE
qu'Horace, à Dante que l'Arioste, h Ronsard que
Boileau, h Pope que Byron, à la Fontaine que La-
martine, h Voltaire que Victor Hugo? Et tous sont
poètes, la Palestine et l'Inde, la Grèce et Rome,
le nord et 1« midi, le dix-septième et le dix-neu-
vième siècle ont conçu la poésie de bien des fa-
çons dift'érentes : mais c'est toujours la poésie, lit
ces formes dont nous avons parlé, qu'elles sont
diverses, pour ne prendre que celles dont notre
littérature nous offre des spécimens : épopées,
tragédies, comédies, drames, mystères, odes,
stances, chansons, ballades, idylles, élégies, allé-
gories, cantates, héroides, dithyrambes, épitha-
lames, fables, madrigaux, rondeaux, épitres,
poèmos de tout genre, didactiques, satiriques,
erotiques, bachiques ! Toutes ces formes peuvent
contenir la poésie et la répandre, comme toutes
aussi peuvent n'en offrir que l'image trompeuse,
le moule vide, le flacon sans la liqueur, le foyer
sans la flamme intérieure, sans l'âme et la vie.
Pourtant, comme tous les arts, la poésie a ses
degrés, et ceux qui la cultivent sont placés i des
niveaux différents. Ce n'est ni l'étendue d'une
oeuvre ni la nature du sujet qui y est traité qui
font la renommée du poète : un long poème n'est
même pas une présomption favorable, car il n'y a
rien au-dessous de certains poèmes épiques du dix-
septième siècle; mais on est poète avec une ode,
avec une élégie, avec un sonnet, avec quelques
strophes heureuses. Quant aux grands poètes, on
les reconnaît à la puissance d'une imagijiatron ex-
traordinaire qui se répand dans tous les genres, h
ce don d'assimilation ou de propagatioji qui leur
permet d'embrasser leur temps et tous les temps
avec une même intelligence, et de mettre en
circulation des vérités générales, de créer des
types éternels, de sorte que dans leurs vers se re-
flète quelque chose de l'humanité tout entière.
Ce sont là les vrais génies, qui dominent les litté-
rattires.
Quand l'inspiration atteint son degré le plus
intense, que l'émotion est suraigne, elle s'appelle
le lyrisme; il apparaît parfois dans des œuvres
étrangères à la poésie pour les illuminer tout à
coup dune beauté supérieure ; mais il est presque
inséparable de la grande poésie. On trouve des
élans lyriques dans tous les genres de composi-
tions : il y en a dans un mouvement oratoire, dans
le dé\eloppement religieux et moral d'un sermon,
dans l'invective d'un pamphlet, dans une démons-
tration philosophique, dans les peintures émou-
vantes d'un roman, dans la chaleur même d'un
développement scientifique. Mais, de plus en plus,
c est la poésie lyrique qui, dans son acception la
plus générale, embrassant, absorbant tous les
genres, est devenue le fond même de toute poésie.
Le poète dramatique est à part : un Sophocle, un
Shakespeare, un Corneille, un Molière ont eu un
don spécial; ils sont doublement poètes. C'est
pat l'élément lyrique que la poésie marque le
mieux .ïa parenté avec la musique; c'est par là
quelle pi^nd un accent plus personnel et plus
sincère, et qu evu échappe aux froides inventions
■ ^li.I H™''' "'"'"'. '""■'=■'■ Pour avoir une idée com-
plète de cette poésie, dont il faudrait chercher les
inspirations similaires dans les psaumes de David
ou les extases douloureuses de VhniUition, plu-
tôt encore que chez Pindare ou Horace, on peut
se représenter un Schiller écrivant le Chant de
,,,„f „ ; "? Lamartine composant les llarmo-
ITiiV '','?"'î'"' "» Victor Hugo détachant ses
rnl,J:t A '^^"^''"^ne, un Musset s'enfiévrant lui-
^rZjj" ''■°^'''' '"'' '«' ^'"■'^•- Le vers alors,
Slus nréri""''/ ''"'?»''nieux que la musique, et
nemïïro '.P'""''^'""' P'"« substantiel qu'elle ne
fois sPn.Lo'I""' '^ '■■'"g"« P" ""cellence, à la
se nrnH ? " et sensation, esprit et matière. Alors
se produit un phénomène extraordinaire comme
2' Partie.
toutes les manifestations du génie : il crée, il sait
ce qu'il fait et ce qu'il veut faire, et pourtant il
n'est qu'il moitié dans le secret de son inspiration.
Il y a une part d'eft'ort et de travail que la matière
tyrannique impose au mieux doué, que le vers ré-
clame, comme ailleurs le marbre qui résiste ou
le pinceau qui tâtonne; mais il y a surtout une
force interne, un élan spontané, une flamme
jaillissante qui est le don même et l'impénétrable
mystère. Platon déjà comparait le poète à un ins-
trument sonore, vibrant sous la main de Dieu.
Shakespeare disait que la poésie doit couler du
cœur de l'homme aussi naturellement que la
gomme de l'arbre. Corneille écrivait ces deux beaux
vers :
■Je me sens tout le cisiir plein de fjranfjes idées ;
Je les sens à l'envi s'en éehapper sans niei.
Lamartine montre le poète ravi comme Ganymède
par l'aigle de Jupiter ; Hugo le compare à Mazeppa
emporté sur un cheval indompté et tombant roi
au bout de sa course furieuse. Tous les poètes,
d'ailleurs, anciens et modernes, ont admis et con-
sacré l'enthousiasme poétique; les plus froids ont
parlé de ce délire qu'ils n'ont pas connu. Mais les
modernes surtout ont, depuis un siècle, en éten-
dant le champ de la poésie, marqué le réie du
poète. Il semble qu'il redevienne, comme à l'ori-
gine obscure des sociétés, un chantre, un pro-
phète, un voyant ; il faut lire tout ce que Schiller
a écrit, à ce sujet, en prose et en vers ; le prologue
du premier Faust de Goethe est justement célè-
bre ; il n'y a point de plus admirable profession de
foi pour les poètes que le fameux morceau de
Lamartine sur les Destinées de la poésie.
Il serait pourtant juste de dire que de tout
temps les grands poètes ont personnifié, idéa-
lisé les vérités ambiantes, et marqué dans leurs
œuvres une des étapes de l'humanité. Ils n'ont
pas attendu le xvin" et le xix° siècle pour être
les échos des émotions ou des aspirations con-
temporaines : ils l'ont fait dans des propor-
tions, dans des conditions différentes; mais ils
n'auraient pas survécu, s'ils n'avaient fait aux
idées générales la part nécessaire. Aristote,
comparant, dans sa Puêlique, la poésie et l'his-
toire, a dit : K La poésie a pour objet le général,
et l'histoire le particulier. » Qu'il ait eu surtout
en vue le théâtre, peu importe : il a reconnu la
portée de la poésie et son caractère d'universa-
lité. C'est dire qu'elle peut s'adapter à toutes les
opinions, à toutes les doctrines, à toutes les con-
ditions sociales, comme à tous les sentiments et à
toutes les passions. On a dit que le matérialisme
tuait la poésie : Lucrèce est là pour répondre ;
que la science et le sens critique s'accordaient
mal avec elle : Gœthe est la preuve du contraire.
Pourtant, l'expression de la foi passionnée est son
triomphe, et ses plus délicieux accents sont ceux
de l'amour. Quelles conceptions que Didon, Laure,
Francesca, Juliette, Othello, Desdémone, lÛargue-
rile! La poésie no peut aller au delà; qui a mis
en vers un vrai cri de la passion est sir d'être
immortel.
Voilà le fonds de la poésie : son caractère o.s-
sentiel est d'être indépendant de la versification,
puisque le phénomène de l'inspiration poétique
est d'abord tout entier dans l'àme, et qu'il y a par-
fois disjonction entre cette richesse de l'imagina-
tion créatrice et le don des vers, comme on en
voit des exemples chez Fénelon, chez Rousseau,
chez Chateaubriand, chez Michelet ou Quinet, chez
Georges Sand. Certains poètes, qui ont aussi écrit
en prose, continuent à être poètes, là comme dans
leurs vers ; d'autres, par une bizarrerie de nature,
sont plus poètes dans la prose que dans le vers
même ; mais, en tout cas, il faut que le vers ait en
soi, quand on le désarticule et qu'on le détruit, l'c-
POESIE
1634 —
POISONS
lément poétique qui surnage, le disjecti membra
po'.tie. tt combien de poètes ont laissé des volu-
mes entiers, qui n'ont été vraiment et absolu-
ment poètes qu'une fois ou deux, par rencontre,
en quelques vers, heureuse inspiration d'un jour,
d'une heure, d'une minute, qui démontre assez
que la poésie est chose à part, étrangère et supé-
rieuro au procédé, comme un jet de lumière,
éclipsant tout le reste.
Et, puisqu'il s'agit ici d'enseignement, un bon
maître donnera sans peine la preuve à ses élèves
de cette présence de la poésie dans la prose, de
cette absence de la poésie dans les vers, et enfin
de cette véritable inspiration dont les beaux vers
s'illuminent. Une gradation ingénieuse, partant
des morceaux les plus simples, des beautés poéti-
ques les plus accessibles aux débutants, conduira
jusqu'aux cimes de la grande poésie lyrique, et
comme aux sources d'où elle jaillit.
Le maître devra faire voir, en même temps, que,
pour être parfois inconsciente dans ses profon-
deurs, la grande poésie n'a rien de commun avec
le désordre ; que cotte ivresse et ce délire, dont
on parle pour expliquer un mystère, n'existent
nulle part ; que ni un Eschyle, ni un Dante ni
un Sliakespeare n'ont perdu un instant la posses-
sion d'eux-mêmes ; que Corneille sait ce qu'il
fait autant que Molière ; que le génie de Gœthe
plane sur son œuvre entière et semble la surveil-
ler; que Lamartine se néglige, mais ne s'égare
pas ; que, chez d'autres, l'apparence da désordre
et de la confusion n'est que l'incapacité d'ordonner
un ouvrage et d'y porter assez d'unité. Quand le
vertige commence et que le jugement faiblit dans
une imagination surexcitée, la poésie s'obscurcit
en même temps. La folie créatrice du Tasse est
une pure légende. En prose comme en vers, la
plénitude du génie est la plénitude même de la
raison.
Et maintenant nous pouvons revenir à notre
point de départ, et reparler des vers. Toute œuvre
d'art n'arrive à la perfection ou ne s'en rapproche
que par la forme, par l'exécution, par le style.
Pourquoi les vrais musiciens trouvent-ils que l'en-
chaînement seul des mélodies les plus heureuses
ne saurait faire un musicien digne de ce nom .'
Pourquoi les peintres n'ont-ils aucune estime
pour des tableaux dont l'idée première peut être
forte ou agréable, dont la conception peut avoir sa
poésie et sa grandeur même '? Sinon parce que,
dans l'un et l'autre cas, la science propre à cha-
que art a fait défaut, parce que ce musicien man-
que d'étude et de style, parce que ce peintre sait
rêver une œuvre, mais ne sait point la peindre;
et que rien ne peut dispenser l'un de connaître
les secrets de l'harmonie, l'autre de pratiquer l'art
des lignes et des couleurs. En un mot, le génie
ne supprime pas le métier; au contraire, il s'iden-
tifie avec lui, il en fait sa chose, il est maître des
procédés et les tourne à sa guise. Il est permis aux
versificateurs de n'être point poètes; il n'est pas
permis aux poètes de mal faire les vers. Chaque
art peut s'inspirer aux mêmes sources que tous
les autres, mais chaque art aussi, ayant sa lan-
gue propre, doit savoir la parler. La langue de la
poésie, ce sont les vers; il y a là plus qu'une
convention arbitraire : cette symétrie, ce nombre,
cette cadence, ce rythme, ces rimes, tout ce mé-
canisme harmonieux, complète la poésie, lui fait
un domaine à part, lui permet de dire plus que la
prose et souvent en moins de paroles, ajoute à la
puissance de l'inspiration ce quelque chose de pré-
cis et de définitif que la plus belle prose ne peut
donner. Quand on a bien discuté sur l'essence de
la poési(^, il faut toujours en revenir au vers, au
vers bien fait, correct et libre, souple et ferme i.
la fois; aux règles savamment observées, à la rime
bien choisie ; au tour heureux, b. l'image frappante,
k la cadence, à la coupe, au rejet, à la suspension,
;\ tous les effets, à tous les détails, à toutes les
grâces et à toutes les finesses de la facture. Il faut
qu'après avoir admiré l'œuvre poétique dans sa
conception première et dans ses développements,
on puisse l'admirer encore dans sa forme, l'étu-
dier et la commenter dans les ornements qu'elle
comporte, dans les nuances infinies de style
qu'elle présente. Après avoir bien généralisé, il
faut en arriver toujours .\ prendre un poète, à le
lire, surtout à. haute voix, pour affirmer, avec
preuve, que les vers sont beaux et bons, faits de
main d'ouvrier, dignes du sentiment qui les ins-
pire. Nous ne dirons pas avec J.-B. Rousseau, qui
ne fut guère qu'un habile versificateur, que n c'est
l'expression qui fait le poète et non la pensée, »
erreur que toute son école poétique a partagée;
mais nous dirons que la langue, l'expression, le
style, toutes les qualités de la belle prose rele-
vées encore par toutes les qualités des bons vers,
sont la marque même du talent et du génie. Le
reste n'est (lue la copie et la parodie de l'art, ce
n'est point l'art même. Quant i la prose poétique,
qui n'est pas sans charme, elle n'est pas plus
la poésie, qu'une mélopée sans contour n'est un
chant, qu'un récitatif n'est un grand air. La prose
peut être harmonie; la poésie seule est harmonie
et mélodie à la fois.
Ce n'est pas ici le lieu de traiter des règles
de la versification en français et dans les diver-
ses langues. On en parlera ailleurs (V. Proso-
die). Ce n'est pas non plus la place d'une étude
sur les divers genres de poésie, qui sont l'objet
d'autant d'articles; ni d'une histoire de la poé-
sie, qui est une partie de l'histoire des littéra-
tures. Ajoutons seulement que l'histoire de la
poésie est celle même des grands courants d'idées
et de sentiments, de croyances et d'espérances,
qui traversent chaque siècle ; c'est aussi l'histoire
du goût dans ses altérations et ses transformations ;
c'est surtout l'histoire des plus nobles émotions
que l'homme connaisse : car c'est la poésie qui les
recueille, et c'est elle qui les transmet d âge en
âge. Dans quelle direction va-t-elle marcher,
après avoir pris tant de formes et chante tant
d'objets différents '? Il semble qu'elle aille vers
la science. Elle commence à en comprendre la
grandeur et la fécondité, et c'est h ce contact
qu'elle parait appelée à subir une nouvelle et der-
nière transformation. [Eugène Manuel.]
POISO.XS. — Chimie, I-XXVII. — On appelle
communément poisons toute substance solide,
liquide ou gazeuse, d'origine animale, végétale
ou minérale, qui, introduite dans un organisme
vivant, peut donner plus ou moins rapidement la
mort, ou tout au moins produire des désordres
graves.
La toxicologie est la science qui étudie 1 action
des poisons sur l'organisme, les remèdes appro-
priés h chacun d'eux, et aussi la recherche scien-
tifique des poisons lorsqu'il y a eu crime
Le Code pénal (art. 301) définit nmsi l empoi-
sonnement :« Est qualifié ri'empoisonnemen
tout attentat à la vie d'«.ie personne par l effet-
de substances qui peuvent donner la mort plus
ou moins promptement, de quelque manière que
ces substances aient été employées ou adminis-
trées, et quelles qu'en aient été les suites. »
Scientifiquement nous dirons que l'empoison-
nement est l'état général physiologique qui rt-
sulte de l'absorption d'une substance toxique.
Un poison ne peut agir que lorsqu'il est dissous, ou
au moins soluble ou gazeux, c'est-i-dire qu il doit
toujours entrer en contact soit avec les humeurs,
soit avec les éléments anatomiques les plus proloti-
dément situés. L'absorption peut se faire de ditie-
rentes manières : 1° par les voies respiratoires :
respiration des vapeurs d'oxyde de carbone, dhy-
POISONS
— 1635 —
POISSONS
drogèno sulfuré, d"acide cyanliydrique, etc., et en
général de tous les gaz délétères; 2» par l'absor-
ption gastro-intestinale, c'est-i-dire par les parois
de l'estomac ou celles de l'intestin ; 3° par l'ab-
eorption cutanée, c'est-à-dire à travers la peau ;
■i" par l'injection dans le tissu cellulaire sous-
cutané, c'est-i-dire à travers une blessure ou une
écorcliure de la peau ; et enlin 5" par l'injection
directe dans le système circulatoire; ce dernier
mode est le plus employé dans les expériences
physiologiques.
Nous n'avons pas l'intention de donner ici des
détails sur les principaux poisons, puisque la plu-
part d'entre eux ont trouvé leur place dans ce
Dictionnaire ; nous indiquerons seulement les di-
verses classifications des poisons.
Aujourd'hui, on ne peut plus, comme autrefois,
considérer un poison comme une substance ayant
la propriété spécifique de donner la mort. Scien-
tifiquement, il n'y a pas de poisons, il n'y a que
des corps produisant des actions chimiques mo-
difiant ou pouvant modifier les éléments consti-
tuants des tissus organiques. Telle substance
qui, à une certaine dose, est un poison, devient
un remède h une autre dose. Un poison devient
l'antidote d'un autre poison ; c'est ainsi que les
acides sont employés comme contre-poisons
dans l'empoisonnement par les alcalis.
Au point de vue de la rapidité de l'action, les poi-
sons peuvent être divisés en poisons aigus et poi-
s us lents. L'acide prussique est un poison aigu;
l'alcool ordinaire est un poison lent. Considérés
sous le rapport des symptômes qu'ils provoquent,
les poisons se distinguent en : irritmits, convul-
sifs, paralysants, narcotiques, suffocants, dessé-
chants, septiques.
On divise aussi les poisons, d'après leur origine,
en poisons aitimaux, végiituur, et minéraux.
Le célèbre Orfila donnait des poisons la classi-
fication suivante :
/ Phospliore, iode, brome ,cIiIore,
Minéraux '"='^'^^' ^f""' ^"'="''=- »°",-
moine, et compusés métal-
liques divers.
Vrortauc \ ïî^'yone, coloquiiitc,
■^ ' ( staphisaigre, etc.
Poisons naucotiqces . .
Alcaloïdes de l'opium, acide
cyanhydrique.
Scille et scillitine, aconitinc,
vèratrine, atropine, nicotine,
dit^italine, strychnine, cam-
phre, alcool, élher, chloro-
forme, ergot de seigle, hy-
drogène phosphore, oxyde
de carbone, gaz de l'éclai-
rage.
/ Acide sulfhydrique , gaz des
Poisoss SEPTiQuK^ ) fosses d'aisances, venin des
i serpents, scorpions, abeilles,
\ guêpes, etc.
Le docteur Rabuteau, fort compétent en ces
matières, donne dans son excellent Traité de toxi-
cologie une nouvelle classification des poisons,
plus scientifique que les précédentes, en ce
qu'elle repose sur les efi'ets que produisent les
substances toxiques dans les tissus organiques.
Il distingue : les poisons Itémaliques, qui agis-
sent sur les globules du sang : tels sont l'oxyde
de carbone, l'acide prussique, le phosphore, l'ar-
senic, les vapeurs nitreuses et les sels métalli-
ques en général.
Les neui'otiques, qui agissent sur le système
nerveux : le curare, la strychnine, l'oxygène com-
primé, les cantharides, le chloroforme, l'éther,
l'opium.
Les névro-musculaires : la digitale, le tabac.
Les musculaires : l'acide carbonique, la vèra-
trine, les sols de cuivre, de zinc, d'étain, de
plomb, de mercure.
Les irrilaiits corrosifs : les acides Gulfurique,
azotique, chlorliydrique, oxalique ; la potasse, la
soude, l'iode, le chlore. [Alfred Jacquemart.]
l'OlSSONS.— Zoologie, \XI, XXII. — Dans l'em-
branchement des Vertébrés, les Poissons occupent
Ji juste titre un rang tout à fait inférieur. Par
certains traits de leur organisation et de leur dé-
veloppement, ils se rattachent aux Batraciens,
avec lesquels ils sont généralement réunis dans
les classifications récentes sous le nom d'Anallan-
toidiens, par opposition aux vertébrés supérieurs,
les Mammifères, les Oiseaux, les Reptiles, qui
sont des Allantoidiens. Il existe toutefois entre les
Batraciens et les Poissons de notables dift'érences,
non seulement au point de vue de la structure
intime, mais encore du régime et des mœurs. Les
Batraciens en effet sont, pour la plupart, organisés
en vue d'une existence amphibie ; les Poissons, au
contraire, sont des animaux essentiellement aqua-
tiques h toutes les périodes de leur existence.
Caractères généraux. — Le milieu pour lequel
ils sont faits a imprimé chez les poissons un ca-
ractère tout particulier à l'organisme; chez eux les
appareils de la circulation, de la respiration et de
la locomotion sont profondément modifiés.
Tandis que chez les vertébrés supérieurs il
existe en réalité deux cœurs accolés l'un à l'autre,
l'un droit, ou veineux, l'autre gauche, ou arté-
riel, cœurs qui, du reste, au point de vue physio-
logique, se fusionnent plus ou moins chez les
reptiles; chez les poissons, au contraire, le cœur
droit, c'est-à-dire la partie du cœur qui reçoit le
sang venant des veines, est seul développé ; le
sang se rend, en effet, directement dans l'organe
central de la circulation avant d'avoir subi l'in-
fluence vivifiante de l'air ; en parcourant le cercle
circulatoire, il ne traverse qu'une seule fois le
cœur, et cela à l'état de sang veineux.
De ce que nous venons de dire, il résulte que
le cœur des poissons ne présente que deux cavi-
tés, une oreillette dans laquelle se déverso le
sang revenu de toutes les parties du corps dans
un vaisseau connu sous le nom de sinus de Cu-
vier, et un ventricule placé derrière l'oreillette
et donnant naissance à une artère dont la base est
renflée et contractile, parfois même garnie de
valvules ou replis membraneux empêchant le re-
tour du liquide sanguin. Cette artère se divise
tout de suite en branches latérales qui se rendent
dans les branchies ou organes de la respiration,
et se réunissent ensuite pour former une grande
artère ; véritable aorte au point de vue physiolo-
gique, cette artère, qui est située le long de la
colonne vertébrale, donne naissance aux divers
vaisseaux du corps. Il faut, du reste, faire remar-
quer que tout le sang veineux ne se jette pas direc-
tement dans le sinus de Cuvier ; le sang qui vient
des intestins et de quelques viscères passe par
les reins et le foie ; les veines qui le contiennent
forment dans ces organes des réseaux d'épuration
très compliqués connus sous le nom de systèmes
portes. Quant au cœur lui-môme, il est placé sous
la gorge, un peu plus reculé cependant chez les
Apodes ou Anguilles. Les globules du sang ont
une forme elliptique.
Chez les animaux qui vivent dans l'air, le gaz
vivifiant se rend au-devant du sang, et la respiration
se fait dans des cavités connues sous le nom de
poumons; chez les êtres dont la vie est exclusive-
ment aquatique, le sang va au-devant do l'air et
la respiration a lieu à la surface de petites lamelles
que l'on désigne sous le nom de branchies. Chez
POISSONS
— 1636
POISSONS
les poissons, l'eau nécessaire à la respiration entre
dans la bouclie et, par un mouvement de dégluti-
tion, passant par les fentes que les arcs des bran-
chies laissent entre eux, s'échappe en dehors par
les ouvertures des ouïes.
Chez les poissons osseux, ou poissons propre-
ment dits, l'eau qui a servi i la respiration se
rend dans une cavité commune et sort de là par
une large fente ou ouïe, parfois cependant par un
trou plus ou moins large. Chez les poissons car-
tilagineux (raies, requins), l'appareil respiratoire
présente un caractère fort remarquable : les bran-
chies, au lieu d'être libres par leur bord externe
et comme suspendues dans une cavité unique,
Bont adhérentes par leurs deux bords, de telle
soite qu'il faut autant d'ouvertures extérieures
qu'il y a d'intervalles entre les branchies. 11 est
vrai que la cliimère ou roi des harengs, qui fait
partie du même groupe, n'a qu'une seule ouver-
ture pour la sortie de l'eau, mais cette disposition,
qui rappelle ce que l'on voit chez les poissons
osseux, n'est qu'apparente; la peau passe au-de-
vant des cinq fentes des branchies, de telle sorte
qu'au-dessous d'elle il y a en réalité autant d'ou-
vertures qu'il existe de lamelles respiratoires. Les
poissons tout à fait inférieurs, ou lamproies, ont
les organes de la respiration disposés en forme de
petits sacs ou bourses, s'ouvraut chacun à l'exté-
rieur par des ouvertures distinctes dont le nombre
peut être de sept.
La respiration, avons-nous dit, est essentielle-
ment branchiale chez tous les poissons ; aussi
voit-on ces animaux périr en général rapidement
lorsqu'ils sont retirés de l'eau : les feuillets des
branchies s'alîaissant et se desséchant ne se lais-
sent plus traverser par le sang, et l'asphyxie arrive
très vite. Chez quelques poissons toutefois que
l'on désigne sous le nom de l'haryngiens labyrin-
thiformes, il existe une disposition très remar-
quable qui permet à ces animaux, vivant dans des
marais qui assèchent souvent, de rester assez
longtemps hors de l'eau: au-dessus des branchies
sont de vastes cellules dans lesquelles l'eau s'a-
masse dans des organes spongieux, pour de là
tomber goutte à goutte sur les lamelles branchiales
et les maintenir humides. Quelques poissons
aussi, et la Carpe en est un exemple, ne se con-
tentent pas de l'oxygène dissous dans l'eau; ils
viennent à la surface prendre l'air en nature ;
il en est même, comme la loche des étangs, qui
convertissent l'oxygène de l'air en acide carbo-
nique en le faisant passer au travers de leur intes-
tin, de telle sorte que chez eux cet appareil sert
à une respiration supplémentaire.
Les organes de la digestion ne présentent rien
de bien remarquable 5i signaler. L'estomac est
généralement vaste, le foie grand; la longueur de
l'intestin diffère selon le régime, do telle sorte
que la position de l'anus est très variable, cet ori-
fice se trouvant parfois sous la gorge, d'autres fois
à la base de la queue. Presque tous les poissons
se nourrissent de proie vivante ; il n'en est que peu
qui vivent de matières végétales. La forme, la
disposition, le nombre des dents varient beaucoup ;
elles sont tantôt comprimées, tranchantes et den-
telées sur les bords, comme chez certains requins,
tantôt longues, aiguës et pointues, comme chez les
Sphyrénos, tantôt en pavés, ainsi qu'on le remarque
chez les Daurades, tantôt en soies fines et flexibles,
comme chez certains Squammipennes. Les dents
peuvent se trouver sur toutes les pièces qui com-
posent le palais et l'arrière-bouche ; elles existent
souvent sur les os pharyngiens qui entourent l'en-
trée de l'œsophage. Une disposition toute parti-
culière de l'ouverture buccale existe chez des
poissons inférieurs, les Lamproies; la bouche est
entourée d'un disque charnu soutenu par des an-
neaux cartilagineux et armé de dents ; la langue,
également garnie de dents, peut se mouvoir à U
manière d'un piston, de telle sorte que cet appa-
reil sert de ventouse.
La cavité du crâne, bien que petite, n'est cepen-
dant pas remplie en entier par la masse cérébrale ;
entre elle et les os existe un amas de matière
grasse et spongieuse. Les lobes qui forment l'en-
céphale sont disposés en double chapelet les uns
derrière les autres; on y distingue d'avant en
arrière des lobes olfactifs, souvent très développés,
des hémisphères cérébraux, des lobes optiques,
un cervelet et une série de petits tubercules
appartenant à l'origine de la moelle allongée.
Celle-ci ne présente rien de particulier à signaler;
sa structure et sa disposition générale sont ce que
l'on voit chez tous les Vertébrés.
Par suite du milieu dans leijuel ils vivent, les
poissons ont le cristallin volumineux et sphérique;
la cornée est presque plane, la pupille très large
et peu contractile ; les yeux sont, en général,
grands et peu mobiles; il n'existe ni paupières, ni
appareil lacrymal. Chez quelques poissons que l'on
connaît sous le nom de Pleuronectes (soles, plies,
turbots), les yeux ne sont pas placés, comme d'or-
dinaire, des deux côtés de la tête; ils sont situés
tous deux du même côté, et cette disposition coïn-
cide avec un défaut de symétrie dans d'autres par-
ties du corps; il est, du reste, à remarquer que
chez les très jeunes Pleuronectes les yeux sont
symétriques.
L'oreille externe et l'oreille moyenne font dé-
faut, l'oreille étant tout entière logée dans la
cavité du crâne, directement sur les côtés du
cerveau; elle se compose d'un vestibule surmonté
de trois canaux semi-circulaires; l'on y trouve des
concrétions parfois volumineuses, nommées oto-
lithes, sur lesquelles se terminent des filets du
nerf auditif, concrétions qui servent à renforcer
les sons. Le goût est presque nul, l'odorat étant,
au contraire, le plus souvent développé. L'appa-
reil de l'odorat n'est pas disposé, en général, de
façon h ce que l'eau servant h la respiration puisse
le traverser; les fosses nasales consistent, en effet,
en deux cavités se terminant en cul-de-sac.
Par la nature môme des téguments, le tact est
très obtus; la peau est, en effet, presque toujours
protégée par des écailles; chez les raies ei les
squales, les scutelles ou les boucles qui garnissent
la peau ont la structure des dents. Ce n'est guère
qu'au moyen des lèvres que les poissons peuvent
exercer le sens du toucher ; chez certains d'entre
eux existent autour de la bouche ou sur différents
points du corps des appendices qui servent au
tact; tels sont les barbillons de la loche, du
rouget, des silures, du barbeau, les filaments
pêcheurs de la baudroie, les lambeaux charnus des
rascasses, les doigts des trigles ou grondins. Les
écailles spéciales qui garnissent une partie des
flancs et que l'on connaît sous le nom de ligne la-
térale sont en rapport avec le sens du toucher
C'est sous l'influence directe du systèn»: ner-
veux que se trouvent ces curieux apr^iceils élec-
triques qui existent chez quelques espèces. Le
mieux connu de ces apr^'e'ls est celui do la tor-
pille, poisson qui ressemble beaucoup aux raies,
à cela près que son corps, de forme sensiblement
circulaire, est absolument lisse. L'appareil, logé h
la partie antérieure du corps, de cliaque côté du
cerveau, consiste en une multitude de tubes ver-
ticaux, disposés comme des rayons d'abeilles et
cloisonnés en une série de petites cellules rem-
plies d'un liquide gélatineux; cet appareil reçoit
quelques branches très grosses d'un nerf partant
de l'origine de la moelle allongée et connu sous le
nom de pneumogastrique, ce nerf se rendant au
cœur, aux poumons et à une partie de l'appareil
digestif. L'électricité développée dans ces appareils
occasionne non seulement de violentes secousses-
POISSONS
— 1637 —
POISSONS
;i ceux qui saisissent, l'animal, mais produit encore
tous les olTc is résultant du dégagement de l'élec-
tricité dans nos appareils de physique. Gliez nos
i-aios communes un appareil électrique, mais de
faible puissance, existe de chaque côté de la
queue. Entre la peau des flancs et les muscles
sous-jaconts se trouve, cliez un poisson du Nil et
du Sénégal, le malaptérure, un tissu particulier
qui a la propriété de donner des commotions d'une
grande énergie. L'anguille électrique ou gymnote,
qui habite l'Amérique du Sud, et principalement
les mares que l'on rencontre dans les plaines qui
sont situées entre la Cordillère et l'Orénoque,
possède au plus haut degré la propriété de pro-
duire de l'électricité, les commotions suffisant à
abattre un homme et même un cheval; l'appareil
règne tout le long du dos et de la queue; il con-
siste en quatre faisceaux composés d'un grand
nombre de lames membraneuses très rapprochées
et unies par une multitude de petites lamelles pla-
cées de champ; ces petites cellules sont remplies
d'une matière gélatineuse; tout l'appareil reçoit de
gros filets nerveux.
Chez les poissons, les appareils de la locomotion
sont profondément modifiés et transformés en
nageoires, situées les unes sur la ligne médiane
du dos et du ventre, et par conséquent impaires,
les autres, paires, placées sur le côté; ces der-
nières, qtii représentent les membres des verté-
brés supérieurs, sont les unes insérées latéralement
derrière la tête (nageoires pectorales), les autres
attachées sur la ligne du ventre (nageoires ven-
trales). Ces dernières nageoires, qui manquent
chez les anguilles et chez quelques autres pois-
sons, peuvent s'insérer plus ou moins en avant et
en arrière, depuis le dessous de la gorge jusqu'à
l'origine de la queue. Les nageoires impaires oc-
cupent, ainsi que nous l'avons dit, la ligne mé-
diane du corps; on les désigne sous le nom de
nageoire caudale, de nageoire anale, de nageoires
dorsales, suivant qu'elles se trouvent à l'extré-
mité du corps, sous la queue ou sur le dos. La na-
geoire caudale, qui agit ii la manière d'une hélice,
est le principal agent de la locomotion; c'est, en
effet, en frappant latéralement l'eau par des mou-
vements alternatifs de la queue et du tronc que se
meuvent les poissons ; aussi les muscles destinés à
flécliir la colonne vertébrale sont-ils très dévelop-
pés. Les nageoires latérales (pectorales et ventrales)
servent surtout à maintenir l'animal en équilibre;
les autres nageoires remplissent le rôle de gou-
vernail, en dirigeant le poisson dans sa course. Il
existe, du reste, le long et en dessous de l'épine
dorsale, une sorte de poche membraneuse remplie
de gaz et connue sous le nom de vessie natatoire ;
cette vessie communique souvent, soit avec l'ar-
rière-bouche, soit avec l'estomac au moyen d'un
canal par lequel, lors de la compression de la
poche, le gaz en excès peut s'échapper, de telle
sorte que, suivant le volume qu'elle occupe, le
poids spécifique du poisson est égal, supérieur ou
inférieur à la densité du liquide ambiant, et
lait qu'ainsi l'animal reste en équilibre, descend
ou monte. Cette vessie manque presque toujours
chez les animaux qui vivent au fond de l'eau, en-
fouis dans la vase, tels que les anguilles, les soles,
les raies. Chez certains poissons qui ont été au-
trefois rangés parmi les Batraciens et que l'on
désigne dans les classifications actuelles sous le
nom de Dipnés, ce qui veut dire deux respirations,
la vessie natatoire, très développée, est parcourue
par de nombreuses brides, formant des cellules
sur les parois desquelles se rendent des vaisseaux
sanguins, de telle sorte que le rôle physiologique
do cette vessie est celui d'un véritable poumon.
Certaines nageoires sont modifiées au point de
vue de la forme et de la fonction. Chez quelques
■espèces, et le poisson volant en est un exemple,
les pectorales atteignent un développement tel
que l'animal peut s'en servir comme d'une ailo
lorsqu'il s'élance hors de l'eau; chez ceux qui habi-
tent les eaux torrentueuses, les nageoires du ven-
tre se réunissent pour former un organe d'adhé-
rence; chez d'autres, à certains moments de l'an-
née, la nageoire anale ou les ventrales forment une
sorte de poche dans laquelle sont déposés les œufs.
La modification la plus curieuse est celle que pré-
sente la première dorsale chez certains pois-
sons du groupe des Scombéroïdes, que l'on con-
naît sous le nom d'échéneis ou rémoras; l'on
remarque chez eux un disque aplati composé de
lames cartilagineuses mobiles et situé sur le
dessus de la tête ; grâce à ce disque, les rémoras
ont la faculté d'adhérer fortement aux corps
étrangers.
Le squelette des poissons diffère essentiellement
de celui des Vertébrés supérieurs en ce qu'il con-
tient rarement l'élément fondamental du tissu os-
seux ou osiéoplaste; il est formé plutôt de carti-
lage endurci par des sels calcaires que par de l'os
véritable, bien qu'il puisse acquérir une grande
dureté; beaucoup d'os, ceux de la tête surtout,
sont du reste bien manifestement des endurcis-
sements de certaines parties de la peau. Chez les
poissons dits à cause de ce fait poissons cartila-
gineux, le squelette reste à l'état fibro-cartilagi-
neux ou cartilagineux, la matière calcaire ne se
déposant que par petits grains isolés. Chez cer-
taines lamproies, le squelette demeure complète-
ment membraneux. Quant aux os des membres,
ils ne présentent pas de cavité intérieure ou canal
de la moelle, même chez les poissons dits osseux.
Dans le squelette nous avons à considérer la
colonne vertébrale, la tête à laquelle est joint un
appareil fort compliqué servant i la respiration
[appareil hyoïdien), et les membres.
La colonne vertébrale ne comprend que deux
parties distinctes, le tronc et la queue. Les vertè-
bres elles-mêmes sontplus ou moins aplaties dansle
sens longitudinal et creusées en arrière et en avant
d'une cavité conique, de telle sorte qu'elles sont
biconcaves ; le double cône qui résulte de la juxta-
position de deux vertèbres est rempli par une
matière semi-gélatineuse renfermant les éléments
essentiels du cartilage. La moelle épinière est
protégée par des séries d'apophyses épineuses ;
dans la région caudale l'on voit à la face inférieure
des vertèbres une série d'apophyses semblables
aux apophyses supérieures et renfermant les gros
vaisseaux. Les côtes existent en général et encei-
gnent souvent tout l'abdomen. L'on trouve, enfin,
sur la ligne médiane du corps, un certain nombre
d'osselets dits inter-épineux qui supportent les
nageoires impaires.
La structure de la tète est fort compliquée et
comporte un grand nombre d'os. La portion fon-
damentale est constituée par une sorte de pyra-
mide à trois pans dont le sommet est dirigé en
avant ; la partie postérieure de cette boîte osseuse
protège le cerveau et l'organe de l'audition, la
partie moyenne est évidée pour contenir les yeux;
l'on remarque en avant les fossettes appartenant
à l'appareil de l'olfaction et une sorte de renfle-
ment servant i la suspension de la mâchoire su-
périeure ; cette pyramide est formée par les occi-
pitaux, les temporaux, le sphénoïde, les pariétavix,
les frontaux, l'ethmoide et le vomer. La mâchoire
supérieure elle-même se compose, de chaque
côté, d'un os intermaxillaire placé sur la ligne
médiane et d'un maxillaire ; ces os sont plus ou
moins développés ; chez certains poissons ils sont
fixés de manière Ji rester immobiles. Une série do
pièces osseuses forme une chaîne qui complète
en bas le cadre de l'orbite; l'appareil des pièces
de l'opercule protège les ouïes et s'ouvre ou se
ferme, selon que l'exige le mouvement de l'eau
.POISSONS
— 1638
POLARISATION
qui sert à la respiration; cet appareil se réunit en
arrière à une sorte de cloison verticale séparant
les orbites et les joues de la bouche. Enfin, en
dedans de ces cloisons et tout au fond de la bou-
che, existe un appareil servant à l'insertion des
ouïes ; à cet appareil sont annexés des os dits pha-
ryngiens, portant le plus souvent des dents qui
exercent une seconde mastication, parfois plus
puissante que celle qui s'est opérée dans la bouche.
Le membre antéi'ieur, ou pectoral, se compose
de petits osselels aplatis qui portent les rayons
et qui continuent deux os aplatis regardés comme
les analogues de l'avant-bras ; ces deux os sont
eux-mêmes portés par une ceinture osseuse, pla-
cée derrière les ouïes et sur laquelle l'appareil de
l'opercule s'applique comme sur un chambranle.
Le membre postérieur, moins compliqué, ne se
compose que d'uu seul os qui supporte les rayons.
Les poissons se reproduisent presque tous au
moyen d'œufs ; certains d'entre eux toutefois font
leurs petits vivants. Loin d'abandonner les œufs
au hasard, ainsi qu'on le croyait jusqu'en ces der-
niers temps, beaucoup d'espèces construisent des
nids et prodiguent les soins les plus assidus à
leur progéniture.
L'on sait que certains poissons passent une
partie de leur existence dans la mer et se réu-
nissent en troupes nombreuses pour, à une épo-
que donnée, remonter les rivières ; tels sont les
saumons.
D'antres, comme les harengs, émigrent et re-
viennent i époque fixe en bandes pressées. Les
sardines, les maquereaux, les thons, les anchois
sont aussi des poissons de passage qui visitent
périodiquement nos côtes et y donnent lieu il des
pêches fort importantes.
ClassiJioation. — Les Poissons forment une des
classes les plus nombreuses parmi les Vertébrés
(on en connaît actuellement près de 10 000 es-
pèces). Ils se divisent en six sous-classes : les
Cartilagineux, les Ganoïdes, les Dipnés, les Té-
léostéens, les Marsipobranches et les Leptocardes.
Les CartilafiineiLc sont les plus élevés des
poissons en organisation; chez eux les branchies
sont fixes, les mâchoires mobiles et disposées pour
la mastication. On y range les Squales (requins,
squales proprement dits, marteaux, etc.), les
Raies (raies proprement dites, torpilles, anges,
raies armées), les Cliimères (roi des harengs).
Les Ganoïdes, qui aux époques anciennes ont
régné en maîtres, ne sont plus représentés que
par les Esturgeons et par quelques poissons des
eaux douces d'Afrique jpolyptère; et de l'Amérique
du i\ord l'Iepisostée, amia) ; le Polyodon, ou
Poisson spatule , prend également place dans
cette sous-classe. La disposition de diverses parties
de leur cerveau et du coeur les distingue des
Poissons cartilagineux, avec lesquels ils ont été
d'abord confondus.
Placés jusque dans ces derniers temps avec
certains Batraciens, les Dipnés sont aujourd'hui
universellement rangés parmi les Poissons. Le
nom de Dipnés, qui veut dire deux souffles, vient
de ce que ces poi--son3 sont organisés pour vivre
dans l'eau et dans l'air, ainsi que nous l'avons
déjà dit ; en effet, leur vessie natatoire peut rem-
plir le rôle de poumon. Lorsque les marécages
dans lesquels ils vivent viennent à se dessécher,
ils s'enterrent dans un cocon. Leur squelette est
en partie cartilagineux et en partie osseux. Trois
poissons seulement rentrent dans ce sous-ordre,
le lépidosiren, qui vit au Brésil, le protoptère de
la Cote ouest d'Afrique, et le cératodus d'Austra-
lie.
La sous-classe des Téléostéens ou Poissons
osseux est de beaucoup la plus importante, tant
par le nombre des espèces qu'elle renferme que
par l'utilité des produit:-, qu'elle fournit. Ou peut
la diviser en six ordres : 1" les Acanihopiérygiens,
chez lesquels la première nageoire du dos est
soutenue par des rayons osseux (perche, maque-
reau, sole); 2° les Malacoptérygiens ahclominaux,
qui n'ont pas de première dorsale épineuse et chez
lesquels les nageoires du ventre sont situées en
arrière des nageoires pectorales et non attachées
aux os de l'épaule (carpe, brochet, hareng,
truite) ; 3° les Malncoplén/ijiens sublrackiens,
qui ont les nageoires ventrales placées sous les
pectorales et suspendues aux os de l'épaule (mo-
rue, merlan); 4° les Mnlacnpth-ygiens apodes,
caractcrir.és par leur forme allongée et le manque
de nageoire ventrale (anguille, congre, gymnote
électrique) ; 5" les Lophohranches, qui ont les
branchies divisées en petites houppes rangées par
paires le long des arcs branchiaux (chevaux ma-
rins, syngnathes) ; 6° les Plectoç/nutlies, qui se
reconnaissent à la conformation dé leur bouche,
la mâchoire supérieure, au lieu d'être mobile, étant
soudée au crâne (coffres, orbes épineux.)
La sous-classe dos Cyclostomes ou Marsipo-
hranclii's est caractérisée par la conformation toute
particulière de la bouche, disposée pour la succion.
Le squelette, fort imparfait, est souvent membra-
neux: le système nerveux est très dégradé; les
branchies ont la forme de petites bourses. Les
lamproies appartiennent à ce groupe.
L'on a récemment formé la sous-classe des
Leptocardes pour un très petit poisson, l'amphio-
xus, qui appartient certainement h l'embranche-
ment des Vertébrés, mais qui manque des carac-
tères les plus remarquables de cet embranchement.
Le squelette n'est composé que d'une tige carti-
lagineuse, sans qu'il y ait de crâne proprement
dit; le cerveau n'est représenté que par un léger
renflement de la moelle épinière ; il n'existe pas
de coeur. L'amphioxus vit le long des côtes ouest
de l'Europe. [E. Sauvage.]
POLARISATION. — Physique, XXXIL — Quand
un rayon de lumière rencontre un corps transpa-
rent à surface polie, il est en partie réfléchi et en
partie réfracté. Si le corps transparent est urt
cristal de spath d'Islande, jouissant de la propriété
de la double réfraction, le rayon primitif se par-
tage en deux rayons qui diffèrent l'un de l'autre
comme aussi du rayon primitif. Voili les phéno-
mènes qne l'on constate habituellement. Mais dans
certaines circonstances, sous des inclinaisons di-
verses, la lumière la plus vive devient incapable de
traverser le milieu le plus transparent ou de se
refléchir sur la surface la mieux polie : elle est
difi'érente de la lumière naturelle, puisqu'elle pa-
rait ne plus obéir dans sa marche aux lois simples
de la réflexion et de la réfraction ; elle a acquis des
propriétés nouvelles: on dit qu'elle m polarisée.
C'est sur les rayons lumineux ayant traversé un
milieu biréfringent qu'il est le plus facile de con-
stater la transformation do la lumière sous l'effet
de la polarisation. Que l'on prenne un premier
cristal de spati] placé sur le trajet d'un rayon so-
laire, on obtient sur un écran h distance dcus
images distinctes. Si l'on place sur le trajet de
ces deux rayons un second cristal de epath seni-
blable au premier, chacun des deux rayons se dé-
doublera à son tour et il y aura quatre images au
lieu de deux. Jusque-là, il n'y a rien d'imprévu dans
l'expérience. Mais si, laissant au repos un des deux
cristaux, on fait tourner l'autre sur lui-même, on
voit aussitôt deux des images s'affaiblir graduel-
lement, puis s'éteindre et disparaître entière-
ment. On en conclut que les deux rayons lumineux
sortis d'un premier spath ne se comportent plus,
par rapport à un second, comme la lumière natu-
relle, puisque tantôt ils traversent libi-ement ce
dernier, tantôt ils refusent de se transmettre et
cela suivant l'orientation des deux cristaux.
On peut tailler un morceau de spath en forme
POLARISATION
— 1639
POLOGNE
do piisme de manière qu'une dos deux imagos I Polaris/.Uon rotaloire. —Vn certain nombre de
auxquelles il donne naissance puisse seule le tra- substances jouissent de la propriété de faire tour-
verser, la seconde étant éliminée du cliamp de la ner le plan de polarisation. Le quartz est la pré;
•- . . - 1 „^ii\[.g guf laquelle on ait constate le fait. Voici
l'expérience qui donne une idée simple de ce phé-
nomène. On reçoit sur un prisme de Nicol un
rayon de lumière monochromatique et polarisée,
on fait tourner le prisme analyseur jusqu'à l'ex-
tinction complète du rayon ; on sait alors que la
section principale du prisme est parallèle au plan
de polarisation de la lumière. Si alors on interpose
sur le trajet du rayon polarisé une lame de quartz
taillée perpendiculairement à l'axe et épaisse seu-
lement d'un millimètre ou deux, on reconnaît
que le nicol n'éteint plus le rayon. Et, pour obtenir
;\ nouveau l'extinction, il faut faire tourner d'un
certain angle l'analyseur h droite ou à gauche de
sa première position.
On admet alors que le plan primitif de polarisa-
tion du rayon lumineux, qui était parfaitement
déterminé par la section du prisme analyseur, a
tourné, sous l'inlluence du quartz, de l'angle dont
on a dû déplacer 1 analyseur pour éteindre de
nouveau le faisceau transmis.
Parmi les corps, et môme seulement parmi les
divers échantillons du quartz, les uns font tourner
adroite le plan de polarisation; on les nomme dex-
trof/!j7-es;\es. aulres le font tourner h gauche, on
les appelle /;evogyre<.
L'étude de celte importante propriété a conduit
Biot à une remarque intéressante : c'est que la
rotation produite par la même lame dépend de la
réfrangibilitô do la source lumineuse. Il s'ensuit
que, si l'on prend la lumière blanche comme source,
et, comme analyseur, un prisme de spath biréfrin-
gent, on obtiendra deux images colorées complé-
mentaires, et, dans la rotation de l'analyseur,
aucune des deux ne s'éteindra complètement; mais
pour la position correspondante i l'extinction que
produirait un nicol, l'image aura une teinte gris
de lin facile h reconnaître et que l'on a appelée
teinte sensible, parce qu'elle vire imiiiédiatement
au rouge ou au bleu pour la moindre rotation de
l'analyseur.
La plupart ces substances organiques manifes-
tent le pouvoir rotatolre : tels sont les acides, les
essences, l'amidon et les sucres.
La détermination du pouvoir rotatoire des su-
vision par une réflexion totale ; le prisme est alors
en apparence dépourvu de la double réfraction, et
seul, il semble se comporter comme un morceau
de verre ordinaire. Mais si l'on met l'un h la suite
de l'autre deux de ces prismes sur le trajet d'un
rayon, la lumière transmise par le premier pourra
traverser intégralement le second, comme aussi
elle pourra être complètement éteinte par ce se-
cond prisme, qui deviendra ainsi, pour les rayons
qui le frappent, malgré sa transparence apparente,
aussi npa(|ue qu'un morceau do métal ou de bois.
Dans ce cas, la lumière naturelle a manifestement
acquis par son passage au travers du spath biré-
fringent des propriétés nouvelles et spéciales.
La réflexion et la réfraction simples peuvent
aussi opérer la conversion de la lumière naturelle
en lumière polarisée. Mais la quantité de lumière
ainsi transformée dépend de la natur'e de la sur-
lace réfléchissante et de l'inclinaison du rayon lu-
mineux.
Dans le cas d'un miroir de verre noir non étamé,
on obtient le maximum d'efi'et quand le rayon in-
cident fait avec la surface un angle d'environ 35",
que l'on appelle angle do polarisation de la subs-
tance.
Des rayons lumineux qui nous arrivent, il en est
peu qui n'aient subi une réflexion ou une réfrac-
tion simple ou double. Il faut donc s'attendre à
retrouver partout des phénomènes de polarisation.
Et si l'on a été longtemps h les découvrir, c'est
que l'œil est incapable de distinguer directement
un rayon de lumière naturelle d'un rayon polarisé.
Il lui faut pour cela des instruments spéciaux.
On donne le nom de po/ariseur à tout appareil
destiné à convertir la lumière naturelle en lumière
polarisée. On appelle analyseurs les instruments
servant à reconnaître la polarisation soit partielle,
soit totale, d'un faisceau lumineux et i assignr-r le
plan de polarisation de ce faisceau. Le même ap-
pareil peut servir en général, suivant les rircons-
tancesdans lesquclleson l'emploie, ou de polariseur
ou d'analyseur. Le plus employé est le pfixme de
Nicol; le plus simple est la piyice à loxinn alinéa.
La tourmaline est une substance naturelle que
l'on trouve sous la forme de prismes à six pans
très réguliers. Taillée en lame mince, elle est bi-
réfringente et donne deux images des objets. Mais
sous une épaisseur do quelques millimètres, elle
éteint l'une des deux images et transmet seule
une grande utilité au point do vue indus-
on le trouve facilement au saccliarimètre,
cres a
triel : on _. -.
qui est fondé sur la polaiisation ci i l'aide duquel
on estime dans un sucre du commerce la quantité
ment l'autre. Alors elle peut servir indistinctement de sucre cri^tallisable qui y est contenue et qui
d'analyseur ou de polariseur, et deux tourmalines fait la valeur commerciale du produit examine,
superposées constituent un appareil complet de po- La lumière polarisée sert également au chimiste
jperposees constituent un appareil complet de po
larisation. On les dispose sur les branches d'une
pince à ressort dans des anneaux qui permettent
de les faire tourner sur elles-mêmes. Lorsque les
deux cristaux ont leurs axes parallèles, ils se lais-
sent traverser par la lumière incidente comme
tout corps transparent. Mais si l'on fait tourner
l'un de manière il croiser leur section principale,
on produit une extinction complète du faisceau
lumineux. Le rayon qui a traversé la première
tourmaline en sort polarisé dans un plan perpendi-
culaire i l'axe ; il ne peut traverser la seconde sous
la forme do rayon extraordinaire, le seul qu'elle
puisse transmettre.
Une des apparences les plus remarquables dues
à la polarisation est celle que présentent les
lames très minces de quelques cristaux, comme le
mica et le gypse. Si l'on place une de ces lames
dans la pince à tourmaline, elle y prend une très
vive coloration. Si à la pince on substitue tout
autre appareil de polarisation où l'analyseur est
un prisme biréfringent, les doux images obtenues
possèdent des couleurs complémentaires dont on
fait varier l'éclat on tournant le prisme.
pour distinguer les modifications particulières
d'un même corps, comme c'est le cas pour l'acide
tanrique ; elle est venue en aide au minéralogiste
en plus d'un cas, non seulement pour lui fournir
l'objet d'observations intéressantes, mais aussi
pour lui permettre de sonder les mystères de la
constitution de la matière. [Haraucourt.]
POLOGNE. — Histoire générale, XXXIII. — On
désigne généralement sous le nom de Pologne, bien
que l'Etat qui porta ce nom depuis 8B0 jusqu'à
ni)5 n'ait jamais possédé à la fois tout ce vaste
territoire, le pays limité : 1» au nord par la Duna
du sud (Dzwina) et la Baltique jusqu'à l'Oder;
2° à l'ouest par l'Oder, une ligne de partage entre
les eaux de la Baltique et celles de la mer du Nord,
les Carpalhes centrales et le bas Dniestr ; 3° au
sud par la mer Noire jusqu'à l'embouchure du
Dniepr; 4° à l'est par le Dniepr et une ligne de
partage entre les eaux de la mer Noire et celles de
la mer Caspienne et de la mer d'Azov. Ce pays
était habité, depuis la dernière invasion en Eu-
rope de la grande famille indo-européenne, c'est-
à-dire depuis une époque antéliistorique, par des
POLOGNE
1640
POLOGNE
peuples de la race vende, divisés en deux ra-
meaux, les Slaves, et les Lettons ou Litliuaniens ;
les invasions des Sarmates dans rantiquité, des
Huns et des Avares au v' siècle de noire ère, n'a-
vaient fait que traverser ces régions sans y lais-
ser de trace. Les Lettons occupaient le littoral de
la Baltique depuis l'eraboucliure de la Vistule jus-
qu'i celle de la Duna, et habitaient les rives boi-
sées du iXiémen et de son affluent la Wilia, dans
les trois contrées qui portent le nom de Prusse
proprement dite, de Samogitie et de Litliuanie;
les Slaves vivaient dans les plaines occidentales
et les steppes méridionaux du reste du pays, et
formaient, à l'époque où commence l'histoire po-
sitive de ces régions, deux nations de même race
et presque de même langue : les Polaniens ou
Polonais (pôle, champ, plaine) de l'ouest, riverains
de la Vistule et de l'Oder, et les Polaniens ou
Polonais de l'est, riverains du Dniestr, du Bug
et du Dniepr. C'est au milieu du ix" siècle que
chacune de ces deux nations fut constituée poli-
tiquement et acquit droit de cité dans la famille
européenne, les Bolonais de l'ouest par l'avène-
ment de la dynastie des Piasts et un siècle plus
tard par la conversion au christianisme latin sous
Miecislas I" (9(i5) ; les Polonais de l'est par l'inva-
sion des Varègues-Normands (Rouss) qui donnè-
rent au pays conquis par eux le nom de Rus (Ru-
thénie) et furent convertis au christianisme par
des missionnaires grecs. La Litliuanie ne devait
jouer un rùle historique que vers le xiii'' siècle,
et sa conversion au christianisme ne remonte
qu'à la fin du xiV, lors de sa réunion pacifique avec
la Pologne (1380).
L'histoire de la Pologne est proprement l'his-
toire de la réunion en un seul corps de nations
des trois peuples polonais, russien et litliuanien,
et de la lutte que l'élément slave et letton eut i
soutenir, pendant neuf siècles, d'une part contre le
germanisme à l'ouest, d'autre part contre les Tar-
tares et les Moscovites à l'est, les autres luttes
(contre les Turcs et les Suédois) n'étant que des
épisodes de ce grand drame, dont le dénoùment
a été, au moins provisoirement, le triomphe du
germanisme et de la Russie moscovite par les par-
tages de la Pologne (1772, 17'J3, 1795).
Les Piasts. La Pol-gw conquéi-nnle m(S kl 139).
— Nous laissons de côté les légendes fabuleuses sur
les premiers temps de l'histoire de Pologne et les
suppositions des historiens sur l'origine de la no-
blesse polonaise (szlachta,,que les uns font venir de
l'ancienne Dacie, les autres de la Scandinavie, les
autres de l'Illyrie et de la Croatie, sans que ce pro-
blème ait pu encore £lre définitivement résolu.
Le premier chef dont l'existence soit certaine,
Ziemowit, fils de Piast, s'empare du pouvoir vers
8U(I, et ses deux successeurs Leszek et Ziemomysl,
païens comme lui, ajoutent à ses domaines, com-
pris entre la VVartlia et la Vistule, le pays des
Mazoviens et des Lentcliitzaniens. Le christia-
nisme s'introduit secrètement dès 8G0; mais ce
n'est qu'en 95S qu'est fondé le premier évêché,
celui de Posen (sur la Wartha). et ce n'est qu'en
905 que Miecislas, fils de Ziemomysl, accepte avec
toute la nation le christianisme romain, à l'insti-
gation de sa femme Dombrôwka, princesse tchè-
que. Tous ces princes exerçaient sur leurs sujets
un pouvoir absolu et luttaient à l'extérieur avec
des succès divers contre l'empire germanique,
qui, après avoir subjugué les Slaves de l'Elbe,
tentait de soumettre à son joug ceux de l'Oder
et de la Vistule.
Le fils de Miecislas, Boleslas surnommé le Grand
ou le Vaillant (992-1025), est une des figures les
plus curieuses de ce moyen âge reculé. Ce con-
temporain de Hugues Capet et du roi Robert, loin
de croire à la fin du monde, semble vouloir fonder
dans le Nord un monde nouveau, un monde slave.
Il réunit ïi ses domaines la Silésie avec Breslau
(Wroclaw) , la Chrobatie avec Cracovie (Krakôw),
une partie de la Moravie et la Poméranie ; il pro-
page dans ses Etats le christianisme encore con-
testé, fonde l'archevêché de Gnesne ;iOOO) et trois
autres évêchés ; lutte contre tous ses voisins, con-
quiert la Bohême sans pouvoir la garder, bat les
Allemands, qui dans leurs chroniques l'appellent » le
Uon dévorant » (Dietmar de Merseburg), s'empare
de la Lusace, plante les poteaux-frontières de la
Pologne dans l'Elbe et la Saale; puis, assuré à
l'ouest, va faire sentir aux Russiens de Kiev le
poids de son glaive (1018), et mérite par ses ex-
ploits le titre de roi, que lui avait reconnu l'empe-
reur Othon III en l'an 1000 et qu'il prit solennelle-
ment en se couronnant lui-même en i024.
Mais l'œuvre de ce véritable fondateur de la
monarchie polonaise est compromise par le règne
de dix ans de son indolent successeur Miecislas II,
(1025-1035), qui se laisse enlever la Moravie, la
Chrobatie hongroise, la Poméranie, la Kiiovie (pays
de Kiev) et la Silésie. Après sa mort (1035) sa
femme l'Allemande Ryxa s'enfuit avec son jeune
fils Casimir I", et la plus effroyable anarchie dé-
sole le pays. Les paysans se soulèvent contre les
nobles et les prêtres, et retournent au paganisme;
le principal chef de la révolte, Maslaw, se déclara
indépendant en Mazovie : et ce n'est qu'après cinq
ans de désordre que le retour.de Casimir, qui a
étudié en France à Cluny , met fin à l'anarchie (lOiO).
Il reconquiert successivement tous les lambeaux
de la monarchie de Boleslas, y compris la Silésie
et la Mazovie; il répand l'instruction en Pologne
et y fonde des écoles où enseignent les bénédic-
tins et le clergé séculier, et il mérite le surnom
de Rénovateur. Son mariage avec une fille de Ja-
roslav, duc de Kiev, le mémo à qui le roi de
France Henri I" demanda aussi une de ses filles,
permettra à son successeur d'intervenir dans les
troubles et les divisions qui décliirent la Ruthénie.
Le fils do Casimir, Boleslas II le Hardi, appelé
tour h tour en Hongrie et en Ruthénie pour ré-
gler on arbitre les différends entre les préten-
dants, se couvre de gloire dans ces expéditions;
mais son absence trop prolongée estla cause de nou-
veaux désordres et de nouveaux soulèvements,
qu'il n'apaise à son retour qu'en excitant de vio-
lentes haines contre sa personne. Vivement
réprimandé par l'évêque de Cracovie Stanislas
Szczepanowski, plus tard canonisé, il le tue de sa
main (I079,i; et, excommunie par Grégoire VII,
alors occupé à faire partout triompher le pouvoir
spirituel sur le pouvoir temporel, il est obligé de
quitter le pays et va mourir en Hongrie.
On peut considérer sa chute comme celle du
pouvoir absolu en Pologne. Son frère Ladislas
Hermann, appelé à lui succéder, perd laRuthénie,
confie le pouvoir h un favori nommé Sieciech, qui
se fait détester des grands seigneurs, lesquels
s'affranchissent de plus en plus de l'autorité
royale. Cependant le fils de ce roi indolent, Bo-
leslas III Buu'-he-torse (1102-1139), illustre en-
core ce nom glorieusement porté par deux de ses
prédécesseurs : il repousse victorieusement en
1114 près de Breslau. l'invasion allemande provo-
quée par son frère révolté Zbigniew; il conquiert
définitivement la Poméranie, qu'il convertit au
cliristianisme, et, partout vainqueur, il meurt en
1131), mais en compromettant son œuvre par le
partage qu'il effectue entre ses fils. C'est de ce
partage, plus fatal encore que celui que firent en
France Clovis et Clotaire I", que va dater la pré-
pondérance de l'aristocratie et en même temps
l'affaiblissement de la Pologne et l'intervention de
l'étranger.
La Pologne divisée (1139 il 1305). — Les quatre
domaines créés par le partage étaient : 1° le terri-
toire de Cracovie ou Chrobatie occidentale avec la
POLOGNE
— 1G41 —
POLOGNE
Silésio, auquel était attacliën la suprématie ; 2° la
Pologne de laWartlia ou Grande-Pologne, avec la
Poméranie; 3° la Mazovie et les terre* environ-
nantes conquises en partie sur les Prussiens (Let-
tons) encore païens ; 4" la Chrobatie orientale ou
duclié de Sandomir. L'alné des fils de Boleslas,
Ladislas, duc de Cracovic, voulut dépouiller ses
frères et rétablir l'unilé du royaume ; mais il
cclioua dans son entreprise et mourut en exil
(1142) : SCS fils n'obtinrent de leurs oncles qu'une
partie de l'héritage paternel, c'est-à-dire la Silé-
sie, désormais perdue politiquement pour la Polo-
gne, mais qui a jusqu'il présent conservé la lan-
gue et les usages polonais, au moins parmi le
peuple des campagnes.
D'autres désastres frappent le pays. Pendant
que les princes rnssiens portent au delà du Dniepr
dans la Zalésie (plus tard surnommée Grande-
Russie) la langue slave et la religion grecque, los
Polonais échouent dans une expédition contre les
Prussiens païens (IICI) ; d'autre part, là F'onicra-
nic se sépare de la Pologne par la fondation d'un
duché vassal de Stettin, qui sera de plus en plus
soumis à l'influence allemande et surtout brande-
bourgeoise. Les Allemands, outre les colonies paci-
fiques dont ils peuplent les villes de la Grande-
Pologne, introduisant leurs lois et leurs usages
municipaux, envoient des colons armés (Cheva-
liers porte-glaive) convertir et conquérir laLivonie.
En vain, en I iH, le dernier des fils de Boleslas III,
Casimir le Juste, réunit sous son sceptre toutes
les parties du royaume paternel à l'exception de
la Grande-Pologne ; en vain il clierche à établir
l'unité dans la législation par le synode de Len-
czyca (11x0); ni l'institution d'un sénat, ni les
efl;orts de Miecislas III dit le Vieux pour réprimer
l'aristocratie, no peuvent empêcher l'affaiblisse-
ment progressif et le désordre croissant. La Polo-
gne est divisée en six parties entièrement indé-
pendantes les unes des autres : la Poméranie, la
Silésie, la Grande-Pologne, la Kiiavie, la Mazovie
et la Petite-Pologne. Un morcellement semblable
a d'ailleurs eu lieu simultanément dans la Ruthé-
nie après la mort de Jaroslav : on y compte autant
de princes indépendants que de villes ; Kiev
comme Cracovie a perdu sa suprématie. Leszek le
Blanc, duc de Cracovie, essaye cependant de pro-
fiter de l'anarchie russienne et occupe Przemysl,
mais ses successeurs ne gardèrent pas longtemps
cette conquête.
Alors, coup sur coup, deux fléaux s'abattent sur
la Pologne. Le premier, plus funeste par la suite,
semble d'abord un bienfait : c'est l'introduction
par Conrad de Mazovie (122.5-1228) des chevaliers
ïeutoniques, revenus de la Terre-Sainlo, qu'il
charge de convertir par les armes les Prussiens
de la Baltique, et qui vont être l'avant-garde de
la conquête allemande en Pologne; c'est le germe
des partages que vient de semer ce prince impru-
dent. L'autre fléau, plus violent, c'est l'invasion
des Tartares (UiO) : le flot venu d'Asie inonde
les steppes de Zalésie, toute la Rutlionio, toute
la Petite-Pologne, et va s'abattre en Silésie contre
la poitrine des chevaUers de Henri le Barbu à Lieg-
nitz (1240) et dans les plaines de la Hongrie.
La Pologne, qui n'a point pris part aux croisades
asiatiques, maugure ainsi sa croisade européenne
contre les Tartares d'abord, et ensuite contre les
Turcs. En effet, la horde établie entre la mer
d'Azov et la Caspienne va sans cesse renouveler
ses invasions et sera toujours arrêtée par la Po-
logne, qui en préservera l'Europe. Jlais, dominant
sur tous les princes russiens au delà du Dniepr,
la horde tartare va modifier le caractère de la
nationalité russienne et en déplacer le centre.
Moscou succédant à Kiev, c'est l'élément finnois
et mongol substitué à l'élément slave dans l'hé-
gémonie russienne ; et quand les Tartares propre-
ment dits auront été vaincus par les tzars de
Moscou, ce sont en quelque sorte leurs succes-
seurs légitimes qui les remplaceront et continue-
ront leur œuvre avec plus de succès.
Le duc de Cracovie, sous le règne duquel s'ac-
complirent ces grands événements, Boleslas V,
prince vertueux, mais incapable, voit aussi grandir
à ses côtés deux puissances nouvelles : la Lithuanie,
et la principauté de llalicz et bientôt de L\v6\v
iLemberg). Kn Lithuanie, c'est le grand-duc païen
Mendog, qui, obligé de lutter contre les chevaliers
Teutoniques, maîtres de la Prusse et menaçant
déjà la Lithuanie, accepte un instant le christia-
nisme et la couronne ; à Halicz, Daniel, prince
russien, fait de même, et, pour devenir roi, renonce
à la religion grecque ; mais, déçus l'un et l'autre
dans leurs espérances d'indépendance, ils rejet-
tent tous les doux la religion romaine, et les suc-
cesseurs de Mendog, tout en continuant la lutte
contre les Teutoniques, vont bientôt conquérir les
possessions russiennes des successeurs de Daniel
et de son fils Lew (Lion oti Léon).
Eu Pologne, cependant, les successeurs de Bo-
leslas V retrouvent quelque énergie : Leszek le
Noii- (1282) repousse les Lithuaniens, qui, ré-
veillés par l'invasion teutonique, font sentir leur
force à tous leurs voisins; Przemyslas (129.5) re-
prend le titre de roi, abandonné par ses prédéces-
seurs depuis 1130, et se fait couronner.
En revanche, la Petite-Pologne passe sous la domi-
nation des Tchèques, dont le roi Venceslas, devenu
également maître de la Grande-Pologne, prend la
couronne de Boleslas le Grand et fait de la Pologne
une province de la Bohême et un fief de l'empire
allemand (i:îOO).
La Poloipie renaissante (1305 à 1386). — Mais
alors que tout semblait perdu, le désordre touchait,
à sa fin. Chassé du trône de ses pères par Ven-
ceslas de Bohême, le prince piast Ladislas le Bref
(Lokietek) ne perd point courage ; il se rend à
Rome, assiste au fameux jubilé de I3li0 institué
par Boniface VIII, fait reconnaître par le pape ses
droits à la couronne, et, fort de cette investiture
morale, revient conquérir le trône laissé vide par
la mort de Venceslas (1305). Comme autrefois Ca-
simir I"' le Rénovateur, il reprend successivement
toutes ses provinces, à l'exception de la Silésie,
qui se donne aux Tchèques, et de la Mazovie tou-
jours rebelle. Enfin en 1319, le 20 juin, il mettait
la couronne sur sa tête, et la Pologne était sauvée.
Restait à punir les chevaliers Teutoniques, qui
avaient prêté leur appui aux rebelles. Ladislas
comprit que, pour écraser cet ennemi, l'allié na-
turel de la Pologne était la Lithuanie, et il fit
alliance avec l'un des successeurs de Mendog, le
grand-duc Giedymin, dont son fils Casimir épousa
la fille Aldona. Et tandis que Giedymin étendait
du côté de la Ruthénie la puissance toujours
croissante de la Lithuanie, Ladislas le Bref, après
avoir tenu à Chenciny, vingt-neuf atis après Phi-
lippe le Bol en Erance, la preiuière diète nationale,
les premiers états généraux (1:131), s'en allait, âgé
de soixante-dix ans, écraser à Plowce les Teuto-
niques, conduits par un traître, et leur tuait
20 000 hommes. Son œuvre était achevée, et il
laissait en mourant (1333) à son fils Casimir un
royaume uni et fort, qu'il s'agissait d'enrichir et
de rendre florissant.
Ce fut l'œuvre à laquelle se consacra Casimir
surnommé le Grand (1333-1310). Il sut sacrifier
beaucoup au besoin le plus urgent, à savoir le
maintien de la paix. Le successeur de Venceslas,
Jean de Bohême, celui qui devait mourir aveugle
en combattant bravement à Crécy (1346), conser-
vait le titre do roi de Pologne; il y renonça à
condition que Casimir lui céderait la Silésie, qili
depuis longtemps avait en fait cessé d'appartenir
aux rois de Pologne. Les Teutoniques détenaient
POLOGNE
— 1642 —
POLOGNE
la terre de Dobrzyn et la Kiiavie, ils les rendirent , celle des autres nations civilisées. Nous avons
à Casimir en échange de la Poméranie, dont la vu que les écoles monastiques et ecclésiastiques
possession était aussi purement nominale. Casimir
réunit d'ailleurs à la couronne la terre de Wielun
et la Mazovie, et, après la mort de Boleslas de
Halicz, il réunit aussi la partie de la Rutliénic
appelée la Russie Rouge, non sans résistance de la
part des Roumains de Valacliie et du grand-duc
litlmanien Olgiord, successeur de Giedymin, qui
continuait les conquêtes do son père en Moscovie,
et battait les Tartares et les Teutoniques avec
l'aide de son frère Kiejstut. et plus tard de son lils
Jagellon et do son neveu Vitold.
La richesse de la Pologne, sous Casimir, estdéji
considérable. On cite comme exemple les fêtes
données à Cracovie par le bourgeois Wierzynek,
lors du mariage delà petite-fille du roi de Pologne
avec l'empereur Charles IV de Luxembnurg, fils
de Jean, et les cadeaux princiers que Wierzynek
fit aux souverains ses hôtes. C'est de ce r^gne aussi
que date la fondation de l'Université de Cracovie
{13C4). De plus, continuant les traditions pater-
nelles, Casimir convoqua souvent des assemblées
provinciales et des congrès et diètes, dont la plus
célèbre est celle de WJslica (ISi"!), où il publia
le fameux statut de ce nom, qui codifiait toutes les
lois antérieures. Enfin, par la protection qu'il
accorda aux faibles, notamment aux villageois, il
mérita le nom glorieux de Roi des paysans. Disons
en passant que les paysans, bien que privés de
droits politiques, n'étaient pas serfs en Pologne,
et que les nobles, seuls citoyens, étaient égaux
entre eux : la féodalité allemande n'avait point
franchi la Vistule. Il fut aussi le protecteur des
juifs, persécutés alors dans toute l'Europe. Il ne
manqua au bonheur de Casimir le Grand et i celui
de ses sujets qu'un fils qui pût succéder i ce
grand roi. Avec lui s'éteint la dynastie des Piasts,
qui avait régné sur la Pologne de SUO à 1370, c'est-
à-dire un peu plus de 500 ans.
l'asimir avait fait agréer des nobles, comme de-
vant lui succéder, un descendant du frère de
saint Louis, le roi de Hongrie Louis d'.\njou, fils
de sa sœur, qui renonça, en faveur de la Pologne,
à ses prétentions sur la Russie Rouge (Halicz et
Lemberg). Devenu roi, bien que par l'acte solen-
nel de Koszyce il eût renouvelé ses engagements,
il se garda bien de les tenir, et par son mauvais
gouvernement se rendit très impopulaire en Po-
logne. Cela n'empêcha pas la noblesse polonaise
de repousser tous les autres compétiteurs qui se
présentèrent h sa mort (l^S'.'!, etd'appcb'r au trône
sa fille cadette Hcdwige d'Anjou, qui bientôt (1386)
accepta pour époux, de la main de la nation, et
malgré ses répugnances, le grand-duc de Lithuanio
Jagellon, réunissant ainsi à son royaume et con-
quérant à la foi chrétienne et i la civilisation
toute une nation pleine de vitalité et déji puis-
sante, dont les destinées seront désormais insé-
parables de celles de la Pologne.
On voit qu'à la fin de cette période, la Pologne
avait rempli sa mission historique : sauf quelques
exceptions, toutes les provinces comprises dans
ses frontières naturelles étaient réunies sous un
même sceptre, la plupart volontairement ; le ger-
manisme, représenté par l'ordre Teutonique et la
maison de Luxembourg, était tenu en respect à
l'ouest, et l'élément tartarc et moscovite était
refoulé par les grands-ducs lithuaniens, qui avaient
enlevé à la fois aux Tartares de Pérécop et aux
tzars de Moscou la domination sur les Slaves
Tussiens. La Pologne n'avait pas non plus entiè-
rement délaissé, dans le tumulte des armes, toute
culture intellectuelle. Si la langue nationale avait
été négligée, comme dans presque tous les pays
de l'Europe il cette époque, la littérature latino-
polonaise du moyen âge présente une suite de
chroni(|ueurs aussi Ionique et aussi brillante que
y tlorissaient dès l'an mil, et enfin le règne de
Casimir l'avait dotée d'une université qui, illustrée
d'abord par le créateur de l'optique, Vilellin (en
polonais Erasme Ciolek], devait cent ans plus tard
donner à la science l'immortel Kopentik.
Les Jaijel/ons. La Pologne florissante (1386-I5T2).
— A la mort de Casimir le Grand, l'éligibilité des
rois avait succédé en principe i l'hérédité. Mais,
heureusement pour la Pologne, en fait la cou-
ronne resta héréditaire dans la famille qui était
montée sur le trône à la suite du mariage d'Hed-
wige d'Anjou et de Jagellon ; et ainsi furiMit retar-
dés de deux siècles les malheurs que l'éligibilité
des rois devait attirer sur la nation ; ainsi fut as-
surée à la Pologne une ère de prospérité et de
gloire sous cette nouvelle dynastie.
Le premier soin de Jagellon fut de recevoir le
baptême ; devenu ainsi Ladislas II, il baptisa son
peuple, et, renonçant au pouvoir absolu des grands-
ducs ses prédécesseurs, donna aux boiards lithua-
niens et ruthènes de ses Etats, convertis à la reli-
gion romaine, des privilèges analogues îi ceux de
la noblesse polonaise. Il fonda l'évôché de 'Vilna
en 1387. Hedvvige sa femme reconquit elle-même
la Russie Rouge sur les Hongrois, que Louis y
avait installés, et poussa son mari à renouveler et
à compléter l'université de Cracovie, qu'elle dota
richement (UOn). Hedwige mourut en 1399, trop
vite pour la Pologne, qui a pieusement conservé
sa mémoire. Jagellon continua seul l'œuvre com-
mencée. Confiant le gouvernement delà Lithuanio
i son frère Skirgiello, puis :\ son cousin Vitold,
il porta tous ses efforts contre l'ordre Teutonique,
excité contre la Pologne et soutenu en dessous par
l'empereur Sigismond de Luxembourg, candidat
évince en 1383 au trône de Pologne. Alors (1410)
eut lieu la mémorable bataille de Grunwald, ou
Jagellon et son frère Vitold taillèrent en pièces
les Teutoniques, désormais réduits à l'impuissance
et qui, par le traité du lac Mielno (U'2'J), renon-
cèrent h. leurs prétention^ sur la Samogitie. Pour
régler les rapports de la Lithuanie et de la Po-
logne, Jagellon convoqua l'assemblée de Horodlo
(l-il3), où il confirma les privilèges donnés à la
noblesse lithuanienne, qui adopta les armoiries
des familles nobles polonaises. Malheureusement
le sort des paysans lithuaniens resta aussi misé-
rable que par le passe, et celui des paysans polo-
nais empira peu à peu à partir de cette épo-
que. Cette liberté de la noblesse lithuanienne
ne fut pas une réalité, tant que Vitold vécut.
Jaloux de son cousin, rêvant de se rendre indé-
pendant, fier des victoires qu'il avait remportées
sur les Tartares et les Moscovites, il exerça en
Lithuanie un despotisme de fer, et se laissa séduire
par les propositions de l'empereur Sigismond, qui
lui offrait la couronne de Lithuanie. Mais ces in-
trigues furent découvertes, et Vitold, déçu dans
ses espérances, mourut en U30. Swidrygajlo le
remplaça comme gouverneur de la Lithuanie;
s'étant révolté à son tour, il fut destitue ; enfin
son successeur ne sut pas calmer les mécon-
tents et eut h lutter contre une guerre civile,
dont Jagellou ne vit pas la fin, car il .mourut en
143i.
Son fils Ladislas Hl hérita de sa couronne, grâce
aux efforts de l'évêquo de Cracovie. Zbigniew Oles-
nicki, 'l'homme d'Etat le plus habile de la Polo-
gne il cette époque et ami dévoué du dernier roi.
Le frère cadet de Ladislas III, Casimir, devint
crouverneur do Lithuanie. C'est sous ce règne
ÎUZ9) qu'eut lieu au concile de Florence la fa-
meuse union de l'Eglise grecque et (le 1 Eglise
latine. On se rappelle que la Ruthénie avait été
convertie au christianisme par des missionnaires
du rite grec ; depuis l'union de la Lithuanie avec
POLOGNE
— 1C43
POLOGNE
la PolopiiB, il importait d'établir l'unité religieuse :
on laissa au clergé grec-uni le mariage et certains
rites, à condition qu'il reconnût la suprématie du
pape. Alors la noblesse de religion grecque fut
admise aux mêmes privilèges que la noblesse po-
lonaise et lithuanienne du rite latin. Le prestige
des Jagellons était alors si grand dans l'est de
l'Europe, que les Hongrois offrirent la couronne
au jeune roi de Pologne, espérant trouver en lui
un chef capable do résister aux Turcs qui. dès le
milieu du siècle précédent, avaient pénétré en
Europe, et qui , entourant déjà de leurs con-
quêtes Conslaniinople aux abois, vainqueurs de
Jean sans deur et dos chevaliers français h Nico-
polis (I39C), Poussaient leurs incursions jusqu'au
coeur de la Hongrie. Ce fut le premier acte de la
longue lutte des Polonais contre les Turcs : il
eut un fâcheux dénoùuient. Ladislas III fut tué
en l'i'H :\ la bataille de Varna, et neuf ans plus
tard, malgré les efforts d'Hunyade et de. Matliias
Corvin, Constantinople tombait au pouvoir des
Turcs (lii3).
Le frère de Ladislas, Casimir Jagellon (1454-
1492), qui lui succéda, fut un politique comme
Louis XI, son contemporain. Le double but qu'il
poursuivit fut d'abord d'apaiser, par une sage
temporisation, les différends prêts à éclater entre
la Pologne et la Lilhuanie au sujet des provinces
russiennes de Volhynie, de Podolie et d'Ukraine,
et ensuite de profiter de l'affaiblissement de l'ordre
Teutonique, et du mécontentement des habitants
de la Prusse occidentale soumis h sa domination,
pour reprendre celte province et la réunir à la
Pologne (1 154) ; cette réunion devint définitive par
le traité de Thorn avec l'ordre (lltJO). Pendant
que la Pologne s'affermissait au dedans et l'em-
portait sur les Allemands au nord-ouest, la puis-
sance lithuanienne s'affaiblissait à l'orient. Novgo-
rod la Grande et Novgorod-Sievierski se séparaient
délie (14TJ-1490), et les tzars de Moscou, vain-
queurs des Tartares du Don (1411), jetaient les
fondements de leur future grandeur, pendant que
les Turcs, maîtres de la mer Noire, s'emparaient
de la Crimée et soumettaient les Tartares de
Pérékop. C'est sous ce règne, c'est-à-dire en
même temps qu'en France, que les premières
imprimeries font leurapparitlon en Pologne (1465 à
Cracovie).
Des cinq fils de Casimir Jagellon, l'un, Ladislas,
fut élu roi de Bohême (l4"l), et, plus tard, roi de
Hongrie (1490), et trois autres lui succédèrent tour
à tour en Pologne: ce sont Jean-Albert( 1492-l.iUl),
vainqueur au nord dans une expédition contre
Pskow, vaincu au sud par les Valaques en Bukovine;
Alexandre (1601-1;,06), sous le règne duquel les
lois polonaises furent de nouveau réunies et pu-
bliées, après l'assemblée de Radnm, par le chan-
celier Jean Laski ; et enfin Sigismond le' dit /e
Vieux (1506-1548', contemporain de François I"
et de Charles-Quint, et dont le règne fut un des
plus glorieux de l'histoire de Pologne.
Sigismond sut d'abord réprimer la révolte de
l'ambitieux Glins'ki, qui, voulant relever à son
profit l'antique puissance russienne, amena les
Moscovites dans le pays et leur facilita la prise de
Smolensk. Cette première lutte de la Pologne con-
ti'e les tzars fut illustrée par la victoire du prince
Constantin Ostrogski à Orsza (I514\un an avant
Marignan ; toutefois Smolensk resta au tzar. L'em-
pereur Maximilien, appliquant la politique matri-
moniale autrichienne, obtint de Sigismond son
consentement au mariage de son neveu Louis Ja-
gellon, fils de Ladislas, roi de Bohème et de Hon-
grie, avec Marie, petite-fille de l'empereur, et à
celui d Anna, sœur de Louis, avec Ferdinand, le
frère cadet de Charles-Quint, afin que l'Autriche
put hériter un jour de ces deux royaumes; ce qui
arriva en efl'et. Cependant Maximilien meurt et
l'avènement do Charles-Quint coïncide avec la ré-
forme do Luther. La fiéforme pénétra de bonne
heure en Pologne, mais sans y exciter d'autres
guerres qu'une guerre de plume, d'autre persécu-
tion que la répression de quelques troubles sans
importance : le plus grave événement auquel elle
donna lieu fut la sécularisation de l'ordre Teuto-
nique, et l'investiture du duché de Prusse accor-
dée au dernier grand-maître Albert, de Brande-
bourg, devenu le vassal du roi de Pologne pour la
Prusse orientale (1525). Il eût mieux valu pour la
Pologne que Sigismond, profitant des circonstan-
ces, réunît simplement à ses Etats la Prusse orien-
tale comme la Prusse occidentale, et la tolérance
religieuse fut ici en contradiction avec la politique
d'intérêt : nous verrons bientôt les Brandebour-
geois, devenus ducs de Prusse par héritage, refuser
d'abord l'hommage et ensuite se transformer de
ducs en rois, de vassaux en ennemis, puis en maî-
tres.
Parmi les autres événements de ce règne, nous
citerons encore la réunion définitive de la Mazo-
vie par l'extinction de ses ducs (15'2t'i), les nou-
veaux essais de codification des lois polonaises, la
publication du premier statut lirhuanien (1529), la
victoire d'Oberiyn, remportée par l'hetman (con-
nétable) Jean Tarnowski sur les Valaques enva-
hisseurs ; puis la très politique alliance de Sigis-
mond avec le sultan Soliman, également allié d&
François 1?' ; enfin les intrigues de la reine, l'Ita-
lienne Bona Sforza, qui furent en partie cause de
la ridicule révolte de la noblesse convoquée à
Lemberg. connue sous le nom àe guerre des poules
(1537). C'est aussi sons ce règne que parut l'ou-
vrage du Polonais Koperiiik, De revoluttonitnis or-
biuiii cœlesliutn (1513), qui devait renouveler la
science de l'univers.
Avant de mourir, Sigismond I" avait fait nom-
mer grand-duc de Lithuanie, puis roi de Pologne,
son fils Sigismond II, plus connu sous le nom de
Sigismond-Auguste (1548-1572). Le nouveau règne
commença par une tragédie de famille. Du vivant
de son père, Sigismond-Auguste avait épousé Barbe
Radziwill. veuve du palatin de Troki, Gasztold : la
noblesse protesta contre ce qu'elle appelait une
mésalliance ; le roi resta ^ourd à ces protestations,
mais sa mère Bona Ht, dit-on, empoisonajer la
jeune reine, qui mourut quelques mois après son
couronnement. D'autres difficultés naquirent de
la question religieuse ; les évêques d'une part, la
noblesse de l'autre, s'etTorçaient, les uns, d'en--
traînerleroi à extirper l'hérésie, les autres do lui
faire proclamer, à l'exemple de Henri VlU, une
Eglise nationale dont il eiit étôleclicf. Le roi ré-
sista à ces deux pressions en sens contraire; et,
sans rompre le lien qui l'unissait i Rome, il con-
tinua la tradition de tolérance inaugurée par son-
père : aussi, tandis que les guerres de religion
mettaient l'Europe en feu, en Angleterre, en
France, en Hollande, en Allemagne, la Pologne
devenait l'asile de tous les persécutés, calvinistes,
luthériens, sociniens, etc. ; et leurs controverse*
religieuses ne contribuaient pas peu h. développer
le mouvement intellectuel et à donner l'essor i
une littérature nationale.
Cependant la guerre allait recommencer avec la
Moscovie, à l'occasion de la Livonie, qui venait de se
soumettre à la Pologne et de recevoir pour duc l'ex-
grand maître des clievaliers Porte-glaive, Gottard
Ketler, devenu le vassal de Sigismond-Auguste. Le
tzar, irrité des progrès de la Pologne, s'empare
de Polock et envahit la Livonie. Le roi, pour re-
pousser cette invasion, fait appel à la noblesse li-
thuanienne et lui octroie do nouveaux privilèges
politiques, entre autres l'élection de députés
aux diètes. La diète de Piotrkow (I.SC2) réprima
les abus, organisa les finances, fortifia l'armée,
malheureusement encore insuffisante, et favorisa
POLOGNE
1644 —
POLOGNE
le commerce qui, laissé aux mains des Allemands
et des Juifs, ne fut jamais assez florissant en Polo-
gne. Le statut lithuanien fut aussi refondu et pu-
blié en 15G4. Enfin Sigismond, voulant consommer
définitivement l'union de la Litliuanie et de la Po-
logne, renonça volontairement à ses droits héré-
ditaires sur le grand-duché et put ainsi faire si-
gner la mémorable Union de iuhlin (I5C9), qui est
un des rares exemples qu'offre l'histoire de la réu-
nion volontaire de deux peuples sur les bases de
la liberté et de l'égalité : liheri cum liberis, iequa-
les cum s:(]i/aliùus. A la même diète de Lublin, le
duc de Prusse, Albert II, prêta l'hommage au roi
pour son duché. Jamais la Pologne n'avait été si
prospère et si puissante. Mais Sigismond-Auguste
mourait en 157"2 sans enfants, et avec l'extinction
des Jagellons allait commencer la période des rois
■électifs et bientôt la décadence.
Les premiers rois électifs. Grandeur et dccn-
dence (1576 à IC?8). — Au moment où va s'établir
en France, au sortir des guerres de religion, la
monarchie absolue des Bourbons, le pouvoir royal
en Pologne perd toute force et tout prestige, et
la constitution polonaise, poussant à l'excès toutes
les garanties de liberté conquises par la noblesse,
va laisser la nation sans défense contre les atta-
ques de voisins de plus en plus puissants. L'in-
terrègne de 1d"2-1573 va décider de l'avenir de la
Pologne. La noblesse se forme en confédération
générale, sorte de ligue universelle de tous les ci-
toyens, salutaire alors, mais qui dans l'avenir ser-
vira de modèle et do précédent à d'autres confédé
jorité proclamèrent reine la sœur de Sigismond-
Auguste, Anne Jagellon, en lui donnant pour époux
Etienne Batory, converti au catholicisme et devenu
ainsi roi de Pologne.
Etienne Batory (157.i-1586), pour mieux combat-
tre les Tartares et les Turcs, fit aux Allemands des
concessions dont il ne soupçonnait pas les consé-
quences ; il vendit aux margraves d'.Anspach, de la
maison de Brandebourg, le droit de succession au
duclié de Prusse. C'est la seule faute qu'on puisse
lui reprocher. Contre les Tartares il organisa la
milice des Cosaques Zaporogues. composée d'aven-
turiers russiens et polonais établis dans les îles
du Dniepr, en leur octroyant le droit d'élire leurs
hetmans ^généraux). Puis, de concert avec Jean
Zamojski devenu chancelier, il exerça l'armée
formée de la noblesse, et la conduisit à la lutte
contre les Moscovites. Le izar Ivan IV le Cruel
avait pris toute la Livonie ; Batory et Zamojski
lui enlèvent Polock en 1579, puis nombre d'autres
villes, et en 1581 mettent le siège devant Pskow.
Ivan, réduit h. l'extrémité, a recours à la ruse pour
obtenir la paix. 11 feint de vouloir unir l'Eglise
grecque à l'Eglise catholique, et le jésuite Posse-
vin, trompé par ses promesses, décide Batory à liti
accorder la paix de Kiwerowa Horka(1582). Polock
est rendu à la Pologne, Ivan abandonne la Livonie
qui devient entièrement polonaise. Mais l'occasion
perdue d'écraser la puissance moscovite ne se re-
trouvera plus, et Ivan est justement le tzar mosco-
vite qui prend le titre d'empereur, et, adoptant pour
moirie l'aigle à deux têtes, se donne pour le suc-
vira ae moueie ei ue piucuuBiu a u auiic.i •,«"/«<..>-»■"•""•■-■ ---D ■ „ ,„t,„,;nnr^io T o
ra<,o«.. partielles et ennemies, la plup-irt du temps Icesseur des empereurs de Constantinople. Le
aussi funestes que le fut la ligue catholique en ' tzarat de Moscovie a fait le Vr^ff-JV^^H^^^ ^»
France au seizième siècle. Sur l'avis de Jean Za- i transformation en empire de ioutcs l'^^ ^^"^5163.
mojski, le véritable promoteur de tout ce mouve- 1 _ A l'ipten-r, Batory n^nde 1 univer .^^^^ V.lna
ment quasi-républicain, l'Etat polonais prend le en 1579 et un très grand "«"î^re d écoles que,
nom de République de Pologne, dans I.. sens anti- dans sa fervetir de néophyte, >'«?■;««„■?!'" ?"f"-
que du mot respublica ; tous les nobles ont droit sèment à l'ordre des jésuites , d ad eurs aide de
i- son successeur ae son v.vani, ne peut ni | table et staroste de Cracovie il ff.' Plj^''jl^«^'''"f
er, ni divorcer sans le consentement du ' lui l'aristocratie rebelle; et '\ tête de Samuel
' . _._ _ „,■ : _•- i„ j.„:. zborowski, lassassin de Wapowski, tombe sons la
hache du bourreau. Etienne Batory avait d autres
de prendre part à l'élection du roi : le roi ne peut
désigner son successeur de son vivant, ne peut ni
se marier, ni divorcer sans le consentement du
sénat, doit conserver la paix religieuse, n'a le droit
ni de déclarer la guerre, ni d'envoyer des ambas- . yi<-„,;„„ a„^ „„;,
sadeurs aux puissances étrangères sans le consen- projets ; il voulait supprimer 1 eleç'on des rois,
tement des Etats; il est assisté d'un conseil com- , rétablir l'ordre eji réduisant les grands 1 obéis
posé de sénateurs et de députés ; il doit convoquer ' sance, et d'abord écraser définitivement la Mos
une diète tous les deux ans; et, s'il viole les lois covie, lorsque la mort vint '«"' ^."^""P <\^*:';' '"
et les privilèges des citoyens, la nation est relevée ; terrompre tous ses projets: ""'^^f "'^?,f' ^„7,^°^^.
de son serment de fidélité et d'obéissance. De plus entre Batory et Henri IV, auquel »» ' ^f "^^f.J
tout roi élu accepte et jure de remplir certaines comparé, et qui, grand Ç?P''^'"«=°f ™,f '"'• fuY''
conditions spéciales appelées pacla couventa. ! comme lui trouver bientôt que c> le trône vaut bien
Le premier roi élu daprès la nouvelle charte 'une messe. » . ■ •. i, ^^„,^„nro Pas
fut un prince français, le dernier représentant de La mort de Batory précipite la acÇatlonce Pas
la race des Valois, le triste Henri III. L'ambassa- de Richelieu sous le règne suivant, pour reprendre
deur français, de Montluc, jura qu'Henri n'avait ' son œuvre. Les deux principaux conçu. ren s au
pris aucune part à la Saint-Barthélémy, promit , trùne étaient Maximilien appuyé par ^ Par'i des
qu'il tiendrait la balance égale entre catholiques et Zborowski, et Sigismond ^^asa, hls de Jean, roi de
protestants, et Henri de Valois fut nommé, Tem- I Suède, et neveu de.S.g.smond-Augus e appuyô
portant sur l'archiduc Ernest et Jean Wasa, roi de par Zamojski. Ce dernier I emporta, et JlaumiUen,
battu et fait prisonnier i Byczyna (I388), QUt
renoncera ses prétentions. Le règne de Sigis-
mond III Wasa (1587-16y2) vit éclater à la fois
toutes les causes de la ruine prochaine de la Po-
logne En 1591, la mort de son père Jean lui donne
dant les fêtes du couronnement par le grand sei- la^couronne de Suède ; mais, ,"<=,P0"\^"' f ^^.fg
gneur Samuel Zborowski, condamné seulement au , à Stockholm il confie la rogni ce à son onc^
bannissement. Bientôt Henri apprend la mort de , Charles, qui bientôt lo99) le détrône «' ^e ta'
son frère Charles IX. et s'enfuit en toute hâte pour proclamer roi de Suéde a sa P'^Ç« sous le nom de
portant
Suède, beau-frère de Sigismond-.Auguste. Des am
bassadeurs vinrent à Paris lui ofïrir la couronne.
Henri arrive h Cracovie; son règne d'un an ne pré-
sente qu'un seul événement digneîd'ètre mentionné,
le meurtre du castellan Wapowski, assassiné pcn
revenir en France. Ce premier essai de roi étran
- Charles IX : de là,, en liiOO, guerre en Livonie entre
l'oncle et le neveu; l'hetinan Chodkiewicz rem-
ger et élu n'était pas heureux. 1 ' um-io cl .0 ..»■„-, . — ;•■—.-. ;i,Vtir<-hhnIm
Le second le fut davantage. Henri n'ayant pas porte, il est vrai, '^ brillante victoire de k.rchb^^^^^
■ - ■ ,n pro- sur les Suédois (IGOo), mais .es discordes Çivues
céda à une nouvelle élection {)575). Les candidats et d'autres guerres étrangères empechmnla Fo-
tenu sa promesse de reveniî en Pologne, on pro- ' sur les Suédois (IGOo), mais .es discordes çiv^es
■ - ■ ■ . Les candidats et d'autres guerres étrangères empêchent la PO
étaient Maximilien d'Autriche, Jean Wasa, roi de ' logne de Profiter de ce succès. La noblesse, me-
Suède, et le palatin de Transylvanie, Etienne Ba- contente du roi, à cause de son a"a"ce avec
tory. L'archevêque primat de Gnesne et son parti maison de Habsbourg et de son pariage avec une
nommèrent Maximilien ; mais Zamojski et la ma- , princesse autrichienne, se desinteiessait Qe
POLOGNE
— 1645
POLOGNE
guerre de Suède et des affaires publiques, et la
mort de Zaniojski priva le roi de son plus ferme
appui (1G05). Aussi, dès 10(17, une partie de, la no-
blesse proclame l'insurrection contre le roi, puis
l'interrègne, et c'est Ji grand peine que Sigismond,
appuyé par la diète do Varsovie, parvient S vaincre
les révoltés, auxquels il se pressa trop d'accorder
l'amnistie (IG08). Les diètes se tenaient mainte-
nant i Varsovie (capitale de la Mazovie), point plus
central que Cracovie, et que pour cette raison
Sigismond choisit comme capitale du royaume. Le
mécontentement contre le roi ne faisait qu'aug-
mcnlor, h cause de sa politique autrichienne et de
sa docilité pour les jésuites, dont rinfluenco deve-
nait prépondérante.
Une nouvelle guerre avec la Moscovie apporta
avec de nouvelles victoires de nouveaux embarras.
Une partie de la noblesse polonaise, à la tète de
laquelle étaient les Mniszech et les Wisniowiecki,
avait en ItOi rétabli sur le trône de Moscou un
des Dmitri connus sous le nom de fauxDémétrius;
Vasili Chouiski l'ayant fait périr en 1600, Sigis-
mond crut le moment propice pour attaquer la
Moscovie; il assiégea Smolensk; l'hetman Zol-
kiewski, vainqueur de Chouiski à Kluzyn (IClOl,
marche sur Moscou et fait élire tzar de Moscou le
fils de Sigismond, Ladislas. Mais le roi, au lieu de
profiter de ces succès, laisse aux Moscovites le
temps do chasser son fils, et, satisfait d'avoir pris
Smolensk (lOl'i), revient triomphera Varsovie. -La
guerre avec les Moscovites recommence en 10 10
et se termine en 1019 par une paix qui laisse à la
Pologne Smolensk et Novgorod-Sievierski, alors
que Sigismond III eût pu facilement anéantir i
jamais la puissance moscovite.
La guerre contre les Turcs ne fut pas plus heu-
reuse. Les efforts de l'hetman Zolkiewski pour
conserver la Moldavie, depuis 150 ans vassale de
la Pologne, furent impuissants, et, après avoir
cédé la Moldavie à la 'Turquie en 1019, ce grand
homme de guerre succomba à Cecora en 1020,
quand il recommença la guerre contre les Turcs.
Ses forces étaient trop peu considérables, et, au
lieu de lui envoyer du renfort, Sigismond préférait
lever des troupes pour défendre son allié l'empe-
reur d'Allemagne.
En effet, la guerre de Trente ans (lR18-16iS)
venait d'éclater en Bohême, et le roi de Pologne,
loin de suivre la tradition des Jagellons, qui avaient
au xv siècle protégé les Hussites et soutenu le
parti national tchèque contre les Allemands, faisait
cause commune avec Ferdinand II et lui envoyait
la cavalerie polonaise des Lisowczyki. Cependant
le fils de Charles IX, Gustave-Adolphe, avait suc-
cédé h son père sur le trône de Suède ; et les récla-
mations de Sigismond avaient amené une nouvelle
guerre do Livonie entre les deux cousins. Gustave-
Adolphe, presque partout vainqueur, ne cessa la
lutte (1629) que lorsque Richelieu le jeta sur l'Au-
triche, et que commença la période suédoise de
la guerre de Trente Ans. A tous ces malheurs
il faut encore ajouter les invasions des Tartares,
les émeutes des Cosaques, les réclamations de l'ar-
mée mal payée, les plaintes de la noblesse contre
le roi,^ l'intolérance amenant la ruine de l'indus-
trie. C est au milieu de ces désastres, qui en présa-
geaient de plus grands, que Sigismond 111 mourut
a Varsovie (1632), la même année où son cousin
Gustave-Adolphe succombait glorieusement sur le
champ de bataille de Lùlzen.
Sigismond laissait plusieurs fils : l'aine, Ladislas,
fut élu sans opposition et régna sous le nom de
Ladislas IV (I0:I2-1B48). Après une guerre avanta-
geuse contre la Moscovie, terminée par la paix de
Wiazma (10:J4) et une trêve avec la Suède (Stums-
dorf, 10.3o), Ladislas a à combattre une révolte
des Cosaques irrités contre les jésuites i|ui les con-
vertissent et les seigneurs qui les oppriment
vainqueur à Korsun, il diminue jusqu'à COCO le
nombre des Cosaques armés, et rétluit le reste à la
condition de paysans. Ses projets de guerre avec
la Turquie, ses projets de réformes intérieures et
d'agrandissement des prérogatives royales furent
interrompus par la mort comme ceux de Batory.
Ladislas IV avait épousé en secondes noces une
Française, Louise de Gonzague, sœur de la princesse
palatine Anne : et les mœurs françaises s'intro-
duisirent alors à la cour de Varsovie; les rapports
avec la France devinrent de plus en plus fré-
quents.
Pendant l'interrègne, les Cosaques se révoltent
encore : leur chef, Cogdan Chmielnicki, est vain-
queur à son tour à Korsun (1048) ; puis, vaincu k
Zwiahel par Jérémie Wisniowiecki, il prend sa
revanche à Pilawco et s'avance menaçant vers
Lwôw (Lemberg). Alors on apprend l'élection du
frère du précédent roi, Jean-Casimir Wasa, ex-
jésuite, ex-cardinal, relevé de ses vœux par lo
pape et qui épousa la veuve de son frère, Louise
de Gonzague.
La révolte des Cosaques continue de plus etj-
plus terrible : les paysans russiens de l'Ukraine
y prennent part; c'est une guerre à la fois sociale
et religieuse. Le roi, assiégé à Zborow, fait des
concessions i Chmielnicki, promet dos places au
sénat pour les Grecs non-unis, et s'engage à dé-
barrasser l'Ukraine des jésuites et des juifs. Chmiel-
nicki, battu il son tour à Beresteczko, se contente
de conditions moins avantageuses. Mais bientôt
il reprend l'offensive ; vainqueur à Batow, il force
le roi à signer à Zwaniec une convention analogue
a celle de Zborow, et, voyant que la diète ne veut
pas exécuter la convention, il se soumet (1054) au
tzar de Moscovie: la Pologne perd ainsi l'Ukraine
d'au delà du Dniepr et l'antique métropole rus-
sienne de Kiev.
La guerre contre les Moscovites commence en
même temps. Leurs troupes s'emparent de Smo-
lensk. De plus, les Suédois, poussés par un traître
exilé, envahissent la Pologne sous les ordres de
leur roi Charles X Gustave, neveu de Gustave-
Adolphe, que l'abdication de sa cousine, la reine
Christine, vient d'appeler au tiône. Charles-Gus-
tave prend Varsovie, Jean-Casimir s'enfuit en Si-
lésie. Cracovie succombii à son tour. « En même
temps, comme dit Bossuet dans l'oraison funèbre
d'Anne de Gonzague, la Pologne se voit ravagée
par le rebelle Cosaque, par le Moscovite infidèle et
plus encore par le Tartaie, qu'elle appelle à son
secours dans son désespoir. « Les Moscovites
unis aux Cosaques s'avancent vers Lemberg,
une autre armée moscovite occupe Vilna, capitale
de la Lithuanie. Cette province se soumet en
partie aux Suédois. Le duc de Prusse, électeur de
Brandebourg, Frédéric-Guillaume surnommé lo
Grand-Electeur, qui a déjà refusé l'hommage à
Jean-Casimir, fait alliance contre la Pologne avec
le roi de Suède. Tout semble perdu.
Mais la résistance s'organise. La noblesse de la
province de Prusse d'une part, d'autre part les
paysans polonais résistent aux Suédois. Le monas-
tère fortifié de Czenstochowa les arrête ; la confé-
dération de Tyszowce se forme sous les auspices
d'Etienne Czarniecki (1055). un des héros les plua
populaires de la Pologne. Jean-Casimir revient à
Lemberg, ramène la noblesse et le peuple par des
promesses de tolérance, et Czarniecki, libérateur
du pays, chasse les Suédois devant lui et fait ren-
trer le roi à Varsovie. L'allié de Charles-Gustave, le
Grand-Electeur, est battu à Olesko ; le prince de
Transylvanie Rakoczy, venu au partage des dé-
pouilles, est cerné et capitule. En même temps,
le roi obtient une trêve do la Moscovie, des secours
de l'empereur, fait alliance avec le Danemark, traite
avec l'électeur de Brandebourg qu'il relève du vas-
selage ; et Czarniecki poursuit les Suédois en Po-
POLOGNE
- 1646 —
POLOGNE
méranie, en Holsteiii et dans les îles danoises
(1608). Charles-Gustave meurt sur ces entrefaites,
et le traité d'Oliva (IGGO), conclu par l'entremise
de la France, ramène la paix entre la Suède et la
Pologne, moyennant de mutuelles concessions.
Mais la guerre recommence bientôt avec la Mos-
covie ; menée mollement par une armée sans solde,
elle se termine par la paix d'Andruszow (1667),
qui cède au tzar Smolensk, Novgorod-Siewierski,
ïcliernigov, l'Ukraine d'au delà du Dniepr et la
ville de Kiev. Quant aux Cosaques, les uns restè-
rent soumis à la Moscovie, les autres se soumirent i
à la Turquie.
Aux guerres étrangères s'ajoutaient des discor- 1
des intestines : les intrigues de la reine, qui tra-
vaillait à faire reconnaître comme successeur pré-
somptif de Jean-Casimir le prince de Condé, ame-
nèrent des mécontentements, et l'iielman Lubo- |
mirski ayant été injustement dépouillé de ses
biens et de ses dignités, une guerre civile éclata i
et le roi, battu à Mouiwy, fut obligé de céder. |
Fatigué de tant d'humiliations, que d'ailleurs il |
devait surtout à sa faiblesse et à son manque
d'initiative, Jean-Casimir prit le parti d'imiter [
sa cousine Christine de Suède, et il abdiqua en '
1668. î
Il laissait la Pologne dans une situation déplo- 1
rablc : une dette publique énorme, des ruines
partout, l'antique tolérance religieuse foulée aux j
pieds, le peuple opprimé, les écoles laïques aban- i
données et supplantées parles collèges des jésui-
tes, la discorde entre les grands, l'anarchie dans la
petite noblesse, qui, en 1652, a commencé à rom-
pre les diètes par l'abus de la loi d'unanimité, de ce
liherum veto en vertu duquel l'opposition d'un seul
député peut interrompre toute délibération , loi
qui, restée jusque-là purement nominale, va de- \
venir le véritable fléau de la constitution polo- :
uaise.
La littérature de cette période est aussi en dé-
cadence : si l'éloquence religieuse a eu dans Skarga '
son plus fameux représentant, si la poésie et l'his- \
toire ont été encore cultivées avec succès sous
Etienne Batory et Sigismond III, à partir de 1632
commence ce que l'on a justement appelé la pé-
riode macaronique ; le système d'instruction des
collèges de jésuites a généralisé l'emploi d'un
latin souvent douteux, qui fait invasion dans les
livres, dans la chaire et jusqu'à la tribune politi-
que. C'est à peine si l'on compte quelques bons
poètes, comme Venceslas Potocki, l'auteur de la
Guerre de Chocim, et le satirique Opalinski.
Les roU électifs indigènes (1668 à 1696}.-^ La
candidature du prince de Condé, proposée par
Jean-Casimir à l'instigation de la reine, n'avait pas
été abandonnée, et le primat Prazmowski l'appuyait
vivement, ainsi que l'hetman Jean Sobieski. Mais
la noblesse y était opposée : les rois d'origine
•étrangère lui déplaisaient, et elle porta son choix
sur un seigneur polonais, le prince Michel Wis-
niowiecki, d'une famille ruinée au service de la Ré-
publique dans les guerres des Cosaques. Le choix
n'était pas heureux. Le nouveau roi pleura en
apprenant son élection ; placé entre le parti autri-
chien et le parti français comme entre l'enclume
et le marteau, menacé par lo primat et l'hetman
Sobieski, défendu par la petite noblesse, il avait à
porter un fardeau au-dessus de ses forces. Tout à
coup, les Turcs entrent en Pologne (1672) et s'em-
parent de Kamieniec, capitale de la Podolie. Le
roi ne songe qu'à traiter, et par la paix de Bud-
czacz il cède une partie de l'Lkraine et de la Po-
dolie avec la capitale de cette province, et s'en-
gage à payer tribut. Mais Sobieski prend les armes,
et, pendant que le roi Michel meurt subitement,
l'hetman bat les Turcs à Chocim et revient pren-
dre part à l'élection. Toutes les candidatures étran-
gères sont encore écartées, et d'un commun accord
les voix se portent sur le libérateur du pays, sur
l'hetman Jean Sobieski.
Jean Sobieski (1673-1096), à peine élu, sans
attendre son couronnement, court encore battre
les Turcs en Ukraine. Après le couronnement, il
retourne sur le champ de bataille : moins heureux
cette fois, entouré à Zurawno par les Turcs et les
Tartares, il conclut un traité qui laisse Kamieniec
aux Turcs, mais leur enlève ce qu'ils avaient pris
en Ukraine et annule la condition relative au tri-
but. La victoire de Chocim avait rendu le nom de
Sobieski illustre dans toute l'Europe ; en France,
surtout, on ne parlait que du « roi polonais i> ; et
il y était d'autant plus aimé que, marié à une
Française, Marie d'Arquien, il avait toujours été à
la tète du parti français en Pologne. Mais, sa
femme ayant été humiliée par Loui-i XIV dans son
orgueil de reine et dans ses intérêts de famille,
Sobieski, toujours docile à ses inspirations, devint
l'allié de l'Autriche. Quand Vienne, assiégée par
les Turcs, allait tomber entre leurs mains (1683),
on sait comment l'arrivée subite de Sobieski et de
l'armée polonaise suffit à sauver la capitale de
l'Autriche, et comment cette victoire, qui sauva en
mémo temps la chrétienté, fut mal récompensée
par l'empereur Léopold ; il ne voulut pas devoir
de reconnaissance à un simple roi électif. N'ayant
pas retiré de son expédition, sauf la gloire, tous les
profits qu'il en espérait relativement à la conquête
do la Moldavie, le roi de Pologne revint traiter
avec la Moscovie et acheter, par la confirmation du
traité d'Andruszow, l'alliance moscovite contre la
Turquie . Aussi mauvais politique qu'excellent capi-
taine, Jean Sobieski sacrifiait ainsi les intérêts les
plus vitaux de la l',épublique : à l'intérieur, il ren-
contra beaucoup d'obstacles dans l'hostilité de la
puissante famille lithuanienne desPac; il ne réus-
sit pas non plus dans ses projets matrimoniaux
pour ses fils, et les reproches qu'il eut à essuyer
dans les diètes, dont plusieurs furent encore rom-
pues par le iiùerion veto, empoisonnèrent les der-
nières années de sa vie. 11 mourut en 16IJ6, après
avoir donné un éclal sans pareil aux armes polo-
naises, mais sans avoir rien fait pour empêcher
la ruine politique de la Pologne.
Les rois so,ro/(S (I6!)6-1763). — La diète de con-
vocation se constitua en confédération pour em-
pêcher l'effet du liberum veto, et, à la diète d'é-
lection, les fils de Sobieski ayant été écartés, il ne
■resta en présence que deux candidats : lo candi-
dat français Louis de Conti, et l'électeur de Saxe
Auguste. Les voix se partagèrent entre les deux
concurrents : mais Conti tarda trop à venir et
Auguste, arrivé le premier, calma les mécontents
et força son rival à se retirer.
Le règne d'Auguste II s'annonçait sous d'heu-
reux auspices. Il commença par obtenir de l'Au-
triche la rétrocession des mines de sel de Wie-
liczka, et de la Turquie, à la paix de Carlowitz (1699),
celle de Kamieniec et de la Podolie, exécutant
ainsi les pacla conventa. Mais il s'était engagé
aussi à reconquérir la Livonie sur la Suède; et,
sous ce prétexte, il entra dans la ligue formée
contre le nouveau roi de Suède Charles .\II par le
Danemark et le tzar Pierre i". Ce fut la cause de
nouveaux malheurs. Charles XII ayant imposé aux
Danois le traité de Travcntlial (1700) et ayant la
même année battu les Russes à Narva, attaque les
armées saxonnes qu'Auguste II a fait avancer à tra-
vers la Pologne jusqu'en Livonie. Une partie des
mécontents lithuaniens, ayant à leur tête la famille
des Sapieha, se joint aux Suédois. Charles XII;
chasse devant lui les Saxons (1701), entre à Var-;.
sovie (1702), bat Auguste à Kliszow et s'empare de
Cracovie. A Sandomir une confédération se forme
en faveur d'Auguste ; mais le primat Radziejowski
avec la noblesse de la Grande-Pologne appuie Char-
les XII et proclame l'interrègne. Le roi de Suède se
POLOGNE
1G47
POLOGNE
liàto de faire élire le palatin de Posen, Stanislas
Leszczyi'ski (1103). C'est à cette époque que l'élec-
teur de Brandebourg, Frédéric III, profitant des
guerres qui désolent le nord et l'ouest de l'Kurope
isucccssion d'Espagne), obtient de Léopold I"' le
droit de porter la couronne royale et prend le nom
<le roi (le Prusse.
Le règne de Stanislas no fut pas de longue
<lurée. Auguste II le chassa d'abord de Varsovie;
mais Auguste, repoussé lui-iiiûme, se réfugie en
Saxe, où Cliarles XII le poursuit et le force à
signer son abdication et à reconnaître son rival par
le traité d'Alt-Ranstadt (170G). Cependant la guerre
civile continue en Pologne ; les armées russes et
les armées suédoises ravagent la Litliuanie. Enfin
Charles XII, après des marches et des contre-mar-
ches dont on trouvera le détail dans l'excellente
histoire de ce prince par Voltaire, finit par être
vaincu à Pultava (l7()l)), sans que l'hetman Ma-
zeppa ait pu réaliser son projet de relever les
Cosaques et d'arraclier l'Ukraine à la Russie, avec
l'aide du héros qu'il avait appelé. La bataillo de
Pultava renversa Stanislas et rétablit Auguste II
sur le trône.
La fin de son règne ne fut signalée par aucun
événement important, si ce n'est le seul acte d'in-
tolérance que l'on puisse justement reprocher au
gouvernement de la République, à savoir la ré-
pression sanglante des désordres de Thorn où les
protestants avaient eu un différend avec les jésuites.
D'ailleurs la paix régnait en Pologne : on avait
traité avec la Suède (1720), les armées russes
avaient évacué la Pologne; l'union des églises
grecque et catholique avait été renouvelée. Mais
le désordre intérieur allait croissant ; les mœurs
s'altéraient de plus en plus, l'exemple du roi,
qui ne songeait qu'à ses plaisirs, était trop do-
cilement suivi par la noblesse : u Quand Auguste
avait bu, la Pologne était ivre. » Les querelles
entre les grands seigneurs trouvaient un écho
dans les diètes, le plus souvent rompues par le
liberum vélo. Enfin, plusieurs seigneurs, inquiets
de voir le roi manquer d'égards pour leurs pri-
vilèges, imploraient la protection d'abord de
Pierre I", puis de Catherine l'" et de l'impératrice
Anne, et les armées russes se préparaient à péné-
trer en Pologne, ce qu'elles firent aussitôt après
la mort d'Auguste II (1733).
On sait que cette mort fut le signal d'une
guerre européenne, connue dans l'histoire sous le
nom de guerre de succession de Pologne (1733-35).
La diète s'était partagée ejicore une fois entre le
candidat français, qui était maintenant le roi détrô-
né Stanislas Leszczyiîski, devenu le beau-père de
Louis XV, et le candidat autrichien, également
appuyé par la Russie, et qui était le fils du roi
précédent, l'électeur de Saxe Frédéric-Auguste.
Nommés chacun par leurs partisans, ils arrivèrent
tous deux en Pologne ; mais Stanislas ne put se
maintenir à "Varsovie et s'enferma à Dantzig, où,
assiégé par l'armée russe, il attendit des secours
1 n ^^"''^" ^^ cardinal Fleury n'envoya que
1 500 liommes, à la tète desquels l'ambassadeur
Irançais à Copenhague, le brave comte de Plélo,
vmt se faire tuer sous les murs de Dantzig, pour
sauver au moins l'honneur du drapeau. La ville
capitula, et le roi Stanislas obtint, à la fin de la
guerre qui continua sur le Rhin et en Italie, les
r,"^il.°^ ^^ Lorraine et de Bar, qui, après sa mort
y itG), revmrent à la France aux termes du traité
de Vienne (1738). Stanislas, dans ses nouveaux
Ctats, so ht aimer de ses sujets et n'oublia pas sa
patrie : il fonda à LunéviUe une école pour les
jeunes nobles polonais, qui portèrent ainsi en
i-oiogne les idées de réformes alors si puissantes
en France.
Son rival l'électeur de Saxe monta sur le trône
ae Pologne sous le nom d'Auguste III. Intronisé
par les baïonnettes étrangères, il fut toujours im-
populaire. Pondant et après l'interrègne, les diètes,
tout en réclamant l'éloignement des armées russe
et autrichienne, intordirent aux protestants et aux
grecs, qu'on appelait lesdissidents, l'accès à tous les
emplois: cette mesure malheureuse, qui avait pour
but de combattre l'influence étrangère, fut taxée
d'intolérance religieuse et devait servir de pré-
texte aux réclamations de la Prusse et de la Russie.
La succession de Courlande, k l'extinction de la
famille de Gottard Ketler (1737), donna lieu i une
nouvelle ingérence de la Russie : l'impératrice
Anne demanda ce duché pour son favori Biren,
et quand une révolution de palais eut, sous la
tzarine Elisabeth, envoyé Biren en Sibérie, il
fallut procéder i une nouvelle élection ; le fils
d'Auguste III, le prince Charles, obtint ce duché,
dont Catherine devait le dépouiller à son tour en
17C3, pour y replacer Biren rentré en grâce. Outre
les affaires de Courlande, les guerres contre la
Turquie et les guerres de succession d'Autriche
et de Sept Ans fournissaient de continuels pré-
textes à la Russie pour demander le passage de
ses troupes ii travers la Pologne, qu'elles traitaient
en pays conquis, tandis que le roi, môle aux événe-
ments qui se déroulaient on Allemagne, restait
indifl'érent aux destinées du royaume.
Cependant les idées de réforme progressaient en
Pologne; l'éducation, jusque-là abandonnée aux
jésuites, redevenait, grâce surtout à, Konarski, plus
nationale. Un parti de politiques se formait sous les
princes Michel et Auguste Czartoryski pour réfor-
mer les institutions et mettre fin h l'anarchie. On
commençait à sentir que la Pologne était sur le
bord de l'abîme, mais on s'en apercevait trop tard.
Tous les efforts qui suivirent la mort d'Auguste III
(1701) ne firent que précipiter la cliute.
Stanislaf!-Aui/usle l'oiiiatowski et lei partages
( 1763-1 71) j). — La situation était elïrayante. L'a-
narchie qu'il s'agissait do faire disparaître avait
encore dans la grande et la petite noblesse des
défenseurs soit aveugles, soit intéresses, qui lui
donnaient le nom de liberté et prenaient le titre
de parti républicain ; de plus elle était trop utile
aux puissants voisins de la Pologne, la Russie,
l'Autriche et la Prusse, pour qu'ils no fissent pas
tous leurs efforts afin de la conserver. La Prusse et
la Russie commencèrent par exiger de la diète que
la République reconnût à leurs souverains, ce
qu'elle n'avait pas fait jusque-li, les titres de roi
et d'empereur; puis d'un commun accord elles
firent tomber les voix des électeurs sur une créa-
ture de l'impératrice Catherine H, le comte Sta-
nislas-Auguste Poniatowski (1764).
Le nouveau roi no manquait pas de bonnes in-
tentions. Il fit beaucoup pour l'instruction, pour les
arts et pourleshittres. Une nouvelle renaissance lit-
téraire date môme de son règne : c'est alors que
l'historien Naruszevvicz, les poètes Krasicki,Treni-
becki, Kniaznin, etc., ressuscitèrent la littérature
polonaise si négligée pendant lôO ans. Mais l'am-
bassadeur russe Repnin veillait à ce que ces ré-
formes ne compromissent point les intérôts de sa
souveraine. C'est lui qui,portantdevant les diètes les
réclamations relatives aux dissidents, fit enlever et.
transporter en Russie (1767) quatre sénateurs qui
avaient osé se prononcer dans l'assemblée contre
ses propositions. L'alliance avec la Russie et les
lois sur les dissidents furent acceptées do gré oude
force en 1768. Pour conibattrel'influence russe, des
confédérations se formèrent : la plus importante,
à laquelle se réunirent bientôt toutes les autres,
fut la conlédération de Bar (1768-1771). L'évoque
de Kamieniec, Adam Krasinski, en avait été le pro-
moteur : ses principaux chefs furent les Pulawski,
surtoutCasimir quidevaitpérirplustarden combat-
tant pour l'indépendance des Etats-Unis. Pendant
trois ans les confédérés firent la guerre de parti-
POLOGNE
— 1648
POLOGNE
sans. On trouvera'dans YUistoire de V.tnnrc/ne de
Pologne de Rulhière le détail des actes d'héroïsme
des confédérés et des cruautés des officiers rus-
ses et des paysans de l'Ukraine, soudoyés d'a-
bord et massacrés ensuite par les troupes do Ca-
therine II. La confédération de Bar recevait des
subsides de Choiseul : celui-ci lui envoya même
quelques officiers, comme le comte de Choisy, qui
se conduisit bravement h Cracovie, Dumouriez qui
ne sut qu'intriguer, et Vioménil qui arriva trop
tard. Mais ces secours insuffisants et l'asile offert
par l'Autriche à la généralité qui gouvernait la
confédération, ne l'empêchèrent pas de succomber
après un essai avorté d'enlèvement du roi : et cette
tentative héroïque, qu'on peut regarder comme la
première des insurrections nationales polonaises,
eut pour résultat de précipiter le premier partage,
déjà arrêté en principe ù. Berlin et à Pétersbourg
et accepté avec une feinte douleur par la dévote
impératrice Marie-Thérèse.
Chacune des trois cours fit valoir ses prétendus
droits: l'Autriche sur la principauté de Halicz (Gali-
cie), qui au xiV siècle avait un instant appartenu à
la Hongrie ; le roi de Prusse Frédéric II sur la pro-
vince de Prusse occidentale, qui avait appartenu
avant 14(10 à 1 ordre Teutonique dont il se préten-
dait héritier ; la tzarine enfin sur le^ provinces rus-
siennes d'au delà du Dniepr et do laDuna, qui de-
vaient revenir b. l'impératrice de toutes les Rus-
sies. Et la dicte de Varsovie, sous la présidence
d'Adam Poninski, et malgré l'opposition des pa-
triotes Tliadée Uetjan et Korsak, dut ratifier le
partage (1-3 sept. 1773). La même diète introdui-
sit dans la constitution quelques changements,
dont le résultat fut d'enlever au roi toute autorité
politique. La Russie se porta garante de la nou-
velle constitution, et les trois cours garantirent en
môme temps l'intégrité des nouvelles frontières.
Vingt années s'écoulent entre le premier et le
second partage, vingt années de repos, de réfor-
mes intérieures. Les universités se relèvent, les
écoles laïques se multiplient ; le mouvement lit-
téraire s'accentue. Les grands propriétaires com-
mencent à s'occuper d'améliorer le sort des paysans.
Mais c'en était fait do toute initiative politique.
L'ambassadeur russe Igaelstroni faisait la loi à Var-
sovie. Le parti national voulut faire cesser cet état
de choses ; et, ayant la majorité dans la diète de 11 87,
il se mit résolument h l'œuvre. Il fallait d'abord
rompre avec la Russie ; mais on ne pouvait le faire
sans s'appuyer sur une autre puissance. La Prusse
offrit son aide; le roi Frédéric-Guillaume II se
porta garant de la future constitution. Stanislas-
Auguste, malgré ses répugnances.finit par se rallier
au parti national, et des délibérations de cette diète,
surnommée la diète de quatre ans (178M7'.)I),
sortit la constitution de i79l, appelée aussi, de
la date de sa promulgation, la constiiution
du 3 tnai- C'est après de longues études prépa-
ratoires, en s'inspirant des ouvrages des plus
grands publicistes de l'époque, Mably et J. -J.Rous-
seau, sur le gouvernement de Pologne, en consul-
tant surtout les besoins du pays, que les autours
de la constitution, parmi lesquels les plus célè-
bres sont I. Potocki et H. Kollontay, rédigèrent
cette charte nouvelle. Laiiberian veto fut supprimé,
en même temps que les confédérations, i|ui n a-
vaient d'autre but que d'en rendre l'application
impossible ; le trône, d'électif, devint héréditaire
dans la famille de l'électeur de Saxe désigné comme
futur successeur de Stanislas-Auguste. La religion
catholique resta religion dominante, mais la li-
berté de conscience était assurée aux dissidents.
Sans diminuer les droits de la noblesse, on aug-
mentait ceux des bourgeois, qui devenaient élec-
teurs, et on garantissait aux paysans la liberté
individuelle: do plus, l'anoblissement des paysans
et des bourgeois était facilité par des dispositions
spéciales : de sorte que l'égalité civile et politique
n'était plus qu'une question de temps.
La joie de la nation ainsi régénérée fut aussi
grande qu'elle devait être éphémère. Le parti russe
et soi-disant républicain, il la tête duquel étaient
Félix Potocki et Fr.-X. Branicki, protesta contre
cette atteinte aux antiques libertés et réclama
l'appui de l'impératrice Catherine, qui s'empressa
d'envoyer ses troupes au secours de la confédéra-
tion de Targowica (1702). D'autre part le roi de
Prusse manqua à sa parole, et, au lieu d'*ider le
roi et le parti national, il s'allia avec la Russie con-
tre la révolution française : la Pologne fut le prix
de cette alliance. L'armée polonaise, commandée
par le neveu du roi, Joseph Poniatowski, et par Kos-
ciuszko, qui s'était illustré en Amérique dans la
guerre d'indépendance, se couvrit de gloire dans la
brillante mais inutile affaire de Dubienka. Le roi,
hésitant jusque-là, céda aux exigences de Cathe-
rine et accéda à la confédération de Targowica.
Alors eut lieu le second partage. La Prusse s'ad-
jugea Thorn et Dantzig, que le premier partage
avait laissées à la Pologne; la Russie prit la moi-
tié de la Lithuanie et avança sa frontière jusqu'au
cœur de la Volhynie; et la diète de Grodno, dé-
libérant sous la pression des baïonnettes russes,
fut contrainte de ratifier le traité de partage et
d'annuler la constitution du 3 mai (1793).
C'était trop d'humiliation, et les patriotes, ne
pouvant plus sauver le pays, voulurent du moins
sauver l'honneur. C'est ce qui explique l'insurrec-
tion de Kosciuszko (1703). La victoire de Bacla-
wice, où parurent pour la première fois les fameux
faucheurs, l'expulsion des Russes de Varsovie et
de Vilna, furent bientôt suivies, faute de ressour-
ces en hommes et en argent, de la défaite de Szcze-
kuciny, où les Prussiens vinrent au secours des
Russes, et, après l'exécution des traîtres par le
peuple de Varsovie, de la défaite de Maciejowico, où
Kosciuszko, luttant contre des forces dix fois su-
périeures, fut battu par Fersen, blessé et emmené
prisonnier en Russie (1794). Souvarov prit Var-
sovie après le massacre du faubourg de Praga.
Le roi fut forcé d'abdiquer en nOî, et la même
année eut lieu le troisième et dernier partage. La
Pilica, la Vistule, le Bug et le Niémen devenaient
les frontières de la Russie, de la Prusse et de
l'Autriche. La Pologne était effacée de la carte
de l'Europe. Le germanisme et le moscovitisme
avaient vaincu.
Ln Pologne après /es partages. Insurrections
nationales (1795 à 1864). — Toutefois, parmi les
patriotes polonais, il ne s'en trouva pas un seul
pour répéter le fameux Finis f'olonis, fausse-
ment attribué à Kosciuszko après Maciojowice.
La chute de l'Etat polonais avait, on l'a vu,
coïncidé avec la régénération de la nation, et
cette nation ne voulait pas et ne devait pas mou-
rir. Elle suivit le conseil de J.-J. Rousseau : « Les
Russes pourront vous engloutir, faites en sorte
qu'ils ne puissent pas vous digérer. >>
Aussitôt après le troisième partage, tandis que
Paul l" succède à sa mère Catherine II (1796),
commence l'épopée des légions polonaises, qui,
formées par Dombrowski et Kniaziewicz, luttèrent
dans les armées de la République française pour
la liberté des peuples et prirent une part glorieuse
dans les guerres d'Italie et d'Allemagne (notam-
ment à Holienlinden), jusqu'au jour où le premier
consul en envoya la plus grande partie mourir de
la fièvre jaune à Saint-Domingue. Cela ne décou-
ragea pas les patriotes polonais. Tandis que quel-
ques-uns de leurs compatriotes, le prince Adam
Czartoryski par exemple, comptaient sur le li-
béralisme du nouveau tzar Alexandre I" (1801),
persuadée que la France continuerait sous Napo-
léon son œuvre d'affranchissement des peuples, .la
jeunesse polonaise vint en masse s'enrôler dans
POLOGNE
1649
POLOGNE
SCS armées, surtout lorsqu'en 1S()7, pondant la
guerre do Prusso, il sembla vouloir reconstituer
la Pologne pour triompher plus aisément de la
Russie. Mais Kosciuszko, qui avait refusé en 180G
de signer des appels aux armes en faveur de celui
qu'il regardait comme un tyran, avait bion prévu
que Napoléon ne ferait rien pour la Pologne. Le
traité de Tilsitt (l«07), en instituant le grand-du-
ché de Varsovie, ne fit qu'entretenir les illusions
des patriotes; plus que jamais ils se dévouèrent à
la fortune du conquérant : on connaît la fameuse
charge de Somo-Sierra (1809). où les cbevau-légers
polonais ouvrirent h l'armée française la route do
Madrid; on sait la part que prirent les corps de
Dombrowski et de Poniatowski à la funeste campagne
de 181 ï, qui ruina les espérances des Polonais
sans affaiblir leur dévouement. Ce sont eux qui
protègent la retraite de la grande armée ; ce sont
eux qui les derniers quittent en 1813 le champ de
bataille de Leipzig, où Joseph Poniatowski,
nommé la veille maréchal de France, périt dans
l'Elster. Sous les murs de Paris (1814) et enfin h
l'ile d'Elbe, on retrouve encore des Polonais parmi
les plus fidèles et les derniers amis du conqué-
rant tombé.
Les traités de 1815 modifient quelque peu la si-
tuation de la Pologne. A la place du grand-duché
de Varsovie, qui a cessé d'exister, on organise un
royaume constitutionnel de Pologne avec Varsovie
pour capitale sous le sceptre de l'empereur de
Russie, et l'on rend h la Prusse le duché de Posen ;
Cracovie devient ville libre sous la protection' dos
trois cours. Mais la constitution de 1815 ne con-
tente personne, ni le gouvernement russe quiila
viole à plusieurs reprises, ni les patriotes polonais
qui veulent profiter des forces nouvelles que leur
donnent l'armée et les finances du petit royaume
pour reconquérir l'indépendance et reconstituer
l'ancienne Pologne. La tyrannie du frère d'Alexan-
dre, le grand-duc Constantin, lieutenant-général
du royaume, l'avènement do Nicolas 1" (18.'5),
sont l'occasion de complots, qui aboutissent, en
ISHO, lorsque le tsar se prépare à marcher sur
Paris pour restaurer Charles X, à l'insurrection
du 29 novembre, qui sauva peut-être la monar-
chie de Louis Philippe, mais qui, tout en donnant
un nouvel éclat à l'antique renommée de la va-
leur polonaise, porta le dernier coup à ce sem-
blant d'autonomie qu'avaient créé les traités de
"Vienne.
L'insurrection, malgré les tergiversations du
dictateur Chlopicki, l'indécision des membres du
gouvernement national présidé par le prince Adam
Czartoryski, l'abandon où la laissa l'Europe, l'aide
indirecte donnée par la Prusse à la Russie, les
fautes des généraux en chef et notamment de
Skrzynecki, résista victorieusement à toutes les
forces de l'empire russe pendant neuf mois entiers.
Les batailles de Wavver et de Giochovv (19 et
20 février 18.31), de Wawer et de Dembe (mars),
les prodiges de courage des insurgés de Volhynie,
de Lithuanie et de Samogitie, tout est inutile. La
bataille sanglante d'Ostrolenka, l'expédition de
Gielgud en Lithuanie ne font qu'accélérer la
chute de l'insurrection. La population de Varsovie
renouvelle le 15 août la faute commise en l"9i,
elle massacre les suspects : enfin Krukowiecki, le
président du gouvernement national, traite avec
le feld-maréchal russe Paskievitch, Praga capitule
et les Russes entrent à Varsovie (8 sept. I8:j|).
La plus grande partie de l'armée se réfugie on
Prusse et de là en France, où l'émigration polo-
naise est accueillie avec une sympathie dont on
trouve l'écho dans les beaux vers de Barthélémy,
1 auteur de la Némésis.
En Pologne la répression fut sanglante. L'empe-
reur Nicolas fit peser un joug de fer sur le pays;
non seulement la constitution fut abolie et rem-
2' Pahtie,
placée par le régime du bon plaisir : mais la lan-
gue et les usages polonais furent interdits, la reli-
gion catholi(|ue persécutée ; la déportation et les
confiscations dévastèrent le pays et le mirent à la
merci des fonctionnaires russes. La vie nationale
semblait devoir s'éteindre. Le sort des Polonais
soumis à l'Autriche n'était pas moins déplorable.
Par des moyens moins violents, mais plus funestes,
le gouvernement de Vienne étendait partout le ré-
seau de sa police et de sa bureaucratie soupçon-
neuse; il excitait les haines des paysans contre
les nobles, des Ruthènes contre les Polonais, et pré-
parait ainsi les massacres de Galicie (18-i(i), qui
pèseront toujours sur la mémoire du prince de
Metternich. En 1846, la république de Cracovie
fut envahie, et, au mépris des traités de 1815,
incorporée à l'Autriche.
La germanisation des provinces soumises à la
Prusse s'opérait par des procédés plus pacifiques,
surtout par une invasion économique. La situation
des habitants était infiniment plus heureuse qu'en
Autriche et en Russie. Aussi est-ce à Posen, en
même temps que dans l'émigration, que se con-
centra, de 1830 i 1848, la vie intellectuelle et poli-
tique de la nation. Les tempêtes politi(|oes,en effet,
n'avaient pas arrêté la renaissance littéraire com-
mencée sous Stanislas-Auguste. Les trente pre
mières années du xix" siècle avaient vu naître en
Pologne, comme dans le reste de l'Europe, une
poésie vraiment nationale qui, sous le drapeau du
romantisme, combattait pour la liberté et pour
l'indépendance. A la suite de Mickiewicz, de B. Za-
leski et de Goszczynski étaient venus Jules Slo-
wacki, le Heine et le Musset de la Pologne, et Sig.
Krasiîîski, connu longtemps sous lo nom du poète
anompiie de la Pologne. L'histoire avait eu Le-
lewel, et après lui Mochnacki, Szajnocha, Mora-
czewski, Bielowski, etc. Les idées de progrès et de
réformes démocratiques propagées par l'émigra-
tion pénétraient de plus en plus dans le pays.
Mais les mouvements prématurés et avortés de
184G et de 1848 à Cracovie et dans le duché de
Posen, la défaite du général Mieroslavvski à
Xionz et à Miloslaw, compromirent le succès de
cette propagande, et 1 émigration perdit son in-
fluence et son prestige.
La guerre d'Orient, la mort de Nicolas et
l'avènement d'Alexandre II au trône de Russie
avaient d'ailleurs réveillé les esprits dans la Polo-
gne russe. Le gouvernement lui-même, sans en-
courager ce que l'empereur avait appelé des « rê-
veries i>, crut qu'il devait faire quelques conces-
sions à l'esprit public et chargea le marquis
Wielopolski de préparer des réforme.^ dans l'admi-
nistration et dans l'instruction. Mais le caractère
hautain du marquis lui aliéna les sympathies de la
nation ; le mouvement national, surexcité par les
manifestations de ISlil et leur répression san-
glante, ne pouvait plus être enrayé : à la suite du
recrutement forcé, décrété par le gouvernement
russe, l'insurrection éclata le 21 janvier 1863.
Jusqu'à la fin de 1S64 un gouvernement national
et secret dirigea la lutte contre la Russie; la
guerre de partisans eut lieu sur tout le territoire
de l'ancienne Pologne appartenant à la Russie, et
la Galicie et le duché de Posen fournirent à l'in-
surroction leur contingent de combattants. Le
gouvernement national pi-oclama les droits des
paysans à l'égalité civile et à la propriété. Mais,
en dépit des victoires du dictateur Langiewicz et
du Français Rochebrune, des exploits de Jojzio-
raîîski, de Kruk, de Bosak-Hauke, mort plus tard
pour la France à la bataille de Nuits (1870), de
l'héroïsme des Sierakovvski, des Padlewski, des
Mackievvicz, cette lutte inégale ne pouvait durer
bien longtemps, si l'insurrection était laissée à
elle-même. L'appel de la France aux puissances
européennes étant resté sans écho, la Pologne
104
POLOGNE
— 1650 —
POLYEDRES
succomba encore une fois; et la répression des
M'>uravi(!v et autres rappela celle qui avait suivi
1830. Le royaume de Pologne du congrès de
Vienne perdit jusqu'à, ce nom qui lui était resté
et prit celui de provinces de la Vistule. Il ne fut
plus question de réformes ni de concessions.
Etat ucluel d ■ la Pologne (18(;4 à 188:»). — Il
semble que les malheurs de 1863 aient clos
désormais l'ère des insurrections, sans que les
Polonais aient renoncé à recouvrer un jour leur
indépendance ; ils pensent qu'une nation de
17 millions d'hommes, ayant un passé historique
.aussi long et aussi brillant, ne peut pas mourir, tant
qu'elle conserve le sentiment d'elle-même, et ils at-
tendent leur heure, mais en la préparant exclusive-
ment par le travail intellectuel, par le développement
économique, et, là où ils le peuvent, par l'usage
de leurs droits légaux, en continuant ainsi pacifi-
quement la lutte historique contre le panslavisme
moscovite et le pangermanisme prussien.
Le foyer principal de la vie politique est actuel-
lement la Galicie, qui jouit en Autriche dune
autonomie presque complète, a sa dièie provin-
ciale, ses universités polonaises 'LwowetCracovie ,
son Académie des sciences polonaise fCracovie),
une armée provinciale composée do Polonais, et la
plus grande liberté pour tout ce qui concerne le
développement de la nationalité. La seule ombre
au tableau est dans l'antagonisme, d'ailleurs bien
affaibli depuis un an, des Ruthèncs de la Galicie
orientale avec les Pulonais, et la situation écono-
mique, aussi peu florissante en Galicie que dans
les autres provinces de l'empire austro-hongrois.
Néanmoins, grâce à ses ricliesses naturelles (sa-
lines de Wieliczka, mines Je pétrole, industries
forestières), grâce aussi à son réseau de chemir.s
do fer, elle améliorera sans doute sa situation
môme à cet égard. La population de la Galicie est
do ."iOOOOOO d'habitants, dont 4 1000(10 Slaves,
c'est-à-dire Polonais et liuthènes, et 450 000 Juifs.
La Pologne prussienne est encore moins heu-
reuse au point de vue économique, et l'afflux de
la population allemande y menacerait sérieuse-
ment la nationalité polonaise, sans les efforts éner-
giques des députés polonais à la diète de Berlin,
sans le patriotisme des populations rurales et
l'initiative féconde des grands propriétaires. Les
Polonais du duché de Posen et de la Prusse
royale luttent surtout actuellement pour recon-
quérir les écoles séparées, afin que l'enseignement
boil donné à leurs enfants dans la langue nationale,
et ils combattent aussi les lois de mai, qui, dans le
duché de Posen, ne sont pas seulement dirigées
contre l'Eglise catholique, mais aussi et surtout
contre la nationalité polonaise. La population du
duché de Posen est d'environ 16000U0 habitants,
dont 9IIUÛ0O Polonais et 7.^000 Juifs.
La Pologne russe (6 millions de Polonais, G rail-
lions de Ruthènes, plus d'un million de Juifs), se
relève et s'enrichit de plus en plus : elle prend
actuellement sur la Russie une sorte de revanche
économique. Le travail et l'instruction semblent
là plus qu'ailleurs le mot d'ordre de la génération
actuelle. Les progrès de l'industrie (sucres, ma-
chines, draps, cuirs, etc.) sont véritablement sur-
prenants, surtout dans le petit royaume du Congrès,
et l'exposition universelle de 1878 en a été une
preuve éclatante. Le mouvement littéraire dont
Varsovie est le centre, et qui, en dépit des entra-
ves de toute sorte qu'y met le gouvernement et la
censure, augmente de jour en jour, prouve une
ardeur et une maturité d'esprit auxquelles les
Varsoviens ne nous avaient pas accoutumés jus-
qu'à ce jour. Outre les sciences, dans lesquelles
la Pologne peut citer des noms jouissant d'une
renommée européenne, comme ceux des savants
naturalistes Kowalewski et Kopernicki, les arts
sont aussi cultivés avec un succès attesté pour la
peinture par les expositions de l'Europe entière.
Les deux maîtres de l'école de peinture polonaise,
.Matejko (de Cracovie) et Siemiradzki, ont de nom-
breux imitateurs. Pour la musique, Chopin et
Moniuszko ont également des disciples qui sont
déjà des maîtres. Il serait trop long de citer ici
tous les romanciers, poètes, historiens, critiques
dont la Pologne peut se vanter aujourd'hui et qui,
l'année dernière, réunis à Cracovie, récompen-
saient dans la personne du plus illustre d'entre
eux, J.-I. Kraszewski, écrivain d'une inépuisable
fécondité dans tous les genres (roman, poésie,
archéologie, histoire, etc), le travail et la persé-
vérance, les deux vertus dont la pratique peut
seule, pensent-ils, permettre à leur patrie de se
relever un jour. [V. Gasztowtt.j
Pour la géographie physique et administrative
de la Pologne, V. Russie.
l'OLYÈltUES. — Géométrie, XXl-XMII, —
Etym. : Du gvec polyedros, qui a plusieurs faces.
— Il ne faut pas confondre le polyèdre avec l'mi-
y/e polyèdre.
I. — Angles polyèdres. — On nomme ainsi la
figure formée par plusieurs plans qui se coupent
deux à deux, en passant par uu point commun. Ce
point est le somme' de l'angle polyèdre; les droi-
tes d'intersection sont les arèies ; les plans limités
aux arêtes sont des angl-s plans qui se nomment
faces de l'angle polyèdre.
Nous n'avons à coiisidérer que les angles polyè
dres convrxes, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas
d'angle dièdre rentrant vers l'intérieur de la figure.
Quand un angle polyèdre est convexe, il reste tout
ent'er du môme côté du plan de lune quelconque
de ses faces prolongée.
L'angle polyèdre qui n'a que trois faces est
nommé angle trièdre ; on en a un exemple dans
l'encoignure formée par le plancher et deux murs
consécutifs.
Ici les trois angles plans sont généralement des
angles droits ; mais les faces d'un angle trièdre
peuvent être des angles aigus et même des angles
obtus. Cependant la somme des angles plans d'un
angle polyèdre a une limite.
TuiioBÈME. — Dans tout angle polyèdre convexe
ta somme des faces, c'est-à-dire des angles plans,
esl moimtre que quatre angles droits.
En effet supposons qu'on veuille construire un
angle polyèdre, à cinq faces par exemple, avec
une feuille de carton. Après l'avoir découpée
suivaiU cinq droites OA, OB, etc. (fig. 1) partant
d'un même point 0, on sera obligé de retrancher
un espace angulaire plus ou moins grand COM,
pour qu'il soit possible d'obtenir un angle polyè-
dre, en amenant le coté OM à coïncider avec le
côté OC. Or la somme de tous les angles qui
étaient formés autour du point O sur le plan vaut
■4 angles droits ; donc la somme des angles qui for-
ment l'angle polyèdre est moindre que 4 angles
droits. . , ,
Nota. — A cette démonstration si suiiple qui
suffit dans renseignement primaire, nous devons
ajouter la démonstration théorique, telle qu'elle
est exposée dans tous les traités classiques. Elle
repose sur le théorème suivant.
POLYÈDRES
— 1631
POLYEDRES
THiconiiME. — Dans un angle trièdre chaque face
eal ji/ns petite r)!ie la somme des deux autres.
Soit AOBC (tig. 2) un angle trièdre dont la face
AOB est sur le plan du papier, l'arêto OC étant
dirigée en avant.
Sur AOB, la plus grande des trois faces, menons
OD de manière h faire l'angle AOD égal à l'angle
AOC, et tirons la droite AB dans une direction
quelconque ; prenons ensuite OC = OD et joi-
gnons le point C aux points A et B. Les deux trian-
gles AOU et AOC sont égaux, comme ayant un
angle égal compris entre deux côtés respective-
ment égaux (angle AOD = angle AOC) ; donc le
côté AC est égal au coté AD.
Or du point A au poijit B la ligne droite AB
étant plus courte que la ligne brisée, on a :
AD + DB<AC-f CB.
En retranchant aux deux membres les lignes
égales AD et AG, on obtient cette autre inégalité :
DB<CB.
Les deux triangles ODB et OBC ayant deux
côtés respectivement égaux (OB commun et
OD = OC) et le S" côté inégal,' l'angle DOB, op-
posé au plus petit côté DB, est moindre que l'an-
gle COB opposé au plus grand côté CB. Par consé-
quent en ajoutant au plus petit l'angle AOD et au
plus grand l'angle égal AOC, on a l'inégalité :
DOB + DOA < COB + COA
ou :
AOB < COA + COB,
ce qui est précisément le théorème énoncé.
Démontrons niaintonaiit que la somma des angles
plans d'un anyU- polyèdre est moindre que i anales
droits.
Pour cela coupons par un plan MN (fig. 3) l'an-
de l'angle polyèdre. Mais en considérant les
angles trièdros qui ont leurs sommets aux som-
mets A,B, du pentagone, on a, d'après le théorème
précédent, pour les angles plans qui forment leurs
faces, les inégalités suivantes :
PAE + PAB < OAE -4- OAB,
PBA -(- PBC < OBA + OBC, etc.
On voit par lîi que la somme des angles qui
dans les triangles du pentagone sont adjacents aux
côtés AB, BC, etc., est monidi-e que la somme des
angles qui, dans les cinq triangles de l'angle po-
lyèdre, sont adjacents aux mêmes cotés; par con-
séquent la somme des cinq angles situés autour
du point P doit être par compensation plus grande
que la sommo des cinq angles assemblés autour
du point 0; donc la somme de» angles on O est
moindre que i angles droits, valeur de la somme
des angles en P.
Ani/les Irièdres symétriques. — Soit un angle
trièdre OACB (fig. 4), dont l'arête OC est dirigée en
glo polyèdre peniagonal qui a son sommet en 0
ce qui déierniinc le pentagme ABCDE ; puis joi-
gnons un point quelconque P de ce polygone aux
cinq sommets par les droites PA, PB etc. La
somme des angles des cinq triangles assemblés
autour du point P et formant le pentagone est
n^in n.»- ""'"'"'' '''"* ''"«'«' ''«^ ci"<l triangles
OAB, OBC, etc., assemblés autour du sommet O
avant du plan de la face AOB. Si on prolonge les
arêtes au delà du sommet O, on obtient un autre
angle trièdre OA'C'B', ayant ses trois faces et ses
trois angles trièdres égaux aux trois faces et aux
trois angles dièdres du premier.
Cependant ces deux angles trièdres ne pour-
raient coïncider; car si on rabat do haut en bas le
second sur le premier, en appliquant la face B'OA'
sur la face AOB qui lui est égale, l'arùte OC, au
lieu de tomber sur 0(;, se placera dans la posi-
tion OC", l'angle C'OB étant égal à l'angle COA.
Les deux angles trièdres OACB et OA'C'B', qui
ont leurs six éléments respectivement égaux,
sans pouvoir coincider, sont nommés angles triè-
dres symétriques.
Observation. — Les angles trièdres ont une
grande analogie avec les triangles ; les côtés de
ceux-ci correspondant aux faces de ceux-là, et les
angles plans des triangles aux angles dièdres des
angles trièdres. De li des propriétés semblables,
dont nous ne citerons que les deux exemples sui-
vants :
Si deux fares d'un auf/le trièdre sont égales,
les angles dièdres opposés sont égaux, et récipro-
quemfnt;
Deux angli'S trièdres sont égaux dans toutes
leurs parties, quand ils ont leurs trois faces res-
pectiueme/it égales, et réciproquement.
II. — Polyèdres ou solides. — 1. On donne le
nom de polgèilre à un corps qui est limité par
des f'ici's planes. Ces faces sont des polygones;
leurs côtés sont les arêtes, et les extrémités des
côtés ont les sommets du polyèdre.
Parmi les polyèdres il faut distinguer les pris-
mes et les pi/nit/iides.
2. — Pristr.es. — On nomme prisme un polyèdre
dans lequel deux faces opposées sont des polygo-
nes égaux et parallèles, et dont les autres sont dos
pariillélogramrni's.Les deux polygones égaux sont
considi'i-és comme lesiascs; les autres faces sont
les faces lalérules.
POLYEDRES
— 1652 —
POLYEDRES
Soit par exemple le pentagone A'B'C'D'E' (fig. 5).
Si des sommets A', B'.,., etc., on mène, dans une
direction quelconque, des droites A'A,B'B,C'C, etc.
égales et parallèles entre elles, et qu'on joigne
deux à deux leurs extrémités, on forme des paral-
lélogrammes A'ABB' B'BCC, etc. Les côtés AB,
BC, etc., étant parallèles aux côtés A'B', B'C'...du
polygone A'B'C'D'E', sont parallèles au plan île ce
polygone et sont par conséquent dans un même
plan. Le polygone AB(>DE, ayant ses côtés et ses
angles égaux h ceux du polygone A'B'C'D'E', lui est
égal, et le polyèdre ainsi construit est un prisme.
l.a liautfur d'un prisme est la perpendiculaire
MM' menée d'un point de la base supérieure sur
le plan de la base inférieure.
Quand les arêtes latérales A'A, B'B... etc., sont
perpendiculaires à la base, elles sont elles-mêmes
la hauteur; le prisme est dit prisme droit. Dans
ce cas, les faces latérales sont des rectangles.
Lorsque les arêtes latérales ne sont pas perpen-
diculaires aux bases, on dit que le prisme est
oblique.
Un prisme est triangulaire, quand il a pour base
un triangle; quadra?igu/aiie, ijuand il a pour base
un quadrilatère quelconque ; ptnlagonal, quand
il a pour base un pentagone, etc.
3. — Paral/clipipcde. — Vn prisme dont la base
est un parallélogramme est appelé parallélipipède
(fig- Uj.
Les six faces sont toutes des parallélogrammes.
Lorsque le parallélipipède est droit et que ses
bases sont des rectangles, toutes ses faces sont des
rectangles ; il est dit pm-atlélipipède rectangle.
Telle est la forme d'une caisse à six faces planes
d'une brique, d'un bassin à quatre côtés, etc. '
Si la base est carrée et la hauteur égale au côté
de la base, le parallélipipède s appelle cube. Le
cube est donc un corps formé par six carrés égaux,
l'ne boite dont la longueur, la largeur et la hau-
teur sont égales est un cube.
4. — Propriétés du parallclipipède. — Le parallé-
lipipède est parmi les polyèdres ce qtfe le parallélo-
gramme est parmi les polygones; plusieurs pro-
priétés de l'un sont analogues aux propriétés de
1 autre. Nous citerons les suivantes, en démontrant
seulement les plus importantes.
Théorèmes. — j' Dan^ zm parallélipipède, les
deux faees Opposées sont égales et parallèles.
Soit le parallélipipède (fig. C) qui a pour bases
les parallélogrammes égaux ^BCD et A'B'C'D'.
Les deux parallélogrammes A'ADD'et B'BCC ont
leurs côtés respectivement égaux et parallèles,
A'A et B'B, AD. et BC, etc. ; leurs angles sont aussi
égaux; par conséquent, ces parallélogrammes sont
égaux et parallèles.
De là il résulte qu'on peut prendre pour bases
dans un parallélipipède deux faces opposées quel-
conques.
2" Deux angles dièdres opposés d'un parallélipi-
pède sont égaux.
En effet, ils ont leurs faces parallèles et dirigées
en sens inverse.
3° Deux angles irièdres opposés sont symétri-
ques, c'est-à-dire qu'ils ont leurs parties respec-
tivement égales, mais ne peuvent pas être su-
perposés.
4° Les quatre diagonales se coupent en un même
point, qui est le milieu de chacune d'elles.
En effnt, dans le parallélipipède ABGDHEFG
(fig. 7), tirons les droites H.\ et GB, ce qui forme
un parallélogramme HABG. Les diagonales GA
et HB du parallélipipède sont en même temps les
diagonales du parallélogramme HABG ; donc elles
se coupent et le point d'intersection 0 est le mi-
lieu de chacune d'elles.
On verrait de même que la diagonale EC coupi'
la diagonale GA en son milieu 0, parce qu'elles
sont toutes deux les diagonales du parallélogram-
me EACG.
5" Dans un parallélipipède rectangle les quatre
diagonales sont égales.
5. — Prisme régulier. — Un prisme droit qui a
pour base un polygone régulier est nommé prisme
régulier.
Par exemple, une règle terminée à ses deux ex-
trémités par deux carrés égaux, les carreaux do
brique à six côtés employés dans le dallage, sou;
des prismes réguliers.
Dans ce prisme, toutes les parties de même es-
pèce sont égales. Ainsi, les faces latérales soin
des rectangles égaux ; les angles dièdres formés
par deux faces latérales sont égaux ; les angle--
trièdres qui ont leurs sommets sur les somniei»
des bases sont tous égaux, etc.
La droite qui joint les centres des deux bases
est l'axe du prisme régulier.
6. —Cylindre. — Si on prondpnurbase d'un pris-
l'-ig- s.
me régulier un polygone régulier ABGDEF inscrits
dans un cercle, (fig. 8), et qu'on imagine que le'
POLYEDRES
— 1653 —
POLYEDRES
nombre des côtés augmente indi''finiment, les faces
latérales du prisme deviennent de plus en plus
rii'oiles, et le prisme diffère de moins on moins
il'iui cylindre ; donc le cylindre peut élre rejardé
: Dinme un prisme régulier.
7. — l'ijrnmi'lf.— La pyramide est un polyèdre
formé par des triangles c|ui ont un sommet com-
nnin, et dont les bases sont les côtés d'un poly-
gone quelconque (lig. 9). Ce polygone est la base
de la pyramide ; le sommet S commun aux trian-
gles est le sommet de la pyramide. La hauteur de
la pyramide est la perpendiculaire abaissée du
sommet S sur le plan de la base ABCDE.
Une pyramide est dite triangulaire, quadrangu-
luire, pentagonale, etc., suivant que sa base est
un triangle, un quadrilatère, un pentagone, •etc.
La pyramide triangulaire a quatre faces, qui sont
toutes des triangles ; on lui donne aussi le nom
de tétraèdre (quatre faces). Le tétraèdre est par-
mi les polyèdres ce que le triangle est parmi les
polygones.
8. — Théobème. — Ln section faite dans laie pyra-
mide par un planparidlèle à la base est un poly-
gone xemfiiihle à la bose.
Soit A'BT.'D'E' (lig. 101 la section faite dans une
pyramide SABCDE par un plan parallèle à la base.
Les intersections de deux plans parallèles coupés
par un troisième étant des droites parallèles, les
côtés du pentagone de la section sont parallèles
aux côtés de sa base ; donc les angles A'B'C et
ABC sont égaux; de même les angles B'C'D' et
BCD, etc.
En outre, les triangles SE' A' et SRA sont sem-
blables ; de même, les triangles SA'B' et SAB, etc. ;
■donc, si SA' est par exemple les l de SA, SB' sera
les I de SB, E'A' sera les | de EA, et enfin chaque
côté du pentagone A'B'C'D'E' sera les | des côtés
homologues du pentagone ABCDE ; donc ces deux
polygones sont semblables.
9. — Pyramide «ro^K/Mce. — La portion de pyra-
mide comprise entre la base ABCDE ;Hg. Ki) et
une section A'B'C'D'E' parallèle à la base est ap-
pelée/jî/ramo/e tionqwe uu tronc de pyramide.
Les faces latérales sont des trapèzes.
Dans un tronc de pyramide les arêtes latérales
prolongées iraient se rencontrer au môme point.
11 est bon d'observer qu'un polyèdre qui aurait
pour base inférieure et pour base supérieure deux
rectangles parallèles ABCDHEFG (fig. 1 1) n'est pas
toujours un tronc do pyramide. Il faut encore que
l']g. u.
les deux rectangles soient semblables, c'est-à-dire
que le rapport de leurs largeurs soit égal au rap-
port de leurs longueurs.
10. — Pyramide régulière.— On nomme pyramide
régulière une pyramide qui a pour base un poly-
gone régulier et son sommet sur la perpendiculaire
élevée au centre de la base.
Dans cette pyramide les arêtes latérales sont
des obliques égales; les faces latérales sont des
triangles isoscèles égaux également inclinés sur
la base, et faisant entre eux des angles dièdres
égaux. Les angles trièdres qui ont leurs sommets
aux sommets de la base sont aussi égaux.
La droite menée du sommet au centre de la base
est Vaxe de la pyramide régulière.
La droite qui joint le sommet au milieu de l'un
des côtés de la base est la hauteur des triangles
isoscèles qui forment la surface latérale ; on l'ap-
pelle aussi apothème de la pyramide.
11. — Cône. — Si on prend pour base d'une pyra-
mide régulière ayant son sommet en S (fig. VI) un
polygone régulier inscrit dans un cercle, formant
la base d'un cône, et qu'on double indéfiniment le
nombre des côtés, les faces latérales de la pyra-
mide sont des triangles isoscèles de plus en plus
étroits et la pyramide diffère de moins en moins
du cône ; donc le cône jieut être regardé comme
une pyramide régulière.
12. — Polt/édres semblables. — Les caractères de
similitude des polyèdres sont analogues à. ceux
qui constituent la similitude des polygones.
On appeWe polyèdres semblables deux polyèdres
qui ont leurs angles dièdres respectivement égaux
et dont les faces homologues sont des polygones
respectivement semblables et disposés dans le
même ordre.
De cotte définition résultent les propriétés sui-
vantes pour deux polyèdres semblables : 1" les
angles polyèdres homologues sont égaux; 2° les
arêtes homologues sont proportionnelles^ c'est-à-
dire que si une arête du pluspetitest parexemple
les deux tiers de l'arête qui lui correspond dans le
plus grand, toutes les arêtes du premier sont les
deux tiers des arêtes homologues du second.
Théorèmk. — Si 071 coupe une pyramide par
un plan parallèle à la base, la pyramiil'i partielle
ainsi déterminée est semblable à la pyramide
totale.
POLYÈDRES
— 1654
POLYEDRES
En effet la section A'D' (fig. 10) élant faite par
un plan parallèle à la base, ce polygone est sem-
blable à celui de la base. Les triai)gles SA'B' et
SAB sont aussi semblables; de même les triangles
SB'C et SBC, etc. Les angles dièdres des deux
pyramides sont aussi égaux. Les deux pyramides
sont donc semblables.
On peut prouver que deux polijèr/res composés
d'un même nombre de pyramides respectivement
semblables et semblahlement placées sont aussi
semblables. A'ous n'exposerons pas ici la démon-
stration, qui est longue plutôt que difficile ; nous
nous bornerons aux observations suivantes, qui
présentent plus d'utilité.
Sont senihlables :
1° Deux cubes ;
2° Deux parallclipipèdesrectanglosdont les trois
dimensions sont proportionnelles , c'est-à-dire
telles que le rapport des longueurs est égal au
rapport des largeurs et au rapport des hauteurs ;
."io Deux prismes réguliers dans lesquels le rap-
port des côtés des bases est égal à celui des hau-
teurs ;
4° Deux cylindres dans lesquels le rapport des
payons est égal au rapport des hauteurs ;
5° Deux cônes dans lesquels le rapport des
rayons des bases est égal au rapport des apothèmes,
ou au rapport des hauteurs.
li. — l'olijèdres réijulier^-. —On appelle polyèdre
régulier un polyèdre dont toutes les faces sont
des polygones réguliers égaux et dont tous les
angles dièdres sont égaux.
11 en résulte que les angles polyèdres formés
aux divers sommets sont aussi égaux.
Le polyèdre régulier le plus connu est le cube.
Le second est le tétraèdre ou pyramide trian-
gulaire régulière.
Pour le construire, on forme un triangle équila-
téral MNP (fig. 1.3) dontles côtés ont une longueur
double de celle de l'arête donnée pour le tétraèdre ;
on joint ensuite les milieux des côtés, ce qui le
décompose en quatre triangles équilatéraux égaux.
Il n'y a plus qu'à relover les trois triangles exté-
rieurs autour du triangle ABC, pour amener leurs
trois sommets M, .>î, P au même point.
Un troisiè.nie polyèdre régulier est l'octaèdre
(fig. 1-4), composé de huit triangles équilatéraux.
On peut le regarder comme l'ensemble de deux
pyramides régulières à base carrée EABCD et
FABCD, adossées par leur base commune ABCD
dont les côtés sont égaux aux arêtes latérales.
Le développement de sa surface latérale sur un
plan est représenté par la figure l.'i.
I.e quatrième polyèdre régulier est le do Ic-
caèdre, qui est composé de douze pentagones ré-
guliers égaux.
On peut le regarder comme l'assemblage do
deux corbeilles égales formées d'un pentagone
régulier qui en serait le fond et de cinq autres
pentagones égaux au premier, qui en seraient les
faces latérales. Ces deux corbeilles sont unies par
leurs bords, de manière que les angles suillants
de l'une s'emboîtent dans les angles rentrants de
l'autre.
La figure 16 présente le développement de l'une
des deux moitiés du dodécaèdre.
Le cinquième polyèdre régulier est Vicosaèdre,
qui est composé de vingt triangles équilatéraux,
assemblés par cinq en chaque sommet , La
Fig. 17.
figure n présente le développement de sa sur-
face.
Pour former le polyèdre, on ramène le côté A'B'
sur le côté AB ; les cinq triangles situés au-dessus
de AA' prennent alors le même sommet et for-
ment un angle polyèdre à cinq faces ; il en est de
même des triangles placés au-dessus de BB'.
Il n'y a pas d'autres polyèdres réguliers que
ceux-là, quoiqu'il y ait des polygones réguliers d'un
nombre quelconque de côtés. Cette limitation du
nombre des polyèdres réguliers provient de ce que
la somme des angles plans qui composent un angle
polyèdre convexe est toujours inférieure .'i quatre
POLYGONEES
— 1653 —
POLYGONEES
angles droits. Comme l'angle polyèdre a au moins
trois faces, il n'est pas possible d'en former un
avec des hexagones réguliers, puisque la somme
(les trois ani^les est égale à quatre angles droits,
et h plus forte raison avec des polygones réguliers
d'un plus grand nombre de côtés.
[G. Bovier-Lapierre.]
POLYOOMîlCS. — Botanique, XXIV. — Etym. :
l'olygonées vient de Polygonmn, nom latin de la
lienouée.
Oé/hnlio72. — Les Polygonées sont des plantes
dicotylédones dialypétales liypogynes, à ovules or-
tliotropes, à, fleurs incomplètes. Elles rattachent
les Pipéracées aux autres Dicotylédonées ; à ce
titre, elles jouent le même rôle que les Aroidées
par rapport aux Monocotylodonées.
Caractères botaniques. — La graine des poly-
gonées n'est jamais libre; elle demeure enfermée
dans un ovaire indéhiscent sec, peu adhérent à
la graine, et que l'on nomme caryops'e. Le tégu-
ment séminal de cette graine est fort mince, mem-
braneux, f.iiblement coloré; il recouvre un albu-
men amylacé abondant, au centre duquel est placé
un embryon anlitrope, c'est-à-dire dont la radi-
cule est opposée au bile. Très souvent, comme
dans le Fa ,opijrum, les cotylédons sont foliacés
et leur région médiane est repliée en zigzag au-
tour d'une ligne qui serait le prolongement de
l'axe liypocotylé. Les cotylédons foliacés de cet
embryoti .sont d?s organes d'absorption pour la
réserve nutritive enfermée dans l'albumeH, lors
do la germination.
La germination des graines des polygonées est
des plus rapides ; c'est là un caractère commun à
toutes les graines pourvues d'albumen amylacé.
Lors de la germination, on voit surgir sur le côté
de l'axe hypocotylé de l'embryon une racine qui
peut se renfler beaucoup et donner naissance à
un pivot d'un volume considérable. Dans quelques
cas, l'axe hypocotylé lui-même participe à cette
hypertrophie ; toutefois ce dernier dispositif est
tout à fait exceptionnel. L'unique faisceau de la
racine des polygonées ne présente que deux centres
de développement. L'épaississement de cette
racine est due à la production de zones concen-
triques de faisceaux secondaires qui se développent
successivement autour du faisceau central. Plus
tard, ces faisceaux secondaires perdent leur acti-
vité; on voit se former autour d'eux des zones de
liège et de tissu fondamental secondaire . Le
liège se comporte comme un tissu cicatriciel qui
isole les parties mortes, et les transforme on ré-
servoirs de substances excrémentitielles. Quant au
tissu fondamental secondaire, il s'hypertrophie,
trouble, par son gratid développement, l'arrange-
ment primitif des tissus; il devient même le siège
de_ la production de nouveaux faisceaux secon-
daires orientés d'une façon tout à fait différente
de l'orientation des premiers faisceaux secondaires.
Il en résulte bientôt pour ce tissu une apparence
d'étoiles enchevêtrées les unes dans les autres ;
les unes grandes, les autres petites, mais où tout
ordre semble avoir disparu. C'est cet arrangement
qui donne à la racine de rhubarbe son aspect par-
ticulier.
Le plus grand nombre des polygonées dos pays
tempérés ont une tige qui atteint à peine un mètre
de hauteur. Les tiges des polygonées de l'Améri-
que équatoriale deviennent arborescentes. Quel-
ques polygonées ont une tige volubile fort longue,
mais d'un diamètre assez réduit. Toutes ces tiges
sont fortement cannelées.
Les feuilles des polygonées sont ordinairement
alternes, réunies en touffe à la base de la tige,
plus rarement dispersées sur toute la surface de
celle-ci. Elles se composent d'un limbe entier, à
bords crénelés, roulés en dehors dans le jeune
âge, et d'un pétiole engainant stipulé. Les sti-
pules de la feuille soudés entre eux enveloppent
complètement la base de chaque enironœud. 0:i
donne à cette gaine le nom d'ochréa. La présence
de cette gaine est un des caractères les plus sail-
lants des polygonées.
Les fleurs des polygonées sont hermaphrodites,
rarement unisexuées par avortement; elles ^oni
pédiculées et groupées en inflorescences fouillées.
Les principales formes de ces inflorescences sont
des épis, des grappes, dos panicules, dos capitules
à involucre tubuleux. Chaque fleur se compose :
1° D'un calice accrescent. c'est-à-dire qu'il croît
pendant toute la période du développement du
fruit ; le nombre des sépales de ce calice est un
multiple de trois ;
2° D'un androcée de six à quinze étamines. Les
filets de ces étamines sont inséiés sur un torus
glanduleux; les étamines groupées par deux ou
trois alternent régulièrement avec les pièces du
calice. Les anthères supportées par ces filets sont
biloculaires; elles s'ouvrent tantôt vers l'intérieur,
tantôt vers l'extérieur de la fleur ;
;i° D'un ovaire à trois carpelles soudés par leurs
bords et ne formant qu'une seule loge ; cet ov:iire
est surmonté de trois styles renflés à leur extré-
I mité supérieure ; il ne contient qu'un seul ovule
' orihotrope dressé.
Le fruit que donne cet ovaire est soc, indéhis-
cent; c'est un akène ou un caryopse. Il est presque
toujours enveloppé par le calice accrescent.
Classification des Polygonées- — On classe les
polvgonoes de la manière suivante :
'Involuc
cliréa nul Eriogow'cs.
' des ochréa Pohjgonéss vraies.
) pas d'ochréa , \
I l'S'' Ki^impan- Brunniomccs.
FLBuns uniscxutîcs, pas d'ochréa.
S,jn.
On rapproche généralement des polygonées la
famille des Chénopodées, dont le nom vient de
Chenopodium, nom latin de VAnsérine.
Les Chénniiodées diffèrent des polygonées :
1° Par leurs fleurs, qui sont construites sur le
type cinq ;
2" Par leurs ovules courbés ou comjjylotropes ;
;i° Par l'absence d'ochréa.
On divise les Chénopodées en deux tribus. Dans
la première, celle des Cyclolobées, l'eiubryon est
annulaire ou courbé en fer à cheval.
Dans la seconde, celle des Spirolobées, l'em-
bryon est enroulé en spirale.
Usages des Polygonêea et des Chénopodées. —
Parmi les principales polygonées dont l'homme
tire parti, nous citerons :
1° La Rhuharbe ou Rlieum. La rhubarbe fut in-
troduite en Europe, au dixième siècle, par les
Arabes; ceux-ci la tenaient eux-mômos des Chi-
nois. Les anciens connaissaient une rhubarbe
qu'ils appelaient Rhn. Elle venait des bords du
Pont-Euxin ; on l'appela plus tard Rha poiiticum
pour la distinguer du Rha bai bai-um qui venait
de Scythie. C'est de RUa barhavum qu'on a fait
>hu>,a>'he. Les rhubarbes sont si nombreuses et
si variées que pendant longt'Mups on n'a su à
quelle espèce rapporter la rhubarbe des pharma-
ciens, laquelle est originaire du Thibet. On sait
aujourd'hui qu'elle appartient au Rhi>u>noffii;innlc.
Cette racine a une saveur anière très prononcée ;
elle est purgative; elle agit sans provoquer aucun
malaise. Les rhubarbes les plus estimées sont : la
rhubarbe de Chine (originaire du Thibet), et la rhu-
barbe de Moscovie qui est originaire de la Tartarie
chinoise.
POLYGONES
— 1656
POLYGONES
Le Rhnpnnlic 'Wiewn Rhnponticum ou Rha des
anciens) est cultivé en Angleterre, en Allemagne
et dans le nord de la France, à cause de ses
feuilles dont on emploie les pétioles et les ner-
vures pour faire des tartes et des confitures.
T Les Rumex, dont les uns sont alimentaires
et laxatifs acides, ce sont le^ oseilles, et les antres
ont une racine jaune employée comme dépuratif
et antiscorbutique : ce sont les patiences et les
varelles ou oseilles douces.
3° Les Remuées (Pobjgonum). Le Pdyfjonum
bistovta ou la Bistorte est seul employé aujour-
d'hui en médecine; les autres Pohjgonum étaient
jadis employés aux mêmes usages que la bistorte.
Les Brésiliens et les Cocliinchinois emploient les
feuilles de quelques Polygonum contre les engor-
gements du genou. Les fouilles du rohjf/otium
tinctorium fournissent aux Chinois une matière
colorante bleue analogue à l'indigo. La culture
de cette plante a été introduite en France en 1834.
4» Les Fnqopyrum ou sarrazins ou blés noirs.
Ces dernières espèces sont précieuses parce
qu'elles fournissent à l'hommi; une farine abon-
dante, sapide. Le Faqoptpum esculentnin se con-
tente du sol le plus maigre; il fructifie rapide-
dement, et dans les contrées très pauvres il
remplace les céréales. On cultive quelquefois
le Fagnpyrum tartaricum au lieu du Fagop'/rum
esculentùm. Cette espèce plus rustique réussit
même sur les montagnes élevées ; sa farine est lé-
gèrement amère.
5° Le Coccoloba uvifera. Cet arbrisseau, 'qui
croit aux Antilles et sur le littoral atlantique de
l'Amérique tropicale, donne un suc astringent
connu dans la droguerie sous le nom de kino d'A-
mérique ou faux ratanhia.
6"" Le Colligonuoi Palla.ùa, arbuste aphylle qui
vit dans les sables de la Sibérie méridionale. Sa
racine, ses jeunes pousses et ses fruits sont co-
mestibles.
Parmi les Chénopodées les plus usitées, nous
citerons :
1° LsL Camphrée' de Jlfo?!/pe//îer, plante basse,
résineuse, touffue, qui répand une forte odeur
aromatique rappelant celle du camphre ; on l'em-
ploie en infusion théiforme.
2° VAmbioi'ie du Mexique, ou thé mexicain,
qui sert aux mêmes usages que la camphrée.
3° La betterave [Betn vu/ga' i-), dont les volu-
mineuses racines, hypertropliiées par la ciilture,
sont gorgées d'un liquide sucré dont on relire un
sucre cristallisé. Ce sucre, connu autrefois sous
le nom de sucre indigène, est presque seul em-
ployé maintenant en Europe. Les pulpes de bette-
rave, pressées, sont converties en tourteaux et
servent encore à l'engraissement du bétail.
4° La Bette ou p- i'ée (Bêla cicuta) fournit des
feuilles charnues qui sont comestibles lorsqu'elles
ont subi la cuisson.
5» Les feuilles du Spinacia oleracea, connues
sous le nom vulgaire à'épinards, et celles de VAr-
rocke (les jardins (Atrip'ex Iwrteiisis), qui sont
employées comme celles des bettes.
«° Les Saticnrnes, chénopodées i feuilles char-
nues, grasses, <|ui croissent dans les dunes ma-
ritimes. Les habitants des côtes de la Hollande
s'en servent pour remplacer le pourpier.
[C.-E. Bertrand.]
POLYGONES. — Géométrie, XI-XIV. — Etym. :
du grec polyijônns (qui a plusieurs angles).
1. — On appelle ;t(o/(/(;oHe une surface plane limi-
tée par dos droites qui se coupent deux h deux
(fig. I). Ces droites, terminées il leurs points de
rencontre, se nomment côtés du polygone; ces
points A, B, C, etc., sont les sommets des angles
et aussi les sommets du polygone. Le nombre des
angles formés par les côtés est égal au nombre
des côtés.
La somme des longueurs des côtés est appelée
périmètre.
Une droite qui traverse le polygone en allant
d'un sommet à un autre est nommée diagonale,
par exemple AC.
Quand un polygone reste tout entier du même
côté du prolongement de l'un quelconque de ses
côtés, il est dit convexe; tel est le polygone de
la figure 1. Les angles sont dirigésvers l'extérieur;
aucun ne rentre vers l'intérieur, comme cela se
voit au contraire dans le polygone ABCDEF (fig. 2).
Le polygone qui a le moins de côtés en a trois :
il porte le nom de trian(,le. Celui de quatre côtés
s'appelle qwidrihdére ; celui de cinq côtés, pen-
tagow; celui de six côtés, hexagone; celui de
huit côtés, octogone ; celui de dix côtés, décagone;
celui de douze côtés, dodécagone ; celui de quinze
côtés, jienlédécagone.
Les autres polygones étant peu usités, il est
tout il fait inutile de leur donner des noms analo-
gues à ceux-ci, comme font plusieurs auteurs. On
dira à l'occasion un polygone de sept côtés, de
neuf côtés, etc.
2. — Triangles. — Parmi les triangles, il faut dis-
tinguer: .
Le triangle isoscèle (fig. 3), qui a deux cotes
Le triangle équilatéril (fig. 4), qui a ses trois
côtés égaux :
Lp ti'ianglo redani/le (fig
droit :
POLYGONES
qui
— 1657 —
un angle
POLYGONES
Dans le triangle rectangle le côté opposé k l'an-
gle droit se nomme hypoténuse : c'est le plus grand
des trois côtés.
Dans presque tous les traités de géométrie, on
donne la dénomination de scaléne au triangle dont
les trois côtés sojit inégaux ; cet adjectif, em-
prunté au grec et signifiant boiteux, devrait être
abandonné, car on n'en fait jamais usage.
On appelle hauteur d'un triangle la perpendi-
culaire abaissée d'un sommet sur le côté opposé :
ce côté est alors considéré comme la base du
triangle. Telles sont AD perpendiculaire sur la base
BC (rtg. 6), et CF perpendiculaire sur la base AB.
Dans un triangle rectangle les côtés de l'angle
droit sont l'un la base et l'autre la hauteur.
Dans un triangle isoscèle, le côté inégal est ha-
bituellement pris pour base.
3. — Théobème. — La somme des ongles d'un
triiin;/le est égale à deux angles droits.
Prolongeons le côté AC (fig. 7) et du point C
lirons la droite CE parallèle au côté AB.
L'angle DCE est égal i l'ansle A , car ils sont
correspondants par rapport aux parallèles AB et
CE ; l'angle BCE est égal h l'angle B, puisqu'ils
sont alternes-internes par rapport aux mêmes pa-
rallèles. Les trois angles consécutifs assemblés
au point C sont donc égaux aux trois angles du
triangle; or leur somme vaut deux angles droits;
donc celle des trois angles du triangle vaut aussi
deux angles droits.
Corollaires. — Dans un triangle, il ne peut y
avoir qu'un angle droit ou qu'un angle obtus.
Dans un triangle rectangle, les deux angles aigus
sont complémejitairos.
L'angle BCD, formé au dehors d'un triangle par
un côte, et le prolongement d'un autre côté, se
nomme angle extérieur du triangle; il est égal à
la somme des deux angles intérieurs qui n'ont pas
le même sommet que lui.
■*• ~ Thuorème.— Z)«ns un poli/gonela somme des
amples est égale à autant de fois deux angles droits
qu il y II de eûtes moins deux.
Dans l'hexagone ABCDEF ^fig. 8), menons du
sommet A les diagonales AC, AD, AE. Elles divi-
sent le polygone en autant de triangles qu'il y a
de côtes moins deux. Or, la .somme des angles du
polygone n'est autre que la somme des angles de
ces triangles ; donc elle vaut, comme cette der-
nière, 2 angles droits multipliés par le nombre
des triangles, c'est-i-dire 2 angles droits multi-
pliés par le nombre des côtés diminué de 2.
5. — Théoiième. — Daiu tout triangle., chaque côté
est plus petit qne la somme des deux autres.
En effet, d'un sommet ;\ l'autre, la ligne droite
est plus courte que la ligne brisée formée par
les deux antres côtés du triangle.
De ce principe résulte celui-ci : chaque côté est
plus grawl que la différence des deux autres. En
effet, désignons par a, b, c les trois côtés d'un
triangle ; nous avons d'abord :
a<h + c.
Or on peut, sans altérer l'inégalité, retrancher
aux deux membres une même quantité, c par
exemple ; on a alors :
a — c<6 ou b>a — c.
G. — THÉonÈME.— Dans un triangle isoscèle les
angles opposés aux côtés égaux sont égaux.
Soit le triangle isoscèle ÀBG (fig. 9), dans lequel
les côtés AB et AC sont égaux. Imaginons un
deuxième triangle, A'B'C, qui serait le premier
triangle retourné, comme un feuillet rabattu de
gauche à droite. Portons ce deuxième triangle sur
ie premier, en appliquant le côté A'C sur le coté
AB qui lui est égal. L'angle A' n'étant autre que
l'angle A, le côté A'B' doit se placer sur la direc-
tion du côté AC, et comme ils sont égaux, 1 extré-
mité B tombe au point C ; par suite, la base C B
se confond avec la baso BC. L'angle C, qui n est
autre que l'angle C, coïncide avec l'angle B ; donc
l'angle C est égal à l'angle B.
".— Théorème.— P.éciproquement, .si daiîs un
triangle d-nx angles sont égaux, les côtés opposés
à ces angles sont érjoux.
En effet, supposons qu'après avoir tiré une
base BC (fig. 91, on ait construit les angles B et C
égaux. Pour faire voir que le côté .^C se trouve
égal au côté AB, on peut employer la même dé-
monstration que dans le théorème précédent Seu-
lement, on portant le deuxième triangle sur le
premier, on applique la base C/B' sur la base BC,
le point C en B et le point B' en G. L'angle B',
qui n'est autre que l'angle B, étant égal à l'angle
C, le côic B'A' se place sur la direction du côté
CA et son extrémité A' tombe sur cette direction ;
de même, h. cause de l'cgalité des angles C et B,
le côté C'A' se place sur la direction du côié BA ,
POLYGONES
1658 —
POLYGONES
et son extrémité A' tombe sur cette direction : le | Son centre se trouve à l'iniersection des perpen-
point A', devant être ainsi à la fois sur BA et sur diculaires élevées par le milieu dn deux côtés.
CA, se trouve au point A. Ainsi, les deux triangles
coïncident, et par conséquent A'B' est égal à AC,
ce qui revient à dire que AB est égal à AC.
Corollaivf. — Dans un triangle équiangle, les
trois côtés sont égaux.
S. — Théorème. — Daiis un triangle hoscèle la
bissectrice île l'angle du sommet tombe au milieu de
la base et lui est perpendiculaire.
En effet, soit le triangle isoscèle ABC (fig. 10), et
La perpendiculaire élevée au milieu du troi-
sième côté paSîC par le point d'intersection des
deux autres.
•1° On peut toujours décrire une circonférence
qui soit tangente aux trois côtés d'un triangle :
le cercle ainsi placé est dit inscrit au triangle.
Son centre se trouve h l'intersection des bissec-
trices de deux angles; la bissectrice du troisième
anul" passerait par le point d'intersection des deux
autres. Le rayon est la perpendiculaire abaissée
de ce point sur l'un quelconque des trois côtés.
12. — Egalité de deux TniA\GLEs. — Pour recon-
naître l'égalité de deux triangles, il n'est pas né-
cessaire de comparer les trois côtés et les trois
angles de l'un avec les trois côtés et les trois an-
gles de l'autre. Il suffit de s'assurer que trois de
leurs six parties sont égales, l'une des trois au
moins étant un côté. De là les trois cas d'égalité
énonc^'S dans le théorème suivant.
Théorème. — Deux triangles sont égaux :
1" Lorsqu'i's ont un côté l'gal adjacent à deuv
anglds respectivemenl éianx ;
2° Lorsqu'ils ont drux côtés respectivement
égaux et formant entre eux un angle égal;
' 3° Lorsque leurs trois côtés sont respectivement
égnur.
(Considérons les deux triangles .\BC et A'B'C
(fig. 12).
AD bissectrice de l'angle BAC. Si on replie le
triangle le long de la bissectrice et qu'on rabatte
la partie de droite sur la partie de gauche, le côte
AC prend la direction du côté AB, et comme il
lui est égal le point C tombe au point D ; par suite
DC coïncide avec DB ; donc le point D est le mi-
lieu de BC. De plus, on voit que l'angle ADt: coïn-
cide avec son adjacent ADB ; ces deux angles sont
donc égaux, et, puisque BDC est une ligne droite,
la droite AD, formant avec elle deux angles adja-
cents égaux, lui est perpendiculaire.
Corollaires. — La droite menée du sommet d'un
triangle isoscèle ou d'un triangle cquilatéral au
milieu de la base est perpendiculaire à la base et
est bissectrice de l'angle du sommet.
9. — Théobème. — Si dans un triangle deux an- ■ n n t, n'
gles sont inéqaux, le côté opposé au plus grand \ 1° Soit CB = C'B'; C = C' ; B = B .
anqle est plus urand que le côté opposé au plus Portons le deuxième triangle sur le premier, en
petit. '' ^ '' .ippliquant le côté C'B' sur le côte égal (.B. A cause
Soit l'angle ABC > G (fig. II). Tirons du som- de l'égalité des angles C et C, le côte C'A' se place
' snr la direction de C \ et son extrémité A se
' trouve sur celte direction ; de même à cause de
' l'égalité des angles B' et B, le côte B'A' se place
! sur la direction de BA et son extrémité A' se
' trouve sur cette direction : le point A', devant être
' à la fois sur la direction de CA et sur celle de BA,
! tombe au point A, Ainsi les deux triangles coin-
1 cident, et par conséquent ils sont égaux dans toutes
I leurs parties.
2° Soit CB = C'B' ; CA = C'A' ; C = C.
Fig. tl. Si l'on porte le deuxième triangle sur le premier,
en appliquant l'angle C sur l'angle C, le côte CB
met B la droite BD de manière à former l'angle 1 coïncide avec le côté égal CB. et le côte C A avec
DEC égal à l'angle C. Dans le triangle BDC le côté "■ "- '- '—■'■•>■"-'• '•■■>'» * R
BD se trouve égal à DG. Or la droite AB est moin-
dre que la ligne brisée AD -|-DB; donc elle est
moindre aussi que AD + DC, c'est-i-dire que AC.
10. — Théohème. — Réciproquement, si dans un
triangle diux côtés sont inégaux, l'angle opposé
au plus grand côté es! plus grand que l'angle op-
posé nu ptus petit.
En effet soit AB < AC (fig. II). Si l'angle C
n'était pas plus petit que l'angle ABC, il lui serait
supérieur ou égal. S'il lui était supérieur, le
côté AB serait plus grand que le côté AC ; or, il a
été supposé plus petit. Si l'angle C était égal à.
l'angle ABC, les deux côtés AB et AC seraient
égaux; or on les a supposés inégaux. L'angle G
ne pouvant être ni supérieur, ni égal à l'angle ABC,
est donc nécessairement plus petit que lui. 1 . A.5r'n'
11. — Ceucleciuconscritou inscrit a un triangle, dessous du premier ABC, en appliquant le cotéCB
— 1" On peut toujours décrire une circonférence , sur son égal GB, dans la position Bt'.D, et tirons
passant par les trois sommets d'un triangle; le i la droite AD. Le côté CD qui n'est autre que C A
cercle ainsi formé est dit circonscrit au triangle. [ est égal il CA; par suite dans le triangle iso-
le côté égal CA; par suite le troisième côte A B
coïncide avec le côté AB. Ainsi les deux triangles
se confondant sont égaux.
.30 Soit AC = A'C' ; AB = A'B' = CB = C'B .
Plaçons le deuxième triangle ABC (fig- 13) au-
Fig. 13.
POLYGONES
— 1659 —
POLYGONES
fcMo ACD, l'angle A3 est égal à l'angle D,; on voit
(in la même maulère que l'angle A, est égal à l'an-
gle D,. L'angle CDB et par suite l'angle A', est
égal h l'angle CAB ; les deux triangles ACB et
A'C'B', ayant ainsi un angle égal compris entre
deux eûtes respectivement égaux, sont égaux.
13. — Egalité de deux triangles bectangles. —
Outre ces trois cas d'égalité qui s'appliquent à
deux triangles quelconques, il y a deux autres
cas particuliers aux triangles rectangles : ils sont
énoncés dans le tliéorème suivant.
TiiÉonÈME. — Deux triangles rectangles soiil
l'gaux :
1° Quand ils ont l'hypoténuse é'jale et un autre
côté égal;
2° Quand ils ont l'hypoténuse égale et tm angle
aiqu égal.
■ Considérons les deux triangles rectangles ABC,
A'K'C (fig. U).
1» Soit BC = B'C'; AB= A'B'.
Si on parle le deuxième triangle A'B'C sur le
premier ABC en appliquant A'B' sur son égal AB,
le côté A'C se place sur la direction de AC à cause
des angles droits A et A'.
Les hypoténuses sont alors deux obliques égales
partant du même point B de la perpendiculaire
BA ; elles doivent donc avoir leurs pieds à égale
distance de la perpendiculaire et par conséquent
se confondre. Donc les triangles coïncident.
-."Soit BC = B'C'; C = C'.
On porte le deuxième triangle sur le premier
en appliquant l'angle C sur son égal C ; alors C'A'
se trouve sur la direction CA et l'hypoténuse C'B'
coïncide avec son égale CB. Les deux côtés B'A' et
BA sont deux perpendiculaires menées du même
point B à la même droite CA ; donc elles doivent
avoir la même direction; par suite le point A',
devant être Ji la fois sur CA et sur BA, tombe au
point A. Ainsi les deux triangles coïncident.
14. — Construction d'i'n triangle. — Des cas d'é-
galité exposés dans ce qui précède, il résulte que
pour construire un triangle il faut connaître trois
de ses six parties, l'une au moins étant un côté.
X" On connaît un colé et les deux unifies {idja-
ceiits. — Apres avoir tiré une droite égale au côté
donné, on mène de l'une de ses extrémités une
droite faisant avec elle un angle égal à l'un des
deux angles donnés, et de l'autre extrémité une
droite faisant avec elle un angle égal à l'autre
angle. Ces droites limitées à leur rencontre dé-
terminent le triangle demandé.
2° 071 cannait deux côtés et l'angle compris
entre eux. — Après avoir construit un angle égal
à l'angle donné, on prend sur les côtés de cet
angle, à partir du sommet, des longueurs égales aux
côtés donnés, et on joint les extrémités par une
droite.
.30 On cannait les trois côtés. — Après avoir tiré
une droite égale à l'un des trois côtés, on décrit
de l'une de ses extrémités prise pour centre un arc,
avec un rayon égal à l'un des deux autres côtés;
puis de l'autre extrémité prise pour centre, avec
un rayon égal au troisième côté, un autre arc qui
coupe 1h premier. Il n'y a plus qu'à joindre le
point d'intersection des deux arcs aux extrémités
du premier côté.
H faut observer que le triangle n'est possible
qu'autant que le plus grand des trois côtés donnés
est plus petit que la somme des deux autres. Dans
le cas contraire les deux arcs ne se couperaient
pas.
Cas particulier. — On connaît deux côtes et
l'angle opposé à l'un d'eux. — Soit a et i les deux
côtés et A l'angle opposé au côté a (fig. 15). Après
avoir construit l'angle A, on prend sur un de ses
côtés une longueur AC^i ; puis de B comme
centre on décrit, avec un rayon égal h l'autre côté
a, un arc qui coupe l'autre côté AE de l'angle en
B' et B. En tirant les droites CB' et CB, on a deux
triangles différents ACB' et ACB, qui répondent à
la question.
Si le côté a qui doit être oppose à l'angle A
était moindre que la perpendiculaire CD, le
triangle ne serait pas possible; si ce côté a était
égal S. cette perpendiculaire, le triangle rectangle
ACD serait le triangle demandé.
On verra facilement que dans le cas où le côté
opposé à l'angle A est plus grand que l'autre côté,
le triangle est toujours possible et qu'il n'y en a
qu'un. 11 en serait de même si l'angle donné, au
lien d'être aigu, comme dans la construction pré-
cédente, était droit ou obtus.
15. — THÉ011È.ME. — Si deux triangles ont deux
côtes respectivement égaux, comprenant entre eux
un angle inégal, le 3' côté opposé au plus petit
angle est /ilns petit que le 3' côté opposé au plus
grand angle.
Soitdans lesdeux triangles ABC et A'B'C'(fig, IG),
AB = A'B'; AC = A'C';BAC>B'A'C'.
Pour démontrer que B'C est moindre que BC,
portons le 2' triangle sur le 1" en appliquant
A'C sur son égal AC; le 2* triangle prend alors la
position ACE et la question est ramenée à démon-
trer que CE est moindre que CB.
Tirons la droite AD bissectrice de l'angle BAE,
et la droite DE. Les deux triangles ADB et ADE
sont égaux, comme ayant un angle égal compris
entre deux côtés respectivement égaux (AD com-
mun et AB = AE) ; donc DE est égala DB. Or du
point E au point C on a :
EC<ED-fDC.
En remplaçant ED par son égal DB, on obtient :
EC<BD-|-DC
ou:
B'C'<BC,
ce qui démontre le théorème.
POLYGONES
— 1660 —
POLYGONES
Réciproquement Sî deux trianqle<: ont deux côtés j coté commun AD; les angles alternes-internes Aj
respectivement égaux et le 3° côté inégal, l'angle \ et D, égaux à cause du parallélisme des côtés AC
opposé au plus grand côté est plus grand que ' et BD, les angles alternes-internes Aj et Dj égaux
l'angle opposé au plus petit. I pour une même raison.
On le démontre, en faisant voir que d'après les L'égalité des deux triangles montre donc que
théorèmes précédents l'angle opposé au plus grand AB est égal à CD et que AC est égal à BD.
côté ne peut être ni inférieur ni égal à l'angle de 3° Dans le parallélogramme ABcD (lig. 20) con-
l'autre triangle.
Ui. — Quadrilatères. — 1° On nomme parallélo-
gramme un quadrilalère dont les quatre côtés sont
parallèles deux à deux (fig. 17). Deux côtés op-
posés sont regardés comme les bases du parallé-
logramme; la perpendiculaire qui mesure leur !
distance est appelée Aa^^/eio'.
On donne souvent cette figure aux planchettes
qui composent les parquets.
2° On nomme rectangle un quadrilatère dont
les côtés opposés sont égaux et dont les angles
sont droits. Cette figure se rencontre partout:
c'est celle d'une porte, d'une table à quatre côtés,
d'un carreau de vitre, etc.
3" On nomme carré un quadrilatère dont les
quatre côtés sont égaux et perpendiculaires entre
eux. Tels sont les carreaux de vitre, quand leurs
quatre côtés sont égaux, les carreaux en terre cuite
à quatre côtés qui composent un dallage, etc.
Le rectangle et le carré, ayant leurs côtés op-
posés parallèles, sont aussi des parallélogrammes.
4° On nomme losange un quadrilatère dont
les quatre côtés sont égaux, mais non perpendicu-
cnlaires entre eux (fig. is).
On trouve souvent cette figure sur les panneaux
des boiseries. Certains parquets sont composés
aussi de losanges égaux.
n. — Théorème. — Dans fout parallélogramme
1° Les angles opposés sont égaux;
2° Les côtés opposéi sont égaux;
S'Les deux diagonales se coupent en leur milieu.
Soit le parallélogramme ABDC (fig. 19).
sidérons les deux triangles opposés AOB et DOC.
Le côté DC est égal à AB ; les angles alternes-
internes CDO et 01!A sont égaux, puisque DC et
AB sont parallèles; pour une raison semblable les
angles alternes-internes DCO et OAB sont aussi
égaux. Les deux triangles ayant un côté égal adja-
cent à deux angles respectivement égaux sont
égaux; par conséquent leurs côtés analogues DO
et OB sont égaux, ainsi que les deux autres côtés
analogues AO et OC.
18. — Théorème. — Réciproquement sî on cons-
truit un quadrilatère avec des côtéi opposés égaux,
ces côtés se trouvent parallèles et le gtcodrilatère
est un piirollélogramme.
Supposons AB = DC et AG = BD (fig. 19), et ti-
rons la diagonale AD. Les deux triangles ADB et
ADC sont égaux, comme ayant leurs trois côtés
respectivement égaux; donc les angles analogues
A, et D, sont égaux et par conséquent les droites
AC et BD qui lés forment avec la sécante AD sont
parallèles. De même les côtés AB et DC sont pa-
rallèles, à cause de l'égalité des angles Ao et D^.
Remarque. — Il résulte do ce théorème que le
losange est aussi un parallélogramme.
19. — Théorème. — Si onconslruit un quadrila-
tère en lui donnant deux côtés opposés égaux et pa-
rallèles, les deux autres côtés le sont aussi et le
quailrilalére est un parallélogramme.
Supposons AB égal et parallèle h CD dans le
quadrilatère ABDC (fig. 19). Les deux triangles
aDB et ADC ont un angle égal (Aj et Da) compris
entre deux côtés respectivement égaux; ils se
trouvent par conséquent égaux ; donc les côtés
AC et BD sont aussi égaux et par suite parallèles.
20. — Remarques sur les diagonales. — Dans le
carré les deux diagonales sont égales et perpen-
diculaires entre elles.
Dans le rectangle elles sont égales, mais obli-
ques l'une à l'autre.
Dans le losange elles sont inégales, mais per-
pendiculaires entre elles.
Ces remarques sont utiles pour la construction
de l'un de ces quadrilatères, îi l'aide des deux dia-
gonales.
21. — Trapèze. — On nomme trapèzenn quadri-
latère dans lequel deux côtés opposés sont paral-
lèles (fig. 21).
1° Les angles opposés B et C, par exemple, sont
égaux; car ils ont leurs côtés parallèles et dirigés
en sens inverse.
2° Les deux triangles ACD et ABD, déterminés
par la diagonale AD, sont égaux; car ils ont un
Les deux côtés parallèles BC et AD sont les
bases; on appelle hauteur la perpendiculaire qui
mesure la distance des deux parallèles.
22. — Théorème. — Dans tout trapèze la droite
qui joint les milieux des deux côtés non parallè-
POLYGONES
— 1661 —
POLYGONES
les est puraUcle aux
s et est éijate à leur demi-
somme.
Soil dans le trapèze ABCD (lîg. 2?) la droite
joignant les milieux M et G des côtes AB et DC.
Tirons par le point G la droite FE parallèle à BA,
jusqu'à, la rencontre de la base BG et du prolon-
gement de l'autre base AD, ce qui forme le paral-
lélogramme ABFE. On reconnaît facilement que
les deux triangles DGE et GFG sont ogauxj
comme ayant un côte égal (DG et QC) adjacent à
deux angles respectivement égaux; et par suite
EG est égal à GF et DE égal à FC. Les côtés AM
et EG, moitiés des droites égales AB et EF, sont
donc égaux, et comme en outre ils sont parallèles,
la droite MG est aussi égale et parallèle à AE.
On a alors :
MG =AC — CF
MG = AD + DE.
On en tire par l'additiou :
2MG = AC + AD-f DE — CF, •
MG =
AG-l-AO
Corollaire. — Cette démonstration subsiste quel-
que petite que soit la base supérieure du trapèze.
Le principe est donc vrai pour le cas où cette
base se réduirait à un point ; alors le trapèze est
un triangle : donc la droite qui joint les milieux
de deux côtés d'un triangle est parallèle à la base
et en est la moitiii.
23. — Théorème de Pïtuagore. — A cet exposé
des principales propriétés du triangle et du qua-
drilatère, nous devons joindre la relation qui existe
entre les trois côtés d'un triangle rectangle, et qui
est connue sous le nom de théorème de Pythagore.
Nous croyons faire plaisir aux maîtres en leur
donnant ici de ce principe si important une dé-
monstration moins tliéorique que celle qui se
trouve déjà, à l'article Aire, et assez simple pour
être à la portée de tous les élèves de l'école pri-
maire.
Nous l'empruntons à Sturm, mathématicien
allemand du dernier siècle.
Citons d'abord le théorème : te carré fait sur
l'hypoténuse d'un triangle rectangle est équivalent
à la somme des carrés faits sur les deux autres
côtés.
Pour le démontrer plaçons deux carrés ABCD
et AFGH (fig. 23) l'un à côté de l'autre, de ma-
/ '
^
7
"^^..^
/
nière que le côté AH du plus petit soit sur le pro-
longement du côté AB du plus grand.
Prenons liK = AU et du point K tirons les droi-
tes KG et KG, co qui détermine doux triangles
rectangles BGK et KGII, dont il est facile do re-
connaître l'égalité. Portons le triangle BGK au-
dessous de la figure en appliquant le côté CB sur
son égal CD; il prend alors la position CDI, le
côté DI se trouvant sur le prolongement de AD.
En môme temps Fi est égal à AD. Plaçons ensuite
l'autre triangle KGll au-dessous du côté FG, en
appliquant le côté KH sur son égal FI; il prend
la position FIG, le côté GH coïncidant avec FG.
La figure formée par les deux carrés est ainsi
changée en un quadrilatère KCIG, dont les quatre
côtés sont égaux ; en outre l'ajigle Kj est droit,
puisque les angles Kg et K3 valent ensemble un
angle droit. Le quadrilatère KCIG est donc un
carré, et comme son côté est l'hypoténuse du trian-
gle rectangle BKC, le théorème est démontré.
24. — De la symétrie dans les figures planes. —
Soit une droite indéfinie MN (fig. 24J et un point
A. Abaissons de ce point sur M\ la perpen-
diculaire AK et prolongeons-la d'une quantité
KA'=KA; les deux poinis A et A' occupent des
positions pareilles à droite et à gauche de MN ;
c'est ce qu'on exprime en disant qu'ils sont symé-
triques par rapport à. la droite M Si.
Ainsi deux points sont symétriques l'un de
l'autre par rapport h une droite, lorsque, situés
des deux cotés de cette droite, ils en sont k la
môme distance et sur une môme perpendiculaire
à cette droite.
Soit de môme BH et CI perpendiculaires à MN;
HB' égal à HB et IC' é^al à IG. Le triangle A'B'C
est symétrique du triangle ABC par l'apport à MN;
le trapèze B'G'KII est symétrique du trapèze
BCKH, etc. La droite MN est \'axe de symétrie.
On voit que si l'on plie le plan de la figure le
long de l'axe de symétrie, la partie supérieure de
la figure, retombant sur l'autre, coïncide avec elle.
La nature nous montre cette symétrie dans la
structure d'une feuille, dans la disposition des
organes de notre corps; nous l'imitons dans l'as-
pect que nous donnons à la façade d'un édifice,
dans l'ornementation des panneaux d'une boise-
rie, etc.
Au point de vue purement géométrique, les
deux diagonales sont l'une et l'autre des axes de
symétrie dans le carré et le losange ; la hauteur
menée entre les deux côtés égaux dans un trian-
gle isoscèle et la droite qui joint les milieux des
deux base.s dans un trapèze dont les côtés non
parallèles sont égaux, sont des axes de symétrie.
25. — Construction d'un polfigone égal à un pohj-
gone donné. — Le moyen le plus commode et le
plus exact consiste à décomposer le polygone donné
en triangles par des diagonales, et à construire suc-
cessivement des triangles égaux à ceux du poly-
gone donné et dans les mômes positions.
20. — Polyuones SEMBLABLES,— L'idée do la simili-
POLYGONES
— 1662 —
POLYGONES
tude géométrique existe avec une assez grande
netteté dans l'esprit des enfants. Qu'un d'entre
eux s'amuse à copier en petit une image repré-
sentant, par exemple, un soldat sous les armes ;
il sait très bien que s'il réduit la hauteur à la
moitié, toutes les lignes de son dessin doivent
être la moitié de celles auxquelles elles corres-
pondent dans l'image. Ce n'est pas tout ; il a soin
de conserver aux diverses parties de la plus petite
figure les mêmes courbures, les mêmes angles que
dans l'autre. Ce sont là les deux conditions néces-
saires de la similitude. De là résulte la définition
suivante : on appelle polygones semblables deux
polygones qui ont leurs angles respectivement
égaux et leurs calés ho'iiologues pronortionnels.
L'expression c^tés homologues désigne deux
côtés qui se correspondent dans les deux polygo-
nes, en d'autres termes, deux côtés qui sont ad-
jacents à deux angles respectivement égaux.
Le rapport constant qui existe entre deux côtés
homologues est souvent désigné par le nom de
rapport de similitude des deux polygones. Par
exemple si tous les côtés du plus petit polygone
étaient les | des côtés homologues du plus grand,
le rapport de similitude serait |.
2". — Théorème. — Si on ■oupe un triangle par
ime droit'' parallèle à un côté, le triangle partiel
ainsi fo.m' est semhlable au triangle total.
En effet soit DE parallèle à BC (Hg. 25) ; les trois
angles du triangle ADE sont égaux aux trois
angles du triangle ABC. De plus il a été démon-
tré à l'article Lignes proportionnelles (p. 11C7) que
les trois côtés du triangle partiel sont proportion-
nels aux trois côtés du triangle total ; par exem-
ple si AD est les | de AB, AE est les | de AC et
DE les I de BC. Donc les deux triangles sont sem-
blables. , . , ,, ., ,
28. — Comtruction d un triangle semblable à un
trïa'igle donné. — Soit à construire un triangle
fait par exemple A'B'= | AB et A'C = | AC ; puis
on tire la droite B'C Le triangle A'B'C est sem-
blable au triangle ABC.
En effet prenons AD = A'B' = | AB et tirons
DE parallèle à BC ; le triangle ADE est semblable
au trianglf ABC. Par suite le côté AE est aussi
les I de AC et par conséquent égal à A'C. Les
deux triangles A'B'C et ADE sont donc égaux,
comme ayant un angle égal (A et A'j compris entre
deux côtés respectivement égaux; donc A'B'C est,
comme ADE, semblable à ABC.
3° Avec les trois côtés.
On construit le triangle A'B'C avec trois côtés
qui sont par exemple les l des trois côtés du pre
mier; les deux triangles sont semblables.
En effet prenons AD = A'B' = l AB et tirons
DE parallèle à BC ; le triangle ADE est semblable
au triangle ABC. Or AD étant les | de AB, le
côté AE est aussi les | de AC et par conséquent
égal à A'C ; de même DE est les | do BC et par
conséquent égal à B'C. Les deux triangles A'B'C
et ADE ayant ainsi leurs trois côtés respective-
ment égaux sont égaux; donc le triangle A'B'C est
semblable, comme ADE, au triangle ABC.
De ce qui précède résultent les théorèmes sui-
vants, qui constituent trois cas de similitude de
deux triangles, tout à fait analogues aux trois cas
d'égalité.
Deux triangles sont semblables :
1» Quand ils ont deux angles respectivement
égaux ;
2° Qunnd ils ont un angle égal compris entre
deux côtés respectivement proportiomiels ;
3° Quand les trois côtés de l'un sont proportion-
nels aux trois côtés de l'autre.
29. _ Applicatio.x. — l" Supposons un terrain de
forme triangulaire ABC (fig. 27), dont on voudrait
connaître la surface.
semblable au triangle ABC (fig. 2C). Cette coastruc
tion peut être efi'ectuée de trois manières.
1 Avec un côté et deux angles.
On tire .\'B' égal par exemple aux | du côté
AB ; aux extrémités on forme l'angle A' égal à
l'angle A et l'angle B' égal à l'angle B ; le triangle
A'BX' ainsi obtenu est semblable au triangle
ABC.
En effet prenons AD = A'B' = | AB et tirons
DE parallèle à BC ; le triangle ADE est semblable
au triangle ABC, d'après le théorème précédent.
Or le triangle A'B'C est é^al au triangle ADE;
car ils ont un côté égal (A'B' = AD) adjacent à
deux angles respectivement égaux; donc A'B'C est,
comme ADE, semblable à ABC.
2» Avec deux côtés et l'angle compris entre eux.
On construit l'angle A' égal à l'angle A et on
Après avoir mesuré à la cliaîne les trois cotes,
on construit un triangle A'B'C semblable à celui
du terrain, avec des côtés contenant par exemple
autant de millimètres qu'il y a de mètres dans les
côtés mesurés sur le terrain. On abaisse ensuite
la hauteur AD', et le nombre de millimètres
qu'elle contient indique le nombre de mètres de la
hauteur correspondante AD sur le terrain, il ne
reste plus qu'à multiplier entre elles les longueurs
de BC et de AD et à prendre la moine du pro-
duit.
Le triangle A'B'C est dit le plan de terrain.
2» C'est par une opération semblable qu on peut
trouver la longueur d'une distance BA qu il_ ne
serait pas possible de mesurer à la chaîne,
comme dans le cas où les points A et B seraient
séparés par un marais, une rivière, etc.
Sur le terrain on détermine une droite BC dont
on obtient la longueur à la chaîne ; à l'aide du gra-
phomètre on mesure les angles CBA et BCA. Avec
ce côté et ces deux angles on construit le trian-
gle A'B'C semblable au triangle ABC; le cuto B A
mesuré à l'échelle du plan fait connaître la dis-
tance BA. ...
30. — Similiturle de deux polygones. — L c gante
des angles di deuï triangles est une conséquence de
la proportionnalité des trois côtés, et réciproque-
POLYGONES
— 16G3 — POLYGONES RÉGULIEIIS
meut; mais il n'oii est pas de même pour les aii-
ires polygones. Que l'on construise, par exompln,
deux poi]tagon(!S, en prenant les côtés de l'un
l'gaux à la moilio des cùti-s de l'autre, et ces côtés
(tant formés par dos tiges articulées autour des
points où elles se joignent. On pourra allonger
plus ou moins, et dans un sens quelconque, les
cotés do l'un de ces pentagones; sa forme variera,
sans que ses côtés cessent d'être proportionnels h
ceux de l'autre pentagone : il ne sera donc pas
semblable an premier.
Constnictiiiii d'un polygone semblable à un
autre. — Soit à construire un polygone sembla-
qu'il y a de mètres dans CD ; du point D' on tiro
la droite D'E' faisant avec D'C l'angle C'D'E' égal
à l'angle CDE, et on lui donne autant de centi-
mètres qu'il y a de mètres dans DE. 11 ne reste
plus qu'.'i tirer la droite A'E'.
Si les constructions faites sur le papier sont
exactes, on doit trouver dans le côté A'E' autant
de centimètres qu'il y a de mètres dans AE ; l'angle
D'E' A' doit êtr.' égal à l'angle DEA et l'angle B'A'E'
égal à l'angle BAE.
32. — Remarque. — Les quelques exemples que
nous avons cités suffisent pour montrer toute
l'importance de la tliéoiie des polygones sembla-
bles. Le lever des plans n'en est que l'application
aux polygones figurés par les terrains. Quant
aux détails des opérations pratiques à effectuer
sur le terrain lui-même, nous renvoyons nos lec-
teurs à l'article Lever des plans.
[G. Bovier-Lapierre.]
POLYGONICS RÉGULIEUS. — Géométrie, XV.
— 1. — Divisons une circonférence en un nombre
quelconque de parties égales, en six, par exemple,
ble au polygone ABCDE (fig. 28), les côtés du
deuxième devant être par exemple les | des côtés
du polygone donné.
r On décompose le polygone donné en triangles
par k'S di.igonales AC et AD. On construit ensuite
un triangle A'B'C semblable au triangle ABC, en
lui donnant des côtés égaux aux | des côtés du
triangle ABC; puis sur A'C un triangle A'C'D'
semblable au triangle ACD et sur A'D' un trian-
gle A'D'E' semblable au triangle ADE.
Le polygone ainsi formé A'B'C'iyE' est sembla-
ble au polygone donné ABCDE. En effet, par suite
de la similiiude des triangles AliC et A'B'C, des
triangles ACD et A'C'D', des triangles ADE et
A'D'E', les côtés du deuxième polygone sont tous
les g des côtés homologues du premier ; en même
temps les trois angles qui ont leur sommet en A'
sont égaux aux trois an^-les qui ont leur sommet
en A ; les deux angles qui ont leur sommet en C
sont égaux aux deux angles qui ont leur sommet
en C, etc. Ainsi les angles des deux pentagones
sont respectivement égaux et leurs côtés homo-
logues sont proportionnels ; donc les deux poly-
gones sont semblables.
De là ce théorème : deux polygones composés
d'un me'me noiubre de tiiangles respectivement
stmlilables et seniblublejnent placés, sont sem-
blables.
31 . — Application. — Supposons que le polygone
ABCDE (fig 28) soit un champ, et qu'on ait mesuré
i la chaîne les côtés et les diagonales. Si l'on a con-
struit les triangles du deuxième polygone en rem-
plaçant le nièire par le centimètre par exemple,
le deuxième polygone sera le plan du terrain. En
menant la hauteur dans chaque triangle du plan,
on connaîtra les hauteurs correspondantes des
triangles du terrain ; on pourra ainsi calculer la
surface.
2° On peut construire le polygone semblable au
pplygone donné, sans recourir aux diagonales;
c'est ce qu'il faut faire, quand le polygone donné
est un terrain dans l'intérieur duquel il ne serait
pas facile de pénétrer.
Pour cela on mesure les côtés à la chaîne et les
angles au graphomètre. Puis on construit sur le
papier un angle A'B'C égal à l'angle ABC, en
donnant aux deux côtés A'B' et B'C autant de cen-
timètres, par exemple, qu'il y a de mètres dans
les côtés AB et Bi; du terrain. Du point C on tire
la droite CD' faisant avec C'B' un angle égal à
l'angle BCD et on lui donne autant de centimètres
(fig. 1), et tirons les cordes AB, BC, etc., des six
ares.
Tous les côtés de l'hexagone ainsi formé sont
égaux, puisqu'ils sous-tendent des arcs égaux;
tous les angles Aût;, BCD..., etc., sont aussi égaux,
comme angles inscrits qui interceptent entre leurs
côtés des arcs égaux (4 fois la sixième partie de la
circonférence'.
Un polygone qui a tous ses côtés égaux et tous
ses angles égaux est appelé pnlygnne régulier.
On peut imaginer la circonférence divisée en un
nombre quelconque de parties égales ; il y a donc
des polygones réguliers de tout nombre de côtés.
2. — L'angle d'un polygone régulier est égal à la
somme de ses angles divisée par le nombre des
angles, c'est-i-dire par le nombre des côtés.
Voici les valeurs de ces angles pour les princi-
paux polygones :
Triangle équilatéral
Carré
Pentagone
Hexagone
Octogone
Décagone
Dodécagone ..,,..
a.dr. ou
C0°.
90°.
lOS».
120».
135°.
\ik\
150».
3. — La construction du polygone régulier à l'aide
de la circonférence met en évidence les propriétés
suivantes.
Le Centre de la circonférence est également
distant de tous les sommets du polygone régulier
ainsi que de tous les côtés ; pour cette raison il
est aussi appelé centre du polygone régulier.
Les droites égales menées du centre d'un ps-
lygone régulier i tous les sommets sont appelées
rayons du polygone ; elles le divisent en triangles
isoscèles égaux et elles sont bissectrices des an-
gles du polygone.
Los angles égaux formés au centre du poly-
gone régulier par deux rayons aboutissant aux
extrémités d'un même côté, sont nommés angles
POLYGONES RÉGULIERS — 1664 — POLYGONES RÉGULIERS
au centre; la valeur de chacun est le quotient de
4 angles droits divisés par le nombre des côtés.
Les perpendiculaires menées du centre aux cô-
tés du polygone sont égales et tombent au milieu
des côtés; elles se nomment npothètnes.
Un polygone régulier étant donné, pour en trou-
ver le centre, il faut mener les bissectrices de
deux angles du polygone, ou élever des perpen-
diculaires aux milieux de deux côtés ou mener
une de ces perpendiculaires et la bissectrice d'un
angle : le point d'intersection de ces droites est le
centre cherché.
On peut toujours décrire une circonférence
passant par tous les sommets du polygone; elle
a pour centre le centre du polygone : c'est
la circonférence circouscnle, ABCD par exemple
(fig- 2).
La circonférence qui aurait le même centre et
un rayon égal à l'apothème est tangente à tous
les côtés du polygone et en leurs milieux; elle
est dite circonférence imcrtie, GHl... par exemple.
Réciproquement le polygone régulier est ins-
crit à la circonférence qui a pour rayon OA, et
circonscrit à la circonférence qui a pour rayon son
apothème.
4. — hiscrire et circ07i'!crire unpo't/gone régulier
i/ans un cercle. — 1° Pour inscrire un polygone
régulier dont le nombre des colés est donné, il
suffit do diviser la circonférence en autant de par-
ties égales que le polygone doit avoir de côtés et
de tirer les cordes des arcs.
2° Pour circonscrire un polygone régulier, il
suffit de mener par les points de division de la
circonférence des tangentes (fig. 3). En se coupant
deux à deux, elles déterminent un polygone régu-
lier, dont les côtés sont tangents à la circonfé-
rence.
En effet les triangles A'AB, B'BC, etc., sont
isoscèles, puisque leurs angles à la base, formés
par une corde et une tangente, ont tous pour
mesure la moitié d'arcs égaux, et que leurs bases
AB, BC, etc., sont toutes égales.
On pourrait aussi mener des tangentes par les
milieux des arcs sous-tendus par les côtés du po-
lygone inscrit ; le polygone circonscrit obtenu par
ce moyen aurait ses côtés parallèles à ceux du po-
lygone inscrit C'est un exercice que nous laissons
au lecteur.
^.—Division de lu circonférence enparties égales.
— 1° Pour diviser la circonférence en 4 parties
égales, il suffit de mener deux diamètres perpen-
diculaires entre eux. Si l'on divise ensuite chacun
des quatre arcs en deux parties égales, on a la circon-
férence divisée en 8 parties égales, puis en IG, en
32, etc. En appliquant le théorème de Pythagore
à l'un des quatre triangles isoscèles dont le carré
inscrit est composé (fig. 4), on trouve facilement
que le côté du carré inscrit est égal au rayon mul-
tiplié par y'j.
2° La corde qui sous-tend la sixième partie de la
circonférence est égale au rayon.
En efl'et soit l'hexagone régulier inscrit ABCDEF
(fig. I). Dans le triangle isoscèle ABO Tangle au
centre AOB est égal à la sixième partie de quatre
angles droits, c'est-à-dire à 60°. La somme des an-
gles à la base GAB et DBA est égale h 180»— 60',
c'est-à-dire à 120°, et comme ils sont égaux, cha-
cun vaut 60°. Ainsi le triangle AOB ayant ses trois
angles égaux, ses trois côtés sont égaux.
Le côté de l'hexagone régulier inscrit dans un
cercle est donc égal au rayon.
La circonférence divisée en 6 parties égales se
trouve par là même divisée en 3 parties égales,
ce qui donne le moyen d'inscrire le triangle oqui-
latéral. Puis en divisant les six arcs en deux par-
ties égales, on en aura 12, puis 24, et ainsi de
suite.
3° Pour avoir la corde qui sous-tend la dixième
partie de la circonférence, il f.iut diviser le rayon en
deux parties telles que la plus grande soit moyenne
proportionnelle entre la plus petite et le rayon
entier, ou, comme on dit ordinairement,;)a)-/a3ec le
rayon en moyenne et extrême raison : la corde
est égale à la plus grande des deux parties.
Pour faire ce partage on construit un triangle
rectangle COA (fig. 5), dont les côtés de l'angle
droit sont l'un le rayon 0,\ et l'autre OC la moitié
du rayon ; de l'hypoténuse AC on retranche la
moitié du rayon (CI = CO) ; le reste AI est la
corde cherchée.
Si on rabat AI sur la circonférence à droite et
à gauche du point A, les cordes AF et AG seront
deux côtés du décagone régulier inscrit; la corde
FG sera le côté du pentagone régulier.
Observation. — Nous ne jugeons pas à propos
d'exposer ici la démonstration de cette question
qui est en dehors du cadre de l'enseignement
primaire ; nos lecteurs la trouveront dans tous les
traités de géométrie classique.
POLYGONES RÉGULIERS — 1G65 — POLYGONES RÉGULIERS
G. — Construction d'un pnlygonc régulier dont le j
coté est i/onné. — La construction du triangle
éqnilatéral et du carré est déjà connue.
Pour l'hexagone, il sufiit do décrire une cir-
conférence avec un rayon égal au côté donné, et
de porter ensuite ce rayon six fois sur la circon-
férence.
Quant aux autres polygones réguliers, on ne
peut pas employer la circonférence, comme pour
l'hexagone; car on ne connaît pas le rayon de la
circonférence qu'il faudrait décrire.
Voici deux procédés h suivre. Soit par exemple
h construire un pentagone régulier dont le côté
aura î ceniimèu-es.
1° Après avoir tiré une droite égale à 3<^°', on
mène de ses deux extrémités deux droites de
3*" faisant avec elle, l'une à droite, l'autre à,
gauche et du même côté de cette droit«, des angles
de 108°. On répète la même construction aux
extrémités de chacun de ces cotés et oii continue
ainsi.
Ce procédé est un peu défectueux, à canse des
erreurs inévitables causées par l'emploi du rap-
porteur dans la construction des angles.
ï° Ayant décrit une circonférence d'un rayon
quelconque lA (fig. 6) on la divise par tâtonne-
Fig. 6.
ment (ce qui est plus rapide) en cinq parties
égales; soit AK une de ces parties. On tire la
corde AK ; on la prolonge pour lui donner une
longueur AB égale au côté du polygone demandé ;
du point B on tire BO parallèle à. Kl jusqu'à la
rencontre du prolongement du rayon Al, et du
point 0 pris pour cejitre, avec OA pour rayon,
on décrit une circonférence qui passe au point
B : l'arc AB est la 5" partie de la circonférence.
Il ne reste plus qu'à porter AB cinq fois sur la
circonférence pour avoir le pentagone.
La démonstration ne présente pas la moindre
dilflculté ; il suffit de remarquer que le triangle
isoscèle KIA est l'un des cinq triangles isoscèles
du pentagone régulier qui serait inscrit dans le
cercle lA, et que le triangle BOA est semblable
au triangle KIA.
I- — Construction de l'octogone régulier, — La
construction précédente s'applique à tous les po-
lygones réguliers ; cependant il y a pour l'octo-
gone un autre procédé d'une grande simplicité.
Soit AB (fig. 1) le côte de l'octogone à con-
struire. En son milieu on élève une perpendicu-
laire sur laquelle on porte IG = I\, et à la suite
une longueur CO ^CA; puis du point G pris pour
centre on décrit une circonférence passant par les
extrémités de AB. L'arc AB est précisément la hui-
tième partie de la circonférence; il ne reste plus qu'à
porter 8 fois cotte corde AB sur la circonférence.
Nous laissons au lecteur le soin de trouver la
démonstration ; elle se réduit il faire voir que
l'angle AOB est égal k un demi-angle droit.
8. — Construction du ilécagnne régulier. — On
peut employer une construction analogue pour le
décagone régulier (fig. ").
Sur AB, côté du décagone à construire, on forme
un triangle éqnilatéral .\i;B; sur le prolongement
de la hauteur CI, on porte CD égal à CA, et le
point O est le centre de la circonférence à décrire
par les extrémités A et B ; l'arc AB sera la lO»
partie de la circonférence.
9. — De l'emploi des polggones réguliers. — La
forme de quelques polygones réguliers est fré-
quemment employée pour certaines constructions,
comme les bassins des jardins publics; c'est sur-
tout dans le dallage et la parquetage qu'on les voit
le plus souvent.
Il n'y a que trois espèces de polygones régu-
liers qui puissent servir à former un dallage
composé de polygones d'une seule espèce. On
peut assembler autour d'un point, de manière à
couvrir exactement tout l'espace : 1° quatre carrés ;
2° six triangles équilatéraux ; 3" trois hexagones. Et
en effet trois angles d'hexagones réguliers placés
autour d'un point font 3 fois liO" ou 3i;u''. Les
six triangles équilatéraux forment par leur ensem-
ble un hexagone régulier.
Des octogones réguliers laisseraient entre eux
quatre un vide carré.
On utilise dajis le parquetage diverses combi-
naisons de polygones réguliers et même de losan-
ges pour produire dos figures variées : c'est dans
les traités de dessin linéaire que nos lecteurs les
trouveront.
10. — Poli/gones réguliers étoiles. — Il existe une
autre espèce de polygones ayant leurs angles
égaux et leurs côtés égaux; mais ces côtés s'entre-
croisent et donnent au polygone une forme parti-
culière qui les a fait appeler polygones étoiles.
Soit une circonférence (fig. 8j divisée en 5 par-
Fig. 8.
ties égales; les cordes des cinq arcs forment le
pentagone régulier convexe ABCDF.
Si on joint les points de division de deux en
deux, c'est-à-dire un point au deuxième après lui,
par des droites, menées par exemple de A en G,
de C en F, de F en B, de B en D, on finit par ar-
river au point de départ A, après avoir fait deui
fois le tour de la circonférence. Le pentagone
ACFBD \ ainsi formé est un pentagone étoile.
Par leur intersection les côtés de ce pentagone
forment dans son intérieur un pentagone régulier
convexe A'B'C'D'F'.
Si la circonférence est divisée en 8 parties égales
105
POLYGONES RÉGULIERS — ^666 — POLYGONES RÉGULIERS
on peut former un octogone régulier étoile en joi-
gnant les points de division de 3 en 3, et il n'y en
a pas d'autre ; car en joignant les sommets de
2 en 2 on obtiendrait le carré inscrit.
REMiiiQUE. — 11 n'existe pas en réalité d'hexa-
gone régulier étoile construit par le procédé (lui
vient d'être indiqué. Cependant si, après avoir di-
visé la circonférence en 6 parties égales, on y in-
scrit un triangle équilatéral, puis un autre trian-
gle équilatéral dont les sommets soient les mi-
lieux des arcs sous-tendus par les côtés du premier,
on obtient un polygone régulier ayant la forme
étoilée.
II. — Analoyie entre le cercle et le polygone ri--
(/ulier. — Qu'on inscrive dans un cercle des po-
lygones réguliers dont le nombre des côtés va e:i
doublant toujours (fig. 9), chaque périmètre est
Fig. 9.
plus grand que le précédent, mais il reste tou-
jours moindre que la circonférence. La différence
entre le périmètre du polygone inscrit et la cir-
conférence va donc en diminuant indéfiniment, et
on comprend qu'avec un nombre de côtés exces-
sivement grand, cette difl'érence peut devenir plus
petite que toute quantité donnée ; de là cette con-
séquence:
On peut regarder le cercle comme un poli/gone
régulier d'un nombre infiyii de côtés infiniment
petits.
12. — Théorème. — Deux circonférences sont
proportionnelles à leurs rayons.
Inscrivons dans les deux circonférences O et 0'
(flg. 10), deux polygones réguliers d'un même nom-
bre de côtés, cinq par exemple, et supposons que
le rayon O'A' soit les ^ du rayon OA. Les trian-
gles isoscèles O'A'B' et OAB sont semblables,
comme ayant leurs angles respectivement égaux;
par conséquent le côté A'B' est les | du côté AB,
et le périmètre du petit polygone est aussi les |
du périmètre du grand. Ainsi le rapport des péri-
mètres des deux polygones réguliers inscrits d'un
môme nombre de côtés est égal au rapport des
rayons. Il en est de même quelque grand que soit
le nombre des côtés des deux polygones, et par
conséquent pour un nombre infiniment grand,
c'est-à-dire pour deux circonférences. Le théo-
rème est ainsi démontré.
13. — Rapport entre la circonférence et son dia-
mètre. — Le rapport de deux circonférences, étant
égal à celui des rayons, est aussi égal à celui de
leurs diamètres. Soient donc c et e' deux circon-
férences, d et d' leurs diamètres ; on aura la
proportion :
c d
? = rf"
ou, en changeant les moyens de place entre eux -.
c c'
d~T
Cette dernière proportion montre que le rap-
port entre une circonférence et son diamètre est le
même pour toutes les circonférences ; en d'autres
termes ce rapport est constant.
Ce rapport est incommensurable, et dans les
calculs il est désigné par la lettre grecque tc
(■prononcez pi), qui est la lettre initiale du nom
grec yperiphereia) de la circonférence.
Voici ce rapport avec les six premières déci-
males :
Tt = 3,141592.
Dans les problèmes ordinaires on prend 3,1416
ou même 3,14.
14. — Calcul de la circonférence. — De l'égalité
c . ,
-, = -:t on tire c^ a'X.n.
d
De là cette règle : M longueur de la circonfé-
rence fsl égale au produit du diamètre multiplié
par le nomlire%.
Si on désigne le rayon par r, cette règle est
ainsi exprimée :
c = 27ir.
Uéciproquement on trouve le diamètre en divi-
sant la circonférence par le nombre w.
15. — Mesure d'un arc. — 1° Pour connaître la
longueur d'un arc d'un certain nombre de degrés,
on calcule d'abord la demi-circonférence en mul-
tipliant le rayon par tc ; on divise le produit par
180, ce qui donne la longueur d'un arc de 1 degré,
et on multiplie le quotient par le nombre de
degrés.
Si l'arc contient des degrés, des minutes et des
secondes, il vaut mieux, au lieu de tout convertir
en secondes, calculer la longueur de l'arc de
1 minute, celle de l'arc de 1 seconde, les multi-
plier par le nombre de degrés, par le nombre de
minutes, par le nombre de secondes et addition-
ner ensuite les produits.
Exemple. — Calculer la longueur d'un arr de
bG'-jT pris sur une circonférenc ; dont le diamètre
a 2°,i8.
Longueur de la demi-circonférence :
1,24x3, 14 = 3°',8U3G.
Longueur de 180° 3»,893G.
3,893G „„.,,,„,
Longueur de 1° ' ,^,. =0,O21()3.
Longueur de 1'.
180
"■"•■""^^0,00036.
(iU
Arc de 56- 0",0'31C3x5G = 1,21128.
Arc de 3T 0'",000.3Gx37 =0,01832.
Longueur de l'arc de àC'S'i', 1",224G0.
1 6. _ Vetermination de ti. — Considérons un cer-
cle d'un rayon connu, qui aurait par exemple 1 unité
de longueur, et un hexagone régulier inscrit. Le
périmèlre de cet hexagone étant égal à 6, la cir-
conférence est supérieure à G. Inscrivons ensuite
des polygones réguliers de 12, 2i, 48, etc., côtés ;
le périmètre, toujours inférieur à la circonférence,
en dilTérera de moins en moins, à mesure que le
nombre des côtés devieridra de. plus en plus grand-
Pour calculer ces périmètres, il faut d abord
résoudre le problème suivant :
polygonù;s réguliers — ine?
Etant dniiiés le vaijO'i d'un rerch et le côté du
polygone n'mdier inscrit, trouver Le côté du po-
lygone réij.Jier inscrit ayant un nombre de côtés
doii/j/e.
Pour cela tirons le diamètre CE perpendiculaire
au côté AB (fig. 11) d'un polygone régulier inacrit ;
Fig. 11.
désignons par a le côté AB, par ?• le rayon et par
c le côté AC du polygone régulier inscrit ayant
deux fois plus de côtes que le premier.
Dans le triangle rectangle CAE, le côté AG est
moyen proportiojinel entre sa projection CD sur
l'hypoténuse et l'hypoténuse; on a donc :
ou :
AC2=CEXCD
c2 = 2)-x(;'— OD).
Le triangle rectangle ODA donne ensuite :
ou
od=Vao'-ad»,
OD
.y/._ç=iVi;7Z^
En substituant cette valeur de OD dans celle de
c*, on trouve :
)
'2
ou :
et enfin :
C-^ = irx{r — -\^iri — a'-),
c« = 2'-«-cV'i''--«-.
c = Y 2;-a — rVï
Application. — Prenons le rayon égal à 1 1 ; la
formule devient:
c = ^2-S/i-aK 1)
Le côté f, do l'hexagone étant 11, on a pour le
côté Cii du décagone :
c,j=V2-V'F.
En remplaçant dans la formule (I) «a par le
carré de Ca on trouve pour le côté r.^^ du polygone
•„=v/2-V/4-2+V3,
Cj4=V2-V'2+V3.
On trouverait de même :
v/^
POMMES DE TERRE
Vs = 1,73205-
2-tV3 = 3,7.3205.
s/l +V:i = 1,93185.
f+\/2+V3 = 3,93185.
'2_±^2+Él= 1.98289.
? -V 2 +\^-2 +V'-i = 0.01711.
C48=V2-V2+v/2+V3 = 0,13085.
;)48= 0, 13085 X 48 = 6,27864.
En effectuant les calculs avec une plus grande
approximation, on trouve pour les périmètres les
valeurs suivantes :
Périm. de 6 côtés G.OOflOO.
— 12 — 6,21165.
— 24 — 6,26525.
— 48 — 6,2:870.
— 96 — 6,2«20S.
— 192 — 6,28290.
La partie 6,282 commune à ces deux derniers
périmètres se reproduira dans tous les péri-
mètres suivants; elle est donc une valeur de la
circonférence approcliée à moins de 1 millième
près. Il ne reste plus qu'à la diviser par 2, valeur
du diamètre, pour avoir le rapport it; on obtient
ainsi :
6,282
= 3,141.
<'48=V2-V2-|-V'2-+-V3,
et ainsi de suite.
Voici, comme exemple, le tableau du calcul de
Cn a laide des logaritlimei à 5 décimales.
Archimède avait trouvé 3 |. Adrien Métius, géo-
mètre hollandais du xvii' siècle, a donné pour ce
rapport le nombre îy|,qui est plus approché que
celui d'Arcliimède. Il est facile h retenir, si l'on
observe qu'il suffit d'écrire deux fois de suite
chacun des trois premiers nombres impairs, et de
prendre les trois derniers chiffres pour le numé-
rateur et les trois premiers pour le dénominateur.
fG. Bovier-Lapierre.]
POLYPES. —V. Rnyonnés.
PUMMIiS DE TEltRE. — Agriculture, VIIL —
Originaire de l'Amérique méridionale, la pomme
de lerre fut importée en Europe au xvi' siècle par
les Espagnols. Elle se répandit d'abord dans les
Pays-Bas, dans les Flandres et dans une partie de
la Lorraine. Mais sa culture ne devint générale
qu'après les efforts faits au xviii" siècle par Par-
mentier pour la propager en France. On compte
aujourd'hui, en France, chaque année environ
1,200.000 hectares cultivés en pommes de terre.
Leurproduit, en année moyenne, est de 130,600,000
hectolitres de tubercules, soit à pou près 1 10 litres
par hectare. Dans d'autres pays, la production de
la pomme de terre est encore plus élevée qu'en
France ; en première ligne, il convient de citer
l'Irlande et l'Allemagne.
La pomme de terre est cultivée, comme on sait,
pour ses racines tuberculeuses. Tantôt on les
emploie directement à la nourriture de l'homme
ou à celle des animaux, tantôt on les soumet à un
travail spécial, pour en extraire la fécule qu'elles
renferment; tel est le but des féculeries, qui con-
stituent une importante industrie agricole.
Sous l'influence de la culture, il s'est produit
un grand nombre de variétés de pommes de terre,
reconimandables, les unes par leur rendement,
les autres par leur précocité, d'autres enfin par
la finesse de leur goût. 11 est impossible d'énu-
mérer ici toutes ces variétés. Les plus connues et
les plus répandues sont les vitelottes, les jaunes
rondes, les jaunes longues, les pommes do terre
de Ilullande, les marjolins, les patraques, etc.
La pomme de terre a une végétation très rapide
POMMES DE TERRE — 1668 — POMMES DE TERRE
et très vigiureuse. Plantée au printemps, en
mars ou avril, elle parcourt dans le courant de
l'été toutes les phases de sa végétation, et elle
arrive i. maturité h l'autonine. C'est par la plania-
tion des tubercules que se fait sa reproduction.
Partout où les céréales sont cultivées, la
pomme de terre peut venir avec avaiilagc. C'est
dire que l'aire sur laquelle peut se faire sa cul-
ture est d'une grande étendue. Les terres qui lui
conviennent le mieux sont les sols légers ou de
consistance et d'humidité moyennes, les terres
d'alluvion. et celles où domine le calcaire. Néan-
moins elle s'accommode de la )ilus grande partie
des natures de sols, quoique, dans les terres argi-
leuses, elle ne donne généralement qu'un assez
maigre produit. Dans tous les cas, pour que la
récolte viei.ne bien, il faut que le sol soit profon-
dément labouré et parfaitement ameubli, afin
que les racines puissent y prendre tout leur dé-
veloppement. La pomme, de terre viendra bien
après des labours de défoncemcnt, après des dé-
frichements de luzernières qui exercrnt sur le sol
l'action d'ameublissement qui est nécessaire pour
sa bonne végétation. Quant aux fumures, elles
sont nécessaires pour avoir une abondante récolte.
Sans insister sur les nombreuses expériences qui
en ont donné la preuve, il suffit de dire que jus-
qu'ici le fumier est l'engrais qui convient le
mieux à cette culture ; une fumure copieuse donne
toujours d'excellents produits. Toutefois, il parait
résulter d'essais faits avec soin que la fumure
avec le purin aurait pour résultat de diminuer la
richesse des tubercules en fécule.
Le plus généralement, on prend la récolte des
pommes de terre entre deux céréales. Il arrive,
dans les petites cultures, que l'on fait succéder
la pomme de terre plusieurs fois à elle même ;
celte pratique est surtout usitée en Irlande ;
la récolle se maintient, à la condition que les
soins de culture soient bien donnés.
On a vu plus haut que c'est au printemps
qu'on plante les tubercules des pommes de terre.
Cette opération doit être faite aussitôt que pos-
sible, mais il faut éviter trop de précipitation dans
les pays sujets aux gelées tardives qui frapperaient
les plantes levées. Quelques agriculteurs ont
préconisé la plantation automnale. Dans ce cas,
le tubercule mis en terre profite de la première
chaleur pour germer. Mais cette pratique ne s'est
pas généralisée. On plante ordinairement der-
rière la charrue à versoir ou derrière un araire.
Une deuxième charrue recouvre les tubercules
déposés dans le sillon. Cette pratique présente
deux inconvénients : d'abord, les tubercules sont
souvent plantés trop profondément; ensuite, la
plantation est irrégulière, d'où il résulte que le
buttage et le binage présentent des difficultés.
Le mieux est de tracer les lignes, à l'espace
voulu, avec un rayonneur, et de placer ensuite
au fond de la raie les tubercules que l'on re-
couvre de terre par un coup de herse. Par ce
ce .système, la profondeur de la plantation est tou-
jours la même, et il y a une grande régularité
dans les lignes.
Les tubercules dos pommes de terre portent à
leur surface un certain nombre de boutons ou
yeux qui sont autant de germes d'où sortiront
des plantes nouvelles. De là est venue, dans
certaines contrées, l'habitude de couper les tuber-
cules en autant de morceaux qu'ils portent d'j eux,
et de planter chacun de ces morceaux. L'expé-
rience a démontré que le produit était, dans ce
cas, inférieur à celui que donnent les pommes de
terre entières ; il ne faut donc avoir recours à
cette méthode que dans le cas de disette ou de
cherté excessive des pommes de terre de se-
mence.
La planUtion des tubercules doit être faite à
une profondeur de 15 à 20 centimètres. Le
meilleur espacement entre les plantes parait être
de 30 centimètres, et entre les lignes de 40 i
50 centimètres.
Les soins de culture à donner pendant la vé-
gétation de la pomme de terre sont importants.
Lorsque le plant a atteint dix à quinze centimè-
tres de hauteur, on pratique un premier binage
pour détruire les mauvaises herbes. Un peu plus
tard, on butte, c'est-à-dire on ramène une cer-
taine hauteur de tcne autour de la tige, afin que
celle-ci soit enterrée plus profondément. Les
avantages du buttage ont été mis en doute à di-
verses reprises; mais il est certain que cette opé-
ration, si elle a pour effet de diminuer un peu le
rendement, compense largement cet inconvénient
par la plus grande facilite qu'elle présente pour
faire la récolte. Dans tous les cas, il ne faut pas
que le buttage soit trop élevé; il ne doit pas dé-
passer environ le tiers de la hauteur que les tiges
atteignent. Le buttage se fait soit à la houe, soit,
dans les grandes cultures, avec une charrue spé-
ciale dite buttoir, et qui porte deux versoirs dis-
posés dos à dos.
On a quelquefois conseillé de supprimer les
fleurs et même une partie des feuilles, sous pré-
texte que la plante, ne produisant pas de graines,
donnerait des tubercules plus abondants. Des
expériences bien faites ont démontré que cette
opinion était erronée.
La dessiccation des tiges et des feuilles indi-
que le moment où il convient de procéder à la
récolte. L'arrachage des tubercules est fait le plus
souvent à la houe fourchue; des femmes suivent
les ouvriers et enlèvent les tubercules. On peut
aussi procéder à l'arrachage avec un appareil
spécial, consistant en une charrue dont le soc est
surmonté par une sorte de grille inclinée ou
griffe qui pénètre dans le sol, et, soulevant les
pieds de pommes de terre, amène les tubercules
à la surface, où ils sont enlevés par des ouvrières.
Il convient de choisir un temps sec pour procéder
à l'arrachage, autrement les pommes de terre
sont terreuses, humides et se conservent moins
bien. Les tubercules doivent être ramassés dès
qu'ils sont arraches et chargés sur des tombe-
reaux pour être portés à la ferme.
Le rendement des pommes de terre varie beau-
coup. Il est moindre, quand on les récolte avant
leur maturité complète; mais dans le Midi, où
l'on fait beaucoup de pommes de terre de pri-
meurs, on ne lient pas compte de cette infériorité
qui est d'ailleurs largement compensée par le pm
élevé auquel on vend la récolte. Dans les condi-
tions ordinaires, on estime le produit moyen d'un
hectare de pommes de terre bien cultivé de 350 a
280 hectolitres; le poids moyen de l'hectolitre
étant de 80 kilog., la récolte en poids est, dans
ces conditions, de 20,000 h 22,500 kilog.
Les tubercules sont conservés dans des caves
ou dans des silos creusés dans les champs. Il est
important qu'ils soient à l'abri de la geloe. Au
printemps, il convient de les retourner et de les
étendre par des pellet..ges ou de les placer dans
un lieu sec et aéré, afin de retarder le dévelop-
pement des germes.
La pomme de terre est sujette à diverses mala-
dies La plus importante, celle qui, à certains
moments, a sévi d'une manière désastreuse, est
la pourriture provoquée par un champignon au-
quel on a donné le nom de Buhytts mfeittms ou
de Perenosrora iiifeslans. Ce champignon opère,
pendant la végétatio» de la plante, une véritable
migration du tubercule de semence à la lige et
aux fiuilles, cl de là aux racines où il atteint les
tubercules en formation. Sa présence se manifeste
par des taches d'un brun-violet entourées d une
ligne blanchâtre, que l'on remarque sur les
POMPE
— 1669 —
POMPE
feuilles. On n'a pas encore trouvé le moyen de
détruire ce champignon ; mais on a observé que
la maladie se développe surtout h la fin de l'été,
dans les années pluvieuses et dans les cultures
en sol argileux. On la prévient, autant que pos-
sible, en cultivant des variétés précoces, et en ne
plantant que des tubercules absdlumcnt sains. On
conseille aussi do couper les feuille-; atteintes, et
surtout de les rejeter loin du cliamp, afin d'em-
pêclier le développement de la maladie, ou mieux
de les brûler.
Aux Étals-Unis d'Amérique, le développement
extraordinaire d'un coléoptère, le Do'-yphora de-
remlinea/a, a été la cause de la disparition presque
complète de la pomme de terre dans un certain
nombre d'États. Cet insecte n'existe pas en Eu-
rope; des mesures ont été prises par tous les
États pour en prévenir l'importation. A deux re-
prises il a été importé en Allemagne ; mais on
s'en est débarrassé par des mesures très énergiques,
consistant principalement dans la destruction de
la récolte et dans la désinfection du sol .
[Henry Sagnier.]
POMPE. — Pliysiquo, XII. — Les pompes sont
les appareils le plus fréquemment employés pour
élever les liquides. Dans toute pompe se trouvent
un cylindre creux ou corps de pompe dans lequel
se meut un piston, et des pièces mobiles appelées
soupapes qui établissent ou interceptent, au mo-
ment voulu, la communication entre le corps de
pompe elles tuyaux qui l'accompagnent
Le piston est ordinairement un cylindre métal-
lique, d'un diamètre moindre que celui du corps
de pompe, et sur lequel on enroule un cuir gras
ou des éloupes fortement serrées, de manière que
le piston remplisse exactement le corps de pompe
tout en conservant la possibilité d'y glisser.
Les soupapes sont de plusieurs formes : c'est
une sphère ou une portion de sphère, guidée par
une tige et posée sur l'orifice qu'elle doit fermer ;
ou bien c'est un clapet, c'est-i-dire une rondelle
métallique mobile autour d'une charnière fixée sur
le bord de l'ouverture.
Quelle que soit la disposition particulière adop-
tée, les pompes peuvent être groupées en trois
types principaux :
Les pompes aspirantes, les pompes foulantes,
les pompes aspirantes et foulantes.
t. — Pumpe aspirante. — Dans cet appareil, le
corps de pompe est à une certaine distance du ni-
veau de l'eau et il est prolongé par un canal étroit
plongeant dans l'eau et qui est le tuyau d'aspira-
tion. A la soudure de ce tuyau avec le corps de
pompe est une soupape s'ouvrant de bas en haut.
Le piston est percé d'un canal qui porte égale-
ment une soupape s'ouvrant comme la première.
Le canal de déversement esta la partie supérieure
du corps de pompe.
Le jeu de 1 aiipareil est simple. Au début, l'eau
est au même niveau dans le réservoir et dans le
tuyau d'aspiration; celui-ci est plein d'air d'une
force élastique égale à celle de l'air extérieur. On
soulève le piston, le vide se fait en-dessous de
lui; l'air du tuyau d'aspiration soulève la soupape
inférieure et se répand dans le corps de pompe.
L'eau s'élève au-dessus de son niveau jusqu'à ce
que la pression due à la colonne d'eau soulevée,
ajoutée à celle de l'air resté dans le tuyau, fasse
équilibre à la pression extérieure. Sitôt que le
piouvement ascendant du piston cesse, la soupape
inférieure retombe et toute communication est
fermée entre le corps de pompe et le tuyau d'as-
piration. Lorsque l'on redescend le piston, il com-
prime l'air renfermé dans le corps de pompe ; et
quand cet air est assez réduit de volume pour ac-
quérir une pression supérieure à celle de l'atmo-
sphère,il soulève la soupape du piston et s'échappe.
Ainsi, au commencement, toute pompe aspirante \
fonctionne comme une machine pneumatique : elle
extrait l'air contenu dans le tuyau d'aspiration.
Mais l'eau s'élève il chaque coup de piston dans
le tuyau, et si la première soupape est à moins
' de 10 mètres au-dessus du niveau do l'eau dans
I le puits, l'eau pénètre dans le corps de pompe. A
partir de ce moment, l'eau peut passer au-dessus
du piston et s'écouler ensuite par l'ajutage supé-
rieur.
' L'eau monte par l'effet de la pression atmo-
I sphérique «'exerçant sur la nappe liquide du ré-
servoir ; or cette pression ne peut tenir en équili-
bre qu'une colonne d'eau de \(i'".ii. Si donc la
première soupape se trouvait, au-dessus du niveau
du puits, à plus de 10 mètres, l'eau ne pourrait
la franchir, et la pom|)e ne fonctionnerait pas.
C'est le cas qui se présenta aux fontainiers de
I Florence qui voulaient établir une pompe dont le
tuyau d'aspiration avait 'iO mètres. Dans la prati-
que, on ne met guère que S à 9 mètres entre le
] niveau inférieur de l'eau et la position supérieure
du piston, à cause des imperfections inhérentes à
I l'appareil qui font que le piston ne peut jamais
faire au-dessous de lui un vide absolu. Alors, dès
que l'eau a atteint le corps de pompe, elle suit le
piston dans son mouvement et remplit le cirps de
pompe. L'appareil est amorcé, et chaque fois qu'on
I soulève le piston, on fait sortir par le canal de dé-
versement un volume d'eau égal au volume que
parcourt le piston dans le corps de pompe.
Habituellement on produit le mouvement du
piston h l'aide d'un levier. Comme la plus grande
résistance alleu pendant le mouvement ascendant
du piston, le levier doit être disposé pour que le
poids de celui qui manœuvre la pompe agisse pré-
cisément quajid le piston monte, que celui-ci soit
mu par un levier ordinaire ou par une bielle fixée
à un volant mobile par une manivelle.
L'effort à faire pour soulever le piston, quand la
pompe est amorcée, est égal au poi /s d'une co-
lonne d'eau ayant pour buse la section du piston
et pour hauteur la ilistauce à loquclle l'eau est
élevée. On s'en rend compte en cherchant la
pression que l'eau exerce sur chaque face du
piston, et en retranchant, de celle qui s'exerce en
dessus, celle qui agit en dessous. Ainsi, en élevant
l'eau à 9 mètres avec un piston de 50 centi-
mètres carrés de surface, l'effort à faire serait de
9uOx5U = 4500l) grammes ou 4.S kilogrammes,
H. — Pompe fiiulante. — Dans la pompe foulante,
le tuyau d'aspiration est supprimé et le piston est
plein. Le corps de pompe plonge directement dans
le réservoir. Il porte d'un côté une soupape qui
s'ouvre du dehors au dedans, de l'autre un tuyau
d'écoulement ou d'élévation à la naissance duquel
est une soupape s'ouvrant du corps de pompe vers
l'extérieur.
Vient-on à soulever le piston, il fait le vide au-
dessous de lui, l'eau du réservoir ouvre la première
soupape et vient remplir ce vide. Sitôt que le
mouvement ascendant cesse, la soupape se ferme.
Si alors on redescend le piston, il comprime l'eau ;
celle-ci fait ouviir la secondo soupape et passe
dans le canal élévatoire.
Dans ces sortes d'appareils, la plus grande ré-
sistance a lieu quand le piston descend ; outre le
frottement, l'effort il déployer est égal au poids
d'une colonne d'eau d'une section comme celle du
piston et de la hauteur comprise entre le déversoir
et le réservoir.
3. Pompe aspirante et foulante. — En réunis-
sant les eft'ets des deux pompes précédentes, on
obtient un appareil appelé pompe aspirante et
foulante. Cette pompe emprunte il la pnmpe aspi-
rante son tuyau d'aspiration avec la soupape qui
le termine; elle emprunte à la pompe foulante son
piston plein et son canal élévatoire. Quand le pis-
ton monte, il aspire l'eau dans le corps de pompe;
POMPE
1670
PONCTUATION
quand il descend, il comprime l'eau et la fait pas-
ser dans le canal élévatoire. L'effort du piston est
considérable pendant les deux moitiés de son mou-
vement alternatif, aussi a-t-on ordinairement re-
cours à un Tolant pour le faire mouvoir. Avec cette
pompe, on tire l'eau d'un puits qui est à 9 mètres
au-dessous de la soupape d'aspiration, et à partir
de li on peut l'élever i une hauteur qui n'a de li-
mite que l'effort auquel peuvent résister les parois
de l'appareil.
Emploi d'un piston plongeur. — Lorsqu'on
veut élever l'eau à une grande hauteur, ou la lan-
cer dans une enceinte à haute pression comme
une chaudière de machine à vapeur, on ne peut
employer les pistons ordinaires avec leurs lames
de cuir ou leurs étoupcs grasses; on les remplace
par un piston plongeur. C'est un cylindre plein
dont le diamètre est un peu plus petit que celui
du corps de pompe ; il glisse à frottement dans
une boîte il étoupes placée à la partie supérieure
du corps de pompe ; durant le reste de la course, il ne
touclie pas les parois. Quand ce piston est sou-
levé, il fait dans le corps de pompe un vide que
l'eau vient remplir après avoir ouvert les soupa-
pes. Quand on le redescend, il comprime l'eau et
en chasse hors du corps de pompe un volume
égal au sien.
Usage des pompes. Pompes à incendies. — La
pompe aspirante est employée pour tirer l'eau des
puits ou réservoirs peu profonds, quand il ne
faut pas élever le liquide à plus de 8 à 9 mètres
de son premier niveau. On en fait au besoin une
pompe élévatoire.
On la remplace par la pompe aspirante et fou-
lante dans le cas où l'on veut conduire l'eau d un
puits profond dans un réservoir élevé d'où on la
distribuera ensuite à tous les étages d'une maison.
La pompe foulante sert pour arroser les jardins,
pour épuiser une pièce d'eau ou tout réservoir
dans lequel la pompe elle-même peut être mise et
manœuvrée.EUe sert à prendre l'eau à une rivière
pour l'élever jusqu'au réservoir qui la dispensera
à toutes les maisons d'une ville. Enfin c'est elle
qui forme l'organe principal des pompes i incen-
dies.
La pompe à incfndin résulte de l'accouplement
rie deux pompes foulantes montées de manière à
donner un jet régulier et continu. Les tiges des
deux pistons sont articulées sur un même balan-
cier, de sorte que l'un des pistons monte quand
l'autre descend. L'eau est apportée dans un ré-
servoir attenant à l'appareil; elle est puisée là par
chaque pompe qui l'envoie dans un réservoir à
air. C'est cette boîte à air qui assure la continuité
du jet : l'eau en y arrivant comprime l'air qui se
trouve à la partie supérieure, et le gaz réagissant
par sa force élastique chasse l'eau dans le tuyau
de sortie. Celui-ci est terminé par un ajutage co-
nique nommé lance qui sert à diriger le jet. Et
comme l'orifice de sortie ne peut débiter tout le
liquide que le jeu un peu précipité des pistons
amène dans la boîte i air, la force de l'eau k la
sortie de la lance acquiert très vite une très
grande puissance de projection que l'on utilise pour
envoyer l'eau assez loin de la pompe.
Cette pompe est d'un très grand secours pour
l'extinction des incendies. On en fait des modèles
d'un transport et d'une manoeuvre très faciles. On
l'alimente par un puits, par une borne-fontaine ou
par une prise d'eau sur la voie publique, et h dé-
faut de CCS moyens, en apportant de l'eau, à l'aide
de seaux, dans son réservoir. S'il faut envoyer
leau de la pompe à une certaine distance, aux
points où elle est nécessaire, on prolonge le tuyau
de sortie à l'aide de boyaux en cuir cousu portant
à leurs extiémités des douilles à vis pour raccor-
dement ; le dernier est muni de l'ajutage ou lance
qui débite l'eau. Veut-on une grande force de pro-
jection pour le liquide, on prend une pompe à
grand réservoir d'air : une manœuvre rapide amène
dans ce réservoir assez d'eau pour comprimer
l'air à plusieurs atmosphères et le liquide est
lancé avec cette force que l'air comprimé lui com-
munique. [Haraucourt.]
PO.XCTrATION.— Grammaire, XXV. — Etym.:
du latin punctum, point, — La ponctuation est l'art
de distinguer par des signes conventionnels les
phrases entre elles, les diverses parties de chaque
phrase, et les différents degrés de subordination
qui conviennent à cliacune de ces parties.
Utilité et pbincipes de la ponctuation-. — Une
bonne ponctuation sort à donner de la clarté audis-
cours ; elle soulage les yeux et l'esprit du lecteur,
en lui faisant voir et sentir l'ordre, la liaison et la
distinction des éléments qui entrent dans la com-
position d'une phrase. « Il y aurait, dit l'Encyclo-
pédie, autant d'inconvénient à supprimer ou à mal
placer dans l'écriture les signes de ponctuation
qu'à supprimer ou h mal placer dans la parole les
repos de la voix. Les uns comme les autres ser-
vent à déterminer le sens ; et il y a telle suite de
mots qui n'aurait, sans le secours des pauses ou
des caractères qui les indiquent, qu'une significa-
tion incertaine et équivoque, et qui pourrait
même présenter des sens contradictoires, selon
la manière dont on y grouperait les mots. »
Ces saines notions sur le rôle et l'utilité de la
ponctuation remontent à une assez haute anti-
quité, el cependant encore de nos jours elles sont
peu comprises et souvent mal appliquées. La
faute en est aux grammairiens, qui par négli-
gence, et peut-être bien par pure ignorance, se
contentent de lui consacrer un chapitre tout à fait
insuffisant, où il n'est pas rare de rencontrer des
principes erronés. Ces principes sont exposés
avec autant de clarté que de simplicité dans une
lettre que M. Guizot écrivait, le 28 juin 1839, à
sa fille, alors âgée de dix ans,
" Ma chère Henriette, je te ferai encore la
guerre sur ta ponctuation ; il n'y en a point ou
presque point dans tes lettres. Les phrases se
divisent sans aucune distinction ni séparation,
comme les mots d'une môme plirase. Quand cela
n'aurait d'autre inconvénient que de causer à cha-
que instant, à la lecture de tes lettres, une sorte
d'embarras et de surprise, il y aurait là une rai-
son bien suffisante pour te corriger et pour ponc-
tuer comme tout le mondo... Toute ponctuation,
virgule ou autre, marque un repos de l'esprit, un
temps d'arrêt plus ou moins long, une idée qui
est finie ou suspendue, et qu'on sépare par un
signe de celle qui suit. Tu supprimes ces repos,
ces intervalles; tu écris comme l'eau coule,
comme la flèche vole. Cela ne vaut rien, car les
idées qu'on exprime, les choses dont on parle
dans une lettre, ne sont pas toutes absolument
semblables et toutes intimement liées les unes
aux autres comme les gouttes d'eau. 11 y a entre
les idées des différences, des distances, inégales
mais réelles, et ce sont précisément ces distances,
ces différences entre les idées que la ponctuation
et les divers signes de la ponctuation ont pour
objet de marquer. Tu fais donc, en les supprimant,
une chose absurde; tu supprimes la difi'érence,
la distance naturelle qu'il y a entre les idées_ et
les choses. C'est pourquoi l'esprit est étonné et
choqué en lisant tes lettres ; le défaut de ponc-
tuation répand, sur tout ce que tu dis, une cer-
taine uniformité menteuse, et enlève aux choses
dont tu parles leur vraie physionomie, leur vraie
place, en les présentant toutes d'un trait et
comme parfaitement pareilles et contigucs. u
Il ne suffit pas de dire à un enfant de mettre
des points et des virgules dans ses lettres ou dans
ses devoirs. Si l'on n'y joint ni les règles ni les
exemples, la recommandation est souvent inutile.
PONCTUATION
— 1671 —
PONCTUATION
L'enfant essaiera sans doute de ponctuer; mais,
faute d'un guide sûr, il placera les signes au
hasard, avec plus de bonne volonté que d'intelli-
gence. C'est ce qui ne manqua pas d'arriver à la
(ille de M. Guizot. lîn effet, quelques jours après,
le père lui adressait ces observations :
« Ma chère enfant, tu me trouveras bien con-
trariant; mais, je t'en prie, ne me jette pas à la
tête tant de virgules. Tu m'en accables, comme les
Romains accablèrent cette pauvre Tatia de leurs
boucliers. — Bonne maman n'a pas viulu, que
nous allassions à la pépinière parée que, il faisait
trop ehaud. Nout avons toutes deux, très bienprls
nos leçi-ns depiuno ; j'oi pris bien, eelle d'écriture.
— Quelle raison pourrais-tu me donner de celles
que j'ai soulignées? Il n'y a évidemment lii aucune
suspension, aucun intervalle entre les choses et
les idées ; elles se tiennent au contraire très étroi-
tement, et il faut passer sans s'arrêter de l'une à
l'autre. Pense à ce que tu fais ; penses-y pour
mettre une virgule ou ne pas la mettre, comme
pour prendre un chemin au lieu d'un autre quand
tu veux aller quelque part. «
Une conséquence de la définition que nous
avons donnée plus haut, c'est que les signes de
la ponctuation ne doivent servir qu'à indiquer les
coupures logiques du discours, c'est-i-dire les
divisions qui résultent de la décomposition d'une
idée ou d'un fait en parties plus ou moins indé-
pendantes. Or, une phrase n'étant autre chose
que la forme matérialisée ou le vêtement d'une
idée ou d'un fait, il est évident que dans l'écri-
ture on ne doit pas réunir des mots qui sout sé-
parés dans la pensée, ni séparer des membres de
phrase intimement liés dans l'esprit. C'est donc
avec raison que M. Legouvé, l'habile propagateur
de la lecture à haute voix, pose comme première
règle de l'art de lire l'observation des pauses indi-
quées par la ponctuation.
Cependant il y a une différence fondamentale
entre ce que nous appellerons la pause oratoire
et les pauses indiquées par la ponctuation. La
première est laissée jusqu'à un certain point à la
volonté de l'orateur, tandis que la seconde est
assujettie aux lois de la logique ; l'une est per-
sonnelle et variable, l'autre est générale et sou-
mise à des règles fixes.
C'est pour avoir méconnu cette distinction que
certains auteurs donnent comme première règle
de ponctuation le besoin de respirer. Un peu de
pratique et de réflexion leur auraient fait recon-
naître que la respiration est un acte purement
physiologique, qui varie d'un individu à l'autre,
qui dépend de l'état de santé du lecteur ou de
l'orateur, qui s'affaiblit par la fatigue et se for-
tifie par l'exercice. Comment dès lors prendre
pour règle et pour guide des mouvements de la
pensée humaine un besoin physique sujet à tant
de variations?
Cette distinction n'a pas échappé aux anciens.
Ckéron, si versé dans les moindres détails de l'art
oratoire, dit dans le De Oratore : « Les repos de
la respiration ne doivent pas être commandés par
la fatigue de l'orateur ou par les signes des co-
pistes, mais bien par la disposition des mots et des
phrases. » De ce passage de l'orateur romain on
peut conclure que, si la fatigue ne doit pas être la
règle de la respiration oratoire, elle ne doit pas
davantage être celle de la ponctuation. Les mots
« par les signes des copistes » prouvent que les
artistes qu'on appelait à cette époque li/jraires,
■c'est-à-dire confectionneurs de livres, employaient
certaines marques qui n'étaient autre chose que
des signes de ponctuation. Mais pourquoi Cicéron
permet-il à l'orateur de ne tenir aucun compte
des pauses indiquées par les copistes? C'est qu'ap-
paremment alors comme aujourd'hui on faisait
parfois de ces signes un emploi peu judicieux ;
I c'est que, comme la plupart des écrivains de nos
jours, ils n'avaient d'autre guide que la routine
du métier, d'autre règle que le caprice du moment.
L'orateur peut donc reprendre haleine avant
que sa provision d'air soit épuisée, avant que les
muscles de sa poitrine aient perdu leur ressort:
il peut arrêter, ralentir ou précipiter son débit,
suivant l'action qu'il veut exercer sur son audi-
toire. C'est là une question de tempérament,
d'habileté et de passion. Il est vrai que la plupart
du temps les arrêts ou pauses oratoires coïnci-
dent avec les coupures logiques du discours;
mais il ne manque pas de cas où cette coïnci-
dence n'a pas lieu : de sorte que l'on a eu raison
d'établir une différence entre la ponctuation par-
lée et la ponctuation écrite. En d'autres termes,
le lecteur ou l'orateur peuvent faire une pause
partout où il y a une ponctuation écrite ou impri-
mée, mais il est interdit à l'écrivain de figurer
par un signe tous les repos du débit oratoire.
On trouve cependant dans les Plnideurs de
Racine un exemple de figuration de la ponctua-
tion parlée. Mais il est évident que le poète n'a
eu d'autre intention que de guider le débit de
l'acteur. Voici le passage tel qu'il est ponctué
dans l'édition de l(j09:
l'intimé, d'un ton posant.
Puis, donc, qu'on nous, permet, de prendre
H ileine, et que l'on nous, défend, de nous, étendre.
Je vais, sans rien obmcttre, et sans prévariquer,
Cotnpendieusement énoncer, expliquer.
Exposer, â vos yeux, l'idée universelle
De ma cause, et des faits, renfermés en icelle.
On reconnaîtra sans peine que cette profu-
sion de virgules n'a rien à voir avec la ponctuation
grammaticale.
C'est donc à tort qu'un très grand nombre
d'auteurs ponctuent comme ils parlent : ils sépa-
rent par une virgule les membres de phrase les
plus étroitement liés entre eux, le sujet de son
verbe, l'antécédent de son conséquent, les com-
pléments, les modifications, les adverbes les plus
inséparables. De là des phrases coupées, hachées,
divisées en tronçons dépourvus de tout lien lo-
gique.
Le principal rôle de la ponctuation est de ren-
dre la phrase bien claire. Or ce qui distingue la
langue française entre toutes les langues, soit
anciennes, soit modernes, c'est son admirable
clarté. Quand une phrase n'est rendue claire qu'à
grand renfort de ponctuations, on peut affirmer
qu'elle n'est pas française.
La ponctuation est en général fort négligée
d.ins li's écoles primaires : témoin les devoirs et
les exercices recueillis par M. Buisson à l'Expo-
sition universelle do 1878. La même insuffisance
se rencontre dans l'enseignement des lycées et
des collèges. C'est dans les bonnes imprimeries
que se sont conservées les saines traditions de
l'art de ponctuer. Ayant constamment affaire à
des manuscrits qui présentent les ponctuations
les plu< arbitraires et les plus contradictoires, les
correcteurs d'imprimerie ont du adopter une rè-
gle commune, fondée sur l'analyse logique, c'est-
à-dire sur la structure même de la phrase. Dans
l'application de cette règle il y a sans doute par-
fois certaines divergences : cela est inévitable
dans une matière souvent assez délicate ; mais ces
divergences ne portent que sur des points secon-
daires, où l'emploi de telle ponctuation plutôt
que de telle autre n'affecte en rien ni le sens ni
la clarté du discours. Il suffit que l'on soit d'ac-
cord sur les principes généraux. Ce sont ces prin-
cipes que nous nous proposons d'exposer dans
cette étude, en les justifiant par de nombreux
exemples, tirés pour la plupart do nos auteurs
classiques.
PONCTUATION
— 1672
PONCTUATION
Avant d'aborder l'étude pratique de la ponctua-
tion, nous croyons devoir en faire succinctement
l'histoire : question d'érudition pleine d intérêt,
qui a été l'objet des recherches de nos savants
paléographes.
HibTOBiQUE. — La ponctuation remonte à une
haute antiquité. Dès les premiers temps, on voit
les points servir à distinguer les mots. Dans les
fameuses tables Eugubines, en lettres étrusques,
chaque mot est suivi de deux points, et dans celles
qui sont en caractères latins, un seul point suit cha-
que mot. Un des exemples les plus anciens de l'em-
ploi des signes de ponctuation est une inscription
qui fut trouvée h Athènes et qui date de l'année
même de la mort de Cimon, 450 ans avant l'ère
chrétienne : les mots de cette inscription sont
séparés par trois points disposés verticalement. 11
est cependant vrai de dire que les siècles anciens
fournissent un grand nombre de manuscrits gravés
ou écrits dans lesquels les signes de ponctuation
n'ont jamais existé ou n'ont été ajoutés qu'après
coup.
Ponctuation dans les inscriptions. — L'emploi
du point dans les inscriptions n'avait pas pour but
en général de distinguer les parties d'une phrase
et les phrases entre elles, mais d'établir la sépa-
ration des mots, abstraction faite des divisions
que le sens aurait pu exiger. Aussi le point, qui
est le signe le plus simple et en même temps
celui dont on a fait le plus fréquent usage, a-t-il
été remplacé par des figures d'une forme complè-
tement arbitraire. Mais d'abord il est bon de faire
observer que le point lui-même a été employé do
bien des manières différentes. On le voit placé
soit au bas, soit au milieu, soit au haut de la
lettre; au lieu d'un point, on en trouve deux,
trois, quatre et jusqu'à neuf; cependant, sous ces
différentes formes, le point a toujours la même
valeur. On trouve aussi des points disposés hori-
zontalement, obliquement, en triangle, en losange,
en carré, etc. On s'est servi de lignes droites et
de lignes courbes, et on les a combinées pour
former des croix, des triangles, des carrés, des lo-
sanges, des trapèzes, des demi-cercles, des cercles,
des rosaces, des cœurs, etc. Ces courtes indica-
tions suffisent pour donner une idée de la variété
des signes qui tenaient lieu du point dans un
grand nombre d'inscriptions.
De la ponclU'ition dans /es manuscrits . — Les
anciens ne mettaient dans leur écriture aucune
séparation entre les mots : ce qui eu rendait la
lecture très pénible. Il en serait de même de nos
jours, si les écrivains et les imprimeurs n'avaient
soin de faire cette séparation. On en jugera par
l'exemple suivant :
LHOMMENESTQUCNROSEAliLEPLUSrAIBLEDELANATUBEMAIS
CESTUNROSEAVPE.NSANTILNEFAUTPASQtiELCiNIVERSENTIE-
RSARMEPOURLÉCRASERUNEVAPEURUHEGOUTTEDEAUSUFFI-
TPOURLETUER (PaSCAl).
Cet usage s'est maintenu jusqu'au xi= siècle de
notre ère.
Cependant la ponctuation était connue depuis
longteaips. On trouve des points dans plusieurs
manuscrits de la plus haute antiquité, quoique les
mots n'y soient point séparés : tel est le Virgile
de Médicis et quelques autres. Il y en a de très
anciens où l'on n'aperçoit ni points, ni séparation
de mots, pas même aux endroits qui offrent un
sens naturellement suspendu. Ce n'est pas que
les points ne soient beaucoup plus anciens que les
manuscrits ; mais les copistes se déchargeaient de
la ponctuation sur les correcteurs, et ceux-ci la
négligeaient ordinairement.
La manière la plus connue de suppléer îi la
ponctuation dans les premiers temps fut d'écrire
par versets, et de distinguer ainsi les membres et
sous-membres du discours. A l'exemple de Cicé-
ron et de Démosthènes, saint Jérôme introduisit
cette distinction par versets dans l'Ecriture Sainte.
Souvent on mit au commencement d'une nou-
velle phrase ou d'un verset une lettre un peu plu»
grande et qui débordait sur les autres lignes. Les
vides en blanc suppléaient encore aux interponc-
tions ; et c'est la plus ancienne manière de ponc-
tuer. Ces espaces vides, servant de points et de
virgules, donnèrent naissance à la distinction de
chaque mot dans l'écriture des manuscrits et des
diplômes. Dans le vii° siècle, les séparations de
mots commencent à se montrer plus fréquemment,
et dans le viii° elles deviennent plus nombreuses.
La ponctuation succéda à la distinction du dis-
cours par versets et aux intervalles laissés en blanc
pour marquer les divers membres et la fin de la
phrase. Selon Montfaucon, la ponctuation des ma-
nuscrits ne remonte pas au delà d Aristophane de
Byzance, qui vivait environ deux cents ans avant
l'ère chrétienne. Ce grammairien inventa les signes
des différentes distinctions du discours, et ces si-
gnes ne consistaient que dans un seul point, mis
tantôt en haut, tantôt en bas, et tantôt au milieu
de la dernière lettre. Le point placé en haut de la
lettre indiquait le sens fini ou la distinction par-
faite. Le point mis au bas désignait la petite pause
ou sous-disiinction. Le point marqué au milieii
était le signe d'une pause plus grande, mais qui
laissait encore l'esprit en suspens. On remarque
ces différentes positions du point dans le Virgile
de Médicis, corrigé par Apronien en l'an 41H.
Quoique la virgule ne soit pas aussi ancienne
que le point, on la rencontre dans des maiiuscrits
qui remontent au commencement du vi= siècle. Sa
forme et surtout sa position ne sont pas toujours
les mêmes. Elle ressemble quelquefois à une petite
s, h un accent circonflexe, h un v diversement in-
cliné. Quand elle ne s'éloigne pas de la forme ac-
tuelle, le trait courbe qui sert i la représenter
prenait toutes les positions intermédiaires. Dans
plusieurs manuscrits antérieurs au viii' siècle, le
point et la virgule se combinent ensemble potir
former notre point-virgule (;). A compter du
VIII" siècle, la ponctuation devint plus ordinaire,
mais sans règle certaine, le même signe servant à
la fois pour séparer les mots et pour indiquer les
divisions du sens, ou plusieurs signes de forme
différente remplissant les mêmes fonctions. Après
le X' siècle, rien de plus ordinaire que de rencon-
trer le point surmonté d'une ligne ondulée, ou
d'une courbe semblable à celle qui indique les
syllabes brèves dans les livres de prosodie.
Au xvi« siècle, les règles de la ponctuation n'é-
taient pas encore universellement observées. Ce
résultat peut s'expliquer par la négligence ou l'i-
gnorance des copistes. Denys Sauvage, historio-
graphe du roi Henri II, avoue qu'il lui a falu suu-
ventes fois deviner dans la lecture des manuscrits
de Froissart, principalement m fnute de les avoir
trouvés ponctués. Les règles posées par les anciens
grammairiens étaient donc inconnues de la plupart
des copistes, et les premiers imprimeurs ne sui-
virent pas non plus un système uniforme. Toute-
fois les bonnes traditions se retrouvent dans un
petit nombre d'éditions du xV siècle; quelques
copistes soigneux y étaient d'ailleurs restés fidèles.
La typographie n'eut, à vrai dire, qu'un choix \
faire dans les anciens manuscrits pour y rassem-
bler les différents signes qu'elle emploie aujour-
d'hui. Etienne Dolet, imprimeur à Lyon, publia
* en \hW un petit traité de ponctuation dans lequel
il assigne le rôle de chaque signe. 11 semble n.^
pas connaître le point-virgule, qui est remplacé
j par le deux-points. Son système est assez arbi
' traire ; mais c'est celui de son temps, si l'on en
'juge par ces paroles : « Lisant les bons authcurs,
! et bien imprimés tu pourras congnoistre ma tra-
! dition estre vraie. »
PONCTUATION
— 1673
PONCTUATION
A partir du xviii' siècle, la ponctuation devientà
peu près uiiironne dans les langues néo-latines et
dans les langues germaniques. Avec le xix' siècle
une amélioration importante s'introduit dans les
livres : la différence entre la fonction du point-
virgule et celle du deux-points se précise. Au lieu
de les confondre et de les cmpiojer l'un pour
l'autre, on assigne à chacun d'eux son véritable
rôle, en se fondant uniquement sur la structure de
la phrase et sur les besoins do la clarté.
Analyse logique. — La ponctuation ayant pour
base les rapports logiques des différents membres
d'une phrase, nous croyons devoir rappeler suc-
cinctement les principaux termes employés dans
l'enseignement de l'analyse logique.
Toute proposition est l'énoncé d'un jugement.
Elle se compose de trois termes essentiels, savoir :
le sujet, le verbe et l'attritiut.
Le sujet est simple quand il n'exprime qu'une
idée.
L'attribut est simple lorsqu'il n'exprime qu'une
seule qualité du sujet.
La réunion de ces deux conditions constitue une
proposition simple :
L'homme est mortel.
Les compléments d'une proposition sont des
idées secondaires qui s'ajoutent aux idées princi-
pales pour les compléter ou les modifier.
_ Un complément est déterminatif, quand il pré-
cise la signification du substantif auquel il est
joint :
Le livre de Pierre.
Le complément ou régime direct est celui qui
reçoit l'action exprimée par le verbe :
J'aime Dieu.
Le complément indirect est celui qui s'unit par
le moyen d'une préposition au mot dont il dépend :
Le juste obéît aux lois.
Une phrase se compose ordinairement de plu -
sieurs propositions.
On appelle proposition principale celle à la-
quelle se rattachent une ou plusieurs propositions
secondaires ou subordonnées :
Je crois que Dieu est juste.
Craignez Dieu qui puait les méchaats.
La proposition participe est celle dont le verbe
est un participe :
Les parts étant faites, le lion parla ainsi.
Parmi les propositions subordonnées, les plus
importantes à reconnaître au point de vue de la
ponctuation sont les propositions incidentes . Ce
sont celles qui sont ajoutées à, la proposition prin-
cipale pour en déterminer ou en expliquer le sens,
ou pour y ajouter quelque circonstance. Il y a
donc deux sortes de propositions incidentes : les
détermiaatives et les explicatives.
Les incidentes determinatives restreignent ou
précisent la signification de la proposition prin-
cipale :.
Les livres que vous m'avez prêtés ne me plaisent pas.
Les incidentes explicatives ajoutent une expli-
cation, un développement à. la proposition priaci-
pale :
L'homme, qui est un être raisonnable, devrait s'attacher
à régler ses passions.
Le caractère fondamental de l'incidente déter-
minative est de se rattacher à la proposition
principale d'une manière tellement intime, qu'on
ne saurait l'en séparer sans dénaturer le sens de
la phrase. Elle doit donc rester on contact avec les
mots qu'elle détermine. C'est pour rendre ce con
tact visible que nous avons écrit sans aucune in-
terposition de ponctuation :
Les livres que vous m'avez prêtés ne me plaisent pas.
Au contraire, l'incidente explicative devra tou-
jours être isolée pour le regard, comme elle l'est
pour l'esprit :
L'homme, qui est un être raisnimabla, devrait s'attacher
à régler ses passions.
Enfin nous appellerons incise une petite phrase
qui, formant un sens partiel, entre dans le sens
total de la proposition :
Signes de ponctuation. — Il y a quatre signes
principaux, qui à lii rigueur pourraient suffire à
tous les cas possibles. Ce sont : la virgule (,), le
point' virgule ( ; ), le deux-points ( : ) et le point (.).
Les grammairiens y en ont ajouté trois autres :
le point d'interrogation (?), le point d'exclama-
tion ( 1 ), les points suspensifs (...).
Enfin les imprimeurs en ont introduit quelques
autres, qui sont plutôt des signes typographiques.
Ce sont : les parenthèses ( ), les guillemets a », et
le tiret — , que les typographes appellent mdns, h.
cause de sa signification en arithmétique.
\. — DE LA VjRSULE,
La virgule (du mot latin virguln, qui signifie
petit biUun, petite verge) est le plus faible de
tous les signes de ponctuation; c'est aussi le plus
fréquemment employé. Il faut se garder d'en
faire un usage abusif et d'imiter les écrivains et
les imprimeurs qui, sous prétexte de faire res-
sortir les moindres circonstances do temps, de
lieu, de manière, mettent entre deux virgules la
plupart des incises. Ici comme en toute chose,
ce qui n'est pas utile est nuisible. Nous poserons
donc comme règle générale : Quand toutes les
parties d'une phrase sont tellement unies entre
elles qu'elles ne présentent aucune séparation
dans la pensée, il faut s'abstenir de toute ponc-
tuation, quelque longue que soit la phrase.
Exemple :
La tyrannie d'un prince ne met pas un État plus |)rès de
sa ruine que l'indifférence pour le bien commun n'y met
une république.
Il serait difficile de lire cette phrase, qui con-
tient vingt-quatre mots, sans faire au moins une
pause. La place naturelle do ce repos serait après
le mot rui7ie. Mais il est facile de voir que, les
mots plus près... que étant grammaticalement et
logiquement inséparables, il n'y a pas plus de
raison pour mettre une virgule après le motruine
qu'il n'y en aurait à en placer une dans des
phrases de construction semblable, mais moins
longues. Exemple :
L'Étal est plus près de sa ruine que de sa prospérité.
Cet exemple et les suivants démontrent claire-
ment la différence que nous avons établie plus
haut entre la pause oratoire et la ponctuation
écrite :
Une autre suite du principe de la guerre continuelle fut
que les Romains ne firent jamais la paix que vainqueurs.
La dernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage est
de savoir celle qu'il faut mettre la première.
Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que;
quand on le fait par conscience.
Ce principe nous conduit à cette règle fonda-
mentale : Quand le sujet d'une phrase est formé
d'une longue suite de mots inséparables, il est
PONCTUATION
1674 —
PONCTUATION
interdit de séparer par une virgule le sujet de
son verbe. Exemple :
Vn des plus beaux artifices des Égyptiens pour conserver
leurs .tnciennes maximes était de les revêtir de certaines
cérémonies qui les imprimaient dans les esprits.
Cela posé, nous allons étudier l'emploi de la
virgule dans les nombreuses formes que peut af-
fecter une phrase ; et pour répandre un peu de
clarté dans une matière assez étendue, nous sui-
vrons l'ordre des parties du discours.
SCnSTANTIFS.
Sdjets. — Sujets simples. — On sépare par une
virgule tous les sujets d'un même verbe :
Les femmes, les enfants, les -vieillards, furent massacrés
sans pitié.
La virgule placée entre le dernier substantif et
le verbe est indispensable, parce que le verbe ne
se rapporte pas seulement au mot rieil/ards,
mais aussi aux deux autres sujets.
Sujet principal. — Quand plusieurs sujets
d'un verbe forment une énumération résumée
par un des mots aucun, chacun, tout, rien, etc.,
on ne met pas de virgule après le mot qui, de-
venu sujet principal, commande le verbe :
Femmes, vieillards, enfants, tout fut massacré sans pitié.
Ce sacrifice, votre intérêt, votre honneur. Dieu vous les
commande.
Sujets réunis pnr et ou par ou. — On ne met
pas de virgule entre le sujet et le verbe lorsque
les substantifs sont réunis par les conjonctions et
et ou :
Le soleil et la lune éclairent le monde.
Sa perte ou son salut dépend de sa réponse
Sujets suivis d'un complément. — Lorsque les
substantifs ont un complément, la virgule se met
après chacun de ces compléments :
La sagesse de Nerva. ia cloire de Trajan, la valeur
d'Adrien, la vertu des deux Antonins, se firent respecter
des soldats.
Sujets réunis par et. — Quand le sujet de la
proposition se compose de plusieurs termes réunis
deux à deux par et, on place une virgule entre
chaque groupe :
Et le riche et le pauvre, et le faible et le fort,
Vont tous également des douleurs à la mort.
Inversion du sujet. — Précédé de sou verbe, le
sujet ne prend pas de virgule :
Périsse le Troyen, auteur de nos alarmes I
RÉGIMES. — Régimes simples. — Les régimes
ou compléments sont soumis à la môme règle que
les sujets, c'est-à-dire qu'on sépare par une vir-
gule tous les compléments d'un même verbe, soit
■directs, soit indirects :
Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs.
J'ai fourni mes chariots, mes chevaux, mes bœufs, mes
<lomestiques, mes manœuvres, ma contribution.
Régimes suivis d'un complément. — La virgule
se met après chaque complément :
une virgule après le nom s'il se trouve au com-
mencement de la phrase, et entre deux virgules
s'il est dans le corps de la phrase :
Prêtres, voilà le roi que je vous ai promis.
Avant que d'entendre l'histoire de ma vie, écoute, ami
lecteur, un conte que je vais te faire.
Car toi, loup, tu te plains quoiqu'on ne t'ait rien pris,
Et toi, renard, as pris ce que l'on te demande.
Noms en apposition. — L'apposition est l'état
de deux substantifs qui se rapportent l'un à
l'autre et se suivent immédiatement : U?îe table,
meuble utile. Pierre apôtre.
Le substantif mis en apposition est tantôt ex-
plicatif, tantôt déterminatif.
Dans le premier cas on le place entre deux vir-
gules :
Sylla, homme emporté, mène violemment les Romains à
liberté ; Auguste, rusé tyran, les conduit doucement à
(itude
Nos bons éeriva
mployaicnt toujo
, Fénelon, Bossuet, Ra
; le mot propre.
e, Despréa
Bocehorii
îité pour le;
• de la glo
umanité pour les étrangers, ni curio-
i estime pour les hommes vertueux.
Inversion du régime direct ou indirect. — Même
«bservation que pour l'inversion du sujet :
Quel funeste artifice il me fallut chercher !
A travers les soldats il court d'un pas rapide.
Néron de vos discours commence ii se lasser.
Noms en apostrophe. — Quand on adresse la
parole à une personne ou à une chose, on met
Dans le second cas la virgule doit disparaître :
Après le 18 bi
Laplacc fut appelé ;
Si dans cet exemple on mettait M. de Laplace
entre deux virgules, on semblerait dire qu'il n'y
avait alors qu'un seul mathématicien illustre : ce
qui ne serait pas exact. Cette faute est assez fré-
quente chez les écrivains et les typographes.
Noms de nombre. — Dans l'enseignement de la
numération écrite, on prescrit de séparer les
nombres en tranches de trois chiffres à partir de
la droite. Cette séparation est marquée tantôt
par des points, tantôt par des virgules. Cet
usage, très utile au tableau, ne saurait sans in-
convénient être introduit dan< les devoirs des
élèves. En arithmétique, la virgule a une fonction
bien déterminée : elle sert à séparer la partit
entière d'un nombre de sa partie décimale. Ainsi
.32,457 représente trente-deux unités quatre cent
cinquante-sept millièmes , et non trente-deux
mille quatre cent cinquante-sept unités. Cepen-
dant, dans les écrits ou imprimés qui traitent de
matières financières, on ne manque presque ja-
mais de séparer par une virgule les tranches des
nombres entiers. Des livres de banque cet abus
a passé dans d'autres ouvrages. Pour éviter la
confusion ou l'erreur qui pourrait résulter de
l'emploi de la virgule dans la transcription des
nombres entiers, il existe un moyen bien simple :
c'est de mettre un certain écartoment entre les
tranches des nombres qui contiennent plus de
quatre chiffres. Puisque l'emploi de la virgule sé-
parative n'a été imaginé que pour rendre la lecture
des nombres plus facile, on obtiendra le même
résultat par l'espacement des tranches. Ainsi, au
lieu d'écrire 3'2,-iô7,C'.lO, on mettra 3--' 457 690. Nous
avons dit qu'il ne faut étendre cet écartement
qu'aux nombres de plus de quatre chiffres. C'est
qu'en effet la lecture des nombres qui n'ont pas
plus de quatre chiffres n'offre aucune difficulté :
l'enfant le moins exercé les embrasse du premier
coup d'œil. D'ailleurs il n'est jamais venu à l'idée
de personne d'introduire une virgule dans les mil-
lésimes : par exemple, l'an 1880.
La même règle s'applique à la numération
écrite. Ainsi l'on écrira sans virgules :
lille cinq cent vingt-
Trois hectares quatre ares cinquante-neuf centiares.
ADJECTIFS ET PARTICIPES,
Au point de vue de leur position et de leur
rôle dans la phrase, les adjectifs et les participes
offrent certains points de ressemblance. C'est à
PONCTUATION
— 1075 —
PONCTUATION
cause de ces analogies que nous les réunissons
ici, sauf à rovenii' plus lard sur les particularités
que présente parfois le participe.
Adjrctifs et participes simples. — On sépare
par une virgule plusiimrs adjectifs ou participes
qui modifient un même substantif :
Los Etolicns étaipnt belliqueux, hardis, téméraires, avides
de gain, toujours libres de leurs serments, enfin Taisant la
guerre sur terre comme les pir.ites la font sur la mer.
Adjectifs ou participes suivis d'un complément.
— Si l'adjectif ou le participe est suivi d'un
complément, la virgule se met après ce com-
plément :
Le ton de la bonne conversation est savant sans pédante-
rie, gai sans tumulte, poli sans aifectation, galant sans fa-
deur, badin sans équivoque.
Suite d'adjectifs modifinnt un même substan-
tif. — Lorsque deux ou plusieurs adjectifs con-
courent à déterminer ou h modifier la significa-
tion d'un substantif, on ne doit pas les séparer par
une virgule :
La république n'avait pas de troupes régulières agucr-
Une école communale laïque.
Superlatifs. — Ils suivent la même règle que
les adjectifs simples :
Athènes, la plus potie et la plus savante de toutes les
villes grecques, prenait pour athées ceux qui parlaient des
choses intellectuelles, et c'est une des raisons qui avaient
fait condamner Soerate.
S'il y avait inversion dans les termes, on ponc-
tuerait de même :
Athènes, ilc toutes les villes grecques la plus polie et lu
plus savayite. prenait
Cependant, lorsque le complément du super-
latif figure au commencement de la phrase, on
doit placer une virgule après ce complément :
i polie et la plus sa-
Adje tifs ou participes employés comme dé-
terminatifs. — En règle générale, tous les dé-
lerniinatifs, qu'ils soient simples ou composés,
sont inséparables du mot dont ils précisent ou
restreignent la signification :
Une huître bâillant au soleil humait l'air.
Un gouvernement flattant la soldatesque et s'entourant
du militaire donne un signe certain de ruine et de tyrannie.
L'homme abruti par la superstition est la plus misérable
des créatures.
Adj'ctifs et participes employés comme expli-
catifs. — Ils doivent être placés entre deux vir-
gules :
; pouvaient exercer au-
Ou m'élevait alors, solitaire et cachée,
Sous les yeux vigilants du sage Mardochée.
Carthage, devenue riche plus tôt queBume, avait été aussi
plus tôt corrompue.
Les consuls, ne pouvant obtenir iftonnsur du triomphe
que par une conquête ou une victoire, faisaient la guerre
avec une impétuosilé extrême.
Adjectifs placés en apposition. — Ils suivent la
même règle que les substantifs analogues :
Le libre exercice des trois cultes, catholique, protestant
«t Israélite, est reconnu par l'État.
Remauques sur quelques adjectifs. — Quand
seul signifie isolé, sans concours, sans appui, il
doit être suivi d'une virgule :
Seuls, les Anglais ne disposaient pas d'une armée capa-
ble de lutter cunlre les troupes françaises.
Seule, l'Anglclerrt ne saurait aujourd'hui lutter avec la
France.
Mais quand seul a le sens de unique, de le
seul qui , il devient déterminatif et par suite
inséparable :
Seule jusqu'alors l'Angleterre avait tramé contre nous
dos complots.
C'est-à-dire l'Angleterre était la seule, l'uni-
que puissance qui eût jusqu'alors tramé des
complots.
Eux seuls seront exempts de la commune loi.
Je lui demandai pourquoi il avait lui seul le turban de
cette couleur.
Le premier. — C'est aussi abuser de la ponc-
tuation que de mettre cet adjectif entre deux
virgules :
Christophe Colomb travers
Atlantique.
Les pronoms sont soumis aux r(>gles générales
énoncées précédemment. Il nous suffira de faire
remarquer ici que, lorsqu'ils font pléonasme, on
les place ordinairement entre deux virgules :
I! croyait, lui, qu'il devait faire parler tout l'univers.
Nous autres, nous ne nous enflons pas d'une vaine
science.
Et que m'a fait, à moi, cette Troie où je cours.
Il est cependant des cas où la suppression de
la secon de virgule n'offre aucun inconvénient :
On cherche les rieurs, et moi je les évite,
h ; bacholier du dialilo, un peu plus d'indulgence :
I de toléiance.
Verbes consécutifs. — On sépare par une vir-
gule tous les verbes qui ont le même sujet :
L'attelage suait, soufflait, était rendu.
Quand le verbe est suivi d'un complément, on
met la virgule après le complément :
Colbert créa le commerce, /it réparer les grands chemins,
ouvrit de nouvelles routes, construisit le canal du Langue-
doc, établit des ports francs, fit /leurir les colonies, en
forma de nouvelles, et s'occupa principalement de la ma-
rine.
Verbe indiquant une citation. — Il se met
entre .deux virgules lorsqu'il se trouve intercalé
dans la phrase :
Il m'est, disait-elle, facile
D'élever des poulets autour do ma maison.
Lorsque les verbes dit-il, répondit-il, répli-
quat-U, sont suivis d'un adverbe ou d'une locu-
tion qui en détermine la signification, cette lo-
cution doit être rattachée au verbe :
Je ne crains, me dit-il avec émotion, qu'un homme, dans
lequel je crois voir plusieurs Marius.
Ellipse du verbe. — On emploie assez fré-
quemment la virgule pour remplacer un verbe
sous-entendu :
Carthage employait plus de force pour attaquer ; Rome,
pour se défendre.
D'argent, point de caché.
Sous-entendu il n'y avait point d'argent de
caché.
Toutefois la suppression de cette virgulsans en
souvent plus de mouvement à la phrase, e doime
altérer la clarté :
La moitié de tes gens doit occuper la pfirtc.
L'autre moitié le suivre et te prêter m.iiu-forte.
PONCTUATION
— 1676 —
PONCTUATION
L*univers est une sphère infinie dont le centre est par-
tout, la circonférence nulle part.
PnOPOSITIONS COORDONNÉES.
Virgule de séprirniion. — On sépare par une
virgule deux propositions coordonnées, toutes les
fois que les deux verbes ont un sujet particulier :
Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.
Nul bien sans mal, nul plaisir sans mélange.
Virgule devant ta conjoyiction et. — La même
règle s'applique aux propositions coordonnées,
lorsque la seconde est précédée de la conjonction
et, surtout si les deux propositions otlrent un
sens distinct et opposé :
Je plie, et ne romps pas.
Vous riez, et je pleure.
PROPOSITIONS SUBORDONNÉES.
Virgule rie séparation. — Toute proposition su-
bordonnée doit le plus souvent être séparée de la
proposition principale par une virgule :
J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer.
Tout vous est pardonné, puisque je vois vos pleurs.
Seul vous vous haïssez, lorsque chacun vous aime.
Il est juste que nous contribuions à l'entretien du chemin,
puisque nous en jouissons.
Rome n'avait pas même de rues, si l'on n'appelle de ce
nom les chemins qui y aboutissaient.
Ce n'est point un grand avantage d'avoir l'esprit vif, si
on ne l'a juste.
La perfection d'une pendule n'est pas d'aller vite, mais
d'être réglée.
Inversion de la proposition subordonnée. — Il
en est de même lorsque la proposition subordon-
née précède la proposition principale :
Lorsque l'âme est tranquille, toutes les parties du corps
sont dans un état de repos.
A peine une résolution était-elle prise dans le conseil,
que les Dauniens faisaient précisément ce qui était néces-
saire pour en assurer le succès.
Si je faisais ma religion, je mettrais l'intolérance au
nombre des sept péchés capitaux.
Proposition subordonnée intercnlée. — Placée
dans le corps de la phrase, la proposition subor-
donnée se met entre deux virgules :
Une femme, quelque grands biens qu'elle apporte dans
une maison, la ruine bientôt si elle y introduit le luxe.
Proposition subordonnée déli-rminalive. — Lors-
que la proposition subordonnée commençant par
une conjonction est tellement liée à la principale,
qu'on ne saurait l'en séparer sans en dénaturer le
sens, l'emploi de la virgule serait fautif :.
Carthage périt joa?*ce que, lorsqu'il fallut retrancher les
abus, elle ne put souffrir la main de son Annibal même.
Athènes tomba parce que ses erreurs lui parurent si dou-
ces, qu'elle ne voulut pas en guérir.
Ce n'est pas la fortune qui domine le monde : on peut le
demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle
de prospérités ÇHrtnd ils se gouvernèrent sur un certain plan,
et une suite non interrompue de revers lorsqu'ils se condui-
sirent sur un autre.
Plus d'Etats ont péri parce qu^on a violé les mœurs que
parce qu'on a violé les lois.
Quand mes bras me manqueront, je vivrai si l'on me
nourrit, je mourrai si l'on m'abandonne.
Aristide avait été juste avant que Socrate eût dit ce que
c'était que la justice.
PROPOSITIONS INCIDENTES.
Proposition incidente déterinina'ive. — Les pro-
positions incidentes dclenninitives sont générale-
ment liées à la proposition principale par un des
pronoms relatifs qui, que, dont, a-iqu^l, ou bien
par oii, d'oii. Leur nom et leur rôle indiquent suf-
fisamment qu'elles ne doivent être ni précédées ni
suivies d'une virgule :
Les hommes qui ont le plus de saffesse cl de talent ne
manquent point de s'adonner aux arts auxquels les grandes
récompenses sont attachées.
Le cruel repentir est le premier bourreau
Qui dans son sein coupable enfonce le couteau.
Demeurons dans le poste où le ciel nous a jnis.
Parmi les personnages illustres combien se sont glissés
d'hommes qui n'avaient de grand que la naissance, la ri-
c/tessc ou la vanité I
Proposition incidente erplicative. — Au milieu
de la phrase, l'incidente explicative se place entre
deux virgules."
Le temps, qui cfiangc tout, change aussi nos humeurs.
Ni Nestor, que je vis à Pylos, ni Ménélas, gui me reçut
avec amitié dans Lacédémone, ne purent m' apprendre si
mon père était encore en vie.
L'homme, qui ne peut que par le nombre, qui n'est fort
que par sa réunion, qui n'est tieureux que par la paix, a
la fureur de s'armer pour son malheur et de combattre pour
sa ruine.
Hippocrate fut réellement le créateur de l'hygiène, dont il
traça le-i règles.
PARTICIPES.
Proposition participe. — Quand un participe
modifie un substantif qui n'est ni le sujet ni le
régime d'une proposition, le membre de phrase
ainsi construit s'appelle proposition participe.
C'est l'ablatif absolu des Latins. Au commence-
ment d'une phrase, la proposition participe doit
être suivie d'une virgule; au milieu de la phrase,
on la met entre deux virgules :
Charlemagne disparu, son empire s'écroula.
Cela dit, maître loup s'enfuit et court encore.
L'onde tiède, on lava les pieds des voyageurs.
La Fable raconte que, Tarquin le superbe ayant voulu
élever un temple à Jupiter sur le Capitale, tous les dieux
cédèrent la place qu'ils y occupaient, a l'exception du dieu
Terme.
Participes présents et passés employés comme
explicatifs. — Les participes employés comme
explicatifs suivent la règle donnée précédemment
pour es propositions incidentes explicatives :
Les anciens, n'ayan( pas de boussole, ne pouvaient guère
naviguer que sur les côtes.
Alexandre, s'étant emparé de BabyUme, résolut de faire
la conquête de l'iude.
ADVERBES.
L'adverbe étant, comme son nom l'indique, un
mot qui est juxtaposé au verbe pour exprimer les
différentes manières dont s'accomplit l'action, il
va sans dire qu'en général il ne doit pas être sé-
paré du verbe. Cela est non seulement vrai pour
les adverbes représentés par un seul mot, mais
aussi pour les locutions adverbiales. Cependant
on remarque aujourd'hui, chez un assez grand
nombre d'écrivains et d'imprimeurs, une fâcheuse
tendance, qui consiste à isoler au moyen de deux
virgules des locutions adverbiales de temps, de
lieu, de manière, absolument inséparables des mots
qu'elles modifient. On ne saurait trop se mettre
en garde coiure une pratique qui viole les lois du
bon sens, aussi bien que celles de la grammaire.
Adverbes de manière ou de qualité.
Cette mode est généralement suivie.
Heureusement 'û y a toujours d'honnêtes gens parmi li;s
monstres, et des gens de goût parmi les sots.
Adverbes de temps.
Hier j'étais à la campagne.
Aujourd'hui nous irons à Paris.
PONCTUATION
— 1677 —
PONCTUATION
iiit.
; vante.
Alors il
Domain nous
Quelquefois il vous plaint, souvent même il
Adverbes </e lieu.
Là je le punirai, W je veux le surprendre.
Là l'on cogne, là l'on charpente,
Là l'on raccommode une fente.
Je l'évite partout, partout il me poursuit.
Adverbes numémux. — L'adverbe premièrement
employé seul, et signifiant en premier lieu, d'a-
bord, n'admet pas la virgule :
<lc
Ne parlez jamais raison aux jeunes gens, même en a{
raison, que vous ne les ayez pretïiléi'emeni mis en état c
tendre.
Quand les mots premièrement, secondement,etc.,
annoncent les divisions d'un sujet à traiter, on les
fait suivre ordinairement d'une virgule.
Nous nous occuperons aujourd'hui : premièrcincnl, de la
prose; secondement, île la lecture des vers.
Advfrbes d'affirn.ation. — L'adverbe oui, em-
ployé fréquemment dans le dialogue, est d'ordi-
naire précédé ou suivi d'une virt;ule :
Notre sœur est folle, oui.
Oui, j'aime mieux le Tartufe et le Misanthrope que les
comédies nouvelles.
Oui, oui, je le ferai.
Oui joint à, un autre adverbe ne doit pasen
être séparé par une virgule :
Oui vraiment.
Vraiment oui.
Eh mais oui.
Certes, qui signifie certainement, est placé
fréquemment entre deux virgules dans les livres
imprimés. C'est un abus :
Certes l'exemple est rare et digne de mémoire.
En quoi certes personne ne le surpassa jamais.
Assurément. — Même règle que pour certes:
Assurément il s'est mal comporté.
Adverbes de négation. — Les adverbes non,
point, mtU'ment, aucunement, sont soumis aux
mêmes règles que les adverbes d'affirmation.
Locutions fidverhi'iles. — Ces assemblages de
mots, qui déterminent ou modifient la significa-
tion du verbe ou de l'adjectif, doivent être envi-
sages comme des adverbes simples et assujettis
aux mêmes lois. C'est abuser de la ponctuation que
d'y annexer des virgules. Cependant cet abus est
presque universel :
Nous ne sommes pas comme les anciens Romains, qui
étaient à la fois puerriers, jurisconsultes et philosophes.
Je voulais sur-le-cttamp congédier l'armée.
Une vie plus douce et plus oiseuse qu'on ne la mène d'or-
dinaire dans le siècle.
Tout à coup elle aperçut les débris d'un naviro.
En effet. — Dans son acception primitive, cette
locution signifie duns la n'alité, dans l'acte ; dans
ce cas elle n'est pas à proprement parler une locu-
tion adverbiale ;
Reine longtemps de nom, mais en effet captive.
Prise adverbialement, elle a le sens de vérita-
blement, assurément '.
Je n'aspire en effet qu'à l'honneur de vous suivre.
Placée au commencement d'une phrase, elle
annonce que l'on va donner une preuve de ce
qu'on vient de dire. Dans ce cas on la fait ordinai-
rement suivre d une virgule, afin de mieux déta-
cher la démonstration :
Tous les angles inscrits dans
égaux, lineffet, ils ont, etc.
même segment sont
On peut user de la même tolérance pour les
locutions en résumé, eu définitive, et autres ana-
logues.
Cette tolérance a engendré des abus qu'il est
bon de signaler. C'est ainsi que l'on a multiplié
les virgules autour des locutions d'ailleurs, peut-
être, sans liante, et autres. Quelques exemples
feront voir que ces ponctuations sont tout à fait
inutiles :
Homme d'ailleurs plein de savoir.
Nestor et Philoctète, ces deux capitaines d'ailleurs si
sa^es et si expérimentés, n'étaient [)as assez secrets dans
leurs entreprises.
Peut-être irons-nous.
Mais peut-être les qualités de l'esprit pourront'nous dis-
tinguer du reste des hommes.
Pour la dernière fois je vous p^vXc peut-être,
La locution sans doute, prise dans son acception
littérale, signifie d'une manière certaine :
Viendrez-vous demain ? — Sans doute.
Cette tâche est pénible, sans doute, mais elle n'est pas
au-dessus de vos forces.
Mais elle a dévié de cette signification première
et on l'emploie fréquemment pour dire : proba-
blement, selon t"Utes les apparences. C'est une
raison de plus pour ne pas la raettie dans ce cas
entre d ux virgules :
Ce malheur n'arrivera sans doute pas,
Sam doute h. nos malheurs ton cœur ji'a pu survivre.
Quand on veut restituer au mot iloute sa véri-
table signification, il est d'usage aujourd'hui de
renforcer l'expression par ladjonction du mot
aucun et de dire : sans aucun duute. Ainsi modi-
fiée, la locution ne peut que gagner en force par
l'adjonction de la ponctuation,
PRÉPOSITIONS,
PrépoAlion suivie de son coniplém'Ht nu com-
mence'iient de la phase. — Lors'iue, par suite
d'inversion, une |)hrase commence par une prépo-
sition suivie de son complément, on met une vir-
gule après celui-ci toutes les fois qu'il est suivi
d'un substantif qui est le sujet de la proposition :
Dam tous les temps, l'or a été regardé comme le métal
le plus parfait et le plus précieux.
Chez les anciens, tout, jusqu'à la danse, faisait partie de
l'art militaire.
Après la bataille de Cannes, il ne tut pas permis aux
femmes même de verser des larmes.
La virgule serait fautive, si le complément indi-
rect était déterminatif :
Eii(re les deux partis Calchas s'est avancé.
Prép silinns placées dans le corps île la f diras'?.
— Les deux règles précédentes s'appliquent aux
prépositioiis suivies de leur complément dans le
corps de la phrase, suivant que la locution est
explicative ou déterminative. Dans le premier cas,
on la met entre deux virgules; dans le second cas,
les virgules disparaissent :
Marins, pour battre les Cimbrcs et les Teutons, com-
mence par détourner les lleuves.
Quelque temps après, sous le régne d'Alexis Comnéne,
les Latins attaquèrent l'Orient.
Pendant que sons Sijlla la république reprenait des for-
ces, tout le monde criait à la tyrannie ; et pendant que
sous .'Auguste la tyrannie se fortiliait, on ne parlait que de
liberté.
CONJONCTIONS.
liépélition ileET. — Quand la conjonction et n'est
répétée que deux fois, on n'emploie paa da vir-
gule :
Aristole met au rang des monarchies et l'empire des
Perses et le royaume de Lacédémone.
PONCTUATION
— 1678 —
PONCTUATION
Sans g:arder dans ses vers un ordre méthodique»
Son sujet de soi-même et s'arrange et s'explique.
Répété plus de deux fois, et doit être précédé
d'une virgule :
Mais tout dort, et l'ai-mée, et les vents, et Neptune.
Et là-dessus madame de LongueviUe tombe sur son lit,
et tout ce que la plus vive douleur peut faire, et p:ir des
convulsions, et par des évanouissements, et par un silence
mortel, et par des cris étoufTés, et par des larmes amères,
et par des élans vers le ciel, et par des plaintes tendres et
pitoyables, elle a tout éprouvé.
liépétilion de ni. — Mêmes règles que pour la
la conjonction et :
Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux.
Lorsque avec mes soldats je suis entré dans Rome, je ne
respirais ni la fureur ni la vengeance.
Je n'ai jamais vu de paysans, ni homme, ni femme, ni
enfant, avoir peur des araignées.
On pourra appliquer la m£me règle à la con-
jonction ou : ■
Mais. — La conjonction ynai^, qui implique une
idée de restriction, appelle naturellement une vir-
gule. Toutefois, lorsqu'elle lie deux adjectifs
suivis d'un substantif, on supprime la virgule :
Après les saoulantes mais glorieuses victoires de la
guerre de la succession d'.^utriche, vinrent les désastres
de la guerre de Sept .Vns.
L'art d'enseigner à lire est encore ce qu'il y a de plus
difficile et de plus compliqué dans la modeste mais utile
profession d'iostituteur.
Comme, de même que, ainsi qiie. —Lorsque ces
conjonctions jouent le même rôle que et, on sup-
prime les virgules et on met le verbe au pluriel :
La santé comme la fortune retirent leurs faveurs à ceux
qui en abusent.
Mais il faut employer deux virgules lorsqu'on
veut établir une comparaison :
Les hypocrites, comme les abeilles, ont le miel à la bou-
che et l'aiguillon caché.
Propositions réunies par une conjonction. —
Lorsqu'une phrase contient deux propositions, il
faut placer une virgule après la première si la se-
conde commence par une conjonction ou une lo-
cution conjonctive :
On ne peut acheter trop cher sa liberté, car ce n'est que
par la liberté que l'homme est heureux.
La haine et la vengeance consentent à souifrir, ^ouryu
qu'elles nuisent.
IL
POINT-VIRGULE,
Le point-virgule sert à indiquer une coupure
plus forte que la simple virgule. Quoiqu'il fût
connu des anciens copistes, il n'a pas toujours été
employé par les anciens imprimeurs. Etienne
Dolet. dans son court Traité de la ponclutdion,
semble ne pas le connaître; il le remplace par le
deux-points, qu'il appelle comma. Aussi voit-on
les typographes des xvi', xvii' et xviii' siècles em-
ployer souvent l'un pour l'autre et mettre un
deux- points là où l'on met aujourd'hui un point-
virgule, et vice lersa. Cependant le rôle de ces
deux ponctuations est loin d'être le même ; l'une
et l'autre ont leur fonction propre, qui est aujour-
d'hui définitivement fixée, grâce aux études et à
la sagacité des bons correcteurs du xix* siècle.
Propositions coordonnées. — On doit séparer par
un point-virgule deux ou plusieurs propositions
coordonnées toutes les fois que chacune d'elles,
prise isolément, offre un sens complet :
Sylla mène violemment les Romaios à la liberté ; Auguste
les conduit doucement à la servitude.
Elevé dans le palais, Narsès avait plus la conflance de
1 empereur; car les princes regardent toujours leurs cour-
tisans comme leurs plus fldeles sujets.
La nature nous a fait un besoin du travail; la société
nous en fait un devoir ; l'habitude nous en fait un plaisir.
Période à plusieurs membres. — Quand une pé-
riode est composée de plusieurs membres subdi-
vises eux-mêmes par des virgules, on met un point-
virgule après chaque membre :
On peut (lire que le chien est le seul animal dont la Odé-
hte soit a 1 épreuve ; le seul qui connaisse toujours son
maître et les amis de la maison; le seul qui, loi^squ'il ar-
rive un inconnu, s'en aperçoive; le seul qui entende son
nom et qui reconnaisse la voix domestique ; le seul qui ne
se conBe pas à lui-même ; le seul qui, lorsqu'il a perdu
son maître et qu il ne peut le retrouver, l'appelle par ses
gémissements ; le seul qui, dans un voyage long qu'il
n aura fait qu'une fois, se souvienne du chemin et retrouve
sa route; le seul enfin dont les talents naturels soient évi-
dents et 1 éducation toujours heureuse.
Enumémtion. — Le point-virgule sert aussi à
séparer, dans une énumération, les parties de
diverse nature:
Cette ville, fondée sous les meilleurs auspices ; ce Ro-
"•■'■-, leur roi et leur dieu; ce Capitole, éternel
ville ; et la ville, éternelle comme son fondateur, avaient
Lait autrefois sur l'esprit des Romains une impression qu'il
eut été à souhaiter qu'ils eussent conservée.
Voir d'un même œil la couronne et les fers, la santé et la
maladie, la vie et la mort; faire des choses admirables et
craindre d'être admiré; n'avoir dans le cœur que Dieu et
son devoir ; n'être touché que des m,aux de ses frères ; être
toujours en présence de son Dieu ; n'entreprendre, ne réus-
sir, ne mourir que pour lui : voilà saint Louis, voilà le hj-
ros chrétien.
Lorsque l'énumération est disposée en alinéas,
on met un point-virgule à la fin de chaque alinéa :
Sont incapables de tenir école :
i" Les condamnés à des peines afflictives ou infamantes;
2° Les condamnés pour vol, escroquerie, banqueroute,
abus de confiance ou attentat aux mœurs, et les individus
qui auront été privés par jugement de tout ou partie des
droits de famille mentionnes aux paragraphes 5 et 6 de l'ar-
ticle 42 du Code pénal;
3» Les individus interdits en exécution de l'article 7 de la
présente loi. ^Loi du 18 juin 1833.)
in. - DEUX-POINTS.
Le deux-points est un signe destiné à suppléer
à l'insuffisance de la virgule et du point-virgule
dans le corps de la phrase. Il annonce un complé-
ment, un développement, une explication de la
proposition qui le précède. Tandis qu'en général les
propositions terminées par un point-virgule offrent
un sens complet et parfaitement intelligible,
celles qui sont suivies d'un deux-points seraient
tronquées et pour ainsi dire suspendues sans
appui, si l'on n'avait soin d'y ajouter la proposi-
tion complémentaire et explicative.
On emploie le deux-points : 1° Pour annoncer
un discours direct ou les paroles d'une autre per-
sonne :
Le chêne un jour dit au roseau ;
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature.
2° Pour indiquer la cause, le résultat, la raison,
la conséquence, l'explication de l'idée ou du fait
exprimé par la proposition qui précède :
Un peuple peut aisément souffrir qu'on exige de lui de
nouveaux tributs : il ne sait pas s'il ne retirera pas quelque
utilité de l'emploi de l'argent ([u'oo lui demande.
Octave se conduisit avec Cicéron en homme habile : il le
flatta, le loua, le consulta, et employa tous ces artifices
dont la vanité ne se défie jamais.
Maîtres de l'univers, les Romains s'en attribuèrent tous
les trésors : ravisseurs moins injustes en qualité de con-
quérants qu'en qualité de législateurs.
Je ne connais qu'une manière de voyager plus agréable
que d'aller à cheval : c'est d'aller à pied.
PONCTUATION
— 1679 —
3° Pour opposer successivement l'une h l'autre
deux parties d'un membre d'une période composée
de plusieurs membres séparés par un point-vir-
gule.
L'acccssoii-p chez Cicéron, c'était la vertu ; chez Calon,
c'était la ffloiro ; Cicérori se voyait toujours le premier :
Caton s'oubliait toujours ; celui-ci voulait sauver la répu-
blique pour cHc-mènie ; celui-là pour s'en vanter.
Si la période qui précède ne renfermait que la
première antitlièse, on pourrait l'écrire ainsi, en
substituant le point-virgule au deux-points :
L'accessoire chez Cicéron, c'était la vertu ; chez Cafon,
c'était la gloire.
Mais il est facile de voir que la succession des
points-virgules dajis toute l'étendue de la période
aurait le grave inconvénient de mêler des mem-
bres de phrase tout h fait dissemblables et d'em-
pêcher l'œil, et par suite l'esprit, de saisir do
prime abord le caractère des idées exprimées.
L'emploi judicieux du deux-points vient ici au se-
cours de la clarté, et c'est là sa fonction la plus
utile.
4° Pour annoncer une énumération, ou pour la
terminer.
Il y a trois vertus théologales : la foi, l'espérance et la
charité.
Monsieur, du pénic pour les sciences, du goût pour la
littérature, du talent pour écrire ; .de l'ardeur pour entre-
prendre, du courage pour exécuter, de la constance pour
achever ; de l'amitié pour vos rivaux, du zèle poijr vos
amis, de l'entiiousiasme pour l'humanité : voilà ce que vous
connaît un ancien ami, un confrère de trente ans, qui se
félicite aujourd'hui de le devenir pour la seconde fois.
PONCTUATION
POINT D'INTERROGATION.
IV.
POINT.
Le point, en grec colon, en latin punctiim, est
le signe de ponctuation par excellence. 11 est fort
probable qu'il a été inventé avant les autres signes.
il indique un setis complet.
L'exposition et le développement d'un fait ou
d'une idée exigent une suite de propositions et de
preuves qui, tout en étant liées dans la pensée de
l'écrivain, ne sont en définitive que les anneaux
d'une même chaîne. De même que chacun des an-
neaux d'une chaîne constitue un tout complet et dé-
fini, de même aussi les plirases sont grammatica-
lement et logiquement indépendantes les unes des
autres. C'est pour cette raison qu'on en marque
la terminaison par une ponctuation connue de
tout le monde et sur l'emploi de laquelle il n'y a
pas d'hésitation possible.
Il nous parait superflu de donner ici des exem-
ples de l'application du point. La lecture réflé-
chie de quelques pages d'un auteur classique et
quelques exercices de composition feront, mieux
que tous les exemples que nous pourrions donner,
comprendre le véritable usage du point dans le
discours.
Il y a cependant des écrivains qui promènent
le lecteur i. travers des pages entières sans lui
offrir d'autre repos que des points-virgules. Rien
n'est plus fatigant pour l'œil et pour l'esprit. La
grande éloquence, celle de la tribune, du barreau
et de la chaire, se plait aux longues et pompeuses
périodes. Encore nos orateurs politi'iuos ou
sacrés savent-ils mettre des bornes b. l'étendue de
leurs phrases cicéroniennes. Aujourd'iiui, dans
notre société démocratique, le discours public et
les livres écrits prennent des allures moins solen-
nelles qu'auirefuis. On vise surtout à la précision,
à la simplicité, en un mot h la clarté, qui est le
vrai fondement de l'art de parler et d'écrire.
Voulez-vous être compris, faites vos phrases cour-
tes, précises et claires ; en d'autres termes, soit
en parlant, soit en écrivant, mettez un point toutes
les fois que l'énoncé de la pensée ollrira un sens
Completel suffisamment délimité.
En français, les phrases interrogativcs peuvent
affecter deux formes : 1° la forme interrogative
directe, qui est la plus fréquente; 2' la forme
affirmative, beaucoup moins usitée.
Dans le premier cas, la construction même de
la phrase indique qu'il y a interrogation, et lors
même que l'on supprimerait le signe, l'interroga-
tion n'en subsisterait pas moins. Si l'on écrivait
Pourquoi viens-tu ici (sans mettre le point d'in-
terrogation), au lieu de Pourquoi viens-tu-ici? il
j n'y aurait aucun doute possible, parce que l'in-
version du pronom est la marque caractéristique
des phrases interrogativcs. En outre, la personne
qui interroge prend un ton particulier, commun h
toutes les langues, ton qui empêche de confon-
dre les phrases interrogativcs avec celles qui ne
le sont pas : de sorte qu'il est vrai de dire que le
point d'interrogation est une ponctuation parlée.
Dans le second cas, le signe est absolument
nécessaire ; sans cette indication, rien ne distin-
guerait l'interrogation de la simple affirmation.
Les mots vous voyez peuvent, suivant la manière
dont on les prononce, représenter soit une affir-
mation : vous royez ; soit une interrogation : vous
voyez? soit même une exclamation : vous votiez!
Dans le langage parlé, le ton traduit l'intention de
la personne qui parle '; dans la parole écrite, la
ponctuation vient au secours de la pensée de l'é-
crivain.
Examinons les divers cas qui peuvent se pré-
senter.
Forme interrogative directe. — On met un point
d'interrogation à la fin de toute phrase interro-
gative :
Avez-vous oublié tout ce que les dieux ont fait pour vous
ramener dans votre patrie? Comment ètes-vous sorti de la
Sicile ? Les malheuis que vous avez éprouvés en Egypte ne
se sont-ils pas tournés tout à coup eu prospérités ? Quelle
main inconnue vous a enlevé à tous les dangers qui mena-
çaient votre tète dans la ville de Tyr ? Après tant de mer-
veilles, ignorez-vous ce que les destinées vous ont préparé?
Lorsque les mots quel, comment, combie», pour-
quoi font partie d'une proposition subord jnnée,
on ne doit pas mettre de point d'interrogation à la
fin de la phrase. Dans ce cas en effet il n'y a point
d'interrogation réelle, ni dans la forme, ni dans la
pensée, la proposition subordonnée n'étant autre
chose que le complément direct de la propositioa
principale :
On leur a demandé quel est le fleuve qui passe à Paris.
Dites-moi pourquoi vous ne savez pas votre leçon.
Quand on rapporte une phrase interrogative
suivie d'une des locutions ilit-il, reprit-il, répon-
dit-il, etc., le point d interrogation se idace tou-
jours à la fin de la partie interrogative de la
phrase :
De quelle ville de Phénicie ètes-vous? me dit-il.
Cependant, lorsque le membre de phrase final
fait partie de la proposition interrogative, le signe
doit être placé i la fin :
Vous ne sortirez pas d'ici, dites-vous?
Vous n'allez pas vous mettre en route par le temps qu'il
fait, je pense ?
liiterrngalion soui forme affirmative. — Comme
nous l'avons dit plus haut, une phrase peut être
affirmative dans la forme, tout en étant ititerroga-
tive dans la pensée de la personne qui parle :
C'est là ce dont vous parlez ?
Vous venez avec mji?
Affirmation sorts forme interrogntive ou fausse
interroquiion. — Quelquefois, pour donner plus
de vivacité U la phrase, on remplace la forma cou-
PONCTUATION
— 16S0 —
PONCTUATION
ditionnellfi ou subjonctive par une tournure inter-
Togative :
Aimez-vous la muscade, on en a mis partout.
Avait-il soupe, il s'en allait.
C'est comme si l'on disait : Si vous aimez la
muscade; Inrsqu'il avait soupe. Voici des exemples
de cette tournure :
Aperçois-je une rivière, je la côtoie ; un bois touffu, je
vais sous son ombre ; une grotte, je la visite ; une car-
rière, j'examine les minéraux.
Toutes les fois que les Romains se crurent en danger ou
qu'ils voulurent réparer quelque perle, ce fut une pratique
constante chez eux d'affermir la discipline militaire. Ont-
ils à faire la guerre aus Latins, peuples aussi aguerris
qu'eux-mêmes, Manlius songe à augmenter le commande-
ment, et fait mourir son fils, qui avait vaincu sans son or-
dre. Sont-ils battus à Numance, Scipion Emilien les prive
d'abord de tout ce qui les avait amollis. Les légions ro-
maines ont-elles passé sous le joug en Numidie, Metellus
répare cette honte dès qu'il leur a fait reprendre les insti-
tutions anciennes.
son effet, il faut que le lecteur ou l'auditeur puisse
suppléer sans effort à ce qui n'est pas exprimé :
La douceur de
Font insensibl
Succéder... Je
nfancc.
VI. — POINT D'EXCLAMATION.
Le point d'exclamation accompagne toutes les
interjections :
Oh ! Ah ! Aïe !
Courage ! Patience ! Paix !
Allons ! Soit I Suffit !
L'interjection ô étant toujours suivie d'un sub-
stantif ou d'un membre de phrase, le signe d ex-
clamation se place après le substantif :
0 vanité ! ù néant !
0 mortels ignorants de leurs deslinées !
Lorsque o n'est employé que pour indiquer un
vocatif ou une apostrophe, le point d'exclaiiation
est ordinairement remplacé par une virgule :
0 mon Dieu, me voici seul en ta présence.
Lorsque th ou oh sont suivis d'un mot qui fait
partie de l'interjection, le signe doit être placé
après ce mot :
Eh oui !
Oh non !
Le point d'oxclamation ne se met pas après l'in-
terjection eh fjien lorsque, dans une conversation
familière, elle ne sert qu'à donner un peu plus de
vivacité au dialogue :
Eh bien, nous verrons.
Eh bien, Antiochus, vous dois-jc la couronne?
Le point d'exclamation se place à la fin de
toutes les phrases qui expriment l'etonnement,
l'admiration, l'indignation, la douleur, l'ironie, la
fureur, en un mot tous les mouvements vifs de
l'âme ;
Combien de vertus obscures et négligées ! combien de
services oubliés ou dissimulés! et d'autre part, combien de
favoris de la fortune, sortis tout à coup du néant vont de
plain-picd saisir les premiers postes ! et de la quelle source
de désagréments et de dégoûts!
Heureux celui qui, au lieu de parcourir le monde, vit
loin des hommes ! Heureux celui qui ne connaît rien au
delà de son horizon, et pour qui le vdlage voisin même est
une terre étrangère!
Que Dieu est grand! Qu'il est digne de louanges! Qu'il
est incompréhensible ! Que la splendeur, la gloire de sa
majesté est sainte ! Que sa souveraineté est douce et ter-
rible !
VIL — POINTS DE SUSPENSION.
Les points de suspension, au moins au nombre
de trois, annoncent que l'expression de la pensée
estbru•^quemellt interrompue. C'est ce qu'en rhé-
torique on appelle une réticence. Mais, pour que
l'emploi de cette figure soit légitime et produise
grâce,
m inimitié
lible à la pitié !
D'autres fois les points suspensifs sont de sim-
ples signes de déclamation, destinés à. détacher
des membres de phrase, afin de produire plus
d'effets sur l'auditeur :
« Je ne sais si j'ai la vue meilleure que monsieur, mais,
pour ma part, je ne vois partout que gens faisant com-
merce d'amitié.
— Commerce!... Ah ! parbleu !... commerce ; oui!... On
se voit une fois : « Monsieur!... » Deux fois ; « Mon
cher!... » Trois fois : « Mon vieux!... >> Un Siamois qui
tomberait sur le boulevard et qui nous prendrait au mot,
se dirait : « Quelle bénédiction ! les Parisiens sont tous
unis par les liens d'une affection indissoluble !... {Faisant
le signe de distribuer des poignées de mains autour de lut.)
Mon ami !... Bon ami !... Cher ami !... Tendre ami !... Et des
poignées de mains!... devant... derrière... et je le se-
coue!... et je te démanche!... et je te serre la main !...
Comme je te casserais le cou !... Il csl vrai qu'elle est pleine
de boue et d'argent volé !... liaison de plus pour la se-
couer !... C'est le moyen qu'il en tombe quelque chose! »
Il ne faut pas, comme font certains romanciers,
abuser des points suspensifs. A force de vouloir
exciter l'attention et l'intérêt du lecteur, on le
fatigue.
Vin. — PARENTHESES.
Les parenthèses servent b. isoler un ou plusieurs
mots, parfois même une proposition complète.
Autrefois on en faisait un usage assez fréquent
dans le discours écrit; mais, comme ce signe a le
grave inconvénient d interrompre le mouvement
de la pensée, on n'en use aujourd'hui qu'avec ré-
serve: «Si^Jf. •-
Auguste (c'est le
établit l'ordre, c'est-i
Il faut se garder de mettre une virgule après la
seconde parenthèse lorsque le mot qui précède la
première est logiquement lié au reste de la phrase.
Au point de vue de la ponctuation, la partie du
discours renfermée entre les parenthèses ne compte
pas. Si, dans l'exemple ci-dessus, on plaçait une
virgule après la seconde parenthèse, cela équi-
vaudrait à écrire : Auguste, é:ablit l'ordre, c'est-
à-dire à mettre une virgule entre le sujet et le
verbe.
Cependant, quand la construction de la phrase
le demande, on peut placer après la parenthèse la
ponctuation exigée par la règle :
Je croyais, moi (jugez de ma siniplicité).
Que l'on devait rougir de la duplicité.
IX. — GUILLEMET.
Le guillemet, ainsi appelé du nom de l'impri-
meur qui l'a inventé, est une sorte de double vir-
gule, que l'on place au commencement et à la fin
l'une citation :
« L'Egypte, dit Bossuet, élait la source de toute bonne
police. »
Quand une citation comprend plusieurs alinéas,
on met un guillemet au commencement de chaque
alinéa. Arrivé à la fin du dernier alUiéa, on ferme
le guillemet :
En parlant ainsi, Bossuet pensait aux lois suivantes, que
Diodore île Sicile rapporte :
1. Le parjure était puni de mort, parce que c'est la réu-
nion des deux plus grands crimes qu'on puisse commettre,
l'un contre les dieux, l'autre contre les hommes.
ti Ceux qui faisaient des accusations mensongères subis-
saient, lorsqu'ils étaient découverts, la peine infligée aux
calomniateurs.
« Les juges qui faisaient mourir un innocent étaient aussi
coupables que s'ils avaient acquitté un meurtrier.
PONCTUATION
1681 —
POPULATION
iL'ospion qui avait dénoncé àl'
ais non su por,
.. l;n Kpyplioi
momie de soi
■ lu langue coupée
i du débiteur étaient engagés pour ses dette:
des plans secrets i serves bien les reigles précédentes, tu ne fauldra
pouvait emprunte:
père. »
Lorsqu'une citation fait grammaticalement par-
I à doctement punctuer. » [Cit. Polguère.]
POrULATION. — Il y a relativement assez peu
de temps qu'on s'occupe de savoir si les mouve-
ments de population sont soumis à des lois régu-
lières et constantes comme les autres phénomènes
de la nature. On appelle démograpliie la science
tie do la phrase et n'est précédée d'aucune ponc- qQj a pour objet la recherche' de ces lois. Déjà
tuation, le guillemet doit précéder la ponctuation „ous avons eu occasion d'en faire mention, dans
tinale : la i" Partie de ce Dictionnaire {\. Démographie).
A Thel.es on adorait celui . qui n'avait pas eu de com- H. nous reste à compléter ici ce que nous en avons
menccracnt et qui ne devait pas avoir de fin ». dit.
„ . ., . , . . ,. Mariages. — Fréquence des mariages (ou nup-
II est mutile do guiUemetcr les citations souli- tialité). — Cette fréquence est en France de
gnees ou imprimées en italique, les citations en g mariages annuels par 1000 habitants de tout
vers intercalées dans de la prose, car dans ces cas
la difîérence de caractère détache suffisamment la
citation.
Quand une citation est renfermée dans une au-
tre citation, il est d'usage de mettre un guillemet
au commencement de chaque ligne :
L'Éternel apparut une seconde fois à Salomon et lui dit :
« J'ai sanctifié cette maison que tu as bâtie pour y établir
mon nom à jamais ; si tu gardes mes commandements
comme David ton père, je conserverai ta race pour régner
sur Israël ; mais si toi ou tes enfants vous adorez des
dieux étrangers, je chasserai Israël de cette terre, et il
deviendra la moquerie des nations. Je rejetterai loin de
moi ce temple élevé en mon nom, et quiconque passera
devant ses ruines s'arrêtera étonné et dira : « Pourquoi le
« Seigneur a-t-il ainsi frappé ce peuple et cette maison?
« — Parce qu'ils ont abandonné les voies de leur Dieu pour
" celles des divinités étrangères. «
Un usage excellent, et que l'on devrait adopter
dans toutes les imprimeries, consiste à commencer
le dialogue par un guillemet ouvert («); à mettre
ensuite un tiret (— ) h chaque changement d'inter-
locuteur ; enfin à marquer la fin du dialogue par
un guillemet fermé (»):
tt Je commence, lui dis-je, à comprendre votre double
vie, qui jusqu'à présent me paraissait inconciliable.
— Rien n'est plus simple cependant, etl'une sert l'autre.
Quand les bras travaillent, la tête se repose, et, quand les
bras se reposent, la tête travaille.
— Mais...? Pardon de mes questions.
■— Faites.
— Étiei-vous d'une famille élevée?
— Je suis Gis d'ouvrier.
— Vous avez reçu quelque éducation au moins ?
— Aucune.
— Qui vous a fait poète?
— Le malheur. »
-^ — TIRET-
âge (ou, suivant une méthode plus exacte, de 28
mariages pour 1000 habitants non mariés et en
âge de l'être : de li) à (iO ans). Cette proportion
est assez satisfaisante. Pourtant l'Angleterre dé-
passe la France sous ce rapport (.32 mariages au
lieu de 2K) ; elle a sur nous un avantage plus pré-
cieux : c'est que les Anglais se marient plus jeu-
nes que les Français (âge moyen des garçons : 25
en Angleterre, 28 en France ; âge moyen des
filles : 24 ans au lieu de 25). De plus, les mariages
disproportionnés sont plus rares chez eux que
chez nous. Mais la grande supériorité des époux
anglais, celle qui assure dans l'avenir la grandeur
de leur patrie, c'est qu'ils ont plus d'enfants que
les Français. C'est un point sur lequel nous au-
rons à revenir.
On a observé que la fréquence des mariages
augmente quelque peu dès que les aflaires (indus-
trielles, mais surtout agricoles) sont prospères.
Au contraire, elle diminue si la récolte est mau-
vaise, ou si quelque crise pèse sur le pays; mais
les fiancés dont une mauvaise année a retardé la
mariage le concluent généralement l'année sui-
vante : aussi trouve-t-on que les années qui sui-
vent une mauvaise récolte sont généralement
remarquables par une forte nuptialité.
Les pays pauvres (Bretagne, Gévennes, Alpes)
comptent généralement peu de mariages; il en est
de même du Nord et de la Normandie.
Influence du mariage sur la santé physique et
morale. — La démographie établit entre l'homme
marié, le célibataire et le veuf de profondes dif-
férences, qui sans elle ne pourraient être soup-
çonnées : les hommes mariés meurent moins vite
que les célibataires, et ceux-ci meurent moins que
les veufs. Et cette différence est tellement forte
' qu'on calcule que les célibataires de 25 ans meu-
Dans le dialogue non divisé en alinéas on em- 1 rent dans les mêmes proportions que les gens
ploie le tiret ( — ) pour éviter la répétition, souvent
fastidieuse, des locutions dit-il, répondit-il. reprit-
il, ou pour indiquer le ctiangement d'interlocu-
teur :
<i Regardez bien, ma sœur;
Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-jc point encore?
— Nenni. — M'y voici donc? — Point du tout. — M'y
[voilà?
— Vous n'en approchez point. » ^
On emploie quelquefois, — et c'est là une inno-
vation fort plausible, — le tiret à la place des
parenthèses :
Ce jour-là, — je n'aurai garde de l'oublier jamais, —
c était le 9 septembre 1854.
Le souper terminé, les trois plus grandes sœurs, — de
belles jeunes ûlles de quinze à vingt ans, — reprennent
allègrement un délicat travail de lingerie ou une tapis-
serie attrayante.
Nous venons de passer en revue la série com-
plète des règles de la ponctuation. Ces règles ne
sont pas difficiles à comprendre, et les exemples
qui les éclairent en faciliteront l'application. En
terminant cette étude, nous croyons doue pouvoir
dire comme Etienne Dolet : « Si tu entends et ob-
2° Partie.
mariés de 45 ans 1 Les veufs sont encore plus mal
partagés que les garçons, et l'on peut bien dire,
en thèse générale, qu'ils meurent deux fois plus
que les gens mariés du même âge. Dans ce qtii
précède, nous ne considérons que les hommes.
Pour les femmes, les mêmes lois se vérifient, mais
avec moins de netteté.
Il est pourtant un âge où le mariage, loin d'être
favorable, est nuisible : c'est pour les très jeunes
gens. Un homme de 18 à 20 ans n'est apparemment
pas assez développé pour se marier; s'il commet
cette erreur.il décuple sa mortalité; les jeunes veufs
(ils sont rares heureusement) sont encore plus
frappés.
Dire que les célibataires sont plus exposés à la
mort, c'est indiquer qu'ils sont plus exposés à la
maladie. C'est en effet ce qui résulte des chiffres
assez rares ((u'on a sur ce sujet.
L'influence du mariage sur le moral de l'homme
est encore plus grande que sur la mort. La folie
est plus fréquente chez les célibataires, et surtout
chez les veufs, que chez les époux. Do même
pour le crime; M. Bertillon père, à ([ui sont dus
la plupart de ces calculs, a prouvé plus encore :
les époux qui ont des enfants coininet.l/'nt moins
lOG
POPULATION
— 1682 —
POPULATION
de crimes (18 crimes pour lUUOuO époux avec
enfants) que ceux qui n'en ont pas (28 crimes).
De mÈme les veufs qui ont des enfants sont moins
portés aux idées criminelles que ceux qui n'en
ont pas. Quel enseignement moral ressort de ces
chiffres, et qu'ils démontrent avec évidence la
sainteté de la famille!
Les femmes commettent toujours moins de
crimes que les hommes. Mais, parmi elles aussi,
on observe les différences que nous venons de
noter pour les hommes.
Un document suédois permet d'étudier l'in-
fluence de la famille sur la tendance au sui-
cide : tandis que l'envie de se tuer reste un phé-
nomène rare chez les gens mariés, elle aug-
mente avec l'âge chez les célibataires et les veufs,
et finit chez eux par être une cause de mort assez
fréquente ; les différences deviennent prodigieu-
ses à la fin de la vie (ly suicides sur lOuOOU
époux, 333 pour les non mariés!). La présence des
enfants a sur la tendance au suicide la même in-
fluence salutaire que sur le crime. — Mêmes dif-
férences pour les femmes, qui d'ailleurs ont moins
de tendance au suicide que les liommes.
Ainsi nous voyons que le célibataire parait être
le plus souvent un être malheureux, plus exposé
à la mort, à la maladie, et aux tentations mau-
vaises. L'homme (et la femme jusqu'à un certain
degré; gagne considérablement au mariage. Si les
individus y gagnent, la nation y gagne plus en-
core.
Conditions individuelle!: qui favorisent le ma-
riaye. — Ces conditions sont nombreuses et elles
sont encore assez mal connues au point de vue
statistique. Nous n'en mentionnerons (ju'une :
c'est que les veufs (et jusqu'à un certain point
les divorcés; se marient beaucoup plus volontiers
que ceux qui ne connaissent pas le mariage par
expérience. (Pour les femmes, le fait se vérifie,
mais moins exactement.) Il semble que les veufs
sentent eux-mêmes qu'ils sont dans une condition
mauvaise, ain^i que nous l'avons montre tout
à l'heure. Un document alsacien prouve que leur
second mariage se fait généralement très peu de
temps après la mort de la première femme. Un
document de Berlin montre en outre que les di-
vorcés se remarient à vrai dire peu de temps
après la dissolution du premier mariage, mais non
pas plus vite que les veufs.
Naissances. — Les naissances ne sont pas assez
nombreuses en France. Elles sont plus rares qu'en
aucun pays de l'Europe; loOO femmes mariées pro-
créent par an : 13C enfants en Angleterre, 13(1 en-
viron en Belgique, en Hollande, etc., 160 en Prusse
et lU'i seulement en France ! On compte souvent
la nutalité (proportion des naissances) en compa-
rant le nombre des enfants à la population totale ;
cette méthode, moins exacte que la précédente,
donne d'ailleurs des résultats analogues à ceux
qu'on vient de lire ; 20 naissances en France et
38 en Prusse pour 1000 habitants. Au siècle der-
nier, la natalité française était d'environ 40 pour
1000 hab., à peu près ce qu'elle est en Prusse
aujourd'hui. Depuis le commencement du siècle,
elle n'a fait que décliner, en sorte que la popula-
tion française ne s'accroit presque plus (3,5 hab.
pour 1000 et par an).
Le département le plus fécond de France est le
département du Nord (136 naissances pour IdOO
femmes de 15 à 50 ans) ; mais il est le seul dont la
natalité ressemble à celle des autres pays de l'Eu-
rope. La rareté des naissances est un mal répandu
à peu près dans toute la France. C'est surtout en
Normandie et dans la vallée de la Garonne (Lot-
et-Garonne, Gers, etc. I qu'on l'observe. Au con-
traire, la Bretagne, certaines parties des Céven-
nes, l'Alsace, présentent un nombre plus grand
de naissances.
M. BertiUon père a observé que les départe-
ments dans lesquels la propriété est le plus divi-
sée sont, en général, plus inféconds que les autres,
ce qui confirme l'opinion que l'observation indi-
viduelle a suggérée à beaucoup dauteurs : c'est
que cette infécondité est en rapport avec le désir
qu'ont beaucoup de familles d'éviter le partage de
leur héritage. Ce qui prouve que la rareté des
naissances n'est pas, chez les Français, un attri-
but de leur race, c'est leur fécondité au siècle
passé ; c'est aussi ce fait que, transporlés dans un
pays moins rempli que le nôtre, tel que le Canada,
ou même que l'Algérie, leur fécondité devient
beaucoup plus grande.
Si l'on considère la natalité à un point de vue
plus général, on voit que ce qui règle le nombre
des naissances, c'est (jusqu'à un certain point) la
quantité de vivres disponibles : a Là où naît un
pain, nait un homme. » Et inversement, liélas :
Cl Là où disparaît un pain, disparaît un homme. »
Telle est la formule générale. C'est donc avec
raison qu'on a comparé la société à un banquet
où aucune place ne reste jamais vide : dès qvi'un
convive disparaît, par la mort ou par l'émigration,
sa place est prise soit par un immigrant, soit par
un nouveau-né. Par exemple, si une mauvaise ré-
colte, ou une épidémie, ou une guerre a fait périr
un grand nombre d'hommes, on peut être sûr que
pendant les années suivantes la natalité augmen-
tera, en sorte que les places qu'ils ont laissées
vacantes seront occupées très rapidement. De
même, si une bonne récolte, une année indus-
trielle prospère, augmente le nombre des places
disponibles au banquet de la vie, elle sera tou-
jours marquée par une augmentation do nais-
sances.
Du même principe résulte que, si un pays four-
nit beaucoup d'émigrants (tels sont l'Angleterre,
l'Allemagne, et depuis peu les pays Scandinaves),
les places que ces émigrants laissent vacantes se-
ront rapidement occupées au moyen de naissances
plus nombreuses ; et c'est en efl'et ce qu'on ob-
serve. Au contraire, si un pays jusque là migra-
teur cesse subitement d'envoyer au loin des émi-
grants, sa natalité ne tardera pas à baisser (ce
qu'on a observé en Suisse).
Si un pays, jusque-là stérile, devient productif,
aussitôt il se peuple, soit parce que des colons
vont s'y établir, soit parce que sa natalité aug-
mente, et le plus souvent par les deux procédés
simultanément. Tel est, par exemple, le Canada,
où de nombreux colons anglais vont s'établir cha-
que année, et où la fécondité est en outre très
considérable.
Exceptions au principe de l'cgualion des suti-
sistances. —S'il en est ainsi au Canada, c'est que
le Canada est un pays salubre pour notre race.
Mais en Inde ou en Cochinchine, les subsistances
disponibles auront beau être abondantes, la nata-
lité des hommes de notrerace n'en sera pas accrue,
parce que ces climats sont pour nous rapidement
mortels. L'Algérie a beau être un pays fertile, les
hommes du midi de l'Europe (Provençaux, Italiens,
Espagnols) sont les seuls qui y aient beaucoup
d'enfants, tandis que les Allemands y ont une na-
talité inférieure à celle de leur pays et n'y élèvent
pas le peu d'enfants qu'ils y ont, parce que le sol
africain ne convient pas à leur race. Ainsi le
climat a sur la natalité une influence plus grande
que l'abondance des subsistances.
La quantité de subsistances nécessaire à 1 en-
tretien d'une population varie d'ailleurs avec le
climat, avec la race, avec le degré de culture do la
population considérée : par exemple la Sicile
nourrit une population très abondante, quoique
elle soit moins riche que la France, mais aussi
laut-il très peu de chose pour nourrir un Sicilien,
paresseux et inactif; au contraire, un paysan ou
i
POPULATION
— 1683 —
POPULATION
un ouvrier normaïul consomme beaucoup plus : il
est vrai qu'il travaille bi'aucoup plus aussi.
En résumé, ou peut dire que le nombre des
liommes dépond de la quantité de substances ali-
mentaires qu'ils savent tirer du sol: l'industrie
règle moins le nombre dos liommes que leur ré-
partition sur la surface du sol (ils tendent naturel-
lement h se masser dans les régions industrielles).
Eu général, la population, dans un climat salubre,
et toutes choses égales d'ailleurs, tend à se pro-
portionner aux subsistances disponibles.
Propurtion des sexes. — Il nait un peu plus de
garçons que de filles (lOG, 6 garçons pour lllO filles),
et cela est fort heureux, car les garçons meurent
beaucoup plus que les filles dans les premières
années, en sorte que l'équilibre entre les deux
sexes s'établit dans le cours de la vie. Parmi les
naissances illégitimes, la proportion des garçons
est toujours un peu moins considérable (104). La
position sociale des parents, leur âge, leurs mœurs
modifient ce rapport d'une façon curieuse, mais
que nous ne pouvons étudier ici. En général plus
le père est fort et bien portant, plus la naissance
Q un garçon parait probable.
Natalité illégitime. — En France 1000 filles et
veuves de 15 à 50 ans produisent chaque année
18 naissances illégitimes : c'est une proportion qui
n est pas très considérable (elle est plus forte dans
les villes, plus faible dans les campagnes), et qui,
contrairement à ce qu'on écrit souvent, est infé-
rieure à celle qu'on rencontre en Allemagne,
même dans l'Allemagne du Nord (Prusse 25).
L Allemagne du Sud et surtout l'Autriche propre
sont les pays d'Europe où les naissances illégi-
times sont le plus nombreuses. Dans beaucoup
de villes autrichiennes, la moitié des naissances
sont illégitimes (à Paris, le quart seulement, soit
&3 naissances pour 1000 femmes non mariées de
15 a 50 ans;.
Les naissances illégitimes sont beaucoup plus
freqvientes dans le nord et l'est de la France
j25 il :tO naissances pour 1000 filles) que dans
le midi {:, à 10 naissances). On remarque que la
région ou les naissances illégitimes sont le plus
■nombreuses sont aussi celles où les légitimations
sont le plus fréquentes pa;- rapport aux nais-
sances lltf/itt'tiei.
La natalité illégitime est plus forte dans les
villes que dans les campagnes; plus forte dans
les pays industriels que dans les contrées agri-
tPsL'i, " n' '^""'r ''"'' "'^ catholiques et les pro-
estants allemands que chez les Juifs, etc. On ne
la malheureusement pas étudiée suivant les con-
ditions sociales et les professions.
rTr,°n«'"^^' ~ °" ^PV'Me leur proportion par
p:PP u ","" naissances mor/i-natalité. Dans ces
ou enf :„; '=°""<="' félimin^-r les faux mort-nés,
î'Vscr nit^ '' T^' 1 accouchement, mais avan
obspri/o p '"'■ '^ '■^S's^'-e des naissances. On
Observe en France les ciiiffres suivants :
Mort-nés sur 1000 naissances.
garçons 37
filles 26
2 sexes 32
garçons 08
filles 57
2 sexes 62
Parmi les légitimes...
Parmi les illégitimes
\ * OCAUb , tjj
Fr?nce'la cZnci'd''.;' '^'''™ "'^='""'« '''">'>•« «"
plus forte pou 'les mLTF""'. (''"Sg''^™"»" <=^t
circonsta ce ernlf,»- ^'""'' "" P"V'lèf;«- Cette
nousne;-v^s1^S^.^;--|i^^|;;^-lles
ces prétendus mort-nés illégitimes sont dûs
tout simplement à des infanticides. Le fait est
incontestable au moins pour une; grande par-
tie d'entre eux. Ce qui le prouve, c'est que la
fermeture des derniers tours a augmenté du tiers
la proportion des mort-nés illégitimes.
Mortalité. — On ne devrait jamais étudier la
mortalité générale sans distinction d'âges. Cette
mesure (sur 100 Iiab., combien de décès) est
trompeuse, et le plus souvent inutile.
C'est par âges que doit être étudiée la morta-
lité d'un peuple quand on veut prendre idée des
conditions de salub-'té dans lesquelles il se trouve.
C'est un point de méthode élémentaire qui pour-
tant a trompé beaucoup d'auteurs; mais nous ne
pouvons le prouver ici. Le tableau suivant donne
les principaux éléments de la mortalité des
Français :
Sur 1000 rii.'a7its de char/ne l'iye et de chaque sexe,
combien de décès par an.
Ans. Masc. Fém. 2 scxess
0 à 1 23C,0 197,0 2:5,0
1 à 5 34,8 3i,5.... 34,6
5 à 15 6,8 7,G 7,2
15 h 30 8,7 8,6.... 8,6
30 à 60....... 13,1 12,7..., 12,9
60 à la mort.. G7,8 68,4 08,2
Mortalité des enfants de 0 « 1 an. — La mor-
talité à cet âge est sans doute très considérable,
puisque un enfant qui vient de naître a autant de
chances do mourir qu'un vieillard de 88 ans. Ce-
pendant, il faut reconnaître que, chez la plupart
des nations étrangères, ia mortalité h cet âge est
plus forte encore que dans notre pays. Dans plu-
sieurs parties de l'Allemagne, près du tiers des
enfants meurent dans la première année delà vie.
Au contraire, les pays Scandinaves en perdent
beaucoup moins que nous.
Parmi les causes qui aggravent la mortalité des
jeunes enfants, il faut citer l'industrie des nour-
rices mercenaires, surtout quand elles allaitent
au petit pot les enfants qui leur sont confiés.
Les aliments solides leur sont encore plus funes-
tes. Le lait de vache est impropre h nourrir les
enfants, parce qu'il contient trop de caséine.
Le lait des carnivores serait peut-ôtre meilleur.
C'est pour surveiller les nourrices et étudier la
mortalité des jeunes enfants qu'a été votée la loi
du 23 déc. 1.S74 (loi Th. Roussel). C'est surtout
autour de Paris, en Normandie, en Champagne,
en Bourgogue que s'exerce cette fuueste indus-
trie ; aussi la mortalité y est-elle énorme, tandis
qu'elle est faible daus la Basse-Normandie, dans
quelques départements du centre et dans U
vallée de la Garonne.
Notre tableau montre que les petits garçons
sont beaucoup plus exposés à la mort que les pe-
tites filles. 11 est assez singulier que ce soit jus-
tement k l'âgo où le sexe est le moins apparent
que son influence sur la maladie soit le plus forte.
C'est surtout la diarrhée et la méningite (dont
les convulsions sont souvent les symptômes) qui
font périr les jeuues enfants. Ces maladies sont
surtout fréquentes en été. Eu hiver, la pneumo-
nie fait mourir beaucoup d'enfants. Mais cette ma-
ladie est moius redoutable que les deux premiè-
res. Aussi la mortalité est double en juillet de ce
qu'elle est en décembre, et l'on peut dire que les
enfants à la mamelle craignent deux fois plus la
chaleur que le froid; ce qui est contraire au
préjugé public et môme aux doctrines médicale»
classiques.
Si, au lieu de considérer la mortalité de l'an-
née entière, on étudie avec plus de détail l'âge
des enfants, on trouve qu'ils meurent d'autant
moins que leur âge est plus avancé. 11 semble que
POPULATION
1684
PORC
la naissance soit une opération critique dont ils
se rétablissent progressivement.
La mortalité des enfants illégitimes est énorme
dans notre pays. En France (et en France seule-
ment!), elle est double de celle des légitimes.
La mortalité de ces enfants malheureux est wr-
tout énorme dans les premières semaines qui
suivent la naissance, et principalement pendant
la seconde semaine. Cette circonstance et quel-
ques autres encore font penser que c'est la faim
qui les fait périr. Est-ce faute de lait, est-ce au
contraire volontairement que les filles mères
manquent souvent h nourrir leurs enfants? 11 se-
rait délicat de se prononcer sur ce point. Quelle
que soit la solution , l'enfant n'en meurt pas
moins, et la cause première de sa mort est tou-
jours la misère.
Moitittilé de làb ans. — Les enfants de cet âge
meurent dans des proportions effrayantes autour
de la Méditerranée : tandis que leur mortalité est
de 20 à 25 p. 1011 dans le reste de la France, elle
atteint autour de cette mer les cliiffres inouïs
de 50, GO et même 80! « Il semble, dit M. Bertil-
lon, que de cette mer d'azur s'clève je ne sais
quelle vapeur funeste qui répand la mort autour
d'elle, et tue l'enfant k son âge le plus gracieux
et le plus charmant. » Mais ce n'est là qu une
ligure de rhétorique. Quelle est la cause qui de-
cime ainsi la population infantile de la Provence
et du Languedoc ? On n'en sait absolument rien.
Elle coûte chaque année 15 00 jeunes enfants à
notre pays (non compris ceux dont la mortalité
normale faisait prévoir la mort). _
Mortalité de b à 15 ans. — C'est à lage de 10
;\ 15 ans que la mortalité atteint son minimum.
Murtalilé de 15 à 30 aiis. — La mortalité à cet
âge est plus forte en France qu« dans la plupart
des autres pays de l'Europe. C'est à la mortalité
des jeunes hommes de 20 à '2b ans que cette fu-
neste aggravation est due. On ne sait comment
expliquer cette mortalité si anormale. Elle est
plus forte encore parmi les militaires que parmi
les autres hommes. La phtisie est à cet âge la prin-
cipale cause de mort. , ,
Moi-la/ité lie :i0 à 60 ans. — La mortalité à cet
âge est plus faible en France que dans la plupart
des pays de l'Europe. Plus nous avançons en âge
et plus nous l'emportons sur nos voisins. C'est
surtout en Champagne, en Bourgogne, en Nor-
mandie, dans le bassin de la Garonne, que la
mortalité est faible. Elle est considérable au con-
traire en Bretagne, dans le Centre, dans les Alpes
et dans la Provence. Les saisons n'ont sur la mor-
talité des âges aduhes qu'une action peu pro-
noncée. „ , , ■ i .
Mortalité de 60 ans à la fin de la vie. — A cet
âge la mortalité est moindre en France que dans au-
cun autre pays (la Norvège exceptée). Ce sont
surtout la Champagne et la Bourgogne qui se font
remarquer par leur faible mortalité. Les vieillards
meurent surtout par les maladies des organes res-
piratoires : aussi est-ce particulièrement l'hiver
qui leur est funeste : plus ils sont vieux et plus
le froid leur est nuisible.
Migrations. — De tous les pays, ce sont les
îles Britanniques et l'Allemagne qui fournissent la
plus forte proportion d'émigrants. Chaque année
250 0(10 Anglais et lOOOilO Allemands quittent leur
pays pour aller chercher fortune au loin. Les
Allemands, n'ayant pas de colonies à eux, sont
obligés d'aller chez les autres, et là ils oublient
généralement assez vite leur langue et leur pa-
trie. 11 n'en est pas de même des Anglais.
Grâce à la loi de l'équation des subsistances ex-
pliquée plus haut : 1° l'émigration anglaise a pour
effet de stimuler la natalité des îles Britanniques;
2° arrivés dans leur nouvelle patrie (Amérique ou
Australie), les colons, trouvant devant eux desJ
immenses ressources naturelles non exploitées,
ont une fécondité souvent prodigieuse.
Ainsi l'émigration ne diminue pas la population
de la mère patrie (sauf en Irlande, mais 1 Irlande
est dans une position particulièrement malheu-
reuse), et accroît énormément celle des colonies.
On compte aujourd'hui, dans les cinq parties du
monde, SO millions d'individus parlant anglais,
mais il est impossible de deviner combien il y en
aura dans un siècle. On peut seulement assurer
que ce nombre sera énorme. Au commencement
du siècle, cette langue n'était parlée que par
15 millions d'hommes environ.
L'accroissement de notre nationalité est mal-
heureusement loin d'être aussi rapide. Nous étions
26 à 21 millions au commencement du siècle, et
nous sommes 31 millions aujourd'hui : cela cons-
titue une bien faible augmentation ; notre popu-
lation, qui formait alors 2" pour 100 de la popu-
lation des grandes puissances, ne compte au-
jourd'hui que dans la proportion de H pour 100.
Tel est le résultat lamentable de la faible natalité
que nous signalions tout h l'heure.
Le grand malheur de notre nation, c est de ne
tirer aucun parti de notre grande colonie algé-
rienne, où près de la moitié des immigrants sont
des étrangers. Si ce beau pays était le but d un
courant colonisateur sérieux, on peut espérer que
notre natalité se relèverait, et que le nombre de
nos concitoyens augmenterait de manière à assurer
à la France la puissance militaire, la puissance
économique, et surtout la puissance intellectuelle
dont elle a joui jusqu'à ce jour.
[Jacques BertiUon.]
PORC ET KACES PORCINES. — Agricul-
ture, XV.— Le porc se place, au point de vue de
l'importance agricole, au même rang que le bœuf
et le mouton; on pourrait même dire qu il a une
plus grande importance, â raison de sa diffusion
dans l'immense majorité des exploitations rurales.
C'est surtout à cause de sa croissance et de sa
multiplication rapides, comme du peu d entretien
qu'il réclame, que le porc est estimé par tous les
cultivateurs; dans les plus petites habitations ru-
rales, on trouve moyen de l'entretenir et d en tirer
''"'est exclusivement pour la consommation de
sa viande que le porc est élevé. Tout, dans le
corps de cet animal, peut être considère comme
produit. Non seulement la viande du tronc et des
membres, et la graisse qu'ils renferment et qu on
appelle lard, mais encore les pieds, la tète, la
queue, le poumon, le foie, entrent dans 1 ahmen-
tation. L-s intestins servent à fabriquer des sau-
cisses et des boudins, pour lesquels on fait usage
du sang de l'animal. Les poils ou soies du porc
sont recherchés par l'industrie pour faire des
"^Différentes dénominations ont été données au
porc suivant son âge et son sexe: les jeunes porcs
sont appelés </o,-e(s ou porcelets; les maies repro-
ducteurs sont dits verrats, et les femelles sont
désignées sous le nom de truies.
Les variétés nombreuses de races porcines que
l'on rencontre dans les exploitations rurales doi- .
vent être rapportées à un certain nombre de
types originaires qui forment autant d espèces.
Pendant longtemps, on a admis que le porc do-
mestique dérive du sanglier: cette liyP«t''fe ne
peut être soutenue depuis que les recherches de
M. Sanson ont démontré que le sanglier et les di-
verses espèces de porcs n'ont pas le même nombre
Trois types primordiaux paraissent être les ori-
gines de touies les variétés de porcs. Dans sa
classification zootechnique, que nous avonsadoptce
ici, M. Saiison I s .nppelle : race asiatique, race
ccliique et race ibérique.
PORC
1685 —
PORC
La raco asiatique, qu'on a souvent appelée race
•cliinoiso, se distingue par un front large et plat,
un profil de la tête anguleux, une face large et
très camuse, des oreilles courtes, étroites et
drossées, un col épais et court, un corps cylin-
drique, dos membres courts et peu volumineux,
et par conséquent une taille toujours petite, une
peau plus ou moins pigmentée suivant les indivi-
dus. Cette race, importée en Europe, a créé de
nombreuses races métisses avec les autres races
porcines.
La race celtique est caractérisée par une tcte
relativement forte, une face allongée, un groin
large et épais, des oreilles larges ei tombantes,
un corps très allongé, un dos voûté, étroit et
même tranchant, des membres longs, volumineux,
fortement musclés, des soies grossières et abon-
dantes, une peau de nuance rosée, dépourvue de
pigment. Les animaux de cette race sont de grande
taille; les femelles sont très prolifiques. Leur
lard est d'excellente qualité ; d'ailleurs ces animaux
élaborent plus de viande que de graisse. L'aire de
cette race paraît être la plus grande partie de
l'Europe occidentale; elle s'est principalement dé-
veloppée en France. Les principales variétés sont :
la variété craonnoise, répandue dans l'ouest central
■de la France, et qui se distingue par son grand
volume, la longueur de son corps, la brièveté re-
lative de ses membres, la finesse de sa chair; la
variété mancelte. à peu près la même que la pré-
cédente; la variété normande, à ossature plus
grosse et à membres plus développés que les pré-
cédentes variétés : elle donne aussi une viande
moins savoureuse.
La race ibérique a pour caractères : une tête peu
forte, une face étroite à sa base, allongée et ef-
filée, le groin petit, les oreilles étroites, allongées
■et dirigées obliquement en avant, presque hori-
zontales, le col court, le corps de longueur moyenne,
•cylindrique, à ligne dorsale droite, les membres
Telativement courts et fortement musclés, la peau
jortement pigmentée. Les animaux de cette race
sont doués d'un tempérament vigoureux et rusti-
que ; ils donnent une viande très estimée, d'une
saveur accentuée. Ce type est originaire de l'Europe
méridionale, et il s'est répandu dans la plupart
des contrées qui la forment. Les principales va-
riétés qu'il présente sont les variétés napolitaine,
Tomagnole, toscane, grecque, hongroise, béarnaise,
•espagnole et portugaise ; et en France, la variété
■bressane, h la tête relativement forte, au dos
-voûté, au corps aplati, aux membres longs et
grossiers; la peau est noire, avec une bande
blanche ou jaunâtre autour de la partie médiane
du corps; la variété du Quercy, du Périgord pA
■du Limousin, à. corps parfois entièrement noir,
mais présentant le plus souvent des taches blan-
■ches plus ou moins abondantes, donnant une chair
•de bonne qualité, et s'enfrraissant assez facilement;
les variétés gasconn'' et languedocienne, plus tar-
-dives et moins améliorées que les précédentes ;
les variétés du Roussitlon et de la Provence; enfin
3a variété béarnaise, qu'on rencontre dans les
Pyrénées, de couleur blanche et noire, à corps
mince et à membres un peu longs; cette variété,
rustique et tardive, est celle qui donne les fa-
meux jambons de Bayonne.
Les croisements entre ces types primordiaux
ont amené la formation de nombreuses populations
métisses. Au premier rang de celles-ci se placent les
races anglaises, obtenues par des croisements
multipliés des animaux des races locales avec la
race asiatique et la race ibérique, nu napolitaine,
l'une et l'autre importées à diverses reprises dans
les îles Britanniques. Il en est résulté une confu-
sion absolue dans les types, si bien que les races
ne sont plus distinguées maintenant, en Angleterre,
•que par leur taille et leur couleur. Le plus grand
nombre de ces variétés sont remarquables par
leur développement très rapide, la petitesse des
membres et des os, et par la rapidité avec la-
quelle l'animal s'assimile les plus grandes quantités
d'aliments. Les principales parmi ces races sont :
la race Yorks)nre, de taille très variable, à peau
blanche, présentant tantôt les oreilles dressées,
tantôt les oreilles rabattues, d'une précocité de
première ligne ; la race Berkshire, noire et blanche,
rustique et féconde, à oreilles petites et dressées,
à corps court et bien cylindrique; la race JVeuj-
Leicester, à peau blanche, petite, à membres très
fins, très précoce, mais d'une faible fécondité, et
ne présentant pas de caractères zootechniques
constants; la race de Hampshire, qui ne diffère de
celle de Berkshire que par un corps plus allongé et
un moindre perfectionnement; la race d'Essex,
petite, à peau noire, à corps bien cylindrique.
D'autres populations métisses ont été formées ail-
leurs par le croisement des races ibérique et cel-
tique ; c'est ainsi qu'ont été formées notamment
les races lorraine, westphatienne, remarquables
par la qualité de leur chair.
Le but principal cherché par les éleveurs an-
glais dans les croisements qui viennent d'être in-
diqués «lait d'obtenir des animaux d'un dévelop-
pement très rapide, et d'un rendement considérable
en chair et en graisse. Ce but a été complètement
atteint: il faut toutefois faire observer que, chez
ces porcs, la graisse prédomine beaucoup sur la
chair, et que celle-ci est d'une qualité généralement
inférieure à celle des porcs du continent. Cette
considération n'était pas de nature à arrêter les
éleveurs qui cherchent à obtenir le plus grand
profit. Aussi un grand nombre de reproducteurs
anglais ont été introduits, depuis quarante ans,
en France, et dans les autres parties de l'Europe ;
leur action a eu pour résultat la création d'un
grand nombre de nouvelles races métisses, qui ont
pris à ces reproducteurs leurs qualités, mais aussi
leurs défauts. Ces races sont aujourd'hui très
nombreuses. En même temps, des efforts considé-
rables ont été faits pour développer, p.ir la sélec-
tion, la précocité des races locales, de telle sorte
que celles-ci luttent aujourd'hui, parfois avecavan-
tage, contre l'envahissement des croisements an-
glais, tout en ayant gardé les qualités primordia-
les de leur chair et de leur lard .
Les caractères que l'on doit trouver dans un
beau porc sont les suivants : le dos sera très
large, depuis le cou jusqu'à la queue, ce qui en-
traîne nécessairement la largeur des épaules et
celle des reins; le tronc doit avoir une grande pro-
fondeur, et se terminer supérieurement et infé-
rieurement par une ligne droite; les côtes doivent
être bien arquées, do sorte que les flancs affectent
la forme cylindrique ; quant aux cuisses, elles doi-
vent être larges et bien développées ; les jambes
doivent être fines et courtes ; la tête doit aussi
présenter beaucoup de finesse. Dans un animal
qui possède ces caractères, il y a prédominance
des parties les plus utiles, en vue de la production
de la chair et du lard. — Pour la truie, il faut ajou-
ter que l'abdomen et le bassin doivent être am-
ples, les flancs larges et les mamelles nombreuses
et bien développées.
La durée de la gestation est, chez les femelles,
de lui à 120 jours. Elles peuvent commencer à
porter dès l'âge de huit à dix mois, et faire ensuite
deux portées par an sans inconvénients jusqu'à
l'âge de quatre à cinq ans ; dans les races préco-
ces, on les conserve même moins longtemps. On
prend le plus souvent ses mesures pour que les
petits naissent au printemps et à l'automne. A
chaque poitée, on a de six à dix petits.
La première nourriture des gorets est le lait de
leur mère. Au bout d'une quinzaine de jours, on
commence à leur donner un peu de lait avec de
PORC
— 1686 —
PORCELAINE
la farine. La ration est augmenlée progressive-
ment jusqu'au moment du sevrage, qui se pratique
au bout de six semaines ou de deux mois. La cas-
tration des animaux destinés à être engraissés
doit être faite un peu avant le sevrage. Cette opé-
ration est pratiquée aussi bien pour les femelles
que pour les mâles, quand on ne veut pas les
faire servir i la reproduction.
Le porc est, de tous les animaux domestiques,
celui qu'il est le plus facile de nourrir. 11 absorbe
les eaux grasses et une grande quantité de détritus
qui seraient perdus sans son intervention. C'est, à
ce point de vuo un animal très précieux, et, dans
un grand nombre d'cxple-tstions, on considère à
juste titre sa production comme n'occasionnant
presque aucun frais. Les porcs mangent aussi bien
les matières animales que les matières végétales ;
le plus avantageux est de les méiinge: les unes
aux autres. D'un ^utro côté, le régime de l'été
ne peut pas être le môme que celui de l'iiiver. En
été, les animaux sont nourris h la porcherie ou au
pâturage. A la porcherie, on leur distribue des
fourrages verts, des choux, des feuilles de bette-
raves, de carottes; quant au pâturage, il est pris
soit sur les prairies artificielles, soit dans les bois
ou dans les champs cultivés, après 'enlèvement
des récoltes. Durant l'hiver, la base ae la nourri-
ture est dans les racines cuites, pommes de terre,
carottes, épluchures de légumes, et dans le son
ou les farines grossières. Ces derniers aliments,
de même que le petit-lait, sont particulièrement
réservés aux animaux placés dans la dernière pé-
riode d'engraissement. Les eaux grasses forment,
dans tous les temps, la principale partie de la
boisson pour les porcs.
11 est assez difficile de donner des formules de
rations alimentaires. Toutefois, il sera utile de
placer ici quelques indications sur des rations
dont la valeur pratique a été démontrée par
M. Boussingault. La truie qui vient de mettre bas
reçoit une nourriture en rapport avec le nombre
de ses petits; pour une portée de cinq petits, on
lui donnera, par jour, pendant la durée de l'allai-
tement, un mélange formé de 11 kilog. 250 de
pommes de terre cuites, G kilog. de lait écrémé
et caillé, et 1 kilog. 'Jô'> de farine de seigle. Après
le sevrage, cette ration est réduite de moitié. Peu
à peu, on revient à la ration d'entretien qui peut
consister en 7 kilog. âUO de pommes de terre,
broyées et délayées dans de l'eau de vaisselle et
du petit-lait. Pour les jeunes gorets, M. Boussin-
gault recommande la ration suivante pendant les
trois mois qui suivent le sevrage : pommes de
terre, '2 kilog. 500 ; eaux grasses, 4 kilog. ; lait
écrémé et caillé, 300 grammes. — Dans les circon-
stances ordinaires, l'engraissement dure deux
mois îi deux mois et demi. Pendant ce temps, les
rations alimentaires doivent être plus fortes. Les
racines et surtout les pommes de terre cuites et
mélangées avec de la farine grossière et avec des
tourteaux, sont les aliments le plus généralement
employés pour l'engraissement. Dans les pays qui
renferment de grandes forêts de chênes, les porcs
sont conduits dans les bois où ils mangent à vo-
lonté du gland vert; ce régime, désigné sous le
nom de gluiulce, convient très bien à leur engrais-
sement. Les glands peuvent aussi être recueillis
pour la nourriture à la porcherie. L'important
est que les porcs à l'engrais absorbent la plus
grande quantité possible d'aliments. L'engraisse-
ment est achevé, quand leur poids n'augmente
plus d'une manière sensible. Le rendement moyen,
en viande et lard, ea de SO à 85 pour 100 du poids
de l'animal vivant.
Dans presque toutes les familles de cultivateurs,
on tue chaque année un ou deux porcs, suivant
les besoins de la liaison, pour la consommation
ménagère. Dans les grandes porcheries annexées
aux fromageries, aux féculeries, aux brasseries,
et qui en uiilisent les résidus, les procédés d'en-
graissement et d'élevage sont analogues à ceux
adoptés dans les fermes.
C'est une erreur presque généralement répan-
due que le porc se plaît dans la saleté et que celle-
ci profite à son développement. Aussi laisse-t-on
le plus souvent les porcheries de côté, S5ns leur
donner les soins qu'on prodigue aux étables, aux
bergeries, à la basse-cour. La porcherie doit, au
contraire, être entretenue dans un grand état de
propreté : il faut en enlever le fumier et renouveler
les litières régulièrement, en laver le pavé à
grande eau. Pendant l'été, les porcs recherchent
la fraîcheur; la chaleur leur est désagréable à
l'excès, et, plutôt que de la supporter, ils se roulent
partout sans avoir égard h. la saleté. Le mieux est
d'avoir près de la porcherie un petit bassin ou une
mare d'eau propre, où les animaux puissent se
baigner, ainsi qu'une cour dans laquelle ils puis-
sent prendre leurs ébats. En règle générale, les
lois de l'hygiène doivent être observées aussi bien
pour les porcs que pour tous les autres animaux
domestiques.
Le porc est sujet à un certain nombre de mala-
dies qui affectent divers degrés de gravité. Celles
qu'il convient de citer pariiculicrement sont l'an-
gine, la constipation, la diarrhée, la gale, l'enté-
rite, rinflaminaiion des poumons, et surtout la
ladrerie et la trichinose. — La ladrerie est pro-
voquée par le développement, dans le tissu cellu-
laire, d'un ver vésiculaire, appelé cysticerque ladri-
que ; ce ver est une des métamorphose- du ténia.
La maladie, quand elle est développée, est carac-
térisée par le développement de points blancs ou
de vésicules sous la langue. Cette maladie est,
pour le moment, incurable. Elle est dangereuse
pour l'homme, car la viande de porc ladre peut
donner le ver solitaire h ceux qui en mangent. —
11 en est de même de la trichinose; cette maladie
est due au développement et à la multiplication,
dans la chair du porc, de vers très petits appelés
trichines. Les larves de ces insectes entrent dans
l'organisme par les voies digcsiives. et pénètrent
dans le sang et les organes où elles se dévelop-
pent. La trichinose a été principalement observée
en Allemagne et aux États-Unis d'Amérique où. Si
certaines époques, elle a fait de nombreuses vic-
times. Pour s'en préserver, il suffit de ne jamais
manger de viande île porc crue, et, dans la cuisson
de cette viande, de porter toute l'épaisseur de la
masse i une température minimum de 71) à 80 de-
grés; les trichines ne résistent pas à cette tempé-
rature, et la, viande infestée devient inoffensive.
— V. Helminthes.
[Henry Sagnier.]
PORCELAINE. — Connaissances usuelles, il V.
— On a beaucoup et vainement discuté sur l'éiy-
mologie de ce mot, ou plutôt sur l'origine de cette
désignation, et il n'est aucune langue ."i laquelle
les chercheurs ne se soient adressés pour résoudre
le problème. En résumé, nous savons que le»
Romains avaient donné à une belle coquille, dont
la valve est lisse et translucide, le nom de porca,
dont les Italiens (sous-entendant le mot terre) ont
fait le diminutif /^0)-ce//rt;(a, ou terre ayant l'aspect
de la coquille appelée porca (que d'aillçurs nous
connaissons aussi sous ce même nom vulgaire de
porcelaine). Quoi qu'il en soit, la porcelaine peut
être définie une sorte de poterie à pâte très fine,
très dure, se distinguant des autres produits de
la céramique par une translucidité qui la rapproche
du verre. Sur la provenance première do la porce-
laine, aucun doute possible. C'est aux Chinois
qu'en revient l'honneur. Autant qu'on peut le
déduire de leur lointaine histoire, ils en inventèrent
la fabrication bien avant notre ère. Tout nous porte
à croire que la porcelaine fut conmie dos Romains
PORCELAINE
1()87
PORCELAINE
qui, au cours de leurs guerres avec les peuples de
l'Asie centrale, rapportaient beaucoup de produits
dont l'origino restait pour eux incertaine (comme,
par exemple, la soie, sur la production de laQuelle
ils avaient, toutes sortes de légendes). Selon plusieurs
commentateurs de l'antiquité, les fameux vases
7nur>-hiiis, qui se payaient des prix exorbitants,
n'auraient été rien autre que des pièces de porce-
laine ricliement décorées, apportées à Rome par
des marchands qui les allaient acheter en Asie
Mineure, où elles arrivaient par les caravanes tar-
tares. Il en fut ainsi jusqu'il l'époque où les con-
qufttesmusulmanes, jetantune grande perturbation
dans les contrées d'Orient, imposèrent une sorte
de barrière aux trafics commerciaux dès longtemps
établis entre l'Asie et l'Europe. Les choses repri-
rent leur cours quand l'empire du Ijroissant fut
régulièrement assis, et l'on sait qu'au ix" siècle
la porcelaine arrivait en assez grande quantité
chez les Arabes qui la recevaient par la double
voie des caravanes et des navires leur apportant les
marchandises de l'Inde. Il va de soi que dans les
siècles qui suivirent, étant donné les relations fré-
quentes, pacifiques ou guerrières, entre le monde
chrétien et le monde mahoraétan, l'Occident a dû
voir arriver des pièces de porcelaine chinoise;
mais nulle mention ne s'en trouve dans les au-
teurs. Au xiii° siècle, le voyageur Marco Polo, re-
venvi d'un assez long séjour en Chine, parle à
plusieurs reprises dans son curieux récit de cette
magnifique poterie, dont il avait nécessairement
dû rapporter quelques échantillons en son pays.
Lentement, d'ailleurs, nous voyons se répandre en
Europe et le nom et la chose, jusqu'au moment où
les Portugais, en doublant le cap de Bonne-Espé-
rance, eurent ouvert la route maritime des Indes.
Dès le commencement du xvi'^ siècle, en effet, la
porcelaine chinoise fut répandue en assez grande
quantité, mais encore tenue ;'i haut prix et recher-
chée cotutue objet de grand luxe dans les princi-
paux États de l'Europe occidentale. Dès lors aussi
beaucoup d'esprits furent en travail pour tâcher de
connaître la nature de ce charmant produit de l'art
asiatique.
Tout d'abord les idées, les opinions les plus
étranges furent émises à ce propos. Des savants
très sérieux écrivaient, par exemple, que la pâte
de la porcelaine était due k un mélange de blanc
d'œufs, de plâtre et d'écaillés d'huîtres, que, après
l'avoir bien intimement malaxé, on enterrait pour
qu'il se mûrit pendant cent ou cent cinquante
ans. Le jour vint cependant, mais relativement
tardif, où, au lieu de voir dans la fabrication de la
porcelaine une sorte d'opération mystérieuse, on
se mit en quête dos terres, des roches qui, sou-
mises â la cuisson, pourraient donner une poterie
translucide. On imagina en premier lieu un mé-
lange d'argile marneuse et de minium, et l'on
produisit une sorte de porcelaine qui, en réalité,
n'avait rien de commun avec celle de la Chine, et
qui depuis a reçu le nom de porcelaine tendre ou
à fritte. Ces essais commencèrent la réputation
de la manufacture de Sèvres, où ils avaient été
faits ; et les produits de cette époque, obtenus
par ce système, sont connus et recherchés dans le
monde des amateurs sous le nom de vieux Sèvres.
Cette porcelaine, qui, répétons-le, n'en est pas
une dans la vraie acception du mot, a le désa-
vantage de s'érailler au contact des corps durs, et
de résister mal aux transitions vives de tempéra-
ture, de telle sorte que les produits qu'elle donne
sont peu propres aux usages journaliers. Par
contre, elle se prête plus avantageusement â la
décoration que la porcelaine dure; les couleurs
y prennent mieux, y gardent plus d'éclat, et ainsi
elle convient particulièrement h la fabrication
des objets de pure ornementation.
Quoi qu'il en fût de l'importance de cette dé-
couverte, le problème posé n'était pas résolu, et
il ne devait l'être que le jour où le hasard ferait
connaître cliez nous l'existence d'une terre an.ilo-
gue il celle qu'emploient les Chinois. Cotte terre,
pour l'appeler du nom que lui donnent les arti-
sans du Céleste empire, est le Icnolin, sorte d'ar-
gile provenant de la décomposition des feldspatlis;
et la couverte (V. Poterie) de cet élément infusi-
ble est formée d'une autre roche feldspathique mé
langée de quartz, dite pegmatite (chez les Chinois
petuntse), qui est fusible à la haute température
nécessaire à la cuisson de la pâte formant le corps
de la poterie. Ces deux terres ou roches étant
d'origine commune (car elles ne sont en quelque
sorte que des modifications d'un même principe),
il s'en suit que la porcelaine dure, corps et cou-
verte, forme un composé plus homogène que ceux
qui constituent les autres produits de la cérarai
que : d'où un caractère parfaitement distinct et
supérieur.
Or, quand il fut bien avéré pour les Occidentaux
qu'ils feraient de la porcelaine le jour où ils au-
raient trouvé la terre convenable, ils la cher-
chèrent obstinément. Ce fut en Saxo que la pre-
mière trouvaille en fut faite, en nti9, par un chi-
miste, ou plutôt par un alchimiste du nom de
Cœttcher, qui dut au hasard d'être mis sur la
trace d'un giseiuent de kaolin, avoisiné, comme
cola a généralement lieu, de la pegmatite propre
îi la couverte. Les premiers essais ayant donné
d'excellents résultats, l'électeur de Saxe établit
aussitôt h ses frais, dans le château d'Albrechtburg,
une manufacture qui livra dès l'origine des pièces
presque aussi belles que celles de la Cliine, dont
elles imitaient parfaitement d'ailleurs le style et
l'ornementation. Ce fut, pour employer le terme
consacré, le Saxe, qui si longtemps, comme aujour-
d'hui encore d'ailleurs, eut la vogue dans le monde
des amateurs. Quelque soin que prit, dès lors, le
gouvernement saxon pour garder le monopole de
cette fabrication, la plupart des grandes villes
allemandes no tardèrent pas à avoir aussi leur
fabrique de porcelaine; et bientôt le secret — car
il y avait encore un secret ~ de la fabricatioii se
répandit généralement. A vrai dire, sans rnatière
première, la connaissance des procédés était lettre
morte. Déji des manufactures étaient en pleine
activité dans la plupart des Etats européens, et la
Franco en était réduite à sa fabrique do Sèvres,
qui continuait â produire sa porcelaine apocryphe,
lorsque enfin, en nCS, une femme des environs
de Limoges trouva dans le ravin de Saint Yriex
une terre blanche et grasse qu'elle prit, la croyant
simplement propre au blanchissage du linge, et
qui n'était autre que du kaolin, de la plus belle et
de la plus précieuse qualité.
De ce jour date pour la céramique purement
française une grande et magnifique époque : car,
mis en possession d'éléments de fabrication
identiques à ceux de l'Orient, nos artisans, nos
artistes ne s'astreignirent pas, comme l'avaient
fait d'autres nations, à imiter, h contrefaire servi-
lement les produits chinois. Un art propre fut créé
chez nous de toutes pièces, qui, pour la beauté,
pour .le bon goût des produits, n'eut bientôt rien
à redouter des fabriques les plus renommées, et
qui on plus d'un cas peut défier et vaincre les pro-
duits de plus pure provenance. Pendant près d'un
demi-siècle, du reste, la fabrication de la porce-
laine, concentrée aux mains de spécialistes pari-
siens, resta chez nous â l'état d'industrie de luxe,
ne produisant que dans des conditions exception-
nelles et en vue de la seule clientèle opulente. Mais
le jour vint où, sur les lieux mêmes des gisements
do kaolin primitivement découverts, et sur plu-
sieurs autres points où l'on en découvrit par la
suite, d'importantes manufactures s'établirent, qui,
répandant Ji profusion leurs excellents et écono-
PORCELAINE
1688 —
PORCELAINE
miques produits, ont peu à peu vulgarisé l'usage
de la porcelaine. Ajoutons que, pour avoir péné-
tré sous les formes les plus simples, les plus
communes, dans les intérieurs les plus modestes,
et pour avoir ofl'ert h tous le confortable, d'abord
réservé à quelques-uns, l'art du porcelainier n'a
nullement renoncé au charmant privilège de se
prêter à toutes les hautes et riches fantaisies qui
le placent au premier rang parmi les gloires bien
vivaces de notre grande activité nationale. On sait
que, coocurremment avec notre itianufacture na-
tionale de Sèvres, dont les œuvres sont univer-
sellement considérées comme autant de modèles
accomplis, tant au point de vue industriel qu'au
point de vue artistique, plusieurs grands établis-
sements dispersent aujourd'hui dans le mnndo en-
tier de véritables merveilles d'élégance, de bon
goût, qui font que la porcelaine française jouit
partout d'une renommée sans rivale.
Nous ne saurions nous étendre longuement sur
les nombreux détails de fabrication, qui font ren-
trer l'art du porcelainier dans un ordre de pro-
cédés communs à la plupart des applications de
la céramique. Etant donné la grossière argile
destinée à produire les poteries les plus com-
munes, ou la fine pâte de kaolin devant servir à
former quelque riche pièce de porcelaine, il va
de soi qu'en beaucoup de cas les procédés de ma-
nipulation seront identiques ou tout au moins
analogues : l'artisan emploiera ou le tour ou le
moule avec plus ou moins d'habileté, de soin, de
délicatesse. Nous pouvons donc renvoyer le lec-
teur à l'article Poterie, où le? pratiques générales
sont convenablement indiquées, nous bornant à
signaler les quelques particularités qui différen-
cient le travail de la porcelaine des autres ma-
nipulations céramiques.
A l'analyse chimique, la pâte de la porcelaine
dure (dont, à vrai dire, les dosages peuvent va-
rier selon les objets à fabriquer) accuse la pré-
sence en quantités majeures de silice et d'alumine,
pour une toute petite proportion (:! à b p. 100) de
chaux et de potasse. La couverte ou gluçure, tou-
jours formée de pegmatite, a pour éléments prin-
cipaux la silice, l'alumine et la potasse, et parfois
un peu de magnésie. Les matériaux, broyés sous
des meules, lavés, recueillis par décantation, sont
d'abord pétris dans des cuves. La pâte obtenue
est mise à ressuer, c'est-à-dire à s'égoutter dans
<les sacs, sur lesquels on exerce une certaine
pression. On doit ensuite (pratique qui rappelle
en principe la légende dont nous parlions plus
haut) la faire mûrir ou vieillir en la tenant im-
mergée, non pas durant un siècle, mais pendant
au moins une année, ce qui a pour efl'et non seu-
lement de la débarrasser par pourriture de
toutes les molécules organiques qui pourraient
y être renfermées, mais encore de rendre plus
intime le mélange des éléments qui la com-
posent. Au bout du temps voulu, elle est battue,
pétrie, roulée en cylindre, que l'on taille en
menus copeaux appelés taurnasxures ; et l'on
|ieut enfin la manipuler pour le façonnement des
pièces.
Quand celles-ci sont façonnées, on les laisse sé-
cher pendant quelques jours à l'air, puis, après
les avoir enfermées dans des cassettes (caisses do
terre réfractairc),on les place dans le haut du four
rie cuisson, pour qu'elles y prennent ce qu'on ap-
[lelle le dégourdi, qui est moins une cuisson
qu'un parfat dessèchement des pièces. Après
cette opération, elles sont en état de recevoir la
I ouverte ou glaçure. qui s'applique soit par im-
mersion di' la pièce dans un liquide où la pegma-
tite très finement pulvérisée est tenue en suspen-
sion, soit par aspersion du même liquide. La pièce
dégourdie, étant encore poreuse, absorbe l'eau de
la glaçure, et sa surface reste couverte d'une
poussière fusible, qui doit à la cuisson produire
la couche vitrifiée.
Quelquefois, et surtout quand il s'agit de pièces
ornementales, statuettes et sujets de fantaisie, la
porcelaine reste sans couverte; c'est ce qu'on a
coutume d'appeler le biscuit, qui, lorsque la pâte
en est bien réussie, a l'aspect du marbre blanc le
plus pur.
Quelle que soit enfin la disposition adoptée :
porcelaine mate ou biscuit, porcelaine glacée ou
avec couverte, il faut, après ce premier feu, ou dc-
gnurdissement, procéder à la cuisson proprement
dite et définitive, qui a ordinairement lieu dans
des fours cylindriques, où les pièces sont métho-
diquement disposées, placées au préalable et à
nouveau dans des cassittes, ayant pour principale
fonction d'égaliser les effets du calorique.
Quand la cuisson est achevée (ce que l'on cons-
tate en retirant de temps en temps du four des
fragments de porcelaine sur l'état desquels on
juge du degré de l'opération), on ferme tous les
orifices du four, pour laisser le refroidissement se
produire avec lenteur et sans l'accès des courants
d'air, qui pourraient causer de grands dommages
dans les produits de la fournée. Enfin l'on retire
du four les pièces achevées, qui, au cas où elles
doivent être décorées avec plus ou moins d'art ou
de luxe, passent aux mains des artisans ou artistes
chargés de procéder aux travaux d'enjolivement.
Cette décoration s'effectue â l'aide de couleurs gé-
néralement composées d'oxydes métalliques mêlés
à des substances vitrifiables incolores connues
sous le nom de foridants. Le tout étant réduit en
poudres impalpables, les peintres, pour s'en servir,
délayent les couleurs avec une essence : leur tra-
vail achevé, les porcelaines peintes sont soumises
dans des fours spéciaux à une chauffe qui vitrifie
le fondant, et fixe la couleur en la faisant adhérer
à la couverte. L'or et les autres ornements à
éclat métallique peuvent être obtenus par des
applications de feuilles de métal, qui alors con-
servent leur brillant; mais le plus souvent on
les obtient, comme les autres couleurs, à l'aide de
précipités donnant des tons mats, que l'on amène
au brillant par le /jrunissage (frottement à l'aide
d outils en silex poli).
Ici se borne le résumé que nous pouvons faire
dos pratiques générales afférentes à la fabrication
do la porcelaine. Nous aurions encore de longues
pages â écrire si nous voulions comprendre dans
cet article les notions qui composent le savoir
des amateurs appelés â se prononcer sur la na-
ture ou la provenance des divers produits de cette
grande et magnifique branche de la céramique.
Toute une science spéciale existe, Ji laquelle on ne
saurait être initié que par des études longues et
minutieuses, avec pièces :"i l'appui. Pour la seule
porcelaine de Chine, de gros manuels ont été com-
posés où d'après la pâte, le glacé, le coloris in-
terne, la décoration extérieure, les pièces sont
classées par familles, par genres. Autre étude
analogue pour les porcelaines du Japon, contrée
qui, pour être plus jeune dans celte f ibricatioii,
ne le cède en rien à sa devancière comme beauté,
finesse, élégance des produits. Puis viennent les
recherches relatives aux porcelaines que jadis fa-
briquait la Perse, etc. Pour l'Occident, l'amateur
n'a pas à faire preuve de moins de tact et de sub-
tilité quand il veut ne pas se méprendre sur l'âge,
l'origine, la valeur artistique ou marchande des
pièces qui lui sont soumises : car le nombre est
grand des centres producteurs, délicats sont les
caractères à saisir, et complexes les détails à re-
tenir, â comparer pour arriver juste dans les di-
verses appréciations. C'est donc, répétons-le, une
science d'amateur pratiquant, que nous n'aurions
nullement la prétention d'enseigner. Il y a là
d'ailleurs tout un vocabulaire S connaître, en
PORCINS
— 1689 —
PORTUGAL
même temps que tout un ensemble d'applications i la tête s'élargit considérablement, et de chaque
techniques des termes à observer si«- na^o-e. côté des joues pond une espèce de loupe charnue,
Nous ne saurions mieux faire, croyons-nous, en ce qui donne ;"i ces animaux un aspect hideux.
reconnaissant tout l'attrait que peut offrir cette
intéressante étude, que de renvoyer ceux de nos
lecteurs qui seraient tentés de l'entreprendre an
très savant et très pratique ouvrage qu'un maître
en ce charmant savoir, M. A. Jacquemart, a con-
sacré à la céramique dans la Hibliothèque des
menreilles. [Eugène MuUer.]
l'ORClIVS. — Zoologie, X. — Comme nous
avons eu déjà l'occasion de le dire, l'ancien ordre
des Pachydermes a été complètement démembré,
et à ses dépens ont été constitués les trois or-
dres des PfobosciiHens ', des Solipèdes ou Ju-
mejilés ' et des Porcins *.
L'ordre des Porcins correspond h une partie de
la subdivision des Pachydermes on/inaires, et com-
prend les animaux du genre Porc, pris dans un
sens très étendu, plus les animaux du genre
Hippopotame. Tous ces mammifères se reconnais-
sent h leurs formes massives, à leur corps renfle,
obèse, revêtu d'un cuir épais, et porté sur des
pattes courtes et robustes dont les doigts sont en
nombre pair. Leur estomac présente une certaine
complication, sans être subdivisé en poches aussi
distinctes que chez les Ruminants, et leurs mâ-
choires sont pourvues de trois sortes de dents,
incisives, canines et molaires.
Les Hippopolmnes ont quatre doigts presqu
Chez les Cochons proprement diis, les canines
supérieures, sans offrir des dimensions aussi con-
sidérables, se recourbent néanmoins, chez les
mâles, au-devant des yeux, et ne servent pas seu-
lement comme armes offensives et défensives ;
elles peuvent encore être employées, à la manière
du soc d'une charrue, pour retourner la terre et
mettre à découvert les racines et les tubercules
dont les Porcs font leur nourriture.
A l'état sauvage tous ces animaux vivent en
troupes, dans les forêts humides et marécageuses,
et ae répandent vers le soir dans les champs, où ils
causent souvent de grands dégâts en fouillant le
sol en tous sens. Quand la faim les presse, ils de-
viennent carnivores et s'attaquent môme, dit-on,
aux animaux vivants. On trouve des représentants
de ce groupe dans toutes les contrées chaudes et
tempérées de l'ancien et du nouveau monde. En
Europe, en Asie et en Afrique vit le Sanglier, gé-
néralement considéré comme la souche de nos Co-
chons domestiques (V. Porc et races porcines) et
qui, à l'âge adulte, a le corps revêtu de soies ru-
des, d'un brun noirâtre.
En Amérique le groupe des Porcins est repré-
senté par les Pécaris (Dicolyles), qui n'atteignent
jamais la taille du Sanglier, et qui ont le corps
plus ramassé, les pattes supérieures lerminées
égaux, qui' appuient tous sur le solpendant la [ par trois doigts seulement par suite de l'atrophie
marche et qui sont munis chacun d'un petit sabot; I du doigt externe, la queue presque nulle, et les ca-
leur corps lourd repose sur de véritables piliers, j nines enfermées dans l'intérieur de la bouche,
et leur tête se renfle en avant en une sorte de Enfin dans les îles Moluques habitent les Babi-
,groin, large et tronqué. C'est à peine si l'on dé- ' roussas (Babyrussa, F. Cuvier), au corps grêle et
■couvre quelques poils épars sur leur peau marquée ' assez haut monté, aux canines supérieures rele-
de rides nombreuses, et recouvrant une épaisse \ vées et contournées de manière à protéger la re-
couche de graisse. Leur queue, très courte, est
■un peu velue à l'extrémité, et leur tête difforme
n'est animée que par des yeux assez petits au-
•dessus desquels se dressent des oreilles rudi-
mentaires. Somme toute, les Hippopotames sont
des êtres fort disgracieux et dont !a physionomie
indique bien le naturel farouche et stupide. Ils vi-
vent par bandes dans les lacs et dans les grands
fleuves de l'Afrique tropicale, nagent et plongent
gion des yeux.
Plusieurs naturalistes rattachent encore à 1 ordre
des Porcins les Anoplotherium et les Xiphodon,
animaux fossiles signalés par Cuvier dans les cou-
ches de plâtre de Montmartre. [E. Oustalet.j
PORTUG.IL. — Histoire générale, X\I\; Litté-
ratures étrangères, XIII. — Isolé par l'Espagne
du reste du continent européen, le Portugal a dû
subir, à toutes les époques, le contre-coup des
avec facilité, et se nourrissent do joncs, de racines, ' révolutions espagnoles, et repousser plus d'une
et d'autres substances végétales. Dans les terrains j invasion sur sa frontière de l'est. Possédant, vers
de diverses parties de l'Kurope on a découvert ! l'ouest, l'embouchure de trois grands fl'iuves,
les restes fossiles de plusieurs espèces d'Hippo- 1 le Minho, le Douro et le Tage, et en partie avi
sud celle du Guadiana, il a dii nécessairement
porter toute son activité vers la mer, et précéder
les autres nations occidentales dans la voie des
grandes découvertes géographiques. Peuple de
race latine et de religion catholique, la nature
semblait destiner les Portugais à se fondre dans
l'union ibérique ; la politique leur a donné une
potames plus ou moins semblables à l'espèce ac-
tuelle.
Les Porcs proprement dits ou Suidés (de sus,
■ qui, en latin, signifie porc), sont de taille plus
faible que les Hippopotames, et ont le corps re-
vêtu de soies rudes et serrées, la tête conique,
■ amincie en avant en un groin mobile propre i
'fouiller le sol, les pattes médiocres, mais toujours ' vie propre, une histoire originale et une nationa-
moins robustes que dans le genre précédent. 1 lité.
Leurs pieds sont fourchus, et les deux doigts mé- 1. Les invmions antiques. — Les Lusitaniens,
■ dians seuls sont garnis de sabots et touchent le anciens habitants du Portugal, nous apparaissent
sol, tandis que les doigts externes sont beaucoup d'abord luttant contre la domination de Carthage,
plus courts et rejetés en arrière. On compte de i repoussant Amilcar Uarca qui périt en les com-
quatre à six incisives k la mâchoire supérieure, et battant, et finalement vaincus par Asdrubal son
six à la mâchoire inférieure, où elles sont forte- I gendre et .\nnibal son fils. Les victoires de Fu-
ment inclinées, et deux paires de canines antago- blius Scipion (211 à 20.">) brisent, à l'époque de la
nistes qui ont une tendance â sortir de la bouche
■ et à se recourber en haut et en dehors de manière
■ à constituer des défenses; enfin les molaires, en
nombre variable, sont tantôt simples et coniques,
seconde guerre punique, le joug des Carthaginois
pour y substituer celui des Romains. Les Lusita-
niens se tournent alors contre Rome (189) et,
malgré les massacres systématiques de Servilius
tantôt élargies et tuberculeuses. (;hez les Phaco- ' Galba, repoussent un moment les légions, sous la
chères {Phacoeliœrus), qui sont répandus sur une j conduite de l'héroïque berger Viriathe, qu'assassi-
grande partie du continent africain, les prémolaires nent deux traîtres (i40). Pendant cent ans encore,
et même les premières molaires tombent avec l'âge, la Lusitanie soutient tous les ennemis du sénat,
et il ne reste que les dernières dents mâchelières, triomphe avec Sertorius (80), mais succomba sous
offrant des sortes de cylindres réunis par une les coups de Pompée, puis de César, h qui la
substance corticale, et les canines qui acquièrent Lusitanie vaincue vaut les honneurs consulai-
■ un développement extraordinaire. En même temps ' res (59).
PORTUGAL
1690 —
PORTUGAL
Pacifiée et réconciliée par l'astucieuse politique
d'Octave-Auguste, la Lusitanie se couvre de mo-
iiunieius romains et verse k l'empire le trésor
de ses mines (30 000 marcs d'or par année). L'ar-
rivée des barbares rouvre, au bout de quatre
siècles de prospérité matérielle, la période des
invasions.
2. Les invasions au moyen (h/e. Vinili^pendnnce.
— A la cliute de l'empire romain, la Lusitanie fut
partagée par les Suèves, au nord, et les Alains.
au sud, puis bientôt conquise par les Visigotbs,
race à demi civilisée qui légua au pays des lois
équitables et une sorte de gouvernement libre
(5S.S).
La victoire de Xérès ouvrit aux Arabes la
route de la Lusitanie (711). La domination des
Gotlis s'écroula devant celle des musulmans,
fort tolérante d'ailleurs et qui apportait au Por-
tugal une civilisation très supérieure alors à
celle de l'Europe chrétienne. Pendant trois siè-
cles, les .\rabes se maintinrent, malgré les pro-
grès des chrétiens des Asturies, qui rattachèrent
au royaume de Léon le nord de la Lusitanie.
Eiifiu, en I(-9i, un chevalier français, Henri de
Bourgogne, obtint du roi de Castille ..Alphonse VI,
avec la main de Tharéja sa fille, l'investiture du
comté de Portugal (environs de Porto) , entre
Minho et Donro, et de tous les pays qu'il pourrait
conquérir. Dix-sept victoires consolidèrent le
puissant vassal, et son fils, Alphonse Henriquez,
s'affranchit doublement de la Castille par la vic-
toire de Valdovez, puis des Maures par la victoire
mémorable d'Ourique (Ta juillet 1139). Le même
jour, l'armée le proclamait roi, et les Cortès de
Lamcgo confirmèrent ce titre (IU2) en votant les
18 statuts de la Charte constitutionnelle.
3. Progiès sous la dynastie française. — Le
Portugal alïranchi reprit la lutte contre les Mau-
res, la continua par la conquête de Lisbonne
(II47), l'expulsion des Almohades, la victoire de
Santarem (1184), et ses progrès ne furent pas ar-
rêtés par la mort d'Alphonse ller.riquez surnommé
le Saint (1185). Les Portugais contribuèrent h la
grande journée libératrice de Las Xavas de To-
losa (1212), et après l'Estramadure et l'Alemtéjo,
enlevèrent les Algarves (1249-1253), atteignant la
frontière que le royaume n'a pas dépassée depuis.
La résistance courageuse d'Alphonse II aux
prétentions cléricales, les réformes bienfaisantes
d'Alphonse III, « le roi des pauvres », consoli-
daient la dynastie bourguignonne. La victoire du
Rio Salado, sous Alphonse IV 1340), abattait dé-
finitivement l'islam. Mais les drames sanglants de
la maison royale, l'assassinat de la belle liiez de
Castro (1-355) bientôt suivi des vengeances du
Pierre le Justicier (1356-I3C7), sévère répresseur
de la noblesse et du clergé, amenèrent une crise
passagère qu'arrêta, en 1385, l'avènement de la
branche d'Avis.
4. Gramleur du Portugal sous la maison d'Avis.
— Un fils bâtard de Pierre le Justicier, don Juan
d'Avis, fut porté au pouvoir par une révolution na-
tionale (1383), consacrée par la grande victoire
d'Aljubarotla (15 aovit 1385) où les Portugais re-
poussèrent l'armée castillane malgré l'étonne-
nient causé dans leurs rangs par l'emploi de l'ar-
tillerie. Ce règne inaugura une ère de grandeur
et de gloire inouïes pour la nation.
Sous l'infant don Henri, sous Jean II, sous Em-
manuel le Fortuné, on vit se succéder les expé-
ditions maritimes et les conquêtes lointaines.
Après la prise de Ceuta (1415), la découverte de
Puerto-Santo, de Madère (I41'i), l'occupation des
Canaries, des Açores (I4:il), vint l'exploration de
la côte africaine, le passage du cap Bujador
(1434), et du Rio d'Ouro. Si le Portugal refusait
de seconder Colomb, en revanche il soutenait
ardemment ses propres navigateurs, Barthélémy
Diaz, Vasco de Gama, Alvarez Cabrai. Le cap de
Bonne- Espérance était doublé (1486), la route de
l'Inde ouverte i,H97), le Brésil atteint (15(i0),
Ormuz et Socotora conquis. François Almeida,
Alphonse Albuquerque, Lopez Soarès fondaient,
des rivages de l'Atlantique aux extrémités de la
mer des Indes, uno domination coloniale qui don-
nait au commerce européen un développement
encore inconnu.
Mais des germes de décadence rapide se mon-
traient à l'intérieur. La royauté s'émancipait des
Certes, devenait absolue, favorisait l'inquisition
et l'ordre naissant des jésuites. Aux colonies, l'in-
tolérance religieuse exaspérait les indigènes que
contenait en vain la main ferme de Jean de Castro
(1545-I5'i81.
Cependant la littérature brillait d'un vif éclat.
La langue portugaise s'animait pour chanter l'a-
mour, la chevalerie, la croisade et les grandes
aventures de mer. Les chroniques romanesques
de Carvalho, de Barros, de Maraès, l'ouvrage de
l'historieii Osorio, les poésies patriotiques de
Lobo et do Cortereal, pâlissent cependant devant
les immortelles Lusiades de Çamoens. La prison,
l'exil et la misère furent la récompense du poète
patriote, du valeureux soldat d'Afrique promenant
sa vie errante de Lisbonne à Macao, aux Molu-
ques, à Mozambique, pour mourir pauvre et isolé
sur un grabat (15711).
L'avènement de don Sébastien, élève des jé-
suites (15.S"), et sa folle croisade au Maroc con-
tre Muley-Moluc, aboutissant au sanglant désastre
d'Alcazarquivir (4 août 15^81, amenèrent une
crise épouvantable. Le roi don Henri, cardinal
couronné, livra son pays à l'Espagne (1580), mal-
gré les efl'orts des patriotes soutenus par la France.
5. Domination étrangère. La maison de Bra-
gnnce. — La lourde domination de Philippe II
s'abattit sur le pays. L'inquisition servit le despo-
tisme espagnol. Le Portugal humilié, asservi,
systématiquement ruiné, vit s'évanouir son bel
empire colonial. Les Hollandais et les Anglais
mirent la main sur ses possessions d'Afrique et
d'Asie. Sous Philippe IH et Philippe IV, l'oppres-
sion s'accrut encore, et amena une inévitable ex-
plosion. Lu dévoué patriote, le jurisconsulte
Pinto Ribeiro, soutenu par Richelieu et encou-
ragé par dona Louise, femme du duc Jean de
Bragance, soulève Lisbonne (1" décembre UllL)
et afi'ranchit le pays. La victoire de Montijo (1044)
consolide l'indépendance réconquise, mais la fai-
blesse de Jean IV de Bragance ne peut conjurer
la ruine coloniale.
6. Noi'velle décadence au xvni« siècle, ne-
formes de Pombal. — Bombay abandonné (16(i0),
Tanger et Ceuta perdus (1668), il restait encore
au Portugal un vaste empire et des mines au
Brésil. Le roi don Pedro n'en sut pas profiter, et
signa, avec sir John Méthuen.un funeste traité qui
livrait le commerce du pays à la discétion de
l'Angleterre (1703), en donnant à cette seule
puissance le droit d'importer les matières pre-
mières en Portugal. Cette alliance entraîna le
gouvernement dans une coalition contre la Fiance,
et amena des revers au Brésil (prise de Rio-Janeiro
par Duguay-Trouin, 17 il).
Le triste règne de Jean V (HOG-rSO) fut suivi
d'un réveil inattendu. Un homme énergique, le
Richelieu des Portugais, Carvalho, marquis de
Pombal, très épris des idées françaises et de la
philosophie du xvin'' siècle, ose entreprendre
sousJosephI" (1750-1771) de renverser à la fois
tous les abus. La noblesse, le clergé, les Anglais
lui résistent. Il terrorise les nobles, expulse les
jésuites, cherche à rompre le traité de Méthuen.
Le tremblement de terre qui ruine Lisbonne
(1755) ne le décourage pas. Réforme dos impôts,
de l'agriculture, de la législation, il entreprend
PORTUGAL
1691 —
POSTE
Pli nu'mn temps tout ce <|ui peut régénérer son
liays. I.a mort (le Joseph 1" sauve les privilégiés
Il fait tomber Pombal du pouvoir dans la capti-
\ité et l'exil (1777-1780).
7. L'invasion française. — Une reine insensée,
\mG enfant imbécile, tel était, sous doua Maria et
don Juan, le gouvernement du Portugal à l'Iicure
(ui éclata la révolution française. Pour la com-
battre, don Juan se mit aux pieds de l'Angleterre,
et complota, au milieu des moints du couvent de
la Mafra,. des plans ridicules d'invasion. La ré-
ponse ne se fit pas attendre. Bonaparte somma le
Portugal de rompre l'alliance anglaise (It^OI), et
le fit envahir par une armée franco-espagnole.
Après Austerlitz, nouvelle intervention (IxOd) ame-
nant le bizarre traité de Fontainebleau (180'. ), qui
partageait le Portugal en trois tronçons, dont un
serait donné à l'infant d'Etrnrie comme royaume,
un autre :\ Manuel Godoi comme principauté,
tandis que le troisième resterait sous la main im-
médiate de l'empereur.
Aussitôt envahi par '25 000 Français que con-
duit le bouillant Junot, le Portugal est abandonné
par SCS chefs dégénérés. La cour s'entasse sur les
navires, avec ses trésors, les richesses des mu-
sées, des bibliothèques, et s'enfuit au Brésil à
l'heure où les éclairours français entrent à Lis-
bonne. Mais le pays, agité par les moines, se
soulève fjuin 18li8). s'unit à l'Espagne, appelle les
Anglais. Vainement Junot, Soult et Masséna fo/it
tête à la révolte et arrêtent Wellington. Napoléon
ayant rappelé ses troupes de la Péninsule (181?.),
les Portugais, à leur tour, s'avancent, mêlés aux
Anglo-Espagnols, jusqu'à Toulouse (I8I4). Les
traités de 1815 stipulent le rétablissement de
Jean VL
8. La > évolution portugaise. — Mais Jean VI
refuse de quitter RIo-Janeiro et prétend faire du
Portugal une colonie brésilienne. Un Anglais,
lord Beresford, trône il Lisbonne comme vice-roi.
Un parti libéral se refoime, favorable aux idées
françaises, et, le 24 aoiit l82i), Bernardo .Sepul-
voda, colonel du 18° régiment d'infanterie, sou-
lève le peuple, à Oporto, au mot magique de
Constitution. Une révolution analogue éclatait en
même temps en Espagne.
Les Certes portugaises, qui n'avaient pas été
réunies depuis IGU7, font jurer à. Jean VI de res-
pecter la charte nouvelle (1S2I). Mais, parjure h
son serment, Jean VI, revenu en Europe, épou-
vanté par le soulijvement du Brésil, le libéralisme
des Certes de Lisbonne, et excité par les colères
du parti de la cour, renverse la constitution avec
l'appui des moines, des soldats et d'une foule fa-
natisée ,1823).
Cependant le Brésil avait rompu tout lien avec
la mère patrie. Don Pedro, fils aine de Jean VI,
avait été proclamé empereur (182'.'), et manifestait
des tendances libérales. Son frère cadet, don Mi-
guel, ignorant, féroce ot fanatique, conspire contre
le faible Jean VI, s'empare nuitamment du pou-
voir (182i) ; il est saisi, exilé, mais revient entre-
prendre, à la tête des absolutistes, une lutte dé-
sespérée à la mort de Jean VI (182U).
Pendant huit ans, la guerre civile déchira le
pays. Les libéraux, partisans de don Pedro qui
avait refusé la couronne pour la placer sur la tête
ue sa fille, dona Maria da Gloria, eu lui faisant jurer
de respecter la constitution, furent d'abord vain-
cus par les miguélistes, que soutenait le parti lé-
gitimiste européen. Mais l'arrivée de don Pedro,
abdiquant la couronne du Brésil pour venir souie-
nir sa fille en Portugal, cliangea la situation. Don
Pedro se jette dans Oporto ; les libéraux lui ou-
vrent les portes de Lisbonne. La convention
d'Evora (18:i4) termine la lutte, et don Miguel
exilé clicrche en vain b, réveiller une dernière fois
son parti vaincu (1835).
Depuis lors, d'orageuses discussions parlemen-
taires ont troublé le pays; mais la guerre civile
est icriuinée. Libéraux et conservateurs, consti-
tutionnels, chartistes, septembristes ont appuyé
ou combattu la constitution de 1838, celle do 1842
ou celle de 1851. Sans être encore à l'abi-i des
coups d'Etat militaires, le Portugal parait entré,
depuis trente ans, dans une voie pacifique, où il
lui reste beaucoup à faire pour relever ses finan-
ces, sa marine, son armée et les derniers débris
de sa grandeur coloniale écroulée.
[Paul Martine.]
Pour la géographie du Portugal, V. l'article Es
pagne et Portugal,
i'OSTK. — Connaissances usuelles , VII. —
Etym. : de posila stotio, en basse latinité posta,
station. — En français le mot i oste a différentes
significations. 11 désigne entre autres le service des
stations de chevaux établies sur les routes, de dis-
tance en distance, pour le transport des voya-
geurs, ou l'institution entretenue généralement par
l'Etat, pour l'expédition, le transport et la distri-
bution des correspondances dans l'intérieur des
localités d'un pays, ou d'un pays i un autre. Dans
le langage ordinaire, on s'en sei't également pour
désignerles bâtiments affectés au service postal,
spécialement les bureaux ouverts au public pour
la consignation des correspondances, et l'on ap-
plique même cette appellation aux voitures qui
servent au transport soit des voyageurs, soit dos
colis postaux.
Comme institution de l'Etat, ayant pour objet
essentiel d'assurer le service des correspondances,
la poste joue un rôle très important dans le monde
moderne. Elle sert de lien entre les nations et
entre les individus. Elle établit des communica-
tions entre toutes les parties du globe et fait de
tous les résultats de l'activité de leurs habitants
dans le donuine^dos idées, des arts, des sciences,
de l'industrie et du commerce, le patrimoine com-
mun de Ihumantté. Elle prête des ailes à la pen-
sée, facilite toutes les relations, et dans son action
incessante, qui ne connaît aucun obstacle, em-
brasse à la (ois tous les actes de la vie économi-
que des peuples, comme tous les détails les plus
intimes de la vie de famille et de l'existence dos
individus. Voltaire disait d'elle, il y a plus d'un
siècle : >• La poste est le lion de toutes lesalfaires,
de tontes les négociations; les absents deviennent
par elle présents, elle est la consolation de la
vie. » On peut dire aujourd'hui qu'elle est un
rouage si essentiel dans l'organisation des sociétés
humaines, que toute suspension do son activité
prend le caractère d'une calamité publique, et que,
dans les Etats modernes, le développement des
institutions postales marclie de pair avec celui
de la civilisation.
Au début, la poste n'eut pas le même caractère
que de nos jours. C'était une institution exclusi-
vement politique. Elle avait essentiellement pour
but de fournir au gouvernement le moyen d'expé-
dier ses ordres dans toutes les provinces, et de se
faire tenir au courant de ce qui se passait dans les
différentes parties de son empire. 11 est probable
que les Hindous, les Egyptiens, les Ass.y riens, et,
dans l'extrême Orient, les Chinois qui tous, bien
des siècles avant l'ère chrétienne, avaient atteint
un haut degré de culture, possédaient déji des
moyens réguliers do communication. On est ce-
pendant généralement d'accord pour attribuer
aux Perses le mérite de l'invention de la poste.
Ce fut Darius, flls d'Hystaspes, qui organisa le
premier un système régulier de courriers royaiix.
Hérodote nous donne une description de cette in-
stitution à propos de la manière dont Xerxès
transmit h. Suze la nouvelle de la défaite qu'il
venait d'essuyer à Salamiiie : « Bien, dit-il, n'est
plus expédilif que le mode de transiuission des
POSTE
— 169-2 —
POSTE
messages inventé et employé par les Perses. Sur
chaque route sont échelonnés de distance en dis-
tance, et par chaque journée de marche, des relais
d'hommes et de chevaux, remisés dans des sta-
tions spécialement établies à cet effet. Neige, pluie,
chaleur, ténèbres, rien ne doit empêcher les cour-
riers de remplir leur office, et do le faire avec la
plus grande célérité. Le premier qui arrive passe
ses dépêches au second, celui-ci au troisième et
ainsi de suite, jusqu'à ce que le message soit
rendu à destination : cela rappelle quelque peu
la fête des Lampes, telle que la pratiquent les
Grecs lorsqu'ils célèbrent les fêtes de Vulcain. En
langue persane, ce relais de chevaux et d'hommes
s'appelle aggaréïon. »
Les Grecs ne possédaient pas une organisation
permanente pour le transport des dépêches. Lors-
qu'il s'agissait d'expédier un message, et c'est sur-
tout en temps de guerre que le cas se présentait,
on le confiait à des coureurs nommés héméro-
drome<, qui s'acquittaient de leur mission avec
une incroyable vélocité.
Chez les Romains il existait déj!i, sous la Répu-
blique, depuis la conquête de l'Italie, à côté d'en-
treprises particulières, comme celles des péagers,
un service spécialement affecté au transport de la
correspondance des fonctionnaires, mais qui était,
de temps en temps et à titre exceptionnel, utilisé
par les particuliers. Les courriers et messagers
étaient appelés cursores, stato'-es et tabellarii.
L'empereur .\uguste perfectionna cette institu-
tion, u II disposa sur les routes militaires, à de
courtes distances, d'abord des jeunes gens, puis
des voitures de relais pour les courriers, afin
d'avoir des nouvelles plus promptes des provin-
ces. » (Suétone, Oct. Aiig., ch. xtix). Le cursus
puitlicus, c'est ainsi qu'on désignait cette organi-
sation, ne tarda pas à devenir le grand moyen de
transport par terre à l'usage du gouvernement et
de ses innombrables fonctionnaires.
Tout était gratuit dans son service, mais on n'é-
tait admis à en faire usage que moyennant une
autorisation appelée diplôme ou lettre d'évection,
qui énumorait les diverses prestations auxquelles
le voyageur avait droit. Les stations, ninnsiones,
et les relais, mutationes, devaient entretenir un
nombre considérable de chevaux, ainsi que de
mulets et de bêtes de somme pour le transport
des bagages. Les maisons de poste étaient en même
temps de véritables hôtelleries, où logeaient les
fonctionnaires en mission, les personnes de dis-
tinction munies de diplômes, les ambassadeurs,
quelquefois même les empereurs, et où l'on ne
manquait de rien de ce qui constitue la commo-
dité du voyage.
Cette organisation dura jusqu'à la destruction
de l'Empire par les Barbares, tantôt florissante,
tantôt en décadence, suivant que les empereurs
réprimaient ou favorisaient les abus auxquels
donnait nécessairement lieu la facilité de voyager
ainsi commodément aux frais du public ou des
provinces écrasées par les réquisitions de chevaux
et de fourrage.
Dans le courant du moyen âge, après une ten-
tative avortée de Charlemagne de rétablir le cur-
su-i puhlicus, dont il était resté çî> et là quelques
vestiges, on voit reparaître, presque simultané-
■ment, dans divers Etats de l'Europe, des services
de^ transport dans lesquels il est impossible de
méconnaître le point de départ des institutions
postales modernes. Il ne s'agit plus, en effet,
■d'une organisation politique, destinée à servir
avant tout les buts des gouvernements. Ce sont
les besoins du commerce naissant, les voyages,
les déplacements des particuliers qui font surgir
les nouveaux moyens de communication, et c'est
■ à ces besoins que ces derniers tendent surtout à
■donner satisfaction. En France, où l'on retrouve
également des traces d'une organisation postale
fondée et exploitée par les couvents, l'Université
de Paris, où affluaient des étudiants de tous pays,
créa vers le milieu du xii= siècle un corps de
messagers pour permettre aux professeurs et aux
étudiants d'entretenir des relations avec leurs
familles. Ces messagers, auxquels elle réussit à
faire conférer les privilèges et les immunités uni-
versitaires, se mettent bientôt à la disposition du
public, et ne tardent pas à former une véritable
compagnie de transport, qui étend son activité
bien au delà des limites du royaume. En Allema-
gne, les villes, spécialement celles de la Ligue
du Rhin et celles de la Ligue hanséalique, orga-
nisent à leurs frais des services de messagers qui
relient les pays de la mer du Nord avec les ports
de la mer Adriatique et avec les grands marchés
de la Russie. 'Vers la même époque, les chevaliers
de l'ordre Teutonique, dont le siège était à Ma-
rienbourg, entretenaient en Prusse et en Lithua-
nie un service postal et expédiaient des messagers
jusqu'à Rome et en Suède; leur organisation spé-
ciale pour les correspondances est la première qui
mérite le nom de poste aux lettres : ils avaient un
tarif fixe, des locaux pour la consignation des let-
tres, un livre d'ordre où elles étaient enregistrées,
avec l'indication de Iheure de la consignation et
de celle de l'expédition, qui étaient également in-
diquées sui- l'adresse. Cette organisation ne sub-
sista que "294 années, jusqu'au moment de la dis-
solution de l'ordre en I52â, par Sigismond, roi de
Pologne. Enfin dans d'autres parties de l'Allema-
gne, spécialement en Wurtemberg, la corporation
des bouchers tenait à la disposition du public des
chevaux de relais, des postillons et des courriers.
Cette poste des bouchers existait encore au
xviii<i siècle.
La révolution sociale amenée par l'invention de
l'imprimerie en 143" exerça une grande influence
sur l'institution de la poste. A mesure que le be-
soin do communications régulières devenait plus
sensible, que les relations de pays à piys et de
province à province étaient plus fréquentes, et que
le trafic et la circulation augmentaient dans des
proportions considérables, les gouvernements
comprirent qu'il était do leur intérêt de ne pas
laisser un instrument économique d'une aussi
grande importance entre les mains de villes, d'as-
sociations, ou de corporations particulières et en
dehors de l'action de l'Etat.
Par un édit daté de Luxies, près de Doullens, le
19 juin UG4, le roi Louis XI rétablit le cursus pu-
hlicus dans des conditions qui trahissent des vues
et des préoccupations parfaitement identiques à
celles dont s'étaient inspirés les premiers fondateurs
de l'institution, Darius et l'empereur Auguste.
Il devait être établi sur tous les grands che-
mins du royaume, de 4 lieues en 4 lieues, des re-
lais de poste, commis aux soins d'officiers désignés
sous le titre de MaHres tenant li^s c'ievaux courant
pour le service du Roy, et qui devaient constam-
ment entretenir 4 ou 5 chevaux ou plus, suivant
les besoins, le tout sous les ordres d'un conseiller,
(h-and Maître des coureurs de France. \u début,
l'institution nouvelle devait être exclusivement à
l'usage du gouvernement : « Auxquels maîtres
est deffendu de bailler aulcuns chevaux à qui que
ce soyt et de quelque qualité qu'il puisse être
sans le mandement du roy et du dit grand raais-
tre, à peine de vie... D'autant que ledit seigneur
ne veut et n'entend que la commodité du dict éta-
blissement ne soit pour aultre que pour son ser-
vice. 11
Il était cependant fait une exception en faveur
des messagers et des courriers du pape, et des
cours étrangères en bonnes relations avec la cour
de l'rance ; mais un article de l'ordonnance d'exé-
cution faisait un devoir aux officiers du roi d'exer-
POSTE
— 1693
POSTE
cer la plus stricte surveillance sur les voyageurs
et sur leurs effets, les autorisant selon les cir-
constances à visiter ces etVcls, et à ouviir les cor-
respondances pour constater si elles ne renfer-
maient rien de dangereux pour l'Etat.
On se relâcha bieniolde ces prescriptions, car
en 1480 la taxe h payer pour le transport des par-
ticuliers est fixée à 6 sols par cheval et par relais,
et un édit de juillet 1495, qui interdit aux cour-
riers sous peine de la liart de transporter des
écrits venant de l'étranger et dirigés contre les
saints décrets du concile de Bàle et contre la
Pragmatique Sanction, fournit la preuve que la
poste royale se chargeait du transport des corres-
pondances particulières.
Aussi l'édit de Louis XI est-il généralement en-
visagé comme formant, dans l'histoire de la poste,
la transition entre le régime des postes privées et
le système moderne, qui fait de la poste une insti-
tution publique relevant exclusivement de l'Etat.
Il était dans la nature des choses que la nou-
velle institution entrât en concurrence avec l'or-
ganisation postale de l'Université. Petit à petit
le gouvernement restreignit les privilèges de
l'institution postale universitaire, en même temps
qu'il perfectionnait celle de 1 Etat et étendait sa
sphère d'activité.
En 15ti5, toutes les postes furent placées sous
l'autorité exclusive d'un contrôleur général nommé
par le roi, et en 1574 un édit de Henri III ayant
créé des messagers royaux, autorisés h se charger
de lettres missives, )nu>cf:a?.dises, or et argent,
déclara en même temps que les messagers univer-
sitaires et les messagers royaux jouiraient des
mêmes droits et prérogatives. A cet édit qui met-
tait fin au monopole exercé depuis si longtemps
par l'Universiié, Henri III en ajouta l'année sui-
vante un second qui astreignait tous courriers et
messagers à prendre, pour l'exercice de leur em-
ploi, des lettres de messagers royaux. Ces mesu-
res portèrent un coup fatal aux institutions pos-
tales de l'Université ; aussi, quoique dans les lettres
d'enregistrement du parlement et de la cour des
aides de IbV, les fonctions des messagers royaux
fussent réduites au transport des n sacs et papiers
de justice seulement, » la poste royale accapara
bientôt la plus grande partie du trafic, grâce aune
meilleure organisation. Ce ne fut toutefois qu'en
ni9 qu'un odit de Louis XV abolit définitivement
le privilège do l'Université et consomma la fusion
de ses institutions postales avec celles de l'Etat.
A partir de ce moment, la poste prit un dévelop-
pement de plus en plus considérable. Sous Louis
XIV, Louvois, nommé surintendant général des
postes, les avait affermées pour une somme an-
nuelle de 1,200,000 livres. En 1~.3.3, le revenu delà
ferme s'élevait à 3 millions de livres, et en dé-
cembre 17'.il, à l'expiration du dernier bail, il
avait atteint la somme de 11 millions de livres.
L'Etat en ayant repris l'exploitation, l'Assemblée
nationale rendit sur l'organisation des postes,
leur administration, les tarifs, l'inviolabilité du
secret des lettres, une série de décrets qui ont
servi de base à l'organisation actuelle.
En Allemagne la poste subit une transformation
analogue à celle que nous avons signalée en France.
Dans h- courant du xvi° siècle appâtait une poste
impériale, qui devient un fief héréditaire entre les
mains de la famille Thurn et Taxis, dont le chef,
Roger de Taxis, avait déjà en UdO organisé dans
le Tyrol et la Styrie une poste aux chevaux pour le
service de l'empereur Frédéric 111 pendant ses
campagnes en Italie. La nouvelle institution em-
brassa bientôt tous les pays de l'Empire, à l'ex-
ception de l'Autriche, où existait déjà antérieure-
ment une organisation poslah; oflirielle, et elle
s'appliqua à supplanter toutes les institutions pri-
vées de transport et de correspondance. Mais en
dépit du monopole auquel prétendait la poste im-
périale, et en concurrence avec elle, les gouver-
nements d'un grand nombre de pays allemands
voulurent avoir chacun sa poste indépendante, si
bien qu'au commencement du xix' siècle on ne
comptait pas moins de VO administrations postales
en Allemagne. Les Thurn et Taxis, élevés succes-
sivement à la dignité de cotiites et de princes de
l'Empire, conservèrent leurs postes jusqu'en 1867,
époque oii elles furent achetées par la Prusse pour
une somme de 3 millions de thalers.
L'histoire de la poste dans les autres pays, que
le cadre de cet article ne nous permet pas de re-
tracer, a suivi à peu près les mêmes phases et
peut se résumer de la môme manière. Dans l'an-
tiquité, partout où l'on retrouve des traces d'une
organisation postale, la poste est avant tout une
institution politique, un instrument de gouverne-
ment, quelquefois un moyen d'exercer une sur-
veillance de police sur les relations des sujets à
l'intérieur et avec l'extérieur. Ce n'est que secon-
dairement et accidentellement qu'elle offre aux
particuliers et au commerce un moyen de com-
munication. Au moyen âge, le soin de donner sa-
tisfaction aux besoins de la circulation est aban-
donné à l'initiative privée. Des associations se
forment à cet effet; des villes commerçantes, des
corporations dont l'activité s'étend en dehors des
limites de leur pays organisent des moyens de
transport pour la correspondance, pour les
marchandises, pour les voyageurs. A mesure que
les relations de peuple à peuple grandissent et
que le commerce prend un essor plus général, la
poste acquiert une importance économique qui
attire l'atiention des gouvernements. L'Etat s'em-
pare de l'institution, d'abord dans un but politi-
que ; il s'en attribue ensuite le monopole dans un
but essentiellement fiscal ; puis, par la force de»
choses, l'accroissement journalier des relations, et
sous la pression des idées modernes, il est amené
à lui reconnaître et à lui attribuer le caractère
d'un service public et à lui vouer une sollicitude
en rapport avec le rôle capital qu'elle joue dans
la vie et le développement des sociétés humaines.
De nos jours, la poste n'est pas seulement une
institution nationale, c'est l'institution internatio-
nale et cosmopolite par excellence. Machine uni-
verselle dont le moteur est partout et le centre
nulle part, elle donne à l'humanité une vie com-
mune, et par ses innombrables rouages y fait con-
courir et participer tous les êtres civilisés, d'un
bout à l'autre de notre globe terrestre. Son his-
toire ne se laisse plus circonscrire dans les limite»
d'un Etat. Tous les progrès réalisés, tous les dé-
veloppements acquis dans le champ de son acti-
vité, quel que soit le lieu où ils ont pris naissance,
ont un caractère de généralité et appartiennent à
l'institution tout entière. Seule parmi les pays
civilisés, la Chine n'a pas de poste, dans le sens
moderne du mot ; elle ne possède qu'une organi-
sation gouvernementale dans le genre de celle des
anciens Perses ou du cursus publicus de l'empe-
reur Auguste. Partout ailleurs, la poste est envi-
sagée comme un droit régalien de l'Etat, mais en
même temps elle est organisée et administrée par
lui comme un service public, destiné avant tout à
faciliter et à développer la circulation, le trafic et
toutes les relations, en vue de la prospérité pu-
blique, comme dans l'intérêt et même pour l'a-
grément des particuliers. Les grandes inventions
modernes, les bateaux à vapeur, les chemins de
fer, en multipliant à l'infini ses moyens d'action,
ont modifié son caractère. C'est la poste aux let-
tres qui forme aujourd'hui son objet essentiel et
presque exclusif; car, dans un certain nombre de
pays, le transport des voyageurs et des marchan-
dises est complètement laissé à l'industrie privée.
Mais la poste aux lettres ne se borne pas à la
POSTE
— 1694 —
POSTE
transmission des correspondancfis, elle comprend
le transport et l'écliange des impiimés et de tout
ce qui s'y rattache, des échantillons de marchan-
dises, des papiers-valeurs, des valeurs d'or et d'ar-
gent, le service des mandats-poste, des mandats
d'encaissement ; dans plusieurs Etats, des caisses
d'épargne postales ; et même, dans la Grande-Bre-
tagne, des caisses de pensions viagères et d'assu-
rances en cas de décès. Sauf les différences qui ré-
sultent du plus ou moins grand nombre de bran-
ches d'activité qu'elle embrasse, son organisation
est partout la même, elle est universellement ré-
gie par les mêmes règles, et les efforts de ses nom-
breuses administrations tendent uniformément à
réaliser dans son service ces trois grands avanta-
ges : célérité, sécurité et bon marché.
Les faits les plus saillants de l'histoire de la poste
dans cette dernière période sont la réforme con-
nue sous le nom de pen7iy-))0stnge,et la création de
l'L'nion postale. En I8-4U, un citoyen anglais, Row-
land Hill, réussit à faire prévaloir dans la Grande-
Bretagne le principe que les taxes postales doi-
vent être uniformes et aussi peu élevées que
possible, et k introduire la taxe de un pRnny pour
les lettres affranchies, dans toute l'étendue des
Trois-Royaumes. Cette innovation, qui fut imitée
bientôtdansun grand nombre de pays, fut le point
de départ d'une véritable révolution dans l'insti-
tution de la poste aux lettres; elle entraîna comme
conséquence l'usage des timbres poste et de l'af-
franchissement. Elle profila également aux admi-
nistrations et au public en simplifiant le service et
en augmentant, dans une mesure que nul n'aurait
pu prévoir, le mouvement des correspondances.
Elle fut le prélude d'un mouvement général dans
le sens de l'unification des principes qui régissent
la poste, mouvement qui se traduisit par la con-
clusion de conventions postales entre les diverses
administrations, et qui aboutit à la création de
rCiiion postale universelle. Depuis l'invention des
chemins de fer et des télégraphes, les relations ne
connaissent plus de frontières; de là la tendance
à leur assurer dans le vaste domaine du service
international des facilités analogues à celles qui
leur étaient offertes dans le service interne, et en
môme temps, pour les administrations, la nécessité
d'introduire dans le mécanisme de l'échange pos-
tal international des simplifications sans lesquelles
il n'aurait pas été possible de faire face aux exi-
gences de l'accroissement progressif du trafic.
Déjà, en 1850, la Prusse et l'Autriche avaient or-
ganisé une union postale austro-allemande, qui
englobait toutes les administrations postales de
l'Allemagne. En 186Î, à l'inîtigation de l'adminis-
tration postale des Etats-Unis de l'Amérique du
Nord, des délégués d'un grand nombre de pays se
réunirent à Paris, pour discuter les principes qui
devaient servir de base aux conventions postales
et régir les relations des administrations entre
elles.
Enfin, un traité conclu à Berne en 1874, à la
suite d'un congrès, par les représentants de tous
les Etats de l'Europe, plus ceux des Etats-Unis
d'Amérique et de l'Egypte, fonda l'Union générale
des postes, qui, dans un congrès subséquent, tenu
à Paris en 1878, auquel prirent part 33 Etats dos
différentes parties du monde, prit le nom d'Union
postale universelle. Cette gigantesque association^
dont l'initiative revient à l'administration alle-
mande, embrasse aujourd'hui les Etats suivants :
TMlemagne avec la Bavière et le Wurtemberg;
l'Autriche-Hongrie, la Belgique, la Bulgarie, le
Danemark avec les îles Féroè, l'Islande, le Groen-
land et les Antilles danoises ; l'Espagne, y compris
les Baléares, les îles Canaries et toutes les colo-
nies espagnoles; la France avec l'Algérie et les
colonies françaises, y compris les îles de l'Archi-
pel océanique soumises au protectorat de la
France; la Grande-Bretagne, y compris Malte,
Chypre, Héligoland et Gibraltar, l'empire de
l'Inde britannique avec l'Hindoustan (y compris les
Etats tributaires) et la Birmanie britannique, Aden,
le Dominion du Canada, Straits-Settlements, La-
bouan, Maurice, les Bermudes, Jamaïque, Trinité,
Guyane britannique, Hong-Kong, Côte-d'Or, Gam-
bie, Lagos, Sierra-Léone, îles Falkland, Honduras
britannique, Terre-Neuve, îles Bahamas, îles
■Vierges, Antigoa, Dominique, Montserrat, Nevis
et Saint-Christophe; la Grèce, l'Italie, le Luxem-
bourg, le Monténégro, la Norvège, les Pays-Bas
et les colonies néerlandaises ; le Portugal, y com-
pris Madère et les Açores, et les colonies portu-
gaises; la Roumanie, la Russie, la Serbie, la
Suède, la Suisse, la Turquie, la Perse, le Japon,
l'Egypte, la république do Libéria, les Etats-Unis
de l'Amérique du Nord, le Mexique, la république
de Saint-Domingue, celle de Haïti, les Républi-
ques de Honduras et de San-Salvador, les Etats-
Unis de Venezuela, la république de l'Equateur,
le l'érou, le Chili, le Brésil, l'Uruguay et la répu-
blique Argentine. Ces pays couvrent une étendue de
79 rM'i OOU kilomètres carrés, et leur population est
évaluée d'après les statistiques les plus certaines
à "77 64oOijn âmes. Le traité de Berne avait
proclamé l'uniformité des taxes, la liberté du
transit, la suppression des décomptes entre les
administrations, l'abaissement des taxes de transit
et leur payement au moyen d'indemnités an-
nuelles, calculées d'après la statistique. La con-
vention de Paris a affirmé les mêmes principes
en leur assurant une application plus complète et
plus générale ; elle a introduit un nouveau dégrève-
ment du transit et facilité l'accession de l'Union à
tous les pays du globe. 'Voici un résumé do ses
dispositions :
Les pays entre lesquels est conclue cette con
vention forment, sous la dénomination d Union
postale universelle, un seul territoire postal pour
l'échange réciproque des correspondances entre
leurs bureaux de postes. La convention s'étend
aux lettres, aux canes postales, aux imprimés de
toute nature, aux papiers d'affaires et aux échan-
tillons de marchandises. La liberté du transit est
garantie dans le territoire entier de l'Union. Les •
frais de transit, savoir pour les parcours territo-
riaux 2 fr. par kilogramme de lettres ou cartes
postales, 0 fr. 2ô c. par kilogramme d'autres
objets ; pour les parcours maritimes 15 fr. par
kilogramme de lettres ou cartes postales et 1 fr.
par kilogramme d'autres objets, sont à la charge
de l'administratiou du pays d'origine. La taxe de
l'Union est fixée pour les lettres à 25 centimes en
cas d'affranchissement et au double dans le cas
contra'i'e, pour chaque lettre et chaque poids de
15 grammes ou fraction de 15 grammes; pour
les cartes postales, à 10 centimes par carte; pour
les imprimés de toute nature, les papiers d'af-
faires et les échantillons de marchandises, à 5
centimes par objet et par poids de 50 grammes,
la taxe des papiers d'affaires ne pouvant toutefois
être inférieure à 25 centimes, et celle des échan-
tillons à 10 centimes par envoi. Les envois soumis
à des frais de transit maritime peuvent être
chargés d'une surtaxe ne dépassant pas 25 cen-
times par lettre, 5 centimes par carte postale et
5 centimes p ir 50 grammes pour les autres objets.
Les envois peuvent être expédiés sous recomman-
dation, moyennant une taxe spéciale de 25 cen-
times au maximum en sus de la taxe ordinaire.
L'afîranchissement ne peut être opéré qu'au moyen
de timbres poste valables dans le pays d'ori-
gine pour la correspondance des particuliers. Cha-
que administration garde en entier les sommes
qu'elle perçoit. Uu bureau international, dont le
siège est à Berne, remplit les fonctions d'intermé-
diaire entre les différents membres de l'Union; il
I
POSTE
— 1695
POSTE
est ctiargé entre autres de publier un journal, qui
sert d organe à cette dernière, et qui parait h la fois
en français, en anglais et on allemand. Les dis-
sentiments entre memtjres de l'Union, relative-
ment i l'interprétation de la convention, sont ré-
glés par jugement arbitral. Les pays qui ne font
pas encore partie de l'Union sont admis à y adhé-
rer, au moyen d'une simple déclaration, faite par
la voie diplomatique entre les mains du gouver-
nement suisse, administration gérante. Cette con-
vention est entrée en vigueur le 1»' avril 1879. Le
Congrès de Paris de 1878 a, on outre, élaboré deux
arrangements concernant l'échange, l'un des let-
tres avec valeurs déclarées, l'autre des mandats-
poste. Le premier a été signé entre l'Allemaguo,
l'Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark et les
colonies danoises , l'Egypte, la France et les
colonies françaises, l'Italie, le Luxembourg, la
Norvège, les Pays-Bas, le Portugal et les colonies
portugaises, la Roumanie, la Russie, la Serbie,
LVSuède et la Suisse ; le dernier a reçu l'adhésion
des mêmes pays h l'exception de la Russie, de la
Serbie et des colonies portugaises. La taxe des
lettres avec valeurs déclarées se compose du port
de la lettre et du droit de recommandation, plus
d'un droit d'assurance de 10centimespar200 francs
pour les pays limitrophes et de 25 centimes pour
les autres pays. Le maximum des mandats-poste
est de 500 francs, la taxe est de 25 centimes par
2."> francs, mais il peut être perçu un maximum
de 50 centimes pour tout mandat n'excédant pas
50 francs.
En dernier lieu, une conférence internationale
réunie i Paris (18S0), a adopté une convention
destinée à régulariser le transport des petits pa-
quets. En voici les dispositions essentielles :
Il peut être expédié de l'un des pays adhérents
pour un autre de ces pays, sous la dénomination
de « colis postaux », des colis sans déclaration de
valeur jusqu'à concurrence de 3 kilogrammes ; la
taxe se compose d'un droit de 50 centimes par
pays participant au transport territorial.
Le transport maritime est rémunéré à raison
de25centimesjusqu'à500milles,de 50 centimes de
500 à 1000 milles, 1 franc do lOOii à 3000 milles,
2 francs de 30.)0 àOuOO milles, et 3 francs au-des-
sus de 0000 milles.
Comme mesure de transition, chacun des pays
contractants a la faculté d'appliquer aux colis
postaux provenant ou à destination de ses bu-
reaux, une surtaxe de 25 centimes par colis.
Exceptionnellement, celte surtaxe est élevée à
50 centimes pour la Grande-Bretagne et l'Irlande,
à 75 centimes pour l'Inde britannique et pour la
Perse, et à l franc pour la iiuède.
D'autre part, il peut être perçu par le pays des-
tinataire une taxe de factage pour le port à domi-
cile et l'accomplissement des formalités de douane,
sans excéder 25 centimes par colis. La législation
intérieure de chacun des pays contractants de-
meure toutefois applicable pour tout ce qui n'est
pas prévu dans les stipulations de la convention.
Tout pays où la poste ne se charge pas actuel-
lement du transport des petits colis et qui adhère
à la convention, aura la faculté d'en faire exécu-
ter les clauses par les entreprises de chemin de
fer et de navigation; il pourra en même temps
limiter ce service aux colis provenant ou à desti-
tion de localités desservies par ces entreprises.
Cette convention entrera en vigueur le I" octo-
bre 1881. Elle a été signée le 3 novembre ISSO
par les représimtants de l'Autriclie-IIongrie, de la
Belgique, do la Bulgarie, du Dajieraark, de l'E-
gypte, de l'Espagne, de l'Italie, du Luxembourg,
du Monténégro, de la Suède et de la Norvège, du
Portugal, de la Roumanie, de la Serbie, de la
Suisse et de la Turquie. La Grande-Bretagne,
l'Inde britannique, les Pays-Bas, et la Perse, qui
étaient également représentés à la conférence,
se sont réservé un délai jusqu'au I" juillet 1881
pour apporter leurs signatures h la convention.
Les renseignements suivants sont empruntés à
la statistiiiue publiée annuelloment par le bureau
international de Berne :
I
Voir le tableau ci-après, p. 1696.
II
Statistique du trafic postal de la France
en 1879.
Nombre de kilomètres parcourus pendant, l'année:
Par les wagons-poslc 63 214 715
Par les malles-poste 31 243 862
Par les services à clieval 3 6J2 033
Par les services à pied 13 994 830
Par les services en bateaux 222 380 .
Service intérieur:
Lettres affranchies 396 094 050
Lettres non ou insuffisamment affranchies.. . . 4 106 108
Leltres franches de port 64 411 024
Total 451611184
fartes ooslales ! Simples 28 307 992
Lartes postales j ^^,^^ réponse payée 2s8 980
Journaux et autres publications périodiques
servies par abonnement 249 865 470
Autres im[jrimés de toute nature. Nombre de
paquets 277 787 307
Echantillons de marchandises 1 1 93 1 958
Papiers d'affaires 9 004 439
Envois recommandés 4 237 685
Lettres avec déclaration de valeur I ^o'"'"''-- „.;^^J2J°
( valeur., yol 050 oiO
Demandes d'avis de réception 127 410
M j i j„ ,,„( Nombre 11051744
Mandats de poste j ^.^|^^,. 3 17 039 717
Recouvrements opérés j ^""JjJ^; ;;;;:;;;:;: 9 5^4 298
SeroicG international.
Lettres affranchies j Expédiées 31 431 012
] Reçues... 29 484 616
Lettres non ou insufQsarament af- j Expédiées 818 667
franchies (Reçues... 946 844
^ , , , 1 Expédiées 1 569 429
Cartes postales j Reçues... 1614197
^ . , , , L \ Expédiées 38 112
Cartes postales avec réponse payée n^^ueg _ 74431
, . .,• ,. \ Expédiés! 14 697 252
Journaux et autres publications . j n^J, „ ^ 325 854
, . . ■ , J . . , \ Expédiés. 4 407 514
Autres imprimés de toute nature Pycus 2 496 815
. . ..,, , ... 1 Expédiés! 1632911
Echantillons de marchandises.. . ï ^S^l^ 925 028
„.,,„. l Expédiés! 299 570
Papiers d affaires j Reçus.. . . 169 704
_ . ,, ) Expédiés. 580 8*3
Envois recommandés j ji,;çus,... 918169
Lettres avec déclaration de valeurs :
Expédiées... Nombre 43 271 ; Valeur tr. 34240506
Reçues — 52 067 - 39 624 273
,,....,. ) Expédiées H 228
Demandes d avis de réception . . . | p^^^g^^ _ j 923
Mandats de pitste :
Expédiés... Nombre 474 426 ; Valeur fr. 21 603 2 i9
Reçus — 462509 — 13 834382
A consulter. — Le Qulen de la Neulville, Origins det
postes chez les anciens et chez les modernes, Paris, 1708;
— Gouin, Essai historique sur l'établissement des postes en
France, etc., Paris, isji; — lîrrn^ le, Des postes en gé-
néral et particaliàreinru' r„ /■„„,.. Paris, 1826; — A. de
Hotlischild, Histoire ,J hi /.- ;. „ , , lettres, 3' édit., Paris,
2 vol.; — Uod. Rous.M un, J'rmir rlr la t ' oTrespoïidancc par
lettres, missives et télègrauunes, 2" édit., Paris, l!i77: —
L. Renault, La poste et les télégraphes, Paris, 1877 ; —
Union postale, années 1875 à 1S8U, Renie.
[Eugène Borol.|
POSTE
— 1696 —
POSTE
r 3 --- ta <
3 ~"s>,
:^-5-fe)
4
= ?
^i
^ ::'■:'■::'.: a : s ::::'. ^ : : : '.
is u 'E CT- -g é "" S, T* a •§ r -° .: s s .^ =? 5? g .ï •' s
-ïic;-«1HeQOQWW^WCL4t50^
POTASSE
— 1697 —
POTASSE
POTASSE, POTASSIUM. — Chimie, XVI. — On
appelle vulgairement dans le commerce pota-''s
une substance impure contenant 00 à 80 p. 100
du corps que les cliiniistos appellent carboii'iie
da potasse (V. Alculi, p. GO). Dans les traités do
chimie, on donne lo nom do potasse, confoimé-
ment i la nomenclature chimique, à une substance
solide forjnéo d'oxygène et du métal appelé /lOtus-
siiim ; cette potasse est donc un oxyde de potas-
sium, KO, K étant le symbole du potassium.
Propriiiti's et préparatinn de la potasse du eom-
merce. — Quand on verse de l'eau bouillante sur des
cendres de bois, on obtient un liquide légèrement
roussâtre : c'est la Itssire. Ce liquide, frotté entre
les doigts, donne un toucher particulier, et pos-
sède \ino odeur spéciale; par l'évaporation il
donne un résidu appelé S'din, ou potasse brute,
ou encore potasse perlasse. La potasse brute con-
tient, outre le carbonate de potasse, du chlorure
de potassium et du sulfate de potasse, (Je la silice,
de l'oxyde de fer, etc. Cette potasse a la propriété
de dissoudre les corps gras: c'est à cause de cela
que dans les ménages on s'en sert pour netioyor
le linge en coidant la lessii-e. Pour faire cette
-opération, on empile !e linge, déjà mouillé, dans
une grande cuve ou envier dont le fond est percé
d'un trou bouché d'un bouchon de paille ; le tout
est recouvert d'un morceau de grosse toile appelé
cendrier ; c'est sur cette toile que l'on étend unp
couche de cendres sur laquelle on verse ensuite de
l'eau bouillante; on reçoit la lessive dans une
deuxième cuve pour la reverser ensuite un cer-
tain nombre de fois sur le cendrier.
Potasse eimstique nu lii/drate de potasse et
pierre à cautère. — La potasse caustique est une
substance blanche, opnque, à cassure cristalline,
fondant au rouge sombre ; fraîchement préparée,
elle a pour formule KO, HO; c'est une combinai-
son de l'oxyde de potassium avec un é|uivalent
d'eau. Exposée à l'air, la potasse caustique absorbe
l'acide carbonique et se transforme en carbonate
de potasse : K0,C02 ; elle attire aussi l'humidité,
et tombe en déliquescence (V. Alcali, p. Gi)).
Préparation de la potasse caustique. — On fait
bouillir dans une marmite de fonte une dissolu-
tion de carbonate de potasse dans 12 fois son poids
d'eau; on y ajoute à différentes reprises un lait
de chaux; il se forme un carbonate de cliaux in-
soluble qui se dépose au fond de la marmite, tan-
dis que la potasse reste en dissolution dans la
liqueur surnageante; on décante, puis on évapore
la liqueur dans une capsule d'argent; le résidu,
fondu, puis coulé on plaques, est la potasse caus-
tique des laboratoires ; si on la coule dans des
lingotières, on obtient des bâtons que vendent
les pharmaciens sous le nom de pirrrr à cautère.
Cette potasse n'est point encore absolument
pure ; elle a retenu do la chaux. Pour l'en débar-
rasser, on la dissout dajis l'alcool, qui no dissout
point la chaux. On distille los 2/:i de la liqueur
•décantée, puis on évapore jusqu'à fusion de la
niasse.
Potassium. — L'illustre chimiste Lavoisier avait
soupçonné la composition de la potasse, de la
soude, de la chaux, etc. Il pensait que ces sub-
stances étaient probablement des oxydes métalli-
ques, comme les oxydes de plomb, de zinc, de
1er ; mais on ne connaissait point le moyen de sé-
parer le métal et l'oxygène très fortement unis.
G est en \mi que sir H. Davy put décomposer la
potasse, au moyen d'une pile puissante, ot mettre
en liberté le premier globule de potassium qu'un
homme ait jamais vu. C'était là une découverte
dune jVnmense portée. J.-li Dumas raconte (|ue
ce n elft pas sans une profonde émotion qu'en
compa,;nio do Faraday, qui avait eu pour maître
1 Illustre chimiste anglais, il put lire, sur lo regis-
tre où Davy inscrivait les résultats de ses expé-
2« Pahtie.
riences, ces simples mots: Capital experiment ,Aé\,3.-
chés du reste delapa^e par un cercle que Davy avait
tracé d'une main liévreuse quarante -deux ans
auparavant. Aujourd'hui on prépare le potassium
par le procédé de Brunnor; il consiste à décom-
poser le carbonate de potasse par le charbon à
une température très élevée. K0,C02 + 2G =
3C0-I-K, c'est-à-dire que la calcination du mé-
lange donne de l'oxyde de carbone et du potas-
sium Le mélange intime de carbone et de carbo-
nate de potasse s'obtient en calcinant du tartre
(bitartrate de potasse).
Propriétés du potassium. — Le potassium est
blanc comme l'argent, mou comme la cire et bril-
lant; dès qu'il est exposé à l'air, il se ternit, de-
vient blanc opaque, en se transformant en potasse.
C'est donc un métal excessivement oxydable.
Projeté sur l'eau, il donne naissance à une flamme
violacée, tournoie à la surface de l'eau, puis dis-
paraît subitement en une explosion dont il faut
éviter les projections. Que s'est-il passé? Le po-
tassium, avide d'oxygène, décompose l'eau à froid,
s'oxydo en produisant un grand dégagement de
chaleur; l'hydrogène libre s'enflamme, la potasse
formée devient incandescente et éclate quand elle
est assez refroidie pour entrer en contact im-
médiat avec l'eau. Lo potassium fond à Ci», 5. Au
rouge il bout et on peut lo distiller. Sa vapeur
est verte, et au spoctroscope il donne une raie
violette.
Le potassium n'a guère d'usages que dans quel-
ques expériences do laboratoire ; on le conserve
dans riiuile de naphte, et il doit être manié avec
précaution et à l'abri de la moindre trace d'hu-
midité.
Sels de potasse. — La potasse est une base
puissante ; elle se combine avec la plupart des
acides minéraux et végétaux; plusieurs des com-
posés formés soit par la putasse, soit par lo potas-
sium, ont de l'importance au point do vue scien-
tifique, commercial, industriel, agricole ou médi-
cal. Les principaux sont : le carbonate, l'azotate,
le chlorure, le sulfate, lo chlorate, l'iodure, l'hypo-
chlorite et les cyanures.
Caractères généraux des sels depofas^e. — Les
sels de potasse en dissolution dans l'eau ne don-
nent de précipité qu'avec le bichlorure de platine,
l'acide tartriquR et l'acide hydrofluosilicique. C'est
là un caractère analytique important à retenir.
Cartionate de potasse. — Ce sel s'appelle vul-
gairement potasse : il a pour formule KO, GO*.
Nous avons dit plus haut comment on l'obtenait
impur ; on l'obtient presque pur par la calcina-
tion du tartre.
L'industrie en retire uno assez grande quantité
des résidus de la distillation dos mélasses de
betterave, puis de la calcination des eaux de suint
provenant du lavage des laines de mouton. A l'é-
tat sec, le carbonate de potasse est une masse
blanche pulvérulente ayant une réaction alcaline
et une saveur caustique; c'est un poison. Sous
l'aciion d'un courant d'acide carbonique, il se
transforme en bicarbonate.
Azitate de potasse ou salpêtre. — V. Sal-
pêtre.
Clilorate de potasse. — Le chlorate de potasse
ou sel de Berthollet est un beau sel blanc cris-
tallisé en lames rliomboïdales. Il a uno saveur
fraîche, fond à 403", puis se décompose en aban-
donnant son oxygène ; c'est mémo comme cela
qu'on prépare c'o dernier gaz.
Le chlorate de potasse fuso sur les charbons in-
candescents ; mélangé au soufre en fleur, ou au
phosphore, il détone violemment par la choc.
On prépare le chlorate de potasse on faisant
passer un courant de chlore dans une solution
concentrée de carbonate de potasse ; il se forme
d'abord des paillettes miroitantes qui nagent dans
107
POTASSE
— 1698 —
POTERIE
la lifiueur, puis se déposent au fond, tandis que
la liqueur surnageante reste chargée du clilorure
de potassium qui s'est formé en même temps que
le tlilorate de potasse.
Le clilorate de potasse est beaucoup employé
en médecine aujourd'hui. 11 agit efficacement
dans le traitement des muqueuses de la bouche
et de la gorge ; on l'administre en potion gom-
meuse, ou en simple dissolution aqueuse étendue,
quelquefois en pastilles.
Hi/pochloiite de potasse ou eau d ■ javi'llu. —
L'eau de javelle, qui tire son nom du village do
Javelle, aujourd'hui quai de Javelle à I aris, où on
en fabrique beaucoup, est un liquide d'une odeur
chlorée, d'une saveur alcaline, et d'un toucher
lessiveux , constitué par un mélange dhypo-
chlorite de potasse et de chlorure de potassium,
CIK + KO, CIO. On prépare cette liqueur en fai-
.sant passer un courant de chlore dans une dis-
solution étendue de carbonate de potasse.
L'eau de javelle sert au blanchiment; malheu-
reusement pour le linge, qu'elle brûle, les blan-
chisseuses en abusent souvent.
Bromure et induré de potassium. — Ces denx
sels, qui cristallisent en cubes, ont à peu près
l'aspect du sel de cuisine blanc. On les prépare, le
premier par l'action directe du brome, le second
par celle de l'iode sur la potasse caustique. Tous
les deux sont soUibles dans l'eau et sont aujour-
d'hui employés en médecine, l'iodure principale-
ment. Ce sel a une saveur salée et acre; 100 par-
tics d'eau à IS» dissolvent 150 parties d'iodure.
On l'administre à l'intérieur en dissolution aqueu-
se, ou pour l'usage externe h l'ctat de pommade.
Ou peut en prendre jusqu'à 10 grammes par jour.
Nous aurions encore à parler du cyanure de
potassium, du silicate de potasse, du tartrate. du
sulfate et do l'oxalate, etc. Nous dirons deux mois
de ces deux derniers, et pour les autres nous
renvoyons le lecteur aux articles Cyanogène,
Silice, Tartre.
Sulfate de potasse. — Le sulfate de potasse,
K0,S03, est connu sous le nom de sel de duohus,
ou fel lit Gloser, ou encore tartre vitriolé ; c'est
un des représentants de la vieille pharmacologie.
On le retire des cendres de varech, puis de la
préparation de l'acide azotique. Il est soluble
dans l'eau, insoluble dans l'alcool ; il a une sa-
veur amère et désagréable. Il est toxique à la
dose de SO gramme^ ; il ne faut donc point le con-
fondre avec les sulfates de soude ou de magnésie
si employés comme purgatifs.
Oxalate de potasse. — On donne le nom de sel
d'oseille à un sel acide de potasse qu'on retire
de YOxalis aeetosetla, qui lui doit une partie de
ses propriétés. Ce sel est un mélange de liioxulate
et de qundroxalate de potasse. Il est toxique, et
a des propriétés qui se rapprochent beaucoup de
celles de l'acide oxalique.
Usriges lie la potasse el des sels de potasse. —
Ces usages sont extrêmement nombreux et variés.
Nous en avons déjà cité un grand nombre. La po-
tasse entre dans la fabrication dis cristaux et
dans celle des savons V. Savo7ii et l'erce). Le
carbonate entre dans la fabrication du cristal,
de l'alun, du b!eu de Prusse, etc. On l'emploie
aussi en médecine. Le chlorate sert à prépa-
rer l'oxygène ; il entre dans la pâte des allu-
mettes dites au phospliore amorphe. Nous avons
parlé des applications de l'hypochlorite, de l'io-
dure. etc. Celles du silicate se trouveront à l'ar-
ticle Sî/ice; nous dirons seulement ici que, le sili-
cate de potasse étant le principal élément des
roclies granitiques, la potasse prend une impor-
tance de premier ordre dans la composition de la
croûte terrestre; néanmoins on ne l'y rencontre
jamais pure, parce qu'elle se combine trop facile-
ment aux acides ; elle est aussi, à l'état salin, un
élément important de tous les végétaux terres-
tres, puisqu'on la retrouve en grande quantité
dans leurs cendres. [A. Jacquen^rt.]
rOTIîUIE. — Connaissances usuelles, II-V. —
Histoiique. — L'art de la poterie remonte aux
époques les plus reculées. On s'accorde à lui re-
connaître pour berceau les contrées de l'Asie
orientale.
Parmi toutes les manifestations du génie hu-
main, les produits de l'art céramique, ou de la
poterie, ont su donner à travers les âges, mieux
que toute autre industrie, la mesure approximative
du degré de l'art chez les peuples, et partant de
leur civilisation.
En effet, l'argile s'offre d'elle-même à l'idée du
façonnage; elle se prête aux caprices de l'imagi-
nation ; multiple dans ses applications variées,
toujours accessible par sa faible valeur intrinsè-
que; c'est par la forme quelui impose l'artiste que
ses produits acquièrent un prix quelquefois très
élevé.
Nous jetterons un coup d'oeil d'ensemble sur le
développement des arts cérarai'iues.
L'art du potier consista d'abord à employer le
limon ou l'argile simplement exposés et séchés au
soleil.
Ainsi furent construites en briques les premières
villes de l'Asie, sur les bords du Tigre et de l'Eu-
phrate.
11 se compléta lorsqu'avec l'aide du feu on vint
ajouter à ses produits les qualités de dureté, de
sonorité qui les rendirent indestructibles.
Dès la plus haute antiquité les arts céramiques
furent en grande considéiation ; et chaque con-
trée, la Grèce entre autres, fournit des potiers
célèbres.
Ce n'est seulement qu'au xi' siècle que 1 on
mentionne en Europe l'apparition des poteries à
pâtes compactes, dures et imperméables ; et, vers
la même époque, l'introduction en Espagne par les
Arabes (le la poterie à glaçure plombifère.
En Italie s'est développée la fabrication des terres
cuites et des poteries recouvertes d'émail stanni-
fère, importées par les Arabes venus de l'ile Ma-
jorque (d'où le nom majolica appliqué à cette
faïence^.
Elle accomplit de rapides proîrès par le talent
de Luca délia Robia, r. sté célèbre (13'_8-1430) et
de ses neveux, puis par Orazzio et Flaminio.
A Bernard Palissy (151Û-1.=.9I) était réservé la
tâche de retrouver le mode de fabrication de ces jo-
lies faïences. .
Après des années de travail et de luttes il vit
enfin ses efforts couronnés de succès (ISSOj. Ses
frères et ses élèves continuèrent ses travaux jusque
sous le règne de Henri IV.
Vers 1600, un nouvel essor est donne aux arts
céramiques par l'introduction en Europe de la
porcelaine chinoise.
Des essais faits en vue de reproduire cette ma-
tière sont tentés, et l'on arrive à la porcelaine ten-
dre. En 11 95, Morin en établit à Saint-Cloud la
première fabrique.
Ouelques années plus tard, a lieu par hasard la
découverte du kaolin (matière propre à la fabrica-
tion de la véritable porce'aine) par Doettger et
Tchirnhauss. En 1710, ils créèrent la première fa-
brique de porcelaine dure identique à la pâte cbi-
noise. ,
A cette même époque la fabrication des grès
cérames acquit un grand développement.
Veis le milieu du xviii" siècle, en nK.î, la de-
couverte du kaolin à Saint-Yriex, près de Limoges,
permit à la manufacture récemment insi allée il
Sèvres d'apporter un grand développomeot à la
fabrication de la porcelaine dure, dont les procé-
dés lui avaient été donnés par un industriel de
Frankenthal.
POTERIE
1699
POTERIE
A pou près en mÎMiie temps, l'Angleterre s'il- j
lustrait par les beaux travaux d'un autre potier,
Wedgwood, créateur do la faïence fine et dure i
i;laçure transparente.
Elle obtint, par ses qualités spéciales, une
;;rande célébrité artistique et industrielle.
Au commencement du même siècle se dévelop-
pait la porcelaine tendre anglaise, qui, en ISOO,
arriva à sa perfection par les modifications im-
portantes qu'y apporta Spode.
A partir de cette date, nous entrons dan s l'his-
toire contemporaine de la poterie, qui, après une
longue éclipse, se réveille, ;\ partir de lSi3, avec
les Devers, les Avisseau, les Pull dont l'intelli-
gente et persévérante initiative amena une sorte
de résurrection des arts de la terre.
Considérations générales sur la composition
des poteries. — La silice et l'alumine sont les
deux éléments essentiels des pâtes céramiques.
Pris séparément, ces deux éléments sont infu-
sibles. Au contact l'un de l'autre ils entrent en
vitrifioatlon.
C'est sur ce principe qu'est fondée la formation
des pâtes en général.
Viennent ensuite les fondants, qui ont une part
important'^ dans l'opération de la fusion; puis
la magnésie et le fer, qui jouent un rôle secon-
daire.
La silice, indépendamment de celle que contien-
nent les argiles, est fournie par le sable, le silex,
le quartz ou cristal de roche, etc.
Le kaolin, l'argile, la marne fournissent la partie
plastique, en d'autres termes l'alumine.
Nous diviserons les fondants en deux groupes :
1° ceux que donnent les composés de la chaux,
craie, gypses, marnes, etc. (la chaux, matière in-
fusible prise isolément, devient un fondant actif
lorsqu'elle est alliée à la silice ou à l'alumine);
2° les corps alcalins : sels de soude ou de
potasse, unis à la silice ou à l'alumine, soit na-
turellement, soit à l'état de fritte ou môme de
verre.
C'est donc aux proportions variables, à l'état
sous lequel on introduit ces éléments dans la for-
mation d'ujiepàte. au degré de cuisson qu'on leur
fait subir, que chaque espèce des poteries expo-
sées dans le tableau ci-dessous doit ses caractères
particuliers.
La classification Brongniart, à laquelle nous
croyons devoir faire quelques additions, se pré-
sente dans l'ordre suivant :
l" Poteries à pâte tendre,
c'ebt-à-dire payables par le
fer, argilo-siliceuses, cal-
capifères, fusibles au feu
de porcelaine. (Du xn" siè-
cle avant l'ère vulgaire
jusqu'au iv siècle.)
2' Poteries à pâte dure, non
rayables par l'acier, opa-
ques, argilo-siliceuses. (Uu
XVI" au ivii' siècle).
3» Poteries à pâte dure Irans-
Ixicide, argilu- siliceuses,
alcalines , rauiollissables.
(Couteuipuraiues.)
l" Terres cuites.
2" Poteries mates tournées.
3» Poterii-s lustrées.
4* Poteries vernissiïes.
5" Poteries éraaiUées.
8" Porcelaine 4ure,
9» Porcelaine tendre, na-
turelle ou- anglaise.
10° Porcelaine tendre, arti-
ficielle ou française.
11° Faïence siliceuse.
^ Poteries a pâte tendre. — 1° Terres cuites.
Produits à pâte? peu dures, texture poreuse, cuis-
son à température relativement basse. Pâte com-
posée presque toujours d'argile figuline (argile
tenant le milieu entre l'argile plastique et les
mamos), ou de marnes argileuses.
i' Poteries mates tournées. Cette catégorie com-
prend les hydrocérames ou alcarazas, les pots à
fleurs, toutes pièces faites à l'aide du tour, ainsi
que les jarres et les cuviers.
La pâte se coinpose le plus souvent d'argile figu-
line, de marne argileuse et de sable; et ces pote-
ries sont quelquefois décorées d'engobe.
3° Poteries tendres lustrées. Ici se rangent les
vases antiques grecs, égyptiens, éiriisques et
campaniens. Pâte homogène, fine, jaunâtre ou
rougeâtre, composée de silice, d'alumine, de fer et
de chaux.
4" Paieries tendres vernissées. Les ustensiles
servant à l'alimentation et recouverts d'un ver-
nis, rentrent dans cette classe.
Aux environs de Paris, on compose la pâte de
sable et d'argile brute extraite de GentiUy,
Arcueil, Vanves, Vaugirard, etc.
La cuisson du vernis en partie plombifère a
quelifuefois lieu simultanément avec celle de la
terre .
5° Poteries émaillées. La faïence commune
jaune ou rosâtre, comprenant sous ce titre les
vaisselles, tasses, assiettes, etc., se compose d'ar-
gile d'Arcueil,de marnes argileuses verdâtres, de
marne calcaire blanche et de sable marneux jau-
nâtre (environ 58 'la de silice).
L'émail blanc qui recouvre cette faïence est
composé d'oxyde de plomb, d'élain, de sable
quartzeux, de sel marin et de soude.
C'est dans cet ordre que se placent les faïences
pour poêles et cheminées.
Dans d'autres cas, c'est une glaçure brune com-
posée do minium, de manganèse et de poudre de
briques fusibles.
Poteries a pâtes dures. ^ 6" Faï née fine ou
anr/laise, appelée terre de pipe ou ciiilloutuge, et
désignée aussi quelquefois sous le nom de porce-
Inine opaque La pâte fine et blanche est très
plastique. Elle est recouverte d'une couche mince
de glaçure blanche très pure, légèremetit bleutée.
La base de cette faïence est l'argile plastique
alliée à la silice que fournit le silex ou pierre à
fusil. Sa composition peut se compliquer suivant
les circonstances et les localités par l'ajout de
kaolin, de feldspath ou de chaux ; mais en prin-
cipe elle renferme toujours 81) à 85 p. 100 d'ar-
gile phistique.
On en comprend trois variétés : la faïence fine
marnée, la faïence fine cailloutée et la faïence
fine dure ou feldspathique.
Par suite de la grande proportion d'alumine
qu'elle contient, la faïence fine ne peut recevoir
que des glaçures à base boracique.
7° Grès cérame. Les grès sont des pâtes
dures, sonores, homogènes et imperméables à
l'eau.
On en distingue deux sortes : les grès cérames
fins et les grès cérames communs.
Bon nombre d'objets usuels, cruches, jarres,
touriUes, etc., sont faits en cette matière, fré-
quemment employée pour les carreaux de dal-
lages.
Los grès sont blancs ou colorés, tantôt natu-
rellement, tantôt par des oxydes métalliques que
l'on introduit â petite dose dans le mélange de
la pâte. C'est ainsi que s'obtiennent ces carreaux.
Les pâtes de grès cérames sont pour la plupart
composées d'argile plastique, à laquelle on ajoute
un fondant propre à en lier intimement les par-
ties constitutives, auxquelles elles donnent une
demi vitrification. Le feldspath est essentielle-
ment propre à cet usage et dégraisse en môme
temps l'argile, qui, employée pure, serait trop
plastique.
La glaçure des grès vernissés s'obtient en pro-
jetant du sel marin dans le four vers la fin de la
cuisson de la pâte.
Les pâtes de grès cérames, comme les faïences
fines, sont soumises â une liiiute température.
Poteries a pates dures translucides. — 8° l'or-
celaine dure. Cette poterie se caractérise par
POTERIE
1700 —
POTERIE
sa pète extrêmement blanche, fine, dure, translu-
cide et sonore.
Sa couverte blanche est fournie par le feldspath
pur ou mclajigé de chaux.
La pâte de porcelaine se compose de deux élé-
ments essentiels : de kaolin, matière infusible,
formant la partie plastique, et de sable ou de
feldspath.
Au contact l'un de l'autre, ces éléments entrent
en vitrification. On leur associe quelquefois de la
craie ou des gypses.
Ces pièces de porcelaines sont d'abord soumi-
ses à un premier feu, dit de dégourdi, puis, à
une température beaucoup plus élevée, a lieu la
viirification de la couverte, ainsi que la complète
cuisson de la pâte.
9° Porcelaini: tendre naturelle ou anglaise. Elle
tient le milieu entre la porcelaine dure et la
faïence fine. Elle se dislinoue de la première
parce que sa pâte est plus fusible et que sa gla-
çure est plombière et rayable par l'acier; de la
seconde parce qu'elle est transparente et que son
vernis est plus dur.
Les pâtes de porcelaine tendre anglaise sont
composées de 30 à -iO p. lOn de kaolin ou d'argile
plastique, d'un peu de sable ou silex et d'une
forte proportion d'os calcinés qui facilite la fusion
du produit.
\0° Porcelaine tendre artifti-iulle ou française.
La porcelaine tendre française a été inventée en
1695 par Morin, alors à la recherche de la vérita-
ble porcelaine.
C'est une pâte blanche vitreuse. Elle doit ses
propriétés fusibles à une forte addition de sels
alcalins. Elle se compose de 50 à 80 p. lOO de
silice, d'une quantité variable de chaux, de soude
et de potasse et d'à peine 8 ou 9 parties de marne
calcaire.
Dans de telles conditions, cette pâte est exces-
sivement courte. Vu son manque do plasticité,
elle se prête peu au façonnage, et les difficultés
sont encore augmentées par son ramollissement à
la cuisson.
Sa couverte est un verre alcalin composé de
sable pour 38 p. 100, d'une égale i|uantité de plomb,
et de sels de potasse et de soude pour le reste.
Les résultats de la porcelaine tendre française,
supérieure à toute autre, en ont toujours fait une
matière de prix.
11° Faïence siliceuse. Nous avons ajouté à
la suite de cette classification une catégnrie im-
portante de faïence exclusivement composée de
silice et offrant par cela même beaucoup d'analo-
gie avec la porcelaine tendre française.
La faïence siliceuse se compose d'environ 80 à
85 parties de silice et d'une faible quantité d'ar-
gile plastique; étant soumise à un degré plus fai-
ble de cuisson, elle n'a de la porcelaine tendre
ni la dureté ni la même translucidité.
Tantôt, sa pâte est fine, légèrement jaunâtre et
très poreuse.
Tantôt elle est grossière, composée de grains
de quartz que lie une argile ferrugineuse, et ses
produits sont appliqués en Orient à la construc-
tion. La faïence est alors recouverte d'un émail
opaque.
La chaux, la soude et la potasse apportent
aussi leur part dans la composition des faïences
siliceuses, qui deviennent alors, avec l'addition
des fondants, de véritables porcelaims tejidres.
Ces faïences, par leur qualité siliceuse, sont
spécialempnt propres à recevoir des couvertes à
bases alcalines, sans préjudice des autres.
Façonnage. — Suivant leur nature et leur qua-
lité, les pâtes céramiques sont soumises aux opé-
rations du lavage, du décantage, du broyage, du
matisage, ou sojit simplement malaxées, comme
pour les terres cuites.
Après leur raffermissement, elles sont propres
au façonnage. Celui-ci comprend les opérations ci-
après :
r Le moulage et l'estampage ;
2° Le tournage et le tournassage;
3° Le coulage;
4" L'estampage parla voie sèche;
5° Le filage.
Les moules qui servent à l'estampage des pâtes
sont généralement en plâtre ; ils sont quelquefois
en métal pour la pression des briques, tuiles, car-
reaux, etc.
Le tour à potier sur lequel se tournent les
vases, coupes, plats, etc., est composé d'un arbre
vertical en fer, d'un disque de bois appelé girelle,
fixé horizontalement à l'extrémité supérieure de
l'arbre, et d'un volant placé au bas. Le tourneur
dépose sur la girelle la niasse de pâle â façonner,
met l'appareil en rotation en poussant du pied le
volant inférieur, et à laide de ses mains com-
prime la pâte à laquelle il donne la forme voulue.
L'opération du tournassage n'est que le fini
d'une ébauche faite au tour. Elle' a lieu sur la
pièce à moitié ferme à l'aide d'outils tranchants
et de calibres. Les poteries fines, les grès et les
porcelaines sont seuls soumis au tournassage.
Le coulage ne s'applique guère qu'aux porce-
laines de choix, d'une très faible épaisseur. Les
piècps obtenues par ce procédé sont excessive-
ment légères et d une transparence remarquable.
La pite â l'état de bouillie claire est introduite
dans des moules en plâtre par des orifices ména-
gés aux parties inférieures; elle y séjourne quel-
ques minutes; on reverse l'excédent de pâle, et
celle qui a adhéré aux parois, sous l'action absor-
bante du plâtre, ne tarde pas i s'en détacher; puis
on met sécher la pièce à l'air.
La pression pur la voie sèche, d'application mo-
derne, est employée plus spécialement pour les pro-
duits de la construction, carreaux, briques, etc.
La pâte est séchée. réduite en poudre, puis dépo-
sée dans un moule en métal et soumise à une forte
pression.
Le filage a lieu pour les produits creux, tuyaux
de drainage, briques creuses, etc. 11 s'opère ver-
ticalement ou horizontalement. La paie molle se
trouve pressée contre une filière, et â sa sortie
des fils divisent le produit par section.
Le retrait des pâtes céramiques, c'est-à-dire la
différence de dimensions d'une pièce sortant du
façonnage i celle qu'elle a obtenue après la cuis-
son, varie de 1 à 20 %.
La cuisson. — La cuisson des poteries et des
glaçures, couvertes ou émaux, se fait en four ou
en moufle.
Les fours sont des chambres de formes très
variées, tantôt annulaires comme ceux qui servent
à cuire la brique, la tuile, etc., où la flamme cir-
cule à même les produits, tantôt carrés comme
ceux destinés à cuire la faïence commune.
Pour la cuisson des porcelaines, grès fins, faïen-
ces fines, etc., on se sert de fours circulaires
quelquefois composés de plusieurs chambres su-
perposées. Le combustible s'introduit par des
alandiers placés en dehors à la partie iuférieure
de la chambre et communiquant avec l'intérieur
où se trouvent les produits à cuire; ceux-ci sont
étages dans des étuis ou cazeties qui les préser-
vent de l'action directe de la flamme.
La cuisson pour la porcelaine, dans un four de
dimension moyenne, est d'environ vingt-cinq heu-
res ; le four met trois ou quatre jours à re-
froidir.
Le moufle est une sorte de boîte rectangulaire
de proportions variables; la partie supérieure est
voûtée. Le foyerest inférieur, et la flamme monte
verticalement sur les quatre côtés pour se réunir
sous une voûte ou chapiteau.
POTERIE
1701
POTERIE
lin de sp,3 côtés est mobile ; le mur est recons-
truit J. rliaqui! cuisson.
he moufle sert de préférence à la cuisson des
pointures, émaux ou couvertes.
La liouillo et le bois sont les combustibles les
plus usités pour la cuisson des poteries.
Néanmoins les liuilos lourdes do grapliite et
surtout le gaz s'emploient avec quelque succès.
A cliacun de ces combustibles s'appliquent des
loyers appropriés.
Le biscuit, l'engobe, le vernis, la glaçure, la
couverte et l'émail. — On nomme biscuit toute
pâte ayant subi l'action d'un premier feu.
L'engobe est une matière terreuse ou vitreuse
qui sert d'intermédiaire entre le biscuit et le
vernis ou la couverte. Les engobcs sont suscep-
tibles de recevoir des colorations par les oxydes
métalliques.
Les mots vernis, glaçure, couverte, émail ne
sont pas synonymes et sont, à tort, employés les
uns pour les autres. Il est donc important de con-
server à chacun d'eux une signification propre.
On entend par vernis tout enduit vitrifiable,
transparent et plombifère qui se fond à basse tem-
pérature.
Nous considérons la glaçure comme un inter-
médiaire entre le vernis et la couverte.
La converti- est un enduit terreux ou vitreux
essentiellement transparent, et fondant le plus
souvent à haute température.
Vémail est un enduit vitrifiable opaque ou demi-
transparent, ordinairement stannifère. Il s'appli-
que aux faïences proprement dites, et n'est en
somme qu'une glaçure ou une couverte rendue
opai|ue par différents opacifiants dont il est ques-
tion plus loin.
L'opération qui consiste à étendre sur le bis-
cuit une couche d'émail ou do couverte s'appelle
mise en émail, ou mise en couverte.
Elle a lieu par voie d'immersion ou d'arrosage.
Pour les biscuits non absorbants on pratique
aussi le tamisage.
A l'aide d'un tamis, on projette sur le biscuit,
que l'on a préalablement mouillé d'eau gommée,
la couverte ou l'émail en poudre fine et sèche.
Les vernis, glaçures, couvertes ou émaux doi-
vent être en rapport avec \<- degré de dilatabilité
des biscuits sur lesquels on les applique et doivent
être composés de telle façon qu'ils évitent le dé-
faut de la gerçure ou tressaillage.
Comme règle générale, on n'applique aux pote-
ries alumineuses que des glaçures boraciques.
Les couvertes ou émaux alcalins conviennent
spécialement aux poteries siliceuses. Un manque
de cuisson ou de finesse est néanmoins une des
causes qui peuvent faire naître la gerçure.
Les oxydes colorants. — Les colorations obte-
nues, en céramique, dans une matière terreuse ou
dans une fonte vitreuse, sont dues aux oxydes mé-
talliques.
Quoique ces o.tydes soient d'un nombre res-
treint, leur mélange, leur virage et leur contact
avec difl'érents sels ou fondants peuvent provo-
quer sur chacun d'eux des colorations très variées.
Nous dirons com.Tie données générales que :
L,ox!/'/e de chrome uni à un composé boracique
donne du vert. Il donne du jaune dans un milieu
alcalin Le chrome produit aussi du rouge lorsque
sa couleur verte est virée par une faible dose
d etain. Cest ainsi qu'ont éié obtenus les rouges
^ K?*^' 'erres cuites qui encadraient la (açade
du bâtiment de l'Exposition universelle de lsi«.
L oxyde i/e fer à basse température donne du
rouge. 11 donne du jaune et du vert mélangé à
à une niaiière vitreuse.
h'oiyde d'urane fournit ordinairement des
colorations jaunes.
Voiyde de manganèse produit la riche gamme
des violets et des violets bleuies par un ajout de
cobalt.
L'' xyr/e de cohaU offre les bleus; on lui allie
souvent une petite quantité d'oxyde de cuivre.
Voxyite d'antimoine donne des colorations jau-
nes peu fixes à une haute température.
L'oxyde de enivre produit du vert, lorsqu'il se
trouve uni à des fondants boraciques; du bleu
turquoise avec les alcalins, et un rouge carminé
d'une grande puissance s'il est mis en rapport
avec une faible dose d'étain.
L'oxyde de p/omh agit comme fondant.
L'oxyde d'étain par lui-même est incolore et
infusible en grande masse. Il est généralement
employé comme opacifiant dans la composition
des émaux opaques blancs ou colores. Do plus,
introduit en petite fraction, c'est un réducteur
puissant auprès de certains oxydes.
Vnxyd'' d'argent donne du jaune.
L'oxyde il'or^ sous la forme du pourpre de Cas-
sius (précipité d'or et d'étain), nous fournit les
riches colorations des roses, des carmins et des
pourpres.
Les oxydes de platine et d'iridium apportent
des teintes grises et noires. On produit aussi des
colorations noires par la réunion des oxydes de
cobalt, de manganèse, de fer et de cuivre ou de
chrome, dans des proportions définies.
Résumé des procédés employés pour la déco
ration des poteries. — Les procédés appliqués
jusqu'à nos jours à la décoration des poteries se
divisent de la façon suivante :
1" Barbotine ou peinture en pâtes colorées,
faïence ; pâte sur pâte, porcelaine ;
2° Peinture sous vernis et sous couverte, faïence
ou porcelaine ;
3° Peinture sur couverte, faïence ou porcelaine;
4° Peinture en couvertes colorées, faïence ou
porcelaine ;
■5° Peinture en émaux colorés, faïence.
6° Peinture sur émail stannifère cru, faïence.
T Peinture sur émail stannifère cuit, faïence.
1° La peinture dite barbotine s'applique aux
faïences en général.
Los couleurs, composées de la même pâte ou
d'une pâte blanche que l'on colore en bleu, jaune,
vert, etc., par les oxydes colorants, sont appli-
quées sur la pièce en terre crue, quelquefois sur
biscuit.
La cuisson est double, celle des couleurs, qui
sont rendues adhérentes, et celle d'un vernis ou
d'une glaçure à base |)lombifère.
Le même procédé en principe s'applique à la por-
celaine ; et alors il prend le nom àepdte sur pâte.
On procède de la même façon que pour la bar-
botine de faïence, mais avec des pâtes de porce-
laine colorées. Ces colorations sont plus restreintes,
vu l'élévation de la température, qui ne conserve
que les oxjdes les plus fixes.
La couverte est la couverte feldspathique de
porcel.nine.
2° La peinture sotis ver7iis. sous glaçure ou sous
couverte a lieu directement sur le biscuit à l'ai. le
des oxydes métalliques ; c'est le cas de la faïence
fine Dans d'autres cas, pour les faïences siliceuses,
par exemple, elle est susceptible d'ètro appliquée
sur un biscuit engobé en blanc.
Suivant les circonstances et le genre de travaux,
cette peinture subit un premier feu dit feu de
peinture. A un second feu a lieu la vitrification
du vernis ou de la couverte, qui apporte le déve-
loppement des couleurs.
Ces deux opérations se font simultanément pour
les produits do fabrication courante.
En pnrcelaine, la sous-couverte se réduit à
l'application sur le biscuit du bleu par l'oxyde de
cobalt.
3° l'cinture sur couverte. Elle comprend d'une
POTERIE
— 1702
POUDRE A CANON
manière générale les peintures sur couverte de
faienco fine ou de porcelaine.
On prépare d'abord des fondants à différentes
bases ; ces fondants, ou verres de composition
très tendre, sont ensuite mélangés aux oxydes
colorants (queliiuefois dans la fonte) ; puis, lorsque
le mélange est finement broyé, il prend le nom
de couleur vitriflable.
Ces couleurs s'appliquent sur la couverte k l'es-
sence de térébenthine et sont susceptibles de re-
passer plusieurs fois au feu.
4° Ptinture en couvertes colorées. La pein-
ture en couvertes colorées consiste pour la faïence
dans l'emploi de verres colorés dans leur masse.
Ces verres ou couvertes fondus au four de fusion
avec l'oxyde colorant sont ensuite broyés pour être
appliqués directement sur la pièce en biscuit.
Cette peinture ne subit qu'un feu. Par ses qua-
lités essentiellement transparentes et la puis-
sance de ses couleurs, elle l'emporte sur les pein-
tures en barbotine ou d'émail en relief. Les cou-
vertes colorées s'appliquejit sur toutes les faïences,
de préférence sur les biscuits blancs.
Les faïences fines anglaises connues sous le nom
de majoliques sont émaillées par ce procédé.
L'application des couvertes colorées a égale-
ment lieu sur porcelaine. Les matières colorantes
unies à la couverte feldspaihique ne produisent
qu'un petit nombre de colorations variant du bleu
au jaune.
On les désigne comme couleurs de grand feu.
(Ce ti rme, improprement donné i des cuissons
céramiques inférieures, est employé exactement
dans le cas présent.
5" l'einliire en énunix colorés ou émmix en
relief. Tout émail doit ses colorations aux
oxydes, et son opacité à une matière infusible
répandue au sein desamasse vitreuse.
L'émail est d'abord fondu en galette ou en
bloc et broyé sous une meule. Il s'emploie tou-
jours à l'eau et s'applique spécialement aux
faïences.
L'oxyde d'étain, l'acide stannique, l'acide anti-
monique, les os calcinés, le fluosilicate de po-
tasse sont les opacifiants ordinaires des émaux.
Ces derniers permettant des colorations plus
brillantes sont les plus propres k la coloration
des émaux bleus, turquoises, violets, etc.
Nous ne ferons que mentionner l'application
des émaux sur verre, sur métaux servant à la
bijouterie, émaux de Limoges, etc., sur la lave
pour la confection des grands cadrans d'iior-
logorie, sur les produits usuels de tôle ou fonte
émaillée.
I . 6° Peintures sur émail cru. Par peinture sur
émail cru on entend l'application de couleurs
analogues à celles déj;'! citées i la peinture sur
couverte, sur un émail blanc stannifère cru, c'est-
à-dire n'ayant pas été soumis à l'action du feu
depuis son application sur le biscuit.
Les couleurs s'emploient à l'eau, et leur cuis-
son a lieu simultanément avec celle de l'émail.
II en résulte à la fusion une certaine homogé-
néité des couleurs et de la masse que donne ra-
rement le procédé sur cuit.
1" Peinture sur émail cuit. Celte manière ne
diffère de la précédente que par la cuisson de
l'émail stannifère qui a lieu avant la peinture.
Les couleurs sont souvent les mômes et s'appli-
quent à l'essence. Elles sont cuites à un feu voi-
sin de la fusion de l'émail. Au point de vue du
résultat, ce procédé est, croyons-nous, inférieur à
tous les précédents.
A la suite de ces modes divers de peinture,
citons comme complément à la décoration des
poteries : les métaux et les lustres métalliques.
Quelques métaux, co:i.me l'or, l'argent, le pla-
tine (grâce à leur malkabilité et h leur inaltéra-
bilité au feu), sont employés en nature pour la
décoration des poteries.
On les réduit d'abord en poudre par dos préci-
pités, on les broie longuement à l'essence et on
les applique au pinceau sur la couverte ou l'é-
mail cuit. Apres une légère cuisson qui a pour
but de les faire adhérer à la glaçure, ces métaux
sont susceptibles d'un brunissage; pour cette opé-
ration on se sert du brunissoir en agate.
Par un procédé produit par nous pour la pre-
mière fois, en ls7è, des métaux d'or ou de pla-
tine laminés ont été appliqués en feuille à l'état
de paillon entre le biscuit et la couverte de
faïence. Ces métaux ainsi emprisonnés sous une
couche de verre sont rendus inaltérables et pro-
duisent dans leur emploi pour la décoration des
effets d'une puissance qui ajoutent aux procédés
ordinaires.
Les lustres métalliques sont généralement des
métaux appliqués sur les glaçures ou les émaux
en couche très mince.
Par le feu, ils reçoivent l'éclat métallique ou
des nuances irisées.
Néanmoins, les lustres ou reflets métalliques
sont aussi produits par des procédés nombreux
et varii's, et très souvent les causes qui les ont
provoqués sont restées inexpliquées.
Conclusion. — Comme on peut s'en rendre
compte par l'exposé qui précède, les procédés
employés dans le passé ont été retrouvés et sont
tous mis en usage aujourd'hui.
De plus, étant donné les progrès de la science,
on doit prévoir que, dans un avenir prochain, la
céramique entrera dans une voie féconde en nou-
velles et utiles applications.
Renonçant à la stérile imitation des œuvres des
époques antérieures, elle se servira de tous les
procédés employés jadis pour la création d'un art
décoratif nouveau.
En même temps se multiplieront les applica-
tions ,'i la décoration des édifices de la céramique
moderne, dont les tons riches et variés apportent
à l'architecte, au décorateur un si puissant con-
cours. C'est dans cet ordre d'idées que les cou-
vertes colorées dans la masse doivent jouer dans
l'art polychrome, par leur éclat et leur solidité,
le rôle le plus important.
[Léon Parvillée et Achille Parvillée fils.]
rOL'DREA CA>0>'. — Connaissances usuelles,
II-V. — Du jour où les hommes, qui n'eurent
pas toujours pour premiers préceptes la concorde
et la tolérance, eurent découvert le fen, ils du-
rent songer ii l'utiliser pour procéder plus expé-
ditivemeni à l'extermination de leurs semblables.
Aussi dans tous les récits qui nous restent des
âges anciens, et qui se réduiraient à un assez
mince ensemble si l'on en retranchait ce qui a
trait aux luttes entre les divers groupes d'hommes,
voyons-nous intervenir ce terrible élément d'une
façon plus ou moins efficace. Torches de résine
par-ci, flèches incendiaires par-l.'i; et enfin, par-
dessus tout, ce fameux, ce mystérieux feu grégeois,
qui de l'époque antique passe jusqu'aux temps mo-
dernes, sans que nul des historiens qui en consta-
tent les redoutables effets nous ait légué des no-
tions bien certaines sur la façon de le composer.
A les entendre, c'est l'agent destructeur par ex-
cellence, c'est comme « vomissure d'enfer » à qui
rien ne résiste; tout ce qu'il touche est consumé ;
l'eau, qui éteint les autres flammes, avive, _ et
même allume celle-là. Au total, et bien qu'au
temps des croisades, époque où,paralt-il, la mani-
pulation de cet ardent auxiliaire s'était notable-
ment perfectionnée, on cite beaucoup de cas où
les combattants en furent les uns très bien servis,
les autres fort « dommages u, au total, disons-nous,
le feu grégeois aurait encore causé plus d'épou-
vante que de mal réel. Qu'il ait incendié nombre
POUDRE A CANON — 1703 — POUDRE A CANON
de navires, ce sont là ses plus réi^Ues prouesses,
et qui ne prouvent pas des facultés bien pai'ticu-
liènjs, car cette besogne de dévastation n'est pas
de difficile accomplissement : le moindre composé
résineux s'en acquitte i merveille. Quant à ses
usages dans la guerre ordinaire, nous pourrions
citer, par exemple, le témoignage bien autorisé de
Joinville, qui, l'ayant vu souvent à l'œuvre pendant
la première expédition de saint Louis, affirme
qu'on en pouvait être pour ainsi dire couvert sans
en éprouver « grand déplaisir <>, et qui, de plus, dé-
ment complètement l'impossibilité où l'on aurait
été de l'éteindre. Il y a donc une part toute légen-
daire dans le renom de cette sorte de miraculeuse
invention, qui semble n'avoir été qu'un très vul-
gaire mélange de naphte, de résine, de soufre, et
autres corps facilement inllammables et d'une
combustion persistante, que l'on jetait ou lançait
à l'aide d'appareils plus ou moins ingénieux.
D'ailleurs nul doute qu'on n'ait ramené à celte seule
dénomination de feu grégeois maints composés
incendiaires de natures bien différentes. Quoi qu'il
en soit, et si terrible qu'ait été la réputation du
feu grégeois, son rôle réel doit nous paraître bien
effacé quand nous songeons à celui qu'a joué de-
puis la poudre à canon, u Depuis », disons-nous,
peut-être à tort, car les avis étant en absolu
désaccord sur l'origine, parmi nous, do cette der-
nière composition, nous croyons être dans le vrai
en la faisant remonter, par un peuple aux très
lointaines annales, à des temps bien antérieurs à
ceux que terrifia la légende plus que l'histoire du
feu grégeois. Chez nous en effet les uns ont voulu
en attribuer l'invention à Roger Bacon, moine an-
glais qui au xiii' siècle dut à son grand savoir
d'être obstinément persécute pour prétendu crime
de sorcellerie ; d'autres, la retardant d'un siècle,
l'ont prêtée îi certain bénédictin allemand du nom
de Benhold Schwartz, qui semblerait avoir eu, lui
aussi, dans l'opinion de ses contemporains, des
connivences avec l'esprit malin. Toujours est-il
que pour les siècles qui ont précédé le nôtre, le
moine chercheur et le diable inspirateur semble-
raient inséparables dans l'opinion vulgaire, à pro-
pos de cette découverte. C'est d'ailleurs ce que
consacre le frontispice des plus vieux traités de
pyrotechnie, où l'on voit un religieux entouré de
balances, de creusets, pilant k tour de bras dans
un mortier les substances explosives, pendant que
derrière lui Satan, pieds fourchus, tête cornue,
langue tirée et queue frétillante, donne les signes
du plus vif coiitentemciit. Et comme en réalité il
est possible de trouver des textes antérieurs, où
l'on reconnaît non pas la poudre h canon propre-
ment dite, mais des mélanges analogues où peu
i peu s^introduisent les V^érilables éléments de sa
composition, nous ne devons pas hésiter à re-
connaître que l'invention première de la poudre
remonte en principe aux Chinois. Les Chinois, en
effet, connurentde toute antiquité des compositions
détonantes ayant pour base le salpêtre, qui, comme
on l'a très justement remarqué, abonde chez eux à
l'étaid'inflorescence fréquente du sol. De toute inti-
quité, ils surent tirer parti de cette substance, dont
ils eurent bientôt observé la propriété /usante, et
•S ils n'ont jamais fait de remarquables progrès en
1 art de la balistique, au moins furent-ils long-
temps et peut-être même sont-ils encore sans ri-
vaux comme artificiers d'agrément. Donc, partie de
1 exirême Orient, la poudre à artifice, d'abord con-
nue et employée par les Arabes, puis parles Turcs
comme adjuvant des compositions de feux gré-
geois jusque-li formées plus particulièrement de
résines, d'huiles minérales, dut graduellement ar-
river, par les études des alchimistes, par les essais
des praticiens spéciaux, à l'état de corps essen-
tiellement explosif, préparant les terribles desti-
nées de l'artillerie moderne.
Ce fut incontestablement au retour des croisa-
des, où ils avaient vu des tuOns lançnnt du ft:u,
que les Occidentaux, qui avaient surpris plus ou
moins e.xactoment le secret des préparations em-
ployées par leurs adversaires, tentèrent de faire
usage de m.achines analogues. Mais nulle date
certaine, nulle mention précisant que tel ou tel
peuple se servit de la poudre et du canon comme
agent, ou comme arme absolument nouvelle.
Longtemps on avait tenu pour premier en date
dans l'histoire de l'artillerie le passage où l'rois-
sard attestait que le gain de la bataille de Crrcy,
de si désastreuse mémoire en nos annales, et li-
vrée en 1.3i6, était dû aux canons qu'employèrent
les Anglais ; mais un chercheur aussi patient
qu'habile, M. L. Larchey, est dernièrement venu
témoigner, documents en mains, que lors du siège
soutenu en 13'1't par la ville de Metz, les assiégés
sortirent un jour avec une couleuvrine et un ca-
non, dont les effets causèrent une telle frayeur
aux assiégeants qu'un de leurs chefs fit aussitôt
sonner la retraite. Il est en outre prouvé aujour-
d'hui qu'en 132G, les Florentins avaient, pour la
défense de leur ville, plusieurs pièces d'artillerie
lançant des projectiles dum'lal. (Ce que nous no-
tons, parce que longtemps on ne se servit guère
pour les pièces de gros calibre que de boulets en
pierre taillée, tandis que celles de moindres dimen-
sions étaient chargées avec des cailloux. L'époque
n'est pas d'ailleurs si éloignée où les pierriers ou
canons à lancer des pierres, des galets pris sur
les grèves, faisaient partie de l'armement régu-
lier des navires.) Pendant tout le xiV siècle, des
documents font foi qu'un grand nombre de villes
ou de corps armés avaient dos canons. Et parmi
toutes ces mentions, aucune, remarquons- le en-
core une fois, no semble attester que ce mode
d'armement constituât une innovation. Nous de-
vons donc reconnaître que si le xiv" siècle vit
l'enfance des armes à feu, il put fort bien n'en pas
voir, si nous osons ainsi dire, la naissance. Nous
pourrions encore citer un passage du Traité des
plaies d'arquebuses, par Ambroise l'are, qui dit,
mais sans indiquer la source de ce renseignement,
qui> l'on fit usage des bortibardes dans une ba-
taille navale livrée au xii* siècle sur les côtes
d'Espagne. Quoi qu'il en soit, longtemps encore
devait se prolonger l'âge vraiment primitif des
canons et autres « bâtons à feu », comme on disait
alors, ([ui souvent, par leur construction défec-
tueuse et l'incertitude des dosages de la poudre,
faisaient courir de réels dangers à ceux qui les
employaient. Si les progrès ne furent pas décisifs,
n'en accusons pas cependant le défaut d'in-
géniosité des chercheurs et des constructeurs, car
01 n'imaginerait que difficilement la variété qui
existait alors dans les armes e. engins à poudre.
Ecoutons par exemple ce que disait, dans la
dernière moitié du xvi° siècle, ce même Ambroise
Parc dont nous évoquions tout à l'heure le té-
moignage, et qui, placé mieux que personne pour
' auprécier les terribles effets de la poudre, ne sa-
vait proférer assez d'exécrations contre l'auteur
; de tels maux. Après s'être félicité que le nom et
'' la profession de l'inventeur des bombardes soit
resté ignoré de tous comme indigne de mémoire
! pour Une si malheureuse et damnable invention,
! " Depuis, continue-t-il, à cette invention, en soi
j rude et imparfaite, le temps, l'art et surtout la
I malice des hommes ont beaucoup ajouté. De li
sont venus ces horribles monstres de canons,
; doubles canons, mousquets et pièces de campa-
gne; ces furieuses bêtes de coulcvrines, ser-
pentines, dragonneaux, basilics, faucons, faucon-
neaux, sacres, fiùtes, orgues et autres espèces,
I toutes de divers noms non seulement pris de
leurs figures et qualités, mais bien davantage da
1 leur effet et cruauté. En quoi certes se sont
POUDRE A CANON
1704
POUDRE A CANON
montrés sages et bien entendus ceux qui leur
ont impose de tels noms, pris non seulement
des animaux les plus ravissants comme sacres
(gorfautsl et faucons, mais aussi des plus per-
nicieux ennemis du genre humain, comme ser-
pents, basilics, etc., pour montrer que telles ma-
chines n'ont été inventées à autre fin et inten-
tion que pour lavir promptement et cruellement
la vie aux hommes, et qu'en les entendant seule-
ment nommer, nous les eussions en horreur et
détestation. De cette misérable boutique et ma-
gasin de cruauté sont venus les mines, contre-
mines, sapes, pots à feu, grenades, fagots brû-
lants, carreaux, carcasses d'enfer (machines in-
fernales), très misérables inventions, par lesquelles
nous voyons souvent une milliasse de pauvres
hommes fricassés sous une mine ou casemate,
et les autres en l'ardeur du combat qui, quoique
légèrement blessés par quelques-uns de ces en-
gins, brûlent cruellement dans leurs liarnois... «
On le voit, le nombre était grand des instruments
ou des dispositions imaginés pour utiliser avec
plus d'efficacité l'agent explosif; et il y a cela de
curieux à noter que, dès le xvi« siècle, nous trou-
vons découverts les principes sur lesquels de-
vaient reposer la plupart des systèmes qui ont
successivement amené les derniers perfectionne-
ments des armes à feu. Citons par exemple Vorgiie,
qui n'est autre qu'un ensemble de tuyaux à feu
montés sur un même affût en plusieurs rangées,
auxquels la même traînée de poudre mettait le
feu : point de départ évident de la mitrailleuse.
Presque dès le même temps aussi nous trouvons
le bâton à feu se chargeant par la culasse, et
même celui qui peut tirer plusieurs coups avec le
môme canon, à l'aide d'un culot tournant, présen-
tant des cartouches successives; nous ne pouvons
que reconnaître les ancêtres indéniables du mo-
derne refolier et d'autres armes analogues, etc.
Après avoir abominé la poudre et les armes à
feu. Paré conclut ainsi: « De même qu'h bon droit
nous détestons les auteurs de si dommageables et
pernicieuses inventions, de même nous devons au
contraire estimer dignes de grandes louanges ceux
qui tâchent de ilétmo-ner les princes et rois de la
pratique d'aussi miséraltles et funestes marhines.»
Dans ce dernier passage le père de la chirurgie
française non seulement traduit une aversion per-
sonnelle, mais encore il s'attend d'autant mieux
à ce que ses paroles trouvent de l'écho que, de-
puis l'adoption des nouveaux engins de destruc-
tion, toujours parmi les gens qui approchaient
0 les princes et rois », les plus braves, les plus
vaillants s'étaient signalés par leur obstination à
déconseiller, à répudier même un système qui
d'après eux était à la guerre tout son noble ca-
ractère. L'usage de la poudre en effet ne tendait
à rien moins qu'à faire prédominer l'art techni-
que et mécanique de déiiuire sur les vertus mi-
litaires ; et il va de soi que l'esprit chevaleresque,
encore de mise en ces temps-là, s'accordait mal
de cette dérogation à ses fiers privilèges. Long-
temps d'ailleurs, dans les armées, où toute la gen-
tilhommerie gardait ses anciens modes de s'armer
etde combattre, le maniement des engins à pon-
dre fut laissé à des soldats ou servants d'ordre
inférieur. Cette déconsidération morale pourrait
au besoin expliquer la lenteur des progrès que
firent pratiquement ces armes.
Vers le commencement du xvii« siècle cepen-
dant, quelques heureux perfectionnements ap-
portés aux engins portatifs ayant permis d'é-
tablir des corps nombreux qui s'en servaient
exclusivement, et des actions décisives ayant dé-
montré les bons effets de leur usage, force fut à
l'antique tradition de céder la place aux nouvelles
méthodes. Ce fut seulement alors que disparurent
les derniers chevaliers bardés de fer, et que les
I chefs d'armées, aussi bien que leurs plus noble»
auxiliaires, acceptèrent le concours régulier, cons-
tant de la poudre, tant pour servir les combi-
naisons stratégiques que pour venir en aide h
l'intrépidité iiidividuelle. Ainsi commença pour les
' hommes de guerre une période bi-séculaire durant
laquelle, au cours de longues, de terribles luttes,
étant donné que la science balistique et les arts
divers qu'elle embrasse s'attardaient encore en des
progrès tout relatifs, la poudre laissa une part
très notable encore aux manifestations de la va-
leur personnelle.
A notre époque enfin, il semble en être fait
de cette dernière concession à l'héroïsme guerrier;
au seul emploi perfectionné de la poudre sem-
blent en quelque sorte devoir revenir tous les mé-
rites et tous les succès : par leur immense portée,
par leur impitcyablo précision, les engins ac-
tuels tendent à être tout et à faire tout, en la
terrible besogne que trop souvent réclament d'eux
les rivalités internationales ou les dissensions in-
testines. Sur terre, plus de luttes où l'homme se
mesure à l'homme, car très souvent c'est presque
sans que les combattants se soient vus distinc-
ti ment à l'œil nu qu'une armée peut être dé-
truite, et le sort d'une bataille décidé ; sur mer,
plus de ces abordages où l'audace, l'intrépidité
forçaient l'admiration à ne plus voir les horreurs
du carnage. Des léviathans de fer rasant l'onde
se canonnent et s'éventrent à longue distance.
De la côte, à peine aperçue à l'horizon, arrive
une masse d'acier sur un géant bardé, qui sombre,
et tout est fait, tout est dit. Voilà ce que la poudre,
maniée avec toute Yingéninsité dont notre savant
siècle est capable, a fait de la guerre. Toujours
épouvantable, toujours barbare, la guerre em-
pruntait cependant un prestige réel, une grandeur
indéniable à l'intervention directe, immédiate et
souventsuperbe des combattants; mais, transformée
ainsi en opération purement mécanique, elle
nous porte à regretter ses primitifs mais héroï-
ques débuts. A la vérité, l'on aime à penser que,
par ces raffinements inouïs, l'art de la guerre, nous-
devrions dire l'art des armes à poudre, qui
d'ailleurs absorbe aujourd'hui tant de milliards
au détriment de tant d'autres progrès pacifiques,
tend à se paralyser dans l'extension de sa propre
puissance, et à faire que l'effort et la résistance
s'annihilent réciproquement. Dieu veuille que
vienne le jour où il en sera ainsi. Toutefois l'é-
chéance n'en est pas si proche que nous puissions
dédaigner d'avoir quelques notions sur la nature de
l'agent qui, depuis six ou huit siècles, tient tant de
place dans nos histoires.
La force explosive ou balistique de la poudre est
due, chacun le sait, aux gaz qui se développent lors
de son inflammation, et qui, pouvant occuper un
espace consrdérablement plus vaste que celui où
la poudre a été renfermée, tendent, selon la dispo-
sition des lieux ou des appareils où on l'emploie,
soit à briser les parois qui la coiuiennent, soit à
chasser, par un orifice ménagé à cet efîet, un
corps mobile qui devient le projectile. On s'expli-
pliquera l'effort produit en appi-enant que, d'après
les calculs les mieux établis, le volume des gaz
résultant de l'inflammation de la poudre est égal
à 4 0110 fois son volume primitif. Chacun sait aussi
que trois substances entrent dans la composition
de la poudre : salpêtre, ou azotate de potasse,
charbon et soufre. Le salpêtre vient là comme gé-
nérateur principal des gaz, à la rapide formation
desquels contribue d'ailleurs le charbon, qui en
ajoute un certain contingent; quant :iu soufre, qui
n'est pas cependant sans participer à la trans-
formation gazéiforme dos deux autres corps, il est
plus spécialement appelé à faciliter l'inflammation
du composé. Somme toute, l'indispensable présence
de chacune des trois substances, quelle que soit
POUDRE A CANON
i705
POUSSIÈRES
la nature ou l'importaiiri.' do son rôle, a toujours
été si bien reconnue que non seulement l'idée
n'est pas venue de tendre h en supprimer aucune,
mais encore qu'il n'y a jamais eu que do léi^ères
variantes dans les proportions d'abord fixées pour
le mélange. A une certaine époque cependant, et
dans le but d'ailleurs illusoire d'en accroître la
puissance, on y introduisit une certaine propor-
tion d'arsenic. C'est niiime h cela qu'il faut attri-
buer, bien que cette adjonction ait été presque
aussitôt abandonnée, l'ancien préjugé prêtant un
caractère vénéneux aux blessures faites par dos
projectiles lancés i l'aide de la poudre. En vertu
de cette opinion, les cliirurgiens se croj aient
tenus d'arroser d'Iiuile bouillante les plaies ainsi
faites, cruauté inutile dont Ambroise Paré eut
la gloire d'abolir la pratique. Aujourd'Imi les va-
riantes de composition sont surtout déterminées
par l'emploi auquel les poudres (car il y en a de
plusieurs sortes) sont destinées. Etant reconnu, par
exemple, que c'est au soufre que sont principale-
ment dus les résidus produisant l'encrassement
des instruments de tir, il va de soi que l'on tend
à en diminuer le plus possible les quantités pour
les poudres destinées au service des armes de
petite dimension, tandis qu'on pourra sans incon-
vénient les augmenter pour le tir du canon, et
bien plus encore quand il s'agira de la poudre de
mine, dans l'usage de laquelle il no saurait être
question d'encrassement des blocs à faire sauter.-
En France donc les formules actuelles de compo-
sition des poudres sont les suivantes : poudre h
canon, pour lOn parties, salpêtre 75, soufre 12,5,
charbon 12,.i; poudre h fusil de guerre (dite à
mousquet), salpêtre 'li, soufre 10,5, cbarbon 15,5;
poudre de cliasse, salpêtre 78, soufre 10, charbon
12; poudre de mine, salpêtre t>2, soufre 18,
charbon 20. Dans les principaux pays d'Europe les
formules de la poudre de guerre ou à fusil sont les
suivantes (le premier chiffre se rapportant au sal-
pêtre, le second au soufre, le troisième au char-
bon) : Allemagne 75, 11,5, 13,5; Suisse 76, 10,
14; Espagne 7i;,5, 10,8, 12,7; Russie 75, 10, 15;
Angleterre 7.S, 9, 16; Portugal 75,7, 10,7, 13,6.
La poudre chinoise, toujours la même depuis bien
des siècles, a pour formule : salpêtre, 75,7 ; sou-
Ire, 9,9; charbon, l'i,4.
Etant donnés ces divers dosages, qui, on le voit,
diffèrent bien peu, et dont l'observation précise est
d'une grande importance pour la qualité des pou-
dres, nous devons remarquer une autre condition
de fabrication qui ne concourt pas moins à l'excel-
lence des résultats. A l'origine, et longtemps même
après l'invention, le mélange intime des substan-
ces était fait par la pulvérisation ; on employait la
poudre en cet état primitif (auquel d'ailleurs elle
doit son nom). Plus tard on eut la preuve qu'il
y avait avantage à granuler la poudre, linflam-
mation étant beaucoup plus rapide quand le
feu venant d'un grain peut se répandre dans les
interstices dos autres, que quand le pulvérin forme
masse. Depuis, la granulation a toujours été l'objet
d'un soin particulier. On la fait varier toutefois
pour les diverses espèces de poudres. Par exemple,
la poudre à canon et la poudn^ de mine sont en
grains mesurant jusqu'à 2 millimètres et demi,
tandis que les grains de la poudre à mousquet no
dépassent jamais 1 millimètre, et ceux de la
poudre de chabse surfine un quart do millimètre.
La fabrication de la poudre nécessite dos matières
de premier choix. Le salpêtre doit être amené
au plus parfait degré de raffinement. On n'emploie
que du soufre obtenu par distillation du souf.e
brut du commerce. Quant au charbon, qui, selon
la qualiié de poudre, est fourni par de jeunes
branches de châtaignier, bourdaine, saule, fusain,
peuplier, tilleul, etc., que l'on a eu le soin d'écor-
cer, il est ordinairement préparé dans des cylin-
dres de fonte, où il y a souvent même moins car-
bonisation proprement dite qu'extraction des parties
aqueuses et torréfaction du ligneux. Les trois
substances ayant été d'abord triturées, on en opère
le mélange intime en les plaçant d'abord dans des
tonneaux où elles tournent pendant huit ou dix
heures, en compagnie d'un certain nombre debilles
de bronze. On soumet ensuite ce mélange hu-
mecté soit à des pilons, soit i des meules d'un
poids énorme, qui le broient longuement. L'on a
alors une masse malléable qu'on laisse se ressuyer
un peu de son humidité et que l'on soumet S la
granulation, qui commence par un mouvement
de la masse sur un crible où va et vient un bloc
jouant le rôle de brisoir. C'est par des tamisages
successifs que l'on arrive à la dimension égale des
grains, que l'on met ensuite à sécher sur des
toiles, quand ils sont à la grosseur voulue. La sic-
cité obtenue, la fabrication est terminée pour les
poudres de guerre ou de mine ; mais pour la pou-
dre de chasse on procède à l'opération dite du
liisage, qui doit donner du brillant aux grains, et
qui consiste i faire tourner la poudre pendant
quelques heures dans un cylindre dont le pour-
tour intérieur est garni de baguettes obligeant les
grains i un frottement continuel les uns contre
les autres. En dertiier lieu toujours, les poudres
sont soumises à \'é/imcssetage, qui se fait sur des
tamis à très petits trous, et qui a pour but d'enle-
ver toutes les poussières pour ne laisser que des
grains bien distincts.
En France, la fabrication et la vente de la
poudre sont exclusivement réservées à l'Etat, et
des peines graves sont applicables h la fabrication
ou à la vente clandestines de ce produit. Il y a
également interdiction d'introduire sur le terri-
toire les poudres étrangères. Une administration
spéciale, d'ailleurs fort importante, est chargée du
service des poudreries, qui comprend une ving-
taine d'établissements, tant usines épurant le
salpêtre ou le soufre que procédant à la fabrication
proprement dite des poudres, lesquelles no peii-
vent être livrées au public que par des entreposi-
taires débitants dûment autorisés.
Depuis quelques années la poudre à canon, jus-
que-là chargée à peu près seule de tous les effets
balistiques ou explosifs nécessités par la guerre
ou les travaux du génie civil, a cédé une grande
et importante partie de sa lâche i de nouvelles
combinaisons: niti-o-ylyeériiie, dynnmite, lilho-
fracteur, watasieite, etc., qui ne sont autres, du
reste, que des applications du même principe sous
des noms divers. Quoi(|ue récemment découvertes,
ces substances ont déjà une histoire si féconde
en terribles épisodes que le temps n'est pas
loin où nous nous surprendrons à regretter le
règne exclusif de « la vieille et bonne poudre à
canon ». Puisse l'heure ne pas sonner où les re
grets seront pour ces nouveaux venus.
[Eugène Muller.]
POUMONS. — V. Respiriilion et Ci'culation.
POUSSIÈRES UE L'ArMOSPIIÈRE ET UES
EAUX. — Météorologie, I IV ; Hygiène, XVII. —
L'air, en dehors de ses composés accidentels ga-
zeux, tient pres(|ue toujours en suspension des
poussières minérales, des poussières organiques
mortes et des poussières org.iniques vivantes.
Poussières minh-ales. — Elles varient beaucoup
suivant les pays et la force du vent. Elles peiivent
être incommodes; il est très rare qu'elles nuisent
à la santé, à moins qu'on ne vive habituellement
dans une atmosphère qui en soit chargée, ou
qu'elles no proviennent de substances vénéneuses.
Les vents peuvent les transporter à de très grandes
distances. Assez souvent on y remarque des globu-
les microscopiques de fer qui proviennent des
aérohtlies portés à l'incandescence par leur pas-
sage rapide au travers de notre atmosphère.
POUSSIERES
— 1706
POUSSIERES
Poiisiicres oignniqiies mortes ou 7ion V!va7iies. 1
— Elks sont généralement composées de grains
d'amidon cuit ou non cuit, de dobris d'épitliéliuni
de la peau de l'homme ou des animaux, de débris
de poils ou de tissus, etc. Elles sont, comme les
précédentes, généralement sans aucun danger par
elles-mêmes.
Poussié7-es organiques vivnnies. — On les dis-
tingue en deux classes : les spores de cryptogames,
et les bactériens.
Les spores sont des sortes d'œufs ou de graines
rudimentaires par lesquels certaines espèces vé-
gétales, les algues, les mousses, les licliens, les
cliampignons, se propagent au loin. Plusieurs de
ces plantes ont des dimensions relativement con-
sidérables; beaucoup d'entre elles, connues sous
le nom vulgaire de moisissures, ont au contraire
des proponions extrême ment petites et jouent
un rôle considérable soit dans nos liabitations, soit
dans la préparation ou la conservation de nos ali-
ments. Certains fromages n'acquièrent leurs qua-
lités que quand leur pâte est envahie par le mycé-
lium de certains champignons microscopiques; au
contraire, les conserves alimentaires périssent sou-
vent par suite de l'invasion d'autres champignons.
Le charbon et la carie du blé sont dus à des cham-
pignons dont les spores forment la poussière noire
qui remplit les grains att.nqués. Or c'est du sol que
part la plante; sa tige extrêmement ténue se pro-
longe au travers du chaume jusqu'à l'épi, où sa
fructification s'effectue.
Les fructifications étant aériennes et les spores
étant très légères, celles-ci sont prises et enlevées
par les moindres brises: l'humidité ainsi que la
chaleur étant d'autre part favorables au dévelop-
pement des moisissures, on ci mprend que le nom-
bre des spores cryptogamiques contenues dans
l'air augmente en été et diminue en hiver par l'ef-
fet de 1 inégalité des températures dans ces deux
saisons; on comprend aussi qu'il égale température
les temps humides en donnent plus que les temps
secs. Les moyennes des nombres des spores cry-
ptogamiques renfermés dans 1 mètre cube d'air du
parc de Montsouris, à Paris, ont été de 3 000 en
mars 18«u, de ' 000 en avril, de 4 "00 en mai et de
54 500 en juin de la même année.
Les bactériens et surtout leurs germes sont
beaucoup plus petits que les spores de crypto-
games; il en pourrait tenir huit on neuf cents côte
à côte dans la longueur d'un millimètre; aussi
passent-ils sans difficulté au travers de tous les
filtres quand ils sont mêlés à l'eau. C'est parmi
eux qu'on trouve les micrococcus du choléra des
poules, de la vaccine, du croup (diphthérie) ; les
bacilles du charbon et de la putréfaction; le vi-
brion de la pourriture d'hôpital, etc., et en géné-
ral les germes des diverses maladies infectieuses.
Les bactériens, comme les spores de crypto-
games, croissent en nombre avec la température;
mais, contrairement à ce qui a lieu pour les
spores, leur nombre est d'autant plus grand dans
l'air que le temps est plus sec, d'autant moindre
que le temps est plus humide. Ils sont générale-
ment beaucoup moins nombreux à l'air libre que
les spores, et leur nombre moven par mètre cube
a été trouvé, dans le parc de Montsouris, de 93 en
mars, de .'iC en avril, de 181 en mai et de 39 en
juin de l'année 1880. Mais il peut être de cin-
quante à cent fois plus élevé dans les salles mal
tenues renfermant un grand nombre de personnes.
L'évaporation spontanée d'un liquide en putiéfac-
tion n'en donne point à l'air; les émanations qui
se dégagent d'un sol infect n'en donnent pas da-
vantage, tant que ce sol est humide. L'humidité
fait adhérer fortement les bactériens aux particules
solides sur lesquelles ils se fixent. Mais, dès que
le sol se dessèche, les vents les entraînent avec
les poussièies auxquelles ils adhèrent. Les
miasmes paludéens sont peu à craindre pendant
les hautes eaux; ils sont surtout dangereux à l'ar-
rière-saison, quand le niveau des eaux maréca-
geuses baisse et que les sédiments qu'ils déposent
sur leurs bords se dessèchent et livrent leur
poussière aux vents. Le nombre relativement très
grand de bactériens qu'on trouve dans l'air des
hôpitaux, des casernes et de certains apparte-
ments, provient des poussières qui s'en détachent
du sol et des murs et qu'un nettoyage à sec, non
accompagné d'une aération suffisamment large,
rejette périodiquement dans l'atmosphère. Sous
ce rapport, le blanchiment des murs à la colle et
au blanc d'Espagne est absolument mauvais^ sur-
tout si on le compare au lait de chaux de nos
campagnes. Mais, au blanchiment des ninrs à la
chaux, répété au moins deux fois par an, dans les
salles où séjournent beaucoup de monde, il faut
joindre : le lavage du sol au moins une fois par se-
maine; son nettoyage quotidien soit au balai sec
après arrosage, soit avec des linges humides, et
une large aération par les fenêtres toutes grandes
ouvertes chaque fois que la salle est inoccupée ou
vient d'être nettoyée. Ces précautions, Tiéiessaires
en tout temps, le sont particulièrement en temps
d'épidémie.
Les bactériens sont beaucoup plus nombreux
dans les eaux que dans l'air. Les eaux des sour-
ces limpides en contiennent fort peu quand on les
prend à leur sortie même de la terre. Mais dans
la plupart des villages de France, le lavoir public
est mis à la source mémo, et les eaux pures qui
s'en écoulent sont presque immédiatement conta-
minées parles microgermes des vêtements qu'on y
lave. Puis, on jette à l'eau toutes les ordures du
village. Aussi, tandis que les eaux de source,
mémo celles qui proviennent des terres de Gen-
nevilliers largement irriguées depuis huit ou dix
ans avec les eaux des égouts de Paris, renferment
de 10 à 20 bactéries par centimètre cube, que l'eau
de pluie recueillie dans le parc de Montsouris en
renferme 30 à 40. l'eau de la Vanne en arrivant
h Montrouge en contient déji 00. Mais l'eau de
Seine avant d'entrer à Paris en renferme de 1 '200
à 1 iOO. et plus de 3 000 par centimètre cube à
sa sortie de Paris. Pour les eaux des égouts de
Paris le nombre est de 20000. Fort heureusement,
tous ces microgermes sont loin d'être nuisibles
pour nous. Le plus grand nombre nous vient, au
contraire, en aide en activant la nitrification de
tous les déchets de la vie animale et végétale et
en les préparant pour de nouvelles vies. Mais il
en est, les uns connus et admirablement étudiés
par M. Pasteur, les autres encore inconnus, qui,
non contents de s'attaquer aux déchets de la vie,
s'attaquent encore aux êtres vivants et les tuent.
Tels sont entre autres les microgermes du char-
bon, du sang de rate, du choléra des poules, etc.
Les animaux qu'ils ont fait |.érir, s'ils sont jetés à
l'eau, y sèment leurs germes qui s'y multiplient
et se propagent. Enfouis dans le sol, ils y dé-
posent encore leurs germes qui y sont retenus
avec une grande énergie ; mais le travail de la
terre par Ihomme ou par les animaux (les vers
de terre d'après les beaux travaux de M. Pasteur)
peut les ramener à la surface où la sécheresse les
livre aux vents. Les plantes, qui seraient impuis-
santes à les retirer du sol. peuvent se charger de
ces poussières empoisonnées , et si les animaux
qui s'en nourrissent ont quelque solution de con-
tinuité, quelque éraillure dans la muqueuse de
la bouche ou de l'inteslin, ils s'inoculent le mi-
crogerme de l'infection. 11 faut enfouir l'animal
moit des atteintes du mal, el l'enfouir dans un
terrain choisi, aride ou sableux, et interdire aux
autres d'aller paître sur cet emplacement.
Des épidémies graves peuvent incontestable-
ment so transmettre par les microgermes errants '
PRAIRIES
— 1707 —
PRAIRIES
de l'air ; mais ceux qui adhèrent aux poussières
des lieux liabitos et aux vêtements niême<, ou
ceux qui se trouvent molanp;és aux boissons ou
aux aliments, sont bien plus il craindre, en temps
d'èpidèmifl surtout, et ce sont ceux dont souvent
on se défie le moins. Les désinfectants chimiques,
les feux de plantes aromatiques dans les rues et
les habitations, ne sont que des palliatifs sans
efficacité réelle. Une propreté rigoureuse du
corps et des habitations ; une aération largo, pro-
longée et fréquente des chambres à coucher; une
vie sobre, active, le plus possible au grand air ;
l'usage d'aliments cuits et de boissons bouillies,
telles que des infusions ; telles sont les précau-
tions les plus efficaces en temps d'épidémie,
comme en temps ordinaire. A cela se joint natu-
rellement l'inoculation de la vaccine contre la
seule maladie qui le comporte actuellement : la
variole. |Marié-Davy.]
PRAIRIES. — Agriculture, X. — On appelle
prairie toute surface produisant du fourrage h
faucher ou i pâturer, que ce fourrage provienne
de semis ou qu'il ait poussé naturellement. On
distingue les prairies nulurelles ou permanentes,
dans lesquelles l'ensemencement a été fait par la
voie de dissémination naturelle des graines, et les
prairies artificielles ou temporaires, semées par
l'homme et durant seulement un petit nombre
d'années. Il y a lieu de distinguer aussi entre
les prairies à faucher et les prairies à pâturer ;
les premières sont communément appelées sim-
plement prairies, et les secondes sont dési-
gnées par le nom de pâtures. Le produit des prai-
ries fauchées est b- plus souvent converti en foin,
c'est-à-dire desséché par l'action du soleil, de ma-
nière à pouvoir être consommé en toutes saisons
et dans toutes les ciiconstances.
Prairies nutwelles. — Les prairies naturelles
ou permanentes ne sont jamais formées par une
seule espèce de plantes; elles sont constituées
par des mélanges, en proportions variables, de
plantes herbacées appartenant à un grand nombre
de familles naturelles, mais dans lesquelles les
graminées et les légumineuses entrent pour la
plus grande part. Chaque nature de terrain se
couvre, suivant le climat, d'une végétation qui l\ii
est propre ; c'est cette végétation qui fait le plus
souvent le fond de la prairie. Les plantes qui
constituent les prairies ont des valeurs très diver-
ses au point de vue de l'alimentation du bétail.
Suivant leur prédominance, elles donnent leurs
qualités ou leurs défauts à l'ensemble du fourrage.
Ces plantes forment trois grands groupes suivant
qu'elles viennent principalement dans les terrains
humides, les terrains frais ou les terrains secs;
on pourrait y ajouter un quatrième groupe, celui
des plantes propres aux terres acides.
Dans le premier groupe, on trouve comme
plantes principales les fétuques, les pàturins, les
fléoles, les phalarides, les agfostides, et des légu-
mineuses. Quand il y a excès d'humidité, on voit
prédominer des espèces plus grossières, les fétu-
ques, les joncs, les carex et autres plantes d'une
valeur très médiocre.
Le deuxième groupe comprend quelques-unes
des plantes déjà indiquées, et en outre la houlque,
le fromental, le dactyle, la candie, etc.
Au troisième groupe appartiennent d'une ma-
nière spéciale plusieurs espèces de fétuques, de
bromes, de chiendent, de dactyle, de lotus, de
trèfle. ■*
Enfin, la végétation des terres acides est carac-
térisée par la présence de [liantes des familles des
ryperacées et destyphinées, qui ne donnent qu'un
fourrage de qualité tout à fait secondaire.
Les plantes qui forment les prairies n'arrivent
pas ensemble au degré de maturité nécessaire,
soit pour la pâture, soit pour la faucliaison. Une
prairie est d'autant meilleure que le plus grand
nombre des plantes qui la forment, passent à peu
près en môme temps par les diverses phases de
leur végétation.
Pour créer une prairie, on peut suivre diverses
méthodes. Dans les terrains de qualité médiocre,
on se contente le plus souvent de répandre sur le
sol le fond des greniers à foin et de laisser pousser
les herbes, en ayant toutefois le soin d'enlever les
arbustes, les chardons et autres plantes nuisibles,
en même temps qu'on nivelle les taupinières.
Mais, pour avoir un produit plus rapide, en même
temps (|ue plus certain, il convient d'avoir recours
à des semailles directes de graines de plantes des
prairies.
Suivant la nature du sol, les mélanges de grai-
nes sont variables. En voici plusieurs exemples
qui ont été plusieurs fois recommandés. Les quan-
tités de graines à semer sont indiquées pour un
hectare.
Dans une terre humide et tourbeuse : ray-grass
d'Italie, 15 kilog, ; agrostide traçante, 3; flcole des
près, 3; vulpin, '2; houlque laineuse, i; trèfle
blanc, 3; trèfle hybride, 2; niélilot, 2. — Dans
une terre argileuse : ray-grass commun, 15 kilog.;
fétuque des prés, 3 ; vulpin des prés, 3 ; fléole, 3 ;
houlque laineuse, 2 ; agrostide traçante, 2 ; dac-
tyle, 1 ; flouve, (1,5 ; trèfle ordinaire, 4 ; trèfle blanc,
3 ; trèfle hybride, 2 ; mélilot, I. — Dans une terre
Calcaire et sèche : ray-grass commun, Vit kilog. ;
brome des prés, 1(1; fromental, 10; dactyle, 6;
lupuline, 3; trèfle ordinaire, 2; trèfle blanc, 2;
mélilot, 2 ; sainfoin, 20.
Il faut ajouter que, en faisant les semailles, on
ne doit réunir ensemble que les graines ayant à
peu près le même poids et le même volume ; on
fait ainsi deux ou trois mélanges qui sjnt semés
séparément, afin que chaque nature do graine soit
uniformément répandue sur toute l'étendue. On
a eu soin de niveler le sol et d'en ameublir la
surface. La semence est recouverte par un léger
coup de herse. L'automne est le moment le plus
favorable pour faire ce travail. La première pousse
des jeunes plantes, au printemps suivant, doit
toujours être fauchée ; après cette opération, on
peut y mettre des moutons à pâture, mais en les
surveillant bien afin de voir s'il n'y a pas de plan-
tes arrachées. La deuxième année, on peut faire
pâturer la prairie dès le printemps.
Dans la formation d'une prairie, il arrive tou-
jours que les plantes qui la composent définiti-
vement ne conservent pas les proportions rela-
tives indiquées par les quantités de graines em-
ployées. (Quelques plantes sont étouffées par la
végétation des autres; il en vient d'ailleurs qui ne
sont pas semées, et qui parfois môme deviennent
dominantes.
Les soins de conservation des prairies varient
suivant qu'il s'agit de prairies à faucher ou de
prairies à pâturer. En ce qui concerne les prai-
ries fauchables, les soins les plus indispensables
consistent à pratiquer des sarclages afin de détruire
les mauvaises plantes, surtout les cliardons ; à
faire la chasse aux taupes et à détruire les tau-
pinières, à entretenir les rigoles quand les prai-
ries sont soumises à l'irrigation. La fauchage doit
être fait au mois de mai ou au mois de juin,
quand la plus grande partie des graminées sont
en fleur. Il ne faut ni trop avancer ni trop reculer
cette importante opération. Si on la fait do trop
bonne heure, on perd sur la quantité ; si on la
retarde au delà du point le plus favorable, on
obtient, il est vrai, un plus grand rendement, mais
le foin n'est que de médiocre qualité. 11 ne faut
pas répéter les fauchages à des intervalles trop
rapprochés, car on court le risque d'éloufi'er dans
leur croissance les plantes les plus abondantes et
les plus fortes. Dans les circonstances ordinaires,
PRAIRIES
— 1708
PRAIRIES
deux ou trois coupes sont, pour la plupart des
saisons et des climats, la meilleure proportion à
adopter.
Puur les pâturages, les soins d'entretien en ce
(|ui concerne la destruction des mauvaises plantes
sont i peu près les mêmes que pour les prairies
faucliable-i ; mais ils sont encore plus importants.
Quant à la conservation et à l'amélioration des
pâturages, elles dépendent surtout de la nature
des animaux qui y vivent. Les meilleurs pâtu-
rages sont consacres aux vaclies ou aux bêtes bo-
vines à l'engrais ; les autres sont réservés aux
moutons. Un pâturage ne peut être considéré
comme propre aux bêtes à cornes que lorsque
chaque vaclie peut y être nourrie sur une surface
d'un hectare et demi. Afin de juger si un pâturage
convient à un troupeau, le comte de Gasparin a
conseillé la méthode suivante : on choisit dix
bêtes, parmi les grosses, les moyennes et les pe-
tites ; on les pèse avant de les mettre sur une
partie déterminée du pâturage, et on les y laisse
pendant dix jours. Si, au bout de ce temps, elles
n'ont pas perdu de leur poids, le pâturage sera
réputé suffisant; si elles ont gagné sensiblement,
le pâturage sera réputé bon ; si enfin l'accroisse-
ment a été de 3 pour KIO du poids, le pâturage
peut être considéré comme pâture d'engrais ou
d'embouche. Lorsque le terrain a été rendu hu-
mide au point que les animaux laissent sur le
pâturage l'empreinte de leurs pas, il convient de
ne pas les y faire entrer. Des enclos sont ména-
gés, afin que les botes parcourent successivement
toutes les pariies de la pâture, pour revenir à la
première lorsque toute l'étendue a été une fois ton-
due. Si l'on n'a que de faibles étendues de pâtures
et peu d'animaux, on fait pâturer au piquet: chaque
animal est relié par une corde h un piquet fixé en
terre, et on lui livre chaque jour la surface néces-
saire pour .sa nourriture.
Les pâturages reçoivent les déjections des ani-
maux qu'ils nouirissent, et par suite ils n'ont
que rarement besoin d'engrais. Mais il est tou-
jours utile de les soumettre à l'irrigation (voir ce
mot), si on le peut. Quant aux prairies à faucher,
l'emploi des engrais ou des amendements est
indiqué, soit qu'on veuille accroître le rendement,
soit qu'on veuille faire disparaître des plantes
nuisibles en les étouffant par une végétation plus
forte. On comprend aussi que, pour une prairie
fauchée, comme pour toute terre à laquelle on
enlève lu récolte qu'elle a produite, il est néces-
saire de restituer l'équivalent des principes qui
ont été enlevés ; la fertilité ne peut pas se main-
tenir indéfiniment. Les engrais à employer varient
suivant la nature du sol. D'une manière générale,
les engrais liquides, tels que le purin, l'urine,
les eaux grasses, etc., sont excellents pour les
prairies. De même les engrais pulvérulents, qui
sont d'un épandage facile, tels que les tourteaux,
le guano, la poudre d'os ; les composts bien con-
sommés peuvent aussi produire do très bons
effets. Dans les terres acides, ou dans celles qui
sont marécageuses, les phosphates modifient d'une
manière très heureuse la végétitioti des prairies.
La saison h adopter pour répandre les engrais sur
les prairies est l'hiver, avant la pousse de l'herbe;
la raison en est facile à comprendre. C'est aussi
la saison qui cojivient pour les travaux de nivelle-
ment, de curage des fossés.
Une pratique répandue dans quelques contrées
est de •< déprimer » les prairies au printemps.
C'e&t y mettre les animaux convalescents ou
même tout le troupeau, de telle sorte qu'ils pâtu-
rent la première herbe poussée. Le rendement de
la prairie au fauchage est diminué, mais il est do
meilleure (|nalité, car les plantes les plus précoces
ont été arrôiées par le pâturage. C'est une mé-
thode qu'on ne peut adopter que lorsqu'il est
impossible de faire autrement; car, au printemps,
le sol est souvent humide, et la prairie peat
être détériorée par le piétineinent des animaux.
Le fauchage des prairies est fait soit avec la
faux, soit avec la fauclieuse mécanique. On a in-
diqué plus haut l'époque qui est la plus conve-
nable pour cette opération. 11 est inutile d'insister
sur la nécessité de couper aussi près de terre que
possible. En effet, près du sol l'herije est toujours
plus fournie, et c'est la base des tiges qui fouroit
le plus de fourrage. Après la coupe, l'herbe doit
être fanée pour être transformée en foin ; faner,
c'est rendre l'herbe propre à se conserver, en lui
enlevant la plus grande partie de l'eau qu'elle-
contient. L'herbe, après avoir été coupée, est dis-
posée sur le sol en lignes qu'on appelle andains.
On la laisse ainsi pendant deux ou trois jours,
puis on la retourne sans la secouer trop violem-
ment, afin que les parties les plus fines ne se-
perdent pas. Dans la soirée, on dispose l'herbe à
moitié desséchée en moulons, pour la soustraire
à l'action de la rosée; le lendemain, on l'épar-
pillé à nouveau sur le sol, et on répète ces opé-
rations jusqu'à ce que la dessiccation soit com-
plète. Ces opérations sont faites, soit avec des
fourches et des râteaux, soit avec la faneuse et le
râteau mécaniques. Si des pluies surviennent pen-
dant l'opération du fanage, il faut mettre l'herbe
en moulons, afin de la soustraire le plus possible hj
l'action de l'eau, qui est tout à fait nuisible pour
la préparation du bon foin. Le foin fané doit
exhaler son odeur caractéristique, ne pas être cas-
sant, avoir une coloration légèrement dorée, tout
en conservant un peu de la teinte verte de l'herbe.
Le foin brun, qui a perdu en grande partie son
odeur, et qui présente une couleur noirâtre, est
celui qui a été fané par un temps excessivement
humide; sa valeur marchande est sensiblement,
amoindrie.
Le rendement des prairies varie suivant un
très grand nombre de circonstances. Quand le
printemps est très sec, les prairies qui ne peuvent
pas être arrosées ne donnent presque rien ; si le
printemps manque de chaleur, le même fait peut
se manifester. Pour évaluer les rendements, il faut
supposer une saison normale. Dans ces conditions,
une prairie soumise à un bon système dirrigalioit
peut donner SiinO à lOodO kilog. de foin sec par
hectare ; quelquefois le rendement s'élève jusqu'i
12 000 et même 15 000 kilog. en trois ou quatre
coupes. Dans la catégorie des prairies non arrosées,
on considère comme très bonnes prairies celles
dont le rendement peut atteindre, en deux coupes,
7 500 kilog. Les prairies ordinaires donnent
3 0iiOà4 5liO kilog. Les prairies médiocres sont
celles dont le rendement n'atteint pas 3 0;i0 kilog.
On est généralement d'accord pour admettre qu'il
ne faut pas laisser en gazon les terres qui ne
donnent pas 1 000 kilcg. de foin par hectare.
Quelquefois sur une partie de prairie on veut
obtenir de la graine. Dans ce cas, on ne fauche
que lorsque les plantes sont arrivées â maturité ;
on fait sécher la coupe, et on en relire ensuite
les graines.
Le foin est une denrée d'un transport difficile
à raison du grand volume qu'il présente sous un
faible poids. Le mètre cube de foin bottclé ne peso
pas plus de 90 h r20 kilog. Pour faciliter le trans-
port, on a imaginé de le soumettre à une forte
pression avec des appareils spéciaux, et d'en faire
des balles dont le poids spécifique soit de 300 &
■iOO kilog. par mètre cube. Le foin pressé se con-
serve très bien pendant plusieurs années, avec
toute sa valeur nutritive.
Prairies artificielles. — Les prairies artificiel-
les, qu'on appelle aussi plus justement prairie»
temporaires, sont celles qui sont semées par le
cultivateur en plantes spéciales, pour durer pen-
PUAIHIES
1700
PRÉHISTORIQUES
■dant un nombre d'aniuins plus ou moins considé-
rable, et (|ui entrent dans l'assolement des terres
arables. Dans quelques régions, où la culture
alterne est presque exclusivement adoptée, la pro-
duction des fourrages est à peu près tout entière
demandco aux prairies artificielles. Celles-ci sont
divisées suivant les plantes qui les composent, ou
bien suivant leur durée. C'est ainsi qu'on distin-
gue d'une part les prairies artificielles de légumi-
neuses et celles de graminées, et d'autre part
celles qui sont vivaces, bisannuelles ou annuelles.
Leur introduction dans les usages de la culture
a été une véritable révolution pour un grand nom-
bre d'exploitations; on a pu obtenir du bon four-
rage en abondance sur beaucoup de points où l'on
ne pouvait avoir de prairies naturelles. En fait, un
bon terrain cultivé en luzerne ou en trèfle donne
sensiblement plus de nourriture que s'il était en
pré naturel, et sur des sols médiocres on obtient
un produit que la prairie est incapable d'y donner.
Toutes les terres de la ferme sont tour à tour
transformées en prairies artificielles. Suivant la
durée qu'on donne à celles-ci, on les met dans
l'assolement ou hors de l'assolement. Les soins de
préparation consistent dans le nivellement du sol,
l'enlèvement des pierres, le plombage, etc. Les
semailles se font ensuite. Les principales plantes
des prairies artificielles sont semées seules; ce
sont, parmi les légumineuses, la luzerne, le trèfle,
le sainfoin ; parmi les graminées, le ray-grass et
le seigle. On se sert quelquefois de fourrages an-
nuels pour protéger les plantes vivaces. Ainsi,
avec la luzerne ou avec le sainfoin, on sème l'orge,
le seigle, l'avoine, le brome, le sarrasin, la mou-
tarde blanche, les fèves. La coupe de V'S fourra-
ges annuels doime un précieux accessoire de la
plante principale. En général, il convient de semer
épais; les prairies formées dans ces conditions
deviennent plus rapidement productives, demeu-
rent garnies malgré les circonstances extérieures
et donnent un fourrage fin et abondant.
On attribue quelquefois aux prairies artificielles
fournies par des légumineuses, la qualification de
plantes améliorantes. On suppose qu'elles laissent
le sol plus riche, au bout de quelques années,
que lorsqu'elles ont été semées. Aucune erreur
n'est plus grave. Rien n'a jamais démontré que
les plantes légumineuses aient le pouvoir, comme
on l'a affirmé, d'absorber l'azote de l'atmosphère
et d'en enrichir le sol. Ce qui est vrai, c'est que
quelques-unes de ces plantes, notamment la
luzerne, émeltent des racines très longues et
vont puiser leur nourriture dans les couches pro-
fondes du sous-sol. Elles se nourrissent aux dépens
de celles-ci, et quand la prairie artificielle est
rompue, les feuilles et les racines qui se décom-
posent dans les couches superficielles enrichis-
sent en effet celles-ci, mais non pas de la ma-
nière que l'on suppose, par une absorption de
l'azote atmosphérique. Au bout d'un nombre
d'années variable suivant les plantes et les sols,
le rendement des prairies artificielles diminue;
c'est surtout sur les luzernes que ce fait se
produit. Cette diminution prouve que la ferti-
lité du sol à l'égard des légumineuses n'est pas
mdéfinie, et que, en dépit des fortes fumures,
elle s'amoindrit à cause de la difficulté que l'on
éprouve à faire pénétrer les engrais dans les cou-
ches profondi'S.
L'herbe des prairies artificielles formées par les
légummcuses est mangée par le bétail en vert ou
en sec. On fait du foin de trèfle ou de luzerne,
comme du loin de prairie naturelle; seulement il
faut prendre, au fanage, des piécauiions iifin de
ne pas détacher de la tige les jeunes pousses et les
feuilles, toujours délicatts. Quant à la consomma-
tion en vert, elle se fait soit à la pâture, soit à
létable. Mais, dans ce cas, il faut encore prendre
des précautions spéciales. L'ingestion de l'herbe
fraîche des prairies artificielles a parfois pour
résultat d'occasionner des coliques oi des inétéo-
risations qui peuvent entraîner la mort des ani-
maux. Surtout quand cette herbe est humide, il
faut ne la faire consommer que graduellement et
ne pas laisser les animaux paître trop longtemps
dans les prairies de légumineuses.
Les principales plantes des prairies artificielles
sont, parmi les légumineuses :
1" La luzerni? ordinaire (Medkago sativu), qui
vient bien dans la plupnrt des climats, mais se
développe surtout sous les climats chauds. Elle de-
mande un sol profond, exempt d'excès d'humidité
ou de sécheresse. Une luzernière dure le plus
souvent de six à huit ans, en la fumant et en la
sarclant. On peut en prolonger la durée pendant
quinze à dix-liuit ans. 11 est convenable de ne la
faire revenir sur le mémo sol qu'après un temps
égal à celui pendant lequel elle y est resiée. Le
rendement varie de 5 000 à 10 000 kilog. de four-
rage sec par hectare : dans les prairies du Midi,
fortement arrosées, il s'élève quelquefois jus-
qu'à 15 000 ou 18 000 Icilog.
2° La minette ou Inpuline, qui vient bien dans
les sols secs et calcaires, et qui est remarquable
par sa précocité. Elle dure généralement deux ans
sur le môme sol. On l'associe quelquefois à la
luzerne dans les terres légères.
'i" Le tièfle, dont trois espèces principales sont
cultivées, l.a plus importante est le trèfle des
prés ou trèfle violet, spontané en Franco. Le trèfle
demeure dix-huit mois sur le même sol. Son ren-
dement est de G 000 à lOnOO kilog. de fourrage
sec par année. C'est un fourrage excellent, sain
pour tous les animaux. Le trèfle rampant est le
plus souvent consommé en vert. Il s'accommode
des terres légères et môme de celles qui sont
marécageuses. Le trèfle blanc est aussi cultivé,
mais sur une petite échelle.
4° Le sainfoin, appelé esparcette, bourgo-
gne, etc., et dont on distinguo deux variétés: le
sainfoin à une coupe et celui à deux coupes, dont
les tiges sont plus longues et les feuilles plus
larges. Il dure de cinq à six ans ; son rendement
est de 4000 à OOOO kilog. de fourrage sec par hec-
tare et par an.
Les principales plantes de la famille des gra-
minées avec lesquelles on fait des prairies arti-
ficielles sont les diverses espèces de ray-grass, le
fromental, les agrostides, les vulpins, les pâtu-
rins, etc. Ces prairies durent plus ou moins long-
temps.
Aux prairies artificielles se rattachent les cul-
tures de plantes fourragères annuelles : le seigle
coupé en vert, le mais fourrage, le trèfle incarnat,
le lupin, la gesse, le mélilot, etc., ainsi que les
culiures appelées dérobées, c'est-à-dire celles de
plantes à croissance rapide qu'on dbtient entre
deux plantes se succédant dans l'assolement. Les
cultures dérobées sont surtout avantageuses dans
les années de disette fourragère. Le sarrasin, le
moha, la jarosso, etc., sont les plantes qui con-
viennent le mieux pour faire les cultures dérobées.
L'introduction des prairies artificielles en France
remonte à plusieurs siècles; mais c'est depuis la
dernière moitié du siècle dernier qu'elles ont pris
de l'extension et permis d'augmenter, dans d'im-
menses proportions, les ressources fourragères
des exploitations rurales. (Henry Sagnier.j
PIlÉllISToniQUES (Populations). — Géologie,
IX. — On sait comment les travaux succssifs
des archéologues ont fait revivre jusque duns les
particularités les plus intimes les civilisations les
plus anciennes dont l'histoire fasse meniion.
L'art de déchiffrer les écritures antiques, hiéro-
glyphes, cunéiformes, etc., a étendu dans ce
domaine le cercle de nos connaissances, et depuis
PRÉHISTORIQUES — 1710
PREHISTORIQUES
qu'à la tradition se sont jointes ainsi des données
vraiment scientifiques, l'iiistoire a pris un carac-
tèrede précision etde certitude tout à fait nouveau.
C'est comme une conséquence des trav.vix de
celte nature qu'il faut considérer la découverte
de ce grand fait qu'avant tous les peuples dont
l'histoire ou les traditions nous ont conservé le
souvenir plus ou moins vague, il existait déjà des
hommes sur la terre. Cette notion en effet ressort
d'observations directes, aussi indiscutab'es que
les observations astronomiques, et elles doivent
précisément ce caractère de démonstration à la
méthode même qui les a fournies.
Quoique des témoignages éloquents de l'exis-
tence de l'honune préhistorique aient de tous
temps éio à la disposition des observateurs, on
s'est néanmoins refusé jusque dans ces dernières
années à leur accorder l'intérêt qu'ils méritent,
à leur attribuer leur vraie signification. Imbus
d'idées fausses découlant de vieilles traditions
auxquelles ils prêtaient une origine surhumaine,
les naturalistes et le grand Cuvier à leur tète
admettaient, comme une vérité dispensée de dé-
monstration, que l'espèce humaine représente le
dernier produit des forces créatrices; que de son
apparition date la dernière des périodes géologi-
ques, et que depuis lors rien d'essentiel ne s'est
modifié à la surface de notre planète. En d'autres
termes, Cuvier regardait comme évident qu il n'y
a pas d'/wmmes /'ossi/es.
Pour bien comprendre la portée de cette grande
question, quelques mots de géologie sont absolu-
ment néci.'ssaires. Les couches superficielles du
globe consistent en terrains d'alluvions ou de
transport. Ces alluvions sont postérieures aux ter-
rains tertiaires, elles les recouvrent. On les par-
tage en deux grands groupes appartenant à deux
époques consécutives : les alluvions anciennes et
les alluvions modernes. Ces dernières datent des
époques historiques; les autres rentrent dans la
série des terrains quaternaires, appelés aussi et
très improprement terrains diluoicns oudi/uviutn.
Or, à l'époque quaternaire vivaient de grands
mammifères qu'on peut classer en trois catégories
sous le rapport de la destinée qu'ils ont eue. Les
uns ont traversé la période quaternaire et pro-
longé leur existence jusqu'à nos jours ; tels sont le
bœuf, le buffle, le cheval, le cerf commun, le
renne, l'aurochs, etc. Les seconds ont également
survécu à l'époque quaternaire et ils sont aussi
devenus contemporains de l'alluvion moderne,
mais le principe de vie de leur espèce s'est épuisé
avant le moment présent et leurs restes se rencon-
trent dans les dépôts les plus récents ; tel est
l'élan aux grandes cornes dont on trouve les restes
dans les tourbes d'Irlande et que même, dit-on, les
Romains faisaient venir d'Angleterre. Enfin, les
derniers n'ont pas dépassé l'époque quaternaire ;
ils se sont éteints pendant sa durée. Tels sont
l'éléphant pi'imitif, diverse^ espèces de rhinocéros,
d'hippopotames, d'ours, de lions, d'hyènes, etc.
Le i/iluvium conserve les restes de tous ces
animaux, tantôt soudés à des débris de roches par
un ciment et formant avec eux les brèches qui
remplissent certaines crevasse» du sol comblées
par les alluvions anciennes; tantôt enfouis dans
les cavernes ; tantôt perdus au sein des couches
stratifiées. On trouve des os épars, des portions
d'os, des dents, des têtes entières, des squelettes
entiers, dans certains cas même des cadavres.
Exemple, ce mammouth et ce rhinocéros trouvés
en Sibérie.
Eh bien, quand on recherche s'il existe des
hommes fossiles, la question est réellement de
savoir si Ihomme a vécu en même temps que
toute cette faune disparue ; s'il a été cojitempo-
rain de ce grand mammouth dont le corps était
couvert d'une toison composée de longs crins
noirs et d'une abondante laine rougeàtre ; s'il a
rencontré dans presque toute l'Europe le lion,
l'hyène et le grand ours des cavernes, le rhino-
céros, l'hippopotame.
En d'autres termes, et en termes dont on com-
prend maintenant l'exacte signification, l'homme
appartient-il à l'époque quaternaire?
C'est cette question que Cuvier, subordonnant la
science à la tradition, résolvait négativement dans
son célèbre Discours sur les riroiutiom du globe.
C'est cette question qu'une foule d'observations
ont fait entrer définitivement dans les faits les
mieux démontrés.
Chose digne de remarque, ce qu'on découvrit
d'abord, ce ne fut point des os, mais des vestiges
de l'industrie humaine préhistorique.
Dès 1838, c'est-à-dire six ans après la mort de
Cuvier, M. lioucher de Perthes, se fondant sur
plusieurs ordres de considérations, émettait l'avis
que le genre humain est antérieur à ce qu'on
nommait alors la dernière révolution du globe.
Où fallait-il en chercher la preuve? Là où l'on
trouve les restes des animaux dont l'homme pri-
mitif aurait été le contemporain, dans le diluvium.
La pensée que des silex travaillés pouvaient se
rencontrer dans les terrains diluviens s'était pré-
sentée à notre auteur un soir de l'année 1828, en
vue d'une carrière de sable, à l'extrémité du fau-
bourg de Saint-Gilles à Abbeville. Cependant, au-
cun des cailloux qui gisaient à ses pieds n'offrait
trace de main d'œuvre. Il en chercha qui eussent
gardé l'empreinte de la main de l'homme, et les
cliercha pendant des années sans succès. Quand
enfin il en eut trouvé, il eut à lutter contre des
résistances opiniâtres opposées à ses assertions
par les idées préconçues des savants, et l'on
doit rendre hommage à la fois au génie de
M. Boucher de Perthes et à sa persévérance. U
explora personnellement les déparlements de la
Somme, du Pas-de-Calais, de l'Oise, de la Seine,
de la Seine-Inférieure, une partie de l'Europe, de
l'Afrique et de l'Asie.
Pour donner une idée de l'abondanco des silex
taillés qu'il recueillit, disons que sur un parcours
d'une dizaine de lieues, dans une vallée de la
Somme, en moins de dix ans, plus d'un millier
de haches furent extraites du diluvium, où elles
gisaient avec des débris d'éléphants.
Aujourd'hui qu'on n'en conteste plus l'origine
humaine, on constate entre ces silex et les instru-
ments de maints sauvai;es contemporains une
identité absolue, et c'est ainsi qu'on est parvenu
à retrouver l'emploi do la plupart dos silex taillés
antéhistoriques.
Les plus simples sont des lames étroites et
minces que leur forme générale a conduit tout de
suite à qualifier de couteaux. On en trouve dans
les régions les plus distantes; les Mexicains en fa-
briquent de tout semblables en obsidienne ou
verre des volcans et les utilisent comme excellents
rasoirs. Pour les obtenir, un n'a qu à frapper avec
une pirrre sur l'angle d'un bloc de silex ou d'obsi-
dienne : la cassure, qui est d'abord semi-conoidale,
devient bientôt tout à fait plane, et l'éclat séparé,
qui peut atteindre 30 centimètres de longueur,
offre uno section sensiblement triangulaire. Il
résulte de là qu'un éclat parfait présente toujours
un petit bulbe de percussio'i qui permet de le
distinguer des pierres qui, accidentellement, au-
raient pu affecier une forme analogue. Après avoir
ainsi enlevé par éclats les quatre angles primitifs
du bloc supposé cassé, on peut traiter de la même
manière hs huit nouveaux angles et ainsi de suite.
U se produit ainsi un bloc de forme caraciéristi-
(|ue, bien connu des antiquaires sous le nom da
7ntcleus, et dont les collections renferment de
magnifiques spécimens.
■« U peut sembler très facile, dit Lubbock, de
PREHISTORIQUES
— 1711 —
PREHISTORIQUES
faire (ii.'S coit'enux; copoiirlant, quelques expâ-
rieiices convaincront quiconque voudra essayer,
qu'il faut une certaine habileté pour choisir le
silex. Il est donc évident que ces éclats de silex,
quelque grossiers qu'ils puissent paraître, sont
l'ouvrage de l'homme. Pour faire un éclat, il faut
tenir fermement le silex, puis exercer une force
considérable, soit par la pression, soit par la per-
cussion; les coups doivent être répétés trois ou
quatre fois, mais au moins trois fois, et portés
dans certaines directions quelque peu différentes
avec une certaine force définie, condition qui ne
pourrait se présenter que fort rarement dans la
nature; aussi quelque simples que puissent pa-
raître ces éclats, à quiconque ne les a pas étudiés
avec soin, un éclat de silex est, pour l'antiquaire,
une preuve aussi certaine de la présence de
l'homme ([ue l'étaient pour liobinson Crusoé les
traces de pas empreints dans le sable. »
Il est manifeste qu'un grand nombre d'éclats
ont servi comme scies, comme poinçons, et comme j
pointes de flèches. Parmi ces derniers, on conserve !
comme échantillons purliculiérement démonstra- |
tifs des ossements d'animaux fossiles dans la j
substance desquels des pointes de silex sont
solidement enchâssées. On peut voir au Muséum
une vertèbre de renne qui est dans ce cas.
Ce n'est que vingt-cinq ans après les premières
découvertes de silex taillés, et alors que leur ori-
gine humaine ne faisait plus doute pour personne,,
que l'on découvrit des débris fossiles provenant de
notre espèce.
Le 24 mars 186!, un terrassier travaillant à la
carrière de Moulin-Quignon, près Abbeville, ap-
porta à M. Boucher de Perthes un silex taillé et
une dent fort endommagée. Débarrassée du sable
qui la couvrait, cette dent fut reconnue pour une
molaire humaine. Quelques jours après (VSmars),
en préseni-e de M. Boucher de Perthes, qu'on était
venu avertir q\ie « quelque chose ressemblant b un
os paraissait dans le banc », la moitié d'une mâ-
choire humaine fut extraite du même terrain. A
quelques centimètres de là, on trouva deux haches
en silex, dont une brisée, et deux autres dents.
L'identité de couleur de cette mâchoire et des
silex talllé.-i, avec le banc qui les contenait, cou-
leur brune, presque noire, frappa tous les témoins
qui étaient nombreux. Il fut d'ailleurs constaté
avec le plus grand soin qu'il n'existait aucune fis-
sure par où ces objets auraient pu pénétrer dans
la couche diluvienne postérieurement à la forma-
tion de celle-ci. Le tout se trouvait à 4", bi de la
surface du sol.
Comme on le conçoit, beaucoup de personnes
se refusèrent à admettre la nouvelle découverte
de M. Boucher de Perthes, et l'illustre géologue
mourut même avant d'avoir convaincu tout le
monde : M. Elle de Beaumont se signala parmi
ceux qui refusèrent d'examiner les preuves de
l'antiqilité de l'homme, et l'on pourrait citer d'au-
tres naturalistes qui sont encore victimes du
même aveuglement. Mais en même temps tous les
savants actifs, ouverts aux idées progressives,
soumirciU le fait à une vérification sévère et con-
clurent à sa parfaite authenticité.
On se rappela alors une foule d'anciennes dé-
couvertes auxquelles on n'avait pas cru devoir
accorder d'attention, et qui prenaient subitement
une importante signification.
Dès ISîll, par exemple, M. Ami Boue, qui doit
être maintenant le doyen des gi';ologues, avait re-
tiré de ses propres mains du lœss ancien et bien
en place des environs de Strasbourg, une bonne
moitié des os d'un scjuelettB humain : fémur, ti-
bia, péroné, côtes, vertèbres, os métatarsiens, le
tout en bon état de conservation. Le lœss du
même âge avait fourni dans le voisinage des res-
tes de mammifères éteints. Les échantillons soi-
gneusement étiquetés avaient été adressés i Cuvier,
qui refusa de les examiner, regardant comme
évident qu'il ne pouvait pas y avoir d'os humains
vraiment fossiles et que M. Bouô devait être vic-
time d'une erreur.
C'est en ISî-f aussi qu'on trouva dans le loess de
Caberg, en Belgique, et â .Sin,ÎO au-dessous de la
surface du sol, dans une couche intacte non re-
maniée, une mâchoire humaine pourvue de ses
dents màchelières. La môme couche contenait en
abondance des molaires, des défenses et des os
d'éléphants, des os de rhinocéros, de bueuf et
autres mammifères, des bois de daim, etc.
C'est peu de temps après que Tournai et Chris-
tol retirèrent des ossements humains du sol de
plusieurs cavernes non remaniées et couvertes
d'épaisses stalactites.
Nous n'en finirions pas si nous voulions men-
tionner tous les faits de ce genre, et surtout si
nous voulions énumérer toutes les découvertes
analogues faites depuis la trouvaille de Boucher
de Perthes. Aujourd'hui, la démonstration si labo-
rieusement faite est évidente pour tout le monde,
et l'on sait beaucoup de chos.-s très précises, non
seulement sur la structure des hommes préhisto-
riques, mais sur leurs usages et leurs mœurs.
Tout d'abord on constate que les populations
préhistoriques ont constamment été en progres-
sant. Au début elles ne connaissaient aucune-
ment l'usage des métaux, et traversèrent une
immense période dite àije de la pien-s, avant de
parvenir à i'dge du bi-onze, puis à ^àge du fer
qui se continue encore h présent.
L'âge de la pierre lui-même se subdivise égale-
ment en périodes, caractérisées chacune par un
degré spécial de perfectionnement de fabrication
des outils, des instruments et des armes. Ces pé-
riodes sont au nombre do trois, désignées géuéra-
, lement sous le nom d'époques de la pifrre éclatée,
' do la pierre taillée, et de la pierre polie.
La première fournit des instruments nombreux
en silex, et ce qui la caractérise, c'est le mode
opératoire p^r lequel ces instruments ont été ob-
tenus. Il suppose l'existence simultanée de trois
pierres, savoir : le percuteur, qui remplit l'office de
marteau ; le nncleus ou matrice sur lequel on
; frappe; et Véclal que chaque coup détache. C'est
la période la plus primitive, datant vraisemblable-
ment non seulement du diluvium, mais même des
assises tertiaires, et cependant certains peuples la
traversent encore. Au premier abord, ce qui sur-
j prend, c'est cette énorme quantité, signalée plus
! haut, des silex de cette époque; mais le fait
s'explique précisément par l'observation des sau-
vages qui en sont encore h cette première étape
de l'humanité. Ceux-ci ont-ils un animal à dépecer,
une gazelle par exemple, voici comment ils s'y
prennent : ils s'asseyent h terre, le gibier entra
les jambes. .\ leur gauche est un nucléus, k leur
droite un percuteur. Un coup du second sur le
\ premier leur donne un couteau qu'ils emploient à
faire une incision dans la peau du fauve. Mais le
silex ne coupe bien que tant qu'il est tout frais;
après quelques coups son fil s'émousse. Le sau-
vage le jette alors à sa droite, et le percuteur lui
fournit un second couteau. Et ainsi do suite, le
débit d'un animal un peu fort donnant naissance il
! tout un tas de couteaux émoussés. A chaque ins-
tant on retrouve de pareils tas dans les cavernes,
, et l'on est porté à y voir les restes d'un atelier de
' coutellerie quand ce sont plutôt ceux d'un étal de
boucherie.
Les outils et les armes appartenant à la deu-
xième époque, celle de la pierre taillée, ressem-
blent souvent à ceux de la période précédente,
qui en sont comme les ébauches; mais c'est par
un procédé tout autre qu'ils ont été obtenus. Ici,
plus de nucléus d'où les éclats sont détachés. On
PREHISTORIQUES
— 1712 —
PREHISTORIQUES
choisit une pierre ayant plus ou moins la forme de
l'objet qu'on veut tailler; puis, à petits coups de
percuteur, on l'amène progressivement à l'état
voulu. Le travail est donc beaucoup plus grand,
mais les produits sont beaucoup plus parfaits et
beaucoup plus variés.
Enfin la troisième époque, celle de la pierre
polie, est un perfectionnement do la seconde,
correspondant à la grande invention du polis-
sage.
Si ces trois époques sont nettement caractéri-
sées, comme on voit, il faut néanmoins remarquer
que l'avènement de chacune d'elles n'a pas abrogé
les prati(iues des précédentes.
Pendant l'âge de la pierre taillée et même pen-
dant celui de la pierre polie, on a continué à se
servir de pierres éclatées, qui seules fournissaient
un tranchant suffisant pour certains besoins.
Bien plus, cette pierre éclatée est en usage,
non seulement chez les sauvages dont nous par-
iions tout à l'heure, mais même parmi certains
peuples relativement civilisés qui, comme les ha-
bitants du Mexique, font remplir h des éclats
d'obsidienne l'office de nos rasoirs.
De même la pierre simplement taillée a toujours
été employée pendant la période de la pierre po-
lie, le polissage n'étant appliqué qu'à des objets
de luxe.
Parmi lis formes les plus importantes d'objets
appartenant à l'âge de la pierre, nous mentionne-
rons celles de haches, de racloirs ou grattoirs,
de ciseaux, de scies, de pointes de flèches, de
dagues, de pierres de fronde, etc. Outre l'usage
pour la guerre et pour la chasse, les haches étaient,
comme ies scies, employées à des travaux très
variés, tels que le travail du bois qui entrait dans
diverses constructions, comme il sera dit plus
loin; les grattoirs devaient jouer un grand rôle
dans la préparation des peaux dont les hommes
se l'evêtaient.
Mais làge qui vient de nous occuper ne nous
a pas transmis que des objets en pierre. Les
caverne^, les tourbières et quelques autres gise-
ments nous ont procuré des vestiges tout différents,
au premier rang desquels il convient de citer des
os travaillés. C'est ainsi que les bols de renne et
les bois de cerf ont souvent été aiguisés à un
bout de façon à se transformer en poinçons de
diverses grosseurs; des os ont été h maintes re-
prises taillés en flèche^ parfois barbelées et pour-
vues de rainures semblables à celles que certains
sauvages remplissent de poison; on connaît de
même des harpons et des hameçons taillés dans
des os ; enfin nous citerons des aiguilles fabri-
quées avec une perfection admirable et dont on
peut voir des spécimens du plus haut intérêt dans
les collections du Muséum et de Sainl-Gcrmain.
L'époque du bronze, qui correspond à une im-
mense iiécouverte, celle de l'extraction des mé-
taux, a fourni un très grand nombre d'armes et
d'outils très variés et parfois d'une grande perfec-
tion de travail. Ce sont avant tout des haches,
qualifiées de celtiques dans les collections, à côté
desquelles ont été parfois découverts les moules
en pierre où on les a fondues. Il faut citer égale-
ment des poignards, des pointes de lance, des
pointes de flèche et des épées remarquables à
plus d'un tiire. Ces épées afl'ectent toujours plus
ou moins la forme d'une feuille; elles sont i deux
tranchants, très pointues et l'on devait s'en servir
pour porier des coups de pointe plutôt que de
taille. Elles n'ont jamais de garde; les poignées
sont quelquefois solides, parfois elles sont très
minci s et devaient alors être recouvertes de bois
ou d'os. On a trouvé des centaines de hameçons
de bronze. Los faucilles sont nombreuses; elles
sont plates d'un côté et bombées de l'autre. Les
couteaux de bronze ne sont pas rares ; ordinaire-
ment ils sont fixés à un manche d'os, de corne
ou de bois, et la lame est toujours plus ou moins
courbe.
Pour l'âge du fer, qui sert de trait d'union entre
l'âge du bronze et les époques véritablement his-
toriques, nous nous bornerons simplement à faire
remarquer qu'il témoigne d'une découverte mé-
tallurgique considérable, le fer étant beaucoup
plus difficile que le cuivre à tirer de ses mine-
rais.
Les études dont les populations préhistoriques
sont maintenant l'objet d'une manière si active,
ne se sont pas bornées à nous révéler la nature
de leurs armes et des outils mentionnes tout à
l'heure. Elles ont jeté le jour le plus inespéré et
le plus vif sur une foule de particularités intimes
de l'existence de nos ancêtres. On sait à présent,
dans beaucoup de cas, comment ils se logeaient,
de quoi ils se nourrissaient, comment ils se for-
tifiaient contre leurs ennemis, comment ils or-
naient leurs demeures et leurs personnes par de
véritables bijoux; comment ils enterraient leurs
inorls, et même jusqu'à un certain point l'idée
qu'ils se faisaient de la mort. Nous dirons rapide-
ment un mot de chacun de ces grands sujets.
Les premiers hommes ont profité, pour se loger,
des cavités naturelles du sol connues sous le nom
de cavernes. On est bien sûr d'avoir retrouvé
plusieurs habitations de ce genre, par exemple à
Louverné (Mayenne). Ce sont des grottes plus ou
moins spacieuses, dont le toit est percé d'un trou
pour le dégagement de la fumée, et au milieu
desquelles persistent encore des restes de foyer.
Ailleurs, cotnme à Laugerie iDordogne), l'homme
préhistorique s'est contejité de l'abri offert par un
rocher en surplomb. Il n'est pas douteux qu'il
n'ait parfois construit des huttes en gazon, et c'est
ce qui paraît avoir eu lieu à Solutré. Mais parmi
les habitations les plus intéressantes par leur
conservation, nous devons noter d'une manière
toute spéciale celles dont on a trouvé les vestiges
dans certains lacs, dans les Pyrénées et surtout
en Suisse.
C'est en ]Shi, que ces dernières furent décou-
vertes par M. Aeppli (de Meilen). En extrayant
du lac de Zurich des boues destinées à engraisser
des jardins, on ramena des pilotis, des cornes de
daim et qu_'lques instruments. Depuis lors les
recherches se continuèrent et se multiplièrent et
en même temps qu'une foule de particularités
furent précisées, on arriva à détermmer l'âge des
cilés /acus'res, qui datent évidemment de la pé-
riode du bronze pour la plupart, et de celle de la
pierre polie pour les autres.
On sait qu'il s'agit de villages construits sur des
plates-formes supportées par de nombreux pilotis ;
et dans plusieurs cas on a pu relever exactement
sur un plan la situation de ceux-ci. La plate-forino
portait des huttes circulaires construites en bois
recouvertes en boue ; et l'on a retrouvé des
morceaux d'argile employés pour ce revêtement.
Il est évident que cette conservation tient à ce que
la miiison ayant été détruite par le feu, l'argile a
été durcie, cuite pour ainsi du-'', et préservée ainsi
de l'action délayante de l'eau. Ces fragments por-
tent d'un côté les marques de branches entrela-
cées; de l'autre, qui formait probablement le
mur intérieur de la hutte, ils sont lisses. Quelques-
uns de ces morceaux d'argile sont si grands et si
réguliers qu'on a cru pouvoir conclure de leur
étude que les huttes étaient circulaires et avaient
de 10 à 15 pieds de diamètre (3 à .S mètres).
Cette disposition est exactement celle qui s'est
perpétuée jusqu'à nos jours chez certaines peu-
plades sauvages. La ville de Bornéo est tout en-
tière bâtie sur pilotis, et dilTérents voyageurs ont
trouvé des habitations semblables dans la Nou-
velle-Guinée, à Célèbes, à Solor, à Céram, à Minda- ^:
PRÉHISTORIQUES — 1713 — PRÉHISTORIQUES
iiio, aux lies Carolines ot dans bien d'autres en-
ilniits.
Aux citc'îS lacustres doivent être rattachées les
/ i-i-^ininres do l'Italie, et les crnnnoges de l'ir-
Liiide. Mais ces derniers, qui se composent d'Iles
Il titicielles, étaient moins encore des habitations
|iriiproment dites' que de véritables forteresses.
Aussi nons conduisent-elles par un intermédiaire
insensible aux fortifications proprement dites.
Parmi ces dernières nous devons, faute de place,
nous borner à mentionner les foHs vitrifiés.
Ceux-ci, dont on a des exemples dans la Creuse,
dans l'Orne, dans les Côtes-dn-Nord, etc., sont de
vastes constructions dont les matériaux ont été
soudés entre eux par l'application d'une chaleur
extrêmement considérable. Les plus remarqua-
bles sont peut-être celles du Pny-de-Gaudy, de
Chàteauvieux et du Camp de Péran, dont les pierres
sont du granit dont les éléments micacés et gra-
nitiques ont été plus ou moins complètement
fondus.
L'étude des habitations préhistoriques a conduit
tout naturellement à découvrir le régime alimen-
taire de leurs hôtes. C'est ainsi que beaucoup de
stations de l'âge de pierre ont fourni des os hu-
mains calcinés et brisés de telle sorte qu'il est
absolument démontré que les peuplades qui les
ont abandonnés étaient anthropophages. L'une
d'entre elles habitait, aux portes de Paris, la ré-
gion maintenant si paisible de Villeneuve-Saint-
Georges. Avec les os humains se rencontrent les
os plus ou moins cuits d'animaux évidemment
mangés : rennes, ours, bœuf, cheval, etc. Dans
les habitations lacustres on recueille de même des
arêtes de poissons, les os du cerf, du bœuf, du
cochon, de la chèvre, du mouton; et ces derniers
montrent que les premiers naturels des lacs de la
Suisse étaient pasteurs. On sait aussi que l'agri-
culture ne leur était pas absolument inconnue, et
c'est ce qu'a démontré d'une manière bien inatten-
due la découverte de céréales carbonisées : le blé
est le plus commun, l'orge l'accompagne souvent.
Une découverte encore plus remarquable fut celle
du pain nu plutôt de gâteaux, car le levain paraît
avoir été inconnu. Ces gâteaux sont plats et ronds.
Le grain qui a servi h les préparer semble avoir
été rôti, grossièrement écrasé entre des pierres
taillées exprès, puis conservé dans de grands pots
de terre et mangé après avoir été légèrement hu-
mecté. Dans certains lacs on a trouvé des pommes
et des poires carbonisées, quelquefois entières,
quelquefois coupées en deux, ou plus rarement
en quatre morceaux, mais évidemment séchées et
conservées pour l'hiver : ces fruits sont petits et
ressemblent à ceux qui poussent sauvages dans
les forêts de la Suisse. On a trouvé des noyaux de
prunes sauvages et des quantités considérables de
pépins de framboises et de mûres, ainsi que des
coquilles de noisettes et de faînes.
pri autre grand ensemble d'informations sur le
sujet qui nous occupe a été fourni par les kjnkkfn-
mSddinijs (en français : driris de cuisi ,e} du Da-
nemark, de l'Ecosse et du nord de la France. Ce
sont des dépôts de coquilles et d'os qu'on ne pou-
vait inanger et qui, accumulés comme de véritables
tas d'ordures autour des tentes et des huttes, tini-
rentparformerdesmonticulcsayant ordinairement
de3 i 5 pieds et quelquefois Ui pieds de hauteur,
sur une longueur de plus de :iiiO mètres et sur
une largeur de 100 à 200 pieds. On trouve ces
amas de préférence au bord de la mer, et ils sont
en général composés surtout de coquilles d'huîtres
ou d'autres mollusques, mais ils ont fourni aux
collectionneurs des débris innombrables qui ont
jeté beaucoup de lumière sur les coutumes et la
civilisation des populations qui les ont déposés.
Le3_ coquillages les plus fréquents sont, avec
1 liuitre, la coque, la moule et la littorine ; on a
2' Partie.
reconnu des restes de liareng, de morue, de li-
mande et d'anguille ; de cerl, de chevreuil, de
sanglier, de bœuf, de renne et de divers autres
mammifères parmi lesquels le chien, qui parait
avoir été utilise comme aliment et n'avoir pas
encore été domestiqué, (cependant on a remarqua
que parmi les os des kjokkenmoddings ne se trou-
vent jamais ceux que mangent les chiens, ce qui
ferait croire que celui-ci vivait constamment avec
l'homme. Ces amas de cuisine paraissent dater de
l'âge de la pierre, antérieurement à l'invention du
polissage.
Un fait des plus intéressants est que, dès l'au-
rore de l'humanité, nos ancêtres ont eu des goûts
artistiques. C'est par centaines en effet qu'on peut
compter les pièces gravées ou dessinées fournies
par les divers gisements préhistoriques. On peut
voir par exemple au Muséum un fragment de dé-
fense de mammouth, qui porto, gravée au trait, la
représentation du même animal. Cette œuvre d'art,
qui datait de l'âge de pierre et qui a été découverte
dans la caverne de la Madelaine, est d'une exacti-
tude admirable qu'on a pu apprécier par la décou-
verte faite à la fin du siècle dernier de mam-
mouths conservés dans les glaces de la Lena. A
côté existe sous nos vitrines une tête de renne
gravée sur une plaque de schiste. De même on
conserve des portraits du cheval, de l'ours des
cavernes, du renard, du cochon, du bœuf musqué,
du phoque, de la fougère, du sapin et môme de
l'homme. C'est ainsi qu'on a trouvé â Laugerie-
basse un véritable tableau représentant un jeune
chasseur poursuivant un aurochs. De la RocUe-
bertier (Charente) on a une tête humaine gravée
sur un bois de renne. Un autre bois de renne trouvé
à la Madelaine représente une femme suivie par
un serpent et entourée de têtes de chevaux. ^
Evidemment 'ces représentations constituaient
des ornements. C'est à côté d'elles qu'il faut men-
tionner de singuliers objets consistant en bois de
renne finement gravés et percés de trous, et
qu'on désigne généralement sous le nom de tiâtons
ae curnma7ideinent.
Les hommes primitifs nous ont transmis beau-
coup d'autres genres d'ornements ; ce sont des
dents et diis coquilles percées et évidemment dis-
posées pour être suspendues soit seules, soit
réunies, en colliers et en bracelets. A l'âge du
bronze appartiennent des bracelets, des épingles
et des pendeloques dont beaucoup sont véritable-
ment artistiques.
Certains faits conduisent à penser que les
hommes de l'âge de la pierre se tatouaient le corps
comme font encore tant de sauvagoscontemporains.
Dans une foule de cavernes on a trouvé do petits
fragments de sanguine propres à cet usage et ac-
compagnés d'un galet de silex destiné à les broyer,
comme le prouvent les traces de matière colorante
restées dans ses cavités. Ailleurs on a trouvé des
fragments de manganèse, de cinabre, d'ocre, de
graphite. On est d'autant plus certain de l'appli-
cation qu'avaient ces substances colorantes, qu'une
gravure antéhistorique représente la main et le
bras d'un homme dont lavant-bras est marqué
d'un quadrillage assez régulier qui ne peut figurer
que lo tatouage.
L'homme de la pierre faisait de la musique. Les
phalanges de cerf ou de renne percées de ma-
nière h devenir des sifflets, découvertes dans une
foule de cavernes, devaient servir d'appel pour
la guerre ou pour la chasse. M. Piette a même
découvert une flûte en os à deux trous.
Enfin, relativement aux sépultures et aux hon-
neurs rendus aux morts, les trouvailles archéolo-
glqu"S ont procuré beaucoup de détails. Souvent
les cadavres étaient déposés dans des cavernes
dont la porte était soigneusement fermée avec des
dalles de pierre afin d'en écarter les bêtes de
108
PRÉPOSITION
1714 —
PRÉPOSITION
proie. Avec le défunt étaient enfermés des armes
et des quartiers de viande, ces derniers pour lui
servir de provisiotis pour le grand voyage, les autres
pour lui permettre de continuer dans l'autre monde
ses chasses et ses guerres ; et ces rites, identi-
ques à ceux des Peaux-t'ouges actuels, montrent
que nos premiers ancêtres avaient foi dans une
vie future.
Dans maintes localités on reconnaît qu'en de- 1
hors des cavernes funéraires se trouve un foyer
entouré de débris d'animaux; ce qui prouve que
l'inhumation était accompagnée de repas, comme ^
l'usage s'en est perpétué dans tant de pays.
Les célèbres monuments mégalitliiques connus ;
sous les noms de dolmens, de menhirs, de
cromlechs, d'allées couvertes, dont les druides se
sont servis sans en savoir l'orighie, sont aussi des
tombeaux. Toutes les fois qu'on y a fait des fouilles,
on en a extrait des vestiges des époques anté-
historique»
Enfin, des cadavres entiers, surtout de l'âge de
bronze, et même de l'âge de la pierre, ont été re-
tirés de certaines tourbières dont la substance
éminemment antiseptique s'oppose à la décompo-
sition putride. C'est ainsi qu'on a découvert en
Irlande le corps d'une femme chaussée de sanda-
les et qui était à peine altéré, et c'est ainsi encore
que dans le musée de Copenhague se trouvent des
vêtements entiers provenant des auteurs mêmes
des kjokkenmôddings.
Gomme on le voit par le très rapide résume
qui précède, l'histoire primitive de l'homme,
commencée depuis si peu de temps, a déjà réalisé
des progrès immenses, et si les conquêtes faites
nous répoiidentde l'avenir, on doit compter qu'un
jour nous connaîtrons l'histoire de nos premiers
ancêtres jusque dans les particularités les plus
intimes. [Stanislas Meunier.]
PRÉl'OSITIO?f. — Grammaire, XVII. — La
préposition est un mot invariable qui sert à unir
deux mots en marquant le rapport qu'ils ont.
entre eux. Ex : Le livre de Paul ; — utile à
l'homme. I>e et à sont des prépositions.
Préposition vient du latin pnepoiitio [prse, on
avant; posilio, position).
Quand nous disons : il vient de Paris, nous
réunissons les deux idées de ve7ur et de Paris
par un lien qui les rattache l'une à l'autre et
marque leur dépendance. Ce mot de qui sert à
rapprocher, h mettre en contact, en rapport deux
idées isolées, s'appelle une préposition.
Les principaux rapports exprimés par les pré-
positions sont au nombre de cinq. Ce sont les
rapports :
r De tendance ou d'éloignement : à, de, envers,
pour ;
2" De cause, de propriété, d'origine : de, pur,
pour;
3° De manière, de moyen : avec, de, par, selon,
sajis, hors, Iwi-mis, outre, malgré;
4° De temps : avant, après, dès, depuis;
5° De lieu : à, dans, en, de, chez, devant, der-
rière, sur, sou<;, vers, entre, parmi, voici, v ilà.
Il est difficile de classer d'une manière absolue
les prépositions selon le rapport qu'elles expriment,
car ces rapports varient presque à l'infini, et la
plupart des prépositions changent même de sens
selon les mois qu'elles servent à réunir. Ainsi à
peut marquer l'î/itoî/ion : j'écris à ma mère;
Vclo-gnement : j'ai arraché une branche à cet
arbre ; le lieu oii l'on est : je suis à Paris ; le lieu
où l'07i va : je vais à Paris; le tnO'jen, la. manière :
à raconter ses maux, souvent on les soulage, etc.
Remarque. — I" Il ne faut pas confondre à,
préposition, avec a, troisième personne du singu-
lier du verbe iwoir; à, préposition, est marqué
d'un acrent i;rav<' : il monte à cheval; a, Vcrbe,
n'a pas d'accent : il a un livre.
2° Dés, préposition, prend un accent grave : il
se lève dès l'aurore; des, article contracté, n'a
point d'accent : les feuilles des arbres.
Les prépositions formées d'un seul mot, comme
à, lie, dans, etc., sont dites prépositions simples.
Les prépositions formées de deux ou de plusieurs
mots, comme quaiit à, au-desSus de, etc., sont
dites lovutions prépOsitii:es.
FoRMATio.N DES PRÉPOSITIONS SIMPLES. — Le fran-
çais a reçu du latin le plus grand nombre de ses
prépositions simples, mais il en a formé lui-même
plusieurs, à l'aide des noms, des adjectifs et des
verbes français.
Les prépositions simples que nous tenons di-
rectement du latin proviennent :
1° Soit de prépositions latines simples, comme
à (ad;, de (de), con/;-e icontra), en (in), entre (in-
ter), outre (ultra), pour (pro), sans (sine), sur
(super), sus (sursum), sous (subtus) ;
2° Soit de la réunion de deux prépositions la-
tines simples, comme avant (de ab et ante], en-
vers (de in et de versus, vers) ;
3° Soit de substantifs latins, comme parmi [per
mi'diwn, littéralement par le milieu). Chez vient
du latin casa (maison). La locution latine in casa
devint dans noire ancienne langue en chez; on
disait au treizième siècle il e^l en chez Gautier
(est in casa Walterii). La préposition en disparut
au quatorzième siècle et on dit alors comme au-
jourd'hui : il est chez Gnulier.
4» Soit de participes passés latins, comme près
(du participe />/tiSM'«, qui est pressé, serré con-
tre etc.).
La langue française a tiré de son propre fonds
des prépositions nouvelles à l'aide des substan-
tifs, des adjectifs et des verbes.
1° Du substantif: malgré (composé de l'ancien
adjectif ". a/, mauvais, etilu substantif jî-(!, volonlé;.
i° De l'adjectif : sauf (que nous retrouvons duns
sain et sauf). Ex. : sauf mes intérêts (c'est-à-dire
tnes int':iéti étant snufs).
3° De l'impératif : Doîci, voilà ipour vots ict,
vois lu. Ces mots sont composés des adverbes ci
et là et de voi. ancien impératif du verbe voir,
yoici le lo.p signifie donc proprement : voyez ici
le loup, ou le loup est ici, voyez-le.
Void annonce ce qu'on va dire ; votlà rappelle
ce qu'on vient de dire : Voici ce que je vous ap-
porte : une histoire, une grammaire et un atlas.
— La prudence et la sagesse, voilà ce que Salo-
mon demande à Dieu.
4" Des participes passés : attendu, excepte,
passé, sicpposé, vu. Ex. : Attendu sa faiblesse ;
excepté cette femme, etc.
Il faut y ajouter hormis, qui était dans le vieux
français hor-mis. c'est-à-dire mii hors. Dans cette
locution, le participe tms était variable; on disait
au treizième siècle : Cet homme a perdu tous
ses enfants, hors mise sa fille. Au quinzième
siècle, le participe mis s'est soudé à l'adverbe
Ivjrs, et la locution hors mis est devenue à son
tour une préposition.
5- Des participes présents : durnnt, pendant,
suivant, Imchunt, moyennant (part, présents des
verbes durer, pendre, etc.). E.x. : Hurant le jour;
pendant le procès; c'esl-à-dire le jour durant, le
procès étant pendant. . .
Le vieux français plaçait souvent le participe
avant le nom auquel il se rapporte dans certaines
tournures équivalentes à l'ablatif absolu des La-
tins : L'esclave fut jeté au feu, vouant le roi,
c'est-à-dire, en présence du roi, le roi le voyant,
vidente reije. — Une des parties vint à mourir
pendant le procès, c'est-à-dire le procès étant pen-
dant, pendente re).
De même, on aurait tort de voir une inversion
dans sa lie durant; durant sa vie est au contraire
l'inversion véritable.
PRÉVISION DU TEMPS
1713
PRÉVISION DU TEMPS
Nonobstant vient du latin (?!0« obstante), qui
veut dire n'empéchaiit pai.
FoilMATION DES LOCUTIONS PRÉPOSITIVES. — LeS
locutions prépositives sont formées, pour la plu-
part, soit h. l'aide de substantifs, soit i l'aide
d'adverbes suivis de la préposition à ou de : ainsi
les noms tels que fnce, force, triwers, faute, rap-
port, ont donné les locutions en face de, à force
de, nu travers de, faute de^ par rapport à; et les
adverbes tels que loin, autour, prés, etc., ont
formé loin de, aatottr de, près de, au-devant de,
vis-à-vis de, etc.
Vis-à-vis est formé du vieux substantif français
ris (visage); cette locution équivaut donc à face à
face. On retrouve encore ce vieux mot vis dans la
dérivé visière (la visière était à l'origine la partie
du casque servant i. protéger le ris, le visage).
Aussi cette locution se construit avec de. Ex. : je
me plaçai vis-à-vis de lui. Dans aucun cas elle ne
se prend au figuré. 11 faut dire : Ingrat envers son
bienfaiteur, et non : vis-à-vis de son bienfaiteur.
Pourtant, dans le style familier, l'usage permet
de dire : vis-à-vis notre maison, vis-à-vis le pa-
lais.
Au travers est toujours suivi de la préposition
de : Il se fit jour au travers des ennemis. — A
travers n'en est pas suivi : Il marchait à travers
les épines.
Près et prêt sont semblables pour l'oreille, mais_
ont un sens différent : Près de, suivi d'un infinitif,'
signifie sur le point de : La lampe est prés de
s'éteindre. — Prêt à signifie disposé à : L'igno-
rance toujours e^t prctea s'admirer.
Pour l'emploi des prépositions, V. Syntaxe.
[S. Dussouchet.J
PRÉVISION DU TEMPS. — Météorologie, XX.
— L'art (le prévoir le temps qu'il fera plus ou
moins prochainement, d'après l'état actuel du ciel,
a été connu dès la plus haute antiquité et prati-
qué par des populations que la vie au grand air
familiarisait avec les variations locales de l'at-
mosphère. L'ensemble des règles qui présidaient
à l'exercice de cet art constitue la météorognosie
(connaissance des météores).
La science moderne est venue ajouter à ces
règles le secours d'insiruments variés et d'obser-
vations simultanées faites sur une grande partie
de la surface de la terre. Les lois des changements
du temps et de leur mode de progression à la sur-
face du globe ont pu être constatées; elles se
précisent de plus en plus à mesure que s'accroît
la collection dos cartes quotidiennes servant à
figurer l'état simultané de l'atmosphère sur la
plupart des continents et des mers de l'hémi-
sphère septentrional. De là sont nés les divers
services des avertissements mêléorologiques qui
fonctionnent régulièrement dans la plupart des
pays civilisés.
Le service des avertissements français a pris
naissance à l'observatoire de Paris ; il est actuelle-
ment placé dans les attributions du bureau mè-
téoroloijique crntrid créé après la mort de Le Ver-
rier. 11 est fondé sur le tracé quotidien de la carte
du temps que le bureau central expédie chaque
jour, soit au\ ports de mer, soit aux principales
communes de France, en l'accompagnant du ta-
bleau des documents qui ont servi à la dresser
ainsi que du résumé de la situation météorologi-
que qu'elle met en relief.
Caiites quotidie.nnf.s de l'état du temps. — Les
éléments nécessaires pour la construction de ces
cartes sont : la hauteur du baromètre, la tempé-
rature, l'dtat du ciel, des vents et de la mer, la
pluie. Ces données observées Ji, 7 ou 8 heures du
matin, suivant la saison, sont expédiées par télé-
graphe au bureau central, de 110 ou 115 stations
dP France, d'Europe et d'Algérie.
La hauteur barométrique de cliaquo station.
corrigée de l'inHuonce moyenne de l'altitude de
la station, est pointée sur la carte on son lieu.
Le météorologiste trace ensuite, au travers de
tous les chiffres, les courbes passant par les points
où la pression est estimée la même : ce sont les
courbes isohares ou d'égale pression. La courbe
correspondant à la pression 760 est marquée par
un gros trait ; les autres vont de 6 en .i millimè-
tres au-dessus ou au-dessous de cette moyenne.
Nous reviendrons sur la signification de leurs
inflexions.
Sur la môme carte, un petit cercle marque l'é-
tat du temps en chaque station et indique, d'a-
près des conventions inscriies sur la carte même,
si le ciel est beau, nuageux, couvert, pluvieux ou
brumeux. En même temps, des flèches marchant
dans le sens du vent, vers le centre do chaque
cercle, indiquent la direction du vent des gi-
rouettes en ce point. Le nombre de pennes ajou-
tés à la flèche marquent, do 0 à G, la vitesse du
vent, depuis le vent très faible jusqu'au vent vio-
lent. L'état de la mer sur les cotes est enfin
figuré par des signes spéciaux. Pour compléter
cette carte, qui est la plus importante, des lignes
ponctuées, au lieu d'être à trait plein, passent :
l'une par les points où la pression n'a pas changé
depuis la veille; les autres par les points où le
baromètre a monté ou baissé de 5 millimètres.
La seconde carte est consacrée aux tempéra-
tures du jour et à ses variations depuis la veille.
Ces canes, dont l'origine, à l'observatoire de
Paris, remonte à la lin de l'année I8li.3, ont dès
le début conduit à d'importants résultats.
La pression barométrique n'est jamais uniforme
à la surface de l'Europe; elle s'en rapproche ce-
pendant beaucoup pendant certaines époques de
calme général. Mais, dès qu'un trouble quelconque
tend à envahir l'atmosphère, les lignes isobares
se contournent et leur nombre augmente, en
même temps qu'elles se resserrent ou que la dis-
tance de deux isobares consécutives diminue.
Plus ces isobares sont rapprochées en une con-
trée de l'Europe et plus le vent y est fort.
On remarque, en môme temps, que le vent a
plus de tendance à marcher parallèlement aux
isobares qu à marcher perpendiculairement i leur
direction, des points où la pression est la plus
forte vers le* points où la pression est la plus
faible. De l'eau abandonnée à elle-même sur un
terrain incliné detcondra suivant les lignes de
plus grande pente ; mais si on la place dans un
vase et qu'on lui imprime un mouvement de ro-
tation horizontale, on voit son niveau baisser au
centre de la rotation et s'élever sur sou pourtour.
La vitesse de chaque élément liquide est alors
dirigée dans le sens des lignes d'égal niveau et
non dans le sens des lignes de pente. On remar-
que, en effet, que dans toute tempête, ou simple
trouble local de l'atmosphère, l'air tourne toujours
sur lui-môme, autour d'un centre où le baromètre
est accidentellement le plus bas : c'est le centre
de la tempête, bien que le vent y soit générale-
ment faible. Ce centre lui-même n'est pas fixe ;
il se déplace plus ou moins vite vers l'est dans le
nord de l'Europe ou de la France, tout en incli-
nant plus ou moins vers le nord ou vers le sud.
Il arrive même presque toujours que la direction
de son parcours, quelle qu'elle soit à l'origine, finit
par Incliner vers le sud ou le sud-ouest. C'est
ainsi qu'on voit fréquemment des centres do tem-
pêtes qui abordent l'Irlinde se propager sur la
mer du Nord, la Suède ou la Norvège, et so ra-
battre ensuite sur la Russie pour la traverser obli-
quement on se dirigeant vers le sud, puis, enfin,
rebrousser chemin sur la mer Noire, l'Adriatique
et l'Algci'io. Mais l'orbe qu'ils décrivent ainsi est
très variable en étendue. Quelquefois cet orbe tra
verse obliquement l'Allemagn e et même la Franco
PRÉVISION DU TEMPS — 1716 - PRÉVISION DU TEMPS
gurtout au printemps ; d'autres fois il se perd du
côté du pôle nord, surtout en automne.
Toutes CCS tempêtes nous viennent toutes for-
mées de plus ou moins loin sur l'Atlantique; la
plupart ont traversé l'Amérique du Nord, ou
longé ses côtes orienlales ; d'autres viennent des
parages de l'Islande ou des Bcrmudes ; d'autres,
plus rares et plus méridionales, ont longé les
Açores; un très petit nombre sembleraient peut-
être se former plus près de nous. L'Irlande et
remboucliure occidentale de la Manche en sont,
d'ordinaire, les premières affectées et forment, en
quelque sorte, les sentinelles avancées de l'Eu-
rope. Il est plus rare qu'elles abordent notre
continent soit par le Portugal ou l'Espagne,
soit par le nord de l'Ecosse ou de la mer du
Nord. C'est une des causes qui donnent à Paris
sa prépondérance comme centre d'avertissements.
Mais les Et;iis-Unis, à cause de l'admirable ré-
seau météorologique qui couvre leur territoire,
et aussi à cause des nombreux paquebots qui
circulent entre l'Europe et l'Amérique et les
renseignent sur l'état de l'Atlantique nord, peu-
vent nous adresser par le câble transatlantique de
très utiles avis sur les tempêtes qui nous mena-
cent. Toutes les tempêtes ainsi annoncées n'at-
teignent pas la France ; quelques-unes se perdent
vers le nord ; d'autres s'éteignent en chemin ;
mais le nombre de celles qui étendent leur
course jusqu'à la surface de l'Europe est assez
considérable pour éveiller l'attention.
Les signes auxquels on reconnaît sur la carte
l'approche d'une tempête y sont écrits en carac-
tères visibles. Les lignes isobares se creusent;
leur concavité s'accentue de plus en plus à me-
sure que le centre d'une tempête plus forte s'ap-
proche plus près de nous, et cette concavité est
toujours dirigée vers le centre de la tempête. Si
donc l'isobare qui passe dans le voisinage de Pa-
ris, par exemple, se creuse en s'inclinant du sud-
ouest vers le nord-est, la pression diminuant
d'ailleurs du centre de la France vers les côtes
de Bretagne, c'est qu'une tempête, ou un plus
faible mouvement tournant, se trouve sur l'Atlan-
tique marchant vers l'hurope : si la partie la plus
basse de la concavité est, à Paris, dans le sens
d'un parallèle, c'est que le centre de bourrasque
traverse le méridien de Paris ; si l'isobare se re-
lève à l'ouest et s'abaisse dans l'est, c'est que le
centre de la tempête a franchi le méridien de
Paris et qu'il s'éloigne, ii moins qu'il ne traverse
l'Allemagne se rendant vers la Méditerranée.
Dans le premier cas le vent souffle du sud ou
sud-ouesl; dans le second il a remonté vers
l'ouest ; dans le troisième il gagne le nord-ouest ;
le nord et quelquefois le nord est dans le dernier
cas. Au lieu de passer dans le nord, le centre de
certaines tempêtes passe au contraire dans le sud
de Pans; il en est d'autres qui, après avoir tra-
versé l'Europe, reviennent vers le sud-est et par-
courent la Méditerranée. Dans ces deux cas, les
pressions, au lieu de diminuer de Paris vers le
nord, diminuent de Paris vers le sud, et les vents
soufflent d'entre le nord et l'est.
La carte fait donc connaître pour chaque jour
la position des centres des bourrasques dévelop-
pées dans l'atmosphère de l'Europe ; elles peu-
vent en outre indiquer les points qu'elles mena-
cent pour le lendemain ou le surlendemain, d'a-
près les vari.itions barométriques et thermométri-
ques qu'elles accusent. Le minimum de hauteur
baroniétri(|ue est au centre de la tempête ; le
maximum est sur son pourtour ; la diminution de
la pression depuis la veille est donc accusée sur-
tout sur les points vers lesquels se dirige la tem
pête : ce maximum de variation en moins du ba-
romètre est accompagné d'un maximum do va-
riation en plus de la température, et ces deux
maximum sont en avant et un peu i droite de la
ligne que le centre de la tempête va parcourir si
rien ne trouble son cours. Au contraire, un maxi-
mum de variation du baromètre en plus et un
maximum de variation thermométrique en moins,
sont en arrière et un peu à gaucho de cette ligne.
Si malgré la hausse du baromètre la température
se maintient élevée pour la saison, c'est qu'une
seconde bourrasque suit la première. 11 est des
saisons où ces bourrasques se succèdent pendant
des semaines, distantes l'une de l'autre d'un petit
nombre de jours. On voit alors le baromètre mon-
ter avec continuation de la pluie; bientôt il re-
vient ît la baisse, le ciel se dégage, la température
monte, on croit à la durée du beau temps ; mais
la baisse continue, la pluie et le vent reprennent,
et ces alternatives se succèdent à 2, 3 ou 5 jours
d'intervalle. On dit que le temps a la fièvre inter-
mittente.
Les cartes du teiups parviennent actuellement
dans un grand nombre de communes et y sont
chaque jour affichées dans un cadre spécial. En
se familiarisant avec leurs indications, on peut y
puiser de très utiles renseignements sur les pro-
babilités prochaines du temps dans la région qu'ot»
occupe ; mais elles ne dispensent pas de l'étude
pratique de son climat et de l'observation de la
marche du baromètre, du thermomètre, des vents
et de l'aspect du ciel. Rien ne peut suppléer
l'expérience acquise et h'S indications locales de»
instruments ; mais en dehors du secours que pro-
curent les cartes, il est certaines données géné-
rales qui aident l'expérience locale à se foriuer.
Pronostics tirés du baromètre. — Les indication»
inscrites sur le cadran des baromètres, telles que
beau, variable, pluie, etc., n'ont qu'une valeur
très relative et qui peut d'ailleurs changer avec le
lieu où est placé l'instrument et sa hauteur au-
dessus du niveau de la mer. Ce qu'il importe siir-
tout de coiniaître, c'est d'abord la division à la-
quelle se tient en moyenne l'aiguille du baromètre.
Dans un barom*"tre bien réglé cette moyenne se-
rait de 76U millimètres environ au niveau de la
mer; elle change, pour un même lieu, à mesure
qu'on monte même d'étage en étage d'une maison,
à raison de 1 millimètre pour 10 mètres d'éléva-
tion. D'ailleurs un baromètre métallique exacte-
ment réglé aujourd'hui peut ne l'être plus au
bout de quelques années. Or chacun peut trouver
cette position moyenne de son baromètre au moyen
des canes du temps. 11 suffit de noter pendant
quelques jours, et chaque matin à 7 ou S heures,
la division indiquée par son aiguille et do compa-
rer ce chifi're avec celui de l'isobare qui passerait
le même jour dans la région habitée. L'écart des
deux sera il peu près constant surtout si on choisit
un t.'raps calme. Supposons que la station soit in-
termédiaire entre les isobares 'W et T65, plus
rapprochée de celle-ci que de celli-là, en sorte
que la pression estimée soit "«:(; supposons que
le même jour à la même heure le baromètre com-
paré ait marqué i:>1, on en conclura qu'à 752 0
baromètre est de .3 millimètres au-dessus de la
pression qu'il marquerait si la pression vraie était
Je TUO au niveau de la mer. "49 sera donc à très
peu près la position moyenne de l'aiguille de 1 ins-
trument dans son état et sa position actuels, l.e
n'est pas là un procédé rigoureusement exact,
mais suffisant. On sait d'ailleurs que, dans les
baromètres métalliques, l'aiguille peut être dé-
placée à volonté en tournant la vis dont la teto
appa-aît au fond d'une ouverture de sa table pos-
térieure. On peut donc la ramener do cette posi-
tion moyenne 749 à l'indication normale TiiO, en a
faisant marcher de 11 divisions en avant de celle
qu'elle occupait au moment do 1 opération.
La position moyenne de l'aiguille étant connue,
ce qu'il importe do noter, c'est le sens et la quaii-
PRIMAIRES (TERRAINS)
1717 — PRIMAIRES (TERRAINS)
titc dont cllo en est actuellement éloignée, et,
surtout, le sons et la rapidité de sa marche. Si
l'aiguille tend à monter, c'est un signe qu'on
marclio vers le beau temps; mais la pluie en été,
le brouillard en hiver, peuvent survenir d'abord
par suite de l'entrée de vents froids dans une at-
mosphère relativement chaude et humide. Si au
contraire le baromètre est h la descente, on mar-
che vers la pluie; mais, généralement, on traverse
d'abord une période de beau temps et de tempé-
rature relativement chaude dans le jour, pouvant
être accompagnée en hiver do gelées nocturnes.
Si la baisse continue, le vent s'élève des régions
sud ou sud-ouest et la pluie survient. Dans les
fortes tempêtes, le baromètre élant à son point le
plus bas, le calme et le beau temps peuvent très
bien reparaître, mais ils ne durent pas : le baromè-
tre commençant à remonter, le vent s'élève de
nouveau en tournant à. l'ouest nu au nord-ouest et
ramène des pluies. Cet état, dure jusqu'à.- ce que le
vent ait atteint ou franchi le nord-ouest et que le
baromètre ait dépassé sa position moyenne : pen-
dant ce temps la température a de nouveau baissé.
Si après le relèvement du baromètre le beau
temps reparaît ot si, en même temps, la tempéra-
ture reste chaude, et que le vent retourne ou se
maintienne vers l'ouest, c'est une nouvelle bour-
rasque ou tempête qui va succéder i la première.
Il peut donc pleuvoir ou faire beau temps soit par
un baromètre haut, soit par un baromètre bas, ce
qui fait dire que le baromètre est souvent men-
teur; c'est qu'on se contente de noter sa position
actuelle et non pas la phase de son excursion, la
seule vraiment intéressante : c'est aussi que le
baromètre est un témoiji des changements du
temps et non leur cause ; c'est enfin que la pertur-
bation qu'il accuse embrasse un espace très
étendu et que les pluies sont quelquefois très lo-
calisées. (Jette dernière raison est particulière-
ment accentuée dans la saison des orages. Les
troubles généraux de l'atmosphère qui produisent
ces grands météores sont peu intenses, et les
oragfs surviennent le plus souvent, en été, quand
le baromètre est près de sa hauteur moyenne. Les
vents violents qui les accompagnent souvent et les
grêles qu'ils sèment sur leur route, sont localisés
sur des bandes de terrain généralement très
étroites, mais quelquefois très longues.
Les bourrasques tournantes offrent au prin-
temps un danger particulier. Quand elles traver-
sent la France, elles y sont précédées d'un temps
chaud ; elles y sont accompagnées de pluies, et sui-
■vies de près par un beau ciel avec gelées noctur-
nes d'autant plus dangereuses qu'elles succèdent
plus rapidement à un temps favorable ^ la végéta-
tion. Il importe de les surveiller de très près au
moyen du baromètre et des vents, quand on a les
moyens pratiques de préserver ses récoltes de
deurs atteintes. [Marié-Davy.]
PRIMAIKES (TERRAINS). — Géologie, VI.
— On les appelle aussi terrains palieozinques, de
transition, du grauwwke. Ils ont été divisés en
quatre groupes dont les trois inférieurs, long-
temps confondus ensemble sous le nom de ter-
Tains ardoisiers, ont été distingués, il y a déjJi une
■quarantaine d'années, par Sedgwick et Murchison,
sous les noms de terrains rumhrien, silurien et
■dévonien. Le quatrième est le terrain car/joni/èrf.
Les couches, originairement horizontales, sont re-
levées, contournées, plissées, quelquefois môme
verti'-ales, comme dans les ardoisières d'Angers.
Alcide d'Orbigny a rencontré, dans les Andes de
Bolivie, l'étage silurien avec ses fossiles à la hau-
teur de .5 00» mètres au-dessus de la mer.
En France ils iiccompagnent le plus souvent les
terrains primitifs dans les régions qui en sont
composées, comme dans la liretagne, les Vosges,
•le Plateau central et les Pyrénées ; les massifs
primitifs des Alpes et des Maures n'en paraissent
pas dépourvus. Ils constituent aussi à eux seuls
l'Ardenne.
Comme pour tous les terrains sédimentaires ou
neptuniens, les roches sont de trois sortes princi-
pales : argileuses, arénacées et cacaires; mais
presque toujours plus ou moins fortement endur-
cies. Les ai'giles dans leurs degrés successifs d'en-
durcissement sont les schistes argileux, les
schistes ou pliyllades qui deviennent salines et
finissent par ressembler aux talschistcs, auxquels
ils passent véritablement. Les sables donnent des
grès plus ou moins durs qui deviennent lustrés et
finissent par se distinguer difficilement des quart-
zites. Les calcaires sont compacts avec grains
ou nodules cristallins dus à des fossiles trans-
formés en calcaire spathique.Le schiste et le grès,
en se mélangeant, donnent la qrauwacke, qui est
dure, et le psammite qui est tendre et souvent
micacé. Le schiste et le calcaire donnent le cal-
scliisle. Les végétaux enfouis dans les argiles ont
donné par leur décomposition plus on moins com-
plète des charbons, soit presque purs, V/mthracite,
soit plus ou moins bitumineux, la houille.
Le terrain cambrien, dans l'Ardenne, peut se
diviser en trois étages. L'inférieur, qui fait peut-
être partie du terrain primitif, est formé de pliyl-
lades luisants bleuâtres ou vordàtres, donnant des
ardoises; les quantités extraites sont fort consi-
dérables; on en fabrique annuellement 2.5 68.5 000
à DeviUe et Monthermé, et 46 70U 000 à Rimogne;
ces phyllades renferment assez souvent de petits
cristaux de fer oxydulé et de la pyrite en gros
cubes. L'étage moyen se compose de phyllades
bleus, rouges, verts ou violets, avec pyrite, alter-
nant avec des grès gris, bleus, verts ou rouges;
ils sont exploités pour ardoises h Funiay, où on
en extrait annuellement 5'2G44O00. C'est surtout
dans la carrière Sainte-Anne qu'on voit bien la
disposition oblique des feuillets par rapport aui
couches. Cette disposition paraît due à une action
postérieure au plissement du terrain, car les
feuillets conservent leur inclinaison de .30°, quelle
que soit l'inclinaison des couches, qui est en
moyenne de 25°; elle est encore rendue plus sen-
sible par l'interposition de lits de grès. L'étage
supérieur commence par des poudingues h cail-
loux de quartz; viennent ensuite des grauwackes
gris bleuâtre à taches rouges, contenant des phylla-
des bleus avecTerehratula, Spirifer, encrines, etc.,
et quelques couches interrompues de calcaire com-
pact noir avec nombreux débris d'encrines. Dans
tous ces terrains, il y a de nombreux filons de
quartz.
Le terrain silurien, en Bretagne, commence par
des poudingues quartzeux et des grès rougeâtres
recouverts par des grès blancs fins, en bancs sé-
parés par de petits lits de schistes argileux rouge.
Par-dessus viennent des phyllades tantôt micacés,
comme i Rennes, et tantôt purs bleus, comme à
Angers où ils renferment des trilobites (Ogygia
Guettardi, 0. Oesmnresti, Ca/ymene Tristan!, etc.),
et où on les exploite pour ardoises dans des fosses
h ciel ouvert de liiO mètres de profondeur et de
plus de i 1100 mètres carrés do surface. On y em-
ploie 2 000 ouvriers et on en tire annuellement
pour plus do 1 500 000 fr. de produits. Les derniè-
res couches sont composées de calcaires compacts
noirs à encrines et trilobites et de schistes rou-
ges ou verts. Dans la Sarthe, la Manche, etc., il y
a des couches d'ampélite exploitées pour faire des
crayons. A Valognes on y trouve VOrthocerns gre-
garium, des Spirifer, des Produclus, le Grnpto-
lites spira.lis. Dans les ardoisières d'Angers, les
feuillets sont verticaux, tandis que les couclies sont
moyennomont inclinées, ce qui déinontre bien
que cette schistosité est due à une action posté-
rieure. C'est dans cet étage que se trouvent près
PRIMAIRES (TERRAINS) — 1718
PRIMAIRES (TERRAINS)
de Morlaix deux filons plombifèi-es ; celui de
Poullaouen, exploité dans la grauwacke jusqu'à
140 mètres de profondeur; et celui du Huelgoat,
exploité dans un schiste noir jusqu'à 365 mètres.
Le terrain dêvonien forme, en Bretagne, une grande
bande, allongée de l'E. 25° S. à l'O. 25° N., qui
traverse la Loire en aval d'Angers. Elle com-
mence par un poudingue de quartz, de mica-
scliiste et de phyllade vert passant Snuvent à des
grès grossiers: viennent ensuite des grès schis-
teux noirs très micacés avec végétaux, puis un
système de couches à anthracite, épais de plus de
liOO mètres, formé de grès siliceux très durs, de
grauwackes, de psammites schisteux jaunâtres ou
gris et de schistes argileux très micacés noirâtres
avec rognons de fer carbonate. Le combusiible est
le plus souvent à l'état d'anthracite: cependant
il y a fies couches de houille grasse de première
qualité ; il forme dans la partie centrale 20 couches
dont l'épaisseur totale est de 20 mètres et dont 8
sont exploitables. Les principales exploiialions
sont celles de Saint-Georges-Chatelaison , Cliâ-
lonnes, Montjean, Montrelais, Nopt, etc., qui ont
fourni 43fl 469 quintaux en 1842, et 1(162 471 en
1864. Les empreintes de végétaux sont assez abon-
dantes et ont une grande analogie avec celles du
terrain houiller quant aux genres, mais les espè-
ces sont presque toutes différentes: les plus ca-
ractérisques sont Sp/ienojjtiris tenuifuiia, Lyco-
forlitcs imbricatus, Lepiilodendvon carinatum,
Stgi/iaria venosa, Calamités.
En Russie le terrain silurien forme une bande
très considérable qui passe à Saint-Pétersbourg en
s'étendant de la Livonie à la mer Blanche, et qui
présente, par rapport aux dépôts de l'Europe
occidentale, des différences que l'on remarque
dans les autres dépôts primaires de cette vaste
région, c'est-à-dire que, au lieu de schistes et de
psammites, on y trouve des argiles et des sables ;
au lieu de calcaires compacts très cohérents et de
couleur foncée, des calcaires grenus plus ou
moins friables, de couleur blanchâtre, bigarrée
de teintes peu foncées de rougeâtre, de verdâ
tro, etc. On n'a trouvé aucun fossile dans les
argiles bleuâtres qui forment la base. Les psam-
mites et les sables qui occupent le milieu se dis-
tinguent par la présence de VObolus Apollinis.
Les calcaires qui forment la partie supérieure du
dépôt sont souvent mélangés de grains de chlo-
rite et recèlent une grande abondance de fossiles,
notamment VlUœnus o'assicmida, les Orlhoceras
spirnlis et vnr/i7talis et des Cijslidées.
Le terrain du Devonshire et du Cornouailles, qui
a donné lieu à la dénomination de dévonien, est
principalement composé de roches schistoides, dé-
signées par les mineurs sous le nom de killas, et
qui présentent des passages du schiste à l'ardoise,
au psanimite, au quartzite, au grès, au stéa-
schiste, etc. Ces roches sont plus ou moins méta-
morphiques et traversées par de nombreux filons
métallifères, ainsi que par des dykes et des
culots de roches plutoniennes.
Dans les comtés de Brecon et de Hereford, le
terrain dévonien se présente avec des caractères
très diflérents, qui l'ont fait appeler old red
sandstone ou vieux grès rouge. Ce dépôt y est en
effet presque entièrement composé do roches de
couleur rougeàtre, dont les plus communes sont
des psammites ordinairement très micacés et à
texture schistoide, qui se divisent quelquefois en
grands feuillets susceptibles d'être employés à
couvrir les toits et qui, d'autres fois, sont assez
massifs pour que l'on en fasse de belles pierres
de taille. Ces psammites passent souvent à des
Bchistes et à des argiles d'un rouge violâtre, qui
sont quelquefois veinés ou tachetés de verdâlre.
Les fossiles sont rares dans ce dépôt; mais les
restes de poissons sont plus abondants dans la
partie moyenne où il y a des bancs calcarifères
appelés cornstone.
Dans les plaines de la Russie, ce terrain forme
un vaste bassin en partie recouvert par les ter-
rains carbonifères et permien ; il s'y présente
avec des caractères distinctifs qui sont signalés
dans les autres dépôts primaires de cette région,
c'est-à-dire que, outre son prodigieux développe-
ment géographique, il est formé do couches hori-
zontales très peu cohérentes. Il y est principale-
ment composé de sables et de grès rouges, d'ar-
giles, de marnes et de calcaire blanchâtre,
renfermant du gypse et du sel marin.
Dans l'Oural, les couches sont relevées, les ro-
ches de couleurs plus foncées contiennent des
parties cristallines, les argiles et les marnes sont
remplacées par des schistes et des caischistes.
Le terrain cnrhoni fère , fréquemment aussi ap-
pelé terrain houiller, se divise en deux étages
en Angleterre et dans la France septentrio-
nale : le calcaire carbonifère et le terrain
houiller. Ailleurs, il n'y a qu'une seule masse que
l'on décrit habituellement comme terrain houil-
ler, quoiqu'elle corresponde très probablement au
terrain carbonifère tout entier.
I Le calcaire carbonifère, appelé aussi calcaire de
! montagne ou métallifère en Angleterre, est prin-
I cipalement formé par des calcaires compacts féti-
! des, le plus souvent noirs ou gris bleuâtre, en bancs
' épais, dont plusieurs renferment de nombreux
I osselets d'encrines se détachant en blanc sur un
fond noir, et donnent le marbre appelé petit gra-
nité. D'autres bancs donnent les marbres de Flayi-
dre, qui sont noirs ou gris, à veines blanches,
' avec de nombreux fossiles marins appartenant aux
' trilobites (Asaphns obsoletus), aux mollusques
(Orthoceras Gesneri, Belleroplio Ijicarenus, Evom-
phalus pentangulatut, Conocardium /lybernicum,
' Spirifer papilionaceus , Proiludus punctatns, P.
semireticulntus, etc.), aux crinoïdes, aux zoophytes
' (Cyatlwphyltum mitratum, C. plicatum, Caninia
' giganten, etc.).
Cet étage est parfois traversé par des filons mé-
tallifères où le sulfate de baryte, le fluorure de
calcium surtout sont associés au sulfure de plomb ;
j tel est le cas des riches mines de plomb du Der-
I byshire.
' Le terrain houiller, qui forme dans les îles Bri-
■ tanniques et en Belgique des bassins très étendus,
ne constitue en France que des dépôts assez petits,
dispersés sur un grand nombre de points, et tou-
jours en connexion avec les six massifs de terrain
primitif, à la surface ou au bord desquels ils sont
disséminés, souvent aussi au contact des terrains
plus récents qui viennent les recouvrir en partie.
Le terrain houiller de la France se divise en
deux catégories distinctes : l'une, à laquelle appar-
tiennent les dépôts de l'Ardeniie, a été formée
sur les rivages d'une grande mer par des causes
générales, et se présente en grandes bandes conti-
' nues intimement liées au calcaire carbonifère ; les
j couches y présentent des plissements reclilignes
et anguleux, comme cela se voit bien dans le bas-
sin de Valenciennes.
L'autre calégorie, qui comprend tous les autres
bassins, se compose de dépôts lacustres, formés
par des causes locales dans des dépressions plus
ou moins profondes, isolées et disséminées irré-
gulièrement à la surface des terrains anciens ; les
couches y présentent des plissements courbes
et onduleux, sans angles vifs, ainsi que cela se
voit dans le bassin de la Loire à Rive-de-Gier. A
part cette différence d'origine, les matériaux des
divers bassins houillers sont les mêmes; ce sont,
à la base, des poudingues formés, dans le premier
cas, de galets roulés siliceux ou de quartz blanc,
peu volumineux, ayant peu d'analogie avec les
roches sous-jacentes, ce qui annonce des actions
PRIMAIRES (TERRAINS) — HiO — PRIMAIRES (TERRAINS)
générales et lointaines, et alternant avec quelques
couches de calcaire marin; dans le sncond cas, ce
sont des débris peu roules et souvent énormes de
granité, gneiss, micasdiiate, talscliiste ou pliyl-
lade, suivant la nature des roches plus anciennes
qui avoisiuent le bassin et lui servent d'assiette.
La partie moyenne est occupée par des psammites
micacés, le plus souvent gris, contenant encore
des lits de poudingues à petits fragments, ren-
fermant fréquemment des troncs et des tiges de
végétaux, et alternant avec des schistes noirs qui
finissent par prédominer et constituer presque à
eux seuls la partie supérieure. Ces schistes sont
souvent bitumineux, et contiennent de nombreuses
empreintes de fougères. Les divers bassins varient
beaucoup par l'épaisseur relative des couclies de
grès et de schistes, ainsi que par le grain de ces
diverses roches. La houille, de qnaliié très varia-
ble, forme, dans les schistes, plus rarement dans
les psammites, des couches le plus souvent con-
tournées et très variables en nombre et en épais-
si'ur. A Saint-Etienne, il y en a 1S donnant par
li'ur réunion 35 mètres de houille, tandis qu'à
Onimper il n'y a que des veines inexploitables.
Le carbonate de fer peut être considéré aussi
i'»mme roche constituante de ce terrain. Il est
ii'll'ment répandu, conjointement avec la houille,
sur certains points de l'Angleterre, qu'il alimente
Il plus grande partie des hauts fourneaux à fer de.
la (irande-Bretagne. La présence fréquente du
r M bonate de fer dans les gisements de houille est
une des circonstances les plus heureuses pour l'in-
dustrie métallurgique. Quand on trouve réuni dans
le môme lieu le minerai de fer et les combusti-
bles, on peut établir à peu de frais les usines pour
l'extraction et l'exploitation simultanée de la fonte
et du fer; c'est ce qui existe dans les bassins
houillers de l'Angleterre et aussi de France à un
moindre degré, c'est-à-dire seulement à Saint-
Etienne et à Alais.
Le terrain houiller de France renferme de nom-
breux fossiles ; les principaux sont des poissons
d'eau douce et des végétaux terrestres. Les pois-
sons ne se sont guère trouvés encore que dans les
schistes bitumineux d'Autun, où ils sont très abon-
dants : ce sont les Palœoniscus Dlainvillei, P.
VoUzii, P. aiigustus, Amhbjpterus lattis, A. ma-
criipterus, et Pi/gopterus llonnanli. Les végétaux,
dont il a été déterminé une centaine d'espèces,
se répartissent de la manière suivante : quarante
fougères, notamment : le& Sp/ienopteris t'ifolio-
tala, Nevropteris heteiophijlla, Pecopteris potijmor-
plin, P. iirborescens, Odopinpteris Bi'ardi, 0. Schlo-
tlieimii; quinze lycopodiacées parmi lesquelles les
Lepidodendron rugosum, L. pukhellum ; sept
calamitacées dont les principales sont les Cala "i-
tes Suckowii, C. approximnlu' ; huit sigillariées
dont \e.s principales sont les Sigillm-ia Issvignta,
S. Bvblagei, .S. tessellata, Sbgmarin ficoides ;
Quatre astérophyllitées, Aslervplii/llites rigidn,
Spheniipltyllum deidatum, Annutària lo' gifoiia,
A. hvevif'oliii ; q\ie]q\ies conifères du genre IVal-
c/iia h feuilles sessiles en spirale, vois n des Amu-
cavia, à troncs siliceux ; enfin diverses plantes
de familles douteuses, les Sternbergia approxi-
mata, ilusouarpon, Irigonocavpon, etc.
^ Voici quelle est, dans les divers pays du globe,
l'étendue des terrains houillers accessibles à
l'exploitation de l'homme et leur production :
Amérique du Nord
Grande-Bretagne
France _' ,
Belgit|ue
Allemagne septentrionale
Asturies et Espagne
Ku93ie (au plus)
. cane..
Tonnes.
00 000
iO 000,000
10 000
65 000,01)0
2 ."JOC
6 000,000
i ii7.5
8 000,000
4 4i5
6 900,000
DilO
800,000
-m
Inconnue
Faune primaire - L'embranchement des ver-
tébrés est représenté par de rares reptiles et des
poissons. On a découvert dans le terrain houiller
du Palatinat et aux Etats-Unis des portions de
squelettes de reptiles du genre Ardfego^aio'iis.La.
classe des poissons tenait le premier rang pen-
dant le dépôt du terrain dévonien; mais la struc-
ture de ces animaux était souvent bien différente de
celle de nos poissons actuels, le corps étant pour-
vu soit d'une sorte de cuirasse (Ptfrichlliys, Coc-
costL'US, Cephalaspiis), soit d'écaillés très résistan-
tes juxtaposées (,4caî!(/iorfe<(, Clinialius. Diplacan-
llius). Parmi les annelés, la classe des crustacés, à
laquelle appartiennent le homard, l'écrevisse, le
crabe, était représentée par des animaux marins
fort différents, les trilobites, dont l'existence ne
s'est pas prolongée au delà de la période primaire:
leur corps généralement ovale était formé d'arti-
culations transverses et divisé en trois lobes longi-
tudinaux ; l'article antérieur portait de gros yeux
réticulés comme ceux des insectes, et l'animal
pouvait se rouler en boule comme les cloportes ;
les pattes, probablement notnbreuses et charnues,
n'ont pas été conservées.
Les mollusques céphalopodes son) représentés
notamment par divers genres de la famille des
nautilacées spéciaux à ces terrains : les Onhoceras,
dont la coquille non enrotilée est complètement
rectiligne, les Clymeyiia, dont la coquille enroulée
a des cloisons très onduleuses, et les Gimiatites,
où elles sont à plis anguleux. C'est alors aussi le
règne des brachiopodes, qui revêtent des formes
extraordinaires et dont les espèces sont en nombre
immense. Parmi les plus curieuses du terrain dé-
vonien sont les Slrigocei'hrdus Ihirtini, Oncites
Gryphus, Davidsonia Verneuilii, Calcenla sanda-
li?ia, et parmi les plus caractéristiques les Airypa
reticularis, Spirigiira concentrica, Leptœna Mur-
chisotii.
Parmi les zoophytes, les encrines ou crinoîdes
et les polypiers étaient extrêmement nombreux.
Flore primaire. — Les caractères de la végéta-
tion, pendant la période carbonifère surtout, peu-
vent se résumer ainsi : prédominance dos crypto-
games acrogènes, fougères, lycopodiacées, équi-
sétacées. Grand développement des dicotylédones
gymnospermes , sigillariées , nœggerathiées et
astérophyllitées. Los fougères, qui, dans les zones
tempérées, ne sont que des herbes vivaces, étaient
en partie arborescentes comme dans la zone tor-
ride et composaient une grande partie de la végé-
tation. Les équisétacées ou prèles, partout her-
bacées, étaient remplacées par les Cnlnmites, végé-
taux ligneux, articulés et striés longitudinalement,
de 7 à 8 mètres d'élévation et de 1 à 2 déci-
mètres de diamètre. Nos lycopodes actuels sont
des plantes rampantes qui n'atteignent pas 1 cen-
timètre de hauteur; cevix de l'ancien monde, les
Leptiloilendro», Lomalophloi"S, étaient des ar-
bres de 25 à 30 mètres d'élévation, dont le tronc
avait jusqu'à un mètre de diamètre ; les branches
prenaient leur évolution par dichotomie, c'est-à-
dire en se divisant continuellement en deux jus-
qu'au sommet, qui se ti'rminait souvent par une
fructification en forme de cône appelée le/tido-
strofms. Les Sigillaria étaient de très grands ar-
bres à écorce souvent cannelée , présentant des
cicatrices ressemblant à des sceaux {sigiltum),
laissées par les feuilles qui étaient fort petites ;
leurs racines, également couvertes de cicatrices,
avaient été appelées stigmnrin. Les astérophyl-
litées avaient les tiges articulées et les fouilles
verticillécs ; leurs rameaux se terminaient par
des chatons et des cônes analogues à ceux des
conifères et des cycadées.
Quoi de plus surprenant que l'ensemble de
cette exubérante végétation de la période houil-
lère! Oes sigillariées immenses, qui dominaient
les forêts ; ces Lepidodendron à la lige élancée et
PRIMAIRES (TERRAINS)
1720
PRIMITIFS (TERRAINS)
flexible ; ces Lomatophloios qui offraient l'image
d'arbres lierbaccs i taille gigantesque; ces ca-
lamités de 10 mètres de hauteur; ces élégantes
fougères arborescentes au feuillage aérien et
aussi finement découpé que de la dentelle ; ces
fougères herbacées au feuillage indéfiniment ac-
cidenté !
Rien ne saurait nous donner aujourd'hui, dans
les zones tempérées, l'idée de ce prodigieux et
immense revêtement d'une verdure immuable qui
couvrait la terre d'un pôle à l'autre, sous une
température brûlante et la même partout, de l'île
Melville et du Spitzberg dans l'Océan glacial
arctique jusqu'au cejitre de l'Afrique. Par l'ab-
sence complète des dicotylédones angiospermes et
presque complète des monocotylédones, cette
végétation était réduite aux formes considérées
comme les plus simples et les moins parfaites.
La prédominance des cryptogames acrogènes éta-
blit une analogie entre la végétation de cette pre-
mière période et celle des iles peu étendues de
la zone équatoriale et de la zone tempérée aus-
trale, dans lesquelles le climat maritime est porto
au plus haut degré.
Pour expliquer la présence des houilles au sein
de la terre, il y a deux hypothèses possibles : ces
débris végétaux peuvent résulter de l'enfouisse-
ment de plantes qui auraient été amenées de loin,
transportées par les fleuves et les courants mari-
times, en formant comme d'immenses radeaux
qui seraient venus s'échouer en différents lieux,
et auraient été plus tard recouverts par des ter-
rains nouveaux. Ou bien les plantes qui composent
la houille sont nées sur place : elles résulteraient
de la décomposition, accconiplic sous terre, d'une
masse accumulée de végétaux qui sont nés et qui
ont péri dans les lieux mêmes où on les trouve.
La houille, comme on le voit, est la substance
même des végétaux qui ont vécu dans les temps
reculés. Ensevelis sous d'énormes épaisseurs de
roches, ces végétaux s'y sont conservés jusqu'à
nos jours, après s'être modifiés dans leur nature
intime et leur aspect extérieur. Ayant perdu un
certain nombre de leurs éléments constitutifs, ils
se sont transformés en une sorte de charbon, im-
prégné de ces substances bitumineuses ou gou-
dronneuses qui sont les produits ordinaires de la
décomposition lente des matières organiques.
Ainsi la houille qui alimente nos usines et nos
fourneaux, qui est l'agent fondamental de notre
production industrielle et économique, la houille
qui sert à chauffer nos demeures et qui fournit le
gaz employé pour nous éclairer, cette houille est
la propre substance des plantes qui composaient
les forêts, les herbages et les marécages de l'ancien
monde. C'est le poids et la pression des terrains
déposés par-dessus qui ont donné à la houille la
densité considérable qui la distingue, et son état
de forte agrégation. La chaleur émanée du foyer
intérieur du globe, et qui se faisait encore sentir
à la surface, dut aussi exercer une grande in-
fluence sur le résultat final. C'est h ces deux cau-
ses, c'est-à-dire, à la pression et au plus ou moins
grand échauffement par le foyer terrestre central,
que l'on doit attribuer les différences qui existent
dans la nature minéralogique des différentes
houilles et de l'anthracite.
Les formes du sol sont absolument les mêmes
que celles du terrain primitif; la végétation a
aussi de très grands rapports; les céréales y sont
cependant cultivées plus fréquemment, en raison
de la plus grande quantité de calcaire contenu
dans ces terrains. Le sol occupé par le terrain
houiller, toujours de peu d'étendue, offre en gé-
néral une multitude de collines dont il est diffi-
cile de saisir la disposition relative, à pentes peu
escarpées, en raison de la facile désagrégation des
psammites qui le constituent essentiellement, et
qui donnent une terre sablonneuse, maigre et
assez improductive, mélangée de cailloux.
[V. Raulin.]
PRIMATES. — V. Singes.
l'ItlMITIFS (TERRAlS'S). — Gcologie, 'V. —
On les appelle aussi crùtiillophylliens, c'est-à-dire
cristallins et feuilletés.
Les masses primitives se distinguent par la
prédominance des roches à texture schisto-grani-
toide et schisto-lamellaire, c'est-à-dire, en même
temps schistoide et cristalline, ainsi que par l'abon-
dance du mica et du talc. Elles renferment, d'ail-
leurs, une si grande quantité de minéraux dissé-
minés que, si on voulait en faire l'énumération,
on serait obligé de répéter presque toute la no-
menclature minéralogique; mais ces dépôts sont
surtout remarquables par les nombreux gîtes mé-
tallifères qu'ils renferment, soit en filons, soit on
amas couchés. Ils sont très répandus à la surface
de la terre; cependant, les massifs où ils se mon-
trent seuls au jour sont rarement d'une grande
étendue. Ils se rencontrent plus fréquemment
dans les pays de montagnes que dans ceux de
plaines; ils sont en général peu favorables à la cul-
ture, et souvent couverts de landes, de pâturages
et de forêts. Ils présentent un caractère particu-
lier ; c'est que, tandis que les autres groupes ne
se lient qu'autant qu'ils se suivent dans la série
chronologique, les roches primitives se lient or-
dinairement avec la plupart des autres dépôts qui
se trouvent en contact avec elles, ce qui vient à
l'appui de l'idée que ce groupe, ou du moins une
partie de ce groupe, au lieu de représenter une
période de la série des temps, pourrait, dans quel-
ques cas, être plutôt le résultat de l'action des
phénomènes métamorphiques.
Si l'on ne peut affirmer que le groupe primitif ait
une position bien déterminée, à plus forte raison
ne peut-on pas y reconnaître des étages bien
caractérisés, et il serait possible que les trois
divisions principales que l'on y distinguo et où
dominent respectivement le gneiss, le mica-
schiste et le taiscliiste, représentassent plutôt une
manière d'être minéralogique que des rapports
géognostiques.
On a aussi placé à côté de ces trois grandes
divisions d'autres sjstèmes caractérisés par la
présence du quartzite, du calcaire, du phyllade,
de l'amphibole, de l'ophiolite, ainsi que d'autres
roches feldspathiques et pyroxéniques. Mais il y
a de ces roches, notamment parmi les dernières,
qui sont de véritables dykes plutoniens et non des
membres du groupe qui nous occupe ; et, quarit
aux autres, il semble que, au lieu de les consi-
dérer comme formant des systèmes susceptibles
de figurera côté des trois grandes divisions sus-in-
diquées, il y a plutôt lieu de n'y voir que des
membres subordonnés à ces divisions ou môme
aux autres groupes neptuniens. C'est ainsi, par
exemple, que l'un des gîtes que l'on avait cités
pendant longtemps comme type du calcaire pri-
mitif, celui de Carrare, est rangé par divers géo-
logues dans un groupe assez élevé dans la série.
Les roches quartzeuses ont peut-être plus de
droit à figurer comme formant un système indé-
pendant, entre autres ctlles qui constituent un
massif puissant dans les montagnes de Minas-
Geraes au Brésil, célèbres par l'abondance du
quartz aurifère, du quartz à paillettes d'oligiste
spéculaire ou itabiiite, et du quarzite micacé ou
itacolumite ; mais les relations géognostiques de
ce dépôt ne sont pas encore bien déterminées.
Les principales roches primitives sont les sui-
vantes : Leptiinite. Orthose grenu, le plus
souvent blanchâtre et renfermant un peu de mica
et de grenat; en bancs dans les autres roches:
Cherbourg, Saxe, Saint-Gothard, Ceylan, etc. —
l'eginatite. Tabulaire, elle forme des bancs
PRIMITIFS (TERRAINS) — 1721 — PRIMITIFS (TERRAINS)
•dans les parties inférieures. — G7i(^i.is. Mélange
d'ortliosp,' de mica et do quartz ; laminaire ou
grenu ; porpliyroide par la présence de gros cris-
taux d'ortliosc ; scliisloide, roiigeâtre, gris ou noi-
râtre. Forme les parties inlérieures du terrain
primitif : Limousin, Lyonnais, Vosges, Saxe,
Suède, etc.
Micusihiste ou micacite. Mélange de mica
et de quartz, laminaire ou grenu ; scliistoîde gris
ou noirâtre, rarement blanchâtre ; cristaux acci-
dentels d'ortliose, grenat, anipliibole, tourmaline,
pyrite, etc. Forme les parties moyennes du terrain
primitif : Limousin, Pyrénées, Vosges, Alpes,
Saxe, Scandinavie, États-Unis. — Macline. Mi-
caschiste dans lequel le quartz est remplacé
par la macle ; grenu noirâtre, en grandes assises
dans les micascliites et talscliistes des Pyrénées.
Talscldstrt ou Illicite. Talc scliistoîde ou
compact, vert ou gris, rougeàtre par décompo-
sition, parfois rendu porpliyroide par des cristaux
ou des noyaux de quartz, d'ortliose ou d'albile,
cristaux accidentels de grenat, staurotide, py-
rite, etc. ; en grandes assises formant les parties
supérieures du terrain primitif : Plateau central,
Bretagne, Vosges, Alpes, Pyrénées, 8axe, Ecosse,
Scandinavie, etc. — l'rotoyiiie. Mélange de talc et
d'ortliose avec quartz ; laminaire ou grenue, d'ap-
parence granitique ; parties porpbyroides par la
présence de gros cristaux d'ortliose ; stratifiée
en grand ou f-chistoide ; gris verdâtre ou rougeà-
tre, parties accidentelles de mica, chlorite. En
grandes assises au milieu des talschistes : Alpes
formant le massif du mont Blanc et ce point cul-
minant de l'Europe; Tyrol; celle d'Algaiola on
Corse a fourni le soubassement de la colonne
Vendôme â Paris.
Entilwtide, serpentine. AmphihoUte, diorife.
Stratifiées, dans les diverses assises. — V.
PLulo7iie7\s (Terrains).
Quarizite. Quartz grenu ou compact, ren-
fermant assez souvent du mica ou du talc qui le
colore en gris ou verdâtre. Stratifié, en grandes
assises dans les parties moyennes et supérieures
partout où il se rencontre ; un quartzite talcifère
appelé itucolumile est le gîte originaire de l'or
au Brésil.
Calcaire cristallin. Laminaire ou grenu, for-
mant des assises dans les micascliistes et sur-
tout les talscliistes du terrain primitif. Il donne
les vrais marbres blancs de Paros â gros grains
et de (Jarrare à prains fins, et, diversement coloré,
un grand nombre d'autres marbres. — Le cipolin
est le môme calcaire mélangé de mica ou de talc.
— Dolomie. Laminaire ou grenue, blanchâtre,
grisâtre: Bagnères-de-Bigorre, Saint-Gothard, etc.
Après avoir énuméré les principales espèces de
roches qui se rencontrent dans les terrains pri-
mitifs, il nous reste à indiquer les st/siémes for-
més par les espèces les plus importantes.
Système du gneiss. — C'est la plus importante
des divisions du terrain primitif, et celle qui mé-
rite le mieux le nom d'otage qu'on lui donnait
généralement avant l'introduction des doctrines
du métamorphisme, car on ne peut lui contester
d'être le terme le plus inférieur des terrains stra-
tifiés. Ce système parait avoir une composition
moins compliquée que les deux divisions suivan-
tes ; cependant la diminution ou la disparition de
l'un de ces éléments, les cliangements qu'éprouve
leur mode d'agrégation, et quelquefois enfin l'ac-
cession de principes étrangers déterminent
l'existence de roches qui portent des noms dif-
férents dans la nomenclature. C'est ainsi que,
quand le mica disparaît, le gneiss passe au lep-
tynite et à l'eurite, et si les feldspatlis sont rem-
placés par du quartz, on a du micaschiste, sans
compter que ce système renferme aussi des bancs
subordonnés de calcaire, d'amphibolo, etc. Mais
c'est surtout avec le granité que le gneiss pré-
sente des liaisons et des mélanges; non seule-
ment ces roches se lient si intimement qu'il est
parfois impossible de dire où commence l'une et
où finit l'autre, ce qui se conçoit d'autant plus
facilement que la composition des deux roches
est à peu près la même, et que la difi'érence entre
le système du gneiss et le terrain granitique
consiste principalement dans la stratification de
l'un et la structure massive de l'autre, caractères
que les nombreuses fissures et les altérations qui
ont ordinairement lieu vers le point de contact
rendent très difficiles à reconnaître ; d un côté, on
trouve des fragments de granité intercalés dans le
gneiss et plus souvent des fragments de gneiss
dans le granité.
SvsiÈME ru MicAscniSTE. — Celui-ci, que l'on a
souvent désigné par la dénomination de formation
du schiste micacé (Gliminerschiefer), est très ré-
pandu dans la nature et a beaucoup attiré l'atten-
tion des géologues et des mineurs, â cause des
nombreux filons métallifères qui le traversent.
Les micas, qui, comme on sait, sont l'élément do-
minant du micaschiste, diminuant quelquefois ou
disparaissant même, la roche devient du quartzite
micacé ou même du quartzite à peu près pur ;
d'autres fois, les feldspatlis remplaçant tout ou
partie du quartz, la roche passe au gneiss. D'au-
tres éléments se développent aussi dans ce sys-
tème et y forment même des bancs subordonnés,
notamment le calcaire, qui est souvent blanc
passant au bleuâtre, à texture saccharoïde. On
peut aussi citer du gypse, de la karstcnite, de
l'amphibole schistoide, etc.
Système des talschistes. — Le système où do-
mine cette roche est souvent désigné par les déno-
minations de schiste talqneux on slèaschiste ;i\ aété
quelquefois confondu avec le système des mica-
schistes, parce que ces deux rocliessont fréquem-
ment difficiles à distinguer et passent de l'une
â l'autre. Les stéaschistes passent également et
peut être plus souvent au quartzite talqueux.
D'autres fois les talschistes renferment du feld-
spath et passent â la protogine. On a même rap-
porté à ce système la grande niasse de protogine
qui forme la cime et le noyau du mont Blanc, dans
laquelle de Saussure a cru reconnaître une stra-
tification, mais que plusieurs sont maintenant
portés à considérer comme un immense culot
appartenant au terrain granitique. Cette môme
roche forme sur les pentes, au milieu des neiges
éternelles, le rocher des Grands-Mulets où vien-
nent coucher les voyageurs qui font l'ascension
du mont Blanc.
Au Canada, dans des roches cristallines,' mica-
cées ou talqueuses, formant ce qu'on appelle le
ieri ain laurenlien, on a rencontré des masses cal-
caires cristallines dans lesquelles on a cru recon-
naître les traces d'un organisme fossile qu'on a
désigné sous le nom <\' liozoon canidense ; ce
serait le premier animal qui aurait apparu à la
surface de la terre.
Les terrains primiiifs constituent la base sur
laquelle reposent tous les terrains sédimentaires;
ils se montrent en France dans les six régions
suivantes : le Plateau central, la Bretagne, les
Vosges, les Alpes, les Maures et les Pyrénées :
les cinq dernières sont disposées circulairement
autour de la première.
Dans le Plateau central, au milieu des gneiss, ily
a à Eymoutiers, à Savenne, à Mauriac, des amas
contemporains de calcaire saccharoïde gris souvent
micacé ; le fer oxydulé, à Villefranclie d'Aveyron,y
forme des amas lenticulaires exploités ; près de
Saint-Pons, au milieu de talschistes et de calcai-
res, se trouve du fer oligiste renfermant de l'or
natif.
Les montagnes voisines de Carrare présentent
PROBOSGIDIENS
— 1722 —
PROBOSGIDIENS
les trois coupures naturelles de Ravaccione,
Canal-Grande et Colonnata. O'est de la première
que l'on lire le marbre statuaire le plus renommé
aujourd'hui; il ne se vend pas moins de 20 francs
la palme (cube de 0",V5 de côté, soit 1280 francs le
mètre cube, sur les lieux et h pied-d'œuvre ; en
remontant, on rencontre à Polvaccio une ancienne
carrière romaine qui a fourni jusqu'à ces derniers
temps nn marbre statuaire très renommé : c'est
de là que les Romains ont tiré le marbre du Pan-
théon, de la colonne Trajane, des arcs-de- triom-
phe de Titus et de Septime Sévère, et aussi celui
de l'Apollon du Belvédère. Les marbres blancs
du tombeau de Napoléon, une des constructions
modernes qui en ont consommé le plus, ont été
tiré-; de Colonnata qui a aussi fourni beaucoup de
marbre aux Romains. L'exploitation du marbre
est de beaucoup plus importante à Carrare que
dans les localités marbrières voisines, Massa et
Serraveza. A Carrare le nombre des ouvriers di-
rectement attachés aux carrières est de 5 SGO en-
viron. Un millier d'hommes sont, en outre, em-
ployés au transport, à l'expédition et à la mise en
œuvre des marbres. Près de la moitié de la pro-
duction totale va aux Etats-Unis, le pays qui con-
somme le plus do pierre de Carrare.
Les gneiss et les micaschistes renferment fré-
quemment des liions de quartz et de baryte sul-
fatée métallifères parmi lesquels on exploite prin-
cip.ilement de la galène à Pontgibaud, à Vienne et
à Villffort. Près de Brioude et de Florac, il y a
plusieurs filons quartzeux contenant de l'anti-
moine sulfuré en veines compactes, irrégulières
ou en taches fibreuses. A Vaulry près de Limoges
et à Moutebras, il y a de petits filons stan-
nifères.
Le sol formé par le terrain primitif présente des
contours arrondis, mais le plus souvent les sommités
sont aiguës, déchirées et dentelées, en raison de
l'inégale désagrégation et décomposition des divers
strates qui les composent; les vallées sont étroi-
tes et profondes, et présentent fréquemment, sur
les flancs, des arêtes saillantes plus ou moins
inclinées qui indiquent la stratification ; la désa-
grégation et la décomposition des roches marchent
lentement en général. Le sol primitif, le plus
souvent stérile, est envahi par les genêts, les
ajoncs et les bruyères ; l'absence du calcaire fait
qu'il ne convient pas à la culture des céréales,
excepté à celle du seigle ; aussi les remplace-t-
on le plus souvent par le sarrasin. Les châtaigniers
prospèrent presque partout sur le Plateau central
et offrent de grandes ressources pour la nourriture
de ses habitants. Les pins et les sapins occupent
les parties élevées de la plupart des régions.
[V. Raulin.;
PRIS.ME. — V. P-dyédres et Lumière.
l'ROBOSCIDIEIVS. — Zoologie, X. — Les Pro-
boscidiens ou Eléphants étaient jadis rangés
dans l'ordre des Pachvdermes; mais, comme nous
avons déjà eu l'occasion de le dire, ce dernier
groupe assez hétérogène a été démembré par les
naturalistes modernes (V. Pachydermes], et les
Proboscidiens constituent maintenant, dans la
classe des Mammifères *, une subdivision de même
nature que celle des Jumentés * ou celle des
Porcins *.
Dans la nature actuelle les Proboscidiens ne
comprennent plus que le seul genre Eléphant,
mais jadis ils étaient représentés, même dans nos
contrées, par les Mastodontes et les Dinotlienum
qui ont laissé leurs ossements dans les terrains
tertiaires.
Les Eléphants sont des mammifères de très
grande taille, dont le corps massif est porté sur
des pattes robustes, terminées chacune par cinq
doigts, et dont la tête est munie d'une énorme
trompe préhensile, constituée par un prolonge-
ment des os du nez. Cette trompe est creusée de
deux canaux parallèles qui continuent les cavités
nasales; elle renferme dans ses parois de nom-
breuses fibres musculaires, et porte à l'extrémité
un petit appendice en forme de doigt. Grâce à
I cette disposition, elle est assez forte pour dére-
ciner un arbre, et en même temps assez délicate-
ment conformée pour saisir la nourriture et la
porter à la bouche, aspirer une certaine quantité
de liquide, défaire le nœud d'une corde ou même
ouvrir une serrure; en un seul mot elle remplit
à très peu près le rôle d'une main.
De tous les mammifères les Eléphants sont
ceux dont la tête a le plus de hauteur verticale,
grâce à un renflement considérable des portions
supérieure, temporale et postérieure du crâne.
Pendant longtemps les naturalistes ont pensé
qu'à ce développement inusité de la boite crâ-
nienne correspondait un volume extraordinaire de
substance cérébrale et une intelligence exception-
nelle; mais on sait aujourd'hui que l'élévation du
crâne chez les Eléphants provient de l'existence
de grandes cellules creusées dans la substance
même des os, et que l'espace réservé au cerveau
est relativement très petit, plus petit même que
I chez le cochon, qui passe cependant pour un ani-
I mal stupide. Il ne faudrait pas néanmoins tom-
ber dans l'excès opposé, et, après avoir considéré
■ les Eléphants comme les mammifères les plus in-
telligents après l'homme, les relégui'r au rang des
brutes : bien au contraire, les récits des voyageurs
nous apprennent qu'en Asie on fait exécuter à
ces animaux divers travaux qui nécessitent non
; seulement une grande dépense de force, mais
encore l'exercice de certaines facultés intellec-
j tuelles.
Dans leur aspect extérieur les Eléphants sont
! des êtres fort disgracieux; leur tête énorme n'est
éclairée que par deux très petits yeux qui sem-
blent percés à la vrille, à côté de deux oreilles
retombant comme de larges feuilles. Le cou est
si court que les mouvements de la tête sont fort
circonscrits et que l'animal, si la nature ne l'avait
doué d'une trompe, serait dans l'impossibilité ab-
solue de cueillir les feuilles des arbres, comme
le fait la girafe, ou de brouter l'Iierbe à la surface
du sol, à la manière des Jumentés et des Ru-
minants *. Le corps, gonflé comme un ballon,
est posé pour ainsi dire sur quatre robustes
piliers, et couvert d'une peau très épaisse, dénu-
dée, crevassée, calleuse et d'un gris sale ou noi-
râtre. Enfin les doigts sont garnis de sabots assez
informes qui, dans la marche, touchent à peine la
surface du sol, la vaste plante des pieds étant
garnie en dessous d'un cuir épais comme une se-
melle. Les mâchoires sont dépourvues de canines,
mais elles poi tent de larges molaires dont la cou-
ronne est hérissée de saillies d'émail diversement
disposées; en outre la mâchoire supérieure porte
deux longues dé/enses, c'est-à-dire deux incisives
qui font saillie hors de la bouche et qui s'accrois-
sent pendant toute la durée de la vie de l'éléphant.
Ce sont ces défenses qui fournissent l'ivoire si
recherché dans l'industrie. Leur développement
a pour conséquence une élévation des os inter-
maxillaires et des os maxillaires et un raccourcis-
sement des os du nez. Les autres parties du
squelette sont moins singulières, et les os des
membres ont môme, avec les pièces correspon-
dantes du squelette humain, des analogies loin-
taines ; et, pour le dire en passant, ceci nous ex-
plique comment, à une époque assez rapprochée
de nous, des personnes peu versées en histoire
naturelle ont pu prendre pour des ossements de
géants grecs ou gaulois, des ossements de mam-
mouth découverts dans le sol sur divers points de
l'Europe.
A l'époque actuelle on ne connaît plus que deux
PROGRESSIONS
— 1723 —
PROGRESSIONS
espèces d'Eli^pliants : VEléphant. /l'Afrique [Ele-
phas ijfricanu^), et VElcplimit d'Asie {Elep/ias in-
diens) qui se subdivise peut-être en plusieurs
races distinctes. L'Elépliant d'Afrique atteint sans
doute une taille aussi considérable que l'Eléphant
d'Asie, mais il a les oreilles beaucoup plus gran-
des, la tète plus arrondie, le front convexe et les
molaires garnies sur leur couronne de lames sail-
lantes disposées en losanges. Il habite la plus
grande partie du continent africain, depuis le cap
de Bonne-Espérance jusqu'à l'Abyssinie et au Sé-
négal, mais aujourd'hui il est devenu fort rare
dans la partie méridioiiale, par suite de la chasse
active qui lui a été faite par les nègres et par les
Européens, (ians le but d'obtenir ses défenses.
L'Eléphant d'Asie a les oreilles relativement assez
petites, la tête allongée, le front concave et les
molaires pourvues de rubans d'émail ondulés. Il
se trouve non seulement dans l'Inde et dans l'Indo-
Chine, mais à Coylan, à Célèbes et dans les îles
de la Sonde. Suivant les localités il offre, dit-on.
des variations assez grandes pour qu'un œil exercé
puisse reconnaître diff'érentes races, et dans des
cas assez fréquents il peut être atteint d'albi-
nisme. Dans l'Inde et surtout dans le Pégu et le
royaume de Siam, ces éléphants blancs sont
tenus en grande vénération et considérés comme
les rois de leur espèce. En Asie on ne tue pas les
éléphants, comme en Afrique, pour avoir leurs
défenses, mais on s'efforce de les prendre vivants
diins des pièges, et on les réduit à une domesti-
cité plus ou moins complète. On les emploie
comme bêtes de somme, pour porter soit des ba-
gages, soit même des espèces de pavillons riche-
ment ornés dans lesquels peuvent monter plu-
sieurs personnes. En avant, sur le cou de l'animal,
est assis un conducteur ou corna': qui dirige l'élé-
phant avec la voix ou le stimule au moyen d'un
aiguillon. Quelquefois aussi les éléphants sont
dressés à rouler ou à entasser avec leur trompe
de lourds madriers, ou bien ils sont attelés à des
pièces d'artillerie de campagne.
Les anciens se sont déjà servis dans leurs guerres
d'éléphants dressés, et chacun sait quelle terreur
les Romains éprouvèrent quand, dans la campa-
gne contre Pyrrhus, ils se trouvèrent en présence
de ces animaux gigantesques ; mais bientôt ils
s'habituèrent à la vue de ces monstres et songè-
rent à leur tour à en tirer parti : Végèce nous
apprend que les éléphants figurèrent avec hon-
neur dans la guerre entreprise contre les rois de
Macédoine et de Syrie, et Valère Maxime rapporte
qu'au temps de Sévère il y avait encore trois cents
de ces animaux dans les arnici-s impériales. On
sait enfin qu'Annibal emmena avec lui trente-sept
éléphants quand en 2lx av. J.-C. il quitta Cartba-
gène pour envaliir la Gaule méridionale et l'Italie.
De nos jours encore des animaux de ce genre
sont fréquemment employés dans les Indes par
l'armée anglaise pour le transport des canons et
des munitions, et tout récemment on a songé à se
servir d'éléphants dans les voyages d'exploration
à travers l'Afrique centrale. [E. Oustalet. ]
PROFESSI(>.\S. — V. MétiiTS.
PROGRESSION. — Arithmétique, LI-LII. —
On distingue deux espèces de progressions, les
progressions a'ilhmé'ir/ues ou par dilTérence, et
les progressions (léoniétriqucs ou par quotient.
I. PnoonEssio.Ns arithmétiques.
I. — On appelle prnrjression arithmétique ou
par différence une suite de nombres tels, que
chacun d'eux est égal au précédent augmenté
dune quantité constante qu'on appelle la !Y«>o?î.
Les nombres qui composent une progression s'ap-
pellent \as termes de cette progression.
On indique que des nombres sont on progres-
sion arithmétique en les séparant par un point,
et en faisant précéder le premier du signe -s-. Ainsi
les nombres :
•f 3.7.11.15.19.23.27
forment une progression arithmétique dont la
raison est i. On a, en effet,
7 = 3-1-4; il=-l + i; 15=11-^4;
et ainsi de suite.
Problème. — Connaissant le premier terme et
la raison d'une progression arithmétique, trouver
la valeur d'un terme de rang quelconque.
Soit n le premier terme et r la raison ; en vertu
de la définition,
le 2" terme est égal à a -f- r,
le 3' — à a -t- r -h r, ou à. . . a -j- 2r,
10 4° — à a -H 2)' + r, ou à.. a-\-ir,
et ainsi de suite. Chaque terme de In progression
est égal au premier augmenté d'autant de fois la
raisoji qu'il y a d". termes avant lui.
Ex. — Calculer le 23" terme d'une progression
dont le premier terme est 7 et dont la raison est
3. Le 23* terme en a 22 avant lui ; donc sa valeur
7-1-3X22 = 73.
Trouver la valeur du ht' nombre impair. Les
nombres impairs forment une progression arith-
métique, dont le premier terme est 1 et dont la
raison est 2 ; le 53' terme est donc :
1-t- 2X51 = 103.
î. — Moyens arithmétiques. — Insérer 1,2, 3,4,...
moyens artilimélv/ices entre deux nombres donnés,
c'est former une progression arithmétique dont
les deux nombres donnés soient les termes extrê-
mes, et qui comprenne 1, 2, 3, 4... autres termes
entre les extrêmes.
Proposons-nous, par exemple, d'insérerG moyens
entre les deux nombres 5 et 19. Si la progres-
sion cherchée était écrite, le dernier terme 19 en
aurait 6^-l ou 7 avant lui; il serait donc égal
au premier terme 5, augmenté de 7 fois la raison.
11 résulte de là que la différence 19 — 5 des deux
nombres donnés est égale à 7 fois la raison; par
suite, la raison est égale h
19 — 5 14 „
Ce raisonnement est évidemment général et con-
duit à la règle suivante :
La raison de la progresHon qu'on obtient g'i
insérant des moyens nrithmétique-i entre deux
nombres donnés est égale à la différence de ces
deux nombres divisée parle nombre des moyens à
insérer plus un.
La raison étant connue, les moyens se calculent
facilement en ajoutant la raison successivement au
premier terme, puis au deuxième, puis au troi-
sième, et ainsi de suite. Dans notre exemple, la
progression demandée sera :
■V5. 7. 9. 11. 13. 15. 17. 19.
Supposons, en particulier, qu'on veuille insérer
un seul moyen arithmétique entre deux nombres;
la valeur de ce moyen, qu'on appelle alors la
moye?ine arithmétique entre les doux nombres,
est égale à leur demi-somme. En effet, si a et 6
sont les deux nombres donnés, les trois nombres
a + h
a, -^, b
sont évidemment en progression ; donc la demi-
PROGRESSIONS
— 1724 —
PROGRESSIONS
somme — - — est la moyenne arithmétique entre
les nombres a et b.
S. — Théorème. — Si l'on insère entre les termes
cn7iséciiti/s d'une proyression ariltimétique, pris
deux à deux, le même nomhre de moyens, on ob-
tient vne suite de progressions partielles itont
l'ensemble forme une progression unique.
Considérons la progiession arithmétique :
-^5.S.n.l4.17.20,
dont la raison est 3, et insérons 5 moyens entre
les termes consécutifs pris deux à deux ; la rai-
son de la première progression partielle sera
— [ — ) celle de la seconde sera de même : — j
celle de la troisième,
U
etc. Mais les dif-
férences 8 — 5, 11—8, 14 — 11, etc. sont toutes
égales à la raison 3 de la progression donnée;
donc les raisons des progressions partielles se-
ront ('gales entre elles. D'autre part, le dernier
terme de chacune des progressions partielles est
^.n mfrae temps le premier terme do la suivante;
donc les progressions partielles, écrites à la suite
l'une do l'autre, formeront une seule et même
progression Ainsi, dans l'exemple que nous avons
pris, les progressions partielles sont :
•î-8.8+--9.0-t---I0. in -!---• 11.
-î-11 .U-f i.l2.12-f '-IS.IS + Ih.
En les écrivant Ma suite l'une de l'autre, on for-
mera une progression uni<iue.
4. — Somme des termes d'ine progression arithmé-
tique. — Démontrons d'abord la propriété suivante :
Dans une progi-ession arit/imélique limitée, la
somme de de"X termes également distants des
exilâmes est égale à la somme des exire'mes.
Prenons, par exemple, la progression :
-^2. 7. 12.17.22. 27. 32. 37,
dont la raison est 5, et considérons d'abord le
second terme 7 et lavant-dernier 32 ; le second
terme 7 surpasse le premier de ô etravaiit-dernier
32 est inférieur de 6 au dernier, de sorte qu'on a :
7 = 2-1-5,
32 = 37 — 5;
si l'on ajoute membre à membre ces deux égali-
tés, on trouve :
7-1- .32 = 2 -H 37.
Plus généralement, considérons doux termes
quelconques équidistants des extrêmes, par exem-
ple celui qui a trois termes avant lui et celui qui
en a trois après lui; ce sont ici les termes 17 et |
22. D'après la règle donnée ci-dessus pour trou-
ver un terme de rang quelconque pris dans une
progression, le terme 17 est égal au premier ter-
me 2, plus 3 fois la raison ; on a donc :
]7 = 2-f 5X3.
Si nous prenons .'i part la progression formée par
les quatre derniers termes, le dernier terme 37
de cette progression partiellesera égal au premier
22, plus -i fois la raison; par suite, 22 sera égal i
37, moins 3 fois la raison :
22 = 37-5X3.
Ajoutons ces deux égalités membre à membre,
et nous aurons enfin :
n + 22 = 2H-37,
ce qui démontre la propriété énoncée.
5. — Proposons-nous maintenant de trouver Is
somme des termes d'une progression arithmétique,
par exemple, do la progression :
4-2.7.12.17.22.27.32.37.
En désignant cette somme par S, on aura :
S= 2-1-7-1-124-17-1-22 -h 27 -1-32-1-37;
renversons l'ordre des termes, la somme ne chan-
gera pas et nous aurons encore :
8 = 37 4-32-1-27-1-22-1-17-1-12-1-7-1-2.
Ajoutons maintenant ces deux égalités membre
à membre, en groupant ensemble les termes qui
occupent le même rang dans les seconds mem-
bres ; il viendra ainsi :
2S = (2 -f 37) -I- (7-t- 32) -1-(12 -1- 27) 4- (17 +22)
4-(22-f 17}4-(274-l2)4-.324-7)4-(37 + 2),
le nombre des groupes étant égal au nombre des
termes de la progression. Mais les termes que
nous avons groupés et compris entre parenthèses
sont des termes également distants des extrêmes ;
leur somme est donc égale à la somme des extrê-
mes, comme nous venons de le démontrer. 11 ré-
sulte, de là, que le second membre de l'égalité
précédente vaut autant de fois la somme des
extrêmes qu'il y a de termes dans la progression;
et comme ce second membre est le double de la
somme cherchée, nous arrivons enfin à la règle
suivante :
La so'i-me des termes d'une pmgression arithmé-
tique est égale à la demi-somme di.-s termes extrê-
mes multipliée par le nombre d-s termes.
Il arrive souvent, dans les applications, qu'on
donne le premier terme, la raison et le nombre
des ternies; il faut alors, pour obtenir la somme
des termes, calculer d'abord le dernier terme par la
règle donnée plus haut.
E.XEMP1.ES. — 1° Calculer la somme des n pre-
miers nombres entiers.
Les termes extrêmes sont 1 et n, leur demi-
?î -+- 1
somme est — - — ; donc la somme des n pre-
miers nombres entiers est, d'après ce qui pré-
cède :
re-H n'n-lr 1).
en d'autres termes, cette somme est égale h. la
moitié du produit des nombres entiers consécu-
tifs « et ?? 4- 1. Ainsi, la somme des 99 premiers
nombres entiers est :
9i><10?=4950.
2° Trouver la somme des )( premiers nombres
impairs.
Je calcule d'abord la valeur du n" nombre im-
pair, c'est-à-dire du n" ternie d'une progression
dont le premier terme est 1 et dont la raison
est 2; en appliquant la règle connue, on trouve :
1 4-2(ï! — l) = 2;j — 1.
Il faut ensuite trouver la somme d'une progres-
sion de n termes, les ternies extrêmes étant 1 et
2n — 1 ; la somme des extrêmes est 1 -|- 2n — 1
ou 2/î, la demi-somme de ces extrêmes est n;
donc la somme des n premiers nombres impairs
est n X n ou ;.*, elle est égale au carré de n. Par
J
PROGRESSIONS
1725
PROGRESSIONS
oxemplc, la somme dos 25 premiers nombres
impairs est égale au carre de 25 ou à 1)25.
i;. — l'oiiMUi.Es. — Soit n le premier terme, d'une
progression arillim6U(|ue, r la raison, l le dernier
terme, n le nombre des termes et S la somme
di-s termes; ces cinq quantités sont liées entre
illes par les équations suivantes :
/ = a + (îî — l)r.
qui permettent de résoudre la plupart des pro-
blèmes qu'on peut se proposer sur les progres-
sions arithmétiques.
II. PROGRESSIONS GÉOMÉTRIQUES.
7. — On appelle progression géométrique OM par
quotient une suite de nombres tels, que chacun
d'eux est égal au précédent multiplié par un nom-
bre constant, qu'on appelle la raison. Les nom-
bres qui composent une progression géométrique
s'appellent les tcruifs de cette progression.
Si la raison est plus grande que 1, les termes
successifs de la progression vont en croissant, et
la progression est dite croissante; elle est dë-
croissantf quand la raison est plus petite que 1.
Pour indiquer qu'une suite de nombres forme
une progression géométrique, on les sépare l'un'
de l'autre par deux points, et on fait précéder le
premier du siino -K-.
Ex. La progression géométrique :
•H- 5: 10:20:40:80: 160
a pour raison ? ; chaque terme est égal au pré-
cédent multiplie par 2 ; c'est une progression
croissante. Au contraire, la suite :
' • ' • J.
3' â' 27
que la sixième puissance de la raison est égale au
quotient de ii8 : 7 ; donc enfin la raison est égale
h la racine sixième de ce quotient, c'est-à-dire & :
l A 48 B/—
y— = V04=2.
-h9:3;
est une progression géométrique décroissante
dont la raison est |.
Problème. — Connaissant le premier terme et
In raisoTi d'une progression géométrique, trouver
la valeur d'un ter/ne de rang quelconque.
Soit a le premier terme et q la raison ; d'après
la définition.
le 2' terme est i
le .3' —
le 4« —
le 5' —
aq X 9 ou à.
aq'^xq —
aq'^xq —
nq ,
aq'^,
aq^,
et ainsi de suite. Un terme quelconque de la pro-
gression est égal au premier terme multiplié par
une puissance de la raison dont l'exposant est
ég'd au nombre îles termes qui précèdent.
Ex. — Calculer le cinquième terme d'une pro-
gression géométrique, dont le premier est 3 et la
raison |. Le cinquième terme en a 4 avant lui;
donc sa valeur est :
3X
GM-
8. — Moyens géométriques. — Insérer [,"1,%,^
moyens qéométiiqnes entre deux nombres donnés,
c'est former ujie progression géométrique dont les
nombres donnés soient les termes extrêmes, et
qui comprenne 1, 2, 3, 4, autres termes entre
les extrêmes.
Proposons-nous, par exemple, d'insérer cinq
moyens géométriques entre les nombres 7 et 448.
Si la progression cherchée était écrite, le dernier
terme kM en aurait .S -f I ou (i avant lui ; il serait
donc égal au premier terme 7 multiplié par la
sixième puissance de la raison. Il résulte de là
De ce raisonnement, qui est évidemment général,
ou déduit la règle suivante :
La raison de la progression formée en insérant
des moyens géométrique'^ entre deux nombres
donnés, s'obtient en divisant le second par le
premier et en extragant de ce quotient une racine
dont l'i?idice est égal au nombre des moyens à
insérer plus un.
La raison étant connue, les moyens géométri-
ques se calculent en multipliant successivement
le premier nombre par la raison, puis le produit
obtenu par la raison, puis ce nouveau produit par
la raison, et ainsi de suite. Dans notre exemple,
la progression demandée est :
vi-7: 1-4:28:51;: 112:224:448.
Supposons en particulier qu'on veuille insérer
un seul moyen géométrique entre deux nombres;
la valeur de ce moyen, qu'on appelle alors la
moyenne géométrique ou la moyenne proportion-
nelle entre les deux nombres, s'obtient en ex-
trayant la racine carrée du produit de ces deux
nombres. En effet, si a et b sont les deux nombres
donnés, les trois nombres
a, V«*. *.
forment une progression dont la raison est i/_,
\ a
ainsi qu'il est aisé de le vérifier.
9. — Théorème. — Si l'on insère entre les termes
consécutifs d'une progression géométrique, pris
lieux à deux, un même nombre de moyens, on
obtient une suite de progressions partielles dont
l'ensemble forme une progression unique.
Considérons la progression géométrique:
W2:6:18:54,-1G2,
dont la raison est 3, et insérons 4 moyens entre
les termes consécutifs pris deux à deux. La raison
de la première progression partielle sera, d'après
la règle précédente, K -\ celle de la seconde sera
de même i /_: celle de la troisième, i /_, etc.
V G ' V 18
.... . «i 18 54
Mais les quotients --, ■ — , — ,••• sont tous égaux à
-1 2 0 18 ^
la raison 3 de la progression donnée ; il en résulte
que les raisons de toutes les progressions par-
tielles seront égales entre elles; leur valeur com-
mune est ^3. D'autre part, le dernier terme de
chaque progression partielle est en même temps
le premier terme de la suivante; donc toutes ces
progressions partielles, écrites à la suite l'une de
l'autre, forment une seule et même progression,
dont la raison est y 3- Voici, pour notre exemple,
toutes ces progressions partielles :
-K- 2: 2V3: 2^3^: 2v'3': 2V3*: C,
•H «: (ivJi: CV/3a: 6V3»: 0^3*: 18,
•H- 18 : 18 V» : 18 Vs' : 18 Va" : 18 V3' : 54,
W 54 : 54 v3 : 54 V32 : 54 ^3» ; 5'i V»'' : 1G2 ;
on les écrivant à la suite l'une de l'autre, on ob-
tient une progression unique.
PROGRESSIONS
1726 —
PROGRESSIONS
10. — Somme des termes d'une progression géo-
uÉTnioiiE. — Considérons d'abord une progression
géométrique croissante, et désignons ses termes
successifs par a, b, c,,... g, li, t, sa raison par q, et
la somme des termes par S; nous aurons:
S = a+A+c+ +g + h + l.
Multiplions tous les termes de cette égalité par
g, et remarquons que, les nombres ", b. c,.... for-
mant une progression géométrique dont la raison
est g, on a :
aq^^zb, bq = c, hq=l;
il viendra alors :
83=6 + 0+ + A 4. / + /y,
q étant plus grand que 1 , S9 est plus grand que S ;
retranchons la première égalité de la dernière, et
supprimons les termes //, c, h, l, qui se détrui-
sent; nous aurons :
Sy — S=/gr — a,
ou bien
S(7 — >) = '?— a;
d'où l'on tire enfin :
S =
Iq — g
7-1'
formule qui s'énonce ainsi :
La somme des termes d'une progression géomé-
trique croissante s'ohiient en multipliant ledemier
terme par la raison et retiayichant le premier
terme de ce produit, puis en divisant cette diffé-
rence pnr l'excès de la raison sur l'unité.
Supposons maintenant que la progression
donnée soit décroissante, c'est-à-dire que la raison
q soit plus petite que I. La méthode précédente
s'iipplique encore, avec cette seule difîérence qu'il
faudra retrancher la valeur de Sç de celle de S;
on arrivera ainsi à la formule :
S = -
■Iq
qui se traduira par la règle suivante :
La somme des termes d'une progression géomé-
trique décroissante s'obtient en multipliant I- der-
nier terme par la mison et retrnnchnnt ce pro'luit
dupremier terme, puis en divisant cette d'fférence
par l'excès de l'nnM sur la raison.
Exemples. 1° Trouver la somme des termes de
la progression :
vi 4 :!•.!: 36: 108:324 :972,
dont la raison est 3.
On a
972x3-4 2012
S = — ^-^^- = -^ = 1456.
2° Trouver la somme des puissances successives
du nombre a depuis la première Jusqu'à la n", a
étant > 1.
Ces puissances forment la progression géomé-
trique croissante :
■H- a : a- : «3;
' Q I
dont la raison est a; la somme S est donc :
n" y^a — a a (a" — I )
a — l
Sia = 2 et n = 10,
S =
2x(2i«-n
2 — 1
= -:;oie
r 3° Un maréchal ferrant, qui a employé 32 clous
pour ferrer un cheval, demande 1 centime pour
le 1" clou, 2 centimes pour le 2' clou, 4 centimes
pour le 3« clou, 8 centimes pour le 4* clou, et
ainsi de suite en doublant toujours. Quel est le
montant de la somme qu'il réclame?
Les nombres de centimes correspondant aux
clous successifs forment une progression géomé-
trique de 32 termes, dont le premier terme est 1
et dont la raison est 2. Le 32° terme sera donc,
d'après la règle connue, 1 x2"=2'i; par suite,
la valeur de la somme S sera :
2'ix2-l
= 2'2— 1 = 4294967295,
ce qui donne la somme énorme de 42349672 fr.95.
Cet exemple montre avec quelle rapidité croissent
les termes d'une progression géométrique dont la
raison est plus grande que I .
4° Trouver la somme de la progression géomé-
trique décroissante :
^JlL. SL-JL ■ JL .jl
■■ 100 ■ 1002 ■ lOu» ■ 100* ■ 100»
La raison de cette progression est — : par suite,
la somme demandée est :
47
uiu
■W
lOU»^
-i- 47— il
1110 iou«
~'m
9.)
ou encore.
47
99
47
99X101.6
Remarquons que la progression donnée équivaut
à la fraction décimale :
0,4747474747.
11. — Formules. — En désignant par a le premipr
terme d'une progression géométrique, par l h',
dernier terme, par n le nombre des termes, par
q la raison et par S la somme des termes, on =>,
les formules suivantes :
S =
Ig — a
suivant que q est plus grand ou plus petit que 1.
Ces formuhss permettent de résoudre un grand
nombre de problèmes sur les progressions géomé-
triques.
12. — Des progressions géométriqies indéfinies.
— On peut toujours supposer qu'on prolonge indé-
finiment une progression géométrique dont on
connaît le premier terme et la raison ; ces suites
indéfinies jouissent de propriétés qu'il est utile
d'établir.
Théorème. — Dans une prO'/ressiu7i géométrique
croissante indéfinie, la différence de 'leux termes
consécutifs va toujours en croissant à mesure
qu'on s'iivnnce dims la progression.
Soient a, f>, c, trois termes consécutifs de la
progression, et (7 la r.iison, qui est supposée plus
grande que I ; on aura, en vertu de la définition
même des progressions :
b = og,
c=iq;
retranchons la première égalité de la seconde ;
nous aurons :
c — b=^ bq — «7 = (A — a'jq ;
PROGRESSIONS
— 1727 — ■
PROGRESSIONS
ce qui niontro que la différence c — A est plus
grande que la (lifTérence 4 — a, puisque la première
est égale au produit du la seconde par un nombre
</ plus grand que 1 ; c'est ce qu'il fallait démon-
trer.
On voit de plus que les différences successives
des termes consécutifs forment une progression
géométrique, dont la raison est q, c'est-i-dire la
même que celle de la progression donnée.
Théorème. — Dans une jirogre^sion géométrique
croissante imléfinie, les termes rvigmentent indéfi-
niment et penv-iit dépasser torde tinide.
Si la différence de deux termes consécutifs était
constante, il est clair qu'en formant les termes
successifs par l'addition de cette quantité cons-
tante, on pourrait arriver à un nombre aussi
grand qu'on voudrait. Il en sera de même, à plus
forte raison, si la quantité qu'on ajoute à un
terme pour former le suivant, au lieu de rester
constante, va elle-même en croissant; pr c'est ce
qui a lieu dans une progression géométrique
croissante, comme nous l'avons démontré dans le
précédent théorème.
Corollaire. — Les puissances successives d'un
nombre plus grand que 1 vont en croissant et peu-
vent dépos^er toute limite. Car ces puissances
sont les termes d'une progression géométrique,
dont le premier terme et la raison sont égaux au
nombre donné, et qui, par conséquent, est crois;
Bante, puisque ce nombre est plus grand que I .
13. — Thkobème. — Dam une progression gi'o-
métriquedécroissant e indi'finie, l- s termes successifs
décroissent ind' fininient et peuvent devenir plus
petits que tmile quantité donnée.
Nous rappellerons d'abord quelques propriétés
connues des nombres inverses. On sait qu'on appelle
inwei'se d'un nombre le quotient obtenu en divisant
l'unité par ce nombre ; ainsi, l'inverse de 2 est |, l'in-
verse de I est :i, l'inverse de ^ est \. Il résulte de
cette définition que le produit d'un Jiorabre par son
inverse est égal à, l, et, par suite, que si un nom-
bre est plus grand que I, son inverse est plus
petit que I, et réciproquement. Enfin, si l'on di-
vise l'unité par des nombres de plus en plus
grands, les quotients sont de plus en plus petits
et peuvent devenir aussi petits qu'on voudra ; en
d'autres termes, les inverses de nombres qui crois-
sent sans limite, décroissent eux-mômcs indéfini-
ment.
Cela posé, considérons une progression géomé-
trique décroissante indéfinie ;
-H-a:6:e:d: ;
désignons par y la raison qui est plus petite que I.
On aura les éiçalités :
O^aq, c = bq, d = cq,
on en déduit :
0 a q c b q d
égalités qui montrent que -1 -;, -, -,v. sont les
a h c d
termes d'une progression géométrique dont la
" a' Ti' c' d ''
mais cette progression est croissante, puisque sa
raison est le nombre -, qui est plus grand que 1.
Donc, en vertu du théorème précédent, les ter-
mes de cette seconde progression croissent indé-
finiment et peuvent dépasser toute limite ; par
suite, leurs inverses, c'est-à-dire les termes de la
progression donnée, décroissent indéfiniment et
peuvent devenir aussi petits qu'on voudra.
14. — Limite iie la somme des termes d'u.ne pro-
gression GÉOMÉTillQUE UÉCBOISSANTE INUÉFI.ME. —
Si, dans une progression géométrique décroissante
indéfinie, on prend un nombie de plus en plus
grand de termes et qu'on les ajoute, la somme va
en augmentant; mai» el!.; reste toujours inférieure
à une limite que nous allons déterminer.
Soit a le premier terme de la progression, q sa
raison ; la somme S de tous les termes jusqu'à un
terme quelconque l est donnée par la formule
établie ci-dessus:
que l'on peut écrire :
S = -
a — lq
': lj_
-q \-q'
Si l'on prend dans la progression un nombre de
plus en plus grand de termes à partir de a, le
dernier terme / décroîtra indéfiniment et tendra
vers zéro, ainsi que nous l'avons démontré; il
en sera de même du produit de ce terme par la
quantité constante , ^; par conséquent, la
7'
somme S ira en croissant et se rapprochera autant
qu'on le voudra de En d'autres termes,
ï-q
est la limite vers laquelle tend la somme S
quand le nombre des termes de la progression
augmente ijidéfiniment.
Ex. : 1" Trouver la limite de la fraction déci-
male périodique (1,48484848
Cette expression peut se mettre sous la forme
d'une progression géométrique décroissante indé-
finie :
48 48 _ _48_, _48_ .
" lUO ■ lUO^ ■ lUU^ ■ lOU*
48 , . 1
Le premier terme est — - et la raison est — — ;
donc la limite de la fraction périodique est :
il
lUO _ 48 _ 99 _4S_
_l_~ 100 ■ 100^99'
~ lUO
on retrouve ainsi la valeur donnée en arithméti-
que iV. Fractions).
2" Trouver la limite de la somme des termes
do la progression géométrique décroissante :
^ I , 1 . 1 . J_.
■■ Û" 4 ■ 8 ■ 16
L'application de la formule donne :
Rem. Los propriétés des progressions servent
de base à la théorie des /ogarii/tmes, et à. celle
des annuités et de l'amortissement (V. ces mots).
[H. Dos.]
PRONOM
— 1728 —
PRONOM
PRONOM. — Grammaire, XII. — l.e pronom
est un mot qui tient la place du nom. Dans cette
phrase : ■• Paul est espiègle, mais il deviendra
raisonnable, » il. que l'on met à la place de Paul,
est un pronom. Pronom vient du latin pronomen
(qui se met à la place du nom).
Le pronom prend le genre et le nombre du nom
dont il tient la place. Ex. : " Les liirondelles par-
tent ; elles vont dans les pays cliauds. n Elles est
féminin et pluriel, parce que hirondelles est du
féminin et du pluriel, u Votre maison est grande,
la mienne est plus petite, u la mienne est du fé-
minin et du singulier comme le mot remplacé :
ynaison.
Il y a cinq sortes de pronoms : les pronoms
personnels, démonslratifs, possessifs, relatifs et
iyiclé finis.
I. PUONOMS PERSONNELS.
Les pronoms personnels sont ceux qui dési-
gnent les personnes, en indiquant le rôle que ces
personnes jouent dans le discours.
Dans cette phrase : « Je devine que tu viens de
cheî lui, )■ on distingue trois personnages diffé-
rents -.je. tu et lui, qui sont les trois acteurs de
ce petit drame. Ces acteurs ont des rôles diffé-
rent*, que nous trouvons marqués ici par trois
mots distincts ; le premier rôle ije) est celui de
l'acteur qui parle de lui-même ; le second (tu), ce-
lui de l'acteur à qui l'on parle; le troisième {lui),
celui de l'acteur dont on parle.
En trrmcs de grammaire, on appelle ces trois
rôles des personnes (du latin persona, rôle, per-
sonnage do théâtre).
Les pronoms personnels sont :
' personne Je, i)ie, moi-
— Th, le, toi.
— //, elle, lui, le. la, i
— Us, eHes, eux; les, leurs.
n Tous ces pronoms viennent directement du
latin; les deux premières personnes, des per-
sonnes correspondantes en latin ; la troisième
personne a été empruntée aux pronoms démons-
tratifs latins.
Je, au xii« siècle yo, au x' io, au ix" in et aussi
eo dans les fameux serments de Strasbourg de
84'2, vient du latin ego (je) ; par la chute du g,
e(g)o devient eo, comme li{g)are est devenu
lier : eo s'adoucit en i >, comme leonem en lion :
io est postérieurement devenu jo (comme Di-
hionem est devenu Dijon). Enfin, jo s'est adouci
en je. Nous avons vu le vieux français Io, ço,
adouci en le, ce. — Me est le latin me (moi). —
Mot vient également du latin me, comme toile
vient de tela, voile de vélum. — N'^us est le latin
nos (nous). — Tu, te, représentent le latin tu
(tu), te (toi). — T:i vient également de te. —
Vous est le latin vos (vous).
Le pronom' de la troisième personne latine is
(il), ea (elle), a été abandonné par le français,
sans doute i cause de son peu d'ampleur, et no-
tre langue a emprunté sa troisième personne au
pronom démonstratif i//e (celui-là), illa (celle-là!,
illud (cela) : ille est devenu il, comme nulle a
donné mil; illi a donné elle, comme axilla, ais-
selle; le pluriel iiU a donné le vieux français il,
auquel la langue moderne a ajouté un s, d'où
Us; elles vient de illus. — Eux vient de illos,
comme cheveux, de capiUos. — On a vu (V. Article)
l'origine de le, la, les. — Me, te, se, viennent du
latin me, te, se. — Lui est le latin itlihuic (à ce-
lui-ci) qui, contracté en illuic, se trouve déjà sous
la forme illui dans une inscription romaine pu-
bliée par Muratori. Illui est devenu l"i, comme
illiim est devenu la, comme illorum est devenu
leur, par la chute de la première syllabe.
Quand le ne désigne pas les personnes, mais
les choses (comme dans cette phrase : la Pologne
périra, jo le prévois), il signifie cela, vient du
neutre latin illud icelaj, et nous représente à peu
près le seul débris du genre neutre que nous
possédions en français. Ce qui nous explique
pourquoi aux questions : « Etes-vous la mère de
cet enfant '? » ou » Etes-vous la malade ?» il faut
répondre, je la suis (c'est-à-dire, je suis la per-
sonne dont vous parlez), — tandis qu'aux ques-
tions : « Etes-vous /«ère ? Etes-vous malade ?» il
faut répondre je le suis, c'est-à-dire, je suis cela,
(illud,, c'est ce que je suis, ce que vous m'avez
demandé; jo possède <« qualité de mère ou l'état
de malade. ^ £?i, dans le vieux français ent, vient
du latin inde (en, de là) comme souvent vient de
subiiide. — y, dans le vieux français i, vient
du latin uhi (là). » (Brachet, Nouvelle grammaire.)
Remarque. — 1° Les pronoms il, ils, eux, le,
remplacent les noms masculins ; elle, elles, la,
remplacent les noms féminins; les autres servent
pour les deux genres.
2° Nous s'emploie parfois au lieu de je, soit
comme marqua d'autorité : Nous décrétons ; soit
pour donner à la phrase un ton moins tranchant :
Nous sommes prêt à vous écouter ; soit dans le
langage familier : On l'a réprimandé souvent, mais
nous sommes opiniâtre. Alors l'adjectif reste au
singulier.
3» Vous s'emploie par politesse au lieu de tu, et
l'adJHCtif reste au singulier : Paul, vous êtes sage.
i' Le, la, les, pronoms, ne doivent pas être con-
fondus avec le, la, les, articles. — Le, la, les,
pronoms, sont toujours placés avant ou après un
verbe : Je te le donne, prends-i«. — Le, la, les,
articles, accompagnent toujours un nom : Ni l'or,
ni la grandeur ne nous retident heureux ;
5° Leur est pronom lorsqu'il signifie o eux, à
elles; il accompagne alors le verbe et ne prend
jamais de s. Ex. : Je leur ai donné un livre. Il
est adjectif lorsqu'il signifie d'eux, d'elles, et il
peut alors prendre la marque du pluriel : J'ai
donné leurs livres à ces enfants ;
6° En est pronom lorsqu'il est mis pour de lui,
d'elle, d'eux, d'elles, de cela. Ex. : J'aime cet
enfant et j'en suis aimé. Autrement il est ad-
verbe : S'en viens; ou préposition : Je suis en
France ;
7» J' est pronom quand il signifie à cette chose,
à ces choses, à cela. Ex.: L'aiîaire est imporunte,
j'î/ donnerai tous mes soins. Autrement il est
adverbe : Tu v cours.
8° Se, soi, s'appelle aussi pronom réfléchi parce
qu'il rappelle toujours le sujet de la proposition.
Ex. : On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
9° Lorsque le pronom il ne se rapporte à aucun
nom, comme dans ces phrases : // pleut, il faut
aimer ses parents, on dit qu'il est impersonnel. li
est alors véritablement le neutre latin il/ud. (On
sait que neutre (neutrum) signifie ni l'un ni l'au-
tre, c'est-à-dire ni masculin ni féminin.)
10° Pour donner plus de force à l'expression,
on joint aux pronoms personnels l'adjeciif même ;
on a alors les pronoms composés : moi-même, toi-
même, lui-même, 7ious-)nêmes, etc. Ex. : Il a lu
lui-même ma lettre; je viendrai moi-même.
II. — Pronoms ué.monstratifs.
Les pronoms démonstrntifs sont des mots qui
servent à montrer la personne ou la chose dont on
parle. Ex. : Mon cheval est moins beau que
celui-ci.
PRONOM
Les pronoms démonstratifs sont :
1729 —
PRONOM
Eèi ajniuant les adverbes ci et /à h ces pronoms,
on forme de nouveaux pronoms démonstratifs,
qui sont :
Ceci, cela.
Celui-ci, celui-là.
Celle-ci, celle-là.
« Dp. mCme que le latin ecce hic donna ici, le pro-
nom masculin eccillum (celui-li'i) donna le vieux
français icel, 'e féminin eccillum donna icelte
(comme iWim a donné elle), — le pluriel eccillos
donna iceux (comme il/os donna eux, et capillos,
chrveux). — Icel, qui avait pour régime iceliti
(formé comme autrui do anlre), disparut au xvi'
siècle. De môme que ici se réduit à ci, — icelle,
icelui, iceux, se réduisent à celle, celui, ceux. La
forme icelle a persisté néanmoins dans quelques
formules de procédure. (De ma cause et des faits
renfermés en icelle, dit Racine dans les Plai-
dijurs). » (Bracliet, Nouvelle grammaire.)
Remarque. — 1. l'e est pronom : 1° Lorsqu'il
accompagne un verbe. Kx. : Ce doit être mon
frère ; est-ce lui? — 2° Lorsqu'il est placé devant
les pronoms (?!«', que, quoi, dont. Ex. : J'irai voir
ce qui est arrivé ; je ferai ce que vous demandez.
Mais, placé devant un nom, ce est adjectif : Ce
livre, ce chapeau.
2. Dans celui-ci, celui-là, ceux-ci, etc., ci mar-
que le rapprocliement, là marque l'éloignement.
Ex. : Cicéron et Démostliène furent deux grands
orateurs; celui-ci était Gvec, celui-là était Romain.
Dans cette phrase, celui-là désigne le premier
nom exprimé, Cicéron; celui-ci désigne le second,
Démosthène.
3. Lorsque ceci, cela, sont mis en opposition,
ceci désigne l'objet qui est le plus près de nous,
et cela l'objet qui en est le plus éloigné. Ex. : Pre-
nez ceci, laissez cela.
h. Ceci s'applique encore à ce qui va suivre,
<:elii à ce qui précède, dans les phrases telles que:
N'oubliez pas ceci : aide-toi, le ciel t'aidera. —
L'orgueil est un grand défaut, retenez bien
cela.
in. — Pronoms possessifs.
Les pronomt possessifs remplacent le nom en
marquant la possession. Ex. : Ce livre est plus
beau que le vôtre ; ton cheval est plus noir que
le sien.
Quand on parle d'un objet possédé par une
seule personne, les pronoms possessifs sont :
i'
2-
3-
personne
Le viien.
Le tien.
Le sien.
1 " personne La mienne.
2" — La tienne.
3' — La sienne.
PLIUB
L MASCULIN
PLuniBL PKHinm
1'
!•
3«
personne
Les miens.
Les tiens.
Les siens.
!'• personne Les miennes
2* — Les tiennes.
3' — Les siennes.
M Pourquoi cette différence d'orthographe entre
notre et le nôtre, — votre et le vôtre? Pourquoi
dans le premier cas o est-il bref, tandis que dans
le second il est long et surmonté d'un accent cir-
conflexe? Le latin nostrum donne le vieux fran-
çais nostre, qui remplace régulièrement s par un
accent circonflnxe marquant l'allongement de la
voyelle, d'où nôtre, comme teste, best ', tem/ieste,
apostre sont devenus te't^', béte, trm) été, apôtre. —
Nôtre, rôtre (dans le ?idi)v, le vôtre) sont donc les
vraies formes; mais ces mots se sont allégés et
abrégés, quand ?iôtre, vôtre précédaient immédia-
tement un nom sur lequel se portait naturelle-
ment tout l'effort de l'accent tonique : au lieu de
din' 7iôtre lime, qui eût été régulier, mais sans
relief, on allégea l'adjectif pour reporter tout
l'effort de la voix sur le substantif, d'où 7iotre
âme. » (Brachet, Nouvelle grammaire.)
IV. — Pronoms relatifs.
Les pronoms relatifs sont, ceux qui unissent le
nom ou le pronom dont ils tiennent la place avec
le membre de phrase qui les suit. Ex. : Le chêne
qut ombrage notre cour est vert; le livre que j'ai
lu est intéressant.
Quand nous disons : Le chêne qui ombrage
notre cour est vert ; le livre que j'ai lu est intéres-
sant, — les mots qui, que, nous avertissent que
ce qui va suivre se rapporte à la personne ou à la
chose dont on vient de parler, et sont appelés
pronoms relatifs, parce qu'ils servent à marquer
le rapport, la relation qui existe entre les deux
membres de la phrase.
Le mot que le pronom relatif représente est
appelé son antécédent. Dans les exemples qui pré-
cèdent, chêne est l'antécédent de qui, livre est l'an-
técédent de que.
Le mot antécédent vient du latin antecedentem
(qui marche avant), parce que ce mot se place
avant le pronom relatif.
Les pmnoms relatifs sont : qui, que, quoi, dont
(invariables), et lequel, qui varie en genre et en
nombre :
Au moyen âge, mien, tien, sien pouvaient être
employés comme adjectifs : le vieux français disait
Indifféremment mon frère, ton vassal, ou le viien
frère, /-• tien vassal De cette règle, qui ne tarda
pas à disparaître, il est resté (|uelques traces
dans : un /n(ej! cousin (pour m((?i cousin), la mai-
son esVUenne, le •■ieii propre.
Quand on parle d'un objet possédé par plusieurs
personnes, les pronoms possessifs sont :
i'< personne Le nôtre, la nôtre, les nôtres.
*" — 1^ vôtre, la vôtre, les vôtres.
'■ — i^ leur, la leur, les leurs.
V Partie.
Lequel.
Duquel.
Auquel.
Laquelle.
De laquelle.
A laquelle.
Lesq^tcls. Lesquelles.
Desquels. Desquelles.
Auxquels. Auxquelles.
Qui, que, quoi viennent respectivement du latin
qut, quein, qwd.
Dont vient du latin de unde (d'où) : unde donna
ont, qui signifiait oit dans notre vieille langue ;
und", joint à la préposition de, devint itont, qui,
en vieux français, signifiait il'oii : '^ 11 me demanda
dont je venais. » Dait fut encore employé avec ce
sens jusqu'à la fin du dix-huitième siècle : « Ren-
tre dans le néant dont je t'ai fait sortir. » (Racine,
Bajazet.) « Ma vie est dans les camps dont vous
m'avez tiré u (Voltaire.)
Lequel est composé de le et de quel, qui est le
latin qualis.
Emploi des pronoms relatifs. — 1" Qui, précédé
d'une piéposition, se dit des personnes ou <des
choses personnifiées. Ex.: L'enfanta qui loatcédt;
est le plus malheureux (et non i'enfant auquel..,)
— O rochers escarpés I c'est à vous que je me
plains, car je n'ai que vous à qui je puisse mo
plaindre.
2° Lequel, laqtietle, etc., précédés d'une prépo-
sition, se disent des animaux et des choses. Ex. :
Les sciejices nuxqvelles jfs m'applique. — Les La-
pons ont un chat noir auquel ils confient tous leurs
109
PRONOM
1730 —
PRONONCIATION
secrets (el non les sciences à gui , un chat à
?"'■'■
3" Leqiie', /aque/le, etc., s'emploient quelque-
fois au lieu de gui, pour éviter une équivoque.
Ex. : J'admirais la pureté de ce ciel du midi, l'i-
qiulle est extraordinaire. Qui, rais à la pl.ice de
laquelle, ferait croire que ciel est le véritable an-
técédent.
4° Quoi a un sens indéfini, et ne se dit que des
clioses : Ex. : Voilà sur quoi je veux que Bajazet
prononce (Racine).
h" Qui peut s'employer sans antécédent comme
sujet ou comme complément. Dans ce cas, il ne
s'applique qu'aux personnes et est au masculin
singulier. Ex. : Qui sert bien son pays n'a pas bc!-
soin daieux. — A qui venge son pèn,-, il n'est rien
d'impossible. — Choisis qui tu voudras.
C° Dont, marquant l'origine, l'extraction, la For-
tie, ne se dit que des personnes : La famille illus-
tre d'tit il descend.
Avec les noms de choses, on emploie d'où ; Le
pays iPiù je viens (non ; le pays i/onl je viens).
"" D'oie s'emploie aussi au lieu de dom pour
marquer une conclusion : C'est un fait U'oii je
conclus (et non pas : dut, t je conclus).
Remm-que. —Il ne faut pas confondre yi'e, pro-
nom, avec 71'e, adverbe ou conjonction, pue est pro-
nom lorsqu'il peut être remplacé par lequel, la-
qjielle, /eiquelles. E\.:yoici\a rose qw'jd,! cueillie,
c'est-à-dire laquelle j'ai cueillie. — Il est adverbe
lorsqu'il signifie combien: Que de belle» roses j'ai
cueillies ! — Il est conjonction lorsqu'il ne signi-
fie ni lequel, ni eombien : Je crois que lu lis ; je
pense q'ie vous êtes heureux.
Les pronoms relatifs servent également à inter-
roger; on les appelle alors pro.noms interrogatifs.
Ex. : Qui êtes-vous? — Que demandez-vous? —
A quoi êtes-vous bon? — Voici deux accusés, le-
quel est coupable .'
Remaque. — Les pronoms interrogatifs n'ont
point d'antécédent.
Qui, interiogatif, ne se dit que des personnes.
Ex : Qui cherchez-vous ? (c'est-à-dire quelle per-
sonne cherchez-vous ?j
Qui-, interrogatif, ne se dit que des choses. Ex.:
Que cherchez-vous? (c'est-à-dire quett- cho.ie cher-
chez-vous ?) Après une préposition, au lieu de que,
on emploie quoi. Ex.: A quoi pensez-vous?
Outre les ponoms interrogatifs proprement
dits, qui s'emploient seuls et servent à remplacer
le nom, il existe un adjectif inlei royidif, quel,
qui s'emploie avec un nom ou un pronom. Ex. :
Quil âge avez-vous? Quel est-il ? Quelles sont-
elles?
Quel varie en genre et en nombre :
Singulier masculin ; quel. Pluriel masculin : quels.
Singulier féminin : quelle. Pluriel féminin : quelles.
V. — PRONOMS INDÉFI.NIS.
Les pronoms indéfinis sont ceux qui désignent
une personne ou une chose d'une manière vague,
générale et indéfinie. Ex. : Quelqu'un est venu.
On nous l'a dit. Uespectez le bien d'uuirui.
Ces pronoms sont : «n ou l'on, ch nun, autrui,
personne, rieu, quelqu'un, quiconque, l'un, l'autre.
Quelques grammairiens appellent o;i,7Je;-soîi«e,
rien, noms indetinis. Ces mots étaient, en effet, à
l'origine, de véritables substantifs.
On, qui était au xn' siècle om, et plus ancien-
nement liom, n'est pas autre chose que liomo, et
veut dire proprement un liomme. a On lui amène
son destrier », c'est-à-dire un homme lui amène
son destrier.
On était donc un substantif; dès lors rien d'é-
tonnant qu'il soit précédé de l'article [ton).
L'on se met fréquemment par euphonie au lieu
de 071 après les conjonctions el, si, of. Ex. : .Si
Con savait tout. Parlez et l'oji écoutera. Sachez où
l'on va.
Mais quand on est suivi du pronom le, In, les,
il vaut mieux conserver 071 sans article. Ex. : Qu'il
parle et 07i l'écoutera. Si 071 le savait. Sachez où on
In conduit ; et non : Si l'on le savait, où l'on la
conduit.
Pour l'origine de chacu/i, autrui, quelqu'un,
V. Adjectif.
Perso7ine vient de persona. Rien, du latin rem,
signifiant chose (V. Adverbe).
Quiconque est le latin quicumque et signifiait
tous ceux qui.
L'u'i, l'autre représentent le latin unus el aller,
précédé de l'article,
UEMARQtiEs. — I" Le mot perso7ine est pronom
lorsqu'il n'est accompagné ni de l'article ni d'au-
cun adjectif : Personne n'est venu ; personne a-t-
il jamais parlé comme vous ? Dans le cas contraire,
personTxe est un nom féminin : Ces personnes
sont obligeantes.
2° Le mot rie7i est pronom lorsqu'il n'est accom-
pagné ni de l'article ni d'aucun adjectif : Je n'ai
)■!«« vu. Dans le cas contraire, c'est un nom
masculin : Un songe, un rie7), tout lui fait peur.
Quelques arf;ec<(/s mrfe^îïiv peuvent s'employer
sans être suivis d'un nom et deviennent alors ^n-o-
7107ns indéfi/lis. Ex. : A'u/ n'est irréprochable ;
plusieurs ont pleuré ; tout est perdu, etc.
Ces adjectifs sont : autre, nul, tel, tout, cer-
tains, etc.
ï" Autre est pronom lorsqu'il n'est accompagné
ni d'un substantif, ni du pronom en. Ex. : Un autre
que moi ne vous parlerait pas ainsi. Dans le cas
contraire il est adjectif. Ex. : Aut7-es temps, autres
mœurs.
2° Les mots Vu7i et l'auti'e placés devant un
nom sont adjectifs et s'accordent avec le nom : J'ai
parcouru l'u/ie el l'nutre région. Employés seuls,
ils sont pronoms. Ex. : Ils sont tombes l'uti el
l'autre.
.3° Nul est pronom lorsqu'il n'est pas accompa-
gné d'un substantif. Alors il a la même significa-
tion que le mot/ie)'S"n?îe, et n'est d'usage qu'au
masculin singulier. Ex. : Nul n'est content de
son sort.
Joint à un nom, il est adjectif et s'accorde avec
ce nom. Ex. : L'homme ne trouve i.ulte part son
bonheur ici-bas.
•4° Tel, employé comme pronom, a le sens de
celui et ne se dit pas au pluriel. Ex. : Tel qui rit
vendredi, dimanche pleurera.
5° Tnut, employé comme pronom, est toujours du
masculin. Ex. : Tout languit, tout s'altère. — Affa-
ble à tous avec dignité (Bossuet).
G» Certain est pronom indéfini au pluriel,
quand il signifie quelques-uns. Ex. : Certai7is l'af-
firment (V. Syntaxe). [J. Dussouchet.]
Auteurs à consulter : Ayer, Grammaire comparée;
Brachel, Nouvelle Grammaire; Chassang, Grammaire fran-
çaise, cours supérieur; B. Jullien, Cours supérieur; Lariv.'
et Fleury, Cours supérieur, etc.
PROXONCIATIOX. — Grammaire, IV. — La
prononciation (du latin proiiuntiatio, action de
proférerj est la manière d'articuler les lettres et
les mots. La grammaire n'apprend pas seulement
à écrire, elle apprend aussi à parler correctement,
et pour bien parler il faut donner à chaque son sa
valeur réelle. Nous avons vu qu'on représentait
les divers sons d'une langue par certains signes
appelés lettres (V. Lettres). Nous avons énii-
méré et classé tous les signes usités dan? l'écri-
ture française ; il nous reste à savoir si ces signes
représentent toujours exactement le son qu'on
leur attribue, si la môme lettre garde toujours le
même son, quelle est sa valeur absolue et sa va-
leur relative, en un mot si la langue écrite est
PRONONCIATION
— 1731 —
PRONONCIATION
bien d'accord avoc la langue parlée. Nom avons
d ailleurs effleure déji co sujet dans l'article Let-
tres : il était impossible de parler des signes sans
indiquer le son qu'ils représentent.
Les vouelle-i et les consonnes réunies forment
des njllabcs.
On appelle syllabe un ou plusieurs sons qui se
prononcent sans interruption par une seule éniis-
Bion de voix. Ainsi ôté a deux syllabes, ô ei té : la
première, composée seulement d'une voyelle {ô),
la seconde, composée d'une consonne (t) et d'une
voyelle (é).
On appelle syllabe muette celle qui est terminée
par un e muet, comme me dans j'ai-me.
Un mot est monosyllabe quand il n'a qu'une
syllabe et polysyllabe quand il on a plusieurs.
On ne prononce jamais avoc la même force
toutes les syllabes d'un même mot; ainsi quand
nous disons : marcfiez, cherchons, nous pronon-
çons la dernière syllabe plus fortement que la pre-
mière, tandis qu'au contraire dans marche, cher-
che, nous appuyons sur la première parce que la
dernière syllabe est muette. Cette élévation de la
voix sur une syllabe particulière dans clia<iue mot
s'appelle accent tonique, et la syllabe qui reçoit
cette élévation de la voix, cet accent tonique, s'ap-
pelle la syllabe accentuée ou tonique.
En français, la syllabe accentuée est toujours la
dernière syllabe du mot [moaton, cheval, aima),
excepté quand le mot est terminé par un e muet
(table, aimable), auquel cas on reporte l'accent
tonique sur l'avant -dernière syllabe : aimable,
lisible.
L'accent tonique amène donc l'élévation de la
voix sur la dernière syllabe sonore d'un mot, et
cette syllabe, absorbant à son profit tout l'effort
de la prononciation, diminue d'autant l'intensité
des syllabes précédentes : ainsi hôtellerie, char-
retier, pèlerin, etc., se prononcent en réalité :
Itôtell'ne, charr'tier, pèl'rin, en supprimant l'e
muet.
Il ne faut pas confondre Vaccent tonique avec la
quantité. Toute voyelle peut être brève ou longue,
selon qu'on la prononce vite ou lentement; cette
durée plus ou moins grande de la voix sur une
syllabe est ce qu'on appelle la quantité. En géné-
ral cependant Vaccent tonique a une grande in-
fluence sur la quantité, et une avant-dernière syl-
labe, qui se trouve accentuée parce que la dernière
est muette, est ordinairement longue. Ex. ; rose,
zone, pôle, vue, vie, etc. Cependant il y a des
«xceptions, comme fêler, enrôler, dont l'avant-
dernière syllabe est longue bien que l'accent toni-
que soit sur la dernière. Au contraire, les syllabes
non accentuées ou atones sont ordinairement
brèves : futile, belliqueux, é\èque, etc. C'est
ce qui explique pourquoi les voyelles qui sont
longues quand elles sont accentuées devien-
nent brèves en devenant atones. Ainsi, dans
je loue, j'e/re, fou\e, ruse, etc., la pénultième
est acciintuée et longue, tandis qu'elle est atone
et brève dans louer, errer, (ouler, rasé, où l'accent
tonique passe de la pénultième sur la dernièro
syllabe. 11 en est de même dans la pbrase, si la
disposition des mots affaiblit l'accent d'une pénul-
tième accentuée. Ainsi o est long dans : ce livre
est le Kùtre, et bref dans : c'est Notre livre. La
quantité permet aussi à l'oreille de distinguer cer-
tains mots paronymes, comme mâtin et matin,
bâiller et bailler, tâck-:r et tacher, pécher et pé-
cher, etc.
Telle est en résumé la règle générale qui peut
nous guider dans la prononciation des mots. Il y a,
comme on le voit, des syllabes qui doivent être
sacrifiées; d'autres, au contraire, fortement arti-
culées. Cette règle poussée h l'excès amènerait
une sorte de chant qu'on retrouve dans les accents
provinciaux et qui choque désagréablement l'o-
reille. IMais c'est le contraire qui a lieu le plus
souvent, et cette variété d'intonations est d'ordi-
naire peu remarquable en français où l'accent to-
nique se fait h peine sentir, tandis qu'en italien,
par exemple, l'accent joue un rôle très important.
Les règles générales qui précèdent s'adressent
surtout à l'enseinble des sons d'un mot ou d'une
môme phrase ; voici quelques remarques particu-
lières sur les voyelles et les consonnes.
I, Voyelles. — A ne se prononce pas dans :
Août, S\one, sxoiil, loiist, t\on, curaçxo. — Au
contraire, il se fait entendre seul dans faon,
paon, Laon, Caen.
Ai se prononce ordinairement e dans nous fai-
S071S, satisfaisant, etc., et é dans niait re, fai-
tes, etc. On reconnaît ici l'influence de l'accent
tonique.
Au se prononce ô : beau, aube. — .lient se
prononce ai, les lettres ni étant nulles dans la
terminaison des verbes à la troisième personne
du pluriel.
E est nul dans quelques mots tels que : dévouE-
ment, assEoir, i-ouyEâtre, hsauté, eu. Eusse, etc.
Il se prononce a dans hennir, rouEnn"rie, solen-
nel, ff,mme, et dans tous les adverbes en emment
{prudEmment, prononcez prudament); -— an dans
ETivie, Efilever, Entrer; — ène dans awîEN, abdo-
yiEH, spécimES, etc.; — in dans appEniice, exa-
inES, Agm, etc.
Ent équivaut à un e muet à la troisième per-
sonne plurielle des verbes, mais se prononce an
dans les substantifs et les adjectifs. Ainsi ent se
prononce an dans les substantifs et adjectifs sui-
vants :
adhérent équivalent divergent
affluent néi^liyeat parent
résident président coïncident
expédient violant conoergenX
eo«^ent coMt'ent
exce//ent évident
E?i (et eni) reste nasal dans les mots composés:
ENorgiieillir, ENvier, Ennuijer, e^ nener, etc.
Es final se prononce é dans les monosyllables
ces, des, les, njes, les, .^es, [tu) es. Dans les po-
lysyllabes, il se prononce e ': sciences, grenade.?,
tables, etc.
I est nul dans douairière, encoignure, oignon;
et, devant un / mouillé, il ne se prononce pas avec
la voyelle précédente : ba-i\, trava-\\.
0 ne se prononce pas dans /ao7i, paon, etc.,
comme nous l'avons dit plus haut.
Oi avait autrefois le son ouc. De là, dans les
poètes du xvii' siècle, croître rimant avec maî-
tre, disparoitre avec peu'-êlre. Mais il se pro-
nonçait ai dans François, .inglois, j'aimois, etc.
Ce n'est qu'en IS3.'i, longtemps après Voltaire,
que l'Académie a admis l'orthographe actuelle :
Français, Anglais, j'aimais. Du reste, un siècle
avant Voltaire, en IG",'), un avocat obscur au Par-
lement de Rouen, Nicolas Bérain, avait déjà de-
mandé cette réforme.
U se prononce ou dans quadragénaire, gva-
drilatère , quadrupède , quadruple , in-qvarto ,
sqvule, etc.
U7i se prononce on dans vsguiculé et quelques
autres mots savants d'origine latine.
Y se prononce comme un i dans analyse, syn-
thèse, syntaxe et autres mots venus du grec ; et
comme deux i quand il est dans le corps d'un mot
et précédé d'une \oya\\e: pays, moyen, joyeux,
ayant, etc. C'est que y entre deux consonnes
vient de la voyelle grecque upsilon, comme dans
analyse, martyr, etc. Y entre deux voyelles est une
lettre française provenant d'ordinaire d'un c ou d'un
g latin entre deux voyelles : ainsi ployer de plicare,
noyer de necare, loyal de legalis, royal de re-
yalis ; ou bien 1'^ est inséré par cuphonio entre
PRONONCIATION
— 1732
PRONONCIATION
deux voyelles pour empêcher un hiatus : ainsi
délayer de c/ila{l)nre, atioi/er de adhau[b]are, qui,
sans cela, eussent été délai-er, ahoi-er.
Remaroce. — Eu a ordinairement le son de e :
jeune, feu, lieu. Mais il se prononce comme un u
simple dans j'eu--, l'eusse et tnus les autres
temps passés du verbe avoir. C'est ainsi qu'au
XVI' et au xvii' siècle on prononçait vu, du, reçu,
bien qu'on écrivit veu, deu, receu. Grâce à cet
usage La Fontaine a pu faire rimer ensemble
émeute et dispute dans la fable : les Vautours et
les pigerms. Cette rime ne serait plus admise au-
jourd'hui.
Ole se prononce comme il est écrit dans cou,
fou, etc.
II. Consonnes, — Nous avons vu que les con-
sonnes sont divisées en trois classes principales :
1° les gutturales : c, ch, g, j, k, q; 2° les denta-
les : d, t; 30 les labiales : h, f [ph], p, v. Aux-
quelles on ajoute deux consonnes sifflantes « (f),
i; deux liquides : /, )•; deux nasales : m, n ; une
aspirée : h ; une consonne double : x.
Le nom de chacune de ces classes indique la
règle générale de leur prononciation ; les pre-
mières (c, ch, g, etc.) partent du gosier ; les der-
nières (é, f, etc.) viennent naître sur nos lèvres.
Les liquides combinées avec d'autres consonnes
coulent facilement de notre bouche : bl, cl, pr,
tr, etc. Les nasales se prononcent du nez dans
les mots comme tombe, plomb, rond, mont, etc.
H devrait marquer l'aspiration, du moins au dire
des grammairiens, mais il y a longtemps que nos
gosiers français ont oublié la manière d'aspirer
une voyelle : elle sert donc uniquement à em-
pêcher l'élision et à faire prononcer le héros au
lieu de l'héros, le hameau au lieu de l'hameau, etc.
Quant h x, on l'appelle consonne double parce
qu'elle fait entendre ordinairement le double
son du c et du s, ou du g et du :.
Voyons rapidement les remarques particulières
qu'on peut faire sur quelques-unes de ces con-
sonnes.
1" Gutturales. — C a le son de h devant a, 0,
u, ou : cadeau, corde, cure, coupe, excepté ce-
pendant quand il est accompagné d'une cédille
comme dans façade, façon, reçu. U a alors le son
doux du .ï, qu'il a toujours, du reste, devant eu,
e, i, y : cerise, ceux, citron, après. A la fin des
mots, il est tantôt sonore (avec, frac, bloc) ; tantôt
nul (accroc, porc, clerc, blaiic). Dans second,
seconde et les composés, c a le son du g.
Ch se prononce tantôt che, comme dans chèvre,
chirurgie, chose, chute, Chypre, chou; tantôt A,
comme dans Chddéen, chao.':, Chersonése, c liro-
mancie, choléra, chrétien, catéchumène, chrysa-
lide, ou à la fin des mots : Munich, Baruc',, etc.
Cette variété de prononciation a été vivement
critiquée par de Wailly (l'ô-i). de même, du
reste, que la plupart des bizarreries que nous
avons signalées dans le cours de celte étude.
Il cite comme exemple de la difficulté de la pro-
nonciation du ch la phrase suivante : Un ana-
chorète vint avec un catécaumène chochp!'
Mgr rarcaevêque ou son arcuidiacre pour aller
aupalais orcai-épiscopal.
G a le son du j devant e et i : gerbe, gibet.
II prend l'articulation dure (giie) devant a, o, u,
ou : gamelle, gomme, guttural, goulet. Séparé
de *, 0. u, ou par la lettre e, il conserve le son
du y.- geai, geôlier, etc. A la fiji des mots, il est
ordinairement muet : sa72g, long, bouri; mais si
le mot suivant commence par une voyelle, le g
final sonne comme un k : sang échauffé, pronon-
cez sanK échauffé.
Rien à remarquer sur j et sur q.
T Dentales. — D est nul à la fin des mots :
rond, grand, excepté quand ces mots sont suivis
U'un autre mot commençant par une voyelle ou
une h muette ; il sonne alors comme un t. Ex. ;
grand ami, grand homme. Cependant, précédé
d'un )•, il devient nul, et la liaison se fait avec
le r : sourd et muet, bord escarpé (prononcez
sour et muet, hor escarpé).
T devant i dans les mots en ioti se prononce
s; imitation, nation, faction: excepté quand il
est procédé de i ou de x : gestion, bastion, mix-
tion. T se prononce encore s dans quelques noms
en tie : minutie, inertie, etc.; cependant on dit avec
un t dur : sacristie, eucharistie, etc. Cette bizarrerie
de prononciation n'est pas une des moindres diffi-
cultés de notre langue pour les étrangers. C'est avec
raison qu'on lui reproche d'avoir deux sons diffé-
rents pour une orthographe identique et d'écrire
do la même façon des exceptions et yious exceptions,
des affections et nous affections, avec une pronon-
ciation complètement différente. 'Voici du reste
la liste des mots qui sous la même forme (lions}
doivent se prononcer différemment :
acceptions éditions notions
adoptions exemptions objections
affections exécutions options
attentions infections persécutions
contentions injections portions
contractions insj)ections rations
dations interceptions relations
désertions inventions réfractions
dictions intentions rétraclions
exceptions mentions sécrétions.
Avec l'article les ces trente mots sont substantifs
et se prononcent sinm; avec le pronom 7ious ces
mêmes mots sont verbes et se prononcent lions.
30 Labiales. — Rien à remarquer sur b et 7-.
F est tantôt muet à la fin des mots : bœufs,
œufs (au pluriel), tantôt sonore : bœuf, œuf {au
singulier).
Ph se prononce f dans les mots d'origine grec-
que : philosophe, phrase, Philippe.
P est muet h la fin des mots après un" syllabe
nasale : camp, champ, et dans le corps des mots
baptême, compte, sept, exempt, prompt, sculpter.
4» S est une sifflante. Cette consonne placée
entre deux voyelles prend ordinairement le son
de z : raison, buse. De môme k la fiii des mots
quand le mot suivant comiuence par une voyelle :
vous êtes, 7i',ui avo7is 'prononcez vou-z-étcs, nou-
z-avons). On prononce cependant .ç comme z dans
transit, transilion, Alsace, balsa-nique, troîisiger,
bien qu'il vienne après une consonne; et comme
S.S dans moriosyllabe. désuétude, préséance, vrai-
semblable, parasol, bien qu'il soit précédé d'une
voyelle.
if à la fin des mots donne à l'e un son fermé :
vous ave:, vous aimez.
5» Liquides, —ta tantôt l'articulation qui lui
est propre (le, la, les) et tantôt un son mouillé
comme dans travail, vermeil; dans ce cas / est
ordinairi-ment redoublé (II) : fille, sillon, quille,
fa-iille. Cependant ces lettres ne sont pas mouil-
lées dans les mots tranquille, ville, vaciller.
Enfin / est muet même après l'i à la fin de cer-
tains mots : gentil, fusil, persil.
R donne le son fermé k l'e muet îi la fin des
mots : danger, aimer; dans ce cas r est muet;
s'il se proiionce, il donne à l'e un son ouvert :
fier, fer.
6» [(iisales. — Rien à ajouter à ce que nous
avons déjà dit des nasales. (V. lettres.)
7° Aspirée. — H est muette ou aspirée. Muette,
elle ne compte pas dans la prononciation et n'p'"-
pêche ni la liaison, ni l'élision : les hommes, i ha-
bit. Aspirée, elle empêche la liaison et l'élision :
les hasards, les héros. Il y a dans le dictionnaire
de l'Académie environ 73(( mots commençant par h ;
i:iO ont r/i muette, ÎSn l'/i aspirée. Il serait trop
long d'en donner la liste; l'usage et le dictionnaire
PROPORTIONS
— 1733
PROPORTIONS
•sont les meilleurs guides à cet égard. Ajoutons
seulement une remarque curieuse sur ce qu'on
appelle en français l'aspiration : ce ne sont pas
seulement les mots commençant par Vh aspirée
qui repoussent la liaison eti'élision; certains mots
qui ne commencent pas par cette lettre ont la
môme propriété. Tels sont oytze, otii, ouate, qu'on
prononce d ordinaire : les onze, le nui, la ouate.
■Cette anomalie s'explique facilement pour les
deux premiers mots par la nécessité d'appeler no-
tre attention sur onze, oui, qui ne sont plus em-
ployés dans ce cas comme adjectifs numéraux, ni
comme adverbes d'affirmation, mais comme noms
■rooimuns : le onze du mois, le oui et le non. On
dit de même le uri pour désigner le chiffre im
dans un nombre. Quant à ounte, c'est une anonia-
iie inexplicable qui a été peut-être amenée par la
ressemblance initiale de ce mot avec oui.
8" Douille. — X est la seule consonne double
que nous ayons en français. Elle équivaut tantôt
il </z, tantôt h es, tantôt à deux ss. Au commen-
cement des mots elle représente gz : Xénophon,
Xattttie.
A la fin ou dans la dernière syllabe d'un mot,
c'est toujours es : phénix, syniaxe. Au milieu
d'un mot; c'est tantôt une prononciation, tantôt
l'autre : examen (prononcez egzamen), Alexandre
{A lecsandre] . Dans quelques mots comme B/'U-
xelles, Atcverre, six, dix, x sonne comme ss.
Enfin, employé comme signe du pluriel, dans
chevaux, par exemple, et à la fin des mots six,
dix, il sonne comme un : dans la liaison : dix-
huit (prononcez : di-z-uit) ; chevaux ardents (pro-
noncez : rkeviiu-z-ardents).
Remarque. — L'euphonie exige qu'on lie la con-
sonne finale d'un mot avec la voyelle initiale ou
r/( muette du mot suivant. Ainsi l'on dit : fils aine
[fi-.'iainé), cet arbre {cè-tarbre), ces hommes (cè-
zhonimcs], etc.
Quand le premier mot est terminé par un e
muet, cet e s'élide : pompe à feu [pom-pà feu),
livre ouvert (li-vronrert).
Telles sont les règles générales de la pronon-
ciation en français. Le caprice et l'usage y ont ap-
porté bien des modifications dans le cours de
notre histoire, témoin les Français du xvii" siècle
qui d'après Regnier-Desmarais prononçaient bis-
suH pour buissim. Te Deon pour Te Deum, légère
pour léger, etc.; témoin l'Académie (préface de
1694) qui prononçait parti)-, sortir, sans faire
sonner l'r (par/i, aortt) ; témoin les Incroyables
du temps du Directoire qui supprimaient les r
dans le corps des mots et prononçaient haro (pour
bravo), pédu (pour perdu), ftc. Enfin le c avait
souvent le son du g : oi\ disait •:piffrf l^rrref) et
Claude (Ckiuite), comme nous .h r "n'^ud {se-
cond), et n^me-j/njirftMnalgré I " i i. iiim- deine-
claude). Par contre le brave ' , //..// nans ses
lettres il Henri IV écrivait son nom : Grillon. En-
core aujourd'hui, bien des sons se trouvent dé-
figurés par les divers accents des villes et des
campagnes. Il n'y a rien de précis, rien de certain ;
la règle est toujours modifiée par une foule d'ex-
ceptions.
Nous avons vu par les sons différents du t, du c,
•de l's, du g. etc., que I alphabet est obligé de faire
d'étranges concessions à la langue parlée et (|ue
l'accord n'a jamais été établi entre la parole et
les signes qui la représentent. C'est là le grand
reproche que de hardis réformateurs ont adressé i
l'owhographe de notre langue, et leur blâme paraît
assfcz fondé, comme on l'a vu i l'article Ortho-
graphe. [J. Dussouchet.l
Auteurs à consulter: Ay<?r, Grammaire comparée;
Brachct, Nouvelle Grammaire ; C.hassang, Grammaire fran-
■çaise, cours supérieur; B. Jiillicn, Cows supérieur; Larive
et Flcury, Cours supérieur, etc.
rnoi'ORTIOA'S. — Arithmétique, XXXIX. —
Rapport. — Au commencement de l'article Lignes
proportionnelles, nous avons défini le rapport de
deux lignes. Or le rapport n'existe pas seulement
entre deux lignes, mais entre deux quantités quel-
conques de même nature, par exemple entre les
poids do deux objets, les capacités de deux vases,
les valeurs de deux sommes d'argent. Le rapport
de deux quantités est exprimé, comme celui de
deux lignes, par le quotient obtenu en divisant
entre eux les nombres qui représentent les gran-
deurs de ces quantités. De là cette définition : le
rapport de drnx nombres est le ijuotietit de l'un
de ces nombres divisé par l'autre, le premier pou-
vant être indifi'éremnient le plus grand ou le plus
petit.
Ce quotient prend la forme d'une fraction,
quand il n'est pas un nombre entier. Ainsi le
rapport entre une somme de 7 francs et une autre
7
somme de 1 i francs est -r, ce qui signifie que la
plus petite vaut 7 fois la 12' partie de la plus
grande. Pris en sens inverse le rapport est--, ce
q\ii signifie que la plus grande de ces deux
sommes est égale à 12 fois la 1' partie de la plus
7 12
petite. Les deux rapports -p) ^^ ~ï ^"''^ "^''^ ""^P'
ports i7iverses l'un de l'autre.
On peut chercher le rapport de deux nombres
fractionnaires aussi bien que celui de deux nombres
entiers, par exemple le rapport entre deux lon-
3
gueurs ayant la première - de mètre et la seconde
- de mètre. Ce rapport sera :
35
3X7^-:;i
'4x5~2n
Il indique que la première longueur contient 21
fois la 20" partie de la seconde.
Pour avoir un rapport égal i un rapport numé-
2
rique donné, - par exemple, il suffit de multiplier
par un même nombre les deux termes du rapport
donné. Ainsi les rapports ^' ^' tô' -ïI' *""' '""^
égaux entre eux.
Proportion. — On nomme proportioti une égalité
comp'isée de deux rnp),orts égaux.
2 4
Telle est l'égalité :- = -
6 u
Le premier terme et le quatrième (2 et 6) s'ap-
pellent extrêmes; le second et le troisième (3 et 4)
moyens.
D'après cette définition, on voit que deux nom-
bres sont proportionnels à deux autres, lorsque
le rapport des doux premiers est égal au rapport
des deux derniers.
Quantités proportionnelles. — Puisqu'il faut
quatre nombres pour former \me proportion,
l'expression quantités proportionnelles renferme
en elle-même l'idée de quatre quantités. Cepen-
dant il semble qu'il n'y en a que deux dans
l'énoncé des principes suivants : le prix d'une
pièce d'étoffe est proportionnel au nombre de
mètres de sa longueur; l'espace parcouru sur un
chemin de fer par un train marchant toujours
avec la même vitesse est proportionnel au temps
pendant lequel il a marché, etc. En y réfléchis-
sant, il est f.acile de reconnaître sous celte forme
concise l'idée de l'égalité de deux rapports. En
s'exprimant ainsi, on veut dire que si le temps
pendant lefiuel le train a marché est 2,3... fois
plus grand qu'un autre temps auquel on le com-
pare, l'espace parcouru pendant ce temps est
PROPORTIONS
— 1734 — PROPORTIONS
2,3... fois plus grand que l'espace correspondant
au premier.
On dit de la même manière que deux quantités
sont inversement propvrtionnelles, lorsque l'une
devenant 2, .3... fois plus grande, l'autre doit de-
venir 2,3... fois plus petite; par exemple le nom-
bre de jours nécessaire pour confectionner un
ouvrage est inversement proportionnel au nombre
d'ouvriers qu'on emploiera.
OBSERVâTioN. — Beaucoup d'auteurs donnent
aux deux ternies d'un rapport les noms d'onté-
cedent et de conséquent ; nous n'emploierons que
ceux de numéiateur et de dénominateur.
Ils font aussi écrire la proportion sous cette
forme :
2 : 3 :: 4 : 6
en recommandant de la lire ainsi : 2 est à 3
comme 4 est à G.
Il nous semble que ce langage n'exprime guère
l'idée fondamentale de la proportion qui est l'éga-
lité de deux quotients. En outre, sous cette forme,
les propriétés des proportions perdent le ca-
ractère d'évidence ou au moins de clarté que leur
donne la forme de l'égalité. Il n'y a aucun motif
de conserver ces vieux usages, qui ne .«ont propres
qu'à jeter de la confusion dans l'esprit des élèves.
Nous en dirons ;iutant du rapport que certains
auteurs tiennent encore à établir entre deux
nombres par la différence qu'il y a entre eux, et
des proportions par différence qui en sont la con-
3<!quence Cette distinction de deux espèces de
rapports est sans utilité ; pourquoi ne pas en dé-
barrasser le terrain de l'arithmétique?
Propriétés des proportions. — Les proportions
jouissent de plusieurs propriétés importantes qui
sont d'une application continuelle dans la géo-
métrie, mais dont on peut faire aussi un usage
avantageux dans d'autres questions, comme nous
le montrerons plus loin par quelques exemples.
I. PniNcii>E F0NDA.MENTAL. — Dnns toiite propor-
tion le produit des extrêmes est égal au produit
des moyens.
En cfiTet, soit une proportion quelconque :
7
Réduisons les deux fractions au même dénomi-
nateur, en appliquant la règle générale et en in-
diquant seulement les multiplications au lieu de
les effectuer; nous aurons :
7X16 14x8
8X1G~16X8
L«s deux fractions sont encore égales, et
comme elles ont le même dénominateur, il faut
que leurs numérateurs soient égaux. Or le premier,
7X16, est le produit des deux extrêmes de la
proportion écrite au commencement; le second,
14X8, est le produit des moyens. On voit donc
que le produit des extrêmes est toujours égal à
celui des moyens.
De ce principe découlent les conséquences sui-
vantes :
1° Quand trois termes d'une proportion scule-
.ment sont connus, si l'inconnu est un extrême, on
obtient sa valeur en divisant le produit des
moyens par l'extrême connu ; si l'inconnu est un
moyen, on divise le produit des extrêmes par le
moyen connu.
Soit X un terme inconnu dans la proportion
1 — 1
D'ap/èsce qui a été démontré, on a:
1X4=9X7
Le terme inconnu sera le nombre qui multi-
plié par 4 doit donner un produit égala 9X7;
on a donc
_9Xi_Ëi_i' ^
~ 4 ~ 4 4
2° Lorsque dans une proportion les deux
moyens sont égaux, comme dans celle-ci :
le nombre qui forme les deux moyens est dit
moyen proportionnel entre les deux autres. Or
de cette proportion on tire :
62 = 4X9.
D'après ce résultat, on peut dire qu'un nombre
est moyen proportionnel entre deux autres, quand
son carré est égal au produit des deux autres.
Le côté d'un carré, par exemple, est moyen
proportionnel entre la base et la liauteur d'un
rectangle dont la surface est équivalente à celle
du carré.
3» Lorsque deux produits de deux facteurs
chacun sont égaux, l'égalité formée par ces deux
produits peut être changée en une proportion.
Pour cela il suffit d'écrire les deux facteurs de
l'un des produits aux deux extrêmes et les deux
autres aux deux moyens.
Ainsi l'égalité 3X8 = 4x6 donnera
Ces nouvelles égalités sont deux proportions,
puisque le produit des extrêmes est égal au pro-
duit des moyens.
4° On peut changer de place entre eux les ter-
mes d'une proportion de huit manières différen-
tes, sans que la proportion cesse d'exister. Il suf-
fit pour cola que le produit dos extrêmes reste
égal au produit des moyens. Ces changement»
sont présentés dans le tableau suivant :
3_6. 3^4.
4~8' 6 8'
4_8. 4_3.
3~Û' S"~6'
6_3. 6_8.
8~4' 3~4'
8_4. 8_6
6~3' 4~3
II. Dans toute proportion on /teutmigmenter ou
dimmtter chaque numérateur de son dmomiîia-
teur, et la proportion subsiste iouji'Urs.
Pour le démontrer, ajoutons 1 aux deux mem-
bres de la proportion :
C 18
Nous aurons l'égalité :
G 18 , , G , 5 18 15
5 + ' = Ï5 + '' "" 5 + 5 = Ï5 + T5'
ce qui peut s'écrire de la manière suivante :
6 + 5^18+ la
5 ~ 15
Cette dernière proportion n'est autre chose que
la première dont chaque numérateur a été aug-
menté de son dénominateur ; le principe est donc
démontré.
Quand on diminue chaque numérateur de son
dénominateur, ce changement revient à diminuer
PROPORTIONS
— 1733 —
PROPORTIONS
(lu I les doux rapports égaux ; donc ils continuent
à (•tre égaux et la proportion subsiste toujours.
m. Le même principe s'appliiiue aussi au dé-
nominateur ; car on peut dans une proportion
mettre le numérateur et le dénominateur l'un à
la place de l'autre dans chaque rapport, sans dé-
truire la proporlion.
Soit par exemple la proportion :
3 G
Elle peut 6tre ainsi écrite :
8_IB
3~ G
En appliquant à celle-ci le principe précédent,
on aura :
8 + 3_ IG + B 3 _ G
3 ~ G °" « + 3 ~ IG + U
Nous dirons donc : on peut augmenter ou dimi-
nuer chaque dénomin/iieur de son numérateur,
sans détruire la proportion.
IV. Dans toute iiroporlion la somme des deux
premiers termes divisée par leur différence forme
un rapport égal à celui de la somme des deux
derniers divisée par leur différence.
En effet, soit la proportion :
'' = Ii
3~ G
D'après les deux principes précédents, on a:
7 + 3_U + 6 7-3 14 — 6
3^6 '^ 3 ~ 6 '
ou en changeant les moyens de place entre eux :
7 + 3 _3 7-3 _3
i4 + G~G * H-G ""6
ce qui démontre le principe énoncé.
Remarque. — Dans la plupart des traités d'a-
rithmétique se trouvent énoncés avi^c des dé-
monstrations particulières plusieurs autres prin-
cipes, tels que les suivants :
1° On peut multiplier deur ou plusieurs pro-
portions terme à ta me, et les produits forment
encore une proportion.
2° On }>eut diviser deux profortiom terme à
terme, et les quotients forment encore une propor-
tion.
3° Si on élève au carré nu au cube tous les ter-
mes d'une proportion, In proportion existe tou-
jours.
4° Si on extrait la racine carrée ou In racine
cubique de tous les termes d'une proportion, la
proporlion existe tO"jiiurs.
Ces principes n'exigent aucune démonstration,
quand les proportions ont la forme de l'égalité ;
car la multiplication de deux proportions terme à
terme, par exemple, n'est autre chose que la mul
tiplication de deux fractions égales par deux au-
tres fractions égales, et il est évident que les pro-
duits sont égaux.
Le cas de la division seulement aurait besoin
d'une petite explication, pour faire voir que la
division de deux fractions terme à terme revient
Ji la division de la première fraction par la
deuxième.
2 5
En effet soit - et - Si on divise les numérateurs
entre eux et les dénominateurs entre eux, on a
pour quotient ;
2
b_
3
9
Les premiers rapports de ces deux dernières
3
proportions étant égaux au rapport - sont égaux
entre eux. On peut donc écrire:
7 + 3 _ 7—3 7-jr3_U_+_6
14-|-6~14-6 °" 7- 3~14 — g'
résultat qui démontre le principe énoncé.
V. Dans une proportion, ou dans une suite de
rapports égaux, la somme des numérateurs divi-
sée par lu somme de leurs dénominateurs forme
un rapport égitt à ces rapports.
Soit la suite des rapports égaux :
2_4__8_
2
Chaque numérateur étant les - do son dénomi-
nateur, ou peut écrire les égalités suivantes :
•■- «1,
4= ex;^,
8=12X
En additionnant ces égalités membre i membre,
on obtient l'égalité :
2 + 4 + 8 = (3 + G-M2)Xj
Puis en divisant les deux membres de cette nou-
velle égalité par le facteur (3-I-6 + I2), on trouve :
2+4+8 2
3 + G + 12~3'
qui peut s écrire ainsi :
Or, d'après la règle de la division de deux frac-
tions, on a :
2.3^2x9
5 ■ 9~~5X3
En écrivant ce résullat de la manière suivante :
2x9
a'xâ'
ou ce qui est la môme chose :
2 y
on voit qu'il n'est autre chose que le quotient de
*> .5
la fraction ~, divisée par la fraction -.
Ainsi diviser deux fractions terme à terme,
c'est-à-dire le numérateur de la première par le
numérateur de la seconde, et le dénominateur
de la première par le dénominateur de la se-
conde, revient à diviser la première fraction
par la seconde. C'est ce qu'il s'agissait de dé-
montrer.
Applications. — On peut voir à l'article Lignes
proportionnelles l'emploi des proportions dans
la géométrie. Nous terminerons cet article en ci-
tant seulement quelques exemples empruntés à
l'arithmétique.
Problème \. — On a payé 43 francs pour 12
mètres de toile; combiin Cuùteraient 7 mitres de
la même toile?
Si on désigne par x le prix inconnu des 7 mè-
PROPORTIONS
— 1736 —
PROPRETE
très, on écrit d'abord cet énoncé en abrégé de la
manière suivante :
43" IS"
dans le même temps, sont proportionnels au^
vitesses ; on a donc la proportion :
X 5U
512 — X 32
Pour tirer la valeur du terme inconnu, on fera
d'abord disparaître x du dénominateur, en aug-
mentant chaque dénominateur de son numérateur,
La marche naturelle consisterait à chercher le prix
d'un mètre en divisant 43 par 12, et à muUiplier
ce prix par '; c'est ce qu'on nomme méihode do
réduction à lunité. Mais quand les élèves ont , „„„„,!„„
acquis par de nombreux exercices la notion bien ce qui donne cette autre propouion
nette des rapporis. ils doivent résoudre ces ques-
tions plus prompicmeut, sans entrer dans tous
ces détails.
En efl'et.ils comprennent que le second nombre
de mètres étant égal à " fois la 12' partie du I",
le 2" nombre de francs doit aussi être égal à 1 fois
la 12= partie du 1", et qu'il y a ainsi entre les
deux nombres de francs le même rapport qu'entre
les deux nombres de mètres. Le problème four-
nit donc sur-le-champ cette proportion:
43
On en déduit, sans autre explication :
43x:_301_
1 •! 10 '
Pboblî'ME 2. — On doit employer 43 ouvriers
pour fuire un certain travail eu Vi jours ; combien
faudrait-il d'ouvriers, si l'on voulait que le tra-
vail fût exécuté en ' jours ?
43° 12J
512 :j2+50
On en déduit :
512x50
25600
312 kilomètres.
32-I-5U
Problème 4. — Partager une somme du 542 /)•
en trois parties proportiotinelles
2, 3, 5. . ,
Représentons par s, y, z les trois parts deman-
dées ; on aura, d'après l'énoncé :
x_2. .v^3
^-3' 'z 5
En changeant les moyens de place entre eux, on
obtient :
et par conséquent :
Le 2" nombre de jours étant plus petit que le
1", le ■-• nombre d'ouvriers devra être plus grand
que le 1" ; en outre, si le nombre 7 était 2 ou 3
fois plus petit que le nombre 12, le nombre in-
connu X serait 2, 3 fois plus grand que 43, ou en
d'autres termes 43 serait le même nombre de fois
plus grand que x. Ainsi le rapport des deux
nombres de jours est encore égal au rapport des
deux nombres d'ouvriers, celui-ci étant pris en
sens inverse de l'autre rapport. On écrira donc
la proportion :
Ji__43
n~ X
Or dans cette suite de rapports égaux, la somme
des numérateurs divisée par la somme des déno-
minateurs forme un rapport égal i ces rapports.
On aura donc :
x + y + z
2-1-3 + 5"
On en tire aussitôt :
43 X 1 2
= 73,7.
Mais la somme x + y + z étant égale à 542, on a :
lO ''
On devra employer ■;3 ouvriers, plus un autre
qui n'aurait k faire que les 7 dixièmes de la
tâche de l'un de ses compagnons.
REMAngUE. — La règle par laquelle ont été ré-
solus les deux problèmes précédents est précisé^
ment ce que les auteurs appellent règle de trois'.
Dans le l" problème, la règle est directe, parce
que les deux nombres de francs sont directement
proportionnels aux deux nombres de mètres. Dans
le second la règle est dite inverse, parce que les
deux nombre» d'ouvriers sont inversement pro-
portionnels aux deux nombres de jours.
PiioBLÈBE 3. — Deux irains partent au même
instant l'un de Pari~ et l'autre de Lyon, en allant
l'un au devant de l'autre. Le \" conserve une vi-
tesse de 50 kilomètres à l'heure et le 2* wie vitose
de 32 kilomètres. Chercher à quille distance de
Paris ils se rencontreront, la distance de laris à
Lyon étant de hli kilomètres.
Si on représente par x le nombre de kilomètres
qu'il y a de Paris au point de rencontre, la dis-
tance de ce point à Lyon sera 512 — a;. Or ces
deux espaces, étant parcourus par les deux trains
De là on tire :
:r 542
j/^542
3 10
542
10
d'où
d'où
10
542X3
- = --- d ou J =
542X5
= 1G'2",GÛ;
= 271",00
Ces exemples suffisent pour montrer l'usage
qu'on peut faire des proportions et de leurs pro-
priétés pour résoudre les problèmes.
[G. Bovier-Lapierre.]
1'R01'Ri;tÉ. — Hygiène, VIII. — Des expé-
riences concluantes ont démontré que la peau est
le siège d'une véritable respiration. Si on la re-
couvre d'un enduit imperméable, il en résulte
des accidents d'asphyxie. .
La malpropreté forme sur la peau un enduit qui
bouche les pores. Cet enduit provient des résidus
solides de la sueur, des débris de l'épiderme, de
la poussière, agglutinés par la matière grasse que
sécrète la peau.
Cette couche visqueuse et puante obstrue tous
les orifices, empêche les exhalations et les sécré-
tions, et les petites glandes de la peau devien-
nent le siège d'irrilaiions qui dégénèrent facile-
ment en graves maladies.
PROPRIÉTÉ
— 1737 —
PROPRIÉTÉ
Co n'fst d'ailleurs pas la peau seul.; qui souiTi-e de
ce trouble apporté à ses rooctions. D'auln'S organes
se trouvent forces de suppléer en partie !i l'ôli-
mination dont elle est naturellement le siège, et ce
surcroît de travail peut y causer aussi des dé-
sordres.
I- Qu'il me soit permis, dit h ce sujet Hufeland,
de signaler une inconséquence qui n'est pas,
d'ailleurs, la seule de ce genre dont on se rende
coupable. Le dernier des hommes a la conviction
que l'entretien de la peau est nécessaire îi la
santé des animaux. Le palefrenier néglige tout
pour étriller, bouchonner et laver son cheval; et
si l'animal tombe malade, à l'instant môme il
suppose qu'on a bien pu négliger les soins de la
propreté. Mais cette idée ne lui vient jamais h
l'esprit quand il s'agit de sa propre personne ou
de son enfant. Si celui-ci est d'une nature faible
ou maladive, s'il maigrit et tombe dans le ma-
rasme, effets qui résultent tous de la malpropreté,
on pensera plutôt à un ensorcellement ou à quel-
que autre absurdité semblable, qu'à la véritable
cause qui est le défaut absolu d'entretien de la
peau. Puisque nous sommes si clairvoyants pour
les animaux, pourquoi ne le sommes-nous pas
autant lorsqu'il s'agit de nous-mêmes? »
L'influence de la propreté sur la santé est une
des banalités de l'iiygiène pour tous ceux qui en
possèdent quelques notions. Mais dans les campa-
gnes et parmi les ouvriers des grandes villes,
l'insouciance, la paresse, la misère, empêchent
trop souvent de donner au corps les soins néces-
saires. Malheureusement il n'est pas seul à en
souffrir II existe entre le corps et l'ànie des in-
fluences réciproques. La propreté n'est pas seu-
lement une condition de santé pour l'homme ;
elle est aussi une condition de dignité, de res-
pect ; voilà pourquoi Kénelon disait : « La propreté
est presque une vertu, n
Ce serait s'égarer dans un spiritualisme exagéré
que de traiter le corps avec dédain sous pré-
texte qu'il n'est qu'une « vile poussière, » une
« guenille, » une « prison d'argile. » Le corps,
temple de l'àme, a bien droit à nos égards, à nos
respects. El d'ailleurs, la cousture qui lie l'âme
et ie corps est si étroite, comme le remarque
Montaigne, que l'on ne peut toucher à l'un sans
que l'autre s'en ressente.
C'est donc rendre hommage à la dignité de la
nature humaine et relever l'àme à ses propres
jeux que de montrer de la considération pour son
enveloppe corporelle.
Pour vulgariser les notions do propreté, il faut
entreprendre une croisade non moins active que
pour dissiper les préjugés populaires. Pour les
adultes, la lâche est difficile Mais lécole est
pour l'enfance un milieu favorable. La propreté
peut y être décrétée obligatoire par chaque maî-
tre. A eux de raconter comment la malpropreté
fait chaque année plus de ravages que les guerres
et les épidt'mies. Qu'ils imposent aux enfants des
habitudes cjui deviendront pour eux des e.\igences
impérieuses de bien-être. Ils y trouveront une
garantie de santé, de dignité et de moralité. — V.
Parasites, l'eau. [D' Saffray.]
i'HOl'uiÉTÉ. - Législation usuelle, VU. —
1. IltFiMTiON. — La propriété est définie: le droit
<Je j •,:,;■ et de disposer des choses de la manière
la plus absolue sous les modifications établies par
la loi. La nécessité sociale et la légitimité du droit
de propriété sont incontestables : sans le respect
de la propriété, la société retournerait à la barba-
rie; si riiomme n'avait plus le droit de jouir de la
terre qu'il cultive, do la transmettre à ceux qui
vieiinent après lui, que deviendraient le travail et
la liberté elle-iuènie'.' Les dispositions légales re-
latives à la propriété se trouvent dans le livre II
du Code civil, divisé en quatre titres traitant : le
premier (art. 5l(i à ,')43), de la distinction de»
biens; le second (art. 544 à 57"), de la propriété ;
le troisièiTie (art. 57S à C3C), de l'usufruit, de l'u-
sage et do l'habitation; le quatrième (art. Gi' à
710), des servitudes ou services fonciers.
2. Des iîiiîns, — Le droit de propriété ne peut
exister que sur les biens, c'est-à-dire sur les choses
susceptibles d'appropriation privée, qui peuvent
entrer dans le patrimoine de l'homme. Il y a des
choses qui n'appartiennent à personne et dont
l'usage est commun à tous, l'air, la mer, la lu-
mière : ces choses ne sont pas des biens, au sens
juridique du mot, parce qu'elles ne peuvent pro-
curera quelqu'un un avantage propre et exclusif :
elles ne sont pas susceptibles de propriété.
Distinction des tnens; meubles et unmeuljles. —
La distinction fondamentale des biens est celle en
meubles et immeubles: elle présente dans les dif-
férentes matières du droit un intérêt considérable;
ainsi les immeubles sont seuls susceptibles
d'hypothèque, les règles relatives à l'aliénation
des meubles et des immeubles appartenant à des
mineurs sont différentes, la saisie et la vente des
meubles et des immeubles ne sont pas soumises
aux mêmes règles, etc.
Diverses dusses d'immeubles. — Les immeuble»
se divisent en plusieurs classes. Il y a d'abord les
immeubles par leur nature, les fonds de terre,
les bâtiments, les récoltes, tant qu'elles adhèrent
au sol, les bois, lorsqu'ils ne sont point coupés.
Viennent ensuite les immeubles par destination;
ce sont des objets, mobiliers de leur nature, qui
deviennent immeubles, parce qu'ils ont été affec-
tés par le propriétaire du fonds h l'exploitation,
ou attachés par lui d'une manière permanente :
ainsi les animaux placés sur un domaine pour la
culture, les ustensiles aratoires, les pressoirs,
chaudières, alambics, cuves et tonnes, sontdtîs
immeubles par destination. En troisième lieu, il
y a des immeubles par l'objet auquel ils s'appli-
quent ; ce sont les droits qui ont pour oljjrt des
imineubles : l'usufruit des immeubles, les servi-
tudes existant au profit d'un fonds sur un autre
fonds, rentrent dans cette classe d'immeubles.
Diverses classes de meubles. — H y a deux clas-
ses de meubles : les meubles proprement dits, ou
meubles corporels, et les meubles par la dutermi-
nalion de la loi, c'est-à-dire les droits ayant pour
objet une chose mobilière. Cette seconde classe
de meubles a une grande importance : elle com-
prend les créances de sommes d'argent sur des
particuliers, les actions des compagnies de com-
merce ou d'industrie, les obligations de ces mêmes
compagnies, qui ne sont en realité que des créan-
ces ayant une forme et un mode de rembourse-
ment particulier, enfin les rentes sur l'Etat.
3. PiioPRiÉTÉ ; SES ÉLÉMENTS. — Le drolt de pro-
priété se compose de deux éléments essentiels,
le droit de jouir de la chose et le droit d'en dis-
poser. Le droit de jouir consiste dans la faculté
de tirer de la chose tous les avantages qu'elle
peut procurer, d'en recueillir tous les fruits. On
entend par fruits les produits ordinaires ou pério-
diques de la chose : on distingue les fruits natu-
rels, qui sont réellement produits par la chose,
comme les moissons, les coupes de bois, et les
fruits civils, qui soiit certaines prestations per-
çues à l'occasion de la chose, comme les loyers
des maisons, les fermages, les intérêts des capi-
taux. Le droit de disposer implique la faculté
d'aliéner la chose, de la transmettre à une autre
personne, de la détruire même, si le propriétaire
le juge convenable.
kestrictions an 'Iroii de propriété. — Si le droit
de propriété est de sa nature absolu, la loi y.
néanmoins apporté certaines restrictions dans
l'intérôt du propriétaire lui même ou dans un in-
térêt général : ainsi des formes particulières sont
PROPRIETE
— 1738
PROPRIETE
prescrites pour l'aliénation des immeubles appar-
tenant aux mineurs ou aux interdits; pour
l'exécution des travaux publics, l'administration
peut contraindre le propriétaire à lui céder sa
propriété moyennant une juste et préalable in-
demnité : c'est l'expropriation pour cause d'utilité
publique ; certaines servitudes sont imposées à
la propriété privée par des raisons d'utilité géné-
rale : telles sont les servitudes établies dans le
voisinage des places de guerre pour en assurer la
défense, la servitude d'alignement, le chemin de
halage, etc.
4. Usufruit. — Les attributs du droit de pro-
priété peuvent être divisés entre plusieurs per-
sonnes. Ainsi une personne peut avoir le droit de
jouir de la chose, et une autre personne en con-
server la propriété. Le droit de jouir ainsi déta-
ché de la propriété s'appelle usufruit ; celui qui
l'exerce, usufruitier. La propriété dont l'usufruit
est séparé s'appelle la nue-propriété ; le proprié-
taire de la chose grevée d'usufruit est le nu-pro-
priétaire. La séparation de l'usufruit et de la pro-
priété ne peut être que t.;mporaire: l'usufruit est
essentiellement viager et s'éteint toujours par la
mort de l'usufruitier ; il fait alors retour à la nue-
propriété. L'usufruit peut s'établir par conven-
tion, par donation ou par testament ; la loi elle-
même crée ce droit au profit de certaines person-
nes ; ainsi les père et mère ont l'usufruit légal des
biens de leurs enfants jusqu'à l'âge de dix-huit
ans ou jusqu'à l'émancipation, si elle a lieu avant
cet âge.
Droits de rusufmitier. — L'usufruitier a droit
à tous les fruits produits par la chose, fruits na-
turels ou fruits civils : les récoltes, le produit des
bois exploités en coupe réglée, les intérêts des
capitaux, les arrérages des rentes lui appartien-
nent. Si les biens sont loués ou afl'crmés, l'usu-
fruitier perçoit les loyers ou les fermages. L'usu-
fruitier acquiert les fruits naturels au moment où
il les récolte; quant aux fruits civils, il les acquiert
jour par jour, c'esl-à-diro en proportion de la
durée de sa jouissance. L'usufruitier peut jouir
par lui-môme ou louer la chose dont il a l'usu-
fruit ; mais les baux faits par lui ne sont obliga-
toires pour le nu-propriétaire, à l'extinction de
l'usufruit, que pour une période de neuf ans au
plus.
Obligations de l'usufruitier. — L'usufruitier
doit, avant son entrée en jouissance, faire faire
un inventaire des meubles et un état des immeu-
bles sur lesquels porte son droit. Il doit fournir
caution de jouir en bon père de famille, c'est-U-
dire comme un administrateur soigneux et dili-
gent: l'obligation de fournir caution n'existe pas
lorsque l'usulruitier en est dispensé par le titre
qui constitue son droit ; elle n'existe pas non
plus pour les père et mère qui ont l'usufruit
légal des biens de leurs enfants. L'usufruitier
doit faire les réparations d'entretien, mais les
grosses réparations, comme celles des gros murs,
des couvertures ou des murs de clôture en entier,
restent à la charge de ses propriétaires ; l'usufrui-
tier paie les impôts, acquitte toutes les charges
qui d'ordinaire se paient avec les revenus. A
l'extinction de l'usufruit, l'usufruitier ou ses hé-
ritiers restituent la chose au nu-propriétaire.
Extinction de l'usufruit. — L'usufruit s'éteint
par l'expiration du temps pour lequel il a été
établi, et, dans tous les cas, par la mort do l'usu-
fruitier ; il cesse d'exister lorsque, par une cause
quelconque, par succession par exemple, les qua-
lités d'usufruitier et de nu-propriétaire sout réu-
nies sur la même tête, ou bien encore par la re-
nonciation que l'usufruitier fait de son droit. Si
l'usufruitier commet des abus de jouissance en
dégradant la chose ou en la laissant dépérir faute
d'entretien, le nu-propriét»ire peut obtenir des
tribunaux la déchéance du droit de l'usufruitier.
Usage et droit it'luifjiuition. — Le Code civil
appelle droit d'usage un usufruit restreint. L'u-
sager n'a pas, comme l'usufruitier, droit à tous les
fruits, mais seulement à la portion des produits
de la chose qui est nécessaire à ses besoins et à
ceux de sa famille. Le droit d'usage appliqué à
une maison s appelle droit d'habitation. Le droit
d'usage et le droit d'habitation se constituent et
s'éteignent de la même manière que l'usufruit.
Droits d'usage dans les bois. — Il ne faut pas
confondre avec le droit d'usage dont nous venons
de parler les droits d'usage qui existent, par suite
de concessions anciennes, dans les bois de l'Ëtat,
des communes ou des particuliers. Ces droits d'u-
sage consistent soit à conduire les troupeaux dans
les bois pour le pâturage, soit à prendre dans les
forêts certains produits, soit enfin i recevoir une
quantité de bois déterminée. Dans certaines
communes, les habitants ont droit à la délivrance
de bois de chaulTage, fourni par les forêts de
l'Etat ou par les bois de la commune: c'est ce
qu'on appelle l'afl'ouage; à défaut de titre ou d'u-
sage contraire, le partage des bois d'affouage se
fait par feu, c'est-à-dire par chef de famille ou de
maison ayant domicile réel et fixe dans la com-
mune (Code forestier, art. 105).
5. Servitides. — On appelle servitude une
charge imposée sur un fonds pour l'usage et l'uti-
lité d'un fonds appartenant à un autre proprié-
taire. Le fonds dominant est celui auprolit duquel
la servitude est établie; le fonds servant, celui qui
en est grevé. Les servitudes dérivent de la situa-
tion naturelle des lieux ; elles sont établies par la
loi ou par le fait de l'homme.
Servitudes dérivant de la situation des lieux;
obligation de recevoir les eaux découlant du fonds
supérieur. — La première des servitudes dérivant
de la situation des lieux est l'obligation pour le
propriétaire du fonds inférieur de recevoir les eaux
provenant du fonds supérieur: le propriétaire
inférieur ne peut établir de digue ou d'obstacle
quelconque à l'écoulement des eaux; mais, de son
côté, le propriétaire supérieur ne peut faire de
travaux qui, en réunissant les eaux, aggravent l'o-
bligation du fonds inférieur; cette obligation con-
siste en effet uniquement à recevoir les eaux qui
découlent naturellement et sans que la main de
l'homme y ait contribué.
Droits du propriétaire d'une S'dirce. — Le pro-
priétaire qui a une source sur son fonds peut en
principe disposer comme il l'entend de l'eau four-
nie par cette source ; il peut s'en servir, l'absorber
coiuplètement, ou la laisser couler naturellement
sur les fonds inférieurs. Le propriétaire de la
source est, dans certains cas, obligé d'en laisser
l'usage soit aux propriétaires voisins, soit à la com-
mune : le premier cas se présente lorsque, après
avoir fait des travaux apparents pour faciliter le
cours de l'eau, le propriétaire voisin a joui pen-
dant trente ans sans interruption de l'eau de la
source. Le propriétaire ne pourrait non plus
changer le cours de l'eau et la retenir chez lui,
lorsque l'usage de cette eau est nécessaire aux ha-
bitants d'une commune, village ou hameau; le
propriétaire de la source peut seulement réclamer
une indemnité qui est fixée à dire d'experts.
Droits du propriétaire dont le f^nds est bordé
ou traversé par une eau courante. — Le propriéj
taire riverain d'un cours d'eau qui est classé
comme rivière navigable ou flottable no peut y
faire de prise d'eau sans une autorisation admi-
nistrative qui est toujours révocable. Les riverains
des cours d'eaux qui ne sont ni navigables ni flot-
tables peuvent au contraire se servir de leurs eaux : )
celui dont la propriété est bordée par le cours
d'eau, c'est-à-dire qui est riverain d'un seul côté,
peut se servir de l'eau seulement pour l'irrigation
PROPRIETE
1730 —
PROPRIETE
de sa propriété; celui dont le fonds est traversé
par le cours d'eau, c'est h-dirc qui est riverain des
deux cotés, peut user de l'eau comme il l'entend,
à la cliarge seulement de ne pas l'absorber et de
la rendre à son cours ordinaire à la sortie de son
fonds.
Du drainage. — Des servitudes particulières
ont été établies par une loi du 10 juin 1854 pour fa-
ciliter les opérations de drainage si utiles à l'agri
arbres plantés sur un fonds, à une distance trop
rapprocbce de l'Iiéritage du voisin, peuvent nuire
il la cultjire, soit par l'ombre qu'ils projettent,
soit par Wa racines qui s'étendent dans la terre.
Aussi la loi a-t-elle déterminé la distance à obser-
ver pour les plantations. Les arbres do haute tige
ne peuvent êlre plantés h moins de deux mètres ;
les autres arbres et les baies vives .'i moins d'un
demi-mètre. Ces di.stances peuvent être modifiées
culture. Le propriétaire qui veut drainer son fonds par les usages locaux. Le voisin a le droit d'exi-
peut, pour l'écoulement des eaux provenant du ' ger que les plantations faites à une moindre dis
drainage, prendre passage souterraincment ou à
ciel ouvert sur les propriétés voisini'S qui le sé-
parent d'un cours d'eau où les eaux surabondantes
peuvejit Être déversées. Celui qui use de cette
faculté doit au voisin une indemnité réglée, en
cas de contestation, par le juge de paix.
ûti tioinage. — Le bornage est une opération
qui a pour but de fixer d'une manière certaine la
limite qui sépare des propriétés contigués, afin
de bien constater le point où cbacune d'elles com-
mence et finit, et An pn-venir les empiétements
lance soient arrachées; quand les branches des
arbres plantés à la distance légale s'étendent sur
sa propriété, il peut demander qu'elles soient
élaguées ; il a le droit de couper lui-même les ra-
cines qui pénètrent sur son fonds.
Vues sur la propriété du voisin. — On ne peut
pratiquer aucun jour dans un mur mitoyen que
d'un commun accord. Celui qui est propriétaire
d'un mur non mitoyen joignant la propriété du
voisin peut y ouvrir des jours de souffrance; on
appelle ainsi des ouvertures élevées à une cer-
Tout propriétaire peut contraindre son voisin au taine hauteur au dessus du sol, formées de ma-
bornage, et le bornage se fait à frais communs, nière à ne potivoir s'ouvrir, à verre dormant, et
Les demandes en bornage sont de la compétence , garnies d'un treillis de fer. Les jours ouvrants ou
du juge de paix; mais si une contestaiiun s'élève fenêtres ne peuvent être éiablis qu'h une cer-
£ur la propriété, le juge de paix cesse d'être com- taine distance du fonds voisin : six pieds (19déci-
pctcnt, et le litige doit être porté devant le tri- mètres) pour les vues droites, deux pieds (« déci-
bunal de première instance.
t^ervitudes établies par la loi; mitoyenmlé. —
La première des servitudes établies p.Tr la loi est
la servitude de mitoyenneté. On appelle clôture
mitoyenne celle qui appartient à deux voisins, et
qui sert de séparation à leurs héritages ; la mi-
toyenneté peut s'appliquer aux murs, aux fossés,
aux haies.
Mur mitoyen; droits qni résultent de la mi-
toyenneté. — Les murs qui servent de séparation
. mètres) pour les vues obliques.
Egout des toits. — Les propriétaires doivent
établir leurs toits de telle manière que les eaux
pluviales s'écoulent sur leur terrain ou sur la
voie publique ; ils ne peuvent les faire verser sur
le fonds du voisin sans son consentement.
Droit de passage en cas d'enclace. — Lorsqu'un
fonds se trouve enclavé, c'est-à-dire n'a pas d'ac-
cès a la voie publique, le propriétaire peut, ré-
clamer un passage sur les fonds intermédiaires.
entre bâtiments, ceux qui se trouvent entre \ Ce passage se prend, autant que possible, du côté
cours et jardins, ou même dans les champs entre j où le trajet est le plus court pour a:agner la voie
deux terrains également clos, sont présumés mi- ^ publique, et aussi dans l'endroit le moins dom-
toyens ; cette présomption cesse lorsqu'un titre , mageable i celui sur le fonds duquel il s'exerce,
formel ou ceriains signes matériels indiquent que Le propriétaire enclavé doit à celui à qui il de-
le mur est la propriété exclusive de l'un des ' mande le passage une indemnité proportionnée
voisins. Lorsqu'un mur n'est pas mituyen, le pro- ^ au dommage qu'il lui cause.
priétaire voisin peut en acquérir la mitoyenneté | Servitudes étal/lies par le fait de l'homme. —
en remboursant la moitié de la valeur du mur et Indépendamment des servitudes dérivant de la si-
la moitié de la valeur du sol sur lequel il est con- I tuation des lieux et des servitudes établies par
struil. Le co-propriétaire d'un mur mitoyen peut : la loi, le fait de l'homme peut créer entre deux
s'en servir pour y adosser des constructions, mais ^ fonds voisins un rapport de servitude. Los scr-
il ne peut, sans le consentement de l'autre pro- vitudes sont contiimes lorsque l'usage en est ou
priétaire, y pratiquer des jours. Le propriétaire ' peut en être continué sans le fait actuel de
pour lequel le mur est insuffisant peut l'exhausser l'homme, comme la servitude de vue; cette ser-
à ses frais, en fournissant de son côté le supplé- vitude, en effet, existe par cela seul qij'un jour est
ment d'épaisseur nécessaire
OOliyations nsullant ' e la mitoienneté. — La
réparation et la reconstruction du mur mitoyen
sont à la charge de chacun des propriétaires pro
pratiqué sur le fonds voisin, sans qu'il soit néces-
saire qu'on se serve de ce jour d'une manière
constante. La servitude est discontinue lorsqu'elle
n'existe <|ue par l'usage constant qui en est fait.
portionnellcraent à son droit. Celui qui veut se comme la servitude de passage. Les servitudes
soustraire à cette obligation a la faculté, si le mur sont apparentes ou non apparentes : la servitude
De soutient pas un bâtiment lui appartenant, d'à- apparente s'annonce par un ouvrage extérieur, une
bandonner son droit de mitoyenneté; mais, s'il ■ porte, une fenêtre; la servitude non apparente ne
veut plus tard se servir du mur, il sera obligé d'en ! se manilcste par aucun ouvrage extérieur, comme
acquérir la mitoyenneté. Une obligation particu- , la servitude de ne pas bâtir. Ces divers ternies se
lière pèse sur les jjropriétaires des villes et fau- combinent; il y a des servitudes continues appa-
bourgs : chacun peut contraindre son voisin à rentes ou non apparentes, des servitudes discon-
construire à Irais communs un mur pour la sépa- i tiniies apparentes ou non apparentes,
ration des propriétés contigués. ÉtvblisseineiU des servitudes. — Les servitudes,
ilitoyenneté des foiSés et dus liaie^. — Les fos- de quelque nature qu'elles soient, s'établissent
ses qui se trouvent entre deux héritages sont pré- ' par titre, c'est-à-dire par contrat, par testament
sûmes mitoyens, et doivent être entretenus à frais
communs. Les haies sont aussi présumées mi-
toyennes lorsqu'elles séparent deux héritages qui
sont clos l'un et l'autre. Les arbres qui se trou-
vent dans la haie mitoyenne appartiennent en
commun aux deux voisins, et chacun peut deman-
der qu'ils soient abattus.
Distances à obsencr pour les plunlulions. — Les
ou par donation. Les servitudes qui sont à la fois
continues et apparentes s'établissent par la pres-
cription de trente ans; si, pendant trente ans,
un propriétaire laisse subsister une servitude de
vue sur son fonds, le droit est définitivement ac-
quis au fonds au profit duquel la servitude
s'exerce. Les servitudes continues et apparentes
peuvent encore se constituer par la destination du
PROPRIÉTÉS DES CORPS — 1740 — PROPRIÉTÉS DES CORPS
père de famille : il y a destination du père de fa- 1 résulte de ce que les parties matérielles qui com-
mille lorsque deux fonds actuellement divisés ont ' posent les corps ne sont pas juxtaposées, qu'il y
appartenu au même propriétaire, qui a créé entre . a des vides entre elles, de sorte que la pénétra-
eux un rapport do servitude.
bilité apparente des corps peut se concilier avec
Exttn-tion des servitudes. — On ne peut avoir ! limpénétrabilité de leurs éléments
de servitude sur sa propre chose : la servitude ] 3. La divisibilité. — Tous les corps sont divi-
■s'éteint donc dès que les deux héritages entre , sibles, c'est-à-dire peuvent être partagés en par-
lesquels elle existe se trouvent réunis sur la ties très petites. Les exemples abondent pour
même tête. Le non usage pendant trente ans en
traîne aussi extinction de la servitude : pour les
servitudes disi'ontinues, le point de départ du
délai se trouve au jour ou a eu lieu le dernier
acte d'exercice de la servitude; pour les servi-
mettre cette propriété en évidence. Tous les so
lides peuvent, sous des efforts mécaniques, être
réduits en poudre impalpable, les métaux étirés
en fils très fins ou étendus en feuilles très min-
ces. Wollaston a pu obtenir des fils de platine qui
fonds grevé un acte contraire h la servitude.
6. Différentes manières d'acqiérir la pro-
priété. — La propriété peut s'acquérir de difïé-
tudes continues, le délai ne commence à courir | n'avaient que un douze-centième de millimètre
que du jour où il a été fait par le propriétaire du i d'épaisseur, et on fait des feuilles d'or si minces
■ ' ; que 250,000 superposées font à peine un centi-
mètre d'épaisseur.
; La divisibilité des liquides est très considéra-
rentes manières. La simple prise' de possession , ble ; en plongeant la main dans un liquide, on n'en
ou occupation suffit pour faire acquérir la pro- peut sentir directement les particules, comme on
prioté d'une cho^e qui n'appartient encore à per- ] sent encore celles du sable le plus fin ; la divisi-
sonne, comme un animal sauvage. Les choses qui bilité y est donc poussée assez loin pour que les
sont déjà la propriété d'une personne peuvent , particules matérielles échappent h nos sens. ^
être transmises et acquises par divers modes : les ! Les substances colorantes agitées dans l'eau
successions ab intestat, les donations entre vifs, atteignent à un très grand degré de division : un
les testaments, les contrats, comme la vente et centigramme de carmin peut donner sa couleur
l'échange, la prescription, c'est-à-dire la posses- j à 10 litres d'eau, et chaque millimètre cube do
«ion continue pendant un certain temps et avec cette eau contient au moins une parcelle de la
certaines conditions. On trouvera au mot Droit 1 matière colorante ; c'est donc en dix raillions de
priré les développements sur ces différents modes parties qu'est divisé le granule primitif.
d'acquisition de la propriété. [E. D«lacourtie.
On pourrait multiplier beaucoup les exemples
l'KOi'IlIlJïÉS DES CORPS. — Physique, L — | en emprunter aux matières odorantes qui par-
Les propriétés des corps sont les différentes ma- fument d'énormes quantités d'air sans que nos
nièros d'être, les divers aspects sous lesquels les ^ balances puissent accuser leur perte de poids,
corps se présentent : les unes sont communes à citer les fils d'araignée, les globules du sang, les
tous les corps, aux solides comme aux liquides et ! animalcules microsco|)iques ; ce qu'il importe le
aux gaz, aux êtres inorganiques comme aux êtres plus do remarquer, c'est que le raisonnement
organisés ; on les appelle pr.//rie/t;s jén^ra/es. Le j continue la divisibilité des corps au delà de
nom de propri-lés particulières est réservé à celles j celle que nos sens^ peuvent constater^ Au point
d'un corps ou d'un groupe de corps. ' ' ' '*' "'
Les propriétés générales sont Vétendue, Vim-
pénètraiilite, la divisi'iitHé, la porosité et la rom-
pressihi.ité, la mobilité et {'inertie. Les deux pre-
mières sont essentielles, c'est-à-dire que sans elles
de vue mécanique, la divisibilité a des bornes; au
point de vue rationnel, elle semble n'en pas
avoir.
Doit-on conclure qu'elle est, en effet, sans li-
mites? On ne l'admet pas. On croit (|ue les corps
on ne peut pas concevoir l'existence même de la sont formés de parties insécables, incomparable
matière. i ment plus petites que les dernières parcelles que
1. L'ttoidHcestla propriété dont jouit tout corps nous saisissons avec le sens le plus délicat, môme
d'occuper, dans l'espace, une place déterminée, armé de 1 instrument le plus grossissant ; et on
Son étude fait l'objet d'une science rigoureuse, donne le nom d'atomes à ces corpuscules indivi-
la géométrie, qui se rattache ainsi à la physique sibles des corps simples. Ces atomes des corps
générale.
La portion limitée de l'espace qu'occupe un
corps constitue son volume, la manière dont le
corps est limité constitue sa forme ou sa figure.
Le volume peut être compris sous des formes géo-
métriques simples et évalué au moyen de Ion
simples forment, en se combinant entre eux, les
molécules des corps composés. Quant aux particu-
les, si petites quelles soient, qui résultent d'une
division mécanii|ue poussée aussi loin que pos-
sible, ce sont des assemblages de molécules.
-Vinsi, on considi-re tous les corps comme résul-
gueurs mesurées dans la figure du corps. La , tant de l'association de molécules qui se grou
forme est, dans beaucoup d'objets, ou symétrique
ou parfaitement régulière, comme dans les fleurs,
le corps des animaux et beaucoup de cristaux.
2. L'iiiip- nétrabilité est la propriété que pos-
sède chaque corps de remplir l'espace qu'il oc-
cupe à l'exclusion de tout autre qui ne peut, au
même moment, occuper la même place. C'est cette
propriété qui empêche un liquide de couler dans
un vase plein d'air si on ne permet pas à celui-ci
de sortir; elle explique également que le niveau
d'un liquide s'élève quand on plonge un corps so-
lide dans le vase qui le contient ; elle fait com-
prendre pourc|uoi l'eau ne monte pas dans une
cloche renveisée que l'on enfonce verticalement
dans un liquide.
Il y a cependant des cas de pénétration appa-
rente. Ainsi, le volume de l'alliage de plusieurs
métaux e^t moindre que la somme des volumes
des métaux alliés. De même, l'alcool et l'eau réu-
nis occupent un volume moindre que la somme
des deux liquides séparés. Mais ce phénomène
pent sans se toucher, laissant entre elles des
espaces vides, qui peuvent, à leur tour, être rem-
plis d'une substance autre que celle du corps.
4. Porosité, Compre.ssihilité. — Ces espaces vi-
des ont reçu le nom de pores; ils sont invisi-
bles comme les molécuh'S qu'ils séparent. Il y a
en outre, dans beaucoup de corps, des vides acci
dontels, des trous inoccupés, visibles avec on sans
le microscope, qui tiennent à un arrangement
spécial de la matière; ce sont les pores sensibles.
Ainsi l'éponge a des vides accidentels de très
grandes dimensions, tandis qu'une plaque métal-
lique n'en a pas d'apparents et ne possède que les
pores intermoléculaires.
Toutes les substances possèdent cette propriété
de la porosité. Elle est de toute évidence dans
les gaz, évidente aussi pour les luiuidos qui dis-
solvent les gaz. On peut également la démontrer
avec facilité pour les solides. Ainsi les pierres,U
bois dur, les vases en terre cuite non vernissés,
le papier non collé, se laissent plus ou moins fa-
PROSE
1741 —
PROSODIE
cilenient traverser par les liquides; les métaux
euvniOnies sont poreux ot laissent suinter h leur
surface les lii|uides que l'on y comprime assez
fortement : les savants de Florence avaient mon-
tré la porosilé de l'or dès I(j(il. Quant aux soli-
des pour lesquels on no peut constater aucune
perméabilité aux fluides, comme le verre par
exemple, si l'on remarque qu'ils possèdent la
propriété de se dilater par la chaleur, on sera
conduit à admettre qu'ils contiennent aussi des
espaces vides entre leurs molécules.
D'ailleurs tous les corps diminuent plus ou
moins de volume quand on les presse ; or, puisque
la matière est impénétrable, cette diminution de
volume ne peut avoir lieu qu'autant que les mo-
lécules se rapprochent ; c'est dire qu'il y avait en-
tre elles, dans le premier état du corps, des vides
assez grands que la première compression a dimi-
nués et qu'une compression plus forte peut dimi-
nuer encore.
5. Moliililé, inertie. — Tous les corps ont la
propriété de pouvoir passer successivement du
repos au mouvement et du mouvement au repos;
c'est la mobilité: elle comprend le niotiveiiient,
c'est-à-dire l'état d'un corps qui occupe successi-
vement plusieurs positions dans l'espace, et l'iner-
tie, la propriété de la matière de ne pouvoir
pas d'elle-même modifier l'état de repos ou de
mouvement dans lequel elle se trouve.
ExpÉRiENCKS. — Plonger la main ou un corps,
volumineux dans une éprouvett.e contenant de l'eau
jusqu'à un niveau noté ; marquer le second niveau,
retirer le corps, 1 eau déplacée reprend sa place.
Verser un liquide dans un flacon surmonté d'un
entonnoir qui joint bien, le liquide ne descend
pas. — Placer une bougie allumée sur un bou-
chon flottant sur l'eau d'un cristallisoir profond;
la couvrir d'une cloclie que l'on enfonce peu à peu.
Mettre une égale quantité de sable fin dans
deux verres ; ajouter de l'eau dans l'un, le volume
n'augmente pas ; l'eau s'est logée dans les vides.
On met ceux-ci eti évidence en tassant le sable du
second vase dont le volume diminue.
Pulvériser un corps insoluble dans l'eau et sé-
parer les poudres diverses par lévigalion.
Verser sur une feuille de papier blanc de la
fuchsine cristallisée ; promener le solide sur la
feuille; le remettre dans son flacon ; secouer for-
tement la feuille ; il n'y reste aucune parcelle vi-
sible du solide ; de l'alcool versé sur la feuille
retrouve les fines particules invisibles de fuclisine
et colore fortement en rouge la feuille sur la-
quelle rien n'était apparent.
Montrer que l'huile tache le marbre non poli
.ou fraîchement cassé, et que l'argile enlève
l'huile ainsi répandue dans un corps poreux.
Montrer la porosité des liquides les uns pour
les autres par le mélange d'eau et d'acide sulfu-
rique ou d'alcool et d'eau, la porosité des liqui-
des pour les gaz par la solution dans l'eau du gaz
ammoniac, la porosité des solides pour les gaz
par l'absorption du gaz ammoniac par le charbon,
fllaraucourt.]
PROSE.— Littérature et style, I\. — Etym. :
du latin prorsa, directe (sous-entendu « construc-
tion w). — Les anciens regardaient la prose
comme une forme du langage inférieure au dis-
cours rythmé : pour les Grecs, c'était le pézos
logos, ce que les Latins traduisaient par sermo
pedestris, le style terre à terre ; ceux-ci l'appe-
laient aussi oratio so/ula, langage libre, non assu-
jetti aux règles poétiques, et enlin /trosa : ce der-
nier mot se trouve dans Quintilien. Dans l'histoire
littéraire, l'emploi du langage rythmé précède
celui de la prosi : il était naturel que voulant
composer des hymnes religieux ou gu-rriers, ou
des narrations destinées à être apprises par cœur,
les hommes eussent choisi une forint de langage qui
se distinguât du parler ordinaire, qui frappât l'o-
reille et qui s'imposât à la mémoire. Ce fut seule-
ment lorsque l'usage de l'écriture fut devenu com-
mun, que l'on vit paralire chez les Grecs des pro-
sateurs à coté des poètes. Les premiers en date
furent des chroniqueurs ou logogfnphfS, qui re-
cueillirent des souvenirs historiques : tels sont
Hccatée de Milet, Phôrécyde de Léros, Hollanicus
de Lesbos, et bien d'autres, qu'Hérodote, leur
continuateur et le péri- de l'histoire, a fait oublier.
Puis la philosophie, qui d'abord avait parlé en
vers avec Pythagore, Empédocle, Xénophane, Par-
ménide, commença à se servir à son tour de la
prose au temps d'Heraclite, de Démocrite, des
sophistes et de Platon. Enfin à côté des histo-
riens et des philosophes vinrent se placer les ora-
teurs : l'éloquence, devenue un art que des maî-
tres enseignaient, enrichit la prose d'un genre
littéraire de plus. Chez les Romains, on vit aussi
paraître d'abord les historiens, puis simultanément
les orateurs et les philosophes; le genre épisto-
laire prit naissance avec les lettres de Cicéron.
Enfin, chez les modernes, un genre nouveau, le
roman, a fait son apparition ; c'est lui (|ui dans la.
prose occupe aujourd'hui la première place.
Certains écrits, formant la transition entre la
prose littéraire et la science proprement dite, ont
été rangés dans un genre à pan, qu'on a appelé
didactique : \\ en est parmi eux qui, par les qua-
lités de leur style, relèvent décidément de la lit-
térature : ainsi l'Histoire nntw elle de Bufîon ou
l'Emile de Rousseau ; d'autres, au contraire, n'ap-
partiennent qu'à la science, comme certains traités
d'Aristote ou la Géograpfiie de Strabon.
D'autre part, il n'existe pas entre la prose et la
poésie une ligne de démarcation absolue; la
prose peut, aussi bien que levers, servir à l'expres-
sion du sentiment poétique, ot l'on trouvera dans
Fénelon, dans J.-J. Rousseau, dans George Sand
bien des pages descriptives ou lyriques pleines de
la poésie la plus gracieuse ou la plus élevée.
Nous consacrons des articles spéciaux à l'his-
toire, à la philosophie, à l'éloquence, au genre
épistolaire, au roman : nous y renvoyons le lec-
teur. — V. Histoire et Histmienx, Philnsnp/ne
{Histoire de la), Orateurs, Discours, EpisloUnre
(Genre), Roman.
PnosODli:. — Littérature et style, III ; Gram-
maire, XMV. — Le mot prosodie, d'origine
grecque, a désigné primitivement, dans cette lan-
gue, le chant dont on accompagnait un instrument,
puis la cadence des vers et, spécialement, l'ac-
cent du mot ; enfin la quantité longue ou brève
des syllabes, qui déterminait, dans la versifica-
tion grecque, la justesse des vers. C'est d'après
cette origine que l'Académie française, après avoir
défini la prosodie « la prononciation des mots con-
formément à l'accent et à la quantité <i, ajoute :
« 11 se dit, dans les collègis, de la connaissance
des règles de la qu intité en grec et en latin, des
syllabes qui sont longues ou brèves, de la mesure
des dilTérents vers. » La langue de la criti(|ue lit-
téraire a pris pour elle ce terme de collège et
élargi la définition, en appelant prosodie les règles
de la versification en usage dans toutes les lan-
gues. C'est en ce sens que nous l'entendons ici,
nous préoccupant, d'ailleurs, principalement dos
notions qui sont nécessaires à l'instituteur pour
faire comprendre aux élèves les règles de la versi-
fication de notre langue nationale.
L'article P'ésie, auquel les lecteurs devront se
référer, montre comment les vers sont l'instru-
ment priipre de la poésie ; l'article Aoenlwdion
explique ce qu'est, en général, dans notre langue,
le rôle de l'accent tonique; ils devront s'y référer
aussi.
l,a langue française, qui doit tout au latin, no
lui a point emprunté sa prosodie.
PROSODIE
— 1742 —
PROSODIE
Voici, par exemple, le début de l'Enéide de Vir-
gile, le grand poème épique des Romains :
Anna virumque cano, Trnjx qui priiniiS ab oris
lialiam. fato profugus, Laviinague vcnit
Litiora : multum ille et terris jactatus et alto,
Vi superûm, sxvx memorem Junonis ob iram:
Multa qnoque et bello passus, dum condcret urbetn,
Inferretque deoA Laiio : genus unde Latiiium,
Albanique paires, alqite altx mœnia Humx.
( « Je chante les combats et ce héros qui, chassé
(Î3 Troie par le destin, vint le premier en Italie,
aux rives de Laviniuni. Longtemps, sur la terre et
sur les mers, il fut le jouet de la puissance des
dieux, qu'excitait l'implacable colère de Junon.
Longtemps aussi il eut à souffrir les maux de la
guerre, avant qu'il put fonder une ville et trans-
porter ses dieux dans le Latium : de li sont sortis
la race latine, les rois d'Albe et li-s remparts de
la superbe Rome. » — Tr/i'hicHrm de VUlfnove.)
Voici une strophe d'une ode d'Hurace, le célèbre
poète lyrique du siècle d'Auguste :
Vides ut altâ stet niue candidiim
Soracle, nec Jam sustineant nntis
Silvz laborantes, geluqite
Fluinina constiterint acuto.
(HoiiiCB, livre I, oJe n.)
(o Vois comme le Soracte élève son front blanchi
par une neige épaisse ; déjà les forêts s'affaissent
sous le poids qui les accable, et la gelée péné-
trante enchaîne le cours des fleuves, u — Traduc-
tio-i de M. A. Oesportes.)
Il est évident qu'en deliors de toute question
de sens, la structure de ces vers n'a rien de com-
mun avec celle des vers français.
C'est qu'en effet les Latins, qui ont eux-mêmes
emprunté aux Grecs tout leur système de versifica-
tion, sauf peut-être quelques mètres archaïques
dont il est resté des traces peu nombreuses, ont
fondé ce système, non, comme nous le faisons,
sur le nombre des syllabes, mais sur leur mesure
ou quantité. Le vers latin a pour éléments ce
qu'on appelle les pieds, c'est-à-dire des groupes
de syllabes dont la valeur est déterminée par la
pronouciaiioii, et le rythme en est marqué pour
l'oreille par ce qu'on appelle la quantité, ce qui
ne veut pas dire un nombre déterminé de syllabes,
mais une suite régulière de syllalies longues et de
syllabes brèves. H faut voir, dans ce système pro-
sodique, quelque chose d'analogue à ce que pré-
sente la musique, quand nous nous arrêtons U7i
te-iips sur une note blanche, et seulement uv rfem;-
femps sur une note noire. Le pied est un ensemble
déterminé de longues ou de brèves. Ainsi deux
longues forment le pied qu'on appelle spondée :
Trfjjli (on marque les longues par une petite barre
horizontale placée au-dessus de la syllabe) ; une
longue et deux brèves forment le d,icti/ie: tittôrà
(on marque les brèves par un petit demi-cercle, les
pointes en haut); une brève et une longue for-
ment X'inmb" : v'vlês; une longue et une brève, le
trochée: àirnà. Une série régulière de pieds forme
la mesure d'un vers. Ainsi le vers de l'épopée,
celui dont s'est servi Virgile, est Vite rjimètre, c'est-
à-dire le vers de six pieds, dont les quatre pre-
miers sont dactyles oa spondées indifféremment,
le cinquième dactyle et le sixième spondée ;
Arma m\rumque ca\no Tro \js qui[primus ab\orïs.
On remarquera que, dans ces vers, la dernière
syllabe no de cano ne fait pas partie du même
pied que la syllabe ca, et que la dernière syllabe
f^e de Trois ne fait pas non plus partie du même
pied que la syllabe Tru. C'est là encore une autre
loi du vers latin, au moins dans les mètres les
plus longs et les plus soutenus, comme l'hexa-
mètre, la loi de la césure (coupure), d'après la-
quelle, à certains endroits du vers, la dernière
syllabe d'un mot doit rester en dehors du pied
dont font partie les autres syllabes, pour former
la première syllabe du pied suivant. Ainsi l'hexa-
mètre doit avoir au moins une césure après le
second pied, ou, à défaut de celle-ci, deux césures,
la première après le premier pied et la seconde
après le troisième.
La poésie latine comptait un grand nombre d'es-
pèces de vers ; ainsi, dans le genre dramatique,
on employait un vers ayant pour base l'iambe et
appelé pour cela iambique ; dans les genres nar-
ratifs moins sévères que l'épopée, on employait
les distiques, système alterné de vers de six pieds
(hexamètres) et de vers de cinq pieds (pentamè-
tres). Les strophes de la poésie lyrique compre-
naient des vers de mesure très variée, et bien sou-
vent aussi des mélanges de mesures.
Ajoutons qu'en dehors de leurs longues et de
leurs brèves, les mots latins avaient encore des
syllabes marquées de l'accent tonique, c'est-à-dire
que ta voix devait, dans la prononciation des mots,
s'élever sur certaines syllabes, indépendamment
de leur quantité. Ajoutons encore que, dans la
langue latine, les syllabes muettes sont in-
connues, contrairement à ce qui a lieu en fran-
çais.
De ce mélange symétrique des brèves et des
longues, de l'alternance à intervalles réglés des
syllabes accentuées et des syllabes non accen-
tuées, de la possibilité de combiner harmonique-
nient toutes sortes de rythmes, résultait une
versification très riche, très souple, très sonore,
assez puissamment marquée pour qu'aujourd'hui,
à tant de siècles de distance, nous en sentions
encore le cliarme, mais très compliquée aussi, et
plutôt faite assurément pour des oreilles de lettrés
que pour celles du peuple.
Aussi ne put-elle survivre aux époques de la
littérature latine que l'on peut appeler classiques.
L'accent tonique, dans lo vers latin, n'étant pas
toujours d'accoi-d avec la mesure primitive des syl-
labes distinguées en brèves et en longues, il y eut
une sorte de lutte entre la syllabe accentuée et la
syllabe métrique, et, aux époques de décadence,
la prédominance exclusive do l'accent tunique
finit par faire oublier cotte distinction des brèves
et des longues qui avait constitué la quantité,
c'est-à-dire le fond même de l'ancienne versifica-
tion. Elle dut disparaître complètement, lorsque
la langue, se transformant dans la bouche de nos
pères. Ht porter l'effort de la prononciation sur la
dernière syllabe sonore des mots. II resta bien,
en deliors de cette syllabe accentuée, des brèves
et des longues, et quelquefois même nous indi-
quons celles-ci, dans la langue écrite, par un si-
gne spécial ; mais la distinction de ces brèves et de
ces longues n'a jamais suffi à notre oreille pour
valoir en intensité cette dernière syllabe accen-
tuée qui est véritablement pour nous, au point
de vue de la sonorité, l'âme du mot. Et de là
l'eiT.îUrde ces savants qui, à différentes époques,
ont imaginé de faire des vers en y marquant
la quantité à la façon des anciens : la cadence
de ces vers n'était pas saisissable pour notre
oreille.
A cet élément, très délicat, de la mesure pro-
sodique, la quantité des syllabes, la langue du
moyen âge en a substitué un autre, le nombre des
syllabes, élément plus grossier peut-être, mais
plus commode, et susceptible, lui aussi, de deve-
nir avec le temps un véritable élément rytlimi-
que. Les syllabes de nos vers ne sont plus
.\cun'lé-'s, dans la véritable acception du terme,
c'est-à-dire évaluées pour leur valeur métrique
propre ; elle sont comptées.
C'est aussi le moyen âge qui a introduit dans
notre prosodie la cîv/e, c'est-à-dire la consoanance
!
PROSODIE
- 1743
PROSODIE
do la terminaison des mots à la fin do deux ou de
plusieurs vers <|ui so suivent plus ou moins ini-
niédialcmcnt. L'origine du mot rime est incer-
taine: peut-être y faut-il voir une abréviation po-
pulaire du mot ri/thme, qni vient du grec et
signifie mesure, cadence. L'origine de la rime en
elle-même est aussi incertaine que celle du terme
qui la désigne. Sans douie elle a été amenée par
la nécessité d'anôter le vers d'une manière frap-
pante pour l'oreille. Le plaisir — car c'en est un —
que la rime donne i l'oreille peut être assimile 4
celui que nous procure, dans un chant ou dans
un morceau do musiqui', le retour fréquent de
cette note qu'on appelle la toniiiup, laquelle donne
au chant ou au morceau de musique comme un
caractère spécial et qui est comme le centre et
aussi le terme de toutes les modulations. La rime
est une espèce de tonique du vers. Cela était
vrai surtout de nos anciens poèmes, des poèmes
monofimes du trouvère ou du troubadour. Des-
tinés à être chantés aux accords d'un instru-
ment, ces poèmes étaient en général composés de
couplets plus ou moins longs dont tous les vers
se terminaient par une seule et même rime.
L'imitation d'une espèce particulière de vers
latins, qu'on app 'Ile léonins, n'a peut-être pas été
non plus sans influence sur l'adoption de la rime
dans la prosodie du moyen âge. Ces vers, dans
lesquels la syllabe finale d'un mol placé vers le
milieu rime avec la syllalie finale du dernier mot,
étaient en usage môme du temps de Virgile ou
d'Ovide. En voici deux, par exemple, de cette
époque, le sens en importo peu :
Défait et scripjis uttU
h de sciiptis rime avec is de mcis.
Il en est de même de la syllabe tas dans cet
autre vers :
Vixit DamœTks; iuvidit stultus Amymxs.
Fort restreint dans la langue latine des bonnes
époques, l'emploi du vers léonin se répandit
davantage dans les derniers siècles pendant les-
quels on parla encore latin en Gaule et ailleurs ;
on en trouve, par exemple, un grand nombre
dans des poètes gaulois parlant latin (comme Au-
sone, de Bordeaux, et Prudence, aux iv" et V siè-
cles). Plus tard, à une époque ancienne, mais où
toute notion de l'ancienne versification latine a
disparu, l'Eglise, s'inspirant des procédés poéti-
ques définitivement acceptés par la langue vul-
gaire, applique la rime au latin de ses plus beaux
morceaux de ijoésie chantée. C'est ainsi que,
dans les couplets ou strophes du Dies irs, que
l'on chante à la messe des morts, les vers riment
entre eux trois à trois ;
Dies irx, dics illa,
Soivet seclum in favilla.
Teste David cum Sibylla, etc.
Dans le Stahat mater, les deux premiers vers
de chaque strophe riment entre eux, et le troi-
sième vers avec le troisième de la strophe sui-
vante. Il existe des morceaux de poésie drama-
tique destinés à, entrer dans la représentation de
certaines pièces écrites moitié en latin, moitié en
langue vulgaire, et datant du xi' siècle. Les vers
latins que contiennent ces pièces sont mesurés,
comme nos vers modernes, d'après le nombre
des syllabes, et rimes.
La césure, telle que l'entendaient les Latins, a
disparu de nos vers comme tout le reste de la
prosodie antique. Ce que l'on appelle césure dans
le vers français est uji repos marqué par une
"uspejision du sens après un certain nombre de
jyllabes. Ainsi, notre plus long vers, qui est le
•■■(■.rs de don?» syllabes, divise ces douze syllabes
en deux parties égales, de six syllabes chacune,
qu'on appelle hémistiches (demi-vers):
Celui qui met un frein | à la fureur des flots
Sait aussi des méchants | arrêter les complots.
Il ne faudrait pas croire que l'accent tonique,
dont le rôle est si important dans notre projion-
ciation, n'ait pas sa place marquée dans le
vers français. La succession, dans un certain
ordre, des syllabes accentuées et des syllabes
non accentuées forme la plus grande part de ca
qu'on pourrait appeler la musique du vers. La
rime appelle nécessairement une syllabe accen-
tuée à la fin de chaque vers; quand cette syllabe
accentuée est suivie d'une syllabe muette, comme
dans Maris, bénit, la syllabe muette ne compte
pas dans la mesure du vers. Quand il y a césure,
il faut aussi que la syllabe après laquelle se fait
le repos soit accentuée; si elle est suivie d'une
syllabe muette, cette syllabe doit pouvoir s'élider,
c'est îi-dire disparaître dans la prononciation,
absorbée, en quelque sorte, par une voyelle qui
commence le mot suivant :
La cruelle
entre I est vide (
La syllabe accentuée qui précède la césure est
venir; Ve final est élidé, la prononciation n'en
tenant aucun compte, grâce à la voyelle qui com-
mence le mot suivant est ; nous ne disons pas :
ventrsv e^t, mais venir' est.
D'après cela, les vers suivants :
L'ingrat, il me laiss*? ) cet embarras funeste...
Mais bieatôt les prêtres j nous ont enveloppés,
seraient vicieux, parce qu'ils ont à la césure une
syllabe qui n'est pas accentuée. Racine les a faits
corrects, en les construisant ainsi :
II rae laisse, l'ingrat, cet embarras funeste...
Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés.
Le vers suivant ne serait pas moins défectueux :
Et redire avec tant | de plaisir les exploits,
parce que le mot limt est de ceux qui, dans cer-
taines situations, perdent leur accent tonique. Le
vers deviendra régulier si on le lit comme Racine
l'a fait:
; tant de plaisir | redire le
xploils
Pour faire sentir la règle de l'hémistiche, dit
M. L. Quicherat, dans son excellent Traité de ver-
sification française, Voltaire a fait à dessein ce
mauvais vers :
Adic
:je I
i vais à 1 Paris pour mes aflFaires.
On a remarqué que les vers les mieux rythmés,
les plus agréables h entendre, sont ceux où les
syllabes accentuées sont relevées pour l'oreille
par un nombre plus ou moins grand de syllabes
non accentuées qui les précèdent ou qui les sui-
vent, de façon à former une sorte de cadence on-
dulée, la voix devant se baisser et se hausser al-
ternativement, à des intervalles à peu près égaux,
le tout, bien entendu, sans préjudice du sens gé-
néral de la phrase et des nécessités supérieures
de la pensée et du mouvement. Exemple:
Oui, je viens dans son temple adorer l'Élernel;
Je viens, selon l'usa;^e antique et solen//e/,
Céléôrer avec voits la tanneuse journée
Ou sur le mont Sina la loi nous fut donnée.
Ces vers de Racine ne contiennent guère chacun
que quatre syllabes fortement accentuées, dont
l'une à la césure, l'autre formant la rime, à la fin
du vers, et les deux autres à peu près au milieu de
chaque hémistiche.
Quand les vers sont surchargés de syllabes ac-
PROSODIE
— 1744 —
PROSODIE
centuées, on n'en sent plus la mesure. Molière
fait dire à Alceste dans le Misanthrope :
Quel aifaniaçe a-t-on qu'un homtac vous carejse,
Vous jjxro &m\Uè, foi, rèle, esf;me, tenrf/Tîsc... ?
Ce dernier vers, qui renferme six syllabes ac-
centuées, ressemble à une ligne de prose.
Entrons maintenant dans quelques détails sur
les principales lois de la prosodie française : me-
sure, rime, enjambement et inversion, et aussi
sur les différentes espèces de vers français.
La mesure, avons-nous dit, résulte du compte
des syllabes. Le plus long vers français, que, du
nom d'un poète et d'un poème du moyen âge, on
appelle souvent alexandrin, est de douze syllabes.
Il n'y a pas de vers de plus grande longueur,
parce qu'au-dessus de ce nombre l'oreille aurait
peine à juger, sans le secours des doigts, si la
mesure est exactement remplie. Quelques tenta-
tives ont été faites de nos jours, notamment par
un poète fort habile, M. Théodore de Banville,
pour déroger à cette règle : elles n'ont pas eu
d'éi-ho. Les syllabes que l'on compte dans la me-
sure sont celles qui se prononcent, même les syl-
labes dites muettes, comme metil dans ils d.\ment,
lesquell'S donnent, à proprement parler, un son,
si étouffé qu'on le fasse. Quant aux syllabes qu'on
ne prononce pas du tout, comme les e muets de
la fin des phrases ou les e muets qui, jilaccs à
la fin d'un mot, sont suivis dune voyelle au com-
mencement du mot suivant, elles ne comptent pas,
comme nous l'avons dit, 5 la fin du vers, et, dans
le corps du vers, elles sont élidées et ne comp-
tent pas davantage.
Voici quelques vers, où Lamartine peint une
belle nuit sur un rivage de l'Ilalie ; nous sou-
lignons les syllabes qui ne comptent point dans la
mesure :
II est nuit ; mais la nuit sous ce ciel n'a point d'om6re .-
Son astre, suspendu dans un dôme moins somôrf,
Blanchit de ses lueurs dos bords silencieux
Où la vague se teint du bleu pâle des cieux ;
Où la côte des mers, de cent golfes coupée.
Tantôt humô/e et rampanf;? et tantôt escarpée.
Sur un sa/j/e argenté vient mourir mollement
Ou grande sous le choc de son flot écumant...
La délicatesse de notre oreille, peut-être exces-
live sur ce point, n'admet point dans les vers un
accident do prononciation dont la prose, même
la plus harmonieuse, s'accommode souvent fort
bien, Vhiatus (d'un mot latin qui veut dire
ouverture de bouche, bâillement!, c'est-à-dire la
rencontre de deux voyelles ou d'une voyelle et
d'une h muette, placées, l'une à la fi'i d'un mot,
l'autre au commencement du mot suivant. Ainsi
on ne peut pas dire dans un vers ; 'u es, tu auras,
si elle vient, etc. La conjonction et, dans laquelle
le t final ne se prononce pas, fait également
hiatus ; et l'on ne peut pas dire non plus : et il
vient, sage et heureux. Les anciens poètes ne se
faisaient pas faute de l'hiatus. Malherbe lui-même,
qui a beaucoup contribué à fixer les lois de notre
versification moderne, écrit encore :
Il demeure en danger quo l'âme, gui est née
Pour ne mourir jamais, meure éternellement.
Mais la règle de l'hiatus est acceptée aujour-
d'hui par tous nos poètes sans excep'ions.
Quand la rime a lieu entre deux syllabes sonores
qui ne sont point suivies d'un e muet, on la dit
masculine, et féminine dans le cas contraire, pro-
bablement parce qu'un grand nombre de mots dé-
signant des femmes ou des femelles d'animaux ou
pouvant s'appliquer aux femmes ou aux femelles
d'animaux sont termines par un e muet, tandis
que les noms d'hommes, d'animaux mâles, les
mots qui ne peuvent s'appliquer aux hommes ou
aux animaux mâles, sont souvent terminés par un
son plein. Mais rime masculine ne veut pas dire,
comme on serait porté h le supposer, rime formée
par un mot masculin, ni rime féminine rime
formée par un mot féminin ; homme forme une
rime fénjinine aussi bien que pomme; et maison
forme une rime raasciiline aussi bien f|ue poison.
Comme les rimes masculines donnent en géné-
ral un son plus plein, plus fort que les rimes
féminines, l'oreille se plaît à l'alternance régu-
lière des unes et des autres. Aussi notre poésie
a-t-elle renoncé depuis longtemps aux longs
couplets monorimes des trouvères et des trouba-
dours. Lefranc de Pompignan s'est encore amusé,
au dix-huitième siècle, k décrire dans des vers
exclusivement rimes en if les merveilles du fa-
meux château d'If :
Nous fûmes donc au château
C'est un lieu peu récréatif
Défendu par îe fer oisif
De plus d'un soldat maladif..
d'If:
Et ainsi de suite pendant une trentaine de
vers; mais ce ne sont li que des jeux d'esprit.
Dans les vers de Lamartine que nous avons
cités, les vers se suivent deux à deux, un couple
de rimes féminines alternant avec un couple de
rimes masculines. Cet arrangement constitue ce
«lue l'on appelle les rimes plates ou suivies. C'est
l'ordre le plus ordinairement adopté dans les
grands poèmes, comme l'épopée, le genre drama-
tique, les poèmes didactiques, la satire classique,
les grands récits en vers de nos poètes contempo-
rains. Mais il y a bien d'autres combinaisons de
rimes admises par la poésie française. La succes-
sion des rimes n'est soumise, à proprement par-
ler, qu'à une seule règle générale, qui est celle-ci :
Une rime masculine ne doit pas être suivie
immédiatement d'une rime masculine différente,
ni une rime féminine d'une rime féminine diffé-
rente. A cela près, toutes les combinaisons de
rimes peuvent être employées. Ainsi, on appelle
rimes croisées celles qui présentent alternative-
ment un vers masculin et un vers féminin, ou
encore deux rimes masculines séparées par deux
rimes féminines suivies, ou réciproquement.
Voici, dans une même strophe, un exemple de ces
deux combinaisons :
J'ai vu mes tristes journé^'S
Décliner vers leur penchant;
Je touchiiis à mon couchant.
La mort, déployant ses ailes.
Couvrait d'ombres éternelles
La clarté dont je jouis.
Et, dans cette nuit funeste.
Je cherchais en vain le reste
De mes jours évanouis.
(J.-B. RousSBiu.)
Les rimes dont la succession n'est soumise
qu'à la règle générale que nous avons indiquée
tout à l'heure sont dites rimes me'/ées. La plupart
des fables de La Fontaine, de Florian et des
autres fabulistes, \' Amphitryon de Molière, sont
en rimes mêlées.
Lorsque, le sens d'une phrase ne se complétant
pas à la fin d'un vers, il faut rejeter sur le vers
suivant un ou deux mots qui en rompent la ca-
deme, on dit qu'il y a eyijnmbement. Il y a, par
exeniple, enjambementdans ces vers des l'iaidiurs
de Racine :
Mais j'aperçois venir madame la comtesse
De Pimbesctie...
L'Intimé, dans la même pièce, dit en plaidant
contre Petit-Jean :
Puis donc qu'on nous permet de prendre
haleine, et que l'ou nous défend de nous étendre.
Je Tais, sans rien omettre, etc.
PROSODIE
— 1743 —
PROSODIE
Ici encore il y a enjambement, et enjambement
prcmodilci, le rejet du mot lialeine étant comme
une sorte de preuve plaisante de l'essoufflement de
l'avocat.
Et, en effet, l'cnjambemont, qui peut avoir lieu,
dans certains cas. pour la plus grande commodité
du poète, est employé, dans certains autres, pour
contribuer au développement de la pensée poéti-
que en portant sur un mot rejeté toute l'attention
du lecteur, ou encore pour rompre la monotonie
des vers, surtout des grands vers rimant deux à
deux, dont la cadence répétée et uniforme finit
par fatiguer l'oreille. Il est vrai, d'ailleurs, qu'il
conduit h. déranger tellement le mouvement
rythmique qu'on ne saisit plus au passage l'arrêt
nécessaire de la rime qui marque la fin de chaque
vers, et qu'on peut perdre ainsi tout à fait le
sentiment de la mesure. Pendant nos deux siècles
classiques, tous les poètes sans exception ont
souscrit sur ce point aux arrêts exclusifs de
Malherbe, dûment formulés par Boileau,
Elle
; n'osa plus enjamber.
Notre école contemporaine est peut-être tombée
dans l'excès contraire.
Un moyen d'atténuer ce que l'enjambement
pourrait avoir d'excessif, c'est de faire suivre les
mots rejetés par un développement qui s'y ral«
tache et complète le vers; on évite ainsi que le
■rythme soit coupé trop brusquement. C'est ce que
i'on remarque, par exemple, dans ces vers de
Britannicus :
Je parlerai, madame, avec la liberté
D'un soldat qui sait mal farder la vérité.
L'école moderne dirait peut-être :
; je
Ces deux procédés, suivant les cas et dans une
juste proportion, peuvent avoir une égale raison
d'être.
L'usage accorde aux poètes, pour la facilité de
leur tache, certaines immunités d'orthographe et
de construction, qu'on appelle des licences poéti-
yuei. Ainsi dans le mot encore, ils retranchent
au besoin l'e final; ils écrivent indifféremment
guère ou g-œref, certe ou certes, et quelques
autres mots où 1'^ finale peut se supprimer. Mais
leur principal privilège consiste dans des invr-
sions qui sont propres à la poésie. Pour le besoin
de la rime, souvent dans une intention d'harmo-
nie ou d'élégance, les poètes dérangent h plaisir
l'ordre ordinaire dos mots dans la phrase, et se
permetterjt, à la condition de rester clairs, les in-
terversions les plus hardies.
Lisez, par exemple, ces vers de Racine, dans le
•début d'Alhalie :
3 jour
Que les temps sont changés ! Sitôt que de
L;i trompette sacrée annonçait ie retour,
Du t«;mple, urne partout de festons magnifiques,
I e peuple saint nn foule inondait les portiques ;
Et tous, devint l'autel avec ordre introduits,
De leurs charnps dans leurs mains portant les nouveaui
Au Dieu de l'univers consacraient ces prémices, [fruits,
Essayez maintenant de traduire en simple prose
ces beaux vers, sans y rien changer que l'ordre
des mots, rétablis tels que la prose les comporte,
€tvous verrez comme cet ordre sera différent.
Il est à ri'marquer, d'ailleurs, que nos poètes
contemporains n'usent pas autant que les poètes
du dix-septième et du dix-huitième siècle du
procédé de l'invers'itin, qui est beaucoup plus, en
réalité, dans le génie de la langue latine que dans
■celui de la nôtre, et qu'ils la considèrent plutôt
comme une ressource utile ou commode, que
T Partie.
comme un véritable principe d'harmonie et d'élé-
gance.
Le plus long vers de ta poésie française, avons-
nous dit, est l'alexandrin, de i/ouze syllabes, ou,
en d'autres termes, de six pieds, le pied, dans le
vers français, n'étant autre chose que l'ensemble
de deux syllabes qui se suivent dans un même
vers et qui comptent dans la mesure. La césure,
dans ce vers, tombe après le troisième pied, par-
tageant ainsi l'alexandrin en deux hémistiches
égaux.
Il n'y a point de vers de onze syllabes ; l'inéga-
lité des deux hémistiches, dont l'un aurait deux
pieds et un demi-pied et l'autre trois pieds, rend
ces vers, dont il existe à peine quelques types,
d'une cadence pénible à l'oreille. Il n'y a guère
non plus, pour la même raison, de vers de Jieuf
syllabes. Mais il y a des vers de dix, de huit, de
sept, de six, de cinq, de quatre, de trois, do deux
syllabes; il y a même des vers monosyllabiques.
De tous ces vers, les plus usités sont, après le
vers de douze syllabes, ceux de dix, de huit et de
sept; ce sont à peu près les seuls que notre
oreille — car c'est là, une question d'oreille —
permette d'employer de suite et sans mélange de
vers d'autres mesures ; les autres, particulière-
ment ceux de six, de cinq, de quatre, de trois et
de deux syllabes ne s'emploient guère qu'accou-
plés à des vers plus longs, avec lesquels ils for-
ment des couplets, des strophes, des stances ; les
vers de deux syllabes et les vers monosyllabiques
sont d'un usage fort restreint.
Si l'on veut juger de l'effet mélodique que peu-
vent produire les différentes espèces de vers que
possède notre prosodie, employés seuls et succes-
sivement dans une série de strophes, il faut lire
la pière des Urie?itiiles, de Victor Hugo, intitulée
les Djiuns. Dans cette pièce, plus curieuse, d'ail-
leurs, que véritablement intéressante, le poète
veut donner l'idée d'un bruit qui nait au loin,
augmente de sonorité k mesure (|u'il approche,
devient h un certain moment très éclatant, puis
diminue par degrés en s'éloignant et finit par
mourir. Il emploie pour cela une série ascendante
de strophes de huit vers chacune, la première en
vers de deux syllabes ; la seconde, de trois, la troi-
sième, de quatre, et ainsi do suite jusqu'à huit
syllabes. Une strophe en vers de dix syllabes forme
en quelque sorte le point central du crescendo ;
puis vient une autre série descendante de strophes
en vers de huit, de sept, de six, de cinq, de qua-
tre, de trois et do deux .syllabes.
Le vers de dir syllabes ou de cinq pieds a une
césure après la quatrième syllabe, et se partage
ainsi en deux hémistiches inégaux, le premier de
deux pieds et le second de trois ; il a deux accents
toniques principaux, celui de la césure et celui do
la rime, et de plus un accent mobile, qui se place
dans le second hémistiche sur la sinième, la sep-
tième ou la huitième syllabe. C'est le vers narratif
par excellence, celui qu'employaient le plus vo-
lontiers nos anciens poètes. En voici un exemple
dans des vers de La Fontaine :
Deux perroqui^ls, | l'un père et l'autre fils.
Du rot d'un roi | hisaienl leur ordinaire;
Deui demi-dicux, | l'un fils et l'autre ;)ére,
eaux I (basaient leurs Snvoris.
(Là ForiTiisE, les Deux Pirroquets, le Itoi
et son Fils.]
Quelquefois aussi le vers de dix syllabes se
coupe en deux hémistiches égaux, de cinq syllabes
chacun :
J'ai dit à mon cœur, à mon faible cœur ;
N'est-ce point assez de tant de tristesse 7
Et ne vois-l.i pas que changer siins cesse,
C'est à chaque pas trouver la douleur?
(Alpred db Mussbt.)
110
PROSODIE
— 1746 —
PROSODIE
Le vers de huit syllabes, et tous ceux qui en
ont un nombre moindre, ne sont pas soumis k la
règle de la césure. Le vers de huit syllabes est
encore un de nos vers les plus anciens. Croupis
en ensemble de dix vers, dont les quatre premiers
riment entre eux, et les six autres se composent
de deux tercets dont les derniers vers riment
aussi entre eux, le tout formant ainsi une suite de
cinqconsnnnances différentes symétriquement en-
trelacées, les vers de liuit syllabes sont l'élément
ordinaire de notre grande strophe lyrique des
odes, des élégies, de tous les sujets poétiques qui
réclamant le plus de richesse, de mouvement et
d'ampleur. Telle est cette strophe célèbre de Le-
franc de Pompignan dans l'ode sur la mort de
J.-B. Rousseau :
Le Nil a vu sur ses rivages
Les noirs habitants tles déserts
Insulter par leurs cris sauvages
L'astre Mlataut de l'univers.
Cris impuissants, fureurs bizarres i
Tandis que ces monstres baibares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.
Le vers de huit syllabes s'accouple admirable-
ment au vers alexandrin pour former des disti-
ques d'une très grande vigueur. C'est le rythme
favori des satiriques modernes, d'André Ciiénier
flagellant ses bourreaux :
Quand au mouton bêlant la sombre boucherie
Ouvre ses cavernes de mort.
Pasteurs, chiens et moutons, toute la bergerie.
Ne s'informe plus de son sort. Etc.
C'est le rythme des ïambes d'.Vuguste Barbier :
0 Corse aux cheveux plats, que ta France était belle
Au grand soleil de messidor I Etc.
Le vers de sfpt syllabes, moins propre aux grands
effets, se prête aussi à la strophe lyrique; nous
en avons cité plus haut un exemple à propos des
rimes croisées. La fjble de La Fontaine : Le rat
de ville el le rat des champs est en vers de sept
syllabes :
Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs
D'une façon fort civile
A des reliefs d'ortolans. Etc.
de curiosité littéraire, un sonnet monosyllabique
d'un poète de notre lemps, M.-J. de Ressé(;uiep,
sur une jeune femme morte prématurément :
Fort
Belle,
Elle
Dort.
Frêle
Sort ;
Quelle
Mort!
Rose
Close,
En réalité, ces vers de mesure minuscule ne
peuvent servir que mêlés à d'autres vers de me-
sure plus saisissable. La Fontaine, par exemple,
a introduit à dessein un vers de trois syllabes
dans la fable des Atiimaitx malades de la pesle :
Mèu
m'est arrivé quelquefois de mauger
Le berger,
Le vers de six syllabes est d'une coupe fort
gracieuse, par exemple, dans cette jolie pièce de
Lamartine :
Il est, sur la colline.
Une blanche maison ;
Un coteau la domine ;
Un buisson d'aubépine
En fait tout l'horizon. Etc.
Accouplé à des vers de plus grande ampleur,
il peut donner lieu à des effets très énergiques ;
La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;
On A beau la prier
La cruelle qu'cll
Et j
i laisse t
bouche les oreilles
(MALHBnBB.)
Madame Deshoulières a employé seul le vers
de cinq syllabes dans son idylle bien connue :
Dans ces prés fleuris
Qu'arrose la Seine,
Cherchez qui vous mène.
Mes chères brebis. Etc.
Les autres vers, comme nous l'avons dit, ne
s emploient seuls que dans des morceaux qui sont
plutôt des jeux d'esprit, des tours de force poé-
tiques plus ou moins lieureux que des composi-
tions normales. C'est ainsi qu'on peut citer, à titre
dit le lion, cherchant à étouffer, dans un vers si
court, l'énormité de son crime.
Victor Hugo, s'appropriant un rythme proba-
blement inventé par Ronsard, fait intervenir très
gracieusement deux vers de trois syllabes dans
des couplets de vers de sept syllabes, où il met
en scène les rêveries de Sara la baigneuse :
Sara, belle d'indolence.
Se balance
Dans un hamac, au-dessus
Du bas.^^n d'une fontaine
Toute pleine
D'eau puisée à l'ilissus.
Et la frêle escarpolette
Se reflète
Dans le transparent miroir,
Avec la baigneuse blanche
Qui se penche,
Qui se penche pour se voir. Etc.
Les ballades, les villanelles, les chansons, tou-
tes les formes do la poésie li^gère se prêtent vo-
lontiers à ces fantaisies, comme, par exemple, la
chanson bien souvent citée de Panard, où a trouvé
I place le vers monosyllabique :
Et l'on voit des commis
Mis
Comme des princes,
Qui jadis sont venus
Nus
De leurs provinces.
La plupart des langues modernes, celles sur-
tout qui dérivent du latin, ont adopté un système
de versification analogue au nôtre, au moins en ce-
qui concerne la mesure. V.Ues comptent comme
nous les syllabes de leurs vers, et la plus grande
partie de leurs poésies sont, comme les nôtres, et»
vers rimes. Cependant en italien, en anglais, en
allemand, on emploie, dans certains genres de
poésie, le vers sans rime aussi bien que le vers
rimé. Ces vers sans rime sont ce qu'on appelle
des vers blancs. D'autre part, dans la langue an-
glaise, dans la langue allemande surtout, l'accent
tonique permet do distinguer assez nettement les
syllabes pour produire dans la durée et l'intensité
de la prononciation des différences qui correspon-
dent aux longues et aux brèves des anciens. Il en
résulte que, parallèlement aux vers où les syllabe»
soiit comptées, les .allemands ont tout un .système
de versification avec des dactyles et des spondées,
des Ïambes, des trochées, et tous les autres pieds-
de la prosodie grecque et latine. Cela leur a per-
PROTOZOAIRES
— 1747 —
PROTOZOAIRES
mis, par exemple, do traduire les poètes de la
Grèce et do Rome dans les mètres mêmes qu'ils
avaient consacrés. On a fait plus, dit M. Vapereau
dans son Dictionnaire '/es IMn-ntuvet (article sur
la versificiition nllemnnile), « on a poussé la res
monts ou p'eudopodes que la monèrc se déplace,
saisit ses aliments et même les digère. Un infu-
soire, par exemple, viont-il à toucher l'un de ces
pseudopodes, il est aussitôt arrêté ; les pseudo-
podes l'entourent de leur réseau gélatineux, et un
semlilance du rythme jusqu'aux plus minutieux dé- mouvement insensible le transporte dans l'inté-
tails, ot, pour rendre certains effets d'harmonie, rieur de la masse protoplasmique où il ne tarde
10 vers a lemand s est calqué sur le vers grec, pied pas à se dissoudre. Un mouvement analogue rejette
pour pied, longue pour longue, brève pour brève..... , au dehors les parties qui résistent à l'action dia-
M ce n est pas seulement, continue M. Vapereau, suivante du protoplasma.
« aux traductions que les Allemands appliqu(^rent | La monère s'assimile les substances ainsi di-'é-
la variété de rythme naissant des combinaisons rées et sa masse grandit assez rapi.Icment La phi-
prosodiques des anciennes langues classiques, part de ces organismes ne peuvent toutefois dé-
c est aussi à leurs poésies originales. Klopstock, passer une taille déterminée. Lorsqu'ils l'ont
Lessing,(jœtlie, Schiller, Kcerner.Ruckort, Platon, atteinte, la masse de leur corps s'allonge légère-
et Dion d autres ont employé tour à tour l'hexa- ment, elle s'étrangle dans sa région moyenne et se
mètre, le vers lambique et toutes les sortes de partage bientôt en deux sphères à pou près égales
vers lyriques combines en stances ou en strophes, dont chacune se comporte exactement comme la
avec ou sans le concours accessoire de la rime. » ' monère primitive.
Il va sans dire que nous n'avons pu, dans cette I Chez quelques espèces cependant, la reproduc-
etude.quelllourertrès sommairement 6e qui arap- ' tion ne s'opère plus d'une façon aussi simple- il
port aux principes généraux de notre prosodie. A 1 y a formation de corps reproducteurs spéciaux, de
ceuxqui voudraient étudier plusà fondcet intéres- , zuospores comparables à celles qu'on observe chez
santsujet, nous indiquerons les principales sources ' un grand nombre de végétaux inférieurs. C'est
auxquelles nous avons puisé nous-môrae : le ainsi qu'à une certaine période de leur existence,
jrraiié de ver..ificalion française, ée M.Louis les PTOÏowow/'te rétractent leurs pseudopodes et
guicherat, cite dans noire article, et dont nous se transforment en de petites sphères régulières
avons en divers endroits, suivi d'assez près le dont la portion extérieure devient plus résistante
texte (I vol. in-8. Hachette et C'») ; un abrégé très , et constitue une sorte de kyste membraneux dans
bien lait de ce traite, le Petit traité de versifioa- , l'intérieur duquel le protoplasma se partage en
tioii f>-/mçaise (in-l2 classique) ; ils trouveront en- un certain nombre de très petits globules arrondis.
core d utiles renseignements dans un Précis i/es ' Plus tard le kyste se rompt, et les corps repro-
regles île la versification, qui est en tête du Peil , ducteurs s'échappent sous la forme de corpuscules
aictwnnau-e des mues françaises, de M. E. Soni- : piriformes, pourvus à leur extrémité amincie
mer (in-18 classique, Hachette et G'"), et enfin
dans différents articles du Dictiojinaire des litté-
ratures, de M. Gustave Vapereau (1 vol. gr. in-8
1876, même librairie). (Charles Defodon.l
PROTESTA.^ riS.ME. — V. Réfo.
d'un long filament dont les mouvements ondula-
toires permettent aux zoospores de se déplacer
avec rapidité dans le liquide ambiant. Des pseu-
dopodes se montrent bieniôt, et la spore se trans-
forme en une nouvelle protomonade. La Proto-
PUO'TOZOAIRES. — Zoologie, XXX. — On | nvjxa awanliaca, magn'ifique monère de très
donne le nom de Protozoaires aux plus petits et ' grande taille qu'on rencontre ordinairement sur
aux plus simples de tous les animaux. , les coquilles abandonnées d'un petit mollusque
Les Protozoaires sont constitués par une sub- voisin des Poulpes, la S/drule de Pérou, s'enkyste
stance contractile, de consistance gélatineuse, comme les Protomonades, puis sa masse centrale
sans forme déterminée, parfois absolument liomo- ' " '
gène, plus souvent granuleuse, douée de la faculté
de se mouvoir, sans cesse parcourue par des cou-
rants qui entraînent dans un sens ou dans un
autre les granules qu'elle contient. Cette sub-
stance, qui constitue le substratum le plus simple
se divise en un nombre considérable de petites
sphères qui se séparent et s'agitent dans l'inté-
rieur du kyste jusqu'à ce que la rupture de
celui-ci les ait mises en liberté.
Le nombre des Monères actuellement connues
est assez considérable ; elles affectent d'ailleurs
de la vie animale, est designée par les naturalistes des formes extrêmement variées. Les unes, telles
sous le nom de sarcode ou plus généralement ' que la /'/•o%é«f/»-(mo>f/!a/f, représentent de pe-
sous celui de p'o;û;)/rtsnitf. Identique dans toute ' tites sphères hérissées de filaments; d'autres,
sa masse cliez les plus simples des Protozoaires, î comme la Protamibe primitive, ont une forme ab-
le protoplasma présente chez certains autres des solument indéfinie : leurs contours, soumis à de
parues neiiement difierenciées qui ne forment ! continuels changements, se découpent en lobes
toutelois jamais de véritables organes composés ^ arrondis dont l'apparence et la position ne pré-
oe cellules. senlent aucune fixité et qui n'émettent d'ailleurs
CLASSIFICATION. — Sous cc nom de Protozoaires, jamais de véritables pseudopodes. Certaines es-
on réunit des formes d'organisation assez diffé- | pèces vivent en société. La Monohh- confluente
rentes que 1 on divise généralement en trois clas- forme des colonies dans lesquelles les individus ne
ses, les Monères. les Rliizopodes et les Infusoires. | se séparent que rarement, bien qu'ils changent
Monères. — La classe des Monères renferme ; fréi|uemment de position relative et ne demeurent
les formes les plus simples sous lesquelles la vie
animale se manifeste dans la nature actuelle.
Ces organismes, dont la connaissance est toute
récente, — le plus anciennement observé, la Pro
fixés pendant ces migrations que par un ou plu-
sieurs de leurs pseudopodes. Chez le Mijxodiclyon
social, les différents individus, qui sont nés les
uns des autres par division de la masse primitive.
togene primoidide, a été découvert par le natu- demeurent soudés par leurs pseudopodes d'une
raliste allemand Hœckel en 186i, — vivent dans ■
les eaux douces et salées, ainsi que dans la terre
humide. Ils sont uniquement formés par une
petite masse de proioplasma qui émet générale-
ment sur toute sa surface des filaments grêles de
formes variées qui s'allongent, se contractent, se
ramifient, se soudent entre eux de tout.s les façons
possibles et peuvent même rentrer complètement
dans la masse protoplasmique dont ils ne sont
que les prolongements. C'est à l'aide de ces flla-
manière si intime que les granules protoplasmi
ques peuvent passer de la masse d'un individu
dans celle d'un individu voisin. Quelques espèces
enfin paraissent constituer des masses complète-
ment amorphes, capables de s'accroître indéfini-
ment sans être astreintes à se diviser. Tel serait
le Hathi/tiins Hieclielii, ramené des profondeur»
de l'Atlaniique par les naturalisti'S anglais Car-
pcnter et VVyville Tliomson pendant la croisière
du navire Porcupine ; tel serait également le Pro-
PROTOZOAIRES
— 1748
PROTOZOAIRES
tobathi/bius. plus récemment découvert dans le
détroit de Smiili par le docteur Bessels, natura-
liste de l'expédition du Po/m-is, etc.
C'est également à la classe des Monères que l'on
rapporte généralement les lioctérvs, organismes
ambigus que certains naturalistes considèrent
comme des champignons inférieurs voisins des /ei'«-
len, avec lesquelles ils partagent le pouvoir de pro-
voquer dos fermentations ; ces naturalistes en font
une classe spéciale sens le nom de Sclnznmycètes.
Les Bactéries (ïnchijmonè'es de Hœckel) se dis-
tinguent des Monères proprement dites par
l'extrême petitesse de leur taille, par la consis-
tance de leur protoplasma qui est devenu plus
ferme, par la fixité de leur forme, enfin par l'ab-
sence de pseudopodes et de mouvements ami-
boides. Elles se multiplient par division transver-
sale avec une rapidité telle i|ue, d'après Cohn, la
postérité d'une seule bactérie est représentée au
bout de vingt-quatre heures par plus de seize
millions d individus.
Les bactéries sont de tous les ôtres les plus
répandus dans la nature : elles se fixent à la
surface de tous les corps, pullulent dans tous les
liquides organiques exposés à l'air et pénétrent
même dans les tissus drs animaux et des végétaux
chez lesi|uels elles déterminent presque toujours
les désordres les plus graves. Le charbon ou pus-
tule maligne, le croup des enfants, la variole, le
typhus des bêtes à cornes et probablement aussi
la plupart des maladies épidémiques ou conta-
gieuses sont dus au développement dans l'orga-
nisme de diverses espèces de bactéries. Nous ci-
terons, parmi les plus remar(|uables de ces es-
pèces, les Micncocci/s, parasites des animaux,
dont la forme est globulaiie les Baaltus et les
Vibrio. qui ont la forme de bâtonnets, les Spi-
ri/luni et les Spiroc/iasla, qui sont enroulés en
spirale et se meuvent avec rapidité à l'aide du
• cil vibratile que porte chacune de leurs extrémi-
tés, les Ba'ieiium, qui forment des colonies li-
un très grand nombre de petits pores percés dans
l'épaisseur du test livrent en général passage aux
pseudopodes concurremment avec l'orifice de la
dernière loge. Certaines de ces coquilles, celles
des Glohigérines, des Rnsiilines, des Rotalies, et
surtout celles des NunmiulUes, dont les chambres
sont disposées en spirale, présentent une struc-
ture tellement complic[uée que des naturalistes
éminents ont pu les considérer comme provenant
de céphalopodes voisins des nautiles et dos am-
monites.
La plupart des Foraminifères sont manns; ils
habitent ordinairement le fond de la mer et ram-
pent lentement sur les tiges des algues sous-
marines. Quelques espèces sont fiuviatiles ,
comme les Ai celles et les Diffngies, dont la mem-
brane extérieure peut agglutiner des grains de
sable, de petites coquilles, etc., et édifier ainsi
une habitation assez semblable à celle que cons-
truisent les larves des phryganes.
La structure des Kadiolaires est un peu plus
compliquée que celle des Foraminifères. Au centre
de leur corps, il existe généralement une capsule
membraneuse dont le contenu, parfois segmenté
en masses polyédriques, est en continuité avec
le proloplasma qui entoure extérieurement la
capsule. On trouve également, disséminés dans la
masse sarcodique, certains corpuscules de couleur
jaune qui paraissent être de véritables cellules
contenant de l'amidon. Chez nombre d'espèces
enfin on voit, de temps à autre, se former en un
des points de la masse protoplasmique une vési-
cule limpide qui grossit lentement, puis se con-
tracte et se vide brusquement, déversant ainsi à
l'extérieur le liquide qu'elle contient. Cette vési-
cule contractile peut être considérée comme cons-
tituant un appareil d'excrétion rudimentaire à
l'aide du(|UBl l'organisme se débarrasse des rési-
dus de l'échange moléculaire.
Quelques espèces de Radiolaires seulement
sont nues ; les autres sont pourvues d'un sque-
lette intérieur, de nature siliceuse, qui consiste
néaires semblables à des chapelets, etc. .^.^„ , - , .
Khizopodes. - les Hliizopodes doivent leur tantôt en une ou plusieurs sphères treillissees, em-
nom à la propriété qu'ils ont d'émettre, comme boitées les unes dans^les autres^ tanto^ en^Qe
les Monères, des prolongements sarcodiques, des " ' ' ' " '"' ""°
pseud' pndes ramifiés que Dujardin comparait au
chevelu d'une racine de végétal, (."est à l'aide de
ces pseudopodes que les Rhiznpodes se déplacent
et saisissent les iiifusoires et les petits crustacés
dont ils font leur nourriture.
Le protopla^ma des Rliizopodes sécrète géné-
ralement ries formations calcaires ou siliceuses
qui constituent une sorte de squelette. Cette diffé-
rence dans la composition chimique du squelette
et queli|ues autres particularités d'organisation
ont conduit les naturalistes à panager les lUiizo-
podes en deux ordres, les Foraminifèiies et les
Radiolaikes.
Plus élevés en organisation que les Monères,
les Foraminifères présentent dans leur masse
sarcodique un noyau et parfois une ou plusieurs
vésicules coniractiles semblables à celles des Ra-
diolaires et des Infusoires.
Ceriains Forammil'ères sont entièrement nus;
tels sont les Amibes ou Prolées, ainsi nommés à
cause de l'instabilité de leur forme, les Actyno-
phrijs, etc. D'autres ne sont revêtus que d'une
simple membrane albuminoide qui, chez les Ar-
celles, ne recouvre niême que la région dorsale,
tandis que chez les ('•roiiiies elle forme une sorte
de petite bouteille dont le goulot livre passage au
protoplasma qui s'étend sur la surface extérieure
de la membrane, émettant de toutes parts de
nombreux pseudopodes ramifiés. Chez la plupart
des es|icces il existe une coquille calcaire simple
ou cloisonnée, toujours pourvue d'une large ou-
verture, et dont les logns, diversement disposées,
donnent lieu à des formations variées à 1 infini ;
longues épines diversement réunies, ou en cor-
puscules épars ayant la forme d'ancres, de cro-
chets, de casques, etc. .
Les Radiolaires ..ont des animaux pélagiques
qui se tiennent généralement à la mer où ils for-
ment des lé'.;ions innombrables.
On ignore à peu près complètement comment
s'opère" la reproduction chez les Foraminifères.
Chez les Radiolaires, le phénomène se passe ordi-
nair.Mnent de la façon suivante : à un certain mo-
menl, les pseudopodes .t le protoplasma qui entou-
rent la capsule centrale disparaissent pou à peu ; e
contenu de celle-ci se partage en une multitude
de petits corps sphéroidaux, puis la capsule se
rompt, et les corps reproducteurs se niontrent
sous la forme de globules munis d un filament
mobile qui leur sert d'appareil locomoteur.
Malgré l'exiguitô de leur taille, les Rhizopodes
pourvus d'un squelette, qui furent d ailleurs con-
nus par leur test longtemps avant _qu on n eut
étudié leur organisation, ont joué un rôle des plus
importants dans la formation des assises geolo-
giqu.-s. Des dépôts puissants, tels que la ccaie et
Xeckaire à mi/iolites des environs de Parts, en
sont presque exclusivement pétris; les niiramu-
lites, dont certaines espèces avaient des dimen-
sions supérieures \ colles d'une pièce de deux
francs, ont présenté pendant la période tertiaire
une ère de prospérité telle que leurs débris cons-
tituent presque à eux seuls certains pics aes
Pyrénées. , , „„♦„-«
Ces petits êtres jouent d'ailleurs dans la nature
actuelle un rôle non moins actif qu aux cpt»]"»»
géologiques antérieures. Les dernières expéditions
PROTOZOAIRES
1749
PitOTOZO AIRES
d"explorat.ions sous-marinos ont montré qw pros-
que panoiu le fond de l'Atlantique et de l'Océan
Paciiiqne est formé par un limon fin oxclusivs-
mont Constitué par dos Foraminifèros ou di-s Ra-
diolaires vivants. Le sable dune muliitude de
plages, principalement dans la mer des Aniilles
et l'Amérlqui', est presque enlièrement composé
lie coquilles abandonnées par ces mènios animaux.
D'après un auteur allemand, l'once de sable du
môle de Gaëte en contiendrait plus d un million
et demi !
Les dépôts dus aux Rliizopodes d'eau douce,
bien que moins répandus que les précédents, ne
laissent pas que d'avoir aussi leur importance.
D'après Ehrenberg, les dépôts vaseux qui se
forment dans un très grand nombre de sources
minérales, dans celles de Carlsbad en particulier,
sont en partie formés par les spicules siliceux
produits par des animaux appartenant au groupe
qui nous occupe.
Infusoires. — Le nom que les naturalistes ont
imposé à ces organismes rappelle qu'on les trouve
en abondance dans toutes les infusions de subs-
tances organiques; on les rencontre également
dans l'air, dans le sol liumide et jusque dans les
tissus et les humeurs des animaux
Ccrtaiiies espèces, par l'accumulation de leurs
débris, peuvent donner naissance à des couches
de plusieurs mètres d'épaisseur : Ehrenberg a
se détacher de temps h autre et nager librement
dans le liquide ambiant. Les espèces privées de
cils sont munies d'un on de deux prolongements
mobiles {flngellum), qui leur servent d'organes
locomoteurs. Les quelques espèces, souvent para-
sites, formant le groupe des Acinéte.\, sont pour-
vues de suçoirs contractiles et rélractiles, ,'i laide
desquels elles aspirent les sucs nutritifs. Chez
quelques infusoires ciliés parasites, les Opalines,
par exemple, dont une espèce est extrêmement
fré(|Uonte dans le tube digestif des grenouilles,
l'absorption se fait par simple endosmose à tra-
vers les téguments.
Le parencliyme du corps des Infusoires est par-
tagé en deux couches qui se relient du reste l'une -
à l'autre d'une manière insensible : une corticale,
visqueuse et granuleuse, et une masse centrale
fluide et transparente.
La couche corticale, dans laquelle la sensibilité
et le mouvement paraissent localisés présente
souvent des stries analogues K des stries muscu-
laires : de véritables muscles existent dans le
pédoncule des Vorticelles et de quelques autres
espèces C'est également dans cette môme couche-
que se trouvent les vésicu'es contractiles, ainsi
que deux organes qui paraissent jouer un rôle
prépondérant dans la reproduction sexuée, le nu-
cléus et le nucléole.
Le ?niclf'Ux, que l'on a longtemps comparé a»
signalé dans le pays de Lunebourg un de ces dé- noyau d'une cellule, peut être unique ou multi-
pôts qui n'a pas moins de 14 mètres d'épaisseur. \ pie. Déforme extrêmement variable, il est constitué
Les terres comestibles auxquelles certaines peu
plades ont recours dans les années de disette, la
farine dit ■moningne des Lapons en particulier,
doivent leurs propriétés nutritives à la présence
d'un grand nombre de débris de ces petits êtres.
La coloration verte que présentent les flaques
d'eau, la couleur rouge que prennent, à un certain
degré de salure, les eaux des marais salants, sont
dues à la présence de nombreux infusoires. La
Monas prodigiosn, qui se développe assez fré-
quemment sur les substances amylacées, a plus
(l'une fois déterminé par son accumulation sur
des hosties la production des tacites sanguinolen-
tes dont l'apparition a souvent été considérée par
le peuple ignorant comme une manifestation de
la colère divine.
Un grand nombre d'Infusoires appartiennent à la
catégorie des animaux reviviscents. La dessicca-
tion suspend chez eux toutes les manifestations
vitales. Devenus absolument inertes, ils peuvent
demeurer pendant plusieurs années dans cet état
de mort apparente et ressusciter ensuite lors-
qu'une goutte d'eau vient humecter leurs tissus.
Le corps des Infusoires est constitue par une
masse protoplasmicine de forme variable, limitée
par une fine membrane ou cuticule, qui est qu'l-
quefois elle-même protégée par une mince co-
quille, ainsi qu'on l'observe chez quelques Vorti-
cell'S. La cuticule porte des appendices de
diverses natures qui presque tous paraissent se
rattacher au parenchyme intérieur. C'est ainsi
qu'un grand nombre d'Infusoires présentent des
cils vihraliles, qui peuvent être uniformément
répartis sur toute la surface du corps ou n'en
occuper que certaines régions déterminées. Chez
les Vorth elles, dont la bouche est située au fond
d'une sorte d'entonnoir, ces cils forment autour
de ce vestibub,' une véritable couronne vibratile
destinée à diriger vers 1 orifice buccal le liquide
chargé de particules alituentaires. Indépendam-
ment des cils vibratiles, il existe fréquemment
chez h;s Infusoires ayant une existence errante
des cirrhe<, des soies rii/ide^, des crochets, qui
leur servent ii ramper ou à se fixer. Les espèces
dont les habitudes sont sédentaires se fixent à
l'aide d'un pédoncule ou simplpinent par leur
extrémité postérieure; elles peuvent d'ailleurs
par une substance visqueuse, renfermant de très
fines granulations, entourée d'une membrane ex-
trêmement délicate.
Le nucléole, dont l'existence paraît du reste
être moins constant'' que celle du nucléus, peut
être, comme ce dernier, simple ou multiple. II
n'égale jamais en grosseur le nucléus, dans le
voisinage duquel il est toujours situé.
Nous avons précédemment indiqué par quels
procédés l'absorption des substances nutritives
s'effectue chez quelques espèces parasites, les
Opalines et les Acinètes. Ce ne sont d'ailleurs li
que des dispositions exceptionnelles. La plupart
des Infusoii-es sont pourvus d'un nrifire hiircal,
gcnéralfment voisin de l'extrémité aniérirnro du
corps, et d'un orifice anal qui n'est parfaitement
visible qu'au moment de l'expulsion des résidus
de la digestion . One sorte de tube œsophagien,
parfois armé de parties cornées, conduit les ali-
ments réduits en bols alimentaires de très peti-
tes dimensions dans le parenchyiue interne où
s'opère la digestion. Il n'existe par conséquent
pas, chez les Infusoires, d'estomac permanent
pourvu de parois propres, et les prétendus esto-
macs multiples décrits autrefois par l'illustre mi-
crographe Ehrenberg chez des infusoires poli/gai-
triques n'étaient autres que les bols alimentaires
eux-mêmes.
Les Infusoires se multiplient par division trans-
versale, plus rarement par scission longitudinale,
ainsi qu'on l'observe chez les Vorticelles. Il existe,
en outre, chez ces êtres une véritable reproduc-
tion sexuelle, dans laquelle le nucléus joue le
rôle d'ovaire.
Les Infusoires, qui sont extrêtnement nombreux
en espèces, peuvent être subdivisés en trois or-
dres : les Infusoires fla./ellifrres, les Infusoires su-
ceurs, les lufuS'dres ciliés.
Les Infusoires flagellifères sont les Monarles
des auteurs anciens ; ils sont rarement pourvus
de cils, et leurs organes locomoteurs sont réduits
à un ou deux prolongements filiformes [flfigellum)
animés de mouvements ondulatoires. Parmi tes
espèces les plus remarquables, notis citerons la
Moiias prO'ligiosa, \'.4stnsia hiemntodes, l'HJug'enn
samjuineri, élc, dont la couleur est d'un roug«
yU, VEuylena viridis, l'une des espèces les plus.:
PROVERBES
— 1750
PROVERBES
communes, qui colore en vert les eaux stagnantes
des mares et des étangs; les Pfridinies, qui sont
phosphorescentes, et qui contribuent avec les
NoctiluqU'-s, êtres plus élevés, à produire le phé-
nomène de la phosphorescence de la mer, etc.
Plusieurs espèces forment des colonies relative-
ment volumineuses et remarquables par la régu-
larité de l'arrangement des individus qui les com-
posent : tels sont les Dendrumonas, les Rhipulo-
dendroti, etc.
Parmi les Infusoires suceurs, nous mentionne-
rons les Ari7iétes, qui vivent principalement aux
dépens d'autres infusoires et dont les diETorents
individus demeurent isolés ; les Solenophryes et
les Dendrosonus, qui forment des colonies rami-
fiées, etc. I
Les Infusoires ciliés sont pourvus de véritables
cils vibratiles. C'est à cet ordre qu'appartiennent
les Vurticfl/es, qui sont ordinairement portées
sur un pédoncule contractile ; les Stentors, re-
marquables par leur grande taille et la forme
turbinée de leur corps; les Parinnéiies, qui sont
également d'assez grande taille et se développent
parfois en telle quantité dans les eaux douces et
salées qu'elles les rendent absolument troubles;
une espèce de ce genre, la Puramccie du colon,
vit en parasite dans le gros intestin et le cœcum
du porc et de l'homme. 1
Il faut encore rattacher aux Protozoaires les
Giégrirines, organismes parasites, généralement
restreints à une seule cellule; les N"itduqups, qui
se rapprochent des Radiolaires dont tout le proto-
plasma serait contenu dans la vésicule centrale, et
un certaiii nombre d'êtres ambigus formés par
des groupes de cellules toutes semblables entre
elles et capables de se séparer pour fonder en- ]
suite d'autres groupes semblables: telles sont les
Slagosjj/iœra, les Labyrintlailes, etc. |
[Victor Berlin.] 1
TROVERBES. — Connaissances usuelles, XII.
— Le proverbe est une courte sentence résu- '
mant soit une vérité d'expérience, soit un conseil
pour la conduite de la vie. Il y a différentes sortes
de proverbes; les uns n'ont pas d'auteur connu ;
ils sont, comme on l'a dit justement, la sagesse
des nations. Quelque tête bien organisée a trouvé
le tour original, la figure expressive, l'image plai-
sante ou la rime naïve qui a pour toujours fixé une
idée. Telle est, par exemple, cette pensée: <> Pour 1
connaître un homme, il faut manger un minot de
sel avec lui. » Ou cette autre: « Compagnie fait
pendre les gens. » Quelquefois, au contraire, nous
connaissons l'auteur de la pensée devenue prover- \
biale. Ce sont surtout les poètes, et parmi les
poètes les plus grands et les plus fins, qui met-
tent cette monnaie en circulation. A La Fontaine
appartiennent : « Chassez le naturel, il revient au
galop. — Le sage dit, selon les gens : Vive le roi,
vive la Ligue ! « A Molière : « Il y a fagots et fa-
gots. — Le véritable amphitryon est l'amphitryon
où l'on dine. » A Boileau : « L'ennui naquit un
jour de l'unifornjité. >■ Quelquefois enfin les pro-
verbes ont une origine historique et sont des
mots qui ont été prononcés dans une circonstance
connue, comme cette réponse des Suisses enrôlés
au service de la France durant les guerres d'Italie :
« Point d'argent, point de Suisses. »
De ces diflérentes sortes de proverbes, celle qui
nous intéresse le plus est la première. Les pro-
verbes sortis du peuple nous monirent au vrai
quelles sont les préoccupations principales d'une
population et d'une époque. Il n'y a qu'à prendre
les proverbes sur Dieu, sur les saints et sur
le diable pour se faire une idée de la religion
moitié naïve, moitié sceptique de nos pères : o A
q ui Dieu aide, nul ne peut nuire. — Contre Dieu,
n ul ne peut. — Ce que Dieu garde, est bien
g ardé. — En peu d'heures. Dieu labeure. — Lais-
sez faire à Dieu, qui est homme d'âge. — Mieux
vaut avoir affaire à Dieu qu'à ses saints. — Il n'y
a si petit saint qui ne veuille sa chandelle. — Der-
rière la croix souvent se tient le diable, n
Les proverbes de cette sorte forment une par-
tie importante de la littérature populaire. Ainsi
les fabliaux du loup et du renard, si chers au
moyen âge, ont comme un d'Tiiier écho dans des
adages tels que : » Ne donne pas au loup la bre-
bis à garder. — C'est folie à la brebis de se con-
fesser au loup. — Le loup et le renard tiennent
ensemble conseil. — Conseil de renards, massacre
de poules. — Le renard prêche aux poules. — A
la fin sera le renard moine. >>
Les proverbes s'appliquent aux objets les plus
divers. Il y en a qui concernent les occupations
des champs, les saisons, la nature et les éléments,
les animaux et les végétaux. D'autres, et c'est le
plus grand nombre, concernent l'homme en ses
divers états, avec ses bonnes et ses mauvaises
qualités, aux prises avec les difficultés de la vie
ou avec ses propres passions. C'est là qu'on peut
étudier la philosophie populaire, qui est elle-
même fort mélangée, prêcliant tantôt la morale du
devoir, tantôt la morale de l'intérêt. A côté des
maximes comme : u Fais ce que dois, advienne
que pourra. . — Vis où tu peux, meurs où tu dois, »
il en est d'autres d'une inspiration- moins élevée.
Cependant les proverbes honnêtes et de bon aloi
forment la majorité; voici un certain nombre de
maximes sur l'amitié : « Aime qui t'aime. —
Mieux vaut être aimé qu'admiré. — Qui s'aime
trop n'a point dami. — L'amitié est une seconde
parenté. — Vieille amitié ne craint pas rouille. —
Ceux-là sont riches qui ont des amis. — L'ami
par intérêt est une hirondelle sur les toits. — Il
est toujours fête quand amis s'entre-assemblent.
— Plus font deux amis que ne font quatre enne-
mis. — Il n'y a pas de meilleur miroir qu'un
vieil ami. »
Il est vrai qu'en regard de ces saines maximes
on en peut citer quelques-unes de moins louables :
Il On n'a pas de plus prochain que soi même. —
Qui ne se fie, n'est pas trompé. » C'est l'expé-
rience de la vie qui a dicté ces sentences qui,
entendues non comme une règle générale de con-
duite, mais comme avertissement en telle cir-
constance donnée, ont elles-mêmes leur vérité.
Toutes les nations ont leur collection de pro-
verbes : la France en possède un grand nombre,
parmi lesquels beaucoup de remarquables par le
tour vif et dégagé de la pensée. Nos vieux écri-
vains, Villon, Marot, Rabelais en faisaient grand
usage. Plus tard la mode s'en est un peu passée :
mais quand on lit les développements qui ont
remplacé ces anciens adages, on constate que le
peuple a souvent l'avantage sur nos moralistes
modernes. Combien de bon sens est ramassé en
de courtes phrases telles que : « Par savoir,
vient avoir. — Chacun est l'artisan de sa for-
tune. — Qui rien ne sait, de rien ne doute. —
Tout passe, fors le mérite. — Qui fait la faute, la
boit. — Mets raison en toi, ou elle s'y mettra. »
Nous avons à dire un mot des proverbes au
point de vue pédagogique. L'école n'en fait peut-
être pas assez usage. Us fourniraient d'excellents
sujets de composition dans les hautes classes,
surtout si le maître prenait d'abord la pcécau-
lion de les discuter avec ses élèves et de leur en
faire entrevoir la portée. Quelquefois il pourrait
donner deux proverbes de signification opposée,
et charger les élèves de montrer la part de vérité
contenue dans l'un et dans l'autre. Ainsi l'audace
est vantée en ces maximes : ■ Qui ne risque rien,
n'a rien . — Il faut donner quelque chose au
hasard. — Qui ne se met à l'aventure ne trouve
cheval ni monture. " Mais la prudence n'est pas
moins recommandée par celles-ci : a Dans le doute,
PROVINCES
— 1751
PROVINCES
abstiens-toi. — Hasard n'est pas sans danger. —
Deux sflretés valent mieux qu'une. » Comment
concilier ces conseils ojiposés? en quelles occa-
sion doit-on donner le pas à l'un sur l'autre?
Parmi les exercices de i-éflexioji qui sont jus-
tement prescrits par la pédagogie moderne, il
n'en est pas de meilleur que cette sorte d'ana-
lyse, qui peut être accompagnée de récits et
d'exemples.
Les proverbes ont encore pour l'école un autre
genre d'utilité. Comme ils renferment beaucoup
de vieux mots, ils sont une occasion de remonter
vers les sources de notre langue. Ainsi cette
maxime pourra donner lieu à d'intéressantes ex-
plications : n Où fault mémoire, jambes travail-
lent. » Ce sera le cas de montrer la parenté de
falloir, faille^ défaut. Cette autre : « Oignez vi-
lain, il vous poindra: peignez vilain, il vous oin-
dra, » pourra, outre les enseignements historiques
et moraux qui y sont contenus, donner lieu à
des rapprochements grammaticaux que nous
n'avons pas besoin d'indiquer en détail. On y
joindra ce proverbe d'origine rustique, mais à si-
gnification morale : n Qui ne point en herbe,
ne croît pas en épi. » Comme l'école ne peut
mettre entre les mains des élèves ni Montaigne,
ni Amyot, elle atteindra au moyen des proverbes
le même but, qui est d'éveiller la curiosité des
enfants sur les vieilles formes du langage.
Mais le principal fruit de cette étude sera de'
donner aux enfants une provision de règles de
France et les provinces voisines. Le Vexin (pla-
teau de la rive droite de la Seine entre Pontoise
et RouenJ se partageait entre l'Ile de France et la
Normandie, la Brie entre l'Ile de France et la
Champagne.
Sous les derniers Carlovingiens, l'Ile de France
appartenait aux ducs de France, qui s'étaient illus-
trés par leur courage contre les Normands, et que
les grands seigneurs do la Neustrie, le pays le
plus exposé aux attaques de ces barbares, élevè-
rent à la dignité royale, en la personne de Hugues
Capet, à la place des Carlovingiens. dégénérés et
du reste Au-^trasieiis de race et de mœurs, et ré-
sidant hors de la Neustrie.
La convergence des rivières, qui descendent de
toutes les directions vers l'Ile de France, la com-
munication facile que la Seine lui ouvre vers la
mer, oni fait depuis longtemps de cette région le
fiôle attractif àetoute la France. De là résultent son
rôle historique et l'importance de sa capitale, qui
est devenue colle de toute la France, bien que n'y
occupant pas une position centrale.
Au xviii" siècle, Paris formait un gouvernement
militaire enclavé dans celui de l'Ile de France. Au
point de vue judiciaire, le ressort de son parle-
ment était fort étendu. Il allait depuis Dunkerque
jusqu'à l'Auvergne.
L'Om.ÉANAis, traversé par la Loire, comprenait,
au nord de ce fleuve, les campagnes fertiles de la
Beauce, la grande forêt d'Orléans, les gatines de
Montargis, et au sud du fleuve, les marais de la
conduite qu'ils seront habitués, non à accepter | Solnç/ne. Comme l'Ile de France, l'Orléanais fai-
aveuglément, mais à examiner et à discuter, de I sait partie du domaine de Hugues Capet; non pas
manière à ne pas les employer au hasard et à ne ! entièrement toutefois, et il fallut, à diverses re-
pas les appliquer à contre-sens. Ainsi cette part prises, que les rois acquissent par voie d'achat,
de l'expérience de nos aïeux ne sera point perdue | ou partout autre moyen, les fiefs enclavés dans
ni dédaignée, mais au contraire utilisée et honorée ] leurs domaines, pour arriver à l'unité complète
par l'école, et mise au service des générations ! de tout le territoire. C'est ainsi que Chilippe I"
nouvelles. acquit le Vexin français et le Gatinais.
Un recueil complet des proverbes français a été i Apanage sous les Valois à la famille d'Orléans,
fait par Leroux de Lincy dans la Bibliothèque [ l'Orléanais fit retour à la couronne à l'avènement
Janet. Un recueil abrégé, qui trouverait utile- j du duc d'Orléans, sous le nom de Louis XII.
ment sa place entre les mains des instituteurs, a Depuis, le premier prince du sang après l'héri-
été publié sous le titre : Le vérita^'/e S"nchn- I tier de la couronne a continué à porter le titre de
Pduzn, dans la Bibliothèque des chemins de fer duc d'Orléans, mais sans avoir de droit efi'ectif sur
(maison Hachette). [Micliel Bréal.] I cotte province.
PUOVIIVCUS. — Géographie de la France, IV. ; Louis XII apporta en même temps au domaine
— Avant que l'Assemblée constituante ne parta- ' royal le Biaisais, ou comté de Blois, qui, longtemps
geât le territoire français en département^, aussi ! indépendant du reste de l'Orléanais, avait été
équivalents que possible sous le rapport de la su- [ momentanément dans la suite réuni à la Chaai-
perficie et de la population, le royaume était divisé pagne, puis acquis par l'aïeul de Louis XII.
en un certain nombre de gouvernements corres- La NonMANDiE forme une région bien distincte,
pondant pour la plupart aux anciennes jirovinces, ] Elle commence, au nord, avec le plateau élevé de
dont l'origine remontait aux temps de la féodalité \ Caux, que la Bresle (rivière qui aboutit dans la
et qui concordaient plus que les départements Manche au Tréport) sépare des plaines basses de
avec les régions physiques du sol. i la Picardie. Les côtes normandes se développent
C'est par la réunion de ces diverses provinces ou en falaises élevées le long de la Manche jusqu'à
pays entre les mains des rois de France, puis l'embouchure de la Seine : c'est la Haute-Nor-
sous l'autorité des gouvernements qui les ont rem- I »ia?!dîe, que le pays de Braij (Neufchatel et
placés, qu'a été constituée l'unité territoriale de la Gournay), tout couvert de pâturages, rattache au
France. Nous allons les passer successivement en Vexin et au Beauvaisis. Au sud de la Seine, la
revue sous ce rapport. | liasse-Normandie offre de riants pâturages, au
L'Ile de France comprenait le pays entouré par milieu desquels se distinguent ceux de la vallée
la Seine, la Marne, la Nonette (affluent de l'Oise d'Auge (entre Caen et Honfleur) où l'on élève
qui passe à Senlis et Chantilly) et l'Oise. C'était beaucoup de bestiaux. Puis vient la presqu'île
l'ancien pays des Parisii, dont la capitale de la du Cotentin, que la baie du mont Saint-Michel
France a tiré son nom. Toutefois les limites de et le cours du Couesnon. son tributaire, séparent
cette province s'étendirent davantage par la suite : de la Bretagne. Au sud, la Normandie s'étend
à l'ouest, jusqu'à lEpte et l'Eure, qui la séparaient jusqu'aux collines du Maine et du Perche,
de la Normandie ; au sud jusqu'au pied des cam- i La Normandie tire son nom des Normands, pi-
pagnes de la Beauce et du plateau d'Orléans, qui rates Scandinaves qui s'y établirent et s'en firent
faisaient partie de l'Orléanais ; au sud-est et à concéd('r la possession par les Carlovingiens, au
l'est, jusqu'au pied des contreforts du Morvan et ' début du x' siècle. A la fin du siècle suivant, le
aux plaines de la Champagne; au nord , enfin duc de Normandie devint roi d'Angleterre par la
jusqu'aux hauteursduVermandois (Saint-Quentin) ' conquête qu'il fit de ce royaume sur les Saxons,
et à la vallée de la Somme, qui faisaient partie de ' mais il resta vassal du roi de France pour la Nor-
ia Picardie. I mandie et les autres possessions continentales
Plusieurs pays se partageaient entre l'Ile de ' qui lui échurent successivement.
PROVINCES
— d752 —
PROVINCES
Philippe-Auguste confisqua la Normandie sur le
roi Jean-Sans-Terre, au commencement du xiii' siè-
rle Depuis, elle fut reprise par les Anglais pen-
dant la guerre de Cent Ans, définitivement recon-
quise par la France en 1450, sous Charles VU.
Rouen, la capitale de la Normandie, devint le
sic'ge d'un parlement à partir de i4!i9. Le Havre
formait un petit gouvernement distinct du reste
de la Normandie, comme Paris dans l'Ile de
France. ... ., , j
La Bretagne forme à l'extrémité occidentale de
Picardie, mais faisaient partie du gouyernement
militaire de l'Ile de France. Le reste de la Picardie
formait un gouvernement, cap. Amiens. Ces divers
pays ont suivi des destinées différentes, avant
d'être définitivement rattachés à la couronne de
''"""vermandois formait h la fin du ix' siècle un
comté qui, cent ans plus tard, fut ""'. =>" \^'«;*
et fit retour à Philippe-Auguste par voie û acqui-
sition et de conquête en même temps que 1 Amié-
nois et le Valois. Ce dernier pays, apanage à la
"" . ..^ .. __■-! x 1., /./Mii-nniiM avec
La Bretagne forme a 1 extrémité occiuBMw.o u>j ""■; V -^.^.T. „ j^j ^ la "couronne avec
-hiLS: j^c^gi^^'S -e^^pt ^1^ 1;SiS S^gu^^p^::^^
leurs sur le continent. Les Bretons ont longtemp PP^r^^^/J^^'^P^P^^^Sfi^^^utr'^conquis pendant
maintenu leur indépendance contre les Francs. Ce | [°' Jj Anfieierre e roiR ^ ^^j^^^ au duc de
n'est que par exception que les rois Mérovingiens '^g"err«^e Cent Ans pms abano ^^^^
pénétrèrent chez eux à la fin d"/"; .f .^'fi '^ . ' rfrrtuc n?a?les le Té néraire LouisXl mit la main
(;harlemagn.,laBretagnedevint duché bénéficiaire, 1 du <'"=^^''"'TJ* É^^^^^^^^ étaient situés-
puis royaume indépendant et enfin duché vassal | su, '\P^^^'\\'^4'„,'''"'',,7é.îuit ainsi à la France
de la Normandie. Pendant la guerre de Cent Ans, le long de 'f ,^""\™^/'/?"^„ J""'
U BretagTe fit souvent cause'commune avec les , >'A-'éno.s e les viU^^^^^^ . ^^^^^^
Anglais à qui elle ofl;rait de "«mbreux ports de 1 On connal^ cents ans f^' entre lel mains des
débarquement. Enfin le mariage de «-''".^l"** "f' l P'"', "^^ f5"^ ^eur dernière possession sur le
avec Anne, duchesse de Bretagne, P\^y>^'\\] '^"f^'ll^'^l'^ elle leur TflVait un point sur de
réunion de cette province à la couronne. Louis XII continent, ou ^'c leur ou, v ^
épousa k son tour Anne de Bretagne après la mort débarquement, et fut ei^fin repris par
d!^ Charles VIII qui ne 'a-->t PO."t d'enfants. Guis^e sou^^^ ^ ,a Bourgogne
Pendant ces deux mariages, la reine ^nne con- Au sud est ae i iie ^ ; j ju bassin
tinua . gouverner son duché d'une manière mde- i occt^ipe les passages qui co ^^ ^,^^^_^^
pendante. Enfin, François I", ayant épouse un an de l^.^^f'"';.''^"^/''^" te rivière. Les eaux de
avant de monter sur le trône, Claude, fiUe d Anne jusqu aux rives de cette riue^^^^^^ ^^
de Bretagne, le duché se trouva, pour la seconde a ^'^'''^1,^ vZhl vTrl^Zl , lYonne; la
fois, ent?e les mains de la reine de France. Apres ^/'. P«^^'^"\, '/j",'",", •„d',^[prr J'Àr oux ; la Saône,
la mort de la reine Claude en l.«4, son époux se Lo!^^,' °" ^^' ^^.^^^fdfla Ti le, de l'Ouche, de la
fit reconnaître comme souverain par la noblesse quelles grossissent ae m Ji ,
bretonne,etlaréuniondu duché à la France de-, Dheune ^^^ ^^^ Burgondes,
vint définitive, quelques années après. Rennes, ca- V^^^^'^Jf^Sne "•« ^^ ^^ j^
nitale de la Bretagne, fut dès ce moment le siège ; qu occupèrent tout '^ °;^^"' " y^„ ^^3 pre-
Tun parlement frinçais. et la Bretagne conserva , Saône - "W- ^ e^ Le^ roj Robert.^l^ ^^^^^^^
ses Etats provinciaux jusqu'en 1 ,S9 1 m ers 'r=^P""=";'"^,/fut le fondateur de la prê-
ta Champagne occupe à l'est de 1 Ile de France au xi siècle^ ^"'Bourgogne, dont l'héritage revint
de grands plateaux calcaires, souvent peu fertiles "^^'^«J'']^"" ^ b"» qf^el mes années après la
ou couverts de forêts, qui commencent au revers au roi ^«^" .^,^g^';°"Lè' roi l'apanagea en faveur
occidental de l'Argonne et s'abaissent graduelle- bataille de P° «^^- ^y^'Jji P,; /était distingué
ment à l'ouest vers le bassin de Pans. L Aisne, , de son fils Philippe eHauli, 9 ^^ fondateur
la Marne, l'Aube, la Seine traversent la Cliampa- par sa valeur à l'oitie'-s. ^«'^ , do„t les
gne, h peu près parallèlement de l'est à l'ouest, de a seconde "^^'^^^^^f^j^^ur H*e^^«. é-^"?-
La Champagne formait un comté indépendant <= >efs par leur pmssance et leu^^ n'y eut que
depuis le milieu du ix= siècle. En l-.'34, sous seront •>'«"'"» '''^p5°''f_^'//. Philippe le Hardi,
saTnt Louis, le comte de Champagne, qui était un <J"^ ",/„"'^^p,^„^/^p',î,ippè îe 'boh, e?^harles le
des plus grands et des plus puissants seigneurs Jean sans ^ur Flulippe le ^ j^ (^ XI
rerriWriaSx de France, hérita de la couronne ^«■^^^^^'■■^«^ ^P,^^^ , jrMurie le duché de Bour-
royale de Navarre. Philippe le Bel, par son ma- , enleva à^a fille "'^ q»"' ' ;i„g, ^c la Somme,
r.age avec la fille de ce comte, réunit la Cham- f,°g"« «" ^"^^^'^^"'Pollîri MaximU^
pagne à la couronne. . 1 I ' "f, '''hp ^^ .i7de Bour^^ogne, que le Chnrolais.
Dans le nord de la Champagne, Sedan, qui ap- «poux de Mane d^^»^^»''^.^ 't, ^he i celle d'Es-
partenait au duc de Bouillon, futvendu par celui- C«lm-ci passa de a mai>o .^^ f^^ donné
ci à Louis .Mil, et formait un petit gouvernement P^g''^ f ^P"^^! "ji revint de hi maison de Bour-
distinct durestedela Champagne, qui av.u Troyes - ^-nd Conde^^Il_re.^_
""^[i Zd" e l'Ile de France, la P.caroie, dont la ! Comme. ^^ Bretagne la Bourgogne avaU^^^^^^^
Somme forme le principal cours d'eau et le trait Etats provinciaux et sa capitale. U.jon
d'union entre ses diverses parties, <^°".''n«",«'''' 1 ** "J^; P^J f "1''"^^^^^ la B,-m6 (Bourg),
avec le Vermandois, capitale Saint-Quentin, ou ce De 1 ^"^ ^.,^"'V IV /,o,«" v Seyssel), et le pays
fleuve prend sa source. A l'ouest du Vermandois, '? ''"f V 'f '^^éuni â^
on trouve successivement le Santerre cap Pe- de Ge.v qtii sont réun^^^^^^^^^ du gouvernement
ronne, l'Araiénois, le Ponthieu, cap. Abbeville, le ment de ^^l" 'l^^^l^^H '^lU appartenaient primi-
Vimeu,cap. Saint-Valery, puis, en remontant au "."'''^'■■« /e la Bourgo "e Us app H
nord le long de la côte, le Calaisis, qui enveloppe tivement au duc de Sa^ol. , et ^^'\^ [^ par-
les hauteur! du Boulonnais, appartenant au pla- , de.ce pnnce en ui donna, t ^n ec g ^^^
teaude l'Artois. Au su,l de la Somme, le Beau- 'l^'^^^de Saluces qu. a^aU 0^^^^
vaisis, le Noyonnais, le Laonnais, le So.sso.nais, , français Pf"d^"'l^^.„fP'-''^,""e plateau qui dé-
groupés auto'ur des villes de même n,mi, et e , .A ' ""«^.^ de ^,^^''='^"„'',.'i',.^,^e et la droite da
Valois cap. Senlis, étaient encore situés dans la mme la rive gauche de la bauno
PROVINCES
— 1753
PROVINCES
RliAiifi, au-dcS9vis de Lyon, le sol est tout cou-
vert d'ctangs. C'i'St le pays de Donihes, t|ui appar-
tenait au connétable de Bourbon et fut confis-
que sur lui par François 1". Sa capitale Trévoux
éiaii le siège d'un parlement particulier. Rendu
plus tard en toute souveraineté h la famille de
Montpensier, le pays de Dombes fut échangé par
Louis XV contre des domaines à revenus utiles et
fit retour h la couronne.
Le Lyonnais, groupé autour de Lyon, i cheval
sur le Rhône et la Loire, formait un comté dès
la fin du IX" siècle et fit partie du royaume d'Ar-
les. La ville devint plus spécialement le domaine
des archevêques, tandis que les comtes prenaient
le titre de comtes de Fojx'z (Feurs. entre Lyon et
toucliant au sud la chaîne des Pyrénées, le Lan-
guedoc couvre au nord toute la chaîne des Céven-
nes et déborde ^ la fois sur la Loire et le Rhône.
C'est donc une des plus vastes provinces de
France. Elle tire son nom de ce que oui s'y disait
oc, tandis que les pays au nord de la Loire sont
les pays de languf d'oil.
C'est, dans le Languedoc que l'ancienne civi-
lisation romaine s'est le plus longtemps con-
servée, c'est le pays qui a le plus lutté contre la
domination franque venue du nord, et celle des
rois de France qui la continuait. Toulouse était une
capiiale florissante sous les Visigoths, et à l'é-
poque des croisades, les comtes de Toulouse
étaient plus riches que les rois de France. L'un
Montbrison). Philippe le Bel se fit céder Lyon par , d'eux pouvait mettre 100 000 hommes sous les
son archevêque (13ii*). Quant au Forez, il devint, i armes.
comme le Iteanjolais (Geuujcu, Villofranche, entre La guerre dite croisade des Albiijeois, entre-
Lyon et Mâcon) et plusieurs autres provinces du , prise sous un prétexte religieux, mais envenimée
centre de la France, le domaine des sires de
Bourbon, et fut confisqué par François i" à la
suite de la trahison du connétable.
Le Daiphixé est compris entre le Rliône au
nord et à l'ouest, la Durance au sud, les Alpes
à l'est. Formé de plaines au nord-ouest, dans le
Vie7inois, le Dauphiné est en grande partie cou-
vert de montagnes. L'Isère, qui arrose la fertile
vallée du Graisivaudan, et se grossit du Drac,
torrent descendu du Champsaur, est la principale
rivière du Dauphiné.
La Durance, sortie du Rriançonnais et de VEm-
par la haine et la jalousie des gens du Nord contre
ceux du Midi, se termina par la victoire des pre-
miers et la ruine de l'indépendance méridionale.
Louis VIII acquit le Bas-Languedoc (c'était la par-
tie riveraine, cap. Montpellier) et y établit les
sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne.
C'est ainsi que l'autorité royale atteignit, pour la
première fois depuis Charlemagne, les bords de
la Méditerranée, et que saint Louis put s'embar-
quer pour la croisade dans un port à lui appar-
tenant, Aigues-Mortes.
Ce dernier roi, à la suite de la guerre entre
bntnaif:, reçoit le Bucch, autre rivière dauphi- , Amaury et Simon de Montfort, chefs des croisés,
noise. Entre l'Isère et la Durance, la Drùme, qui I et Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse,
arrose le Diois et le Valenlinois, appartient aussi acquit encore pour lui-même le Gévaudan {Mende
tout entière au Dauphiné. L'héritage de ces di- et la LozèreV le Velay (haute vallée de la Loire),
vers pays fut laissé au roi de France sous Phi- le Vivurais (Viviers), et maria son frère, Alphonse,
lippe VI de Valois, à condition que l'héritier de la i comte de Poitiers, avec l'héritière du comte de
couronne de France porterait désormais le titre Toulouse.
de Dauphin. Charles V a été le premier prince fran-
çais à porter ce titre dans ces conditions. Le Dau-
phiné avait ses Eiats provinciaux comme la Breta-
gne, la Bourgogne, et sa capitale, Grenoble, était
le siège d'un parlement.
Au sud de la Durance, la PnovExcE, couverte de
montagnes brûlées par le soleil, mais moins éle-
vées que celles de la Savoie et du Dauphiné,
jouit d'un climat très doux. Elle s'étend à l'ouest
jusqu'au Rhône, au sud jusqu'à la Méditerranée.
Elle tire son nom de ce qu'elle fit partie de la
provihce de Gaule romaine. Elle entra dans le
royaume d'Arles, après la dissolution de l'empire
de Charlemagne, puis, quand le royaume d'Arles
fut absorbé nominalement dans l'empire d'Alle-
magne, la Provence forma un comté, qui arriva
par héritage entre les mains de la maison cape
Sous Philippe III le Hardi, Alphonse de Poitiers et
sa femme moururent sans postérité, et leurs vas-
tes domaines, comprenant, avec le Poitou, le
Toulousain, l'Albigeois, le Quercy (Cahors), le
Ronergue (Rodez) et l'Agénois, furent réunis à la
couronne do France.
Le Languedoc possédait des états provinciaux,
et sa capitale Toulouse eut le premier parlement
créé après celui de Paris, quand ce dernier devint
sédeniaire en 1.30"2.
La Gascogne occupe principalement le triangle
compris entre la Garonne à l'est et au nord, et
l'Adour à l'ouest. Le sommet de ce triangle est
au plateau de Lannemezan, entre Tarbes et Tou-
louse, et le terrain descend de ce plateau en forme
de cône d'éboulement vers les deux fleuves que
nous avons nommés. De nombreuses rivières très
tienne d'Anjou, fondée par un frère de saijit Louis, peu abondantes sillonnent ce triangle en formant
Cette maison finit avec René, qui portait le titre l'éventail autour de son sommet. Le duché de
de roi, par suite de ses prétentions sur le royaume
de Naples. Ce roi René institua Louis XI pour
son héritier, et la Provence se trouva dès lors
réunie à la couronne de France, en même temps
que les autres possessions de René, le Maine et
l'Anjou. Aix, la capitale de la Provence, était le
siège d'un parlement, et la province avait ses Etats
particuliers.
Au nord de la Durance, il y avait un domaine
appelé marquisat de Provence, et qui appartenait
aux comtes de Toulouse. Il passa à la couronne à
la suite de la guerre des Albigeois.
Dans le nord do la Provence, la vallée de
Barcelonnette, dans les Alpes, ne fut réunie à
la France que sous Louis XIV, et la posses-
sion en fut confirmée 5, ce roi par le traité
d'Utrecht.
A l'ouest du Rhône commence le Languedoc,
qui occupe le col de Naurouze, passage bas et
facile entre le bassin de la Méiliterranée et celui
de la Garonne. A cheval sur ces deux bassins, et
Gascogne a conservé le nom des anciens Vascons
que Charlemagne eut à combattre et qui repré-
sentaient l'ancieime nationalité ibère, autrefois
maïiresse de tout le sud de la France.
Le duché de Gascogne, héréditaire et indé-
pendant sous les derniers Carlovingiens, fut uni à,
la fin du xi" siècle avec l'Aquitaine, dont hérita
Eléonore, épouse de Louis VII. Mais après le
divorce de ce roi, Eléonore se remaria avec
Henri Plantagenet, roi d'Angleterre et lui apporta
la possession de ses vastes domaines, c'est-i-dire
do la plus grande partie d-; la France occidentale,
au sud de la Loire. La réunion de l'Aquitaine
avec les biens de la maison d'Anjou et la Norman-
die fit du roi d'Angleterre sur le continent un
vassal du roi do France plus riche que lui en
puissance territoriale.
La Gascogne se morcela en un grand nombre
de domaines distincts, dont la plupart échurent
en héritage à Henri IV, qui les apporta à la Franco
en montant sur le trône. C'étaient le Labour, capitale
PROVINCES
1754 —
PROVINCES
Saint-Jean-de-Luz ; les Landes, capitalfi Dax ; la
Chalosse, capitale Saint-Sever; le Marsan, cnpitale
Mont-de- Marsan; l'Albret, capitale Nérac; l'Arma-
gnac, capitale Auch ; le Bigorre, capitale Tarbes ;
le Couserans, capitale Saint-Lizier. Beaucoup de
ces petits pays avaient leurs étals particuliers.
De la Gascogne faisait aussi partie la Soûle, capi-
tale Mauléon, qui, comme le Labour et la Basse-
Navarre, se distingue par la nationalité basque de
ses habitants.
Au gouvernement de Gascogne était uni celui
de GiYENNE, capitale Bordeaux. Cette province,
partie de l'ancienne Aquitaine, comprenait le
Rouergue, le Quercy, l'Albigeois, l'Agenois, le
Bordelais, le Périgord, c'est-à-dire les bassins des
rivières qui, du revers sud du plateau central,
convergent vers Bordeaux et le bassin de la Gi-
ronde.
La Guyenne, longtemps disputée entre les
Français et les Anglais pendant la guerre de Cent
Ans, fut enfin reconquise pour la France sous
Charles VII : la victoire de CastiUon, sur la
Dordogne, et la prise de Bordeaux terminèrent
enfin cette terrible guerre. Bordeaux devint alors
le siège d'un parlement.
Le Périgord, apanage depuis à la famille d Or-
léans, puis à celle d'Albret, revint à la France à l'a-
vèneraent d'Henri IV, héritier de la maison d'Albret.
Les douze provinces que nous avons passées
jusqu'à présent en revue : lie de France, Orléa-
nais, Normandie, Bretagne, l'icardie, Cliampagne,
duché de Bourgogne, Lyonnais avec le Beaujolais
et le Forez, Dauphiné, Provence, Languedoc,
Guyenne et Gascogne formaient les douze grands
gouvernements militaires organisés sous Fran-
çois 1".
Au nord de la Guyenne, la Charente traverse
successivement I'Angocuois , capitale Angou-
lême ; la Saintonge, capitale Saintes ; et I'Aunis, ca-
pitale La Rochelle. Ancien comté au ix' siècle,
devenu propriété de la famille de Lusignan, l'An-
goumois tomba par déshérence dans les mains de
Philippe le Bel. Pris par les Anglais, puis apanage
aux Valois-Orléans, il fut apporté à la couronne
par François I"' à son avènement.
Quant h la Saintonge et h 1 Aunis, pays riverains
de l'Océan, riches en vignes et en marais sa-
lants, ils avaient été conquis sur les Anglais par
Louis Vlil. Lorsque saint Louis restitua aux An-
glais une partie des conquêtes de son père et de
son aieul, la Charente devint la limite des posses-
sions françaises et anglaises, et ce fut pendant la
guerre de Cent Ans que ces provinces furent en-
tièrement reconquises par la France.
L'Angoumois et la Saintonge formaient un gou-
vernement militaire capitale Àngouléme, etl'Aunis
un autre, capitale la Rochelle.
Au nord delà Saintonge, de l'Auni-; et do l'An-
goumois, s éiend le Poitou, bas et marécageux du
côté de l'Océan, où existait autrefois le golfe de
Poitou, plus élevé et boisé dans le Hccaqe, qui
occupe le faîte de partage entre le bassin de la
Vienne, affluent de la Loire, et celui de la Se-
vré Niortaise et des autres affluents directs de
rOccan.
Le Poitou formait un comté dès le règne des
premiers Carlovingiens, et les comtes de Poitiers,
sa capitale, devinrent bientôt ducs d'Aquitaine,
maîtres de la Guyenne, et les plus puissants sei-
gneurs de la France méridionale avec les comtes
de Toulouse. Possession d'Eléonore de Guyenne,
le Poitou fut apporté successivement en dot à
Louis VII. roi de France, puis à Henri Plantage-
net, roi d'Angleterre. Conquis par Philippe-Au-
guste, il fut apanage par Louis Vlll en faveur
d'un de ses fils, Alphonse, qui devint comte de
Toulouse. A la mort de ce dernier il revint à
Philippe le Bardi. Pris par les Anglais pendant
la guerre de Cent Ans, reconquis par Charles V,
il fut encore une fois apanage en faveur de l'oncle,
puis du fils de Charles VI, et fit définitivement
retour à la couronne avec l'avènement de Char-
les Vil. . ^
L'Anjou, capitale Angers, occupe cette plainebasse
et fertile, souvent inondée, que parcourt la Loire et
où elle se grossit de la Maine, formée par la réu-
nion de la Mayenne, du Loir et de la Sarthe. Sous
les Carlovingiens, l'Anjou formait un comté dont
les seigneurs montèrent sur le trône d'Angleterre,
où ils commencèrent la dynastie des Plantngenel-',
au milieu du xii» siècle. Confisqué par Philippe-
Auguste sur le roi Jean sans Terre, en même
temps que la Normandie, l'Anjou fut apanage,
sous saint Louis, à un frère du roi, Charles. La
maison d'Anjou régna à Naples, d'où la chassa la
maison d'Aragon, et en Provence. Le roi René de
Provence, célèbre par son culte pour les arts et
les lettres, qui florissaient à sa cour, mourut en
laissant son héritage à Louis XI, ainsi que nous
l'avons vu à propos de la Provence.
Le Maine, capitale le Mans, occupe le nœud élevé
de collines, d'où la Mayenne et la Sartlie descendent
vers la Loire, la Vire et l'Orne vers la Manche. Le
Maine formait un comté sous les Carlovingiens,
mais bientôt uni à l'Anjou, au commencement du
xii' siècle, il suivit le sort de celte province. Le roi
René le laissa à son neveu Charles du Maine, qui
mourut peu de temps après en l'abandonnant à
Louis XI. .
Entre le Maine, la Normandie et 1 Orléanais, le
Perche forme une région accidentée, où la mai-
son d'Alençon fut souvent puissante. Ce fief fit
retour à la couronne par déshérence sous Phi-
lippe-Auguste. Apanage de nouveau, il fut confis-
qué par Louis XI. . , . j-
La TouRAiNE, capitale Tours, surnommée le jardm
de la France, est arrosée par la Loire et ses deux
affluents le Cher et l'Indre, dont les rives riantes
sont bordées de superbes châteaux, comme celles du
fleuve auquel ils vont s'unir. Comté au ix' siècle,
sous les premiers Carlovingiens, puis devenue la
propriété de la maison d Anjou, la Touraine fut reu-
nie k la couronne par Philippe-Auguste, en même
temps que l'Anjou, et depuis elle n'est plus sortie
de la possession des rois de France. Même a le-
poque la plus funeste de la guerre de Cent Ans,
quand un roi d'Angleterre se faisait proclamer
roi de France à Paris, c'est en Tourame que le
pauvre Charles VII tenait sa cour et que Jeanne
d'Arc vint le trouver.
Charles VII était alors appelé le roi de Bourges.
Cette ville, déjà importante sous les Romains, et
qui occupe à peu près le centre de la France,
éiait la capitale du Bebbi. Cette province, arrosée
par le Cher et l'Indre, est limitée à 1 est par la
Loire. Fertile dans les vallées de ces rivières, le
Berri renferme de grandes plaines calcaires peu
productives, puis, à l'ouest, une contrée couverte
d'étangs, qu'on appelle la Brenne.
Le Berri forme une des plus anciennes posses-
sions des Capétiens. Philippe ï" en commença 1 ac-
quisition en achetant le vicomte de Bouges à un
seigneur qui partait pour la croisade.
Celte province fut apanagée à Un des oncles
de Charles VI, puis à un frère de Louis XI, et
revint définitivement à la couronne sous ce der-
" Vis-à-vis du Berri, sur la rive droite do la Loire,
le Nivernais, capitale Nevers, s'étend au pied des
monts du Morvan, à cheval sur le bassin de la
Loire et sur celui de l'Yonne, tributaire de la Seine.
La maison de Nevers fut une des dernières mal-
sons féodales subsistant en France. Ses domaines,
acquis par le cardinal Mazarin et cèdes a son ne-
veu ne furent réunis à la couronne qu en I.SJ-
L' Auvergne, capitale Clermont-Ferrand, occupe le
PROVINCES
— 1755 —
PROVINCES
nœud principal et le plus élevé du plateau contrai
de la Franco. Les eaux s'y partagent entre la Diir-
dogne, tributaire do la Gironde, et l'Allior, affluent
de la Loire. C'est là, par opposition à l'aris, le
pôle répulsif de la France, d'où le.s populations
s'écoulent constamment au dehors.
Au nord de l'Auverpne, on descend dans les
plaines ferlili's de la Limagne et du Boiii\bon.nais,
arrosées par l'Allier et où le Clior prend sa source.
Au nord-ouest, le plateau central se continue en
s'abaissant dans la Marche, capitale Guéret, dont
la Creuse porte les eaux à la Vieune.
A l'ouest, le Limousin, capitale Limoges, partage
ses eaux entre la Vienne, tributaire de la Loire
(c'est le Haut-Limousin), et la Vczère, tributaire
de la Dordogne (c'est le Bas-Limousin).
Le duché d'Auvergne, qui appartenait au conné-
table de Bourbon, fut confisqué par François I".
Le comté d'Auvergne, capitale Vic-le-Comtc (entre
Clermont et Issoire), apanage en faveur de Mar-
guerite de Valois, première femme de Henri IV,
échut en héritage à Louis XUI. Le Bourbonnais et
la Marche furent aussi confisqués par François l"
sur le connétable de Bourbon. Avant d'appartenir
à la maison de Bourbon, la Marche avait formé
un comté dès le .\' siècle et avait appartenu à
la famille de Lusignan, d'où elle avait passé par
déshérence à Philippe le Bel.
Une partie du Limousin fut reconquise par Char-
les V sur les Anglais. La vicomte de Limoges,
propriété du la maison d'Albret, fut réunie à l'a-
vènement de Henri IV au trône de France. Quant
à la vico7>ilé de Tinetute, dans le Bas-Limousin,
elle appartenait à la maison de Bouillon depuis le
W" siècle et ne perdit son indépendance féodale,
comme la Dombes, que sous Louis XV.
Le long des Pyrénées, la Navarre avait appar-
tenu à la France sous Philippe le Bel, héritier des
biens de la maison de Champagne. Mais la succes-
sion de ce royaume n'étant pas réglée par la loi
salique, il ne passa pas aux Valois et no fit retour
à la France que sous Henri IV, héritier de la mai-
son d'Albret; cette dernière maison possédait la
Navarre depuis 1)83, mais avait perdu la partie
de ce royaume située au sud des Pyrénées et qui
a appartenu depuis ce temps à l'Espagne.
Le Béaiin, capitale Pau, également réuni par
Henri IV, et la Basse-Navarre, capitale Saint-Jean
Pied de Port, formaient un seul gouvernement mi-
litaire, capitale Pau. Cette ville était le siège d'un
parlement.
Le comté de Foix, situé dans la haute vallée do
l'Ariège, était uni au royaume de Navarre depuis
la fin du XV' siècle. Il fut donc apporté à la France
cent ans plus tard par Henri IV et formait un
gouvernement, capitale Foix.
A l'extrémité orientale de la chaîne des Pyré-
nées, Charlemagne avait fondé la marche de Go-
thie. Saint Louis, en annexant le comté de Tou-
louse, abandonna cette marche dite do Roussillon
àl'Aragon. Louis XI occupa temporairement cette
province, qui fut définitivement conquise sur
riispagne par Louis XIII. La possession en fut con-
firmée à la France par le traité des Pyrénées. La
capitale du Roussillon était Perpignan
Du côté du nord, l'ARrois forme un plateau
calcaire et fertile, dont la pente tournée vers l'Es
caut regarde les plaines de la Flandre et les riva-
ges de la mer du Nord. La Scarpe et la Lys en
sont les principales rivières. Philippe-Auguste
avait hérité de cette province. Apanagoe sous saint
Louis, elle revint à la couronne sous Philippe le
Bel, qui coiiquit une partie de la Flandre. Charles
VII, au traité d'Arras abandonna ces conquêtes au
duc de Bourgogne. A la mon de Charles le Témé-
raire, Louis XI réunit pour la troisième fois l'Ar-
tois à la couronne. Mais quelques années plus
tard, Charles VIII, sur le point d'entreprendre ses
guerres d'Italie, renonça encore i ces provinces
du nord en faveur de Maximilien d'Autriclie, aieul
de Charles-Quint. L'Artois ne fut reconquis sur
les Espagnols que sous Louis XIII et Louis XIV,
et forma un gouvernement, capitale Arras.
Au nord de l'Artois commencent les plaines
de la Flanure, h peine plus élevées que le niveau
de la mer et qu'aucune limite naturelle ne sé-
pare des pays appartenant aujourd'hui à la Bel-
gique et qui ont conservé le nom de Flandre.
Philippe le Bel commença la conquête de ce pays.
Charles V en apanagea la partie française à son
frère Philipe le Hardi, fondateur de la seconde
maison de Bourgogne, qui épousa l'héritière du
comte de Flandre. La Flandre entière passa entre
les mains de Maximilien d'Autriche, gendre du
Téméraire, puis à son petit-fils Charles-Quint, et
resta K l'Espagne. Louis XIV revendiqua cette pro-
vince en paiement de la dot de la reine son épouse,
qui était infante d'Espagne. Il en assiégea, prit et
reperdit les diverses places-fortes h piuïïieurs
reprises. Enfin le traité d'Aix-la-Chapelle, en
l(i(;8, lui reconnut la possession de la Flandre
française.
Au sud-est, la Flandre touche au Hainaut, dont
les terres sont plus élevées. L'Escaut l'arrose et
passe à Valenciennes, capitale du Hainaut français,
après avoir traversé Cambrai. Le Hainaut et le
Cambrésis furent conquis sous Louis XIII et Louis
\IV ei, réunis k la Flandre fiançaise, formèrent un
gouvernement militaire, capitale Lille. Douai était
le siège du parlement.
La Lorraine forme un plateau élevé, limité
h l'ouest par lArgonne et les Ardennes, à l'est
par les Vosges. La Meuse et la Moselle en sont
les principaux cours d'eau et descendent au nord
vers le Rhin et la mer du Nord, tandis qu'au sud
la Lorraine s'appuie aux monts Faucilles. La Lor-
raine tire son nom de Lhthaire, h qui elle appar-
tint dans le partage fait au traité de Verdun. Sa
situation entre la France et l'Allemagne en fit le
but commun de l'ambition des souverains de ces
deux pays, mais leur rivalité permit, d'autre part,
aux Lorrains de maintenir leur indépendance.
Après avoir été la propriété de plusieurs maisons
diverses, le duché de Lorraine lut occupé par les
armées françaises sous Louis XllI et Louis XIV,
et ne fut restitué îi son duc qu'au traité de Rys-
wick. Après la guerre de la succession de Pologne,
François de Lorraine, époux de Marie-Thérèse
d'Autriche, échangea, au traité de Vienne, son
duché de Lorraine contre la possession de la
Toscane. La Lorraine et le Barrois furent donnés
au roi Stanislas Leczinski, beau-père de Louis XV
et roi détrôné de Pologne. A la mort de Stanis-
las, la Lorraine fut définitivement réunie à la
France en n(J6.
Dans la Lorraine se trouvent enclavés les trois
évôchés de Toul, Metz et Verdun, qui lurent con-
quis et réunis sous Henri H. Ces trois évêchés
sont en môme temps trois places-fortes. Metz ne
nous appartient plus depuis 1S"0. Nancy, capitale
de la Lorraine, et Metz étaient chacune le siège d'un
parlement.
L'Alsace, perdue par la France en 1870, est com-
prise entre le Rhin et les Vosges, et tire son nom
de l'Ill, l'affluent principal qu'elle envoie à ce
fleuve et qui la traverse dans presque toute sa
longueur. Ancien domaine de la maison d'Autri-
che, l'Alsace fut occupée par les troupes fran-
çaises pendant la guerre de Trente Ans, et la pos-
session en fut reconnue h la France au traité de
Westphalie. Sli-cisf/our;/, qui formait une ville im-
périale, une sorte de république distincte, ne fut
réunie que sous Louis XIV, et devint capitale du
gouvernement.
Mullii'usu, ville libre, ne s'anne.xa à la France
qu'en 1TJ8, pour être perdue 72 ans plus tard.
PRUSSE
— 1756 —
PRUSSE
Au sud de l'Alsace, leSundgau, capitale Belfort, 1 lonaise. Lps Prussiens véritables, les seuls à qui
est au contraire resté en partie français. l'etlinographie permette de porter ce nom antique.
Au sud des l'aucillcs, à l'ouest du Jura, la sont les habitants primitifs de cette contrée de
Comté di: R-ur ogne ou Fbanche-Comté occupe les
plateaux qui descendent en gradins vers la plaine
de la Saône et la Bourgogne. La liaute Saune,
l'Oignon, le Doubs, l'Ain en sont les rivières
principales. Cette province a souvent suivi les
destinées du duclié de Bourgogne, dont elle n'est
séparée par aucune limite naturelle. Comme ce
duché, elle fit partie des divers royaumes de
Bourgogne au moyen âge. Elle fut apportée en dot
par l'épouse de Philippe V, puis apanagce il Phi-
lippe le Hardi, duc de Bourgogne, prise par
Louis XI à la mort de Charles le Téméraire, aban-
donnée par Charles Mil en faveur de Maximilien
d'Autriche au traité de Senlis. La Franclie-Comté
passa comme les Pays-Bas à la branche espagnole
de la maison d'Autriche ; elle fut conquise deux fois
par Louis XIV et définitivement réunie à la France
sous ce roi. Le parlement de Franche-Comté fut
transféré de Dôle à Besançon, qui devint capitale
de la province.
La ville deJl/ow/J^/i'aïY/, enclavée dans la Franche-
Comté et possession de la maison de Wurtemberg
jusqu'à l'époque de la révolution française, fut
alors conquise parla France.
Le Comtat-Ven.^issin occupe le pays groupé au
pied du mont Ventoux entre le Rhône à l'ouest
et la Durance au sud. Avignon, la capitale, était
au moyen âge une république comme beaucoup
d'autres villes du midi. Elle devini, sous Philippe
le Bel, la résidence des papes, qui y passèrent
environ un siècle et en conservèrent la possession
jusqu'à la fin du xvtii" siècle. Ils la rendirent à
la France au traité do Tolentino, en ITiH.
hdijjrincipinte d'Oranqe, enclavée dans le Com-
tat, fut confisquée par Louis XIV sur la maison
d'Orange devenue souveraine en Hollande. Elle
fit dès lors partie du gouvernement militaiî'e du
Dauphiné.
La Savoie, comprise entre le lac de Genève, au
nord, le Rhône et le Guiers à l'ouest, les grandes
Alpes à l'est, depuis le Mont-Blanc jusqu'au Mont-
Cenis, appartenait à la maison de Savoie devenue
maison royale de Sardaigne, puis d'Iialie. Elle a
été cédée à la France en 1860 en retour de l'al-
liance fournie par les armes françaises aux Sardes
contre le^ Autrichiens. Cette annexion a été con-
firmée par un vote plébiscitaire, de même que
colle du comté de Nice.
En grande partie couverte de montagnes, la
Savoie est tiiut entière comprise dans le bassin
du Rhône. Elle lui envoie l'Arve, descendue du
Mont-Blanc, les eaux des lacs d'Annecy et du
Bourget, et l'Isère, son principal cours d'eau. Cette
rivière, après avoir parcouru la vallée de la Trirriii-
tnise, se grossit de l'Arc, qui recueille les eaux
de la Maui-ieirne. La capitale de la Savoie était
Chambéry, devenu chef-lieu du département de
Savoie.
Le COMTÉ DE Nier, situé à l'est du Var, parti-
cipe du doux climat de la Provence, qu'il continue
du côté de l'iialie. Du haut de ses montagnes par
un temps clair, on aperçoit celles de l'ile de
CoiiSE, qui, longtemps propriété des Génois, a été
vendue à la France sous Louis XV, un an avant la
naissance de Napoléon I". La capitale de la Corse
était Bastia. [G. Meissas.]
l'iiissiî. — Histoire générale, XXVII. — Le
nom de Prusse a changé de sens si souvent, soit par
I'enchaîi)ement des événements, soit par les cal-
culs d'une politique habile, qu'il est aujotird hui
impossible d'en donner une définition simple et
unique. La Prusse, dans le sens primitif du mot,
c'est le pays compris entre l'embouchure de la
Vistule et celle du Niémen, de Dantzig à Memel, et
faisant géographiquement partie de la région po-
Prusse, frères de race des Lithuaniens, Vendes
et Lettons comme eux, et leurs descendants ac-
tuels très peu nombreux et disséminés surtout
dans les cantpagnes entre Koenigsberg et le
Niémen. Comment donc se fait-il que ces noms de
Prusse et de Prussiens, si modestes dans leur sens
véritable, aient pris depuis deux siècles une ac-
ception si difl'ércnte, et servent à désigner avijour-
d'hui un royaume et un peuple ou une aggloméra-
tion de peuples dépassant tellement les limites
premières et ayant leur centre, leur foyer et
leur rayonnement en pleine Allemagne germani-
que? C'est ce que ce résumé historique va essayer
de mettre en lumière.
La Prusse paiienne (9^:0-12?C). — C'est vers la
fin du Ti.' siècle que le nom de la Prusse et des
Prussiens apparaît dans l'histoire, lorsque l'apôtre
tchèque saint Adalbert passe de Pologne dans leur
pays pour les évangéliser et tombe sous les coups
de ces païens rebelles à ses enseignements. S'il
faut en croire le chroniqueur polono-lati.i Galles, h
l'élément letton se serait déjà jointe au viii' siècle
une colonie saxonne échappée au glaive de Char-
Icmagne et arrivée par mer dans le pays prussien.
Pendant deux sièries, les Prussiens restent dans
le paganisme, tour à tour attaqués par les rois
polonais de la dynastie des Piasts et prenant leur
revanche par des incursions sur les terres polo-
naises et surtout dans la Mazovie. Leur dernière
invasion est de 12n:le ducde Mazovie Conrad (un
Piast polonais) fit comme Charles le Gros, il
acheta à prix d'or la retraite des envahisseurs.
Mais le pape Honorius III proclama la croisade
contre eux, et une expédition dont la date coïn-
cide avec la croisade des Albigeois {\T2'2) eut lieu
sans grands résultats. Conrad fonda d'abord un
ordre de chevalerie polonais contre les Prussiens
sous le nom de frères de Dobrzyn (ainsi s'appelait
le château qui! leur concéda) ; mais cet ordre
ayant été exteriuiné par les païens, Conrad appela
les chevaliers de l'ordre Ti-utoniquo (122lj).^
Z,a Prusse teutonique (r-'26-U<'>6,. — L'ordre
Teutonique, composé presque exclusivement d'Al-
lemands, allait donc, sous couleur de convertir les
Pj usiiens au christianisme, conquérir leur pays,
les exterminer et les remplacer par des colons
allemands.
Fondé en 1 190, lors de la troisième croisade, cet
ordre, après une brillante carrière en Palestine,
avait obtenu en 1217 d'André, roi de Hongrie, un
établissement en Transylvanie pour combattre les
hordes des Koumans; mais, les jugeant dange-
reux, André s'en était débsrrassé, et c'est alors
qu'ils avaient trouvé un nouvel emploi de leur
zèle de convertisseurs armés. Conrad leur cédait
la terre de Chelmno (Kulm), sans renoncer à sa
suzeraineté sur cette terre, non plus qut; sur les
conquêtes à faire dans le pays prussien.
Les chevaliers teutoniques commencent par
s'approprier les terres de l'ordre de Dobrzyn,
puis leur maître provincial Herniann Balk com-
mence en 1231 la guerre contre les Prussiens;
alors est fondée la ville de Thorn (Torun;, puis
celles de Chelmno (Kulm) et de Marienwerder,
toutes fortifiées contre les païens et peuplées
d'Allemands à qui on accorda de grands privilèges
et lusage du droit municipal dit de MagJebourg.
De 1235 à 1237, les Teutoniques s'avancent vers
le nord, fondent le château fort d'Elbing, qui
devient bientôt une ville, et imposent le christia-
nisme aux vaincus; ils s'adjoignent ensuite l'ordre
des chevaliers Porte-glaives qui évangélisait alors
et geriuanisait la Livonie.
La Prusse une fois vaincue, les Teutoniques
veulent franchir le Niémen et convertir les Li
J
PRUSSE
— 1757 —
PUUSSE
thuanicns en conquérant leur pays. Mais ils ont
affaire à plus forte partie, et sont repousses il plu-
sieurs reprises.
De rji.'i h i:ill l'ordre Teutonique reste stalion-
iiaire. Mais en 1.311, profitant des embarras du roi
de Pologne Ladislas le Bref, les Ti'Utoniques s'em-
parent de la l'oméranie et de la ville do Dantzig :
c'est alors qu'ils s'abouchent pour la première
fois avec le margrave de Brandebourg, qui leur
<;ède ses protendus droits sur la Pomcranie.
L'ordre Teutonique, par cette audacieuse usurpa-
tion, avait jeté le gant il la Pologne. Il en résulta
une guerre assez longue qui S'; termina par la paix
de Kalisz en 1343: le roi de Pologne codait aux
Teutoniques la terre de Kulra et quelques places,
€t leur concédait la Poméranie Ji titre de fief.
De nouvelles guerres remplissent la fin du xiv°
siècle et la première moitié de xv". La puissance
de l'ordre Teutoniiiue, ébranlée par la terrible
défaite de Griinwald (l 'ilO), décline peu à peu ; les
sujets de l'ordre, que lasse sa tyrannie, font cause
commune avec les Polonais; et enfin les Teutoni-
ques sont contraints de signer la paix de Thorn
(1406), qui leur enlève la plupart de leurs con-
quêtes; la Pologne reprend la Prusse occidentale
(Kulm, Elbing, Dantzig) et la Poméranie ; elle
laisse à l'ordre Teutonique la Prusse orientale
avec Kônigsberg pour capitale, mais à la condition
pour le grand-maître de prêter liommage au toi
de Pologne.
La Prusse polonaise ou vassale de la Pologne
(HdIi-U.ôU). — A partir de ce mémorable traité,
la Prusse occidentale ou royale, admise à tous les
privilèges de la noblesse polonaise, fut d'autant
plus attachée à la Pologne qu'elle lui dut une pros-
périté toujours croissante. Quant à la Prusse
orientale ou teutonique, elle tâcha toujours de
se soustraire à l'obligalion de l'hommage, invo-
quant à cet effet l'appui de l'empereur d'Alle-
magne, de Maximilii'n surtout. En lôlO, à la mort
du grand maître Frédéric de .Saxe, le roi de Polo-
gne Sigismond fit élire grand-maître son neveu
Albert de Brandebourg, fils de sa sœur Sophie
Jagellon, espérant trouver en lui un vassal plus
docile.
Mais c'était une illusion ; Albert de Brandebourg
hérita des prétentions do ses prédécesseurs, c|ui
n'avaient obéi qu't n murmurant aux clauses du
traité de Thorn. Il fit la guerre, et l'ut vaincu.
Alors, abandonné de ses alliés et de ses sujets,
après avoir en vain mendié dos secours dans
toute l'Europe, il rêvait de se mettre à la solde
soit du roi détrôné de Suède (;iiristian, soit du
roi de France François I", quand l'idée lui vint
de séculariser l'ordre Teuloiiique et d'embrasser
le luthéranisme à. l'exemple des autres membres
de sa famille. Georges, margrave de Brandebourg,
servit d'intermédiaire entre Albert et le roi de
Pologne Sigismond, et obtint le droit de succes-
sion au duché de Prusse sous la suzeraineté de la
Pologne pour la ligne de Brandebourg et d'Anspach,
jusqu'à l'extinction du dernier rejeton mâle (8 avril
lô25): le jour même où fut signée cette convention,
Albert do Brandebourg reçut, comme duc de
Prusse, sur le marché de Cracovie, l'investiture du
la main de Sigismond I" dit le Vieux.
Ce Alt de la part de Sigismond I" une grande
faute politique d'avoir prêté les mains à cet atran-
gement, et surtout d'avoir consenti à ce qu'Albert
de Brandebourg transmit ses droits à la famille
ambitieuse (|ui devait un jour non seulement re-
fuser I hommage à ses successeurs, mais encore
donner l'idée du partage de la Pologne.
Les règnes d'Albert I" de Brandebourg et de
son fils Albert 11 ne présentent pas d'événements
importants, non plus que celui de leur successeur
Jean-Sigisniond, électeur de Brandebourg, qui réu-
nit le duché de Prusse i son électorat ;itilG). Lo-
lecteur Georges-Guillaume, successeur de Jean-
Sigismond, favorisa la descente de Gustave-
Adolphe en Poméranie et lui facilita la conquête
momentanée de la Prusse royale (polonaise), à
l'exception de Dantzig qui résista à la fiotte sué-
doise (l(i;'G-lii2'i) ; la province fut rendue à la
Pologne quand Richelieu eut lancé Gustave-
Adolphe contre l'Allemagne.
Le successeur de Georges-Guillaume, Frédéric-
Guillaume, surnommé le Grand-i'.lecteur, profita
de la guerre entre la Suède et la Pologne pour re-
fuser l'hommage au roi de Pologne pour le duché
de Prusse orientale: le traité de Wehlau (1B57)
reconnut l'indépendance de ce duché. Le traité de
Westphalie avait donné en outre au Graud-Electeur
la Poméranie orientale , et les évêchés sécularisés
de Magdebourg, de Halberstadt et de Minden.
Il faut maintenant revenir en arrière pour dire
ce qu'étaient ces électeurs de Brandebourg, qui,
après être devenus les maîtres de la Prusse du-
cale, allaient prendre bientôt le titre de rois de
Prusse.
La maison de Brandebourg ou de HohenzoUern
(llG4-nOIJ. — C'est le comte Conrad de Ho-
lienzoUern qui avait, fondé cette maison. Il acheta
en 1104 le burgraviat de Nuremberg, auquel ses
successeurs ajoutèrent successivement Anspach,
Culinbach et Bayreuth il:;4s-l3 il). En lUi, le
burgrave Frédéric IV reçut <!■: Sigismond de
Luxembourg la marche de Brandebourg, et en 1415,
moyennant finance, il obtint le titre d'électeur
sous le nom de Frédéric l". Son successeur fut
Frédéric II, dit Dent de Fn\ qui arroiiiiit ses
Etats par l'acquisition de la Nouvelle-Marche
(1445). En 1471, Albert l'Achille réunit les pos-
sessions que Frédéric II avait divisées entre ses
fils. En lijli, Jean-Sigismond se fait donner par
le traité de Xanten la moitié de la succession de
Juliers et obtient, comme nous l'avons vu, le duché
de Prusse à la mort d'Albert II (luli;). Enfin, le
Grand- Electeur Frédéric-Guillaume devient, on
lh;,7, duc indépendant do Prusse et Ibnde la gran-
deur du nouvel Etat, qui, enrichi par l'émigration
protestante après la révocation de l'Edit de Nantes
(1085), joue déjà un rôle important dans la lutte de
l'Europe contre Louis .XIV, et, sous l'électeur Fré-
déric III, devient le royaume de Prusse (1701).
Monarchie prussienne (1701-1871). — Frédé-
ric l" (Fré'léric III comme électeur) prit le titre
de roi avec la permission de l'empereur Lco-
pold !"■, toujours besoigneux et craintif, moyen-
nant la somme de G millions d'écus (1701). Bien de
plus curieux que d'étudier le détail dfs intrigues
diplomatiques par lesquelles, s'appuyant surtout
sur les Jésuites, il parvint à obtenir ce titre qui
flattait tant sa vanité. Frédéric I" ajouta à ses
Etats le comté de Mœrs, la principauté de Neu-
cliàtel, et une partie de la Poméranie. Sa femme
Sophie-Charlotte, l'amie de Leibtiitz, lui Ht fonder
l'université de Halle et la société royale des scien-
ces et des belle.s-lettres de Berlin, dont Leibnitz
fut le premier président.
Fré'léric-GuÛlawne I" {n\-i-nWi monta sur le
trône au moment où Louis XIV lui-même recon-
naissait la nouvelle royauté au traité d'Utrecht, Le
nouveau roi s'appela le serviteur de Dieu et n'es-
tima que les théologiens et les soldats. Il déclara la
guerre à la mode française, à la philosophie et aux
lettres. .< L'Athènes du Nord en devint la Sparte. »
Le roi sergent confisqua pour l'armée les tonds da
la Bibliolhèque royale et paya jusqu'à 2 UO écus
par tèta des soldats hauts de six pied-, qu'il re-
crutait même dans les pays voisins, et surtout en
Russie. Il n'avait que du mépris pour son fils le
jeune Frédéric, lettré et corrompu, qui, sétant
enfui pour échapper à la tyrannie paternelle, fut
condamné à mort comtne déserteur, puis gracié
après avoir assisté au supplice de son complice Ig
PRUSSE
— 1758 —
PRUSSE
lieutenant Katt. La principale passion de ce roi,
comme celle du Grand-Electeur son aïeul et de
tous les HolienzoUern, fut la haine de la France.
Dans la guerre de succession de Pologne (1733-33),
la siule ([ui eut lieu pendant son règne, il fut
l'allié fidèle de l'Autriclie et de la Russie contre
la France et l'Angleterre. 11 désirait ardemment
justifier par l'annexion de la Prusse polonaise le
titre anticipé de roi de Prusse que lui avait légué
son père, et en 1732, il fit des propositions de
partage à Auguste 11 ; mais ce vœu ne devait être
réalisé que par ses deux successeurs, Frédéric 11
et Frédéric-Guillaume 11.
FrrfcWc // (1740-1781;) trouva à son avènement
une armée puissante et un trésor bien garni. 11 se
posa dès l'abord en protecteur du protestantisme,
en recueillant avec ostentation tous les persécu-
tés d'Allemagne et de Pologne, puis il proclama
pour tous ses sujets la liberté de conscience.
Pour donner à ses soldats un autre mobile que la
crainte, il fojida l'ordre du Mérite. Enfin, pour se
concilier l'opinion des pbilosopbes, il fit de Mau-
pertuis le président de son académie et de Vol-
taire son ami et son confident. Puis la fortune, le
servant à souhait, lui fournit l'excellente occasion
de la guerre do succession d'Autriclie, qui valut à
Frédéric la Silésie (V. Guerre de la succession
d'Autriche). En Silésie, Frédéric II supprima toute
liberté politique, et cette province, polonaise de
race, n'eut jamais lieu de se féliciter de l'annexion
prussienne : elle est encore économiquement la
plus malheureuse du royaume.
Dans l'intervalle des deux guerres qui ont mar-
qué son règne (de l"48 à Uôti), Frédéric fit faire
dans ses Etats de grands travaux (canaux entre
l'Elbe et l'Oder, port de Stettiu) ; il fertilisa les
plaines sablonneuses du Brandebourg en y faisant
transpi'rter les boues de Berlin, il créa itiO villa-
ges. Econome pour sa cour, il n'épargjiait pas les
dépi'iises pour agrandir Berlin et relever l'Acadé-
mie des sciences. Sa puissance devenait inquié-
tante pour l'Europe entière.
L'Autriche n'avait pas attendu jusque-là pour
se repentir de la faute de Léopold l", qui avait
laissé grandir les électeurs de Brandebourg. La
France s'aperçut à son tour qu'elle n'avait plus
intérêt ix affaiblir l'Autriche pour fortifier en Aile
magne une puissance plus redoutable encore.
De là, bien plus que des intrigues féminines au
récit desquelles se complaisent les historiens,
naquit l'alliance franco-autrichienne et la guerre
de sept ans (1706-1763). On sait comment Frédé-
ric attaqua le premier la coalition, comment tour
à tour vaincu et vainqueur, au moment d'être
écrasé, il fut sauvé par la mort de la tsarine Elisa
beth et l'avènement de son admirateur Pierre 111
(V. Gueire de sept ans). S'il n'avait pas gagné de
territoire aux traités de Paris et d'Hubertsbourg,
dont profilèrent seules l'Angleterre et l'Autriche
il acquit du moins une gloire nouvelle. D'ailleurs,
il reçut de l'Angleterre en six ans '24 millions
d'écus. Mais son armée permanente, à laquelle il
sacrifiait tout, aljsorbait les ressources de l'Etat.
11 s'appliqua alors à réparer les maux de la
guerre. 11 attira dans son royaume 300000 colons
et fonda SOil nouveaux bourgs et villages. 11 éta
but une banque nationale en 170j et développ;
l'industrie. 11 fit peu de chose pour l'instruction;
il méprisait trop son peuple pour l'éclairer, disant
que ce peuple n'avait jamais su que manger, boire
et se battre. En revanche, il réforma la législa-
tion; mais il avilit la magistrature en se substi
tuant trop souvent à elle dans son despotisme
sans appel. 11 y avait " des juges à Berlin, « mais
des juges forcés de rendre des services plutôt que
des arrêts.
Protecteur des privilèges de la noblesse qui lui
semblait le plus fervent appui de sa puissance
absolue, il laissa les bourgeois s'enrichir et sut
maintenir l'équilibre entre les castes. Indifférent
en matière de religion, il n'en persécuta aucune,
tout en éloignant les catholiques des hautes
charges ; mais, par politique, il se fit partout le
défenseur du protestantisme, et son grand grief
contre la Pologne, qu'il voulait démembrer, fut
précisément qu'elle refusait aux dissidents ces
mêmes hautes charges que lui-même n'accordait
pas aux catholiques.
Ses plus ardents admirateurs, et l'admiration
de Frédéric 11 est un des nombreux legs que
Voltaire a laissés à la France, ne sont arrêtés
dans leurs éloges que par la part prépondérante
qu'il prit au partage de la Pologne, et qu'ils ne
savent comment justifier, puisque Frédéric lui-
même, dans ses lettres à Voltaire sur ce sujet,
se contentait de plaider les circonstances atté-
nuantes, tout en reconnaissant qu'il ne n répon-
dait pas de l'avenir, u C'est de la Prusse que par-
tit l'idée du partage, et cela devait être. Depuis le
jour où l'ordre Teutonique avait été appelé en
Prusse par un prince polonais, le germanisme
avait rêvé cette conquête, et les défaites des Teu-
toniques, ainsi que les humiliations des ducs de
Prusse forcés de prêter hommage aux rois de Po-
logne, avaient enraciné la haine de la Pologne et
le désir de s'enrichir à ses dépens dans le cœur
dos souverains du Brandeboug. D'ailleurs, un roi
de Prusse ne devait-il pas posséder la Prusse
tout entière ? Cette spoliation ne se fit pas cepen-
dant d'un seul coup. Frédéric II ne fit et ne vit
que le premier partage, celui de i773, et ne réunit
à ses Etats que la Prusse occidentale sans les
villes de Thorn et de Dantzig.
Frédéric-Guillaume II (17^6-1707), neveu de
Frédéric 11 etson successeur, eut la joie de complé-
ter cette œuvre en prenant part au second et an
troisième partage de la Pologne (1703 et 1795).
Le partage de 1793 lui donna 'l'horn et Dantzig;
et il se fit adjuger en 179.5 toute la rive gauche de
la Vistule et du Niémen avec Varsovie.
En même temps, il prenait part à la coalition
contre la Révolution française. Il fut moins heureux
de ce côté. Après la déclaration de Pilnitz (1791)
vint l'insolent manifeste du duc de Brunswick
(juillet 1792), l'invasion de la France par les trou-
pes prussiennes et la prise de Longvvy et de Ver-
dun; mais lorsque Paris semblait près de tomber
aux mains des alliés, la bataille de Valmy (20 sept.
1792) sauva la France, et les Prussiens battirent
en retraite. C'en était fait du projet de partage
de la France, conçu par Frédéric-Guillaume II et
son ministre Hertzberg. Néanmoins la Prusse
reste dans la première coalition. Après la prise
de Mayence, Hoche bat les Prussiens à Frœschwil-
ler et à Woerth, puis à Geisberg; et Frédéric-Guil-
laume ordonne à ses généraux une immobilité
complète pendant la campagne de 1794 et de 1795.
Enfin, son représentant M. de Gollz signe la paix
de Uàle : Frédéric-Guillaume II consent à la réu-
nion de la rive gauche du Rhin tout entière au
territoire français (o avril I79Ô).
Frédéric-Guillaume lll (1 "97-1340) resta d'a-
bord neutre dans les guerres contre la République
française : la Prusse ne prit point part à la se-
conde coalition (1199); ce fut même le ministra
do Prusse à Rastadt qui recueillit Jean Debry, le
plénipotentiaire français qui avait échappé à l'at-
tentat des hussards autrichiens. Frédéric-Guil-
laume lll assista de même en témoin impassible
aux guerres du Consulat. Il n'entra pas davan-
tage sous l'empire dans la troisième coalition, et
à la bataille d'.\usterlitz, l'envoyé prussien, M. de
Haugwitz, vint féliciter "V.ipoléon, qui lui répon-
dit : « Voilà un compliment dont la Fortune a
changé l'adresse. » En elïet, FrédéricGuiUaume
avait signé avec la Russie un traité secret par le-
PRUSSE
— 1759 —
PRUSSE
quel il s'engageait à proposer sa mcdialion, et,
en cas do refus de la part de Napoléon, il se join-
dre aux Autrichiens et aux Russes. Après Auster-
litz, Napoléon céda à la Prusse le Hanovre en
échange du duché de Clèves, de Berg, d'Anspach
ot de Nfucliàlel, et pins tard de Bayreulh. Mais
bienlût la formation de la Confédération du Rhin,
la promesse faite par Napoléon aux Aîiglais de
leur rendre le Hanovre, et l'exécution du libraire
Palm h Nuremberg (18OO) surexcitèrent l'opinion
publique, et le roi de Prusse fit remettre un
ultimatum réclamant l'évacuation de l'Allemagne.
On sait avec quelle rapidité les batailles d'Iéna
et d'Auerslœdt (ISOti) détruisirent l'armée prus-
sienne, comment la campagne de 1807 contre les
Russes et ce qui restait des Prussiens se termina
;'i l'avantage des Français par la victoire de Fried-
land, et comment la paix de Tilsitt rétablit Frédé-
ric-Guillaume dans une partie de ses Etats, h savoir
le Brandebourg, la Silésie. la Prusse proprement
dite et la l'oméranie prussienne, qui ne devaient
être évacuons qu'après l'acquiicenient des contri-
butions de guerre montant h 600 millions de
francs ; Napoléon forma avec le reste le royaume
de VVestphalie donné à Jérôme, et le grand-duché
de Varsovie donné à l'électeur de Saxe qui rece-
vait le liire de roi. Dantzig était déclarée ville
libre.
C'est pendant cette période d'humiliation pour
la Prusse (1807-1813) que des hommes d'Etat (le
baron de Stein) opérèrent une révoliUion adminis-
trative et abolirent les abus féodaux. Cependant,
dès 1808, le roi de Prusse était forcé par IVapoléon
de renvoyer Stein du ministère et le prince Guil-
laume signait la convention de Paris, par laquelle
le gouvernement prussien s'engageait, entre au-
tres, à ne pas avoir sur pied, pendant dix ans,
plus de 4'iOOO soldats, et laissait les Français
tenir garnison à Glogau, Custrin et Stettin, aux
frais de la Prusse, jusqu'à l'entier acquittement
de la dette.
L'Allemagne, humiliée par Napoléon, préparait
sa délivrance. Le Tugend-ouncl (association de la
vertu) avait été formé par le professeur Maurice
Arndt, secondé par l'ancien ministre prussien
Stein, des généraux et des princes. Néanmoins, non
seulement la Prusse ne put prendre aucune part
à la coalition de 1809, mais encore en 1812 les
Prussiens durent fournir leur contingent à la
grande armée dans la campagne de Russie. Aussi
quand vint le désastre et la retraite, ce fut dans
toute l'Allemagne un tressaillement d'espérance.
Frédéric-Guillaume III ouvrit les rangs prussiens
à tous les Allemands contre l'étranger, et le
17 mars isllî, la Prusse déclara officiellement la
guerre il la France. Battus à Lutzen, k Bautzen,
à Wurschen, les alliés obtiennent l'armistice de
Pleiswitz, et, renforcés des troupes de l'Autriche,
recommencent la lutte. La bataille de Dresde est
le dernic- succès de Napoléon en Allemagtie. A
Leipzig Napoléon est vaincu, et c'est le général
Blûcher qui a le plus contribué à sa défaite. L'Al-
lemagne est délivrée, la France va être envahie.
On connaît les événements do la campagne de
France (V. Napoléon l").
Le 30 mai Isli, Paris capitula. Le C avril. Na-
poléon abdiquait, le 3 mai Louis XVIII était rentré
il Paris.
Mais une année ne s'était pas écoulée que s'ef-
fectuait le retour de l'île d'Elbe, et que la coalition
se reformait contre Napoléon et la France. La
Prusse se montra la pliis acharnée.
Blucher, dont l'armée occupait la Belgique, fut
d'abord vaincu à Ligny (Ifi juin 18 1;.); mais il
Waterloo ce fut lui qui porta le dernier coup à
l'armée française en arrivant à la fin do la journée
sur le champ de bataille (18 juin).
Après la lutte, vint le partage des dépouilles;
[après Waterloo, les traités de Vienne. La Prusse
aurait voulu se faire une part léonine en annexant
tous les États du roi de Saxe, et elle était appuyée
dans ses prétentions par la Russie, qui espérait
obtenir ainsi toute la Pologne prussienne y com-
pris le duché de Posen. Mais ces doux puissances
restèrent isolées, et l'on transigea. La Prusse
n'eut qu'une partie de la Saxe et garda le duché
de Posen, en laissant Varsovie et Kalicz k la
Russie. Elle obtint de plus la Poméranie occiden-
tale avec Slralsund et l'île de Rilgen, et sur la
Rhin de nombreux territoires qui formèrent la
Prusse rhénane; enfin elle avait pris il la France
Sarrebruck et Sarrclouis. Il lui restait encore à
réunir en un seul tout ses États morcelés, et à
conquérir en Allemagne l'hégémonie qui avait
jusque-là appartenu à 1 Autriche.
De 1815 à 1830, nous avons à noter le refus de
Frédéric-Guillaume IH de donner à ses sujets une
constitution, le rétablissement dans les provinces
rhénanes des privilèges et des droits féodaux, les
congrès de Garlsbad et de Vienne qui réagissent
contre le mouvement libéral (ISll) et 1830), la loi
de IS20 qui accorda des assemblées provinciales,
représentant les trois ordres de la noblesse, des
villes et des paysans et n'ayant qu'une voix con-
sultative, et la création du Zolloerein (Union
douanière) qui, fondé en Prusse (I818), s'est
étendu peu à peu sur toute l'Allemagne et a pré-
paré sur le terrain économique l'unité politique
que la Prusse cherchait à réaliser à son profit.
Ajoutons la part prise par le roi de Prusse à
toutes les œuvres de réaction de la Sainte-Al-
liance, entre autres aux congrès de Troppau, de
Laybach et de Vérone.
En 1830, lorsqu'éclata à Varsovie l'insurrection
polonaise contre la Russie, à laquelle prirent part
un grand nombre des habitants du duché de
Posen et de la Prusse royale, la Prusse rendit de
grands services à la Russie en lui livrant des ré-
fugiés et en interceptant les convois d'armes des
insurgés.
L'Allemagne avait ressenti à son tour le contre-
coup des révolutions de France, de Pologne et de
Belgique ; mais au mois de juillet lh.i2 la diète de
Francfort, sous la pression de l'Autriche et de la
Pru^se, réatrit violemment contre loute velléité
de liberté. En 1833, la Prusse, l'Autriche et la
Russie, à la suite des conférences de Miinchen-
Giaetz, enjoignirent même au gouvernement fran-
çais de bannir de son territoire les réfugiés poli-
ti(|ues, ce qui leur attira de la part du duc de
Broglie un refus énergique.
Frèdâric-Guillaume IV (1840-I8fil), fils aîné de
Frédéric Guillaume III, succéda à son père en
1840, au moment où la question d'Orient sem-
blait devoir faire éclater une guerre européenne.
Le traité des détroits (juillet I81I) mit fin à la
crise provn(|uée par les velléités belliqueuses de
M. Thiurs (V. Lnuis-PhiHtipe).
A l'intérieur Frédéric-Guillaume IV se trouvait
aux prises avec les réclamations de ses sujets, qui
espéraient enfin le voir réaliser la promesse d'une
constitution faite en 181.S. Le nouveau roi so
contenta de développer l'instiiuiion dos états
provinciaux ot de créer un comité général des
états de toutes les provinces (iSil); les assem-
blées provinciales furent d'ailleurs convoquées
plus régulièrement. Cependant il refusait toujours
une constitution, et sa dernière concession fut de
créer (l'-47) la Diète réunie, assemblée composée
des membres des états provinciaux, (iette con-
cession fut fatale : la Diète réunie (avril 1817) dé-
clara que la nation attendait toujours l'exécution
des promesses de 181.^) et de la loi île 1820, et
repoussa tous les projets financiers qui lui furent
soumis.
Sur ces entrefaites éclate Ja révolution fraii-
PSYCHOLOGIE
— 1760 —
PSYCHOLOGIE
•çaise de 1848, et toute l' Allemagne s'agite: le
grand-duché do Bade , la Hesse-Darmstadt, la
Hesse électorale, le Wurtemberg, le duché de
Nassau conquièrent leur constitution. Le roi de
Bavière est détrôné. L'insurrection triomphe i
Berlin (18 mars) ; Frédéric-Guillaume IV, forcé par
le peuple de se découvrir devant les cadavres des
insurgé^, se voit bientôt obligé de convoquer une
assemblée constituante. Mais des conflits survien-
nent entre le roi et l'assemblée ; celle-ci est dis-
soute le G décembre, et le roi octroie une consii-
tuliiin. Mais les chambres chargées de la réviser
(18i9) ne peuvent s'entendre avec le roi. La se-
conde chambre demande que Frédéric-Guillaume
IV accepte la couronne impériale d'.\llemagne, q\n
lui est offerte par le parlement de Francfort: le
roi de Prusse ne voulait rien devoir k la Révolu-
tion, il refusa, et la seconde chambre fut encore
dissoute. Cependant des insurrections avaient
éclaté dans le duché de Posen et dans la Prusse
rhénane; elles furent promptement réprimées. De
nouvelles chambres terminèrent enfin la révision
de la Constitution, et, le 6 février I8)(l, le roi
prêta serment à la charte. C'est cette constitution
qui est encore en vigueur. Tous les sujets prus-
siens sont égaux devant la loi et admissibles aux
de l'âme : le domaine de la psychologie varie
selon la façon d'entendre l'âme, et selon ce qu'on
croit pouvoir connaître d'elle scientifiquement.
Quand on entend par âme simplement l'ensem-
ble des faits de conscience, et quand on croit ne
pouvoir connaître de jioire vie mentale rien de
plus que les pliénomènes qui la composent, on est
conduit naturellement à exclure de la science
psychologique les grandes questions niétaphy.'i-
ques de la nature, de l'origine et de la destinée
de l'âme. Ainsi cunçue, la psychologie prend le
nom de psychologie expcrunaitale. Simple
science de faits, elle prétend regagner en rigueur
scientifique ce qu'elle perd en intérêt métaphy-
sique et en portée ; elle aspire à se fonder sur
l'expérience seu'e, à l'image des sciences physi-
ques et naturelles, c'est-à-dire à découvrir, par
l'observation et l'analyse, des relations constantes
ou lois des phénomènes moraux, aussi certaines
que les lois physiques ou physiologiques. Ces
lois, bien connues, ne pourraient m,uiquer de four-
nir dos lumières pour la pratique, puisque la pre-
mière condition pour a:;ir sur un ordre quelcon-
que de phénomènes est d'en connalfe la marche
naturelle et le mécanisme. C'est pourquoi cette
i manière de concevoir la psychologie est celle qui
emplois publics, la liberté de la presse et des i importe le plus à l'éducation. Elle a prévalu dans
cultes sont proclamées. Le roi a le pouvoir exécu- | les pays où les esprits sont surtout préoccupés de
tif et partage l'initiative des lois avec le parle- la pratique, notamment en Angleierre, où depuis
ment, composé de la Chambre des seigneurs ; longtemps la philosophie est, pour ainsi dire,
(Herren'iinis) et de la Cliambn; des députés \Huus tout orientée vers les intérêts moraux et les
rfec ylij'-o/' '«■' e/i). Tout Prussien âgé de vingt- questions sociales. Chez nous, elle a gagné du
quatre ans fait partie des assemblées primaires ' terrain à mesure qu'ont été connus les travaux
qui nomment les électeurs du second degré, étrangers, à mesure aussi que s'est accentuée,
chargés d'élire les députés. Les ministres sont sous l'influence de l'école positiviste d un côté et
responsables. ■ de l'école kantienne de l'autre, la tendance à nous
Frédéric-Guillaume IV régna jusqu'en 1861. Il , défier de nos forces en métaphysique et à donner
a eu pour successeur son frère, i le pas à la murale.
Guillaume I". dont le règne doit son impor- | Cependant, tel est l'attrait des questions der-
tance et sa grandeur à un ministre célèbre, VI , de nières, et en paiticulier de celles qui concernent
Bismarck Schœnhausen. Il est à peine besoin de j l'âme humaine, que c'est sans doute une tentative
rappeler ici la suite heureuse des enireprises de : chimérique (d'ailleurs inutile) d'en vouloir dé-
cet homme d'Etat : la conquête du Schleswig- ' sintéresser les esprits. S'il n'est pas facile déjà.
Holstein. faiie de concert avec l'Autriche, mais au de se résigner à ne savoir jamais ni l'essence delà
profit exclusif de la l'russe il8iî4); la défaite de ■ matière, ni d'où vient ce monde, ni où il va, et si,
l'Autriche à Sadowa et l'hégi'monie de l'.illema- i en fait, la science même ne sait pas s'interdire
gne définitivement acquise à la Prusse (i86(;) ; absolument ces problèmes, à plus forte raison se
l'organisation de la Confédération du Nord et la posent-ils, bon gré mal gré, el reviennent-ils obsti-
confiscation du Hanovre, de la Hesse-Cassel, du nément quand c'est de nous-mêmes qu'il s'agit,
duché de Nassau et de la ville de Francfort-sur-le- Or, dès qu'on leur ouvre la porte, ils envahissent
Mein (lst>6) ; la convention militaire avec les Etats toute la psychologie, et en cliangent radicale-
de l'Allemagne du Sud, la terrible guerre de ment le caractère. La psychologie qui n'esclut
1870-71 ; la proclamation de l'empire d'Allemagne pas la métaphysique de l'âme devient aussitôt
le 18 janvier 187 1 au palais de Versailles et la une psychologie m' tnphi/sique, c'est-à-dire tout
couronne impériale mise sur la tête du descen- le contraire de la psychologie expérimentale. Tout
dant des électeurs de Brandebourg, des vassaux autre est l'objet, en elTet, car il ne s'agit plus des
de la Pologne; enfin, l'annexion de l'Alsace et pliénomènes, mais bien de la substance même de
d'une partie de la Lorraine par la paix de Franc- l'âme; et tout autre aussi la méthode, car, si l'on
fort (lit mai 1811). L'œuvre paraissait achevée; observe encore, ce n'est plus pour enregistrer des
grâce à M. de Bismaick et à son collègue M. de faiis et en dégager la loi, c'est dans la convic-
Molike, la Prusse semble avoir couronné l'édifice lion que l'âme peut saisir par l'effort de la rô-
de sa politique, être parvenue à l'apogée de sa flexion son essence même, et que cb l'ait unique, sans
grandeur. Mais rinn ne se termine dans l'histoire: analogue, l'inirospeciion de l'âme par l'âme, est
sans parler des complications extérieures, ni des à lui seul ou contient la psychologie tout entière,
dangers du socialisme militant si puissant on bien plus, nous donne jour sur l'absolu même,
Allemagne, que de causes do faiblesse dans cet qui .se révèle ainsi directement à chacun de nous,
empire créé par la violence, où les querelles reli- Cette ps\chologie a été, en i rance, mise, ou
gieusos, rallumées par les lois de mai, ne sem- plutôt remise en honneur par Maine de Biran, au
blent pas piès de s'éteindre, où la rivalité commencement de ce siècle, et y a toujours eu,
entre le Nord et le Sud couve sans cesse. Ce surtout dans l'enseignement, des représentants
que le génie d'un homme a élevé tombe souvent érainents. Elle n'a jamais cessé de combattre et
avec lui . qui sait si l'organisation poliiique et de conire-balancer l'infiuence de l'école empiri-
militaire imposée par M. de Bismarck à l'Allema- que qui perpétue chez nous la tradition de Locke ,
gne sera longtemps celle que préférera la nation et de Condillac.
allemande? [V. Gasztowtt ] ! Peut-être néanmoins n'est-il pas nécessaire,^ en
PRl'SSI.VTE et FUUSSIQL'E (Acide). —V. Cl/a- optant pour une de ces deux psychologies. d'ex-
noi/ène. dure entièrement 1 autre. Ne pouriait-on pas,
FSïCIIOLOUIE:. — Psychologie veutdire science sans les mêler, sans leur accorder la même valeur
PSYCHOLOGIE
— 1761 —
PSYCHOLOGIE
scientifique, compléter l'une par l'autre, s'élever, [ait pas; quand il serait démontré que les opéra-
par exemple, des certitudes de la première aux ! tions mentales ne sont rien de plus que les fono
problèmes qu'agite la seconde ? Il n'est guère pos- i tions mêmes du cerveau, cela n'empéclie pas les
sible, à la vérité, qu'un même esprit réunisse les faits de conscience d'être, comme tels, des faits à
qualités si dift'érentes requises par les deux mé- ' part, et sui i/eneris : c'est là le plus certain des
tliodes/ opposées ; mais il n'en est pas moins | lieux communs pour quiconque a tant soit peu de
vrai qu'une psycliologie complète, que la psyclio- pliilosophie. Les faits psycliologiques sont essen-
logie sans épitliète et sans restriction, comporte à ! liellement les faits do conscience ; car, môme s'il y
la fois les deux ordres de problèmes. Scientifique | a des faits psychologiques inconscients (comme
par un côté, elle peut sans doute, elle doit avant il est difficile de ne pas l'admettre), ils ne sont
tout aspirer à se constituer comme science; elle connus que par induction, ils sont interprétés à
n'est, h ce titre, que la plus élevée des sciences ' la lumière et conçus à l'image des faits de con-
naturelles. Mais comment nier qu'elle conduit ' science. Or, un fait de conscience, un sentiment,
plus nécessairement, plus directement qu'aucune j une pensée, une décision est tout autre chose que
autre science aux inévitables interrogations de la i le mouvement qui peut y correspondre dans le
métaphysique'? Comment éviter que la question ' cerveau; même une sensation de brûlure est pour
suprême de l'existence en général et de l'intelli- ' celui qui l'éprouve, et en tant que douleur ressen-
gibilité des choses se pose .ivec une force parti- tie, fort distincte de la lésion qui la cause. Quelle
culière h qui étudie précisément l'intelligence et ressemblance y a-t-il, je ne dis pas entre le sen-
sés lois, c'est-à-dire à qui se trouve ainsi d'emblée , timent du devoir et la circulation du sang ou de la
au cœur même de la philosophie et à la racine de ' digestion, mais, dans un seul et môme événement,
tous les problèmes? Quel avantage y aurait-il, comme un accès dans une maladie, entre les émo-
après tout, à décourager par des fins de non-rece- tions du malade et les désordres physiologiques
voir la plus naturelle, la plus invincible des eu- ■ qu'elles accompagnent. Le fait psychologique,
riosités '? 11 suffit, semble-t-il, d'éviter avec soin essentiellement conscient, n'est connu, à parler
toute confusion en traitant scientifiquement la rigoureusement, que par la conscience, c'est-à-
psychologie scientifique et à part la métaphysique j dire par le sujet même qui l'éprouve ; et il n'est,
de l'âme, en s'imposant, surtout, de savoir autant I qu'autant qu'il est connu ou senti. On pourra
que possible comment toutes choses se passent ' l'analyser de mieux en mieux, mais on n'a pas à le
en nous, avant de cherclier ce que nous sommes découvrir. Aucune peinture, aucun signe exté-
en dernière analyse et quel sort est le nôtre. , rieur n'en donnerait jamais l'idée à qui n'aurait
Dans la présente étude, il ne s'agit pas de don- I éprouvé rien de tel; il échappe à l'observation des
ner en abrégé un traité de psychologie : tout ce sens, parce qu'il n'occupe aucune place, du moins
qu'on peut faire est d'indiquer à grands traits les ' aucune place directement assignée : il dure, mais
questions qu'il devrait comprendre et l'ordre (un ! il n'a pas d'étendue ; il est dans le temps, non
ordre entre autres) dans lequel ces questions ' dans l'espace. Tout fait physiologique, au con-
pourraient être rangées. Insister sur toutes serait ' traire, est saisi dans l'espace, occupe un lieu,
impossible; insister sur quelques-unes de préfé- ' offre une figure, peut être représenté schémati-
renceaux autres serait sans raison. Tous les points I quement, parce qu'il tombe essentiellement sous
importants sont d'ailleurs, dans ce Diction- I le sens et n'est même connu que par les sens;
imire, l'objet d'articles particuliers, auxquels le
lecteur peut se reporter. Il est clair, par exemple,
que de longs développements sur les sens, ou
l'imagination, ou la mémoire, feraient ici double
emploi.
La première chose à faire est de déterminer la
place de la psychologie dans le cadre général des
sciences, au premier rang ou plutôt au centre
de la grande famille des sciences philosophiques.
Rien n'est plus facile que de repousser les atta-
ques de certains savants contre la psychologie
comme science originale, ayant son objet propre
•et sa méthode. Sans doute les phénomènes qu'elle
étudie ont une face physiologique, et l'idéaliste
Leibnitz le proclame aussi haut que nos positi-
•vistes, « tout ce qui se passe dans l'àme de César
est représenté dans son corps ; » mais de là à ne
voir en elle qu'un chapitre de la biologie, il y a
loin. Pour qui pose la question comme il faut,
aucune prétention ne paraît plus chiiuérique que
celle d'absorber la psychologie dans la physiologie
cérébrale. C'est un fait bien remarquable, que
ceux qui affichent cette prétention n'ont encore
pour ainsi dire rien fait pour la connaissance de
l'homme moral, tandis que les vrais psychologues,
les disciples de Locke en Angleterre jusqu'à
Stuart Mill et Bain, ceux de CondilJac en France,
jusqu'à M. Taine, ont toujours cru à une psycho-
logie analytique, aussi stire, aussi positive que la
physiologie elle-même, mais indépendante, hété-
rogène, par la nature des phénomènes qu'elle
étudie, comme par sa manière de les atteindre.
Il faut bien entendre, en effet, qu'il ne s'agit ici
que des phénomènes, non des substances. Le débat
n'est pas etitre le spiritualisme et le matéria-
lisme; la ijuBstion métaphysique de la nature du
principe pensant est ajournée. Peu importe qu'il
y ait une âme distincte du corps ou qu'il n'y en
i' Partie.
c'est au dehors qu'on l'observe, rarement et
difficilement sur soi-même ; il peut s'accomplir
dans nos organes à notre insu : la circulation du
sang a dii être découverte; presque toutes les
fonctions s'exécutent chez l'immense majorité
des hommes sans que rien les révèle dans la
conscience, et le plus savant physiologiste ignore
encore aujourd'liui la fonction de plus d'un or-
gane : si on l'observe un jour, ce sera dans quel-
que laboratoire, avec le scalpel et la loupe et tout
l'appareil des vivisections dont n'a que faire le
psychologue.
Les deux sciences, en effet, diffèrent de méthode
comme d'objet. II est vraique l'étude portant départ
et d'autre sur des faits, la méthode est, de part et
d'autre, celle des sciences naturelles, l'observa-
tion. Constater ce qui se passe dans tels cas dé-
terminés, pour arriver à savoir comment les
choses sepassentdanstousles cas de même genre,
en d'autres termes, s'élever des faits particuliers
aux causes générales et aux lois, voilà des deux
côtés la tache qu'on entreprend. On cherche à
■savoir, afin de prévoir et de pourvoir. Mais, en
psychologie, les moyens de savoir ne sont pas les
mômes qu'en biologie. L'observation par la con-
science, première et nécessaire ressource du
psychologue, n'atteignant directement que l'indi-
viduel, ne suffirait en aucune manière à donner
des connaissances scientifiques, puisqu'il n'y a de
science que du général ; d'autre part, cette ob-
servation intime ne peut s'étendre, se dépasser
elle-même, par l'expérimentation qui donne aux
sciences physiques leur caractère de précision en
y introduisant l'exactitude et la mesure. On a
bien essayé de soumettre à l'expérience propre-
ment dite les faits de conscience, par exemple de
mesurer la vitesse de la pensée, le rapport enlie
l'excitation et la sensation, etc. Mais ces oxpé-
m
PSYCHOLOGIE
1762 — PSYCHOLOGIE
riences de Donders, de Fecliner, de Weber, de
Delboeuf, mettent en lumière beaucoup moins les
opérations mentales elles-mêmes que leur relation
avec ce qui les précode ou les suit; la science
qu'elles constituent (car partout où il y a des
rapports d'un certain ordre ix étudier, il y a ma-
tière à une science) est très proprement appelée
psyc/w-physiqne, mais n'est point la psychologie
proprement dite. La psychologie proprement dite
n'expérimente pas, et c'est là, on peut l'admettre,
ce qui fait la lenteur de ses progrès. C'est aussi
ce qui met en défiance d'elle les esprits qui se
disent positifs. Elle est pourtant en mesure d'at-
teindre à des vérités générales. De mèm.^ que la
conscience individuelle n'est pas bornée à un
moment unique, mais se prolonge en quelque
sorte par la mémoire, ce qui rend déjà possible à
qui veut s'étudier une certaine connaissance gé-
nérale de lui-même, de même l'observation psy-
chologique n'est point bornée à l'individu, mais
peut s'étendre indirectement à toute l'espèce, car
les signes de tout genre, la parole, la littérature,
l'art, l'histoire, l'étude des langues, le témoignage
des médecins, des voyageurs, permettent au psy-
chologue de contrôler ce qu'il a observé en lui,
de passer par conséquent de la connaissance de
soi à la connaissance de l'homme.
Ce n'est pas tout; comme on peut par l'induc-
tion et l'analogie projeter sur les régions inférieu-
res de la vie psychologique la lumière de la ré-
flexion, et faire de la sorte une psychologie de
l'enfance, de la folie, du sommeil, de l'hallucina-
tion, de l'extase, on peut aussi, et par les mêmes
procédés, descendre au-dessous de l'humanité
même, et par la psychologie comparée étendre
infiniment le champ des recherches. Jusqu'à quel
point est légitime cette extension de la psycholo-
gie à l'animal, jusqu'où est-elle possible en des-
cendant l'échelle des vivants'? question neuve et
des plus intéressantes, mais qui mène en droite
ligne au cœur de la métaphysique. Tout porte à
croire, en efl'et, que partout où il y a organisa-
tion, il y a aussi quelque lueur de vie intérieure
répondant (d'une manière de plus en plus impar-
faite h mesure qu'on s'éloigne de l'homme) à ce
qu'est chez l'iiomme la vie mentale. Mais que
peut être la conscience d'un reptile, d'un mollus-
que, d'une plante? Et quel moyen avons-nous d'en
savoir quoi que ce soit, quand c'est déjà par une
induction, illégitime aux yeux de quelques-uns,
que nous parlons de celle des animaux supérieurs?
Cette conscience inférieure, indéfiniment décrois-
sante et évanouissante, nous n'en pouvons rien
pire qu'à la condition de la concevoir partout à
l'image de la nôtre. Or, dans cette voie, il n'y a
pas de limite où s'arrêter. Nulle raison de s'arrêter
même où cesse la vie, car où cesse-t-elle, et qui
peut assigner la borne'.' Mais concevoir l'être à
tous les degrés, l'être en général, o à l'image de
l'âme», comme Leibnilz fait ses monades, n'est-ce
pas tout un système métaphysique, ou mieux,
selon plusieurs, la méthode même de la métaphy-
sique?
La psychologie confine ainsi à la métaphysique
plus que toute autre science et y conduit plus
directement; libre à chacun de céder ou de ré-
sister à la tentation de s'aventurer plus ou moins
sur cette pente. Ce qui est certain, c'est que la
psychologie proprement dite et qui veut rester
scrupuleusement scientifique, c'est que surtout la
psychologie dirigée en vue de la pratique morale
et de l'éducation, a tout intérêt, après avoir établi
ses droits à l'existence en revendiquant son objet
et sa méthode propres, à ne point creuser A
plaisir un abinie iniaginaiie entre elle et la l)hy-
siologie. Pour être à un rang supérieur dans la
nature, l'homuie moral n'en est pas moins un être
naturel, et la science qui l'étudié n'est que la
plus haute des sciences naturelles. « Ni anges ni
bètes >s comme dit Pascal, nos facultés mentales
sont étroitement liées à l'organisme et aux fonc-
tions animales : le nier ne sert à rien, et l'ignorer
volontairement est une pauvre ressource. Le
mieux est de connaître notre coniUtion telle
qu'elle est et d'en prendre notre parti, ou plutôt,
d'en tirer le meilleur parti possible. La relation
entre le physique et le moral étant certaine,
comment douter qu'elle donne lieu à des obser-
vations utiles? Ces relations apparemment ont leur
constance, c'est-à-dire leurs lois : et, s'il en est
ainsi, comment ne pas avouer que ces lois sont
intéressantes, sont urgentes à connaître s'il en
fut? Est-ce que la devise « savoir, afin de prévoir
et de pourvoir, » ne s'applique pas là comme
partout? L'éducateur n'a pas le droit d'écarter
par des fins de non-recevoir une seule vérité
concernant le mécanisme de la vie humaine.
D'abord parce que l'organisme, quand on ne tient
pas compte de ses exigences et de ses droits, se
venge en quelque sorte et nous fait payer cher
nos ignorances ou nos dédains ; c'est le sens pro-
fond "du mot de Pascal : « qui veut faire l'ange
fait la bête. » Ensuite, à supposer qu'on fût en
droit de mépriser son propre corps, ce qui n'est
point, on a certainement le devoir de respecter
celui des autres. Le respecter, c'est trop peu dire,
puisqu'il faut le cultiver et le fortifier, puisqu'il y_
a, en un mot, une éducation physique. En réalité
personne n'a jamais admis l'indépendance des
fonctions corporelles et des opérations mentales ;
cette chimère, fruit de l'abstraction, ne répond à
rien dans le bon sens public ni dans la pratique
universelle. Elle a été inventée par crainte du
matérialisme, pour sauver la spiritualité de l'âme.
Mais la spiritualité de l'âme n'est point ici en
cause; elle ne peut rien gagner à être établie sur
la négation des faits. Pauvre spiritualisme qtte
celui qui ne pourrait s'accommoder des vérités
que tout le monde constate, et qui tomberait en
poussière au contact de la réalité ! Que la matière
vivante, que la substance cérébrale en particu-
lier soit la chose même qui sent et qui pense-,
ou que le cerveau ne soit que la condition tem-
poraire, l'instrument actuel de la pensée, les faits
s'expliquent également bien dans les deux cas;
les deux hypothèses métaphysiques sont donc
possibles; le spiritualisme et le matérialisme ne
sont pas plus impliqués l'un que l'autre dans la
franche et simple reconnaissance des faits. Aucune
de ces doctrines n'a le droit de se dire srimbfique
à l'exclusion de l'autre; elles se valent aux yeux
du savant; et, quand il faudra choisir entre elles,
ce sont des raisons d'un autre ordre, des néces-
sités morales qui devront dicter le choix. Amsi
l'éducateur n'a à craindre pour auctine croyance
raisonnable, pour aucun credo métaphysique : il
a toute liberté d'esprit pour voir les choses comme
elles sont. Or son devoir est de se tenir ouvert à
tous les enseignements de la science sur les rap-
ports du physique et du moral : il serait inexcu-
sable de négliger une étude plus riche peut-être
que toute autre en applications pédagogiques.
Pourrait-il ignorer impunément qu'il y a une
hygiène morale et intellectuelle, des conditions
physiologiques nécessaires au travail mental, d'au-
tres favorables, d'autres nuisibles au bon équi-
libre des facultés? Le lien entre le tempérament
et le caractère est sans doute fort mal connu,
mais s'il venait à l'être mieux, qui se pardonne-
rait d'ignorer un seul jour la moindre découverte
sérieuse, la moindre indication probable sur un
point de si grande conséquence? Ce qui est siir,
c'est qu'il y a littéralement des aliments de 1 in-
trlli^ence, et surtout ce qu'on a pu appeler d'une
expression singulièrement éloquente rfe» poisons
de l'intelligence : imagine-t-on un père ou un
I
PSYCHOLOGIE
— 1763
PSYCHOLOGIE
maître ignorant à plaisir de tels faits, ou négli-
geant d'en instruire ceux dont il a charge? Enfin
qu'on pense ce qu'on voudra de ['hérédité psy-
chologique. Quand elle serait moins certaine
qu'elle n'est, quand la transmission des aptitudes
mentales et des dispositions morales en germe
avec la vie ne serait que probable ou seulement
possible, quel phénomène serait plus digne d'une
étude attentive? Quelle étude plus digne d'être sui-
vie avec un intérêt passionné par celui qui a pour
mission de préparer l'avenir do notre espèce 'l La
pensée de l'hérédité est si salutaire, si propre à
nous faire réfléchir sur la portée de nos actes,
qu'il faudrait tenir pour certaine, quand elle se-
rait douteuse, cette loi qui lie entre elles les géné-
rations successives. Quiconque agit de quelque
manière sur l'opinion devrait professer et ré-
pandre cette croyance que de nos œuvres rien ne
se perd, que toute qualité fixée dans les parents
et passée en habitude tend à se transmettre avec
le sang, que tout vice qu'ils contractent tend à
infester leur descendance.
Ces questions mi-partie physiologiques et psy-
chologiques une fois traitées, étant bien établi que
la distinction profonde des deux sciences n'en-
traîne ni leur désaccord ni leur scission, on peut
aborder l'objet propre de la psychologie, c'est-à-
dire l'étude des faits do conscience. Si compliqués'
qu'ils soient, ces faits se rangent assez bien d'eux-
mêmes en trois catégories : actes proprement
dits, dont le mouvement est le .signe extérieur, et
dont le vouloir est psycliologiquement le type ;
— phénomènes affectifs caractérisés par l'émotion
de plaLsir ou de peine; —phénomènes mtfllec-
iuels ou pensées. Il n'échappe à personne que ces
trois groupes de faits, indissolublement unis et
mêlés dans la vie consciente, ne sont séparés que
par abstraction, qu'agir est, au fond, toute la vie
psychique, que sentir et penser ne sont que des
modes divers d'une seule et même activité. Si
donc on maintient cette division, nécessaire à la
science du moi, consacrée par le langage, ce doit
être à condition de n'en être pas dupe. Et si le
psychologue continue (ce qui est peut-être moins
nécessaire) à compter aussi, avec le commun lan-
gage, trois facultés, répondant h ces trois catégo-
ries de faits. Volonté, Sensibilité, Intelligence, il
ne saurait trop résister à la tentation de prendre
pour trois causes réelles ces trois abstractions. Il
est plus difficile qu'on ne croit de ne pas prêter
inconsciemment une réalité distincte à ce qui
porte un nom distinct, et, par suite, de ne pas
croire qu'on a expliqué suffisamment un fait de
conscience quand on l'a rapporté à sa faculté.
Comme les propriétés réalisées et données pour
des explications ont été une grande cause de re-
tardement pour la physique, de même les facultés
ont pu être dénoncées comme le fléau de la psy-
chologie. Mais, le charme une fois rompu et le
péril signalé, il n'y a pourtant pas d'inconvénient
irrémédiable à conserver le langage reçu; et, en
fait, personne n'a pu tout à fait l'abandonner.
Les facultés après tout ne sont pas de pures chi-
mères, de simples dénominations arbitraires pour
des groupes de faits artificiellement distingués.
Ce ne sont que des modes d'une même activité,
mais des modes Jiaturels, qui difl'èrent vraiment et
notablement dans la conscience. Agir ou vouloir
est autre chose que sentir et que penser; sentir
et penser ne sont pas des phénomènes identiques.
Les personnes les plus intelligentes ne sont pas
nécessairement les plus résolues ni les plus sen-
sibles; le moment où je suis le plus ému n'est
S pas celui où j'ai les pensées les plus claires. La
' synthèse naturelle des trois ordres de faits (syn-
thèse qu'il faut commencer par considérer en
prenant une vue d'ensemble de la vie intime, où
tout se tient) n'empêche donc pas, mais appelle
au contraire l'analyse, sans laquelle il n'est point
de science. Il sera seulement bon de refaire de
temps en temps des synthèses partielles, pour ne
pas perdre de vue le concret et le vivant, et sur-
tout de faire succéder à toutes les analyses une
synthèse finale. L'ordre à suivre dans l'analyse
peut varier selon le point de vue où l'on se place,
mais il n'est point indifférent. Le mieux semble
être de commencer par l'étude de ce qui est le
plus général et le plus essentiel, savoir l'activité.
Si penser et sentir sont des modes divers de
l'activité consciente, il ne peut qu'être bon d'étu-
dier d'abord cette activité en elle-même : ce qui
est vrai d'elle d'une manière générale ne man-
quera pas de se retrouver en toutes ses manifes-
tations, soit affectives, soit intellectuelles : peut>-
être obtiendra-t-on de la sorte un ordre plus
profond et plus vraiment naturel que ne serait un
prétendu ordre chronologique. Bien que les trois
facultés, en effet, ne se développent pas d'une
façon rigoureusement parallèle, n'atteignent pas
en même temps leur plus haut période, leur
croissance est si bien simultanée en réalité, et
leur mutuelle solidarité est telle, qu'il semblera
toujours un peu arbitraire d'étudier, comme
quelques auteurs l'ont proposé : d'abord la sensi-
bilité, sous prétexte qu'elle apparaît et domine
la première, ensuite l'intelligence, comme n'étant
mûre qu'après l'âge des passions, enfin la volonté
comme n'assurant qu'en dernier lieu son empire.
\ cet ordre factice, une bonne méthode devrait,
semble-t-il, substituer le suivant.
L'activité proprement dite (dont le vouloir
humain est le type parfait, et qui, à ses degrés
inférieurs, est peut-être déjà la volonté s'ignorant
elle-même) affecte trois degrés et comme trois
phases : elle est d'abord tout instinctive et
aveugle, puis devient réfléchie et volontaire, puis,
par l'habitude, redescend vers l'instinct. Com-
mençant, en d'autres termes, dans la région de
la pure nature, elle s'élève au-dessus, jusqu'à la
personnalité, pour revenir bientôt à l'automatisme,
qui caractérise la seconde nature comme la
première. Or dans la sensibilité aussi, ou
activité affective, quoique chose répond à l'ins-
tinct, ce sont les besoins primitifs ou penchants;
quelqvie chose à la volonté, ce sont les émotions
conscientes-, quelque chose à l'habitude, les pas-
sions. Et l'intelligence de même a ses instincts,
puisque les principes de la raison ne sont autre
cliose que des exigences à priori de l'esprit,
besoins universels et éternels de la pensée; elle
a ses opérations proprement dites, par lesquelles
elle acquiert, combine, élabore les connaissances,
s'élevant de la sensation brute à l'idée pure, de
la perception actuelle au raisonnement abstrait;
elle a enfin ses habitudes, car le souvenir et
les associations d'idées sont, à la lettre, des
habitudes mentales.
A propos des instincts on rappellera seulement
ici que deux théories sont en présence : la théorie
traditionnelle, suivant laquelle l'instinct est im-
muable et imperfectible; la théorie transformiste
contemporaine qui le représente au contraire
comme modifiable et susceptible de progrès lents
à l'infini, mieux encore, comme formé de toutes
pièces au cours des siècles par l'habitude, l'adap-
tation au milieu, la sélection, l'hérédité. Point de
doute, selon nous, que ces deux théories ne
doivent être corrigées, complétées l'une par
l'autre. Il y a certainement des instincts acquis,
comme il y a des formes organiques produites et
fixées par les causes qu'on allègue; l'acclimata-
tion, la domestication, le dressage, seraient im-
possibles sans la variabilité des formes et des
instincts. Mais certainement aussi, il y a, dans la
constitution psychique comme dans l'organisation
des vivants, un fonds naturel, antérieur à toute
PSYCHOLOGIE
— 1764 —
PSYCHOLOGIE
acquisition, résistant à toute cause de modification.
Pour prendre des liabitudes nouvelles, pour
s'adapter peu à peu à un nouveau milieu, pour
transmettre ses caractères avantageux, il y a au
moins deux condiiions nécessaires, c'est de vivre
et de se reproduire, ce qui suppose au moins deux
genres d'instincts fondamentaux aussi rudimen-
taires qu'on voudra, ceux qui assurent la conser-
vation de l'individu, ceux qui assurent la perpé-
tuité de l'espèce. Et, pratiquement, il n'y a pas
moins d'enseignements à tirer d'une théorie que
de l'autre. La connaissance des instincts premiers,
vraiment irréductibles et sans doute indestructi-
bles, doit nous rendre modestes en présence de
la nature et respectueux de ses lois, qu'il serait
insensé d'espérer ni changer ni contrarier impu-
nément; mais par la connaissance de la variété
infinie que la nature produit elle-même avec ses
lois immuables, on comprend mieux ce que peut
faire l'art humain opérant selon la science, et en
particulier l'éducation éclairée par la psychologie.
De même que l'éducation physique, sans pouvoir
jusqu'ici entamer les espèces, tire pourtant de
leur sein des variétés de plus en plus belles
et avantageuses, de même l'éducation morale ne
changera sans doute pas l'humanité, mais elle
peut améliorer singulièrement l'homme.
Le propre de l'homme n'est pas d'nbéir à l'ins-
tinct, ce que l'animal fait comme lui, mais d'agir
avec volonté. Vouloir est le fait des personnes.
C'est se résoudre en connaissance de cause. Tan-
dis que les mouvements instinctifs sont assimila-
bles à des réflexes plus ou moins compliqués, le
vouloir est essentiellement spontané. Par lui on
s'élève de l'automatisme à l'activité autonome,
de la vie animale à la vie proprement liumaine.
Il y a la même distance, et plus grande encore,
entre l'instinct et la volonté, qu'entre le pur mé-
canisme et l'instinct. La volonté est pour nous le
type même de l'activité, l'activité par excellence ;
bon gré mal gré, c'est sur ce modèle que nous
imaginons toute force. En réalité, l'être qui
veut ne fait pas autre chose que produire des
actes appropriés aux circonstances, et vouloir, en
dernière analyse, ce n'est toujours que réagir
contre les impressions reçues. Mais un intervalle
parfois très grand sépare ici les impressions des
actes qui en résultent ; et le vouloir occupe pré-
cisément cet intervalle. Le résultat, c'est-à-dire
l'acte, n'est plus une simple résultante mécani-
que ; il n'apparait pas sans doute ex nihito, puis-
qu'il est motivé par toutes sortes de pensées et de
sentiments provenant de notre expérience anté-
rieure ; tuais ces sentiments, ces pensées sont
quelque chose de nous-mênie et portent notre
marque, et quand la résolution apparaît, elle
émerge vraiment de notre propre fonds. Nous
touchons ici à un des problèmes les plus graves
de la psychologie et tout ensemble de la méta-
physique : Le vouloir n'est-il que le concours ou
le conflit plus ou moins compliqué des pensées et
des désirs, le produit indirect et conscient des
impressions passées ; ou bien révèle-t-il, sous les
émotions mêmes et les jugements qui le déter-
minent, une spontanéité pure, une liberté abso-
lue ? Ou ne peut ici avoir la prétention de tran-
cher en quelques mots un tel débat ; nous
signaleroiis seulement quelques points impor-
tants dans l'analyse du vouloir. Le premier
point est la différence du désir et du vouloir,
que le langage tend à confondre, mais qui ne
semblent pouvoir être pris pour identiques en
dépit de leur étroite union. Saus parler des cas
où l'on veut ce qu'on ne désire nullement, le vou-
loir, même conforme au désir, est toujours un peu
autre chose que lui ; c'est tout au moins un désir
contrôlé, sciemment autorisé à passer à l'acte
Mais ceci nous amène à un second point difficile:
le vouloir est-il autre chose qu'une pensée domi-
nante '? Certes l'intelligence est une pièce néces-
saire de la volonté, laquelle pourrait se définir
l'activité consciente, clairvoyante et maîtresse
d'elle-même; mais ici encore, l'indissoluble union
n'est peut-être pas la pure identité. En tout cas,
la question du libre arbitre est toute là ; la solu-
tion du problème de la liberté (autant qu'il peut
être résolu par la psychologie) ne dépend de rien
tant que des résultats que donnera sur ce point
l'analyse. Si, des quatre moments qu'on a cou-
tume de distinguer dans le phétiomène complexe
de la volonté, conception des fiOssibles, déhbération
sur les motifs, résolution, exécution, on considère
le troisième seul, ou les deux derniers, comme
manifestant le vouloir, on donne par cela même
cause gagnée au déteryninisrne. Il est indubitable,
en effet, que la décision résulte nécessairement
des possibles conçus et des motifs pesés; et si l'on
n'a point de volonté avant d'être décidé, on n'est
point libre. Mais c'est depuis longtemps, depuis
Duns Scott et Descartes tout au moins, une idée
familière aux logiciens, que la volonté domine l'in-
telligence elle-même et préside déjà à nos juge-
ments. Pour le psychologue de même, il semble
bien qu'en faitla volonté entre d'abord en jeu dans
l'évocation des possibles, puis dajis l'évaluation des
motifs tour à tour appelés, retenus, écartés, rap-
pelés encore. Loin donc de n'apparaître que dans
la décision, c'est elle-même qui la prépare, la
diffère, la prononce et lui imprime son sceau,
comme c'est elle encore qui l'accomplira, pourra en
interrompre, en reprendre, en arrêter ou achever
l'exécution. Il n'y a pas d'ailleurs d'illusion à se
faire : admettre le libre arbitre, c'est admettre le
choix absolu, c'est par conséquent admettre des cas
(en aussi petit nombre qu'on voudra) où deux ou
plusieurs actes sont également possibles, entre
lesquels celui-là seul sera réalisé que la vo-
lonté aura choisi. Elle ne l'aura pas choisi sans
raison, et le principe de raison suftisante ne peut
jamais être en défaut; mais elle aura ete elle-
même la dernière raison déterminante. S ecriera-
t-on pour cela que la science est dès lors impossible,
car elle exige le déterminisme absolu des phéno-
mènes' Il faut répondre sans hésiter que la liberté
est, en effet, le contraire du déterminisme absolu,
qu'elle consiste essentiellement dans la possibilité
de déjouer les prévisions et d'échapper au calcul;
l'admettre, ce n'est rien moins qu admettre des
futurs cuntinyenU dans l'ordre des actions
humaines. La science n'a nullement besoin que
toutes nos actions soient nécessaires, et surtout
ne prouve point qu'elles le soient. Le déterminisme
n'a pas le moindre droit à se donner pour scien-
tifiquement établi. Ce qui est établi, c'est qu il y
a une part de détermination dans nos actes, c est-
à-dire des éléments donnés avec lesquels la
volonté doit compter, ce qui rend jusquà un
artain point possibles les prévisions; mais les
prévisions ne sont jamais dune rigueur mathéma-
tique ; et si l'on prétend que leur incertitude ne
tient qu'à notre ignorance, on préjuge précisé-
ment ce qui est en question. Ainsi la liberté
n'est ni impossible à priori, c'est-à-dire absurde,
ni condamnée par les faits : chacun peut à son
.-ré la rejeter ou l'admettre. Or des raisons mo-
rales peuvent seules nous décider, mais elles sont j
impérieuses et nous obligent de prendre parti.
Scientifiquement la liberté n'est pas prouvée,
elle n'est que possible, mais moralement il faut y
croire. Condition sine quù non de la moralité etJ
du devoir, on pourrait dire que c est déjà uni
devoir et notre premier devoir de 1 admettre.!
C'est un acte de foi rationnel que Kant demanaei
à notre bon vouloir. Ceux qui le refusent^ on!
théorie l'accordent dans la pratique, car U ny af
guère qu'en Orient qu'on s'en tienne pratique!
;PSYCHOLOGIE
— 1763 —
PSYCHOLOGIE
mont au fatalisme, à ce fatum mahumctanum
dont parle Loibiiitz. Chez nous, tout lo monde
croit sans doute que ce qui doit arriver arri-
vera (c'est une pure et simple tautolor/ie) ; mais
on croit que cela seul doit arriver, dont les con-
ditions seront réalisées, et qvie parmi ces condi-
tions il en est qui dépendent de nous. Aussi
n'ost-il pas de déterministe qui ne continue h
admettre, au moins dans certaines limites et dans
certains cas, la rosponsabilité des personnes.
La responsabilité n'est pas plus illimitée que
la liberté; elle a ses bornes et ses dfgrés; elle
varie d'un individu à l'autre et d'un moment à
l'autre pour un même individu. Si en effet le
choix ne peut être qu'absolu là où il est, et l'ar-
bitre absolument libre quand il a lieu, il ne
s'ensuit nullement que nous ayons tous et tou-
jours le choix entre un égal nombre de possibles,
que nous soyons tous et toujours également bien
informés , également clairvoyants , également
maîtres de nous. Il suffit moralement C|ue chacun
n'ait h répondre que de ce qu'il a vraiment et
proprement voulu. Une fois écartées les proten-
tions du déterminisme radical et pseudo-scienti-
fique, il y a tout avantage h ne point nous exagé-
rer l'étendue de notre liberté, à en reconnaître
au contraire les conditions. Il est certain que la
liberté d'indilférence que chacun s'attribuerait-à
lui-même comme infinie, constante, inaliénable,
est une pure chimère. La liberté s'affermit ou se
compromet, s'acquiert ou se perd au cours de la
vie, par l'usage même qu'on en fait; elle dépend
de mille circonstances qui la favorisent ou la
contrecarrent ; elle grandit par l'instruction et les
bonnes habitudes, diminue dans les passions vi-
cieuses, est toujours menacée par l'influence du
milieu, de l'opinion, de la coutume. C'est raison
de plus pour veiller sur elle à chaque instant, et
en cela même consiste avant tout Ja moralité. Se
croire trop libre est le plus sur moyen de l'être
fort peu.
La personnalité consiste essentiellement dans
la volonté : une personne est un être qui veut
réellement, par opposition aux choses qui ne font
que répercuter mécaniquement les impulsions
reçues, et aux animaux menés par l'aveugle ins-
tinct. La dignité, l'inviolabilité de la personne
libre, voilà le fondement de la morale : respecter
les personnes, c'est toute la justice; faire mieux
encore et les prendre pour fins, c'est la charité.
Car si la personne a une valeur infinie, la plus
grande preuve qu'elle en puisse donner, c'est de
relâcher en faveur des autres quelque chose de
ses droits stricts, c'est de se sacrifier volontaire-
ment. Elle n'a tout son prix que lorsqu'elle
s'oublie. L'idéal social est une communauté où
chaque personne respectée par toutes (car il faut
commencer par exiger le respect) serait toute
dévouée aux autres et prête à faire don de soi
pour le bien commun. L'ordre ainsi obtenu par le
concours des volontés, sans compression d'aucune
sorte, serait inaltérable et ferait la nation la plus
heureuse comme la plus forte : réaliser autant
que possible un tel état est la tâche que la morale
assigne à la politique.
Le plus grand danger que coure la volonté libre
vient de {'habitude. Toute activité contracte en
agissant une tendance à répéter son acte : cette
tendance est l'habitude même. Elle devient de
plus en plus impérieuse à mesure que le même
acte a été plus souvent répété; elle peut à la fin
devenir irrésistible. « C'est, dit Montaigne, une
violente et traistresse maîtresse d'eschole, que
la coutume. Elle establit en nous peu à peu, à la
desrobée, le pied de son auctorité, mais par cet
humble commencement, l'ayant rassis et planté
avec l'aide du temps, elle nous descouvre tantôt
un furieux et tyrannique visage, contre lequel
nous n'avons plus la liberté de hausser seulement
les yeux. Nous lui voyons forcer à tous les coups
les règles de la nature, u Par là nos actes, d'abord
délibérés, tendent à se produire bientôt mécani-
quement : partis du mécanisme de l'instinct pour
nous élever à la liberté, nous risquons à chaque
instant de retomber de la liberté dans le méca-
nisme de l'habitude. Comme si un être naturel ne
pouvait que rarement et par exception agir en
pleine possession de soi, à la claire lumière de
la réflexion, à peine échappons-nous aux liens de
la première nature que ceux de la seconde nous
enlacent. Se défendre de la tyrannie des habi-
tudes, se maintenir libre autant que possible, se
soustraire à toute routine est si difficile, qu'il faut
sans doute en désespérer, quoique ce doive être
notre continuelle étude. Il y a pourtant une con-
solation à cette loi de notre nature. Les habi-
tudes ne sont pas toutes également contraires à
la liberté, et s'il faut en contracter quoi qu'on
fasse, au moins tient-il à nous d'en prendre qui
ne nous fassent pas déchoir. A tout prendre, la
loi de l'habitude est celle de notre perfectionne-
ment en môme temps que celle do notre chute;
tout dépend de ce que la volonté lui livre. Elle
conserve, amplifie, accumule, reproduit avec une
facilité croissante le bien comme le mal. Elle mena
indilTéremment à. la parfaite sagesse quasi in-
faillible, et à l'extrême abjection à peu près irré-
médiable. Si d'une part les associations d'idées
étroites et aveugles, les passions animales, les
fautes répétées engendrent la fatalité du vice, en
revanche l'habitude de réfléchir et de raisonner,
d'obéir aux sentiments généreux, de faire ce qu'on
doit, loin d'enchaîner la liberté, la fortifie, loin de
diminuer la personne, l'alTermit dans sa dignité.
Former de bonnes habitudes d'esprit, de cœur,
et de conduite, et empèclier les mauvaises de
naître ou de durer, c'est, en somme, tout l'objet
de l'éducation. Nul chapitre de psychologie ne
peut être plus important que celui qui traite des
habitudes, et des lois selon lesquelles elles se
forment, se fixent ou se perdent.
La sensibilité et l'intelligence n'étant que des
modes de l'activité, on y retrouve les trois mêmes
degrés, savoir : un fond primitif fourni par la na-
ture même, des phénomènes conscients, occupant
le champ de la réflexion, des dispositions acquises
devenues comme une seconde nature.
La sensibilité est le pouvoir de jouir et de
soulTrir, mais les émotions de peine et de plaisir
présupposent des tendances ou inclinations, et ne
peuvent ni durer beaucoup ni se renouveler
souvent sans engendrer des passions-.
Dans l'étude de ces inclinations ou penchants
primitifs, qui sont comme nos instincts affectifs,
le difficile est de distinguer ce qui est vérita-
blement naturel et originel, do ce qui est acquis
et maintenant héréditaire. Deux besoins au moins
semblent se rencontrer chez tout vivant, celui
de persévérer dans son être et celui de dévelop-
per son être. Chez l'homme, dont l'être est à la
fois physique et moral, les biens pressentis et
recherchés pourront se diversifier à l'infini. Ce
qui parait hors de doute, c'est que la nature
nous a donné, au-dessus dos appétits et des in-
clinations égoïstes, la sympathie, lien de la vie
sociale, et certaines aspirations rationnelles ou
idéales, sources de la science, de l'art et de la
moralité.
L'émotion résulte immédiatement de Vincli-
nation satisfaite ou contrariée, et seule nous la
révèle. Tout déploiement d'activité normal en
quantité et en qualité cause le plaisir; l'activité
empochée ou surmenée, ou dépensée dans des
voies contraires k celles de la nature, c'est la
douleur. Il n'est pas vrai par conséquent que lo
plaisir soit tout négatif; il est lié à l'activité même
PSYCHOLOGIE
— 1766
PSYCHOLOGIE
et à la vie; il en est l'épanouissement et, comme
dit Arislote, la fleur. Le jeu n'est agréable que
parce qu'il est, en tout genre, un libre et vif
exercice de nos énergies; le travail et l'effort sont
agréables au même titre et aux mêmes conditions :
il ne faut que les varier et en éviter l'excès. Sur
la relativité du plaisir et de la douleur, sur leur
rôle dans la vie, sur les mille degrés de la sensation
et les mille nuances du sentiment, il y a une
somme inépuisable d'analyses et de documents.
Les passions sont des dispositions du cœur en
partie naturelles, mais en partie acquises : ce sont
tantôt des inclinations devenues dominantes et
tyranniques, tantôt des émotions violentes deve-
nues liabituelles. Il importe tout particulièrement
de bien décrire leur formation, pour voir si la
volonté y intervient concurremment avec le tem-
pérament héréditaire, le milieu, l'éducation,
l'exemple; car si nous n'étions pas responsables
de les laisser naître, nous le sommes encore moins
de ce qu'elles nous font faire une fois formées.
La description de la genèse des passions et de
leur mécanisme fait l'objet d'un chapitre de la
psychologie important entre tous pour l'éducation
et la morale.
Reste l'étude des opérations intellectuelles : elle
est si vaste qu'on ne peut pas même l'ébaucher
ici, à peine peut-on en tracer le plan. Ce qui dans
la faculté de juger et de comprendre répond aux
instincts et aux besoins, ce sont les données à
/)rwri de la raison, les exigences nécessaires et
universelles de la pensée, les principes. Il faut
d'abord établir qu'il y a de telles données anté-
rieures et supérieures à l'expérience et sans les-
quelles l'expérience même no serait pas possible.
11 semble difficile de ne pas compter comme telles
au moins les fo7-mfs de temps et d'espace, sans
lesquelles l'intuition ne se conçoit pas, certaines
cati>gories sans lesquelles l'entendement ne serait
qu'un chaos, enfin les principes pratiques et spé-
culatifs, en aussi petit nombre qu'on voudra. Le
principe pratique est l'impératif moral. Les prin-
cipes spéculatifs sont : ou analytiques, comme les
principes d'identité et de contradiction, qui for-
cent simplement l'esprit à rester d'accord avec
lui-même; ou synthétiques, comme les principes
de raison suffisante, de causalité, de finalité, qui
le poussent à chercher l'explication des choses.
Ceux-là sont le fondement des axiomes, des
sciences exactes et du raisonnement déductif;
ceux-ci des sciences de faits et de l'induction. A
1 empirisme rajeuni qui prétend ramener tous ces
principes à des habitudes héréditaires, il faut ré-
pondre que, sans doute, bien des tendances men-
tales, aujourd'hui générales et vraiment innées,
ont pu être acquises au cours des siècles; mais
que pour prendre des habitudes de pensée il faut
d'abord que l'esprit pense, et que la pensée pas
plus que la vie n'a jamais pu être tout à fait sans
lois.
La raison est ce qui donne à l'intelligence hu-
maine son caractère et rend possible tout le tra-
vail delà pensée par lequel, de la simple sensation,
elle s'élève à la science et à la philosophie. Ce
travail commence par l'intuition des sens et de la
conscience; l'acquisition des premiers matériaux
de la connaissance est le fait de la double expé-
rience.
Vingt questions du plus vif intérêt se posent
dans la théorie des sens : Faut-il aux cinq sens
universellement reconnus ajouter, comme on le
fait souvent aujourd'hui, le sens organique et le
sens ^ musculaire 7 Les sens nous trompent-ils,
ou n'y a-t-il point d'erreurs des sens? Comment
distmguer pour chaque sens les perceptions pri-
mitives des perceptions acquises? Comment se
fait 1 éducation d'un sens par le concours des
autres? Comment nos sensations sont-elles rap-
portées à quelque chose hors de nous? Les sens
nous renseignent-ils sur la réalité et la nature
des objets? etc., etc. Parti de simples descrip-
tions physiologiques, on est bientôt conduit aux
problèmes derniers de la légitimité et dos limites
de la connaissance.
Les données des sens sont reçues dans la cojj-
science, et le sujet qui les reçoit n'est point
passif : il réagit contre les impressions, et dans
l'effort qu'il fait contre ce qui n'est pas lui, se
connaît, devient pour lui-môme objet de ré-
flexion. La question se présente alors, de sa-
voir ce que la réflexion ajoute à la sensation,
et quelles données le moi trouve en lui par l'a-
nalyse. Est-il causa et le type premier de toute
causalité, ou l'idée de cause se réduit-elle à celle
d'une simple succession de sensations? Est-il
une substance ou seulement une suite ininter-
rompue de pliénomènes reliés par la mémoire,
laquelle produirait l'illusion de l'identité, loin de
supposer elle-même un sujet identique? Une fois
de plus on voit la psychologie confiner à la mé-
taphysique. L'idéalisme de Hume n'est que le
phénoménisme de Berkeley poussé i. ses consé-
quences, transporté de l'objet au sujet.
Quand l'expérience a donné les matériaux bruts
de la connaissance, l'esprit les combine par \'inia-
gination, et les élabore par Vabslraction, la géné-
ralisation, le raisonnement.
L'image, au plus bas degré, n'est que l'écho de
la sensation; l'imagination n'est d'abord, selon le
mot de Bossuet, qu'un sens intérieur. Dans la rêve-
rie, le rêve, le somnambulisme naturel ou provo-
qué, l'hallucination, l'extase, la folie, le champ de la
conscience est tout occupé par le jeu des représenta-
tions involontaires; le sujet s'abandonne sans con-
trôle au cours de sa fantaisie. Mais réglée par la rai-
|son, soumise à la volonté, l'imagination est la faculté
inventive par excellence : elle crée, dans l'ordre
spéculatif, les hypothèses si nécessaires au pro-
grès et à la vie de la science, dans l'ordre pra-
tique et moral les inventions et innovations de
tout genre, dans l'ordre esthétique les arts. Si
l'on ne fait pas de l'esthétique une science à part,
mais seulement un chapitre de la psychologie,
c'est ici mieux qu'ailleurs que se place l'étude du
beau. Le beau est essentiellement l'idéal prenant
forme et vie, l'intelligible devenant sensible, pour
ravir l'imagination et toucher le cœur.
L'abstraction dégage de la sensation l'idée, qui
est tout autre chose que l'image : l'étude des idées
abstraites et de leur rôle dans la vie mentale est
inséparable de celle des mots et de leur fonction.
Par ce point la psychologie touche à la logique,
à la linguistique, voire à la mythologie.
La formation des idées générales n'est pas iden-
tique à celle des idées abstraites; la généralisation
n'est pas l'abstraction, quoiqu'elle la suppose. Les
idées d'espèces, de genres, de classes, etc., ne
sont qu'à demi abstraites ; la nature même nous les
oflre ou du moins nous invite à les former. Mais
on retrouve ici sous une forme rajeunie l'antique
débat du réalisme et du nominalisme; et la ten-
tative du transformisme conteiuporain pour sup»
primer toutes barrières entre les espèces donne
un regain d'intérêt à la question de savoir si le
besoin qu'a notre esprit de penser par catégories
et de ranger toute multiplicité dans des cadres
est purement subjectif, ou bien si les choses of-
frent effectivement un ordre intelligible répondant
au vœu de notre intelligence.
Le dernier degi é d'élaboration de la connaissance
est le raisonnement qui consiste à passer du connu
à l'inconnu. Quand on s'élève d'expériences parti-
culières à des affirmations générales, on induit;
quand on tire d'affirmations générales des conclu-
sions qui s'y trouvaient impliquées, cela s'appelle
déduire. La déduction en forme est le syllogisme.
PSYCHOLOGIE
— 1767 —
PSYCHOLOGIE
C'est une question, de savoir si les deux espèces de
raisonnement se ramènent i une seule, et laf|uelle
est la plus fondamentale. Elles difl'èront comme
le principe de contradiction et le principe de cau-
salité, et restent distinctes au même titre. L'in-
duction a seule un caractère synthétique et est
seule instructive; la déduction doit sa rigueur
l'ormelle à son caractère purement analytique. Au
reste l'une et l'autre ne sont que la raison en
acte, la raison discursive, et s'expliquent, en der-
nière analyse, par un môme besoin d'unité et
de liaison, qui est l'essence même de la pensée.
Il est clair qu'aucune des opérations qu'on vient
devoir ne serait possible sans [arnémoire. La mé-
moire est à l'activité intellectuelle ce qu'est l'ha-
bitude à l'activité proprement dite. Le souvenir
est littéralement une habitude de l'esprit : il
s'acquiert, se conserve et se perd comme une
habitude : la répétition fréquente, l'effort intense,
l'émotion vive, la méthode contribuent à graver et
;\ fixer les souvenirs comme k créer et à fixer les
habitudes; l'oubli de part et d'autre est produit
par les mêmes causes. Toutefois le souvenir n'est
qu'une espèce dans le genre habitude; il a un
caractère distinctif, c'est une habitude reconnue;
e-ii le pensant de nouveau, on le rapporte au passé.
Le souvenir le plus parfait est celui qu'on replace
le plus exactement au milieu de ses circonstances :
la réminiscence est le souvenir peu ou point re-
connu.
L'association des idées est la loi commune de
toutes nos conceptions : selon Stuart Mill, elle
est en psychologie ce qu'est en astronomie la loi
de la gravitation universelle. Non seulement
toutes nos pensées se suivent et se lient de telle
façon qu'il n'y a jamais de vide entre elles, mais
elles se lient et s'appellent selon des rapports dé-
terminés. Le plus général de ces rapports est
celui qyi résulte d'une expérience antérieure :
<' deux idées qui ont été précédemment en con-
nexion étroite dans l'esprit tendent à y revenir
ensemble et à se rappeler mutuellement; » c'est
une conséquence de l'habitude. C'est pourquoi le
signe nous fait penser à la chose signifiée, un
certain lieu aux lieux voisins, un certain temps au
temps qui précède ou qui suit. Mais on discute
pour savoir si toute association d'idées se ra-
mène ainsi à une liaison de fait dans les états de
conscience antérieurs, ou s'il n'y a pas, en quel-
que sorte, des associations de droit, autrement dit,
des rapports rationnels entre certaines idées
(comme celles de fait et de cause, de principe et
de conséquence, de fin et de moyens). C'est, sous
une nouvelle forme, le grand débat du rationa-
lisme et de l'empirisme.
Après une étude complète de la vie psycholo-
gique considérée en elle-même, il reste à la con-
sidérer dans ses manifestations : la théorie des
signes et du Innr/atje suppose la connaissance des
faits de conscience, mais ajoute beaucoup à cette
même connaissance, car si les signes servent h
traduire les sentiments, les pensées et les résolu-
tions, on sait combien est grande l'influence réci-
proque du langage sur la pensée d'abord, puis sur
les affections et la conduite même. Cette piirtic de
la psychologie touche aux sciences les plus di-
verses; à la linguistique, à la philologie, à la
.grammaire comparée, par l'étude des lois les plus
hautes qui régissent les langues; ;\ la physiologie
et i l'histoire naturelle par l'étude de la physio-
nomie. On sait que les recherches les plus neuves
sur ce point sont dues à des savants, comme Gra-
■tiolet en France, Darwin en Angleterre.
La psychologie comme science positive pourrait
être regardée comme épuisée quand on aurait
traité, dans cet ordre ou dans un autre, toutes
les questions jusqu'ici énumérées; mais c'est alors
que peut-être la curiosité métaphysique pourrait
être admise Ji se donner carrière. Qu'est donc, en
fin décompte, ce mni, qui s'étudie lui-même, qui
s'attribue les faits si divers de la vie psychique'?
Substance, ou simple suite liée de phénomènes?
Substance immatérielle et impérissable, ou résul-
tante éphémère, presque accidentelle, du co7i-
sensiis des fonctions cérébrales? Ces questions et
les pareilles, on peut assurément se les interdire,
et il faut savoir qu'en se les posant on quitte le
terrain de la science proprement dite ; mais chacun
aussi a le droit de les agiter, d'y appliquer toutes
les ressources de la dialectique, toutes les forces
de la méditation intérieure et de l'induction.
Les conclusions vaudront ce que vaudront l'esprit
et la méthode de chacun ; mais elles seront toutes
légitimes dans la mesure ot'i elles respecteront la
logique et les faits. Non seulement il n'est ni dé-
sirable ni possible de désabuser de tels problèmes
les esprits qu'ils tentent; mais tous sans exception
nous devons les avoir une bonne fois regardés en
face, et, soit que nous les ayons écartés ou résolus
à notre satisfaction, être à leur égard dans un
état d'esprit compatible avec les exigences de la
morale et la pratique du devoir.
[Henri Marion.]
Comme l'indique l'article qu'on vient de lire,
les questions qu'embrasse la psychologie peuvent
être traitées soit dans l'ordre mentionné ci-dessus,
soit dans un autre ordre, suivant les convenances
de l'enseignement. Nous avons cru devoir joindre,
dans ce Dictionnaire, à la psychologie proprement
dite, quelques notions élémentaires de logique,
de morale, de théodicée, et d'histoire de la philo-
sophie. On trouvera ci-dessous l'énumération des
articles du Dictionnaire entre lesquels nous avons
reparti les matières de ce programme; nous avons
rattaché la logique aux leçons sur l'intelligence, la
morale et la théodicée aux leçons sur la volonté,
la responsabilité et la conscience, et terminé I&
cours par quelques notions sommaires d'histoire de
la philosophie.
PROGRAMME
DU COUBS DE PSYCHOLOGIE (COMPLÉTÉ PAR DES NOTIONS
DE LOGIQUE, DE MORALE, DE THÉODICÉE ET D'HIS-
TOIRE DE LA PHILOSOPHIE).
I. — Définition de la psychologie : son domaine,
sa méthode, ses divisions. — Rapports de la
psychologie avec l'éducation. — V. Psychologie.
II. — Les facultés de l'âme : sensibilité, intelli-
gence, volonté. — V. Facultés de l'âme.
III. — La sensibilité. — Le plaisir et la peine. —
Différentes catégories de plaisirs et de peines. —
Les sensations et les sentiments. — V. Sensibilité.
IV. — Diverses formes dos phénomènes sensi-
bles : instincts, inclinations, passions. — V. In-
stincts, Inclinations, Passions.
V. — Les facultés intellectuelles, ou l'intelli-
gence. — Division générale des faits intellectuels
et des facultés correspondantes. — Des éléments
d", la pensée. Le jugement, ses diverses formes.
Les idées. — Intelligence, Jugeme?it, Idée.
VI. — La perception extérieure : les sens. —
Perceptions naturelles, perceptions acquises. —
Education des sens. — Idées fournies parles sens.
— Du rôle des connaissances sensibles dans le
développement de l'esprit. — V. Sens.
VIL — La conscience, la perception intérieure ;
divers degrés de la conscience. — Les notions
qu'elle nous permet d'acquérir. — V. Conscience.
VIII. — La mémoire. Notions de durée et d'i-
dentité personnelle. fVùle de l'imagination et de
l'association des idées dans la mémoire. Culture de
la mémoire. — V. Mcmoire.
IX. — L'imagination. — Comment les images se
produisent. — Passage de l'imagination représen-
tative h l'imagination créatrice. — Comment on
PSYCHOLOGIE
— 1768
PSYCHOLOGIE
développe l'imagination. — Comment on la règle.
— Son emploi dans les arts, dans la vie pratique,
dans la science. — V. hnai^inatiun.
X. — L'association des idées. — Les idées
acquises par les sens, par la conscience, conser-
vées parla mémoire et par l'imagination, se réveil-
lent et se représentent à l'esprit en vertu des
lois de l'association des idées. — Comment tout
se tient dans l'esprit. Influence des premières
impressions. — V. Association des idées (au Sup-
plément), Mcrii'iire, hnnijination.
XI. — De l'attention : son influence sur les di-
verses facultés intellectuelles. — Des moyens pra-
tiques i employer pour exciter et fixer l'attention.
— Des différentes formes de l'attention ; la distrac-
tion et ses causes. — Les idées abstraites et géné-
rales. Leur rôle et leur importance. —V. Atti-ii-
tion (dans la I" V ky^iiy.) , Abstraction, Idée, Volonté.
XII. — Le raisonnement : ses diverses formes.
Raisonnement instinctif et réfléchi. — Inférence
du particulier au particulier, du particulier au
général, ou induction; des lois aux cas particu-
liers, ou déduction. — V. Raisonnement.
XIII. — La raison, ou les principes directeurs
de l'intelligence. — Discussion sur leur origine.
— Sont-ils indépendants des notions expérimen-
tales, et irréductibles au travail de l'abstraction et
du raisonnement. — Le principe de causalité, etc.
-.- 'V. Raison.
XIV. — Le langage. — Formes du langage. —
Ses rapports avec la pensée. — Origine du lan-
gage. — V. Langage.
XV. — Logique ou étude des lois de l'intelli-
gence. — Définition. — Histoire de la logique. —
Division de la logique. — Son utilité. — V. Lo-
gique.
XVI. — L'activité, ses diverses formes : l'in-
stinct, la volonté, l'iiabilude. — De l'instinct :
ses caractères. — Tous les instincts sont-ils origi-
nellement bons? — Origine du vice et du mal.
L'activité volontaire : ses conditions, réflexion,
délibération. — Education de la volonté : comment
on la fortifie. — Moyens pratiques, examen de
conscience, etc.
L'habitude. — Sa puissance. — Les bonnes et
les mauvaises habitudes : comment peut- on for-
mer les unes et réformer les autres. — V. Activité,
Instinci, Volf^nté, Habitude.
XVII. — La responsabilité, conséquence de la
liberté ; limites de la liberté. — Le fatalisme. —
V. Responsabilité.
XVIII. — Morale ou étude des lois de la volonté.
— V. Morale, Conscieixce.
XIX. — T/iéodicée. — V. Théodicée.
XX. — Notions sommaires d'histoire de la phi-
losophie. — V. Philosophie (Histoire de la].
PROGRAMMES FRANÇAIS ET ÉTRANGERS.
I. — FRANCE.
PROGRAMME DU COURS D'INSTRUCTION MORALE POUR
LES ÉCOLES NORMALES PRIMAIRES
(22 janvier 1881).
PREMIÈRE ANKÉE.
MOTIONS DE PSYCHOLOGIE ET PB MOUILB TBÉoniQCB
I. — Notions élémentaires de psychologie.
Idée générale de la psychologie appliquée à la
morale et à la pédagogie : descriptiou expérimen-
tale des facultés humaines.
L'nctivitc ijligsif/u'i. — Les mouvements, les ins-
tincts, les l].-iljitudes corporelles.
La sensibilité physique. — Le plaisir et la dou-
leur ; les sens : sensations internes et sensations
externes ; les besoins et les appétits.
L'intelligence. — La conscience et la perception
extérieure; la mémoire et l'imagination; l'abstrac-
tion et la généralisation ; le jugement et le raison-
nement; les principes régulateurs de la raison.
La sensibilité morale. — Sentiments de famille ;
sentiments sociaux et patriotiques; sentiments du
vrai, du beau et du bien; sentiments religieux.
La volonté. — La liberté, l'habitude.
Co?tclusions de la psychologie. — Dualité de la
nature humaine ; l'esprit et le corps ; la vie ani-
male et la vie intellectuelle et morale.
II. — Morale théorique. — Principes,
Introduction : objets de la morale.
La conscience morale: discernement instinctif
du bien et du mal ; comment il se développe par
l'éducation.
La liberté et la responsabilité : conditions de la
responsabilité ; ses degrés ot ses limites.
L'obligation ou le devoir; caractères delà loi
morale. Insuffisance de l'intérêt personnel comme
base de la morale. Insuffisance du sentiment
comme principe unique de la morale.
Le bien et le devoir pur; dignité de la personne
humaine.
Le droit et le devoir; leurs rapports. Différents
devoirs; devoirs de justice et devoirs de charité.
La vertu.
Les sanctions de la morale : rapports de la vertu
et du bonheur. Sanction individuelle (satisfaction
morale et remords). Sanctions sociales. Sanctions
supérieures: la vie future et Dieu.
SECONDE ANNÉE.
MORALE PIUTJQLE. — 1PPL1CÀTI07(S
Devoirs individuels. — Leur fondement. Prin-
cipales formes du respect de soi-même: les vertus
individuelles (tempérance, prudence, courage,
respect de la vérité, de la parole donnée, dignité
personnelle, etc.)
Devoirs généraux de ta vie sociale. — Rapports
des personnes entre elles.
Devoirs de justice. — Respect de la personne
dans sa vie ; condamnation de l'homicide ; examen
des exceptions réelles on prétendues : cas de lé-
gitime défense, etc.
Res, ect de la personne dans sa liberté: l'escla-
vage, le servage, liberté des enfants mineurs, des
salariés, etc.
Respect de la personne dans son honneur et sa
réputation : la calomnie, la médisance ; — dans ses
opinions et ses croyances : l'intolérance ; — dans
ses moindres intérêts, dans tous ses sentiments :
menues injustices de toutes sortes, l'envie, la dé-
lation, etc.
Respect de la personne dans ses biens : le droit
de propriété ; caractère sacré des promesses et
des contrats.
Devoir.t de charité. — Obligation de défendre les
personnes menacées dans leur vie, leur liberté,
' leur honneur, leurs biens. La bienfaisance pro-
prement dite ; le dévouement et le sacrifice. De-
voirs de bonté envers les animaux,
Devoirs de famille. — Devoirs des parents entre
eux; des enfants envers les parents; des enfants
entre eux. Le sentiment de la famille.
Devoirs professionnels. — Professions libérales,
fonctionnaires, industriels, commerçants, salariés
et patrons, etc.
Devoirs civiques. — La Patrie. L'État et les ci-
toyens. Fondement de l'autorité publique. La
Constitution et les lois. Le droit de punir.
Devoirs des simples citoyens : l'obéissance aux
lois; l'impôt; le service militaire; le vote; l'obli-
gation scolaire.
Devoirs des gouvernants.
Deioirs des nations entre elles. — Le droit des
gens.
PUITS ET SOURCES — 17G'J — PUITS ET SOURCES
Devoir.'i lelif/ieux H droits correspondanl.i. —
Liberté des cultes. Rôle du sentiment religieux
en nioi'ali!.
Application des principes de la psychologie et
de la morale il l'éducation.
Proghamme nti 5 juin 1880 poun l'examen du cer-
tificat d'aptitude a l'inspection PIIIMAIRE ET A
LA nillECTION DES ÉCOLES NORMALES.
(Des notions de psychologie appliquée à l'éduca-
tion font partie des connaissances exigées des
candidats au certificat d'aptitude à l'inspection
primaire et à la direction des écoles normales, sous
la rubrique Pédaç/oç/ie. Nous donnons ci-dessous
le texte du programme, en ce qui concerne la
psychologie.)
Education dos sens. — Petits exercices d'obser-
vation.
Education intellectuelle. — Notions sur les fa-
cultés intellectuelles. — Leur développement aux
divers âges. — Leur culture et leur application
aux divers ordres de connaissances. — Rôle de la
mémoire, du jugement, du raisonnement, de l'ima-
gination. — La méthode : ses différents procédés;
analyse et synthèse; induction et déduction.
Education morale. — Volonté. — Liberté de
l'homme étudiée dans l'enfant. — Conscience mo-
rale ; responsabilité; devoirs. — Rapports des de-
voirs et des droits. — Culture de la sensibilité dans
l'enfant. — ]\Iodification des caractères et forma-
tion des habitudes. — Diversité naturelle des in-
stincts et des caractères.
II. — ÉTRANGER.
Dans les écoles normales d'Allemagne, d'Au-
triche, de Belgique, de Suisse, d'Italie, etc., des
notions de psychologie font partie du cours de
pédagogie ; mais les programmes officiels se bor-
nent à une simple mention, sans indiquer aucun
développement.
PUITS ET SOURCES. — Géologie, X. —
Tout le monde sait qu'il suffit de creuser de quel-
ques mètres en un point quelconque de la surface de
la terre pour trouver, môme par les plus grandes
sécheresses de l'année, des roches imprégnées
d'eau. Les moellons extraits des carrières sont
d'une consistance bien moindre qu'après leur
dessication à l'air, et c'est avec justesse qu'on at-
tribue cette circonstance si favorable à la taille
des pierres à la présence de /'eau de carrière.
Toutes les roches, même les plus compactes et
les plus dures, comme le granit et le porphyre, con-
tiennent de l'eau de carrière.
L'eau qui imprègne ainsi les roches vient en
définitive de la surface du sol, et celle-ci est ali-
mentée elle-même par les pluies. Or, il n'est per-
sonne qui no sache que la pluie ne détermine
pas les mêmes effets dans toutes les localités, et
que ces effets tieiment en grande partie à la cons-
titution propre de la surface du sol.
Dans les pays argileux, comme une portion de
la Brie et du Soissonnais, la pluie pénètre dans le
sol beaucoup moins vite qu'elle n'e tombe à sa
surface; elle y séjourne donc et donne ainsi nais-
sance à des flaques d'eau qui durent tout l'hiver.
Les routes sont fangeuses, et le soleil réduit la
terre en mottes dures qu'on prendrait parfois pour
des fragments de briques.
On exprime ce fait en disant que l'argile est
imperméable k l'eau (ce qui est quoique peu exa-
géré), et on l'applique en employant cette roche
pour pilonner le fond des canaux et des autres
réservoirs où l'on veut conserver de l'eau.
Au contraire, dans les localités sabliniscs comme
Fontainebleau et Ktampes, la pluie disparaît dans
le sol au fur et à mesure de sa chute. La boue est
I inconnue, et, dès que le soleil brille, le moindre
vent soulève des nuages de poussière.
Un fait analogue a lieu dans les plaines créta-
cées de la Champagne pouilleuse, qui, malgré un
climat fort pluvieux, sont vouées par la porosité
de leur sol à une sécheresse presque perpé-
tuelle.
Par opposition h l'argile, le sable et la craie
sont appelées des roches perméables. Ce ne sont
d'ailleurs pas les seules qui soient dans ce cas, et
l'on connaît dans bien des pays des roches qui par
elles-mêmes seraient tout i fait ctanches, comme
des granits et des marbres, et au travers desquel-
les l'eau passe néanmoins, grâce aux fissures qui
les recoupent en tous sens et parfois en nombre
prodigieux.
En résumé, l'eau pénètre dans toutes les roches,
mais, suivant les divers types de celles-ci, elle s'y
meut avec une facilité inégale.
Comme l'alimentation superficielle, due à l'eau
météorique, est continue, et que les entrailles du
sol dépensent constamment de l'eau a'nsi que
nous allons le voir, lo renouvellement des parti-
cules liquides dans I épaisseur de l'écorce terres-
tre est de tous les moments, et l'eau souterraine
parcourt le cercle d'une véritable circulation.
Ceci posé, et pour nous faire une idée de l'allure
générale de cette circulation, il importe de re-
marquer que les roches perméables et les roches
imperméables ne sont pas distribuées au hasard
dans la nature. On peut dire, en éliminant les cas
particuliers, qu'elles alternent entre elles de sorte
qu'une assise perméable est en général comprise
entre deux assises imperméables; qu'une assise
imperméable est comprise entre deux assises per-
méables, et que la surface du sol est constituée
suivant les points et indistinctement par des ro-
ches perméables ou par des roches imperméables
reposant sur des masses ayant les propriétés
opposées.
On va voir que ces diverses dispositions don-
nent lieu à une foule de phénomènes du plus vif
intérêt.
Supposons tout d'abord le cas d'un sol très per-
méable reposant sur des couches profondes im-
perméables. Il est évident que, sous l'influence de
la pesanteur, l'eau gagnera dans la masse poreuse
les régions les plus inférieures'et viendra s'accu-
muler sur la couche imperméable.
Il se produira alors au contact même des doux
couches ce qu'on appelle généralement un niveau
d'eau; et si par suite des ondulations de la sur-
face du sol ce niveau d'eau vient affleurer au jour
sur les parois ou au fond d'un ravin ou d'une val-
lée, il en résultera un niveau de sources.
Nous allons revenir sur ce sujet dans un mo-
ment; mais auparavant il importe de bien préciser
en quoi consiste la disposition dont il s'agit et qui
donne souvent lieu à des idées très fausses. Nous
n'en voulons pour preuve que le nom de nappes
d'eau souterraines qu'on donne fréquemment aux
niveaux d'eau. Ce nom no porte-t-il pas h sup-
poser qu'il y a dans les entrailles de la terre des
couches d'eau comme il y a des couches de grès
ou des couches de calcaire ? Or rien n'est plus
inexact.
On connaît, il est vrai, des rivières souterraines
et des lacs souterrains ; mais les unes et les au-
tres sont logés dans des cavernes ou grandes ca-
vités des roches et ne supportent pas le poids des
couches superposées.
Les niveaux d'eau ne sont autre chose, comme
le fait bien voir le procédé même auquel ils sont
dus, que des couches de roches poreuses ou fis-
surées dont les pores ou les fissures sont remplis
d'eiu.
Si le fond imperméable est incliné, le liquide
des niveaux d'eau se meut suivant la déclivité ;
PUITS ET SOURCES — 1770 — PUITS ET SOURCES
mais se meut non pas à la manière d'un ruis-
seau dans son lit, mais comme le contenu d'une
fontaine au travers d'un filtre.
On a facilement la preuve de cette assertion. 11
suffit pour cela de creuser rapidement une cavité
dans une couche de sable saturé d'eau ; on verra
que l'excavalion ne se remplit de liquide que suc-
cessivement par un vrai drainage esercé sur les
parties environnantes. C'est ce que savent très
bien tous les enfants qui, au bord de la mer,
jouent dans la cou«he de sable découvert à marée
basse.
Nous disions tout à l'beure que des sources
résultent de l'affleurement des roches imperméa-
bles recouvertes de roches perméables et donnant
naissance à des niveaux. C'est le cas en Lorraine
où les calcaires perméables de l'oolilhe inférieure
reposent sur les argiles du lias. L'affleurement
a lieu généralement à flanc de coteau, et c'est ce
qui rend compte des chapelets de villages égre-
nés en ligne horizontale sur les parois des
vallées à égale distance des thalwegs et des pla-
teaux.
A ce type de sources qui est extrêmement
fréquent se rapportent également un très grand
nombre de fontaines dans les régions les plus
variées, et il suffira de mentionner celles des en-
virons immédiats de Paris qui se présentent au
contact des marnes vertes et des sables de Fon-
tainebleau qui leur sont superposés. Il en résulte
un niveau nettement caractérisé par sa végétation
de peupliers et de saules contrastant avec les fo-
rêts de chênes et de châtaigniers qui sont au-des-
sus, aussi bien qu'avec les cultures de vignes et
de céréales qui sont plus bas ; c'est, pour la même
raison, le niveau des maisons de campagne.
Des caractères de ce genre, parfois visibles de
très loin, et auxquels s'en joignent d'autres plus
intimes dont l'observation devient facile à la suite
d'une pratique plus ou moins prolongée, expli-
quent pleinement le succès des découvreurs de
sources, au premier rang desquels M- Paramelle a
occupé une place si distinguée.
La même superposition de masses perméables
à des masses imperméables donne lieu à un tj'pe
de sources en apparence bien différent du précé-
dent et qu'on rencontre à chaque pas en Cham-
pagne par exemple. Il s'agit de sources toujours
situées au fond des vallées et qui sont sujettes à
des variations considérables de volume dans le
cours de l'année, de telle sorte qu'elles peuvent
disparaître complètement pendant quelques jours
ou même pendant quelques semaines.
Ce type correspond au cas très fréquent où le
contact des deux couches de perméabilité difi'é-
rente, au lieu d'affleurer, gît à une profondeur
plus ou moins considérable. L'eau d'infiltration,
s'accumulant sur le fond étanclie. sature une zone
de plus en plus épaisse de la roche poreuse telle
que la craie, et la source jaillit au moment où la
surface supérieure de cette zone saturée coïncide
avec le fond du ravin. Tant que l'affleurement a
lieu, la source continue h couler, mais elle s'ar-
rête dos que par suite d'une sécheresse, l'eau
baisse dans la substance filtrante.
On conçoit que ces deux types principaux de
sources ne concernenl pas les régions dont le
sol est constitué par des roches imperméables et
fissurées. Dans ce cas, les sources ne sont pas
autre chose que l'arrivée au jour, grâce aux ondu-
lations du terrain, de l'extrémité d'un réseau de
pareilles fissures qui viennent y verser les eaux
qui y circulent.
C'est à ce même type qu'il faut rattacher les
sources qui sortent des cavernes et qui parfois,
grâce à une forme particulière de ces cavités sou-
terraines, offrent le pl.énomone si étrange à pre-
mière vue de Vinlermittence.
Dans ces divers cas, bien différents des précé-
dents, il n'existe pas à proprement parler de ni-
veaux d'eau. La position des sources, dépendant
de l'allure des crevasses du sol, ne saurait être
devinée de la surface, et il n'y a jamais lieu de
creuser des puits.
Les puits en effet ne sont pas autre chose que
des cavités creusées jusqu'à un niveau d'eau. Leur
funcement est donc la reproduction en grand de
ce jeu d'enfants auquel nous faisions allusion
tout à l'heure. Nous n'avons évidemment pas à
entrer dans la description des procédés mis en
œuvre pour creuser les puits; disons seulement
que les difficultés sent très différentes selon la
dureté ou la tendance à l'éboulement des roches
à traverser; selon aussi la distance à franchir pour
parvenir au niveau d'eau. On cite des puits qui
ont (iU mètres de profondeur. Parmi les dangers
que courent les puisatiers, il faut mentionner
surtout les éboulements et les dégagements de gaz
carbonique impropre à la respiration.
Tout ce qui précède concerne, comme nous l'a-
vons dit, le cas, très souvent réalisé dans la nature,
où dos roches poreuses reposent sur des couches
imperméables. Si cette disposition est extrême-
ment fréquente, elle est loin d'être la seule qui
puisse se présenter, et il faut voir rapidement ce
qui a lieu dans les autres cas prévus plus haut.
Si la surface est imperméable, quelle que soit la
roche sous-jacente, le régime des eaux n'en est
pas influencé. Il faut cependant noter que si la
couche du haut offre quelque part une solution de
continuité, les eaux sont appelées par les masses
poreuses du fond, de sorte qu'il résulte de cette
disposition lout la contraire des sources : des
points où la terre, loin de fournir de l'eau, absorbe
celle que peut lui parvenir. Suivant les cas on
appelle boit tout, tjétoires, gvu/fres,elc.,\es points
offrant ce caractère, et c'est souvent à eux que les
rivières telles que le Rhône doivent de disparaître
dans le sol pour revenir au jour à une distance
plus ou moins considérable. Il faut d'ailleurs bien
distinguer le cas qui nous occupe de celui de
cavernes ou autres cavités dans lesquelles les
eaux superficielles peuvent également s'engouffrer.
La disposition que nous venons de décrire est
parfois utilisée. Elle permet en effet d'assécher
des points rendus impraticables par le séjour des
eaux. Dans ce cas on creuse ce qu'on appelle des
puits absorbants. C'est par exemple ce qu'on a fait
dans certaines exploitations d'argile qui. comme à
Issy et Vaugirard, reposent sur des couches po-
reuses. Ces exploitations constituent de vastes
bassins où se réunit l'eau des pluies ; mais on
les assèche aisément par des puits absorbants
pénétrant jusqu'à la craie. Le même arlifice est
souvent employé dans les mines. On y a recours
aussi quand on veut assainir des régions maréca-
geuses telles que la Sologne, dont le sous-sol est
perméable, et l'agriculture en a plus d'une fois
tiré un parti important.
Un troisième cas à considérer concerne l'inter-
calation d'une couche imperméable entre deux
terrains perméables. Il est clair que cette couche
imperméable établit une séparation presque abso-
lue entre les deux masses poreuses, et qu'à sa sur-
face supérieure existe un niveau d'eau. Au-des-
sous d'elle la roche perméable se comporte diffé-
remment suivant qu'elle est ou non en communica-
tion latérale avec la surface. Si la communication a
lieu, le cas rentre, comme on va voir, dans le qua-
trième cas décrit plus bas. Si au contraire la roche
est séparée de la surface par des masses étanches,
l'eau qu'elle contient et qui y est renfermée depuis
l'antique époque du dépôt de la couche imper-
méable y constitue une sorte de niveau sta-
gnant. Parmi les exemples, d'ailleurs assez rares,
de cette disposition, il faut citer tout spéciale-
PUITS ET SOURCES — 1771 — PUITS ET SOURCES
ment le niveau d'eau qu'on a dû franchir pour
percer les puits destinés, aux environs d'Anzin,
à l'exploitation du charbon de terre. Ce niveau,
connu sous le nom de torrent d'Ayizin, paraît re-
présenter un résidu de la mer crétacée dans la-
quelle se sont déposés les matériaux qui consti-
tuent les couches superposées au terrain houiller.
Il est absolument séparé de la surface par d'é-
paisses couches argileuses appelées dtéves.
Arrivons, pour terminer cette énumération, au
quatrième cas, relatif, comme on l'a vu, à une
couche perméable comprise entre deux cou-
ches imperméables. Il offre un intérêt tout parti-
culier.
Par suite même de la forme ordinaire des cou-
ches géologiques qui la constituent, comme des cu-
vettes emboîtées les unes dans les autres, l'assise
perméable ainsi pincée entre des roches étanches
vient affleurer par sa tranche à la surperflcie du
sol ; les eaux de la surface y pénètrent donc en
suivant les déclivités et tendent à s'accumuler
dans les parties les plus basses qui se saturent
avant les autres. Si, comme le cas est fréquent,
ces parties basses sont comprises sur certains
points de l'affleurement mémo de la couche, on
voit qu'il en résulte des sources et que la coupe
géologique d'une localité offrant cette disposiliqn
est comparable Ji celle d'un tube incliné à parois
étanches, alimenté par en haut et librement ouvert
par en bas. Or, il résulte de cette remarque que
si l'on suppose une ouverture pratiquée en un
point quelconque de la paroi supérieure du tube,
non seulement l'eau sort par cette ouverture,
mais elle jaillit verticalement i une hauteur qui
dépendra i la fois de celle du réservoir d'alimen-
tation et de la distance horizontale comprise entre
l'ouverture et ce même réservoir.
La supposition que nous venons de faire n'est
pas un simple produit de l'imagination : elle est
au contraire souvent réalisée. C'est ainsi qu'en
Algérie on rencontre dans un grand nombre de
localités des sources jaillissantes dont le volume
est parfois considérable et dont l'oriflce est entouré
d'une végétation qui contraste avec la stérilité
des régions voisines. Quand on étudie la consti-
tution géologique et hydrologique de la contrée,
on voit qu'elle rentre exactement dans la dispo-
sition que nous venons de décrire : une couche
perméable reposant sur des roches compactes et
recouvertes de dépots argileux est alimentée par
sa tranche redressée qui affleure dans les monta-
gnes; au contraire, elle se décharge du côté du
Soudan à l'affleurement de son bord opposé.
On ne saurait trop distinguer les sources
jaillissanles, sensiblement froides, des jets d'eau
chaude de l'Irlande, des Etats-Unis et de la Nou-
velle-Zélande, connus sous le nom de geysers, et qui
se rapprochent intimement des éruptions volcani-
ques. Leur ascension est due en effet non pas à la
pression hydrostatique, comme en Algérie, mais à
la force élastique de la vapeur d'eau fortement
chauffée dans les laboratoires souterrains. Les
geysers et les sources de vapeurs appelées souf-
flnrds (sof/ioni, en Toscane) nous conduisent
à faire remarquer que l'eau en vapeur est le
moteur des éruptions volcaniques, et que, sans
exagération aucune, tout volcan doit être consi-
déré comme une véritable source : conclusion ren-
due d'ailleurs moins étrange par l'observation
des souices thermales, dont la température est
parfois très élevée.
Quoi qu'il en soit, le phénomène des sources
jaillissantes dont la disposition a été décrite tout
;i l'hi'ure, a été maintes fois et est tous les jours
imité par l'homme. C'est lui qui fait monter l'eau
de nos puits artésie7is. On sait comment la cons-
truction, ou, comme on dit, le forage de ceux-ci a
procuré dans maintes circonstances d'importants
avantages. Les puits artésiens fournissent par-
fois des quantités d'eau considérables : nous en
avons la preuve dans Paris même pour le puits
de Grenelle, dont la profondeur est de 548 mètres.
Une partie de la rivo gauche est par lui alimen-
tée d'une eau très pure fournie par des cou-
ches du gault (terrain crétacé inférieur), qui
affleurent en Champagne où elles absorbent les
pluies. Dans le Sahara algérien, des forages du
même genre, véritable imitation des sources jail-
lissantes mentionnées tout à l'heure, ont rem-
placé en maints endroits la stérilité naturelle du
sol par la verdure des oasis.
L'eau des puits artésiens est tiède et sa tempé-
rature, proportionnée ."i la profondeur des sonda-
ges, est susceptible de diverses applications.
Arago voulait qu'on chauffât au moins partielle-
ment l'hôtel des Invalides avec l'eau du puits de
Grenelle. A Erfurth, une cressonnière chauffée de
cette façon donne des bénéfices considérables, et
aux environs de Stuttgart on a eu l'ingénieuse
idée de réunir des eaux artésiennes en un bassin
dont la température est si douce que le plaisir
de la natation y est possible même en hiver.
Pour compléter cette étude très rapide des
sources de tous genres, il faudrait décrire les di-
verses substances qu'elles tiennent en dissolu-
tion ou en suspension et qu'elles déposent, soit
dans les canaux qui les portent au jour, soit dans
les bassins où elles s'épanchent. Disons seule-
ment ici que les fontaines in'-rustantes sont
loin d'être rares ; la plupart de celles qui sortent
des roches calcaires déposent des slntactiles et des
stalagmites, sortes de sculptures naturelles dont
beaucoup de grottes sont élégamment ornées. Il
est des sources qui déposent de même du cal-
caire sous formes do petites boules à couches
concentriques, et on en a conclu avec la plus
grande logique que les épaisses assises de cal-
caires oolithiques comprises dans la série gîolo-
gique représentent des dépots analogues de volu-
mineuses sources depuis longtemps taries. Les
sources therni'iles, dont nous avons cité le nom
tout à l'heure, sont remarquablfs par la variété
des substances qu'elles tiennent en dissolution et
que, par conséquent, elles déposent dans les con-
ditions convenables. Les études faites sur ce
grand sujet ont démontré que la plupart des
filins métallifères ne sont pas autre chose que
des canaux de très antiques sources thermales
incrustées des produits que leurs eaux dissol-
vaient. De même on a de fortes raisons de suppo-
ser que beaucoup d'argiles sont des résultats de
précipitations analogues.
Enfin, il existe toute une série de matériaux
différents qu'on regarde comme ayant été charriés
sous formes de sables par des eaux venant de la
profondeur. On les désigne sous le nom d'allu-
«ions verticales, et on considère comme un des
meilleurs types qu'on en puisse citer les sables
exploités au cap de Conne-Esporance pour les in-
nombrables diamants qu'ils renferment.
[Stanislas Meunier.]
PYKA.MIDES. — V. Polyèdres.
QUATERNAIRE (TERRAIN) - 1772 — QUATERNAIRE (TERRAIN)
Q
QUADRILATÈRES. —V. Polygones.
QUADRUMANES. — V. Singes.
QUARTZ. — V. Silice.
QUATERNAIRE (Terrain). — Géologie, IX. —
Le terrain quaternaire, dont l'autonomie ne sau-
rait être contestée, qui n'est ni le terrain actuel, ni
le terrain tertiaire, se soude si intimement avec .ses
deux voisins que les limites communes sont bien
souvent insaisissables. A cet égard, il suffira de
rappeler qu'un très grand nombre de dépôts,
considérés longtemps comme appartenant au plio-
cène supérieur, sont classés maintenant par beau-
coup de stratigraphes dans le terrain quaternaire.
Les sables de Saint-Prest, aux environs de Char-
tres, sont dans ce cas, ainsi que le limon des pla-
teaux d'une foule de régions.
A l'inverse, le diluviura des rivières, celui de
la Seine, par exemple, se rattache de toutes les
façons aux alluvions contemporaines : par l'allure,
par la composition lilhologique, par les fossiles
eux-mêmes.
Le temps présent n'est évidemment que la
suite, sans hiatus, du temps quaternaire, et celui-
ci, par conséquent, présente cet intérêt spécial
de jeter un véritable pont entre la géologie
et l'histoire.
La même notion nous sera fournie également
par le spectacle de la continuité des actions géo-
logiques sur un point donné, depuis la période
quaternaire la mieux caractérisée jusqu'à nos
jours.
Tel est le cas, par exemple, pour certaines
tourbières dont les assises les plus inférieures sont,
sans aucun doute, contemporaines de la période
que nous avons en vue, tandis que leur couche
la plus externe est actuellement encore en pleine
végétation.
Parfois, un lien du même genre apparaît entre
les couches quaternaires et le terrain tertiaire
sous-jacent. L'argile à silex qui, aux environs
de Chartres, est sans doute éocèno et liée intime-
ment à l'argile plastique, n'a cesse depuis lors
de se produtre pendant tous les temps tertiaires
et quaternaires, de façon qu'autour d'Evreux, elle
est post-miocène et qu'auprès d'Amiens elle passe
avec des transitions insensibles au diluvium rouge.
Il se présente même des cas où une formation
quaternaire donnée aura comme des racines dans
le passé et des épanouissements à l'époque ac-
tuelle. Ainsi le terrain quaternaire de l'Alher
montre à Vichy des calcaires globulifères aux-
quels font suite immédiatement les dépôts des
sources gazeuses, et l'on reconnaît que certains
dépôts filoniims témoignent dans le même lieu
d'une activité plus ancienne du même mécanisme
géologique.
La considération d'une pareille continuité ac-
quiert une nouvelle importance si l'on remarque
qu'elle a subsisté malgré des variations dans les
conditions de la surface.
Il est indiscutable qu'à certains moments de
la période quaternaire, notre pays présentait au
moins par places la climatologie actuelle des
régions boréales. Et c'est une contre-partie bien
frappant!- de la température élevée dont avaient
joui antérieurement le Spitzberg et le Groenland.
Alors le Périgord était habité par une faune
polaire. Les Vosges, le Jura, le Cantal étaient
couverts de grands glaciers.
A l'époque quaternaire aussi, il existait, dans
la région maintenant si tranquille de la France
centrale, des volcans en pleine activité ; et comme le
lac tertiaire delà Limagne était déjà desséclié,ilest
peut-être inciqué de chercher justement dans les
glaciers le réservoir d'où venaient les infiltrations
aqueuses indispensables aux manifestations vol-
caniques.
Cependant, comme par une contradiction fla-
grante, au moins en apparence, nous rencontrons
à la période quaternaire des preuves d'un climat
plus doux que celui de nos jours.
Dans certains dépôts, les éléphants pullulent
avec les rhinocéros et les antilopes, c'est-à-dire
dans les conditions d'association que nous offrent
maintenant les locaUtés les plus chaudes de
l'Afrique.
En mêrtle temps, les figuiers prospéraient à
Jloret, c'est-à-dire sensiblement sous la latitude
d'Argenteuil où, comme on sait, on ne parvient à
préserver ces arbres des rigueurs de l'hiver qu'en
enterrant leurs branches pendant toute la durée
des froids.
La surface de notre pays a donc passé, pendant
la durée des temps quaternaires, par des vissisci-
tudes de froid et de chaud dont les extrêmes sont
fort distants.
Ces conditions ont paru extraordinaires à divers
géologuus qui, pour les expliquer, ont eu recours
i des hypothèses parfois fort compliquées. C'est
cependant bien à tort qu'on a voulu faire de l'é-
poque quaternaire une période exceptionnelle au
|)oint de vue climatérique. L'erreur commise à cet
égard vient surtout de ce qu'on s'est en général
fait une notion tout à fait fausse des durées dont
on a voulu rendre compte.
Or, un des points les plus intéressants de l'his-
toire des terrains quaternaires est la découverte
qu'on y a faite en plusieurs localités de véritahle,
chroiiumètres naturels qui permettent, non pas de
mesurer la durée de la période qui nous occupe,
mais de reconnaître, par des aperçus inattaqua-
bles, qu'elle s'est prolongée pendant un laps de
temps infiniment supérieur à celui que, dans les
idées primitives, on attribuait à l'histoire tout en-
tière de la terre.
L'une des pi-eniières conséquences de ce grand
résultat, c'est qu'on n'est nullement autorisé à
faire intervenir dans l'explication des phénomènes
quaternaires ces effets violents réunis sous la
qualification de cataclysmes. Et ceci mérite évi-
demment de nous arrêter un moment.
Il est, en effet, très remarquable qu'à l'orignie
de la science, la tendance générale a été d'invo-
quer l'intervention d'agents énergiques et brus-
ques pour expliquer tous les faits observés. Il en
résultait un contraste complet entre le pané,
période de bouleversements incessants, et \e. pré-
sent où régnent, au contraire, la stabilité et le
Peu à peu, des observations plus précises firent
restreindre de plus en plus le domaine des cata-
clysmes et amenèrent à voir dans l'Iiistoire du
globe une longue et lente évolution. Mais, fait
bien imprévu, le dernier refuge des suppositions
extraordinaires se trouve être encore cette pé-
riode quaternaire qui, étant la plus voisine de
nous, semblait devoir être la plus analogue à
la nôtre.
On explique d'ailleurs aisément cette ano-
malie par le nombre considérable de phénomènes
qui se sont développés entre l'époque tertiaire et
l'époque actuelle et par le peu de temps que,
d'une manière toute gratuite il est vrai, on a
cru devoir leur attribuer.
QUATERNAIRE (TERRAIN) — 1773 — QUATERNAIRE (TERRAIN)
Mais le point do vue cliange du tout au tout si
l'on éludie les clironomètres auxquels nous venons
de faire allusion : ils montrent que les temps (|ua-
ternaires représentent des centaines de milliers
d'années, et dès lors ils imposent la nécessité de
repousser l'iiypotlièse des révolutions, pour em-
ployer une expression consacrée parCuvier.
Grâce à la comparaison facile à poursuivre en-
tre les terrains quaternaires et le terrain actuel,
on arrive à se faire aussi une idée toute nouvelle
du mécanisme en vertu duquel s'exercent les ac-
tions géologiques.
L'histoire, même rapide, des terrains quaternai-
res se divise naturellement en deux chapitres
d'égale importance :
1° La description des formations qui datent de
cette période ;
2° La reconstitution par voie d'induction des
phénomènes, maintenant terminés, qui ont donné
lieu à ses traits géologiques.
Dans la première catégorie, il y a à considé-
rer :
a) Les couches dites diluviennes;
h) Les brèches osseuses ;
c) Les dépôts concrétioiinés ;
d] Les produits éruptifs, etc.
Dans la seconde :
a) Les fractures du sol;
b) Les soulèvements et les affaissements ;
c' Les glaciers;
d) Les érosions auxquelles sont dues nos vallées
et la configuration de nos côtes ;
e) Les volcans.
Toutefois cette division ne saurait être absolue,
et il est indispensable de rapprocher à chaque
instant ces deux modes complémentaires d'infor-
mation.
Couches dites diluviennes et creusement des
VALLÉES. — Nous avons un premier exemple de cette
liaison mutuelle h propos des premiers terrains
quaternaires qui se présentent tout naturellement
à nous et qui rentrent dans la vaste catégorie des
terrains de transport.
Placés à un point de vue dont le peu de fonde-
ment apparaît cliaque jour davantage, les pre-
miers géologues qui s'occupèrent des terrains
<)uaternaires les identifièrent avec le produit de
prétendues inondations brusques et générales,
qu'ils rattachaient à la vieille tradition d'un dé-
luge universel.
De là ces noms de terrains diluvieyis et de di-
luvium dont certaines couches ne sont pas parve-
nues à se débarrasser encore.
Le type de ces terrains est fourni par une for-
mation qu'on peut étudier à, Paris même, qui se
retrouve dans la plupart des vallées de la France
et qu'on appelle le diluviwn gris. Il se présente
en longues traînées au fond de ces dépressions
du sol, recouvrant le terrain plus ancien en
siratification tout à fait discordante. Les maté-
riaux qui le constituent sont analogues pour la
plupart aux roches en place les plus voisines, et
c'est ainsi qu'à Paris ce qui y domine ce sont
des débris de meulières, de silex de la craie et du
calcaire grossier, de ménilithes des teirains gyp-
seux et de Saint-Ouen , de grès quarlzeux de
Beauchamp et de Fontainebleau, des fossiles di-
vers roulés. Avec ces fragments se montrent des
galets granitiques parfois volumineux et prove-
nant évidemment du Morvan.
Suivant les points, ces éléments minéraux sont
les uns sous la forme de cailloux et de graviers
plus ou moins gros, d'autres à l'état de sables;
d'autres enfin, réduits en particules très ténues,
forment çà et là des lentilles limoneuses. La roche
s'appelle alors Iwss.
Outre les fossiles roulés que nous avons signa-
lés tout à l'heure, on y recueille des débris d'ê-
tres ayant vécu à l'époque du dépôt des terrains
qui les renferment.
Ces débris dans les graviers consistent en gros
ossements appartenant pour la plupart à des
mammifères. Les uns proviennent d'animaux sem-
blables à ceux qui vivent encore dans la localité,
comme le cheval et le boeuf; d'autres représen-
tent des espèces qui, à l'heure actuelle, ont émi-
gré dans des régions fort différentes, comme
l'hippopotame, confiné dans les pays chauds, et
le bœuf musqué, le renne, le bison, propres aux
pays froids; d'autres enfin à des animaux absolu-
ment disparus de la faune actuelle, comme le
mammouth, le rhinocéros à narines cloisonnées,
le grand ours des cavernes et une foule d'autres.
Dans des couches fines, où des débris plus déli-
cats ont pu se conserver, on recueille en abondance
de petites coquilles parmi lesquelles il y a lieu de
faire un triage tout à fait semblable à celui qui
précède.
Les mêmes couches fournissent en abondance
des preuves variées de l'existence de l'homme
dès le début des temps quaternaires. — V. Préhis-
toriques (pi'pulalions).
L'origine du diluvium gris et du lœss a été
l'objet de beaucoup d'hypothèses.
Un fait dont il faut tenir compte avant tout,
c'est la liaison évidente de ces dépôts avec la
forme des vallées et par conséquent avec le creu-
sement de celles-ci.
En générai, ou a rattaché ces formations à un
rabotage subit, et, malgré cette communauté de
point de vue, les géologues ont émis trois tliéories
principales et contradictoires.
Dans l'une, défendue surtout par Belgrand, la
vallée aurait été creusée par un fleuve gigantesque
qui la remplissait d'un bout à l'autre et qui se
mouvait avec une vitesse considérable. Le dilu-
vium représente le sable charrié par ce fleuve
gigantesque. On ne peut, cependant, ucceptcr cette
manière de voir, car il est impossible de concevoir
un mode convenable d'alimentation pour des fleuves
de semblable débit. La supposition de pluies con-
tinuelles ne suffirait pas pour l'expliquer, et
d'ailleurs cette supposition ne serait aucunement
légitime.
Une deuxième opinion, émise par Lyell, con-
siste à croire que les vallées ont été creusées par
des glaciers qui ont transporté les fragments
pierreux du diluvium comme des blocs erratiques
et le lœss comme de la boue glaciaire. Certaines
vallées ont, en efl'et, cette origine, dans les hautes
montagnes tout spécialement; mais on les recon-
naît à une foule do caractères spéciaux, et l'hypo-
thèse ne peut plus s'appliquer aux vallées des pays
de plaines, connue celles de la Seine, de la
Somme, de la Dordogne, etc.
Enfin, M. Hébert a supposé que le diluvium
est d'origine marine ; c'est-à-dire qu'il s'est dé-
posé à la suite d'un double mouvement de bascule
du sol qui, après avoir admis l'eau de la mer sur
toute la surface de la France, l'a rejetée rapidement
dans son lit actuel. Ici, les objections se présen-
tent à chaque pas, et cette supposition est très
généralement abandonnée.
Le défaut commun de ces diverses hypothèses
est de vouloir ramener à une même origine tous
les éléments du terrain quaternaire. Or, ceux-ci
sont très variés et dérivent réellement do causes
très diverses.
Si on ne considère d'abord que le diluvium gris,
on arrive à reconnaître qu'une hypothèse fluvia-
tile peut seule convenir pour en expliquer l'o-
rigine. Mais il faut faire subir à l'opinion de
Belgrand des modifications convenables. L'examen
des rivières actuelles montre qu'elles modifient
constamment leur cours ; leurs anses se déplacent
constamment, et au bout d'un temps suffisant, qui
QUATERNAIRE (TERRAIN) — 1774 — QUATERNAIRE (TERRAIN)
n'est pas très long, elles ont remanié tout le terrain
qui constitue le fond de leur vallée. Il résulte de
cette nbser\-ation qu'une rivière étroite peut
remanier une bande très large de matériaux de
toute sorte et l'on voit que les traînées de dilu-
vium peuvent provenir de cours d'eau analogues
à ceux qui coulent sous nos yeux.
Toutefois, ceci n'explique pas le gisement si
lions concourent à démontrer que le régime de la
mer n'a pas varié d'une manière sensible depuis
les temps quaternaires, dont divers moments sont
caractérisés par le dépôt de lambeaux aujourd'hui
soulevés sur les deux rives. 11 résulte de li qu'on
peut, en partant du taux actuel de la dénudation,
rechercher de combien d'années il faut remonter
en arrière pour revenir à l'époque où la côte fran-
fréquent de diluviura sur les flancs des vallées ! çaise et la côte anglaise étaient en contact, où
bien au-dessus du niveau atteint par les rivières
lors des plus fortes crues. Mais cette seconde parti-
cularité provient de ce que le sol de notre conti-
nent, par exemple dans la vallée de la Seine,
subit depuis le commencement du temps quater-
naire un exhaussement lent et continu. Belgrand
lui-même évalue à 50 ou 60 mètres le soulèvement
dont il s'agit.
Quant aux gros blocs de granité et d'autres
roches provenant du haut de la vallée, il faut
admettre qu'ils sont dus à des transports par la
glace, et chaque hiver on les voit se reproduire.
On voit en résumé que la recherche de l'origine
du diluvium conduit à la théorie du creusement
des vallées par un mécanisme absolument compa-
rable i. celui qui tous les jours, sous nos pas,
continue à modifier les détails du relief du sol.
La même manière de voir, tout entière du do-
maine des causes actuelles, s'applique également
au creusement de certaines vallées marines.
Par exemple, on a la preuve qu'au début de
l'époque quaternaire, l'Angleterre et la France
étaient unies par la terre ferme. Même, jusqu'à la
fin de la période jurassique, une terre émergée,
s'étendant de Londres vers Calais, Douai et l'Ar-
denne, servait de rivage à un vaste golfe anglo-
parisien. Ce golfe, dirigé du S.-E. au N.-O., em-
brassait bien la partie centrale du canal de la
Manche ; mais à l'est, de Calais à Douvres, comme
à l'ouest, du Cotentin aux Cornouailles, une bar-
rière de roches anciennes séparait cette partie
centrale soit de la mer du Nord, soit de l'Atlanti-
que.
L'Angleterre et la France se tenaient donc par
deux langues de terre, qui différaient l'une de
l'autre par les dimensions et par la structure.
L'isthme de l'ouest était gigantesque par rap-
port h l'autre et il était de granité, de gneiss et de
porphyre, c'est-à-dire de roches bien difficilement
désagrégeables, tandis que l'isthme de Calais était
constitué par les couches comparativement tendres
des terrains stratifiés.
Cependant la démolition du premier, le gigantes-
que et le résistant, semble aux géologues infiniment
plus facile à comprendre que celle de l'autre, le mi-
nuscule et le friable. On admet que l'isthme de Cor-
nouailles a disparu à l'époque du calcaire pisoli-
thique, pour reparaître d'ailleurs à l'époque éocène
et ne cesser définitivement d'exister qu'au mo-
ment du calcaire grossier ; tant qu'il s'agit de lui,
personne ne songe à faire intervenir autre chose que
les oscillations lentes du sol et le pouvoir de dénu-
dation de la mer: mais c'est que sa rupture date de
l'époque tertiaire, i'our l'isthme de Calais, on est en
général bien loin de conserver la même mesure.
D'Archiac n'hésitait pas à attribuer son ouverture à
une rupture violente ; et c'est avec surprise que
dans un travail très récent on voit M. Hébert se de-
mander s'il faut voir « dans les phénomènes volca-
niques de la région rhénane la cause ou du moins
un fait concomitant de celte rupture.» On no saurait
évidemment accepter une pareille manière Oe voir.
Les phénomènes d'observation directe fournissent
tout ce qu'il faut pour rendre compte de l'ouver-
ture du Pas-de-Calais. Tout le monde sait avec
quelle énergie la mer démolit les falaises. Dans la
Manche, le littoral se modifie constamment, et l'on
admet que la terre ferme perd en moyenne chaque
année 1 mètre de largeur. Une foule d'observa-
par conséquent l'isthme existait encore.
On arrive ainsi à des chiffres qu'il est sans in-
térêt de donner, car ils ne sauraient être consi-
dérés comme rigoureux, mais qui, en tous cas,
sont compris sans hésitation dans le laps de temps
qu'il est indispensable d'accorder à la période qua-
ternaire. Si donc on admet, conformément aux
suppositions rappelées plus haut, que l'ouverture
du canal soit le produit d'une convulsion cataclys-
mique, il faut nécessairement admettre que cette
crise a été suivie d'une période 1res prolongée de
repos absolu, pendant laquelle la mer n'attaquait
pas ses falaises et se comportait par conséquent
tout autrement qu'aujourd'hui. Ce qui est une
hypothèse évidemment inacceptable.
D'ailleurs le procédé de corrosion graduelle au-
quel le canal de la Manche doit son existence est
démontré également par le relief même du fond
de la mer. Ce canal n'est pas, en effet, comme con-
duiraient à le faire supposer les vues que nous
combattons, une fissure à bords escarpés, analogue
à une faille largement ouverte. Sa profondeur est
partout proportionnelle à sa longueur; de telle
sorte qu'une espèce de dos d'âne existe précisé-
ment au travers du canal en son point le plus ré-
tréci; dos d'àne dont les deux versants descen-
dent d'une manière tout à fait uniforme et régu-
lière vers la mer du Nord et vers l'Atlantique.
Lœss. — Nous avons dit plus haut qu'on ap-
pelle loess les portions fines et limoneuses du
diluvium gris. Quant à son origine, elle n'est cer-
tainement pas la même partout.
Dans les vallées descendant des hautes monta-
gnes à glaciers telles que les Alpes et les Pyrénées,
il est nécessaire d'y voir une véritable boue gla-
ciaire. Mais on ne peut adopter une semblable
origine pour le lœss des vallées de plaines. A
MeuJon, par exemple, cette formation se présente
comme un placage à flanc de coteau à plus de
100 mètres au-dessus du flanc de la vallée.
Dans ce cas il serait légitime d'y voir un pro-
duit de sédimentation atmosphérique, c'est-à-dire
de le rattacher à l'action géologique des vents.
C'est ce que justifient amplement les observations
de M. Virlet d'Aoust, qui a assisté au Mexique à la
production actuelle d'un vrai lœss accumulé en
certains points par des courants réguhers de l'o-
céan aérien.
Diluvium rouge. — On appelle diluvium rouge
un dépôt dont les caractères généraux sont iden-
iiquement ceux du diluvium gris, sauf la présence
d'une argile rouge qui le colore fortement. Quand
les deux diluviums sont associés, ce qui est loin
d'être rare, le rouge est toujours sur le gris; les
deux formations sont fréquemment isolées l'une
de l'autre. Si le diluvium rouge repose directe-
ment sur une roche calcaire, on remarque que la
surface supérieure de celle-ci est fortement cor-
rodée et parfois même percée de cavités verticales
et cylindriques très profondes, connues sous le
nom de puits naturels. Des expériences directes
ont fait voir que ces puits se sont nécessairement
creusés de haut en bas, grâce à l'action dissol-
vante des eaux chargées d'acide carbonique. Et
l'on a reconnu non moins sûrement qu'une fois
creusés, ils ont livré passage à des eaux ascendan-
tes chargées de limon rouge qui a coloré des dé-
Dots de diluvium préalablement constitués avec
lu couleur grise ordinaire.
QUATERNAIRE (TERRAIN) — 1775 — QUATERNAIRE (TERRAIN)
Caveii\es. — Les ravinements quaternaires
qui ont acrompagni', comme on vient de le voir,
le dépût du diluvinm rouge, nous préparent i la
rencontre des innombrables cavernes qui ont joué
un rôle très important dans la géologie de la
France i l'époque que nous avons en vue.
Les cavernes ont surtout été étudiées relative-
ment aux débris fossiles qu'on y a rencontrés. V.
Préhistoriques [l'opulations.) — On en trouve dans
toutes les régions de notre pays et tout spéciale-
ment dans les couclies de nature calcaire.
Avant tout, elles résultent des dislocations du
sol. Les vides ainsi produits d'une manière méca-
nique ont été ensuite élargis soit par des sources
thermales, soit par des cours d'eau souterrains,
soit par les vagues de la mer agissant à la base des
falaises.
Le plus souvent les cavernes représentent des
canaux souterrains de la circulation des eaux.
Aussi leurs dimensions sont-elles extrêmement va-
riables. Souvejit ces dimensions nous sont in-
connues. En Carniole, aux Etat-Unis et ailleurs on
en connaît de plusieurs lieues de longueur. Cer-
tains pays, tels que le Jura, sont essentiellement
caverneux. M. Végion estime à un Jj du volume
total les vides que renferme ce massif monta-
gneux.
Le mode de remplissage des cavernes se ratta-
che à leur mode même de formation et en est la
suite naturelle.
Dans un premier temps, les eaux y circulent
constamment et librement. C'est alors la période
d'accroissement de la caverne.
Dans un second temps, les eaux ayant trouvé
une autre voie, la caverne reçoit les éléments de
remplissage.
En effet, chaque fois que des eaux y pénètrent,
soit accidentellement, soit sous forme de ruis-
seaux, elles y ont apporté des sédiments et
ceux-ci sont de diverses sortes.
Tout d'abord doivent être cités des limons, des
sables et des fragments de roches qui se dépo-
sent parfois avec une stratification plus ou moins
nette.
En second lieu, il s'y est fait des concrétions
calcaires sous la double forme de stalactites et de
stalagmites. Souvent, à la suite d'inondations pé-
riodiques, les stalagmites alternent régulièrement
avec le terrain de transport et, pour le dire en
passant, cette disposition remarquable constitue
un véritable chronomètre d'une grande précision
dans les pays oii chaque hiver donne lieu à une
croûte stalagmitique, tandis que chaque été pro-
duit une couche limoneuse.
Un certain nombre de débris organiques sont
accumulés dans les cavernes et contribuent k
leur remplissage. Ce sont, d'une part, des coquil-
les et de petits ossements qui ont pu être char-
riés par le courant. Ce sont des os de gros ani-
maux, provenant des carnassiers qui habitaient les
cavernes ou des bêtes dont ils ont fait leur proie.
Ce sont enfin des coprolithes parfois extrômomeut
abondants.
Ces débris, accumulés dans les crevasses du sol,
mélangés de limon et cimentés par les infiltra-
tions calcaires, constituent les brèches osseuies
dont l'origine a été attribuée d'abord par Cuvier
et ses élèves à de violents charriages réalisés par
les prétendus torrents diluviens.
D ailleurs, les fossiles contenus dans les caver-
nes sont les mêmes qu'on a déjà signalés dans
le diluvium gris. L'iiomme primitif a souvent fait
des cavernes sa demeure et sa sépulture, et c'est
pourquoi l'étude de beaucoup d'entre elles a fourni
des résultats si intéressants.
Calc\iiies concuétionnés. — Nous venons de voir
que dans les cavernes se sont déposés à l'époque
quaternaire des stalactites et des stalagmites cal-
cair.'S. Il en est résulté dos veines d'albâtre par-
fois susceptibles d'exploitation.
Dans d'autres conditions, il s'est fait aussi de la
véritable pierre i bâtir, et nous ne saurions son-
ger à citer toutes les localités où il s'est déve-
loppé une semblable formation; il suffira d'en
mentionner quelques-unes.
A Vicliy, on observe un travertin calcaire en
lits minces de composition et de texture très
variables; on y trouve des ossements appartenant
à la faune quaternaire la mieux caractérisée. Par
places, cette roche est entièrement pisolithiquo,
c'est-à-dire constituée par des globules calcaires
juxtaposés et cimentés entre eux. A Moret, dans
le département de Seine-et-Marne, sa présente
un tuf du même genre intéressant par les débris
de plantes dont il a conservé les empreintes. Ci-
tons spécialement le laurier-tin, l'arbre de Judée
et surtout le figuier sauvage. Les dépôts traverti-
neux de Mamcrs (Sarthe) sont encore plus riches
au point de vue botanique.
TouKBiÈRts. — Déjà nous avons fait allusion
aux tourbières quaternaires. Celles-ci constituent
en définitive les couches les plus profondes des
tourbières actuelles et elles ont fourni à l'anthro-
.pologie et à la paléontologie un nombre considé-
rable d'échantillons importants.
C'est ce qui a lieu, par exemple, dans les dé-
partements de la Somme et de l'Oise. Ailleurs, la
formation de la tourbe a cessé dès l'époque ac-
tuelle, et la tourbe fossile quaternaire est recou-
verte par des dépots de nature diverse. On a un
exemple de cette disparition à l'embouchure de
la Canche, où la tourbe est exploitée sous une
couche de sable et de marne.
AxTEnnissEMENTS LITTORAUX. — On a la preuve
que durant l'époque quaternaire la forme du lit-
toral a changé considérablement en certains
points, tels que la côte méditerranéenne et l'em-
bouchure de la Somme, par suite de l'accumula-
tion des sables charriés par des courants marins.
Le phénomène se poursuit à l'époque actuelle,
et la rapidité de son allure, directement mesurée,
a pu conduire à établir une chronométrio dans cer-
tains dépôts quaternaires.
Plages soulevées. — La forme des côtes s'est
modifiée aussi par suite des soulèvements de cer-
tains points du littoral. Ainsi, près de Calais,
entre Sangatte et le cap Blanc-Nez ; ainsi encore
en plusieurs localités de la Corse, on observe de
véritables plaides soiili:oées,àon\, le sol fournit des
fossiles nettement quaternaires.
Soulèvement des montag.nes. — Durant l'époque
quaternaire diverses montagnes se sont soulevées.
■Telles sont les montagnes d'Agde et de Cette,
dont la base porte des lambeaux quaternaires in-
clinés et qui présentent des brèches osseuses à
des hauteurs considérables au-dessus de la mer.
Volcans. — Le sol de la France centrale a été
durant l'époque quaternaire le tliéàtre de mani-
festations volcaniques très développées. Elles ont
laissé comme vestige une série de petits cratères
dont l'activité a sans doute été alimentée par les
infiltrations aqueuses dériv.mt des grands glaciers
dont nous parlerons tout à l'heure.
Ces volcans, dont les plus beaux spécimens S3
montrent aupi es de Clermont-Ferrand, ont apparu
sur un sol longuement préparé à l'époque ter-
tiaire par les éruptions successives du trachyte et
du basalte. Ils ofl'rent à l'observation un cône de
lapilli à la base duquel commence une coulée do
lave parfois très longue et très épaisse.
On a reconnu ijue tous les volcans do l'Auver-
gne n'ont pas le même âge. Peut-être quelques-
uns d'entre eux sont -ils tertiaires. D'autres,
comme le Puy de Pariou ot le Puy de Gravenoire,
sont extrêmement récents.
L'activité volcanique n'est d'ailleurs pas en-
QUATERNAIRE (TERRAIN) — 1776 — QUINQUINA, QUININE
core éteinte dans cette région, dont le sol exsude
constamment des torrents d'acide carbonique.
Il est bien remarquable que l'Auvergne, cette con-
trée particulièrementtourmentée de la France, vien-
ne fournir des témoignages exceptionnellement élo-
quents de la lenteur des phénomènes quaternaires.
Les cliapeaux de basalte tertiaire ont, en effet,
protégé les couches sous-jacentes contre les
érosions postérieures à leur éruption, tandis que
les intervalles des coulées restaient soumis h
l'action corrosive des agents météoriques. Or, on
trouve des coulées de ce genre à des altitudes ex-
trêmement variées qui correspondent cliacune à l'é-
tat de dénudation du sol au moment où elle s'est
produite. La conséquence est que la dénudation,
loin d'être le résultat d'un violent rabotage causé
par un torrent déchaîné tout à coup, a été un
phénomène continu qui s'est prolongé pendant
tout le temps qui nous sépare de l'époque ter-
tiaire.
Glaciers. — Les glaciers ont laissé à l'époque
quaternaire des vestiges si considérables que
divers géologues ont voulu la caractériser en la
nommant époque glaciaire. Cette qualification tou-
tefois est absolument impropre, les glaciers s'é-
tant montrés bien avant l'époque quaternaire et
ayant persisté depuis.
Quoi qu'il en soit, on a reconnu d'une manière
positive que les glaciers actuels ont eu à l'époque
quaternaire un plus grand développement qu'au-
jourd'hui, et, en second lieu, que des localités
maintenant dépourvues de glace ont été pendant
ce même temps recouvertes de glaciers.
C'est ainsi que de toutes parts dans les Alpes
on voit dans les vallées où sont les glaciers une
grande hauteur de roches polies et moutonnées
au-dessus du niveau de la glace. Souvent aussi
à l'avant des glaciers se trouvent de vastes régions
dont le sol est strié et qui présentent d'anciennes
moraines.
Dans les Pyrénées on retrouve exactement le
même ensemble de faits.
Un autre ordre d'observations plus frappantes en-
core concerne les régions où les traces glaciaires
contrastent avec l'absence absolue de tou;e glace
permanente. Dans le Cantal, par exemple, on trouve
d'énormes moraines qui bornent des vallées, et
qui même, par leurs dispositions spéciales, té-
moignent d'une fusion successive des glaciers qui
les ont accumulées. On en conclut à l'existence de
deux périodes glaciaires parfaitement distinctes.
Le Jura fournit des faits tout h fait semblables et
spécialement des blocs erratiques originaires des
hautes régions des Alpes et qui gisent maintenant
sur les sommets de calcaire secondaire. Ces blocs
erratiques se continuent dans une partie de la
vallée du Rhône. La Bourgogne, les Vosges sont
fortement marquées du sceau des anciens glaciers.
Dans cette dernière région on constate même la
superposition des moraines à des alluvions flu-
viatiles plus anciennes, ce qui est une observation
des plus importantes relativement au régime de la
période qui a immédiatement précédé les temps
actuels.
Conc/usion. — Comme on le voit par ce rapide
résumé, l'étude de l'époque quaternaire est loin
de nous la montrer comme une époque exception-
nelle, signalée par des phénomènes spéciaux.
Cette époque n'a rien d'essentiel qui la distingue
de celles qui l'ont immédiatement précédée ou de
celles qui l'ont immédiatement suivie. Celte coji-
clusion, très différente de l'opinion ordinairement
professée, est aussi irapojtante au point de vue
philosophique qu'au point de vue purement géo-
logique. Elle contribue plus que tout autre fait à
démontrer l'évolution coniinue dont le globe ter-
restre traverse réguhèrement les phases succes-
sives. [Stanislas Meunier.]
QUINQUI.NA, QUIMNE. — Chimie, XXV. — On
donne communément le nom de rjuintjuîna à des
écorces desséchées, d'aspect et de couleur va-
riés, très employées en pharmacie à cause des
principes amers, toniques et fébrifuges qu'elles
renferment. Ces écorces proviennent d'arbres
exotiques appelés quinquinas, kina-kina, « écorce
des écorces » en péruvien, du genre Cinchona de
la famille des Rubiacées *. Le principe actif du
quinquina est un remède héroïque contre la fiè-
vre, la gangrène, la pourriture d'hôpital, les ulcè-
res, etc. C'est un antiseptique et un stimulant ; on
l'administre sous toutes les formes, en potion,
en pommades, en pilules, etc.
Les quinquinas sont des arbres toujours verts,
à feuilles opposées, à fleurs roses odorantes dis-
posées en panicules. On les trouve sur les flancs
des Cordillères au milieu des forêts vierges, à des
hauteurs variant de lOOOà 3000 mètres au-dessus
du niveau de la mer, principalement au Venezuela,
il la Nouvelle-Grenade, dans l'Equateur, au Pérou,
dans la Bolivie. Les Hollandais ont introduit les
quinquinas aux Indes il y a une trentaine d'an-
nées ; ils les cultivent aujourd'hui avec succès à
Java. Pour les détails botaniques et historiques
relatifs au quinquina, V. Rubiacées.
Principes actifs du quinquina. Quinine et Cin-
c/ioni/ie. — En 1820, Pelletier et Caventon purent
extraire de l'écorce de quinquina deux substan-
ces, la quinine et la cinchonine, auxquelles celle-
ci doit ses propriétés ; on leur donna, ainsi qu'à
beaucoup d'autres substances semblables naturel-
les ou artificielles, le nom générique d' Alcaloï-
des *, parce qu'au point de vue des propriétés
chimiques, elles se rapprochent des alcalis mi-
néraux. (V. Alcalis.)
La composition de la quinine peut être repré-
sentée par la formule C'^H-'Az^O* ; cette substance
est solide, blanche, fort amère ; elle se dissout
dans l'alcool, l'éther et le chloroforme, tandis
qu'elle est extrêmement peu soluble dans l'eau.
Elle cristallise en retenant de l'eau, et fond h
120° en se décomposant en partie. La quinine se
combine aux acides et forme des sels à base de
quinine dont le sulfate, le chlorhydrate, le bromhy-
drate et le valérianatesont fort employés eu théra-
peutique. On obtient la quinine pure eu versant de
l'ammoniaque dans une dissolution de sulfate de
quinine ; moins puissante que l'ammoniaque, elle
est déplacée et apparaît sous forme de précipité
blanc caséux, amorphe. La quinine pure est très
peu on usage.
Sulfate de quinine. — C'est le véritable agent
quinifère; on consomme 100 fois plus de ce sel
de quinine que de tous les autres ensemble.
Il est surtout employé contre la fièvre. Ce sel
se présente sous forme de longues et minces ai-
guilles flexibles. Il est léger, efflorescent à. l'air,
d'une saveur amère; il se dissout dans <jii parties
d'alcool i froid et dans 30 d'eau bouillante, tandis
qu'il est presque insoluble dans l'eau froide et
dans l'éther. Vers 100° il jouit àe la. phosphores-
cence. Délayé dans l'eau aiguisée par de l'acide
sulfurique, il se dissout et la liqueur prend une
teinte bleue. Ce sulfate ramène au bleu le tour-
nesol rouge ; mais, dissous dans l'eau acidulée,
il donne un sulfate neutre beaucoup plus soluble.
Préparation du sulfate de quinine, ses utnges,
■^es suphisticalions, — Pour obtenir le sulfate
basique, c'est-à-dire qui bleuit le tournesol rouge,
on fait bouillir l'écorce de quimiuina pulvérisée
dans 10 à 12 parties d'eau additionnées de 12
p. 100 d'acide sulfurique ou 25 d'acide chlorhy-
drique. On filtre la décoction et on reprend par
l'eau bouillante un peu moins acidulée. Les li-
queurs refroidies sont traitées par un lait de
chaux ajouté par petites portions; le précipité
contient la quinine, la cinchonine et la matière
RACINE
— 1777 —
RACINE
colorante, puis un excès do chaux et du sulfate
de cliaux; on le comprime après l'avoir laissé
égoutter. On traite le tourteau par l'alcool, et la
dissolution concentrée dépose des cristaux do
cinclionine, si le quinquina était riche en cincho-
nine ; les eaux-mères, traitées par l'acide sulfuri-
que, puis débarrassées de l'alcool par distilla-
tion, laissent déposer des cristaux de sulfate de
quinine. On remplace souvent la chaux par le
carbonate de soude, et l'alcool par d'autres dis-
solvants tels que l'essence de térébenthine et les
huiles lourdes de goudron.
Le sulfate de quinine coûtant fort cher est
souvent sophistiqué ; on y mélange du gypse, du
sucre, de l'acide stéarique, de l'amidon, de l'acide
borique. On reconnaît qu'il contient une subs-
tance minérale quand il laisse un résidu par
l'incinération. Les matières solubles dans l'eau,
comme la gomme, le sucre, restent dans la
liqueur quand on en a précipité la quinine par la
baryte.
Emploi (lu sulfate de quiiune en médecine. —
Le sulfate de quinine est le fébrifuge par excel-
lence ; 25 5. 40 centigrammes coupent rapidement
l'accès d'une fièvre intermittente bénigne, mais il
faut une dose de 1 à 2 grammes pour combattre
efficacement les fièvres pernicieuses des pays
chauds (VVurtz). Le sulfate de quinine s'adminis-
tre aussi contre certaines névroses, puis contre
la goutte, le rhumatisme articulaire, la fièvre
typhoïde. On peut le prendre en potion ; pour cela
on le dissout dans de l'alcool légèrement acidulé
par de l'acide sulfuriciue.
Action des composés de la quinine sur l'écono-
mie. — A faible dose, 15 à 20 centigrammes,
toutes les préparations contenant de la quinine
agissent comme des excitants et activent la respi-
ration et la circulation. A dose plus élevée, elles
produisenr des troubles de la vue, des bourdon-
nements d'oreille et un état général d'ivresse
avec douleur de tête. Il peut ensuite arriver du
délire, des convulsions, l'anéantissement de tou-
tes les forces, le coma et la mort. Un malade qui
échappe dans ce cas se guérit difficilement, et
souvent il ne recouvre pas l'usage de l'ouie ou de
la vue.
Vin de quinquina. — On consomme aujourd'hui
une très grande quantité de vin dit de quinquina,
qu'on peut préparer soi-niôme de la manière sui-
vante : On prend du quinquina gris qui est riche
en tannin, on le concasse finement, puis on en
met 30 à 4» grammes au fond d'un litre en l'arro-
sant de (;0 grammes d'alcool à 20° ; on bouche le
flacon et on laisse séjourner 24 heures en agitant
de temps en temps. On remplit ensuite le litre
avec du vin blanc de Bourgogne ou du Bordeaux
ou du Malaga ; on ferme et on laisse reposer plu-
sieurs jours ; le vin soutiré est tonifiant et forti-
fiant ; il ne faut pas cependant en abuser. Si on
voulait obtenir un vin antifébrile, il faudrait aug-
menter la dose de quinquina.
[Alfred Jacquemart.]
R
UACKS 1IUMA1.\ES. — V. au Supplément.
RACLMÎ. — Botanique, V. — Etym. : Le mot
racine vient du latin radix qui signifie racine.
DépnHiiin. — On désigne généralement sous le
nom de racine la partie du végétal plongée dans
le sol, qui sert à ce végétal à puiser les matières
nutritives dissoutes dont il a besoin, et qui lui
sert aussi à le fixer au sol. Un peu plus loin nous
aurons occasion de donner une définition plus
précise de la racine; mais il nous faut pour cela
connaître certaines particularités de son organisa-
tion.
Extérieur et nomenclature de la racine. —
Lorsqu'une graine a été placée dans des conditions
favorables pour provoquer sa germination, on voit
la région inférieure de l'embryon, ou axe ht/poco-
tylé, percer les téguments séminaux, et, ou bien
se poser simplement sur le sol en s'épatant pour
ainsi dire, ou bien plus généralement pénétrer
dans l'iniorieur du sol et s'y enfoncera une cer-
taine profondeur. Cette région inférieure de l'em-
bryon a reçu le nom de radicule (petite racine),
parce que pendant longtemps on a cru que c'était
elle qui en s'allongeant donnait effectivement nais-
sance à la première racine. Depuis lors, il a été
reconnu que la première raciiie, comme toutes
celles qui la suivront, prend naissance dans l'in-
térieur des tissus des organes existants, et cela
eu n'importe quel point de la plante.
La première racine apparaît généralement dans
l'intérieur des tissus de la région inférieure de
l'axe hypocotylé; son point d'insertion est très
variable d'une plante à l'autre; il est toujours
très large. Le point d'attache de la racine sur un
organe s'appelle tise de la racine. Par suite même
de sa naissance dans l'intérieur des tissus, la ra-
cine est obligée de déchirer les tissus superficiels
qui la recouvrent ; il en résulte comme une colle-
rette autour de sa base. Cette collerette a reçu
2'^ l'AliTIE.
le nom de coléorhize. Le célèbre botaniste fran-
çais Richard considérait la présence ou l'absence
de coléorhize, à la base do la racine principale ou
première racine, comme un caractère distinctif
d'une très grande valeur, et équivalant au carac-
tère fourni par le nombre des cotylédons de
l'embryon. Richard, croyant avoir consulté que
les végétaux monocotylédonés présentaient seuls
une coléorhize à la base do leur première racine,
les qualifia d'emlorhizés, ou végétaux dont les
racines naissent à l'intérieur des autres organes.
Aux endorliizos ou monocotylédonés, Richard op-
posait les exiirhizés ou dicotylédones chez lesquels
il supposait que la première racine provenait de
l'élongation directe de la radicule de leur em-
bryon, lin réalité monocotylédonés et dicotylé-
dones sont endorhizés.
Le S'immtt de la racine, ou extrémité libre de
celle-ci, est le point par lequel cet organe s'accroît
en longueur. Le sommet de la racine est formé de
tissus délicats qu'il importe beaucoup à la plante
de conserver intacts, etdepréservercontre leschocs
extérieurs. A cet effet, ce sommet est entièrement
recouvert d'une couche subéreuse ou liège. On
donne à cette enveloppe protectrice le nom de
coilTe ou pi/orhize. Elle détermine à l'extrémité
des racines un léger renfiement que l'on désignait
autrefois sous le nom de spongioles, parce qu'on
supposait que cette partie de la plante puisait dans
le sol les matières nécessaires à son alimentation.
La pilorhizH présente sa plus grande épaisseur au
sommet môme de la racine ; c'est dans cette ré-
gion, du reste, qu'elle s'accroît et augmente con-
stamment d'épaisseur. De très bonne heure sa
surface extérieure s'exfolie, et souvent on la voit
former des niasses gélatineuses que l'on a regar-
dées comme des excrétions végétales. C'est mime
la croyanci' erronée à une excrétion, ayant pour
voie de sortie les racines, qui a servi de base lire-
112
RACINE
— 1778 —
RACINE
mière à la théorie des assolements ou rotation
des cultures sur un sol déterminé, théorie qui a
une si grande importance en agriculture, mais dont
la véritable raison d'être est tout autre. On sup-
posait, en effet, que les excrélions d'une plante
viciaient peu à peu le sol et le rendaient impropre
à la culture de cette même plante, tandis qu'elles
favorisaient le développement de certaines autres
plantes. De là, la nécessité de varier les cultures
sur un même sol ; de lii des plantes sympathiques
dont la culture successive était prospère, tandis
que la culture de ces mêmes plantes devenait
impossible lorsqu'elles étaient précédées par cer-
taines autres plantes non sympathiques. En réalité
la théorie des assolements repose sur deux faits :
1» la dimension et la forme des racines des végé-
taux cultivés ; 2° la nature des matières absorbées
par ces mêmes végétaux. Supposons en effet que
l'on ensemence de blé un sol disposé h l'avance
pour cela. Tout le monde sait que les racines du
blé (qui appartiennent au groupe des racines fas-
ciculées) s'enfoncent peu profondément dans le
sol, qu'elles s'étalent à peu de distance de la sur-
face de ce dernier. La récolte du blé étant faite,
les matières nutritives contenues dans le sol n'ont
été épuisées que dans les couches superficielles ;
au-dessous de la zone où ont vécu les rai ines du
blé, le sol est demeuré intact. Que l'on sème alors
des navets, plantes qui sont pourvues d'une racine
(dite pivotante) qui s'enfonce assez profondément
dans le sol; ces navets trouveront aisément leur
nourriture dans les régions où les racines du blé
n'ont pas pénétré. La culture du navet réussira
donc fort bien après celle du blé ; la principale
raison pour laquelle ces deux plantes sont sym-
pathiques, c'est que leurs racines vivent, dans le
sol, à des profondeurs différentes.
Lapilorhize, en s'exfoliant, meta nu une partie
des tissus de la racine les plus nouvellement for-
més. Ceux-ci donnent alors naissance à des sortes
de poils que l'on appelle poils radicaux et qui sont
les principaux organes d'absorption de la racine.
Ces poils radicaux n'ont qu'une existence extrê-
mement courte, en accord, du reste, avec leur ra-
pide renouvellement; car les parties nouvellement
découvertes par la chute de la pilorhize produisent
constamment de nouveaux poils radicaux.
Lorsciue la première racine s'allonge beaucoup,
prend un grand développement, et persiste pen-
dant longtemps, on l'appelle ia:ine principale ou
pivot. Si la prédominance du pivot est très mar-
quée, les plantes sont dites à ra ines piv dan tes.
Au contraire, on appelle plantes à racines fasci-
culées celles chez lesquelles la racine principale,
s'allongeant peu, donne immédiatement naissance
à plusieurs racines grêles, sensiblement égales
entre elles.
On appelle racnvs secondaires les racines qui
naissent sur la racine principale ; elles sont d'au-
tant plus jeunos qu'elles sont plus rapprochées du
sommet de la racine principale ; elles peuvent
porter des racines de troisième ordre ; celles-ci à
leur tour peuvent en porter d'autres plus jeunes
qu'elles. L'ensemble de toutes ces racines forme
le chevelu.
On appelle racine adventice toute racine déve-
loppée en un point quelconque du végétal. Lors-
que ces racines adventives doivent séjourner dans
l'air, elles s'entourent d'une sorte de voile, le ve-
lamen, et portent alors plus spécialement le nom
de ruciyies aéricyines. Le velamen est formé par
un tissu qui est une sorte de liège. Ce tissu est or-
dinairement rempli d'air.
Stracture de la racine. — La racine ne présente
qu'un seul faisceau primaire à plusieurs centres
de développement ligneux symétriquement dispo-
sés autour de l'axe de ce faisceau. Cet axe du
faisceau colacide d'ailleurs avec l'axe de la racine
elle-même; il en résulte que le bois primaire se
présente sous forme de lames rayonnantes allant
de la périphérie du faisceau jusque près de son
centre. Ces lames sont formées d'éléments ligneux
qui vont en augmentant de volume de la périphé-
rie vers le centre du faisceau. Les éléments li-
gneux formés les premiers, c'est-à-dire ceux qui
avoisinent la périphérie du faisceau, sont des tra-
chées très grêles; ceux qui suivent, en se rappro-
chant du centre du faisceau, sont des trachées
d'un volume de plus en plus considérable et qui
présentent des spires d'épaississement plus nom-
breuses à mesure qu'elles deviennent plus grosses.
Entre ses lames ligneuses, le faisceau de la racine
présente toujours des îlots libériens constitués à
l'origine par des cellules grillagées et du paren-
chyme libérien. C'est par le tissu libérien que
s'effectue la circulation de la sève élaborée ; c'est
au contraire exclusivement par le bois que l'eau,
absorbée par la racine, pénètre dans la tige pour
se rendre de là dans les diverses parties de la
plante.
Toute la périphérie du faisceau est occupée par
une zone de cellules spéciales, caractérisées par
des épaississement plissés particuliers à ces cel-
lules. Cette zone a reçu le nom de gaine protec-
trice du faisceau; elle sépare le faisceau du reste
des tissus de la racine.
D'une manière générale, le nombre des centres
du faisceau des racines va en diminuant : de la
base au sommet de la racine principale; de la ra-
cine principale aux racines secondaires, tertiaires,
etc. En général aussi, le nombre des centres du
faisceau de cha(|ue racine adventive. née en un
point quelconque de la tige, est plus élevé que
celui des centres du faisceau de chaque racine
secondaire née sur la racine principale.
Dans les Cryptogames vasculaires et dans les
Monocotylédonées, la structure que nous venons
de décrire pour la région centrale de la racine
demeure invariable, quel que soit l'âge, quelles
que soient les dimensions de cette racine.
Dans les Dicotylédonées, au contraire, on voit
s'interposer, entre les massifs ligneux et libérions,
des arcs de cambnim, c'est-à-dire des arcs d'un
tissu jeune dont les éléments se cloisonnent ra-
dialement. Chaque zone cambiale se développe à
la face interne d'un massif libérien, entre ce
massif libérien et les deux lames ligneuses qui
l'enferment. Chacune de ces lames cambiales pro-
duit du bois secondaire vers les massifs ligneux
qu'elle avoisine, et du liber secondaire vers le
massif libérien dont elle recouvre la face interne.
Le bois secondaire est formé de fibres ligneuses,
de gros vaisseaux ponctués ou réticulés, de cellu-
les ligneuses à parois épaissies et de parenchyme
ligneux à parois minces. Le liber secondaire est
composé de grandes cellules grillagées, de paren-
chyjue libérien et d'éléments auxquels leur non-
différenciation a fait donner le nom de fibres pri-
mitives.
Tout le tissu compris entre la surface de la ra-
cine et son faisceau est formé par de grandes ceU
Iules à parois minces; celles de ces cellules qui
sont les plus voisines de la gaine protectrice ne
sont qu'une expansion do celle-ci ; les autres doi-
vent leur origine à une zone génératrice super-
ficielle. Celte zone fournit vers l'intérieur ces
grands éléments à parois minces dont il est qiics-
tion ci-dessus, et vers la surface libre de la racine, i
un tissu protecteur qui joue le rôle de lièqe. La :
surface de la racine est donc toujours formée par
un tissu de nature subéreuse dont la partie agee ^
s'exfolie rapidement.
C'est également un tissu de nature subéreuse
qui donne la pilorhize; quand celle-ci s'exfolie, la
zone génératrice de ce tissu est mise à nu et, par
prolifération de ses élcuionts, elle les orne de
RACINE
— 1770
RACINE (JEAN)
prolongements superficiels comparables à dos
poils. Ce sont ces organes qu'on appelle poils ra-
dicaux.
On appelle assise rhizoyrne la partie des tissus
d'une racine où prennent ordinairement naissance
les racines qui naissent de celle-ci.
Chez les Cryptogames vasculaires, l'assise rliizo-
gène se confond avec la gaine protectrice. Chez
Ses prèles ou equisetum, la gaine protectrice est
divisée en deux couches dont l'extérieure remplit
les fonctions de gaine protectrice et l'intérieure
joue spécialement le rôle d'assise rhizogène. Chez
toutes los cryptogames vasculaires, c'est toujours
une seule cellule de l'assise rhizogène, placée en
regard d'une lame ligneuse, qui forme une nou-
velle racine.
Chez les Phanérogames , l'assise rhizogène
est formée par le rang des cellules les plus
extérieures du faisceau de la racine, par consé-
quent par celles qui touchent la gaine protec-
trice. Les nouvelles racines naissent dans cette
assise rhizogène par la segmentation répétée d'un
groupe de ses cellules placées en regard des lames
ligneuses primitives de la racine.
Les difl'érentes racines successives sont mises
en rapport par des diaphragmes aquifères, c'est-i-
dire des massifs ligneux composés d'éléments
courts, gros, spirales, qui sont appelés à régula-
riser le courant liquide qui marche de la surface
absorbante des racines vers les tiges et les feuilles.
Physiologie de la racine. — Le premier rôle
des racines est de fixer la plante au sol ; ce
qu'elles font en traversant le sol en tous sens, s'y
ramifiant beaucoup, et contractant avec lui des
adhérences nombreuses par les poils radicaux dont
elles sont couvertes.
Le second rôle des racines, c'est d'absorber les
liqueurs salines que le sol contient. Grâce à sa
perméabililé, la surface des racines absorbe par
endosmose les solutions salines très aqueuses con-
tenues dans le sol. Les parties jeunes des racines
sont en effet gorgées de matières albuminoides
très hydratées, liquides ; ces matières sont sépa-
rées des liqueurs salines très aqueuses que le sol
contient par une mince membrane qui n'est autre
chose que la paroi des poils radicaux ; les liqueurs
aqueuses du sol traversent alors tout naturelle-
ment cette membrane et viennent augmenter
l'hydratation de la matière albuminoide. C'est à
ce phénomène que l'on donne le nom d'endos-
mose. Si l'eau qui a pénétré dans les matières al-
buminoides des cellules du tissu superficiel de la
racine, restait dans ces matières, l'absorption s'ar-
rêterait. Deux phénomènes interviennent pour en-
lever cette eau ; le premier est la capillarité, qui
permet à l'eau de s'élever dans les éléments li-
gneux jusqu'à une assez grande hauteur; le se-
cond est la transpiration de la plante, qui a pour
effet de venir en aide à la capillarité et de per-
mettre à la plante de rejeter au dehors l'eau qui
lui est inutile. C'est grâce à cette série de phéno-
mènes qu'il y a un courant d'eau, pour ainsi dire
ininterrompu, du sol dans les poils radicaux, de
ceux-ci dans le bois de la racine, et de ce dernier
dans le bois delà tige et les feuilles. La puissance
même de l'absorption est cause de l'usure et de la
mort rapide des poils radicaux qui doivent sans
cesse être renouvelés.
L'élude de l'absorption des racines a fait con-
- naître plusieurs propriétés de ces racines entre-
vues pour la première fois par de Saussure, et
dont la démonstration rigoureuse a été donnée
■par M. J. Vesque. Voici les principales:
Les racines des plantes sont très sensibles aux
variations de composition du milieu qui les en-
vironne. Lors(|u'on laisse agir pendant longtemps
le même milieu, l'absorption de la racine va di-
minuant aussi bien pour l'eau que pour les sels.
Pour que cotte absorption soit le plus grande pos-
sible, il faut que le milieu environnant varie de
composition. Ces variations sont réalisées dans la
nature par les alternances de pluie et de séche-
resse.
La racine possède la faculté de choisir entre les
diflférentes matières salines celles qui lui convien-
nent le mieux.
Les racines jouent souvent le rôle d'organes de
réserve, d'organes d'hibernation, et d'organes de
dissémination; pour cela elles >e tubérisent^c'esl-
à-dire qu'elles gorgent leurs tissus de matières
nutritives; c'est ce qui a lieu chez la ficaire, le
dahlia, le topinambour, le caruin bulbo-casta-
num, les orchidées, etc.
Plus rarement, les racines jouent le rôle d'or-
ganes de défense, comme cela se voit chez le pal-
mier nommé Thrinax stauracanthn, où toutes les
racines adventives qui naissent à la surface de la
tige, grâce à l'humidité retenue par le revêtement
que forment les vieilles feuilles, se sèchent dès
qu'elles arrivent dans l'air, et s'y transforment en
dards extrêmement acérés.
Dans un certain nombre de végétaux, les racines
coupées en fragments sont employées pour bou-
turer ou multiplier la plante.
Chez la plupart des végétaux, l'ablation du
sommet de la racine en interrompt le développe-
ment en longueur, mais provoque à sa surface le
développement de nombreuses racines secondai-
res. Dans le jardinage, cette opération très usitée
s'appelle rafraîchissement des racines. Elle a pour
but d'assurer à la plante un système radiculaire
puissant, mais qui ne s'étend pas très profondé-
ment dans le sol. Cette opération est toujours
employée lorsque des arbres provenant de semis
doivent être déplacés après quelques années. Ce
rafraîchissement des racines ou repiquage de la
plante réussit d'autant mieux que les racines
sont plus jeunes.
La racine n'existe que chez les plantes pour-
vues de faisceaux; ce qui s'accorde bien avec son
rôle d'appareil chargé de mettre en communica-
tion avec le sol, le bois ou appareil aquifère de la
plante.
La racine fait défaut chez quelques orchidées
et quelques lycopodiacées où elle est remplacée
par des tiges couvertes de poils radicaux. Chez les
Salvinia, plantes flottantes qui croissent en abon-
dance dans les fossés des environs de Bordeaux,
le rôle de racines est confié à des feuilles submer-
gées. Chez les Sélaginelles, ce sont des appendi-
ces secondaires de la surface du stipe appelés
porle-racmes qui jouent le rôle de racines.
[C.-E. Bcrtrand.l
RACINE (Jean). — Littérature française, XV.
— Le plus parfait des poètes tragiques du grand
siècle classique de notre littérature, qui, en mêirie
temps qu'il traduisait sur le théâtre les passions
les plus humaines. Corneille s'étant réservé le
plus héroïques, donnait à leur langage des qualités
si rares dans leur union : l'élégance et la force, la
correction et l'aisance, la dignité et le naturel, la
précision sans sécheresse, tous les mérites qui
rendent la prose durable joints aux charmes d'une
poésie, sinon la plus haute, — Sophocle, Shake-
speare et Goethe l'ont portéo à des régions supé-
rieures, — du moins la plus tendre, quand s'ex-
halent les plaintes résignées de ladouce Iphigénie
ou les regrets d'Andromaque éplorée, la plus
passionnée, avec HermioneetPhèdre, laplusnoble,
avec Agrippine et Athalie.
Né il la rerté-Milon, le 21 décembre IG^iO, non
loin de La Fontaine, et dans ce pays de l'Ile-de-
France, qui est la province de Paris, Racine, fils
de bourgeoisie noble, demeura, dès sa quatrième
année, orphelin de père et de mère, et fnt élevé
sous la tutelle d'un oncle maternel. On peut dire
RACINE (JEAN)
— 1780 —
RACINE (JEAN)
que sa première jeunesse se passa à l'ombre du
sanctuaire, où devaient mourir les derniers accents
de sa muse, purifiée des passions profanes. Destiné
à l'état ecclésiastique, élevé par les « Messieurs de
Port-Roynl », les plus savants éducateurs du xvii"
siècle, réservé, par un oncle chanoine, pour un bé-
néfice, il manifesta de bonne heure son défaut do
vocation, soit dans la pieuse retraite de Port-Royal,
où il lisait en cachette les u Amours de Théagène
et de Chariclée, « soit, pendant son séjour en
Languedoc, cliez le chanoine son parent, d'où il
envoyait h La Fontaine une description enthou-
siaste des « beautés de cette province. «
Quelques années après, le siècle et bientôt la
gloire le possèdent tout entier; il devient l'auteur
déjà applaudi des Frères ennemis (ICti-i) et d'Ale-
xandre (lCG5),deux tragédies qui annoncent quel-
que chose du grand écrivain, mais ne font pas en-
core présager le grand poète. Aussi Corneille, i ce
momeut, lui conseille de quitter le genre drama-
tique. Racine répond par le grand succès à'Andro-
maque (16G7), que suit la johe comédie des Plai-
deurs ^lOUS), imitée d'Aristophane, et plus tard
(1669) par ISrilannicus, u la pièce des connais-
seurs », au dire de Voltaire. Bérenicr (IG"U), une
idylle tragique, écrite, à la demande de la du-
chesse d'Orléans, d'après deux mots de Suétone
et toute une délicate intrigue de cour, mar<iue son
triomphe sur Corneille, qui s'est exercé sur le
même sujet et n'est pas « honoré de tant de lar-
mes. » Après avoir donné, coup sur coup, Bajazel
(1672), Mithridate (16i3), Iphigénie en Aulide
(1674,, Phèdre (1()77), le poète renonce brusque-
ment au théâtre. Douze ans plus tard, toutefois,
i la demande de M°" de Maintenon, il écrit pour
les jeunes pensionnaires de Saint-Cyr la tragédie
biblique d'Esther (16S9), suivie bientôt après d'A-
thalie lliid\).
Il faut s'arrêter, dans cet article d'un Diction-
naire de pédagogie, aux origines d'Est/ier et d'^l-
tUalie, composées toutes les deux pour une maison
d'éducation. Nous verrons plus loin quel parti
peut aujourd'hui tirer de l'œuvre de Racine, non
plus une élite de jeunes filles nobles, rassemblées
dans une école quasi-royale, mais la masse des
enfants de toute la nation que l'État veut ins-
truire dans la connaissance de la langue française
et même de ses chefs-d'oeuvre. Voyons d'abord
quel intérêt « pédagogique « ces deux tragédies
ont eu autrefois, puisqu'elles ont été écrites pour
des élèves, et par quel maître!
Ces chefs-d'œuvre, l'un de délicatesse, l'autre
de force poétique, ont été composés pour l'ins-
truction autant que pour l'amusement. Les jésuites,
sous la direction desquels était en réalité placée
la maison de Saint-Cyr, par l'intermédiaire de
M""^ de Maintenon et du père de La Chaise, ont
toujours été partisans des représentations théâ-
trales, dans leurs collèges. « Madame de Brinon,
première supérieure de Saint-Cyr, aimait les vers
et la comédie ; et, au défaut des pièces de Corneille
et de Racine, qu'elle n'osait faire jouer, elle en
composait de détestables... M'"" de Slaintenon lui
conseilla de faire représenter par ses élèves plutôt
quelque belle pièce de Corneille et de Racine,
choisissant seulement celles où il y aurait le moins
d'amour. Ces petites filles représentèrent Cinna,
assez passablement pour des enfants qui n'avaient
été formées au théâtre que par une vieille reli-
gieuse. Elles jouèrent aussi yl«</i-o»ia'/He,- et, soit
que les actrices en fussent mieux choisies, ou
qu'elles commençassent à prendre des air^ de la
cour, dont elles ne laissaient pas de voir de temps
eu temps ce qu'il y avait de meilleur, oeito pièce
ne fut que trop bien représentée au gré de M""^ do
Jlainteiion, et elle lui fit appréhender que cet
amusement ne leur insinuât des sentiments opposés
h. ceux qu'elle voulait leur inspirer. Cependant,
comme elle était persuadée que ces sortes d'amu-
sements sont bons à la jeunesse, qu'ils donnentde
la grâce, apprennent à mieux prononcer, et cul-
tivent la mémoire, elle écrivit i M. Racine, après
la représentation d'A/idromague : « Nos petites fil-
u les viennent de jouervotre Andromaque, et l'ont
» si bien jouée, qu'elles ne la joueront de leur vie,
)) ni aucune de vos autres pièces. « Elle le pria, dans
cette même lettre, de lui faire, dans ses moments
de loisir, quoique espèce de poème moral ou his-
torique, dont l'amour fût entièrement banni,
ajoutant qu'il lui importait peu que cet ouvrage
fût contre les règles, pourvu qu'il contribuât aux
vues qu'elle avait de divertir les demoiselles de
Saint-Cyr en les instruisant. » {Souvenirs de M"'
de Caylus.j C'est pour obéir à ce désir que Racine
écrivit Esther, en la faisant précéder d'une pré-
face, qui a bien un air de pédagogie modeste et
simple et le ton d'un homme que les sujets d'é-
ducation intéressent, non seulement quandil s'agit
de son fils comme nous le verrons plus loin.
« Pour polir l'esprit de ces demoiselles et leur
former le jugement, dit-il, on a imaginé plusieurs
moyens qui, sans les détourner de leur travail et
de leurs exercices ordinaires, les instruisent en
les divertissant; on leur met pour ainsi dire à
profit leurs heures de récréation ; on leur fait faire
entre elles, sur leurs principaux devoirs, des con-
versations ingénieuses qu'on leur a composées
exprès, ou qu'elles-mêmes composent sur-le-
champ ; on les fait parler sur des histoires qu'on
leur a lues, ou sur les importantes vérités qu'on
leur a enseignées ; on leur fait réciter par cœur et
déclamer les plus beaux endroits des meilleurs
poètes ; et cela leur sert surtout à les défaire de
quantité de mauvaises prononciations qu'elles
pourraient avoir apportées de leurs provinces ; on
a soin aussi de faire apprendre à chanter à celle»
qui ont de la voix et on ne leur laisse pas perdre
un talent qui peut les amuser innocemment. »
N'y a t-il pas làcommeune partie d'un programme
d'bcole normale? Et c'est pour cet amusement
innocent, cet enseignement du chant et cet exer-
cice de bonne prononciation qu Esther fut écrite,
0 les plus excellents vers de notre langue, dit
encore Racine sans songer qu'il fait penser à lui,
ayant été composés sur des matières fort profanes,
et nos plus beaux airs étant sur des paroles extrê-
mement molles et efl'éminées, capables de faire
des impressions dangereuses sur de jeunes es-
prits. '1 II parait qu'Estlier eut quelque peu à
Saint-Cyr la destinée d'A7idro)naque, sa sœur en
poésie; on la joua si bien que M"' de Maintenon
n'osa pas faire représenter ouvertement Alhalie
par ses jeunes élèves, pour lesquelles Racine
l'avait aussi écrite.
Si nous ne proposons plus aujourd'hui de faire
représenter les tragédies de Racine, pour aider
dans nos écoles à la prononciation et au chant,
nous ne craindrons pas de recommander à nos
instituteurs, aux mtiitres et maîtresses de nos
écoles normales d'y chercher les meilleurs pio-
dèlesde l.i langue. Le vers de Racine, d'une facilité
si soignée et d'une aisance savante, recèle tout ce-
que la pensée peut demander à la parole pour se
produire sous toutes ses formes. La science des
Il figures D et les secrets de la syntaxe, on les
trouvera dans cette phrase racinienne, imagée
et logique, et d'une correction qui ne nuit jamais-
au libre génie de la langue. Ce sera là la grande
supériorité de Racine, dans l'école, quand une
fois le maître se sera rendu compte, par une ana-
lyse exacte et minutieuse qu'il est aisé de faire,
le crayon à la main, du mécanisme ingénieux et
brillant de ce style, patiemment élabore par le
plus grand artiste en l'art de dire avec élégaiice
et justesse. Il n'y a pas de règle de la grammaire
ou de la construction des mots qui ne puissent
RACINE (JEAN)
— 1781 —
RACINE (JEAN)
s'appuyer de la pratique de Racine. On trouverait,
dans une seule de sfts tragédies, des modèles frap-
pants de toutes les qualités de langage qui doi-
vent être recommandées aux meilleurs des élèves
de nos classes primaires. Sans parler de la clarté,
cette première vertu du style, la netteté du terme,
sa propriété, sa convenance, son élégance, surtout
sa correction peuvent se relever au hasard des
pagcs^ et des chefs-d'œuvre. Corneille, dont l'in-
spiration est parfois plus haute, n'est pas un si
bon maître dans l'art do bien dire. L'obscurité où
tombe si souvent son sublime, la tautologie, l'af-
fectation, la lourdeur provinciale, inconnue à La
Fontaine et à Racine, l'incorrection d'une plume
impatiente, font de ses œuvres un recueil de beau-
coup moins riche en enseignements de grammaire
exacts et précis.
Le souci de l'exactitude et de la correction du
style est aussi marqué dans plus d'un passage de la
correspondance de Racine avec son fils aine. On y
voit le grand poète diriger la plume du jeune Jean-
Baptiste et la reprendre quand elle commet des
néologismes ou dessolécismes : « Mon cher fils, vous
me faites plaisir de me mander des nouvelles: mais
prenez garde de ne les pas prendre dans la Gazette
de Hollande; car, outre que nous les avons comme
vous, vous y pourriez apprendre certains termes
qui ne valent rien, comme celui de recruter dont
vous vous servez : au lieu de quoi il faut dire
faire des recrues. » Il y a longtemps que recruter
njest plus un néologisme 1 Et ailleurs il le reprend
d'une faute qui est encore fréquente aujourd'hui :
«1 Vous voulez bien que je vous fasse une petite
critique sur un mot de votre dernière lettre. // en
a agi avec toute In politesse du monde; il faut
dire : // en a usé. On Jie dit point : // en a bien agi,
et c'est une mauvaise façon de parler ». En un
autre endroit il le met en garde contre la répéti-
tion des mêmes termes, qui reviennent si sou-
vent sous la plume des enfants et échappent même
à des personnes plus exercées. Mais c'est devant
Boileau-Despréaux que ces lettres du jeune Racine
sont lues, devant Boileau, qui guette au passage
les mots et les syllabes. « M. Despréaux est fort
content de tout ce que vous écrivez du roi d'An-
gleterre. 'Vous voulez bien que je vous dise en
suite à son esprit et le conquiert. Mais les en-
fants de nos écoles comprendront-ils quelque
chose aux tendresses élégantes des Monime et
des Atalida, aux airs de dameret passionné que
prennent Achille lui-même et le tragique Britan-
nicus? Suivront-ils bien, même lorsqu'on les aura
expliquées, sous cette trame discrète et délicate de
la langue de Racine et dans le caractère de ses
personnages, les allusions à l'iiistoire de la cour,
qui est alors l'histoire de France, et à celui qui
la remplit tout entière, le « grand roi? a Pour-
ront-ils comprendre que ce qui a fait le succès de
Racine, en son temps, la peinture fidèle, et sé-
duisante alors pour tous, des mœurs de ses con-
temporains, dont nous ne sommes plus autant
touchés aujourd'hui, est digne d'une sorte d'ad-
miration rétrospective et excite d'autant plus
d'émotion, qu'on a à la fois plus de sensibilité,
d'érudition et de goût? Non, il faut le dire, ce
théâtre de princes et de princesses, où la nature
ne se découvre pas à tous les yeux, sous l'éti-
quette et la pompe, n'est pas fait pour toucher
l'enfance. Il faut que le maître choisisse là où la
passion, qui ne peut pas troubler le cœur de son
élève, lui parlera toutefois clairement et noble-
ment; et il verra que ce qui, dans les chefs-d'œu
vre de Racine, convient le mieux à l'enfance, ce
sont précisément les endroits qui portent le plus
l'empreinte de sa force ou de la maturité de
son génie, les scènes les plushéroïques d'Aiidro-
maque et à'Iptiigénie, celles où il est question da
patiio et de gloire, la douleur de Burrhus, la co-
lère d'Agrippine, les imprécations d'Atlialie.
Le caractère de Racine ne parait pas avoir été
h la hauteur de son génie. Ce n'est que dans le
monde du théâtre et, plus tard, dans le cercle
étroit et même claustral de sa famille qu'il nous
met à même de juger son cœur. Et ce cœur qui
eut des oublis fâcheux, qui manqua de reconnais-
sance pour Molière et de déférence pour Corneille,
se révèle dans les derniers temps avec d'étranges
duretés ou des susceptibilités non viriles.
En IG99, Racine, qui était devenu successive-
ment historiographe du roi, gentilhomme ordi-
naire de la chambre, et trésorier de la généralité
de Moulins, ce qui lui donnait le titre de chevalier
vnfio» »''"?.' ■''"■"'î,.-'® '"' "l qy.sliu'u'ie de et « la satisfaction honorable d'êtr
vos lettres, j'ai soin d'en retrancher les mots d'ic,
de là, de ci, que vous répétez jusqu'à sept à huit
fois dans une page. Ce sont de petites négligences
qu'il faut éviter et qui sont même aisées à éviter.»
Et ce n'est pas seulement dans ces lettres d'un
père à son fils que se rencontrent de ces remar-
ques scrupuleuses sur la langue, que la sollicitude
paternelle pouvait dicter autant que le sentiment
de la correction et de l'élégance. On trouvera dans
les nombreuses notes critiques dont Racine a fait
suivre la courte Epitre dédicatoire du dictionnaire
de l'Académie française par Ch. Perrault, les le-
çons les plus précises et les plus nettement rai-
sonnées de propriété, de justesse, de convenance,
de clarté et d'élégance dans l'expression.
Mais, si plus que dans Corneille, qui fait dési-
rer la perfection dans les œuvres même où son
génie éclate, plus que dans .Molière lui aussi, qui
a de ces « brusques fiertés » d'expression dont le
goût plus prudent de Fénelon et de La Bruyère
s est quelque peu eff'arouché, il est aisé de trouver
dans Racine dos leçons de langue et de style à la
portée des enfants de nos classes primaires ; peut-
il servir autant que ses deux grands contempo-
rains à l'éducation des esprits et des caractères ''
ba pensée peut-elle frapper autant leur intelli-
gence? La férocité héroïque d'Horace, la clémence
majestueuse d'Auguste ont certainement une gran-
deur à laquelle est promptement sensible l'âme de
1 enlant. Il est étonné et il admire. La franchise
tiu gonie de Molière se découvre aussi tout de
-- e enterre avec
des éperons dorés », mourait d'une maladie de
foie, aggravée, dit-on, par le chagrin d'avoir déplu
à Louis XIV. [Charles Loiret.]
Nous donnons ci-dessous quelques jugements
littéraires sur Racine. On trouvera à l'article Théâ-
tre classique une appréciation détaillée de ses
principaux chefs-d'œuvre.
Pakallêle entre Corneille et Racine. — Cor-
neille ne peut être égalé dans les endroits où
il excelle ; il a pour lors un caractère original
et inimitable ; mais il est inégal. Ses premières
comédies sont sèches, languissantes, et ne lais-
saient pas espérer qu'il dût ensuite aller si loin ;
comme ses dernières font qu'on s'étonne qu'il ait
pu tomber de si haut. Dans quelques-unes de ses
meilleures pièces, il y a des fautes inexcusables
contre les mœurs ; un style de déclamateur qui
arrête l'action et la fait languir; des négligences
dans les vers et dans l'expression, qu'on ne peut'
comprendre en un si grand homme. Ce qu'il y a
eu en lui de plus éminent, c'est l'esprit qu'il avait
sublime, auquel il a été redevable du certains
vers, les plus heureux qu'on ait jamais lus ail-
leurs, de la conduite de son théâtre qu'il a quel-
quefois hasardée contre les règles des anciens,
et enfin de ses dénouements ; car il no s'est pas
toujours assujetti au goût des Grecs et à leur
grande simplicité : il a aimé, au contraire, à char-
ger la scène d'événements dont il est presque
toujours sorti avec succès ; admirable surtout par
l'extrême variété et le peu de rapport qui se
RACINE (JEAN)
— 1782 — RACINE (JEAN)
trouve pour le dessein entre un si grand nombre
de poèmes qu'il a composés. Il semble qu'il y ait
plus de ressemblance dans ceux de Racine, et
qu'ils tendent un peu plus à une même chose ;
mais il est égal, soutenu, toujours le même par-
tout, soit pour le dsssein et la conduite de ses
pièces, qui sont justes, régulières, prises dans
le bon sens et dans la nature ; soit pour la versi-
fication qui est correcte, riche dans ses rimes,
élégante, nombreuse, barmahieuse : exact imita-
teur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement
la netteté et la simplicité de l'action, à qui le
grand et le merveilleux n'ont pas même manqué,
ainsi qu'à Corneille, ni le touchant, ni le pathéti-
que. Quelle plus grande tendresse que celle cjui
est répandue dans tout h; Cid, dans Polyeucte et
dans les Horaces ? Quelle grandeur ne se remar-
que point en Mithridate, en Porus et en Burrhus?
Ces passions encore favorites des anciens, que les
tragiques aimaient à exciter sur les tlié&lres, et
qu'on nomme la terreur et la pitié, ont été con-
nues de ces deux poêles : Oreste, dans VAndro-
m-ique rie Racine, et Phèdre du même auteur,
comme l'Œdipe et les Horaces de Corneille, en
sont la preuve. Si, cependant, il est permis de
faire entre eux quelque comparaison, et de les
marquer l'un et l'autre par ce qu'ils ont de plus
caché à lui-même, sort tout à coup un de ces
mots simples où se révèle la mère, l'épouse, l'a-
mante, un de ces accents que l'on prendrait pour
le son même de l'âme. Racine est le Raphaël du
drame. Expression, dessin, couleur à la fois bril-
lante et sobre, il réunit toutes les qualités dis-
tinctives de ce grand maître, en qui le sentiment
du beau antique se mêlait au génie chrétien,
affaibli cependant et moins naif que dans le moyen
âge. (Lamennais.)
— Ce qu'il ne faut jamais perdre de vue quand en
juge Racine aujourd'hui, c'est la perfection, l'u-
nité et l'harmonie de l'ensemble, ce qui en fait la
principale beauté. A prendre les choses isolément
et par parties, on se tromperait bientôt ; le carac-
tère essentiel échapperait, et l'on prononcerait à
côté. Au contraire, à bien sentir cette perfection
de l'ensemble, cela devient une lumière générale
qui réfléchit sur chaque détail et qui l'éclairé.
Racine est un grand dramatique, et il l'a été
naturellement par vocation. Il a pris la tragédie
dans les conditions où elle était alors, et il_ s'y
est développé avec aisance et grandeur, en l'ap-
propriant singulièrement à son propre génie. Mais
il y a un tel équilibre dans les facultés de Racine,
et il a de si complètes facultés rangées sans tu-
multe sous sa volonté lumineuse, qu'on se figure
propre, et par ce qui éclate le plus ordinairement aisément qu une autre quelconque de ses facultés
d.nns leurs ouvrages, peut-être qu'on pourrait par- î eût donné avec avantage également et gloire, et
pourrait par-
ler ainsi: Corneille nous assujeitit à ses carac-
tères et à ses idées ; Racine se cunforme aux nô-
tres ; celui-là peint les hommes comme ils de-
vraient être, celui-ci les peint tels qu'ils sont. Il
y a plus dans le premier de ce que l'on admire,
et de ce que l'on doit même imiter; il y a plus
dans le second de ce que l'on reconnaît dans les
autres, de ce qu'on éprouve soi-même. L'un élève,
étonne, maîtrise, instruit; l'autre plaît, remue,
touche, pénètre. Ce qu'il y a de plus beau, de plus
noble et de plus impérieux dans la raison, est
manié par le premier; et par l'autre, ce qu'il y a
de plus flatteur et de plus délicat dans la passion.
Ce sont dans celui-là des maximes, des règles,
des préceptes, et dans celui-ci du goût et des sen-
timents. L'on est plus occupé aux pièces de Cor-
neille ; l'on est plus ébranlé et plus attendri à
celles de Racine. Corneille est plus moral ; Ra-
cine, plus naturel. Il semLile que l'un imite So-
phocle, et que l'autre doit plus à Euripide. (La
BllDYÈRE.^
— Il peignit la nature humaine, immuable en soi,
variable, selon les époques et les lieux, dans ses
manifestations. 11 dut se conformer, sous ce der-
nier rapport, aux habitudes, aux exigences du
monde au milieu duquel il vivait. De là vient que
sans que l'équilibre eût été rompu.
Racine est tendre, dit-on, c'est un élégiaque
dramatique. Prenez garde ! Celui qui a fait la
scène du troisième acte de Mithriilate et Bitan-
nkus, le peintre de Burrhus, est-il gêné à ma-
nier la tragédie d'Etat et à tirer le drame sévère
du coeur de l'histoire ?
Ainsi de tout pour Racine : il serait téméraire
de lui nier ce qu'il n'a pas fait, tant il a été accom-
pli sans effort dans tout ce qu'il a fait I Pour moi,
je me le figure à merveille dans d'autres genres
que la tragédie ; par exemple, donnant un poème
épique, dans le goût de celui du Tasse ; desépi-
giammes comme celles de Lebrun ; des comédies
comme les Planteurs en pouvaient promettre. Des
odes, il en a fait ; des Petites Let'res comme Pascal, il
en a trop bien commencé. Orateur académique, il
l'a été, et avec éclat. Et toujours et partout on au-
rait le même Racine, avec ses traits nobles, élé-
gants et choisis, recouvrant sa force et sa passion;
toujours quelque chose de naturel et de soigné à
la fois, et d'accompli, toujours l'auteur sans tour-
ment,au niveau et au centre de son genre et de
son sujet...
Boileau, certes, assista et servit Racine dans
toute son œuvre d'une façon qui no se saurait
ae» personnages en parlent tous plus ou moins le t apprécier. Racine, on le voit par ses premières
langage. Dans son plus extrême abandon, dans sa i lettres, avec tant de qualités qui, ce semble, au-
plul grande violence, la passion chez eux con- j raient pu se suffire à elles-mêmes, était ne docile,
serve toujours une certaine retenue, une certaine I Xi réclamait un juge de ses vers. Dès quil leut
bienséance que les mœurs alors commandaient, I reconnu dans Boileau, il s y confia et ne s en dé-
et l'on y discerne surtout une influence de 1 esprit i partit plus. Boileau dut hâter dans «acine cette
chrétien, très sensible aussi dans Corneille ; j saison d'entière maturité, qui est celle de toutes
carie poète lui-même est toujours individuelle- i ses œuvres depuis AndromaquejWaM lui ap-
ment un reflet de son siècle. Celui que Racine i prendre à sacrifier sans pitie le détail trop joU et
illustra imposait à l'art des conditions particuliè- j trop fin à l'efl'et plus sur de 1 ensemble...
res dont il lui éiait impossible de safi'ranchir. La i Boileau avait conscience du genre de service
tragédie, sous Louis XIV, ne pouvait pas plus i qu'il avait rendu à Racine, lorsqu il lui échappa
être la tragédie antique, ou le drame de Shake- 1 de dire un mot qui a ete cite souvent, qu on a
speare, que l'épopée n'aurait pu être l'épopée ! voulu quelquefois contester, mai.s qu il a dit Dien
d'Homère ou de Milton... Le travail, l'efl'ort ne se i certainement et répété en plus dune rencontre,
sent nulle part dans ce vers si savant où l'art, Interrogé dans sa vieillesse par Falconnet, par
porté à son dernier terme, redevient la nature, i Boindin, par La Motte, sur ceux qu il considérait
la nature idéale que l'esprit contemple avec ra- ' vraiment comme les génies do son siècle : « Je
vissement. Et quel regard jeté dans les abimes 1 n'en connais que trois, disait-il sans marcnanaer.
du cœur! Comme il en pénètre les mystères, en I Corneille, Molière ... et moi. » — « Lt Racine. »
démêle les contradictions, les ruses secrètes, les i demandait l'interlocuteur un peu étonné. — « Ka-
mouvements variés, les soudains élans et les ' cine, répliquait Boileau, n'était qu un ^rest/c! es-
brusques retours ! Puis, de ce cœur si mobile, si | prit à qui j'ai appris à faire difficilement des vers
ii
RACINE CARRÉE
— 1783
RACINE CARRÉE
faciles. >> Oui, Haciiie est un très bel rspril, qui
connaissait la marclu^ du cœur liumain, et qui
savait en mettre en jeu tous les ressorts. Voilà
pourquoi il n'est pas inégal; il était toujours lui,
il avait «le la force quand il le fallait. Il savait
toujours où il en était. Corneille et Molière ont
eu cliacun leur démon ; La Fontaine, oublié par
Boileau, on avait un ; Boileau lui-même avait le
sien, ot qui avait ses quintes. Racine, lui, n'avait
pas un démon détermine. C'est ainsi que j'entends
et que je traduis le mot un peu singulier, et pour-
tant bien authentique, de Boileau. (Sainte-Beuve.)
— Le théâtre de Racine n'offre aucune de ces har-
diesses familières à Corneille. Racine est contem-
porain et ami de Boileau ; il a le goùi de la règle et
de l'autorité. Sa dernière passion fut pour Louis .\IV,
et il en mourut. De plus, ce n'est pas un de ces gé-
nies énergiques et féconds qui ne vivent que pour
leur art, s'y absorbent, bravent les injustices et les
dégoûts, et luttent jusqu'i ce qu'ils tombent épui-
sés, comme le vieux Corneille, comme Molière. A
trente-huit ans, dans l'épanouissement de son
génie, il quitte brusquement le théâtre. L'insuc-
cès de P/iciIre l'a blessé au cœur. Passionné et
faible, il songe d'abord à expier cette gloire pro-
fane qu'on lui dispute : il veut se faire chartreux.
Son confesseur, plus sage, lui conseille un remède
moins violent, le mariage. Il se marie, et oublie
si complètement ce qu'il a été que sa femme ignore
même les titres des tragédies de son mari.
Le théâtre de Racine est le triomphe d'un art
consommé : il charme encore aujourd'hui les con-
naisseurs, le seul public auquel il désirait plaire.
Le peuple ne goûte guère ces beautés délicates,
tandis que Corneille le transporte toujours. Les
tragédies de Racine furent le modèle, le type sur
lequel se réglèrent tous les poètes qui vinrent
après lui. Pas une infraction aux lois admises ;
pas un détail familier; pas de spectacle excessif
ou choquant. Mesure, bienséance, analyse péné-
trante, style d'une élégance et d'une noblesse
soutenues, œuvre essentiellement aristocratique,
faite pour charmer, non pour enlever, ni mettre
hors de soi, ce qui serait malséant. Mais la scru-
puleuse obéissance aux règles impose au poète
plus d'un sacrifice, ou des expédients bien froids.
Que dire de ces tristes confidents, sans caractère,
sans personnalité, créés uniquement pour fournir
à leur maître l'occasion d'une tirade? et ces
scènes de remplissage pour parfaire les cinq actes
réglementaires'? et cette galanterie fade mêlée h
tout? N'insistons pas sur ces critiques qu'on ne
peut taire cependant. Ce qui importe, c'est de
constater qu'à partir de l'année 1670, la tragédie
française fut définitivement arrêtée dans sa forme,
son esprit, son langage. Il ne fut plus permis
d'ignorer comment on faisait et devait faire une
tragédie ; la recette avait été donnée ; les procédés
étaient parfaitement connus ; le style même était
convenu; c'était un genre fixé. Pendant plus de
quarante ans les héritiers et les continuateurs de
Racine firent représenter toujours la môme tragé-
die avec des difTérences peu appréciables; la
poésie dramatique était peut-être fixée, j'aime-
rais mieux dh-e qu'elle était figée. (Paul Alcebt.)
Il.iClAE CARUÉE. — Arithmétique, XLVIl et
XLVIII.
1. — La racine carrée d'un nombre est un deu-
xième nombre dont le carré est égal au premier
(V. Carré) ; on l'indique par le signe V i sous le-
quel on place le nombre donné; ce signe porte le
nom de radicul. Ex. : La racine carrée de i'J est " ;
car le carré de 1 est 'iS. On peut écrire ce résul-
tat de deux manières différentes :
V49 = 7, ou 72=49;
ces deux égalités sont équivalentes.
2. — s; un nombre entier n'est pas le carré d'un
autre nnmhre entier, il n'eUpas non plus le carri
d'une fraction, et par conséquent, il n'a pas de
ra'ine carrée.
Le nombre 4(1, par exemple, est compris entre
0^ ou 36 et 'i- ou 49; donc il n'y a pas de nombre
entier dont le carré soit égal k 40 ; je dis qu'il
n'y a pas non plus de nombre fractionnaire dont
le carré soit égal h W. En effet, un nombre frac-
tionnaire peut toujours être mis sous la forma
d'une fraction à deux termes, et cette fraction elle-
même peut toujours être réduite à sa plus simple
expression (V. Fraction'!, 3 et 8). Soit TCettefrac-
0
a^
tion irréductible ; son carré sera — ; mais les deux
nombres a et b étant premiers entre eux, leurs
carres o^ et 4'^ le sont aussi (V. Diviseurs, 23) ,
donc la fraction _ est irréductible, et par consé-
quent, ne peut pas être égale à un nombre entier.
Ainsi, le nombre 40 n'est le carré d'aucun nom-
bre, ni entier, ni fractionnaire ; en d'autres termes,
il n'a pas de racine carrée.
Lorsqu'un nombre n'a pas de racine carrée,
c'est-Ji-dire quand il n'est pas un carré parfait,
on appelle racine carrée de ce nombre à une unité
près, la racine carrée du plus grand carré entier
qui y est contenu, ou ce qui revient au même, le
plus grand nombre entier dont le carré est con-
tenu dans le nombre donné. Ainsi, la racine carrée
do 40 à une unité près est 6, parce que le plus
grand carré entier contenu dans 40 est 36, dont la
racine carrée est 6 ; ou encore, parce que 6 est le
plus grand nombre entier dont le carré soit con-
tenu dans 40 ; le nombre donné 40 est, en effet,
compris entre le carré de 6 et le carré de 7, ce
qu'on peut exprimer par la double inégalité :
6«<40<72.
Nous allons indiquer successivement comment on
extrait h une unité près la racine carrée d'un nom-
bre entier et celle d'un nombre fractionnaire; puis
nous définirons la racine carrée approchée, non
plus à une unité près, mais avec une approxima-
tion quelconque, et nous apprendrons à la calculer.
3. — Racine carrée d'un nombre entier à une
unité p' es. — Nous distinguerons deux cas, sui-
vant que le nombre donné est inférieur ou supé-
rieur à 100.
1" Cai. Le nombre donné est plus petit que
100. — La racine carrée d'un nombre plus petit
que 100 est plus petite que 10; car l(j0 est le carré
de 10. Il suffit alors de se reporter à la table des
carrés des neuf premiers nombres, que nous re-
produisons ici :
Nombres 12 3 456789
Carrés.. 1 4 9 16 25 36 49 64 81
Si le nombre donné est égal à l'un de ces carrés,
on a immédiatement sa racine carrée exacte;
ainsi, VCi = 8 ; SjVo = 5 ; etc. Si le nombre donné
n'est pas un carré parfait, on cherche dans la table
précédente le plus grand carré contenu dans ce
nombre; la racine carrée de ce carré est, par la
définition même, la racine carrée à une unité près
du nombre donné. Ux. : Soit 58 le nombre donné ;
le plus grand carré entier contenu dans 58 est 49
dont la racine est 7 ; ce nombre 7 est donc la ra-
cine carrée de 5'i à une unité près.
4. R'ste. — Lorsqu'on extrait à une unilé près
la racine carrée d'un nombre qui n'est pas un
carré parfait, on appelle reste de l'opération
l'excès du nombre donné sur le plus grand carré
entier qui y est contenu. Ainsi, dans l'exemple
précédent, le reste est 58 — 49 = 9.
RACINE CARREE
— 1784
RACINE CARREE
Le" reste ne peut pas siirpnsser le dotihle du
nomhre tionvé à la racine. — Supposons, pour
fixer les idées, que le nombre donné soit compris
entre le carré de 15 et le carré de IH ; sa racine
carrée à une unité près sera 15, et le reste, qui est
l'excès du nombre donné sur 15', sera évidemment
plus petit que 16* — 15-. Or cette différence
est égale h 15 X 2 + 1 (V. Carré, I.Rem.);
donc le reste est au plus égal à 15 X 2i c'est-
à dire au double du nombre trouvé à la racine ;
c. q. f. d.
5. — 2' Cas. Le nombre donné est plus grand
que 100, — La racine carrée cherchée est alors
plus grande que 10, c'est-à-dire qu'elle a plusieurs
chiffres. La théorie de l'opération npose tout en-
tière sur les deux principes suivants :
l. Le carre d'un nombre composé de dizaines et
d'unités se compose du carré des dizaines, de deux
fois le produit des dizaines par les unités, et du
carré des tmiiés (V. Carré, 1).
IL La racine carrée du plus çrnnd carré entier
contemi dani le nombre des rentmnes d'un nom-
bre donné plus grand que 100, est éqale nu nom-
bre des dizaines de la racine carrée de ce nombre.
— Prenons, par exemple, le nombre 15S64, qui
contient 158 centaines ; la racine carrée du plus
grand carré entier contenu dans 158 est 12: car
158 est compris entre W ou 144 et l.l' ou 169 ;
je dis que la racine carrée de I586i à une unité
près contient 12 dizaines et n'en contient pas da-
vantage. Rn effet, le carré de 12 est, par hypo-
thèse, au plus égal à ISS ; donc le carré de 12 di-
laines ou 120 est au plus égal Ji 15800; et, par
conséquent, il est, h plus forte raison, contenu
dans 15X64. D'autre part, le carré de 13 surpasse
158 au moins d'une unité, c'est-à-dire qu'il est au
moins égal à 150; donc le carré de 13 dizaines ou
130 est au moins égal à 15900, et par suite, est
plus grand que le nombre donné 15804. Ce nom-
bre est donc compris entre le carré de 12 dizai-
nes et celui de 13 dizaines; en d'autres termes,
sa racine carrée à une unité près est comprise
entre 12 dizaines et i3 dizaines ; c. q. f. d.
6. — Proposons-nous maintenant d'extraire à une
unité près la racine carrée du nombre 419857.
Ce nombre étant plus grand que 100, sa racine
carrée est plus grande que 10, et on obtiendra les
dizaines de cette racine en extrayant la racine
carrée du plus grand carré entier contenu dans
4198 (2' principe).
Le nombre 4108 étant lui-même plus grand que
100, sa racine carrée sera plus grande que 11), et
on obtiendra les dizaines de cette racine en
extrayant la racine du plus grand carré entier
contenu dans 41.
Le nombre 41 est plus petit que IdO; le plus
grand carré entier qui y est contenu est -jO, dont la
racine est 6 ; donc en vertu du 2' principe, la ra-
cine carrée de 4198 contient 6 dizaines; nous
allons chercher les unités de cette racine.
Or le nombre 4 i 98 se compose de quatre parties :
l» Le carré des B dizaines do sa racine ;
• 2° Deux lois le produit des dizaines par les
unités ;
3" Le carré des unités ;
4° Le reste, s'il y en a un.
Si donc do 4198 on retranche le carré de 6 dizai-
nes ou :;6 centaines, le nombre 598 ainsi obtenu
contiendra les trois autres parties que nous venons
d'énumérer. Mais le double produit des dizaines
par les unités, étant un nombre exact de dizaines,
ne peut être contenu que dans les 59 dizaines du
nombre 598. Donc, en divisant 59 dizaines par le
double des dizaines de la racine, c'est-à-dire par
12 dizaines, on aura le chiffre des unités ou un
chiffre trop fort; ce chiffre peut être trop fort
parce que les 59 dizaines du nombre 598 contien-
nent, outre le double produit des dizaines de la
racine par les unités, les dizaines provenant du
carré des unités et du reste. En divisant ,59 par 1;.',
on trouve pour quotient entier 4 ; pour que ce
quotient soit égal au chiffre des unités de la ra-
cine, il faut évidemment que le nombre 598 con-
tienne le double produit des dizaines de la racine
par 4, plus le carré de 4; et cette condition suffit.
Pour l'aire cet essai, on écrit le chiffre 4 à la
droite du double des dizaines, ce qui donne 124,
et on multiplie le nombre par 4 ; il est clair que le
produit se compose du double produit des dizaines
par 4 et du carré de 4 ; si donc le produit 124X4
est contenu dans 598, 4 est bien le chiffre des
unités de la racine; si, au conlraire, le produit
124x4 surpasse 598, le chiffre 4 est trop fort, et
alors il faut le diminuer d'une unité et essayer de
la même manière le nouveau chiffre. Ici le produit
124 X 4 ou 4!'6, est inférieur à 598 ; donc le chiffre
des unités de la racine cherchée est 4. Par suite,
la racine carrée à une unité près du nombre 4198
est G4.
Remarquons, de plus, que si l'on soustrait le
produit 124 X 4 de 598, ce qui donne 102, on
aura le reste de l'opération. Car on a d'abord re-
tranché du nombre donné, 4198, le carré des 6
dizaines de sa racine, ce qui a donné le nombre
598; puis de ce dernier nombre, on a retranché
le double produit des dizaines de la racine par les
unités et le carré des unités; on a donc, en défini-
tive, retranché de 4198 le carré de 01, qui est sa
racine à une unité près ; le résultat, 102, est donc
bien le reste de l'opération.
En résumé, la racine carrée de 4198 à une unité
près est 64 ; et le reste est 102. Donc, en vertu
du 2" principe démontré plus haut, la racine car-
rée de 419857 contient 64 dizaines. Pour calculer
les unités de cette racine, je remarque que le
nombre 419857 se compose de quatre parties :
10 Le carré des 64 dizaines do la racine;
1° Le double produit desdizaiaes par lesunités ;
3"" Le carré des unités;
4» Le reste, s'il y en a un.
Le carré des 64 dizaines est un nombre exact
de centaines ; en le retranchant des 4198 centaines
du nombre donné, on a pour reste 1112 centaines,
ainsi que nous venons de le voir; d'où il résulte
que, si l'on retranche ce même carré du nombre
total 419857, on aura pour reste 1U25Î. Ce reste se
compose du double produit des 04 dizaines par
les unités, du carré des unités et du reste, s'il y
eu a un. Le double produit des dizaines par les
unités étant un nombre exact de dizaines, est con-
tenu dans les 1025 dizaines du nombre 102.S7 ;
donc, si l'on divise 1025 dizaines par le double
des dizaines de la racine, c'est à- dire par 128 di-
zaines, le quotient obtenu sera le chiffre même des
unités de la racine ou un chiffre plus fort. En
divisant 1025 par 128, on trouve pour quotient 8;
il reste à savoir si ce chifl're n'est pas trop fort.
Pour l'essayer, on opère comme précédemment :
on écrit ce chiffre S à la droite du double des di-
zaines, ce qui donne 1288, et on multiplie le nom-
bre ainsi obtenu par le chiffre présumé dos uni-
tés ; si le produit 1288 X 8 est contenu dans le
nombre 10257, 8 est bien le chifl're des unités de
la racine; mais si le produit 1288 x 8 surpasse
10257, le chiffre 8 est trop fort et il faut essayer
le chiffre immédiatement inférieur, 7. C'est ce
derniercas qui se présente ici : 1288 x 8= 10304,
nombre supérieur à 10257 ; le chiffre 8 est trop
fort. J'essaie de même le chiffre 7 : 1287x7 =
9009, nombre plus petit que 10257 ; le chiffre des
unités de la racine est donc 7.
En résumé, la racine carrée de 419857 à une
unité près est 647; et le reste de l'opération est
10257 —9009 = 1248.
L'opération se dispose liabituellement comme
il suit :
UACINE CARIlEIi
— m
RACINE CARREE
41 i)8 57
5 98
I 02 57
12 48
r,47
4_
496
9009
RÈGLE. — Pour extraire à une unité près la ra-
tine carrée d'im nombre entier jdus grand que 100,
on partage ce nombre en tra7iche< rfe ileux ctiiffrcs
il partir de la droite. In dernière tranche à gau-
che pouvant n'avoir qu'un chiffre.
On extrait la racine du plus grand can é entier
cont' nu dans la première tranche à gauche, ce qui
donne le chiffre des plus hautes unités de la ra-
cine; et on sousliuiit le carré de ce chiffre de la
première tranche à gauche.
A la droite de ce reste, on abaisse la tranche
suivante, et on divise les dizaines du nombre ainsi
formé par le double du premier chiffre de la ra-
cine; un éa-it te quotient à la droite du diviseur
et on multiplie ce nombre par le quotient. Si le_
produit peut se soustraire du nombre total qu'on
a obtenu en abaissant la seconde iratiche à la
droite du premier reste, le quotient trouvé est le
second chiffre de la racine, et le reste de cette sous-
traction est le reste qui servira pour continuer
l'opération. Si la soustraction indiquée n'est pas
possible, on diminue le quotient trouvé, successive-
ment d'une, deux, trois .... unités, jusqu'à ce que la
vérification réussisse.
A la droite du second reste, on abaisse la tran-
che suivante du nombre donné et on divise les di-
zaines du nombre aiwi formé par le double de la
partie déjà trouvée à la racine: le quotient est le
troisième chiffre de la racine ou un chiffre trop
fort ; on l'essaie comme le précédent.
On continue île rnéme jusqu'à cequ'onait abaissé
l'une après l'autre toutes les tranches du nombre
donné.
7. — Racine carrée d'un nombre fractionnaire à
une unité près. — La racine carrée d'un nombre
fractionnaire à une unité près est la racine carrée
du plus grand carré entier contenu dans le nombre
donné ; la définition est la même que pour les
nombres entiers.
Proposons-nous d'extraire à une unité près la
5
racine carrée du nombre fractionnaire 52 + ;• J^
7
dis qu'elle est la même que la racine carrée à une
unité près de la partie entière du nombre, c'est-à-
dire de 52. En effet, la racine carrée de 52 à une
unité près est 7, ce qui veut dire que 52 est com-
pris entre 7^ et 8^ ; le carré do 7, étant con-
tenu dans 52, est, à plus forte raison, contenu
5
dans 52 -f - ; d'autre part, le carré de 8 surpasse
52 d'au moins une unité ; donc il surpasse 52 -J- -.
Le nombre fractionnaire 52 -)- - est donc compris
entre 7 2 et 8' ; en d'autres termes, la racine car-
rée de 52 -f- - à une unité près est 7 ; c. q. f. d.
RÈGLE. — Pour extraire à une unité près la
racine carrée d'un nomtire fractionnaire, on ex-
trait à une unité près la racine carrée de sa par-
tie entière.
8. — Racine carrée d'un nombre quelconque
avec une approximation donnée. — On appelle
racine carrée d'un nombre à J^, yj^' fïJôj |.
\' 's plus grand nombre de dixièmes, de cen-
tièmes, de millièmes, de tiers, de quarts....
dont le carré est contenu dans le nombre donné ;
plus généralement, la racine carrée d'un nombre N
à - près est le plus grand multiple de - dont
le carré est contenu dans N. La fraction - s'ap-
pelle la fractinn d'approximation.
Règle. ^ Pour avoir la racine carrée d'un
nombre avec une approximation déterminée, on
multiplie ce nombre par le carré du dénomina-
teur de la fraction d'approximation; puis on
extrait à une unité près la rwine carrée de ce
produit, et on divise cette racine par le dénomi-
nateur de la fraction d'approximation.
Proposons-nous, par exemple, d'extraire à -
355
près la racine carrée du nombre -p. Je multi-
plie ce nombre par le carré de 7, ou 49, ce qui
donne :
355 X 49
11:3
lia
113'
la racine carrée de ce nombre à une unité près
est la même que celle du nombre entier 153,
c'est-à-dire 12; je dis que la racine carrée de
355 , 1 , , 12
— à - près est -—.
m 1 ^ 7
113
se, comprise entre 12^ et 13^, ce qu'on peut expri-
mer ainsi :
,o.<?gx49<13^;
divisons les trois membres de cette inégalité par
7* ou 49, nous aurons :
113
12
Mais '-^ c'est le carré de -^ (V. Carré, 3), et
— r est le carré de-^f-; donc la double inégalité
72 7
qui précède exprime que le nombre donné — j
12 . 13
est compris entre le carré de -z- et celui de — ; et
12 . . j 355
par conséquent , — est la racine carrée de —r
l
1
9-
une règle pratique très simple pour le cas" où on
cherche la racine carrée d'un nombre quelconque,
entier, décimal ou fractionnaire, avec une ap-
proximation décimale donnée.
Soit proposé, par exemple, de trouver la racine
carrée de — à 0,01 près. D'après la règle gé-
nérale, il faut multiplier— par 100^ ou 10000,
ce qui donne — ^— — , extraire les entiers conte-
nus dans cette fraction, ce qui donne 8421, ex-
traire ensuite à une unité près la racine carrée de
8421, qui est 91, et enfin, diviser cette racine
par 100; le résultat llnal est donc 0,91. Mais il
revient évidemment au mémo de réduire la frac-
tion donnée — en décimales en calculant deux fois
autant de chiffres décimaux qu'on en demande à
la racine, et d'extraire ensuite la racine carrée du
nombre obtenu 0,8421 comme s'il était entier, en
prenant seulement la précaution de mettre une
virgule à la racine lorsqu'on abaisse la première
à - près ; c. q. f. d.
De la règle générale qui précède on déduit
RACINE CARREE
— 178(3 —
RACINE CUBIQUE
tranche décimale du nombre ; on arrivera au inspection du reste permet de trancher la ques
Blême résultat. Voici l'opération :
19
160
80 1 0,8421
40
20
0,8421
321
140
0,91
181
tion : Si le reste ne surpasse pas (a racine trouvée,
la racine par défaut est préférable ; c'est le con-
traire, si le reste est stipériew à la racine.
Pour justifier cette règle, formons le carré de
7 4--, comme on a fait, à l'article Carré, le carré
de 30 + 7 ou celui de 37 + 1.
On est ainsi conduit h la règle suivante :
Règle. — Pour o^itenir avec uns approximation
décimale donnée la racine carrée d'un nombre
quelconque, on exprime ce nombre en décimales
en calculant deux fois autant de chiffres déci-
maux qu'on en demande à la racine ; puis on
extrait la racine carrée du nombre décimal
ainsi obtenu comme s'il était entier, en aidant
soin de mettre une virgule à la racine lorsqu'on
abaisse ta première tranche décimale du nombre,.
Exemples : — I. E.xtraire à 0,0001 près la racine
carrée de 3. — Il faut extraire la racine de
3,00!'0u0ii0 comme si l'on avait affaire au nombre
entier 3 00000000, en mettant une virgule à la
racine aussitôt qu'on arrive à la première tranche
décimale du nombre: ou trouve ainsi l,7:i20.
II. Extraire à 0,001 près la racine carrée du
nombre décimal 3,1415920535. — Comme on ne
demande que trois chiffres décimaux à la racine,
il n'en faut conserver que 6 dans le nombre, ce
qui donne 3,141592; la racine carrée de ce nom-
bre, calculée par la règle ci-dessus, est l,"72.
m. Calculer à 0,01 près la racine carrée de
l'expression 3 — \2- — Il faut d'abord calculer
cette expression elle-même avec quatre chiffres
décimaux, et pour cela extraire la racine carrée
de 2 à 0,0001 près. On trouve pour cette racine
1,4142 ; par suite, la valeur de l'expression
3 — ^2 est, avec quatre décimales exactes, 1,5858;
et la racine carrée demandée est enfin 1,25 à
0,0T près.
y. — Remaroce. — Dans tout ce qui précède, nous
avons calculé des racines carrées approchées par
défaut, c'est-à-dire, des nombres tels, que leurs
carrés soient inférieurs ou au plus égaux aux
nombres donnés. On peut aussi se proposer de
chercher des racines approchées par excès; en
voici la définiiion générale :
La raciiie carrée d'un nombre N, approchée
par excès à - prés, est égale à la racine appro-
chée par défaut, augmentée d- - .
Ainsi, la racine carrée par défaut h une unité
près du nombre 41985" est 04"; la racine carrée par
excès il une unité près est 648. De même, nous
{•1
avons trouvé que -^ était la racine par défaut à
r- près de la fraction '—-; la racine par excès îi
13
7
à 0,0001 près par défaut ; la racine carrée de 3,
à 0,0001 près par excès, sera 1,7321.
Il est préférable, dans certains cas, de prendre
l'approximation par excès. Considérons, par exem-
ple, le nombre 58 dont la racine carrée k une
unité près par défaut est ", avec 9 pour reste; le
nombre 68 peut être compris entre le carré de 7
et celui de 7 + 7, ou, au contraire, entre le carré
de 7 + - et le carré de 8. Dans le premier cas, il
vaudra mieux prendre 7 pour la racine approchée
à une unité près ; dans le second cas, on aura une
valeur plus approchée en prenant 8. Or la seule
7 +7.
T + 7X:;
+ •
! + 7
Ainsi le carré de 7 +- est égal à T+ 7+7
- esiBgai a 1--1- 1 1-
d'autre part, le reste de l'opération est égal il
58 — 72. Si ce reste est inférieur à 7 + 7,
c'est-
à-dire s'il ne dépasse pas 7, le nombre donné
58 est inférieur à (" + 5 V , et 7 est la racine
carrée à une demi-unité près. Mais si le reste est
supérieur à 7, le nombre 58 est compris entre
( 7 -|- i y et 82 ; 8 est alors la racine carrée de 58
à une demi-unité près par excès. C'est ce dernier
cas qui se présente ici, puisque le reste 9 sur-
passe 7. [H. Bos.l
RACI>E CCBIQUE. — Arithmétique, XLIX
et L.
1. La racine cubique d'un nombre est un
deuxième nombre dont le cube est égal au pre-
mier (V. Cube). La racine cubique d'un nombre
s'indique en plaçant le nombre sous le signe
V , qui ne diffère du signe de la racine carrée
que par l'inscription du chifi're ou indice 3 dans
l'angle de gauche du radical.
Ex. : La racine cubique de 8 est 2 ; car le cube
de 2 est 8 : ce résultat s'écrit indifféremment des
deux manières suivantes :
^'8 = 2, ou 23 = 8;
ces égalités sont équivalentes.
2. — Si un nombre entier n'est pas le cube
d'un autre nombre entie-, il n'est i,as non plus le
cube d'une fraction, et par conséquent, il n a pas
de racine cubique.
Le nombre 50, par exemple, est compris entre
33 ou 27 et 43 ou 64 ; donc il n'y a pas de nombre
entier dont le cube soit égal à 50; je dis qu'il ny
a pas non plus do nombre fractionnaire dont le
cube soit égal à 50. En effet, un nombre fraction-
naire peut toujours être mis sous la forme d une
fraction à deux termes irréductible - (V. Frac-
a'
lions, 3 et 8). Le cube de cette fraction est -p
(V. Cube, 3) ; mais les deux nombres a et b
étant premiers entre eux, leurs cubes le sont aussi
(V. Diviseurs, n); donc la fraction ^^est irréduc-
tible, et par conséquent ne peut pas être égale
à un nombre entier, tel que 5h. Le nombre 50 n a
donc pas de racine cubiiiue.
Lorsqu'un nombre n'a pas do racine cubique,
RACINE CUBIQUE
— 1787 —
RACINE CUBIQUE
c'est-à-dire quand il n'est pas un cube parfait,
on appelle racine cubique de ce nombre à une
unité près, la racine cubique du plus grand cube
entier contenu dans ce nombre ou, ce qui revient
au même, le plus grand nombre entier dont le
cube est contenu dans le nombre donné. Ainsi, la
racine cubique de 50 à une unité près est 3, parce
que le plus grand cube entier contenu dans 50
est 27, dont la racine cubique est 3; le nombre .SO
est compris entre le cube de 3 et le cube de 4, ce
qu'on exprime par la double inégalité :
33<50<4'.
Nous allons indiquer suctessivement comment
on extrait à une unité près la racine cubique
d'un nombre entier et celle d'un nombre fraction-
naire; puis nous délinirons la racine cubique ap-
prochée, non plus à une unité près, mais avec une
approximation quelconque, et nous'apprendrons
à la calculer.
3. — Racine cubique d'un nombre eniier à une
imite près. — Nous distinguerons deux cas, sui-
vant que le nombre donné est inférieur ou supé-
rieur à 1000.
le' Cas. Le nombre donné est plus petit que
1000. — La racine cubique d'un nombre plus
petit que 1000 est plus petite que 10; car lOUO
est le cube de 10. Il suffit alors, pour trouver le
plus grand cube entier contenu dans un nombre
inférieur à 1000, et par suite, la racine cubique
de ce nombre à une unité près, de former la
table des cubes des 9 premiers nombres. Voici
cette table :
Nombres 12345 6 1 8 9
Cubes.. ! 8 2" Ci 125 21G 313 512 729
Si le nombre donné est égal à l'un de ces cu-
bes, on a immédiatement sa racine cubique exacte ;
ainsi, ^125 = 5, \'.=>I2 = 8, etc. Si le nombre
donné n'est pas un cube parfait, on cherche dans
la table précédente le plus grand cube qui y est
coiuenu ; la racine cubique de ce cube est, par
définition, la racine cubique à une unité près du
nombre donné. Soit, par exemple, 41'.' le nombre
donné; le plus grand cube entier contenu dans 412
est 343, dont la racine cubique est 7 ; ce nombre
7 est donc la racine cubique de 412 à une unité
près.
i. Reste. — Lorsqu'on extrait à une unité
près la racine cubique d'un nombre, on appelle
reste de l'opération l'excès du nombre donné sur
le cube de sa racine cubique approchée. Ainsi, dans
l'exemple précédent, le reste est 412 — 34 i ^ 6i).
Le reste ne peut pas suj'passer la somme faite
en ajoutant le triple du cnrrc de lu racine au tri-
ple de cetl" racine. Soit a la racine cubique il une
unité près d'un nombre entier N ; N sera compris
entre o' et {a + Ij^; donc le reste, qui est égal
à N — fl^, sera plus petit que la différence la -\- l)-'
— a', laquelle est égale à 3a^ + 3'/ + 1 (V. Cube,
2) ; et, par conséquent, ce reste sera au plus égal
à 3a» -f 3o; c. q. f. d.
5. — 2" Cas. Le nombre donné est plus grand
que 1000. — La racine cubique cherchée est alors
plus grande que In, c'est à-dire qu'elle a plusieurs
chiffres. La théorie de l'opération repose tout en-
tière sur les deux principes suivants:
L /_e cube d'un nombre composé de dizaines
et d'unités se compose du cube des iliziines, de
trois fois le produit au carré des dizaines par
les unités, de trois fois le produit des dizaines
par le carré des unités, et du cube des unités
(V. Cube, 1).
IL La racine cubique du plus grand cube eniier
contenu dans le nombre des mille d'un nomlrre
donné plus grand que 1000, est égale au nombre
des dizaines de la racine cubique de ce nombre.
Considérons, par exemple, le nombre 41812, qui
contient 41 mille; la racine cubique du plus grand
cube entier contenu dans 41 est 3 ; je dis que la
racine cubique à une unité près du nombre 41 812
contient 3 dizaines et n'en contient pas davantage.
En effet, le cube de 3 est, par hypothèse, au plus
égal à 41 ; donc le cube de 30 ou 3 dizaines est au
plus égal à 41 000; par conséquent, il est, à plus
forte raison, contenu dans 41812. D'autre part, le
cube de 4 surpasse 41 d'au moins une unité, c'est-
à-dire qu'il est au moins égal à 42; donc le cube
do 4 dizaines ou 40 est au moins égal à 42 000, et,
par suite, estsupérieur à 41812. Ce nombre 41812
est donc compris entre le cube de 3 dizaines et
celui de 4 dizaines ; en d'autres termes, sa racine
cubique est comprise entre 3 dizaines et4 dizaines ;
c. q. f. d.
6. Proposons-nous maintenant d'extraire à
une unité près la racine cubique du nombre
115748954.
Ce nombre étant plus grand que IflOO, sa racine
cubique est plus grande que 10; et on obtiendra
les dizaines de cette racine en extrayant la racine
cubique du plus grand cube entier contenu dans
II5 74S (2" principe).
Le nombre 115748 étant lui-même plus grand
que 1000, sa racine cubique contiendra des dizai-
nes, que l'on obtiendra en extrayant la racine cu-
bique du plus grand cube entier contenu dans 115.
Le nombre 115 est plu^ petit que lOOO; sa ra-
cine cubique à une unité près est 4 (l"' cas) ; donc
la racine cubique de 115 748 contient 4 dizaines et
pas davanlage (2' principe). Nous allons chercher
les unités de cette racine.
Je remarque pour cela qu'en vertu du premier
principe énoncé ci-dessus, le nombre 115748 se
compose de cinq parties :
r Le cube des 4 dizaines de sa racine ;
2° Trois fois le produit du carré des dizaines
de la racine par les unités;
3° Trois fois le produit des dizaines par le carré
des unités ;
4° Le cube des unités;
5° Le reste, s'il y en a un.
La première de ces parties est connue ; c'est le
cube de 4 dizaines ou 64 mille ; si on la soustrait
du nombre Il.')7i8, le reste 51 74s contiendra les
quatre autres parties. Or, le triple produit du carré
des dizaines par les unités esi un nombre exact de
centaines ; d'où il résulte qu'il est contenu dans
les 517 centaines du nombre 51718. Si donc on
divise 517 par le triple du carré de 4, c'est-à-dire
par 4.S, le quotient obtenu .sera le chiffre des
unités de la racine ou un chiffre trop fort : il peut,
en effet, être trop fort, parce que les 517 centai-
nes du nombre 51 748 contiennent, non seulement
le triple produit du carré des dizaines par les uni-
tés, mais encore les centaines provenant des trois
autres parties dont si' compose ce nombre. Le
quotient de la division de 517 par 4S est 10 ; il est
donc certainement supérieur au chiffre des unités
de la racine, lequel est au plus égal à 9 ; mais 9
pourrait lui-même être encore trop fort. Pour sa-
voir si ce chiffre convient, il faut examiner si le
cube de 49 est contenu dans 115748, ou mieux, si
le nombre 51 743 contient :
1° Le triple produit du carré de 4 dizaines
par 9;
2° Le triple produit de 4 dizaines par le carré
de 9 ;
3» Enfin, le cube de 9.
On forme simplement le total de ces trois nom-
bres de la manière suivante : on addilionno d'a-
bord le triple du carré des dizaines, le triple pro-
duit des dizaines par les unités, et le carré des
unités, et on multiplie ensuite cette somme par
les unités ; voici l'opération :
RACINE CUBIQUE
401x3 48(10
40X9X3 1080
9^ 81_
5961
— 1788 —
RACINE CUBIQUE
53649
Le nombre S3C49 est plus grand que 51748;
donc le chiffre 9 est trop fort; j'essaie alors le
chiffre immédiatement inférieur 8 :
■402X3 4800
40X8x3 960
82 64
5824
46592
Le nombre 46 592 étant inférieur h 51 748, le
chiffre 8 est bon; la racine cubique de I15 74S à
une unité près est 48, et le reste de l'opération
«st 51748 —40592 = 5156.
On conclut de là que la racine cubique de
115 748 954 contient 48 dizaines, et qu'en retran-
chant du nombre le cube de ces 48 dizaines, on
obtient pour reste 5150 954. Un raisonnement
identique h celui que nous venons de faire mon-
tre qu'en divisant les 51 569 centaines de ce nom-
bre par le triple du carré de 48 dizaines, c'est-à-
dire par 6912 centaines, on obtient le chiffre des
unités de la racine ou un chiffre trop fort. On
trouve 7 pour quotient, et on essaie ce chiffre
comme précédemment :
4802x3 691200
480x7x3 10080
72 49
701^29
4!109303
Le nombre 4909303 étant inférieur à 5156954,
le chiffre 7 est bon ; la racine cubique à uce unité
près du nombre 1 15 74 8 954 est 4S7, et le reste de
l'opération est 5l5(i954 — 490 9303 = 247 651.
Voici la disposition adoptée pour les calculs :
1I5-748-954
■187
64
517-48
465 92
4800
960
04
691-JOO
10080
49
51 569-54
49 Oi:3 (13
5824
8
701329
7
2 470 51
4Uu92
49(IU3U3
RÈGLE. — Pour extraire à une tniilé près la
racine cubique n'un nombre entier plus qrand
que 1000, on pnrtnge ce nombre en tranclies de
trois chiffres à partir de la droite, la dernière
tranclie à gauche pouvant n'avoir qu'un ou deux
chiffr,s.
On extrait la racine cubique du plus grand, cube
entier contenu dnns la première tranche ii gau-
che, ce qui donne le chiffre des plus hautes uni-
tés de la racine ; et on soustrait le cube de ce
chiffre de la première tranche à gauche.
A la droite du rate, on abaisse la tranche sui-
vante du nombre donné, et on divise les centaines
du nombre ainsi formé par le triple du carré du
premier chiffre de la racine ; le quotient trouvé
est le second chiffre de la racine ou vn chiffre
plus fort. Pour essayer ce chiffre, on addi-
tionne ensemble le triple carré du premier chif-
fre lie la racine suivi de deux zéros, le triple
produit du premier chiffre de la racine par le se-
cond chiffre présumé suivi d'un zéro, et le carré
de ce second chiffre; et on multiplie la somme par-
le chiffre à vérifier. Si ce produit peut se sous-
traire du nombre qu'on a obtenu en abaissant la
seconde tranche à la droite du premier reste, le
quotient trouvé est le second chiffre de la racine,
ft le reste de cette soustraction est le reste qtii ser-
rira à continuer l'opération. Si la soustraction
indiquée n'est pas possible, on diminue le quotient
trouvé, successive7nent, d'une, deux... unités, jus-
qu'à ce que ta vérification réussisse.
A la droite du second reste, on abaisse la
tranche suivante du nomtire donné, et on divise
les centaines du nombre ainsi formé par le triple
du carré de In partie déjà trouvée à la racine;
le quotient est le troisième chiffre de la racine
ou un chiffre trop fort; on l'essuie comme te pré-
cédent.
On continue de même jusqu'à ce qu'on ait
abaissé l'une après l'autre toutes les tranches du
nombre donné.
Remarque. — Chaque fois qu'on veut calculer
un nouveau chiffre de la racine, on a besoin de
former le triple carré de la partie déjà trouvée à
la racine; cette opération peut se faire très rapi-
dement à l'aide des calculs qu'on a faits pour
vérifier le chiffre précédent. Reprenons l'exemple
déjà employé : après avoir trouvé les deux pre-
miers chiffres 48 de la racine, on doit calculer le
produit 482 X 3 ; mais
48» = 40* -f 40 X 8 X 2 + 82.
(V. Carré, 1) ;"donc
48* X 3 = 402 X 3 + 40 X S X 3 X 2 + 82 X 3 ;
d'autre part, on a trouvé pour essayer le chiffre 8,
402X3 = 4800,
40x8x3= 900,
82= 64;
donc
4 82 X 3 = 4800 -f 960 X 2 + 64 X 3.
= 4800 -f 960 + 64 + 960 + 64 X 2.
Comme la somme 4R00 -f 960 -f- 64 a déjà été
i calculée, il suffira de lui ajouter 960 et 64 x 2 ;
I on aura donc, en définitive,
482x3 = 5824 + 960H-GiX2 = li9]2.
I 7. — Racine cubique d'un nombre fractionnaire
' à une unité près. — La règle et la démonstration
sont les mêmes que pour la racine carrée (V. Ra-
cine carrée, 7).
8. — Racine cubique d'un nombre quelconque
avec une approximation donnée. — On appelle
racine cubique d'un nombre N à - près, le plus
grand multiple de - dont le cube est contenu
dans N ; la fraction - s'appelle la fraction d'ap-
proximation.
Proposons-nous de trouver la racine cubique
de N à - près. Soit x le nombre entier par lequel
il faut multiplier - pour avoir cette racine; elle
sera alors - xx ou, plus simplement, - . D'après
la définition précédente, le nombre donné N sera
compris entre les cubes des deux multiples con-
; on aura donc ;
e)'<»<m"
RAGE
— 1789
RAGE
ou, en effectuant les cubes des deux fractions,
^'<N<(i±iI'.
Multiplions par n' tous les termes de cette dou-
ble inégalité ; nous aurons ainsi :
îi3<Nxn3<(j;+iP,
inégalité qui montre que le produit N X n^ est
compris entre les cubes des deux nombres entiers
consécutifs x et x + 1, ou en d'autres termes,
que X est la racine cubique à une unité près du
produit N X n^ ; d'où la règle suivante :
RÈGLE. — Pour avoir la racine cubique d'un
nombre arec une approximation déterminée, oji
multiplie ce notnbre par le cube du dénominateur
de la fraition d'approximalion ; puis on exlnnt
à une unité près la racine cubique ile ce produit,
et on divise cette racine par le dénominateur de
la fraction d'approximalion.
9. — Dans le cas particulier où lafraction d'ap-
proximalion est une fraction décimale, -jL, ■^■•■•t
la règle générale se simplifie et peut être alors
énoncée ainsi :
Mgle. — Pour obtenir avec une approxima-
tion décimale ilonn:e la racine cubique d'u7i nom-
bre quelconque, on réduit ce nombre en décimales
en calculiinl trois fois autant de chiffres décitiiaux
qu'on eji ilemandu à lu racine; puis oji extrait la
racine cubique du nombre décimal ainsi obtenu
comnif s'il était entier, en ayant soin de mettre
une virqule à la racine lorsqu'on abaisse la pre-
mière tranche décimale du 7iombre. Même dé-
monstration que pour la racine carrée (V. Racine
carrée, 9).
Remaruue. — La racine cubique approchée,
calculée par l'une des règles précédentes, est dite
par défaut, parce que le cube de cette racine est
inférieur au nombre donné. On pourrait avoir,
comme on l'a fait pour la racine carrée, la racine
cubique approchée par excès. Mais la question
n'a pas ici la même importance pratique et nous
n'y insisterons pas.
Il faut remarquer d'ailleurs que l'on a toujours
recours aux logarithmes, quand on vent obtenir
une racine cubique approchée ; la méthode directe
qui vient d'être exposée conduit, en effet, à des
calculs extrêmement longs et fastidieux, si l'on a
besoin de plus de deux ou trois chiffres exacts sur
la gauche de la racine, tandis que l'emploi des
tables de logarithmes permet d'obtenir presque
sans calcul la racine cubique d'un nombre quel-
conque avec 5 ou 1 chiffres exacts sur la gauche
(V. Logarithmes). [H. Bos.]
HAGIÎ. — Hygiène, XVI. — La rage est une
maladie contagieuse particulière aux animaux des
genres chien et chat. Les symptômes les plus or-
dinaires sont: un sentiment de clialeuret de cons-
triction à la gorge et à la poitrine, des accès do
convulsions, des accès de fureur et enfin la para-
lysie qui se manifeste peu de temps avant la mort.
Dans le plus grand nombre des cas, la constriction
de la gorge empêche la déglulitioii des liquides, et
la vue de ceux-ci, comme celle de tous les objets
brillants, peut provoquer des crises; mais dans le
conimencemeni de la maladie il n'y a point hylro-
phobie, c'est-à-dire horreur de l'eau, comme on le
croit généralement.
La rage est spontanée chez le chien et le chat.
Elle est transmissible par inoculalion à l'homme
et aux animaux.
La transmission de la rage par les animaux her-
bivores est assez rare, parce que leurs morsures
n'entament pas facilement la peau. Mais il importe
de constater que la contagion ss produit toutes les
fois que le virus suffisamment actif se trouve en
contact avec une partie excoriée ou blessée. Une
égratignure imperceptible, un petit bouton i la
peau suffisent pour laisser pénétrer le virus. Aussi
l'on connaît un assez grand nombre de cas de rage
chez l'homme causés par le seul contact de la sa-
live d'animaux enragés.
On ignore quelles sont, pour les animaux des
genres chien et chat, les causes de la rage spon-
tanée. C'est une maladie très rare dans les pays
intertropicaux et dans les régions polaires. Dans
les climats tempérés, certaines régions semblent
favorisées. La rage est rare en Espagne, presque
inronnue en Portugal et à Constantinople où les
cliiens sont si nombreux. Elle était inconnue en
Algérie au temps de l'occupation du pays par les
Arabes, mais depuis l'occupation française cette
maladie y est assez commune. Cela tient sans doute
à deux causes : la race de chiens a été remplacée
ou modifiée par des croisements; leur vie se trouve
aujourd'hui entravée par les habitudes européen-
nes. Il semble effet que la conirainte, la séques-
tration, soient pour beaucoup dans le développe-
ment spontané de la rage.
La saison chaude n'est pas, comme on le croit,
et comme la police semble l'affirmer, le temps le
plus propice pour le développement de cette ma-
ladie. Les jours caniculaires sont moins dange-
reux, sous ce rapport, que les mois de janvier,
de mars et surtout d'avril.
Le sang des animaux enragés ne possède au-
cune propriété virulente. Leur chair peut être
mangée sans inconvénient. Cependant il pourrait y
avoir quelque danger à disséquer un animal ou un
homme mort de la rage, si la peau dos mains n'é-
tait pas parfaitement intacte. Ou croyait en effet,
jusqu'à ces derniers temps, que le viru^ rabique
n'existait que dans la salive. Il est prouve aujourd'hui
qu'il existe également dans le mucus des bron-
ches, et il ressort d'une récente discussion à,
l'Académie de médecine (janvier 1881) que la
substance des glandes salivaires, celle des ganglions
lymphatiques et même la substance nerveuse
peuvent contenir ce virus. En effet, des lapins
inoculés avec ces substances, prises sur des su-
jets morts de la rage, n'ont pas tardé à succomber
à une maladie toujours identique. M. Pasteur est
sur la voie pour découvrir l'organisme microsco-
pique qui sans doute constitue le virus de la rage.
Il importe de remarquer que la salive d'un
animal enragé ne conlient pas dès le commence-
ment de la maladie le virus spécial, ou du moins
que ce virus ne s'y trouve pas toujours dans les
conditions inicessaires à sa propagation. C'est ce
qui explique pourquoi les deux tiers des person-
nes mordues par des chiens enragés, ou supposés
tels, ne contractent pas la maladie. Il peut arriver
aussi que l'animal ayant iuHigé une morsure à
travers des vêtements épais, ceux-ci aient essuyé
les dents au passage, de sorte que la blessure est
devenue inofl'ensive.
Comme toutes les maladies virulentes, la rage
ne se manifeste qu'après une certaine période
d'incubation. Celle-ci varie d'ordinaire, pour le
chien, entre six à douze semaines ; pour l'homme,
entre quatre et quinze semaines. Cependant on
connaît dos cas autlientiques qui mettent ces rè-
gles en défaut. Quant aux incubations d'une ou
plusieurs années (on en cite de vingt ans et plus !l
elles n'existent pas pour la véritable rage. On a
confondu avec cette maladie diverses affections
nerveuses dans les(iuelles il n'y a jamais produc-
tion de virus rabique.
Parmi les nombreux préjugés accrédités dans
le public au sujet de la rage, le plus dangereux est
celui qui représente cette maladie comme consis-
tant essentiellement en accès de fureur accompa-
gnés d'envie de mordre. De là. vient que bien sou-
RAGE
— 1790 —
RAISON
vent on reste sans défiance auprès d'un chien
atteint de la rage.
Chez cet animal, les premiers sympiomes, bien
que significatifs, ne ressemblent en rien à ceux
qui caractérisent les dernières périodes de la ma-
ladie. Ils consistent en une humeur sombre et une
agitation inquiète. L'animal clierche à fuir ses
maîtres, se retire dans les coins obscurs, obéit
lentement, tient sa tète cachée sous ses pattes et
sa poitrine. Quand il s'approclie de son maître, il
le regarde d'une façon étrange, mais semble plus
afl'eclueux que jamais. Le chien enragé, même
pendant la période d'excitation, mord rarement
ceux qu'il affectionne; cependant il peut suffire
d'une correction ou d'une excitation accidentelle
pour provoquer une morsure. Pendant celte pé-
riode initiale, l'animal parait souvent victime d'hal-
lucinations.
Un peu plus tard, le chien devient inquiet,
change continuellement de position, refoule puis
rejette sa litière, fouille partout comme à la re-
cherche de quelque chose. Si on lui offre à boire,
il lape comme d'ordinaire, mais la constriction du
«■osier empêchant la déglutition du liquide, il y
enfonce tout le museau et fait de vains efforts pour
En même temps qu'il refuse les aliments soli-
des, l'animal mord, déchire, broie et avale une
foule de substances: linge, cuir, terre, pierres,
verre, etc.
Quelquefois la bouche et l'arrière-bouche sont
sèches et enflammées; mais le plus souvent, sur-
tout pendent les accès, le chien enragé a la bou-
che remplie d'une bave écumeuse. Souvent les
symptômes d'étranslement qui se manifestent ont
fait croire que l'animal enragé souffrait seulenipnt
de la présence d'un os arrêté dans la gorge, et,
dans les manœuvres faites pour le soulager, l'o-
pérateur a contracté la terrible maladie par suite
d'une éraillure contre les dents mouillées de sa-
five. ... ,,
La voix du chien enrage est caractéristique ; elle
ressemble assez au cri du coq, mais bas de ton
et voilé ; après un premier aboiement ;\ pleine
gueule, on entend une série de trois ou quatre
hurlements décroissants qui partent du fond de
la gorge, et pendant lesquels les mâchoires ne se
rapprochent pas complètement.
Le chien et presque tous les animaux enrages,
même n'ayant pas encore eu d'accès, entrent en
fureur h la vue d'un chien et se précipitent sur lui.
D'autre part les chiens enragés inspirent une telle
frayeur aux animaux de leur espèce que les plus
robustes n'essaient même pas de se défendre
contre leurs attaques.
Souvent le chien s'éloigne de son habitation dès
qu'il ressent les premiers symptômes de la ma-
ladie et va mourir au loin. Mais plus souvent en-
core, après avoir erré un ou deux jours, il revient
au logis, et alors ceux qui l'approchent sont fort
exposés à le voir répondre par une morsure .'i leurs
caresses de bienvenue. Tout chien qui s'est
absenté sans cause connue doit donc être suspect, difiée
La terminaison de la maladie s'annonce par le
prolongement des périodes de repos et par la pa-
ralysie du train de derrière.
On ne connaît aucun remède contre la rage dé-
clarée. Le seul préservatif consiste à faire sortir
le virus de la plaie ou à l'y détruire sans retard.
Pour le faire sortir il faut agrandir la plaie, la
comprimer, sucer, ou y appliquer une ventouse. La
succion ne doit se faire que si la muqueuse de la
bouche est parfaitement intacte. La destruction du
virus dans la plaie n'est sûre et complète qu'au
moyen du fer rougi à blanc. On l'enfonce profon-
dément et on le laisse s'éteindre sur place.
Puisque l'on ne peut guérir la rage, il importe
de prendre toutes les précautions possibles pour
empêcher son développement spontané et sa pro-
pagation par inoculation. L'hygiène canine fourni-
rait peut-être des moyens de prévention suffisants.
En attendant, les mesures restrictives devraient
être maintenues en vigueur plus qu'on ne semble
disposé à le l'aire. Quoi qu'on ait dit pour affran-
chir les chiens de la muselière, les chiffres prou-
vent son utilité. En Allemagne, de 1845 4 1853,
liberté complète était laissée aux chiens: on con-
duisit à l'école vétérinaire de Berlin :ViS chiens
enragés. En 185i une ordonnance de police imposa
la muselière : le nombre de chiens enragés ob-
servés à l'école fut de 4; il y en eut 1 en 1855;
1 en 185G, et 6 de 1857 à 1861.
Nous n'avons pas à décrire la rage chez l'homme.
Disons seulement que la médecine emploie aujour-
d'hui une ressource précieuse : les anesthésiques
(chloroforme, éthen. qui calment les accès, voilent
l'horreur des crises, procurent au malade un vé-
ritable soulagement et atténuent pour ceux qui
l'entourent le spectacle de cette horrible maladie.
[D' Saffray.]
RAISON. — Psychologie, XlII. — On est sur-
pris au premier abord de la diversité des sens que
le langage semble attribuer au mot laison. Ainsi,
dans certains cas, raison signifie simplement l'état
sain de l'esprit, par opposition à la déraison, h la
folie : quand on dit, par exemple, d'un fou : // a
perdu la raison. Ailleurs on entend par raison la
justesse du jugement, la sagesse des vues : CH
orateur a raison; cette doctrine est pleine de rai-
son. La raison est encore le contraire de l'instinct,
l'activité réfléchie de l'homme par opposition à
l'activité instinctive de l'animal : L'animal est
privé de raison. Enfin la raison est le nom qui
désigne la plus haute des facultés intellectuelles,
celle qui nous révèle les idées universelles, né-
cessaires, absolues; en ce sens elle est opposée :\
l'expérience, c'est-à-dire aux sens et à la cons-
cience : ridée de la routeur dérive du sens de la
vite; l'idée du moi provient de la conscience :
ridée de Dieu, l'idée du bien ont leur source dans
ta rais07i.
Si l'on veut bien y réfléchir pourtant, on se con-
vaincra que cette diversité de significations est
plus apparente que réelle, et qu'au fond on re-
trouve partout la même raison différemment mo-
On doit suspecter aussi tout chien qui présente les
changements de caractère, d'habitudes que nous
venons de signaler, ou dont la voix perd son timbre
et son rythme ordinaire.
Quand la maladie atteint la période vraiment
rabique, la physionomie du chien est effrayante.
Il s'agite sans cesse, cherche à se délivrer de ses
entraves, à se jeter sur les hommes et les ani-
maux, mord tout ce qui se trouve h sa portée.
Dans les moments de calme et d'abattement qui
succèdent aux crises, la moindre excitation sulfit
pour renouveler sa fureur. La vue d'un liquide,
d'un objet brillant provoque presque toujours un
accès. Libre, il va droit devant lui, attaquant tous
les animaux qu'il rencontre.
La raison en effet est un ensemble de notions et
d'affirmations, d'idées et de jugements, de concep-
tions cl de principes qui président au développe-
ment intellectuel de l'homme. C'est parce qu'il
obéit à ces principes que l'espi-it marche correcte-
ment, normalement, et échappe à la folie, ou à la
sottise. C'est aussi parce qu'il s'appuie sur ces
principes que l'esprit est capable de diriger ses
idées, de gouverner sa conduite intellectuelle, de
s'élever en un mot h la réflexion. C'est donc tou-
jours la même raison qui s'oppose chez l'homme
soit aux aberrations de l'aliénation mentale, soit a
la fausseté des jugements, soit aux impulsions irré-
fléchies de l'instinct.
Une fois la raison définie il y aurait lieu de se
RAISON
— 1791
RAISONNEMENT
demander si elle est, comme le croient la plupart
des philosophes, quoique chose d'inné, un élément
absolument primitif de la constitution intellec-
tuelle de l'homme, ou au contraire, comme le
prétendent quelques penseurs modernes, parti-
sans de la doctrine de l'évolution, le résultat
lentement acquis du travail de l'intelligence à
travers les siècles. Mais cette question a été diji
discutée (V. Idées), et nous n'avons pas ày revenir.
Quoiqu'il en soit, innée ou héritée, la raison
existe en tout lioninie : elle est comme la lumière
naturelle qui éclaire tout individu venant en ce
monde. Seulement avec le progrès de l'âge et le
développement des facultés elle se manifeste sous
diverses formes.
L'enfant, dès le premier éveil do son intelligence,
est déjà sous la direction de la raison, mais cette
raison esta peu près inconsciente: l'enfant serait
incapable de lormuler les lois rationnelles dont
ses jugements sont l'application. Ainsi un petit
garçon de sept ou huit ans clierche avec son père
U]i objet perdu, et, ne le retrouvant pas, il s'écrie :
" Mais pourtant il faut bien que quelque chose
soit toujours quelque part! « N'est-ce pas déjà
exprimer sous une forme naive, et sans arriver à
s'en rendre compte tout à fait, la nécessité de
l'existence d'un espace infini où sont contenues
toutes les choses matérielles? De même, quand
l'enfant à qui l'on s'efforce d'inculquer l'idée de
la création du monde et l'idée du créateur, ré-
pond obstinément : « Mais avant Dieu, qu'est-ce
qu'il y avait donc'? » n'est-il pas évident que sans
le savoir son jeune esprit obéii au principe ration-
nel de causalité qui exige que toute existence
soit rattachée à une cause antérieure?
On pourrait multiplier les exemples de ces pro-
pos enfantins où se marque la première manifes-
tation, confuse encore et à peine consciente, de la
raison. Mais peu à peu la conscience s'éclaire, et
l'esprit, s'analysant lui-même grâce à la réflexion,
parvient à formuler nettement les lois rationnelles
qui le gouvernent : ce que les philosophes ont ap-
pelé, tour à tour, notions communes et univer-
selles, idées innées, vérités premières, vérités
nécessaires, catégories de l'intelligence, principes
constitutifs et régulateurs de la pensée.
Sans prétendre donner ici une énumération
complète et une classification définitive des élé-
ments essentiels de la raison, nous indiquerons
les principaux, en même temps que nous en mar-
querons le rôle et les fonctions dans l'activité in-
tellectuelle.
Distinguons d'abord les principes rationnels re-
latifs à la pratique, à la conduite morale, ce que
Kant appelle la raison pratir/ite, des principes
rationnels relatifs à la science pure, à la spécula-
tion théorique, ce que Kant encore appelle la
raison pure.
La raison pratique n'est pas autre chose que
l'ensemble des notions et des affirmations qu'on
désigne vulgairement sous le nom de conscience
morale. Qu'il y aune différence naturelle, absolue,
entre le bien et le mal, qu'il y a obligation né-
cessaire de faire le bien ou en d'autres termes
que le devoir existe, enfin que celui qui fait le
bien mérite, que celui qui fait le mal démérite,
voilà à peu près le contenu de la raison pratique.
Ce sont les fondements de la morale.
Quant à la raison pure, c'est elle qui règle
l'exercice de nos facultés spéculatives, qui domine
et détermine nos recherches scientifiques. C'est
elle encore qui nous révèle, en dernière instance,
l'Être idéal, parfait, absolu, Dieu.
Sans la raison, la science ne serait qu'une ac-
cumulation stérile de faits, sans liaison et sans
lois, d'expériences isolées sans cohésion. C'est
la raison seule qui permet au savant d'établir des
relations nécessaires entre les phénomènes. Elle
pourvoit à cette tâche par deux principes surtout :
le principe d'induction, et le principe de causalité.
Le principe de causalité peut être formulé ainsi :
Tout ce qui commence d'exister a une cause. En
d'autres termes, l'esprit humain n'admet pas de
solution de continuité dans l'ordre successif des
phénomènes. Tout ce qui commence d'exister doit
avoir son explication, son principe, sa raison
d'être. La recherche scientifique, en dernière
analyse, n'a pas d'autre but que de déterminer
les causes des faits. C'est l'observation, l'expé-
rience qui nous découvre, dans chaque cas donné,
la cause particulière qui est en jeu : mais c'est la
raison qui affirme d'avance qu'il y a une cause,
quelle qu'en soit d'ailleurs la nature. D'autre part
la raison nous fait une loi de croire à un ordre
immuable dans l'univers, à la constance néces-
saire des rapports observés entre les phénomè-
nes. C'est ce qu'on appelle le principe de l'iuduc-
tion, dont la formule sera : L'uni foi-mité de suc-
cession est la loi delà nature; il y a de l'ordre
dans l'univers ; ou encore : Les mémei causes pro-
duisent toujours les mêmes effets.
Mais la raison n'a pas seulement pour rôle de
régler les actes de la vie morale et de coordonner
les expériences de la recherche scientifique. Elle
est aussi la source des notions dont l'ensemble
nous permet de concevoir l'existence et la nature
de Dieu. Elle prétend à autre chose qu'à la direc-
tion de l'intelligence dans le monde réel ; elle
nous introduit dans le monde idéal et elle nous
fait entrevoir par delà les choses contingentes,
relatives, imparfaites, passagères et finies, l'être
nécessaire, absolu, parfait, éternel et infini, l'être
qui est la cause des causes, le principe de l'ordre
dans l'univers et le principe du bien dans la
conscience. [Gabriel Gompayré.]
KAISOJi.NE.MENT. — Psychologie et Logi-
que, XIL — Raisonner est une opération dis-
tincte de l'esprit, un acte intellectuel irréducti-
ble à tout autre. Il y a, dans l'activité de
l'intelligence, trois degrés, trois moments essen-
tiels, concevoir ou avoir des idées, juger ou asso-
cier des conceptions, raisonner ou lier des juge-
ments. De même que le jugement est l'assemblage
de deux idées, unies par un acte d'affirmation qu'ex-
prime le verbe être., de môme le raisonnement
est une suite, une liaison de jugements, rappro-
chés l'un de l'autre de telle sorte que le dernier
apparaisse comme la conclusion légitime et la
conséquence nécessaire des premiers.
Le raisonnement suppose donc diverses opéra-
tions préalables : qu'on a conçu nettement des
idées qui sont la matière du raisonnement ; qu'on
a, dans des jugements antérieurs, affirmé entre
ces idées des rapports déjà connus ; enfin, que ce»
affirmations elles-mêmes ont été attentivement
comparées l'une à l'autre. L'acte propre du rai-
sonnement consistera à faire sortir de cette com-
paraison un jugement nouveau implicitement con-
tenu dans les précédents.
De même que le jugement trouve son expression
verbale dans la proposition, qui est, comme on
sait, composée de trois éléments, le sujet, l'attri-
but et le verbe, de même le raisonnemeni,
rigoureusement exprimé, donne lieu au syllogisme,
c'est-à-dire à un argument formé de trois propo-
sitions. Dieu est parfait ; la tionté est une perfec-
tion : doue Dieu est Ijou. Dans tout syllogisme,
comme dans celui que nous prenons pour exem-
ple, il y a trois idées : ici. Dieu, la honte, la per-
fecti' n. L'une de ces idées sert d'intermédiaire,
de terme de comparaison entre les deux autres :
dans l'exemple choisi, c'est l'idée de perfection.
On l'appelle le moy n terme. On compare suc-
cessivement à cette idée de perfection les deux
autres idées qu'on est convenu d'appeler le yrand
et le petit terme, Dieu et hunté ; et après s'être
RAISONNEMENT
— 1792 —
RAISONNEMENT
assuré dans ces deux premiers jugements, appelés
prêiiiis'es, qu'il y a convenance, accord, entre
l'idée de perfection et chasune des deux autres,
on affirme dans la conclusion qu'il y a aussi con-
venance, accord, entre l'idée de Dieu et l'idée
de bonté. On applique en définitive à la compa-
raison des idées laxiome mathématique qui dit :
Deux quantités égales à une même troisième sont
égales entre elles. Ajoutons, sans entrer dans
d'autres détails et sans songer à faire connaître
ici la tliéoçie si compliquée du syllogisme, que
chacune des deux prémisses a un nom particulier :
on nomme majeure celle qui contient le grand
terme , mineure celle qui contient le petit
terme.
Le syllogisme n'est donc pas la même chose
que le raisonnement. 11 faut se garder de con-
fondre l'acte intérieur de l'esprit qui juge et qui
raisonne avec la traduction verbale qu'on lui donne
dans le langage.
Tous les raisonnements ne se prêtent pas d'ail-
leurs à être exprimés sous une forme aussi simple,
aussi courte que l'argument syllogistique. Dans
la plupart do nos raisonnements, les prémisses
sont autrement compliquées que dans le syllo-
gisme élémentaire que nous avons cité. Il y a
d'ordinaire plusieurs mineures et par suite la
comparaison des prémisses est délicate et labo-
rieuse. L'esprit n'arrive à la conclusion qu'au prix
d'un grand effort d'attention. D'autre part, il est
rare que le penseur qui raisonne même le plus
rigoureusement impose à son raisonnement la
forme syllogistique. Bien entendu dans la conver- |
sation, dans les discours, on n'use presque jamais |
du syllogisme, qui ne saurait racheter par le mé-
rite do la clarté et de la précision ce qu'il a de
lourd et de pédantesquo. Mais jusque dans les
écrits scientifii|ues, il y a longtemps qu'on a re-
noncé à l'emploi des formes syllogistiques que les
théologiens du moyen âge avaient essayé de met-
tre en honneur.
Il n'y a donc pas lieu de se préoccuper outre
mesure des règles savantes du syllogisme. L'étude
minutieuse et approfondie qu'en ont faite les lo-
giciens peut intéresser ceux qui veulent connaître
i fond le jeu et le mécanisme du raisonnement :
mais elle est plus curieuse qu'utile, et pratique-
ment elle ne peut guère prétendre à développer
l'art de raisonner.
Ce qui est plus important , c'est de recher-
cher s'il y a, dans la réalité des choses, une ou
plusieurs formes distinctes de raisonnement. Tous
les logiciens séparent Vinductiun de la déduction.
L'induction, disent-ils, s'élève des vérités particu-
lières à des vérités générales, du fait à la loi :
la déduction descend des vérités générales à des
vérités particulières , du principe à, la consé-
quence. Ou bien encore l'induction va de la par-
tie au tout, du moins au plus, la déduction suit
l'ordre inverse. Déduire, c'est échanger une pièce
d'or contre la menue monnaie dont la pièce doit
représenter la valeur : induire, c'est une opération
tout autrement difficile, et qui au premier abord
parait irréalisable et illégitime, c'est avec quelques
pièces d'argent de moindre valeur obtenir une
pièce d'or d'un grand prix.
Expliquons mieux encore la distinction du rai-
sonnement inductif et du raisonnement déductif:
nous verrons ensuite si la différence est aussi
réelle qu'apparente. Dans les sciences d'observa-
tion, d'expérimentation, on induit : les faits une
fois observés et constatés, on généralise ; on
affirme que la chaleur dilatera toujours et par-
tout les corps soumis à son influence, iiue la
pierre livrée ;\ cllo-môme tombera sous l'action
de la pesanteur en tout lieu et en tout temps.
D'une simple observation on passe à une affirmation
universelle. Dans les sciences abstraites et exac-
tes, on déduit : les axiomes et les définitions une
fois posés, on en recherche les conséquences. De
la définition du triangle et du cercle on fait sortir,
en s'appuyant sur tel ou tel axiome, une série dé
théorèmes. Ici l'opération logique est d'une légi-
timité manifeste, puisqu'elle consiste simplement
à mettre au jour les vérités contenues dans des
principes déjà admis.
Au fond et quoique les deux formes du raison-
nement paraissent provoquer l'esprit à deux mou-
vemoiits inverses, l'opération est la môme. En
eflet, dans toute induction, il y a une vérité gé-
nérale sous-entendue, majeure commune do tout
raisonnement inductif : c'est la croyance rationnelle
à l'ordre, à la constance, à l'uniformité de succes-
sion des phéiiomènes. Quand le physicien, après
avoir vu deux ou trois espèces de corps se dila-
ter sous l'action de la chaleur, déclare résolument
que tous les corps placés sous la môme influence
subiront les mêmes modifications, il semble au
premier abord que la seule base de son induction
soit la courte série de faits qu'il a observés. Il
n'en est rien, et ce qui autorise véritablement le
savant à accepter la loi générale, universelle qu'il
établit, c'est ce principe préalablement admis :
la nature est toujours et partout semblable à
elle-même. En d'autres termes, tout raisonnement
inductif peut être ramené à un syllogisme, dont
voici la formule: Les mêmes causes produisent les
mêmes effets (majeure): or, j'ai constaté deux
fois, trois fois que le phénomène A était la cause
du phénomène B : donc toujours et partout A
aura B pour effet.
L'induction et la déduction ne sont donc que
deux manifestations, deux formes différentes de
la môme opération logiijue. Ce n'est pas une rai-
son pour oublier qu'elles ont chacune leurs lois
propres, leurs règles spéciales, que l'on étudie dans
les deux parties fondamentales de toute logique,
la logique inductive, et la logique déductive. Pour
l'induction, il faut surtout par des observations
exactes, par des expérimentations habiles et répé-
tées, s'assurer que l'on ne confond pas la coïnci-
dence accidentelle avec le rapport constant de deux
phénomènes. C'est pour cela que l'on a recours à
dift'érents procédés que les logiciens modernes ra-
mènent à ce qu'ils appellent la méthode de con-
cordance, la méthode de différence, la méthode
des variations coticomituntes. La première con-
siste à montrer que partout où le phénomène A
se produit, le phénomène 11 se produit aussi ; la
seconde à établir que partout où A majiquc, B fait
défaut ; la troisième enfin, i prouver que toutes
les variations de A correspondent à des variations
équivalentes de B.
Pour la déduction, il faut être attentif à n'ad-
mettre que des définitions claires, précises, et des
principes qui soient ou des vérités évidentes par
elles-mêmes, c'est-à-dire des axiomes, ou des lois
indnctives scrupuleusement contrôlées.
Quand on connaît la nature et les diverses for-
mes du raisonnement, il est facile de comprendre
l'importance de cette opération intellectuelle.
Sans le raisonnemejit, la conjiaissance humaine
serait enfermée dans le cercle étroit des intui-
tions immédiates de la raison et des perceptions
directes de l'expérience. 11 serait interdit à l'intel-
ligence humaine de dépasser l'horizon borjié des
sens, de concevoir les lois générales qui consti-
tuent la science et par lesquelles l'esprit embrasse
l'univers entier.
Ce qu'il serait plus intéressant de montrer,
c'est comment on peut abuser du raisonnement,
comment trop de logique nous égare et nous
trompe, comment enfin il est vrai de dire de
l'esprit ce que Molière disait de la maison des
Femmes savantes :
Que le raisonnement en bannit la taison.
IIAPACES
— 1793 —
RAPAGES
Remarquons simplement que l'excès de la logi-
que, l'application à outrance du raisonnement à
n'importe quel sujet, peut, de conséquence en
conséquence, nous pousser jusqu'à des conclu-
sions qui, pour être régulièrement déduites, n'en
sont pas moins contraires à nos intérêts, h nos
besoins, et en opposition avec les faits.
Il nous reste à chercher dans quelle mesure
l'enfant est capable de raisonner, et Jusqu'à quel
point, par conséquent, il est possible do faire
intervenir le raisonnement dans la première édu-
cation. C'est la maxime favorite de Locke « qu'il
faut raisonner avec les enfants ». Le philosophe
anglais ajoute que o les enfants peuvent entendre
raison dès qu'ils comprennent la langue mater-
nelle, u Condillac, disciple de Locke en philoso-
pliie, s'inspire aussi de sa doctrine pédagogique.
« Il est démontré, dit-il, que la faculté de rai-
sonner commence aussitôt que nos sens commen-
cent à se développer, et que nous n'avons de
bonne heure l'usage de nos sens que parce que
nous avons raisonné de bonne heure... Les
facultés de l'entendement sont les mêmes dans
un enfant que dans un homme fait... Nous
voyons que les enfants commencent de bonne
heure à savoir les analogies du langage. S'ils s'y
trompent quelquefois, il n'en est pas moins vrai
qu'ils ont raisonné. » Et Condillac ,va jusqu'à
comparer cette initiation instinctive à la langue
maternelleavec le raisonnement de Newton décou-
vrant par une série de déductions et d'inductions
le système du monde.
Nous répondrons à Condillac et à Locke qu'ils
ont l'un et l'autre méconnu ce qu'il y a de géné-
ral, d'abstrait, de réiléclii dans le raisonnement,
et qu'ils confondent les formes élevées de la plus
haute opération intellectuelle avec ses formes
inférieures, avec les inférences irréflécliies que
'■'on peut observer jusque chez les animaux. Sans
doate l'enfant raisonne en un sens : mais cela,
sans presque le savoir, d'une façon à peu près in-
consciente. De plus, son raisonnement ne porte
que sur les objets familiers et sensibles qu'il
voit tous les jours. Ne lui demandez pas de rai-
sonner sur des idées abstraites. C'est à une logi-
que instinctive qu'il obéit quand il saisit les
analogies du langage. L'enfant de trois ou qua-
tre ans s obstinera h dire à le dwenU à le iar-
din, parce qu'il a entendu qu'on disait : à la
caclie, a la promeiuide; il supprimera la diversité
des conjugaisons, prononcera /,atter au lieu de
Outtre, parce que la plupart des verbes qu'il a
appris tout d'abord se conjuguent sur aimer. Mais
de ce que l'intelligence de l'enfant suit ainsi sans
conscience et sans réllexion la marche la plus na-
turelle, qui n'est la plus aisée que parce qu'elle
est a plus logique, il serait téméraire de conclure
qu U soit capable de raisonnements véritables, de
ceux qui supposent l'attention, l'effort de l'esprit,
1 enchaînement conscient des jugements et des
"*^„s^- [Gabriel Compayré.]
RAPACES. — Zoologie, .W. — Les I{r,p„ces
,„,r,'^V^ ' '•"'"" appelle communément Oi-
riic t,;,/™"^' diffèrent souvent beaucoup les uns
tiPs Hn ?n''rn»''J''' proportioos dcs divcrscs par-
.,LÎ^ , P "' ,î-^r ''^ "=""'•« du plumage, mais
conservent, en dépit a<, ^„, modilicaiions pï.Iî
Heures, un cachet particulier qm^'i^pt^t po nt
de méconnaître leur véritable nature. Ainli ^cnTz
tous les représentants de cet ordre, le crâiie s'é-
largit fortement dans le sens transversal, princi-
palement au niveau des orbites, qui sont sépa-
rées I une de 1 autre par une cloison verticale
ossiflce en majeure partie; le bec est toujours
très robuste, la mandibule pouvant d'ailleurs être
soudée intimement aucràneons'articuleràla région
frontale par une sorte de charnière ; le sternum
est très développé, surtout dans sa partie infé-
i' Pahtie.
rieure, qui présente parfois une paire de fenêtres,
et qui généralement est limitée par un bord entier
droit ou légèrement convexe. Les clavicules, sou-
dées en un os unique qu'on nomme la fourchette,
affectant la forme d'un U à branches très écartées,
et les os coracoidiens, qui sont destinés à four-
nir des points d'appui aux organes du vol, consti-
tuent une paire de piliers massifs entre l'omo-
plate et le sternum. L'humérus, un peu tordu
sur lui-même, est toujours un os puissant, muni
d'une crête très saillante où vient s'attacher l'ex-
trémité des muscles pectoraux, mais il varie de
largeur, de même que les os du bras, le radius et
le cubitus, suivant que l'oiseau est bon ou mau-
vais voilier. Quant aux métacarpiens, ils sont
séparé? l'un de l'autre par une lacune consi-
dérable.
Le bassin est étroit, allongé et fortement incliné
dans sa partie postérieure, en arrière de la cavité
où s'articule la tête du fémur. Ce dernier os est
épais, mais creusé vers le haut d'un trou qui
donne accès à l'air dans son intérieur ; il est for-
tement arqué en avant et suivi d'un tibia dont les
diuiensions varient considérablement d'un groupe
à l'autre, mais qui présente souvent à sa partie
inférieure (chez tous les Rapaces diurnes) un
pont osseux sous lequel glisse le muscle qui
sert à étendre les doigts. L'os du tarse, qu'on
considère souvent à tort comme l'os do la jambe,
mais qui répond en réalité au cou-de-pied|
reste, sauf dans un petit nombre d'espèces, plus
court que le tibia; il est comprimé d'avant en
arrière, garni sur la face postérieure d'une crête
correspondant au talon et creusé sur le face an-
térieure d'une large gouttière pour loger les mus-
cles digitaux qui, chez les Chouettes et cliez les
Balbuzards, passent sous un pont osseux ana-
logue à celui qui existe sur le tibia, chez d'autres
Rapaces.
A ces caractères fournis par le squelette s'en
joignent d'autres, purement extérieurs : ainsi le
bec, chez tous les Rapaces, est court, épais à la
base et brusquement recourbé, l'extrémité de la
mandibule tombant verticalement et dépassant
le bout de la mandibule inférieure, sous forme
de crochet acéré. Les pattes sont robustes et les
doigts, qu'on appelle plus particulièrement les
serres chez les oiseaux de proie, sont souples,
nerveux, admirablement conformes pour lier une
proie. Ils se terminent par de véritables gritfes,
qui, comme des harpons, maintiennent solidement
la victime en s'enfonçant dans ses chairs.
Les Rapaces ont donc une physionomie qui leur
est propre, à une ou deux exceptions près; ils se
reconnaissent facilement au premier coup d'oeil et
constituent dans le monde ornithologique un
groupe naturel, un ordre dont les limites ont été
à peine modifiées au milieu do nombreux chan-
gements introduits dans les classifications par
les progrès de la science (V. Oiseaux).
Cependant, en dépit de son homogénéité fonda-
mentale, cet ordre peut être subdivisé en groupes
secondaires. Et d'abord, les personnes môme les
moins versées dans l'étude des sciences naturel-
les reconnaîtront aisément parmi les oiseaux de
proie deux grandes catégories. Certains de ces
oiseaux ont, en effet, la face aplatie en forme de dis-
que, les yeux dirigés entièrement comme ceux de
l'honiMie, les narines en majeure partie cachées sous
des soies roides, le doigt externe de chaque patte
légèrementréversible, le plumage duveteux, touffu,
moelleux au toucher ; d'autres, au contraire, n'of-
frent point do disque facial ; ils ont les yeux laté-
raux, comme la plupart des oiseaux, les narines
à découvert, le doigt externe dirigé en avant,
comme le doigt médian et le doigt interne, le
plumage serré, formé de plumes étroitement .-«p-
pliquées l'une sur l'autre. Ces derniers Rapaces
113
RAPACES
— I79i —
RAPACES
poursuivent en général leur proie en plein soleil :
ce sont les Rapaces diubnesou Accipitres propre-
ment dits (de Acdpiter, nom latin de l'épervier) ;
les premiers, au contraire, cliassent dans les té-
nèbres et sont, pour ce motif, appelés Rapaces
NocTiiiNEs ou Sthigks [Strix, nom latin de la
chouette etTraye).
Au sous-ordre des Rapaces diubnes se rattache
u» oiseau qui a longtemps embarrassé les natu-
ralistes. Cet oiseau, c'est le Messager, (|u'on
nomme aussi Secrétaire ou Ser/jen/ahe, nous ver-
rons tout à l'heure pourquoi. Par sa taille élevoe,
par son corps monté sur de longues | attes, sur
des échasses. le Messager semblait appartenir i
l'ordre des Echassiers ; aussi l'avait-on placé à
côté des Hérons et des Cigognes; mais une élude
approfondie de son squelette a démontré qu'il
devait être rangé parmi les Oiseaux de proie. 11
a, du reste, tout à fait la tête et le bec d'un Ra-
pace, et il en a aussi les mœurs. Dans les grandes
plaines de l'Afrique australe, il fait une guerre
acharnée aux petits mammifères, et surtout aux
reptiles, aux serpents; il ne craint pa< de s'atta-
quer aux espèces les plus dangereuses, et il en
vient à bout grâce à son agilité, se servant tour
à tour et de son bec et de ses pattes pour frap-
per son adversaire et parant les coups avec son
aile étendue. Son régime lui a valu le nom de
Serpuitaire ; quant au nom de Secréluire, il lui
a été donné parce qu'il a sur le sommet de la
tête une huppe dn-igée en arrière et rappelant un
peu la plume qu'un écrivain public ou un secré-
taire met volontiers derrière son oreille, quand il
interrompt un instant son travail.
Par son aspect extérieur et par plusieurs points
de son organisation, le Messager ou Serpentaire
mérite assurément de devenir le type d'une sec-
tion particulière des Rapaces diurnes.
Une autre section doit être constituée en faveur
des Sarcorliamphes (Condors et Cathartes), qu'on
a presque toujours confondus jusqu'ici avec
les Vautours de l'Ancien Monde. Une particula-
rité de structure permet, cependant, de distinguer
immédiatement les Condors et les Catliartes :
chez ces Vautours du Xouveau .Monde, comme on
les appelle vulgairement, les narines communi-
quent largement entre elles et ne sont jamais
séparées lune de l'autre par une cloison osseuse.
Mais d'autres caractères peuvent encore être assi-
gnés aux Sarcorliamphes, en tenant compte de la
forme de leur sternum, fortement aplati, muni
d'un bréchet qui s'étend d un bout à l'autre de
l'os, et échancré de part et d'autre au bord infé-
rieur ; en considérant leur mâchoire inférieure
dont les branches se rapprochent en arrière, leurs
narines disposées en fentes longitudinales comme
chez les Gallinnacés, etc. Dans celte subdivision
rentrent non seulement le Condor des Andes '
(Sarc^rhamp/ius condor), mais le Condor de Cali-
fornie [Sarcorhamiihus ca/ifornicus), le Cathane
pape ou Roi des Vautours [Cathartes pajta\, l'U-
rubu {Cathartes atrotus), etc.
Enfin, une troisième section comprend la grande
majorité des Rapaces diurnes, et peut être à son
tour, pour la commodité de l'élude, partagée en
un certain nombre de groupes moins importants
établis sur des caractères extérieurs, ou sur des
diflérences de niueurs. On est en droil, par exi'in-
ple, d'admettre les familles suivantes : Falcvni-
des, Polyljoridés, Mitvidés, Circidès, Potij/,oroï-
rfidejv, Asturi'lés, Uu/éonirlés, CircaiUidês, Aqui-
lidés, Gypiietijiés et Vutturides, qui tirent chacune
leur nom d'un genre de Hapace.s.
La famille des Falconidés renferme des oiseaux
qui sont généralement de taille moyenne ou
même de petite taille, mais qui possèdent néan-
moins une grande force musculaire et qui oftrent
dans toute sa perfection le type des Rapaces. La
nature les a dotés, en effet, d'un bec crochu, muni
de chaque côté d'une dent trancliante. de pattes
robustes, de doigts déliés, armés de griffes redou-
tables, d'ailes longues et effilées, taillées .«pécia-
lement pour une locomotion rapide. Les Falconi-
dés, en effet, poursuivent volontiers leur proie à
travers les airs, ou fondent sur elle brusquement,
et ne craignent pas d'engager la lutte avec des
mammifères et des oiseaux de taille bien supérieure
à la leur. Aussi a-ton cherché de bonne heura
à tirer parti de ces instincts chasseurs des Falconi-
dés en employant ces oiseaux à la chasse, comme
auxiliaires. Du temps de la féodalité, non seule-
ment les rois et les grands seigneurs, mais jus-
qu'aux petits gentilhomnies faisaient élever i grands
frais quelques uns de ces oiseaux qui jouaient un
lùle important dans les fêtes et dans les divertis-
: semenis cynégétiques.
1 Dans la famille des Falconidés prennent place, %
1 côté des Faucons communs (Faucon pèlerin, Fau-
j con de Barbarie, etc.), les Faucons hobereaux, les
Gerfauts, les Cresserelles, les Faucons nains, etc.
Tous ces Rapaces ont, quand ils sont jeunes, les
parties inférieures du corps marquées de taches
longitudinales de couleur foncée, qui tendent à
s'effacer avec l'âge et qui chez les vieux individus
i sont remplacées par des stries et des gouttelettes.
, Le Faucon pèlerin niche sur des falaises escarpées
et dans les montagnes ; pendant la belle saison il
I se montre dans plusieurs de nos départements; le
Hobereau n'est pas rare non plus ; et la Cresse-
j relie est encore plus commune : c'est cet oiseau
aux ailes profondement découpées que l'on voit
souvent isolé ouen compagnie d'un autre individu
de son espèce, volant au-dessus des guérets et
. s'arrètant de temps en temps, les ailes frémis-
santes, au-dessus de quelque proie tapie dans un
sillon.
Les Polyboridés comprennent les genres Cam-
cara (Poli/borus) et Ihycter, Rapaces américains
qui ont été pendant longtemps réunis auï VuUu-
ridés, parce (|u'ils ont quelque chose de la phy-
sionomie des Vautours, avec leurs joues dénudées,
leur bec épais et allongé, et encore parce que,
comme les Vautours, ils se repaissent de ca-
davres.
Les Milvidés ont les ailes bien développées, la
queue ample et généralement fourchue, le bec
dépourvu de dent latérale, les pattes courtes, ter-
minées par des doigts moins longs et moins forts
que ceux des Faucons. Les Milans (.Milan noir.
Milan royal), qui vivent en parasites aux dépens
d'autres Rapaces ou qui se contentent de détriuis
animaux et végétaux, les Elanions, les Nauclers,
lesLeptodons ou liecs-en-croc, lesMacharrlinmphus
et les Buses Bondrées (genre Pernis). sont les prin-
cipaux représentants de cette famille. La Bondrée
apivore, qui vit en France et dans d'autres contrées
de 1 Europe, se nourrit principalement d'insectes
hyménoptères, de reptiles et de petits rongeurs.
Les Circidès ou Busards ont le bec plus court
que les Milans et les pattes beaucoup plus longues,
leur queue n'est point fourcline. Plusieurs d'entre
eux subissent des changements de plumage con-
sidérables et passent du roux ou du t'Un au bleu
cendré pâle. Souvent, à l'âge a(l"'fe. ils ont la face
entour.'e d'un cercle ri» fetites plumes qui leur
donnent une "<' rallie ressemblance avec les Oi-
seaux de nuit. Le Busard harpaye se nourrit non
seulement de reptiles, mais aussi d'œufs d'oiseaux
aquatiiiues ; le Busard Saint-.Martin et le Busard
Montagu fotit au contraire la guerre aux petits
rongeurs et rendent des services à l'agriculture.
Les Autours-clianieurs (Meherax) du continent
africain elles Autours-nains (/Ui«-as(«)',de 1 Amé-
rique chaude paraissent se rattach(?r à celle mémo
famille des Milvidés. .\u contraire, certains Ra-
paces de Madagascar qni ont, dans leurs formes
i
RAPAGES
— 1795 —
extérieures, quelques analogies d'une part avec
les Melierax, d'autre part avec les Caracaras,
possèdent un assez grand nombre de caractères
distinctifs pour constituer un groupe particulier
sous le iioni do Polyboroididôs.
Les Autours et les Eperviers, qui composent la
famille des Asturidos, ont le bec plus robuste que
celui dos liusards, les narines déliées, les doigts
courts et forts, les ailes médiocrement développées
et recouvrant, quand elles sont ployées, la moitié
de la queue, toujours très allongée. L'Autour des
Pigeons {Astur palumbarius) et l'Epervier vul-
gaire [Accifjiternisiis, L.) sont très communs dans
notre pays et font la chasse aus petits rongeurs,
aux passereaux, aux pigeons et aux volailles de
basse-cour.
Les Butéonidés se reconnaissent facilement à
leur tète assez grosse relativement au corps, à
leur bec comprimé et largement fendu jusque
sous les yeux, à leurs ailes qui,, au repos, n'at-
teignent jamais l'extrémité de la queue, à leur
corps épais, reposant sur des pattes robustes.
Leur mandibule supérieure ne présente jamais de
dent latérale comme celle des Faucons, elle est
simplement festounée sur le bord, et leurs tarses
sont recouverts par les plumes un peu au-dessous
de 1 articulation ou même sur une grande partie
de leur longueur. Parmi les genres assez nombreux
qui composent cette famille, deux seulement sont
représentes dans la faune française, chacun par
une seule espèce, le genre Buse proprement dit
par a Buse commune (Buteo vulgari,), et le genre
Archibuse par l'Archibuse pattue {Archâu/eo
'agopusYX la même famille appartient la Harpie
féroce {Thrasaetus hurpijia), grand rapace, aussi
dUona*}" "" ' ''"' "'' '*^'" ''^'"énque méri-
L'Aigle Jean-le-Blanc (Civcaetus qallicus). qui
habite le pourtour du bassin méditerranéen et
certaines contrées de l'Europe occidentale et cen-
trale, et qui se nourrit de petits mammifères,
Ip f!nt"5 '^f "^^ reptiles, doit être regardé comme
e type de la petue famille des CircaêUdé:<, dans
aque le vient se placer aussi l'Aigle bateleur
[Helotai-sus ecaudatus) du continent africain
Les raen,bres de la famille des Aquilidés ou les
Aigles sont toujours do grande taille, mais res-
semblent aux Buses par leurs traits généraux et
en re autres par la forme de leur bec, qui est
Zrftt T •", """,'" '"'''"'"• "^ «0"t répandus
tnn.IP ^^ ""■'^'''' .^^ S''^'^"' '"^'^"« n'ont pas
rAil lP f """ ^';'!''' ''■? '"^' l^elques-uns, comme
Aigle fauve {Aciuila faim), l'Aiglè criard
enan "sT '' ' ^'^'^ impérial (^. i.nlerialU) se
tenant sur es rochers inaccessibles ou dans les
V?.T a'Î"'''' 'I'''"'^'^^' ="> contraire, comme
Aigle pêcheur d^Europe [A. albicilln] et' l'Aigle i
ête blanche des Etats-Unis yA. leucocephala) han- '
fleï.vi'» r ' ''/ "'^Ses de la' mer et les bords des
HfnInf■,^''^^'"■""='■'• '"-'^ '^'S'^^ pêcheurs, cons-
tituent le petit genre Pygargue {Hahaètus).
r^nnf '■'>'i''"r';"',es qu'on a souvent, mais à tort,
réunis aux Aigles, semblent avoir emprunté cerl
où; a™"^''f ,'"k ^'^"'""'■s. lisent le bec assez
jouis, Te somiat d^l^rêTe efl^ir ''''"""'' '''
de plumes cotonneulei A "^ '"• ^"f^'' couverts
de 'plumes UncTollTuu''r^''^L!\t^T. ^^""^
leur queue est étagée et leurs tarses sont émnlu:
mes sur la plus grande partie de leur longueur
Ce sont des mseaux de forte taille, qui se tien'
nent sur les cimes escarpées et qui se côntentenV
volontiers de proie morte. Dans'les llpe e lé
Enfin ia famille des Vautours ou Vulturidés
comprend toute une série d'oiseaux qui, ei dé
pu de leurs dimensions égales ou niê.ne supé-
RAPPORTS
rioures h celles des Aigles, no sont jamais douce
d'une force musculaire aussi considérable, qui
ont le bec plus long, moins crochu, les serres
bien moins puissantes. Ces Rapaces portent géM-
ralementune livrée brune ou jaunâtre; ils ont fré-
quemment la tête et la partie supérieure du cou
dénudées et colorées en bleu, en rose pâle, etc. Le»
Vautours se repaissent de charognes. Ils sont
très nombreux dans certaines contrées de l'Afri-
que et en Asie Mineure. Dans les Pyrénées on
tue parfois le Vautour arrioa {VuHur monnchui).
Les R.\PACESNOCTuitNEs ou Striges, de môme ique
les Rapaces diurnes, peuvent être subdivisés eii
groupes secondaires ou familles. Ainsi les Effrayes,
par la brièveté et la largeur de leur sternum,
parla gracilité de leurs tarses, par la nature serré«
et la coloration paie, jaunâtre ou blanchâtre d«
leur plumage, se distinguent facilement des
Chouettes ordinaires et des Hibous et doiveat
constituer la famille des Strigidés, ayant poiLr
type l'Effraye commune {Slrix flammaa).
Les Grands-Ducs, chez lesquels la conque au
ditive est de grandeur moyenne et dépourvue
d'opercule, et les Hulottes, chez lesquelles cette
même conque est très développée et toujours
operculée, forment deux autres familles, celle des
Bubonidés, ayant pour type le Grand-Duc d'Eu-
rope (Buho mnximus), et celle des Syrniidés, ayant,
pour type la Hulotte {Syriiiuiii a'uco). X la ft-
mille des Bubonidés se rattachent les Petits-Duos,
dont une espèce (Stops gui ou Sco/is Aldravaiidj)
est très commune dans nos contrées, les Chefè-
clies(.4/Aene), et quelques genres exotiques. Diiis
la famille des Syrniidés rentrent d'autre part ce*
.■Uoyens-Ducs (Asiu) qu'on désigne vulgairement
sous le nom de Hibous et qui sont représentés
en France par le Hibou vulgaire (Asia otiiif) ■^'it.
Hibou brachyole [Asio Orachi/olus).
Tous ces Rapaces restent cachés pendiat ia
jour dans des trous d'arbres, sous la feuiUée ou
dans de vieux édifices, et, sauf de rares excep-
tions, ne se mettent en chasse qu'après 3e rçbu-
cher du soleil.
Leur vol est silencieux, et grâce i leurs grand»
yeux qui, comme ceux des chats, voient adm'rra-
blement dans la demi-obscurité, ils parviennent à
s'emparer des petits oiseaux ei des mammifères
endormis En raison de leur apparence stupide et de
la gaucherie de leurs allures, on leur a voué de-
puis longtemps une haine imméritée; on lésa,
considérés comme des oiseaux de mauvais au-
gure, et on les a détruits sans pitié. Mais il e«.
temps de réagir contre de semblables préjngés-
Dans les campagnes les Chouettes et les HibotM
font une guerre acharnée aux souris et aux mu-
lots, ces fléaux de l'agriculture, et doivent jjar
conséquent être protégés comme des oiseaux
éminemment utiles. (E. Oustalet.l
BAI'PUUTS. — Arithmétique, XX.WIH. — Oa
appelle rapport de deux grandeurs de même es-
pèce le nombre qui mesure la prejnière quand ok
prend la seconde pour unité.
Supposons pour fixer les idées, que les gran-
deurs de même espèce dont on veut trouver le
rapport soient deux longueurs que je désigne
par A et B. Pour obtenir ce rapport, il faut, d'a-
près la définitmn précédente, prendre la longueur
B pour unité, et lue.surer la longueur A au moyen
de cette unité; il peut alors se présenter trois cas.
i'"' Cas. — La première longueur A coniient lî
seconde exactement, cinq fois, par exemple La
longueur A est alors égale k 5 fois l'unité de Ion
gueui- ; sa mesure, ou ce qui est la même chose,
le rapport de A et B est alors exprimé par le nom-
bre entier 5.
2" Cas. — La première longueur A ne contieiot
pas exactement la seconde; mais elle coniieia
exactement une partie aliquote de cette deuxièœa '
RAPPORTS
— 1796
RAPPORTS
longueur. Supposons, par exemple, que lo cin-
quième de la longucîur B soit contenu exactement
trois fois dans la longueur A ; alors la longueur A
3
est égale aux - de la longueur B ; par conséquent,
si l'on prenait la longueur B pour unité, la me-
sure de A serait exprimée par la fraction -; en
d'autres termes, le rapport de A à B est égal
Dans les deux cas que nous venons de considé-
rer, il existait une longueur qui était contenue
exactement dans cliacune des longueurs A et B ;
dans le premier cas, c'était la longueur B elle-
même, et dans le second cas, c'était le cinquième
de B ; c'est ce qu'on exprime ordinairement en
disant qu'alors les deux longueurs A et B ont une
commune mesure, ou qu'elles sont commcnsura-
blés entre elles. D'une manière générale, on ap-
pelle commune mesure entre deux grandeurs de
même espèce, une troisième grandeur de la même
espèce, qui est contenue exactement dans les deux
premières.
Lorsque deux grandeurs de môme espèce ont
une commune mesure, leur rapport s'obtient en
cherchant combien de fois ta cummune mesure est
contenue dmis cliacune des grandeurs, et en dici-
snnt l'un par l'autre les deux nombres ainsi trou-
vés. Supposons, par exemple, qu'on demande le
rapport des capacités de deux vases, et qu'on ait
reconnu que le premier contient exactement
12 fois la capacité d'un troisième vase, et que le
second contient exactement 5 fois cette même ca-
pacité, la capacité du premier vase vaudra évidem-
12
ment les -r- de celle du second ; le rapport cher-
ché sera donc égal à -r^i c'est-à-dire au quotient de
la division des nombres 12 et 5 qui indiquent
combien de fois la commune mesure est contenue
dans chacune des grandeurs considérées.
3' Cas. — Il peut arriver que deux grandeurs
de même espèce n'aient pas de ( ommune mesure,
qu'elles soient incnmmensurables entre elles ;
mais ce cas n'a aucun intérêt dans la pratique et
nous ne nous y arrêterons pas. On peut d'ailleurs
toujours obtenir une valeur aussi approchée qu'on
voudra du rapport des deux grandeurs, en rem-
plaçant la première par une autre qui en diffère
très peu et quisoitcommensurable avec la seconde.
Exemples. — Le titre d'un alliage d'or ou d'ar-
gent est un rapport; c'est le rapport du poids du
luétal fin contenu dans l'alliage au poids total de
cet alliage. (V. Système métrique.)
Le rapport de la valeur de la monnaie d'or à
celle de la monnaie d'argent, i poids égal, est 15,5
(V. Système métrique).
La densité d'un corps est le rapport du poids de
ce corps au poids d'un égal volume d'eau (V.
Densité).
On pourrait donner beaucoup d'autres exemples
de l'emploi de ce mot rapport. 11 est important
de remarquer: 1° qu'on ne peut jamais parler du
rapport de deux grandeurs, si elles ne sont pas
de même espèce ; 2° qu'un rapport est toujours
un nombre abstrait.
Rapports itiverses. — Un rapport peut toujours
être considéré comme une fraction ; car s'il cal
entier, on peut le mettre sous forme fractionnaire
en lui donnant l'unité pour dénominateur. Cela
posé, deux rapports sont dits inverses l'un de
l'autre lorsque le numérateur de l'un est ét,'al au
dénominateur de l'autre, et réciproquement ;
ainsi 4 et 7 sont des rapports inverses ; il en est
duit de deux rapports inverses est alors égal à 1,
et l'on peut dire, par conséquent, que l'inverse
d'un rapport est égal au quotient de la division de
l'unité par ce rapport.
Deux grandeurs étant données, si l'on connaît le
rapport de la première h la seconde, on aura le
rapport de la seconde à la première en prenant
l'inverse du premier rapport. Supposons, par
7
exemple, que le rapport de A à B soit égal à --,
cela veut dire que A vaut 7 fois le 5' de B, ou
bien que, si l'on partage A en 7 parties égales,
chacune d'elles sera égale au ô' de B ; B contient
donc 5 fois la 7= partie de A ; ou en d'autres ter-
mes, le rapport de B à A est -, rapport inverse
RÈGLE. — Pour avoir le rapport de deux grayi-
deurs i/e même espèce, on /es mesure toutes les
deux avec une même unité, et on divise l'un par
l'autre les deux nombres aitisi obtenus.
Supposons, pour fixer les idées, qu'on veuille
obtenir le rapport des poids de deux objets; on
les pèse et on trouve que le premier pèse ^"«,2 ;
et le second, "."«,45; je dis que le rapport demandé
est le quotient :
320_
'lib
En l'ffet, prenons pour unité de poids le centième
du kilogramme, c'est-à-dire le décagramme; nous
pourrons dire alors que le premier objet pèse
320 décagrammes et que le second en pèse 745.
Le décagramme est donc une commune mesure
entre les poids des deux objets, et elle est conte-
nue 320 fois dans le premier et 745 fois dans le
second ; par conséquent, le rapport des deux poids
est égal, d'après ce qui a été démontré plus haut,
au quotient 320 : 745 ; c'est ce qu'il fallait prouver.
La règle précédente fournit le moyen pratique
de déterminer le rapport de deux grandeurs;
mais il faut avoir soin dans les applications de
rapporter à la même unité les mesures des deux
grandeurs.
Rapport de delx nombiies. — On appelle rapport
de deux nombres, le quotient de la division du
premier par le second. C'est par une extension
toute naturelle qu'on donne au mot rapport cette
nouvelle acception ; car si les deux nombres
donnés représentaient les mesures de deux gran-
deurs de même espèce, le quotient de la division
de ces deux nombres serait égal au rapport des
deux grandeurs.
Les deux nombres s'appellent les deux termes
du rapport; le dividende porte le nom d antécé-
dent ou de numérateur; le diviseur, celui de con-
séquent ou de dénominateur.
On écrit ordinairement un rapport sous la forme
d'une fraction, en plaçant lantécédent au-de«us
du conséquent et en les séparant par un ■■'^''''°'
rizontal. On peut aussi écrire le '■^'"^'^ll^'".* '^
suite de l'antécédent en les .6,.arant par le signe
de la division O- ^i'"' '« "pport du nombre 47
au nombre 19 peut s'écrire soit -^, soit 47 : 19.
11 est à remarquer que les rapports diffèrent
des fractions proprement dites, parce que les deux
termes d'un rapport peuvent être des nombres
tout à fait quelconques, entiers, fractionnaires ou
décimaux, tandis que les deux termes d une frac-
tion sont nécessairement entiirs.
De la définition du rapport do deux nombres
, résultent les deux règles suivantes :
RAPPORTS
— 1197 —
RAYONNEMENT
Quand on cannait la valeur d'un rapport et
celle du cnnscquunt, on obtient l'antécédent en
mulliplinnl les deux nom'û-es connus. C'est ainsi,
par exemple, que le poids du métal fin contenu
dans un alliage d'or ou d'argent est égal au pro-
duit du poids total par le titre.
Quand on connaît l'antécédent d'un rapport et
le rapport lui-même, on obtient le cotitéguent en
divisant l'antécéd-nt par la valeur du rapport.
Ainsi, le poids total d'un alliage d'or ou d'argent
est égal au poids du métal fin divisé par le titre.
Calcul des rapports. — Bien que les rapports
ne puissent pas être assimilés complètement aux
fractions, les règles du calcul des rapports sont
absolument identiques à celles du calcul des frac-
tions, comme nous allons le démontrer.
La valeur d'un rapport ne ctiange pas quand
on multiplie ou qu'on divise ses deux termes par
un même nombre entier ou fractionnaire.
3 [ 5
Soit le rapport -: -^ ; en multipliant ses deux
termes par un môme nombre, -, par exemple, on
obtient le nouveau rapport (i- X ^) : ( — X q ) i
je dis que ces deux rapports ont la même valeur.
En effet, la valeur du premier rapport est :
3 , 15_ 3X8 .
7 ■ S ~7x li'
la valeur du second rapport est :
•3 X -2 . 15x2 _ 3x2X8X9
IXa' 8X9 "7X9X15X2
Or cette seconde fraction ne diffère de la première
que parce que les deux termes ont été multipliés
par 2 X 9 ; ces deux fractions sont donc égales, et
c'est ce qu'il fallait démontrer.
A l'aide de ce principe, on pourra simplifier un
rapport et réduire plusieurs rapports au même
dénominateur, comme si l'on avait afl'aire à des
fractions ordinaires. On pourra donc aussi addi-
tionner et soustraire des rapports exactement
comme des fractions.
Le produit de deux rapports est égal au rap-
port du produit des antécédents au produit des
conséquents.
Considérons les deux rapports :
[i^^)'-{i^ïi)-'r.
r : : et
11 ■ u'
et proposons-nous d'en trouver le produit. Il faut
d'abord ramener chacun d'eux i la forme fraction-
naire ordinaire ; le premier est égal ii :
et le second à
3x7
5x-.i'
4XC .
11X6'
leur produit s'obtient alors aisément par la règle
de la multiplication dos fractions ; il est égal à :
3X7X4XG
SX'^XUxô'
Mais cette fraction elle-même peut s'écrire :
{i-^)-Qxiy
ce qui montre qu'elle est égale au rapport du pro-
duit des antécédents à celui des conséquents.
On démontrerait de môme que le quotient de la
division de deux rapports est égal au produit du
rapport dividende par l'inverse du rapport divi-
seur.
Remahoue. — Il est indispensable de connaître
les règles du calcul des rapports et de savoir que
ces règles sont identiques à celles du calcul des
fractions, pour établir dans toute leur généralité
les propriétés si importantes des proportions (V.
P7-oporlions). [H. Bos.]
R.VVONNEMEINT. — Physique, XX. — Tout
corps chaud placé dans une enceinte, qu'il soit lu-
mineux comme un boulet incandescent ou obscur
comme un vase rempli d'eau bouillante, envoie
de la chaleur autour de lui dans toutes les direc-
tions. C'est i celte propagation que l'on donne
le nom de rai/ounement.
A l'époque où l'on considérait la chaleur comme
un fluide que l'on définissait par ses manifesta-
tions les plus frappantes, on appelait c/ialeur
rayonnante celle qui se transmet du corps chaud
au corps froid en traversant l'espace. On avait
été amené par l'observation h distinguer la cha-
leur qui provient des sources lumineuses telles
que le soleil ou les corps en combustion, et celle
des sources obscures. On savait que la chaleur
lumineuse du soleil traverse le vide, puisqu'elle ne
nous arrive qu'après avoir franchi les espaces in-
terplanétaires où il n'existe aucune matière pon-
dérable. Rumford avait montré par une expérience
restée classique que la chaleur obscure se propage
également dans le vide. On reconnaissait donc à la
chaleur rayonnante, comme propriété saillante, la
possibilité de se transmettre sans le secours de la
matière pondérable et de traverser certains corps
sans les échauffer. L'étude du rayonnement so
bornait alors aux principaux faits de cette trans-
mission.
Aujourd'hui la notion de rayonnement n'est plus
limitée à la propagation de la chaleur; mais elle
s'applique aux diverses radiations du spectre. La
lumière et la chaleur sont pour le physicien deux
effets différents d'une même cause, la chaleur
obscure ne difTore do la chaleur lumineuse que par
sa moindre réfrangibilité. La transmission de la
chaleur et tous les pliénomènes qui en résultent
ne peuvent plus être séparés de la transmission de
la lumière. Cependant, au point de vue des appli-
cations, il y a encore avantage h faire du rayonne-
ment de la chaleur une étude particulière et spé-
ciale, sans oublier l'analogie profonde de la lu-
mière et de la chaleur et sans rien négliger de
tout ce que la connaissance du rayonnement lumi-
neux peut apporter de clarté et de précision dans
ce vaste sujet.
La division s'impose nettement : d'un côté un
corps chaud qui envoie, de l'autre un corps qui
reçoit et s'écliauffe ; entre eux un corps qui trans-
met sans s'échauffer.
La transmission jette un certain jour sur les par-
ticularités des autres phénomènes, aussi l'étu-
die-t-on la première.
1. Transmission de la chaleur. — De même
qu'il y a des substances plus ou moins transpa-
rentes pour la lumière, de même il y en a de plus
ou moins transparentes pour la chaleur. On a ap-
pelé diatliermanes les corps qui laissent passer la
chaleur, athermanes ceux qui l'arrêtent.
On sait que certaines substances transparentes
ne laissent passer que quelques-unes des radia-
tions de la lumière blanche ; ainsi un verre forte-
ment coloré ne se laisse traverser que par les
rayons de sa couleur ; le verre rouge laisse passer
les rayons rouges et éteint les autres. Il se passe
quelque chose d'analogue pour la chaleur.
Le sel gemme est la seule substance complète-
ment diathermane pour toute espèce de chaleur j
il laisse passer aussi bien les chaleurs obscures
que les chaleurs lumineuses. On s'en est servi, en
RAYONNEMENT
— 17U8 — KAYONNEMT TERRESTRE
îfe. mettant sous forme de prisme, pour produire ihermo-électvique pour qu'elle accuse instantané
!é ïçectre des diverses sources calorifiques. On
pu se convaincre que li.'S rayons émis par le soleil
ment de la clialeur reçue.
Les substances mates telles que le papier, le
.. „.„ les corps en combustion, autrement dit par blanc de céruse, les métaux dépolis, sont celles qui
Ifcs' sources calorifiques lumineuses, se partagent diffusent le pins. , , . ,
«Ddcux groupes : les uns, plus déviés par le prisme, ' La quantité de chaleur ah.^orbee par c corps OU
spnt à la fois lumineux et calorifiques; ils im- retenue par lui, qui cesse d être chaleur rayon-
»r£Ssionnent l'oeil aussi bien que les appareils nante et se manifeste par une élévation de lem-
sensibles seulement à la chaleur comme la pile de pér.iture, est évidemment 1 inverse de la portion
Melloni ; les autres, moins réfrangibles par le réflécliie régulièrement ou irrégulièrement. Les
ip-isme, sont seulement calorifiques; ils n'agissent , corps polis renvoient presque tout « .H" "s ont
nue sur la pile et aucunement sur l'œil. reçu, ils n'absorbent et par suite ne s échauffent
Des expériences faites par Melloni et plus ré- que peu. Les corps mats, au contraire, qui ne re-
ecmment par d'autres savants, il résulte que le [ fiéchissent ou ne diffusent que très peu, absor-
wrre est diathermane seulement pour les cha- 1 bent beaucoup et s échauffent vite.
leurs rumineuses; il ne se laisse pas traverser par 3. Emission de la chaleur. - Tout corps ciauQ
1rs chaleurs obscures. La vapeur d'eau est dans émet dans toutes les directions autour de lu des
Je même cas. L'iode dissous dans le sulfure de car- radiations complexes composées d un ensemble ûe
hone agit d'une manière absolument contraire; il , rayons dont la réfrangibilité varie avec la tempe-
ii£ laisse passer que les chaleurs obscures, arrô- ; rature. L'émission se fait on ligne droite entre e
»ant com-plétement la lumière et la chaleur dont , corps et un point donne de 1 espace : au-dessous
Wnt coniplètem
elle est accompagnée.
de 100°, il n'y a que des radiations peu rcfrangi-
tes conséqueifces de ces faits sont intéressan- blés, qui traversent à peine la plaque ou le .P"sme
tes. Cette propriété du verre permet de compren- ] de sel gemme, mais sont "1''^^;;™^ ' ^7f '^«'J' ,P.f
drc pourquoi l'espace couvert d'un châssis vitré , une lame de verre mince. De ICO àoOO 'es rama-
s-.échauffe plus par la chaleur solaire que le même tions sontencore obscures, mais se rapprochent oes
espace voisin qui est découvert. Sur chacun d'eux radiations visibles du spectre ; vers '0" f ^"-'>«^-
H arrive une égale quantité de chaleur lumineuse sus, il y a en même temps que les "dictions ca 10-
0,11 échauffe il sol et devient de la chaleur rifiqnes des radiations lumineuses. On comprend
o^cure ; mais tandis que rien n'empêche le sol alors que la quantité totale de '■''^'e"[^'^' Jf •/°'*
découvert de rayonner et de perdre cette chaleur | dans toutes les directions, soit seiUement dans
obscure, le verre du châssis s'oppose au passage et
à la perte de la chaleur obscure venue de l'espace
qu'il recouvre.
La propriété de la vapeur d'eau de ne pas laisser
une, augmente avec la température du corps.
Les expériences sur l'émission n'ont guère
poité que sur les chaleurs obscures les moins
réfrangibles. C'est Leslie qui le premier les a
passer la chaleur obscure, tout en étant dialher- faites. Il employait comme source de chaleur un
Lne pour la chaleur lumineuse, explique pourquoi cube métallique contenant de Ijf^^/i'"'''^^"^^^^
lu refroidissement nocturne du sol est toujours | dont les faces étaient recouvertes de diverses
olus grand quand l'atmosphère est sans nuage, i substances. ,,,.,.,., „„r,„„ „, Hans ries
4e lorsqu'un rideau de vapeur d'eau peut s'op- Il a, trouve qu'à égalité de surface e dans des
leau de vapeur a eau peut, s op- ii a uuuvu i^. » ^b-...^ «^ -.-•■- .,,
de la chaleur obscure que le sol conditions identiques de '■•'mP'?''''»"'''^' 'j',^"^' "!;
de chaleur émise par un corps varie avec la nature
de sa surface.
Le noir de fumée est celui de tous les corps
■ st devenu le terme de
Et on
squ
joser au passag
rayonne vers l'espace.
2. Ln chaleur et le corps à échauffer. — La cha-
leur arrivant sur un corps peut être réfléchie
comme la lumière, c'est-à-dire renvoyée dans une , qui rayonne le mieux; il e:
direcUon unique et déterminée, si le corps est comparaison du 7''y"""^!"^"' f^\^ rionné le rap
poli ; elle peut être diffusée, c'est-à-dire renvoyée appelle pouvoir em,ss,fd "," .'^"Jf J,°"°'. ''l/r ^
L ;„.,,» rtans inntes les directions Dossibles; ' DOrt entre la quantité de chaleur rajonnee par c(
M partie dans toutes les directions possibles ; port entre la quantité de chaleur rajonnee p.. ^^
enfin elle est absorhée par le corps dont elle élève ! corps et celle que rayonnerait le noir de lumee
I dans les mômes conditions.
D'une manière générale les corps rugueux ont
1 un pouvoir émissif plus fort que les corps polis;
les métaux à surface polie sont les corps dont le
if est le plus faible. Cette propriété
miroirs conjugués imaginée par Leslie. De tous des physiciens, etc. ..;,,„,„ont ri'nn
!es corps, ce sont les n.étaux polis qui réfléchis- Ajoutons que le .^''-f™'^ f/f f^"' ^. "" ,
sent le mieux la chaleur. placé dans une enceinte, dont a te^Pf f »
la température.
La réflexion de la chaleur se fait idenlique-
nient d'après les mêmes lois que pour la lumière.
C'est un fait hors de doute en ce qui concerne la
chaleur lumineuse; on sait en effet qu'on peut | pouvoir émissit est le pms ia.uie^..._..^r.^,'. -y-
roilammer un corps combustible au foyer d'un ] juslihe 1 emploi que 1 on f^'*; °f .";'^^f"''„,PQÙe
miroir concave sur lequel on fait arriver la lu- toutes les fois que 1 on ^'^t .."^f '^ "* ^^."''Jl',^,^d ^
mière solaire. C'est aussi vrai pour la chaleur possible !« ,«f™id.>ssement d un liquide ch^^^^^
obscure, comme le prouve l'expérience des deux telles sont les théières d argent, les calorimètres
corps
pérature est
■La'"di/?i«To« de la chaleur est également un 1 inférieure" à" la sienne n'est pas dii ^" J^J;»""?-
Bhéncmène analogue à celui qu'on observe pour ment seul; la ^"'^ti'r /^f "^ .'!"' f \oX« et
l lumière. Si dans une chambre obscure on fait corps lui enlève aussi de la chaleur au contact et
■ se renouvelle sans cesse autour de ]"'■ ^ esi ui
phénomène complexe qui dé|.e«d sans contredit
dn pouvoir émissif et de l- «mperature du corps
chaud, mais aussi de la température de 1 enceinte
et de la nature du gaz qu'elle contient.
[Haraucourt.J
RAVO.NNEMENT TERRUSTRK. - Météorolo-
gie MV — Emission de chaleur par les objets
terrestres vers les espaces planétaires, d'où ré-
sulte l'abaissement de la température des nuits.
La température des espaces célestes au milieu
desquels circule notre globe est d'une centaine
de detirés au-dessous du point de congélation de
entrer un faisceau de rayons solaires et qu'on le
reçoive sur un petit miroir incliné, une personne
placée dans l'appartement ne recevra de lumière
lie ce miroir que si elle se trouve sur le trajet du
faisceau réfléchi, et c'est également dans cette di-
ïcclion unique que la pile thermo-électrique accu-
sera la chaleur renvoyée par le miroir; voilà la
réflexion régulière. Mais que les rayons viennent
Irjppcr un mur blanc en face de l'ouverture, l'i-
niagc qu'ils y dessineront sera visible de tous les
pohivs de la salle, ce qui preuve que le mur a
diffusé la lumière dans toutes les directions. Il a
également diffusé la chaleur, car il suffit de tour
egaiomeni amuse la cnaieur, car u suiui ue luui- u^- uv^.^.» »- "~-r ,, , ',. -j i,._i., „, i,,o nsm
âv vers la direction du point éclairé la pile l'eau. Ce n'est point là le Iroid absolu, et Ils espa
RAYONNEM' TEIIIIKSTRE — ITM — RAYONNKMf TERRESTRIi:
ces planétaires nous envoient Rncoro de la clialeur,
quoique la quantité en soit extrêmement faible;
mais ilans l'écliange perpétuel qui s'en fait entre
eux et la teire, celle-ci, en l'absence du soleil, est
loin d'en recevoir autant qu'elle Iciur en envoie.
La surface terrestre se refroidirait donc indclini-
ment, jusqu'à ce qu'elle ait atteint la température
des espaces célestes, si ses pertes de chaleur n'é-
taient pas compensées par l'action solaire.
Dès que le jour se lève, la température com-
mence généralement à monter; elle monte assez
vite jusqu'à midi, moment où le soleil atteint son
point le plus haut au-dessus de l'horizon ; elle
monte encore, mais plus lentement, jusque vers
1 heure en hiver, jusque vers 3 heures en éié,
parce que si, à partir de midi, l'action solaire
commence à décroître, elle est encore supérieure
aux pertes que le rayonnement fait subira la terre.
A partir de son maximum, la température baisse,
lentement d'abord, puis plus rapidement jusqu'au
coucher du soleil, puis enfin de nouveau d'une
manière lente pendant la durée de la nuit. Le
filus grand froid a lieu un peu avant le lever du
soleil.
Ces variations successives sont surtout accusées
et régulières quand le temps est stable et le ciel
pur. Quand le ciel est nuageux ou couvert, la
marche de la température peut s'écarter sensible-
ment de la règle précédente et, surtout en hiver,
quand le temps change, la température peut croître
ou décroître d'une manière continue pendant les
vingt-quatre heures. L'influence solaire alors peu
marquée disparaît au milieu d'autres causes plus
actives.
Les objets terrestres ne sont pas seuls h rayon-
ner leur chaleur; chaque particule de l'atmos-
phère arrête et s'assimile une p;irtie dos rayons
qui passent dans son voisinage, et rayonne elle-
même do sa propre chaleur dans toutes les di-
rections ; sa température monte ou descend sui-
vant que le gain l'emporte sur la perte ou que la
perte dépasse le gain. Chaque objet lerrestre re-
çoit donc non seulement la faible part que lui
envoient les espaces célestes toujours très froids,
mais encore celle que lui envoient tous les points
de l'atmosphère situés entre l'objet et le ciel qui le
recouvre. Or cette dernière somme de chaleur,
tout en étant encore faible généralement, est in-
comparablement plus grande que celle qui nous
vient des espaces célestes; elle varie d'ailleurs
d'un jour à l'autre et d'une heure à l'autre d'un
même jour suivant l'état présent du ciel.
Dès que les dernières lueurs du crépuscule
ont disparu dans un ciel pur, l'atmosphère rayonne
relativement peu de chaleur vers nous; le senti-
ment de fraîcheur nous paraît vif, en dehors
môme de la transition qui s'opère. Los instru-
ments spéciaux accusent alors un premier mini-
mum dans la quantité de chaleur que l'ensemble
de l'atmosphère nous envoie. Mais bieniôt, l'air
s'étant refroidi, des vapeurs se condensent et,
alors même que le voile formé par elles nous pa-
raît invisible, elles retardant le refroidissement
nocturne, en formant comme u)ie sorte d'écran
qui nous abrite. Quelques heures après h; coucher
du soleil, la fraîcheur du soir semble un peu s'a-
mortir. Cet effet s'accuse encore davantage si le
vent léger du soir vient à tomber. La disparition
de ces vapeurs dans les couches élevées de l'at-
mosphère, un peu avant lo lever du soleil, produit
un effet inverse au moment du minimum iher-
mométriquc du matin. En dehors de la tempéra-
ture propre de l'air que nous amènent les vents du
Nord on du Midi, un ciel pur est un gage de re-
froidissement nocturne et d'échaufl'ement diurne
intenses; un ciel couvert ou brumeux tend au
contraire à diminuer l'écart entre les deux
extrêmes températures de la période quotidienne.
Dans la plupart des pays chauds, les nuits sont
très fraîches, p,trce que le ciel y conserve une
grande pureté. Le phénomène devient encore
plus marqué si on s'élève sur do hauts pjateaux,
parce que la masse de la couche atmosphérique
qui nous sépare des espaces planétaires et tem-
père leur action devient de plus en plus faible. 11
n'est pas rare de voir les faucheurs des Alpes
couper l'herbe glacée le matin et subir, dans le
jour, des températures de plus de 30 degrés. A
mesure qu'on descend dans la plaine ou qu'on
s'avance vers les brumes du Nord, la différence
des températures entre le jour et la nuit va s'af-
faiblissant. Les mœurs des populations se plient à
ces conditions climatériques, et il est souvent im-
prudent de transporter, sans modification, ses ha-
bitudes d'une région à une autre. Les hommes
d'Lcosse et les jeunes enfants d'Angleterre peu-
vent impunément garder les bras et les jambes
nus, même pendant leurs hivers à température
diurne peu variable; les habitants du Midi de la
France, de toute l'Espagne et du Nord de l'Afrique
ne doivent pas nous surprendre avec leurs man-
teaux de drap ou leurs longs vêtements de laine,
dont les grands changements de température du
jour à la nuit leur ont appris l'utilité.
Dans la phase du reiroidisscmont nocturne, tous
les corps ne descendent ni avec la môme vitesse
ni .m même degré. Les plantes ayant un pouvoir
rayonnant considérable se refroidissent plus que
l'air qui les entoure; elles se refroidissent d'au-
tant plus que le ciel est plus pur, que l'air est plus
calme et qu'elles sont moins protégées par des
abris de toute nature. Un thermomètre couché sur
l'herbe d'un pré peut descendre, dans certaines
nuits de France, à 7 ou 8 degrés plus bas qu'un
thermomètre semblable situé à l'air libre, mais
abrité du rayonnement nocturne. L'air peut donc
ii'avoir pas atteint la température de son point de
rosée, c'est-à-dire la température à laquelle il
commence à être saturé par la vapeur d'eau qu'il
renferme, et au-dessous de laquelle une partie
de cette vapeur se condenserait sous forme de
brouillard ou de vapeurs visibles, tandis que, au
même moment, les objets terrestres auront dé-
passé ce point et se seront couverts de rosée ou
de gelée blanche. — V. Gelée blanche.
Le refroidissement nocturne produit par le
rayonnement varie beaucoup d'un pointa un autre
d'un môme canton, la plus légère vapeur pouvant
le ret.ii'der beaucoup. D'un autre côté, les corps,
lorsqu'ils sont plus froids que l'air qui les entoure,
prennent de la chaleur à cet air qu'ils refroidis-
sent, en sorte que la différence de leurs deux
températures ne peut jamais dépasser une cer-
taine limite. Le degré de température auquel
descendent les rameaux, les feuilles, les brins
d'Iierbe, dépendra donc du degré de température
de l'air lui-môme. Or, cet air étant d'autant plus
lourd qu'il est plus froid, celui qui s'est refroidi
par son contact avec les points élevés du sol coule
progressivement vers les points les plus bas, où
il se rassemble quand l'atmosplière est calme. Ce
fait est extrêmement sensible dans certaines val-
lées qu'on nomme en plusieurs lieux vallée du
refroidi. Il l'est encore, quoique moins marqué,
sur un sol moins accidenté. On ne doit donc pas
être surpris si, dans les grands froids de décem-
bre 187U, des thermomètres, peu éloignés cepen-
dant, ont accusé de très notables différences de
température. Des différences analogues se pro-
duisent on toute saison pendant les nuits calmes
et claires. Si l'un considère d'autre part que les
eaux des pluies qui ruissellent à la surface dn sol
obéissent à la môtne loi de pesanteur, que la na-
ture du sol et du sous-sol varie beaucoup d'un
point à l'autre d'un mCiuo champ et que, etiliii,
l'effet du froid sur une plante dépend beaucoup
RAYONNES
— 1800
RAYONNES
de l'état du la sève dans cette plante, on compren-
dra que les effets du rayonnement nocturne puis-
sent présenter les anomalies les plus grandes en
apparence, alors que ces effets obéissent au con-
traire à des lois très simples dans leur nature,
sinon dans leurs manifestations. [Marié-Davy.]
RAYONNES. — Zoologie, XXIX. — Sous le nom
de Haytiiviés ou de Zoopliytes, Cuvier avait réuni
non seulement des animaux à structure externe
rayonnée, comme les Coralliaires et les Écliino-
dermes, mais encore tous les êtres dont la nature
lui était imparfaitement connue, comme les
Bryozoaires, les Helminthes et les Infusoires. De
Blainville, le premier, en sépara les Helminthes,
qu'il rangea à leur place près des Vers, et les
Infusoires, qui, avec les Éponges (V. Spongiaires ,
formaient pour lui le type le plus inférieur du
règne animal ; eufm les Bryozoaires, mieux con-
nus, furent placés par M. Milne-Edwards à côté
des Mollusques. L'embranchement des Rayonnes
de Cuvier, ainsi réduit et tel que nous l'admet-
trons ici, a été divisé par Leuckart en deux
groupes que nous considérerons comme des sous-
embrancbemcnts, le sous-embranchement des
Cœlentércs et celui des Er/iinodei-mps.
Sous-embranchement des Cœlentérés. — Le
groupe des Cœlentérés est formé d'animaux à
structure rayonnée, sans appareils digestif et vas-
culaire distincts, vivant le plus souvent en colo-
nies. Ils sont caractérisés par la présence dans
leurs tissus de cellules spéciales, les iiématuci/stes,
renfermant un til enroulé en spirale qui peut se
dérouler au dehors, en entraînant quelques gout-
tes d'un liquide jouissant de propriétés urticantes
et paralysant les petits animaux qui en sont at-
teints. Ce sont ces organes urticants qui ont valu
à quelques animaux de ce groupe le nom d'orties
de mer.
Les Cœlentérés ont été divisés en trois classes :
1° Les Polypes ou Cokalliaibes,
2° Les Hydrcmédisaibes,
3° Les CtÉiXophoiies.
Coralliaires. — Le polype coralliaire est un
animal à forme plus ou moins cylindrique fixe par
sa base. Son extrémité supérieure présente un ori-
fice qui tient lieu ùlafoisdebouclieetd'anus. Cette
bouche est entourée d'un nombre plus ou moins
grand de tentacules tubulaires. A la bouche fait
suite un tube assez court, l'œsophage, s'ouvrant
largement dans la cavité unique dont est creusé le
corps. Les parois de cette cavité générale sont
garnies de lames membraneuses, les cloiions mésen-
tciûïde<, en nombre égal aux tentacules et alter-
nant avec elles. Ces cloisons, soudées à leur partie
supérieure avec le tube œsophagien, limitent une
série de loges communiquant en haut avec l'inté-
rieur des tentacules, et .s'ouvrant largement, en
bas, dans la cavité générale au moyen de laquelle
elles communiquent entre elles.
Les Coralliaires sont des animaux marins, car-
nivores, se nourrissant en général d'infusoires ou
de matières organiques tenues en suspension
dans l'eau; mais les espèces de grande taille,
comme les Actinies, se nourrissent aussi de crus-
tacés, de mollusques et autres animaux .marins
qu'ellts arrêtent avec leurs tentacules et dont
elles neutralisent les mouvements au moyen do
leurs nématocystes.
La plupart de ces animaux vivent en colonie et
secrettnt dans leurs tissus des spicules ou des
corpuscules calcaires qui se soudent entre eux et
dont l'ensemble constitue une masse solide,
pierreuse, le polypier.
D'après la forme et le nombre des tentacules,
le mode de formation du polypier, les Coralliaires
ont été divisés en deux ordres: les Alcyonnaires
ou 0 tactiniaircs, et les Zoanlhaircs.
.ikyon?iaires ou Octactiniuires. — Les Alcyon-
naires, dont les représentants principaux sont le
Corail, les Gorgones, les Pennatules, vivent tous
en colonie et sont caractérisés par le nombre et
la forme de leurs tentacules. Ces tentacules, tou-
jours au nombre de huit, sont garnis de chaque
côté de petites digitations simples et filiformes
qui leur donnent une apparence pennée.
Les animaux de la colonie sont fixés dans un
tissu commun, le cœnenchyme, qui est creusé de
canaux les mettant en communication les uns
avec les autres. Ce cœnenchyme, souvent rempli
de spicules, enveloppe l'axe de la colonie qui est
tantôt corné comme dans les Gorgones, tantôt
calcaire comme dans le Corail, ou alternativement
corné et calcaire comme dans les Isis. Quelque-
fois l'axe manque ; alors le cœnenchyme prend un
grand développement et conserve une certaine
contractilité; c'est ce qui a lieu dans les Alcyons.
C'est dans ce groupe des Alcyonnaires que l'on
ren(?ontre des colonies non fixées, les Pennatules,
les Virgulaires, les liénilles. La portion basilaire
commune i la colonie, au lieu do s'étaler sur un
rocher ou un corps sous-marin quelconque, se
prolonge en une sorte de racine s'enfonçant dans
la vase sans contracter aucune adhérence.
De tout ce groupe des Alcyonnaires, l'espèce la
plus importante est le Corail rouge, dont l'axe dur
et susceptible d'un beau poli est utilisé en
bijouterie. Le Corail habite seulement la Médi-
terranée, où on le pêche surtout sur les côtes
d'Algérie et de Tunisie.
Zoaidhnires. — Les animaux de cet ordre diffè-
rent surtout des Alcyonnaires par la structure
et le nombre des tentacules. Ici les tentacules
sont d'ordinaire simples, et quand par exception
ils deviennent ranieux, ils ne présentent jamais
la disposition bipennée qui se voit toujours
dans les tentacules des Alcyonnaires. Dans le
plus jeune âge, les tentacules ne sont qu'au
nombre de six ou de quatre, mais en général ils
se multiplient rapidement de façon à former plu-
sieurs couronnes autour de la bouche, et chez
l'adulte on en compte presque toujours au moins
12, souvent 3i, parfois 48 et plus. Le nombre des
cloisons de la cavité du corps, qui n'est jamais que
de 8 chez les Alcyonnaires, est en même nombre
que les tentacules, de sorte que la cavité viscérale
se trouve divisée en une multitude de loges pé-
riphériques. Enfin, tandis que chez les Alcyon-
naires les polypes sont en quelque sorte indé-
pendants du polypier quand il existe, chez les
Zoanthaires, au contraire, à chaque polype corres-
pond un polypier pierreux présentant i peu près
la forme de l'animal et pourvu de cloisons qui
alternent avec les cloisons mésentéroides du po-
C'est à ce groupe des Zoanthaires qu appartien-
nent les Actinies, que leurs couleurs et leur
forme ont fait appeler anémoifs de mer: elles
vivent isolées et sont dépourvues de polypier; et
les Antipathes, dont le polypier est corné. Parmi
les Zoanthaires à polypier calcaire, il faut citer
les Millépores, les Fongies, les Astrées, les
Méandrines, les Madrépores, etc. Tous ces
animaux, qui vivent dans les mors chaudes,
jouent un grand rôle dans les modifications de
l'écorce terrestre. Par leur grand développement
combiné avec les mouvements du fond de la mer,
ils concourent à la formation des récifs, des atolls
et des îles madréporiques, si développés dans les
régions chaudes de l'océan Pacifique, et en parti-
culier en Océanie.
Hyuromédusaires. — La deuxième classe des
Cœlentérés renferme des animaux très différents
par leur forme et par leur mode d'existence, les
Polypes hydraires et les Méduses. Aussi les an-
ciens zoologistes les avaient-ils placés dans des
classes difl'éreutes, et ce ne fut qu'à partir de
^^
li^uj d.ts 7<^^^^^ ^^^f-
<y/L7^>
'tî.£J^
/cu^u^' f^A^zyrrrr. nUc^cf ^-^ /^ ^/z>.V<,../^/Wee^
^ aJ ri redite, ^es,-c.'C^-j /ni fr^tt/^OTnS 'n i> oc^ cMe.1^ et, ^ "^cf-yi fy an e.Yu/iA/'^Mp'
•^/?atS , '^e^- t//o^âj Jiùe^ '^sJ ^.v cejt. /iXJ^^^iJ ci.A^a^ A^irè-Jf^ eu:
e^e<^î-e. /<?72. ix^c-trâ-n . -/fi. 72<3 772^?e, ^si«/> '/â./jyT.t^Ue^ ûù'tu^M,^^ o<U..^em —
Sii^juu^e^ 4^ t&c^t!.âTs.f , /i<_ iu'àzi2/'rii d)auâ-a^e. <3^/a^rUf~ àu.^4r>iSs^i^
ce ùirf/zi-, y^ /^' c^f^ i>^zt^'^r> ^ t^u t. c^^<.^ /<* /û^'^el aU^t^ ^^^
<^2'i-C<C . /7ioù^/he^'&^£^ c^O /i..^/t^ C^jt e.o i^^ e.^t^AJ £/C-^a. Sij'e/tC^ ^aJc>-f'C
'^ /a. Jc.zf^cA. c^^'o-^&4 à'ffx^^eyyi.^-- /^i^/r e^Joy &c—fii 'c^ cci?!e i^e, ^^^4^-
àZcc jr^ ^i> n fe.i^ aZio^ /^ fa e^' tL/e ^Hsm^ /au^- <^^ i^O'^i^^y^'^''^ ^■''-^■^
r^c4->^.. ->z c'A?->
RAYONNES
— 1801 —
RAYONNES
1835, lorsque le pasteur suédois MicliaOl Sars eut
montre (|uo les méduses n'étaient que la forme
sexuée des polypes liydraires, que ces animaux
furent réunis dans une même classe, celle des
Hydromédusaires.
Les Polypes liydraires ont une structure plus
simple que les polypes coralliaires. Ils n'ont
pas de tube œsophagien et leur cavité gastro-
vasculaire n'est pas divisée par des cloisons en
loges périphériques; en outre les tentacules qui
entourent la bouche sont dépourvus de cavité.
Ils restent rarement isolés, comme les hydres de
nos eaux douces, mais forment des colonies ra-
mifiées protégées souvent par des tubes chitineux
sécrétés par la couche externe du corps. La tige
et les rameaux de la colonie sont parcourus par un
canal cilié qui met en communication entre eux
les différents individus de la colonie.
Certaines colonies présentent un grand poly-
morphisme, et on peut y distinguer des animaux
nourriciers, des animaux reproducteurs, des ani-
maux défenseurs et des animaux préhenseurs.
Les bourgeons sexués qui se développent sur
la colonie en des points variables avec les espè-
ces donnent parfois naissance à des larves ciliées
qui se fixent et reproduisent par une série de
bourgeonnements une nouvelle colonie; mais très
souvent aussi, ces bourgeons se développent en
un animal différent des animaux de la colonie,
qui devient libre et ne se fixe jamais ; c'est cet
animal, la Méduse, qui produira les larves qui
donneront naissance à de nouvelles colonies d'hy-
draires. Cette méduse a la forme d'une cloche gé-
latineuse, Viiinhieth:. Du fond de l'ombrelle pend
un appendice plus ou moins long, analogue au
battant d'une cloche : c'est le manuhrium. L'ex-
trémité libre du manubrium porte une ouverture,
la bouche, conduisant dans la cavité intestinale
qui communique avec 4 ou 8 canaux radiaires
logés dans l'épaisseur de l'ombrelle et qui vont
se jeter dans un canal annulaire situé près du
bord de ceue dernière. Ce bord porte en outre
des tentacules très extensibles, pourvus d'un
grand nombre de nématocystes. Ces tentacules, au
nombre de 4 ou d'un multiple de 4, correspon-
dent aux canaux radiaires de l'ombrelle. La méduse
nage au moyen des contractions do son ombrelle.
A côté de ces méduses provenant de colonies
d'hydraires et qui sont très petites, s en trouvent
d'autres atteignant une très grande taille et pos-
sédant un système gastro-vasculaire plus com-
pliqué. Ces méduses, qu'un a rangées dans un
même groupe sous le nom d'Aca/èpIms, présentent
un mode de développement un peu différent. La
larve produite par un acalèphe se fixe et donne
naissance!) un animal cylindrique, un scyp/iistome,
pourvu dune couronne de tentacules. Bientôt le
corps du scyphistome présente une série d'étran-
glements transversaux allant en augmentant, et
pi^end l'aspect d'une pile de tasses à bords feston-
nés. Puis successivement chaque segment se
détache et donne naissance à une méduse, qui
continue i croître jusqu'à ce qu'elle ait acquis
tous ses caractères d'animal sexué. C'est à ce
groupe de méduses qu'appartiennent les Au-
réiies, les Rhizostomes, méduses gigantesques.
Ces méduses peuvent saisir au moyen de leurs
tentacules des poissons même de grande taille
qu'elles immobilisent par leurs nématocystes.
Les Polypes nydraires les plus fréquents sont
les Hydres, animaux d'eau douce vivant libres et
isolés, produisant par bourgi'onnemcnl des pa-
rois de leur corps d'autres polypes qui finissent
par se détacher de l'animal mère ; les Cordylo-
phores, polypes également d'eau douce, luais
vivant fixés et en colonie; les Corynes, les Tubu-
laires, les Plumulaires, les Sertulariens, les
Campanulaires, etc.
La plupart de ces Hydromédusaires présentent
h un haut degré le phénomène de la génération
alternante. Presque tous passent par la forme
fixée, hydraire ou scyphistome, et par la forme mé-
dusaire.
On en rencontre encore d'autres où les formes
hydraires et médusaires sont constamment réu-
nies, et la colonie qui en résulte est toujours
libre. Ces Hydromédusaires sont réunis dans
un même groupe sous le nom de Siphonopho-
rcs. Dans ces colonies, le polymorphisme est
si complet, qu'elles ont été souvent considérées
comme un animal simple et les différents indivi-
dus de la colonie comme des organes. Les colo-
nies de ce groupe présentent les formes les plus
variées et les' plus belles. Les Physales, les
Forskalia, les Vélelles, les Porpites, les Diphies,
sont les principaux genres de ce groupe des Hy-
dromédusaires.
Cténophoues. — Les Cténophores sont des ani-
maux marins, en général sphéi-iques, quelque-
fois rubannés, libres, de consistance gélatineuse.
A la surface du corps se trouvent huit rangées
longitudinales de palettes natatoires très délica-
tes, disposées suivant des méridiens. Ces rangées
de palettes portent le nom de côtes. Latérale-
ment, on trouve encore deux filaments très con-
tractiles pouvant se retirer dans une fossette;
ces appendices garnis de nombreuses némato-
cystes sont des filaments pêcheurs. L'ouverture
buccale, souvent lobée, conduit dans un tube
stomacal s'ouvrantdans la cavité générale du corps,
appelée Ve7itonnoii-, et qui communique au de-
hors par un pore susceptible de se fcriuer. De
l'entonnoir partent quatre vaisseaux disposés par
paires et donnant naissance par dichotomie i
huit vaisseaux dirigés le long des côtes.
C'est à la classe des Cténophores qu'appar-
tiennent les Béroés, Ji corps légèreiucnt comprimé,
les Cydippes, à corps spliérique, et les t'.estos ou
Ceintures de Vénus, dont le corps a la forme d'un
long ruban.
Tous ces aniiuaux se nourrissent, comme tous
les Cœlentérés, de petits animaux qu'ils capturent
k l'aide de leurs filaments et de leurs néiuato-
cystes.
Sous-embranchement des Echinodermes. -^
Les Echinodermes sont des animaux marins à
symétrie rayoïniée, le plus souvent suivant le type
cinq. Ils sont essentiellement caractérisés par les
nombreuses pièces calcaires qui soutiennent leurs
téguments. Ces pièces, parfois soudées entre elles,
supportent, dans nombre de cas, des piquants ou
des baguettes calcaires qui ont fait donner à
quelques-uns de ces animaux le nom de châtai-
gnes de mer.
Chez tous ces animaux, on rencontre à la surface
du corps des organes particuliers, \esnmbiclacresou
tubes ambulacraires, servant à la fois à la respi-
ration et à la locomotion. Ce sont des tubes à
parois délicates, susceptibles d'une grande exten-
sion, souvent terminés par une rosette de petites
pièces calcaires pouvant fonctionner comme ven-
touses. Ces tubes sont en communication avec un
système vasculaire interne, le système aquifère,
et l'animal peut à sa volonté les gonfler de liquide
et les appliquer i la surface des corps environ-
nants. C'est au moyen des contractions et des
dilatations successives des ambulacres que la
plupart des Echinodermes, les Oursins et les
Etoiles de mer en particulier, peuvent se mouvoir.
Enfin, ces animaux présentent un tube digestif et
un appareil vasculaire distincts, ainsi qu'un sys-
tème nerveux bien caractérisé, ce qui n'existait
pas dans le sous-embranchement dos Cœlentérés.
Les Echinodermes sont ovipares, i l'exception
de quelques Ophiurides qui sont vivipares. La
larve de ces animaux subit des métamorphoses
RAYONNES
1802 —
RAYONNES
très curieuses. Cette larve, d'abord sphérique et i trent également chez les Oursins. Ce sont des sor-
couverte entièrement de cils vibratiles. s'allonge tes de tenailles ou pinces musculan-es soutenues
peu h peu s'aplatit et devient bilatérale ; en par un stiuelette calcaire délicat. Ces ten^iilles, à
même temps les cils se rassemblent et forment ! deux branches chez les A'^lérides, sont suscepti-
une bandelette ciliée sinueuse. Quelques-unes de ' blés de saisir les petits organismes qui passent
ces larves sont on outre pourvues d'expansions dans leur voisinage; le rôle de ces organes si
souvent très longues et parfois soutenues par des ' particuliers est peu connu.
baguettes calcaires. Ces différentes f,.rmos lar- | A la face dorsale, dans un espace interbra-
vaires étaient connues depuis longtemps sous les chial, on rencontre encore une plaque calcaire
noms àe Phdeu^; de Bijdnnai-in, de h, nri.wlana rciiculée et percée d'un grand nombre d orifices
et à'Awirularia; on les considérait comme des très petits ; c'est la pUujue madreponque. Dans
Hydromédusaires jusqu'en 1845, époque à laquelle son vmsinage se trouve 1 orifice anal.
J. Muller montra leur véritable nature. Outre ce ] La bouche, située à la face ventrale au centre du
mode normal de reproduction, les Astérides, les disque, est garnie de papilles (t conduit dans un
Ophiurideset les Crinoides jouissent encore de la intestin en forme^de sacj-nvoyantdM prolonge-
faculté dé rédintégration ou de reproduction des
parties détachées du corps. Dans quelques Asté
vides, les bras détachés peuvent même reproduire
l'animal entier.
Les Echinodermcs peuvent être divisés en cinq
classes :
1° Les CniNoîDES ;
i° Les AsTÉBiDES ;
;!" Les Ophiirides ;
3° Les EcHiNiDEs ou Oursins ;
5° Les HOLOTHUBIDES.
Cri.soîives. — Les Crinoides ont la forme d'un
ments en cœcum dans l'intérieur des bras.
L'appareil vasculaire se compose do deux par-
ties en communication l'une avec l'autre, l'appa-
reil aquifère et l'appareil circulatoire.
L'appareil aquifère se compose d'un canal par-
tant de la plaque madréporique; c'est le canal du
sable, servant à prendre de l'eau au dehors au moyen
des pores de la plaque madréporique 11 aboutit à
un canal annulaire situé au-dessus de la bouche et
donnant naissance à cinq canaux se dirigeant dans
les bras et émettant sur leur trajet de petites
branches garnies chacune d'une ampoule et cora-
calice renfermant les viscères et revêtu de muniquant avec les ambulacres. C est au nmyen
pièces calcaires régulièrement disposées. Sur ce du liquide renfermé dans cet appareil que 1 am-
calice se trouve tendue une peau membraneuse mal peut gonfler ses ambulacres et se mouvoir,
sans pièces calcaires, au centre de laquelle est L appareil circulatoire est peu connu
située la bouche et excentriquement au sommet Le système nerveux se compose d un anneau
d'un petit tube l'anus. Du bord du calice partent I envoyant dans chaque bras un nerf qui accompa-
cinq bras formés chacun d'une seule série de piè- [ gne le vaisseau ambulacraire et qui se termine i
ces calcaires articulées entre elles. Ces bras se ' l'extrémité du bras dans des taches pigmentaires
divisent bientôt en doux ou en un plus grand i rouges qui sont de véritables yeux,
nombre de branches, portant latéralement un' Les genres pnncipaux ^e cette classe dEchi-
grand nombre de rameaux simples ou ;""n»/cs ; nodermessont : les Asterias, àbiv-istrèsal ongés età
régulièrement alternes et non opposés. De la quatre séries d ^■^''ulacres ; les Helaste., pourvus
bouche partent des sillons ambulacraiies qui se de bras en "«"b'-e considérable les Culcues à
prolongent dans les bras et jusque dans les pin- , corps épais et à b^^% t':^,^^^"";'^ '"'i' al très
nules. Ces sillons portent des tubes ambulacraires t-ns, à corps plat; lesLuid.a, \f '=q»f,'=,^"^'^^' "^^^
très petits. peiil <=' ^ ^ras très longs renfermant une cavité
Le plus' grand nombre des Crinoides existant peu étendue. „ , . , „ „„, „ „,„„,„
actuellement vivent libres et se meuvent au moyen Ophicb.des. - Les Echinodermes qui se rappro-
des mouvements de leurs bras. Ils appartiennent chent le plus des Etoiles de mer sont les Oplim
presque tous au genre Comatule ou Antédon. Mais rides. Comme celles-ci, les Ophmrides sont p°ur-
la plupart des formes fossiles étaient lixées, et vues de cinq bras mais ici le ^isqne centrai est
le calice était supporté par une longue tige cal- très réduit et les bras pleins ne communiquent
Caire formée d'un grand nombre de pièces arti- ! plus avec la cavité centrale. Ces ^ras sont pour
culées, en général pentagonales. i vus de goultières ambulacraires conime c hez es
Quelques unes de ces formes fixes ont été re- ' Astérides, mais ces gouttières sont chez les
trouvées de nos jours dans les mers profondes, Ophiurides recouvertes d écailles et les tubes am
et en particulier des Pentacrines. Du reste les bulacraires ne P?"^:'^"t P'^^J^.f ,''""'"' i?!
Comatiles elles-mêmes présentent h l'état jeune , côtes des bras L animal se meut par une sorte
une tige calcaire qui disparait plus lard. , de mouvement ondalatoire „'''' '^^«,^^,^"%'™-' '°'^|^
AsTÉBiDEs. - Les Astérides ou Etoiles de mer ' et très flexibles "'^'^'l"' "«, P""," ,^"',„',^ '°":i°"
sont formées d'un disque central d'où rayonnent qu'à droite ou à gauche. L^ bouche co'_""« "î'^*^
des bras, en général au nombre de cinq, creux, , les Astérides, est '«"J^;;'?,,^^^^/,/" ^f"|''éto^^^^^^
et dont la cavité communique largement avec la face ventrale, au fond d une excav ation étouee
cavité centrale du disque. A la face dorsale, les dont les bords sont garnis de papilles,
téguments sont soutenis par un grand nombre de L'intestin a la forme d un «f J^^P""" éoo!
pièces calcaires disposées plus ou moins réguliè- : cœcums et sans orihce anal La P'^^"^ ™^'^'.^P°
rement et sur lesquelles se voient des papilles, rique existe, mais elle est très petue et toujours
des piquants et des crochets. A la face ventrale, ] située à la face ventrale.
on trouve sous la peau des pièces calcaires, les 1 Parmi les Ophiurides, on Pf"* "t^! : '«^
ptcuiucs mniulacnares, disposées par paires trans- | Ophiura, à bras garnis de courts piquan s latéraux
verbalement et s'étendant de la bouche à l'exlré- et à disque granuleux les O phiacat^tha dont le
mité des bras. Ces pièces, articulées entre elles disque est couvert de tubercules et dont les bras
comme des vertèbres, limitent une rainure, 'e, sont armés de nombreux piquants très lorts,etc_
sillon amhulacraire, dans lequel se trouvent logés Mais les Ophiurides les P "^ remarquablos et
les ambulacres, qui sortent au dehors par des les plus grands sont les Euryales ou Astroi^ y o.^^^^
orifices ménagés enire les plaques ambulacraires. , dont les bras ne sont plussiniples, " f'ssedmsent
Suivant les fSmilles, ces ambulacres sont dispo- ; à l'infini. Chez ces animaux les sillons amb^^^^^^^
ses en deux ou quatre rangées. i craires sont dépourvus d écailles et les bras peuvent
Sur les téguments et surtout dans le voisinage se recourber vers la lace ventrale. ,?,,,,;,,„.
des piquants, on trouve chez les Astérides des Oursins ou Echinides. - Le type des tcmno
organes spéciaux, les pédkdlaoes, qui se roncon- | dermes nous est offert par les (Jiirsins.
RAYONNES
— 1803 —
REFLEXIUN
Dans rOui'sin, le corps est globuleux, plus ou
moins aplati aux deux pôles ; il est entouré de
plaques calcaires iniimcment soudées entré elles
et formant un lest solide renlermant tons les or-
ganes de l'animal. Le test est divisé en dix fu-
seaux. Ces fuseaux, formés d'une double rangée
de plaques pentagonales, appartiennent à deux
séries différentes et alternent entre eux. L'une de
ces séries est percée de trous par où passent les
tubes ambulacraires ; ce sont les zones amhula-
O'uires. Les cinq autres fuseaux, formés de pièces
imperforées, sont appelés zones intei-amOula-
O'aires.
La surface des plaques calcaires do cbacune de
ces zones est couverte de tubercules souvent très
gros, .'iur lesquels s'insèrent des piquants de forme
et de dimensions variables avec les genres.
Entre ces piquants, et surtout nombreux du côté
de la bouche, se trouvent des péclicellaires. Ces
organes, chez les Oursins, forment des pinces h
trois ou k quatre branches, tandis que chez les
Etoiles de mer ils n'étaient qu'à deux branches.
Vers le pôle anal, ces différentes zones se termi-
nent par des pièces spéciales. Aux cinq zones
interambubicraires correspoiident cinq plaques
calcaires percées chacune d'un orilice. L'une de ces
plaques, plus grande que les autres, est criblée de
petits trous et constitue la plaque madréporique.
Alternant avec ces pièces et correspondant
aux zones ambulacraires, s'en trouvent cinq autres
plus petites, appelées improprement plaques ocel-
laires. C'est dans l'espace circulaire lim.ité par ces
dix plaques que se trouve l'anus dans les oursins
réguliers.
Au pôle opposé, les différentes zones laissent
libre un espace plus ou moins considérable qui
n'est revêtu souvent que d'une peau coriace, et
qui présente à son centre une ouverture, la
bouche. Celle-ci est armée d'un appareil mastica-
teur très complexe formé d'un grand nombre de
pièces calcaires et constituant l'organe appelé
lanterne d'Aristole.
A la bouche fait suite le tube digestif, qui, après
plusieurs circonvolutions à l'intérieur de l'animal,
s'ouvre au dehors par l'orifice anal, toujours très
petit.
L'appareil vasculaire, très développé, se com-
pose d'un canal pierreux ou canal du sable qui,
par la plaque madréporique, communique avec
l'intérieur; ce canal se jette dan.s un anneau situé
sur la lanterne. De cet anneau partent cinq vais-
seaux longeant les zones ambulacraires et en-
voyant des branches aux ambulacres. De ce même
anneau part un autre vaisseau qui va se ramifier
sur l'intestin. Ces ramifications s'anastomosent
avec celles d'une veine qui communique avec un
vaisseau fluttantlibremenldans la cavité générale.
Le système nerveux se compose d'un anneau
situé sur la lanterne et qui envoie cinq nerfs
accompagnant les vaisseaux ambulacraires.
LesOursins vivent principalement sur les côtes;
ils rampent lentement et se nourrissent de mol-
lusques et d'autres petits animaux marins. Quelques
espèces possèdent la propriété du creuser les
rochers.
Les principaux genres de cette classe sont les Ci-
daris, à test globuleux aplati aux deux pôles et pour-
vu de piquants en massue très gros; les Diadéma,
à test comprimé et à piquants très longs et creux ;
les Echinus, à test globuleux et à piquants courts ;
les Clypeaster, à test aplati, à anus excentrique
Bilué sur la face ventrale ; les Spatangucs, à test
cordiforme, à bouche et à anus excentriques.
Certains genres fossiles, comme les Ananchytes,
les Micraster, etc., ont une grande importance
au pomt de vue de la détermination de l'âge des
terrains.
HoLoïiRiiiiuEs. — Les Holothuridcs, par la dis-
position de leurs organes, so rapprochent beaucoup
des Oursins ; mais par la forme allongée de leur
corps dépourvu de squelette calcaire, ils ont l'ap-
parence de vers. Les téguments de ces animaux
restent mous et coriaces, et ne renferment que des
particules calcaires disséminées dans l'épaisseur
des parois du corps. Ces particules ont des formes
très diverses; les unes ressemblent à des ancres,
à des roues, h des hameçons, d'autres ont la forme
de disques cribles. Il existe cependant autour de
l'oesophage un anneau calcaire formé de dix pièces
alternes correspondant aux zones ambulacraires
et interambulacraires. Les ambulacres sont géné-
ralement disposés comme chez les Oursins, sui-
vant cinq zones radiajes ; parfois ils semblent
disséminés irrégulièrement à la surface du corps,
ou bien ne se rencontrent que sur une seule face
du corps, sur laquelle l'animal se meut.
La bouche est entourée de tentacules qui ne
sont que des modifications des tubes ambula-
craires, et comme ces derniers conmiuniquent
avec le système vasculaire. La bouche se continue
par un tiibe digestif à double courbure, s'ouvrant
au pôle opposé dans une sorte de cloaque. Dans
ce cloaque débouchent aussi deux organes foliacés,
qui, se remplissant d'eau par l'intermédiaire du
cloaque, concourent à la respiration et qui, pour
cette raison, ont été 3ppe\és poumons.
L'appareil vasculaire est construit sur le même
type que celui des Oursins ; seulement il n'existe
plus de plaque madréporique, et le canal du sable
se termine dans la cavité générale par une extré-
mité libre incrustée de calcaire et comparable à
cette plaque. Le système nerveux est identique h
celui des autres Echinodcrmes.
Les Holothurides sont des animaux nocturnes
vivant le plus souvent près des côtes. Ils peu-
vent rejeter au dehors, par l'ouverture anale, leur
tube digestif tout entier, qui se reproduit ensuite ;
les Synaptes peuvent même, quand on les tour-
mente, se diviser en plusieuis segments. Certains
Holothurides logent dans leur tube digestif des
parasites très curieux : ce sont des poissons appar-
tenant au genre Fierasfer. Les genres principaux
de cette classe sont : les Holothuria, dont la
bouche est ornée de 20 k 30 tentacules; les Cucu-
maria, avec 10 tentacules; les Thyone, avec
10 tentacules et des ambulacres disséminés à la
surface du corps ; les Synapta, dont les tentacules
sont digités et qui manquent de tubes ambula-
craires et de poumons.
Les Echinodermes sont très peu utilisés ; cepen-
dant on mange quelques Oursins : ce sont les
ovaires très développés dans les zones interam-
bulacraires de ces animaux que l'on recherche.
Une grosse Holothurie, le Tiépang. est activement
recherchée sur les côtes malaises et est employée
en Chine comme aliment. Enfin sur quelques
côtes on utilise des Etoiles de mer comme engrais
calcaire. L-I- Poirier.]
RKCTANGLE. — 'V. Polygones.
UECTA>-«;le (Triangle). — V. Puhjgones.
IIÉI'LEXIOIN. — Physique, XXX. -- Nous ne
nous occuperons dans le présent article que de
la réflexion de la lumière ; pour la réflexion de la
chaleur, V. linyonnemenl ; pour la réflexion du
son, V. Aioustigiie.
Lorsqu'un faisceau lumineux vient frapper la
surface libre d'un liquide (eau, mercure, etc.),
l'expérience montre (|u'une partie du faisceau est
renvoyée par celte surface ; elle rebrousse chemin
comme le fait la bille d'ivoire après avoir heurté
la bande du billard. Le même effet se produit
quand le rayon de lumière rencontre la surface
polie d'un solide quelconque (verre, cuivre, ar-
gent, etc.).
Indépendamment de cette réflexion dite régu-
lière parce qu'elle est soumise à des Jois géonié-
REFLEXION
1804 —
REFLEXION
triques fort simples, le rayon lumineux en éprouve,
en même temps, une seconde toutes les fois — ce
qui est le cas ordinaire pour les corps solides —
que la surface atteinte n'a qu'un poli imparfait.
Cette autre réflexion qui tient aux rugosités de la
surface, Ji la variabilité d'inclinaison des éléments
plans qui la constituent, est nommée diffusion.
C'est précisément la lumière diffuse renvoyée par
un corps qui nous permet de juger de sa forme,
de sa couleur, disons mieux, qui nous permet de
le voir. Si le corps avait un poli parfait et si la lu-
mière qu'il renvoie était, par suite, réflécliie ré-
gulièrement en totalité, nous ne le verrions pas,
il serait pour nos yeux comme s'il n'existait pas,
nous recevrions uniquement l'impression de l'i-
mage des objets extérieurs que nous apporteraient
les rayons rejetés par la surface. A l'inverse de
la surface idéale offrant un poli parfait, le mur
revêtu d'un enduit de plâtre ou d une couche de
lait de chaux et, en général, tout corps i surface
mate dissémine, sous forme de lumière diffuse,
la majeure partie de la lumière qu'il reçoit.
Nous nous occuperons ici spécialement de la
lumière réfléchie régulièrement. Elle est soumise
dans sa marche à deux lois très simples.
Par le trou A pratiqué dans le volet d'une cham-
bre noire, faites arriver (fig. 1) un faisceau lumi-
neux AB qui aille frapper la surface d'un miroir
posé horizontalement sur une table. Vous verrez
aussitôt la réflexion s'opérer sous vos yeux : le
rayon incident AB donnera naissance à un rayon
réfléchi BC qui se propagera en ligne droite de B en
C jusqu'il larencontre du plafond. Les deuxrayons,
incident et réfléchi, seront parfaitement visibles à
cause des nombreuses poussières toujours sus-
pendues, même dans une atmosphère calme, que
les rayons illumineront vivement sur tout leur
trajet. Si vous avez alors à votre disposition un
instrument capable de déterminer, avec rigueur,
la position relative des lignes AB, BC et de la per-
pendiculaire BD menée au miroir par le point
d'incidence B, vous constaterez que, quelle que
soit l'inclinaison du rayon AB sur le miroir, les
trois lignes AB, CB, BD, sont toujours contenues
dans un seul et même plan.
Donc, 1" loi. — Le rayon incident, le rnyon
réfléchi et la normale à la surface réfléchissante
menée au point d'incidence sont trois lignes appa--
lenant à un plan unique.
Vous trouverez, en second lieu, que, dans tous
les cas, l'angle ABD, dit nngle d'incidence, est égal
à CBD, dit angle de réflexion.
Donc, 2* loi. — L'angle de réflexion est égal à
l'angle d'incidence.
La vérification expérimentale de ces deux lois se
fait commodément avec l'appareil figuré ci-contre
{fig. 2). Denx tubes sont mobiles sur un cercle
gradué vertical, de telle sorte que leurs axes soient
constamment dirigés suivant un rayon de ce cer-
cle. La lumière incidente tombe par le tube de
droite sur un miroir horizontal placé au centre et
on cherche, par tâtonnement, quelle est la position,
sur le cercle, qu'il faut donner au tube do gauche
pour que le rayon réfléchi s'écliappe suivant son
axe. On reconnaît ainsi que le plan d'incidence et
le plan de réflexion se confondent et représentent
un plan parallèle à celui du limbe On voit de plus
que les angles que font les axes des deux tubes avec
le diamètre vertical du cercle gradué sont rigou-
reusement égaux entre eux. Les deux lois sus
énoncées sont, de cette façon, vérifiées expérimen-
talement.
Les lois de la réflexion de la lumière étant dé-
montrées comme il vient d'être dit, par des expé-
riences directes, il nous est possible d'en déduire
par des considérations géométriques très simples
la théorie de la formation des images dans les mi-
roirs.
A. — Réflexion dans les miroirs plans. —
Soit un miroir .M.\ (fig. 3) et un point lumineux
S, placé au-dessus do ce miroir. Le point S en-
voie des rayons de lumière dans toutes les direc-
tions ; une partie de ces rayons frappe le miroir
Fig. 3.
en I, r, I", etc. Considérons, en particulier, le
rayon incident SI ; ce rayon se réfléchit suivant lO,
conformément aux lois précédemment établies,
REFLEXION
— 1803
REFLEXION
c'est-à-dire que SI, 10 et la normale IN sont trois
lignes contenues dans un môme plan fl" loi) et
que les angles SIN et OIN sont égaux (2' loi). Cela
posé, prolongeons le rayon 10 au-dessous du mi-
roir; il ira nécessairement rencontrer la normale
SK prolongée qui se trouve dans le même plan
que lui, en S' par exemple. Or, je dis que la
longueur KS' est toujours égale à SK, quel que
soit d'ailleurs le rayon incident choisi. Cela ré-
sulte en effet de l'égalité des deux triangles rec-
tangles SKI, S'KI : Kl est commun ; de plus, SIK
complément de l'angle d incidence est égal à S'IK
complément de l'angle de réflexion ; donc les deux
triangles ont un côté égal adjacent h deux angles
égaux ; ils sont égaux et par suite SK = S'K. Ce
qui est vrai pour le rayon incident SI l'est pour
tout autre SI', SI", etc. Donc les rayons rcflécliis
par le miroir, 10, l'O', 1"0", etc., vont, quand
on les prolonge, se couper tous en un même
point S', point symétrique de S par rapport au mi-
roir. Si donc un œil est placé au-dessus de ce mi-
roir de manière h recevoir un certain nombre des
rayons réfléchis, il subira de leur part la même
impression que s'ils partaient tous de S', ou, en
d'autres termes, l'œil placera forcément eu S' le
point lumineux, cause de la sensation qu'il
éprouve ; il verra en S' l'image du point lumineux
S, image virtuelle évidemment, mais qui produira
le même effet sur la rétine que si elle existait ef-
fectivement. Concluons déjà que l'image d'u?i point
lumineux dans un miroir plan se trouve exister
pour l'œil de l'oliservateur au point symétrique-
ment placé derrière ce miroir.
La connaissance de l'image d'un point nous con-
duit, sans difficulté, à celle de l'image d'un objet
éclairé. Il suffira évidemment d'abaisser, de clia-
que point de l'objet en question, des perpendicu-
laires sur le miroir et de les prolonger derrière
lui de quantités égales. Les extrémités des per-
pendiculaires ainsi prolongées nous donneront l'i-
mage de l'objet laquelle sera, par suite, symétrique
de l'objet lui-même.
L'expérience de tous les jours vérifie complète-
ment ces conséquences de la théorie. Placez une
bougie devant une glace, vous verrez l'image de
cette bougie derrière la glace et à une dislance
égale. Placez-vous vous-même devant un miroir
plan. Vous verrez votre image exactement repro-
duite derrière lui. Seulement, votre droite à vous
sera la gauche de l'image et réciproquement. L'i-
mage que fournit le miroir ne vous est donc pas
identique ; elle représente seulement votre symé-
trique. Faites varier la position du miroir, incli-
nez-le à 4i degrés sur l'horizon, par exemple,
votre image se montrera dans une direction hoi'i-
zontale : ce sont là des conséquences immédiates
de la théorie que nous venons de donner, consé-
quences toutes facilement vérifiables par l'obser-
vation.
Pareillement, placez en m, dans l'angle (jue for-
ment deux miroirs plans rectangulaires AO, BO
(flg. 4), un point lumineux, vous obtiendrez de lui
trois images distinctes en : m', m", m'", lin effec-
tuant les constructions géométriques on voit, en
effet, que en m' se trouve l'image de m fournie
par AO et en m" par BO, mais l'image m est comme
un point lumineux qui envoie des rayons sur le
miroir BO et forme son image en m'"; de même et
par raison de symétrie l'image m", point lumineux
virtuel, donne dans le miroir AO son image exac-
tement au même point m'"; les deux images de
m' et de m" se superposent donc en m'" comme le
montre la construction et n'en forment qu'une
seule. Que les miroirs soient inclinés à GO" l'un
sur l'autre, et le point lumineux m posé dans le
plan bissecteur des miroirs nous donnera seiubla-
blement cinq images qui avec le point m lui-même
figureront six points lumineux placés, chacun au
sommet d'un hexagone régulier. On utilise depuis
longtemps cette propriété des images multiples
fournies par les miroirs inclinés dans l'instrument
nommé kaléidoscope . C'est une sorte de tube,
fermé à un bout par une glace dépolie et portant
dans son intérieur et parallèlement à son axe deux
miroirs plans inclinés l'un sur l'autre à 0(J°. On a
placé au fond du tube et contre le verre dépoli
des fragments d'objets coloriés : des pétales de
fleurs, des verroteries, etc.. Les couleurs diverses
s'agencent et se combinent quelquefois d'une fa-
çon remarquable et l'œil placé à l'extrémité ou-
verte du tube voit leurs images reproduites avec
une symétrie parfaite. Les dessinateurs sur étoffes
s'inspirent quelquefois, pour obtenir des combi-
naisons nouvelles de lignes ou de teintes, de ces
figures curieuses que le kaléidoscope leur fournit
avec une infinie variété d'aspect.
Enfin, si l'angle formé par les doux miroirs A
et B est égal à zéro, ce qui revient à dire que les
miroirs sont parallèles, le nombre des images d'un
point lumineux situe entre les deux miroirs est
théoriquement infini. En effet, cliaque image
nouvelle donnée par le miroir A doit en fournir
une correspondante dans le miroir B et inverse-
ment. Seulement ces images successives dues à
des réflexions de plus en plus nombreuses, les-
quelles amènent, chaque fois, des pertes nouvelles
de lumière, diminuent rapidement d'éclat; et, en
réalité, le nombre observable d'images de l'objet
lumineux est toujours assez restreint. On a un
exemple de ces images multiples lorsqu'une
lampe allumée ou un bec de gaz est placé entre
les deux glaces parallèles qui ornent les murs
opposés d'une salle. Les images de l'appareil
éclairant se montrent à la file l'une de l'autre
derrière chacun des deux miroirs, et cela en nom-
bre d'autant plus considérable que l'intensité des
foyers lumineux est plus grande. Le même effet se
manifeste, encore lorsque vous placez, sur une che-
minée, une bougie tout près de la glace que cette
cheminée supporte et que vous regardez dans une
direction un peu oblique l'image do ladite bougie ;
vous apercevez alors, non plus une image unique,
mais une série d'images d'intensités rapidement
décroissantes. Dans ce cas, il y a encore, en
réalité, deux miroirs plans parallèles: l'un cons-
titué par la face postérieure de la glace, laquelle
est recouverte de tain, et l'autre par la face vitreuse
antérieure qui est nue. Le pouvoir réflecteur do
cette dernière est, il est vrai, beaucoup plus faible,
mais elle n'en joue pas moins le rôle de miroir.
Seulement, l'œil n'est pas placé, cette fois, entre
les deux surfaces réfléchissantes comme dans le
cas précédent, aussi ne peut-il distinguer qu'une
seule des images de la bougie que fournit la face
antérieure de la glace, tandis qu'il aperçoit celles
que produit la face postérieure.
B. — Réflexion de la lumière dans les miroirs
sphèriques, concaves et convexes. — Les lois de
REFLEXION
— i806 —
REFLEXION
la réflexion do la lumière s'appliquent tout aussi
bien que précédemment au cas où la surface
réflécliissante est courbe au lieu d'être plane.
Il faut remarquer, en effet, que lorsqu'un rayon
de lumière tombe en un point d'une surface
courbe, tout se passe comme si l'élément superfi-
ciel atteint était remplacé par le plan tangent qui
lui correspond. La perpendiculaire qui permettra
d'évaluer l'angle d'incidence et l'angle de ré-
flexion sera donc, cette fois, la normale à la surface
courbe au point considéré. Dans le cas particulier
des miroirs sphériques, le seul que nous ayons à
examiner ici, la normale dont il s'agit sera évi-
demment le rayon de la sphère, à laquelle le mi-
roir appartient.
Miroirs concaves. — Nous allons étudier d'a-
bord la formation de l'image d'un point lumineux
dans un miroir spliérique concave. Ce genre de
miroirs consiste en une calotte spliérique dont
l'angle d'ouverture MCO (lis- 5) ne correspond
Fig. 5.
qu'à un petit nombre de degrés, de 3 i 5 au plus,
et qui est polie à l'intérieur. La ligne OCL, qui
joint le centre C de la sphère au centre 0 de
figure du miroir, porte le nom d'axe principal.
Nous supposerons, en premier lieu, que le point
lumineux, une étoile par exemple, soit situé à
une distance infiniment grande et que l'axe prin-
cipal soit dirigé vers ce point. Dans ce cas, le?
rayons incidents BR, DA, etc., seront parallèles
entre eux et en même temps parallèles à l'axe OL.
Considérons spécialement l'un d'eux. BR par
exemple; il se réfléchit dans la direction RF en
faisant avec la normale RC un angle de réflexion
égal à l'angle d incidence BRC; il vient par suite
couper l'axe principal en un certain point F. Or,
remarquons que le triangle CRF est isocèle, car
les angles en C et en R sont égaux ; en efi'et, RCF
et CRB sont égaux comme aiternes-internes ;
d'autre part, CRB égale CRF comme angle de
réflexion et angle d'incidence, donc RCF = FRC,
par suite RF ^ FC : mais FR difl'ère très peu de
FO parce que nous avons supposé l'angle RCO et
par suite RFO très petit, donc le point F, point
de rencontre du rayon réfléchi et de l'axe princi-
pal, se trouvera sitnsihlemeni placé au milieu du
rayon CO ; et ceci sera d'autant plus exact que
le rayon de la sphère sera plus grand et que la
calotte sphéri'iue cnrres|iondra h un plus petit
nombre de degrés. Ce qui vient d être dit pour le
rayon incident BR parallèle à l'axe, est exactement
vrai pour tout autre, tel que DA ; donc tous les
rayons lumineux tombant parallèlement à l'axe
principal donneront naissance à des rayons réflé-
chis qui viendront tous se couper en un point
unique F, situé sur l'axe au milieu du rayon. Ce
point de convergence des rayons parallèles porte le
nom de foyer principal.
Réciproquement, un point lumineux placé en F
donnerait des rayons de lumière, qui, réfléchis
par le miroir, deviendraient tous parallèles à l'axe
principal. C'est la conséquence des lois de la ré-
flexion.
L'expérience confirme les indications de la
théorie. On choisit comme point lumineux une
étoile vers laquelle on dirige l'axe OL du miroir
concave, et l'on trouve alors qu'en plaçant un petit
écran de papier au milieu du rayon de courbure
CO, en F, on voit sur l'écran une image très
nette de l'étoile, image qui est sensiblement un
point. L'écran porté en avant ou en arrière de F
ne montre plus qu'un cercle lumineux d'un rayon
d'autant plus grand que la distance de F à l'écran
se trouve augmentée.
Ce qui est vrai pour des rayons incidents paral-
lèles à OL l'est encore pour des rayons parallèles
à un autre diamètre quelconque de la sphère dont
le miroir fait partie ; CM, CA, etc. Car, dans une
sphère, tous les diamètres sont identiques et
jouissent par suite des mêmes propriétés. Seule-
ment, il demeure bien entendu que si les rayons
incidents sont parallèles à CM, le foyer principal
correspondant n'est plus au milieu de CO, mais
au milieu de CM ; s'ils sont parallèles à CA,
le foyer correspondant se trouve pareillement au
point milieu de C.\ et ainsi de suite.
Il faut remarquer toutefois qu'il n'est pas in-
différent, au point de vue de la netteté des
images, de prendre pour axe principal du mi-
roir CO ou CM; dans le premier cas, en effet,
l'angle d'ouverture est MCO, dans le second, il
est plus grand et égal à MGN. Or, il a été établi
plus haut que la netteté de l'image d'un point
lumineux est d'autant plus grande que l'angle du
miroir réflecteur est plus petit, donc les foyers de
lumière placés sur CO donneront des images
mieux définies, plus arrêtées dans leurs contours
que s'ils sont situés sur CM .
Soit maintenant (fig. 6) un miroir PP', ou plu-
Fig. 6. I
tôt, soit PP' la section de ce miroir par le plan |
du tableau, plan qui contient toujours lecentredela I
sphère; soit C le centre de courbure et A le cen- j
tre de figure du miroir. F, point milieu de AC, î
sera le foyer correspondant à l'axe principal, j
Si, de C. comme centre, avec CF pour rayon, ,J
nous décrivons une sphère dont la section par la <
plan du tableau soit FF', cette surface FF' pourra .>
être nommée la surface focitle principale, car elle
contiendra tous les foyers principaux correspon- .
dant aux différents diamètres de la sphère.
Cela dit, supposons le point lumineux non plus ij
à l'infini, mais sur l'axe principal, en S, par exem-
ple, il émet des rayons dans tous les sens et
quelques-uns de ces rayons viennent nécessaire-
ment rencontrer le miroir. Appelons Sm l'un
d'eux. Comment tracer le rayon réfléchi qui lui
correspond.' Rien n'est plus simple : S»i coupant
la surface focale principale en l<", tout se passe,
quant i la réflexion sur le miroir, comme si le
rayon lumineux partait de F' pour tomber sur PP'
dans la direction de fin ; donc, d'après ce qui a
REFLEXION
— 1807
HEFLEXIUN
6to dit plus liaut, lo rayon réllochi on m devra
fttro parallèle à l'axo ou au diamètre de la sphère
passant en F', c'est-à-dire à CF'K. Par suite, pour
avoir le rayon réfléclii, il suffira de mener
par )n une parallèle ms à. CK'K. Cette parallèle
viendra couper l'axe principal en s entre F et
C. Ce point s (jui, nous le ferons voir comme tout à
l'heure, est le point de concours de tous les rayons
réfléchis provenant du rayon émis par S, porte lo
nom de foyer conjugué de S. Ces deux points 5 et
S sont liés l'un i l'autre par une relation remar-
quable : ils sont tels, en elTet, que si le point lu-
mineux est en S, le point de concours des rayons
réfléchis est en *, et si le point lumineux est ans,
leur point do concours est en S.
Cherchons maijitenant quelle est, au juste, la
relation numérique qui lie s et S. Appelons it et
7t' les distances des points S et s au point fixe F,
milieu du rayon de courbure. Soit R le rayon
de courbure de la sphère et /'lo demi-rayon ou la
longueur focale principale CF.
Dans le triangle Sms, la ligne CF'- étant paral-
lèle à s/71, on a :
sS »is
es
CF'
Si on remarque quesS =7t — ti'; que SC = it — /,
que srn est sensiblement égal îi SA. en vertu des
conventioiis dé|ii faites et par suite égal à 7t' -+- /;
que, enfin, CF' = /', l'égalité précédente se trouve
remplacée par celle-ci :
^_V n'+f
ElTecluant et réduisant, on arrive à l'expression
très simple :
TtTt' = /'2
Telle est la relation cherchée quia été indiquée,
pour la première fois, par Newton. Elle montre en
premier lieu, que n et ix' sont réciproques l'un
de l'autre, propriété signalée plus liant. De plus,
71 et 7i' sont toujours de même signe puisque leur
produit est positif, c'est-à-dire que les deux foyers
conjugués sont, tous les deux à la fois, à droite
de F, ou, tous les deux à la fois, à gauche de F.
Pour rendre la discussion de la formule 1171' = /-
complète, nous recourrons à une construction
géométrique qui a été donnée récemment par
M. Lebourg.
Du point F comme centre (fig. 7), avec CF
pour rayon, décrivons une circonférence; le point
lumineux étant en S, il suffira pour obtenir son
conjugué de mener par S une tangente ST à la
circonférence déjà décrite, puis d'abaisser, du point
de tangence T, une perpendiculaire l's sur l'axe
principal ; le point d'intersection s de cette perpen-
diculaire avec l'axe sera le foyer conjugué de S.
On a, en efl'et, dans le triangle rectangle FTS :
FT* = FSx Fs
remplaçant les quantités par leurs valeurs on oli-
tien t :
/'^ = 7t7l'
donc s est bien le conjugué de S.
La discussion projetée devient dès lors facile :
S est-il à l'infini? le point de tangence est en D
et ce point se projette en F. C'est ce qui a été
établi plus haut. S toujours placé sur l'axe se
rapproche-t-il de C? Le point de tangence T mar-
che sur la circonférence de D vers G et sa pro-
jection A' de F vers C. Le point lumineux arrive-
t-il en G '? C'est ce même point G qui est à la fois
, le point de tangence et sa propre projection sur
I l'axe, alors les deux foyers conjugues se confon-
I dent. Le point lumineux continue-til sa marclie
1 toujours dans le même sens de C vers F? De cha-
cune des positions nouvelles données à ce point,
on élèvera une perpendiculaire sT à l'axe, et au
point de rencontre T de cette perpendiculaii'e
avec la circonférence, on mènera la tangente qui,
par sa rencontre avec l'axe. donnera, chaque fois,
le point conjugué cherché. Donc, à mesure que
le point lumineux se rapprochera de F, son foyer
conjugué s'éloignera de G, et, quand le point lumi-
neux sera en F, son conjugué sera à l'inflni, c'est-
à-dire que les rayons réfléchis seront parallèles
à l'axe principal.
Jusqu'à présent, nous avons toujours maintenu
le point lumineux entre l'infini et le point F, et le
foyer conjugué auquel il a donné naissance dans
chacune de ses positions successives résultait
d'un croisement effectif ans rayons réfléchis, croi-
sement qui peut être rendu sensible en pla-
çant un écran dans la position convenable. Aussi,
les foyers ainsi obtenus ont ils été appelés, avec
raison, des foyers réeis.
Continuons à faire marcher le point lumineux
dans le même sens, mais de F vers A. Cette fois,
le point de tangence déterminé comme précédem-
ment par la perpendiculaire à l'axe menée du
point lumineux passera à gauche de D, par suite
la tangente ne rencontrera plus l'axe; ce sera son
prolongement qui seul la rencontrera derrière le
miroir. Dans ce cas donc, les rayons réfléchis ne
se croiseront plus effectivement, il faudra les sup-
poser prolongés derrière le miroir pour obtenir
leur point de concours. Les rayons réfléchis que
l'œil recevra lui donneront, sans doute, la sensation
d'un foyer lumineux situé en arrière du miroir,
mais ce foyer n'existera pas en réalité , il ne
pourra pas être reçu sur un écran. On le nomme,
pour ce motif, foyer virtuel.
Ce foyer virtuel a des positions variables avec
celles du point lumineux. Ce dernier se déplace-
t-il de F vers A"! le point T, situé sur la circon-
férence à gauche de D, s'avance de D vers A, et
par suite la tangente qui lui correspond va, par
son prolongement, couper l'axe en des points de
plus en plus voisins du miroir. Enfi[i, quand le
point lumineux est en A, son foyer est aussi en A.
Résumons cette discussion en quelques mots :
Point lumineux à l'infini; — foyer conjugué au
foyer prijicipal.
Point lumineux entre l'infini et le centre ; —
foyer coiijugué entre le foyer principal et le
centre.
REFLEXION
— 1808 —
RÉFLEXION
Point lumineux se rapprochant du centre ; —
foyer conjugué se rapprochant du centre.
"Point lumineux au centre ; — foyer conjugué
au centre.
Point lumineux entre le centre et le foyer
principal ; — foyer conjugué entre le centre et
l'infini.
Point lumineux se rapprochant du foyer prin-
cipal ; — foyer conjugué se rapprochant de
l'infini.
Point lumineux au foyer principal; — foyer
conjugué à l'infini.
Point lumineux entre le foyer principal et le
miroir ; — foyer conjugué virtuel derrière le
miroir.
Point lumineux se rapprochant du miroir ; —
foyer conjugué virtuel se rapprochant du miroir.
Point lumineux sur le miroir; — foyer conju-
gué sur le miroir.
Dans tous les cas, on le voit, les deux foyers
conjugués marchent en sens contraire l'un de
l'autre.
On donne ordinairement une formule autre
que celle de JN'ewton pour exprimer la relation
<|Ui lie, l'un à l'autre, les deux foyers conjugues.
(;ette formule rentre absolument dans la précé-
dente et peut s'en déduire immédiatement ; elle
a seulement le défaut d'être moins simple, et de
rendre par suite la discussion un peu plus com-
pliquée.
Posons en effet SA=p s\=p' (fig. 6) et dans
l'expression nn' ;= /^ remplaçons tt et ti' par leurs
valeurs en fonction de;; et de p'. On a évidemment
II ^p — f; Tt'=p' — /■ et par suite :
(.p-n{p'-r=f;
effectuant et réduisant, il vient :
P'f+Pf=PP';
divisant tous les termes parpp/on obtient :
1+4=1
p p' f
qui est la formule ordinaire des foyers.
Nous ne recommencerons pas la discussion re-
lative aux foyers conjugués en nous servant de
cette nouvelle formule algébrique ; elle conduit,
bien entendu, aux mêmes résultats. Nous laisse-
rons au lecteur le soin de la diriger lui-même.
hnac/e des objets. — Nous savons trouver l'image
d'un point situé sur l'axe principal; l'image d'un
point quelconque situé hors de l'axe s'en déduit
facilement.
Soit le point lumineux B placé en dehors de
,/.
/
\
B
A
\
\/
./
\/
S
\
/\
\/
^ \
\/
/■
A"
\
\^
/
A
l'axe principal ffig. 8). L'image de B se trouve
nécessairement sur le diamètre BC qui représente
à la fois la direction d'un rayon incident et celle
du vayon réfléchi qui lui correspond. — Cette ligne
BC s'appelle un axe secondaire. — D'autre part,
parmi les rayons émis par B, il en est toujours un
qui est parallèle à l'axe principal; celui-là fournit
par la réflexion un rayon qui va passer en F au
foyer principal et qui, par sa rencontre avec BC
en h, donne le foyer conjugué ou, si l'on veut,
l'image de B.
Quand on sait obtenir l'image d'un point_ quel-
conque on sait, par là même, déterminer l'image
d'un objet éclairé, qui n'est en réalité qu'un com-
posé de points lumineux.
Ainsi, soit l'objet AB que, pour plus de sim-
plicité, nous supposons rectiligne ; nous venons
de trouver l'image de B ; pjr une construction
semblable, on trouvera l'image de A : ah est donc
l'image de AB. Mais comme cela résulte nécessai-
rement de la construction même, l'image de AB
est renversée par rapport * l'objet; car B qui
était au-dessus de l'axe principal a son image b
placée au-dessous de ce même axe, et A qui est
au-dessous a son image a placée au-dessus.
Je dis de plus que, dans les conditions où nous
nous trouvons, l'image ah est plus petite que
l'objet ; car, à cause de la similitude des trian-
gles BCA, iCa on a :
ab
AB~
Ca _
CA"
Cs
"CS
mais
Cs
=r-
■Ti'
êtes
ah
Tl -
•fi on a
donc :
Remplaçant tv' par sa valeur tirée de la formule
înt' = f2, il vient après réduction :
a6_ f
AB~n
Donc, tant que tt sera plus grand que f, c'est-à-
dire toutes les fois que l'objet sera au-delà du
REFLEXION
— 180'J —
REFLEXION
centre, son image sera réelle, renversée, située
entre le centre et le foyer principal et plus petite
que lui. Elle sera d'autant plus petite, l'objet con-
servant une grandeur constante, que cet objet
sera placé plus loin du centre ou, ce qui revient
au même, que ■k sera plus grand.
Si, en second lieu, nous supposons l'objet en
ab, son image sera en AB, d'où nous déduirons
cette conséquence, que lorsque l'objet se trouve
entre le centre elle foyer principal, son image est
réelle, renversée, située au delîi du centre, plus
grande que lui et d'autant plus grande que l'objet
est plus près du foyer principal.
Eutiua ne devient égal à AB que lorsque it = /',
c'est-à-dire lorsque l'objet est placé au centre. Son
image dans ce cas se superpose à lui et lui est
égale en grandeur tout en étant renversée.
Enfin si, en dernier lieu, nous supposons l'ob-
jet AB placé entre le foyer principal et le miroir.
nous savons déjà que son image sera virtuelle.
Pour la trouver, on effectue la même construction
que dans le cas précédent (fig. 9) et l'on voit alors
que l'objet Al! et l'image ah sont l'un et l'autre
compris dans l'angle hCa, et que, leurs directions
étant parallèles, l'image est toujours plus grande
que l'objet, puisqu'elle est nécessairement plus
éloignée que lui du sommet de l'angle. De plus,
cette image virtuelle est toujours droite. Le rap-
port de grandeur de l'image et de l'objet se cal-
cule comme tout à l'heure, et l'on a :
ab _ b'4-/'
All-Tt-H/-
Remplaçant it' par sa valeur — et réduisant, on a
encore :
û6 _ /
AB~5r
Mais cette fois, à raison de la convention faite,
it est plus petit que f, donc l'image est plus grande
i|ue l'objet.
Mir.outs coNVKXES. — Le miroir convexe est,
comra&le miroir concave, constitué par une calotte
spliérique présentant les conditions déjà indiquées;
c est-à-dire qu'elle ne représente qu'une très
laible partie de la surface de la sphère à laquelle
ille appartient. Seulement, cette fois, la calotte
i-st polie à l'extérieur.
La figure 10 indique la construction nécessaire
pour trouver l'image d'un point et celle d'un objet.
On voit que cette image est toujours et nécessai-
rement droite, virtuelle et pins petite que l'objet.
Dans le dessin ci-contre, l'objet est à droite, du
lùié de la face polie du miroir et dans deux posi-
nons difl'érentes. Il ressort de la construction, que
c|nand l'objet s'éloigne du miroir, son image tou-
jours virtuelle s'en éloigne aussi en se rapprochant
du foyer principal ; et elle est d'autant plus petite
que l'objet est plus éloigné.
La formule itîi'=/'a s'applique, telle quelle et
sans aucun changement de signe, au cas du mi-
roir convexe. On peut le démontrer directement,
Fijj. 10.
en construisant, pour le cas du miroir convexe,
une figure tout à fait semblable à celle qui nous
aservi pour le miroir concave (fig. 6\ et en conser-
vant les mêmes notations. On a alors :
•*S TZ — 7t' A— tc'
Effectuant et réduisant on retombe sur l'expres-
sion Ît7c'=/'a.
On trouve pareillement que le rapport de gran-
deur de l'image et de l'objet est donné par l'ex-
pression - 1 et comme ici u est nécessairement plus
grand que /'dans tous les cas, l'image est toujours
2' Partie.
plus petite que l'objet, ce qu'avait déjà indiqué
la construction géométrique.
Expériences d'une exécution facile dans les
cours. — 1° Miioira plans. — Montrer que si on re-
çoit un faisceau de lumière solaire sur un miroir
plan, on peut, en faisant varier l'inclinaison du fais-
ceau incident sur le miroir, amener les rayons réflé-
chis dans telle direction que l'on veut. — IWiroirs rec-
tangulaires et bougie allumée placée dans l'angle
des deux miroirs. — Même expérience en donnant
à l'angle des deux miroirs successivement la valeur
de 45° de GO". — Miroir plan métallique ou lame di;
verre à face antérieure argentée ; une seule image,
— glace de verre étainée ; images multiples. — Vnt-
lampe munie d'une cheminée de verre cylindrique
lli
REFORME
— 1810 —
REFORME
tosnaltre sur le plafond au-dessus d'elle des an-
sfeiax conceniriques alternativement clairs et obs-
ÎU3&, — montrer ce pliénomène et l'expliquer.
2' Miroirs spliériqiies cuncnves. — On dirige
Faae d'un miroir concave vers le soleil, et on coji-
slate qu'en portant un petit écran en avant du mi-
?s»i!T, on arrive par tâtonnement à le placer dans
nae position telle que l'image du soleil se produit
iar l'écran nettement délimitée et avec le maxi-
iaiini de lumière et de chaleur. — D'où mesure de
la distai.ce focale principale. — On place une bou-
gie allumée sur l'axe du miroir concave et on fait
"sarier sa position depuis le foyer principal jusqu'au
centre et puis du centre à quelques mètres de dis-
tance au delà ; on cherche chaque fois, avec un
^elit écran en papier, la position où l'image de la
iongie a le maximum de netteté, et on vérifie ainsi
« lelation donnée plus haut, relative aux foyers
3»itjugnés. — On place la bougie allumée entre le
Ssyer principal et le miroir ; on voit son image
iroite et agrandie, mais on ne peut la recevoir
wi un écran. Elle est virtuelle.
3* Miroirs spliériques convexes. — Mêmes expé-
riïnces que pour les miroirs concaves, — seule-
:a«nt image non recevable sur un écran quelle que
soit la position de ce dernier. — La lumière de la
îottgie parait toujours plus petite dans le miroir
ït d'autant plus petite que la bougie est plus éloi-
gaée du miroir. — Boules de verre argentées qu'on
place dans les jardins, — Images des objets exté-
rieurs vues dans ces boules.
•4* Miroirs cylin'/riques et coiiiqufs en métal. —
Déformation complète de l'image des objets.
[A. Boutan.]
RÉFLEXION (Psychologie). — V. Intelligence.
— V. aussi Ré/lexion ila.ns la I" Paiitie
UÉFOKMK. — Histoire générale, XXII-XXIII. —
La Réforme est l'événement capital du xyi' siècle.
Elle emplit deux cents ans d'histoire de ses revers
M de ses succès, depuis l'heure solennelle où Lu-
ther, simple moine, brûla la bulle d'excommunica-
lisii du successeur de Grégoire VII et d'Iniio-
Miit III ,1520), jusqu'au jour où Guillaume d'Orange
jDrta le coup décisif au catholicisme armé de
Louis XIV, en inscrivant sur sa bannière victo-
rieuse : « Je maintiendrai les libertés et la reli-
»ion du peuple anglais » (1688). La cause est aussi
profonde que l'événement est grand ; au fond, dans
--on origine et dans ses résultats, « la Réforme est un
ilan de l'esprit humain vers la liberté n (Guizot).
Causes. — Au moyen âge, la pensée était en
servitude. L'auiorité, et non l'expérience, était le
fondement des principes reconnus d'avance et né-
îessairement acceptés. L'Eglise était un gouver-
nement des intelligences, et un gouvernement ab-
30lu. La Bible contenait la base de toute vérité ;
la logique d'.\ristote permettait d'en déduire toutes
î«s conséquences; de là était née la scolastique. La
philosophie, servante de la théologie, jouissait du
uième prestige inviolable et consacré. Aristote
avait eu ses martyrs comme la Bible ; toute con-
tradiction était inierdite. i> Les élèves d'Abailard
lui demandaient, nous dit-il dans son Introduc-
i-wn à la théologie, des arguments philosophiques
H propres à satisfaire la raison, le suppliant de
iî3 instruire, non à répéter ce qu'il leur appre-
nait, mais à le comprendre; car nul ne saurait
iTOire sans avoir compris. » Et pour avoir essayé
^ les satisfaire, Abuilard était condamné par les
•îïiiciles de Soissons et de Sens. Plus tard, un de
•MS disciples, Arnauld de Brescia, était brûlé à
Some, et ses cendres dispersées dans le Tibre.
Cependant à la fin du xV siècle, cette auto-
rite indiscutable venait d'être convaincue d'er-
jeur, par la découverte de deux mondes nouveaux
qu'elle avait ignorés, l'Amérique et l'antiquité.
Ue fut un bouleversement des intelligences. Au
■jiQmcnt où Christophe Colomb allait doubler le
domaine et la fortune des hommes, les savants
grecs débarquaient en Occident les mains pleines
des trésors antiques, et jetaient en circulation la
masse des idées qui font encore aujourd hui le
fond de nos esprits. Ce fut le ravissement, l'ivresse
des intelligences, en même temps que la liberté ;
car l'autorité devenait impuissante contre la pen-
sée. Elle pouvait encore supplicier les novateurs,
mais non plus anéantir leurs nouveautés.
Au lieu de cette unique Bible que les fidèles
apercevaient de loin, enchaînée au pupitre de
l'église, les livres maintenant passaient de mains
en mains, poursuivis, mais nombreux, insaisissa-
bles dans leur course légère, et d'ailleurs sans cesse
renaissants. Et mille systèmes éclataient chaqiie
jour, souvent sous des noms anciens ; — Scepti-
ques, Platoniciens, Epicuriens étaient plus nom-
breux, plus entliousiastes que dans l'antiquité
même. De là cette hardiesse en tous sens, cette
initiative agitée hors des chemins battus au moyen
âge, cette incohérence d'action qui est le carac-
tère même du xvi' siècle. Cette masse d'idées,
comparées, soutenues, combattues avec l'efferves-
cence de la jeunesse qui secoue ses lisières, de-
vaient nécessairement donner naissance à l'es-
prit d'examen. Et le jour où l'examen porta sur la
Bible, la Béformation, cette forme religieuse de la
Pienaissance commença.
Caractèie. — C'est pourquoi la Réforme est un
événement aussi vaste et vraiment européen. La
question se posa partout, parce que partout fu-
rent attaqués, sinon détruits, l'autorité, le gouver-
nement des esprits, en Allemagne, en Danemark,
en Suède, comme en Angleterre et en France.
Le libre examen devait naître du combat des idées
et des cultes, et contre la volonté même des réfor-
mateurs. Car Luther et Calvin, comme Zwingle,
prétendaient seulement substituer une religion à
une autre; mais la force des choses amena la li-
berté, et, après la lutte, la tolérance.
Précurseurs. — Née d'un mouvement universel,
la Réforme était nécessaire, fatale. Ce qui le prouve
encore, c'est quelle fut préparée, elle eut des
précurseurs. Il y a deux sortes de grands hom-
mes : ceux qui devancent leurs contemporains et
périssent entraînés dans la chute d'une entre-
prise prématurée ; et ceux qui, nés à l'heure pro-
pice, savent produire et conduire les événements.
La Réforme a eu les uns et les autres.
L'immobilité n'es' point humaine ; de ce besoin
de mouvement étaient nées les hérésies du moyen
âge; et peut-être la Réforme se serait-elle pro-
duite dans la spirituelle et frondeuse Provence si
les soldats de Simon de Montfort n'y avaient
porté le fer et la mort, à la voix d Linocent III
(1208-1228). En Allemagne, l'Anglais LoUard fat
.brûlé en 1322. Mais ses disciples, répandus aux
Pays-Bas, avaient passé en Angleterre, où ils
s'étaient confondus avec les partisans de VViklef.
Celui-ci, protégé par le roi Edouard III, avait pu
combattre les ordres monastiques, les biens tem-
porels du clergé, la suprématie pontificale, et il
; avait ainsi préparé la révolution religieuse du
! XVI' siècle. Mais le véritable précurseur de
Luther fut le Bohémien Jean Huss qui, le premier,
proclama l'Ecriture saiiite seule règle de la foi,
combattit l'autorité du pape et réclama la com-
munion sous les deux espèces. Cité à comparaître
devant le concile de Constance, il eut confiance
■ dans un sauf-conduit de l'empereur Sifjismond et
il fut trahi. Ar.èté, il se déchira prêt à renoncer à
I ses croyances « si on lui démontrait qu'il s'était
[ trompé n, et ajoutant « qu'il aimait mieux mourir
, que de trahir la vérité ». Il mourut le 6 judlet i41o,
sur le bûcher où le suivit, Oiîze mois après, son
condisciple Jérôme de Prague. « O sainte simpli-
cité ! 0 s'écria le mourant en voyant une vieille
[ femme apporter un fagot pour son bûcher. Mais
REFORME
— iSn —
RÉFORME
la Bohême était en armes, invincible sous Jean
Ziska (V. Guerre des flussites). Quand leur clief
mourut, les Hussites firent de sa peau un tambour
qui, sous Procope, les conduisit encore à la vic-
toire, au cri de « guerre aux papes et guerre aux
images ». L'incendie qui avait éclaté en Boliônie
n'était pas éteint quand naquirent Zwingle, Lu-
ther et Calvin.
Mais alors l'heure était devenue favorable. En
effet la papauté, ébranlée dans sa suprématie
par la formation d'Etats puissants, en France, en
Espagne et eu Angleterre, commençait à perdre
une partie de son prestige. « La cognée est à la
racine, avait écrit le cardinal Cesarini au pape
Eugène IV, l'arbre penche... et Dieu nous ôte la
vue de nos périls. » Presque partout peuple et sei-
gneurs jalousaient le clergé. Mais le terrain le
mieux préparé était l'Allemagne, qui n contenait
plusieurs Etats distincts, indépendants et assez
forts, quoique très inégaux, pour offrir aux croyan-
ces diverses un asile assuré et former des coali-
tions capables de résister à l'empereur « (Guiîot).
Réforme en Alleniagiie. — « C'est le caractère
du XVI' siècle que les hommes y sont aussi grands
que les événements; ainsi le veut la nature même
des révolutions religieuses... A coup sûr. il y faut
quelqu'un des héros de l'espèce humaine... il
n'en est aucune qui ne paraisse l'œuvre person-
nelle d'un grand homme, et presque toutes ont
gardé le nom de leur fondateur » (Guizot). Mar-
tin Luther était né à Eisleben en Saxe ( 1483) , d'un
pauvre mineur. Etudiant à Erfurth, il vit un jour
la foudre frapper un ami près de lui ; et quatorze
jours après, fuyant la vanité du monde, il était
novice dans un monastère d'augustins. C'est là
qu'il étudia l'Ecriture, n Deux fois par an, il lisait
la Bible tout entière et s'y enfonçait toujours da-
vantage. » Plus tard, dans un voyage à Rome, il
vit le pape Jules II, tel que l'avait représenté .Mi-
chel-Ange il Bologne, tiare en tête et l'épée au
poing; et il en rapporta des souvenirs qui se pro-
duisirent dans son pamphlet de la Batiylone mo-
derne. Cependant, devenu professeur à l'université
nouvelle de Wittemberg, entouré de philosophes,
il respirait comme un souffle de hardiesses et de
nouveautés jeté dans l'atmosphère par l'agitation
du siècle naissant. Enfin, le lU octobre lilT, en-
traîné, il fit le premier et le dernier pas hors de
l'Eglise, il afficha quatre-vingt-quinze propositions
contre les indulgences que prêchait le moine do-
minicain ïetzel. « Il faut enseigner aux chrétiens
que si le pape connaissait les exactions des prê-
cheurs de pardon, il aimerait mieux que la basili-
que de Saint-Pierre tombât en cendres, plutôt que
de la construire avec la chair et les os de ses bre-
bis. Le vrai trésor de l'Eglise, c'est le Saint Evan-
gile. 1. La Reforme était commencée, et le bruit
de ces paroles sonna comme un clairon dans le
cœur des peuples d'Allemagne. « Elles coururent
en un mois jusqu'à Jérusalem. » Luther lui-même
en fut efl'rayé un instant. « Je suis facile de voir
ces propositions tant imprimées, tant répandues, »
disait-il ; mais il combattait Tetzel et en appelait à
Léon X. « Querelles de moines ! frère Martin est
un beau génie, » répondait le pontife de la Re-
naissance aux excitations de son entourage. Ce-
pendant 1 Allemagne, peuple et seigneurs, était
ébranlée; Jean-Fréderic de Saxe soutenait ouver-
tement le réformateur.
Léon X cita LuUier, qui fut condamné à Augs-
bourg par le cardinal Cajetaiio (15ls). Le moine
en appela au pape mieux informé ; on ordonna
ae le saisir. Il voyait devant lui le bûcher de Jean
Huss ; il écrivait à l'électeur de Saxe : « Pour n'at-
tirer aucun danger sur Votre Altesse, voici que
jabanrlonne vos terres; j'irai où me conduira la
miséricorde de Dieu. ., M.iis il en appelait du paoe
au concile, et au peuple. « Que personne ne
s'avise de mépriser devant moi les pauvres com-
pagnons qui vont chantant et disant de porte en
porte : Du pain au nom de Dieu ! Vous savez
comme dit le psaume: « Les princes et les rois ont
chanté. » Et moi aussi j'ai été un pauvre men-
diant, j'ai reçu du pain aux portes des maisons,
particulièrement à Eisenach , dans ma chère
ville. »
Il fut sauvé par la mort de l'empereur Maximi-
lien ; pendant l'interrègne, Jean-Frédéric devenait
vicaire de l'empire. Aussi en Ib'iO parut l'évangile
luthérien : la Liberté Chr^tiennu, qui déclarait
prêtres tous les fidèles et proclamait l'Ecriture
seule base de la foi. Monaco d'excommunication,
Luther répondait par la Ca/itiuHé de Uabi/lune; il
osait brûler publiquement à Wittiimberjj le texte
des decrétales avec la sentence enfin portée contre
lui. Mais Charles-Quint était nommé empereur et
s'alliait au pape ; il cita Luther à comparaître de-
vant la diète de 'VVorras (1521). « Il vint, porté
sur le cœur et dans les bras de l'Allemagne 'fous,
amis et ennemis, voulaient l'empêcher d'arriver
et lui rappelaient Jean Huss. J'irai, dit-il, y eût-il
autant de diables que de tuiles sur les toits »
(Miehelet). Devant Cliarles-Quini, le réformateur
déclara qu'il céderait si on prouvait qu'il s'était
trompé, à l'aide du seul Evangile, qu'autrement il
ne pouvait ni ne voulait se rétracter. La discus-
sion était impossible. Il sortit de 'Worms, et dans
la forêt de Thuringe, l'électeur Jean-Frédéric le fit
enlever et conduire au château de la 'Wartbourg,
caché sous le masque et sous l'armure d'un che-
valier. C'est de ce château féodal que sortirent
incessamment pendant quatre années les pam-
phlets datés de a sa montagne, de sou désert, de
son Pathmos », dont le réformateur frappait ses
adversaires, les évoques, le pape, l'empereur,
Henri VIII. « Voyez donc ce roi d'Angleterre qui
s'avise de lancer sa paille et son fumier contre le
roc de la parole divine Vous le savez, ô Sei-
gneur, le diable, le pape et le Turc, c'est tout
un... Je tiens mes dogmes du ciel, et je défie
pape, rois et docteurs. " Mais dans l'intervalle de
ces emportements d'éloquence populaire, il tra-
duisait les psaumes « au bruit des oiseaux qui
chantaient sous la feuiUée, et louaient Dieu le
jour et la nuit ; » il traduisit aussi la Bible, seul
texte inviolable et sacré, que tout réformé devait
lire et interpréter librement. Plus de caste sacer-
dotale, investie du privilège exclusif d'expliquer
la foi et de parler au nom de Dieu , par consé-
quent, plus d'intermédiaire entre Dieu et l'homme,
plus d'évéques, ni de saints, plus de confession,
plus de vœux monastiques, plus d'indulgences,
plus de purgatoire; mais jusqu'à sa mort, Luther
hésita sur le dogme de la présence réelle, sur le
libre arbitre de l'homme ; et ce ne sont pas les
seules contradictions du théologien réformé.
Mais qu'importait au peuple d'Allemagne, agité
dans ses couches profondes par la grande voix de
la Wartbourg. Les disciples du réformateur répé-
taient partout ses doctrines. Bucer soulevait Stras-
bourg ; à Wittemberg, Carlostadt brisait les cru-
cifix des églises, pour faire « le carnage des
idoles », Luther, pour l'arrêter, sortit de la re-
traite ; sa maison devint l'asile des religieux fugi-
tifs; et pour prêcher d'exemple, il éjiousait en
l.i2.5 une nonne, Catherine de Bora. La Réforme
était triomphante en Allemagne; peuple et sei-
gneurs abandonnaient le catholicisme.
Mais l'ébranlement religieux faillit tourner <ui
révolution sociale; les paysans voulaient établir
par la force l'égalité chrétienne sur la terre.
c< Il est temps. Soyez sans pitié, quand mùrno
Esaii vous donnerait de belles paroles. Soulevez
les villes et villages I » s'écriait Thomas MUiizer,
c< serviteur do Dieu contre les impies. » Et cent
mille paysans coururent la Souabe, laFraiicouie
REFORME
— 1812 —
REFORME
les bords du Rhin, comme une avalanche de des-
truction. (V. Guerre des paysans.) Luther essaya
vainement de les arrêter; la noblesse se dressa
contre ces Jacques d'Allemagne, qui furent massa-
crés avec fureur. AFrankenliausen, ils soutinrent
longtempsles coups de l'artillerie ennemie sans ré-
pondre, que par des psaumes, pleins de foi, atten-
dant un miracle de Dieu. C'est là que fut pris et
tué Thomas Jlunzer (I.S25).
Leur défaite était le salut [de la Réforme en
Allemagne. L'empereur, qui combattait le pape
Clément VII, laissait grandir librement l'hérésie,
en attendant qu'il laissât piller Rome odieuse-
ment par les bandes lutliériennes du connétable
de Bourbon (15?7). En même temps des villes im-
périales, comme Nuremberg, Francfort, Ham-
bourg; des princes, Jean-Frédéric le Sage, élec-
teur de Saxe, Philippe de Hesse-Cassel, le grand-
nialtre de l'Ordre Teutonique, Albert de Brande-
bourg ; des provinces, le MeCklembourg, la Pomé-
ranie, laLivonie, su déclaraient pour Luther. Les
moines abandonnaient les couvents, et les sei-
gneurs confisquaient en les déclarant terres sécu-
lières les vastes domaines des églises et des
monastères. Déjà en 1523 la diète de Pîureniberg
s'était montrée favorable aux idées nouvelles ; la
diète de Spire, moins décidée, avait maintenu le
statu quo (1529), malgré les protestations des lu-
thériens, depuis lors appelés protestants. Enfin
c'est en 1530 que Mélanchthon rédigeait, dans un
esprit de conciliation, la confession iVAugsbourrj,
que la diète réunie dans cette ville refusa d'ac-
cepter, mais qui devint aussitôt le formulaire de
la religion protestante. Le luthéranisme était
définitivement constitué par la suppression de
l'épiscopat, la substitution des pasteurs aux prê-
tres, la participation des laïques aux affaires reli-
gieuses, et par l'adoption des doctrines soutenues
par le réformateur.
Réforme en Sunsc. — A l'étranger, Luther trou-
vait déj:i des imitateurs. Ulrich Zwingle, « paysan
intrépide, aumônier d'armée, fort lettré du reste,
et bon musicien, avait fait les guerres d'Italie. »
Curé d'EinsiedeIn, le fameux sanctuaire du canton
de ScluNjtz, puis de Zurich (1519), il y commença
la Réforme; il attaquait la messe, la confession,
le purgatoire, le célibat des prêtres, et, plus résolu
que Luther, niait la présence réelle. Soutenu par
le sénat de Zuricli, il convertit les habitants de
Bàle, Berne, Schaffhouse, Appenzell, Coire et Saint-
Gall. Mais L'rij Schwytz, Ùnterwald, Lucerne, Zoug,
Fribourg restaient catholiques. Des discussions de-
vait sortir la guerre. Elle faillit éclater en 1528.
Cinq cantons catholiques avaient fait alliance avec
l'Autriche. Les Zuricois marchèrent contre eux ;
mais grâce à l'intervention de Berne, Fribourg,
Soleure, Claris, l'effusion du sang put être évitée,
et les cinq cantons renoncèrent à leur Sondcrlituid.
Mais bientôt, Zurich exigeant que l'évangile pût
être librement prêché dans les cantons catholiques,
les cinq cantons dissidents lui déclarent la guerre.
Les Zuricois, au nombre de 1500, sont écrasés à
Cappel par 8000 catholiques ; Zwingle est tué dans
la bataille (1531), Sa mort arrêta la guerre; les
deux religions se partageaient la Suisse.
Réfonnc en Scanditiacie. — Dans le Nord,
c'étaient les rois eux-mêmes qui prenaient la tête
de l'insurrection religieuse. Sorti des prisons da-
noises pour monter sur le trône de Suède (lô'-'l),
Gustave \Vasa rencontrait devant lui l'opposition
de la féodalité ecclésiastique. Pour l'abolir, il fit
appel aux Uéformés; pendant que deux luthériens,
Laurent et Olaûs Peiri, prêchaient leurs doctrines,
le roi, sur l'avis des États généraux de VVesteras
(1627), confisquait les biens temporels des églises,
attribuait h. l'Etat les deux tier^ de la dime, ou-
■VI ait les couvents, enfin usurpait la nomination
des évêques. En deux aus, l'aristocratie religieuse
était renversée. Le concile d'Orebro, réuni en 1529,-
put alors adhérer au luthéranisme. Il accepta la
liturgie d'Augsbourg, en maintenant quelques cé-
rémonies catholiques pour ménager l'ignorante
susceptibilité du peuple.
En Danemark, la noblesse avait renversé Chris-
tian II ; son remplaçant sur le trône, Frédéric 1" de-
Holstein, s'était déclaré luthérien (1625). Les ÉUts
d'Odensee (1527) établirent la liberté religieuse,
soumirent au roi les évêques et permirent le ma-
riage aux prêtres. La rupture était complète avec
la papauté. En 1536 la diète de Copenhague sup-
primait les évêques, et confisquait les biens du
clergé. L'année suivante, uno liturgie noiivelle en-
voyée par Luther était proclamée et définitivement
établie, malgré de nombreuses résistances en Nor-
vège et en Islande.
Suite de la réforme en Allemagne. — Mais en
Allemagne même la victoire ne fut pas si rapide
ni si décisive. L'empire s'était partagé en deux li-
gues formées à Augsbourg par les catholiques, à
Smalkalde par les protestants. Cependant la chré-
tienté, menacée par les Turcs, efl'rayée par les
Anabaptistes de Munster (1535), hésitait à se dé-
chirer de ses propres mains. Le pape Paul III con-
voqua un concile général (1542), qui se réunit h
Trente en 1545. Le concile, fidèle à la doctrine
catholique, consacra le symbole de Nicée, pro-
clama l'Eglise seule interprète légitime de l'Ecri-
ture sainte, et reconnut l'autorité des Pères. Il ne
restait plus qu'à combattre. Charles-Quint fut vain-
queur à Miihlberg (1547). Le chef des protestants,
Frédéric le Sage, était prisonnier. La Saxe fut
donnée au prince Maurice, dont la trahison avait
fait l'empereur victorieux. L'Allemagne était du
même coup en proie aux Espagnols ; Charles-Quint
imposait partout des garnisons étrangères et
d'énormes contributions. Il prétendit même ré-
gler seul la question religieuse par l'intérim d'Augs-
bourg. Mais alors le mécontentement éclata. Mau-
rice de Saxe, le trahissant à son tour, négocie avec
le roi de France Henri II, soulève toute l'Allema-
gne et surprend l'empereur à Passau (1552). Ma-
lade, presque captif, Charles dut signer une trêve
bientôt confirmée par la convention d'Augsbourg
(1555). Le culte luthérien devait être à l'avenir
librement pratiqué. Mais Luther n'avait pas vu ce
triomphe; il était mort à la veille de la guei-re, en
1546. Toutefois son œuvre était accomplie; k-
mouvement de la Réforme était désormais lance
irrévocablement.
Cependant il fallait maintenant " mettre vive-
ment en lumière les nouveaux principes, les fé-
conder chaque jour, en imprégner la multitude,
les faire passer dans la pratique, les réduire enfin
en une doctrine qui gouvernât fortement la vje
comme la pensée de ses adhérents, et les ralhàt en
une vraie société « (Guizot). Il fallait organiser
la nouvelle Eglise; ainsi la Reforme entrait dans
la seconde époque de son établissement ; cette œu-
vre fut accomplie par Jean Calvin.
Le calvinisme. Génère. — Calvin était ne ;V
Noyon, le 10 juillet 150!), d'un simple tonnelier;
mais son intelligence brillante le mit bientôt hors
de pair; à vingt ans, suivant l'usage dalois, il
avait déjà un bénéfice dans la cathédrale de Noyon.
et la cure de Pont-l'Evèque. Cependant, il étu-
diait à Paris, puis à Orléans, puis à Bourges ;
(( c'était un écolier triste, solitaire, dur à lui
même, affamé de science; <■ il apprit le grec,,
l'hébreu le droit, la théologie. Mais il connu i
aussi les doctrines nouvelles qui commençaient ;,
se répandre en France (V. François I"), et il les
prêchait à Paris dès 1531. Les premières persécu-
tions, permises par le roi, l'obligèrent à fuir :i
Strasbourg, puis à Bàlc. C'est là qu il composo
l'Institution chrétienne, publiée en 153o et dcdiee-
à François I*'.
REFORME
— 1813 —
REFORME
Ce livre est l'exposé systématique et complet
■du protestantisme au xvi" siècle. « Luther avait
voulu laisser subsister tout ce qui n'est pas con-
damné par la Parole de Dieu ; et Calvin voulut
abolir tout ce qui n'est pas prescrit par la Parole
de Dieu. Calvin était plus conséquent et plus
liardi.... La Bible, toute la Bible, rien que la
Bible, tel est le mot du calvinisme au xvi« siècle. »
(Bonnet.) L'inflexibilité logique de Calvin le
conduisit donc plus loin que Luther. Il résolut
rigoureusement les questions redoutables que
son prédécesseur avait laissées incertaines. Dans
son impuissance do concilier le libre arbitre et
la grâce, il sacrifia le premier et poussa la soconde
jusqu'à la prédestination absolue. Les sacrements
étaient donc réduits à deux, le baptême et la
communion ; l'égalité des fidèles devant Dieu
était absolue ; laïques et pasteurs composaient le
consistoire directeur des églises.
Après avoir préparé k la Réforme son système
de doctrine et de gouverneraenti Calvin devait
encore lui donner un centre d'action et comme
une citadelle, Genève. Cette ville venait de chas-
ser son évêque en IbZh ; du même coup elle ac-
ceptait le protestantisme prêché dans ses murs
depuis quelques années par le Français Guillaume
Farel. << Tout y semblait alors accompli, quand pa-
rut sur ce théàtrOj où venaient de s'opérer deux
révolutions, un acteur qui devait y en opérer une
nouvelle, et devenir lui-même un grand homme
en rendant Genève la capitale d'une grande opi-
nion. 1) (Mignot.) En effet, à la date du 15 février
1537, on voit dans les comptes du Conseil d'Etat de
■Genève « 6 ocus au soleil à Calvin, vu qu'il n'a
guère encore reçu. » Le réformateur était pro-
fesseur de théologie de la nouvelle république. Ce-
pendant sa rigueur intolérante avait à lutter con-
tre les partisans de la liberté politique et reli-
gieuse, les libertins. Vaincu d'abord, il dut s'exiler
avecGuillaumeFarel(15S8), mais pour être rappelé
trois ans plus tard. Désormais, il était maître, et
il fut absolu. Le consistoire, formé de ministres et
de trois coadjuteurs, ne respirait que sa pensée. La
Réforme, comme le catholicisme, eut ses bûchers
et ses inquisiteurs. Le conseiller Gruet, coupable
d'avoir affiché un placard contre Calvin, eut la
•tète tranchée (154'!); Micliel Servet, convaincu
d'hérésie, périt sur le biicher en 1553. Les der-
niers libertins furent proscrits en 1,555.
Cependant, Calvin était devenu le véritable direc-
teur du parti réformé en Europe ; sa correspon-
dance était immense. De Genève partaient inces-
samment ses lettres, ses ouvrages, ses pasteurs
pour porter partout et répandre l'ardeur de sa pas-
sion religieuse. Impitoyable k lui-même, il formait
infatigablement une pépinière de martyrs. Et, sim-
ple professeur de théologie, à .'ÎOO écus par an, il
inspirait la moitié de l'Europe de la puissance de sa
ipensée. Mais son corps était frêle ; il se consuma
danscette œuvre prodigieuse. Enfin, le 19 mai 1561,
dl se fit porter de son lit à la table de communion :
« Mes frères, je viens vous voir pour la dernière
fois, » dit-il. Le 27 mai. il expira sur le soir. « Et
yoilà, dit Théodore de Bèze, comment en un même
instant, ce soir-là, le soleil se coucha et la plus
grande lumière qui fût sur le monde pour l'a-
dresse de l'église de Dieu en fut retirée » (Bon-
net). Mais il laissait Genève, '■ cet étonnant asile
entre trois nations, qui, sans appui, dura par sa
force morale... Point de territoire, point d'ar-
mée... Contre l'immense filet où l'Europe tom-
bait, il ne fallait pas moins que ce séminaire
héroïque. A tout peuple en péril, Sparto pour
armée envoyait un Spartiate. Il en fut ainsi de
Genève. A 1 Angleterre, elle donna Pierre Martyr,
Knox à l'Ecosse, Marnix aux Pays-Bas ; trois
hommes et trois révolutions. » (Michelet.)
La Hé'orrni! en Angleterre et en Ecosse. — C'est
en 1547 que Pierre Martyr descendit en Angle-
terre. \é à Vérone, disciple de Calvin, il porta
V Institution chrétienne à l'université d'Oxford, où
il enseignait. L'opinion était préparée par la rup-
ture d'Henri VIII avec le Saint-Siège (V. Tiidom) ;
Martyr fit de nombreux disciples ; le Parlement
assemblé après la mort d'Henri VIII fit donner la
communion sous les deux espèces ; l'archevêque
de Cantorbéry, Cranmer, permit le mariage aux
prêtres; les images furent chassées des temples.
Enfin, la Réforme jeta de si profondes racines
que les persécutions de Marie la Sanglante (1553-
155H) ne purent l'abolir. Elisabeth, fille d'Anne
Boleyn, fit rédiger la Confession de fui de l'é-
glise anglicnne (1562), dont les trente-neuf arti-
cles sont empruntés à la fois aux nouveautés
calvinistes et aux souvenirs catholiques. L'Ecri-
ture sainte est reconnue suffisante au fondement
de la foi ; les indulgences, le culte des saints,
des reliques, sont déclarés inutiles ; les questions
du libre arbitre, de la présence réelle ne sont pas
clairement résolues. Enfin, la suprématie du roi,
la hiérarchie des évêques, l'ordination des mi-
nistres sont déclarées obligatoires comme dans les
Statuts d'Edouard IV. Telle est la doctrine anglicane,
dont la profession fut assurée sous Elisabeth par
de nombreuses persécutions. Accomplie par la
royauté, la Réforme prenait en Angleterre un
caractère particulier contre lequel le peuple ne
devait pas tarder à protester. C'est pour n'avoir
pas abandonné l'épiscopat que Charles l"' devait
monter sur l'échafaud.
Ce mélange de révolution politique et religieuse
se montrait déjà en Ecosse. Jolin Knox avait été
chapelain d'Edouard VI. Combattu par la reine
Marie de Lorraine, sœur des Guises, il s'était
d'abord réfugié à Genève, où il publia son pam-
phlet : Le premier son de In trompette contre le
monstrueux /jouvernement des femmes. Mais en
l.'ij'J, il était de retour et soulevait dans Perth une
insurrection des protestants qui détruisirent les
églises. <i Frappez, disait-il, il faut écraser le nid
pour détruire la couvée. » Ses disciples étaient
déjà si nombreux qu'un Parlement en 1560 inter-
dit le catholicisme; « une messe était plus dange-
reuse que lOOOi) soldats n; le culte calviniste fut
établi sous le nom de religion presbytérienne; les
ministres devaient être surveillés par des surin-
tendants, sans pouvoir politique. C'est en vain
que Marie Stuart voulut s'opposer à ces progrès.
Le catliolicisme fut vaincu à Langside (1.568) avec
la « Jézabel nouvelle >> par la noblesse protestante.
Et quand Knox mourut (1572), la Réforme était
triomphante en Ecosse sous Jacques VI, comme
en Angleterre sous Elisabeth.
Ainsi, par le progrès des idées nouvelles, l'unité
religieuse de l'Europe se trouvait définitivement
rompue. La république chrétien ne, dont le pape avait
voulu prendre l'hégémonie au moyen âge .n'était plus
qu'un souvenir. L'Occident était partagé en deux
camps irréconciliables. La guerre éclata; elle eut
pour champ de bataille la France et les Pays-Bas.
La Héforme aux Pays-Bas. — Les Pays-Bas,
« fertiles en pâturages, mais stériles en grains,
malsains, et presque submergés par la mer,
étaient un exemple, presque unique sur la terre,
de ce que peuvent l'amour de la liberté et le tra-
vail infatigable » (Voltaire). Ils ne devaient rien
qu'à eux-mêmes et surtout le sol de la patrie,
arraché lentement aux tempêtes. Le calvitiisme
était entré profondément dans ces cceurs indomp-
tables. Moins prudent que son père, Philippe H
voulut leur arracher l'hérésie. Quand débarqua
le duc d'Albe ( 1566), Guillaume de Nassau partit
pour l'exil : « Adieu, prince sans terre s, lui dit
Eginont qui refusait de le suivre. « Adieu, comte
sans tète, » répondait Guillaume, dont la sinistre
plaisanterie était bientôt réalisée par la haclie du
RÉFORME
1814 —
REFRACTION
bourreau. Egmont était décapité avec 10 000 Fla-
mands, 30 000 voyaient leurs biens confisqués,
100 000 avaient fui en France et en Angleterre.
Mais les exilés n'avaient voulu se soustraire au
supplice que pour se garder au combat. Quand
les ffiieux de mer eurent pris la Brille llhl'i),
Guillaume le Taciturne vint les commander.
n C'était un de ces linmmes pâles et maigres qui
ne se reposent pas la nuit, qui ne vivent que
pour penser, et devant lesquels chancellent
les hommes les plus intrépides » (Scliiller;.
Quand il apprit les premiers succès du duc d 'Albe,
le cardinal Granvelle demanda <i si le Taciturne
était pris? — Non. — En ce cas, dit-il, il n'y a
riep de fait. « Kt pour briser le héros, il fal-
lut le poignard d'un assassin (1584). Mais alors
les Provinces-Unies étaient sauvées, et Philippe II
commençait à pencher vers son déclin. Marie
Stuart allait mourir (157"), et l'invincible Armada
devait périr sans la venger (15S8). Philippe III
consacrait en I6o9 l'indépendance d'une seconde
Genève, aussi héroïque que la première. — V.
Pays-Bas, Guilhvme d'Orange et Philippe II.
La Réforme en France. — Aux Pays-Mas c'étaient
des soldats étrangers qui voulaient abolir la pa-
trie en même temps que la religion des réformés.
En France, la guerre fut plus atroce encore, parce
qu'elle était civile en même temps qu'étrangère.
En vain Lhospital s'était écrié : « Otons ces mots
diaboliques, luthériens, huguenots, papistes, et
ne changeons le nom de chrétiens. » En vain, au
matin de la bataille de Dreux, l'un des combat-
tants, La Noue, écrivait : « Alors chacun se tenait
ferme, repensant en soi-même que les hommes
qu'il voyait venir vers soi n'étaient point Espa-
gnols, Anglais, Italiens, mais Français, entre les-
quels il y en avait qui étaient ses propres compa-
gnons, parents et amis, et que dans une heure il
feindrait se tuer les uns les autres, ce qui donnait
quelque horreur du fait. » Le résultat féroce de
cette guerre où se mêlaient les haines de parti,
de nation et de religion, fut le coup d'Etat de la
Saint-Barthélémy (1672). Mais cet excès de fureur
même devait porter un coup mortel au fanatisme.
C'est en France que la lutte fut le plus atroce, et
c'est aussi en France que la tolérance, c'est-à-dire
l'esprit de liberté religieuse, fut le plus rapide-
ment établie (V. Henri II, François II, ('Ivirles IX,
Henri III. Henri IV, Gîterres de religion).
La Réforme commençait h produire ses fruits
naturels que n'avaient prévus ni Calvin ni Luther;
Henri IV, c'est Lhospital armé, d'abord en France
contre la Ligue, et plus tard en Europe contre la
maison d'Autriche. Et la victoire de la tolérance
en France eut pour conséquence prochaine son
succès définitif en Europe. Henri IV avait failli
commencer la guerre de 'Trente Ans, que Richelieu
rendit décisive et que termina Mazarin. Aux
traités d'Osnabriick et de IMûnster (lt)48), calvi-
nistes et protestants, réunis par la communauté
de leurs origines et de leur but, imposèrent aux
successeurs de Charles-Quint et de Philippe II la
reconnaissance de leur liberté complète, et le
partage du gouvernement de l'Allemagne. Le
pape, en abdiquant son rôle de médiateur, avait
abdique du même coup ses prétentions au gou
vernement des intelligences. Et le triomphe de
l'esprit de liberté était si bien définitif, que quand
Louis XIV eut attaqué la tolérance et révoqué
l'édit de .\antes, Guillaume III le vainquit comme
le Taciturne avait vaincu Philippe II (l(i88).
Et au livre du grand évêque Bossuet, la Poli-
ligne tirée de l'Ecriture sainte, le philosophe
protestant Locke opposait le Traité du gouverne-
ment civil, comme au droit divin le droit du
peuple. Calvin n'avait voulu fonder qu'une re-
ligion nouvelle, et la Réforme aboutissait à la li-
berté. [Paul Schâfer.l
RÉFRACTION. — Physique, XXXI. — Nous ne
traiterons dans cet article que de la réiraction de
la lumière. Pour la réfraction de la chaleur, V.
Knyonnement.
(,luand un pinceau de lumièrese présente oblique-
mentà la surface de séparation de deux milieux d'es-
pèce différente et transparents l'un rt l'autre, il se
divise en deux parties: l'une se réfléchit et rentre
dansle premier milieu en suivant les lois ordinaires
de la réflexion *. — Nous ne nous occuperons pas,
dans cet article, de cette portion du faisceau lumi-
neux. — L'autre pénètre dans le second milieu
et ne suit plus la direction primitive. Ce change-
ment de direction du rayon constitue ce qu'on
nomme la réfraelian de la lumière.
Tantôt le rayon dévié de sa direction première
se rapproche, en se brisant, de la normale à la sur-
face de séparation, menée au point d'incidence, et
alors le second milieu est dit plus réfringent que
lo premier; tantôt il s'en éloigne, et alors le
second milieu est dit moiyis réfringent. Les li-
quides et les solides sont plus réfringents que
les gaz. Le verre l'est plus que l'eau; le sulfure
de carbone plus que le verre : le diamant, plus
que le sulfure de carbone.
La figure 1 montre le phénomène de réfraction
qui se manifeste au passage de la lumière solaire
de l'air dans l'eau. L'illumination produite par le
pinceau, quand il traverse les deux milieux, per-
met de suivre sa marche, et l'on voit très bien le
brisement qui se produit S la surface de sépara-
tion. Le rayon réfracté ne suit plus la direction du
rayon incident; il se rapproche de la normale, au
moment où il pénètre dans l'eau.
Une foule dé faits naturels qui étonnent, au
premier abord, par leur singularité, s'expliquent
aisément quand on tient compte de la déviation,
qu'éprouve la lumière en changeant de milieu.
Ainsi un bâton dont on plonge la partie antérieure'
dans l'eau parait brisé au point d'immersion; —
une pièce de monnaie qu'on met au fond d'une
cuvette semble se relever, quand on verse un li-
quide dans cette cuvette; — quand l'eau d'une
rivière ou d'un bassin est assez limpide pour qu'on
puisse en distinguer le fond, ce fond parait tou-
jours exhaussé ; la profondeur du bassin se montre
notablement moindre qu'elle ne l'est en réalité.
— Les astres voisins de l'horizon ne se trouvent
REFRACTION
— 1813 —
RÉFRACTION
jamais ri^ellement au point do la sphère céleste
qu'ils paraissent occuper; le soleil est déjà couclié
et nous voyons encore son disque au-dessus de
l'horizon; sa forme ni6me est h ce moment un peu
modifiée : nous la voyons légèrement elliptique.
C'est que les rayons lumineux l'oiis par les astres
passent nécessairement du vide dans l'atmosphère
terrestre avant de parvenir jusqu'il notre œil.
Dans leur marche, ils ont donc i traverser des
milieux inégalement réfringents, et cliangent, par
suite, de direction ; finalement, l'ieil qui les reçoit
aperçoit l'astre sur le prolongement rectiligne des
rayons qui lui arrivent, prolongement qui ne va peint
passer par le point de l'espace que cet astre oc-
cupe effectivement.
Lots de la réfraction. — Nous supposerons dans
ce qui va suivre que les milieux dans lesquels la
lumière se propage sont homogènes et présentent
la même élasticité dans toutes les directions au-
tour d'un point; les gaz, les liquides, le verre, le
diamant, etc., sont dans ce cas.
Voici l'énoncé des deux lois de la réfraction,
dite réfraction simple, qu'on appelle lois de
Descartes, du nom du célèbre philosophe qui les
a découvertes :
1" Loi. — Le phiji d'incidunce (déterminé par
le rayon incident et la normale au point d'inci-
dence) et le plan île réfraction (déterminé par le
rayon réfracté et la même normale) forment un
seul et même plan.
2° Loi. — l'our deux mènirs'iuiHeti v (juc la lu-
mière traverse successivemi ut, // r,i^lr m, rapport
constant entre le sinus 'le l'ini/lr il'uttailence et
le \inus de l'angle de réfraction, quelle que soit
d'ailleurs la valeur de l'iini/lr d'incidence.
Ce rapport constant est nommé indice de ré-
fraction.
Faisons comprendre d'abord la signification
exacte de ces lois. Du point I, comme contre
(fig. 2), avec un rayon égal à l'unité, décrivons une
Fig. 2.
circonférence, et supposons que la surface de sé-
paration des deux milieux, air et eau, que la lu-
mière va parcourir, soit représentée sur la figure
par le diamètre horizontal de cette circonférence.
Le pinceau lumineux incident est RI, l'un des
rayons de la circonférence; la normale est IP.
Le pinceau réfracté IS ne se confond pas, on le
sait, avec IR' prolongement du faisceau incident;
il s'est rapproché de la normale. L'eau est, en effet,
plus réfringente que l'air. — La première loi si-
gnifie que le rayon réfracté IS se trouve toujours
dans le plan déterminé par les lignes RI, IP qui
se coupent dans le plan d'incidence. La seconde
loi veut dire que, quelle que soit la valeur de l'angle
que RI fait avec la normale au point d'incidence,
il existe toujours le même rapport entre P'R' et
PS; P'R' mesurant, comme on le voit sur la (ig«re,
le sinus de l'angle d'incidence, et PS le sinus lii
l'angle de réfraction. Dans l'espèce, les deux mi
lieux étant l'eau et l'air, le rapport constant i'.
4 4
P'R' i PS sera -• Ce nombre - ou plus exacte-
ment 1,.3.36 est dit l'indice <fe réfraction de Teis:
par rapport h l'air.
Démonstration expérimentale de-! lois de la ré-
fraction. — On se sert, h cet effet, d'un appirei:
analogue à celui qui a été déjà décrit fV. fig. î,
art. fiéflexi'm^ pour la vérification des lois de la ré-
flexion. Le miroir horizontal placé au centre de
cercle gradué vertical est remplacé cette fois par
une gouttière demi-cylindrique de verre, fermée
aux deux bouts, et dont l'axe est perpendiculaire ie
plan du cercle et passe exactement par son centre-
Ce vase est complètement plein d'eau. La surfiee
libre horizontale du liquide tient ici exactemeiK
la place qu'occupait auparavant la surface réflé-
chissante du miroir. L'appareil étant décrit, voîâ
maintenant en quoi consiste 1 expérience de vé-
rification des lois de la réfraction. Un rayon de
lumière arrive suivant l'axe du tube de droite;
il pénètre dans l'eau en un point qui correspond
à l'axe du cylindre; là, il change de direction, se
réfracte et va rencontrer normalement la paroi d«
verre du demi-cylindre. Cette incidence novmaie
sur le verre du rayon réfracté par l'eau fait qi«
celui-ci émerge dans l'air sans changer de noaï«ac
sa direction. On cherche alors par tâtonnement i
recevoir le rayon émergent dans l'axe du secoua
tube, celui de gauche. Il suffit de déplacer ce se-
cond tube, avec lenteur, sur le limbe gradue psur
obtenir le résultat voulu. Quand ladite condition
est réalisée, il n'y a plus qu'à lire la position
angulaire des deux tubes sur le limbe vertical
qui les porte pour connaître les valeurs des angle*
d'incidence et de réfraction et par suite celles d€
leurs sinus. On constate que le rapport de ces siauB
se montre constant, quelle que soit l'incidence
du rayon de lumière sur la surface libre du ct-
quide. On remarque de plus que le rayon incideui,
la normale et le rayon réfracté se trouvent toift.
les trois dans un même plan parallèle au limbe,
car si cette condition n'était pas remplie, le rayon
réfracté n'eilt pas pu traverser l'axe du tube ds
gauche. La première loi se trouve donc ainsi véri-
fiée en même temps que la seconde.
On a, d'une manière générale, en appelant s
l'angle d'incidence, r l'angle de réfraction corres-
pondant et n l'indice de réfraction du milieu dtui
lequel pénèfe la lumière :
si n est plus grand que 1, r est toujours plus
petit que i; si n est plus petit que 1, r est
plus grand que i. Dans le premier cas, le rayon
réfracté se rapproche de la normale, il s'en él','iguf
dans le second. Remarquons de suite que quand
i et r sont très petits, c'est-à-dire quand le rayon
lumineux s'écarte peu de la normale, les arcs tse
confondent sensiblement avec leurs sinus et que,
dans ce cas, on peut dire que le rapport des angles
d'incidence et de réfraction demeure constant.
Angle limite. — La même formule nous montre
encore que, puisque, pour n plus grand que I, r
est toujours plus petit que i, un rayon de lumière
peut toujours pénétrer dans un milieu plus ré-
fringent placé sur son trajet, quelle que soit
d'ailleurs la valeur de l'.mgle d'incidence. Seule-
ment, quand l'angle d'incidence, qui peut être suc-
cessivement : SOiV, S'ON, S"0?J, etc., atteindra st
valeur maximum BON ou OO" (fig. 3), le rayon ré-
fracté, faisant toujours avec la normale un angle
REFRACTION - 1816 - RÉFRACTION
plus" petit que 90°, prendra alors une position i aussi atteint sa valeur maximum LON'; cet angle
limite telle que OL, et l'angle de réfraction aura lui | est nommé, pour cette raison, angle limite. Sa va-
leur se déduit de la formule générale où l'on fait
i = 'M'. Dans ce cas, sin t = 1 ; r devient l'angle
limite L, et on a :
sin L = -.
n
Le sinus de l'angle limite est donc l'inverse de
l'indice de réfraction de la substance considérée.
3 *>
Il est égal à - pour l'eau, à ^ pour le verre, ce qui
correspond à un angle limite de 4S°,35' pour le
premier corps et, en moyenne, de 41°, 49' pour le
second.
On déduit de là une conséquence importante :
c'est que tandis que la lumière peut toujours pas-
ser de l'air dans le verre ou dans l'eau, la marche
inverse ne peut pas toujours s'accomplir. Il faut,
pour qu'un rayon puisse sortir d'un milieu plus
réfringent et pénétrer dans un milieu moins
réfringent, que langle qu'il forme avec la nor-
male à la surface de sortie soit plus petit que
l'angle limite défini, comme il vient d'être dit.
Ainsi AB (fig. 3) représentant la surface de sépara-
tion de l'air et de l'eau — l'air au-dessu=, l'eau au-
dessous — il faut que les rayons incidents qui
tendent à sortir de l'eau dans l'air soient contenus
dans l'angle limite LON"; ils émeraeront alors
dans l'angle BON : RO suivant OS, R'O suivant
OS', R'O suivant OS" et enfin LO suivant 08.
Mais si un rayon lumineux se présente dans la
direction 10 par exemple — lO.N étant plus grand
que l'angle limite — il ne trouve plus de place
disponible dans l'angle BON : il ne peut donc pas
sortir de l'eau, et l'expérience montre qu'il est
réfléchi par la surface sans qu'aucune portion
émerge dans l'air. 11 suit, dans ce cas, les lois
ordinaires de la réflexion.
C'est le phénomène dit de la réflexion totale,
pncnomène qui permet d'expliquer un grand non:-
bre de faits naturels et en particulier le mii-aije.
Mirage. — Le mirage se produit dans une plaine
sablonneuse, lorsque le sol est fortement chaufl'é par
es rayons solaires et que, giàce à l'absence du vent,
1 air placé au-dessus de ce sol se maintient sensi-
blement calme. Il s'établit alors momentanément
dans les couches gazeuses qui constituent l'atmo-
.sphère un ordre de densité inverse de celui qui
convient à l'équilibre normal. La densité des cou-
ches d air successives va en croissant à mesure
quon s élève au-dessus du sol, au lieu d'aller en
diminuant, comme c'est l'ordinaire. H en résulte
que les rayons lumineux émanés des objets ter-
restres qui sont placés à une certaine hauteur
au-dessus du sol, du sommet des arbres, des mai-
sons, etc., traversent en descendant des couches
de moins en moins denses; ils passent d'un mi--
lieu plus réfringent dans un milieu moins réfrin-
gent; leur angle d'incidence va donc en crois-
sant à mesure qu'ils se propagent de haut en bas
dans l'atmphère ; et il arrive un moment où cet
angle devient forcément égal à l'angle limite. A
partir de ce moment, les faisceaux lumineux se
réfléchissent totalement, et la lame d'air sur la-
quelle s'opère cette réflexion représente alors,
pour un obserratenr placé à distance, comme une
nappe d'eau tremblotante dans laquelle il aper-
cevrait l'image renversée des objets extérieurs.
L'illusion est complète, on a devant soi les ap-
parences d'une inondation véritable dont les traces
disparaissent à mesure qu'on s'avance vers le
lieu quelle semblait occuper.
On peut être aussi, sous certaines conditions,
témoin d'un mirage latéral. Un mur vertical forte-
ment chanfl"é par le soleil donne aux couches d'air
voisines une disposition analogue h celle qui vient
d'être indiquée. Si, à ce moment, l'observateur se
place de manière à recevoir dans son œil des
rayons lumineux presque rasants, il voit l'image
latérale des objets voisins du mur exactement
comme s'il existait contre la paroi de ce dernier
ou au moins dans son voisinage immédiat un
miroir vertical qui lui serait parallèle.
Ces principes posés, nous allons étudier la ré-
fraction de la lumière dans les milieux transparents
de formes diverses.
I. — Lames transparentes a faces parallèles.
Soit un rayon lumineux SI (fig. 4) tombant sur
une lame de verre à faces planes, exactement
parallèles; ce rayon pénètre dans le verre en sui-
vant la direction IR et émerge dans l'air suivant
RS'. Je dis que RS' est parallèle à IS. En effet,
c'est un principe qu'on pourrait considérer comme
évident et que vérifie, dans tous les cas, l'expérience,
que la lumière, quand elle revient sur ses pas, suit
exactement, pour le retour, le môme chemin que
pour l'aller. Si, dans le cas particulier qui nous oc-
cupe, la lumière était tombée sur la partie supé-
rieure de la lame dans la direction S'R, elle serait
RÉFRACTION — 1817 —
y S'
REFRACTION
s/
r "~
sortie dans la direction IS. Partant de !.\ et nom-
mant i l'angle d'incidence SIN, e l'angle d'émer-
gence S'RN', et ;-,)•' les angles de réfraction corres-
pondants, on aura
sm i
sin ;•'
sin e
' sin (■'
mais les angles r et >■' sont égaux comme alternes
internes formés par les parallèles IN, RN" et la
sécante IR; leurs sinus sont aussi égaux, donc
sin i = sin e, i = e.
Ainsi, dans le cas d'une lame transparente à
faces parallèles, le rayon émergent est parallèle
au rayon incident; mais il n'est rigoureusement
sur son prolongement que lorsque le rayon inci-
dent est perpendiculaire à la lame ; il la traverse
alors sans déviation.
I! résulte de là — ce que l'expérience confirme
du reste — qu'un objet vu à travers une lame de
ce genre ne donne point une image sensiblement
déformée. Il y a seulement, dans le cas des rayons
obliques, un déplacement latéral du point lumineux
d'autant plus grand que la lame est plus épaisse.
II.
Prismes.
Les deuT surfaces planes qui limitent le milieu
réfringent ne sont pas toujours parallèles, comme
dans le cas qui vient d'être examiné. Ces faces
peuvent être inclinées l'une sur l'autre, ce qui se
présente en particulier pour un prisme triangu-
laire de verre. Nous aurons à considérer seulement
ici la marche de la lumière dans une section prin-
cipale du prisme (fig. 5). Le rayon incident SI et
la normale IN à la première face se trouvant dans
le plan de cette section, le rayon réfracté lE dans
le verre et le rayon émergent EB dans l'air s'y
trouveront nécessairement aussi. Ceci est une con-
séquence de la première loi de la réfraction qui a été
démontrée plus haut. Cette fois, EB ne peut plus
être parallèle à SI ; il forme avec lui un angle qu'on
nomme angle de déviation. L'expérience et la
théorie s'accordent pour établir que ,cet angle
de déviation D, variable avec l'angle d'incidence,
esicapable d'acquérir une valeur minimum quand
on fait tourner le prisme autour de son arête
de réfringence, et ce minimum se produit pré-
cisément quand l'angle d'incidence SIN est égal
à l'angle d'émergence BEN'.
Minimum de déviation. — On montre expéri-
mentalement l'existence du minimum de déviation
dans les prismes de la façon suivante : un faisceau
de lumière simple (rouge par exemple) pénètre
dans une chambre obscure par un trou du volet;
ce faisceau rencontre le prisme dans le voisinage
de son arête réfringente — ligne de rencontre
des deux faces que la lumière traverse. Ledit
faisceau passe en partie au-dessus de l'arête, et
cette portion continue sa marche sans dévia-
tion puisqu'elle ne change pas do milieu; elle va
marquer sa trace lumineuse sur un écran placé à
distance. L'autre partie du faisceau incident tra-
verse le prisme, s'y réfracte et va former sa trace
rouge sur le même écran, et au-dessous de la pre-
mière, puisqu'il y a eu déviation. La distance des
deux traces lumineuses permet \\ un observateur
de juger de la grandeur de la déviation produite.
Si maintenant on fait tourner le prisme autour de
son arête dans un sens tel que la déviation diminue,
ce qu'on constate par le fait du rapprochement des
traces rouges sur l'écran, on reconnaît que cette
déviation ne décroît que jusqu'il une certaine li-
mite qu'on ne peut dépasser, quel que soit d'ail-
leurs le sens de la rotation du prisme. Le mini-
mum de déviation est ainsi accusé d'une manière
évidente.
Dans tous les cas, l'effet du prisme sur un rayon
de lumière est toujours de le rejeter vers sa base,
si bien que si un point lumineux se trouve en S,
l'œil placé en B qui regarde ledit point lumineux
à travers le prisme le voit sur le prolongement
de BE et par suite relevé.
Prisme à réflexion totale. — Il ne faut pas
croire que tout rayon lumineux qui pénètre dans
un prisme par l'une des faces puisse nécessai-
rement en sortir et émerger dans l'air par l'autre
face. Je prends comme exemple, parce que ce fait
a une application pratique, le cas d'un prisme de
REFRACTION
1818
REFRACTION
verre rectaiif^le et isocèle, et je suppose qu'un
rayon de lumière pénètre par l'une des faces de
l'angle droit et normalement à cette face. Le
rayon lumineux passera de l'air dans le prisme
sans éprouver aucun changement de direction ; il
ira rencontrer la face hypoténuse, où il formera
avec la perpendiculaire à cette face au point d'in-
cidence un angle de 45°, angle plus grand que l'an-
gle limite (42° environ! qui appartient au verre. 11
ne pourra donc émerger dans l'air, il siilnr.i la
réflexion totale, sera rejeté vers la seconde f.ice
de l'angle dièdre droit et la traversera norm:ilemi'nt
en formant ainsi un angle de 90° avec sa direction
première d'incidence. 'Tout se sera passé comme
si le rayon primitif avait trouvé sur sa route un
véritable miroir le réfléchissant totalement et for-
mant avec lui un angle de 45°. Ce genre de prisme
est souvent employé dans les instruments d'opti-
que et remplace avec avantage le miroir plan or-
dinaire qti'on placerait sur le trajet du faisceau
pour changer sa direction. — V. Luinière.
Si on fait tomber sur un prisme, au lieu d'un
rayon de lumière simple, comme nous l'avons sup-
posé jusqu'.^ présent, un rayon de lumière blan-
che, il y a complication dans le phénomène pro-
duit. La lumière blanche est décomposée en même
temps qu'elle est réfractée, il se produit à la fois
une réfraction et une ilis/.er-sion. — V. Lumière.
III. — Lentilles.
Les lentilles sont formées par un milieu trans-
parent limité par des surfaces sphériques. Ce
nom leur vient de leur ressemhiance de forme
avec la lentille comestible (la graine de \'Eri:uin
le7is). On en distingue de deux sortes : les unes
sont dites convergentes, parce qu'elles augmen-
tent la convergence des rayons lumineux qui les
traversent ; elles ont pour caractère commun d'ê-
tre plus épaisses en leur milieu qu'en leurs bords.
Les autres, dites divergentes, parce qu'elles aug-
mentent la divergence des rayons, sont plus minces,
au contraire, en leur milieu qu'en leurs bords.
Parmi les lentilles convergentes, on distingue :
la lentille bi-convexe (fig. 6, 1): — deux surfaces
spliériques convexes ; — la lentille piano-con-
vexe (fig. 6, 2; : surface plane et surface sphérique
convexe ; — le ménisque convergent (fig. 6, 3; : sur-
face sphériquG concave, surface spliérique con-
vexe ; la seconde ayant un rayon de courbure plus
petit que la première. — Les lentilles divergen-
tes comprennent: la lentille bi-concave (fig. 6, 4) :
deux surfaces spliériques concaves; — la lentille
piano-concave (fig. C, 5, : une surface plane et une
surface sphérique concave; — le ménisque diver-
gent (fig. 6,6): une surface sphérique convexe et une
surface sphérique concave ; cette dernière ayant
un rayon de courbure plus petit que la première.
Nous n'avons à considérer véritablement dans
cette étude que la lentille bi-convexe d'une part,
que nous prendrons comme type des lentilles
convergentes, et la lentille bi-concave, de l'aulro,
qui servira de type pour les lentilles divergentes.
La théorie des lentilles plano-spliériques et con-
cavo-convexe est, en efl'et, la même que pour le
type du groupe.
Lentilles convergentes. — Foyer principal. — On
nomme nxe principal d'une lentille la ligne qui
joint les centres des deux sphères dont la len-
tille fait partie. Faisons tomber de droite à
gauche, sur une lentille bi-convexe (fig. 7), un
faisceau de rayons parallèles à l'axe principal
CF, et considérons l'un de ses rayons en particu-
lier. Quand il pénètre par la première face de
la lentille, il se rapproche de la normale au point
d'incidence, normale qui n'est autre ici que le
rayon de la sphère à laquelle ladite face ap-
partient. Donc déjà, s'il ne sortait plus du verre,
ce rayon de lumière irait couper l'axe en un cer-
tain point. Mais quand il traverse la seconde
face pour émerger dans l'air, il est encore inflé-
chi dans le môme sens, puisque cette fois, il s'é-
carte de la normale qui est le rayon de la seconde
sphère. Donc, les rajons lumineux qui arrivent
ainsi parallèles sur les lentilles perdent leur pa-
rallélisme par le fait de leur trajet dans le verre
et finalement vont tous couper l'axe. On prouve-
rait, comme dans le cas des miroirs concaves (V.
Réflexion], que si h-s rayons incidents sont très
voisins de l'axe, si la portion utilisée de la len-
tille ne correspond qu'à un petit nombre de
degrés, tous les rayons émergent} provenant de
rayons parallèles à l'axe vont sensiblement cou-
per cet axe en un point unique F, qu'on appelle
foyer principal. Si, réciproquement, en F on
place un foyer lumineux, les rayons provenant
de ce point qui traversent la lentille constituent
à leur sortie un faisceau cylindrique formé de
rayons parallèles, un faisceau capable, par suite,
de pai courir de grandes distances, sans s'afl'aiblir
notablement.
On peut aisément démontrer par expérience
l'existence du foyer principal dans les lentilles con-
vergentes et, au besoin même, déterminer sa po-
sition exacte et par suite la valeur de la distance
focale pri?tcipale. On dirige l'axe de la lentille
vers le soleil et on cherche, par tâtonnement, en
quel lieu doit être placé un écran pour que l'i-
mage de l'astre apparaisse avec le maximum d'éclat
et le minimum d'étendue. Quand l'expérience est
faite dans une chambre noire dont l'atmosphère
tient en suspension de fines poussières, on distingue
très bien, par le fait de l'illumination produite,
et le faisceau cylindrique incident et le faisceau
conique émergent dont le sommet est en F. La
distance de F à la lentille, mesurée avec soin,
donne la ilistance focale principale. On reconnaît,
de plus, que, quelle que soit la face de la lentille
tournée vers le soleil, la grandeur de la distance
focale ne varie pas. Ce que l'expérience indique
ici, la théorie permettrait de le prévoir ; nous y
reviendrons tout à l'heure.
A ce point F se trouvent condensées à la fois la
lumière et la chaleur, si ben que l'écran qui
y est placé s'échaulïe fortement et peut dans
certains cas fondre ou brûler.
Lentilles convergentes. — Foyers conjuguas. —
On démontre expérimentalement, comme dans le
cas des miroirs, l'existence du foyer conjugué
d'un foyer lumineux placé sur l'axe. Tant que le
REFRACTION
1819 —
RÉFRACTION
point hirainnnx, la flamnifi d'une bougie, par
exemple, est siluo au deli du foyer principal,
l'image est réelle et se montre de l'autre coté de
la lentille, au delà du foyer principal. Si le point
lumineux se trouve entre le foyer principal et la
lentille, l'image est virtuelle et du même coté de
la lentille (|ue le point lumineux. Nous n'insiste-
rons pas sur la signification physique de ces deux
expressions : images réelles, imoyes virtuelles. Le
lecteur pourra se reporter aux explications déjà
données à ce sujet {V. Hrf flexion). La distinction
à faire est la même dans les deux cas.
Centre uptique. — Il existe pour toute len-
tille un point qui est tel, que tout rayon qui y
passe ■ émerge parallèlement à son incidence.
Cette propriété que nous allons démontrer a, nous
le verrons bientôt, une grande importance, au
point de vue de la théorie des foyers conjugués.
i)es centres de courbure O et Ô' tfig. S) de la
lentille bi-convexe, menons les rayons parallèles
OI,0'E; les éléments de la surface I et E aux-
quels ils aboutissent seront eux-mêmes parallèles
enire eux comme plans perpendiculaires h des li-
gnes parallèles. Menons la droite lE ; je dis que le
poiiit C d'intersection de lE avec l'axe est un point
fixe par lequel passeront tontes les droites qui
joindront entre eux des éléments de surface pa-
rallèles de la lentille. En effet, les deux trian-
gles OIC et O'CE, étant semblables, on a l'égalité
01
1 ou bien
OC
01
0'C~Tnî'"" "'"■■ OC + 0'C~OH-0'E'
OC + 0'(_; c'est la distance des centres, quantité
constante pour une môme lentille : nous l'appelle-
rons d; — 01, c'est le rayon H de la première
sphère 01 -f O'E, c'est la somme des rayons R -|- R';
on aura donc :
0C =
dR
R + R
= constante ;
donc le point C est invariable de position, quel
que soit le groupe de rayons de courbures paral-
lèles qu'on choisisse. On le nomme le rentre optiriue
de la lentille. Il suit de là que tout rayon incid(;nt
tel que SI qui pénétrera dans la lentille en suivant
la direction lÉ, donnera naissance à un rayon
émergent ER parallèle à SI. Car il sera dans les
mêmes conditions que s'il avait traversé un mi-
lieu à faces parallèles.
Axes secondaires. — Si on suppose de plus que
l'épaisseur de la lentille soit assez petite pour
être négligeable, le rayon ER pourra être consi-
déré comme étant le prolongement de SI. La ligne
droite SCR est nommée uxe Sfcondniie. On peut
donc lui attribuer les mêmes propriétés qu'à l'axe
principal, en ce sens que des rayons incidents pa-
rallèles à SI iront former sur son prolongement
ER leur foyer principal, et cela à la même distance
de la lentille comme s'il s'agissait de l'axe principal
lui-même. Si donc du point C comme centre, avec
cette distance focale comme rayon, nous décrivons
une sphère qui, dans le cas de la figure, sera re-
présentée par une circonférence — section de la
sphère par le plan du tableau — nous aurons
tracé la surface focale, celle qui contiendra tous
les foyers principaux correspondants aux diffé-
rents axes, principal et secondairCj de la lentille.
Réciproquement, tous les rayons qui émane-
ront d'un point lumineux pris sur la même surface
focale émergeront de la lentille en formant un
faisceau parallèle à l'axe qui passe par ledit point
lumineux.
riieorte générale des lentilles convergentes. —
Nous allons tirer parti de cette propriété pour
établir la théorie des lentilles convergentes.
Dans tout ce qui va suivre nous admettrons que
l'épaisseur de la lentille est assez faible pour
pouvoir être négligée ; nous supposerons, en outre,
que les rayons de lumière incidents sont très peu
écartés de l'axe. La lentille se trouvera, pour ainsi
dire, réduite de cette façon au plan KO perpen-
diculaire àl'axe principal et passant par le point 0 1 et R sur l'axe principal et exactement au milieu
Le centre optique 0 ^fig. IJ) est placé entre A | de l'intervalle AB, si les doux rayons de courbura
REFRACTION
— 1820 —
REFRACTION
■sont égnus. Le foyer principal F est placé au delîi
de C; de l'autre coté, le loyer principal F' est,
à la même distance de la lentille entre C et P. Du
point 0 comme centre avec OF comme rayon nous
décrivons un arc de cercle qui représente une
portion de la surface focale.
Ceci convenu, plaçons le point lumineux en P
sur l'axe au delà du foyer principal F' ; et me-
nons un rayon incident quelconque PIK. Pour trou-
ver le rayon émergent correspondant au rayon
incident, il suffira de mener par le centre optique
0 une parallèle à PK; cet axe secondaire ira ren-
contrer la surface focale en Fj. Joignant K à F)
nous aurons le rayon réfracté KFjP' qui irait ren-
contrer l'axe en P', foyer conjugué de P.
Si maintenant nous remarquons que dans le
triangle PKP', OFi est parallèle à PK, nous aurons
avec une approximation suffisante :
PK
OF,^
PP'
OP'
(1)
En conservant les' mêmes notations que pour
les miroirs concaves (V. Réflexion), et en appe-
lant Tc et 7i' la distance de cliaque foyer conjugué
au foyer principal qui lui correspond et /" la dis-
tance focale principale, nous aurons sensiblement :
PK = P0 = 7r-|-/'; 0F, = /'; PP'=7t4-i' + 2/';
0P' = 7t'+/
remplaçant dans l'égalité (1) les quantités qui s'y
trouvent par leurs valeurs, il vient :
n+f _ tt+tc'+î/'
Effectuant et réduisant, on tombe précisément
sur la formule de Newton, déjà donnée pour les
miroirs :
7t7l'=/'2
La discussion de cette formule se fait simple-
ment, comme dans le cas de» miroirs, à l'aide de
la construction géométrique suivante qu'a donnée
M. Lebourg (fig. Ui) : F et F' indiquant la position
du foyer principal de part et d'autre de la lentille,
nous savons que OF=Or'. De ces points F et F'
comme centres, avec un rayon égal à f, décrivons
des circonférences. Le point lumineux est placé
sur l'axe principal en S. Pour obtenir son foyer
conjugué, nous menons la tangente ST; du point
T, nous abaissons une perpendiculaire sur l'axe;
elle tombe en s' ; nous joignons T au centre op-
tique et nous prolongeons TO jusqu'à la rencontre
de la circonférence de gauclie ; de ce point do
rencontre, nous menons une perpendiculaire à
l'axe, s est le foyer conjugué cliercbé. On a, en
effet, dans le triangle rectangle FTS :
FT2=FSxFs'
mais Es', comme le montre la figure, égale F's; il
vient par suite :
FT' = FS X F's
ou
,c X F's = /'S
donc F's est bien égal à n' et par suite s est le
foyer conjugué de S.
Passons à la discussion de la formule. Si S est
à l'infini, la tangente ST est parallèle à l'axe et T
se projette en F. Le foyer conjugué, dans ce cas,
est F', ce que nous savions déjà. Si S s'avance
snr l'axe, de l'infini jusqu'à un point situé à une
distance de la lentille égale au double de la dis-
lance focale principale, la projection s' du point
de tangence marclie en sens contraire, c'est-à-dire
de F à l'extrémité du rayon de la circonférence,
et par suite, le foyer conjugué s chemine de F'
à l'extrémité du rayon correspondant. Quand S
arrive au double de la distance focale principale,
s est aussi au double de la même distance, de
l'autre côté de la lentille. S continue sa marche
dans le même sens ; il vient en s' par exemple.
Pour avoir le foyer conjugué, je mène à l'axe la
perpendiculaire s'T ; je joins T à 0 ; je prolonge,
et au point do rencontre de OT avec la circonfé-
rence, je mène une tangente qui va couper l'axe.
Le point d'intersection ainsi obtenu sera le foyer
conjugué de s'. Arrivé en F, S a son conjugué à l'in-
fini. Si S continue sa marche de F vers O et que
pour chaque position intermédiaire on fasse
la môme construction que tout à l'heure, on
voit que la tangente qui donne le foyer con-
jugué ne rencontre plus l'axe du même côté, à
gaucho de la lentille ; son prolongement seul coupe
l'axe à droite ; le foyer conjugué n'est plus réel,
mais virtuel.
Donc, en résumé : 1° Pour tout point lumineux
situé entre l'infini et le foyer principal, le foyer
conjugué est réel et situé entre le foyer principal
et l'infini; 20 quand le point lumineux est au
double de la distance focalo principale, son foyer
conjugué est aussi au double de la distance focale
principale ; .3° quand le point lumineux est situé
entre le foyer principal et la lentille, son conju-
gué est virtuel.
De la formule de Newton tz-k'^P on déduit,
si besoin est, la relation habituellement employée
pour les calculs relatifs aux lentilles. Au fond, il
n'y a d'autre différence entre les deux expressions
IlÉFRACTION
— 1821 —
REFRACTION
algébriques qu'un changement d'origine, qu'une
convention différente pour compter les distances
qui permettent d'établir la situation relative des
doux foyers conjugués. Nous avons toutefois inté-
rêt il reproduire ici la formule ordinaire, parce que
c'est en l'utilisant exclusivement qu'a été exposée
la théorie des instruments d'optique. —V. Optique
(Instruments d').
Désignant par p et p' les distances des foyers
conjugués à. la lentille, on a évidemment :
n=p' — f; it' =/)' — /•.
Substituant dans l'expression : nn'^f^, à la place
de 7t et 7i', leurs valeurs ; effectuant et divisant tous
les termes par pp'f, il vient :
C'est la formule ordinaire des foyers. Seulement,
dans le cas où le foyer conjugué est virtuel, // doit
être compté en sens inverse du sens ordinairo, il
est négatif, et la formule des lentilles convergentes,
dans ce cas, devient :
1 _ 1 ^1
1 p' ~f'
Image des objets. — Nous savons trouver l'i-
mage d'un point ; aucune difficulté nouvelle ne sau-
rait nous arrêter pour déterminer limage d'un
objet qui n'est qu'un ensemble de points lumineux.
Pour tous les points situés hors de l'axe principal,
nous emprunterons le secours de l'axe secon-
daire passant par le point considéré, et dès lors
les formules précédentes seront ici applicables.
Considérons successivement les différents cas :
oii l'image est réelle; où ellç est virtuelle.
1" cas. — L'objet AB (fig. 11) est au delà du
double de la distance focale principale. On mène
l'axe secondaire AO passant parle point A. Par le
même point A, on trace une parallèle à l'axe prin-
cipal ; le rayon émergent correspondant va passer
au foyer principal F. Sa rencontre avec le prolon-
gement de AO donne en a l'image de A. — Môme
construction pour B. L'image a/j de AB est, d'après
la construction même, renversée par rapport à
1 objet, et, en outre, réelle, nous l'avons déjà éta-
bli. Pour avoir la grandeur relative de l'image et
de l'objet, il n'y a qu'à considérer les triangles
semblables : A013, aOi, qui donnent :
ab ;/
ÂB~^
Mais ;/ déduit de la formule générale établie plus
haut a pour valeur :
Pf
P-f
substituant, il vient :
ab
Ali'
f
P-f
p est, par hypothèse, plus grand que 2/'; donc
ab est plus petit que AB. Si p élait exactement
égal à î /■, ail serait égal à AB. i
Donc tout objet placé au delà du double de la
distance focale principale donne naissance à une
image réelle, renversée et plus petite,
2' cas. — Si l'objet AB est placé entre le double
de la distance focale principale et le foyer principal
lui-même, la construction est la môme, le raison-
nement le môme; et l'on voit que l'image est
réelle, renversée et plus grande que l'objet.
3' cas. — Si l'objet AB est entre le foyer prin-
cipal et la lentille, la construction et le raisonne-
ment demeurent tout à fait semblables et l'objet
AB (fig. 12) donne une image virtuelle droite et
Fig. 12.
nécessairement plus grande que l'objet. Le rap-
port de grandeur de l'image et l'objet devient dans
f
ce cas : , et comme le numérateur est néces-
t—P
sairement plus grand que le dénominateur, l'image
sera toujours plus grande que l'objet. C'est là le
point de départ de la théorie de la loupe.
L(;nlilles divergentes. — Nous prendrons comme
type des lentilles divergentes la lentille bicon-
cave. La marche à suivre pour son étude est exac-
tement celle que nous avons adoptée dans la
théorie des verres convergents. Le centre opti-
que, les axes secondaires s'y présentent avec
li'S mômes propriétés que précédemment. Seule-
ment ici, le foyer principal est lui-même virtuel
comme le montre la construction int'iquée (lig. 13),
Fig. 13.
où les rayons incidents parallèles à l'axe qui arri-
vent de la gauche de la lentille émergent en di-
vergeant à sa droite. Ce sont les prolongements
de ces derniers rayons qui vont se couper en un
point F situé à gauche de la lentille. La même ob-
servation demeure vraie en ce qui concerne le
foyer conjugué de tout point lumineux réel. Son
foyer est toujours virtuel et du même côté de la
lentille (|ue le point lumineux.
La formule -n' = f- s'applique aux lentilles di-
RÉFRACTION
- 1822 —
REGENCE
yergentes, à la condition toutefois qu'on donne à
K et n' les valeurs qui conviennent à ce cas parti-
culier.
L'expression algébrique qui fournit la relation
existant entre /< et p' dans lu cas des lentilles di-
vergentes, se trouve aussi modifiée par cette cir-
constance que p' et f correspondent toujours k des
foyers virtuels et doivent par suite être pris néga-
tivement. La formule relative aux lentilles diver-
gentes devient dans ce cas :
d'où Ton déduit, par une discussion tout à fait
semblable à celle qui se rapporte aux lentilles
convergentes, les valeurs de p' qui correspondent
aux différentes valeurs de p.
L'iitil/'-s divergentes, image ries objets. — L'i-
mage d'un objet est toujours virtuelle, droite et
plus petite que l'objet lui-même. Le rapport de
grandeur de l'image et de l'obj-t est donné par
l'expression — ou son égale — — dans laquelle
P P + I . , ,,
le numérateur est toujours plus petit que le dé-
nominateur.
Le point lumineux lui-même peut être consi-
déré, dans un cas particulier, comme virtuel. Cela
signifie que les rayons lumineux qui tombent sur
la lentille et qui sont interceptés par elle iraient,
si rien ne changeait leur route, se rencontrer en un
certain point placé de l'autre côté de la lentille.
Ils sont donc, non en ce qui concerne le sens de
leur propagation, mais quant à leur direction
relative, comme s'ils partaient d'un certain point
lumineux qui n'existe pas efi'ectivement. C'est
pour ce motif qu'on le nomme virtuel, hi formule
ordinaire des lentilles divergentes s'applique tout
aussi bien à ce dernier cas ; il suffit d'y faire p
négatif. Elle devient alors, en changeant tous les
signes • — I — 1=7.) identique à celle qui se rap-
P P I
porte au foyer réel des lentilles convergentes.
Nous l'utiliserons dans le cas de la lunette de
Galilée. — V. Optique {[nstrumcnts d').
Double réfraction. — Dans tout ce qui précède,
nous n'avons étudié le phénomène de réfraction que
dans les milieux homogènes et dont l'élasticité est
constante dans toutes les directions. La réfraction
est alors simple; le rayon incident ne donne nais-
sance qu'à un seul rayon réfracté. Le phénomène
est tout autre quand le rayon lumineux pénètre
dans un milieu cristallisé à élasticité variable se-
lon le sens que l'on considère (le spath d'Klande, le
quartz, etc.). D.ins ce cas, le rayon incident donne
naissance en général à deux rayons réfractés, l'un
dit rnyiin ordinaire, l'autre rayon exirnordmairc,
qui obéissent dans leur marche à des luis nou-
velles. La réfraction est dite alors rc fraction dou-
ble, et les milieux jouissant de la propriété susdite
sont nommés bi-réfringents. On peut, du reste, par
des moyens mécaniques : la compression, la fle-
xion, etc., qui font varier, dans une seule direc-
tion, l'élasticité du milieu monoréfringent, con-
vertir ce dernier en un milieu bi- réfringent.
Expériences à exécuter dans les cours. —
VrL-)iM'rs faits de r.-lratu.n : — Pièce de mon-
naie au fond d'une cuvette qu'on remplit d'eau ;
tige cylindrique de bois ou de métal plongi'ant
dans l'eau. — Expérience de réflexion /nto'e .•
vase cylindrique de verre, en partie plein d'eau.
On regarde sa surface libre obliquement et par
dessons, on la voit brillante comme le miroir le
mieux poli. — Réfraction produite par h-s pi infs.
Verres taillés à facettes planes qu'on trouve faci-
lement d.ms le commerce : on peut, à leur aide,
nionirer les principaux phénomènes produits par
les prismes. — Prisme de flint monté sur un pied
de cuivre : On peut, en le faisant tourner autour
de son axe, montrer aisément le phénomène de
la déviation minimum (Voir les détails donnés
dans le texte de cet article). — Lentille: conver-
gentes- — Première expérience. — Diriger l'axe prin-
cipal vers le soleil et placer, par tâtonnement, un
écran au sommet du cône des rayons émergents.
Effets de lumière et de chaleur; mesure de la
distance focale. — Deuxième expérience : Prendre
une lentille montée sur un pied; placer d'un côté
de la lentille et à la hauteur de son axe la flamme
d'une bougie et chercher, par tâtonnement, de
l'autre côté de la lentille et avec un écran, le point
où se forme l'image la plus nette de la bougie.
On vérifiera ainsi toutes les conséquences de la
formule générale des lentilles convergentes —
Expériences analogues avec la lentdle divergente.
[A Boutan.]
RÉr.ENCE. — Histoire de France, XL, XXVU.
— Bien que la loi salique exclût les femmes
du trône de France, en fait elles ont souvent
exercé le pouvoir avec le titre de régente. Pen-
dant les huit siècles qu'a duré la monarchie
capétienne, on voit la régence c<mftée trois fois
seulement à des hommes (l'abbé Suger, le dau-
phin Charles, fils de Jean le Bon, et Philippe
d'Orléans), tandis qu'à six reprises différentes
des reines ont gouverné la France, pendant des
périodes qui appartiennent aux plus importantes
de son histoire, au nom d'un fils, d'un frère ou
d'un époux.
Nous allons énnmérer les diverses régences
qu'offrent les annales de la France à partir du
xi' siècle, et nous nous arrêterons sur la der-
nière, celle de Philippe d'Orléans, que l'iiistoire
appelle particulièrement la Régence.
1° En 114", Louis Vil, partant pour la seconde
croisade, confia le go'uvernement du royaume à
Suger, abbé de Saint-Denis; celui-ci montra
beaucoup de sagesse et de fermeté dans l'exer-
cice de ses hautes fonctions, qu'il conserva jus-
qu'au retour du roi, en 1149. — V. Louis Vil.
2° Blanche de Castille, veuve de Louis VIII,
exerça la régence pendant la minorité de son fils
saint Louis (I2"2G-I23(i), puis plus tard pendant
l'absence du roi qui s'était croisé (1248). Elle
mourut en 1252, tandis que saint Louis était
encore en Palestine. — V. Louis IX.
3" Durant la captivité de Jean le Bon, son fils
Charles (plus tard Charles V) gouverna le royaume
en qualité de régent (135G-l:i(jO). Ce fut pendant j
cette période qu'eurent lieu les tentatives réfor- :
matrices d'Etienne Marcel et la révolte des Jac-
ques. — V. Charlet Y, et Guerre de Cent uns.
4° Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI, fut
mise en 140S à, la têtedu consolide régence composé
des oncles du roi tombé en démence et de son
frère. Après avoir favorisé la faction du duc d'Or-
léans, elle s'allia au duc de Bourgogne pour con-
server le pouvoir; exilée en 1117, elle rentra à
Paris en 1418 ; puis elle négocia le honteux traité
de Troyes (1420), qni livrait la France aux Anglais
et qui donnait à Henri V de Lancastre le titre
de régent. — V. Cliarlcs VI, Charles VU, Guerre
de Cent ans .
5° Anne de Beaujeu, fille de Louis XI. avait
été désignée par son père pour diriger l'éduca-
tion de son jeune frère Charles VIII (i483). Elle
exerça de fait la régence, sans posséder officielle-
ment aucun titre, jusqu'au mariage de Charles VUI
avec Anne de Breiagne (1 191). — V. Cliorlet VIIL
6° Catherine de Médicis, veuve d'Henri II,
s'empara du pouvoir à la mort de son fils aîné
François II (lâtiil;, et le garda pondant la mino-
rité de Charles IX, mais .'sans avoir, non plus
qu'Anne de Beaujeu, le titre officiel de régente.
Lorsque Charles I\ fut déclaré majeur (15G3;,
REGENCE
— 1823 — RÉGIONS AGRICOLES
elle n'en conserva pas moins l'autorité réelle,
qu'elle garda encore pendant la plus grande partie
du règne de son troisième fils Henri III. —
V. Cfiaiies IX, Guerre^ de religiim.
1° Le jour même de l'assassinat d'Henri IV
(14 mai 1010), Marie do Médicis prit le titre de
régeiile, que lui confirma le Parlement. Elle le
garda jusqu'en 1614, année où Louis XIII fut
déclaré majeur. En 1617, après le meurtre de
Goncini, elle fut exilée à IJlois. — V. Louis Xtll.
8° Anjie d'Autriche devijit régente à la mort de
son époux Louis XIII (164S), et eut Mazarin pour
premier ministre. Louis XIV fut déclaré majeur
en 1651 ; mais il ne prit effectivement la direc-
tion des affaires qu'en HiGl, à la mort de Mazarin.
— V. Louis XI y, Mazarin, Fronde, Guerre de
Trente ans.
9° L'époque conjiue sous lu nom de ta Régence
s'étend de la mort de Louis XIV (1710) à celle de
Philippe d'Orléans, le Rayent (172;i).
Le tesiament de Louis XIV. qui donnait, à son
fils adultérin, le duc du Maine, la tutelle du
jeune Louis XV, fut cassé par le Parlement ; et
le duc d'Orléans, neveu de Louis XIV, reçut la
régence sans condition. Philippe d'Orléans était un
piince intelligent, à l'esprit ouvert et lihéral, mais
de mœurs dissolues. L'opinion publique, soulevée
contre le régime tyrannique et bigot du dernier
règne, attendait de lui des mesures réparatrices.
Le régent s'empressa d'ouvrir les prisons, pleines
de jansénistes; il exila le jésuite Letellier, con-
fesseur de Louis XIV, supprima divers impots.
La France respira. Il rendit au Parlement son
droit de remontrances ; les ministres furent rem-
placés par sept conseils dans lesquels la noblesse
eut presque timtes les places : le parti des ducs
et pairs, conduit par Saint-Simon, et celui des par-
lementaires, si humiliés sous Louis XIV, pre-
naient leur revanche. On pardonnait au régent
ses débauches scandaleuses et celles de ses roués
le duc de Broalie, Brancas, Biron,Canillac, etc.),
parce qu'on était las de l'hypocrisie officielle qu'a-
vait imposée pendant trente ans le gouvernement
de M"" de Maintenon.
Louis XI'V av.iit légué à la France une situation
financière déplorable ; il fallait trouver de l'ar-
gent. Le régent essaya de s'en procurer en faisant
rendre gorge aux traitants accusés de concussion :
une chambre de justice fut instituée à cet effet,
plus de quatre mille personnes furent arrêtées,
de rigoureuses condamnations furent prononcées
(1716) ; mais il ne rentra que fort peu d'argent au
trésor. Philippe d'Orléans accepta alors l'offre de
l'Ecossais Law, qui promettait, grâce à un nouveau
système financier, de payer les dettes de l'Etat.
Il l'autorisa à créer une banque (171H), et bientôt
après à fonder la compagnie des Indes occiden-
tales (1717), dont les actions furent avidement
recherchées par le public. Mais le Parlement
et les grands seigneurs virent de mauvais œil
la tentative de Law, et firent de l'opposition;
les mécontents se groupèrent autour du duc du
.Maine, chef naturel des ennemis du régent. Ce-
lui-ci coupa court à ces menées par un coup d'Etat :
le Parlement se vit enlever de nouveau son droit
de remontrances; un édit ôta au duc du Maine le
titre de prince de sang; et les conseils de gouver-
nement furent supprimés. La banque de Law
fut alors déclarée banque royale (17 18), et il
sembla que le succès définitif du c< système » fût
assuré.
Cependant, le régent voyait son pouvoir menacé
par les nurigues du ministre espagnol Alberoni ■
celui-ci rêvait do donner à son maître Philippe V,
petit-fils de Louis XIV, la couronne de France, au
cas où le jeune Louis XV viendrait à mourir.
Pour se garantir contre le» projets de l'Espagne,
le régent avait conclu, par liutennédiairo de
l'abbé Dubois, la quadruple nlliance dans la-
quelle entrèrent, avec la France, l'Angleterre, la
Hollande et l'Autriche (1717). Dubois fut récom-
pensé de ce service par le portefeuille des affaires
étrangères. De son côté Alberoni organisa en
France une conspiration dont l'agent fut l'ambas-
sadeur espagnol Cellamare, et dans laquelle entra
le duc du Maine. Le complot fut découvert
(1718), et le régent déclara la guerre à l'Espagne.,
Cette guerre dura pou, et se termina par la ruine
de tous les projets d'Alberoni : Philippe V dut
demander la paix (1720) et adhérer à la quadruple
alliance (V. Guerre de lu quadruple alliance).
L'abbé Dubois voyait triompher sa politique ;
la même année, il fut nommé archevêque de Cam-
brai.
Sur CBS entrefaites, le système de Law s'était
écrpulé. En 1719, la compagnie dos Indea occi-
dentales avait ajouté à ses privilèges celui du
commerce des Indes orientales ; elle avait fait de
nouvelles émissions d'actions, et la valeur nomi-
nale de celles-ci avait atteint vingt fois leur va-
leur réelle, à la suite d'un agiotage effréné. Mais
quelques spéculateurs ayant réalisé leuis actions,
la panique s'empara de tout le monde ; les ac-
tions baissèrent rapidement; en vain Law, nommé
contrôleur général, essaya d'arrêter ce mouve-
ent de réaction : la compagnie des Indes en-
traîna la banque dans sa ruine (1720J, et Law
quitta la France chargé de malédictions. Il avait
cepenJant rendu un réel service en enseignant
le premier la puissance du crédit ; et si ses
combinaisons échouèrent, ce fut la faute de ses
ennemis et d'avides spéculateurs plus que la
sienne.
Los trois dernières années de la régence sont
le règne exclusif de l'intrigant Dubois. Il con-
traint le Parlement, alors exilé à Pontoise, à en-
registrer la bulle Ûnigeiiitus (1720), puis s'auto-
ise de ce service rendu au Saint-Siège pour
exiger le chapeau de cardinal, qui lui est accordé
par Innocent XIII (1721). Il entre alors au conseil
de régence, puis est nommé ministre principal
(1722) : le régent lui abandonne tout le gouver-
nement. Pour acliever le scandale de la fortune
de celui que Philippe d'Orléans appelait lui-
même un « drôle », l'Académie française l'appela
dans son sein, et l'assemblée du clergé de France
l'élut son président.
En février 172.3, Louis XV fut déclaré majeur:
il confirma Dubois dans les fonctions de premier
ministre ; mais ce triste personnage mourut six
mois après ; et le duc d'Orléans, qui reprit
alors la direction des affaires, fut lui-même em-
porté par une attaque d'apoplexie en décembre
1723. — V. Louis XV.
KËGIONS AGRICOLES. — Agriculture, I;
Météorologie, XIX. — On appelle rrgiun açjrivole-
l'étendue de pays dans laquelle on suit à peu
près les mêmes systèmes de culture, c'est-à-dire
où l'on cultive les mêmes plantes suivant les
mêmes procédés. Ses limites dépendent à la fois
du climat, du sol, et des conditions économiques.
1» Cliinal. — En se fondant sur les quantités di-
verses de chaleur et de lumière nécessaires au
développement des diverses plantes, le comte de
Gasparin {Cours d'agriciUnire, vol. II. p. 3.38) a
tracé sur une carte do l'Europe les limites des ré-
gions où la culture de quel<|ues-unes des plantes
les plus importantes est possible, au sud la région
des oliviers, et, en s'avançant vers le nord, suc-
cessivement celle des vignes, celle des céréales,
celle des herbngi's et celle des forêts.
A hauteur égale au-dessus du niveau de la mer
les limites de ces régions dépendent de la lati-
tude, mais elles atteignent des latitudes d'autant
moins hantes qu'elles s'élèvent davantage au-des-
■us du niveau de la mer.
RÉGIONS AGRICOLES — 18:24 —
REGLE DE TROIS
Il y a lieu d'établir pour d'autres plantes et de
fixer d'une manière plus précise, par des obser-
Yitions plus complètes, les régions que le comte
de Gasparin a commencé b. dessiner pour quel-
ques-unes d'entre elles (Voir la Géographie bola- i
«ïçue d'A. de t'.andoUe). |
Il y a lieu également de tenir compte de la,
quantité de pluie et de sa répartition dans les di- j
vers mois de l'année. |
2° Sol. — Suivant que le sol est plus ou moins
perméable ou compacte et humide, suivant qu'il
est plus ou moins calcaire, c'est-à-diro suivant i
ses propriétés pliysiciues et sa composition clii- !
mlque, telle culture est plus ou moins profitable.
Le» productions des terrains granitiques, comme
ceux du Morvan et du plateau central, ne ressem- !
blent ni à celles des collines calcaires de la Bour-
gogne, ni à celles des montagnes du Jura, même I
si toutes les conditions de climat sont égales
d'ailleurs.
En France, les régions agricoles et, comme l'ont
remarqué MM. Elle de Beaumont et Dufrénoy,
dans leur belle Introduction à la carte géologique
de la France, la plupart des anciennes dénomi-
nations ou divisions naturelles du territoire, la
Beauce, la Brie, le pays de Caux, la plaine de ;
Caen, la Champagne pouilleuse, etc., et dans le'
sud, les Causses, le Quercy, la Crau, etc., coin- :
cident d'une manière frappante avec les forma-
tions géologiques.
3° Conditions écotwmigues. — .La distance des
grandes villes et les moyens de transport pour y j
conduire les produits delà culture exercent éga-
lement une grande influence sur les systèmes de |
culture et modifient ainsi jusqu'à un certain point '
les causes naturelles qui ont délimité les régions j
agricoles. Mais ordinairement la situation des
grands centres de population et le parcours des
fleuves ou rivières navigables dépendent eux-
mêmes du relief et de la structure géologique de
la contrée.
D'un autre côté, la densité de la population
agricole, son groupement en villages ou sa disper-
sion en fermes isolées, le morcellement de la
propriété, les habitudes de fermage ou de mé-
tayage, toutes les mœurs rurales sont influencées '
par les causes physiques, mais elles ont été pro- ;
fondement modifiées par des causes politiques et
sociales.
Il résulte de ce qui précède que les régions
agricoles ont beaucoup de rapport avec les an-
ciennes divisions de la France en provinces, etc.,
mais elles n'en ont que fort peu avec sa division
actuelle en départements et arrundissements.
Pour établir les circonscriptions de ses inspec-
teurs généraux, des concours auxquels ils sont
chargés de présider, etc., l'administration de l'a-
griculture a été obligée de se fonder sur la division
en départements, mais elle a réuni en douze ;-e-
gions qu'elle appelle régions oyricotes les dé-
partements les plus voisins et, par suite, ceux qui
ont le plus d'analogie comme climat.
La première région, celle du Nord-Ouest, com-
prend les départements du Calvados, de la Seine-
Inférieure, d'Eure-et-Loir, Eure, Sarthe, Orne et
Manche.
La deuxième, celle de l'Ouest, les départements
du Morbihan, Finistère, Maine-et-Loire, Mayenne,
lUe-et-Vilaine, Côtes-du-Nord et Loire-Inférieure.
La troisième, celle du Nord : Somn)e, Pas-de-
Calais, Oise, Nord, Seine-et-Marne, Seine-et-Oise
et Aisne.
La quatrième, celle du Centre : Loir-et-Cher,
Loiret, Allier, Cher, Nièvre, Indre-et-Loire, Indre.
La cinquième, du Nord-Est : Aube, Marne,
Meurthe-et-Moselle, Ardeunes, Meuse, Vosges et
Haute -Marne.
La sixième, de l'Est : Ain, Jura, Haute-Saône,
Côte-d'Or, Doubs, Saône-et-Loire et Yonne.
La septième, Ouest-Central : Charente-Infé-
rieure, Gironde, Charente, Haute-Vienne, Vienne,
Dordogne, Vendée et Deux-Sèvres.
La huitième, Sud-Ouest: Ariège, Hautes-Pyré-
nées, Lot-et-Garonne, Gars, Basses-Pyrénées et
Landes.
La neuvième , Sud-Central : Cantal, Aveyron,
Tarn-et-Garonne, Creuse, Corrèze, Lot, et Tarn.
La dixième, Est-Central : Lozère, Haute-Loire,
Rhône, Puy-de-Dôme, Loiret et Ardèche.
La onzième. Sud : Alpes-Maritimes, Aude, Hé-
rault, Bouches-dtl-Rhône, Pyrénées-Orientales,
Gard et Var.
La douzième, Sud-Est: Basses-Alpes, Hautes-
Alpes, Drôme, Savoie, Isère, Haute-Savoie et
Vaucluse. [E. Risler.]
nÈGLE DE TROIS. — Arithmétique, XL et
XLI. — I . — Si deux grandeurs variables et dépen-
dant l'une de l'autre sont telles que, lorsque l'une
d'elles devient 2, 3, 4,... fois plus grande ou plus
petite, l'autre devient en même temps 2, 3, 4,...
fois plus grande ou plus petite, on dit que ces
grandeurs sont proportionnelles ou qu'elles va-
rient datis le même rapport. Ex. : le prix d'une
étoffe déterminée est proportionnel à sa longueur;
sur un chemin de fer, le prix des places, dans
une classe déterminée, est proportionnel à la dis-
tance parcourue, etc.
Si deux grandeurs variables et dépendant l'une
de l'autre sont telles que, lorsque l'une devient
2, 3, 4,... fois plus grande, l'autre devient en
même temps 2, 3, 4,... fois plus petite, on dit que
ces grandeurs sont ii. versement proporliomielles,
ou qu'elles varient en raison i„verse l'une de
l'autre. Ex. : le temps que met un train de chemin
de fer à parcourir un espace déterminé est inver-
sement proportionnel i la vitesse du train-, la
longueur de la toile qu'on peut fabriquer avec un
poids déterminé de fil est inversement proportion-
nelle i la largeur de cette toile, etc.
Lorsqu'une grandeur A dépend de plusieurs
autres B,C, D,... on dit qu'elle est proportionncUo
à la fois aux grandeurs B,C, D,..si elle est propor-
tionnelle à chacune d'elles séparément, quand
toutes les autres demeurent constantes. Ainsi,
supposons que, C,D,.. gardant les mêmes valeurs,
A varie dans le même rapport que B; que B,D,
restant constantes, A varie dans le même rapport
que C ; et de môme pour les autres; on dit que
la grandeur A est proportionnelle à la fois à toutes
les grandeurs B, CD... Ex. : le poids d'une pierre
de taille rectangulaire est proportionnel à la fois
à sa longuetir, h sa largeur, i son épaisseur et
à sa densité; le prix de transport des marchan-
dises sur un chemin de fer est proportionnel à la
fois au poids de ces marchandises et à la longueur
du trajet.
Une grandeur A, qui dépend de plusieurs
autres, est inversement proportionnelle à la fois
à toutes ces grandeurs, lorsqu'elle est inverse-
ment proportionnelle à chacune d'elles prise sé-
parément quand les autres restent constantes.
Enfin, une grandeur A peut être directement
proportionnelle h. plusieurs grandeurs et inverse-
ment proportionnelle à d'autres. Ainsi le nombre
des moellons rectangulaires nécessaires pour
construire un massif de maçonnerie également
rectangulaire est proportionnel à la longueur, à
la largeur et à la hauteur du massif; et il est en
même temps inversement proportionnel à la lon-
gueur, à la largeur et à l'épaisseur des moellons,
supposés tous pareils.
On appelle règle de trois un problème qui a
pour but, étant ùonnées les valeurs correupondim-
tes de plusieurs grandeurs directemcnl ou inverse-
ment proportionnelles, de trouver ce qui devient
REGLE DE TROIS
— 1825 — RÈGLE DE TROIS
l'ime d'elles quand toutes les autres re^'oivent des
valeurs nouvcllrs.
La règle de trois est dite simple, quand on n'y
considère que deux grandeurs directement ou in-
versement proportionnelles ; composée, quand il y
en a plus do deux.
Une règle de trois simple est directe ou inverse,
suivant que les deux grandeurs qu'on y considère
sont directement ou inversement proportionnelles.
11 existe deux métliodcs pour résoudre les rè-
gles de trois, la millwde de réduction à l'unité
et la méthode des proportions ; nous allons les
exposer toutes les deux et les appliquer successi-
vement à la résolution des règles de trois simples,
directes ou inverses, et des règles de tro!" com-
posées.
2. Méthode de réduction à l'unité. — RÈGLE
DE TKOiS SIMPLE iiiiiECTE. — Une loconiotive a mis
5 heures pour parcourir 180 kilomètres; quel
chemin fera-t-elle en 'J heures ?
Ce problème est une règle de trois simple di-
recte ; car les doux grandeurs qu'on y considère,
la longueur du chemin parcouru et le temps eip-
ployé h le parcourir, sont directement propor-
tionnelles.
Holutton. — Si la locomotive parcourt 180 kilo-
mètres en 5 heures, en l heure elle fora 5 fois
moins de chemin, c est-i-dire : —
Si la locomotive parcourt, en 1 heure, ~ , en
9 heures elle accomplira un trajet 9 fois plus
ISO •"" X 9
grand, c'est-à-dire p ; tel est le résultat
cherché.
Il est commode d'inscrire dans un tableau .\
deux colonnes les valeurs successives des deux
grandeurs, en plaçant sur une munie ligne les
valeurs correspondanies. Les deux premières li-
gnes du tableau contiennent les nombres de l'é-
noncé ; les suivantes renferment les v.Tlcurs que
le raisonnement conduit ii donner aux deux gran-
deurs. Enfin on a coutume de désigner l'inconnue
du problème par x. Voici ce tableau :
Durée (lu Ir^jcl.
9
' (lu trajet.
Pour calculer la valeur de l'inconnue, il faut,
avant de faire les opérations indiquées, simplifier
autant que possible la fraction, en supprimant les
facteurs communs au numérateur et au dénomi-
nateur. On a ainsi:
'X9
= 30''° X 9 = 3-2 i kilom.
Remarque. — La valeur de x peut s'écrire :
9
a;=180"»Xr;
si l'on compare cette valeur à l'énoncé du pro-
blème, on arrive h la règle suivante :
Pour avoir l'ineo'inue d'une régie de trois sim-
ple directe, on multiplie la valeur donnée de la
grandeur de même espèce que l'inconnue par le
rapport de la nouvelle vuleur de l'autre nrandetir
a l ancienne.
RÈGLE DE TROIS SIMPLE INVERSE. — Une fontaine
qui donna 10 litres d'eau par seconde a mis 'M mi-
nutes 1 remplir un réservoir; combien faudra-t-il
2° Partie.
de temps pour remplir le même réservoir à une
autre fontaine dont le débit est de 21 litres par
seconde?
Ce problème est bien une règle de trois simple
inverse ; car les deux grandeurs qu'on y considère,
le débit de la fontaine et le temps qu'elle met à
remplir le bassin, sont inversement proportion-
nelles.
Holidion. — Puisqu'une fontaine donnant 10 li-
tres par seconde met 5G minutes h remplir le ré-
servoir, une fontaine donnant 1 litre par seconde
mettrait 10 fois plus de temps à remplir le même
réservoir, c'est-à-dire .'>fi"""X10.
SI une fontaine donnant 1 litre d'eau par se-
conde met ,56°"" X 10 pour r:inplirle réservoir,
une autre fontaine donnant 21 litres à la seconde
mettra 21 fois moins de temps à remplir le même
.^ hG""' X 10
réservoir, soit —
L'énoncé et les raisonnements sont résumés
dans le tableau suivant, analoi,'ae à celui que nous
avons formé pour la règle de trois simple directe :
10 lit.
21
66 min.
56 X 10
50 X 10
Eu faisant les. calculs, on a :
56mm X 10 8-i« X 10 „_,,,.
x = — 2j = —^— = 26.0.
Remarque. — La valeur de x peut s'écrire :
10
a; = 50""" X—)
ce qui conduit à la règle suivante :
Pincr avoir l'inconnue d'une règle de trois sim-
ple inverse, on multiplie la valeur donnée de ta
grandeur de même espèce que l'inconnue par le
rapport de l'ancienne valeur de l'autre grandeur
à l<i nouvelle.
Règle de trois composée. — Une pierre de
taille rectangulaire de 2'", 50 de longueur, 1»,20
de largeur et O^.eO de hauteur pèse 4140 kilo-
grammes; quelle est la longueur d'une autre
pierre de la même espèce ayant l'°,15 de largeur,
0"',';2 de hauteur et pesant 36i5 kilogrammes?
Ce problème est une règle de trois composée;
car les quatre grandeurs qu'on y considère sont
directement ou inversement proportionnelles les
unes aux autres. En particulier, la longueur de la
pierre est proportionnelle à son poids; mais elle
varie en raison inverse de la largeur et de l'épais-
La résolution de cette règle de trois composée
se ramène à, la résolution de plusieurs règles de
trois simples que nous allons traiter successive-
mont. , , ,
Première règle de trois simpl-. — La largeur
d'une pierre est égale à 1»>,'20 et a hauteurs
(,"' c.O; sa longueur est de 2°',50 et ello pèse 4140
kilogrammes; la largeur et la hauteur ne chan-
Z<;:\nt pas, quelle sera la longueur, si le poids
devient ;!G45 kilogrammes?
Si le poids, qui est de 4liO kilog., se réduisait
à 1 kilog,, la longueur serait 4 140 fois plus petite,
c'est-à-dire ^^^- Si, au lieu do 1 kilog., le poids
est de 3645 kilog,, la longueur sera ;i6'i5 fois plus
grande, ou :
2°',50x3645 „,„ -os. ""''''^
ïm •"'^'^41iO-
1 !H
RÈGLE DE TROIS -1826- REGLE DE TROIS
Deuxii'iu': ré(//e de trois simple. — Une pierre
qui a I^.ÎO de largeur et (l"i,60 de hauteur et qui
pèse 36-ij Icilog., a une longueur égale h 2",â()X
^— ^; quelle sera la longueur d'une autre pierre
4140'
de la môme espèce ayant a même hauteur et le
même poids, mais ayant l'",\b de largeur?
Si, au lieu de l^.aO, la pierre n'avait que 0",01
de largeur, la longueur devrait être 120 fois plus
grande pour que le poids restât le même ; cette
longueur serait donc 2°,50 X ^j^ X 120. Si, au
lieu de 0°,0I, la pierre a 1°>,15 de largeur, sa lon-
gueur devra être 115 fois moindre pour que le
poids ne change pas; cette longueur sera donc :
„ 3645 120
* '^"^4140 115
Truisième règle de trois simple. — Une pierre
de I'°,15 de largeur, de 0",60 de liauteur, et qui
pèse ai;45 kilog., a une longueur égale à 2'", 50 x
Ê£lii V — • quelle sera la longueur d'une autre
pierre de même largeur et de même poids, mais
dont la hauteur est égale h 0",72 ?
Si, au lieu de O-n.eu, la pierre n'avait que O^.Ol
de hauteur, sa longueur devrait être 60 fois plus
grande, c'est-à-dire 2",50 X |j^X j^ xGO.En-
fin, si, au lieu de 0",01, la pierre a 0"',72 de hau-
teur, il faudra, pour que le poids ne change pas,
que la longueur devienne 72 fois plus petite ; elle
sera donc :
3G4Ô 120^^60
2»>ôOX5^oX-X^-
Telle est la valeur do l'inconnue. Voici mainte-
nant le tableau de l'énoncé et des raisonnements :
",50
Largeur.
lm,20
Hauteur.
«"■,60
0 ,72
1 ,20
0 ,G0
1 ,20
0 ,C0
0 ,01
0 ,60
1 ,15
0 ,60
1 ,15
0 0,1
1 ,15
0 ,72
2 ,5 11
ïïïi)
.36 .15
SHO
.-^64;
4140'
3045,
2,50 X^
2,50X^X120
120
„ „ 3043 20
.*i645 fO
2,50Xtt77^X— -. XGO
4140 llo
3615 120 60
•^'^«X4Ïr«>^Tr5^72 =
En simplifiant autant que possible cette valeur
de l'inconnue, on trouve :
2'°.50x3G45X120X60_2°,5OX 405x24x5
^^ 4140X115X72 ~ 400X23X0
2°>,50xSlX.ÎX5 2"',5nx81x5 10I2™,50
5;a
92X23 2JX23
= 1°',91,
àO",01 prés par défaut.
Remarque. — Heprenons la valeur de l'in-
connue :
„ ,„ 3i:4S 120 60
^ = 2'°.^0X4Î4Ô^rT5><-2'
et comparons cette valeur h l'énoncé, on remar-
quant que la longueur est directement propor-
tionnfUe au poids et inverscm-nt proportionnelle
h la largeur et à la hauteur; nous arrivons à la
règle suivante, qui est d'ailleurs une conséquence
de celles que nous avons établies plus haut pour
les règles de trois simples :
Pour "voir l'inconnue d'une règle de trois compo-
sée, on mtiUiplie la valeur donnée de La grandeur
(le même espèce que l'inconnue par /es rapports
de< nouvelles valeurs aux anciennes potcr les gran-
deurs qui lui sont directeo.ent proportionnelles,
et par les rapports des anciennes valeurs aux
nouvelles pour les grondeurs inversement propor-
tionnelles à ta grandeur inconnue.
1° Méthode des proportions. — J'établirai d'a-
bord di'ux principes. .
1" Lorsque deux grandeurs sont proportionnelles,
le rapport de deux valeurs quelconques de la
première est égal au rapport des valeurs corres-
pondanti'S de la seconde.
Soient A et B deux grandeurs proportionnelles,
c'est-î-dire telles que," si l'on donne à la première
une valeur double, triple, quadruple de la
valeur qu'elle avait d' abord, la valeur primitive
de la seconde devienne en même temps double
triple, quadruple Donnons à la grandeur A
deux valeurs successives dont le rapport soit une
fraction quelconque, et supposons, par exemple,
que le rapport de la seconde de ces valeurs à la
première soit|; je dis que le rapport des valeurs
correspondantes de B est aussi égal à-- En ef-
fet, pour passer de la première valeur de A
à la seconde, on peut concevoir qu on prenne
d'abord le quart de la première valeur de A, et
qu'on répète ensuite ce quart trois fois. Or, quand
on rend quatre fois plus petite la valeur primi-
tive de A, la valeur corres]>ondante de b devient
aussi le quart de la valeur primitive de 13 : et si
l'on triple ensuite la nouvelle valeur de A, la valeur
de B devient en même temps trois fois plus
grande qu'elle n'était auparavant, rinalement,
pour avoir la seconde valeur de B, il faudra pren-
dre le quart de la première et le répeter trois fois ;
donc le rapport de la seconde valeur de B a la
première sera |, c'est-à-dire le même que le rap-
port de la seconde valeur de A à la première;
'" 1^°' Lorsque deux grandeurs sotit inversement
proporlionnelles, le rapport de deux valeurs quel-
conques de la première est inverse dn rapport des
valeurs correspondantes de la seconde.
Soient A et B deux grandeurs i"ye''senifnt f»-
portionnclh-s, et supposons Q'i ''°,d''""e à A deux
valeurs telles que le rapport de la seconde à la
première soit |; je dis que le rapport des va-
leurs correspondantes de B est l'inverse de - ,
c'est-à-dire |- En effet, pour passer de la première
valeur de -V à la seconde, on peut prendre d'a-
bord [e quart de cette première va'^^F- f^ ™P«^^
ensuite trois fois ce quart. Mais, 'i^f"^;>^:"'\2''„\.
tre fois plus petite la première valeur de A, la va
leur correspondante de B devient quatre fois plus
grande qu'elle n'était primitivement; pus quand
m triple cette nouvelle valeur de A la \aleur
correspondante de B devient trois fois moindre^
Donc pour avoir la seconde va eur dÇ «; " f;'"^^^J
multiplier la première par 4 et diviser le produit
par 3; cette seconde valeur sera donc les -delà
première ; c. q. f. d.
RÈGLE DE TROIS — 1«27 — RP:GNES (LES TROIS)
Nous allons maintenant appliquer aux exemples
déjà tiMités par la réduction à l'unité la méthode
des proportions.
IIÉGLE IIE TUOIS SIMPLE TlinECTE. — UnO loCOmO-
tivc a mis 5 heures pour parcourir 180 kilom. ;
quoi chemin fera-t-ello en 9 heures?
Soit .r l'inconnue : d'après le premier principe,
le rapport des doux valeurs du temps est égal au
rapport des vahnirs correspondantes du clieniin
parcouru. On a donc la proportion :
5:9 = 18
; a;,-
d'où l'on tire, pur une propriété connue (V. Propoi-
tions) :
1811x9
RÈGLE DE mois SIMPLE INVERSE. — Une fontaine
qui donne 10 litres d'eau par seconde a mis 5G
minutes U remplir un réservoir; combien faudra-
t-il de temps pour remplir le môme réservoir à
une autre fontaine dont le débit est de 21 litres
par seconde ?
Soit X l'inconnue; d'après le deuxième prin-
cipe, le rapport des temps employés à remplir le
réservoir est égal au rapport inverse des débits
des deux fontaines. On a donc la proportion :
d'où l'on tire
21 : 10 = 56 :a;,
,_ 56x10
^~ 21 '
RÈGLE DE Tnois COMPOSÉE. — Une pierre de taille
rectangulaire de 2'",5U de longueur, l">,20 de lar-
geur tt 0'",60 de hauteur pèse 'lUO kilog. ; quelle
est la longueur d une autre pierro de la même
espèce ayant 1°',!» de largeur, o°',72de hauteur et
pesant 3645 kilogrammes ?
Désignons enciire l'inconnue par x. Pour résou-
dre cette règle de trois composée, nous la décom-
poserons en plusieurs règles de trois simples.
Pienuere rèijle de trois simple. — Laissons à
la largeur et i. la hauteur de la pierre leurs va-
leurs primitives, et supposons que le poids, qui
était de 4140 kilog., devienne égal h. 3645 kilog. ;
la longueur primitive étant 2'",50, quelle sera sa
nouvelle valeur ?
Nous avons là une règle de trois simple di-
recte ; en désignant l'inconnue part/, nous aurons
la proportion :
4140:3.'i45 = ?,50:y.
Deuxième règle de trois simple. — Supposons
maintenant que la largeur de la pierre, d'abord
égale à li",20, devienne égale à 1", 15, la hauteur
restant égale à 0'°,6!i et le poids à 3645 kilog. ; la
longueur, d'abord égale à y, prendra une nou-
velle Valeur que nous désignerons par z, et qu'il
faut déterminer.
La règle de trois étant inverse, nous aurons la
proportion :
1,15; 1,20 = ^:--.
Troisième règle de trois simple. — La largeur
de la pierre étantégaleàlni,15, son poids à 3645 ki-
log., sa hauteur à 0'",6ii et sa longueur à z, on
demande ce que deviendra la longueur, si la hau-
teur devient égale à 0'n,72, la largeur et le poids
restant les mêmes.
C'est encore une règle de trois simple inverse,
dont l'inconnue n'est autre qun l'inconnue x
de la règle de trois composée. On aura donc la
proportion :
0,7 2 : 0,00 = z:x.
Si nous multiplions terme à term ■ ces trois
proportions, nous aurons encore une proportion :
4140x1, 15x0,72 : 3645 Xl,20xO,00=?,50î/::2/:x,-
on peut diviser les deux termes du second rapport
par î/z{V. liapport), et il vient :
4 140 X 1 , 15 X 0,72 : 3645 X 1 ,20 X 0,60 = 2.50 : x;
d'où l'on tire :
2..'iOx 3645x1.20x0.60
^~ 4140X1,15X0,72
lirmarque. — La résolution des règles de trois
par les proportions n'offre aucun avantage sur la
méthode de réduction à l'unilé. A la vérité, les
raisonnements auxquels conduit cette méthode
sont un peu lojigs ; mais la marche est sûre, et les
erreurs presque impossibles. On peut d'ailleurs
abréger considérablement la résolution des règles
de trois, sans employer les proportions; il suffit
d'appliquer les deux principes démontrés au com-
mencement de ce paragraphe. Reprenons les deux
règles de trois simples précédemment traitées et
dont nous ne reproduisons pas les énoncés.
Dans la première, qui est directe, nous raison-
nerons ainsi qu'il suit. La durée du second trajet
9
est les r de la durée du premier ; donc l'espace
9
parcouru dans le second cas est les - de l'es-
pace parcouru dans le premier, il est donc égal k
g
180'" Xt- ; c'est la valeur de l'inconnue.
5
Passons à la règle inverse. Le débit de la se-
conde fontaine est les — du débit de la seconde ;
donc, en vertu du deuxième principe, le temps
que la seconde met à remplir le réservoir est
les — du temps que met la première. La valeur
de l'inconnue est donc 58°"° X 5-7-
ExEnr.rcES. — 1. On n pw/i} 350 freines pour
fair-e creuser un fossé i/e 410 mètres de longueur ;
combien pniern-t-on po'ir un fossé d'' même lar-
geur, de même profondeur et dont la longueur est
de hn mètres? (Rép. 450',73.)
7. — On a payé 4.'i0 fanes pour 36 mètres de
drap; eombien cotiteront 117 viétres de la même
étoffe? (Rép. 13(i5 fr.)
3. — On a tissé 9r> mètres de toile nyani 1".20
de largeur avec une certaine quantilé d-J fil; si la
toile n'avait eu que 0".80 de largeur, quelle eût
été la longueur de la pièce? (Rép. 144 m.)
4. — Un train de chemin de fer qui fait 45 ki-
lomètres à l'àenre met 7 heures à parcourir une
certaine dislance; combien de temps mettra un
autre train qui 7ie fait que 38 kilomètres à l'heu-
re ? (Rép. 8''n'°2-2*.;
5. — Les dimensions d'une barre sont : lon-
gu'Ur,3'',6; largeur, ni", 06; épaisseur, 0"',02 ; son
poids est 67'', 5. Combien pèserait une barre du
même métal, longue d- l",50, large de 0'°,048
et qui anrait 0",03i; d'épaisseur ? (Rép. 4(i's,5.)
6. — Une colonne de mercure d'ime hauteur de
56 centimètres exerce nne pression de i'^',^^ sur le
fond d'un vnse, fon'< qui a une superficie de
2i^<i,6. Quelle serait la hauteur d'une colonne
d'huile qui exercernit une press'wi de l''',5 sur
une surface de 3=1,5? La densité du mercure est
13,596 et celle de l huile est 0,915 (Rép. 4'»,683;.
fH. Bos.]
RÈG!VES(les trois). — Minéralogie, I ; Botani-
que. I; Zoologie, I. -^ Le besoin d'une classifica-
tion s'est fait sentir dès que l'Iiomme a abordé
l'étude do la nature. .Vristote le pronier se mit
RÈGNES (LES TROIS)
1828 — RÈGNES (LES TROIS)
aux prises avec cette œuvre gigantesque, cliimc-
rique et nécessaire à la fois : distribuer les ôtres
crées selon un système rationnel ; et il fît pour
tous les corps qui existent deux grandes catégo-
lies, mettant dans l'une les corps viinnts ou or-
ganisés; dans l'autre, les corps bruts ou sa)is vie.
Bien des siècles après, on revint à cette idée
d'une classification naturelle; Linné distingua,
parmi les corps vivants, les végétaux et les ayii-
manx, et réunit tous les corps bruts sous le nom
de minéraux : de là, les Trois régnes.
le nom bien expressif do caméléon organo-mi-
néral.
En second lieu, les rognons de silex naissent
et s'accroissent souvent en couches concentriques
comme certaines colonies de spongiaires et de
polypiers, de façon à englober les substances
situées dans leur voisinage, telles que des débris
de coquilles fossiles.
Enfin, ils sont susceptibles de mourir : séparés
de leur gangue crayeusOj ou soumis à des actions
variées, ils perdent leurs éléments organiques
Ces mots paraissent au premier abord expri- et hydratés. Transformés alors en silex nectiques
mer une distinction ayant une base réelle dans loin de pouvoir^ comme à l'état normal, faire feu
la nature; car les animaux vivent, se déplacent,
sentent et veulent ; les végétaux vivent, sont im-
mobiles, ne sentent pas, ne veulent pas ; les mi-
néraux ne vivent pas.
La distinction est évidente quand on choisit
bien ses exemples; et le cheval, le chêne, le
granit s'en arrangent fort bien.
Mais en demandant à chacun des mots de ces
définitions ce qu'ils signifient, et comment ils
s'appliquent il quelques animaux, à quelques
végétaux, et même à quelques minéraux, on verra
qu'il est bon de ne pas les admettre sans res-
triction.
Les animaux et les végétaux vivent, les miné-
raux ne vivent pas : ia vie, voilà donc le fait qui
réunit les deux premiers règnes, en les séparant
du dernier. Mais cette expression, la vie, n'a pas
ici le sens étendu qu'on lui accorde généralement.
au briquet, ils tombent en poudre sous une pres-
sion modérée.
A l'invurse, des êtres vivants peuvent mo-
mentanément perdre les caractères que leur at-
tribue Linné, leur vie se trouvant suspendue,
au point que, pendant de longues durées, ils re-
vêti'nt exactement l'apparence de corps inertes.
L'exemple le plus frappant sans doute est
fourni par des animaux inférieurs, les anguiUu-
les et les rotifères, qui, vivant normalement dans
la mousse humide des toits, passent sous
l'action de la dessiccation à l'état de grains de
poussière, impossibles à distinguer, quant à leur
allure, des mêmes débris provenant des pierres.
Vient-on, même après un temps très long de cette
déchéance organique, à fournir un peu d'eau à
celte poudre inerte, on en voit bientôt chaque
grain se gonfler, reprendre sa forme propre et
Vivre, pour le naturaliste, veut dire 7iailre, se | reconquérir l'existence caractéristique do I ani-
développer (ou entretenir tant bien que mal les 1 malité. • i •
forces acquises), se reproduire et mourir. Ani- Pour les végétaux, la durée de la léthargie peut
maux et végétaux vivent ; en effet : être beaucoup plus longue encore.
Ils naissent; ils commencent en se détachant Dans des sarcophages contenant des momies
d'un parent semblable à eux, soit déjà formés, j égyptiennes vieilles de plusieurs milliers d années,
soit dans un œuf, soit par un bourgeon, soit dans | on a trouvé quelques pois desséches qu on eut
une graine, etc.; l'idée de semer à Guernesey. Un an après, trois
Ils se développent, en s'accroissant au moyen ! de ces pois avaient produit deux petits plants, au
de la nourriture qu'ils tirent des corps qui les j moyen desquels il fut possible l'année suivante
environnent; , d'ensemencer un champ tout entier.
Ils se reproduisent, en donnant naissance à des Si, en divers points, la division entre les êtres
individus de leur espèce ; ' bruts et les ôires organisés ne semble pas certai-
ns meurent, cessant d'entretenir leurs forces ' ne, on peut dire de même qu'entre le règne ve-
qui n'existent même plus pour retenir les élé- I gétal et le règne animal une délimitation nette
ments dont ils sont formés. i est presque impossible à établir. _
L'histoire des minéraux ne peut pas invoquer D'après Cuvier, l'animal doit présenter les ca-
la même succession de phénomènes. On a bien ractères suivants : la sensibilité et le mouvement
i'ait parmi eux des espèces, puisqu'on y distin- ' volontaire; une cavité digestive, un appareil cir-
gue le fer, l'or, le mica, etc. ; mais on n'y rncon- ' culatoire ; une composition chimique plus compli-
nait pas d'individus : des morceaux, tout simple- quée que celle des végétaux et marquée par 'a
ment. Si, d'un morceau d'or, on détache un présence de l'azote comme élément essentiel; Qes
fragment, le fragment n'est pas le fils du morceau, ' échanges gazeux (respiration) consistant en aD-
il n'est besoin d'expliquer cela à personne, et lai sorption d'oxygène et exhalation d acide carDO-
multiplication des parties se fait là par i'amoin- ', nique ; les végétaux fixant,^ au contraire, le car-
drissement du bloc.
De plus, si le morceau s'accroit, c'est exté-
rieurement, par Juxtaposition ; tandis que l'ac-
croissement de l'animal ou de la plante se fait de
dedans en deliors, par intnssusceptioti.
Cependant, malgré ces différences qui semblent ! de quelques exemples,
si tranchées, on a pu prendre des êtres vivants | Assurément il n'est pas aisé de conslatei si la
pour des minéraux, et semblable erreur se corn- I sensibilité existe chez certains polypiers et aans
met encore très probablement. Jusqu'au com- ' les éponges. Par leurs formes d ailleurs, par leur
mencement de ce siècle, on a cru que le corail fixation au sol, ces animaux inférieurs semDieni a
était une pierre, et personne ne se fait faute au- 1 première vue appartenirau règne végétai, un i a
iourd'hui d'en classer le squelette parmi les 1 cru pour le corail jusqu'à Peyssonnel. 11 se pre-
pierres fines. sente comme un branchage capricieusementramine
Pour se prononcer, il est d'ailleurs des points 1 et tout enduit dune matière grisâtre et gelati-
fort délicats. Les rognons de silex de la craie, que ! neuse qui, à de certains moments, se met a "eurir
tout le monde classe sans hésiter dans le règne ' donnant naissance de distance en distance a oe
minéral, ofl'rent un certain nombre de caractères 1 jolies étoiles aux rayons crénelés. Les mouvemenis
qui ne se trouvent pas d'ordinaire réunis chez que ces étoiles opèrent lorsqu ou les touciie ou
les pierres. lorsqu'elles saisissent la proie dont elles se nour-
IIs renferment une proportion notable d'un rissent ne sont pas plus nets que ceux qui loni
principe organique ciui se dégage par la distilla-' croire h la sensibilité des Drosera ou ao 'î'. -"'"
lion et que le géologue Fournet avait étudié sous I >,iosa piidica, si bien appelée sensUwL: La utoiiee
bone et dégageant de l'oxygène.
Mais tous ces caractères existent-ils ou sont-ils
bien appréciables au bas de l'échelle animale, et
ne saurait-on jamais les rencontrer chez les végé-
taux' C'est ce que nous allons examiner au moyen
RÈGNES (LES TROIS)
1829
RÈGNES (LES TROIS)
attrape-mouches, originaire do la Caroline du Sud,
est une petite plante i feuilles disposées en ro-
settes, et dont l'extrémité est formée d'un limbe
découpé en deux loljes ou valvules garnies et bor-
dées de longs cils ; ces deux lobes, réunis par leur
milieu comme par une cliarnière, sont doués d'une
irritabilité telle qu'ils se referment brusquement
sur l'inseclo ou le corps étrangerqui les a touchés.
La sensitive éprouve toutes les influences des
animaux à sang-froid. La chaleur augmente en
elle l'activité des fonctions et porte l'irritabilité au
plus haut point. Exposée peiidaTit longtemps à
l'obscurité ou au froid, elle devient h peu près
insensible au contact, et il faut que la lumière et
la chaleur la raniment; l'eau tiède dont on l'ar-
rose lui rend très vile son activité suspendue. On
la narcotise comme les animaux; seulement l'effet
est plus lent à se produire. Claude Bernard pla-
çait, séparément, sous différentes cloches de verre
renfermant chacune une éponge imbibée d'éther,
un oiseau, une souris, une grenouille et une sen-
sitive : « C'est l'oiseau, disait-il; qui est le pre-
mier atteint ; il chancelle et il tombe insensible
au bout de quatre à cinq minutes; c'est ensuite
le tour de la souris ; la grenouille est paralysée
plus tard. Enfin la sensitive reste la dernière; ce
n'est qu'au bout de vingt h vingt-cinq minutes que
l'insensibiUté commence àsc manifester. Après une
comme autant de petites nacelles (d'où le nom
qu'on leur a donné), dans un sens différent; ce qui
prouve que le mouvement n'est pas dû à un cou-
rant étiibli dans le liquide. Le mouvement peut
se prolonger assez longtemps, et il se fait toujours
dans le sens de la frustule. On appelle ainsi la
cellule dont est formée la Diatomée et qui est
renfermée dans une enveloppe siliceuse rigide et
incombustible. Les Diatomées qui vivent associées
en groupes sous forme de filaments, d'arborisations
ou d'éventails, peuvent aussi exécuter ces mouve-
ments, si pour une cause quelconque leurs frus-
tulos deviennent libres. Des espèces filamenteuses
se meuvent même partiellement sans se séparer,
c'est-à-dire que certaines frustules se déplacent
dans l'intérieur du tube gélatineux qui les réunit
et sans le rompre. 11 en est dont les mouvements
sont lort bizarres ; tel est par exemple le Bacillo.-
ria paradoxa, qui est composé de plusieurs frus-
tules en bâtonnets, associés parallèlement les uns
aux autres, de manière à former une sorte de ta-
blette quadrangulaire. Bientôt le premier de ces
bâtonnets glisse sous le second, parallèlement h.
sa direction, de manière à ne plus toucher la ta-
blette que par une de ses extrémités. Puis le se-
cond bâtonnet, imitant le mouvement du premier,
glisse à son tour et va se ranger sous le premier ;
puis le troisième sous le second, et ainsi de suite
demi-heure environ, la sensitive est anesthésiée, jusqu'à ce que toutes les frustules soient déplacées
l'attouchement des folioles ne détermine plus
leur abaissement, tandis que la même excitation
produit une contraction immédiate des folioles
sur une sensitive normale. »
Los étamines du Spunnaimia afncana s'éloi-
gnent du style quand on les touche. Ces mouve-
ments rentrent dans ceux que les botanistes ap-
pellent provoqués. Ils constituent une sorte
d'exception, et leur présence correspond à une
supériorité d'organisation, dépendant en dernière
analyse d'une véritable sensibilité du protoplasma,
c'est-à-dire de la substance primitive contenue
dans la cellule. Ces mouvements ne s'observent
que dans les organes foliaires plus ou moins mo-
difiés.
Les mouvements spontanés sont beaucoup plus
fréquents. L'exemple du Tournesol présentant sa
corolle au soleil, de quelque coté de l'horizon
(lu'il se trouve, est peut-être le plus connu; mais
il est d'autres plantes qui effectuent des mouve-
ments encore plus compliqués. Les Népenthès,
plantes très voisines des Droséracées, et indigènes
de l'Asie tropicale et de Madagascar, ont des feuil-
les singulières qui imitent un vase surmonté de
son couvercle et dans lequel se trouve de l'eau.
Le couvercle tombe pendant la nuit, et c'est alors
que la feuille s'emplit de liquide ; il se relève
lorsque le jour parait, et la feuille se vide en tout
ou en partie
On a lieu de penser que ces mouvements des
grands végétaux sont automatiques, et n'ont rien
dans leur production qui rappelle les mouvements
des animaux supérieurs. Ce seraient plutôt les
organismes des végétaux dits inférieurs qui nous
offriraient des phénomènes de motilité semblant dé'
La tablette s'est ainsi avancée latéralenjent de
toute sa largeur. Alors le premier bâtonnet recom-
mence soii mouvement en sens contraire et re-
prend la position qu'il occupait d'abord, le second
le suit bientôt, puis le troisième, et le phénomène
se reproduit peut-être indéfiniment.
Si nous passons enfin à la digestion, nous devons
rappeler tout d'abord que beaucoup de plantes,
telles que la vesce, le chanvre, le lin, l'orge, con-
tiennent un ferment qui transforme les alburai-
noîdes végétaux, comme le gluten et la légumine,
et même les albuminoîdes animaux, en peptones
assimilables. Dans ces derniers temps même on a
signalé, dans le Carica papaija, un suc extraordi-
nairement actif à cet égard. En effet, mis en con-
tact avec de la viande crue, de la fibrine, du blanc
d'œuf ou du gluten, il les ramollit en quelques
instants et les dissout en quelques heures. Quand
on ajoute ce suc au lait, celui-ci comraeiice par se
coaguler, mais la caséine (le fromage) précipitée
se dissout ensuite.
On voit combien M. Morren a pu dire juste-
ment : « 'foutes les plantes digèrent, et leur di-
gestion, dans ses phénomènes essentiels, est la
même que chez les animaux. »
Nul exemple n'en est plus frappant que celui
auxquels les plantes carnivores font assister. Déjà,
du temps de Linné, l'Américain Curtis avait
annoncé non seulement que les feuilles de ces
plantes saisissent les insectes, comme on l'a vu
plus haut, mais que les insectes se fondent et dis-
paraissent sous l'action corrosive d'un liquide muci-
lagineux exsudé par les feuilles. Darwin vérifia ce
fait, et voici par exemple une de ses expériences.
Deux cents pieds de Drosera furent transplantés
pendre d'une volonté propre. Les zoospores, corps | et cultivés dans des assiettes remplies de mousse,
reproducteurs des algues, se meuvent, se déploient, j Une cloison en bois très basse séparait chaque
se dirigent en nageant, semblent contourner ou évi- assiette en deux moitiés : dans l'une de ces moi-
ter les obstacles, comme le feraient de petits ani- tiés étaient placés les pieds destinés à recevoir
maux aquatiques. Les mouvements des Diatomées, la nourriture animale, dans l'autre les pieds mis
qui forment la dernière division du groupe des à la diète. On recouvrait le petit parterre d'un
algues, et sont au règne végétal ce que les Infu- châssis en toile métallique, pour einpêcher la
soires sont au règne animal, ces mouvements visite des insectes. Depuis le commencement de
avaient semblé si parfaits aux micrographes, qu'ils I juillet jusqu'au commencement de septembre,
avaient d'abord classé ces êtres singuliers parmi une ou deux parcelles de viandes rôties furent
les animaux. Si l'on dépose sur le porte-objet du 1 distribuées, à quelques jours d'intervalle, à cha-
microscope une goutte d'eau tenant en suspension j que feuille des plantes alimentées; ces parcelles
plusieurs Navicules vivantes, on les voit aussitôt i de viande pesaient un quinzième de grain. ,\vant
se mettre en mouvement et se diriger toutes, ' le commencement de septembre, époque de la
RELATION
— 1830 —
RELIGIONS
comparaison définitive des deux séries de plantes
mises en expérience, on constatait que les plantes
nourries avec la viande profitaient fort bien du
traitement auquel elles étaient soumises : leur
couleur voit brillant témoignait que l'azote ap-
porté par la viande avait augmenté les grains de
clilorcpliylle. Au contraire, dans les compartiments
laissés à la diète, les plantes prosentaient un état
visible de dépérissement.
Sur les finguicules même, les petits insectes
agglutinés par le mucus s'aplatissent à vue d'œil,
et disparaissent en deux ou trois jours de façon
à ne laisser aucun vestige.
Arrêtons là cette comparaison des êtres classés
dans les prétendus trids règnes, et concluons que
si l'admission de ces vignes est indispensable
pour la clarté des études, il ne faut jamais perdre
de vue qu'ils ne représentent pas une division ab-
solue existant réellement dans la nature.
[Stanislas Meunier.]
REIA'S. — V. Digestion.
RELATION l Fonctions de). — Zoologie, XXXVI.
— La vie des végétaux consiste dans l'accomplis-
sement de deux fonctions principales : la nutrition
et la reproduction. Chez les animaux, il existe
d'autres fonctions par lesquelles ils ont cojiscience
de certains phénomènes qui se passent en eux-
mêmes, ou qui les mettent en rapport avec le mi-
lieu dans lequel ils vivent. Ce nouvel ordre de
fonctions, appelé ^Oîidî'oHS de relation, s'exerce au
moj'cn d'organes spéciaux : ce sont les organes de
la sensibilité et de la locomotion.
Chez les animaux des classes inférieures, comme
les zoophytes, les vers et la plupart des mollus-
ques, la sensibilité est peu développée. On peut
douter qu'une volonté intelligente les fasse agir
selon les impressions reçues. Leur vie ressemble
assez à la vie des organes internes de la nutrition
cliez ks animaux supérieurs. Leurs actes sem-
blent purement automatiques. Cependant ces ani-
maux, à l'exception peut-être des protozoaires,
possèdent un système nerveux et par conséquent
reçoivent des iwpy-essions qui les mettent en rela-
tion avec le monde extérieur.
Les facultés par lesquelles les animaux inférieurs
reçoivent des impressions nous semblent distinc-
tes de l'instinct le plus obscur. L'instinri, en efl'et,
permet aux céphalopodes, aux crustacés et sur-
tout aux insectes, d'accomplir une foule d'actions
très compliquées. L'homme ne pourrait arriver à
des résultats analogues que par une suite de rai-
sonnements. Mais chez les insectes, par exemple,
l'instinct, fonction de relation par excellence,
s'exerce d'une façon à peu près automatique. Ils
ignorent les lois qu'ils appliquent avec une mer-
veilleuse précision. Ils ne pourraient pas faire
moins bien. Quand les circonstances s'opposent
à l'accomplissement automatique de leurs actes
instinctifs, ils se trouvent embarrassés, pris au
dépourvu, et ne savent guère adapter leurs pro-
cédés aux circonstances nouvelles. Lorsque cette
adaptation s'accomplit, dans des limites toujours
fort restreintes, on est en droit de supposer qu'elle
résulte d'une faculté instinctive.
Viritelligence offre aux animaux des ressources
bien plus variées pour se mettre en relation avec
leur milieu. Ce n'est pas, comme l'instinct, une
notion innée de ce qui doit être fait ; elle n'ar-
rive pas du premier coup à la perfection ; il
faut que l'éducation la développe pour qu'elle
donne tous les résultats dont elle est susceptible.
Les parents commencent cette éducation. Ils en-
seignent à leurs petits les moyens de se procurer
leur nourriture, de combattre, d'éviter les en-
nemis. L'ensemble de cette éducation commence
I expérience individuelle, qui accroît le bien-être et
assure la conservation. Plus tard l'individu livré à
Im-mênie exerce son intelligence pour compléter
l'éducation acquise. L'hérédité fixe en partie les
progrès accomplis, et il se forme ainsi dans cer-
taines espèces, principalement parmi les animaux
domestiques, des races supérieures dont l'homme
utilise les services et perfectionne les aptitudes.
Descartes croyait que même les animaux supé-
rieurs sont dénués d'intelligence. Il attribuait à un
simple automatisme l'exercice des fonctions de re-
lation les plus compliquées et l'on peut dire les
mieux raisonnées. Condillac, au contraire, niait
l'instinct et attribuait à une intelligence plus ou
moins obscure même les actes les plus simples
des espèces inférieures. L'erreur des deux philo-
sophes provenait surtout d'une étude incomplète
de la nature. Aucune des deux hypothèses ne
rend compte des faits tels qu'on les a observés de-
puis un demi-siècle. Les fonctions de relation
pariicipent de l'instinct et de l'intelligence, non
seulement chez les animaux de ran^; diflérent,
mais encore chez le même individu examiné à di-
verses périodes de son existence.
Parmi les animaux supérieurs, l'individu qui
vient de naiire réagit par pur instinct contre les
sensations pénibles. Sa sensibilité obtuse consti-
tue une sorte d'aulomatisme, il n'a conscience
ni des causes ni des actes qui en sont la consé-
quence : il sent, mais il n'en a pas conscience.
Plus tard l'instinct continuera de diriger un grand
nombre de ses actes, mais à cette cause détermi-
nante se joindra l'intelligence. Alors il arrivera sou-
vent que l'observateur se trouvera fort embarrassé
pour apprécier dans certains actes la part do l'in-
telligence et celle de l'instinct. Les effets de l'intelli-
gence paraissent d'ailleurs d'autant plus manifes-
tes que les hémisphères cérébraux sont plus
développés. C'est, en effet, cette partie du cerveau
qui est .spécialement affectée à l'exercice des
fonctions de relation.
La perception des phénomènes qui se passent
dans le milieu où vit un animal implique une sen-
sibilité plus ou moins développée. Cette sensibilité
est la cause première des actes automatiques,
instinctifs et intelligents. Elle s'exerce par l'en-
tremise d'organes en rapport avec les centres ner-
veux. Ce sont ces organes, nommés organes des
sens, qui procurent aux animaux les notions qu'ils
possèdent sur leur manière d'être et sur le monde
extérieur.
Outre cette sensibilité qui les met en rela-
tion avec leur milieu ambiant, les animaux pos-
sèdent la faculté de se mouvoir. Cetie faculté
s'exerce par l'intermédiaire d'appareils spéciaux,
les muscles, qui agissent sous l'influence de l'au-
tomatisme, de l'instinct ou de la volonté.
Les fonctions de relation embrassant les mou-
vements et la perception de certains phénomènes
par la sensibilité, leur étude complète comprend
celle des organes i/es sewsetde l'appareil locomo-
teur. — V. Squelette, Muscles, Système nerveux,
Sens, Toucher, Odorat, Ouïe, Vue. j D' SaflTray.]
RELIGIONS. — Les religions anciennes et con-
temporaines sont les formes diverses de la reli-
gion en soi, qui est un des attributs dislinctifs de
l'esprit humain et qui est tellement inhérente à
sa nature qu'il est difficile d'expliquer l'absence
totale de religion autrement que par l'hypothèse
d'une infirmité congénitale ou volontaire. I! est
bien entendu qu'en parlant ainsi, nous limitons
notre jugement au sentiment religieux lui-même,
indépendamment de toute solidarité avec une ou
plusieurs des religions existâmes. 0'autre part, en
respectant profondément celles-ci comme autant
d'expressions du senliment religieux naturel à
l'esprit humain, sans prendre parti pour ou contre
aucune d'entre elles, il doit nous ètro permis de
dresser le tableau historique et philosophique des
religions qui se partagent l'humanité, sans autre
ambition que d'en élucider brièvement la genèse
RELIGIONS
~ iKH —
RELIGIONS
et d'en mai-iiuor la place logiqun tlaiis le dévelop-
pement, t;oiier.il de noire espèce.
La religion en eiret a une histoire, celle des re-
ligions. Aussi loin que la science liistorique nous
permet do remonter dans le passé do l'humanité,
nous discernons les traces indubitables de cou-
tumes et de croyances religieuses. Il en est do
mime quand nous e^aminon3 la totalité des po-
pulations actuellement réparties sur notre planète.
Il n'en est pas une, si arriérée ou dégradée qu'elle
soit, où, moyennant un peu d'attention et d'Iiabi-
lude de ce genre de recherches, on n'ait décou-
vert quelque cliose qui rentre dans la catégorie de
religion. La thèse contraire n'a pu Être soutenue
que par des voyageurs trop presses de conclure
après des observations superficielles, ou par des
esprits étroits ne sachant pas reconnaître la reli-
gion quand elle se présente sous des formes qui
ne leur sont pas familières.
Toujours et partout la religion a procédé du be-
soin qu'éprouve l'homme do chercher la synthèse,
l'harmonie, entre son moi personnel et le monde
extérieur à lui, ou plus précisément encore entre
ce moi et la puissance à laquelle il fait remonter
la direction supérieure des choses, par conséquent
de sa propre destinée. L'esprit de l'homme cherche
;\ s'unir harmoniquement à l'esprit souverain qu'il
croit discerner au dedans et au-dessus des choses,
et il est d'autant plus fortement poussé à tâcher
de réaliser cette union désirée qu'il éprouve un
sentiment de bien-être particulier, une joie mys-
térieuse, quand il peut avoir conscience de cette
synthèse; et cela, lors même qu'il se représente
l'esprit ou les esprits divins sous des traits qui
l'épouvantent, lors même qu'il imagine des moyens
d'union tragiques et cruels.
Nous disons l'esprit ou les esprits divins. En
effet, l'esprit auquel l'homme cherche à. s'unir par
la religion peut être conçu comme unique ou
comme expression collective d'un nombre plus
ou moins élevé d'esprits distincts. C'est la base
de la première division des religions, que l'on sé-
pare en deux grandes familles, les religions mo-
nvtfiéiites, c'est-à-dire n'adorant qu'un dieu uni-
que (du grec monos, unique, théns, dieu), et les
religions polythéistes {poli/s, plusieurs).
Il résulte de ce qui précède que la manière dont
l'homme a compris la religion a toujours en grande
partie dépendu, et môme dans les premiers temps
a dépendu, peut-on dire, uniquement de l'idée
qu'il se faisait du monde, révélateur de l'esprit ou
des esprits. Et comme l'idée qu'il se faisait du
monde fut longtemps très bornée et très incohé-
rente, comme il s'écoula bien des siècles avant
qu'il pût s'élever h la notion de l'univers organisé,
soumis partout aux mêmes lois et révélant tou-
jours l'unité suprême dans la variété infinie des
phénomènes, il n'est pas étonnant que le poly-
théisme ait partout précédé le monothéisme.
Le polythéisme à son tour est loin d'avoir tou-
jours présenté ces formes riches, poétiques, cet
ensemble complet que nous pouvons admirer
dans les mythologies de la Grèce, de l'Egypte et
de l'Inde. A l'origine la religion eut pour objet
des êtres très humbles, très rapprochés de
l'homme, tels que des arbres, des rochers, des
sources, des animaux même, quand ils étonnaient
l'homme par leur vigueur, leur étrangeté ou leur
merveilleux instinct; puis, des phénomènes lumi-
neux, tels que l'aurore, le soleil, la lune. C'est co
qu'il faut appeler, non pas lo fétichisme, comme
on le fait d'ordinaire, mais le plus bas degré de
la religion de la nature ou, d'un seul mot, le pre-
mier naturiime.
Pour comprendre comment l'homme primitif a
pu so contenter d'une religion aussi enfantine, il
■'"'se rappeler ce que nous avons dit à l'article
Mythe de la facilité avec laquelle l'homme encore
prodigieusement ignorant personnifinU, c'est-i\-
dire regardait comme êtres conscients, pensant,
voulant, personnels, des êtres qui pour nous ne
sont que des choses ou des brutes. La distinction
entre quelqu'im et quelque chose lui était encore
étrangère, ou plutôt en toute chose il voyait
quelqu'un , et toute chose dont il attendait du
bien ou dont il craignait du mal était pour lui un
esprit personnel envers lequel il se sentait animé
de respect et de crainte, d'amour ou d'antipathie.
N'allons pas croire non plus que dans cet âge de
l'enfance de l'inimanité la religion fût systémati-
sée, rédigée en dogmes et symbolisée dans des
rites comme elle le fut depuis. Elle était encore
indécise, incohérente, variant à chaque instant
avec les impressions individuelles et la nature des
lieux.
Peu à peu, cependant, elle devait so fixer par
le pouvoir des habitudes, l'autorité des chefs de
tribu, la constitution des traditions héréditaires ;
puis, sans qu'il fût encore question de science,
le regard de l'homme embrassa un horizon plus
vaste. Non seulement l'arbi-e, mais la forêt et,
après la forêt, la végétation tout entière ; non
seulement la source, mais le fleuve et la mer ;
non seulement le rocher, mais la montagne, la
chatno de montagnes et la terre; non seulement
l'aurore, le soleil ou la lune, mais les astres, les
planètes surtout (plus mobiles en apparence que
les étoiles fixes), le ciel dans son ensemble, par-
lèrent à l'imagination et déterimnèrent les adora-
lions. La monde visible, dans ces phénomènes
grands et petits, n'était plus qu'un immense as-
semblage do personnes ou d'esprits supérieurs à,
l'homme et dont l'hommr jdorait la puissance.
Maintenant, sur cotte jase naturiste s'opéra
une sorte de bifurcation d'une extrême impor-
tance dans l'histoire des religions et qui coïn-
cide avec le plus ou moins d'aptitude des races et
des peuples à la civilisation. On put :
Ou bien : 1° considérer l'esprit de chaque chose
ou de chaque objet adoré comme tout à fait indé-
pendant de sa forme visible, pouvant la quitter,
la reprendre, vivre et agir sans elle, comme
nous quittons, reprenons ou abandonnons un vê-
tement, de telle sorte que l'adoration s'attacha
moins désormais aux phénomènes qu'aux esprits
dont ils avaient suggéré l'idée et qu'on se représenta
comme errants dans l'espace au gré de leurs
caprices, à peu près comme les ignorants de nos
jours encore se représentent les fées, les lutins
ou les korrigans (Bretagne). C'est ce qu'on ap-
pelle Vaniiniume, ou religion des esprits. Il est
remarquable que telle est la religion prépondé-
rante au sein des populations restées à l'état dit
sauvage, noirs de l'Afrique, Hotlentots, Cafres,
indigènes des deux Amériques, Océaniens, ïar-
tares. Esquimaux, etc. (pour autant du moins
qu'elles n'ont pas été converties par les missions
bouddhistes, musulmanes ou chrétiennes). Les
recherches de la science moderne permettent au-
jonrd'hui d'affirmer que cette religion animiste
fut aussi la religion essentielle de nos prédéces-
seurs de l'âge dit de pierre, à l'époque où l'on ne
connaissait pas encore l'usage des métaux et où
l'on n'avait que des outils et des armes de pierre.
Il faut ajouter qu'à cette croyance aux esprits s'asso-
ciait une foi très ferme à la survivance de l'àme
humaine après la mort. C'est dans cette croyance et
dans l'idée que la vie future ressemblait il très pou
de chose près à la vie actuelle, qu'on enterrait avec
le défunt ses armes, ses ornements, ses chevaux,
même ses esclaves et ses femmes. L'esprit hu-
main après la mort devenait un esprit analogue îi
ces esprits divins qui peuplaient l'espace ; on pou-
vait espérer ou redouter les apparitions des morts
sous une forme diaphane et fantastique (croyance
aux revenants); on leur attribuait dos pouvoirs
RELIGIONS
— 1832
RELIGIONS
supérieurs, et voilà pourquoi dans les religions | une grande mythologie systématisée, tout un
animistes le culte des ancêtres ou des morts s'as- code religieux et moral (lois de Manou), qui con-
socie ordinairement à celui des esprits de la na- sacre le système des castes, fait de Bralima la
ture. Une autre conséquence de la religion ani- ; cause suprême ou le générateur des dieux et des
miste, c'est la croyance aux sorcin-f:, c'est-à-dire : liommes, et lui subordonne, par conséquent, les
au pouvoir surnaturel d'hommes en relation directe dieux-nature des Védas. Plus tard, après sa lutte
avec les esprits et pouvant disposer à leur gré de finalement victorieuse contre le bouddhisme, le
leurs pouvoirs supérieurs. Enfin, dans bien des brahmanisme devint encore plus compliqué et
lieux, mais surtout chez les noirs d'Afrique, l'a- rattacha tout son système religieux à la Trimourti
nimiste voulut s'assurer la protection toute spô- (triple forme) de Brahma, source suprême de
ciale d'un ou de plusieurs esprits qu'il crut loca- l'être, Vishnou, conservateur, et Siva, destructeur ;
lises, renfermés dans des objets portatifs, qui lui 3° le mazdéisme ou religion du Zend Avesta,
appartenaient en propre, ordinairement de forme j livre sacré de l'Iran ou des Perses, où toutes les
bizarre ou mystérieuse. C'est là le vrai fétichisme \ divinités sont partagées en deux camps hostiles.
(du portugais feitiço , venant lui-même du latin
farjitius, fait de main, non naturel, et par déri-
Tation surnaturel, enchanté, magique). Un bâton
drôlement taillé, une pierre ou un coquillage
d'aspect bizarre, un os d'animal, un tesson, une
touffe de poils, toute espèce d'objets peuvent être
adoptés comme fétiches parle nègre superstitieux,
du moment qu'ils frappent] son imagination en-
fantine. Tel est l'animisme avec se^ principales
conséquences. Toutefois, n'oublions pas qu'il ne
règne jamais absolument seul. 11 y a toujours plus
ou moins de mythologie de la nature chez '«s
peuples les plus animistes, de même qu'il y a
toujours plus mj moins d'animisme chez les
peuples où dominent ,des religions bien supé-
rieures.
Ou bien : 2° tout en distinguant l'esprit per-
sonr o' du phénomène visible qui le recelait,
tout en lui accordant une liberté de mouvement
ou même des formes qui finissaient par différer
grandement de la forme de ce phénomène, on
maintint une relation étroite, essentielle, entre
le phénomène et son esprit, de telle sorte que
la nature, les attributs, le caractère, l'histoire
supposée, la parenté de cet esprit furent déter-
minés logiquement par les apparences du phéno-
mène qu'il était censé animer. C'est ainsi que,
dans la mythologie grecque, les histoires d'Apol-
lon, d'Hercule, de Persée, etc., dieux solaires, ont
toujours pour principe directeur la nature visible
du soleil, et que dans tous les mythes concernant
Jupiter on retrouve toujours l'idée du ciel brillant
dont il est la personnification. De là, de cette
relation constante et fixe des esprits et des phé-
nomènes, ces dramatisations de la nature qui
ont fait les mythes et les mythologies. Ce point
de vue, beaucoup plus philosophique et pour
ainsi dire plus organique, fut celui des peuples de
l'antiquité qui arrivèrent à la civilisation, tels que
les Hindous, les Perses, les Grecs, les Latins, ou
qui l'adoptèrent aisément comme les Celtes et les
Germains. 11 est bon de noter ici que ces peuples
appartiennent à la race àhearynine ou des Aryas,
dorit on indique le berceau dans la haute anti-
quité entre la mer Caspienne et l'Himalaya.
Cette race est essentiellement celle de la civili-
sation.
Toutefois, à l'est de l'Asie, il y eut aussi une civi-
lisation remarquable et très ancienne, celle de la
Chine, dont la religion associe une certaine mytho-
logie de la nature (tout provient de l'union du
Ciel et de la Terre, l'empereur est fils du Ciel et
les lois de l'empire sont aussi immuables que
celles du monde) à des croyances animistes (culte
des esprits et des ancêtres) très prononcées.
Chez les Aryas, nous distinguons : l" la religion
védique des premiers envahisseurs de l'Inde,
contenue dans les Ftfrfas ou chants sacrés. Là le culte
des grands phénomènes de la nature, l'aurore, le
ciel, le soleil, les vents, etc., règne encore presque
exclusivement dans sa poésie et dans sa naïveté
première ; 2» le brahmanisme, qui s'éleva sur la
base du védisme par le travail et l'influence de la
caste sacerdotale des brahmanes. Il y a là toute
subordonnés l'un à JAoîirn Mazda (Ormuzd), dieu
de la lumière et du bien. Vautre itA?igro maïnyous
( Ahriman),dieu des ténèbres et du mal. Les ténèbres
physiques et morales ne sont donc pas encore nette-
ment distinguées dans cette religion, qui toutefois
est une des plus élevées et des plus morales de
l'antiquité ; 4° la religion helKnique ou des Grecs,
à laquelle on peut associer théoriquement, comme
elle le fut en fait plus tard, celle des Latins. Il
en forttt cette mythologie gréco-romaine qui est
pour nous la mythologie proprement dite et pour
laquelle nous renvoyons aux ouvrages spéciaux.
C'est sans contredit le polythéisme le plus poé-
tique et le plus artistique de tous; 5" les reli-
gions germanique, Scandinave, slave et celtique,
bien plus voisines des précédentes qu'on ne le
croyait autrefois^ fondées du moins sur une ma-
nière semblable de comprendre la nature, seule-
ment beaucoup plus grossières, et qui ont été ar-
rêtées dans leur développement, soit par leur fusion
dans la religion gréco-romaine (religion celtique,
druidisme), soit par l'invasion victorieuse du chris-
tianisme.
A côté des Aryas, on distingue ordinairement une
race qui diffère surtout de ceux-ci par la langue, celle
des Sémites (Arabes, Clialdéens, Mésopotamiens,
Syriens, Israélites et peuples parents de Moab,
d'Ammon, d'Edom, etc.), et celle dite des Chamltes,
qui en réalité ne se distingue des Sémites que
par le genre de vie et la civilisation plus avancée
(Egyptiens, Cananéens, Phéniciens, etc. !. Dans ce
conglomérat de nations que leur situation et leur
histoire associent étroitement, nous devons signa-
ler surtout la religion de l'ancienne Egypte, si
riche par ses monuments grandioses et où le
grand drame de l'année (mythe fondamental :
Osiris, le soleil d'été, tué par Set, l'hiver, pleuré
parisis, la terre, vengé par leur fils Horus, le jeune
soleil du printemps) devient le type du drame de
la vie humaine, l'îiomme ne disparaissant comme
Osiris que pour revi\Te comme lui. Cette idée
mère de la religion égyptienne se retrouve sous
une foule de noms divers et de variantes locales.
— Les religions de la Mésopotamie, de Babylone
et de Ninive, encore imparfaitement connues, sont
en quelque sorte de la même famille que la reli-
gion égyptienne. — Sur la côte orientale de la.
Méditerranée nous voyons fleurir aussi, chez les
Phéniciens, les Cananéens et les peuples voisins-
d'Israël, des religions solaires, mais où la mytho-
logie est beaucoup plus simple, très réduite.
Baal, le seigneur, et son épouse Ascliera, Molok
ou Molek, le roi, et son épouse Astoreth, en dési-
gnent les divinités principales, le premier élarit
le soleil radieux et voluptueux; le second, divi-
nité d'un caractère plus sombre et plus austère.
Signalons enfin les polythéismes mythologiques
Indigènes de l'Amérique, savoir la religion solaire
du Mexique et la religion, solaire aussi, des In-
cas du Pérou. Ces religions, associant des rites
fort cruels à des croyances assez élevées, se sont
formées, comme la demi-civilisation des peuples
qui les professèrent, au milieu de religions en-
core toutes grossières et dont le caractère sauvage
RELIGIONS
— 1833 —
allait en grandissant à mesure qu'on s'éloignait de
l'Amérique centrale.
Le développement religieux, dû essentielle-
ment à la logique interne de l'esprit humain, fut
consolidé par le sacerdoce et hâté par le prophé-
iisme. Le sacerdoce est l'institution en vertu de
laquelle certains hommes sont reconnus en pos-
session d'un rapport intime et direct avec la Di-
vinité, rapport qui les élève à la dignité d'inter-
médiaires indispensables entre elle et le resto
des hommes, seuls qualifiés pour leur communi-
quer ses arrêts et leur transmettre ses grâces. Le
prêtre, (m l'homme revêtu du sacerdoce, seul peut
unir l'homme ordinaire à l'Être divin, soit par le
sacrifice qui n'est efficace que s'il est célébré par
lui, soit par l'absolution qui n'est réelle que si
elle est prononcée par sa bouche. Le sacerdoce,
tantôt héréditaire, tantôt électif, tantôt ouvert à
tous moyennant un noviciat préalable, centralisa
les traditions, les conserva, les fixa, et à l'origine
des civilisations rendit partout de grands servi-
ces. Il résulte de là qu'au sein des sociétés qui
se développent, il est essentiellement conserva-
teur. C'est surtout comme sacrificateur seul légi-
time, sans le ministère duquel tout sacrifice était
inefficace ou même sacrilège, que le prêtre éta-
blit et maintint son caractère sacerdotal et son
autorité. Le sacrifice ou l'oft'rande de dons (ali-
ments, parfums, trésors, etc.) faits aux divinhés
a qui l'on attribuait les mêmes besoins et les
mêmes désirs qu'à l'homme, fut pour ainsi dire
partout le rite par excellence, le grand, l'indis-
pensable moyen de l'union entre l'homme et les
dieux. — Leprophète, comme le prêtre, se détache
du sorcier primitif, mais par le côté individualiste,
clairvoyant, extatique et inspiré. Il regarde plu-
tôt l'avenir et, dans les formes encore grossières
du prophétisme primitif, il est surtout devin et
faiseur de prédictions. Le prophétisme, en se puri-
fiant, s'élève à la prédication chaleureuse, enthou-
siaste, reformatrice, etdevient le principal moteur
du progrès rehgleux.
Le polythéisme, en se développant sous ses
formes diverses, avant tout locales et nationales,
parallèlement à l'esprit humain lui-même, devait
révéler tôt ou tard les insuffisances morales, ra-
tionnelles et religieuses qu'il tenait de son prin-
cipe. 1 adoration de la nature visible. C'est pourquoi
Il devait un jour être remplacé par des religions
plus morales, plus rationnelles et plus conformes
aux besoins de la conscience religieuse. C'est
1ère nouvelle représentée par le bouddhisme
et les religions monothéistes.
Le bouddhisme originel est une morale bien
plus qu une religion. Il part, contrairement au
polythéisme, du principe d'opposition à la nature
sensible. 11 regarde cette nature comme une illu-
sion, il repousse donc l'adoration des dieux-nature
ou tout au moins la rabaisse, et il y substitue une
règle de vie qui doit mener l'homme au souverain
bonheur qu'il confond avec la parfaite insensibilité
{mrvana). Tel fut l'enseignement fondamental de
couadha (1 éclairé) ou Sakyamouni ou Siddhârta,
prince hindou qui, au sixième siècle avant Jésus-
Uirist, abandonna sa cour et son rang pour prêcher
le renoncement, l'égalité des hommes, les devoirs de
la charité la plus tendre et la plus dévouée, en y joi-
gnant des préceptes d'une austérité toute monacale.
Bouddha réunit de nombreux disciples ; sa doctrine
lut pendant plusieurs siècles victorieuse du brah-
manisme hindou, mais à la fin elle fut proscrite et
abandonnée par la plupart des Hindous eux-mê-
mes (huitième siècle de notre ère). Le boud-
dhisme subsista cependant à Ceyian et au Ne-
paul. bon rayonnement dans les autres pays n'en
fut pas moins extraordinaire, et aujourd'hui encore
Il est la grande religion internationale de l'Asie
onentale. On évalue ses adhérents à plus de
RELIGIONS
300 millions. Il a eu ses grands conciles, il a ses
prêtres, ses couvents et de nombreux moines. Il
faut ajouter que, ne répondant pas dans sa teneur
première aux besoins religieux de l'àme hu-
maine, il a moins supplanté les religions locales
et nationales qu'il ne s'est amalgamé avec elles,
contribuant à l'adoucissement des mœurs, mais
impuissant contre les superstitions qu'il ne sait
pas combattre par la science. Outre Ceyian et le
Nepaul, la Chine, l'Indo-Chine, le Thibet, le Ja-
pon, et bien d'autres pays asiatiques sont le
théâtre de ses immenses conquêtes. Bouddha lui-
même a été déifié, et le Dalai-Lama, pontife de la
religion thibétaine à Lasa, passe pour son incar-
nation permanente.
Les religioîis monothéistes sont au nombre de
trois, le judaïsme, \e christianisme ell'islamisme,
si du moins on n'y joint pas le théisme philoso-
phique, religion d'un certain nombre d'esprits
distingués, mais à qui semble manquer cette force
organique et cohésive qui fait les religions histo-
riques et populaires.
Il y a dans la raison humaine une tendance
monothéiste, en ce sens que la raison humaine
aime et poursuit l'unité dans toute variété. C'est
pour cela qu'au sein du polythéisme développé,
dans l'Inde comme en Grèce, il y eut des pen-
seurs qui s'élevèrent par la seule force de leur
raison à la notion d'un dieu unique (Anaxagore,
Socrate, Platon, etc.). Déjà les polythéismes, en
organisant leur panthéon de manière à assigner
le rang suprême au dieu considéré comme le plus
auguste et le plus puissant de tous (Brahma,
Ormuzd, Jupiter, etc.), rendaient hommage à leur
manière à ce principe d'unité. Toutefois on peut
douter que le polythéisme eût jamais été vaincu
sur ce terrain si, intermédiaire entre l'Orient et
l'Occident, un petit peuple n'avait eu l'honneur,
qui lui a coûté cher, de léguer au monde le prin-
cipe monothéiste dans des conditions qui per-
mettaient d'en faire celui de la religion de peu-
ples nombreux. Ce fut le peuple d'Isratl.
Lui-même, ses propres annales en font foi,
avait commencé par le polythéisme, mais par
un de ces polythéismes sémitiques où la mytho-
logie est très réduite. A la suite d'événements dont
la narration serait trop longueet qui se résument
dans sa sortie d'Egypte sous la conduite du libé-
rateur Moïse et dans son établissement définitif
au pays de Canaan, sous le régime d'une confé-
dération plus ou moins resserrée de douze tribus,,
il se forma dans son sein un parti national dont
le lien était l'adoration exclusive do Yahveh ou
Jehovah, dieu du ciel tonnant, mais dieu invisible
et dieu jaloux (c'est-à-dire refusant ses faveurs à
ceux qui associaient un autre culte au sien). Ce
point de vue ne niait nullement l'existence des
autres dieux, mais excluait leur adoration. La
monolâlrie est donc le point de départ du mono-
théisme d'Israël. A travers bien des vicissitudes,,
souvent compromise soit par le culte populaire
du Veau ou jeune Taureau d'or (symbole solaire),
soit par l'influence séductrice des religions cana-
néennes voisines, soit par les visées politiques
des rois, la monolâtrie de Jehovah persista comme
religion nationale par excellence et se rapprocha
toujours plus du monothéisme pur. Ce fut l'œu-
vre surtout des célèbres prophètes du vii« au
V siècle avant notre ère (Elle, Elisée, les deux
Esaïe, Jérémie, Ezéchiel, Joël, Amos, etc.). La
captivité de Babylone, suivie de la restauration
dont ne profitèrent que les éléments jehovistes du
peuple déporté, acheva de faire pour toujours du
peuple d'Israël, désormais ]Kup\e juif ou de Juda,
le représentant du monothéisme dans l'histoire.
C'est dans cette période que se constitua le
judaïsme proprement dit, avec sa Loi rituelle et
morale, ses rabbins (docteurs, commentateurs,
RELIulONS
_ 1834 —
RENAISSANCE
iuristps et prédicateurs), son attente d un Messie,
de la résurrection et du jugement dernier.
Du principe qu'il n'y avait qu'un dieu adorable,
le peuple juif était donc arrivé au sentiment très
net qu'il n'y avait en réalité qu'un Dieu. Mais sa
religion restait exclusivement nationale, suppo-
sant un privilège inexplicable accordé par Dieu i
son peuple, qui devait tôt ou tard dominer sou-
verainement toutes les nations. C'est ce côte étroit
et exclusif du judaïsme qui fut élimine par 1 isla-
mist)ie el \e christianisme.
L'islamisme, bien que venu six siècles après le
christianisme, n'en est pas moins logiquement
son aîné. Son fondateur Mahomet, ne à la Mecque
en L69 n'ayant guère que de vagues notions du
christianisme, est un prophète arabe qui prêcha
un monothéisme aussi rigide que celui du ju-
daïsme, Vislamisme fdu mot islam, salut). Mais
il invita tous les peuples h entrer dans sa reli-
gion, et du reste trouva tout naturel que les
vrais croyants dominassent temporellement la
terre entière et établissent leur dommation par
le glaive. Destruction des païens, tolérance, mais
assujettissement des monothéistes juifs et chré-
tiens, tel est son principe. Le Coran qui contient
ses enseignements est pour le musulman (c est-
à-dire l'homme résigné à la volonté divmei ce que
la Loi attribuée à Moïse est pour le Juif, le code
religieux, rituel et civil. 11 réprouve 1 idolâtrie,
admet la polygamie en la restreignant, ordonne
de nombreuses pratiques de dévotion, et résume
sa doctrine religieuse en cette formule célèbre :
u II n'y a d'autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son
prophète. « L'islamisme fit proraptement d'im-
menses conquêtes et parvint à travers l'Afrique
et l'Espagne jusqu'au delà des Pyrénées. Lente-
ment refoulé de ce côté en Afrique, il arriva avec
les Turcs dans l'Europe orientale jusqu'aux portes
de Vienne. Depuis lors, de ce côté aussi, il recule
et se voit menacé dans Constantinople même par
l'ascendant des races chrétiennes. Mais il domine
encore dans toute l'Asie occidentale, en Arabie,
où il a son principal sanctuaire (la Mecque), dans
le nord de l'Afrique, dans la Malaisie, et il tait
toujours de nombreux prosélytes au sem des popu-
lations noires de l'Afrique, dans l'Inde et en Chine.
Nous ne saurions résumer de la même manière
l'histoire du christianisme sans risquer de pré-
senter comme avérées des opinions pour nous très
certaines, mais encore très controversées. C est à
chacun de nous de s'en faire une idée rationnelle
ens'entourant de toutes les lumières i sa portée.
Disons seulement que le christianisme, qui doit
tant de force et d'attrait à la personne admirable
de son fondateur, Jésus de Nazareth, salué de
bonne heure par ses disciples juifs comme Christ
ou Me'ssie, est monothéiste comme le judaïsme et
l'islamisme, plus ouvert toutefois aux doctrines
cherchant i. établir un lien permanent, continu,
entre le Créateur et la création, entre Dieu et
l'homme. De plus, et comme le bouddhisme, le
christianisme est une religion de rédemption ou
de délivrance, c'est-à-dire indiquant b. 1 homme la
voie de la réconciliation morale avec Dieu. En se
répandant parmi les Juifs d'abord, puis dans 1 ena-
pire romain, le christianisme se constiiua sous la
forme d'une grande société organisée sous le nom
d'Eglise, qui aspira de bonne heure à s'unitier. Mais
l'unité ne put être maintenue entre l'Orient et
l'Occident (Eglise grecque. Eglise latine), et, dans
l'Occident même, les deux éléments, qui, au fond,
depuis l'origine, étaient à l'état plus ou moins
latent d'antagonisme, — les deux éléments qu à la
condition de ne pas trop presser les termes, on
peut ramener à la vieille opposition, mentionnée
plus haut, du sacerdoce et du propliétisme, — se
scindèrent au SM" siècle ou catholicisme romain
et protestantisme.
Quelque opinion que l'on professe, il convient
de se rappeler que notre civilisation européenne,
la première de toutes, maltresse désormais des
deux Amériques, se répandant en Afrique, en
Océanie et même en Asie, est essentiellement
clirélienne, et que tous ceux qui tiennent à con-
server dans leur vie publique et privée le prin-
cipe de la religion en soi ne peuvent que s'incliner
avec respect devant le résumé que le fondateur
lui-même du christianisme a donné de son ensei-
gnement: Iln'ij a qu'un seul Père céleste, et, pour
vous, vous êtes tous frères. [Albert ReviUe.]
REMÈDES. — V. Médicaments. _
RENAISSANCE. — Histoire générale, X\l. —
A la fin du xv siècle, une révolution politique
avait substitué à la féodalité le gouvernement
absolu des rois. Une révolution religieuse allait
porter une atteinte grave à la puissance de 1 h-
glise romaine. Enfin une révolution des intelli-
gences allait remplacer par la science nouvelle
les connaissances surannées du moyen âge. La re-
forme * religieuse sortit du libre examen. La re-
naissance est née de Vlmmanisme. On designs
sous ce nem les grands efforts que, pendant près
de deux siècles, tentèrent de puissants esprits,
Dour renouer avec l'antiquité classique la chaîne in-
terrompue des traditions intellectuelles et morales.
C'est par l'Italie surtout que l'Europe fut initiée
à la connaissance, on pourrait dire au culte de
l'antiquité. Dans les troubles du xiv" siècle, 1 Italie
semblait vouloir se consoler des misères présentes
en reclierchant dans le passé les titres glorieux de
la puissance romaine. Pétrarque et Boccaco fiirent
d'infatigables chercheurs de manuscrits anciens.
Grâce aux patients eiïorts d'une pléiade d erudits,
parmi lesquels se distinguaient le Pogge, Enoch
d'Ascoli, Landino, la littérature latine fut enfin
tirée de la poussière où elle était si longtemps
restée ensevelie. Le désir de connaître et d admi- i
rer gagnait les peuples et les princes. Ludovic le
More à Milan, les Gonzague h Ma.itoue, les Ben-
tivogli à Bologne, Alphonse V dans les Deux-Siciles
favorisèrent îa renaissance latine. L histoire de
R^mê ne marquait-elle pas le début de /' lus toire
italienne? La politique des uns, 1 orgue 1 national
des antres exagéraient peut-être cette P>éte rétro-
snective. On promettait un château à qui décou-
vrirait une décade de Tite-Live. On saluait avec
ènthousiasmeTite-Live et Tacite, César et Ciceron,
Lucrèce et Virgile, ces grands ancêtres qui sem-
blaient sortir du tombeaS, pleins de gloire et forts
d'une nouvelle jeunesse.
L'étude exclusive du latin n'était pas sans dan-
ger pour le développement futur de 1 l'»>"'^"'^,'"f:
La 1 ttérature latine, faite à l'image d un peuple
quiavaitTarlé surtout la .langue des|.fl-res,res- ■
serrée dans le cadre étroit de 1 histon-e, de 1 elo-
nuènce et dune poésie qu'on pourrait appeler
prat Sue, n'ouvrait pas i l'esprit dos horizons lu-
mineux La littérature grecque, plus désintéressée,
"our ainsi dire, et par-cela mên.e P'us artistique
dans les chants de ses poètes, dans les discours
de ses ora eurs, dans les dissertations de ses plu-
fo'so'phe: révélait au monde "- ^'f '""f X^
«antp iileine de sève encore, maigre les siecies
écoutés faite en un mot de grandes et larges
fdees exprimées dans le plus beau langage tjue
•tnim^f'ait jamais parlé. Le '""> P~f„«;!
à un monde étroit et dogmatique. La langue giec
nue avec ses délicatesses exquises auxquelles
s^iôutait comme un charme de plus, une admi-
rable uécision, devait séduire les générations
du xvi' siècle, éprises avant tout des splendeurs
^t'ë^lTFtencrsTr-tout que -a Grèce trouva des
admirateurs passionnés. Cosme "e Medicis 1- 3»-
UW j olTrit l'hospitalité aux savants grecs chasses
de Constantinople (U53). Il jeta les fondements
RENAISSANCE
— i83o
RENAISSANCE
de 1 ccole grecque qui se développa plus lard avec
Marsilo Ficin, I>ic de la Mirandole, Politien,
Cavalcaiiti. Platon devint bientôt l'objet d'une ad-
miration très vivo. Il eut, comme Dante, ses lec-
teurs et ses commentateurs enthousiastes. Des
études grecques résultèrent en littérature la rhé-
torique moderne, en philosophie une sorte de
néo-platonisme, favorable aux doctrines panthéis-
tes, dangereux pour les croyances du catholicisme
romain.
Les manuscrits anciens étaient retrouvés. Il
s'agissait de les répandre h bon marché et par
nombreux exemplaires. Ce fut l'œuvre de l'impri-
merie. De 14-38 aH40,Ga?nsfleischde Sugeloch, dit
Gutenberg, développait h Strasbourg les décou-
vertes encore incomplètes de Laurent Coster de
Harlem. En H59, le gouvernement de Charles VU
installait une imprimerie dans les bâtiments de la
Sorbonne. En 1102, l'invention nouvelle était ap-
portée en Italie par Sweynheim et Pannartz.
De liGh à U71, on imprima en Italie 12000 vo-
lumes. Les livres sortirent en très grand nombre
des presses de Lyon {H74), Angers (1477), Poitiers
(HÎ8),Caen (1480), Rennes (14s4),Abbeville( 1480),
Besançon et Rouen (I487\ Orléans (liOn), Dijon
(1491), Nantes (1493), Limoges (1495), etc. Trans-
portée à la même époque dans les autres Etats
européens, l'imprimerie devint l'agent le plus
actif de la renaissance littéraire et scientifique.
Alors commença en Italie le siècle inimitable
qui a gardé le nom des Médicis (Laurent, 1409-
1492, Léon X, 1514-1521). Alors les lettres
brillent d'un éclat incomparable, avec Machia-
vel et Guichardin, Boiardo, Pulci, Ariosto, etc.
Dans les arts, Cimabuë, Giotto, Fra Angelico,
Masaccio, Ghiberti, Donatello, ont pour succes-
seurs Leonardo da Vinci, Michel-Ange, Raphaël,
Benvenuto Cellini. Alors se fondent les grandes
écoles artistiques de Rome, de Lombardie (Antonio
Allegri, ou le Corrège), de Venise (Tiziano Vecelli.
ou le Titien) de Bologne (les Carrache), et plus
tard de Naples (Salvatôr Rosa).
En France, le génie politique de la nation
donna à la littérature nouvelle une singulière
originalité. Protégée par des princes intelligents,
éclaii os, amis des arts, poètes pour la plupart, la
renaissance françai.^e produisit une littérature qui
ne fut pas comme celle de l'Italie purement artis-
tique, mais qui toucha aux grands problèmes po-
litiques et religieux que le xvi" siècle a agités.
Louis XII protégea le poète Gringoire, qui le servit
dans sa lutte contre Rome. François 1" fonda le
Collège de France, monument de la tolérance
royale, en face de la catholique Sorbonne. Clément
Marot et Marguerite de Valois, Budé, Calvin et
Rabelais donnaient de beaux titres littéraires à la
langue française, que l'édit de Villers-Cotterets dé-
clarait dans le môme temps la langue des affaires.
Dans la seconde moitié du xvi" siècle domine
une école grave et sérieuse. C'est le temps des
jurisconsultes, avec Cujas et les professeurs de
Bourges. Là se forme la grande magistrature
française, qui comptera des politiques comme
IHospital, des écrivains comme la Boétie.
La réforme pénètre dans l'enseignement avec
Ramus. De grands collèges sont fondés à Paris et
dans les provinces. Le corps enseignant s'inspire
des doctrines nouvelles; il ouvre ses rangs à des
protestants et même à des Israélites (Jean de
Govea à Bordeaux). Ce développement de l'esprit
français est vraiment original. La poé^ie seule
subit liiifiuenco de l'Italie. Elle a l'enthousiasme
et 1 audace de la jeunesse, avec du Bellay, Ronsard
et la Pléiade.
Sous les fils de Henri II, le désordre des temps
donne naissance au scepticisme de Montaigne,
aux (adcurs de Desportes. Les événements politi-
ques font naître les mémoires (Montluc), l'élo-
quence politique (l'Hospital). La hmgue française
trouve de savants et brillants défenseurs dans Es-
tienne et son école.
Autour d'IIenry de Béarn se groupent les écri-
vains protestants, Duplessis-Mornay, d'Aubigné,
Régnier de la Planche ; autour du roi de France.
Duperron, d'Ossat et les auteurs de la Satire
Ménippée.
Elevés à l'école de l'Italie, protégés par les rois,
les artistes français, architectes, sculpteurs, pein-
tres sur vitraux, Pierre Lescot, Philibert Delorme,
Germain Pilon, Jean Cousin, donnaient à la France
d'admirables chefs-d'œuvre. Bernard Palissy dé-
robait à l'Italie le secret de l'émail (l'j65). L'art
français du xvi'' siècle, né de l'inspiration antique
et de l'étude raisonnée des œuvres modernes,
savait rester original, même dans l'imitation.
Toute l'Europe, à l'exception des Etats orien-
taux, a subi T'influence féconde de l'Italie et de la
France. L'influence italienne au xvi" siècle paraît
s'être exercée surtout sur l'Espagne et l'Angle-
terre; celle de la France ne s'exerce que plus
tard sur l'Allemagne et les pays Scandinaves
(xvii' et xviii" siècles). Chaque pays d'ailleurs
modifia les influences étrangères suivant la tour-
nure et les ressources de son caractère propre.
Le xvi» siècle fut l'âge d'or de la littérature
espagnole. Cervantes (1547-lGlC) publia le Don
Quichotte. Alonzo de ErciUa donnait à l'Espa-
gne son meilleur poème épique, la Araucana.
Lope de Vega (1572-1I..33) composa plus de vingt
millions de vers ; Alarcon, mort en 1035, Tirso de
Molina (1585-1648), Calderon (1G00-1G81) furent
ses émules. Mariana et Herrera écrivirent des
ouvrages d'histoire estimables. L'art espagnol
s'enrichissait des chefs-d'œuvre de Juanès (1523-
1581), de Ribera (né en 1539), plus tard de Zur-
baran, de Murillo et de Velasquez. L'art devait
d'ailleurs survivre à la littérature. Avant la fin du
xvi' siècle elle tombait en décadence avec Luis
de Gongora (1501-1627), créateur d'un style affecté
et prétentieux qui a pris le nom de « gongorisme ».
Une démarcation très nette s'établit alors entre
les trois littératures sœurs de France, d'Italie et
d'Espagne. En France, le ton restait grave, les
allures sérieuses. Les fadeurs de Desportes, les
essais de du Bellay et de Ronsard n'avaient obtenu
qu'un médiocre succès. En Italie et en Espagne,
le goût se corrompit bientôt. Les concetti, les
antithèses forcées, le galimatias, infectèrent tous
les ouvrages. L'emphase italienne et espagnole
devait réagir plus tard sur la littérature française,
comme elle agit d'abord sur la littérature an-
glaise.
La passion des voyages, s'il faut en croire
Shakespeare, poussait déjà un grand nombre d'An-
glais à visiter le continent. Ils revenaient le plus
souvent épris de la littérature italienne. Fairfax
traduisit le Tasse, Harrington l'Arioste. Les
modes, les manières, le langage de l'Italie devin-
rent l'objet d'une imitation passionnée, exagérée.
«Les Anglais, disait-on au temps d'Elisabeth,
sont plus au courant des histoires de Boccace que
des récils de la Bible. » Mais ce furent surtout
les défauts de l'Italie que l'Angleterre copia.
John Lilly fut le père de Vcuphuhme, style ridicule
et prétentieux que Shukespeare railla plus tard, et
qui ressemblait au « gongorisme ». Elisabeth fut
la plus détestable dos « cuphuistes». La cour s'é-
tait engouée de l'euphuisme, comme un siècle plus
tard elle s'engoua du français. Philippe Sydney
faisait connaître h. ses compatriotes les drames
espagnols, les poèmes de Ronsard et les sonnets
de l'Italie. Le public s'arrachait les écrits de
Greene et de Nash. La littérature anglaise so
formait. Elle n'était pas encore vraiment origi-
nale; mais après la défaite de 1 Armada espagnole
(1588), devenue grâce à ses politiques et à ses
RENAISSANCE
— 1836 —
RENAISSANCE
soldats une grande puissance, l'Angleterre conquit
aussi dans les lettres une indépendance glo-
rieuse avec Spenser (the Fairie Qiieene, la Reine
des Fées), Shakespeare et Bacon.
L'Allemagne, absorbée dans les luttes religieu-
ses, ne tira pas grand profit de la renaissance
littéraire au xvi' siècle. Dans le Nord, les univer-
sités, formées sur le modèle de celle de Paris,
s'attardaient dans des débats dignes du mnj'en
âge. On ne lisait avec faveur, après les livres
dogmatiques de la Réforme, que les pamphlets de
Ulrich de Hutten, les 0 Lettres des hommes obscurs »,
ou les spirituels ouvrages du Flamand Erasme.
La langue allemande se formait lentement. Luther
.-ivait traduit la Bible en langage saxon. Ce dia-
lecte devint pour les Allemands ce qu'avait été
l'attique pour les anciens Grecs. Le poète populaire
Hans Sachs (1494-1571.) composait des drames,
des contes, des pièces comiques. L'Allemagne
élevait son premier théâtre à Nuremberg (1550).
Mais les événements poliliques retardèrent de deux
siècles l'éclosion de sa renaissance littéraire.
Les sciences ne varient pas, comme les lettres
et les arts, suivant les aptitudes diverses des
différents peuples. Elles constituent dans leur
■ précision et leur universalité le patrimoine com-
mun de l'humanité. Copernic et Tyclio-Brahé,
Kepler et Galilée déterminèrent les 'lois physi-
ques qui régissent les mondes. Le Français Viète,
l'Italien Tartaglia, l'Ecossais Napier, dévelop-
paient l'algèbre et créaient pour ainsi dire une
arithmétique nouvelle. L'observation devenait la
base de toutes les sciences, comme le voulait
Bacon le philosophe. La médecine, moins entra-
vée par les préjugés d'un autre âge, allait déve-
lopper les principes d'Hippocrate et de Galion.
Pierre Brissot. Guillaume Cop, Fernel, Gonthier
d'.Nndernach, Vesale.Jean de Carpi, Ambroise Paré,
créaient les sciences nouvelles de la pathologie,
de l'anatomie, de la chirurgie.
La pensée si longtemps prisonnière se voyait
enfin délivrée. Le monde physique s'agrandissait
aussi. Les grands voyageurs du xvi« siècle fai-
saient connaître à l'Europe étonnée les civilisa-
tions étranges du Mexique, du Pérou, de l'Ex-
trême Orient, des régions polaires. Jamais l'es-
prit humain n'avait entrevu d'horizons aussi
vastes. Jamais l'homme n'avait mieux senti sa
propre valeur. Le désir de la liberté, le sen-
tiiiient que cette liberté était juste et néces-
saire, se révélaient partout, dans la politique,
dans la religion, comme dans la science et la lit-
térature. C'était bien une société nouvelle qui
se formait d'après des principes contraires à
ceux des sociétés antérieures. Le moyen âge avait
eu la foi : le xvi' siècle restait sceptique avec Mon-
taigne, et croyait avec Bacon i la nécessité de l'ex-
périence. Le moyen âge avait été « ecclésiasti-
que » ; l'Eglise alors instruisait les peuples et
dominait les rois. Au xvi= siècle, les peuples ré-
clament la libre pensée; la science, la littérature,
l'art deviennent laïques. Les rois menacent l'E-
glise, la raillent, l'abandonnent ou la soumettent
à leurs caprices. La révolution de l'intelligence
complète la révolution religieuse.
[L.-G. Gourraigne.]
Lectures et dictées. — Il y avait dix-sept siè-
cles qu'une grande pensée triste avait commencé à
peser sur l'esprit de l'homme pour l'accabler,
puis l'exalter et l'affaiblir, sans que jamais, dans
un si long intervalle, elle eût lâché prise. C'é-
tait l'idée de l'impuissanceet de la décadence hu-
maine. La corruption grecque, l'oppression ro-
maine et la dissolution du monde antique l'avaient
fait naître; à son tour elle avait fait naître la
résignation stoique, l'insouciance épicurienne, le
mysticisme alexandrin et l'attente chrétienne du
royaume de Dieu. « Le monde est mauvais et
perdu : échappons-lui par l'insensibilité, par l'é-
tourdissement, par l'extase. » Ainsi parlaient les
philosophies, et la religion, arrivant par-dessus
elles, avait ajouté qu'il allait finir : n Tenez-vous
prêts, car le royaume de Dieu est proche. » Mille
ans durant, les ruines qui se faisaient de toutes
parts vinrent incessamment enfoncer dans les
cœurs cette pensée funèbre, et quand du fond de
l'imbécillité finale et de la misère universelle
l'homme féodal se releva par la force de son cou- i
rage et de son bras, il retrouva, pour entraver sa
pensée et son œuvre, la conception écrasante qui,
proscrivant la vie naturelle et les expérances ter-
restres, érigeait en modèles l'obéissance du moine
et les langueurs de l'illuminé.
Par sa propre force, elle empira. Car le propre
d'une pareille conception, comme des misères qui
l'engendrent et du découragement qu'elle consa-
cre, c'est de supprimer l'action personnelle et de
remplacer l'invention par la soumission. Insensi-
blement, dès le IV' siècle, on voit la règle morte
se substituer à la foi vivante. Le peuple chrétien
se remet aux mains du clergé, qui se remet aux
mains du pape. Les opinions chrétiennes se sou-
mettent aux théologiens, qui se soumettent aus
Pères. La foi chrétienne se réduit'îi l'accomplis-
sement des œuvres, qui se réduit à l'accomplisse-
ment des rites. La religion, fluide aux premiers siè
clés, se fige en un cristal raide, et le contact gros
sier des barbares vient poser par-dessus une
couche d'idolâtrie : on voit paraître la théocratie
et l'inquisition, le monopole du clergé et Tinter
diction des Ecritures, le culte des reliques e
l'achat des indulgences. Au lieu du christianisme
l'Eglise ; au lieu de la croyance libre, l'ortliodoxii]
imposée ; au lieu de la ferveur morale, les prati
ques fixes ; au lieu du cœur et de la pensée agisj
santé, la discipline extérieure et machinale : C!|
sont là les traits propres du moyen âge. Soiil
cette contrainte, la société pensante avait cess
de penser; la philosophie avait tourné au manut
et la poésie au radotage, et l'homme inerie, agc
nouille, remettant sa conscience et sa conduit
aux mains de son prêtre, ne semblait qu'un mai
nequin bon pour réciter un catéchisme et psalim
dier un chapelet.
Enfin, l'invention recommence; elle recon
mence par l'effort de la société laïque qui a rejet
la théocratie, maintenu l'Etat libre, et qui à pn
sent retrouve ou trouve une à une les industrie
les sciences et les arts. Tout se renouvelle ; l'Am
rique et les Indes sont découvertes, la figure de
terre est connue, le système du monde est annonc
la philosophie moderne est fondée , les scienc
expérimentales commencent, les arts et les litt
ratures poussent comme une moisson, la religii
se transforme ; il n'y a point de province da
l'intelligence et dans l'action humaine qui ne si.
défrichée et fécondée par cet universel effort, i
est si grand, que des novateurs il passe a;
retardataires, et redresse un catholicisme i
face du protestantisme qu'il a dressé. Il semli
que les hommes aient ouvert tout d'un ce»
les yeux et voiejit. En effet, ils entrent dîJ
une forme d'esprit nouvelle et supérieure. C't
le trait propre de cet âge, qu'ils ne saisissit
plus les choses par parcelles, isolément, ou j*
des classifications scolastiques et mécaniqu,
mais d'ensemble, par des vues générales et ce-
plètes, avec cet embrassement passionné dD
esprit sympathique qui, placé devant un V£9
objet, le pénètre dans toutes ses parties, le 1*
dans toutes ses attaclies, se l'approprie, se IJ^
simile, s'en imprime l'image vivante et puissaifc
si vivante et si puissante qu'il est obligé d(l»
traduire au dehors par une œuvre d'art ou i*
action. Une chaleur d'âme extraordinaire, le
imagination surabondante et magnifique, des 3-
i
i
IIENONGULACEES
— 1837
IIENONGULACEES
mi-visions, dos visions entières, des artistes, des
croyants, des fondateurs, des crcnleurs, voili ce
qu'une pareille forme d'esprit produit au jour ;
car, pour créer, il faut avoir, comme Lutlier et
saint Ignace , comme Micliel-Ange et Shake-
speare, une idée non plus abstraite, partielle et
sèche, mais figurée, achevée et sensible, une
vraie créature qui s'agite intérieurement et fait
effort pour apparaître à la lumière. C'est ici le
grand siècle de l'Europe et le plus admirable
moment de la végétation humaine. Nous vivons
encore aujourd'hui de sa sève, et nous ne faisons
que continuer sa poussée et son effort. (H. Taine.)
UE>'Oi\ClILAt;ÉES. — Botanique, XXII-XXIV.
— Etym. : Kenonculacées vient de 7-enoncule, nom
de l'un des genres do celte famille.
Défiiiilton. — Famille de plantes dicotylédones
dialypétales Ji ovaire supère.
Cette famille nous présente quelque intérêt au
point de vue do l'histoire de la botanique. C'est
en l'étudiant, qu'Antoine-Laurent de Jussieu a
été conduit à admettre que tous les caractères
d'une plante n'ont pas la même valeur, qu'il y en
a de primordiaux et de secondaires, et surtout
que cliacun d'eux n'a de valeur que considéré
dans ses rapports avec les autres. Se fondant sur
ce principe de la valeur relative des caractères de
chaque plante, A.-L. de Jussieu donna il l'Acadé-
mie des sciences, dont il faisait partie, la première
classification naturelle des végétaux (ITÎ4).
Caractères botaniques. — La graine des Re-
nonculacées est lisse et brillante ou granuleuse;
le raphé y est très proéminent; son tégument
séminal est crustaco; il recouvre un petit embryon
placé à la base d'un albumen corné; chez les
pivoines [P^eonia) cet albumen est charnu.
Les racines sont fasciculées ; la première racine
qui naît de l'embryon au moment de la germina-
tion, donne très rapidement naissance à des ra-
cines secondaires d'égal volume qui se ramifient
à leur tour abondamment. Dans certains cas, ces
nombreuses racines se renflent de distance en
distance pour former des fmlbilles qui servent i
la dissémination de la plante. Ce phénomène
s'observe surtout chez la ficaire. Dans le midi de
la France, où cette plante fleurit très abondam-
ment, où SOS graines arrivent facilement à matu-
rité et assurent ainsi sa reproduction, on ne voit
jamais ses racines produire de bulbilles. Au
contraire, dans le nord de la Franco, surtout
lorsque la saison d'été est pluvieuse, la ficaire
produit peu de fleurs, ses graines mûrissent dif-
ficilement, et alors ses racines se couvrent de
bulbilles. Chaque bulbille est un petit tubercule,
gorgé de matières nutritives, qui passe l'hiver
dans le sol. Au printemps il émet des racines et
des tiges, et reproduit ainsi une plante entière.
La tige des Renonculacécs est ordinairement
herbacée et dressée, ou transformée en rliizome;
chez le Iianu7icului bulbosus elle se renfle à sa
base en un bulbe. Dans quelques genres, quoique
toujours relativement grêle, elle devient ligneuse
ei sarmenteuse (clématite, naravolia). L'anatomie
de cette tige offre quelques particularités intéres-
santes; ses faisceaux primaires, peu nombreux,
ont une structure comparable à celle des faisceaux
des plantes monocotylédouées. Ils sont môme
pourvus d'une lacune, dite lacune antérieure
parce qu'elle se trouve entre les plus petites
trachées et le liber interne; et, excepté chez les
Cléniatidées, ils ne présentent qu'un accroissement
secondaire très faible. Leur zone cambiale s'éteint
très rapidement; on les désigcie alors sous le nom
de faisceaux fermés.
Les feuides sont alternes, sauf chez les Cléma-
tidées. où elles sont opposées. Elles se composent
d'un limbe et d'un pétiole bien développés. Le
limbe est quelquefois entier, mais lu plus souvent
profondément divisé, de sorte que les feuilles
peuvent être : entières (mj-oaurus), dentées (fi-
caire , populage) , pédalées (ellébore fétide,
ellébore noir), pinnatifides (adonis, thaliotrum,
nigelle), palmilobées ou palmitifides (dauphinelle,
aconit, renoncule), composées (cléniatidées), dé-
composées-ternées (ancolie, etc.). Souvent le pé-
tiole se dilate h sa base de façon h devenir engai-
nant (amplexicaule) ; chez les Ihalietrum et les
Kammciilus, il est accompagné d'appendices stipu-
liformes; chez ]es Naravelia, plantes grimpantes
de l'Asie tropicale, le pétiole est contourné en vrille.
Les feuilles sont parfois toutes radicales, et, dans
ce cas, celles que portent les hampes florales sont
plus réduites et passent insensiblement aux brac-
tées, ou bien elles deviennent sessiles et forment
un involucre à la fleur (anémone, hépatique).
Les fleurs sont tantôt terminales ou .solitaires
(clématite h fleurs bleues, anémone des bois),
tantôt disposées en grappes (aconit) ou en pani-
cules (thalietrum). Elles sont régulières ou irré-
gulières; elles sont hermaphrodites, excepté
dans un petit nombre de genres où elles sont
dioïques parce que, dans certaines de leurs fleurs,
les étamines ne se développent pas, tandis que,
dans certaines autres, ce sont les carpelles qui ne
se sont pas développés.
Le caractère général de la fleur des Rononcula-
cées, c'est que tous ses organes sont disposés sui-
vant une spirale continue qui commence au premier
sépale et se termine au dernier carpelle, compre-
nant successivement tous les sépales, tous les pé-
tales, toutes les étamines et tous les carpelles.
Chez ces plantes, les glandes à nectar semblent
être d'une grande importance pour assurer leur
reproduction, car elles ne font jamais défaut;
elles sont toujours portées par les pétales, à
moins que ceux-ci n'existent pas, ainsi que cela
arrive chez un certain nombre de genres; dans ce
cas, les étamines les plus extérieures se changent
en appareils nectarifères.
En général, la fleur présente de l'extérieur à
l'intérieur :
1" Un calice composé ordinairement de cinq sé-
pales (renoncule, ancolie, nigelle, pivoine, dau-
phinelle, aconit), ou de trois (ficaire), ou de huit
(adonis), ou d'un plus grand nombre. Ce calice est
ordinairement pétaloido et vivement coloré, même
chez les plantes pourvues de corolle ; ce n'est
que chez les renonculées et les péoniées qu'il a
l'aspect ordinaire d'un calice. Il est régulier, ou
rarement irrégulier chez les dauphinelles, où le
sépale postérieur est prolongé en éperon, et chez
les aconits, où les deux sépales antérieurs sont
soudés en casque.
2" Une corolle, composée ordinairement de cinq
pétales (renoncule, ancolie), ou de huit (pivoine,
acoiiit, nigelle, ficaire), ou de deux ou de quatre
(actée, dauphinelle), ou de dix à quinze (ellé-
bore, adonis, etc.). Dans quelques genres cette
corolle fait complètement défaut (populage, ané-
mone, thalietrum, clématite). Les pétales sont
non moins variables dans leur forme que dans
leur nombre ; comme ils n'ont d'autre rôle que
de porter les glandes h nectar, ils sont souvent
fort petits, presque invisibles, tandis que les sé-
pales devenus pétaloides constituent alors à eux
seuls l'enveloppe éclatante de la fleur. Les pétales
sont très développés chez les renonculées et les
pivoines, où ils sont plans et étalés, et chez les
ancolies, où ils ont la forme de cornets; ils sont
petits, exclusivement nectarifères, chez les el-
lébores, les nigelles, les garidelles, etc., où ils
ont les formes les plus diverses. Les pétales sont
inégaux et forment une corolle irrégulière chez
les dauphinelles, où les deux postérieurs sont
soudés et prolongés en un éperon, et chez les
aconits, où les doux antérieurs sont pédicules on
RENONCULACEES
1838 —
RENTES
forme de capuchon, et cacliés sous le casque fornu;
par le calice, tandis que les autres sont ordinaire-
ment filiformes.
3" Un am/rocéf composé de nombreuses éta-
mines liypogynes à filets filiformes et à anthères h
deux loges extrorses ou latérales.
i" Dn gynécée composé de carpelles en nombre
variable, ordinairement très nombreux. Il y en a
un seul chez l'actée, deux à cinq chez la pivoine,
cinq chez l'ancolie, huit chez la nigelle; un
nombre h peu près indéfini chez les ellébores,
renoncules, anémones, clématites, etc. Ces car-
pelles sont libres, excepté chez la nigelle où ils
sont soudés au centre de la fleur. Le stigmate
assez développé est quelquefois sessile. Les ovules
sont anairopes, unitégumentés ou bitégumentés.
Souvent chaque carpelle n'en contient qu'un seul
(renoncule, clématite, myosurus, etc.), ou bien
dans chaque carpelle il y a deux rangées d'ovules
placés horizontalement (ellébore, nigelle, ancolie,
pivoine, etc.).
Le fruit est sec, déhiscent ou indéhiscent; dans
le cas où les carpelles sont uniovulés, chacun
d'eux devient un akène; dans le cas où les car-
pelles renferment deux séries d'ovules, chacun
d'eux devient un follicule Chez la nigelle, où les
carpelles sont soudés, le fruit, sec et déhiscent,
prend le nom de capsule; chez l'actée, le fruit est
charnu : l'unique carpelle de la fleur devient une
haie à la maturité.
Dans le cas où le fruit est un follicule, la dé-
hiscence se fuit par la rupture de la ligne de suture
ventrale de chaque carpelle; chez les nigelles,
cette ligne de suture ne se fend que dans sa
partie supérieure.
CUassifi cation. — La famille des Renonculacées
comprend entre autres les grouiies suivants : les
Clématidées. plantes grimpantes (genres Clématite
et Naravelia) ; les Anémonées (genres Anémone,
Adonis, Myosoius); les Renonculées (genres Re-
noncule et Ficaire); les Elléborées (genres Po-
pulage. Ellébore, Nigelle, Ancolie, Dauphinelle,
Aconit); les Péoniées (gpnre Pivoine).
Usages des Renonculacées. — Toutes les Re-
nonculacées soni acres et vénéneuses ; mais le
principe vénéneux qu'elles renferment est volatil
et disparaît par la dessiccation ou la cuisson, de
sorte que certaines d'entre elles sont comes-
tibles.
1. Renonculacées comestibl-s. —La Renoncule
scélérate, ainsi nommée parce qu'elle est des plus
vénéneuses, perd ses propriétés toxiques par une
cuisson prolongée et est mangée comme légume.
Il en est de même des jeunes pousses de la Clé-
matite fl'imiiièle. La Ficaire cesse d'être véné-
neuse après sa floraison, et devient ainsi comes-
tible. Dans le midi de l'Europe et en Orient, on
cultive la higelle pour récolter ses graines, dont
on se sert pour assaisonner le pain.
2. Rciiniicuiacées médicinales. — Presque toutes
les Renonculacées ont été utilisées en médecine,
quoique beaucoup d'entre elles soient toxiques
quand elles sont employées à haute dose. La
plupart sont aujourd'hui tombées en désué-
tude.
A cause de leur àcreté même, il en est qui sont
vésicantes et servent à remplacer les cantliarides,
dans les pays où elles croissent; ce sont les
Clemati^ erecla. Cl. vilalha. Cl. flatnmubi. Avec
les feuilles de la Clématite des haies ' Clematis
vitalha) les mendiants simulent des ulcères, ce
qui a valu à cette plante le nom i'herbe aux
gtieux.
L'Anémone pulsatile est employée, à l'étal frais,
pour combaitr.^ la paralysie de la rétine et aussi
les rhumatismes.
Le Pigamon jaune (Thnlietnim flavum) est
employé pour couper les fièvres intermittentes;
on le désigne souvent sous le nom de Rhubarbe
des pauvres.
La Dauphinelle ries champs ou Pied- d'alouette
est vermifuge, et en même temps très apéri-
tive.
Les graines de la Slaphijsaigre (Delphinium
staphf/sogria) réduites en poudre sont usitées
pour détruire la vermine de la tête; et, d'une fa-
çon générale, c'est un excellent insecticide. Elles
sont quelquefois employées comme vomitif.
Les Ellébores sont extrêmement vénéneuses;
dans l'antiquité elles étaient fort recherchées
parce qu'on croyait qu'elles guérissaient de la
folie ; on leur attribuait aussi des propriétés pur-
gatives.
VAconit Napel est non moins vénéneux que
les ellébores ; cependant il est encore aujour-
d'hui usité en médecine, mais toujours k fort
petite dose; ses feuilles et ses graines seules sont
employées.
Le Cimifu^/a serpeiitiirio est em\Aoyé en Améri-
que contre la morsure du Crotale.
La Pivoine officinale a joui d'une grande célé-
brité ; au moyen âge, elle jouait un grand rôle dans
la sorcellerie; aujourd'hui encore, dans certains
pays, on croit que les colliers qui sont faits avec
ses graines préservent les jeunes enfants des con-
vulsions. Elle n'a plus aucun usage. Eu Sibérie,
il croit une autre espèce de Pivoine, la Pivoine
anormale, dont la racine est employée par les
habitants pour combattre les fièvres intermit-
tentes.
:3. Renonculacées tinctoriales. — Quelques Re-
nonculacées fournissent un principe colorant
jaune; ce sont;
Le Coptis trifoliatu.
VHg'lrostis catiadensis (Amérique).
Le Xmithiirhiza apiifoha (Amérique).
4. Renonculacées oryiemeyitales. — Les Renon-
culacées sont recherchées comme plantes orne-
mentales à cause de la beauté de leurs fleurs.
Comme elles ont des étamines très nombreuses,
les fleurs deviennent facilement doubles par la
culture, ce qui ajoute encore à leur éclat. Nous
citerons les principales :
Les Clématites,
Les Anémones,
Les Renoncules,
L'Ellébore noir ou Rose de Noël,
Les Ancolics,
Les Dauphinelles {Pied-' l'alouette à fleurs dou-
bles ; Dauphinelle d'AJa.r, ainsi nommée parce que
sa corolle forme des dessins que l'on a comparés
au.x lettres AIA qui sont les trois premières du
mot Ajax),
L'Aconit Napel,
Les Pivoines. (C.-E. Bertrand.]
UEiVTES. — Arithmétique, XLVl. — On appelle
rentes une suite de sommes qui sont payées à des
époques déterminées. Ces sommes ne sont autre
chose que l'intérêt d'un capital appartenant au cen-
lier, c'est-à-dire au possesseur de la rente, soit qu'il
ait réellement prêté ce capital, soit qu'il en ait
acquis la possession par suite de transactions
particulières. Au point de vue de l'enseignement,
la question des reiites ne diffère en rien de celle
des intérêts, et nous n'aurions qu'à renvoyer le
lecteur à cette dernière, s'il n'était pas nécessaire
d'entrer dans quehiuc-s détails au sujet des tentes
payées par l'État, h cause de la grande place
qu'elles occupent dans la fortune publique.
Nous y ajouterons quelques indications sur les
rentes viagères.
1. Rentes si'r l'Etat. — L'Etat peut se trouver
en face de besoins extraordinaires pour lesquels
le produit des impùts annuels serait insufflsanl,
par exemple, une guerre à entreprendre, des tra-
vaux h exécuter, etc. Dans ce cas, il cherche.
RENTES
— 1839 —
RENTES
comme les particuliers, des ressources dans un
emprunt; mais il ne rembourse jamais le capital ;
il s'engage seulement Ji payer l'intérêt : c'est, cet
int6r6t qui est désigné par le nom de rentes sur
l'Etat. En échange de son argent le prêteur reçoit
un titre nommé inicription de retite, dont il dé-
tache, à dos époques déterminées, un petit carré
nommé coupon, portant le montant de la rente
avec le jour de l'écliéance. En remettant lo cou-
pon aux bureaux do l'Etat, le rentier touche la
rente qui lui est due.
Il y a trois espèces de rentes sur l'Etat : 1° les
rentes 4 1/2 et 4 p. 100, payables par semestres,
le 22 mars et le 'JS septembre ; T les rentes
3 p. 100, payables par trimestres, le 1" des mois
de janvier, avril, juillet et octobre ; 3° les rentes
5 p. 100, payables aussi par trimestres, le IK des
mois de février, mai, août et novembre.
Ce sont ces deux dernières qui sont les plus
considérables. Au \" janvier 18"9, le montant
des rentes payées par l'Etat était :
En rentes 5 p. 100 34G 001 60i fr.
— 3 p. 100 361695 465
— 4 1/2 p. ICO... 37 450 476
— 4 p. 100 44C07(i
Il faudrait y ajouter une quatrième rente, le
3 p. 100 amortissable, qui résulte d'un emprunt
autorisé par une loi du 11 juin 1878. Au con-
traire d3s autres rentes, celle-ci doit être rem-
boursée par voie de tirage au sort, dans un espace
de soixante-quinze ans.
Ces expressions rentes 5 p. 100, 3 p. 100,
4 1/2 p. lOOj 4 p. 100 signifie qne pour une
rente de 5 fr., de 3 fr., de 4",.iO, de 4 fi., l'E-
tat donnerait un capital de 100 fr., au cas où il
jugerait à propos d'effectuer un remboursement.
— V. Dette puhlir/ue.
Il peut arriver que le propriétaire d'une inscrip-
tion de rente ait besoin de son capital. Il vend
alors son titre à un acheteur qui se substitue à
lui et reçoit la rente h sa place Si l'Etat est
dans une situation prospère, on a l'assurance que
la rente sera régulièrement payée ; en raison de
cette sécurité la valeur du titre augmente plus ou
moins. Si, au contraire, l'Etat se trouve en face
d'embarras financiers ou autres, on peut craindre
qu'il ne soit pas en mesure de payer exactement
la rente, le titre perd alors de sa valeur et se
vend à un prix plus ou moins bas. Ce prix varia-
ble est ce qu'on appelle cours de la rente. La
vente et l'achat de ces titres se font à Paris, et
dans quelques autres grandes villes, dans un lo-
cal particulier nommé la Bowse, et par l'inter-
médiaire des agents de change, qui ont seuls le
droit d'opérer ces transactions. Ils perçoivent
pour leurs honoraires, comme frais de commis-
sion, 1/8 p. 10(1 sur lo capital employé, c'est-à-
dire 12 centimes et demi par 100 fr. Quand le cours
de la rente est égal h sa valeur nominale, on dit
qu'elle est au pair.
On dislingue les rentes en renies nominatives
et rentes au porteur. Les premières sont inscri-
tes au Grand-Livre avec le nom de leur proprié-
taire. Quant aux autres, le nom de celui qui
les possède ne figure nulle part; l'Etat paie la
rente à celui qui lui présente le coupon. Ces der-
niers titres ont l'avantage de pouvoir passer de
mains en mains, en quelque sorte, aussi facile-
ment que les pièces de monnaie ou les billets de
banque ; cette cession est soumise, au contraire,
à quelques formalités pour les titres nominatifs.
Au reste, il est toujours facultatif de faire con-
vertir un titre nominatif en un titre au porteur
et réciproquement.
Nous allons maintenant traiter quelques pro-
blèmes relatifs aux négociations des rentes sur
lEtat.
PiiOBLÈME 1. — On arhèle 840 /;■. de renies
5 /). 100 le 27 décem/jre 1880. Quel est le capital
di'/)Oursé, le cours de la renie étant ce jour-là
119,25?
Une rente de 5 fr. coûte 110'', 25.
Uiie rente de 1 fr. coûte 5 fois moins, ou
1I9,V5
5
Une rente de 840 fr. coûtera
■=23",S5.
23,85 X 840 = 20034 fr.
Au capital il faudra ajouter :
Courtage de 1/8 p. 100 sur 20 034 fr.,
c'est-à-dire 25',04
Timbre sur le bordereau de l'agent de
change I ,80
Timbre sur le reçu 0 ,10
Total des frais à ajouter au capital 2G',94
Nota. — Le droit de timbre sur le bordereau
est de 1",80 pour tout achat dont le montant est
de lOOOOfr. et au-dessus, et seulement de Of'',60,
quand le montant est au-dessous de cette somme.
PnoBi.ÈME 2. — Au cours de 84,95, la rente de
3 p. 100 coiUe-t-elle p/u< ou moins cher que la
rente 5 p. 100 au cours de 119,25 ?
En 3 p. 100 une rente de 3 fr coûte 8if'',95;
84 95
une rente de 1 fr. coûterait — r — =28''',316.
En 5 p. 100 une rente de 5 fr. coûte 1 19",25 ;
1 19 2.i
une rente de 1 fr. coûterait — -^ = 2-3'', 85.
5
C'est la rente 3 p. luO qui coûte le plus cher ;
la différence du prix de l'achat de 1 fr. de rente
est :
28,32 — 23,85= i",47.
PnoBLÈME 3. — Le cours du 5 p. 100 étant
119,10, guel devrait élre ce j'>ur-là le cows du
3 jD. 100, ]iour que le taux de l'intérêt fût le
même dans les deux rentes.
Une rente de 5 fr. coûte 119",10, abstraction
faite des frais de négociation.
110,10
Une rente de 1 fr. coûterait — ^2.1'', 83.
5
Une rente de 3 fr. devrait coûter :
23,82 X3 = 71",4G.
Problème 4. — Quel capital représente tme
rente de m> fr. en 4 1/2 p 100 au cours de
9;'%7â .' Quelle sent t'migmeidation que recevra
le capital, si le cours de la rente s'élève à 95 fr.
Une rente de 4", 50 correspond à un capital de
92",75.
Le capital correspondant à 1 fr. de rente serait
92,75
4,5 '
Le capital demandé sera 105 fois celui-ci, c'est-
à-dire :
0V^X195=HLi^ = 4019M7.
Lorsque le cours de la rente s'élève de 92'',75 à
95 fr., le rentier gagne 2",25 sur chaque titre.
Or le nombre do ses titres est :
4,5
130
3 ■
RENTES
Lg bénéfice total est donc :
1840 — RENTES
Table de mortalité dressée par Déparcieux.
, 130
2,25 X^= 0,75 X 130 = 97",50.
L'augmentation qu'a prise le capital est de
7"",50.
Observation. — Les problèmes qui précèdent
suffisent pour indiquer la marche à suivre dans
les questions élémentaires relatives aux rentes
sur l'Elat. Des développements plus étendus sur
des opérations plus compliquées sortiraient du ca-
dre de l'enseignement primaire ; c'est dans les
ouvrages spéciaux qu'il faut les étudier.
II. Rentes viagères. — Une personne cède la
propriété d'un capital, en numéraire ou en im-
meubles, à un particulier ou à une compagnie, à
condition d'en recevoir en écliange pendant le
reste de sa vie une rente déterminée : cette
rente est ce qu'on appelle une rente viagère.
On dit dans ce cas que le capital est placé b.
fonds perdu.
La rente viagère est toujours supérieure à l'in-
térêt que produirait un capital dans les condi-
tions ordinaires de placement, et elle est d'autant
plus grande que la personne à qui elle doit être
payée est plus âgée. Si cette personne meurt
bientôt après, l'autre se trouve à peu de frais
propriétaire du capital. Si la vie de la première
Tient à se prolonger au delà des prévisions possi-
bles, la seconde subit les cliarges d'un contrat
plus onéreux qu'elle n'avait pensé. Pour éviter de
tels mécomptes, il faudrait pouvoir déterminer
la quotité de la rente à payer pour un capital
donné et pour un âge désigné ; ce qui n'est
guère possible à cause de l'incertitude sur l'épo-
que de la mort du rentier. On a cependant
cherché à diminuer cette indétermination, en
combinant deux éléments : la valeur actuelle d'un
capital payable à une époque déterminée, et la
probabilité qu'une personne d'un âge connu at-
teindra cette époque.
Probabilité. — Qu'on prenne au hasard une
bille dans un sac qui en contient par exemple 'JO,
numérotées 1, '2, :)..., etc. Quelle chance a-t-on
d'en tirer un numéro déterminé ? Chacun des 90
numéros pouvant également sortir, il n'y a sur
HO manières différentes de choisir une bille qu'une
seule qui puisse amener le numéro attendu ; le
nombre des chances heureuses n'est donc que la
90= partie du nombre total des chances favorables
eu contraires.
Si, au lieu d'un seul numéro, on en tirait cinq,
il est évident que les chances de voir sortir le
numéro désigné seraient cinq fois plus nombreu-
ses que dans le cas précédent ; ce nombre serait
— du nombre total des chances favorables ou
MO
contraires. Cotte fraction est ce qu'on appelle
probabilité dans le langage mathématique.
La probabilité mathématique d'un événement
est donc le rapport qu'il y a entre le nombre des
chances par lesquelles l'évéuemeut peut se pro-
duire et le nombre total des chances favorables et
contraires.
Tables de mortalité. — Supposons qu'à l'aide
des registres dos naissances et des décès d'une
ville on ait noté, par exemple, 1000 individas nos
le même jour ou à peu près, et que d'année en année
on ail compté le nombre do ceux d'entre eux qui
sont morts. En inscrivant vis-i-vis de chaque âge
les nombres de ceux qui sont vivants à cet à^o.
on aura ce qu'on appelle une table de mortalité.
Nous n'avons pas à expliquer ici comment de
pareilles tables peuvent être établies ; nous nous
bornerons à rapi-oduire, pour fournir un exemple,
l'une des plus connues, en l'empruntant à l'An-
nuaire du bureau des longitudes :
AGES. VIVANTS. .\GES. VIVAMS. AGES. VIVANTS
Cette table montre que sur l'J.Sli individus nés
le même jour, il n'y en a de vivants que 1071 au
bout de 1 an, 1006 au bout de 2 ans, etc., et que
le dernier meurt après l'âge de 94 ans.
De cette table on tire la probabilité qu'il y a
pour une personne ayant un âge connu d'ar-
river h un âge déterminé, par exemple, de 60 à
SO ans.
En effet, d'après cette table, le nombre des
vivants à 60 ans est -163 ; le nombre des vivants à
80 ans est de 118. Or, l'individu qui est au nom-
bre des 463, peut se trouver l'un des 118 .survi-
vants ; la probabilité qu'il atteindra 80 ans est
donc -— •
46-5
Ainsi la probabilité pour une personne ayant un
àgB connu d'atteindre un âge assigné est une
fraction qui a pour numérateur le nombre des
vivants de ce dernier âge, et pour dénominateur
le nombre des vivants de l'âge précédent.
Videur actuelle d'une rente vinr/èi-e pour toi
âge donné. — Supposons, par exemple, qu'une
personne âgée de 80 ans propose à un homme de
lui abandonner son bien, pour une rente viagère
annuelle de 1500 fr., dont la première serait payée
dans un an ; quelle doit être la valeur de ce bien 't
Soit 4,5 p. 100 le taux annuel de l'intérêt. Pour
abréger l'écriture, représentons par ;■ l'intérêt
annuel de I fr., c'est-à-dire U",045 dans ce cas, et
par a la rente de liOO fr.
La première étant payable dans un an ne vaut
auiourd'hui que ; la deuxième payable dans
j ' 1-f-r'
2 ans ne vaut aujourd'hui que
et ainsi de t
(l-t-2j-
suite (V. Intérêts composés). Mais, en raison de
rôventualité de la mort du rentier, la valeur réelle
so trouve inférieure à celle qui vient d'être indi-
quée, pour le cas où le rentier serait vivant i
l'échéance de chacune de ces rentes.
REPTILES
1841
REPTILES
Or, la probabilité qu'il attuindra los igos suc-
cessifs est:
us
_85
IJ8
71
US
US
On peut d'après cela assigner comme valeur
réelle de chaque rente, au jour du contrat, eu
égard aux chances de mortalité :
a 1(H_^^ a 85. „^ n 71
'°l+c^llS'^ (l+<',i^n8'"''(H-cj3-~~^TT8'°"^'
La somme de toutes ces valeurs déterminera
la valeur du capital correspondant. Si on désigne
ce capital par C, on aura l'équation :
„_ a 101 n «.-> a 71
~\ + r' Us'^"(H-r)^^hs'*"(l+rj: "^
US
+ ■
US
:X-
(H-;)i'"US'
ou en rétablissant les nombres et mettant
facteur commun de tous les termes :
1500 / 101 85 71_
~ 118 ■^\l,0i5"^l,0i53 "''1,045:
On calculera au moyen des logarithmes les
divers quotients compris entre les parenthèses;
puis il ne restera qu'à en faire la somme, à la
multiplier par 1500 et à diviser le produit par 118.
On trouvera :
C = 5299".
Tel serait le capital que doit céder la personne
âgée de SO ans pour recevoir une rente viagère de
1500 fr.
Ces calculs étant laborieux, on a construit des
tables indiquant le capital correspondant i une
rente viagère de 1 fr. pour les divers âges et à
divers taux. Une simple multiplication suffit
alors pour trouver le capital demandé.
Les contrats relatifs à la constitution des rentes
viagères n'interviennent pas seulement entre les
particuliers ; ils sont la base des opérations des
Compagnies d'assurances sur la vie.
[G. Bovier-Lapierre.]
REPRODUCTION. — Botanique, X. — V. Cryp-
togames, Acotylcdones, Champignons, Phmiéro-
gamex. Fleuri, Fruit.
REPTILES. — Zoologie, XIX. — Les Reptiles
peuvent être définis des animaux vertébrés al-
lantoïdiens à cinuhdion imparfaite. Par leur
double enveloppe fœtale {utlatitoïde et amnios),
ils se distinguent des Vertébrés inférieurs. Batra-
ciens et Poissons ; et, par l'imperfection de leur
cœur, ils se séparent nettement des supérieurs,
Mammifères et Oiseaux.
Le cœur des Reptiles (à l'exception des Croco-
diliens dont nous parlerons plus loin) présente
constamment, comme celui des Batraciens adul-
tes, deux oreillettes et un seul ventricule dans
lequel le sang veineux se mélange au sang ar-
tériel. Il résulte de cette conformation qu'une
partie seulement de la masse du sang vient, à
chaque révolution, se revivifier au contact de
l'oxygène de l'atmosphère. On sait que l'oxygè-
ne, absorbé par le sang dans les poumons, et
charrié par lui dans l'organisme, amt-ne une vé-
ritable combustion de la substance de l'animal, et
que cette combustion est la source de sa chaleur
et de sa vie. Aussi la quantité de chaleur, et, si
Ion peut is'exprimer ainsi, la quantité dévie,
produite ci* un temps donné, est-elle bien moin-
dre chez les Reptiles que chez les Mammifères
et surtout que chez les Oiseaux. Par suite du
peu de chaleur qu'ils produisent, la température
2« Partie.
du corps des Reptiles est, le plus souvent, info-
ricuro à celle de notre propre corps, d'où la dé-
nomination impropre à'animaux à sang froid
qui leur a été attrihuce ; celle d'a?umnux à tem-
pérature variable leur conviendrait mieux ; car
leur vraie condition est de ne pas produire assez
de calorique pour se rendre en quelque sorte
maîtres de la situation, et conserver, avec des
moyens de dégagement bien équilibrés, une tem-
pérature constante et indépendante du milieu où
ils se trouvent. Les Batraciens et les Poissons
parmi les Vertébrés, ainsi que les Invertébrés,
se trouvent dans le môme cas.
Les Reptiles, dès leur naissance, respirent à
l'aide de poumons et n'ont pas de brancliies, ce
qui los éloigne des Batraciens et des Poissons, et
les rapproche des Mammifères et des Oiseaux; ils
n'ont qu'un seul condyle occipiiat comme ces
derniers, les Batraciens en ayant deux; enfin, ils
ne sont revêtus, ni de poils conmie les Mammi-
fères, ni de plames comme les Oiseaux ; mais ils
ont comme les Mammifères et les Oiseaux l'épi-
derme corné, durci et résistant, et non muqueux
comme celui des Batraciens et des Poissons. Les
papilles du derme affectent d'ordinaire la forme
écailleuse sur toute la surface du corps, et le
derme est susceptible de s'ossifier en plaques
isolées {Crocodiles, Scincoidiens, Chalcidiens, Am-
phisbéniens) ou soudées les unes aux autres
(Chéloniens).
Les Reptiles présentent de grandes affinités
avec les Oiseaux; dès 1818, de Rlainville les avait
désignés sous le nom à.'Ornithovles, attribuant
aux Batraciens celui d'ichthyoïdes. Les Oiseaux et
les Reptiles, en efl'et, sont ovipares comme les
Batraciens et les Poissons; mais l'œuf des pre-
miers est construit sur un autre type que celui des
derniers. Il est beaucoup plus volumineux et plus
riche en matière nutritive, de telle sorte que
l'embryon en sort beaucoup plus avancé dans son
développement ; en outre, le vitellus ne participe
pas tout entier à la formation de l'embryon : la
cicatricule seule forme le petit être, qui s'assi-
mile ensuite le restant du vitellus et l'albumine.
Du reste, l'œuf de certains poissons, les Raies,
les Squales, se comporte de môme. Mais les Rep-
tiles et les Oiseaux, seuls parmi les Vertébrés
allantoidiens, prennent dans l'œuf môme les ali-
ments dont ils ont besoin pour se développer,
tandis que les Mammifères (i l'exception des
Ornithodelphes et des Marsupiaux) puisent leur
nourriture dans le sang de leur mère à l'aide du
placenta.
La taille des Reptiles est fort variable, depuis
celle des Typhlops, Ophidiens ayant les dimen-
sions et menant la vie souterraine des lombrics,
jusqu'à celles des Crocodiles mesurant 10 mètres
de long, des Boas et des Pythons pouvant avaler
de gros mammifères, et des Tortues dont la ca-
rapace est parfois assez grande, dit-on, pour four-
nir des pirogues h certaines peuplades.
Leur forme ne varie pas moins. On pourrait
cependant la ramener h trois types principaux et
diviser, à ce point de vue, les Reptiles en : Qua-
drupèiles à co'-ps ramassé (Tortues), Quadrupè-
des à corps allongé et à queue effilée (Crocodiles,
Sauriens), et Apodes cylindriques et allongés
(Ophidiens, Sauriens serpentiformes). Leur dé-
marche est évidemment en rapport avec leur
forme. Cette division, fondée sur la seule appa-
rence extérieure, fut en effet adoptée par les pre-
miers naturalistes; mais des observations plus
approfondies ont dû bientôt la faire rejeter.
La classe des Reptiles peut se partager au-
jourd'hui eu cinq ordres qui sont : 1° les Chélo-
niens ; 2° les Crocodiliens ; 3° les Sa uuiens ; 4° les
Ampuisué.nibns ; 5° les Opuidiens.
I. — Les CUèloniens se distinguent des autres
116
REPTILES
1842 —
REPTILES
reptiles par leur corps ramassé et protégé par
une carapace ou un plastron, sorte de boîte
osseuse dans laquelle ils peuvent retirer plus ou
moins complètement leur tête, leurs membres,
et leur queue ; enfin par leurs •mâchoires, dépour-
vues de dénis, et revêtues d'un bec corné analo-
gue à celui des Oiseaux
La boîte osseuse des Chéloniens acquiert son
plus grand développement chez les Terrestres.
Elle est formée par un certain nombre de plaques
distinctes, engrenées les unes aux autres, et dont
l'origine est double : le derme du tronc s'est os-
sifié dans toute son étendue, les diverses plaques
osseuses représentant les différents points d'ossi-
fication primitifs, et plusieurs os du squelette,
les apophyses épineuses des vertèbres, les côtes,
le sternum, se rapprochant de la surface et s'éta-
lant, sont venus se confondre avec le derme et
s'ossifier avec lui. Il y a des plaques (les viar-
giiiales par exemple) d'origine exclusivement der-
mique, tandis qu'il n'existe pas de plaques
exclusivement squelettiques, les os du squelette
qui ont concouru à former la carapace s'étant
toujours annexé une certaine superficie corres-
pondante du derme : dans ce cas l'ossification a
marché du squelette vers le derme, et celui-ci
n'a pas eu de point d'ossification propre. Cette
boîte osseuse est elle-même revêtue d'ordinaire
par un épiderme épais et résistant [écaille), dis-
posé aussi en un certain nombre de plaques qui
ne correspondent nullement aux pla(|Ues osseu-
ses, et fournissent de bons caractères pour la dis-
tinction des genres et des espèces.
Cette adaptation spéciale d'une partie du sque-
lette des Chéloniens a entraîné quelques modifica-
tions et déplacements des autres os dont on a
peut-être exagéré l'importance : c'est ainsi que
l'omoplate, de postérieure devenue latérale, est
représentée par un os long à direction antéro-
postérieure. Quant i l'ossification du derme, elle
a lieu également dans plusieurs autres groupes
de Reptiles, à peu près complètement chez les
Crocodiliens, les Scincoîdiens, les Chalcidicns,
les Amphisbéniens ; on l'observe sur le crâne
seulement chez la plupart des Sauriens et chez
quelques Batraciens (Pélobates), sur le corps de
beaucoup de poissons, et même chez certains
mammifères comme les Tatous (les écailles des
Pangolins sont d'origine exclusivement épider-
mique).
Les Chéloniens se divisent très naturellement en
quatre tribus, d'après la conformation de leurs
pattes, laquelle concorde exactement avec leur
genre de vie :
1° Les Thalassites ou Marines, dont les pattes
sont aplaties en rames, les doigts immobiles les
uns par rapport aux autres et largement aplatis;
2" Les PoTAMrrES ou Fluviales, â membres apla-
tis en rame, mais à doigts mobiles, largement
palmés, trois des cinq munis d'ongles;
3° Les Ei.ODiTES ou Palustres, à pieds palmés, à
doigts mobiles et tous armés d'ongles;
4" Les Cheiisites ou Terrestres, dont les pattes
sont terminées en moignon, les doigts immobiles,
et les ongles en sabots.
Les Thalassites vivent surtout de plantes ma-
rines, mais mangeraient aussi, dit-on, des mollus-
ques et des crustacés. Elles quitteraient quelque-
fois, la nuit, l'élément liquide, pour aller paître
dans des îles désertes. Mais c'est surtout à l'époque
de la ponte qu'on les voit en grand nombre sortir
de la mer. Les femelles font de longues routes,
accompagnées par les mâles, et vont, quelquefois
à cinquanie lieues de distance, pondre leurs œufs
sur un îlot désert et sablonneux. De temps imn]é-
morial elles se rendent aux mêmes lieux et Ji la
môme époque. Elles creusent, au-dessus du ni-
veau des plus hautes marées, des fosscsde GO cei>
timètres de diamètre, et y déposent une centaine
d'œufs, qu'elles recouvrent ensuite de sable fin.
Une même nuit voit le commencement et la fin du
travail ; et chaque femelle fait ainsi jusqu'il trois
pontes, à deux ou trois semaines d'intervalle. Les
œufs, qui sont recherchés comme aliment, sont
sphériques ou à peu près, et ont de 6 à U centi-
mètres de diamètre. Ils sont protégés par une
coque flexible, un peu calcaire. L'albumine, ou le
blanc de ces œufs, a une teinte verdâtre,et ne se
coagule pas sous l'action de la chaleur.Du quinzième
au vingtième jour après la ponte, ces œ'ufs éclo-
sentpar l'effet de la chaleur solaire, très forte dans
les climats équatoriaux habités par ces espèces.
Les jeunes tortues, dont les écailles ne sont pas
encore durcies, blanches et coiume étiolées, cher-
chent à gagner la mer; mais elles périssent en
grand noiubre, devenant la proie des oiseaux
carnassiers, des poissons et des crocodiles. Les
Thalassites parviennent à une taille colossale. On a
vu des Sphurgis pesant jusqu'à 800 kilogr. : des
Chelone qui en pesaietit -i à OUO, et dont la cara-
pace mesurait plus de 5 mètres de circonférence,
et près de 2 mètres et demi de longueur.
Une espèce de Thalassite, la Caouanne (Thnlas-
sochelys coriicata. Rondelet), vit et se reproduit
dans la Méditerranée ; d'autres espèces vienneiit
parfois s'égarer dans nos parages; telles sont la
Sphorgis criacea (Rondelet), la Tortue luth, ap-
pelée aussi la Tortue cuir, à cause du moindre dé-
veloppement de sa carapace osseuse, et de sa peau
coriace ; la Chelone virilù (Schneider), la Tortue
franche, espèce recherchée pour ses œufs et sa
chair. La Tortue caret (Chelone imbncata, Linné),
dont l'écaillé est utilisée^ dans l'industrie, se voit
plus rarement sur nos côtes.
Les PoTAMiTES sont toutes étrangères à 1 Europe.
L'une d'elles (Gi/m)io;j (M yEi/y/'^îoeus, Geoffroyj vit
dans le Nil- les autres habitent les grands fleuves
d'Asie, d'Afrique et d'Amérique. Elles peuveiit
atteindre de grandes dimensions et peser jusqu à
35 kilogr. Elles sont presque toujours à 1 eau,
très voraces et très agiles, donnant la chasse aux
poissons, et même aux petits mammifères et aux
oiseaux qui viennent se désaltérer. La disposition
de leurs narines, s'ouvrant à l extrémité dune
sorte de trompe molle qui prolonge en avant leur
museau, leur permet de respirer sans sortir de
l'eau, et de se tenir de longues heures immobiles,
cachées au milieu des plantes aquatiques, eu épiant
leur proie. La nui; elles vont se reposer sur les
petites îles et les troncs d'arbres, s élanç.int i
l'eau il la moindre apparence de danger. Leur cuair
est estimée. On les prend à la ligne; et, comme
leur morsure est à. redouter (leur bec est robuste
et tranchant, et le coup part comme un trait), on
se hâte de couper la tête à celles que 1 on a prises.
Une Elûdite, la CUluito lalaria (Gesner), vit en
France, commune encore dans certaiiies régions,
les marais du Sud-Ouest par exemple Elle est
quelquefois importée en quantité considérable à
Paris des lagunes de Venise. Une autre espèce
(fmî/v caspica, Gmelin) est européenne habitant
presque tout le pourtour de la Méditerranée
TEspagne, la liarbarie, la Grèce, et s étendant en
Asie jSsqu'i la mer Caspienne. Toutes doux ap-
partiennent h la famille des Crypotoderes. Les
Elodites vivent de proie vivante.
Trois espèces de Chersite^, autochtones ou im-
portées, vivent dans plusieurs pays de 'Europe
méridionale; toutes trois appartiennent au genre
Trstudo. La Teslmlo nemoraiu (Aldrovande) se
rencontre en Grèce, en Dalmatie, etc. ; la J.
qrœca (Linné), en Grèce, en Italie, dans les îles
Baléares; la T. mauritanr:. (Dumenl et Bihro ,
en Espagne et dans le rai.U de la France. Cet <
dernière espèce se voit fréquemment dans nos
jardins, et sur nos marchés, importée chaque
i
REPTILES
1843 —
REPTILES
année par cargaisons d'Algérie où elle est très
abondante. Quelques es|)èces gigantesques de la
même tribu vivaient récemment dans les ilos
Mascareignes (Maurice et Rodriguez), où une
subsiste encore (petite île d'Aldabra) ; cinq autres
espèces vivent de nos jours dans l'archipel des
Gallapagos. Los Chersites sont phytophages.
II. — Les Crocodiliens, tous de grande taille, à
corps allongé, munis d'une longue queue et de
quatre membres, dont le faciès en un mol rap-
pelle celui des lézards auxquels ils ont été long-
temps réunis, se distinguent de tous les autres
Reptiles : par leurs dents, implantées dans des al-
véoles, et représentant des cônes creux, à l'iniéricur
desquels se développent les dents de remplace-
ment; par leur langue, si intimement fixée sur
toute son étendue au plancher buccal, que son
existence a pu être longtemps niée; par la pré-
sence d'un sternum abdominal, supportant des
côtes qui ne vont pas s'articuler à la colonne ver-
tébrale; parleurs narines s'ouvrant postérieure-
ment dans le pharynx et non dans la cavité
buccale. Leur cloaque est en fente longitudinale,
comme celui des Chéloniens; et, comme chez ces
derniers, deux canaux pérUonéaux, débouchant
dans le cloaque, mettent la cavité péritonéale en
communication avec l'extérieur. Leur derme est
plus ou moins complètement ossifié en plaques
épaisses, séparées les unes des autres. Leur cœur
comprend deux oreillettes et deux ventricules
complètement séparés l'un de l'autre par une
cloison imperforée à l'âge adulte ; mais le mélange
du sang veineux au sang artériel n'en a pas moins
lieu; il se fait, d'abord faiblement, à la sortie du
cœur, par le fjramen de Panizza, qui fait commu-
niquer l'aorte, entraînant le sang artériel du ven-
tricule gauche, avec la crosse aortique opposée,
qui puise du sang veineux dans le ventricule
droit, ces deux vaisseaux se trouvant accolés à
leur origine ; puis complètement, quand ces deux
vaisseaux sont venus se confondre en un seul,
dans l'abdomen, pour constituer l'aorte dorsale.
L'aorte ayant fourni, avant cette fusion, les vais-
seaux qui vont h la tête et aux membres anté-
rieurs, il résulte de cette disposition que les
parties antérieures reçoivent du sang plus oxy-
géné que la queue et les parties postérieures du
tronc.
Les Crocodiliens sont aquatiques, vivant les uns
dans les eaux douces, les autres dans la mer, et
ils ont les pieds palmés. Ils se nourrissent de
proie vivante, et sont redoutés pour leur force et
leur voracité.
Les espèces actuelles, au nombre de vingt et
quelques, habitent les zones chaudes de toutes
les parties du monde, l'Europe exceptée ; encore,
si l'on en croit certaines traditions, le Rhône en
aurait-il nourri dans les temps historiques. On les
divise en trois genres :
Le genre AHiynlor (les Caïmans), à museau
relativement court, et dont quatre dents (la pre-
mière et la quatrième de chaque côté) percent la
voûte palatine et se font jour au dehors. Le
caïman à museau de brochet (Alligator missisn-
piensis, Daudin) est commun dans le sud des
Etats-Unis. Une autre espèce (A. siueiisis, Fauvel),
la seule du genre qni ne soit pas américaine,
habite en Chine où elle a été récemment décou-
verte par M. Fauvel, qui avait trouvé sa trace
dans des manuscrits chinois.
Le genre Crorodtlus, chez qui la première dent
ou maxillaire inférieur perfore seule le palais, la
quatrième se logeant dans une simple éclian-
crure de la mâchoire supérieure, est le plus nom-
breux en espèces. L'une d'elles, le Cr. vulgnris
(tuvier), était jadis un objet do culte pour les
Egyptiens, et ses momies f-ont entassées par
milliers dans ceriaiiies nécropoles d'Egypte; on
no le trouve plus aujourd'hui dans le Nil au-des-
sous des premières cataractes. Une autre espèce, lo
Cr. bifurcalus (Cuvier), la plus grande et la plus
redoutable, habite l'océan Pacifique et l'océan In-
dien, des iles Viti aux îles Mascareignes, et des
côtes méridionales de l'Asie aux côtes septen-
trionales de l'Australie.
Enfin le genre Gavialis, à museau très allongé,
et sans aucune dent perforante, ne comprend que
deux espèces habitant, l'une Bornéo et Java,
l'autre le bassin du Gange.
Sous le nom d'Enaliosauriens, on range à côté
des Crocodiliens les Ichthyosaures et les Plésio-
saures des terrains jurassique et crétacé ; ces
deux ordres forment ensemble la sous-classe des
Hydrosauriens.
Les Ptèrosauriens ou Ptérodactyles, aussi de
l'époque jurassique, formeraient une autre sous-
classe à côté des Hydrosauriens. Ils sont remar-
quables par le développement extraordinaire des
phalanges de leur pot:*, doigt. Sacs doute une
large membrane s'étendait de chaque côté entre
leurs membres antérieur et postérieur. La pneu-
macité de leurs os et quelques auires particula-
rités de structure font supposer qu'ils avaient la
faculté de voler à la façon de nos chauves-souris;
mais on ne saurait voir, dans les Ptérodactyles,
les ancêtres directs de nos oiseaux, dont l'aile est
formée par l'allongement des os du bras, avec
atrophie des phalanges.
Les trois ordres suivants de Reptiles sont
réunis par beaucoup d'auteurs en une même soua-
classe, sous les noms de Saurophidiens ou Ophi-
dosauriens, Plagiotrèmos, etc. Ils ont en effet
plusieurs caractères communs, entre autres le
cloaque en fente transversale, la peau revêtue
d'écaillés ou d'écussons, etc. Tous les ans, au
sortir de l'hiver, et souvent dans le courant de
l'année, ils éprouvent le phénomène de la mue :
la couche superficielle caduque de lépiderme
sale et obscure se détache d'une seule pièce chez
les Ophidiens, les Amphisbéniens, et chez les Sau-
riens apodes, par lambeaux chez les autres, et
laisse apparaître de plus fraîches couleurs.
m. — Les Sauriens sont caractérisés par la
présence constante de la ceinture scapulaire et
du bassin, qui peuvent être très réduits, mais
jamais absents, même quand les membres font
défaut. Le sternum existe aussi dans tous les cas.
Les Sauriens se distinguent ainsi des Ophidiens,
qui n'ont jamais de ceinture scapulaire ni de
sternum, et des Amphisbéniens, qui n'ont jamais
de sternum. Les deux branches de leur maxil-
laire inférieur sont soudées ensemble, et leur
gueule est inextensible. Leur peau est protégée
soit par des écailles, comme celle des Ophidiens,
soit par des tubercules, ou elle est simplement
chagrinée; mais jamais elle ne prend l'apparence
de pièces rectangulaires juxtaposées et disposées
en anneau, comme chez les Amphisbéniens. Us
ont une queue et le plus souvent deux paires de
membres ; mais ceux-ci peuvent être réduits à
une seule paire, ou faire absolument défaut. Les
paupières et le méat auditif externe peuvent
manquer aussi.
La queue est quelquefois (Geckotiens, Lacer-
tiens, Scincoîdiens) d'une extrême fragilité, et dans
ce cas, le moignon restant reproduit la partie
liétachée. La disposition anatomique des parties
est telle que la rupture a toujours lieu au milieu
d'une vertèbre, suivant un plan cartilagineux qui
divise transversalement celle-ci en deux parties.
Le cartilage mis à nu bourgeonne et produit une.
longue tige cartilagineuse qui se calcifié d'abord
irrégulièrement, quand elle a atteint ses dimen-
sions normales, et ne reproduit que beaticou|i
plus tard sa constitution vertébrale primitive.
Parfois, au lieu d'un, il se produit deux bourgeon^
REPTILES
— 1844 —
REPTILES
sur le cartilage rais ;i nu ; d'autres fois l'accident
qui a amené la rupture do la queue a lésé aussi
un ou deux cartilages du tronçon restant qui se
mettent aussi k bourgeonner: c'est ainsi que se
produisent ces queues multifides dont les exem-
ples ne sont pas rares. Quoi qu'il en soit, cette
fragilité de la queue n'est pas sans utilité pour
les lézards, qui souvent sauvenl leur vie en
abandonnant aux dents et aux grifl'es do l'ennemi
un organe dont la perte est facilement réparable.
A l'exception de quelques Iguaniens, qui se nour-
rissent de matières végétales, les Sauriens vivent
tous de proie vivante, d'insectes ou de vertébrés,
suivant leur taille et leur force. 1
Sept tribus composent l'ordre des Sauriens.
Nous allons les passer rapidement en revue.
1" LesGECKOTiENS ou Asci!aboles sont les seuls
Sauriens de l'époque actuelle dont les vertèbres ;
soient biconcaves comme celles des Poissons. Ce
sont des animaux nocturnes, à pupille verticale,
sans paupières mobiles. Leur peau est granuleuse
ou tuberculeuse, à épiderme moins résistant que
la peau des autres Reptiles. Ils ont une langue
épaisse et charnue, comme les Iguaniens. Ils
font entendre un léger cri. la nuit, quand ils sont
en chasse, ou lorsqu'on les saisit.
La particularité la plus remarquable de cette tribu
consiste danslaconl'ormationdes doigts, qui permet
aux Geckotiens de grimper aux parois verticales,
et même de courir sur nos plafonds. La face pal-
maire de leurs doigts est dilatée, et d'ordinaire
transversalement striée. Vue au microscope, cha-
cune de ces lamelles transversales prend l'appa-
rence d'une brosse à poils nombreux et serrés. Ce
sont ces productions cuticulaires en forme de
poils qui, pénétrant dans les mille anfractuosités
microscopiques des surfaces lisses en apparence,
produisent l'adhérence que nous constatons. C'est
grâce à une disposition semblable que les mou-
ches peuvent se promener sur nos vitres ; mais
c'est par un procédé différent que la rainette
arrive au même résultat.
D'après la conformation de leurs doigts, les
Geckotiens sont divisés en sept familles: 1° Les
Platydactiles, qui ont les doigts élargis dans toute
leur longueur; la surface inférieure est divisée
transversalement en lamelles simples ou inter-
rompues au milieu. Une espèce européenne : le
Platydactylus f'acctunus (Aldrovande), de tout le
pourtour méditerranéen, y compris la France ; 2°
Les Hémidactyles, h doigts dilatés seulement vers
la base, les deux dernières phalanges libres. Une
espèce d'Europe et de France, ['Humidactyliis
verruculatus (Cuvier) ; 3° Les Ptyodactyles, chez
qui les extrémités seules des doigts sont élargies, et
striées en éventail ; 4° Les Phyllodactyles,à doigts
semblables h ceux des Ptyodactyles, mais lisses
en dessous. Une seule espèce européenne et fran-
çaise, des iles de la Méditerranée; ô" Les Spliœ-
riodactyles, dont tous les doigts, sans ongles, se
dilatent i 1 extrémité en un disque non écliancré ;
U" Les Gymnodactyles, à doigts simples, non dila-
tés, mais transversalement striés en dessous; ~t°
Entin les Sténodactyles, à doigts non dilatés, gra-
nuleux en dessous, dentelés sur les bords.
2" Les Cameléo.viens se distinguent par leur
langue exsertiie, renflée et creusée en coupe à
son exirémiié, supportée par un pédicule très
extensible ; ils la lancent k une distance consi-
dérable, égale à la longueur de leur corps, sur
leur proie qu'ils engluent et ramènent avec elle.
L'œil, protégé par une paupière unique, percée
il son centre d'une petite ouverture circulaire,
se dirige avec vivacité dans tous les sens, indé-
pendamment de la direction prise par son congé-
nère, et contribue à donner une physionomie sin-
gulière à ces animaux. Les doigta sont divisés en
deux groupes opposables de deux et de trois
doigts, et agissent comme les piuces d'une te-
naille. La peau est chagrinée. L'os carré est so-
lidement soudé au crâne, lequel est orné d'ordinaire
de crêtes très saillantes. Mais la particularité, si-
non la plus remarquable, du moins la plus connue,
que présentent les Caméléons, est leur faculté
de changer de couleur. De gros chromatophores
brun-noir et brun-rougeàtre , placés dans les
couches profondes du derme, peuvent pousser des
prolongements mobiles vers les couches supé-
rieures, qui contiennent des cellules bourrées, les
unes de granulations pigmentaires jaunes, et d'au-
tres de granulations i reflet bleuâtre. La cou-
che plus profonde du derme, dans laquelle sont
plongés les chromatophores bruns, est elle-même
remplie de granulations opaques à reflet blanc
qui lui ont valu le nom à'écran. On conçoit com-
bien peut varier la coloration de l'animal, suivant
que les chromatophores bruns se contractent et
se dissimulent sous l'écran, ou s'étalent plus ou
moins loin vers la surface de la peau, masqiiant
les granulations jaunes ou bleues, ou se mariant
à elles. Du reste ce changement de couleur n'est
pas sans limites, dépejidant de la constitution
anatomique de la peau, variable aux différents
points du corps et même d'un individu à l'autre ;
il n'est pas non plus spécial aux Caméléons, plu-
sieurs Sauriens, notamment les Anolis de la tribu
des Iguaniens, et quelques Batraciens, la rainette
par exemple, jouissant à des degrés divers de la
même faculté. Chez les uns comme chez les au-
tres, les causes déterminantes du phénomène
sont multiples, et par li même difticiles à démê-
ler : l'action directe de la lumière solaire, de la
chaleur, de l'état hygrométrique de l'atmosphère,
est incontestable; on ne peut mer davantage le
mimétisme, c'est-i-dire l'adaptation de la colo-
ration de l'animal à celle du milieu dans lequel
il se trouve plongé ; et dans ce cas, l'impression
qui détermine les réflexes et amène les mouve-
ments coordonnés des chromatophores parait
arriver exclusivement par l'œil; enfin 1 animal
lui-même, d'après des impressions morales, comme
la frayeur, se montre susceptible do reagir, in-
volontairement sans doute, sur les couleurs de
sa peau, et de les modifier.
Une seule espèce, répandue dans le nord de
l'Afrique et l'ouest de l'Asie, vit en Europe dans
l'extrême sud de la péninsule ibérique. C est le
Caméléon commun, Chcmxteo vulgann (Daudin).
, 3- Les Varaniens sont les plus grands des Sau-
riens ; langue profondément bifide, très longue,
rétractile dans un fourreau; peau revêtue de tu-
bercules enchâssés. Citons le Varan du désert,
Psnmmomwu^ areuarius, à queue arrondie, com-
mun dans le Sahara; et le Varan du ^ll, Varanus
ndoticus (Hasselquitz), à queue comprimée et
crêtée, vivant en troupes sur le Nil.
Il faut rapprocher de nos Varans le gigan-
tesque genre fossile ilusasauius, des terrains
"fo'^Les'lGtiArJiENS ont la langue épaisse et charnue
comme les Geckotiens, la peau écailleuse et tu-
berculeuse, souvent ornée <l^PP^"''"='^\f 'J,^!':
C'est le groupe le plus riclie en formes bizarres
i et vivement colorées. Quelques auteurs les réu-
nissent aux Geckotiens sous le nom de Crassi-
lingues. On les divise en deux sections d après
le mode d'implantation de leurs dents : les Pleu-
rodontes, dont les dents sont fixées le long de la
paroi interne du maxillaire, tous «■"«"'^^''f ' «'
les Acrodontes, dont les dents sont al'g"<=<=^ sur
la crête même des maxillai.-os, «"^ d,'' ' ^""«"
Monde. Citons, parmi les l*leurondotes le bel
Iguane [lijuana tubcrculata, Laurenti) de 1 A
mérique méridionale ; et, parmi 'c? Acrodontes,
les Dragons, dont les premières cotes, très al-
longées, supportent un repli de peau servant de
11
REPTILES
— 1845
REPTILES
paracliute h ces petits Sauriens arboricoles,
(|uanil ils s'olaiicent d'une brandie à l'autre.
(Mtons encore les genres l'rijuocephaliis jKaup),
Af/atrui (Dau(lin) , Slellio (Ùaudin), Uromasli.c
(Merrem), dont quelques espèces s'avancent
jusque dans l'orient de l'Europe.
5" Les LACEaTTENS, réunis quelquefois aux Vara-
niens sous le nom de Fissilingues, ont comme
ceux-ci la langue mince, longue, protractile et
fourchue, mais non rétractile dans un fourreau ;
comme eux aussi ils sont pleurodontes. Ils s'en
distinguent par leur peau écailleuse, de larges
plaques polygones recouvrant leurs tûtes, de pe-
tites écailles granuleuses, hexagonales ou rhom-
biques, leur dos, de plus larges scutelles, rhora-
biques et imbriquées, transversalement et longi-
tudinalement alignées, leur ventre; les écailles
do leur queue, grandes et souvent carénées, sont
disposées en verticilles. Le méat auditif existe
toujours.
On les divise en deux sections, d'après la struc-
ture de leurs dents : les Pléodontes, à dents pleines,
du Nouveau Monde : mentionnons seulement les
Sauvegardes (Sn^!)'(<o)'), de l'Amérique méridionale,
grand lézard que l'on chasse pour sa chair ; et
les Cœlodontes, à dents creuses, de l'Ancien
Monde. Ces derniers se subdivisent eux-mêmes en
deux groupes : les Leiodactyles, à doigts lisses,
et les Pristidactyles, à doigts carénés en dessous.
Le midi de la France nourrit trois espèces de ce
dernier groupe, l'Acanthodactyle commun {Acan-
thod/ictytus vulgaris) , et les deux espèces
du genre Psaramodrome, le Psnmmodromtis his-
panicus (Fitziiiger) et le Ps. c»!e/-e«v (Bonaparte),
toutes truis habitant aussi l'Espagne. Nos Leio-
dactyles sont au nombre de six: un du genre Tro-
pidosaure, le Tropi losawa algira (Linné), qui
vit dans le midi de la France, et aussi en Espa-
gne, en Barbarie, etc. ; et cinq du genre Lézard,
qui sont : le Lacerta muralis (Laurenti), le L.
ncellata (Daudin), le L. vifidis (Gesner), lei. agi-
lis (VVolf), et le L. viviparu (Jacquin).
(;o Les ScixcoîDiENS sont quelquefois confondus
avec les suivants sous le nom de Brévilingues. Ces
deux tribus ont pour caractère commun de pré-
senter des formes de plus en plus dégradées, à
membres imparfaits ou absents, qui établissent un
passage vers les Ophidiens. Toujours néanmoins,
même en l'absence do membres, les ceintures sca-
pulaire et pelvienne et le sternum subsistent, plus
ou moins développés. La langue, assez semblable
à celle des lézards, est plus courte et plus épaisse.
Les paupières font quelquefois défaut, comme cela
d'ailleurs s'observe déjà chez quelques Lacertiens
(genre Ophiops, Ménétriès). La membrane du tym-
pan n'est pas toujours apparente, Latête est, comme
celle des lézards, revêtue de grandes plaques
polygonales, mais le ventre ne présente plus,
au lieu de larges dentelles, que des écailles
semblables, par leur forme et leur dimension, à
celles du dos. Ces écailles sont ossifiées, ou du
moins cartilagineuses en leur centre. Elles sont
disposées tout autour du corps on quinconce chez
les Scincoidiens, en verticilles chez les Chalci-
diens.
Les Scincoidiens se partagent en deux sections,
les Sauropluhalmes et les Ophiophthalmes, sui-
vant qu'ils sont munis de paupières comme la plu-
part des Sauriens, ou en sont dépourvus comme
tous les Ophidiens. Une seule espèce du dernier
groupe, /14;ep/iac(/.ç ;)a)înoïi(Cz«(Fitzinger), à mem-
bres relativement bien développés, est européenne,
des régions orientales. Parmi les Saurophtlialmes,
nous ne citerons que les deux espèces françaises:
le SepscA«/cirfes (Laurenti), à corps allongé, à mem-
bres rudimentaires pourvus de trois doigts seule-
ment; oaY Aiiguia fragilis (Linné) l'Orvet, dépourvu
de toute trace de membres ii l'exlérieur, et con- I
fondu par le vulgaire avec les serpents dont il a
jusqu'il un certain point l'apparence.
7" Enhn les Chalcidiens ou Ptychophnires.
Nous avons indiqué plus haut la plupart de leurs
caractères. Ajoutons qu'un sillon, revêtu d'une
peau plus molle divisée en écailles beaucou]) plus
petites que les autres, s'étend chez eux de l'oreille
à l'anus, marquant la limite du dos et de l'abdo-
men. L'ossification très avancée et la rigidité con-
sécutive du derme paraît avoir exigé une telle
particularité de structure, que nous retrouverons,
avec 1ns mêmes causes, chez les Amphisbéniens.
\ine seule espèce européenne, le Pseudopus npiis
(Pallas), des régions orientales jusqu'en Dalma-
tie.
IV. — Les Amphisbéniens, ou Doublos-Mar-
cheurs, ou Annelés, réunis parfois aux Opliidiens,
plus souvent aux Sauriens, nous paraissent de-
voir former un ordre k part. Ils se distinguent h
la fois des Sauriens et des Ophidiens par la dis-
position de leur tégument, que des sillons trans-
versaux et longitudinaux divisent en comparti-
ments à la façon d'une mosaïque. La tête et la
gorge seule présentent quelques grands écussons.
L'absence constante du sternum les éloigne des
Sauriens, leur langue dépourvue de fourreau des
Ophidiens. Ils ont toujours des rudiments de bas-
sin, mais manquent le plus souvent de ceinture
scapulaire et de membres antérieurs, toujours de
membres postérieurs. Leur bouche n'est nulle-
ment dilatable, et les os de la face sont plus inti-
mement soudés même que chez les Sauriens. Ja-
mais d'os columellaire, ni de cloison interorbitaire ;
jamais de méat auditif externe. Les yeux sontca-
chés sous la peau. Ils sont, comme les Sauriens,
divisibles en plourodoutos et acrodontes.
Ces animaux sont de petite taille; ils vivent à
la façon des lombrics, dont ils ont grossièrement
l'apparence. Une seule espèce est européenne, le
Blimus cinereus (Vandelli), d'Espagne et de Maroc.
Citons encore le Trogonopkis IV7ejwian«i(Kaup),
de Barbarie et d'Egypte.
V. — Les Ophidiens, vulgairement les Ser-
pents, sont caractérisés par leur forme allongée,
cylindrique, apode. Ils n'ont jamais de ceinture
scapulaire ni de sternum; mais les Typhlops ont
des rudiments de bassin, et d'autres Ophidiens,
désignés parfois sous le nom de Poropodes, pré-
sentent, de chaque côté de l'anus, un ergot, et
quelques os que l'on considère comme des vesti-
ges du membre postérieur. Les différents os des
mâchoires, les intermaxillaires et maxillaires in-
férieurs et supérieurs, ainsi que les tympaniques,
suspendus au crâne et reliés entre eux à l'aide de
ligaments élastiques, forment un anneau suscep-
tible de se distendre énormément. Les Ophidiens
peuvent ainsi avaler une proie très volumineuse
par rapport au diamètre de leur corps. Celle-ci,
généralement saisie par la tête, de façon à cou-
clier sur le corps les plumes ou les poils, s'engage
peu à, peu dans le tube digestif, à l'aide d'un
mouvement alternatif des mâchoires supérieure et
inférieure qui agissent comme des cardes, en-
traînée en avant quand une mâchoire recule, re-
tenue par l'autre quand elle avance. Pendant la
déglutition, l'ouverture trachéale est ramenée en
avant, au-delà de l'extrémité des mâchoires, de
façon à permettre le libre accès de l'air dans la
poumon. Les Typhlops, qui établissent le passage
des Ophidiens vers les Sauriens, comme les Scin-
coidiens et les Chalcidiens l'établissent des Sau-
riens vers les Ophidiens, ont la bouche beaucoup
moins dilatable. Les Ophidiens sont dépourvus de
paupières : la peau passe, transparente en ce
point, sur le globe de l'œil, mobile en dessous.
Leur langue est profondément bifide, mince et
longue, réli-actile dans un fourreau. Ils n'ont ni
cavité du tympan, ni vessie urinaire. Le poumon
REPTILES
— 1846
REPTILES
droit est seul d'ordinaire bien développé, le gau- 1
elle deraenrant nidimentaire.
C'est surtout à l'aide de mouvements latéraux
du tronc et de la queue, la lête se maintenant
élevée et horizontale, que ces animaux progres-
sent, s'aidant des inégalités du terrain, des her-
bes, et de tous les obstacles qu'ils peuvent ren-
contrer. Aussi avancent-ils difficilement sur un
sol uni ; mais, dans un champ rocailleux ou la-
bouré, ils fuient avec une rapidité extrême. Ils
nagent comme ils rampent. Ils peuvent à volonté
se maintenir à la surface de l'eau en gonflant leur
énorme poumon, ou plonger et ramper entre les
pierres du fond, où on les prendrait pour des an-
guilles. Us sont, quoi qu'on en ait dit, incapables
de sauter; mais ils peuvent dresser une partie
plus ou moins grande de leur corps, et la main-
tenir verticale, en s'appuyant sur la queue et le
reste du tronc. Les Naja, ces terribles serpents
ve nimeux qu'exhibent les bateleurs de l'Inde, de
l'Fgypte et même de l'Algérie, jouissent à un
haut degré de cette faculté.
Les Ophidiens peuvent être divisés en trois
sous-ordres : les Scolécophides, les Azémiophioes,
et les Thanatophides.
Les ScoLÉcoPHiDES, ou Typhlopiens, nommés
aussi Opntérodontes, parce qu'ils n'ont de dents
qu'à l'une ou l'autre des mâchoires inférieure et
supérieure, sont de petite taille, vermiforme, à
queue nulle ou très courte et souvent moins effi-
lée que la tête. Les os de la face ne sont pas
mobiles, et la bouche est inextensible. L'écail-
lure de leur corps, reproduction exacte de celle
des Scincoidiens parmi les Sauriens, suffirait à
les faire distinguer des autres Ophidiens. Leurs
yenx sont très petits, et cachés sous la peau peu
modifiée à leur niveau. Ils mènent une vie sou-
terraine à la façon des lombrics, comme les
Amphisbéniens.
Ce sous-ordre forme une seule tribu, que l'on
divise en deux familles : celle des Catodontes,
qui n'ont de dents qu'à la mâchoire inférieure, et
celle des Epanadontes, qui n'ont de dents qu'à
la mâchoire supérieure. Une seule espèce euro-
péenne de cette dernière famille, le Typhlops ver-
m'cularis (Linné), de Grèce.
Le sous-ordre des Azèmiophides, ou Colubrifor-
mes, comprend tous les vrais serpents non veni-
meux. Les maxillaires supérieur et inférieur, et
presque toujours' aussi les palatins, sont armés
de dents aiguës, recourbées en arrière ; lisses,
sauf la dernière du maxillaire supérieur, dont le
bord antérieur ou convexe peut être parcouru
par un sillon (les espèces présentant cette parti-
cularité sont quelquefois retirées des autres
groupes et considérées comme formant une tribu
que l'on désigne sous le nom d'Opisthoglyphes).
Le dos est revêtu d'écaillés imbriquées, l'abdo-
men de larges scutelles transversales, la tête de
plaques polygonales le plus souvent au nombre
de neuf : les Acrocliordides seuls présentent des
tubercules au lieu d'écaillés. La queue est bien
développée, sauf chez les Uropeltides. Sauf dans
les deux premières familles, la bouche est exten-
sible, et le squammosal distinct de la paroi du
crâne.
Ce sous-ordre comprend quatorze familles que
nous allons énumérer rapidement :
1. Uropeltides. Queue tronquée, offrant un bou-
clier terminal. — 2. Tortricides, Rouleaux. Tête
- à peine distincte, queue courte et conique. Des
ergots près de l'anus comme chez les suivants. —
:i. Boasides. Subdivisés en trois sous-familles : les
Erycines, de taille médiocre, à bouche étroite, à
tête peu distincte : Eryxjaculus (Linné), d'Egypte,
d'Asie-Mineure, et de l'Europe orientale ; les
Booeiiies, et les Pythonines, remarquables par leur
grande taille, leur queue préhensile, les premiers
sans dents sur les intermaxillaires, d'Amérique;
les derniers ."i infermaxillaires dentés, de l'An-
cien Monde. Genres Boa, Pyihon, etc. — 4. Ca-
lamarides. — S.Coronellides. Deux espèces françai-
ses, toutes deux du genre Coronelle, la Coronella
nnstnaca (Laurenti) et la C ^/run'/icn (Dnudin).
— 6. Colubrides ou couleuvres proprement dites.
Trois espèces françaises : VElaphis .Ksculapii
(Aldrovande), le Zamenis viridiflavus (Latreille)
et la Rhinerhis scalrais (Seba). — 7. Tropidonoti-
des. Deux espèces françaises du genre Tropidonote,
le Tropi'/onotus tiairix (Linné), et le T. viperinus
(Latreille). — 8. Dryophilides. — 9. Psammophi-
des. Une espèce française, le Calopeltis tacertina
(Wagler), à crochets postérieurs cannelés, quoique
parfaitement inoffensive, comme toutes les espèces
de la tribu. — 10. Scytalides. — 11. Lycodontides.
— 12. Dipsadides.— 13, Rachiodontides Un genre
unique et une seule espèce, le Rnchiodon scaher
(Linné), d'Afrique, remarquable par ses dents ver-
tébrales. Les dents maxillaires sont très faibles et
peu nombreuses, mais des apophyses vertébrales-
encroûtées d'émail font saillie dans l'œsophage. Ce
reptile se nourrit surtout d'œufs d'oiseaux, pa-
raît-il : les œufs sont cassés par les dents verté-
brales et aucune goutte de liquide ne se trouve
perdiie. — 14. Acrochordides. Aquatiques, des
grandes îles de la Sonde.
Les Thanatophides ou Serpents venimeuï, ca-
ractérisés par la présence de dents creuses oa
cannelées implantées sur la partie antérieure
du maxillaire supérieur, qui est très réduit en
longueur et ne porte pas d'ordinaire d'autres cro-
chets que les venimeux. Ceux-ci, taillés en biseau
à leur pointe, sont en communication par leur
base avec le conduit de la glande à venin. Quand
la bouche est fermée, le crochet venimeux est
couché horizontalement, la pointe dirigée en
arrière, et presque entièrement enveloppé dans
un repli de la muqueuse buccale ; mais, quand
le serpent ouvre sa gueule, le maxillaire est dis-
posé de telle sorte qu'il doit nécessairement bas-
culer ; il entraîne avec lui le crochet qui devient
normal au plan du palais ; l'animal, la tète haute,
présente alors sa pointe menaçante en avant. Il
frappe, et se retire, attendant les effets de sa
morsure. Pendant le choc, le maxillaire a pressé
sur la glande à venin, déjà comprimée par la
compression des muscles temporaux qui la re-
couvrent, et une goutte du liquide toxique s'est
écoulée dans la blessure et s'est mêlée au sang
de la victime qui ne tarde pas à en éprouver les
terribles effets.
L'intensité des phénomènes consécutifs à la
morsure d'un serpent venimeux dépend évidem-
ment de la quantité de venin inoculé, et aussi de la
masse de la victime. S il s'agit de l'homme, l'en-
fant résiste moins que l'adulte, la femme moins
que l'homme, l'homme faible moins que l'homme
robuste et vigoureux. Il faut évidemment tenir
compte aussi de la qualité elle-même du venin
qui doit varier avec l'espèce d'ophidien, et môme
avec l'état physiologique de l'individu, soumis à
l'influence de la nourriture, du climat, de la
saison, etc. Mais ces actions sont d'une analyse
bien difficile, à cause de leur complexité.
Quoi qu'il en soit, ces accidents sont toujours
graves. Ils produisent des altérations profondes
dans la partie blessée et dans l'organisme entier
(différant en cela du venin ries arachnides qui
n'amène pas d'altérations organiques et paraît agir
exclusivement sur le système nerveux), et laissent
des traces parfois très durables; ils peuvent d'ail-
leurs, même chez des sujets vigoureux, amener
une mort rapide, parfois immédiate. La preiuière
précaution à prendre, qu:ind on a été piqué par
une vipère, ou tout autre serpent venimeux, c'est
de débrider immédiatement la plaie, et d'en
REPTILES
— IH'H —
RÉPUBLIQUE
extraire autant que possible le venin par une
succion vigourouse, qui ne présente aucun dan-
ger pour l'opérateur, alors mOme que sa muqueuse
buccale ne serait pas absolument intacte. Par les
cordiaux et l'exercice forcé, on réagit contre la
torpeur qui envaliit le blessé, et on accélère l'éli-
mination (lu virus. Il n'est pas inutile aussi de
placer une ligature, s'il est possible, au-dessus du
point mordu, ligature que l'on déplace de temps
en temps, en s'éloignant de plus en plus de la
périphérie : ainsi le venin est absorbé plus lente-
ment ; son élimination est par là môme retardée,
mais son action sur l'organisme e.st moins intense
que s'il entrait tout à la fois dans la circulation.
Enfin on recommande la cautérisation de la plaie,
pour détruire tout le venin qui n'aurait pas encore
été absorbé.
On divise très naturellement le sous-ordre des
Thanatnpidos en deux tribus, et chacune d'elles
à son tour en deux familles.
La tribu des Protéroglyphes est caractérisée
par son aspect colubriforme, sa taille. élancée, sa
tète recouverte de plaques, ses dents venimeuses
en gouttière souvent suivies de dents pleines non
venimeuses. Les deux familles qui la composent
sont celle des Elapides, appelés aussi Gonocerques à
cause de leur queue arrondie et semblable à celle
des couleuvres; et celle desHydrophides,ou Platy-
cerques, les Serpents de mer, à corps et à queue
fortement comprimés et en rame. Ces derniers,
qui habitent les mers et plus rarement les lacs
des pays chauds, sont peu nombreux en espèces.
Parmi les premiers nous citerons le Serpent corail,
Elaps Corallitnis (Linné), de l'Amérique centrale
et méridionale, annelé de noir profond et de
rouge cramoisi ; et le Serpent à lunettes, Naja
tripudians (Linné), des Indes orientales où il fe-
rait, d'après des statistiques anglaises, 10 000 vic-
times humaines par année. Ses premières côtes,
très longues, s'écartent quand il est irrité, di-
latent la peau très extensible du cou. qui devient
infiniment plus large que sa tête, et donnent à
l'animal une allure bizarre qui lui a valu le nom
de serpent à coiffe, cobra capello des Portugais,
et qu'exploitent les charmeurs de l'Inde. Une es-
pèce voisine, la Naja linje (Linné), se voit égale-
ment entre les mains des jongleurs d'Egypte et
d'Algérie : c'est V Aspic de Cléopâtre.
La tribu des Solénoglyphes a généralement des
formes plus ramassées, la tête plus élargie, la
queue plus courte. Les mâchoires supérieures,
très courtes, ne portent jamais que les dents ve-
nimeuses. Rarement la tête montre les neuf
grandes plaques polygonales habituelles aux Cou-
leuvres et aux l'rotéroglyphes, mais elle est plus
ou moins entièrement couverte de petites écailles
semblables à celles du dos. La pupille est verti-
cale.
Beaucoup d'espèces mettent au monde des pe-
tits vivants, |rropriété qu'elles partagent avec
beaucoup de Sauriens, peu importante d'ail-
leurs bien qu'elle ait valu leur nom à nos
vipères (de vivipari) : dans ce cas, l'œuf éclot
dans l'oviducte maternel, d'ordinaire au moment
de la ponte, et ses enveloppes sont évacuées en
même temps que les jeunes. Ces animaux sont
àiis ovovivipares, \tQ\iT les distinguer des vrais uiuz-
pares qui se développent dans le corps de la mère
et se nourrissent directement de sa substance.
Les deux familles des Vipérides et des Crotali-
des se distinguent l'une de l'autre par l'absence
ou la présence de fossettes glandulaires aux lè-
vres, entre les narines et les yeux.
_ Cinq espèces de la première famille habitent
l'Europe, toutes appartiennent au genre Vipera.
Ce sont la V. irrus (Linné), do toute l'Europe
septentrionale et moyenne et d'Asie, de l'Angle-
terre au Kamtchatka, française aussi ; le V. Seoa-
nei (Lataste), des montagnes de la Galice en Es-
pagne; la V. atpis (Linné), d« France et de quel-
ques pays limitrophes ; la V. Latastei (Bosca),
d'Espagne et d'Algérie; la V. (immodyles 'Linné),
de l'Europe sud-est.
Parmi les Crotalides, une espèce, le Trigonoce-
phahts habjs (Pallas), de Sibérie, a été indiquée
en Europe. Citons encore les Bolhiops des An-
tilles, désignés à tort dans ces colonies sous le
nom de Trigonocéphales, et le terrible genre Cro-
lalus, les Serpents à sonnette, nombreux en es-
pèces, des deux Amériques. La queue porte à son
extrémité l'appareil particulier qui leur a valu
leur nom, la sonnette, formée par des anneaux
cornés cngainés les uns dans les autres. A cha-
que mue un nouvel anneau, de formation exclusi-
vement épidermique, se détache du corps de l'ani-
mal, mais reste accroclié h l'extrétnité de la queue
élargie. La sonnette s'allonge ainsi, mais ne peut
servir néanmoins à déterminer lo nombre de
mues et l'âge du reptile ; car les derniers an-
neaux s'usent, se brisent et se fendent souvent.
[Fernand Lataste.]
RÉPUBLIQUE. — Histoire générale, XXXIX-XL.
— Etym. : du latin [iespublicaoti res publica, chose
publique. — Ce mot, que nous avons emprunté aui
Romains, ne désignait pas cliez eux une forme
particulière de gouvernement; c'était l'équivalent
de notre terme français d'Etat, exprimant la
société civile constituée en corps de nation. Aussi,
même après l'établissement du gouvernement im-
périal, continua-t-on à appeler l'Etat romain du
nom de république. Chez les Grecs, on ne ren-
contre pas de terme qui corresponde exactement
à la reipuhlicn des Romains ; l'Etat y est appelé
/lolis, « la cité » (c'est de là que nous avons tiré
le mot de politique) ; le gouvernement de la cité
est une démocratie, si le pouvoir appartient au
peuple tout entier ; une oligarchie ou une aristo-
cratie, si le pouvoir n'appartient qu'à quelques-
uns, i une classe privilégiée do citoyens; une
tyrannie, si le pouvoir est aux mains d'un seul
(le mot grec tyrannos, tyran, ne se prend pas
nécessairement en mauvaise part, et signifie sim-
plement souverain, maître). On a pris l'haljitiide,
néanmoins, d'appeler républiques celles des cités
grecques dont le gouvernement était soit démo-
cratique, soit aristocratique, par opposition aux
monarchies des peuples voisins. Pris dans son
acception usuelle, le mot république signifie donc
un Etat qui n'est pas gouverné par un roi, par
un monarque : c'est ainsi qu'on a pu dire, mal-
gré les dilTérences notables qui existaient en-
tre les institutions politiques de ces cités ou de
ces peuples, la république de Carthage, la répu-
blique de Venise, de Florence, de Gênes, les ré-
publiques suisses, la république des Sept Pro-
vinces unies, etc. La • République de Pologne »
fait seule une exception : elle avait un roi ; mais
ce roi, ajoutons-le, otaitélectifvV.Po/o,9fte, p. 1644).
Les républiques de nos jours sont toutes des
Etats démocratiques; mais chez quelques-unes, la
démocratie est directe, c'est-à-dire que le peuple
assemblé délibère lui-même sur les lois (par
exemple dans deux ou trois petits cantons suisses) ;
chez les autres, la démocratie est représentative.
D'autre part, il y a des républiques unitaires,
comme la France, et des républiques fédératives,
comme la Suisse et les Etats-Unis.
Les Etats qui sont actuellement constitués selon
la forme républicaine sont les suivants:
En Europe: La France, la Confédération suisse,
la république d'Andorre et celle de Saint- Marin.
En Amérique : Les Etats-Unis do l'Amérique du
IVord; la Confédération mexicaine; la république
de Haiti et la République dominicaine, qui se par-
tagent l'Ile de Saint-Domingue; les cinq Républi-
ques de l'Amérique centrale : Guatemala, Hondu-
REPUBLIQUE
■1848 —
REPUBLIQUE
ras, San-Salvador, Nicaragua, et Costa-Rica ; et 1 l'ont fort rapprocliée du but ; elle a, dès i prosent,
les républiques espagnoles de l'Amérique du Sud : atteint une sorte de demi-suffrage universel qui
la Nouvelle-Grenade, le Venezuela, l'Equateur, le
Pérou, la Bolivie, le Chili, le Paraguay, l'Uruguay,
et la république Argentine.
En AFniorE, la république nègre de Libéria, sur
bientôt sera universel tout à fait, sans avoir coûté
à ce pays ni révolution, ni démembrement.
Cependant, la première heure du suffrage uni-
versel eut quelque chose de radieux comme une
la côte de Guinée ; et les républiques hollandaises ' aurore. Huit millions d'hommes votèrent le 2o avril
du Transvaal et d'Orange, près du cap de Bonne
Espérance.
UÊPUBLIQUE FRANÇAISE (Première). —
V. Hcvnliition française et Directoire.
ItÉl'UBLlQUEFUANÇAlSE iDeu.xième). — His-
toire de France, XXXVl. — Durant le cours de
l'année 1847, l'opposition libérale avait organisé
une série de banquets politiques, dans lesquels
des orateurs tels que Lamartine et Ledru-RoUin
réclamèrent la réforme électornle, c'est-à-dire une
révision de la loi électorale qui abaissât le chiffre
du cens et augmentât le nombre des électeurs.
Le ministère Guizot refusa toute concession, et,
pour en finir avec l'agitation produite par cette
question, il crut devoir interdire le banquet an-
noncé dans le XII" arrondissement de Paris pour
le '2.' février 1.S48. Cet acte imprudent, joint au
mécontentement que causaient la politique exté-
rieure du gouvernement de Louis-Philippe et les
scandales qu'avait dévoilés la session parlemen-
taire de 184", provoqua une insurrection du peu-
ple parisien. Devant les insurgés victorieux le
24 février, le roi prit la fuite, l'armée évacua Paris.
Quelques hommes acclamés par la foule se réu-
nirent à l'hôtel de ville et se constituèrent chels
de l'Etat avec le titre de Gouvernement provisoire.
C'étaient M.^L Dupont de l'Eure, Arago, Lamar-
tine, Ledru-I'oUin, Marie, Garnier-Pagès, Cré-
mieux, Louis Blanc, Marrast, Flocon et Albert.
Cette autorité décréta que la République serait
la forme du gouvernement de la France, et la
France accepta sans résistance les faits accomplis.
Quelques jours après, un décret du gouverne-
ment provisoire établissait le suffrage universel.
C'est uniquement par cette grande innovation, re-
nouvelée de 1789 et de 1793, que la révolution de
1S48 est considérable dans l'hisloire. Les autres
événements qui semblent la composer sont peu '
de chose en comparaison.
On peut juger aujourd'hui favorablement du
suffrage universel, fondement de toutes nos insti-
tutions, et convenir cependant que ceux qui
l'établirent brusquement firent un acte d'une im-
prudence sans égale. La manière simple et étroite
dont ils raisonnaient la politique explique leur ex-
traordinaire témérité. « Tout homme, disaient-ils,
paie à l'Etat l'impôl de l'argent et celui du sang :
il a donc le di-oit indéniable de décider des affaires
publiques. » La possibilité que cet homme, par un
vote mal éclairé, se rendît l'usage de son droit
nuisible à lui-même, ne se présenta pas à leur
esprit ou fut écartée. Ce qu'ils voulaient, d'ailleurs,
était juste : ils en conclurent que les suites en
seraient nécessairement avantageuses. Idée très
fausse, par malheur!
n y avait certes quelque chose à faire. Toute
révolution constate un besoin public. En lSi8,
le besoin senti était d'élargir le système de suf-
frage. On aurait pu se proposer le suffrage uni-
versel comme but à atteindre, et faire sur le
champ une étape vers ce but : accorder le suf-
frage à tons pour l'élection des conseils munici-
paux, tripler ou quadrupler le nombre des élec-
teurs politiques, qui était à peine de 2.^nOilÛ.
L'exercice du vote, universel pour les affaires
communales, momentanément partiel pour le
reste, aurait fait l'éducation des masses. Cette
marche en avant, mesurée et sagement progres-
sive, a été le fait de l'Angleterre. Partie en IS30
vers les mêmes institutions démocratiques que
nous, l'Angleterre a f-jurni plusieurs relais qui
sauf sur un ou deux points) tranquillement, et
même avec une sorte d'allégresse. Les votes ex-
primèrent une acceptation confiante du nouvel
ordre de choses. Les élus du peuple, en majorité,
voulaient la République, une République modé-
rée. Tel fut l'esprit de l'Assemblée constituante.
En la nommant, les masses populaires avaient cédé
à un entraînement passager : elles allaient bientôt
manifester une tendance contraire, plus conforme
il leur état de culture et à leurs instincts naturels.
En fait de conceptions politiques, le paysan, l'ou-
vrier ne pouvaient avoir et n'avaient au fond que
cette idée simple : trouver un homme en qui on
pût se confier, et lui livrer la conduite de l'Etat.
Il faut un assez haut degré de culture pour com-
prendre ce système de pouvoirs limités et pondé-
rés qu'on appelle le régime parlementaire. En
second lieu, les masses n'avaient retenu de la ré-
volution et de l'empire que le souvenir d'un
homme éblouissant. Pour toute histoire, elles sa-
vaient un nom : Napoléon; et ce nom ne signi-
fiait pour elles rien de moins que génie extraordi-
naire, capacité presque surhumaine. Un homme
existait qui portait ce nom prestigieux. C'était
Louis-Napoléon Bonaparte, fils de Louis Bonaparte,
frère de Napoléon 1".
Le prince (il portait ce titre) avait une con-
fiance fanatique dans l'ascendant de son nom.
Sous Louis-Philippe, à Strasbourg, à Boulogne, il
avait deux fois tenté les troupes, essayé de se
faire porter au trône par un pronunciamiento do
soldat^. Esprit fort chimérique, Louis- Napoléon
s'était trompé d'heure comme de moyen; il avait
échoué misérablement et était resté ridicule aux
yeux de la classe intelligente. Mais, après la ré-
volution de IS48, le suffrage universel établi, la
classe intelligente se trouvait comme noyée dans
les masses populaires. Celles-ci ou ignoraient les
aventures de Strasbourg et de Boulogne, ou n'en
sentaient ni l'absurde, ni l'odieux. L'heure du pré-
tendant cette fois était venue. Quoiqu'il fût absent
de France, et qu'il ne se présentât pas expressé-
ment, dès le mois de juin 1848 Louis-Napoléon fut
élu dans quatre départements, parmi lesquels la
Seine. Il avait suffi que le peuple apprît, par les
vieux soldats survivants de l'Empire, ses institu-
teurs en histoire, l'existence du descendant de
Napoléon.
Cependant d'autres causes concouraient avec
les instincts populaires pour la future élévation
du prince. Le nom de République lui-même
effrayait déj'i un grand nombre de personnes. Les
clubistes de Paris, certains journaux républicains,
les écrivains socialistes, prirent comme à tâche
de porter cet effroi à son comble. Ils semblaient
persuadés qu'une société d'hommes est une pâte
inerte, insensible, qu'on façonne comme on veut.
Conséquemnient, on voyait se produire tous les
matins quelque rêve nouveau et absurde touchant
la forme k donner à la propriété, îi la famille ott
h l'Etat, et cela dans un pays d'esprit timoré où
tout le monde est disposé Ji croire que la parole
va immédiatement produire l'acte. Au reste, il y
eut des actes dangereux pour la société; mais ils
partirent d'une autre espèce de théoriciens. Le
parti républicain renfermait une sorte d'hom-
mes très redoutables pour qui la République
et la démocratie, dont ils se prétendaient les
chevaliers à outrance, n'étaient absolument res-
pectables qu'à la condition do se laisser gouver-
ner autocraliqucmcnt par eux. Intraitables pour
REPUBLIQUE
— 1849
RÉPUBLIQUE
tout gouvornemeiil autre que leur propre dicta-
ture, conspirateurs incorrigibles, sans foi ni loi
politiquement parlant, ces hommes tentèrent plu-
sieurs fois d'enlever le gouvernement provisoire
ou (le l'assi'rvir. Ils essayèrent au 15 mai d'enle-
ver tout à la fois la Commission executive, par
la(|uelle l'Assemblée venait de remplacer le gou-
vernement provisoire, et l'Assemblée elle-même.
Colle-ci, envaliie avec succès, fut un instant dis-
soute, et les insurgés occupèrent l'hôtel de ville.
La garde nationale vint peu après les y arrêter.
C'était un coup manqué, mais il en.resta une im-
pression do déliance quant à la durée des insti-
tutions républicaines.
La révolution avait naturellement arrêté le tra-
vail ; tous les métiers cliùraaient dans Paris.
L'ouvrier, désœuvré, misérable, fréquentait les
clubs, parcourait la ville en corps de métier, assié-
geait le gouvernement provisoire de ses députa-
lions. Excusable d'ailleurs par son ignorance et
par ses soufl'rances, il prétendait hautement que
le gouvernement lui procurât du travail et du
pain. C'était la suite de cette croyance assez
commune dans toutes les classes de la société
française que le gouvernement peut tout, de lui-
même, pour le bien-être de ses administrés, sans
avoir besoin de leur concours éclairé. Il y a des
gens qui ont trouvé sublime un mot de l'ouvrier
de cette époque : « Nous avons trois mois de mi-
sère au service de la République. « Ce qui si-
gnifiait : Vous avez trois mois pour trouver le
système par lequel vous assurerez désormais
à tout ouvrier un travail constant et bien ré-
munéré, quelle que soit d'ailleurs la conduite do
cet ouvrier. Le gouvernement provisoire eut la
faiblesse, explicable d'ailleurs par l'état do dé-
pendance où le tenaient les foules qui l'assié-
geaient, de promettre qu'il résoudrait ce pro-
blème, aussi insoluble que la quadrature du
cercle. Il s'engagea par décret à garantir l'exis-
tence de l'ouvrier, ou, suivant le langage du
temps, il reconnut le « droit au travail ». En atten-
dant d'avoir trouvé Vorganisaiion du travail, pour
débarrasser la rue, pour employer et secourir ces
foules oisives, il ouvrit des ateliers nationaux.
Tout ouvrier sans ouvrage fut admis et embri-
gadé dans une sorte d'armée dont la solde fut
fixée d'abord à 2 francs, puis à 1 fr. bO par jour-
née de travail, ù 1 fr. 50 et à 1 franc par jour
sans travail. Au bout de trois mois, l'effectir de
cette armée se montait à 117 000 hommes appar-
tenant à 150 métiers différents. Il arrivait des ou-
vriers de tous les coins de la France. Comment
occuper valablement cette énorme main-d'œuvre,
si diversifiée ? Comment l'Etat aurait-il pu employer
effectivement les horlogers, les bijoutiers ou les
peintres enrôlés dans ses ateliers 'i' Il ne put
offrir que quelques travaux d'espèce fort simple,
terrassements, arrachages d'arbres, etc. Encore,
les ouvriers nationaux s'en acquittèrent-ils fort
mal. La plupart du trnips, toute besogne manquait.
Les ouvriers recevaient alors l'aumône de la paie
de chômage, leur conscience s'y habituait, ils
perdaient le sens de l'honnêteté. Et avec cela, la
concurrence des ateliers nationaux empêchait les
ateliers privés de se rouvrir. Imaginés comme
remède à la grève universelle, ils la perpétuaient.
Enfin, ils obéraient le trésor public en un temps
de pénurie. A la fin de juin, l'Assemblée dé-
cida de les licencier. Elle s'y prit mal, les ouvriers
se révoltèrent. Des socialistes, des républicains
dictatoriaux, des conspirateurs h la solde des
princes, des malfaiteurs, se joignirent h eux. En
quelques heun-s, une insurrection formidable
éleva partout ses barricades. Paris se divisa en
detix années qui se choquèrent avec fureur. D'un
coté la classe ouvrière, de l'autre la troupe, la
garde mobile, la bourgeoisie enrôlée dans la garde |
nationale. Quatre jours dune bataille acharnée,
parfois impitoyable, des morts par millji'rs ; au-
tour de Paris, la France troublée jusque dans
ses couches profondes, toutes les gardes natio-
nales, debout, dans l'attente la plus anxieuse, par-
tant pour Paris ou prêtes h partir, telles furent les
fameuses journées de juin (du 23 au 2(1). Elles
furent suivies de transportations t|ui enlevèrent à
leurs femmes et à leurs enfants quantité de maris
et de pères : en résumé, une somme énorme de
maux pour des idées vaines ou pour des appétits.
Ces événements mirent en lumière un homme,
le général Cavaignac, quo la Commission execu-
tive avait appelé au ministère de la guerre. Lors-
que éclata l'insurrection, l'Assemblée fit de lui le
chef du pouvoir exécutif au lieu et place do la
Commission executive, discréditée. Cavaignac avait
une probité rare, de la fermeté, de la prudence:
s'il fût devenu président de la P>épublique, il est
probable que cette forme de gouvernement aurait
duré. Nos destinées étaient changées et avec elles
le cours des événements en Europe. Cavaignac fiit
devenu président de la République si, en faisant
la constitution, l'Assemblée s'était réservé l'élec-
tion présidentielle. Mais, repoussant l'amende-
ment Grévy, qui voulait que le président fût l'élu
révocable de l'Assemblée, elle décida Ci octobre)
qu'il serait nommé par le suffrage universel. Ce
vote imprudent fut l'œuvre des monarchistes et
des conservateurs; les plus avisés d'entre eux pré-
virent bien qu'ils élevaient Louis-Napoléon, mais
ils préférèrent l'homme problématique à l'homme
sûr, déjà éprouvé, en haine aveugle des républi-
cains dont Cavaignac s'entourait nécessairement.
Les partis, collections d'individus, ont de ces im-
probités, parce qu'ils sont irresponsables. Le peu-
ple, appelé il élire le président, donna h Louis-Na-
poléon 5 millions 1/2 de suffrages et h Cavaignac
1 million 1/2 (10 décembre). Le sort de la Répu-
blique était fixé.
Louis-Napoléon, avec ses idées et si l'on veut
ses rêves, son nom, les traditions de sa famille,
ses ambitions de jeunesse, et, ajoutons, ses be-
soins et ceux de sa camarilla, ne pouvait pas con-
sentir à quitter le pouvoir à l'expiration de sa
présidence : il devait viser à l'empire. Il avait bien
des chances de réussir. Toutes les forces, im-
menses chez nous, du pouvoir e.xécutif, étaient
dans sa main. L'armée devait lui obéir par disci-
pline et par inclination. L'empire n'était-il pas
voué par sa tradition à faire la guerre et à favori-
ser l'élément militaire'? Louis-Napoléon avait,
nous l'avons déjà dit, les sympathies aveugles des
masses rurales. La fraction considérable de la
bourgeoisie quo les théories des socialistes et Ja
conduite parfois impolitique du parti républicain
avaient tout à fait apeurée, faisait dos vœux pour lui:
elle souhaitait, pour se rassurer, un maître absolu.
Contre lui il avait la majorité des grandes et des
moyennes villes, et. ce qui était de plus grave con-
sé(|uonce, l'hostilité de Paris.
En mai 1840, l'Assemblée constituante avait cédé
la place h l'Assemblée législative. Celle-ci fut
composée en grande majorité d'hommes dévoués
à Louis-Philippe ou i Henri V et hostiles à la Ré-
publique ou au moins aux républicains; pensant
trouver eu Louis-Napoléon un instrument docile,
cette majorité lui accorda d'abord son appui dans
les mesures qu'il prenait contre la démocratie.
Elle donna son approbation à l'expédition romaine.
Le pape ayant été chassé de Rome par une révo-
lution à la fin de 'année 1848, Louis-Napoléon
s'était décidé i envoyer contre la république ro-
maine une armée chargée de restaurer la .souve-
raineté de l'ie IX (avril 1849). En vain les répu-
blicains français, dirigés par Ledrii-RoUin, essayè-
rent-ils de pi-otester contre cette mesure impoli-
tique (manifestation du Conservatoire dos arts et
REPUBLIQUE
— 1850 —
RÉPUBLIQUE
métiers, 13 juin 18491 ; les auteurs de la manifes-
tation furent proscrits, et le 3 juillet Rome capi-
tulait devant les canoiis du général Oudinot.
Préoccupés avant tout de soustraire la société
française au péril cliimérique dont les républi-
cains leur semblaient la menacer, et ne voyant pas
que le véritable danger était celui de la dictature,
les monarchistes de l'Assemblée firent des lois
contre les clubs, contre la presse. Sous l'inspira-
tion de M. Tliiers, devenu le chef du grand parti
conservateur, ils combinèrent une loi sur l'inst'uc-
tion primaire (15 mars 1850), moins pour instruire
lesenfants que pour leurinculquerlecatholicisme.
Incrédules d'ailleurs, ou indifférents pour cette
religion en elle-même, ils l'apprécièrent unique-
ment comme antidote au poison du socialisme.
Us mutilèrent le suffrage universel par la loi du
31 mai 1850, qui, en imposant comme condition
d'électoral trois années de séjour, réduisit de neuf
millions à six le nombre des électeurs.
Bientôt, certains faits démontrèrent à tous que
le prince président tendait à l'empire. La majorité
réactionnaire de l'Assemblée se divisa alors en deux
parties presque égales. L'une se composa de ceux
qui voulaient détruire la République au profit des
d'Orléans ou de Henri V, mais non de Bonaparte;
l'autre, de ceux qui voulaient l'empire ou le ju-
geaient la seule porte praticable pour sortir de la
République. La minorité républicaine redoutait
également et les amis du président, qui se mon-
traient disposés à appuyer un coup d'Etat, et les
monarchistes, qui ne défendaient la légalité que
pour la faire servir à leurs desseins de restaura-
tion orléaniste ou légitimiste.
La lutte engagée par Louis-Mapoléon contre
l'Assemblée, devenue dans sa majorité hostile à la
politique du président, remplit de ses péripéties
la seconde moitié de 185'i et toute l'année 1851.
Nous en omettons les détails. Dès juillet 1850,
l'Assemblée institua une Commission de perma-
nence pour surveiller les menées du pouvoir exé-
cutif. Les voyages du président en province n'en
furent pas moins l'occasion de nombreuses mani-
festations bonapartistes. Kn janvier 1851, lors
de la révocation du général Changarnier, privé
de son commandement parce qu'il avait in-
terdit à la troupe de pousser le cri de Vive l'em-
pereur, M. Thiers put dire : « L'empire est fait. »
Cependant Louis-N'apoléon n'était pas encore
décidé à recourir aux moyens violents, et il voulut
essayer d'abord de la voie légale pour se perpé-
tuer au pouvoir. La constitution stipulait que le
président, à l'expiration de son mandat, ne pourrait
pas être réélu ; Louis-Napoléon proposa à l'As-
semblée la révision de la constitution. L'Assem-
blée rejeta celte proposition (juillet 1851). Le pré-
sident, décidé alors, à tenter un coup d'Etat,
voulut se i-endre favorable l'opinion populaire : il
demanda :\ l'-^ssemblée, à l'ouverture de sa nou-
velle session (novembre 1851), l'abî-ogation de la
loi du 31 mai. L'Assemblée refusa encore ; et comme
chacun sentait que le moment critique appro-
chait, une propo-ition significative, connue sous
le nom de prnposition des que-tews, fut déposée :
elle donnait au président de l'Assemblée le moyen
de requérir directemeut la force armée. Cette pro-
position fut rejetée, les républicains ayant refusé
de lui donner leurs voix parce qu'ils craignaient de
faire ainsi le jeu des partis monarchiques. Le 'J dé-
cembre, le conflit était dénoué par un coup de force.
Dans la nuit du 1" au 2 décembre, Louis-Napo-
léon fit arrêter les principaux représentants; une
proclamation annonça à la France que l'Assemblée
était dissoute, que le suffrage universel était réta-
bli, et que le président demandait au pays de lui
donner le pouvoir pour dix ans, avec le droit de
faire une con^^tiiution. Paris essaya de la résis-
tance (3 et 4 décembre), ainsi que quelques dé-
partements, entre autres la Nièvre et le Var ; mais
l'armée, tout acquise au bonapartisme, fit triom-
pher le coup d'l''.tat. Le 20 décembre, le peuple
français, convoqué dans ses comices, approuvait
par sept millions de oui l'acte illégal du président
de la République, et ouvrait ainsi la porte au
rétablissement de l'empire (V. Napoléon III).
En résumé le suffrage universel, en son pre-
mier essor, alla droit à l'empire. On aurait pu le
prévoir : les masses ne concevaient en fait de
gouvernement que le pouvoir absolu d'un homme.
Slais en politique, on méconn.iît généralement
cette vérité simple que l'arbre doit donner son
fruit naturel. De même l'empire, avec ses sou-
venirs, ses traditions, était nécessité à reproduire
plus ou moins les aventures militaires du grand
Napoléon. Le caractère de Napoléon lll, par mal-
heur, n'était pas tel qu'il aurait fallu pour contra-
rier ce courant- C'était un esprit à projets vastes,
mal définis, chimérique dans l'appréciation des
moyens; un cerveau d'aventurier en un mot.
Parmi les hommes politiques qui aidèrent à son
élévation, beaucoup le connurent pour tel, mais,
soit intérêt, soit faiblesse de raison, ils se plurent
à espérer que les conséquences prévues pour-
raient être évitées. Ils s'étaient trompés. La
France, sous Napoléon 111, se livra de nouveau au
jeu de la guerre. Comme tous les joueurs, elle
rencontra, après des jours de gain, sa veine de
perte et de malheur.
Et c'est ainsi que, pour avoir établi sans oppor-
tunité, sans progression, non pas la République,
mais le suffrage universel, la France a été enga-
gée dans une voie aboutissant on droite ligne à
un démembrement. Mais une institution comme
le suffrage universel a des effets multiples dans
tous les sens, et il a, par exemple, probablement
plus fait pour l'éducation dos masses que toutes
les écoles de France.
I L'histoire de la Révolution de 1848 ne conclut
donc pas contre le suffrage universel en soi, mais,
' en montrant à quel point une innovation politi-
que a des effets complexes, vastes, prolongés et
parfois terribles, elle conclut contre la précipi-
tation ; elle recommande aux politiques la plus
scrupuleuse prudence. [Paul Lacombc]
I RÉI'UBLiyUE FUANÇ.VISE (Troisième).— His-
toire de France, XXXVI. — Dans les articles que
nous avons consacrés à l'histoire contemporaine de
la France — V. entre autres Napoléon III,Moder-
' nés (Temps) et Pans, — nous avons, par une ré-
' serve facile à comprendre, arrêté le récit des
faits à la date du 4 septembre 1870. Mais si le
moment n'est pas encore venu d'écrire l'histoire
des premières années de la troisième République,
il peut être utile de rapprler au moins, à titre
d'aide-mémoire, quelques faits et quelques dates.
Au i septembre 1870, à la nouvelle do la capi-
tulation de Sedan, le peuple de Paris avait pro-
clamé la République : un gouvernement provisoire,
prenant le titre de gouvernement de la Défense
nationale, s'était installé i l'Hôtel-de-Ville sous la
présidence du général Trochu. Ce gouvernement
remit ses pouvoirs le 13 février 1871 à l'Assemblés
nationale élue le 8 février et réunie à Bordeaux.
L'Assemblée nomma M. Thiers chef du pouvoir
' exécutif (17 février). Le 24 mai 1873, i. la suite
d'un vote hostile de la majorité de l'Assemblée,
M. Thiers dut donner sa démission, et fut rom-
' placé par le maréchal Mac-Mahon. Après de longs
débats qui montrèrent l'impossibilité de rétablir
' une monarchie, l'Assemblée vota, le 25février 1S75,
à une voix de majorité, la loi constitutionnelle_
sur l'organisation des pouvoirs publics, loi qui
confère le pouvoir législatif à un Sénat et à une
Chambre des députés, et le pouvoir exécutif à un
président de la républiiiue qui choisit ses minis-
tres. Le pouvoir exécutif resta entre les mains du
RÉSINES
— 4851 —
RESINES
maréchal Mac-Malion; le Sénat fut élu le ^0 jan-
vier 187G, la Cliaiiibre des députés le 20 février
1876. Le IC mai IS77, le maréclial Mac-Mahon
renvoj'a brusquement le ministère républicain
que la Cliauibre lui avait imposé, et, d'accord avec
le Sénat, prononça la dissolution de la Cliambrc.
Mais les élections du U octobre 1877 confirmèrent
le mandat des 36:! députés de la majorité républi-
caine. Le maréclial Mac-Mahon donna sa démis-
sion quinze mois plus tard, et les deux Chambres
réunies en congrès ')i(l janvier 1879) l'ont rem-
placé en appelant M. Jules Grévy aux fonctions
de président de la République.
nÉSIMîS. — Cliimie, XXIV. — Les huiles sic-
catives et les essences s'épaississent et se solidi-
fient à l'air en absorbant de l'oxygène; il en résulte
une matière résineuse tout à fait semblable aux
résines naturelles. Il est fort probable que celles-
ci sont aussi le résultat de l'oxydation des huiles
essentielles avec lesquelles elles sont mélangées
dans les tissus végétaux. Elles sortent de ceux-ci
naturellement ou par des incisions faites exprès.
Ces sucs résineux, mélange d'huiles essentielles et
de résines, se solidifient complètement à l'air.
On appelle résines sèches celles qui, contenant
fort peu d'huiles essentielles, sont solides ; téré-
benthines, celles qui coulent facilement; rjommes-
résinei, des mélanges naturels de gommes et de
résines (V. Gommes), et baumes des substances
résineuses riches en acide benzoïque.
Les résines naturelles ne sont point des sub-
stances homogènes, mais des mélanges en pro-
portions variables de divers principes résineux
auxquels on a donné les noms de : résine alpha,
résine bêla, nsine gamma. Quand on en a
extrait les huiles essentielles par la distillation,
les résines sont solides, cassantes, sèches, fusi-
bles à la clialour rouge-sombre, d'une couleur
jaunâtre, quelquefois brunâtre, insolubles dans
l'eau, tandis que les gommes sont solubles dans
l'alcool, l'éther, et le sulfure de carbone.
Les vernis à l'alcool ne sont autre chose que
des dissolutions alcooliques de résines.
Les résines sont riches en carbone et en hydro-
gène, pauvres en oxygène et complètement pri-
vées d'azote ; elles sont très inflammables et brii-
lent en donnant une flamme jaune fort éclairante,
et en produisant une abondante fumée noire. Il
est imprudent d'allumer du feu dans des forêts
de bois résineux.
Chauffées avec une dissolution de carbonate
alcalin (V. Alcnli), les résines forment de véri-
tables résinale<, qui moussent à l'eau et peuvent
être employés comme savons communs. Les
savons dits économiques sont des mélanges de
savons de suif et de savons à la résine; on les a
d'abord employés en Amérique, on en fait main-
tenant usage en France.
La distillation des résines donne de l'acide suc-
cinique,qvàt\Ta son nom du swccf;), résine fossile
dont on l'a extrait d'abord. C'est là un caractère
chimique distinclif des résines. La plupart pro-
viennent des végétaux des familles des Légumi-
neuses, des Amyridacées, des Liliacées, mais
surtout de la famille dos Conifères.
Nous citerons parmi les résines sèches : Le copal,
la sandaraque, le masiir, la résine élémi, le sang-
dragon. Le copal est transparent ; on le rencontre
dans le commerce en morceaux d'un jaune-clair;
sa dissolution dans l'huile de lin donne le vernis
au copal. La résine élémi est presque blanche,
friable, et d'une odeur de térébenthine; on en
extrait l'essence d'élémi en ladislillantavecde l'eau.
Le sang-dragon est d'un brun-rouge, sans odeur.
Un grand nombre do substances médicamen-
teuses contiennent des résines; tels sont les bois
de gayac, do jalap, etc.
Parmi les gommes-résines, qui proviennent
principalement de l'évaporution i l'air de sucs
laiteux d'un grand nombre d'Onibellifères, on
disiingue l'as-sn /œtida, la gomme ammoniaque,
Vopoponax, l'encens ou oliban, la myrrhe, la
giimme-gutle, l'eiiphorhfi, etc. L'opoponax est en
lames agglomérées de couleur rougeâire, extérieu-
rement, et jaune-marbré intérieurement; il est
friable et possède une odeur aromatique qui le
fait employer en parfumerie. Comme l'encens, il
vient de l'Arabie. Ce dernier produit, appelé en-
core oliban, vient aussi de 1 Inde ; on rencontre
l'encens en lames jaunâtres, arrondies, qui au
contact de charbons incandescents répandent une
odeur aromatique fort agréable; on l'emploie à
cause dç cela dans les cérémonies religieuses ;
dans l'antiquité l'encens servait déjà h cet usage ;
sous ce rapport c'est une substance historique.
L'euphorbe n'est autre chose que le suc épaissi
de divers euphorbes qui croissent dans l'Afrique
centrale. La gomme-gutte vient de Ceylan et du
Malabar.
Parmi les baumes, nous ne citerons que le
baume de copahu, fort employé en médecine ; il
nous vient du Brésil ou de Cajenne; puis le haume
rie Tolu, qui fond facilement; il est d'une couleur
rouge, d'une saveur balsamique et d'une odeur
suave ; et enfin le benjoin, qui croît à Java et il
Sumatra. On le trouve dans le commerce en mas-
ses sèches, enveloppées d'une résine rougeâtre ;
il a une odeur qui rappelle celle de la vanille.
Les térébenthines ont la consistance du miel ;
elles proviennent des Conifères. Les principales
sont : la térébenthine de Bordeaux, qui provient du
pin maritime ; la térébenthine d'Alsace ou de Stras-
bourg; la térébenthine d'Amérique, la térében-
thine de Chypre.
Les térébenthines proviennent des pins et des
sapins; elles sont formées d'essence et de résines;
on les emploie beaucoup en médecine; la térében-
thine du sapin est très employée pour l'usage
interne; elle agit surtout par son huile essentielle.
Elle est limpide,un peuainèrc,et son odeur rappelle
celle du citron. La térébenthine de Bordeaux sa
'récolte dans les Landes principalement; exposée
j à l'air pendant longtemps, elle perd son essence et
' donne le ^aftpo^, résine sèche de térébenthine ; la
I colophane est le résidu solide de la distillation de
la térébenthine. — V. Conifères.
Le caoutchouc est une résine élastique prove-
nant d'un arbre vert qu'on cultive beaucoup
aujourd'hui en France comme plante d'agrément;
il s'écoule des incisions de l'arbre sous l'aspect
d'un suc blanc laiteux qui s'épaissit, noircit, et
devient élastique dès qu'on le triture à l'air. Les
usages du caoutchouc sont aujourd'hui extrême-
ment nombreux et connus de tout le monde.
La poix est un produit résineux. La poix blanche
ou poix de Bourgogne est un mélange de résine
molle et de cire jaune; on l'emploie en pharma-
cie. La poix noire s'obtient par la distillation des
copeaux qui proviennent des incisions faites aux
sapins pour en obtenir la térébenthine.
Le ca^toréum, le musc, sont des espèces de
résines aromatiques d'origine animale.
liésini's fossiles. — On appelle ambre on succm
une résine fossile qu'on rencontre principalement
sur les côtes de la Prusse occidentale. L'ambre a
une couleur jaune do nuance plus ou moins fon-
cée. Il y a même du succin noir, considéré
comme une espèce de jayet ou lignite. Le succm
brûle en répandant une odeur aromatique. Sa
densité, plus grande que celle de l'eau, ne dépasse
pas 1,7; il est insoluble dans l'alcool, et donne
parla distillation de l'acide succiniiiue. On le
rencontre en rognons ou grains à texture com-
pacte, quelquefois fouilletée et à cassure con-
choide ; il est parfois blanchâtre ou verdâtre ;
presque toujours transparent, il est quelquefois
RESPIRATION
1832 —
RESPIRATION
laiteux, translucide ou opaque. Sa propriété la plus
importante est de s'clectriser par le frottement ;
c'est même li le seul fait d'électricité qui fût
connu des anciens. Ils appelaient l'ambre éleclron :
de 1^ le nom d'électricité donné aux phénomènes
d'attraction qui se produisent lorsqu'on approche
des corps légers de l'ambre frotté. La plus grande
masse d'ambre connue a été trouvée près de
Kœnigsberg ; elle pesait 10 kilog. 1/2. On en a
rencontré aussi en France, à Auteuil-Paris, puis
dans le Gard et dans les lignites du département
de l'Aisne. On s'accorde à penser que l'ambre est
une résine fossile provenant d'un arbre de la fa-
mille des Conifères, assez rapproché de nos sa-
pins ordinaires.
On rencontre quelquefois dans les grains de
succin des insectes, des pétales de fleurs, em-
prisonnés et restés intacts au sein de la masse
qui les a enveloppés; mais il parait qu'on n'y a
carbonique s'échappe ainsi dans l'air, tandis
qu'une nouvelle provision d'oxygène vient prendre
sa place et se fixer sur les globu/ex sanguins. Cet
échange de gaz au travers des parois membraneu-
ses d'un organe respiratoire constitue le phéno-
mène physique de la respiration, qui est intime-
ment lié au phénomène chimique des combustions
organiques.
Respiration puhnnnaire. — Uiiiforme en prin-
cipe, la fonction respiratoire s'accomplit chez les
animaux par l'intermédiaire d'organes divers adap-
tés aux conditions de leur milieu et aux exigences
de leur vitalité.
Occupons-nous d'abord de la respiration aérienne
pulmonaire, effectuée au moyen d'organes fort
compliqués, propres aux espèces supérieures, que
l'on nomme poumons. Le poumon proprement dit
est propre aux animaux aériens de l'embranche-
ment des animaux vertébrés. Il se compose essen-
jamais observé la moindre trace d'animal à sang tiollement de deux parties : la trachée (irt''re,
chaud ni de poisson. ! conduit plus ou moins rigide qui se divise et se
L'ambre sert ."i fabriquer des pommes de canne, j ramifie en conduits plus étroits nommés bronches,
des tuyaux de pipe, des porte-cigarette, des cha- | et le parenchyme pulmonaire, constitué par les
pelets, etc. Autrefois on l'employait ù l'état de '■ ramifications les plus déliées des bronches, les
sirop, comme antispasmodique, sous le nom de ! vésicules pulmonaires, les veines et les artères qui
sirop fie karaté. I sillonnent leurs tissus.
Uambre gris est une résine qui se rencontre
dans les sables des rivages des mers tropicales;
elle est d'un gris noir quelquefois nuancé de
jaune ; la chaleur de la main la ramollit. Sa den-
sité ne dépasse pas 0,8. Elle sent le musc; on
l'emploie en parfumerie, quelquefois encore en
médecine comme antispasmodique. On la consi-
dère comme une concrétion formée dans les in-
testins d'une espèce de caclialot. D'après les chi-
mistes Pelletier et Caventon, ce serait un cal-
cul biliaire ; elle présente en effet une grande
analogie avec la cholestérine, produit normal et
constant du foie. [Alfred Jacquemart.]
RESPIRATION. — Zoologie, XXXV ; Botanique,
VIII. — Notiire de la fmdion respiratoire.—
Tout ce qui vit respire. La respiration consiste en
un échange de gaz au travers de membranes, en
vertu des lois de Vosmose '. Elle s'accomplit chez
les végétaux comme chez les animaux. Le méca-
nisme de la respiration est d'ailleurs très variable,
comme nous allons le voir.
La vie des plantes et des animaux ne se main-
tient que grâce h des combustions lentes qui ont
pour siège la substance même des tissus organi-
sés. Cette combustion produit des résidus gazeux,
dont les organismes ont besoin de se débarrasser
en même temps qu'ils doivent recevoir continuel-
lement de nouvelles doses du gaz comburant,
l'oxygène, qu'ils empruntent à l'atmosphère.
Respiratio.v dans le règne animal. — Les com- , ^.^ ^ _ j^^^^^^^.^.i^,^ et sa ramification
bustions intérieures qui s effectuent dans les tis- | f^ j^_ trachée-artère ; — B, bronche droite
sus des animaux, combustions dont le principal '
objet est l'entretien de la chaleur vitale, s'effec-
tuent aux dépens du carbone et donnent pour ré-
sidu de l'acide carbonique, comme la combustion
ichioles dans le parenchyme pulmonaire ; — C, bron-
che gauche ; — D, D, ses princip.iles divisions,
La trachée-artère des mammifères est formée
à l'air libre d'un fragment do charbon. A mesure ! de plusieurs couches superposées. La couche
qu'il se dégage, cet acide carbonique se dissout ' interne, en contact avec l'air, est garnie de déU-
dans le sérum du sang veineux qui le charrie vers
le côté droit du cœur. Si le cœur refoulait de
nouveau ce sang dans les artères, toutes les fonc-
tions seraient immédiatement troublées. Au lieu
d'un excès d'oxygène, il ne porterait aux tissus,
aux cellules, qu'un excès d'acide carbonique, im-
propre à entretenir les combustions vitales : le
résultat serait l'asphi/xie.
Il faut donc que le sang veineux puisse se dé-
barrasser au fur et à mesure de l'acide carboni-
que dont il est imprégné. La trame délicate des
organes respiratoires lui en donne un moyen fort
simple. Tout organe respiratoire est formé de
minces membranes au travers desquelles les gaz
peuvent passer selon les lois de l'csmose. L'acide
cates cellules d'épttliélium vibratile, qui lui donne
une apparence veloutée et renferme dans son
épaisseur de petites glandes sécrétant un
mucus destiné à lubrifier le tube et l\ le mainte-
nir constamment humide. La trachée et les bron-
ches sont rendues rigides et béantes par des an-
neaux incomplets de tissu cartilagineux.
Chez les mammifères, les poumons consistent
en des sacs placés dans la cavité du thorax. Il y
a deux poumons, l'un à droite, l'autre à gauche.
Chez l'homme le poumon droit a trois Ivbes ; le
gauche n'en a que deux, afin de laisser au cœur la
place nécessaire. Chez les cétacés, chaque pou-
mon est formé d'un seul lobe. _ ,
Les dernières ramifications des tubes aériens,
RESPIRATION
— 1853 —
RESPIRATION
colles qui, sous le nom de hi-onchioles, font partie
du parenchyme, se terminent par de petites vési-
cules aux parois très minces. Dans tout le paren-
chyme on trouve des veines, des artères, des vais-
seaux lymphatiques, des nerfs et diverses sortes
de tissus.
Chez les mammifères, la cavité thoracique est
séparée de la cavité abdominale par une cloison
libro-musculaire nommée le diaphragme. Celui-ci,
excité par des nerfs spéciaux, en même temps que
les muscles de la cage thoracique, exécute comme
eux des mouvements involontaires qui augmen-
tent et diminuent alternativement la capacité
de la poitrine et déterminent ainsi la vesylvaLion
eiVexpiridioH, c'est-à-dire l'entrée de l'air dans les
poumons et sa sortie.
La respiration des oiseaux est beaucoup plus
active que celle des mammifères. La nature les .1
doués d'organes respiratoires additionnels qui
contribuent i diminuer le poids du corps et con-
stituent des réservoirs d'air. Chez eux les pou-
mons sont en communication avec des sacs on
poumons pour l'échange de gaz qui constitue la
respiration. Chez quelques espèces, l'air pénètre
au.ssi sous la peau par des appendices pulmo-
naires.
A l'exception de l'aptéryx, les oiseaux n'ont
qu'un diaphragme incomplet ou rudimentaire.Les
bronches traversent les poumons sous forme de
tuyaux droits, sans ramifications, et les vésicules
pulmonaires communiquent entre elles. Toutes ces
dispositions favorisent singulièrement la libre et
prompte circulation de l'air dans toutes les parties
des organes respiratoires.
Chez les reptiles on constate deux .systèmes de
poumons. Ceux de la tortue et du crocodile con-
sistent en sacs membraneux partagés en compar-
timents de manière à augmenter la surface respi-
ratoire. Les poumons des sauriens sont comme
gaufres par la proéminence des vaisseaux sanguins.
Les serpents ont deux poumons très inégaux.
Le droit, fort long, qui se prolonge jusque dans
la cavité abdominale, n'est pourvu de vaisseaux que
dans sa partie antérieure, le reste ne sert que de
réservoir d'air comme les sacs des oiseaux. Quant
au poumon gauche, il est si petit qu'on a souvent
de la peine à le distinguer. La disposition du pou-
mon droit explique comment ces animaux peu-
vent rester longtemps privés d'air extérieur : celui
qu'ils ont accumulé dans le sac pulmonaire droit
fournit alors h la consommation très lente qui s'ac-
complit dans la partie antérieure de cet organe.
iig 2 — Apparul respiriloire d lipouk —a les côtes
coupé s — 4 ti achée-artert — c brjnchi.s —dm
reiiriijrae pulmon-iire — e sac aérien de la réftiOD tla
vicijlairc ; — f, sacs aériens de 1 épaule ; — ff et A, grands
iacs aériens de L'abdomen.
poches aériennes qui donnent accès à l'air jusqu'à,
l'intérieur des os. La suiface des sacs aériens
n'est d'ailleurs pis vasculaire, de sorte que ces
organes ne peuvent être considérés que comme
des réservons d'air et uon comme des annexes des
ri ■■ 3 — Poumon u'un leptile saurieu : lus bronches sont
Courtes et sans ram.Qcatiuns ; l'un dos poumons, repré-
senté ouvert, montre l'apparence gaufrée produite par
les yaisseaui sanguins.
Quoique l'on regarde généralement les pois-
sons comme dénués de poumons, on peut consi-
dérer comme un organe respiratoire, analogue aiix
poumons des serpents et de certains sauriens, la
vessie natatoire dont sont pourvues un grand nom-
bre d espèces. Notons toutefois que si la vessie
natatoire est dépourvue de réseau sanguin, comme
dans la carpe, elle constitue simplement un ap-
pareil hydrostatique destiné à favoriser les moii-
vements de l'animal en modifiant, au gré de celui-
ci, son poids spécifique.
Respirat'wn branchiale.— On appelle branchies
les organes de la respiration aquatique. Ce sont
des expansions la melleuses, en forme de peigne
ou de panache, de houppes, pourvues d'un réseau
circulatoire abondant, et disposées de manière à
flotter dans l'eau pour y accomplir les échanges
gazeux qui constituent la respiration. Les bran-
chies prennent h l'eau l'oxygène qui s'y trouve
dissous et y laissent échapper do l'acide carboni-
que.
RESPIRATION
— 1834 —
RESPIRATION
Les brauchies sont insérées dans la cavité plia-
rynsienne, et reçoivent par la bouche l'eau des-
tinée à la respiration. L'eau introduite dans la
bouche sort par les ouïes en soulevant Voperculi;
qui les forme et qui protège le tissu délicat des
branchies.
Fig. 4. — Tète de carpe montrant les branchies après l'en-
lèvement de l'opercule.
Quelques espèces de poissons peuvent vivre
assez longtemps dans l'air, parce que les opercules,
très petits, s'opposent à la dessiccation des brau-
cliies ou p:irce qu'ils sont munis d'un petit réser-
voir d'eau qui maintient celles-ci humides.
Beaucoup d'animaux invertébrés aquatiques,
comme les mollusques, vivent dans l'eau et res-
pirent par des branchies. Mais chez eux ces or-
ganes ne dépendent point de la cavité buccale ; ce
sont des appendices de la peau.
Les articulés de la classe des crustacés possè-
dent de véritables branchies, même quand ils vi-
vent à l'ail' comme les crabes terrestres. Ces bran-
chies forment des houppes ordinairement proté-
gées par la carapace. Quelquefois ce sonlde simples
appendices des pattes.
Fig. 5. — Partie auiêiieurL- du corps du Palénmn, — a,
rostre; — b, céphalothorax; — c, antennes ; — d, pre-
miers anneaux de l'abdomen ; — /, branchies rendues
visibles par l'enlèvement d'une partie de la carapace; —
S, partie postérieure de la ca-vité branchiale; — h, son
orifice antérieur ; — l, pieds-màchoires.
Respiration trachéale. — Chez les insectes, les
myriapodes et une partie des arachnides, la respi-
ration s'opère au EOyen de trai:hécs. Ce sont des
ttibes analogues à ceux ainsi nommés chez les
végétaux, et formés, comme eux, de deux mem-
branes séparées par un fil spiral qui donne à
l'ensemble la rigidité voulue. On pe'ut le^ compa-
rer à des bronches isolées. Klles s'ouvrent au
dehors par des orifices ordinairement situés sur
les paities latérales du corps, et qui sontmainte-
niis ouverts par un bourrelet résistant nommé
stigmate. Claque trachée se ramifie dans l'inté-
rieur du corps. Dans les espèces volantes, on
trouve sur leur parcours des renflements qui cous- '
tituent des sacs aériens analogues à ceux des oi-
seaux. Ces parties dilatées n'ont pas de fil spiral.
Fig. 6. — Stigmates et trachées des insectes : — A, stig-
mates du dytique, vus eu place après l'eDlèvcment des
ailes ; — B, un de ces stigmates grossi; — G, une tra-
chée avec son fil déroulahle.
Quelques insectes qui vivent dans l'eau respi-
rent néanmoins par des trachées. Les uns vien-
nent de temps en temps respirer à l'air, ou char-
ger d'air la surface de petits poils d'une couche
d^air qu'ils utilisent ensuite ; d'autres sont munis
d'appendices analogues aux branchies, qui absor-
bent l'oxygène dissous dans l'eau et le font par-
venir aux trachées.
Respiration cutanée. — Même chez les animaux
munis des poumons les plus compliqués et chez
lesquels la respiration semble exclusivement pul-
inonaire, la peau se charge d'une partie des
échanges gazeux nécessaires i l'entretien de la
vie. Cette respiration cutanée est indispensable, et
si l'on couvre la peau d'un enduit imperméable,
on cause l'asphyxie lente de l'animal bien que les
poumons fonctionnent avec toute leur énergie.
_ La respiration cutanée des batraciens est si ac-
tive qu'ellepeutsupplcer pendant assez longtemps
à la respiration pulmonaire. Une grenouille survit
plus d un jour à l'extirpation des poumons : après
cette opération, les échanges gazeux se font par le
réseau de la branche cutanée de l'artère pulmo-
naire.
Quelques crustacés inférieurs, comme les lernées,
sont privés d'organes spéciaux pour la respiration :
celle-ci est uniquement cutanée.
Un grand nombre do zoophytes, et surtout de
ceux nommés protozoaires, ont aussi une respira-
tion essentiellement cutanée.
Respiiiation dans le liÈGiNE VÉGÉTAL. — La vie des
plantes s'entretient par un échange de liquides et
de gaz avec leur milieu terrestre et leur milieu
aérien. L'échange de gaz (|ui s'effectue dans le
milieu aérien est une véiitable respiration, com-
parable à celle des animaux. Mais comme la
plante est immobile, elle a besoin d'une très faible
quantité de calorique pour maintenir sa vitalité,
pour produire les oxydations de tissus nécessaires
à l'entretien de toute vie. Dès que cette limite est
atteinte, elle fonctionne non plus comme un ap-
pareil à comliUStio?i, mais comme un appareil à
réduction : elle s'empare de l'acide carbonique de
l'air, le réduit, le décompose en oxygène et en
carbone, et au lieu d'employer en combustions
l'oxygène, le laisse s'échapper dans l'almo&phère,
tandis qu'elle retient le carbone pour en faire des
composés fort complexes qui passent par l'état de
sucre, d'amidon et enfin de cellulose ou ligneux,
matière constitutive du bois.
RESPONSABILITI']
— 1853
RESPONSABILITE
EnbolaïUquo, on divise les organes des plantes,
eu égard h leur couleur, en doux groupes : les or-
ganes verts, qui doivent leur couleur à la cUloro-
phi/lte ; les organes privés de chlorophylle ou dans
lesquels sa couleur se trouve masquée par une ou
plusieurs autres.
L'embryon en germination, ainsi que les plantes
ou parties di'plaiitessans chlorophylle, les fleurs,
les fruits mûrs, li-s bourgeons, les tiges ligneuses,
les racines, absorbent de l'oxygène et exhalent de
l'acide carbonique en tous temps, de jour et de
nuit, à la lumière et dans l'obscurité. De même
les parties vertes des plantes dans l'obscurité na-
turelle ou artificielle, ou exposées dans un lieu
très peu éclairé, à l'air libre ou dans un apparte-
ment, se conduisent comme si elles ne contenaient
pas de chlorophylle; ce sont des agents de com-
bustion, des producteurs d'acide carbonique.
Pendant le jour, sous un ciel couvert, les par-
lies vertes des plantes absorbent de l'acide carbo-
nique et exhalent de l'oxygène : elles agissent
comme réducteurs, et emmagasinent du carbone.
Daus les mûmes conditions, les parties colorées
qui contiennent une certaine quantité de chloro-
phylle se conduisent k la fois comme agents de
réduction et d'oxydation.
Sous l'influence de la lumière solaire, les orga-
nes verts exhalent une quantité d'oxygène plus
grande que celle fournie par l'acide carbonique
pris à l'atmosphère, ce qui fait supposer qu'une
portion provient de l'acide carbonique puisé dans
le sol par les racines.
La faculté respiratoire varie, pour cliaque plante,
avec son âge, la saison, l'exposition, la tempéra-
ture, et le nombre des slomates des feuilles. Les
stomates constituant pour le plus grand nombre des
plantes les organes respiratoires par excellence,
nous devons indiquer brièvement leur structure.
Fig. 7.
uni d'cptiiijriue âe feaiiic >u ùu micjoacopo, iuouti;iiit les stoiuates S, ri.
Si l'on examine au microscope l'épiderme d'une
feuille, on reconnaît que la surface lisse et presque
imperméable est entrecoupée de nombreuses ou-
vertures, sorte de petitesbouches, que l'on appelle
stomates. L'ouveriuie de chaque stomate donne
accès dans une lacune de parenchyme, nommée
chambre res/jiraloire. C'est dans cette cavité que
s'effectuent les échanges gazeux de la respiration.
Il reste beaucoup de points à élucider au sujet
de la respiration des plantes, mais les faits que
nous avons résumés suffisent pour donner une
idée exacte des principaux phénomènes qui
s'y rapportent. Chez les végétaux la respiration
s'effectue par tous les organes superficiels ; mais
pendant la période active de la végétation il fallait
des organes spéciaux d'une puissance exception-
nelle : ce sont les chambres respiratoires, pou-
mons rudimentaires et microscopiques qui criblent
le tissu des feuilles. [D' Saffray].
RESPONSABILITÉ. — Psychologie, XXVll. —
Le mot de responsabilité résume à lui seul toutes
les conditions de la vie morale et contient les
principes et les conséquences de la morale tout
entière. La responsabilité, en effet, peut être dé-
finie le caractère d'un être intelligent et libre,
qui. sachant ce qu'il fait et pouvant agir autre-
ment qu'il n'agit, doit répondre de ses actes.
La responsabilité suppose par conséquent plu-
sieurs conditions : 1" l'existence d'une loi obli-
gatoire que la conscience défend de violer; '2° la
connaissance de celle loi; i' enfin la liberté, c'est-
à-dire le pouvoir de se soumettre volontairement
ou de se dérober aux commandements de la loi.
Qu'il existe une loi naturelle qui ordonne de
faire le bien et d'éviter le mal, c'est ce que la
plupart des philosophas s'accordent h. reconnaître.
On a beaucoup discuté sur la nature du bien et
du mal, sur le principe de l'obligation, mais la
diversité de^ doctrines morales n'empêche pas les
philosophes de s'entendre presque unanimement
dans la croyance à une distinction réelle entre
les actions bonnes et les actions mauvaises et à
l'obligation de faire un choix entre elles. S'il en
était autrement, toute responsabilité disparaîtrait.
Si l'idée du bien, si l'idée du devoir n'étaient que
des chimères, nos actes seraient indifférents ;
ils ne pourraient être qualifiés moralement, nous
n'aurions par conséquent aucun compte à rendre
de notre conduite. Pour qu'on ait à répondre de
sa vie, il faut de toute nécessité qu'il y ait une
autorité, une loi devant laquelle nos volontés s'in-
clinent.
Mais il ne suffit pas que cette loi existe : ce
qui est nécessaire encore, c'est que cette loi soit
connue. Nous ne sommes pas responsables, quand
nous violons des ordres que nous ignorons, qui
ne nous ont pas été communiqués. Aussi tout
code de lois impératives ou prohibitives a-t-il
pour postulat une affirmation analogue à, celle
qui ouvre le recueil de nos lois : « Tout Français
est. ce7isé cun?iaitre la loi. « La responsabilité
suppose donc une éducation morale qui ait éclairé
la conscience et développé l'idée du bien et du
devoir. C'est une question intéressante do recher-
cher à quel âge l'enfant a assez de sens moral
pour s'élever à la conception d'une loi obliga-
toire. Sans vouloir forcer les choses, il est permis
d'avancer que de très bonne heure l'intelligence
enfantine entrevoit vaguement la distinction du
bien et du mal. Sans doute le bien n'est d'abord
que ce qui est ordonné, le mal ce qui est dé-
fendu par les parents; mais l'enfant no tarde pas
à comprendre que les ordres paternels et mater-
nels se doublent pour ainsi dire d'une autorité mo-
rale. L'enfant est capable de remords, quand il
a mal fait : on sent dans sa confusion et sa honte
autre chose que la crainte de la pnniiion ; et s'il
n'est jamais plus aimable qu'après une faute eom-
RESPONSABILITE
— 1836 —
RESPONSABILITE
mise, ce n'est pas seulement parce qu'il veut
rentrer en grâce et obtenir son pardon. Des ob-
servateurs ont cité des enfants qui ne se trou-
vaient pas assez punis, et qui témoignaient d'un
sentiment déjà vif de la justice. En général on
peut dire que l'enfant ne serait pas aussi disposé
qu'il l'est h se courber, malgré ses petites rebel-
lions passagères, devant l'autorité paternelle, s'il
ne soupçonnait pas déj:\, par une sorte d'instinct
secret, dans la volonté individuelle du père, la
loi universelle du devoir. Quoi qu'il en soit, quand
la raison est développée, quand la conscience est
adulte, riiomme n'hésite plus à reconnaître la
différence morale des actions, et il se sent res-
ponsable vis-à-vis d'une loi qu'il connaît, qn il
ne peut pas ne pas connaître, puisque cette loi
n'est pas antre chose que sa conscience même.
Cette responsabiliié n'existe pourtant qu'ît une
troisième condition : c'est que l'agent soit libre
d'agir comme il le fait. Admettez un instant
l'hypothèse d'un falum absolu pesant sur les ré-
solutions humaines et dominant les volontés :
toute responsabilité s'efface. Aussi le premier
mouvement des grands criminels est-il de s'é-
crier, pour excuser leurs fautes : « C'est la fata-
lité! » La responsabilité a précisément la même
étendue que la liberté. Nous sommes responsa-
bles dans la mesure où nous sommes libres. Un
homme n'est pas coupable pour avoir commis
une action mauvaise sous la pression d'une con-
trainte insurmontable. Le soldat soumis à l'o-
béissance passive n'est pas responsable do ce
qu'il fait sur l'ordre de son chef. On ne peut
légitimement imputer à un homme que la res-
ponsabilité des aciions qui dépendent de sa vo-
lonté libre. Il ne dépend pas de nous que nos
jambes soient longues ou courtes, mais il dépend
de nous de les remuer plus ou moins vite quand
nous marchons. Ce n'est pas notre faute si nous
sommes moins intelligents que d'autres, mais
c'est notre faute si nous sommes moins attentifs.
Si telles sont les conditions de la responsabi-
lité, il est aisé de comprendre pourquoi la res-
ponsabilité a des degrés, pourquoi elle peut va-
rier d'une personne aune autre, et chez le même
individu d'un instant à un autre. Elle a pour cau-
ses essentielles la conscience morale, ce que Kant
appelle la raison pratique, et la liberté : or rien
n'est plus inégal d'homme à homme ou chez le
même homme, suivant les circonstances, que la
liberté et la raison. Voilà pourquoi il est si diffi-
cile et si délicat pour le magistrat, quand il ap-
jirécie les actions criminelles, et en général pour
l'historien, quand il juge les hommes, de répar-
tli- équitablement les responsabilités.
Notre liberté n'est pas, tant s'en faut, illimitée,
l't nous avons dans nos actes un grand nombre
de collaborateurs occultes qui nous influencent
à notre insu. Dans quelle mesure, par exemple,
sommes-nous libres d'avoir telle ou telle opinion,
d'adhérer à telle ou telle croyance? N'est-il pas
vrai que les circonstances extérieures de notre
vie, le milieu où nous avons été placés par la
naissance, contribuent pour une bonne part à dé-
terminer nos opinions? L'effort libre de notre
réflexion peut-il toujours lutter avec avantage
contre ces mille influences qui nous enveloppent
et qui nous assiègent? Serons-nous par consé-
quent absolument responsables des actes que
nous aurons accomplis en conformité avec des
croyances qu'il n'a pas dépendu de nous de dé-
faire ou de modifier? Il suffit de réfléchir aux
iimites de notre liberté, pour apprendre à être
indulgents envers les hommes, et à adoucir la
sévérité des imputations dont nous chargeons
leur responsabilité.
D'autre part, la raison pratique ou la conscience
morale n'est pas moins imparfaite chez l'homme
que la liberté n'est limitée. Il y a des états de
lame où toute raison est abolie : l'ivresse, la
folie. Là l'iri-esponsabilité est évidente : aussi les
avocats, quand ils veulent essayer d'obtenir l'ac-
quittement d'un client compromis, ne manquent-
ils |.as de plaider la folie. Mais il y a aussi des
états intermédiaires entre la pleine raison d'un
sage et la déraison d'un fou : un sauvage ignorant
et borné ne saurait être responsable au même
degré que l'Européen instruit et civilisé. La res-
ponsabilité, qui n'est q.u'un effet, s'atténuera ou
s'aggravera à proportion que s'affaibliront ou
s'accroîtront les causes psychologiques qui la dé-
terminent.
Nous avons défini la responsabilité morale,
celle qui est commune à tous les hommes, à tous
les agents raisonnables et libres. Avons-nous be-
soin de dire que cette responsabilité générale se
complique de responsabilités particulières, selon la
profession, l'état qu'on exerce dans la vie réelle.
Chaque situation sociale attribue à l'homme un
pouvoir spécial et une certaine portée d'action.
En d'autres termes, chaque situation sociale fixe à
notre liberté une sphère d'activité déterminée et
modifie par suite notre responsabilité. Voilà pour-
quoi, comme l'ont déjà fait remarquer plusieurs
moralistes, nous sommes en partie responsables
des actions des autres, do ceux qui sont soumis
à notre autorité : le père de ses enfants, le maître
de ses serviteurs, le patron de ses ouvriers. Nous
sommes responsables encore de tout ce que nous
aurions pu empêcher; par exemple^ si nous
voyons un homme près de se tuer et si, par pa-
resse ou négligence, nous ne faisons aucun efl'ort
pour l'empèclier, nous ne sommes pas tout à fait
innocents de sa mort. Plus un homme a de puis-
sance, c'est-à-dire plus sa liberté d'action est
grande, plus sa responsabilité s'étend.
Quelles sont maintenant les conséquences de la
responsabilité? C'est (eut ce que les moralistes
appellent les sanctions de la morale, c'est-à-dire les
punitions et les récompenses qui attendent les
actions humaines. L'éloge ou le blâme, l'estime
ou le mépris public, les distinctions sociales et le
code pénal, voilà les manifestations extérieures
du fait moral de la responsabilité et de l'imputa-
bilité. L'idée de la vie future elle-même, de ses
joies et de ses peines, repose sur l'idée de la res-
ponsabilité individuelle.
Mais la responsabilité a d'autres sanctions en-
core. Ce sont d'abord les joies et les peines inté-
rieures de la conscience, la satisfaction du devoir
accompli, et inversement le repentir et le re-
mords. Ce sont en outre les biens ou les maux
naturels qui résultent de l'accomplissement du
devoir, la santé ou la maladie, les succès ou les
revers de la vie pratique.
En définitive, l'idée de responsabilité, si elle ne
prouve pas que la liberté existe, prouve au moins
que nous croyons à la liberté. Croire à sa respon-
sabilité, c'est protester contre toutes les formes du
fatalisme. Au fatalisme un peu triste, fondé sur
la faute originelle et qui a reparu si souvent dans
les écoles théologiques sous le nom de prédestina-
tion, a succédé de notre temps un fatalisme plus
optimiste qu'inspire l'idée de progrès nécessaire et
l'attente d'une sorte d'âge d'or à venir. Il ne faut
pas plus accepter l'un que l'autre. « L'histoire,
disait M. Cousin, si elle n'a pas de lois nécessaires,
est une fantasmagorie insignifiante. » C'est tout
le contraire qui est le vrai; l'histoire, pourrait-
on répondre, si elle est soumise à des lois néces-
saires, est un jeu cruel où nous usons nos forces
sans responsabilité et sans profit. Sans nous
exagérer la portée de nos actes, nous ne devons
pas oublier que notre façon d'agir aura ses consé-
quences soit dans notre propre vie, soit dans celle
des autres hommes.
RESTAURATION — 1857 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
Pour mieux mettre en lumière notre part de
liberté et de responsabilité dans les événements
de co monde, un philosophe contemporain,
M. Uenouvier, a écrit récemment un livre curieux
qu'il a intitulé Vchronie, ou l'utopie dans le
temps, dans l'histoire, avec ce sous-titre : Histoire
lie la ciuilisation europi'ome telle qu'elle n'a pas
été, telle qu'elle aurait pu être. Pascal disait : « Si
le nez de Cléopâtre eût été plus court, toute la face
de la terre aurait changé. « En effet, Cléopâtre sup-
posée moins belle, Antoine n'était plus amoureux,
Antoine ne se brouillait pas avec Octave. M. Re-
nouvier a repris sous une forme grave la boutade
paradoxale de Pascal. Seulement, au lieu de
prendre comme point de départ du changement
qu'il imagine dans les événements historiques un
fait physique, tel que la physionomie de Cléo-
pâtre, dû à un caprice de la nature ou à des lois
fatales, il suppose comme principe un fait moral,
un acte de liberté, tel qu'aurait été, dans
l'exemple de Pascal, la résolution prise et accom-
plie par Antoine de résister aux séductions de
Cléopâtre. 11 suppose que Marc-Aurèle. au lieu
de continuer l'empire, a rétabli la République et
par là régénéré Rome, et il montre comment ce
fait, s'il s'était produit, aurait profondéniftnt mo-
difié toute la suite des événements. L'Iiistoire au-
rait pris un autre cours : tout le moyen âge, avec
son régime théocratique et mojiarchique, aurait pu
être évité. Sans doute, on se tromperait gravement
si on attribuait à une volonté humaine le pouvoir
de transformer l'ordre du monde. 11 y a dans
l'histoire d'antres facteurs que la liberté humaine,
tout ce qu'on a vaguement appelé fortune, hasard,
destin; mais il n'en est pas moins vrai que la li-
berté peut venir à chaque instant rompre la trame
des faits nécessaires. La liberté est en effet le pou-
voir d'agir dans un sens ou dans un autre, de faire
autre chose que ce qu'on a fait : d'où la possibilité
de concevoir pour les faits historiques un autre
enchaînement, si seulement le premier anneau de
!a chaîne est suspendu à une volonté différente
de celle qui s'est manifestée en effet.
L'hypothèse que M. Renouvier a faite pour
l'histoire de l'humanité, chacun de nous peut la
renouveler en petit pour sa propre existence. Il y
aurait un grand intérêt pratique à nous arrêter
souvent, i propos de nous-mêmes, sur des réflexions
comme celles-ci : « Telle faute pouvait être évitée.
Telle qualité pouvait être acquise plus vite. Enfin
on pouvait faire autrement et mieux! » Ce serait
là un moyen assuré d'étendre le sentiment de
notre responsabilité et d'accroître par suite notre
liberté. On ne saurait trop faire d'efforts pour
maintenir, pour furtifier dans nos âmes la chose
la plus précieuse de ce monde, je veux dire le
sentiment pratique de notre libre arbitre, en nous
débarrassant de cette idée accablante de nécessité,
dont un philosophe anglais, Smart Mill, disait :
u L'idée de nécessité pesait sur mon existence
comme un mauvais génie. » [Gabriel Compayré.]
UESTAUHATlOiN. — Histoire générale, XXXIX-
XL; Histoire de France, XXXVIll-XL. — Deux
périodes dans l'hisioire sont désignées sous ce
nom de Restauration : en Angleterre, celle qui
suivit le rétablissement sur le trûne de la famille
des Sluarts avec Charles II (1060), après l'abdica-
tion de Richard Cromwell, et qui se termine à
l'expulsion de Jacques II (lli88); en France celle
qui commence au retour des Rourbons avec
Louis XVlll, après la première abdication de
Napoléon (ISI4), et qui se termine à l'expulsion
de Charles X (I8:i0). Il y aurait plus d'un rappro-
chement curieux à faire à propos de ces deux pé-
riodes de l'histoire de France et d'Angleterre:
toutes deux sont précédées d'une révolution qui
envoie U l'échafaud le monarque vaincu; vient
ensuite le règne d'un général ambitieux qui s'est
'l' Partie.
emparé du pouvoir suprême ; dans les deux pays,
la dynastie royale restaurée est représentée d'a-
bord par un souverain d'humeur épicurienne, au-
quel surcède son frère; celui-ci, esprit étroit et
fanatique, conseillé par les jésuites, commet faute
sur faute et perd à jamais la dynastie. La révolu-
tion qui le chasse appelle au trône un de ses pa-
rents, son gendre en Angleterre, son cousin en
France, et inaugure la monarchie constitution-
nelle. — Pour les détails, V. Charles II, Jacques
II, Guillaume III; Louis XVIII, Charles X,
Louis-Philippe.
UÉVOLUTIOIV FRANÇAISE. — Histoire de
France, XXlX-XXXll. — Cet article comprendra
deux parties : l° l'étude de l'état de choses antérieur
à 1789 et celle des lois qui lui ont substitué la so-
ciété nouvelle ; en d'autres termes : l'Ancien Ré-
gime et l'œuvre de la Révolution ; 2° l'histoire de
la Révolution, c'est-à-dire l'exposé des événements
au milieu desquels s'est opérée la régénération
de la France.
PREMIÈRE PARTIE
L'Ancien Régime et l'œuvre de la
Révolution.
A. — L'Ancien Régime.
L'ancien régime était caractérisé : 1» par le
pouvoir absolu de la royauté ; 2» par les privilèges
excessifs des deux premiers ordres de l'Etat ;
3» par des abus invétérés dans toutes les branches
de l'administration publique.
I.— Pouvoir absolu du roi. — Sous les derniers
rois de la dynastie de Bourbon, l'autorité royale
était devenue telle que le jurisconsulte anglais
Blackstone osait comparer comme « pays despoti-
ques » la France et la Turquie, et que les ennemis
de Louis XIV l'appelaient « le Grand Turc des
Français. » Lorsque Henri IV se considérait comme
étant « au-dessus des lois » ; lorsque Louis XIV
disait : " l'Etat, c'est moi ; » lorsque Louis XY
proclamait qu'il n'était « responsable qu'à Dieu » ;
lorsque Louis XVI répondait au duc d'Orléans :
« C'est légal, parce que je le veux, » ils ne faisaient
que résumer la doctrine même de la monarchie.
Cette doctrine, Louis XIV l'a formulée ainsi
dans ses Instructions à l'usage du Dauphin : « Le
roi représente la nation tout entière; toute puis-
sance réside dans les mains du roi;... les rois sont
seigneurs absolus et ont naturellement la disposi-
tion pleine et entière de tous les biens qui sont
possédés, aussi bien par les gens d'église que par
les séculiers;... quiconque est né sujet doit obéir
sans discernement. » Les docteurs de la Sorbonne,
consultés par le jésuite Tellier, confesseur de
Louis XIV, afarmaient » que tous les biens des
sujets étaient au roi et qu'en les prenant, U ne
prenait que ce qui lui appartenait. » — « Toutl ttat
est en lui, » écrivait à son tour Bossuet. Et ver-
gennes, ministre de Louis XVI, dira : « Le monar-
que parle : tout est peuple et tout obéit. »
La France, de par le droit divin, était sujette Ha
roi. Elle était, vis-à-vis de lui, dans la môme dépen-
dance que les serfs d'autrefois vis-à-vis de leur sei-
gneur; et on aurait pu répéter au xviii" siècle, en
l'appliquant à la France entière, cet adage du xiii :
.. Entre ton seigneur et toi, nul juge excepté
Dieu; » car le roi était le maître absolu de tous
les Français, le propriélaire-né de leurs biens, et
nul n'avait de recours contre sa volonté.
Quelques écrivains ont prétendu que la France
avait une constitution, parce que l'autorité du roi
semblait limitée par les prérogatives do certains
corps. M. Duvergiorde Hauranne leur repond que
la France n'avait d'autre constitution que celle-ci :
« l'omnipotence royale, contrariée quelquefois,
jamais entravée, u
HT
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1838 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
On a parlé du droit de remontrance des parle-
ments; mais le roi les réduisait au silence quand
il lui plaisait, et il lui suffisait de tenir un lit de
justice pour les obliger à enregistrer les lois et
édils qui avaient provoqué leurs remontrances.
( Je leur fis défense, dit Louis XIV, de rendre des
arrêts contraires à ceux de mon conseil, en quelque
circonstance que ce fût. »
On a parlé des Etats-Généraux; mais de 1614 h
1789, on n'a pas réuni une seule fois ces repré-
sentants de la nation. Le cardinal Dubois disait
que 11 l'appareil des députés du peuple, la per-
mission de parler devant le roi et de lui présenter
des cahiers de doléances, ont je ne sais quoi de
triste qu'un grand roi doit toujours éloigner de sa
présence. »
On a parlé des Etats provinciaux ; mais la royauté
les avait abolis partout, sauf en Languedoc, Bre-
tagne, Bourgogne, Province, Daupliiné, Artois et
quelques autres provinces plus petites. Ces pro-
vinces s'appelaient pays d'Etals ; mais quand les
députes de ces Etats montraient quelques velléi-
tés de résistance, les gouverneurs emprisonnaient
les meneurs et réduisaient le reste au silence. Les
trois quarts do la France, bien qu'on les appelât
pays d'élection, n'avaient aucune représentation
provinciale.
On a parlé des libertés municipales; or, non
seulement les offices de maires, prévôts, éche-
vins, conseillers, dans le nord, de consuls, capi-
touls, jurats, dans le sud, étaient à la nomination
du roi. mais on avait imaginé de rendre ces char-
ges vénales et de distribuer les offices munici-
paux à qui voulait les payer.
Les agents du roi, dans les provinces et dans les
villes, ne rencontraient donc pas plus de résis-
tance que le roi lui-même au centre du gouverne-
ment. En bas comme en haut, il n'y avait place
que pour l'autorité arbitraire et l'obéissance
muette.
Ainsi, tandis que l'Angleterre, depuis le xiii°
siècle, avait une constitution ; tandis que ses rois
ne pouvaient ni faire les lois, ni lever l'impôt, ni
contracter un emprunt, ni déclarer la guerre, ni
conclure la paix qu'avec le concours du parlement ;
tandis que le sujet britannique voyait sa liberté et
sa propriété garanties par la loi et par une repré-
sentation nationale, le roi de France, entouré de
ministres qui n'étaient qtie ses commis, livré aux
conseils de ses familiers, de ses favorites ou de
son confesseur, disposait arbitrairement des des-
tinées de la nation comme du sort des particuliers.
Il trônait à Versailles, dans cet immense palais
qui, parmi les misères du xvii» siècle, avait coûté
près d'un milliard, et qu'on avait édifié loiii de Paris,
afin que la voix de l'opinion publique ne pût s'y
faire entendre; là 10 OUO hommes composaient sa
maison militaire, 4000 sa maison civile; 2000 che-
vaux peuplaient ses écuries ; la plus haute noblesse
de France, réduite volontairement à l'état de do-
mesticité, s'empressait autour de lui, se disputait
lesbienfaUs du roi, c'est-à-dire l'argent du trésor,
joignait les flatteries des courtisans aux adula-
tions des évoques, l'entretenait dans cette infa-
tuation de sa toute-puissance, dans la persuasion
qu'il était au dessus de l'humanité. Partout, dans
la décoration du palais de Versailles, l'image du
roi se confondait avec celle du soleil; et c'est ainsi
que le pinceau des artistes traduisait cotte parole
de Bossuet : « O rois, vous êtes des dieux. » Le
gouverneur du jeune Louis XV ouvrait une fenêtre
et, montrant à cet enfant la foule qui se pressait
autour du palais, lui disait : « Tout ce peuple est
à vous ! >i
II- — "Violation de toutes les libertés publiques.
— Le roi ne pouvait exercer lui-même l'auto-
rité absolue qu'il s'arrogeait ; il gouvernait par
ses ministres, dont le premier portait le titre de
contrôleur-général des finances. Ces ministres,
surcliargés d'afTaires, souvent incapables ou mal
clioisis pour les fonctions où les appelait la faveur,
entraînés dans les tourbillons des plaisirs ou des
intrigues de la cour, s'en remettaient à des su-
bordonnés : c'étaient donc, en dernier ressort, des
subalternes irresponsables, qui, souvent à l'insu du
roi et des ministres, décidaient sur les atïaires les
plus importantes de l'Etat. Le despotisme, en en-
levant à la nation la connaissance de ses affaires,
aboutissait au gouvernement des commis, à une
simple bureaucratie.
L'administration, comme le gouvernement, avait
pour principe l'arbitraire, le n bon plaisir ». La
police était mal payée, par conséquent vénale.
Un emploi de police, payé 300 livres, en rappor-
tait 400 000. La police était souvent de conni-
vence avec les voleurs, leur accordait des permis
de séjour, les autorisait à sortir la nuit des pri-
sons, partageait avec eux le fruit de leurs brigan-
dages. En revanche, tout citoyen, sans être ac-
cusé, sans être jugé, en vertu d'une lettre de
cachet, pouvait être jeté à la Bastille ou dans
quelque autre des forteresses royales. Ce n'était
pas seulement le roi qui délivrait des lettres de
cachet, mais les ministies, mais les intendants,
leurs commis, leurs agents les plus infimes : on
les délivrait avec le nom en blanc, on en fai-
sait trafic : la comtesse de Langeac, maîtresse
du ministre la Vrillière, les vendait '.'.S louis;
ce même ministre finit parles faire vendre par ses
laquais : il n'en coiltait plus que 120 livres pour
arrêter les gens. Qui ne connaît l'histoire de
Latude mis à la Bastille par la marquise de
Pompadour et oublié là trente-cinq ans ! Sous
Louis XV, on distribua plus de J50000 lettres de
cachet; l'abus était tellement inhérent à l'an-
cienne monarchie que, sous Louis XVI, on en dis-
tribua 14 000.
La poste n'était pas alors un service public,
mais une ferme exploitée par des traitants : la
taxe était arbitraire, et le fermier ne songeait
qu'à augmenter son profit. Le secret des corres-
pondances était violé : le cahinet noir, qui sub-
sista jusqu'à la Révolution, décachetait les lettres
et en faisait des extraits pour le roi. Turgot, mi-
nistre de Louis XVI, suppliait son ami Condorcet
de ne plus lui écrire par la poste.
Les routes étaient mal entretenues, mais leur
entretien coûtait cher au peuple. On amenait les
paysans des villages les plus éloignés pour faire
la '. corvée royale » sur les grandes routes, tandis
que les chemins vicinaux restaient à l'état de
bourbiers. Les corvéables n'étaient ni payés, ni
nourris, mais au contraire l'on maltraités par les
piqueurs des ponts et chaussées, contre la tyran-
nie desquels les plaintes n'étaient jamais reçues.
« Les corvées, a dit un économiste, l'abbe Luber-
sac, sont un impôt qui coûte aux cultivateurs et à
l'Etat, en déprédations, en anéantissement de pro-
duction, soixante fois au moins la valeur du tra-
vail des corvéables, i
La presse était encore sous le coup des ordon-
nances de 1547 et de lâti3, qui condumnaieiit à la
potence les imprimeurs et les auteurs d'écrits
réputés hostiles à la religion ou au gouvernement.
Sous Louis XIV, on pendait les délinquants après
les avoir mis à la torture ; sous Louis XV, on se
contentait de les mettre à la Bastille et de brûler
les livres devant l'escalier du Palais de Justice.
Cent soixante-liuit « censeurs du roi >> surveillaient
les productions littéraires : la Uime lioyale de
Vauban, le Télémaque de Fénelon, les Inconvé-
nients des dniits féodaux de Turgot, beaucoup des
ouvrages de Diderot, Raynal, Uousseau, Voltaire
furent condamnés et brûlés. Si le livre était
ainsi traité, à quoi pouvait s'attendre le journal ?
Aussi la presse périodique, si active el si puis-
1
REVOLUTION FRANÇAISE
1859
RÉVOLUTION FRANÇAISE
santc dans l'Anglctorro du xviii* si^clf, n'existait
même pas à Paris, à part ((uelques feuilles insi-
gnitiantes comme la Gazelle ou le Mercure de
France. Il n'y avait pas un seul journal en pro-
vince. L'Anglais Young s'en étonnait en 1789 :
« Personne ne saurait douter, dit-il, que celle
affreuse ignorance, cliez le peuple, des événe-
ments qui doivent l'intéresser le plus, ne pro-
vienne de l'ancien gouvernement, n
La liberté de conscience n'était pas plus respec-
tée que la liberté de la presse. Sous Louis XIV,
après la révocation de l'Edit de Nantes, on avait
vu les pasteurs condamnés i la potence ou à la
roue, les populations protestaLites livrées aux
dragonnades, les galères pleines de « religion-
naires, » L'évèquc Bossuct approuvait ces bar-
baries et, dans son enthousiasme, comparait
Louis XIV aux empereurs romains Constantin
et Théodose. Flécliier, après les massacres de
Nîmes, avait dit : n Cet exemple était nécessaire
pour châtier l'insolence de ces gens4à. » Le sort
des protestants ne s'était guère amélioré sous
Louis XV : chaque fois que le gouvernement
réunissait l'assemblée du clergé pour en obtenir
un don graiuU, il lui accordait, en compensation,
un redoublement de rigueurs contre les dissi
Rappelons qu'en HCG un jeune liomme de vingt
ans, le chevalier de La Barre, pour n'avoir pas
salué une procession et avoir mutilé, disait-on,
un crucifix, eut le poing coupé et la langue arra-
chée ; puis il fut décapité, et son corps brûlé sur
un bûcher.
III. — Inégalité dans la condition des personnes.
— Le despotisme royal pesait d'un poids inégal
sur les diverses catégories de sujets. La nation
française élait répartie en trois ordres : clergé,
noblesse, tiers-état. Le clergé se composait de
130 000 prêtres ou moines; la noblesse, de
1 40 000 personnes; le Tiers-Élat.de vingt-cinq mil-
lions d'hommes. Quiconque n'était pas clerc ou
noble était roturier, c'est-à-dire vilain ; vingt-cinq
millions de Français étaient donc, pour emprun-
ter les termes d'un édit de Louis XIV, de condi-
tion o ignoble ». Le clergé et la noblesse, c'étaient
les ordres privilégiés : sous prétexte que le
clergé priait et que la noblesse combattait, ils se
refusaient à payer presque tous les impôts qui
pesaient sur le Tiers.
La taille, ou impôt foncier, la capitation, ou
impôt personnel, étaient payés uniquement par
le peuple : les privilégiés en étaient exempts.
Quant aux impôts indirects, ils auraient dû, à ce
dents, l'autorisant b. enlever les enfants des j qu'il semble, peser sur ceux qui consommaient le
protestants pour les élever dans les couvents, i plus, c'est-à-dire sur les plus riclies; c'est le
Ln édit de 1724 ordonne que ceux qui mourront | contraire qui arrivait. Ainsi pour les vingtièmes,
après avoir refusé les sacrements de l'Eglise ' Impôt qui devait être proportionnel au revenu,
catholique seront traînés à la voirie et leurs il se trouvait que les princes du sang, au lieu de
biens confisqués. Une ordonnance de 1730 statue , 2 400 0U0 livres, n'en payaient, grâce à la conni-
que, lorsque des protestants seront surpris à i vence du fisc, que 188 OUO ; les autres privilégiés
prier en commun, les hommes seront envoyés J se faisaient exempter dans la même proportion : le
aux galères, les femmes en prison pour la vie, les ; peuple payait leur part avec la sienne. Les aides
pasteurs à la potence. En 1745 et 1746, rien que étaient un impôt de consommation ; mais il était
dans le Dauphiné, 287 protestants sont condam- 1 si mal réglé que l'ouvrier payait pour son vin
nés aux galères et les femmes au fouet. Encore quatre fois plus cher que le moine. La gabelle,
en 1762, le pasteur La Rochette fut décapité par , ou impôt sur le sel, était ruineuse surtout pour le
arrêt du parlement de Toulouse. On sait l'horri- ' paysan; elle lui coûtait en moyenne une valeur de
ble supplice de Calas et les persécutions contre l vingt et une journées de travail par an; un pauvre
la famille Sirven. Ces cruautés durèrent jusqu'à homme qui gagnait six sous par jour payait 130
une époque si voisine de la Révolution, que la sous par an pour son sel.
mère de M. Guizot, un jour que les soldats 1 Non seulement les privilégiés payaient moins
avaient surpris une assemblée, reçut des coups , que le peuple ; mais le peuple leur payait à eui-
de fusil dans ses vêtements. Cette intolérance mêmes des impôts.
était tellement liée au système de gouvernement j Le clergé, outre le produit des quêtes et du
que Louis XVI, à son sacre, fut obligé de répéter , casuel, percevait sur les blés, le vin, le bétail et
l'ancien serment : o Je jure d'appliquer tout mon j tous les fruits de la terre un impôt qu'un appe-
pouvoir à l'extermination des hérétiques. » Quant ' lait la dime ; la dîme, portant sur le produit brut,
aux évoques, surtout dans le Languedoc, leur , enlevait au paysan bien plus que le dixième : sou-
sentiment, jusqu'à la fin, fut toujours « de dra- vent la moitié de son revenu,
gonner, de convertir à coups de fusil. » 1 Les nobles exigeaient du paysan les droits
Comme les actes de l'état civil étaient tenus ' seigneuriaux : les lods et ventes ou droits casuels,
par les curés, les protestants ne pouvaient faire qui étaient des espèces de droits de mutation,
constater ni leur mariage, ni la naissance de leurs ' payables au seigneur chaque fois que la terre
enfants : leurs enfants étaient considérés comme changeait de propriétaire, et qui montaient généra-
bâtards et leurs femmes comme illégitimes. Cela lement au sixième du prix de la vente ; le cens,
dura jusqu'à l'édit de 1787, qui reconnut la légi- rente annuelle, perpétuelle et irrachetable, dont
limité des mariagescontractés par les protestants; , le non-paiement entraînait parfois la confiscation
mais jusqu'en 1789 les dissidents continuèrent à de la terre; la laille seigneuriale, qui était en
être exclus de tous les c.iplois. certaines occasions un doublement du cens;
Les Juifs, moins crueliunient traités, étaient en la corvée, qui prenait aux cultivateurs, en
en revanche plus méprisés. Ils vivaient parqués moyenne, 62 journées de travail par an ; les
dans des quartiers à part, exclus de toutes ks pro- i péages sur les pools, les chemins, les marchés ;
fessions libérales, soumis à dos taxes exception- ; les banalités, qui obligeaient le petit propriétaire
nelles. « Il est pénible, disait un écrivain catholi- j à se servir, moyennant finance, du prcss.oir, du
que, de voir des hommes aussi vils posséder des moulin, du four établis par le seigneur; les
meubles précieux et apprendre la musique ins-
trumentale
Bien que les jansénistes fussent des catholi-
ques, comme ils affectaient une morale sévère et
prétendaient limiter l'autorité du pape, ils subi-
rent à plusieurs reprises de cruelles persécutions.
En 1709, Louis XIV avait chassé les jansénistes
droits de colombier, de garenne, de prmge, de
ravage, qui livraient les semailles ou la récolle
du paysan aux pigeons et au gibier du seigneur.
C'étaient là les droits les plus ordinaires; d'au-
tres étaier)t ci'mnie le rachat ou la compen-
sation, en argent, d'usages abominables qui
avaient prévalu dans la barbarie féodale et qui se
de Port-Royal des Champs, fait déterrer leurs i conservaient encore dans certaines provinces re-
morts et passer la charrue sur l'emplacement de j culées,
celte illustre maison. 1 Enfin, au-dessous du paysan durement exploité
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1860 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
mais cependant libre de sa personne, écrasé
de redevances, mais propriétaire, venait le serf
dont l'héritage et la personne même apparte-
naient au seigneur et qui était soumis à toute la
rigueur du droit de main-morte.
Il y avait encore en France, à la veille de la
Révolution, dans certains cantons de la Bourgo-
gne, de l'Alsace, de la Lorraine, des Trois-Evê-
cliés, du Hainaut, de l'Artois, de la Flandre, de
la Champagne, de la Marche, de l'Auvergne, du
Bourbonnais, du Berry, du Nivernais, 150 000 su-
jets du roi qui restaient serfs. Voltaire, dès 1771,
avait élevé la voiï en faveur des serfs du Mont-
Jura, qui appartenaient au chapitre de Saint-
Claude. «Il y a donc, s'écriait-il, des peuples chré-
tiens gémissant dans un triple esclavage sous des
moines qui ont fait vœu d'humilité et de pau-
vreté. " Les serfs du Mont-Jura étaient si bien la
propriété, la chose do leurs maîtres ecclésiasti-
ques, qu'ils n'avaient même pas de noms de fa-
mille. D'ailleurs, pour « cette canaille », comme
disait le marquis de Langeron, le nom d'un saint,
Jean, Pierre ou Paul, suffisait.
La dime de l'Église comme les droits féodaux
des seigneurs étaient choses qu'on n'avait pas le
droit de discuter. Turgot ayant publié ses Incon-
vénients des dioits féodaux, le livre fut condamné
par le parlement de Paris et brûlé par la main
du bourreau.
On aura une idée des charges qui écrasaient le
peuple quand on saura que les propriétés rotu-
rières, c'est-à-dire les seules qui supportassent
l'impôt, formaient au plus le quart du territoire
français : les trois autres quarts se partageaient
entre le domaine royal, les apanages des princes
du sang, les terres nobles et les terres d'Eglise.
L'inégalité n'existait pas seulement en matière
d'impôt : elle se retrouvait partout. Dans l'armée,
il fallait être noble pour devenir officier. Dans
le clergé, les dignités d'archevêques, évêques,
abbés des monastères, membres des chapitres,
n'étaient accessibles qu'à ceux qui faisaient preuve
de noblesse. Dans les tribunaux, les offices su-
périeurs de justice, dans l'administration, les
hautes charges municipales, étaient réservées aux
gentilshommes. Les criminels mêmes étaient trai-
tés inégalement suivant la différence de leur con-
dition: le condamné, s'il était noble, était déca-
pité ; s'il était roturier, pendu.
Non seulement le noble et le roturier n'étaient
pas égaux devant les juges du roi ; mais le noble
avait droit de juger le paysan ; il avait sa justice
à lui, la justice seigneuriale. On la distinguait en
basse justice, moyenne justice et haute justice ;
la haute justice emportait le droit de condam-
ner à mort; une potence se dressait, en signe
de bOn droit, aux portes du château qu'habitait le
seigneur haut-justicier.
On pouvait dire qu'il n'y avait pas en France
trois ordres, mais presque trois nations dift'érentes,
comme si les privilégiés eussent éié les descen-
dants d'une race étrangère qui aurait conquis et
asservi le peuple indigène.
Chacun des trois ordres se subdivisait en
classes nettement séparées. Dans le clergé, il
y avait le haut clergé, qui était noble, et le bas
clergé,- c'est-à-dire les curés plébéiejis. Dans la
noblesse, on distinguait les princes du sang, la
noblesse de cour, qui accaparait les emplois et
les pensions, la noblesse des villes, qui se perpé-
tuait dans les offices municipaux, la noblesse ru-
rale, pauvre et négligée : ajoutons-y la noblesse
de robe, qui occupait les tribunaux. Celle-ci for-
mait la transition entre le second ordre et le Tiers-
t-tat. Dans le Tiers-État, il y avait d'ubord la haute
bourgeoisie, <iui vivait noblement, c'est-à-dire ne
travaillait pas, qui possédait des terres nobles,
c'est-à-dire ne payait pas l'impôt foncier, qui avait
acheté des châteaux et qui exerçait dans les vil-
lages tous les droits seigneuriaux; la bourgeoisie
moyenne; la petite bourgeoisie et le peuple des
villes ; le peuple des campagnes ; le serf enfin,
placé au dernier échelon de la société.
Le haut clergé exploitait et méprisait le bas^
clergé. La noblesse à quartiers, qui pouvait faire
ses preuves d'ancienneté, méprisait la noblesse de
robe, qu'elle appelait les robins, les bourgeois
anoblis, qui avaient acquis des terres ou des char-
ges conférant la noblesse et qui étaient devenus
nobles au moyen de la savonnette à vilain, c'est-
à-dire à prix d'argent. Elle méprisait également
les gentilsliommes verriers, anoblis par l'industrie
de la verrerie. C'était même une maxime que
tout travail, tout commerce, toute industrie faisait
déroger, c'est-à-dire perdre la noblesse. Le noble
aurait mieux aimé, par respect pour le blason de
ses ancêtres, mendier que travailler.
La haute bourgeoisie, les bourgeois notables^
professaient le même mépris pour la bourgeoisie
moyenne, les parvenus. Un intendant du roi dé-
clarait qu'on ne pouvait donner une place d'échevin.
à un notaire, parce que cela dégoûterait les no-
tables, attendu que, dans la localité en question,
les notaires étaient « des gens sans naissance, qui'
ne sont pas de famille de notables et qui ont tous
été clercs. » Tous s'accordaient à mépriser le
paysan, qui formait alors les cinq sixièmes de la
nation. Un des motifs pour lesquels la noblesse,
en 1776, repoussait la transformation de la corvée
royale en contribution pécuniaire, c'est que <> ce
serait efl'acer sur le front de la plèbe la tache ori-
ginelle de la servitude. »
Sur le paysan retombait en dernier lieu tout
le poids de cette société si étrangement con-
struite. Ainsi, que l'écrivait l'Américain Jefferson
en 1786 : « Pour apprécier la masse des maux qui
découlent de cette source fatale, l'aristocratie, il
faut résider en France, il faut voir le sol le plus
beau, le meilleur climat, l'Etat le plus compacte,
le caractère national le plus bienveillant, en un
moi, la réunion de tous les avantages naturels,
être insuffisants pour empêcher ce fiéau de l'aris-
tocratie de rendre la vie un supplice pour les
vingt-quatre vingt-cinquièmes des habitants de ce
pays. »
IV. — Administration des provinces. — Dans
les provinces, les gouverneurs, tous gens de haute
noblesse, très largement appointés, se bornaient
à présider, dans les pays d'Etats, les sessions
des assemblées provinciales; le reste de l'année,
ils résidaient à la cour. La véritable division ad-
ministrative, c'étaient les intenitu7ices ou généra'
lités, au nombre de trente ; le véritable représen-
tant du roi, c'éla.ilVinte7idunt. Investi d'attribution»
beaucoup plus étendues et plus variées que les
préfets d'aujourd'hui, il ne subissait pas le con-
trôle d'assemblées élues et n'était responsable
qu'envers le roi et les ministres. Impôts, milices,
routes, industrie, commerce, justice, tout relevait
do son autorité. Sous i ■; ordres des intendants se
plaçaient les sous-Intendants, appelé su/jdélégués,
et (|ui était nommés et révoqués par les inten-
dants. « Sachez, écrivait d'Argenson, que ce
royaume de France est gouverné par trente in-
tendants : ce sont trente maîtres des requêtes,
commis aux provinces, de qui dépendent le mal-
heur ou le bonheur de ces provinces, leur abon-
dance ou leur stérilité, o
Les trente généralités se subdivisaient en 8
pays d'Etats et 118 pays d'élection. Les pro-
vinces étaient donc les unes privilégiées, les au-
tres arbitrairement gouvernées. Elles étaient sé-
parées entre elles par des lignes de douanes.
L'Alsace, la Lorraine, les Trois-Évêchés (Metz,
Toul, Verdun) avaient des douanes du côté de la
France et n'en avaient pas du côté de l'AUema-
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1861 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
gne. Les provinces n'étaient pas astreintes au
môme régime d'impôts : la Lorraine n'était pas
soumise h la capitation ; l'impôt du vingtième
était moiiis lourd on Lorraine, en Alsace et en
Franclie-Comté que dans le reste de la France.
Ces diversités administratives entretenaient le
souvenir des anciennes divisions. La Bretagne
invoquait encore le contrat de mariage d'Anne de
Bretagne ; la Lorraine regrettait ses ducs, la
Franclie-Comlé son ancienne indépendance, la
chaque petite province avait sa coutume particu-
lière, il y avait près de quatre cents codes diffé-
rents. Les registres de l'état civil étaient tenus,
et fort mal tenus, par les curés des paroisses : ce
qui donnait encore ample matière aux procès.
Dans la législation civile se perpétuait le droit
d'aînesse qui, dans la succession, dépouillait les
cadets au profit des aînés, les flUes au profit des
garçons : il ne laissait de ressource aux cadets
que le régiment et aux filles que le couvent.
Flandre ses franchises municipales. Les paysans 1 La justice criminelle surtout fut la honte de
d'Alsace payaient l'impôt Ma fois au roi de France l'ancien régime. La procédure rappelait celle da
et aux princes allemands possessionnés dans la l'inquisition. On n'accordait au prévenu ni débat
province. On parlait encore flamand au nord, al- public, ni confrontation de témoins, ni commu-
lemand du côté du Rhin, breton en Bretagne, nication de pièces, ni assistance d'avocat. On
basque ou espagnol le long des Pyrénées, pro- l'obligeait à. prêter serment qu'il dirait la vérité :
vençal du côte des Alpes. La France n'était pas ce qui le plaçait entre le parjure ou l'abandon de
encore une patrie. Dans les provinces éloignées, | sa défense. Le grand moyen d'instruction judi-
quand on allait h Paris, on disait : « .le vais en ' claire, c'était la question, une torture raffinée
France. » Il y avait autant de diversités et pas ! dont un médecin, attaclié au tribunal, surveillait
plus d'unité nationale dans la France d'alors que l'application afin que le patient put souffrir le
dans l'empire d'Autriche. ' plus possible sans mourir. Quand le juse d'ins-
V.— La justice. — Enimatière judiciaire, ilyavait truction, à force de barbarie, avait arraché au
treize parlements et quatre conseils provinciaux ' misérable l'aveu vrai ou faux de son crime on
jugeant en dernier ressort, tant au civil qu'au cri- l'amenait devant le tribunal. Ce n'était pas un
minel. C'étaient, par ordre d'ancienneté, les p.ir- ' jury, comme aujourd'hui, mais des juges de pro-
lements de Paris, Toulouse, Grenoble, Bordeaux, fession, endurcis i toutes les cruautés, habitués
Dijon, Rouen, Aix, Rennes, Metz, Pau, Douai, à voir dans tout prévenu un coupable, qui ap-
Besançon, Nancy, et les conseils souverains d'AI- préciaient la culpabilité et prononçaient la sen-
sace, de Roussillon, d'Artois et de Corse. Envi- tence, sans même prendre la peine de la motiver,
ron huit cents tribunaux de second ordre, bail- | Rarement on envoyait le condamné au supplice
liages, sénéchaussées, présidiaux, jugeaient en' sans l'avoir remis à la torture, cette fois pour lui
première instance. Puis venaient les justices sel- faire avouer ses complices, ou sous tout autre
gneuriales, les justices municipales (le sénat de prétexte : c'était d'usage et pour ainsi dire de
Strasbourg jugeait à mort), les justices ecclésias- I style. On appelait question pi-épnnitoire celle
tiques qui, sous le nom d'officinlitcs, pouvaient dont on usait pendant l'instruction, et question
prononcer la prison perpétuelle. Tous ces tribu- préalable celle qui précédait l'exécution. Suivant
naux étaient des écoles de chicane, de corruption l'intensité de la torture, on la distinguait aussi en
et de vénalité. Le seigneur haut-justicier, afin do ' ordinaire et extraordinaire. Quant à la peine su-
prouver son droit, dit La Bruyère, « faisait pen- I prème, les juges se contentaient difficilement de
dre un homme qui méritait le bannissement. » la mort simple : le chevalier de La Barre fut
Beaumarchais, dans sa comédie du Maria;/e de ' cruellement mutilé avant sa décapitation ; le sup-
Figaro, a ridiculisé l'ineptie et la servilité du juge , plico ordinaire qu'on appliquait à tout voleur de
seigneurial, personnifié dans le type grotesque do ' grande route, à, tout assassin (à Calas, par exem-
■Bridoison. [ pie, faussement accusé du meurtre do son fils),
A côté de la justice ordinaire du roi, il y avait ! c'était la roue, sur laquelle expirait le condamné
aussi la justice extraordinaire ou administrative i après que le bourreau l'avait rompu vif, c'est-à-
•que rendaient les chambres des comptes, les dire lui avait brisé tous les os à coups de barre
•cours des aides, la cour des monnaies, le grand ' de fer. Rien de plus afl'reux que les tortures in-
conseil, les eaux et forêts, les fermiers généraux, fligées à Damiens, qui avait égratigné Louis X'V
les fermiers de la gabelle. 1 avec un canif; leur atrocité fut telle que les
Le cours régulier de la justice pouvait être cheveux du condamné blanchirent pendant l'exé-
arrêté par les évocations au grand conseil, les ' cution. La place rie Grève, à Paris, était le lieu
■lettres de répit, les arrêts de surséance, que le 1 ordinaire des supplices : le gouvernement, qui ne
roi accordait trop facilement aux sollicitations t faisait rien pour rendre le peuple moins ignorant,
•des privilégiés. Quand le roi tenait à faire con- I ne négligeait rien pour le rendre féroce,
damner quelque grand personnage, il l'enlevait à i VI. L'armée. — L'armée, môme après les réfor-
ses juges naturels et le traduisait devant une mes de Louvois au xvii« siècle, reflétait l'inéga-
commission extraordinaire. lité sociale. Les chefs étaient nommés non pour
Les charges de justice, môme de justice royale, ! leurs talents, mais pour leurs quartiers de no-
étaient la propriété des juges ; ils les avaient 1 blesse, par le bon plaisir du roi ou le caprice des
achetées à prix d'argont et transmettaient, comme favorites : c'est au choix de madame de Pompa-
héritage à leur fils, comme dot à leurs gendres, dour que nous sommes redevables des généraux
ou simplement à des acheteurs, le droit de juger.
Ces charges étaient donc à la fois vénales et héré-
ditaires. Les magistrats, greffiers et autres offi-
ciers de justice, n'étant pas payés par le roi, se
faisaient payer par les plaideurs : cela s'appelait
recevoir des épices. Ces épices coûtaient aux jus-
ticiables près de Cfl millions par an. Un avocat du
roi dit que la justice de son temps était un bri-
gandage. Les procès étaient interminables : l'ar-
gent, les titres, le crédit des plaideurs influaient
sur la décision de'* juges.
La diversité de législation aggravait le désor-
dre. On distinguait les provinces du nord ou
pays de coutumes, et les provinces du sud ou
pays de droit écrit, ou droit romain ; mais comme
courtisans qui, pendant la guerre de Sept ans,
firent battre les Français par les Prussiens, sou-
vent dans la proportion de trois contre un. Les
grades s'achetaient ou s'obtenaient à la faveur.
Sons Louis XV, on vit un enfant de treize ans, le
vicomte do Turenno, nommé colonel-général de la
cavalerie ; le duc de Bouillon était colonel à onze
ans, le duc de Fronsac à sept ans, les princes
du sang au berceau. C'est seulement h partir de
Choiseul, en n.'>8, qu'on exigea sept ans de ser-
vice comme officier pour devenir colonel. Une
charge militaire, étant vénale comme une cliarge
de judicature, s'exploitait comme elle. Malgré
les réformes de Choiseul, colonels et capitaines
continuaient à vivre sur le soldat, spéculaient
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1862 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
sur son habillement, son armement, sa nourri- ! était question d'assembler les bataillons, il fallait
tare, fraudaient sur sa paie, faisaient coucher I que les syndics des paroisses fissent amener leurs
trois soldats dans un même lit. Il y avait des miliciens escortés par la maréchaussée et souvent
écoles militaires, mais elles ne s'ouvraient qu'aux garrottés. » Voili ce que l'ancien régime avait
nobles : les examens de sortie étant clandestins, ' fait du peuple gaulois, le plus belliqueux et le
c'étaient toujours les plus protégés qui avaient I plus brave de l'ancien monde,
les meilleurs rangs : un édit du 22 mars 1781, 1 VII. — L'Église. — Nous avons parlé des im-
sous Louis XVI, vint encore aggraver la situation : ; menses richesses de l'Église : voyons comme elles
il exigeait de tout candidat au grade d'officier étaient employées et comment se répartissaient,
qu'il fit preuve devant le généalogiste Saint-Ché- ! dans cet ordre privilégié, les avantages et les
rin de quatre générations de noblesse. C'est alors , charges. Une fonction d'Église s'appelait bénéfice :
que Jourdan, Joubert, Kléber quittèrent l'armée c'était assez dire que l'on s'occupait plus des re-
pour les carrières civiles ou le service étranger. \ venus qu'elle procurait que des devoirs qu'elle
A la veille de la Révolution, Hoche était sergent | imposait. La feuille des béjiéfices était entre les
aux gardes et, pour s'acheter des livres, brodait mains, soit d'un aumônier de la cour, soit d'un
des gilets qu'il allait vendre dans les cafés aux ! familier du roi, parfois d'une favorite. Madame de
officiers ; Augereau était sous-offlcier d'infanterie, ' Pompadour, pendant de longues années, a dis-
Marceau simple soldat et sans espoir d'avance- tribué sans contrôle les évêchés, les bonnes cu-
ment. Dans la marine, on distinguait entre les res et les abbayes : aussi l'antichambre et le bou-
officiers rouges ou nobles et les officiers bleus ou ' doir de cette courtisane étaient-ils toujours encom-
roturiers : les premiers ne négligeaient aucune I brés de candidats ecclésiastiques,
occasion de faire aux seconds quelque insolence. Le haut clergé, ainsi recruté, justifiait la pein-
Comrae il fallait placer les cadets de noblesse, i turc qu'en a faite le roi Louis XVIII dans ses mé-
on avait multiplié inutilement les emplois d'offi- ' " .■■ .
ciers. On comptait 60,000 officiers pour une ar-
mée de nO,0OU hommes. Un régiment de cavale-
rie comprenait 142 officiers ou sous-officiers et
seulement 4S2 soldats. On dépensait 40 millions
pour les officiers et seulement 44 pour le reste
de l'armée. La situation du soldat était intoléra-
ble, surtout depuis que le comte do Saint-Ger-
main, ministre de la guerre, avait, en 1774, em-
prunté aux armées allemandes l'usage des châti
moires : « Par son ambition et ses prodigalités,
il s'était attiré le mécontentement de la nation.
Il désertait les temples et ne se montrait plus
qu'à Versailles. Profitant de son influence, il
exerçait une tyrannie insupportable sur le bas
clergé et sur le peuple, se faisait craindre par
son intolérance et mépriser par le relâchement
de ses mœurs. »
Tandis que l'évêque de Gap recevait à peine
80011 livres, celui de Séez en touchait 34,000, cé-
ments corporels et recommandé les coups de plat I lui de Sisteron 36,0 lO, celui de Rennes 40,000,
do sabre. celui de Pamiers 45,000, celui d'Autun 50,000,
L'armée se recrutait : 1° par le racolement; celui de Strasbourg 60,o00, celui de Bordeaux
2" par le tirage au sort. Les racoleurs attiraient 63,0il0, celui de Sens 82.000, celui d'Alby 100,000,
au cabaret les vagabonds ou les imprudents, les celui de Toulouse 106,000, celui de Narbonne
enivraient pour leur faire signer des engagements, I20,0f!0, celui de Rouen 130,000. Les plus grasses
et encombraient ainsi les régiments de la lie des sinécures étaient les abbayes des monastères :
grandes villes. De tels soldats n'avaient ni sen- on en gratifiait des jeunes gens qui ne résidaient
liment d'honneur, ni patriotisme : on comptait ' même pas dans leurs couvents, on les accumulait
4000 désertions par an. Quant au tirage de la sur les ménifs têtes, de manière à faire h M. de
milice, qui fournissait des éléments plus sains
et plus honnêtes, il pesait principalement sur le
peuple. Il n'y avait en réalité pas de milice;
c'était donc au régiment qu'on envoyait les re-
crues. Cet impôt du sang, comme toutes les
charges de l'ancien régime, était aggravé par
une révoltante inégalité. On exemptait du tirage
non seulement les nobles, les clercs, les bour-
geois vivant noblement, les gros marchands, les
employés de bureaux, mais les fermiers, commis
et laquais des privilégiés : on peut .ijouter tous
ceux qu'il plaisait h l'intendant ou au subdélégué
d'exempter. C'était en résumé Jacques Bonhomme
le paysan qui, après avoir payé pour tous, par-
tait à la place de tous. La noblesse n'en cOTjli-
nuait pas moins à s'exempter des contributions
sous prétexte qu'elle payait de son sang.
Étant admis qu'on n'envoyait au régiment que
les pauvres diables sans appui et sans protection,
qui n'étaient même pas valets d'un procureur,
la milice ne pouvait être pour le paysan qu'un
objet d'horreur et le nom de milicien qu'un
terme de mépris. On cherchait h se dérober au
service par tous les moyens possibles : la ma-
réchaussée n'était occupée qu'à donner la chasse
aux réfractaires. Comme la fuite d'une recrue aug-
mentait les risques du tirage, les paysans eux-
mêmes cliercliaient à rattraper le fugitif :
« Chaque tirage, raconte Turgot, donnait le si-
gnal des plus grands désordres et d'une sorte
de guerre civile entre les paysans, les uns se ré-
fugiant dans les bois, les autres les poursuivant
à main armée pour enlever les fuyards. Les meur-
tres, les procédures criminelles se multipliaient
et la dépopulation en était la suite. Lorsqu'il
Bohan jusqu'à 4(iO,000 livres et à M. de Brienna
jusqu'à 678,000 livres de revenu. L'abbé de Ver-
mond, prêtre autrichien, lecteur de Marie-.\n-
toinette, touchait 60,1^00 livres par an, sans met-
tre le pied dans aucune de ses abbayes.
Dans les cures, il y avait presque toujours un
curé titulaire, abbé de monastère, grand seigneur
ecclésiastique, qui touchait les dîmes et les gros
revenus, mais se souciait peu de dire la messe
à des paysans. 11 prenait à sa solde un pauvre
diable d'ecclésiastique auquel il allouait quelques
centaines de livres sous le nom portion congrue,
et qui se chargeait de prêcher, baptiser, marier
et enterrer ses paroissiens. La misère de ces pas-
teurs contrastait si scandaleusement avec le luxe
du haut clergé que Voltaire les prenait en pitié :
« Je plains, disait-il, le curé à portion congrue à
qui des moines, nommés gros décimateurs, osent
donner un salaire de quarante ducats pour aller
faire, toute l'année, à deux ou trois milles de sa
maison, le jour, la nuit, au soleil, à la pluie, dans
les neiges, au milieu des glaces, les fonctions les-
plus pénibles et les plus désagréables. » Voilà
ce que les curés d'aujourd'hui, qui jouissent des
bienfaits de la Révolution, ne devraient jamais ou-
blier.
Tandis que les abbés ou les abbesses de noble
famille retrouvaient au couvent les plaisirs et le»
hommages du monde, les simples religieux ou re-
ligieuses formaient une nouvelle variété de mal-
heureux. Les jeunes gens ou les jeunes filles étaient
ordinairement conduits au couvent par une vo-
cation prématurée, par les entraînements et l'in-
exporience de l'adolescence, plus souvent par les
calculs intéressés des familles qui voulaient sodé-
RÉVOLUTIOiN FRANÇAISE — 1863 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
barrasser dos cadHts et des filles afin d'avantager
les aînés. Une fois entrés dans le monastère, ils
n'en pouvaient plus sortir. Ils étaient frappés de
mort civile, c'esi-Ji-dire qu'ils n'avaient plus droit
h l'héritage do leurs parents. Contre leur velléité
de liberté, contre leur nostalgie du monde ou du
mariage, le bras séculier venait en aide aux ana-
tbèmos de l'Eglise ; le moine fugitif était ramené
par la maréchaussée. Suivant l'humour des supé-
rieurs, le relâchement do la discipline pouvait aller
jusqu'il la licence ou la rigueur de la règle dégé-
nérer en cruauté. L'abbé titulaire, surtout dans
les couvents riches, était un mondain qui allait
vivre à la cour des revenus de la communauté et
qui, pour les accroître, exploitait la plèbe mona-
cale, obligeait ses frères à des jeûnes sévères. S'il
résidait au couvent, c'était souvent un tyran do-
mesiique qui mettait la patience de ses subor-
donnés k de rudes épreuves. Dans le secret impéné-
trable du cloître, il avait Ji sa disposition, contre
les caractères et les esprits trop indépendants, le
fouet, les privations, le cachot. Du reste, il y avait
les couvents aristocratiques, où l'on n'admettait à
faire vœu d'humilité que les cadets et les filles de
lière noblesse, et les couvents de moindre re-
nom, où s'abritaient les vocations plébéiennes.
VIII. — L'agriculture, le commerce et l'indus-
trie. — Avant do parler de l'administration des im-
pots, il faut voir à quel point la matière imposable
avait été appauvrie et quelles servitudes pesaient
sur l'agriculture, le commerce et l'industrie.
Nous avons vu que le paysan payait pour tout le
monde et que môme il p lyait i tout le monde : au
roi, les impôts; au clergé, la dîme; à la noblesse,
les droits féodaux ; que, tandis que la noblesse
s'exemptait des impôts sous prétexte du service
militaire, c'était lui cependant qui principalement
recrutait l'armée ; qu'il avait à supporter en même
temps la corvée royale et la corvée seigneuriale,
qu'il nourrissait le gibier du roi et les pigeons du
gentilhomme. Personne ne lui venait en aide : à
l)eine s'il existait des chemins vicinaux. La charge
était si excessive qu'elle ruinait la production ; le
paysan, appauvri, s'en tenait h un outillage im-
parfait, pratiquait une agriculture qui, au dire
d'un agronome anglais, rappelait celle du x" siè-
cle, n'élevait plus de bétail, ne fumait plus la
terre; le sol épuisé ne se réparait plus. Dans
certains pays, les vexations exercées par les agents
des contributions indirectes faisaient que le cam-
pagnard désespéré arrachait les vignes. S'il plan-
tait la pomme de terre, nouvellement importée
d'Amérique, aussitôt l'Eglise s'en faisait par les
tribunaux attribuer la dîme. Aussi les économis-
tes constataient que le quart du sol restait en fri-
che ; qu enTouraiue, en Poitou, en Berry, s'éten-
daient des solitudes de 30 OOJ et 40 000 arpents ;
que les deux tiers de la Bretagne, que la moitié
des provinces du centre n'étaient point cultivées ;
que la Sologne, autrefois florissante, redevenait
marécage et forùt ; qu'en beaucoup de régions le
désert se faisait et que la terre retournait à l'état
sauvage ; que la race française devenait chétive et
diminuait en nombre. Devant ce lamentable ta-
bleau, on pense au mot de Montesquieu : « Les
terres rendent moins en raison de leur fertilité
que de la liberté de leurs habitants. »
Le commerce, que les gentilshommes regar-
daient comme une occupation déshonorante, était
entravé par les douanes intérieures, par la diver-
sité des monnaies, des poids et mesures, par les
restrictions apportées à la circulation des grains,
par le monopole des grandes compagnies : jusqu'à
l'année mo, la compagnie des Indes avait seule
droit de faire le négoce dans les mers d'Orient.
Les autres compagnies étaient abolies depuis tiop
peu de temps pour que l'initiative privée eût pu
!>e développer.
L'industrie restait soumise au régime des corpo-
rations ; à la tète de chaque corporation il y avait
une jurande ou maîtrise, composée des jurés, syn-
dics ou maîtres. Pour exercer n'importe quel mé-
tier ou industrie, il fallait être mnitre. La charge
de maître charpentier ou de maître drapier devait
être payée au roi tout comme celle de capitaine, de
conseiller au parlement ou d'échevin municipal :
on ne pouvait devenir maître qu'en achetant cette
charge à un maître ou en obtenant du roi une
lettre de maîtrise, qui valait entre 200') et .3500
livres. Il fallait en outre passer par les grades d'ap-
prenti et de compagnon. L'apprenti.-sage durait
longtemps : dans certaines professions dix ou
douze ans. Puis on restait une vingtaine d'années
compagnon, travaillant sous les ordres et pour
le compte d'un autre ; on faisait le chef-d'œuvre,
qui devait Cire admis par la jurande; enfin on
payait une coûteuse bienvenue à tous les confrè-
res. Los délais étaient abrégés lorsqu'on était fils de
maître, ou qu'on épousait la flile ou la veuve d'un
maître. Remarquons qu'une lettre de maîtrise n'a-
vait de valeur que dans une ville déterminée et
qu'elle ne permettait pas à l'industriel lyonnais,
par exemple, d'aller s'établir à Marseille ou à
Paris.
Les métiers étaient rigoureusement séparés. Le
bonnetier qui s'avisait de fabriquer un chapeau
avait un procès contre toute la corporation des
chapeliers. Les attributions des métiers étant mal
définies, les corporations dépensaient un million
par an, rien que dans Paris, h plaider les unes
contre les autres, pâtissiers contre boulangers,
tailleurs contre fripiers, cordonniers contre save-
tiers, poulaillers contre rôtisseurs. (V. ludu'tvie.)
L'administration, s'étant avisée de réglementer
les produits de l'industrie, entravait tous les per-
fectionnements : le drapier qui augmentait ou di-
minuait le nombre de fils dans une pièce d'étoffes,
le chandelier qui mêlait de la graisse de vache au
suif du mouton, le chapelier qui mêlait de la soie
au castor, quand bien même ils annonçaient loya-
lement au public un produit nouveau et moins
coûteux, étaient frappés de grosses amendes, pri-
vés de leurs maîtrises ; leur marchandise était
clouée au pilori, brûlée en place publique.
La royauté intervenait sans cesse dans le travail
national pour le contrarier, multipliant les em-
plois inutiles ou ridicules qu'elle vendait fort cher,
créant, par exemple, des visiteurs et langueyeurs
de porcs, des jures cribleurs de blé, des visiteurs
de foin, des conseillers du roi mesureurs du
bois de chauffage, des jurés crieurs héréditaires
d'enterrements, des contrôleurs de perruques, etc.
Pontchartrain, sous Louis XIV, vendit h, lui seul
40 000 de ces emplois.
Toute espèce de production était ainsi arrêtée
dans son développement ; des impôts excessifs et
vexatoires achevaient de la ruiner. Bien que le
total des impôts fût alors quatre fois moins consi-
dérable qu'aujourd'hui, ils écrasaient le peuple
parce qu'ils étaient mal assis, que le système de
répartition et de perception était mauvais, et qu'ils
portaient sur une part restreinte du sol, de la popu-
lation, de la richesse.
IX. — Administration financière. — Lu taille,
arbitrairement fixée par le roi, arbitrairement ré-
partie entre les communes par les intendants,
était perçue par les colledews. Les collecteurs
étaient des contribuables, à qui on imposait cette
fonction désagréable et qui répondaient sur leurs
biens du rendement de l'impôt : ils étaient forcés
de ménager les puissants, chargeaient d'autant
plus les pauvres, et s'inspiraient trop souvent de
leurs affections ou de leurs inimitiés, (jomme ils
étaient à la lois victimes et tyrans, la taille était
perçue par eux avec une extrême rigueur. L'in-
solvable se voyait enlever ses bardes, ses meu-
RÉVOLUTION FRANÇAISE
1864
RÉVOLUTION FRANÇAISE
bles, son lit, jusqu'au plancher de sa chambre et
aux tuiles de son toit.
La cnpilalion, qui n'atteignait que faiblement
les privilégiés, que le clergé esquivait en votant
des dom gratuits, était ruineuse pour le peuple :
un pauvre journalier, qui gagnait dix souspar jour,
payait jusqu'à huit et dix livres et même, par
exemple en Bourgogne, dix-huit ou vingt livres de
capitation. Il en était de même pour les vinr/tièmes.
Pour la gabelle, ou impùt du sel, on distinguait
les pays de grande gabelle, pays de petite ga-
belle, pays francs, pays rédimés. Dans les pays
de grande gabelle, le sel se payait de 5.') i tiO
livres le quintal ; dans les pays de petite ga-
belle, 28 livres; dans les pays rédimés, 9 livres,
dans les pays francs, de 2 h 7 livres. Pour con-
server cette inégalité de régime, l'administration
interdisait de transporter le sel d un pays dans
un autre. Sur les rivages, pour maintenir le prix
fixé, les agents de la gabelle rejetaient dans les
flots le sel formé par la mer. Chaque liabitant du
royaume, au-dessus de sept ans, était astreint à
en payer une quantité déterminée, qu'on appe-
lait le sel ilu decoir et qui était généralement fixé
à la quantité de sept livres par tête.
Le régime de la gabelle ne se maintenait que
par des perquisitions constantes et des pénalités
rigoureuses. Était réputé fraudeur ou faux sau-
sier quiconque employait à un autre usage le sel
acheté pour sa consommation personnelle, le
paysan qui épargnait son sel pour saler son porc,
celui qui employait le sel du poisson salé, etc.
Les faux sauniers étaient fouettés, envoyés aux
galères, et, en cas de récidive, pendus. Il y avait,
en moyenne, 2 ou 3000 arrestations par an : les
prisons regorgeaient. La haine du peuple contre
le gahelou a survécu au système : Mandriji, le
hardi capitaine de faux-sauniers, était au xviii'
siècle le héros favori des légendes populaires. Le
comte de Provence, plus tard Louis XVIIl, ne
craignit pas de dire, en 1788, à l'assemblée des
notables : i> La gabelle est un impôt dont les effets
sont si effrayants qu'il n'est pas un bon citoj'en
qui ne voulût contribuer, fût-ce d'une partie de
son sang, à l'abolition d'un pareil régime. »
Les aides, ou impôts sur les boissons et con-
sommations, donnaient lieu b. la même inquisi-
tion, aux mêmes vexations. Les aiites présentent
avec la gabelle ce trait commun qu'elles ne sont
pas perçues par des agents du roi, mais par les
agents de la Ferme, compagnie de financiers qui,
moyennant une somme payée au trésor, avaient le
droit d'extorquer au peuple tout ce qu'ils pou-
vaient lui arracher. Les contribuables payaient
toujours trois ou quatre fois plus que no recevait
le trésor. Quand le droit d: joyeux avénenimt
fut atfermé en 1715, les traitants payèrent au roi
20 millions et firent suer au peuple 10 millions.
Le gouvernement n'intervenait pas dans les dé-
mêlés entre la Ferme et ses sujets : pour comble
d'iniquité, c'étaient des juges spéciaux, nommés,
payés par la Ferme, qui statuaient sur les procès
entre la Ferme et les contribuables et prouvaient
leur complaisance par leurs sévérités.
X. — L'instruction publique. — Voyons ce qu'a
fait l'ancien régime pour l'éducation nationale.
Un lait suffit à juger son œuvre, c'est que le
peuple en 1789 ne savait ni lire, ni écrire et que,
plus de quarante ans après, quand M. Guizot fit
la loi de 1833, on constata que la moitié des con-
scrits étaient absolument illettrés. Malgré l'éclat des
lettres sous Louis XIV, malgré la gloire de Cor-
neille, Racine, Molière, Montesquieu, Voltaire, on
peut dire qu'au xvni'^ siècle, après une si longue
tutelle exercée par l'Église sur les intelligences,
le peuple, dans ses masses profondes, était resté
à l'état absolument barbare.
Pour l'instruction primaire, il y avait quelques
écoles dans les villes, et cependant on pouvait
parier que « sur cinq bonnes bourgeoises, assises
à une table somptueusement servie, aucune ne
saurait compter jusqu'à quatre. » Dans la plupart
des villages, il n'y avait même pas d'écoles. Le
syndic do la commune souvent ne sait pas lire;
on trouve parfois dans les registres cette mention :
a Pour avoir pris un homme pour dresse du pré-
sent compte, pour n'avoir l'usage d'écrire : trois
livres >.. Les registres de l'état civil, tenus par le
curé, portent, au lieu de signatures, des milliers
de croix. Çà et là, quelque prêtre réunissait à son
presbytère trois ou quatre enfants choisis parmi
les mieux doués; mais, s'il les instruisait, c'était
en vue de les préparer au sacerdoce. Dans les
pays où le culte catholique et le culte protestant
étaient en présence, dans les Cévennes par exem-
ple, la rivalité confessionnelle créa un certain
nombre d'écoles. Dans l'est de la France, notam-
ment en Lorraine, on comptait presque autant de
maîtres d'école que de communes, liais, comme
il n'y avait pas alors d'écoles normalos pouT for-
mer les instituteurs, ceux-ci passaient un examen
peu sévère devant une commission nommée par
i'évêque et recevaient de lui Vapproltation, ou
permission d'enseigner. Alors le maître d'école se
mettait en quête d'un emploi, se présentait de-
vant les municipalités, donnait un échantillon de
son talent à chanter ou à calculer, montrait son
écriture et, s'il était agréé, signait un engage-
ment. Avec sa classe, il se logeait où il pouvait,
dans un grenier, dans une cave, dans une grange;
il vivait d'un petit traitement soit en argent, soit
en nature, d'un droit d'écolage de quelques sous
par tête d'écolier, des bénéfices que lui rapportait
son service à l'église, parfois d'une dime imposée
sur un laboureur, et mangeait tour à tour chez
les parents de ses élèves. Généralement il cumu-
lait ses fonctions de l'église et de l'école avec
quelque profession manuelle, comme celle de
tailleur, cordonnier, maçon ou débitant de bois-
sons.
L'enseignement secondaire se donnait dans les
collèges. Les études littéraires y étaient médio-
cres ; on s'en tenait aux méthodes des jésuites, et
l'enseignement scientifique restait fort eu arrière
des progrès du siècle. Les châtiments corporels
y étaient prodigués sans ménagement; on em-
ployait, pour éclairer les esprits, les verges et le
fouet, qui s'est maintenu en Angleterre. On
n'avait pas d'Ecole normale supérieure, qui put
préparer de bons maîtres et relever le niveau
de l'enseignement.
Pour l'enseignement supérieur, sur les vingt-
trois universités patentées par le roi. bien peu
méritaient ce nom. Elles luttaient péniblement
contre les prétentions des évêques et les empié-
tements des ordres religieux, qui prétendaient
participer à la collation des grades. Les exercices
du culte catlioliqne étant obligatoires, les pro-
testants et les juifs étaient exclus des univer-
sités. Les conditions d'aptitude aux grades étaient
différentes suivant que l'étudiant était noble ou
roturier.
Les écoles spéciales étaient dans un état dé-
plorable : la faveur, les titres nobiliaires, et non
les exametis, décidaient de l'entrée à l'école
du génie militaire de Mézières, à l'école d'artil-
lerie de Châlons, à l'école des ponts et chaussées
et à l'école des mines do Paris. La nomination
des professeurs du Collège de France était sou-
mise à la signature du grand-aumônier. Les
Académies de province, fort aristocratiques par
leur composition, subsistaient généralement de
quelque fondation et ne s'occupaient que de lit-
I térature. L'Académie française était lui salon où
des grands seigneurs daignaient traiter de con-
frères les beaux-esprits du temps. Seules, l'Aca-
RÉVOLUTION FRANÇAISE
18C5
RÉVOLUTION FRANÇAISE
demie dos Sciences et celle des Inscriptions et
Belles-lettres publiaient des mémoires intéres-
sants.
Ce qui manr|uait au système d'enseignement
public sous l'ancien régime, c'était un concours
efficace et régulier de l'État, c'était le désir sin-
cère d'éclairer le peuple, c'était aussi la liberté :
Fréret, membre de l'Académie dos Inscriptions,
avait été rais à la Bastille pour son Mémnire sur
l'ongiiie dex Français, et l'Église surveillait ja-
lousement toute science et tout enseignement.
B. — L'iBUvro de la névoliWlon.'
L'œuvre de la Révolution s'est complétée sous
quatre régimes successifs : l» sous l'Assemblée qui,
convoquée d'abord le 5 mai 1789 comme réunion
des Ëtats-Généraux, s'est déclarée Assemblée natio-
nale le n juin, a pris le titre de Constituante le
6 juillet, et s'est séparée le 3n septembre 1761 ;
2" sous la Législative, qui a duré du 1" octobre
1791 au 20 septembre 1792; 3° sous la Convention,
qui a gouverné du 21 septembre 1792 au 26 octo-
bre 1795; 4° sous le Directoire, quia fonctionné
du 11 octobre 1795 au 9 novembre 1799 avec le
concours de deux assemblées législatives, celle
des Anciens et celle des Cinq-Cents.
De toutes ces asseiublées, deux surtout ont
contribué à accomplir la transformation de la
France : la Constituante, qui a rendu près de
4000 décrets et opéré la grande révolution poli-
tique et sociale; la Convention, à qui nous som-
mes redevables des grandes créations scientifi-
ques, littéraires et artistiques.
1- — Souveraineté nationale. — Alatbéoriede
la royauté absolue de droit divin, traitant la nation
en sujette, faisant seule la loi et se mettant au-
dessus des lois, l'Assemblée constituante opposa j
le principe de la souveraineté nationale, formulé !
dans ces deux articles de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen :
« Le principe de toute souveraineté réside
♦essentiellement dans la nation. Nul corps, nul
individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en
émane expressément.
« La loi est l'expression de la volonté générale.
Tous les citoyens ont droit de concourir per-
sonnellement ou par leurs représentants à sa for-
mation. ))
Dans la première constitution qu'ait eue la
France, celle de 1791, la royauté a déji changé
de nature. Le roi, désormais, règne « par la vo-
lonté nationale ». Il n'est plus que le premier
magistrat du pays. Il ne peut plus faire la loi,
établir l'impôt, déclarer la guerre, conclure la
paix, signer des traités de commerce, contracter
des emprunts, qu'avec le concours d'une assem-
blée composée des élus de la nation. Il cesse d'être
le propriétaire des personnes et des biens de ses
sujets; la constitution substitue partout la loi
consentie par tous à l'arbitraire d'un seul. Il ne
puise plus à sa fantaisie dans le trésor, car on
a fixé sa liste civile à 35 millions : comme tous
les fonctionnaires publics, il reçoit un traitement.
On l'a rendu irresponsable, précisément pour le
rendre impuissant; les ministres seuls sont res-
ponsables; les actes qu'il accomplit par eux sont
justiciables de l'Assemblée. Quoique sa charge
soit héréditaire, on a déterminé en quels cas il
peut être déclaré déchu du trû'ie et passer de la
condition de roi à celle de sujet.
Bien des constitutions se sont succédé en
France depuis la constitution de 1791 ; il y a eu, à
plusieurs reprises, des essais de pouvoir personnel ;
mais ni Napoléon I", ni Louis XVIlf , ni Charles X,
ni Louis-Pliilippe, ni Napoléon III, n'ont prétendu
gouverner sans le concours d'une représentation
nationale. Depuis 1870, le pouvoir exécutif a cessé
d'être héréditaire ; la forme républicaine, après
avoir fait deux apparitions, en 1792, puis en 1848,
s'est définitivement implantée dans notre pays.
Non seulement la royauté absolue, mais la mo-
narchie constitutionnelle nu représentative ap-
partiennent désormais aux formes du passé.
La participation de tous les citoyens à la for-
mation de la loi est devenue une réalité ; la cons-
titution de 1791, celle de l'an III, celle de
l'an VIII ont établi le suffrage à deux degrés ; les
chartes de 1814 et de 1830 ont organisé le suf-
frage restreint; depuis 1818, c'est le suffrage
universel qui est la loi fondamentale de notre
pays,
II. — Libertés publiques. — L'arbitraire gouver-
neiuental ou administratif sont condamnés, les li-
bertés naturelles garanties par cet article de la
Déclaration des droits, qui ne nous laissait rien à,
envier aux vieilles libertés britanniques :
« Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni dé-
tenu que dans les cas déterminés parla loi et selon
les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollici-
tent, expédient, exécutent ou font exécuter des
ordres arbitraires, doivent être punis. »
Les lettres de cachet furent abolies ; lo secret
des lettres déclaré inviolable. On vit la Consti-
tuante refuser d'ouvrir des lettres saisies à la
poste et qui contenaient, disait-on, la preuve des
complots tramés contre elle.
La liberté de la presse, la liberté de conscience
furent dans la Déclaration des droits, affirmées en
ces termes :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions,
même religieuses, pourvu que leur manifestation
ne trouble pas l'ordre établi par la loi.
« La libre communication des pensées et des
opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire,
imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de
cette liberté dans les cas déterininés par la loi. »
La constitution de 1791 garantit « la liberté à
tout homme de parler, d'écrire, d'imprimer et
publier ses pensées, sans que ses écrits puissent
être soumis à aucune censure, ni inspection avant
leur publication, et d'exercer le culte religieux
auquel il est attaché; la liberté aux citoyens de
s'assembler paisiblement et sans armes, en sa-
tisfaisant aux lois de police. >>
Si la liberté de la presse a été de nouveau me-
nacée, opprimée môme à certaines époques, elle
n'en est pas moins restée dans la conscience pu-
blique comme une de nos libertés essentielles.
La Révolution a fait mieux que de proclamer la
liberté d'écrire : la Constituante, puis la Convention
ont garanti la propriété littéraire, c'est-Mire
assuré à l'écrivain et à ses héritiers le droii ex-
clusif de retirer de son œuvre un profit légitime,
La Révolution a garanti la propriété ; tandis que,
sous l'ancien régime, le roi confisquait arbitraire-
ment les biens de ses sujets ; que, sous prétexte
' d'utilité publique, l'administration s'arrogeait le
droit d'exproprier les citoyens, sans jugement, en
leur promettant une indemnité qui souveiit no
leur était jamais payée, la Constituante établissait
le jury d'expropriation et ne permettait de tou-
cher aux biens frappés d'expropriation pour cause
bien établie d'utilité publique, qu'après avoir
préalaOlement payé l'indemnité.
La Convention elle-même, si impitoyable pour
les droits féodaux, ne permit pas qu'on discutât le
principe de la propriété : le 18 mars 1793, elle dé-
crétait la peine de mort contre quiconque propo-
serait la loi agraire.
Quant ;'i la confiscation, abolie par la Consti-
tuante, rétablie par les assemblées révolutionnai-
res comme une arme contre les émigrés, puis par
Napoléon au retour de l'île d'Elbe, elle a, depuis
la Restauration, disparu de nos lois.
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1866 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
Le principe de la liberté de conscience dicta à
la Constituante une série de mesures réparatrices
Yis-à-vis des protestants. Le décret du 2i décem-
bre 1789 leur rendit les droits politiques. Celui du
10 juillet 1790 restitua aux héritiers des fugitifs
les biens qui avaient été confisqués et se trou-
vaient incorporés au domaine de l'Etat, sous la
garde de la régie aux Oietis des relirjionnnires. On
respecta les biens possédés de bonne foi par des
catlioliques, mais on dépouilla ceux qui en jouis-
saient « pourprix de leurs services ii,^titre de dé-
nonciateurs d'iiérétiqucs. Le décret du 9 décem-
bre 1790 alla rechercher sur la terre d'exil les re-
jetons des proscrits: il statua que tout descendant,
né en pays étranger, d'un Français ou d'une Fran-
çaise expatriés pour cause de religion, serait de
plein droit, s'il revenait en France et y prêtait le
serment civique, admis à jouir de tous les droits
attachés h la qualité de Français.
Les Juifs furent en partie affranchis par le dé-
cret du 27 septembre 1791 : ils n'avaient qu'à
prêter le serment civique pour jouir de leurs
droits politiques. Cette condition ou cette res-
triction fut abolie sous l'empire. Il n'y a plus de
Juifs en France, mais seulement des citoyens
français professant la religion juive.
La Constituante , en retirant au clergé les
registres de l'état civil, en les confiant aux offi-
ciers municipaux, garantit les droits des dissi-
dents. En déclarant que o la loi ne considère le
mariage que comme contrat civil », en exigeant
que le mariage civil précédât le mariage religieux,
la Révolution a sécularisé la famille et assuré la
liberté de conscience contre tout retour oITensif.
in. — Égalité entre tous les citoyens. — L'éga-
lité entre tous les citoyens devenait ainsi la loi nou-
velle de la France, et voici comme la Déclaration
des droits déduisait les conséquences du principe
d'égalité :
n Les hommes naissent et demeurent libres et
égaux on droits. — Les distinctions sociales ne
peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
« La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle
protège, soit qu'elle punisse. — Tous les citoyens
sont égaux à ses yeux, sont également admissi-
bles à toutes dignités, places et emplois publics,
selon leur capacité et sans autre distinction que
celle de leurs vertus et de leurs talents. »
En conséquence : « Il n'y a plus ni noblesse, ni
pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinction
d'ordres, ni régime féodal, ni justices patrimonia-
les, ni aucun des titres, dénominations et privi-
lèges qui en dérivaient, ni aucun ordre de clieva-
lerie, ni aucune des corporations ou décoratjjns
pour lesquelles on exigeait des preuves de no-
blesse ou qui supposaient des distinctions de
naissance, ni aucune autre supériorité que celle
des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs
fonctions. »
Et on lit dans le préambule de la constitution
de 1791 : « La constitution garantit comme droits
naturels et civils : 1° que tous les citoyens sont
admissibles aux places et emplois, sans autre dis-
tinction que celle des vertus et des talents; —
2'" que toutes les contributions seront réparties
entre tous les citoyens également, en proportion
de leurs facultés ; — 3° que les mêmes délits se-
ront punis des mêmes peines, sans aucune dis-
tinction des personnes. »
La Révolution avait trouvé le peuple français
divisé en trois ordres, ou plutôt en trois nations :
elle fit passer sur tous les privilèges et toutes les
distinctions le niveau de la loi commune. Elle
détruisit le clergé comme puissance temporelle
et comme propriétaire du sol ; elle détruisit le
pouvoir de la noijiesse, qui retenait encore sur les
personnes et sur les propriétés une partie des
son ancienne souveraineté féodale. La Déclaration
des droits et la constitution de 1791 ne firent que
sanctionner les célèbres décrets de la nuit du
4 aoiit 1789 et celui du 19 juin 179(1 qui avait aboli
la noblesse héréditaire. Il n'y eut plus de distinc-
tion ni pour les impôts, ni pour la justice, ni
pour les charges de la judicature, du clergé, de
l'armée, de l'administration.
Ce fut une longue et difficile liquidation que
celle des droits seigneuriaux qui pesaient sur le
peuple des campagnes. On s'y reprit à trois fois :
sous la Constituante, sous la Législative, sous la
Convention.
Après la nuit du 4 août, les légistes de la Cons-
tituante s'avisèrent de distinguer entre les droits
seigneuriaux qui témoignaient de l'ancien asser-
vissement du peuple par la noblesse, et ceux qui
dérivaient de contrats librement consentis entre
les propriétaires nobles et les paysans. En d'au-
tres termes, ils établirent deux catégories de droits
seigneuriaux : ceux qui procédaient de la féodalité
dominante et ceux qui procédaient de la féodalité
contriictante.
Après la nuit du 4 août, fut abolie, sans iiidem-
nité pour les propriétaires, la première catégorie
de ces droits ; ainsi disparurent le servage, le
droit de main-morte, et toutes les obligations,
plus ou moins odieuses, qui rappelaient l'ancienne
servitude : les droits de chasse, de colombier, de
garenne, de préage, de ravage ; les droits de déshé-
rence et de bâtardise, qui livraient aux seigneurs
l'héritage de leurs sujets morts sans postérité et
ceux des enfants illégitimes ; le droit d'aubaine,
en vertu duquel ils acquéraient l'héritage des
étrangers morts sur leur domaine ; le droit d'é-
pave, qui assurait aux seigneurs de Bretagne la
dépouille dos naufragés ; la corvée seigneuriale,
la taille seigneuriale, les banalités de pressoir,
de moulin, de four; les péages sur les routes, les
rivières, les marchés.
Mais la Constituante, composée en majeure par-
tie de nobles ou de bourgeois qui exerçaient des
droits seigneuriaux, n'osa aller plus loin. Elle fit
entrer dans la catégorie des droits procédant de
la féodalité contractante beaucoup de redevances
qui grevaient encore les terres, telles que les lods
et ventes ou droits usue's, le cras ou rente sei-
gneuriale, un certain nombre de banalités qu'on
regardait comme la réconip"nse de services au-
trefois rendus par le seigneur. Le paysan ne pou-
vait s'en affranchir qu'en les rachetant.
Le paysan se voyait donc obligé de payer comme
droits fonciers les mêmes droits de mutation ou
les mêmes rentes qu'il payait auparavant comme
droits féodaux ou censuels. Si ce système avait
pr-valu, la propriété rurale restait surchargée
de redevances énorjnes ; elles se seraient accrues
d'année en année à mesure que la richesse pu-
blique aurait grandi ; elles auraient maintenu la
1 fortune nationale entre les mains de l'aristocratie
et brisé l'essor de notre démocratie rurale. La
terre n'était donc que nominalement affranchie :
il fallait pousser plus loin la Révolution.
Citons les mémorables décrets par lesquels
la Législative et la Convention achevèrent l'é-
mancipation du paysan, et qui doivent se graver
dans la mémoire reconnaissante du peuple.
Par le décret du 18 juin 1792, la Législative
déclara abolis sans rachat « les droits connus
sous les noms de quint, re(/uiiit, treizième, lods
et treizains, lods et vnles et isuies, mi-lods, ra-
chaps, ventioles, reliefs, releraisons,plaids-acapte,
arriére-acapte et autres, sous quelque dénomina-
tion que ce soit, qui se percevaient i cause des
mutations qui survenaient dans la propriété ou la
possession d'un fonds, sur le vendeur, l'acheteur,
les donataires, les héritiers et tous autres ".
Elle ne maintint, en fait de droits casuels, que
ceux dont le propriétaire pourrait établir, par des
REVOLUTION FRANÇAISE — 1867 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
titres, qu'ils étaient le prix ou la condition d'une
cession de terre.
Par le décret du 25 août 1702, la Législative,
0 considérant (|U0 le régime féodal est aboli,
que néanmoins il subsiste dans ses effets, et que
rien n'est plus urgent que de faire disparaître du
sol français ces décombres de la servitude qui
couvrent et dévorent les propriétés, décrète qu'il
y a urgence: — Tous les effets qui peuvent avoir
été produits par la maxime nulle terre sans sei-
gneur, par celle de l'enclave, par les statuts, cou-
tumes et règles, soit générales, soit particulières,
qui tiennent à la féodalité, demeurent comme non
avenus ».
Les banalités que la Constituante avait réser-
vées furent alors abolies sans rachat ; tout pro-
priétaire devint, sans aucunes condiiionsni réser-
ves, le maître de sa terre.
La Convention, h son tour, par la loi dn 17 juil-
let ni)3, va plus loin : elle abolit même les droits
(■asiiels que la Législative avait conservés, même
ceux qui avaient été le prix ou la condition d'une
acquisition de terre. Elle n'admet plus que la
féodalité ait jamais élô conlracfanie ; elle entend
abolir jusqu'à son nom et à sa mémoire. Pour
cmpêclier qu'on puisse revenir sur celte abolition,
lu Convention décrète a que tous les titres féodaux
ilevront être déposés dans les trois mois au greffe
des municipalités et qu'ils seront brûlés en pré-
sence du conseil général et de tous les citoyens. «
Kn vertu de cette loi, le 10 août 179."!, il y eut sur
toute la surface de la France comme un immense
feu de joie de tous ces titres qui avaient coûté
au peuple de France, pendant des siècles, tant
de sueurs et de larmes.
Enfin, le 7 septembre 1793, la Convention pro-
mulgue ce décret :
« La Convention nationale décrète qu'aucun
Français ne pourra percevoir des droits féodaux
et des redevances de servitude, en quelque lieu
de la terre que ce puisse être, sous peine de
dégradation civique. »
La féodalité, cet arbre maudit qui avait si long-
temps stérilisé le sol français, en fut ainsi extirpé
jusqu'en ses dernières racines. Le paysan fran-
çais devint enfin libre dans sa personne et dans
son bien. Lui-même a peine il s'imaginer aujour-
d'hui tout ce que la féodalité et l'ancien régime
ont fait souffrir à ses devanciers.
Une autre révolution se fit dans la propriété
française. Non seulement la_ dîme fut abolie, sans
racliat, mais les biens d'Église furent déclarés
biens nationaux et mis en vente. Quand la Légis-
lative décréta la confiscation des biens des émi-
grés qui avaient pris les armes contre la France,
ce fut une masse nouvelle de terres qui s'ajouta
aux biens nationaux. Le décret du 14 août 1792 pres-
crivit de les vendre par petits lots do deux, trois
et quatre arpents, pour que le plus pauvre paysan
pût s'en rendre acquéreur. L'émission des assi-
gnats et plus tard des mandats territoriaux permit
au cultivateur d'acheter à vil prix les terres qu'il
avait cultivées pendant tant de siècles pour le
compte des évéques, dos moines et des seigneurs.
Le décret du 10 juin 1793 autorisa en outre le
partage des biens communaux si le tiers des habi-
tants se prononçait pour cette mesure. Des mil-
lions de campagnards deviurentainsi propriétaires.
Les acquisitions de biens nationaux furent le lien
puissant qui attacha le paysan h la Révolution ;
c est pour défendre à la fois les droits de l'homme
et sa propriété nouvelle qu'il s'arma contre les
émigrés et les armées coalisées. Conijne on le
disait en 1791, la propriété lui fut donnée comme
a la dot de la constitution » et comme le pre-
mier bienfait de la liberté. Une France nouvelle
sortit de cette révolution agraire, et la démocra-
tie rurale de France, la plus puissante qu'il y
ait dans le monde, grandit sur ce sol par elle re-
conquis.
IV. — Administration départementale et mu-
nicipale. — Ue même que nous avons pu retrouver
dans toutes les branches do l'administration et de
la vie publi(|ue l'application de ces deux princi-
pes sur lequel reposait l'ancien régime, c'est-à-
dire arbitraire et privilège, nous allons suivre
dans toutes les lois de la Itévolution l'application
dosa double devise : liberté et égalité.
Dans la nuit du 4 août les provinces et les villes
avaient renoncé à leurs privilèges. Pour abolir
jusqu'au souvenir des anciennes distinctions ter-
ritoriales, dos anciennes autonomies, des ancien-
nes dynasties, des rivalités et des haines locales,
l'Assemblée constituante décréta, le 20 janvier
n90, la nouvelle division territoriale de la
France. Les vieux noms historiques des provinces
disparurent de la langue administrative. Les X3 dé-
partements ne portèrent d'autres noms que ceux
qu'ils empruntaient aux montagnes, aux cours
d'eau et autres particulariiés de leur topographie.
Ils se subdivisèrent en districts ou arrondisse-
ments; les districts en cantons; les cantons en
communes. Alors l'unité nationale, ébauchée par
les plus grands de nos rois, se trouva consommée.
Il n'y eut plus des Bretons, des Flamands, des
Alsaciens, des Provençaux : il n'y eut plus que des
Français ayant tous les mêmes devoirs et les
mêmes droits.
Le principe d'un contrôle du pouvoir exécutif
par des pouvoirs élus se retrouve à tous les de-
grés de la hiérarchie politique. La Constituante
supprima les intendants et les subdélégués et les
remplaça par des autorités électives: le départe-
ment était administré par le conseil de départe-
ment et le directoire di'partemental, surveillés
par l'assemblée de leurs électeurs; le district par
le conseil et le directoire de district ; la commune,
par un corps municipal, composé du cotiseil gé-
néral de la commune et d'un bureau exéciiti/",
c'est à-dire d'un maire, d'un procureur, d'un
greffier et d'un trésorier. Le Premier consul, en
l'an Vlll, renforça dans cette organisation l'auto-
rité du pouvoir central : il établit des préfets et des
sous-préfets, créades tribunaux administratifs sous
le nom de conseils de préfecture, et s'attribua la
nomination des maires; mais à côté d'eux subsis-
tèrent les conseils généraux, les conseils d'arron-
dissement et les conseils municipaux ; depuis cette
époque les attributions des conseils généraux et
municipaux se sontaccrues, et l'élection des maires,
sauf dans les grandes villes, a été restituée aux
communes. Les principes de liberté et de contrôle
posés par la Constituante n'ont donc jamais été,
à aucune époque, complètement répudiés, et ils
ont fini par triompher dans les administrations
locales comme dans le gouvernement central.
La modification apportée par le Premier consul
à l'organisation créée par la Constituante n'était pas
inutile. Cette assemblée, préoccupée surtout d'as-
surer la liberté, avait affaibli à l'excès le pouvoir
central ; celui-ci n'avait presque aucune action
bur les départements et les communes; auprès du
directoire du département ou du conseil de la
commune, il n'avait pas, comme agents directs,
un maire ou un préfet chargés de l'exécution des
lois, mais seulement des procureurs chargés d'en
requérir l'exécution. Les directoires et les com-
munes pouvaient donc entraver, par inertie ou
malveillance, les mesures les plus essentielles à
la défense du territoire ou à la mise en vigueur
des réformes. La Constituante eut à lutter en
effet contre les administrations royalistes; la Lé-
gislative, où domiiiaienl les Girondins, contre les
administrations constitutionnelles ou feuillantes;
la Convention, après le triomphe de la Mon-
tagne, contre les administrations girondines, les
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1868 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
provinces se trouvant toujours un peu en retard
sur le mouvement parisien. C'est ce qui explique
l'impuissance de la Législative à assurer l'ordre
à Paris même, et les mesures exceptionnelles et
terribles auxquelles fut obligée de recourir la
Convention pour assurer la défense nationale, le
recrutement des armées, la levée de 1 impôt, la
mise en vente des biens nationaux, le cours forcé
des assignats. La Convention fut contrainte do
suppléer à l'absence d'agents directs du pouvoir
par l'envoi des représentants en mission, de mfme
qu'elle dut suppléer à l'inertie des tribunaux par
l'établissement de la justice révolutionnaire.
V. — Réforme de la justice et de la législation.
— La Constituante supprima les) parlements, qui
étaient des foyers d'opposition à ses réformes;
«lie supprima les tribunaux de second ordre, les
juridictions extraordinaires du roi, toutes les
justices seigneuriales, ecclésiastiques, munici-
pales. Elle lit table rase de toutes ces anciennes
institutions qui n'étaient plus que les débris
anarcbiques des pouvoirs féodaux, et qui ne ser-
vaient plus qu'à entraver l'action de la justice et
à vexer les justiciables.
Par la loi du 16 août 1790, elle disposa qu'il
y aurait un tribunal par district. Il n'y avait plus
de parlements et, pour ne pas les restaurer sous
un autre nom, elle n'établit pas de cours d'appel.
L'appel était porté d'un tribunal de district à un
autre tribunal de district, choisi contradictoire-
ment par les parties sur une liste do sept tribu-
naux. Seulement, comme l'idée d'un appel suggère
naturellement l'idée d'une juridiction plus haute
et d'une compétence supérieure, il y avait réelle-
ment une lacune dans la hiérarchie judiciaire de
la Constituante; elle fut comblée par le Premier
consul qui établit des cours d'appel.
En revanche, l'organisation décrétée par la Con-
stituante présente deux particularités originales.
Elle instituait, au sommet de la hiérarchie
judiciaire, une Cour de cassation qui devait sta-
tuer uuiqucment sur les vices de forme et sur
l'interprétation des lois. La Cour de cassation
assurait l'unité de jurisprudence, en même temps
que le Code civil allait assurer l'unité de législa-
tion.
L'autre innovation fut l'institution des juges de
paix, à raison d'un par canton. Dans cette région
inférieure où fourmillaient auparavant les chi-
canes des diverses justices locales, ces mangevies
de villarje, comme les appelait Loyseau, une ma-
gistrature paternelle et conciliatrice allait rendre
aux ouvriers, aux paysans, aux pauvres, dans
leurs petits procès, une justice prompte et peu
coûteuse; pour les causes qui dépassaient sa
compétence, les plaideurs étaient cependant tenus
de se rendre devant le juge de paix; il s'elTorçait
alors de concilier leurs prétentions, d'étouffer les
procès naissants, d'épargner aux justiciables des
peines et des dépenses inutiles. Enfin le juge de
paix avec deux assesseurs rendait une justice dite
correctionnelle, car elle avait surtout pour but de
corriger par des peines légères les délits d'une
faible gravité.
_ Des tribunaux de commerce, d'une procédure
simple et expéditive, remplacèrent dans un cer-
tain nombre de villes les anciennes juridictions
consulaires.
La Constituante s'inspira de ce principe de la
Déclaration des droits : i< Nul corps, nul individu
ne peut exercer d'autorité qui n'émane expressé-
ment de la nation. » Les magistratures hérédi-
taires et les magistratures achetées, le juge par
droit de naissance et le juge par le droit du plus
ofl'rant disparurent également. Il n'y eut plus de
juge propriétaire de la justice, plus de juie ina-
movible, u Déclarer l'inamovibilité, disait Kœde-
rer, c'est travailler dans l'intérêt des mauvais
juges. » Tous les magistrats étaient élus pour
dix ans par le même corps électoral qui nommait
les députés. Ce corps élecioral fit des choix
excellents : beaucoup des légistes qui plus tard
contribuèrent à la rédaction du Code civil, ou à
l'établissement de la jurisprudence nouvelle, soit
au conseil d'Etat, soit à la Cour de cassation,
entrèrent dans la magistrature par les élections
de 1790.
La Constituante voulut même que la nation in-
tervint directement dans l'exercice de la plus im-
portante des attributions judiciaires, la justice
criminelle. On avait horreur de l'ancien système
qui la livrait uniquement à des juges de profes-
sion, c'est-i-dire i. des juges endurcis, habitués
aux cruautés de l'ancienne procédure, enclins à
voir dans tout prévenu un coupable. C'était une
vieille maxime du droit français que nul ne pou-
vait être jugé que par ses pairs, c'est-à-dire par ses
égaux; en France elle était tombée en désuétude;
on ne la retrouvait plus que dans les pays libres,
comme l'Angleterre et l'Amérique, où fonctionnait
l'institution du jury. La Constituante décréta que,
dans toute cause criminelle, douze jurés, appli-
quant aux faits de la cause le simple bon sens,
statueraient par un verdict sur la culpabilité ou
l'innocence du prévenu ; d'après ce verdict, les
juges appliqueraient la loi et prononceraient la
sentence.
La Constituante exigea que l'on donnât con
naissance à l'inculpé des accusations portées
contre lui, qu'il reçût communication des pièces,
fût confronté avec les témoins, pût recourir au
ministère d'un avocat. Les débats devaient être
publics et le jugement motivé. Toute irrégularité
dans le procès ouvrait la voie il un recours en
cassation.
Louis XVI n'avait aboli, en 1788, que la ques-
tion préparatoire ; encore se réservait-il de la
rétablir " si l'expérience en démontrait la néces-
sité, n La Constituante anéantit les restes de
cette abominable procédure en abolissant la ques-
tion préalable. Elle supprima toutes les barliaries
qui accompagnaient le supplice des condamnés,
et établit que tout condamne à mort aurait la tète
tranchée. Elle abolit le fouet, la marque, les muti-
lations, les peines perpétuelles, restreignit à des
cas assez rares la peine de mort. Xapoléon I" ré-
tablit la marque, les peines perpétuelles, la peine
de mort dans un grand nombre de cas, l'amputa-
tion du poing avant la décapitation pour les
parricides. La réforme du Code pénal en 1832
supprima de nouveau ces vestiges de barbarie, et,
par l'admission des circonstances atténuantes,
permit aux magistrats d'abaisser toutes les peines
d'un ou deux degrés et de réduire l'application de
la peine de mort. L'adoucissement des mœurs n'a
cessé de correspondre, comme pour le justifier, à
cet adoucissement progressif de la législation.
La République de ISiS a aboli l'exposition pu-
blique et la peine de mort en matière politique.
La peine de mort, en matière criminelle, sera
quelque jour abolie, et l'on vient de reprendre, à
la Chambre des députés, l'initiative d'une proposi-
tion en ce sens.
Dans la Déclaration des droits la Constituante
posait ce principe : " Il sera fait un code de lois
civiles communes Ji tout le royaume. » L'anéantis-
sement du régime féodal avait déjà aboli, aux
trois quarts, les anciennes coutumes. L'Assemblée,
travaillait à fondre dans une loi commune leS'
dispositions les plus équitables du droit coutumier
et du droit romain. La loi du 15 avril 1701 pro-
clama le droit égal des enfants à la succession de
leurs parents, abolit les droits d'ainesse et dei
masculinité, et, pour empêcher leur rétablissement
par voie indirecte, décida que le père de famille,'
par donation ou testament, ne pourrait favoriserl
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1869 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
l'un de ses enfants au détriment des autres que l
dans une mesure déterminée. Depuis la Révolution,
le droit d'aînesse n'a guère été revendiqué que
par ceux qui voulaient rétablir la famille ariatocra- i
tique d'autrefois, et en faire la pierre d'attente
pour un rétablissement de l'ancien régime. Quajit
à la liberté absolue de tester, elle est soutenue sur- i
tout par ceux qui voudraient ménager au clergé, par j
la captation des testaments et la spoliation des
héritiers naturels, un moyen de reconstituer son
ancien domaine. A vingt et un ans, les enfants
étaient émancipés de la tutelle paternelle, qui
autrefois se prolongeait sur leur vie entière, et
reprenaient la disposition de leurs biens person-
nels. Dans la famille despotique et divi.sée de i
l'ancien régime, pénétrèrent les principes qui
régissaient l'ordre social et politique : liberté et
égalité. Les mœurs et les affections de famille .
n'y ont rien perdu. 1
L'institution des actes de l'état civil donna une i
date certaine aux naissances, aux mariages, aux
décès, coupa court à d'innombrables procès,
assura la sécularisation du mariage.
La Constituant!' n'eut pas le temps de codifier
les lois par lesquelles elle réforma l'ancienne
société et fonda le droit nouveau. Si elle ne fit pas
le Code civil, elle en prépara tous les éléments
essentiels. On l'a appelé Code Napoléon : mais il
est bien le Code de la Révolution ; ce sont les
principes mêmes de 1789 qu'il a formulés, c'est
des sentiments de la Constituante qu'il est impré-
gné, et, s'il a mérité de servir de modèle à tous les
peuples civilisés et de fonder non seulement en
France, mais dans la moitié de l'Europe, la société
moderne, c'est que l'esprit du xviiio siècle et
l'esprit de la Révolution l'ont inspiré.
VL — Réforme de 1 armée. — La Constituante
commença la régénération de l'armée en décla-
rant, le 28 février 1790, « tous les soldats habiles
à obtenir tous les emplois et grades militaires. »
Déjà un souflle nouveau de patriotisme avait pé-
nétré dans l'armée comme dans le peuple.
On vit alors cette nation, qui manifestait tant
d'horreur pour la milice, courir spontanément
aux armes en n89 et mettre sur pied quatre
millions de gardes nationaux; on la vit, en 1792,
envoyer aux frontières ses bataillons de volon-
taires en sabots ; on la vit, en 17H3, répondre à la
proclamation de la levée en masse, remplir de ses
recrues quatorze armées; on la vit, de 1793 à
1815, tenir tète i l'Lurope entière, inonder de ses
bataillons l'Allemagne et l'Italie, guerroyer en
Espagne, en Egypte, en Syrie, à Saint-Domingue,
en Irlande, affronter le soleil d'Afrique et les
neiges do Moscou, et réaliser cette prédiction de
Sieyès h. un gentilhomme qui justifiait l'oppression
du peuple par un droit de conquête : u N'est-ce
que cela 't répondit-il. Nous serons conquérants
i notre tour. »
Toutes les pénalités infamantes de l'ancien ré-
gime avaient été abolies par la Constituante.
Les châtiments corporels furent laissés aux ar-
mées anglaise, russe ou allemande, qui elles-
mêmes, gagnées par notre exemple, ne devaient
pas les supporter longtemps.
L'armée se recruta d'abord, sous la Législa-
ture, par les enrôlements volontaires ; sous la
Convention, par les réquisitions; sous le Direc-
toire, par la loi du 21 août 1798 (19 fructidor
an VIj, qui posa en principe que tout Français
contractait en naissant l'obligation de servir la
patrie. La conscription, restée depuis lors la règle
fondamentale de notre armée, organisée défini-
tivement par la loi du 21 mars 183^', considérée
comme le premier des devoirs civiques, s'imposa
5. tous sans distinction de naissance ; elle fut le
niveau égalitaire sous lequel se courbèient toutes
les têtes ; ceux-li seuls qui avaient encouru des
peines infamantes furent exemptés de l'honneur
de servir le pays.
Cette organisation militaire a atteint son plus
haut degré de moralité et d'égalité par la loi du
27 juillet 1872, qui a proclamé le service militaire
universel et obligatoire et qui a réalisé ce que les
hommes de la Révolution avaient rêvé ou ébau-
ché : la nation armée.
VII. — Réforme ecclésiastique. — La Révolution
anéantit le clergé connue ordre de l'Etat, abolit ses
justices ecclésiastiques, lui retira les registres de
l'état civil, supprima les dîmes qu'il faisait payer
au peuple, s'empara des biens de l'Eglise et en fit
les biens nationaux, réduisit les membres du clergé
à n'être plus que les fonctionnaires salariés de la
nation. Un épisode de cette sécularisation de l'E-
glise fut la destruction de l'Etat pontifical d'Avi-
gnon, la réunion au domaine national de ce do-
maine papal, qui fit partie intégrante du départe-
ment de Vaucluse.
L'ancienne France était divisée en 111 évê-
chés et 18 archevêchés. L'étendue de ces diocèses-
était aussi variable que les traitements des titu-
laires ; à la frontière leurs limites ne coïnci-
daient même pas avec celles de la France; ainsi
les évêchés de Metz, Toul, Verdun, Strasbourg,
dépendaient des archevêchés allemands de Trêves
et Mayence ; les cinq évêchés de Corse dépen-
daient des archevêchés italiens de Gènes et de
Pise ; en revanche, les archevêques de Cambrai
et de Besançon étendaient leur autorité sur uns
partie de la Belgique et de la Suisse.
La Constituante tit coïncider les limites des dio-
cèses avec celles des départements; il y eut au-
tant de diocèses que de départements; le nom-
bre des archevêchés ou évêchés se trouva donc
ramené à 83. Le traitement des prélats fut réduit
à des proportions modestes, celui des curés ou
desservants porté à un chilTre honorable. Toutes
ces réformes furent sanctionnées sous le Consu-
lat par le Concordat du li juillet 1801 conclu avec
la cour de Rome, ratifié par la loi du 10 germinal
an X (8 août 1802) en même temps que les articles
orçiuniques.
Au contraire, la Révolution échoua dans sa ten-
tative pour changer le mode de nomination des
évêques et des curés, c'est-à-dire pour les faire
nommer à l'élection comme les autres magistral?.
La cour de Rome traita en schismatique le clergé
élu, et le Concordat rendit au pouvoir exécutif la
nomination des évoques. Pourtant l'Église cuns-
iitutionnelle de France a jeté un certain éclat avec
Grégoire, évêque de Loir-et-Cher, Fauchet, du
Calvados, Lind^t, de l'Eure, Thibaut, du Cantal,
Cazeneuve, dus Hautes-Alpes, Gay-Vernon, de la
Haute-Vienne, Massieu, do l'Oise, Huguet, de la
Creuse, Lalande, de la Meurthe, qui furent tous
membres de la Convention. Un des adversaires de
l'Église constitutionnelle lui a rendu ce témoi-
gnage :
i< Les nouveaux élus, dit Lally-Tollendal, ont
prêché, de parole et d'exemple, l'étude de la reli-
gion, la régularité des mœurs, la pratique de la
charité et de tous les devoirs sacerdotaux. Dans
les temps de la terreur, on a vu de ces pasteurs
schismatiques braver les plus grands dangers pour
conserver le souvenir d'une religion, pour secou-
rir, consoler, sauver ce qu'ils appelaient leur trou-
peau, même sans différence d'amis ou d'ennemis.
On en a vu qui, trahies à l'échafaud, ont reçu la
coup de la mort avec courage et religion. »
Les 4'J9 abbayes ou monastères de l'ancienne
France disparurent dans la tourmente. Par le
décret du 1" novembre 1189, la Constituante
commença par suspendre l'émission des vœux
dans tous les monastères des deux sexes et par
restreindre le nombre des couvents à un seul du
même ordre dans chaque municipalité. Par le
RÉVOLUTION FRANÇAISE
1870
REVOLUTION FRANÇAISE
décret du ÎO février 1190, elle entra au vif de la
question. Voici le texte de l'article premier :
<( La loi constitutionnelle du royaume ne recon-
naîtra plus de vœux monastiques solennels de
personnes de l'un et de l'autre sexe. En consé-
quence les ordres et congrégations religieux
dans lesquels on fait de pareils vœux sont et
demeurent supprimés en France, sans qu'il puisse
en être établi de semblables à l'avenir. » Les
vœux monastiques pouvaient être encore des
liens de conscience et de foi; la loi ne les recon-
naissait plus comme obligation civile. Elle abo-
lissait leurs conséquences légales, relevait les
religieux et religieuses de la mort civile, leur
reconnaissait les mêmes droits qu'aux autres
citoyens, les déclarait habiles h hériter et à pos-
séder, leur permettait le mariage. Pour beaucoup
d'infortunés dont les vocations avaient été con-
traintes, celte loi fut une grande délivrance.
La loi de 1*90 n'avait pas entendu fermer les
couvents, sauf ceux où l'on prononçait les voeux
perpétuels, mais seulement en ouvrir les portes
aux religieux qui voudraient recouvrer la liberté.
La Législative, par le décret du 18 août 179'!,
alla pli|§-hoin. Elle anéantit tous les couvents sans
exception : n Toutes les corporations ou congréga-
tions régulières d'hommes et de femmes sous
quelque dénomination qu'elles existent en Fran-
ce,... sont éteintes et supprimées à dater de la
promulgation du présent décret. » Les religieux
et les religieuses dépossédés reçurent une
pension.
Ainsi fut dissoute cette vaste confédération
d'associations monacales, plus ancienne que le
royaume de France, qui avait exercé dans notre
pays une influence si puissante et souvent si
néfaste, et qui pendant quatorze siècles avait
concentré entre les mains des moines une part
si considérable de la fortune nationale. La même
ruine enveloppa les Bénédictins, contemporains
des rois francs, les Dominicains qui au xiii' siècle
avaient établi l'inquisition dans le midi de la
France, les Franciscains, subdivisés en tant d'or-
dres, qui depuis cinq cents ans mendiaient pour
enrichir l'Eglise et, la besace au cou, amassaient des
millions, et qui, sons le nom de Capucins, avaient
figuré dans les guerres civiles du xvi' siècle.
VllI. — Affranchissement de l'agriculture, du
commerce et de l'industrie- — La Révolution a
été surtout l'émancipation du travail national. Elle
affranchit l'agriculture de la dime, des droits sei-
gneuriaux, de la corvée royale ; elle adoucit
pour elle le poids des autres impôts en les répar-
tissant égaletuent sur tous les citoyens ; elle lui
a livré les terres de l'Eglise et de l'aristocratie ;
elle a honoré le travail agricole, qui était le plus
méprisé, en amenant les députés-paysans sur les
bancs des assemblées nationales, en faisant trem-
bler les rois de 1 Europe devant ses armées de
soldats-paysans. Elle a rendu la liberté absolue
dans le choix des cultures, et décrété la libre cir-
culation des grains dans l'intérieur du pays. Les
lois du 14 décembre 1789 et du 28 septem-
bre 1790 ont donné l'impulsion lia construction
des chemins vicinaux. Les diverses assemblées
révolutionnaires se sont préoccupées de faire pé-
nétrer, par l'établissement d'tcoles primaires,
l'instruction et la lumière jusqu'au fond des
campagnes. Toutes les lois qui, depuis cette épo-
que, se sont inspirées de l'esprit de 17S9, même
celle qui a établi le suffrage universel, sont i l'a-
vantage des paysans. La Révolution, dans ses
traits essentiels, a été appelée par les cahiers
des paysans, réalisée par le soulèveiuent des
paysans en juillet 1789, consolidée parles victoi-
res des paysans sur les armées de l'Europe. Nulle
classe de la société n'est plus intéressée au main-
tien des conquêtes de la Révolution ; nulle ne
serait plus ardente à les défendre, si elles étaient
menacées.
Le commerce a été affranchi par la suppression
des douanes intérieures, qui, plus tard, a eu pour
conséquence, dans les rapports avec les pays
étrangers, l'extension des principes du libre-
échange.
La Convention a mis fin à la diversité infinie
des poids, des mesures, des monnaies, en décré-
tant le 1*' aoîit 1793 l'établissement du système
décimal, qui a été rendu obligatoire par la loi du
4 juillet 18.37, et qui a été adopté ensuite parla
plupart des nations européennes.
En abolissant les abus dont souffrait l'étranger
domicilié en France, coirime le droit d'aubaine,
en favorisant son admission à la cité française,
la Constituante avait donné plus de sécurité aux
relations commerciales. Par l'abolition des restric-
tions qu'apportait l'Eglise au prêt à intérêt, par
la création d'un bon système d'hypothèques, qui
transforme les immeubles mêmes en valeurs mo-
bilières, elle a donné à la richesse mobilière une
extension inouie, et si rapide que le Code civil
lui-même n'a pu la prévoir.
La Constituante proclama la loi nouvelle de
l'industrie dans cet article de la Déclaration des
droits : « 11 n'y a plus ni jurandes, ni corpora-
tions de professions, arts et métiers. » En consé-
quence, reprenant la réforme tentée par Turgot,
, le décret du 15 février 1791 abolit les maîtrises
! et les jurandes, supprima la distinction entre maî-
tres et compagnons, abrogea tous les règlements
qui s'opposaient aux progrès et à la variété de la
fabrication, substitua au régime du privilège la
libre concurrence.
Par le décret du 7 janvier 1791, la Constituante
a garanti la propriété industrielle et établi les
I brevets d'invention.
I Sous la Convention, la loi du 10 octobre 1794 a
fondé le Conservatoire des Arts et Métiers ; sous
le Directoire, en 1798, par les soins du ministre
; François de Neufchàteau, fut ouverte au Champ
de Mars la première exposition de l'industrie, et
j l'on sait quel développement a pris cette insti-
tution,
IX. — Réforme du système des contributions.
— Tandis que l'essor du travail national rendait
moins lourd le poids des inipùts, la Révolution in-
troduisait de profondes et salutaires modifications
dans l'administration des finances. La Déclara-
tion des droits a défini en ces termes les principes
nouveaux qui régissent la matière :
Il Pour l'entretien de la force publique, et pour
les dépenses d'administration, une contribution
commune est indispensable; elle doit être égale-
ment répartie entre les citoyens, en raison de
leurs facultés.
t Tous les citoyens ont droit de constater par
eux-mêmes ou par leurs représentants la néces-
sité de la contribution publique, de la consentir
librement, d'en suivre l'emploi et d'en détermi-
ner la quotité, l'assiette, le recouvrement et la
durée. »
Ainsi, dans le langage de ce temps, on n'em-
ploie même plus le mot d'impôt, qui semble
emporter l'idée d une obligation tyrannique, mais
celui de contribution, qui rappelle h la fois la
légitimité et l'utilité du sacrifice auquel chaque
citoyen doit consentir en vue de l'intérêt com-
mun. L'impôt ou la contribution n'est plus, sui-
vant l'expression de Proudhon, que la quote-part
à payer par chaque citoyen pour la dépense des
services publics.
Dans l'organisation établie par la Constituante,
les contributions ne sont plus imposées par le
roi ; elles sont consenties par les représentants
de la nation. S'il s'agit d'impôts directs, elles ne
sont plus réparties arbitrairement par les inten-
RÉVOLUTION FRANÇAISE
1871 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
dants et leurs subdolégués: ce sont les conseils de
déparlement qui sont investis de cette attribution,
et, dans chaque commune, ce sont des répartiteurs
choisis parmi les habitants, il n'y a plus de collec-
teurs charges malgré eux du soin ingrat de la per-
ception : ce sont des agents de l'État, qui (à partir
du Consulat sous le nom de percepteurs, rece-
veurs particuliers, receveurs généraux) ont mis-
sion de faire parvenir au trésor public les fonds
recueillis par eux. S'il s'agit d'impôts indirects,
il n'y a plus de fermiers-généraux exploitant le
contribuable bien plus à leur profit qu'au profit du
trésor.
Une fois le produit des contributions entré
dans le trésor public, les mômes représentants
de la nation qui en ont autorise la perception
en surveillent l'emploi. De même qu'ils ont éta-
bli le budget des recettes, ce sont eux qui dres-
sent le budget des dépenses.
Les seuls impots directs établis par la Consti-
tuante sont la contribution foncière, la contribu-
tion personnelle et mobilière, les patentes : à ces
trois impôts il faut en ajouter un quatrième, éta-
bli sous le Directoire : celui des portes et fenê-
tres.
Pour assurer l'égale répartition de l'impôt
foncier, la Constituante, par les décrets du 2S
août et du 23 septembre 1791, la Convention, par
le décret du 21 mars 1193, ordonnèrent l'établis-
sement du cadastre ; cette longue et coûteuse
opération n'a été terminée qu'en 1850.
En fait d'impôts indirects, la Constituante n'au-
torisa que les droits d'enregistrement, de timbre,
d'hypothèque, et les douanes. La gabelle et les
aides avaient laissé un souvenir trop détesté pour
qu'elle ne s'empressât pas do les abolir. Les im-
pôts de consommation, rétablis par Napoléon
sous le nom do droits réunis, abolis de nouveau
par la Restauration, ont dû être rétablis presque
aussitôt.
Les emprunts, livrés autrefois au bon plaisir
du souverain, sont depuis la Révolution soumis
au vote des assemblées. Cette garantie parle-
mentaire est même une condition essentielle du
crédit de l'État. Seuls les gouvernements libres
peuvent emprunter à un taux raisonnable : les
gouvernements despotiques, n'ofl'rant pas de ga-
ranties à l'épargne, sont nécessairement la proie
des usuriers et des lanceurs d'affaires. On sait
quelle horreur inspirait à la lionstituante l'idée
de faire banqueroute aux créanciers de l'État,
idée si familière aux ministres des finances sous
l'ancien régime. La Convention, dans ses plus
terribles embarras, montra la même probité in-
flexible : par la loi du 'ii septembre 1193, elle
créa le grand-livre de la dette publique, qui,
malgré la banqueroute partielle du Directoire,
connue sous le nom d'opération du Tiers-Conso-
lidé, est resté la base solide de notre crédit et
fait aujourd'hui de la rente française la plus sûre
des valeurs mobilières.
X. L'instruction publique sous la Révolution.
Grandes créations de la Convention. — La Révo-
lution, qui rencontra parmi les contemporains
des résistances si acharnées, ne pouvait compter
que sur l'avenir pour s'implanter définitivement.
La génération qu'éprouva la tourmente était encore
trop imbue des idées et des sentiments anciens :
c'est à l'enfance, c'est à la jeunesse qu'on devait
s'adresser, c'est dans leur esprit et leur cœur
qu'il fallait enraciner l'amour de la liberté et de
l'égalité : on ne pouvait y parvenir qu'en organi-
sant l'éducation publique. C'est le sentiment de
tous que l'évêque Grégoire exprimait en ces ter-
mes : « Reconstituons la nature humaine en lui
donnant une nouvelle trempe. 11 faut que l'édu-
cation publique s'empare de la génération qui
naît. 9
Ce fut le premier souci de l'Assemblée cons-
tituante. Dans la Déclaration des droits, on trouve
formulée cette prescription :
« Il sera créé et organisé une instruction publi-
que commune à tous les citoyens, gratuite à
l'égard des parties d'enseignement indispensa-
bles pour tous les hommes. »
La Constituante se mit à l'œuvre ; mais la tâche
était si longue et si délicate que c'est seulement
la Convention qui put l'accomplir, au moins en
partie.
n L'histoire, dit un écrivain royaliste, M. de
Riancoy, n'a pas enregistré sans une sorte d'é-
tonnement mêlé de frayeur l'activité de la Con-
vention. Or, parmi les douze comités qui la com-
posaient, le Comité de salut public seul peut être
comparé pour sa terrible ardeur k celui de l'ins-
truction publique. «
Nous allons résumer les titres que le Comité
d'instruction publique s'est acquis à la recon-
naissance de la nation. (V. pour les détails l'ar-
ticle Convention, dans la I" Partie.)
Les deux plans d'éducation présentés à la
Constituante, d'abord par Mirabeau^nsuite par
Talleyrand, n'ont pas été suivis d'eiHkffin. Le
plan que Condorcet avait préparé pour^ Légis-
lative ne fut examiné que par le Comité d'instruc-
tion publique de la Convention. Dans ce plan, on
trouve énumérés cinq degrés d'enseignement :
1° Les écoles primaires, à raison d'une par
400 habitants ;
2° Les écoles secondaires (qui représenteraient
aujourd'hui l'enseignement primaire supérieur
et l'instruction professionnelle), Ji raison d'une
par district;
3» Les instituts (que nous appellerions aujour-
d'hui lycées et collèges), au nombre de 1 10 ;
4° Les lycées (qui eussent correspondu aux fa-
cultés d'aujourd'hui), au nombre de 9;
5" Une société nationale des arts et sciences
(c'est l'idée qui s'est réalisée plus tard dans la
création de l'Institut national de France).
La Convention dutcourir d'abord au plus pressé,
c'est-à-dire aux écoles élémentaires. C'était l'é-
ducation du peuple qui avait été la plus négligée,
c'était donc elle qui s'imposait le plus impérieu-
sement aux méditations de la première assemblée
républicaine.
Le 12 décembre 1792, le girondin Lantlienas
vint, au nom du Comité d'instruction publique,
lire un rapport sur la partie du plan de Condorcet
qui touchait à l'instruction primaire. Après une
vive discussion, le principe d'une loi sur l'instruc-
tion primaire fut posé dans le décret suivant :
« Les écoles primaires formeront le premier
degré d'instruction. On y enseignera les connais-
sances rigoureusement nécessaires à tous les ci-
toyens. Les personnes chargées de l'enseigne-
ment dans ces écoles s'appelleront instituteurs. »
Après la chute des Girondins, la discussion fut
reprise, en juin 1793, sur le rapport du monta-
gnard Lakanal, puis en juillet à propos du plan
d'éducation trouve dans les papiers de Lepelletier
de Saint-Fargeau, assassiné par un royaliste. Elle
aboutit à la loi du 29 frimaire an II (19 décem-
bre 1793), votée sur le rapport de Bouquier. Cette
loi rendait l'enseignement primaire obligatoire
et gratuit, et mettait le salaire des instituteurs et
institutrices à la charge de la République. Après
la réaction de thermidor, le principe de l'obliga-
tion et delà gratuité fut abandonné.
Il ne suffisait pas de décréter l'instruction pri-
maire ; il eût fallu créer les locaux, le per-
sonnel, les méthodes. C'est une œuvre qui ne
peuts'accomplir qu'avecle temps; or. la Convention
se séparaen 17;).') ; le Directoire oublia l'œuvre com-
mencée ; Napoléon ne se soucia pas de la repren-
dre. Il lui suffisait d'inscrire à ses dépenses une
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1872 — RÉVOLUTION FRAN'ÇAISE
somme de 4250 francs destinée au noviciat des
écoles clirétiennes; ce fut tout le budget de l'ins-
truction populaire sous le puissant empereur. La
question traîna de longues années: on sait comme
elle s'est résolue, sous le ministère de M. Guizot,
par la loi de 1833 ; sous celui de M. Duruy par la
loi de 1SG7 ; sous le gouvernement actuel par levote
de l'instruction gratuite et obligatoire, par la loi
sur les écoles normales des filles, par la création
de 5000 écoles nouvelles, par l'accroissement du
budget de l'enseignement populaire qui s'élève
à plus de 30 millions. Les essais tenté» par la
Révolution se sont complétés, et c'est l'esprit de
la première République qui inspire la République
nouvelle.
En matière d'enseignement secondaire, les ef-
forts que l'on voudra tenter seront toujours suivis
de résultats plus prompts. Aussi la Convention
eut-elle le temps d'inaugurer les écoles centmles
(c'est à-dire les instituts de Condorcet, les lycées
ou collèges d'aujourd'hui). C'est Lakanal qui pré-
senta le rapport que sanctionna le décret du 7 ven-
tôse an m (?5 février 1195;. La supériorité des
écoles cân^i^s de IVJb sur les collèges de l'ancien
régimeW^HItait surtout dans un enseignement
sérieux ^^^la philosophie, de l'histoire, des
sciences, du dessin : cet enseignement tout scien-
tifique nous était bien nécessaire, car les dé-
fauts de l'esprit français, à cette époque, prove-
naient surtout dune éducation trop exclusivement
littéraire. Les écoles centrales restèrent floris-
santes jusqu'à Napoléon, qui les remplaça par les
lycées et rétablit en grande partie l'ancien pro-
gramme.
Pour l'enseignement supérieur proprement dit,
la Convention n'eut pas le temps de créer une
organisation d'ensemble : les facultés de lettres
et de sciences ne furent établies que beaucoup
plus tard.
L'honneur de la Convention, ce sera surtout la
création des grandes écoles spéciales.
V Ecole centrale rtes travaux publics, qui est de-
venue l'École polytechnique, fut constituée par le
décret du 21 ventôse an II (II mars 179i). Les con-
ventionnnels ('arnot et Prieur de la Côte-d'Or
furent les auxiliaires les plus zélés de l'ingénieur
Larablardie, cliargé de l'organiser. Parmi ses pre-
miers professeurs se rencontrciit les plus illustres
savants de l'époque : Lagrange, Prony, Monge,
Berthollet, Fourcroy, Chapial, Vauquelin, Guyton
de Morveau.
L'ancienne Ecole des mines, supprimée depuis
nyO, fut rétablie sur un plan nouveau en 1793.
L'Ecole du génie, réorganisée par la Consti-
tuante, fut, en 1794, transférée de Mézières à
Metz.
Aux 34 écoles de navigation établies dans les
ports de mer par la Constituante, la Convention
en ajouta deux nouvelles. De plus elle fonda trois
écoles spéciales pour les aspirants reçus dans les
ports de Brest, Toulon et Rochefurt. Ces trois éco-
les furent l'origine de notre École navale.
L'Ecole 7iOi maie, pour le recrutement des pro-
fesseurs, fut fondée le 9 brumaire an III (30 octo-
bre liai). Les jeunes gens, trop nombreux (ils
étaient l"20(i), qui y furent appelés, y trouvèrent
un personnel de professeurs unique dans le
monde : les mathématiques y étaient ensei-
gnées par Lagrange, Laplace, Slonge ; la physi-
que, par Haiiy ; l'histoire naturelle, par Dauben-
ton ; la chimie, par Berthollet; l'agriculture, par
Thouin j la géographie, par Buaclie ; l'histoire, par
Volney ; la morale, par Bernardin de Saint-Pierre ;
la grammaire générale, par Sicard ; l'analyse de
l'entendement, par Garât; la littérature, par La-
harpe; l'économie politique, par Vandermonde. Le
conventionnel Lakaiial, qui avait fait voter le
décret, présida la séance d'inauguration.
Avec l'École polytechnique et l'École normale,
l'avenir scientifique du pays était assuré.
Le Jardin du Roi ou Jardin des Plantes devint,
parle décret du 10 juin 1793, rendu également sur
la proposition de Lakanal, ce magnifique établisse-
ment scientifique qu'on appelle le Mu éum. Geof-
froy Saint-Hilaire y ouvrit, le 6 mai 1794, « le
premier cours de zoologie qu'on ait fait en Fran-
ce. " C'est là que les Laniarck, les Cuvier, les
Jussieu, les Brongniart, les Lacépcde allaient
donner aux sciences naturelles leur prodigieux
développement.
Le Collège de France fut réorganisé par décret
du 13 juillet 1795.
L'École spéciale des langues orientales « d'une
utilité reconnue pour la politique et le commerce »
était fondée par décretdu30 mars 1795. Langlès y
enseignait le persan et le malais; Sylvestre deSaci
l'arabe; Venture, le turc et letatar; Millin, l'ar-
chéologie ; sous le Directoire, une chaire de grec
moderne y sera créée pour D'Anse de Villoison.
Le Bureau des loyigitudes est constitué par le
décret du 25 juin 1795.
Le Conservatoire des arts et métiers, fondé
par le décret du 10 octobre 1794, ne sera pas seu-
lement un musée, mais une école supérieure d'in-
dustrie.
Le 25 octobre 1795, un décret de la Convention
ouvrait à Paris deux écoles de droit; le 4 décem-
bre 1794 étaient constituées les écoles de méde-
cine de Paris, Montpellier et Strasbourg. A l'or-
ganisation du service médical se rattache une
réforme des hôpitaux qui, sous l'ancien régime,
étaient dans un état affreux : à l'Hôtel-Dieu les
morts et les mourants étaient confondus dans le
même lit, et Necker vit à Bicètre neuf malades cou-
chés dans les mêmes draps infects. La Convention,
énergiquement soutenue d'ailleurs par la Com-
mune de Paris, institue une commission parle-
mentaire des hôpitaux et défend de mettre deux
malades dans le même lit. Elle prend sous son pa-
tronage rétablissement des sourds-muets fondés
par l'abbé de l'Epée, et en établit un second à
Bordeaux; elle subventionne la maison des jeu-
nes aveugles, fondée par Haiiy, et qui prend le
nom d'Institut national des aveugles travailleurs.
Telle était la pliilanthropie éclairée de cette as-
semblée qui a laissé dans l'histoire un si terrible
renom.
Quant, aux Académies, Mirabeau, dans ses der-
niers jours, avait préparé un rapport concluant à
la suppression de « ces écoles do servilité et de
mensonge ». Il s'agissait surtout de l'Académie
française, qui comptait alors dix de ses membres
dans l'émigration. Elle fut en effet supprimée; les
autres lurent simplement réorganisées avec un per-
sonnel en pariie renouvelé et sur des bases plus
conformes aux nouvelles institutions sociales et au
progrès des sciences; elles devinrent des sections
de l'Institut national de France, créé le 25 oc-
tobre 1795, sur le rapport do Daunou. Il se divi-
sait en trois classes: sciences physiques et ma-
thématiques; sciences morales et politiques; lit-
térature et beaux- arts. Il comprenait tous les
hommes marquants de cette époque, dont quel-
ques-uns sont les plus grands du siècle. Cette
organisation était la plus rationnelle : l'Institut
ainsi compris était comme la consécration de tout
le mouvement scientifi(|ue qui a produit la Révolu-
tion ; il était, suivant un mot du temps, r£/iC^c/o-
pédie vivante et triomphante.
Bonaparte, en 1803, brisa cette organisalioii,
reconstitua les quatre Académies de 1 ancien ré-
gime, et suppriiua, comme dangereuse pour le gou-
vernement qu'il allait fonder, la section des sciences
luorales et politiques ; c'était celle où siégeaient
Volney, Garât, Cabanis, Grégoire, Lakanal. Daunou,
Sieyès, c'est-à-dire la représentatiou la plus auto-
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1873 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
risée de la liberté politique et de l'indépendaiico
■scientiliciue.
Revenons aux créations de la Convention et de
son Comité d'instruction publique:
Le Musée du Louvre, établi par décret du 27
juillet 1793 pour l'éducation artistique du peuple
dans le palais des rois, formé des tableaux que la
monarcliie avait dispersés dans ses galeries et,
dès noi, enrichi par les victoires de nos armées
en Belgi(|ue et en Hollande;
ha. Bi/jliothèr/tœ yiationale, l'ancienne bibliotliè-
que du roi, prodigieusement agrandie et que la loi
de ITJS sur le dépôt légal va augmenter de tout
ce que publieront les presses françaises;
Le Musée des monuments françaix, fondé le 30
février ns3, où la Convention veut réunir les mor-
ceaux de sculpture et d'arcliitecture du moyen
âge qu'elle protège contre le vandalisme des po-
pulations, défendant de muiiler les monuments
ou les livres, « sous prétexte de faire disparaître
les insignes de la féodalité et de la royauté »; il
fut dispersé après la Révolution.
Les Archives nationales, où viennent se centra-
liser les papiers précieux des cliâteaux et des mo-
nastères lorsque, sur la proposition de Grégoire, la
Convention défend de continuer à brûler les char-
tes féodales;
Le Conseï vatoire national de musique, créé par
décret du 8 novembre 1793, où six cents élèves
viennent écouter les leçons de Gossec, de Grétry,
•de Méhul, de Lesueur, de Cherubini.
Si la Révolution a supprimé l'Académie des
Beaux-Arts, elle a convoqué le premier jury na-
tional des Beaux-Arts; la première exposition
artistique a lieu au Louvre en 1791 ; la seconde a
lieu en 1793, en cette année à la fois terrible et
féconde, qui vit la Convention, au milieu de dan-
gers mortels, préparer la grandeur scientifique
et artistique de la Frjnce.
C'est encore en 1793 qu'elle vote la loi sur la
propriété artistique et littéraire (juillet), qu'elle
entend le rapport du député Arbogast sur l'unité
■des poids et mesures (août). Au plus fort de sa
lutte contre l'Europe (avril 1793), elle avaitaccueiUi,
sur le rapport de Romme, l'invention nouvelle de
l'abbé Cliappe, le télégraphe aérien. Le 30 août I79i,
le télégraphe, fonctionnant pour la première fois
jusqu'à la frontière, lui apportait cette nouvelle :
« La ville de Condé est restituée k la République.
La reddition a eu lieu ce matin à six heures. «
■C'est aux armées de la Convention, dans la jour-
née victorieuse de Fleurus, que fut tenté le pre-
mier essai d'aérostation militaire. Dans un rap-
port à l'assemblée, Fourcroy constatait que,
depuis cette première ascension qui avait si fort
intrigué les Autricliiens, jusqu'au i janvier 1795,
■il y en avait eu déjà, 3:>. Il était bien juste que la
science se mit au service du seul gouvernement
qui en Europe combattît pour la raison et pour le
droit, celui dont les victoires préparaient l'avenir
splendide de l'humanité, et dont la défaite eût
été le triomphe des puissances de la nuit.
Principaux ouvrages à consulter. — A. de Toc-
-queviUe, L'Ancien réf/imf et la liévoliilimi. — F. LafiT-
rière. Histoire des principes, des institutions et des toii
jiendant ta Iléooliaion française. — H. Taine. Les origi-
nes rfe la France contemporaine : l'Ancien régime. — E.
Despois, Le Vandalisme réiiolutionnaire ; fondations litté-
raires, scienti/it/nes et artistiques de la Convention. —
H. DODiol, Ln lievolution française et la féodalité. - Ch.
Chassin, L'Eglise et les derniers serfs. — Arthur Young,
Voi/age.
IrailuiN |i:ir\l I,.
ruci, //„■/,„„„„„■,. /,„i, „■„,,„■ ., „.„„,o ».
enul urnes de la France. — Lmilc Gurft, Les bicnfàus'de Tu
JicoolutiOti française.
1787, 1788. 17»!
I,,a.l„, li. \[.,l\\n,n. L'ancien ré-
..„,,„,,„, ,,/ ,/,, /i„,rois. — X.r.\K-
DEUXIEME PARTIE
Histoire de la Révolution.
A. — Lca orIgInciKie lu névulutlon.
Il faut chercher dans les splendeurs mêmes du
règne de Louis XIV les causes de la Révolution.
Sous ce roi qu'en France et en Europe on appelait
le grand roi, l'Etat français arriva au plus haut
degré de puissance. L'Alsace, le Roussillon,
l'Artois, la Flandre, la Franclie-Comlé furent
réunis i, la France; à nos colonies du Canada, de
la Guyane, de l'île Bourbon, s'ajoutèrent celles de
la Louisiane, de Saint-Domingue, du Sénégal,
presque tout le groupe des Petites Antilles, des
établissements considérables à Madagascar et dans
l'Indoustan. Louis XIV, justifiant sa devise Nec
plurihus iiiipar, lutta, dans plusieurs guerres, con-
tre l'Europe coalisée, la fatigua de ses victoires,
et presque toujours, sauf dans sa dernière guerre,
celle de la succession d'Espagne, dicta les con-
ditions de la paix. Les souverains de l'Europe
s'inclinaient devant sa prépondérancc^e jecon-
naissaient pour le premier d'entre ^Bflks'ef-
forçaient de l'imiter en tout. ^^^H^
A l'intérieur, il fonda sa royauté abs^^^ur la
ruine des pouvoirs qui avaient tenu en échec ses
prédécesseurs : il dompta l'aristocratie qu'il ré-
duisit à n'être plus qu'une noblesse de cour; il
força les parlements, qui s'intitulaient cours sou-
veraines, à se renfermer dans leurs attributions
judiciaires ; il humilia les prétentions du pape et fit
des évoques les plus dociles de ses sujets ; il rédui-
sit à l'impuissance les Etats provinciaux et effaça
les derniers vestiges des libertés municipales.
Louvois lui organisa son armée sur un pied
formidable; Colbert accrut sa marine marchande,
créa une puissante marine de guerre, fonda les
ports militaires de Dunkerque, Brest, Rochefort et
Toulon ; ses architectes bâtirent le Val-de-Gràce,
l'Observatoire, le Palais-Mazarin, l'Observatoire,
les arcs de triomphe des portes Saint-Denis et
Saint-Martin, les Invalides, achevèrent le Louvre
et les Tuileries, construisirent Versailles.
Toute cette grandeur fut achetée par d'énormes
sacrifices, et la nation en fut comme écrasée. Les
vingt années de guerres non interrompues, sou-
vent malheureuses, qui signalèrent la fin de ce
règne, portèrent à son comble la misère du peu-
ple des campagnes et des villes : la guerre sévis-
sait aux frontières et la famine dans l'intérieur
du royaume. La royauté persécuta cruellement
les protestants, supplicia leurs pasteurs, terrorisa
les populations du midi par les dragonnades,
poussa les calvinistes des Cévennes à l'insurrec-
tion ; 400 000 Français, les plus riches et les plus
industrieux, fuyant la barbarie de ses intendants,
de ses juges, de ses dragons, émigrèrent dans les
pays voisins: ce fut un coup mortel pour l'indus-
trie et le commerce de la France et le commen-
cement des prospérités de la Prusse et de l^An-
gleterre. Après avoir étonné l'Europe de ses
victoires, de ses bâtiments, du luxe de sa cour,
Louis XIV laissait en mourant une dette de près
d'un milliard.
Sous Louis XV, cette situation empira. La ban-
queroute do Lavv au début, la banqueroute de
l'abbé Terray à la fin du règne, anéantirent le
crédit de l'Etat. Le pouvoir royal, tout aussi écra-
sant pour le peuple, aussi tyrannique pour les
dissidents, n'offrait plus, en compensation, ni
la gloire militaire, ni la prépondérance du pays
au dehors. La guerre de Sept ans fut le déshon-
neur de la roya'Uté et des nobles qui comman-
daient ses armées ; en Europe, la France fut hu-
miliée devant la Prusse naissante ; hors d'Europe,
les Anglais s'emparèrent du Canada, de nos pos-
sessions de l'Indoustan ; la Louisiane était cédée k
118
RÉVOLUTION FRANÇAISE - 1874 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
l'Espagne. La vie privée du roi fut le scandale du
siècle : le peuple, qui, en 1744, lui avait décerné le
nom de " Louis le Bien-Aimé », changea cet
amour en haine : on vit le roi s'associer aux spé-
culateurs pour accaparer les grains et créer des
famines artificielles. La royauté, si obéie naguère,
voyait l'insubordination grandir autour d'elle : les
évêques la bravaient; les parlements lefusaient
d'enregistrer ses édits; à Paris, le peuple, exas-
péré par la disette, les petits rentiers, ruinés par les
banqueroutes de l'Etat, multipliaient les émeutes;
les campagnes se dépeuplaient, et, dans certaines
provinces, le désert s'étendait.
Le Tiers-Et:it, qui jusqu'alors avait soutenu la
royauté contre tous ses ennemis, contre l'aristo-
cratie, contre le pape, contre les évoques, et qui
l'avait aidée à fonder sur l'unité française la gr.tn-
deur royale, commençait à séparer sa cause de
celle du monarque. La bourgeoisie étaiiniaintenant
trop éclairée pour s'accommoder plus longtemps
du despotisme, de l'arbitraire administratif, des
abus qui déshonoraient la justice, l'armée et tous
les seines publics, des privilèges que s'arro-
geaflH||M:lergé et la noblesse. Les économistes
Traifl^^^u étrangers, Vauban, Boisguillebert,
Qu^r^, Gournay, Adam Smitli, démontraient
l'absurdité dif système d'impôts. Voltaire flétris-
sait l'intolérance religieuse, vengeait La Barre,
Sirven, Calas, victimes de la barbarie des juges,
dénonçait au monde entier l'état de servage où
le chapitre de Saint-Claude retenait les paysans
du mont Jura. Montesquieu, dans son Esprit des
Lois, dégageait le principe des constitutions libres
et donnait la formule des réformes. Rousseau,
dans son Coyitratsùcia/, pvodàmahU souveraineté
du peuple. Diderot et d'Alemborl, dans V Encyclo-
pédie, commençaient l'éducation scientifique de
la nation et détruisaient par la base toutes les
superstitions politiques ou religieuses. Beaumar-
chais, dans sa comédie du Mariage de Figaro, li-
vrait la noblesse et le régime arbitraire aux risées
du public.
Quand, le 11 mai 1774, Louis XVI succéda à
son aïeul Louis XV, une immense espérance s'em-
para du peuple et de la bourgeoisie. Le nouveau
roi parut d'abord vouloir justilier cette attente.
Il congédia les ministres de Louis XV, que pour-
suivaient la haine et le mépris de la nation: mais
presque aussitôt se manifesta l'indécision qui était
le trait essentiel de son caractère. 11 nomma
Turgot contrôleur-général des finances, et Males-
hcrbes ministre de sa maison ; mais en mètne
temps il confiait le ministère des affaires étrangères
à Técervelc Maurepas, qu'on appelait le Perroquet
de la Régence, et le ministère de la guerre au
comte de Saint-Germain, dont le premier soin fut
d'introduire dans l'armée l'usage des châtiments
corporels.
Malgré les obstacles qui leur étaient suscités
par la reine Marie-Antoinette, fille de l'impératrice
d'Allemagne Marie-Thérèse, par les parlements, les
courtisans, les financiers, par leurs propres col-
lègues et tous ceux qui profitaient des abus, les
deux ministres populaires, Turgot et Malesherbes,
se mirent h l'œuvre.
Malesherbes proposa à Louis XVI la restitution
des droits civils aux protestants, la suppression
des lettres de cachet, de la censure contre la
presse, l'abolition de la torture : ces réformes
furent ajournées.
Turgot fit décréter la suppression de la corvée
royale sur les routes, l'abolition des maîtrises, la
destruction des douanes intérieures, les entraves
à la circulation des grains. Ces réformes suscitè-
rent l'aiiimosiié des privilégiés. Le parlement de
Paris foutint que « le peuple est taillable et cor-
véable à merci et que c'est une partie de la cons-
titution que le roi est inipuissant i. changer ; » il
n'enregistra que par force l'édit qui abolissait la
corvée. Les accapareurs soulevèrent le peuple igno-
rant contre l'édit qui établissait la liberté du
commerce des grains, et soudoyèrent des brigands
qui :. lièrent piller les boulangeries et couler les
bateaux chargés de blé. Il fallut tout un corps de
troupes pour mettre fin à la « guerre des farines»
^mars I77G'. Le roi n'osa soutenir les ministres
réformateurs. Malesherbes et Turgot donnèrent
leur démission ; les paysans furent remis à la
corvée, les ouvriers au régime des maîtrises, le
cotnnierce soumis aux anciennes entraves, tous
les projets de réformes abandonnés.
Lorsqu'en 1776 éclata la guerre contre l'Angle-
terre pour la liberté des États-l nis, pressée de
rétablir ses finances, la cour s'adressa à un ban-
quier genevois, Xecker ; comme il était protestant,
on ne le nomma pas contrôleur-général, mais sim-
plement directeur des finances. Necker reprit
quelques-unes des idées de Turgot, affranchit les
serfs du domaine royal, abolit la torture, mais
seulement la question préparatoire, et non pas la
question préalable. Pour trouver de l'argent, il
fallait emprunter; pour emprunter, il fallait relever
le crédit de l'État, et donner confiance aux capita-
listes. Necker, pour la première fois, rendit public
le budget des recettes et dépenses ; cette publica-
tion était fort incomplète et dissimulait encore
bien des abus. Les courtisans, qui vivaient, comme
on disait alors, des « bienfaits du roi », furent
inquiets de ce commencement de lumière. Comme
le compte-rendu de X'ecker avait une couverture
bleue : « Avez-vous lu le conte bleu ? •> dit Mau-
repas. Le mot eut du succès ; le roi abandonna
son ministre.
La guerre d'Amérique continuait : elle eut des
conséquences que la cour n'avait sans doute pas
prévues quand elle permit à Lafayette et aux volon-
taires français d'aller soutenir les insurgés améri-
cains, et quand etisuite elle envoya les troupes
royales sous la conduite de Rochambeau. Les
Français assistèrent dans le Nouveau Monde au
soulèvement d'un peuple qui revendiquait ses
droits ; ils entendirent proclamer les principes
de la souveraineté nationale et saluèrent la nais-
sance de la République des États Unis. Beaucoup
dirent avec Lafayette : « Voili des principes que
nous rappellerons un jour chez nous, » et gravèrent
dans leur cœur ces maximes de la déclaration de
Philadelphie :
« Tous les hommes ont été créés égaux; ils ont
été doués par le Créateur de certains droits ina-
liénables ; pour s'assurer la jouissance de ces
droits, les hommes ont établi parmi eux des gou-
vernements dont l'autorité légitime émane du
consentement des gouvernés ; toutes les fois
qu'une forme de gouvernement quelconque devient
destructive des fins pour lesquelles elle a été éta-
blie, le peuple a le droit de la changer et d^
l'abolir. »
Pendant que l'Amérique anglaise devenait un<
république, la cour de France et le gouverneraenj
s'obstinaient dans les mêmes errements. Malgré lî
pénurie du trésor et la misère du peuple, le!
favoris de la reine touchaient de grosses pensions:
les Polignac, à enx seuls, 700 000 livres par an,
Aussi la haine du peuple se tournait-elle coiitro
Marie-Antoinette : on commençait à J'appeler ÏAlt-
Iricliieiine ou encore Madame Déficit. Les frères
du roi, le comte de Provence, le comte d'Artois,
s'adjugeaient des sommes énormes. Il fallait rem-
plir le trésor, épuisé parles dépenses de la guerre
et les prodigalités de la cour.
Galonné promit à la reine de trouver des res-
sources : nommé contrôleur-général, il débuta par
emprunter ii 0 millions, dont un quart à peine
entra au trésor ; le reste fut dévoré par les gens
de cour : le comte de Provence en prit pour sa
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1875 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
pan Î5 niilliotis et le comte d'Artois 50. Calonne
ne savait rien refuser à personne ; il fallut em-
prunter encore 400 millions. Alors il s'avisa de
proposer des réformes : soumettre les privilégies
k l'impôt, décréter la liberté du commerce, établir
des assemblées provinciales, etc.
La situation était si grave que l'on parla de con-
voquer les États-Généraux : on ne pensait à eux
aue lorsqu'il y avait de l'argent à leur demander,
etto fois, on avait de tels comptes à leur rendre
qu'on n'osa les réunir. On se borna donc à convo-
quer les notablfs, c'est-à-diro précisément les
représentants des classes privilégiées, qui ne
payaient rien et qui entendaient bien ne rien
payer. Ils repoussèrent unanimement les réformes
que proposait le contrôleur-général, et Calonne
tomba.
Son successeur, Loménie de Brienne, arche-
vêque de Toulouse, ne réussit pas mieux à con-
vaincre les notables. Ils acceptèrent l'établisse-
ment d'assemblées provinciales, l'abolition (!e la
corvée royale, la restitution de l'étal civil aux pro-
testants ; ils consentirent même à voter un impôt
du timbre et une subvention territoriale ; mais ils
se refusèrent tout net à l'égalité des impôts, seul
moyen d'éviter la banqueroute. Au cours dos dis-
cussions, Lafayette avait prononcé le mot d'États-
Généraux et même d'Assemblée nationale.
Le parlement de Paris, quand les notables se
furent séparés, refusa au ministère même les
maigres ressources que ceux-ci lui avaient accor-
dées. Il n'enregistra que par force, dans une séance
royale ou lil de /u-^tive tenu par le roi, les deux
impôts votés par eux. Après la séance royale, le
parlement protesta et fut exilé à Troyes, puis
dissous ; les parlements de province firent cause
commune avec celui de Paris et furent également
dispersés.
En se dispersant, le parlement de Paris, comme
l'assemblée des notables, comme naguère la cour
des aides, comme les États provinciaux de Dau-
pliiné réunis à Vizille, comme le clergé lui-même
dans son assemblée de 1787, comme l'opinion pu-
blique tout entière, en avait appelé aux États-
Généraux. Le roi finit par se résigner : en dé-
cembre 1"87, il promit qu'on les convoquerait
dans cinq ans. L'état des finances no permit pas
d'attendre si longtemps : la date de mai I7S9 fut
définitivement arrêtée. Puis, pour s'assurer un
peu de popularité, le gouvernemejit rappela Necker.
Il y avait cent soixante-quinze ans qu'on n'avait
convoqué les mandataires de la nation ; la dernière
réunion remontait à 1014. Pendant les deux règnes
si longs de Louis XIV et de Louis XV, pendant ce
siècle et demi de monarchie absolue et irrespon-
sable, il ne fut môme pas question des États. Le
souvenir des États-Généraux de 1614 était d'ail-
leurs resté peu populaire, tant le Tiers-État y avait
essuyé d'humiliations; les représentants de la
bourgeoisie y avaient paru à genoux et tête nue,
tandis que le clergé et la noblesse restaient assis
et couverts devant le roi. L'orateur du Tiers-État
ayant osé dire que les trois ordres étaient comme
trois frères, les deux premiers étant les aines et le
Tiers-Éiat étant le cadet, la noblesse lui lit cette
insolente réponse : « Qu'il n'y avait aucune fra-
ternité entre elle et le Tiers; que les nobles ne
voulaient pas que les enfants de cordonniers et de
savetiers les appelassent leurs frères ; qu'il y avait
autant de différence entie eux et le Tiers qu'entre
le maître et le valet. »
En 1788, la première question qui se posa fut
celle-ci : le Tiers-État aurait-il un nombre de
représentants égal à celui des représentants des
«eux autres ordres réunis .' C'est ce ([u'on appelait
1* question du a doublement du Tiers ». l.n fait,
dans la plupart des réunions d'États-Généraux,
.le Tiers avait une double représentation ; en droit,
il était bien juste que vingt millions d'hommes
eussent une représentation au moins égale à celle
des cent mille ecclésiastiques et des cent cin-
quante mille nobles qui composaient les deux au-
tres ordres. Necker le comprit ainsi; mais il voulut
faire décider le doublement du Tiers par une nou-
velle assemblée de notables qu'il convoqua en
1788. Les notables, gens privilégiés, refusèrent le
doublement : Necker le fit décider par le con-
seil du roi.
De ce premier principe, le doublement du Tiers,
découlait naturellement cette conséquence : le
vote par tries, et non le vote par ori/res, dans les
délibérations. A quoi bon attribuer au 'fiers-Etat
un nombre double de représentants, si l'on devait
voter par ordres, s'il ne devait avoir qu'un suf-
frage contre les deux sulTrages des ordres privi-
légiés'/ Necker ne put ou ne voulut pas tirer la
conséquence du principe posé par lui-même. Les
événements allaient montrer tout le péril de cette
irrésolution.
Necker fit admettre les curés dans lareprésenta-
tion du clergé, les paysans dans celle di^^m|Etat,
les protestants au nombre des électÉ^^^Kdes
éligiblcs. Il s'abstint d'exercer aucuH^HHion
sur les élections : on vit, pour la prer^re fois
dans notre histoire, cinq millions de Français
exercer leur droit de citoyens. Les privilégiés
essayèrent bien d'apporter quelque trouble dans
ce grand mouvement : leurs intrigues ne furent
pas étrangères à l'émeute du 27 avril 1789 à
Paris, pendant laquelle la populace incendia la
fabrique Réveillon, et qui manqua faire ajourner
la convocation des Etats.
Presque partout, les élections se firent avec le
plus grand calme ; dans chaque bailliage, le
clergé, la noblesse, le peuple dos villes et des
campagnes, rédigèrent les fameux cahiers de 1789,
c'est-à-dire les vœux dont les députés aux Etats
étaient chargés de solliciter la réalisation. Le
clergé revendiqua, dans ses cahiers, le maintien
de la dime et de la propriété ecclésiastique, son
droit de surveillance sur l'éducation, sur la pres-
se, sur les dissidents religieux; la noblesse
stipula la garantie de tous ses privilèges ; mais le
clergé comme la noblesse s'unirent au Tiers-Etat
pour demander qu'où restreignît le despotisme
royal et que les mandataires de la nation fussent
convoqués périodiquement.
« Ecoutez! écrivait Camille Dosmoulins dans sa
brochure la France libre, écoutez Paris et Lyon,
Rouen et Bordeaux, Calais et .Marseille ; d'un
bout de la France à l'autre, le même cri, un cri
universel, se fait entendre. La nation a partout
exprimé le même vœu. Tous veulent être libres.»
Les cahiers du Tiers-Etat de Rennes contien-
nent ce vœu qui est la formule même de la Ré-
volution : a C'est par erreur que ce qu'on appelle
Tiers-Etat a été qualifié é'oritre ; avec ou sans
les privilégiés, il s'appelle Peuple ou Nation. >■
C'est l'idée que l'abbé Sieyès avait déjà exprimée
dans la célèbre brochure : « Qu'est-ce que le
liers-Etat ? — Rien. — Que doit-il être ? —
Tout. »
La députation de la noblesse, telle qu'elle sor-
tit des élections, se composait de 243 gentils-
hommes et de 28 membres des parlements ; celle
du clergé, de 48 prélats, de ;!5 abbés de monas-
tères, de ^08 curés ; le Tiers comptait 578 mem-
bres, parmi lesquels 2 prêtres, 12 nobles, 13 ma-
gistrats des municipalités, 102 magistrats de bail-
liage, 212 avocats. 16 médecins, 106 marchaiif's
ou cultivateurs. Le comte de Mirabeau et l'abbé
Sicyès figuraient comme députés du Tiers.
B, — l.c» î:tul«-f.êupraus. L i CoiLttltauiite,
Bèunion ds Etats Génèra-.x. — Les Etals.
Généraux se réunirent non à Paris, mais à Ver
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1876 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
sailles, où résidait le monarque. Le 4 mai, le roi,
sa famille, ses ministres, les députés des trois
ordres, se rendirent processionnellement de l'é-
glise -Notre-Dame à l'église Saint-Louis, pour y
entendre la messe d'inauguration. Une foule im-
mense était accourue de Paris pour assister à la
cérémonie ; elle fut péniblement frappée du con-
traste qu'on avait voulu ménager entre le costume
simple et sévère, l'habit noir, le petit manteau
court des députés bourgeois, et les costumes ma-
gnifiques des députés privilégiés. En fait d'étiquet-
te, la cour prétendait revenirà la tradition des Etats
de 1014. Quand on demandait au garde des sceaux
Barentin si le Tiers-Etat serait obligé de parler
;\ genoux, il répondait : u Si le roi voulait! »
La même distinction humiliante se retrouva dans
la harangue que l'évèque de Nanty adressa au
roi dans l'église Saint-Louis : « Sire, recevez les
hommnges du clergé, les respects do la noblesse,
et les hum/jlès supplications du Tiers-Etat. »
Le lendemain, à mai, la séance d'ouverture
eut lieu dans la salle des Menus. Eji face du
trôii^^^e le roi allait occuper, le maître des
cénH^Mi plaça le clergé h droite, la noblesse à
gafl^^^Viers au fond de la salle. Plus de qua-
ir^H^^pectateurs emplissaient les tribunes.
Louis XVL entouré de la reine, de ses frères, de
ses ministres, de toute une cour brillante, se
plaça sur le trùne et se couvrit. Les députés du
clergé et de la noblesse, comme c'était l'usage,
en firent autant : ceux du Tiers les imitèrent.
Des murmures éclatèrent sur les bancs des pri-
vilégiés; alors le roi, pour ne pas autoriser l'ex-
tension de leur prérogative aux membres des
communes, relira sou chapeau.
Dans les discours que prononcèrent successi-
vement le roi, le garde des sceaux et Necker, on
s'appliquait à mettre les députés en garde contre
les « innovations dangereuses » ; c'était unique-
ment de l'état financier, des sacrifices à s'impo-
ser qu'on prétendait les entretenir. Quant à la
question du vote par tètes ou par ordres, on la
laissait indécise : au fond la cour eût désiré qu'on
votât par tète dans les matières de finances, afin
d'être plus assurée d'obtenir les fonds, et qu'on
votât par ordres sur presque toutes les autres
questions, afin d'être garantie contre toute inno-
vation. Elle s'obstinait à voir dans les députés,
non des législateurs, mais des contribuables. Mais
la nation française qui, pour la première fois
depiiis ses origines, se trouvait maîtresse de ses
destinées, qui depuis quinze siècles portait le triple
joug des clergés, des aristocraties, des monar-
chies de toute forme, qui pendant cent soixante-
quinze ans avait vu interrompre la convocation de
ses Etats, n'entendait pas que tant de souffrances,
tant d'efforts, tant de progrès accumulés, tant
d'espérances suscitées, n'aboutissent qu à ce ré-
sultat : refaire les finances du roi pour que les
vieux abus pussent en paix se perpétuer. Les
députés du Tiers furent à la hauteur de leur
mission.
Le Tiers-Etat se constitue en Assemblée natio-
nale. — Le 6 mai, le clergé et la noblesse se ren-
dirent dans les salles qu'on leur avait préparées ;
le Tiers-Etat, comme le plus nombreux, conti-
nuait à siéger dans la salle des Menus. Il y avait
a procéder tout d'abord à la vérification dos pou-
voirs. Cette opération devait-elle se faire en com-
mun par les trois ordres, ou séparément ? Les pri-
vilégiés entendaient qu'elle se ferait séparément ;
les députés du Tiers, qu'elle se ferait en commua.
Si ces derniers cédaient, il était certain que
toutes les autres délibérations auraient lieu dans
la même forme ; que tontes les fois qu'il y aurait
un abus à supprimer, une réforme à établir, le
suffrage unique du Tiers serait annulé par le
double suffrage des ordres privilégiés. La Révo-
tion était arrêtée dès le début, le Tiers-Etat
maintenu dans son infériorité, le peuple con-
damne à une servitude éternelle.
.\insi de la solution qu'on donnerait à cette
simple question, la vérification des pouvoirs, dé-
pendait l'avenir même de la France.
C'est ce que comprirent à merveille les députés
du Tiers : ils maintinrent leur revendication et
attendirent que les privilégiés voulussent bien se
réunir à eux. Ils attendirent patiemment, long-
temps ; mais le temps travaillait pour eux. Ils sa-
vaient que, même parmi les nobles, un certain
nombre souhaitaient que la Révolution continuât,
et que, dans le clergé, la plupart des curés, op-
primés par l'épispocat, exploités par les monas-
tères, étaient favorables aux communes. Des con-
férences s'établirent entre les délégués des trois
ordres ; les évêques, sous prétexte de se porter
médiateurs, n'oublièrent rien pour empêcher l'ac-
cord. Ils affectaient de rendre le Tiers-État res-
ponsable du retard apporté au soulagement de la
misère croissante du peuple ; un des prélats s'é-
criait pathétiquement en montrant un morceau
d'afl'reux pain noir : « Voilà le pain du paysan ! »
En effet, c'était le pain que l'ancien régime, de-
puis quinze siècles, faisait manger au peuple
français.
Près de cinq semaines se passèrent ainsi, les
privilégiés se concertant avec la cour, le Tiers en
relation constante avec le peuple qui tous les
jours venait remplir les tribunes de l'Assemblée.
Le 10 juin, Sieyès dit à ses amis : « Coupons le
câble, il est temps, u 11 était temps de quitter le
rivage du vieux monde et de voguer en pleine
mer, vers l'avenir. Sieyès proposa de so'ftmer
une dernière fois le clergé et la noblesse, de leur
signifier que l'appel se ferait dans une heure et
qu'il serait donné défaut contre les non-compa-
rants. Cette mise en demeure décida quelques
curés, trois d'abord, puis sept, puis un plus grand
nombre, à se rallier au Tiers qui les accueillit
avec enthousiasme. Le 17, les députés des com-
munes firent un pas encore plus hardi. Sur la mo-
tion de Sieyès, « attendu que cette assemblée est
déjà composée des représentants envoyés direc-
tement par les % centièmes au moins de la na-
tion, et qu'une telle masse de députation ne
saurait rester inactive par l'absence des députés
de quelques bailliages ou de quelques classes de
citoyens, • ils se proclamèrent constitués en
Assemblée nationnle. C'en était fait des États-Gé-
néraux, de la division en ordres, de tout l'ancien
régime politique.
L'Assemblée nationale parle et agit tout d'abord
en souverain. Elle entend et décrète : 1° que les
impôts cesseront d être perçus, si elle venait à
être dissoute ; 2° que la dette publique est sous
la garantie de la nation ; 3° qu'un comité de sub-
sistances sera constitué. Par le premier de ces
décrets, elle mettait, quant aux finances, la COUP
dans sa dépendance ; par le second, elle s'atta-
chait les capitalistes et les créanciers de l'État;
par le troisième, elle s'assurait les sympathies du
peuple.
La cour et les privilégiés sentirent le coup
qui leur était porté. Louis XVI hésita quelque
temps entre les conseils de Necker et ceux de sa
famille. La reine l'entraîna, sous prétexte de
chasse, à Marly, l'entoura d'un comité secret formé
du co.mte d'Artois, de Condé, Conli, Barentin,
l'archevêque de Paris, le cardinal de la Rochefou-
cauld. 11 se laissa convertir à l'idée d'un coup
d'État : il tiendrait dans la salle des Menus une
séance royale, parlerait aux députés un langage
menaçant, indiquerait les quel<|ues réformes auï-
quelles il consentait, et signifierait aux irois or-
dres d'avoir à se séparer. Necker serait renvoyé.
Le serment du 20 juin et la séance royale du
J
REVOLUTION FRANÇAISE
1877 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
23. — Dans la nuit du '20 juin, Bailly, président
de l'Assi'mblée nationale, fut averti par le garde
des sceaux que les séances étaient suspendues.
Ce grand citoyen aima mieux obéir à son mandai
qu'.*! la cour. A l'heure ordinaire, il se présenta,
suivi des députés, h. la salle des États. Il la trouve
fermée, occupée par les ouvriers qui faisaient les
préparatifs de la séance royale : les sentinelles
présentèrent la baïonnette aux représentants de
la nation. Ceux-ci, dans leur indignation, parlaient
d'aller tenir leur séance h Marly, sous les fe-
nêtres du roi. On décida de se rendre h. la salle
(lu Jeu do Paume ; là, dans une salle nue, sans
autre meuble que la ch.iise sur laquelle était
monté le président, en présence d'un public nom-
breux, parmi les rafales du vent qui pénétrait de
toutes parts, les députés debout, la main levée,
Jurèrent de ne pas se séparer avant d'avoir donné
une constitution à la France. Tel fut le serment
du Jeu de Paume.
Le surlendemain, l'Assemblée trouva le Jeu de
Paume fermé, le comte d'Artois l'ayant retenu pour
une partie de balle ; mais à ce moment, la majeure
partie du clergé, s'étant réunie aux communes,
fit ouvrir l'église Saint-Louis, et, suivant l'expres-
sion d'un orateur, o le temple de la religion devint
celui de la patrie. "
Le 23 eut lieu la séance royale. La salle des
Menus était entourée de troupes; les députés
du Tiers attendirent longtemps à une porte de
derrière, dans la boue, sous la pluie, disputant
avec les g.nrdes, pendant que les ordres privilé-
giés entraient par la grande porte. Dans l'appareil
militaire qui entourait le roi, on remarqua l'ab-
sence de Necker. Les tribunes étaient vides, l'en-
trée de la salle ayant été interdite au public. Le
roi tint le discours que lui avait dicté le comité
secret : il cassa tous les décrets de l'Assemblée,
pre-^crivit le maintien de la division en ordres,
déclara qu'il ne permettrait pas qu'on tnucliât ni
à l'Église, ni à l'institution de l'armée, ni au sys-
tème d'impôts sans le consentement des privilé-
giés, ni à la dîme, ni aux droits et devoirs seigneu-
riaux. « Je vous ordonne, messieurs, ajouta-t-il,
de vous séparer tout de suite et de vous rendre
demain matin dans les cliambres affectées à vos
ordres. »
Quand le roi se fut retiré, le clergé et la no-
blesse sortirent également. Les députés des com-
munes restèrent h leurs places, calmes, silencieux,
indignés. Le grand-maitro des cérémonies, Dreux-
Brézé, revint alors, et s'adressant au président :
» Vous avez entendu, messieurs, l'ordre du roi. »
Bailly. se tournant vers ses collègues : « Il me
semble, leur dit-il, que la nation assemblée ne
peut pas recevoir d'ordre. » Alors Mirabeau, d'une
voix tonnante, répondit h Dreux-Brézé : « Nous
avons entendu les intentions qu'on a suggérées au
roi... Allez dire à ceux qui vous envoient que
nous sommes ici par la volonté du peuple et qu'on
ne nous en arrachera que par la puissance des
baïonnettes. » Le grand-maître des cérémonies,
intimidé par la majesté de cette souveraineté nou-
velle qui venait de se révéler, sortit à reculons
devant les représentants du peuple, comme il fai-
sait devant le roi. <i Quoi donc ! dit un député
breton, le roi parle en maître quand il devrait
consulter. » Sieyès ajouta : « Vous êtes aujourd'hui
ce que vous étiez hier : délibérons. » C'était dé-
clarer qu'on tenait pour nul tout ce qu'avait dit
le roi; on cassait les actes de la séance royale,
tandis que la séance royale avait prétendu casser
les actes de l'Assemblée. Puis l'Assemblée décréta
l'inviolabilité de ses membres.
Dans le premier moment, la cour crut à son
triomphe. La reine était radieuse, et, présentant
son fils aux députés nobles : u Je le confie, dit-
elle, à la noblesse ». Toute cette joie tomba quand
on apprit la résistance du Tier.s : on n'avait pas
prévu ce refus d'obéissance ; le roi paraissait dé-
concerté et disait : « S'ils ne veulent pas s'en aller,
qu'on les laisse I » Necker, que, le matin, on avait
décidé de congédier, fut, le soir, supplié de res-
ter. Le 27, le duc d'Orléans se rendit h l'Assem-
blée avec un grand nombre de députés nobles, et
la réunion définitive des trois ordres devint alors
un fait accompli.
Prise de la Bastille et nuit du 4 août. — La
reine et le parti de la cour n'avaient reculé que
parce qu'on n'était pas en mesure d'employer « la
puissance des baïonnettes ». On se mit aussitôt en
devoirde réparorcel échec ; dès les premiers jours
de juillet, des mouvements de troupes se dessinè-
rent autour de Versailles et do Paris ; on appela
de préférence les troupes étrangères, les merce-
naires suisses, croates, hongrois, allemands, qui
résisteraient moins à un attentat contre l'Assem-
blée nationale, les régiments de Diesbach, Rei-
nach, Helmstadt, Salis-Samade, Berchiny, Es-
terhazy, Pioyal-Allemand, Boyal-Pologne, Royal-
Croate, etc. On occupa toutes les routeade ma-
nière h pouvoir, suivant le cas, mena^ÉflB^^Ies
ou aifamer Paris. On fit entrer un rd^^^^^Hlis-
ses à la Bastille. On confia toutes ce^^^|^s à
Brcteuil, qui disait : « S'il faut brûler Paris, on
brûlera Paris ! » et au maréchal de Broglie, qui
disait, parlant des députés, que « le canon et la
fusillade auraient raison des arguaientateurs. »
Enfin, on sut que la reine, pour payer la guerre
civile, faisait fabriquer secrètement du papier-
monnaie, c'est à-dire préparait la banqueroute.
Le 9 juillet, lejour même où elle prenait le titre
de Constituante, l'Assemblée envoyait une adresse
au roi pour demander l'éloignement des troupes
étrangères, dont la présence agitait le peuple. La
réponse du roi fut peu rassurante : il était, disait-
il, seul juge de la nécessité de faire venir ou de
renvoyer les troupes ; il ne s'agissait que d'assu-
rer l'ordre et de garder l'Assemblée ; .si l'Assem-
blée était inquiète,on pourrait la transférer à Noyon
ou à Soissons. C'eût été l'éloigner de Paris et la
mettre à la discrétion des mercenaires. Le même
jour. Il juillet, on apprenait que Necker, chassé
du ministère, était parti pour Bruxelles, et qu'un
nouveau cabinet vetiail de se former, composé
précisément de tous les hommes du coup d'Etat :
Broglie, Breteuil, La Galissonnière, Vauguyon,
l'ami des jésuites, et Foulon, auquel le peuple prê-
tait cette parole : « S'ils ont faim, qu'ils mangent
du foin I »
L'Assemblée, sous le coup do cette provocation,
reprit toute son énergie. Elle envoya une députa-
lion demander au roi le renvoi des troupes et le
rappel de Necker; la députation ne fut pas reçue.
Alors cette Assemblée, qui n'avait pas un soldat
pour la défendre, décréta :
1° Que Necker et ses collègues emportaient sa
confiance et les regrets de la nation ;
2° Qu'elle rendait responsables les ministres
actuels et les conseillers du roi, de r/ue'que rang
et état qu'ils pussent être, — ce qui visait les frères
du roi et la reine elle-même ;
.3» Que quiconque proposerait la banqueroute
serait déclaré infâme : — c'était flétrir d'avance les
projets financiers de la cour.
Cela fait, l'Assemblée attendil.
A Paris, que se passait-il? Depuis la séance
royale du Ti juin, les esprits étaient inquiets et
agités. L'abbé Faucliet et d'autres journalistes
avaient mis en circulation une adresse au roi qui
demandait l'éloignement dos troupes, la formaliori
d'une garde civique, l'élection d'une municipalité
parisienne : ils recueillirent 'Mi)0 signatures, La
déclaration du roi au sujet de l'armée avait achevé
de convertir les gardes françaises à la cause de la
Révolution, Déji ils refusaient de tirer sur le peu-
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1878 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
pie : leur colonel en fit mettre onze à l'Abbaye ; le | reconduisit le prince jusqu'au château. Mais la
peuple les délivra de vive force. Les Parisiens fu-
rent exaspéré'* quand ils virent les troupes royales
occuper le Champde-Mars et pousser leurs pa-
trouilles jusqu'aux Tuileries. Le 12 juillet, à la
nouvelle du renvoi de Neckor, Camille Desnioulins
monta sur une table au Palais-Royal, distribua
aux assistants les fouilles des marronniers en guise
de cocarde et appela le peuple à linsurrection ;
on promena les bustes de Necker et du duc d'Or-
léans. Les dragons du prince de Lambesc cliargè-
rcnt la foule aux Tuileries : les gardes françai-es
tirèrent sur les dragons. Les électeurs se réuni-
rent à l'Hùtel-de-Ville, cbassèrent la municipalité
royale, en installèrent une nouvelle, et décrélèrent
la levée de 4s,000 hommes. Toute la journée du l'-f,
le tocsin de l'Hôtel-de-Ville et des églises retentit
dans la ville, soulevant l'effroi et la colore des
niasses. Flesselles, prévôt des marchands (maire
de Paris;, essaya d'amuser le peuple en lui pro-
mettant des armes. Le peuple en trouva tout seul ;
on fabriqua 5(i,000 piques et l'on enleva du dépôt
des Invalides les fusils et les canons. Le 14 au
matùaflA|ïi unanime s'éleva dans Paris : a Al-
lon^^^^lPla Bastille »
L^^^HÏÏo passait pour imprenable ; elle avait
huit tours d'une hauteur vertigineuse, des fossés
pleins d'eau, larges comme une rivière, des canons
à toutes ses emlTasures : elle pouvait broyer le
faubourg Saint-Antoine. Le peuple parlementa
d'abord avec le gouverneur de Launay, puis l'at-
taque commença. Les Parisiens, que la garnison
pouvait canonneret fusillera I abri, eurent 83 morts
et 98 blessés ; mais, à cinq heures, la Bastille était
prise.
Il était temps ; dans la nuit du U au 15 devait
se faire le coup d'Etat ; 40,000 exemplaires de la
proclamation royale étaient dej,"! imprimés ; la
reine et M"" de Polignac visitaient les troupes
étrangères, présidaient aux distributions d'argent
et de vin. Foulon et son gendre, l'intendant Ber-
thier, poussaient avec ardeur les préparatifs. Le
roi devait quitter Versailles pour laisser l'Assem-
blée aux prises avec les soldats. Ce jour-là, une
grande dame disait à Dumouriez ; « Il paraît que
les députés mutins sont déjà à la Bastille
La nouvelle de la victoire du peuple tomba
comme un coup de foudre sur Versailles. L'As-
semblée, pour éviter de trouver encore une fo
les portes fermées, s'était déclarée en permanence;
elle siégea soixanle-dix-neuf heures de suite
Presque en même temps, elle apprit la chute de
la Bastille, et la retraite des troupes, qui dos
Champs-Elysées se repliaient .'ur Sèvres. On n'a-
vait même plus à craindre un retour offensif, à la
faveur de la nuit, comme l'espéraient Berthier et
Foulon : car des symptômes de mutinerie s'étaient
manifestés même dans les troupes étrangères, et
le régiment suisse de Chàleauvieux avait déclaré
qu'il ne tirerait pas.
Le 15 au matin, les représentants décidèrent
d'envoyer au roi une députation que Mirabeau
enflamma de sa redoutable éloquence. Au moment
où elle se disposait à sortir, on annonça que le
roi allait se rendre dans l'Assemblée. Louis XVI,
à qui le duc de Liancourt avait fait entendre qu'il
s'agissait u non d'une révolte, mais d'une révolu-
tion, )) venait tenter une réconciliation. « Le sang
de nos frères coule à Paris, s'écria Mirabeau,
qu'un morne respect soit le premier accueil fait
au monarque par les représentants d un peuple
malheureux : le silence des peuples est la leçon
dos rois. » Pourtant quand le roi parut sans
gardes, accompagné seulement de ses frères, lors-
qu'il eut dit qu'il avait éloigné les troupes, qu'il
ne faisait qu'un avec la nation, cette assemblée,
profondément imbue de sentiments etde traditions
monarchiques, se leva au cri de : Vive le Roil et
faiblesse de Louis XVI et la perfidie obstinée de
la cour autorisaient des défiances qui étaient dans
tous les cœurs, et qu'une vieille femme, se jetant
aux genoux du roi sur la place du palais, exprima
en son langage : o Ahl sire ! êtes-vous sincère?
Ne vont-ils pas encore vous faire changer? »
Le roi, réconcilié avec l'Assemblée, sentit qu'il
devait également se réconcilier avec Paris : Paris
qu'un long divorce séparait de ses rois depuis un
siècle et demi qu'ils avaient quitté les Tuileries
pour Versailles, Paris encore tout bouillant d\i
14 juillet, Paris qui poursuivait de son cnurroui
les complices du coup d'État, qui venait de mettre
à mort Flesselles et de Launay et qui allait mas-
sacrer Foulon et Berthier. La reine aurait voulu
que le roi n'allât pas à Paris, qu'au contraire 11
quittât Versailles et commençât la guerre civile :
Louis XVI n'osa pas. Il fit annoncer à l'Assemblée
qu'il rappelait Necker et qu'il se rendait à Paris.
Une délégation de cent députés l'y précéda et fut
reçue avec enthousiasme ; l'Assemblée et Paris
avaient également fait leur devoir : au serment du
Jeu de Paume avait répondu la prise de la Bastille.
Bailly, nommé maire de la municipalité nouvelle,
Lafayette, proclamé commandant des gardes na-
tionales, allèrent aux portes de la ville recevoir
le roi. Louis XVI traversa Paris entre deux haies
de gardes nationaux, reçut des mains de Bailly la
cocarde tricolore, monta l'escalier de l'Hôtel-de-
Ville sous une voûte d'acier fermée par les épées
des officiers de l'armée nouvelle, sanctionna la
nomination de Bailly et de Lafayette, et repartit
pour Versailles.
Necker était revenu en triomphe. Les fauteurs
du coup d'État, le comte d'Artois, Condé, Conti,
Polignac, Broglie, Lambesc, Calonne quittaient la
France et donnaient ainsi le signal de l'émigra-
tion.
Le drapeau tricolore, emblème de la lîévolutionj
flottait sur la Bastille vaincue, sur cette sombre
forteresse qui était comme le symbole de l'abso-
lutisme royal, qui avait servi de prison à toutes
les victimes de l'arbitraire, aux protestants, aux
philosophes. Les cahiers de 1"S1) en avaient de-
mandé la démolition : le peuple de Paris ne
fit qu'exécuter la sentence prononcée par la
France tout entière. La prise de la Bastille est
un fait culminant dans l'histoire non seulement
de lu France, mais de l'Europe entière; elle inau-
gurait une époque nouvelle de l'histoire du monde
et consacrait l'avènement de la société moderne.
Ce ne furent pas seulement les Français qui s'en
réjouirent, mais les libéraux de l'Angleterre, de
l'Allemagne, de l'Italie ; dans la Russie lointaine,
à Saint-Pétersbourg, quand parvint cette grande
nouvelle, on vit les Russes et les étrangers s'em-
brasser dans les rues et répéter avec enthousiasme :
" La Bastille est prise ! u
La province suivit le mouvement de Paris :
à Rouen, à Orléans, à Lyon, à ^■ancy, il y eut des
rixes entre la troupe et la milice bourgeoise; à
Caen, à Bordeaux, les forteresses royales furent
prises ; à Rennes, à Saint-Malo, à Strasbourg, les
soldats fraternisèrent avec le peuple. Le mouve-
ment gagna les campagnes : partout les paysans
coururent aux châieaux des nobles, brûlèrent les
archives pour anéantir les titres qui consacraient
les redevances féodales ; dans maint village, les
châteaux édifiés autrefois des corvées du peuple
furent incendiés, et les potences des seigneurs
haut-justiciers renversées. Partout, dans les cam-
pagnes comme dans les villes, la population
s'arma de piques, de faulx ou de fusils. Contre
les régiments restés fidèles à la cour, l'Assemblée
disposait maintenant de trois ou quatre millions
d'hommes. En huitjours, contre lesdroits féodaux,
contre les intrigues de Versailles, contre les me-
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1879 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
naccs de l'Europo, la nation s'était lovée d'un clan
unaninK*.
Celle liaino du paysan contre la féodalité, qui
so traduisait en incendies des châteaux et en vio-
lences contre les seigneurs, força l'Assemblée à
prendre un grand parti. Dans la nuit du 4 août,
le duc d'Aiguillon et le vicomte de Noailles pro-
posèrent l'abolition do tous les droits féodaux :
les curés offrirent d'abandonner leur casuel; les
députés des pays d'État renoncèrent i leurs privi-
lèges en matière d'impôts; les députés des villes
aux privilègtîs municipaux. Ce fut une émulation
admirable de renoncement et de sacrifice. Le haut
clergé, qui s'était abstenu, n'y gagna rien : deux
jours après il fut dépouillé de la dime, en attendant
qu'il fût dépouillé de ses biens.
L'Assemblée venait, en cette nuit mémorable, de
consacrer l'abolition du régime féodal qui depuis
les origines de notre histoire pesait sur le peuple
de France. Il lui restait à remplir son serment du
20 juin, à faire la constitution. D'abord elle
rédigea la Décluration des droits di: l'homme, ce
résumé des principes de la Révolution qui est
resté comme l'Évangile politique et social de la
France nouvelle, et le raagnitique préambule de
'la constitution. Puis elle discuta l'organisation du
pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.
Quant on en vint h cette matière délicate, les
jjartis qui existaient en germe dans l'Assemblée
commencèrent à prendre position. On put distin-
guer bientôt : r le parti de la cour, composé du
haut clergé et de la noblesse, qui prétendait main-
tenir presque entièrement l'ancien régime ; il
comptait parmi ses plus brillants orateurs l'abbé
Maury et Cazalcs; '.i" le parti Necker, ou parti
monarchien, qui entendait conserver au roi tout
le pouvoir exécutif, à la noblesse et au clergé une
grande situation dans l'État, qui rêvait de partag -r
î' Assemblée en une Chambre haute et une Chambre
des communes : il reconnaissait pour ses chefs
Meunier, Lally-ToUendal et Clermont-Tonnern' ;
•S» le parti nntional, qui voulait constituer une
Assemblée unique en face de la royauté alfaiblie ;
il avait à sa tête Mirabeau, Sieyès, Bailly et Li-
fayette ; 4° le parti avancé, avec Duport, Barnave,
les frères Lametli, qui essayait de stimuler l'As-
semblée en s'appuyant sur le peuple de Paris et
■en organisant la confédération des clubs ; 5» les
Jiommes comme Robespierre, Barèrc, Grégoire,
Pétion, Buzot, dont le groupe contenait en germe
la future Gironde et la future Montagne et qui se
réservaient de pousser encore plus loin la Révo-
lution.
Hors de l'Assemblée, Danton avait déjà une
puissante action sur le peuple, Camille Des-
moulins dans la presse. Des clubs s'ouvraient
.aux Jacobins, aux Cordeliers. Loustalot tirait à
200 000 exemplaires son journal intitulé les
Révolutions de Paris; Fréron rédigeait VOrateur
du peiiplf; Camille Desmoulins, les Révolutions
de France et de lirriljant; Barère, le Point du
jour; plus tard viendront Marat avec V Ami du
/euiùe, Hébert avec le Père Duvhesne. Le parti
de la cour, dans le Journal de la Cour et de
la Ville, le Journal des Halles, YAmi du roi,
les Aides des apôtres, attaquait avec une violence
et une insolence inouïes les hommes de la Ré-
volution, outrageant de préférence les modérés,
comme plus dangereux pour la royauté.
Les journées d'octobre. — Il ne faut pas croire
que la cour, après la terrible leçon du l'i juillet,
eût désarmé. Ses partisans dans l'Assemblée s'é-
tudiaient à troubler les séances. Le roi entravait les
efl'orts de la Constituante en refusant de sanction-
ner ses décrets, tantôt l'abolition du régime féo-
'dal, tantôt la déclaration des Droits de l'homme. Le
comité secret, qui avait échoué dans ses deux tenta-
tives de coup d'Etat, en rêvait une troisième. Cette
fois, il comi)tait sur Rouillé, qui commandait autour
de Metz une armée de 2j à 30 001) hommes. Il pro-
jetait de rassembler autour du roi, outre les
loooo hommes de la maison militaire, les
régiments des environs, d'envoyer Louis XVI à
leur tête rejoindre Rouillé, qui aurait marché
sur Paris. On commença par appeler à Ver-
sailles le régiment de Flandre, et les cocardes
des régiments étrangers se montrèrent de nouveau
à Paris. Le l" octobre, dans la salle du théâtre
de Versailles, un repas, donné par les gardes
du corps au régiment de Flandre, dégénéra en
manifestations violentes. Le roi, la reine avec le
dauphin dans ses bras, parurent dans cette fête.
La musique joua un air significatif : « O Richard,
ô mon roi, l'univers t'abandonne, » puis la mar-
che des hulans ; puis on sonna la charge et les
convives avinés escaladèrent, l'épée en main, les
loges du théâtre; des dames enlevèrent aux of-
ficiers la cocarde tricolore pour la remplacer
par la cocarde blanche. Le S octobre, autre ban-
quet du même genre.
Pendant qu'on banquetait à Versailles, la fa-
mine sévissait à Paris. Ces provo^MB^gpmbè-
rent sur une population atTotée ^^^^^B^uf-
frances, aigrie par des saupçons^^P^Hnhés
d'ailleurs qu'elle-même ne pouvait IccroH^e 5,
c|uelques milliers de femmes envahissent l'Hôtel-
de-Ville et déclarent qu'elles vont chercher le
houlanger, c'est-i-diro le roi, dont la présence à
Paris ramènera l'abondance . Plusieurs sont
munies de tambours et entraînent le reste sur la
route de Versailles ; l'huissier Maillart leur sert
de guide, comme pour aller opérer la saisie de
la royauté ; les volontaires de la Bastille courent
i leur suite, traînant des canons; Lafayette ras-
semble en hâte les gardes nationales et prend à
son tour le chemin de Versailles, dans le dessein
de protéger le château. Toute cette masse de
population entre à Versailles en chantant l'air
royaliste Vive Henri IVIUne députation de ces fem-
mes est reçue par Louis XVI, qui promet de
veiller à l'approvisionnement de Paris. Sauf
quelques rixes avec les gardes, la soirée est calme.
Mais au matin, vers six heures, quelques hommes
du peuple, rôdant autour des grilles du château,
trouvent une porte ouverte et s'y précipitent.
La foule accourt et les suit. On commence à
massacrer les gardes du corps, on pénètre dans
les appartements. Lafayette parvient i sauver le
roi, la reine et le dauphin, mais c'est à condition
que le boulanger, la boulangère el \e petit mitron
viendront à Paris. Telles furent les journées d'oc-
tot)ie, qui écrasèrent en germe le complot de la
cour et mirent le monarque à la discrétion du
peuple. Louis XVI s'installa aux Tuileries, et l'As-
semblée k l'Évêché, puis au Manège.
La situation devenait d'autant plus périlleuse
que les questions dont l'Assemblée avait à s'oc-
cuper étaient plus délicates. On allait toucher
aux biens et même à l'organisation du clergé.
Pour éviter la banqueroute, l'Assemblée avait,
sur la proposition de Mirabeau, décrété le don
patriotique par tous les citoyens d'un quart de
leur revenu. Ce sacrifice fut reconnu insuffisant.
Alors on songea aux immenses ressources que
détenait encore l'Eglise: 11)0 000 membres du
clergé régulier et séculier, ou plutôt quelques
centaines de prélats, abbés de monastères et
autres grands seigneurs ecclésiastiques, possé-
daient en toute propriété le tiers du sol national ;
leurs revenus s'élevaient à près de 400 millions ;
le chapitre de Saint-Claude tenait en servage
15000 citoyens. C'était là une situation qui ne
pouvait plus se défendre. Dès le 6 août, Buzot avait
déclaré qu'il fallait reprendre les biens de l'E-
glise. Le 8, le marquis do Lacoste proposa ce
projet de loi : o 1" Les biens ecclésiastique»
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1880 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
appartiennent à la nation ; 2° la dîme est sup-
primée ; 3" les moines dépossédés recevront une
pension ; le traitement des évèques et des curés
sera payé par le Trésor. » C'était transformer les
ecclésiastiques en fonctionnaires salariés de la
nation.
Au cours de la discussion, pendant laquelle
les curés soutinrent faiblement les évêques, car
ils avaient tout k gagner à la réforme, survint
un incident qui acheva de décider l'opinion. Les
serfs du Mont-Jura déléguèrent un des leurs
pour remercier l'Assemblée n d'avoir adouci leur
sort par ses décrets libérateurs ; t> ils clioisirent
un homme qui était peut-être le doyen des
p.iysans français, un vieillard de cent vingt ans,
Jean-Jacob, qui parut devant les députés entouré
de ses enfants et de ses petits-enfants : sur la
proposition de l'abbé Grégoire, toute l'assemblée
se leva, émue et respectueuse, devant l'héritier de
tant de générations opprimées, devant le dernier
des serfs de France, et lui décerna les honneurs
de la séance (2.3 octobre).
Le 2 décembre 1789, un décret de l'Assemblée
mit j^ftf^Hkd'Eglise « à la disposition de la
nati^^^^^^Hpie nom de biens nationau^i, ils
dcval^^B|^er la garantie des assignats qu'on
allait cWirTet dont l'Assemblée décida une pre-
mière émission pour une somme de 400 millions.
Le haut clergé n'avait d'ailleurs pas attendu
cette mesure pour agir en ennemi irréconciliable
de la Révolution ; il se joignit aux émigrés qui
ameutaient les cours étrangères contre la Fran-
ce, aux Etats provinciaux qui protestaient con-
tre les décrets de l'Assemblée, aux parlements,
qui refusaient de les enregistrer, à tous les
privilégiés qu'exaspérait l'avènement de l'éga-
lité. Les évêques s'attachèrent k soulever les
campagnes : cola commença dès le 14 octobre,
par un mandement séditieux de l'évêque de
Tréguier; il pleurait sur la captivité du roi et
déclarait que les prêtres n'étaient plus que « les
commis soldés des brigands a : il entendait par
brigands les députés. Le réveil du fanatisme,
dans les populations ardentes du Midi, amena les
massacres de Ximes, de Toulouse et de Montauban.
Les fédérations de 1790. Nouveaux com-
plots de la cour. — Contre tant d'ennemis occul-
tes ou déclarés, dans la dissolution des pouvoirs
anciens et le laborieux enfantement des pouvoirs
nouveaux, la nation sentit la nécessité de s'unir,
de s'armer, et, comme on disait alors, de se fé-
dérer. Dès novembre 1789 se constitue la fédéra-
tion d'Etoiles, près de Valence ; dès janvier 1790,
sur une lande de Bretagne, 150(jOO gardes natio-
naux prêtent le serment fédéral de fidélité i\ la
nation, à la loi, au roi. Le C mars 1700, les garni-
sons et les gardes nationales se confédérèrent àEpi-
nal ; le 30 mai, 3OO0O hommes en armes se réu-
nissent à Lyon autour de l'autel do la patrie ;
le 13 juin s organise sous la présidence du maire
de Strasbourg, Frédéric Dietrich, la fédération
alsacienne : le drapeau tricolore est arboré au
plus haut de la cathédrale de Strasbourg, le
vieux Mihisler est illuminé afin que « le spectacle,
vu des rives opposées du Rhin, apprenne à l'Alle-
magne que l'empire de la liberté est fondé en
France. »
Ce vaste mouvement qui se propageait do la
Bretagne à l'Alsace, et de la Meuse aux Pyrénées,
devait aboutir le 14 juillet 1700, anniversaire delà
prise de la Bastille, à la grande fédération pari-
sienne du Champ-de-Mars.En présence de 4000ÛO
spectateurs et de 50 000 gardes nationaux accourus
de toutes les provinces de France, et qui étaient
comme la délégation et l'avant-gardo de trois mil-
lions d'hommes en armes, La Fayette prêta sur
l'autel de la patrie le serment fédéral ; puis le
roi, d'une voix forte, fit entendre ces mots: «Moi,
roi des Français, je jure d'employer tout le pou-
voir qui m'est délégué par la loi constitutionnelle-
do l'Etat, à maintenir la constitution décrétée par
l'Assemblée nationale et acceptée par moi, et à-
faire exécuter les lois ». La reine, comme gagnée
par l'enthousiasme général, prit le dauphin dans
ses bras et le présenta au peuple, l'associant ainsi
au serment de son père. Le soir, on dansa sur
l'emplacement de la Bastille.
La cour était-elle donc sincèrement ralliée à la
constitution? Non ! le serment du roi et l'enthou-
siasme de la reine ne furent, en cette grande
journée, qu'une comédie. Marie-Antoinette n'avait
pas renoncé à ses plans d'évasion et de guerre
civile: en octobre 1789, complot Augéard pour
faire échapper le roi sur Metz; en décembre de la
même année, complot Favras pour l'emmener à-
Péronne ; puis complot Maillobois pour le conduire
à Lyon; en octobre 1790, reprise du plan d'éva-
sion sur Metz, avec le concours de Bouille. C'était
pour en préparer l'exécution qu'en aoîit 1790,
Bouille terrorisait l'armée par la cruauté qu'il
déploya dans la répression d'une prétendue ré-
volte à Nancy, punissant le régiment de Château-
vieux de sa conduite au 14 juillet, faisant pendre
2! soldats, infligeant au vingt-deuxième le sup-
plice barbare et illégal de la roue, envoyant le
reste aux galères. En juillet 1790, la Prusse
et l'Autriche s'étaient rapprochées en vue de sur-
veiller la Révolution et avaient conclu la conven-
tion de Reichenbach. En octobre, Louis XVI écrivit
au roi d'Espagne et autres souverains pour les
prier de ne tenir aucun compte des actes publics
qui lui étaient imposés.
La constitution civile du clergé. — Entre le
roi et l'Assemblée, un nouveau sujet de désaccord
venait de surgir. Le 12 juillc-t 1790, l'Assemblée-
avait décrété la constitution civile du clergé: le
nombre des arclievôchcs et évêchés était réduit
de 135 .1 83, à raison d'un par département; les
évêques et curés devaient être nommés par les
mêmes électeurs qui nommaient les députés ; les
évêques recevraient l'institution canonique, non
du pape, mais du métropolitain. Le premier ar-
ticle est le même que le pape accepta sans dif-
ficulté par le Concordat ; le second se bornait à
substituer le choix par les électeurs, le nouveau
souverain, à la nomination par le roi, l'ancien sou-
verain ; mais le troisième semblait s'attaquer à
un droit que la plupart des catholiques reconnais-
saient au pape.
Pouriant, si la loi nouvelle pouvait faire des mé-
contents, elle ne faisait pas encore des insoumis.
Tout le mal est venu de la funeste décision qui
imposa le serment constitutionnel aux ecclésias-
tiques : par là on fournissait aux évêques, à la
cour de Rome, le prétexte qu'ils cherchaient
pour troubler les consciences ; on divisait, le
clergé en deux catégories, les prêtres assermentés
ou conHilutionneis et les prêtres réfractaires;-
enfin, on s'imposait l'obligation de proscrire ces
derniers et l'on rouvrait la porte aux guerres de
religion. « Les évêques, dit un écrivain royaliste,
le marquis de Ferrières, refusèrent de se prêter
à aucun arrangement et par leurs intrigues cou-
pables fermèrent toute voie de conciliation, sacri-
fiant la religion catholique à leur fol entêtement
et à un attachement condamnable à leurs riches-
ses ». Le pape, conseillé par eux et par le parti
de la cour, s'empressa d'interdire aux ecclésiasti-
ques le serment constitutionnel. Nombre de curés
qui avaient jusqu'alors servi la Révolution se
trouvèrent jetés dans les rangs de ses ennemis,
confondus avec eux sous le nom de réfractaires.
Le peuple n'était pas moins troublé : il se sentit
partagé entre son amour pour la Révolution et son
attachement au culte catholique. Le roi Louis XVI,
dominé par ses convictions religieuses, se trouva
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1881 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
forcéuiciit on conflit avRc l'Assembléfi ; les mau-
vais di'S5iiMns do la cour pouvaient d(isorm;iis se
colorer d'un prétexte.
Tentative oontre-rêvolutionnaire de Mirabeau.
— En juillet n!)0, un puis.sant moyen de salut
s'cHait offert à la cour. Mirabeau, l'orateur popu-
laire qui avait brisé la monarcliie absolue au
23 juin, croyait le moment venu d'arrêter la Ré-
volution. La constitution qu'il rêvait étant une
sorte d'équilibre entre l'Assemblée et la royauté,
il fallait que la royauté ne fût pas trop affaiblie.
Bien que, de temps à autre, il continuât à tonner
contre les intrigues de la cour, secrètement il
s'était rapproché du roi, et, le .3 juillet, il fut
reçu par la reine. Il accepta une forte somme pour
payer ses dettes. Lui aussi se proposa do reformer
autour du roi une armée fidèle, de l'emmener
on province, à Rouen, de commencer au besoin
la résistance armée. Engagé dans cotte voie fu-
neste, il en vint h admettre une certaine coopé-
ration de l'étranger, au moyen de démonstrations
sur nos frontières. Gomment ces offres de dé-
vouement furent-elles accueillies par la cour? On
ne vit pas en Ini un sauvi'ur, mais une dupe dont
on pouvait exploiter la crédulité. La reine écrivait à
Flachslanden : « On se sert de Mirabeau, mais il
n'y a rien de sérieux. » Quand Mirabeau s'aperce-
vait de quoique trahison de ses nouveaux alliés,
il entrait dans des colères terribles. C'est alors
qu'il écrivait à son ami La Marck : « A quoi donc
pensent ces gens-là? Ne voient-ils pas les abîmes
qui se creusent sous leurs pas? Le roi et la reine
y périront, et, vous le verrez, la populace battra
leurs cadavres. »
Dans la discussion du droit de paix et de guerre,
Mirabeau employa toute son éloquence à faire at-
tribuer au roi l'initiative des propositions de paix
et rie guerre, la décision restant toutefois à l'As-
semblée. C'est b. la suite de ce discours que l'on
commença .^ crier dans les rues " la grande tra-
hison du comte de Mirabeau. « Plus tard, lorsqu'on
voulut user de rigueur contre les émigrés, et
qu'on proposa contre eux la mort civile et la con-
fiscation des biens: « Si vous faites une loi contre
les émigrants, s'écria Mirabeau, je jure de ne pas
l'observer. » Entre la royauté, qui n'avait d'espé-
rance que dans le secours de l'étranger, et le parti
avancé, qui grandissait chaque jour, mais qui ne
rêvait pas encore la Républic|ue, Mirabeau usa ce
qui lai restait de forces. Atteint d'une maladie
mortelle, il put dire : » J'emporte avec moi le
deuil de la monarchie ; ses débris vont être la
proie des factieux. » Les factieux de la cour ne
devaient pas être les moins acharnés. Le 2 avril
1791, Mirabeau mourut; ses restes furent portés
au Panthéon.
Le complot de Varennes. — Plus que jamais, la
cour en revint à ses projets de fuite et d'alliance
avec l'étranger. En avril 1701, comme l'évêque de
Clermont refusait au roi la communion, celui-ci
promit « de rétablir entièrement le culte catholi-
que, si jamais il recouvrait son autorité. » Le
18 avril, sous prétexte d'aller faire ses Pâques,
Louis XVI annonça qu'il partait pour Saint-Cloud.
Il comptait que, ou bien l'Assemblée autoriserait
ce voyage, et alors il irait rejoindre ses complices,
ou bien elle s'y opposerait, et alors il serait con-
staté, devant la France et l'Europe, que les émi-
grés ne mentaient pas et que le roi n'était pas
libre. C'est la seconde de ces prévisions qui se
réalisa : le peuple, inquiet, se porta aux Tui-
leries et empêcha le départ. Le lendemain, le
roi se rendit h l'Assemblée et répéta qu'il vou-
lait maintenir la constitution « dont faisait par-
tie la constitution civile du clergé ». Il ne lui
en coCitait pas de prendre ces engagements, car
il avait fait riKherchor, dans les archives du
royaume, la formule des actes par lesquels on
peut désavouer « les promesses arrachées par la
force. »
Le 20 mai, Louis XVI autorisait secrètement le
comte d'Artois et son homme do confiance, le
comte do Dnrfort, â traiter avec Léopold aux con-
férences de Mantoue : l'Autriche devait fournir
;55,O0O hommes, les princes allemands 15,000, les
Suisses l.'),00n, le roi de Sardaigne 15,000, l'Es-
pagne '20,000; toutes ces troupes, avec l'appui du
roi de Prusse, devaient, i la fin de juillet, bloquer
nos frontières ; à ce moment, les frères du roi fe-
raient une protestation contre les actes de l'Assem-
blée et les puissances lanceraient un manifeste.
Le roi comptait sur l'armée que Bouille concen-
trait autour de Metz : plus près de Paris, ce gé-
néral avait établi un camp à Montmody; des dé-
tachements de cavalerie élaient postés sur la route
de Montmédy à Paris.
A Paris, on n'était pas sans inquiétude sur quel-
que nouveau projet du roi ; mais Louis XVI s'ex-
pliqua avec tant de bonhomie avec Lafayette, que
celui-ci déclara répondre du roi sii^^a tête. Le
21 juin, Paris en s'éveillaiit appr^^JB^yipeur
que le roi s'était évadé pcndaiit^^^^^^Bc la
reine, ses enfants et sa sœur; il^^^^Hpndre
Bouille. Il y eut un moment d effroîT^^Watten-
dait à l'invasion de la France par les troupes
étrangères et les mercenaires allemands de Bouille,
au triomphe de l'émigration, au retour de l'ancien
ré(,'ime, au massacre dos patriotes et au démem-
brement du pays. Le calme de l'Assemblée ras-
sura tout le monde : elle manda à sa barre les
ministres du roi, surtout le ministre des affaires
étrangères Montmorin, qui n'avait pu ignorer les
desseins de son maître. Elle se saisit du pouvoir
exécutif, adressa aux cours étrangères des décla-
rations pacifiques, envoya dos commissaires aux
troupes pour leur faire prêter le serment de fidé-
lité â la nation, ordonna d'arrêter quiconque vou-
drait sortir du royaume, décréta l'armement de
300,000 gardes nationaux. Les affaires de l'Etat
furent expédiées comme à l'ordinaire : il fut ainsi
démontré combien le roi était étranger au gouver-
nement et iiuitile à la chose publique. La démon-
stration parut si cojicluante que, pour la première
fois, un parti républicain se forma, o VoilJi le
grand embarras parti, « disaient les uns. Et d'au-
tres, montrant la salle de l'Assemblée : « Notre
roi est là-dedans, disaii'nt-ils ; l'autre roi peut
bien s'en aller où il voudra. » — « Le nom do la
république, écrivait madame Roland, l'indignation
contre Louis XVI, la haine des rois, s'e.\halent ici
de partout, u
Quand on apprit que le roi avait été arrêté il
Varennes au moment où les hussards de Bouille
allaient lui prêter main-forte, Paris éprouva comme
une déception. C'était son « embarras » qu'on lui
ramenait.
Nul doute que l'Assemblée, si elle eût alors pro-
clamé la déchéance du roi parjure, n'eût obtenu
l'assentiment de la nation. Bien des malheurs
eussent été évités. Condorcet disait avec raison :
« Le roi en ce moment ne tient plus à rien ; n'at- .
tendons pas qu'on lui ait rendu assez de puis-
sance pour que sa chute exige un effort ; cet effort
sera terrible si la république se fait par révolu-
tion, par soulèvement du peuple ; si elle se fait à
présent avec une Assemblée toute-puissante, le
passage ne sera pas difficile. »
Malheureusement, l'Assemblée était profondé-
ment royaliste. Quand elle sut l'arrestation de
Louis X'Î'I, elle envoya trois de ses membres,
Pétion, Latonr-Maubourg et Barnave, au-devant de
la famille royale qu'ils rejoignirent à Epornay.
Dans ce voyage, Barnave se laissa gagner par la
reine et se prépara à jouer le rûla qui avait si mal
réussi à Mirabeau. A Paris, on avait affiché par-
tout cet avis : « Celui qui applaudira le roi sera
REVOLUTION FRANÇAISE
\i
battu ; celui qui insultera le roi sera pendu. »
Louis XVI rentrait en vaincu dans sa capitale, au
milieu d'un peuple immense, muet et dédaigneux.
L'Assemblée déclara Louis XVI suspendu de
ses pouvoirs, lui donna une garde ainsi qu'à la
reine, nomma des commissaires pour les interro-
ger, décréta que le roi serait considéré comme
ayant abdiqué s'il rétractait ses serments, s'il
fai>ait la guerre à la nation ou s'il souffrait
qu'on la fit en son nom. On reçut une lettre in-
solente de Bouille qui menaçait, si l'on touchait
au roi, à un cheveu de sa tète, n d'amener les ar-
mées étrangères et de ne pas laisser pierre sur
pierre dans Paris. » L'Assemblée accueillit par
des rires ces vaines menaces.
Dès le I" juillet, une affiche républicaine fut
placardée dans Paris : « La nation ne rendra
jamnis sa confiance au parjure, au fuyard.... La
royauté est finie. Qu'est-ce qu'un office abandonné
au hasard de la naissance, qui peut être rempli
par uu idiot? N'est-ce pas un rien, un néant? »
Pourtant les républicains, même à Paris, étaient
loin d^É^M^i,iajorité. Encore à cette époque,
Robd^^^^^^^club des Jacobins, disait n qu'on
lui ^^^^Ê/K d'honneur en l'appelant ré-
publical^^pTon lui ferait déshonneur en l'ap-
pelant monarchiste ; qu'il n'était ni l'un, ni
l'autre. »
Le peuple n'avait qu'une idée bien arrêtée :
s'affranchir d un monarque qui violait ses ser-
ments et correspondait avec l'étranger. Cette
répugnance contre Louis XVI, tout autre monar-
que étant alors impossible, devait logiquement
nous conduire à la République. Le club des
.lacobins avait écrit : « Nous ne reconnaîtrons
plus Louis XVI. )i Le club des Cordeliers, où
dominaient Danton et Desmoulins, ajouta : <i Ni
un autre roi. »
L'affaire du Champ-de-Mars. Fin de la Cons-
tituante. — Le 17 juillet, une pétition qui deman-
dait la déchéance du roi fut déposée au Champ-de-
Mars sur l'autel de la patrie et se couvrit de
milliers de signatures. L'Assemblée s'cflraya de
voir ses intentions dépassées : des hommes inté-
ressés à produire un conflit lui présentèrent cette
manifestation pacifique comme un danger public.
Par ses ordres, Lafayette et liailly se rendirent
au Champ-de-Mars avec des troupes, proclamè-
rent la loi martiale et déployèrent le drapeau
rouge. Les sommations, mêm'e une décharge à
povidre, restèrent sans effet ; alors les soldats
tirèrent à balle sur la foule et couvrirent l'autel
de la patrie de morts et de mourants. L'Assem-
blée venait de faire couler le sang du peuple pa-
risien, qui l'avait sauvée au 14 juillet 17«9; et dans
quel but? pour sauver la royauté, qui conspirait
contre l'Assemblée et contre elle-même, qui s'ob-
stinait à périr. La popularité de la Constituante,
de Lafayette, de liailly ne put s'en relever.
Un schisme s'était produit à cette occasion dans
le club des Jacobins. Duport, iiarnave, les Lameth,
ralliés à la cour, se séparèrent de leurs anciens
collègues et fondèrent le club des Feuillants,
qui devint le centre de ralliement des monar-
chistes constitutionnels. Par la retraite de ces an-
ciens chefs du parti populaire, l'influence au club
des Jacobins appartint sans partage aux hommes
qui tiendront désormais la tête du parti révolu-
tionnaire, Robespierre, Pétion, Brissot et leurs
amis.
Les jours de l'Assemblée étaient comptés. Elle
venait de terminer la constitution, c'est-à-dire
d accomplir la mission qu'elle s'était donnée.
Ecartant la théorie britannique d'un parlement
divisé en deux chambres, elle avait institué une
assemblée unique investie du pouvoir législatif. Le
roi n'avait pas le droit de la dissoudre; le pou-
voir de l'assemblée était indépendant et rival du
2 — REVOLUTION FRANÇAISE
sien. Le monarque n'avait que la sanction des
lois ; contre tout décret voté par l'assemblée,
il avait le droit de veto : non pas le veto absolu,
mais le veto suspeyisif pendant deux législatures ;
après ce délai, si la troisième législature persistait,
le décret voté par elle prenait force de loi, sans
qu'il fût besoin de sanction. En matière de paix
et de guerre, l'initiative appartenait au roi, la dé-
cision à l'assemblée. La dignité royale était héré-
ditaire et se transmettait, conformément à l'an-
cien droit, de mâle en mâle, par ordre de primo-
géniture. L'assemblée législative était élue par le
peuple, mais non par tout le peuple; les ci-
toi/ens actifs, c'est-à-dire payant une contribution
égale à la valeur de trois journées de travail,
étaient seuls investis du droit de suffrage ; ils
élisaient non pas les députés, mais des électeurs,
jouissant d'un revenu d'au moins 2.'>IJ livres et qui
nommaient les députés, les administrations dé-
partementales, les juges, les évêques, les curés.
Si l'Assemblée avait entendu faire un gouverne-
ment monarcliique, cette constitution avait un
défaut: c'était de trop restreindre les attributions
du monarque. Mais, étant donnée l'attitude que
la royauté avait prise contre la nation, cette
même constitution laissait encore trop de pou-
voirs au roi. Le droit de veto qu'on lui concédait
devait perdre Louis XVI.
Quand la constitution fut achevée, l'Assemblée
releva le roi de sa suspension et soumit la consti-
tution à sa libre acceptation. Le 13 septembre,
Louis XVI envoya son adhésion à l'Assemblée;
le 14. il s'y rendit en personne et prononça une
I fois de plus le serment constitutionnel : " Je jure
d'être fidèle à la Nation et à la Loi. »
' Dans l'intervalle, le roi de Prusse et l'empereur
j d'Allemagne tinrent le congrès de Pilnitz avec les
frères de Louis XVI, et, d'accord avec eux, publiè-
I rent la déclaration du 27 aoiit : ils signifièrent à la
I France et à l'Europe qu'ils s'entendraient avec les
autres souverains pour mettre le roi di' France en
état d'assurer sa liberté et d'affermir les bases du
gouvernement monarchique : et en attendant, ils
donneraient à leurs troupes les ordres convena-
bles pour qu'elles fussent à portée de se mettre en
activité. » C'était une déclaration de guerre de
l'Europe monarchique à la France émancipée.
i La Révolution était assurée des ressources né-
' cessaires pour lutter contre l'Europe : la veille de la
déclaration de Pilnitz, on annonçait à r.\ssemblée
qu'on avait déjà vendu pour près d'un milliard de
biens nationaux. Comme le pape Pie VI, non con-
tent d'exciter secrètement le clergé à la résistance
et le peuple à la révolte, venait do publier un
manifeste outrageant pour la Révolution, l'As-
semblée l'en punit en saisissant le Coratat-Ve-
naissin. |
I Le 30 septembre, Louis XVI vint, encore une
fois, renouveler à l'Assemblée son serment de
fidélité à la constitution, et le président Thouret fit
la déclaration suivante : « L'Assemblée nationale
constituante déclare sa mission terminée. "
Les élections pour l'Assemblée législative étaient
déjà terminées : en vertu d'une décision prise
par la Constituante elle-même, aucun membre de
celle-ci ne pouvait faire partie de l'Assemblée
nouvelle. Bailly avait donné sa démission de
maire et Lafayette sa démission de commandant
j des gardes nationales. C'étaient des hommes iiou-
veaux qui allaient arriver aux affaires; ils allaient
' être privés de l'expérience et des conseils de
j leurs devanciers, mais ils avaient sur eux l'avan-
tage de représenter l'opinion nouvelle qui s'était
formée dans le pays.
C. — L'.lsieiiiklée LégUlalIvc.
La royauté et la constitution. — Pendant
j près de trois années qu'avait duré la Consti-
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1883 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
tuante, une Francfi toute nouvelle s'était faite.
Le TiiTS-Etat était devenu la Nation ; le paysan,
naguère opprimé, était aujourd'hui un homme
libre, un propriétaire, un citoyen, un élec-
teur. Par la vente des biens nationaux, la Ré-
volution s'était donné pour appui les intérêts
nouveaux qu'elle créait. Or ces intérêts étaient
menacés : la royauté apparaissait trop claire-
ment , surtout depuis la fuite de Varennes,
comme le contre de toutes les menées à l'in-
térieur et de la coalition européenne; le paysan
sentait que c'était pour Louis XVI qu'on fomen-
tait la guerre étrangère, la guerre civile. Pour
défendre ses droits et ses biens, il était prêt à
courir aux armes. C'est sous le coup de ces
préoccupations que s'étaient faites les élections
pour l'Assemblée législative; on peut l'appeler
l'assemblée de la guerre, car elle arrivait avec un
mandat bien défini : faire la guerre à tout ennemi
de la Révolution, au réfractaire, à l'émigré, aux
rois étrangers, même au roi des Tuileries. Toute
son histoire d'une année, c'est la lutte pour la
défense de la Révolution.
La royauté, malgré ses grandes défaites de 89
et de 01, était encore puissante. Louis XVI, dé-
sarmé par la prise de la Bastille, amené de Ver-
sailles à Paris, ramené prisonnier de Varennes,
forcé de jurer la constitution, suspendu de ses
fonctions, enfermé aux Tuileries, restait dange-
reux. Il disposait encore dune force militaire :
outre ses gardes suisses, il avait la garde dite
coiislitutioniielli-', que lui avait accordée l'Assem-
blée. La reine avait si bien fait que cette
garde fut successivement portée de 1800 à
liOOO homiues ; elle se composait de gentils-
hommes braves et dévoués, comme Larochejac-
quelein ; de soldats de fortune, adroits à l'escrime,
qui ferraillaient volontiers contre le bourgeois, de
fanatiques qui avaient déjà figuré dans les trou-
bles du Midi et goûté au sang des guerres civiles.
En cas de péril, le roi pouvait encore faire appel
à nombre de royalistes dévoués : on évaluait à
12 000 le nombre des chevaliers de Saint-Louis,
presque tous anciens militaires, qui restaient
dans Paris.
Le pouvoir exécutif était entièrement aux mains
du roi. La constitution, en interdisant le cumul des
fonctions de ministre et de député, amenait ce
résultat que les ministres, pris en dehors de l'As-
semblée, étaient uniquement les hommes du roi.
Les ministres des affaires étrangères, comme
Montmorin, puis Uelessart, mettaient au service
de la contre-révolution le personnel de notre
diplomatie ; ceux de la guerre et de la marine
encourageaient la désertion des soldats, l'émigra-
tion des officiers de terre et de mer; tous amu-
saient l'Assemblée de faux rapports.
Aux frais de la liste civile se publiaient des
journaux qui bravaient audacieusement l'opinion,
calomniaient les libéraux, insultaient au senti-
ment patriotique, au drapeau national, annon-
çaient tous les matins la prochaine invasion de
la France et promettaient la potence à tous les
auteurs de la Révolution, aux modérés encore
plus qu'aux jacobins. Le Journal général de la
cour et de lu ville, un mois après la déclaration
de Pilnitz, écrivait : n Les ci-devant Français
n'attendent que l'arrivée dos Autrichiens pour
changer leur devise : au lieu de Vivre libre ou
mourir, ils diront : Vine libre et courir. » En
octobre 1181, il publiait ces vers :
Tremblez, canaille,
De voir nos drapeaux blancs,
Et la mitraille
De nos canons fumants.
répression de l'insurrection belge et annonçaient
le môme sort à la Révolution française :
Quinze milliers de potences
Qui foraient fort bien en France
Attesteront la elémenee
Et la veitc vigilance
De monsieur l'Empereur
Dont ils ont grand'peur.
Voilà les appuis que la royauté gardait K Paris.
On peut même dire qu'elle y disposait de deux
armées : les royalistes purs et les royalistes
constitutionnels. Une grande partie de la garde
nationale de Paris, le directoire du département,
presque toutes les administrations, étaient feuil-
lants ou monarchiens.
Or, le roi avait trouvé le moyen do se concilier
les Feuillants, tout en préparant leur ruine, et
de détruire la constitution, tout en affeciant de
l'observer avec scrupule. Il était toujours prêt à re-
nouveler ses serments de fidélité i la loi dans l'As-
semblée : mais il usait du droit de vetn qu'elle lui
donnait, pour annuler les déera^^^É^semblée
et entraver les mesures de dëf^^^HBkonsti-
tutionnels lui avaient mis en^^^^^^^Brme
pour tenir la constitution en écim^^^^paHs-
tes purs lui forgeaient k l'étrangerun^^ffe pour
la détruire.
Au fond la cour n'aimait pas les Fenillants ; on
le vit bien aux élections municipales de Paris
(novembre) : la reine engagea ses amis ^ voter
contre Lafayette en faveur du républicain Pétion.
C'est grâce à elle que Lafayette fut écarté, que
Pétion devint maire de Paris et Danton substitut du
procureur-syndic.La cour ne comptait en réalité que
sur les royalistes purs, c'est-i-dire sur le prêtre
réfractaire et l'émigré, et sur les armées étran-
gères.
L'Assemblée montra d'abord de la modération
envers les réfractaires. Certains d'entre eux n'a-
vaient refusé le serment qu'avec regret et par
scrupule de conscience; mais le plus grand nom-
bre agissaient en ennemis mortels de la Révolii-
tion. Leur animosité la plus violente se tournait
contre les prêtres assermentés, bien qu'ils fus-
sent séparés d'eux, non par ujie question de
dogme, mais seulement par un point de discipline.
Où les prêtres constitutionnels étaient les plus
forts, comme à Paris, ils usaient de tolérance
avec leurs adversaires : à l'église Saint-Jacques,
sept réfractaires disaient leur messe. En province,
la situation était bien différente : dans une com-
mune du Beaujolais, l'ancien curé se mettait à
la tête de cinq cents montagnards pour chasser le
nouveau ; à Caen, le curé constitutionnel était
attaqué par les nobles et leurs domestiques ar-
més; en Alsace, les assermentés couraient chaque
jour risque de la vie. C'était surtout dans l'Ouest,
dans le Midi, que les réfractaires, en chaire, a\i
confessionnal, propageaient la légende du roi
prisonnier, du roi martyr, vouaient h l'enfer les
agents du gouvernement, les acquéreurs do biens
nationaux, les citoyens qui payaient l'impôt.
Et cependant un écrivain catholique, l'abbé
Ja>gcr, avoue que » d'après les sentiments d'ec-
clésiastiques recommandables, les prêtres pou-
vaient en conscience prêter le serment. » Pie VII,
étant évoque d Imola, disait qu'il ne l'eût pas
refusé, s'il avait été prélat français ; devenu
pape, il sanctionna par le Concordat beaucoup
de dispositions empruntées à la constitution
civile du clergé et admit h sa communion les
évoques constitutionnels de France.
Les nobles continuaient à éinigrer du royaume,
mais beaucoup d'émigrés commençaient à rentrer
pour préparer la révolte : ainsi Lcscure et tjuan-
gentilshommes vendéens. Les émigrés
tité de ^,
ou leurs agents travaillaient Paris et la province.
Les Actes des apôtres célébraient la cruelle | tentaient la fidélité des régiments, embauchaient
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1^84 - RÉVOLUTION FRANÇAISE
des hommes pour l'armée du prince de Condé,
entretenaient des intelligences dans les places
frontières, paradaient dans les cours de Péters-
bourg, Berlin, Vienne, Turin, Trêves, y calom-
niaient la France et l'Assemblée, insultaient les
voyageurs et commerçants français à l'étranger.
Etablis tout le long de nos frontières, ils corres-
pondaient avec les nobles du dedans, envoyaient
des quenouilles à ceux qui refusaient d'émigrer,
annonçaient partout la prochaine invasion et les
prochaines vengeances.
La situation de l'Kurope était périlleuse pour
nous : les peuples, partout asservis, ne pouvaient
nous aider ; tandis que les libéraux faisaient des
vœux impuissants pour le succès de la Révolu-
tion, les gouvernements armaient contre elle.
La Prusse s'était réconciliée avec l'Autriche et
s'était associée à la déclaration de Pilnitz ; Cathe-
rine II signait un traité avec Gustave 111, roi de
Suède, quï s'engageait à débarquer sur nos côtes.
Partout nos agents diplomatiques, quand ils ne
trahissaiei^^^fifiuvertement, étaient insultés.
Cathed^^^^Hpait sans l'ouvrir la lettre par
laquq^^^^^^^^T notifiait son acceptation de la
cons^^^^^HPDtsdam, le roi de Prusse tour-
nait l^^WP^egur pour sourire i l'envoyé des
émigrés; à Trêves, Uigot de Sainte-Croix éiait
outragé par le gazetier de l'archevêque-électeur;
à Mayence, les émigrés aiguisaient leurs épées
sous les fenêtres de AL de Villars. Les plus petits
Etats nous bravaient : le sénat aristocratique de
Berne châtiait les villes du pays de Vaud, où l'on
avait osé chanter des chansons révolutionnaires .
A Venise, le conseil des Dix^ en Espagne, l'In-
quisition redoublaient de rigueurs contre les par-
tisans des idées françaises.
Les partis dans l'Assemblée : Feuillants, Gi-
rondins et Montagnards. — Contre tant de dan-
gers, l'Assemblce législative était faiblement
armée. Les directoires des départements, les con-
seils municipaux des grandes villes, les gardes
nationales, les magistrats des tribunaux étaient
acquis aux idées dites monarcliiennes. La Consti-
tuante avait détruit la centralisation administra-
tive, et désarmé l'Assemblée encore plus que la
royauté.
La Législative se composait d'hommes nouveaux :
les grandes influences et les grandes réputations
de la Constituante restaient en dehors d'elle. Elle
se composait de trois partis :
Les royalistes purs, qui avaient formé la droite
de la précédente assemblée, ne comptaient plus
dans la Législative. La droite était donc formée des
constitutionnels ou monarchiens. qu'on appelait
aussi Feuillaiiis ou Fayittistes. Leurs chefs dans
l'Assemblée étaient Mathieu Dumas, Ramond,
Vaublanc, Beugnot. Hors de l'Assemblée, ils s'ap-
puyaient sur le triumvirat Barnave, Duport,
Lameth, sur le directoire du département et la
plupart des administrations; sur certains batail-
lons de la garde nationale ; sur Lafayette, qui
allait bientôt commander l'armée du Nord; enfin
sur le club des Feuillants.
La gauche se partageait entre les Girondins
et les Montagnards. Les Girondins, de beaucoup
les plus nombreux et les plus influents, recon-
naissaient pour chefs, dans l'Assemblée, Vergniaud,
Guadet, Gensonné, tous trois avocats de Bor-
deaux, Isnard , Brissot , Condorcet ; ils s'ap-
puyaient, hors de l'Assemblée, sur Pétion, qui
succédait à Eailly dans la mairie de Paris; ils
disputaient aux Montagnards la prédominance
dans le club des Jacobins et dans la Commune de
Paris.
Les principaux Montagnards de l'Assemblée
étaient Merlin de 'Ihionville, Bazire, le capucin
Chabot, Coutlion. Les plus grands noms du parti
avaient été laissés en dehors de la Législative :
Robespierre, qui finit par devenir maître du club
des Jacobins; Danton et Camille Desmoulins, qui
dominaient au club des Cordeliers; Santerre, qui
soulevait il volonté le faubourg Saint-Antoine ;
Marat, qui, dans son Ami du peuple, prêchait l'ex-
termination des aristocrates.
Le club des Jacobins constituait alors une
puissance énorme; c'était comme une assemblée
rivale de l'Assemblée, qui avait son président, sa
tribune aux harangues, ses galeries pleines de
public. Dans toutes les villes de France, jusque
dans des bourgs et des villages, il se forma bientôt
des sociétés de Jacobins affiliées à la société-mère,
qui recevaient son mot d'ordre, adoptaient ses
motions et remplaçaient la centralisation admi-
nistrative qu'on avait détruite par une confédéra-
tion de sociétés. C'étaient ces clubs de province
qui surveillaient les magistrats, dénonçaient les
suspects, poussaient à la vente et au morcelle-
ment des biens nationaux, intimidaient les enne-
mis de la Révolution, et donnèrent l'impulsion à
la défense nationale et à toutes les mesures révo-
lutionnaires.
L'Assemblée apportait des idées fort arrêtées
au sujet des réfraclaires, des émigrés et des puis-
sances européennes; moins arrêtées en ce qui con-
cernait la royauté. On le vit bien encore le
7 juillet i'9i, lorsque l'évêque Lamourette proposa
que tous ceux qui étaient b. la fois contre la Ré-
publique et contre les deux Chambres se levas-
sent : toute l'Assemblée se leva. L'Assemblée
n'était pas républicaine : ce furent les trahisons de
la cour qui la jetèrent dans la République. Elle
tenait le roi pour suspect, mais ne songeait pas
encore à détruire la royauté.
Dès sa première séance, comme Louis XVI lui
avait manqué d'égards, elle adopta par dépit les
propositions de Grangeneuve et Couthon, qui de-
mandaient la stippression des titres de ^ire et de
majesté et voulaient que le fauteuil du roi, sem-
blable à celui du président, fût plucé i la gauche
de celui-ci. Elle rapporta son décret le lende-
main, et, quand Louis XVI se rendit h l'Assemblée
pour inaugurer ses travaux, elle l'accueillit aux
cris de Vive le Roi!
Entente de la cour avec l'étranger. — Trois
questions furent soulevées presque simultané-
ment, celle des émigrés, celle des réfraclaires,
celle des mesures à prendre pour la défense du
royaume. Môme sur cette dernière question, la
cour se trouva en conflit avec l'Assemblée; la
façon perfide dont le ministère préparait la guerre
et conduisait les négociations contribua à ejiveni-
mer les questions intérieures. Dans l'affaire de
Saint-Domingue, dans l'affaire d'Avignon, c'est
le pouvoir exécutif qui, en retardant la promul-
gation des décrets de l'Assemblée, amena les
épouvantables massacres qui désolèrent ces deux
pays.
La discussion sur les émigrés fut signalée par
un discours d'Isnard où il prenait surtout à partie
les deux frères du roi ; o Si nous ne les punissons
pas, est-ce donc parce qu'ils sont princes?... Si
nous voulons être libres, il faut que la loi seule
gouverne, que sa voix foudroyante retentisse éga-
lement au palais, à la chaumière, qu'elle ne dis-
tingue ni rangs, ni titres, inexorable comme la
mort quand elle tombe sur sa proie. »
L'Assemblée rendit un premier décret portant
que si le comte de Provence ne rentrait pas dans
deux mois, il serait déchu de son droit éventuel
à la régence et h la royauté ; puis un second dé-
cret (8 novembre), statuant que si les émigrés ne
rentraient pas pour le 1" janvier, ils seraient dé-
clarés coupables de conjuration et punis de mort;
que leurs revenus seraient perçus au profit do la
nation, sauf les droits des femmes, des enfants,
des créanciers; que les peines contre la désertion
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1885
REVOLUTION FRANÇAISE
seraient ap|)lii|uces aux officiers émigrés; que
l'emljaucliagc serait puni de mort. Le roi ne
sanctionna que le décret relatif à son frère et
opposa au second son veto (i2 novembre).
Le décret du 29 novembre contre les prêtres
réfractaires se ressentit de l'irritation qu'éprouvait
l'Assemblée. Il statuait « que le serment civique
serait exigé des prêtres réfractaires dans le délai
d(! huit jours ; i|ue ceux qui le refuseraient seraient
tenus pour suspects do révolte et recommandés à
la surveillance des autorités ; que s'il se produi-
sait des troubles dans la commune qu'ils habite-
raient, le directoire du département pourrait les
en éloigner; que s'ils résistaient i cet ordre, ils
seraient passibles d'une année au moins d'em-
prisonnement, et de deux ans, s'ils provoquaient
à la désobéissance. » Le roi signifia son veto le
19 décembre.
Dans l'intervalle, le 22 novembre, l'Assemblée
avait entendu un rapport de Kocli sur nos rela-
tions extérieures, les armements do l'Kurope, les
vexations exercées sur les citoyens français d'Al-
sace par les émigrés et les princes allemands du
voisinage. Isnard s'empara de la question dans
un discours éloquent où il avertissait les minis-
tres qu'ils étaient responsables et que par res-
ponsabilité il entendait la mort. « Disons à l'Eu-
rope, s'écria-t-il, que si Its cabinets engagent les
rois dans une guerre contre les peuples, nous en-
gagerons les peuples dans une guerre contre les
rois. » Le 14 décembre, le roi vint déclarer il
l'Assemblée qu'il faisait sommer l'électeur de
Trêves d'avoir à disperser, avant le 15 janvier,
les rassenibleraenis armés sur son territoire.
Pendant que Louis XVI tenait ce langage à la
Législative, quels étaient ses actes'? Il adressait
secrètement aux souverains de l'Europe des lettres
circulaires pour les inviter à s'unir contre ceux
qu'il appelle les factieux. Voici sa lettre au roi
de Prusse en date du 3 décembre 1791 :
« Monsieur mon frère,
11 J'ai appris par M. de Moustier l'intérêt que
Votre Majesté avait témoigné non seulement pour
raa personne, mais encore pour le bien de mon
royaume. La disposition de Votre Majesté à
m'en donner des témoignages dans tous les cas où
cet intérêt pourrait être utile pour le bien de mon
peuple, a excité vivement ma sensibilité; je la ré-
clame avec confiance dans ce moment-ci, où,
malgré l'acceptation que j'ai faite de la nouvelle
constitution, les factieux montrent le projet de
détruire entièrement les restes de la monarchie.
Je viens de m'adresser à l'Empereur et à l'impé-
ratrice de Russie, aux rois d'Espagne et de Suède,
et je leur présente l'idée d'un congrès des princi-
pales puissances de l'Europe, appuyé d'une force
armée, comme la meilleure manière pour arrêter
ici les factieux, donner le moyen d'établir un
ordre de choses plus désirable, et empêcher que
le mal qui nous travaille puisse gagner les autres
Etats de l'Kurope. J'espère que Votre Majesté
approuvera mes idées et qu'elle lue gardera le
secret le plus absolu sur la démarche que je fais
auprès d'elle. Elle sentira aisément que les cir-
constances où je me trouve m'obligent à la plus
grande circonspection ; c'est ce qui fait qu'il n'y
u que le baron de Breteuil qui soit instruit de
mes projets, et Votre Majesté peut lui faire passer
ce qu'elle voudra. »
La reine, de son coté, à la date du 16 décem-
bre, écrivait au résident autrichien de Bruxelles,
le comte Mercy d'Argenieau ;
11 Saiis armée, sans discipline, sans argent, c'est
nous qui voulons attaquer! Mais le roi n'est pas
libre; il faut qu'il suive exactement la marche
qui lui est prescrite. C'est k l'Empereur et aux
autres puissances à présent à nous servir. Nous
serons obligés h faire des démarches et moi sur-
tout vis-i-vis de mon frère, mais comment pour-
ra-t-il de bonne foi les regarder comme des actes
de notre volonté ?
» L'Euipereur doit sur ce point savoir au-
jourd'liui h quoi s'en tenir, et il n'agirait point
à l'aveugle ; il me semble d'ailleurs qu'il y va
dès à présent de la tran(|uillité de ses propres
Etats ; que mon frère ne s'y trompe pas, il sera
têt ou tard engagé dans nos affaires. D'abord, si
nous sommes assez sots pour attaquer, il sera
obligé, comme chef de l'Empire, de soutenir le
corps germanique, et de plus, avec des soldats
aussi indisciplinés que les nôtres, son territoire
sera bientôt violé de tous les cotés. C'est dans ce
moiucul, où i' w^us semble que te congrès armé
powrnit encore être de la plus grande utilité.
U n'est plus temps de craindre pour nos person-
nes : la marcho que nous avons adoptée en ayant
l'air de marcher franchement dajis le sens qu'on
désire, nous met en sûreté. »
C'était bien une guerre d'inva^on que nous
préparait la cour. Or, elle sav^ÉflHB^ment que
les puissances comptaient fair^^^^^^|B9ices
rendus au roi par le démeiT
toire français. La reine, cviderl
crit aux conditions posées par Merî^tw^genteau
dans sa lettre de mars 1791 : « Il ne faut pas se
dissimuler le principe reçu généralement que les
grandes puissances ne font rien pour rien. Le
roi de Sardaigne a toujours eu des vues sur Ge-
nève : une extension de limites dans la partie
française des Alpes et sur le Var lui serait très
intéressante. Pareille facilité pourrait être négo-
ciéû avec l'Espagne pour les limites de la Na-
varre, etc. »
Le 18 décembre 1791, au club des Jacobins,
Isnard répondait à cette coalition des rois cojitre
les peuples en donnant la formule de la guerre
des peuples contre les rois. La salle était décorée
des drapeaux de la France, de l'Angleterre et de l'A-
mérique, les trois nations libres d'alors. Un citoyen
suisse, un Neuchàtelois, avait envoyé une épéo
de Damas pour le premier général français qui
remporterait une victoire sur les ennemis de la
liberté. Isnard se saisit de cette épée, l'épée de
la liévolution universelle, et s'écria : n La voilà!
Elle sera victorieuse. La France poussera un
grand cri, tous les peuples répondront. La terre
se couvrira de combattants, et les ennemis de la
liberté seront effacés de la liste des hommes. »
Le 2 janvier 1792, l'empereur et lo roi de
Prusse signèrent un traité d'alliance offensive et
défeiisive.
Le ministère girondin. — Des trois partis qui
divisaient l'opinion, il y en avait deux qui dési-
raient la guerre : c'étaient les Feuillants et les
Girondins, mais pour des motifs différents : ceux-
là pour consolider la royauté, et ceux-ci pour
l'affaiblir et s'imposer à elle. Quant aux Monta-
gnards, ils luttaient contre le courant manifeste
do l'opinion : Uobespierre, qui ne voyait partout
que dos complots, répétait que la Gironde était
d'accord avec les Feuillants : calomnie ridicule,
car la Gironde ne pouvait atteindre son but qu'en
écrasant les Feuillants.
Les Montagnards étaient jaloux de la Gironde,
alors à l'apogée de sa popularité et qui avait la
direction du grand courant révolutionnaire. Les
Montagnards ne voulaient de guerre que contre
l'ennemi du dedans, prétendaient avant tout éjiU-
rer la France ; Marat et Fréron disaient qu'il
suffisait pour cela de poignards et do bouts
de cordes. La Gironde avait un idéal plus haut :
arraclier le pays à ses divisions, propager la
Révolution pour la fortifier, aKer au-devant des
nations (pii attendaient de nous leur déli-
vrance , prévenir la croisade des rois par le
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1886 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
soulèvement des peuples, faire flotter sur les
Alpes et sur le Uliin le drapeau aux trois couleurs.
C'était la Gironde qui donnait alors l'impulsion à
l'armement des masses, à la fabrication des pi-
ques, à l'adoption du bonnet rouge comme signe
de liberté, et qui pouvait se vanter, en janvier 17 9;',
d'avoir armé 600 onn volontaires. Par Isnard et
Brissot, elle précliait l'arniement universel, comme
par Condorcel l'instruction universelle. Elle ne
pouvait prendre encore la direction des affaires,
car le roi ne voulait pas entendre parler d'un
cabinet girondin. Elle laissait les Feuillants pous-
ser Narbonne, l'amant de M"" de Staël, au minis-
tère de la guerre ; elle laissait Narbonne s'in-
fatuer de son rùle nouveau et donner la mesure
de son incapacité. Elle se réservait, dans le comité
diplomatique de l'Assemblée, la tàclie de démas-
quer l'entente du ministère et de l'Europe. Le 14
janvier, Geusonné concluait à ce que le roi som-
mât l'Empereur de déclarer, avant le 11 février,
s'il était pour nous ou contre nous. Guadet
flétrissait en ces termes l'idée du congrès que
rèvaitl^^ÉB|A
(i^M^^^^^^uingrès, ce complot '?... Appre-
il^^^^^^^^^H^inces que la mainiien-
dr^^^^^^HPR tout entière ou qu'elle périra
av^NHBPiffquons une place aux traîtres, et que
cette place soit l'échafaud... Je propose de décla-
rer traître et infâme tout Français qui prendra
part à un congrès pour modilier la constitution
ou obtenir une médiation entre la France et les
rebelles. » Et l'Assemblée se levait tout entière
pour prêter ce serment.
Le 1" mars, Delessarl lisait à l'Assemblée une
note deKaunilz plus insolente que toutes les au-
tres : elle fournit aux Girondins l'occasion de
pousser à fond l'enquête sur les affaires étran-
gères. On y acquit la preuve que Delessart avait
constamment éludé les ordres de l'Assemblée,
qu'il s'était prêté aux intrigues de l'Autriche, qu'il
n'avait clierclié qu'à endormir le pays, comme pour
laisser à la coalition le temps d'organiser l'inva-
sion. Brissot démontra que la cour de Vienne était
en parfait accord avec celle des Tuileries, que
l'Empereur parlait un langage identique à celui
des Feuillants, et que la note de Kaunitz avait dû
être rédigée sur les indications fournies par les
ministres et par la reine.
Vergniaud, reprenant un des plus beaux mou-
vements oratoires de Mirabeau , s'écria : n Et
moi aussi, je puis le dire : de cette tribune, je vois
le palais où se trame la contre-révolution, où
l'on prépare, les manœuvres cjui doivent nous li-
vrer à l'Autriche... Le jour est venu où vous pou-
vez mettre un terme à tant d'audace et confondre
les conspirateurs. L'épouvante et la terreur sont
souvent sorties de ce palais, dans les temps anti-
ques, au nom du despotisme ; qu'elles y rentrent
aujourd'hui, au nom de la loi ; qu'elles y pénètrent
les cœurs; qu ils sachent bien, ceux qui l'habitent,
que la constitution ne rend inviolable que le roi.
La loi atteindra les coupables, sans faire nulle dis-
tinction. Point de tête criminelle que son glaive
ne puisse toucher. ••
Du coup Delessart tomba, fut décrété d'accu-
sation, ainsi que le ministre de la marine. Nar-
bonne ne put se soutenir, et la cour se laissa im-
poser un ministère girondin ('^4 mars 1792), que
les rojalistes appelèrent le ministère ^am-iju/olte.
Les finances furent confiées à Clavière, la justice
à Roland, la guerre à de Grave d'abord, puis à Ser-
van, les atTaires étrangères a Duraouriez. Roland,
avec son austère probité, madame Roland avec
son grand cœur et sa haute intelligence, avaient
la direction morale du ministère. Dumouriez n'é-
tait pas un Girondin : c'était un aventurier de
grand talent, dont la jeunesse s'était passée dans
les camps, qui avait été employé dans la diplo-
matie secrète de Louis XV; ayant toujours su ac-
commoder ses opinions aux situations que déve-
loppait le mouvement révolutionnaire, il arrivait
maintenant par les Girondins, mais avec la pensée
de suivre sa politique à lui. Des le premier jour,
il coilfa le bonnet rouge et alla se faire applaudir
au club des Jacobins ; dans telle autre occasion,
il sera l'homme du roi contre la Gironde.
La reine avait deviné Dumouriez. En toute
franchise, elle lui dit : « On assure que vous
avez beaucoup de talents. Vous devez juger que
ui le roi, ni moi, nous ne pouvons souffrir toutes
ces nouveautés, ni la constitution. Je vous le dé-
clare franchement: prenez votre parti. »
Léopold, malgré ses notes menaçantes, s'enten-
dait avec les Tuileries pour ajourner la guerre.
Il mourut le !•' mars; son frère François II, roi de
Hongrie et de Bohême, qui lui succéda, esprit
étroit et fanatique, devait précipiter les événe-
ments. Il charge son généralissime Hohenlohe de
s'entendre avec celui de Prusse, Brunswick, pour
une action commune. Son ministre Cobentzel si-
gnifie à la France l'ultimatum de l'Autriche : res-
tituer aux princes allemands possessionnés en
Alsace tous leurs anciens droits ; rendre Avignon
au pape ; rétablir la monarchie sur le pied de la
déclaration royale du '.'3 juin 1789. Les troupes de
la coalition s'avançaient vers nos frontières.
Le "20 avril 1792, le roi se rendit à l'Assemblée
avec Dumouriez, et proposa la guerre « contre le
roi de Hongrie et de Bohême. « L'.\ssemblée dé-
libéra. Elle applaudit ces paroles du députe
Mailhe : « Si votre humanité souffre à décréter
en ce moment la mon de plusieurs millier.s
d'hommes, songez aussi qu'en même temps vous
décrétez la liberté du monde. » Merlin de ïliion-
ville ajouta : « Votons la guerre aux rois et la
paix aux nations. » L'Assemblée se leva tout en-
tière, et à l'unanimité, moins sept membres, vota
la guerre à r.\utriclie. Condorcot fut chargé de
rédiger la déclaration : elle portait que « la France
ne voulait pas de conquête et n'attaquerait la li-
berté d'aucun peuple. »
La déclaration de guerre redoubla l'élan guer-
rier de la nation. Dès janvier 179"2, le départe-
ment de la Dordogne annoiçait i, l'Assemblée
qu'il avait forgé 3000 piques et demandait qu'on
fit partir les volontaires. A la fin de ce mois, il
y avait 600,000 hommes en armes. On voyait par-
fois tous les hommes d'une famille se rendre à
l'armée, comme les trois frères Levavasseur de
Rouen, qui tous trois deviendront généraux. Le
bataillon des Vosges fut prêt le premier. Dans le
Jura, les femmes faisaient partir les hommes,
déclarant qu'elles se chargeaient de monter la
garde. Championnet arrivait avec le sixième ba-
taillon de la Drome, Kléber avec un bataillon du
Haut-l'ihin. .\ la tète de ces multitudes armées,
dans les grades obscurs de colonels, chefs de ba-
taillon, capitaines, il y avait des hommes dont
les noms allaient retentir sur tous les champs do
bataille de l'Europe : pour la première fois l'épée
du commandement est aux mains des Hoche, des
Marceau, des Desaix, des Joubert, les glorieux
généraux de la République prochaine, des .Vlas-
séna, des Augereau, des Moncey, des Davoust, des
Macdonald, les futurs maréchaux de Napoléon ;
de Murât, le futur roi de Naples, de Bernadolte,
le futur roi de Suède. Du fond de la Bretagne, un
homme qui n'est pi us jeune, — il avait alors 4 9 ans,
— s'arracliant à ses études celtiques, n'emportant
que sa grammaire bretonne et son fusil de muni-
tion, part avec les jeunes gens et en loute les
forme au métier des armes. Celui-là ne sera ni
maréchal, ni roi ; il ne voudra jamais être que
I' le premier grenadier des armées de la Répu-
blique ; u c'est le noble, l'immortel Latour-d'Au-
vergne. Sur toutes ces colonnes enthousiastes qui
RÉVOLUTION FRANÇAISE
1887
REVOLUTION FRANÇAISE
en tout sens sillojirient la France, qui vont aux
arnicSes de Lafayotte, de Luckner, de Rocliani-
beau, plane, comme une fanfare de victoire, un
chaut nouveau, composé i Strasbourg par Houget
de Lisle, imprégné ensuite des ardeurs de la IVo-
vence, et qui s'appelle leyMarseillaine. Dans les
églises, les femmes sont organisées en ateliers
nationaux, cousent les capotes, les tentes, qui ré-
chaufferont, qui abriteront leurs frères ou leurs
fils. A Paris, les femmes de la halle, les ouvrières,
apportent leurs bijoux, leur épargne, pour payer
la guerre sainte de la liberté.
Pendant que les volontaires de France courent
à la frontière, que fait-on à la cour? La reine
correspond avec l'agent autrichien à Bruxelles, le
roi avec son agent de Vienne, M. de Breteuil, et
Montmorin, l'ancien ministre des affaires étran-
gères, communique aux Autrichiens les plans de
guerre et les délibérations du conseil.
Il y a surtout un billet, terriblement accusateur,
de Marie-Antoinette à Mercy d'Argenlean : " 26
mars 1792. M. Dumouriez, ne doutant plus de
l'accord des puissances par la marche des troupes,
a le projet de commencer ici le premier par une
attaque sur la Savoie et le pays de Liège. C'est
l'armée de Lafayetie qui doit servir à cette der-
nière attaque. Voilà le résultat du conseil d'hier;
il est bon de connaître ce projet pour se tenir sur
ses gardes et prendre toutes les mesures convena-
bles. Selon toutes apparences, cela se fera promp-
tement. »
Le comte de Fersen, un agent de la reine, celui
qui l'avait aidée dans la fuite à Varennes, lui écri- I
vait le 2 juin : o La Prusse va bien. C'est la seule
sur laquelle vous pouviez compter. Vienne a lon-
jntirs te projet de démembrement. La lète de
l'armée prussienne arrivera le 3 juillet. Tout y
sera le 4 août. Nous agirons sur la Moselle et la
Meuse, les émigrés du côté de l'hilipsbourg, les
Autrichiens sur le Brisgau. Le duc de Brunswick
vient le .'> juillet à Goblentz quand tout y sera ar-
rivé. II avancera, masquera les places foi tes et
avec 3U 000 hommes d'élite marchera droit sur
Paris. »
Journées du 20 juin et du 10 août. — Le peu-
ple devinait cette hostilité de la cour. Les volon-
taires, en arriv.iiit à la frontière, trouvaient qu'une
partie des officiers avait émigré, que d'autres
affichaient hautement leur haijie de la Révolution.
L'intendance, comme les cadres, était désorgani-
sée : les soldats étaient mal nourris, mal comman-
dés. Les débuts de la guerre furent désastreux :
deux colonnes qui se dirigeaiejit sur Mons et sur
Tournai furent prises de panique et reculèrent en
désordre; la secojide égorgea son général. Cet
échec causa dans Paris une vive émotion. Au club
des Jacobins, Robespierre en profita pour accuser
Brissot et les Girondins ; mais les Girondins se
relevèrent dans l'Assemblée par une série d'actes
de vigueur. Brissot, dans la séance du 33 mai, dé-
nonça l'existence du comité autrichien, formé au-
tour de la reine, qui se composait des ministres
déchus, Montmorin, Delessan, Bertrand de .Mol-
leyille, qui étendait sur la France un vaste réseau
d'intrigues, correspojidait, à Bruxelles, avec Mercy
d'Argenteau, à Vienne, avec Breteuil, autorisait
nos représentants à létranger, comme cela fut
prouvé pour l'envoyé de Genève, i prendre du
service dansl'émigration. Six jours après, l'Assem-
blée décréta le licenciement de la garde constitu-
tionnelle du roi, cette menace permanente contre
la constitution, et décréta d'arrestation son com-
mandant, le duc de Brissac. Los tinno gardes se
dispersèrent, mais restèrent dans Paris, attendant
des événements leur revanche. Le i.1 mai, nouveau
décret contre les piètres réfractaires: .. La dépor-
tation aura lieu dans un mois, hors du royaume,
si elle est demandée par vingt citoyens actifs,
approuvée par le district, prononcée par le dépar-
tement. » Enfin, Servan, le ministre girondin
de la guerre, proposa tout à coup à l'Assemblée,
qui transforma la proposition en décret (8 juin),
la formation d'un camp de '20 000 fédérés soiis les
murs de Paris; en mémo temps qu'il licenciait la
garde constitutionnelle, il voulait organiser l'ar-
mée révolutionnaire.
L'accueil fait à ces deux décrets devait permettre
déjuger les intentions du roi : s'il leur refusait la
sanction, il serait visible à tous qu'il était le
grand obstacle à la défense nationale. II évita
d'abord de se prononcer; mais Roland, brusque-
ment, le mit en demeure. Dans le conseil des
ministres, il lut une lettre qu'il avait écrite au
roi pour le sommer d'éloigner de sa personne les
prêtres réfractaires et d'observer loyalement la
constitution. Louis XVI, piqué au vif, congédia
Roland, Servan et Clavière (13 juin) ; il fit croire i
Dumouriez qu'il sanctionnerait les deux décrets,
et obtint ainsi de lui qu'il abandonni^ ses collè-
gues.Les ministres girondins £uiKi^j|auilacés par
des Feuillants ; alors le roi, c'
refusa la sanction des décrets!
prenant trop tard qu'il avait^
donna à son toursa démissioni
déclara que les ministres gi
sa confiance, et vota l'envoi de la leTTBWWTolaud
aux 83 départements.
Louis \VI restait seul. Lafayette acheva de le
compromettre en adressant, de l'armée du Nord,
une lettre impérieuse M'Assemblée. Il écrivait au
roi : H Persistez, sire, fort de l'autorité que la vo-
lonté nationale vous a déléo:uée : vous trouverez
tous les bons Français rangés autour de votre
trône. »
Le peuple de Paris vit clairement alors que
le palais du roi était le centre où venaient abou-
tir les menées cléricales, les complots des émigrés,
les intrigues de l'iiurope, les espérances factieuses
de Lafayette. Deux coups terribles furent frappés
par le peuple : au 20 juin, au 10 août. Le 20 juin,
premier avertissement au roi des réfractaires, au
roi des émigrés; le 10 août, anéantissement de
la royauté.
Le 20 juin fut un soulèvement spontané du
peuple, auquel Marat ni Robespierre n'eurent au-
cune part: Robespierre, qui s était opposé à la
formation du camp sous Paris, eu était encore b.
prêcher le respect de cette constitution violée par
Louis XVI et qui livrait, la France ;'i l'ennemi.
Pétion, maire de Paris, laissa faire. C'est Danton
qui fut l'àmc du mouvement par ses. amis du fau-
bourg Saint-Antoine, par le boucher Legendre, le
brasseur Santerre, Lacroix, Westermaun, Panis,
Sergent, Fournier l'Américain. Le 20 juin au
matin, des milliers d'hommes se mirent en marche
vers l'Assemblée, lui apportant une pétition qui
requérait des mesures énergiques. Après avoir
défilé devant l'Assemblée, ils forcèrent la grille
des Tuileries, montèrent l'escalier du palais, traî-
nant avec eux un canon, enfoncèrent les portes
de l'appartement du roi. Legendre apostropha
Louis XVI : aMonsieur! lui dit-il, écoutez-nous.
Vous êtes un perfide ; vous nous avez toujours trom-
pés; vous nous trompez encore. Mais prenez garde
à vous; la mesure est comble; le peuple est las
do su voir votre jouet, u Le roi resta impassible.
1. Je ferai, dit-il, ce que m'ordonnent les lois et
la constitution. « Il but i la santé du peuple et se
coiffa du bonnet rouge ; mais il refusa la sanction
des décrets. Pétion survint alors, harangua le
peuple et l'engagea à se retirer. Les manifestants
s'en allèrent assez tristes, en se disant: « Nous
n'avons rien obtenu: il faudra bien revenir, a
L'Assemblée ayant désavoué l'insurrection, la
cour reprit confiance. Quand l'étion vint le lende-
main pour rendre compte au roi de la situation de
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1888 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
la capitale, Louis XVI lui dit : » Taisez-vous, »
et lui tourna le dos. Sorgent, qui l'accompagnait,
malgré son éiljarpe de conseiller municipal, fut
injurié et frappé par des royalistes. Une pétition,
portant vingt mille signatures, protesta auprès
de l'Assemblée contre l'acte du 20 juin. Lafayette,
quittant son armée, vint demander aux députés le
cluilinient des a Jacobins. » Malgré la réclamation
de Guadet contre cette démarche étrange d'un
général qui abandonnait son commandement, La-
fayette fut admis aux honneurs de la séance.
Le danger intérieur grandissait. Les bourgeois de
Quimper avaient dû écraser une première tentative
de chouannerie dans le Finistère; les campagnes
du Languedoc étaient parcourues par un aventu-
rier qui s'intitulait <i lieutenant-général des prin-
ces, gouverneur du Bas-Languedoc et des Cé-
vennes, » et appelait les paysans à l'insurrection.
A Strasbourg, on découvrait un complot pour
ouvrir la ville aux Autrichiens : le grand-duc de
Bade ven^de leur livrer Kehl, c'est-à-dire le pont
du Hliij^^^j|^|àbdes princes allemands, à Ratis-
bQDBfi^^^^^^^Bmettre notre envoyé ; l'armée
lée de contingents hessois et
eparait à franchir la frontière
mit par s'émouvoir. Jean Debry,
nu nflW^MpTcommission des Douze, avait appelé
son attennnn sur les mesures à prendre en cas de
danger de la patrie, spécialement pour le cas où
ce danger u viendrait précisément du pouvoir
exécutif. » Vergniaud prononça en cette occasion
(3 juillet) un de ses plus éloquents discours : i 0
roi, qui sans doute avez cru, avec le tyran Lysandre,
que la vérité ne valait pas mieux que le men-
songe, et qu'il fallait amuser les hommes par des
serments comme on amuse les enfants avec des
osselets; qui n'avez feintd'aimer les lois que pour
conserver la puissance qui vous servirait à les
braver... Non, non, homme que la générosité des
Français n'a pu émouvoir, homme que le seul
amour du despotisme a pu rendre sensible, vous
n'avez pas rempli le vœu de la constitution ! Elle
est peut-être renversée ; mais vous ne recueillerez
pas le fruit de votre parjure! Vous ne vous êtes
point opposé par un acte formel aux victoires qui
se remportaient en votre nom sur la liberté, mais
vous ne recueillerez point le fruit de ces indignes
triomphes! Vous n'êtes plus rien pour cette cons-
titution que vous avez si indignement violée, pour
ce peuple que vous avez si lâchement trahi ! "
L'Assemblée ne prit cependant aucune dé-
cision à l'égard de Louis XVI. Le 14 juillet
l'ut célébré comme à l'ordinaire : seulement le
roi remarqua la multitude de porteurs de piques
accourus au Champ-de-Mars, l'ardeur avec la-
quelle ils criaient Viv la nation! Il vit ausii,
présage menaçant, des hommes qui portaient, so-
lennellement enveloppée dans un voile, une chose
qui reluisait sinistrement : c'était « le glaive de
la loi. »
Le 11 juillet, l'Assemblée avait proclamé l'a-
vertissement solennel : « La patrie est en dan-
ger! » En conséquence, le 1% juillet, les gardes
nationaux et les troupes parcoururent la ville en
colonnes précédées de hérauts qui répétaient la
formule sacrée. Les canons du Pont-Neuf tonnè-
rent toute la journée, en signe d'alarme, répon-
dant au canon de l'Arsenal. Le drapeau du
(( Danger de la patrie » déploya ses plis immen-
ses au fronton de l'Hôtel-de-ViUe. La foule se
pressait aux bureaux d'enrôlement. En même
temps, les fédérés de l'ouest, du midi, les Bre-
tons, les Marseillais, commencèrent à affluer,
ajoutant leurs ardeurs à l'excitation des Parisiens.
Sur toute cett>^ fermentation belliqueuse tomba
comme une étincelle le fameux manifeste de
Brunswick. U résumait les accusations des rois
contre la Révolution française ; déclarait que les
souverains alliés entendaient faire cesser l'anar-
chie, relever le trône et l'autel, rendre au roi
ses prérogatives; que les habitants qui oseraient
se défendre seraient passés par les armes et leurs
maisons démolies ou brûlées ; que si Paris ne
mettait pas le roi en liberté, toutes les autorités
civiles et militaires seraient traduites en conseil
de guerre ; que si les Tuileries étaient insultées,
les princes exerceraient une vengeance mémora-
ble, livreraiejit Paris à une exécution militaire et
à une subversion totale. Chose singulière, le ma-
nifeste, daté du ?â, fut connu à Paris le 28. On
ne s'en étonne plus quand on sait que c'étaient
les agents du roi et les émigrés, Mallet du Pan,
M. de Limon, qui, malgré Brunswick, y avaient
fait insérer les phrases les plus violentes, et
quand on lit ce billet de Fersen à la reine :
« Vous avez le manifeste et vous devez en être
contente. »
Fersen, à cette époque, recommandait à la reine
de se préparer i la délivrance et « d'emporter les
dianianis de la couronne. « La reine répondait :
o Vous avez pu juger par une précédente lettre
combien il est intéressant de gagner vingt-qua-
tre heures ; je ne ferai que vous le répéter au-
jourd'hui, en ajoutant que si on n'arrive pas, il
n'y a que la Providence qui puisse sauver le roi
et sa famille. » Elle continuait h révéler le secret
des opérations françaises : « Il y a des ordres
pour que l'armée de Luckner attaque incessam-
ment ; il s'y oppose, mais le ministère le veut.
Les troupes manquent de tout et sont dans le
plus grand désordre. »
Marie-Antoiiiette ne cachait pas ses espérances
à soji entourage : « Une nuit, raconte M"= Cara-
pan, comme la lune éclairait sa chambre, elle la
contempla et me dit que, dans un mois, elle ne
verrait pas cette lune sans être dégagée de ses
chaînes. Elle me confia que tout marchait à la fois
pour la délivrer. Elle m'apprit que le siège de Lille
allait se faire, qu'on leur faisait craindre que,
malgré le commandant militaire, l'autorité civile
ne voulût défendre la ville. Elle avait l'itinéraire
des princes et des Prussiens; tel jour ils de-
vaient être à Verdun et tel jour h un autre en-
droit. 1)
Le peuple ignorait ces correspondances ; il no
pouvait que les soupçonner ; mais un sûr instinct
le guidait et lui montrait les Tuileries comme
restant, en plein Paris, la citadelle de l'invasion,
la cour comme l'alliée secrète de ceux qui allaient
ravager la Lorraine et bombarder Lille. Le jour
même où la proclamation de Brunswick fut con-
nue, la section Mauconseil déclara : qu'il était
impossible de sauver la liberté par la constitu-
tion ; qu'elle abjurait son serment et ne recon-
naissait plus Louis XVI pour roi. Sur les 48
sections de Paris, 47 votèrent la déchéance du
roi. L'Assemblée, sous la pression de l'opinion,
licencia les corps d'élite de la garde nationale,
qui étaient royalistes ou fayettistes, et enjoignit aux
gardes suisses de sortir de Paris; mais, faute de
prendre à temps une décision à l'égard du roi,
elle laissa l'initiative au peuple. Le 8 août, elle
commit une faute irréparable : par 40ri voix con-
tre 224, elle repoussa la mise en accusation
de Lafayette, qui conspirait publiquement en fa-
veur de la royauté.
Le 10 août ne fut pas une surprise : ce fut
une lutte en plein soleil entre la royauté et la
nation. On s'y préparait ouvertement de part et
d'autre, depuis trois longues semaines. Los deux
faubourgs démocratiques, Saint-Antoine et Saint-
Marceau, s'entendaient pour une action com-
mune. Les anciens gardes français, mêlés au
peuple, le formaient au courage et à la disci-
pline ; les fédérés bretons et marseillais, pour la
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1889 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
plupart anciens soldats, très apucrris, allaient
former le solide noyau de l'insurrection.
La conr, de son côté, avait fait revenir secrè-
tement les Suisses aux Tuileries : c'était une
troupe d'élite d'environ 1500 hommes; beau-
coup des anciens gardes constitutionnels, quel-
ques centaines de gentilshommes accoururent au
château prendre leur part du danger ; le 9 août
encore, la cour croyait pouvoir compter pour sa
défense sur la Commune do Paris et sur le maire
Pétion ; Mandat, commandant des gardes nationa-
les, lui était acquis. Dans la soirée du 9, Mandat
fit masser autour dos Tuileries les bataillons qu'il
estimait royalistes ou fayettistes, placer des ca-
nons au Pont-Neuf afin d'arrêter le faubourg
Saint Marceau, occuper la place de Grève afin
d'arrêter le faubourg Saint-Antoine. Mais dans i
la nuit du 9 au 10 août, une Commune insur- j
rectionnelle, composée des hommes du "20 juin,
s'empara de l'Hôlel-de-Ville ; Mandat, appelé à. la
municipalité, fut tué au retour d'un coup do
pistolet. Aux Tuileries, la confiance, très grande '
d'abord, commença à diminuer : les gentilshom-
mes se défiaient des gardes nationaux ; ceux-ci,
qui tenaient pour la royauté constitutionnelle, ne
se souciaient pas de combattre avec les partisans
de l'absolutisme. La reine, pour relever les cou-
rages, engagea le roi à passer les troupes en
revue vers cinq heures du matin; l'air fatigué et
triste de Louis XVI.son silejice glacèrent les cœurs;
plusieurs bataillons de gardes nationales com-
mencèrent à crier Vive la nation! d'autres : A
bas le Iruitre l Tous finirent par abandonner le
château, et quelques-uns allèrent rejoindre l'in-
surrection. Louis XVI n'eut plus autour de lui,
en cette journée suprême de la royauté, que les
Suisses et quelques gentilshommes.
C'est alors, quand Paris s'ébranlait déjà, que
Louis XVI se kissa persuader par le procureur-
syndic du département, Rœderer, de venir cher-
cher un asile dans l'Assemblée. La reine l'y sui-
vit. Elle n'avait pas encore perdu l'espérance :
si ses partisans repoussaient l'attaque des insur-
gés, ils pourraient bien venir la chercher dans
l'Assemblée même, et alors les rôles seraient
changés : ce serait l'Assemblée qui se trouverait
à la discrétion de la royauté.
Vers huit heures arrivèrent devant les Tuileries
les premières bandes d'insurgés, les plus impa-
tients, les plus mal armés, les porteurs de piques.
Ils s'engagèrent imprudemment dans la cour du
Carrousel, furent accueillis par un feu roulant,
et s'enfuirent en désordre, laissant trois ou quatre
cents morts sur le pavé. Les nobles se crurent
victorieux : déjà d'Hervilly courait aux Suisses,
leur criant : « Ce n'est pas tout; il faut vous
porter à l'Assemblée, près du roi ; » déjà l'As-
semblée, pénétrant les intentions secrètes de la
cour, se préparait au sacrifice et, se levant tout
entière, d'un mouvement spontané, renouvelait
le serment de mourir pour la liberté.
L'arrivée des Bretons, des Marseillais, des gar-
des nationaux armés de fusils, changea la face des
choses. Ils mirent en position quatre canons et
refoulèrent les Sui-sses dans le palais. Alors s'en-
gagea la vraie bataille, acharnée, sanglante; les
assaillants étaient plus nombreux; mais les Suis-
ses, à l'abri dans le château, tiraient à coup sûr.
Aussi ne perdirent-ils que ;00 hommes, tandis que
IIOO insurgés périrent dans cette journée. A la
fin les Tuileries furent enlevées et les Suisses
pourchassés à travers le jardin et les Champs-
Elysées. Quand le château fut forcé, Louis XVI
envoya l'ordre à ses gardes de cesser le l'eu.
Le peuple, victorieux, demandait la déchéance
du roi. L'Assemblée, sur la proposition de Ver-
gniaud, se borna à décréter la su.spension du pou-
voir exécutif. Elle déclara qu'une nouvelle assem-
2» Paiitie.
blée, la Convention, aurait à statuer sur le sort
de la royauté.
La journée du 10 août fut un acte nécessaire.
En prônant les Tuileries, le peuple venait de dé-
truire une des places d'armes de la coalition et
de l'émigration. Ce fut le premier coup frappé sur
l'invasion elle-même. 11 rendit possible la défense
nationale.
Le malheur fut que l'Assemblée, au lieu d'agir,
s'était laissé traînera la remorque des événements.
Un décret prononçant la déchéance ou la suspen-
sion du roi eût évité l'insurrection ; il l'eût rendue
légitime devant la loi écrite comme elle l'est de-
vant l'histoire et devant la conscience publique.
C'était à l'Assemblée de prendre l'initiative de ce
grand acte de justice, et de ne pas la laisser à un
pouvoir inférieur au sien, rival du sien, la Commune
de Paris. Le renversement de la royauté était un
acte de souveraineté nationale ; seule, l'Assemblée
souveraine, issue des votes du pays tout entier,
avait qualité pour l'accomplir: ses funestes hési-
tations au lendemain de la chute de Roland, qui
ne rappellent que trop celles de la Constituante au
lendemain de Varennes. son désaveu du 20 juin,
sa longanimité envers Lafayette qui osait lui
parler en soldat du coup d'Etat, sa résistance au
vœu le plus légitime de l'opinion, eurent un ré-
sultat funeste: l'afTaiblissemont de son pouvoir et
de sa popularité. Elle ne fit pas le 10 août, elle
n'eut plus qu'à le ratifier. Par là grandit démesu-
rément cette puissance nouvelle, anonyme, irres-
ponsable, de la Commune, née dans la nuit du
10 août, qui tombait en des mains suspectes. Les
Vergniaud, les Brissot, les Isnard, les Merlin de
Thionvillej les Jean Debry, n'auraient pas dû livrer
une telle force à des Rossignol et des Hébert,
à des Bourdon, des Tallien et des Collet. Ces in-
connus, ayant au front l'auréole du 10 août,
transfigurés dans la gloire de cette journée, as-
sociés au plus grand événement de l'époque, la
chute de la royauté, et comme sacrés chefs du
peuple et de la Révolution, se dressent en face
de l'Assemblée qui a prépare et qui n'a pas osé
faire la République. Bientôt les nouveaux muni-
cipaux s'adjoignirent Marat, tiré de sa cave, Ro-
bespierre sorti de sa retraite. Robespierre re-
cueille les fruits de la victoire, lui qui s'est toujours
opposé à la lutte, qui a désapprouvé et le décret
sur les réfractaires, et la déclaration de guerre, et
la formation du camp do vingt mille hommes, et
l'appel aux fédérés, et le 30 juin, et qui, à la veille
du 1(1 août, prêchait encore le respect de la con-
stitution.
Dès le lendemain du 10 août, on voit que le
va nqueur ce n'est pas l'Assemblée. L'Assemblée
ordonne que le roi sera mis au Luxembourg, dans
un palais; la Commune l'envoie au Temple, dans
une prison. C'est la Commune qui enferme les
Suisses à l'Abbaye, qui fait briser les statues des
rois et les emblèmes de la royauté; c'est à son
profit qu'on supprime les attributions politiques
du directoire du département, auquel elle était
hiérarchiquement subordonnée et dont l'efface-
ment la laisse sans contre-poids.
Le peuple de Paris avait fait de grosses pertes
pendant le combat: une partie du nouveau conseil
municipal, Marat et autres furieux l'excitaient à
la vengeance, disant qu'il fallait « en finir avec
l'ennemi », On commença à craindre un massacre
dans les prisons. Des députations menaçantes se
succédaient à la barre de l'Assemblée. Les amis
de Danton résistaient à cette propagande de
meurtres. Le jacobin Choudieu disait: « Ceux qui
viennent crier ici ne sont pas les amis du peuple;
ce sont ses flatteurs, » et Thuriot prononça ces
belles paroles : « La Révolution n'est pas seule-
ment à la Franco ; nous en sommes comptables à
I l'humanité, u
119
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1^90 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
Le ministère girondin avait été reconstitué,
avec lioland à l'intérieur, Clavière aux finances,
Servan à la guerre, Monge k la marine, Lebrun
aux affaires étrangères. On lui avait adjoint un
seul des inspirateurs du Id août, Danton, nommé
ministre de la justice. Danton pioposa l'établisse-
ment d'un tribunal criminel, qui frapperait les
plus coupables parmi les complices de la cour.
Les jurés devaient être choisis par l'élection à
deux degrés, comme les députés, o Que la justice
des tribunaux commence, écrivait Danton dans une
circulaire, et celle du peuple cessera. » Le tri-
bunal entra en fonctions le 19 et prononça trois
condamnations capitales. En même temps l'Assem-
blée frappa deux coups terribles : sur les émigrés,
dont les biens furent placés sous le séquestre;
sur les réfractaires, qui devaient être déportés
dans les quijize jours. Lafayette avait essayé de
soulever contre l'Assemblée l'armée du Nord et
avait fait arrêter trois représentants du peuple,
le girondin Kersaint, les jacobins Antonelle et
Péraldy ; il fut décrété d'accusation et s'enfuit
avec ses amis, Alexandre Lametli et Latour-Mau-
bourg. Il n'échappa aux prisons de Pans que pour
tomber dans celles de l'Autriche : il devait expier
par cinq ans de captivité, à Magdebourg et à
Olmiitz, le crime d avoir commencé la Révolu-
tion. Ses malheurs ont fait oublier les fautes
qu'il avait commises dans ces dernières années,
quand sa fidélité au roi le rendit infidèle à la
nation.
L'invasion prussienne : les journées de sep-
tembre. — L'exaspération du peuple était entre-
tenue par les nouvelles de la frontière. Longwy
venait d'être livré aux Prussiens par la trahison
de son commandant. L'Assemblée décréta que
tout citoyen qui, dans une place assiégi''e, parle-
rait de capitulation, serait puni de mort. Le péril
était grand; les insurrections royalistes éclataient
dans plusieurs provinces ; à Paris même, la contre-
révolution se reprenait à espérer : quand on apprit
le désastre de Longwy, des rassemblements roya-
listes se formèrent autour du Temple, sous les
fenêtres de Louis WI, et l'on entendit des cris
de Vive le Roi ! Les combattants rojalistes du
10 août étaient restés dans Paris; on insulta
pendant la nuit les statues de la Loi et de la
Liberté; dans les prisons mêmes, oii entretenait
des relations avec l'émigration, on buvait au succès
des alliés. Les Prussiens arrivaient, mais l'ennemi
était déji dans la place,
Danton ordonna des visites domiciliaires: elles
se firent en grand appareil, pour frapper les esprits
d'une terreur salutaire; ces jours-là, les barrières
de Paris étaient fermées, les rues barrées par la
troupe, tandis que les gardes nationaux pénétraient
dans les maisons pour chercher les armes cachées
et arrêter les suspects. On saisit ■2(100 fusils et
l'on fit 30U0 arrestations, qui, pour la plupart, ne
furent pas maintenues. Danton estimait que le
tribunal criminel et les visites domiciliaires suf-
fisaient à réprimer l'audace des conspirateurs :
de ce jour, en elTet, ils commencèrent à trembler.
Ces mesures ne contentaient point Marat et ses
amis: ils répétaient qu'avant de courir i 1 ennemi
du dehors, il fallait extermiiier celui du dedans.
Déjà, deux sections sur quarante-huit avaient voté
le massacre des prisonniers, et l'on ne prenait
aucune mesure pour leur sûreté : les prisons res-
taient confiées à la garde de la Commune. Le
désaccord entre l'Assemblée, qui avait prescrit le
renouvellement de la Commune, et la Commune,
qui refusait de résigner ses pouvoirs, paralysait
toute puissance publique. Le i" septembre Panis
avait illégalement introduit dans le comité de
surveillance de la Commune l'homme qui. depuis
deux ans, demandait di-s massacres : Marat. Le
2 septembre, le jour môme où devaient se faire
les élections pour le nouveau conseil municipal,
on apprenait à Paris l'investissement de Verdun :
l'ennemi n'était plus qu'à quelques jours de
marche.
Devant l'imminence du danger le courage de
Boland fléchit un moment: il proposait que l'As-
semblée et le ministère se retirassent derrière la
Loire, à Tours ou à Blois. Danton no voulut pas
entendre parler de retraite : « La France est
dans Paris, rcpondit-il ; si vous abandonnez la ca-
pitale à l'étranger, vous vous livrez et vous livrez
la France; c'est dans Paris qu'il faut se maintenir
par tous les moyens. »
La Commune et l'Asseiublée se trouvent d'ac-
cord pour décréter les mesures les plus énergi-
ques : la Commune invite tous les citoyens en état
de porter les armes à se réunir au Champ-de-Mars ;
elle décide qu'à l'instant le canon d'alarme sera
tiré ; qu'on assurera des secours aux familles des
volontaires ; qu'on portera de .30 000 à 60 000 hom-
mes le contingent de Paris. L'Assemblée approuve
toutes ces décisions ; elle rapporte le décret qui
prescrivait le renouvellement de la Commune :
les membres nouvellement élus siégeront avec les
anciens. Vergniaud s'écrie : u C'est aujourd'hui
que Paris doit vraiment se montrer dans toute sa
grandeur; je reconnais son courage à la démarche
qu'il vient de faire, et maintenant on peut dire
que la patrie est sauvée.... Hommes du 14 juil-
let, du 10 août, c'est vous que j'invoque... Il n'est
plus temps de discourir ; il faut piocher la fosse
de nos ennemis, ou chaque pas qu'ils font pioche
la nôtre. «
Pour diriger le peuple que toutes ces nouvelles,
tous ces discours, toutes ces mesures extraordi-
naires allaient soulever, pour le soustraire aux
mauvaises tentations, pour le lancer vers la fron-
tière, vers la gloire, pour assurer la défense natio-
nale, il fallait créer un gouvernement, fortifier
le ministère. Danton vint demander à l'Assem-
blée de rendre un décret portant : que quicon-
que refuserait de servir de sa personne ou de
remettre ses armes ; quiconque , directement
ou indirectement, refuserait d'exécuter ou en-
traverait, de quelque manière que ce fût, les
ordres donnés et les mesures prises par le pou-
voir exécutif, serait puni de mort, n Le tocsin
qu'on va sonner, s'écria Danton, n'est point un si-
gnal d'alarme ; c'est la charge sur les ennemis de
la patrie. Pour les vaincre, messieurs, il nous
faut de l'audace, toujours de l'audace, et la France
est sauvée » L'Assemblée vota le décret.
Ce même jour, vers quatre ou cinq heures,
comme Marat, Panis et quelques autres sié-
geaient au comité de surveillance de la Commune,
commencèrent les massacres de l'Abbaye; ils
se continuèrent les 3, 4, .S et G septembre à la
Force, au Chàtelet, à la Salpêtrière, à Bicètre ;
les prisonniers qu'on devait juger à Orléans, De-
lessart, Brissac, furent amenés à Versailles et
massacrés par Fournier et Lazowski accourus de
Paris. Sur une circulaire sortie de l'iuiprime-
rie de Marat, cxp -diée aux départements sous
le couvert du ministre de la justice, il y eut
aussi des meurtres à Reims, à Meaux, h Lyon,
à Chàlons.
Pendant ces scènes abominables, l'Assemblée
restait inerte et passive : Danton, ministre de la
justice, non seulement n'einpôcha rien, mais ap-
prouva. Peut-être croyait-il ce qu'il dit à Brissot
qui le pressait de sauver au moins les innocents :
(i II n'y en a pas un, " répondit le ministre de
la justice. Aussi quelque chose du sang de sep-
tembre lui resta sur les mains : c'est ce qui éloi-
gna de lui les Girondins, empêcha l'alliance de
rhomme d'action et des hommes d'éloiiuence, et
plus tard les livra désunis et désarmés à la san-
glante dictature de Robespierre.
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1891 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
Ces journées de septembre, il n'est peut-ôtre
personne, parmi les plus endurcis, qui, à un nm-
ment donné, ne les ait désavouées ; Marat, le mois
suivant, les r|uali(iait de désastreuses ; Danton, de
journées sanglantes sur lesquelles tout bon ci-
toyen a gémi ; Tallien, dans son apologie de no-
vembre, d'événement douloureux. Elles lurent
désavouées plus lard par la Commune elle-même
k la barre de la Convention ; elles le furent immé-
diatement par Irt peuple, par l'armée; le faubourg
Saint- Antoiiie n'y eut aucune part ; des volontaires
qui partaient pour l'armée vinrent les flélrir à
l'Assemblée; un des assassins de M'"' de Lamballe
fut plus tard sabré par ses camarades du régi-
ment. Le crime fut commis par une bande de
trois ou quatre cents hommes, qui firent leur hor-
rible besogne au milieu de la stupeur et de l'im-
puissance publique.
Manuel, procureur-syndic, risqua sa vie pour
arrêter les meurtres : il lit échapper son ennemi
personnel Beaumarchais. Danton réussit à sauver
JJuport et Lametli.
C'est seulement le 6 septembre que Pétion put
aller fermer les portes des prisons et que l'Assem-
blée se crut assez forte pour maîtriser la Com-
mune. Elle fit défense aux commissaires d'une
municipalité d'envoyer des ordres hors de son
territoire ; une petite commune de la Haute-Saône,
Champlitte, donna l'exemple aux autres : elle re-
fusa d'obéir aux délégués de Paris, déclarant que
toutes les communes de France étaient égales de-
vant la loi. L'Assemblée décréta que « quiconque
prendrait indûment l'écliarpe municipale serait
puni de mort ». Ce décret visait Marat, l'intrus du
comité de surveillance. Malgré ces efl'orts tar-
difs, l'Assemblée était frappée k mort : le lO août
l'avait ali'aiblie, parce qu'elle n'avait pas su agir;
les journées de septembre la tuèrent, parce qu'elle
ne sut pas empêclier. Une majorité de feuillants
et d'indécis paralysait l'énergie des Girondins et
des Jacobins. Il faut citer à l'honneur de la Gi-
ronde ces belles paroles de Vergniaud, dénonçant
à la France la tyrannie de la Commune (17 sep-
tembre) : Il Ils ont des poignards, je le sais...
Mais qu'importe la vie aux représentants du peu-
ple, lors(|n'il s'agit de son salut'?... Quand Guil-
laume Tell ajusta la flèche pour abattre la pomme
fatale sur la tête de son fils, il dit : Périssent mon
nom et ma mémoire pourvu que la Suisse soit
libre !... Et, nous aussi, nous disons : Périsse
l'Assemblée nationale, pourvu que la France soit
libre : qu'elle périsse si elle épargne une tache au
nom français!... Oui, périssons, et, sur nos cen-
dres, puissent nos successeurs plus heureux assu-
rer le bonheur de la France et sauver la liberté. «
■Valmy : l'invasion repoussèe. — Ce cri était
à ce moment celui de tous les patriotes : Périssent
les hommes, et que la liberté vive ! L'héroïsme de
Beaurepaire vint, en cette épreuve terrible, consoler
et exalter le cœur de la France. Il avait traversé
tout le pays, avec des volontaires de Maine-et-
Loire, pour aller s'enfermer dans Verdun; en ar-
rivant sur cette frontière, si profondément tra-
vaillée par les royalistes, ils firent d'avance le
sacrifice de leur vie, chargèrent un patriote de
porter leurs adieux k leurs familles et de dire
«qu'ils étaient morts. • Presque aussitôt après
l'investissement de la place, les bourgeois et le
commandant militaire se préparèrent à livrer la
ville : Beaurepaire fit au projet de reddition une
résistance énergique ; quand il vit que décidément
l'on capitulait, il se fit sauter la cervelle: son sang
rejaillit sur les traîtres et les mari|ua pour le
châtiment. Tandi* que leurs femmes et leurs filles
allaient, vêtues de blanc, recevoir l'ennemi aux
portes de la ville et offrir au roi do Prusse des
fleurs et desdrag. es, un des volontaires de Maine-
et-Loire, plutôt iiue de se rendre, se précipitait
dans la Meuse. La trahison des notables de Ver-
dun exaspéra les colores, l'exemple de Beaure-
paire et de ses soldats enflamma les courages.
C'est le moment du grand élan vers la frontière :
chaque jour ISOO volontaires sortent do Paris. Sans
cette tache des massacres, le mois de septembre
n9"2 serait un des plus beaux de l'histoire révolu-
tionnaire. Il vil la première victoire des Droits de
l'homme, le premier triomphe de la France nou-
velle sur la coalition des vieilles royautés, la
première revanche des peuples contre l'oppres-
sion séculaire ; et, au soleil de Valmy, l'enfan-
tement splendide de la liberté européenne.
Contre l'ennemi du dehors, l'accord était complet
entre tous les partis; tous furent admirables de
patriotisme et d'abnégation ; les Girondins n'ai-
maient pas Dumouriez, qui les avait trahis, et
pourtant ils le nommèrent général en chef ; les
Montagnards ne l'aimaient pas, et pourtant ils ap-
puyèrent le choix ; Danton ne l'aimait pas, et
pourtant il lui donna pour conseils ses amis dé-
voués, Fabre d'Eglantine, l'intrépide Westermann ;
tous se rangèrent sous le commandement de celui
qu'ils jugeaient l'homme nécessaire et s'accordè-
rent à lui mettre aux mains le glaive de la Révo-
lution, l'épée libératrice qu'Isnard avait brandie
aux Jacobins : ils l'atTermirent de leur confiance,
l'exaltèrent de leur enthousiasme, le firent digne
de vaincre.
Tandis que Wimpfen se maintenait dans
Thionville, Dumouriez s'emparait des défilés de
l'Argonne, n lesThermopyles do la France, v Quand
sa iiosition fut tournée, il s'établit dans le camp
de Sainte-Menchould, sur le flanc même de l'ar-
mée prussienne; il s'y tint si ferme que rien ne
put l'en arracher, pas même le mouvement des
Prussiens qui vinrent camper sur les collines de
la Lune, coupant de Paris l'armée française.
Dumouriez, rejoint par Kellermann, se trouva
commander 'ÎGMIO hommes contre 7(1000 Alle-
mands : le 20 septembre au matin la bataille,
s'engagea. Brunswick et le roi de Prusse obser-
vèrent longuement la contenance de cette armée
« de vagabonds, de tailleurs, de savetiers, ■> qui,
au dire des émigrés, devaient se disperser au pre-
mier coup de canon. Au contraire, ils endu-
raient avec le sang-froid de vieilles troupes le feu
de soixante canons et y répondaient. Vers onze
lieures, les Prussiens se formèrent en trois co-
lonnes et commencèrent à gravir le plateau de
Valmy occupé par Kellermann. Comme ils mon-
taient ainsi, mitraillés sur leur flanc par Dumou-
riez, ils virent tout k coup une chose extraordi-
dinaire : 30 000 hommes, élevant dans un accès
d'enthousiasme leurs chapeaux à la pointe des
sabres et des baïonnettes, et couvrant la voix du
canon d'un cri formid».ble : l'aie lu Nation !
Brunswick n'osa risquer l'attaque et fit sonner le
rappel. Le roi de Prusse, à son tour, voulut
recommencer l'escalade : mais son infanterie,
décimée par la mitraille, était encore plus trou-
blée par ce cri formidable qu'on entendait là-
haut et qui annonçait au monde le réveil des
peuples.
Le soir, au bivouac, le grand poète allemand
Gœthe, qui accompagnait les troupes allemandes,
dit K ceux qui l'entouraient : « En ce lieu et en
ce jour a commencé une nouvelle ère de l'his-
toire du monde, et vous pourrez tous dire : J'ai
assisté à sa naissance. »
Le lendemain, 21 septembre, pendant qu'à
Paris la Convention se réunissait et, sans con-
naître encore la première victoire de la Révolu-
tion, proclamait la Bopublique, le roi de Prusse
reprenait le chemin de la frontière. Valmy, ce n'é-
tait pas seulement l'invasion repoussèe, la France
sauvée ; c'était aussi l'Europe ouverte h la France,
les peuples saluant d'avance le drapeau tricolore.
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1892 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
les Allemands du Rhin appelant Custine, la Savoie
appelant Montesquieu, Mce appelant Anselme,
le monde entier agité d'un frémissement dont
tous les trônes chancelèrent.
D. — La Couveutloa.
La Gironde et la Montagne. — La Convention
était comme une nouvelle Constituante qui devait
faire la constitution républicaine, de même que
la première Constituante avait fait la constitution
monarchique de TOI. Au point de vue des partis,
elle présentait d'abord deux groupes peu nom-
breux, d'un peu plus de cent membres chacun,
qu'on appela la Gironde et la Moiitayne. Le reste
de l'Assemblée, environ cinq cents membres, devait
suivre tour à tour l'impulsion des deux groupes
dirigeants : c'était la Plai7ie, ou encore le Marais.
La Gironde se composait d'hommes qui avaient
déjà illustré ce parti dans la Législative, comme
Vergniaud, Guadet, Gensonné, Condorcet, Isnard,
Brissot, de quelques anciens constituants, comme
Pétion, Buzot, Rabaut-Saint-Elienne, Lanjuinais,
et d'hommes nouveaux, comme Barbaroux, Rebec-
qui, Louvet.
La Montagne comprenait Robespierre, Gré-
goire, Merlin de Douai, Prieur de la Marne, qui
avaient déjà siégé à la Constituante; Cambon,
Carnot, Lindet, Merlin de Thion\ille, Couthon,
Prieur de la Côte-d'Or, Hérault de Séchelles, qui
avaient figuré à la Législative; Danton, Camille
Desmoulins, Fabre d'Eglantine, Lcgendre, Marat,
Billaud-Varennes, CoUot d'Herbois, Saint-Just,
Lebas, le peintre David, Robespierre jeune. Tou-
ché, Barras, Tallien, Carrier, etc., qui débutaient
dans la vie parlementaire. Nous verrons les Mon-
tagnards se diviser par la suite en robespierris-
tes, maraiistes, hébenistes, dantonistes, ther-
midoriens, montagnards indépendants.
Dans la Plaine, beaucoup de notoriétés de
l'époque précédente, beaucoup d'anciens consti-
tutionnels, bon nombre aussi de sincères répu-
blicains : citons Sieyès, Barère, Camus, Daunou,
Durand-Maillane, Laréveillère-Lépeaux, Boissy
d'Anglas, etc. Ils traversèrent, beaucoup moins
éprouvés que la Gironde ou la Montagne, tous
les orages de la Révolution, et commencèrent à
jouer un rôle après que les deux partis militants
eurent été décimés. Leur puissance commence
dans la décadence de la Révolution. La Plaine a
toujours fourni aux divers comités de la Convention
des hommes compétents, laborieux, ex; érimen-
tés, qui ont attaché leurs noms aux lois les plus
utiles ; mais dans les luttes politiques, elle for-
mait une masse inerte, une majorité de flottants
et de timorés, qui malheureusement se prêta au
jeu de bascule des partis au lieu de les maîtri-
ser : avec sa complicité muette et peureuse, elle
aida la Gironde d'abord à dominer la Convention,
puis la Montagne à écraser la Gironde ; dans la
Montagne même, Robespierre à écraser tour à
tour les hébertistes et les dantonisies, sauf à
favoriser ensuite la réaction thermidorienne con-
tre les robespierristes et la réaction girondine
contre les thermidoriens. La Plaine ne sut ja-
mais former une majorité compacte de gouver-
nement ; par sa faiblesse, elle a contribué à
rendre inévitable l'extermination réciproque des
membres les plus énergiques de l'Assemblée, et
assumé ainsi devant l'histoire une lourde respon-
sabilité.
La difficulté contre laquelle la Convention se
débattit pendant toute son existence fut l'éta-
blissement d'un gouvernement. Contre 1 Europe
coalisée, contre la Vendée insurgée, il efit fallu
une autorité, très forte et une administration
centralisée. La Constituante, en organisant toutes
les administrations sur la seule base de l'élec-
tion, n'avait songé qu'à affaiblir la royauté : la
royauté disparue, le pouvoir qui lui succéda,
l'Assemblée souveraine, hérita de la même impuis-
sance ; comme il n'y avait alors ni préfets, ni
procureurs généraux, ni aucun agent direct du
pouvoir central, elle ne possédait aucune action
sur les directoires de département, les municipa-
lités, les tribunaux : la Convention, pour assurer
le recrutement des armées, la perception de
l'impôt, la justice nationale, en sera réduite à
organiser, à côté des pouvoirs légaux, des pou-
voirs exceptionnels : à côté des administrations
locales, les sociétés jacobines et les comités révo-
lutionnaires ; à côté des tribunaux réguliers, les
tribunaux révolutionnaires; et, par-dessus tout,
les pouvoirs extraordinaires des représentants eii'
mission. Elle n'obtiendra que par la Terreur beau-
coup de résultats qui s'obtiennent aujourd'hui
par une bonne administration.
La Convention, précisément parce qu'elle était
chargée de faire une constitution, n'avait au-
cune loi constitutionnelle qui réglât son fonc-
tionnement. Elle réunissait tous les pouvoirs :
l'exécutif, le législatif, comme le judiciaire;
aucune loi ne déterminait de quelle manière
elle aurait à les exercer. Dans ces conditions la
lutte des partis devait être extrêmement vio-
lente; comme on ne pouvait espérer que la mi-
norité se soumît volontairement à une autre
minorité, comme d'autre part l'inertie de la
Plaine empêchait la constitution d'une véritable
majorité, le parti qui arrivait un moment au pou-
voir n'avait qu'un moyen de s'y maintenir, c'était
d'exterminer le parti vaincu. Aujourd'hui le parti
qui perd le pouvoir en est quitte pour devenir un
parti d'opposition ; à cette époque, dans une
situation aussi troublée, parmi les dangers d'une
guerre étrangère et de la guerre civile, le parti
vaincu dans l'Assemblée ne savait que recourir
à la force; il fallait l'envoyer à l'éciiafaud pour
assurer sa défaite. Battus dans l'Assemblée,
les monarchi.stes ont recours à l'étranger, les
Girondins au soulèvement des départements, les
Montagnards à l'émeute parisienne : toutes les
crises parlementaires font couler le sang.
L'Assemblée souveraine, qui disposait de moyens
si imparfaits pour gouverner bois de Paris, so
trouvait à Paris, même en présence d'influences
qui rivalisaient avec la sienne. La Commune de
Paris rendait des arrêtés, parfois contraires aux.
décrets de la Convention. On discutait dans
les clubs les mêmes questions qu'il l'Assem-
blée : telle séance du club des Jacobins ou dtt
club des Cordeliers avait plus d'importance et
entraînait des résultats plus directs que celles de
la Convention. Les sections ou quartiers de Paris,
les bataillons de gardes nationaux, se croyaient
le droit de prendre des arrêtes. Lu groupe quel-
conque de citoyens se donnait pour o le peuple
souverain » et traitait en égale, même en subor-
donnée, une assemblée qui était élue par la
France entière. Une erreur qui alors égara beau-
coup d'excellents patriotes était de croire que
le peuple peut à tout moment reprendre les pou-
voirs qu'il a confiés à tes mandataires ; c'était lui
reconnaître un droit continu à l'insurrection. Le
temps a fait justice de ces deux hérésies : aujour-
d'hui le suffrage universel est la négation du
droit insurrectionnel ; la loi électorale, qui s'im-
pose aux électeurs aussi bien qu'aux élus, déter-
mine rigoureusement la durée des mandats. Mais
en 1792, la loi électorale comme la constitution
elle-même était à faire : cette incertitude favori-
sait les émeutes aussi bien que les coups d'État.
La lutte commença presque aussitôt entre la
Gironde et la Montagne. Les Girondins avaient été I
élus dans les départements sous l'impiession |
causée par les massacres de septembre : ils s'in-
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1893 — REVOLUTION FRANÇAISE
dignaient de retrouver, parmi leurs colli''!];ues de
la Montagne, beaucoup d anciens membres de la
Commune insurrectionnelle. Us accusaient en
masse la députation de Paris, bien que fort peu
de ces députés eussent été compromis dans les
massacres. Les Girondins étaient liantes de crain-
tes eliimériques, soupçonnant la Montagne de
vouloir porter atteinte à la propriété; Danton,
Robespierre etMarat, d'aspirer à la dictature. Les
Montagnards, k leur tour, avaient leurs préjugés
contre les députés de province ; ils accusaient les
Girondins de vouloir substituer k l'unité française
une fédération des départements, et leur prêtaient
des arrière-pensées de royalisme. Ces accusations
<)ue se renvoyèrent si longtemps les deux partis
étaient également fausses : les Montagnards ne
demandaient pas la dictature, mais un gouver-
nement assez fort pour résister à la coalition de
l'Europe, de la Vendée et de l'émigration ; encore
moins voulaient-ils mettre en péril la propriété,
puisque leurs amis, dans toute la France, se por-
taient acquéreurs des biens nationaux. t)e même,
les Girondins n'ont jamais songé à fodéraliser la
France, ni à rétablir la monarchie : ils étaient
aussi dévoués que leurs adversaires ^ la Républi-
que et ils sont morts avec son nom sur les lèvres.
C'était faute de se bien connaître que Girondins
et Montagnards étaient tourmentés de ces injustes
méfiances.
Danton, Robespierre lui-même, avec un grand
sens d'hommes d'État, comprirent tout le danger
de ce malentendu, qui pouvait diviser la Conven-
tion eu face de l'Europe. Ils entreprirent de ras-
surer la Gironde : Conthon, ami de Robespierre,
proposa, dès la première séance, do jurer haine
non seulement à la royauté, mais à la dictature ;
Danton, lorsqu'il donna sa démission de ministre,
fit décréter que " toute propriété, territoriale et
industrielle, serait éternellement maintenue. »
■Quant aux massacres de septembre, les Monta-
gnards essayèrent de prouver combien étaient
exagérés les récits qu'on en faisait dans les pro-
vinces, où l'on parlait de 10 ou 12 000 morts, où
l'on contait que le sang avait monté h douze pieds
dans la prison de 1 Abbaye. La Commune de Paris
vint à la barre de la Convention répudier toute
participation à ces crimes. En môme temps, pour
écarter le fantôme du fédéralisme, Danton pro-
posa do déclarer la République française a une et
indivisible, » et les Girondins, comme les Monta-
gnards, votèrent cette déclaration de principe.
La situation de la Gironde était alors très forte
dans l'Assemblée et dans le pays. C'étaient des
girondins, Roland, Clavière, Servan, Monge, qui
occupaient les ministères ; l'éloquence de Ver-
gniaud, la fougue d'isnard, la froide sagesse de
Condorcet étaient d'un grand effet sur la Convention;
la Plaine sympathisait avec eux ; le président de
l'Assemblée était toujours élu parmi eux ; par le
ministère de l'intérieur, par les journaux, ils for-
maient l'opinion publique ; au club des Jacobins,
ils disputaient l'influence aux Montagnards; dans
la Commune môme, ils avaient des amis : le maire
de Paris, Pétion, réélu le 15 octobre, puis son
successeur Chambon (décembre), étaient des leurs ;
•dans les départements, les directoires, les munici-
palités, les tribunaux, autrefois peuplés de feuil-
lants, étaient maintenant acquis aux Girondins;
l'armée, par Dumouriez, semblait leur appartenir.
Jusqu'alors, ils avaient tenu la tête du mouvement
révolutionnaire; c'étaient les Girondins, par l'é-
voque Fauchet, par Brissot, par Condorcet, qui
avaient pris l'initiative républicaine, au moment
où Robespierre proclamait qu'il n'était « ni répu-
blicain, ni monarchiste u ; c'étaient eux qui avaient
armé l'ouvrier et le paysan, poussé à, la fabrica-
tion des piques, fait adopter le bonnet rouge ;
■c'étaient eux qui avaient fait déclarer la guerre
aux rois. Comment ont-ils pu déchoir d'une si-
tuation si haute, et laisser la grande initiative dé-
mocratique passer aux mains de Robespierre?
A cela, plusieurs raisons. D'abord, leur parti,
en s'étendant, perdait de son énergie première.
Beaucoup d'anciens constitutionnels, feuillants,
royalistes honteux, s'étaient ralliés à eux, se di-
saient girondins, couvraient du pavillon républicain
leurs arrière-pensées de contre-révolution ; leurs
amis sincères on faux, qui remplissaient les admi-
nistrations, restaient fort en deçi du républicanisme
de Vergniaud ou do Condorcet, donnaient une
main à Isnard et l'autre aux monwcliiens, vou-
laient que la Révolution s'arrêtât, reculât, à l'ins-
tant même où il fallait qu'elle déployât toute son
énergie. C'étaient ces amis dangereux qui partout
énervaient l'action des municipalités, entravaient
la vente des biens nationaux et, par IJi, compro-
mettaient les assignats et le crédit de la Révolution,
en même temps qu'ils retardaient le départ des
volontaires et plus tard la lovée en masse. En-
suite les chefs du parti girondin dans l'Assemblée
ne se rendaient pas assez compte des difficul-
tés de l'heure présente : la plupart ont résisté
à des mesures reconnues indispensables, comme
l'organisation du Comité de salut public, la créa-
tion du tribunal révolutionnaire, la loi du maxi-
mum.
Si les Girondins avaient eu la même sagesse que
Danton, ils auraient pu prévenir les déchirements
de la Convention ; mais leurs orateurs, jeunes,
ardents, avec leur fougue méridionale, souvent
grisés de leur propre éloquence, montrèrent tout
d'abord un acharnement impolitique i réveiller les
souvenirs de septembre, à remuer cette boue san-
glante. Ils s'attaquèrent h Marat, qu'ils auraient
dû dédaigner, k Robespierre, qu'ils auraient pu
contenir, à Danton, qui ne demandait qu'à s'unir
à eux pour maintenir la Révolution dans une voie
plus modérée. Danton n'était ni un furieux, ni un
sectaire; c'était un homme d'Etat. Quoiqu'il fût
sorti du ministère, il exerçait encore une grande
action sur la diplomatie et la politique : c'était lui
qui, k ce moment, conduisait les négociations avec
la Prusse pour rompre le faisceau de la coalition;
c'était lui qui, par ses agents secrets, surveillait
les complots de la Vendée et de l'émigration. En
lui fut alors le génie môme de la Révolution :
il la poussait à l'action, k l'expansion, pour la
sauver de la guerre civile; il organisait ce que les
Girondins avaient rêvé, le soulèvement des peu-
ples contre les rois. Il avait donné des garan-
ties efficaces k la propriété et désavoué publique-
ment les exagérations de Marat; bien que ses pa-
roles, par une nécessité des temps, fussent parfois
d'un violent, ses actes étaient ceux d'un modéré.
Comment les Girondins ont ils pu méconnaître en
Danton le grand induhjent, celui qui devait expier
sur l'échafaud le même crime qu'eux-mêmes : la
modération ? C'est le malheur de la Révolution que
les Girondins aient repoussé les avances de Dan-
ton ; eux et lui, avec les sages Montagnards, comme
Carnet, Cambon, Lindet, les deux Prieur, ils
étaient la force vive de la France, la Révolution
tout entière; ils eussent sauvé le pays sans le
faire passer par les angoisses de la Terreur. Dan-
ton, du moins, a tout fait pour conjurer la rup-
ture. Plusieurs des grands Girondins, Vergniaud,
Condorcet, Gensonné, n'avaient aucune haine
contre lui; ils eussent consenti à un rapproche-
ment : ce furent surtout Roland, M'"'^ Roland,
Buzot, Valazé, Barbaroux, Guadet, qui, obéissant
à d'aveugles antipathies, entraînèrent le reste du
parti dans une voie funeste.
Les Girondins s'attaquaient non seulement aux
députés parisiens, mais à Paris même, affectant
contre cotte ville une défiance injurieuse, comme
,si les massacres de septembre eussent été l'œuvre
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 189i — RÉVOLUTION FRANÇAISE
de Paris, comme s'il n'eût pas été plus sage de
se souvenir que Paris, au 14 juillet, au 5 octobre,
au 10 août, avait sauvé la Révolution. Buzot et
Roland proposaient d'entourer la Convention d'une
garde fournie par les 83 départements; Barbaroux
annonçait qu'il faisait venir mille Marseillais pour
parantir la sécurité des Girondins. Vainement
Gonchon, l'orateur du faubourg Saint-Antoine,
essayait de calmer ces craintes chimériques et
prononçait à la barre de la Convention ces paroles
fraternelles : " Qu'ils viennent, non pas six, sept,
huit, vingt-quatre mille, mais qu'un million de
Français accourent dans ces murs. Nos bras sont
ouverts pour les recevoir. Ils trouveront les
mêmes foyers qu'ils visitèrent à l'époque de la
Fédération. » Le peuple de Paris voyait claire-
ment que les discordes de l'Assemblée seraient
recueil de la Révolution : Gonchon disait encore
au nom des ouvriers: « C'est avec douleur que
nous voyons des hommes, faits pour se chérir et
s'estimer, se haïr et se craindre autant et plus
qu'ils ne détestent les tyrans. N'êtes-vous pas,
comme nous, les zélateurs de la République, les
fléaux des rois et les amis de la justice? Ah!
croyez-cn des citoyens étrangers i l'intrigue. On
s'attribue mutuellement des torts imaginaires.
Soyez persuadés que les hommes ne sont pas
aussi méchants qu'on le croit. "
Danton fut peut-être le seul îi s'Inspirer de ces
conseils dictés par le bon sens du peuple. A plu-
sieurs reprises, il essaya de se rapprocher des
Girondins : la raideur de Roland, la hauteur de
sa femme firent échouer toutes les tentatives de
réconciliation.
Jemmapes ; les peuples et la Révolution. — La
guerre continuait aux frontières. Pendant que
l'armée prussienne évacuait notre territoire, que
Custine entrait dans Mayence, que Monlesquiou
et Anselme, avec quelques soldats, entraient dans
Chambéry et dans Nice, que, dans les Alpes et sur
le Rhin, les populations arboraient le drapeau tri-
colore et plantaient les arbres de la liberté, l'ar-
mée autrichienne avait attaqué Lille. Le duc de
Saxe-Cobourg et sa femme, l'archiduchesse Chris-
tine, soeur de la reine de France, infligeaient à
cette ville un effroyable bombardement C-O sept.-
7 octobre), qui brûla 400 maisons, tua des femmes
et des enfants, mais ne put réduire l'héroique
cité. Le peuple lillois se montra digne de ce
canoiinier qui refusa de quitter le rempart, bien
que sa maison brûlât : » Mon poste est ici, ré-
pondit-il en pointant sa pièce : feu pour leu! »
Dumouriez arrivait avec l'armée victorieuse de
Valmy pour venger ces barbaries. Le Ci novembre,
il rencontra l'ennemi sur les hauteurs de Jem-
mapes ; les positions autrichiennes furent enlevées
au chant de la Marseillaise. Le 7, Dumouriez fit
son entrée i Mons, le 14 à Bruxelles, le 18 .^
Liège. La Belgique tout entière était à nous. 11
fallait savoir comment on l'organiserait.
Ici commence le dissentiment entre Dumouriez
et les Montagnards. Dumouriez, qui n'avait pas
renoncé à rétablir en France la royauté, qui avait
voulu attribuer au duc de Chartres, plus tard
Louis-Pliilippe I*', fils du duc d'Orléans, tout l'hon-
neur du succès de Jemmapes, n'était pas homme
à révolutionner la Belgique. Il cherchait au con-
traire dans les classes dirigeantes de ce pays un
point d'appui pour ses desseins ultérieurs. Il mé-
nageait la noblesse et l'Eglise, demandant seule-
ment un emprunt de 100 millions au clergé; il
laissait les « aristocrates » en possession de toutes
les administrations locales. Il se trouva tout d'a-
bord en lutte avec les Jacobins qui voulaient éta-
blir dans toutes les villes belges des clubs affiliés
à la société-mère, appliquer à la Belgique les lois
révolutionnaires, anéantir le pouvoir des classes
dirigeantes, assurer l'avènement des classes po-
pulaires. Il se fit un ennemi de Cambon, prési-
dent du Comité des finances que la Convention
avait chargé de la vente des biens nationaux et de
l'émission des assignats, et qui voulait introduire
en Belgique le même système financier qu'en
France; la vente des biens du clergé belge eût
créé dans le pays toute une classe de propriétaires
intéressés au succès de la Révolution ; une nou-
velle émission d'assignats eut donné au peuple le
moyen d'acheter la terre; ainsi les frais de la
guerre pour l'affranchissement de la Belgique
eussent été payés par l'Eglise. Dumouriez résis-
tait. Danton se rendit en Beli:if|ne pour empêcher
la rupture entre le général et lAssemblée. Dans
l'inten-alle, le 1-3 décembre, Cambon fit rendre un
décret qui défendait aux généraux de passer des
marchés, chargeait de ce soin des commissaires-
ordonnateurs, et cassait tous les marchés conclus
par Dumouriez: il voulait obliger celui-ci à nour-
rir son armée aux dépens des riches abbayes de
Belgique.
Déjà, le 18 novembre, la Convention avait dé-
crété que la France appuierait toute nation qui
voudrait la liberté. Le 15 décembre parut un
nouveau décret qui réglait l'application du pré-
cédent : dans tous les pays où entreraient les
armées françaises, elles devaient casser les au-
torités aristocratiques, les remplacer par des sans-
culottes, saisir les biens d'Eglise, abolir les
dîmes et les droits seigneuriaux, appeler le
peuple h la liberté. C'était l'organisation de la
guirre révolutionnaire.
Quand Dumouriez reçut en Belgique le décret
du 15 décembre, il demanda à Danton ce qu'il en
pensait: « Ce que j'en pense, répondit celui-ci,
c'est que j'en suis l'auteur. >■ Ce décret réalisait,
en efiét, les idées de Danton et de ses amis : la
guerre commencée par les rois ne devait plus
s'arrêter que par leur renversement ou leur sou-
mission. Le drapeau tricolore devenait le symbole
de la révolution universelle.
Procès de Louis X'VI. — En attendant, la vic-
toire de Jemmapes assurait déjà la sécurité de nos
frontières. Remportée plus tôt, elle eût peut-être
empêché la mise en jugement de Louis XVI. Mais,
dès le 16 octobre, la_ Convention avait accueilli
une pétition des Jacobins d'Auxerre qui deman-
dait le jugement du roi. Au fond, personne dans
l'Assemblée n'avait intérêt à sa perte : n'était-il
pas mort, en tant que roi, depuis le Kl août'? Mais
une fois la question posée, ni Robespierre, ni
Danton, ni la Montagne, ni même la Gironde
ne voulaient risquer de passer pour inodércs,
peut-être pour fauteurs de la royauté. Le G et le
7 novembre, deux rapports furent lus dans l'As-
semblée, l'un du girondin Valazé, l'autre du mon-
tagnard Mailhe : tous deux concluaient à la mise
en accusation ; la Gironde et la Montagne se pi-
quaient d'émulation. Une chose aurait pu sauver la
tête du roi, c'était la réconciliation de la Gironde
avec Danton ; mais il fallait laisser à celui-ci ce
rôle de chef des violents, qui cachait en lui tant
de modération, et qui était le secret de sa forde
et de sa popularité. Un mot de Danton au club
des Cordeliers aurait dû éclairer les Girondins :
<• l^ne nation se sauve, avait-il dit, mais ne se
venge pas. » Le 30 novembre, dans le plus grand
secret, au milieu des bois de Sceaux, il eut avec
les chefs girondins une dernière entrevue et fit
une suprême tentative de réconciliation. II les
trouva intraitables, obstinés dans leurs soupçons
de dictature, acharnés à réveiller les souvenirs de
septembre, comme s'ils ne comptaient pas dans
leurs rangs Duprat et Mainvielle, qui avaient fa-
vorisé, en 1791, les massacres d'Avignon, enfermés
dans leurs haines et leurs défiances, pénétres do
l'esprit étroit et jaloux de Roland. « Guadet, dit
alors Danton à l'un d'eux, Guadet, tu as tort : tu
J
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1893 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
Le 3 docombre, Robaspierre intervint pour re-
prenilro la tlièse de Saint-Jnst: « 11 n'y a point
ici de procès h faire. Louis n'e-t point un accusé,
vous n'fttijs point des juges ; vous ôtcs, vous ne
pouvez être que des hommes d'Ktat et les repré-
sentants de la Naiion. Vous n'avez point une sen-
tence k rendre pour ou contre un liomme, mais
une mesure de saint public à prendre, un acte de
providence nationale à exercer. Quel est le parti
que la saine politique prescrit pour cimenter la
l\épubliquo naissante ? C'est de graver profondé-
ment dans les cœurs le mépris de la royauté et
de frapper de stupeur tous les partisans du roi...
Louis fut roi, et la République est fondée : la
question qui vous occupe est décidée par ces seula
mots... Louis ne peut donc être jugé, il est déjà
condamné; il est condamné, ou la République
n'est pas absoute... Les peuples ne jugent pas
comme les cours judiciaires ; ils ne rendent point
de sentences, ils lancent la foudre. »
Au cours du procès, Chabot avait tenté de com-
promettre certains députés girondins avec les
papiers trouvés aux Tuileries : ils n'eurent pas de
peine à confondre leurs accusateurs ; M'"" Roland
parut k la barre de la Convention : elle eut un
vrai triomphe. Kn revanche les Girondins, dans
leur désir secret de sauver la vie du roi, commi-
rent une lourde faute : Guadct demanda qu'on
réunît h l'instant les assemblées primaires (c'est-
à-dire les électeurs du premier degré' pour sanc-
tionner les choix faits par les électeurs du degré
supérieuret pourrévoquerles députés qui auraient
perdu la confiance du peuple. Guadet espérait par là
éliminer Marat, Robespierre et plusieurs des dépu-
tés de Paris. Dans cette vaine espérance, il venait
de donner une force nouvelle à la plus dangereuse
des doctrines anarchistes : la perpétuelle révoca-
bilité du mandat de représentant. Les Girondins,
qui devaient tomber victimes de cette théorie fu-
neste, se levèrent en masse pour appuyer le dé-
cret; il fallut que les Montagnards intervinssent
pour montrer à la Convention que tout était perdu
si, pressée entre la guerre étrangère et la guerre
civile, elle doutait de ses pouvoirs.
La Convention avait nommé une commission
de 21 membres ponr instruire le procès du roi.
Le 10 décembre, le montagnard Robert Lindet
lut un exposé historique de la cause et le giron-
din Barbaroux donna le résume des griefs. Le 11,
Louis XVI comparut à la barre de l'Afsemblée et
répondit à l'interrogatoire du président. Il per-
sista à répéter qu'il n'avait jamais eu connais-
sance d'un seul projet de contre-révolution. On
lui permit de choisir pour l'assister trois juris-
consultes, iVlalesherbes, Tronchet et de Sèze. Ce
dernier présenta, le 2G décembre, la défense
du roi.
Les Girondins acceptaient la mise en jugement
du roi, mais ils auraient voulu que sa vie fût
sauve. Vergniaud, dans son beau discours du
.31 décembre, prophétisa les malheurs qui sui-
vraient son exécution ; la coalition accrue par
l'accession de l'Angleterre, de la Hollande, de
l'Espagne, des princes allemands ; une recrudes-
cence de la misère; une lutte plus acharnée des
partis : la Convention prochainement en butte aux
mêmes haines qu'aujourd'hui la royauté ; peut-
être la dictature s'élevant sur les cadavres des
défenseurs de la Republique. Les Jacobins en-
tendaient que le procès, une fois commencé,
aboutît à la condamnation et que le roi, condamné,
fiit exécuté.
Trois questions seulement, formulées par le
"•irondiu Fonfrède, furent présentées au verdict
de l'Assemblée constituée en tribunal : ci Louis
est-il coupable 1 — Y aura-t il appel au peuple '?
— Quelle peine sera infligée'? "
Le 15 janvier commença l'appel nominal sur ces
110 sais point pardonner. Tu ne sais pas sacrifier
ton ressentiment à la patrie. Tu es opiniâtre et tu
périras. »
Les choses allaient donc suivre leur cours et le
procès du roi fournir un nouvel aliment aux dis-
cordes. Dans la séance du 1-3 novembre, un homme
nouveau, Saint-Just, l'ami de Robespierre, avait
prononcé un discours bref, tranchant comme la
hache. Pour lui, il ne s'agissait pas de discuter si
le roi était ou non couven par l'inviolabilité ; on
n'avait pas à le juger, mais aie frapper; on devait
le traiter non en citoyen, mais en ennemi. Un
jour, s'écria-t-il, « on s'étonnera de la barbarie
d'un siècle où ce fut quelque chose de religieux
que de juger un tyran... On s'étonnera qu'au
.wiii» siècle on ait été moins avancé que du temps
de César; le tyran fut immolé en plein sénat,
sans autres formalités que vingt-trois coups de
poignard, sans antre loi que la liberté do Rome !
Et aujourd'hui l'on fait avec respect le procès d'un
liomme assassin d'un peuple, pris en flagrant dé-
lit, la main dans le sang, la main dans le crime !
Ceux qui attachent quelque importance au juste
chàtiiuent d'un roi ne fonderont jamais une ré-
publique .. Juger un roi com'me un citoyen! ce
mot étonnera la postériié froide. Juger, c'est ap-
pliquer la loi. Une loi est un rapport de justice.
Quel rapport de justice y a-t-il donc entre l'huma-
nité et les rois '?... La royauté est un crime éter-
nel ; on ne peut point régner innocemment, a
Les griefs contre Louis XVI étaient faiblement
établis : on lui reprochait les affaires de Nancy,
do Varennes, du Cliamp-de-Mars, qui se trouvaient
couvertes, amnistiées en quelque sorte par son
acceptation de la constitution ; la désorganisation
de l'armée, de la marine, des forteresses; le sang
versé au ]il août ; des intelligences avec les émi-
L^rés et avec l'étranger. Malgré les papiers trouvés
aux Tuileries après le 10 août et ceux qu'on ve-
nait de découvrir dans l'armoire de fer, on était
loin de savoir, sur les relations de Louis XVI avec
la coalition, tout ce que nous en savons aujour-
d'hui.
En réalité, pour les jacobins, il n'y avait pas un
accusé à juger, mais un ennemi à détruire. Ils
voulaient consommer la rupture entre le passé et
l'avenir, rendre irréparable le divorce delà Franco
et de la royauté, couper les ponts derrière la Ré-
volution. A ce prix seulement les intérêts créés
par elle seraient afi'ermis, le crédit de la Révolution
solidement établi, toutes les espérances derestaura-
tion_ anéanties. Us voulaient, par un remède
terrible, « guérir le monde du mal des rois. »
Thomas Paync, un Anglais, devenu Franç.ais par
amour de la liévolulion, envisageait la question
d'un point de vue plus élevé encore. Il entendait
que le procès de Louis XVI fût un commencement
d'instruction « contre la bande des rois... De ces
individus, disait-il, nous en avons un en notre
pouvoir, 11 nous mettra sur la voi,o de la conspira-
tion générale. Il y a aussi de fortes présomptions
contre M. Guelfe, électeur de Hanovre, en sa qua-
lité de roi d'Angleterre.» Ainsi, le procès d un roi
serait devenu le procès de tous les rois, la mise
en accusation de la royauté. Les souverains de
l'Europe auraient été cités à la barre de la Conven-
tion. L'ère nouvelle se serait ouverte par la con-
damnation solennelle de l'institution monarchi-
' que. Les circonstances ne permettaient pas de
donner au procès cette ampleur. Le 2 décembre,
la Commune de Paris fut renouvelée ; à peine ins-
tallée, elle vint à la barre de la Convention de-
mander la condamnation du roi. Elle était forte
du malaise public, de la souffrance du peuple ;
les masses, jusqu'alors indifférentes au débat,
commençaient à s'agiter, associant bizarrement
ces deux idées, la vie du roi et la misère du
peuple.
RÉVOLUTION FRANÇAISE
1896
REVOLUTION FRANHAISE
trois questions. Chaque député, à l'appel de son
nom, montait h la tribune et émettait son suffrage
à haute voix. Du 15 au 19 janvier la Convention
siégea nuit et jour.
A l'unanimité, moins une trentaine de voix,
Louis XVI fut déclaré coupable de conspiration
contre la liberté de la nation et la sûreté générale
de l'Etat.
L'appel au peuple, qui aurait ajourné indéfini-
ment l'exécution, fut repoussé par 423 voix con-
tre -281.
Parmi les Girondins, Ducos, Fonfrède, Isnard,
Condorcet avaient voté contre l'appel au peu-
ple ; Vergniaud, Valazé, Biizot, Brissot. Guadet,
avaient voté pour. La Gironde apparaissait divi-
sée sur une question capitale. Quant aux dé-
putés de la Plaine, le plus grand nombre subit
l'impulsion de la Montagne.
La séance du IG au 17 janvier fut la nlus dra-
matique. On allait voter sur l'application de la
peine. Lanjuinais et Lehardy soulevaient la ques-
tion de savoir si la majorisé requise pour la
peine de mort serait la majorité simple ou la ma-
jorité des deux tiers. Danton fit écarter cette propo-
sition, et l'appel nominal commença à huit lieures
du soir pour se prolonger toute la nuit et le jour
suivant: 334 députés se prononcèrent, soit pour la
mort avec sursis à l'exécution, soit pour des pei-
nes qui n'étaient pas la mort ; 387 votèrent la
mort sans conditions. Ici encore les Girondins s'é-
taient divisés ; Condorcet et Rabaut-Saint- Etienne
votèrent pour la détention ; Vergniaud, Guadet,
Buzot, Pétion, Valazé, Brissot, Louvet se pronon-
cèrent pour la mort avec sursis; Gcnsonné, Re-
becqui, Barbaroux, Duprat, Isnard, Fonfrède, vo-
tèrent pour la mort sans condition. Dans la Mon-
tagne, on vit avec stupeur le duc d'Orléans, qui se
faisait appeler Philippe-Egalité, voter la mort de
le feu des champs de bataille, le poignard des
conspirateurs, le couteau de la guillotine pour
sauver la France et la liberté, devaient considérer
comme le plus abominable des crini's l'appel de
l'étranger. Faisant application à Louis XVI du nou-
veau droit national, ils le jugèrent coupable et
n'hésitèrent pas à le frapper. Carnot, qui avait
voté la mort du roi et signé l'ordre d'exécution,
disait : a Aucun devoir ne m'a tant coûté. »
iMais h ses yeux, ce fut un devoir.
C'est une calomnie que de représenter les dé-
putés qui votèrent la mort du roi comme ayant
cédé à la peur : Paris fut calme pendant les
journées de janvier, et la Convention délibéra en
toute liberté. Il y avait alors plus de péril pour
ceux qui émettaient un vote régicide que pour
les indulgents. Paris était encore plein d'anciens
gardes constitutionnels et gardes du corps. Le
jour même où le sursis fut rejeté, la veille de
l'exécution de Louis XVI, un de ces soldats roya-
listes rencontra Lepelletier de Saint-Fargeau, qui
avait voté la mort du roi : d'un coup de coutelas,
il lui perça le cœur. Lepelletier de Saint-Fargeau
est l'auteur d'un projet de Code pénal, dans
lequel la peine de mort est abolie, et d'un plan
d'éducation nationale, où il demande l'instruc-
tion gratuite et obligatoire, commune aux enfants
pauvres et aux riches, afin que les premiers
puissent participer au bien-être de leurs cama-
rades. L'Assemblée fit à la victime de magnifiques
funérailles et lui décerna les honneurs du Pan-
théon. Sa fille fut adoptée par la naiion. Le ta-
bleau de David qui représentait la mort de Lo-
pelletior fut placé dans la salle des séances de la
Convention.
Coalition générale contre la France. La 'Ven-
dée. — La Convention, au lendemain de l'exécu-
tion du roi, se trouvait en présence de dangers
son parent; il espérait que son sutfrage régicide plus terribles. Comme Vergniaud l'avait prévu, la
pourrait faire oublier ses immenses richesses
Danton motiva son vote en ces termes : i. Je ne
suis pas de cette foule d'hommes qui ignorent
qu'on ne compose pas avec les tyrans, qu'on ne
les frappe qu'à la tète. » Robespierre dit : « Je
suis inflexible pour les oppresseurs, parce que
je suis compatissant pour les opprimés. Je ne con-
nais point l'humanité qui égorge les peuples et
qui pardonne aux despotes. » 11 ajouta que le
même sentiment qui lavait porté à demander
l'abolition de la peine de mort le forçait aujour-
d'hui à l'appliquer au tyran.
Le 19, on reprit la question du sursis. Le 20, h
trois heures du matin, par 380 voix contre 310,
la Convention décida qu'il ne serait pas sursis i
l'exécution et qu'elle aurait lieu dans les vingt-
quatre heures. Le 21 janvier, à 10 heures 22 mi-
nutes, Louis XVI fut décapité sur la place de la
Révolution, aujourd'hui place de la Concorde.
L'historien impartial doit tenir compte il ce
prince des fatalités de la naissance et de l'éduca-
tion; roi de droit divin, élevé par les jésuites dans
les idées de la monarcliie absolue, on conçoit
qu'il n'ait jamais pu se résigner à voir limiter le
pouvoir qu'il avait reçu intact de ses ancêtres ;
qu'il n'ait pu accepter la constitution que pour
y chercher les moyens do la renverser; que, pour
rétablir son ancienne autorité, il se soit cru en
droit do faire appel aux autres souverains ; qu'il
ait préféré voir la France envahie que la royauté
amoindrie et le territoire diminué plutôt que ses
prérogatives ; qu'il soit resté étranger à ces idées
nouvelles de patriotisme qui exaltaient les hom-
mes de 93 et qu'il se soit senti solidaire de la
famille des rois plutôt que de la nation française.
L'historien qui f.-ra ces réserves en faveur du roi
sera tenu à la même justice envers les régicides
Ces hommes qui pour la défense du territoire ne
mort de Louis XVI fut sinon la cause, du moins le
prétexte de nouvelles attaques. C'était unique-
ment la conquête de la Belgique qui avait décidé
Pitt à entrer dans la coalition ; mais il prit occa-
sion du régicide pour chasser notre envoyé Ghau-
vehn. Le staihouder de Hollande imita l'Angle-
terre. La cour de Xaples, où régnait une soeur de
Marie-Antoinette, la cour d'Espagne, où régnait
une bi-anclie des Bourbons, se joignirent h nos
ennemis. Le pape, qui avait tant fait pour attiser
chez nous la guerre civile, laissait prêcher à
Rome le meurtre des Français : le 13 janvier, no-
tre envoyé Basseville était égorgé avec un rasoir
sous les yeux de la police pontificale. Les princes
du Saint- Empire allemand, réunis à la diète de
Ratisbonne, firent cause commune avec l'Autri-
che. La Convention envoya sa déclaration de
guerre le 1" février à. l'Angleterre, le 9 mars au
stathouder de Hullande et au roi d'Espagne ; le
22, elle reçut celle de l Empire allemand.
Au moment où il fallait faire face à l'Europe en-
tière, où 400,000 Anglais, Hollandais, Allemands,
Autrichiens, Sardes, Espagnols men:içaient toutes
nos frontières, la France se trouva prise Ji revers
par l'insurrection vendéenne. Depuis longtemps
déji, dans les départenionts du Poitou et de la
Bretagne, les prêtres réfractaires, les émigrés re-
venus dans leurs manoirs, attisaient la guerre ci-
vile. Le 24 août 1792 avait eu lieu la première,
prise d'armes, comprimée par les bourgeois de
Quimper. Ainsi, la veille même du jour où l'As-
semblée législative décrétait l'abolition des der-
niers droits féodaux, all'ranchissait la terre du
paysan, l'avougle paysan vendéen s'armait contre
la Révolution; il s'insurgeait pour ceux qui, du-
rant tant de siècles, l'avaient tenu dans la misère,
dans l'ignorance, dans la barbarie. Cette première
prise d'armes avait coïncidé exactement avec l'in-
reculèrent devant aucun sacrifice, qui affrontèrent i vasion prussienne de 1792: la grande insurrec-
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1807 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
lion de mars ITJS coïncida avecla grande coalition.
Comme il fallait augmenter l'effectif de nos
armées, on proclama par toute la France la ré(|ui-
silion, c'est-à-dire l'appel des conscrits. Le
paysan vendéen prit le fusil, mais contre la France.
I.e 4 mars, on avait assassiné le commandant de
O.liollet; lo 10, les masses rurales assaillirent
Macliecoul et y massacrèrent les patriotes; le 12,
à Saint-Florent, elles tuèrent les gendarmes char-
gés du recrutement, tirèrent sur la troupe et se
saisirent des canons. En quelques jours le tocsin
sonna dans tontes les paroisses; 1(KI,000 paysans
se trouvèrent sous les armes, fanatisés par les
prédications du carême, par les approches de Pâ-
ques. Ils se formèrent en bandes à la tête des-
quelles se placèrent lo voiturier Cathelincau, le
garde-chasse Stofflet, le perruquier Gaston. Les
chefs nobles, Charette, Lescure, d'Elbée, Talmont,
Sapinaud, Bonchamp, Larochejacquelein, ne paru-
rent que plus tard. Le mouvement fut d'abord
plutôt clérical et populaire que royaliste'. Catheli-
neau était avant tout l'homme du clergé : ses
hommes portaient presque tous un sacré-cœur sur
la poitrine avec cette inscription : « Arrête I le
coeur de Jésus est avec moi. » I.e chapelet était
une partie essentielle de leur équipement. Quand
ils prenaient des patriotes, ils n'oubliaient jam.ais
de les faire conf^esser avant de les fusiller. Ils
restaient aussi ignorants, aussi barbares que leurs
ancêtres du moyen âge : leur isolement, en plein
xviii' siècle, les avait maintenus à l'état sauvage.
Leur fanatisme parut dans les tortures qu'ils fai-
saient subir h leurs prisonniers : en cela il diffé-
rait du fanatisme révolutionnaire, qui se conten-
tait de rendre la mort pour la mort. L'esprit de
l'inquisition anima, du côté des Vendéens, cette
horrible guerre : à Machecoul, les paysans prirent
le cure constitutionnel, et le firent mourir h pe-
tits coups pour que le supplice durât plus long-
temps ; avec dos cors, ils donnèrent la chasse
aux palrioti'S ; quand ceux-ci tombaient, on son-
nait la curée, et les femmes achevaient les victi-
mes avec leurs ongles ou leurs ciseaux ; il y eut
des hommes enterrés vifs, des gardas nationaux
cruellement martyrisés. Des prêtres rofractaires
rivalisaient de férocité avec les paysans. A Mache-
coul, l'un d'eux, comme il n'y avait plus à tuer
que les femmes, s'avisa de dire la messe sur la
tombe d'une sainte. Tout k coup il cria qu'il sentait
la pierre se soubver. Ce miracle allait faire con-
tinuer les massacres, quand arrivèrent les troupes
républicaines. Ces paysans, qui refusaient d'aller
combattre aux frontières, montrèrent une bravoure
farouche : on les vit se jeter à la gueule des ca-
nons pour s'en emparer. Toutefois le succès de
l'insurrection paraîtra moins étonnant, quand on
saura que les départements de l'Ouest étaient
■alors entièrement dégarnis de troupes et que les
insurgés n'eurent à lutter que contre les gardes
nationales des petites villes. Cette guerre que les
paysans faisaient aux citadins était à certains
égards une guerre sociale. Ils haïssaient les villes
■comme la résidence des autorités, des gens de
lois, des marchands. La Vendée, avant même l'ar-
rivée des troupes de la Convention, était déjà di-
visée en bleus et on chouans. Les bleus, c'est-à-
dire les habitants des villes, se sacrifièrent pour
arrêter l'insurrection. Les cités de Nantes, Ren-
nes, Quimper, Angers, même des bourgades
comme Machecoul, Cliollct, les Sables d'Olonne,
Luçon, Fontenay, la Roche-Bernard, acquirent
■alors des titres impérissables à la reconnaissance
du pays. Les villes étaient comme des îlots perdus
au milieu du soulèvement dos niasses rurales,
dans les départements de la Vendée, des Deux-
Sèvres, de .Maine-et-Loire, Ille-et-Vilaine, Loire-
inférieure. L insurrection dans les départements
tas-bretons (Morbihan, Finistère, Côtes-du-Nord)
s'appela d'un nom particulier, la chouannerie, parce
que le signe de rallicnientétaitlecridu chat-huant.
Trahison de Dumouriez. — La lutte continuait
entre Dumouriez, le conquérant de la Belgique,
et Cambon, que soutenait toute la Montagne.
Dumouriez ne voulait pas de la guerre révolution-
naire ; or, c'est avec cette guerre seulement qu'on
pouvait résister à l'Europe. Il négligeait de pour-
snivre les Autrichiens et de leur faire passer le
Rhin, laissait battre Custine et bloquer iVlayence ;
son armée découragée fondait entre ses mains.
Il se croyait fort liabile en négociant avec l'Au-
triche et l'Angleterre, qui le trompaient et com-
plotaient leurs armements. Il s'aliénait à la fois
tous les partis de la Convention : Danton et les Gi-
rondins qui demandaient la propagande armée ; les
J,icobins, qui visaient h l'établissement du gouver-
nement révolutionnaire; Cambon, qui voulait
étendre à la Belgique et à l'Allemagne son sys-
tème financier Un échec que Dumouriez éprouva
près d'Aix-la-Chapelle le força d'évacuer Liège,
abandonnant les patriotes de cette ville aux v^-n-
geances de leur évêque et de l'Autriche : les Lié-
geois fugitifs accoururent à Paris, soulevant les
colères du peuple contre Dumouriez.
Celui-ci se décida alors h reprendre l'offensive,
il tenter l'invasion de la Hollande : victorieux, il
marcherait ensuite sur Paris et ferait la loi i la
Convention. Le 12 mars il écrivait une lettre me-
naçante, qui excita l'indignation de l'Assemblée.
Le 18, il attaqua les Autrichiens à Neerwindcn,
dans une situation presque semblable à celle de
Jemmapes ; mais il n'avait plus que 35000 hom-
mes contre 5".' 000; il fut cotriplètement battu.
Alors il ne vit plus de salut que dans la trahison.
Il eut des conférences secrètes avec le colonel
Mack, délégué par le duc de Cobonrg, promit de
livrer aux Autrichiens Condé et Valenciennes, à
condition qu'ils l'aideraient à marcher sur Paris.
Trois envoyés du club dus Jacobins étant venus
le trouver dans son camp, il leur dit nettement
que la Convention était un tyran à 745 têtes, la
république un vain mot ; qu'il fallait rétablir la
royauté avec la constitution de 1791 : dans sa
pensée le roi devait être le duc de Chartres. Dès
que la Convention eut connaissance de ses pro-
jets, elle le somma de comparaître à sa barre. Sur
son refus, elle envoya Bcurnonville, ministre de
la guerre, et les députés Camus, Quinette, Lamar-
que et Bancal : ils lui présentèrent le décret qui le
suspendait de ses pouvoirs. Dumouriez fit arrê-
ter les représentants du peuple et les livra aux
Autrichiens. Toutefois la démarche hardie des
commissaires avait dérangé tous ses plans. Jus-
qu'alors il traitait d'égal à égal avec les Autri-
chiens ; maintenant il fallait en passer par leurs
exigences. Or Cobourg avait d'autres projets que
Dumouriez : il voulait d'abord s'emparer de nos
places frontières ; ensuite, si l'on marchait sur
Paris, donner le trône au fils ou au frère aîné de
Louis XVI. Dumouriez se rendit auprès de Mack,
puis revint dans son camp entouré de dragons
autrichiens. A la vue des uniformes étrangers, ses
soldats refusèrent do l'entendre. Il eut beau dire :
« Mes amis, j'ai fait la paix. Nous allons à Paris
arrêter le sang qui coule. » Un simple fourrier,
nommé Fichot, sortit des rangs et cr.a : « Trahi-
son ! » Un soldat tira sur Dumouriez. Il fut obligé
de fuir avec ses généraux orléanistes. Valence et
le duc de Chartres (4 avril). Les soldats coururent
d'eux-mêmes h Condé, à Valenciennes, se jetèrent
dans ces deux places et les mirent en état, do dé-
fense. Dumouriez était le troisième général qui
essayait une rébellion militaire : Bouille avait
conspiré contre la Constituante, Lafayette contre
la Législative, Dumouriez contre la Convention.
Tous CCS essais de coup d'Etat écliouèrent égale-
ment contre le patriotisme de l'armée.
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1898 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
caïute de la Gironde. — Les défaites et la tra-
hison de Diimouricz portèrent h la Gironde un
coup mortel. Dupuis la condamnation du roi, la
Montagne, qui avait montré plus d'union et plus
de décision pendant le procès, prenait de l'avance
sur les Girondins. C'étaient ceux-ci qui autrefois
avaient mis Duniouriez à la tète de l'armée :
aussi commença-t-on à crier dans les rues de
Paris « la grande trahison du général giron-
din i>.
Leur situation devenait critique : ils occupaient
les ministères, la présidence de l'Assemblée, les
administrations locales; ils étaient donc le gouver-
nement ; on les rendait responsables de tout. La
Plaine jouait alors un jeu fort dangereux : si les
Montagnards proposaient quelque décret éner-
gique, elle s'empressait de le voter, mais les
Girondins en avaient l'exécution : des lors rien
ne se f::isait. La seule solution raisonnable eût
été que la Gironde cédât à la Montagne la direc-
tion légale de la Révolution, que les ministres
girondins Roland, Clavif-re, Tondu-Lebrun, Garât,
donnassent leur démission, que les autorités giron-
dines des départements les suivissent dans la re-
traite. Malheureusement les Girondins estimaient
que sortir du pouvoir, c'était déserter le danger ;
la Plaine les encourageait dans leur résistance en
les choisissant toujours pour la présidence de
l'Assemblée : ils pouvaient donc dire qu'ils avaient
une majorité de gouvernement.
La Convention, sous le coup des premiers dé-
sastres, avait décidé que tout ce qu'il y avait de
soldats et do fédérés dans Paris se rendraient im-
médiatement à la frontière : les fédérés bretons,
sur lesquels la Gironde comptait pour sa sûreté,
durent partir. Le lendemain 9 mors, la Commune
lit arborer aux tours de Notre-Dame le drapeau
noir et h l'Hùtel-de-Ville l'étendard du « Danger de
la patrie >■. Quelques furieux, Varlet, Lazowski,
Fournier, essayèrent le 9 mars de soulever les
sections, brisèrent les presses de deux imprime-
ries girondines, demandèrent l'épuration de l'As-
semblée. .Mais Paris resta sonrd h ces excitations :
le faubourg Saint-Antoine fit même oa'rir une
g.irde h la Convention.
Li population parisienne n'avait d'autre préoc-
cupation que celle de la défense nationale : dans
presque tous les quartiers, on offrait des repas
civiques aux volontaires qui se rendaient aux
frontières. La seule section de la Halle aux blés,
après son banquet du 10 mars, envoyn mille vo-
lontaires. Le nouveau maire de Paris, Pache félu
en février en remplacement du girondin Chàm-
bon), et le procureur de la commune Chaumette,
vinrent à la Convention rendre tcjnoignage de
l'élan patriotique du peuple et recommander à
l'Assemblée les familles des volontaires. Puis les
compagnies de citoyens en armes défilèrent de-
vant la Convention , en disant : « Pères de la
patrie, nous vous laissons nos enf.jnts. » —
« ^0U3 n'enverrons pas seulement à la frontière,
répondirent le^ députés, nous irons nous-mêmes. »
Et la Convention, sur la proposition de Carnot,
décréta que 8i de ses membres se rendraient aux
armées. Le même jour, l'Assemblée commença
la_ discussion sur l'établissement d'un tribunal
révolutionnaire, demandé par la Commune et les
Jacobins ; la mesure fut appuyée par Saint-André
et Levasseur: ceux-ci n'étaient pas des hommes de
sang, mais des hommes d'Etal, des patriotes qui
se montrèrent béroiques aux armées : Saint-André
osa même improviser une marine, se risquer avec
elle contre la flotte anglaise, et livrer, en n9i, la
mémorable bataille navale où périt le vaisseau le
Vengeur; c'est lui qui plus tard organisa les dé-
partements du Hliin. 11 fallait que ce tribunal fût
nécessaire pour qu'il le réclamât. La Gironde, à
part Lanjuinais et quelques autres, en adoptait le
principe, mais discutait les détails d'organisation.
Cambacérès, qui fut plus tard un des rédacteurs
du Code civil et grand dignitaire de l'Empire, disait
(1 qu'on ne pouvait suivre ici les principes ordi-
naires. » La Convention décida que le tribunal
serait composé de neuf juges et d'un jury, nom-
més par elle (10 mars).
Le tribunal révolutionnaire, tel que l'entendait
Danton, n'était en somme qu'une juridiction
exceptionnelle comme il s'en est toujours établi
dans les circonstances extraordinaires, lorsque
l'existence même de l'Etat est mise en péril ;
ce n'était pas autre chose qu'une cour martiale
comme celles qui ont fonctionné à des époques
plus récentes quand le pays s'est trouvé en état de
guerre étrangère ou de guerre civile. La France
tout entière étant comme une place assiégée, le
tribunal révolutionnaire se trouvait chargé de
punir les traîtres, les rebelles, les complices
de l'étranger, les fournisseurs infidèles, les fabri-
cateurs de faux assignats. Les peines appliquées
par le tribunal étaient la mort ou la déportation;
comme la mer n'était pas libre, les "-ondamnés à
la déportation étaient provisoirement emprisonnés
à Bicôtre. C'était au prix d'une justice rigoureuse
qu'on pouvait prévenir le retour des massacres de
septembre.
L'organisation du tribunal révolutionnaire faisait
partie de l'ensemble des mesures de défense pro-
posées par Danton dans son discours du 10 mars,
qui touchait à l'organisation politique et militaire
du pays et qui se terminait ainsi : « Je me ré-
sume ; ce soir, organisation du tribunal, organisa-
tion du pouvoir exécutif; di'main, mouvement mi-
litaire ; que demain vos commissaires soientpartis ;
que la l-'i-ance entière se lève, coure aux armes,
marche ii l'ennemi ; que la Hollande soit envahie;
que la Belgique soit libre ; que le commerce
de l'Angleterre soit ruiné; que nos armes, partout
victorieuses, apportent aux peuples la délivrance et
le bonheur, et que le monde soit vengé. »
L'.Assemblée était comme enveloppée du mou-
vement patriotique de Paris. Les défilés des ba-
taillons qui se rendaient aux frontières conti-
nuaient. Quand le contingent des Halles vint faire
ses adieux h la Convention et la traversa tambours
battants et drapeaux déployés, l'.Vssemblée, saisie
d'enthousiasme, se leva tout entière au cri de
11 Vivent les défenseurs de la patrie ! «
Tandis que la Convention discutait l'organisation
de ce tribunal, le même jour, en Vendée, com-
mençait à fonctionner le tribunal révolutionnaire
de l'insurrection : le mis«acre de Machecoul,
commencé par les paysans, était régularisé le soir
par un comité d'honnêtes gens qui en six semai-
nes condamnait à mort 54"J patriotes.
Quand l'insurrection de Vendée fut connue à
Paris le IS mars, la Convention, sur la proposi-
tion de Diiliem, décréta que tous les émigrés
ou prêtres réfractaires qui, au bout de huit jours,
seraient trouvés sur le territoire de la République,
encourraient la peine de mort; le 19 mars, sur la
proposition de Cambacérès, nouveau décret por-
tant que tous les individus prévenus d'avoir pris
pan aux mouvements contre-révolutionnaires ou
arboré la coc.irde blanche .seraient mis hors la loi ;
que s'ils étaient pris les armes i U main, ils se-
raient exécutés dans les vingt-quatre heures.
11 Vous n'ignorez pas, ajoutait Cambacérès, que
les circonstances commandent presque toujours
les décisions. •> Le Tî mars, après la défaite de
iVeerwinden,Jean Dcbry fit décréter l'établissement
dans chaque commune ou section de commune
d'un comité révolutionnaire, chargé de contenir
les suspects ; le 20 mar*, désarmement de tous
les ci-devant nobles et prêtres, ce qui fut exécuté
aussitôt à Paris ; le 2S, bannissement à perpétuité
de tous les émigrés, peine de mort contre ceui
IIKVOLUTION FRANÇAISE — 1899 — REVOLUTION FRANÇAISE
droite, Vernior, poussa ce cri d'alarme : " Eli ! ci-
toyens, si vous en êtes i\ ce point de défiance que
désormais vous ne puissiez plus servir la patrie,
partons plutôt; soyons généreux les uns et les
antrns. Partons: que les plus violents dans l'un
et l'autre parti s'en aillent; simples soldats, qu'ils
donnent à l'armée l'exemple d'une soumission
courageuse et marchent à l'ennemi I »
Vergniaud, le plus sage des Girondins, eut aussi
nne grande inspiration de patriotisme. « On vous
accuse, dit-il aux représentants, on demande un
scrutin épuratoire. Ce n'est point par l'appel au
peuple, c'est par le développement d'une grande
énergie qu'il faut vous justifier. L'incendie va s'al-
lumer: la convocation des assemblées primaires
en sera l'explosion. C'est \ine mesure désastreuse.
Elle peut perdre la Convention, la République et
la liberté. S'il faut ou décréter cette convocation,
ou nous livrer aux vengeances de nos ennemis, ci-
toyens, n'hésitez pas entre quelques liomraes et
la chose publique Jetez-nous dans le goulTre et
sauvez la patrie » Les Girondins s'associèrent par
leur silence aux paroles de Vergniaud; plusieurs
comprenaient qu'un des deux partis était de trop
à la tête de la Képublique.
Danton exprimait le même sentiment que "Ver-
gniaud, mais sous une autre forme : « Que les
Brissotins s'en aillent et nous laissent travailler,
disait-il ; quand nous aurons sauvé la France, ils
reviendront jouir de nos travaux. » Mais les
Girondins ne pouvaient « s'en aller ». Le point
d'honneur leur défendait de se retirer; leurs con-
victions de modérés leur interdisaient de s'asso-
cier à certaines mesures révolutionnaires; il n'y
avait pas d'issue h cette situation.
En avril, les Girondins opposèrent une résis-
tance énergique à l'établissement du mu.cbnum
sur les denrées, mesure assurément contraire à
la liberté économique, mais nécessaire h un mo-
ment où l'agiotage, par la hausse des denrées,
tendait à amener l'avilissement des assignats,
c'est-à-dire la ruine du crédit.
Coup sur coup, l'on apprit la mort de Dam-
pierre, tué au camp de Famars, l'investissement
de Condo et Valenciennes par les Autrichiens,
les victoires vendéennes dans l'ouest : ces dé-
faites fournissaient de nouveaux arguments à la
doctrine du Salut public, il la politique jacobine
de la nécessité ; mais la majorité de la Convention,
loin d'abandonner les Girondins, ce qui leur eût
ùté le pouvoir, mais élit sauvé leurs têtes, portait
ila présilence (16 mai) le plus violent d'entre eux,
l'éloquent et colérique Isnard.
Alors la Commune de Paris, le club des Jaco-
bins et la réunion de l'iîvêché, qui était le centre
d'action des comités rovulutionnaires de Paris,
s'entendirent pour arracher i la Convention l'ex-
pulsion des principaux Girondins. La Gironde
venait de commetiro une nouvelle imprudence:
elle avait fait décréter (18 mai) l'établissement
d'un comité de douze membres, tous Girondins,
chargé de prendre toutes les mesures nécessaires
à la tranquillité publique. Son premier acte fut
d'arrêter un membre de la Commune, Hébert,
rédacteur du l'ère Dui:hi?no. Le mot d'ordre
donjié à tous les comités révolutionnaires fut
donc celui-ci : expulsion des vingt-deux députés,
précédemment dénoncé» par la Commune, et des
douze membres du nouveau comité. Le "U mai, la
Commune se présente à la barre et demande la
mise en liberté d'Hébert et la suppression dos
Douze. La section de la Cité osa même demander
que les Douze fussent traduits devant le tribunal
révolutionnaire. Le président Isnard se laissa em-
porter par la colère jusqu'à prononcer des paro-
les qui devaient avoir un funeste retentissemejit :
« Ecoutez ce que je vais vous dire, dit-il aux
pétitionnaires; si jamais il arrivait qu'on portât
i|ui rentreraient. La nouvelle de la trahison de
i)nnio\iriez eut des effets encore plus terribles :
on autorisa l'accusateur pnhlic à trmluire de son
propre mouvement devant le tribunal révolulion-
nairf! tous les prévenus du crime de conspiration,
sauf les députés, les ministres et les généraux,
dont l'arrestation devait être autorisée parl'Assem-
blée. On décréta l'arrestation des généraux orléa-
nistes et de toute la famille d'Orléans. On en-
voya 40 liOO hommes aux frontières et l'on dépêcha
de nouveaux commissaires à l'armée du IVord.
Eiifin, sur la proposition de Barère, on décida
l'organisation du Comité de salut pîibliCj et ce fut
le girondin isnard qui rédigea le rapport et le
texte du décret (fi avril). Ce comité devait se
composer de neuf membres fce nombre fut aug-
menté par la suite), renouvelables tous les mois ;
il devait concentrer tous les pouvoirs, donner
des ordres aux ministres, tracer des plans aux
généraux. Il fut d'abord composé de Barère, Jean
Debry. Bréard, Treilhard, Canibon, Danton, Dela-
croix, Delmas, Guyton-Morveau. La Convention
semblait avoir écané systématiquement les mem-
bres influents des partis en lutte ; la Montagne
n'était guère représentée dans le Comité que par
Danton ; la Gironde en était exclue.
La Convention avait, dès ses premières séances,
tire do son sein un certain nombre d'autres co-
mités. Outre le Comité de salut public, qui fut
kl terreur de l'I'.urope, et le Comité de sûreté gé-
nérale, qui devint la terreur des suspects, elle
eut quatorze comités d'affaires, savoir : les Comités
des finances; de législation; d'instruction publi-
que ; d'agriculture et des arts ; du commerce et
des approvisionnements ; des travaux publics ; des
transports, postes et messageries; de la guerre;
de la marine et des colonies ; des secours publics ;
rie division ; des décrets, procès-verbaux et ar-
chives ; des pétitions, correspondances et dépê-
ches ; des inspecteurs du palais national.
Beurnonville était remplacé au ministère de la
guerre par le montagnard Bouchotte. Pioland quit-
tait le ministère de l'intérieur, où il fut remplacé
par Garât ; mais Lebrun restait aux affaires étran-
gères, Clavière aux finances, en lutte ouverte avec
('.ambon.
La Convention, unanime contre l'invasion, contre
la Vendée, contre Dumouriez et contre les traî-
tres, était en discorde sur toutes les autres ques-
tions. Girondins et Montagnards se renvoyaient
niutuelletnent la responsabilité des malheurs pu-
blics. Robespierre surtout eut un rôle funeste:
dans la séance du 10 avril il, rassembla contre les
(iirondins toutes les accusations qui traînaient
dans les clubs, leur reprochant d'avoir voulu la
i;uerre, que toute la France avait voulue avec eux;
n'être cotnplices do Dumouriez et des Orléans,
tandis qu'ils s'étaient associés à toutes les mesures
contre les Orléans et Dumonricz. Vergniaud, avec
nne grande éloquence, réfuta ces calomnies et fit
lapulogie du la politique modérée. Cimille Des-
nioulins, suscité par Robespierre, lança contre
la Gironde un païuphlet meurtrier, \'Hisloire dfs
lli-ùsutins. Les Girondins, qui ne furent pas alors
plus sages que Robespierre, en revinrent à leur
politique de provocations vis-à-vis de Marat et de
la Commune. Guadet fit décréter Marat d'accusa-
tioji ; mais celui-ci fut acquitté par le tribunal révo-
lutionnaire etramené en triomphe à la Convention
sur les épaules du peuple (2t avril). Quelques
jours avant, la Commune était venue à la barre de
l'Assemblée réclamer l'expulsion de vingt-deux
Girondins (U avril). Les deux partis en appelaient
également aux assemblées primaires, les Giron-
dins pour faire exclure de la Convention Marat,
Robespierre, Danton, les députés de Paris; la
Commune, pour en faire chasser les Girondins.
Emu de ces discordes, un membre obscur de la
REVOLUTION FRANÇAISE
1900
REVOLUTION FRANÇAISE
atteinte à la représentation nationale, je vous le
déclare au nom de la France entière. Paris serait
anéanti; oui, la France entière tirerait vengeance
de cet attentat, et bientôt on cherclierait sur les
rives de la Seine si Paris a existé. »
Ces paroles imprudentes, répétées, amplifiées,
exagérées dans tout Paris, mirent en mouvement
les faubourgs. La section des Gravilliers se déclara
en insurrection; celles de Montmartre, le 27, se
rendirent à la Convention pour lui présenter " une
pétition au bout d'une pique ». La Convention
était désarmée en face de l'émeute ; elle avait bien
donné au comité des Douze les pouvoirs discré-
tionnaires qui exaspéraient la Commune, mais
elle ne lui avait pas donné le droit de requérir la
force armée. Les députations se succédèrent en
si grand nombre à la barre de la Convention, que,
dans la nuit du 27 au 28 mai, les pétitionnaires
vinrent s'asseoir jusque sur les bancs dos repré-
sentants. Les députés de la Montagne, mrlés
aux hommes dos faubourgs, votèrent l'élargisse-
ment des personnes arrêtées et la sujipi-ession
du comité des Douze. Le lendemain, au début
de la séance, les Girondins eurent le courage de
demander le rétablissement des Douze et la ma-
jorité eut l'imprudence de le voter. Alors la réunion
de l'Evcclié convoqua les délégués de tous les
comités révolutionnaires, proclama l'insurrection,
s'empara de l'Hôtel-de- Ville, nomma Hanriot com-
mandant général des gardes nationales, fit sonner
le tocsin de Notre-Dame et tirer le canon d'alarme.
La Convention fut envahie le 31 mai par les sec-
tionnaires en armes : mais le peuple n'avait, pas
d'intention hostile contre l'Assemblée; il ne
toucha à aucun des représentants, et, dès qu'il
eut obtenu la suppression définitive du comité
des Douze, il se relira.
Marat, l'Evèché et la Commune trouvèrent
qu'on n'avait rien obtenu. Ils se séparèrent de
Danton, qui cherchait à les contenir, et préparèrent
une nouvelle insurrection. Le club des Jacobins,
dans la nuit du l" au 2 juin, décréta la levée
immédiate d'un emprunt forcé sur les riches, qui
servirait à solder une « armée révolutionnaire »
à raison de 40 sous par homme. Au matin du 2,
OH apprit l'insurrection girondine de Lyon et
le massacre des patriotes lyonnais. Cette nou-
velle accéléra le mouvement. Hanriot avait re-
quis la force armée au nom de la Commune, et
Marat avait fait sonner le tocsin de l'IIùtel de-
Ville. Pondant ce temps le Comité de salut public,
qui savait à, quel point les Girondins étaient
innocents des événements de Lyon, se désespérait
de ne pouvoir les sauver. Le ministre de l'inté-
rieur Garât vint proposer au Comité de salut pu-
blic un étrange expédient : trente-quatre députés
girondins se retireraient de l'Assemblée, mais la
Montagne enverrait dans les départements des
otages en nombre égal. Cambon, Karère, Delmas
saisirent avidement cette idée ; Danton se leva et
dit: i< Je m'offre le premier pour aller à Bor-
deaux : proposons-le à la Convention. » Ils le pro-
posèrent, mais Robespierre jeta sur leur enthou-
siasme le froid de son ironie.
A dix heures la Convention, qui occtipait alors
(depuis le 10 maij la grande salle des Tuileries,
est complètement cernée par les citoyens armés
que commande Hanriot. Les députés qui veu-
lent sortir sont repoussés dans la salle. « Prou-
vons que nous sommes libres, s'écria Barère ;
allons délibérer au milieu de la force armée; elle
protégera sans doute la Convention. »
L'Assemblée, ayant à sa tète son président
Hérault de Séchelles, se forma en cortège : les
députés de la droite en première ligne, les Mon-
tagnards ensuite : seuls les maratistes, au nom-
bre d'une trentaine, désapprouvant la démarche
de leurs collègues, restèrent à leur banc. Quand
Hérault de Séchelles se présenta h la porte du
pavillon de l'Horloçe, il se trouva en présence
d'Hanriot : « Que demande le peuple ? lui dit-il.
La Convention n'est occupée que de lui et de
son bonheur. — Hérault, répondit Hanriot, le
peuple ne s'est pas levé pour écouter des phrases,
mais pour donner des ordres. Il veut qu'on lui
livre trente-quatre coupables. — Qu'on nous li\Te
tous ! j> s'écrient les députés. Et ils essaient de
forcer le passage. « Canonniers, à vos pièces ! 'i
commande le général de la Commune, et six
pièces de canon sont braquées sur les représen-
tants. La Convention rentra et essaya de sortir
par l'autre porte, celle du jardin : elle trouva
Marat qui somma « les députes fidèles » de re-
tourner à leurs bancs. L'Assemblée rentra vain-
cue, tête baissée, dans la salle des séances, et
consentit à sa propre mutilation. La liste des
expulsés comprenait entre autres : Vergniaud,
Guadet, Gensonné, Brissot, Pétion, Barbaroux,
Buzot, Lanjuinais, Louvet, Valazé, Rabaut-Saint-
Etienne : en tout vingt-sept députés, car Marat et
Le;;endre avaient fait effacer cinq noms de la liste
primitive. Isnard et Fauchet s'étaient volontaire-
ment suspendus de leurs fonctions.
Les députés expulsés ne furent pas mis en pri-
son : ils étaient simplement consignés chez eux et
si peu gardés que ceux qui voulurent quitter Paris
le purent. Danton et presque toute la Montagne
n'entendaient faire aucun mal aux Girondins ; ils
voulaient seulement les éloigner de la Convention
pendant la crise, les empêcher de parler, de
voter, de se perdre.
Le coup d'Etat du 3! mai et du 2 juin ouvrit
la porte i toutes les autres violations de la repré-
sentation nationale: il contient en germe le 18 bru-
maire. Quand l'attentat fut consoinmé, ceux
mêmes qui l'avaient jugé nécessaire en furent
émus. Les Jacobins essayèrent de donner le
change à l'opinion : dans les 48 sections, ils ra-
contèrent « comment la Convention avait été au
jardin prendre quelques moments de repos, puis,
invitée par le peuple, était rentrée en séance. -> A
la fin de la séance du 2 juin, une députation vint,
au nom du peuple de Paris, remercier l'Assemblée
du décret qu'elle avait rendu, et offrit do consti-
tuer des otages en nombre égal à. celui des dépu-
tés arrêtés. Lanjuinais déclara qu'il acceptait
« pour empêcher la guerre civile, » mais Barba-
roux refusa, disant « qu'il s'en remettait h la
loyauté du peuple de Paris. » Ce n'était pas seule-
ment la Plaine, mais les Montagnards indépendants,
non inféodés i Robespierre et à Marat, comme les
Carnot, les Cambon, les Lindet, qui se sentirent
atteints. Ils rentrèrent cependant le lendemain dans
la salle profanée, reprirent leur place sur les bancs
dégarnis. Il le fallait. La Convention, même hu-
miliée et décimée, c'était encore la Convention,
c'est-à-dire l'unité visible de la France, la légalité
I vivante, l'unique moyen de salut pour laRépubli-
I que. Voilà pourquoi ces hommes intrépides,
ceux qui plus tard formèrent le nouveau Comité
de salut public et furent commissaires aux ar-
mées, acceptèrent le fait accompli et reprirent sans
protester leur rude labeur.
La constitution de 1793. — Comme tous les
désordres semblaient occasionnés par l'absence
d'une loi précise, d'un pacte fondamental qui
s'imposât à tous, la Convention résolut de liâter
l'œuvre qui était le point principal de son man-
dat et de faire la constitution. Devant l'Europe
en armes, parmi les insurrections des départe-
ments, sous la menace de 50ii,000 baïonnettes
et dans le bouleversement universel, la Conven-
tion légiféra. Une foi robuste la soutenait dans
ce labeur : elle croyait fermement que lorsqu'elle
aurait formulé en loi les principes de la Révo-
lution, ses ennemis seraient confondus, bien plus,
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1901 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
convertis, et que l'avènement de la Justice désar-
merait les insurges.
Déjà une commission de neuf memljres, Sieyès,
Thomas Payne, Brissot, Pétinn, Vergtiiaud, Gen-
sonné, Barùre, Danton et Condorcet, avait élaboré
on treize titres un projet du coustiturion. Con-
dorcet, qui en l'ut le rédacteur, avait présenté son
projet dans les séances du i5 et du 16 février.
La lutte chaque jour plus vivo entre la Montagne
et la Gironde avait fait ajourner la discussion.
Après le 31 mai, ou' adjoignit, pour terminer
cette œuvre, aux membres du Comité de salut
public cinq nouveaux commissaires : Hérault do
Séchelles, Ramel, Mathieu, Couthon, Saint-Just.
Ceux-ci reprirent le travail de Condorcet, mais en
l'abrégeant, en l'imprégnant de l'esprit de la
Montagne. Le projet fut présenté à l'Assemblée
le 10 juin, discuté sans désemparer et voté le 24.
La constitution fut ensuite soumise à la ratifica-
tion des as.semblées primaires dans les départe-
ments non soulevés et acceptée à une grande ma-
jorité. Le 10 août ni).3, il y aura à Paris, pour
célébrer l'acceptation do la constitution, une fête
grandiose dont le peintre David dressera le pro-
gramme.
La constitution de 1793 était précédée d'une
nouvelle Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen en trente-cinq articles^ que le peuple fran-
çais proclamait II en présence de l'Etre suprême».
Elle reproduisait en partie la déclaration pro-
posée par Robespierre. On y trouve cette
maxime : u L'instruction est le besoin de tous.
La société doit favoriser de tout son pouvoir les
progrès de la raison publique, et mettre l'instruc-
tion à la portée de tous. » L'ai ticle suivant té-
moigne d'une des plus vives préoccupations de ce
temps : « Que tout individu qui usurperait la sou-
veraineté soit à l'instant mis à mort par les
hommes libres. >> Celui-ci servira à justifier tous
les coups de force que la constitution est préci-
sément destinée à réprimer : « Quand le gouver-
neiuent viole les droits du peuple, l'insurrection
est pour le peuple, et pour chaque portion du peu-
ple, le plus sacré des droits et le plus indispensa-
ble des devoirs. »
La constitution elle-même se composait de
cent vingt-quatre articles. Elle donnait au peuple,
c'est-à-dire aux assemblées primaires, le droit de
délibérer sur les lois ; elle réduisait à une année
le mandat de député ; elle établissait une Assem-
blée unique « intiivisible et permanente », rendant
à la fois des lois et des décrets. Elle eût été pro-
bablement inexécutable ; en tout cas, elle n'a pas
été appliquée, le gouvernement révolutionnaire
ayant fonctionné jusqu'au moment où la Con-
vention lui substitua la constitution de l'an III.
Certains articles portent l'empreinte vigoureuse
de l'esprit de i'U'i. Les idées humanitaires ont
inspiré l'article qui accorde le droit de cité à l'é-
trangi r qui, établi en France depuis une année,
attra adopté un enfant ou nourri un vieillard.
L'énergie toute romaine des grands conventionnels
revit dans celui-ci : « Le peuple français ne fait
poiiit la paix avec un ennemi qui occupe son ter-
ritoire. » C'est à propos de ce dernier article que
le girondin Mercier demanda : « Avez-vous fait
un pacte avec la victoire '? » Bazire répondit :
'< Nous en avons lait un avec la mort. »
Les insurrections girondines et royalistes. —
L'expuision des Ginindiiis pioduisit fes mêmes
effets que la mort du roi. Après le 21 janvier, la
Vendée ; après le 2 juin, la grande instirrection
girondine. Caen, Bordeaux, Lyon, Marseille,
presque toutes les villes du Midi se déclarèrent
contre la Convention. Il y eut à un moment près
de soixante départements insurgés. Certains dé-
putés giiondins commirent alors un véritable
crime cojitro l'unité; tandis que Vergniaud, Gen-J
[ sonné, Fauchet, Valazé et d'autres restaient à
Paris, attendant leur jugement, résignés à leur
sort, d'autres, enflammés des mômes passions
que les émigrés, organisaient la guerre civile :
Guadet, Buzot, Louvet, Barbaroux, Kervélegan,
soulevaient la Normandie; Meilhan et Duchà-
tel s'agitaiejit en Bretagne, Rabaut-Saint-Etienne
dans le Gard, Biissot dans l'Allier, Rehecqui
en Provence. Ils eurent alors la révélation de
l'état réel de leur parti ; ils s'aperçurent avec
stupeur que sous le drapeau républicain, à l'abri
de leur modération girondine, c'étaient partout les
royalistes qui, après avoir tenu la Révolution en
échec, se préparaient h la combattre avec l'appui de-
l'étranger. Partout où d'abord ils essayèrent d'a-
gir au nom de leurs principes, ils se virent
supplantés par les émigrés et les agents des
princes. L'insurrection prétondue girondine du Cal-
vados se mit sous les ordres du royaliste Wiinp-
fen et de Puisaye, agent de l'Angleterre; dan»
les Cévennes, sous les yeux de Rabaut-Saint-
Etienne, les paysans arboraient le drapeau blanc ;
Lyon, tout à l'heure girondin, se remplissait
de nobles, de réfractaires ; Toulon allait être livré
aux Anglais (28 août) ; Paoli les appelait en Corse.
En même temps toutes les armées étrangères-
faisaient un pas en avant : les Autrichiens pre-
naient Condé {l'i juin) et Valenciennes (2S juil-
jet);Mayence capitulait devant l'armée prussienne
(22 juillet); les Espagnols envaliissaient le Rous-
sillun; les Anglais bloquaient nos ports, affamaient
les départements maritimes, jetaient des armes en
Vendée, inondaient la France de faux assignats.
Gouvernement des Montagnards. Le Comité d&
salut public. La levée en niasse. La Terreur. —
La Convention, en face de tant d'ennemis et de
tant de périls, déploya une redoutable énergie. Dès
le 10 avril, elle était revenue sur son décret du 15
décembre 1792, et avait déclaré que « la France ne
s'immiscerait pas dans les affaires des autres peu-
ples. » La constitution de 179:!, tout en constatant
que (1 le peuple français est l'ami et l'allié naturel
des peuples libres », ajoutait : " Il ne s'immisce
point dans le gouvernement des autres nations. Il
ne soufl're pas que les autres nations s'immiscent
dans le sien. » La France renonçait donc à la
guerre de propagande, mais pour concentrer tout
son effort sur la guerre nationale, sur la défense
du territoire.
Au cours des débats sur la constitution, Danton
avait dit : « Mettons en réquisition 400 nui) hom-
mes; c'est à coups de canon qu'il faut signifier
la constitution à nos ennemis. C'est l'instant de
faire un grand et dernier serment, (|ue nous nous
vouons tous à la mort, ou que nous anéantirons les
tyrans. »
Le 10 juillet, le Comité de salut public fut re-
nouvelé dans un sens plus avancé. Des anciens
membres, il ne resta que Barère et Robert Lin-
det : on leur adjoignit Jean-Bon Saint-André,
Hérault de Séchelles, Prieur de la Marne, Gas-
parin, Thuriot, Saint-Just, Couthon. Les danto-
nistes y étaient encore représentés par Hérault
et Thuriot.
Le 13 juillet, une jeune fille de Caen, descen-
dante de Pierre Corneille, exaltée par les dis-
cours des proscrits girondins, se rendit à Paris,
pénétra chez Marat et le poignarda dans son
bain. Elle fut exécutée six jours après. Un jeune
Allemand, Adam Lux, envoyé par ses compa-
triotes pour demander à la Convention la réunion
de Mayence à la France, la vit sur l'échafaud,
s'éprit pour elle d'un anjonr étr.inge et mystique :
il manilesta ses sentiments avec une telle témé-
rité que quelques mois plus tard (-i novembre)
11 fut guillotiné connue elle. L'attentat commis
par Charlotte Corday eut des conséquences fu-
nestes : il donna raison aux conseils des violents,
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1902
RÉVOLUTION FRANÇAISE
hâta rétablissement du régime terroriste; il lais-
sait Robespierre en présence de Danton. Marat
était utile en ce sens qu'il maintenait un certain
équilibre entre les deux autres triumvirs. Sa
sœur répétait plus tard que n Marat aurait sauvé
Danton. >•
Or, le 27 juillet, Robespierre entrait au Comité
de salut public en remplacement de Gasparin,
démissionnaire.
A ce moment la situation était au pire. Mayence
et Valencieiities succombaient ; Lyon était déjà
en pleine révolte.
Sous l'impression de ces nouvelles, la Conven-
tion porta le 2G juillet peine de mort contre
les accapareurs et décréta, dans sa séance du
1" août, une série de mesures terribles : confis-
cation des biens de toutes les personiies mises
hors la loi ; jugement de la reine ; destruction des
sépultures royales de Saint-Denis; cours forcé des
assigiiats sous peine des galères ; dévastation sys-
tématique de la Vendée, incendie des bois, des
taillis, des genêts, des " repaires de rebelles »
(c'est-à-dire des villes occupées par les insurgés).
Le 7 août, la guerre contre l'Angleterre prend un
caractère particulier de fureur par le décret qui
déclare Pitt « l'ennemi du genre humain. » La fête
du 10 août, par laquelle on célébra l'acceptation
de la constitution, eut un caractère de grandeur
triste et tragique qui exalta encore les imagina-
tions. Le 12 août, sur la [iroposition de Danton,
les SOOO délégués des assemblées primaires, venus
pour proclamer la ratification de la constitution,
sont investis de pouvoirs extraordinaires à l'effet
d'organiser la levée en masse.
La Montagne éiait bien maîtresse du pouvoir :
mais dans la Montagne même se manifestèrent
de nouvelles divisions, et la question vitale,
la création d'un gouvernement uni et fort, n'en
était pas plus avancée. On peut dire (iue, pen-
dant les trois mois qui suivirent l'expulsion des
Girondins, la défense nationale se trouva presque 1
sans direction. C'est avec des troupes levées
par eux-mêmes, en Daupliiné par Dubois Crancé, i
en Auvergne par Couthon, eu iN'ormandie par
Lindet, que les représentants en mission combat- |
talent les rebelles. Nantes se protégeait toute i
seule contre la Vendée. Les Autrichiens n'a- |
valent pas profité tout de suite de leur succès de
Valenciennes: ils s'attardèrent au blocus de Mau-
beuge et du Quesnoy, tandis que les Anglais as-
siégeaient Dunkerque ; mais ces forteresses prises,
toutes les armées ennemies pouvaient faire leur
jonction et marcher en masse sur Paris.
Dès juillet, Danton invitait le Comité de salut
public à se subordonner les ministères, à se
constituer en gouvernement. « Vous redoutez la
responsabilité, disait-il aux membres du Comité.
Souvenez-vous que, quand je fus membre du
conseil, je pris sur moi toutes les mesures révo-
lutionnaires. Je dis : que la liberté vive, et périsse
mon nom 1 »
Robespierre, à ce moment, ne voulait pas agir
contre les hébertistes. Depuis la mort de Marat,
Hébert, par son journal le fèi'e Diidiènn, avait
acquis une influence énorme sur l'opinion. Le
ministre de la guerre, Bouchotte, avait pour ad-
joint et pour secrétaire-général deux amis d'Hé-
bert, Ronsin et Vincent; et parmi les journaux
dont la Convention avait décrété l'envol gratuit
aux armées, le Fère Duchéne grâce aux ordres
donnés par Vincent, tenait le premier rang. Ro-
bespierre, quoiqu'il n'aimât pas Hébert et son
parti, ne se sentait pas assez fort pour renverser
l'idnle de la populace. D'autre part, il ne se sou-
ciait pas de constituer un gouvernement dans le-
quel il eût fallu partager le pouvoir avec Danton.
H ne voulait faire donner la dictature au Comité
de salut public que lorsqu'il n'aurait à y crain
dre ni la rivalité des hébertistes, ni celle des
dantonistes.
C'est seulement en août 1 793, quand Robespierre
eut pris la haute direction du Comité de salut
public avec ses amis Saint-Just et Couthon, quand
les dantonistes Thuriot et Hérault de Séchelles en
furent sortis, que les ressorts du pouvoir commen-
cèrent à se tendre. Carnot entre au Comité le 14
août, un peu malgré Robespierre : mais tout le
monde jugeait Carnot 1 homme nécessaire pour
la guerre, comme Cambon pour les finances.
Le ï3 août Barère vint à la Convention lire au
nom du Comité un projet de décret sur la levée en
masse. « La liberté, dit-il, est devenue créancière de
tous les citoyens ; les uns lui doivent leur indus-
trie, les autres leur fortune ; ceux-ci leurs conseils,
ceux-là leurs bras ; tous lui doivent leur sang.
Ainsi donc tous les Français, tous les sexes, tous
les âges, sont appelés par la patrie à défendre la
liberté. Toutes les facultés physiques ou morales,
tous les moyens politiques ou industriels lui sont
acquis ; tous les métaux, tous les cléments sont
ses tributaires. Que chacun occupe son poste dans
le mouvement national et militaire qui se prépare.
Les jeunes gens combattront; les hommes ma-
riés forgeront les armes, transporteront les baga-
ges et lartiUerie, propareront les subsisiances;
les femmes travailleront aux habits des soldats,
feront des tentes et porteront leurs soins hospita-
liers dans les asiles des blessés ; les enfants met-
tront le vieux linge en charpie; et les vieillards,
reprenant la mission qu'ils avaient chez les an-
ciens, se feront porter sur les places publiques;
ils enflammeront le cimrage des jeunes guerriers,
ils propageront la haine des rois et l'unité de la
république. Les maisons nationales seront con-
verties en casernes, les places publiques en ate-
liers ; le sol des caves servira a préparer le sal-
pêtre ; tous les chevaux de selle seront requis
pour la cavalerie, tous les chevaux de voiture
pour l'artillerie ; les fusils de chasse, de luxe, les
armes blanches et les piques suffiront pour le
service de l'intérieur. La républiciue n'est qu'une
grande ville assiégée, il faut que la France ne
soit plus qu'un vaste camp. »
En conséquence, il l'ut décrété que tous les ci-
toyens non mariés ou veufs sans enfants parti-
raient les premiers, et se rendraient immédiate-
ment au cbef-lieu de district, où ils s'exerceraient
chaque jour en attendant l'ordre du départ. Chaque
1 district formerait un bataillon dont le drapeau por-
terait cette inscription : u Le peuple français
debout contre les tyrans. « La réquisition fut à
1 l'ordre du jour. On recruta les armées avec les
réquisitions d'hommes, on les nourrit avec des
I réquisitions de vivres.
Partout aux frontières menacées, aux portes des
I villes rebelles, investis de pouvoirs illimités, le
sabre au côté, avec le panache et l'écliarpe trico-
lore, se montrèrent les représentants en mission.
i Sans distinction de partis, ces envoyés, qui por-
; talent avec eux l'enthousiasme ou la terreur, firent
I preuve d'un courage intrépide, domptant les mau-
vaises volontés, forçant les « aristocrates » à
nourrir, à équiper les armées, faisant le coup de
fusil comme des soldats, pointant le canon, cou-
chant sur la terre nue, marchant à l'assaut des
retranchements ennemis. 11 faut citer Merlin de
ThionviUe dans la défense de Mayence et la cam-
pagne de l'Ouest, Bourbotte en Vendée, Philip-
peaux qui pacifia et s^iuva .\ant6S, Briez qui résista
4U jours dans Valenciennes, Duquesnoy qui com-
battit à Wattignies, Chasles qui fut blessé d'un obus
au combat de Werwick, Baudot, J.-B. Lacoste, Le-
bas, Saint-Just aux armées du Rhin, Dubois-Craucé
à l'armée des Alpes, Soubrany, Milhau aux Pyré-
nées, Ricord, Salicetti, Robespierre jeune devant
I Toulon, Couthon devaut Lyon.
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1903 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
Oii fondit des canons avec les cloches des églises,
des balles avec le plomb des cercueils ; on fabri-
qua de la poudre en extrayant le salpêtre des
étables. Kourcroy, Monge, Bm-llioUet mettaient la
science au service de la liberté, inventaient de
nouveaux procèdes pour travailler le bronze, l'a-
cier, les poudres. Carnot trouva la seule tactique
qui conviiit il l'inexpérience des soldats et à
leur enthousiasme : la guerre toujours offensive,
l'élan par grandes masses, les attaques à l'arme
blanche. Assisté de deux autres membres du Co-
mité, Lindet et Prieur de la Cûle-d'Or, il fut,
comme on l'a appelé, l'organisateur de la victoire.
Il finit par mettre I 200 OUO hommes sur pied.
Cependant à Paris, le peuple, déjà irrité par
les nouvelles de la frontière, subissait une double
excitation : la cessation des alTaires avait amené
pour les ouvriers une misère inouïe ; littérale-
ment, ils manquaient de pain; ils ne recevaient
plus de salaire et le prix des denrées montait cha-
que jour. D'autre part, les royalistes, dans les théâ-
tres, dans la rue, affectaient de provoquer les sans-
culottes. Au Théâtre Français, ils applaudissaient
Paméla, où se trouvait un éloge de l'Angleterre ;
au théâtre du Lycée, Adèle de Sacy. qui était la
mise en scène de l'histoire de la reine. A ce mo-
ment arrive b. Paris la nouvelle de la perte de
Toulon, livré à l'amiral Hood.
Le 1" septembre, le club des Jacobins demanda
la création d'une armée révolutionnaire pour
l'extermination des ennemis de l'intérieur, et
l'établissemeiit du maximum.
Le 4 septembre, dès cinq heures du matin, la foule
se rassemble sur la place de Grève, en criant rf«/.o!rt .'
du pain! Une table est posée sur la place et l'on
signe une pétition à la municipalité : puis l'Hotel-
de-Ville est envahi à ce cri lugubre : du pain! Le
procureur de la commune, Chaumelte, court à
la Convention et en revient avec la promesse que
le prix du pain va être fixé. L'arrivée d'une dé-
putation du club des Jacobins achève de calmer la
foule : elle se disperse. Mais les Jacobins pren-
nent l'engagement do porter le lendemain une
pétition à la Convention.
Le 5, la Convention, présidée par Robespierre,
délibérait sur une proposition de Merlin de Douai
concluant à une organisation plus expéditive du
tribunal révolutionnaire, lorsqu'une dcputation de
la Commune se présente U la barre. Le maire
Pache dénonce les accapareurs; Cbaumette de-
mande l'organisation de l'armée révolutionnaire
qui parcourra les déparlements, accoai|iagnée
d'un tribunal et de la guillotine. A peine ont-ils
parlé, qu'une foule énorme d'hommes, de femmes,
d'enfants envahit l'assemblée, aux cris de Vive la
République! mort aux accapareurs.! La passion
populaire réveille celle de l'Assemblée. Moyse
Bayle, Billaud-Varennes, Bazire, Léonard Bourdon
se succèdent à la tribune. Danton y monte à son
tour, et d'une voix tonnante, aux applaudissements
du peuple, appuie toutes les motions révolution-
naires, propose de les formuler en décrets.
Thuriotessaie de modérer les violents : n LaFrance
n'est pas altérée de sang, s'écria-t-l; elle n'est
altérée que de justice, u Mais Barcrj projionce le
mot qui résume la situation : « Plaçons la terreur
à l'ordre du jour ! u
En effet, c'est de ce jour de colère et d'effroi
qiie date la Terreur. Coup sur coup la Convention
décrète : l'organisation d'une armée révolution-
naire, sorte de maréchaussée républicaine, qui sera
chargée do comprimer la contre-révolution, d'as-
Burer le service des subsistances et l'exécution des
lois ; la peine de mort contre quiconque trafiquera
(les assignats; la division du tribunal révolution-
naire en quatre sections, afin d'accélérer la jus-
tice; le renvoi des Girondins détenus devant ce
tribunal ; le rétablissement des visites domiciliai-
res et l'arrestation des suspects; l'épuration des
comités révolutionnaires ; une solde de trois livres
par jour aux membres de ces comités et de qua-
rante sous aux citoyens qui seront assidus dans
les sections. Ce formidable ensemble est complété
le n septembre par la loi des suspects. Cette loi
répute suspect quiconque s'est montré partisan de
la tyrannie ou du fédéralisme, quiconque ne jus-
tifie pas de l'accomplissement de ses devoirs civi-
ques, tous les ci-devant nobles qui n'ont pas fait
preuve d'un constant attachement à la République,
tous les fonctionnaires destitués. Le 29, la Con-
vention décrète l'établissement du maximum.
Une dernière fois, il est question d'adjoindre
Danton au Comité de salut public. Mais Danton,
qui venait de se remarier dans une famille royaliste,
répugnait au fardeau trop lourd du pouvoir. Il
était opposé aux mesures violentes : à la mort des
Girondins, dont on instruisait le procès, à la des-
truction de la Vendée, que Ronsin livrait alors à
l'extermination, sans vouloir distinguer entre les
insurgés royalistes et les communes patriotes qui
s'étaient défendues contre eux. (j'est par huma-
nité que Danton se perdait. Malgré son attitude
dans la séance du 5 septembre, on commençait à
soupçonner en cet orateur si violent le chef secret
des modérés.
La place que Danton laissait vide au Comité,
deux hommes nouveaux l'occupèrent en septem-
bre : Billaud-Varennes et Collot d'Herbois, qui
étaient comme la personnification de la Terreur,
qui allaient imposer aux répugnances de Robes-
pierre lui-même la continuation de ce régime. Ce
funeste renoncement de Danton marque un point
décisif dans l'histoire de la Révolution : il se
laissa mettre en dehors du gouvernement qu'il
avait fait constituer et, par aversion contre cer-
taines mesures de la Terreur, s'ôta tout moyen do
l'enrayer.
C'est à cette époque que le Comité de salut
public apparaît définitivement constitué tel qu'il
resta jusqu'en thermidor. Carnot, Lindet, Prieur
de la Côted'Or étaient chargés spécialement de la
guerre; ils formaient au Comité le groupe des
gens d'exaoïen ; Collot d'Herbois, Billaud Varennes,
de la direction des représentants en mission,
Barcre des rapports à l'Assemblée : ces trois
hommes formaient le groupe des yniis révolution-
yiaires; Prieur de la Marne et Saint-André étaient
presque constamment en mission; sur le tout pla-
nait la pensée politique du moment, le groupe
des qens de In haute main, Robespierre en trois
personnes, c'est-à-dire Robespierre, Saint-Just,
Couthon. Tel fut ce fameux Comité qui lut pen-
dant près d'une année l'effroi de l'Europe.
Le 14 septembre, le Comité de sûreté générale
avait été réornanisé. 11 se composait, à la fin de
179:), de Vadier, Lavicomtorie, Amar, Elle La-
coste, Dubarran, Jagot, Louis (du Bas-Rhin), Voul-
land, Moyse Bayle, et de deux amis de Robes-
pierre, Lebas et le peintre David. Le parti de
Robespierre dominait au tribunal révolutionnaire
avec le président Herman, le vice-président Dumas,
le juge Coffinhal, les jurés Duplay, Nicolas, Sou-
berbielle, Renaudin, Topino-Lebrun. Aux Jacobins,
depuis la retraite de la Gironde, il était si bien le
maître que plus tard il pourra faire rayer Ana-
cliarsis Cloots et que Danton et Camille Desmou-
lins ne pourront s'y maintenir que par sa protec-
tion. Dans la Commune de Paris, son autorité
était encore tenue en échec par les hébertistes.
Le 10 octobre, sur la proposition de Saint-Just,
la mise en vigueur de la constitution fut ajournée,
et le <c gouvernement révolutionnaire » décrété
jusqu'à la paix générale.
Revejions aux luttes militaires et voyons quel
fut sur les insurrections girondines et royalistes,
sur la Vendée, sur les opérations aux frontières,
RÉVOLUTION FRANÇAISE - 190i - RÉVOLUTION FRANÇAISE
l'effet de ces terribles mesures de o salut public. »
Les insurrections vaincues et 1 invasion re-
poussée. — Les insurreclions girondines ou
pseudo-giroÈidines furent assez facilement répr'
frontière des Alpes. Ses sommations demeurèrent
inutiles ; le bombardement, commencé le 24 août
1793, ne put réduire la ville. La Convention rem-
plaça Dubois-Crancé par Coutlion et le médecin
niées. A Caen, la garde nationale avait emprisonné Doppet. Coutbon lança sur Lyon la levée en masse
dans Is cliàteau les commissaires de la Convention des départements d'Auvergne, somma une der-
Romme et Prieur de la Côte-d'Or( juin). Comme ces nière fois les rebelles et, dans la nuit du S au
représentants partageaient les idées de concilia-
tion qui animaient alors Danton et ses amis, ils
éci-ivirent à l'Assemblée : « Confirmez notre arres-
0 octobre, emporta la ville d'assaut. Il laissa
échapper à travers ses lignes 2000 des plus dé-
sespérés, et cette conduite, qu'oji taxa d'indul-
tation et constituez-nous otages pour la sécurité gence, fit grand bruit h Par. s. Puis il institua une
des députés arrêtés à Paris. « Quelqu'un fit ob- commission militaire pour juger sommairement
server à la Conveniion que cette lettre leur avait , les insurgés pris les armes à la main et une com-
peut-être été dictée par contrainlo : « Vous vous [ mission civile pour exammer ceux qui étaient
trompez, répondit Coutlion; Romme serait libre , seulement égarés. Dans l'intervalle la Convention,
au milieu de tous les canons de l'iiurope. » C'est irritée des lenteurs du siège, avait rendu sur la
à co moment que la révolte change de caractère ; , proposition de Barère un terrible décret : on
que Wimpfen, appelé à Paris par le ministre de la i devait juger tous les contre-révolutionnaires,
guerre Boucliotte, lui répond qu'il ne pourra s'y détruire avec la mine et le canon les maisons des
rendre qu'accompagné de GOOUO hommes; que ^ riches; le nom de Lyon serait effacé et remplacé
Puisaye, accouru de Londres, prend le commande- par celui de Commune-AITranchie , un monument
nient en chef des forces insurrectionnelles. Elles , expiatoire érigé avec cette inscription : « Lyon
n'allèrent pas bien loin et rencontrèrent à Vernon ^ s'est révolté, Lyon a cessé d'exister. » Coutlion
les gardes nationales de l'Eure et quelques trou- continuait à user d'indulgence; il ne démolit, en
pes accourues de Paris : trois coups de canon, sans grand appareil, qu'une seule maison sur la place
atteindre personne, suffirent h disperser les re- BcUecourt. Il fut alors remplacé par Fouché et
belles. C'est cette échauffource qu'on appela cm- Collot-d'Herbois, qui commencèrent la démoli-
pliatiquenient la bataille de Vernon: elle eut lieu tion et employèrent la mitraille contre les cou-
le 13 juillet, le jour même où Charlotte Corday damnés.
poignardait Marat. L'insurrection normande tom- Le 16 décembre 1T93, Toulon, au pouvoir des
bait dans le ridicule : Lindet, envoyé de la Con- , Anglais depuis le 28 août, fut repris par le géné-
vention, ne jugea pas nécessaire de tourner les rai Dugommier, assisté de Bonaparte. Les repré-
clioses au tragique. Comme il était Normand lui- sentants du peuple Robespierre jeune, Ricord,
même, député de lEure, il s'employa à la pacifi- Salicetli, s'élancèrent à la tête des troupes et
cation du pays, fit traîner l'instruction contre les enlevèrent sous la mitraille les redoutes anglaises,
rebelles, garda les dossiers, malgré les réclama- Les Anglais ne quittèrent le port qu'après avoir
tiens de Fouquier-TinviUe, et réussit à éviter les , incendié la flotte française et les arsenaux. Robes
uesures de rigueur. C'est ainsi qu'il démentit le
surnom de la Hyène que lui appliquait si injuste-
ment Brissot
pierre jeune, qui avait surveillé les opérations
militaires, montra quelque indulgence ; mais Bar-
as et Fréron, qui lui succédèrent, furent implaca-
Les députés girondins, chassés de Normandie, ' blés. Ils changèrent le nom de Toulon contre
s'étaient embarqués pour Bordeaux, où Buzol
Barbaroux, Louvet, Guadet, Pétiou, Salles, essayé
rent d'organiser une insurrection vraiment giron
dine. Us échouèrent encore et furent obligés d'
celui de Port-de-la-Montagne ; on dut leur défen-
dre de traiter Marseille avec la même rigueur.
En Alsace, tandis que Landau était bloqué par
les Autrichiens, se formèrent des complots roya-
fuir. Tallien, commissaire de la Convention, sévit , listes pour livrer les forteresses. A Molsheim, les
cruellement contre leurs complices. Puis il lit tra- , prêtres réfractaires soulevèrent les paysans contre
quer, avec une meute de chien
dans les grottes de Saint-E
proscrits cachés les décrets qui ordonnaient la levée de 300 000 hom-
lion. Barbaroux, mes. Les rebelles, pris les armes à la main.
Guadet, Salles furent guillotinés l'année sui- , furent passés par les armes ou guillotinés. Le
vante à Bordeaux (juin-juillet IlOi). Buzot et Pé- i club des jacobins de Strasbourg, le maire Monet,
tion, mis hors la loi, errèrent quelque temps j l'ex-prètre autrichien Eulogius Schneider opposè-
dans la campagne; vers la même époque^ on ! rent le fanatisme révolutionnaire à celui des roya-
trouva leurs cadavres dans un champ, à moitié i listes et les domptèrent par la terreur : il y eut h
dévorés par les loups.
Marseille avait emprisonné les deux commis
Strasbourg 31 exécutions sous le procousulat de
Schneider. Quand Saint-Just avec Lebas fut en-
saires de la Convention, Bô et Antiboul. Là encore , voyé en Alsace, il destitua Schneider (U décembre
le mouvement girondin tourna bien vite au roya-
lisme. Rebecqui.de désespoir, se noya. Les roya-
listes se préparaient à livrer la ville aux Anglais
lorsque l'approche du général Carteaux rendit
courage aux patriotes qui, le 24 août, prirent les
armes, engagèrent la lutte contre les rebelles et
favorisèrent la reprise de la ville (2j août).
Lyon débuta le 29 mai par l'insurrection giron-
dine; Châlier, chef du parti populaire lyonnais, fut
guillotiné par les Girondins, le I" juillet ; puis les
royalistes s'emparèrent de la direction du mouve-
ment, expulsèrent les girondins Biioteau et Chasset,
mirent à leur tête les comtes de Précy et de Virieux,
1793;, l'exposa toute une journée sur l'échafaud,
lié au poteau de la guillotine, et l'envoya sous
escorte au tribunal révolutionnaire de Paris. La
terreur continua cependant : il y eut encore
G:' exécutions capitales; Saint-Just, en terri-
fiant les conspirateurs, réussit à approvisionner
les armées ; il faisait déchausser les a aristocrates »
de Strasbourg pour envoyer leurs souliers aux
soldats.
Le ;9 juin les Vendéens avaient fait une grande
perte; ils étaient sur le point d'enlever Nantes ;
Cathelineau, le « saint de l'Anjou », s'était déjà
glissé jusqu'à la place Viarmes; croyant la ville
organisèrent le massacre des patriotes, et entrèrent I prise, il s'agenouille et se met à dire son cha
en négociation avec le roi de Sardaigne. Dubois-Cran- i pelel. D'une masure voisine un cordonnier l'aper-
cé fut d'à bord délégué par le Comité de salut public
pour reprendre Lyon, avec ordre « d'épargner ceux
qui se soumettraient et de se montrer dur seule-
ment aux superbes ». 11 amena contre Lyon tout
ce qu'il put rassembler de troupes et de gardes
nationales dans l'Isère, forcé de dégarnir ainsi la.
çoit, l'ajuste et l'étend sur le pavé blessé i mort.
La Vendée venait d être frappée dans une de ses
forces vives ; son chef populaire allait être rem-
I placé par les chefs nobles : ils n'auront pas
: comme lui l'art d'entraîner les masses. La Vendée,
ayant échoué contre Nantes, n'avait pas de port,
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1903 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
■où elle pfit accueillir les Anglais. Dans les liindes
de Bretagne, dans les cliemins creux et les taillis
ilu liocage, la guerre continuait avec acliariie-
ment. L'incapacité de lionsiii, de Rossignol, de
Lécliello, paralysait la bravoure des K16bor, des
Westermann, des Marceau : la garnison de
Mayence, transportée en poste dans la Vendée et
i|ui s'était déjà illustrée sous le nom de co-
lonnes infeniales, fut écrasée h Torfou {19 sep-
tembre).
Au nord, les progrès de la coalition s'étaient
ralentis par les divisions des alliés. Le roi de
Prusse, après la prise de Mayence, était retourné
dans ses l'.tats pour surveiller l'ambition de Cathe-
rine II, et prendre sa part dans le second démem-
brement de la l'ologne. 11 ne laissait à Brunswick
qu'une partie de ses troupes pour appuyer
les opérations de l'Autrichien VVurmser contre
l'Alsace. En Flandre, (Jobourg avait encore lUOOOO
Autrichiens et York 50 OdO Anglais ou Hollandais.
Avec cette masse, ils auraient pu écraser l'armée
française réduite à 35 000 hommes. Mais Gobourg
•voulut d'abord prendre Cambrai, et Pitt enjoignit
au duc d'York de prendre Dunkerque.
Dunkerque était énergiquement défendue par
■Hoche. Houchard vint attaquer les positions an-
glaises à Hondschoote, livra bataille pendant trois
jours et contraignit le duc d'York à la retraite
(8 septembre! ; puis il se jeta sur les Hollandais
et les battit il Menin (18 septembre). Uiie panique
inexplicable s'empara à ce moment des troupes
républicaines : elle se replièrent en désordre sur
Lille. Le Comité de salut public, voyant qu'on
avait vaincu les Anglo-Hollandais, mais qu'on ne
les avait pas écrasés, jugea la victoire incomplète
ot renvoya Houchard devant le tribunal révolu-
tionnaire. Ce fut dès lors sa politique à l'égard des
généraux indociles ou malheureux : successive-
ment les généraux Custine, le 28 août 1793, Bou-
chard, le n novembre, Biron, le ;)1 décembre,
Beauliarnais, le 23 juillet ITUé, devaient monter
sur l'échafaud.
Le 25 septembre, le Comité de salut public
confia l'armée du Nord îi Jourdan ; celle du Rhin
à Uelmas, remplacé ensuite par Pichegru ; celle
de la Moselle à Moreau, qui aura pour successeur
Hoche, Jourdan, après avoir plusieurs fois refusé,
car, ainsi que le disait Kléber, un titre de géné-
ral était alors un brevet d'écliafaud, se résigna
à prendre lo commandement qu'on lui impo-
sait. Il rencontra les Autrichiens à VVattignies
et échoua d'abord dans l'attaque de leurs po-
sitions. Carnot était auprès de lui avec le
représentant Duquesnoy ; Carnot comprit qu'au
moment où l'Alsace allait être envahie, où
la grande armée vendéenne marchait sur la Loire,
tout était perdu si l'on ne battait pas les Autri-
chiens. Jourdan risqua le tout pour le tout; k la
faveur d'un brouillard épais, il dégarnit son centre
et sa droite, porta toutes ses forces à sa gauche.
Le 10 octobre il tenta un efl'ort désespéré sur la
droite des Autrichiens et remporta une victoire
complète. Elle coïncidait avec des succès dans la
Vendée, à Châlillon, le Tremblay, ChoUet, Beau-
préau.
Exécutions en octobre, novembre et décembre
1793. — 11 semblait qu'après les victoires de
Hondschoote et do Wallignies, la France était en
mesure de vaincre sans s'astreindre au régime de
la Terreur. Danton et ses amis le pensaient. Ro-
bespierre parut un instant incliner vers les indul-
gents ; on commentait la modération relative de
ses amis personnels : de Couthon ii Lyon on oc-
tobre, de son frère à Toulon et k Marseille en dé-
cembre; on la comparait avec la rigueur excessive
des représentants par lesquels le Comité de salut
public les avait remplacés. Un incident significatif
avait eu lieu le 3 octobre : Amar, du Comité de
2' Partie.
sûreté générale, apportait à la Convention son
rapport contre la Gironde ; d'un geste menaçant
il fit fermer les portes et proposa la mise en ac-
cusation de 73 Girondins qui, au lendemain du
31 mai, avaient signé une protestation contra
l'expulsion de leurs collègues. Ils allaient être
envoyés au tribunal révolutionnaire, lorsque Ro-
bespierre intervint, les sauva. « La Convention ne
doit pas multiplier les coupables, dit-il ; il suffit
des chefs ; s'il on est d'autres, le Comité de sû-
reté générale en présentera la nomenclature, n
Grâce à Robespierre, les 73 furent simplement
mis an état d'arrastation. Dans cette clémence
presque royale, plusieurs entrevirent un plan qui
aurait consisté à prendre appui sur la docilité de
la Plaine pour maîtriser la Montagne. Alors Col-
lot, Billaud, s'appliquèrent k démontrer au Comité
que sans la Terreur on ne pourrait ni contenir
les royalistes, ni assurer les réquisitions, ni main-
tenir la loi du maximum ot le cours forcé des assi-
gnats. Robespierre, s'il eut une velléité de clé-
mence, y renonça : il signa avec ses collègues lo
décret qui vouait Lyon à l'anéantissement.
Les exécutions continuèrent k Paris. Le jour
même où les Autrichiens étaient battus ;\ Watti-
gnies, la reine Marie-Antoinette montait sur l'é-
chafaud. Puis vint le tour des Girondins arrêtés
après le 31 mai et dont la détention était devenue
de plus en plus rigoureuse. Le 31 octobre, vingt
et un d'entre eux furent exécutés. Nul spectacle
plus cruel que de voir périr ainsi des hommes par
qui la royauté était tombée, par qui la Républi-
que avait été fondée, ceux qui furent les pères de
la patrie, les meilleurs de leur parti, car ils étaient
innocents des révoltes girondines, et plusieurs, par
respect pour la loi, avaient comme Socrato refusé
de quitter leur prison. Ce jour-là moururent Ver-
gniaud, dont l'éloquence avait tant de fois, en
1792, fait rentrer la terreur dans le palais des
rois, en 1793, apaisé les orages de la Conven-
tion ; Brissot, qui avait appelé l'Europe à la liberté
et qui employa ses derniers jours à rédiger un
mémoire sur l'émancipation des noirs ; l'évêque
Fauchet, qui le premier avait juré la constitution
civile du clergé et l'un des pramiers, danslafloM-
che de fe> . demandé l'abolition de la royauté ; Gen-
sonné, Valazé, Fonfrède, Ducos ettant d'autres, li-
bres esprits, grands citoyens, ardents patriotes,
humains et purs entre tous. Fidèles à leurs con-
victions philosophiques, ils refusèrent, sauf deux,
le ministère des prêtres et, la veille de leur exé-
cution, se réunirent dans un banquet fraternel,
le dernier repas des Girondins. Valazé, comme
le Romain C.aton, se perça le cœur d'un stylet.
Tous les autres allèrent au supplice, l'amour de
la République dans le cœur, la Marseillaise sur
les lèvres, inébranlables dans leur foi à la
France, au progrès, à la liberté. Quelques jours
après (8 novembre), M"»" Roland, condamnée à
mort, refusa lo poison que lui offrait une main
amie, voulut mourir au grand jour, souveraine-
ment dédaigneuse de ceux qui croyaient servir la
liberté par de tels attentats. Roland ne put lui
survivre : il quitta son asile de proscrit pour ne
pas compromettre son liote, alla se tuer sur la
grande route. On trouva sur lui un billet ainsi
conçu : " Qui que tu sois, toi qui me trouves gi-
sant, respecte mes restes : ce sont ceux d'un
homme vertueux. » Condorcet, l'auteur du pre-
mier plan d'éducation nationale, un des plus
grands esprits de ce temps, périra également par
suicide (9 avril 1791). L'extermination de la Gi-
ronde fut complétée par l'exécution de Rabaut-
Saint-Etienne et de Kersaint (décembre 1793).
On frappa aussi les vaincus du parti constitu-
tionnel : par une froide matinée d'automne , le
12 novembre, on amena au Champ-de-Mars, pour
expier le sang versé le 17 juillet 1791, l'homme
120
RÉVOLUTION FUANÇAISE — l'J06 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
la destruction du catholicisme, et le député alsa-
cien Rulil, à Reims, brisa de sa main la sainte-
ampoule. Par décret du IK novembre, les bâti-
menls affectes au logement des prêtres catholiques
furent transformés en écoles pour les enfants ou
en asiles pour les infirmes.
Robespierre voyait d'un œil inquiet ce mouve-
ment contre le culte catholique, qui se tentait en
dehors de son influence. Le 17, il dénonçait à la
Convention les exagérés en même temps que les
modérés, et le 21 il prononcaitaux Jacobins un grand
discours contre l'athéisme. Malgré ses efl'orts, la
Commune arrêta, le 2-3, que les églises de Paris
seraient fermées. Danton, qui était revenu à Paris
pour essayer avec ses amis de renverser la puis-
sance des Comités, avait intérêt à aider d'abord
ceux-ci à réprimer la Commune. Il se rapprocha
donc de Robespierre et, dans la séance du 26
novembre, flétrit les « mascarades religieuses ■>
organisées par les hébertistes. La Commune, in-
quiète de ce rapprochement, revint le 2.s novembre
sur son arrêté du 23. Dans l'intervalle, au cours
de la discussion sur l'organisation du gouverne-
ment révolutionnaire, Danton avait contribué à
faire prendre deux dispnsilions qui fortifiaient le
pouvoir central et limitaient celui de la Com-
mune : d'une part les procureurs-syndics, élus
par le peuple, devaient être remplacés par des
commissaires ou agents nationaux, nommés par
le gouvernement ; d'autre part on retirait aux com-
munes le droit de convoquer les comités révolu-
tionnaires. L'alliance momentanée de Robespierre
et de Danton fut encore marquée par un fait signi-
ficatif. Le club des Jacobins avait décidé qu'il
procéderait à l'épuration de ses membres : le :i
décembre c'était le tour de Danton. Vivement
attaqué, il fut éloquemment défendu par Robes-
pierre.
Robespierre alla plus loin dans sa campagne
contre l'athéisme. C'est grâce à lui qu'au plus
fort de la Terreur les cérémonies do l'Église ca-
tholique ne furent pas interrompues. On priait
pour Robespierre à Notre-Dame. La censure eut
l'œil ouvert sur les publications irréligieuses. Au
club des Jacobins, nous verrons Robespierre obte-
nir le maintien des évoques et des prêtres cons-
titutionnels sur la liste de la société, tandis qu'il
en fera rayer Anacharsis Cloots (12 décembre)
Danton s'était uni à Robespierre pour restrein-
dre l'autorité de la Commune et pour organiser
sur une base plus régulière le gouvernement ré-
volutionnaire. Il crut le moment venu de prendre
sa part du pouvoir qu'il avait contribué à créer.
Le 12 décembre, un de ses amis. Bourdon de l'Oise,
fit observer it la Convention que les pouvoirs des
comités étaient expirés et proposa le renouvelle-
ment du Comité de salut public. Après quelque
hésitation, l'Assemblée décida le lendemain que
les comités seraient maintenus : c'était ajourner
les espérances dos dantonistes.
Sur ces entrefaites, on eut des succès aux ar-
mées. Le 10 décembre Toulon était repris; la
grande armée vendéenne, après avoir franchi la
Loire et poussé jusqu'à Laval, était ramenée sur
Saveiiay et totalement anéantie par Marceau et
Kléber (23 décembre). En Alsace, Saint-Just.Lebas.
Lacoste, Dentzel, après avoir réorganisé les troupes
et placé Hoche à leur tète, les accompjgnèrent
dans le mouvement en avant. L'armée s'ébranla
au cri de Landau on la mort! Le soir même, la
bataille de Geisberg faisait tomber les retranche-
ments autrichiens , et le lendemain les Fran-
çais entraient dans Landau débloqué (26 décem-
bre).
Robespierre, les hébertistes. les dantonistes.
— Cette fois, la Vendée abattue et les frontières
reprises, rien ne pouvait justifie!' la continuation
du système terroriste- Il était une insulte à la vie-
dont la parole en juin 1789 avait fait reculer la
royauté toute-puissante, celui qui prêta le premier
le serment du Jeu de Paume, le premier présida
une .Vssemblée nationale et fut le premier maire
de Paris. Comme les mains du vieillard trem-
blaient : « Tu trembles! lui dit un des assistants.
— Mon ami, répondit paisiblement Bailly, c'est de
froid. »
Le culte de la Raison. —Vers cotte époque, se
produisit une curieuse tentative pour remplacer
l'ancienne religion comme on avait remplacé l'an-
cienne royauté. Le culte nouveau était celui de la
raison pure et celui de la nature. Romme, le h oc-
tobre, avait proposé une réforme du calendrier qu'il
avait préparée en collaboration avec les mathémati-
ciens Lagrange et Laplace. 11 supprimait le di-
manche et divisait le mois en décades; mais
l'austoe mathématicien ne voulait désigner les
mois que par des termes abstraits : Justice, Ega-
lité, etc. Le littérateur Fabre d'Eglaniine ren-
dit son idée plus populaire, trouva les noms poé-
tiques des mois révolutionnaires : vendémiaire,
brumaire, frimaire; — nivùse, pluviôse, ventôse;
— germinal, floréal, prairial ; — messidor, thermi-
dor, fructidor. L'ère nouvelle datait du 22 sep-
tembre 1792, jour de la fondation de la Républi-
que. Le calendrier de Romme, amendé par Fabre,
devint le calendrier officiel (24 octobre).
Le but de Romme était surtout la destruction
du catholicisme ; pour fonder le culte de la Rai-
son, il s'unit h Chaumette et à Anacharsis Cloots,
(i l'orateur du genre humain », le cosmopolite qui
voulait donner le Rhin à la France et lui ouvrir
l'Allemagne. Chaumette, ordinairement confondu
dans le parti d'Hébert, valait mieux que lui :
c'est sous ses inspirations que la Commune de
Paris fit pour le peuple tant de choses humaines
et grandes, assainissant les hôpitaux, réformant
le régime de Bicêtre, créant le premier hospice
de maternité, adoptant les enfants trouvés et ceux
des suppliciés, recueillant les indigents, les in-
firmes et les vieillards, cherchant à élever l'es-
prit du peuple par l'amour des arts, fondant le
Conservatoire national de musique. Chaumette
voulait associer à la religion nouvelle l'avènement
d'une politique d'humanité ; il avait sauvé les
domestiques de Louis XVI et commençait à ré-
sister aux dénonciations. Il demandait tout d'abord
que l'btat ne subventionnait plus aucun culte :
l'État ou la commune recevait le citoyen à sa
naissance, sanctionnait soti mariage, l]onorait ses
funérailles ; déjà c'était un usage établi à Paris
que l'égalité des enterrements: sur le cercueil du
riche comme du pauvre, on jetait non pas le fu-
nèbre drap mortuaire, mais le drapeau de la sec-
tion aux couleurs éclatantes, le drapeau de la
patrie à l'ombre duquel, citoyen, il avait vécu,
et, soldat, combattu. La Convention se prêta d'a-
bord aux idées des novateurs : elle reçut les vases
sacrés, statues de saints, châsses, chasubles, qu'on
enlevait aux églises et qu'on lui amenait par
charretées. Le 7 novembre, elle accueillit Gobel,
l'évèque constitutionnel de Paris, qui vint avec
tout son clergé donner sa démission do prêtre.
Elle toléra pourtant les protestations de l'évêque
Grégoire qui, jusqu'à la fin, en pleine Terreur,
sur les bancs de la Montagne, siégea en bas vio-
lets et en camail.
Le 10 noveiubre la fête de la Raison fut célébrée
en grande pompe à Notre Dame : on y chanta un
hymne dont Chénier avait composé les paroles et
Gossec la musique. La Raison, en robe blanche,
en manteau bleu, avec le bonnet rouge, représen-
tée par M'" Maill.ird, une artiste fort estimée, fut
menée sur un char triomphal à la Convention et
y reçut, au nom du peuple français, l'accolade
du président. Les départements avaient précédé
Paris : les représentants en mission favorisaient
i
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1907 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
toire, ^ la fnrtune de la France. Ainsi que Collot
d'Ucrbois l'écrivail indigné à la Convention, au
bi'uil do ses mitraillades de Lyoji, il y eut h ce
moment « un grand complot pour demander l'am-
nistie. » Le i:i décembre, une députation de fem-
mes viennent h la Convention pleurer, prier pour
leurs maris. Le 18, le robespierriste Levasseur, en
mission dans la Vendée, proclame une amnistie
pour ceux des Vendéens qui n'étaient qu'égarés.
Le même jour, la Convention accueillait avec fa-
veur une pétition des patriotes lyonnais deman-
dant grâce pour leur malheureuse ville. Le '20, les
fe limes reviennent, et Robespierre propose de
nommer des commissaires « pour rcclierclier les
patriotes qui auraient pu être incarcérés et que
les comités pourraient élargir. » Sur ses conclu-
sions, l'Assemblée décréta l'établissement d'un
K comité de justice. » C'était un premier pas hors
de la Terreur.
Qu'est-ce qui empêcha Robespierre de s'aban-
donner à ce grand courant de générosité, de suivre
sa propre inspiration , d'e.xaucer le vœu de ses
propres partisans'? Le club des Jacobins, qui était
comme le régulateur de la Révolution, lui était
dévoué absolument, au point de suivre l'impulsion
qu'il voudrait lui donner dans un sens ou dans
l'autre. Pourquoi hésita-t-il à fermer ce gouffre
béant des haines civiles, qui allait engloutir les
meilleurs de la Montagne, le dévorer lui-même ?
Il eut peur! peur d'être déborde par les violents,
supplanté par les modérés ; peur des terroristes,
de Collot d'Herbois qui arrivait do Lyon pour dé-
noncer le complot de clémence ; peur de Camille
Desmoulins, qui, dans les premiers numéros du
Vieuj: Cordelier, implorait Robespierre, qui vou-
lait le compromettre dans la politique d'humanité,
et derrière lequel on entrevoyait Danton.
Alors Camille Desmoulins, que Robespierre mé-
nageait pourtant et qui grâce à lui venait d'être
maintenu aux Jacobins (14 décembre), entra en
lutte avec lui. Dans le n» 3 du Vieux Currietier,
il compare le gouvernement do la France à la tyran-
nie décrite par Tacite; dans le n° 4, au comité de
jiKtice demandé par Robespierre, il oppose un co-
mité de clémence; il demande qu'on ouvre Ids
prisons: « Voulez-vous, s'écriait-il, que je l'adore,
votre constitution, que je tombe à genoux devant
elle'? Ouvrez la porte à ces •iOO,OOU citoyens quo
vous appelez suspects. » Dans le n" ô du Vieux
Coi-delier (25 décembre) il fit une charge à fond
contre ces deux génies de la terreur, Collot et Ba-
rère ; contre Hébert, qui aurait détourne les fonds
de la guerre pour payer son Père Duclténe et
dont les amis auraient fait écraser en Vendée
l'armée de Mayence ; contre les familiers de Ro-
bespierre, contre l'imprimeur Nicolas. Dans les
numéros suivants, il s'attaquait à l'incorruptible
lui-même, le comparant, injure suprême, au giron-
din Brissot. Fabre d'Eglantine, le véritable meneur
de cette campagne contre la politique du Comité
de salut public, ne montra pas moins d'audace :
on croit qu'à cette époque il écrivait une comédie
politique, dont les variations de Robespierre fai-
saient les frais. Fabre et Philippeaux devenaient
embarrassants par l'acharnement qu'ils déployaient
contre les hébertistes : la Convention retentissait
de leurs accusations contre Hébert, Vincent, Ron-
sin. Rossignol : les Jacobins étaient fatigués des
accusations d'Hébert et de Collot contre Fabre,
Philippeaux, Camille Dosmoulins.
A ce moment la situation peut se résumer ainsi :
la devise des hébertistes, c était la Terreur ; celle
des dantonistes, la Clémence. Robespierre et le
Comité de salut public essayaient de se maintenir
entre ceux qu'ils appelaient les exagérés et les
modérés, en prenant pour mot d'ordre : la Justice.
Or le Comité était attaqué à la fois par les danto-
nistes et par les hébertistes, dont une députation,
pour mieux l'atteindre, venait demander à la Con-
vention la mise en jugement des 73 Girondins.
Collot était revenu de Lyon : il apportait le mou-
lage de la tète de Chàlier, reproduisant la triple
entaille de la maladroite guillotine des Giron-
dins; le suicide d'un autre patriote lyonnais,
Gaillard, qui, en entendant parler de clémence,
avait «désespéré de la Révolution », ajoutait encore
à la surexcitation. Contre la trinité des « gens ré-
volutionnaires ", reconstituée au sein du Comité
par l'arrivée de Collot, Robespierre se voyait isolé,
ne savait où prendre un point d'appui. Il dut subir
à la Convention la semonce de Billaud, qui, ap-
puyé de Collot et Barêre, fit rapporter le décret
du "20 décembre établissant le comité de justice
C-'G décembre).
Les Jacobins, sous l'influence de Collot, étaient
revenus aux idées terroristes. Pendant trois séan-
ces, ils examinèrent les numéros du Vieux Corde-
l'C'', et le 10 janvier prononcèrent l'exclusion de
Camille Desmoulins. Robespierre intervint alors
et le fit maintenir pour la seconde fois. En revan-
che, il dénonçait aux Jacobins Fabre d'Eglantine,
qui, le 13 janvier, était arrêté par ordre du Comité
de sûreté générale comme complice de Chabot
dans une affaire de concussion. D'autre part, Ronsin
et Vincent, arrêtés en décembre sur une dénon-
ciation de Fabre qui fut reconnue fausse, étaient
mis en liberté le 2 février.
Robespierre, malgré lui, se trouva donc ramené
dans la Terreur, et dans la Terreur il allait trou-
ver la toute-puissance.
H s'était fait déj,\ beaucoup d'ennemis dans la
Convention ; prodigue de dénonciations vagues et
meurtrières, on l'avait vu attaquer non seulement
Fouché et Tallien, si méprisables, mais Merlin de
Thionville, qu'il accusait d'avoir reçu de l'argent
pour rendre Mayence; mais Dubois-Crancé, qui
aurait trahi devant Lyon ; mais Lindet, qui aurait
innocenté le fédéralisme; mais Briez. qui avait le
tort de n'être pas mort dans Valenciennes ; mais
Philippeaux, traité de modéré pour ses attaques
contre les généraux hébertistes ; Bourbotte, traité
d'aristocrate; un jour même il traitera Cam-
bon de fripon. Il faisait le procès aux représen-
tants en mission, anticipant ainsi sur la réaction
de 1795. Lui qui couvrait de sa protection les 73
Girondins, semblait n'en vouloir qu'aux Monta-
gnards. Son ami David disait : « Je crois que nous
ne resterons pas vingt membres de la Montagne. »
Robespierre, avec son esprit étroit et soupçon-
neux, ne comprenait qu'un coté de cotte Révolu-
tion, alors si complexe, si vivante, qui remuait
tous les problèmes Ji la fois, le problème religieux
avec Cliaumette, le problème européen avec Cloots,
le problème social avec Jacques Roux ; cette lave
enflammée d'idées et de passions, il entreprit de
la figer avec la Terreur jacobine; il prétendit faire
une Révolution à son image, sèche, froide, négative ;
élève des prêtres, dans son fanatisme à rebours, il
voulut l'enfermer en un dogme, épurant, comme
il disait, les personnes et les doctrines, traitant
en hérétique tout ce qui était en deç.\ ou au delà
de son orthodoxie, usant de la guillotine comme
l'Eglise avait autrefois usé du bûcher, jalousant à
la fois les généraux victorieux, les penseurs, les
orateurs, citant toutes les manifestations séditieu-
ses del'idée révolutionnaire devant un concile à lui,
le club des Jacobins; provoquant les radiations
comme des excommunications, sachant d'avance
que l'anathème jacobin serait ratifié par le bras
séculier, c'est-à-dire par le tribunal révolution-
naire. 11 s'appuyait sur les Jacobins pour asservir
la Montagne; car il faut bien distinguer ces deux
termes que l'on confond ordinaireinent.La Montagne
était la Révolution même ; dans la variété infinie
de ses représentants, elle en personnifiait toutes
les aspirations; les JacoLiins au contraire étaient
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1908 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
devenus, sous l'influence de Robespierre, une
secte, une petite église. Carnot, Cambon, Danton,
Desmoulins, Merlin de Tliionville étaient des Mon-
tagnards, et non des Jacobins. Leur puissante
nature dépassait l'honnête médiocrité du club :
ils lui étaient suspects. Robespierre, probe et
pauvre, incorruptible et impeccable, défiant de toute
supériorité, était au contraire l'homme des Jaco-
bins, et c'est à leur mesure qu'il entendait mesurer
la Révolution.
Cliose singulière, Robespierre, au temps de sa
plus grande puissance, quand il dominait la Con-
vention parla terreur, se sentait dépendant de la
Convention, car elle était la Loi! 11 ne la décima
que par les lois qu'elle consentit h. voter. C'est lé-
galement qu'il perdit les hébertistes, les danto-
nistes, tous ses ennemis. Il ne gouverna jamais
que par la majorité, n'administra que par la loi,
n'agit que par la parole et la discussion, par les seuls
moyens autorisés dans l'Etat le plus libre. Il eut,
dans les plus grandes violences, dans les situa-
tions les plus extrêmes, des scrupules de légalité.
Sa dictature fut toute d'opinion, de persuasion,
d'autorité morale : elle fut une sorte de pontificat
entre les mains d'un homme « vertueux », « sensi-
ble », fervent disciple de Jean-Jacques Rousseau,
croyant sincère de l'Etre suprême et de l'immor-
talité de l'àme. Le jour où la Convention, c'est-à-
dire la Loi, se retira de lui, il se laissa mourir,
plutôt que de recourir à un coup d'Etat, h la force
les tribunaux d'Angleterre n'ont-ils égorgé per-
sonne cette année? Et Reader, qui faisait rôtir les
enfants des Belges! Et les cachots de l'Allemagne
où le peuple est enterré! on ne nous en parle
point '? Parle-t-on de clémence chez les rois de
l'Europe? Non! ne vous laissez point amollir! »
Puis se retournant contre les terroristes : u Que
de traîtres ont échappé à la Terreur, qui parle, et
n'échapperaient point à la Justice, qui pèse les
crimes dans sa main ! La Justice condamne les
ennemis du peuple et les partisans de la tyran-
nie parmi nous à un esclavage éternel : la Terreur
leur en laisse espérer la tin. » Dans la bouche
de Saint-Just reparaissait la menaçante formule
de Robespierre : l'épuration : a La société doit
s'épurer, disait-il. Qui l'empêche de s'épurer la
corrompt. Qui la corrompt veut la détruire. »
C'était l'annonce do la guillotine on permanence.
Les Hébertistes furent les premiers qui se pla-
cèrent imprudemment sous le couteau. Le club
des Cordeliers, où ils étaient devenus prépondé-
rants, voila d'un crêpe la Déclaration des droits.
Leurs orateurs, Vincent, Hébert, Boulanger, Mo-
moro, attaquent les Comités. Carrier, revenu de
Nantes, propose contre eux une « insurrection
morale >•. Ronsin, le général de l'armée révolution-
naire, traîne son sabre dans les rues de Paris.
Robespierre cependant était revenu au Comité. Le
13 mars, un coup de foudre tomba sur eux : le rap-
port de Saint-Just dénonçant le <> parti de l'étraji-
illcgale. Ace point de vue, il fut un personnage 1 ger». Le soir, ils étaient tous arrêtés par Hauriot.Us
presque unique dans Ihistoire. Exerçant la plus
effroyable tyrannie, il resta un citoyen, de même
que l'homme de la Terreur resta un philanthrope.
Le â février, Robespierre lut ;i la Convention
un rapport où il signalait les deux factions extrê-
mes qui menaçaient la République : « L'une nous
pousse aux excès et l'autre à la faiblesse ; l'une
veut changer la liberté en bacchante, l'autre en
prostituée. » Il définissait la Terreur en ces ter-
mes : " Elle n'est autre que la justice prompte,
sévère, inflexible. » Peu de jours après, Robes-
pierre et Couthon tombèrent malades, ne parurent
de quelque temps ni à la Convention, ni aux Comi-
tés. Les hébertistes profitèrent de leur absence :
aux Cordeliers, ils déclamèrent contre la Conven-
tion, contre les Comités et contre u les hommes
usés », Robespierre et Couthon. Mais le 2ô février,
le troisième membre de la trinité robespierriste,
Saint-Just, revint d'.ilsace : d'abord il tenta de
désarmer les hébertistes, offrant à Vincent une
place de commissaire-ordonnateur à l'armée du
Nord et k Rons,in un poste de général aux frontiè-
res. Sur leur refus, il les attaqua le lendemain à la
Convention, dans un discours qui dut leur donner
le frisson : tout eu déclarant qu'il ne connaissait
que la Justice, la définition qu'il en donnait faisait
pâlir la Terreur hébertiste, car, sous le nom de
Justice, sa- Terreur à lui était érigée en système
permanent et régulier de gouvernement.
D'ailleurs, Saint-Just menace à la fois les mo-
dérés et les exagérés : il se plaint qu'on ne punit
point les coupables, et les danionistes à leur tour
commencent à ne plus se sentir innocents. Le
Vieux Cordelier savait bien que c'était i lui que
s'adressaient ces paroles : « La cour pendait dans
les prisons ; les noyés que l'on ramassait dans la
Seine étaient ses victimes; il y avait 400,000 pri-
sonniers ; on pendait par an 15,000 contreban-
diers ; on rouait 3000 hommes ; il y avait dans
Paris plus de prisonniers qu'aujourd'hui... l'ar-
courez l'Europe ; il y a en Europe quatre millions
de prisonniers dont vous n'entendez pas les cris...
Citoyens, par quelle illusion vous persuaderait-on
que vous êtes inhumains? Votre tribunal révolu-
tionnaire a fait périr trois cents scélérats depuis un
an 1 Et l'inquisition d'Espagne n'en a-t-elle pas
fait plus? Et pour quelle cause, grand Dieu! Et
furent traduits devant le tribunal révolutionnaire
comme « agents de l'étranger »; bien mieux,
comme royalistes! Pour donner couleur i\ leurs
prétendues relations avec l'étranger, on leur ad-
joignit le Belge Proly, le HoUanduis Rock, père
du célèbre romancier Paul de Kock, qui avait
appelé les Français pour la délivrance de son
pays et levé pour nous une légion batave, Ana-
charsis Cloots, cet Allemand qui avait voulu la
réunion des provinces du Rhin k la France et prê-
ché la république universelle. Un de ses derniers
mots fut celui-ci : « France, guéris-toi des indivi-
dus », trop justifié parla dictature de Robespierre,
par celle de Bonaparte.
Le 24 mars, exécution de vingt et un hébertistes.
Sur l'échafaud, les pires d'entre eux furent tou-
chés comme d'un rayon d'en haut. Ils montrèrent
bien qu'on les avait calomniés en les accusant de
royalisme, a Ce qui me tue, disait Hébert, c'est
que la République va périr. — Non, répondit
Honsin : elle est immortelle I »
Ayant frappé ce coup sur les exagérés, il était
trop évident que les Comités en allaient frapper
un autre sur les indulgents. Ceux-ci crurent d'a-
bord que la ruine des hébertistes allait profiter à
leur propre parti. Le 19 mais. Bourdon de l'Oise
avait fait rendre à la Convention un décret ordon-
nant l'épuration delà Commune de Paris ; le lende-
main, il fit voter l'arrestation de Héron, agent du
Comité do sûreté générale; mais, sur l'interven-
tion de Robespierre et de Couthon, la Convention
rapporta le décret d'arrestation. Cependant, les
dantonistes semblaient près d'être maîtres de la
situation: Tallien venait d'être porté à la prési-
dence de la Convention, Legeudre à celle des Ja-
cobins. Les Comités se sentent menacés, et Robes-
pierre se décide à frapper Danton. Dans la nuit
du 29 au 30 mars, les deux Comités signent à l'una-
nimité des membres présents, moins Lindet, l'or-
dre d'arrêter les dantonistes. Danton, qui habitait
à Sèvres, avait été averti de ce qu'on tramait con-
tre lui : a Eh bien I répondit-il, j'aime mieux être
guillotiné que guillotineur. » Il pouvait fuir, se ca-
cher. « Bah ! dit-il, est-ce qu'on emporte la patrie
i la semelle de ses souliers » ? Desmoulins aussi
se sentait menacé : déjeunant un jour avec Brune,
il lui dit en latin, pour n'être pas entendu de sa
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1909
REVOLUTION FRANÇAISE
fommc : n Mangeons et buvons, car demain nous
mourrons. «
Le 31 mar?, Danton, Dusmoulins, Lacroix, Plii-
lippcaux, sont arrêtés, conduits au Luxembourg,
où ils irouvont déjà Hérault de Sécbelles, arrêté
SOIS la jmWention d'avoir cache un émigré, Fabro
d'figlantiiie, Tliomas Payne, puisa la Conciergerie,
où ils retrouvent Chabot, Bazire, Westermann.
Le iirocès qu'on fit aux dantonistes fut dans
la manière ordinaire de Robespierre, qui voulait
déshonorer ceux qu'il faisait mourrir. Pour faire
croire à l'accusation de vol, on leur avait adjoint
quelques hommes tarés; et, de môme que pour
les liébortistes, quelques étrangers : l'Allemand
Frey, l'Espagnol Gusman, le Danois Diedriksen.
Les jurés du tribunal révolutionnaire furent triés
avec soin, la défense étouffée, tous les procès-
verbaux mutilés ; mais malgré If^s falsifications, ils
témoignent de la fière attitude des accusés. Quand
le iirésident Herman lui posa les questions d'usage,
Danton répondit : « Mon nom est Danton ; mon
âge, trenie-ciiiq ans ; ma demeure sera demain le
néant; mon nom restera au Panthéon de l'histoire.
— Et moi, dit son ami, je suis Camille Desmoulins ;
trente-trois ans ; l'âge du sans-culotte Jésus. » Les
j'irés eux-mômes furent émus devoir devant eux
l'homme qui avait fait le 20 juin, le 10 août, ren-
versé la royauté, lancé la guerre des peuples, et
celui qui, en juillet 1789, avait mené le peuple à
la Bastille et, en 1791, demandé l'un des pre-
miers la République. Topino-Lebrun prit à part
un de ses collègues dont le cœur défaillait, et,
invoquant la raison d'État : « Ceci n'est pas un
procès, lui dit-il, c'est une mesure. Deux hommes
sont impossibles; il faut qu'un périsse. Veux-tu
tuer Robespierre ? — Non ! — Eh bien, par cela
seul, tu viens de condamner Danton. «
Danton, dans sa prison, n'eut qu'un regret, sa
jeune femme, qu'un souci, l'avenir do la Répu-
blique : " Encore si je laissais mes jambes à Cou-
thon et mon énergie à Robespierre, dit-il, cela
pourrait marcher quelque temps. » Sur l'échafaud,
comme le bourreau l'empêchait d'embrasser Hé-
rault : <t Imbécile, lui dit Danton, tu n'empêcheras
pas nos tètes de se baiser dans le même panier.»
Camille regarda le couteau sanglant : « Digne ré-
compense, dit-il, du premier apôtre de la liberté ; »
et il chargea le bourreau de faire parvenir à sa femme
une mèche de ses cheveux. Quand ce fut le tour
de Danton : « Tu montreras ma tête au peuple,
dit-il àl'exécuteur. Elle en vaut la peine » {5 avril).
La mort de Danton fut le crime inexpiable de
Robespierre et de ses amis. En détruisant les dan-
tonistes et même les liéberti-tes, ils avaient tué
deux forces vives de la Révolution. De ce moment
date le commencement de la réaction; elle se pour-
suivra contre Robespierre lui-même en thermidor;
contre les vainqueurs de Robespierre après ther-
midor, jusqu'à ce qu'elle aboutisse au Consulat,
à l'Empire, à l'extermination de cinq millions de
Français. Quand les vivaces partis dont se com-
posait la Convention eurent été décimés. Giron-
dins au 31 mai, hébertistes au 24 mars, danto-
nistes au5-avril, robespierristes en thermidor,
les derniers Montagnards en prairial, la Révolution
se trouva décapitée; les vaillants qui avaient siégé
aux Comités, les représentants qui avaient con-
duit les armées à la victoire, les pères de la Ré-
volution, les héros de la République étaient morts :
le reste n'avait plus qu'à fléchir devant un maître.
Robespierre, à son insu, travaillait pour Bona-
parte.
^ Dictature de Robespierre. — Le lendemain de
l'exécution, Couthoii vint dire à la Convention :
'i Nous pi'éparons une fête à l'Être suprême «.
Le mot fit horreur à la droite, comme à la Mon-
tagne. Une fête entre l'échafaud de Danton et
celui où montèrent, les jours suivants, Chau-
mette, l'apôtre de la Raison, Lucile Desmou-
lins, la veuve de Camille, Gobel, sur qui Robes-
pierre semblait venger les injures du catholicisme,
Lavoisier, dans lequel on frappait l'esprit même
du siècle, l'esprit scientifique, ce fidèle auxiliaire
de la Révolution, Malesherbes, qui avait été le
collaborateur de Turgot dans les réformes do 1774!
Le froid fanatisme de Robespierre se doublait alors
de celui de Saint-.Iust: Saint-Just, avec sa raideur
jacobine, sa volonté inflexible, son inexpérience de
jeune homme, .sa fausse éducation classique, n'en-
tendait rien à ces choses vivantes, la France, la
Révolution. 11 disait: « Le monde est vide depuis
les Romains. » Son idéal, c'était Lycurgue, la pu-
reté, la pauvreté Spartiate. Il rêvait un progrès
qui eût été un retour à la barbarie, ne voulant ni
industrie, ni commerce, ni monnaie : il était en
lutte sourde avec Cambon. Il eût si bien épuré
que rien ne serait resté de la Montagne, ni de la
France. Cette étroitesse, cette sévérité d'inquisi-
teur ou de tyran effrayait parfois Robespierre.
« Il y a en lui du Charles IX, » disait-il. Collot et
Billaud n'étaient pas moins implacables; Billaud
fit rendre le 10 avril ce décret : a La Con-
vention nationale déclare qu'appuyée sur les vertus
du peuple français, elle fera triompher la Répu-
blique démocratique et punira sans pitié tous ses
ennemis. » On avait fait bien du chemin depuis
décembre 1793, lorsque Robespierre parlait de
justice et Desmoulins de clémence ; le mot d'ordre
était maintenant celui de Billaud : « sans pitié. »
Robespierre usa de sa victoire pour achever d'as-
seoir son autorité. La Commune, débarrassée de
Pache, de Chaumette et d'Hébert, fut toute à lui:
pour maire et pour agent national deux de ses créa-
tures, Fleuriot-Lescot et Payan. A la dictature, il
allait joindre le pontificat. Il était pontife d'une nou- ■
velle religion d'Etat : le 7 mai, jour de l'exécu-
tion de Lavoisier, il prononça un long discours
rentre l'athéisme et le fanatisme, et fit voter le
célèbre décret : « Le peuple français reconnaît
l'existence de lEtre suprême et l'immortalité de
l'âme.» Le fidèle disciple de Rousseau, tout en dé-
clamant contre les prêtres <• qui sont à la morale
ce que les charlatans sont à la médecine, » deve-
nait l'espérance de l'ancienne religion, puisqu'il
rendait les églises aux catholiques, autorisait la
célébration du dimanche : celle du décadi tombait
en désuétude. Comme il avait guillotiné Cloots et
autres apôtres de la guerre des peuples, comme il
arrêtait l'invasion de l'Italie, et retardait la chute du
pouvoir temporel, il apparaissait à l'Europe
comme un homme de gouvernement, le modéra-
teur de la Révolution, conservateur au dehors
comme au dedans, éloigné de toute folie révolu-
tionnaire.
Tout semblait le pousser à la dictature ; Saint-
Just disait : « Il faut un dictateur. i> Pour en
arriver là, un seul obstacle, la Montagne : la Moii-
tagne commença à trembler. Robespierre avait
forcément contre lui plusieurs sortes d'hommes :
les corrompus, comme Tallien ou Fouché, qui
redoutaient sa justice ; les amis d'Hébert et de
Danton, qui voulaient les venger ; les indépen-
dants, comme Ronime ou Soubrany, qui crai-
gnaient pour la liberté; les membres des Comités,
qui commençaient à trouver sa tutelle trop pe-
sante : il avait alors contre lui tout le Comité
de salut public, sauf Couthon et Saint-Just, et
presque tout le Comité de sûreté générale. Ces
sentiments éclatèrent à la fête de l'Etre suprême,
le 8 juin : ses collègues, après l'avoir élevé à la
présidence de la Convention, affectèrent de le lais-
ser bien en avant d'eux pour signaler » le grand-
prêtre » aux soupçons du peuple. Ils répétèrent ce
mot d'un sans-culotte : « Il n'est pas content d'ê-
tre maître 1 II lui faut encore être Dieu ! »
Beaucoup espéraient que cette fête serait le
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1910 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
coniraeiiccinent de la clémence et que la guillo-
tine, un mcment retirée, ne reparaîtrait plus.
Tout au contraire, le surlendemain, Robespierre
et Couthon, au nom des Comités, mais sans les
avoir consultes, faisaient voter la loi du 22 prai-
rial (10 juin), qui ordonnait à tout citoyen de dé-
noncer les conspirateurs et l'autorisait h les
arrêter, qui supprimait toutes les formalités de
jugement et déclarait suffisante la preuve morale ;
la mort devenait la peine unique pour tous les
délits jugés par le tribunal révolutionnaire. Bour-
don de l'Oise voulut y introduire un article qui
donnait une nouvelle consécration au droit que
la Convention avait seule de mettre ses membres en
accusation ; Coutlion et Robespierre obtinrent que
cette réserve no fût pas rappelée : Robespierre apos-
tropha Bourdon de telle sorte que ce député en
fut malade pendant un mois. A partir de ce jour, il
y eut un redoublement de terreur dans le pays et
dans l'Assemblée. Soixante députés ne couchaient
plus dans leur domicile. On exécutait par fournées
de quarante ou cinquante. Paris ne cachait plus
son dégoût : il fallut transporter la guillotine de la
place de la Révolution à la barrière du Trône, ou-
vrir de nouveaux cimetières.
Robespierre, à la suite d'une scène violente
avec Billaud qui lui reprochait d'avoir présenté,
sans consulter ses collègues, « le décret abomi-
nable qui faisait l'effroi des patriotes, » et de
vouloir « guillotiner la Convention nationale, u
cessa de paraître au Comité de salut public.
Les Comités profitèrent de son absence pour
jouer ce jeu cruel d'exagérer la l'erreur afin do ren-
dre Robespierre plus odieux. Une jeune ouvrière
ayant été surprise chez lui avec deux petits cou-
teaux, on impliqua dans l'affaire cinquante-qua-
tre personnes, qu'on revêtit pour l'exéLUtion du
manteau rouge des parricides. En longue file, au
pas lent des charrettes, le funèbre et rouge cor-
tège traversa tout Paris (1" juin). Ce spectacle
frappa le peuple : Robespierre était-il donc roi
pour qu'on le vengeât si royalement ? D'autre
part, on le rendait ridicule en instruisant l'affaire
de Catherine Théot, une vieille folle qui se disait
la mère de Dieu, appelait Robespierre son fils, et
annonçaitia prochaine venue d'un Sauveur. Le rap
porteur Vadier, tandis que Robespierre même prési-
dait la Convention , amusa l'Asseniblée à ses dépens.
Chute de Robespierre. - Cependant les Comi-
tés, la Montagne hésitaient avant d'engager la
lutte. Si Robespierre semblait dangereux pour la
liberté, sa mort pouvait être funeste k la Répu-
blique et devenir le signal de l'universelle réac-
tion. Sa situation était d'ailleurs très forte : il avait
pour lui les Jacobins, la nouvelle Commune ; or, la
Commune, par Hanriot, disposait de la force ar-
mée. Il semblait avoir pour lui la majorité de la
Convention, et il pouvait revendiquer pour son
gouvernement la victoire de Jourdan à Fleurus
(26 juinl. La lutte était cependant inévitable ; pour
fonder l'ordre de choses qu'il rêvait, Robespierre
devait détruire les Comités; eux, devaient le dé-
truire ou périr par lui. Sa défiance de la Mojitagne
tout entière, ses avances à la droite étaient visibles.
On contait qu'il avait des listes de proscription
toutes prêtes sur lesquelles ne figuraient que des
Montagnards. Dans son grand discours du 8 llier-
midor ^26 juillet), il fit planer la Terreur sur
toutes les têtes, attaqua même Cambon, qui ri-
posta avec vigueur. La Convention décréta l'im-
pression de son discours, puis revint sur son
décret, refusa l'impression et l'envoi aux départe-
ments. C'était un vote de défiance et de haine. En
rentraiil chez lui, Robespierre dit auxdamcsDuplay :
« Je n'attends plus rien de la Montagne ; mais la
majorité est pure. » La majorité, c'est-à-dire les
monarc/iieiis honteux, les feuillants déguisés, ceux
qu'il appelait autrefois les « serpents du Marais. «
Le soir, aux Jacobins, il relut son discours et fut
applaudi. Couthon fit rayer du club les con-
ventionnels qui avaient voté contre rimpression.
Saint-Just, malgré Robespierre, presse les prépa-
ratifs d'une journée contre l'Assembh'e. Hanriot,
dans la nuit, rassemble ses canonniers. Ses enne-
mi?, de leur côté, Tallien, Fréron, Fouché, Bour-
don, de l'Oise, Lecointre, Legendre, Collet, Bil-
laud, ne perdent pas leur temps : s'ils ne peuvent
décider les Comités i l'action, ils ont plus de suc-
cès auprès de la droite. Ils réussissent sans doute
à lui persuader que, si Robespierre succombe,
c'est à elle que reviendra peut-être le pouvoir,
qu'on pourra enrayer la Terreur, « arrêter l'hor-
rible charrette ". L'alliance se conclut entre les
modérés et les violnnts, ceux-ci espérant bien ar-
racher à ceux-là le fruit de la victoire commune.
Le lendemain, 9 thermidor, Saint-Just monte i
la tribune de la Convention pour lire un rapport
qui devait conclure centre Billaud et Collot. On
l'interrompt, on l'arrête dès les premiers mots.
Tallien et Billaud se succèdent à la tribune, mul-
tipliant les accusations de dictature et de tyran-
nie. Ce qui anime surtout Tallien, c'est que sa
maîtresse. M"" de Fontenay, est en prison de-
puis le 22 mai, réservée pour une des premières
« fournées ». Robespierre parvient enfin à occuper
la tribune ; mais les conjurés couvrent sa voix en
criant : « A bas le tyran ! » Vainement il se tourne
vers la Plaine, vers les modérés, les amis des soi-
xante-treize Girondins qui lui doivent la vie : » C'est
à vous, hommes purs, que je m'adresse, et non
aux brigands. » Alors, toute cette Plaine, muette
et tremblante depuis quinze mois, recouvre la pa-
role, mais c'est pour pousser, d'une clameur una-
nime, continue, roulant comme le tonneri-e, le
même cri terrible : < A bas le tyran ! » Le danto-
niste Thuriot occupe le fauteuil de la présidence
et, de sa sonnette, achève d'étouffer la voix de
Robespierre. Un député lui cric de sa place :
n (/est le sang de Danton qui t'étouffe. » Puis une
autre clameur succède à la première : « L'arresta-
tion I l'accusation ! » Thuriot met l'accusation aux
voix : elle est votée à l'unanimité. Les clameurs
reprennent : a A la barre, les accusés I Point de
privilège. » Il faut que Robespierre descende de
son banc et se rende à la barre, comme un ac-
cusé. Il y est rejoint par son frère, par Lebas, qui
intrépidement déclarèrent vouloir partager son sort,
par Couthon, Saint-Just, également décrétés d'ac-
cusation.
Le bruit de la mise en accusation de Robes-
pierre se répand dans Paris. Son nom est telle-
ment associé à celui de la Terreur que tout le
monde s'écrie : « Alors plus de guillotine, n
Les faubourgs restèrent indifférents : on leur
avait fait croire que Robespierre était royaliste et
qu'on avait trouvé chez lui un sceau avec des
fleurs de lys. Saint-Marceau n'agit pas plus que
Saint-Antoine : il y avait trop de gnns qui no
pardonnaient pas la mort des hébertistes et de
Danton. Paris, dans sa grande masse, ne bougea
pas.
Dans la soirée, Fleuriot, Payan, Goffinhal font
sonner le tocsin, mais ne réussissent à insurger
que quelques sections avec lesquelles ils vont dé-
livrer Robespierre qu'on avait écroué à la police :
ou plutôt il s'y était écroué lui-même, le concierge
de la prison du Luxembourg ayant refusé de le
recevoir. Robespierre refusait de suivre les insur-
gés, disant : « Laissez-moi comparaître devant
mes juges. » On l'entraîna malgré lui, on l'a-
mena à l'Hôtel-de-Ville, tandis qu'il ne cessait
de répéter : « Vous me perdez! Nous perdez la
République ! >> La Convention tenait alors une
séance de nuit : sur la proposition de Collot
d'Herbois, président, elle décréta la mise hors la
loi des accusés, nomma Barras général de ses
RÉVOLUTION FRANÇAISE — l'HI — RÉVOLUTION FRANÇAISE
troupes. Ces troupes étaient peu considérables :
;\ force de courir leurs sections, quelques repré-
sentants Unirent par réunir 18un hommes. La
section des Gravilliers, se souvenant que Robes-
pierre avait fait condamner ses favoris, le socia-
liste Jac(|ues Uoux et C.haumetto, fournit le plus
fort contingent. Vers une heure et demie du ma-
tin, Léonard Bourdon et lîarias marchent sur
l'Hôtel-de-Ville, précédés des huissiers de la Con-
vention qui proclament le décret de mise hors la
loi : cela f-unU pour disperser les canonniers (|ui
occupent la place de Grève. Hobespierre, à ce mo-
ment, supplié par ses amis de convoquer la force
armée, hésiiait par scrupule de localité, deman-
dant : c. Mais au nom de c|ui7 ■> L'Hôtel-de-Ville
était donc sans défense. Quelques gendarmes
montèrent sans obstacle l'escalier, arrivèrent jus-
qu'à Robespierre ; l'un d'eux, nommé Merda,
d'un coup de pistolet lui fracassa la mâchoire et
de l'autre blessa Couthon à la jambe. Se voyant
pris, Lebas se fait sauter la cervelle, Robespierre'
jeune se jette par la fenêtre, Hanriot y est jeté
par Coffinhal, exaspéré de ses maladresses. On
arrête les survivants, on ramasse les mou-
rants, on les amène au Comité de salut pu-
blic. C'est avec un serrement de cœur que les
ennemis mêmes de Robespierre, CoUot. Billaud,
Barère le virent en cet état. Ils inventèrent
une fable, et répétèrent partout qu'il s'était
<i tiré lui-même ». Ils comprenaient qu'en pré
aence de la réaction imminente, si l'on voulait
tenir tête à la droite déchaînée, on devait ména-
ger une réconciliation avec les robespierristes.
Leurs ménagements ne furent pas admis : la
Convention lit du parti une boucherie. La guillotine
fut relevée tout exprès sur la place de la Révolu-
tion. Robespierre, avec sa mâchoire fracassée, son
frère, Couthon, Hanriot, tous trois à demi morts;
Saint Just, le président du tribunal Dumas, le
maire Fleuriot, l'agent national Payan, le cordon-
nier Simon, en tout vingt et un condamnés furent
guillotinés le 10 thermidor. Les robespierristes.
comme leurs adversaires. Girondins, hébertistes,
dantonistes, mouraient bien jeunes : le plus âgé,
Couthon, avait 38 ans, Robespierre 3a ans,
Saint-Just 27 ans. Le lendemain, soixante-dix exé-
cutions, et le surlendemain treize : c'était l'exter-
mination en masse de la Commune robespierriste.
Le régime thermidorien. — La Terreur était
finie. Depuis trois mois, elle ne se maintenait
plus que par la défiance réciproque et par la
sourde rivalité, au sein môme du Comité, de la
trinité robespierriste et de la trinité CoUot, Bil-
laud et Parère. Comme les deux partis ne pous-
saient à l'exagération du système que pour s'en
faire une arme l'un contre l'autre, Robespierre
pour atteindre enfin ses ennemis de la Montagne,
ceux-ci pour le noyer dans le sang répandu, il
était évident que, quel que fût le parti victorieux,
les massacres devaient cesser. L'un aussi bien que
l'autre devait nécessairement inaugurer sa dic-
tature par des mesures de clémence. D'ailleurs
la Montagne était mainten.nnt trop affaiblie, trop
divisée, pour qu'elle pût imposer à la majorité,
à la ville de Paris, à, la France la continuation d'un
régime qu'elles avaient en exécration.
"Tout d'abord la Convention eut à statuer sur
les instruments de ce régime. Le II thermidor,
le tribunal révolutionnaire avait été suspendu :
Billaud-Varennes le fit rétablir. Barère essaya
d'aller plus loin et de faire décréter le maintien
de tous ses membres, même de l'accusateur Fou-
quier-Tinville, qui, nommé par l'influence de
Desmoiilins, avait requis contre Desmoulins, qui,
après avoir requis contre les ennemis de Robes-
pierre, avait requis contre Robespierre, et se mon-
trait disposé, agent docile de toute tyrannie pourvu
qu'il gardât sa place, à requérir contre tous ceux
qu'on lui désignerait. La proposition de Barère
souleva un mouvement d'horreur : Fouquier-
Tinville fut décrété d'accusation. On conserva le
tribunal, mais en le renouvelant, en l'entourant
de garanties protectrices pour les accusés, et la
loi de prairial fut rapportée. On supprima la paie
de 40 sous par jour établie pour assurer la fré-
quentation des assemblées des sections, on décida
que les sections ne se réuniraient qu'une fois par
décade. On renouvela le Comité de salut public,
où l'on fit entrer T,allien, Bréard, Treilhard, Es-
chassérianx, Thuriot, Laloi, et le Comité de sû-
reté générale, où entrèrent Legendre, Merlin de
Thionville, Goupilleau do Fontenay, André Du-
raont. Bernard do Saintes, Rewbell. La majorité
dans les deux Comités se trouva donc acquise aux
thermidoriens, aux dantonistes, aux moiiérés :
CoUot, Billaud, Barère, Carnet s'y virent dé-
bordés.
Trois partis se dessinèrent dans l'assemblée:
le parti des anciens Comités, qu'on appela
aussi les Cretois ou Montagnards de la crtSle, avec
Billaud, CoUot, Barère, Vadier, Amar, Carnot,
Cambon, les deux Prieur, la plupart des repré-
sentants revenus de mission, tous se considé-
rant comme solidaires des mesures de salut pu-
blic, aucun n'entendant qu'on fit le procès à
la Révolution, et que la réaction contre la Terreur
put conduire à la contre-révolution; — le parti
des thermidoriens proprement dits, qui, étant al-
lés s'asseoir à droite au lendemain du '.1 thermi-
dor, répudiaient leur part de solidarité avec le
gouvernement précédent et cherchaient leur sû-
reté dans l'alliance avec les modérés : leurs chefs
étaient Tallien, Barras, Fréron, Legendre, Lecoin-
tre, Bourdon de l'Oise, Rovère, Bentabole, André
Dûment, les deux Merlin ; — enfin les moilérés, qui
n'avaient pris aucune part au gouvernement, qui
restaient fidèlgs à la Révolution, même à la Ré-
publique, mais qui allaient montrer de singuliè-
res complaisances pour les royalistes : Sieyès,
Boissy d'Anglas, Cambacérès, 'fliibaudeau, Ché-
nier (Marie-Joseph), frère du grand poète André
Cliénier, supplicié le 2,i juillet 1794.
Ce furent les thermidoriens qui, pour complé-
ter leur victoire sur le parti robespierriste ou
pour faire oublier leur rôle sous la Terreur, ou-
vrirent la campagne contre le parti des anciens
Comités. Fréron parlait de détruire l'Hôtel de-
Ville, ce a Louvre du tyran Robespierre ». David,
autrefois fanatique de Robespierre, qui avait
promis de « boire la ciguë » avec h juste, le re-
niait en pleine Convention. Lecointre, le 30 août,
dénonçait Billaud, CoUot, Barère, de l'ancien
Comité de salut public, Amar, Voulland. Vadier,
David même, de l'ancien Comité de sûreté géné-
r.-ile. La Convention comprenait que ces accusa-
tions contre Billaud ou CoUot menaient logique-
ment h. la mise en accusation de Carnot, de Lindet,
de Prieur, solidaires de tous les actes du Co-
mité de salut public, au procès de la Convention
tout entière, qui les avait couverts de son appro-
bation ou de son silence, à la condamnation de
la Révolution môme. « Si les Comités sont crimi-
nels, fit observer Cambon. criminelle aussi doit
être l'Assemblée qui, chaque mois et unanime-
ment, a prorogé leurs pouvoirs. » D'ailleurs la
plupart des thermidoriens étaient bien mal fondés
à attaquer le régime précédent; quand Tallien
montrait l'ombre de Robespierre planant encore
sur la Convention, il s'attirait cette verte répliqua
du député Lefiot : ce Tel qui déclame aujouril'hui
contre le système do terreur en vantait hier l'u-
tilité. » La Convention eut la sagesse de repous-
ser les accusations de Lecointre, déclarées ca-
lomnieuses.
Deux jours après, le résultat que Lecointre vou-
lait obtenir par sa dénonciation fut obtenu par un
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1012 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
autre moyen. Barère, par la voie du sort, Collot
et Billaud, volontairement, sortirent du Comité ;
Tallien lui-même, l'allié de Lecointre, fut obligé
de démissionner. Les membres sortants furent
remplacés par Delmas, Cochon, le savant Four-
croy, Merlin de Douai qui avait été le légiste"de la
Terreur. Tallien, Fréron, Lecointre, qui n'ou-
vraient les portes des prisons aux royalistes que
pour les remplacer par des républicains, qui ne
répudiaient la Terreur que pour se jeter avec la
même frénésie dans la réaction, étaient également
abhorrés de tous les partis, des modérés pour
leurs anciens excès, des montagnards pour leurs
violences nouvelles. Le club des Jacobins, si
cruellement frappé dans son idole Robespierre,
conservait cependant une bonne partie de son au-
torité morale. Il fut généralement approuvé quand
il prononça l'exclusion de Tallien et de ses deux
acolytes. La Convention résistait encore aux en-
traînements de la réaction : elle répondait aux dé-
piitations jacobines qu'elle maintiendrait vigou-
reusement le gouvernement révolutionnaire, et
décrétait la translation des restes do Marat au
Panthéon. Elle rendit en octobre le même hom-
mage il Jean-Jacques Rousseau.
Ces hommages rendus à Marat et à Rousseau
cachèrent aux yeux du peuple une campagne ac- '
tivement menée contre les clubs et les sociétés ^
populaires. Le 28 septembre, la Convention ferma ;
le club de l'Evêché, où se réunissaient les débris
des partis hébertiste et socialiste, où Gracchus
Babeuf et ses disciples prêchaient le partage des
biens, la « vraie égalité « et le c. bonheur com-
mun. » Le IC octobre elle décréta des mesures
de police contre les sociétés. Dans la nuit du 11
au 12 novembre, comme des désordres s'étaient
produits autour du club des Jacobins, que les gar-
des nationaux modérés ou royalistes assaillaient
à coups de pierre, le club fut fermé. Ainsi périt
cette célèbre société qui, dans la décomposition
des pouvoirs publics, avait été le grand ressort
de la Révolution, qui, par ses affiliations des dé-
partements, par le réseau de ses innombrables
succursales, par la vaste confédération de ses
clubs, avait suppléé à l'impuissance des autorités
locales, qui avait été à la fois un gouvernement
et une administration. Elle succomba au moment
où se réveillaient toutes les forces hostiles h la
Révolution, où la a jeunesse dorée » houspillait
les républicains dans les rues de Paris, où les vio-
lences de la presse royaliste commençaient à faire
oublier celles de 1'^»/! du Peuple et du Père Du-
chcne, où le chant contre-révolutionnaire du liéveil
du peuple étouffait celui de la Marseillaise.
La Convention prit, le 8 décembre, une mesure
encore plus grave. Sur la proposition de Merlin de
Douai, elle rappela les soixante-treize représen-
tants girondins qui avaient été exclus de l'Assem-
blée pour leur protestation contre le :S1 mai. Le
retour de ces députés, fort aigris pour la plupart,
beaucoup moins dévoués h la Republique qu'ils ne
l'avaient été en 179.3, changea la distribution des
partis dans l'Assemblée et assura la prépondé-
rance aux modérés, ou plutôt, comme la modéra-
tion était alors un vain mot, à cette forme modé-
rée de contre-révolution que représentaient Sieyès
et Boissy d'Anglas. Les soixante-treize deman-
dèrent aussitôt la rentrée des Girondins expulsés
le 2 juin et mis hors la loi pendant l'insurrection
des départements. Leur motion fut d'abord re-
poussée. Merlin de Douai lui-même s'écria : <r Vou-
lez-vous ouvrir les portes du Temple ? » On per-
sistait encore, dans la Convention, à identifier la
cause des Girondins proscrits avec celle do la
royauté.
En même temps commençait le procès de Car-
rier. Au 10 thermidor, on l'avait vu, derrière la
charrette qui empnrtait Robespierre, crier : o A bas
le tyran ! » Cela ne le sauva pas. Le 23 novembre
il avait été, sur un rapport de Romme, mis en ac-
cusation devant la Convention. Sa défense con-
sista à démontrer que, s'il était criminel, la Con-
vention, la Révolution l'était également : « Tout
est coupable ici, disait-il, tout, jusqu'à la sonnette
du président. » Mais 498 voix sur 500 votants ré-
pudièrent la solidarité qu'il osait établir entre les
mesures de salut public et tant d'inutiles barba-
ries. 11 fut traduit, avec tout le comité révolution-
naire de Nantes, devant le tribunal révolutionnaire.
Sur trente-tî'ois accusés, il n'y eut que trois con-
damnations h mort : celles de Carrier, Grandmai-
son et Pinard. Les autres furent renvoyés devant
le tribunal criminel d'Angers.
On continuait à détruire les restes du système
dictatorial. La suppression du ma.ri»nim (23 dé-
cembre) entraîna une crise économique aussi vio-
lente que celle qui avait motivé son établisse-
ment; le prix des denrées haussa dans des pro-
portions énormes, la valeur des assignats baissa
d'autant. La misère du peuple s'accrut; l'agiotage,
les accaparements, les disettes factices recommen-
cèrent. Boissy-d'Anglas proposa le rationnement
pour Paris : le peuple s'en vengea en l'appelant
Boissy-Famine.
On révoquait les décrets d'expulsion contre les
nobles et les prêtres réfractaires. Mais, si l'on
voulait substituer au système révolutionnaire, aux
lois d'exception, un régime de liberté et de léga-
lité, il eût été sage de ne pas revenir sur le passé,
et, en abandonnant les voies de l'ancien gouver-
nement, de ne pas poursuivre en lui la Révolu-
tion. La Convention, dès que les soixante-
treize y furent rentrés, ne sut pas se tenir dans
la politique équitable et réparatrice qu'elle avait
suivie un instant. La dénonciation de Lecointre,
reprise par Clauzel, fut accueillie : l'Assemblée
chargea une commission de 21 membres d'exami-
ner les actes de Billaud, Collot, Barère et Vadier.
Duhem s'étant écrié que l'aristocratie et le roya-
lisme triomphaient, fut envoyé à l'Abbaye. Vers
cette époque, la mémoire de Marat, honorée na-
guère parce qu'on voulait s'appuyer de ses parti-
sans pour attaquer Robespierre, fut en butte aux
mêmes attaques que la mémoire de Robespierre.
En février 1795, son buste fut retiré de la salle de
la Convention. Billaud, Collot, Barère et Vadier
furent décrétés d'accusation (2 marsi. Le S mars,
sur une motion de Chénier et malgré une vive
protestation du thermidorien Bontabole, les Giron-
dins mis hors la loi, Isnard, Lanjuinais, Louvet, La
Rivière, Kervélegan, La Réveillère-Lépeaux, en
tout vingt-deux députés, rentraient dans la Conven-
tion. La fête commémorative du 31 mai était abolie.
Merlin de Douai avait appuyé ces propositions. Les
Girondins aidèrent du moins à constituer un parti
qui voulait franchement, contre hs royalistes, la
Republique, contre les révolutionnaires obstinés,
un régime légal. Pour que cette tentative eût
chance de succès, il auraitété nécessaire démettre
fin aux enquêtes contre les hommes des comités.
Lindet et Carnot demandaient l'acquittement des
quatre accusés qui avaient été leurs collaborateurs.
Malheureusement les imprudences du parti mon-
tagnard, la disette, les souffrances du peuple, les
troubles qui en furent la conséquence, compro-
mirent la politique d'apaisement.
Journées de germinal et de prairial. —Fréron,
qui parfois rentrait dans la tradition montagnarde,
avait demandé la discussion des lois organiques
qui étaient le complément de la constitution dé-
mocratique de 1793. Les rixes continuaient au
Palais-Royal, dans les rues de Paris, entre les
patriotes et la jeunesse dorée; la Convention em-
prunta à la Constituante do 1791 la loi martiale
contre les attroupements. Le 30 mars, les péti-
tionnaires de la section des Quinze-Vingts vinrent
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1913 - RÉVOLUTION FRANÇAISE
(lemaiifUT >\ la Convpntion le rétablissement de la
muiiiripalité de Paris, remplacée, depuis l'cxti^r-
mination de la Commune robespierristc, par des
commissions executives; la réouverture des sociétés
populaires: la mise en vigueur de la constitution
de niKî; des mesures énergiques pour assurer
l'approvisionnement de Paris.
Le 1? germinal (1"' avril), l'Assemblée fut en-
vahie par une foule nombreuse d'hommes, de
femmes, d'enfants, criant : <• Du pain, la consti-
tution de n!)3 I » Le peuple était d'ailleurs sans
armes ; il se retira sans avoir commis de violence.
La majorité de la Convention prit prétexte de
cette insurrection de la misère pour ordonner la
déportation de Collot, Billaud, Barère, Vadier, et
l'arrestation d'un certain nombre de députes de la
CriHe qui avaient appuyé les revendications de la
foule; Choudien, Dnhem, Amar, Léonard Bourdon,
Levasseur, qui avait sous Robespierre demandé
l'amnistie vendéenne, Thuriot, qui avait présidé
au 9 thermidor, Maignet, qui avait défendu Mar-
seille contre les fureurs de Fréron et Barras, Le-
cointre, qui avait été le dénonciateur des quatre
accusés, Cambon lui-même, furent décrétés d'ac-
cusation.
Fréron, trop tard, voulut intervenir : sa propo-
sition d'abolir la peine de mort en matière poli-
tique fut repoussée. Ainsi, tandis que les Giron-
dins rentraient dans la Convention, les Montagnards
en étaient exclus : la Convention, en rappelant
les proscrits du ,31 mai, faisait un 31 mai contre
les patriotes. On désarma les faubourgs ; on
réorganisa la garde nationale, croyant donner la
force aux modérés, tandis qu'on la donnait en
réalité aux royalistes. Le tribunal révolutionnaire,
qui avait été maintenu par les modérés, fut encore
une fois remanié. Fouquier-Tinville fat guillotiné
en place de Grève avec quatorze autres condam-
nés, pour la plupart membres de l'ancien tribunal.
Le l*' prairial (20 mai), nouvelle insurrection,
en armes cette fois, à laquelle prirent part les
faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau. Elle
s'intitulait « Insurrection du peuple pour obtenir
du pain et reconquérir ses droits. » La Convention
est de nouveau envahie : un député thermidorien,
Féraud, pour empêcher la violation de l'Assem-
blée, se couche en travers de la porte. Par une
erreur de nom, on le prend pour Fréron, que le
peuple regardait comme l'âme de la réaction. Il
est massacrc^et sa tête, portée au bout d'une pique,
est présentée toute sanglante par les assassins au
président de la Convention, Boissy-d'.\nglas. Le
président se lève et salue cette tête sanglante.
Aveuglés par la funeste doctrine du temps, qui
avait cours d'ailleurs dans tous les partis, la légi-
timité de l'insurrection même contre la représen-
tation nationale, convaincus que le peuple avait
le droit, en tout temps, de se substituer à ses
députés et que leur mandat cessait en présence
du n peuple souverain », les Montagnards de la
Cfcti; commettent alors un acte des plus graves.
Tandis que les hommes des faubourgs siègent
parmi les députés de la nation, usurpant leurs
places et leurs droits, Romme cède à un élan de
pitié irréfléchie pour ce peuple affamé. Il venait
d'entendre une pauvre femme murmurer : « Si
au moins je n'étais pas enceinte! » Alors il monte
à la tribune. Soutenu par Ruhl, Duroy, Duques-
noy, Bourbotte, Prieur de la Marne, Soubrany,
Goujon, il appuie les revendications de l'émeute.
Il propose la permanence des sections ; l'élargis-
sement des patriotes arrêtés; la rentrée dans la
Convention des députés patriotes ; le rétablisse-
ment de la municipalité de Paris ; la mise en vi-
gueur de la constitution do 1793 et la convocation
d'une assemblée législative ; l'abolition de la peine
de mort, sauf contre les émigrés, les conspira-
teurs, les fabricateurs de faux assignats; l'arresta-
tion des émigrés rentrés dans Paris, colle des
folliculaires royalistes, les visites domiciliaires
et le désarmement des suspects ; des mesures
exceptionnelles pour ramener l'abondance dans
Paris. Toutes ces propositions sont votées par les
députés de la gauche et les insurgés, confondus
sur les mêmes bancs.
Le peuple, satisfait, commence à se retirer. Il
était plus de minuit. A ce moment, les bataillons
royalistes de la garde nationale, comme celui de
la Butte- des-Moulins qui avait voulu défendre
Louis XVI au 10 août, pénètrent dans la salle et
en expulsent ce qui restait d'insurgés. La scène
change aussitôt. C'est maintenant Tallien, Fréron,
Lcgendre, Thibaudeau, qui sont à la tribune et
qui font voter l'annulation de tous ces décrets,
comme surpris à l'Assemblée. Quatorze députés
delà Montagne sont ensuite décrétés d'accusation
comme complices de l'insurrection. Au matin, le
peuple étant revenu i la place du Carrousel, on
le disperse en lui annonçant la présentation, sous
trois jours, des lois organiques de la constitution
de 1793 et en lui promettant d'assurer l'abon-
dance. Le surlendemain, la Convention fait entrer
dans Paris de nombreux escadrons de hussards,
chasseurs, dragons, désarme les faubourgs et les
sections patriotes, fait opérer dans les quartiers
suspects près do 10,000 arrestations. Ce fut la
défaite Irrémédiable du Paris révolutionnaire : le
peuple disparaît presque entièrement de la scène;
désormais c'est par l'armée que se feront les coups
d'État et les insurrections contre la loi.
Nombre d'insurgés furent traduits devant les
commissions militaires : 24 furent passés par les
armes. Dans l'Assemblée, où la Montagne était dé-
cidément vaincue, sous l'impulsion dos Girondins,
des modérés , des thermidoriens convertis, la
réaction fut implacable. Outre les députés qui
avaient pris le parti du peuple soulevé dans la
journée du 1" prairial, on décréta l'arrestation de
Lindet, Saint-André, Prieur de la Cote-d'Or, qui
avaient été la gloire du Comité du salut public,
J.-B. Lacoste, Baudot, Salicetti, qui s'étaient ho-
norés par leurs missions aux armées. Sergent et
Panis, qui avaient combattu au 10 août. Elle La-
coste, qui avait commencé la lutte contre Robes-
pierre.
Maure, désespérant de la République , se fit
sauter la cervelle. Ruhl, qui avait brisé la sainte-
ampoule, se poignarda. Six autres furent traduits
devant une cour martiale, qui les envoya à l'é-
chafaud : c'étaient Romme, mathématicien, agro-
nome, philanthrope, qui avait pacifié la Norman-
die, proposé le calendrier républicain et rédigé
le premier Annuaire du cultivateur; Goujon, qui
avait défendu Klébcr et Marceau contre les hé-
bertistes ; Duquesnoy, qui avait été un héros à Wat-
tignies ; Duroy, qui avait dit à Robespierre : « Moi,
j'entends juger même les actes du Comité de salut
public ; '1 Bourbotte, qui avait avec Kléber vaincu la
Vendée ; Soubrany qui, à l'armée de la Moselle, s'é-
tait fait adorer des soldats, couchant avec eux sous
la tente et partageant leurs misères. Ces six hom-
mes n'avaient jamais adopté des mesures de ter-
reur que ce qui était nécessaire pour sauver la
patrie ; ils étaient restés étrangers au fanatisme
sectaire, à l'inquisition jacobine. La mort des « der-
niers Montagnards» fut une perte pour la liberté,
pour la République. Avant l'exécution, ils essayè-
rent de se tuer avec des poinçons ou de mauvais
couteaux. Uomme, Goujon, Duquesnoy, y réussi-
rent ; Duroy, Soubrany, Bourbotte, cruellement
blessés, survécurent pour la guillotine. « Tu souf-
fres, pauvre Duroy, disait Bourbotte, souriant
parmi ses tortures. Consolo-toi : c'est pour la Ré-
publique. »
Ainsi après que la Gironde, la Montagne héber-
tiste, dantoniste, robespierristc, avaient été déca-
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1914 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
pitées, c'était le tour delà Montagne indépendante.
Les plus grands de cliaque parti, ceux qui furent
le « sel de la terre, » étaient couchés dans la chaux
vive des cimetières de la Révolution. Ceux qui
survivaient n'étaient plus de force à sauver la li-
berté. Si Bonaparte, quand il médita le coup
d'État de brumaire, avait vu se dresser devant lui
le courage stoique des Roland et des Condorcet,
l'éloquence intrépide des Vergniaud, des Brissot
et des Barbaroux, le génie révolutionnaire de Dan-
ton, l'âme hautaine de Saint-Just et de Robes-
pierre , la bravoure des Wiilippeaux, des Bour-
botte, des Soubrany, l'indomptable fi'rmeté des
Romme et des Goujon, s'il avait trouvé devant
lui cette grande légion républicaine, si diverse en
ses aspirations, mais si unanime dans son amour
de la République, si riche de beaux talents, en
grands cœurs, en volontés inébranlables, il serait
resté dans le devoir ou serait rentré dans l'ombre,
et la Liberté aurait vécu. La Révolution, suivant
un mot du temps, avait fait comme Saturne :
■I elle avait dévoré ses enfants ».
La Constitution de l'an III. Journée du 13 ven-
démiaire. Fin de la Convention. — La constitu-
tion de n;);i fut frappée du coup ([ui acheva la
Montagne. Cette constitution, à certains égards,
consacrait un grand progrès démocratique : elle
supprimait la distinction en citoyens actifs et ci-
toyens passifs, établie en KQl, et décrétait le
suffrage universel ; mais, par l'extrême brièveté
du mandat de député, réduit à une année, par
l'inlervention permanente des assemblées pri-
maires dansle gouvernement et la législation, elle
organisait l'anarchie, sans garantir la liberté. Les
auteurs do cette constitution avaient bien senti
ses défauts, car, après l'avoir fait accepter par le
peuple, ils en avaient suspendu l'application jus-
qu'à la paix générale et lui avaient substitué le
gouvernement révolutionnaire.
La Convention la remplaça, le 22 aotit 1*95,
par une autre constitution. Le pouvoir exécutif
était confié k un Directoire-composé de cinq mem-
bres, dont chacun portait pendant tmis mois le
titre de président : les ministres lui étaient subor-
donnés ; tous les ans, un des membres du Direc-
toire, désigné par le sort, était remplacé. Le pou-
voir législatif était partagé entre le conseil des
.anciens, composé de 250 membres, et le conseil
des Jeunes, appelé aussi conseil de? Cinq-Cents.
C'étaient les Cinq-Cents qui faisaient les lois : les
Anciens pouvaient les rejeter, ou encore les an-
nuler comme contraires à la constitution. Chaque
année, les deux conseils étaient renouvelables par
tiers. La distinction entre éhctcurs du premier
et du deuxième degré était rétablie : pour appar-
tenir à la plus haute catégorie, il fallait justifier
d'un revenu égal k la valeur de 150 journées de
travail. Telle fut la constitution dirertoiiale ou
constitution de l'an lU.
Les espérances que le parti royaliste avait fon-
dées sur le succès de la coalition étaient déçues.
Jourdan avait battu les Autrichiens ù Meurus
le 28 juin 17'Ji, reconquis la Belgique perdue
pour Dumouriez, forcé le passage de la Roér le
5 octobre, et pris position sur le Rhin. Pichegru,
pendatit ce temps, poussait devant lui les Anglais,
entrait dans Amsterdam le 20 janvier ITJ.'j, cap-
turait la flotte anglaise retenue dans les glaces du
Texel, achevait la conquête de la Hollande et,
après avoir chassé le stathoudcr, constituait ce
pays en république batave. Les Espagnols étaient
rejetés au delà des Pyrénées et leur pays me-
nacé d'une double invasion par la Catalogne et par
les provinces basques. L'armée des Alpes avait
enlevé le camp des Piémontais à Saorgio et se
Jiréparait à pétiétrer en Italie. La Prusse signait
la paix de Bâie (5 avril n95), par laquelle elle nous
cédait ses possessions sur la rive gauche du Rhin ;
l'Espagne trahait également à Bàle (28 juillet) et
nous cédait la partie espagnolcde Saint-Domingue.
Le duc de Toscane avait fait la paix dès le mois de
février. Il ne restait en guerre avec nous que le
Piémont, dépouillé de ses provinces de langue
française, l'Autriche, sur laquelle on avait con-
quis la Belgique, l'Empire, dont toutes les posses-
sions sur la rive gauche du Rhin étaient entre nos
mains, l'Angleterre, dont la conquête de la Hol-
lande et l'ouverture de l'Escaut menaçaient les
rivages. Le résultat de la grande coalition avait été
de nous rendre maîtres de tous les pays compris
entre l'Océan, le Rhin et les Alpes, de nous
agrandir de la Belgique, de Nice et de la Savoie,
de constituer deux républiques nouvelles : la
Hollande et r.\llemagne cis-rhénane.
La Vendée ne donnait guère plus de satisfac-
tion aijx royalistes. La Convention avait proclamé,
le 2 décembre l'Oi, une amnistie générale pour
tous les rebelles qui poseraietit les armes dans le
délai d'un mois. Beaucoup de paysans firent leur
soumission, et les chefs vendéens, Charette,
Sapinaud, Stofflet, consentirent à un armistice
qui devait certainemenl conduire au désarmement.
Hoche menait l'œuvre de pacification avec autant
d'habileté, d'énergie, d'humanité qu'il en avait
montré dans les opérations militaires. L'Angle-
terre se résolut alors à frapper un grand coup.
Elle débarqua (27 juin) dans la presqu'île de Qui-
beron, en Basse-Bretagne, un corps de loi 0 émi-
grés, auxquels vinrent se joindre quelques milliers
de chouans. La garnison du fort de Penthièvre se
rendit sans combat aux royalistes; on se flatta de
l'utiliser contre les républicains. Hoche, accouru
avec une troupe peu nombreuse, se trouva en-
fermé entre les émigrés, le fort Penthièvre et les
bandes de chouans. Il fut sauvé par l'audace d'une
compagnie do grenadiers qui escalada pendant la
nuit le fort Penthièvre, insurgea contre les Anglais
la garnison de prisonniers, et arbora sur hi forte-
resse le drapeau tricolore. Hoche reprit à son
tour l'avantage: les l.')00 émigrés, mal soutenus de
la flotte anglaise, canonnés par le fort Penthièvre,
furent tous tués ou pris (21 juillet). Pour faire un
exemple qui épouvantât les émigrés dans l'Europe
entière. Hoche et Tallien appliquèrent aux gen-
tilshommes prisonniers les lois terribles de la
Convention : 2u0 furent passés par les armes à Dol
et 800 il Auray. Le sang noble coula à flots dans
ces journées tragiques.
Le débarquement des émigrés h. Quiberon coïn-
cidait avec une agitation royaliste dans les dépar-
tements du Midi. Encouragés par les discordes de
la Convention, l'indulgence des modérés, et la
défaite de la Montagne, se couvrant parfois du nom
des Girondins, ils organisèrent une terreur /jlaiiche
qui dépassa les excès de la Terreur républicaine.
Dans l'ouest apparaissaientdes bandes de brigands
royalistes qu'on appelait les chauffeurs . Les com-
pagnies de Jésus et du Soleil infestaient les grandes
routes, arrêtaient les diligences, pillaient les cais-
ses publiques, égorgeaient les prêtres constitu-
tionnels, les acquéreurs de biens nationaux et les
fonctionnaires républicains, pénétraient même
dans les grandes villes, où ils soulevaient la po-
pulace et massacraient les patriotes détenus aux
prisons. Le 5 mai, à Lyon, ils tuèrent 100 prison-
niers ; le 10 mai, à ■iix, 72 ; à Marseille, :iO ; dans la
seule petite ville de Lisie, SO. Le 27 mai. à Tarascon,
ils prirent d'assaut le château et précipitèrent les
prisonniers du haut des tours sur les rochers du
Rhône. Le comte de Précy, qui avait dirigé la
révolte de Lyon en 1793, reparaissait dans Avignon
et y soutenait un siège contre le représentant
Boursault. Les émigrés s'agitaient sur toutes nos
frontières, rentraient hardiment dans les villes et
les châteaux, se glissaient dans les armées, dans les
camps. D'Entraigues, agent du prince de Coudé,
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1915 — RÉVOLUTION FRANÇAISE
ni^gociait avpc Piclirpru, qui commandait l'armée
de Kliin-et-Mnsnllr, lui faisait promettre de rloniior
la maiîi aux Aiitricliioiis pour rétablir en France
la royauté. C'rtail ro d'Iîiitraigucs qui disait : u Je
veux être le AJarat de la contre révolution, » et
qui demandait 400 000 têtes. Les émigrés al-
laient répétant qu'on n'accorderait de par-
don h personne, et que si le roi faisait gr.àce,
son parlement ferait justice. Quand le dauphin
mourut le 8 juin 1795 à la prison du Temple, la
coalition reconnut le comte de Provence comme
roi de Trance sous le nom de Louis WIII, et les
intrigues reprirent à son profit avec une nouvelle
ardeur.
La Convention, jusqu'alors uniquement occu-
pée des émeutes jacobines, commença h s'émou-
voir de cette conspiration royaliste qui embra.s-
sait h la fois la Bretagne, la Vendée, le midi de
la France; elle ignorait cependant la trahison de
Pichegru. Le 30 avril, sur la proposition de Marie-
Joseph Chénier.elle chargea le tribunal criminel de
Grenoble de faire une enquête sur les premiers
assassinats du Midi. Quand eurent lieu les mas-
sacres de mai dans les prisons, elle chargea Fré-
ron, qui depuis la répression de Toulon avait un
si terrible renom dans le Midi, d'une mission ex-
traordinaire. La tournée de Fréron dans le Midi,
la sanglante victoire do Hoche à Quiberon, cal-
mèrent un peu l'agitation.
Alors les rnyalistes se résignèrent à essayer,
par des voies légales, la destruction de la Repu-
blique. A la faveur de l'épouvante que continuaient
h causer les excès des brigands, organisant la ter-
reur autour des urnes électorales, ils se préparè-
rent à faire entrer leurs partisans dans les conseils
des Anciens et des Cinq-Cents, poussant entre au-
tresla candidature de Joh Aymé, compromis dans les
troubles de Monlbrison. L'Assemblée déjoua leurs
calculs, en décrétant que les deux tiers des mem-
bres dans ces deux Chambres devraient être choi-
sis parmi les membres de la Convention. Elle sou-
mit ce décret, avec la constitution elle-même, à
l'acceptation des assemblées primaires: S40,(lOn
voix contre 40,000 se prononcèrent en faveur de
la constitution, 168,000 contre 115,000 en faveur
du décret sur les deux tiers. Mêiue les modérés
de la Convention, comme Daunou et Louvet,
prirent l'initiative de mesures rigoureuses contre
les agitateurs : la Convention décréta le bannisse
ment à perpétuité de tous les émigrés et assura
les acquéreurs de biens nationaux contre toute
revendication.
Les royalistes parisiens se décidèrent à recourir
aux armes. La section Lepelleiier insurgea sept
autres sections ; elles se renforcèrent d'émigrés,
de chouans, accourus h Paris et qui portaient en-
core l'uniforme de la guerre civile. Contre 40,000
insurgés royalistes, l'Assemblée ne pouvait plus
compter sur le peuple qu'elle avait désarmé. Elle
arma seulement 1800 « patriotes de 89 », et em-
prunta des troupes et des canons au camp des
Sablons. Le gênerai Menou, placé k la tête des
troupes conventionnelles, montra une mollesse
suspecte, parlementa avec la section Lepelletier
retranchée dans le couvent des Filles-Saint- Tho-
mas, accrut par son attitude l'audace des roya-
listes. La Convention révoqua Menou et contia le
commandement au représentant Darras. Celui-ci
entoura les Tuileries de retranchements, distri-
bua des fusils et des gibernes aux députés qui
durent former une troupe de réserve, chargea
Carteaux de garder les quais et Bonaparte d'occu-
per la rue Saint- Honoré. Danican, général des
insurgés, envoya un parlementaire pour négocier
avec l'Assemblée, demandant la retraite des trou-
pes et le désarmement des terrorisles. Boissy
d'Anglas et Lanjuinais, par faiblesse ou compli-
cité, insistaient pour qu'on négociât sur cet inso-
lent ultimatum. Le bruit de la fusillade interrom-
pit la discussion : Bonaparte, à coups de mitraille,
balayait la rue Saint-Honoré et les marches de l'é-
glise Saint- Roch. Les bataillons royalistes s'en-
fuirent on désordre, laissant 200 morts sur la
place (1.5 vendémiaire, 5 octobre). Dans la ré-
pression, l'Assemblée montra autant d'indulgence
qu'elle avait déployé de rigueur en germinal et en
prairial. Les commissions militaires ne prononcè-
rent que deux condamnations à mort : celle do
Lebois, qui avait été l'instigateur du mouvement,
et celle de l'émigré Lafond, ancien garde du corps.
L'Assemblée victorieuse désarma les sections
royalistes. Puis elle se ferma en assembb'e élec-
loinle nationale pour désigner ceux de ces mem-
bres qui composeraient, à raison dos deux tiers,
les Anciens et les Cinq-Cents. Les deux Conseils,
définitivement constitués le 17 octobre, élurent les
cinq directeurs : La Réveillère-Lépeaux, Rewbell,
Letournenr, Barras et Carnot. Bien que ces cinq
hommes eussent des origines bien différentes. La
Réveillère étant un proscrit du 31 luai, Carnot un
ancien membre du terrible Comité, tous étaient
républicains, tous avaient voté la mort du roi.
Par cette élection de cinq régicides, les Conseils
entendaient rassurer les intérêts créés par la Ré-
volution contre toute crainte d'un retour au passé.
Le 20 octobre, dans sa dernière séance, la Con-
vention avait décidé que la place de la Révolution,
sur laquelle avaient péri tant de nobles \ictimesde
nos haines civiles, prendrait le nom de place de la
Concorde; elle décréta l'abolition de la peine de mort,
mais seulement à dater de la paix générale; proclama
une amnistie générale, sauf pour les émigrés, les
prêtres réfractaires, les fabricateurs de faux assi-
gnats, les insurgés de vendémiaire. Puis Génissieu,
président de 1 Assemblée, prononça la formule
solennelle : « La Convention déclare que sa mis-
sion est remplie et que sa session est terminée. «
La Convention, malgré ses discordes, malgré ses
défaillances ou ses excès, restera glorieuse dans
l'Iiistoire. Son œuvre peut se résunter en ces deux
mots : la Révolution accomplie, l'invasion re-
poussée.
Plus tard, un des membres de cette Assemblée,
Jean-Bon Saint-André, devenu, en 1813, préfet de
Mayence, discutait avec les courtisans de Napo-
léon ; ceux-ci assaillaient de leurs railleries « le
conventionnel, le votant, l'ancien collègue de
Robespierre, qui puait le jacobin une lieue à la
ronde, » et se moquaient de sa, mise et de ses bas
noirs. Il leur fit alors cette fière réponse :
a J'avoue tout cela. L'Europe était alors conjurée
contre la France, comme elle l'est aujourd'hui. Elle
voulait nous écraser de toutes les forces morales
et matérielles do l'ancienne civilisation. Elle avait
tracé autour de nous un cercle de fer. Déjà la
trahison lui avait livré des villes notables ; elle s'a-
vançait : eh bien! les rois en ont eu le démenti;
nous avons dégagé le territoire et reporté chez eux
la guerre d'invasion qu'ils avaient commencée chez
nous : nous leur avons enlevé la Belgique et la
rive gauche du Rhin que nous avons réunies à.
cette même France dont ils avaient, au début de
la guerre, arrêté le partage. Nous avons porté au
loin notre prépondérance et forcé ces mêiues rois
i venir humblement nous demander la paix. Sa-
vez-vous quel gouvernement a obtenu ou préparé
de tels résultats? un gouvernement composé de
conventionnels, do jacobins forcenés, coiffés de
bonnets rouges, habillés de laine grossière, des
sabots aux pieds, réduits pour toute nourriture à
du pain grossier et de mauvaise bière, et qui se
jetaient sur des matelas étalés par terre dans le
lieu de leurs séances quand ils succombaient à
l'excès de la fatigue et des veilles. Voil.'l quels
hommes ont sauvé la France. J'en étais. Mes-
sieurs! et ici, comme dans l'appartement de l'Em-
RÉVOLUTION FRANÇAISE — 1916 —
RHÉTORIQUE
pereur où je vais entrer, je le tiens à gloire.... La
fortune est capricieuse de sa nature. Elle a élevé
la France bien haut ; elle peut tôt ou tard la faire
descendre, qui sait ? aussi bas qu'en n93. Alors
on verra si on la sauvera par des moyens anodins,
et ce qu'y feront dns plaques, des broderies, des
plumes et surtout des bas de soie blancs. »
L'histoire de la République française sous le Di-
rectoire a été racontée ailleurs (V. Dire:toire]. Le
Directoire fut, à l'intérieur, un essai remarquable
de gouvernement libre, compromis par le souvenir
d'événements trop récents : les partis extrêmes
gardaient les passions acharnées de cette époque
de luttes, les uns s'obstinant à ne pas voir de
salut pour la République hors de la Terreur, les
autres se croyant autorisés i venger la Terreur
républicaine par la Terreur blanche. Malgré son
désir de légalité et de liberté, la situation était
trop exceptionnelle pour que le gouvernement lui-
même ne fût pas contraint de recourir à des me-
sures d'exception : il fit le coup d'État du IS fruc-
tidor contre les royalistes, et celui du 22 floréal,
beaucoup moins nécessaire, contre les jacobins :
le coup d'État du 30 prairial, qui «xclut du gouver-
nement Laréveillère-Lcpeaux, l'homme le plus
estimable du Directoire, prépara l'attentat mili-
taire qui mit fin à la République. Malgré ces actes
illégaux, qui ne s'expliquentque trop par les ha-
bitudes violentes de l'époque précédente et par la
persistance des traditions d'ancien régime, les
quatre années du gouvernement directorial n'en fu-
rent pas moins une époque de liberté, de gran-
deur et de prospérité nationale.
A l'extérieur, la politique des grands Girondins,
l'expansion des idées révolutionnaires en Europe,
fut reprise. La France républicaine accorda son
appui 5, tous les peuples qui voulurent être libres ;
un moment elle refit .\ son image presque toute
l'Europe occidentale. Elle renversa les sénats aris-
tocratiques de Berne, de Venise, de Gênes; elle
afl'ranchit l'Italie septentrionale de la domination
antricliienne et faillit affrarcliir l'Irlande de la
domination anglaise; elle chassa les rois de Sar-
daigne et de Naples, les rélégua dans les îles de
Sardaigne et de Sicile ; elle vengea sur le pouvoir
temporel tout le mal que la papauté avait fait à la
Révolution en forçant les prêtres à refuser le
serment civique, en provoquant le schisme, en
.soulevant la révolte de la Vendée et les troubles
du Midi; elle amena prisonnier k Valence le pape
Pie VI, qui pendant dix ans n'avait cessé de prê-
cher la croisade contre nous. Elle rencontra d'ad-
mirables dévouements parmi les patriotes de la
Suisse, de l'Italie, de l'Irlande ; elle effraya les
cours européennes par une merveilleuse multipli-
cation de républiques : républiques helvétique,
cisalpine, ligurienne, romaine, parthénopéenne. Si
le Directoire, imprudemment engagé dans de loin-
taines expéditions en Egypte et en Syrie, éprouva
de cruelles défaites, ses derniers jours furent
marqués par une éclatante revanche : les victoires
de Masséna i Zurich et de Brune à Bergen assurè-
rent à la France ses limites naturelles, ses fron-
tières du Rhin et des Alpes que l'Empire allait
nous faire perdre.
Avec le 18 brumaire se termine l'histoire de la
Révolution : ce qui suit, c'est l'histoire du gouver-
nement personnel, quelque nom qu'il porte, Con-
sulat ou Empire. Les destinées de la France sont
dès lors aux mains d'un homme : or, notre tâche
était seulement de faire revivre l'époque où les
destinées de la France étaient aux mains de la
France. Grande époque, quelles qu'aient été ses
misères ou ses excès, glorieuse et féconde entre
toutes. Alors c'était le peuple qui était debout pour
assaillir la Bastille et les 'Tuileries, pour défendre
la frontière contre les rois étrangers, pour leur
renvoyer la terreur que leurs manifestes préten-
daient répandre chez nous. Alors la tribune de la
Constituante, de la Législative, de la Convention,
cette tribune que le 18 brumaire allait rendre
muette, retentissait de paroles que le monde
n'avait jamais entendues, qui allaient au cœur de
tous les peuples, et qui formulaient pour toutes
les nations les principes du droit moderne. Alors
le bruit des batailles n'étouffait pas la voix des
orateurs : auxvictoires do Kellermann à Valmy, de
Dumouriez à Jemmapes, de Jourdan à Wattignies
et à Fleurus, de Marceau à Savenay, de Hoche à
Landau, de Brune à Bergen, de Masséna à Ziirich,
répondaient l'éloquence des Vcrgniaud, des Brissot.
des Isnard, des Danton, des Saint-Just, le fécond
labeur des Condorcot, des Romme, des Lakanal,
des Daunou, des Merlin de Douai, des législa-
teurs du Code civil. Il y avait une merveilleuse
émulation entre les hommes d'État et les ora-
teurs, entre les députés et les généraux, entre lo
peuple et ses représentants, entre les soldats et
leurs chefs, pour le salut de la République et la
liberté du monde. Pendant que les armées démo-
lissaient à coups de canon le vieil édifice euro-
I péen, des milliers de lois fondaient la société nou-
velle, affi'anchissant à la fois l'industrie et
l'agriculture, l'homme et la terre, organisant les
tribunaux, les administrateurs, les écoles, les mu-
sées. Les soldats avaient le respect de la loi comme
j des légistes et les avocats montraient sur les champs
de bataille la bravoure des solJats. C'étaient des
pouvoirs purement civils qui envoyaient à la vic-
toire des armées de citoyens. La vertu antique
semblait revivre dans ces hommes si jeunes que
la guillotine ou la mitraille frappait à la fleur de
l'âge, Saint-Just à vingt-sept ans, Marceau à vingt-
■ cinq. Ils mouraient comme des Romains ; Plutar-
j que eût été digne de raconter les morts héroïques
des Girondins, des dantonistes, dos derniers-
Montagnards. La révolution a été un continuel
enfantement d'idées, de lois, de victoires. Toute
cette génération, vouée à une mort prématurée,
n'eut devant les yeux que l'avenir infini, la vie
! immortelle de l'humanité. C'est pour avoir re-
gardé au delà du temps qu'elle vivra éternelle-
I ment dans la mémoire des hommes. Nulle gloire,
ni celle d'Austerlitz, ni celle d'Iéna, n'effacera la
sienne. Dans nos prospérités, c'est à la Révolution
que nous faisons remonter l'hommage de notre
reconnaissance; dans nos épreuves, c'est à elle
que nous nous adressons pourlui demander l'ins-
piration et la foi. Nos pères de 1780 et de
KOÎ, par leurs combats, par leurs souffrances,
' par leur vie et par leur mon, nous ont faits ce
' que nous sommes : ingrats serions-nous si nous
ne défendions pas leur mémoire; indignes, si nous
laissions périr leur héritage.
[Alfred Rambaad.l
j RHÉTORIQUE.— Littérature et style, I. —De
' la théorie litléraire et de la rhétorique — La lit-
[ térature (en latin litterœ, écriture) est l'expression
écrite des faits qui intéressent l'homme, de ses
' idées, de ses croyances, de ses sentiments, et en
j même temps l'expression du vrai, du beau et du
bien, sans laquelle aucune œuvre ne saurait mé-
riter le nom de littéraire. Etudier la littérature,
c'est donc rechercher par quelle méthode et con-
[ fermement à quelles règles on pourra de façon
littéraire exprimer ce que l'on sait, ce que l'on
pense, ce que l'on sont, ou comprendre ce qu'ont
' décrit, pensé, ou senti les autres hommes. Cette
étude est presque tout entière contenue dans la
rhétorique. Considérée du point de vue le plus gé-
néral, la rhétorique est en effet la théorie même
de l'art de la composition, la théorie do la parole
(en grec rlieô, je parlej. non pas seulement telle
qu'elle s'échappe des lèvres de l'orateur, mais
telle qu'elle reste gravée dans les monuments de
' la littérature ; ses préceptes fondamentaux, rela-
RHÉTORIQUE
— 1917 —
RHETORIQUE
tifs àriuvention, b. la disposilion et à l'éloculioii,
ne s'appli(|uein pas seulement à la prose, mais
encore à la poésie, et s'imposent h toute ceuvi-e
littéraire; elle distingue et étudie les genres;
elle analyse le fond et la forme, pour saisir leur
intime rapport ; elle clierclio à découvrir toutes
les sources de la pensée, et à assurer la marclie
du raisonnemejit ; elle sonde les facultés de l'âme,
où doit pénétrer rélo(|uence, et d'où elle doit jail-
lir; elle énumèro toutes les variétés et toutes les
qualités du style, pour l'approprier aux divers su-
jets et en faire l'instrument docile de la pensée ;
elle définit le goût ([u'elle aide à former par la
critique et l'étude des modelés, le talent qu'elle
développe et fortifie par l'exercice, le génie qu'elle
guide et gouverne par l'art; elle le met, pour
l'inspirer, en présence du beau, du sublime et de
l'idéal : elle est, en un mot, la théorie littéraire
par excellence.
Ace tilie, quelle n'est pas son utilité? En dé-
veloppant les facultés intellectuelles, et en for-
mant le cœur de l'homme, elle le rend "véritable-
ment digne de ce nom, capable de servir et
d'honorer l'humanité, capable de goûter la plus
noble des jouissances, celle que procure l'étude et
la connaissance des belles-lettres.
De la rheloi-ii/ue proiJi-einait dite. — Mais la
rhétorique a été enfermée dans des limites plus
étroites, et considérée comme un art spécial, dont
les préceptes s'adressent particulièrement à tous
ceux qui ont à. parler en public. On la définit alors
l'art oratoire, l'art de bien dire, ou mieux l'art de
persuader, d'agir sur les volontés par la parole.
Elle limite le domaine de l'éloquence à trois
genres de causes, le délibératif qui conseille ou
dissuade, le judiciaire qui accuse ou défend, le
démonstratif qui blâme ou loue (V. la division
moderne à l'article Discours) ; puis, pour nous ap-
prendre h traiter les sujets qui se rattachent i ces
trois genres, elle se divise elle-même en cinq par-
ties : I'Invention accumule tous les matériaux du
discours, les aiyuments ou preuves, avec les
lieux communs et les formes de raisonnement qui
les font valoir, les mœurs, qui concilient à l'orateur
la sympathie de l'auditoire, les passions, qui le
rendent maître des âmes ; la Disposition met
tous ces matériaux en ordre, et les répartit entre
l'exordc, la proposition, la narration, la confirma-
tion, la réfutation et la péroraison ; I'Elocution est
comme le vêtement du discours, et s'occupe des
qualités générales ou particulières du style, des
tropes, des figures de mots et de pensée; la
MÉMOIRE, ce liésor de toutes les connaissances,
est la gardienne du dépùt que lui confie l'inven-
tion ; l'AcTioN règle la voix, le regard, le geste,
l'attitude de l'orateur ; elle est comme l'éloquence
du corps. Nous faisons grâce à nos lecteurs de la
longue et stérile nomenclature des termes et des
définitions que comporte, dans les traités de rhé-
torique ancienne, chacune des subdivisions de
ces cinq parties principales; pour plus de détails,
nous les renvoyons aux articles Discours, Cii7npo-
silion. Style, t'iijures. Ûéclmnatioit.
Le but de la rhétorique ainsi conçue, c'est l'uti-
lité ; art pratique, elle forme des orateurs, et leur
apprend à défendre des accusés, à traiter dans les
assemblées publiques toutes les questions qui in-
téressent le gouvernement des Etats, la prospéiité
et le salut des peuples. S'il dépendait d'elle de
donner l'éloquence, aucun art ne pourrait se
vanter d'être plus utile : qu'il suffise à sa gloire
d'être au moins son auxiliaire et son guide.
Historir/ue. — C'est qu'en efl'et la rhétorique
doit plus k l'éloquence, que l'éloquence à la rhé-
torique. Comme tous les arts, elle naît de l'obser-
vation et de l'imitation. Dès ces époques primiti-
ves où l'homme vivaità l'état sauvage et où régnait
la force, l'éloquence, fille de la nature et du génie,
alliée h la poésie pour fonder les sociétés et les
soumettre h des lois, avait déjà rendu bien des
services â l'humanité et remporté bien des triom-
phes, ciuand des esprits observateurs s'avisèrent
de noter les procédés qu'elle employait d'instinct.
La rhétorique, fruit de ces observations, n'appa-
raît en Grèce que lon;;tenips après Homère, qui
lui fournit des modèles, après Selon, Pisistrate,
Tliémistocle, etc., qui la devinent. La liberté vit
d'éloquence : chez les Grecs un temps arrive où
« tout dépend du peuple et où le peuple dépend
de la parole ; dans leur forme de gouvernement,
la fortune, la réputation, l'autorité sont attachées
à la persuasion de la multitude. La parole est le
grand ressort en paix et en guerre : » les rhéteurs
et les sophistes peuvent paraître alors ; la jeunesse
athénienne accourt i leurs éculos; on comprend
la puissance d'un discours étudié, composé, écrit ;
l'art \ient en aide à la nature ; on ruttine la pa-
role, et l'éloquence devient savante, grâce aux
leçons des Gorgias, des Protagoras, des Prodicus,
dos Lysias, des Isocrate. Quand elle mourra avec
Démoslhène et la liberté, elle aura livré ses secrets
h Aristote, qui résume pour les siècles à venir la
théorie de l'art oratoire.
La rhétorique grecque règne chez les Romains.
Cicéron l'ennoblit, en la soumettant à la philoso-
phie, et en lui faisant franchir à la recherche de
l'idéal les limites où l'avaient enfermée les rhé-
teurs de profession ; mais à Rome , comme à
Athènes, elle survit k l'éloquence et se met au ser-
vice de la déclamation; l'œuvre immense et compli-
quée d'un Quiniilien peut encore honorer les le-
çons d'un art qu'elle aide ."i vivre, mais que ne fé-
conde plus la véritable éloquence.
En France, dans les universités et dans les col-
lèges, on ne jure longtemps que par Aristote et
Quintilien; la rhétorique est enseignée, avec une
superstitieuse exactitude, telle que les rhéteurs
grecs et romains l'avaient conçue, sans autre but
que l'érudition, et dans un idiome qui n'avait
plus de rapport avec la pensée, les mœurs et les
sentiments d'un monde nouveau ; l'enseignement
des Jésuites, voué au laliii, perpétue le règne de
cet art pédantesque, même en un siècle où c'est
la voix d'un Bossuet qui répond aux préceptes
d'une rhétorique surannée. Mais déjà le génie
français tend k s'affranchir du joug: Racine, dans
ses l'iatdeurs, livre au ridicule les avocats qui
confondent le temple de la chicane avi;c l'agora
ou le forum ; Molière fait justice de Vithos et du
pathos; quelques pensées de Pascal, quelques
pages de Fônelon et de La Bruyère dégagent la
rhétorique du faix d'érudition qui l'appesantissait,
et la soumettent aux simples lois du goût fran-
çais ; il y a enfin une rhétorique nationale, fran-
çaise. En vain l'aimable Rollin cherche k rajeunir
par une forme plus légère et plus séduisante les
préceptes de la vieille rhétorique : le xviii= siècle
écrit plus qu'il ne parle, et quand il parle, k la
fin, c'est pour agir; les orateurs de la Révolution
n'ont pas le temps d'écouter Aristote et Quintilien.
Puis peu à peu s'élargit le cercle des connaissances
humaines ; les sciences prennent place k côté des
lettres dans l'enseignement de l'université; si la
rhétorique figure encore avec honneur au pro-
gramme des études, on l'étudié moins dans les
traites que sur les modèles; elle cesse d'ôtre en-
combrante et pédante, elle parle en français.
De la rliètorique daiis les écoles normales et
les écoles primaires. — La littérature et l'art de
la composition ont leur large part dans ce Diction-
naire. A la rhétorique proprement dite, nous ne
demanderons pour nos maîtres et pour nos élèves
que ce qu'elle peut donner aux uns, dans la me-
sure de leurs attributions, aux autres, dans la
mesure de leur instruction et des nécessités de la
vie publique et privée. Un maître doit savoir par-
HICHARD
— 1918 —
RICHELIEU
1er; on fait aujoui'd"liui une large part Ji l'ensei-
gnement, oral, plus vivant et plus fécond que celui
du livre. La plume reste sans doute la maîtresse
par excellence de l'art de bien dire, mais elle ne
suffit pas; il faut encore la pratique et comme
une culture particulière de la parole. Bien des
sujets de composition écrite peuvent devejiir à un
moment donné des sujets de composition parlée,
récits, descriptions, développements de pensées
morales, jugements sur un personnage liistorique ;
les leçons d'histoire et les leçons de choses doi-
vent être orales, une analyse littéraire peut être
improvisée. Jusqu'à la mémoire et à l'action, cul-
tivées par la récitation et la lecture, il n'est pas
une partie de la rhétorique qui', réduite à de justes
proportions, ne puisse et ne doive trouver son
emploi dans une école normale.
De môme, avec les exercices de composition
écrite, tous les degrés de l'école primaire com-
portent certains exercices de parole, et nos élèves
sauront parler, quoi qu'on en dise, si nous leur
apprenons à parler, si nous ne les tenons pas
courbés sans cesse sur le livre ou le cahier, si
l'interrogation volant dans la classe fait partout
jaillir la parole; invitez-les h raconter ce qu'ils
ont vu, h répéter tout haut ce qu'ils viennent d'ap-
prendre, h. résumer de vive voix une leçon d'his-
toire ou les premières notions de la science, à
animer par des exemples les leçons abstraites de
la morale; à la faveur de la lecture, apprenez-leur
à soigner leur débit. Citoyens d'un pays libre,
maires de leurs villases, conseillers municipaux,
témoins devant un tribunal, pour eux bientôt, dans
les professions les plus diverses, que d'occasions
de parler 1 Qu'ils apprennent dans les écoles à
s'exprimer avec clarté, correction, aisance et sin-
cérité : la rhétorique ne leur en demande pas da-
vantage. [C. de Lostalot.J
RICIIAIID. — Histoire générale, XXVIII. —
Nom de trois rois d'Angleterre. Pour Richard I"'
Cœur de Lion, V. Plantayunet et Croisades;
pour Richaid II, V. Plantarjenet et Guerre de
Cent Ans; pour Richard III, V. Pla>itage7iet et
Guerre rfev Deux Ros-^-. — V. aussi Angleterre.
KICHEI.IEU. — Histoire de France, XXII. —
Armand-Jean du Plessis, cardinal de Richelieu,
fut l'un des plus grands hommes d'Etat de l'an-
cienne monarchie française, un de ceux qui ont
le plus contribué à fonder l'unité nationale et la
l)répondérance de notre pays en Europe. Richelieu
naquit i Paris (5 septembre I.îS.i). 11 avait pour
père un gentilhomme poitevin, François du Plessis,
qui avait suivi Henri III en Pologne et vigoureuse-
ment combattu les Ligueurs aux cùtés d'Henri IV.
Elève du collège de Navarre, le futur cardinal se
destinait i la carrière des armes. Mais la pression
de sa famille le contraignit à entrer dans les or-
dres, où il devait porter son caractère tranchant et
son esprit tout militaire. Le frère aine de Richelieu
venait de se faire chartreux et lui cédait sa place
d'évêque de Luçon, bien qu'il eût à peine vingt-
deux ans(lGO"). Aux Etats-Généraux de 1614, il
fut élu pour représenter le clergé du Poitou. La
femme du maréchal d'Ancre, Léonora Galigai, le
présenta !\. la reine-mère, Marie de ^lédicis (16151
qui, remarquant sa vive intelliïence, le fit entrer
au conseil comme secrétaire d'Etat pour la guerre
(1016). La réaction féodale qui suivit le meurtre
du luaréchal d'Ancre (24 avril 1017) fit tomber
Richelieu. Exilé de la cour, il s'attache à la reine-
mère, négocie en son nom un double accommode-
ment avec son fils Louis XIII, à Angoulème (1019)
et à Angers (1021). La mort du duc de Luynes, re-
présentant du parti féodal, réconcilie le jeune roi
avec Marie de Médicis. Elle obtient pour Richelieu
le chapeau de cardinal (1623) et parvient h le faire
entrer au conseil, malgré les défiances de Louis
XllI (I0'i4j. Dès lors Richelieu saisit le pouvoir
d'une main vigoureuse, exerçant en fait depuis
1024, en titre depuis 1629, le rôle de premier mi-
nistre pour le plus grand bien de la France, la
confusion de l'étranger et la défaite du parti
féodal.
A peine maître de la situation, Richelieu met à
exécution ses grands desseins. Placé entre la ja-
lousie du roi qui le redoute et le supporte en fré-
missant; les complots du duc d'Orléans qui veut
le faire assassiner; lus intrigues honteuses des
deux reines, maintenant réconciliées (Marie de
Médicis et Anne d'Autriche), qui le trahissent
tantôt pour l'Angleterre et tantôt pour l'Espagne ;
harcelé par la noblesse, qui appelle les armées
étrangères pour le combattre, et par les favoris
royaux, le poignard des meurtriers et les ven-
geances féminines, Richelieu poursuit impertur-
bablement son œuvre, broyant tous les obstacles,
avec l'aide de quel(|ues agents dévoués (le père
Joseph, le cardinal de Sourdis).
Arracher la France aux mains des f,ictions reli-
gieuses qui la déchirent, du parti seigneurial qui
la déshonore, tel est son premier but. Réunir en-
suite toutes les forces de la nation pour briser la
puissance de la maison d'Autriche en Europe et
assurer du même coup la prépondérance de la
France et la liberté de conscience de l'Allemagne,
telle fut la seconde partie de son rôle. Essayons
de l'analyser brièvement.
Evoque et cardinal, Richelieu eut la gloire, en
plein xvii" siècle, de subordonner toujours les
questions religieuses aux intérêts nationaux. Deux
partis étaient en armes : catholiques et protes-
tants. Ces derniers, se sentant menacés, avaient
conclu, par l'intermédiaire de leurs chefs (Henri
de Rohan et le duc de Soubise), une alliance
avec l'Angleterre. Richelieu les attaque (1026),
leur enlève l'île de Ré, assiège leur principale
place d'armes, La Rochelle, jette dans la mer une
digue de liOil mètres qui ferme le port, canonne
la flotte anglaise, et s'empare de la ville après
14 mois de siège (1628). Les protestants vaincus
et désarmes, il les réconcilie avec le pouvoir en
leur accordant le libre exercice de leur culte et
les mêmes droits qu'aux catholiques jpaix d'Alais,
1629). Par cette sage conduite, les guerres de reli-
gion étaient terminées.
Il se tourne alors contre la noblesse, dont les
complots et les soulèvements avaient déjà failli
paralyser son œuvre, contre la noblesse qui par-
lait ouvertement de le poignarder, avec l'assenti-
ment de la reine et du frère du roi. Le conspira-
teur Chalais est décapité (1026) ; les comtes de
Boutteville et de La Chapelle, qui ont bravé l'édit
contre les duels, le suivent à l'échafaud (1627).
César de Vendôme est dépouillé de ses titres, en-
fermé à Vincennes ; d'Ornano meurt dans sa pri-
son. Les deux reines font un nouvel effort pour
renverser Richelieu (1B3U), mais la journée des
dupes, qui le consolide, amène la disgrâce des
conspirateurs, Bassompierre et les deux Marillac.
Marie de Médicis est exilée (1631). La noblesse de
province se révolte, entraînée par le duc de
Lorraine et le maréchal duc do Montmorency, gou-
verneur du Languedoc. Ce derjiier est vaincu à
Castelnaudary et décapité à Toulouse (1632). La
Lorraine est occupée par l'armée royale. En 1635,
Gaston d'Orléans essaie en vain de faire assassi-
ner le ministre à Amiens. Puis c'est le comte de
Soissons, aidé du duc de Bouillon, qui se soulève
et appelle l'armée espagnole. Il est tué à la ba-
taille de la Marfée (1641'. Le favori du roi, Cinq-
Mars, complote avec de Tliou la chute du puissant
ministre. Richelieu parvient à saisir le traité se-
cret qu'ils ont conclu avec l'Espagne, et les fait
exécuter à Lyon (1642).
La noblesse effarée, domptée, courbait la tôle.
Pour mieux la réduire encore, il brisait ses privi-
RICHELIEU
— 1919 —
ROCHES
lègos, sii|ipriiii.iit les (îi'andes dignités militaires,
trop il;iii^ rriiM's entre des mains seigneuriales
(le liiir .le .nniirtahlc et celui de grand-amiral).
il (le-, uni. m lis cliàteaux féodaux, instituait dos
m:ifii^li.ii^ iiouveaux (les intendants), hommes du
Tiers-Elat, qui supplanteront bientôt les anciens
gouveiiu'urs pour l'administration des provinces.
La sauvasse coutume du duel, vieux reste do l'an-
cien droit féodal do guerre prirce et du prétendu
jiii/cinent dr Uiru, était sévèrement prohibée. La
bourgeoisie et la magistrature parlementaire, corps
tout dévoués au gouvernement, s'élevaient sur les
débris du monde féodal, oppresseur et anarchique,
dont les plus illustres représentants tombaient
l'un après l'autre sous les coups du grand minis-
tre de la monarchie absolue.
La France enlin centralisée, unie et forte, pou-
vait entrer en scène dans le grand drame qui se
jouait alors en Europe, la guerre do Trente Ans.
Deux principes étaient aux prises. D'une part,
l'intolérance religieuse et l'asservissement de
l'Europe aux deux grands Etats catholiques d'Au-
triche et d'Espagne. De l'autre, la liberté de cons-
cience et l'indépendance des peuples, représentées
par les petits Etats prolestants de l'Allemagne et
de la région Scandinave. Richelieu, évèque et car-
dinal, foule aux pieds les préjugés de son temps,
et tire l'épée pour la défense du protestantisme
en danger. Grâce à lui, la France apparaît tout à
coup comme la protectrice de tous les peuples
menacés dans leur foi ou leur indépendance par
les envahissements de Rome ou l'ombrageuse
tyrannie de l'Autriclie-Espagne. Ajoutons que der-
rière la défaite de l'Autriche et la liberté de
l'Allemagne protestante, Richelieu a entrevu l'in-
dispensable conquête tant négligée par la vieille
monarchie, la conquête de la rive gauche du Rhin.
Il commence par chasser l'Espagne de la Valto-
line, qu'il restitue aux Grisons calvinistes (iC'iO).
Il établit de vive force un prince français, le duc
de Nevers, dans les importantes possessions de
Mantoue et du Montferrat, maigre les Espagnols
(l6-i0). L'Italie est entamée. Mais en Allemagne,
l'armée protestante vient d'être vaincue et disper-
sée, malgré l'appui des Danois. Richelieu contient
un moment l'Autriche victorieuse (diète de Ratis
bonne) par la diplomatie du père Joseph. 11 négocie
un traité avec la Suède, au grand avantage et des
Suédois et de la France, prodigue l'argent pour
lever des troupes en Allemagne, et jette sur
l'Autriche le premier homme de guerre de l'épo-
que, le héros de la Suède, Gustave-Adolphe
(I(j30-I6;ri). Celui-ci parcourt en vainqueur tout
l'empire germanique, mais il meurt au milieu de
son triomphe, à la bataille de Lutzeu (lliS'i). Dès
lors Richelieu n'hésite plus. Il s'assure l'appui,
moral ou matériel, de tous les Etats menacés par
l'ambition autrichienne, et déclare la guerre(lC35j.
Ce n'est pas ici le lieu de la raconter (V. Guerre
de Trente Ans). Malgré les trahisons de la no-
blesse et les complots de la reine Anne d'Autriche,
qui ne craint pas de livrer les secrets d'Etat à
l'Espagne, la France tient tète à l'ennemi sur
toutes ses frontières. Un moment envaliie au nord
par l'armée espagnole qui s'avance jusqu'à C.orbie
(I63G), elle est sauvée par la fermeté de Riche-
lieu et l'enthousiasme des Parisiens qui s'enrô-
lent en foule. L'appui de la Hollande et les vic-
toires de Bernard de Saxe venant en aide à nos
généraux, l'Alsace est conquise (lO:iS), une révo-
lution éclate en Portugal contre les Espagnols
(Ifi4li), le Roussillon et la Catalogne même se
soulèvent et réclament l'appui de la France (lG4l) ;
au nord, l'Artois est conquis; au sud, Perpignan
est pris (IG42). Mais Richelieu épuise meurt
avant d'avoir pu achever son u;uvre, en léguant
à la France Mazarin, son élève, qui était digne
do la compléter.
Malgré ses nombreux ennemis, ses faibles res-
sources et sa santé chancelajite, Richelieu était
donc parvenu à réaliser, au moins dans ses gran-
des lignes, le plan qu'il s'était tracé. Il fut,
comme administrateur, aussi actif et aussi habile
qu'il était bon diplomate et grand patriote. Sa
persévérance, son énergie soutenue, son intelli-
gence des temps nouveaux sont également admi-
rables. C'est le premier ministre, avant Lou-
vols, qui organise une armée forte et régulière
(18(1, OUO hommes); le premier, avant Colbert, qui
équipe une flotte de cent vaisseaux. Il comprend
l'importance des colonies naissantes, et cherche
à devancer l'Angleterre sur tous les points du
monde (au Canada, à Terre-Neuve, à Saint-Do-
mingue, aux Petites Antilles, au Sénégal, à Mada-
gasear, à la Guyane). 11 fait refondre les lois
civiles (111-28). il institue l'Académie française
(IU:15), protège la jeunesse de Corneille, honore
les lettres en la personne de Voiture, de Gom-
bault, de Chapelain, les arts en pensionnant
Poussin. La construction du Palais-Cardinal (Pa-
lais-Royal), la création du collège du Plessis, de
la Bibliothèque royale, du Jardin des plantes,
attestent assez son activité et ses efforts pour
embellir la capitale.
On lui a reproché son despotisme, et la mort
des grands seigneurs, conspirateurs ou traîtres,
qu'il fit monter à l'échafaud. Mais ces exécutions
étaient nécessaires à son système de gouverne-
ment, et II ne pouvait exercer le pouvoir et réa-
liser ses plans qu'à ce prix. Quoi qu'il en soit,
rirapartialité oblige à reconnaître que Richelieu
est, avec Philippe-Auguste et Philippe le Bel,
Louis XI et Henri IV, un des rares hommes d'E-
tat de l'ancienne monarchie qui aient voué leur
vie à fonder l'unité française, à élever l'édifice de
la grandeur nationale, et qui aient su marcher
avec l'esprit du temps, souvent même devancer
l'avenir. [p. Martine.!
nuBKRT. — Histoire de France, VIII. — Robert,
fils et successeur de Hugues Capet, régna de 9()G
à IflSI. Les principaux événements de son règne
ont été racoiités à l'article Hwjues Capet et les pre-
miers Ca/jétie?is.
nucuii.s. — Géologie, II. — On donne le
nom de roi:he à tout minéral ou assemblage de
minéraux formant des masses assez considérables
pour jouer un rôle notable dans l'écorce du globe.
Les caractères généraux des roches se rappor-
tent surtout : r à la composition; 2° an gise-
ment ; 3° au mode de formation ; 4°i la structure.
Il suffit d'un examen très surperflciel pour
constater que les roches sont les unes simples et
les autres composées. Les premières, souvent dé-
signées sous le nom de roclies liumogénes, sont
formées d'éléments ou d'individus minéralogi-
ques de nature uniforme. Le grès quartzeux, le
sel gemme, le marbre blanc peuvent être cités
comme exemples de roches homogènes. Los ro-
ches composées, dites aussi h/Srotéi/éiies, sont
constituées par la réunion d'individus appartenant
à diverses espèces minérales. Parmi ces roches,
qui sont extrêmement nombreuses, on peut
citer le granité, la pegmatlte, l'ophicalce, etc. Le
nom de roches surcmiposiSes convient à celles
qui, comme la brèche universelle d'Egypte ou le
nagelfluhe, sont formées de fragments apparte-
nant à des roches diverses, composées elles-
mêmes.
En général, les individus minéralogiques conte-
nus dans les roches sont fort petits et souvent
même d'un volume inappréciable à l'oeil nu.
Dans certaines roches le volume dos parties mi-
nérales élémentaires échappe aux instruments
grossissants les plus perfectionnés; ainsi, de
quelque manière que l'on s'y prenne, il est jus-
qu'ici imuûssible de distinguar les dernières par-
ROCHES
— 1920 —
ROCHES
tics indivisibles de l'argile, de la marne, du si-
lex, comme aussi des masses vitreuses qui
résultent de refroidissement de certaines laves
comme l'obsidienne et la gallicane. On peut dis-
tinguer, sous le rapport des parties individuel-
les : 1» les roches pluinéroyènes, c'est-à-dire dont
les parties sont apparentes et discernables à l'œil
nu (ex. le granité, la dolérite) ; 2° les roclies adé-
logènes, où le volume des parties est caché et
invisible (ex. : le basalte, le pétrosilex); 3° les
roches partie adélogènes et partie phanérogènes :
tels soi'.t les mélapbyres, composés dune pâte
compacte avec cristaux discernables et reconnais-
bles à l'œil nu.
En général, les caractères tirés du gisement
des roches présentent extrêmement peu de pré-
cision. S'il est vrai que le granité occupe une
autre position que la houille et une autre aussi
que la galène, il faut reconnaître qu'on trouve
des calcaires dans les situations géologiques les
plus diverses, et qu'il en est encore de même
pour beaucoup d'autres roches. Les considéra-
tions stratigraphiques ne sauraient donc être que
d'un très faible secours relativement à la classi-
fication des roches.
L'étude du mode de formation des roches est
un des points les plus intéressants de la géolo-
gie; mais cette élude est bien loin d'être com-
plète. Dès à présent on sait d'une manière
générale que certaines roches se sont formées
par voie purement aqueuse (limon), et d'autres
par voie hydrotherniale, c'est-à-dire par l'inter-
médiaire de l'eau aidée d'une forte chaleur (les
filons); d'autres par une sorte de voie mixte
supposant d'abord un dépôt aqueux, puis un
échaufifement plus ou moins considérable (roches
métamorphiques). Il est de plus en plus dou-
teux que des roches aient jamais été produites
par la voie ignée seule, c'est-à-dire par la chaleur
non aidée de vapeurs, et s'il en existe, on ne sau-
rait les chercher même parmi les masses les plus
profondes, telles que les roches de péridot dont
les éruptions de basaltes nous ont parfois apporté
des échantillons.
On entend par structure l'aspect que présente
l'enchevêtrement, l'enlacement des éléments mi-
néralogiques dune roche. Cet aspect dépend du
volume respectif, de la figure, de la proportion
et de la position réciproque des parties élémen-
taires. Il convient d'énumcrer quelques-unes des
principales structures qui peuvent se rencontrer :
1° Une roche est dite Idnielkiire lorsiiue la cas-
sure offre de petites lamelles cristallines à peu
près planes; elle e&t sacchdruide lorsque sa cou-
leur blanciie lui donne une apparence analogue
à celle du sucre; '2° une roche yrenue ou granu-
laire est formée de grains distincts plus ou
moins gros ; 3" une roche est porplujrique lorsqu'au
milieu d'une pâte d'apparence plus ou moins ho-
mogène, on trouve des cristaux disséminés de
feldspath ou des divers autres éléments qui cons-
tituent la roche; 4° on la dit porphyroïd- lors-
que, étant grenue, elle contient des cristaux dis-
séminés beaucoup plus gros que ceux qui for-
ment la base de la roche; ô" i/tandu/aire quand,
au milieu de la pâte, les cristaux, au lieu d'être
disséminés en grains cristallins, se présentent
sous forme de rognons glanduleux ; i.» gtohuli-
fére, ysohaire ou variolaire, ami/gdahiire, ou
pisulit'iiyue, ou oolithique, quand la roche con-
tient, disséminées dans la masse, des parties plus
ou moins sphéroidales; 7° schistuide, lorsque la
roche parait formée de lits minces et quelque-
fois même de feuillets ; S° compacte, quand tous
les éléments, réduits à un volume microscopi-
ques, sont très serrés dans le tissu de la roclie ;
y vacuolaire ou cellulaire, lorsciue la roche con-
tient des cavités nombreuses; 10° argiloide oa
terreuse, lorsque le tissu est serré et poreux ;
11" vitreuse, quand la roche présente l'aspect du
verre; 12° yrésiforine ou arénacée, quand la ro-
che prend l'aspect du sable agglutiné ou non ;
13° poudinguiforine ou pséphitique quand elle a
l'aspect de grains agglutinés ou non; 14° brécki-
forine, quand elle est formée par la réunion de
fragments anguleux; 15° zoogène ou pJiylogène,
quand elle résulte de l'agglutination de débris
animaux ou végétaux.
Pour la détermination des roches, l'analyse
minéralogique doit seule intervenir, et non pas
l'analyse chimique, comme on le fait trop sou-
vent. La raison en est très simple. En elïet, les
roches étant, d'après leur définition même, des
mélanges en proportions variées de diverses es-
pèces minérales, il pourra arriver, si on les sou-
met à l'analyse chimique, des résultats dilïérents
pour des roches évidemment identiques . et,
par contre, des roches certainement difl'éren-
tes donneront les mêmes résultats. C'est ainsi que
du granité très feldspathique n'a pas la même
composition chiiniiiue que du granité très
quartzeux; c'est ainsi, à l'inverse, que l'analyse
donne les mêmes chiffres quand elle s'applique
à certains granités et à certaines ardoises.
Reste à savoir si l'analyse minéralogique est
toujours possible ; si, par exemple, on pourra
dire quels minéraux entrent dans la constitution
de telle ou telle roche à grains très fins et d'ap-
parence homogène. Mais ce sont là des détails
que les études ultérieures viendront sans dtiute
éclaircir et qui, dans tous les cas, ne sauraient
infirmer le principe de la méthode. On en est
d'autant plus assuré que divers procédés in-
génieux ont dès maintenant fourni une foule
de documents i)récis à l'égard de roches qui
semblaient défier toutes les tentatives de triags
minéralogique.
En première ligne doit être citée à ce point de
vue l'étude au microscope de lames taillées au ira»
vers des roches sans moclifier la situation relative de
leurs parties constituantes, et cependant avec une
minceur telle que la lumière passe sans difficulté
au travers de leur substance. M. Sorby est certaine-
ment un des savants qui ont les premiers employé ce
mode opératoire. En opérant dans la lumière po-
larisée, on arrive à déterminer ainsi beaucoup de
substances minérales. Toutefois, il ne faut pas aller
trop vile dans l'application de ce délicat procétié,
et justement à cause de sa délicatesse. On sait,
en effet, que les cristaux agissent sur la lumière
polarisée de faisons diverses dans leurs diverses
directions, et on n'a pas toujours le moyen de
reconnaître la direction cristallographique suivant
laquelle sont coupés les éléments d'une roche
réduite en lame mince. Mais les résultats déjà
acciuis peuvent faire prévoir de nouveaux progrès
qui permettront de rejeter des déterminations
sans doute hasardées, faites trop vite par la lu-
mière polarisée.
Dans beaucoup de cas, il importe de séparer
les uns des autres les minéraux associés daiis
une ruche, et parfois cette séparation est possi-
ble grâce à l'application de dilt'érenles méthodes.
L'une des plus habituellement suivies porte le
nom de lêvigation : elle s'applique au cas où
les minéraux à séparer, ayant un volume à peu
près égal, ont des densités dift'érentes. On met
la matière réduite en poudre dans une capsule et
l'on y fait arriver un filet d'eau d'une vitesse
convenable : les parties peu denses sont entraî-
nées et vont se déposer dans un second vase où
l'on reçoit l'eau qui les entraine ; les autres res-
tent dans la capsule, à laquelle on a soin d'im-
primer, durant l'opération, un mouvement parti-
culier d'oscillation. On sait que c'e.st par lêviga-
tion que les orpailleurs séparent le» paillettes
ROCHES
— 1921 —
ROCHES
d'or (les matièros moins donscs qui constituent
les sables aurifii-es.
Des triages physiques peuvent être cités h cM
de ces triages purement mécaniques. L'un d'eux
consiste dans l'emploi d'un barreau aimanté. Si
l'on promène un aimant dans la poudre obtenue
par le broyage d'un basalte, on en retire facile-
ment tout le fer titane, qui est magnétique,
tandis (|uo les parties pierreuses restent à peu
prés complètement inertes. Parfois, on peut utili-
ser la conductibilité électrique des éléments des
roches. On sait en quoi consiste l'expérience de
Leichtenberg : on prend un plateau de résine bien
uni et l'on dépose sur sa surface, au moyen
d'une bouteille de Leyde que l'on tient par la
panse, de l'électricité positive suivant des lignes
quelconques. On répète cette opération, mais en
suivant d'autres lignes, après avoir chargé l'inté-
rieur do la bouteille d'électricité négative. On
a donc sur la résine des bandes électrisoes positi-
vement et d'autres électrisées négativement ; on
projette alors sur la résine ainsi préparée un mé-
lange de poudres fines de minium et de soufre,
au moyen d'un petit soufflet dans lequel on les a
introduites. Les deux poudres s'électrisent par
frottement en passant par la tuyère du soufflet;
le soufre, qui est électrisé négativement, se porte
sur les couches électrisées positivement, et le
minium sur celles qui ont reçu le fluide néga-
tif. Or, l'expérience réussit très bien si au lieu
du mélange de minium et de soufre, on fait
usage de la poudre de certaines roches com-
plexes naturelles, telles que certains trachytes
sulfurifères. Le triage des éléments de ces roches
est donc ainsi réalisé.
Comme les acides n'exercent pas une action
égale sur tous les minéraux, on peut les employer
à opérer des séparations; seulement il faut re-
marquer qu'ils donnent simplement le moyen
d'isoler les minéraux inattaquables ; les autres
sont détruits. Par exemple un acide étendu agis-
sant sur du cipolin, dissout et fait disparaître le
calcaire, tandis que le talc reste inaltéré ; de même
ce réactif agissant sur la Iherzolithe respecte le
pyroxène et attaque le péridot.
L'analyse aussi complète que possible des ro-
ches les plus diverses conduit comme dernier ré-
sultat à l'établissement d'un nombre plus ou moins
grand de types fondés à la fois sur les caractères
•de composition et do structure.
Evidemment, nous no confondrons pas le basalte
vacuolaire avec le calcaire saccharoide ou la peg-
matite graphique ; mais il est certain que nous
chercherions tout de suite à réunir ces types en
espi-'ccs, comme on le fait dans les autres branches
de l'histoire naturelle, en minéralogie par exemple.
Orce travail nous conduit à cette conséquence peut-
être imprévue pour quelques-uns de nos lecteurs,
qu'il n'existe pas d'espèces en lithologie.
D'ailleurs, la raison en est bien simple : c'est
que parmi les roches, il n'existe pas de véritables
indittidus. En zoologie, en botanique, en chimie,
en minéralogie, on sait ce que c'est qu'un indi-
vidu. Mais rien de pareil n'existe en lithologie,
abstraction faite bien entendu dfs roches simples,
dans lesquelles on ne peut voir que des minéraux
présentant simplement ce caractère particulier
d'être très abondants.
Toutefois, la division en types ne saurait suffire
pour rendre nos études faciles, et si nous n'avons
pas la faculté de distinguer des espèces, nous
pouvons du moins faire des rjroupes qui leur se-
ront en quelques points analogues. On peut citer
difl'érents types de granités : granité porphyroîde,
granité grenu, granité schistoide, etc., c'est-à-dire
différents types de roches ayant la même compo-
sition minéralogir/ue. Il parait tout indiqué de les
réunir en un seul groupe qui sera le groupe des
2« Partie.
i/raniles, ou plutôt, pour no pas nous enchaîner
trop vite il des dénominations spéciales, le groupe
des roches formées par la réunion du quartz, du
feldspath orthose et du mica.
Nécessairement, à cùté de ce groupe nous en
ferons trois autres, l'un pour les roches formées
de quartz et de feldspath {pegniatitos, etc.), le
second pour les roches formées de quartz et de
mica (gneiss), et le troisième pour les roches for-
mées de feldspath et de mica (minette).
A ce propos une remarque importante est indis-
pensable : il n'est pas un type, il n'est pas un
groupe qui soit nettement délimité. Partout les
transitions les plus insensibles relient entre eux
les termes qu'un premier coup d'œil montrait
comme parfaitement distincts les uns des autres.
Ainsi, ce qui nous frappera tout de suite dans
l'étude des types, c'est le nombre de leurs pas-
sages intermédiaires. Si l'on examine une suite
suffisamment nombreuse d'échantillons, on en
trouve immédiatement qui participent à la fois
des caractères de plusieurs types difl'érents etdont
la définition est dès lors incertaine.
Pour les groupes, il en est de même. Ainsi, nous
trouvons parmi les granités de très grandes varia-
tions. Le mica par exemple y est en propor-
tion très diverse, et cet élément venant à dispa-
raître progressivement, nous serons insensiblement
en présence de roches qui seront de plus en plus
semblables aux pegmatites. A quel moment ce
groupe fera-t-il place i l'autre'? Il est impossible
de le prévoir.
Ce que nous disons relativement au mica peut
se dire pour le feldspath et pour le quartz, c'est-
i-dire que nous trouverons des passages entre le
granit et le gneiss, de même qu'entre le granit
et la minette.
Ces mômes passages qui viennent de se pro-
duire par appauvrissement, c'est-à-dire par dispa-
rition progressive de l'un des éléments d'une
roche donnée, pourront aussi être dus à une cause
inverse : on rencontrera des échantillons de
pegmatite un peu micacée. Il n'y a pas pour cela
à pensera en faire un granité; mais cotte peg-
matite est évidemment un passage vers leS roches
à trois éléments.
Les faits de ce genre nous conduisent tout na-
turellement à dire quelques mots d'une distinc-
tion capitale qu'on doit établir, malgré son
arbitraire, entre les divers minéraux qui peuvent
entrer dans la composition d'une roche donnée.
Outre le feldspath, le quartz et le mica, l'analyse
minéralogique de certains granités donne du
grenat, du talc, de la tourmaline, de l'émeraude,
de la topaze, du zircon, de l'andalousite, du dis-
thène, de la pinite, du sphène, de la magnétite,
de l'apatite, de la fluorine, du graphite, etc. Mais
ces divers minéraux ne jouent évidemment dans
la roche qu'un rôle tout à fait accessoire; et c'est
CB qu'on exprime en disant qu'ils sont des miné-
raux accidentels. Le quartz, le feldspath et la
mica sont au contraire, dans ce cas particulier, des
minéraux essentiels.
Comment s'y prendra-t-on pour reconnaître
qu'un minéral est, daus une roche donnée, essen-
tiel ou accidentel? Deux cas peuvent se présenter:
ou bien le minéral on question est très rare dans
les roches, ou bien, au contraire, il y est très
abondant. Dans le premier cas, l'étude des échan-
tillons suffit; dans l'autre l'observation sur le ter-
rain peut seule conduire à la solution du pro-
blème.
Ainsi, le calcaire saccharoide contient quelquefois
de petites paillettes de graphite ; elles sont rares
et disséminées çà et là : évidemment le nom
d'accidentel convient sans conteste à ce gra-
phite. An contraire, certains micaschistes sont
complètement criblés de cristaux do grenat. Le
121
ROCHES
— 1922 —
ROMAN
grenat est-il essentiel ou accidentel ? L'étude de
l'échantillon conduirait à répondre qu'il fait partie
essentielle de la roche ; mais l'examen des grands
massifs do micaschistes montre que les régions
grcnatisées sont exceptionnelles, et que le grenat
est par conséquent un accident de composition.
De pareils exemples font voir quel vague doit
exister dans la distinction des minéraux en essen-
tiels et en accidentels. Les lithologistes sont né-
cessairement contraints, dans nombre de cas, à
trancher la question d'une manière tout à fait
arbitraire, et dès lors il ne faut pas s'étonner de
voir varier plus ou moins la caractéristique qu'ils
donnent d'une même roche.
Ajoutons que la présence des minéraux acciden-
tels lournit le meilleur caractère pour l'établisse-
ment des variétés.
Les observations qui précèdent nous donnent le
moyen de repartir les diverses roches, non pas
d'après une cla>iifii:ation proprement dite, dont
l'impossibilité en lithologie est manifeste, mais
conformément à un arrangement systématique
susceptible de faciUter nos études.
Ce que cet arrangement ainsi compris prosente
de particulier, c'est la rigueur avec laquelle le
principe de la subordination des caractères y est
appliqué. Nous divisons d'abord les roches en deux
grandes catégories, suivant qu'elles sont liomo-
génes ou hétérogènes, ces dernières consistant en
fragments agglutinés de roches homogènes.
Les roches hétérogènes sont caractérisées par
la nature des fragments qui entrent dans leur
constitution, et ceux-ci font partie de la première
catégorie. 11 n'y a donc pas lieu ici d'y insister
spécialement.
Quant aux roches homogènes, nous les répar-
tissons dans de grandes divisioifi d'après le nom-
bre de leurs éléments constituants essentiels.
Nous avons ainsi les roches unitaires, les roches
binaires et les roches ternaires.
Chaque division comprend des groupes exclusi-
vement caractérisés par la composition minéra-
logique. C'est ainsi que toutes les roches essen-
tiellement formées de feldspath et de mica sont
réunies dans le même groupe. S'il se trouve que
ces minéraux essentiels subissent des variations
dans leur composition, à chacune d'elles corres-
pond un sous-groupe. Ainsi les roches qui nous
occupent se diviseront en trois sous-groupes : le
premier comprend les roches formées d'orthose
et de mica ordinaire (gneiss, leptynolithes) ; le se-
cond les roches formées d'orthose et àe mica
brun (minette, kéralite) ; le dernier enfin les ro-
ches formées de mica ordinaire et d'oligoclase
(kersanton).
D'après la structure, les groupes (ou les sous-
groupes quand il y en a) se divisent en types.
Ainsi, le groupe des roches essentiellement for-
mées par le mélange du quartz avec le feldspath
comprend des masses se rapportant à sept struc-
tures principales : nous en faisons sept types dis-
tincts. Ce sont ceux qui correspondent aux
roches : r grenues (granulites) ; 2° graphiques
(pegmatite) ; .i° porphyroldes (porphyre feldspa-
thique quartzifère) ; 4° granitoides (!'/.); 5° schis-
toides (((/.);()" globulifères (pyromérides) ; 7" gré-
siformes (arkose).
Chacun de ces types admet enfin des variétés
dues exclusivement à la présence de minéraux
accidentels, et l'on ne voit d'indétermination possi-
ble que dans le cas où plusieurs de ces minéraux
se présentent à la fois. Dans ce cas, la roche pour-
rait au même titre être considérée coumie appar-
tenant à |)lusieurs variétés, mais, celles-ci étant
toutes com|)rises dans le même type, le vague ne
serait pas très grand.
Pour ce qui concerne le classement géologique
des roches et l'étude des phénomènes de stratifi-
cation, nous renvoyons à l'article Terrains (Classi-
ficalioii des). i Stanislas Meunier.]
RODOLPHE 1" KT II. — V. Habsbourg.
R(>.M.v.\. — Littérature et style, IV. — Le
roman est le dernier-né parmi les genres litté-
raires. Sans remonterjusqu'aux littératures de l'O-
rient et sans rechercher si des livres comme
Estker et Ruili, par exemple, doivent être ou non
considérés comme des romans, en nous arrêtant
à la littérature grecque, ce n'est que fort tard
que nous voyons apparaître le roman. L'épopée
et la poésie lyrique ouvrent la marche, puis vien-
nent la chronique et bientôt l'histoire. La tragé-
die et la comédie se dégagent de la poésie lyrique
et presque aussitôt fleurissent. Athènes voit à peu
près en même temps éclore et s'épanouir l'élo-
quence et la philosophie. Ce n'est qu'après la
chute d'Athènes, lorsque la période alexandrine
est venue, que le roman se montre ; après la poé-
sie bucolique, c'est lui qui donna aux lettres
grecques leur dernier éclat avec l'auteur de
Théagène et Chariclée, avec celui de Daphnis et
C/iIoé. La véritable Grèce, on peut le (lire, n'a
pas connu le roman. A Rome, Pétrone, au temps
de Néron, en donne, dans le Satgricon, le pre-
mier échantillon qui nous soit parvenu dans la
langue latine. Apulée écrit V.ine d'or, un siècle
plus tard. S'il fallait chercher l'origine directe
du roman dans l'antiquité, c'est probablement
parmi les contes de l'ancienne Egypte qu'on aurait
le plus de chance de la rencontrer.
Le roman dans l'antiquité ne se montre jamais
que comme un genre secondaire. Né à une épo-
que de décadence littéraire, il n'a produit aucune
œuvre animée d'un grand souffle. Il est médio-
crement composé, afl'ecté et maniéré, le plus sou-
vent licencieux.
C'est durant la période historique que l'on est
convenu d'appeler le moyen âge que le roman
conquiert définitivement la faveur générale. 11 y
revêt une double forme. Tantôt il raconte les
incidents de la vie populaire, les petits drames
ou les petites comédies de la vie ordinaire et
bourgeoise, les mésaventures des maris, les bons
tours de la rouerie féminine, les conflits des in-
térêts et des passions humaines ; tantôt, haussant
le ton, il peint, au contraire, la vie héroïque,
les vaillants coups d'épée des chevaliers, les
luttes épiques, tantôt contre les monstres, tantôt
contre les infidèles, tantôt contre les hérétiques,
les combats grandioses et terribles et les nobles
amours, les tournois hardis et galants, la foi in-
vincible du paladin défendant tour à tour son
Dieu, son roi ou sa dame. Il est à la fois l'épo-
pée, la tragédie ou la comédie. Un caractère le
marque : terrible ou gai, le récit en est toujours
le caractère principal. Et voici son second carac-
tère. A mesure qu'il avance, le merveilleux y
lient de moins en moins de place. Il a commencé
par mettre en action le ciel et la terre. Dieu, les
anges et les démons aussi bien que les hommes;
il l'a fait sans scrupule; les récits édifiants de la
Légende Dorée n'appartiennent pas moins au genre
du roman que les exploits des chevaliers ou les
contes joyeux des Gaulois, nos vieux pères. Le
roman, selon le sujet qu'il aborde ou la fantaisie
dts auteurs, s'écrit tantôt en prose, tantôt en
vers. Puis, peu h peu le merveilleux est éliminé.
La prose remplace définitivement le vers. L'in-
tervention des puissances surnaturelles cesse de se
manifester. Le romancier abandonne aux poètes,
aux faiseurs d'épopée tout ce qui dépasse l'hu-
manité. Il se borne à étudier celle-ci et à la pein-
dre. La transition n'est pas brusque. Longtemps
encore le roman de clievalerie continue à char-
mer les imaginations ; il met en scène des hom-
mes plus grands que nature, il se plait à peindre
des amours idéales, ou a raconter des événe-
ROMAN
— 1923 —
ROMAN
iiients extraordinaires. Il semble plaire d'autant
plus qu'il transporto davantage le loctour dans un
monde plus diirérent du monde réel. Pourtant le
mouvement une fois imprimé ne s'arrêtera plus.
Le roman abordera tous les sujets et tentera
toutes les formes, il cliorcliera tour à tour h faire
pleurer ou îi faire rire : mais qu'il se propose d'é-
mouvoir l'iuinianilé ou de la distraire, c'est tou-
jours rimmanité elle-même qu'il s'appliquera à
mettre en scène.
Ce qui est incontestable on tout cas, c'est qu'un
genre littéraire nouveau s'est développé. Du se-
cond, du troisième plan, il s'est avancé sur le
premier. Il n'est plus un genre inférieur et dé-
daigné. Si riiistoire en Italie a Guichardin et
Machiavel au xvi'' siècle, si elle a eu Philippe de
Commines en Franco dès le xv'; si Lope de Vega
en Espagne a ressuscité le drame ; si Shakes-
peare en Angleterre se lève comme un soleil,
portant l'art dramatique à un degré de vérité
iiumaine, supérieur peut-être h ce que la Grèce
nous avait montré de plus adEuirable; en France,
en Espagne, les deux plus magnifiques productions
de l'esprit humain, les deux ouvrages où le siècle
nouveau a le mieux exprime son génie sont
deux romans, le Gargantua et le Pantagruel de
Rabelais, le Don Quichotte de Cervantes. Le
roman a conquis sa place qu'il n'abandonnera
plus.
Il pâlit légèrement durant le xvii° siècle. Le
goût classique, l'admiration passionnée de l'anti-
quité et des formes littéraires consacrées par les
chefs-d'œuvre font un peu de tort au roman,
surtout auprès des lettrés. Cependant, VAstrée de
d'ilrfé, plus tard les romans de M'i" de Scudéry,
s'ils ne sont pas parmi les ouvrages dont la criti-
que s'occupe le plus, sont au nombre des ouvra-
ges les plus lus. Les contes et les romans du
xvie siècle, les romans de l'Espagne et de l'Italie,
comptent eux aussi beaucoup de lecteurs et de
lectrices. Scarron publie son Roman comique.
Tandis que Perrault compose ses contes, l'amie
de La Rochefoucauld, M'"' de Lafayette, écrit
Zénaide et la Princesse de Clève'-; elle prouve
ainsi, au moment où Racine écrit ses tragédies,
que le roman n'est pas moins que le théâtre ca-
pable d'animer des caractères, et d'analyser les
sentiments les plus délicats du cœur humain.
Les génies qui ont fait au xvn« siècle la gloire
du théâtre français disparaissent l'un après l'au-
tre, Molière meurt, Corneille meurt. Racine
meurt : nul n'est capable de recueillir leur
héritage. C'est le roman qui va bénéficier sur-
tout de cette situation. Fénelon, le pieux arclie-
vêque, trouve dans le Télémnque le titre le plus
durable de sa gloire. Voici Lesage, îi la fois au-
teur dramatique et romancier : mais le romancier
est supérieur à l'auteur dramatique ; le Diable
boiteux et Gil Blus seront ses œuvres les plus
incontestées, les plus durables. Le roman de
mœurs est né, cheminant de compagnie avec le
roman d'aventures. Voici Montesquieu, qui choisit
la forme du roman pour écrire ses Lettres persa-
nes. Voici bientôt l'abbé Prévost, qui va émouvoir
son temps, qui émouvra tous les temps avec son
court récit de Manon Lescaut. Daniel de Foe en
Angleterre vient de son côté de se servir du ro-
man pour glorifier dans le liubinson Crusoë l'é-
nergie humaine. Swift lui aussi s'en est servi
dans le Conte du Tonneau, dans ses Voi/aijes
de Gulliver, pour lancer contre les vices et les
travers de l'humanité ses âpres et amères satires.
Un moment, durant la première moitié du xviii"
siècle, la vogue en France revient vers le théâtre.
Crébillon et Voltaire s'emparent de la scène
tragique. C'est l'heure do Z«iVe, d'Alzire,<\a Rha-
damiste, à'Atrèe, de Mérope, de Scmiramis. Le
roman cependant ne consent plus à perdre son
importance littéraire. En Angleterre, il a Fiel-
dini;, l'auteur do Tom Jones, il a Richardson, l'au-
teur de Paniéla et de Clarisse liarlowe, qui le
portent plus haut qu'il n'a jamais été. En France,
il va briller durant la seconde moitié du siècle
d'un éclat extraordinaire. Ce ne sont pas seule-
ment les auteurs secondaires, les Duclos, les
Crébillon fils, les Laclos, qui vont le cultiver,
exploitant les curiosités licencieuses et libertines
du temps. Il va servir à de plus nobles entrepri-
ses. C'est d'abord Voltaire qui s'empare do cette
forme de l'art, comme étant celle qui peut arriver
au public le plus nombreux, qui peut le mieux le
servir dans l'œuvre qu'il poursuit. En se servant
du roman, il le rehausse dans l'opinion, il l'élève
au premier rang par le prestige qu'il lui apporte,
par le génie qu'il y déploie, par les imitateurs
qu'il va susciter parmi ses disciples. Tout jeune
homme, hanté de l'ambition littéraire, s'exercera
désormais à composer dus romans, comme il
s'exerçait naguère h composer des tragédies. Les
romans conduiront i l'Académie française. Vol-
taire écrit en se jouant cent contes et dix ro-
mans : c'est la Princesse de Babyinie, c'est Zadig,
c'est Micromégas, c'est l'Homme aux quarante
écus, c'est ïhigénu, c'est Candide. A côté de lui
Diderot écrit Jacques le Fataliste, la Reli/jieuse,
qui servent à la fois les passions du siècle, flat-
tent son libertinage, propagent l'audace des
doctrines nouvelles. Soudain Rousseau apparaît
tenant d'une main l'Emile, de l'autre la Nouvelle
Héloise, et le rôle du roman s'agrandit encore.
Aucun livre ne sera plus lu, aucun n'exercera sur
une société une influence plus profonde que ces
deux ouvrages. Ils auront sur les femmes plus
d'influence encore peut-être que sur les hommes.
C'est depuis la seconde moitié du xvm' siècle,
depuis Richardson, surtout depuis Voltaire et
Rousseau, que le roman a conquis dans les let-
tres sa place incontestée. Un romancier, s'il a du
génie, ne le cède désormais comme autorité, comme
considération, comme influence, ni i un grand
poète tragique ou comique, ni à un grand philo-
sophe, ni à uu grand historien, ni à un puissant
orateur. La France après Rousseau se passionne
pour Bernardin de Saint-Pierre; l'Angleterre a
Sterne et Goldsmith ; l'Allemagne moderne qui
s'éveille voit apparaître Werther.
A partir de ce moment on ne disputera plus
au roman l'égalité avec les genres littéraires les
plus éminents. Loin de dédaigner cette forme de
l'art, les plus beaux génies tiendront à honneur
de la cultiver. Gœthe, qui a débuté par le roman
de Wertlier, après avoir écrit Gœlz de Berlichin-
qen, Egmonl et Faust, ne croira pas déchoir en
revenant au roman avec Wilhelm Meister ou les
Affinités électives. Madame de Staël, avec les ro-
mans de Corinne et de Delphine, passionnera
toute une génération. Atala, René, Le dernier des
Abencerrnges, exerceront plus d'influence et as-
sureront mieux la gloire de Chateaubriand que
le Génie du christianisme ou les .Martyrs. De
tous les livres de Benjamin Constant, c'est Adol-
phe qui trouvera le plus de lecteurs. Walter
Scott, en Angleterre, avec des romans partage
la gloire de lord Byron, et le romancier est plus
populaire peut-être que le poète ; il est traduit
dans toutes les langues et admiré par tout l'uni-
vers C'est un romancier, Fenimore Coopor, qui
le premier donne à l'Amérique, sa patrie, un rang
dans la littérature.
Raconter l'histoire du roman au xix' siècle, ce
serait pour ainsi dire raconter l'histoire de la
littérature elle-même. On aurait beaucoup plus
tôt compté les grands écrivains qui ne se sont
pas essayés dans le roman que ceux qui s'y sont
exercés. Plusieurs, parmi les plus illustres, ont
demandé au roman seul de leur assurer la ré-
ROMAN
1924
ROMAN
putation et la gloire. Durant la période romanti-
que, la poésie lyrique, le tliéàtro et le roman se
sont partagé la faveur publique. Depuis quarante
années la France attend en vain une génération
nouvelle de poètes : elle compte les auteurs dra-
matiques vraiment dignes de ce nom qui se sont
révélés. La fortune du roman, au contraire, sem-
ble n'avoir fait que grandir. C'est au roman que
va comme de lui-même tout jeune auteur qui se
sent quelque imagination, quelque vocation litté-
raire. Une bonne parue de nos ouvrages drama-
tiques ont été des romans d'abord, et c'est le suc-
cès du livre même qui a inspiré la pensée d'en
porter le sujet à la scène. Le roman peut re-
vendiquer comme siens les noms les plus glo-
rieux : en France ceux de Victor Hugo, de La-
martine, d'Alfred de Musset, de George Sand, de
Balzac, d'Alexandre Dumas père et lils, de Sten-
dhal, de Tliéopliile Gautier, de Mérimée, de
M. Jules Sandeau, de M. Octave Feuillet, de
M. Edmond About, de Gustave Flaubert, de
MM. de Goncourt, de M. Victor Clierbuliez, de
M. Alphonse Daudet, de M. Emile Zola; en Angle-
terre, ceux de Thackeray, de Dickens, de George
Eliot, de Buhvcr, de Charlotte Bronté, de madame
Gaskell ; en Amérique ceux de Hawthorne, d'Ed-
gar Poe, de Washington Irving, de Bret Harte ; en
Allemagne ceux d'Auerbach et de Freitag ; en Italie
de Manzoni, de Massimo d'Azeglio, de M. De
Amicis ; en Espagne de M. Juan Valera; en Russie
de Pouchkine et de M. Ivan Tourguénief. Ce n'est
plus assez de dire qu'il est dans les lettres au pre-
mier rang; à ce premier rang c'est lui qui oc-
cupe la première place. C'est lui que le critique
aperçoit d'abord quand il jette les yeux sur les
productions du temps ; c'est lui que le public
recherched'abord. Plus il s'écrit de romans, plus
il semble que la foule en demande; par tout pays
des milliers d'écrivains composent chaque jour
des romans pour des millions de lecteurs ; en
France il ne se publie pas do journal petit ou
grand qui ne découpe par tranches matin et soir
un roman-feuilleton pour la consommation de ses
abonnés : faire des romans est devenu une in-
dustrie aussi bien qu'un art. Les sujets ont beau
s'épuiser, les intrigues, les situations, les carac-
tères ont beau avoir été tournes et retournés de
toutes les façons possibles et impossibles, le
genre a beau avoir donné dans tant de mains qui
le manient tout ce qu'il semble qu'un genre litté-
raire puisse donner, la vogue est au roman et
lui reste : c'est à qui transformera le roman et
lui procurera par cette transformation un ragoiit
nouveau; personne ne découvre un genre litté-
raire qui puisse remplacer le roman, personne
même ne cherche à découvrir ce genre nouveau.
Si l'histoire littéraire offre un spectacle curieux,
c'est bien certainement cette prodigieuse fortune
du roman que nous venons de raconter en quel-
ques pages. Comment du dernier rang a-t-il pu
passer ainsi au premier? Si l'on prend un peu la
peine de réfléchir, il nous semble que l'on s'éton-
nera moins de ce succès. C'est qu'en efi'et le ro-
man participe de tous les genres; c'est qu'en
même temps il est le plus souple et le plus libre
de tous. Il peut tenir dans les quelques pages
d'une nouvelle, il peut s'étendre en un nombre
considérable de volumes. Comme l'épopée, il ra-
conte; comme le drame ou la comédie il met en
scène les personnages et les fait dialoguer, il
heurte et entrechoque à son gré les caractères. Il
analyse les passions et les sentiments, et aucun
détail n'est trop subtil ou trop insignifiant pour
lui : il décrit les fibres les plus délicates du cœur.
II ne peint pas l'humanité seulement, il peint la
nature entière ; les animaux, les plantes, les mon-
tagnes et la mer, la terre et le ciel, tout appartient
au romancier aussi bien qu'au poète. Le passé
comme le présent sont également de son domaine.
Veut-il faire rire ou faire pleurer? Il le peut éga-
lement; les vices et les travers de l'humanité sont
ses clients. Rien n'est si gai qu'il ne puisse s'en
emparer pour divertir son lecteur, rien n'est si
tragique OU si terrible qu'il n'en puisse exprimer
la terreur dans toute son énergie'? Lui plaît-il
d'évoquer les siècles descendus au tombeau'? S'il
a reçu du ciel la baguette magique, il le peut. A
son appel Irs morts ressusciteront vêtus de leurs
armures et recommenceront la bataille de la vie.
Aime-t-il mieux peindre la génération qui s'agite
autour de lui? Il n'a qu'à ouvrir les yeux, à ob-
server, à rendre à son siècle ce que son siècle lui
a prêté. S'il est un rêveur qui se nourrit surtout
de l'idéal et que les faiblesses du temps offensent
en même temps qu'elles l'attristent, s'il imagine
volontiers des hommes plus braves et moins
égoïstes, des femmes plus belles et plus nobles
de cœur que les êtres qu'il coudoie dans la vie,
le roman accueillera ses rêves ; s'il est au contraire
un esprit précis, positif, qui n'entend point se re-
paître de chimères, que n'effraie pas la laideur
morale ou physique, ou même cette pire des lai-
deurs, la vulgarité, le roman s'offre encore à lui.
Aucune forme littéraire n'est plus romplaisante et
plus élastique. A son gré l'auteur presse ou ra-
lentit l'action. Il commence, s'arrête, finit où bon
lui semble. Tour à tour, il cède la parole à ses
personnages ou il parle en son nom. Il peut
prendre tous les tons, tous les styles ; il peut
dans une même œuvre les prendre tour h tour.
Un couplet de poésie chante dans son esprit, ce
couplet poétique est à sa place dans le roman ; il
a observé l'humanité en moraliste: les réllexions
du moraliste se liront avec intérêt. Il pourra être
tour à tour poète, historien, chroniqueur, philo-
sophe. Ne veut-il que raconter d'extraordinaires et
étranges aventures? S'il y apporte le mouvement
et la vie, il sera lu. S intéresse-t-il au contraire
surtout :~L ces petits drames de la vie ordinaire où
les incidents ne sont rien pour ainsi dire, où
toute l'action est dans les mouvements du coeur?
Le lecteur s'y intéressera comme lui-même. Est-ce
la fantaisie qui l'attire? Il n'a qu'à suivre sa fan-
taisie? Est-il né satirique? Rien ne l'empêche
d'enfermer sa caricature dans le cadre d'un ro-
man. Si elle est juste et capable de porter, elle
n'en portera que mieux. Enfin est-il préoccupé de
quelque grosse question philosophique, politique,
religieuse ou sociale; le roman est prêt à accueillir
la thèse qu'il lui plaît d'y déposer, et le roman
pourra être non pas seulement une œuvre d'art,
mais un instrument d'action. Il risque sans doute
à la génération suivante de trouver des lecteurs
que ses sermons fatiguent ou rebutent; mais si
les questions pour lesquelles l'auteur s'est pris do
passion sont aussi celles qui passionnent ses con-
temporains, il devra souvent aux thèses mêmes qu'il
soutient un succès extraordinaire.
Le roman a peut-être dû une partie de sa for-
tune précisément à ce qu'il n'avait point de place
dans la littérature classique. On n'a pu trouver
pour lui de prétendues règles d'Aristote. Les
docteurs qui ont « régenté le Parnasse « n'ont
point songé à lui. Ils l'ont volontairement ignoré
ou dédaigné. Ils n'ont pas pensé à lui imposer
des lois. Il y a gagné d'êire atïranchi des conven-
tions, de n'être point emmailloté de langes. II a
grandi librement, cherchant sa vie à lui seul,
n'ayant d'autres maîtres que la nature et les cir-
constances. Les critiques ne se sont occupés do
lui que sur le tard, i l'heure où il était assez ro-
buste pour n'avoir plus à redouter aucune con-
trainte, à l'heure aussi où la critique a perdu la
foi dans les règles écrites, et croit volontiers qu'il
n'y a au monde que deux sortes d'ouvrages : les
bons et les mauvais.
ROMAN
— 1925 —
ROMAN
L'e^trftme souplesse du genre a ses inconvé-
nients. Tandis que la faveur dont jouit le roman
et les succès do réputation et plus encore d'ar-
gent où il conduit appellent les vocations, la li-
berté du genre les encourage. Qui ne serait ca-
pable d'écrire des romans? Tandis que la poésie
veut un don, que le théâtre exige une main vi-
goureuse, que presque tous les genres littéraires
réclament de longues et patientes études, le ro-
man conimo le moulin semble ouvert à tous.
Beaucoup conviennent qu'ils ne sauraient mettre
sur pied ni un drame en cinq actes, ni môme un
vaudeville en un acte : il n'est presque personne
qui ne se croie capable de faire un roman. Un
flacon d'encre et une rame de papier, que faut-il
de plus? Ignorants ou lettrés, femmes du monde,
jeunes filles mômes, déclassés, s'improvisent ro-
manciers avec une facilité égale. Les romans
abondent où manquent également l'observation,
l'analyse, la pliilosopliie, les caractères, l'action et
le style. Nulle part la platitude n'a fleuri davan-
tage. Aucun genre non plus n'a été pratiqué da-
vantage par des industriels sans vergogne, soi-
disant écrivains, qui ont exploité les curiosités
publi(iues comme im vice et cherché le succès
dans le scandale ou la dépravation. C'était l'écueil
du genre, mais qu'y faire? Le genre n'est res-
ponsable ni des sots qui le cultivent ni des mal-
honnêtes gens qui l'exploitent. Il suffit qu'il ofl're
à ceux qui ont h la fois du talent et le coeur haut
placé le moyen de produire de beaux ouvrages :
ceux-là dureront seuls; les autres mourront vite
ou plutôt sont morts avant d'ôtre nés.
Si l'on voulait dire les causes principales qui,
dans l'âge moderne, ont déterminé le triomphe
du roman, il en est deux qu'il ne faudrait pas ou-
blier.
La première, c'est l'invention de l'imprimerie
et les conséquences nécessaires qui ont suivi : le
livre, c'est-à-dire la parole écrite, a conquis une
puissance jusqu'alors inconnue. Quelque impor-
tance qu'ait prise la science, quelque importance
croissante encore qu'elle doive prendre, l'humanité
n'est pas et ne sera jamais toute intelligence : elle
a besoin d'art et d'émotion, elle en aura toujours
besoin, et il faudrait la plaindre si elle en venait
à ne plus vivre que pour la curiosité de l'esprit;
car ce jour-là elle aurait étoulTé toute une moitié
d'ellc-môme qui est souvent la plus noble et
presque toujours la plus généreuse. Or de toutes
les formes que l'art littéraire ait à sa disposition,
celle qui est la plus aisément comprise, celle qui
peut atteindre le public le plus nombreux, c'est
incontestablement le roman. Le moraliste et le
philosophe ne s'adressent qu'à une élite déjà cul-
tivée ; la poésie pour ôtre goûtée demande une
éducation préalable ; l'histoire est souvent sinistre
et triste; l'éloquence suppose un orateur, et com-
bien n'auront jamais l'occasion d'entendre un vé-
ritable orateur : la tragédie comme la comédie
supposent des théâtres, des décors, des acteurs.
Le roman va partout, pénètre partout, se suffit à
lui-même. 11 est son décorateur, son interprète,
son machiniste. Il peut plaire à tous également.
Quoi que le lecteur y cherche, l'analyse, les idées,
l'action, la nature ou l'humanité, la description, le
dialogue ou le récit, il y peut trouver son compte.
Ce n'est pas tout : chacun le trouve quand il
veut ou quand il peut. Qu'il dispose d'une jour-
née entière de loisirs ou de quelques minutes seu-
lement, il le trouve toujours à sa disposition. Il
est là qui attend à toute heure du jour ou do la
nuit. A son gré on l'ouvre, à son gré on le ferme,
à son gré on le reprend. Pour quelques francs on
l'achète, pour quelques sous on le loue; il est
vraiment tout à tous, il est vraiment l'art démo-
cratique par excellence. II est fait pour être lu et
pour ôtre lu seulement.
Voici une seconde raison, toute morale et non
moins considérable. L'humatiité a deux besoins
également impérieux : l'un de retrouver dans
l'art la peinture de la réalité, comme en un miroir
l'homme se reconnaît. L'autre de trouver dans l'art
autre chose encore que la réalité. L'histoire, qui
raconte seulement ce qui a réellement été, n'ar-
rivera jamais à la satisfaire entièrement. Elle ré-
clame la fiction. Un fait divers authentique ne la
touchera jamais autant qu'une histoire inventée.
Elle veut éternellement qu'on lui conte Peau
d'Ane. Elle sait bien que Peau d'Ane n'a jamais
existé, et peut-être si elle avait existé la touche-
rait-elle moins. Elle veut retrouver dans les œu-
vres littéraires ses passions, ses idées, ses senti-
ments ; elle vent être émue et ne s'émeut que de
ce qui est humain, et en même temps, elle a be-
soin de savoir que les maux ou les félicités qui
l'émeuvent ne sont qu'imaginaires. L'émotion, où
elle cherche d'abord du plaisir, perdrait quelque
chose à so trouver en présence d'une réalité, et
elle s'abandonne d'autant plus aisément qu'elle
sait mieux qu'il n'y a pour elle ni heureux à en-
vier ni infortunés à secourir. Elle peut palpiter
de terreur et frissonuer au spectacle des dou-
leurs humaines sans avoir de cruauté à se re-
procher, puisqu'elle sait que les maux sont imagi-
naires et non réels; elle peut s'abandonnera la
joie et à l'ivresse sans qu'aucune obligation pro-
saïque vienne troubler sou extase et du firiua-
ment la ramener sur notre pauvre terre.
La tragédie, la comédie, le drame, la poésie,
l'épopée, le roman peuvent également procurer
les émotions à l'humanité, et partout en effet ce
sont elles qu'elle cherche; mais le roman peut les
procurer plus complètes, et c'est là sa supériorité.
Il unit les mérites de la poésie, du drame, de la
tragédie, de la comédie ; il en possède qui ne
leur appartiennent pas. Un seul genre lui peut
ôtre comparé, qui, comme lui, tour à tour raconte,
décrit, fait agir, presse ou ralentit l'action : l'épo-
pée. Mais voici où est la difl'érence. L'épopée a
besoin d'un sujet historique ou légendaire ; l'é-
popée surtout, et cela môme a été sa grandeur,
a besoin de mêler sans cesse dans son action le
monde surnaturel et l'humanité. De là vient que
l'épopée a fleuri seulement aux âges où la croyance
naïve faisait sans cesse intervenir dans les conflits
des hommes, dans les exploits des héros ou des
paladins, les dieux et les déesses, les bons génies
et les magiciens, les anges et les démons. Elle se
rapetisse et s'abaisse, elle n'est plus que la chro-
nique, sitôt que dans ses récits l'homme apparaît
conme le seul acteur. Le roman au contraire vit
des hommes et vit d'eux seuls: il ne fait point
intervenir des puissances célestes ou infernales :
il ne croit pas qu'aucun bon génie s'occupe de
protéger les chétifs habitants de notre planète ou
qu'aucun mauvais génie se donne la peine de les
persécuter. Il les montre s'agitant et luttant, ani-
més de leurs seules forces, possédant en eux-mêmes
leurs meilleurs appuis et souvent aussi leurs pires
ennemis ; il raconte leurs victoires et leurs dé-
faites, leurs grandeurs et leurs faiblesses, il mon-
tre leurs conflits. Il les met aux prises les uns
avec les autres, ainsi qu'il arrive dans la réalité.
Plus l'humanité avance dans ses voies, phis elle
s'intéresse au spectacle qu'elle s'offre à elle-
même ; plus elle prend plaisir à voir retracer dans
leur exactitude la vie humaine et ses mille vi-
cissitudes, tristes ou gaies ; plus elle sait gré à
ceux qui lui ofl'rent le tableau fidèle de ses
épreuves, de ses douleurs et de ses joies, de ses
désillusions et do ses espérances. Elle n'a cessé
de môler aux drames qu'elle joue chaque jour
les êtres surnaturels que pour s'y voir plus clai-
rement elle-même. Cespectacle lui suffit désormais,
et les acteurs expliquent tout. Ni la poésie, ni le
ROMAN
— 1926 — ROMANES (LANGUES)
drame, ni la comédie n'ont rien à redouter du
succès du roman : ce qu'il a proprement remplacé,
c'est l'épopée ; ou à parler plus justement encore,
le roman n'est autre chose que l'cpopce moderne,
et voilà pourquoi, à vrai dire, l'épopée a cessé du
jour où le roman est apparu. S'il ne fallait se
défier des formules absolues, on pourrait dire :
l'épopée est le roman de làge théologii|ue ; le ro-
man est l'épopée do l'âge laïque. Ainsi le dernier
terme de l'évolution de l'humanité se rapproche
du premier. Comme l'épopée, le roman tour à tour
raconte, décrit, fait agir ou parler les personna-
ges i comme elle il mêle à la fiction la vciiié mo-
rale : mais il a sur l'épopée cette supériorité de
ne prendre ses acteurs que dans l'humanité, et
de ne coûter à la raison du lecteur aucun effort.
Il n'a rien à redouter des hardiesses de la science.
Et à ce premier avantage on en peut joindre un
second; c'est que l'épopée est essentiellement so-
lennelle : en compagnie des êtres surjiaturels elle
ne peut admettre que les plus nobles des hommes,
les héros, les rois, les princes et les princesses.
Le ciel ne saurait se mettre en branle au service
des manants. Le roman ne connaît pas ces fiertés
ni ces dédains : il peut mettre en scène tour à
tour les plus nobles personnages ou les plus
humbles. Son domaine, c'est l'Iiumanité : rien
n'est si haut qu'il n'ose l'aborder; rien n'est si
bas qu'il le dédaigne. Sa devise est celle du poète
antique :
Homo sum, Immani nihil ^
alienum puto.
Et maintenant quel est l'avenir du roman ? Il
est aussi impossible d'éluder en finissant cette
question qu'il est impertinent de prétendre y
répondre. Le roman a traversé déjà bien des vi-
cissitudes. Il s'est contenté d'abord du rang hum-
ble qui lui était accordé : il a borné ses préten-
tions à désennuyer, à délasser, à distraire. Puis
ses ambitions ont grandi avec sa fortune. Pour
nous borner à la France, il a présenté des thèses
philosophiques et politiques avec Rousseau, avec
M"' de Staël ; avec Chateaubriand, il a prétendu
assez étrangement servir la cause de l'Eglise et de
la religion. On a vu, après 1830, le roman ressus-
citer, entre les mains de Victor Hugo, h. la fois le
moyen âge prêt à s'effacer et la Renaissance qui
se lève : on l'a vu avec George Sand chanter la
poésie de la nature, glorifier les passions arden-
tes, la révolte contre les conventions et parfois
les insti'utions sociales; on l'a vu avec Eugène
Sue apporter son concours aux revendications so-
cialistes, aux passions religieuses, sonner la charge
d'une révolution ; on l'a vu avec Alexandre Dumas
raconter Ihistoire au gré de la fantaisie, éblouir
et fasciner jusqu'aux plus sévères par la gaité,
la verve endiablée du plus merveilleux conteur qui
fut jamais.
En ce moment même, Balzac se levait, s'impo-
sait, poursuivait durant vingt années d'un travail
opiniâtre une œuvre colossale. Il écrivait la Co-
médie humaine. Comme Molière avait peint l'hu-
manité du XVII» siècle, il entreprenait de peindre
l'humanité du xi.\«, La main de Balzac s'est
imposée au roman moderne, et depuis lors il n'a
pas secoué cette autorité. D'autres sont venus qui
ont surtout voulu peindre l'humanité en ses vul-
garités, d'autres qui ont vu surtout l'être malade,
détraqué, ultra-nerveux. On a fouillé avec un soin
curieux toutes les laideurs, toutes les difl'ormités,
les désordres physiques et moraux, les cas patho-
logiques, les folies. Après l'école réaliste, nous
assistons aujourd'hui au triomphe de l'école
naturaliste, qui durera ce qu'elle pourra. Quoi
qu'il arrive, sans prétendre au rôle toujours ridi-
cule de prophète, on peut affirmer trois choses
qui serviront de conclusion à cette élude :
1° Que le roman, comme forme de la littérature,
continuera à se développer de plus eu plus, quoi
que les romanciers puissent faire pour le com-
promettre ;
2° Que le roman naturaliste, qui a la pré-
tention d'apporter la formule définitive de l'art,
passera lui aussi, comme ont passé les formules
précédentes, comme ont toujours passé les for-
mules prétendues définitives, car il n'est au
pouvoir de personne d'arrêter l'évolution de l'es-
prit humain ;
3° Enfin, et c'est là le point capital, que la lit-
térature est toujours l'expression de la société,
que la société fait les artistes au lieu que les
artistes fassent la société, et que l'humanité trou-
vera toujours dans les livres ce qu'elle-même y
aura mis. C'est là la vérité qui peut cire selon
l'événement ou triste ou consolante. Qu'une gé-
nération se lève vaillante et forte, soutenue par
une ferme croyance, saine dans ses mœurs, ro-
buste dans ses caractères, aimant ce qui est
vrai et poursuivant ce qui est juste : les roman-
ciers célébreront la vertu comme aux âges héroï-
ques les chantres d'épopée la célébraient. Si on
lui offre aujourd'hui des œuvres équivoques et
malsaines, la faute en est à elle d'abord ; et elle-
même ensuite, en les achetant, en les admirant,
en les prônant, achève de prononcer sa propre
condamnation. [Charles Bigot.]
RO.llAKES (Langues). — Littérature fran-
çaise, 1. — Les langues sorties du latin ont reçu
diverses dénominations. On les a appelées néo-
Intines, ce qui indique tout à la fois leur point de
départ et le nouvel élément qu'elles contiennent;
toutefois, ce composé hybride, grec quant à la pre-
mière partie, latin quant à la seconde, choqua
quelques puristes qui tentèrent d'y substituer
l'expression homogène, mais assez mal accueillie,
de noL-c-latines. Aujourd'hui, on a généralement
adopté le nom plus simple, plus clair, et surtout
mieux justifié historiquement, de lanyues romanes.
Cette expression a été employée par les Romains
eux-mêmes. D'ordinaire, ils appelaient latine (hi-
tina) leur langue nationale, mais parfois aussi
ils la nommèrent romana. Ce terme se trouve
dans des vers que Pline r.\ncien cite dans son
Histoiiv naturelle (XXXI, 2). D'assez bonne heure
le nom de Remanie (liomanîa), sorte de synonyme
populaire et abrégé à'imperiimi rornanum, s'ap-
plique à tout le pays conquis et civilisé par
Rome. Paul Orose raconte (VII, 43) qu'un habi-
tant de la Xarbonnaise, visitant un jour saint Jé-
rôme dans sa grotte de Bethléem, lui disait qu'il
avait connu le roi Goth Ataulf et que ce roi, ayant
cessé d'être l'allié de l'Empire, avait rêvé de dé-
truire et de changer en Gothie toute la Remanie
(RiiuKiniu) . Ces expressions qui remontent, on le
voit, assez haut, ont été pendant fort longtemps
en usage. Tandis que le latin véritable et offi-
ciel, langue exclusive de la religion, du droit et
des sciences, conservait son nom, ceux de loman,
roman rustique, hinrjue roinime ou romance
étaient indifféremment appliqués à tous les idio-
mes nouveaux, parlés dans les pays de race la-
tine, et employés dans les affaires, le commerce,
la prédication familière, et aussi dans les œuvres
d'imagination. C'est ce qui explique comment les
noms de roman, rumance, romancero ont été
donnés aux récits d'aventures et aux chants
historiques et légendaires qui sont le point de
départ des littératures modernes. La dénomina-
tion de roman a désigné la langue française
jusqu'au commencement du xvi'' siècle. Un livret
fort rare, non daté, mais sorti des presses de
Guillaume Nyvert et contenant des verbes fran-
çais conjugués, a pour titre : « Sequitur forma
romanlii seu gallici yerhoram. »
Comme nous l'avons déjà fait remarquer, —
V. Française [Lanijue), — les langues romunes sont
ROMANES (LANGUES) — 1927 —
ROME
au nombre ilc quatre : l'italion, l'espagnol, le
provençal et l'ancien fran<,'ais. Elles dérivent du
parler populaire des Romains et l'on peut, h un
certain point de vue, les considérer comme quatre
grands dialectes de la langue latine, divisés eux-
mêmes en sous-dialoctos, tels que le portugais et
le catalan pour l'espagnol, le normand, le picard
et le bourguignon pour l'ancien français, etc. Il
convient d'y ajouter le lan^'age, fortement mêlé
de slave, parle par les Vainques et les Moldaves
dans le pays encore appelé Houmnnie.
Malgré l'analogie profonde qui existe, quant au
vocabulaire et à la syntaxe, entre les langues ro-
manes et le latin, dont elles sont sorties, elles
appartiennent toutefois h. un système grammati-
cal différent. Le latin, comme le sanscrit et
le grec, est une langue syntliétique ; les langues
romanes, au contraire, sont des langues ana-
lytiques, et la transition d'un état :'i l'autre s'est
opérée i l'aide du latin populaire. Ainsi que nous
l'avons expliqué ailleurs (V. Grammçiire histori-
que), c'est ce qui fait comprendre l'uniformité de
création des langues romanes. En effet, on peut
signaler certains points essentiels où, tout en se
séparant absolument du latin classique, elles de-
meurent unies par la plus étroite analogie :
1° Dans les noms et dans les a'fjectifs les cas
disparaissent, la déclinaison latine est détruite.
Il n'existe d'exception que pour le provençal et
l'ancien français, qui conservent, pendant plusieurs
siècles, une déclinaison k doux cas que nous avons
signalée (V. Grammaire liistoritjuc). Les genres
sont réduits à deux : le masculin et le féminin ; le
neutre disparaît.
2° La création de deux sortes d'articles, l'un dé-
fini, venant à'itle, l'autre, indéfini, venant d'imu?,
est la conséquence presque nécessaire de la
suppression des cas.
3° La tendance analytique des idiomes moder-
nes se manifeste d'une manière très frappante
dans les rerlies. Cinq temps de l'actif sont rem-
placés par des temps composés : iNnicATtr, plus-
que-parfait nmaverum, j'avais aimé ; futur passé
umavei'O, j'aurai aimé. SiiBJONCTiF, passé amave-
rim, que j'aie aimé; plus-que-parfait amavissein,
que j'eusse aimé. Pauticipe, futur nmnturus,
devant aimer. Quant au passif amor, je suis
aimé, il disparaît entièrement comme forme, et
ce n'est plus autre cliose à tous ses temps que
le verbe cire suivi d'un participe passé. Il faut
surtout noter avec soin la création d'un futur,
tout différent du futur latin, par une fusion or-
ganique de l'infinitif aimer et du verbe avoir;
le sens primitif est : j'ai à aimer; d'où: i'ai-
mer-ni, j'aimerai. Enfin, un mode nouveau, le con-
ditionnel, est créé dune façon analogue par la
réunion de l'infinitif du verbe et de la terminaison
de l'imparfait à'acoir : i'uii>ier{av)ais ;
4° Le mot latin mens, îi l'ablatif mente (esprit),
est devenu le signe grammatical de l'adverbe ;
employé dans le sens de manière, façon, il s'est
ajouté, eu forme de suffixe, aux adjectifs, qui ont
été mis au féminin afin de s'accorder avec ce mot,
féminin en latin. U'iine manière saine a donc été
exprimé :
en italien et en espagnol par sanamenle
en provençal, — sanament
en français, — sainement.
Il est fort inutile de faire ressortir l'importance
de ces études nouvelles, qui permettent à la fois
de mieux déterminer les lois générales du déve-
loppement des langues et de pénétrer plus pro-
fondément dans l'iiistoire do cliacuno d'elles ;
elles sont très dignement appréciées aujourd'hui,
et il ne manque pas d'érudits qui consacrent
leur vie au progrès de la philologie romane.
Ce qui est peut-être plus nécessaire, c'est
d'insister ici sur l'utilité qu'on devrait tirer de
ces découvertes, non plus seulement dans le do-
main(! de l'érudition, mais dans l'enseignement
courant et pratique.
Si nous voulons apprendre l'italien ou l'espa-
gnol, nous le prenons au moment actuel de son
développement et pour ainsi dire à son point
d'arrivée ; ne serait-il pas meilleur de remonter
au point de départ, à l'origine, et d'observer la
langue que nous désirons savoir dans ses rapports
avec la notre '.'En procédant ainsi, nous avancerions,
il est vrai, un peu plus lentement, mais nous pour-
rions compter sur un succès beaucoup plus com-
plet.
Il y a là aussi un secours qu'il importe de ne
pas négliger, si l'on veut seulement se livrer h
une étude sérieuse de la langue française. On
commence à comprendre qu'il faut la connaître,
au moins d'une façon générale, depuis son ori-
gine, qu'il faut se rendre un compte historique
de la formation successive des règles diverses qui
la régissent ; mais on se borne encore i l'étudier
en elle-même ou tout au moins k la comparer à
sa mère, la langue latine, sans la rapprocher des
langues sœurs. Cependant, si nous sommes une
fuis persuadés, comme il importe tant que nous le
soyons, que l'enseignement doit de nos jours
être, non pas dogmatique, mais expérimental,
nous nous convaincrons que les exemples tirés
dos autres langues romanes peuvent nous être
d'une aide journalière dans les démonstrations
que nous avons à faire au sujet de la langue fran-
çaise. Au lieu, par exemple, de nous contenter
d'affirmer que les adverbes de manière se for-
ment en ajoutant ment au féminin de l'adjectif,
ou même, en faisant un pas dans le domaine his-
torique, de faire remarquer que ment vient de
nteiis, n'est-ce pas donner une preuve décisive à
l'élève qui doute encore que sainement soit la
transcription du latin sana mente, que do lui mon-
trer ces deux mots persistant sous It'ur forme pu-
rement latine dans l'italien et dans l'espagnol, où
ils ne présentent d'antre différence qu'un rap-
prochement plus immédiat, qu'une sorte d'agglu-
tination? Il peut en être de même dans beaucoup
d'autres cas analogues. Ainsi la formation du futur
français, ye vous dirai, de i'oi à vou^ dire, devient
d'une évidence complète lorsqu'on trouve indiffé
remment en provençal dir vos ai et vos dirai.
Ce n'est pas seulement la partie grammaticale
de notre langue qui peut être éclaircie par des
conipar.-iisons de ce genre. Elles sont également
utiles pour l'étude de la formation du vocabu-
laire. Une étymologie n'est démontrée qu'autant
qu'on peut rétablir toute la série des intermé-
diaires ; lorsqu'ils manquent, ce qui arrive sou-
vent, on est forcé, à défaut d'une démonstration
directe, d'avoir recours i une démonstration pour
ainsi dire collatérale, et d'établir la transformation
des mots latins en mots français h l'aide do la com-
paraison avec les termes analogues des autres
langues romanes. L'étude de ces idiomes est donc
indispensable, au moins dans une certaine mesure,
pour la connaissance historique et raisonnée de
notre propre langue.
Ouvrages à consulter. — Bruce "Wliytc, Histoire
des langues romanes et de leur liltérature. Paria, 1841,
3 vol. in-â«. Ouvr<ige curieux, mais qui ne doit être lu
qu'avec précaution. — Fréd. Diez, Grammaire des lan-
gues romanes, 3 vol. in-S*» (traduction fi'ançaiso par
M.M. Gaston Paris, Brachet, etc.). — Litti'é, Ilisloire de lu
lamine frnnraise. i vol. in-8°, introduction. —Jlomnniu-
rccueil périodique fondé en 1872 par MM. Paul M. vit 'I
Gaston Paris. [Ch. Marty Laveaux. J
UOME. — Histoire générale, Xl-X'i'l. — Prélimi-
naires. — Sources. — L'histoire romaine nous est
connue par trois sortes de documents : 1° les textes
des écrivains, historiens, géographes, grammai-
riens, jurisconsultes, orateurs, poètes même, etc. :
I écrivains latins, comme Cicéron, Varron, Tite-
ROME
— 1928 —
ROME
Live, Sallusfe, César, Plino, Tacite, Gains, etc. ;
écrivains grecs, comme Polybe, Denys d'Halicar-
nasse, Strabon, Diodore, Plutarque, Àppien, Dion
Cassius, etc. Ces écrivains nous font connaître les
événements, mais ils sont muets le plus souvent
sur les institutions, qu'ils supposent connues des
hommes de leur temps ; — 3° les insciiptions sur
pierre, marbre, bronze, plomb, etc. : inscriptions
tumulaires (ex.: tombeau des Scipions), ex-voto,
rituels de corporations (ex. : tables Eugubines),
actes diurnes, espèces de bulletins officiels, lois
(ex. : loi Julia, loi Regia), actes du pouvoir pu-
blic (ex. : monument d'Ancyre), discours, récla-
mes, feuilles de route, etc. Le principal recueil
d'inscriptions latines est le Corpus publié par l'.\-
cadémie de Berlin. L'épigrapliic, science du dé-
chiffrement des inscriptions, a renouvelé l'histoire
romaine ; les inscriptions, d'apparence aride, ont
sur les livres deux avantages : pures d'altérations,
elles nous donnent les noms exacts, les dates pré-
cises, les chifl'res vrais; en second lien, elles nous
mettent sous les yeux les mœurs des anciens, leur
vie sociale, leur gouvernement; — 3" les vestiges
matériels de la civilisation romaine, qui subsis-
tent sur le sol ou dans le<: musées, œuvres d'art
et travaux publics, tels que murailles, temples,
cirques, théâtres, thermes, colonnes, tombeaux,
prisons, égouts, ponts, aqueducs, routes, etc., —
statues, peintures, mosaïques, vases, bijoux,
monnaies, etc. Les fouilles de Pompéi ont rendu
à la lumière une ville romiine.
Les principales histoires romaines écrites de nos
jours sont celle de Duruy, qui va jusqu'à Dio-
clétien, et celle de Mommsen,qui s'arrête à l'em-
pire ; la première est la plus complète et la plus
claire; le savant allemand, jMonimsen, insiste sur
les institutions; son histoire est traduite.
Géographie de l'Italie ancienne. — L'Italie se
divise naturellement en trois parties : Vltalie con-
tinentale ou Haiite-Itnlie; l'Italie propre, péninsu-
laire ou npennine; les iles. La Haute-Italie, appelée
par les Roiuains Gaule Cisalpine, comprend la
Vénétie,\di Gaule TranspadaneM Gaule Cispadane,
la Ligune. L'Italie péninsulaire se divise en dix
régions, cinq sur la mer Adriatique : ÏOmbrie, le
Picemcm, le Sanmiuyn, VApulie, la Cataire; cinq
sur la mer Tyrrhénienne, VEtrurie, le Lattum, la
Campante, la Lucanie, le Bruttium (V. la géogra-
phie physique à l'article Italie).
Division de l'Iiistoire romaine. — On peut di-
viser l'histoire romaine en trois grandes périodes.
Dans la période primitive, depuis les origines
jusqu'à 609, Rome est un petit Etat, gouverne par
un roi.
Dans la période républicai7ie, de 509 à 30 avant
J.-C, Rome développe ses institutions aristocra-
tiques, puis elle les laisse périr; il l'extérieur elle
fait la conquête de l'Italie et du monde.
Dans la période impériale (de 30 av. J.-C. à
47G ap. J.-C.), la nouvelle constitution politique
donne au monde deux siècles de prospérité, puis
entraîne Rome dans sa chute.
PÉRIODE PRIMITIVE
(Depuis les origines jusqu'en 500).
Anciennes populations. — La population de
l'Italie ancienne a été formée de plusieurs cou-
ches successives, qui correspondent ;\ des états
difl'érents de civilisation. L'histoire serait impuis-
sante à les distinguer, si elle était réduite h cher-
cher la vérité dans la légende; mais une autre
science, la philologie, lui vient en aide pour dé-
mêler les diverses races au moyen do leurs idio-
mes, et juger de leur culture par leur langage.
On peut établir ainsi l'existence de trois races pri-
mitives dans l'Italie péninsulaire. 1° Les Swules,
dits vulgairement Aborigènes, semblent ôtre les
parents des Hellènes. — 2° Les Ombro-Lalins, ou
Ilaliotes, sont à coup sûr de proclies parents des
Hellènes, mais ils sont leurs frères et non leurs
fils ; ils se divisent en Latins et en Ombro-Sabel-
/ie?!j, d'origine commune, mais devenus étrangers
les uns aux autres; la langue des Latins nous est
entièrement connue; des Ombro-Sabolliens nous
n'avons que des débris d'idiomes divers, entre
autres Vombrien et Vosque : les tables Eugubines,
inscriptions ombriennes trouvées .'i Gubbio, sont
un document important pour la philologie et pour
l'histoire. — 3° Les Etrusques diffèrent essentiel-
lement des Grecs et de tous les peuples connus;
leurs inscriptions sont jusqu'à présent intradui-
sibles, et leur civilisation ne nous est révélée que
par les œuvres d'art qu'ils nous ont laissées.
On ne peut assigner aux migrations de ces di-
vers peuples que des dates hypothétiques. Les
Sicules, venus vingt siècles environ avant notre
ère, auraient été conquis vers le xiV par les Orabro-
Latins, nouveaux venus en Italie. Les Omhro-
Latins, peuples de race supérieure, ont eu des
destinées très diverses: les Ombriens proprement
dits, après une période de grandeur, subissent
l'influence étrusque vers lex' siècle, puis sont de
bonne heure latinisés ; les autres peuples de la
même famille ombro-sabellienne, Subiiis, Sain-
nites, Picentins, Hirpins, Marses, etc., demeurent
longtemps enfermés dans leur pays montagneux,
et ils seront assez forts pour lutter contre Rome.
Les Lntms proprement dits jouent le premier
rôle dans l'histoire de la péninsule: établis dans
la plaine accidentée du Latium, entre le Mont-
Albain, l'Apennin, le Tibre et la mer (moins de
300 kilomètres carrés), ils se construisent des re-
fuges fortifiés (Albe, Lanuvium, Tibur, Préneste,
Tusculum, enfin Rome); ils assainissent et fer-
tilisent le pays, et s'unissent les premiers en
confédération. Les autres peuples latins, les
Eques, les Berniques, les Volsques, etc., ou se-
ront exterminés par Rome, ou s'associeront à sa
fortune.
Outre les Sicules, les Ombro-Latins et les
Etrusques, qui forment la population de l'Italie
proprement dite, les Grecs ont colonisé la partie
méridionale, et les Gaulois ont envahi l'Italie dii
Nord: de là les noms de Grande Grèce et de
Gaule Cisalpine. Les légendes sur les premiers
établissements des Grecs après la guerre de Troie
ne sont que des traditions poétiques; ce qui est
sûr, c'est que le Sud de l'Italie et la Sicile furent
fréquentés par les Grecs de bonne heure (vers
le viii" siècle) ; les Ioniens y fondèrent Citmes,
Kaples, lihégium, Messane, Cutané, etc. ; les
Achéens, Si/baris, Crotone, Métapnnte, etc. ; les
Dorions, Syracuse, Gela, Agrigente, Tarente,
Héraclée, etc. Ces villes sont toutes commerçantes
et peu militaires : elles ouvrent 1 Italie à la civi-
lisation hellénique, mais elles seront facilement
conquises par Rome. — L'Italie du Nord semble
avoir eu pour habitants primitifs, outre les Om-
briens et les Etrusques: à l'Ouest, les Ligures,
qui ressemblent plus aux Celtes qu'aux Ibères ; à
l'Est les Vénètes et les Liburnes, venus dTUyrie ;
plus tard, du vi° au IV siècle, viennent d'au delà
des Alpes des Gaulois, appelés Insubres, Céno-
mans, Boies, Sénons. dont l'avant-garde poussera
jusqu'à Rome. La Sicile, avant d'être colonisée
par les Grecs, paraît avoir été peuplée par les
Sicules et par d'autres fuyards d'Italie.
Période royale {753-509). — Incertitude des
premiers siècles de Home. — L'histoire romaine
pendant la période royale nous échappe en partie,
faute de documents contemporains, textes ou
inscriptions. Les principaux historiens qui nous
la racontent, Tite-Live et Denys, ont vécu sept
siècles après Romulus,et se proposent l'éloquence
plus que la critique ; plusieurs érudits modernes.
ROME
— 1929
ROME
parmi lesquels l'Allemand Niebulir, considèrent
le Ijcau l'ocit de Tite-Live comino le résumé de
compositions poétiques aujourd'iiui perdues, et
lui refusent pour toute cette période le titre
d'historien . Cependant, il est certain qu'il a
compulsé et comparé des historiens antérieurs h
lui de plusieurs siècles, et que ceux-ci ont eu
entre les mains des documents authentiques
échappés îi l'incendie de 390. La vulgate légen-
daire popularisée par Titc-Live ne manque
pas de valeur : la vérité s'y trouve à côté de la
fable.
I. HisToiBE TRADITIONNELLE. — D'après la tra-
dition, Rome se rattache .'i ce qu'il y a de plus
grand au ciel, h Saturne, père des dieux, et à ce
qu'il y a de plus grand sur la terre, à Troie (lé-
gendes de Janus, d'Hercule, d'Evandre, de Lati-
nus, d'Enée, de Sylvia). — tiomulus, premier roi
de Rome (753-710), fonde la ville du Palatin en
753 ; il ouvre un asile aux aventuriers, enlève les
Sabines, agrandit son territoire par 'la guerre,
réunit les Sabins aux Romains, et disparaît mys-
térieusement. — Le Sabin Niimu, deuxième roi
(715-C73), pacifique et pieux, évite les guerres et
organise la religion. — Le Romain Tullus Hosti-
liiix, troisième roi (6'3-64y), fait la guerre aux
Albains : l'exploit des Horaces décide de la vic-
toire, et les Albains sont réunis aux Romains. —
Le Sabin Ancus Marcius, quatrième roi (640-CIG),
suit l'exemple de Numa, rétablit la religion,
construit un pont et une prison ; mais il est forcé
à la guerre, et il étend le territoire de Rome
jusqu'à la mer. — Le cinquième roi, Tarquin l'An-
cien (ClC-.i78;, apporte dEtrurie l'art des grands
travaux publics. — Un autre étranger, Servius
Tulliiis, sixième roi (57S-534), agrandit Rome,
accroît le territoire, conclut une alliance avec les
villes latines, et opère une révolution dans la
constitution. — Au bon roi Servius succède Tur-
quin le Superbe, septième roi (53'i-5IO), qui éta-
blit la suprématie de Rome dans le Latium, em-
bellit la ville, mais gouverne en tyran ; la haine
qu'il inspire, et l'attentat de son fils Sextus.sont
la cause et l'occasion de sa chute (510).
IL EXUIIE CRITIQUE DE LA PÉRIODE ROYALE. —
Cette histoire traditionnelle renferme assurément
des fictions, comme les légendes de Tarpeia, des
Sabines, d'Egérie, etc. ; les efforts qu'on peut
faire pour les interpréter n'aboutissent qu'à des
hypothèses pour le moins aussi incertaines. Mais
si la science doit rejeter certains faits, elle par-
vient à distinguer les principaux événements, et
à suivre le développement général des institu-
tions.
Fondation de Rome. — Rome peut être regar-
dée comme une colonie latine, fondée au milieu
du VIII» siècle ; la fondation d'une ville antique
était une cérémonie religieuse, consistant à creuser
une fosse sacrée (mundus), et à tracer une en-
ceinte sacrée [pomosrium] ; la date adoptée par
les Romains, 21 avril 75'i, est probablement
mythique, mais il est certain qu'une ville était
fondée en un jour. La plupart des livres français
ont conservé la date de 764; les Allemands prê-
tèrent celle de 753. Ce passé si lointain a laissé
dans le sol des traces vivantes : des fouilles ré-
centes ont découvert sur plusieurs point l'enceinte
étroite attribuée à Romulus, la Home carrée ; elle
entourait le Palatin, colline de 35 mètres de
haut, et avait 1800 mètres de tour.
Etat social nvunt Servius. — La population
primitive do Rome a été formée non de plusieurs
races, mais de deux classes : le patricint, aristo-
cratie établie dans la ville sacrée du Palatin, et la
plèbe, population admise seulement dans l'asile,
enclos au pied du Capitolin. Le patriciat, exclusi-
vement hcrcditaire, est une caste sociale, mili-
taire et surtout sacerdotale ; une famille patri-
cienne, r/e7is, se compose du chef de famille,
pater, de sa famille proprement dite, et de ses
clients, hommes libres qui sont liés aux patri-
ciens par des obligations héréditaires réciproques,
analogues à la vassalité ; les familles (gentes, plu-
riel de f/ens] sont groupées en trente curies ; dix
curies .forment une tril/u; les trois tribus com-
posent le populus, peuple, ensemble des Quirites,
citoyens. La plèbe parait avoir pour origine les
populations vaincues transplantées à Rome ; très
différents des clients, les plébéiens sont des
hommes libres, sans obligation envers personne,
mais sans foyer commun et sans droits politi-
ques ; ils ne font pas partie du populus. Au-des-
sous sont les esclaves.
Etat politique avant Servius. — Trois pouvoirs
gouvernent la Rome primitive : le roi, le sénat
et les comices. Le roi est nommé à vie; il est le
prêtre suprême de la cité ; il a le pouvoir mili-
taire et judiciaire, et un certain pouvoir législatif.
Le sénat, composé des chefs de famille, con-
firme le roi et lui sort de conseil. Les comices
sont la réunion des curies, assemblées pour voter
des lois, choisir des magistrats, décider la guerre,
élire le roi et l'investir de Vimperium (délégation
de la souveraineté). La royauté romaine est une
monarchie limitée par l'aristocratie; elle est sans-
cesse en lutte avec celle-ci.
Héformes rie Servius. — Le cinquième roi, Ser-
vius, fait des concessions à la plèbe. Il lui donne
des terres et un culte ; il établit les trihus, divi-
sions territoriales, où sont inscrits tous les habi-
tants, patriciens, clients, plébéiens (on peut
comparer l'inscription dans la tribu à l'inscription
sur nos registres de l'état civil). Il établit les
classes, divisions à la fois censitaires et militaires,
au moyen desquelles le service militaire pèse
sur chacun en raison de sa fortune : la première
classe, celle des c/ievaliers, composée des patri-
ciens et de l'élite des plébéiens, fournit dix-huit
centuries (compagnies) de cavalerie ; la deuxième
classe, celle des plébéiens ou des clients riches, qua-
tre-vingts centuries d'infanterie ; les quatre autres
classes de plébéiens ou de clients propriétaires ne
fournissent ensemble que quatre-vingt-quatorze
centuries d'infanterie, moins complètement équi-
pées ; la septième et dernière classe, celle des
prolétaires, en fournit une seule employée aux
travaux manuels. Mais les droits politiques sont
inégaux comme les charges : autant do centuries,
autant de suffrages : les patriciens et les plé-
béiens riches réunis possèdent donc 98 suffrages
sur 193, c'est-à-dire la majorité ; la foule des pro-
létaires, qui ne possède en tout qu'un suffrage,
n'a aucun pouvoir politique.
Notions sur la religion romaine. — Les insti-
tutions des Romains dérivent de leurs croyances;
ce sont leurs idées sur la divinité et sur la nature
de l'homme qui expliquent la constitution de
leur famille et de leur cité. Le dogme fondamen-
tal chez les Romains, comme cliez tous les peuples
de la même origine, c'est que l'âme, après la
mort, reste près des vivants et veille sur eux :
de là la croyance à la providence, le culte des
morts, la religion de la famille, le patriotisme;
les morts deviennent des dieux [lares, mânes);
le chef vivant de la gens est un prêtre : de là sa
puissance paternelle, sociale et politique. — A
cette religion domestique se joint une religion
agricole, mythologie produite par l'impressioa
des forces de la nature, telles que le soleil, la
végétation, le tonnerre. Mais les divinités ro-
maines, sabines et étrusques, au lieu d'être
vivantes et poétiques comme celles des Grecs,
sont abstraites et prosaïques : tels sont Ja-
nus, Jupiter, Mars, Qnirinus, Saturne, Junon,
Vesta ; une épéc représente Mars, une pierre
Jupiter.
ROME
PÉRIODE RÉPUBLICAINE (509-30 av. J.-C.)
ÉtablUiteinctit de la Rcpiililiqiie.
1920 —
ROME
Abolition de la ror/auté. — En 509 la royauté
est renversée, et la République établie; mais cette
révolution est l'œuvre de l'aristocratie, et non des
classes inférieures; elle profite uniquement aux
patriciens, qui en sont les auteurs; les plébéiens
sont dépouillés de leurs terres. Le gouvernement
nouveau se C'"'mpose de trois pouvoirs : deux ma-
gistrats patriciens, appelés consuls, remplacent le
roi ; les eumices (assemblées) par centuries sont
conservés, mais ils n'ont rien de démocratique ;
le sénrit exerce une influence prépondérante. Le
pouvoir de l'aristocratie est absolu.
Le consulat. — Le consul est une sorte de
roi annuel. En apparence il est tout-puissant :
prêtre, il est comme le génie tutélairc de la cité;
chef de l'Etat, il convoque et préside le sénat et
les comices, et peut s'opposer à leurs votes et à
leurs clioix ; ses édits ont force de loi; chef de
l'armée, il la lève, l'organise, la commande; chef
de la justice, il a le droit de condamner ."i mort.
Ce pouvoir, qui semble absolu, a en réalité des
limites : le consul a un collègue aussi puissant
que lui, qui peut lui faire échec {iyilerrcisio) ; il
est annuel et responsable ; sorti de charge, il re-
devient simple citoyen. Le consulat est donc un
pouvoir exécutif fort sans être dangereux. Quand
le sénat veut en augmenter la puissance, les deux
consuls sont remplacés pour six mois par un dic-
tuteui-, mais la dictature est une magistrature
exceptionnelle. Les questeurs, au nombre de deux,
sont des magistrats fiscaux supérieurs.
Les comices. — Les comices centuriates sont
souverains en principe, mais ils restent entourés
de formalités nombreuses, qui mettent aux mains
des patriciens les votes et les élections. Le carac-
tère militaire y reste nettement marqué ; le lieu
de réunion est le Champ de Mars ; les centuries
s'y rendent en armes, sous le commandement des
centurions et du consul. La religion y tient aussi
une grande place : ainsi l'augure peut dissoudre
l'assemblée, si les auspices sont contraires. Le
vote a lieu par centuries, et dans chaque centurie
par tête ; les patriciens votent les premiers, les
plébéiens riches votent ensuite ; s'ils sont d'ac-
cord, ils ont la majorité, et les autres classes ne
votent même pas. — Les comices curiides ont
perdu leur importance politique depuis l'institu-
tion des centuries : ils n'existent guère que
comme vestige respectable du passé.
Le sé?int. — Le sénat est l'institution dominante
de la République. Composé des chefs de génies et
de cent membres nouveaux [coriscripti], tirés sans
doute des branches cadettes des t.entis, il est
exclusivement patricien. — En théorie il semble
un simple conseil d'État: il ne choisit pas son
président, qui est le consul ; il n'a pas de bu-
reaux pour délibérer ; il n'a pas l'initiative des
propositions ; il répond seulement aux questions
du consul. — En réalité il gouverne : composé en
grande partie de prêtres, il dirige la religion de
l'État ; investi du pouvoir financier, il établit les
impôts et dispose du trésor; il a la haute main
sur les travaux publics et administre les domai-
nes de l'État; il dirige la politique étrangère et
décide des questions de guerre et de paix. — Lo
. gouvernement serait impossible si les consuls et
le sénat étaient hostiles; mais ils ne sont pas en
conflit, parce qu'ils ont les mêmes intérêts, et
les consuls, investis de fonctions annuelles, se
laissent diriger par le sénat, dont le pouvoir ne
passe pas.
Histoire extérieure de lo népulillqiie.
Conquête de 1 Italie péninsulaire (509-264). —
Rome républicaine lutte d'abord contre son roi
Tarquin, que soutiennent les Etrusques; elle est
prise et humiliée par l'orsenna en .ïin (légendes
d'Horatius Coclès, de Sc;evola, de Clélie, etc.),
mais elle prend bientôt sa revanche avec l'aide
du Latiiim. — Une sorte de guerre civile éclate
entre elle et les Latins : elle les bat au lac Régille
(490?), et leur impose de nouveau son liégémonie.
— Elle soumet facilement les Sa0i7is ; fortifiée
par l'alliance des Hemiqws (486), elle triomphe
des Eques, des ['olsques. des Aurunces, après une
résistance acharnée; puis elle se tourne contre les
Etrusques, que les Gaulois attaquent en mêine
temps au nord, et, après de longues guerres, elle
détruit Veïes (.195).
Mais les Gaidois, vainqueurs des Etrusques,
surviennent tout à coup, culbutent les Romains à
V Allia (;i90), entrent dans Rome et l'incendient;
ils ne peuvent prendre d'assaut le Capitole, mais
les assiégés, en proie à la famine, sont réduits à
traiter; les Gaulois, gorgés d'or, se dispersent et
sont battus en détail par Camille (légendes de
Manlius Torquatus, de Valérius Corvus, etc.).
Les Romains reconstruisent leur ville, réduisent
les Volsques, les heni'ques et des peuples latins
révoltés; le Latmm est organisé en une ligue de
trente cités, et étroitement soumis à l'hégémonie
(vers :nO). — En même temps Rome recommence
ses conquêtes au Nord : toute YEtrurie du Sud
est soumise. — Bientôt elle se heurte au Sud
contre un peuple puissant, les Sanindes, à qui
elle dispute la riche Campante (343). Aussitôt les
Latins et les Volsques se soulèvent, mais ils
sont battus et domptés (3'iO); la ligue latine est
détruite, et chaque cite est liée h Rome par un
pacte particulier; la Cnmpanie et le pays Volsque
sont complètement assujettis. 11 reste h vaincre
les Samniles et leurs alliés; une guerre terrible
éclate en 3?C ; les Romains y éprouvent un dé-
sastre honteux aux Fotirches Cnudines en 321,
mais ils ressaisissent la victoire avec Papirius
Cursor (319), s'emparent de l'Apulie, et écrasent
successivement tous les alliés dos Samnites, les
Ausones en 314, les Etrusques en 310. au lac Va-
dimon, les Ombriens, les Morses et autres Sabel-
liens, les Hemiques. Les Samnites, restés seuls,
paraissent réduits (.304). — Ils reprennent les
armes en ^98, entraînent les Marses, les Ombriens
et les Etrusques, qui ont h leur solde des bandes
ç/auloises: un choc terrible a lieu à Sentinum en
Ombrie (295) ; le dévouement de Décius donne la
victoire aux Romains ; la coalition est dissoute,
l'Ombrie est conquise, l'Etrurie traite, et les
Samnites, achevés à Aquilonie (293), sont contraints
à la paix (290).
Les Lucaniens et les Bruttiens essaient de rem-
placer les Samnites, et forment une nouvelle ligue
avec les Gaulois et les Etrusques, mais Rome bat
séparément tous les coalisés (285). — La ville
grecque de Tarente, menacée do la suprématie
romaine, appelle à son secours le roi d'Epire
Pyrrhus, qui rêve de réunir il l'Epire la Grande-
Grèce et la Sicile, pour fonder un empire grec.
Déliarqué avec 26 000 mercenaires, Pyrrhus enrôle
de force les habitants de Tarente, et marche contre
l'armée romaine ; il la taille en pièces ^ Héraclée,
où sa tactique savante étonne les légionnaires, et
où ses éléphants efl'arouchent les chevaux erine-
mis (280); il soulève le Samnium et les villes ■'
grecques, mais il ne remporte h .isculum qu'une
victoire sans résultat (279); mollement soutenu
par ses alliés, il passe en Sicile et s'en rend maî-
tre ; mais rappelé par les défaites des Samnites,
il est battu h llénécent (2"5), et retourne en Grèce
sans armée. Les Siciliens recouvrent leur indé-
pendance ; les Romains entrent à Tarente ("272),
et châtient le Samnium, la Liicanie et le Brultiwn.
L'Italie péninsulaire est tout entière réunie sous
la domination de Rome.
ROME
— 1931 —
HOME
Organisation de l'Italie au III" siècle. — La
poliuquf du Home consiste à s'assimiler peu à
peu les vaincus. Elle divise ponr régner; toutes
les fédérations italiques sont dissoutes; les cités,
isolées les unes des autres, n'ont plus rien de
commun entre elles, ni le droit de commerce, ni
les mariages ; elles n'ont de liens qu'avec Rome,
et ces liens diffèrent selon les cités. Les unes, les
cités siijeltes, cessent de former un corps poli-
tique, et sont soumises à un préfet romain. Les
autres, les cités dites alliées, restent en appa-
rence organisées en cités: elles conservent leur
régime municipal, leurs lois, leurs magistrats,
mais elles reconnaissent la souveraineté de Rome,
lui rendent des comptes, lui paient des impôts,
lui fournissent des soldats, obéissent au proconsul;
en réalité il ne reste debout qu'une cité, Rome. —
Los vaincus ne sont pas seulement soumis, ils
sont lentement absorbés : les familles riclies re-
çoivent une il une le droit complet de cité, qui
leur assure richesse, sécurité, honneurs, mais
qui les fait entièrement romaines. L'aristocratie,
ainsi favorisée, est partout dévouée à Rome ; le
reste des Ilaliens ambitionne le droit de cité
comme le privilège le plus précieux, et l'art de la
politique romaine est d'en conserver la valeur en
ne le prodiguant pas.
Chez les peuples qui regrettent leur indépen-
dance, Rome a établi des colonies et des forte-
resses, garnisons de citoyens ou de soldats, qui
contienïient le pays, et y font pénétrer la civilisa-
tion romaine: lois sont Antium et Frégelles, chez
les 'Voisques, Uénénent, entre le Samiiium et la
Campanie, Venoiise, entre l'Apulie et la Lucanie,
Lucérie, eji Apulie, Brindes, en Calabro, Arimi-
num, en Ombrie. — Des vo:es v.ilituires hcXWienl
la surveillance, et la répression des révoltes :
telle est la voie Appinme, construite pour joindre
Rome à Gapoue, et prolongée bientôt jusqu'à.
Bénévent, Brindes et Tarente.
h' armée romaine doit ses victoires à sa bra-
voure, et plus encore à sa discipline et à son or-
ganisation. Uniquement composée de citoyens,
elle est soutenue par le patriotisme. L'ancienne
phalange dorienne de l'époque royale a été rem-
placée au temps de Camille par la légion n.anipii-
laire, petite armée complète, composée d'infan-
terie, de cavalerie et de machines de guerre ; l'in-
fanterie de la légion, forte de 4'2UO hommes en
moyenne, se subdivise en trente manipules d'in-
fanterie de ligne (hastaires, princes et Iriaires),
et en nombreuses escouades d'infanterie légère
(uélites) ; la cavalerie compte dix turmes, pelotons
de trente hommes; les machines sont la lialiste et
la catapulte. — La légion, à la fois solide et mo-
bile, est apte k l'offensive et à la défensive, au
combat corps à corps avec l'cpi'e et la lance, au
combat à distance avec le jnvelol (pilum). Aux
4500 soldats-citoyens est toujours adjointe une
troupe égale à.'allié< ou auxiliaires: une légion re-
présente de neuf h dix mille hommes ; le nombre
des logions varie. — Le camp romain, forteresse
passagère, est un refuge pour la défensive et un
appui pour l'offensive. — La marine prend nais-
sance.
Première guerre punique (264-241). — Car-
Ihaije, colonie fondée par les Phéniciens, s'est faite
la capitale d'un vaste empire africain, aux dépens
des Libyens, et d'un empire maritime, composé des
autres colonies phéniciennes d'Afrique (Hadru-
mète, L'tique, Hippone), d'une grande partie du
littoral sicilien (Lilybée, Panorme, Ségesle), des
îles de la Méditerranée occidentale (Malte, Sar-
daigne, Corse, Baléares), et de comptoirs en Espa-
gne (Gadès). Exclusivement commerçante, elle est
riche, mais elle n'a d'autre but que le gain ; elle
n'a ni classe moyenne, ni armée nationale; elle
est détestée de ses sujets. Rome a moins d'or.
mais elle a de meilleures institutions, un gouver-
nement fort, un peuple discipliné, et une armée
nationale. — Rome et Cartilage deviennent enne-
mies quand elles se rencontrent en Sicile : la
guerre entre les Mamertins et Hiéron de Syracuse
dégénère en une guerre entre leurs alliés, les
Romains et les Carthaginois.
La première guerre punique se divise en trois
phases. De 264 à iCl, les hostilités ont lieu en
Sicile. Les Romains s'établissent à Messine, re-
poussent l'attaque des Carthaginois, et leur enlè-
vent la plupart de leurs villes, Calane, Ségeste,
Agrigente; mais Cartilage est encore la première
puissance maritime du monde. — De 201 à, 255, la
guerre a pour théâtre \a.iner et l'Afrique. Décidés
à transporter la guerre en Afrique, les Piomains
construisent h la hâte des vaisseaux de haut bord,
inventent une nouvelle manière de combattra
(l'abordage au moyen des ponts mobiles do
Duillius), et remportent deux grandes victoires
navales, l'une près de il/(/fes ("260), qui leur ouvre la
Sardaigne et la Corse, l'autre près d'Ecnome (25G),
qui leur ouvre l'Afrique. Les sujets de Carthage
n'opposent aux Romains aucune résistance, mais
Kégulus, laissé en Afrique avec une armée insuf-
fisante, est battu et pris par Xa7tthippe, Lacédé-
monien au service de Carthage : Carthage est
sauvée, el Rome renonce à l'Afrique. — Do '.'55 à
211, la guerre est reportée en Sicile. Après quatre
années d'opérations secondaires, les Romains sont
vainqueurs à /'«no/'me (251), mais ils sont vaincus
sur terre à Drép'ine, et sur mer près de Cam'irine
(249). Hamilcar ravage le Bruttium et le littoral
de la Campanie; mais, abandonné par le gouver-
nement de Carthage, qui ne lui envoie ni argent,
ni renforts, il ne peut que tenir en échec pen-
dant six années toutes les forces des Romains près
de l'iinorme (2i"-241); une flotte, envoyée enfin
pour le ravitailler, est détruite par l.utatius Catu-
to.saux îles Egales ('Ml), et les Romains deviennent
les maîtres de la mer. — Les Carthaginois, las
d'une guerre qui entrave leur commerce, achètent
la paix au prix de :i'JOO talents et de la SicUf.
Intervalle entre la première et la deuxième
guerre punique 241 219). — Les Romains victo-
rieux comprennent que la paix n'est qu'une trêve,
et se fortifient en prévision de nouvelles guerres.
— Ils organisent d'abord leur conquête de Sicile.
Hiéron, à Syracuse, conserve son petit royaume;
le reste de l'île est réduite en proiince romaine,
c'est-à-dire qu'elle devient sujette et tributaire, et
qu'elle est gouvernée par un préteur, h la fois ad-
ministrateur, général et souverain juge. — La
Sardaigne et la Corse, sortes de lonerosses dé-
tachées, tentent les Romains: ils s'en emparent,
et les deux îles forment une deuxième prooince
romaine (22'i) ; la merTyrrhénienne, entre l'Italie,
la Sicile, la Sardaigne et la Corse, semble un lac
romain. Dans l'Adriatique, les Romains répriment
énergiquement la piraterie, et s'établissent sur la
côle d'Illijrie; la Grèce les accueille comme des
sauveurs. — Rome étend son empire contiriental
comme son empire maritime. Maîtresse de l'Italie
péninsulaire, elle n'a pas encore pénétré dans la
Gaule Cisalpine, mais elle convoite ce riche pays,
qui assurerait son approvisionneiuent, et qui lui
donnerait pour rempart lés Alpes, ses frontières
naturelles. Braves jusqu'à l'héroïsme, maisdivisés,
indisciplinés, à demi barbares, les Cisalpins font
trembler l'Italie: ils franchissent l'Apennin, mais
Rome ordonne une levée générale ; les Italiens,
déjà transformés, mettent en elle leur salut; trois
armées sont envoyées au-devant des Gaulois, et
les anéantissent près du cap Télamone (22.i) ; puis
les légions envahissent la vallée du Pô, et s'en
emparent après une lutte terrible; de fartes colo-
nies, Plaisance, Crémone, Modène, sont aussitôt
fondées pour garder le pays; la voie Flaminienne,
ROME
1932
ROME
poussée jusqu'à Ariminum, fraie aux légions le
passage d'une mer à l'autre à travers l'Apennin.
— A la même époque, les Romains soumettent
la petite presqu'île de VlslriP, pour relier l'Italie
à riUjrie ("221). — L'Italie entière parait conquise,
quand éclate la deuxième guerre punique. — Pen-
dant que Rome se fortifie, Cartilage traverse la
terrible crise de la querre inexpiable contre ses
mercenaires et ses sujets révoltés (V. Giiei-res) ;
mais Hamilcar la dédommage de ses pertes par la
conquiHeile l'Espagne.
Deuxième guerre ptmique (219 201i- — La
deuxième guerre punique est plutOt un duel entre
Hannibal et Rome qu'une lutte nationale entre
deux peuples; Hannibal, grâce à son génie, rem-
porte les plus éclatantes victoires, mais Rome
finit par triompher, grâce à la force de ses insti-
tutions.
1" pÉniODE (2I9-21G). Défaites de Rome. —
Hannibal, fils aîné d'Hamilcar, met à exécution les
projets de son père; il s'attache d'abord son ar-
mée et entraîne Carthage à la guerre par la prise
et le pillage de la grande ville de Sagonte en Es-
pagne i219i; Rome, alliée de Sagonte, déclare la
guerre i Carthage, et Hannibal se met en marche
aussitôt avec une formidable armée d'Africains et
d'Espagnols; décidé à envahir l'Italie par le nord,
pour rallier les Gaulois, il choisit la route de
terre, franchit VEbre au printemps de S in, sou
met le pays (la Catalogne d'aujourd'hui), traverse
les Pyrénées au col de Perthus, passe k Narbonne
et à Aimes, franchit le R/uJne près d'Orange, puis,
évitant l'armée de Scipion, gagne les Alpes par la
vallée de l'Isère, du Drac et de la Romanche, et
force enfin le col du mo7it Genèvre. malgré les
hommes et la nature (septembre 218). De 59 000
hommes il ne lui reste que 20 000 fantassins et
6000 cavaliers, mais il a pour champ de bataille
l'Italie. Descendu des Alpes, il rejette les Ro-
mains au délit du Pô par la victoire du Tessin, et
au delà des Apennins par celle de la Trébic (218);
les Cisalpins, qui voient en lui un vengeur, gros-
sissent son armée de COOOO hommes. Entré en
Étrurie, il anéantit au lac Trasimhie l'armée du
consul Flaniinius (217); forcé de ménager son ar-
mée, il se détourne de Rome, et essaie de soule-
ver l'Italie comme la Cisalpine, mais toutes les
villes lui ferment leurs portes : les Italiens, par
haine de Carthage, restent fidèles à Rome. Hannibal
remporte encore dans la plaine de Cannes, en
Apulie, une prodigieuse victoire (216i; il réussit
à détacher de Rome la grande ville de Capoue et
la linsse-Italie (moins les cités grecques et les
colonies romaines) ; mais Rome, oubliant ses
querelles du forum, va se relever par une in-
comparable énergie; Carthage, qui craint de se
donner un maître, n'envoie à Hannibal que des se-
cours dérisoires, et les 6000 hommes qu'il a per-
dus pour vaincre sont moins aisément remplacés
que les 70 000 morts romains.
2= PÉRIODE (2IG-201). Revanche de Rome. —
Abandonné de sa patrie, Hannibal essaie d'augmen-
ter ses ressources par des alliances, mais les Ro-
mains tiennent tète h la coalition : leur liabile po-
litique réduit Philippe de Macédoine à l'impuis-
sance; .l/i')Te//»s s'empare de Syracuse après un
siège de deux ans (212); les Gaulois sont devenus
indifférents; Cneus et Publius Scipion retiennent
en Espagne les frères d'Hannibal, Hasdrubal et lla-
gon; vaincus et tués en 212, ils sont vengés par Pu-
blius Scipion, fils de Publius. Hannibal lui-même
échoue dans la guerre de sièges à laquelle il est
réduit, et Capoue. qu'il ne peut sauver, est prise
et détruite (•;il). Hasdrubal, échappé de l'Espagne
malgré Scipion, descend en Italie avec 52 OiiO
hommes, et y soulève les Ligures : s'il joint son
frère, Rome est perdue; mais attaqué par les
deux consuls au passage du Miitaure, il est tué et
son armée exterminée (207). Hannibal se renferme
dans le Rruttium, réduit i la défensive, mais inex-
pugnable. Les Romains, pour l'arracher de ce
repaire, transportent la guerre en Afrique (201);
Carthage, forcée de se défendre, se réveille, mais
trop tard ; son allié Si/phnx, roi des Massésyliens,
est vaincu par Scipion, et détrôné par Masinissa,
Numide allie de Rome. Hannibal, appelé par sa
patrie en danger, quitte l'Italie la rage au cœur,
débarque à Leptis, et est battu i 'lama par Sci-
pion et Masinissa (202). Carthage, sans armée et
sans approvisionnements, obtient la paix à dos
conditions désastreuses : elle renonce à l'Espag/ie
et à toutes possessions hors d'Afrique : elle ne fera
jamais la guerre sans la permission de Rome; elle
livre ses vaisseaux et ses éléphants, elle paiera
par an 200 talents (201). Descendue au rang de
tributaire, Carthage a perdu son indépendance po-
litique.
Conquête du monde (200-50 av. J.-C). — 1"
pÉiiioiiE (200-172'. — Victorieuse de Carthage,
Rome poursuit les alliés d'Hannibal, et châtie les
peuples rebelles. — En Orient ses victoires sont
faciles. Le roi de Macédoine, l'hitippe, allié
d'Hannibal, est attaqué le premier; vaincu à la ba-
taille de Ci/noscéphales, où la légion triomphe de
la phalange (197), il traite à des conditions désas-
treuses : sa flotte est réduite Ji cinq vaisseaux,
son armée h cinq mille hommes; il paie un tribut,
et livre son fils comme otage. Le consul siin-
quPAW, Flamininus, se fait habilement passer pour
le libérateur de la Grèce (196). — Le roi de Syrie
Antiochus ///, décidé b. la guerre par Hannibal,
s'allie aux Etoliens et tente de les joindre à tra-
vers la Grèce ; mais il est vaincu aux Thermopy-
tes (191), puis les Romains détruisent ses flottes,
le poursuivent eu Asie, et le battent à Magné-
sie (19U) : ils lui enlèvent ses éléphants, ses
vaisseaux, ses trésors, et donnent ses possessions
d'Asie Mineure h leur protégé Euméne, roi de
Pergame. — Les Galales, peuple d'origine gauloise
établi en Asie Mineure, sont punis de l'alliance
qu'ils ont prêtée au roi de Syrie : vaincus au
mont Olympe, ils sont contraîjits de s'allier au
roi de Pergame (1S9). — Les Etolietu, après
avoir bravé trois ans la puissance romaine, sont
vaincus et achètent la paix (189,. — Enfin /■'/'(•
mininits délivre Rome de Phdopœmcn et d'Han-
nibal (I8;i) : l'Orient est soumis à l'influence ro-
maine.
Rome soutient en Occident des luttes plus
difficiles : l'Espagne, menacée d'être réduite en
province romaine, se lève en masse pour dé-
fendre son indépendance (197) ; héroïque, mais
divisée, elle est vaincue h Empories (195), h To-
lède (185), et forcée jusque dans ses montagnes;
la Celtibérie, réduite par Sempronius Gracchus,
est soumise au protectorat de Home, et l'Espagne
parait conquise (178). — La Ciudpine, qui a re-
pondu à Zama par la destruction de Plaisance,
paie chèrement sa fidélité â Hannibal : elle tient
tête pendant dix ans à quinze consuls, mais la
discipline des légions l'emporte; Plaisance est
repeuplée; des colons s'établissent à lioloirnc, à
Parme, ii .Aquilée ; la voie Emilienne, prolonge-
ment de la voie Flaminienne, fraie le chemin de
ristrie, et la voie Anrétienne celui de la Ligurie.
— Vlstrie, la Corse et la Sardnigne, qui se sont
soulevées, sont durement ramenées à l'obéissance
T PÉRIODE (173-118). — En Orient la Macédoi-
ne, qui n'accepte pas sa déchéance, se prépare
en secret à la guerre. Après la mort do Philippe,
Persée, brillant de venger sa patrie, tente une
entreprise au-dessus de ses forces ; ses projets 1
de coalition échouent ; resté seul en face des Ro- 1
mains (172), il les bat deux fois; mais, attaque!
par Paul-Emile, il est écrasé à Pgdnu, où la
I
ROME
1933 —
ROME
plialanKo livre son dernior comlial (1G8) ; la Ma-
cédoine est morcolce, et Perséo meurt en prison.
Les autres rois de l'Orient, rois de liilhi/nii', de
Si/rie, de Cnpparioce, A'Ef/ypte, de Perfjamr, trem-
blent el s'humilient lâclirment. La Macédoine,
qui s'agite encon; h la voix il'Aiiih-isros, est ré-
duite par Mctellus en jn-nri/irr romaine (14(!) :
la voie Egiwlienne joint Dyrrachium i 'i'hessalo-
niquB. — La ligue Acliéenne, qui, après avoir
aidé les Boraains, ne veut pas d'eux pour maîtres,
retrouve quelque courage avec Critotaoa et Diieos,
mais elle est écrasée i Leucopélia par Mummius;
Corintlie est détruite, et la Grèce entière devient
la province d'Achaîe. — Jalonx de la prospérité
renaissante do Cm-lhage, le sénat romain, où do-
mine l'influence de Calon, excite contre elle
Masinissa; les Carthaginois, exaspérés, se dé-
fendent malgré l'ordre de Kome ; aussitôt Sci-
pion Eniilien parait devant leurs murs (149j,
leur offre la paix en échange de leur soumission,
puis, quand il les a désarmés, il annonce que la
ville sera rasée : Carthage, régénérée par le dé-
sespoir, improvise un nouvel armement, soutient
un siège de trois années, se défend do rue en
rue, et succombe avec gloire ; la ville est brûlée,
elle territoire carthaginois devient laproumce d'A-
frique (146). — L'Espagne, qui s'est soulevée de
nouveau en 153, résiste avec acharnement : le
roi barbare Virvithe inflige aux Romains défaite
sur défaite (148-140), mais il périt assassiné; la
petite ville de Numa7ice, sur le Douro, défendue
par 8000 hommes, repousse toutes les attaques
pendant huit ans, mais Scipioji Emilieu, envoyé
contre elle avec fiOOOO hommes, la bloque et la
réduit par la famine (133); l'Espagne se sonmet,
et la domination romaine s'étend jusqu'à l'Atlan-
tique. — En Orient les Romains réclament le
royaume de Pergame comme un héritage qui
leur est dû, s'en emparent malgré Aristonic, et
en font la province d'Asie {V2'J). — La Gaule
transalpine est entamée à son tour. Appelés par
Marseille, les Romains soumettent d'abord la
côte entre les Alpes et le Rhùne (125), puis éten-
dent leur nouvelle province, la Narbonnaise, jus-
qu'au lac Léman et jusqu'à la Garonne ; des co-
lons s'établissent à Nurbonne. La conquête de
la Gaule est commencée, et l'Espagne est reliée à
l'Italie.
3' PÉRIODE (118-63). — Jugurthn , à qui son
oncle Micipsa a laissé le tiers de la Numidie (118),
ne so contente pas de sa part, et prend celle de
ses deux cousins (112). Devenu un voisin dange-
reux, il détourne quelque temps par son or la
colère de Rome, puis il achète plusieurs armées
envoyées contre lui. Métellus, incorruptible, le
bat au Muthul (lOS), mais ne peut l'atteindre dans
le désert. Marins, ennemi de Métellus et de la
noblesse, obtient du peuple la conduite de la
guerre; Jugurtha et son beau-père liocclms, roi
de Maurétanie, sont vaincus et réduits (106);
Bocchus s'humilie, livre Jugurtha, et reçoit une
partie de ses dépouilles ; la province romaine
d'Afrique s'agrandit de la Numidie orientale.
Mais l'Italie est menacée d'une formidable in
vasion : 300 000 Cimbrea et Teutons, sortis de la
Germanie, ont écrasé six armées romaines (113-
105), et mis la Narbonnaiso à feu et li sang. Ma-
rins, réélu consul avant le temps, est envoyé
d'Afrique en Gaule; il profite de l'incursion des
barbares en Espagne pour aguerrir son armée
de recrues, et pour fortifier ses positions le long
du Rhône, et quand les Teutons se présentent,
il les anéantit k Pourrières, près d'Aix (lO'i). Les
Cimbres, qui, après un grand détour, ont péné-
tré en Italie par le col du Brcnner, font reculer
une armée romaine, et ravagent la Transpadane;
mais, au lieu des Teutons qu'il» attendent, Ma-
rius parait devant eux, et les massacre h Verceil
(loi). Le sauveur de l'Italie rapporte h Rome une
renommée immense.
La guerre de Jugurtha et l'invasion des Cimbres,
puis les guerres civiles, qui absorbent l'activité
do Homo, permettent au roi de Pont, Mil/iridate,
de conquérir peu b. peu l'Asie Mineure, y compris
la province romaine (l"20-88), d'y massacrer la
population romaine, et de soulever en Grèce le
parti démocratique (88). — Mais Rome, libre enfin
d'agir, donne la conduite delà guerre à Sylla (87):
At/tihies, qui s'est alliée h Mithridate, est prise et
pillée (86) ; les armées asiatiques débarquées en
Grèce sont battues à Cliéronée (86) et à Orcfio-
méne (85); l'Asie Mineure est déjà lasse do son
nouveau maître, et Sylla, passé en Troade, dicte
au roi de Pont ses conditions (84). — Mithridate,
qui cherche à se venger, s'allie à Sertorius (V. ci-
dessous) et au roi d'Arménie Tigrane, brouillé
avec Rome; mais LucuUus le bat, le chasse de-
vant lui de ville en ville, lui enlève sa capitale
Sinope. le force Ji fuir en Arménie, l'y poursuit
aussitôt et détruit les armées de Tigrane (74-67).
— Pompée, après avoir détruit les pirates (67),
remplace en Asie Lucullus (86), et organise habi-
lement la domination de Rome: devant lui Tigrane
s'humilie, et Mithridate se tue (63); le Pont, la
Cilicie et la Syrie sont organisés en provinces ro-
maines ; le reste de r.\sie Mineure, morcelé, est
placé dans la dépendance de Rome, et \'Ar7nénie
seule garde assez de force pour arrêter les Par-
thes.
4'= pÉnioDE. — Conquête de la Gaule (58-51).
— La Gaule, avant César, ne forme pas une na-
tion ; elle est divisée en trois grandes régions ;
V Aquitaine, entre les Pyrénées et la Garonne,
la Celtique, entre la Garonne et la Seine ; la Bel-
gique, entre la Seine et le Rhin : l'Aquitaine com-
prend 9 peuples, la Celtique 36, la Belgique 15.
Ces 60 Etats ne sont unis entre eux ni par un
lien fédéral, ni par une autorité supérieure, ni
par l'idée nette d'une patrie commune ; ennemis
les uns des autres, ils se font des guerres achar-
nées. Ils n'ont de commun que la religion ; les
Druide', confrérie d'initiés dont le centre est en
Bretagne (Angleterre), ont un chef unique. — La
Gaule manque d'unité sociale comme d'unité poli-
tique : chaque Etat est lui-iuême divisé : dans les
champs, des esclaves innombrables, des hommes
attachés au sol et des clients ; au-dessus d'eux,
sans intermédiaires, les nobles, maîtres des terres,
et les Druides, maîtres des âmes. Dans les villes,
peu peuplées, dos esclaves, quelque populace et
des riches tout-puissants. L'énergie des Gaulois
se perd dans les agitations de la guerre civile
(V. Gaule).
Envahie par les Suèves, menacée par les Hel
vêtes, la Gaule implore le secours de Rome (58).
Jtiles César est envoyé pour la sauver. — Dans la
1" campagne (58), il bat les Helvètes au passage
de la Saône et près de Bibracte, et les force à
rentrer dans leur pays, puis il se tourne contre
Arioviste, chef des Suèves, et le rejette au delà du
Rhin. — Dans la 2" campagne (57), César marche
contre les Belges soulevés, et les bat sur l'Aisne
et sur la Sambre, pendant que Crassus soumet
une partie de l'Armorique. • — Dans la 3° cam-
pagne (56), César réduit VArmorique, pendant
que Crassus conquiert V Aquitaine. — Dans la
4« campagne (65), César taille en pièces des en-
vahisseurs germains, et pousse jusqu'au delà du
Rhin, puis il fait une expédition dans 1';'/^ de Bre-
ingne; la Gaule n'a plus de secours à attendre de
ses voisins. — Dans la 5'^ campagne (d4). César
passe une seconde fois en Bretagne; à son retour,
la Gaule semble soumise, et les légions se dis-
persent pour vivre, mais une terrible insurrection
éclate tout i coup en Belgique : la légion de Sa-
binus est massacrée par l'Eburon .Ambiorix; celle
ROME
1934 —
ROME
de Q. Cicéron, chpz les Nerviens-, est assiégée par
plusieurs peuples, mais elle est délivrée par César,
qui bat les Nerviens; Labiénus, attaqué par les
Trévèi-es, les met en déroute et tue Indutlomare.
— Dans la 6' cnmfjagne (63), César triomphe
d'une troisième insurrection belge, mais il ne peut
atteindre Ambiorix. — La '' campagne (ôî) dé-
cide du sort de la Gaule. Les Gaulois, qui se sen-
tent conquis, s'unissent, mais trop tard. Vercin-
gélorix, roi des Arvernes, groupe autour de lui
la plupart des Etats, celtes et belges; la r.'sistance
est organisée avec activité. Avaricum (Bourges)
ne succombe qu'après une résistance liéroique ;
Vercingétorix, assiégé à Cergovia par César, re-
pousse ses assauts et le force à la retraite ; si
Labiénus bat une armée gauloise K Lutetia (Paris;,
d'un autre côté les Eduens font défection, et Ver-
cingétorix, plus puissant encoie après l'assemblée
de bibracte, prépare une attaque contre la Nar-
bonnaise; mais il est battu par César et enfermé
dans Alésia (Alise-Sainte-Reine en Bourgogne, et
non Alaise en Franche-Comté) : toutes les sorties
sont repoussées: l'armée de secours est détruite ;
vaincu par la famine, Vercingétorix se rend à
César. La chute d'Alésia est le signal de la dé-
faite définitive. — Mais une 8'' campagne (51) est
nécessaire pour pacifier la Gaule: au Nord les
Bellovuques, les Eburonn, les Tréuères sont ré-
duits; à l'Ouest les bandes de Dunmacus sont
taillées en pièces ; au Sud Uxe/lodunum (Puy
d'Issolu ?) succombe après la défaite de IJrappès
et de Ludévius. — La Gaule pacifiée. César s at-
tache à faire oublier la guerre.
Pendant que César se couvre de gloire en Gaule,
les Pai-tfies détruisent l'armée de Crwsus (53).
Administration des provinces. — Dans les der-
niers temps de la République, Vllalie, qui ne
forme plus qu'un seul Etat, est entrée dans la cité
romaine (V. ci-dessous) ; les provinces no font
encore partie que de l'empire de Rome; elles
n'ont plus leurs lois propres et n'ont pas encore
les lois romaines ; chaque province est divisée en
cercles, ayant chacun une ville comme centre :
ces villes conservent une certaine autonomie
administrative ; la province est gouvernée par un
ancien préteur {propréteur), ou par un ancien
consul (/jro'O'is!;/); leur pouvoir, annuel en prin-
cipe, peut être prorogé jusqu'à six ans; le gou-
verneur a des licteurs et des troupes, lève des
contributions, et juge au civil et au criminel ; il
est assisté d'un queUeur (trésorier), et d'un ou
plusieurs Uguts. Les provinciaux aspirent à sortir
de cette sujétion et à devenir citoyens romains
comme les Italiens.
HUtolrc Intérieure de la République.
Lutte entre les deux ordres. — La plèbe. —
L'aristocratie, maîtresse du pouvoir, le conserve
plusieurs siècles par un mélange de résistance et
de concessions, mais elle est attaquée sans relâ-
che par la plèbe, qui grandit sans cesse, et que
ne retiennent plus les anciennes croyances. — Le
pouvoir des patriciens ne reste pas longtemps ab-
solu : les clients, qui, depuis Servius, sont mêlés
aux plébéiens dans les centuries, commencent à j
se détacher de la gens, et une partie d'entre eux
entrent dans la plèbe pour être libres ; il est vrai
qu'en même temps des plébéiens, appauvris et
réduits k emprunter, se résignent à devenir les
clients des patriciens, et à renforcer malgré eux
les génies; mais d'autre part, une partie de la
plèbe, enrichie peu à peu par l'industrie et le
commerce naissants, s'élève au-dessus des classes
inférieures, et devient une seconde aristocatie.
La plèbe, longtemps abjecte et méprisée, sans or-
ganisation, tenue hors de la société, hors de la
loi, hors de la religion, va se fortifier, s'organiser,
et conquérir lentement l'égalité civile, l'égalité
politique, l'égalité religieuse.
Ktfiblissetnetit du trih'jnat (493). — Désespé-
rant de vaincre les résistances patriciennes, les
plébéiens quittent la ville, et se retirent sur le
Mo?it-Sacré (493 ; légende de Ménénius Agrippa).
I Le sénat, qui a besoin d'eux comme soldats, les
j ramène par une grande concession : la plèbe
obtient quatre chefs tirés de son sein, deux tri-
bun-' et deux édiles. Le tribun n'est ni prêtre, ni
magistrat, mais il est inviolable {sacro-saint) ; il
I n'est d'abord que le juge des différends entre
plébéiens, et leur protecteur contre les patri-
j ciens, mais, grâce à son inviolabilité, il convoque
les comices, siège au sénat, propose des lois,
brave le patriciat (exil de Coriolan ; loi agraire
I de S/iurius Cas>'ius; mort du consul Ménénius).
Les édiles, auxiliaires des tribuns, sont chargés
I de la police, des jeux publics et de Vannone (ser-
vice des subsistances). En même temps, la plèbe
se réunit en assemblées délibérantes dans les
comices par tribus, où elle fait des décrets pour
son usage, les plébiscites. Les deux ordres, plèbe
et patriciat, forment légalement deux peuples
distincts, unis seulement dans les comices centu-
riates et à l'armée. — Cependant, la société ro-
maine n'a encore rien de démocratique ; les tri-
buns, loin d'être des démagogues, représentent
non les classes inférieures, mais la plèbe riche,
qui commence à s'allier au patriciat par des ma-
riages ; les comices par tribus ne sont démocrati-
ques qu'en apparence, parce que les tribus ur-
baines, formées des pauvres, sont annulées par
les tribus rustiques, plus nombreuses, où domi-
nent les propriétaires ; les plébéiens pauvres
marchent d'ailleurs à la suite des plébéiens ri-
ches ; les prolétaires n'ont pas plus d'influence
que par le passé ; la lutte est entre l'aristocratie
de naissance et l'aristocratie de richesse, et non
pas entre les riches et les pauvres : c'est pour-
quoi elle est peu sanglante.
Conquête de l'égnlité civile (441). — Les deux
ordres mettent deux siècles à se fondre. La plèbe,
qui, dans toute cause où figurent des hommes des
deux ordres, est jugée par des patriciens, sui-
vant des lois connues d'eux seuls et gardées dans
les temples, commence par réclamer un code
fondé non plus sur la religion, mais sur l'intérêt
général. — Aux efforts du tribun Térentillus
Arsa 462), le sénat s'oppose pacifiquement, et
une partie des patriciens par la force {Céson) ; le sé-
nat, forcé aux concessions, élève le nombre des
tribuns à di.c, deux pour chaque classe de plé-
béiens propriétaires (457;, et charge dix magis-
trats patriciens {décemvirs) de rédiger un code
(4.il). — Les premiers décemvirs gouvernent avec
sagesse et rédigent dix tables de lois ; les deuxiè-
mes décemvirs, dont le principal est Appius Clau-
dius, publient deux tables de lois iniques, et
favorisent une réaction violente ; mais une partie
des patriciens mêmes les abandonnent; le crime
d'Appius amène sa chute et celle de ses collè-
gues (449). — Les deux dernières tables sont
corrigées, et la loi des Douze tables, applicable
aux deux ordres, sorte de transition entre les
traditions saintes et le droit proprement dit, est
acceptée par les comices centuriates. La plèbe a
conquis l'égalité dans la vie privée. Rome a
encore deux classes, mais elle n'a plus qu'un
peuple.
Conquête de l'égalité politique {trois dates prin-
cipales : 443 ; 3GG ; 339). — .\près une série de lois
secondaires, qui diminuent déji\ les privilèges
politiques des patriciens, les tribuns réclament
le partage des magistratures. Les patriciens,
forcés il de nouvelles concessions, démembrent
le consulat en deux parties, la censure et le
tribunal cotisulaire (443) ; la censure, fonction
ROME
1933
ROME
religieuse qui cousisie principalement à faire le
cens, c'est-:\-dire il répartir les citoyens parmi les
classe f, est réservée aux patriciens; le tribunal
consulaire, inférieur au consulat, non seulement
par l'institution de la censure, mais aussi par le
nombre des tribuns consulaires, qui sera porté
jusqu'à six, est déclaré accessible aux plébéiens.
Le principe de l'égalité triomphe, mais la
nouvelli! cunstitulion ne passe que lentement
dans hi pratii|ue ; le patriciat se défond pied à
pied, et no ciide qu'à la dernière extrémité. —
En i'î\, la questure devient accessible aux plé-
béiens, et les questeurs, jusque-là nommés par
les consuls, sont élus par les comices par tribus,
dont l'importance croît de jour on jour ; le nom-
bre des questeurs est porté à quatre. — En 4i)n,
les plébéiens réussissent enfin à élever quatre
des leurs au tribunat consulaire. — La lutte,
interrompue par l'invasion des Gaulois, reprend
aussitôt après leur départ ; les patriciens sont
abandonnés de leurs derniers clients : il n'y a plus
en face les uns des autres que des patriciens,
dont le nombre diminue à cliaque guerre, et des
pléLéiens renforcés non seulement par les clients,
mais encore par les Italiens fixés à Rome. — La
décadence du patriciat est désormais rapide ; la
plèbe riclie réclame le rétablissement et le par-
tage du consulnt; la plèbe pauvre, indifférente à
la politique, demande seulement une distribu-
tion de terres, et la réduction des dettes ; les tri-
buns Licinius Stolon et Se-,tius, qui représen-
tent les riclies, convoitent avant tout le consulat,
mais ils proposent les autres réformes pour être
soutenus par la plèbe entière : grâce h cette tac-
tique, ils l'emportent après une lutte de dix ans,
où cette fois le sang coule ; la plèbe aura désor-
mais un consul sur deux (.3CC). — Mais, en même
temps, une magistrature nouvelle et exclusive-
ment patricienne, la préture, est créée, pour deux
raisons : 1° parce que l'accroissement de la po-
pulation et les progrès de la puissance romaine
nécessitent de nouveaux magistrats ; 2° parce que
les patriciens veulent regagner une partie de ce
qu'ils ont perdu. Le préteur est une sorte de
vice-consul, et à la fois le juge souverain dans
toutes les affaires civiles ; en entrant en fonc-
tions, il publie un édit où il fixe les règles qu'il
suivra dans sa juridiction; les édits du préteur
constitueront le droit nouveau.
Les patriciens, qui conservent encore la dic-
tature, s'en servent quatorze fois en vingt ans
pour influencer les élections, et les plébéiens n'ar-
rivent au consulat que huit fois en vingt-sept ans ;
la plèbe et l'armée s'insurgent I3il), et arrachent
au sénat d'immenses concessions : les deux con-
suls pourront être plébéiens; les vléhiscites seront
obligatoires pour tous ; le veto législatif du sénat
est aboli. — La censure, devenue la première
charge municipale, est partagée entre les deux or-
dres par la loi de Publilius l'hilo (3:i9) ; et deux ans
après (33"), la préture est partagée ; le proconsu'at,
magistrature nouvelle créée en 32ii pour déchar-
ger les consuls, est dès l'origine accessible aux
plébéiens. — Enfin le sénat lui-même, ouvert aux
anciens magistrats, consuls, censeurs, préteurs,
questeurs, édiles curules, et aux tribujis, se remplit
de plébéiens, et les patriciens y sont bientôt en
minorité (fin du iv= siècle). L'égalité potiiif/'ie est
complète entre les deux ordres, ou plutôt le pri-
vilège est maintenant du côté des plébéiens, qui
ont fermé aux patriciens le tribunat.
Conquête de l'ét/alité religieuse (300). — Les
patriciens gardent encore quelque temps la supé-
riorité religieuse, mais la plèbe réclame le partage
des sacerdoces politiques, et en 3t)0 elle obtient
pour elle la moitié des pontifes et des augures;
l'antique religion tombe comme est tombée l'an-
cienne famille (je/is) et l'ancienne cité; les ins-
titutions sont fondées, non plus sur la religion,
mais sur l'intérêt public (cespublicu) ; le patri-
ciat n'est plus qu'un nom.
Formation de la noblesse. — Le nouveau ré-
gime n'est pas encore démocratique. Le pdriciat
renversé, une nouv<!lle aristocratie s'élève, la no-
blesse (iiobilitos), composée du peu qu'il reste de
familles patriciennes, mais en majeure partie de
familles plébéiennes arrivées par l'exercice de
magistratures curules : le non-noble (ignubilis)
qui devient censeur, consul, préteur, etc., porte
le titre à'iiomme nouveau [homo nuvus) ; il n'est
plus appelé ignobilis, mais il n'est pas noljle en-
core ; son fils est noble à une image, parce qu'il
place dans son atrium le buste de son père ; une
famille est d'autant plus noble qu'elle a plus d'i-
magos. — Au-dessous de la noblesse se trouve
l'ordre équestre, aristocratie de deuxième ordre,
constituée par les familles riches qui n'ont pas
exercé de magistratures, et qui se livrent à l'a-
griculture, au commerce, à la banque, etc. — Il
n'y a rien de commun que le nom entre cet
ordre équestre et les chevaliers de l'époque primi-
tive : autrefois les chevaliers étaient surtout des
cavaliers, organisés en centuries (compagnies) ;
aujourd'hui ils ne servent plus en corps ; à la
guerre ils sont officiers; mais leur caractère mi-
litaire s'efface, et l'ordre équestre ne sera bientôt
plus qu'une c/asjeWc/ie de commerçants et d'hom-
mes d'alTaires.
Causes de la révolution. — Puissance de la no-
blesse au lit" siècle. — Maîtresse du sénat et de
l'ordre équestre, l'aristocratie de richesse gouverne
Rome. Les dangers de la première et de la
deuxième guerre punique ne font que la fortifier
en donnant au sénat une véritable dictature. —
Son pouvoir est cependant moins durable (lue ce-
lui du patriciat, parce (|ue la richesse excite l'en-
vie plus que le respect; les pauvres commencent
à désirer l'égalité, et les classes moyennes la ré-
clament. — Attaquée par le parti pojtidaire, la
nouvelle aristocratie, loin de se fortifier, s'affaiblit
de jour en jour : devenue la classe militaire à
l'exemple du patriciat qu'elle reiuplace, elle est
décimée à chaque guerre.
Mais la démocratie met plus d'un siècle à l'em-
porter. Si les privilèges ne sont pas autorisés en
principe, les avenues du pouvoir sont occupées
par les nobles, et les procédés de gouvernement
demeurent aristocratiques. La censure, qui a la
juridiction des mœurs, et qui classe les citoyens,
est devenue entre les mains des nobles un puis-
sant instruiuent. Si la dictature a été supprimée,
en fait le sénat en a le pouvoir. Dos règlements
compliqués rendent les magistratures inaccessi-
bles aux pauvres. La réforma des comices centu-
riates, vers 241, est théoriquement une grande
victoire de la démocratie : désormais les a/f'rnnchis
y voteront comme les hommes libres; il sera éta-
bli 373 centuries; chaque classe censitaire aura
le même nombre de centuries, et par conséquent
dévotes; la majorité étantde IS7,le votedevra être
continué au moins jusqu'à la troisième classe,
ainsi, au lieu d'avoir la moitié des voix, les riches
n'en ont plus guère que la cinquième partie. Mais,
en fait, les nobles réussissent à garder la prépon-
dérance, grâce au pouvoir absolu du censeur,
qui compose les centuries arbitrairement, grâce
aussi à leurs immenses richesses, qui leur per-
mettent d'acheter les suffrages ; les riches vien-
nent aux comices avec une suite nombreuse dj
créatures : uni; nouvelle clientèle s'est formée, et
la corruption de la populace est érigée en sys-
tème. — La ruine des petits propriétaires et le
nombre croissant des afiranchis liàtent cette dé-
composition. ^Liiicomices par tribus, C[a\ ont pris
une grande extension, ne sont pas non plus aussi
démocratiques qu'ils le paraissent : sans douta il
ROME
— 1936 —
ROME
n'y est pas fait légalement de distinction de ri-
chesse, mais les affranchis et les pauvres, en un
mot, la populace, restent relégués dans les qua-
tre tribus urb(ii7ies /les 31 tribus rustiques sont
formées par la classe moyenne et par la classe ri-
che. — Les ti-ihiins eux-mômes sont souvent des
nobles, et toujours des riches qui ambitionnent
les hautes magistratures. — En résumé, le peuple
n'est souverain qu'en théorie : en réalité la no-
blesse règne et le sénat gouverne ; la république
est oligarchique.
Conséguenees des conquêtes. —Le monde vaincu
se venge en corrompant Rome. La double inva-
sion du scepticisme grec et des cultes orientaux
ruine les antiques croyances : une infâme asso-
ciation, celle des Bacclmnales, est découverte en
186; les liens de la famille se relâchent; le pa-
triotisme s'affaiblit; l'argent est tout. L'excès de
la richesse produit la dépravation des mœurs,
l'accroissement de l'esclavage, la vénalité des
pauvres. — Pour la littérature, V. Latine [Litté-
rature).
Tentatives de réformes {I" partie du deuxième
siècle). — Entre l'aristocratie égoïste et la popu-
lace envieuse se forme un partie qui se propose
de relever la classe moyenne, et qui lutte à la
fois contre les nobles et contre les démagogues :
à la tête do ce parti esfCn/o^?, homme nouveau, qui
fait de sa vie un long combat, et qui passe pour le
type du vieux Romain. A la tète de la noblesse
est Scipio?i l'Africain, le vainqueur de Zama. —
La lutte s'engage entre ces deux hommes qui re-
présentent des intérêts opposés, et Catoii, u à
force d'atinyer », réduit Scipion à l'exil (186);
élu censeur en 184, après la découverte des Bac-
chanales, il use de son pouvoir avec énergie;
ennemi de la noblesse, il la rappelle sévèrement
au respect des lois; ennemi de l'esprit 7iouveau,
il attaque les moeurs grecques, l'élégance, le
luxe, l'oisiveté, l'indiscipline, la corruption, et la
philosophie qu'il rend responsable de toutes les
nouveautés. Mais le mal est trop profond pour
être guéri : la classe moyenne, déjà décimée par
les guerres, est ruinée par la gnni'/e propriété
et par le travail des esclaves; elle fonil de jour
en jour au profit de la populace, et bientôt on ne
comptera plus à Rome que 20UO propriétaires.
Au milieu de cette décadence générale, quel-
ques hommes, n'empruntant à la Grèce que les
meilleurs de ses fruits, savent allier la culture
littéraire au patriotisme, l'urbanité aux vertus
romaines, l'esprit ancien à l'esprit nouveau : tels
sont Paul-Emile, Scipion Nasica, Calpurnius Pi-
son, Senipronius, père des Gracques, l'orateur
Scfevola, et par dessus tout Scipi'm E'/iilien, hon-
nête homme sans préjugés ni passions, l'ami de
Polybe, de Panétius, de Léliuss Egalement en-
nemi de l'oligarchie avide et de la populace
avilie, il semble avoir voulu, non pas régénérer
la plèbe romaine, qu'il méprise, mais faire do 1'/-
talie une nation, où les petits propriétaires fissent
équilibre aux prolétaires, et les travailleurs libres
aux esclaves.
Une révolution est inévitable. A Rome une
plèbe énorme; dans les champs des esclaves in-
nombrables ; au-dessus, sans intermédiaire, l'a-
ristocratie, maîtresse du gouvernement et de la
terre. Rome, devenue un monde, ne peut conser-
ver son antique constitution : les plébticns sont
las de leur pauvreté, les Italiens de leur infério-
rité, les provinciaux de leur sujétion, les esclaves
de leurs misères.
La Révolution. — Les terres publiques. — Les
lois agraires ne sont pas un accident dans l'his-
toire de Rome : il y en a eu sous les rois, sous la
République, sous l'Empire, l'ne loi agraire est
une loi relative k la propriété rurale [aqer). —
Rome, qui s'est approprié les terres conquises,
dispose d'immenses territoires : elle laisse aux
vaincus un tiers environ de leur sol, à l\lTe pré-
caire, ce qui veut dire qu'ils n'en sont pas pro-
priétaires ; elle garde pour elle tout le reste : de ces
terres publiques (ager publicus], les unes, vendues
àdes citoyensou données à des colonies, deviennent
propriétés privées; d'autres sont affermées par
l'Etat au plus offrant ; d'autres enfin, stériles,
vagues ou éloignées des centres, restent rscaw^e^,-
les unes comme les autres sont accaparées par les
riches romains ou italiens, parce que les terres affer-
mées le sont par gros lots, et que les terres vacantes
exigent pour être mises en culture un gros capital
en argent et en esclaves; les plébéiens n'ont pas
part au domaine public ; il n'y a plus de place pour
eux qu'à Rome, où ils vendent leurs votes.
Tentative de Tihérius dracckus (133). — Tibé-
rius Gracchus, tribun de la plèbe, n'est pas un
démagogue : son père, Sempronius, est noble, et
sa mère, Cornélie, patricienne. Sa loi agraire
n'est pas démagogique; il propose principalement
que personne ne possède plus de 600 arpents de
terres publiques, et que par compensation ces
500 arpents soient donnés en propriété complète
et non plus k titre précaire ; Tibérius ne restreint
nullement la propriété privée; il ne viole aucun
droit, puisque les terres publiques appartiennent
à l'Etat; son but est de reconstituer la petite pro-
priété, et par conséquent la cla<ise moyenne.
Mais les riches se considèrent comme les pro-
priétaires du sol qu'ils occupent depuis long-
temps, qu'ils ont défriché, cultivé, amélioré; les
Italiens se plaignent qu'on les dépouille au pro-
fit de la populace romaine ; quant aux plébéiens,
ils montrent peu d'empressement à quitter Rome
pour les champs, et ne veulent pas être régéné-
rés. Tibérius, dans les comices par tribus, réus-
sit par sa popularité à faire déposer son collègue
Octavius, qui s'est fait l'nistrument des riches ;
la loi passe, mais elle entre difficilement dans la
pratique : Tibérius, vivemnent attaqué par l'a-
ristocratie, blâmé de ses violences par Scipion
Emilien, abandonné par la plèbe, est tué par
ordre du sénat dans une sédition (133). 11 a voulu
relever la classe moyenne, mais il est trop tard :
elle n'existe plus.
Dans le même temps les esclaves siciliens se
soulèvent et ont leur jour de vengeance, mais ils
finissent par être vaincus; traqués comme des
bêtes, ils périssent dans les supplices (13i-141).
Tentative de Ca'ius Gracchus. — La plèbe re-
grette bientôt son inertie : elle réclame l'exécu-
tion de la loi de Tibérius, en charge trois com-
missaires (triumvirs), dont Caïus, frère de Tibé-
rius, et leur donne un pouvoir absolu, qui para-
lyse le sénat et toutes les autorités légales. Sci-
pion Emilien, qui seul tient en échec les trium-
virs par sa grande influence, périt sans doute
assassiné (129), et les Italiens n'ont plus de pro-
tecteur. Gains, nommé tribun (123), entreprend
de changer toute la constitution : il n'est pas éta-
bli qu'il ait aspiré à la royauté ; ses intentions
paraissent bonnes, mais ses réformes sont contra-
dictoires et inapplicables. Ses lois agraires, qui
établissent en Italie un grand nombre de colo-
nies, mécontentent les Italiens qu'elles dépouil-
lent; sa loi politique, qui leur donne le droit de
suffrage, ne les apaise pas, et d'un autre côté
irrite la plèbe, qui ne veut pas partager avec
d'autres la vente des votes ; sa loi frumentaire,
qui assure aux prolétaires des distributions ré-
gulières de blé, épuise le trésor public et nour-
rit la paresse ; sa loi judiciaire, qui donne le
pouvoir judiciaire aux chevaliers au détriment
des sénateurs, abaisse une oligarchie pour en
élever une autre ; enfin sa loi sur la rééligihilitc
des magistrats et particulièrement des tribuns
parait la préparation du pouvoir personnel.
ROME
1937 —
ROME
Aussi so heui'te-t-il à des obstacles sans nom-
bre: il indispose contre lui tous les partis, aris-
tocratie, plèbe, Italiens, clievaliers mfime : le peu
de popularité qui lui reste lui est facilement en-
levé par l'ambitieux tribun Livius Dntsus, que le
sénat paie pour flatter la plèbe ; Caîus, qui ne
peut se faire renommer, redevient simple citoyen :
aussitôt cité en justice par les nobles, menacé
d'une arrestation, il tente un coup d'Etat avec ses
partisans : un combat s'engage, et Caîus succombe
comme Tibérius (121). — Les lois des Gracques
sont abolies ou modifiées, et la réaction aristocra-
tique dure jusqu'à la fin du ii" siècle; la noblesse
et l'ordre équestre continuent de s'enrichir mal-
honnêtement, aux dépens des provinces; la popu-
lace s'avilit encore; la misère s'accroît, et une
seconde révolte des esclaves est noyée dans le
sang (10'2-99). — V. Guerres servîtes.
Muriui ; Suturninus ; Dvusus. — Les Gracques
ont échoue dans leur tentative pacifique do révo-
lution ; la plèbe a refusé de se relever; le temps
des réformes est passé : les réformateurs vont être
remplacés par des ambitieux, les émeutes par
des guerres. — Marins, déjà aimé des prolétaires,
et des Italiens, auxquels il a ouvert les légions,
conquiert une popularité immense : né à Arpinum,
il semble le défenseur naturel des Italims;
homme nouveau, il est l'espoir de la plèbe; vain-
queur de Jugurtha et des Cimbres, il impose si-
lence à l'aristocratie. — Mais il n'use de sa gloire
que pour satisfaire son ambition et sa haine de
parvenu : il s'entoure de ses vétérans tout dé-
voués, flatte la plèbe, fait donner le tribunal et la
préture aux démagogues Saturuinns et Glaucia,
ses alliés (10»), obtient pour lui u[i sixième consu-
lat, réduit le sénat h l'impuissance, et Métellus ;i
l'exil ; mais, une fois maître du pouvoir, il montre
une telle incapacité politique que Saturninus et
Glaucia se séparent de lui, et profitent de la dé-
ception de la plèbe pour la soulever et pour s'em-
parer du Capitule. Marins, isolé, se rapproche des
nobles, se tourne contre ses anciens complices,
et les laisse massacrer (100). Métellus revient en
triomphe (OU), et Marius méprisé de tous part pour
l'Asie.
Après quelques années de réaction aristocra-
que, un réformateur mystérieux, un noble, le
tiihnn Driisiis, fils de l'antagoniste de Caîus Grac-
chus, projette de satisfaire les s-nateurs par la
restitution des tribunaux, les chevaliers par des
places au sénat, les pauvres par des terres, les
italiens par le droit de cité. Mais les nobles veu-
lent être les seuls sénateurs, et les chevaliers les
seuls juges ; les pauvres se refusent à quitter
Rome, et les Italiens à leur céder des terres.
Drusus est assassiné par les chevaliers (91).
Gup-re sociale _(9o-89). — La moitié des Italiens,
las d'être exploités par Rome sans compensation,
s'unissent, et réclament le droit de cité, les armes
à la main : ils ont d'abord l'avantage; des con-
suls sont battus; et Marias, rappelé pour rendre
îi Rome la victoire, se rappelle que les Italiens ont
été ses plus chauds partisans et les ménage. Mais
son ancien lieutenant, le patricien Sylla, profite de
cette inaction pour prendre le premier rôle et s'é-
lever par l'armée ; il pousse activement la guerre,
et fait changer la fortune. — En même temps le
sénat se décide à des concessions : la loi Julia ac-
corde le droit de cité à tous les Italiens restés
fidèles et à tous ceux qui viendront se soumettre.
Restés seuls, les Samnites et les Lucaniens sont
écrasés ; le sénat, modéré dans la victoire, accorde
à toute; l'Italie le droit de cité par la loi Plauiia-
Puiiiriu (89). Inscrits tous ensemble dans les
quatre dernières tribus avec les piolétaires, les
nouveaux ciioyens n'ont pas de pouvoir politique,
mais ils sont protégés par les lois romaines et ont
le droit de propriété complète sur leurs terres,
2* l'AniiE,
qui sont assimilées aux terres romaines par le
dioit italii/ue. Quelques villes et quelques |ietits
peuples repoussent l'offre de Rome ; d'autres,
trop lents h so soumettre, sont traités en vaincus,
mais la plupart acceptent avec joie les avantages
qu'ils Convoitent depuis si longtemps, et l'ensem-
ble de l'Italie forme une nation dont Rome ne
sera plus bientôt que la capitale.
Marius et Si/lla (88-78). — Compromis aux
yeux dos Italiens comme aux yeux de la plèbe,
Marius n'a plus d'alliés contre le parti des no-
bles et de Sylla ; après une émeute, il est forcé
de fuir jusqu'en Afrique (88). Mais le consul
Ciiina, son partisan, profite de l'absence de Sylla
pour soulever la plèbe et les Italiens contre le
sénat. Marius, à la tête d'un ramas d'esclaves,
rentre à Rome (87), massacre les partisans de
Sylla, prend possession du consulat pour la sep-
tième fois, et meurt maître de Rome (86).
Cependant Sylla, vainqueur de Mithridate,
revient d'Asie, altéré de vengeance (8^!); Cinna
et les autres chefs du parti populaire sont égor-
gés ou vaincus; une armée de COOdO Italiens est
écrasée à. la porte Colline (8.3). Sylla, appuyé sur
le sénat et sur ses lOUOOO vétérans exerce la
dictature (8'2-"9). Il proscrit les riches de tous
les partis, et confisque leurs biens pour satisfaire
ses soldats, et établit par les loii cornéliennes
une constitution oligarchique : les chevaliers per-
dent une partie de leurs terres et de leurs fer-
mes, et sont dépouillés dn poiwnir judiciaire,
qui est rendu aux sénateurs ; les comices par tribus
sont supprimés ; le tribimat de la plèbe est an-
nulé ; la coisure est abolie ; le sénat redevient
tout puissant. — Mais une telle constitution n'est
pas durable ; les soldats n'y sont pas attachés :
ils ne sont dévoués qu'à leur chef. Sylla a seule-
ment montré que l'armée peut changer la forme
du gouvernement; le régime républicain n'existe
plus que de nom; le règne des armées est
venu.
Pompée; Sertoritis; Spartacus. — A 1 époque
de la mort de Sylla, il y a dans l'Etat rornain
quatre armées : aucune n'est l'armée de la Répu-
blique ; toutes quatre sont levées par des hom-
mes qui ne sont pas magistrats, Lepi'lus, Serto-
ritis, Crnssus et Pompée. Ces quatre ambitieux
se mettent deux contre deux pour se combattre,
et s'appuient, les deux premiers sur le parti po-
pulaire, les deux autres sur le sénat (77). —
Pompée défend Rome contre Lépidus, le bat et
le réduit à se tuer (77) ; puis il marche contre
Sertorius, qui a soulevé l'Espagne, et, après une
lutte longue et sanglante, Sertorius est assassiné
et l'Espagne réduite (72i. — De son côté Grassus
combat en Italie les esclaves révoltes (73-71), et
tue leur chef Spartacus (71). Pompée, revenu
d'Espagne, achève do les dompter, et rentre à
Rome en triomphe. .
Restés seuls, Crassus et Pompée, qui ne cher-
chent qu'à fortifier leur pouvoir, s entendent
pour se concilier le peuple, et affaiblissent le
sénat, qu'ils ont défendu ; la constitution de Sylla
est détruite ; la censure et le tribund sont réta-
blis ; enfin, grâce aux efforts de Cicéron, le pou-
voir judiciaire est rendu aux chevaliers, après le
procès de Verrh. — Cette révolution, qui mon-
tre l'impuissance du sénat, est la préparation de
la monarchie (70). — Investi de la dictature en
117 pour combattre les pirates, continué dans ce
pouvoir par la loi Mmilia (GG) pour réduire Mi-
thridate, avec le droit de conclure des traités,
Pompée est déjà un monarque absolu, excepté à
Rome. Crassus, jaloux, s'est séparé de lui,
Ci'éron; Rullus; Catilma (U.3;. — Pendant
l'absence de Pompée, une dernière tentative est
faite pour relever la République. Cicéron, sans
abandonner le parti de Pompée, veut cependant
122
ROME
— 1938 —
ROME
n que les armes le cèdent i la toge » ; plein d'i-
dées généreuses, il prèclie l'Iiunianité, l'apaise-
ment, la conciliation, et clierche à créer un parti
intermédiaire entre les nobles et les démagogues,
le parti des honnêtes gens, dont le noyau sera
Yordre équestre. — Elu consul en 63, il a d'abord
à lutter contre un tribun, derrière lequel se ca-
clie l'ambition de César, Rullus, qui réclame pour
les pauvres des distributions de terres et d'argent,
afin d'avoir le pouvoir absolu, que lui donnerait
rexccution du partage. Menacés dans leurs inté-
rêts, les clievaliiirs rompent avec la plèbe, et se coa-
lisent avec le sénat ; la loi agraire est repoussée.
CutiHua, ambitieux sans scrupules, qui n'est
pas même un chef de parti, et qui n'est peut-être
que le prête-nom de Crassus, exploite la décep-
tion de la plèbe, et forme une conjuration qui
devait avoir pour but de renverser Pompée et
de bouleverser les fortunes. — Démasqué par
Cicéron, déclaré ennemi public. Catilina est con-
traint de fuir; ses complices de Rome sont exé-
cutés.malgré les efforts de César, (jui veut se rendre
populaire; l'armée que Catilina réunit à la hâte
est taillée en pièces, et il périt sur le champ de
bataille. Cicéron a sauvé la République, mais seu-
lement de Catilina.
Pompée, Crassus et César. — Revenu en Italie
(62), Pompée, confiant dans sa force, se démet
de ses pouvoirs militaires, et rentre dans Kome
en particulier. Mais le sénat, qui ne le craint
plus, relève la tête ; en même temps deux autres
ambitions se produisent, l'une déjà ancienne, celle
de Crassus, l'autre plus nouvelle, celle de César,
en qui Sylla avait pressenti <i plusieurs Marins >'.
Pompée aime mieux partager avec eux le pouvoir
que de tout perdre (60) : un gouvernement illégal,
appelé improprement le jireniier triumvirat,
s'établit malgré le? efforts du sénat, et surtout
de Caton.qui, faute de comprendre les choses et
les hommes de son temps, voit son honnêteté
impuissante. Pompée est chargé d'exécuter la
loi agraire, proposée par César; César, après
son consulat (59;, reçoit le proconsulai des Gau-
les; Crassus obtient des avantages que l'histoire
n'a pu préciser ; la République a trois maîtres.
Resté seul à Rome, Pompée semble encore
tout puissant, mais il se laisse dominer et ba-
fouer par un agent de César, le tribun Clodius,
devenu maître dans Rome par sa popularité et par
son audace : Cicéron est exilé pendant dix-sept
mois ; Caton est envoyé à Cypre ; Rome est en
proie aux sicaires. — D'un autre côté le sénat,
enhardi par l'éloignement des armées, essaye de
supprimer la loi agraire.
Réunis encore par le danger, les triumvirs res-
serrent leur alliance dans Ventrerue de Luc-
gues (5(1), et décident que chacun d'eux aura une
armée; la plèbe ratifie leurs arrangements par un
plébiscite; Pompée met une garnison au Capitole,
et les sénateurs, réduits à l'impuissance, se divi-
sent eux-mêmes en deux groupes : les uns,
comme Caton, défendent une cause désespérée;
les autres, comme Cicéron, se soumettent.
Pomjiée el César. — La mort de Crassus chez
les Parthes met fin au triumvirat (5-)) ; César et
Pompée, restés seuls en présence, deviennent en-
nemis, et la lutte s'engage non pas entre la mo-
narchie et la république, non pas entre la démo-
cratie et l'aristocratie, mais entre deux ambitieux
armés du même pouvoir. — Après quatre ajinées
de rivalité sourde, Pompée, forçant la main au
sénat, lui fait rendre un décret illégal, qui enlève
à César son commandement (4y). Aussitôt César
franchit le Huhiœn, c'est-à-dire qu'il sort de sa
province avec son armée, pour marcher sur Rome.
L'acte illégal de Pompée a entraîné celui de César.
Pompée, qui n'est qu'un chef de faction, s'inti-
tule le défenseur de la République, mais il est
impuissant àladéfendre, et s'enfuit avec le sénat.
César le domine de toute sa gloire; accueilli
avec enthousiasme par les populations, il prend
possession de Rome, et, après avoir réduit l'Espa-
gne, Marseille et Vltade, il poursuit son ennemi
cil Epire. Pompée y a réuni une nombreuse ar-
mée, mais il est vaincu à Pharsale, en Thessa-
lie (48), s'enfuit en Egypte, et y périt assassiné.
— César se détourne un instant pour battre les
Egyptien^ et Pliamaci'. fils de Mithridate (47),
puis, revenant aux Pompéiens, il les bat à Thapsus,
en Afrique (4G), et à Munda, en Espagne (45);
tous les chefs pompéiens, Scipion, Caton d'Utique,
Labi.'nus, Cnéus Pompée, ont péri.
Dictature de César. — César, rentré à Rome en
triomphe, est roi sous le nom de dictateur. Il
laisse subsister le sénat et les comices, mais il est
le maître au forum par son or et par son armée ;
il est le maître dans le sénat, qu'il compose à son
gré; il concentre en ses mains les hautes magis-
tratures : dictateur à vie, tribun à vie, imperator,
il a le pouvoir exécutif et financier, le pouvoir
législatif, le pouvoir militaire. Il est déclaré dieu
par le sénat; Cicéron lui-même subit le charme
du vainqueur.
Le plus grand acte de la vie publique de César
est une loi qu'aucun historien n'a mentionnée, et
qui nous est connue par des inscriptions trouvées
à Héraclée, en Bruttium (H-^;), et à Osuna en
Espagne (IK'O). Cette loi, appelée la loi munici-
pale (Icx Julia municipalis), donne à toute cité,
en Italie ou au dehors, des tribunaux particuliers,
une assemblée du peuple, un conseil municipal
de décurions, sorte do sénat, des censeurs muni-
cipaux et des édiles pour administrer la ville et le
territoire (45). — Ainsi la vie publique, étouffée à
Rome, se développe dans les provinces; César
s'appuie sur les cités provinciales pour avoir rai-
son de l'aristocratie à Rome; il sacrifie une oligar-
chie étroite pour prendre les intérêts de 80 millions
d'hommes : il a inauguré la politique impériale.
Après avoir organisé le monde romain, César
médite encore de plus grands projets, quand il
tombe assassiné dans le sénat par Cassius et Dru-
tus, le jour des ides de mars (44).
Octave et Antoine. — Après la mort de César,
le sénat, inspiré par Cicéron, essaye de se concilier
les deux partis : les uns obtiennent la confirma-
tion des actes de César, malgré sa tyrannie; les
autres, l'amnistie pour les meurtriers, malgré leur
crime. — Mais le consul Antoine, qui convoite le
pouvoir, soulève la plèbe contre les assassins, les
contraint à fuir, et se croit tout puissant ; le tjTan
est mort, mais la tyrannie vit toujours.
Tout à coup parait avec une armée un jeune
ambitieux, Octave, fils adoptif de César, et héri-
tier de sa fortune : à la plèbe il promet de punir
les parricides, au sénat de renverser le nouveau
tyran. Cicéron, encore dupe, se lie à lui, lance
contre Antoine ses éloquentes ptdlippiques, fait
donner à Octave un commandement légal, et ap-
plaudit à la défaite d'Antoine dans la guerre de
Modéne (43). — Mais Octave, vainqueur, réclame
le consulat, et, sur le refus du sénat, il entre à
Rome, se fait proclamer consul par les comices ;
enfin, au lieu de poursuivre son rival vaincu, il
accepte son alliance, et forme avec lui et avec un
autre chef, Lépide, un dcu-cicme triumvirat, vraie
dictature à trois têtes (42). Le sénat est vaincu,
l'amnistie annulée; Cicéron, abandonné par Oc-
tave, est mis à mort par Antoine ; chacun des
triumvirs proscrit ses ennemis.
Le sénat dompté, Octave et Antoine se tour-
nent contre Brutus et Cassius, qui se sont rendus
maîtres de la Macédoine et de la Syrie à l'aide
d'anciens soldats de Pompée ; les deux meurtriers
sont vaincus à Philippe, et se donnent la mort
j42). — Les deux vainqueurs excluent Lépide du
ROME
— 1930 —
HOME
triumvirat, et organisent vm duummrat ; mais An-
toine, qui clicrclie du butin pour ses soldats,
oublie Uonie en voyant Cléopilti-c, et la suit en
Kgypte. — Pendant ce temps Octave, forcé, lui
aussi, de s'attaclier ses soldats, leur distribue d''s
terres et des villes au détriment des Italiens ; la
femme et le frère d'Antoine, qui ont il se venger
d'Octave, profitent de leur mécontentement pour
exciter un soulèvement [guerre de Pi'rr?use, 41) ;
mais Octave rétahlit l'ordre, et reste seul maître
de l'Italie. — Antoine renonce .\ la lutte par le
Irailé de lirinden, qui lui laisse l'Orient. — Le fils
de Pompée, Sp.r/«s, forcé de négocier par ses soldats,
signe le traité de Misène, qui lui laisse sa flotte et
des îles (.38). — Une ère de paix semble s'ouvrir.
Fin du gouvernement républicain. — Octave
n'a voulu que gagner du temps ; il réorganise son
armée, construit une flotte et recommence la
guerre. Sextiis Pompée, battu sur mer, périt mi-
sérablement (35). — Lépide, qui relève la tète,
€st contraint de s'humilier aux pieds d'Gctave.
Les Alpes sont pacifiées, les pirates domptés, les
brigands détruits : la sécurité renaît. La plèbe,
reconnaissante, confère à Octave l'inviolahililé
tribunitienne. — Pendant ce temps Antoine donne
à la reine d'Egypte des provinces romaines,
échoue honteusement contre les Parthes, et
tombe à l'état de monarque asiatique.
Octave, maître au sénat comme au forum, fait
enlever à Antoine le consulat et déclarer la guerre
à Cléopâtre (31). Cléopâtre et Antoine, toujours
unis, rassemblent toutes les forces de l'Orient,
mais ils risquent à la légère une bataille navale
près à-'ActnuH (31), et s'enfuient au premier péril.
Leurs flottes et leurs armées se rendent à Octave,
leurs alliés les abandonnent ; Octave débarque
en Egypte; menacé de tomber en son pouvoir,
Antoine demande lâchement la vie, retrouve
quelque courage pour combattre, mais, trahi par
Cléopâtre, il se tue; Cléopâtre, qui n'a pu séduire
Oclave^se donne aussi la mort, pour ne pas être
prise vivante. L'ï^ypie est réduite en province, et
le monde romain n'a plus qu un chef.
PÉRIODE IMPÉRIALE
(30 av. J,-C. — 476 ap. 3.-C..).
Organisation du gouvernement nouveau. —
Après tant de guerres, les Romains ne désirent que
la paix : le sénat est sans prestige et sans force ;
la plèbe ne tient pas Ji se gouverner elle-même ;
personne no défend les anciennes institutions; la
République est tombée, et la monarchie s'impose.
Octave reste quelques années dans une situation
mal définie, mais le vainqueur d'Actium est le
maître que tout le monde souh.-iite j il ne reste
qu'K organiser le gouvernement nouveau.
Le pouvoir impérial. — La loi royale de l'an 27,
complétée dans les années suivantes (lex rerjia
de imperio), dont les historiens ne parlent pas,
mais qu'on peut à peu près reconstituer à l'aide
d]inscriptions postérieures , e^t le fondement
légal de la toute-puissance des empereurs. Par
<;ette loi le peuple et le sénat, rallié lui-même
k 11 monarchie, investissent Octave du pouvoir
impérial, sous le imm A'AuguHe, mot qui pour
les Romaiiis désigne une dignité surhumaine. —
^ Le pouvoir impérial n'est pas pour cela fondé sur
j le droit divin ; il n'est que la réujiion, au profit
d'un seul homjne, de dignités anciennes, jusque-
là partagées entre plusieurs ; un seul maître
remplace plusieurs maîtres. L'empereur ne cu-
mule pas toutes les magistratures, mais il est
revêtu de celles qui donnent l'autorité eB'octive :
Impernlor, c'est-à-dire investi de Viuiperium, il
commande les armées, il a lo droit do guerre et
■de paix dans tout l'Empire, et le droit de vie et de
mort sur tous les habitants, citoyens, sénateurs
môme ; il fait des édit^ qui durent autant que lui ;
il esljiige suprême et sans appel. — Investi de
la puissance triltunitienne, il est inviolable (sncro-
saint) ; il a les droits de veto et d'initiative. —
Proconsul, il dirige ou contrôle le gouvernement
des provinces. — Préfet des mœurs, il a le pou-
voir des censeurs d'autrefois. — Souverain pon-
tife, il tient toute religion dans sa main.
Enfin il lève les impôts, et il a le maniement
des fonds. Il n'y a donc aucun pouvoir qui ne
soit aux mains do l'empereur ; en lui réside la
majesté, c'est-à-dire l'omnipotence; on ne peut
imaginer de despotisme plus complet.
Ni les comices ni le sénat no sont supprimés par
Auguste : les aigles continuent de porter S. P. Q. |{
[senatus populusqtie romanus) avec l'image de l'em-
pereur. Mais le rôle des comices se borne à ac-
clamer les candidats officiels. Le sénat reste un
corps aristocratique et considéré, où les riches
arrivent par l'exercice d'une magistrature. Sans
doute il ne paraît plus être qu'une sorte de conseil
d'Etat ou de commission consultative, mais il con-
serve des attributions législatives, administratives,
judiciaires, et il a deux droits nouveaux, qui se-
ront souvent illusoires, le droit d'élire les empe-
reurs et celui de les juger après leur mort ; l'em-
pire oscillera entre l'hérédité et l'élection.
Les magistratures de la République subsistent
sous l'empire jusqu'à Dioclétien, mais elles sont
plus nombreuses, et subordonnées à l'empereur.
— Aux anciens magistrats sont ajoutés de nou-
veaux fonctionnaires, les deux préfets du prétoire,
chefs des cohortes prétoriennes, sorte de garde
impériale, le préfet de la ville, le préfet dfs vivres,
le préfet du trésor, etc. Une sorte de conseil d'É-
tat'impéria.1 est constitué sous le nom de conseil du
prince. — La carrière administrative est fermée à
l'ordre plébéien, qui s'avilit de plus en plus et se rap-
proche de la classe servile ; elle est ouverte aux ri-
ches, c'est-à-dire à l'ordre sénatorial et à l'ordre
c</!ies/re; l'ordre sénatorial, composé des sénateurs
et de leurs familles, est le premier ordre de l'Em-
pire ; il appartient exclusivement à Rome -, l'ordre
équestre est le second dans la capitale, et le pre-
mier dans le reste de l'Empire.
Administration des provinces. — Le monde ro-
main, au lieu d'être affermé par lots et livré au
pillage, est administré et centralisé ; Rome n'en
est plus que la capitale ; toute différence entre le
régime de l'Italie et celui des provinces tend à
disparaître ; les cités qui n'ont pas le droit italique
(\. ci-dessus, p. 1937) ont le droit latin, c'est-
à-dire que leurs habitants peuvent devenir ci-
toyens après une magistrature, selon l'usage éta-
bli anciennement dans le Latium ; mais le droit
italique et le droit de cité complet s'étendent de
plus en plus ; tous les hommes libres sans excep-
tion seront citoyens romains sous Caracatla CiVl),
et il ne restera plus aucune distinction entre le
peuple dominateur et les peuples sujets.
L'Italie est divisée en douze régions : Vénétie,
Traiispadane, Ligurie, Emilie, Ombrie, Picénum,
Samniam, Apuiie, Calahre, Lucarne, Campante,
Elrurie. — Le reste du monde romain est divisé
en 22 provinces (27 av. J.-C.) : dix d'entre elles,
l'Afrique, l'Asie, la Itilliymc, l'Achaie,l'llhp-ip, la
Macédoine, la Cgiéna'ir/ue, la Sicile, la Sardaigne,
la Bétique, ont pour gouverneur un magistrat
nommé par le sénat; les dix autres, l'Egypte, la
Syrie, Chypre, la Cilicie, la Turraconnnise, la Lu-
sitanie, les quatre provinces de Gaule, les deux
Germanies, sont gouvernées chacune par deux
agents directs de l'empereur, le légat, gouverneur
politique et militaire, le procurateur, administra-
teur du domaine. Les bons empereurs surveillent
activement leurs agents (Ex. la correspondance de
Trnjan et de fline).
Sénatoriales ou impériales, les provinces jouis-
ROME
— 1940
ROME
sent d'une certaine liberté, qui nous est révélée
surtout par les inscriptions : les tables de Mnlof/a
et do Sa/pensa nous montrent l'activité do la vie
municipale en Espagne : le monumeiit de Tho/i-
gnij nous apprend l'existence d'une assemblée
des Gaules. Nous savons par les historiens qu'Au-
guste supprima l'obligation du service personnel,
qu'il créa la profession militaire, et que l'armée,
désormais permanente, se recruta par les engage-
ments volontaires et par les contributions d'ijom-
mes imposées aux propriétaires ; mais les expédi-
tions ne sont dirigées que contre les barbares,
sur le Damibe et sur le Rhin, et l'épigraphie nous
apprend qu'il n'y avait de garnison qu'aux fron-
tières ; la police de la Gaule était faite par des
Gaulois.
Historiens et inscriptions sont d'accord pour
dépeindre la prospérité du monde, auquel l'em-
pire a donné la paix ; la domination romaine est
devenue le ciment de chaque peuple et de tous
les peuples entre eux ; les provinces sont romai-
nes d'esprit et de cœur ; leur patriotisme consiste
à aimer Rome. — Il ne faut donc pas juger l'Em-
pire d'après les idées d'aujourd'hui. L'Empire,
devenu nécessaire, a été accepté de tous ; Tacite
et Juvénal flétrissent les vices de quelques em-
pereurs ; ils n'attaquent pas la nature des institu-
tions. Si le régime impérial a duré cinq siècles,
c'est qu'il était d'accord avec l'ensemble des in-
térêts ; après une longue anarchie, il a été consi-
déré comme un bienfait par le peuple de Rome,
par l'Italie, et plus encore par les provinces : dé-
livrées du joug d'une aristocratie oppressive, sau-
vées du despotisme des proconsuls par le despo-
tisme impérial, elles considèrent l'empereur
comme le garant de la paix et la source du bon-
heur; elles l'adorent comme une divinité.
Le siècle d'Aigij'ste. — Auguste a att.tché son
nom h un des grands siècles artistiques et litté-
raires. Aidé de Mécène et à' Agrippa, il favorise la
littérntureM .Lutine (Littérature) et les beuui-arts ;
il laisse une ville de marbre là où il a trouvé une
ville de briques ; de toutes parts s'élèvent des pa-
lais, des basiliques, des thermes, des portiques,
des cirques, des arcs de triomphe, etc. L'inso-iji-
tion d'Aiicyre, compte rendu par Auguste des actes
de son gouvernement, contient, entre autres do-
cuments précieux, la liste complète des monu-
ments qu'il fit construire. — L'architecture atteint
un immense développement : elle est vraiment
romaine ; les autres arts manquent d'originalité.
Auguste meurt en l'an 14.
Empereurs de la famille d'Auguste (14-68). —
Titjrie (14-3"). L'avènement de Tibère, fils adoptif
d'Auguste, ne rencontre aucune opposition dans le
sénat, mais soulève dans les camps des séditions
qu'apaisent non sans peine le fils et le neveu de
l'empereur, Dcusms et Germaiiictis (Xi). — l'our
occuper l'armée, Germaiiicus entre en Germanie
et y venge le désastre de Varus ; mais, soupçon-
né d'aspirer h l'empire, il est rappelé par Tibère,
et envoyé en Orient, où il meurt bientôt empoi-
sonné (19) ; sa femme Agrippine et ses enfants
disparaissent les uns après les autres, à l'excep-
tion de (Jaïiis, que sauve sa jeunesse.
Le favori de l'empereur, Séja?i, qui lui a conseillé
tous ces crimes, est convaincu h. son tour d'avoir
empoisonné Drusus et de convoiter l'empire : il est
étranglé (31). Tibère, défiant, se repaît de cruautés
et meurt assassiné (37).
Caligida (;)7-41). — Le troisième empereur,
Caïiis ou Caliguta, fils de Germanicus, gouverne
sagement pendant huit mois, devient fou furieux,
et périt égorgé.
Claude (11-54). — Cl/iude, frère do Germani-
cus, est proclamé par les soldats. Rome est ensan-
glantée par les conspirations et souillée par les
vices do Messaline; mais au dehors la Maurétanie
et la moitié de la Bretagne sont glorieusement
conquises, la Ihvace, la Ljjcie. la Judée, réduites
en provinces ; les nobles gaulois reçuivent le droit
de posséder des dignités romaines : une table
d'airain trouvée à Lijon nous conserve le discours
prononcé par l'empereur h cette occasion. — Le
commerce est favorisé par de grands travaux publics.
Ncro7i (54-C8). — Claude est empoisonné par
sa seconde femme Agrippine, impatiente de pla-
cer sur le trône son fils NéroUj au détriment
de Britannicus, fils de l'empereur. Mais, après
" d'heureuses prémices », Néron met à mort son
frère Britannicus (.■)5), sa mère Agrippine (59), sa
femme Octavie (6'2), et Corbulon, vainqueur des
Parthes. Il multiplie les supplices et persécute
les ch-ctiens (V. Christianisme). Plusieurs conspi-
rations échouent et coûtent la vie à Pison, à Sénè-
que, à Lucain^ à Thraséas ; la révolte de Vindex
en Gaule est aussi réprimée, mais Galba, plus
heureux, force Néron à fuir deRomeetàse tuer(68).
Galba, Othon, 'Vitellius (69). — Galba est bien-
tôt assassiné par ses soldats, dont il n'a pas satis-
fait l'avidité. — Othon et Vitellius se disputent
1 empire ; Othon succombe, et Vitellius jouit de
l'empire pendant huit mois. Mais Yespasien, vain-
queur des Juifs, est proclamé par ses soldats (Ii9).
Les Flaviens (69-96). — Vespasien (U9-19). — Le
nouvel empereurest un honnête homme, un général
habile, un administrateur actif. Il étouffe la révolte
du Batave Civilis (70), que soutiennent des peuples
germains et quelques Gaulois ambitieux, comme
Sabinus (V. Gaule). En même temps Titus met
fin à la révolte des Juifs par la destruction de
Jérusalem (70), qui amène la dispersion du peuple
hébreu. A l'intérieur Vespasien gouverne avec sa-
gesse : il rend au sénat quelque vitalité en élevant
au putriciid mille familles italiennes ou provincia-
les; parmi les nouveaux patriciens se trouvent
Agricola, de la Narbonnaise, etXrajan, d'Espagne.
L'enseignement public est organisé; Rome l'st
embellie par la restauration du Capitole, la cons-
truction du Colisée, etc.
r(7j/s (79-81). — Titus, fils de Vespasien, a laissé
le souvenir d'un prince doux et bon. Son règne si
court est rempli d'efi'royables calamités, incendie
de Rome, peste, éruption du Vésuve, qui engloutit
Pompéi (79).
Domitien (8}-d6). — Domitien est l'opposé de
son frère Titus. Jl persécute les chrétiens, se
porte aux dernières extravagances, et met h mort
tous ceux qu'il soupçonne. A l'extérieur, il con
tient les Germains par la force, et les Daces par
la politique, en pensionnant leurs chefs; la plus
grande partie de la Bretagne est conquise par
Agricola, et ouverte à la civilisation romaine; une
ligne de postes est élevée contre les Calédoniens.
Mai de tous, excepté des soldats, Domitien est
assassiné, et le sénat condamne sa mémoire.
Les Antonins (96-192). — Les Antonins, qui
succèdent aux Flaviens, donnent à l'empire un
siècle de prospérité.
Nerva (9G-9(>). — Nervn, un des conjurés f\ui
ont renversé Domitien, est proclamé par le sénat
(90). Il commence d'utiles réformes, donne des
terres aux pauvres, respecte les droits du sénat,
rétablit l'ordre dans l'Etat, mais n'ose faire sentii
son autorité à l'armée.
Trajan [dS-lVi). —L'Espagnol 7"î'n/aH,fils adop-
tif de Nerva, est le plus renomme des Antonins
Soldat avant tout, il rétablit la discipline. Il si
fait aimer de l'armée par son énergie et sa bra
voure, du sénat par la déférence qu'il lui témoi
gne, du peuple par son humanité. L'inscriptioi
connue sous le nom de Table alimentaire nou
explique parle détail une très curieuse institutio
de Trajan : l'empereur prête sur sa cassette ui
million do sesterces à 52 propriétaires, qui e:
verseront les intérêts au trésor do la cité d
HOME
_ 1941 —
ROME
Ve,oia,pnur .a nourriture ''«^ «n^-^-v^cs , l^ne.. çonti^^^^^
CHloinsUt«tion,auivientena>deilape c^^F^^ les incendies et par les tremblo-
pnoté et ll»V^«"'^^f j^^ST, le^rt^c aïsls'ance mcnts deï.uTe, tolère le christianisme, ot ne fatt
;î;;^,?;îS::r:|ï a^^ oîl^^nssi le^o,^erce, iV _ ,, «,
dlitc la circulation des grains et ait creuscid^s J^^^^^^ d'Antonin, est un des modèles de la
ports (Anohic et Civiia-ecch,a];û orne ^om^^^^ 4 fois doux et ferme, moraliste
Se l'arc de triomphe du forum et de ^a co lo ne veilu a t n^^^ ^^.^ ^^_^^ pédanterie et sans clu-
<iui portent son nom; '«» 'jf^-^''^ '/,^ tiSre âe^ » è^"^' » ':l>«>''^''= '^ perfection morale sans né-
tmjane nous f»"» connaUre la v e m lua^^^^^ 1 ^^ ses devoirs d'empereur. Ami
Romains, comme Pompéi nous f^>' ^° '\\' „'' ''„"e |c la paix, il est forcé de passer sa vie dans les
vie civile. Habilo et économe, T^aJ^" ^'"S'^f"''! r^^p^' . ; arrête les Marcomans. parvenus jus-
les revenus de l'Etat, tout en dimuniant les impôts ca^^pB.^^^^^^^ ^^ .^^.^ ,^^ Ç,^,„/^^. ^^,,,3 ,eur
il restreint le domaine particuUer «^«i ';3„''fJ ^avs ; pnis il se rend en Sijrie pour apaiser une
pour accroître la richesse publique ^ '^"PP"^,; P^v^l e! arrÈte de nouvelles incursions des Sér-
ies dons de ioye"\r<^"^"l''"'- i^iT„ 'même Ci"^, et meurt h Vindobona (Vienne). -Dans
ferme sans être cruelle; "^«'^ ^^'«"^'l 'H' 'Jit'^fl 70^111^^^^^^ de ses campa,nes, Marc-Aurèle
terme sans eue i-iuo..»- , , — « .„,,<.;
par les préjugés de ses cont^emporains .1 consi
dère les chrétiens comme des séditieux, et les
les intervalles de ses campagnes, Marc-Auréle
remplit exactement sa charge de grand justicier
adoucit les lois, protège le peuple contre les
agents du fisc et contre l'arbitraire des gouver-
neurs développe l'institution utuncntinre, repare
"es désastres.'^ Une faute cependant pèse sur sa
mémoire, la persécution des chrétiens, quil
confond avec les criminels.
Commode (180-11)2). - Commode, .fils de Marc-
Aurèle, prend le pouvoir sans "PPO^'^'""' "^f' |^
l'intérêt public, se jette dans le desordre, fait de
^ e ^'séc^t^ 1 r;;:i;irieur il lait la conquête
de laDa <^; (101-IOG), larattache à la msie par un
pont sur le Danube, et la romanise paù de nom-
" P^lfil^ttorrne contre les PaHke., qtii ont en-
vahi l'Arménie, franchit l'Euphrate et '« /'g^S;
entre à Babylone, h Ctésiphon, à. Suse \i>y'Y
et une partie de la Mésopotamie et àc\ Arabie
sont réduites en P™""'=«^n"V','Traia^'meurt 1 liombrruseTVictimes; et périt assassiné
Juifs se soulèvent de tous cotés, etTrajan meurt ""^ militaire (192-268). -; Perttnax (193),
avant de les avoir réduits (17).. „^^^„„ . i„iLréfet du prétoire, est proclame empereur par
Hadrien (117-138). - lladrim, Espagnol Im preiet Q P ^^^^^^ j ^^^^j^ ^1^ ^.^^^^^^J.
aussi, cousin de Trajan et adopte par ni est re- ?s »euuue . , ^^^^ ^^^^
^ro^i;i:^e^n^:^nd^"^^î^'£M^
è don:ifn'tp;^^^^^;;î:;u:;^pôu/^^n: = e. ^^^^^^^^ ,^
^ère, mais il renonce aux provinces conquises ,^f'; f ^j^/^ol^i^ ; Vend sa place, casse les
sur l'es Vartiœs; en Bretagne il se eo-uente d é- d l y le fie u ^, 1.^^,^ ^^^ ^^^ compétiteurs
lever une grande muraille cou re les ^J^ff^lPiZlseth Lyon, rétablit la discipime, fait la
jiieiis; il for lifio le Rhin contre les Gei-mnifU, et à issus ei d, _t.j , r„h:rln7,ims. con-
se tient partout sur la défensive; la paix n est
troublée que par une révolte suprême des JuUs,
qui est noyée dans le sang (135). ..
Hadrien porte tous ses soins vers 1 administra-
tion intérieure. Il perfectionne le gouvernement,
et le rend plus monarchique, 1" par la création
des bureaux (scrini.a],rou!iiie esseniiel de la cen-
tralisation ; î" par l'établissement d un nombreux
personnel de fonctionnaires : il ne les prend m
narmi les affranchis' ni parmi les sénateurs, qu U
*^ , ;i — I.,,. „i,(t.,io tvnn ni tar. hnS
tu r aux iV^-^èreT aux Ca/«/ôn,en. con-
^llt^niésopotamie, et «'ftache surtout à con-
tenter les soldats. A sa mort, ses deux ùls se dis
^""caraïSmUlV, poignarde son frère G«a,
et''rtrlit\ous iere,!nemis 20 000 à Rome
dont le iurisconsulie P,!pimai. Il est assassine.
cCt sois son règne que '« d.'oH de cae est ac-
cordé à tous les hommes libres de lE.npe
Macrin (217-21S) est tue avant dentier a
narmi les anrancms m ijai.w. .^.a o^..»~.. — , -i-, „
juge les uns trop serviles, les autres trop attaches uome. ^ ,^^. ^^^^ de Syrie, imite .les
iîeurs privilèges; aux sénateurs il réserve les J^^^^^^^ l„„ge dans le vice,
hautes magistratures, aux aftranchis les emplois "^''"^^^'J'^'^J'^g les prétoriens le massacrent,
domestiques de la cour, mai.s c'est la noblesse et se fat aaoïCTc P ^^^^^ ^ l'Empire
italienne et provinciale, Vordre équestre, qaû\ ^^f^'f'^j'" de Ta me : il gouverne avec la
di isH pour en faire une '"'i^loa^Uie admmutra-U^^^^^^ d|,3,u, plus dan-
t,ve; les chevaliers remplissent le '>°"f,«'' d^'^ hena^Utte contre ^^^.^ .^ ^^^^^^^ ^^ ^^^^
et toutes les fonctions; la réiorme de 1 Espagnol gcreux qne ics^^ ,.„,^,V, ,.^„nv„a,it.
aux Germains; ses soldats l'égoi-gf»'- , _ ^e
,ért;îr1.^.-i^^t;:(l^9^'-pa3^
ltàf?^st-L^s^-'^u^--^s
et Œr, sont massacrés k leur tour par les
soldats (238).- Gordien procl^.'"^ Pm 1 - Le
riens, est tué par l'Arabe P/'^W^Jf.:^')- ^^
Hadrien est donc une réaction en faveur de 1 Italie
et des provinces. 30 Le pouvoir législatif est retiré
au sénat, et donné au conseil (consistorium) com-
posé par l'empereur; en outre, les constitutions
impériales, édits, décrets, jugements, lettres ot
réponses aux fonctionnaires, ont désormais force
de loi. 4" L-Edit perpétuel, où Salvius Julianus r,,».^;'- v
coordonne les édits prétoriens, hxe 1^ J""spru- "«"f -Jf .j'^^!^^, P'^^t et tue Philippe (249), prend
dence (131); en même temps les .sctoes son senateu, J,c^^^^^^ l'ordre et de con-
rendusjustici,-iblesdestribunanx,etsoustraitsau sa place essaye ,g ^^ de ba-
caprice do leurs maîtres. L'armée, qui n'a plus à ten r les »jOtn^ ',..-,? _ Au bout de deux ans
combattre que les masses barbares, est reorga- ta'Ue, e» wtsie ^-. ^^^^.^..^^^ s'empare de l'em-
iiiséo en ,j/m/anffes. Enfin Hadrien assure la regu- de guerre civ ^ g^ les barbares, mais
larité des travaux publics par l'organisation mili- pire et ^^^"^«.,^^8 g^^par les Perses (2G0). -
taire des corporations ouvrières, d ou dériveront .1 est fa t pi 01 ^^^ , ^e de nom :
les corporations du moyen âge; Rome voit s ele- Son il» '^f''""' nroclame un empereur, et une
ver de nombreux monuments, entre autres le «^l'^^^ ? P'° '"''1^ em's connus sius le nom des
mausolée d'Hadrien, aujourd'hui château Saint- vingta.ne^dusurpateu.s.w,^ ^,^^^.^^^ repoussent
^"S«,e^<^- , , . , ,, „,, les barbares ou les appellent i leur secours; la
A7ituHiii (138-101). - Antomn, adopté par I les baroarcs ou i-i
ROME
1942
ROME
Gaule forme l'empire de Tètricus; la Thrace et
la Grùce sont dévastées par les Gotlis et par les
Hérules.
Restauration de l'Empire dans la seconde moi-
Ué du I1I« siècle (268-2841. — Claude II (2(iS-270).
— L'Empire se relève avec le Dalmate Claude II :
l'invasion des Alumans est arrêtée au lac de
Garde, et celle des GoOis en Macédoine.
Aurelien (270-275). — Aurélien, originaire de
Pannonie, gouverne avec énergie. 11 sauve l'Italie,
envahie par les Alamans, et entoure Rome d'une
nouvelle muraille ; il abandonne aux Gollis la
Dacie pour garder la ilésie, puis il attaque Zéno-
bie, reine de l'almyre, lui enlève ses provinces,
détruit sa capitale, et pacifie l'Orient (273). —
Télficus, effrayé, se rend (274). — Aurélien ra-
mène l'ordre dans l'Etat, l'économie dans les
finances, la discipline dans l'armée ; il se pré-
pare à châtier les Perses, quand il est assas-
siné (275).
Tacite ; Probus; Carus; Carin et Numérie/i (275-
284). — Après un intervalle de huit mois, le sénat
proclame un vieillard, Tacite, qui meurt six mois
après (270). — Son successeur, choisi par les
soldats, Probus, chasse de Gaule les Alamans,
jette la terreur en Germanie, et repousse partout
l'invasion, en Asie, en Egypte, en Ihrace, en Jlly-
rie ; sévère pour les soldats, il est tué par
des mutins (282). — Carus marche contre les
Perses, leur prend leur capitale, et meurt dans
l'expédition (283). — Ses fils, Carin et Numé-
rien, ne deviennent empereurs que pour périr
assassinés, et le Dalmate Dioclétien est pro-
clamé (284).
Dioclétien (284-305). — Dioclétien se propose de
repousser les barbares et de rétablir l'ordre in-
térieur. Pour s'assurer des lieutenants dévoués,
il associe h l'empire Mnjimien sous le nom
d'Auguste (286), Galère et Constimce Chlore sous
le nom de Césars (292) ; il les désigne pour ses
héritiers, afin de donner de la stabilité au pou-
voir, mais il reste le chef de ce gouvernement à
quatre, appelé la têtrardde. — Maximien bat les
Alamans, les Francs, les Burgondes, et soumet
dans la Gaule les Bugaudes, paysans soulevés
contre les gouverneurs. La Bretagne, agitée
par un usurpateur, est soumise par Constance
Chlore. En Orient les Perses, vaincus une pre-
mière fois par Dioclétien lui-même, sont chas-
sés de Mésopotamie par Galère, et contraints à
traiter.
A l'intérieur, Dioclétien achève l'œuvre de cen-
tralisation et d'uniformité commencée par Ha-
drien, et continuée insensiblement au milieu des
guerres civiles : les dernières formes de la Répu-
blique disparaissent, et le Bas-Empire commence.
Le cérémonial asiatique est introduit à la cour.
Tous les hauts emplois sont donnés i des agents
directs de l'empereur ; les sénateurs, déjà écar-
tés de l'armée par Gallien, sont exclus de l'ad-
ministration; toutes les provinces deviennent
impériales, c'est-à-dire qu'elles ont pour gouver-
neur non plus un magistrat nommé par le sénat,
mais un légat de l'Empereur. — L'administra-
tion de chaque province est en outre divisée,
pour que les fonctionnaires, moins puissants à
mesure qu'ils sont plus nombreux, soient entiè-
rement dans la main du pouvoir central. Les
vicaires sont institués pour les surveiller. — La
justice est rendue par des juges impériaux, la
procédure devient autocratique, et le droit, chan-
geant de caractère, s'éloigne du vieux droit romain
pour se rapprocher du droit naturel et s'appuyer
en même temps sur l'autorité des grands juris-
consultes, Gaius, Papinicn, Ulpien, etc. ; les
grands travaux do compilation et de codification
commencent. — Les i7iipijts sont rejidus aussi
plus uniformes : l'Italie y contribue comme les
provinces ; les membres des sénats municipaux,
déclinons ou curiides, sont chargés dans chaque
cité de faire rentrer les contributions, et sont
responsables du paiement intégral de l'impôt. —
Le recrutement de l'armée devient de plus en
plus difficile. — Enfin, la mémoire de Dioclétien
est souillée par une horrible persécution contre
les chrétiens (303).
Constantin (306-337). — Après l'abdication de
Dioclétien et de Maximie7i (305), et la mort de
Constance Chlore (3UG), l'empire a cinq maîtres à
la fois : Galère, Séoére, Maximin, son f[\s,Maxence,
et Constantin, fils de Constance Chlore. Ces cinq
empereurs en viennent aux mains : Maximin tue
Sévère (307), mais est tué par Coiutantin (310);
Galère disparaît l'année suivante ; Constantin bat
et tue Maxence au pont Mihiiis (312) ; un nou-
veau prétendant, Licinius, tue Maximin (3l3), et
partage pendant quelques années l'empire avec
Constantin, mais il finit par succomber (324), et
Constantin reste seul empereur.
L'œuvre de Constantin est capitale : il favorise
le triomphe du christianisme et réforme l'adminis-
tration.
Triomphe du christianisme. — Malgré les
efforts à.' Auguste, secondé par Virgile, la religion
romaine a disparu; les cultes orientaux, fondés
sur les superstitions les plus grossières, la rem-
placent d'abord, mais les honnêtes gens s'en dé-
tournent avec dégoût, et le christianisme, fondé
sur les sentiments les plus purs et les plus no-
bles du cœur humain, oriental et sémitique par
son origine, mais aryen et hellénique par l'esprit,
grandit rapidement malgré les persécutions. Cons-
tantin, par intérêt plus que par conviction, se dé-
clare le défenseur de la foi chrétienne : dès 313,
Ycdit de Milan permet aux chrétiens l'exercice de
leur culte; bientôt l'Église reçoit des dons, et les
prêtres des privilèges; aux provinces politiques et
aux cités correspondent des provinces ecclésiasti-
ques et des diocèses, administrés par des primais,
des métropolitains et des évéques, à la fois maîtres
du culte et dont l'influence s'exerce sur le gouver-
nement de la cité. — Le concile de Nicée (325) rend
la paix à l'Église, troublée par les J)ie?is, et rédige
le Symbole catholique. L'heureuse influence du
christianisme se fait aussitôt sentir ; des idées et
des sentiments nouveaux se propagent; la ser-
vitude personnelle se transforme peu à peu en
servitude territoriale ; les esclaves font place aux
colo7is, sortes de serfs.
Hé forme admiiiistralive. — Constantin réagitcon-
tre la domination des armées. L'Empire est partagé
en quatre grandes préfectures : l'Orient, l'Illyrie,
l'Italie, la Gaide, sous des préfets du prétoire ;
les préfectures sont divisées en quatorze diocèses
sous des ricaires et les diocèses en cent-vingt
provinces, divisées en cités. — Une seconde ca-
pitale est fondée, Constantinoplc, qui devient le
siège principal de l'Empire. De nouvelles charges
de cour sont créées. Les pouvoirs civils et mili-
taires deviennent distincts : le gouverneur civil
porte en général le nom de juge ; le gouverneur
militaire est appelé duc oa comte; les uns comme
les autres sont nobles (illustres, spectnbiles, cla-
rissimi, etc.) ; mais les chefs militaires sont placés
au dernier rang; la garde prétorienne est détruite ;
et les préfets du prétoire sont réduits à des fonc-
tions administratives. — Grâce à cette division et
à cette hiérarchie, les fonctionnaires civils font
équilibre aux chefs militaires, et les révoltes sont
rendues plus difficiles ; mais l'armée, tenue comme
en disgrâce, achève de se désorganiser; les pau-
vres l'abandonnent à leur tour : rien ne peut les
y retenir, ni les faveurs ni les supplices, et l'em-
pereur est réduit à prendre à sa solde des bar-
bares. — En même temps le grand nombre des
fonctionnaires accroît les dépenses publiques ;
J
ROME
— 1943 —
RONGEURS
l'impôt écrase les petits propriétaires et surtout
les curiati's, principalement à cause du mode de
perception ; les libertés municipales ne sont
plus que des cliargos; pressuré et ruiné, l'homme
libre aliène sa liberté pour vivre, et se fait le
colon d'un riclie; l'impôt n'en est que plus lourd
pour les curialos, forcés de rester libres et ma-
gistrats.
Tentative de Julien. Valentinien et Valens
(337-3781. — Après la mort de Constantin (337),
l'empire est longtemps disputé par ses trois lils
et d'autres prétendants. Constance linit par res-
ter seul empereur (353); mais Julien, vainqueur
des Atnmnns h, Strasbourg (35") et des Francs
dans plusieurs rencontres, est proclamé à Paris
par ses soldats (3(Jii), et reconnu bientôt dans
tout l'Empire, après la mort de Constance (361).
— Attaché au pjissé, il essaye de rendre la vie au
pni)a)iismp ; mais il meurt dans une campagne
contre les Perses (363), avant d'avoir pu ébranler le
christianisme.
Après le règne insignifiant de Jovien (303), Va-
lentinien /'■' et son frère Valens se partaient l'Em-
pire ; Valentinien, en Occident, tient tête aux
Germains, et règle l'élection des magistrats mu-
nicipaux appelés défenseurs. — Valens, en Orient,
se déclare pour Varianisme contre l'Église ortho-
doxe ; il force les Perses à une trêve, mais laisse
les Wisirjoths passer le Danube (aTti), et s'établir
en Tlirace ; et, quand il veut les en chasser, il est
vaincu et tué à Andrinople (3"8) : tout le pays jus-
qu'aux murs de Constantinople est ravagé par les
barbares.
Théodose (379-395). — En Occident, Valenti-
nien 1" laisse le trône à ses deux û\!,,Gratien et
Valentinien 11 (375). En Orient, Valens a pour suc-
cesseur Théodose, illustré par ses victoires sur les
barbares. — Théodose refait une armée, relève les
courages, et, par séduction plus que par force, dé-
cide les Wisigoths à cesser leurs ravages, et à
traiter; mais il est forcé de leur abandonner la
Mésie et la Thrace, et d'admettre 40 000 d'entre
eux dans les troupes impériales. Tliéodose paraît
sauver l'empire ; en réalité il le livre ."i ses enne-
mis : les auxiliaires barbares ont rendu des ser-
vices tant qu'ils ont été disséminés et mêlés à des
troupes romaines ; aujourd'hui l'élément romain
est entièrement submergé, les petits corps barba-
res sont transformés en grandes armées, comman-
dées par leurs chefs nationaux, et l'Empire n'est
défendu contre eux que par le respect que leur
inspirent encore sa savante organisation et son
glorieux passé.
En Occident, A/oïi'me abandonne aux barbares la
Bretagne, qu'il est chargé de défendre, passe en
Gaule &yec son armée, et renverse Gratien (383);
après s'être contenté de la Gaule pendant cinq
ans, il enlève l'Italie à Valentinien II; mais Théo-
dose, accouru d'Orient, le bat et le tue en Pan-
nonie ;3S8), rétablit Valentinien, et demeure
trois ans en Occident pour y extirper Varianisme.
Aussitôt après son départ, le Franc Arbogasl as-
sassine Valentinien, et rallie une dernière fois les
païens ; Théodose le réduit (3U4), et demeure seul
empereur.
Pendant tout son règne. Théodose a essayé
d'arrêter la ruine de l'Empire par une ferme ad-
ministration, et a été le défenseur de l'ortho-
doxie; il se soumet à la pénitence publique que
lui impose saint Ambroise, archevêque de Milan.
Etat de l'empire romain à la mort de Théodose.
Après la mort de Théodose, le monde romain
est dofiniiivement partagé en Empire d'Occident et
en Empire d'Orient.
L'état géographique et politique des deux Em-
pires à la fin du iv= siècle nous est connu surtout
par la Nolice des dignités, le plus précieux docu-
ment que nous ayons sur cette époque. — Le gou-
vernement de chaque Empire est une autocratie
pure ; le gouvernement contrat est formé des of-
ficiers de la cour, le grnnl chnmbellnn, le maî-
tre des offices, sorte de chancelier et de ministre
de l'intérieur, le questeur, chef de l'ordre judi-
ciaire, le comte des largesses, ministre du trésor et
du commerce, la comte du domaine privé, le
comle des gardes du corps, etc. — Le monde ro-
main reste h pou près divisé comme au temps de
Constantin, et la séparation est complète entre
l'ordre militaire et l'ordre civil; les préfectures
sont gouvernées par des préfets du prétoire, les
diocèses par des vicaires, les provinces par des
consulaires, des présides, des correcteurs ; les ci-
tés par des défenseurs. L'armée a pour chefs le
maître des fantassins et le maître des cavaliers,
tous les deux sortes de ministres de la guerre
et de la marine ; au-dessous viennent les comtes,
puis 1rs ducs.
En dépit de cette organisation savante, qui mar-
que une civilisation raffinée, l'Empire romain n'est
plus qu'une ruine. Les causes de cette décadence
sont :
1" La disparition de la classe moyenne, écrasée
par les impôts et appauvrie par la ruine du com-
merce ;
'i° Lxd''popnlation, causée par plusieurs pestes,
par les guerres civiles, par les guerres contre les
barbares ;
3° Le mnuvnis recrutement de l'armée, envahie
par les barbares.
Une seule puissaiice est debout, l'Église, forte-
ment constituée ; mais elle est indifférente aux
destinées de l'Empire; elle renonce à le régéné-
rer, et sait qu'elle lui survivra, parce que le chris-
tianisme n'est ni une religion domestique, ni une
religion nationale ; il appelle à lui l'humanité en-
tière.
Fin de l'Empire d'Occident. — L'Empire d'O-
rient subsiste jusqu'au xV siècle, grâce k la forte
position de Constantinople (V. Grèce, p. 909).
L'agonie de l'Empire d'Occid-nt ne dure pas un
siècle. Les Germains, poussés hors de leur pays
par la ruine de leurs institutions primitives, par
leurs divisions et par leur misère, sont entrés
d'abord dans l'Empire en fuyards et non en con-
quérants, comme laboureurs, ouvriers ou soldats ;
mais le jour vient où les auxiliaires barbares de-
viennent les troupes principales, prennent cons-
cience de leur force, et n'obéissent plus ; leurs
chefs, qui sont des rois de leur nation, prennent
peu il pou la place des fonctionnaires romains, se
font gouverneurs de provinces, lèvent des impôts
pour leur compte, rendent la justice ; leur ambi-
tion grandit de jour en jour : le lien qui les rat-
tache à Rome ou à Constantinople se relâche et
finira par se rompre ; l'Empire se désagrège, et
les empereurs d'Occident, jouets des nouveaux
maîtres de la milice, dépouillés de toute puis-
sance, sont réduits à l'état de fantômes, qui
finissent par s'évanouir (47G). — V. Barbares.
Pour l'histoire de l'Italie après la chute de l'em-
pire d'Occident, V. Italie. [Paul Lehugeur.]
nONGEUllS. — Zoologie, VIII. — Les Ron-
geurs sont des mammifères onguiculés, c'est-à-
dire des mammifères dont les doigts se terminent
chacun par un ongle distinct (V. Mammifères).
Leurs mâchoires sont armées de dents molaires
fortes et rugueuses et d'incisives bien dévelop-
pées, mais sont dépourvues de canines, l'espace
occupé d'ordinaire par ces dents restant vide et
formant une barre. Ainsi disposé, leur système
dentaire est admirablement approprié à un régime
essentiellement, sinon exclusivement végétal.
C'est en effut de feuilles, de fruits, de racines
que se nourrissent principalement les Rongeurs,
qui avec leurs grandes incisives peuvent entamer
les écorces et les graines les plus résistantes. Le
RONGEURS
1944 —
RONGEURS
faible degré de complication du cerveau et l'ab-
sence presque complète de circonvolutions à la
surface des hémisphères dénote chez ces animaux
une intelligence des plus médiocres; cependant
il y a des Rongeurs, les Castors, par exemple,
qui exécutent de véritables travaux d'art pour
loger leurs provisions ou pour élever leur jeune
famille; d'autres qui, comme les Écureuils, amas-
sent des provisions pour la saison froide; d'au-
tres enfin qui, comme les Lemmings, exécutent
des migrations lointaines.
Les Uongeurs sont presque tous de petite taille;
mais, en dépit de leurs faibles dimensions, ils
jouent dans la nature un rôle des plus impor-
tants; car ils pullulent sur la majeure partie de
la surface du globeet se répartissent en un grand
nombre d'espèces dont chacune est douée d'une
déplorable fécondité. Toutes ces espèces se res-
semblent par la structure Intérieure, mais diffèrent
souvent beaucoup les unes des autres par le port,
les allures et le genre de vie. Ainsi les Lièvres
sont organisés pour courir sur le sol, les Gerboises
progressent par bonds successifs à la manière des
Kanguroos, les Écureuils et les Loirs grimpent
aux arbres avec facilité, les Ptcromys et les Sciu-
roptères, ou Écureuils volants, grâce aux para-
chutes dont la nature les a dotes, s'élancent
d'une branche à l'autre et franchissent dans l'es-
pace une distance considérable, les Bathyergues
ou Rats-Taupes et les Spalax mènent comme les
Taupes une existence souterraine, tandis que les
Castors et les Ondatras vivent surtout dans l'eau
et nagent avec beaucoup d'aisance. D'un autre
côté, si les Gerboises dont nous parlions tout à
l'heure ont le corps svelte, les pattes antérieures
très courtes, les pattes postérieures très dévelop-
pées et la queue démesurément allongée, les
Pacas et les Cochons d'Inde ont des formes
lourdes, les pattes médiocres, la queue très ré-
duite et rappellent un peu les Porcins, tandis que
les Agoutis, plus légers et plus hauts sur pattes,
ressemblent à des Chevrotains. Enfin si la plupart
des Rongeurs sont couverts d'une fourrure douce,
égale et bien fournie, quelques-uns d'entre eux
ont le corps hérissé de piquants. Parmi ces der-
niers les plus remarquables sont les Porrs-Epics,
qu'un examen superficiel ferait rapprocher des
Hérissons, qui appartiennent cependant à l'ordre
des Insectivores'. On rencontre dn reste, dans ce
dernier groupe, un si grand nombre d'espèces qui
offrent avec certains Rongeurs des analogies ex-
térieures, qu'on peut, comme l'a proposé Isidore
Geoffroy Saint-Hilaire, établir pour ces deux caté-
gories de mammifères un système de classification
paralléliqne.
Les Rongeurs forment donc parmi les mammi-
fères un ordre extrêmement riche en espèces, si
riche qu'il a été nécessaire de le subdiviser, pour
la commodité de l'étude, en plusieurs groupes
secondaires, sous-ordres, familles et genres. En
tenant compte de quelques particularités du sys-
tème dentaire, deux grandes coupes peuvent être
immédiatement pratiquées. En effet, si cliez la ma-
jorité des Rongeurs on ne compte qu'une seule
paire d'incisives à chaque mâchoire, cliez quel-
ques-uns de ces animaux on trouve, à la mâchoire
supérieure, une paire de petites incisives supplé-
mentaires qui doublent, pour ainsi dire, les inci-
sives normales. Les Rongeurs qui ofl'rent cetie
disposition ont reçu le nom de Duiilicidenté^. Ils
ne forment, dans la nature actuelle, qu'une seule
famille, la famille des Léporidés, qui est répan-
due sur une grande partie de la surface du globe,
en Europe, en Afrique, en .\sie et en Amérique,
mais qui manque en Australie et dans l'île de
Madagascar. Dans cette famille ne rentrent que
trois genres, les Lièvres [Lepus), les Lapins {Cuiii-
culus) et les Laijomys,
Les Lièvres proprement dits ont le corps al-
longé, les oreilles grandes, les pattes de derrière
longues, la queue petite, mais distincte. Ils ne
creusent pas de galeries et produisent des petits
qui naissent couverts de poils et les yeux ouverts.
Dans notre pay- vit le Lièvre timide [Lepus limi-
rtus), dont Aristote a déjà fait mention et dont
Buffon a donné une excellente description. Tout
le monde connaît cet animal qui se rencontre à la
fois dans les plaines fertiles, au voisinage des fo-
rêts et sur les versants boisés des montagnes, et
qui présente, suivant les localités, certaines va-
riétés de pelage. Ordinairement il est d'un gris
fauve jaspé de brun sur les parties supérieures et
passant au blanc plus ou moins pur sur les parties
inférieures du corps; mais parfois il présente des
teintes soit plus foncées, soit beaucoup plus claires,
ou devient même complètement blanc. Sa nourri-
ture consiste en racines, en jeunes pousses, en
herbes diverses, et particulièrement en plantes
aromatiques, telles que le thym et le serpolet.
Grâce à ce régime, la chair du Lièvre, qui rentre
dans la catégorie des viandes noires, acquiert des
qualités particulières et se place, dans l'estime
des gourmets, bien au-dessus de la chair du Lapin.
Aussi depuis les temps les plus reculés, le Lièvre
est-il, dans l'Europe occidentale, l'objet d'une
chasse des plus actives. Peut-être même aurait-il
déjà, complètement disparu de nos contrées si
des lois particulières n'assuraient la conservation
ou, pour mieux dire, ne prévenaient la destruction
trop rapide de l'espèce.
En Russie et sur quelques points de l'Europe
centrale et occidentale, en Ecosse, dans les Py-
rénées, ainsi que dans une partie de l'Asie septen-
trionale, on trouve un autre Lièvre qui est encore
plus sujet que le Lièvre ordinaire i des change-
ments de couleur et qui a reçu, pour ce motif, le
nom de Lièvre variable {Lepus variabilis). Sa
chair est un peu moins savoureuse que celle du
Lièvre de France, mais sa fourrure, qui devient
en hiver d'un blanc immaculé, sert à faire des
palatines et des épitoges.
A Java, au Bengale, en Sibérie, aux États-Dnis,
au Brésil, en Syrie, en Arabie et dans les grandes
plainesde l'Afrique australe vivent plusieurs autres
espèces de Lièvres, tels que le Lièvre mossel
(Lepus nigricnllis), le Lièvre à queue rousse (Le-
pus ruficaudatus), le Lièvre de Virginie {Lepits
lirijiniatius), le Lièvre Tapéti {Lepus l/rasiticnsis),
le Lièvre de Syrie (Lepus syriacus), le Lièvre du
Cap (Lepus capensis), sur lesquels nous n'avons
pas Ji insister ici.
Les Lapins se rapprochent beaucoup des Lièvres
parleurs caractères anatomiques; mais ils ont les
oreilles et les pattes moins longues ; ils vivent en
société, se creusent des terriers et produisent des
petits qui naissent presque nus et les yeux fer-
més. Us se répartissent en un petit nombre d'es-
pèces, dont une est tellement connue qu'il est
tout k fait inutile de la décrire. Nous rappelle-
rons seulement que l'élevage des Lapins ne re-
monte pas à une très haute antiquité, et pa-
raît n'avoir été pratiqué ni par les Grecs ni par
les Romains; mais que depuis un siècle, cette
industrie a pris non seulement en Europe, mais
dans d'autres parties du monde, un développe-
ment considérable. L'homme a transporté des La-
pinsjusque dans les contrées lointaines et, peu à
peu, il est arrivé à modifier profondément l'espèce
primitive, et h créer une foule do races différant
les unes des autres par les proportions du corps,
par la couleur et la qualité du pelage. Ainsi ont
été formés les Lapins de clapier^ dont certains in-
dividus arrivent à peser 1".; ou même 15 livres,
les Lapins riches, b. la fourrure argentée, les La-
pins angoras aux poils longs et frisés, etc. A l'état
sauvage le Lapin de garenne se rencontre dans
RONGEURS
— 1943 —
RONGEURS
une grande partie de l'Eiirope ; il préfère les
lieux élèves et rocailleux, les landes, les garrigues,
et creuse dans le sol des trous et des galeries où
il élève sa jeune famille et se retire en cas de
danger.
Plus petits que les Lapins, les Lagomys sont
aussi moins liants sur pattes; ils ont les oreilles
courtes et arrondies, et sont privés de queue. On
ne les trouve plus à l'époque actuelle que sur les
confins de l'Europe et de l'Asie, en Tartarie, en
Sibérie, au Tibet, dans l'Himalaya et, en Amérique,
dans les montagnes Rocheuses; mais on a des
preuves certaines qu'ils ont vécu jadis sur le sol
de la France, en même temps que les Hamsters
et les Spermopliiles.
En tûte des Kongeurs ordinaires, pourvus d'une
seule paire d'incisives à chaque mâchoire, se pla-
cent les Ecureuils [Sciurus), qui constituent le
principal genre de la famille des Sciuritl.es. Ce
sont des animaux essentiellement arboricoles, qui
sautent adroitement de branche en branche en
étalant leur queue comme un parachute et qui,
à l'aide de leurs ongles crochus, grimpent avec la
plus grande facilité le long des troncs les plus
lisses : ils sont d'une timidité extrême et prennent
la fuite ou se cachent à la première apparence de
danger. Pendant la plus grande partie du jour ils
se tiennent tapis dans une sorte de bauge, faite
de mousse et de bois flexibles, et c'est seulement
vers le soir qu'ils prennent leurs ébats. En hiver
ils' ne s'engourdissent pas et se nourrissent des
grains, des noisettes, des glands, des amandes
qu'ils ont en la précaution d'amasser dans quel-
que trou. L'Écureuil commun (Sciurus vulgaris)
est répandu dans les forêts de l'Europe septen-
trionale et centrale et présente, suivant les loca-
lités, des ditïéronces de coloration très sensibles.
Dans certaines contrées son pelage reste cons-
tamment d'un roux vit en dessus et d'un blanc
pur ou jaunâtre sur les parties inférieures du
corps, tandis que, dans le Nord, il prend en hiver
une coloration grise ou bleuâtre et constitue alors
une fourrure très estimée qui s'emploie, sous le
nom de petit-ijris, pour garnir des manteaux ou
doubler des vêtements.
L'Asie, l'Afrique et le Nouveau Monde nour-
rissent plusieurs espèces d'Ecureuils qui diffèrent
de l'espèce européenne par les proportions et le
système de coloration ; quelques-unes ont le
corps mi-parti noir et jaune; d'autres sont d'un
noir uniforme; d'autres, enfin, portent sur le dos
et sur les flancs des bandes longitudinales du plus
gracieux efTet.
Les Tamias, qui se trouvent en Asie et en Amé-
rique, et qui ont pour type l'Ecureuil suisse
(T. stviatiis) de la Caroline, diffèrent des Sciuri-
dés ordinaires par le genre de vie et par une par-
ticularité de conformation ; ils se tiennent, en
effet, dans des trous creusés sou'i le sol, et ils ont
les parois de la bouche creusées de vastes poches,
à'ubajoues dans lesquelles ils transportent leurs
provisions.
Les Sciuroptères {Sciuroptcrus) ou Polalouches
ont de cha(|uecoté du corps un prolongement de
la peau qui s'étend du membre antérieur au
membre postérieur, et remplit le rôle d'un para-
chute quand l'animal bondit d'un arbre à l'autre. Ce
sont des animaux crépusculaires ou nocturnes
qui, à, part leurs membranes, sont conformés à
peu près comme les Ecureuils, et mangent comme
ces derniers des grains et des fruits. Dans l'Eu-
rope orientale et septentrionale et dans le nord
de l'Asie vit le Sciuroptôre polatouche (Sciuro-
ptcrus volrnis), qui ne mesure pas plus de 15 cen-
timètres de long, queue non comprise, et qui
porte une livrée grise en dessus et blanche on
dessous.
Les iSpermophiles (Spermophilm) , dont le
nom signifie amateurs de grains, sont dos ani-
maux fouisseurs qui liabitent les régions froides
de l'Ancien et du ^'ouveau Monde et qui attei-
gnent à peu près la taille du Cochon d'Inde. Ils
sont pourvus d'abajoues et se nourrissent princi-
palement de graines et de céréales. Aussi, lors-
c|u'ils sont abondants, ils peuvent causer de grands
dégâts dans les terres cultivées. Le type de ce
petit groupe est le Spermophile souslik (Sp. citil-
lus) de Pologne et do Silésie.
Notablement plus grosses que les Spermophi-
les, les Marmottes [Arctomys) ont des formes
plus lourdes, le corps plus épais et moins haut
sur pattes. Leur pelage est bien fourni, mais assez
rude, d'un gris brunâtre, varié de brun ou de
blanc jaunâtre ; leur queue est courte et touffue,
et leurs pattes de derrière n'ont qu'un pouce
tout à fait rudiraentaire. Ces animaux vivent
dans les régions montagneuses do l'Europe, de
l'Asie et de l'Amérique septentrionale, et se creu-
sent, sur les terrains inclinés, des habitations sou-
terraines. Pendant l'été ils vivent de graines et
de plantes herbacées, et pendant l'hiver ils res-
tent plongés dans un sommeil léthargique très
profond. Les Marmottes des Alpes (Arctomys
alpinusj sont souvent promenées dans les rues de
nos villes et de nos villages par de petits Sa-
voyards (|ui leur font exécuter différents tours,
au sou d'une musique naïve.
Enfin, les Ptéromys (Pteromys), que l'on
confond souvent avec les Sciuroptères sous
le nom A' Ecureuils volants, et qui font encore
partie de la famille des Sciuritlés, sont pour
ainsi dire des Marmottes organisées, non plus
pour une vie terrestre et sédentaire, mais pour
une existence active et arboricole. Comme les
Sciuroptères, ils ont sur les flancs des sortes de
parachutes et bondissent d'arbre en arbre et de
branche en branche. On les trouve dans l'Asie
méridionale, aux Moluques, aux Philippines, etc.
Les deux espèces de Ptéromys les plus con-
nues sont le Pétauriste (Pt. petaurista) et le
Ptéromys éclatant (Pt. nitidus), ainsi nommé à
cause de son pelage d'un brun foncé sur le dos,
d'un roux brillant sur la poitrine et sur le ventre.
Les Castors (Cas/o)-), qui constituent Ji eux seuls
une petite famille, celle des Custoridés, habitent
exclusivement l'hémisphère boréal, et principale-
ment les régions des grands lacs de l'Amérique
du Nord. Jadis, ils étaient communs en France,
sur le Rhône, la Durance, l'Isère, la Saune, la
Somme, et môme sur la Seine, aux i-nviriins de
Paris ; si l'on en croit la tradition , ils ont
donné i la rivière de Bièvre le nom qu'elle porte
actuellement, bièvre (du latin filjer) étant encore
le nom vulgaire du Castor dans diverses contrées.
Mais aujourd'hui, c'est à peine si l'on tne de rare
en rare quelques-uns de ces animaux dans les en-
virons d'Arles, de Beaucaire et d'Avignon.
Les Castors passent la plus grande partie de
leur vie dans l'eau et nagent avec facilité, grâce
aux palmures qui relient les doigts de leurs pat-
tes postérieures et leur queue largement aplatie,
en l'orme do rame, et couverte de sortes d'écail-
lés. Doués d'une certaine intelligence, ils se réu-
nissent en petites troupes pour construire des
barrages à travers les cours d'eau et au bord des
lacs et pour élever des huttes dont l'intérieur est
divisé en plusieurs compartiments et dont le fond
est percé d'un trou s'ouvrant immédiatement
au-dessus de l'eau. Ces demeures sont habitées,
pendant la mauvaise saison, par plusieurs indi-
vidus.
Pour la plupart des naturalistes modernes la
famille des Hystricidés comprend non seulement
les Porcs-épics (Hystrix), mais les Ilydrochères
(Hyi/rochœrus) ou Câblais, les Cobayes (Cavia) ou
Cochons d'Inde , les Pacas (Cœlogenys), les
RONGEURS
— 1946 —
RONGEURS
Agoutis (Dasi/procla), les Chinchillas [ChinclnlUi),
les Viscaches yLagostonius), etc.
Les Porcs-épics {HijsMx) se reconnaissent faci-
lement à leur tête grosse, plus ou moins bombée
sur le front, i leur corps volumineux, terminé en
arrière par un rudiment de queue et couvert,
principalement dans la région postérieure et sur
la nuque, de piquants longs et acérés. Ces pi-
quants, en se redressant comme des chevaux île
frise, protègent l'animal contre les attaques des
carnivores, mais ne sauraient, comme on l'a pré-
tendu, se détacher de la peau et être projetés
comme des flèches. Dans le midi de l'Europe et
en Algérie habite le Porc-épic à crête (Hi/sirix
cvistatu), qui est do la grosseur d'un chat et qui
a le corps noir et les piquants annelcs de blanc et
de noir. Comme tous ses congénères, ce Rongeur
se nourrit de fruits et passe l'hiver plongé dans
un sommeil léthargique.
Les Hydroclières [Hydrochœrus), dont le nom
signifie Porcs aquatiques, ont été en effet réunis
primitivement aux Porcins par les naturalistes
voyageurs, mais, d'après l'ensemble de leur orga-
nisation, se rapportent décidément à l'ordre des
Rongeurs. Le Cabiai ou Hydrochère capybara
(Hydrochœrus capybara) est répandu sur une
grande partie de l'Amérique méridionale, depuis
le fleuve des Amazones jusqu'à la Plata. Il atteint
presque la taille d'une brebis; sa tête est très
volumineuse relativement au corps, qui est revêtu
de poils bruns et roussàtres, peu fournis, et qui
en arrière ne porte pas même un rudiment de
queue. Le Cabiai se nourrit de fruits, principale-
ment do melons et de citrouilles ; il vit dans le
voisinage des eaux et nage avec facilité.
Les Cobayes (Cavia) ne méritent en aucune fa-
çon le nom de Cochons d'Inde par lequel on les
désigne vulgairement ; en effet ils ne ressemblent
aux Cochons ni par les dimensions, ni par la
forme générale, et ils ne sont point originaires de
l'Asie méridionale. Ce sont de petits rongeurs à
la tête arrondie, au corps renflé, aux pattes cour-
tes, à la queue rudimentaire, qui ont pour patrie
la Guyane, le Brésil, le Pérou, la Patagonie, etc.
Les Cochons d'Inde qui vivent à l'éiat sauvage dans
ces difl'érentes contrées, tels que le Cobaye aus-
tral et le Cobaye apérea {Cavia australis et C. npe-
rea), ont une livrée grise, variée de jaune et de noir;
mais ceux que l'on voit communément en Europe
ont été profondément modifiés par l'influence de
l'homme et se font remarquer par leur pelage blanc
ou jaunâtre marqué de larges plaques irrégulières
noires et jaunes.
Les Pacas [Cœlogenys), plus gros et plus hauts
sur pattes que les Cochons d'Inde, se distinguent
par une particularité anatomique fort curieuse;
ils ont de chaque coté de la tête une grande expan-
sion osseuse sous laquelle s'enfonce un repli de
la peau. Le Paca brun (Cœtogeni/s subniger) de
Cayenne est d'un brun chocolat avec des taches
blanclics arrondies sur les flancs.
Les Agoutis (Dasyproctn) sont de fort jolis ani-
maux, au pelage lisse et brillant, qui habitent
aussi les contrées chaudes du Nouveau Monde et
qui se nourrissent de substances végétales. Leurs
pattes assez fines sont bien conformées pour la
course, et celles de devant peuvent aussi servir
jusqu'à un certain point à la préhension des ali-
ments. La plupart des espèces de ce genre, l'A-
couchi (Dnsyprorta acuschy), l'Agouti proprement
dit(D. aculi), l'Agouti huppé (D. cristala), ont un
pelage brun ou noirâtre, plus ou moins tiqueté de
blanc ou de fauve.
_Les Cliinchillas(C/ti«c/ii//n), dont la fourrure est
si estimée, se trouvent principalement au Chili,
dans la région des Andes. Ils ont à peu près la
taille de nos Ecureuils et rappellent un peu ces
derniers animaux par leur tête surmontée de
grandes oreilles et ornée de grandes moustaches ;
mais ils ont la queue beaucoup moins longue et
moins touffue que les Ecureuils, les yeux beau-
coup moins vifs, les oreilles plus arrondies vers
le haut et presque dénudées, enfin ils sont essen-
tiellement terrestres. Le pelage du CliincliiUa la-
nigère (C/i. laniger) est d'un gris perlé, un peu
ondulé, soyeux et doux au toucher.
Les 'Viscaches [Lagostomns), qui vivent dans les
Pampas, ressemblent un peu aux Chincliillas par
leurs caractères généraux, mais ne fournissent
qu'une fourrure de très médiocre valeur.
Enfin les Anomalures (Anomal urus) présentent
la particularité, unique parmi les Rongeurs, d'a-
voir en dessus de la queue, dans la portion basi-
laire de cet organe, de larges écailles imbriquées
comme les tuiles d'un toit. Ce caractère, joint à la
disposition des omoplates et des doigts antérieurs,
permet de distinguer facilement ces animaux des
Ecureuils volants avec lesquels ils ont une lointaine
analogie, ayant comme ces derniers les membres
antérieurs rattachés aux membres postérieurs par
de larges expansions cutanées.
La petite famille des Dipodidés ne comprend que
les Gerboises [Dipus), qui, comme nous l'avons
dit plus liant, ont, avec des formes extrêmement
réduites, la piiysionomie générale des Kanguroos,
et qui semblent aussi avoir emprunté le mode
de locomotion de ces mammifères australiens
(V. Marsupiaux). Pourvus d'une très longue
queue qui se termine par un bouquet de poils et
qui peut tour à, tour remplir le rùle d'un balancier
ou fournir au corps un point d'appui d'une cer-
taine résistance, ayant les pattes antérieures extrê-
mement courtes, et les pattes postérieures au con-
traire très développées, les Gerboises progressent
avec une rapidité extraordinaire, par bonds suc-
cessifs, et ne se servent guère de leurs membres
antérieurs que pour fouir le sol. Leur tète est
surmontée de larges oreilles et animée par de gros
yeux k fleur de tète qui indiquent immédiatement
des habitudes nocturnes. En effet, les Gerboises ne
sortent guère de leurs terriers qu'à la tombée de
la nuit. Le pelage de ces petits animaux oiîre cons-
tamment des teintes assez claires, fauves ou bru-
nes sur les parties supérieures, et blanches ou jau-
nâtres sur les parties inférieures du corps. Une
espèce de Gerboise [Dipus m'iurilanicus) se trouve
en Algérie; d'autres habitent l'Arabie, l'Inde et
la Russie méridionale.
Les Loirs {Myoxus), qui composent avec un
ou deux autres petits genres la famille iss,
MyoxiiUs, tiennent à la fois des Rats et des Ecu-
reuils. Ils passent leur vie sur les arbres, ou se
cachent dans les trous des rochers, des vieux
murs, et s'engourdissent pendant la mauvaise sai-
son. Le Lérot (Myoxus mlila), qui n'a pas plus
de 15 centimètres de long, queue non comprise,
est d'un brun fauve sur le dos, d'un blanc pur en
dessous, et a les cotés de la tète et une partie de
la queue fortement tachés de noir. Il est commun
dans toute l'Europe, surtout dans les endroits
cultivés. D'autres espèces de Loirs sont spéciales
à l'Afrique ou à l'Asie orientale.
La très nombreuse famille des Muridés a pour
principaux représentants les Rats-taupes, les
Campagnols, les Ondatras, les Hamsters et les
Rats.
Les Rats-taupes [Spnlax, Bathyergns, etc.) sont
des Rongeurs fouisseurs, ayant la tête grosse, le
corps plus ou moins cylindrique, la queue courte
ou nulle, les ongles robustes, les yeux presque
atrophiés, comme c'est l'ordinaire chez les êtres
qui mènent une vie souterraine. Le Zemmi [Spa-
liix ti/i'h'iis), qui se rencontre en Crimée et dans
l'Asie Mineure, peut être considéré comme le type
de ce groupe.
Les Campagnols ne dépassent pas en grandeur
RONGEURS
1947
ROSACEES
les Souris du nos inaisous, avec lesf|UC'llcs ils ont
parfois ijtt' confondus, quoiqu'ils aiout les oreil-
les plus longues, les yeux plus gros et plus
saillants, le pelage en général plus fortement
teinté de jaune, etc. Ils sont représentes en Eu-
rope i)ar plusieurs espèces, dont une, le Cam-
pagnol des champs {Arvicola arvalis), établit sa
demeure dans les plaines cultivées et cause sou-
vent de gramis ravages en coupant les tiges des
céréales, en rongeant les racines des plantes po-
tagères et en dévorant les semences.
Aux Campagnols se rattachent les Lemmings
{Lcmiiius), si célèbres par leurs migrations. Ces
Lemmings (t. nurvegicus) sont originaires de
Laponie et de Norvège et, poussés par la famine ou
par quelque autre cause, quittent à certaines
époques leur pays natal, en troupes innombrables,
et prennent deux directions opposées, certains
d'entre eux gagnant les rivages de la mer du
Nord et d'autres descendant vers le golfe de Bot-
nie. Sur leur passage ils dévorent les récoltes, les
herbes et les racines ; mais heureusement ils sont
bientôt décimés parles intempéries ou deviennent
la proie des Kapaces, des oiseaux de mer ou des
mammifères carnivores.
Los Ondatras habitent le nord du continent
américain ; ils sont aquatiques comme certains
Campagnols et sont encore mieux organisés que
ceux-ci pour la natation, ayant la queue écailleuse
et comprimée latéralement et les pattes de der-
rière palmées. L'Ondatra musqué {Omlatra zi-
liethica), qui vit dans les lacs du Canada, doit
son nom à l'odeur particulière qu'exhale sa four-
rure. Il coiistruit des huttes semblables il celles
qu'élèvent les Castors, mais de dimensions plus
restreintes.
V< Les Hamsters {Cricetu>i\ qui sont à peu
près de la grosseur d'un Rat, sont parfois appelés
Marmottes d'Allemagne ou Marmottes de Stras-
bourg, parce qu'ils se trouvent principalement en
Alsace et dans les pays d'Outre-lîhin. Le Hamster
vulgaire jC'r. frumentarius) entasse dans l'une
des chambres dont se compose son terrier des
quantités considérables de froment, de seigle, de
légumes secs, et se nourrit pendant l'hiver avec
ces provisions.
L'un des genres les plus nombreux en espè-
ces de tout l'ordre des Rongeurs est assuré-
ment le genre Uu.i, qui renferme les animaux
désignés vulgairement par les noms de Rais, de
Souris et de Mulots. La Souris vulgaire est irop
connue pour que nous ayons besoin d'en donner
une description détaillée. Chacun sait que ce pe-
tit Rongeur est ordinairement d'un gris cendré,
mais que parfois il passe au blanc pur. Les in-
dividus ainsi moditiés ont les yeux rouges, comme
c'est la règle chez les albinos.
Buffon a dit de la Souris : « Timide par sa na-
ture, familière par nécessité, la peur ou le besoin
font tous ses mouvements ; elle ne sort de son
trou que pour chercher h vivre ; elle ne s'en écarte
guère, y rentre à la première alerte, ne va pas,
comme le Rat, de maisons en maisons, à. moins
qu'elle n'y soit forcée, fait aussi beaucoup moins
de dégâts', a les moeurs plus douces et s'apprivoise
jusqu'à un certain point, mais sans s'attacher. »
Dans les catalogues scientifiques, la Souris est
appelée Mus nnisculus.
Le Mulot vulgaire {Mus sylvatinus) est un peu
plus fort que la Souris et porte une livrée d'un
brun fauve sur le dos, d'un blanc pur sur la poi-
trine et sur le ventre. Répandue dans toute l'Eu-
rope et sur une partie de l'Asie, cette espèce ne
pénètre guère dans les habitations qu'M'approche
de l'hiver, et se tient durant la belle saison dans
les bois et dans les champs.
Le Rai nain ou Rat des moissons {Mus arena-
rius ou Mus parvulus) est le plus petit de nos
Rongeurs indigènes et se distingue entre tous par
son industrie. Pour loger ses petits, il construit
en effet un nid il peu près sphérique qu'il suspend
dans un champ de blé à quelques tiges encore
sur pied et qu'il abrite sous des chaumes artiste-
mont tressés, (^ette petite construciion rappelle
beaucoup par sa forme les nids de certaines Fau-
vettes, et, comme ceux-ci. peut se balancer au
soufllo du vent, avec les tiges qui le supportent.
Le Rat surmulot {Mus decumunus) est, comme
son nom môme l'indique, beaucoup plus giand et
plus robuste que le Mulot. C'est un animal des-
tructeur par excellence, qui, dans les localités où
il se multiplie, occasionne des dégâts considé-
rables et compromet même la sécurité des habi-
tations en rongeant les poutres de soutènement
et en se frayant un passage à travers les murs de
fondation. Aujourd'hui cette espèce est extrême-
ment répandue dans les grandes villes et pullule
parliculièreraent dans les égouts de Paris, ei
cependant c'est seulement depuis le milieu du
XVIIII-' siècle que l'on a constaté sa présence en
Europe. Les premiers Surmulots furent sans doute
amenés do la Perse ou do l'Inde à bord de quelques
vaisseaux, et en 1727 un grand nombre de ces ani-
maux arrivèrent à Astrakhan, venant des déserts
de l'ouest, et ayant traversé les flots du Volga.
En France, le Surmulot a presque complètement
détrôné et anéanti une autre espèce, de taille un
peu plus faible, et revêtue d'une livrée plus fon-
cée, le Rat noir {Mus ratus], qui lui-même était
déj^, selon toute probabilité, originaire de l'Asie.
Suivant une opinion généralement aixréditée, cet
animal nuisible a été introduit en Europe par les
navires qui ramenaient dans leurs foyers les guer-
riers ayant pris part aux croisades; cependant il
ne se trouve mentionné d'une manière parfaite-
ment nette que par les auteurs du xvi" et du
xvii° siècle.
Il parait même qu'une troisième espèce, le Rat
d'Alexandrie (il/i(s alexandrinus), (\\\\ a l'Egypte
pour patrie d'origine, s'est établie depuis une
soixantaine d'années dans nos départements mé-
ridionaux; aussi craignait-on jusqu'à ces derniers
temps de voir pénétrer en France un Rongeur
encore plus redoutable, un véritable géant dans
son genre, le Rat pilori {Mus piloridcs) des An-
tilles; mais des observations récentes ont heureu-
sement démontré que cette espèce dift'érait par
ses mœurs autant que par son organisation du
Rat noir, du Kat surmulot et duRat d'Alexandrie,
et que, par suite, son introduction et son accli-
matation en Europe ne sont probablement pas à
redouter. [E. Oustalet.]
ROSACÉES. — Botanique, XXIV. — Etym.: de
rosfi, nom latin de la rose. — Oe/î«J(iU'(. — Famdle
de plantes phanérogames, angiospermes, dicoty-
lédonées, dont les fleurs sont dialypétales et il
étamines périgynes, et dont les graines, arrivées
à maturité, sont dépourvues d'albumen.
Caractères botaniques. — La graine des Rosa-
cées, toujours protégée par les parois du fruit,
ne possède qu'un tégument extrêmement mince,
entièrement transformé en une lame de paren-
chyme corné. L'albumen faisant défaut, la ré-
serve nutritive destinée ii nourrir l'embryon pen-
dant les premières phases de la germination,
est emmagasinée dans les cotylédons de cet
embryon.
La racine est pivntante ou fasciculée. Les
plantes de cette famille sont des herbes, des ar-
bustes, ou des arbres; leur tir/e varie donc de
hauteur et de dimension, depuis celle des frai-
siers jusqu'il celle des pommiers et des cerisiers.
Elle porte des feuilles alternes, presque toujours
stipulées ; les stipules sont adnéos au pétiole chez
les rosiers, les fraisiers, les ronces, la sanguisorbe,
etc. ; elles sont caduques chez les pommiers, les
ROSACEES
— 1948
ROSACEES
amandiers ; elles manquent complètement dans
quelques genres. Le limbe de la feuille varie de
forme ; il est simple et denté cliez les Pomacces
et les Amygdalées; il est compose, penné chez
les rosiers, les fraisiers ; il est quelquefois pal-
matilobé (alcbimille) ; il manque chez VHutthe-
maia, où la feuille se trouve réduite à deux
stipules. Chez les Amygdalées, les feuilles pré-
sentent des glandes analogues à celles des Papi-
lionacées.
Les fleurs sont parfois solitaires et terminales ;
le plus souvent, elles sont disposées en ombelles
(cerisier) ou en oorymbos et aussi en panicules
ou en grappes. Elles sont liermaphrodites, excepté
dans un petit nombre de genres où elles sont di-
clines {Potermm, Cliff'ortia). Le caractère des
fleurs de cette famille, c'est de présenter un ré-
ceptacle fort développé, le plus ordinairement
concave, ovoïde ou cyatliiforme, à la surface in-
térieure duquel sont insérés les carpelles, tous
les autres verticilles de la fleur étant portés par
les bords de ce môme réceptacle. Ces verticilles
sont par cela même insérés h un niveau plus
élevé que les carpelles. Ce fait s'exprime en di-
sant que les ovaires de ces plantes sont infères
ou que leurs étamines sont épigynes. Dans plu-
sieurs genres, cependant, la cupule réceptacu-
laire fort élargie devient conique vers son centre
et porte les carpelles à la surface de ce cùne
(fraisiers, framboisiers), qui dépasse de beaucoup
les bords réceptaculaires ; le qualificatif d'ài/'ères
ne peut alors plus être attribué aux ovaires de ces
plantes. Dans ce cas, on considère les étamines
comme périgynes. Une fleur de rosacée présente
donc un réceptacle concave ou conique sur les
bords duquel on voit, de l'iutcrieur à l'extérieur :
1° L'n calice ordinairement à cinq pétales ou à
quatre seulement. Chez les fraisiers, au-dessous
du calice, on remarque une enveloppe compara-
ble au calice et nommée cahcule ;
1° Une corolle h. cinq pétales ou i quatre alter-
nant avec les sépales. Dans un petit nombre de
genres la corolle fait défaut;
3° Des étamines ordinairement très nombreu-
ses (rosiers) o\i au nombre de vingt (fraisiers,
pruniers) ; quelquefois quatre seulement (alcbi-
mille, sanguisorbe);
■4° On trouve au centre de la fleur des carpel-
les insérés soit dans l'intérieur de la cupule '
réceptaculaire, .soit à la surface du cône que forme j
celle cupule. Ces carpelles sont on nombre va- '
riable ; quelquefois un seul i,Amygdalces), souvent |
cinq (Pomacées), ou très nombreux (Rosées). Ils
sont libres lorsque le réceptacle est conique, et
aussi chez les Amygdalées et les rosiers où le
réceptacle est concave. Chez les Pomacées, ils
sont soudés entre eux et avec le réceptacle ; dans
ce cas, on a un ovaire tout à fait infère et h plu-
sieurs loges renfermant chacune deux ou plu-
sieurs ovules. Lorsque les carpelles sont libres,
ils sont uni-ovulés, bi-ovulés ou pluri-ovulés. Les
styles sont toujours libres, même chez les Poma-
cées, et toujours en même nombre que les car-
pelles. Le plus souvent, chaque style est inséré
sur le bord interne du carpelle, au-dessous du
sommet de l'ovaire.
Le fniit est variable : chez les Pomacées, c'est
une pomme. Les parois de l'ovaire sont soudées
avec celles du réceptacle ; ce dernier s'accroît
et devient charnu et comestible à la maturité.
Chez les Spiréacées, le fruit est un assemblage
de follicule::; les carpelles, libres de toute adhé-
rence, contiennent chacun plusieurs graines et
sont déhiscents à la maturité.
Chez les Rosées, le fruit est un assemblage
d'aA-ràe«, ou un assemblage de drupes: V un
assemblage à'akhies, c'est-ii-dire que chaque car-
pelle ne renferme qu'une graine et devient à la
maturité sec et indéhiscent ; tantôt ces akènes
sont enfermés dans la cupule réceptaculaire dont
les parois deviennent charnues à la maturité
(rosiers) ; tantôt ces akènes sont portés sur un
réceptacle conique qui devient charnu et comes-
tible (fraises) ; tantôt enfin le réceptacle demeure
sec (potentille, benoîte) ; 2° un assemblage de dru-
pes. C'est le cas des ronces (mûre des haies,
framboisiers). Les parois de chaque ovaire devien-
nent charnues et comestibles ; les ovaires se sou-
dent latéralement entre eux ; le réceptacle conique
se développe peu.
Enfin chez les Amygdalées le fruit est une
drupe. Le réceptacle concave se détruit après la
floraison. Les parois de l'ovaire s'accroissent et
se divisent nettement en trois zones : à l'exté-
rieur une mince pellicule [ipicarpe\; à l'intérieur
une enveloppe fort dure (endocarpe), et entre les
deux le méSKCcrpe. La mince pellicule, c'est la
peau de la pèche par exemple ; l'enveloppe dure
(endocarpe), c'est le r.oijau (pêche, abricot, ce-
rise, prune). Le mésocarpe devient charnu ; il
est comestible, excepté chez les amandiers; à
l'intérieur du noyau se trouve la graine avec son
tégument mince. La graine est la seule partie
comestible dans la drupe des amandiers.
Classification des Rosacées. — Les Rosacées
se divisent en quatre tribus; nous nous conten-
terons de If'S nommer avec les principaux genres
qu'elles comprennent :
1. Pomacées [Coynassier, Poirier, Pommier,
Sorbier, Néflier).
]I. Rosées [Rosiers, Aigre'moine. Alcliimille,
Ronce arbrisseau, Honce framboisier. Fraisier,
Tormentilli-, Benoîte).
III. Spikéacées (i^pirée filipendule, Spirée reine-
des-prés).
IV. Amygdalées [Amandier, Pécher commun,
Pêcher brugnon. Abricotier, Prunier, Cerisier).
Usage des Rosacées. — I. Plantes alimentaires,
— Nous citerons les principales :
1° Les fruits du Cognassier ou coings ne peu-
vent se manger crus à cause de leur àpreté ; mais
ils sont fort recherchés pour la fabrication de
gelée, de conserves et de sirop. Ils étaient très
appréciés des Grecs et des Latins ; ce sont eux
que Virgile désigne sous le nom de pommes
d'or ; on les cultivait spécialement dans l'île de
Ciète. On suppose même que les pommes d'or
du jardin des Hespérides étaient des coings et
non des oranges;
20 Les Pommiers et les Poiriers sont des arbres
extrêmement voisins les uns des autres ; ils ne se
distinguent que par leurs inflorescences, la cou-
leur de leurs fleurs et la forme de leurs fruits.
Chez les Pommiers, l'inflorescence est une om-
belle, les fleurs sont blanches nuancées de rose;
les fruits sont globuleux et creusés à leur base
d'un enfoncement profond dans lequel s'implante
le pédoncule. Chez les Poiriers, l'inflorescence
est un corymbe, les fleurs sont absolument blan-
; elles , les fiuits sont turbines, allongés et rétrécis
à leur base. Les fruits de ces arbres à l'état sau-
vage sont âpres et acerbes ; sous l'influence de la
culture, ils deviennent sucrés et légèrement acl-
I des. En Normandie, en Picardie et en Bretagne,
' on cultive les pommiers pour la fabrication du
cidre. Le cidre de qualité supérieure se fabrique
avec des pommes douces auxiiuelles on mélange
une notable quantité de pommes anières; l'emploi
de ces dernières a pour but d'assurer la conser-
j vation du cidre ;
3° Les fruits du Néflier ne sont agréables au goût
que queliiuc temps après la cueillette;
■i" Les /raniiioises sont fort estimées ; on en fait
un .sirop, des conserves, de la gelée et aussi
un vinaigre qui sort lui-même à fabriquer le vl-
. naigre framboise ;
ROSACÉES
1949 —
ROUMANIE
5° Los fruits des Rotices ou mi'iros des haies
se mangent comme les framboises, en Suisse et
en Allemagne ;
G» Les fraises. On connaît toutes les variétés
de fraises que l'on a pu obtenir par la culture
et chez lesquelles lo réceptacle conique, extrême-
ment développé, est succulent et parfumé ;
7° Les connndes ilouces se servent sur les ta-
bles ; elles servent h. fabriquer lo sirop d'orgeat ;
les amandes amères sont plus rarement em-
ployées, parce que, distillées avec de l'eau, elles
ont la propriété de produire de l'acide cyan-
hydrique en quantité suffisante pour être dan-
gereux;
8" Les Pf'cliei-s sont originaires de la Chine. L'a-
mande de leur fruit renferme les éléments de l'a-
cide cyanhydrique ; broyée avec le noyau, elle sert
à faire une liqueur nommée ralafiu, ou Hijueur
de noyau;
9° Les Abricotiers sont originaires de l'Asie;
10" Les Pruniers donnent des fruits que l'on
sert sur les tables et dont on fait des conserves.
On les fait également sécher et on les vend alors
sous le nom de pruneaux. Les pruneaux les plus
estimés sont ceux de Touis, d'Agen et de Bri-
gnolcs;
11° h&s Cerisiers. Les fruits du cerisier-merisier
fournissent par la distillation et la fermentation
le kirsch-wasser. Les fruits des autres cerisiers,
tels que le bigiirrenutier,\e y>iignier,\e ijriotlier,
se mangent à, l'état frais. Avec ceux du griottier,
on fait des conserves ; on les confit également
dans l'eau-de-vie. Le griottier est originaire
d'Asie : il aurait été apporté en Italie par Lucullus ;
12" Les feuilles de la petite pimprenelle sont
utilisées comme assaisonnement.
II. Plantes médicinales. — 1° La gelée et le
sirop de coings sont usités comme astringents;
les pépins de coings sont émollients.
2° Les rose-^. La rose de Provins ou rose rouge,
apportée de Syrie à Provins, au temps des Croi-
sades, par un comte de Brie, est cultivée pour
ses pétales avec lesquels on prépare le miel
rosat ; on en fait aussi un sirop et une conserve.
Provins ne peut ilui seul fournir tous les pétales
de roses du commerce. Il en vient des environs
de Lyon et de Metz et surtout d'Allemagne. Ces
pétales sont sèches i l'étuv.e et conservés dans des
boites en bois; on les récolte quand les roses sont
en boutons ; on enlève le calice, on coupe les pé-
tales que l'on passe au crible pour en séparer les
étamines et les insectes. La rose à cent feuilles et
la rose de Damas ou roses pâles sont culiivées
dans le midi de la France et aux environs de
Paris; elles servent à la fabrication de l'eau de
roses et de Vessence de roses. L'eau de roses s'ob-
tient en distillant les pétales des roses avec de
l'eau. L'eau de roses est un collyre astringent.
L'essence do roses du commerce nous vient de
la Perse, de l'Inde et de Tunis; on en fabrique
aussi dans le midi de la France. On l'obtient par
deux procédés différents. Le plus répandu con-
siste à établir des lits alternatifs de pétales de
roses et de graines de sésame. Ces dernières ab-
sorbent l'huile odorante des roses et se gonflent ;
on renouvelle plusieurs fois les lits de pétales de
roses pour les mêmes lits de graines de sésame.
Quand ces graines ont atteint un certain volume,
qu'elles ne se gonflent plus, on les retire, on les
soumet h l'action d'une presse et on en exprime
ainsi une huile odorante contenant une forte pro-
portion d'essence de roses. L'n autre procédé con-
siste à distilleries pétales de roses avec de l'eau,
de façon à obtenir une eau de roses assez concen-
trée; on distille une seconde fois cette eau de
roses; on maintient le nouveau liquide à une
température de 5» à (iO degrés, et on voit alors
surnager une huile essentielle qu'il est très fa-
cile de recueillir et qui est l'essence de roses.
(Ce procédé est usité dans les Balkans.) A la
température ordinaire, l'essence de roses pure se
prend en une masse cristalline ayant l'aspect d'un
amas de lamelles ou d'aiguilles ; elle fond sous
l'action do la chaleur de la main.
J)" Les feuilles de Yuigremoine sont astringentes
et utilisées contre les inflammations de la gorge.
4° Les feuilles de Y alcliimilte s'emploient pour
combattre les héniorrhagies et la phthisie.
5° Les feuilles, l'écorce ou la racine de quel-
ques autres Rosacées sont souvent usitées comme
astringentes ou toniques. Nous citerons seulement
l'écorce du cerisi,-r puiiet {Cera'Us Padus), que
l'on a proposée comme succédanée du (|uinquina.
G" Les fleurs du cousso [Broijera nntkfhnintldca)
sont employées en infusion pour détruire le
ténia. C'est le remède le plus efficace lorsqu'on
ne peut pas se procurer de l'écorce de grenadier
tonte fraîche. Le cousso est un arbre d'Abyssinie
qui atteint une hauteur de 20 mètres.
1° Les feuilles du law ier-cerise produisent par
la distillation une eau narcotique. Ces feuilles
s'emploient quelquefois, il la dose de trois feui:les
pour un liti'r di- l.iit,pour calmer la toux. L'arbre
est origiiiaiii' ili' I'Amo.
lU.Piiuilcs i!ifl.;.^li>elles. — Lchoh de plusieurs
Rosacées est reeiierché des ébénistes parce qu'il'
est dur et susceptible d'être poli. Nous citerons
seulement les plus estimés; ce sont les bois du
poirier, du sorbier doinesliquc, do Valisier, et sur-
tout du cerisier mahuleb, qui se vend dans le
commerce sous le nom de bois lie Suinte-Lucie, Am
nom d'un village des Vosges où l'on en fait le
commerce.
Les vieux cerisiers laissent couler de leur tronc
et de leurs branches une gomme qui se colore et
se durcit en séchant. Elle est utilisée par les cha-
peliers pour l'apprêt du feutre.
IV. Plantes oinemvnlales. — Il suffit de les
nommer, tout le monde les connaît. Ce sont:
d'abord toutes les nombreuses variétés de roses
obtenues par la culture et qui dérivent pour la
plupart de la rose de Provins, de la rose à cent
feuilles, et des églantiers.
Et ensuite les sorbiers, les aubépines , les
épines roses, l'ulmnire ou reinr-iles-près {Spirea
uhnariii), et le laurier-cerise V' cli -ich' iiour son
feuillage toujours vert. i<'. ■'■'■■ r. i uand.]
ROL'MAiNIE. —Histoire génnale, \\'\1V. —Le
peuple qui s'est donné à lui-même le nom de
Roumains en souvenir de la colonisation romaine
dans la vallée du Danube, et qui occupe aujour-
d'hui, outre les anciennes principautés de Mol-
davie-et de Valachie, une partie de la Bessarabie,
de la Bukowine, de la Transylvanie et de la
Hongrie orientale, de la Serbie et de la Bulgarie,
forme le groupe le plus oriental des nations de
langue latine. L'origine des Roumains est incer-
taine. « Habitants de l'antique Dacie, les Rou-
mains sont-ils exclusivement les descendants de
Gètes et de Daces latinisés, ou bien le sang des
colons italiens amenés par Trajan prédomine-t-il
chez eux ? Dans quelle proportion se sont mêlés
au peuple roumain les divers éléments des popu-
lations environnantes, slaves et illyriennes ?
Quelle part ont eue les Celtes dans la formation
de la nationalité valaque '? On ne saurait le dire
avec certitude. Les vastes plaines que les Rou-
mains habitent aujourd'hui avaient été, sinon
'complè ement, du moins en grande partie aban-
données par eux au m'-' siècle, lorsqu'ils durent
émigrer de l'autre coté du fleuve par ordre de
l'enqiereur Aurélien. S'il est vrai que les arrière-
peiits-lils de ces exilés soient jamais retournés
dans leur patrie, il quelle époque y revinrent-ils
pour y remplacer les Slaves, les Magyars, les
Petchénègues? Quelques écrivains pensent qu'il
ROUMANIE
1950 —
ROUSSEAU
n'y eut point d'immigralion nouvelle et que le ré-
sidu des populations ronianisées du pays suffit
pour rcconstituei' peu h peu la nationalité. Quoi
qu'il en soit, ce petit peuple, dont les commen-
cements sont tellement incertains, a grandi d'une
manière surprenante, puisqu'il est devenu la race
prépondérante sur le bas Danube et dans les
Alpes transylvaines, et sert aux populations de
la péninsule tliraco-liellénique de rempart contre
les envahissements de la Russie. — Encore au
xMi" siècle, la langue roumaine était tenue pour
un patois, et les Valaques eux-mêmes devaient
parler slave dans les églises et devant les tribu-
naux. De nos jours, au contraire, les patriotes
roumains travaillent activement à purifier leur
idiome de tous les mots serbes, qui s'y trouvaient
dans la proportion d'un dixième environ, et des
termes turcs et grecs introduits dans la langue
lors de la domination des Osmanlis. Ils se sont
également débarrassés de l'écriture slave pour
prendre les caractères français... Il reste dans la
langue roumaine un fonds de deux cents mots
environ qui ne se retrouvent dans aucune langue
connue et qu'on croit être un débris de l'ancien
dace parle avant l'occupation romaine. « (Elisée
Reclus.)
La religion des Roumains est, comme celle des
populations slaves qui les environnent, la religion
grecque.
On évalue à 9 millions environ le chiffre total
de la population de race roumaine ; mais une
moitié seulement de cette population habite les
anciennes Principautés danubiennes, aujourd'hui
constituées en royaume indépendant de Roumanie ;
les autres Roumains sont sujets de la Russie, de
l'Autriche-Hongrie, delà Serbie ou de la Turquie.
La 'Valachie ou pays des Velchos (c'est-à-dire
des Latins) forma, à partir du milieu du xiii'' siècle,
un Etat à part, qui tantùt fut uni a la Moldavie
ou vassal de la Hongrie, tantôt vécut d'une exis-
tence indépendante. En \i<i'2, Mahomet II fit de la
Valachie une province de son empire, mais eu lui
laissant ses princes particuliers, qui portaient le
titre de hospodars ou de vaucdes. Ces princes,
depuis le xvii" siècle, furent choisis parmi les
Grecs de Constantinople. En 1839, le traité d'An-
drinople plaça la Valachie sous le protectorat de
la Russie. Après la guerre de Crimée, le traité de
Paris (1856) remplaça ce protectorat par celui des
grandes puissances, et, en 1859, la Valachie s'unit
avec la Moldavie par l'élection d'Alexandre Couza
comme hospodar des deux principautés.
La Moldavie ou pays de la Moldau eut pour
premier prince un chef nommé Bogdan, qui y
régna au xiii' ou au xiV^ siècle. Les descendants
de Bogdan se soumirent aux Turcs au xvi^ siècle;
h partir de ce moment, ce fut le sultan qui
nomma le vaivode ou hospodar; et ce dignitaire
fut pris, comme pour la Valachie, parmi les Grecs
phanariotes. Aux traités d'Andrinople et de Paris,
la Moldavie suivit le sort de la Valachie, h laquelle
elle s'unit administrativement en 1S5U.
En 18(iO, le prince Couza dut abdiquer h la
suite d'une révolution. 11 fut remplacé par le
prince Charles de Hohenzollern. dont l'élection
par le suffrage populaire fut ensuite ratifiée par
le sultan. Les deux principautés ne formèrent
plus qu'un seul Etat sous le nom de Houmumc,
avec Bucharest (Bucuresci) pour capitale. Cepen-
dant la Roumanie restait encore rattachée à la
Turquie par des liens de vassalité: ces liens furent
rompus après la guerre russo-turque de 1S"7, à
laquelle la Roumanie prit part comme alliée de la
Russie. Mais, en acquérant sa complète indépen-
dance, elle dut céder à la Russie la Bessarabie,
que le traité de I8âG avait réunie à la Moldavie.
En mars 1881, un vote des Chambres roumaines
a érigé la Roumanie en royaume.
Pour la géographie, V. Tur(jiiie.
ROUSSEAU (Jean-Jacques). — Littérature
française, XX. — J.-J. Rousseau est né à Ge-
nève le 28 juin 1712 : il est mort à Ermenonville,
près Paris, le 3 juillet 1778. Sa famille était d'ori-
jjinef'-ançaise: elle descendait d'un libraire que les
persécu ions religieuses avaient chassé de France
au XM* sièc'.'î. Sa vie s'est écoulée en partie à Pa-
ris ou aux environs de Paris. Et, bien qu'il ait tou-
jours gardé au fond du cœur une vive affection
pour ses compatriotes genevois, la France peut le
revendiquer tout entier. C'est pour elle qu'il a écrit
dans un langage admirable les livres qui immorta-
lisent son nom. Son influence s'est sans doute éten-
due par delà la frontière sur la littérature des peu-
ples voisins : mais on ne saurait méconnaître qu'il
a laissé des traces profondes de son génie, soit
comme homme pnlitique dans les discours et dans
les actes de la Révolution française, soit comme
écrivain dans les oeuvres littéraires de la dernière
partie du win" siècle, et de quelques-uns de nos
contemporains.
L'histoire des lettres françaises n'offre rien de
plus extraordinaire que la vie de Jean-Jacques
Rousseau. Tout est étrange dans la destinée de ce
malheureux grand homme. Rousseau a commis de
grandes fautes, surtout dans sa jeunesse. Et il les
a aggravées encore en les racontant, non sans
quelque complaisance, dans une œuvre de sa
vieillesse, les Co7ifessions. Sans vouloir l'excuser,
il est cependant équitable do remarquer quelle
part ont eue dans ses défaillances morales les cir-
constances et les accidents de sa vie et surtout le
caractère de sa première éducation. Il perdit sa
mère en naissant. Quant à son père, bourgeois
romanesque, artisan cosmopolite, il ne s'est oc-
cupé de lui que pour enflammer son imagination
d'enfant par la lecture de quelques mauvais ro-
mans. Puis il l'abandonna, emprisonnant dans la
boutique d'un graveur ce fougueux adolescent
dont il avait prématurément éveillé les sens et les
passions. Lorsque Rousseau, las de l'apprentissage
d'un métier détesté, quitta Genève pour retrouver
son indépendance et courir librement les aven-
tures, il faut sans doute le rendre responsable de
ce coup de tête qui fut le point de départ de ses
premiers malheurs. Mais voyez comme tout con-
court pour perdre ce noble esprit. Il est accueilli
par un prêtre fanatique qui, au lieu de le rendre
à sa famille, l'encourage dans sa faute. L'impru-
dent curé de Pontverre ne se préoccupe que d'ar-
racher l'âme du fugitif à l'hérésie genevoise, et
avec de bonnes intentions il lui rend le plus mau-
vais service qu'un homme ait jamais reçu do son
semblable, eu l'adressant à madame de Warens.
Madame de 'Warens, plus encore que Thérèse
Levasseur, aété le mauvaisgéniede Rousseau. Elle
ne sut lui donner que de mauvais exemples, et
contribua à développer dans son âme ce sensua-
lisme instinctif dont trop d'actions de sa vie de-
vaient témoigner.
L'isolement avait jeté Rousseau dans les bras
de madame de Warens : son humeur inquiète le
poussa bientôt à reprendre à travers le monde sa
vie d'aventures. Pendant près de quarante ans,
jusqu'en 1749, l'existence de Rousseau n'a été
qu'une série d'incidents pitoyables ou comiques,
qui rappellent la destinée imaginaire des héros de
Beaumarchais et de Lesage. Tour à tour ouvrier,
laquais, charlatan, précepteur, il courait à dix-huit
ans les boutiques de 'î'urin pour y trouver de
l'ouvrage et logeait dans un grenier pour un sou
par nuit; plus tard il se faisait le valet d'un es-
croc et mendiait avec lui de porte en porte des
ofl'randes pour le rétablissement du Saint-Sépul-
cre ; ailleurs il n'avait pas d'autres ressources que
d'enseigner la musique qu'il ne savait pas encon; ;
souvent il était réduit à se faire recueillir par
ROUSSEAU
— 1951 —
ROUSSEAU
des étrangers cliaritablos. A Paris il se plaignait
que le pain fiU trop cher.
Ce tiui est digne d'être noté à l'honneur de
Rousseau, c'est <|ne, à travers toutes les misères et
toutes les humiliations de sa vie, il n'a jamais
renonce à son optimisme philosophique, à sa foi
dans la Providence. Il n'a jamais laissé échapper
une plainte amèrc, comme Job, ou un éclat de
rire, comme Voltaire. 11 est vrai qu'i,l prit sa re-
vanche avec la société. Toute sa mauvaise liu-
meur retomba sur ses semblables, et madame
d'Épinay pouvait le nommer justement le « roi
des ours ».
Dès sa jeunesse Rousseau était possédé de ce
besoin de changement qu'il appelait lui-même sa
Il manie ambulante ». Que de fois dans le cours de
sa vie agitée, en Suisse, ou en Savoie, il rencon-
tra l'occasion d'un paisible et durable établisse-
ment ! Mais il ne savait pas se fixer, et, au moment
où il semblait s'être fait une situation définitive,
il s'esquivait tout à coup : il avait conune l'ins-
tinct et le besoin de l'évasion.
Pendant ces folles années d'adolescence, tandis
que Rousseau s'agitait, plus qu'il n'agissait, rien
n'annonçait encore ce qu'il deviendrait un jour.
Le style de ses lettres était incolore, lourd, em-
barrassé. Une seule fois, dans une lettre célèbre
h mademoiselle Serres, le talent parait se révéler,
mais c'était l'éloquence facile de l'amour. Dans
la conversation il était froid et lourd, i moins
qu'il n'en vînt h déclamer en s'échauffant. Lors-
que madame de Warens, h bout d'e.\pédients, le
mit au séminaire, ou se hâta de le lui rendre,
comme incapable.
Une qualité cependant se manifestait déjà tout
entière dans Rousseau. Sa sensibilité était
extrême. L'enfant qui, maltraite injustement,
éprouvait une de ces rages violentes qu'il a si bien
décrites dans les Confessions, et se tordait toute
une nuit sur son lit eu criant Cai-nifex! caniifex!
n'était pas à coup sûr un enfant ordinaire. « Je
n'avais aucune idée des choses, que tous les sen-
timents m'étaient déjà connus. Je n'avais rien
conçu, j'avais tout senti. » Une représentation
même médiocre A'Ahire le mettait hors de lui, et
il renonçait à voir jouer des tragédies de peur de
tomber malade.
C'est Cette âme faite surtout de sensibilité et d'i-
magination que ces Confessions nous font connaî-
tre, ces Confessions que Rousseau a écrites avec le
talent exercé de sa maturité, mais qui sont pleines
des sentiments brûlants de ses premières années.
L'amour, il le ressentit de bonne heure, parfois
avec une timidité enfantine, plus souvent avec un
emportement fiévreux. Mais on préfère ne pas par-
ler des amours de Jean-Jacques.
Il vaut mieux considérer le sentiment naissant
de Rousseau pour la nature : sentiment que d'au-
tres causes développèrent plus tard, mais qui
date dé ses plus jeunes ans. Né au pied des Alpes,
sur les bords d'un lac enchanteur, ses premiers
regards s'étaient portés sur quelques-uns des plus
beaux paysages de l'univers. De là une passion qui
ne s'éteignit jamais. Les meilleurs plaisirs de sa
vie furent les longues courses à pied, les prome-
nades solitaires. Qui ne se rappelle le tableau dé-
licieux qu'il a laissé de son séjour aux Charmettes,
le chemin à mi-côio, avec la haie en fleurs par où
il passait chaque matin !
D'autres sentiments généreux et purs germaient
dans sa jeune âme. L'étude de Plutarque lui avait
inspiré le goùl des vertus républicaines et l'en-
thousiasme de la liberté. Le mensonge lui causait
une véritable horreur. Il avait à un haut degré le
sentiment de l'Cquité. Plus tard à la haine de l'in-
justice se joignit dans son cœur un implacable
ressentiment contre les oppresseurs du peuple. Il
avait sans doute recueilli lo premier germe de
cette haine, alors que, faisant à pied lo voyage de
Paris à Lyon, il était entré dans la cabaned'un
pauvre paysan et y avait trouvé, comme en un ta-
bleau, l'abrégé émouvant des misères populaires.
En même temps, il lisait avec passion, il se nour-
rissait des poètes, des historiens, des philosophes
de l'antiquité ; il étudiait les mathématiques et
l'astronomie. Comme on l'a dit : « Cette vie de
lecture et de travail coupée par tant d'incidents
romanesques et do courses aventureuses avivait
bien autrement l'imagination qu'un cours régulier
d'études au collège du Plessis. »
Ainsi le génie littéraire de Rousseau n'attendait
qu'une occasion pour se révéler. Cette occasion
lui fut fournie en 1749 par l'Académie de Dijon,
qui avait mis au concours cette question : « Le
rétablissement des sciences et des aiis a-t-il contri-
l)Ué à épurer les mœurs ? » Du premier coup
Rousseau conquit la gloire et passa grand homme.
Le succès du Discours qu'il envoya à l'Académie
de Dijon alla « par-dessus les nues. » Et cepen-
dant le Discours stir /es sciimces el sur les arts
n'était qu'une improvisation déclamatoire. Rous-
seau disait plus tard lui-même : « C'est une oeuvre
tout au plus médiocre. » Si l'on y joint le Discours
sur l'inégalité, c'est le plus faux des écrits de
Rousseau. 11 y donna carrière à tous les levains
de haine qui depuis longtemps fermentaient dans
son âme, à toutes les colères qu'il avait amassées
dans les antichambres de ses maîtres, ou plus tard
à Paris, dans la société des beaux-esprits et des
gens à la mode. Qu'on ne s'étonne donc pas de
trouver dans le premier écrit de liou^tseau, d'un
homme dont le nom sera plus tard Je symbole
même de la Révolution, des bontadet étranges
contre la civilisation et le progrès, l'éloge de l'igno-
rance et de la vie sauvage. La civilisation appa-
raissait à Rousseau sous la forme qu'elle avait re-
vêtue au xv!!!" siècle, c'est-à-dire avec sa frivolité
licencieuse et ses raffinements malsains. Il avait
l'imagination pleine de ses lectures de Plutarque,
0 son maître et son consolateur » ; il rêvait des
républiques antiques, qu'il se représentait à l'i-
mage de Sparte, comme do petites cités, fières de
leur pauvreté libre, sans luxe, sans éclat, mais
vertueuses et pures. Au fond, Rousseau atta-
quait le XVIII' siècle plutôt que la société en gé-
néral, et un certain emploi de la ponsée plutôt
que le principe même de la pensée, les lettres
eflféminéos et avilies plutôt que les lettres elles-
mêmes. Et, en efi'et, dans les écrits qui suivirent
la publication de son Discours, il s'empressa de
déclarer a qu'il honorait les grands écrivains », et
qu'il n'avait prétendu attaquer que les faux sa-
vants et les mauvais auteurs.
Il est plus difficile de trouver des excuses au
Discours sur l'iuéyaltlé (1751). Ici la thèse est
plus fausse encore, le paradoxe plus irritant.
Enivré par le succès de son premier ouvrage,
Rousseau se prit au sérieux dans son rôle de sau-
vage et do paysan du Danube. Cette fois, c'est
bien au principe même de la société qu'il s'attaque.
Tout est bien au sortir des mains de Dieu, tout
devient mauvais entre les mains de l'homme. La
nature est innocente de toutes les inégalités qui
existent entre les hommes; c'est la société seule
qui en est responsable. C'était donc le retour à
l'état sauvage que prêchait Rousseau, dans ses rê-
veries bizarres dont Voltaire fit justice, en ba-
fouant ce philosophe « qui voulait qu'on se nour-
rît de glands ».
Quelque jugement sévère que nous devions
porter aujourd'hui sur les premiers ouvrages de
Rousseau, l'efTet produit sur ses contemporains
par celte éloquence paradoxale et enflammée
l'ut irrésistible. Les lecteurs dont Jean-Jacques
choquait et rudoyait les opinions à chaque page,
n'en furent que plus ardents à la lecture. La
ROUSSEAU
19oi2
ROUSSEAU
société attafiuée et outragée sembla ne vouloir
se venger de son ennemi qu'en le fêtant. Ce fut
dans la vie de Rousseau un éclair rapide de gloire
et de domination intellectuelle, entre la longue
domesticité de son adolescence, et las tristesses in-
finies de sa vieillesse.
Ce qui ajouta à la renommée naissante de Jean-
Jacques, ce furent ses succès musicaux. Rien ne
profite à la gloire d'un liomme comme d'associer
de petits talents à un grand génie. L'auteur du
Devin du vil/ar/e (que l'on représenta à Fontaine-
bleau devant la cour en no2) devint vite popu-
laire. -N'oublions pas, d'ailleurs, que Jean-Jacques,
jusqu'à la fin de sa vie, a gagné son pain en co-
piant de la musique et qu'il s'est garanti par lit
l'indépendance qui lui était chère.
La célébrité fut salutaire à Rousseau et lui im-
posa le respect de lui-même. C'est de cette épo-
que que datent ses projets de réforme morale. Sans
doute il ne parvint pas à se régénérer tout h fait.
Lo passé ne se laisse pas effarer d'un trait, au
premier signe d'une volonté énervée par de longues
défaillances. Il commit des fautes nouvelles, et
les fautes déjà, accomplies se perpétuèrent dans
leurs effets. On sait comment, dans son isolement
déjeune homme, il était tombé dans des liens in-
dignes de lui, en associant à son existence une
servante d'auberge, Thérèse LevasSeur. Il eut, il
est vrai, le mérite de la constance, mais son tort
fut de ne pas élever Thérèse k la dignité de
fenmie et de mère, en lui laissant ses enfants.
Jetons un voile sur les faiblesses criminelles
d'un homme, enthousiaste de la vertu, mais peu
vertueux, qui a admirablement parlé des devoirs
des pères, et qui a envoyé ses fils aux Enfants-
Trouvés !
Du moins Jean-Jacques se réforma sur quelques
points, et s'imposa dans sa manière de vivre une
sobriété, une simplicité plus grande encore que par
le passé. En même temps il voulut se mettre en règle
avec sa conscience, et fit en l':A ie voyage de Ge-
nève pour y faire profession de protestantisme. On
a prétendu que par cet acte public de retour à la
confession protestante qu'il avait un peu légère-
ment abandonnée dans sa jeunesse, Rousseau
s'était montré inconséquent avec ses opinions
réelles et avait trahi ses amis, les philosophes.
Rien n'est plus inexact. Rousseau n'avait jamais
cessé d'être chrétien, de cœur et d'esprit, bien
entendu, et non selon la rigueur du dogme or-
thodoxe. Dans son premier Discours, il prenait i
partie les écrivains qui sapent les fondements de
la foi. Un soir, chez mademoiselle Quinault, dans
une réunion nombreuse et brillante, il menaçait
de se retirer, si l'on continuait i mettre en ques-
tion dev.-int lui l'existence de Dieu. 11 est vrai qu'il
détestait le fanatisme et les excès de dévotion :
mais il ne détestait pas moins l'incrédulité.
Son retour au protestantisnir- n'en fut pas moins
une rupture éclatante avec d'Holbach et ses amis,
les matéiialistes,et même avecVoltaire. Celui-ci l'ac-
cusa violemment de vouloir faire a bande àpart ».Et
en effet Rousseau, par son opposition au froid
athéisme ou au scepticisme alors à la mode, ou-
vrait un courant nouveau d'opinion qui ira tout
droit àla fêle de l'Être Suprême, et même dépas-
sera la pensée de Rousseau pour aboutir au Gcjiie
du christianisme.
Dès 1754, Rousseau était disposé à quitter Pa-
ris et le monde. S'il eût trouvé à Genève l'ac-
cueil qu'il espérait, il serait peut-être redevenu
Genevois pour toujours. Mais ses compatriotes
l'accueillirent avec froideur. Il revint • Paris, s'y
dégoûta de plus en plus des hommes et des villes,
et le 9 avril 1756 il quitta la capitale, pour aller
vivre à l'I'^rmitage, dansla vallée de Montmorency,
OÙ son amie, madame d'Epinay, lui offrait l'hospi-
talité. Ce départ fit scandale dans la société pari-
sienne. Diderot, Grimm, les autres amis de Rous-
seau, le crurent fuu et le traitèrent comme tel. Ils
ne comprirent pas qu'il cédait h ses instincts de
contemplateur et de poète plus qu'à tout autre
sentiment. Quoi qu'il en soit, la rupture fut com-
plète, irrémédiable ; et le cœur de Rousseau saigna
jusqu'à la mort de cette blessure. C'est de cette
époque surtout que date la misanthropie ombra-
geuse qui devait attrister toute la fin de la vie de
Rousseau. Un amour malheureux vint encore
aigrir son caractère. Au milieu des champs et des
bois, son ànie, qui s'essayait en vain à devenir
stoïcienne, se relâcha et s'amollit de nouveau.
Il était, comme il l'a dit, ivre d'amour sans oljjet. Il
vit madame d'Houdetot : il l'aima. Cette folle passion,
en même temps qu'elle troubla pour quelque temps
son faible cœur, acheva de le brouilleravec tous ceux
qui l'avaient jusque-là aimé et protégé. Il y eut des
intrigues et des querelles, et le résultat fut que
Rousseau, au milieu de l'hiver de l'ôS, quitta
l'Ermitage pour se retirer à Montmorency. Ce fut
un des moments les plus tristes d'une vie où il
y en eut tant. Il avait rompu avec tous ses amis.
Il n'avait auprès de lui que Thérèse Levasseur. Il
succomba pendant quelques jours à un véritable
abattement. Mais heureusement le printemps re-
vint; il recommença avec passion ses promenades;
surtout il se remit au travail, et c'est précisément
de ces jours de retraite et de solitude à Montmo-
rency que datent ses œuvres les plus considéra-
bles : la Lettre à d'Alembert sur les spectacles
(17581, \3.Nouvelle Héloïse (1759), le Contrat social
etrÉmj/einiiS).
La Lettre sur tes spectacles est le dernier des ou-
vrages purement agressifs de ftousseau : il y atta-
quait le théâtre, c'est-à-dire une des formes les
plus brillantes des lettres, un des divertissements
les plus goûtés de la société, comme il avait déjà
attaqué en bloc la société et les lettres. Toujours
préoccupé de ses concitoyens de Genève, il crai-
gnait que le théâtre, avec ses plaisirs souvent fri-
voles et quelquefois licencieux, ne vint distraire
les Genevois des joies pures de la vie de famille.
El comme sa pensée ne savait se fixer que dans
les extrêmes, il allait jusqu'à proscrire absoluinent
les spectacles : le premier des révolutionnaires
se rencontrait dans une doctrine commune avec
le dernier des Pères de l'Eglise. La Lrttre sur les
spectacles rééditait les jugements sévères de la
Lettre de Bossuet au P. Caffaro.
La Lettre sur les spectacles est peut-être le plus
éloquent des écrits de Rouseau ; mais un pareil
ouvrage n'était pas fait pour lui ramener les syin-
pathies des littérateurs. Voltaire surtout, qui fai-
sait du théâtre une question personnelle, se
montra fort irrité. Il se lâcha publiquement et ne
garda plus de mesure dans un sentiment d'hosti-
lités qu'il eut le tort de traduire en vers médiocres
et en infâmes calomnies. Quant au public, tout en
admirant la forme de l'écrit de Rousseau,;! s'étonna
de voir le théâtre condamné sans restriction par
l'auteur d'un opéra et de quelques comédies.
L'apparition de la Nouvelle Héloïse ménageait
d'autres surprises aux lecteurs de Rousseau. Le
réformateur morose qui s'était rendu célèbre par
ses violentes critiques contre les écrits relâchés,
s'oubliait maintenant au point do composer un
roman d'amour, et un roman dangereux. Pour se
justifier, Rousseau, dans sa préface, faisaitvaloir qtie
l'amour passionné vaut mieux que la galanterie
frivole. Faire remonter les mœurs jusqu'à l'amour,
rev. nir à la nature, tel est le but qu'il prétendait
avoir poursuivi. La vérité est (lu'il avait d'abord
suivi sans résistance le courant de son imagination :
le* scrupules moraux ne lui vinrent qu'après coup,
et à la fin de l'ouvrage. Voilà pourquoi, dans la se-
conde partie de la Nouvelte Héloïse, il essaye
d'apaiser, de soumettre au devoir les passions qu il
ROUSSEAU
— 1953 —
ROUSSEAU
a remuées et soulevées dans la première partie, et
donne un sermon pliilosophiquo pour conclusion à
un roman.
On a pu dire, non sans raison, que la Nouvelle
Hclo'ùe était le premier modèle de Werther, et
Rousseau le maître de Goethe. Prenez les trois pre-
miers livres de la Nouvelle Héluise; achevez lo
roman t cet endroit ; ôtez à Saint-Preux déses-
péré l'ami qui le sauve de lui-même et de sa fa-
tale résolution ; faites-le moins raisonneur et plus
passionné encore ; développez dans son àme cet
amour de la nature que Saint-Preux ne manifeste
que par intervalles parce que son amour est plus
heureux que celui de Werther : et vous aurez à
peu près le roman do Ouetlie.
Presque en même temps qu'il composait la
Nouvelle Hé/oïse, Rousseau mettait la dernière
main au Contrat social, ce fragment d'un grand
ouvrage politique qu'il n'eutjamais le loisir d'ache-
ver. Les fanatiques de Jean-Jacques présentent vo-
lontiers le Contrai social comme un chef-d'œuvre
Comparable h l'Esprit des Lois. Il parait difficile
de souscrire à ce jugement. Rousseau n'a jamais
mieux montré que dans ce livre combien il était
incapable de s'élever au-dessus des impressions
généreuses, mais confuses, du sentiment.jusqu'aux
pures lumières d'une pensée ordonnée, maltresse
d'elle-même. Le plan du Contrat social n'a ni
clarté ni rigueur. La rêverie, dans les œuvres de
Rousseau, se mêle toujours à la réflexion. Il s'en
apercevait bien lui-même, et, à plusieurs reprises,
comme s'il avait prévu l'impatience et les objec-
tions de son lecteur, il le prie d'attendre, de lui
laisser le temps d'achever sa pensée. « Pour être
clair, dit-il ingénument, il faut que j'aie tout dit. »
Le Contrat social, par ses tendances générales,
est en contradiction formelle avec les conclusions
de l'Emile. Dans son écrit politique, Rousseau
subordonne à l'État tout-puissant la liberté indi-
via-aelle. Dans son écrit pédagogique, il cherche au
contraire avant tout à développer la conscience
libre, la volonté indépendante. D'une part, il
pousse le respect de la personne jusqu'à ne pas
vouloir qu'on impose une religion à l'enfant ;
d'autre part, il réclame des religions d'État. 11
suivait ainsi, un peu au hasard, les divers élans
de sa pensée, sans s'inquiéter d'aboutir à la même
conclusion.
Il est inutile d'insister sur les erreurs du Contrat
social. Le temps, l'expérience en ont fait justice.
On a dit que Rousseau avait retrouvé les droits
de l'homme, mais on peut dire qu'à peine re-
trouvés, il s'est empressé de les reperdre en les
sacrifiant à l'Etat. Il n'y en a pas moins, dans le
Contrat social, à côté des paradoxes et des excès,
de grandes vérités magnifiquement exprimées. C'é-
tait alors une hardie nouveauté que d'enseigner
auxnationsqu'elles s'appartiennent à elles-mêmes.
IVareraent le respect de la loi et la haine du des-
potkme ont inspiré de plus nobles accents. Il y
avait a ailleurs du courage à dire leur fait à des
pouvoirs arbitraires, consacrés par la vénération
superstitieuse de iu,n de siècles. Qui donc a osé
dire que Rousseau n'étau qu'„n vil flatteur du
peuple? On ne flatte que les souverains. Et le
peuple alors n'était rien ; ce n'est pas lui qui dis-
tribuait les honneurs, les places et les pensions.
INous n avons pas à parler ici de l'Emile (V. l'ar-
ticle nousseau dans la I" Pahtie), ni des idées
pédagogiques de Rousseau. Disons seulement
que 1 Emile est le chef-d'œuvre de son auteur.
Jamais l.ousseau n'avait porté plus loin la perfec-
tion de son style, de cette prose large, abondante,
colorée qui subjugue le lecteur et comme un flot
irrésistible entraîne la conviction.
^1^?,',.^ Montmorency que Rousseau avait com-
posé 1 £»«/e et le Contrat social, sous la protec-
tion du maréchal de Luxembourg, dont il était
1' Partie.
devenu l'hôte et l'ami. Mais l'influence de son
protecteur ne put empêcher les conséquences de
la publication de ces deux ouvrages. L'Emile fut
condamné à la fois à Paris et à Genève et l'auteur
décrété de prise de corps par ordre du Parlement.
Il fallut quitter Montmorency, et se dérober par
l'exil à la persécution. Rousseau se retira sur le
territoire de Berne, mais il en fut chassé, puis au
village de Métiers, près de Neuchâtel, sous la pro-
tection du maréchal Keith, gouverneur de la
principauté pour le roi de Prusse Frédéric II.
Du fond de son exil et au milieu do tant d'é-
preuves, Rousseau trouva le temps de se défendre
et de défendre la tolérance et la justice violées
dans sa personne et dans ses écrits. Il faut lire
«a Lettre à Christophe de lieaumont, archevêque
de Paris (1703). Jean- Jacques n'a jamais soutenu
une cause aussi complètement juste. Combien sa
dialectique était puissante, quand elle combattait
pour la vérilo I
Les Lettres de la lUontar/ne (il6i) sont encore un
monument remarquable do l'éloquence de Rous-
seau : elles furent lo dernier effort de sa polé-
mique. De ce moment il renonça à la lutte, il
s'enferma dans ses méditations solitaires et il no
reprit la plume que pour la postérité. C'est pour
elle qu'il composa des ouvrages qui n'ont été pu-
bliés qu'après sa mort, et qui contiennent, avec ses
dernières impressions, les réminiscences de son
passé, et surtout sa perpétuelle apologie : les Con-
fessions, suivies des lie'veries d'un promeneur soli-
taire, les Dialogues.
Peu à peu il se déshabitua de la réflexion, ven-
dit sa bibliothèque et vécut de souvenirs et de re-
grets. Une seule passion survécut toujours : celle
de la nature, a Quand je me sentirai mourir, di-
sait-il, ô mes amis, portez-moi sous un chêne et la
vie reviendra. » Son imagination s'assombrissait
de jour en jour. Sa rupture définitive avec ses an-
ciens amis, les ennuis de l'exil et de la pauvreté,
les maux physiques, la bizarrerie naturelle d'un
caractère ombrageux, mille circonstances encore
contribuèrent à troubler peu à peu un cerveau
que l'âge affaiblissait. Dès 1761, à Montmorency, il
avait conçu un premier projet de suicide. En 1763,
nouvelle résolution de suicide. Mais la santé re-
vint et avec elle le désir de vivre. Ce qui ne le
quitta plus, ce fut l'idée qu'un grand complot était
tramé contre lui. Les épreuves qu'il avait encore
à subir, les événements de Mùtiers-Travers où il
faillit êtro lapidé; son voyage en Angleterre, et sa
rupture retentissante avec Hume, dont l'esprit froid
ne comprit rien aux émotions d'une âme délicate
et sensible, aigrie par l'infortune; sa vie vaga-
bonde en France, ses aventures en Dauphiné ache-
vèrent de bouleverser son imagination. Il croyait
voir partout des espions chargés de l'observer, dej
ennemis conjurés pour le perdre. Jusqu'où, hélas 1
ne poussa-t-il pas l'extravagance? Il en vint à
distribuer dans la rue aux passants des récla-
mes en faveur de>on innocence, et à la môme épo-
que, craignant que ses ennemis, qui, disait-il, na
lui laissaient pas d'encre pour écrire, ne fissent
disparaître ses ouvrages, il eut la folia de les ap-
porter à Notre-Dame, pour les placer sur 1 autel
et les confier à la garde de Dieu.
Rousseau retrouva cependant quelques jours
heureux à Paris do 1770 à 1778. Il y connut Ber-
nardin de Saint-Pierre, qui devint son confident,
le compagnon de ses promenades champêtres et
le consolateur de ses tristesses. Mais, en 17 "8, les
souffrances physiques de Rousseau augmentèrent,
et il se décida ^ quitte, paris pour essayer de re-
trouver à la campagne le repos et la force. M. de
Girardin lui ofl'rit un asile dans la délicieuse
vallée d'Ermenonville. Rousseau n'en jouit que
quelques semaines. Le 3 juillet 1778, il mourut
subitement, et la rapidité de sa mort accrédita
123
RUBIACEES
— 1934 —
RUBIACEES
l'idéo d'un suicide. Dans le débat qui s'est engagé
Burce point, la lumière ne semble pas s'être faite,
et il n'y a pas de preuves qui établissent que
Rousseau, après avoir si éloquemment parlé con-
tre lo suicide, dans la Nouvelle Héloïse, ait éié
infidèle à ses principes. D'autre part, il est permis
de rappeler que dans sa fameuse lettre Rousseau
admettait une exception, le cas où la maladie rend
la vie intolérable, et que, comme le prouve sa
correspondance, il a eu il deux reprises l'intention
avouée d'en finir avec l'existence.
C'est après sa mort surtout que Rousseau a
exercé sur les intelligences une véritable domina-
tion. Les hommes de la Révolution française ont
été sur bien des points ses disciples, et le 11 oc-
tobre 1794 ses restes, qui avaient été conservés
dans la petite île des Peupliers sur l'étang d'Erme-
nonville, furent portés en triomplie au Panthéon.
Il s'en faut cependant que l'accord soit fait dans
le jugement que l'on porte sur cette grande mé-
moire. Dans l'espace d'un siècle à quelles vicissi-
tudes d'opinion n'a point été soumis le nom de
Rousseau! Tour à tour exalté ou avili, il a connu
toutes les exagérations de l'éloge comme toutes les
duretés de l'injure. Nous ne songeons pas h re-
nouveler pour un homme faible et par endroits
méprisable les honneurs d'une apothéose imméri-
tée. Mais nous demandons aussi à défendre contre
des cundamnalions iniques et passionnées un
écrivain qui a honoré la langue de son pays, et
TevÊtu un grand nombre d'idées justes de toutes
les parures d'une éloquence enthousiaste; un phi-
losophe qui a soutenu avec cournge et relevé avec
éclat la cause alors ab.indonnée du spiritualisme;
un citoyen qui a retrouvé dans son cœur les beaux
élans du patriotisme antique; un malheureux per-
sécuté qui a proclamé dans ses livres et confessé
par sa vie les droits sacrés de la conscience ; un
homme enfin de riche imagination et de rare sen-
sibilité dont les défauts ne sauraient faire oublier
les brillantes qualités. Il ne faut pas que la
France se désintéresse de son Rousseau : elle ne
l'oubliera que le jour où elle aura désappris les
fiers et nobles sentiments qui ont remué l'âme de
Jean-Jacques, s'ils n'ont pas toujours été la règle
de sa vie : l'amour du bien, l'entlionsiasme pour
la liberté et pour la patrie, le mépris de la vie
factice, le goût vif et pur de la nature ; le culte de
la tolérance uni & l'ardeur sincère des croyances
religieuses. _ [Gabriel Compayré.]
RUBIACEES. — Botanique, X.XI. — Ktym. : Le
mot Rubiacées vient de Hubia, nom latin d'un
genre de cette famille, le genre Garance.
Définition. — Les Rubiacées sont caractérisées
par leur corolle gamopétale périgyne, leur ovaire
infère, leurs étamines en même nombre que les
lobes de la corolle, et leurs graines pourvues d'un
albumen corné, abondant.
Caractères botaniques. — Les graines sont vo-
lumineuses ; elles présentent un spermoderme
excessivement mince qui recouvre une masse albu-
mineuse cornée, souvent plissée, à la base de la-
quelle on remarque un très petit embryon recti-
ligne. L'albumen est gorgé de matières grasses ;
ces substances s'altérant rapidement, la faculté
germinative des graines des rubiacées ne persiste
que pendant très peu de temps. Exceptionnelle-
ment, certaines de ces graines germent encore
après un long temps de conservation ; mais bientôt
le.5 jeunes plantes cessent de se développer et
meurent Pour beaucoup de rubiacées, il faut em-
ployer, pour conserver leurs graines en bon Atat, la
méthode des stratiftcatlun», qui consi.ste à établir
des lits de sable très légèrement humide et de
graines fraîchement récoltées ; on superpose ainsi
un grand nombre de couches de sable et de grai-
nes. Un conuuencement de germination se pro-
duit, mais ne tarde pas à s'arrêter; les jeunes
embryons protégés par le sable qui les entoure
peuvent alors être transportés et expédiés au loin.
C'est en cet état qu'on expédie chaque année en
Belgique les graines du Cofjf'ea mnu' il i"7iri , iont
les jeunes plants sont ensuite transportés par
milliers dans les plantations de café du Brésil et
des Antilles.
Les racines des rubiacées sont grêles, très ra-
meuses. Certaines d'entre elles sont recherchées
pour les matières tinctoriales qu'elles contiennent
(Garance) ; d'autres sont usitées en médecine à
cause de leurs propriétés émétiques (Ipécacuanha).
La tiye est ligneuse ou plus fréquemment her-
bacée, et alors quatlrangulaire et recouverte au
moins sur ses angles de poils raides; parfois ces
poils sont terminés par un crochet ; dans ce cas,
ces organes permettent k la plante de s'élever en
s'accrochant aux plantes voisines.
Les feuilles sont opposées, simples, entières,
toujours stipulées ; le bord de leur limbe est or-
dinairement garni de poils raides semblables à
ceux qui revêtent la tige. Les stipules sont tantôt
petites, simples et caduques (Quinquina), tantôt
soudées entre elles (Ipécacuanha), ou avec la
feuille, tantôt enfin elles s'accroissent et devien-
nent exactement semblables aux feuilles; cette
dernière disposition s'observe chez la plupart des
Rubiacées de nos pays où les feuilles paraissent
verticillées au premier abord; dans certaines
d'entre elles les véritables feuilles ne peuvent être
reconnues que par la présence des bourgeons
axillaires, ces derniers n'existant jamais à 1 ais-
selle des stipules.
Les fleurs sont disposées en cymes ou en pani-
cules ; chacune d'elles présente de dehors en de-
dans : • j .
r Un calice gamosépale à quatre ou cinq dents
parfois tellement réduites que le calice semble ne
pas exister; eu
T Une corolle gamopétale rotacée ou inron>ii-
buliforme dont le bord présente autant ds divi-
sions qu'il y en a au calice; .
3° Un androcoe comprenant quatre ou cinq éta-
mines i filets linéaires, à anthères globuleuses;
ces étamines sont insérées sur la gorge de la co-
rolle ; elles alternent avec les lobes de celles-ci ,
4" Un gynécée composé d'un ovaire biloculaire
ou pluriloculaire, toujours infère, surmonte d un
style que termine un stigmate divise en autant de
lobes que l'ovaire a de loges. Dans quelques gen-
res, chaque loge de l'ovaire ne renferme que
deux ovules (Coffcacées) ; partout ailleurs, il y a
plusieurs ovules dans chaque loge (Cinclionees).
Exceptionnellement, comme dans le genre to-
prosma, les fleurs sont unisexuees par suite de
Vavortementdu gynécée dans les unes et de 1 an-
drocée dans les autres. „ „„„i„
Le fruit des rubiacées est tantôt une capsule
sèche déhiscente, et tantôt une baie ou une drupo.
Classification des Rabiaoees. - On divise les
^^^r ti^ r Copi^Ls, carac...'.sée par la
prisence'de deux ovules d.ns ^^que Uige de l o-
:z^è %^"i^^^o^:rcepn.iis, Mcnotna,
^l^La t'^itXr-CiNCHONÉBS, caractérisée parla
orésence de plusieurs ovules dans chaque logo
Srf'ovafre Se's principaux genres sont : Buuvar-
dia. Cinclion: i,Qmnquina), ^«if 'l'^,;^ ,,^^^^^
Usaoes des Rubiacées. — 1" La (jaiance (nuvia
TJf.eTu-n) - La racine de la Gara.ce renferme
un' pnncte colorant ro'.ge .d'utietres^ grande
fixité QUe l'on nomme ahzurtne.— \. Loioi unies
UVaM. -Cette plante est cultivée aux envi-
mfsd Avignon et en Alsace; mais les racities de
garance les plus estimées viennent de 1 Afrique,
de nie de Chypre, de l'Orient.
IIUBIACÉES
— 1955 —
RUBIACÉES
La garancR, donnco aux animaux comme ali-
ment, teint leurs os on rouge ; on peut ainsi, en
administrant de la garance à un animal à diffé-
rentes 6pO(iues de sa vie, provoquer sur ses os
<les couches concentriques alternativement rouges
et blanches.
Les racines d'un certain nombre d'autres ru-
biacées renferment aussi une certaine quantité
d'alizarine et peuvent, au besoin, remplacer la
garance dans leurs pays d'origine. Ce sont : les
Rubia nnguntifolia, H. longifidia, R. peregrhui,
R. lu'idi, qui sont européennes ; le Ruina mun-
jista, qui est originaire de l'Inde, le Huhia Chi-
lensis, originaire du Chili, et le Riihia Guadalii-
pensis, des Antilles. Nous citerons encore le
Ouiiiim vpriim et le (in/ium Molliig", qui crois-
sent en Europe, et VOldenlandia umbeUata, que
l'on cultive sur la côte de Coromandel sous le
nom de Chaij'i-vair. Toutefois, comme ces raci-
nes renferment moins d'alizarine que celle de la
garance, elles sont peu employées, d'autant plus
que l'aniline ot les couleurs qui en dérivent ont
à peu près complètement remplacé l'alizarine
dans l'industrie des teintures.
2° Le Galium luteum ou Caille-lait jnime
sert à colorer en jaune les fromages de Chester.
Les infusions de Gnlium hdexun sont administrées
comme antispasmodiques.
3° h'Ip^cttciKinlia (Cephselis Ipecacuanha) est
un arbrisseau qui croit dans les forêts vierges du
Brésil et dont la racine est un vomitif puissant.
Cette racine est annelée et de la grosseur d'une
plume h écrire. Dès l'année 10^2, on la trouve
usitée en pliarmacie sous le nom de béconqnille
ou àe mine d'or. V,n lUDO, Louis XIV acheta aux
Anglais le secret de l'ipécacuanha Tout l'ipéca-
cuanha du commerce vient du Brésil et de la
Nouvelle-Grenade. On vend encore sous le nom
d'ipécacuanha les racines de deux autres rubia-
cées brésiliennes : ce sont celleë du P.-i/chotrin
emetiça, reconnaissables à leurs stries, et celles
du Richai'dso lia brasiliensis , qui sont ondulées.
Ces racines sont en effet éméliques, mais à un
moindre degré que celle de l'ipécacuanha. Les
autres racines que l'on a voulu substituer à l'ipéca-
cuanha (et avec lesquelles on le falsifie), mais que
l'on doit rejeter comme étant d'un emploi dan-
gereux, sont fournies surtout par des Euphorbia-
cées et des Asclépiadées.
4° La racine de Caïiica est employée en Améri-
que contre la morsure des serpents venimeux;
cette racine appariient au Cbiococca anuuifa du
Brésil. ^ '
b° Le Caféier {Coffea arabica) est un arbuste
toujours vert, origijialre de l'Abyssinie ; on l'a
transporté en Arabie où il a très bien réussi ;
c'est lui qui fournit le café m ka du com-
merce. De l'Arabie, on l'a transporté aux îles Mas-
Cireignes et aux Antilles. Dans ces dernières lo-
caliiSs, on le greffe d'ordinaire sur le Coffea
mawith.nu ou Caféier de Vile Maurice. Co caféier
se distingue du caféier d'Arabie par ses fruits et
ses graines. On sau on effet que les graines du
caféier d Arabie, qui sont au nombre de deux
dans chaque fruit, sont aplaties sur leur face
ventrale, et arrondies sur leur face dorsale ;
le fruit qui les contient est une baie arrondie. Les
baies du caféier de l'île Maurice sont au contraire
allongées et terminées en pointe ; les deux grai-
nés que chacune d'elles contient sont également
allongées et terminées à leur extrémité par une
sorte do corne. Ce caféier est originaire des îles
Mascareignes ; on a dû transporter ses graines
aux Anulles, ce que l'on a fait au moyen de la
méthode des stratifications (V. plus haut).
6" Les Quinquinas (genreCmc/(rafl).— Les quin-
quinas sont dos arbres élevés toujours verts, qui
croissent dans l'Amérique du Sud sur les flancs de
la Cordillière des Andes, entre le 10* degré de
latitude nord et le 19» degré de latitude sud, à
une altitude moyenne de 1500 à, 2100 mètres,
mais qui peuvent descendre jusqu'à 1000 mètres
au-dessus du niveau de la mer, dans les régions
les plus froides, et remonter jusqu'à 3000 mètres
dans les régions les plus chaudes. Toutefois les
quinquinas qui habitent à ces hauteurs extrêmes
ne sont plus que des arbustes plus ou moins ra-
bougris, comme toutes les plantes qui avoisinent
la région des neiges olernelles. Les fliiurs des
quinquinas sont blanches, roses ou pourprées, et
d'une odeur agréable ; leur fruit est une capsule
à deux loges renfermant des graines ailées.
La médecine uiilise seulement l'écorce du tronc
et des branches, à cause de sa richesse en alca-
loïdes, surtout en sulfate de quinine et sulfate de
cinchonine (V. Pui^îî^na) ; depuis quelque temps
cependant on commence à employer aussi l'écorce
des racines, q le l'on a trouvée dans quelques cas
plus riche même que celle du tronc.
L'écorce de quinquina réduite en poudre fut !n-
troduite en Europe en 1036 par la comtesse d'El
Cinchon, femme du vice-roi du Pérou (c'est de
son nom que l'arbre qui produit l'écorce de quin-
quina a été nommé Cincliona). Jusqu'en 1679, on
appela la poudre de quinquina poudre de la
comtesse, poudre des jésuites, mais sans connaître
son origine; à cette époque, Louis XIV acheta la
secret du quinquina. En 1737, La Condamine, en-
voyé au Pérou avec Gudin et Bouguer pour mesu-
rer un arc de méridien, fut spécialement chargé
de découvrir l'arbre h quinquina; le premier, en
1738, il rapporta en Europe un dessin .l'un Cin-
chona et des échantillons de ses branches, de ses
fleurs et de ses graines. Ce Coichona, observé
aux environs de Loxa, reçut le nom de Cinchona
officinalif ou La Condmniiwa. Joseph de Jussieu,
qui avait accompagné La Condamine, ne revint en
Europe qu'en 1771 ; mais, comme il était mourant,
il ne put publier ses découvertes. De 1776 à 1799,
plusieurs explorateurs parcoururent les Andes du
Pérou et firent connaître les autres espèces de
quinquina. Les quinquinas de la Bolivie ne furent
connus qu'en l8i8.
L'exploitation des quinquinas se fait de la ma-
nière suivante : Une société d'entrepreneurs a à son
service un certain nombre de cascarilleros (écor-
ceurs) qui sont envoyé'; dans les forêts à la recher-
che des quinquinas. Quand ils ont découvert un
arbre, ils l'abattent, le décortiquent, découpent l'é-
corce et la font sécher au soleil ; l'écorce du tronc
et des plus grosses branches est mise sous presse
de façon à rester plate, celle des petites branches
s'enroule sur elle-même en séchant et prend l'as-
pect de tubes. Leur travail terminé, les cascaril-
leros mettent leur écorce en ballots qu ils portent
au mnjord'ime chargé de les surveiller et qui est
ordinairement établi à l'entrée de la forêt. Il
est facile du comprendre que cette façon de pro-
céder a comme résultat de détruire les quinqui-
nas ; aussi les espèces qui ont été exploitées les
premières deviennent de plus en plus rares ;
quelques-unes même ont disparu complètement
du commerce.
Nous citerons quelques-unes des espèces les
plus estimées.
Les premiers quinquinas exploités, ceux que les
premiers explorateurs avaient désignés comme les
seuls efficaces, sont les quinquinas des environs
de Loxa et de Jaen (République de l'Equateur),
qui sont expédiés en Europe par Is port de Payta.
Us appartiennent au Cinchona officinalis et aux
espèces voisines; leur écorce est en effet riche en
quinine, mais ils sont de plus en plus rares.
Au nord de la région de Loxa, entre le Chimbo-
razo et l'Assnay, on exploite le Cinchonn snccirxt-
bra, dont l'écorce nous est expédiée par Guaya-
RUMINANTS
— 1956 —
RUMINANTS
quil sous le nom de quinquina rouge; c'est une
des écorces des plus riches en sulfate de quinine
et sulfate de cinchonine; malheureusement,
comme elle commence aussi i. devenir rare, elle
est d'un prix très élevé.
Le port de Callao nous expédie les écorces des
quinquinas des environs de Lima et de Huanuco ;
ce sont des quinquinas gris et des quinquinas
jaunes où la cinchonine se trouve en plus grande
proportion que la quinine. Ces écorces provien-
nent en majeure partie des Cinchona nitida,
C. peruviana, C. micrantha.
Les ports de Sainte-Marthe et de Savanilla
expédient en Europe les quinquinas de la Nouvelle-
Grenade ; ce sont des quinquinas jaunes de fort
bonne qualité, riches en quinine. Ils proviennent
en majeure partie du Cinchona Pilayensis.
Enfin, une des espèces les plus recherchées
aujourd'hui est le Cinchona Calisai/a de la Bo-
livie, parce que c'est un des plus riches on sul-
fate de quinine ; mais il ne renferme presque
pas de cinchonine. Son écorce nous est expédiée
par le port d'Arica.
Le Cinchona eltiptica, de la province de Cara-
baya au sud du Pérou, est presque aussi riche
en quinine que le Calisaya ; aussi remplace-t-il
ce dernier pour la préparation du sulfate de
quinine.
Les écorces qui ne renferment pas d alcaloïdes
sont désignées dans le commerce sous le nom
de cascarilles.
L'Europe s'est émue de la disparition des
quinquinas d'Amérique, et dès l'année 1852 les
Hollandais et les Anglais ont essayé d'acclimater
les espèces officinales de quinquinas dans leurs
colonies. Les plantations de quinquinas faites à
Java ne réussirent pas tout d'abord, parce qu'el-
les étaient ii une altitude trop basse, et par con-
séquent dans une région trop chaude; on dut
transplanter tous les arbres dans une région
plus élevée où ils réussissent à merveille. En
1871, il y avait h. Java près do un million et \
demi de pieds de quinquinas, sur lesquels le ;
Cinchona Calisai/a était en majorité ; on y coinp- ]
tait près de quatre mille pieds de C. succirubra.
Les plantations de quinquinas ne purent être ,
établies dans l'Inde par les Anglais qu'après
plusieurs essais infructueux ; tous les jeunes
pieds que l'on essaya de transporter du Pérou
dans l'Inde périrent en route. Alors on trans-
porta des graines qu'on fit germer au jardin
d'Oatakamund ; ces graines levèrent parfaite-
ment. On renouvela l'essai pour les graines du
C. succinihra, et pour celles du C. La Conda-
minea et du C. Calisaya. Tous les serais ont
réussi; aujourd'hui, plusieurs régions anglaises
de l'Inde sont couvertes de quinquinas. Ce sont
les montagnes de Neilgherries (cote de Malabar),
le Bengale, le Sikhin au pied de l'Himalaya, et
nie de Ceylan. En outre, le gouvernement anglais
a donné de jeunes plants à beaucoup de particu-
liers qui les cultivent avec l'espoir d'en faire un
jour le commerce. Non seulement toutes ces
plantations sont prospères, mais en outre M. de
Vry a découvert qu'en entourant le tronc des
arbres de mousse, pendant un certain temps, on
double la quantité d'alcaloïdes contenue dans les
écorces. [C.-E. Bertrand.]
RUMINANTS. — Zoologie, XI. — Les Mam-
mirtres que l'on désigne sous le nom de Humi-
nants sont ainsi appelés parce qu'ils jouissent de
la faculté de ruminer, c'est-à-dire de ramener dans
leur bouclie les aliments préalablement ingérés
afin de les mâcher et de les imbiber de salive. Ils ont
un régime essentiellement herbivore ; aussi possè-
dent-ils des dents molaires très larges dont la
couronne s'use en double croissant, tandis qu'ils
sont ordinairement privés de canines ou même
1 d'incisives à la mâchoire supérieure. Leur tuba
' digestif ofi're une assez grande complication ; en
effet, au lieu de l'estomac unique qui existe chez
l'homme et chez tous les Mammifères supérieurs,
il y a plusieurs poches qui reçoivent les noms
àe panse, de bonnet, de feuillet, de caillette, et
1 qui jouent chacune un rôle distinct dans le phé-
nomène de la digestion.
Les Ruminants, pour la plupart, sont onguligra-
des ■ en d'autres termes, ils marchent sur 1 extrô-
mité des doigts, ou pour parler plus exactement,,
sur l'extrémité du troisième et du quatrième doigt,
qui se terminent chacun par un sabot, tandis qua-
le deuxième et le cinquième doigt ne touchent
pas le sol et sont rejetés en arrière, sous forme
de stylets, et que le cinquième doigt est complète-
ment atrophié. ^ , . „
Une disposition analogue se rencontre cnez les
Porcins *, que l'on a quelquefois associés â la
grande majorité des Ruminants pour constituer
Tordre des Bisulques, c'est-à-dire des Mammi-
fères à pieds fourchus. Toutefois il est aussi des
Ruminants qui, dans la marche, posent sur la
terre non plus l'extrémité, mais la totalité des
doigts, qui sont phalung, grades, comme on dit
en loologie. Tels sont les Chameaux et les Lamas.
qui diffèrent d'ailleurs des Ruminants ordinaires
et de tous les autres Mammifères par une particu-
larité histologique fort ■•?™='^q"=''^'<=\''^,'„,^l°7'n' 1
sanguins qui cheminent dans leurs artères et dans
leurs veines n'étant plus circulaires "^^mf^:
tant une forme elliptique, comme les globules
sanguins des Oiseaux. Se fondant sur cette par-
ticularité, ainsi que sur l'absence de co^^es et sur
la disposition du système dentaire et du tube
digestif chez les Chameaux et les Lamas, plusieurs
naturalistes ont complètement sépare ces ani-
maux des Ruminants ordinaires, de même qu ils
ont créé un groupe particulier en faveur des
Chevrotains. cis derniers, en effet, sont pr.vos d_9
cornes; ils se rapprochent un P«f, «^^^^^^f""!
(V Porcins] par leur squelette; ils n ont que
rois pochei ^tomachales'et ils .0"' "" «^^^f //,
développement différent de celui des Bœufs des-
Moutons, etc. Si l'on .adopte cette manière de
voir, on est conduit à démembrer 1 f"""" "^Pf^
des Ruminants, tel que le concevait G. Cuvier,
1 pour former à ses dépens trois «■'dres d'.s "^cu
h^-SXi;r^^j;Sk^""càe4o^ns
°\IrpX:^:NS à leur tour peuvent ét^ partagés-
en deux grandes catégories : les » e'^o^e"* t
cornes perlistantes et les Péconens à cornes ca
dunues. En effet les appendices 1"' souNent dans
ipVdpux spxes ou tout au moins chez les maies,
urmontenUa 'région frontale, tantôt son^ intime^
ment soudés à l'os sous-jacent et subs.sten pa^
conséquent pendant ,toute l^^^ "'^«"bri^és Var un
l'animal, à moins qu ils ne soie, t brisOs P
choc OU par quelque autre acçide U *.ntOt ^.^^.,
pour ainsi dire, surajoutes e» ^^.^^^^^^
quement POur être remp.»^«^^^ ^^ ,„,
par des aPP'="d'^'^^ ?'"; J" ' ^^^ appendices sont
mineux. »f^^'^, .''','„'? Js'desco.«e., tandis que
plus spécialement appe es aes.^^ ^^^
dans le second ils sont gène ^^^^^[e^ 1
riire recouvertes par la peau, ou des cornes i,.^
ses c^est"ldire ormôes d'un axe osseux et d un
étui corne" Enfin l'axe de la corne, la cliev 1 le.
onimron dit vulgairement, peut être à soi ou
r^^n^r^eUr-S^^è^rgosi^^n
existe chez tous nos Ruminants domestiques, chez
RUMINANTS
— 1957 —
RUMINANTS
Iles Boeufs, les Chèvres et les Moutons ; l'autre au
contraire peut être observée chez les Antilopes,
et les cornes velues ne se rencontrent que chez les
'Girafes, qui se reconnaissent d'ailleurs facilement
à leur tête petite, portée sur un cou démesu-
rément allongé et à leurs pattes antérieures no-
tablement plus hautes que les postérieures.
Les Girales, dont nous parlerons d'abord, con-
stituent pour les naturalistes le genre Camelo-
pardalis et la famille des Camelupm-dalidis ou
■des Girafidés. Ces animaux ont une physio-
nomie et des allures tellement étranges qu'ils
méritent d'occuper une place tout à fait à part
dans la série des Pécoriens. Leur tète fine et
pointue est surmontée de petites cornes qui se
soudent de bonne heure avec l'os frontal et qui
ne se dépouillent jamais de leur revêtement cu-
tané ; elle porte en outre, sur le chanfrein, un
troisième prolongement, de même nature que les
précédents, mais plus large et moins saillant, et
se termine inférieurement par un mufle aux
•lèvres extrêmement mobiles. La longueur du cou
est telle que la tête est perchée à 6 mètres en-
viron au-dessus du sol, de sorte que pour boire
ou pour brouter le gazon l'animal est obligé d'é-
carter fortement les jambes. Du reste ce n'est pas
d'ordinaire sur la terre que la Girafe cherche sa
nourriture; elle dévore principalement les feuilles
et les jeunes pousses des mimosas et d'autres
arbustes de l'Afrique tropicale, dont elle atteint
facilement les plus hautes branches. Par suite de
la disproportion qui existe entre les deux paires de
membres, la ligne du dos est, chez la Girafe, for-
tement inclinée en arrière, et rétablit l'aplomb du
corps compromis par l'allongement de la région
•cervicale ; enfin, comme pour augmenter encore
l'étrangeté de ce type zoologique, la nature a donné
& son pelage un système de coloration qui ne
se rencontre guère que chez les Carnassiers ; elle
a marqué sa robe jaunâtre de larges taches angu-
leuses d'un brun roux, assez semblables à celles
qui existent sur la robe des Léopards, et c'est ce
mode d'ornementation qui a valu i. la Girafe le
nom latin de Cameloijardalis (Chameau-Léopard).
Les Girafes habitent l'Afrique tropicale et méri-
dionale, depuis le sud du Sahara jusqu'au fleuve
Orange, et se trouvent ordinairement sur la limite
■des forêts qui bordent les déserts. Elles appar-
tiennent toutes à une seule espèce, Cat7iel-/par-
dalis giraffa, qui était déjà connue des anciens
et qui se trouve représentée maintenant par quel-
ques individus vivants dans la plupart des jardins
zoologiques de l'Europe.
Les Ruminants qui composent le groupe des
Bœufs ou la famille des Bovidés ont des formes
lourdes, des allures pesantes; leur corps est mas-
sif et porté sur des jambes robustes ; leur tête
puissante se termine inférieurement par un mu-
fle épais et se trouve surmontée de cornes qui se
dirigent d'abord en dehors, puis se recourbent en
haut et en avant ; et leur cou présente inférieu-
rement un large repli ou fanon constitué par une
peau lâche et tombante. Ils sont tous herbivores
et se tiennent de préférence dans les plaines. Les
Bœufs ordinaires, les Bisons, les Buffles, les
"i'acks et les Bœufs musqués appartiennent à cette
division.
Chacun sait que nos Bœufs domestiques se sont
prop.igés dans les quatre parties du monde et
ijuf, dans les parages de l'Amérique du Sud, ils
sont même retournés en partie à la vie sauvage.
Suivant les localités ils offrentdans les proportions
du corps, dans la forme des cornes, dans la cou-
leur du pelage, des différences telles qu'on ne
comprend pas comment tous ces types divers ont
pu dériver d'une seule et même souche. Il est
probable cependant que tous les bœufs à longues
cornes ou sans cornes, à pelage uniforme ou ba-
riolé, à dos lisse ou surmonté d'une bosse (Z^iw),
ont pour ancêtre commun quelque Bœuf qui se
trouvait jadis en Europe ou en Asie à l'état sau-
vage. Mais quel est ce Bœuf? c'est ce qui n'est pas
encore bien établi. Pour quelques auteurs c'est
une espèce éteinte, pour d'autres c'est l'Aurochs,
dont quelques représentants vivent encore dans
les forêts de la Lithuanie. Cet Aurochs lui-même
a de grands rapports avec le Bison (Bos nmerica-
n!«),quo l'on voit dans nos ménageries, et qui a la
tête et la partie antérieure du corps revêtues d'une
épaisse toison. Autrefois, avant l'arrivée des Eu-
ropéens, d'immenses troupeaux de Bisons peu-
plaient les grandes prairies de l'Amérique du Nord ;
mais ces animaux ont eu le sort des peuplades
indiennes, ils ont été refoulés et en grande partie
anéantis par le flot montant de la civilisation.
Les Buffles [Bos hubalus, Bos enfer, etc.), qui
se reconnaissent à leur front bombé, â leurs cor-
nes plus oumoinsprismatiques, à leur pelage dur,
peu fourni, tirant fortement au noir, habitent les
parties chaudes de l'Afrique et de l'Asie et se sont
répandus dans le midi de l'Europe, en Grèce et
en Italie.
Les Yacks se distinguent par leur queue garnie
de crins aussi longs et aussi lustrés que ceux d'un
cheval, et parleur dos et leurs flancs revêtus d'un
ample manteau de poils tombant jusqu'à mi-jam-
bes. Ils sont originaires des luontagnes du Tibet
et ont été successivement introduits en Tartarie et
en Chine. Leur voix est une sorte de grognement
sonore ; c'est ce qui leur a valu le nom spécifique
de Bos gruniens. Les étendards que les pachas
orientaux font porter devant eux pour marquer
leur dignité sont ordinairement faits avec de»
queues de Yacks.
Enfin, dans le voisinage du cercle polaire, en
Amérique, vit ie Bœuf musqué {Uvibos moschatus),
ainsi nommé à cause de l'odeur dont son pelage
et sa chair sont imprégnés. Il a le museau garni
de poils, les cornes très larges et très rappro-
chées à la base, puis descendantes et relevées
ensuite à la pointe, le corps bas sur pattes et
couvert de poils laineux.
Une autre famille de Ruminants à cornes creu-
ses, celle des Ooidés, est constituée par les Mou-
tons, qui ont le nez busqué et les cornes ridées,
annelées, rejetées d'abord en arrière, puis ra-
menées en avant, en spirale. Elle compte parmi
ses représentants actuels un assez grand nombre
d'espèces sauvages, telles que le Mouflon commun
{Musimon inusmou) , qui vit dans les montagnes
de la Corse et de la Sardaigne, le Mouflon de
montagne {Musimon montanus), qui est originaire
des Montagnes Rocheuses, le Mouflon à manchet-
tes {Musimon trayelaphus), qui se trouve on Afri-
que, dansl'Aurès, et dont la ménagerie du Jardin
des Plantes possède un véritable troupeau, l'Ar-
gali (Musimon aigali), que l'on prend on Sibérie et
au Kamtchatka et qui est de la taille d'un âne,
etc. Par leurs formes robustes, leurs cornes voln-
luineuses, leur pelage rude et peu fourni, sauf à la
partie inférieure du cou, d'où pend une sorte de
crinière, ces Moutons sauvages diffèrent beau-
coup au premier abord de nos Moutons domesti-
ques, et cependant, suivant toute vraisemblance,
ces derniers sont dérivés d'une espèce de Mouflon.
En tous cas, sous l'influence de l'homme, les
Moutons ont subi des modifications profondes qui
ont eu pour effet tantôt de faire disparaître leurs
cornes (Moutons à tête noire), tantôt de dévelop-
per leurs parties charnues (Moutons picards), tan-
tôt d'augmenter le volume et la finesse de leur
toison (Moutons mérinos).
Les Chèvres, que les naturalistes placent, sous
le nom de Capridés, dans une famille distincte
mais voisine de celle des Ovidés, ont en général
des formes plus légères que les Moutons, le chan-
RUMINANTS
— 1938 —
RUMINANTS
frein moins busqiié, le menton orné d'une barbi-
ciie, les cornes dirigées d'abord verticalement,
puis en arrière. A ce groupe appartiennent les
Bouquetins (Ibex), qui vivent dans les Alpes, dans
les Pyrénées, dans le Caucase, dans l'Himalaya
(Ibex alpinus, Ibex pyreiwiciis, Ibex caucaiiciis,
Ibex himalayuniisj, et les Chèvres ordinaires [Ca-
pra), dont une espèce, la Chèvre égagre {Caf-d
jegagrus), existe encore à l'état sauvage dans le sud
dit Caucase, en Perse, en Arménie et en Crète.
Cette Chèvre sauvage, qui se plaît sur les cimes
escarpées, ilans le voisinage des neiges perpétuel-
les, et (|ui se nourrit en été de feuilles et de bour-
geons, en hiver de lichens et de graminées, parait
avoir donné naissance à nos Clièvres domestiques.
Celles-ci offrent des variétés presque aussi nom-
breuses que celles qu'on observe parmi les Mou-
tons, les unes étant de taille fort réduite (Chèvres
naines), les autres portant une riche toison (Chè-
vres d'Angora), d'autres étant privées de cornes
et revêtues d'un pelage lisse (Clièvres de la Thé-
baïde), etc.
La famille des Antil-pidés comprend une très
nombreuse série de Ruminants qui se ressemblent
par la structure interne de leurs cornes, mais qui
diffèrent du tout au tout parU zonformation exté-
rieure de ces appendices, .-".ussi bien que par les
proportions des diverse.-^ parties du corps, la na-
ture et la coloration du pelage. Il y a en effet des
Antilopes aux formes légères, aux allures rapides,
comme les Gazelles; des Antilopes au corps massif,
aux membres robustes, comme les Bosélaphes ;des
Antilopes qui tiennent à la fois du bœuf et du
cheval, comme les Gnous, d'autres qui rappellent
les Chevreuils, comme les Oréotragues et les Té-
tracères, etc. Comment passer en revue tant de
types divers ! Évidemment il faut nous contenter
d'en signaler quelques-uns.
Sous le nom de Gazelles (Gnzella) on désigne
plus particulièrement des Antilopes de taille
moyenne, ayant les jambes fines, le corps svelte,
la tête petite, les yeux largement fendus, les cor-
nes de longueur médiocre, le pelage coloré en
fauve ou en brun et passant au blanc sur les par-
ties inférieures et sur la face interne des mem-
bres. L'espèce la plus connue de ce genre est la
Gazelle dorcas (G. ilorcas), qui habite la Syrie,
'Egypte, l'Algérie et le Sénégal.
Le Saïga (Saï^fa tato-iCt() constitue le type d'un
autre genre, remarquable par son nez proéminent
en avant de la mâchoire inférieure, par ses oreilles
courtes et larges, son poil mou et épais. Il se
trouve dans les steppes de l'Europe orientale et de
la Tartarie.
Dans l'Afrique australe vivent de nombreuses
espèces d'Antilopes : les Spring-bocks (Boucs sau-
teurs), ainsi nommés parce qu'ils peuvent, en s'en-
levant des quatre pieds à la fois, franchir sans
effort apparent des obstacles de 2 i 3 mètres de
hauteur ; les Céphalophes, qui sont également
doués d'une agilité extraordinaire ; les Eléotragues
ou Antilopes des marais, qui fréquentent les bords
humides des rivières ; les Gnous, i la tùte de tau-
reau, à la queue longue et fournie comme celle
d'un cheval ; les Bosélaphes, à. la physionomie stu-
pide, au front rétréci, au garrot surmanié d'une
bosse ; les Cannas, qui ressemblent à des bœufs
par leur corps massif, leur queue grêle à la base,
touffue à l'extrémité, leur cou d'où descend un
vaste fanon ; les iNilgauts, dont la tête élégante et
surmontéo de petites cornes contraste avec le
corps épais et les pattes robustes, etc. Au Séné-
gal, au Gabon, en Abyssinie, et dans le pays de
Mozambique se trouvent d'autres formes du même
groupe, également intéressantes, les Oryx ou Al-
gazelles, aux longues cornes presque droites ; les
Guibs, au pelage tacheté ; les JJanotragues ou An-
tilopes naines ; l'Inde a les Antilopes cervichèvres,
dont l'estomac renferme des concrétions qui
étaient jadis employées en médecine sous le nom
de bêzoards; l'Amérique du Nord a les Dicrano-
cères aux cornes fourchues, et une espèce de Cha-
mois, propre aux Montagnes Rocheuses ; enfin notre
pays possède aussi une véritable Antilope, le Cha-
mois des Alpes (Rupicnpra b-agus), qui doit sans
doute être identifié k l'Isard des Pyrénées.
La famille des Cervidés comprend les Cerfs, les
Elans, les Rennes et les Cervules ou Muntjacs,
c'est-à-dire toute une série de Ruminants aux for-
mes élancées, aux jambes fines, au pelage luisant,
à la tète surmontée quelquefois dans les deus
sexes (cliez les Rennes) ou, plus souvent, chez les
mâles seulement, de cornes caduques ou bois.
Ces bois se montrent d'abord comme de simples
protubérances de chaque côté de l'os frontal ;
mais ils grandissent rapidement en soulevant la
peau qui les recouvre et qui est le siège d'une vé-
ritable inflammation ; puis, à un moment donné, il
sur\ient dans toute cette pariie un dépérissement
par suite de la formation, à la base do prolonge-
ment osseux, d'un cercle de tubercules qui com-
priment les vaisseaux chargés d'apporter le fluide
nourricier ; la peau se dessèche et tombe par lam-
beaux, et l'os mis à nu meurt et se détache du
crâne. L'animal reste alors désarmé, mais bientôt
la plaie se cicatrise, se recouvre d'une pellicule, et
un nouveau bois, presque toujours plus compli-
qué que l'ancien, s'élève à la place de celui-ci.
Comme ce phénomène se produit d'ordinaire cha-
que année, à la même époque, on peut souvent
juger de l'âge d'un Cerf par le degré de dévelop-
pement de ses bois, qui, après avoir formé d'abord
une simple pointe, une dague, de chaque côté, of-
frent un, deux, trois et jusqu'à cinq prolonge-
ments ou andouillers. Toutefois il n'en est pas
toujours ainsi, et dans certains cas les bois restent
â l'état de dagues, ou bien encore se transforment
avec l'âge en lames aplaties et dentelées.
Les Cervidés habitent pour la plupart les gran-
des forêts, et préfèrent les pays plats ou légère-
ment accidentés aux contrées montagneuses. Ils
vivent isolés ou en petites troupes dans diverses
régions de l'Europe, de l'Asie et de l'Amérique et
dans le nord de l'Afrique.
Le Cerf commun [L'ervus elaphis) est à l'âge
adulte d'un gris brun, plus ou moins nuancé de
fauve, et lorsqu'il est jeune d'un brun fauve ma-
culé de blanc. Dans ce dernier état il porto le
nom de faon. La femelle, qui est privée de cor-
nes, se nomme biche. En France, cette belle es-
pèce ne se trouve plus guère que dans certaines
chasses gardées; mais elle est encore assez commune
dans les forêts de haute futaie de l'Allemagne, de
l'Autriche et de la Russie. Au Canada vit un Cerf
beaucoup plus grand que le nôtre, qu'on nomma
le Wapiti [Cervui canadensis) .
Le Daim {Ceruus dama) se distingue facilement
du Cerf commun par ses bois dont les aoJouiUers-
terminaux sont réunis en une masse unique, en
une empaumure aplatie, et par son pelage qui, en
été, présente des taches bl:inch-s sur lond brun..
Il est, dit-on, originaire des Etats barbaresques,.
mais on le trouve maintenant en Sardaigne, et
quelques grands propriétaires de France et d'An-
gleterre l'ont introduit dans leurs parcs, à titre
de gibier ou comme animal d'agrément.
Le Chevreuil {Cervus capreoins) est le plus pe-
tit de nos Cervidés européens. Il a des bois à
ti^e arrondie, dirigée verticalement et munie de
deux andouillers seulement. Son pelage est ordi-
nairement d un brun roussâtre.
L'Elan [AUes jubata), qui était jadis assez com-
mun dans notre pays, mais qui à l'heure actuelle
ne se trouve plus que dans les f ircts marécageu-
ses de la Suède, de la Norvège, de la Sibérie et de
l'Amérique boréale, se fait remarquer par sa forte
RUMINANTS
— 1959
RUSSIE
taille et par le développement sxtraordinaire do
ses bois, (|iil, cliez les mâles adultes, arrivent h
peser jusqu'à 6U livres. Ces bois, au lieu de s'éle-
ver, comme cliez le Cerf, sous la forme d'une
tige rameuse, s'étalent largement de chaque côté
de la tète en présentant seulement quelques bi-
furcations et quelques dentelures.
Le Uenne [Tarandus rangifer) a le pelage rude,
d'un brun grisâtre en été, d'un gris blancliàlre
en hiver, les jambes plus robustes et plus courtes
que celles des Cerfs, la tôte surmontée de cornes
dont les ramifications s'aplatissent en palmes
dentées. A UJie époque géologique relativement
récente, et qui a reçu le nom à.\Uje du Renne,
cette espèce habitait le sol de la France; mais au-
jourd'hui elle est conlinée dans les régions glacées
de l'homisphère septentrional, on Laponie, en
Finlande, au Groenland, dans l'extrême nord de
l'Amérique. Le Renne est un animal précieux
pour les habitants de ces contrées hyperboréen-
nes, qui l'attellent à leurs traîneaux, se servent de
sa peau pour confectionner des vêtements, et se
nourrissent de sa chair et de son lait.
Los Muntjacs [Ceri-ulus) sont do la taille du
Chevreuil, avec des formes encore plus fines et
plus élégantes, un pelago plus lisse et plus lus-
tré ; ils pourraient même être pris pour des An-
tilopes de petite taille si, parmi eux, les mâles
n'avaient des cornes caduques et des canines su-
périeures développées au point de constituer de
véritables défenses. Ces animaux sont répandus
dans l'Inde, dans la Chine méridionale et dans les
lies de Java, de Sumatra, de Bornéo et de Cey-
lan.
Chez les Ruminants de l'ordre ou du sous ordre
des Traguliens, nous trouvons encore des canines
supérieures qui, chez les mâles, font saillie hors
de la bouche; mais les cornes font complètement
défaut dans les deux sexes, particularité qui éta-
blit une transition vers le groupe des Caméliens.
Les formes et la taille sont du reste à peu près
celles des .Muntjacs. Parmi ces Traguliens on
peut citer les Chevrotains proprement dits (Mos-
chtii), qui habitent l'Asie méridionale et orientale,
depuis le Népaul jusqu'en Sibérie ; les Tragules,
{Tragulus), qui sont particuliers aux îles de Java
etde Sumatra, et les Chevrotains aquatiques (W.'/œ-
moschus), qui sont confinés sur la cote orientale
d'Afrique. Les Chevrotains aquatiques et les Tra-
gulus portent une livrée d'un brun fauve, avec
des raies et des taches blanches, tandis que les
Chevrotains proprement dits ont un pelage uni-
forme. Ces derniers animaux sont, dans leur pays
natal, l'objet d'une citasse très active, parce qu'ils
fournissent la substance odorante connue sous le
nom de musc.
Les Chameaux et les Lamas, pour lesquels on a
créé l'ordre ou le sous-ordre des CAMÉLitîNS, se
distinguent facilement des autres Ruminants non
seulement par les caractères que nous avons in-
diqués plus haut, mais encore par leur aspect
extérieur : ils ont la tête petite, dépourvue de
cornes, les yeux saillants, la lèvre supérieure fen-
due, le cou long, la croupe faible, les jambes assez
épaisses et souvent noueuses. En outre, chez les
Chameaux (Camelus), le dos est surmonté d'une
ou deux loupes graisseuses en forme de bosse, et
la peau, sur certains points, est dénudée et cou-
verte de callosités.
_ Les Chameaux, qui sont propres à l'Ancien Con-
tinent, sont des animaux de grande taille, au corps
massif, aux allures disgracieuses. En marchant ils
appuient sur le sol non seulement l'extrémité de
leur sabot, comme le font les Chevaux, les Cerfs
et les Boeufs, mais toute la face inférieure de leurs
deux doigts, garnis en dessous d'une sorte de se-
melle. Grâce i cette disposition, les Chameaux peu-
vent s'avancer avec une certaine assurance au mi-
lieu des sables mouvants: aussi les emploie-t-on,
de préférence aux Chevaux et aux Mulets, comme
montures ou comme bétes de somme dans les
grands déserts de l'Afrique et dans les steppes de
l'Asie centrale. Ils jouissent d'ailleurs de la faculté
précieuse de pouvoir supporter pendant un temps
considérable la privation d'eau et d'aliments, et
de vivre aux dépens de leur masse graisseuse et
des liquides que renferment des cellules disposées
sur les parois de leur panse. Le Chameau dro-
madaire {Camelus Dromedurins), qui n'a qu'une
seule bosse sur le dos, est originaire de la Syrie,
mais se trouve aujourd'hui répandu dans d'autres
contrées de l'Asie et dans toute l'Afrique. En
Chine et en Tartario, il est remplacé par le Cha-
meau de la Bactriane [Camelus baclrianus), ou
Chameau à deux bosses, qui vient de l'Asie cen-
trale.
Les Lamas (Auchenia), qui vivent on Amérique,
dans la grande chaîne des Cordillères, depuis la
Nouvelle-Grenade jusqu'au Chili, se distinguent
des Chameaux par des formes moins lourdes, un
corps plus svelte et complètement dépourvu de
bosse dans la région dorsale, des pattes moins
élevées, terminées chacune pardeux doigts qui n'ap-
puient sur le sol que par leur portion terminale.
Ils se répartissent en quatre espèces que certains
auteurs considèrent comme de simples variétés :
le Lama guanaco lAuchenin huanaeos), l'Alpaca
Aiich. pacos), la Vigogne (Àiicli. vicunna), et le
Lama du Pérou (Auc/i. perunna). Dans la région
des Andes ces animaux, qui s'apprivoisent facile-
ment, sont employés comme botes de somme.
Leur laine, dont la couleur varie du noir au blanc,
en passant par le brun, le jaune et le gris clair,
sert à fabriquer des tissus moelleux ; leur peau
fournit un cuir estimé; enfin leur chair et leur
lait entrent pour une large part dans l'aliiuonta-
tion des habitants de la Cordillère.
[E. Oustalet.l
UUSSIE (Géogkaphie). — Géographie générale,
XVII. — 1. Géographie physique, — Situation.
— La Russie, qui occupe toute l'Iiurope orientale,
couvre plus de la moitié de l'étendue de cette
partie du monde et la rattache h l'Asie.
Limites. — Les monts Oural, le fleuve du même
nom et la mer Caspienne forment une limite plus
conventionnelle que réelle entre la Russie d'Eu-
rope et la Russie d'Asie, soumises au môme sou-
verain. Au sud, au contraire, le Caucase dresse
un épais rempart entre des provinces d'Europe et
d'Asie appartenant également au tsar, mais de na-
tures bien différentes. La mer Noire, au sud;
l'océan Glacial, au nord ; la mer Baltiqne, h l'ouest,
baignent les côtes de la Russie, qui se rattache à
la Scandinavie, du côté du N.-O., par l'isthme de
Laponie, et à l'Europe occidentale par l'isthme
beaucoup plus large qui s'étend entre la Baltique
et la mer Noire, depuis Koenigsberg jusqu'à
Odessa.
Do ce côté, la Russie est séparée de la Roumanie
par le cours du Danube et celui du Pruth. Mais il
n'y a pas de frontières naturelles i travers les
plaines de la Pologne que se sont partagées les trois
puissances contiguës, la Russie, l'Autriche et la
Prusse.
Aspect général. — L'absence do montagnes est
un des caractères distinctifs qui séparent la Russie
du reste do lEurope. Le Valdai, qui forme entre
Saint-Pétersbourg et Moscou le principal nœud
orographique du centre de la Russie, ne dépasse
guère -300 mètres. Et c'est do li quo le Volga, le
plus long fleuve de l'Europe, mais non le plus
abondant, s'écoule lentement vers la Caspienne.
De là aussi descendent le Dtiiepr vers la mer
Noire, et la Duna vers la Baltique ; mais partout
ailleurs et autour même du Valdai, les bassins des
divers fleuves ne sont séparés par aucune ligna
RUSSIE
1960 —
RUSSIE
de faite tranchée, et des routes ou des canaux les i
unissent aisément, quand leurs eaux ne se mêlent
pas d'elles-mêmes dans les marais où ils prennent j
naissance. '
Les côtes de la Russie ne sont pas non plus
entaillées comme celles de l'Europe occiden-
tale par des indentations nombreuses et pro-
fondes qui rapprochent les eaux de la mer des
divers points de l'intérieur du continent- Les
golfes de Bothnie, de Finlande et de Higa, sur la ,
Baltique, sont !i plus de 1200 kilomètres de la mer ,
Noire. Celle-ci n'a d'autre golfe que la mer d'Azov,
que la presqu'île de Crimée ferme presque comme [
un lac. Au nord, l'océan Glacial projette la mer
Blanche avec ses dépendances, les golfes de
Mezen, d'Arkhangel, d'Onega et de Kandalakcha,
— puis le golfe de Tcheskaia, et celui où débouche ,
la l'etchora. Mais en comparaison de l'étendue de 1
la Russie, qui en latitude va du iO' au 70', ces '
golfes ne sont que de petites baies sans profondeur, j
Climat. — De cette uniformité du sol, et de
l'éloignement de la mer, il résulte que le climat
de la Russie est par excellence ce qu'on appelle
un climat cnnlinental. Les pluies y sont rares,
les hivers glacés, les étés brûlants. Depuis les
bords de la Baltique jusqu'à ceux do la Caspienne,
l'eau tombée du ciel est de moins en moins abon-
dante. En Finlande, on en recueille annuellement
une couche de 70 centimètres à I mètre, comme
en France : il Astrakhan, la quantité recueillie est
quatre fois moindre, et l'cvaporation enlève plus
d'eau à la surface de la Caspienne que ne lui eu
apportent les fleuves du Caucase, l'Oural et le
Volga, quoique le bassin de ce dernier fleuve soit,
à lui seul, trois fois grand comme la France. Ac-
tuellement la Caspienne est à 20 mètres plus bas
que le niveau de la mer Noire, h laquelle elle fut
autrefois réunie.
Les grandes différences entre les températures
de l'hiver et celles de l'été sont d'autant pliis
accusées qu'on s'avance davantage vers la Russie
orientale. Ainsi, tandis qu'à Saint-Pétersbourg la
température moyenne de l'été est de 10° et celle
de l'hiver de — 7°, à Samara, sur le Volga, ces
mêmes moyennes sont de 19" et de — 12°. Et la
différence serait encore bien plus sensible entre
les chaleurs et les froids extrêmes qu'entre les
températures moyennes des deux saisons. Les
lignes isothères, qui réunissent ensemble les points
soumis à une même moyenne de température
estivale, traversent la Russie de l'O.-S.-O. à
l'E.-N.-E., de sorte que Varsovie ctTobolsk se trou-
vent sur la même ligne, bien que la première do
ces villes soit sur le 52° de latitude et la seconde
sur le 58'. Les lignes isocliimcnes, au contraire,
qui correspondent aux mêmes températures
moyennes de l'hiver, sont fortement relevées du
S.-E. au N.-C. et il fait aussi froid pendant
l'hiver à Astrakhan, voisine du iG" de latitude, qu'à
Saint-Pétersbourg sur le C0«.
Comparée à l'Europe occidentale, la Russie est
un pays froid et d'autant plus froid qu'on se rap-
proche davantage de l'Asie ; les lignes iiotlienues,
qui correspondent à la moyenne des températures
de toute l'année, traversent la Russie du S.-E. au
N.-O., de sorte que Saint-Pétersbourg et Oren-
bourg ont le même climat moyen. La différence
est grande du reste, sous ce rapport, entre les
bords de la mer Noire, où la moyenne de l'année
estde-+- lO'', et qui est la seule région de la
Russie où la vigne mûrisse ses fruits, et les bords
de la mer Glaciale, toujours gelés, et où ne crois-
sent même plus les arbres. En redescendant de
là vers le sud, on retrouve successivement les
forêts, l'orge et le seigle qui mûrissent au sud de
la mer Blanche, puis le froment dont la limite
septentrionale va du golfe de Finlande aux sources
de la Kama,
Pendant de longs mois d'hiver, le sol est re-
couvert d'un linceul de neige, les rivières et les
lacs glacés, les navires bloqués dans les ports.
La Petchora n'est libre que du 25 mai au 1" oc-
tobre; la Dvina, à Arkhangel, est prise pendant
190 jours. Le lac Onega est couvert de glace
pendant 5 mois; le Ladoga pendant 4. La Neva
reste gelée pendant 1-40 jours. La Kama, à Penn,
l'est pendant la moitié de l'année, et à mesure
qu'on descend vers le sud, la débâcle se produit
de plus en plus tôt. Pris pendant 150 jours de-
vant Kazan, le Volga, à Astrakhan, est libre an
bout de 100 jours, le Don au bout de 125. Le
Dniepr, à Kiev, est pris pendant 95 jours, et
pendant 80 jours seulement à Kherson, près de
son embouchure.
Pendant tout ce temps, la navigation est Sus-
pendue en Russie, tous les trans])orts se font en
traîneaux ou par les chemins de fer, et les cours
d'eau les plus puissants n'opposent plus aucun
obstacle aux races nomades qui les traversent
librement avec leurs troupeaux, comme les ont
sans doute passés nombre des barbares envahis-
seurs qui d'Asie se sont jetés sur l'Europe.
Fi-EuvES ET LACS. — Volya. — Le Volga naît
au sud du Valdaï, tout prés de la source do la
Duna, mais prend une direction opposée à celle-ci
et coule à l'est jusqu'à Kazan. Après avoir franchi
quelques rapides, il devient bien vite une rivière
navigable. A Tver, àAlologa, àRybinsk, il est joint
par trois canaux qui le relient respectivement au
Volkhov, la rivière de Novgorod, au lac Ladoga, et
enfin au lac Biélo et au bassin de la Dvina. A
Nijni-Novgorod, le Volga reçoit par la droite
l'Oka, presqu'aussi considérable que lui. C'est
au confluent de ces deux puissants cours d'eau,
de 1.500 mètres de large, que se tient chaque année
la foire où se réunissent les marchands d'Europe
et ceux de l'Asie, au nombre de deux à trois cent
mille, et où les affaires atteignent un chiffre d'un
demi-milliard.
L'Oka traverse la partie la plus peuplée, la
plus riche, la plus industrieuse de la Grande-
Russie. Elle reçoit par la droite la Zna, qui,
comme l'Oka, coule du sud au nord en sens in-
verse du Volga inférieur, et par la gauche la
Moskva, qui arrose Moscou, et la Kjasma.
A Kazan. le Volga tourne au sud. Rongeant
sans cesse la falaise qui borde sa rive droite, le
fleuve délaisse de plus en plus les villes bâties
dans la plaine de la rive gauche. Kazan est aujour-
d'hui à plusieurs kilomètres du Volga et les eaux
du fleuve ne baignent plus les murs de la ville
que dans les grandes inondations. Peu après, le
Volga reçoit par sa gauche le plus grand de ses
affluents, la Kama, qui lui apporte les eaux du ver-
sant occidental de l'Oural et ouvre une route na-
vigable vers les riches mines du gouvernement de
Perm, et vers la Dvina du nord par la Vitchegda,
branche orientale de ce dernier fleuve. En dessous
du confluent de la Kama, le Volga passe au pied
de Simbirsk, et forme une boucle prononcée vers
l'orient au devant du confluent de la Samara. C'est
dans la vallée de ce dernier cours d'eau que s'en-
gage le chemin de fer d'Orenbourg, seule voie
ferrée qui relie jusqu'ici l'Europe à l'Asie. De
la ville de Samara, le chemin de fer côtoie la
rive gauche du fleuve jusqu'à Sysran et le tra--
verse en ce point sur un immense viaduc, seul
pont fixe élevé au-dessus du Volga, depuis Tver.
En aval de Sysran, le Volga reprend sa direction
au S.-O., passe au pied de Saratov, et arrive
à Zarizyn, où 60 kilomètres seulement le séparent
du cours du Don. Mais au lieu de se joindre en
ce point, les deux fleuves changent brusquement
de direction pour couler en sens opposé ; le Volga
se partage en plusieurs branches qui courent au
sud-est et se subdivisent de plus en plus avant
RUSSIE
— 1961 —
RUSSIE
•d'arriver h la Caspienne. Au milieu de ce delta
s'élève Astraklian, ancienne ville dont la prospérité
•va sans cesse en décroissant h. mesure que la
barre du fleuve oppose pins d'entraves à la navi-
gation. Aussi, à l'inverse des autres fleuves, sur
lesquels la navigation devient en général do plus
en plus active à mesure qu'on s'approche de la
zone maritime, le trafic de la batellerie sur le
Volga décroît rapidement en aval de Saratov et de
-Zarizyn, pour atteindre son maximum sur le cours
moyen du fleuve, au centre de ce réseau de
120U0 kilomètres de longueur que forment le
fleuve et ses divers affluents navigables.
Don et nier d'Azov. — Le Don naît au centre
de la Russie, non loin de Toula, qui appartient
au bassin de l'Oka; il coule au sud, reçoit à gau-
che le Khoper et le Medvieditza, et k droite le
Donetz qui traverse dans sa partie inférieure un
riche bassin liouiller encore peu exploité, mais
qui est appelé sans doute à un grand avenir in-
dustriel. Comme le Volga, le Don a sa rive gauche
basse, et sa rive droite escarpée. C'est li ce qui
le rejette à l'est vers le Volga. Au moment où il
est sur le point d'atteindre ce fleuve, il tourne
brusquement au S.-O. vers la mer d'Azov, qu'il
comble de plus en plus de ses alluvions.
Dniepr, Hong, Dniestr. — Le Dniepr prend
sa source dans le voisinage de celles du Volga et
de la Duna, traverse Smolensk, descend au sud
jusqu'à Kiev, puis au S.-O. jusqu'il Ekatérinoslav.
Comme le Volga et le Don, sa rive droite est plus
escarpée que sa rive gauche, et c'est de ce der-
nier côté qu'il épanche ses eaux sur une largeur
de plusieurs kilomètres pendant les inondations.
Mais contrairement h ces deux autres fleuves, il
ne gagne son bassin inférieur qu'en traversant
des rapides qui sont infranchissables aux embar-
cations, sauf quelquefois pend.int la grande crue
du printemps. La navigation d'amont s'interrompt
à Ekatérinoslav, pour ne repren'dre qu'en aval à
Alexandrovsk. Entre ces deux villes le Dniepr
coule du N au S. pour prendre ensuite la di-
rection du S.-O. jusqu'à son embouchure en dos-
sous de Kherson. Le Dniepr se grossit, à Kiev
et par la gauche, de la Desna, et en amont de cette
■ville et par la rive opposée, de la Bérézina, de
sinistre mémoire, et du Pripet. Cette dernière
rivière, qui coule de l'O. à l'E. en drainant les ma-
récages de Pinsk (entre Varsovie et Kiev), ouvre
■une communication navigable entre le Dniepr et
le Niémen, d'une part, et avec la Vistule par le
Boug, de l'autre. Ainsi se trouvent reliées la Balti-
que et la mer Noire.
Comme le Dniepr, le Boug, qui débouche dans
■le même estuaire que ce fleuve, après avoir traversé
le grand arsenal maritmie de Nicolaiev, et le
Dniester, qui forme la limite de la Bessarabie,
sont interrompus par des rapides à la traversée
du plateau granitique qui porte au nord les fer-
tiles terres noires, tandis que s'étendent au sud
les steppes arides et salines, dépourvues de toute
végétation arborescente.
Bassin de lu nnllique. — La Vistule n'appar-
tient k l'empire de Russie ni par sa source, ni
par son embouchure, mais elle forme la princi-
pale artère commerciale de la Pologne, dont elle
traverse la capitale, Varsovie, et où elle se grossit
par la droite du Bug. Le Bug a lui-même un
affluent ronsidcrable, le Narev. Une grande partie
des produits de la Pologne suivent cette voie pour
être embarqués à Dantzig sur les navires de mer.
De môme le Niémen, après avoir traversé Grodno
et Kovrio, va finir dans la lagune prussienne du
Kurische Haff.
La Duna s'écoule directement du S.-E. au N.-O.
par Vitcbsk, Dunabourg et le grand port de Riga,
la métropole des provinces baltiques, en aval de
laquelle la Duna finit dans le golfe de Riga.
Dans le golfe de Finlande arrivent au sud,
la Narva, à l'est, la Neva. La Narva sert de débou-
ché aux lacs de Pskov et de Peipous. Par la Neva
s'écoulent les lacs Saima, Onega, Ladoga et llnien,
les plus étendus do toute l'Europe. C'est par le
Wuoxen que les nombreux lacs remplissant les
vasques granitiques de la Finlande et réunis sous
le nom de lac Saima se déversent dans le Ladoga.
C'est la rivière Svir qui réunit le lac Onega au
Ladoga. Dans ce dernier lac arrive par le sud le
Volkhov, qui sort du lac Umen auprès de l'anti-
que ville de Novgorod. Grossie par tous ces af-
fluents, la Neva, qui n'a guère qu'une quinzaine
de lieues de cours entre SchlUsselbourg, où elle
sort du Ladoga, et Saint-Pétersbourg, roule une
masse d'eau aussi considérable que le Rhône ou
le Rhin, et chaque année la débâcle des glaces y
est terrible. Toutefois les gros navires de mer
ne peuvent la remonter jusqu'à Saint-Pétersbourg
et s'arrêtent à Kronstadt, qui est en même temps
une forteresse formidable, défendant l'accès de la
capitale.
Bassi7i de la mer Blanche. — La Dvina, le fleuve
d'Arkhangel, se forme de deux branches princi-
pales : à l'est, la Vitchegda, qui par ses sources
touche à la Kama et à la Petchora, et à l'ouest la
Sukona, reliée par des canaux avec le Volga et le
lac Onega, qui appartient an système de la Neva.
La Dvina porte à Arkhangel les bois coupés dans
les forêts immenses qu'elle traverse. C'est par ce .
port que les Russes entrèrent pour la première
fois en communication maritime avec les peuples
de l'Europe occidentale, quand ils n'avaient pas
encore conquis sur les Suédois les rivages de la
Baltique, et sur les Turcs ceux de la nier Noire.
La Petchora, que l'Oural envoie k l'Océan gla-
cial, traverse des pays trop peu peuplés pour
avoir une grande importance économique malgré
l'abondance de ses eaux.
Bassin île la Caspicmie (à part le Voltja). — A
l'autre extrémité de l'Oural, le fleuve de ce nom
sert de limite entre l'Europe et l'Asie, passe à
Orenbourg et finit dans la Caspienne.
La même mer reçoit le Térek, venu du versant
septentrional du Caucase. De ce côté aussi des-
cend le Kouban, qui aboutit dans la mer Noire
près du détroit de Kertch. Entre ces deux cours
d'eau, le Kalaous, descendu du Caucase, déverse ses
eaux, tantôt vers la mer d'Azov, et tantôt vers la
Caspienne par la Manîtch, qui jalonne l'ancienne
voie de communication entre les deux mers.
Montagnes. — Les plus hautes cimes de l'Oural
n'atteignent pas 2000 mètres. Le Caucase au con-
traire a plusieurs cimes plus élevées que le mont
Blanc : l'Elbourz dépasse 6500 mètres, le Kas-
beck iSOO, et le défilé du Dariel, qui passe au
pied de ce dernier et forme la principale voie de
communication entre l'Europe et la Transcaucasie,
franchit un col de près de 210() mètres. Le Cau-
case est d'autant plus majestueux et imposant k
contempler en arrivant d'Europe que le pays
entre la Caspienne et la mer d'Azov est peu élevé.
Le Caucase se continue en Crimée, au delà de
la péninsule deTaman et du détroit de Kertch, par
une chaîne d'un millier de mètres, au pied de la-
quelle règne une étroite corniche qui jouit d'un
climat délicieux, et rappelle par sa situation et
ses productions les environs de Nice et de Gênes,
tandis qu'au nord-ouest le plateau va se rattacher
aux steppes de la Russie méridionale. Là, dans le
temps de leur prospérité, les Génois avaient
fondé la colonie de CafTa, comme autrefois les
Grecs avaient couvert de leurs comptoirs les ri-
vages de la mer Noire. A l'ouest, la cliaine de
Crimée se termine par le cap Chersonèse, sur
lequel s'étaient établies les armées alliées pour
assiéger Sébastopol.
II. Géographie agricole, industrielle et com-
RUSSIE
— 1962 —
RUSSIE
meroiale. — Agricultcre. — Zones de culture. —
Au point de vue des productions agricoles, la
Russie se partage en cinq zones. Au nord la zone
glaciale est couverte de rochers ou de marais
tourbeux, gelés pendant la plus grande partie de
l'année et qui ne sont propres qu'à nourrir quel-
ques rennes. Au sud de la zone glaciale, la zone
forestière couvre la Finlande, les gouvernements
d'Olonetz, d'Arkliangel et de Vologda. Dans la
partie septentrionale on ne trouve d'abord que
des arbrisseaux, puis des pins et des bouleaux,
et à mesure qu'on descend vers le sud, ceux-ci
font place aux sapins, mélèzes, cèdres, trembles,
puis aux tilleuls et aux chênes. Dans les gou-
vernements d'Olonetz et de Vologda, les bois
couvrent les 9/10 de la superficie. Dans toute la
région forestière, la chasse et la pèche forment
avec l'exploitation des forêts (coupe du bois,
fabrication de la potasse, du goudron, de la téré-
benthine), les principales ressources d'une po-
pulation du reste très clairsemée, qui ne récolle
qu'un peu d'avoine, de seigle ou d'orge et mé-
lange souvent à son pain de la sciure de bois
pour en augmenter le volume sans le rendre plus
nutritif.
Au sud du golfe de Finlande, les forêts devien-
nent plus rares, les défrichements plus éten-
dus ; aux grains secondaires comme l'orge, le
seigle et l'avoine, se mêlent maintenant les champs
de froment ou de lin. Les chênes remplacent en '
partie les arbres verts. Là commence une troi-
sième région qui occupe l'ouest de l'empire et
comprend les provinces baltiques, la Lithuanie, la
Pologne. Les forêts couvrent encore la moitié de
ce territoire, mais les chênes, les ormes, les til-
leuls, les frênes et les érables s'y mêlent aux
sapins et aux pins comme dans l'Europe occiden-
tale, et on voit réussir sous un climat plus doux ^
le froment, le seigle, le lin, le chanvre, la bette-
rave. Les prairies se couvrent aussi de troupeaux.
Au sud des forêts et des marais qui limitent la
Pologne du côté du S.-E., on entre dans la zone
des terres noires. Les arbres n'y croissent pas
spontanément, mais le sol s'y recouvre d'herbes
assez hautes pour cacher à la vue un cavalier
monté. Les débris de cette végétation accumulés
depuis des milliers d'années y ont formé une cou- '
che de terreau dont l'épaisseur varie de 60 centi- !
mètres à 1>°,50. La zone des terres noires [Tcliev- \
nozon) s'étend du S.-O. au i\.-E. à travers toute la
Russie et res>emble à un pont jeté sur cet empire '
depuis la Galicie et l'Europe occidentale jusqu'à |
l'Oural, du cùlé de Kazan et d'Orenbourg. Son '
étendue est presque double de celle de la France, \
son sol produit dos céréales sans se lasser, de
sorte que l'on a comparé la richesse qu'en peut
retirer la Russie à celle dont les Anglais sont re-
devables à leurs mines de houille. Les engrais ca-
pables de fournir l'azote que renferme la terre |
noire, ne vaudraient pas moins de seize milliards,
et là l'engrais est déjà transporté et assimilé au sol.
La terre noire est, comme la Hongrie dont le sol
est analogne au sien, un des grands centres de
production des céréales pour toute l'Europe, et
l'étendue qui y est ensemencée ne pourra
qu'augmenter, à mesure que des voies ferrées j
plus nombreuses en amèneront plus économique-
ment les produits aux poris d'embarquement
d'Odessa et de la mer d'Azov. ]
La cinquième zone de la Russie est celle des
steppes qui occupent les bassins inférieurs du
Dniepr, du Don et du Volga, et s'étendent le long
de la mer Noire et de la mer d'Azov jusqu'à la
Caspienne. Ces steppes, où ne pousse aucun ar-
bre, se recouvrent au printemps, après la fonte
des neiges, d une herbe savoureuse qui nourrit de î
grands troupeaux de bœufs, de moutons et de ,
chevaux. L'aliitude de ces steppes va en dimi- |
nuant du coté de la Caspienne, où brillent un
certain nombre de lacsrecouverts de cristauxdesel.
Productions agricoles. — Après les Etats-Unis,
la Russie est le pays du monde où l'on récolte le
plus de céréales (hûO millions d'hectolitres). Au-
cun ne la dépasse pour la production du lin et
du chanvre. La betterave est aussi de plus en plus
cultivée, dans la Pologne, le sud et l'ouest de la
Russie. La récolte des pommes de terre, très
considérable, est en partie convertie en alcool.
Les troupeaux sont très nombreux en Russie.
On y compte plus de IG millions de chevaux, soit
5 chevaux pour '.'5 habitants, tandis qu'en France
nous n'en avons que 2. Les trotteurs russes sont
recherchés pour leur rapidité ; les chevaux des
Cosaques sont connus pour leur rusticité et leur
résistance à la fatigue.
Sous le rapport des bêtes à cornes, des moutons,
des porcs, la Russie est aussi plus riche que les
autres pays de l'Europe, mais d'une manière abso-
lue seulement. Relativement à la population, l'Eu-
rope occidentale possède un plus grand nombre de
bêles à cornes, l'Angleterre et la France sont plus
riches en bétes à laine ; l'Autriche et l'Allemagne
ont la supériorité pour le nombre des porcs. La
Russie a donc encore bien des progrès à accomplir
pour tirer meilleur parti de son sol. L'émancipa-
tion des serfs sous le dernier règne a déjà fait faire
un grand pas en affranchissant les paysans et en les
rendant propriétaires. Mais, d'une part, les procé-
dés de culture sont souvent fort arriérés, et, d'autre
part, les institutions communales d'ujie grande par-
tie do la Russie, qui mettent les terres en com-
mun, ne stimulent peut-être pas autant les effort»
individuels que celles des pays où la propriété pri-
vée est constituée.
Industrie. — Mines. — La Russie possède dans
l'Ou rai de riches mines de métaux. Depuis un siècle
environ qu'on s'est mis à les exploiter on en a
retiré plus de 700,000 kilogr. d'or; elles produi-
sent annuellement oOÛO tonnes de cuivre, et c'est
à peu près le seul point du monde où l'on trouva
du platine.
Le fer forme de nombreux gisements autour de
Perm, et est aussi exploité à Pétrosavodsk, sur les
bords du lac Onega, où l'on trouve de riche minerai
de fer magnétique presque pur, et où cette extrac-
tion a fait établir une fonderio de canons et une
fabrique d'armes, dès le règne de Pierre le Grand.
De même Toula, qui est un petit Birmingham
russe, se trouve au milieu des mines de fer.
L'Oural renferme aussi des pierres précieuses,
comme la malachite, et des mines de sel gemme.
Le reste du sel consommé dans l'empire est fourni
par les lagunes des bords de la mer d'Azov et de
la mer Noire, et les lacs des steppes Les terrains-
houillers couvrent une grande surface en Russie,
mais sont encore fort mal exploités. Cependant en
dix ans, de 1804 à 1874, la quantité extraite a pres-
que décuplé et de 175,000 tonnes a passe à I, '200,000-
Bientôt sans doute la production nationale équi-
vaudra en importance à l'importation étrangère,
qui est de 'J millions de tonnes environ. Le prin-
cipal bassin est celui du Donetz; d'autres existent
en Pologne, sur les confins de la Silésie et dans
l'Oural.
Manufactures. — Les manufactures ne sont pas
encore très nombreuses en Russie ; ainsi l'indtis-
trie du coton, qui occupe le plus grand nombre
de bras et dont les produits atteignent la plus
haute valeur, ne possède encore que la moitié des
broches employées en France. Ces établissements
sont concentrés autour de Saint-Pétersbourg. Mos-
cou, Vladimir, et Lods, en l'ologne Après la filatiire
et le tissage des cotons, les principales industries
manufacturières de la Russie sont la fabrication
des draps à Moscou, en Pologne, et dans la Grande-
Russie en général ; la préparation des cuirs, re-
RUSSIE
— 1963 —
RUSSIE
cherchés pour l'odeur que leur communique
réoorce de bouleau qui sert îi les tanner ; la fila-
ture et le tissage du lin et du chanvre, qui se fait
dans les campagnes ; la construction des macliines,
la préparation des suifs, et des produits chiiniquos
tels que la potasse, pour utiliser les troupeaux des
steppes et les bois des forôts; la fabrication de
quincaillerie i Moscou, Toula, Nijni-Novgorod.
En résumé les manufactures forment cinq grou-
pes principaux autour do Moscou (c'est le plus
considérable), de SaiutPélersbourg, de Riga, de
Kiev, et eu Pologne. Et les industries qui ont fait
le plus de progrès pendant ces dernières années
sont celles du coton, du sucre de betterave, des
machines et des cuirs.
Commerce. — A l'extérieur, la Russie n'envoie
guère que des matières premières. Les céréales à
elles seules forment par leur valeur les deux tiers
de l'exportation générale. Puis viennent le lin à
l'état de graine ou de filasse, les bois, les laines,
le chanvre, et le bétail, souvent infecté par des
épizooties dont il transmet le germe dans les pays
de l'Europe occidentale, où on le transporte.
En échange on importe en Russie de la quin-
caillerie et divers objets manufacturés, tissus ou
autres, du thé, principale boisson des Russes et
qui jusqu'ici est apporté de Chine par les caravanes,
du coton venu de l'Asie centrale, des vins et li-
queurs, du tabac.
C'est avec l'Allemagne que la Russie entretient
le plus de relations commerciales, à cause de la
frontière commune aux deux Etats, par où passent
beaucoup de marchandises en provenance ou i
destination de l'Europe occidentale. L'Angleterre
vient au second rang, puis la France et l'Autriche-
Hongrie.
La plus grande partie de ce trafic s'opère par
mer; cependant l'importation est presque aussi
considérable par terre que par mer, parce qu'elle
comprend surtout des objets manufacturés et
chers que transportent les chemins de fer. Le
commerce maritime se fait plutôt par les ports de
la Baltique que par ceux de la mer Noiie ou de la
mer d'Azov et surtout que par ceux de la mer
Blanche et de la Caspienne. La mer Caspienne
occupe le dernier rang pour l'exportation, la mer
Blanche pour l'importation.
Ports de ttier. — Saint-Pétersbourg et Riga
sont les débouchés les plus rapprochés et les plus
commodes vers l'Europe occidentale de la Grande
Russie et de la Russie occidentale, qui forment
les régions les plus peuplées de l'empire. Revel,
en Ehstonie, et Libau, en Courlande, occupent
respectivement des positions plus avancées que
Saint-Pétersbourg et Riga, et sont plus vite dé-
barrassées des glaces. Viborg, Helsingfors et Abo
sont les principaux ports de la Finlande. Tagan-
rog, Rosiov et Berdiansk, sur la mer d'Azov,
Odessa, sur la mer Noire, sont les principaux dé-
bouchés des céréales de la région du Tchornozon
(la terre noire). Sébastopol, ruiné par la guerre
de Crimée et le traité de Paris qui avait neutra-
lisé la mer Noire en 185G, reprend son ancien rûle
depuis que ce traité a été dénoncé en l870. Il est
relié à Saint-Pétersbourg par un chemin de fer.
Ses fortifications relevées et augmentées sont plus
formidables que jamais. Son excellent port abrite
une flotte puissante. Nicolaiev, près de l'embou-
chure du Boug dans le liman du Dniepr, ren-
ferme les établissements militaires et les arsenaux
qui travaillent à l'armer. Nous avons déjà nommé
Kronstadt, près de Saint-Pétersbourg. Astrakhan,
bien que voisin de l'embouchure du Volga, ne
fait pas un grand commerce maritime. La pèche,
fort importante sur ce fleuve et dans la mer voi-
sine, alimente un grand trafic. Arkhangel, sur la
mer Blanche, a été dépossédée, par la fondation
de Saint-Pétersbourg, d'une grande partie des re-
lations qu'elle entretenait avec l'Europe occiden-
tale. Du reste, son port bloqué parles glaces pen-
dant plusieurs mois chaque année et la population
clairsemée qui l'entoure ne sont pas des condi-
tions favorables pour le commerce de cette ville,
malgré l'étendue du bassin de la Dvina qui y trouve
son débouché naturel.
Marine. — La flotte commerciale de la Russie
n'occupe qu'un rang secondaire dans le monde,
malgré les matériaux de construction que le pays
possède en abondance. Elle n'est que de 3 à
4 000 navires, jaugeant une centaine de tonnes en
moyenne. La flotte de guerre est de près de
400 navires, jaugeant 2JO,000 tonnes.
Navigation intérieure. — Bien plus considé-
rable est la flotte qui dessert la navigation inté-
rieure. On construit chaque année I0,0ii0 embar-
cations de cette sorte, dont la plupart sont dépe-
cées en arrivant au bas du fleuve qu'elles ont
descendu. Quelques-uns de ces bateaux de ri-
vière atteignent des dimensions considérables. Sur
le Volga, il y en a qui portent jusqu'à 2000 tonnes ;
400 tonnes est le maximum sur la Dvina ouïe Don,
200 sur le Dniepr.
Nous avons fait connaître, en décrivant les
fleuves et les rivières, les canaux qui relient leurs
bassins entre eux.
Ch'tnins de fer. — Le réseau des chemins de fer,
moins développé que dans les pays riches et in-
dustrieux de l'Europe occidentale, va en resser-
rant de plus en plus ses mailles. Actuellement, il
comprend 2;),OuO kilomètres en exploitation :
dix fois moins qu'en France, relativement à la su-
perficie des deux pays desservis. Moscou en est
le principal centre. Les points extrêmes en sont
au nord et à l'est: Vologda, Nijni-Novgorod, Oren-
bourg, Saratov, 'l'sarJlsin. Il s'avance jusqu'à Vla-
dikaukasz, au pied du Caucase, à Sébastopol, à
l'extrémité de la Crimée, se relie aux railways de
la Roumanie, de la Galicie et de la Prusse, et va
jusqu'à Abo, à l'entrée du golfe de Finlande.
111. Géographie politique. — Divisions admi-
nisiratwei et villes priiici/jales. — La Finlande
forme un grand-duché distinct du reste de l'em-
pire de Russie, mais soumis au même souverain.
Celui-ci y est représenté par un gouverneur géné-
ral qui préside le Sénat finlandais. Ce pays a des
représentants et des diètes qui ti'existcnt pas en
Russie. L'armée, la flotte, et toute l'adminis-
tration en général sont indépendantes de celles de
la Russie. Helsingfors (40,000 hab.) est la capi-
tale politique de la Finlande. Abo en est la mé-
tropole religieuse et judiciaire. Les Finlandais
sont en majorité luthériens et de race finnoise.
Les autres gouvernements de l'empire se clas-
sent en plusieurs grands groupes d'après leur
situation géographique, les traditions historiques,
les nationalités iju'ils renferment.
A l'ouest, les Provinces balliques comprennent
les gouvernements de Saint-Pétersbourg; d'Ehsto-
nie, capitale Revel ; de Livonie, capitale Riga ; de
Courlande, capitale Mitau. Los villes les plus con-
sidérables situées dans ce groupe sont la capitale
del'empiri'^qui renfermeprès de 700,000 habitants,
lliga, dont la population est de 100,000 habitants,
et Kronstadt (50,000 liab.}.
La Husste occidentale comprend les gouverne-
ments de Kovno, Vitebsk, Mohilev, Vilna (63,000
hab.), Grodno, la Volliyuie, capitale Jilomir, et la
Podolie, capitale Kamcnetz.
Cette région correspond au noyau de l'ancienne
principauté de Lithuanie.
Le royaume de Pologne est divisé en dix goii-
vernements, dont les chefs-lieux sont : Varsovie
(:i00,000liab.), la troisième ville de l'empire, Sou-
walki, Lomza, Plock, Kalisz, Piotkrov (ville prin-
cipale, Lods 40,000 hab.), Siedlce, Kielce, Radom
et Lublin.
RUSSIE
— 1964 —
RUSSIE
La Petite Russie comprend les gouvernements
de Kiev (130,000 hab.), avec Berditchev (environ
80 OOOliab. presqu' exclusivement juifs); do Tcher-
nigov, de Poltava, et de Kliarkov (près de 100,000
hab.)- Le principal centre de cette région, Kiev,
est une des métropoles religieuses de la Russie.
C'est par là que le christianisme a été introduit de
Constantinople en Russie, et les pèlerins viennent
se presser en foule autour de ses monuments
religieux. .
La Nourelle Russie ou Russi'^ méridionale a été
la dernière conquête faite par les tsars sur les
Turcs et les Tartars. Elle comprend la Bessarabie,
capitale Kichenev (100,000 hab.), villes principales
Akkermann (40,000 hab.) et Bender, sur le Dniestr ;
les gouvernements de Kherson (4.i,000 hab.),
■villes principales, Odessa (185,000 hab.l et Nico-
laiev (8;., 000 hab.); de Tauride, capitale Simfé-
ropol ; d'Ekatérinoslav, villes principales Tagan-
rog (S0,000 hab.l et Rostovsur le Don, grand port
d'expédition pour les céréales ; et le gouverne-
ment de l'armée du Don, chef-lieu Novo-Tcher-
kask, près de l'embouchure du Don.
La Grande Russie comprend tout le centre de
l'empire : au nord, les gouvernements d'Arkhan-
gel, Olonetz et Vologda; à l'ouest, celui de Nov-
gorod, première capitale de la Russie, peuplée au
moyen âge de plusieurs centaines de mille liabi-
tants quand elle était le centre du commerce de
la Russie avec les villes hanséatiques ; Pskov, sa
•voisine et sa rivale à cette époque, est la capitale
d'un autre gouvernement de la Grande Russie. ,
Puis viennent ceux de Tver, laroslav, Kostroma,
Vladimir, Nijni-Xovgorod (45,000 hab.), Kiazan,
Toula (00,000 hab.), Kalouga et Smolensk, grou-
pés autour du gouvernement central de Moscou.
■Cette dernière ville renferme plus de 600,000 ha-
bitants. Enfin, dans le sud de la Grande Russie,
se trouvent les gouvernements d'Orel, Tambov,
■Koursk et Voronej.
A l'est de la Russie, l'ancien royaume de Knznn
comprend les gouvernements de Viatka, Perm
(celui-ci, achevai sur l'Oural, appartient en partie
h l'Europe et en partie à l'Asie), Kazan lOO.OOi)
hab.) et Simbirsk. Principal centre des popula-
tions tartares de la «ussie, Kazan est en même
temps une ville universitaire.
L'ancien royaume d'Astrakhan comprend les
gouvernements d'Oufa et Orenbourg (à cheval sur
l'Oural), Samara'(50,000 hab.), Saratov,{85,000 hab.),
et Astrakhan (50,000 hab.).
La lieutenance du Caucase s'étend au nord de
cette chaîne en Europe, et au sud, en Asie. La
partie du nord comprend les gouvernements de
Stavropol et les territoires du Kouban, sur la
mer d'Azov, et du Tcrek, sur la mer Caspienne.
Population. — D'après les derniers recense-
ments officiels, la population de la Russie d'Europe
(sans la Finlande, la Pologne et le Caucase) était
de 06 millions d'habitants, celle de la Finlande de
2 millions, celle de la Pologne de G millions et
demi. Enfin la partie septentrionale du Caucase
renferme 1,850,000 liabitants. Cette population
augmentant très rapidement (1 million par an),
elle doit dépasser maintenant 80 millions. D'après
les recensements successifs, on a calculé qu'elle
doublait en 05 ans, tandis qu'en France ce n'est
qu'au bout de plus de 200 ans qu'on arriverait i
ce même résultat. Et comme la vie moyenne est
beaucoup plus courte en Russie que dans le reste
de l'Europe (24 ans seulement), il faut que le
nombre des naissances y soit très considérable.
Cette population est encore très peu compacte.
En moyenne, on ne trouve guère sur l'ensemble
de la Russie d'Europe que 15 habitants par kilo-
mètre carré. La Suède et la Norvège offrent seules
en Europe des populations encore plus clairsemées.
La rigueur du climat en est en partie la cause ;
mais, dans la Russie méridionale, il y a encore
bien des terres fertiles à mettre en culture dans
la steppe, et des colonies à fonder, comme on l'a
déjà fait à plusieurs reprises, notamment avec des
Allemands dans la Nouvelle Russie.
Actuellement la population est très inégalement
distribuée. C'est autour de Moscou et au sud de
cette ville, dans la Grande Russie, \h où se trou-
vent réunies les ressources de l'industrie et de
l'agriculture, que les habitants sont le plus pressés.
Le même fait a lieu en Pologne pour la même
raison. Et encore dans aucun gouvernement la
densité kilométrique n'atteint-elle le cliiffre de 60
habitants, tandis que la moyenne de la France
entière est 70. Mais autour de ces régions relative-
ment populeuses de la Russie, la densité va sans
cesse en diminuant, pour ne plus être que de 3
habitants par kilomètre dans les steppes qui bor-
dent la Caspienne et do moins d'un habitant par
deux kilomètres dans le bassin de la Petchora.
Races. — La Russie, ayant servi de grand che-
min à toutes les invasions qui, de l'Asie, se sont
avancées vers l'Europe, garde dans son sein des
restes de toutes ces races successives qui ne se
sont pas encore fondues les unes dans les autres.
Au centre dominent les Slaves, d'origine aryenne
comme les peuples de l'Europe occidentale, mais
plus ou moins altérés par leur croisement avec les
races jaunes qui, sous le nom de Finnois, au
nord, et de Tartares, slm sud, ont menacé h diverses
reprises de les absorber, avant d'être définitive-
ment vaincus.
I Les Slaves, qui semblent être les descendants
des Sarmates ou Scythes de l'antiquité, se sont
eux-mêmes divisés en plusieurs branches souvent
en lutte les unes contre les autres, et différant
entre elles par les mœurs et la langue.
Les Grands Russiens ou Moscovites, les plus
nombreux puisqu'on en évalue le nombre h 40 mil-
lions, ont souvent été accusés par les autres
Slaves d'être des Mongols, des Tartares ou des
Finnois usurpant la nationalité slave. Ils sont
seulement de sang plus mélangé que les autres
Slaves, et ont su établir leur suprématie dans
l'empire.
Ees Petits Russiens, au nombre de IG ou U
millions, s'appellent aussi Oukrainiens, et occu-
pent tout l'espace compris entre le Doiietz en
Russie, le San (tributaire de la Vistule) en Galicie,
et les sources de la Theiss.
Les Polonais, au nombre de 5 millions, for-
ment un groupe de Slaves bien compact, avec
quelques îlots dispersés dans la Petite Russie et
la Russie Blanche.
Cette dernière comprend les plaines couvertes
de forêts qui s'étendent de la rive gauche de la
Duna aux marais du Pripet. Les Russes blancs
sont au nombre de 3 à 4 millions.
Les Juifs (sémites), au nombre de 3 millions, se
rencontrent dans toutes les villes de commerce
de l'ouest de l'empire.
Les autres races aryennes sont moins forte-
ment représentées. Les Letles, qui habitent la
Livonie et la Courlande, dépassent le million; les
Lithuiniiens, au nombre de 1,000,000, occupent le
bassin du Niémen depuis Vilna jusqu'à la mer.
Un million à'.illemands sont dispersés dans
tout l'empire, notamment à l'état de cultivateurs
dans les colonies agricoles de la Nouvelle Russie.
Ils occupent aussi beaucoup de fonctions admi-
nistratives; le commerce, la fortune et la pro-
priété du sol sont entre leurs mains dans les
provinces baltiques. Presque aussi nombreux sont
les Roumains, anciens Daces latinisés qui occupent
la Bessarabie. ,
Les Suédois, anciens maîtres de la Finlande, y
sont encore au nombre de 300 nOO. Puis viennent
des Grecs, des Arméniens, des Rutyares, des
RUSSIE
— 1965 —
RUSSIE
Set-bes, priiicipalemont établis au voisinage de la
mer Noirn.
_ Parmi los races finnoises, les Fmlandais se dis-
tinguent par leur degré avancé de civilisation. Us
l'emportent aussi par le nombre, car ils sont plus
de 1,800,000 entre le golfe de Finlande et le golfe
do Botnie. Les Knréliens, qui leur confinent à
l'est et s'étendent jusqu'au bord de la mer
Blanche, sont de même race que les Finlandais,
mais s'en distinguent par leur taille plus élancée
et la couleur brune de leurs cheveux. Ils sont
3,00000.
Au sud du golfe de Finlande, ot jusqu'au lac
Péipous, habitent 800,000 Ehstes et Livonkns,
frères de race des Finlandais.
Le bassin du Volga renferme de son côté d'au-
tres Finnois : ce sont les Mordues ou Mordvines,
au nombre d'un million, entre l'Oural et les
sources de l'Oka ; les Tchouvachfs, au nombre de
700,000, dont le gouvernement de Kazan forme le
centre; les Votiaks (Viatka) et les Tcliéréniisses,
qui occupent aussi les bords du Volga. Puis, au
nord, d'immenses espaces sont occupés par les
Pet-miens (150,0(i0), les Lapons et les Samoyédes,
au nombre de quelques milliers seulement. Les
Lapons s'étendent au nord des Finlandais jus-
qu'en Suéde; les Samoyédes occupent tous les ri-
vages de l'océan Glacial, à l'est de la mer
Blanche.
Ces derniers sont frères de race des Kalmouks,
autres llongols de religion bouddhique, qui habi-
tent les steppes de la Caspienne, entre le Don et
le Vol^a, et y mènent, au nombre de 120,000, une
existence exclusivement pastorale.
Parmi les représentants de la race tartare, les
principaux sont les Tartaresde Kazan, au nombre
de plus d'un million, les Daclikirs des gouver-
nements d'Oufa et d'Orenbourg (750 000), les
Kirghiz des bords de la Caspienne (180 000), les
Tartares de Crimée.
Reliyions. — Toutes ces races, très différentes
au point de vue des mœurs et du degré de civi-
lisation, n'ont pas adopté le même culte. On
compte 05 millions de chrétiens grecs qui suivent
la religion orthodoxe, dont le tsar est le chef, et
dont la direction est confiée à un saint-synode.
Mais dans ce nombre sont comprises de nom-
breuses sectes hérétiques, dont les adeptes cher-
chent à se cacher pour éviter la persécution offi-
cielle. Certaines de ces sectes refusent le service
militaire, d'autres ne reconnaissent pas le clergé
actuellement en exercice; il y en a une enfin
qui prêche la mutilation.
Il y a peu de pays au monde où les pratiques
religieuses soient plus observées qu'en Russie, où
les reliques soient plus honorées, les pèlerinages
plus nombreux malgré la longueur et les fatigues
des voyages, les jeûnes plue fréquents.
En dehors du culte orthodoxe et des sectes dis-
sidentes, on compte en Russie 8 millions de catho-
liques romains, principalement en Pologne, 3 mil-
lions de protestants, autant d'Israélites, i millions
Ë' demi de niahométans. Beaucoup de peuplades
arriérées, comme les Tchérémisses, bien que con-
vertios;nomiualement au culte orthodoxe, ont con-
servé beaucoup de coutumes des anciens cultes
païens ou musulmans qu'elles ont successivement
pratiqués. Les Samoyédes sont encore païens.
Gouvernement. — Le gouvernement de la
Russie est une autocratie absolue, et ne peut pas
être comparé aux gouvernements parlementai-
res de l'Europe occidentale Ce n'est que depuis
moins de deux cents ans que Pierre le Grand
a commencé à, tirer les Uusses de l'état de bar-
barie où les avait plongés l'invasion mongole ,
sous laquelle ils avaient succombé. Ce n'est que
le tsar Alexandre II qui a entrepris l'émancipation
des serfs. Les assemblées électives n'ont com-
mencé qu'avec l'Institution des Zemslvos, élus-
dans cliaquo gouvernement par les trois corps do
la noblesse, du clergé et des paysans. Leurs attri-
butions ne sont du reste pas fort étendues, et la
gouvernement central, au besoin, casse les assem-
blées, quand leurs décisions lui déplaisent.
L'état de l'empire, au point de vue de la liberté,
est singulièrement différent de celui de tous les
autres pays voisins. La police y est toute puis-
sante et fait déporter suivant son bon plaisir
les citoyens en Sibérie. Cette absence de liberté
de la nation ne semble pas avoir procuré aux
souverains et aux personnages qui les entourent
une sécurité on rapport .avec leur puissance,
puisque la Russie a été à diverses reprises ensan-
glantée par de terribles attentats, auxquels les
Nihilistes doivent actuellement leur sinistre ré-
putation.
Armée. — Comme puissance militaire, la Russie
occupe un des premiers rangs dans le monde.
C'est elle qui peut lever le plus do soldats, et ses-
troupes ont montré dans plus d'une guerre d'ex-
cellentes qualités de bravoure, de discipline, do
résistance aux privations. L'abnégation entre dans
leur caractère qui n'est pas exempt de fatalisme»
et le dévouement h. la personne du tsar est un
véritable culte dans l'armée.
Parmi les soldats russes, il convient de citer
les Cosaques, qui conservent toujours leur orga-
nisation militaire et dont le grand-duc héritier
est Vatuman ou chef nominal. Leur origine re-
monte au temps où les Tartares dominaient
encore dans la steppo, d'où ils poussaient cha-
que année leurs expéditions de pillagei sur les
terres occupées par les chrétiens. Ceux-ci leur
opposèrent les Cosaques, soldats d'aventure, qui
s'établirent dans le pays disputé entre les deux
nations et y contractèrent l'Iiabitude de la guerre
dans leurs luttes et leurs combats continuels.
Possessions en deliors de l'Europe. — Nous
avons décrit, h l'article Asie, les possessions des
Russes au sud du Caucase, dans l'Asie centrale
et en Sibérie. En joignant la superficie de ces
possessions (16 millions et demi de kilomètres^
carrés) il celle de la Russie d'Europe (5 millions
et demi), on trouve pour l'empire russe entier
une étendue plus grande que celle de toutes les
possessions anglaises réunies. Nul souverain au
monde ne règne sur des Etats aussi grands que
ceux du tsar. Ajoutons que la Russie ayant fait
en Asie des progrès considérables, sur lesquels
elle ne semble pas appelée à revenir, cette supé-
riorité n'est probablement pas près de disparaître.
Mais un plus grand nombre de sujets reconnais-
sent l'autorité de l'empereur de la Chine ou celle
de la reine des Iles Britanniques, impératrice
des Indes. En chiffres ronds, le premier règne sur
400 raillions d'hommes, la deuxième sur 250, et
le tsar sur 100 millions. [G. Meissas.]
nUSSIE (Histoihe et littérature). — Histoire
générale, XXXIll ; Littératures étrangères, XX. —
Chacun sait que l'Europe moderne est partagée
entre trois grandes races rivales. Les Latitis en
occupent l'ouest et le sud; les Germnnis le nord
et le centre ; les Slaves sont massés en orient.
Chacune de ces grandes familles se subdivise en
un certain nombre do peuples unis entre eux par
la communauté d'origine, la similitude des moeurs
et surtout l'analogie des idiomes. Chez les popu-
lations latines comme chez les populations germa-
niques, la même race est représentée par un cer-
tain nombre de nations indépendantes qui se font
équilibre et rendent impossible l'absorption des
différents peuples en un seul. Chez les Slaves, au
contraire, derniers nés de la civilisation euro-
péenne, les divers rameaux de la branche com-
mune tendent manifestement à se réunir en un
seul et immense État. Cet État, c'est la Russie,
RUSSIE
— 1966 —
RUSSIE
qui paraît douée d'une puissance expansiye et
lune force d'assimilation supérieures à colle de
l'Allemagne, et au moins égales à celle des Etats-
Unis d'Amérique. . . , , . „„„
Nous ne pouvons raconter ici la longue et con-
fuse histoire du peuple russe, qui n'est autre (|ue
celle de l'Europe orientale, bornons-nous hjesa-
mer en quelques mots les origines de la Uussie
primitive, à rappeler les grandes étapes qm ont
signalé sa marclie, son développement social et
ses conquêtes jusqu'il l'époque contemporaine.
Nous terminerons par un expose rapide de la si-
tuation actuelle du pays et de ses destinées pro-
''t'ïés origines d, la Russie. - C'est aux histo-
riens grecs et aux monuments scythiques seuls
que nous pouvons demander le peu que no"s sa-
chions sur la Russie primitive. Vers le sixième
siècle avant J.-C. des colons grecs partis les
uns de Milet, les autres de Mégare fondaient
sur la côte s'eptentrionale du Pont-Euxin me
Noire) les premiers établissements d ou soilirent
peu à peu les cités commerçantes d Odessos de
Tyras, d'Olbia (aux bouches du Dniepr), de Cher-
sonnesos (non loin de Sébastopo ), de Palakion
(Balaklava ,Tl.éodosie (Caffa) Pantiçapée (Kertc 11,
Phanagorie (sur le détroit d'Ienikale), Tanais (sur
le Don) et divers comptoirs sur le flanc du Cau-
case Dans la grande plaine qui s'étend au nord
de ia mer Noire, les voyageurs et les colons
grecs découvrirent de nombreuses tribus barba-
res que l'historien Hérodote nous a dépeintes.
Ces^aces primitives et nomades, tour à tour con-
nues sous les noms de Cimmoriens de Scjtlies
de Massagètes, de Sarmatcs, sont les premières
nui nous apparaissent comme ayant peuple le
grand déserïde la Russie du sud. Les kourganes
sorte de monticules oblongs iiui parsèment la
plaine russe au nombre de plus de trente mille
sont les seuls monuments que ces tribus errantes
et les Slaves qui leur succédèrent aient laisses.
L'ouverture de ces tombes où reposent les sque-
lettes des guerriers barbares, a révèle aux moder-
nes archéologues de curieux détails sur la religion,
les mœurs et les usages de ces temps primitifs
uremière époque de civilisation rudimcntaire par
laquelle tous les peuples ont successivement passe.
Survint la grande migration des races qui bou-
leversa le monde barbare et détermina la chute
de ['empire romain. Les Alains les Goths, es
Huns élevèrent tour à tour sur 1 Europe orientale
leur fragile domination. Les Roxolans (Russesi
avaient déji paru, s'efforçant de briser le joug
imposé par la nation germanique des Golhs Au
milieu de la grande bataille des f 7'«^;, <>" « "
trevoyait vaguement se dessiner la famille i^lnie
(c'est-à-dire « les hommes 9'",f°'''^"' ,»• P^f "P;
position aux Germains, appelés par les Slaves
« les muets "1. Au ix* siècle de notre ère, les
Slaves occupaient déjà la Russie occidentale et
Ta Pologne^'^du lac llmen aux monts Karpathes
etiusqu^au cours moyen du Dniepr. Mais ils étaient
divisés en tribus nombreuses, errantes, toujours
en armes. De tous côtés les entouraient des races
ennemies : au nord-ouest, les Finnois, population
mystérieuse et primitive ; à l'ouest, «ur le Nié-
men et la Duna, les Lithuameus, qui se fond -
rent plus tard avec les Polonais ; au sud et k 1 est,
d'innombrables peuplades turques, aussi féroces
que sauvages, les Avars, l-s Kh„zars, les Dolga-
res, les pelrhé'iégues et les P^lovlsi. .
L'espace nous manque pour esquisser ici le
tableau des mœurs de la Slaùe primitive, la reli-
gion sans prêtres du dieu Péroun, les cnants des
bardes la légende des héros (Hia de Mourom),
les funérailles et les mariages. Notons pourtant
deux institutions politiques, le mir (ou la coni-
mune souveraine), le volost (ou le .canton auto-
nome), si profondément conformes au génie par-
ticulier des peuples slaves, qu'aucune révolution
depuis lors n'a pu les effacer.
La grande ville de Novgorod était déjà le centre
des SÎaves du Nord, entre les sources du Volga
et le golfe de Finlande. C'est là qu'arrivèrent, à
l'appel des habitants, quelques aventuriers Scan-
dinaves, frères des Normands qui dès lors infes-
taient les côtes de France. On les appelait les
Vai-ègues. Leurs trois chefs, Rourik, Sinéous et
Trouvor, allaient fonder, grâce à leur supériorité
militaire, le premier empire russe sous des chefs
étrangers (8m2). ....
Deux autres guerriers Varègues fondaient, vers
le même temps, une domination éphémère a
Kiev, où ils furent massacrés par le successeur
de Rourik, après avoir tenté do surprendre Cons-
tantinople. .
II. Dominatinn de Kiev. Les princes hormands.
— Maître de Kiev par ce double meurtre, Oleg,
frère de Rourik, y établit le centre du nouvel em-
pire, qui s'étendait de Novgorod aux frontières de
la Hongrie. Il tenta contre Constantinople une
expédition qui faillit réussir (i)07). Son succes-
seur I<'or, fils de Rourik, renouvela cette ten-
tative avec une nombreuse fl.ittille. Byzance ne
fut sauvée que par le feu grégeois. De retour en
Russie, Igor fut pris et massacré par les Drevlia-
nes (94.i). , ,,„
Sa veuve, la .< sage « Olga, le vengea cruelle-
ment en brûlant la ville de Korostliène. Convertie
au christianisme dans un voyage à Constantino;
nie elle s'efforça vainement d'entraîner à la loi
nouvelle son fils Sviatoslav. Celui-ci, poussé par
l'esprit d'aventure et la soif des conquêtes, comme
nos premiers Mérovingiens, entraîna ses jiordes
guerrières du Don jusqu'au Balkan (9i;4-9i2). Là,
il écrasa la nation des Khazars. Ici, il fit trem-
bler l'empire grec et soumit toute la Bulgarie.
Mais le vaillant Jean Zimiscès le repoussa d An-
drinople et extermina son armée sur le Danube,
à Dorostol (Silistrie). . ... „
Cependant l'heure était venue où 1 influence
byzantine allait amener le triomphe du christia-
nisme chez les princes de Kiev. Vladimir, un des
trois fils de Sviatoslav, après avoir massacre ses
frères et conquis leurs provinces, tout couvert de
crimes comme notreClovis, imagina de reformer
le vieux culie des Slaves. Il faut lire dans le chro-
niqueur Nestor, moine de Kiev, la curieuse his-
toire de l'ambassade envoyée par le barbare pour
étudier tour à tour la religion des juifs, des ma-
hométans, des catholiques et des grecs byzantins,
les scrupules de Vladimir, sa conversion et son
mariage avec une princesse de Constantinople , la
destruction de l'idole Péroun et le baptême donné
en masse à tout le peuple de Kiev descendu dans
les eaux du Dniepr. Vladimir mort (1015), une
guerre d'extermination commença entre ses nom-
breux fils. , . . „„„,, i
Jaroslav, l'un d'eux, reste vie orieux, POrta »
son plus haut point de grandeur '^ P"'f ^,"J« ^^!
nrinces de Kiev (lOlG-lOâi . H soutint I attaque
des Polonais sous Boleslas le Brave, extermma de-
vant Kiev l'armée des l'etchénè.ueset envoya son
fils assiéger encore Constantinople. Jaroslav est
Te Charlemagne de la Russie. Il fit de sa capitale
de Kiev .< aux quatre cents églises », le çlu^ grand
centre commercial et l'"eraire de 1 0 lent Tous
les rois recherchaient son alliance. Casimir de
Polosne éoousa sa sœur. Les souveiMiiis de Hon
grt.^de SuMe et môme de France épousèrent ses
trois filles mariage d'Anne avec ««"" .?, )• ';;^
Russie Kiévienne était dès lors un grand Ltat eu
ropéen. Elle n'allait pas tarder à retomber au m
veau de la barbarie asiatique. A„„„„„ntable
m. Vnnarchie priucière. - Une épouvantable
anarchie, comparable à celle que nous montrent
RUSSIE
— 1967 —
RUSSIE
les derniers Carloviiigioni=, éclata après la mort
de Jaroslav. Diverses principautés indépendantes
se formèrent autour de Smoli'iisk, de Tclierjiigov.
de lUazan, de Snusdul, de Kiev, do Polotsk. Au
nord, Pskov et Novgorod redevinrent des villes
libres. L'unité morale de la nation se maintenait
pourtant encore par les mœurs, par la langue et
par la suprématie tliéorique du grand-prince de
Kiev.
Deux noms se détachent parmi ceux des nom-
breux compétiteurs qui se décliirèrent l'empire
d'Iaroslav: Sviatopolk (I093-I I i:j) et Vladimir Mo-
nomaque (1113-1125). Ce dernier, vainqueur des
Grecs et des barbares petcliénègues, a laissé un
testament curieux sous forme do « Conseils i ses
fils, » où les traits caractéristiques de l'esprit
slave se manifestent avec une puissante origi-
nalité.
Finalement le pouvoir central fut brisé. Kiev
succomba sous les coups des princes de Sousdal,
de Vladimir et do Rostov, réunis par André Bo-
golioubski (11(9). Elle fut une seconde fois ravagée
par les Polovtzi (1203). La prépondérance allait
passer à la liussie du Nord, à la Russie barbare
des forêts du Volga.
André Bogolioubski, prince do Sousdal (1157-
1174), soupçonneux, despote, ami des prêtres, es-
saya d'inaugurer le gouvernement autocratique,
terrorisant le peuple elles boiars (seigneurs). Il fut
assassiné. Undeses successeurs, Georges II {1J12-
123S), entama contre les républiques de Novgorod
et de Pskov une guerre sans pitié. Il fut vaincu à
Lipetsk (121G), mais se retourna vers l'Orient où
il fonda une cite nouvelle, Nijni-Novgorod (1220),
qui devait attirer à elle tout le commerce du
Volga.
De leur côté les princes de Volbynie, Roman
et son fils Daniel, appelés par les Galiciens, es-
sayaient d'établir sur cette province polonaise
leur tyrannie maintenue à force de supplices.
L'anarchie était partout. Au nord, enorgueillies
par la victoire de Lipetsk, dominaient les commu-
nes libres, Pskov, Viatka et Novgorod la grande,
fières de leur commerce et de leur indépendance.
Sur cette Russie divisée, affaiblie, allait s'abattre
une triple et formidable invasion.
IV. Les invasions du treizième siècle. — La
conquête (d'cmande. — Depuis longtemps l'in-
fluence de l'empire d'Allemagne se faisait sentir
sur les provinces riveraines de la Baltique. De
même que jadis Cliarlemagne avait conquis et
dévasté la Saxe païenne en s'appuyant à la fois
sur ses guerriers et ses missionnaires, de même
les missionnaires catholiques et les chevaliers
allemands apparurent à. la fois en Livonio et en
Courlande. En vain les Livoniens soulevés massa-
crèrent les envahisseurs (ll98K Le pape Innocent
III prêcha contre eux une croisade, et l'évêque al-
lemand Albi'rt de Buxliœvden, en fondant Riga
(1200), donna une capitale au nouvel Etat des che-
valiers Poiie-g/aives. Les Livoniens furent écrasés
(120G), puis chassés, traqués comme des bêtes
fauves par les tyrans germaniques. Partout s'éle-
vfcrent des églises et des forteresses allemandes.
L'Esthoniemème fut conquise. Une seconde con-
frérie religieuse et militaire, celle des chevaliers
Teutoniqices, vint achever (1237) la soumission et
la ruine du pays.
V. L'i conquête des Tatars- Mongols. — Un
danger plus terrible allait fondre sur les princi-
pautés slaves. Partis des montagnes de Chine, les
féroces Tatars-Mongols, semblables aux Huns
d'Attila, venaient de constituer un vaste empire
sous Gengis-Kl.an (1 164-1227J. A la seule nouvelle
de leur approche, l'Europe trembla dépouvante.
Cinc^ siècles auparavant, Charles-Martel avec ses
Francs avait arrêté, devant Tours, l'invasion des
Arabes. Qui arrêterait celle des Asiatiques? Les
Polovtzi furent écrasés. Les princes russes, réunis
un moment par le péril commun, voulurent les
venger et subirent un vrai désastre sur les bords
de la Kalka, non loin de la mer d'Azov (1224). Le
massacre et l'incendie signalaient la marche des
barbares. Us revinrent bientôt sous Batou (1237),
saccagèrent la grande ville de Bolgary, extermine-
ront l'armée du prince de Riazan, brûlèrent
Sousdal, Moscou, Kolomna, Vladimir, terrorisant
toute la région du Volga (1238). Puis ce fut le tour
des provinces du sud. Tchernigov, Kiev, la
Volhynio, la Galicie, furent dévastées. «Les têtes
russes tombaient sous l'épée des Tatars comme
l'herbe sous la faux. » Cette fois l'Europe latine
était ouverte a. l'invasion. Les Polonais et les
Allemands arrêtèrent les barbares à la journée de
Liegnitz, en Silésie (r242).
Les Tatars se replièrent. Batôu leur chef établit
sur le Bas-Volga sa capitale, qu'il nomma Sarai.
Ce fut le centre du nouvel empire de la Horde
d'or. Batcu mort (12.i5), les Tatars embrassèrent
l'islamisme (127'2). C'était l'époque où les croisa-
des en Occident venaient de linir (mort de saint
Louis, 1270). Elles allaient recommencer en
Orient sous les princes moscovites.
L'Europe latine n'y prit aucune part. Convertis
par Byzance, ayant reçu le christianisme sous la
forme grecque ou orthodoxe, les Russes n'avaient
aucun secours i espérer de l'Occident catholi-
que. Les Polonais eux-mêmes, bien que Slaves de
race, mais convertis par Rome et sous la forme
latine ou catholique, devaient être ])our la
Russie de dangereux rivaux plutôt que des alliés.
Un prince habile et populaire, Alexandre
Nevski, releva les courages. Héiitier de la Sous-
dalie, et choisi pour clief par la grande commune
de Novgorod, il avait à faire face aux chevaliers
Porte-glaives, aux Scandinaves et aux Tatars. Il
attaqua vaillamment l'armée Scandinave que le
pape Grégoire IX avait appelée à la croisade contre
les chrétiens grecs, et remporta sur elle la célè-
bre victoire de l'Ijora près des bords de la Neva
(1240). Se retournant contre les Porte-glaives, il
reprend Pskov et disperse l'armée allemande à la
bataille livrée sur la glace du lac Peipous (1242).
Mais l'immense empire des Tatars était autre-
ment redoutable. Alexandre Nevski préféra la
soumission à la ruine. Par son conseil, la fière
Novgorod accepta la suzeraineté des barbares
(1260). Mais Vladimir et Sousdal avaient massa-
cré leurs garnisons mongoliques (IVU2). .\lexan-
dre courut offrir sa tête au khan des Tatars,
qui l'épargna. La Russie reconnaissante a mis
Alexandre Nevski au nombre de ses saints na-
tionaux.
L'invasion asiatique s'était arrêtée, mais le pays
restait esclave. Courbés sous un joug atroce,
les Russes allaient voir périr le germe de leurs
institutions nationales, se creuser le fossé pro-
fond qui les séparait déji de l'Europe catholique,
et semblaient destinés à retomber dans la bar-
barie à l'heure même où l'Occident latin allait
se dégager des misères du moyen âge.
VI. Lu conqupte Lithuanienne. — Malgré les
efforts des chevaliers Teutoniques, la Lithuanie
était encore indépendante et païenne. Un do ses
chefs, Mindvog ou Mendog, fut proclamé roi (1252),
embrassa puis abjura le christianisme romain.
Sous le vaillant Gédimine ou Giedymin (1315-
1340), la Lithuanie s'agrandit de Grodno à Tcher-
nigov et à Kiev. Vilna en fut la capitale. Sous
Olgcrd, les Liiliuanions parcoururent la Russie
de Moscou à la Crimée, ébranlant le joug des
Tatars. Un de ses iils, le sanguinaire Jagellon,
décida du sort de la Lithuanie (137S-I434). Il se
convertit au christianisme catholique pour épouser
la reine Hedvvige, héritière du trône de Pologne
(138G). Les doux Etats allaient désormais s'unir on
RUSSIE
— 1968 —
RUSSIE
un seul. La conversion sommaire du peuple suivit
celle de Jagellon.
Vitovt ou Vilold reprit, sous Jagellon, l'œuvre
de la conquête. Une ruse déloyale lui donna
Smolensk. 11 osa défier les Talars de Sarai, et
leur livra bataille sur les bords de la Vorskla,
non luinde Poltava (1399). Il fut vaincu et perdit
Kiev. Mais sa victoire sur les chevaliers Teuto-
niques compensa cette défaite. A la journée de
Tannenberg ou Griinwald (1410), la grande armée
polono-lithuanienne écrasa les 80,000 hommes
d'Ulrich de Junginnen. Ainsi se formait un grand
Etat militaire, aux mœurs polonaises, à la religion
gréco-russe. L'union définitive avec la Pologne
s'accomplit en 1501.
Vn. Domi}iation de Moscou. — Les premiers
princes Moscovites. — La Russie avait été organisée
militairement par les Normands Varègues. Elle
avait reçu son organisation religieuse et politi-
que des Grecs byzantins. Les relations fréquen-
tes avec Constantinople avaient fait établir alors
la capitale sur les bords du Dniepr. C'est l'épo-
que de la domination de Kiev. La triple inva-
sion des xiii'= et xiV siècles dispersa les débris
de cet empire, rompit toute relation avec la Grèce
et rejeta les Russes sous la main des barbares
d'Asie. Le centre de la nationalité renaissante
fut reporté sur un affluent du Volga, le plus asia-
tique des fleuves russes. Kiev avait été une ville
à moitié byzantine. Moscou fut une cite à moitié
mongolique et l'est restée en dépit du temps et
des hommes, tandis qu'une troisième capitale,
celle-ci européenne, s'élevait plus tard sur les
bords de la Neva grâce au génie de Pierre le Grand.
Placés, comme les premiers Capétiens, au cen-
tre d'un grand pays morcelé par une féodalité
barbare; soumis en outre à la domination bru-
tale des Tatars-Mongols, les premiers princes de
Moscou entreprirent contre leurs innombrables
adversaires une lutte où la perfidie et la ruse
furent employées de préférence aux moyens che-
valeresques. Humbles devant les Tatars, arro-
gants devant leurs compatriotes, peu belliqueux,
grands acheteurs de terre, fort amis du clergé,
protecteurs des moines de Troitsa, les grands-
princes moscovites agrandirent lentement l'hum-
ble domaine fondé par Daniel, fils d'Alexandre
Nevski. Tels furent le servile Georges Danilo-
vitch (13l)3-13"25), le persécuteur de Michel de
■iver et l'humble ami des khans ; Ivan Kalita
(1328-1340), le dévot; Siméon le Superbe (1340-
(1353), qui remplit le Kremlin d'églises, Ivan II
le Débonnaire (1353-1359), et Dmitri de Sousdal.
Cependant, l'empire éphémère des Tatars tom-
bait en ruine. Un héros apparut, le valeureux
Dmitri Ivanovitch, plus célèbre sous le nom de
Dmitri Donskoï (1363-1389). Débarrassé de ses
premiers adversaires, les princes de Tver, de
Riazan et de Lithuanie, il fond sur l'armée ta-
tare, la bat sous Riazan (I37S), la poursuit aux
rives du Don, et remporte, sur toutes les hordes
réunies du grand-khan Marnai, l'inoubliable vic-
toire de Koulikovo ou du « Champ des bécas-
ses » (1380). Moscou fut reprise, il est vrai, et
saccagée. .Mais l'héroïsme des vainqueurs de Kou-
likovo avait porté à la domination étrangère un
coup mortel, tout comme, à la même époque, la
vaillance de Du Guesclin et l'habileté de Char-
les V émancipaient une première fois la France
de la domination des Anglais.
VassiliDmitriévitch(13î>9-1425) etVassili l'Aveu-
gle (liib-\iij'l) revinrent à la politique de pru-
dence et de servilité. Elle leur réussit. Le pre-
mier, enfermé dans Moscou, laissa passer les
invasions lithuaniennes et tatares. Le second,
après vingt ans d'efforts, parvint i se débarrasser
des princes apanages Georges et Cliémiaka, et fit
trembler Novgorod.
Trois hommes, Ivan le Grand, Vassili Ivanovitch
et Ivan le Terrible, achevèrent la révolution lente-
ment commencée par les premiers princes mosco-
vites. En Angleterre, en France, en Espagne, les
Tudors, Louis XI et Ferdinand le Catholique éle-
vaient la royauté sur les débris du monde féodal.
Telle fut aussi l'œuvre des princes de Moscou, et
quelle qu'ait été leur férocité, leur perfidie, leur
violence, c'est à eux que la Russie dut son unité
nationale et sa délivrance.
Ivan m le Grand, véritable créateur de l'empire
moscovite, soumit d'abord la turbulente cité de
Novgorod (1471-1481) et détruisit toutes ses fran-
chises ; dompta Viatka (1489) ; annexa Tver, Ros-
tov et laroslavl. En même temps, il secouait 1&
joug des Tatars (148U), et prenait sur l'Islam la
grande ville de Kazan (1487). Deux guerres heu-
reuses contre les Lithuaniens portèrent sa fron-
tière à la Desna, puis à la Soja (1494 et 1503). Ta-
tars, Lithuaniens, chevaliers Porte-glaives étaient
partout vaincus. Le mariage d'Ivan avec une prin-
cesse byzantine, Sophie, iille de Thomas Paléolo-
gue (1472), ouvrit la Moscovie barbare h l'influence
heureuse de la Renaissance et de la Grèce. Aris-
tote Fioraventi organisa l'artillerie russe. Pié-
tro Antonio construisit des palais et Théodore
Lascaris fonda des bibliothèques.
Sous Vassili Ivanovitch (1505-1535), le mouve-
ment ne s'arrêta pas. La république de Pskov
anéantie (1510), Riazan et Novgorod-Severski con-
fisquées sur leurs princes, Vassili put recommencer
la double lutte, à l'orient contre les Tatars, i l'oc-
cident contre les Lithuaniens. La reprise de Smo-
lensk sur l'armée lithuanienne (1514) fut ratifiée
douze ans plus tard. Une invasion des Tatars cri-
méens fut repoussée. A l'intérieur, des exécutions
nombreuses apprenaient aux boiars que les temps
de la licence féodale étaient passés.
VIII. Iv'in le Terrible. — Ivan IV, le Terrible
(1533-1584), devait achever cette grande tache.
Profond politique et sombre despote, ami des petits
et persécuteur des boiars, il a trouvé, comme no-
tre Louis XI, des historiens pour le blâmer et
d'autres pour l'applaudir. Son règne sanguinaire
marque toutefois une époque de progrès pour la
nation.
La régente Hélène Glinska, mère du jeune Ivan,
venait de mourir empoisonnée parlesnobles (1538).
Lui-même avait failli périr. Il dissimula, puis fit
massacrer le chef des boiars, André Chouiski(1543),
et se décerna à lui-même le titre impérial romain
et byzantin de tsar ou de César (1547). Cette révo-
lution fut sanctionnée par un premier appel aui
Etats généraux de la nation (1549).
Désormais sur de son pouvoir, Ivan IV se jette
sur les deux royaumes musulmans et tatares de
Kazan et d'Astrakhan. La cité de Kazan, défendue
par 35,000 guerriers, est prise d'assaut après un
siège mémorable (1552). Astrakhan est conquis
(1554), et la Russie moscovite s'étend désormais
des bords du lac Peïpous aux rivages de la Cas-
pienne.
Partout attaqué, Ivan IV fait tête à tous ses ad-
versaires ; aux Suédois de Gustave Vasa (1554), et
l'ordre des chevaliers Livoniens dont il enlève les
places-fortes (1558) ; au roi de Pologne Sigismond-
Auguste ; enfin aux boiars révoltés. La trahison
d'André Kourbski le pousse aux plus atroces ven-
geances. Mais les Tatars criméens soutenus par
les Turcs viennent incendier Moscou (1571). Le
vaillant Etienne Batory, élu roi de Pologne, reprend
Pobtsk et assiège Pskov (158 1), tandis que les
Suédois occupent Narva.
Ivan IV vaincu ne désespérait pas. Il recher-
chait l'alliance d'Elisabeth d'Angleterre (1558), et
clierchait à créer la navigation de la mer Blanche.
D'ailleurs l'audace d'un aventurier cosaque lui
donnait un monde. Irmak Timofeiévitch, i la tête
RUSSIE
— 1969 —
RUSSIE
d'une poignéo de cavaliers, découvrait et conqué-
rait la Sibérie sur le khan Koutchoum (1580-l.'iSl).
Il se noya dans l'Irticli, léguant un monde inex-
ploré au tsar de Moscou. La môme année mourait
Ivan le Terrible, inconsolable d'avoir, trois ans au-
paravant, tué son fils aîné (I5S4).
Sur cette Russie barbare, sur cette Chine euro-
péenne, mal façonnée par la rude main des Ivan,
régnaient encore les mœurs et les usages de l'A-
sie. Pourtant le souffle bienfaisant de la Renais-
sance allait la régénérer peut-fttre, quand une
atroce guerre civile la rejeta pour vingt années
dans le sang et les larmes.
IX. — linris Godouniiv et les faux Dmitri. —
Ivan le Terrible laissait deux fils : le faible Féodor,
qui fut proclamé tsar, et le jeune Dmitri, qui fut
relégué h Ouglitcli et secrètement assassiné par
les agiMits de Boris Godounov (1591). Celui-ci,
tout-puissant sur l'esprit de Féodor dont il était le
beau-père, se débarrasse de ses rivaux Chouiski et
Belski, réagit contre la politique d'Ivan le Terrible
et s'appuie sur le clergé et les boiars. Il fait con-
sacrer l'arclievftque de Mo.'-cou patriarche souve-
rain de la Russie. Il décide l'indolent Féodor à
signer le célèbre oukase qui déclarait le paysan
russe désormais asservi à la glèbe, précisément
à l'époque où le servage était battu en brèche
partout ailleurs en Europe.
Féodor mort (151)8), la noblesse et leclergéof-
frirent le trône à Boris. Parvenu à réaliser son
rêve ambitieux, celui-ci chercha du moins h s'en-
tourer de savants et d'artistes étrangers. Mais la
malédiction populaire pesait sur le représentant
des nobles. Un imposteur, Grégoire Otrépiev,
moine défroqué du couvent des Miracles, se sou-
leva, prétendant être ce Dmitri qu'on disait mort
à Ouglitch. Réfugié en Pologne, le faux Dmitri en
revient avec une armée et l'appui du roi Sigisniond
et des catholiques (1604). La mort de Boris (1G05)
lui ouvre les portes de Moscou, où les partisans
du feu tsar sont massacrés.
Cependant la prédilection d'Otrépiev pour les
Polonais exaspère le peuple moscovite. Le faux
Dmitri est surpris et égorgé par les boiars (IG06).
Ceux-ci proclament leur chef, Vassili Chouiski,
énergique vieillard. Mais l'exemple d'Otrépiev a
engendré de nombreux imposteurs. Un second
faux Dmitri vient assiéger Moscou. Il est soutenu
par les Cosaques, troupe aventureuse de guerriers,
de bandits ou de serfs révoltés qui sont venus
chercher, aux bords du Dniepr, la libre indépen-
dance du désert. Les paysans s'insurgent. Les
Polonais passent la frontière, enlèvent Smolensk
après un combat sanglant. Vassili Chouiski est dé-
posé, enforiné dans un monastère. Le second
Dmitri meurt assassiné, et Moscou ouvre ses por-
tes à l'armée polonaise enproclamanttsarVladislas,
fils du roi de Pologne.
La Russie semblait anéantie comme la France
au temps de Charles VII. Un Polonais régnait au
Kremlin; les Suédois avaient saisi Novgorod la
grande. Le peuple se soulève dans Moscou sans
succès. A Kazan, à Nijni-Novgorod, la résistance
s'organise. Le boucher Kou»ma Minine et le
prince Pojarski entraînent la foule. Les Polonais,
bloqués dans le Kremlin, se rendent après avoir
incendié la ville (lOlî). Une assemblée composée
des délégués de tous les corps de la nation se
réunit et proclame tsar le jeune Michel Romanov,
j'ancôire de la dynastie qui règne aujourd'hui sur
la Russie (161:!).
X. ie>- /jvemiers Romanov. — Moscou était dé-
livrée, mais la Russie n'était pas reconquise. Mi-
chel Romanov dut la reconstituer par ses victoires
(l(;i:i-l(;45;. Astrakhan fut arrachée au khan des
latars du Don; les Cosaqiies Zaporognes domptés;
la Suéde, réconciliée par le traité de Stolbova. Res-
tait le principal ennemi, la Pologne. Conseillé par
tl' Paktie.
son père, l'intelligent Philarète, métropolitain de
Moscou, Michel se tint sur une prudente défensive.
Sigisniond de Polognefutponrtantvictorieux(1633).
Vaincue sur les champs de bataille, la Russie es-
sayait de se soulever par la diplomatie, de pren-
dre rang dans la famille européenne. Elle s'al-
liait avec la Suède, ébauchait une autre alliance
avec la France (1(115-1629), essayait de réorgani-
ser son armée naissante. Les querelles religieu-
ses qui commençaient à déchirer la Pologne, et
le soulèvement des libres Cosaques de l'Ukraine
contre la persécution catholique et l'oppression
aristocratique des Polonais, allaient fournir un
plus vaste théâtre à l'activité militaire dos tsars
de Moscou.
Ce rôle guerrier fut celui d'Alexis Mikhailovitch
(lGi5-16"(i), prince débonnaire dont les circons-
tances firent un conquérant. Guidé par le boiar
Marozov, le Richelieu de cet autre Louis XIII, il
remet un peu d'ordre dans l'Etat bouleversé,
écrase les Novgorodiens et les Pskovites révoltés,
calme l'émeute de Moscou (ICi.î), et prend en
main, contre les Polonais, la cause des Cosaques
de l'Ukraine.
Appuyé sur les Zaporogues, aventuriers vail-
lants campés le long du Dniepr, Bogdan Chmiel-
nitski, le héros de la Petite-Russie, soulève les
paysans et les Cosaques contre la gentilhommorio
polonaise. Une guerre à mort éclate, où les Cosa-
ques exterminent à la fois les Polonais, les Juifs,
les prêtres catholiques. Vainqueur i la bataille de
Korsoun, Bogdan enveloppe à Zborovo le roi de
Pologne Jean-Casimir, et rançonne Leniberg.
Vaincu à son tour, il se jette dans les bras du
tsar moscovite, que la conformité de religion et
la haine du nom polonais lui donnent pour allié
et pour suzerain. La guerre est votée par l'assem-
blée de Moscou (1()54). Elle débute par d'éclatants
succès. Polotsk, Mohilev et Smolensk sont repri-
ses (1654); Vilna, Grodno occupées (1(;55); les
Suédois, vaincus i leur tour, perdent Dunabourg
et Dorpat (1656). La paix de Cardis rétablit l'or-
dre le long de la Baltique (1661).
Mais Jean-Casimir prépare sa revanche. Vain-
queur de Schérémétiev à Tchouduovo, il envahit
rUkraine. Le traité d'Androussovo abandonne
pourtant i la Russie Smolensk, Kiev et toute la
rive gauche du Dniepr (1661).
Restait à plier au joug les Cosaques de la Pe-
tite-Russie, ainsi que ceux du Don. Bogdan s'é-
tait fait moine ; mais Stenka Razine, à la tête
d'une armée d'aventuriers, désolait les rives du
Don et du Volga, prenait Saratov, Samara, Nijni.
Moscou trembla, comme plus tard au temps de
Pougatschev. Stenka Razine, vaincu par Baria-
tinski, fut égorgé (l(i"l).
Vainqueur des Polonais, des Suédois et des Co-
saques, Alexis Mikhailovitch voulut réformer et
civiliser sa grossière Moscovie. Par les conseils
du paysan Nikon, devenu patriarche de Moscou,
une révision des livres saints débarrassa les ma-
nuscrits slavons des fautes et des interpolations,
souvent ineptes, qui s'y étaient introduites. Mais
le peuple et les moines protestèrent. Il fallut
dompter à coups de canon ces observateurs pas-
sionnés du traditionnalisme (16.i4l668). Les mo-
nastères de la mer Blanche furent pris d'assaut.
En maint endroit les paysans refusèrent d'admet-
tre la réforme nikonienne et formèrent ces in-
nombrables sectes de ras/co/ni/ts (vieux croyants),
qui s'élèvent aujourd'hui à plus de treize millions
d'individus.
Entoures d'hommes savants tels que Siméon
Polotski, Matvéiev et le Serbe Krijanitch, le tsar
avait fait élever dans Moscou un premier théâtre,
avait noué des relations diplomatiques avec Char-
les I" d'Anglutcrre et Louis XIV. On jota lus
bases d'un traité de commerce avec ColbiTi.
RUSSIE
— 1970 —
RUSSIE
Le fils aîné d'Alexis, Féodor {1G7G-1682), pour-
suivit son œuvre. Le klian de Crimée lui recon-
nut la suzeraineté du pays des Zaporogues.
Louis XIV reçut ses ambassadeurs (|C81). Une
Académie gréco-latine fut fondée à Moscou. Pré-
parée par les trois premiers Romanov, l'œuvre
de Pierre le Grand était désormais possible.
XI. — l'ipn-e le Grand (1682-1725). — La Rus-
sie avait été jusqu'alors une puissance d'abord
exclusivement byzantine, puis asiatique. La gloire
de Pierre le Grand fut de faire de son peuple
une nation européenne. Esquissons brièvement
ce grand règne, qui demanderait Ji être étudié,
comme celui de Catherine II, dans une histoire
spéciale.
Alexis Mikhaîlovitch avait laissé trois fils, Féo-
dor, Ivan et Pierre, et neuf filles dont la plus in-
telligente était la célèbre Sophie. Féodor mort, i
qui reviendrait l'empire moscovite 7 Ivan était à
peu près idiot. Le patriarche elles boiars élurent
le jeune Pierre, qui n'avait pas neuf ans. Mais
l'ambitieuse Sophie, aidée de ses sœurs, sou-
lève la garde des streltsi (tireurs). Les parti-
sans de Pierre sont massacrés, sa mère insultée,
le Kremlin inondé de sang. Ivan et Pierre sont
proclamés conjointement tsars moscovites, sous
la régence ou plutôt la domination altière de
Sophie (1682).
Menacée i son tour par la turbulence des
streltsi, Sophie les décime. Son favori, le prince
Galitzine, essaie vainement de nouer une alliance
avec Louis XIV (1687), puis entreprend deux ex-
péditions malheureuses contre le khan de Cri-
mée (1687-16X9). Un revirement d'opinion se pro-
duit contre la régente. I/intelligence et la valeur
précoce du jeune Pierre séduisent la foule et les
soldats. Sophie est enfermée dans la prison d'un
monastère (1689), ses favoris exilés ou mis à mort.
Le règne de Pierre I'^' commençait.
Pierre a dix sept ans. Passionnément épris de
la civilisation européenne, il rêve une transforma-
tion complète de l'empire et de la société russe.
Il s'entoure d'étrangers, IcSuisse Lefort, l'Anglais
Gordon. Il apprend le hollandais, l'allemand, le
latin. D'Arkhangel, il essaie de lancer une flottille
sur la mer Blanche. Contre les Turcs, il entreprend
une double expédition qui doit lui ouvrir la mer
Noiri'. Vaincu devant Azov (1695), il s'en empare
bientôt à la tète des régiments réguliers qu'il a
formés, des 1860 radeaux ou galères qu'il a fait
construire (1690). Mais il lui faut voir par ses
yeux l'Occident. Il court, déguisé en simple ma-
telot, demander îi la Hollande, à l'Angleterre, le
secret de leur puissance navale (lei97). 11 travaille
de ses mains, dès quatre heures du matin, sur
les cliantiers, apprend la construction, la manœu-
vre, le pointage.
Mais une formidable opposition éclate, en Rus-
sie, dans les rangs du clergé et du peuple, contre
ce tsar ami des étrangers et du progrès. Les
streltsi se révoltent à Azov, à Moscou. Pierre ac-
court de Vienne (1698), dissout la milice, châtie les
mutins, couvre Moscou de potences, déiapile de sa
main les plus rebelles, répudie sa femme Eudoxie
Lapouchine, ennemie des réformes, enferme plus
étroitement Sophie.
Les Cosaques du Don s'insurgent (1706) ; il les
extermine. Ceux de l'Ukraine ont à leur tête le
légendaire Mazeppa, son allié. Les succès des
Suédois décident Mazeppa k quitter l'alliance russe
(1709); mais il en est châtié par la dévastation de
l'Ukraine, désormais bien conquise, et par l'exil et
la mort à Bender.
Une plus terrible lutte absorbait alors toute
l'attention de Pierre I". Charles XII venait d'en-
trer en scène. A qui serait la domination de la
Baltique et de ses rives? Pierren'y possédait encore
ni un pouce de terre ni un vaisseau. Le Danemark
et la Pologne se liguent avec lui contre la Suède.
Mais l'armée suédoise est partout victorieuse. Le
tsar se jette sur l'Ehstonie, assiège Narva avec
une cohue de 63,000 soldats guidés par des offi-
ciers allemands. Charles XII, à la tête de
8400 hommes, disperse cette multitude en l'ab-
sence de Pierre (30 novembre 1700), puis se dé-
tourne pour tomber sur la Pologne.
Cette écrasante défaite n'a pas abattu le tsar.
Il réorganise l'armée à la mode européenne, fond
les cloches des églises pour en faire 300 pièces
d'artillerie. L'habile Schérémétiev, son général,
inflige une double défaite au Suédois Slipenbach
en Livonie (1701-1702). Menchikov remporte un
nouveau succès (1706) devant Kaliscli. L'Ingrie
est conquise, Narva enlevée (170i): Riga ouvre
ses portes. Le pavillon russe flotte sur la Neva et
la Baltique.
Charles XII, exaspéré de ces succès d'un en-
nemi qu'il dédaigne, jette à la torture l'ambassa-
deur du tsar, le Livonien Reynold Patkul (1707).
Conseillé par le perfide Marlborough, il se jette de
nouveau sur la Russie avec 43,000 soldats d'élite,
repousse l'arrière-gard' ennemie à Grodno (1708),
à Hollosin, à Mohilev, à Dobroe, mais en perdant
la moitié de ses troupes. Pierre se replie sur
Moscou. Ses éclaireurs harcèlent et affament l'ar-
mée suédoise. Charles XII appelle Lœwenhaupt et
ses 18,000 hommes de réserve. Mais l'habile
Schérémétiev anéantit, dans les marais de la
Saja, les trois quarts de ces troupes.
Charles XII s'arrête. Appelé par Mazeppa, il
tourne au sud vers l'Ukraine. L'horrible hiver de
1709 achève de démoraliser son armée. Il s'a-
charne au siège de Poltava, malgré ses g.néraux.
Pierre passe alors de la défensive à l'offensive.
Avec 60,000 hommes, il vient débloquer Poltava
qu'assiègent les 29,000 soldats épuisés du roi de
Suède. Charles XII est blessé, ses troupes se dé-
bandent sous le canon (8 juillet 1709). Le roi
vaincu s'enfuit, comme un aventurier, derrière Is
frontière turque, abandonnant les restes de sa glo
rieuse armée, 16,000 soldats qui capitulent ave(
Lœwenhaupt aux bords du Dniepr. La victoire de
Poltava inaugurait la prépondérance de la Russie
en Orient, et légitimait les réformes hardies d(
Pierre le Grand.
Quelles étaient ces réformes ? La place nous
manque pour les raconter complètement. Totj
était h créer. Il créa tout. Imprimeries, hôpi-
taux, casernes s'élevèrent. La flotte, qui n'exis
tait pas, monta d'un seul coup à 50 vaisseaux dt
ligne, 800 bâtiments légers, 30000 matelots. Uni
armée régulière de v 10 000 hommes, divisée en ré-
giments de fantassins et de dragons, se form:
sous des chefs étrangers et d'après la tactique
française et allemande. Des journaux parurent
Des écoles s'ouvrirent. Ordre fut donné aux vieu'
Moscovites d'adopter les modes occidentales, di
se couper la barbe, de dépouiller la robe asiatique
Défense fut faite de maintenir les femmes enfer
mées dans le gynécée. L'établissement du tchini
ou noblesse administrative, divisée en 14 degrés
stimula le zèle des fonctionnaires et fit de la no
blesse la récompense des services ou du talent
Une administration savante entama partout 1
lutte contre l'anarchie et les résistances cies par
tisans du vieux système. La police fut créée ; 1
patriarcat de Moscou, sorte de papauté russe, aboi
(1700), pour éviter i l'Etat ces luttes entre le gou
vernement et l'Église qui tant de fois ont désol
l'Occident. Des milliers d'étrangers, encouragé
par la faveur du tsar, établirent en Russie de
manufactures, des magasins, des écoles. L'alpha
bet fut réformé, la géographie développée, de
canaux crrusés ; des ports s'ouvrirent. Enfin se
leva, sur le delta de la majestueuse Neva, la cap
taie nouvelle, audacieusement jetée sur la Baltiqut
RUSSIE
— 1971 —
RUSSIE
la superbe Pétersbourg, qui devait éclipser vite la
vieille et asiatique cité de Moscou (n03).
La dernière partie du rèi;iie ne démentit pas ces
grandes choses. Tandis que Cliarles XII s'endor-
mait h Bender, Pierre se jette sur ses provinces,
occupe Réval (1710), toute la Livonie, toute l'Elis-
tonie, entame la Finlande. Cependant la Turquie
faisait mine de soutenir les Suédois. Pierre, enivré
,par le succès, s'avança imprudemment sur le
Prutli, appelé par les liospodars Moldo-Valaques,
Cantacuzène et Cantomir. Enveloppé le long du
Prntli, avec 38000 hommes, par les 200000 Turcs
du grand-vizir Baltagi-Méhémet, il est sauvé grâce
à la présence d'esprit de sa femme Catherine,
mais abandonne Azov au sultan (1711). Il s'en ven-
gea sur les Suédois, qui perdirent Helsingfors et
Abo (ni3).
Cependant Louis XIV expirait, et Pierre 1°' ca-
ressait l'espoir de conclure une alliance avec la
France devenue moins hostile. Il apparut à Ver-
sailles (n 17), étonnant cette cour raffinée par son
génie barbare et ses allures étranges. Il tourna le
dos aux grands seigneurs et s'entretint de préfé-
■rence avec les ouvriers et les soldats. Vainement il
s'efforça d'opérer avec la France unrapprocliement
politique qui nous eût été bien utile. Le régent
refusa tout, enchaîné qu'il était à l'Angleterre.
« On a eu depuis lors, dit tristemuat Saint-?:mon,
un long repentir des funestes cliarmesde l'Angle-
terre et du fol mépris que nous avons fait de la
Russie. 1/
Charles XII mort (1718), la Suède dévastée par
les flottes russes (ni.S-1720 , la cour de SiotKholm
traita. Par la pai.>; de Nystadt (1721), les Russes
gardaient l'Ingrie, l'Ehstonie, la Livonie et l'entrée
de la Carélie et de la Finlande. Vainqueur au nord,
Pierre termina ses campagnes par une heureuse
attaque au sud. La Perse perdit Derbent et Bakou
(1722); le Daghestan et le Mazendéran même, au
sud de la Caspienne, furent occupés.
Mais un drame sanglant venait d'affliger les der-
niers jours du grand tsar. Sa première femme et
son fils conspiraient contre lui avec tous les enne-
mis des réformes. 11 avait enfermé Eudoxie et dis-
gracié Alexis, l'ami des rnuines. Ce dernier s'en-
fuit en Allemagne, puis reparut (17 18). Arrêté,
jugé, convaincu de liaute-trahison, il fut mis à
mort. Les principaux conspirateurs, Glébov etLa-
pouchine, périrent dans les tortures. Dès 1712,
Pierre avait épousé solennellement la Livonienne
Catherine, ancienne servante d'auberge, dont le
■talent et l'énergie l'avaient sauvé aux bords du
Pruth. En 1723, elle fut couronnée impératrice.
Deux ans après, le fondateur de la puissance
russe, Pierre le Grand, expirait (1725).
XII. Cat/iei-ine I" (1725-1727). — Sa veuve, la
paysanne livonienne, fut proclamée impératrice
sous le nom de Catherine I". Dans cette Russie
ou naguère les femmes étaient à peu près escla-
ves, c'était une révolution. Soutenue par les étran-
gers, les soldats, les vieux compagnons du tsar,
Catherine fut fidèle à la politique de son époux,
fonda l'Académie des sciences (1726), conquit la
Courtaude, choisit pour favori Menchikov. Elisa-
beth, fille de Pierre le Grand, fut un moment fiancée
à Louis XV.
XIII. Pierre II (1727-1730). — La mort de Ca-
therme fit passer la couronne à Pierre, fils de ce
tsarévitch Alexis que Pierre le Grand avait immolé
au salut de son œuvre. Excité par Elisabeth, ce
jeune tsar secoua la pesante tutelle de Menchikov
(1727), qui mourut disgracié (1729). Les Dolgorouki
le remplacèrent, mais la disgrâce allait les attein-
dre à leur tour, quand Pierre II expira (i720).
XIV. Anne Ivaiwvna (1730-1740). — Sa mort
amena un double coup d'Etat. A qui reviendrait
1 empire? Les lois de succession n'étaient guère
J)récises. Deux filles restaient du tsar Pierre ; deux
autres de son frère Ivan. L'aiiiée de ces dernières,
Anne Ivanovna, fut choisie par le conseil secret,
mais dut jurer d'obéir h la constitution improvi-
sée parles membresde l'aristocratie (1730). Quel-
ques mois après, un soulèvement des troupes, du
clergé et du peuple, renversait le conseil secret,
dont les membres périrent dans les tortures, et
rendait à Annelo pouvoir absolu (1731).
Anne Ivanovna, veuve du duc de Courlande, mé-
prisait les Russes et ne voyait que par les yeuï
des Allemands. Son favori, le cynique Biren, peu-
pla la cour d'aventuriers germaniques. Il en rem-
plit la garde à. cheval, et l'école des cadets (assez
semblable .'i notre école de Saint-Cyr) dut ensei-
gner aux officiers l'histoire d'Allemagne et non
celle de leur pays.
A l'extérieur, Anne abandonnait les conquêtes
de Pierre le Grand sur la Perse. En revanche, elle
soutint h Varsovie Auguste II contre Stanislas
Leszczinski (1733). Ce dernier fut chassé, bloqué i
Dantzig par l'armée russe que commandait l'Al-
lemand Munich. Le petit bataillon français du
comte de Plélo ne put le délivrer. Dantzig fut
pris. Pour appuyer l'Autriche, une armée russe
s'avançait déjà au coeur de l'Allemagne, à Heidel-
berg, juand le traité devienne termina la guerre
en donnant la couronne de Pologne au candidat
de la Russie (1735). Toujours appuyée par l'Au-
triche, Anne se retourna contre les 'furcs. La
Turquie fut assez forte encore pour vaincre les
Autrichiens, mais succomba sous les coups des
armées russes. Munich et Lascy enlevèrent Azov,
Pérékop, Batchi-Sarai, Otchakov et Chotim (1736-
1739> La Russie recula sa frontière du Dniepr au
Boug (traité de Belgrade, 1739).
XV. Ivan Vide B;-«;;,yU)ic/t(l740-1741). — Anne
mourut, léguant la régence au Courlandais Biren.
On proclama le fils de sa sœur, un enfantau ber-
ceau, sous le nom d'Ivan VI. La cour, le gouver-
nement, les provinces furent entièrement livrés
aux Allemands. Les parents du petit empereur,
Antoine de Brunswick et Anne de Mecklembourg,
firent arrêter Biren et renvoyer Munich. Ces
aventuriers se déchiraient entre eux. Le peuple
grondait. Un souffle de révolte passait sur les ca-
sernes. Elisabeth, la fille aînée du grand tsar Pierre,
saisit le moment. Appuyée par la Suède, encou-
ragée par l'ambassadeur français La Chétardie,
elle soulève les grenadiers de Préobrajenski. Tous
les Allemands sont arrêtés, le petit Ivan VI dé-
posé, Elisabeth proclamée impératrice (26 octobre
1741).
XM. Elisabeth Petrovna {Mil-ndi). —Forte
de l'appui de la nation, conseillée par les Chou-
valov, les Voronzov, les Bestoujev, Elisabeth re-
poussa vigoureusement l'attaque desSuédois(1741-
1743), leur enleva Helsingfors, leur fit signer
l'humiliant traité d'Abo. Elle allait intervenir en
faveur de Marie-Thérèse quand le traité d'Aix-la-
Chapelle (1748) arrêta son armée sur le Rhin. La
grandeur croissante de la Prusse effraya bientôt la
cour de Russie. Elle s'allia avec la France et
l'Autriche contre Frédéric II, et faillit l'anéantir.
D'abord vaincu à Ja?gersdorff (1758), puis vain-
queur à Zorndorff (1758), le roi de Prusse fut
complètement écrasé par les Russes à Ziillichau
et à Kumorsdorff 11759). Berlin même fut pris
(1760). Frédéric désespéré songeait au suicide,
quand la mort subite d'Elisabeth sauva la Prusse
inO'i). , j
Ennemie acharnée des Allemands, des Juifs, des
raskolniks, Elisabeth ouvrit la cour aux idées et
aux moeurs françaises. Chouvalov devint le cor-
respondant de Voltaire. L'Université de Muscou,
l'Académie des beaux-arts de Péiersbourg furent
fondées. L'illustre Lomonossov, historien, poète,
orateur, dramaturge, inaugura avec éclat la litté-
rature nationale.
RUSSIE
— 1972 —
RUSSIE
\ni. Pierre III de Hohiein (1762). — A cette
lirincesse patriote, h la grande Elisabetli, succé-
ilait un écervelé, fanatique admirateur de Frédé-
ric et des Prussiens. Petit-fils de Pierre le Grand
par sa mcre Anne Pétrovna, duc de Holstein par
son père, Pierre III était un véritable Allemand
égaré sur le trùne de Russie. Ses folies, ses in-
sultes à l'armée, ses basses flatteries à l'adresse
du roi de Pi-usse excitèrent une fermentation
universelle. Rompant avec la politique d'Elisa-
beth, il mit ses troupes au service de Frédéric
contre l'Autriche et la France, menaça d'atta-
quer le Danemark, appela à Oranienbaum une
garde allemande. Une vaste conspiration se forma
aussitôt.
La femme de Pierre III, Catherine d'Anliult-
Zerbst, se mit à la tête des mécontents. Biwi
qu'Allemande, elle embrassa hardiment la cause
nationale. Aidée par ses nombreux favoris, par les
Orlov surtout, elle soulève les casernes, entraine
l'armée, le clergé, le peuple, con!-e le tremblant
Pierre 111 (juin 1762). Il abdique, est enfermé au
château de Robclia où les conjurés l'étranglent.
L'impératrice est proclan^ • sous le nom do
Catherine II. Vainement une poignée d'officiers
essaie de tirer de prison et de proclamer Ivan V'I.
lie dernier est massacré par ses gardiens (1164).
• '.atherine II n'avait plus de prétendant à re-
douter.
XVIII. Catherine II (n6-M796). — Ce long et
glorieux règne, qui devait faire de la Russie un
lies plus puissants Etats du monde, rappelle à bien
des égards celui de Pierre le Grand. Mêmes con-
quêtes au dehors, mêmes réformes à l'intérieur.
'Frois royaumes en décadence barraient à Cathe-
rine II la route de lOccident (Suède, Pologne,
Turquie). Pour les réduire elle s'appuya d'abord
."•ur l'alliance des pavs du nord i^Prusse et Angle-
lerre); plus tard sur ceux du sud (Autriche et
France;. A l'intérieur, ce fut l'influence de la
philosophie française qui présida à toutes ses
créations.
Restait d'abord Miquider la guerre de Prusse. Elle
rappela ses troupes, se déclara neutre entre Fré-
déric et Marie-Thérèse (1762), et hâta ainsi le
traité de-Paris qui termina la guerre de Sept
ans (176-3). Elle remit la main sur la Courlande,
sous prétexte de la donner à Biren. En Pologne,
elle fit élire son ancien favori Stanislas Ponia-
towski contre le candidat saxon. L'intolérance
fanatique des jésuites de Pologne lui donnait,
pour intervenir, un excellent prétexte. Ils tortu-
raient odieusement les chrétiens grecs de la Li-
thuanie et de la Russie Blanche, pour les con-
traindre à embrasser le catholicisme. Catherine
protesta au nom de la liberté de conscience.
Mais les supplices redoublèrent. Elle fit envahir
la Pologne (r67 , arrêter plusieurs évêques,
garantir la liberté des dissidents (1768). Mais les
catholiques se soulevèrent, formèrent la confédé-
ration de Radow, puis ceKe de Bar. Catherine
lança sur eux les Cosaques Zaporogues et les
paysans révoltés. Une horrible guerre, à la fois
nationale, sociale et religieuse, éclata partout.
Pour soutenir les Polonais, Choiseul envoya
Dumouriez et quelques officiers français qui
défendirent Cracovie (1772). Il arma la Turquie
contre le.s Russes (1767-1774). Mais Galitzine
et Roumiantzov dispersèrent trois armées tur-
ques, à Choiim, sur la Larga et au Kagoul
(1768-1770). La Crimée fut conquise. Une flotte
russe, dirigée par Alexis Orlov, Spiridov et Greig,
anéantit la marine turque dans l'Archipel, devant
Chios et à Tchesmé (1770j. La Grèce se souleva.
Les défaites de la Turquie entraînaient la ruine
de la Pologne. Déjà l'armée russe, franchissant
le Danube, bloquait Choumla. La Pologne céda
la première. Perdue par le fol orgueil de son
aristocratie et l'intolérance de son clergé, elle
fut démembrée entre trois puissances, la Prusse,
la Russie, l'Autriche (1772). A ce premier par-
tage, elle perdait cinq millions d'habitants, dont
1 60(1 nOU seulement furent livrés à la Russie,
avec les provinces de Polotsk, de Vitepsk, de
Mohilev et d'Orcha. La Turquie vaincue céda de
son côté, à la paix de Kainardji (1774), Azov et
Kinburn aux Russes, la Crimée aux khans tata-
res, la libre navigation du Bosphore et une con-
tribution de guerre. Un coup d'Etat sauva la
Suède d'un sort semblable. Gustave III renversa
l'aristocratie vendue à l'étranger et s'empara du
pouvoir absolu (1772).
A l'intérieur, une double et violente commotion
venait de mettre en péril le trône de Catherine.
Exaspérés par la grande peste de Moscou, les
serfs de la Grande-Russie se révoltèrent (1771).
Grégoire Orlov réprima les insurrections. Puis ce
fut un aventurier cosaque, Pougatschev, qui sou-
leva toute la région du Volga en se donnant pour
le vrai Pierre III (1772). Une immense armée de
Tatars, de paysans, de Cosaques, de musulmans
pilla Tsaritsine, Samara et Kazan. Moscou trem-
blait. Mais Biliikov vainquit ces hord s confuses
Pougatschev fut pris et exécuté (1773). Cette
révolte malheureuse perdait du même coup les
Cosaques Zaporogues. Ils furent soumis ou dis
perses (1775).
Catherine était partout victorieuse. Conseillée
par Potemkine et Bezbaradko, elle se rapprochait
de la France. La médiation commune des cabi
nets de Pétersbourg et de Versailles imposa Is
paix à la Prusse et à l'Autriche en armes (traité de
Teschen, 1777). Louis XVI était alors en luttt
avec l'Angleterre pour l'indépendance de l'Amé-
rique. Catherine lança contre les Anglais sa fa'
meuse déclaration du droit des neutres^ qui fut sa
luée avec joie par tous les petits Etats dont la ma
rine était livrée au brigandage britannique (1780/1
En même temps la Russie annexait la Crimée
le Kouban (178u-17l;'3), méditait d'affranchir le:
populations roumaines, préparait contre l'Angle
terre une alliance militaire avec la France. Li
déclaration de guerre du sultan remit tout ei
question (1787). La Suède appuyait la Turquie
La double bataille navale de Svenska-Sund (1790)
et la paix de Varéla arrêtèrent les Suédois. L'Au-
triche contint les Turcs, et donna le temps i
Potemkine d'enlever Otchakov (1788). Souvarov
trois fois vainqueur des Turcs, emporta d'assau
Ismail (1790). La prise d'Ackermann, la victoir
de Matchin (1791) effrayèrent le sultan et ame
nèrent la paix d'Iassy (1792), qui portait la fron
tière russe jusqu'au Dniestr.
Restait la Pologne, qui avait tenté de se régé
nérer par la constitution du 3 mai 1791. Mais le
chefs de l'aristocratie, confédérés à Targowicz,ap.
pelèrent les Russes (1792). Trompée par les Prus
siens, la Pologne voulut résister. La bataille d
Dubienka amena le second partage. Cette foi
Catherine enlevait au.t vaincus trois million
d'âmes, et le vaste territoire comprenant 1
Podolie, la Voihynie et le reste de la PetiU
Russie. La diète de Grodno ratifia ce traité lamei
table (1793). Par haine des gentilshommes, li
paysans n'avaient pas bougé.
Mais l'armée se révolta, mit à sa tète un hén
patriote, Thaddée Kosciuszko. Le bruit de
Révolution française ranimait les courages. Ko
eiuszko bat les Russes à Raclawice (^1794), marcl
sur Varsovie qui se soulève, expulse le génér
Igelstrom et massacre les traîtres. Mais, appuy-
nsF les Prussiens, les Russes reprennent Vilni
Kosciuszko est vaincu et laissé pour mort à
journée de Maciejowice (l"9i). Souvarov enlè
d'assaut Praga, qui est inondée de sang. Varsov
capitule (1794). Le troisième et dernier panajl
RUSSIE
— 1973
RUSSIE
)péré par la Prusse, l'Autriche et' la Russie,
ïonnait à celle-ci Vilna, Kovno, Grodno, lo reste
ie la Litliuanie et de la Volhynie. Varsovie res-
;ait aux Prussiens (ni)5).
Les partages do la Pologne et surtout la Révo-
lution de nK9 avaient rompu l'alliance ébauchée
ntre la Russie et la France. Catherine II entra,
comme tous les rois, dans la première coalition
contre la République (ITj:i), mais elle se garda
bien d'envoyer un soûl homme sur le Rhin pour
appuyer l'Allemagne. Elle laissa battre la Prus-
se, puis l'Autriche par la Révolution française,
et mourut, laissant la Russie agrandie et paci-
Sée (1706).
Elle la laissait surtout transformée par ses
réformes, qu'avaient longtemps applaudies Dide-
rot, Grimm et Voltaire. Elle avait confié l'éduca-
tion de ses petits-fils au Suisse Laharpc, imbu de
principes nettement républicains. Elle citait à tout
propos Montesquieu. Elle avait fait ofTrir en Russie
une superbe hospitalité h d'Alembert, à Jeah-Jac-
ques Rousseau même. Elle composait des comédies,
des satires, dos traités philosophiques, écrivait des
mémoires, fondait l'Académie russe, encourageait
les écrivains, surtout le poète Derjaviiie et le sati-
rique Fon-Vizon. Elle commandait à Pallas des voya-
ges de découverte, au Français Falconnet la superbe
statue équestre de Pierre le Grand. Elle fondait,
pour les filles de la bourgeoisie et de la noblesse, le
magnifique Institut de Smolna, où l'éducation fut I
donnée par des maîtres français. Elle divisait '
la Russie en 50 provinces subdivisées chacune en |
districts, réformait les scandales de l'administra- 1
tion, créait une savante organisation judiciaire,
déterminait les droits des bourgeois, des mar-
chands, colonisait la steppe et les rives du Volga,
sécularisait les riches biens du clergé russe,
mais ouvrait son vaste empire à tous les cultes,
sans privilège pour aucun. Elle agita môme la
question de l'éiuancipation des serfs, et réunit à,
Moscou, sous la présidence de Bibikoff, une
grande assemblée nationale élue par toutes les
classes, toutes les provinces et par tous les sec-
j tateurs des diverses religions de l'empire (HCG-
, ncs). De ses délibérations, trop confuses, sortit
pourtant un nouveau Code de lois.
XIX. Paul I" (1796-1801). — Ces réformes
furent d'abord mises en péril par Paul I", fils et
,i successeur de la grande Catherine. Il disgracia
, Souvarov, s'entoura des représentants du vieux
J|: parti moscovite, Araktchéev et Rostopchine. Il
acctieillit avec faveur les émigrés français et les
Bourbons. Toutefois les prisonniers polonais et
Kosciuszko leur chef lui durent leur liberté (171)6).
L'occupation des îles Ioniennes, de Malte et de
l'Egypte par la France (1797-1798) le jeta dans
[.. la seconde coalition. La Russie envoya une flotte
contre les lies Ioniennes, et quatre armées en
Hollande, à Naples, sur l'Adige et en Suisse pour
. appuyer la marche des Autrichiens et des An-
glais. Souvarov rappelé, mis à la tête de l'armée
de Lombardie, battit, avec 1 On 000 Austro-Russes,
les 30 000 soldats de Moreau i Cassano (1799),
les 18 000 hommes de Macdonald à la Trebbia et
les 40000 de Joubert h Novi (août 1799). Les
réfugiés polonais de Dombrowski combattaient
dans les rangs français.
Maître de l'Italie, mais brouillé avec l'état-major
autrichien, Sonvarov se retourne vers la Suisse,
pour y prendre à revers l'armée do Masséna.
Mais celui-ci l'arrête au Saint-Gothard et sur la
Reuss, grâce à l'énergie de Lecourbe, puis fond
j sur les Austro Russes que commande Korsakov,
j les enferme, les écrase et les prend dans Zurich
(septembre 1799). Souvarov enveloppé i son tour
s'échappe à travers les glaciers on perdant son
artillerie et les trois quarts de ses soldats. En
même temps le général Brune battait devant
Bergen l'armée anglo-russe débarquée en Hol-
lande, et qui capitula dans Alkmaèr (octobre
1799). La coalition était vaincue.
Paul I", exaspéré contre l'Autriche et l'Angle-
terre, qu'il rendait responsables de ce double
désastre, ouvrit des négociations avec la France,
expulsa les Bourbons, s'éprit du talent de Mas-
séna et du génie de Bonaparte. Une alliance
offensive et défensive s'improvisa entre les deux
pays. Paul I"' devait avoir l'île de Malte et le
protectorat de l'ordre des chevaliers. H mettait
trois armées au service de la France pour des-
cendre à travers la Perse et enlever l'Inde aux
Anglais (1801). Il renouait la ligne des neutres
contre les tyrans des mers. Déjà la flotte anglaise
partait pour la Baltique. Paul I" sommait la
Prusse d'entrer dans l'alliance franco-russe. Tout
à coup on apprit que le tsar venait d'être assas-
siné C2'i mars 1801"). Les conjurés étaient Pahlen
et Bennigsen, deux Allemands ; Platon Zoubov,
ancien favori de Catherine; plusieurs agents de
l'ambassade anglaise ; peut-être même .\raktchéev
et F .itopcn.ue, deux boiars fanatiques, enne-
mis acharnés de la Pologne et des Français.
Alexandre I""' lui-môme avait trempé dans le
meurtre de son père.
XX. Alexandre I" (1801-182,^). — Le règne du
premier Alexandre est trop intimement lié à l'his-
toire générale de l'Europe, et en particulier à
celle des guerres napoléoniennes, pour que nous
en esquissions ici le tableau. Bornons-nous i rap-
peler les grands événements dont il se compose,
et qui sont dans la mémoire de chacun.
Paul I" avait été un admirateur passionné
de Napoléon. Alexandre 1" en fut le plus dange-
reux ennemi. Entraîné par ses jeunes favoris ven-
dus à l'Angleterre, Novossiltsov, Czartoryski et
Kotchoubey, il signa, pour gagner du temps, un
traité provisoire avec la France consulaire (octo-
bre 1801), se fit donner un subside par Pitt, et
tout à coup lança l'ultimatum qui annonçait la
troisième coalition (180.i).
Trois armées russes s'avancent au secours de
l'Autriche, trop tard pourtant pour sauver Mack.
Koutouzov livre aux Français le sanglant combat
de Diermstein, et Bagration celui de llollabrunn.
Les deux empereurs de Russie et d'Autriche se
réunissent en Moravie et perdent ensemble la
mémorable bataille d'Austerlitz {1 décembre
1805).
Abandonnée par l'Autriche, qui s'humilie à Pres-
bourg, la Russie est soutenue tout à coup par la
Prusse (18(16). Mais la quatrième coalition se brise
comme les autres. .Vvant l'arrivée d'Alexandre, les
Prussiens sont vaincus àléna, Berlin envahi, Var-
sovie délivrée . L'armée russe de Bennigsen (l'assas-
sin du tsar Paul) est successivement vaincue à
Pultusk, à Ostrolenka (1306), i moitié détruite i.
Eylau, où elle perd 26 000 hommes (1807), puis à
Friediand, où elle laisse 15 000 hommes et 80 ca-
nons (1807). Désespéré, ruiné, privé des sub-
sides de l'Angleterre, Alexandre demande la
paix. Elle fut conclue k Tilsitt, sur le célèbre ra-
deau du Niémen (juin 1807). La Prusse était sa-
crifiée, la Pologne rétablie sous le nom de grand-
duché de Varsovie. Napoléon permettait au tsar
d'enlever la Moldo-Valachie aux Turcs, la Fin-
lande aux Suédois. Alexandre promettait de dé-
clarer la guerre h l'Angleterre, et laissait Napo-
léon libre en Allemagne et du côté de l'Espagne.
Ce n'était rien moins que le partage de l'Europe
entre les deux empereurs.
Mais Alexandre et l'aristocratie russe ne vou-
laient pas sérieusement l'alliance française. Pour
s'attacher la Russie contre l'Autriche et l'Angle-
terre, Napoléon eut une nouvelle entrevue avec
Alexandre h Erfurt (1808). Le tsar lui prodigua
les promesses, feignit de rompre avec l'Angle-
RUSSIE
— 1974 —
RUSSIE
terre et d'appuyer les troupes franco-polonaises
contre l'Autriche (1809), tandis que Napoléon li-
vrait bataille à Essling et Wagram. En réalité
Alexandre n'attaqua que la Suède. L'imprenable
Svéaborg capitula ; Helsingfors, Abo, furent en-
levées ; une armée russe osa franchir la Baltique
gelée, et faillit prendre Stokholm (1808-1809). La
Suède céda toute la Finlande, à laquelle Alexan-
dre garantit ses privilèges (1809). En même
temps, il battait les Persans et reprenait Derbent
(1806-1813). Les Turcs, vaincus par Michelson
et Kamenski, cédaient la Bessarabie, Chotim,
Bender, Ismail et Kilia (1806-1812). Toutes ces
conquêtes se perdaient au milieu du bruit des
batailles qui bouleversaient alors l'Europe s.";-
tière.
Cependant Alexandre préparait sourdement une
rupture nouvelle avec la France. Bien que gratifié
d'une partie de la Galicie au congrès de Scliœn
brunn (1809), il protestait contre l'extension don-
née au grand-duché de Varsovie, contre les
annexions de la France en Allemagne. Il hésitait
à donner une de ses sœurs en mariage à Napo-
léon, qui, se retournant vers l'Autriche, épousa
Marie-Louise. Bientôt Alexandre refusa de parti-
ciper au blocus continental qui devait tuer l'An
gleterre. On échangea d'aigres paroles, des notes
menaçantes, et la sixième coalition commença.
Chacun connaît la douloureuse histoire de la
campagne de 181"^. Napoléon, traînant avec lui
650,000 liommes dont .320,000 alliés (Polonais,
Italiens, Allemands), franchii le Niémen. Alexan
dre et ses généraux se replient vers Moscou, ,-n
bataillant à Krasnoé, à Smolensk, à Valoutina.
Koutouzov, nommé généralissime, veut du moins
sauver la vieille capitale. Avec 1-30,000 hommes,
il livre bataille, près de Eorodiiio, à la principale
armée de Napoléon qui s'élevait h un chiffre égal.
Vainqueur à la journée de la Moskova (1 sep-
tembre 1812), où 10,000 cadavres jonchèrent la
plaine, Napoléon entre à Moscou, où les agents
du gouverneur Rostopchine allument un effroya-
ble incendie. Cependant, à la voix du tsar et des
popes, toute la Russie se lève avec enthou-
siasme. Des bandes de Cosaques, de paysans fa-
natisés interceptent les convois, assassinent les
soldats isolés, les blessés, les vedettes, massa-
crent les prisonniers, incendient les villages
pour affamer les Français. Napoléon ordonne la
retraite (octobre 1812), s'ouvre péniblement un
chemin à la bataille de Malo-jaroslavetz, aux
combats de Viazma, de Krasnoé, au passage de
laBérézina, où 40,000 hommes enfoncèrent trois
armées russes, en sacrifiant les canons. Les Co-
saques rentrent à Vilna où commence un affreux
Carnage des blessés et des malades (décembre
1812). La Russie était délivrée de l'invasion.
Dans l'acharnement du succès, Alexandre ne
s'arrêta pas. Toute l'Europe se soulevait derrière
la grande armée vaincue. Mais à Liitzen, à Baut-
zen, à Dresde, Napoléon écrase Russes et Prus-
siens réunis (I.S13). Une victoire inespérée à
Kulm leur rend l'avantage. Pendant trois jours,
autour de Leipzig MC-18 octobre 1813), 330,000
coalisés disputent la domination du monde h
170,0(10 Français. Napoléon, accablé sous le nom-
bre, se replie vers le Rhin, abandonnant les gar-
nisons bloquées le long de la Vistule. L'armée
russe envahit la France. Repoussée à Saint-Dizier,
àChamp-Aubert, à Montmirail.àReims, elle écrase
une division de gardes-nationaux à la Fère-Cham-
penoise, et contribue à la bataille qui livre Paris
à la coalition (3(1 mars 18U).
A Paris comme ati congrès de Vienne, ce fut le
tsar Alexandre qui seul prit la défense de la
France vaincue etdésarmée. Après Waterloo (1815),
ce fut encore lui qui la sauva des fureurs de
Bliicher, qui s'opposa au démembrement rêvé par
l'Autriche et l'Allemagne. Dans le grand partage-
des peuples, Alexandre, qui pourtant avait porté
les coups les plus rudes, ne se réserva qu'une
part relativement modeste (trois millions d'âmes
en Pologne). Toutefois il avait mis la main sur
Varsovie.
Mais cette éblouissante fortune parut avoir trou-
blé l'esprit rêveur et mystique d'Alexandre. I!
avait donné au royaume de Pologne, reconstitué
sous le protectorat russe, une constitution libé-
rale, deux Chambres, une armée nationale, une
presse libre (1815). Puis il conçut l'idée bizarre
de la Sai7ite-Alliance des rois pour la défense de
la religion et de la monarchie. Lancé sur cette
pente, il ne s'arrêta plus. Aux Congrès d'Aix-la-
Chapelle (1818), de Carlsbad (1819), de Troppau-
(1820), de Vérone (1822), on le vit appuyer chaque
fois plus résolument la politique d!e réaction. Le
soulèvement de la Grèce chrétienne contre les
Turcs le trouva indifférent, même hostile (1821).
Il laissa la barbarie musulmane insulter à l'Europe
et à l'humanité, sans reprendre le rôle de Cathe-
rine et de Pierre le Grand. L'inondation terrible
qui ruina Pétersbourg (19 novembre 1824) frappa
encore son esprit déjà troublé. Il expira dans la
solitude, à Taganrog (1825).
Nous avons vu son rôle militaire. Quel fut son
rôle administratif? Il se divise nettement en deux
périodes. Dans la première (1801-1812), Alexandre
sembla marcher dans la voie tracée par son aïeule
Catherine et s'inspirer des principes libéraux que
lui avait inculqués son précepteur Laharpe. Il
parlait d'humanité, de constitution, de réformes ;
à ses intimes il se disait théoriquement républi-
cain. La persécution cessa contre les ra^kotniks.
L'oukaze de 1803 adoucit le servage des paysans.
Des ministères furent créés, i l'image de ceux de-
l'Occident (180'-'). L'empire se couvrit d'univer-
sités, d'écoles, de gymnases (collèges). Speranski,.
le fils d'un humble pope, devint président du con-
seil de l'empire et s'efforça de faire prévaloir les
idées françaises contre Czartoryski, admirateur
des institutions britanniques. Un code civil fut
projeté, à l'imitation du code Napoléon. Un par-
lement composé de fonctioimaires s'ouvrit (1810).
Mais l'invasion de 1812 amène la disgrâce de
Speranski. Le tsar se jette dans les bras des par-
tisans d'Araktchéev et de Rostopchine. L'in-
fluence française est proscrite^ les théâtres fer-
més ; les sociétés bibliques se répandent dans.
tout l'empire. Les universités sont surveillées,,
les professeurs destitués, les catholiques inquié-
tés. Des colonies militaires, imaginées par Arak-
tchéev, enrégimentent les paysans. La censure et
la police s'acharnent à dénoncer toute idée libé-
rale. Aussitôt des sociétés secrètes s'organisent,
à Pétersbourg, à Moscou, h Kiev (1816-1825). L'a-
ristocratie, les officiers de la garde sont à la tête-
du mouvement révolutionnaire. Une sourde fer-
mentation se manifeste en Pologne. Le régimetit
de Semenowski se mutine. Une conspiration mili-
taire était formée pour se débarrasser de l'empe-
reur, quand l'avènement de Nicolas précipita la.
crise (1825).
La réaction politique n'avait pu paralyser le-
brillant essor de la littérature nationale. Le poète
Derjavine, l'historien Karamzino, le fabuliste
Krylov représentaient la vieille école vis-à-vis des
poètes Joukowski et Pouchkine, premiers apôtres
du romantisme russe. Krusenstern faisait le tour
du monde (1803) et Kotzebue explorait les régions
polaires (1815). Pétersbourg voyait s'élever des
monuments superbes, la cathédrale de Kazan et
celle disaac, oeuvre de l'architecte Français Mont-
ferrand.
XXI. Nicolas I" (1825-1855). — Au romanesqtie
et mystique Alexandre, tour à tour partisan, puis
ennemi acharné des idées libérales, succéda l'era-
RUSSIE
— 1975 —
RUSSIE
pormir de fer, le génie même de la réaction mo-
narchique, l'apôtre de l'autorité, le tsar Nicolas.
La couronne devait revenir, par droit liérc'.ditaire,
au second fils de Paul I'^', au grand-duc Constan-
tin, alors vice-roi de Pologne. Mais Constantin
généreux et fantasque, avait refusé le tr6ne pour
être libre d'épouser, au mépris des usages mo-
narchiques, une comtesse polonaise (182;'), Le
peuple ignorait cette renonciation. Aussi, le jour
où fut proclamé Nicolas, une émeute éclata dans
Pétersbourg. Les conjurés militaires, saisissant
cette occasion inespérée, soulevèrent les grena-
diers et les marins {'iti décembre 1825). Le vieux
Miloradovitcli fut tué, le métropolitain faillit périr.
La canonnade dispersa les insurges sur la place
d'Isaac. Ciiiq potences s'élevèrent pour les chefs
du complot. Nicolas gracia ou fit déporter les au-
tres. Dans le midi, un bataillon soulevé par
Pestel fut mitraillé au village d'Ouslimovka.
La révolution prématurée du '^G décembre avait
tristement échoué. Elle exaspéra encore le despo-
tisme intolérant de Nicolas 1". Pour fortifier le
principe autoritaire, il rendit légal l'établissement
des majorais, antipathique aux mœurs slaves. Il
compila les vieilles lois de l'empire (1830-1815) en
remontant jusqu'à celles des premiers Romanov.
Il éloigna les professeurs étrangers, entrava la li-
berté des voyages hors des frontières de l'empire,
aggrava les rigueurs de la censure. Le comte Bo-
brinski n'obtint qu'après de longs efforts l'autori-
sation de créer en Russie le premier chemin de
fer (de Pétersbourg ;\ Tzarskoe-Sélo). Une surveil-
lance mesquine pesa sur les brillanis littérateurs
de la pléiade romantique, les poètes Pouchkine et
Lermontov (l'un et l'autre tués en duel dans un
âge encore jeune), le mélancolique Kaltsov, le
chantre des paysans ; l'inimitable romancier Gogol,
un des plus charmants conteurs du siècle ; Ivan
Tourgueniev, qui a su populariser la Russie à l'é-
tranger; Dostoïevski, que son libéralisme fit con-
damner aux mines sibériennes. Les comédies
d'Ostrovski et de Griboyedov, la musique de
Glinka montrèrent l'égale facilité du génie slave à
rivaliser avec les artistes et les écrivains de
l'Occident.
Mais c'est vers la guerre que se tourna exclusi-
vement l'esprit de Nicolas. En deux campagnes
(I8"J6-1827), il vainquit la Perse. Les victoires
d'Elisabethpol et de l'Araxe, la prise de Tauris et
d'Erivan, immortalisèrent le nom de Paskievitch
Evivanski. Au traité de Tourkmantchai (18ïS), le
chah de Perse abandonna deux provinces. Le
meurtre de l'ambassadeur russe Griboyedov (1829)
amena de nouvelles concessions. Au grand scan-
dale de l'Angleterre, l'influence russe domina à la
cour de Téhéran.
Après la Perse, ce fut le tour de la Turquie. De
concert cette fois avec l'Angleterre et la Franco,
Nicolas intervint en faveur de la Grèce que déso-
laient les fureurs des pachas. Les trois flottes
coalisées anéantirent la marine turque dans la
rade de Navarin 120 octobre 1821). La Grèce était
sauvée, mais la Turquie proclama la gnerre sainte.
Deux armées russes l'envahirent. En Asie-Mineure,
Paskiévilch enleva les fortes places de Kars et d'Er-
zeroum (I82S-182:)). En Europe, Wittgenstein et
Diebitch Zabalkunski conquirent les provinces
roumaines, la Bulgarie, Silistrie, et Andrinople au
delà des Balkans (182s-18i9). La Turquie vaincue
céda aux Russes, par la paix d'Andrinople,
quatre districts en Asie, les bouches du Danube
en Europe, une forte indemnité, et la libre navi-
gation du Bosphore (18'^9).
L'influence russe grandissait rapidement en
Asie. L'expédition du général Perovski sur Khiva
échoua (1841), mais la Chine s'ouvrit aux Russes,
admit leurs ambassadeurs (1827), leurs marchands
(18,)2;, et laissa leurs pionniers annexer tout le
bassin de l'Amour et les rivages du Pacifique(1854).
Au Caucase, l'héroïque Schamyl, prophète et gé-
néral, sorte d'Abd-el-Kader des Circassiens, ar-
rêta trente ans les armées impériales; mais les
Abkhases, les Tcherkesses, les Lesgliis furent
domptés.
Du côté de l'Europe, Nicolas se posa hardiment
en champion des rois contre les peuples. Les Po-
lonais, irrités do le voir fouler aux pieds la cons-
titution do 1815, se révoltèrent (29 novembre 1830),
encouragés par les nouvelles qui venaient de Pa-
ris. Le vice-roi Constantin s'échappa avec peine.
La diète polonaise proclama la déchéance des
Romanov (janvier 1831), organisa une armée de
90 01)0 hommes, fit appel aux puissances d'Occi-
dent. Mais la Russie, appuyée par la Prusse, con-
centra sur la Vistule les troupes de Diebitch et de
Paskievitch. Les Polonais furent chassés de la Li-
thuanie, de la Podolie. Les sanglants combats de
Grochow, de Bialolenska, de Wawer, d'Ostrolenka
épuisèrent l'armée polonaise. Paskievitch franchit
la Vistule, enleva Vola et canonna Varsovie qui dut
capituler (septembre 1831). Une violente répres-
sion se déchaîna sur la Pologne, la constitution
fut déchirée, les biens des Polonais confisqués, les
vaincus déportés en Sibérie. La persécution reli-
gieuse, jadis exercée par les catholiques sur les
dissidents, se retourna dès lors contre les catholi-
ques. Le second exode des Polonais commença.
Les sympathies montrées par la France à la Po-
logne avaient profondément irrité Nicolas. Pour
combattre la politique française, favorable i l'E-
gypte, il appuya le sultan contre les Egyptiens et
se déclara protecteur de la Turquie (traité d'Un-
kiar-Skélessi, 1833). La môme année, aux confé-
rences de Miinchen-Graetz, il appuyait les remon-
trances adressées à la France par la Prusse et
l'Autriche. Il inspira le traité de Londres (1840),
qui faillit amener la guerre entre la France et la
coalition reformée. Il aida l'Autriche :\ écraser la
révolution polonaise de Galicie (1840) et la révo-
lution hongroise (1»<49). Vainqueurs des troupes
autrichiennes, les Hongrois durent capituler de-
vant l'armée russe de Paskievitch. Nicolas encou-
ragea la Prusse à écraser la révolution allemande
(1849), et lui interdit de soutenir le soulèvement
des Holsteinois contrôle Danemaik (1852).
La réaction triomphait partout on Europe. Le
tsar crut le moment venu de reprendre en Orient
l'ccuvro de Catherine II. Il comptait sur l'appui
des rois qu'il avait sauvés, de l'Angleterre qu'il
avait soutenue contrôla France. Mais la reconnais-
sance des rois fut courte et l'Angleterre comprit
que ses intérêts étaient en danger. Les armées
russes avaient envahi la Moldo-Valachie (1853!, et
la flotte de Nakliimolï détruisait celle des Turcs à
Sinope. La France et l'Angleterre envoyèrent leurs
marins et leurs soldat* en Orient (1854) Silistrie
fut débloquée, Odessa bombardée. Une expédition
anglo-française enleva les îles d'Aland, dans la
Baltique, à la grande joie des Suédois. L'Autriche
même mobilisa ses troupes. Abandonné de tous,
le tsar vit son armée vaincue sur les bords de
l'Aima (20 sept. 1854), Sébastopol assiégé, sa flotte
anéantie. Il lutta avec son opiniâtreté obstinée.
Mais l'armée russe fut encore vaincue à Bahiklava,
à Inkermann (1854), à la Tchernaia (1855). Sébas-
topol fut bombardé, pris d'assaut après une résis-
tance admirable (S sept. 1S55). Nicolas, désespéré,
doutant de son système, n'avait pas voulu être té-
moin de cette grande chute. Le 3 mars 1855, il
expirait. Le bruit courut qu'il s'était suicidé.
XXII, Alexaivlve II (1855-1881). — La Russie
semblait perdue. Plus d'argent, plus d'armée. Une
administration désordonnée, vexatoirc, avait mé-
contenté toute la nation, humiliée sous le double
poids du despotisme et de la défaite. Le succes-
seur do Nicolas, instruit par le malheur, se pro-
RUSSIE
-- 1976 —
RUSSIE
posa immédiatement un double but : la paix d'a-
bord, la réforme sociale ensuite.
Bien différent de son père, Alexandre II avait les
idées généreuses de Catherine et du premier
Alexandre, sans avoir l'ambition de l'une ni la
duplicité de l'autre. Pacifique, humain, ami des
paysans, fort enclin aux réformes, il avait tou-
jours désapprouvé le système irritant du tsar Ni-
colas. A Sébastopol, il lutta pour l'honneur. La
ville prise, il envoya ses diplomates au congrès
de Paris (ISifi), et se résigna à la paix douloureuse
qui faisait perdre à la Russie la libre navigation
delà mer Noire, le protectorat des chrétiens d'O-
rient, et un lambeau de territoire aux bouches du
Danube.
Aussitôtconimençala grande œuvre de la régéné-
ration sociale, rêvée jadis parles décembristes, à
peine entrevue par Speranski et Catherine II. Se-
condé par le mouvement général de l'opinion,
Alexandre II aborda courageusement l'entreprise.
A l'heure même où, de l'autre côté de l'Atlantique,
Abraham Lincoln, président des Etats-Unis, éman-
cipait quatre millions d'esclaves, le tsar de Russie
lança le grand oukaze libérateur du 3 mars 1861,
qui affranchissait du servage quarante-sept mil-
lions et demi de paysans (25 millions de paysans
de la couronne, et 22 millions et demi de serfs ap-
partenant à des propriétaires). Cette colossale
réforme s'opéra pacifiquement. A Kazan seule-
ment, quelques milliers de serfs se mutinèrent et
nécessitèrent l'intervention des troupes.
En outre, pour éviter la formation d'un immense
prolétariat rural, Alexandre II fit partager le
sol entre les paysans affranchis et la noblesse.
Chaque serf émancipé reçut, en moyenne, trois
à quatre arpents de terre en toute propriété.
Il devait payer, en retour, un certain droit de ra-
chat qui, en fait, ne fut généralement pas acquitté.
Les paysans, désormais libres et propriétaires,
reçurent le droit de se gouverner eux-mêmes, d'é-
lire leur maire {staroste] et leur chef de canton
lst(jrchi7U!), d'organiser leurs tribunaux, d'admi-
nistrer à leur gré la commune.
Les autres classes de la nation ne furent pas
oubliées. Des conseils d'arrondissement, des con-
seils généraux {zemstvos) furent créés. Ils sont
élus par toutes les classes de la nation, délibè-
rent publiquement, jouissent de droits assez
étendus au point de vue administratif. Chaque
ville put élire son conseil municipal ((/oi/mo). La
décentralisation et les libertés locales devaiejit
habituer peu à peu la nation à la pratique des
institutions parlementaires.
La magistrature de Nicolas fut transformée, les
tribunaux reconsiitués, les juges de paix créés à
l'instar de la France, avec cette différence qu'ils
durent être éhis par les citoyens.
L'odieux emploi du knout fut aboli. La Rus-
sie se couvrit d'un vaste réseau de chemins de
fer (22,000 kilomètres en vingt ans). Près de
200 gymnases (collèges) s'ouvrirent pour les gar-
çons et tout autant pour les filles, versant à flot
l'instruction dans les masses. On cessa de persé-
ciiter le» raskolniks ; on leva la plupart des bar-
rières qui confinaier.t les Juifs dans les provinces
de l'ouest. Sous l'énergique impulsion du général
Miloutine, l'armée se transforma. Le service mi-
litaire obligatoire, égal pour tous, sans rachat
d'aucune sorte (mais avec réduction de temps pour
les plus lettrés), mit chaque année à la disposition
du pays près de 700, OUO conscrits (187.3).
Jamais gouvernement monarchique n'avait mon-
tré une si vive intelligence des intérêts populai-
res. Mais la malheureuse question polonaise,
triste héritage de Catherine H, amena des com-
plications fâcheuses pour la Russie comme pour
l'Europe, en brisant l'alliance franco-russe qui
nous eût épargne les malheurs de 1870 .
A Varsovie, des manifestations menaçantes
avaient amené des fusillades (1800-1861). Au
libéral gouverneur Vielopolski succéda le brutal
Luders. Les Polonais, réfugiés dans les bois,
commencèrent une guerre de partisans où s'il-
lustrèrent Langiewicz et Bosak, mais qui fut
comprimée (18tl3-I8641 et entraîna des représail-
les. La France, l'Autriche et l'Angleterre pro-
testèrent. La Prusse, au contraire, offrit ses ser-
vices et noua l'alliance qui lui permit d'écraser
la France quelques années plus tard. En Polo-
gne, les derniers vestiges de libertés locales fu-
rent supprimés.
Cependant la Russie se relevait rapidement de
sa défaite de Sébastopol. Les historiens Soloviev et
Kostomarov, les romanciers Alexis et Léon Tolstoï,
le dramaturge Ostrovski, le poète Nékrassov,
l'économiste Tcliernycbevski se donnaient libre
carrière. L'école russe de peinture se développait
avec Aivazovski, Verechtchaguine et Sémiradski.
En musique, Rubinstein succédait à Glinka.
La Russie, libre du côté de l'Europe depuis le
traité de Paris, étendait chaque jour ses conquê-
tes en Asie. Sdiamyl fut pris dans son dernier
noul du Caucase (18.)9). La colonne russe de
Tchernaiev enleva Tachkent (1864). L'émir de
ïîokliara céda Samarkand (1866-18U8). Le gouver-
nement du Turkestan fut fondé (1867); Khiva con-
quis, et à peu près annexé (1872) ; Khokand réuni
(1875); les frontières de Chine entamées (1870-
1880). Le Japon avait cédé l'Ile de Saghalian.
Une convention conclue avec les Etats-Unis assura
à ceux-ci la cession de l'Amérique russe ^186").
Chacun connaît les derniers événements du
règne : l'alliance éphémère des trois empereurs
de Russie, d'Allemagne et d'Autriche (1873) ;
l'intervention diplomatique de la Russie à Berlin
en faveur de la France (1875); les revendications
du prince Gortchakov en faveur de la Serbie, du
Monténégro et des Bulgares (1876) ; la guerre
de Turquie (1877), le passage du Danube, les
batailles sous Plevna, la traversée des Balkans,
la victoire de Philippopoli (1878), la prise de
Kars et d'Erzeroum, le traité de San-Stéfano,
amendé par le congrès de Berlin (1878). Déjà,
pendant la guerre franco-allemande, la Russie
avait obtenu de l'Europe la mod4fication du traité
de Paris et la libre navigation de la mer Noire
(1871). Le congrès de Berlin, malgré l'impuiB-
sante opposition de lord Beaconsfield, lui resti-
tua les bouches du Danube, lui céda la forte-
resse de Kars, le port de Batoum, divers terri-
toires en Asie, et assura l'indépeiidance plus ou
moins complète de ses alliées du sud, les prin-
cipautés de Roumanie, de Serbie, de Monténé-
gro, de Bulgarie et de Roumélie orientale (1878).
On sait aussi que ce règne réparateur vient de
finir d'une façon tragique par le meurtre du tsar
Alexandre II (13 mars 1881), qui avait échappé
cinq fois déjà aux complots du nihilisme. La
Russie semble être entrée, depuis deux ans, dans
une voie de bouleversement dont nul ne peut
encore prévoir l'issue.
Malgré l'extrême gravité de cette crise, la Rus-
sie reste, à l'heure actuelle, un des plus puissants
Etats du monde. L'immensité de son territoire;
le chiffre élevé de sa population (près de 90 mil-
lions d'àmes) ; l'extrême rapidité avec laquelle
elle se développe ; les millions d hommes qu'elle
peut jeter dans un conflit européen; les liens de
religion et de race qui la rattachent aux Slaves
d'Autriche et de Turquie, assurent au peuple
russe, dans un temps donné, un rôle considé-
rable en Europe. [Paul Martine.]
SAISONS
— 1977
SAISONS
SAISONS.— Cosnicgrapliie, IV; Hygiène, V.
— L'action du soleil à la surface de la terre est
variable : nous le reconnaissons par l'expérience
de cliaque jour, et nous appelons xfiixons les pé-
riodes pendant lesquelles ces variations sont le
plus frappantes. Envisagées à ce point de vue, les
saisons ne constituent pas des divisions générales
de l'année applicables à tous les pays. Mais si l'on
étudie le mécanisme astronomique auquel sont
dues les saisons, on reconnaît que l'on peut divi-
ser en périodes qui n'ont rien d'arbitraire les va-
riations d'intensité de l'action solaire qui causent
la difl'érence des cUtimts et celle de la longueur
du jour et de la nuit.
Si l'axe de rotation de la terre était perpendicu-
laire au plan dans lequel elle se meut autour du
soleil, le jour et la nuit seraient égaux pendant
toute l'année, chaque point du globe recevrait
chaque jour la même quantité de chaleur, il n'y
aurait pas de saisons. Mais pour la terre, l'axe de
rotation est incliné de telle sorte que l'équateur
terrestre forme toujours avec le plan de l'éclipti-
que un angle d un peu plus de '.'3 degrés. C'est
cette inclinaison de l'écliptique qui cause les sai-
sons. En effet, l'axe de rotation do la terre restant
parallèle à lui-même pendant la translation du
globe autour du soleil, il arrive qu'aux deux extré-
mités de l'orbite elliptique le pôle sud et le pôle
nord se présentent successivement au soleil. Le
21 juin, la terre se trouve à une des extrémités
de son orbite; ce jour-là, au tropique du Cancer,
situé à 23° 28' au N. de l'équateur, on voit, à
midi, le soleil au zénith. A partir de ce jour, il
cesse de s'élever chaque jour davantage dans le
ciel comme il faisait depuis trois mois. Le lende-
main et les jours suivants on constate qu'à midi
l'astre est un peu moins haut au-dessus de notre
horizon ; il redescend désormais vers l'équateur.
Cet arrêt du soleil au 21 juin s'appelle so/s/îce. Ce
jour-là est le plus long pour notre hémisphère, et
le plus court pour l'hémisphère opposé. Pour
nous c'est le jour du solstice d'élé; pour l'autre
hémisphère, c'est le jour du solstice d'hiver. Pour
nous les jours décroissent à partir du solstice
d'élé, jusqu'au 21 décembre qui est le jour du
solstice d'hiver.
Trois mois après le solstice d'été, lorsque la
terre a décrit le quart de son orbite, c'est-à-dire
le 23 septembre, elle présente son équateur aux
rayons perpendiculaires du soleil : ce jour-là, sous
l'équateur, le soleil passe au zénith à midi, et
pour tous les points de la terre l'astre se lève à
6 heures du matin et se couche à 6 heures du
soir : le jour est donc égal h la nuit. Voilà pour-
quoi on appelle équinoxe (égalité de la nuit et
du jour) le moment où la terre occupe cette posi-
tion. Le 23 septembre est le jour de Véqui7ioxe
d'automne. Lî terre, continuant sa course, atteint
le 21 décembre le solstice d'hiver, moment où le
soleil s'élève le moins pour nous au-dessus de
l'horizon, tandis qu'au tropique du Capricorne il
passe au zénith à midi ; puis l'astre se relève cha-
que jour pendant trois mois, et la terre se trouve
le 21 mars, jour de Véquinoxe du printemps, en
face du lieu où elle se trouvait le jour de l'équi-
noxe d'automne.
Nous avons admis ((ue pendant son mouvement
de translation autour du soleil, l'axe de la terre
restait toujours parallèle à lui-môme. Cela n'est
pas strictement exact. Il résulte de l'attraction so
laire sur la partie renflée de l'équateur un dépla-
cement appréciable dans la direction de l'axe de
rotation ; celui-ci décrit très lentement un cercle,
à la manière d'une toupie, qui se trouve animée des
trois mouvements du la terre : rotation autour de
son axe, translation sur un plan, et mouvement
conique de l'axe autour de la verticale passant par
la pointe. Pour la terre, ce mouvement conique
est très lent : il accomplit un tour en 2<i 000 ans.
Ce changement ainsi produit dans la direction
de l'axe de la terre pendant qu'elle parcourt son
orbite n'est guère que de i degré en 12 ans.
Néanmoins on peut constater chaque année qu'il
apporte une perturbation dans l'ordre que nous
venons d'établir pour la succession des équinoxes.
Cette perturbation ramène l'équinoxe de prin-
temps environ 20 minutes et 19 secondes plus tôt
chaque année, et comme l'année tropique est le
temps qui s'écoule entre deux équinoxes de prin-
temps, on voit que cette année est plus courte
que l'année sidérale. L'équinoxe de printemps se
trouvant chaque année précéder un peu l'époque
qui correspond à l'équinoxe de l'année précédente,
on appelle précession des équinoxes le mouvement
très lent effectué le long de l'écliptique par les
points équinoxiaux, en sens inverse de la transla-
tion de la terre.
La saison astronomique est un espace de temps
compris entre un équinoxe et un solstice. Le prin-
temps commence du 19 au 21 mars, l'été du 2)
au 22 juin, l'automne du 22 au 23 septembre,
l'hiver du 20 au 21 décembre. Sile soleil se trou-
vait au centre de l'orbite de la terre, les quatre
saisons seraient d'égale durée : l'inégalité est pro-
duite par la vitesse inégale de la terre, dans son
orbite, causée par l'excentricité du soleil. La
durée des saisons est à peu près la suivante :
Printemps 94 jours.
Eté 93 —
Automne 89 —
Hiver 89 —
Maintenant que nous connaissons le mécanisme
dos saisons astronomiques, examinons leurs rela-
tions avec la température, qui forment la base des
divisions adoptées en météorologie.
Il semble, à première vue, que la température
d'un point de la terre devrait augmenter pendant
tout le temps que, pour ce point, le soleil s'élève
chaque jour davantage au-dessus de l'horizon,
puis diminuer dans la même mesure. Ainsi, pour
nos latitudes, elle augmenterait depuis le solstice
d'hiver jusqu'au solstice d'été. S'il en était ainsi,
les saisons météorologiques ne coïncideraient plus
avec les saisons astronomiques : le printemps com-
mencerait un mois et demi avant l'équinoxe de
printemps, l'été un mois et demi avant le solstice
d'été, et ainsi de suite. Mais la température d'un
lieu dépend à la fois de la chaleur émise par le so-
leil et de la chaleur que la terre rayonne après
l'avoir emmagasinée. En réalité, la température
augmente tant que la chaleur émise par le sol est
plus que suffisante pour compenser la déperdition
due à l'inclinaison croissante du soleil. Aussi la
chaleur continue-t-elle do s'accrokro pendant
quelque temps après le solstice d'été. De même
le froid continue d'augmenter après le solstice
d'hiver, parce que l'obliquité moindre des rayons
solaires ne suffit pas pour compenser l'absorption
par le sol longtemps refroidi.
D'après la division astronomique des saisons,
l'hiver devrait être identique à l'automne et le
printemps identique à l'été, puisque la terre oc-
cupe, dans l'un et l'autre cas, des positions iden-
tiques par rapport au soleil. C'est donc à la raison
que nous venons d'exposer qu'il faut attribuer,
SAISONS
— 1978
SALPÊTRE
dans nos régions, la différence si marquée des
saisons. Pour nous, au point de vue météorologi-
que, l'année peut se diviser en quatre périodes ou
saisons assez bien adaptées à la marclie ordinaire
delà température. Cliaque période comprend trois
mois pleins: l'hiver se compose de décembre,
janvier, février, le printemps de mars, avril, mai,
et ainsi de suite. Dans l'hémisphère austral, pour
des latitudes correspondantes, les saisons météo-
rologiques sont inverses des nôtres, puisque le
solstice d'été a lieu le 21 décembre.
l\e perdons pas de vue que la classification des
saisons météorologiques telle que nous l'avons
établie pour les pays des zones tempérées cesse
d'être applicable quand on s'éloigne de ces zones.
Près du polo il n'y a guère que deux saisons,
l'une plus glacée que l'autre; entre les tropiques,
toutes les saisons sont chaudes, et c'est la fré-
quence des pluies pendant certaines périodes qui
constitue les saisons locales.
Envisagées au point de vue météorologique
local, les saisons exercent une influence évidente
sur les plantes et sur les animaux. L'homme peut
par son industrie et ses mœurs se dérober en
partie h cette influence, mais il ]ie saurait s'y
soustraire complètement. En France, les naissances
atteignent leur maximum en janvier, décroissent
graduellement jusqu'en juin et juillet, puis aug-
mentent jusqu'à décembre. La mortalité des en-
fants varie régulièrement suivant les saisons;
celle des adultes est plus forte en hiver et au
printemps qu'en été et en automne.
On peut considérer que chez l'homme, la com-
bustion plus ou moins considérable de carbone
correspond à une plus ou moins grande activité
vitale. Or on a démontré que cette quantité varie
régulièrement, dans nos climats, suivant les sai-
sons. Elle diminue de juin h septembre, puis
augmente pendant trois mois pour rester station-
naire jusqu'à la fin de mars ; le mouvement as-
censionnel recommence en avril et mai pour cesser
en juin. La plus grande difl'érence observée est de
O^'.lti d'acide carbonique par heure.
On travaille depuis quelques années à une sta-
tistique médicale qui permettra de reconnaître
avec quelque exactitude l'influence des saisons
sur les maladies. Les documents recueillis jusqu'à
ce jour sont insuffisants pour qu'on en tire des
conclusions pratiques. Tout en admettant l'in-
fluence saisonnière dans l'apparition et la recru-
descence des maladies, il faut d'ailleurs reconnaî-
tre que les maladies saisonnières d'une année ne
ressemblent pas toujours à celles que l'on constate
d'ordinaire, et que les observations n'ont jamais
qu'une valeur locale.
La saison froide est chez nous la plus dange-
reuse. Le froid n'est pas tonique, comme on le dit
généralement : il produit indirectement la tonicité
chez les sujets robustes et bien portants, en les
obligeant à un exercice salutaire, mais il n'en est
pas moins, par lui-même, un débilitant. Son action
est funeste aux enfants, aux vieillards, aux conva-
lescents, aux personnes affaiblies par les priva-
tions, les chagrins. Gardez-vous, si vous n'êtes
pas très robuste, de braver le froid pour vous
aguerrir, ce serait livrer combat à plus fort que
vous. Craignez surtout, lorsque vous êtes obligé
d'afi'ronter les intempéries, de chercher dans l'al-
cool une source de chaleur ou de lorce. Après
une excitation passagère, l'alcool vous laisse plus
sensible et moins capable de réagir. Une ali-
mentation abondante, riche en matières grasses,
est le meilleur préservatif contre le froid.
11 est assez facile de se préserver des accidents
causés par la chaleur. Si les ouvriers suspendent
leurs travaux au soleil de midi à trois heures, ils
n'ont pas à craindre l'insolation. Evitez de boire
froid quand vous êtes en sueur, ne vous laissez
pas aller à l'indolence, mangez suffisamment,
même si vous n'y êtes pas enclin, et vous n'aurez
rien à redouter de la saison chaude. Quelle que
soit la température, craignez les courants d'air :
la fraîcheur agréable qu'ils produisent constitue
un danger sérieux, et sur ce point on ne saurait
pousser trop loin les précautions.
Au printemps et à l'automne portez des vête-
ments un peu trop chauds pour la saison ; mangez
un peu plus qu'en été, moins qu'en hiver ; prolon-
gez, s'il se peut, votre sommeil; ne vous exposez
pas volontairement à l'humidité, surtout la nuit ;
après un refroidissement môme insignifiant en ap-
parence, frottez-vous énergiquement tout le corps
et couvrez-vous de flanelle : vous éviterez ainsi les
maladies de la gorge et des poumons, les fièvres
et les rhumatismes qui vous guettent pendant ces
époques de transition. [D' Saffray.]
SALPÊTRE. — Chimie, XVL — Snlpe'li-e, qui
veut dire pierre de sel, est le nom ancien et com-
mun du sel que les chimistes appellent, d'après sa
composition. Azotate de posasse. Sa formule chimi-
que est Az05,K0. On lui donne aussi les noms de
nitre, sel de nitre, nitrate de potasse. Le salpêtre
ou azotate de potasse, comme sa formule le rap-
pelle, est formé d'acide azotique et de potasse;
c'est un sel incolore ou blanc, cristallisé en prismes
à six pans terminés par des pyramides également
hexagonales. Ces cristaux ne contiennent point
d'eau, et ne s'altèrent point à l'air; leur saveur est
fraîche, légèrement piquante etamère. Le salpêtre
se dissout dix fois plus dans l'eau bouillante que
dans l'eau froide : c'est ce qui permet de le séparer
facilement des matières étrangères qui l'accom-
pagnent dans les salpêtres bruts.
Le salpêtre, comme tous les autres azotates, mais
avec plus d'intensité, fuse quand on le projette sur
des charbons incandescents, c'est-à-dire que, par
son oxygène, il provoque une vive combustion qui fait
entendre une espèce de sifflement caractéristique,
en même temps qu'il produit une vive lumière, ren-
due un peu violacée par la présence des vapeurs de
potassium. Dans une leçon de chimie sur les sels, il
est intéressant de répéter cette expérience facile et
tout à fait inoffensive. On n'oubliera pas non plus
de faire cristalliser du salpêtre par voie humide;
l'opération est facile, elle réussit toujours, et on
peut pour ainsi dire assister, de vim, à la forma-
tion des cristaux. Pour cela on sature à chaud avec
de l'azotate de potasse un demi-litre environ d'eau
distillée, puis on laisse refroidir en regardant de
temps en temps la liqueur.
Si on chauffe de l'azotate de potasse dans ui»
creuset, il fond vers .350» ; il est alors liquide com-
me de l'eau et se prend en masse cristallisée com-
pacte par refroidissement. Ce sel peut donc, comme
beaucoup d'autres du reste, subir deux cristallisa-
tions : la cristallisation par voie sèche ou par fa-
sion, et la cristallisation par voie humide ou par-
dissolution. Cliauffé au-dessus de 330°, il se décom-
pose en dégageant de l'oxygène et en laissant un
résidu solide d'azotite de potasse, KO.AzO-'. Enfin
au rouge, ce dernier sel lui-même se décompose-
en perdant son azote et une partie de son oxygène,
et en laissant un résidu solide de potasse et de
peroxyde de potassium.
Mélangé au charbon pulvérisé et au soufre dans-
des proportions convenables, il forme des matiè-
res expliisibles dont la principale est la poutre *.
Produclioa naturelle du salpêtre. — Comme il a
été dit à l'article Azote (p. :i3S), on rencontre le
salpêtre à la surface du sol, sous forme d'efflores-
cence et mélangé à la terre, dans beaucoup de-
pays chauds.
Dans les climats tempérés on le rencontre à la
surface des vieilles murailles habituellement hu-
mides, dans les vieilles écuries, les caves et les
maisons abandonnées, puis à la surface des vieux
SALUBRITÉ PUBLIQUE
1979
SALUBRITE PUBLIQUE
plâtras : parle temps sec, il apparaît sous forme de
poussière blanche efflorescente.
Ces formations naturelles du salpêtre ne sont
point encore parfaitement expliquées aujourd'hui
(V. Azotf).
Co qui est certain, c'est que les conditions les
plus favorables à la formation du salpêtre à la
surface des murailles ou du sol des écuries et des
caves sont : la présence d'un sol calcaire et hu-
mide, puis de matières organiques en décomposi-
tion. Celles-ci sont-elles absolument indispensa-
bles? On ne peut pas l'affirmer, car un courant
d'air passant à travers des pierres poreuses peut
dans certains cas donner naissance à de l'acide azo-
tique (Cloëz) ; il ne paraît donc pas indispensable de
recourir à l'azote des matières organiques en dé-
composition pour expliquer la formation du salpê-
tre ; nous ajouterons néanmoins que leur présence
la favorise singulièrement, comme on le voit dans
le cas des nitrières artificielles.
Aujourd'hui en France on fabrique le salpêtre
avec l'azotate de soude qui nous arrive abondam-
ment du Chili, en traitant celui-ci par le chlorure
de potassium. Par leur mélange dans l'eau bouil-
lante, il se forme du chlorure de sodium ou sel
marin et de l'azotate de potasse.
Par le refroidissement, la plus grande partie de
l'azotate de potasse se déposera en cristallisant,
parce que ce sel est beaucoup moins soluble à
froid qu'à chaud. Le chlorure de sodium, dont la
solubilité ne change pour ainsi dire point avec la
température, restera en grande partie dans la dis-
solution.
Les usages du salpêtre ont été indiqués à l'ar-
ticle Azoïe (p. 3.38). [Alfred Jacquemart.]
SALUBRITÉ PUBLIQUE. — Hygiène, XVII. —
Pour les individus réunis en sociétés, la liberté
individuelle se trouve limitée par le droit que pos-
sède chaque citoyen de n'éprouver aucun préjudice
de la part des autres. En outre l'Etat est intéressé
à ce que chaque citoyen soit à même de rendre le
plus de services possible et ne devienne pas, par
sa faute, une charge pour la communauté.
Or, pour que l'homme soit apte à rendre le
plus de services possible et ne devienne qu'acci-
dentellement une charge pour la société, il faut,
avant tout, comme l'a dit le philosophe américain
Emerson, qu'il soit un « bon animal », c'est-à-dire
qu'il jouisse d'une santé robuste et ne la com-
promette par aucune infraction grave aux lois de
l'hygiène. L'Etat a le droit d'exiger cela tout
aussi bien qu'il exige un impôt ou le service mi-
litaire. l)n citoyen représente dans l'Etat une
valeur dont profite la masse ; par conséquent, il
importe de ne pas lui permettre de diminuer
volontairement cette valeur. A l'Etat de trouver les
moyens d'accomplir cette partie de sa tàclie de
manière à entraver le moins possible la liberté
des individus. L'éducation, en vulgarisant l'hy-
giène, la ferait entrer dans les mœurs et restrein-
drait, autant qu'on peut, le souhaiter, l'interven-
tion officielle.
En Angleterre, en Italie, aux Etats-Dnis, on
agite la question de créer un ministère de la
santé publique, un véritable ministère d'hygiène.
En attendant, les attributions de ce ministère
sont réparties, comme chez nous, entre diverses
autorités chargées de veiller à la salubrité publi-
que, à l'hygiène des populations.
Pour bien .ipprécier le rôle de l'Etat dans cette
branche de l'administration, il faut considérer
l'hygiène comme l'ensemble des connaissances et
des mesures propres à améliorer l'homme au point
de vue physique, intellectuel et moral, aie défen-
dre contre les causes de maladie et de dégéné-
rescence. Il est évident que l'hygiène considérée
à ce point de vue implique l'intervention de l'au-
torité.
En France, les questions sanitaires rentrent,
d'une part, dans les attributions de plusieurs
départements de l'administration centrale ; de
l'autre, dans celles des administrations départe-
mentale et communale.
C'est spécialement au ministère de l'agricul-
ture et de commerce qu'est confiée la tutelle de
la santé publique. Les afl'aires sanitaires y sont
réparties de la manière suivante :
DlHECTION DU SECnÉTABIAT GÉNÉRAL. DiVISIOI*
DU PERSONNEL. — 1"^' bureau. — Nominations, pro-
motions et mouvements. — Comité des arts et
manufactures; comité consultatif d'hygiène pu-
blique ; médecins et agents sanitaires ; médecins
inspecteurs des établissements d'eaux minérales.
— Statistique générale rie la France. — Mouve-
ment annuel de la population ; commissions canto-
nales permanentes de statistique ; publication des
documents destinés à la continuation de la statisti-
que générale de France.
Direction de l'agbicultire. — I" bureau. —
Enseignement agricole et vétérinaire. — Vache-
ries, bergeries, colonies : et asiles agricoles ;
écoles vétérinaires ; e.xercice de la médecine vé-
térinaire ; épizooties. — 2* bureau. — Encoura-
gements à C agriculture et secours. — Dessèche-
ments et assainissements, drainage, irrigation;
police rurale ; mise en culture des landes, reboi-
sement; secours pour pertes résultant d'épizoo-
ties, inondations ; etc. — 3' bureau. — Subiis-
tances. — Législation relative aux subsistances ;
recours en matière de règlements sur la boulan-
gerie, les abattuirs et sur la vente des comesti-
bles dans les foires et marchés.
Direction du commerce intérieur. — 2* bureau.
— Industrie. — Travail des enfants dans les ma-
nufactures. — 3° bureau. — Police sanitaire et
industrielle. — Comité consultatif d'hygiène pu-
blique; commissions et agences sanitaires, laza-
rets, quarantaines, etc. ; correspondance relative
à l'état de la santé publii»ae, tani en France qu'à
l'étranger ; épidémies ; rapports avec l'Académie
de médecine ; encouragement et propagation de
la vaccine; règlement sur la police des profes-
sions médicales, remèdes secrets; mesures géné-
rales relatives à la salubrité ; police et régime
des établissements d'eaux minérales ; examen et
approbation des règlements relatifs à ces établis-
sements ; subventions ; établissements dangereux,
insalubres et incommodes.
Direction des ponts et chaussées. — Divisio7i
du service hydraulique. — Curage des cours
d'eau; règlements pour l'établissement des usi-
nes ; études relatives aux irrigations ; dessèche-
ment des marais et assainissement des terrains
insalubres; concession ou exécution des travaux
de dessèchement et d'assainissement.
DiiiECTiON DES MINES. — 1" bureau, — Mines.
Eaux minérales. Appareils à vapeur. — Surveil-
lance des mines, tourbières, carrières ; recherche,
conservation et aménagement des sources mi-
raies.
Les services suivants ressortissent au minis-
tère de l'intérieur :
Division de l'administration, générale et dé-
partementale. — 4" bureau. Etablissements gé-
néraux de bienfaisance. — Amélioration des loge-
ments d'ouvriers ; bains et lavoirs publics ; services
de médecins gratuits.
Division de l'administration communale et hos-
piiALiÈRE. — i' bureau. — Hospices communaux.
— Bureaux de bienfaisance.
Direction des prisons et établissements péni-
tentiaires. — l" bureau. — Administration géné-
rale lies prisons. — État sanitaire ; service médical ;
travaux statistiques; institutions de patronage.
Au ministère de la guerre est attaché le Con-
seil de sajité des armées.
SALUBRITÉ PUBLIQUE
1980 — SALUBRITÉ PUBLIQUE
Au ministère de la marine et des colonies est ' des lumières de la science et de s'assurer le con-
attaclié un inspecteur général du service de santé. ! cours des hommes que leurs connaissances spé-
Dans les provinces, les questions relatives à la ! ciales rendent seuls capables de résoudre les pro-
salubritc et à l'hygiène publiques sont confiées à ' blêmes d'hygiène publique. C'est pour cela qu'un
rautoritémunicipaleetenmême temps à l'autorité décret de 1 858 a organisé les conseils d'hygiène
départementale. Les co'/sfi/s d'hygiène et de sa/u- publique et de salubrité des départements, com-
tirité institués dans chaque arrondissement, les posés de médecins, de pharmaciens, de chimistes
médecins des épidémies, les commissions canto- \ et do vétérinaires, assistés par des agriculteurs,
nales doivent aider les autorités dans tout ce qui ' des commerçants, des industriels, des ingé-
touche à l'administration de la santé publique, nieurs, etc.
Les conseils municipaux sont aussi appelés à | Les attributions de ces conseils sont divisées en
intervenir dans les affaires sanitaires, en ce qui douze paragraphes, savoir : 1° L'assainissement
concerne la recherche et la réforme des logements ; des localités et des habitations; — 2° Les mesures
insalubres. à prendre pour prévenir et combattre les mala-
Pour Paris, la direction spéciale des services ' dies endémiques, épidémiques et transmissibles ;
sanitaires est confiée aux administrations sui- 1 — 3° Les épizooties et les maladies des animaux ;
vantes : — 4° La propagation de la vaccine ; — 5° L'organi-
Préfecti're ue la Seine. — 1' division. — Ad- sation et les distributions de secours médicaux
MiNisTBATioN DÉPARTEMENTALE ET coMMi;NALE. — i aux malades indigents ; — 6° Les moyens d'amé-
1" bureau. — Académie de la Seine; faculté de ; liorer les conditions sanitaires des populations
médecine ; visa des diplômes des médecins et des industrielles et agricoles ; — 7° La salubrité des
sages-femmes; listes des vétérinaires ; inspection ' ateliers, écoles, hôpitaux, maisons d'aliénés, éta-
de la vérification des décès; pompes funèbres, ! blissements de bienfaisance, casernes, arsenaux,
cimetières. — 3' bureau. — Abattoirs, halles et : prisons, dépôts de mendicité, asiles, etc. ; —
marchés. — 4« bureau. — AssisUnce publique. | 8° Les questions relatives aux enfants trouves; —
30 Division. Travaux pcblics. — 2' bu- 9" La qualité des aliments, boissons, condiments et
reo!<. — Balayage ; enlèvement des boues, im- médicaments livrés au commerce; — 10» L'amélio-
mondices neiges et glaces; curage d'égouts, ] ration des établissements d'eaux minérales appar-
fosses d'aisances; éclairage public et privé. —' tenant à l'État, aux départements, aux communes
V Aureoi,. — Logements insalubres. ! et aux particuliers, et les moyens d en rendre
Préfecture de police. — Le préfet de police ' l'usage accessible aux malades pauvres; —
est chargé d'assurer la salubrité de la ville : en j 1 r Les demandes d'autorisation, translation ou
prenant des mesures pour prévenir et arrêter révocation des établissements dangereux, insalu-
les épidémies, les épizooties, les maladies conta- bres ou incommodes ; — 12° Les grands travaux
gieuses; en faisant observer les règlements de d'utilité publique, constructions d édifices, écoles,
police sur les inhumations; en faisant enfouir ; prisons, casernes, ports, canaux, réservoirs, lon-
les cadavres d'animaux morts, surveiller les fos- ' taines, halles ; établissement des marches, rou-
ses vétérinaires, la construction, l'entretien et toirs, égouts, cimetières, voirie, etc., sous le rap-
la vidange des fosses d'aisances; en faisant arrêter, port de lliygiène publique. , .
visiter, les animaux suspects de mal contagieux , Les conseils d'hygiène doivent, en outre, reumr
et mettre à mort ceux qui en sont atteints ; en et coordonner les documents relatifs il la mortalité
surveillant les échaudoirs, fondoirs, salles de dis- et i ses causes, à la topographie et à la statisti-
section ; en empêchant d'établir dans l'intérieur que de l'arrondissement, en ce qui touche la santé
de Paris des ateliers, manufactures, labora- publique.
toires, etc., qui doivent être hors de l'enceinte des 1 Le conseil qui réside au chef-lieu du départe-
villes ; en empêchant qu'on ne jette ou dépose 1 ment a pour mission spéciale de centraliser et
dans les rues aucune substance malsaine; en : coordonner les travaux des conseils d arrondis-
faisant saisir et détruire dans les halles, marchés sèment et d'adresser chaque année au préfet un
et boutiques, chez les bouchers, boulangers, mar- \ rapport général qui est immédiateraerii ti|ansrais,
chands de vins, bi'asseurs, limonadiers, épiciers, | avec les pièces à l'appui, au ministre de 1 agricul-
droguistes, apothicaires ou tous autres, les co- I ture et du commerce.
mestibles ou médicaments gâtés, corrompus ou 1 Le département de la Seine possède, comme
nuisibles. Il est chargé de faire administrer des les autres, un conseil d'hygicne publuiue et de
secours aux noyés, et détermine le placement des , salubrité, mais en outre il a été établi dans
boites de secours, etc. — 2« division. — 2° bu- \ chaque arrondissement de Paris une conimission
reau. — Carrières, vidanges, cabinets d'aisances d'hygiène et de salubrité chargée de reunir toutes
et urinoirs publics. — 4« bureau. — Travaux du les informations qui peuvent intéresser la santé
conseil d'hygiène et de salubrité et des corn- ! publique dans l'étendue de la circonscription,
missaires d'hygiène du département de la Seine ; d'appeler l'attention du préfet de police sur les
secours publics, établissements dangereux, et i causes d'insalubrité, et de donner son avis sur les
tout ce qui concerne la salubrité. — Une partie ' moyens de les faire disparaître
de ces dernières attributions est placée sous' " "" ~..^.,, „'„^-r,^.^v
l'autorité du préfet de la Seine. — A la préfec-
ture de police sont attachés un co7iseil de salu- ^ ,.^..., , -- . , _ .
brité;des insi,ecteurs des établissements dangereux nistration centrale, ^un comité^ ^^^^f,[ ^of î, ni a
et insalubres, des inspecteurs des eaux mi7iérales ;
une commission d'inspection du travail de.
juyciio ut; ,co icitio ....^i^..
Comité consultatif d'hïgiène de France. — Four
1 compléter le système d'institutions que nous ve-
nons d'énumérer, on a établi, au siège de ladmi-
fants dans les manufactures ; des inspecteurs des
maisons de santé, de sevrage et de nourrices, etc.
Administration générale de l'assistance publi-
que. — L'administration des hôpitaux, hospices et
secours à domicile de Paris est concentrée en
une adminisiration générale de l'assistance pu-
blique, placée sous l'autorité du préfet de la
Seine.
Conseils d'hygiène publique et de salubrité. —
Pour surveiller et protéger la santé publique,
l'autorité administrative a besoin de s'entourer
aboutir les travaux des conseils locaux et qui a
pour mission d'éclairer l'autorité sur les questions
sanitaires. ,■ • •
Telles sont, chez nous, les principales divisions
administratives auxquelles sont confiées les ques-
tions relatives à l'hygiène publique. Cette énu-
mération suffit pour donner une idée de 1 impor-
tance de l'hygiène publique. Il faudrait plusieurs
volumes pour traiter les sujets principaux qui s y
rattachent. Faute d'espace, nous nous bornerons a
des indications sommaires sur ceux qu'il importe
le plus de connaître.
Assaviissement. — L'assainissement consiste
SALUBRITÉ PUBLIQUE — 1981
SALUBRITE PUBLIQUE
dans la rcclierclie et l'exemple des moyens pro-
pres il faire disparailre les causes d'insalubrité
qui existent dans une localité d'une manière fixe
ou accidentelle : c'est donc la partie essentielle
de riiygiène publii|ue. Les méthodes rationnelles
d'assainissement tendent il purilier ou ii mainte-
nir dans un état convenable de pureté l'air, le
sol et les eaux. Elles s'adressent aux conditions
géographiques, géologiques et climatologiques
de chaque lieu, et consistent d'abord en travaux
de défrichement, de dessèchement, d'irrigation,
do culture. Puis il un point de vue plus restreint,
l'assainissement, consiste à faire disparaître les
causes d'insalubrité à l'extérieur ou à l'ititérieur
des habitations, par l'établissement de drainages,
d'égouts, de voiries, de conduites d'eau, de plan-
tations, etc. ; il disposer les habitations de ma-
nière que chacun jouisse d'un air pur, d'une lu-
mière abondante, et dispose d'une grande quan-
tité d'eau pure.
Marais. — Au point de vue de l'hygiène, on
doit comprendre sous le nom de marais toute
portion du sol alternativement couverte et aban-
donnée par les eaux, et donnant lieu, sous l'in-
fluence du dessèchement et de la chaleur, à un
dégagement de miasmes qui engendrent la fièvre.
Les marais, étangs, lacs, fleuves débordés, pla-
ges découvertes, embouchures de rivières, ca-
naux, défricliements, déboisements, mares, ruis-
seaux, réservoirs, peuvent donc devenir des
foyers d'émanations miasmatiques. Les moyens
de combattre l'influence des marais sont du
ressort de l'administration. Elle seule est res-
ponsable des maux que leur présence engendre,
encore aujourd'hui, dans un grand nombre do
localités. Sans doute, il faut du temps et de
grandes dépenses pour réaliser les améliorations
urgentes ; mais on ne doit pas perdre de vue
qu'en outre de la reconstitution des populations
étiolées et décimées par les miasmes, des tra-
vaux d'assainissement donnent toujours aux ter-
rains oti ils sont exécutés une plus-value qui
dépasse de beaucoup la première mise de fonds.
Kgouts. — On appelle égouts les canaux sou-
terrains destinés à recevoir, dans les villes, les
eaux impures ou encombrantes, pour les déverser
sur un sol cultivé, dans des puisards ou dans un
cours d'eau. C'est de leur construction et de
leur aménagement ([ue dépend en grande partie
la salubrité des villes. Leur construction et leur
entretien nécessitent des connaissances spéciales.
Quant à l'utilisation des eaux d'égout, divers
systèmes sont en présence ; on exécute des ex-
périences sur une vaste échelle, et l'on peut
espérer que dans un avenir prochain les cours
d'eau ne seront plus empoisonnés et souillés par
l'afflux de ces liquides infects, dont l'industrie
peut retirer des matières fertilisantes, si on ne
trouve pas plus avantageux de les purifier par
une Hltration lente à travers des terrains cultivés.
Eau. — On peut d'ordinaire apprécier la salu-
brité d'une ville par la quantité d'eau dont peut
disposer chaque habitant, pourvu que le liquide
qui a servi à l'entretien de la propreté des per-
sonnes et des habitations ait un écoulement facile
et disposé suivant les règles de l'arl. L'eau dis-
tribuée dans les villes doit avant tout être pure.
Le repos et la filtration ne donnent pas à l'eau
contaminée des grands fleuves les qualités requises
par les hygiénistes. 11 faut, à tout prix, amener les
eaux de rivières qui coulent dans des vallées peu
habitées.
l oiî'jev. — Au point de vue de l'hygiène pu-
blique, la question des voiries peut se ramener
aux termes suivants : quels sont les moyens les
moins insalubres et les plus pratiques pour éva-
cuer hors des villes et utiliser les débris organi-
ques et les résidus de toute sorte qui résultent
d'une grande agglomération humaine ? Ces débris
et résidus peuvent être distribués en trois classes :
imniondii:es ; débris des halles et marchés, de
l'économie domestique, boues, etc; — excréments
tant des hommes que des animaux ; — cada-
vres, comprenant ceux des hommes et des ani-
maux. D'où la division des voiries en 1° voiries
d'immondices; T voiries de matières fécales;
S" voiries d'animaux morts. Les cadavres humains
forment, bien entendu, un groupe séparé.
Habitations. — L'hygiène ne doit pas seulemen
s'occuper des habitations dans l'intérêt de ceux
qui les habitent, pour les prémunir contre leur
inexpérience, les protéger contre la rapacité ou
l'ignorance d'un propriétaire, d'un logeur, etc. ;
la police sanitaire surveille la construction des
maisons, leur élévation, la largeur des rues, oblige
il assainir les logements insalubres, ou en interdit
la location. Si le danger résulte de causes exté-
rieures et permanentes, ou lorsque ces causes ne
peuvent être détruites que par des travaux d'en-
semble, la commune exproprie les immeubles et
les revend lorsqu'elle a fait disparaître les causes
d'insalubrité.
Fosses et cabinets (faisances, — Malgré les per-
fectionjiements apportés dans cette partie des ha-
bitations, les résultats obtenus ne sont pas satis-
faisants. Les intérêts de l'agriculture et ceux de
l'hygiène s'accordent pour réclamer qu'aucune par-
tie des résidus humains ne soit perdue par l'écou-
lement direct dans les cours d'eau. D'autre part il
importe que ces résidus ne s'accumulent pas long-
temps dans les habitations et que l'on ne soit pas
obligé d'en faire de vastes dépôts qui deviennent
forcément des foyers d'infection. Tout ce qui con-
cerne ces questions et celle des vidanges est l'ob-
jet d'études pratiques dont il faut attendre le
résultat. Comme mesures provisoires, l'hygiène
conseille et exige d'entretenir dans un état de
propreté parfaite les cabinets publics et privés,
de ventiler les fosses, et de munir les conduits de
soupapes à joint hydraulique qui s'opposent à la
sortie des gaz mé|)hitique3.
Hôpitaux et hospices. — On désigne générale-
ment sous le nom d'hôpitaux les établissements
destinés au traitement gratuit des indigents at-
teints de maladies aiguës, tandis qu'on donne le
nom d'hospices aux asiles où sont recueillis les
enfants abandonnés, les vieillards, les incurables
et les infirmes non domiciliés. Ces établissements
, ressortissent à l'assistance publique, pour la tu-
telle administrative, les soins médicaux et l'hy-
giène. A ce dernier point de vue, la question des
hospices et des hôpitaux est depuis quelque temps
l'objet de discussions et d'expériences qui semblent
appelées il modifier profondément les vieilles cou-
tumes. On tend il éloigner ces établissements de»
centres de populatioji, ii multiplier les corps de
' logis, à substituer aux constructions permanentes
des chalets, des pavillons destinés à être détruits
aux premiers indices d'infection. L'extension des
secours li domicile permettra en outre de dimi-
nuer beaucoup la population des établissements
hospitaliers, sans grever sensiblement le budget,
et pour le plus grand profit de l'hygiène.
Vérification des décès. — La législation relative
aux décès prescrit : la déclaration à la mairie par
deux témoins; la constatation ii domicile par of-
ficier cfctut civil. Malheureusement cette dernière
formalité n'est pas accomplie comme l'exige la loi.
Dans quelques grandes villes, les municipalités
ont tenté de faire suppléer l'officier d'état civil
par des médecins spéciaux, et des arrêtés, des
circulaires préfectorales sont venus sanction-
ner en quelque sorte cette substitution qui
n'est pas prévue par la loi. La vérification des
décès est importante au point de vue do l'hygiène
publique, pour reconnaître les cas de mort appa-
SALUBRITE PUBLIQUE — 1882 — SALUBRITE PUBLIQUE
Tente et pour appeler l'attention des autorités sur
les décès causés par des maladies contagieuses.
Inhumations. — L'Iiygiène publique s'occupe
spécialement de ce qui concerne les inhumations,
afin d'atténuer, autant que possible, les inconvé-
nients ou les dangers des émanations qui pro-
"viennent de la décomposition putride. Sans porter
aucunement atteinte au respect religieux dont
nous aimons à entourer les morts, on pourrait
adopter des systèmes d'inbumation bien différents
de celui d'aujourd'hui, qui assureraient une rapide
destruction des cadavres et s'opposeraient à la
rproduction d'émanations infectes ou de miasmes
dangereux. Depuis longtemps il n'est plus permis
d'inhumer dans les églises. On cherche à éloigner
le plus possible les cimetières des centres de
population. L'ancienne coutume de la crémation
revient timidement en faveur : peut-être est-ce le
mode d'inhumation que l'hygiène fera prévaloir
dans les grandes villes,
Etablissements insalubres. — La plupart des
grands établissements industriels sont incom-
modes ou insalubres pour leurs voisins, à cause
du bruit, de la fumée, des odeurs, des vapeurs,
des poussières.
Les établissements dangereux, insalubres ou in-
commodes ont été divisés en trois classes, et l'on
exige pour leur exploitation des autorisations
spéciales. L'autorisation n'est accordée qu'après
une enquête suivie d'un rapport du conseil de sa-
lubrité. Les établissements de première classe sont
ceux qui doivent être éloignés des habitations par-
ticulières, mais qu'il n'est pas nécessaire d'exclure
de l'enceinte des villes. Les établissements de
seconde c/cisse sont ceux dont l'éloignement des
habitations n'est pas indispensable, mais dont il
importe de ne permettre la formation qu'après
avoir acquis la certitude que les opérations qu'on
y pratique sont exécutées de manière à, ne causer
aucun dommage aux voisins. Les établissements
de troisième classe sont ceux qui peuvent rester,
sans inconvénient, auprès des habitations, mais
<3ui doivent être soumis à la surveillance de la
police.
Subsistajices. — On comprend sous ce nom
toutes les substances employées à l'alimentation
des hommes. Ce sujet touche en même temps
aux plus graves questions de l'économie politique
€t aux plus diflicilcs problèmes de l'iiygièue. Le
développement, la santé, la vie des hommes dé-
pendent, avant tout, d'une alimentation suffisante,
convenable et assurée. Les économistes et les
hygiénistes ont reconnu l'influence constante
qu'exercent sur les naissances et sur la mortalité
l'équilibre des subsistances, la cherté des vivres,
l'abondance ou la disette.
Les progrès des sciences agricoles, les facilités
apportées à l'échange par la création et l'amélio-
ration des moyens de transport, la vulgarisation
du crédit, les traités de commerce, favoriseront
<ie plus en plus les approvisionnements réguliers
et ;\ bon marché. En attendant il importe d'éclairer
les populations ouvrières sur la valeur hygiénique
des aliments et des boissons. La même somme
bien ou mal dépensée, chaque jour, peut, en effet,
procurer une nourriture suffisante ou produire
graduellement l'inanition.
_ Le_ devoir de l'Etat et des autorités locales ne
s arrête pas aux mesures propres à rendre impos-
sibles les disettes, les accaparements et même les
cours trop élevés des aliments de première néces-
sité. La qualité des subsistances mises en vente
doit être strictement surveillée pour éviter les
dangers auxquels exposeraient la cupidité ou
l'ignorance des vendeurs, la pauvreté ou l'inex-
périence des acheteurs. Voilà pourquoi des règle-
ments spéciaux régissent la vente des aliments et
des boissons.
Epidémies. — V. ce mot.
Travail des enfants. — C'est en 1841 que la loi
s'est occupée pour la première fois, en France,
du sort des enfants qui, malgré leur jeune âge,
étaient utilisés par l'industrie pour une foule de
travaux, bien souvent au-dessus de leurs forces, et
toujours pour un temps trop prolongé. Depuis
cette époque, l'initiative de quelques grands ma-
nufacturiers et l'intervention de l'Etat ont considé-
rablement amélioré la condition des enfants dans
les villes manufacturières. Cependant il reste
encore beaucoup à faire pour donner satisfaction
aux justes réclamations des hygiénistes. La loi
actuelle laisse encore la porte ouverte à beaucoup
d'abus, et môme dans son observation stricte elle
ne préserve pas l'enfance des causes d'étiolement
et d'abâtardissement auxquelles l'expose le travail
des ateliers.
Vaccination. — Depuis la découverte de la vac-
cine le gouvernement s'est efforcé de la propager
par l'institution du Comité central de vaccine, de
la Société centrale de vaccine, puis par l'influence
de VAcademie de médecine. 11 s'en faut de beau-
coup toutefois que le service des vaccinations
décennales soit assuré sur notre territoire. Tout
manque pour cela : le vaccin régulièrement cul-
tivé, l'argent pour payer les vaccinateurs. Des
mesures fiscales et administratives suffiraient peut-
être pour rendre générale la pratique de la vacci-
nation et des revaccinations, mais il faudrait beau-
coup de temps. Aussi la majorité des hygiénistes
désirent voir voter une loi actuellement à l'étude,
qui rendrait la vaccination obligatoire. A moins
que l'on ne prouve, en effet, que la vaccination
n'a pas diminué la mortalité, l'État a le droit et le
devoir d'intervenir dans cette question comme
dans tout ce qui concerne les maladies infectieu-
ses et contagieuses, sans se préoccuper des opi-
nions personnelles de ceux à qui il prescrit les
mesures sanitaires en vue de la salubrité publi-
que.
Statistique. — Pour asseoir la science de l'hy-
giène sur des bases positives, il faut appeler à
son aide la statistique, qui seule peut fournir des
données précises sur les questions de population,
de subsistances, de climatologie, de maladies en-
démiques et épidémiques, les systèmes péniten-
ciaires et d'assistance publique, etc. Voili pour-
quoi on a institué au chef-lieu de chaque canton
une commision de statistique chargée de tenir à.
jour des tableaux dressés par l'administration
centrale.
Population. — Les lois qui régissent les nais-
sances et la mortalité intéressent l'Iiygiène autant
que l'économie politique. Cependant il ne faut pas
faire rentrer dans le cadre de l'hygiène publique
les théories sur le principe de la population ou
les calculs abstraits de probabilités. L'hygiène
n'emprunte ses chiffres à la démographie que pour
en faire une application pratique. A ce point de
vue, elle est obligée do rechercher par les meil-
leures méthodes les causes qui influencent les
mouvements de la population, afin de trouver un
remède aux anomalies signalées par la statistique.
Les travaux récents ont sous ce rapport une va-
leur bien plus grande que ceux qui ont été exé-
cutés pendant la première moitié du siècle.
Cette énumération rapide et fort incomplète
suffit pour donner une idée des questions qui
sont du domaine de la salubrité publique.
Si l'on compare l'hygiène de nos jours i celle
d'il y a cinquante ans, on est surpris des progrès
accomplis et des résultats obtenus. Mais quand
on considère ce qui reste i faire, on comprend
qu'il faut être modeste pour le passé et ambi-
tieux pour l'avenir. Au fond de toute question
sociale on trouve un problème d'hygiène. Pour
résoudre ces problèmes, il faut le concours de
SANG
— 1983 —
SANG
tous les savoirs, de toutes les bonnes volontés,
de toutes les autorités. De leur solution dépend,
en grande partie, la grandeur et la prospérité de
notre pays. [D' Saffray.J
SA^G. — Zoologie, XXXIV. — Le sang est le mi-
lieu intérieur aux dépens duquel se nourrissent
les tissus.
Dans cette république dont les éléinents anato-
miques sont les innombrables citoyens, le sang a
pour fonction de veiller au maintien de la nutri-
tion de chaque individu, en lui apportant les ma-
tériaux nécessaires à son entretien, le pabulum
vit^, et en se cbargeant des produits devenus
impropres à sa vie, qu'il rejettera aussitôt au
deliors.
Nous parlerons ici surtout du sang rouge des
animaux vertébrés, sans nous appesantir sur ce
liquide tran.'sparent et plus ou moins incolore qui
constitue le sang des animaux inférieurs et se rap-
proche davantage de la hjmphe des animaux supé-
rieurs.
Contenu dans des canaux ou vaisseaux à l'in-
térieur desquels il circule grâce au jeu de cette
double pompe foulante qui est le cœur, le sang ne
tarde pas à perdre sa fluidité au sortir des vais-
seaux ; quelques minutes après, il commence déjà
à devenir ferme, il se coagule, devient sang mort.
Celui-ci se compose d'une masse compacte, rouge,
assez ferme, que l'on nomme caillai. Douze ou qua-
torze heures après, ce caillot se contracte, la partie
liquide se trouve exprimée sous forme de sérum,
liquide limpide ou un peu opalin dans lequel
flotte le caillot, formé en majeure partie des élé-
ments solides du sang, les glolnilei.
Voilà, ce qui se passe lorsqu'on abandonne le
sang à lui-même ; mais cette coagulation si ra-
pide, que l'on voit se produire en moins d'une
minute pour le sang du lapin, n'apparaît pas lors-
qu'on procède à son battage au sortir du vaisseau.
Si l'on vient à agiter le sang avec un balai ou une
baguette pendant qu'il jaillit, il s'attache h. l'ins-
trument des filaments blanchâtres, et le sang qui
reste ne se coagule plus. C'est donc à cette sub-
stance filamenteuse, nommée fibrine, qu'e,«t duo
la coagulation du sang.
Considérons maintenant le sang comme un tissu
i substance intercellulaire liquide ; nous allons
l'étudier au point de vue pour ainsi dire anato-
mique.
D'une densité variable qui oscille entre 1,045 et
1,075, sa chaleur chez l'homme est comprise entre
36 et -39 degrés centigrades ; sa réaction est alca-
line. Il se compose de deux parties bien distinctes :
le cruor, qui comprend la partie solide, les glo-
bules donnant au sang sa couleur rouge ; le liquor,
qui comprend toute la partie liquide à l'état phy-
siologique. Normalement ces deux parties sont en
quantité sensibleinent égale, et le sang peut être
défini : U7ie certaine masse de cruor en suspension
dans une masse égale de liquor. Mais on comprend
que cette dernière partie puisse être sujette à de
nombreuses causes de variation, et être influencée
par exemple par l'état de diète ou de digestion,
sans qu'il en résulte néanmoins un état patholo-
gique, une maladie. Cela tient à la facilité avec la-
quelle peut se reproduire la masse liquide du
sang; tout le monde connaît la sensation de soif
intense qui suit une grande perte de sang, une
hémorrhagie. Quant à la masse du cruor, elle ne
se reforme que lentement, et la diminution con-
sidérable des globules constitue une maladie i la-
quelle les médecins ont doiuié le nom d'anémie.
Telle est l'importance des globules, que dans une
hémorrhagie, lorsque la perte de sang atteint une
certaine proportion, la vie ne peut plus être en-
tretenue dans l'organisme qui en est le siège, si
on ne procède immédiatement i la transfusion,
c'est-à-dire si on ne fait pénétrer dans la circu-
lation de l'individu anémié une certaine quantité
de sang retiré à un animal de même espèce.
Dans la partie solide du sang on ne trouve
donc qu'une seule sorte d'éléments : les globules,
que l'on distingue en globules rouges et globules
blancs, auxquels nous ajouterons les granulations
libres.
A. Globules rouges. Los globules rouges forment
la plus grande partie des éléinents solides du sang,
puisqu'il y a en moyenne 300 globules rouges pour
1 globule blanc.
Après avoir fait une légère piqûre i l'extrémité
du doigt, nous recueillons sur une lame de verre
la guttule de sang qui s'échappe, et nous la re-
couvrons immédiatement d'une lamelle bien net-
toyée qui l'étalé uniformément. C'est là une pré-
paration microscopique de sang. Si nous plaçons
maintenant sous le microscope cette préparation
en nous servant d'un objectif grossissant 500 ou
GOO fois, nous observerons en nombre immense
des corpuscules colorés en jaune pâle, qui se
présenteront sous différentes formes. Les uns, fran-
chement circulaires, offrent sur leur surface des
s et les globules blancs du
i 600 fuis.
Fig. 1. — Les globules
1, globule rou^e, vu de face."'
2, globule rouge, vu de profil.
3, globule blanc.
différences de réfringence : si on rapproche l'ob-
jectif, le centre est brillant, le bord obscur ; si on
éloigne l'objectif, le contraire se produit, le bord
devient brillant et le centre obscur, ce qui indique
un renflement des bords. D'autres corpuscules pa-
raissent plus ou moins ovales ; d'autres enfin, plus
colorés, présentent deux renflements arrondis, ils
ont une forme en bissac. Mais des courants vien-
nent-ils à s'établir dans la préparation ? — et on peut
facilement en faire naître en appuyant légèrement
sur un point de la^lamelle — on voit immédiate-
ment qu'un même corpuscule, dans ses mouve-
ments, présente les divers aspects que nous ve-
nons de signaler, et qui sont,dus à ses change-
gements de position par rapport à l'œil de l'obser-
vateur. De ces trois aspects nous déduirons donc
que le corpuscule est un disque renflé sur ses
bords. Tel est le globule rouge du sang de l'homme
et de la plupart des mammifères. Continuons à
observer la préparation, nous remarquerons que
les globules rouges paraissent s'attirer les uns
les autres, viennent s'acculer par leurs faces, for-
mant ainsi des piles semblables à des piles d'ccus ;
SANG
— 1984 —
SANG
nous assistons à l'arrangement en piles des glo-
bules. Si nous continuons l'observation, les glo-
bules, en se dessécliant, se déformeront et appa-
raîtront crénelés sur leurs bords.
Envisagés au point de vue de leurs dimensions,
les globules rouges ont, chez l'homme, uniformé-
ment une épaisseur de un millième de millimètre
(0"™, 001 8), et un diamètre de sept millièmes de mil-
limètre (0°'",007), c'est-à-dire presque supérieure
celui des plus fins canaux de la circulation ou capil-
luires du plus étroit calibre. On conçoit donc
que pour cheminer dans leur intérieur, les glo-
bules doivent présenter une certaine élasticité,
pour pouvoir changer momentanément de forme
dans CCS canaux étroits qui ne leur présentent pas
une place suftisanie; c'est au reste ce que l'on
constate aisément dans le sang en circulation, sur
la membrane interdigitale des grenouilles.
Fig. 2. - Vai:
d'une grenou
des glubuleâ
blaacs.
au capillaire de la meimbi-ane natatoire
;, très grossi, montrant le cornant central
uges, et sur les bords quelques globules
Fixons de nouveau notre préparation microsco-
pique de sang; à côté des globules rouges propre-
ment dits, des hématies, nous observerons d'au-
tres globules, en petite quantité, également rouges,
mais sphériques, ne changeant ni de forme ni de
coloration.
B. Globules blancs. — En même temps que les
globules colorés, nous remarquerons des corpus-
cules incolores, de dimension variable, les uns
plus petits, les autres beaucoup plus gros que les
globules rouges, présentant sous le verre du mi-
croscope une forme sphérique qui devient irrégu-
lière lorsque les hématies commencent à se met-
tre en piles. Si l'on chauffe légèrement la platine
du microscope, ces corpuscules changent de forme,
non par altération, mais par mouvements propres ;
ils s'allongent, rampent et se moulent sur les
corps qui se trouvent sur leur passage. Ce sont les
globule' blancs, cellules lymphatiques ou leuco-
cytes, les seuls éléments figurés du sang des ani-
maux inférieurs. Chez les vertébrés à sany froi'l,
ces mouvements propres, autrement nommés
mouvements amihovies des globules blancs, appa-
raissent à la température ordinaire. Nous savons
déjà que leur nombre est beaucoup moins consi-
dérable que celui des globules rouges : ou trouve
1 globule blanc pour .300 rouges au moins.
On distingue à leur intérieur, au lieu d'une masse
homogène, comme pour l'hématie, un nojau et des
granulations brillantes.
C. Granulations libres. — Avec les globules
blancs et les globules rouges, nous rencontrerons
encore, dans la préparation, des granulations libres,
on quantité considérable, que Zimmennann iiotii-
mait vésicules élémeyitaires, et qui sont les héina-
toblastes (formateurs d'hématies) de M. Hayem.
Ce dernier auteur fait jouer à ces corpuscules un
rôle déterminant dans la coagulation du sang, la
formation du réticulum fibrineux qui emprisonne
les globules rouges dans le caillot. Ces mêmes
vésicules, qui ne seraient autres que les leucucytes
lie Senimer et de M. Pouchet, devraient être con-
sidérées comme l'état jeune des hématies.
Nous avons dit au commencement que les seuls
éléments figurés du sang sont les globules et les
granulations libres ; cependant, dans la préparation
que nous avons sous les jeux, outre ces éléments
figurés, au bout de quelques minutes nous voyons
apparaître des filaments s'étendant en divers sens.
et qui ne sont autres que la fibrine dont nous
avons déjà parlé en indiquant le moyen de l'ex-
traire du sang par le battage avec un balai ou une
baguette. On est aujourd'hui généralement d'ac-
cord pour attribuer la cause do la solidification
de la fibrine, la formation du réticulum fibrineux,
à la déformation des granulations libres ou à un
ferment sécrété par elles.
CosiPosiTiOiN CHiMiûUE DU SANG. — On trouvo dans
le sang des substances provenant de trois sources
différentes.
Celles qui sont fournies par les aliments, et qui
pénètrent dans le sang par deux voies, les canaux
lymphaligiies et les canaux veineux;
Celles que lui cèdent les tissus par diffusion ;
Celles qui naissent dans le sang lui-même en
vertu d'actions ou processus chimiques intrinsè-
ques.
Ajoutons-y l'eau qui constitue la plus grande
partie de la masse sanguine (779 pour 1000) et se
trouve répartie entre le cruor et le liquor.
Parmi les substances qui sont fournies par les
aliments, en dehors des sels minéraux (sels de
soude, de potasse, de chaux, phosphates, carbo-
nates, fer, etc.), nous rencontrons les matières
albuminoides (albumen, blanc d'œuf), qui portent
aussi le nom de matières plastiques, parce que ce
sont elles surtout qui sont susceptibles de s'orga-
niser et de constituer les parties vivantes de l'éco-
nomie.
La fibrine, que nous avons vu jouer un rôle
si important dans la coagulation du sang, appar-
tient à ce groupe, où on la rencontre normale-
ment non pas à l'état de fibrine proprement dite,
mais décomposée en ses éléments constituants,
le filirinogéne et le fihrino-plastiqne, que les pro-
grès de la physiologie, depuis Denis (de Coin-
meri'y), ont pu nous montrer isolément, bien qu'ils
soient confondus et dissous à la faveur de l'alca-
linité du plasma dans le sang vivant.
A côté du fibrinogène et du fibrino-plastique,
nous rencontrerons la caséine dit sérum, des
pepiones que l'on peut isoler aujourd'hui, et qui
ne sont que des matières plastiques ayaut subi
l'action des sucs digestifs, enfin de ra^4u";i«e pro-
prement dite, sans parler de la matière colorante
du sang dont nous nous occuperons plus loin.
Après les sels et les substances albuminoides,
nous trouvons les ynatières grasses (cholesténne,
sels des acides gras, cérébrine), et une substance
intermédiaire aux matières albuminoides et aux
matières grasses, la lécithine ou graisse phos-
phorée et azotée, bien définie actuellement.
N'oublions pas les matières sucrées, découvertes
par l'illustre Cl. Bernard, qui établit du même
coup le rôle prépondérant que jouent ces ma-
tières dans le développement et la vie de l'orga-
nisme.
Les substances que les tissus cèdent au sang
par diffusion ne semblent pas devoir être consi-
dérées comme en étant les matériaux essentiels.
Ce sont des corps qui se mêlent au sang, le tra-
versent en quelque sorte, et tendent à s'échapper
au dehors.
T-eU sont l'urée, qui résulie d'un travail chimi-
que de la nutrition, et doit être considérée comme
le dernier terme d'oxydation des matières albu-
minoides; Vacide unque et ses sels (acide hippuri-
que chez les herbivores), qui forment la base des
engrais utilisés sous le nom de guano.
Toutes ces substances sortent du sang et sont
éliminées par les rein^, à l'état de solution, en
mêtue temps que d'autres produits excrémentitiels
du travail nutritif, comme la créatine, la créati-
nine, l'ihosite, etc.
Des gaz môme sont contenus en dissolution
dans le sang. L'ac/rff carbonique et l'oxygène
jouent un rôle des plus importants dans le travail
SANG
— 1985 —
SANG
physiologique dont cette liumeur est un des princi-
paux agents, tandis que i'azote y reste sans emploi.
Nous avons à nous occuper en dernier lieu des
substances qui naissent dans le sang lui-même
en vertu d'actions ou processus chimiques intrin-
sèques.
Parmi ces dernières, peut-être pourrons-nous
placer le flbrinogène et le fibrino-plastiquo que
nous connaissons déjà.
Mais de toutes ces substances, la plus remar-
quable sans contredit est cette matière, colorante
que nous avons signalée dans les gloljulcs et dont
la fonction physiologique est capitale : nous
avons nommé l'/iumoylûl/ine.
Un physiologiste nommé RoUett a pu, par l'ap-
plication d'un froid intense, séparer l'hémoglo-
bine du stroma ou squelette du globule rouge, et
■a donné à ce stroma le nom de gloàutiiie. Ainsi
Fig. 3. — La matière colorante du sang de l'homme,
ci-istallisée (tlémogtobine).
a, Hémoglobine en i-hombes allongés.
0, Hémoglobine en prismes à quatre paas.
isolée et obtenue en dissolution d'un beau rouge,
l'hémoglobine ne tarde pas à, laisser déposer des
cristaux de forme variable selon les espèces animales.
Au^point de vue de sa constitution chimique,
riiémoglobino est une substance albuminoide qui
se distingue par trois propriétés :
Sa proportion de fer (0".42 p. 100);
Son aptitude h cristalliser;
Sa grande capacité d'oxydation.
En présence des alcalis, l'hémoglobine se dé-
double en une substance albuminoide et en hé-
inatine (colorée en rouge foncé ou bleu noir), qui
entraîne avec elle le fer de l'hémoglobine, dont
elle se distingue encore par ses caractères spec-
troscopiques.
L'hématine elle-même, combinée h l'acide chlor-
liydrique, donne des cristaux d'hémme, d'un
brun noirâtre, faciles à obtenir et ayant pour cela
une grande importance en médecine légale pour
reconnaître les taches de sang.
Telle qu'on l'obtient au moyen d'agents quel-
conques, l'hémoglobine retient de l'oxygène, à
l'état de faible combinaison, puisqu'il peut lui
être enlevé par les agents réducteurs, qui modi-
fient par cela même les caractères optiques de
notre milieu intérieur.
C'est à une branche nouvelle de la science, la
spectroscopie, que nous devons la connaissance
complète des propriétés optiques du sang, et
l'influence de différents gaz ou de difl'érents
composés chimiques sur ces propriétés que nous
allons maintenant étudier.
La spectroscopie du sang repose sur la pro-
priété que possèdent les corps colorés d'absorber
certaines parties du spectre que l'on obtient par
la décomposition et la dispersion de la lumière
blanche au moyen du prisme. Un corps rouge,
par exemple, interposé sur le trajet de la lumière
soumise à la dispersion, absorbe tous les rayons
colorés sauf les rouges, et c'est précisément pour
cela qu'il nous paraît rouge. Lorsque le corps
interposé ne présente pas une coloration simple,
il arrête seulement quelques-uns des rayons co-
lorés, et, en examinant avec une lunette le spectre
reçu sur un écran, on y remarque les bandes
obscures, non colorées, que l'on nomme bandes
d'absorption.
Plaçons entre le foyer lumineux et le prisme
une solution de sang artériel ou d'hémoglobine
oxygénée, et observons le spectre en appliquant
notre œil à l'oculaire du spectroscope : nous ne
verrons pas le spectre lumineux ordinaire, mais
un spectre présentant deux larges baiules obs-
cures entre les raiis D et E de Fraunliofer, en
même temps qu'une teinte sombre s'étend sur
toute la partie droite du spectre à partir du
bleu.
A B r D t " G M
_
il il
1
1
il
i
Fig. i. — Spectres du sang artériel et du sang veineux.
A, Raies dites de Fraunhofer.
B, Sang artériel ojygéuc (deux bandes d'absorption entre les raies D et E de Frauniiofer, c'esi-à-dii'e dans
jaune du spectre;.
C, Saog veiueui, sang réduit : raie de réduction près de la raie D de Fraunliofcr.
C'est là le spectre du sang oxygéné, de l'oxy-
hémorjtobine, du sang artériel.
Dans la solution, faisons pénétrer un corps ré-
ducteur quelconque, du sulfhydrate d'arnrnonia-
que, par extimple, ou un courant d'acide carboni-
sa Pakïib.
que; les deux raies obscures se fondent en une
seule, dite bnnd.e de réduction de Stukes, du nom
du savant qui l'a découverte.
C'est là le spectre du sang désoxygéné, de l'/ii-
moglobine réduite, du sang veineux.
125
SANG
1986 —
SANG
Dans cette solution d'iiémoglobine ainsi réduite
faisons passer un courant d'oxygène, et nous ver-
rons apparaître de nouveau les deux bandes d'ab-
sorption de i'oxyliémoglobine.
Chose étonnante, si, comme l'a trouvé Cl. Ber-
nard, on a fait passer dans la solution d'oxyliémo-
globine un cour^mt d'oxyde de carbone, gaz as-
phyxiant qui se dégage des corps en ignition, ce
gaz a chassé l'oxygène sans apporter de grands
changements aux deux bandes d'absorpiion que les
agents réducteurs ne peuvent plus cependantaltérer.
Il est facile de comprendre l'intéroi de celte
découverte qui permet de reconnaître si un em-
poisonnement a eu pour cause les vapeurs de
charbon ou un autre élément toxique.
Disons enfin que les caractères spectroscopiques
du sang sont précieux en raison même de leur
fixité, car le spectre du sang ne se confond avec
aucun autre et peut être retrouvé avec du sang
desséché, putréfié.
Complétons ce résumé des propriétés et de la
composition de l'hémoglobine en ajoutant qu'elle
contient encore de Vozum: ou oxygène modifié.
Sang artériel. Sang vEiNEix. Gaz du sang. —
Nous venons de nommer spectre du sang artériel
le spectre de l'hémoglobine oxygénée, et spectre
du sang veineux celui de l'hémogloliine réduite.
C'est qu'en effet, le sang, au contact des éléments
anatoniiques, a laissé réduire son hémoglobine,
dans l'économie, et ne se montre jilus dans les
veines que comme saiig noir, en partie désoxygcné.
Comment s'opère cette oxydation, cette réduc-
tion de l'hémoglobine ? Quel est son but '?
Considérons de nouveau un instant les élé-
ments anatoniiques comme les innombrables ci-
toyens d'une république. Chaque individu, enchaîné
à son labeur, remplissant à chaque instant sa fonc-
tion, ne peut aller chercher l'oxygène, cet excitant
de la vie dont la physiologie générale nous ap-
prend l'absolue nécessité. Aussi existe-t-il touie
une classe de citoyens (les ylobules suiuiuins) qui
ont pour fonction d'apporter à chaque individu
son pabulum vilœ.
L'étude de la circulation enseigne que la tota-
lité du sang, à chaque révolution, traverse h'S
poumons. C'est ici que le globule rouge vient
s'approvisionner, c'est ici qu'il vient charger son
hémoglobine qui lui sert de véhicule pour l'oxy-
gène qu'il distribuera dans sa marche à travers
ces rues élroites et tortueuses qui ont reçu le nom
de vaisseaux capillaires. Mais à mesure que ce
déchargement s'effectue, le sang prend un nou-
veau chargement. Il ne doit pas circuler sans
utilité dans les veines, ces boulevards extérieurs
de la cité : l'in'activité n'est pas tolérée dans celle
république laborieuse. Le sang, en passant des ca-
pillaires dans les veines, va se charger d'acide
carbonique; ce chargement sera conduit aux pou-
mons, où le sang s'en débarrassera pour prendre
une nouvelle quantilé d'oxygène.
Telle est la fonction respiratoire du sang, qui
s'opère par mutation des gaz à l'intérieur de l'or-
ganisme. Le perfeciionnement des procédés de
dosage et d'extraction des gaz du sang permet
aujourd'hui de constater, à chaque instant de soji
parcours, la richesse du sang en oxygène ou en
acide carbonique, le rapport de ces deux gaz, et
leur répartition entre les globules et le liquor.
On a pu voir ainsi que le sang artériel est plus
riche en oxygène que le sang veineux, plus pauvre
en acide carbonique ; luO c. c. de sang artériel
contiennent 15 à 20 c c. d'o.xygène, 25 à 85 c. c.
d'acide carbonique; 100 c. c. de sang veineux con-
tiennent X à 12 c. c. d'oxygène, as à 47 c. c. d'acide
carbonique. Quant à la proportion de l'azote, elle
ne chajige pas, il est inerte. Sous l'influence de
conditions étrangères ou propres h l'individu, la
richesse en gaz du liquide sanguin peut varier.
C'est ainsi que M. P. Berta montré que la quan-
t'té des gaz du sang est plus considérable si on
augmente la pression barométrique. L'oxygène
peut même devenir un poison mortel, lorsque sa
tension correspond à 5 ou (i atmosphères d'air,
lorsqu'il arrive dans le sang aux proportions de
30 i 35 p. lUO, et que, l'hémoglobine en étant
saturée, ce gaz entre en dissolution dans le plasma
et dans les tissus.
Si le nombre des respirations s'accroît, l'acide
carbonique diminue tandis que la richesse du
sang en oxygène augmente.
Lorsque la température de l'animal diminue,
les deux gaz diminuent simultanément.
Dans Vasph/xie, la proportion des gaz n'est pas
1.1 même, suivant que l'asphyxie est due à une
raréfaction de l'air (aspfii/xie des aéronautes, mal
des montagnes), o\x au séjour dans un espace clos.
Dans le premier cas, l'acide carbonique diminue
dans le sang, tout aussi bien que l'oxygène, mais
dans une proportion moindre; la mort arrive par
insuffisance d oxygène.
Dans le second cas, l'oxygène diminue jusqu'au,
mais la quantité d'acide carbonique augmente et la
mort arrive, mêine en présence de l'oxygène, au mo-
ment où les alcalis du sang, ainsi que l'a démontré
M, P. Bert, étant complètement saturés d'acide
carbonique, les tissus se saturent à leur tour.
Cl. Bernard a trouvé que l'activité musculaire
augmentait la quantité d'acide carbonique dans
le sang qui sortait du muscle en contraction. Dans
ces conditions, le muscle rend plus d'acide car-
bonique qu'il n'a reçu d'oxygène au même mo-
ment ; le contraire se passe pendant l'état de
repos du muscle qui emmagasine alors de l'oxy-
gène pour l'utiliser plus tard.
C'est encore à Cl. Bernard qne nous devons de
connaître le mécanisme de la toxicité de l'oxyde
de carbone. Ce gaz chasse l'oxygène de ses com-
binaisons avec l'hémoglobine et le remplace vo-
lume pour volume.
Quant à la répartition des gaz que nous venons
d'éiudier dans les globules et le liquor, on a déjà
compris par ce qui précède que tout ou presque
tout l'oxygène se trouve combiné à l'hémoglobine
des globules.
L'acide carbonique, au contraire, réparti entre
les globules et le liquor, est en plus grande quantité
combiné aux alcalis faibles de la partie liquide du
sang icarbonates, phosphates bibasiques de soude).
Mais l'acide carbonique n'est pas le seul élé-
ment important du liquor.
.Nous placerons encore au premier rang le sucre,
dont la découverte, ainsi que nous l'avons dit, est
due à Cl. Bernard qui en a démontré 1 origine et
l'importance physiologique.
Formé par le foie qui, dans l'organisme adulte,
en est comme l'atelier, et atelier tellement actif
qu'on le considère comme le foyer principal de la
chaleur, il passe dans les artères où il n'est que
charrié, pour être utilisé au sein des tissus. On le
trouve en moins grande quantité dans les veines,
et son importance est telle que sa dispaiition du
sang est un signe fatal.
D un autre côté, son accumulation ou mieux sa
production exagérée donne lieu à une maladie très
grave, le diabète ou glycosurie.
En effet, lorsqu'il est produit en trop grande
quantité, le sucre passe au rang des substances
nuisibles, et, comme les produits excromentitiels du
travail nutritif (urée, acideurique, cholestérine,etc.)
il est éliminé par les reins, éinonctoirs naturels.
Nous terminons ici ce court résumé des notions
absolument exactes que nous possédions dans 1 état
actuel de la science.
On remarquera qu'il n'a pas été question jus-
qu'ici de snng froiii et de sangchaud, bien que li5S
auteurs aient cependant voulu tirer de la tempo-
SANG
1987 —
SANG
rature du sang un caractère distinctif de certaines
classes d'animaux.
C'est qu'en effet, au point do vue physiologique,
il n'y a aucune différence entre le sang d'une gre-
nouille, par exemple, et celui d'un oiseau. S'il est
vrai que le sang de la grenouille puisse être con-
servé !x 0 degré sans perdre ses propriétés physio-
logiques, il peut aussi acquérir la température du
milieu ambiant en été, et devenir sang chaud.
Cependant, pour tous les animauxsans exception, il
existe certaines limites de calorification du sang qui
ne peuvent être dépassées sans que mort s'en suive.
C'est ainsi qu'à 45 degrés centigrades, le sang
perd subitement sa propriété de fixer l'oxygène, et
l'animal meurt asphyxié.
Quant à la quantité totale du sang, nous avons
vu que, pour ce qui regarde le liquor, elle est
soumise à des causes multiples de grande varia-
tion. Cl. Bernard a môme vu, chez l'animal que
l'on fait passer de l'état de jeûne prolongé à l'état
d'alimentation abondante , cette quantité varier
pendant la digestion du simple au double.
A l'état physiologique, un animal a en moyenne
une quantité de sang égale au dixième du poids
de son corps.
Une autre question importante est encore en
litige : Quelle est la vie du globule"? où nait-il?
que devient-il? On connaît bien son origine chez
le foetus : c'est une origine purement cellulaire,
bien étudiée par M. Ranvier. Jusqu'à la moitié de
la vie fœtale, le globule du sang d'un mammifère
conserve son apparence cellulaire, il est pourvu
d'un no'jaii. Mais à partir de ce moment, quelle
est sa vie'? se forniK-t-il partout ou existe-t-il des
organes ateliers de globules'? Le l'oie, la rate ont
été tour à tour nocsidorés comme les destructeurs
et comme les formateurs des globules rouges.
Les uns pensent que les globules rouges ne sont
que des globules blancs, des cellules lym;dia-
tiques modifiées. Les globules rouges, d'après
cette théorie, proviendraient de leucoci/tes d'une
certaine espace ; tel est l'avis de M. Ponchet. Pour
M. Hayem. les hématoblastes seraient l'état jeune
dos hématies.
Ceci dit, sans trancher la question, examinons
comparativement les caractères du sang dans la
série animale.
.\.a point de vue physiologique, nous remarque-
rons que, chez certains animaux, la coagulation
est plus lente que chez d'autres.
Ainsi, tandis que chez le lapin elle est très
prompte, elle est très lente chez le cheval, à tel
point que les globules ont le temps d'être en-
traînés à la partie inférieure, en raison de leur
poids spécifique, et le sérum se coagule seul.
Chez les poissons, la fibrine se redissout après
la formation du caillot, et le sang redevient liquide.
Chez les mollusques acépliales (huUreJ,le sang ne
se coagule pas.
Chez les céphalopodes fpoulpe), le caillot formé
est très peu considérable.
Chez certains crustacés (crabe), le sang se prend
en une gelée tremblotante.
Au point de vue chimique, M. P. Bert a dé-
couvert que, dans la matière colorante du sang des
céphalopodes, le fer était remplacé par le cuivre.
C'est encore M. P. Bert qui nous a appris que
l'albumine dans le sang des mollusques existait en
des proportions très variables (.3U à ô millièmes du
poids total du sang).
La comparaison des corpuscules sanguins au
point de vue anatomique est encore bien plus
intéressante.
Nous distinguerons les globules rouges des
mammifères. Us sont tous dépourvus île noi/aiix .
Pour l'immense majorité des animaux de cette
classe, ils sont circulaires, et leur dimension n'est
pas en rapport avec la taille. S'il est vrai que le
Fig. 5. — Globules saDguias grossis,
a, globules circulaires du saog de l'homme, vus sous diflérents aspects.
6. globules elli[jtiqu
c et rf, —
ng de chameau,
des oiâeaux.
de la grenouille, vus par la tranche,
du protée.
de la salamandre, donl un a déchiré la membrane i
de la lamproie.
— du homard.
— de la limace.
, deux leucocytes ou globules blancs du sang humain.
globule rouge de l'éléphant ait 10 millièmes de mil-
limètre (0">,iilO), que celui de l'homme ait U",II07,
celui du cochon d'Inde 0'°,001 ; celui de la baleine,
qui est cependant le plus gros des animaux, a les
mêmes dimensions que le globule rouge de l'homme.
Seuls, parmi les mammifères, les caméliens
(chameau) ont des globules rouges elliptiques. Le
globule rouge du chameau à 0™,0U8 de longueur
et 0°,UOi de largeur.
En second lieu viennent les globules rouges
munis de wyaux; ils sont presque tous ellipti-
ques; ceux des lamproies cependant sont circulai res.
Los globules rouges elliptiques appartiennent aux
oiseaux, aux reptiles, aux batraciens, aux poissons.
Les plus volumineux sont ceux àa. protée , ba-
tracien qui vit dans des lacs souterrains.
Ses globules ont 0'°,05i de longueur et 0",035 de
largeur.
Chez les invertébrés, imus ne trouvons plus de
corpuscules cilorés analogues aux globules rou-
gus du sang; ce sont des cellules lymphatir/ues.
douées de mouvements propres, nageant dans un
SANTE
— 1988 —
SATIRE
liquide incolore, d'autres fois bleuâtre comme
chez les colimaçons, ou devenant rosé dans le vide,
comme cela se passe pour le sang des crustacés
(crabe). Ce liquide est brun chez quelques insec-
tes; il est rouge chez certains annélides (siponcle),
et peut alors communiquer sa couleur aux cellu-
les lymphatiques.
De cette rapide esquisse, qui nous a dévoilé les
analogies et les différences qui existent dans la
composition du liquide sanguin chez les animaux,
nous pouvons tirer cette conclusion :
Les animaux dont la complexité organique ne
permet pas aux éléments anatomiques de se
pourvoir dans le milieu, extérieur de matériaux de
nutrition, doivent nécessairement être pourvus
d'un milieu intérieur ou sang, dont les éléments,
essentiellement mobiles, irontchercher dans le mi-
lieu extérieur naturel (air introduit dans les pou-
mons) ou modifié) produits de la di<?estion intesti-
nale) les aliments nécessaires à l'entretien de la vie.
Nous ne devons pas croire pour cela h des di(
férences profondes dansle fonctionnement vital des
éléments cellulaires suivant qu'ils appartiennent à
un organisme simple ou à un organisme complexe.
Toujours la vie des éléments anatomiques con-
siste en une mutation, un échange.
Harmonie dans la fonction, variation dans la
manière dont s'accomplit cette fonction, telle est
est la loi générale qui régit la vie des cellules.
(D' M. Laffont.J
SA.VTÉ. — Hygiène, XVI. — La santé est un état
de notre corps caractérisé par le fonctionnement
régulier et concordant de tous les organes, en
harmonie avec le milieu où nous vivons. Cet état
constitue un idéal dont nous trouvons peu d'e.>Lem-
ples, surtout chez les peuples civilises ; mais heu-
reusement nous sommes organisés de telle sorte
que nous pouvons nous en écarter sensiblement
sans qne notre existence se trouve compromise.
Entre la santé parfaite et la désorganisation qui
produit la mort, on peut établir une série conven-
tionnelle d'états intermédiaires commençant à
l'indisposition et finissant à la maladie grave ou
mortelle. Le langage usuel est suffisamment pré-
cis: par indisposition l'on entend un désordre
peu considérable et passager des fonctions; par
maladie, un désordre profond et de longue durée.
Au point de vue médical, le mot maladie implique,
en outre, l'idée de lutte, ouplutotderoactiondcs or-
ganes contre une cause de désordre ou de destruction
Pour chaque individu la santé est d'ailleurs in-
fluencée par le ttmpérament et la constitution.
Le tempérament résulte de la prédominance
fonctionnelle de certains organes, qui détruit
l'harmonie générale, accapare, pour ainsi dire, la
vitalité et localise les impressions. On appelle
constitution l'ensemble des organes considérés
dans leur développement, leur activité, leurs rap-
ports: c'est, pour ainsi dire, la pliysionomio de
la santé. Lorsque tous les organes sont bien déve-
loppés, régulièrement actifs, fonctionnent harmo-
nieusement, on est en présence d'une constitution
forte, vigoureuse; dans le cas contraire, elle est
faible, délicate, maladive.
Outre le tempérament et la constitution, chacun
possède une sorte d'individualité médicale ou
idiosyncrasie, c'est-à-dire une disposition particu-
lière qui modifie l'impression produite par les
causes de maladie et celle que produisent les re-
mèdes.Découvrir et mettre en action cette indi-
vidualité médicale constitue pour le médecin une
difficulté sérieuse que les personnes non initiées
sont incapables de comprendre et d'apprécier;
c'est une des raisons pour lesquelles on doit, au-
tant que possible, confier aux seuls médecins le
soin de conserver ou de rétablir la santé.
L'homme n'étant ni un simple animal ni un pur
espritj la vie n'est complète, normale, régulière,
qu'autant que le corps et l'esprit, ces doux asso-
ciés inséparables, agissent pour ainsi dire ins-
tinctivement en faveur du bien commun. Le corps
ne doit pas, dans les circonstances ordinaires,
s'apercevoir qu'il obéit à l'esprit, et l'esprit, au-
quel les sens transmettent des impressions, doit
les recevoir comme si elles étaient spontanées.
Lorsque cette harmonie de fonctions est complète,
le corps accomplit automatiquement toutes les
fonctions purement animales et se trouve prêt à
recevoir la moindre impulsion volontaire de l'àme ;
tandis que l'âme, presque inconsciente de la vie
végétative, perçoit avec une merveilleuse délica-
tesse les impressions du monde extérieur, les re-
cherche, les varie à son gré, ou bien, s'isolant dans
le domaine de la pensée, arrive, par moment, à
n'avoir plus conscience de l'existence du corps.
Tel est l'homme dans son intégrité native qui
constitue l'état idéal de santé. Telles sont les con-
ditions dans lesquelles il doit s'efforcer de demeti-
rer poursuivre sa destination sur la terre, remplir
ses devoirs et accomplir la plus grande somme
possible de bien.
Quelques-uns, mus par une fausse appréciation
de la dignité humaine, croient devoir le prendre
de haut avec le corps, traiter celui-ci en infime
subalterne. Ils négligent de pourvoir régulière-
ment à. ses besoins, lui imposent des tâches exa-
gérées, et ne tiennent aucun compte des avertis-
sements qu'ils reçoivent sous forme de lassitude,
do malaise, de douleurs, de maladie. Evidemment
cette manière d'agir est incompatible avec une
bonne santé.
La plupart des personnes vouées aux profes-
sions libérales négligent les exercices corporels,
adoptent une nourriture excitante, retranchent
des heures au sommeil, et, contraignant l'intelli;
gence à, un travail excessif, diminuent la vitalité
des organes, produisent une surexcitation du cer-
veau et du système nerveux et détériorent irrémé-
diablement leur santé en même temps qu'elles
abrègent leur existence.
D'autre part, ceux qui doivent au travail manuel
le pain quotidien, ceux dont la vie s'épuise en
une lutte incessante pour subvenir aux besoins
les plus pressants, se trouvent forcés de deman-
der au corps une dépense de forces exagérée, pro-
longée outre mesure. Dans de telles conditions,
l'esprit n'est appelé k Intervenir que dans la direc-
tion plus ou moins mécanique du travail. Cet
emploi abusif des forces physiques a pour consé-
quences fatales l'affaiblissement graduel, l'étiole-
ment, et hvre le corps sans défense à toutes les
causes de destruction.
C'est l'hygiène qui nous enseigne les moyens de
conserver la santé, source de toutes nos puissan-
ces effectives, qui prolonge notre virilité, épargne
lesinfirmités à la vieillesse, et retarde la mort jus-
qu'au terme qui lui est assigné par les lois de
notre nature. [D' Saffray.]
SATIRE. — Littérature et style, III. — Dans
une acception très générale, le mot satire s ap-
plique à >< tout discours, à tout écrit qui reprend,
qui raille. » (Littré). A l'entendre ainsi, la satire
comprendrait à peu près toute la littérature : il
n'est guère possible de rencontrer œuvre de vers
ou de prose où elle ne soit mêlée, où l'écrivam
n'ait eu occasion ou ne se soit principalement pro-
posé de s'élever contre ce qu'il regarde comme
mauvais et contre les auteurs do ce qu'il regarde
comme mauvais. On pourrait même dépasser les
limites des littératures et retrouver la satire dans
les arts plastiques : c'en est une terrible, par
exemple, que le Jugement dernier de Michel-
An "e où les damnés ne sont autres que les en-
nemis de l'artiste; satires aussi, et très curieuses
satires, toutes ces scènes burlesques ou grossiè-
res que le moyen âge a sculptées sur le porche
SATIRE
1989 —
SATIRE
rt jusqu'aii sanctuaire des catliédrales. A tout le
moins, le Rcnre satirique ainsi défini s'étendrait
h un certain nombre d'écrits, tant en prose qu'en
vers, qui en agrandiraient considérablement le do-
maine ; en prose, par exemple, au libelle et au
pamphlet et à toute une catégorie de romans,
depuis le Sutyricon de Pétrone, dans la langue
latine, jusqu'au Giirr/aiitua et au Pantnjjrtiel, au
Don Qiiicliotte de Cervantes et aux Voijages de
Gulliver; en vers, sans parler de toute une partie
du théâtre, sans parler non plus des sirventes, et
d'un grand nombre de romans-poèmes du moyen
âge, à l'apologue, à l'épigramme et i la chanson.
C'est aux dictionnaires de littérature et aux ou-
vrages spéciaux qu'il faut s'adresser pour une dé-
finition de tous ces genres.
Mais on donne ."pocialement le nom de satire
b. tout K ouvrage en vers, fait pour censurer, pour
tourner en ridicule, pour châtier les vices, les
passions déréglées, les sottises, les. impertinen-
ces des hommes, » ou encore « à certains ou-
vrages, ordinairement mêlés de prose et de
vers, qui sont faits dans la môme intention. »
(Académie.) C'est de ce dernier sens que vient le
nom de satire, et non, comme on l'a cru quelque-
fois, des drames satyrique^; c'est-à-dire des pe-
tites pièces dont les principaux personnages
étaient des s':tyres, et que l'on donnait, chez les
Grecs, après les grandes tragédies. Le mot latin
salira ou satura veut dire proprement pot-pourri,
farcissure, et l'on désignait ainsi primitivement
h Rome une sorte de pièce dramatique, mélangée
de musique, de paroles et même de danse; cette
satire ne se développa guère; mais le nom resta et
passa â la satire proprement dite, que celle-ci rap-
pelât ou non la forme première du genre.
On comprend que, d'après sa définition, la
satire peut se distinguer, suivant les objets aux-
quels elle s'attache, en plusieurs types. Il y a,
par exemple, la satire politique, comme, de notre
temps, les lamhes, d'Auguste Barbier, les Chdti-
liients, de Victor Hugo ; la satire religieuse, comme
les Tragiques, d'Agrippa d'Aubigné, au \\i° siècle ;
la satire morale, comme celles d'Horace, deJuvé-
nal ou de Perse, chez les Romains ; de Régnier,
de Boileau, au xvii= siècle ; la satire littéraire,
comme plusieurs de nos satires classiques, par
exemple, la neuvième satire de Boileau.
On comprend aussi que, suivant l'époque où le
poète écrit, suivant le milieu où il vit, suivant son
tempérament et la nature de son génie, la satire pren-
ne des allures et un caractère très différents. C'est
le poète qui parle dans la satire et qui parle en son
nom ; la satire est, en ce sens, un genre de poésie
éminemment personnel. Dans cette neuvième sa-
tire, qui est adressée « à son esprit » et qu'il
intitule n Mon Api.tocjie », Boileau a tracé ce
qu'on pourrait appeler les règles de la satire,
telle qu'il la comprenait, comme il a tracé l'his-
torique du genre dans le second chant de YArt
poétique. Et son idéal, il faut le dire, est celui
d'un esprit honnête, mesuré, ennemi de tout excès:
L'ardeur de se montrer, et non pas de médire,
Arma la vérité du vers de la satire.
Cette vérité non médisante, qui est la muse da
Boileau, ira bien jusqu'à stigmatiser sans scru-
pule des travers d'esprit, des défauts de style;
elle dira volontiers, s'adressant à des individus
notoirement décriés, qu'il faut appeler « un
chat un chat et Rolet un fripon »; quelque jour
même, elle se risquera assez méchamment à tour-
ner en ridicule la vie besoigncuse d'un CoUetet,
r.rolti* jusqu'à l'échinc,
Qui va chercher son pain de cuisine en cuisine ;
mais ses plus grosses critiques ne seront d'or-
tUnaire que des critiques générales, et, sauf de
bien rares exceptions, elle se refusera péremptoi-
rement à toute malignité capable de blesser la
réputation morale de ceux qu'elle prend à partie
sur d'autres points :
11 a tort, dira l'un; pourquoi faut-il qu'il nomme?
Attaquer Chapelain! ah! c'est un si bon homme!
Balzac en fait l'éloRe en cent endroits divers.
II est vrai, s'il m'eût cru, qu'il n'eut point fait de vers.
II se tue à rimer ; que n'écril-il en prose?
Yoilà ce que l'on dit. Et que dis-je autre chose?
En blâmant ses écrits, ai-je, d'un style affreux.
Distillé sur sa vie un venin dangereux?
Ma muse, en l'attaquant, charitable et discrète.
Sait de l'homme d'honneur distinguer le poète...,.
Tel est l'idéal de Boileau ; mais on peut dire
que cet idéal n'a jamais été une loi que pour lui,
et que ceux qui l'ont précédé comme ceux qui l'ont
suivi, sauf quelques disciples immédiats, ne se
sont jamais crus obligés de s'en tenir à cette discré-
tion. Les poètes, d'ordinaire, ne se piquent pas
de tant de mesure, et, en ce qui concerne les sa-
tires, on pourrait (lire sans exagérer que les plus
belles senties plus passionnées. Kous ne pouvons
juger sur les quelques vers qui nous restent les
I poésies de cet Archiloque qui fut, dit-on, chez les
1 Grecs, le père de la satire, et dont les vers iambi-
ques, invejités toutexprès pourservirsavengeance,
; poussèrent à la pendaison Lycambès, qui n'avait
' point voulu être lo beau-père du poète, et Néo-
bulé, qui avait dédaigné d'être sa femme. Mais on
chercherait vainement la modération, par exemple,
dans le portrait que fait Juvénal de Messaline ou
dans celui que d'Aubigné fait de Charles IX, ou
encore dans certaines strophes que Victor Hugo ne
songe certes pas à renier et qui sont peut-être, en
effet, malgré leur âpreté singulière, celles où l'on
peut le mieux sentir toute la puissance de sa verve.
De même, le poème satirique peut se plier à
toutes les formes du vers. S'inspirant d'Horace et
de Juvénal, notre xvii" siècle a écrit ses satires en
alexandrins, qui répondent à l'iiexamètre latin.
Mais André Chénier, à la fin du xvin" siècle, et
Auguste Barbier, après 1830, ont employé pour
leurs satires l'alexandrin alternant avec un vers
de huit pieds, rappelant le mètre boiteux d'Ar-
chiloque. C'est dans ce mètre, parexemple, qu'est
écrite la célèbre allégorie où Auguste Barbier re-
présente la France sous la figure d'une cavale
que Bonaparte a domptée et menée quinze ans à
la guerre, jusqu'à ce qu'elle tombe mourante dans
une dernière lutte, en entraînant son ca'valier :
0 Corse aux cheveux plats, que ta France était belle
Au grand soleil de messidor !
C'était une cavale indomptable et rebelle.
Sans frein d'acier ni rênes d'or.... etc.
Enfin, Victor Hugo, dans ses Châtiments, s. em-
ployé toute espèce de rythmes.
Ce n'est point ici le lieu de f.iire l'histoire de
la satire, soit dans l'antiquité, soit dans les temps
modernes, particulièrement en France. On pourra,
dans l'article consacré à la Littérature française,
en suivre la trace bien marquée à travers les di-
verses périodes de nos annales littéraires.
Disons seulement ici que le moyen âge ne l'a
point connue sous la forme propre qu'on lui attri-
bue ordinairement. La veine satirique de nos
pères s'épanche d'abord dans des couplets chan-
tés, dont les sirventes de la poésie provençale
sont les principaux modèles ; puis dans de longs
romans rimes, comme le roman de Renart, comme
la seconde partie du Roman île la rose, sous la
plume vigoureuse de Jehan de Meung ; enfin dans
les représentations dramatiques, les farces, les
soties, les moralités, les mystères mêmes. Le
XVI" siècle voit paraître, après les épigrammes de
Clément Marol et de Mellin de Saint-Golais, les
invectives, souvent illisibles, mais pleines do foi
SAVON
— 1990 —
SAVON
et de feu, que le huguenot d'Aubigiié, grand-père
de madame de Maintenon, accumule dans ses
TiagHjnes ; puis le poème des politiques, mClé
de prose et de vers, la Satire Menip),ce, qui fit
plus, a-t-on dit, pour ruiner la Ligue que les vic-
toires d'Henri IV.
Le xvii= siècle est l'époque de la satire classique
à l'imitation de Juvénal et d'Horace, d'Horace
surtout. Elle y est représentée, au début, par
Matliurin Régnier,
De l'immortel Molière immortel devancier,
a dit Alfred de Musset, rendant à cet aimable
esprit trop oublié, à ce conteur de récits peu
édifiants, mais pleins d'originalité et de vie, une
justice que Boileau tout le premier nelui refusait
pas; puis vient Boileau lui-même, dont on a es-
sayé plus liaut de résumer la poétique pour ce
qui concerne les satires.
Si l'on excepte le poème mordant du f«îi!veD;n-
ble, et quelques autres du même genre, il n'y a
guère, dans les œuvres de Voltaire, dn satires pro-
prement dites ; mais ses poésies légères sont
pleines de traits malicieux, et on en trouverait
bien plus encore dans ses écrits en prose, dont
les plus sérieux et les plus classiques ne sont
peut-être pas les plus personnels. Les C)iigrammes
de Jean-Baptiste Rousseau, les Philippiques de
Lagr.-inge-Chanccl, ne tiennent pas non plus direc-
tement au genre satirique ; mais Gilbert, dans la
seconde moitié du siècle, et les deux Cbénier,
vers la fin, ont écrit, sous une forme neuve, de
véritables satires.
Nous ne voulons citer de notre siècle, avec la
plupart des cliansons de Ecranger, que les liumo-
ristiques boutades de Viennet; la Némésu de
Barthélémy, qui s'attira un jour, de la part du La-
martine, une réplique lyrique restée célèbre; les
Inmlies. d'Auguste Barbier, et les Cluifiments, de
Victor Hugo, compb'ment poétique du pamphlet en
prose Napoléon le Petit, écrit par l'auteur exilé, au
lendemain du 2 Décembre. [Charles Defodon.]
SAVO>\ — Chimie, X.\IV. — Le savon, dont
les usages sont connus de tout le monde, aurait
été, selon l'auteur latin Pline, inventé chez les
Gaulois. Ce qui est certain, c'est que sa fabrica-
tion ainsi que ses usages sont fort anciens. Dans
les ruines de Pompéi, on a retrouvé, non seule-
ment du savon parfaitement conservé, mais aussi
tout un atelier avec ses baquets remplis d'un
savon imparfaitement fabriqué, mais conservé tel
qu'il était il y a dix-huit siècles lorsque la ville fut
ensevelie sous les cendres du Vésuve. Au moyen
âge, le savon est souvent employé par les méde-
cins arabes, qui étaient les véritables chimi-tesde
cette épociue. Les premières usines pour la fabri-
cation du savon furent établies à Savone en Ita-
lie, dans le pajs de Gênes: certains auteurs pré-
tendent même que c'est dans cette ville fort
ancienne que le savon a été inventé ; en tout cas,
Savone était renommé pour ses savons dès le mi-
lieu du xv siècle. Auji.urd'hui, le savon se fabri-
que partout, à Marseille, à Rouen, ^ Paris, à
Nantes, à Reims, etc. Marseille en fabrique près
de 100 millions de kilogrammes par an, c'est-à-
dire les deux tiers de toute la production de la
France. On trouve aujourd'hui des savonneries
dans tous les pays de l'Europe ; mais les nations
du nord fabriquent surtout des savons mous,
comme du reste les \illes du nord de la France.
tabi-tcation du savon. — A Marseille et dans
tout le sud de l'Europe, on emploie surtout à la
fabrication des savons des huiles d olive de mé-
diocre qualité, puis des huiles d'arachide et de
sésame.
On fait bouillir Ihuile dans des chaudières en
forme de troncs de cônes renversés, à base hé-
misphérique, après l'avoir mélangée avec une
lessive de soude ou de potasse caustique; la
température du mélange est un peu au-dessus
de 100°. La masse forme une sorte d'émulsion blan-
châtre i laquelle on ajoute de la lessive jusqu'à ce
que toute l'huile ait été saponifiée, c'est-à-dire
combinée à la soude. Cette première opération
s'appelle Vempâiage.
La matière, parfaitement homogène, conserve
trop d'eau; on y verse alors de la lessive con-
centrée marquant de 30» à 35° à l'aréomètre,
puis de la lessive contenant du sel marin : c'est
là le relavgaye. La coc/(0)i, c'est-à-dire une cuis-
son nouvelle, termine ensuite la saponification
complètement. Le savon, insoluble dans l'excès
de lessive, nage à la surface ; on soutire le li-
quide, et il reste une masse qui durcit par le
refroidissement.
La pâle obtenue par le refroidissement est redis-
soute dans un douzième de son poids d'eau chaude
ou d'une lessive de soude très faible ; par le refroi-
dissement et le repos, elle se sépare en deux par-
ties: l'une, colorée pardes produits ferrugineux que
contenait la soude, du sulfure de fer surtout, se dé-
pose au fond; l'autre, blanche, reste au-dessus.
Celle-ci, séparée de la première, donnera le savo7i
blani-, quand on la coulera dans des moules ou
mises. Si, au contraire, on mélange par l'agitation,
et avant le refroidissement, le savon ferrugineux
qui est au fond avec le savon blanc liquide qui
surnase, ou aura un snvm marbré de veines
bleuâtres. Le savon blanc et le savon marbré
sont des savons durs.
Les savons mous ou savons de potasse s'ob-
tiennent par la saponification des huiles de che-
nevis, d'œilletle, de lin avec des lessives de po-
tasse. Ces savons, encore plus solublcs dans l'eau
que les savons durs, contiennent un excès d'al-
cali; on les colore en vert, quelquefois en noir,
avec de la noix de galle, de Campêcho ou du sul-
fate de fer.
Voici, d'après Thénard, la composition moyenne
des savons du commerce :
1 potasse. . . .
64,0
30,0
Composiliin chimique des savons. — On sait
que les coips gras *, c'est à- dire les huiles, les
suifs, et les graisses de toutes sortes, peuvent se
dédoubler, en présence des bases métalliques, en
acides gras : acide sténriqijc, oléique, margari-
que, etc., et en un principe doux, liquide, appelé
glycérine. Ce dédoublement exige l'intervention
de l'eau, de mê.nie que la formation des éthers
composés par l'action des acides sur les alcools*.
C'est ce qui a fait considérer les corps gras comme
des éthers composés à acides gras et à alcool de
glycérine. Les savons formés par l'union de l'a-
cide gras à un alcali, ou à de l'oxyde de plomb
(emplâtre), doivent être considérés comme des
sels ou comme des mélanges de sels : ce sont des
mélanges de stéarate, de margarale, âe pa Imitai e
et à'oléute de soude ou de potasse, formés par la
combinaison de l'une de ces deux bases avec les aci-
des stéariqne, margarique, pal'idlique , oléique.
Savons divers. — Le savon de toilette se fabri-
que à froid ; il est formé de produits très purs et
aromatisés par des essences : le plus souvent par
de la nitrobenzine qui lui donne l'odeur de Va-
mandc amère ; c'est pour cela qu'on l'appelle sa-
von à l'amn7ide amère, quoique ordinairement il
n'en contienne pas trace.
Le siivon de Windsor, le sav07i au bouquet, le
savo7i à la rose sont des savons très purs et aro-
matisés. Les savons transparents s'obtiennent en
SCANDINAVES (ÉTATS) — 191>l — SCANDINAVES (ÉTATS)
dissolvant du savon blanc dans de l'alcool place
dans la cliaiidière d'un alambic. Le siivnn amyq-
dalin ou savon médicinal est formé de 10 parties
de soude et de 21 d'huile d'amandes douces. Les
substances qui servent à colorer les savons sont
le plus généralement l'outremer, les ocres, le ver-
millon, etc.
On appelle savon des verriers le peroxyde de
manganèse qu'on emploie dans les veireries pour
blanclilr le verre, et savnn nnlurel une espèce
d'argile très douce employée dans les moulins à
foulon. Les pharmaciens vendent sous le nom
de savon végétal une pnudre contenant 8 parties
de résine et 1 partie de bicarbonate de potasse
Dans quelques cas on ajoute aussi une certaine
quantité de résine aux savons ordinaires de potasse
pour les rendre plus durs.
Les savons, conservant en partie les propriétés
de l'alcali qu'ils renferment, dissolvent les corps
gras ; c'est li le principe de leurs applications au
nettoyage et au lavage du corps et au blanchis-
sage du linge et des vêtemenls. Ils sont fort so-
lubles dans l'ean chaude et dans l'eau bouillante,
mais insolubles dans l'eau salée ; aussi celle-ci
les précipite-t-cUe de leur dissolution sous forme
de flocons blancs. La plupart des oxydes métalli
ques, principalement la chaux, les décomposent,
les acides gras formant avec ces oxydes des savons
insolubles. C'est pour cela que les eaux chargées
«■le chaux, comme celles des puits de Paris, no sont
pas propres au blanchissage du linge.
[Alfred Jacquemart.]
SCANDINAVES (États). — SUÈnE, NORVÈGE,
D.iNE.MARK. — GiOGBAPHiE. — Géographie géné-
rale, XVI. — Le nom de Scandinavie, c'est-à-dire
•île de Scandie ou Scanie, ne s'appliquait jadis qu'à
l'extrémité méridionale de la Suède, au sud du lac
VVettorn ; mais il s'est étendu peu à peu à toute
la péninsule que la mer Baltique et le golfe de
Botnie séparent de l'Allemagne, de la Russie et
de la Finlande. Les îles Danoises et la presqu'île
qui s'avance entre la Baltique et la mer du Nord
à l'orient du golfe de l'Elbe appartiennent égale-
ment au monde Scandinave, non seulement par leur
population, mais aussi par leurs traits géographi-
ques. La superficie totale des trois pays Scandina-
ves, dans les limites actuelles qui leur ont été tra-
cées par les guerres et les traités, est évaluée
à7U7,i;i4 kilomètres carrés, dont -38,238 pour le
Danemark, 316,i,9i pour la Norvège, -142, 20:( pour
la Suède. Sesfroniières naturelles, indiquées par
le relief du sol, donneraient à la Scandinavie une
surface plus considérable. Au nord-est, du côté
de la Russie, la ligne de séparation qu'il semblait
convenable de choisir est celle qui du Varanger-
fjord se dirige vers le golfe de Botnie par le lac
Enara et la vallée du Kcrai ; mais la Russie, plus
puissante que ses deux voisines de l'ouest, la Suède
et la Norvège, a modifié la frontière à son profit,
de manière à enclaver toute la Laponie norvé-
gienne et à s'avancer jusqu'aux montagnes qui
dominent les fjords voisins de ïromsO. Au sud, les
dimensions normales du territoire Scandinave ont
été également réduites. Les trois pédoncules de
la presqu'île danoise sont naturellement séparés
de l'Allemagne du côté de la mer du Nord par le
cours dol'Eider, et du côté de la Baltique par les
sinuosités de la Schlei. Ces limites ont été fran-
chies par les armées allemandes, et la frontière
politique a été reportée beaucoup plus au nord, en
un pays de langue danoise appartenant par sa for-
mation géologique et par ses traits géographiques
au monde Scandinave.
Le plus puissant des trois Etats du Nord fut
longtemps le Danemark. 11 posséda jadis toutes les
côtes méridionales de la Baltique jusqu'à l'Ehsto-
nie. A la fin du xiv« siècle, il se mit à la tête de
l'Union Scandinave par le traité de Kalmar, et jus-
qu'en 1815 il posséda la Norvège. Avant que l'Al-
lemagne ne devînt la puissante monarchie mili-
taire qu'elle est aujourd'hui, le Danemark avait
aussi étendu sa domination jusque sur le terri-
toire germanique. En outre, les Danois, connus
autrefois comme les Norvégiens et les Suédois du
Bohuslan sous le nom général de Normands, pous-
sèrent leurs incursions victorieuses dans les Iles
Britanniques, en France, en Sicile, dans le Napo-
litain, et, de l'autre côté de l'Océan, jusque dans
le Nouveau-Monde, découvert par eux longtemps
avant Colomb. Ce qui manqua au Danemark pour
qu'il devînt le centre d'un vaste empire, c'est la
cohésion géographique de ses éléments : une pé-
ninsule, des îles éparses ne formaient point de
noyau autour duquel pussent s'agréger les con-
quêtes faites au dehors ; celles-ci restaient sans lien,
comme les contrées mômes d'où s'étaient élancées
les flottilles des conquérants.
Au point de vue géologique, on peut dire que
la Scandinavie est la plus jeune des terres de
l'Europe, celle où les changements do relief et
de contours s'accomplissent le plus fréquemment.
Actuellement presque toute la Suède et la Norvège
s'élève peu à peu au-dessus du niveau de la Bal-
tique et de l'Atlantique boréal. Les noms de lieux,
les ports abandonnés dans l'intérieur, les restes
d'édifices construits autrefois sur le rivage, les
débris de bateaux trouves loin de la mer, enfin
les traditions populaires et les monuments écrits,
ne peuvent laisser aucun doute sur la retraite gra-
duelle des eaux marines le long des côtes de la
Scandinavie du nord. Depuis 1731, des points de
repère taillés dansle rocher permettentdo mesurer
l'émersion séculaire des rivages. Ce mouvement
est beaucoup plus rapide à l'extrémité septen-
trionale du golfe de Botnie que sur toutes les
autres côtes de la Suède et de la Norvège. A
Tornea, le soulèvement est évalué à l^.tiO par
siècle, tandis qu'il n'est plus que d'un mètre par le
travers des îles d'Aland et que plus au sud il di-
minue peu à peu, jusque vers Kalmar, où le niveau
de la terre et de la mer ne change point. C'est là
que se trouverait l'axe d'oscillation de la pénin-
sule, car plus au sud la pointe terminale de la
Scanie paraît s'être enfoncée graduellement sous
les eaux de la Baltique. Des forêts immergées et
des couches de tourbe que l'on trouve sur les
fonds marins à une certaine distance des plages ac-
tuelles et où l'on a recueilli pourtant divers objets
traviillés par l'homme, permettent de croire que
depuis le ix" siècle de l'ère vulgaire la dépression
a été de 4 à 5 mètres. Le Danemark présente un
phénomène analogue. La région de la péninsule
011 se trouve probablement la charnière d'oscilla-
lion entre l'aire de soulèvement et l'aire d'affais-
sement, passe au nord de la frontière politique
cluelle,à peu près dans la partie la plus large du
Jylland ou Jutland : au nord, les îlots riverains s
rattachent à la terre ferme ; au sud, au contraire,
des îles s'engloutissent dans la mer; les côtes sont
envahies, et le Schlesvvig déjà si étroit se rétrécit
encore. Sur le littoral de la Norvège le mouvement
d'oscillation est loin de présenter la même régula-
rité : nulle part le soulèvement ne s'est fait d'une
manière aussi rapide que sur les bords du golfe de
Botnie, et môme, en certains endroits, il semble
qu'aucune élévation n'a eu lieu depuis des siècles.
D'ailleurs, les anciennes berges marines ne sont
pas absolument parallèles les unes aux autres ;
elles offrent des ondulations et des plissements,
qui prouve l'inégalité do la poussée intérieure
sous les diverses roches.
Les oscillations du sol, qui modifient de siècle
en siècle la forme des rivages, ont produit aussi
de grands changements dans l'intérieur des terres.
11 est certain que les grands lacs de la Suède cen-
trale, le Miilaren, le VVettern, le Wenern, s'unis-
SCANDINAVES (ÉTATS) — 1992 — SCANDINAVES (ÉTATS)
saient jndis en détroit entre la mer du Nord et la |
Baltique : des plages couvertes de coquillages ma- !
rins des espèces encore vivantes en sont la preuve.
On a trouvé des huîtres sur les bords du lac
Slâlaren et en beaucoup d'autres endroits de la
Scandinavie orientale, indice certain que des mers
ayant au moins 17 parties de sel sur mille parties
d'eau baignaient autrefois les rivages de la con-
trée; actuellement, ces mollusques ne peuvent
vivre même dans la Balticiue, dont l'eau ne ren-
ferme pas assez de particules salines: les eaux
océaniques devaient donc affluer de l'ouest en
quantité considérable pour donner cette forte sa- !
luro à des mers où se déversent tant de courants
d'eau douce. La Scanie était alors véritablement
une île, peut-être même un archipel. Du reste, la
Scandinavie est, de tous les pays d'Europe, à
l'exception de la Finlande, celui qui est encore le ,
plus recouvert d'eau. Les lacs et les étangs occu-
pent près de la dixième partie du territoire. Il est
vrai que sur le versant norvégien, les escarpe- '
ments ont trop peu de largeur pour retenir beau-
coup de lacs dans leurs vasques de granit ; mais
sur le versant suédois, des bassins emplis d'eau
parsèment le sol en multitude, et les rivières ne
sont que dos enchaînements de lacs; leur cours
ast inachevé ; elle n'ont pas encore eu le temps de j
se former un lit régulier, soit en emplissant les
lacs de leurs alluvions, soit en approfondissant '
leur lit en aval des réservoirs. Dans cette période j
lacustre qui succéda h la période glaciaire, la
Scandinavie a gardé toutes les inégalités frustes
de son relief primitif; les dépressions et les sail- ]
lies alternent en un désordre apparent, et, de bas-
sin en bassin, les fleuves ont ii surmonter des
bancs de rochers d'où ils descendent en rapides et j
en cascades. Les cataractes de la Scandinavie sont
les plus remarquables de l'Europe par la masse
de leurs eaux. Celle du Glommen, que traverse le
pont du chemin de fer de Goteborg à Christiania, '
est supérieure en masse liquide à la Garonne eti ]
la Loire ; ses eaux, évaluées suivant les saisons de I
Ili0à4000 mètres cubes par seconde, plongent dans
un défilé, d'une hauteur de 21 mètres. D'autres
cascades ont 100, 200 et même 26" mètres de chute.
Les montagnes de la Scandinavie sont recou-
vertes de neiges persistantes, dont la limite infé-
rieure varie de 1200 h I4(i0 mètres, soit environ
1 200 mètres au-dessous de la croupe la plus élevée
des monts Scandinaves. Les névés de la Norvège,
alimentés par les nuages qu'apporte le vent
d'ouest, sont de beaucoup les plus étendus de
tous les champs de neige de l'Europe ; mais les
glaciers proprement dits du pays Scandinave ne
peuvent se comparer b. cenx des Alpes : la cause
en est h la forme des montagnes norvégiennes,
simples contreforts de plateaux réguliers, échan-
crés de distance en distance par des ravines d'où
se précipitent les neiges. Mais si les glaciers ac-
tuels de la Scandinavie n'ont plus qu'une faible
importance relative, on sait qu'ils descendaient
autrefois à d'énormes distances do leur lieu d'ori-
gine. Partout, dans la contrée, le sol a garde des
traces de leur passage. La Suède et la Xorvège
ne sont qu'une faible partie de l'espace où se sont
dispersées glaces et pierres du Kjôlen et du
Dovre. La Finlande, un tiers de la Russie d'Eu-
rope, toute l'Allemagne du Nord, le Danemark, la
Néerlande, la plus grande partie de l'Ecosse, les
Fâroer, l'Islande même, sont compris dans l'im-
mense région de 3à4 millions de kilomètres carrés
dont les terres superficielles sont dues pour une
grande part aux débris apportés de la Scandinavie.
A l'exception de la fosse très profonde du Skagor
Rak, qui semble avoir été un fjord, les mers ri-
veraines de la Scandinavie, dont la profondeur
moyenne est si faible en comparaison de celle
que présente l'Océan, senties lits de tous ces an-
ciens glaciers, et même en quelques endroits on
a pu en reconnaître des traces directes au-dessous
des rives actuelles.
Outre les moraines et autres amas de débris,
qui ont été transportés ou poussés directement
par les glaces, on remarque aussi en Scandinavie
des levées régulières, de hauteurs diverses, de
5 h COO mètres, qui se prolongent presque sans
interruption à des distances considérables, même
sur plus d'un degré de latitude : ce sont les asai:
On pense qu'ils se composent de matériaux que
les glaces ont transportés et que les eaux di's
rivières ont repris pour les changer en gravier
et en sable. Il est vrai que plusieurs asai-, no-
tamment celui que l'on voit immédiatement au
nord de Stockholm, sont recouverts de coquilles
marines, des mêmes espèces que celles de la
mer Baltique actuelle; mais ces dépôts coquiUiers
sont tout à fait superficiels et se sont (ormes lors
d'un abaissement temporaire du sol après l'épo-
que glaciaire. L'asar le plus connu de la Scandi-
navie est celui qui, sous divers noms, part du lit-
toral baltique, au sud de Stockholm, traverse
cette ville et va finir au nord d'Upsala.
En se retirant, les places de la Scandinavie ont
révélé la structure primitive de la péninsule avec
ses prodigieuses fissures, presque toutes orientées,
ainsi que l'a démontré Kjerulv, suivant des lignes
parallèles qui courent les unes du nord au sud,
les autres de l'ouest à l'est, du nord-ouest au sud-
est et du sud-est au sud-ouest. Cassées ainsi en
des sens différents, les régions du plateau sont
découpées par de profondes vallées dans les-
quelles s'alignent, se ramiBent ou s'entrecroisent
les lacs et où pénètre le labyrinthe des fjords.
Au premier abord ces indentations du littoral
ont une apparence très irrégulière : on dirait
que la côte est tailladée comme au hasard en
un dédale inextricable. Une certaine ordon-
nance finit par se révéler dans ce réseau d'allées
marines. Dans l'ensemble de sa ramure, compa-
rable par la forme k celle d'un chêne, chaque
fjord est formé de canaux perpendiculaires, ou du.
moins brusquement rattachés les uns aux autres,
dont l'orientation générale est précisément colle
des coupures profondes qui séparent les massifs
norvégiens. L'architecture générale de la contrée
se retrouve dans les creux dos fjords aussi bien
que dans le relief des montagnes : le canal conti-
nue la vallée et ne forme avec elle qu'une seule
et même lézarde; d'autres fentes du sol, en partie
remplies d'eau, en partie émergées, croisent les
premières, et la contrée se trouve ainsi divisée et
subdivisée en d'innombrables fragments quadran-
gulaires ou du moins régulièrement taillés, de-
grandeur inégale, les uns en terre ferme, les au-
tres partiellement ou complètement entourés-
d'eau, plateaux, péninsules, massifs insulaires.
La manière dont s'est fracture tout le faîte Scan-
dinave rappelle le fendillement des terres humides
qui se dessèchent au soleil.
Il est impossible do calculer le développement
réel de la côte norvégienne en suivant toutes les
indentations des fjords primaires et secondaires,
car il faudrait tenir compte également do tous
les détroits qui séparent les péninsules, les îles,
les îlots : la longueur seule des chenaux de na-
vigation peut être évaluée au décuple de la ligne
extérieure des rivages, soit à près de 20 000 kilo-
mètres. On peut dire qu'il existe sur toutes les
côtes de la Norvège une sorte de mer intérieure,
sinon pour l'étendue des eaux, du moins pour les
routes maritimes, et c'est en elïet en dedans du
cordon des îlots extérieurs que se fait presque
tout le mouvement du cabotage norvégien, dont
l'importance est si considérable; il n'est qu'un
petit nombre de parages où les embarcations
soient obligées do se hasarder en pleine mer
SCANDINAVES (ÉTATS) — 1903 — SCANDINAVES (ÉTATS)
pour contourner un promontoire : une de ces
saillies est le cap Stadt, situé h l'angle de la pénin-
sule norvégienne, entre la mer du Nord propre-
ment dite et l'Atlantique boréal.
L'orograpliio sous -marine des côtes de la Nor-
vège ressemble au relief extérieur : Ih oix les ro-
ches se drossent en falaises abruptes, là aussi
elles s'enfoncent dans la mer en soudains préci-
pices. Au pied des terrasses du Justedal, chargées
de névés, se creuse le Sognefjord dont le fond,
près de l'embouchure, est à l'Hi mètres au-des-
sous de la surface; l'écart entre les points les
plus élevés et les plus bas n'est guère moindre
de 4000 mètres dans cette région de la Scandi-
navie. C'est un fait des plus remarquables que
les fjords dépassent en profondeur les mers qui
s'étendent au large, entre la Norvège et la Grande-
Bretagne. Ce fait doit être attribué à l'action des
glaces pendant la di'riiière période géologique :
tandis qu'elles cheminaient sur les fonds de la
mer du Nord en les comblant partiellement de
débris, elles emplissaient étroitement les cassures
du littoral et en maintenaient la forme primitive.
Mais depuis la fin de la période glaciaire un tra-
vail d'égalisation s'accomplit, et les cavités des
fjords s'exhaussent graduellement. Les eaux flu-
viales apportent leurs alluvions et les déposent
en plages unies au pied des montagnes, tandis
que la mer étale en nappes de sable ou de vase
tous les débris de rochers qu'elle sape de ses
vagues. Sur toute la convexité des côtes méridio-
nales de la Norvège, presque toutes les ancien-
nes baies du littoral ont ainsi disparu. La cause
en est h la disparition des glaciers, qui ont cessé
d'exister depuis beaucoup plus longtemps sur les
côtes du sud que sur les rives de l'ouest, tour-
nées vers les vents pluvieux de l'Atlantique.
Le climat de la Scandinavie est beaucoup moins
froid que celui de toutes les autres contrées du
monde situées à une égale distance du pôle. La
partie septentrionale de la Norvège est déjà com-
prise dans la zone polaire et se trouve sous la
même latitude que le Groenland septentrional et
que le détroit de Bering. Tandis que dans la
grande île américaine on ne voit pas un seul arbre,
la péninsule européenne a de hautes forêts, des
vergers de pommiers, de poiriers, de pruniers, de
cerisiers, même des vignes cultivées en espalier
sur des couches d'engrais. La cause de ce contraste
des climats est dans la marche des courants mari-
times et atmosphériques. Les eaux tièdes venues
des mers tropicales viennent frapper les côtes de
la Norvège et fondre les glaces de ses fjords, et
les vents du sud-ouest et du sud portent au loin
dans l'intérieur l'atmosphère maritime. C'est ainsi
que tout le climat se trouve, pour ainsi dire, re-
porté vers le nord à une dizaine de degrés plus
loin de l'équateur qu'on ne s'y attendrait d'après
les latitudes : flore et faune, tout prend un carac-
tère plus méridional ; la zone tempérée pénètre
au loin dans un territoire qui semblerait devoir
appartenir à la zone polaire. C'est aussi grâce aux
vents et aux courants que le pays a pu se peupler
de millions d'habiiants, tandis qu'à égale latitude,
en Amérique et en Asie, les territoires correspon-
dants sont absolument déserts ou parcourus seule-
ment par quelques rares chasseurs.
Les Scandinaves des trois royaumes, naturelle-
ment groupés en plus grand nombre dans les ré-
gions méridionales, appartiennent à diverses
familles de la race germanique. Danois, Goths,
Svear ou Suédois. Los Suédois que l'on considère
en général comme représentant le type national
suédois le plus pur sont 1er, Dalécarliens, qui vi-
vent au nord-ouest de Stockholm, dans le bassin
supérieur du Dal-elf. Quant aux Danois, il est pro-
bable que leur type le moins mélangé doit se re-
trouver en Norvège. Indépendamment des patois,
le langage Scandinave a fini par se diviser en trois-
dialectes : l'islandais, qui a gardé les ancienne*
formes ; le danois, dont le norvégien ne diffèro-
quo par de faibles détails; le suédois, que l'oiv
parle aussi, de l'autre côté de la Baltique, sur le
littoral de la Finlande. Mais au nord delà pénin-
sule vivent encore quelques représentants des po-
pulations anciennes que refoulèrent les Scandina-
ves à l'époque de leurs invasions : ces indigènes-
sont les Lapons ou les Sames, ainsi qu'ils se nom-
ment eux-mêmes. En Suède et en Norvège, ils sont
au nombre d'environ 28,000 et vivent principale-
ment dans le voisinage des côtes, où ils s'occupent
de la pèche avec les Kuiinen finlandais et les Nor-
végiens ou Normands. Les Lapons des rennes
sont moins nombreux, car il leur faut de très vas-
tes espaces pour leurs troupeaux : pour l'entretien
d'un seul individu, on compte au moins 25 ren-
nes, et le lichen, une fois brouté., no repousse que-
lentement. Quelques Lapons s'occupent aussi
d'agriculture, principalement dans le bassin du
fleuve Tornea. On répète souvent, sans preuves
que le nombre des Lapons diminue. C'eNt le con-
traire qui a lieu. Depuis le commencement du
siècle, ils ont au moins triplé ; mais s'ils ne dispa-
raissent pas directement, ils se fondent peu à peu
par les croisements avec les populations environ-
nantes. Les Suédois du nord se laponisent, tandis-
que les Lapons se font Scandinaves. Les écoles,
obligatoires dans chaque village, sont le grand élé-
ment de rapprochement entre les deux races. Les
enfants lapons, obligés d'abandonner le campe-
ment paternel, contractent parmi les civilisés des
habitudes qu'ils ne peuvent abandonner plus tard.
Ils ne reprennent pas tous la vie nomade de leurs-
pères et continuent do vivre parmi les Suédois,
se font Suédois eux-mêmes.
L'ensemble de la population des royaumes
Scandinaves peut être évalué en 1881 à un peu
plus de huit millions et demi d'habitants, soit
deux millions pour le Danemark, deux millions
pour la Norvège et quatre millions et demi pour
la Suède. L'accroissement d'année en année est
assez considérable, non par l'immigration, qui
est à peu près nulle et qui est très inférieure à
l'émigration, mais uniquement par le surplus des
naissances sur les morts et par l'augmentation
de la vie moyenne. En Danemark, la natalité
dépasse annuellement la mortalité des deux cin-
quièmes : en Norvège, la proportion est encore
plus favorable ; de tous les pays du continent, il
est celui qui perd le moins d'enfants en bas âge
et où la vie moyenne est la plus lorigue. Il y
a certainement en Scandinavie une amélioration
de la race contrastant avec la détérioration qui
se produit en d'autres contrées par l'efl'et de la
sélection militaire. La taille des recrues a aug-
menté de 18 millimètres depuis le milieu du
siècle. Do même que dans tous les pays civili.sés,
le nombre des habitants s'accroît plus rapide-
ment dans les villes que dans les districts ruraux,
grâce à l'appel du commerce.
Copenhague, la ville la plus populeuse de la
Scandinavie, dans l'île de Sjillland ou See-
land, n'a pas moins de 250 1100 habitants,
avec son vaste faubourg de Frederiksberg. Non
seulement elle attire la population comme centre
de rudministratioM et siège de la cour du royaume
de Danemark, mais, en outre, elle est admirable-
ment située au point de vue commercial : c'est là
que se croisent le chemin de la Baltique à la mer
de Nord par le Sund et celui de l'Allemagne à la
Suède par les lies danoises. De tous les détroits
qui font communiquer la Baltique et le Kattegat,
nul n'est d'une navigation plus facile que celui
dont le chenal passe devant Copenhague, c'est-à-
dire devant le « l'ort des Marchands », car tel
est le sens du mot Kjobenhavn. Le mouvement
SCANDINAVES (ÉTATS) — lî)94 — SCANDINAVES (ÉTATS)
du port comprend plus de 12CflO navires à voiles
et bateaux h vapeur, jaugeant près d'un million
de tonnes : d'une rive h l'autre du détroit, les
paquebots à vapeur vont et viennent incessam-
ment comme les u moucbcs u dans Paris. Aucune
des autres villes danoises n'a même la dixième
partie des babitants de Copenhague. Les princi-
pales sont : Odense, cbef-lieu de l'île de Fjcn
ou Fiimie ; Aarbus, Aalborg, Randers, Horsens,
Fredericia, Viborg. dans la péninsule de Jylland.
Dans l'île de S.jalland, celle dont Copenbague
est le chef-lieu, Roskilde, qui fut jadis la capitale
du royaume, et Helsingôr (Elseneur), qui com-
mande l'endroit le plus resserré du Sund, peu-
vent être presque considérés comme des an-
nexes de Copenbague, tant les communications
sont fréquentes entre ces villes et la métropole.
Stockholm, la capitale de la Suède, est bien
inférieure à Copenbague pour le nombre des habi-
tants, qui était de I700l!0 en 188»; mais il faut tenir
compte de ce fait, que la ville est située au nord
du 51)' degré de latitude, dans une région dont
les abords maritimes sont complètement bloqués
par les glaces pendant une grande partie de l'an-
née. Stockholm n'a qu'un rang secondaire parmi Its
cités d'Europe, mais grâce à la nature qui l'en-
toure, aux eaux qui la baignent, elle n'a que peu
d'égales pour la beauté. Elle est en entier bâtie
sur des îles, des îlots, des péninsules, que ratta-
chent des ponts, le viaduc d'un chemin de fer et
des lignes d'omnibus à vapeur portant sans cesse
les voyageurs d'une rive à l'autre. Stockholm est
aussi ville de musées et de sociétés savantes,
mais elle n'a qu'une université libre : la princi-
pale école du pays est au nord, dans la ville
<i'Upsala,près de laquelle s'élèvent les buttes funé-
raires qui recouvrent, dit la tradition, les corps
des trois divinités Scandinaves, Odin.TboretFreya.
Le mouvement de la navigation est très considé-
rable dans les ports de Stockoliu, puisqu'il s'é-
lève à plus de 40 000 navires, d'un port de près
de 3 millions de tonneaux; mais pendant la pé-
riode des glaces, Stockholm doit envoyer ses den-
rées et ses marchandises à travers la péninsule
et prendre alors pour son port extérieur le havre
de Goteborg, qui fait, d'ailleurs, en toute saison
un commerce très important. Cette ville, située ,
sur le fleuve Gota, navigable dans la partie infé-
rieure de son cours, est l'int'rmédiaire naturel
entre Stockholm et toute l'Europe occidentale,
surtout l'Angleterre; elle est aussi le lieu d'es-
cale naturel entre Copenhague et Christiania; <
en ISsO. sa population était d'environ 75 000 habi-
tants. Les autres cités de la Suède par ordre d'im-
pirtance sont : Malmiî, près de la pointe nréridio-
nale de la péninsule suédoise, formant, de l'autre 1
côté du Sund, comme le faubourg suédois de '
Copenhagui^; Norrkôjiing ou le « Marché du]
Nord )i, ville manufacturière et commerçante,
que l'on appelle souvent le ci Manchester de la '
Scandinavie » ; Gefle, au nord de Stockholm, le
port le plus actif pour l'exportatinn des bois;
Carlskroiia, port qui est en même temps l'arsenal
du royaume; Jonkoping, ville de l'intérieur, â la
pointe méridionale du lac Wettern. Parmi les
autres villes de la Suède, on mentionne souvent,
à cause des événements qui s'y sont accomplis,
les petites cités de Lund, Ôrebro, Helsingborg,
Kalinar, Landskrona. 'Wisby, la capitale du l'île
Gotland, est une ancienne ville hanséaiique,
où se voient encore de belles ruines d'édifices du
moyen âge.
Christiania, la capitale de la Norvège, est, comme
presque toutes les autres villes du royaume, si-
tuée au bord de la mer et fait un assez grand
commerce par ses deux ports, anses septentrio-
nales d'un fjord qui s'avance au loin dans la
masse de la péninsule norvégienne et suédoise,
parallèlement aux rivages de la presqu'île du Jyl-
land. Ville de trafic et d'industrie, siège de l'uni-
versité et des principaux établissements du pays,
Christiana grandit rapidement et contient, avec ses
faubourgs, une population de plus lOO^OliO habi-
tants. Un chemin de fer récemment terminé la
rattache par un col élevé à, l'ancienne capitale
du pays, Trondhjem, située sur la côte de la
Norvège tournée vers l'Océan. Bergen, sur la
même côte, au sud-ouest do Trondhjem, n'a ja-
mais eu le titre de chef-lieu du royaume, mais,
par l'importance de ses échanges et de sa pêche,
elle fut longtemps la première de toutes les villes
norvégiennes. Stavanger, Drammen, Christian-
sand, sont aussi des ports très actifs, surtout pour
l'armement des bateaux de pêche et l'expédition
des poissons et des bois. Sur les cotes du nord,
TromsO et Hammerfest ne sont que des petites
villes, mais elles sont curieuses par leur situation
au bord des mers septentrionales, bien au nord
du cercle polaire. Hammerfest marque l'estré-
mité boréale de l'arc de méridien qui se prolonge
jusqu'en Turquie, à travers la Scandinavie, la
Finlande, les provinces Baltiques, la Pologne,
l'Austro-Hongrie, sur plus de 26 degrés de la-
titude.
Dans la division générale du travail, on peut
dire que le Danemark représente surtout l'agri-
culture, tandis que l'industrie est la part de la
Suède et le commerce celle de la Norvège. Les
produits agricoles font vivre directement les trois
cinquièmes de la population danoise, quoique plus
d'un tiers de la contrée se compose encore de
landes, de marais, de terres incultes ou de ja-
chères. En outre, le Danemark exporte une
grande quantité de ses produits en Angleterre;
tous les ports danois expédient régulièrement aux
marchés britanniques des légumes, des fruits, du
beurre, des céréales, des bestiaux. Pays de gras-
ses prairies, le Danemark est, de toute.-.- les contrées
d'Europe, celle qui possède proportionnellement le
plus de bêtes à cornes. En Suède, l'agriculture pro-
prement dite prendaussi d'année en année une plus
grande importance; toutefois c'est encore l'exporta-
tion des bois qui représente la plus grande moitié
des ventes de la Suède, soit 1-30 millions de francs
chaque année. Les poutres, les planches, les
traverses, les étais de mines sont expédiés des
ports du golfe de Botnie et de Goteborg, surtout
en Angleterre, mais aussi dans le reste de l'Eu-
rope, au Brésil, au cap de Bonne- espérance, en
Australie et jusque dans la Nouvelle-Zélande. Les
Suédois exportent aussi leurs bois en parquets,
en meubles et en objets de menuiserie fine, ainsi
qu'en allumettes. On sait que, pour cette der-
nière industrie, la Suède est au premier rang ;
mais le bois de tremble, qui fournit les meilleures
allumettes, commence ir devenir rare. La Suède et
la Norvège transforment aussi en papier d'énor-
mes quaiitités de bois ; les amas de sciures de
bois qu'on voyait aux abords des scieries sont ex-
ploités maintenant pour se changer en papier
d'emballage, de livres et surtout do journaux.
L'industrie métallurgique a pris aussi une assez
grande importance en Suède, grâce aux giseinents
d'excellents minerais que possède le pays, surtout
en Dalécarlie; mais le précieux minerai de Dan-
nemora et d'autres mines a relativement diminué
de valeur depuis que les procédés moderiies ont
permis d'utiliser des minerais de qualités infé-
rieures. Les cuivres de Falun, extraits d'un mi-
nerai assez pauvre, n'ont plus dans l'industrie sué-
doise qu'une faible importance ; la production a
diminué des neuf dixièmes. Des veines de cuivre
d'une extrême richesse, qui se trouvent dans les
montagnes du Finmark , au nord de la péninsule, ne
peuvent être sérieusement exploitées à cause de la
rigueur du climat. Sous ces hautes latitudes, les
SCANDINAVES (ÉTATS) — 1095 — SCANDINAVES (ÉTATS)
rares liabitants do la cûle n'ont d'aiitrosressources
que celles de la pêche. Aux Lofoten et dans le Fin-
mark, la capture de la morue occupe plus de 8(100
bateaux montés par ."î.'i (lOO hommes environ, et l'on
prend plus de 'm millions de poissons pendant une
bonne saison de pêche. Le harens a maintenant
moins d'importance que la morue dans l'économie
générale du pays; néanmoins on prend encore
dans les bonnes années jusqu'à 300 millions de
harengs sur les côtes de la Norvège. Les maque-
reaux, les saunions, certaines espèces de requins
sont aussi poursuivis activement par les pêcheurs
Scandinaves.
Habitués à braver la mer, les pêcheurs norvé-
giens ne craignent pas do se hasarder au loin pour
la grande navigation. De toutes les nations dn
monde, nulle n'a, proportionnellement au nombre
des habitants, une marine de commerce aussi
considérable que la Norvège ; elle est d'environ
SOiJO navires, jaugeant l,'i50,O00 tonnes. Ensemble,
les trois États Scandinaves ont plus de 15 000 na-
vires, d'un port de 2,200,000 tonnes, près de
trois fois plus que la France. La plupart des habi-
tants des villi's, au lieu de placer leurs économies
à la caisse d'épargne ou dans les banques, les
emploient dans une " part » de navire. Pour le
commerce intérieur, la Scandinavie possède aussi
un réseau de routes, de canaux et de cliemiiis de
fer très considérable relativement à la population.
On sait que la Suède possède dans le canal de
Gtita, qui traverse la péninsule de l'est h l'ouest,
un des plus beaux travaux d'art de l'Europe, et,
pour les chemins de fer, la Suède est la seule
contrée de l'Ancien Monde qui ait plus de 1000
kilomètres de voies ferrées par million d'indi-
vidus.
Au point de vue politique, la Scandinavie se
divise en trois royaumes, le Danemark, la Suède
et la Norvège ; mais ces deux derniers, ayant le
même souverain, ont quelques institutions en
commun, et à certains égards peuvent être consi-
dérés comme formant un même État. Les trois
royaumes ont chacun leurs assemblées délibéran-
tes, le Fulkething et le Laudslhwg en Danemark,
YOdelslking et le Liigthing, formant ensemble le
Stortliin//, en Norvège, et en Suède le Rt/csdng,
également composé de deux Chambres.
Les divisions administratives des trois royaumes
sont les suivantes :
Danemark.
' Norvège.
DIVISIONS
GliOGnAPlIIQUES.
BA1LL1.\GES
6 .
o
SJAILISD ET MOES
Bouhhoim
LAALANDKTFir.STE«
Copenhague (ville).
— (campagne)
Frederiksborg ....
Holbœk
k. car.
13
12tl
1.163
IG24
1472
1669
584
1660
nés
1641
2773
1687
3031
24)3
2i77
2336
3043
hab.
193 000
111 400
83 300
90 iOO
87 200
100 100
33 000
92 400
126 700
117 800
93 400
63 300
91 300
87 800
lUO 300
132 300
107 400
79 300
68 000
SoiO
Bornlioim
iMaribo
Hiôrring
Aalborg
Viborg
1
Vi'jle
Iliiigkjobing
liibt' .
r R K F E G T l: R E S
Ntiluiiics
Lister et Jlanck
Sla\anger
Suudre-ilergeoli
Bergeu
Nurdre-Bergcnb
R»nisdal
Sundrt-Trondhi
N'orrlrc-Trond|]j<
Noritland
PROVINCES
Malmô
Cliristianstad
Ca.lskrona iBlekingo;
\Vi>\iii
■l""k'M'iug
Kal.i.a
Liuk6|>in- (nstcgo.laiidj.
llalmstad (iïallaiidj
Mai-lestad
Wenersborg
GOlcborg et Bohus
Wisby (Golland)
Stockholm
Upsala
N^kflping (Sôdermanland)
wVstcras (Westmanland).
Orcbro (Narike)
Carlstad CWermlaud)
Falun (Stora Kopparberg)
Gefle
Hcrnôsatid (Westuorrlanil)
ostersund (Jemtland)
Umea (Wesierbotteu)
Lulea (Noirbotten)
hab.
343 074
230 869
134 005
168 031
193 113
241 939
268 S84
133 988
236 712
288 903
252 952
54 964
306 283
107 )2t
143 929
126 753
181 236
268 531
189 650
169 194
138 134
[Elisée Reclus.]
SCANDINAVES (États). — DANliMAIlU, SUÈ-
DE NORVÈGE. — Histoire et Littéiiatibe. —
Histoire générale, X.XXHI ; Littératures étran-
gères, XX.
L'antiquité et le moyen âge des trois pays
Scandinaves. — Dans les trois royaumes Scan-
dinaves, l'époque historique commence plus tard
que dans les autres pays de l'Europe. C'est seu-
lement depuis l'an 800 que les sources histori-
! ques deviennent assez certaines pour les pays
du Nord et que nous pouvons fixer la série des
i rois. Du reste nous ne sommes pas sans docu-
meiits sur la haute antiquité. L'archéologie,
science cultivée aujourd'hui avec prédilection
I dans le Nord, nous prête son secours. Dans les
SCANDINAVES (ÉTATS) — 1996 — SCANDINAVES (ÉTATS)
tourbières, dans les grands tas de débris culinai-
res (kjœkkenniœddings), dans les tertres clevcs,
anciennes sépultures, qui se trouvent partout dans
les plaines du Danemark, et très souvent sous la
charrue du laboureur, on rencontre des vestiges
de la vie des premières populations Scandinaves.
On y distingue trois âges, l'âge de pierre, l'âge
de bronze, et enfin, vers la naissance de Jésus-
Clirist, l'époque du fer. A cette dernière époque
appartiennent aussi les grandes pierres qui por-
tent des inscriptions en caractères dits runiques
(de ritne, mot Scandinave signifiant ktlre).
Dès ce temps-là, les Scandinaves avaient des
communications avec l'Est de l'Europe ; mais
c'est seulement vers l'époque de Cliarlemagne
que les habitants de l'Europe occidentale appri-
rent à les connaître. Les Danois attaquèrent les
côtes du grand empire, et les Norvégiens et les
Danois firent des expéditions en Grande-Bretagne
et en Irlande. Vers le milieu du ix° siècle, ces
corsaires ou riki»(/s infestaient toutes les mers,
et formaient Je grandes armées qui, profitant de
la discorde au sein du royaume franc, pénétraient
jusque dans l'intérieur des terres et ravageaient
les villes. Remontant le cours de l'Elbe, du Rhin,
de la Seine, de la Loire, ils rançonnèrent Ham-
bourg, Mayence, Cologne, Aix-la-Chapelle, Nan-
tes, Tours. Paris fut souvent visité par ces auda-
cieux guerriers; le grand siège de 8S5-886 est
le plus célèbre. Deux fois ils pillèrent les cotes
de_ l'E.spagne, et en 8i9-S61 ils se hasardèrent
même dans la Méditerranée. Ils hivernèrent à
l'embouchure du Rhône, qu'ils remontèrent jus-
qu'à Valence; en Italie, ils saccagèrent Pise et les
villes voisines. En 911, Ch^irles le Simple fut
obligé de céder la Neustrie à Rollon, chef d'une
armée danoise ; le pays prit le nom de Norman-
die, car,_dans le Sud, Nonnan</s ou « hommes du
Nord » était le nom donné aux guerriers Scandi-
naves. En Angleterre, à la suite de leurs attaques
répétées, le roi Alfred leur céda tout le pays au
nord et à l'est d'une ligne tirée de l'embouchure
de la Tamise jusqu'à Chester. Les îles d'Ecosse
furent envahies par les Norvégiens qui établirent
aussi des royaumes dans les villes d'Irlande (Du-
blin, Waterford, Limerick). Les fleuves de l'Europe
orientale furent également le théâtre des exploits
des Scandinaves. Rourik et ses guerriers sué-
dois fondèrent un royaume à Novgorod, plus tard
à Kiev, et les successeurs do ce chef régnèrent
sur plusieurs peuples slaves. Beaucoup de Scan-
dinaves passèrent aussi par la Russie pour entrer
au service des empereurs grecs; ils formaient
même à Constantinople une garde spéciale (les
Varègues).
Les armes par lesquelles les Scandinaves des
trois royaumes du Nord conquirent de si grands
pays et devinrent si puissants, c'étaient surtout
un bravoure incomparable, l'obéissance aveugle à
leur chef, la fidélité et la concorde entre cama-
rades, qualités peu estimées à cette époque dans
l'Ouest; il faut y ajouter leur hardiesse comme
marins et leur connaissance des mers, et enfin
une grande facilité à adopter les moeurs étran-
gères. Tout cela constitue déjà une certaine cul-
ture; de plus, leurs belles armes, leurs riches
vêtements et leur noble poésie, conservée dans la
littérature postérieure, prouvent qu'ils avaient le
sens de la beauté des formes et des couleurs, et
que leur esprit s'intéressait aux pensées poéti-
ques ou profondes. Mais leur religion était
cruelle; ils sacrifiaient à leurs divinités sauvages
Odin _ et Tlior, et croyaient que la guerre et le
sang étaient agréables aux dieux. Au ix' siècle leurs
communications plus fréquentes avec les chrétiens
commencèrent h répandre parmi eux la connais-
sance du christianisme. Ansgar, moine de Corbie
près d'Amiens, plus tard de Corvei en Westphalie,
fut l'apôtre des Scandinaves (mort en 8G5).
C'est avec une certaine fierté que les Scandina-
ves d'aujourd'hui se rappellent ces temps où leurs
ancêtres dominaient sur un quart environ de l'Eu-
rope. Ils sont les fondateurs de l'État Russe ; ils ont
restauré le faible royaume des Anglo-Saxons, ils
ont conquis la Normandie qui bientôt allait jouer
un si grand rôle dans l'histoire européenne. Il
est vrai que dans ces États conquis la langue et
les mœurs des colons changèrent bientôt pour de-
venir celles du peuple vaincu ; car, ainsi que nous
l'avons dit, les Scandinaves avaient une aptitude
remarquable à changer leur manière de vivre et
à s'assimiler aux étrangers. Les descendants des'
Suédois en Russie parlèrent la langue des Slaves,
et ceux des Danois en Normandie la langue fran-
çaise ; mais ils se distinguèrent toujours par le
même esprit organisateur et conquérant, actif et
aventureux. Du reste, ces colonies furent bientôt
séparées et indépendantes de la mère-patrie. Il
n'y eut qu'un pays qui, pendant un plus long
temps, resta gouverné par les rois du Nord, sa-
voir l'Angleterre. Le roi Svend à la barbe four-
chue (9S5-10U) avait entrepris une série d'expé-
ditions contre l'Angleterre, et il finit par la con-
quérir. A la mort subite de ce roi, et après une
nouvelle invasion, son fils Kanut (1016-1035) hé-
rita du pays, et quand il fut devenu aussi roi de
Danemark (1018) et eut conquis la Norvège (10'28),
ces trois royaumes se trouvèrent réunis sous son
sceptre. Prince prudent et énergique, il gouverna
son vaste empire avec fermeté et sagesse. Il intro-
duisit définitivement le christianisme en Danemark.
Après la mort de son fils Hardekanut (1042), l'An-
gleterre fut séparée du Danemark pour toujours.
Dans la haute antiquité, la Norvège était divi-
sée entre un grand nombre de petits rois ; Harald
Haarfager (aux beaux cheveux) vainquit tous les
autres rois et créa un royaume unique (S72). Ce
système parut insupportable à l'esprit fier et in-
dépendant des Norvégiens, et beaucoup de chefs
préférèrent s'expatrier. Ils firent voile vers les îles
d'Ecosse, et les Farder, où ils s'établirent ; c'est par
eux aussi que l'Islande fut découverte (874). Cette
île devint l'asile principal des mécontents, et ils
y constituèrent une république. Les colons d'Is-
lande conservaient l'esprit des vikings, et firent
de nombreuses expéditions militaires ou commer-
ciales; ils découvrirent et colonisèrent le Groenland
(98;î;, et, devanciers de Christophe Colomb, ils
visitèrent même l'Amérique (Nova Scotia, Mas-
sachusetts, 1000). Cette république islandaise
fleurit pendant trois siècles; le christianisme fut
adopté à l'assemblée des chefs en l'an ItiOO, et
l'État se donna des lois qui, par leur netteté et
leur sagacité juridique, appartiennent aux plus
remarquables du moyen âge (Grâgâs, vers 1100).
Les Islandais aimaient et cultivaient la poésie et
l'histoire (Voir ci-dessous). Mais au xiii' siècle des
discordes intestines affaiblirent l'État, et l'Ue de-
vint une province de la Norvège (1202).
Dans ce dernier pays, sous les descendants de-
Harald Haarfager, les chrétiens et les païens furent
souvent en lutte, et le christianisme se propagea
d'une manière moins paisible que dans les deux.
autres pays Scandinaves. Le roi Olaf (1015-1028)
fut un des princes chrétiens les plus zélés; mais-
sa violence lui fit beaucoup d'ennemis, et il futi
chassé. Il s'enfuit en Russie, mais revint bientôt 1
avec des auxiliaires suédois. Les paysans se réu- |
nirent contre lui, et dans un sanglant combat le
roi fut tué et ses troupes battues (1030). Bientôt,
après on parla de miracles accomplis sur son)
tombeau; la triste mort du pieux roi émut de pi-
ti^ l'imagination populaire, et le pape le mit au
rang des saints. Ce fut le premier saint des Scan-
dinaves, et saint Olaf fut honoré partout dans le
Nord de l'Europe.
SCANDINAVES (ÉTATS) — 1997 — SCANDINAVES (ÉTATS)
Les Scandinaves auraient pris une plus grande
part aux croisades do Palestine s'ils n'eussent eu
dans les pays voisins des païens à combattre et un
sol à conquérir pour le christianisme. Ainsi Éric le
Saint, roi de Suède (1160-CO), fit une expédition
en Kinlande et commença ;\ y planter la croix; ses
successeurs achevèrent au xiiT siècle de convertir
les Finlandais et de conquérir le pays. Les Danois
entreprirent de nombreuses croisades dans les
pays du sud de la Baltique. Ce fut une seconde
époque do grandeur, pour le royaume danois, que
celle du règne de Valdemar I" le Grand (1 157-1 182 1
et de ses fils Kanut VI (lI8-2-r2ir>) et Valdemar II
le Victorieux (1202-1211). Absalon, archevêque de
Lund en Scanie (car autrefois cette province, avec
les deux provinces voisines de llalland et de Ble-
kiiig, faisaient partie du Danemark), i^tait aussi bon
clerc que guerrier audacieux. Fidèle ami du roi
Valdemar I", il quitta la chape et la crosse pour se
joindre avec ses troupes k l'armée du roi et com-
battre les peuples slaves qui pillaient les côies
danoises. L'île de Uiigen fut ainsi conquise et
ses liabitants païens baptisés; une grande partie
du Mecklenbourg et de la Poméranie obéit au
sceptre danois. Valdemar II fit une croisade en
Ehstonie et y fonda une colonie danoise (Revalj.
Mais bientôt après il fut pris en trahison par le
comte Henri de Scliwerin et gardé en captivité ;
racheté deux ans plus tard, il voulut se venger,
mais fut battu à Burnhœved en Holstein (1227). Il
régna ensuite en paix et promulgua de bonnes lois.
Mais depuis cette époque la puissance du Danemark
s'évanouit.et au XI v'siècle les Allemands dominèrent
dans une grande partie du pays, jusqu'à, ce que le
roi Valdemar IV Atterdag {■< nouveau jour »), par
son habile diplomatie et après des combats heu-
reux, eut regagné de nouveau les provinces sépa-
rées du royaume (1340-1375). Sa fille est la cé-
lèbre princesse Marguerite, qui, après la mort de
son époux Hakon, roi de Norvège (1380), et de leur
fils Olaf ;l.J87), et par le libre choix des Suédois,
réussit à réunir les trois pays Scandinaves en un
seul royaume (union de K.almar, 1397). Cette union,
sauf quelques courts intervalles, dura jusqu'en
1523. Forte et prudente, noble et pieuse, la reine
Marguerite sut gouverner sagement les trois pays ;
elle dompta les fières résistances des nobles. Mais
ses successeurs se montrèrent faibles, et souvent
des troubles s'élevèrent en Suèdi;, surtout sous
les rois de la famille d'Oldenbourg. C'est en 144»)
que les Danois, après la mort du roi Christophe,
avaient choisi Chrisdern, duc d'Oldenbourg, pour
roi de Danemark (1448-1481) ; ii fut l'aïeul delà
dynastie qui règne encore aujourd'hui à Copen-
hague. Sous son petit-fils Christiern 11 (1513-1523),
la Suède se détacha définitivement. Le roi avait
entrepris une expédition à Stockholm et conquis
la ville ; pour écraser la résistance de la noblesse,
qui était hostile à l'union, il fit décapiter quatre-
vingt-dix nobles. Cet acte de cruauté et de mauvaise
politique enflamma les esprits; un noble suédois,
Gustave Vasa, se mit à la tête des paysans révoltés.
Après la fuite des troupes danoises, Gustave fut élu
roi de Suède (1523); depuis cette époque ce pays
a donc son histoire particulière. En Danemark, le roi
Christiern II était aimé des paysans et des bour-
geois, qu'il avait défendus et favorisés par de
bonnes lois; mais les nobles le haïssaient. Il fut
chassé, malgré l'appui du Tiers-État, et quand en
1531 il essaya de reconquérir la Norvège, il fut fait
prisonnier. Il passa dix-sept ans dans une dure
captivité.
Le Danemark et la Norvège de 1523 à
1814. — Les rois de la race d Oldenbourg se
sont appelés alternativement Frédéric et Chris-
tian ; voici la série des rois jusqu'à nos jours :
Frédéric I, 1523-1533; Christian 111, 1534-1559-
FredencII, 1559-1588; Christian IV, 1588-1018;
Frédéric III, 1C48-II;70; Cliristian V, I(i70-1609;
Frédéric IV, 1(;99-I730; Christian VI, 173U-174G;
Frédéric V, I7i(i-nGG; Christian Vil, 176U-1808;
Fréd.Tic VI, I80S-1839; Christian Vlll, 1839-1848;
Frédéric VII, 1848-1803 ; Christian LX., depuis 1863.
Si dauâ cette dynastie on ne rencontre que peu de
rois d'un talent extraordinaire, on peut dire qu'en
général ils se sont distingués par la bonté et la
modération, la droiture et la simplicité ; c'est pour-
quoi aussi le Danemark n'a jamais connu de révo-
lution populaire. Nous allons résumer l'histoire de
quelques-uns de ces rois.
Les doctrines de Luther se répandirent rapide-
ment dans le Nord, où l'on avait mille raisons
de se plaindre du clergé catholique. Après une
guerre acharnée contre les paysans et les Han-
séatiques qui défendaient la cause de Christiern II
(I534-I53(i), le vainqueur Christian III, son cousin,
fut déclaré roi, et à la diète de Copenhague en
1536 le protestantisme fut introduit définitive-
ment; les évêques furent emprisonnés et déposés,
les couvents abolis. Le Danemark n'a jamais connu
les guerres religieuses et les malheurs qui dans
les autres pays en sont résultés; la seconde moitié
du xv!" siècle fut une époque heureuse pour le
Danemark et la Norvège. Le royaume fut bien
gouverné par des rois habiles, assistés par une
noblesse patriotique et instruite , qui comptait
aussi des savants célèbres, comme l'astronome
Tycho-Brahé. Mais dès ce temps, le Danemark
commença cette longue série de guerres contre
la Suède, qui rarement lui procura des avantages
et qui affaiblit les deux nations. Les causes en
furent la jalousie et la crainte que donnaient aux
souverains danois le pouvoir croissant de la Suède
et ses conquêtes sur les côces méridionales de la
Baltique ; puis la question de la domination de la
Baltique et du péage de Sund, c'est-à-dire le droit
que possédait depuis le moyen âge le roi de Dane-
mark d'exiger un péage de tous les navires qui
traversaient ce détroit. Cet impôt, qu'on a appelé
la mine d'or du Danemark, devait naturellement
gêner la Suède, et il causa des guerres continuelles
avec les Hanséatiques, les Hollandais et les Suédois.
Dans la guerre de sept ans(l.i03-l570) sous Frédé-
ric II, les Danois furent le plus souvent victorieux
et le pays n'éprouva pas de pertes. Mais il en fut
bientôt autrement. Christian IV était doué de ta-
lents remarquables; il dessina lui-même le plan
de ses beaux châteaux de Rosenborg et de Frede-
riksborg; c'était un travailleur et un administra-
teur infatigable, mais il se perdait trop daus les
détails, et il manqua de perspicacité en politique.
11 aida les protestants en Allemagne dans la guerre
de Trente ans ; mais vaincu à Lutter am Baren-
berg |1(12>.), et poursuivi par Wallenstein, il se vit
forcé de conclure la paix de Liibeck, cependant
sans perte pour lui (1029). Plus tard la jalousie
que lui donnèrent les victoires des Suédois en
Allemagne lui valut une nouvelle guerre (1643-
1645) ; il commanda héroïquement sa flotte au
combat victorieux de Colbergheide (10'(4), mais
bientôt après les Suédois reprirent l'avantage, et
la paix lui coûta quelques provinces orientales de
la Norvège et les lies de Gutland et OEsel (1045).
Trois ans plus tard, ce roi favori de la nation
mourut. Bientôt après le Danemark eut à subir de
plus grandes pertes. Le belliqueux roi de Suède
Ciiarles X Gustave, qui faisait la guerre en Po-
logne contre Jean-Casimir, envahit le Jutland.
L'hiver de 1657-lb5S s'étant trouvé d'une rigueur
inouïe, il put franchir sur la glace les détroits
jusqu'à l'île de Seeland, où il dicta la paix. Mais
l'arrogance de Charles X fit recommencer la guerre ;
pendant deux ans les Danois luttèrent vaillam-
ment. La défense courageuse de la capitale, que
\'; roi Frédéric 111, préférant « mourir dans son
nid », ne voulait ni quitter ni rendre, sauva le
SCANDINAVES (ÉTATS) — 1998 — SCANDINAVES (ÉTATS)
pays. Eiiflii, après la mort de Cliarles X, la paix
fut conclue ; le Dauemaik perdit les trois provinces
d'outra-Sund.
Pendant ces guerres, la noblesse s'était montrée
peu patriotique et très égoïste, et les bourgeois,
d'autre part, s'étaient distingués par leur bra-
voure et leur esprit d'initiative. A la diète de Co-
penhague, en IGb'i, les bourgeois, d'accord avec
le roi, forcèrent les nobles i investir le roi Fré-
déric m et ses successeurs du pouvoir absolu hé-
réditaire. Le Danemaik devint ainsi une monarchie
absolue. N'oanmoins il n'éclata Jamais de conflit
entre le roi et son peuple.
Au commencement du xviii' siècle, les Danois
furent deux fois en guerre avec Charles XII de
Suède {V. ci-dessous) ; mais pendant tout le reste
du siècle le pays demeura en paix. Sous Chris-
tian Vli, le ministre Struensée ilTiO-niS) voulut
réformer l'Éiat, comme firent Pombal en l'oriugal
ou Tanucci à Naples; mais il fut bientôt em-
prisonné, accusé du crime de lèse-majesté, et
décapité.
Napoléon a exercé une influence fatale sur le
Danemark. Déjà en 1801, l'Angleterre, irritée du
traité de neutralité armée conclu avec la Russie,
Mais les Allemands suscitèrent toute sorte de dif-
ficultés. Enfin en 18G.3, la diète promulgua une
constitution commune pour le Danemark et le
Sleswig; la Prusse l'avait approuvée. Malheureu-
sement, h ce moment mourut le roi Frédéric VII,
vivement regretté par la nation : elle aimait ce roi
patriotique qui avait su régner conformément
à la constitution. Le roi Guillaume de Prusse et
son ministre Bismarck, de même que r.\utriche,
trouvèrent le moment favorable pour envahir les
duchés. Les Danois se défendirent vaillamment à
Oversd, Dybbel (Diippel), Als; mais la luite était
impossible contre des forces supérieures et un
ennemi armé du fusil i aiguille.
Par la paix de Vienne, le Danemark céda
les trois duchés de Sleswig, de Ho'stein et de
Lauonbourg. Mais en 18ii6 les vainqueurs se
brouillèrent lorsqu'il s'agit do partager le bu-
tin, et l'Autriche fut battue par les Prussiens ;
à la paix de Prague, après Sadowa, sur l'initiative
de l'empereur Napoléon, il fut convenu que « la
partie septentriojialo du Sleswig serait rétrocédée
au Danemark, si la population manifestait par
un vote libre le désir d'être réunie à ce pays. »
Cotte clause n'a jamais été exécutée. L'Autriche,
la Suède et la Prusse, avait envoyé une escadre par un traité signé en 1878, a renoncé à toute re
contre Copenhague ; mais la ville se défendit vail- vendication à ce sujet. Quand le Danemark céda
lammcnt, et ce fut seulement la conduite peu hu- le Sleswig à la Prusse, il y avait 19,1,000 habi-
norable de l'amiral Nelson qui sauva sa flotte. , tants qui parlaient le danois comme langue ma-
Six ans plus tard, sans déclaration de guerre, ternelle et 160,1)00 habitimts qui parlaient l'alle-
une grande flotte anglaise vint attaquer la capitale, j mand; maintenant la proportion a changé, à cause
et, après un bombardement, le commandant fut i de l'administration des Prussiens, de l'expulsion
forcé de livrer à l'ennemi toute la flotte danoise, ou de l'émigration des Danois.
Le roi Frédéric VI se vit ainsi contraint do | La Suède depuis 1523 avec la Norvège depuis
prendre part avec Napoléon i la guerre contre 1814. — Si l'époque glorieuse de l'histoire du
l'Angleterre. Quand en 18l3 les Saxons abandon- | Danemark est dans le moyen âge, celle de laSuède
nèrent Napoléon à Leipzig, le Danemark fut le | est dans les temps modernes. Le roi Gustave
seul pays qui partagea ses malheurs. .\ la paix de j Vasa, d'un caractère courageux et énergique, gou-
Kiel (18Ii) et de Vienne (1815), le Danemark dut verna avec prudence; sous son règne ili2i-lJ60)
céder la Norvège k la Suède, et ne roçut en com- | le protestantisme fut introduit en Suède. Ses suc-
pensation que le petit duché de Lauejibourg. j cesseurs essayèrent de conquérir les pays autour
Le Danemark depuis 1814. — De nouvelles , du golfe de Botnie, et, après plusieurs guerres
guerres surgirent à propos des limites méridio- heureuses, la Russie fut exclue de la mer et la
nales du Danemark, qui depuis longtemps étaient Suède acquit l'Ingremanie, l'Ehstonie et la Livonie.
le point faible du royaume. Dans l'antiquité, le , Ces conquêtes et les prétentions des rois de Po-
duché de Sonderjylland ^Julland méridional), plus logne à la couronne de Suède, comme descen-
tard nommé SIebwig, était complètement danois. \ dants de la famille Vasa, occasionnèrent des guer-
C'est seulement depuis le xii' siècle que les Aile- res continuelles avec la Pologne. Gustave-Adolphe
mands s'y établirent en plus grand nombre, | (161 1-1C.J2) conclut une paix tcmp praire avec la
comme colons. Au xiv'' siècle les comtes de | Pologne pour venir à l'aide de ses coreligion-
Holstein. princes indépendants du Danemark, re- , naires en Allemagne (V. Guerre 'le Treille An-').
curent souvent le Sleswig en flef comme vassaux | Ses victoires donnèrent au protestantisme cette
du roi de Danemark. La noblesse du Sleswig et du prépondérance dans l'Europe du Nord qu'il a
Holstein élut le roi Chrisiiern I«'duc de ces deux gardée jusqu'à nos jours. Le héros suédois tomba
pays, et au xv' siècle ses successeurs, les rois à Lutzen (1632'), mais la guerre se continua sous
de Danemark, divisèrent ces pays en différents d'excellents généraux, ses élèves dans l'art mili-
fiefs héréditaires donnés à leurs frères ou àleurs taire, et sa fille Christine Il63.'-I65i), par la paix de
parents. Enfin en 1121, Frédéric IV, s'autorisant VVestphalie, acquit une partie de la Poméranie,
de la trahison du duc, incorpora le Sleswig, , Brème et Werden. La Suède se trouva alors une
qui depuis cette époque devint province imraé- des grandes puissances de l'Europe. Mais Chris-
diate du royaume. Dès le commencement de notre tine n'avait pas les talents nécessaires au gouver-
siècle il se forma un parti qui demanda l'union du | nement; savante, mais capricieuse, elle abdiqua et
Sleswig avec le Holstein. Ce parti, dirigé par les quitta la Suède. La fille du héros tombé pour la
princes d Angustenbourg, trouva un appui en Héforme mourut catholique à Rime. Son cousin
Allemagne, où l'on prétendit que la naiionalité Charles X Gustave (1654-1660] hérita de sa cou-
allemande se trouvait opprimée dans les duchés, ronne : ce fut un souverain d'humeur conquérante,
quoique jusqu'à cette époque elle eût été la plus \ Nous avons déjà vu ses succès en Danemark et
favorisée. Après la révolution de février lSi8 à l'annexion des provinces d outre-Sund. Son fils
Paris, une révolte éclata, et le roi de Prusse Cliarles XI (1660-1697) lutta contre le Danemark et
Frédéric-Guillaume IV envahit les duchés. Une le Brandebourg; il ne dut qu'à son alliance avec
guerre s'en suivit, qui dura trois ans (lui 8- 1850) ; Louis XIV de pouvoir s'en tirer sans trop grandes
les Danois eurent presque toujours le dessus dans pertes. Son successeur Charles XII (1697-1718)
les rencontres avec les Prussiens et les révoltés, voulut rendre à la SuÈde sa liaute posiiion en Eu-
de sorte que les duchés furent conservés au i lope. Il vainiuit les Russes à iN'arva (I7i'0|, etcon-
royaume. En 1849, le roi Frédéric VU avait, par traignit Auguste II, électeur de Sue et roi de Po-
un acte libre de sa volonté, accordé une consti- , logne, à céder son royaume à. Sianis'as Le -zczinski.
tution aux autres provinces du Danemark; après , Mais, dans l'intervalle, le tsar Pierre le Grand
a guerre, il fallut régler la position des duchés. , avait aguerri son armée, et Charles XII, vaincu à
SCANDINAVES (ÉTATS) — 1099 — SCANDINAVES (ÉTATS)
l'oltava (l'ÎOii), sa réfusia cI'bz les Turcs. Il y
passa ciiKi aiis, au bout desquels la situation pc-
rilleuso un la Suède l'obligi'a à revenir. Au siège
de FreJerikssten en Norvège, une balle, venue de
la forteresse, lui fracassa la tempe (171S). La
Suède perdit alors ses provinces du Sud de la
Iialti(i\ii!, mais elle garda encore la Finlande. Les
trois Charles qui s'étaient succédé, par leur pou-
voir absolu et leur amour de la guerre, avaient
fini par appauvrir et amoindrir le pays; un clian-
gement dans la constitution était devenu néces-
saire. Pendant l'époque suivante [ïépoque de li-
berté, sous Frédéric de Hesse, n20-l"5l, et
Adolplie-Frédéric, 1751-1771), les députés dos
quatre Etats gouvernèrent au moyen du Conseil
privé, et le pouvoir du roi fut annulé. Le parti
des cliapenux, qui voulait ralliance avec la France,
et celui des ionneta, qui était lié avec la Russie,
dominèrent alternativement. Ils n'étaient d'ac-
cord que sur un point, celui de restreindre de
toutes manières le pouvoir du roi. Ce système
devint impossible à la longue. Gustave III (1771-
179'.'), par un coup d'Etat, reconquit le pouvoir;
l'administration fut réservée au roi, et il partagea
le pouvoir législatif avec la diète nationale. Gus-
tave favorisa les lettres et les arts, mais sa légè-
reté et sou arrogance créèrent beaucoup de mé-
contents. Une conjuration se forma, et le roi l'ut tué
dans un bal masqué en 1792. Son fils Gustave IV
(179*2- 18(19) se fit remarquer par son caractère
entêté et bizarre et sa liaine contre Napoléon.
Après la campagne de 1807 et l'alliance de la
lîussie avec Napoléon iTilsit, le tsar Alexandre I"
conquit la Finlande, que l'armée suédoise, presqvie
abandonnée par le gouvernement, défendit avec
bravoure. Le roi fut détrôné et remplacé par son
oncle, Charles XIII (1809), mais à la paix de Fre-
derikshamn la Finlande fut cédée aux Russes. L'al-
liance conclue ensuite avec la Russie (18 12) valut
à la Suède l'annexion de la Norvège en 1814 (Voir
ci-dessus). Quand, avec Charles XIII, la dynastie
des Vasa s'éteignit ( 1818), Bernadette, qui dès 1809
avait été élu prince héritier, monta sur le trône sous
le nom de Charles-Jean XIV (1818-1844). Depuis
celte épo(|ue, la Suède n'a pas eu de guerres, et ses
rois Oscar l'i' (1S44-1S.S9), Charles XV (1859-1872),
Oscar II (depuis 1872), ont gouverné les deux
royaumes avec prudence et modération. En Suède,
la constitution surannée, avec des chambres pour
les quatri' Etats (paysans, bourgeoisie, noblesse et
clergé), a été remplacée par une constitution
plus moderne qui a introduit le système des deux
Chambres (IHCGj. La constitution libre de la Nor-
vège date déjà de 1814; elle ne laisse au roi
qu'un veto suspensif.
Le sentiment hostile qui dans les siècles passés
s'était manifesté si souvent dans les guerres
acharnées des nations Scandinaves l'une contre
l'autre, a tout à fait disparu et a fait place à l'ami-
tié et à la concorde. Dès à présent, comme l'a dit
Oscar I", la guerre entre les trois nations sœurs
est impossible. Mille rapports sociaux, la commu-
nication littéraire et industrielle la plus vive, une
législation c vile sans grandes différences, et des
lois uniformes sur plusieurs points (monnaie,
lettres de change, propriété littéraire), ont créé
pour CHS tiois nations une unité de fait, si non
politique.
Littérature. — Dans l'antiquité, un seul lan-
gage était parlé dans le Nord, la langue danoise,
dont le patois moderne de l'I» ande se rapproche
le plus aujourd'hui. De cette langue sont sorties
les langues qu'on parle actuellement dans les
pays .^c.nilinaves, le danois-norvégien et le sué-
dois. Il n'y a presque i-as de différence entre le
danois et le norvégien; mais le suédois diffère de
l'un et de l'auire, et cependant un Danois on un
Norvégien comorend très facilement un Suédois,
et vice versn. Comme la langue, la littérature était
commune dans l'antiquité. JVIais le mérite d'avoir
conservé cette littérature, unique en Europe, ap-
partient surtout à l'Islande et à la Norvège. Remar-
quables tout d'abord sont les deux poètnes mytho-
logiques, les i?rff/as. On y retrouve les croyances
des Scandinaves de la haute antiquité. Une ima-
gination vive et des pensées profondes, un esprit
vaillant et sagace, se manifestent dans ces poèmes,
qui tantôt chantent les combats dos dieux, tantôt
expriment des vérités morales. Non moins inté-
ressante est la littérature des sar/ns. On ne peut
pas donner une idée de ces derniers écrits par
une comparaison, car au moyen âge nul pays
d'Europe ne nous présente des romans on des ré-
cits historiques qui, avec autant de détail et dans
un style si dramatique, racontent l'histoire des
rois, dos chefs, des grands paysans. Les sagas
viennent presque toutes de l'Islande, où, pendant
les longues soirées d'hiver, les paysans autour du
feu excellaient à raconter ces récits. Vers le xiii'^
siècle on commença ,\ écrire ce qu'on avait con-
servé jusque-là. par la mémoire. Il se rencontre,
parmi les sagas, des compositions de pure fantai-
sie ; mais les plus anciennes et les plus intéres-
santes sont celles (|ui racontent l'histoii'e des rois
ou des grands chefs. Il y en a beaucoup qui sont
presque entièrement historiques ; dans d'autres la
poésie se mêle à l'histoire ; mais toujours le style,
objectif, marqué par la simplicité et la vigueur de
l'expression, sait captiver le lecteur. — Vers l'an
1200 vécut l'historien danois Saxo Grammaticus
qui, à la demande de l'archevêque Absaloji, a écrit
dans uu latin classique un ouvrage volumineux
et très intéressant sur l'histoire du Danemark.
C'est la source capitale pour l'histoire de ce pays
au comiuencemeut du moyen âge.
Au moyen âge, la poésie lyrique populaire était
en pleine floraison dans les pays du Nord. Les
chn7isu)is populaires ou chants liéroïques for-
ment toute une littérature, dans laquelle on ne
connaît pas un seul nom d'auteur. Les sujets de
ces chansons sont de toutes sortes; tantôt elles
traitent d'amour heureux et malheureux, tantôt
des êtres merveilleux dont la croyance populaire
peuplait la nature. Quelques-unes reproduisent
des traditions des teriips païens, et un assez grand
nombre racontent d'une manière saisissante et
naïve des exploits historiques. Beaucoup de ces
chansons n'ont pas été surpassées par la littéra-
ture moderne.
Au xvii" siècle, c'est plutôt le grand savoir que
la poésie qu'on cultive. Mais en IB81 naquit à Ber-
gen, en Norvège, Louis Hoiberg, qui fut pour ainsi
dire le père de la littérature Scandinave moderne.
Après avoir étudié à Copenhague et parcouru plu-
sieurs pays pendant sa jeunesse, il revint i Co-
penhague oii il fut professeur à l'université. Son
premier ouvrage est un poème héroï-comique en
alexandrins; plus tard il écrivit des comédies. Ce
sont surtout ces comédies qui sont dans la mé-
moire de chacun et qui ont laissé une empreinte
ineffaçable sur la culture de la nation. Il touche
par sou excellente peinture des caractères, par sa
bonne humeur inépuisable, et sa satire sans ai-
greur qui ne se termine jamais par une disson-
nance. Si .Molière peint la vie à la cour ou dans la
haute bourgeoisie, Hoiberg préfère les portraits
des simples bourgeois et des paysans; s'il ne pos-
sède pas l'esprit poétique de Molière, il ne lui cède
ni en gaîté ni en richesse d'invention comique.
Il a peint son temps d'une manière si vive, qu'où
a dit avec raison que si tous les autres documents
étaient auéintis, ses comédies suffiraient pour re-
tracer le tableau de son époque. Ses pièces de théâ-
tre forment le répertoire habituel de la scène na-
tionale i Copenhague et. i Christiania. Du reste
Hoiberg était aussi philosophe et historien ; ses
SCANDINAVES (ÉTATS) — 2000 —
SCHISMES
-nombreux ouvrages contiennent presque toujours
des points de vue nouveaux; c'est pourquoi il est
devenu dans beaucoup de brandies le précepteur
de la nation. Son roman. Voyage de Nicolas Kliin
dans t'iiiteriew de la terre, a été lu et traduit
dans toute l'Europe. Holberg mourut en 1754.
Une nouvelle époque florissante de la poésie
commence à la fiii du .wiii' siècle. Signalons le
Norvégien VVessel, auteur de poèmes comiques,
les Danois Evald et Baggesen, poètes lyriques, et
le Suédois Dellmann, qui a chanté la gaité et le
"vin; ses chansons anacréontiques, avec leurs bel-
les mélodies, que l'auteur composa lui-même, sont
familières à tous les Scandinaves. Le plus grand
poète danois de la littérature moderne est Adam
OEhlenschlœser (n"9-185ll). Sa riclie imagination
le porta aussi facilement clans le monde oriental
que dans la sévère antiquité du Nord ; dans ses
poésies d'un lyrisme fervent, dans ses épopées ma-
jestueuses, dans ses belles tragédies qui sont la
gloire du théâtre danois, il sait partout fasciner.
Il a montré à l'imagination des voies nouvelles et
a fait voir le premier la richesse de la langue
et son aptitude pour la haute poésie. Le grand
poète religieux N.-F.-S. Grundtvig (I7S-Î-1SV2)
tient une place à part à son côté; on lui doit de
belles poésies historiques, et surtout un grand
nombre de psaumes et dliymnes. Mais OElilen-
schlœger est le père de la poésie danoise mo-
derne, et après lui sont venus des poètes en
grand nombre. Parmi eux nommons l'esthéti-
cien et poète J.-L. Heiberg, les poètes dramati-
ques Hertz et Hostrup, qui continuèrent l'œuvre
•de Holberg, le romancier Blicher, les lyriques
l^aludan-MuUer, Winther, Ingemann, Hauch, l'il-
lustre H.-C. Andersen (1S0Ô-1.S75), auteur de ces
contes qui sont lus partout. En même temps le
théâtre royal de Copenhague était illustré par
beaucoup de grands comédiens qui à Paris seule-
ment eussent trouve leurs rivaux.
A cette époque la Norvège eut aussi de grands
poètes, comme les lyriques Wergeland et Wel-
liaven. En Suède E. Tegnér (1782-1840; composa
des poèmes lyriques et épiques, comme la f'ri-
ihiofsaga ou saga de Frithiof, qui est traduite en
plusieurs langues.
Mais la littérature Scandinave est si riche dans
notre siècle qu'il est difficile de signaler les meil-
leurs auteurs. Une place d'honneur appartient in-
contestablement à Runeberg, pasteur en Finlande
US04-1S77). On rencontre rarement chez un poète
une telle simplicité de style, une telle pureté de
forme, jointes à tant de profondeur et de jus-
tesse dans la pensée. Auteur des chansons d'amour
les plus gracieuses, il a aussi excellé dans l'épo-
pée, par exemple dans son poème sur la dernière
guerre malheureuse des Suédois contre les Russes.
Dans la littérature contemporaine du \ord,aucun
auteur ne peut rivaliser avec les poètes norvégiens
Bjornson (né en lS.32j et Ibsen (né en 18"J8). BjOrn-
son attira l'attention par ses beaux contes puisés
dans la vie des paysans ; il a écrit ensuite des
drames modernes d'une actualité saisissante, qui
sont joués partout dans le Nord et en Allemagne.
Ibsen est un penseur profond, qui aime à traiter des
questions morales ou religieuses dans des poésies
de forme dramatique. Ses poèmes, ainsi que ses
pièces de théâtre dont le sujet est pris dans la so-
ciété contemporaine, témoignent d'une profonde
connaissance du cœur humain. L'annonce d'une
pièce nouvelle de Bjôrnson ou d'Ibsen fait battre
les cœurs partout dans le iNord, et de jour en
jour, non seulement ces poètes, mais toute la ri-
che littérature des Scandinaves devient plus con-
nue à l'étranger.
Il n'entre pas dans notre cadre de parler avec
détail des arts et des sciences dans le Nord : mais
il suflit de rappeler les noms du sculpteur Tlior-
waldscn. du physicien OErstedt, du naturaliste
Linné, du chimiste Berzélius, pour montrer que
les Scandinaves ont contiibué dans une large me-
sure aux progros de la culture artistique et scien-
tifique. [Johannes Steenstrup.]
SCHISMES. — Histoire générale, XXXIX-XL.
— On donne le nom de schisme, dans l'histoire
de l'Eglise, à une scission qui n'a pas nécessaire-
ment pour motif une dissidence sur le dogme, et
qui peut diviser les fidèles sans rompre l'unité de
la foi ; à ce titre, le schisme se distingue de l'hé-
résie. Cependant, il arrive le plus souvent que les
schismatiques sont en même temps hérétiques.
Il s'est produit dans l'Eglise chrétienne deux
schismes principaux, connus sous le nom de
grand schisme d'Orient et de grand schisme d'Oc-
cident.
Le grand scliisme d'Orie/it commença SlU milieu
du W siècle, b, l'occasion de la nomination du
savant Photius comme patriarche de Constanti-
nople en remplacement d'Ignace, déposé par l'em-
pereur Michel l'Ivrogne (8J7). Le pape Nicolas I"
voulut interposer son autorité en faveur d'Ignace,
et anathéniatisa Photius, qui répondit en anathé-
matisant le pape. A l'avènement de l'empereur
Basilele Macédonien, Ignace fut rétabli, et le neu-
vième concile œcuménique, réuni à Constantino-
ple (8G'J), condaunia Photius. Mais, à la mort d'I-
gnace (S78), Photius redevint patriarche avec l'as-
sentiment de l'empereur Basile ; un nouveau
concile lui donna raison, et le pape Jean VIII fit
la paix avec lui. Léon le Philosophe, successeur
de Basile, déposa de nouveau Photius (886), qui
mourut en exil. Toutefois le schisme commencé
devait s'aggraver encore pour devenir bientôt dé-
finitif. La rivalité entre Rome et Constantinople
au sujet des Bulgares nouvellementconvertis ; cer-
taines ditrérences de pratiques (chez les Grecs,
les prêtres pouvaient se marier, l'office se disait
en langue vulgaire, la communion se faisait avec
du pain levé, 1* confirmation n'avait pas lieu, le
baptême se pratiquait par immersion), et une dif-
férence de dogme (les Grecs, conservant le texte
primitif du symbole de Nicée, faisaient procéder
le Saint-Esprit' du Père seulement, tandis que les
Latins, le faisant procéder du Père et du Fils,
ajoutèrent au symbole le mot FiUoque), accen-
tuèrent de plus en plus la séparation, qui fut con-
sommée en 1054 par le patriarche de Constanti-
nople Michel Cerularius. A diverses reprises, des
tentatives de rapprochement entre les deux Egli-
ses eurent lieu ; la principale est celle du con-
cile de Florence en 1439. On appelle Grecs-U7iis
ceux des chrétiens d'Orient qui ont adopté la for-
mule d'union décrétée au concile de Florence.
Le grand scitisme d'Occident se produisit lors-
qu'on 1378 eut lieu la double élection d'Urbain VI
et de Clément VU comme papes. Clément, qui ré-
sidait à Avignon, fut reconnu par la France,
l'Espagne et l'Ecosse, tandis que le reste de l'Eu-
rope catholique reconnaissait Urbain et le siège
de Rome. Clément eut pour successeur l'Espagnol
Pierre de Luna, qui prit le nom de Benoit XllI,
tandis qu'à Rome, après Urbain VI, siégeaient
tour à tour Boniface IX, Innocent VI et Gré-
goire XII. Le concile de Pise, convoqué pour
mettre fin à cet état do choses, déposa à la fois
Benoit XIII et Grégoire XII, et donna la tiare à
Alexandre V (141)9) ; mais les deux premiers ayant
refusé de se soumettre, il y eut trois papes en
présence, Alexandre V, mort l'année suivante,
eut pour successeur Jean XXIII. Celui-ci convoqua
un nouveau concile à, Constance (1414). Le concile
déposa les trois papes : Grégoire Xll se soumit ;
Jean XXIII voulut résister, mais fut jeté en pri-
son et finit par se soumettre aussi ; quant à Be-
noit XIII, retiré en Espagne, il persista jusqu'à
sa mort (1424) à se regarder comme le pontife lé-
SCIENCE
2001 —
SCIENCE
giliiiio. Martin V ayant clc clioisi par les pères 1
de Constance commechef do l'Eglise, son élection
mit tîn iiu schisme pour quelques années. A sa
mo[t (liiil), son successeur F.ugène IV, s'étant
trouvé en conflit avec le concile do Bàle, fut dé-
posé par les pères de ce concile, qui élurent
Félix V (Amédce de Savoie), tandis que les con-
ciles de Fcrrare et de Florence se prononçaient
pour Eugène IV. Enfin Félix V abdiqua (1448), et
le schisme se trouva termine.
Chez les musulmans, un schisme qui dure en-
core aujourd'hui s'est formé après l'assassinat du
khalife Ali, gendre de Mahomet (G6I). Les parti-
sans de la dynastie Ommiade prirent le nom de
sunnitps, du mot arabe sunna (tradition), et se
regardèrent comme les croyants orthodoxes ; ils
appelèrent c/njites (hérétiques) les partisans d'Ali,
qui ne reconnaissent pas les trois premiers kha-
lifes. Los populations musulmanes de l'empire
turc sont en très grande majorité sunnites ; les
chyites se trouvent en Perse et dans une partie
de l'Arabie.
SCIENCE. — Etym. : de sci're, savoir ; scientiii,
connaissance. — Signification du terme. — Le mot
science désigne une connaissance générale, c'est-
à-dire un ensemble de connaissances particulières
liées entre elles. Nous pouvons avoir une connais-
sance ou notion particulière d'un objet, d'un fait,
d'une idée. Cette notion isolée n'est pas encore
ta science ; elle en est un élément. Pour qu'il y ait
science constituée, il faut une catégorie, un grou-
pement de ces notions. Gest par des groupements
de ce genre que l'histoire nous montre que toutes
les sciences ont été formées. c> La science a néces-
sairement pour but de déterminer des phénomènes
les uns par les autres, d'après les relations qui exis-
tent entre eux. Toute science consiste dans la coordi-
nation des faits ; si les diverses observations étaient
entièrement isolées, il n'y aurait pas de science. i>
(A. Comte.) Le lien établi entre les notions parti-
culières doit être légitime, naturel, solide, fondé
sur une exacte appréciation de leurs rapports; le
principe du groupement, rationnel et naturel,
c'est-à-dire vraiment analogique. On a alors une
science, une branche de science. Telles la physi-
que, la chimie, et leurs branches, l'acoustique,
l'optique, la chimie minérale, la chimie organi-
que, etc.
Mais fréquemment, au lieu de cette analogie
foncière, les hommes se sont décidés à rapprocher
les faits d'après des analogies apparentes, fragiles,
de pure convenance, de simple commodité, de
préjugé. De là tant de systèmes décorés du nom
de science, à diverses époques, par des écrivains
qui savaient leur langue et n'en abusaient pas en
employant ce nom. Co furent do fausses scie7ice!<
(sciences occultes), lorsque le principe fut mani-
festement erroné : telles l'alchimie, l'astrologie,
la cabale, la magie, nécromancie et chiromancie.
Ce seront de simples membres, fragments ou
branches de sciences, lorsque le principe du grou-
pement sera trop restreint (neurologie, étude des
nerfs eji activité et en repos). Ce seront des em-
branchemejitsou des faisceaux de sciences, lorsque
le principe de groupement sera au contraire trop
étendu (science abstraite, science expérimentale);
ce seront des sciences éphémères, destinées à
disparaître en tant que corps de connaissance,
lorsque le principe qui aura décidé du rapproche-
ment des notions élémentaires aura été artificiel,
et n'aura correspondu qu'à une convenance passa-
gère ou extérieure à l'objet (science du blason,
pharmacie, athlétique de Bacon).
Il y a doiic une sorte de convention de langage
qui a fait que le nom do science s'est appliqué
dans le cours des temps et s'applique encore dans
le présent à un ensemble quelconque de connais-
sances bien ou mal liées entre elles. Le principe
2' Partie.
d'une bonne liaison n'est pas fixé et il ne saurait
l'être, parce qu'il ne peut être aperçu qu'au terme
des études de l'homme et non pas à ses débuts.
La perfection consisterait à rapporter les unes aux
autres les notions essentiellement analogues. Mais
l'analogie, la ressemblance et la dissemblance, qui
d'ailleurs nous sont révélées lentement et succes-
sivement, sont par surcroît relatives à un certain
point de vue, de sorte que l'on est ramené au
choix du point de vue, au choix du principe di-
recteur, c'est-à-dire au point de départ. Or, ce qui
caractérise une science, c'est ce principe d'après
lequel en sont groupés les éléments, c'est-à-dire
les notions particulières, et nous voyons précisé-
ment que ce principe n'est pas fixé d'une manière
absolue. Tantôt il est tiré de la nature de l'objet,
et l'on réunit par exemple sous le nom de zoo-
logie l'ensemble dos notions que l'on possède sur
les objets animés ou animaux. On appelle bota-
nique la science des végétaux. D'autres fois le
principe de groupement est tiré de la méthode
qui conduit à l'acquisition des connaissances par-
ticulières dont on envisage l'ensemble : c'est ainsi
que l'histologie est l'anatomie étudiée à l'aide du
microscope : de môme la physique mathématique
est caractérisée par sa méthode.
On comprend par là l'indétermination qui rè-
gne dans l'énumération et le dénombrement des
sciences : et si dans la suite des temps on a pu
en voir disparaître quelqu'une qui sera venue
se fondre en d'autres ; si d'autre part nous en
voyons se dégager et surgir de nouvelles (phy-
siologie, chimie), un tel double mouvement tient
à l'une ou l'autre de ces deux causes, à savoir
que l'on a aperçu un principe d'analogie ou un
rapport nouveau entre des notions que l'on possé-
dait déjà, ou que l'on a acquis des notions nou-
velles. Les sciences sont donc comme autant
d'Etats dont les frontières ne sont pas fixées. Il ne
suffit pas de dire que toutes les sciences se tou-
chent : disons mieux, elles se pénètrent et s'enche-
vêtrent. Le monde des notions d'objet et de fait
est comparable à l'état de l'Europe pendant la
longue période d'enfantement des nationalités ac-
tuelles : les confins se déplacent, les barrières
qu'on croyait inébranlables et qu'on appelait natu-
rellos tombent, les éléments ethniques sont bal-
lottés d'un empire à un autre. De même aujourd'hui
la physique devient dans quelques-unes de ses par-
ties une forme de la mécanique atomique, — une
partie des faits chimiques revient, sous le nom de
thermochimie ', à l'étude physique de la chaleur. Il
n'est pas nécessaire de multiplier davantage les
exemples pour faire comprendre ce qu'il peut y
avoir de provisoire, de spécieux, de contingent,
dans la délimitation des sciences. La vérité, c'est
que les connaissances humaines ne sont point
rigoureusement partagées en un certain nombre de
provinces ou sciences particulières, garanties et pro-
tégées dans leur isolement et leur autonomie par
le pacte éternellement immuable d'une définition.
Nous avons dû insister sur la mutabilité et
la continuelle fluctuation qui mélange, rapproche
et éloigne sans cesse les faits scientifiques.
De nouveaux rapports, de nouvelles différences
sont dévoilés chaque jour, qui obligent à séparer
ou réunir les faits qui précédemment étaient
réunis ou séparés. La distinction des sciences
n'est pas fondée sur une condition essentielle
et immanente dos choses connues, mais sur la
commodité de l'esprit qui connaît. Cette distinc-
tion n'a pas de réalité extérieure : elle n'est pas
profondément inscrite dans la nature ; et de fait,
elle varie avec l'état de nos connaissances et le
progrès de nos idées. Le monde (pour no parler
que des sciences de la nature) n'est pas distribué
d'une manière rigoureuse en différents domaines
qu'on appellerait physique, chimie, astronomie,
12(!
SCIENCE
— 2002 —
SCIENCE
physiologie. « 11 n'y a dans la nature que des
phénomènes régis par des lois. » (Cl. Bernard.) Le
monde nous offre simplement le spectacle de phé-
nomènes infiniment nombreux : nous classons ces
phénomènes, nous les rapportons à quelqu'une
do ces branches de connaissances dont notre in-
telligence bornée a dû faire des catégories pour
les mieux embrasser. Dans ce classement, dans
ce groupement des faits, l'esprit intervient avec
l'insuffisance actuelle et l'arbitraire de ses points
de vue.
Mais aussitôt après avoir montré l'indétermina-
tion et le caractère provisoire des groupements
qui forment les sciences particulières, il faut pré-
venir l'erreur qui exagérerait l'incertitude de ces
catégories. Les principes d'après lesquels les
faits sont aujourd'hui distribués en sciences par-
ticulières, professées dans l'enseignement, repré-
sentées dans les académies, ces principes, disons-
nous, peuvent n'ôtre pas absolus : ils ne sont
cependant point purement artificiels ou arbitraires.
On classe les faits naturels, par exemple, d'après
la nature de leurs objets, ou d'api es la nature de
leur méthode. C'est le premier de ces critériums,
le plus imparfait aussi, qui a servi à constituer ou
au moins i» nommer la plupart des sciences de la
nature. La zoologie, étude des animaux ; la botani-
que, ensemble des faits relatifs aux plantes; la
géologie, qui revendique les documents relatifs à
la constitution de la terre; l'astronomie, qui s'oc-
cupe des corps célestes, sont distinguées par la
diversité de leurs objets. Cette diversité n'est pas
sans doute absolue : mais elle n'est pas une pure
convention ou le résultat d'un caprice de l'esprit.
Le second critérium est plus parfait et tend
chaque jour à se substituer au premier. C'est
ainsi, par exemple, qu'il s'est fondé une science,
pleine de promesses et déjà riche en résultats, la
physiologie générale, qui confond dans son tlo-
maine les objets de la botanique et de la zoologie,
rassemblant les phénomènes essejitiels présentés
par les animaux elles plantes. Ce second principe
de constitution des sciences, qui consiste à réunir
les faits d'après la méthode qui conduit h les ac-
quérir, mériterait la préférence sur le précédent,
s'il fallait choisir entre eux. et il faudrait répéter
encore, après Cl. Bernard, que ce qui caractérise
une science c'est sa méthode, son problème, plutôt
que l'espèce de ses objets. Condorcet a pu dire
dans le même sens que l'on ne doit dater l'origine
d'une science que du temps où la méthode d'y dé-
couvrir la vérité a été développée. En fait, la plu-
part des sciences physiques sont distinguées d'après
ce principe, physique, chimie, mécanique, et quel-
ques sciences naturelles, histologie, physiologie.
Il résulte de là que des sciences voisines peuvent
revendiquer certains territoires litigieux. Sur bien
des points, par exemple, la zoologie proprement dite
et la physiologie se pénètrent, se mélangent, se con-
fondent; et celle-ci peut avoir quelquefois la pré-
tention de regarder l'autre comme une simple en-
clave. Mêmes conditions pour la botanique, la
physiologie végétale et la physique végétale. Mais
cette situation, qui peut donner lieu à des discus-
sions entre savants, i des disputes de préséance
ou d'attributions dans les établissements scienti-
fiques, n'a pas d'autre inconvénient, et doit être
supportée puisqu'elle est inévitable et nécessitée
par l'ordre des choses.
Caractères (jénéraux des sciences. — L'ensem-
ble de toutes les sciences constitue ce que 1 on
nomme u la science n, expression qui n'est pas
d'une langue très pure, mais qui est fréquemment
employée dans les ouvrages modernes. On entend
par là la connaissance la plus générale qui résulte
de toutes les connaissances particulières qui font
les diverses sciences spéciales. Le mot exprime
donc l'état de la connaissance humaine, au mo-
ment où l'on parle. On pourrait dire, d'une autre
façon, que c'est la science des sciences, la science
générale, la philosophie. C'est dans cette acception
très étendue que les anciens Grecs employaient le
mot sophia, que nous avons traduit par sagesse,
parce qu'en effet l'omniscience d'une époque, con-
tenue dans une tête bien faite, serait la Sagesse
même. Les Grecs employaient encore le mot
phitosopitia avec la même signification. Ce n'est
pas la masse indigeste des sciences particulières
coexistant dans une même cervelle, qui ferait le phi-
losophe : c'est cette masse, où chaque notion se-
rait mise en ordre k sa vraie place, et dans soti
degré convenable de lumière. « Il n'y a, dit
Littré, do science générale que dans la considé-
ration hiérarchique des sciences particulières. »
Lorsque dans les polémiques de chaque jour l'on
repousse, au nom de la science, telle ou telle doc-
trine proposée parquelqnes-uns, on entend dire par
là que cette doctrine condamnée est en contradic-
tion avec les notions particulières ou la méthode de
quelque science spéciale et de la science générale
ou philosophie qui les résume toutes.
Le but de la science, et par conséquent de toute
science, est la connaissance de la vérité. Elle
ne se propose directement aucune application ;
elle ne poursuit pas l'utile : elle cherche à con-
naître le vriii. Aussi emploie-t-on fréquemment le
mot « scientifique » pour dire simplement quelque
chose de précis, d'exact, de vrni. Que par surcroit
la connaissance de la vérité soit féconde, c'est ce
qui ne saurait manquer d'arriver, puisque c'est un
besoin et une consolation pour l'homme de croire
(lue le beau, le bien, le vrai forment une indisso-
luble trinité! Les sciences ont donc pour objet la
connaissance désintéressée et, comme on l'a dit,
indifférente ou glaciale de la vérité : elles ont pour
résultat l'avantage, l'utilité, le progrès de l'homme.
11 faut ainsi distinguer le but immédiat et le ré-
sultat assuré, mais indirect, des efforts du savant.
Si le but immédiat est la spéculation pure, le ré-
sultat lointain est l'application utile. La fin de
toute science de la nature, c'est de précoir on
Aa'jir. « Voilà, dit Cl. Bernard dans un langage
plein d'élévation, voilà en définitive pourquoi
l'homme s'acharne à la recherche pénible des vé-
rités scientifiques. Seul de tous les êtres de la
création, il prévoit ; il sait sa fin, il connaît la fa-
talité de sa mort. Et quand il se trouve en pré-
sence de la nature, il obéit à la loi supérieure de
son intelligence, en cherchant à prévoir ou à maî-
triser les phénomènes qui éclatent autour de lui.
Prévision et actiori, telles sont les fonctions de
l'homme en présence de la nature.
o L'homme tend à son but, par tous les moyens ;
il s'adresse à tout ce qu'il croit pouvoir l'en rap-
procher, et, en fin de compte, à la science, comme
à l'instrument le plus sur qu'il ait à sa portée.
L'homme a cru d'abord à la magie, à la sorcelle-
rie • plus tard, il a demandé à l'empirisme la puis-
sance et la domination. Et après avoir ainsi tâtonne
dans les ténèbres de l'ignorance, mieux éclaire
enfin, il s'adresse à la science pour en obtenir la
satisfaction de son éternel appétit.
(t Ainsi par les sciences pliysico-clumiques,
l'homme marche à la conquête de la nature brute,
de la nature morte. Déjà, ses progrès ont ete si
éclatants, qu'il ne peut pas douter du résultat
final. C'est par les sciences que l'homme moderne
se lo^e, se vêtit, se nourrit, s'éclaire et commu-
nique avec le monde et avec ses semblables. Il
n'hésite pas à croire que sa domination s étendra,
dans un lointain avenir, sinon sur tous les phéno-
mènes de la nature brute, au moins sur tous ceux
qui sont à sa portée. Les phénomènes astronomi-
ques défieront toujours l'intervention de l'homme,
placés qu'ils sont en dehors de sa main. La pi;é-
vision est alors, comme l'a dit Laplace, la limite
SCIENCE
— 2003 —
SCIENCE
extrômo do la puissance et le terme du progrès.
Quant aux sciences terrestres dont l'objet peut
être iitteint, elles ne sont pas autre chose que
l'oxorcice rationnel de la domination de l'iiomme
sur la nature.
« En est- il de la physiologie comme de ces au-
tres sciences? La science qui étudie les phénomè-
nes de la vie peut-elle prétendre aies maîtriser?
Se propose-t-elle de subjuguer la nature vivante
comme a été soumise la nature morte? Nous n'hé-
sitons pas à répondre affirmativement. Partout, le
problème est le même; il ne sera épuisé que
lorsque l'action rationnelle et scientifique de
l'homme aura été couronnée de succès. »
Un philosophe de notre temps, exagérant en
quelque sorte ces espérances lointaiiies, a écrit
ces mots: n Une science infinie amènera un pouvoir
infini. » (Renan.)
Ainsi, le but immédiat de la science, c'est la
connaissance de la vérité; son profit certain et le
mobile humain de sa culture, c'est la .prévision et
l'action, c'est-iVdire l'assujettissement des choses
à l'homme. Quels sont ses moyeni d'action?
Ces moyens varient nécessairement avec l'ordre
des sciences que l'on considère. Nous aurons en
vue ici celles dont le but, l'objet et la méthode ont
Je plus do clarté, les sciences de la nature.
Le monde ne saurait être deviné ; aucune réalité
ne saurait être établie par le raisonnement, comme
le dit Littré. C'est \' observation eiV e rpérimentatton
qui deviennent les seuls instruments de la con-
naissance. On a distingué les sciences en sciences
d'observation et sciences expérimentales, distinc-
tion qui suppose d'abord celle de l'observation
d'avec l'expérience. Mais cette distinction n'est
pas absolue. L'observation est une expérience dont
nous ne sommes pas maîtres : l'expérience est une
observation à notre portée et réglée pour ainsi
dire \ notre convenance. Il n'y a là qu'une simple
différence de degré. « L'expérimentation n'est
qu'un degré plus avancé de l'observation poussée
plus loin au moyen d'artifices particuliers. » (Cl.
Bernard.)
L'observation et l'expérience nous font connaître
les causes immcdiates des phénomènes. Nous di-
sons causes immédiates, nous ne disons point
causes preniièret. Les causes premières sont hors
de la science. Newton a fait remarquer avec raison
que a l'homme qui cherche les causes premières
prouve qu'il n'est pas un homme de science ».
« La science positive, dit Berthelot, ne pour-
suit ni les causes premières, ni la fin des cho-
ses. Elle poursuit la chaîne des relations immé-
diates des faits, n Les causes immédiates d'un
phénomène ne sont autre chose que l'ensemble
des conditions qui en provoquent à coup sur l'ap-
parition et le développement. Chaque phénomène
a ses conditions déterminées, son déterminisme
propre, pour parler comme Cl. Bernard. « Les
conditions des choses sont tout ce que nous en
pouvons connaître. Dans aucun ordre de science
nous n'allons au deh\ de cette limite, et c'est une
pure illusion d'imaginer qu'on la dépasse et qu'on
puisse saisir l'essence de quelque phénomène que
ce soit. » Le déterminisme d'un phénomène, c'est
l'ensemble de ses conditions matérielles, c'est-à-
dire l'ensemble des circonstances qui entraînent
son existence. « Le déterminisme fait connaître les
conditions par lesquelles nous pouvons atteindre
les phénomènes, les supprimer, les produire ou
les modifier. Ce principe suffit à l'ambition de la
science, car, au fond, il révèle les rapports entre
les phénomènes et leurs conditiojis, c'est-à-dire
la seule et vraie causalité immédiate réelle et
accessible. » Le procédé des sciences de la na-
ture est de fixer ce déterminisme soit par l'expé-
rience, soit au moyen de l'observation. En résumé,
les sciences de la nature cherchent le comment et
non le pourquoi des choses. Elles se préoccupent
de savoir n comment se produisent les phénomè-
nes et non pourquoi ils se produisent. » L'accord
sur ce point est universel: mais il n'est pas très
ancien. Dans toute l'antiquité et jusqu'à nos jours,
les philosoplies d'iojiie Heraclite, Démocrite,
Anaxagore et Leucippe ont été fréquemment con-
tredits et combattus précisément pour avoir les
premiers compris et déclaré que la poursuite des
causes secondes devait être substituée à la vaine
recherche des causes premières.
La recherche désintéressée de la vérité, le re-
noncement à la possession des causes premières,
voilà déjà deux caractères qui appartiennent à la
méthode scientifique. En voici d'autres encore
qui compléteront Jiotre esquisse.
C'est d'abord Vncooissement constant des scien-
ces, ou, pour parler en général, do la science.
Il Les sciences, sans bornes comme la nature, s'ac-
croissent à l'infini par les travaux des générations
successives, u a dit Pascal dans quelques fragments
qu'il nous a laissés d'un Traité du vide, u Non
seulement, dit-il ailleurs, chacun des hommes
s'avance de jour en jour dans les sciences, mais
tous les hommes ensemble y font un continuel
progrès à mesure que l'univers vieillit, parce que
la même chose arrive dans la succession des
hommes que dans les âges différents d'un particu-
lier. » En face de la science, l'humanité est comme
un homme qui marche vers son âge mùr et qui
acquiert toujours : l'antiquité est, en quelque
sorte, la période do son enfance et de ses pre-
miers bégaiements. Au contraire, dans les beaux-
arts ou les lettres, on ne saisit pas cette marche
constante en avant. Si l'éclat qu'ils ont jeté dans
le passé et les ombres qui les ont entourés à dos
époques plus récentes ne suffisent pas à démon-
trer leur décadence, au moins on est détourné de
conclure à leur perfectionnement constant. Ce
progrès continuel reste donc un nouveau caractère
significatif des sciences.
La raison de ce progrès constant, c'est que les
vérités scientifiques prennent un caractère imper-
sonneldès qu'elles sontacquises. L'œuvre du savant
qui découvre une vérité est certes tout aussi per-
sonnelle que l'œuvre de l'artiste. Mais une fois mise
au jour, sa découverte cesse d'être sienne : elle
tombe dans le domaine universel : elle fait partie du
fonds commun, du patrimoine do l'humanité, c'est
une pierre indestructible d'un édifice qui toujours
s'élève. Cette impersonnalité est en quelque
sorte un trait nouveau de la science par compa-
raison avec cet autre ordre de manifestations de
l'intelligence qui constitue les arts et les lettres;
ceux-ci restent toujours des manifestations per-
sonnelles, indépendantes les unes des autres,
c'est-à-dire ne se superposant jamais à celles des
âges précédents, ne s'y reliant point pour faire
un ensemble harmonique, une construction tou-
jours en progrès.
Enfin, la science ayant pour résultat la pos-
session d'une vérité, sa culture laisse dans l'esprit
la satisfaction qui résulte de la certitude. Ainsi,
le savant marche à la certitude : mais il y marche
à travers le doute. Et comme pourune vérité qu'il
acquiert, il y en a cent qu'il poursuit vainement,
on pourrait dire que l'éiat habituel de son esprit
est le doute, le doute provisoire, le doute voulu
et raisonné. C'est ici un trait qui caractérise
l'homme de science : d'être affirmatif sur un très
petit nombre de choses qu'il connaît, sceptique
quant à l'immense majorité qu'il ne connaît pas.
Un homme qui serait très affirmatif sur beaucoup
de choses, qui aurait sur un grand nombre de
points des opinions décidées, ne serait guère con-
forme au type d'un bon esprit scientifique. '<■ Le
doute est l'oreiller du savant " ; tout au contraire
il est insupportable aux autres hommes, qui
SCIENCE
— 2004 —
SCIENCE
pour échapper à ses angoisses acceptent les solu-
tions toutes faites de la révélation, ou les su-
perstitions les plus irrationnelles. La science,
elle, ne se satisfait pas d'une affirmation gra-
tuite ; pour nette ou consolante que soit cette
affirmation, encore faut-il, pour être accueillie
dans l'ordre scientifique, que sa vérité soit dé-
montrable ou démontrée. La juste défiance scien-
tifique ne veut pas être mise en défaut : elle ne
permet pas de « jurer sur la parole du maître » ;
en d'autres termes elle n'admet pas a l'autorité ».
(i La science n'est point fondée sur l'autorité ; car
la science, selon une formule de Cambacérès, n'est
pas une croyance, mais une expérience. »
Les sciences s'adressent ainsi à la faculté la
de la pile, que l'art de la télégraphie est issu
des spéculations purement théoriques d'Ampère
sur les courants et les aimants ; et on pour-
rait ajouter que les applications de l'électricité,
qui forment tant de branches de l'art industriel,
étaient toutes contenues en germe dans les expé-
riences physiologiques que Galvani poursuivait en
1794. La spéculation scientifique n'est donc ja-
mais inutile : outre sa dignité intellectuelle, les
applications pratiques qu'elle peut contenir sont
une double raison qui la doit rendre honorable
et lui assurer le respect des homm.es.
Les philosophes ont toujours attaché beaucoup
d'importance iv la classificati07i des connalssnnces
humaines. On les distingue aujourd'hui conimti-
plus sévère de l'homme, à la raison. Ei comme nément en sciences, lettres et arts. Cette di-
-•■ - ■■ • ■ visi-on vaut ce que valent toutes les catégories éta-
blies dans le domaine de la nature : elle n'a rien
de rigoureux ni d'essentiel. C'est le cas de répéter
avec un pliilosophe contemporain : » Mes amis,
il n'y a qu'un principe absolu ; c'est qu'il n'y a
pas de principes absolus. » Sans remonter bien
loin en arrière, nous verrions qu'au moyen âge,
par exemple, le domaine des connaissances hu-
maines, objet d'enseignement dans les écoles,
était divisé autrement. On les appelait Arts li-
héruux, et l'on en distinguait sept, réunis en
deux groupes : le Trivium, grammaire, dialecti-
que et rhétorique ; le Quadrivîum, arithmétique,
géométrie, astronomie et musique. Bacon, au
xvi"^ siècle, essaya d'en faire le cens et le dénom-
brement et de les coordonner dans un système
ou arbre encyclopédique des connaissances hu-
maines : il distinguait les connaissances qui se
fondent sur la mémoire, celles qui se fondent sur
la raison, et celles enfin qui reposent sur l'exer-
cice de l'imagination. Les sciences proprement
dites, qui nous occupent ici, étaient rangées par-
mi les manifestations de la raison sous le nom
commun de philosophie ; elles se subdivisaient
en science de Dieu, sciences de la nature, et scien-
ces de l'homme. Dans son discours préliminaire
de l'Encyclopédie, d'Alembert a adopté l'arbre
encyclopédique de Bacon, en le modifiant très peu
dans sa distribution générale. Ces tentatives,
fort à la mode autrefois, sont maintenant dédai-
gnées et traitées comme de purs exercices d'une
logique maniaque. Le dédain est de trop : '' suf-
firait de reprocher à ces systèmes leur peu d uti-
lité Ils n'ont en efl'et aucune réalité historique, et
n'expriment pas plus la marche des sciences dans
le passé, qu'ils ne permettent d'en préjuger le
développement dans l'avenir. Contentons-nous
l'homme est un être sensible en même temps
qu'un être raisonnable, on voit assez que la cul-
ture scientifique ne prend pas l'homme tout en-
tier ; elle lui laisse pour l'éternelle satisfaction
de la sensibilité la culture des lettres et des arts.
Mais par un certain coté les lettres et les arts sont
encore des applications libres dos sciences mêmes.
C'est précisément le rapport des sciences avec
les arts qu'il nous faut maintenant examiner pour
compléter ce tableau de la méthode scientifique.
La science, avons-nous dit, poursuit le irai, sans
aucun souci de l'utile, c'est-à-dire de l'application.
L'art au contraire est une application. La spé-
culation et la pratique constituent la principale
différence des arts et des sciences. Mais il arrive
bien souvent que la spéculation se réunisse îi la
pratique. Il n'y a point d'art libéral et surtout
d'art mécanique qui ne contienne un peu de
science : il y a peu de sciences qui n'aboutissent
à quelque application, c'est-à-dire à un art. L'a-
griculture, par exemple, est un art qui dérive de
diverses sciences, la botanique, la géologie, la
physique, la chimie : de même, la médecine est
un art qui met à contribution la plupart des scien-
ces physiques et naturelles.
Chaque science dérive d'un art et engendre un
art. La nécessité de mesurer l'étendue a engendré
la géométrie ; la nécessité de mesurer le temps
a été le point de départ de l'observation astrono-
mique ; les pratiques de la construction et du trans-
port des matériaux ont créé la mécanique. Réci-
proquement, les sciences ont donné origine à des
arts nouveaux : presque tous les arts industriels
des modernes sortent des spéculations scientifi-
ques. 11 est aussi imprudent d'affirmer qu'une
science restera sans application qu'impossible de
concevoir un système d'application où la science
ne s'introduirait pas. Dans les beaux-arts même
on trouve à la fois la chose avec le nom, car l'on y
réserve habituellement le nom de science à tout
ce qui peut se réduire en règle ou en préceptes.
« L'art le plus idéal, la musique, repose sur des
sciences telles que l'acoustique, l'harmonie, qui ne
le cèdent en rien, sous le rapport de la précision
et de l'aridité, aux mathématiques pures — et il y
repose tellement que, sanselles, l'homme le mieux
doué au point de vue musical serait incapable
d'écrire le morceau le plus vulgaire. Les combi-
naisons stratégiques et tactiques les plus auda-
cieuses de Napoléon 1°' reposent sur la science
la plus consommée de tous les facteurs qui
pouvaient influer sur le succès. » (H. Girard.)
<< Il nous suffit, dit d'Alembert, d'avoir trouvé
quelquefois un avantage réel dans certaines con-
naissances où d'abord nous ne l'avions pas soup-
çonné, pour nous autoriser à regarder toutes les
recherches de pure curiosité comme pouvant un
jour nous être utiles. » La science moderne four-
nit à chaque pas des exemples de découvertes
dues à la pure spéculation, qui ont enfanté
des arts nouveaux. C'est ainsi que la galvano-
plastie doit son existence à l'étude physique
donc d'indiquer la division universellement ad-
mise et commune des sciences en sciences pro-
prement dites, à savoir sciences mathomatiques,
sciences physiques et sciences naturiilles, et en
sciences philosophiques et historiques.
Les sciences proprement dites font la matière
de l'enseignement des facultés des sciences. Les
sciences philosophiques et historiques, dans I or-
ganisation de notre enseignement français, lont
retour aux facultés des lettres. ,
Actuellement, au point de vue pedagogiqiie_, les
sciences sont divisées en trois sections : mathéma-
tiques, physiques et naturelles. Au point de vue
philosophique, ces trois sections ne forment en
somme que deux catégories distinctes : celle des
sciences abstraites, c'est-à-dire des sciences ma-
thématiques ; celle des sciences de la nature, c est-
à-dire physiques et naturelles. Difléronce de but,
de méthode, de rôle dans l'éducation, et dans le
développement de l'esprit humain, d influence
dans le passé et dans l'avenir, tout les sépare.
Caractères differenlieU des sciences phxjsiques
et naturelles d'avec les sciences mathématiques.
— L'objet des sciences de la nature, c est la nature
même avec ses phénomènes : cet objet a une
SCIENCE
— 2005
SCIENCE
réalité extérieure. L'objet dos sciences matlicma-
tiques ou abstraites, ce sont les idées de nombre
et d'étendue. « L'ensemble do tous les rapports
nécessaires qui dérivent de la nature des nombres
forme la science des nombres, Yalgorithmie. L'en-
semble des rapports nécessaires qui dérivent de la
nature de l'étendue forme la science de l'étendue,
qu'on appelle aussi géométrie. Ces deux sciences
réunies constituent les matliématiques pures. »
(Duhamel.) Il résulte delà que les mathématiques
se rattachent au monde des idées ; elles sont une
forme de logique ou de mctaiihysique, et l'on peut
observer h ce propos, comme le fait H. Girard, que
précisément les deux plus grandes découvertes
mathématiques des temps modernes, le calcul
infinitésimal et la géométrie analytique, sont dues
îi Leibnitz et à Descartes, tous deux métaphysi-
ciens. Les sciences de la nature replongent
l'homme plus profondément dans le monde des
réalités.
La méthode ne les distingue pas moins. Les
sciences mathématiques n'emploient qu'un cer-
tain nombre de faits fondamentaux, axiomes,
définitions, fixés pour ainsi.dire par avance. Ce qui
caractérise ces sciences, c'est qu'i partir de leur
point de départ elles se développent par les com-
binaisons successives et toujours renouvelées do
ces mêmes faits; en sorte que la mathématique
est la science des formes infinies que l'on peut
donner à l'expression des mômes idées fondamen-
tales. Sa culture exige ou favorise le développe-
ment, au moins dans un sens particulier, de la
réflexion interne, de la méditation, des plus hautes
facultés d'abstraction.
Les sciences naturelles mettent en jeu plus
particulièrement la faculté d'observation, faculté
éminemment précieuse qui sera développée dans
l'éducation par leur culture prépondérante. Leurs
matériaux sont pour ainsi dire au dehors de l'es-
prit ; et celui-ci doit craindre de défigurer leur vérité
objective par les préjugés, les raisonnements, les
opérations qui lui sont propres. La méthode est
ici de ne s'écarter jamais de la nature ou d'y
revenir dès qu'on l'a quittée un moment, ci On
saute trop vite, disait Bacon, des faits particuliers
aux principes généraux; de cette manière on n'a
que des notions anticipées de la nature. Pour
arriver à une vraie connaissance do la nature, il
faut faire abnégation de ces notions et commencer,
tout de nouveau, à examiner les choses en elles-
mêmes. »
On distingue quelquefois encore les deux or-
dres de sciences d'après leur degré de certitude.
Les mathématiques sont dites sciences certaines,
sciences exactes. 11 y a peut-être un peu d'exagé-
ration à les opposer, à cet égard, trop complote
ment aux sciences de la nature. La géométrie
élémentaire, considérée comme le modèle de la
perfection scientifique depuis que Platon inscrivait
sur le portique de l'Académie : « Que nul n'entre
ici s'il n'est géomètre, u la géométrie, nous le
répétons, a ses postulats avoués ou dissimulés,
des prolégomènes d'une nullité philosophique sou
vent signalée, des démonstrations presque in
exactes comme celle qui établit qu'une tangente il
la circonférence a .un seul point commun avec
colle-ci. D'ailleurs, comme lo fait remarquer
H. Girard, le postulat d'Euclide laisse subsister
une singulière incertitude rationnelle dans la
théorie des parallèles, qui renferme la théorie
de la similitude, qui contient elle-même l'évalua-
tion des distances sidérales et terrestres; on peut
croire, que le fondement réel de ces théories et la
seule justification de leur point de départ consiste
dans la vérification expérimentale fournie par les
mesures géodésiques. Quelques philosophes ont
essayé ainsi, non sans quelque apparence de raison,
d'établir que les sciences exactes que l'on croit
les plus certaines ne le sont pas plus que les
sciences de la nature, et qu'elles reçoivent en réa-
lité de l'expérience los fondements de la certitude
qu'on croit leur être inhérente. «C'est, dit d'Alem-
bert, à la simplicité do leur objet qu'elles sont
principalement redevables de leur certitude....
L'algèbre, la géométrie et la mécanique sont les
seules que l'on puisse regarder comme marquées
du sceau do la certitude. Encore y a-t-il, dans la
lumière que ces sciences présentent à notre esprit,
une espèce de gradation et pour ainsi dire de
nuance i\ observer, o Si le degré de certitude tient
i la complication do l'objet, on conçoit qu'elle dé-
croisse successivement on passant de l'ordre ma-
thématique à l'ordre physique et de là à l'ordre
vital.
La marche des sciences de la nature, que nous ap-
pellerons désormais expérimentales, n'est pas moins
différente de la marche des sciences spéculati-
ves, c'est-à-dire matliématiques. Dans le progrès
des sciences de la nature on peut distinguer avec
Auguste Comte trois périodes qui correspondent
précisément aux trois époques de la pensée hu-
maine, la période religieuse, la période métapliy-
sique, la période scientifique. Au commencement
on s'explique les phénomènes de la nature par les
phénomènes volontaires. On attribue comme raison
aux faits la volonté d'agents semblables à l'homme,
ou mieux supérieurs à l'homme par leur puissance,
êtres inconnus, surnaturels, dieux en un mot. Tout
ce qui arrivait sans que les hommes y eussent part
eut son dieu. Plus tard, dans une seconde période,
on reconnaît l'absurdité de ces fables, on voit que
les phénomènes ont une constance qui ne s'ac-
corde guère avec l'arbitraire de la volonté, et on
les attribue à une cause mal déterminée, force,
principe, essence, expressions abstraites qui_ n'é-
taient pas des êtres réels, mais dont on raison-
nait comme si elles l'étaient, comme si elle eus-
sent été, selon le mot de Turgot, de nouvelles
divinités substituées aux anciennes, ou, selon l'ex-
pression de Ravaisson, des copies aff'aiblies des
causes surnaturelles des premiers âges. Enfin,
dans la troisième période, on recherche la seule
chose qu'il soit possible de connaître, c'est-à-
dire dans quelles circonstances physiques et
observables chaque phénomène se produit, on
borne toute ambition à connaître les conditions
déterminées des phénomènes, leur déterminisme
comme dit Cl. Bernard, leurs lois naturelles
selon Ravaisson, les « uniformités naturelles »,
comme dit Stuart Mill ; et cette dernière oxpres-
sion du philosophe anglais est peut-être la plus
juste, car elle indique bien que le seul résultat
réel de l'investigation scientifique est de nous
apprendre que telle chose ayant lieu, telle autre
a lieu aussi.
Il résulte de là que l'on peut confondre le pro-
grès des sciences naturelles avec la marche
mêmes de l'esprit humain dont elles sont ainsi
l'instrument, l'arme ou l'outil. Leur destinée, leur
état présent, leur histoire, marque les destinées
mêmes de l'esprit humain. « J'avais passé long-
temps dans l'étude des sciences abstraites, dit
Pascal ; quand j'ai commencé l'étude de l'homme,
j'ai vu que ces sciences abstraites ne lui sont pas
propres, et que je m'égarais plus do ma condition
en y pénétrant, que les autres en los ignorant. »
C'est par cette identification complète que les
sciences naturelles méritent d'être, au détriment
des mathématiques, appelées et considérées comme
les sciences par excellence. Bacon a compris cette
vérité, et c'est pour avoir déclaré que los vrais fon-
dements de la science résident dans l'étude de la
nature que le souvenir de ce grand homme vit
dans la mémoire de la postérité.
Mais s'il en est ainsi, si véritablement l'axe de
la science s'est déplacé et si aujourd'hui les
SCIENCE
— 2006 —
SCROFULARIEES
sciences de la nature ont remplacé comme instru- 1
ment de progrès les sciences abstraites ou scien-
ces métaphysiques, il semble qu'elles devraient
avoir une part prépondérante dans l'éducation. Il i
n'en est rien. Dans notre pays, jusqu'à ces der- i
nières années, le préjugé mathématique a do-
miné, et les sciences abstraites ont eu la part |
léonine dans l'enseignement. Cette erreur serait i
funeste si elle se prolongeait trop longtemps.
Trop d'intelligences sont exclusivement tournées ;
vers les sciences spéculatives ; trop d'esprits dans
nos lycées sont dirigés vers un ordre do travaux
qui n'aura pas pour résultat de développer les
hautes et exceptionnelles facultés d'abstraction,
mais aura certainement pour etiet d'étioler les
précieuses facultés de l'observation, et de faire
dos sujets qui, sans avoir pris la haute habitude
de regarder en eux-mêmes, auront perdu celle de
regarder au dehors. Cette erreur est entrete-
nue, il ne faut pas le dissimuler, par le régime
traditionnel et indestructible de nos grandes
écoles, particulièrement l'Ecole polytechnique ou
même l'Ecole normale, fondées en un temps où l'é-
clat des mathématiques les fit identifier à tort
avec la science même totale et absolue. Il y a
d'ailleurs des raisons de second ordre qui entre-
tiennent cet état de choses : la difficulté de ces
sciences, leur sincérité parfaite, entendue en ce
sens qu'elles ne permettent ni à pou près, ni trom-
perie et qu'il faut vraiment les comprendre pour
les apprendre, tous ces caractères en font des
instruments précieux pour le classement des mé-
rites. C'est peut-être parce qu'elles fournissent
un moyen d'appréciation ou de classement com-
mode, pour les examens, facilitant à un haut de-
gré la besogne du juge, qu'elles conserveront dans
l'éducation de la jeunesse une part exorbitante.
Raisons infimes, on en conviendra, lorsqu'on les
met en balance avec les devoirs et les graves res-
ponsabilités imposées par cette condition si im-
portante de la vie sociale, l'éducation.
Diviaion des sciences. — Les sciences spécula-
tives et naturelles comprennent un grand nombre
de branches qu'on ne peut faire connaître qu'en
les énumérant, car, ainsi que nous l'avons dit, il
n'y a rien de fixé dans leur nombre, leurs limites,
leurs rapports. On pourrait l'appeler à propos des
sciences en général ce que A. Comte disait d'un de
leurs groupes particulièrement : «Elles n'ont pas
été réellement divisées à proprement parler,c'est-à-
dire d'après un examen direct et des vues raison-
nées ; leurs diverses parties se sont classées à
mesure qu'elles se sont formées, d'après l'époque
de leur développement historique, sans aucune
coordination réelle. Il en a été dans les sciences
comme dans la plupart des grandes villes qui se
sont formées peu à peu d'édifices successivement
accolés les uns aux autres par laps de temps, et
sans se rattacher à aucun plan primitif. » Le pro-
cédé par énumération est donc le seul qui soit ap-
plicable ici. Les éléments de cette énumération
sont variables avec les temps et les progros; nous
emprunterons les éléments de notre recensement
à l'état actuel de l'enseignement supérieur en
France, considérant comme occupant une place
distincte tout système de connaissance qui est re-
présenté par une chaire dans l'un des grands éta-
blissements scientifiques, tels que la Sorbonne,
le Collège de France, le Muséum d'histoire natu-
relle, le Conservatoire des Arts et Métiers, les
grandes écoles de l'Etat. On constituera aiusi la
liste suivante :
I. Sciences siATHÉM.iTiQUES.
1° MaOïémaiiques pures :
Arithmétique.
Algèbre ou analyse (calcul différentiel, calcul
intégral, calcul des fonctions).
Géométrie ;élémentaire, supérieure).
2" Miitlii.'Diutirjues app/ir/uces.
Mécanique (statique, cinématique, dynamique,
machines).
Astronomie (mécanique céleste).
Géométrie descriptive (stéréotomie, coupe des
pierres).
Métrologie (géodésie).
Physique mathématique.
Calcul des probabilités.
II. Sciences phïsiqces et naturelles.
PhysUjue. — Pesanteur. Hydrostatique.
Étude de la chaleur. Magnétisme. Électricité.
Acoustique. Optique. Thermo-dynamique.
Météorologie (physique du globe).
Chimie. — Chimie minérale. Chimie organique.
Thermo-chimie.
Astronomie plujsiqite.
Sciences natiirelies.
1° Zoologie (Anthropologie. Mammalogie.
Ornithologie. Erpétologie. Entomologie.
Malacologie!.
Anatomie (A. comparée. A. descriptive. A.
générale. Embryologie).
Physiologie {Ph. comparée. Ph. générale.
Ph. humaine).
Botanique (Cryptogamie).
Géologie.
Minéralogie.
2" Sciences naturelles appliquées.
Physique végétale.
Culture. Économie rurale.
Sciences médicales : Pathologie interne et
externe. Hygiène. Thérapeutique. Phar-
macie.
Zootechnie et art vétérinaire.
[A. Dastrc.]
SCnOFi:L.4RIÉUS. — Botanique, Xl.\. —
Étym. : de Scrofularia, nom latin de la scrofu-
laire.
Définition. — Famille de plantes angiospermes
gamopétales hypogynes anisostémonées, apparte-
nant à la classe des Personées de Brongniart.
IVous rattacherons aux Scrofulariées quelques-
unes des autres familles de la classe des Perso-
nées qui s'en rapprochent le plus ; ce sont les
Vliiculariées, les Acanlliacées, les Bignoniacées,
les Orolicinchées.
Caractères botaniques des Scrofulariées. —
Les graines ont un tégument fort mince ; la sur-
face de ce tégument semble chagrinée, elle est
formée par les restes des cellules épidermiques
externes; ces cellules recouvrent une mince lame
de parenchyme corné qui est tout ce qui reste
des téguments de l'ovule. Sous le tégumejit sé-
minal, on trouve un albumen abondant, envelop-
pant complètement l'embryon.
La racine est pivotante ou fasciculée; chei
quelques espèces demi-parasites (mélampyre, cu-
fraise, rhinanthe), les racines présentent des su-
çoirs qui s'implantent dans les racines d'autres
végétaux, aux dépens desquels elles vivent.
La tige est herbacée ou ligneuse, elle est quel-
quefois velue, et quadrangulaire comme celle des
labiées. Les scrofulariées de nos pays sont des
herbes annuelles ou bisannuelles, et quelquelois
vivaces ; tantôt leur tige, dressée, se ramifie, comme
celle des mufliers, des linaires; tantôt cette tige
extrêmement courte (plantes bisannuelles) donne
une hampe florale, simple ou ramifiée, extrême-
ment développée et cliargéo de fleurs (digitale,
molène). D'autres fois, la tige rampe h. la surface
du sol et émet, à l'aisselle de ses feuilles, des inflo-
rescences qui se dressent verticalement (véronique
officinale). — Les scrofulariées exotiques sont
souvent des arbres de haute taille, comme le
Vaulomnia.
SGROFULARIÉES — 2007
SCROFULARIEES
Les feinllc.i sont tantôt altornes et tantùt op-
posées; elles sont toujours simples, dentées et
dépourvues de stipules; parfois leur pétiole est
extrCmeniont réduit. Los feuilles qui appartiennent
à l'iniloroscenco sont ordinairement plus petites
que celles de la tige ; elles passent insensiblement
aux écailles qui protègent les fleurs et qui sont
souvent diversement colorées (molampyre).
Vinflorcsei'vce est une grappe simple (digitale,
linaire commune, muflier, etc.), ou un ensemble
de cymes diversement groupées.
Les fleurs sont liermaplirodites et irrégulières;
leurs verticilles externes sont construits sur le
type cinq, tandis que leurs verticilles intérieurs
sont construits sur le type deux. Elles présentent
de l'extérieur à l'intérieur ;
1" Un oa/ice composé de cinq sépales inégaux,
quelquefois libres et souvent soudes entre eux;
ce calice persiste après la floraison et protège le
fruit.
2" Une corolle gamopétale irrégulière variable
de forme. Ordinairement elle est à deux lèvres
(muflier, linaire, mélampyre, scrofulaire, etc.).
Cliez la digitale, elle a la forme d'un doigt de
gant, d'où le nom de Gant du Hntre-Duni': que
l'on donne quelquefois à cette plante. On y dis-
tingue toujours cinq divisions, excepté cljez les
véroniques, où il n'y en a que quatre.
3" Un androcée, composé do quatre étamines
inégales, dont deux plus longues et doux plus
courtes, ce qui s'exprime en disant que les quatre
étamines sont didijnames. Quelquefois, l'androcée
se réduit à deux étamines (véronique). Les filets
des étamines adhèrent à la corolle par leur base.
Jamais le nombre dos étamines n'est égal à celui
des lobes de la corolle ; c'est cette parlicularité
qui fait que les scrofulariées sont dites anisosté-
iifitiées.
4" Un çiynécée composé de deux carpelles sou-
dés en un ovaire, supère, biloculaire, surmonte
d'un style terminé par un stigmate bifide. Dans
chaque loge de l'ovaire, il y a de nombreux ovules
anatropes.
Le fruit est sec et déhiscent; c'est une capsule
qui s'ouvre en deux valves ; ou bien trois petites
valves (valvules) se soulèvent, dans le voisinage
de son sommet, formant ainsi trois orifices par
lesquels s'écliappent les graines.
Usages des Scrofulariées. — Quelques-unes
sont employées en médecine. La plus importante
de toutes est la Digitale pourprée [Gant de Notre-
Dame), dont les feuilles renferment un principe
vénéneux, qu'on a nommé diijitaline, qui a pour
principal elfet d'arrêter les battements du cœur.
On emploie les feuilles de digitale pour calmer
et régulariser les battements du cœur, ce qui a
valu à la plante le nom de Quinqniîia du eœur ; on
les emploie aussi pour augmenter la sécrétion
urinaire et pour provoquer une sueur abondante.
La digitaline que l'on retire de ces feuilles est
une substance blanche pulvérulente, slernuta-
toire et très vénéneuse, même h petite dose, de
sorte que la médecine préfère utiliser les feuilles
réduites en poudre, ou la teinture alcoolique pré-
parée avec ces feuilles.
La Graliole offlcinale est vénéneuse aussi,
quoique un peu moins que la digitale. Les gens
de la campagne l'emploient pour se purger; mais
elle occasionne souvent des accidents graves; on
l'appelle vulgairement lierbe à pauvre homme.
Les fleurs de la Uoléne ou Bouillon btunc sont
employées pour calmer la toux.
IS Eufraise officinale, la Véronique officinale.
le Ueccaiunga, la Grande Scrofulaire sont aussi
des plantes médicinales.
Les Mufliers, les Linaires, en particulier la Li-
naria cgmbalaria, les Digitales sont cultivées dans
les jardins comme plantés d'ornement.
Famille des OnoiiANCHÉES. — Les plantes de
cette famille difl'èrcnt fort peu des scrofulariées:
leurs caractères botaniques sont presque les
mômes; nous ne pouvons signaler que deux diffé-
rences : d'abord, les Orobanoiiées, étant toutes pa-
rasites, sont entièrement privées de chlorophylle,
et leurs racines sont toutes transformées en sortes
de suçoirs qui s'implantent dans les racines des
végétaux dont elles sont les parasites; ensuite,
leur ovaire à deux loges présente des placentas
pariétaux, tandis que dans l'ovaire dos scrofula-
riées les placentas sont axiles.
Les orobanchées iOrobanclie, Clandestine, etc.)
vivent implantées dans les racines du chanvre, du
maïs, du tabac, de la fève, du sainfoin, de la lu-
zerne, du trèfle, etc., et sont un véritable fléau
pour l'agriculture. Autrefois, quelques-unes d'en-
tre elles étaient recherchées comme plantes mé-
dicinales. Aujourd'hui toutes sont abandonnées et
avec raison.
Famille des Iîignoniacées. — Les Bignoniacées
diffèrent dos scrofulariées par leurs graines qui
sont dépourvues d'albumen quand elles sont arri-
vées à maturité, et par leurs feuilles toujours
composées. Toutes les bignoniacées ont quatre
étamines didynames. Les unes sont grimpantes
ou sarmenteuses; les autres sont des arbres;
un petit nombre sont herbacées ; elles habitent
les régions intertropicales, surtout l'Amérique.
Nous ne les utilisons guère que comme plantes
d'ornement; nous citerons le Tcconin radicuni,
que l'on appelle aussi Jasmin de Virginie, et le
Cat'ilpii. Dans l'Inde on cultive le Scsotne pour
ses graines dont on retire une huile fort recher-
chée comme aliment, comme médicament et
comme cosmétique ; on importe en France une
notable quantité de graines de sésame dont l'huile
est utilisée pour la fabrication des savons.
Famille des Acanthacées. — Les plantes de
cette famille diffèrent des scrofulariées par leurs
graines dépourvues d'albumen, leurs fouilles op-
posées ou verticiUces, leurs ovules campylotropes;
elles habitent les régions intertropicales; presque
toutes sont herbacées. Dans l'Inde, quelques-unes
sont usitées comme médicinales et d'autres comme
tinctoriales.
Famille des Utriculariées. — Elles difl'èrcnt
des scrofulariées :
I" Par leurs graines dépourvues d'albumen;
2° Par leur androcée qui ne présente jamais que
deux étamines;
3° Par leur ovaire uniloculaire à placenta cen-
tral libre.
Les Utriculariées {Utriculnire, Grasiette] sont
des plantes aquatiques, vivant complètement sub-
mergées [Utriculnire], ou bien dans les marais.
L' Utriculaire doit son nom aux petites vésicules
que présentent ses feuilles et qui ont pour but
de ramener la plante à la surface de l'eau à
l'époquo de la floraison, parce que la fécondation
de ces plantes, comme celle de toutes les phané-
rogames, ne peut s'effectuer que dans l'air. Donc,
au moment de la floraison, les petites vésicules
des feuilles de l'utriculaire qui, jusqu'à ce mo-
ment, avaient été pleines d'une sorte de mucus,
sécrètent de l'air, deviennent de véritables vési-
cules aériennes et portent la plante jusqu'à la
surface de l'eau. Ces vésicules sont munies d'un
opercule susceptible de se soulever pour laisser
échapper le mucus refoulé par l'air qui s'accumule
à leur intérieur. Après la floraison, l'air est
chassé des vésicules, et la plante retombe au fond
de l'eau.
Les feuilles de la Grassetle (Pmguicula vul-
gnris) sont légèrement purgatives et utilisées en
Laponie pour faire cailler le lait des rennes; elles
sont vénéneuses pour les moutons.
[C.-E. Bertrand.]
SECONDAIRES (TERRAINS) — 2008 — SECONDAIRES (TERRAINS)
SCULPTURE. — V. au SuppUment.
SECONDAIRES (TERRAINS). — Géologie, VII.
— On les appelle aussi terrains mésozciïques . Ils
ont été divisés en quatre groupes (l'inférieur est
parfois rattaclié actuellement aux terrains pri-
maires), sous les noms de terrain permien, trin-
sique, jurassique et crétacé. Les couches, origi-
nairement horizontales ou fort peu inclinées, sont
restées dans ces conditions dans les pays de
plaines et de plateaux; mais dans les chaînes de
montagnes elles sont souvent, comme celles des
terrains plus anciens, relevées, contournées, plis-
sées, quelquefois même verticales.
En France ces terrains contribuent Ji remplir les
grandes dépressions qui existaient après le dépùt
et le bouleversementdes terrains primaires: dansle
nord, le bassin de Paris, entre l'Àrdenne, le noyau
central des Vosges, le Plateau central et la Bre-
tagne; dans le sud-ouest, le bassin de la Gironde,
entre la Bretagne, le Plateau central et l'axe cen-
tral des Pyrénées; dans l'est et le sud-est, le
bassin du Rhône, entre le Plateau central et les
divers noyaux des Alpes, des Vosges et des
Maures. La chaîne du Jura n'existait pas alors et
n'a été formée que phis tard à leurs dépens.
Des communications plus ou moins larges exis-
taient entre ces trois bassins par Dijon et au N.
des Vosges, par Poitiers, parCarcassonne.
Comme pour tous les terrains sédimentaires ou
neptuniens, les roches sont de trois sortes prin- 1
cipales : argileuses, arénacées et calcaires. Les
arqiles sont le plus souvent facilement délayables
dans l'eau; lorsqu'elles sont plus ou moins endur-
cies elles forment les ari/ilites; mélangées avec
des calcaires elles donnent les marnes qui sont
tendres et également délayables, et qui par leur
durcissement forment les tnarnolites. Les sables
restent meubles ou donnent des grès plus ou
moins durs; les uns et les autres peuvent être
mélangés avec de l'argile ou du calcaire ou de la
marne ; les grès argileux durs sont appelés psam-
mites et les grès marneux durs inacigno. Les
calcaires sont habituellement jaunes-brunâtres
ou blancs, tantôt grossiers, tantôt compacts, par-
fois oolithiques ou à grains cristallins occasionnés
par des débris de corps organisés fossiles. Les
végétaux enfouis dans les argiles ont donné par
leur décomposition plus ou moins complète des
charbons bitumineux ou se rapprocliant davantage
de la nature du bois, les ligniies.
Dans le Languedoc et la Provence ou région
méditerranéenne, les calcaires sont généralement
plus compactes et plus durs. Dans les .\lpes et
les Pyrénées, les diverses sortes de roches
prennent les caractères minéralogiques de celles
des terrains primaires; aussi ont-elles été pendant
longtemps rapportées à ceux-ci, d'autant plus
facilement que les fossiles n'y sont pas fréquents.
Pendant Y époque primaire ou de transition, notre
globe appartenait aux êtres qui vivent dans les eaux,
mais surtout aux crustacés et aux poissons; pen-
dant l'époque secondaire, il va appartenir aux
reptiles. Les êtres de cette classe revêtiront des
dimensions étonnantes et se multiplieront singu-
lièrement : ils seront les rois de la terre. Mais
en môme temps la végétation perdra beaucoup de
sa puissance.
Terrain permien. — Ce terrain a été nommé
ainsi parce qu'il est très développé dans le gou-
vernement de Perm en Russie; il était connu
précédemment sous le nom de terrairi pénéen,
c'est-à-dire pauvre (en minerais métalliques). Quel-
quefois il est appelé dyas parce qu'il se divise en
deux étages.
Le terrain pénéen de la Thuringe, qui a été
considéré comme le type de ce groupe, est formé
par trois assises où dominent successivement les
roches quartzeuses, scliisteuses et calcaires.
L'assise inférieure, appelée roth todtliegende,
est formée de grès et de poudingues de couleur
rouge et sans minerai de cuivre. Les fossiles y
sont excessivement rares. L'assise moyenne est
surtout formée par le kupferschi'fer, ou schiste
marno-bitumineux, noir, imprégné de sulfures de
cuivre et de fer en quantité assez notable pour
que cent parties de roche donnent quelquefois
trois parties de cuivre, duquel on retire environ
1/2 pour 100 d'argent. Cet étage est très remar-
quable par ses fossiles, dans lesquels figurent le
t'rolorosaurus Speneri, plusieurs espèces de pois-
sons, des coquilles, des fucoîdes, etc. L'assise
supérieure est surtout formée par des calcaires
magnésiens, bruns, durs et friables, dont le prin-
cipal porte le nom de zechslein. Il renferme des
veines et des grains de calcaire cristallin et de
gyjise, des sulfures et des carbonates do cuivre.
Il se distingue des autres par la présence de fos-
siles. L'espèce la plus abondante est le Productics
/lorri'lus. ^ _ -
Dans les Vosges, le terrain permien se divise
en deux étages bien distincts : l'étage inférieur
ou grès rouge est formé sur plus de 120 mètres
d'épaisseur par des conglomérats porphyriques sur
lesquels viennent des grès grossiers rouge-foncé
à taches jaunes ou gris-bleuâtres qui alternent
avec des schistes argileux; îi la partie supérieure
il y a des couches subordonnées de calcaire ma-
gnésien grisâtre, avec noeuds d'agate rouge. L'é-
tage supérieur ou grès des Vosges atteint 500 mè-
tres d'épaisseur à Raon l'Étape ; il est composé de
grès grossiers, le plus souvent rouge-brique,
quelquefois violets ou jaunâtres, qui contiennent
de nombreux galets arrondis, de 0'°,02 à 0°',20, de
quartzite grossier gris-rougeâtre, de quartz blanc
et de phtanite noir des terrains de transition. Il
forme, il l'O. du massif ancien des Vosges, une
rangée continue de montagnes à couches horizon-
tales qui se réunissent en un grand plateau de
largeur variable atteignant lOlO mètres au Donon
et s' abaissant de manière à ne plus présenter à
Saverne qu'une altitude de 428 mètres. A l'E. et
à l'O. ce plateau est limité par des failles paral-
lèles. Il constitue une grande partie du Sclnvarzwald
ou Forêt-Noire à l'est de la vallée du Rhin.
Le terrain permien de la Russie occupe un
espace immense dans l'Est, où il a été reconnu
par Murchison, de Verneuil et de Keiserling. Il
forme une plaine ondulée et ses couches viennent
s'appuyer sur le pied de l'Oural. Il est composé
de grès ordinairement rouges, de calcaires blancs
et grisâtres, ainsi que de grandes masses de gypse
blanc et de sel marin qui se trouve dans la partie
inférieure. Beaucoup de ces grès sont assez itn-
prégnés de pyrite cuivreuse pour être exploités
comme minerai de cuivre. Leur altération a pro-
duit les belles malachites de Russie et même du
cuivre métallique.
La flore permienne no présente qu'une sorte
de résidu de la période précédente déjà privée de
la plupart de ses genres les plus caractéristiques
et rappelant surtout les couches les plus récentes
du terrain houiller.
Terrain triasique. — Il a été ainsi nommé parce
qu'il comprend trois étages distincts, le grès bi-
garré, le ?Husc/ie/An/A (c'est-à-dire .c calcaire à co-
quilles 11), et les marnes irisées. Il est souvent aussi
appelé terrain salifère ou muriatifère, à cause des
gîtes considérables de sel gemme qu'il renferme.
Le grès bigarré est un grand dépôt do grès ar-
gilifère, avec mica argentin, ayant le grain plus fin
et l'aspect plus terreux que le grès des Vosges,
dont il se distingue encore par l'absence presque
complète des galets quartzeux si abondants, et la
présence d'empreintes végétales si rares dans ce
dernier. Les couleurs y sont disposées par bandes
parallèles. Les couches inférieures sont épaisses,
SECONDAIRES (TERRAINS) -- 2009 — SECONDAIRES (TERRAINS)
d'un gris-rougcàtro ou jaunâtre, le plus souvent
d'un rouge amarante, avec quelques paillettes de
mica, dos noyaux aplatis d'argile bleu.ltre ou ver-
dàtre et quelques rares galets de quartz arraches
probablement au grès des Vosges. On les exploite
partout pour pierres de taille ; c'est de Soulz-les-
Bains qu'on a extrait les pierres à bâtir pour
Strasbourg et sa cathédrale ; les couches moyennes
schistoîdes assez fortement micacées sont bleues,
jaunes ou rouge-amarante; on les exploite pour
faire des meules h aiguiser. A Domptail (Vosges),
il y a un petit lit contenant de nombreux moules de
coquilles univalves et bivalves ; h Soulz-les-Bains,
ce grès renferme un grand nombre d'empreintes
végétales. Les assises supérieures, très micacées
et très fissiles, donnent dos dalles pour les toi-
tures et le pavage ; le plus souvent cependant
«lies sont friables, i feuillets contournés, et passent
à des argiles sableuses employées pour faire des
briques.
Le muschelknlk se compose inférieurement de
calcaires compactes gris de fumée, unis ou à. vei-
nules jaunes ou grises, à cassure conchoîde,
quelquefois subgreiiue ou terreuse, en couches de
O^i'i à 0",5 d'épaisseur, séparées par des lits d'ar-
gile ; ils contiennent de nombreux fossiles, surtout
le Terebratula vulgaris et YEncrimis moniUfor-
mis ; il y a aussi des lits de silex. A la base se
trouvent quelquefois des calcaires magnésiens,
tantôt remplis d'encrines et tantôt subgrenus sans
fossiles; à Sierk, il y a des couches oolitliiques
blanches. La partie supérieure est formée par des
argiles feuilletées grises, jaunes ou vertes, quel-
quefois blanches, employées dans les faïenceries,
alternant avec des calcaires gris-jaunâtre à cassure
terreuse, souvent magnésiens, avec coquilles et
ossements de reptiles, donnant de bonne chaux
hydraulique.
Les marnes irisées se composent d'alternances
nombreuses d'argiles vertes, gris-bleuàtre ou lie
de vin, se dilatant à l'air en fragments anguleux
non schistoîdes. Ci et là il y a de minces couches
de calcaire grossier caverneux. Lin peu au-dessous
il y a des lits d'argile noire et de psammite mi-
cacé, rouge-amarante ou bleuâtre avec empreintes
végétales, au milieu desquels il y a à Noroy
(Vosges) une couche de (i^^TO à. 1 mètre de lignite
compacte terne, pyriteux, donnant lieu à quatre
concessions, d'une étendue de 10 204 hectares, qui
ontdonné, on 1842, 3949iquintauxdecombustiblo.
Dans la Haute-Saône il y a cinq concessions dont
l'étendue est de G919 hectares, et dont la produc-
tion, en 1842, a été de tiO 112 quintaux. C'est
également dans cette partie inférieure que se
trouvent les couches de sel gemme qui ont été
reconnues au nombre de douze k Vie (Meurthe), et
dont l'épaisseur totale est de 75 mètres sur une
épaisseur traversée de 110 mètres (les 70 mètres
supérieurs n'en renferment pas). Le sel est gris
ou verdâtre, rose ou blanchâtre, le plus souvent
compact, quelquefois fibreux. Vie et Dieuze, les
deux localités principales où l'on exploite le sel
gemme, se trouvent placés au milieu d'un bassin
de marnes irisées, limite de tous côtés, excepté
h l'ouest, par le rauscheikak. La quantité de sel
extraite en 1842 d'une mine et d'une source salée
s'est élevée à 327 130 quintaux. Dans la moitié
supérieure, il y a aussi quelquefois des amas gyp-
seux et des nodules siliceux.
Le terrain triasique, très développé, surtout k
l'ouest des Vosges, paraît y atteindre une épaisseur
moyenne de C.'>0 mètres, savoir: ■2;,0 mètres pour
le grès bigarré, l.iO mètres pour le muschelkalk
et 2.')0 mètres pour les marnes irisées à l'est de
la Foret-Noire. En Wurtemberg le terrain triasi-
que diffère en ce qu'il renferme des assises de
sel gemme au sein du grès bii;arré et du mus-
chelkalk, et en ce que l'étage supérieur est formé
par des psammitos alternant avec des argiles
auquel on donne le nom de Keuper, et offre des
bancs de lignite exploité en plusieurs endroits.
Le terrain triasique, des Vosges surtout, pré-
sente de nombreux corps organises dans certaines
couches. Le grès bigarré, notamment à Soulz-les-
Bains et à Domptail, a présenté cinquante espè-
ces : des sauriens ; des poissons ; vingt-cinq
mollusques, vingt-deux végétaux ainsi répartis :
huit conifères, cinq monocotylédones, six fougè-
res, et trois équisétacées. Le muschelkalk, ex-
trêmement riche à Lunéville, y offre cent qua-
rante espèces : dix sauriens, trente-cinq poissons,
deux crustacés ; quatre-vingts mollusques ; six
radiaires ; sept végétaux. Les marnes irisées sont
partout très pauvres; on n'y connaît que sept ou
huit espèces de mollusques.
Dans les Pyréml'es, le terrain triasique se trouve
dans la partie occidentale de la chaîne, dont il
forme la crête : il constitue aussi une bande assez
longue à Saint-Girons (Ariège). 11 est composé à
sa partie inférieure de poudingues grossiers à
fragments de granité, de micaschiste, de quartz,
de phtanite et de calcaire, et à ciment argilo-sa-
blonneux rouge. Par-dessus viennent des psam-
mites grisâtres ou jaunâtres, le plus souvent
rouge-brunâtre avec mica blanc, i grains fins
quelquefois grossiers ; ils contiennent des couches
intercalées d'autres psammites schistoîdes rouge
brun avec mica blanc à grains très fins. Il y a
aussi quelques couches de calcaire compacte
gris. Dans plusieurs endroits il y a de la pyrite
cuivreuse disséminée et des filons do fer carbo-
nate et de bai'yte sulfatée.
Sur le pourtour des Vosges le terrain triasique
forme une zone continue à la base de l'île élevée
formée par le terrain ancien et le grès des Vosges.
En Lorraine, il forme une vaste plaine argileuse,
humide, à couches légèrement inclinées à l'ouest,
composée de proéminences arrondies, qui atteint
411 mètres à liitche et 583 mètres à Bruyères et
qui reste, comme on voit, de beaucoup inférieure
au plateau du grès des Vosges.
Terrain jurassique. — Le terrain jurassique,
dont la partie inférieure porte le nom de lias, a
été ainsi nommé parce qu'il forme presque h lui
seul la chaîne du Jura, tant en Eranco qu'en
Suisse. En Angleterre il est désigné sons le nom
de terrain oolithique, par suite de la texture con-
crétionnée, imitant un amas d'œuls de poisson,
que possèdent diverses assises calcaires. Il pré-
sente des compositions et des apparences bien
différentes : d'une part dans les bassins de l'Eu-
rope septentrionale, où les calcaires ont des cou-
leurs claires et où la stratification est presque
horizontale, excepté dans le Jura ; et d'autre part,
dans les pays dépendant du bassin de la Méditer-
ranée, où les calcaires ont des couleurs foncées
et où la stratification est fort souvent boulever-
sée, il est divisé en quatre étages principaux, le
lias, et les oolilhes inférieure, moyenne et supé-
rieure. En France il présente une disposition très
remarquable par rapport au groupe primitif du
Plateau central et h la plaine tertiaire du bassin
de Paris. Ces deux régions sont entourées cha-
cune d'une ceinture jurassique à peu près conti-
nue qui a la forme d'un 8 ouvert par en haut. La
boucle inférieure ou méridionale circonscrit un
massif proéminent principalement granitique,
tandis que la boucle supérieure ou septentrio-
nale, formant le contour d'un bassin dont Paris
occupo le centre, est, en grande partie, plus
élevée que le remplissage plus récent de ce
bassin.
Le lias commence par le calcaire à grypiiiles,
formé d'alternances nombreuses d'argiles et de
calcaires argileux, gris-bleuâtre ou noirâtres, don-
nant d'excellente chaux hydraulique et contenant
SECONDAIRES (TERRAINS) —2010— SECONDAIRES (TERRAINS)
en abondance la Gri/piien arcuata ; sur quel-
ques points il y a de la baryte sulfatée dissé-
minée. Entre la Saône et la Loire, au contact
du terrain primitif du Plateau central, il y a, à la
base, dos arkoses et des psaraniites souvent cal-
caires. Au-dessus viennent les argiles et marnes
à bclemmtes, qui sont schisteuses, gris-bleuàtre,
micacées, souvent bitumineuses et pyriteuses,
avec rognons de calcaire compacte et lits de cal-
caire fibreux ; elles sont souvent employées pour
l'amenderaent des prairies ariiflciclles, surtout
après leur incinération. Les fossiles sont des
ossements de Ptesiosaunis et d'I-s/it/iyosaiinis et
diverses Bélemnites, Ammonites, Grypbées, etc.
Voolithe infcrieuie commence par des calcaires
grossiers, jaunes, roussàtres ou tacliés (uo/illie fer-
rugineuse), avec des Bélemnites, Ammonites, Téré-
bratules, etc., et de nombreux Polypiers. En Bour-
gogne, il y a de nombreux débris de Penlucri-.us
qui ont fait donner à ce terrain le nom de cakaire
à entioques. A Hayange (Moselle , on exploite
des coucbes argileuses avec de nombreux grains
de fer liydroxydé et silicate donnant un minerai
employé avec avantage. Au-dessus viennent des
argiles gris-verdàtrej remplies d'Uitrea acumi-
nata, avec bancs de calcaire argileux, puis la
<i grande oolitlie », formée de calcaires oulitbiques
jaunàti-es ou bleuâtres souvent grenus, avec Tcre-
bratulii cUyona et quelques autres fossiles. Dans
les Ardennes ces doux derniers étages sont rem-
placés par des calcaires blancs compactes ou ooli-
tUiques, avec diverses espèces de iVérinées.
h'oo/U/ie mnyenne commence par des argiles
fort épaisses, grises ou verdàlres, exploitées pour
de nombreuses tuileries et pour l'amendement
des terres, alternant inférieurement avec quel-
ques lits de lumachelle et supérieurement avec
des calcaires marneux jaunâtres, ou des bancs
d'une roche argilo-siliceuse grise à fossiles son-
vent silicifiés. Dans le Jura et la Bourgogne orien-
tale, il y a des noyaux de silex ou de calcaire
siliceux appelés duiilks ou iphériies. Les fos-
siles souvent abondants et siliceux sont les sui-
vants : Plésiosaures, Bélemnites, Ammonites, Gry-
pliées. Oursins, etc. A la base, à Is-sur-Tliil et k
Chatillon (Côte d'Or), à Poix (Ardennes), il y a des
couches de fer hydroxydé oolithique avec de nom-
breux fossiles. A la partie supérieure, on exploite
des minerais de fer semblables h. Launoy (Arden-
nes); les fossiles y sont siliceux et très abondants.
Au-dessus vient lu calcaire coi-olUeii ou coial-rag,
formé inférieurement par des calcaires oolithiques
blanchâtres renfermant des i4/>/û.nVi«s et des Po-
lypiers qui les forment quelquefois entièrement.
Les Polypiers sont au nombre de plus de quatre-
vingts espèces. La partie moyenne est formée de
nombreuses alternances de calcaires blancs, soit
compactes ou crayeux, soit oolithiques, renfermant
surtout des Nérinées. La partie supérieure est
occupée par des alternances de marnes blanchâ-
tres et de calcaires compactes souvent remplis
à'Exogiira bruntuiana, à'Astarte miniina, etc.
L'oulit/ie supéneure commence par les aigilei
hhiiméridiennes, qui sont grises et alternent avec
des lits de lumachelle presque entièrement for-
més â'Exogyyu virgula; il y a aussi quelques
couches d'argile bitumineuse brune. Au-dessus
viennent les calcaires poHlaiidiens, qui sont com-
pactes, quelquefois à oolithes fines, alternant avec
des lits de marnes blanches, et près de Bar-le-
Duc avec quelques couches de calcaire magné-
sien et de calcaire jaunâtre ù oolithes celluleuses.
Les fossiles sont surtout des mollusques.
Dans les Alpes, le terrain jurassique a un
/'iicîe.f particulier qu'il possède aussi dans les
Pyrénées. Les couches qui s'y trouvent ne pa-
raissent représenter que les trois étages infé-
rieurs ; mais on n'y reconnaît pas les nombreuses
subdivisions qui existent dans les autres régions,
quoique leur ensemble ait souvent plus de
1 5U0 mètres d'épaisseur. La partie inférieure, qui
correspond au lias, se compose de marnes et de
calcaires compactes noirs ou gris foncé en cou-
ches très épaisses, avec rognons de silex noir,
exploités quelquefois comme marbre. Au-dessus
il y aune longue série de schistes argilo-calcaires,
de marnes et de calcaires, noirs ou gris, en cou-
ches peu épaisses, fréquemment ondulées, avec
pyrite. La partie supérieure est formée par une
assise do calcaire compacte gris foncé de 80 mè-
tres d'épaisseur, qu'on rapporte au coral-rag.
Les calcaires des divers étages présentent de
nombreux accidents ; tantôt ils sont cellulaires à
cavités remplies de poussière grise argileuse, et
son t appelés carçîiezfte; tantôt ils sont magnésiens,
et tanlôt encore ils sont transformes par places
en anhydrite et en gypse, présentant quelque-
fois des indices de slratiticalion et qu'on ex-
ploite sur un grand nombre de points. Le sol
offre des teintes jaunes ou lie de vin autour de
ces amas de gypse, qui passent insensiblement
aux roches non altérées.
Les caractères paléontologiques les plus appa-
rents sont relatifs aux vertébrés et aux mollus-
ques céphalopodes. Les premiers sont plus variés
que dans la période précédente ; on trouve de
nombreux reptiles, dont les uns sont remarqua-
bles par leurs formes très différentes de celles
du monde actuel, tels que les Ichti/osaitres, les
Plészosuwei, les Ptérodactyles, etc. ; d'autres par
une taille gigantesque, comme Ylgunnodon. Quel-
ques oiseaux et même quelques mammifères
ont déjà apparu à cette époque ; mais les rares
fragments de cette dernière classe appartiennent
tous à l'ordre des didelplios ; on n'a encore dé-
couvert, dans les terrains de cette période, au-
cune trace do mammifères monodelphes.
Les caractères essentiels de la flore du lias
sont : I" la grande prédominance des Cycadées,
déjà bien établie, et la présence de genres nom-
breux dans cette famille, et surtout des Zamites
et J\'uso)ii(i; 2" l'existence parmi les fougères de
beaucoup de genres à nervures réticulées, qui se
montraient à peine, et sous des formes peu va-
riées, dans les terrains plus anciens : tels sont les
Camptopteris, les Thaumatopteris et les Ph!e-
bopteris.
Les formes du sol occupé par le terrain jurassi-
que sont très variées, puisque d'une part il oc-
cupe une place très considérable dans les cliaînes
des Alpes et du Jura, et que d'autre part, en
assises faiblement inclinées, il forme les pla-
teaux et les,vallées plus ou moins profondes de la
Lorraine, de la Bourgogne, du Haut-Poitou et du
Quercy. Quant à la végétation, les parties cal-
caires sont employées à la culture des céréales ;
les parties argileuses donnent des prairies ; les
parties défectueuses des unes et des autres sont
couvertes de bois.
Terrain crétacé. — Ce terrain a été ainsi
nommé, parce qu'il comprend les calcaires ten-
dres blancs appelés craie en Champagne (Marne
et Aube) ; les falaises blanches que cette roche
forme sur les rives de la Manche ont aussi occa-
sionné le nom ii'Albion donné par les anciens à
celte partie de l'Angleterre. Il présente dans le
nord et le midi de l'Europe deux faciès corres-
pondant h ceux du terrain jurassique. En France,
il forme deux bassins : celui du nord, qui com-
prend la Champagne et la Neustrie, et celui du
sud, comprenant les terrains qui dépendent des
bassins hydrographiques de la Garonne et du
Uhône. 11 est divisé en trois étages principaux: le
ncocomie/i, ainsi nommé de Xeuchàtel (Seocomum)
en Suisse, où ce terrain a été observé pour la
première fois, le grés vert, et la craie.
SECONDAIRES (TERRAINS) —2011 —
SECRETION
La parties ihi bassin do la Nousirio située h
l'Est d'une ligjie tirée de Nevers à l'embouchure
de la Seine prôsciito les trois grands étages
crétacés.
Le ifiTam néoconiien forme une bindo étroite
qui va di; l'Ornain il la Loire, de Bar-le-Duc à San-
cerro (Clier\ L'assise inférieure commence par
des sables argileux ot ferrugineux brunâtres, peu
épais ; au-dessus vient le culcaii-e à spallangues,
qui est grossier, argileux, jaunâtre, en couches
continues ou en grandes amandes séparées par
des lits de marne et donnant d'excelleiite chaux.
Les fossiles sont très abondants, les principaux
sont des céphalopodes et des mollusques. Au-
dessus viennent des argiles gris-bleuâtre renfer-
mant des lits de lumaclielle. Enfiji, il y a des
argiles et des sables rouge-amarante, jaunes ou
verts, avec ferhydroxydé ooliihique, exploité dans
la Haute-Marne, et de nombreux rognons de 1er
o.xydé rouge compacte avec quelques fossiles.
Le gros vert forme une bande continue de l'Oise
à la Loire, do Hirson (Aisne) à Sancerre. Il se
montre ensuite h l'ouest de Beauvais et dans le
Bas-Boulonnais. La partie inférieure est formée
par des argiles regardées par divers géologues
comme formant la partie supérieure de l'élage
précédent et renfermant des fossiles dont les plus
abondants et les plus caractéristiques sont des
Nautiles et des Ammonites. Elles donnent d'ex-
cellentes tuiles et briques dans les départements
de l'Aube et de l'Yonne. Au-dessus vient le yyf's
vert proprement dit, formé par dessables argileux
chlorités, d'un vert le plus souvent noirâtre, avec
rognons endurcis noirs de même nature ou ren-
fermant souvent du phosphate do chaux ; ils sont
remplacés en certains endroits par des argiles
grises quelquefois pyriteuses et dans d'autres
par des roches siliceuses jaunâtres assez fria-
bles. A la base, il y a sur certains points des
minerais de fer hydroxydé en grains mélangé de
grains do quartz, et exploité à Grandpré (Arden-
nes) et à ^'arcy iHaute-Marne). Au-dessus vien-
nent dos argiles grises avec rognons de marne
endurcie et de petits cristaux de gypse, em-
ployés sur un grand nombre de points à faire des
briques et des poteries. Les fossiles sont très
nombreux, toujours des céphalopodes et des mol-
lusques.
La craie, dans sa partie iiiférieure, est formée
par des calcaires plus ou moins endurcis, argi-
leux ou sableux , micacés , gris jaunâtre ou
blancs, très fréquemment chlorités, en général
sans silex. Les fossiles, assez abondants, surtout
à Rouen, sont en grande partie différents des
précédents, quoique appartenant aux mêmes gen-
res. Par-dessus viejinent des calcaires tantôt fria-
bles, blancs à grains fins, tantôt grossiers, cris-
tallins, durs, jaunâtres. Souvent les bancs sont
séparés par des lits de rognons de silex gris ou
blond plus ou moins abondants ; dans la Champa-
gne, la craie est blanche, friable, sans silex ; dans
le Nord, elle est souvent grossière et dure et coji-
tient peu de silex; dans ces deux pays on l'em-
ploie pour bâtir. A l'ouest de la Seine, elle est
assez généralemejit blanclie, friable, et renferme
de gros silex blonds très nombreux, et très em-
ployés dans les constructions. A Meudon et à
liougival près de Paris, elle est blanche, et con-
tient des silex noirs ; elle y est exploitée pour la
fabrication du blanc d'Espagne, et pour celle de la
chaux hydraulique qu'on obtient en la mélan-
geant avec de l'argile. Les fossiles, en général peu
abondants, sont le Mosasawus Ho/[maimi, des
dents de poissons, diverses coquilles.
La plupart des géologues rattachent maintenant
à la partie tout à fait supérieure de la craie un dé-
pôt marin peu épais, calcaire et sableux, le calcaire
pisohthique, qui est formé de petits dépôts isolés
de calcaire souvent concrétionné, jaunâtre, ce qui
lui a valu son nom, près Epernay, Paris, Meulan et
Beauvais. L'un dos fossiles principaux est le Àiau-
tilus daiiicua.
Dans le bassin du Midi, notamment dans la
Provence et les Alpes, les deux étages infé-
rieurs sont bien développés. Le terrain néoco-
mien, qui a plus de (.00 mètres d'épaisseur aux
environs do Grenoble, se trouve en Languedoc,
dans la Provence et dans les Alpes; il se divise
en deux grandes assises. L'inférieure est formée
de marnes jaunes ou grises associées à quelques
bancs de grès verdâlres, et contenant i Carsan
(Gard) des lignites exploités sur plusieurs points ;
elles renferment des amas de gypse grentt,
quelquefois rouge, exploité, présentant les mû-
mes accidents de gisement que ceux des terrains
jurassiques. Ces marnes alternent avec des cal-
caires tantôt compactes, jaunâtres ou bleuâtres,
tantôt grenus, siliceux, assez souvent oolithiques,
qui prédominent à la partie supérieure. Les fos-
siles sont très abondants dans cette assise :
Bélemnites, Nautiles, Ammonites, Térébratu-
les, etc.
L'assise supérieure, ou calcaire h Dicérates ou
h Cnprolina ammonia, se compose de masses
épaisses, mal stratifiées, de calcaire grenu blond
ou grisâtre, associé sur quelques points i des
poudingues calcaires. Les fossiles, peu fréquents
et difficiles à dégager, sont une Bélemnite, une
Térébratule, etc.
Le grès vert et la craie inférieure sont compo-
sés, dans la Provence et les Alpes, de grès ferru-
gineux, de marnes bleuâtres et de calcaires mar-
neux ou grenus souvent sableux, avec grains de
clilorite ; souvent même, il n'y a que dos sables
ot des grès verdâtres friables avec silex, pyrite,
et rognons de fer hydroxydé. Aux fossiles habi-
tuels du Nord viennent s'ajouter quelques fossiles
spéciaux.
Les formes du sol occupé par le terrain crétacé
sont très variées, puisqu'il entre dans la compo-
sition soit des parties basses des Pyrénées et
des Alpes, soit de la Provence et du Languedoc,
soit enfin de la Neustrie et de l'Aquitaine, et sur-
tout de la Champagne. La végétation est aussi
très variée; la Champagne, formée par la craie,
est un pays sec très aride; tandis que les con-
trées occupées par les deux étages inférieurs
sont très fertiles et donnent d'excellents pâtura-
ges. Dans les Pyrénées et les Alpes, le terrain
crétacé est occupé par des forêts et des pâturages ;
dans le Languedoc et la Provence, le soi, assez see
et stérile, porte de nombreuses plantations d'oli-
viers. |V. Raulin.]
SÉCBÉTIOIN. — Zoologie, XXXllI. — La sécré-
tion est le phénomène par lequel certains principes,
extraits du sang au moyen d'appareils appelés
glandFS, donnent naissance dans celles-ci S des
liquides spéciaux, utilisés de nouveau par l'orga-
nisme.
11 importe avant tout d'établir la distinction
entre l'acte de la sécrétion et celui do l'urination
qui n'est qu'une excrétion.
Les liquides sécrétés ne sont pas rejetés au
dehors comme déchets, mais au contraire utilisés,
tandis que l'urine est éliminée et composée de
substances dont l'organisme se débarrasse.
A travers l'appareil urinaire, l'urine, déjà toute
formée dans le sang, passe comme au travers d'un
filtre ; elle ne s'y forme pas, elle s'y accumule pour
être expulsée.
Un liquide sécrété est formé de principes pui-
sés dans le sang, mais qui, mis en présence dans les
glandes, agissent les uns sur les autres pour donner
naissance à des substances nouvelles. Celles-ci
s'épanchent des glandes sous l'empire de certains
excitants et dans un but déterminé : c'est ainsi, par
SECRETION
2012 —
SECRETION
exemple, qu'excité par la vue d'un aliment, pressé
par l'appétit, l'homme sent le fluide salivaire
(liquide sécrété) affluer à la bouche et se répan-
dre en abondance sur la muqueuse buccale. On
mammifères, la sécrétion la plus importante est
sans contredit le lait. C'est le liquide élaboré
par les glandes mammaires sous la peau de la poi-
trine (mamelles pectorales des bimanes, des qua-
dit vulgairement, quand ce phénomène se produit, i drumanes et des chiroptères), sous celle du ventre
que l'eau vient à la bouche.
(mamelles abdominales dos carnassiers, etc.), mais
Conservant la salive comme exemple, nous pouvant aussi occuper d'autres régions ; c'est
voyons ce liquide, formé dans les glandes sali
vaires, utilisé pendant l'acte digestif, pnur humec-
ter les parois buccales, pour favoriser la per-
ception des saveurs, et pour rendre absorbables
les aliments, les féculents qu'elle transforme en
sucre.
Toute glande est formée : 1' d'une trame
fibreuse représentant ordinairement un repli
ainsi que chez les kangurous (marsupiaux), les
glandes du lait sont situées un peu au-dessus de
la région du pubis, dans l'intérieur de la poche
marsupiale; que chez la baleine (cétacés), elles se
trouvent dans le voisinage de l'anus.
Le lait est un aliment complet, et tout préparé
pour l'absorption ; il n'exige donc aucune dépense
physiologique de la part de l'appareil de la diges-
muqueux en cul-de-sac; 2° de cellules recouvrant \ tion ; il contient toujours une grande quantité d'eau-
la surface libre de cette membrane et analogues ! plus des sels en dissolution, du sucre solublo
à celles qui recouvrent toutes les muqueuses
(cellules d'épithélîum) ; 3° de vaisseaux sanguins
circulant dans l'épaisseur de la trame fibreuse.
Le liquide sécrété est une exsudation du sang
s'eff'ectuant à travers les parois des vaisseaux
sanguins, traversant la trame fibreuse, et se di-
rigeant à travers la membrane épithéliale dans la
cavité de la glande. Au contact de cette membrane
le liquide sécrété s'élabore : lépitholium exerce
une sélection dans les éléments du sang, sépare
les principes qui doivent être emmagasinés par
l'organe sécréteur, et rejette le déchet de ce tra-
vail dans les vaisseaux lymphatiques.
Tels sont les faits propres à cette fonction ayant
comme siège, non pas un appareil, mais un en-
semble de petits appareils disséminés dans les
diverses régions de l'organisme et constituant le
système ylandulaire.
Pour comprendre les glandes, quelle que soit la
forme qu'elles affectent, il suffit de concevoir un
repli de la trame fibreuse, entraînant l'épithélium
de façon à ce que celui-ci en tapisse l'intérieur.
Ce repli est toujours en cul-de-sac ; ii peut Être
simple ou bien se terminer en culs-de-sac multi-
ples, toujours microscopiques. Souvent les gland
(lactose), des principes azotés (caséine), et de la
graisse à l'état d'émulsion (V. Digestion).
Sa composition varie suivant les espèces; celui
de la vache contient en moyenne, sur lOO parties,
4 à 5 parties de beurre (matière grasse), -i de ca-
séine (substance azotée), 4 de sucre de lait, 0,5
de sel marin, ce qui représente 12 à 14 p. 100 de
matières solides ; quand ce liquide est frais, sa
réaction est légèrement alcaline. Nous n'insiste-
rons pas davantage ici sur les propriétés du lait,
dont l'étude a été faite dans un autre article (V.
Aliments).
Plusieurs mammifères sécrètent des produits
odorants : c'est le cas des civettes (carnivores),
des castors (rongeurs), et du chevrotin porte-musc
(ruminant). Rappelons ces deux poches qui, chez
le cachalot, sont placées au-dessous de la peau
de la tête, reposent dans deux dépressions situées
de chaque côté de la voûte crânienne, et sécrètent
le blanc de baleine.
Quant aux glandes comme les glandes salivaires,
les follicules gastriques, le pancréas, la rate, la
glande pituitaire, etc., nous n'avons pas à en faire
ici une étude nouvelle et détaillée (V. Digestion).
j ^ .„,.j„„.„ ^.^ _„ 11. Oiseaux. — Ces animaux possèdent les prin-
sont dans l'épaisseur des muqueuses, mais d'au- , cipales glandes affectées à la nutrition générale
très fois elles forment des niasses considérables en et signalées chez les mammifères, mais on trouve
dehors de tous viscères, masses formées par l'en- i toujours dans difl'érentes parties de leur peau, et
semble des culs-de-sac débouchant tous les uns j principalement au-dessus du coccyx, des glandes \
dans les autres, et s'ouvrant enfin par un seul sécrétant une matière grasse, et surtout deve-
canal, le canal cxcrétew principal, .'i la surface j loppées chez les espèces aquatiques. L'oiseau les
de la muqueuse, dont la glande n'est qu'un repli, i pince avec son bec pour en faire épancher le con-
L'une des formes glandulaires les plus communes tenu, dont il lubréfie la surface de ses plumes ahn
est celle de la glande en grappe. Imaginez une I de les lustrer et de les empêcher d'être mouillées.
grappe simple ou composée de grapillons, à élé
ments microscopiques ; que les grains {acini, — nci-
?ius au singulier) soient creux, que leurs pédoncu-
les, creux aussi {ca7wux excréteurs), y débouchent
et aillent d'autre part s'ouvrir dans la queue du
grapillon [canal excréteur) ou dans la queue prin-
cipale de la grappe [canal excréteur principal)
canaliculée eUe-même, et l'on se fera une idée
assez juste de la glande en grappe (Ex.: glandes
salivaires, pancréas, glandes mammaires). C'est
autour des acini que viennent se rendre les vais-
seaux sanguins actifs dans la sécrétion, et à la sur-
face d'une muqueuse que débouche le canal excré-
teur principal.
Parfois, l'appareil de sécrétion peut être consti-
tué par des éléments clos délimitant une cavité :
dans ce cas, l'épithélium en tapisse l'intérieur,
et les vaisseaux sanguins viennent ramper sous
la paroi de la vésicule, constituée par la trame
fibreuse (Ex. : amygdales, rate, péritoine, péri-
carde, plèvre).
Les glandes peuvent encore affecter la forme de
tubes simples ou composés. (Ex.: glandes sudo-
ripares, follicules gastriques, glandes à mucus).
Principales sécrétions dans la série animale. —
I. Mammifères. Dans l'ordre des bimanes (homme)
comme dans tous les ordres de la classe des
Les salanganes, hirondelles habitant la Chine et
l'archipel Indien, possèdent dans leur ventricule
succenturié des replis glandulaires sécrétant un
produit particulier, et leur servant à cimenter les
algues et fucus qui servent à la confection de
leurs nids. Ce produit est très riche en matières
azotées, et constitue un mets rare et recherché de
certains gourmets. , ,
Les œufs ne sont aussi que des produits sécré-
tés; ils ne sont pas propres aux oiseaux: tous les
animaux supérieurs, même les vivipares, sont issus
d'un œuf; mais, chez les oiseaux, la solidité de
l'enveloppe extérieure est remarquablo. Après que
l'organe producteur des œufs a, chez la poule,
formé le vitellus (jaune), que l'albumen (blanc) a
été sécrété et a entouré le jaune, que le blanc a
été renfermé dans son enveloppe membraneuse, le
chorion, l'œuf est arrivé dans la chambre coquil-
liôre et se revêt de son enveloppe solide, la co-
quille. Celle-ci est un produit calcaire, d'autant
plus résistant que l'animal introduit une quantité
plus grande de carbonate de cliaux dans son ali-
mentation ; l'os de seiche, appelé vulgairement en
core biscuit de mer, est donné aux oiseaux cap
tifs, afin qu'ils absorbent le principe calcaire
nécessaire .'i la formation de la coquille.
111. Reptiles, Batuaciens et Poissons. — Che:
SÉCRÉTION
2013
SEL MARIN
les sorpents à voniii, on voit on arrière de l'œil, 1 voisins do la bouche et constituant les filières,
de chaque côté do la tête, une fjlando en grappe Chacune dos ouvertures est percée de plus de
sécrétant le venin. Le canal collecteur de tout le
produit de chaque' glande vient déboucher i la
partie supérieure des crochets h. venin, et nous
savons comment, chez ces reptiles malfaisants, le
venin peut êlre raôlo au sang de leur victime et
y exercer des ravages plus ou moins néfastes.
Le crapaud vert ou crapaud de joncs, qui se
reconnaît h la longueur de ses doigts, à sa cou-
leur verte et h la ligne médiane jaune parcourant
son dos en longueur, a des glandes au niveau du
cou sécrétant ce qu'on nomme le veni?i de era-
paicd. C'est un liquide fortement acide et qui,
placé sur la peau d'une grenouille ou bien ino-
culé sous celle de petits animaux comme les
cochons d'Inde, les tue rapidement; mais il ne pa-
raît pas redoutable pour l'Iiomme.
Chez beaucoup de poissons, il existe une poche
allongée pleine de gaz, appelée vessie natatoire,
placée h la partie supérieure de lacavité viscérale,
s'ouvrant souvent dans l'œsophage par l'intermé-
diaire d'un canal ; nous pouvons considérer aussi
comme des appareils de sécrétion les organes
électriques des torpilles et dos gymnotes ou
anguilles de Surinam. La peau de beaucoup do
poissons sécrète abondamment un mucus parti-
culier.
IV. Invertébrés. — Les mollusques céphalopo-
des ont non seulement des glandes salivairos, un
foie et un pancréas rudimentaire, mais beaucoup
d'entre eux (poulpe, sèche) possèdent un appareil
de sécrétion connu sous le nom de poche à encre,
dont le canal excréteur vient déboucher près de
l'anus. Le produit de cette glande, quand il s'épan-
che au dehors, trouble l'eau et favorise la fuite
de l'animal.
La peau de tous les mollusques est recouverte
d'une substance liquide mais gluante, laissant sa
trace sur les objets que l'animal a touchés et que
nous connaissons bien tous ; c'est ce liquide qui
humecte la peau de l'escargot ; mais la coquille
est certainement la sécrétion la plus intéressante
dans cet embranchement. Elle est faite de subs-
tance calcaire, se compose d'une série de dépôts
superposés h. la manière d'écaillés et élaborés
par les parois du manteau. Externe et bivalve
chez les mollusques acéphalidiens (privés de
tête comme les huîtres), elle est univalve e', externe
chez l'escargot (mollusques céphalidiens de la
classe des gastéropodes) et souvent interne chez
lessèches (moUusquescéphalidiens céphalopodes);
c'est, dans cette dernière classe, le biscuit de mer
dont nous avons déji parlé plus haut.
Dans la classe des articulés, on trouve i signa-
ler beaucoup de sécrétions intéressantes.
La soie, dont la chenille du bombyx du mû-
rier fait un cocon (V. Ver à soie).
La cire, dont l'abeille construit les gâteaux al-
véolés dans lesquels elle place son miel, et ce
miel lui-même, formé par le mélange du suc
provenant des nectaires des plantes et d'un
fluide particulier sécrété par l'appareil digestif
de l'insecte.
Beaucoup d'insectes sont pourvus, dans le voi-
sinage de l'anus, de glandes dites anales d'où
suinte un liquide particulier pouvant être épan-
ché volontairement au dehors. C'est ce qui est fa-
cile à constater pour le carabe doré. Prenez ce
bel et utile insecte avec la main, immédiatement
vous voyez couler de son anus un liquide brun
dont l'odeur acre et forte vous répugne : c'est le
produit de ces glandes anales, au moyen duquel
il cherche à se défendre contre vous, en vous
iiispirant le dégoût.
La toile que filent certaines araignées et qu'el-
les tendent afin de capturer leurs victimes ailées
inil orifices par lesquels sort la matière textilo
gluante et demi-liquide , mais qui se durcit aus-
sitôt en autant de brins d'ujie extrême ténuité
que l'animal réunit en un seul fil. Toutes les
araignées ne sécrètent pas la substance dont
nous venons de parler, mais toutes ont les deux
mandibules terminées par un ongle acéré, mobile
et traversé longitudinalement par le canal excré-
teur d'une glande située i la base de l'appareil
masticateur. Le liquide que sécrète cet organe
est venimeux et donne lamortaux proies vivantes
que saisit et pique l'araignée avant de s'en
nourrir.
C'est aussi à la classe des arachnides qu'ap-
partiennent les scorpions, qui peuvent atteindre 15
centimètres dans l'Afrique et les Indes Orien-
tales ; l'abdomen allongé de ces animaux se ter-
mine par un crochet creux en communication
avec un venin, et perce d'une ouverture par la-
quelle le liquide toxique peut s'épancher. La pi-
qûre de cet appareil cause des accidents inflam-
matoires plus ou moins graves, détermine la mort
des petits animaux, et peut êlre aussi funeste pour
l'homme.
Certains vers de la famille des tubicoles ont
le corps renfermé dans un tube calcaire sécrété
par la peau. Le pied solide, composé de carbonate-
do chaux, appelé polypier, qui supporte les ani-
malcules du corail, nous présente en eux l'exem-
ple d'une sécrétion cutanée chez les rayonnes.
Enfin, les animaux les plus simples, ceux qui
sont placés aux derniers échelons de la série ani-
male, dans le groupe des protozoaires, et sont
constitués par une petite masse de substance vi-
vante desplus simples, peuvent cependant encore
efl'ectuer le travail de la sécrétion. Un grand nom-
bre de rhizopodes du groupe des furatniniférei
sont renfermas dans un test calcaire ou siliceux,
percé d'un nombre variable de pores livrant pas-
sage au prolongement de leur corps qu'on appelle
des pseudopodes.
Quoique microscopiques, les rhizopodes testa-
cés sont importants ; ils peuplent toutes les mers
en nombre absolument inimaginable, et dans les
plus grandes profondeurs de l'Océan, le sol est
recouvert de couches souvent profondes composées
de leurs dépouilles solides. Dans un grain de
craie, de la dimension d'une pointe d'aiguille,
c'est par centaines qu'il faut compter les coquil-
les élégantes, à loges simples ou multiples, des
rhizopodes fossiles. Les couches inférieures des
terrains tertiaires comprennent des assises appe-
lées calcaires numniulitignes, — les pyramides
d'Egypte en sont construites partiellement, — et
ces calcaires doivent leurs noms aux innombra-
bles tests calcaires de nummulites (rhizopodes)
dont ils sont littéralement farcis.
Les végétaux aussi ont leurs appareils de sé-
crétion ; on les appelle souvent même des glan-
des; mais il n'y a pas identité parfaite entre
l'acte sécréteur des animaux et cet acte dans les
végétaux. [G. l'hilippon.]
SEL MARI>'. — Chimie, XVI. — Le sel marin
ou chlorure de sodium est un des corps les plus
abondamment répandus. La mer en contient en-
viron 3 p. 100. On peut évaluer ce que repré-
sente cette quantité en disant que si tout le sel
contenu dans la mer était également répandu
h la surface de la terre ferme, il s'élèverait à
une hauteur d'environ 2 mètres. On rencontre de
nombreuses sources d'eau salée ou saumâtre et
des mines de sel gemme, dont les plus célèbres
existent en Pologne et en Moravie. Celle do Wie-
liczka est la plus riche que l'on connaisse. L'ex-
ploitation a 3 kilomètres do long, I 600 mètres
est tissée avec des fils sortis do 4 ou G mamelons de large et 300 de hauteur. Le même dépôt
SEL MARIN
— 2014 —
SELS
s'étend jusqu'à 200 lieues de long et 40 de large
en deçà et au-delà des monts Carpathes. Cetie
mine de sel gemme, exploitée depuis six cents
ans, est d'une magnificence extraordinaire. C'est
toute une ville souterraine , où travaillent plu-
sieurs milliers d'ouvriers. Le sel qu'elle contient
est très pur et immédiatement livré au com-
merce.
Quand les mines donnent un produit moins
pur, on le purifie en le dissolvant dans l'eau el
l'on se trouve alors dans les mêmes condilions
que quand on tire le sel de l'eau de la mer.
Dans les pays chauds où l'évaporation au soleil
est rapide, comme au sud et à l'ouest de la
France, on fait arriver l'eau de mer sur de vas-
tes terrains plats appelés marais salants. Quand
l'eau s'est évaporée de manière à contenir plus
d'un tiers de sel, celui-ci se dépose et cristallise
en cubes ; on l'enlève au râteau et on forme sur
le bord du marais des meules qui s'y ogouttent
et s'y sèchent. On retire ainsi environ SO p. 100
du contenu solide de l'eau de mer. Ce sel est tou-
jours altéré par une certaine quantité de terre,
et est gris ou rougeâtre suivant les lieux. La
saveur spéciale du sel gris et le projugé qu'il
sale mieux que le blanc proviennent de ce qu'il
renferme toujours un peu de chlorure de magné-
sium. Dans les pays plus froids qui bordent la
mer du Nord, on compte davantage sur l'action
du vent pour hâter l'évaporation ; on élève arti-
liciellement l'eau de mer, qu'on fait retomber
sur une muraille de fascines appelée «'bâtiment
de graduation. » l'our avoir le sel tout à fait
blanc, on le redissout dans trois fois son poids
d'eau et on l'évaporé par la chaleur. L'eau-mère
des marais salants, c'est-à-dire celle qui reste
après l'extraction de la plus grande partie du sel
marin, contient un grand nombre de produits
intéressants qui ont été le point de départ de
bien des découvertes, sulfate de suude, magnésie,
brome, iode.
Le chlorure de sodium est incolore quand il est
pur, inodore, d'une saveur bien connue. Sa trans-
parence, quand on en taille dos lames dans du
sel gemme pur, égale celle du verre, et son pou-
voir diathermane est le plus grand connu; il
laisse passer 0,93 de la chaleur rayonnante de toute
provenance; tandis que le verre le plus transpa-
rent n'en laisse passer quo les deux tiers dans
les meilleures circonstances, et même arrête
presque complètement la clialeur obscure. Le
sel, solnble dans trois parties d'eau, est presque
insoluble dans l'alcool anhydre; l'alcool en con-
tenant une petite quantité brûle avec une flamme
d'une couleur jaune que l'on considère comme
monochromatiquo. Cela est dû à la vapeur du
sodium qui, aux hautes températures, donne au
spectroscope les deux célèbres raies D.
Si le sel n'est pas le meilleur antiseptique,
c'en est au moins un excellent et le seul qui con-
vienne absolument à la conservation des aliments.
Aussi l'usage des conserves dans la saumure
ou au sel remonte-t-il à la plus haute antiquité.
Le détail des précautions varie, mais il im-
porte que la saumure pénètre bien exactement
toute la masse ; généralement, avant de consom-
mer ces conserves, on les fait dessaler par une
macération de quelques heures dans l'eau douce.
On a fait à cette alimentation des reproches plus
ou moins justifiés. Les marins, dont les salaisons
constituent la nourriture principale, parfois unique,
sont atteints du scorbut ; mais le scorbut résulte
de toute alimentation insuffisante ou exclusive.
II y a eu fréquemment, et en particulier pendant
le siège de Paris, des salaisons malsaines, véné-
neuses ; cela tenait à leur préparation défec-
tueuse. Somme toute, les salaisons sont d'excel-
lents aliments dont il faut user et non abuser.
La saumure, qui a dissous une grande quantité
des matières nutritives de la viande, est un bon
condiment qui remplace avantageusement le sel
pour la cuisson des aliments frais.
Le sel conserve les substances animales et
végétales à cause de ses propriétés antiseptiques,
c'est-à-dire en empêchant le développement des
germes des microbes qui existent dans ces subs-
tances et tendent à leur destruction. Il entrave de
même la vie des parasites qui peuplent les corps
des animaux vivants. A ce point de vue, il est
aussi nécessaire que les aliments eux-mêmes.
Aussi, comme il n'en faut que quelques grammes
par jour à chaque personne, tous les gouverne-
ments ont-ils trouvé dans le monopole du sel
une source de revenus et souvent un moyen d'op-
pression. La France a subi la gabelle, et ce qui nous
en reste aujourd'hui, l'impùt du sel, est un des
plus durs pour la classe pauvre. Les douaniers,
chargés d'empêcher la contrebande du sel dans
les régions où il se fabrique, sont en guerre ouverte
avec la population, et il en résulte chaque année
un certain nombre de meurtres dans l'un ou
l'autre sens. Le moyen âge, si ingénieux en fait
de tortures, n'avait pas manqué d'appliquer la
privation du sel aux victimes de la tyrannie reli-
gieuse, et c'était sans doute l'un des supplices
les plus atroces à cause de sa durée. Les Hol-
landais ont jusqu'à ces derniers temps conservé,
comme aggravation de peine, l'usage de nourrir
sans sel les malheureux déportés dans leurs colo-
nies pénitentiaires : ces infortunés mouraient
au bout de quelques années dévorés vivants par
les helminthes.
Comme nous, les animaux ont besoin de sel.
On sait avec quel plaisir un mouton croque une
poignée de sel ; dans quelques étables on place
un gros morceau de sel compact que les bes-
tiaux viennent lécher. Mais l'usage du sel ne se
répand pas dans nos compagnes comme dans les
pays où, atïranchi d'impôts, il se vend sept ou
huit fois moins cher qu'en France. Le paysan
n'aime pas à faire des expériences, et n'a pas
confiance dans celles des autres, quand le ha-
sard les lui a fait connaître. 11 hésite à ache-
ter du sel fort cher en vue d'une augmentation
de produits à laquelle il croit peu. En Angle-
terre, des industriels ont fait d'immenses fortu-
nes en vendant comme condiments pour les bes-
tiaux des paquets de sel pré/jaré, dont la grande
valeur est sans doute due au sel plutôt qu'à la pré-
paration. On recommande le sel de morue, qui
a déjà payé les droits et ne peut plus servir pour
la cuisine; on peut l'avoir à bas prix, et il serait
utile d'en mélanger 1 centième au fourrage des
bestiaux, d'en répandre avec les engrais quel-
ques quintaux par hectare d'herbages.
Sans avoir la connaissance complète de son uti-
lité, les peuples anciens ont soupçonné sa haute
valeur et l'ont témoignée par cet usage si ré-
pandu de symboliser l'hospitalité par l'offre du
pain et du sel. [P. Robin.]
SELS. — Chimie, XV. — L'acception du mot
sel (latin sal) a subi de nombreuses transforma-
tions dans l'histoire de la chimie, et elle n'est
pas encore déterminée d'une manière reconnue
par tous. Le premier sel fut le sel marin., aujour-
d'hui chlorure de sodium, que l'on trouva formé
naturellement par l'évaporation des eaux de la
mer ou de lacs salés produite dans des circons-
tances spéciales. Plus tard on reconnut dans des
fissures de terrains argileux un autre corps cris-
tallisé, soluble, ayant un goût comparable de loin
à celui du sel de la mer; ce fut l'alun. Chose re-
marquable : les deux premiers sels connus sont
des corps qui n'appartiennent aujourd'hui qu'im-
parfaitement à la classe type des sels, telle qu'elle
est généralement définie. Plus tard les subs-
SELS
— 201S —
SELS
tancos cristallisées, solubles, à goût spécial, et se
trouvant dans la nature, se multiplièrent ; tels
sont : le yiatinn (carbonate de soude), le sel de
nifre ou sulpi'lrc (azotate de potasse), le sel de
SedlUz (sulfate de magnésie), lèse/ admirable de
Glnuber (sulfate do soude), extrait pour la pre-
mière fois par ce chimiste des eaux-mères des sa-
lines.
Ces derniers sont véritablement des sels suivant
la définition de Lavoisier. Ce savant appelait sel
le composé formé par la combinaison d'un acide
et d'une base ; on sait qu'il ne donnait le nom d'a-
cides qu'i des composés contenant de l'oxygène
ou au moins crus tels ; pour lui les sels étaient des
composés ternaires oxygénés ; le sel marin était un
muriate de soude, et l'acide muriatique le premier
composé oxygéné d'un radical non isolé dont le
second était l'acide muriatique oxygéné, aujourd'hui
le chlore. Quand la nature de ce dernier corps eut
été déterminée par Gay-Lussac et Thénard, il se
trouva que co sel le plus ancien était un compcreé
binaire non oxygéné, donc exclus de la' nouvelle
classe des sels. On l'y fit rentrer, comme on put,
en créant pour lui et ses congénères le groupe des
composés haloîdes. Ce groupe contient les chloru-
res, les bromures, les iodures, les fluorures. D'au-
tre part, l'alun fut trouvé contenir du sulfate d'alu-
mine combiné en proportion définie et simple à
du sulfate de potasse, do soude, et d'ammoniaque;
puis on découvrit d'autres substances inséparables
de l'alun, où lesulfate alumineux était remplacé par
un sulfate do chrome ou d'un autre corps. "Voilà
donc forcément une classe des sels doubles. Ira-
possible alors de ne pas y introduire la série nom-
breuse des silicates doubles, triples. Mais tandis
que les uns ont les proportions définies et sim-
ples de l'alun, chez d'autres, chez la plupart, ces
proportions deviennent presque indéterminables ;
les analystes sont obligés d'employer pour repré-
senter leur composition des formules très compli-
quées, et quelques-uns, comme Delafosse, arrivent
à nier la composition de ces silicates en proportions
définies, et veulent ne considérer la silice que
comme ayant agi en véritable dissolvant d'oxydes
aux hautes températures ets'étant figée en mélan-
ge» plus ou moins irréguliers de composés isomor-
phes.
La netteté des limites de la classe des sels est
encore diminuée par d'autres causes. Il y a nom-
bre de composés ternaires oxygénés, en particu-
lier ceux qui contiennent de l'eau, auxquels on
éprouve une grande répugnance à accorder le nom
de sels, et pourtant l'acide sulfurique concentré,
SO'",HO, est, si l'on se conforme à la stricte lo-
gique, uri sulfate de protoxyde d'hydrogène j l'a-
cide azotique ordinaire, un acide bien incontesté,
Az05,3HO, est un sel, un azotate tribasique ; la
potasse caustique est un sel, un oxyhydrate de
potasse. Il existe un composé cristallisable formé
par l'union de deux oxydes du même élément,
d'iin métalloïde, l'azote ; on l'appelle souvent
acide hypoazotique, bien qu'il n'existe pas d'hy-
poazotate ; c'est un composé binaire qu'on peut
aussi considérer comme un sel, 2AzO* = AzO^,
AzO', d'autant qu'il existe un sulfate de la même
base, les cristaux des chambres de plomb produits
dans la fabrication de l'acide sulfurique , AzS^O»
— Az03,2S03. Il y a du reste des oxydes dits sa-
M^'rv '^"'""''^ l'oxyde manganoso - manganique
Mn^O* = MnO, .MnO», qui sont des sels au même
titre que l'acide hypoazotique.
Il existe un sulfate d'ammoniaque, tout comme
il y a des stjlfates de potasse et do soude : c'est
'^'"'^ ''""inioniaque^quoiqueétantun corps composé
(AzH^.HO), appartient par ses propriétés chimiques
au même groupe que la soude et la potasse. Mais
• ^i°™°,"'*f|ue n'est que le premier d'un nombre
mhni d alcalis organiques, de composition encore
plus complexe qu'elle, formant des sels incontes-
tés avec les acides inorganiques, et auSîi avecd(îs
acides organiques ou mixtes contenant également
plus de deux éléments. Enfin des chlorures se
combinent entre eux en proportions définies ou
non ; de même des sulfures, des iodures, etc. Il a
bien fallu admettre les chlorosels, les sulfosels,
les iodosels sur le pied d'égalité avec les anciens
sels de Lavoisier, devenus la simple subdivision
des oxysels. Il existe encore d'autres combinai-
sons aujourd'hui relativement peu nombreuses et
peu importantes, des composés binaires ayant
comme élément commun, non plus l'électro-né-
gatif, mais l'élcctro-positif, des oxychlorures, oxy-
sulfures, iodobromurcs; et (|ui sait jusqu'où peut
s'en étendre le nombre'? Quant aux coivibinaisons
franchement quaternaires de deux composés bi-
naires n'ayant aucun élément commun, la liste
commencée par les chlorures hydratés bien cris-
tallisés et à proportions définies u'en est très pro-
bablement pas close. C'est ainsi qu'en étendant
forcément la définition des sels de Lavoisier aux
composés analogues, en maintenant dans leur
classe les composés auxquels la tradition a con-
stitué une sorte de droit, on arrive à comprendre
dans les sels toutes les combinaisons chimiques
possibles !
Cette introduction critique nous a paru indis-
pensable, d'abord parce qu'elle n'énonce que des
faits vrais, ensuite parce qu'elle montre le danger
qu'il y a à établir des théories absolues sur un
nombre restreint de faits. Il est rare que des faits
nouveaux ne viennent pas saper un édifice pé-
niblement établi, et cependant l'esprit de routine
le maintient au prix de grands efforts perdus pour
la découverte de faits réels.
Un certain nombre de chimistes, qui sont tou-
tefois encore la minorité et n'ont pas achevé de
conquérir l'autorité officielle, laissent de côté
toute hypothèse à ptiuri dans la constitution des
composés chimiques. L'école ancienne écrit la
formule du sulfate de potasse KO.SO', et semble
ainsi indiquer que l'acide et la base y existent d'une
manière distincte; la réalité est que le corps
nouveau, le sel, n'a généralement rien de com-
mun avec ses composants. Il est donc plus ra-
tionnel d'écrire, sans rien préjuger, cette formule
ainsi : KSO'*. Pour la commodité de l'étude et des
vues d'ensemble, on réunit les composés analo-
gues, ceux qui ont une partie commune simple
ou composée. Par exemple les sulfates de soude,
NaSO*, d'ammoniaque AzH^,SO*, sont des sels où
le sodium, corps simple, l'ammonium, corps com-
posé, se sont substitués au potassium du sulfate
de potasse. Remplaçons le groupement SO* par
Cl, I, S, etc. Nous obtenons les chlorures, iodures,
sulfures de potassium. Ainsi l'on passe, par voie
de substitution, d'un composé à un autre, et, en
môme temps qu'on obtient les groupements, les
séries que donnait la théorie ancienne, on en ob-
tient d'autres qu'elle excluait ou du moins ne pré-
voyait pas. Oq qui s'oppose au triomphe des idées
si simples et si fécondes de la théorie dite unitaire
par opposition à la théorie dualistique de Lavoi-
sier et de son école, c'est le langage qui ne se
transforme pas aussi facilement que des formules.
Il nous reste à parler des généralités énoncées
par des chimistes sur la neutralité des sels, sur
l'action des agents physiques, sur celle de l'air, de
l'eau, des corps simples, des acides, des bases, sur
les actions réciproques de ces derniers. Ces géné-
ralités sont très utiles dans la pratique, mais
manquent de rigueur absolue, à cause du défaut
de précision de la classe à laquelle elles s'appli-
quent et de certains termes employés. ^
Quand un acide et une base forment plusieurs
combinaisons, on appelle sel neutre celui dans le-
quel les propriétés de la base et de l'acide se ba-
SELS
— 2016
SELS
lancent ou se détruisent le plus complètement ; on ' exemple devient verticale h 1 SO", point de fusion
admit d'abord comme sel neutre celui qui était sans ' de l'azotate anhydre; d'autres offrent de re-
action sur les teintures végétales et en particulier , marquables exceptions ; celle du sel marin est
ne rougissait pas la teinture de tournesol, et ne , droite et horizontale, ce qui indique une solubilité
ramenait pas au bleu celle qu'un acide avait rou- ! égale à toute température ; celle du sulfate de
gie. Tel est le sulfate do potasse. Mais le réactif i soude présente un maximum et même un point de
coloré ne permet pas toujours de découvrir le sel i rebroussemenl à 33 degrés. Certains sels, peut-être
neutre. Ainsi le sulfate de cuivre rougit le tour- [ tous avec des précautions convenables, présen-
nescl, et les trois carbonates de soude le bleuis-
sent. Berzélius, se fondant sur la composition de
quelques sels envisagés comme neutres, établit
pour chaque classe la condition de neutralité sur
le rapport de l'oxygène de l'acide h celui de la
base. Pour les sulfates ce rapport est .'), pour les
azotates 5, pour les carbonates 2, etc. Le sulfate de
cuivre CuO.SQs, le sulfate d'alumine Al-O^SSO»,
la carbonate de soude NaO,C02_, l'azotate d'argent
AgO,AzO°, sont des sels neutres. Les sels sont
tent l'étrange phénomène de la sursaturation. La
dissolution, se refroidissant dans un vase qui ne
contient pas trace de sel solide, ne cristallise pas,
bien qu'elle contienne plus de sel que ne l'indi-
quent les tables; elle esc sursaturée. La présence
d'un atome du sel solide ou peut-être d'un sel iso-
morphe suffit pour produire une cristallisation
presque instantanée.
Généralement l'air contient cet atome, de sorte
que la dissolution sursaturée dans un tube fermé
acides ou basiques selon qu'ils contiennent plus se prend en masse aussitôt qu'on laisse pénétrer
d'acide ou de base que le sel neutre contenant les ■ l'air. Mais, comme dans les expériences de M. Pas-
mêmes éléments. Mais il y a encore des cas où un j teur sur la génération spontanée, avec lesquelles
genre de sels ne contient aucune espèce sans ac- 1 celles de la sursaturation ont plus d'une analo-
tion sur la teinture de tournesol. Comment trou- j gie, l'air n'agit que comme véhicule de parties
ver alors le rapport de Berzélius qui détermine le ; solides ; car si l'on fait arriver sur la dissolution
sel neutre '? Alors, dit un auteur qui fait foi, on a . de l'air qui a passé h travers un tube assez long et
recours « h une convention qui considère comme , tourmenté pour qu'il y ait laissé tous les corpus-
sels neutres les composés les plus stables ou les cules solides qui y étaient suspendus, il ne se pro-
plus usuels, 1) c'est-à-dire encore une fois à l'arbi- doit plus de cristallisation.
traire, source de divergences entre les chimistes. L'eau se combine avec certains sels. Par esem-
Les sels ont une densité généralement croissant pie, le bisulfate anhydre de soude, 2NaO,S03,
avec l'équivalent du métal contenu. La plupart j absorbe un équivalent d'eau et devient un vrai sel
sont inodores, ont un goût dépendant du métal j double. Le plâtre (sulfate de chaux), le bichlo-
plutût que de la base. Beaucoup sont incolores, , rure d'étain, le sulfate de cuivre anhydre, etc.,
quelques-uns ont une coloration qui dépend de la j absorbent de l'eau avec dégagement de chaleur,
base plutôt que du métal, et souvent analogue îi 1 Cette eau, disent les chimistes, n'est pas de l'eau
celle de l'hydrate de la base. La chaleur agit sur combinée, c'est de l'eau de cristallisation, c'est
les sols d'abord pour enlever l'eau de cristallisa
tion, puis celle de combinaison; certains sels sont
ensuite fondus et décomposés. Ces modifications
un phénomène d'hydratation. Nous donnons ces
mots pour ce qu'ils valent, et nous ne sommes
pas plus capables d'indiquer la distinction entre
sont généralement successives et ont lieu à des i l'hydratation en proportions définies et la com
températures assez bien définies. L'alun, le borax, j binaison, que les chimistes qui l'ont inventée,
les phosphates alcalins, le sulfate de soude offrent' L'hydratation d'un sel varie avec la température
sous ce rapport de curieux exemples dans le dé- 1 de l'opération. Ainsi le borax prend ]0 équiva-
tail desquels nous ne pouvons entrer. lents d'eau à 0°, et 5 seulement de 40 à 50°. Il
La lumière agit sur quelques sels ; ce fait est le est des sels, carbonate de potasse, chlorure de
point de départ de la photographie. calcium, qui absorbent l'eau de l'air : on les dit
L'électricité décompose les sels. Les dissolu- , déliquescents; d'autres qui lui cèdent la leur, se
lions des sels alcalins traversés par le courant de dessèchent et forment une poudre, autrefois ap-
la pile se décomposent; l'alcali se rend au pôle : pelée fleur: on les dit efflorescents.
négatif, l'acide au pôle positif, d'où le nom d'élé- Un métal décompose le sel d'un
meiit électro-positif donné i la base, d'électro-né'
gatif à l'acide. Quand cette expérience est faite,
avec du sulfate de soude colore au moyen de la
autre métal
quand il a plus à'iiffinUé que lui ponr l'élément
ou le composé électro-négatif auquel ce dernier
est combiné. Affinité! encore un mot vague dont
teinture de dahlia ou de chou rouge, dans un tube I la science moderne ne se contente plus. Comment
en U, le milieu du tube reste violacé, le côté né- j cette affinité se mesure-t-elle ? Par ses résultats;
gatif devient verl, le positif rouge. Elle semble une mais alors l'énoncé de la loi repose sur un cer-
confirmation éclatante de la théorie dualistique de I cle vicieux ; ce n'est plus une loi, mais une sim-
Lavoisier. Mais si l'on agit sur d'autres sels métal- j pie collection de faits sans connexion : le fer, le
liques à oxydedécomposable, comme le sulfate de zinc, décomposent les sels de cuivre, de plomb ;
cuivre, les sels d'argent ou d'or, ce n'est plus ' ces derniers métaux les sels d'argent, de mer-
l'oxyde, mais le métal lui-même qui se porte au i cure, etc.
pôle négatif, tandis qu'au pôle positif se rend j La même chose peut se dire de l'action ré-
l'oxygène et l'acide, ou encore le corps simple ou ciproque des sels entre eux, dans laquelle ^
composé combiné avec le métal, tel que chlore ou rentre l'action des acides hydratés, sels d'eau,-
cyanogène. Ces expériences sont le point de dé- i et des bases hydratées, hydrates d'oxydes. En
part d"e la galvanoplastie. | fait ' de généralités, ce qu'on peut dire de
L'eau peut agir de trois manières sur les sels : ■. plus net est ceci : Quand on mélange deux sels'
les dissoudre, se combiner avec eux, les décompo- i en état de réagir, c'est-à-dire de façon que l'un
ser. Les sels alcalins sont en général solubles. Il j au moins soit rendu liquide par dissolution ou
est théoriquement intéressant et souvent prati- : fusion, il peut se produire certaines quantités de
quement utile de connaître leur solubilité aux di- quatre sels par une répartition convenable des
verses températures. On connaît la quantité d'un ! bases et des acides. Si par une cause quelconque
sel dissoute dans 100 parties d'eau à une tempe- | l'un d'eux s'élimine au fur et à mesure de sa;
rature donnée en évaporant à sec un poids connu formation, il y aura tendance à formation nou-!
de dissolution concentrée du sel à ladite tempe- 1 vello de ce composé jusqu'à disparition de l'un'
rature. Les résultats pour chaque sel s'expriment; des éléments ou des deux éléments nécessaires, i
à l'aide d'une courbe de solubilité. En général ces • Cela détermine la nature de la réaction. Ber |
courbes s'élèvent rapidement; celle du nitre par i thollet avait énoncé deux lois, cas particuliers dij
SELS
— 2017 —
SENSIBILITE
la règle précédente et en général d'une grande
utilité pratique, mais difficiles k appliquer dans
certains cas spéciaux :
1» Quand on mélange deux solutions conte-
nant chacune un équivalent d'un sel, et que ces
sols, par l'écliange de leurs bases et de leurs
acides, peuvent former un sel insoluble dans
les conditions de l'expérience, ce sel se forme et
se précipite.
2° Quand on mélange par équivalents deux sels
qui, par l'échange de leurs bases et de leurs aci-
des, peuvent former un composé volatil à la tem-
pérature do l'expérience, ce sel se forme et se
volatilise.
Exemples de la première loi : des solutions de
sulfate de soude et de nitrate de baryte mélan-
gées donnent du sulfate de baryte insoluble et de
l'azotate de soude qui restent dissous. Autre
exemple difficile il expliquer d'après la loi de
BerthoUet : une solution étendue de carbonate de
potasse et un lait de chaux donnent de la potasse
caustique et du carbonate de chaux ; mais la réac-
tion n'a plus lieu si la solution est concentrée, bien
que la potasse caustique y soit très soluble, et
le carbonate de chaux insoluble. — Exemples de
la deuxième loi : l'acide sulfurique (sulfate d'eau)
et l'azotate de potasse donnent k chaud du sul-
fate de potasse et de l'acide azotique (azo-
tate d'eau) ; la chaux anliydre et le chlorhydrate
d'ammoniaque donnent du chlorure de calcium,
du gaz ammoniac et de la vapeur d'eau. On voit
que dans ce dernier cas la deuxième loi de Ber-
thollet s'étend b. des corps qui ne sont pas des
oxysels, anciens sels de Lavoisier, mais k des
oxydes, h des chlorures de corps composés.
Les grandes lois destinées à remplacer les pré-
cédentes, très souvent incomplètes et d'une pré-
cision insuffisante, sont celles que fournit la
thermochimie *. Dans cette science née d'hier et
■dont M. Berthelot est le véritable créateur, l'af-
finité de deux corps se mesure par la quantité
de chaleur dégagée par leur combinaison ; de
sorte qu'à l'aide d'un certain nombre de données
et d'une méthode de calcul sur laquelle nous ne
pouvons insister ici, on pourra toujours, étant
-connus les poids du corps en présence et les
conditions de l'expérience, en prévoir le résultat
et résoudre un problème de chimie comme un
problème de mécanique.
Nous terminerons cet article en établissant la
synonymie entre quelques noms vulgaires ou
pharmaceutiques de sols inorganiques et leurs
noms chimiques.
Alun Sulfure d'alumine et d'un alcali.
Sel ammoniac Chlorhydrate d'amaiouiaque.
Sel de Berthollet Chloi-ate de potasse.
Borax Borate de soude.
Calomel Protochlorurc de mercure.
Cendre bleue Carbonate de cuivre.
Céruse Carbonate de plomb.
Couperose blanche {ou
vitriol blanc) Sulfate de zinc.
Couperose bleue [ou vi-
triol bleu) Sulfate de eu iyre.
Couperose verte {ou vi-
triol vert) Sulfate de fer.
5e/ d'Epsom ou de Sed-
litz. Sulfate de magnésie.
Flux blanc Carbonate de potasse.
Sel de Glauber Sulfate de soude.
Liqueur de Libavius .. Blchlorure détain.
Natron Scsquicarbonate de soude.
Nitre ou salpêtre Azotate de potasse.
■Or massif Bisulfure d'étain
Pier, e infernale Nitrate d'ar<;ent.
Plâtre.. Sulfate de chaux.
Sublimé corrosif. Bichlorure de mercure.
Vert de Scheele Arsénile de cuivre.
Sel volaiil d'Angle-
terre. . .U Carbonate d'ammoniaque.
' [Paul Uobin.]
2' l'AUTIE.
SENS. — V. Sensibilité. — V. eu outre Tact,
Oclurat, Ouïe, Vue.
SE.NSIBILITÉ. — Zoologie et Physiologie,
XXXVIII. — La sensibilité est la faculté que possède
l'animal de percevoir les impressions diverses qui
lui viennent, soit des objets extérieurs, soit des
profondeurs mêmes do son propre organisme. Nous
écartons de cette étude certains phénomènes,
d'une très lointaine analogie, observés chez quel-
ques plantes {Dioiuca, etc.). L'homme ne saurait
juger des sensations de ses semblables ou de celles
des animaux, que d'après ce qu'il observe et sent
en lui-raôiue, d'après les siennes propres; les
mots que nous venons d'employer, sentir, per-
cevoir, ont donc forcément une signification qui
ne saurait s'entendre dos fonctions végétales. L'a-
nimal seul possède les organes spéciaux par les-
quels se manifeste cette faculté caractéristique.
Entre tous les animaux, l'homme est celui qui
possède, dans toute sa plénitude, ce mode d'exis-
tence refusé aux végétaux, celui qui ressent le
plus d'impressions variées, et qui est le mieux
organisé pour les différencier.
En effet, l'appareil sensitif de l'homme occupe, à
peu d'exceptions près, tous les points de l'organisme,
et il n'y a pas de région qui ne soit munie de nerfs
et capable de sentir. Mais en outre, cet appareil pré-
sente, h la surface même du corps, un certain nom-
bre d'organes, d'une structure particulière (les
organes des sens), qui perçoivent chacun un ou
plusieurs des attributs des corps extérieurs.
A cette division do l'appareil correspond une
division des sensations. Il y en a deux grandes ca-
tégories, l'une, celle des sensations générales
perçues par tous les nerfs sensitifs du corps;
l'autre, celle des sensations spéciales, transmises
par les organes des sens. Les premières sont va-
gues, mal définies, et ne nous donnent sur le
siège et la nature de la cause que des notions in-
certaines: la douleur, le malaise, la faim, sont
des types de ce premier genre. Los secondes nous
renseignent sur certains caractères précis et dé-
terminés de la cause, couleur, température,
forme, etc. Mais il ne faudrait pas croire qu'une
différence bien tranchée sépare toujours ces deux
catégories; il y a au contraire, de l'une à l'autre,
une foule de transitions et d'intermédiaires.
Les sensations générales sont infiniment répan-
dues. Tous les tissus, avons-nous dit, possédant des
nerfs, sont par suite le siège de ces impressions.
Les surfaces muqueuses, digestive ou pulmonaire,
sont sensibles au contact des agents étrangers à
l'organisme, air ou aliments. Les muscles sont le
siège d'une curieuse sensation, désignée sous le
nom de sens musculaires, qui nous renseigne sur
le degré, sur l'énergie de la contraction; cest
ainsi que nous pouvons apprécier le poids d'un
objet, alors môme que la peau de la mam qm le
soulève est insensible: nous ne l'apprécions, nous
ne l'évaluons, dans ce cas, qu'au degré de 1 effort
nécessaire, c'est-à-dire de la contraction de certains
muscles. La fatigue, les courbatures, ne sont autre
chose que la souffrance du muscle épuisé, sur-
mené. Les 03, les glandes, plus pauvres en nerfs,
possèdent cependant encore une sensibilité rela-
tive, et la maladie, l'inflammation par exemple,
peut leur prêter une richesse passagère de senti-
ment, jusqu'à donner lieu à d'atroces douleurs.
La douleur et le plaisir physiques rentrent dans
le groupe des sensations générales, soit que nous
ne puissions en préciser le siège (mal-être de la
faiblesse, de la fièvre, plaisir de la satiété, etc.),
soit que, le siège étant précis, nous ne puissions
déterminer la cause (douleurs en général).
A y regarder de près, on constate que chacune
de nos fonctions, alimentation, respiration, etc.,
provoque, si elle n'est pas accomplie, des sensa-
tions générales désagréables, que nous désignons
127
SENSIBILITE
— 2018 —
SENSIBILITE
«mis des noms particuliers, soif, faim, etc., ou , du trajet nerveux, fùt-elle directement exercée sur
Kou= le nom commun de besoins physiques ; elle le centre récepteur lui-même. Ç est ainsi qu un
rirovooue en revanche, lorsqu'elle est satisfaite, malade, atteint d'une tumeur cérébrale, se plai-
des sensations générales agréables, parfois confu- gnait de sentir une affreuse odeur de tonnerre
ses et obscures! souvent d'une extrême intonsiié. vert. Association qm semble étrange au premier
Il semble que la nature ait voulu sans cesse avertir abord, et qui s explique cependant le plus ai-
l'animal de la nécessité d'accomplir les actes in- 1 sèment du monde : chez lui les trois centres-
disnensables à son existence propre, ou i la vie cérébraux de l'odorat, de 1 ouïe et de la vue, irrite»
de l'espèce, puis le récompenser de son obéis- par la lésion, reportaient i 1 oreille, au nez et à,
sance Ces sensations seraient, k ce compte-li, l'œil les sensations qu ils éprouvaient. Ces per-
Dour nous, comme elles le sont pour les animaux, copiions fausses, ou plutôt ces erreurs de siège-
notre meilleur guide dans la conduite de notre sur des perceptions réelles, sont le fond du pheno-
notre meilleur gi , ,- ,„ ii • .•
être physique : mais la volonté et l'intelligence mène de 1 hallucination,
interviennent trop souvent ici pour fausser cette ' '""-* ■'■>-= "» <^<"' ''■
C'est dans ce fait, de Yexlériorité des sensa-
sensibililé révélatrice, pour dépasser le juste degré j lions, qu'il faut chercher la clef d'un phénomène
du besoin naturel, parfois même pour créer un curieux, celui àei semaitons associées. Quanii
besoin nouveau (gourmandise, ivrognerie.
une sensation très intense est transmise au cer-
Mais ce n'est pas seulement la fonction voulue, \ veau, l'ébranlement communique aux cellules du
et dont on a conscience, qui retentit ainsi, en 1 centre cérébral auquel aboutit le nerf se propage^
plaisir ou en peine, sur le cerveaii : c'est la vie en quelque sorte, aux cellules d un centre voisin,
tout eniière, en ses différentes et dernières par- Ce centre, ainsi excite par voisinage, provoque-
et de ces tissus, I verions s'il avait été mis en jeu par les nerls qui
c'est là le sentiment de l'existence. Quand aucune
discordance ne vient troubler cette liarmonie,
quand tous les organes « ont plaisir •> à vivre, que
l'air semble pur aux poumons, le sang riche aux
tissus, qu'enfin le jeu de la machine entière est
aisé, régulier et libre, alors se produit en nous la
sensation du bien-iHre, révélation de la santé. Au
contraire, un trouble apporté à l'équilibre orga-
nique se traduit, en dehors môme des douleurs
locales, par le malaise général.
Si là se bornait le rôle de la sensibilité,
l'honlme serait simplement un être qui jouit et
qui souffre. Mais, à côté des sensations de peine
bilic, etc.
Tels sont, envisagés dans leur ensemble, les
phénomènes physiologiques de la sensibilité. Très
complexes, très variables suivant les individus,
les races, les habitudes, les états de santé ou de
maladie, ils se résolvent tous en un type com-
mun et, on pourrait dire, en un schéma unique :
l'ébranlement d'un organe spécial placé en un
point quelconque du corps vivant, et la propaga-
tion de cet ébranlement le long de conducteurs
nerveux jusqu'aux centres percepteurs.
(D' E. Pécaut.]
SENSIBILITÉ. — Psychologie, III, VI. — La sen-
bilité est une faculté commune à l'animal et à
sensations, puisque chacune est traitée à part fait élementau-e de sensibilité, nous verroi s en
dans un article séparé (V. Tuct, Odorat, 0«i'e, suite ™nmient se développent chez lenf^^^^^^^^
Vue). Nous dirons seulement que l'étude du dé- [ chez l'homme les phénomènes qui se rattachent i
veloppemeni embryonnaire des organes révèle ce i cette faculté
fait intéressant : que tous les appareils des sens | "^ ""' '"" "^
dérivent primitivement de la peau. Cette commu-
Toui fait de sensibilité est d'abord un fait con-
cient La conscience peut être vague, indécise
oit, elle accompag'- *""
Nous ne saurions
analogie physiologique? Question qui n'a pas une ! jours les faits sensibles. Nous "« f.''"' '""^,^'''"^'.
bien grande portée,niais que nous tranchons affirma- \ tre la sensibilité inconsciente ^O't Pa^il«nt qu^^^^^^
tivement. Ou peut dire, en un certain sens, que : ques physiologistes.On ne peut pas plus con prenarc
la vue, rouie, l'odorat et le goût, ne sont que des , une sensibilité qui ne sent pas, qu uiil PÇ''^ee qu.
' — . o ' -i — 1, ^„, v_a, nue r.prtaines Plantes, la
I tacts » différents : nous ne pouvons, en effet,
concevoir que des actions de contact, et la vue
ne pense pas. Il est vrai que certaines plantes,
sensiiive par exemple , par les mouvements
l'odorat, etc., ne sauraient consister que dans l'é- i qu'elles exécutent au contactdes '=o.'P ? ^*"°^'?
branlementde l'appareil nerveux au contact d'un ; présentent les apparences ^ "."'^J'r.' f^^^.^ ^'^"°
corps extérieur, air, éther, aliments, etc. bilité, que ce contact f™'^^''^!' " ''"\*= f '''S
La sensibilité est sujette à deux sortes d'erreurs, il est bien évident que ces phenoujènes ne resu
Les premières viennent de ce que les sens se , tent chez les végétaijx que d un mécanisme aveu
meuvent entre des limites infranchissables : l'o- i gle et inconscient. Il ne vient a ' ';='P^".."'-. ''
reiUepar exemple cesse de percevoir les sons, ! sonne d'attribuer réellement •» f «^^"f J"''»^ .^^'j',^
quand le nombre des vibrations descend au-des- ! plaques photograplnques qu on '\» f.'"^/^^"^^"
sous d'un certain chiffre, ou monte au-dessus , plaques sensibles. C est par un abu= de mots tout
d'un chiffre également déterminé. Au delà ou en i semblable qu'on se risque à parler de la seusi
deçà de ces bornes, encore bien qu'il se produise , bilité chez les plantes. „„„„;k1oq r'est
des sons, c'est pour nous le silence. C'est ainsi Le second caractère des faits .sf/^'es c est
encore que la main ne différencie que les tempe- qu'ils sont affectifs, c'est-à-dire q" ''^/«'f '"""p^"'.
_-. ' ■_._ -_»^_ „., .. .,^„ j„..„ 1, «,>nc,-io,icp un nlaisir OU une peine, ne
ratures comprises entre 0" et lO".
La seconde source d'erreurs vient de ce fait
(dont il est parle à l'article Si/stème nerveux),
que le cerveau reporte à l'extrémité des nerfs
toute excitation exercée sur un point quelconque
dans la conscience un plaisir ou une pein
nons par exemple les phénomènes sensibles qui
résuhent du sens de la vue. Toute seii.'ration de
nos yeux, à l'origine au moins, est à la fcis repe-
sentalive et affective. Lorsque 1 enfant aperçoit la
SENSIBILITE
— -20I'J —
SENSIBILITE
luinioi-o d'uni'. boHji;io, en môme temps qu'il se re-
présente la tlammo dont l'image se grave dans sa
mémoire, il éprouve un plaisir plus ou moins vif.
Lorsqu'on lui présente la serviette qui va servir ;\
le dcbarljouiller, :\ la fois il reconnaît l'objet dé-
sagréable, et ressent une émotion pénible qui se
manifesle parses cris et par ses pleurs. ISousseau,
dans VEinilc, prétend à tort que chez l'enfant
toutes les sensations sont exclusivement all'ectives.
Ce <|ui est vrai, c'est que, au début de la vie, la
sensibilité, avec ses impressions de plaiâir ou de
peine, l'oiiporte dans la sensation sur la représen-
tation intellectuelle. Mais cette représentation
existe déjà, bien que vaguement perrue. l'on à peu,
avec le progrès de l'âge, c'est elle qui dominera la
soiisibilité; les perceptions deviendront indiffé-
rentes, c'est-à-dire qu'elles ne seront accompa-
gnées d'aucun plaisir ni d'aucune peine ; elles
nous apporteront purement et simplement la con-
naissance do l'objet.
Quoiqu'il en soit, ce qui, parmi tousles autres
faits do la conscience, caractérise les faits sensi-
bles, c'est qu'ils sont agréables ou désagréables.
Le plaisir et la peine, tel est le pbénonièuo es-
sentiel de la sensibilité. Reste à. en expliquer la
nature et l'origine.
D'après certaitis philosophes, Kant par exemple,
le plaisir serait un phénomène négatif, et la dou-
leur seule un fait positif. C'était déji l'opinion de
Cardan, qui soutenait que le plaisir n'était pas
autre chose que la cessation de la douleur. Ce
philosophe original, mettant sa théorie en prati-
que, s'imposait à lui-même des douleurs volon-
taires afin d'augmenter le nombre de ses plai-
sirs.
On ne saurait contester sans doute que le plai-
sir et la douleur ne soient en relation étroite.
Nombre de jouissances ne sontdes jouissances que
parce qu'elles succèdent à des privations. La dou-
leur ressentie avive le plaisir qui vient après elle.
On se rappelle l'apologue de Socrale. qui disait :
« Le plaisir et la douleur sont inséparables: Jupiter
les a liés l'un h l'autre par une chaîne d'or, de
telle sorte que ces deux compagnons se suivent à
pou de distance. »
Il n'en est pas moins certain que le plaisir ne
dépend pas nécessaireiuent de la douleur. Toutes
les impressions agréables ne sont pas précédées
d'impressions désagréables. On peut éprouver du
plaisir à manger quoiqu'on n'ait pas souffert de la
i'aim. De même tous les besoins naturels satisfaits
procurent du plaisir sans qu'ils aient été assez
vifs pour causer de la douleur. Remarquons d'ail-
leurs que si le plaisir résultait seulement de la
cessation de la douleur, on ne pourrait éprouver
deux plaisirs de suite, ce qui n'est pas conforme
à l'expérience.
Il no faut donc pas chercher à. expliquer le plai-
sir par la douleur, ni la douleur par le plaisir. La
douleur et le plaisir sont deux phénomènes éga-
lement réels, mais contraires, qui proviennent de
deux siluatioiis dill'érentes de l'âme. La source du
plaisir, c'est une activité normale et modérée. La
douleur dérive au contraire de tout empêchement
apporté à l'exercice de notre activité, ou bien
d'une activité surmenée et exagérée, d'un excès
j d'activité.
Plusieurs objections ont été élevées contre cette
théorie. On a dit que l'inaction, tout aussi bien
que laction, pouvait procurer du plaisir. Mais cette
objection n'est pas sérieuse. Tout le monde sait
que les paresseux s'ennuient; s'il en est qui sem-
blent satisfaits et heureux, c'est que ce sont de
faux paresseux, qui n'ont abandonné un travail que
pour se livrer à d'autres occupations pins con-
formesyii leurs goûts et plus proportionnées à
leurs ffrces. Le rêveur, par exemple, qui trouve
un clijrmo infini dans ses rêveries, n'est inactif
qu'on apparence : son imagination est constam-
nietit en jeu.
Une autre objection plus sérieuse est tirée de ce
fait que des actes analogues déterminent tantôt du
plaisir, tantôt de la peine. Quand on in.'.nge une
orange, fait remarquer Stuart Mill, on éprouve
une sensation agréable : rien de plus désagréable,
au coiitraire, (|mi' lii' gm'iti'i' l:i rlinbarbo. Dans les
deux cas I'ihl:. iln «"'H '■' '■"' l'xriic' de la même
manière ji.n- un mh' :iriil ■. D ,,!i -, hmu i\\\c les effets
produits sont dillV'njiil-. ,' Il snMit phis facile sans
doute do répondre à ci'tt^' iiupsiion, si l'on con-
naissait mieux le mode il .niiuii ili^s nerfs ùu goût.
Il est. probable que par lems (|ii,iliics propres la
rhubarbe et l'orange inipressinnnent dilléremmeni,
les nerfs, que l'une gène leur action, tandis que
l'autre l'excite. D'ailleurs ce n'est pas une objec-
tion de détail qui peut faire rejeter une théorie
vérifiée et justifiée par les faits dans la majorité
des cas.
En effet, que l'on considère l'enfant ou que l'on
considère l'homme, on reconnaît que tous les plai-
sirs résultent d'une activité réglée, toutes les pei-
nes, d'une activité immodérée ou de l'inac-
tion. Les enfants dans leurs jeux éprouvent d'au-
tant plus de plaisir qu'ils agissent davantage. Si
la chasse et les diverses sortes de sport sont des
distractions recherchées par les hommes, c'est
qu'elles permettent le déploiement de l'activité
physique. Ce sont les calculs et les combinaisons
qui, en excitant l'activité intellectuelle, rendent in-
téressants des jeux tels que les cartes et les
échecs.
On peut donc admettre comme définitivement
établie cette vérité psychologique ijuo le plaisir
résulte de l'activité, que « le bonheur, comme di-
sait Voltaire, est dans l'action, « et les pédago-
gues auront à profiter de cette théorie pour y trou-
ver la règle essentielle du travail attrayant. Mais
la sensibilité se manifeste par d'autres faits que le
plaisir et son corrélatif, la douleur. Ce qui la ca-
ractérise encore, c'est le fait de rechercher le
plaisir et d'éviter la douleur : ce qu'on exprime
d'habitude en disant que la sensibilité est la fa-
culté d'aimer et do hair. Il y a dans la conscience
des phénomènes d'attraction et de répulsion, de
désir et d'aversion. Est-ce le plaisir et la peine
qui sont les phénomènes initiaux, les principes de
ces inclinations et de ces antipathies, ou au con-
traire faut-il voir dans ces tendances et ces aver-
sions les racines du plaisir et de la peine?
Il y a lieu de distinguer ici les inclinations
instinctives et innées, antérieures au plaisir et à la
douleur, et les inclinations conscientes, détermi-
nées par l'expérience préalable d'une impression
agréable ou désagréable. Ainsi, l'enfant, la pre-
mière fois qu'il tète, a une inclination naturelle
à saisir le sein de sa nourrice, et il y trouve un
plaisir qu'il no soupçonnait pas. Mais une fois
qu'il a expérimenté ce plaisir, il devient capable
de le désirer. Le désir suppose le souvenir du
plaisir ressenti, et de même l'aversion implique
la mémoire d'une sensation désagréable. Ce qui
n'empêche pas la sensibilité d'aspirer dès l'abord
et sans le savoir h la satisfaction de ses divers ap-
pétits. On ne saurait comprendre la thèse des
philosophes qui font dériver tous les phénomènes
sensibles d'un plaisir ou dune peine antérieure-
ment éprouvés. 11 n'y a que les inclinations fac-
tices, les habitudes artificielles de la sensibilité
qui soient de cette nature. Tout ce qui est natu-
rel dans la sensibilité suppose une tendance pri-
mitive. L'âme n'est pas plus une table rase au
point de vue de la sensibilité qu'au point de vue
de l'intelligence. 11 y a des inclinations innées
comme il y a des principes innés de la raison.
La sensibilité est donc un ensemble d'inclina-
tions, qui, suivant qu'elles sont favorisées ou con
SENSIBILITE
— 2020 —
SENSIBILITE
trariées dans leur développement et leur action,
produisent lo plaisir ou la douleur.
Mais ces inclinations sont de diverse nature et
peuvent être distribuées en deux grandes caté-
gories, les unes se rattachant à la sensibilité phy-
sique, les autres à la sensibilité morale. La pre-
mière a pour caractère d'être déterminée direc-
tement par un fait matériel : le plaisir et la peine,
dans ce cas, se localisent dans un des organes
du corps. Tels sont les phénomènes de brûlure,
de piqûre, les impressions des cinq sens, etc. La
sensibilité morale, au contraire, est déterminée
par une idée, par un phénomène intellectuel, et les
plaisirs et les peines auxquels elle donne lieu ne sont
pas localisés dans une partie du corps. L'amitié, la
peur, la colère, les émotions de l'art, sont des faits de
sensibilité morale. Sans doute ils se compliquent
eux-mêmes de phénomènes de représentation
sensible. Le plaisir de l'artiste suppose l'impres-
sion visuelle que lo tableau ou la statue laisse
dans les yeux : mais cette représentation maté-
rielle de l'objet n'est pas la cause du plaisir
éprouvé. En effet, un paysan et un homme cultivé
placés devant le même chef-d'œuvre ne sont pas
impressionnés de la même manière, bien que la
sensation soit la même pour tous deux. L'un
restera presque indifférent, l'autre sera vraiment
ému. L'émotion esthétique ne saurait se produire
sans un certain développement d'idées et de sou-
venirs.
Les phénomènes de la sensibilité physique
peuvent eux-mêmes se répartir en plusieurs caté-
gories :
1° Les sensations de la vie organique, ou se7i-
sati07is intemey, qui proviennent dos fonctions et
des besoins de la vie. Voici, d'après le psycho-
logue anglais Bain, l'énumération de ces sensa-
tions : 1° sensations organiques des muscles : cou-
pure, déchirure, crampes, fatigue ; 2° sensations
des nerfs : fatigue nerveuse; 3" sensations de la
circulation et de la nutrition : faim, soif, nausées,
dégoûts ; 4° sensations de la respiration : suffoca-
tion, etc. ; 5° sensations intimes de chaleur et de
froid, frisson ; 6" sensations électriques.» L'ensem-
ble de toutes ces sensations et de beaucoup d'au-
tres infiniment petites qui murmurent en quelque
sorte dans le dernier fond de nos organes vien-
nent se confondre dans une sensation générale,
unique, qui accompagne toute notre existence,
qui a des alternatives de force et de faiblesse, de
clarté et d'obscurité, qui s'affaiblit et qui s'éva-
nouit presque dans le sommeil, qui dort dans
l'enfant et s'endort dans le vieillard : la sensa-
tion vitale. » (P. Janet.)
Aux sensations internes doivent se rattacher
aussi celles qui résultent des appétits : le besoin
de nourriture, le besoin de repos ou de sommeil,
l'instinct do reproduction.
2° La seconde classe des phénomènes de la
sensibilité physique comprend les sensatiom
e.rter/fs, celles qui résultent de l'exercice des
cinq sens .• les plaisirs du goût, de l'odorat, de la
vue, de l'ouie et du toucher.
La sensibilité morale comprend, elle aussi, un
grand nombre d'inclinations, les unes personnelles
et égoïstes, les autres affectueuses et sociales,
les autres enfin qui ont pour objets le vrai, le
beau et le bien (V. pour cette classification des
inclinations morales les articles Inclinations et
Instinct).
Cherchons maintenant selon quel ordre d'évolu-
tion la sensibilité se manifeste et grandit d'âge
en âge.
C'est une question de savoir si l'enfant débute
dans la vie par une impression de plaisir ou par
une impression de peine. Dans son livre 0« pluisir et
fie la douleur, M. Francisque Bouillier affirme, pour
des raisons métaphysiques surtout, que le plaisir doit
précéder, ne fût-ce que d'un instant insaisissable,
l'apparition de la douleur. A supposer que cet
ordre de préexistence et de succession soit la loi
nécessaire de la sensibilité, il faut remarquer que
cola n'engage en rien et ne détermine pas la na-.
ture de la première impression de l'enfaiit. La
question est en effet réglée dans la vie infra-
utérine, et l'enfant n'attend pas de naître pour
souffrir ou pour jouir, pour ressentir un vague
bien-être ou d'infiniment petites douleurs.
On a prétendu que pour un des sens qui se
développent les premiers cliez l'enfant, pour le
toucher, l'enfant éprouvait de bonne heure des
impressions désagréables, qui ont pour résultat
de le faire grimacer, crier : mais qu'on ne trou-
vait point trace chez lui do plaisir tactile avant
l'âge de quelques mois. L'observation est juste,
mais il faut donner la raison de cette différence
apparente. De ce que les impressions agréables
produites par la chaude douceur du sein, par le
contact d'une étoffe moelleuse ou d'une main ca-
ressante, ne se manifestent pas chez l'enfant, il
ne faut pas en conclure qu'elles n'existejit pas :
c'est l'expression seule qui leur manque. La dou-
leur trouve plus tôt que le plaisir le moyen de
s'exprimer, et il est facile de comprendre les rai-
sons naturelles de cette priorité. L'expression de
la douleur est une expression de besoin et de
nécessité, parce que la douleur, anormale, quoique
fréquente, provient du trouble des fonctions, com-
promet la vie et la santé, et par suite réclame du
secours. Le plaisir, au contraire, correspondant à
un état sain des organes et à. un développement
régulier des facultés, n'aspire pas avec la même
énergie i se manifester au dehors : il n'y a pas
d'inconvénient à ce qu'il reste latent, et l'expres-
sion du plaisir est, si l'on peut ainsi dire, une
expression de luxe dont l'enfant peut se passer
pendant quelque temps. Voilà pourquoi le rire
et le sourire ne se manifestent que longtemps
après les cris.
11 serait trop long de suivre ici pas h pas l'évo-
lution graduelle de la sensibilité enfantine et de
rechercher avec détail ce que le nourrisson aime
et n'aime pas. Ce qui est à noter, c'est que la
sensibilité se présente de très bonne heure chez
l'enfant sous ses formes les plus diverses : la
crainte, le plus souvent causée par l'apparition
d'un objet nouveau, et qui ne se distingue pas
encore nettement de l'étonneraent et de la sur-
prise; la jalousie, qu'on a observée dès l'âge de
sept mois; la colère, plus précoce encore; la cu-
riosité, qui fait que vers huit ou dix moisun
enfant s'intéresse déjà à des objets qui n'ont
aucun rapport avec la faim ou la gourmandise ;
enfin la sympathie et l'antipathie, qui chez l'en-
fant ont pour objet non seulement les personnes
humaines et les animaux, mais les choses inani-
mées.
Ce qui est remarquable aussi, c est que la sen-
sibilité morale ne se développe qu'après la sensi-
bilité physique. Les premières sympathies de
l'enfant, par exemple, ne s'attachent qu'aux per-
sonnes qui lui procurent un plaisir sensible.
L'enfant do trois ans ne sourit volontiers qu'à sa
nourrice et à sa bonne, à la première parce
qu'elle lui rappelle les douces impressions de
l'allaitement, à la seconde parce qu'elle le berce
mollement. L'habitude, la familiarité jouent aussi
un rùle dans le développement des affections nais-
santes et d'une sensibilité qui s'effraie de tout ce
qui est nouveau, inconnu. Plus tard, lorsque, aui
plaisirs du goût, du contact s'ajouteront ceux de
la vue et de l'ouie, la sympathie déterminée par
ces nouvelles sensations agréables se portera sur
les objets colorés ou sonores, sur les afuimaux
par exemple, qui par la grâce de leurs .mouve-
ments ou la vivacité do leurs cris donnent à
SERVAGE
— 2021 —
SERVAGE
la vue et à l'ouio de l'enfant l'occasion de s'exercer.
La sympathie enfantine, on résumé, suit pas à
pas les manifestations successives du plaisir sen-
sible. Ce n'est pas une raison cependant pour
confondre les inclinations synipatliiques avec les
inclinations égoïstes. Aimer les autres ne sera
jamais la même chose que s'aimer soi-même.
L'étude attentive de ces progrès lents et conti-
nus de la sensibilité, s'élevant peu à peu des
plaisirs les plus grossiers des sens jusqu'aux
émotions les plus délicates du cœur, c'est la
meilleure réfutation qu'on puisse opposer à l'er-
reur des pédagogues qui, comme Rousseau,
veulent attendre la quinzième année pour dévelop-
per les sentiments moraux. On ne saurait trop tôt
cultiver la sensibilité morale de l'enfant, et exer-
cer dans les amitiés enfantines, dans les affections
de la famille, une sensibilité destinée plus tard
h s'éprendre de plus grands objets encore. Il faut
sur ce point s'en rapporter h la nature, à l'ins-
tinct, et donner cours, dès la jeunesse, aux pre-
mières émotions, aux premiers élans du cœur. L'é-
ducation do la sensibilité sera d'abord négative :
elle se contentera d'écarter tout ce qui pourrait
froisser, comprimer la sensibilité naissante. Mais
peu h peu elle deviendra positive, c'est-i-dire
qu'elle recherchera toutes les occasions d'exciter
et en même temps de régler les sentiments, d'in-
téresser les plaisirs de l'enfant aux choses bonnes
et belles. [Gabriel Compayré.]
SERBIE. — Pour la géographie, V. Turquie ;
pour l'histoire, V. Slaves.
SERPENTS. — V. Reptiles.
SERVAGE.— Histoire générale, XVIII. — Le
servage, condition passagère do l'esclavage à la li-
berté, a été par excellence l'institution du moyen
âge, intermédiaire entre les temps antiques et les
temps à venir. Pourtant ce n'était pas une institu-
tion tout à fait nouvelle et sans précédents. Sous
des noms différents, l'antiquité avait connu et par-
tiellement pratiqué le principe essentiel du ser-
vage, qui est l'attachement du cultivateur au do-
maine du maître. L'ilote à Sparte n'était qu'un
tenancier héréditaire; à Rome, les esclaves rusti-
ques, sous un régime plus précaire, avaient ce-
pendant une condition analogue ; avec les animaux,
les outils, ils composaient « la garniture du sol » ;
« on les vendait avec lui.et on ne les vendait guère
sans lui » (Fustel de Coulanges), bien que le
maître en eût la faculté ; l'usage ici précédait le
droit. Les empereurs Valentinien et Gratien dé-
fendirent même au iV^ siècle « de vendre sans la
terre les esclaves des campagnes. » A côté d'eux
et en bien plus grand nombre, à la môme époque,
se trouvaient les colons. Cette classe comprenait
et finit par confondre les esclaves inscrits sur les
registres du cens (censiti) ; les affranchis établis
sur les domaines de leur ancien maître devenu
leur patron ; les fermiers qui cultivaient le sol
d'autrui moyennant une redevance ; les colons
proprement dits, libres encore, mais unis au pro-
priétaire et au sol par un bail héréditaire ; enfin
les prisonniers barbares établis par groupes et
quelquefois par tribus sur les champs en friche
de la frontière. « Ce qui caractérise véritablement
leur situation, c'est que le sol qu'ils cultivaient
ne leur appartenait pas. Ils en payaient une re-
devance annuelle, soit en fruits soit en argent. On
ne pouvait jamais les chasser de la terre qu'ils
occupaient, et ils n'avaient pas non plus le droit
de la quitter. » (Fustel de Coulanges.) Mais ils
étaient en même temps les hommes du proprié-
taire, et celui-ci choisissait parmi eux les soldats
que la loi lui imposait d'entretenir aux armées.
Dans la Germanie contemporaine de Tacite, les
mœuis, eti rendant honorable pour ses compa-
champs. Les légendes disaient que la divinité avait
fait naître le serf « au teint noir, aux mains cal-
leuses, au dos voûté » ; sa tâche était « de labourer
les champs, do creuser les tourbières, de garder
les chèvres et les porcs. » Ainsi, en entrant vio-
lemment dans la société roinaine, les Germains
n'apportaient aucune institution qui pût entraver
la transformation déjJi commencée de l'esclavage ;
et le trouble qui fut le preinier résultat de leurs
invasions ne pouvait que précipiter la décadence
du système ancien.
Dévelopjieinent du servaye. — En effet, quand
César était entré en Gaule, il avait trouvé le pays
dans un état de transition entre le régime du clan
et celui de l'Etat constitué sous une force publi-
que maltresse et reconnue. L'instabilité et les
dissensions avaient forcé les pauvres à rechercher
un patron puissant qui les nourrît et les protégeât,
mais auquel ils se donnaient en retour tout en-
tiers. Suspendue par la conquête romaine, cette
évolution sociale reprit son cours quand s'éclipsa
le pouvoir impérial. « Le pauvre se met sous la
dépendance du riche pour recevoir de lui la nour-
riture et pour vivre en sûreté sous sa protection. »
(St Augustin.) C'était l'usage ancien sous un nom
nouveau, la recommandât io7i. <■ Le patron est
leur unique souverain, il est leur roi et leur loi...
ils ne doivent plus regarder qu'i lui et n'espérer
qu'en lui. » (Fustel de Coulanges.) Et les inva-
sions, par l'instabilité, par les périls incessants
qu'elles amenaient avec elles, par la ruine du
pouvoir impérial qui fut leur conséquence, par
les institutions même de la Germanie où dès long-
temps le patronage était en vigueur, eurent pour
conséquence naturelle l'extension et la pratique
générale du système de la clientèle. Au ix« siècle,
l'évolution était arrivée à son ternie : le « droit
de sauvement ou de garde « était établi ; le sei-
gneur devait protéger le laboureur et celui-ci
payait une redevance. « Je vous reçois en mou
sauvement et défense et je vous promets en>
bonne foi de vous garder vous et vos biens, ainsi
que doit faire un bon gardien et seigneur, n-
(Fustel de Coulanges.)
En même temps que la force des circonstances
faisait ainsi déchoir les hommes libres dans cette
demi-servitude que l'établissement détinitif du
système féodal devait rendre régulière et plu»
lourde, par un contre-coup de l'invasion, l'escla-
vage allait se trouver adouci par la transforma-
tion de l'esclave industriel et domestique en
esclave agriculteur. L'absence de sécurité avait
peu à peu ruiné le commerce, et, à la suite, l'in-
dustrie ; la terre devenait ainsi l'unique source
de richesses; on lui appliqua l'esclave, seule ma-
chine qu'on connût alors ; et la classe servile
obtint ainsi une condition voisine de l'ancien co-
lonat. et de la recommandation féodale. Du mé-
lange des deux classes et de la confusion des
deux régimes résulta le servage.
Caractère du servage. — Au pied du donjon
féodal, protégé, puis écrasé par lui, était le vil-
lage, humble et pauvre, peuplé des serfs, labou-
reurs, boulangers, forgerons, selliers, etc. Ils
étaient les hommes du seigneur. Us en atten-
daient protection ; et souvent en effet, au début
des temps féodaux, quand la cloche do l'église
sonnait le tocsin pour annoncer les brigands nor-
mands, réfugies sous l'abri du château, les misé-
rables paysans y avaient trouvé la sécurité. Ils en
devaient aussi attendre justice. Et la grande salle
baronniale où siégeait solennellement lo suzerain,
avec son sénéchal, son chancelier, son bailli, ses
écuyers, était pour eux pleine de craintes : car la
justice du maître était sans aucune garantie. « Le
seigneur peut prendre à ses serfs tout ce qu'ils
g]ions|' le service domestique du chef, écartaient ont, et tenir leurs corps en prison toutes les f
l'esclJve ou tite de la maison pour le reléguer aux 1 qu'il lui plaît, soit à tort, soit à droit ; et il n'
fois
SERVAGE
2022
SERVAGE
tenu d'en repondre à personne, fors à Dieu. » Et
le législateur de Saint-Louis, Beaumanoir, ajou-
tait, en parlant au seigneur : « N'y a entre toi et
ton villain.juge fors Dieu. » Si donc le soigneur
avait droit de liaute-justice, il pouvait « ravir,
traîner, pendre, brûler, enfouir, écorclier, muti-
ler, et tous autres moyens, par lesquels mort
naturelle s'ensuit. » (Jean Dcsmarets, avocat du
roi au parlement sous Charles V.) Les fourches
patibulaires élevées au devant du donjon étaient
le signe menaçant de cette redoutable préroga-
tive ; et le donjon reposait sur des caves profon-
des, où l'on descendait les prisonniers au moyen
dune corde passée sous les aisselles (Monteil). Or
le juge, dans l'application de ces peines terribles,
instituées pour soutenir ses propres droits, n'é-
tait guidé que par les coutumes du pays, qui
n'étaient souvent pas rédigées.
C'est aussi dans la salle baronniale que le serf
venait une ou deux fois l'an, le plus souvent à
l'octave de Pâques et à la Saint-Micliel, s'acquitter
de ses redevances. La première, la plus lourde,
était la taille. •• Les hommes de condition servile
sont taillables à volonté raisonnable, une fois l'an,
pour payer la taille à eux imposée... Et pour im-
poser la taille susdite, le seigneur et ses commis
doivent appeler deux ou trois prudhommcs (sages
hommes) tels que bon leur semblera, pour d'eux
s'informer, sommairement et sans formes judi-
cielles. des facultés desdits hommes et femmes. »
(Guy (joquille, coutume du Nivernais.) La taille
était do deux sortes, à merci ou par abonnement.
Dans le premier cas, la redevance était fixée ar-
bitrairement chaque année par le seigneur ou par
son bailli; dans le second, elle était déterminée à
l'avance, et toujours la même. Le n'iis- était l'im-
pôt du par le serf pour la terre qu'il cultivait; le
chanipiivt [campi pars) était une portion do la
récolte, qui variait selon les coutumes, droit de
quart, de quint, de requint, de vingtain. Quand,
après le ban publié, le laboureur coupait sa ré-
colte,il devait avertir le seigneur pour que celui-ci
fit surveiller par un agent le prélèvement du
champart. Mais le serf devait transporter les ger-
bes et les fruits choisis dans les granges du châ-
teau. Les nicùs extraordinaires étaient payées
dans des circonstances déterminées, pour la ran-
çon du suzerain prisonnier, pour le mariage de
sa fille aînée, pour l'admission de son fils dans la
chevalerie, pour son départ en Terre-Sainte.
Mais il y avait aussi des aides régulières, payées
chaque année deux fois, à Pâques et à la Saint-
Michel. Enfin un grand nombre de seigneurs
avaient acheté ou arraché aux églises, aux cou-
vents, le droit de lever la dinie. qui prit alors le
nom de dîme inféodée ou seigneuriale. L'n concile
de Latran avait consacré cet usage (1179). Et
quand le serf ne payait pas au baron, il payait à
l'Eglise les grosses dîmes sur les blés, les vins, le
gros bétail; les menues dîmes sur les moutons,
les peaux, la volaille, la laine, le lin; la dîme
verte sur les herbes et les légumes; la dime du
poisson au bord du fleuve et de la mer. Ainsi les
moines de Saint-Bcrtin avaient la dîme des harengs
qui se pêcliaient k Calais, par concession du pape
Alexandre III. Quand enfin il tenait le reste des
fruits de son labeur, le seigneur et sa suite pou-
vaient encore les arracher et les consommer en un
jour de passage. Jamais d'ailleurs le paysan n'en
pouvait disposer librement.
En effet, il devait encore, soumis au droit de
banalité, moudre son grain, cuire son pain, pres-
surer ses raisins ou ses olives au moulin, au four,
au pressoir public, banal, construit par le sei-
gneur. En outre, pour transporter les fruits de
son champ dans ces lieux publics, le malheureux
devait payer un ou plusieurs péages, au passage
des routes, aux ponts des rivières, aux portos de la
ville (tonlieu). Et là, sur le marché, il ne pouvait
mettre en vente, avant le seigneur, le vin de
l'année — droit de bnni'in — ou les fruits de la
récolte. Par le droit à'épavcs, il voyait le seigneur
saisir ses bêtes égarées, ses essaims d'abeilles.
Mais dans son champ môme, loin du maiire,
était-il enfin quitte et libre '? ti Nous reconnais-
sons k notre gracieux seigneur le ban et la con-
vocation ; la haute forêt, l'oiseau dans l'air, le
poisson dans l'eau qui coule, la bête au buisson,
aussi loin que le gracieux seigneur pourra la
forcer. » Aussi était-il défendu de tirer sur les pi-
geons sous peine de vingt livres parisis d'amende,
en vertu du droit féodal de colombier. Détruire
les œufs de cailles, de perdrix, entraînait pour la
première fois cent livres d'amende, pour la troi-
sième le fouet et le bannissement. Tendre des
lacets, ou chasser, en cas de récidive, fut un
crime puni de mort en vertu des lois de Henri IV.
Les laboureurs ne pouvaient posséder de chiens
qu'ils n'eussent le jarret coupé ou ne fussent te-
nus en laisse (ordonnance de ItilJO). Sous Louis XI,
a dit un historien, il était plus dangereux de tuer
un cerf qu'un homme.
Mais les fruits du sol, le gibier des forêts n'é-
taient pas seuls au seigneur. Celui-ci prenait en
quelque sorte une part de la personne du serf
en usurpant son travail par l'institution des cor-
vées, souvent arbitraires, à merci, cojnme la taille.
Ainsi, lorsque l'abbé de Luxeuil séjournait dans
sa seigneurie, les paysans baltaieut l'étang, la
nuit, en chantant :
Pà. renntte, pâ (paix, grenouille, paix),
Vécy l'abljé que Dieu gà (garde).
L'existence jusqu'au xiv siècle, dans plusieurs
provinces, d'une corvée plus odieuse encore, de-
venue célèbre sous le nom de droit du seigneur,
nous est attestée, entre autres témoignages, par
un jugement de la sénéchaussée de Guyeinie,
rendu le \'i juillet 130'?, contre une serve qui
avait résisté au seigneur de Blanquefort.
Quelquefois encore, la famille môme pouvait se
trouver brisée par les droits féodaux, a Si le serf
appartient à plusieurs seigneurs, dit la coutume
de Troyes, art. 'i, le fruit se partage entre eux
pour telle part et portion que les père et mère
sont leurs homme ou femme de servitude. »
Heureusement toutes ces misères ne pesaient
pas sur tous les serfs sans exception. Deux clas-
ses,celles des mainnwrialAes et des i-itluins, étaient
favorisées. Les mainmortables étaient soumis à
une rentefixe, « s'ils ne metïont », dit la coutume.
Cependant ils ne peuvent se marier sans permis-
sion du seigneur; si leur fiancée appartient à un
autre maître, ils doivent le droit de f'ormariage
(mariage au dehors), et leurs enfants seront par-
tagés entre leurs deux seigneurs. Enfin leur hé-
ritage, en tout ou en partie, revenait au seigneur,
s'ils n'avaient pas d'enfants, si leurs enfants
n'habitaient pas avec eux. Les villains ivillani,
villici) n'étaient en principe que des tenanciers hé-
réditaires ; mais, faibles et isolés, ils étaient im-
puissants à faire respecter leurs droits, et ils su-
bissaient de nombreuses violences.
Doit-on donc s'étonner des représailles, d'ail-
leurs peu nombreuses, que l'excès de leurs misères
a excitées chez les paysans révoltés 't « Nous
sommes hommes comme ils sont, » s'écriaient les
serfs de Normandie soulevés au temps du duc
Richard II (997) . " Quand .\ilam labourait et qu'Eve
filait, où donc était le gentilhomme ? » deman-
daient les Lollards d',\ngletcrre en I;i80. Lea
Jacques de France, en 13iS, ne brûlaient les châ-
teaux et no massacraient les nobles que pour
venger les chaumières et les serfs. Que récla-
maient enfin les paysans d'Allemagne en 1525
dans leurs douze articles ? « A tous, les oîseaui
SERVAGE
— 2023 — SERVICE MILITAIRE
dans l'air, les poissons dans les fleuves et les bêtes
dans les forCts. — Plus do corvées excessives. —
Qu'il nous soit loisible de posséder les fonds de
Icn-e et d'en vivre. »
Élahlisicmenl du servage en Europe. — Comme
la féodalité, dont il était une pièce essentielle,
le servage fut une institution générale à toute
l'Europe du moyen âge.
En Angleterre, la piraterie entretint longtemps
le commerce de l'homme, qui est la marciue dis-
tinctive de l'esclavage (concile de Westminster,
1 lO:!). Mais le servage était en même temps pra-
tiqué. <i II n'est pas permis au maître d'éloigner
le colon de sa terre, tant que celui-ci remplit
exactement ses obligations. " (Loi d'Edouard le
(Confesseur, art. 33.) Le Doomesday Dook éiiumère
2U372 paysans soumis îi des servitudes fixes et
déterminées, S2U19 agriculteurs sédentaires qui
ne pouvaient 6tre contraints de quitter leurs
terres contre leur volonté, et 108 407 villains dont
la condition plus ou moins dure était analogue
au servage. Mais il ne compte que X'.iOi)0 esclaves
proprement dits. Cependant en I.M4 Henri VIII et
en 1574 Elisabeth en affranchissaient encore.
En Espagne, grâce à la prédominance du clergé,
l'esclavage pur s'adoucit rapidement sous les rois
wisigoths. Mais la guerre pour l'existence contre
les musulmans, en multipliant les prisonniers,
entretint longtemps la servitude. Cependant, au
XII"' siècle, les chrétiens au moins n'étaient plus
que des serfs j et l'établissement de communautés
agricoles armées et dotées de privilèges sur les
territoires enlevés aux Maures favorisait singuliè-
rement l'émancipation.
En Italie, le contact de l'Orient et la haine re-
ligieuse contre les Grecs et les musulmans retarda
longtemps aussi la généralisation du servaa:e.
Cependant Roger de Sicile au xii« siècle, Frédé-
ric II au .\iii° protègent dans leurs ordonnances
de nombreux villains.
Kn Allemagne, les esclaves étaient encore nom-
breux au XII' siècle : « leur corps était à leur
seigneur ; on les donnait, on les vendait, on les
échangeait. » (Dom Calmet, lIistoi7-e de Lorraine,
III.) Mais ces esclaves, comme les /ites des anciens
Germains, n'élaient guère que des agriculteurs,
vendus et achetés en même temps que le sol
même, « tam possessiones (juam honines »>, les
hommes et les biens, dit une charte d'Alsace du
MU" siècle. En 1212, la constitution de l'empe-
reur Frédéric II mentionne expressément le serf
réel.
En Piussie, l'esclavage domestique était encore
pratiqué au wi' siècle ; des centaines de dvorovié,
hommes et femmes, encombraient les palais des
riches. Mais la classe agricole était composée de
fermiers libres et surtout de paysans inscrits ou
colons. C'était la commune ou tnir qui possédait
la terre, non les individus. Mais le tsar Féodor
attacha les cultivateurs à la glèbe (1 j9S), et Pierre
le Grand réduisit à l'uniforniitc du servage toutes
les classes agricoles, en même temps qu'il es-
sayait d'adoucir l'esclavage toujours maintenu.
" Il faut vendre les esclaves par familles, et non
plus comme des têtes de bétail, chose qui ne se
fait pas dans le monde entier. » Mais exaspérés
de leur misère, 100 OUO serfs suivirent Pougatchev
(1773) ; comme les Jacques ils périrent massacrés.
Cependant Catherine II distribuait à ses favoris
plus de 150 (lOO paysans de la Couronne.
Décadence et abolition du servage. — Ainsi le
servage s'établissait et s'atrermissait en Piussie au
moment où on l'attaquait dans le reste de l'Europe.
Déjà en France la classe des serfs avait vu amélio-
rer su condition douloureuse par la substitution de
l'autorité royale aux tyrannies locales des seigneurs,
par lep franchises accordées aux villes du royaume,
enfin par des édits d'émancii)ation partielle,
comme celui de Philippe le Bel h l'égard du Lan-
guedoc. Un roi même, Louis X le Hutin, dans un
but fiscal, avait proclamé que « par le droit de
nature tout homme doit naître franc », et invité,
mais sans résultat, les serfs à se racheter de leur
servitude. Mais ce n'est qu'au xviii' siècle que les
philosophes dénoncèrent les monstrueux abus qui
survivaient des temps féodaux. Et sous la pression
de l'opinion publique européenne, les Bourbons
à Naples, en Toscane, h Parme, en Espagne,
l'empereur Joseph II en Autriche, en Prusse Fré-
déric II restreignaient ou abolissaient le servage.
Enfin en 1779 Necker obtenait de Louis XVI l'é-
mancipation des serfs du domaine royal. Mais le
roi n'avait pas osé porter le dernier coup à cette
institution du moyen âge.
C'est seulement dans la glorieuse nuit du
4 août 1789 que fut en France aboli le servage,
avec les derniers souvenirs de l'époque féodale.
L'Assemblée constituante était agitée profondé-
ment par les nouvelles des provinces, où les
paysans, dressés enfin sur les sillons, la pioche
en main, couraient faire la guerre aux châteaux
pour donner la paix aux chaumières. Loguen de
Kerengal, en costume breton, parut à la tribune,
n Soyons justes, messieurs, s'écria-t-il ; qu'on
nous apporte ces titres qui outragent non seule-
ment la pudeur, mais l'humanité môme ; qu'on
nous apporte ces titi-es qui humilient l'espèce
humaine, en exigeant que des hommes soient
attelés à une charrette, comme les animaux du
labourage ; ces titres qui obligent dos hom.mes
à passer les nuits h battre les étangs pour empê-
cher les grenouilles de troubler le sommeil de
leurs voluptueux seigneurs. Qui do nous ne ferait
pas un bûcher expiatoire de ces infâmes parche-
mins ? Que les lois que vous allez promulguer
anéantissent jusqu'aux moindres traces les droits
de servitude. » Et après l'abdicatien volontaire
de tous les droits et privilèges féodaux, l'Assem-
blée, à l'unanimité, proclamait :
L'abolition de la quaUté de serf et de la main-
morte sous quelque dénomination qu'elle existe ;
La faculté de rembourser les droits seigneu-
riaux ;
L'abolition des juridictions seigneuriales;
La suppression du droit exclusif de chasse, de
colombier, de garenne ;
Et, en un mot, l'égalité civile de tous les
Français par l'abolition des privilèges des classes,
des provinces et des villes.
De cette nuit, comme de la journée de
Valmy, Goethe aurait pu dire qu'elle marquait le
commencement d'une ère nouvelle dans l'histoire
de l'humanité.
La Piussie même, au -xi-X" siècle, s'est trouvée
entraînée dans le mouvement général de progrès
et d'émancipation. En 18G0, elle comptait 47 mil-
lions 400 000 individus non-libres. Le paysan,
qui légalement possédait la terre, était à son
tour possédé par le noble. « Nos dos sont au
seigneur, disait-il, mais la terre est à nous. »
L'acte du 19 février (3 mars) ISGl émancipa les
cultivateurs et leur donna une partie des terres
moyennant une indemnité aux seigneurs. Mais la
Russie souflre encore des conséquences du ser-
vage. Le trouble de cette liiiuidation sociale
est au fond des agitations qui la travaillent au-
jourd'hui. Les paysans voudraient la terre comme
la liberté, sans rachat. [Paul Schiifer.]
SEUVICE MILITAIRE. — Législation usuelle,
IV. — 1. PniNCIPE GÉNÉRAL DE LA LÉGISLATION
ACTUELLE. — L'organisatioii militaire est actuelle-
ment réglée par la loi du 27 juillet 1872 sur le
recrutement de l'armée. Cette loi pose en principe
que tout homme valide peut être appelé de vingt
à (juarante ans à faire partie de l'armée active et
des réserves ; le remplacement est supprimé ; tous
SERVICE MILITAIRE
2024 — SERVICE MILITAIRE
les Français sont astreints au service militaire per- ■
sonnel.
2. Tableac be recensement. — Cliaque année la
liste des jeunes gens qui sont appelés au service
militaire est dressée dans toute la France par les
soins du maire de chaque commune. Le maire
doit porter sur cette liste, ou tableau de recen-
sement, tous les jeunes gens ayant atteint dans
l'année précédente l'âge de 20 ans et ayant leur
domicile légal dans la commune. Les tableaux de
recensement sont publiés et affichés dans chaque
commune le 15 janvier au plus tard ; un avis, éga-
lement publié et affiché, indique le jour où il
sera procédé au tirage au sort.
Tirage au sort. — Le tirage au sort a lieu au
chef-lieu de canton, en séance publique, en pré-
sence du sous-préfet assisté des maires du can-
ton. Le tableau de recensement est lu h haute
voix ; les jeunes gens, leurs parents ou représen-
tants sont entendus en leurs observations, sur
lesquelles le sous-préfet statue après avoir pris
l'avis des maires. Le tableau de recensement étant
ainsi définiuvement arrêté, chacun des jeunes
gens, appelé dans l'ordre du tableau, prend dans
l'urne un numéro qui est immédiatement procla
nié et inscrit ; les parents des absents ou le maire
de leur commune tirent à leur place. La liste par
ordre de numéros est dressée à mesure que les
numéros sont tirés de l'urne ; il est fait mention
des motifs d'exemption et de dispense que les
jeunes gens ont à faire valoir. Le tirage achevé,
la liste est lue, arrêtée et signée parle sous-pré-
fet et les maires : elle est ensuite publiée et af-
fichée dans chaque commune.
3. Exemptions. — L'exemption complète du
service militaire n'existe qu'au profit des jeunes
gens que leurs infirmités rendent impropres il
tout service actif ou môme auxiliaire dans l'armée.
Les jeunes gens qui, au moment de l'examen de
leur classe par le conseil de révision, n'ont pas la
taille de 1 mètre 54 centimètres, ou sont reconnus
d'une complexion trop faible pour un service
armé, peuvent être ajournés deux années de suite,
et c'est seulement après un examen définitif fait
la seconde année, qu'ils sont classés comme pro-
pres ou impropres au service.
Dispenses. — Si l'obligation du service militaire
est générale, elle ne pèse point sur tous avec la
même rigueur. Des raisons d'humanité ou d'in-
térêt général ont déterminé la loi h accorder cer-
taines dispenses : les jeunes gens qui profitent de
ces dispenses sont exemptés du service d'activité
en temps de paix, mais ils doivent en temps de
guerre reprendre leur place dans l'armée. Ces
dispenses existent au profit : 1° de l'aîné d'or-
phelins de père et de mère ; 2° du fils aîné ou
unique d'une femme veuve, d'un père aveugle
ou âgé de soixante-dix ans ; 3° du plus âgé de
deux frères appelés à faire partie du même tirage
si le plus jeune est reconnu propre au service ;
•4° de celui dont un frère sert dans l'armée active;
5° de celui dont un frère est mort en activité de
service, ou a été réformé ou misa la retraite pour
infirmités contractées au service.
Engagement décennul. — 11 existe également
une cause do dispense au profit des jeunes gens
qui appartiennent à l'enseignement primaire
comme instituteurs ou instituteurs adjoints, ou
qui se préparent à la carrière de l'enseignement
dans les établissements h ce destinés. Pour pro-
fiter de la dispense, ces jeunes gens doivent con-
tracter devant le recteur, avant l'époque du tirage
au sort, l'engagement de se consacrer pendant
dix ans à l'enseignement et réaliser cet engage-
ment; s'ils cessent, avant l'expiration des dix an-
nées, de faire partie, du corps enseignant, ils sont
astreints à l'obligation du service militaire,
coiume s'ils n'avaient point eu de dispense.
Sursis (l'appel. — Des sursis d'appel motivés-
par les nécessités soit do l'apprentissage, soit de
l'exploitation agricole, industrielle ou commer-
ciale ^ laquelle se livrent les jeunes gens, peu-
vent être accordés en temps de paix ; le sursis est
accordé pour un an et peut être renouvelé pour
une seconde année. A l'expiration du sursis, le
jeune homme qui l'a obtenu doit accomplir le
temps de service qui lui est imposé à raison du
numéro obtenu par lui au tirage. Les demandes
de sursis sont adressées au maire, et transmises par
lui au sous-préfet ; il est statué sur ces demandes
par le conseil de révision.
Soutiens de famille. — Les jeunes gens qui
sont les soutiens indispensables de leur famille
peuvent être, à titre provisoire, dispensés du ser-
vice ; ils sont désignés par le conseil municipal
de la commune où ils sont domiciliés ; la liste
est présentée au conseil de révision. Ces dis-
penses peuvent être accordées dans chaque dé-
partement à concurrence de quatre pour cent du
nombre des jeunes gens reconnus propres au
service.
Conseils de révision. — Le conseil de révision
est une commission chargée de statuer sur les
réclamations auxquelles peuvent donner lieu les
opérations du tirage au sort et sur les causes
d'exemption ou de dispense. Le conseil de révi-
sion se transporte dans chaque canton; il pro-
cède avec l'assistance d'un médecin îi l'examen
des jeunes gens compris au tableau de recense-
ment; il prononce sur les causes de dispenses :
les cas de dispenses sont jugés sur la production
de documents authentiques, et sur les certificats
de trois pères de famille domiciliés dans le can-
ton et dont les fils sont soumis à l'appel. Les
opérations du conseil de révision terminées, la
liste cantonale est close. Quand les listes de tous
les cantons ont été arrêtées, le conseil de révision
se réunit au chef-lieu du département et, avec
l'assistance de deux membres du conseil général,
prononce sur les demandes de sursis d'appel et
de dispenses pour soutiens de famille.
4. Registre matriclle. — 11 est tenu dans cha-
que département un registre, dit registre matri-
cule, sur lequel sont portés tous les jeunes gens
qui n'ont pas été déclarés impropres au service.
Ce registre mentionne l'incorporation de chaque
homme inscrit, ou la position dans laquelle il est
laissé, et successivement tous les changements
qui peuvent survenir dans sa situation. Tout
homme inscrit sur le registre matricule qui chan-
ge de domicile doit, sous peine d'une amende et
même d'un emprisonnement, faire une déclara-
tion tant à la mairie de la commune qu'il cesse
d'habiter qu'à la mairie du lieu où il va s'établir.
5. DuBiiE DU SERVICE. — L'obUgation du service
militaire existe de vingt à quarante ans. Dans
cette période le soldat passe successivement dans
l'armée active, dans la réserve de l'armée active,
dans l'armée territoriale, et enfin dans la réserve
de l'armée territoriale.
Année active. — La durée du service est de
cinq ans dans l'armée active; toutefois l'obligation
de servir cinq ans n'est imposée qu'à une partie
du contingent. Chaque année le ministre de la
guerre fixe une portion du contingent qui ne reste
qu'un an sous les drapeaux; les jeunes soldats
qui profitent de cette réduction sont pris dans
l'ordre des numéros en commençant par les der-
niers. Les militaires de cette seconde partie du
contingent qui justifient d'une instruction suffi-
sante peuvent après six mois être renvoyés dans
leurs foyers ; ceux au contraire qui ne savent pas
lire et écrire et no satisfont pas aux examens peu-
vent être maintenus au corps une seconde année.
Réserve de l'armée active. — Après les cinq
ans de service dans l'armée active, le soldat passe
SERVICE MILITAIRE — 2025
SHAKESPEARE
dans la rôserve de l'armée active, dont il fait partie
pondant <|uatrc ans. Les hommes faisant partie
de la réserve peuvent être rappelés par décision
du ministre de la guerre; ils sont soumis pendant
le temps qu'ils passent dans la réserve à deux
manœuvres, dont la durée ne peut dépasser
quatre semaines; ils peuvent se marier sans au-
torisation, mais ils restent, quoique mariés, sou-
mis h toutes les obligations de la classe à laiiuello
ils appartiennent. Les hommes de la réserve,
pères de quatre enfants vivants, passent immédia-
tement dans l'armée territoriale.
Année lerritorialc et réserve de l'armée terri-
toriale. — De la réserve de l'armée active, le sol-
dat passe dans l'armée territoriale où il sert
cinq ans, puis dans la réserve de l'armée territo-
riale où la durée du service est de six années.
L'armée territoriale a une organisation spéciale
par région ; clic peut être réunie à certaines
périodes pour des manœuvres ou exercices ; les
hommes de l'armée territoriale ne sont soumis
au régime militaire qu'en cas de rassemblement.
La mission spéciale de l'armée territoriale et de
la réserve de l'armée territoriale est la défense
des côtes et des places-fortes.
Engagements et rcngagenients. — Tout Fran-
çais peut h l'âge de dix-huit ans contracter un
engagement volontaire; jusqu'à vingt ans il doit
justifier du consentement de ses père et mère ou
de son tuteur autorisé par le conseil de famille.
La durée de l'engagement est de cinq ans. Le
militaire, engagé volontaire ou autre, peut, dans
sa dernière année de service, contracter un ren-
gagement pour deux ans au moins et cinq ans
au plus ; le rengagement peut être admis pour
les caporaux et soldats jusqu'.*! vingt-neuf ans,
pour les sous-officiers jusqu'à trente-cinq ans.
Engagements conditioimels rJ'un an. — Une
réduction notable dans le temps du service est
accordée aux jeunes gens qui se destinent aux
carrières libérales, aux fonctions publiques, au
commerce ou à l'industrie. Les jeunes gens qui
ont obtenu les diplômes de bachelier ès-leltres ou
ès-sciences, les certificats de capacité de l'ensei-
gnement secondaire spécial, qui appartiennent
aux écoles de l'Etat, telles que l'école des mi-
nes, des ponts et cliaussées, l'école centrale, ou
ceux qui ont subi un examen spécial dont le pro-
gramme est déterminé par le ministre de la
guerre, sont admis h contracter un engagement
conditionnel d'un an. L'engagé conditionnel four-
nit une certaine somme pour son habillement,
son équipement, son entretien. Il est incorporé
dans l'armée et soumis à toutes les obligations du
service. A l'expiration de l'année, s'il ne satisfait
pas à l'examen de sortie, il reste une seconde
année au service. Les jeunes gens qui ont coii-
iracté l'engagement conditionnel peuvent obtenir
un sursis jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans.
C. Recrutement de l'armée de mer. — Les rè-
gles que nous venons de parcourir s'appliquent
à l'armée de mer, infanterie et artillerie de ma-
rine, comme à l'armée de terre. Les jeunes
gens auxquels sont échus les premiers numéros
sortis au tirage au sort forment le contingent de
l'armée de mer.
Inscriptwu maritime. — Les marins de la
flotte, les maîtres et ouvriers des arsenaux sont
fournis par l'inscription maritime. Cette institu-
tion s'applique à tous les habitants des côtes, qui
se livrent à la navigation et à la pèche ou exer-
cent une profession maritime. Tous ceux qui
font partie do l'inscription maritime doivent à la
marine du l'Etat leurs services de dix-huit à cin-
quante ans ; ils sont divisés en quatre classes
appelées successivement et par ordre. Comme
compensation de ces charges, l'inscription mari-
ime confère certains avantages : le marin inscrit
n'est pas soumis à la loi du recrutement ; après
un certain temps de service, il peut obtenir une
pension ; les femmes et les enfants des marins
en activité de service sur les bâtiments de l'Etat
ont droit à des secours. [E. Delacourtie.]
Nous donnerons au Supplément, au mot Service
»((7ï7ni/e, l'indication des modifications qui auraient
pu se produire dans la loi militaire, surtout en ce
qui concerne l'engagement décennal des institu-
teurs.
SHAKESPEARE (William).— Littératures étran-
gères, XV. — Le plus grand poète de l'Angleterre,
un des deux ou trois plus grands noms de l'his-
toire littéraire et le plus complet représentant du
génie dramatique, dont les autres poètes ne pré-
sentent généralement qu'une face. En France,
Racine, peintre exquis des passions humaines, de
l'amour surtout, complète le grand Corneille,
peintre sublime de l'héroïsme moral; en Allema-
gne, pendant que Schiller met sur la scène des
images de l'humanité embellie ou agrandie, Gœthe
s'applique à faire du monde une imitation moins
idéale, plus réelle; et dans l'ancienne Grèce,
Sophocle caractérisait déjà la différence qui dis-
tingue son propre talent d'avec celui d'Euripide
en disant : « J'ai peint les hommes tels qu'ils de-
vraient être ; Euripide les peint tels qu'ils sont. »
Ces deux tendances parallèles, la vérité et la
grandeur, le réel et l'idéal, le pathétique et le su-
blime, reparaissent à toutes les époques princi-
pales de l'art dramatique. Mais le génie de Shake-
speare unit ce qui ailleurs est séparé. Il déborde
tous les cadres convenus, il échappe à toutes les
classificationsde lapoétique ordinaire. Son théâtre
est la plus vaste représentation qui existe non
seulement des actions et des passions, des crimes
et des vertus de l'homme, mais des pensées que
son esprit peut concevoir, des rêves que son ima-
gination peut former. Rien de ce qui est Immain
ne lui est étranger: ce vers de Térence, dont on
abuse parfois, s'applique à Shakespeare avec une
entière exactitude. Par ce caractère d'universalité,
le poète anglais est supérieur à un autre grand
poète dramatique, à l'Espagnol Calderon, dont le
théâtre, rempli d'ailleurs de beautés magnifiques,
a généralement une couleur un peu trop nationale
pour toucher et intéresser sans préparation le
premier homme venu. Assurément l'homnie ins-
truit, surtout s'il est versé dans la connaissance
du xvi' siècle et dans celle de l'Angleterre, com-
prendra plus profondément que l'ignorant le génie
de Shakespeare ; mais l'intelligence au moins
sommaire des chefs-d'œuvre de son théâtre est ac-
cordée à tout le monde. Comme notre Molière,
Shakespeare est le poète non d'une nation en par-
ticulier, mais de l'humanité. Il occupe dans la
poésie une place égale à celle d'Homère; Homère
est la source de l'épopée ; Shakespeare person-
nifie le genre dramatique.
Né à Stratford-sur-l'Avon en 1.S64, dans une fa-
mille iiombreuse et pauvre, William Shakespeare
fut mis d'assez bonne heure à l'école ; mais, au
bout de sept ans, il en fut retiré avant d'avoir
achevé son cours régulier d'études. Il se maria à
dix-huit ans ; à vingt et un ans, il était déjà père
d'un fils et de deux filles. Il alla chercher fortune
à Londres, et se fit à la fois auteur et comédien.
Doué d'autant d'habileté pratique que d'imagina-
tion, il s'enrichit à ce double métier et mena si
bien ses affaires que vers 1610 il put se retirer du
théâtre dans sa ville natale de Stratford, pour y
jouir de l'existence heureuse et tranquille d'un
petit propriétaire de campagne, jusqu'en l'an-
née Il;l(; où il mourut. Biographie bien insigni-
fiante, d'où se dégage pourtant un fait remarqua-
ble et instructif : le solide bon sens de ce grand
poète. Le monde fantastique où son génie vivait
no lui a point dérobé la vue du monde positif, et
SHAKESPEARE
2026 —
SHAKESPEARE
la succession éblouissante des images qui ont passé '
devant son œil intérieur ne lui a jamais fait perdre I
l'équilibre de sa raison. L'exemple de cette vie
saine et normale peut nous servir à réfuter une
théorie h la mode de nos jours, où l'homme de
génie est présenté comme une victime de sa propre
imagination, comme un être qui ne s'appartient
plus parce qu'un dieu habite dans son sein, dieu ;
insatiable qui exige en sacrifice les plus nobles
attributs de l'homme, la raison et même la mo-
ralité. I
Les années d'école ne sont qu'une introduction
à l'élude; Shakespeare n'était pas homme b. s'en
faire une autre idée, lors même qu'il aurait con-
duit régulièrement ses classes jusqu'au terme. Sa
véritable instruction se lit dans le commerce du
monde. De même que Molière, comédien comme
lui, il connut de près la multitude et fréquenta ,
la cour ; subissant ainsi la double influence du
peuple, avec lequel sa profession le mettait en |
contact, et do la société élégante. Il apprit aussi
beaucoup par la lecture des livres, et, sans devenir !
jamais ce que les Anglais appellent un scholai; ,
c'est-à-dire un savant en us, il fut un des hommes j
les plus instruits, les plus cultivés de son temps, i
Il appartenait à un club où se réunissait la fleur
des gens d'esprit et des gens do lettres, entre |
autres le docte poète Ben Jonson, avec lequel il
aimait à discuter. [
Il est assez difficile de classer méthodiquement
les œuvres d'un poète dont le génie même, comme
nous l'avons dit, échappe à toute classification. Il
mit sur la scène, surtout durant sa jeunesse, de
gaies aventures romanesques ou fantastiques,
auxquelles on donne le nom de comédies, et parmi
lesquelles on dislingue le Songe. d'une nuit n'été,
Beaucoup de bruit pour rien. Tout est bien qui
finit bien, Comme il vous plaira, Peines d'amour
perdues. Les Anglais appellent /lis/oi'res une série
de pièces de théâtre dont le sujet est emprunté
à l'histoire de l'Anglelerre, et qui sont désignées
par des noms de rois nationaux, Le roi Jemi,
Jiicliard II, Richard III, Heurt/ IV, llenrtj V,
Henry 17, etc. Les tragédies proprement dites
sont quatre pièces tirées des Vies de Plutarque :
Timon d'Athènes, Jules César, Antoine et Vléo-
pntre, Coriolan, et d'autres pièces dont la source
est tantôt dans les légendes du moyen âge, tantôt
dans les récits des conteurs italiens ou français de
la Renaissance : telles sont Roméo et Juliette, Le
roi Lear, Ol/iello, Macbeth, Hamlet ; ces dernières
sont les chefs-d'œuvre de Shakespeare. Le nom
manque pour distinguer certaines pièces qui sont
des tragédies avec un dénouement heureux: le
Marchand de Venise, Cymbetine, Mesure pour me-
sure, le Conte d'Hiver, la Tempête. On les classe
tantôt parmi les comédies, tantôt parmi les tra-
gédies. Le nom de drumes pourrait leur être ré-
servé, si malheureusement on n'en faisait pas un
abus qui ne lui permet plus de rien désigner avec
précision. Aujourd'hui le mot drames au moins
trois sens: c'est d'abord le nom générique de
loute pièce de théâtre; c'est aussi l'espèce de
tragédie qui emprunte ses personnages à la so-
ciété bourgeoise: on l'applique enfin i toutes les
tragédies qui n'observent pas les règles dites clas-
siques, à savoir les unités de temps et de lieu et
le soin d'exclure tout élément comique et fami-
lier.
Dans la plupart des cas Shakespeare n'a point
observé ces règles; mais, remarquons- le bien, ce
n'est ni par ignorance, ni par esprit de système.
Avide comme il l'était de lecture et d'instruction,
mêlé à la société la plus polie de son époque,
ayant ennn pour camarades au théâtre de véri-
tables érudits, Shakespeare savait très certainement
tout ce qu'on peut dire en faveur des fameuses
règles de la tragédie classique. Et il leur opposait
si peu d'entètfment systématique qu'il s'y est
quelquefois conformer les unités de temps et de
lieu sont observées dans la Tempête ; Richard II
et Macbeth sont des pièces entièrement sérieuses,
d'où toute familiarité comique est bannie. Si,
dans ces trois ouvrages, le poète a suivi les pré-
tendues règles, c'est parce que le sujet le com-
portait, et si ailleurs il a passé outre, c'est aussi
parce que le sujet ne lui semblait pas propre à
leur application. En ce qui touche la forme exté-
rieure des compositions dramatiques, il n'a rien
inventé; les tragéJies régulières et les tragédies
irrcgulières existaient concurremment de son
temps. Shakespeare n'est point un chef d'école;
l'esprit doctrinaire comme l'esprit révolutionnaire
est ce qu'il y a de plus étranger à son génie. Ni
professeur, ni polémiste, il est un pur poète ; sa
seule fonction est de créer. Outre ses pièces de
théâtre, il a écrit des poèmes proprement dits et
des sonnets ; mais on chercherait en vain dans
ses œuvres une seule ligne de préface ou de
commentaire, comme en ont tant fait, par exem-
ple. Corneille et Victor Hugo.
Le drame romantique ou shakespearien, à la
différence du drame classique, admet sur la scène
une quantité de personnages, mêle volontiers les
styles, les tons les pins divers, change fréquem-
ment le lieu de l'action et en prolonge indéfini-
ment la durée. Cette différence de forme résulte
d'une différence fondamentale dans l'objet môme
de la représentation. Il est absurde de condam-
ner l'une ou l'autre forme, comme on le fait encore
si souvent par ignorance ; il faut les comprendre
l'une et l'autre, car elles ont chacune leur beauté.
Le drame classique représente un instant de l'ac-
tion court et décisif, la crise suprême, la catastro-
phe; de là vient qu'il se précipite à pas réguliers
vers le dénouement et que ses qualités principa-
les sont la rapidité et la concentration. Mais le
drame romantique représente l'histoire entière
d'une passion, les circonstances où elle est née,
son développement progressif, ses longues luttes
contre la volonté, &nfm sa victoire et ses consé-
quences ultérieures; de là la marche lente de ce
drame et sa vaste étendue. Tableau complet du
monde et de la vie humaine, le drame shake-
spearien afîectionne, par goût de la réalité, certains
rapprocheiuents, certaines disparates, que le drame
classique proscrit, au contraire, au nom de l'idéal.
Aucun poète n'égale Shakespeare pour le nom-
bre et la variété des caractères qu'il a créés ; et
ce qui n'est pas moins merveilleux que sa fécon-
dité créatrice, c'est l'entière impersonnalité de son
théâtre, qui ne contient pas la moindre révélation
sur lui-même, sur les faits de sa vie ou sur ses
sentiments particuliers. Rien n'est plus rare qu'une
semblable puissance d'abstraction. Ily a de grands
poètes si incapables de se dé|)OuiUer de leur ca-
ractère personnel, qu'il reparait dans toutes
leurs créations, un peu luonotones à cause de
cela ; mais Shakespeare est, comme on l'a dit,
11 l'hoiTime aux dix mille âmes. » On donne sou-
vent le nom â' objectivité à ce talent qu'ont cer-
tains auteurs, et Shakespeare plus que personne,
de s'efi'acer absolument derrière leurs personna-
ges, tandis qu'on appelle écrivains subjectifs ceux
qui ne peuvent ou ne veulent jamais se faire ou-
blier. La poésie lyrique est essentiellement sub-
jective, mais la poésie dramatique est objective par
excellence; elle a été définie de la manière sui-
vante par Shakespeare lui-même dans une scène
de la tragédie d'Ilamlel, où paraissent des comé-
diens : « Le Imt du théâtre est de présenter, pour
ainsi dire, un miroir à la nature, de montrer à la
vertu ses propres traits, à l'infamie sa propre
image, à chaque âge et à chaque transformation
du temps sa ligure et son empreinte. »
Los caractères du théâtre de Shakespeare se
SHAKESPEARE
2027 —
SHAKESPEARE
distinsnent do coiix du tliràtro classiqufi par une
ricliessu de traits individuels qui los rsiid moins
logiques, moins siniplrs, moins uniformes, mais
qui augmente singulifTonicnt leur conrormitc avi;c
la vie. Si dans li'S arts du dessin le profll est ce
qui donne le trait fondamental et constant de la
tigure luunaine, on peut dire que les poètes de la
tradition classique peignent l'homme de prolil,
tandis que Shakespeare ose le peindre de face
dans la vive et fuyante mobilité de sa physiono-
mie. Ayant plus de icimpsJi sa disposition que les
poètes réguliers, et faisant toute l'histoire morale
do SC8 héros, il cherchait moins à se conformer
au précepte d'Horace sur la consistance et l'unité
des caractères dramatiques qu'il re|)réscntercette
i/iversité ondnyimle qui est, selon Montaigne,
l'ossonco môme de notre nature. Les passions de
l'ànie considérées d'une façon abstraite paraissent
toujours les mêmes et ne sont pas extrêmement
nombreuses: cependant les indivirlus passionnés
sont très différents les uns des autres, et dans la
réalité il y a mille manières diverses' d'être ja-
loux, ambitieux, amoureux, avare, cruel, etc. La
plupart des poètes commencent par concevoir une
passion générale, pure idée qu'ils incarnent en-
suite dans un personnage qui devient le type de
cette passion; mais ce n'est pas ainsi que procède
Sliakespeare. Son imagination ne voit et ne crée
que des individus, qui ont bien telle ou telle pas-
sion dominante, mais que celle-ci ne suffit point
à caractériser; car ils ont, .'i côté d'elle et indé-
pendamment d'elle, leur caractère original, c'est-
à-dire li'ur tempérament, leur humeur, leur race,
leur famille, leur genre d'éducation, leur tour par-
ticulier d'esprit. Othello, par exemple, n'est pas
la jalousie, mais un certain jaloux ; Timon d'A-
thènes et Macbeth ne sont pas l'un la misanthro-
pie et l'autre l'ambition ; ils sont un certain mi-
santhrope et un certain ambitieux. ïroilus est un
autre jaloux, tiès ditlérent d'Othello; Richard III
est un autre ambitieux fort peu semblable à. Mac-
beth.
En outre, Shakespeare, ne resserrant point l'ac-
tion dans les limites étroites de la catastrophe,
fait passer graduellement ses caractères à travers
une succession d'états qui les révèle tout entiers
peu à peu. Tandis que les personnages du théâtre
classique sont posés du premier coup dans leur
attitude définitive et ne font jusqu'au dénouement
(|ue se maintenir tels qu'ils étaient au début, on
ne connaît bien ceux de Shakespeare que lorsqu'on
a suivi le développement complet de leur rôle.
Timon d'Athènes tombe d'un extrême dans un
autre, d'une philanthropie imprudente et folle
dans la misanthropie la plus eftrénée ; Othello ne
commence pas par être jaloux; Macbeth est assez
honnête homme d'abord, et c'est sa femme qui
lui inspire des pensées d'ambition.
L'impersonnalité ou, pour employer un ternie
expliqué tout à l'heure, l'objectivité étonnante du
théâtre de Shakespeare, ne permet pas de rien
conjecturer sur les sentiments politiques et reli-
gieux du poète. Telle était la hauteur et la
liberté de son esprit, qu'il planait au-dessus de
tous les partis et de toutes les sectes. Deux
grandes idées se dégagent de ses tragédies avec
une égale force : l'une est celle de la liberté mo-
rale, en vertu de laquelle l'homme est l'artisan
de sa propre destinée, l'auteur du mal et du bien
qui lui arrive ; l'autre est celle de la fatalité ter-
rible, qui, pesant aussi sur l'homme ici-bas,
enveloppe d'un sombre mystère le gouvernement
divin du monde.
Le style de Shakespeare est luxuriant d'images ;
Jes aperçus les plus pénétrants sur tous les pro-
blèmes, qui peuvent faire l'objet des méditations
cesse revenir quand on essaie de caractériser son
génie sont ceux qui expriment les idées do ri-
chesse et de profondeur. Esprit non seulement
élevé, mais transcendant, Shakespeare contemple
l'existence humaine au point de vue de l'éternité,
indilTérent aux questions qui passionnent les
hommes, détaché même de ses propres ouvrages
avec la sérénité d'nn créateur auquel la production
de la vie semble no coi'iter aucun effort. Sun im-
mense curiosité, son activité infatigable lui a fait
parcourir le cercle presque entier de Ihistoire, la
Grèce d'Homère et d'Alcibiade, la Rome de la
llépublique et do l'Empire, les contrées plus ou
moins fabuleuses de la vieille Europe du Nord, le
moyen âge, l'Ilalie, l'Ecosse, l'Angleterre con-
temporaine : partout il a peint l'homme, partout
il a représenté sous la diversité innombrable do»
figures individuelles l'immuable vérité de l'hu-
maine nature. Son pinceau impartial n'exclut
rien, ne préfère rien; aux tableavix héroïques ou
touchants succèdent des caricatures ; son incom-
parable galerie d'originaux exhibe les grotesques
les plus risiblos, les monstres les plus effrayants,
à côié des plus belles images de la vertu virile,
de la grâce virginale et des autres perfections de
l'homme et de la femme. Il passe avec une égale
facilité du règne de la matière à celui de l'esprit,
de Falstaff, bouffon cynique et ventru, au prince
llamlet, modèle accompli de culture intellectuelle
et morale. Le monde réel ne lui suffit pas; c'est
dans un monde idéal et fantastique qu'il a placé
la scène de ses plus charmantes comédies, Comme
U vous plaira, le i'onge d'une nuit d'été ; et dans
deux de ses chefs-d'œuvre tragiques, dans Mac-
Ijeth et dans Hamlet, il a fait parler et agir les
puissances surnaturelles avec une force de vérité
qu'aucun poète n'avait su atteindre depuis Eschyle
et que depuis Shakespeare personne n'a retrouvée.
Le domaine tristement curieux des maladies men-
tales a même été exploré par lui; Le roi Lear,
Homlet et Macbeth décrivent avec une pré-
cision que la science médicale admire les phé-
nomènes de la folie et de l'hallucination . Il est
rare de nos jours que le spectacle des misères
humaines ne laisse pas dans l'âme du penseur une
mélancolie incurable ; Shakespeare , dans son
Homlet, a dépeint supérieurement ce mal moderne,
mais il n'y en a point trace dans sa propre nature,
et l'inaltérable sérénité d'une humeur toujours
gaie et joyeuse, selon la tradition, fait ressembler
ce poète extraordinaire h un rejeton robuste de la
saine antiquité.
Si le génie dramatique de Shakespeare est plus
vaste, plus complet que celui de Corneille et de
Racine, il ne faudrait pas croire cependant que
nos poètes français ne puissent soutenir avec un
si grand homme la comparaison sur aucun point.
Racine, par exemple, étudie mieux que Shakespeare
les caractères do femmes; dans l'analyse de l'a-
mour et du cœur féminin, l'auteur d'Andromaque,
de Bérénice, de Phèdre, a montré une finesse mo-
rale qoe n'égale pas l'auteur de Roméo et Juliette
avec son éblouissante poésie. Molière, observa-
teur profond et sérieux, vaillant soldat du bon
sens et de la vérité, est un émule parfois victo-
rieux du poète anglais. On admire i' humour de
Shakespeare, cette ironie sans amertume qui dans
l'agitation humaine considérée de haut ne voit
que le va-et-vient amusant d'une procession de
marioimettes et qui proclame avec un sourire que
tout est vanité ; mais on éprouve plus d'estime et
plus de sympathie pour le courage utile avec le-
quel Molière a fait la guerre aux vices et aux ri-
dicules de son siècle. Le comique de Molière est
toujours solide et de bon aloi; il est dans les
choses mômes, taudis que celui de Shakespeare,
de la pfiilosophie sont semés avec profusion dans plus superficiel, ne consiste souvent que dans des
son tliiiàtrc, et les termes auxquels il faut sans | jeux de mots. L'observation de la nature a été
SIGNES
— 20i28 —
SIGNES
rpcomniandée par l'un et par l'autre poète ; mais
Molière est demeuré plus constamment fidèle h
son propre précopte que Shakespeare, auquel on
a pu reprocher d'avoir fait quelc|ues concessions
au mauvais goût et au bel esprit de ses contem-
porains.
Ces exemples montrent qu'il n'est pas impossi-
ble de conserver h. nos poètes dramatiques cer-
tains avantages dans une comparaison avec leur
grand rival étranger. Mais les parallèles de ce
genre, où l'on oppose entre eux des poètes ap-
partenant à des nationalités et à des époques dif-
férentes, sont extrêmement délicats et ne doivent
être faits qu'avec des précautions infinies. Autre-
fois la critique française, infatuée des chefs-d'œuvre
récents de notre littérature, dédaigneuse des lit-
tératures anciennes et étrangères qu'elle connais-
sait à peine, reprochait à Shakespeare ce qu'elle
appelait sa barbarie, c'est-à-dire les différences
naturelles qui font de lui un écrivain tout autre
que ceux de notre période classique. On tompre-
nait mal en ce temps-là qu'à chaque forme de la
aociété correspond une forme particulière de l'art,
et qu'il est dans la logique des choses que le
siècle d'Elisabeth n'ait pas eu du théâtre la même
idée que celui de Louis XIV. Si l'on avait été plus
instruit, on aurait su que Shakespeare, loin de
mériter le nom de barbare, était un homme très
civilisé, en progrès sur son temps, etque ses pièces
ne présentent que par exception les violences
et les grossièretés qui abondent dans celles de ses
contemporains, non seulement en Angleterre,
mais en France. A ce blâme inintelligent nous avons
vu succéder une injustice contraire : on a exalté i
outre mesure le génie de Shakespeare et on lui a
sacrifie sans marchanderles noms les plus glorieux
de la littérature française. Il faut soigneusement
nous garder de ces deux exagérations opposées,
qui sont une preuve égale d'ignorance ; il faut re-
placer chaque grand poète dans son siècle, dans
sa nation, dans son milieu, admettre l'incontesta-
ble fait historique de la diversité dos formes de
l'art, élargir continuellement son goût par l'étude,
et rendre à tout ce qui est beau la juste admira-
tion qui lui est due. Le but de l'éducation litté-
raire n'est point de fermer avec une sévérité cha-
grine, c'est au contraire d'ouvrir et de multiplier
les sources de jouissance pour l'esprit.
[Paul Stapfer.]
SIÈCLE. — V. au Supplément les mots Siècle
(seizième). Siècle (dix-septième). Siècle (dix-hui-
tièmel. Siècle \dix-neuvième}. Siècle de Périclès,
Siècle d'Aiiguste. Siècle de Léon X, Siècle de
Louis XIV.
SIGNES, SIGNAUX. — Connaissances usuelles, I.
— Nous réunissons, sous ce mot, tout ce qu'il
peut être utile de faire connaître aux enfants sur
les moyens les plus ordinairement employés
pour représenter extérieurement ou symboliser
les choses, soit dans les sciences, les arts, l'indus-
trie, soit dans le.s usages de la vie commune, soit
enfin dans les diiTérentes manifestations officielles
de nos idées et de nos sentiments. Le signe, ainsi
compris, touche à tout et se retrouve partout, de-
puis la main inscrite sur un mur pour indiquer
la direction d'un sentier ou d'une rue, la nou-
velle lune ou la pleine lune du faiseur d'alma-
nachs, jusqu'aux emblèmes les plus révérés et les
plus augustes de la nationalité ou de la religion
d'un peuple.
Afin de ne pas nous perdre dans l'infinie multi-
plicité des signes de toutes sortes, dont il faut au
moins avoir une idée, nous les partagerons en
groupes, renvoyant préalablement le lecteur à l'ar-
ticle Abréviation, dont plusieurs points se ratta-
chent de très près à notre sujet, et à l'article Hié-
roglyphes, qui leur montrera comment un dessin,
comment l'imitation matérielle d'un objet peut se
transformer en une représentation idéographique,
c'est-à-dire en un symbole ou un emblème.
Signes i^sités d.^ns les sciences. — Mathémati-
ques. — Les mathématiques, outre un certain nom-
bre d'abréviations *, emploient des signes dont la
plupart sont bien connus : le signe de l'addi-
tion, + ; le signe de la soustraction, — ; le
signe de la multiplication, X ; le signe de la divi-
sion, qui consiste en une barre horizontale placée
entre les deux chilTres qu'on veut diviser, | (dans
l'algèbre, la multiplication peut s'indiquer par un
point placé entre les lettres représentant les
quantités à multiplier, ou simplement par la jux-
taposition de ces lettres : a.h ou ab; la division
peut aussi s'indiquer par deux points placés ver-
ticalement entre les deux lettres qui représentent
les quantités à diviser : a : 4) ; le signe de l'égalité,
= ; les signes de supériorité ou d'infériorité, en
usage surtout dans l'algèbre, > et <;«>&,
a <, b : a plus grand que b, a plus petit que 6;
le signe appelé radical, sJ , dont on se sert pour
indiquer qu'on prend la racine d'un nombre, en
mettant entre les branches un chilTre qui marque
le degré de la racine : y/ '2", c'est-à-dire racine
troisième ou cubique de 27 ; le signe oo , qui ex-
prime l'infini. Dans l'algèbre, le chiffre appelé
coefficient s'écrit à la gauche d'une lettre pour
indiquer combien de fois la quantité qu'elle re-
présente doit être répétée (3 n = a -|- n-l- a), et
le chiffre appelé exposant, que l'on place à droite
et un peu au-dessus d'une lettre, indique combien
de fois la quantité que cette lettre représente doit
être multipliée par elle-même ou prise comme
facteur [a^ = a X « X a). Les lettres elles-mêmes,
en algèbre, sont des signes; on emploie les pre-
mières lettres de l'alphabet pour désigner des
quantités connues, et l'on réserve les troi-i der-
nières j, !/ et : pour désigner les inconnues ; n
exprime un nombre quelconque. En géométrie, on
se sert des lettres (des lettres majuscules) pour indi-
quer les sommets et les cùtés des angles, les extré-
mités et les points d'intersection ou de contact des
lignes, les centres des cercles, les foyers des el-
lipses, etc. La lettre grecque it sert à désigner le
rapport du diamètre à la circonférence du cercle.
Astronomie. — Les astronomes emploient des
signes pour désigner les astres, notamment les
planètes, les signes du zodiaque, les phases de la
lune, etc.
Voici les principaux de ces signes :
Signes du zodiaque :
T, le Bélier; tf, le Taureau; D, les Gémeaux ^
S, le Cancer ; a , le Lion ; "U, la Vierge; ii, la
Balance; n\„ le Scorpion; v», le Sagittaire; %, le
Capricorne; =, le Verseau; K, 'es Poissons.
Planètes : © figure le Soleil; $, Mercure: 9, Vé-
nus; î, la Terre: $, la Lune : d, Mars ; f , Vesta;
ij, Junon; Ç, Cérès; i , Pallas; ^, Jupiter;
ï), Saturne; $, Uranus; 'I*, Neptune. — Pour dé-
signer les planètes télescopiques, on écrit leur
numéro d'ordre environné d'un cercle, par exem-
ple [A — <^ signifie nœud ascendant; 5, nœud
descendant.
Les phases de la lune se désignent de la ma-
nière suivante :
® N. L., nouvelle lune; — î; P. Q., premier
quartier;— ® P. L., pleine lune; — S D. Q.,
dernier quartier.
En outre, les astronomes désignent chacune
dos étoiles d'une même constellation par les let-
tres de l'alphabet grec, en attribuant les pre-
mières lettres aux étoiles les plus brillantes. Les
lettres latines et les chiffres ordinaires sont em-
ployés à la suite, quand le nombre des astres est
trop grand.
Botanique. — Les principaux signes qu'on trouve
SIGNES
— 2029
SIGNES
ilans les livres de botanique sont les suivants :
©, signe du Soleil, désigne les plantes annuel-
les" <;, signe de Mars, les plantes bisannuelles;
'Jf., signe de Saturne, les plantes ligneuses (ar-
bres, arbrisseaux) ; $, signe de Vénus, les indivi-
dus ou fleurs femelles ; î, signe de Mars (dont la
flèche, au lieu d'être inclinée, est placée vertica-
lement), les individus ou fleurs mâles; •>:>. signe
de IVlars et Vénus réunis, les individus ou fleurs
hermaphrodites; o-o, les individus ou fleurs qui,
par suite d'avortement, sont privés d'organes
mâles et femelles, c'est-à-dire d'étamiiies et de
pistils; C, volubile i gauche; y, volubile à
droite.
Géof/raphie, tofjographie, etc. — Pour ce qui
regarde les signes topographiques, la repré-
sentation figurée du terrain, les reliefs, nous
renvoyons nos lecteurs à. l'article Cartogra-
phie; pour ce qui regarde les représentations
des objets qui doivent être consignés sur un plan,
et même sur une carte de grande dimension,
marais, forêts, terres, cultivées, etc., ' nous les
renvoyons h. l'article Lever des pleins; ils y
trouveront l'indication des signes et des teintes
conventionnelles les plus ordinairement employés.
Bornons-nous à mentionner les signes, d'ail-
leurs bien connus, par lesquels on indique, sur
les cartes de grande dimension, les divers acci-
dents de la géographie politique. Les villes ou-
vertes se présentent ordinairement par un hexa-
gone ; les villes fermées, les places-fortes par
une étoile à. pointes simulant les remparts. Sou-
vent, dans les cartes de petite dimension qui
comprennent la représentation graphique de tout
un grand pays, les signes qui indiquent les villes
se bornent h de petits cercles, triples, doubles
ou simples, suivant l'importance des locahtés.
Une croix surmontant la ville indique un évèché ;
une double croix, un archevêché; un drapeau
indique un chef-lieu de division militaire ; une
balance, un chef-lieu de cour d'appel ; une palme
ou deux palmes qui se joignent, un chef-lieu
d'académie. Deux épées croisées rappellent le
lien d'une bataille ; quelquefois deux mains
unies, un traité de paix.
Signaux. — Il y a toute une série d'applica-
tions scientifiques, de procédés fondés sur la
mécanique , la physique , etc., qui ont pour
objet ce qu'on pourrait appeler la science des
signaux, qui permet de transmettre au loin des
avis, des nouvelles, en les traduisant maiérielle-
nient aux yeux par des procédés de convention.
C'est ainsi qu'à, l'entrée des ports soumis aux va-
riations de la marée, des mats de signaux font
connaître aux navires en rade, par le moyen d'un
système de bouées mobiles, la profondeur de
l'eau dans le port. Sur les chemins de fer, il y a
des disques mobiles, des appareils de formes di-
verses, qui, par la position verticale ou horizontale
de leurs bras, ou soit qu'ils découvrent, soit qu'ils
cachent des fanaux blancs ou colorés, indiquent,
le jour comme la nuit, si la voie est ouverte ou
fermée. Avant l'invention de la télégraphie élec-
trique, les télégraphes aériens, dont l'origine
remonte jusqu'aux temps de l'antiquité, mais qui
furent complètement organisés et systématisés
ehez nous par Claude Chappe h la fin du siècle
dernier, couvrirent notre sol de tout un vaste
ensemble de communications h longue distance.
Les télégraphes de Chappe étaient placés sur le
sommet de hauteurs ou de monuments élevés
ordinairement à une distance de trois lieues
l'un de l'autre; ils consistaient principalement
en un appareil de trois pièces se mouvant
sur un support, décrivant, par leur évolution
simultanée des angles différents d'écartement
et de direction, et pouvant former ainsi VJG figu-
res, qui représentaient autant de signes. A cha-
que station, des guetteurs étaient chargés
d'exécuter avec des manivelles les mouvements
correspondants aux dépêches qu'ils recevaient,
de transmettre ou de reproduire immédiate-
ment les mouvements qu'ils voyaient exécutés
sur le télégraphe le plus voisin. La télégraphie
électrique a détrôné la télégraphie aérienne.
Toutefois il y a encore, le long de nos cites,
des sémaphores , qui sont de véritables télé-
graphes aériens, et dont l'emploi est de faire
connaître l'arrivée, les manœuvres des bâtiments
venant du large , naviguant ou croisant h la
vue des eûtes et devant les ports. Ces sémapho-
res communiquent ordinairement, soit entre eux,
soit avec les navires, au moyen de pavillons de
diverses couleurs qu'on hisse et qu'on baisse
alternativement, et dont les positions ou les cou-
leurs forment tout un système de signaux dont
l'emploi est fixé par une sorte de Code interna-
tional. Enfin, on se sert dans l'armée d'appareils
de télégraphie, dite optique, où l'on emploie,
comme moyens de transmission des signaux, pen-
dant le jour, la lumière même du soleil concen-
trée en éclats longs ou brefs, suivant un système
préalablement déterminé ; pendant la nuit, la lu-
mière d'une lampe.
Signes usités dans les aiits. — Symboles et
emblèmes. — Les arts, surtout les arts plastiques,
font un grand usage des symboles et des emblè-
mes, deux mots qui, dans la langue ordinaire,
sont h. peu près synonymes, et dont le sens ne
diffère guère que par une nuance souvent insen-
sible, le premier désignant plutôt quelque chose
de traditionnel, de généralement admis, de popu-
laire, si l'on veut ; le second s' appliquant surtout
au résultat d'une certaine œuvre et d'une créa-
tion particulière. « Le gouverjiail, dit Marmon-
tel, est le symbole de la navigation ; les poètes et
les peintres en ont fait l'emblème de l'administra-
tion d'un Etat. »
Il serait bien impossible d'énumcrer et encore
moins d'expliquer ici tous les symboles et em-
blèmes imaginés ou réalisés par Ibs poètes et les
artistes. Nous nous contenterons d'en indiquer
quelques-uns, au moyen desquels chacun de nos
lecteurs, en trouvera aisément d'autres dans
sa mémoire. C'est certainement un utile, intéres-
sant et amusant exercice que d'appeler l'at-
tention des enfants, à l'occasion d'une lecture ou
de quelque circonstance accidentelle, sur quelque
symbole facile i saisir, de leur en demander l'expli-
cation, de leur en faire rechercher d'analogues. On
sait, par exemple, que, sur les tableaux, les mo-
numents, telle nation, telle partie du monde se
représente par une figure symbolique d'homme
ou de femme, d'animal, de plante, d'édifice, etc.
Ainsi, un sauvage ayant à ses pieds un crocodile
personnifiera l'Afrique ; l'Egypte sera figurée par
un sphinx et une pyramide; le Canada par un
castor ; les pays d'Orient, par un minaret et un
palmier. Il y a de ces personnifications qui sont, en
quelque sorte, historiques ; une tête de femme coif-
fée d'un casque avec un hibou sur le cimier sera
l'image d'Athènes ; une louve avec deux enfants
sera celle do Rome, etc. Les saisons ont été
mille et mille fois représentées, le printemps,
sous la figure d'une jeune fille portant des
fleurs; l'été, sous celle d'enfants cueillant des
épis ; l'automne, comme Une nymphe couronnée
de pampres ; l'hiver, comme une vieille femme
qui, suivant le vers du poète,
Se chauffe avec uo feu de marbre sou3 la main.
One proue de vaisseau qui fend les flots est l'i-
mage naturelle de la marine; une grenade d'où
sortent des flammes, ou des boulets superposés,
personnifient la guerre ; la balance ou le glaive est
SIGNES
— 2030
SIGNES
l'image de la justice; le sceptre, de la royauté;
un calice avec une hostie est l'emblème de la foi
catholique. De même, le coq symbolise la vigi-
lance ; un serpent qui se mord la queue, l'éternité ;
un sablier ailé, une horloge, sont l'emblème du
temps ; la faux, l'emblème de la mort ; une
tige de fleur brisée, une colonne tronquée, celui
dune mort prématurée. 11 y a des fleurs qui
symbolisent des vertus, des passions, des goûts,
comme le lys, comme la violette ; il y a des cou-
leurs qui représentent telles dispositions de
l'àme, comme le noir qui est symbole de deuil ;
le vert, symbole d'espérance. La langue elle-
même, remarquons-le, accepte dans ses figures
ces persounificatioas réalisées par l'imagination
populaire ou par l'invention des artiste--. On dira
d'un homme impénétrable: C'est un sphinx; d'un
ingrat : Quel serpent vous avez rcchautïé dans
votre sein ! etc.
Signes industhiels. — Signes des métiers et des
professions ; enseignes, marques rie fabrique, etc.
— Le marchand, le négociant, l'industriel, font
usage de signes extérieurs soit pour faire connai
tre leur métier ou leur profession, soit pour en
garantir les produits. De 15, par exemple, l'usage
des enseignes, qui consistent le plus souvent en
écriteaux portant, avec notre nom, l'indication de ce
que nous faisons ou de ce que nous olïr ons au pu-
blic, mais qui sont bien souvent aussi ce qu on
pourrait appeler des enseignes parlantes. Ou bien
elles sollicitent l'attention par quelque devise,
par quelque attribut que nous croyons de nature
à nous concilier l'estime ou la bienveillance, indi-
quant, par exemple, les vertus, les qualités profes-
sionnelles que nous prétendons avoir; ou bien
elles nous placent sous les auspices de quelque
personnage révéré ou honorable, de quelque évé-
nement important ; ou bien elles symbolisent le
métier, la profession môme par un emblème ou
par quelque marque conventionnelle. Qui n'a vu,
dans sa ville ou dans son village, cette fameuse
enseigne de savetier ou de cordonnier représentant
un lion qui s'acharne sur un soulier, avec la de-
vise : 11 le déchirera, mais il ne le découdra pas'?
A la Bonne Foi, A la Confiance, A l'Exactitude, Au
Gagne-Petit, Au Bon Marché, sont des devises que
nous rencontrons sur je ne sais combien de bou-
tiques, et que nous devons croire véridiques jus-
qu'à preuve du contraire. Le Grand Saint-André,
le Grand Saint-Martin, le Grand Frédéric, qui
ne méritait pas chez nous tant d'honneur, le
Petit Caporal , les Trois Empereurs, les Qua-
tre Nations servent de couveri, souvent pour
des raisons qu'il serait bien difficile de trou-
ver, k toutes sortes d'industries. Les hôtels et
les anciennes auberges se dénommaient sou-
vent, autrefois du moins, d'après leur situation
ou leurs attributions : c'étaient le Cheval Blanc,
le Cheval Noir, le Chariot d'Or, le Point du Jour,
le Soleil Levant. Silène à cheval sur un ton-
neau symbolise merveilleusement un cabaret, et
le roi ou le dieu Gambrinus, avec sa choppe de
bière mousseuse, une brasserie. Rpmarquons que
ce fut seulement à la fin du xviii» siècle qu'on
eut l'idée de distinguer, dans chaque rue, les
maisons par des nuinéros, et que les enseignes
avaient alors plus de raison d'être qu'au,ourd hui.
Aussi ne se bornait-on pas à une écriture ou a
une enluminure pour attirer les yeux des pas-
sants ; c'étaient souvent des objets en nature qui
symbolisaient la profession: le perruquier avait
son plat à barbe en cuivre ; l'épicier, son cercle
de chandelles; le charcutier, ses chapelets de
saucisses; on donne encore le nom de bouchon à
une auberge de bas étage : c'est que les établisse-
ments de ce genre avaient pour enseigne un bou-
chon de branches de houx, de genévrier ou de
sarments de vigne :
Vil bouchon de houx nous arrête
A la porte d'un cabaret,
dit Pierre Dupont.
Les devantures et les montres des boutiques et
des magasins ont aujourd'hui d'autres moyens,
beaucoup plus puissants, pour séduire leur clien-
tèle, et il n'y a plus guère que les bureaux de
tabac qui aient conservé comme signes extérieurs
leurs carottes symboliques, et aussi, — s'il est
permis d'assimiler ces professions h des industries,
— les études des notaires, huissiers et autres of-
ficiers civils (jui se distinguent par leurs panon-
ceaux.
En revanche, le développement de l'industrie
et du commerce a niuliiplié les marques de fabri-
que, c'est-à-dire l'empreinte que le fabricanta choi-
sie pour empêcher de confondre ses marchandises
avec celles des autres. Cette marque, qui est la
reproduction d'une devise, d'une enseigne, d'un
monogramme, du nom même du fabricant, etc.,
se place sur l'en-tète des lettres commerciales,
sur les factures, traites et effets, sur les enve-
loppes, paquets, coli-, etc., contenant les produits
fabriqués, et elle est comme la garantie de l'au-
thenticité de ces produits. Toutes les maisons de
commerce tant soit peu importantes ont ainsi leur
marque, dont la contrefaçon est punie par les tri-
bunaux.
Signes d'usage commun. — Sir/nes divers, Lierez
de réféi-ences. — Notons d'abord un certain nom-
bre de signes destinés à nous donner diverses
indications plus ou moins utiles dans notre vie de
tous les jours. L'article Ahréviutions en signale
plusieurs, nous en ajouterons quelques au-
tres.
Ainsi, comme nous le disions en commençant,
une main inscrite sur un mur avec un doigt indi-
cateur nous désigne une direction ; une flèche
nous rend le môme office ; c'est d'après sa pointe
que nous devons marcher. Les girouettes des mai-
sons donnent la direction du vent, quelques-unes
celles des points cardinaux. Les écriteaux signa-
lent les maisons à louer ou à vendre ; dans les
villes, ceux qui indiquent les appartements qu'on
loue meublés sont ordinairement sur papier
jaune. Les plaques qui sont aussi placées sur
les maisons sont celles des compagnies d'assu-
rances.
Les livres de référence et de renseignements
généraux contiennent i peu près tous les mêmes
signes conventionnels. Voici l'explication de ceux
que contient l'un des plus connus, V Anuuuire-
Alinaimclt du commerce Dîd/l-Bottin.
%, Chevalier de la Légion d'honneur ; — O.^,
officier de la Légion d'honneur; — C.'ji^, com-
mandeur de la Légion d'honneur; — G.O.^,
grand-officier de la Légion d'honneur ; — G.^,
grand-croix de la Légion d'honneur; les lettres
O, A, P ou B placées dans un cercle, désignent
une médaille d'or, d'argent, de platine ou de
bronze; — M. H. mention honorable; — |gm
grande médaille de l'exposition universelle; —
|Pi\l| médaille 1" classe de l'exposition univer-
selle; 1mh|, mention honorable de l'exposition
universelle ; — K, bureau de poste aux lettres ; —
un cheval ou un cor, un relais de poste aux che-
vaux ; — une locomotive, une gare de chemin de
fer; |\C' , notable commerçant; — |k1'|, caisse
d'épargne; — [M.P], mont de-piété ; etc.
Les bureaux de télégraphie électrique et les sta-
tions de chemin de fer se signalent encore de cette
façon : |tX!, JSJ^-
Voici enfin comment on désigne les décorations
universitaires : — A-p. officier d'académie; —
LïË, officier de l'instruction publique.
"Uniformes, costumes, insignes, nEcoitATio-NS. —
SIGNES
— 2031
SIGNES
Lo Mentor Uc TélénKtqiK; oùt voulu quo dans le
royaume de Saleiito les diflurentcs classes de ci-
toyens fussent extérieurement distinguées par la
couleur, l'ornementation et la forme de leur
habit. Du temps de Fénelon et jusqu'à la fin du
xviii'^ siècle, les mœurs, sinon la loi, établissaient
ces distinctions. Chaque classe avait son costume.
<i Le clergé, dit M. Chéruel (dans son Diction-
naire hislorique des inslitutions de la France,
article Habillement), fidèle h ses habitudes tradi-
tionnelles, avait conservé, avec peu de change-
ments, les vêtements du moyen âge. La noblesse
portait seule les costumes éclatants, dont on peut
retracer les vicissitudes. La bourgeoisie avait des
habillements sans broderie, de couleur foncée, et
portait le manteau noir dans les solennités. La
magistrature, les universités, les dill'érents corps
de l'armée, quittaient rarement lo costume de
leur profession. Jusqu'au xvii» siècle, les méde-
cins ne paraissaient pas en public sans la robe
noire. Il en était de môme des gens de justice et
des professeurs des universités. Les marchands
portaient aussi de petites robes et des manteaux
noirs, lorsqu'ils se réunissaient pour quelque cé-
rémonie. Les magistrats, même les plus éminents,
ne paraissaient pas à la cour sans le signe distlnc-
tif de leur profession, n Aujourd'hui qu'en Krance
du moins il n'y a plus de cour, et que l'égalité
civile, conquise par la Révolution, a nivelé toutes
les conditions, elles se confondent toutes aussi
sous le même vêtement. Nous pouvons bien avoir
des habits de travail différents, l'ouvrier et le
paysan peuvent bien pcrter de préférence la
blouse tradllionnelle, ce ne sont plus là pour au-
cun d'eux des signes distinctifs de classe. Le bon-
net et le chapeau ne distinguent pas beaucoup
plus aujourd'hui les femmes de la ville de nos
paysannes. Les anciens costumes nationaux et les
costumes dits de pays tendent aussi à disparaître, à
mesure que les communications rapides se multi-
plient sur notre sol. Il n'y a plus guère aujourd'hui
que deux professions qui conservent au dehors un
mode d'habillement spécial, le clergé et l'armée de
terre et de mer. Le prêtre séculier a gardé sa soutane,
noire pour le simple ecclésiali(|ue, violetK^ pour
l'évoque et l'archevêque, rouge pour les cardinaux.
Les ordres réguliers des deux sexes ont leurs
costumes religieux. Tout le monde connaît l'uni-
forme de nos soldats et de nos officiers, différent
pour l'iiifanterie, la cavalerie, l'artillerie, et pour
certains corps spéciaux appartenant à chacun de
ces trois grands ordres de troupes, et aussi pour
la marine. On connaît également, et, en tout
cas, ce n'est pas ici que nous pourrions entrer
dans ce détail, les signes distinctifs de chaque
grade de sous-officiers et d'officiers.
En dehors de l'armée et du clergé, certaines
professions ont un costume spécial ou au moins
des signes extérieurs distinctifs qu'elles revêtent,
soit dans certaines occasions soleimelles, soit dans
l'exercice même de leurs fonctions, qui sont en
général des fonctions publiques. Ainsi, les mem-
bres du Parlement portent officiellement une sorte
de nœud à la boutonnière; les représentants du
gouvernement, préfets, sous-préfets, conseillers
de préfecture, ont un habit brodé, l'écharpe et l'é-
pée; les maires en fonctiojis, les commissaires de
police en fonctions ont l'écharpe; les juges ont
leurbarretie et leur robe; les avocats, les membres
de l'université appartenant aux facultés et k l'en-
seignement secondaire ont aussi une toque et une
robe; les membres de l'Institut ont le chapeau
claque, l'habit brodé de vert et l'épée. Les con-
suls, les représentants de la France à, l'étranger
ont aussi un costume spécial.
D'autres signes distinctifs s'adressi'iit, dans nos
sociétés modernes, non plus à la fonction, à la
profession ou à la naissance, mais aux services
rendus ou au mérite reconnu et constaté : ce sont
les décorations. Il y on a à peu près chez toutes
les nations, sauf colles dont la constitution politi-
que repose sur le principe de la démocratie ab-
solue, comme la Suisse, par exemple, et les
Etats-Unis. La France possède, pour sa part,
l'ordre de la Légion d'honneur, avec ses grades
successifs de chevalier, d'officier, de comman-
deur, de grand-croix et de grand-officier; les
décorations universitaires d'officier d'académie et
d'officier do l'instruction publique ; la médaille mi-
litaire ; les médailles commémoratives de certaines
campagnes (Crimée, Italie, Chine, Mexique); les
médailles de Sainte-Hélène pour les soldats et offi-
ciers du premier Empire ; la croix de Juillet,
donnée après la révolution de 1830; les médailles
d'honneur pour actes de dévouement; les médail-
les décernées dans les Expositions industrielles ou
artistiques, etc.
Signes de religion et de nationalité. — Cer-
tains signes, comme nous l'avons dit, peuvent de-
venir la manifestation extérieure des idées et des
sentiments d'un peuple ou d'une partie de l'hu-
manité pour une suite plus ou moins longue de
générations, et dos lors ils s'élèvent à la hauteur
d'institutions sociales ou nationales.
Tels sont les signes religieux, emblèmes de la
foi et témoignages extérieurs du culte. Ils sont,
en général, fort nombreux, dans toutes les reli-
gions ; ils comprennent, en etïet, sans parler des
édifices mêmes consacres au culte, des cérémonies
et des rites qu'on y accomplit, les ornements qui
servent à ces cérémonies, et dont la plupart soni
des emblèmes, les inuiges plastiques qui repré-
sentent les traditions, les dogmes, les observan-
ces de chaque religion. Il y a toute une science,
la symbolique, que constitue l'étude de ces sym-
boles et de leur sigiiification, dont la pensée pre-
mière remonte souvent jusqu'aux origines mêmes
des races.
Presque toutes les religions ont d'ailleurs,
en dehors de la multiplicité et de la diversité
de leurs manifestations extérieures, une sorte
de signe suprême, qui en est comme la synthèse
et la souveraiiie expression : la croix dans la
religion clirétienne ; le croissant, dans la reli-
gion de Mahomet, etc.
Il en est de même pour les nationalités. Elles
ont aussi un signe qui les caractérise et qui les
représente au dehors : le drapeau. Chaque nation
a le sien, et il n'en est pas de si obscure qui no
reg.irde comme une sorte d'objet sacré ce symbole
d'elle-même. On le porte avec respect, on l'ar-
bore sur sa maison dans toutes les occasions
solennelles ; les fonctionnaires de tout ordre, qui
représentent l'État, les édifices publics, les voies
publiques aux jours de fêle, se couvrent de ses
couleurs; et en temps de guerre, sur les vais-
seaux comme dans les régiments, c'est à son
ombre que l'on se bat, et on meurt pour le dé-
fendre.
On trouvera dans les recueils spéciaux la des-
cription des drapeaux, des pavillons de toutes les
naiions. Le nôtre est le drapeau ou pavillon tri-
colore, bleu, blanc et rouge, qui est le drapeau de
la Révolution française. Il a été blanc depuis le
seizième siècle jusqu'à cette époque; il était rede-
venu blanc sous la Restauration. L'ancienne ori-
flamme, que les rois de France allaient prendre h
Saint-Denis, était d'étoffe rouge, fendue en bas et
suspendue à une lance dorée. La bannière de
Frajice, que l'on portait à la guerre, à coté de
l'oriflamme, était de couleur bleue et de forme
carrée, semée de fleurs du lis d'or (Cuéiiuel, ar-
ticle Bnniiière).
A côté du drapeau, il faut mentionner la co-
carde, qui se porte au chapeau et reproduit les
couleurs nationales ; elle a remplacé l'écharpe.
SILICE
— 2032 —
SILICE
•qui servait jadis de sigae de parti ou de rallie-
ment.
Souvent la hampe du drapeau est surmontée d'un
attribut, que l'on détache, en quelque sorte, du dra-
peau même pour lui faire personnifier soit le pays,
soit le gouvernement qui le représente. L'empire,
■i l'imitation des Romains, a eu ses aigles; le
gouvernement de juillet a eu le coq gaulois; notre
drapeau français est actuellement surmonté d'un
fer de lance. On s'est encore servi d'une person-
nification analogue, au moyen de quelque attribut
spécial, de tel ou tel régime politique. A l'époque
de Napoléon l", on reproduisait sur les monu-
ments les abeilles du manteau impérial; le gou-
vernement de la Restauration est souvent appelé
le gouvernement des fleurs de lis.
Enfin chaque nation a ses armes, que l'on grave
sur des écussons, comme faisaient les anciens
chevaliers et les familles seigneuriales, et souvent
on désigne la nation par quelque emblème que
présentent ses armes : on dit la licorne et le
léopard d'Angleterre, le lion belge, l'aigle à deux
têtes de Russie, etc., etc. Les pièces de monnaie
sont frappées aux armes de la nation et à l'effigie
du souverain : les nôtres portent aujourd'hui un
emblème symbolisant la République. Les villes
aussi ont ordinairement des armes, qu'elles se
plaisent à reproduire sur leurs monuments pu-
blics : qui ne connaît les armes de la ville de
Paris, représentant un vaisseau mù par des rames,
avec cette devise qui pourrait être celle de notre
patrie tout entière : Fluctuât nec meryitur, le
flot l'agite, mais ne l'engloutit point?
[Charles Defodon.]
SILICE, SILICIUM, SILIC.\TES. — Chimie, X.
— La silice ouacidesilicique,SiO', est l'oxyde uni-
que du silicium (Si) ; elle est, i divers états, un corps
des plus répandus; le caractère commun à ses di-
verses formes naturelles est la dureté ; elle fait feu
au briquet, et l'une de ses variétés est la pierre à
fusil. La densité ordinaire de la silice compacte,
2.6, diminue jusqu'à devenir moindre que 1 dans
certaines variétés poreuses. Le silex, le sable, le
quartz, le cristal de roche, l'agate, etc., sont les
principales formes de la silice anhydre. La silice
fond au chalumeau oxy-hydrique et donne alors
un verre dur et transparent. Elle est soluble dans
l'acide fluorhydrique et donne du gaz fluorure de
silicium ou bien la dissolution du lluorhydrate de
ce composé binaire, suivant que l'action a lieu i
sec ou en présence de l'eau. Elle se dissout dans
un alcali en fusion; on obtient ainsi un silicate po-
lybasique, verre soluble, dont la dissolution s'ap-
pelle liqueur de cailloux. Les acides énergiques
en séparent la base, et il reste une gelée blanche de
silice, soluble à froid dans les solutions alcalines ;
séchée, elle devient insoluble.
Disons quelques mots des diverses variétés na-
turelles de silice. Le quartz est la forme la plus
commune do la silice ; il est infasible au chalu-
meau, insoluble dans les acides, d'une grande du-
reté. Le quartz hyalin est remarquable par sa
transparence et sa pureté. Sa densité est 2.C5 ; il
est incolore ; la variété colorée en violet par de
l'oxyde de manganèse est l'améthyste ; celle à qui
l'oxyde de fer donne une teinte jaune est appelée
la topaze de Bohème ; une trace de bitume produit
le quartz enfumé. Cette substance cristallise dans
le système du rhomboèdre. Les faces du prisme
sont toujours visibles, et le sommet présente une
pyramide ayant parfois des facettes secondaires,
non symétriques par rapport aux angles solides
tronqués. Cette hémiodrie est liée à des proprié-
tés optiques remarquables. Des plaques de quartz
perpendiculaires à l'axe dévient le plan de pola-
risation et colorent la lumière polarisée dans un
ordre dépendant de l'épaisseur. Le quartz est
également biréfringent, et cette propriété a servi
à la construction de la lunette à double image
de Rochon qui sert à mesurer les petits angles. Le
quartz hyalin et ses variétés tapissent les cavités
(géodes) des roches siliceuses des montagnes. Les
plus beaux gisements sont ceux du Valais et sur-
tout de Madagascar, où l'on a trouvé des cristaux
ayant jusqu'à 15 centimètres de largeur. Le quartz
liyalin était autrefois employé à faire des parures,
mais la difficulté du travail de cette substance l'a
fait tomber en désuétude, surtout en présence du
bon marché et de la perfection des cristaux arti-
ficiels. Le quartz ordinaire, qui forme des roches
entières, ou de vastes filons, et qui compose une
moitié des roches granitiques, est excellent pour
ferrer les routes.
Le silex, silice également presque pure, est
amorphe, en forme de rognons irréguliers répan-
dus dans diverses roches et en particulier dans la
craie. Il est infusible, mais la grande chaleur le
désagrège; sa cassure est écailleuse, conchoîde, à
aspect gras. Le silex présente parfois des couches
de couleurs différentes qui montrent sa formation
par roulement dans des eaux siliceuses et sa
croissance du centre à la circonférence. Les belles
variétés constituent la calcédoine, au centre de
laquelle se trouvent des géodes cristallines qui
indiquent le passage au quartz hyalin.
L'agate se rattache à la calcédoine par une
série continue de variétés, depuis celles qui ont
des couches concentriques régulières jusqu'à celles
dont les couleurs élégamment variées et mêlées à
des parties transparentes sont dispersées dans la
masse minérale avec une sorte de désordre produi-
sant des effets très remarquables. Citons l'exploi-
tation d'Oberstein (Prusse rhénane), qui fournit
tout ce qu'en emploient les chimistes pour leurs
mortiers à analyse.
Revenons maintenant aux variétés les plus com-
munes du silex. Le silex pyromaque, ou pierre à
fusil a des cassures à bords tranchants qui déta-
chent de l'acier que l'on y frotte vivement des
particules échauft'ées au point de prendre feu et
d'allumer des substances très combustibles. La
pierre à fusil, que l'on exploitait il y a un demi-
siècle dans plusieurs départements, a perdu pres-
que toute importance depuis l'introduction des
matières explosives par percussion. La couleur
ordinaire du silex est d'un gris jaunâtre terne,
transparent ou transluciJe en lames minces.
Quelques variétés sont jaspées de rouge, de jaune,
et servent à l'ornementation.
Le silex servit aux hommes primitifs à faire des
instruments tranchants; les haches, les couteaux
préhistoriques en silex sont les premiers vestiges
de l'industrie humaine.
Le silex meulière, à aspect spongieux, sert à faire
les meules de moulin, et malgré ses imperfections
n'a pu jusqu'à présent être avantageusement rem-
placé.
Le silex nectique, que l'on trouve dans le terrain
parisien, est un rognon à texture lâche et poreuse
au point de flotter sur l'eau.
Le quartz et le silex, usés par fi'ottemont par le
mouvement de la mer, ont formé du sable. Cette
substance, qui conserve en partie la couleur des
minéraux qui lui ont donné naissance, est plus ou
moins mélangée de corps étrangers, d'argile, etc.
Soumis aux hautes pressions des terrains qui se
sont déposés au-dessus, les sables se sont agglu-
tinés et ont formé les grès. Parfois cette concré-
tion a été facilitée par des substances étrangères,
solutions calcaires (grès de Fontainebleau) ou fer-
reuses (grès rouge, grès vosgien). Les grès four-
nissent d'excellentes pierres à bâtir et des meules
à aiguiser les outils.
Le silicium se présente sous trois états, comme
ses congénères le carbone et le bore : état amor-
phe, graphoide et adamantin. Son existence fut
SILICE
— 2033 —
SINGES
soupçonnée par Gny-Lussac ot Tliéiiard ; mais il
ne fut étudié qu'en 1808 par Berzélius. Il s'obtient
en attaquant par le sodium ou l'aluminium le
fluosilicate de potasse. C'est un corps infusible,
inatiaciuable par les acides, excepté par un mé-
lange d acides azotique et fluoiliydrique ; très dur,
surtout sous la forme adamantine. H n'offre aucun
intérêt pratique.
Les silicates sont insolubles, sauf les silicates
alcalins de potasse et de soude. Ils se trouvent en
abondance dans la nature et forment une très
grande partie de l'écorco terrestre. Les acides
concentrés les attaquent plus ou moins h cliaud,
surtout l'acide fluorbydrique. Les alcalis et les
carbonates alcalins les attaquent également. On
les obtient en chauffant ensemble la silice et l'oxyde
i, lui combiiier.
Le verre * est un silicate alcalin insoluble dans
lequel entrent en proportion variable la potasse,
la soude, la baryte, la cliauj, le manganèse, le
fer, le plomb. Les poteries communes, la faïence,
la porcelaine sont des silicates alumineux rendus
solides par la cuisson, c'est-à-dire par le ramol-
lissement de quelques-unes de leurs particules
qui ont servi à souder Ihs autres.
Le seul silicate à considérer ici est le silicate
soluble de potasse ou de soude, tii/ucur de cail-
loux. M. Kuhlmann, de Lille, en a, dès 1841,
montré les curieuses applications. Ce corps est le
vernis par excellence des corps exposés à l'air.
Il sert à préserver les statues de calcaire, ou de
marbre, les peintures murales, s'applique au pin-
ceau ou par arrosage; il peut remplacer l'Iiuile et
l'essence dans la peinture avec des corps inatta-
quables par les alcalis ; il est utilisé dans l'im-
pression des étoffes comme fixatif; il sert de ci-
ment pour recoller les fragments de verre et de
poteries.
Les silicates naturels offrent un très grand in-
térêt scientifique. Leur étude compose peut-être
la moitié de la minéralogie. Leur classification
rationnelle est à peu près impossible. Les formules
à l'aide desquelles les minéralogistes ont essayé
de les représenter sont souvent d'une complica-
tion extrême, et grâce aux substitutions dans ces
corps des bases isomorphes en proportions non
définies, on est souvent obligé d'indiquer dans les
formules un simple radical théorique, R, composé
d'un mélange de radicaux réels. Delafusse consi-
déraitlossilicatos comme des dissolutions d'oxydes
métalliques figées par l'abaissement de tempéra-
ture plutôt que comme de véritables combinaisons
chimiques. La silice, qu'il représente par SiO et
non par SiO^, jouait pour lui non le rôle d'acide,
mais de dissolvant analogue à l'eau, pouvant rester
en proportion non définie dans le corps solidifié.
On distingue généralement 4 ordres de sili-
cates : 1° les silicates alumincux, 2° les silicates
non alumineux, 3° les silicates sulfurés, 4° les
silicates chlorurés ou fluorés. Les tribus de ces
ordres ont été établies à l'aide des caractères cris-
tallographiques. Pour la liste même incomplète
des silicates catalogués par les minéralogistes,
nous devons renvoyer aux traités spéciaux. Si-
gnalons seulement dans le premier ordre: l'éme-
raude. les micas .M^O^ KO,LiO;SiO, les feldspath»
A120^PiO,?!SiO, ces derniers donnant par décompo-
sition les argiles, les kaolins. Dans le deuxième
ordre nous trouvons le talc MgO,:iSiO, la serpen-
*■-- (•2MgO,ÎSiO)-|-MgO,'<lHO, l'écume de mer
MgO,3SiO,HO. Citons, dans le troisième, le lapis-
lazuh A120^NaO,SiO,S; dans le quatrième, la to-
paze Al'FP-)-A1203,SiO.
Les micas, les feldspaths sont avec le quartz
les constituants principaux des diverses variétés
de granités et corps congénères qui se trouvent i
la base des terrains primitifs. Le mélange des
trois corps s'est refroidi et a cristallisé avec une
2' PARTIE.
extrême lenteur dans des conditions variables de
calme et do pression, d'où les variétés de compo-
sition chimique et de disposition moléculaire. Les
granités fournissent les matériaux de construction
les plus parfaits. Le mica, qui se trouve parfois en
grandes lames, fut sans doute la première vitre,
et l'on devine quelle importance dut exercer dans
la civilisation primitive cette chose aujourd'hui si
banale, d'avoir un gite laissant pénétrei- la lumière
du jour et excluant l'humidité, le froid, le Vent.
Aujourd'hui les vitres de verre ont partout sup-
planté celles de mica; cette dernière substance
sert à faire des tubes de lampe incassables et joue
un grand rôle dans les recherches optiques. Les
leldspaths sont une source de potasse, consti-
tuent le vernis de la porcelaine, et par leur dé-
composition lente par l'air et l'humidité produi-
sent le kaolin et les argiles qui servent à la
fabrication de la porcelaine et des poteries. Le
talc ou craie de Briançon est le plus tendre des
corps solides; il se laisse, comme le plomb, rayer
par l'ongle. En fragments, il sert aux tailleurs !t
marquer les étoffes. C'est pour les écoliers un
crayon d'ardoise supérieur aux baguettes taillées
dans cette dernière substance. Kn poudre, c'est un
lubréliant de premier ordre; les gantiers, les cor-
donniers l'emploient pour faciliter le premier
usage de leurs produits. Il remplace avantageuse-
ment le savon pour faire glisser bois sur bois, le
suif pour faire glisser fer sur bois ; les photogra-
phes l'emploient pour tempérer l'adhérence du
coUodion au verre, les stéréotypeurs pour que
l'empreinte se détache aisément,après dessiccation,
du caractère d'imprimerie. C'est une substance
très avantageuse, pas assez généralement connue
et dont l'usage ne peut que s'étendre. La serpen-
tine est une pierre très abondante dont la couleur
dominante est le vert et dont les belles variétés
sont utilisées pour l'ornementation, les socles de
pendules ou de statues. Elle est généralement
assez tendre, mais on en rencontre aussi des
échantillons durcis sans doute par l'action pro-
longée de la chaleur; c'est cette dernière variété
qui a servi h faire les premières haches en pierre
polie. La serpentine se trouve parfois traversée
par des veines calcaires qui lui donnent un fort
bel aspect. La magnésite ou écume de mer se
taille, se sculpte aisément; on en fait des pipes,
des porte-cigares élégants. Du lapis-lazuli se ti-
rait autrefois le bleu d'outremer, substance d'un
prix excessif, aujourd'hui supplanté par le bleu
Thénard ou cobalt, aussi beau et d'un prix modi-
que. La topaze figure parmi les pierres précieu-
ses; on en trouve assez abondamment au Brésil,
en Sibérie, des échantillons médiocres; les échan-
tillons de choix seuls sont appréciés. Tantôt elle'
est incolore, le plus souvent légèrement jaunâtre,
mais elle peut avoir toute sorte de coloration parla
moindre trace d'oxyde métallique. On en trouve de
roses, violettes, orangées, bleues. Le vulgaire con-
fond souvent les topazes avec les diamants; cette
confusion est impossible quand on trouve la to-
paze cristallisée en cristaux dérivant du prisme
droit i base rhombe, tandis que le diamant dérive
du cube. Elle raie le verre et le quartz, mais elle
est rayée par le diamant et môme par le corindon
ou l'émeri.Sa densité, 3,50, esta peine inférieure
à celle du diamant de quelques centièmes.
Il existe encore bien d'autres pierres précieuses
appartenant au groupe des silicates, tourmaline,
Erenats, etc.. sur lesquelles nous ne pouvons insis-
ter. [Paul Robin.]
SIMILITUDE. — V. Polygones, Polyèdres, et
Corps ronds.
SINGES. — Zoologie, VI. — Les Singes consti-
tuent, parmi les mammifères, un groupe dont la va-
leur a été diversement appréciée par les naturalis-
tes. Tous ceux, en effet, qui se sont attachés exolu-
12S
SINGES
— 2034 —
SINGES
sivement aini caractères physiques ont été frappés
de la ressemblance que présentent les Singes les
plus élevés en organisation avec l'espèce humaine,
et par suite n'ont pas liésité à ranger ces animaux
avec l'homme dans un même ordre, celui des
Primates. Au contraire, ceux qui à l'exemple de
M. de Blainville se sont efforcés de tenir compte,
dans leurs classilicatlons, des différences que
présentent les êtres vivants sous le rapport de la
perfection physiologique, ont placé l'homme dans
une catégorie à part, en raison de sa supériorité
intellectuelle incontestable, et ont fait descendre
les Singes d'un degré, tout en les maintenant à la
tête des autres mammifères. En adoptant cette
manière de voir, on a souvent appelé les Singes
des Qua'lrunia7ies par opposition à l'homme qui
est Bimane; mais cette dénomination, qui signi-
fie littéralement animaux pourvus de quatre
mains, doit être détinitivcment rejetée, puisque
d'une part elle s'applique à d'autres mammifères
que les Singes, et que, de l'autre, elle ne con-
vient pas à ces derniers d'une manière absolue.
En effet, chez certainsmammifères de Madagascar,
de l'Afrique tropicale et de l'Asie méridionale,
les extrémités des mem.bres inférieurs sont em-
ployées pour la préhension concurremment aux
extrémités des membres supérieurs ou même de
préférence à celles-ci, absolument comme cela a
lieu chez les Singes, et, d'un autre coté, dans ce
dernier groupe, il est des genres cliez lesquels
les membres postérieurs seuls possèdent des
mains bien développées, les membres supérieurs
n'ayant que des mains mutilées, complètement
ou presque complètement privées de pouce. Il
est donc préférable de donner le nom d'ordre des
Simiens au groupe constitué par les Singes pro-
prement dits, c'est-à-dire par cette longue série
d'animaux qui habitent les régions chaudes et
tempérées des deux mondes et qui se rappro-
chent plus ou moins de l'espèce humaine par leur
mode de développement, par leur physionomie,
par leur dentition, parleur régime, etc.
A l'exception de quelques espèces de grande
taille qui restent ordinairement sur le sol, dans
les forêts épaisses, ou qui fréquentent les ro-
chers escarpés, les Singes passent la plus grande
partie de leur vie sur les arbres : aussi sont-ils
spécialement conformés pour grimper et pour
sauter de branche en branche ; leur corps est en
général svelte et élancé, leurs membres sont al-
longés et vigoureux, et leur queue se termine
quelquefois par une partie volubile et susceptible
de jouer le rôle d'un instrument de préhension
ou tout au moins d'un crochet suspenseur.
La tête des Singes, au moins dans le jeune âge,
affecte une forme arrondie ; elle est presque tou-
jours surmontée de poils touffus qui se redressent
en toupet, et garnie sur les côtés de poils allongés
qui dessinent des favoris ou un collier de barbe;
mais dans toute sa portion antérieure elle est
dénudée et colorée en bleu, en lilas ou en rose.
Cette face, animée par des yeux brillants et singu-
lièrement mobiles, offre avec un visage humain
une ressemblance assez prononcée. Toutefois,
chez les singes de grande taille, qu'on appelle
des Anthropomorphes et des Cynocéphales, par
les progrès du développement, cette analogie
tend à s'effacer, car les mâchoires deviennent
proéminentes, ce qui fait paraître le front fuyant
et ce qui donne à la physionomie un cachet de
bestialité des plus accusés. C'est ainsi qu'entre la
tête d'un Gorille adulte et celle d'un jeune indi-
vidu de la même espèce, les différences sont à
peu près aussi marquées qu'entre celle d'un en-
fant et celle d'un mammifère carnassier de grande
taille, d'un tigre ou d'un lion.
Les oreilles sont latérales chez les Singes et
Jeur pavillon est tantôt à découvert, comme chez
l'homme, tantôt abrité sous des touffes de poils ;
le nez est écrasé à la base, rarement pointu, plus
souvent épaté à l'e-^trémité, avec les narines sé-
parées par une cloison plus ou moins large qui se
prolonge parfois iriférieurement de manière à re-
joindre le bord de la lèvre supérieure. Celle-ci est
assez épaisse, mais très mobile, de môme que la
lèvre inférieure qui en s'avançant peut se trans-
former en une sorte de gobelet pour recevoir la
boisson ou les aliments. L'Orang-outan, grand
singe de l'ile de Bornéo, offre en particulier cette
disposition.
Le corps est revêtu, sur la plus grande partie
de sa surface, d'une fourrure plus ou moins abon-
dante dont les teintes grises, brunes, noires,
jaunes ou verdâtres se fondent généralement les
unes dans les autres et ne sont relevées que par
les nuances vives de la face et de la région posté-
rieure. Quelquefois cependant, comme chez cer-
tains Colobes, les flancs sont ornés de longues
franges d'un blanc pur qui tranchent vigoureuse-
ment sur le reste du pelage. En arrière, il y a
presque toujours une queue, tantôt très touffue,
tantôt à poils ras, et dont l'extrémité est souvent
préhensile, comme nous l'avons dit.
Contrairement à ce qu'on observe dans l'espèce
humaine, les membres antérieurs sont fréquem-
ment plus longs que les membres postérieurs, et
chez rOrang, de même que chez les Gibbons,
leurs extrémités arrivent à toucher le sol quand
l'animal se tient dans une position presque ver-
ticale. La main, ordinairement très effilée, est
moins parfaite que celle de l'homme et ne peut
pas se mouler aussi facilement que celle-ci sur
les objets pour en apprécier la forme et la tempé-
rature ; elle est donc un organe du toucher assez
médiocre lors même que le pouce atteint un déve-
loppement normal. Tous les doigts sont munis d'on-
gles aplatis, sauf chez les Ouistitis. Chez ces der-
niers Singes, d'ailleurs, le pouce des mains posté-
rieures est à peine opposable aux autres doigts.
Le système dentaire des Singes offre de très
grandes similitudes avec celui de l'homme, et se
compose aussi d'incisives, de canines et de mo-
laires qui, dans les espèces les plus élevées en
organisation, arrivent au chiffre total de 32, mais
qui, dans les Singes américains, atteignent le
nombre de 36, par l'addition d'une molaire sup-
plémentaire de chaque côté et à chaque mâchoire.
L'estomac est constitué normalement par vine
poche unique; mais, chez certains Singes qu'on
appelle des Semnopithèques, il manifeste une cer-
taine tendance à se subdiviser en plusieurs po-
ches, comme chez les Ruminants : cette disposi-
tion est en rapport avec le régime essentielle-
ment végétal des Semnopithèques, qui d'ailleurs
n'ont pas, à la manière de beaucoup d'autres
Singes, les joues creusées d'abajoues, sortes de
réservoirs où peuvent s'accumuler des fruits, des
grains et d'autres aliments.
Dans son ensemble le cerveau des Singes est
construit sur le même plan que celui de l'homme,
mais dans ses divers éléments il présente de
nombreuses modifications qui vont en s'accen-
tuant depuis les Anthropomorphes jusqu'atJl
Ouistitis. Ces derniers, en effet, ont les hé-
misphères presque lisses, tandis que les Chim-
panzés et les Orangs ont la surface du cerveau
marquée de nombreuses circonvolutions. En rap-
port avec ces différences dans l'aspect de la masse
cérébrale, on constate chez les Singes de grandes
variations dans le degré de l'intelligence et la
perfection des organes des sens. Règle générale,
les facultés intellectuelles des Singes, au lieu de
se développer avec l'âge, restent stationnaires ou
même décroissent; le caractère, d'enjoué, devient
fantasque, et les instincts brutaux, assoupis chez
les jeunes, prennent décidément le dessus chez
SINGES
— 2035 —
SINGES
les vieux individus. Toutes les personnes qui ont
élevé de ces animaux en captivité ont pu se con-
vaincre de ces faits.
La vue, l'ouïe, l'odorat ot le goût s'exercent
cliez les Simiens à, l'aide des mêmes organes que
dans l'espace humaine; quant au touclier, il est
naturellement moins exquis, puisque les mains
ne sont pas aussi bien conrormées et que le corps
est en grande partie couvert de poils ; cependant,
il peut s'clïecfuer assci bien, non seulement par
l'extrémité des doigts, mais par le bout de la
queue lorsque celle-ci est préhensile, par les
parties dénudées du corps, et par les lèvres qui
sont extrêmement mobiles. La voix est plus ou
moins puissante et possède parfois une sonorité
singulière, grâce à des réservoirs aériens qui com-
muniquent avec le larynx. Chez l'Orang, par
exemple, il y a sur le devant de la gorge deux
énormes sacs qui peuvent se prolonger sur toute
la partie antérieure de la poitrine et qui servent
à renforcer les sons. Chez le Gibbon siamang,
on observe quelque chose d'analogue, et chez
l'Alouate ou Singe hurleur de l'Amérique méri-
dionale, on trouve un appareil vocal encore plus
compliqué.
Les anciens, qui ne connaissaient qu'une faible
partie de l'Afrique et de l'Asie et qui ne soup-
çonnaient pas l'existence du continent américain,
n'avaient évidemment que des notions très im-
parfaites sur l'ordre des Simiens , et ce n'est
guère que dans le courant des xvti' et xvui' siè-
cles que des renseignements précis sur le genre
de vie et la distribution géographique des Singes
furent recueillis par les voyageurs français, anglais
et hollandais. Cependant, malgré ces données, on
continua encore pendant un certain temps à se
faire une idée fausse de la véritable nature de
ces animaux et de leurs affinités zoologiques, et
l'on confondit volontiers dans un môme groupe,
celui des Primates, l'homme, les Singes, les Lé-
muriens ou Faux-Singes, et môme les Chauves-
Souris. Aujourd'hui, il n'en est plus ainsi et tout
le monde est d'accord sur la place qu'il convient
d'assigner aux Singes dans la série zoologiqiie et
sur les grandes divisions qu'il est nécessaire d'é-
tablir parmi eux. On partage l'ordre des Simiens
en deux grandes caiégories, qu'on appelle sous-
ordres, tribus ou familles suivant le point de vue
auquel on se place, et qui sont certainement des
catégories naturelles, puisqu'elles coïncident ad-
mirablement avec la distribution géographique
de ces mammifères. Buffon et son collaborateur
Daubenton ont. en effet, reconnu les premiers qu'il
existe des différences considérables, sous le rap-
port de l'organisation et des moeurs, entre les
Singes qui habitent le sud de l'Asie, l'Afrique et
le midi de l'Europe, et ceux qui sont propres aux
contrées chaudes de l'Amérique, puisque les
Singes de l'Ancien-Monde ont la région posté-
rieure du corps dénudée et calleuse, les narines
séparées par une cloison étroite, le nez ocouné
et peu saillant (sauf chez le Nasique de Bornéo et
le Rhinopithèque du Tibet), le système dentaire
présentant le même nombre des dents (;)2) et la
même formule que clicz l'homme, tnndis que les
Singes du Nouveau-Monde sont dépourvus de
callosités, ont les narines séparées par une
large cloison, la queue longue (sanf chez le Bi-a-
chyure), souvent prenante et volubile, et possè-
dent en général 3ii dents, quatre de plus que
de Gibraltar ou Marjol et du Sapajou, tandis
que ceux de Catarrhiniens et de l'iatyrrhiniens,
tirés du grec, font allusion à la disposition de la
cloison nasale, étroite chez les Singes de l'Ancien-
Monde, épaisse, au contraire, chez les Singes du
Nuuveau-Monde.
Chacune de ces deux grandes catégories de
Simiens se subdivise à son tour en un certain
nombre de groupes secondaires. Ainsi parmi les
Pithéciens ou Catarrhiniens, il y a les Anthropo-
morphes, Singes de grande taille, ressemblant
beaucoup à l'homme, surtout dans le jeune âge,
se tenant presque constamment sur le sol, et
cheminant dans une posture semi-verticale ; les
Cynocéplutles, qui se font remarquer, comme leur
nom l'indique, par leur museau saillant comme
celui d'un chien ; les Macaques, qui ont pour type
le Magot de Gibraltar et des Etats barbaresques;
les Semnopithèqiies , vénérés des Indous ; les
Colobes, couverts d'une longue fourrure, et les
Cercopithèques ou Guenons, aux formes élégantes,
au pelage orné de couleurs vives. De même,
parmi les Cébiens ou Platyrrhiniens on distingue
les Alounlcs ou Smqes-hurleitrs ; les Lngotriches,
à la tète globuleuse, au corps trapu, couvert
d'une épaisse fourrure, à la queue longue, poilue
et fortement prenante à l'extrémité; les Atèles
ou Sinqes-araignées, aux formes grêles, aux mains
antérieures, presque entièrement privées de pouce ;
les Sagouins ou Cnllitriches, au pelage doux et
bien fourni, à la queue touffue, à peine préhen-
sile; les Sakis ou Singes-renards, et les Ouistitis,
appelés aussi Singes-ours ou Singi'S -écureuils à
cause de leur fourrure laineuse et de leur petite
taille.
Nous citerons, dans la tribu des Anthropomor-
phes : 1" V('ranfj-outa7i, qui habite les îles de
Sumatra et de Bornéo, et qui se distingue par sa
têto très élargie, au moins chez les mâles, par son
corps obèse, couvert de poils, d'un brun roux sur
les flancs et presque dénudé sur la poitrine et
sur l'abdomen, par ses membres antérieurs beau-
coup plus longs que les membres postérieurs ;
■2° le Chimpanzé ou Troglodyte, qui vit sur la
côte occidentale d'Afrique et qui a le front moins
saillant et les bras plus courts que l'Orang; 3° le
Gorille, qui se trouve dans les forêts du Gabon,
et qui est certainement le plus grand et le plus
redoutable des Anthropomorphes; 4" les Gibbons,
qui ont pour patrie la région indo-malaise et qui
se rapprochent des Orangs par leurs membres
antérieurs démesurétiient allongés et des Chim-
panzés par leur front fuyant.
Les Cynocéphales, à l'époque actuelle, ne se
rencontrent plus que sur le continent africain, où
ils vivent en troupes sur les flancs rocailleiix des
montagnes ; parmi eux figurent les Mandrilles à
la face hideuse, les Babouins, le Pnpinn ordinaire,
et le Papion à perruque, qui était chez les anciens
Egyptiens le symbole du dieu Tôt et dont l'image
est fréquemment reproduite dans les inscriptions
hiéroglyphiques.
Les Macaques, au contraire, occupent une vaste
zone qui embrasse le sud el l'est de l'Asie, les
îles de la Sonde, Célèbes, l'est et le nord de l'Afri-
que et même un petit coin de l'Europe méridio-
nale. Il existe, en eflet, sur les roches de Gibraltar
quelques représentants de ce groupe ; ce sont
des Macaques sans queue, qu'on appelle des
Magots et qui sont tout à fait semblables à ceux
l'espAce humaine. Ces deux grandes catégories ! qui errent dans les montagnes de l'Algérie et du
de Singes sont ordinairement désignées par les | Maroc.
noms de Pithéciens et de Cédiens, ou de Catar
RiiiNiENS et de PuTYiiRHiNieNs, et correspiindent
d'une part aux Singea, Guenons et Babouins de
Buffon, d'antre part aux Sapajous et Sagouins du
même auteur. Les noms de Pithéciens et de Cé-
biens sont môme dérivés des noms latins du Singe
Enfin, les Semnopithèques, dont on connaît
aujourd'hui une trentaine d'espèces, appartien-
nent tous îi la faune indo-malaise, tandis que les
Colobes et les Cercopithèques sont répandus sur
la majeure partie du continent africain.
Parmi ces Singes de l'Ancien-Monde, il en est
SINGES
2036 —
SIPHON
un grand nombre que l'on peut voir vivants en
Europe : IfS jardins zoologiques acquièrent de
temps en temps à grands frais des Antliiopomor-
plies, Gibbons, Oraiigs, Gonllea et Chimpanzés,
qui mallieureusement ne résistent pas longicmps
à la rigueur de notre climat; ces mêmes éiablisse-
menls possèdent presque constamment des séries
deCercopitlièques,deSomnopiibèques,deOolobes,
et même quelques Cynocéphales, quoique cenx-ci
ne se recommandent ni par la beauté de leurs
formes ni par l'aménité de leur caractère; enfin
les bateleurs choisissent volontiers les Magots
pour en faire des animaux savants qui exécutent
différents tours devant le public. Les Singes du
Nouveau-Monde sont encore plus recherchés, h
cause de la douceur de leur naturel; les Ouistius,
les Saimiris prennent place dans les ?pparienici ts
à côié des chiens biclions et King-Cliarles, tandis
que les Sajous ou Sapajous et les Atèles peuplent
les ménageries.
En commençant cet article, nous avons rappelé
que les Singes avaient été réunis, sous le nom de
Quadrumanes, à. certains mammifères qui leur
ressemblent beaucoup et qui habitent Madagascar
et certaines contrées de l'Afrique et de l'Asie.
Ces Mammifères, ce sont les Lémcriens. qu on
appelle aussi les Faux-Sivges, pour indiquer que
leurs analogies avec les Singes sont purement
extérieures. Les recherches de MM. Milue-Ed-
wards et Grandidter ont démontré en effet qu'il
existe des dilTérences considérables entre les
Singes et les Lémuriens sous le triple rapport du
développement, de la structure anatomii|ue et des
mœurs, et qu'il convient dès lors de créer pour
ces derniers animaux un ordre particulier.
En tète de cet ordre des Lémuriens se placent
les Indri^inés qui, à l'état adulte, n'ont à la mâ-
choire que quai n dents incisifornies, cinq paires
de molaires et point de canines, et dont les mains
postérieures sont munies d'un pouce énormeet
de doigts peu mobiles. Admirablement conformées
pour saisir une bianche avec force, ces mains
n'offrent à l'animal que des points d'appui très
incertains dans la locomotion terrestre. Dans
cette tribu des Indrisinés rentrent VAvnhis lani-
gère ou Moki à bourse de Sonnerai, l'J/idris ù
courte giieiie et les Propithéques, tous propres b
la grande ile de .Madagascar. C'est li aussi que
vivent les Hapaleniurs, les Upilémurs et les
ilakis ou Lémuriens proprement dits, dont on
connaît plusieurs espèces et qui constituent la
tribu des Lémurinés. En revanche les Nycticèbes,
qu'on appelle vulgairement les Lnis paresseux
à cause de l'extrême lenteur de leurs mouve-
ments, les Pé'odictiques ou l'otlos. et les Arcto-
cel'BS, sont étrangers à Madagascar et habitent
soit le Bengale, la Birmanie, les lies de la Sonde
et les Moluqucs, soit la côte occidentale d'Afrique.
Ce sont des animaux de petite taille, à la tête
globuleuse, aux yeux très développés, ce qui dé-
note immédiatement des habitudes nocturnes.
Plus petits encore sont les Galayos. qui se trouvent
dans l'ouest, le sud et l'est de l'Afrique, et les
Chirogales, qui sont confinés à Madagascar, et qui
ont à peu près la taille d'un rat ou d'un écu-
reuil.
Enfin dans l'ordre des Lémuriens doivent encore
être rangés deux animaux extrêmement remar-
quables par la singularité de leurs formes exté-
rieures et les particularités de leur structure ana-
tomique. L'un de ces animaux est le Tarsier
spedi'e, l'autre est VAye-Aye. Le Tarsier a les
deux os de la jambe, le péroné et le tibia, soudés
l'un à l'autre, le tarse démesurément allongé, le
deuxième et le troisième orteils plus courts que
les autres doigts et termines chacun par un ongle
en forme de griffe. La tête de ce petit animal,
dont la taille est inférieure èi celle a'un écureuil,
est amincie en avant, éclairée par des yeux large-
ment ouverts et surmontée de grandes oreilles ;
le corps est assez svelte, couvert de poils fauves,
la queue très longue et très grêle, finissant en
houppp. Essentiellement noctambule, le Tarsier
se nourrit d'insectes qu il capture avec beaucoup
d'adresse. Il se trouve à Java, à Sumatra, à Bornéo,
à Célèbes, aux Philippines, etc.
Quant à l'Aye-Aye, qu'on désigne scientifique-
ment sous le nom de C/nromys, il est de la gros-
seur dun Maki ordinaire, mais parait plus robuste
à cause de la longueur et de la rudesse de son
pelage et du volume de sa queue relevée en pa-
nache. Sa tête est arrondie, surmontée de larges
oreille-:, et animée par de grands yeux, et ses
extrémités antérieures présentent une conforma-
tion tout à fait anormale, le pouce n'étant pas
opposable aux autres doigts et portant comme
ceux-ci une véritable griffe, le doigt médian étant
comme desséché, le quatrième doigt un peu moins
grêle mais encore plus long que le précédent, et
le cinquième doigt relativement très développé.
L'Aye-Aye habite les grandes forêts de la côte
snd-est de Madagascar et doit se nourrir princi-
palement du suc mucilagineux de certaines
plantes, de miel, d'œufs, et peut-être aussi de
larves d'insectes. Tout récemment, le Muséum
d'histoire naturelle a reçu de M. Humblot plu-
sieurs individus vivants de cette espèce étrange,
découverte il y a un siècle environ par le célèbre
naturaliste Sonnerat. [K- Oustalet.J
SIPHON. — Physique, XIII. — Le siphon est un
tube recourbé, à deux branches ordinairement
inégales, employé à transvaser les liquides. Quand
le tube est d'abord rempli, que sa plus courte
branche plonge dans le liquide à transvaser et
que l'on débouche la grande, l'écoulement a lieu
d'une manière continue. Si on se contente de le
remplir d'eau et de le tenir verticalement en bou-
chant la grande branche avrc le doigt, sitôt que
cette branche sera ouverte, tout le Iniuide du tube
s'écoulera comme poussé de la petite branche
vers la grande. . , . j. ,.x
C'est à la pression atmosphérique qu est du 1 é-
coulement. Cette pression est capable de soulever
l'eau à 10 mètres dans un tube vide à la partie su-
périeure. Si l'on suppose une cloison au point e
plus élevé du siphon, i. la coudure du tube, a
colonne comprise entre celte cloison et 1 extrémité
de la petite branche sera non seulement soute-
nue mais pressée contre la cloison avec une force
représentée par une colonne d'eau dont la hauteur
sera la différence entre 10 mètres et la hauteur
verticale de la petite branche. Il en sera de même
de la colonne contenue dans la grande branche i
lexlrémité inférieure de laquelle s exerce aussi
la pression de l'air. Si donc la cloison est mobile
ou si à sa pla. e est une tranche liquide, celle-ci,
sollicitée par deux forces, se trouvera poussée par
la plus grande. Pour préciser l'explication, admet-
tons que la petite branche ait 1 mètre de long, la
grande 3 mètres, la force agissante de la petite
branche vers la grande sera le poids d une colonne
d'eau ayant pour surface la section du tube et
pour hiuteur verticale 10»,33--1 ou 9°'.33 la
force agissant de la grande branche vers la pet te
n'aura pour valeur que 10,33-3 ou -"^^SS. Entre
ces deux poussées inégales e ''q"'de ,?"/'P^?"
ne peut rester en repos ; il s'écoule par 1 extrémité
de la grande branche. .
Pour qu'un liquide chemine à travers un siphon,
il faut donc deux conditions : 1" le siphon doit
être rempli du liquide, ou, cotnme «"^it ordinai-
rement, amorcé; 2° l'oriHco de sortie doit être
plus bas que le niveau du liquide à transvaser.
Cela suffit dans la plupart des cas; cependant
lorsnue le tube du siphon a une secuon un peu
considérable, il faut aussi immerger 1 orihce de la
SIPHON
— i037
SIRENIENS
:grande branche , sans quoi l'air , divisant la
coloiiun liquide, monterait en liaut du tube et
le sipl.on n'étant plus amorcé l'écoulement ces-
serait.
(Tost si bien la pression atmosphérique qui pro-
voque l'écoulement du liquide que si l'air ne pé-
nèlre pas librement au-dessus du liquide à, trans-
vaser, le siphon cosse de fonctionner.
La petite branche ne peut donc pas avoir plus
de 10"", 33 s'il s'agit de transvaser de l'eau, pas
plus de 0,"G si l'on veut transvaser du mercure;
sa plus grande hauteur possible pour un liquide
est celle à laquelle la pression de l'air tient ce li-
quide dans le tube de Torricelli.
On emploie plusieurs moyens pour amorcer
les siphons au moment de les mettre en marche.
Le plus simple consiste à plonger le siphon ren-
versé dans un bassin d'eau où il se remplit en
quelques secondes ; on bouche la grande branche
avec l(! doigt et on plonge la petite dans le vase à,
vide. On se contente souvent de mettre le siphon
■en place et d'aspirer l'air par l'extrémité de la
grande branche. Mais ce procédé expéditif n'est
applicable qu'au cas où le liquide n'est ni désa-
gréable ni dangereux. Si l'on a affaire à des liqui-
des corrosifs, on prend un siphon dont la giande
branche est munie d'un tube latéral ; on le met en
place dans le liquide ; on bouche le bas de la
grande branche et on aspire par le tube latéral.
Dans le cas où les siphons ont de grandes dimen-
sions, on fait plonger les deux extrémités; et pour
les amorcer on installe à leur coudure une petite
pompe qui aspire l'air intérieur et que l'on fait
jouer jusqu'à ce qu'elle puise de l'eau ; on ferme
alors sa communication avec le siphon qui reste
amorcé. L'amorcement d'un siphun ordinaire peut
également être produit par iiisufflation d'air quand
le haut du vase est facile i fermer. C'est même le
procédé que l'on emploie le plus souvent pour
vider les touries : la courte branche du siphon est
fixée à demeure dans une coiffe de caoutchouc qui
s'élargit par le bas pour s'adapter sur le col du
vase, et cette coiffe porte un petit tube latéral
qui sert à insuffler l'air. On place la coiffe sur la
tourie pleine, on souffle par le petit tube ; l'air
presse sur le liquide, le fait monter dans le si-
-phoii qui s'amorce ainsi et peut écouler le liquide
tant qu'on laisse ouverte l'extrémité de la grande
■branche.
Le siphon sert très utilement dans le cas où il
s'agit de transvaser un liquide qui repose sur un
dépôt boueux. Il sert également pour faire passer
l'eau d'un réservoir dans un autre par dessus un
obstacle que l'on ne peut pas trancher. Il permet
de réaliser un écoulement intermittent quand il
est placé dans un réservoir et qu'il peut débiter
plus deau que le réservoir n'en reçoit dans le
même temps. Le verre de Tantale est un exemple
de ce dernier cas. Ce verre porte un siphon dont
la petite branche ouvre près du fond, tandis que la
grande traverse le pied; l'eau versée en mince filet
dans ce vase monte peu à peu dans le siphon, et
quand elle est arrivée à la coudure du lube elle
s'écoule. Comme l'orifice dépense plus que le filet
continu alimejitant le vase ne fournit, le verre se
vide, le siphon cesse d'être amorcé et l'écoule-
ment par le pied cesse jusqu'à ce que le verre se
soit rempli de nouveau à la hauteur de la coudure
du siphon. Ce petit appareil permet de compren-
dre le jeu de certaines sources naturelles qui
coulent pendant quelques heures ou quelques
jours, s'arrêtent un certain temps et recommen-
cent à couler à intervalles réguliers. Ces fontaines
intermittentes reçoivent l'eau par des infiltrations
dans une cavité qui ne communique à l'extérieur
que par un canal replié en forme de siphon.
L'eau s'y amasse peu à peu, et i|uand son niveau
est arrivé à la hauteur de la coudure du tubc-si-
phnn, l'écoulement commence et le réservoir se
vide. Il mettra ensuite un certain temps à se rem-
plir à nouveau pour se vider une nouvelle fois en
peu de temps.
Le siphon est un appareil très ancien: les
Egj-ptiens l'employaient plus de 1700 ans avant
notre ère, ain^i qu'en témoignent les dessins
retrouvés sur les monuments do l'ancienne
Egypte.
bxpi'riences . — Amorcer un siphon par les dif-
férents moyens. Remplir à demi un vase d'eau, y
plonger une mèche de coton qui repose sur le
bord du vase et retombe à l'extérieur ; cette mèche
fera l'office de siphon capillaire pour vider lente-
ment le vase.
[Haraucourt.]
SlUÉMENS. — Zoologie , XII. — Certains
naturalistes ont pensé que les poètes de l'antiquité
n'avaient pas inventé purement et simplement
les Sirènes, ces êtres marins qui se servaient de
leur voix mélodieuse pour attirer dans l'abîme les
malheureux navigateurs, mais qu'ils avaient seu-
lement tracé le portrait singulièrement flatté de
quelques mammifères qui vivent encore aujour-
d'hui dans les eaux de la mer Rouge, de l'Océan
Indien et de l'Océan Atlantique. En conséquence
ils ont donné les noms de Siréniens et de Siré-
nides à un ordre comprenant les animaux qu'on
appelle vulgairement Dugongs et Lamantins. Mal-
heureusement, d'autres zoologistes ont appliqué
également le nom de Siréniiles à un petit groupe
de batraciens ayant pour type la Sirène lacertine,
et d'autres encore ont cojistitué une famille des
Sirènirlés pour divers poissons, tels que les Lé-
pidosirènes, les Protoptères et les Ceratodas.De
tout cela il est résulté une certaine confusion.
Quoi qu'il en soit, nous n'avons à nous occuper
ici que des Dugongs , des Lamantins et des
Rhytines, que nous nommerons décidément Si-
rénieiu.
Souvent confondus avec les Cétacés, les Siré-
niens se distinguent cependant de ces derniers
mammifères par quelques caractères importants.
En effet, si les Lamantins et les Dugongs sont,
comme les Baleines et les Cachalots, conformés
spécialement pour une existence aquatique, si,
par la forme générale de leur corps et pir l'ab-
sence de membres postérieurs, ils ressemblent
également aux poissons, tout en différant de
ceux-ci par la disposition de leur nageoire cau-
dale qui est transversale et non pas verticale, ils
ont les narines ouvertes sur le museau, les ma-
melles situées sur la poitrine et les phalanges des
membres antérieurs au nombre de cinq. Au con-
traire les Cétacés ont les narines percées dans
la région frontale, les mamelles rejetées sur
l'abdomen et les nageoires latérales soutenues
d'ordinaire par un assez grand nombre de rayons
osseux. D'autre part, chez les Dugongs, le coeur
est légèrement bifide, comme si les moitiés gauche
et droite ne s'étaient pas complètement soudées,
disposition qu'on n'observe pas chez les Cétacés.
Enfin, tandis que les Baleines et les Cachalots se
nourrissent de mollusques et d'autres animaux ma-
rins de tiès petite taille, les Dugongs et les La-
mantins broutent les algues, les fucus et les
herbes qui ci'oissent à l'embouchure des grands
fleuves, dans lesquels ils pénètrent volontiers.
Aussi désignait-on naguère encore les Baleines et
les Cachalots sous le nom de Cétacés carnivores,
tandis qu'on appelait Cétacés hcrbioores les Du-
gongs et les Lamantins.
Jusqu'à la fin du siècle dernier trois genres
constituaient l'ordre des Siréniens; mais aujour-
d'hui les Rhytines [Rhytina ou Stelleria) ont
complètement disparu de la surface du globe,
et c'est à peine si elles se trouvent représentées
par quelques débris dans les principaux musées-
SIRÉNIENS
— 2038 —
SLAVES
de l'Europe. Heureusement des renseignements
circonstanciés sur ces animaux étranges nous ont
été transmis par Steller, naturaliste russe qui
échoua, vers le milieu du dixliuitième siècle,
dans l'île encore inconnue de Behring, et fut
forcé d'y séjourner plusieurs mois. A cette époque
les Rhytines étaient encore extrêmement répan-
dues dans ces parages et fournirent à Steller et
à ses compagnons une nourriture abondante.
C'étaient des mammifères de grande taille, attei-
gnant jusqu'à 35 pieds anglais de longueur, et
rappelant beaucoup les Phoques par la conforma-
tion de la partie antérieure de leur corps. Leur
tête se terminait en avant par une sorte de
mufle, garni de soies nombreuses, et se confon-
dait en arrière avec le corps ; leurs yeux étaient
gros comme ceux d'un mouton et leurs oreilles
n'apparaissaient pas à l'extérieur, l'ouverture du
conduit auditif étant cachée par les poils et les
saillies de la peau. Les membres antérieurs,
complètement transformés en nageoires, n'offraient
plus de traces de doigts, et portaient en dessous
des poils serrés comme ceux d'une brosse. Les
flancs étaient arrondis, et, en arrière, le corps,
diminuant brusquement de largeur, était muni
d'une nageoire aplatie et dirigée liorizontalement.
Au dire de Steller, les Rhytines vivaient en
troupes nombreuses et se nourrissaient d'herbes
qu'elles venaient cueillir le long du rivage ; elles
étaient si peu farouches qu'elles se laissaient ap-
procher sans difficulté et frapper à coups de
harpon. Leur chair était très savoureuse et leur
graisse avait toutes les qualités du beurre. Aussi
n'est-il pas étonnant que les pêcheurs russes et
les Kamtschadales se soient livrés activement à la
chasse de ces animaux inofl'cnsifs. En peu de
temps ils en détruisirent des milliers, et bientôt
rfespèce fut entièrement anéantie.
Les Lamantins furent placés dans le même
groupe que les Phoques non seulement par Clu-
sius, mais par des naturalistes plus récents, et
entre autres par Lacépède. C'est G. Cuvier qui
reconnut le premier les véritables affinités de ces
mammifères. 11 rangea les Phoques et les Morses
à la suite des Carnassiers dans le groupe des Am-
phibies *, et il en sépara complètement les La-
mantins qu'il mit avec les Dugongs dans le groupe
des Cétacés herbivores, correspondant b. l'ordre
actuel des Siréniens. Les Lamantins atteignent des
dimensions assez fortes : ils ont la tête arrondie,
le museau obtus en forme de groin, le corps renflé
en avant, atténué en arrière, la queue aplatie et
ovalaire ou même légèrement pointue, les na-
geoires antérieures allongées, très mobiles et mu-
nies encore de quelques rudiments d'ongles. Leurs
yeux sont aussi petits que ceux d'un porc et leurs
oreilles s'ouvrent à l'extérieur par un pcrtuis caché
sous les poils. Leur bouche est dépourvue de ca-
nines et, chez l'adulte, ne possède même plus
d'incisives, mais est toujours armée de huit ou
neuf paires de molaires à chaque mâchoire. Sur
la plus grande partie du corps la peau est très
épaisse, presque glabre, et colorée, dans l'animal
vivant, en gris-bleuâtre.
On n'admet généralement dans le genre Laman-
tin ou Manatus que trois espèces, dont deux sont
américaines, savoir le Lamantin à large museau
(il/, latiroslrù), des Antilles et des côtes de la
Floride, et le Lamantin austral {M. australis), de
la Guyane et du Brésil, tandis que la troisième, le
Lamantin du Sénégal (M. senegalensis), se trouve,
comme son nom l'indique, sur les côtes et â l'em-
bouchure des grands fleuves de la Sénégambie. De
ces trois Lamantins, le second, le Lamantin austral,
est de beaucoup le plus connu; c'est la Sirène,
le Bœuf marin, la Varlte marine des anciens
voyageurs. Il remonte le cours de l'Oyapock, de
1 ' Orénoque et de l'Amazone, et se trouve même
dans les lacs herbeux en connexion avec ces grands
fleuves. Les Américains prétendent avoir vu de
ces animaux qui mesuraient 6 â 7 mètres de long
sur I à 2 mètres de large ; mais ce sont là des di-
mensions exceptionnelles que n'ont pas d'ordi-
naire les Lamantins capturés sur les côtes de la
Guyane. Du temps de Humboldt il n'était pas
rare de voir jusqu'à trois mille Lamantins réunis
dans un seul lac; mais depuis cette époque le
nombre de ces animaux a sensiblement diminué,
par suite de la guerre impitoyable qui leur a été
faite par les indigènes et par les Européens. La
chair du Lamantin est en effet très bonne à man-
ger, et peut être salée et conservée comme la
viande de porc. De même que les Rhytines et les
Dugongs, les Lamantins sont des êtres très doux
et très sociables, qui, sans être doués d'une grande
intelligence, paraissent néanmoins susceptibles de
recevoir une certaine éducation, et qui pourraient
sans doute être élevés en captivité, au moins dans
leur pays natal, et donner, comme betail,às sérieux
profits. Il suffirait de leur assigner pour domaine
un étang assez vaste dont les berges seraient cou-
vertes d'une abondante végétation. Les Lamantins
ont en eiïet des habitudes encore plus aquatiques
que les Phoques et ils ne sortent point de l'eau
pour prendre leur nourriture.
Les Dugongs (Halicore) se trouvent dans la mer
Rouge, dans l'Océan indien et dans les fleuves qui
s'y jettent; ils se distinguent des Lamantins par
la forme de leur nageoire caudale, décoiipée eii
croissant, et par le nombre de leurs molaires qui
est de cinq paires au plus à chaque mâchoire.
Ces molaires sont d'ailleurs pourvues d'une seule
racine et presque cylindriques, comme celles de
certains Edentés. Le museau des Dugongs est
obtus, aplati, garni de soies rudes, et surplombe
l'ouverture buccale ; leur corps est massif et letirs
nageoires antérieures ne présentent aucun vestige
d'ongles dans leur portion terminale.
On ne connaît que deux espèces de Dugong,
VHalicure dugong ou Dugong ordinaire, qui se
rencontre depuis les îles de la Sonde jusqu'aux
Philippines et à la Nouvelle Guinée, et VHulicore
ouslralis ou Dugong austral, qui fréquente les
côtes septentrionales de l'Australie. L'espèce vul-
gaire est d'un gris plombé ou bleuâtre et ne dé-
passe guère 5 mètres de long. C'est le Nackhe el
Ijakr [Chamelle de mer) des Arabes.
D'un naturel stupide, les Dugongs se metivent
en général avec beaucoup de lenteur. Ils vivent
en troupes nombreuses et se nourrissent principa-
lement d'algues marines. Leur chair, pour être
mangeable, doit être soumise à une cuisson pro-
longée ; leur cuir est assez résistant, et est em-
ployé par les Malais et les Abyssins pour la con-
fection de sandales, qui malheureusement ne peu-
vent être employées que par les temps secs.
Durant la période tertiaire, dans les mers qui
couvraient alors une partie de nos contrées, vi-
vaient des animaux du même groupe que les La-
mantins et les Dugongs, qui ont été appelés Hali-
Iherium par les paléontologistes. [E. Oustalet.]
SLAVKS (PEtjPLEs). — Histoire générale, XXVII,
XXXllI, XXXIV. — Ce Dictionnaire a consacré des
articles spéciaux à la Pologne et à la Russie. Ce sont
les deux pays slaves qui ont joué le plus grand rôle
dans riiistoire; mais s'ils dominent les destinées
de la race slave, ils sont loin de la représenter tout
entière. Cette race, qui occupe la plus grande partie
de l'Europe, est partagée entre un grand nombre
d'Etats différents; en dehors de la Russie et de la
Pologne, il y a des Slaves dans l'empire allemand,
dans l'empire d'Autriche, dans l'empire ottoman,
dans les principautés indépendantes ou vassales
de Monténégro, do Serbie, de Bulgarie et de
Roumélie. Il est très difficile do donner une statis-
tique absolument exacte do la race slave; en effet»
SLAVES
— 2039 —
SLAVES
saut dans les Etats absolument indépendants
comme la Russie, la Serbie, le Monténégro, ou la
Bulgarie, la race dominante ne se soucie en aucune
façon d'établir le cliiffre exact de la race dominée.
Nous nous contenterons de la statistique approxi-
mative des peuples slaves.
On peut évaluer le nombre total dos Russes à
GO millions, dont 40 millions de Grands Russes et
20 millions de Russes Blancs et Petits Russes im-
proprement appelés Russiens (2 à 3 millions de ces
Petits-Russes débordent en Autriclie, sur l'ancienne
province polonaise de Galicie et dans le nord-est
de la Hongrie), Les Polonais proprement dits ne
dépassent guère 9 millions ; ils sont répartis entre
la Russie (5 à 6 millions), la Prusse (s .'i 900000), la
Galicie autrichienne (moins de 3 millions).
On trouve dans le royaume de Saxe et en Prusse
environ 150 000 Vendes ou Serbes de Lusace. Ce
sont les descendants d'un peuple connu dans notre
histoire, les Sorabes, contre lesquels lutta Cbarle-
magne. Ce peuple appartenait lui-même à la grande
famille des Shves de l'Elbe ou Slaves Bàltiques, qui
occupaient autrefois toute la partie orientale de la
Prusse actuelle et qui ont disparu devant la con-
quête allemande. Les noms des principales villes
de l'Allemagne dans ces régions trahissent encore
aujourd'hui l'origine slave de ces cités (Berlin,
Brandebourg, Leipzig, Dresde, etc.). Le nom du
Brandebourg, celui de la Poméranie ne s'expli-
quent que par des étymologies slaves. La nation
bohétne ou tchèque est le seul peuple slave qui
soit compris tout entier dans l'empire d Autriche.
Il compte plus de 3 millions de Tchèques dans le
royaume de Bohême, et 1 SdOOOO environ en Mo-
ravie et dans la Silésie autrichienne. Cette nation
est remarquable par son esprit d'initiative et par
sa ténacité ; c'est elle qui, au moyen âge, a produit
Jean Huss et préludé par ses luttes religieuses à
la réforme de Luther. Ce sont ses penseurs et ses
poètes qui dans notre siècle ont les premiers émis
l'idée de grouper tous les peuples slaves en un
seul faisceau pour lutter avec plus de succès
contre les Allemands, Il y a dans le royaume de Bo-
hême et en Moravie environ 2 millions d'Allemands
qui.avec l'instinct de domination propre à leur race,
s'efforcent d'annihiler leurs compatriotes slaves et
de faire prévaloir dans la vie publique, dans l'ad-
ministration et dans l'enseignement la culture et l'i-
diome germanique. Les Tchèques ont su résister à
ces prétentions avec une ténacité digne de tous les
éloges. D'autre part les publicistes allemands n'hé-
sitent pas à revendiquer les pays de la couronne de
Bohême pour l'empire allemand, sous prétexte
qu'ils en ont autrefois fait partie. Les efforts des
Tchèques pour maintenir à la fois l'intégrité de
l'Etat autrichien et l'autonomie de leur patrie
sont donc tout particulièrement dignes d'inté-
rêt. A la famille tchèque se rattache par l'idiome
et par les traditions littéraires le petit peuple
slovaque, qui occupe les comitats du nord de la
Hongrie, Les Slovaques sont au nombre de 2 à
3 millions; leur condition est fort pénible ; ils
sont sous la dépendance des Hongrois ou Magyars,
qui partaKcnt avec les Allemands la direction gé-
nérale de l'empire d'Autriche et qui visent à assi-
miler ou à détruire tous les peuples d'une autre
race que la leur. Livrés à eux-mêmes, les Slova-
ques n'ont point d'avenir ; ils no peuvent mainte-
nir leur existence qu'en s' appuyant sur leurs con-
génères de Bohème,
Les Slaves que nous venons d'énumércr peuvent
être appelés Slaves du nurd par rapport aux Slaves
du nndi dont ils sont séparés par les Allemands et
les Hongrois Cette séparation a été fatale à toute la
race ; si les Slaves avaient formé une unité géogra-
phique, ils auraient eu plus de cohésion et de force
pour résister à leurs ennemis. Les Slaves du sud
comprennent les Slovènes, les Croato-Serbes et
les Bulgares. Les Slovènes {Vi à 1500 000) occupent
la Styrie méridionale, la Carniole, la Carinthieet
l'Islrie, Ils sont mêlés, dans ces provinces, à des
Allemands ou à des Italiens contre lesquels ils ont
à défendre leur existence nationale. Los Croato-
Serbes (5 à G millions) sont partagés en une foule
de groupes politiques: 1° les Ci'oa/e.«, dans les
doux royaumes do Croatie et de Slavonie, annexe
de la couronne de Hongrie ; 2° les Dalmate^, dans
la province de ce nom, qui dépend politiquement
de la Cisleithanie ; 3° les Serbes dispersés dans le
sud de la Hongrie, où ils ne forment pas un corps
politique, mais simplement une corporation reli-
gieuse : comme les Slovaques, ils ont beaucoup bt
soufi'rir de l'intolérance et de l'ambition des Hon-
grois; i" les deux principautés serbes, aujourd'hui
absolument indépendantes, de Serbie (capitale
Belgrade) et do i/o/itoiejro (capitale Tsettinié);
5" les Croates et les Serbes de Hosnie et d'Herzé-
govine actuellement soumis à l'Autriche et à la
Turquie. Les deux principautés comptent actuel-
lement environ nuOOOO habitants. Les Serbes et
les Croates ne forment au fond qu'une seule na-
tion ; seulement les Ci;oate8 professent la religion
catholique romaine et célèbrent leur liturgie en
langue latine. Les Serbes professent la religion
orthodoxe et célèbrent leur liturgie en langue
slavonne ; cette circonstance contribue à les rap-
procher davantage des Russes qui sont à la fois
leurs congénères et leurs coreligionnaires. Les
Bulgares appartiennent également h la religion
orthodoxe. On évalue leur nombre à environ
i millions. Ils sont actuellement répartis en trois
groupes politiques : 1° la principauté indépen-
(iante de Bulgarie, créée à la suite du traité de
San Stefano (capitale Sofia); 2" la principauté de
Houmèlie, vassale de la Turquie (capitale Philippo-
polis), 3° les Bulgares restés sous la domination
immédiate de la Perte. Les deux premiers grou-
pes peuvent dès maintenant, après un long escla-
vage, aspirer à des destinées meilleures ; le dernier
est actuellement opprimé à la fois par les Grecs
et les Ottomans.
Ainsi qu'on peut en juger par ce tableau sommai-
re, la destinée des peuples slaves — la Russie ex-
ceptée — a été jusqu'ici loin d'être enviable. Ils
ont eu autrefois cependant leurs jours d'indépen-
dance et de gloire. On sait ce qu'a été la Polo-
gne; la Bohême a formé au moyen âge un royaurne
important et qui a joué un grand rôle dans l'his-
toire politique et religieuse; les Bulgares et les
Serbes ont formé autrefois deux Etats qui ont
tenu tête aux empereurs byzantins et n'ont suc-
combé que sous les coups de l'invasion ottomane.
A quelles circonstances faut-il attribuer l'état
d'abaissement et de misère où nous voyons les
Slaves réduits aujourd'hui? La réponse â cette
question n'est que trop facile; il faut noter d'a-
bord le caractère anarchique des peuples slaves,
caractère signalé dès le début de leur histoire
par les historiens byzantins. Un seul Etat slave,
la Russie, a .su se donner une organisation puis-
sante ; mais il l'a calquée sur le despotisme des
Mongols.
Les autres peuples slaves ont passé une partie
de leur existence dans des luttes intestines.
Ils sont restés formés en petits groupes et n'ont
pas su se fondre en monarchies un peu com-
pactes. Ils se sont établis dans des régions mal
délimitées et n'ont pas su s'emparer de la mer
qui donne la puissance et la vie aux petites na-
tions, témoin la Grèce antique , ou les républi-
ques italiennes. Enfin, pour leur malheur, ils ont
puisé la religion chrétienne et la civilisation à
deux sources différentes. Les Russes, les Bulga-
res et les Serbes ont été convertis par Byzance ;
les Croates, les Slovènes, les Tchèques et les Po-
lonais par Rome. Les uns ont reçu la culture la-
SLAVES
— 20^0 —
SLAVES
tine, les autres la culture byzantine. Ils se sont
ignorés les uns les autres, sont restés plus ou
moins indifférents à leur destinée ou niÈnie ont
usé une partie de leur vigueur dans des luttes
fratricides. Le lamentable conflit de la Pologne et
de la Russie ne se serait sans doute jamais pro-
duit si les deux peuples avaient appartenu à la
même religion. Faute de solidarité, les Slaves
ont eu le mallienr de se laisser accabler successi-
vement perdes ennemis rapaces, avides de domi-
nation et de conquêtes, les Allemands, les Hon-
grois, les Turcs.
Etant donné ces circonstances, il faut que les
nations slaves aient été douées d'une vitalité
extraordinaire pour n'avoir pas succombé dans
les luttes qu'elles ont eu à soutenir pour l'exis-
tence. Depuis la fin du siècle dernier, elles ont
affermi cette vitalité par une série d'efforts géné-
reux qui ont appelé sur elles l'attention de l'Eu-
rope et qui ont eu pour résultat presque immé-
diat une amélioration importante dans leur
condiiion matérielle ou morale. Les Slaves d'Au-
triclie, guidés par les Tchèques de Bolième, ont
obligé la monarchie à compter avec eux et com-
mencent h contrebalancer avec succès la prépon-
dérance des Allemands et des Hongrois. Les Ser-
bes de Turquie , à la suite d'une lie\ireuse ré-
bellion , ont fondé une principauté importante
qui semble devoir être le Piémont de leur race.
Les Bulgares ont préparé par de sourdes luttes
l'affranchissement qui leur a été apporté par la
Russie lors de la dernière guerre d'Orient. Dans
cette renaissance, les lettrés, les poètes, les pro-
fesseurs ont joué un grand rùle. Ce sont eux qui
ont mis en avant l'idée du pimsluvisnie, c'est-à-
dire de la solidarité politique ou morale de tous
les peuples slaves. Les Allemands prétendent
étendre leur tutelle sur tous les pays où résonne
l'idiome germanique. A cette théorie allemande
certains Slaves veulent opposer l'unité de leur pro-
pre race. On a souvent cru que le panslavisme
était d'origine russe. C'est une erreur. Ce sont
les petits peuples slaves qui au contraire ont
rêvé une grande fédéralion où la Russie aurait
naturellement la place d'honneur. Ils ne préten-
dent pas — sauf quelques fanatiques — lui sacri-
fier leur langue et leur individualité. Ils lui
demandent simplement de les protéger contre
l'ennemi héréditaire, quel qu'il soit, Allemand,
Turc ou Hongrois. Ainsi compris, le panslavisme,
loin d'être un danger pour l'Europe, pourrait être
une des conditions de son équilibre.
A l'expansion de la race germanique, il oppo-
serait la cohésion de la race slave qui devien-
drait la plus solide alliée de la race latine. Pour
que les peuples slaves arrivent à se réunir
ainsi sous l'égide de la Russie, il faut que ce
grand empire soit doté d'institutions libérales qui
le fassent définitivement entrer dans l'Europe
moderne ; il faut aussi qu'il arrive à se réconci-
lier avec la Pologne, sur la base d'une transac-
tion équitable. Quoi qu'il en soit, le mouvement
de renaissance des peuples slaves a droit i toute
notre attention et à toutes nos sympathies ; ils
luttent pour une cause qui est bonne, celle de
l'autonomie poliiique, de la liberté morale ; ils
s'inspirent des principes de notre Révolution ;
ils sont nos amis dans le présent. Ils peuvent
être nos allies dans l'avenir.
A. ces considérations générales nous devons
ajouter quelques détails spéciaux sur l'histoire de
ceux des peuples slaves qui forment encore aujour-
d'hui, en dehors de l'empire russe, des groupes
politiques un peu importants : les Tchèques, les
Croates, les Serbes et les Bulgares.
Le- Tclièrjues. - Les Tchèques, appelés aussi en
français Bohèmes, apparaissent dans l'histoire vers
le v« ou VI' siècle ; ils occupent le quadrilatère formé
par les monts de Bohême et luttent victorieusement
contre les Allemands; ils deviennent chrétiens et
catholiques vers la fin du ix'^ siècle; vers la même
époque un chef morave (c'est-à-dire tchèque),
Svatopluk, forme un Etat puissant qui disparait
au début du x' siècle sous les coups de l'invasion
hongroise. A la fin du xi' siècle un duc de
Bohême prend le titre de roi ; malgré les efforts
de l'empire germanique, la Bohème unie à la
Moravie maintient son indépendance. En 1212,
sous Premysl-Otokar, elle repousse les Tartares
devant 01mutz:Premys!-Otokar II il2i:i- 1278) étend
sa domination jusqu'à l'Adriatique ; mais il ren-
contre un terrible adversaire dans la personne
de Rodolphe de Habsbourg et succombe dans la
lutte (V. Autriche). Au xiv' siècle, sous la mai-
son de Luxembourg, les rois de Bohême sont
empereurs d'Allemagne. Charles IV fonde à Pra-
gue (1348) la deuxième université d'Europe après
celle de Paris et fait de cette capitale une cité
magnifique. Sous son successeur, Jean Huss prê-
che la réforme de l'Eglise et s'efforce de restrein-
dre l'influence que les Allemands ont peu à peu
conquise dans le royaume. 11 est brûlé en 1415
par le concile de Constance. La Bohême se pas-
sionne pour les réformes religieuses, et réclame
la communion sous les deux espèces ; les chefs
des Hussites , Procope, Zizka, etc., tiennent tête
à tout l'empire germanique. Un roi sage, Georges
Podiebrad (1458-1471), réussit à rétablir l'ordre
moral et matériel. En 1536 l'extinction de la
dynastie nationale livre la couronne de Bohême
aux convoitises de la maison d'Autriche. Les sou-
verains autrichiens s'efforcent de supprimer la
liberté religieuse ; la révolte des états de Bohême
en 1618 donne le signal de la guerre de Trente
ans. La Bohême vaincue est livrée aux jésuites et
germanisée pendant les xvii' et xviii' siècles. A
dater de la fin du xviii" siècle, elle commence à
se relever, reconquiert peu à peu sa langue et
son individualité et prend la tête du mouvement
slave en Autriche; aujourd'hui, elle réclame dans
la monarchie la reconnaissance de ses droits
historiques et une situation analogue à celle qui a
été faite à la Hongrie.
Les Croates. — Établis vers 638 dans les
régions qu'ils occupent aujourd'hui, les Croates
ont été sans résistance convertis au catholicisme ;
à la fin du x' siècle, un de leurs princes prit le
titre de roi; à la fin du siècle suivant, la Croatie
fut réunie à la Hongrie; mais elle a toujours con-
servé le titre de royaume et l'autonomie nationale.
Les Serijes. — Comme les Croates, les Serbes
se sont établis au vu" siècle dans les pays qu'ils
occupent aujourd'hui, mais ils se sont convertis
à la religion grecque ou orthodoxe ; ils organisè-
rent un Etat indépendant dont les princes prirent
au XI' siècle le titre de rois. La dynastie des Ne-
manias (11j9-1369) amena l'Etat serbe à un haut
degré de puissance et de culture. Il atteignit son
apogée sous le règne du tsar ou empereur Dou-
clian, qui réunit sous son pouvoir presque toute
la péninsule du Balkan. On cite encore aujour-
d'hui le Code de ce souverain. Après la fameuse
défaite de Kosovo (1389), où le sultan Amurat I"
écrasa l'armée serbe, la Serbie devint tributaire
des Turcs. Réduite à l'état de simple province,
elle était presque oubliée de l'Europe quand une
révolte heureuse, au début de notre siècle, rendit
la liberté à une partie de la race serbe. La dynas-
tie des Obrénovitch. aujourd'hui régnante, semble
destinée à grouper plus tard sous son sceptre les
Serbes non encore affranchis. Mais elle doit comp-
ter avec la rivalité de l'Autriche. — Les Serbes
du Monténégro, grâce à leurs noires montngnes,
sont toujours restés indépendants.
Les liulgnres. — Leur destinée est analogue à
celle des Serbes. Les Bulgares primitifs n'étaient
SOCIETE
— 2041 —
SOCIETE
pas d'origine slave, mais ils ont été slavisos de
bonne liouro ; ils ont été convertis au christia-
nisme grec, et c'est cliez eux qu'a fleuri (ix' et
X' siècles) la première littérature slave-clirétienne ;
ils ont eu des rois nationaux jusqu':\ la fin du
XIV' siècle. Opprimés par les Ottomans, ils ont
commencé depuis trente ans h lutter pour leur
autonomie nationale et religieuse. En 1877-18, les
armes de la liussie leur sont venues en aide, et
ils ont déjà fondé dmix principautés, l'une tout à
fait indépendante (la Bulgarie proprement dite),
l'autre vassale de la Porte (la Boumélie orientale).
C'est un peuple tenace, laljorieux et sur l'avenir
duquel on [jeut compter. [Louis Léger.]
SOCIÉTÉ. — Connaissances usuelles. VI. —
L'Académie définit la société un « assemblage
d'hommes qui sont unis par la nature ou par des
lois », le <i commerce que les hommes réunis ont na-
turellement les uns avec les autres » : L'homme est
né pour la société ; la société naturelle, la société
civile ; être le fléau de la société. Dans ce sens,
le mot société peut se dire de certaines espèces
d'animaux qui vivent rassemblés, en troupes : ces
animaux vivent en société. Société i< signifie aussi
compagnie, union de plusieurs personnes jointes
pour quelque intérêt, ou pour quelque affaire, et
sous de certaines conditions » : une société de
financiers, de commerçants, etc.; et encore « com-
pagnie de gens qui s'assemblent pour vivre selon
les règles d'un institut religieux, ou pour conférer
ensemble sur certaines sciences » : la Société des
Jésuites (dans ce cas, le mot Société prend une S
majuscule; , la Société royale de Londres, etc. Il
y a de même des sociétés littéraires, des sociétés
politiques, des sociétés de conversation, de jeUj
de plaisir. Dans une acception plus générale, so-
ciété se dit II des rapports, des communications
que les habitants d'un pays, d'une ville ont entre
eux pour leurs amusements, pour leurs plaisirs» :
Il n'y a point de société dans cette ville ; le ton de
la société; les agréments de la société. Enfin so-
ciété se dit encore ci du commerce ordinaire, ha-
bituel que l'on a avec certaines personnes » : Je
trouve beaucoup do douceur, d'agréments dans sa
société ; il est d'une bonne société.
Il est facile de rattacher les divers sens de ce
mot, qui découlent naturellement les uns des au-
tres, à son origine latine, dont le terme premier
est socius, fignifiant compngnon, lequel a lui-
même pour collatéraux des radicaux plus anciens
signifiant ami, amitié, et, d'autre part, .luiore.
La société, entendue comme la défijiit d'abord
l'Académie, constitue, presque au même titre que
celui de notre existence, un des faits primordiaux
et caractéristiques de l'espèce humaine. L'homme
n'est pas fait pour vivre seul, il est fait pour vivre
avec ses semblables, pour s'unir à eux, s'associer
h eux; l'homme est un être éminemment sociable,
«zôon politikon,» suivant le mot d'Aristote.
Il est extrêmement important de donner à l'en-
fant une idée juste et précise de cette disposition
fondamentale de notre nature, car il en découle
toutes sortes de conséquences qui ne peuvent
manquer d'avoir une grande influence sur ses
idées et ses sentiments, et, par suite, sur sa con-
duite dans la vie.
Nous allons donc chercher, en nous plaçant au
point de vue dis explications que le maître doit
sur ce sujet donner i son élève, ce que c'est que
la société et quelles sont les raisons d'être de la
société ; quelles sont, d'après cela, les conditions
de la vie en société ; quelles sont en outre les dif-
férentes évolutions des sociétés, telles que nous
les présente l'histoire, et enfin les avantages des
sociétés civilisées, particulièrement de notre so-
ciété française moderne.
Nous dirons ensuite quelques mots, toujours au
même point do vue, de certaines applications à
l'éducation de l'enfant des différentes acceptions du
mot société, d'après les définitions de l'Académie.
On a souvent dit que l'homme est né pour la so-
ciété, et on en a donné cette preuve, qu'il est
doué de la parole. La vérité est que la parole est
le résultat même de la vie commune. L'homme
isolé ne parlerait pas. C'est le besoin qu'a éprouvé
l'homme de se grouper, de se rapprocluT de ses
semblables, qui l'a poussé il se servir de ces élé-
ments matériels informes, les sons et les articula-
tions, à les associer, à les combiner pour en faire
la représentation communicable de ses pensées.
Les animaux ont dos cris, des chants, par lesquels
visiblement ils expriment ce qui est en eux, et vi-
siblement aussi ils transmettent au dehors, jus-
qu'à un certain point, ce qu ils éprouvent, ce qu'ils
désirent, ce qui leur fait peur, etc. Mais combien
ces moyens extérieurs de transmission sont infé-
rieurs à nos mots, à nos phrases, à nos langues,
sans lesquelles il nous semble que nous ne pour-
rions pas même penser! L'homme isolé ne se fût
pas beaucoup élevé au-dessus d'eux.
On pourrait encore faire remarquer à l'enfant
qu'au témoignage de l'histoire jamais on n'a trouvé
l'homme vivant seul. Il y a toujours eu, il y a
encore des sauvages ; l'homme isolé ne se trouve
nulle part. Les solitaires de la Thébaide n'ont été
que des exceptions volontaires fort rares ; encore
leur solitude n'était pas aussi absolue qu'elle le
semble; dans tous les cas, ils ne prétendaient
point à faire race. Les Robinsons, dont on lui fait
liie les très amusantes aventures, ne sont Robin-
sons que par accident ; leur histoire, d'ailleurs,
est fort arrangée ; les vrais Robinsons — il s'en est
trouvé quelques-uns — meurent ou deviennent des
brutes, pour peu que leur isolement se prolonge.
Ce n'est donc point, comme on l'a imaginé, par
suite d'une sorte d'accord, de contrat réel ou tacite,
que les hommes se sont déterminés à vivre en so-
ciété ; l'état de société est pour eux l'état naturel
et primordial. L'homme sauvage, à qui volon-
tiers certains écrivains auraient reproché d'avoir
voulu sortir de sa sauvagerie, d'avoir quitté pour
l'état social un soi-disant état de nature supérieur
et meilleur, n'occupe en réalité qu'un degré infime
de la vie en commun: mais c'est déjà un être as-
socié. La société, — ne nous lassons pas de le re-
dire, — est le milieu normal où l'Iiomnie est appelé
à vivre; c'est d'elle et d'elle seule que lui vien-
nent non seulement ses moyens d'exister, qui ne
seraient sans elle qu'absolument précaires et in-
suffisants, mais aussi tout ce qu'il peut réaliser
et rêver de jouissance et de grandeur.
Seulement ces avantages de la vie en société ne
frappent pas toujours les yeux ; il en est d eux
comme de la santé: ils nous paraissent si naturels,
que nous n'en sentons bien le prix que lorsqu'il
nous arrive d'en être privés ; quelquefois même
nous sommes volontiers disposés à les méconnaî-
tre, en présence surtout de quelques-unes des
obligations, qui sont les garanties du bien-être
social, mais qui ne laissent pas de nous coûter
cher. Quand le percepteur nous adresse notre
feuille de contributions, quand le maire nous in-
vite à venir tirer le numéro qui nous enverra au
régiment pour plusieurs années, au risque même
parfois de n'en jamais revenir, nous ne sentons
alors que la main qui pèse sur nous, nous ne sen-
tons pas qu'en même temps elle nous soulève et
nous fait marcher. L'enlant, en particulier, n'a
aucune idée des services que la société lui rend :
il faut les lui faire comprendre.
Montrez- lui tout d'abord la place qu'il occupe
dans cette première société naturelle, qui est la
famille. Sauf des cas heureusement rares, les
bienfaits qu'il en reçoit sont assez près de lui
pour qu'il n'y soit point insensible. A tout le
moins, le pain de chaque jour, il no le gagne
SOCIETE
2042 —
SOCIÉTÉ
point, CB sont ses parents qui le gagnent pour
lui, et souvent au prix de quelles peines! Ajou-
tez — les exemples ne seront, que trop souvent à
votre disposition — que la société n'abandonne point
ceux qui sont privés de famille; elle les recueille
et elle les assiste (V. Assistance publique et En-
fants assistés dans la I" Partie); elle les met en
état de vivre honorablement. Ajoutez encore
qu'à lui-même, à lui cbétif, elle reconnaît des
droits ; le droit d'être nourri, par exemple : s'il
ne lui était pas donné le nécessaire, elle intervien-
drait, en pressant, au besoin, sur la famille ; le
droit d'être instruit : ce n'est pas celui-li peut-
être que quant à présent il apprécie le mieux,
mais il en reconnaîtra plus tard l'importance ;
elle le suit, pour le protéger, partout où il lui
plaît d'aller; il n'a que ses deux bras pour se dé-
fendre, et ils sont bien faibles; mais il y a à chaque
instant près de lui un bon et puissant génie qui
ne souffrira pas, sans revendiquer de terribles
responsabilités, qu'on touche à un clieveu de sa
tête. Tout ce qu'il a sur lui, tout ce qui est à lui
vient d'elle, et il n'est pas seulement redevable de
son bien-être à la génération dont il fait partie,
aux milliers et aux millions d'hommes qui vivent
en même temps que lui et, sans qu'il s'en doute,
sans qu'ils s'en doutent eux-mêmes d'ailleurs, tra-
vaillent pour lui; il en est redevable, dans la vé-
rité exacte du terme, à tout le passé de l'huma-
nité. Sa blouse de coton ou de laine a peut-être
poussé dans le champ d'un planteur do l'Amérique
du Nord ou sur le dos d'un moulon australien.
Qu'il juge combien de mains ont dû être employées
pour l'amener à l'état qui lui permet de s'en
servir ; qu'il aille plus loin et qu'il comprenne
que le moindre métier à tisser en usage de notre
temps suppose non pas seulement la découverte
toute moderne de la vapeur, mais préalablement
celle du fer : le voilà dès lors constitué héritier
des inventions des premiers âges. Et ainsi de tout
le reste. Il a lu, dans l'histoire du plus intéressant
de ces Robitisons dont nous parlions tout à
l'heure, tout ce qu'un homme peut faire, avec une
scie et une hache de charpentier, pour reconsti-
tuer à son bénéfice les éléments indispensables du
bien-être qu'un isolement momentané lui a fait
perdre. Robinson,sur son île, tient encore ainsi à la
société perfectionnée où il a vécu; mais réduisez-
le à l'usage de ces outils informes, quoique déjà
ingénieux, qu'on voit dans nos musées et qui at-
testent le passage sur notre terre des premières
générations humaines ; descendez encore d'un
degré, réduisez-le à la nécessité d'inventer seul ces
rudiments d'outils, et vous jugerez de sa misère.
C'est par des leçons de ce genre que l'institu-
teur montrera à l'enfant ce que la société fait pour
lui; il lui indiquera de même ce qu'il doit faire
pour elle. Peu de chose d'effectif assurément; son
impuissance ne lui permet guère que des senti-
ments, mais c'est quelque chose déjà qu'il ait ces
sentiments. Sentiments de respect, d'atfectionetde
reconnaissance envers ses parents, qui sont pour
lui, comme nous l'avons dit, les premiers et les
plus proches représentants de la société; senti-
ments analogues à l'égard de la société tout en-
tière, qui lui fait gratuitement l'avance de ses
bienfaits, jusqu'à ce qu'il puisse l'en rémunérer
par un retour de services. Si l'enfant se sentait
partie intégrante d'un milieu où nous sommes
tous solidaires les uns des autres, il semble
qu'il comprendrait mieux certains devoirs de
morale dont on exige de lui dès à présent l'ac-
complissement volontaire, ou auxquels on le pré-
pare pour la suite. Il saisira mieux, par exemple,
pourquoi on l'oblige au travail, quand on lui aura
fait voir que tout liorame volontairement inattif
ou incapable est une non-valeur dans la société.
et frustre, par conséquent, la société de la paît
de travail productif pour laquelle elle comptait
sur lui. Plus de ces fraudes, de ces maraudages,
de ces soustractions au détriment de l'Etat qu'on
se permet si facilement, dans les villes comme
dans les campagnes, et dont les enfants sont
souvent les dociles instruments, si l'on se fait de
l'Eiat, représentant officiel de la société, la juste
idée que nous tâcherons d'en donner tout à
l'heure. Votre élève comprendra enfin qu'on ne
doit pas lésiner sur l'impôt, puisque l'impôt, pris
dans son ensemble, est la juste rémunération de
services rendus ; qu'on ne doit pas davantage
lésiner sur l'impôt du sang, s'il sait bien ce que
c'est que la patrie, s'il sait qu'elle a le droit,
dans les cas extrêmes, de réclamer légitimement
ce dernier sacrifice,
L'histoire, bien comprise aussi, viendra fort
utilement à l'appui do vos leçons et vous permet-
tra de multiplier les exemples qui rendront ce»
leçons saisissables.
11 vous sera facile de montrer, sans grands
mots et d'une manière concrète, comment se for-
ment les sociétés et comment elles passent par
diverses évolutions, celles-ci ne sortant pas de
l'état sauvage, celles-là s'élevant jusqu'à un cer-
tain degré de civilisation et demeurant ensuite
stationnaires ; d'autres enfin — les meilleures et
les mieux douées — progressant toujours et
prenant la tète de l'humanité.
Dans les temps anciens comme dans les temps
modernes, l'histoire (ou la géogi'aphie histori-
que), nous fait voir les premiers hommes s'unis-
sant pour concentrer leurs efforts de « lutte pour la
vie » sur la conquête de leur nourriture de chaque
jour; ils chassent et ils pochent. Mais déjà ces pre-
miers essais de soi:iété sont supérieurs à ceux des
espèces animales qui, elles aussi, s'associent.
L'homme invente des engins ; il fait le choix des
plantes et des animaux qui s'approprient le mieux
à ses besoins; il cultive les unes et domestique
les autres. « Le premier, dit Rousseau, qui, ayant
enclos un terrain, s'avisa de dire : ceci est à
moi, et trouva des gens assez simples pour le
croire, fut le vrai fondateur de la société civile.
Que de crimes, de meurtres, que de misères et
d'horreurs n'eut point épargnés au genre humain
celui qui, arrachant le pieu ou comblant le
fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous
d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si
vous oubliez que les fruits sont à tous et que la
terre n'est à personne. » Et Pascal : « Ce chien est
à moi, disaient ces pauvres enfants ; c'est là ma
place au soleil. Voilà le commencement de l'u-
surpation de la terre. » N'en déplaise à Rousseau
et à Pascal, le premier qui s'avisa de dire : Ce
champ est à moi, ce chieji est à moi, avait eu là
une idée très légitime et très féconde. Les fruits
du champ qu'on a cultivé, qu'on a transformé
par son travail, ne sont pas à tous, et, si la terre
non occupée n'est à personne, la terre occupée
est à quelqu'un. Les pauvres enfants que suppose
Pascal pouvaient avec raison dire que ce chien
était à eux. s'ils l'avaient soigné et nourri et si
personne avant eux n'avait eu à le réclamer
comme lui appartenant. Ils avaient créé une
propriété (V. ce mot dans la 11= Partie ), et la pro-
priété est, en effet, une des conditions et un des
fondements de la société civile.
Ce n'est pas, d'ailleurs, la seule. Les hommes ne
s'associent pas fortuitement et suivant le hasard des
circonstances. L'histoire nous les montre encore
se groupant d'après les affinités do race, de
langue, de manières de vivre, d'habitudes, de
croyances communes. C'est là le principe des
nationalités. Ajoutez-y une longue coliabitatioQ
dans un certain lieu, la participation prolongée
aux mêmes sentiments et aux mêmes actes,
le sentiment d'intérêt commun résultant de si-
SOCIÉTÉ
— 2043 — SOCIÉTÉ (RÈGLE DE)
tuations analogues, la conscience d'une unité
qui dure, se U'ansmet et se perpétue pendant
une loiiguo suit<! de générations, unité sou-
vent conquise, défendue et maintenue au prix
des plus grands sacrifices, et vous aurez crée
dans une association d'Iiommcs l'idée de la patrie,
qui est la plus complète et la plus haute réalisa-
tion do la société.
On conçoit (|ue l'individu qui fait partie d'une
telle association a le droit do garder, en ce qui
le concerne personnellement, toute liberté et
toute initiative, qu'il peut penser comme il veut,
parler comme il veut, agir comme il veut; mais
on conçoit aussi que sa liberté est limitée par
celle de tous les autres membres de l'association ;
on conçoit aussi que, pour le plus grand bien de
lui-mémo et des autres, chaque membre de l'as-
sociation soit conduit à aliéner une part de son
individualité. Que, ne pouvant dormir, il me
prenne, au milieu de la nuit, l'envie de chanter,
si nul ne peut m'entendre, cola ne nuit à per-
sonne; il n'en sera pas do même, si je réveille
mes voisins. Mes voisins et moi, nous avons be-
soin tous les jours de franchir le même ruisseau :
si nous somnies des gens entendus, nous nous i
cotiserons pour l'achat en commun d'une plan- 1
che qui nous puisse servir de pont. Et encore
amène. Il n'en est pas moins vrai que ce progrès
existe, et qu'il se dégage de l'histoire bien en-
tendue une manifestation incontestable de pré-
jugés vaincus et d'améliorations accomplies et dé-
finitives.
Cette marche en avant, malgré toutes les fau-
tes que nous devrions être les premiers à nous
reprocher, est encore plus certaine peut-être pour
notre histoire que pour aucune autre, et il ne
faut, par exemple, pour s'en convaincre, que lire,
dans ce Dictionnaire, le commencement de l'ar-
ticle Révulidion française, où les œuvres de la
Révolution sont opposées à l'ancien régime.
Nul doute que notre situation actuelle, encore
mal assise, d'ailleurs, et mal limitée, ne puisse
devenir meilleure ; nul doute que le progrès que
nous avons réalisé ne puisse être le point de
départ da progrès nouveaux et indéfinis. Mais
le progrès d'une société dépend évidemment de
la valeur individuelle de ceux qui la composent,
et cette valeur elle-même ne pput être que la
conséquence des elTorts de chacun vers le bien et
vers le; mieux ; c'est la conclusion que nous vou-
drions tirer de cette étude; c'est aussi celle que,
selon nous , l'instituteur devrait tirer des études
analogues qu'il sera conduit h faire dans l'école.
Il ne nous reste plus que quelques références
faudra-t-il, pour que cela suit possible, que notre i •' indiquer au sujet des différents sens du mot
planche, par exemple, ne nuise pas h la naviga
tion du ruisseau ; faute de quoi, nous serons
encore obligés de nous entendre avec d'autres.
De là, dans toutes les sociétés, l'origine de ces
dispositions qui ont pour objet de concilier l'or-
dre général avec la liberté de l'individu, de faire
servir les ressources de l'association aux besoins
de chacun en le, limitant les uns par les autres.
De là la loi, de là les pouvoirs chargés de faire et
d'appliquer la loi, de réfréner et de punir ceux
qui la violent. De là encore l'Etat ou le gouver-
nement, dont la véritable formule, dans nos so-
ciétés modernes, est, d'une part, d'empêcher ce
qui est nuisible à la société en laissant aux indi-
vidus liberté entière sur tout le reste, et, d'autre
part, de faciliter ce qui est utile à la société, quand
les individus ne le peuvent faire. Que l'association
elle-même constitue cet Etat, qu'elle soit elle-même
la source de ces grands pouvoirs et, par conséquent,
des actes qui en émanent ; qu'en d'autres ter-
mes, elle soit souveraine, et qu'elle exerce sa sou-
veraineté, soit directement, soit par l'intermé-
diaire de mandataires élus , l'individu alors
deviendra un citoyen, et la société réalisera, en
matière politique, la forme la plus parfaite qu'elle
puisse prendre.
Mais il est vrai de dire qu'en fait cette évo-
lution n'a jamais été accomplie que par un pe-
tit nombre de nations, que celles-là mêmes n'y
sont arrivées que fort tard, et qu'elles en ont
acheté bien chèremejit le privilège. Les violen-
ces, dont il ne faut point, comme Pascal, Rous-
seau et bien d'autres, faire retomber exclusive-
ment la responsabilité sur certains principes fort
légitimes des sociétés, mais qui découlent de
l'ignorance et des passions humaines, ont eu, mal-
heureusenaent, sur la formation et sur l'existence de
ces sociétés, une bien plus grande action que le
bon sens, la logique normale des choses, et l'in-
lerôt bien entendu des individus et des associa-
tions. L'histoire n'est, hélas! le plus souvent que
le triste tableau des œuvres de la force ; inva-
sions, conquêtes, violation à main armée du
droit et des situations acquises, tel est le spec-
tacle le plus ordinaire que présentent les anna-
les des peuples ; il n'en est aucun qui n'ait souffert
de quelques-unes de ces ignominies, ou qui n'y
Socifilé autres que celui que nous venons de déve-
lopper. On trouvera, dans la I" Partie, au mot
Association, des renseignements sur différentes
sociétés qui s'occupent de l'instruction et de l'é-
ducation populaires ; et, dans la 11= Partie, au
mot Acndéinie, sur la principale de nos sociétés
littéraires , l'Académie française. Quant à cette
acception particulière du mot société désignant
les rapports que nous avons les uns avec les
autres dans la vie ordinaire, rapports qui sont
chez nous, pour nous-mêmes comme pour au-
trui, une source de devoirs et de convenances te-
nant de très près à la morale proprement dite,
dont la pratique enfin nous a valu auprès des
étrangers une réputation séculaire que nous de-
vons tenir à conserver, nous renvoyons les lec-
teurs au mot Usages. [Charles Defodon.]
SOCIETE (Règle de).— Arithmétique, XLIV.
— Lorsque plusieurs personnes s'associent pour
une entreprise industrielle ou pour une opération
commerciale, le bénéfice ou la perte doivent être
répartis entre tous les associés, en tenant compte
(les capitaux que chacun d'eux a risqués dans
l'œuvre commune et aussi du temps pendant le-
quel ces capitaux y ont été placés. La règle de
société enseigne à faire cette répartition d'une
manière équitable. Cette question n'est qu'une
application particulière d'un problème connu sous
le nom de partage pro/jorlionnel, problème que
nous allons d'abord résoudre.
I. Partage proportionnel. — Proposons-nous,
par exemple, de partager le nombre 42J en parties
proportionnelles aux nombres 5, 7 et 8, c'est-à-
dire en parties telles, que le rapport de la pre-
mière à la seconde soit égal au rapport de 5 à 7,
que le rapport de la première à la troisième soit
égal au rapport de 5 à 8, et enfin que le rapport
de la seconde à la troisième soit égal au rapport
de 7 à 8.
1" Solution. — J'ajoute les trois nombres .1,7
et 8, ce qui me donne 20. Si l'on demandait de
partager 20 en parties proportionnelles aux nom-
bres 5,7 et 8, les parties seraient évidemment ces
nombres eux-mêmes, puisque leur somme est
égale au nombre 20 qu'il s'agit de partager. Si,
au lieu de 20, c'est 1 qu'on veut partager propor-
tionnellement aux nombres 5,7 et 8, les parties
au participé, et c'est ce qui peut donner une ap- seront 20 fois plus petites que dans le premier
parence de raison à ceux qui se complaisent au „„ , , . . 5 7 8 „
mépris du progrès que la civilisation nroduit etl"'i leurs valeurs seront donc -,- et .^- En -
progrès que la civilisation produit et '
SOCIÉTÉ (RÈGLE DE) — 2044 — SOCIÉTÉ (RÈGLE DE)
tin, si le nombre à partager est 420 au lieu de 1,
cliaque partie devien'lra 420 fois plus grande ; les
5
valeurs de ces parties seront donc — x 420,
.^X420, rj^x420 ; ou, ce qui est la même chose,
420 , 420 420
2^X0, — X7, — X8.
Le tableau suivant résume ce raisonnement :
Nom
part
20
irc
ager.
;)artie.
2«
partie.
8
1
_5_
20"
7
20"
8
20
420.
420
2l)
X5..
420
20
X'i..
420
20
RÈGLE. — Pour partager un nombre propor-
tionnellement à des nombres donnés, on divise le
nombre à partnger par la somme des nombres
auxquels les parties doivent être inoportionnelles,
et on multiplie le quotient trouvé par chacun de
ces de niers nombres.
2* Solution. — Désignons par x, y, z, les trois
parties qu'il faut trouver. Ort aura :
ou bien, en réunissant toutes ces proportions en
une suite de rapports égaux (V. Proportions),
5 7 5"
Mais, dans une suite de rapports égauï, le rap-
port de la somme des numérateurs à la somme
des dénominateurs est égal à l'un quelconque des
rapports donnés ; on a donc ici :
x + y + z
■5 + 1 + 8"
420.
' 20'
car la somme des trois parties x, y, z, est
au nombre à partager, 420. On tire de là :
-X5,
20
420 ,
420
' 20
X8,
324 proportionnellement à ces nouveaux nombres.
Leur somme est égale à 18 ; donc les quatre par-
ties sont :
^ X2=18X2= 36
324
X5=18X5= 90
Total 324
2' Exemple. — Partager le nombre 528 en par-
ties proportionnelles aux fractions -, -, - et --Je
cherche un multiple commun des dénominateurs,
et je multiplie les quatre fractions par ce multi-
ple commun ; j'aurai ainsi des nombres entiers
qu'on peut substituer aux fractions données. Il y
a avantage, pour la simplicité des calculs, à choi-
sir le plus petit des multiples communs ; dans
notre exemple, c'est le nombre 60. Les produits
des fractions par 60 sont ;
-X60 = 4I, |x60 = 4â,
2x60 = 50, 7X60 = 24,
0 5
et le problème est ramené \ partager 528 propor-
tionnellement aux nombres entiers 40, 45, 50 et
24. La somme de ces nombres étant 159, les quatre
parties sont:
valeurs identiques à celles que nous avons trou-
vées par la première méthode.
En faisant les calculs indiqués, on trouve :
a;=)05, î/=147, ; = 168;
le total de ces trois nombres est 420, ce qui four-
nit une vérification des calculs.
Reuarole. — Si l'on multiplie ou si l'on divise
par un même nombre les nombres auxquels les
parties doivent être proportionnelles, les nouveaux
nombres auront entre eux les mêmes rapports
mutuels que les nombres primitifs (V. Rapports),
et par conséquent, pourront leur être substitués.
A l'aide de cette remarque, on pourra souvent
simplifier l'application de la règle précédente.
1" Exemple. — Partager le nombre 324 en par-
ties proportionnelles aux nombres 140, 280, 350
et 490. — Les quatre nombres 140, 280, 350 et
490 admettent 70 pour diviseur commun ; en les
divisant tous par 70, on obtient les nombres plus
simples, 2, 4, 5 et 7, et on est ramené à partager
159
528
159
X 45 = 149,4340
X 50 = 166,0377
à 0,0001 près.
^7 X24= 79,6981
Total 528,0000
II. Applications. — Répartition de l'impôt fon-
cier. — L'impôt foncier est celui qui pèse sur les
immeubles de toute nature. La loi de finances
fixe chaque année le montant total de cet impôt,
et il faut ensuite le répartir entre toutes les pro-
priétés proportionnellement à leur revenu. Les
revenus, évalués dans chaque localité par des com-
missaires désignés à cet effet et assistés d'agents
des contributions directes, sont inscrits dans des
registres spéciaux que l'on conserve dans chaque
commune et dont un double est déposé au chef-
lieu du département. On totalise tous ces revenus,
d'abord par commune, puis par arrondissement
et par département, et enfin pour toute la France.
H faut alors, d'après la règle générale des par-
tages proportionnels," diviser le montant de l'im-
pôt par le iota' des revenus, et multiplier ce quo-
tient, qu'on appelle le centime le franc, par le
revenu de chaque parcelle, pour connaître la part
d'impôt qu'tlle doit supporter. Le centime le franc
étant calculé une fois pour toutes avec un grand
nombre de décimales, on dresse des tables conte-
nant les produits de ce nombre constant par les
9 premiers nombres, ou même par les 99 premiers
nombres, et c est i l'aide de ces tables que l'on
calcule les produits du centime le franc par les
revenus de toutes les parcelles. En réalité, on
fractionne cette gigantesque répartition : on rc-
societp: (règle de)
— 2045 —
SOCIÉTÉ (RÈGLE DE)
partit (l'abord l'impôt entre les départements prn-
I portionnellomont à leurs revenus ; puis, dans clia-
i|iin département, on répartit l'impôt total qu'il
doit payer entre les divers arrondissements ; la
liart de chaque arrondissement est répartie de
même entre toutes les communes qu'il contient,
et enfin dans chaque commune, la répartition se
fait entre toutes les parcelles du sol et toutes les
maisons.
Uépnriition de l'impôt mobilier. — L'impôt mo-
bilier ou impôt sur les logements se répartit ordi-
nairement de même entre tous les habitants d'une
commune proportionnellement à la valeur locative
des lieux (|u'ils habitent; seulement le centime le
franc varie d'une commune à, une autre. Toute-
fois, dans un certain nombre de villes, les loyers
inférieurs à un chiffre déterminé sont exempts de
l'impôt; et à Paris, les loyers sont classés suivant
leur importance en plusieurs catégories, et le
centime le franc n'est pas le même pour toutes les
catégories. Les avertissements adressés aux con-
tribuables au commencement de l'année donnent
d'ailleurs tous les renseignements nécessaires
pour permettre h chacun d'eux de calculer la
quote-part d'impôt qu'il doit payer.
IIL RÈGLE DE SOCIÉTÉ. — Lorsque plusieurs per-
sonnes s'associent pour une entreprise, la répar-
tition du bénéfice ou de la perte entre tous les
associés est encore un partage proportionnel,
comme nous allons le voir. Il y a dans ces sortes
de questions deux éléments à considérer pour
chaque associé, sa mise de fonds et le temps pen-
dant lequel elle est restée placée dans la société.
Si toutes les mises ont été placées pendant le
même ffm/is, ou si les mises, toutes égales, ont
été placées pendant des temps différents, on a
une règle de société simple; si les mises sont
différentes ainsi que les temps, la règle de so-
ciété est composée.
Dans le cas de la règle de société simple, il
paraît équitable, et l'on convient ordinairement
de partager le bénéfice ou la perte proportion-
nellement aux mises des associés, si elles ont
été placées pendant le même temps ; ou dans
le cas où les mises sont égales, proportionnelle-
ment aux temps pendant lesquels elles sont
restées dans l'association. On aura donc alors un
simple partage proportionnel à opérer.
Exemple : Quatre personnes se sont associées
pour une entreprise; la première a apporté
UOOO fr. ; la seconde, 'iOdOUfr. ; la troisième,
250ii0 fr. ; et la quatrième, 18(100 fr. Cette entre-
prise donne un bénéfice total de 19G32',7d qu'on
propose de répartir entre les quatre associés.
Il faut partager 1963^',75 en parties proportion-
nelles aux nombres U 000, 20 0U0, 25 000 et 18 000,
ou bien aux nombres 1000 fois plus petits, 14, 2o,
15 et 18. La somme de ces nombres étant 17, les
quatre parts seront :
196.3-2',75
19632'.75
77
19G32',75
77
19l!3-J',75
77
X 14 = 3509', 59
X20 = 5099',42
X25 = 6374','.;7
X18 = 4589',47
!x O'.Ol près
Total 19fi32f,75
Pour calculer ces parts à 0',0I près, il faut
d'abord calculer le quotient — ' '''' avec une
approximation décimale telle, qu'en le multipliant
ensuite par les nombres 14, 20, 25 et 18, l'erreur
de chacun de ces produits soit moindre que 0,01 ;
or, le plus grand des multiplicateurs est moin-
dre que liiO ; donc si l'on calcule le quotient à
0.0001 près, l'erreur de chaqueproduilacra moindre
que 0,0001 X 100 = 0,01. C'est ce qui a été fait ici :
le qiiotient à 0,0001 près est 254,9708 ; on a
multiplié ce nombre successivement par les nom-
bres 14, 20, 25 et 18; puis on a supprimé les
deux dernières décimales de tous ces produits
en forçant, quand il y avait lieu, la dernière dé-
cimale conservée.
Prenons maijitenant une règle de société com-
posée. Nous admettrons alors que" les parts doi-
vent être proportionnelles ."l la fois aux mises et
aux temps pendant lesquels elles sont restées
placées dans l'association. Il est aisé de conclure
de cette convention que tes parts doivent e'tre pro-
portionnelles aux produits qu'on obtient en multi-
pliant chaque mise par le t'-mps pendunt lequel
elle est restée ilans V association. Eu effet, consi-
dérons un associé, dont la mise est de 40 000 fr.,
qui l'a laissée pendant cinq ans dans la société; et
imaginons qu'un autre associé ait placé une mise
cinq fois plus forte, c'est-à-dire 4n 000' X 5, pen-
dant un temps cinq fois plus petit, c'est-à-dire
pendant un an ; ces deux associes auraient évi-
demment des parts égales. On peut donc rempla-
cer l'associé qui a mis 40000 fr. pendant cinq ans,
par un associé fictif qui aurait place 40 000' X 5
pendant un an ; et il en sera di^ même de tous
les autres. On ramène ainsi la durée du place-
ment à être la même pour tous les associés^
chacune des mises primitives étant remplacée par
le produit de cette mise par le temps ; par suite,
les parts des associés sont proportionnelles aux
produits des mises parles temps.
On peut encore arriver à ce résultat d'une autre
manière. Considérons deux associés :
Le l" ayant placé 5 000 fr. pendant 15 mois,
Le 2» — 7 000 fr. — 21 — ;
et soient x et .;/ les parts qu'ils doivent recevoir
à la répartition. Pour comparer ces deux parts,
j'imagine un troisiè(no associé ayant même mise
que le premier et l'ayant placée pendant le même
temps que le second, j'appelle s la part qui revien-
drait à cet associé fictif. D'après la convention faite
au début, le premier et le troisième associé, dont
les mises sont égales, ont des parts proportion-
nelles aux durées des placements ; on a donc :
X _ 15
ï"~2T'
d'autre part, le troisième et le deuxième associé,
dont les mises difl'érentes ont été placées pen-
dant le même temps, doivent avoir des parts pro-
portionnelles à leurs mises; donc:
z __ 5000
y ~ 7000*
Multiplions ces deux proportions membre à
membre, - disparait, et il vient:
X 5000x15.
^~ 7000X21'
C. Q. F. D.
Exemple. — Trois associés ont rais dans une
entreprise :
Le premier, 5 000 fr. pendant 2 ans ;
Le second, 3 400 fr. pendant un an 7 mois ;
Le troisième, 4000 fr. pendant 3 ans 2 mois;
le bénéfice net est de 1 552 fr. ; combien revient-il
à chaque associé ?
Je réduis d'abord en mois toutes les durées de
placement, ce qui donne 2i mois, 19 mois et
3S mois ; puis je multiplie chaque mise par le temps
correspondant :
SOL — 2046
5000x24 = 120000,
3400X19= 04600,
4U00X 38 =152000.
Il faut partager 1 552 fr. en parties proportion-
nelles aux nombres 120000, 04600 et I52ll(i0,
ou bien aux nombres 200 fois plus petits, 600,
323 et leo. La somme de ces trois nombres est
1C83 ; donc les parts sont :
SOL
1552"
X600 = 553',30
-X323 = 29T,86 > à O'.Ol près
- X"eO=700',81
Total 1552',00
Remarque. — Dans les grandes sociétés indus-
trielles ou commerciales, comme les compagnies
de chemin do fer, la Banque de France, le Crédit
foncier, etc., le capital social est divisé en nrtions
d'égale valeur, qui se vendent à la Bourse. Cha-
que année, après l'inventaire, les bénéfices sont
partagés également entre toutes les actions. La
somme attribuée à chaque action s'appelle le di-
vidende, et s'obtient simplement en divisant le
montant du bénéfice par le nombre des actions;
on n'a plus alors besoin de faire une règle de
société pour répartir le bénéfice entre les action-
naires. [H. Bos.J
SODIUM. — V. Soude.
SOIK. — V. Ver à soie et Tissage.
SOL (Agriculture). — V. Terres arables.
SOL — Hygiène, VI. — Au-dessous de la cou-
che à'/iumus constituée par un détritus de matiè-
res organiques et minérales, on rencontre les
éléments minéralogiques du sol provenant de la
décomposition des roches. Quelques sols se sont
formés aux dépens des roches ignées : gra-
nité, micaschites, syénite, etc. ; d'autres aux dé-
pens des terrains ou couches de sédiment. Les
roches primitives, décomposées par l'eau, l'air et
les autres agents naturels, fournissent des galets,
du sable, de l'argile. Les masses calcaires se
désagrègent facilement et se dissolvent dans les
eaux chargées d'acide carbonique. Sur les débris
en partie pulvérisés des roches, entraînés et ni-
velés par les cours d'eau, se développent d'abord
quelques plantes qui empruntent plus de maté-
riaux à l'atmosphère qu'au sol : plus tard, leurs
débris forment une petite quantité d'humus qui
permet la croissance de végétaux plus variés.
On comprend aisément que la configuration
du sol par rapport aux grandes masses d'eau et à
l'atmosphère influe sur quelques-unes de ses pro-
priétés ou modifie ses influencps. Ainsi les rives
d'un fleuve profondément encaissé se trouvent
dans des conditions bien différentes de celles qui
sont sujettes à des inondations périodiques. La
forme plus ou moins découpée des continents
modifie leurs conditions climatériques. Ainsi l'I-
talie, la Grèce, jouissent, sur de vastes étendues,
d'un climat marin, tandis que le climat continen-
tal domine en Afrique, dans le nord de l'Asie et
le nord-est de l'Europe.
De même les ondulations de la surface du
globe dans le sens vertical, formant des monta-
gnes, des plateaux, des cordillères, ont une in-
fluence prépondérante sur la température, l'Im-
midité, les pluies, les vents et les orages.
De la composition du sol dépendent plusieurs
propriétés qu'il importe de connaître. L'argile et
surtout l'humus absorbent une grande quantité
d'eau qui ne s'évapore que très lentement à la
surface et ne s'écoule pas dans les couches pro-
fondes si elles sont perméables : celles-ci n'ab-
sorbent que la partie des pluies qui se trouve en
surcroît après la saturation de l'argile et de
l'humus. Notons, d'ailleurs, que la présence dans
le sol de matières déliquescentes contribue à
maintenir leur fraîcheur.
Dans tous les pays on a constaté la coïnci-
dence des maladies paludéennes avec la présence
de l'argile ou d'épaisses couches d'humus. La
Brennc, la plaine du Forez, la Bresse, la Solo-
gne, ont un sol argileux : on sait combien y sont
communes les fièvres intermittentes et les autres
affections paludéennes. Dans le département de
la Charente-Inférieure, les fièvres intermittentes
cessent partout où le calcaire remplace l'argile à
la surface du sol. La fièvre jaune et le choléra
éclatent rarement dans des pays sablonneux,
tandis qu'on les trouve presque en permanence
dans certaines régions chaudes caractérisées par
des terres limoneuses.
L'état de la surface du sol, indépendamment
de sa nature, modifie puissamment ses propriétés
hygiéniques. Il convient d'examiner, à cet égard,
l'état de nudité, la végétation spontanée, la cul-
ture, la présence ou l'absence des forêts.
Les surfaces dépourvues de végétation sont, en
outre des régions couvertes de glace, des déserts
de sable, de roches ou de terrains salés. L'homme
n'y séjourne pas, faute de ressources, et leur
traversée ne s'opère jamais sans qu'il s'y trouve
soumis à de pénibles épreuves par le manque
d'eau, la chaleur du jour et la fraîcheur de la
nuit, la réverbération du soleil sur les roches
calcaires, l'action suffocante d'une poussière im-
palpable.
En dehors des régions polaires et des cimes gla-
cées, la terre se couvre d'une végétation spontanée
partout où la roche est recouverte d'une mince
couche de sol, pourvu que la rosée, la pluie ou
l'absorption capillaire fournissent une humidité
suffisante. Là où le sol est couvert d'une végéta-
tion moyenne, l'homme peut d'ordinaire vivre
dans des conditions normales, h moins que le sol
argileux, limoneux ou trop riche en humus ne re-
cèle dans son humidité des germes de maladie.
C'est surtout dans les pays chauds, remarquables
par une végétation luxuriante, que le sol, si favo-
rable au développement des plantes, se montre
inhospitalier pour l'homme.
Grâce à sa remarquable faculté d'acclimatement
séculaire, l'homme conquiert lentement, par la
culture, les terres marécageuses, celles qui offrent
le plus de dangers. Cependant les premiers occu-
pants succombent presque tous à la tâche.
Beaucoup de régions aujourd'hui stériles of-
fraient jadis de riches cultures. L'homme en a
modifié le climat par des déboisements inconsi-
dérés. La destruction des forêts a eu pour consé-
quence la diminution des pluies. De plus, l'eau
s'écoulant rapidement sur les pentes dénudées,
les cours d'eau ont pris un régime torrentiel et
demeurent à sec pendant une partie de l'année.
Les déboisements ont encore pour conséquence
d'imprimer aux saisons de fréquentes irrégula-
rités, et d'agrandir l'échelle des variations ther-
mométriques.
Ces données générales suffisent pour faire com-
prendre combien il importe, dans cliaque localité,
d'étudier le sol pour y découvrir les causes de
maladie qu'il peut receler et les combattre par
les moyens que fournit la science moderne.
L'hygiéniste aura soin de constater si le sol est
argileux, calcaire, sili eux ou sablonneux; si les
productions qu'on en retire sont susceptibles de
fournir une alimentation suffisante comme quan-
tité et comme qualité, pour les hommes et pour
les animaux; si l'on récolte un excédent suffisant
pour donner lieu à des échanges, source du bien-
être; si les cultures ne sont pas de nature à corn-
SOLANEES
2047
SOLANEES
promettre lasant<5 des habitants, par elles-mêmes,
ou par les maiii|)Ulalioii3 auxquelles elles donnent
lieu. Ainsi les rizières, inondées par des irriga-
tions, deviennent des foyers de maladies palu-
déennes; le rouissage du lin et du chanvre cor-
rompt les marcs et les cours d'eau.
Les terres peu étendues, environnées ou entre-
coupées de niasses d'eau en évaporation, offrent
nécessairement une humidité excessive que l'on
ne peut combattre qu'en comblant les parties
basses. Dans chaque localité, on doit disposer
un système d'écoulement des eaux et d'irriga-
tions proportionnel à la qnaniité moyenne des
pluies. Pour peu qu'un terrain humide soit en
pente, il est facile de l'assainir par le drainage.
Sur les hautes montagnes, l'homme souffre des
effets de la diminution de pression atmosphérique
et de l'abaissement de la température. De plus il
se trouve exposé à des vents fréquents et violents.
Ces causes réunies contribuent à développer
l'asthme et les maladies du cœur. A des élévations
moyennes, ces causes de maladie disparaissent
presque complètement. Les vallées étroites et
profondes sont presque toujours insalubres parce
que le soleil n'y a pas suffisamment accès et que
l'air humide, chargé do miasmes, ne se renouvelle
pas régulièrement.
Quant aux terres bassps, humides, sillonnées
par des cours d'eau mal encaissés, elles sont
aussi dangereuses que les marais proprement dits.
Quelquefois d'ailleurs, une couche imperméable
d'argile se trouve couverte d'une couche de sable
sec à la surface, mais constamment humide à la
partie inférieure. Ce terrain d'apparence trom-
peuse peut causer des fièvres intermittentes
comme un marécage ou une alluvion fluviale.
L'étude du sol, au point do vue hygiénique, est
intimement liée à celle du climat local dont le sol
est un facteur important à tous les points de vue
que nous avons rapidement énumérés.
[D' Saffray.]
SOLANEES. — Botanique, XX. — Etym. : De
Solammi, nom latin du genre Morelle, auquel ap-
partient la pomme de terre (Solanum tuberosum).
Définition. — Les Solanées sont des plantes ga-
mopétales, hypogynes, dont le nombre des étami-
nes est égal à celui des pièces de la corolle. Leurs
graines nombreuses, anatropes, uni-tégumentées,
sont insérées sur une sorte de placenta central
bilobé; leur ovaire est biloculaire.
Caractères botaniques. — Les graines des so-
lanées sont petites, réniformes.'à surface chagri-
née. Leur tégument séminal recouvre un embryon
courbé, presque complètement enveloppé dans un
albumen charnu, huileux ou corné. Lorsque la
courbure de l'embryon est faible, on dit que les
graines sont rericml/ryées, tandis qu'on appelle
curvmhryées les solanées dont l'embryon est
fortement courbé. C'est sur ce caractère de cour-
bure plus ou moins prononcée de l'embryon qu'a
été fondée la division des solanées en deux grou-
pes : les solanées rectembryées et les solanées
curvembryées.
Les racines des solanées sont fasciculées, plus
rarement pivotantes.
Les tiges des solanées sont herbacées dans les
pays tempérés {Nieotiana taba'-um.Tabac : Pliysalis
Àlkekengi, coqueret alkékenge; Solanum tubero-
sum, pomme de terre ; liatura S/ramonium,
pomme épineuse ou stramoine). Cette tige devient
ligneuse dans les pays chauds (So/ondra). Excep-
tionnellement, la tige des solanées des pays tem-
pérés peut devenir arborescente (I.i/cium bnrUa-
rvm, Solanum dulcamura ou douce amère). Chez
les Soliinum, certaines tiges souterraines sont
transformées en réservoirs de matières nutritives
pour la plante ; ces sortes de tiges forment ce
que l'on appelle des tubercules; c'est là l'origine
des tubercules de la pomme de terre. On recon-
naît \ première vue que ces tubenules ne sont
que des tiges transformées, parce que leur surface
est couverte de bourgeons axillaires, disposés en
une spirale, comme les appendices à l'aisselle
desquels ils sont nés.
Les /éiiilles des solanées sont alternes, simples,
plus rarement dentées, pinnatilobées ou pennées.
Dans plusieurs espèces on remarque une notable
différence entre la forme des feuilles inférieures
de la tige et la forme des feuilles supérieures de
cette même tige. Cette variation dans la forme
des feuilles d'une même plante est ce que l'on ap-
pelle la polymorphose des feuilles. Ainsi chez la
jusquiame (flyoscianiufi nigi-r), les feuilles infé-
rieures de la tige r.ont pétiolées, tandis que les
feuilles supérieures sont sessiles. Dans la douce-
amère, où toutes les feuilles sont pétiolées, les
feuilles supérieures sont trilobées.
Les fleurs des solanées sont hermaphrodites;
elles sont groupées en inflorescences qui sont or-
dinairement des cymes ou dos corymbes; plus ra-
rement, elles sont solitaires ou géminées. Les
inflorescences (corymbes) de la douce-amère sont
opposées aux feuilles au lieu de se trouver à l'ais-
selle de celles-ci. Toutefois cette anomalie n'est
qu'apparente. En réalité, chaque inflorescence est
la terminaison d'une branche, de telle sorte que
la plante eût cessé de s'accroître dans cette direc-
tion, si, à l'aisselle de la dernière feuille de cette
branche (feuille qui, dans la nature, paraît oppo-
sée au corymbe), il ne fût né un bourgeon axil-
laire. Ce bourgeon prend un développement égal
à celui de la tige qui le porte et peu à peu semble
prolonger cette tige en rejetant de côté l'inflores-
cence qui en est la véritable terminaison.
Les fleurs des solanées sont régulières ; elles
présentent, de l'extérieur à l'intérieur:
1° Un calice gamosépale, ordinairement à cinq
divisions; ce calice persiste après la floraisnn ;
dans quelques cas môme, il est accrescent, c'est-
à-dire qu'il prend, après la floraison, un grand
développement et sert d'enveloppe protectrice au
fruit (coqueret) ;
2° Une corolle gamopétale à cinq divisions ;
.3° Un androcôe composé de cinq étamines insé-
rées sur la corolle et alternant avec les lobes de
celle-ci ; le nombre des étamines est, comme on
le voit, égal à celui des lobes de la corolle; c'est
pour cette raison que les fleurs des solanées
sont dites isostétnonées; les anthèies sont intror-
ses, libres ou rapprochées côte à côie de manière
à être légèrement cohérentes et à former un tube
que traverse le style; elles ont deux loges qui
s'ouvrent soit par une fente longitudinale (jus-
quiame, tomate), soit par un pore apical (douce-
amère, pomme de terre);
4° Au centre de la fleur est lo gynécée, composé
do deux carpelles soudés de manière à former
un ovaire à deux loges surmonté d'un seul style
terminé par un stigmate simple ou bifide. L'ovaire
est supère, c'est-à-dire inséré au-dessus des ver-
ticilles externes de la fleur ; ceux-ci sont dits
hypogynes. 11 est biloculaire. Chaque loge de l'o-
vaire contient de nombreux ovules campylotropes
unitégumentés. Chez quelques genres (Datura,
Sola?ulra^, l'ovaire arrivé à maturité semble divisé
en quatre loges, par suite de la production de
deux fausses cloisons qui subdivisent en deux
chacune des loges primitives.
Le fruit des solanées est tantôt sec et capsu-
laii e, comme dans le tabac, et d'autres fois charnu
et bacciforme, comme dans les pommes de terre,
où il forme ce qu'on appelle vulgair.ment les
surleaux, qui dans certains pays sont donnés en
nourriture aux porcs, dont ils favorisent beaucoup
l'engraissement. A la maturité les fruits capsu-
laires s'ouvrent soit par des valves (tabac, Datura),
SOLANEES
— 2048
SOLANEES
soit par des opercules, soit plus rarement en ma-
nière de pyxide.
Usages des solanées. — I . Plantes comestibles.
Parmi les solanées les plus connues comme
plantes comestibles, nous citerons :
l» La priiine de tene {Solcmiim tuherosum),
cuUivée pour ses tubercules amylacés. La pomme
de terre est originaire d'Amérique; elle fut in-
troduite en Angleterre en l.îSti, mais elle y de-
meura sans usage, parce qu'on crut alors que
l'usage de son tubercule comme aliment pouvait
provoquer la lèpre. Dans le cours du .wiii" siècle
on l'utilisa cependant pour la nourriluie dfs ani-
maux. Parmenlier eut le grand mérite d'intro-
duire la pomme de terre en France et de savoir
la faire accepter, comme un aliment très sain,
par tout le monde, pauvre ou riche. Aujourd'hui
la pomme de terre est cultivée sur une grande
échelle dans l'Amérique du Nord et dans toute
l'Europe. Les tubercules de pomme de terre ser-
vent à l'alimentation, à la préparation de la fé-
cule, et même à la fabrication de l'alcool. Toute-
fois l'alcool de pomme de terre a le grand
inconvénient de contenir une proportion très no-
table d'alcool amylique; or, cet alcool amylique
est un poison violent, qui agit à la longue sur le
système nerveux et trouble les facultés intellec-
tuelles en provoquant le genre de maladie men-
tale que l'on désigne sous le nom de d^lirium
tremens. Les cas nombreux d'alcoolisme signalés
dans les asiles d'aliénés sont dus surtout aux cou-
pages des eaux do-vie-dans les entrepôts, où il
est d'habitude de mêler l'alcool du vin avec les
alcools de betteraves, de grains et de pommes de
terre. Pour extraire la fécule des pommes de
terre, on réduit ces tubercules en pulpe; cette
pulpe est traitée par l'eau bouillante ; le tout est
jeté sur un tarais, qui laisse passer l'eau et la fé-
cule, et qui relient le reste de la pulpe. On re-
cueille suigneusement les eaux de lavage, on les
laisse reposer, puis on décante. Le dépôt est lavé
à plusieurs reprises ; on le sèche ensuite sur des
plaques de porcelaine dégourdie chauffées par un
courant de vapeur d'eau. La fécule de pomme de
terre est utilisée pour faire des potages aux jeu-
nes enfants. Elle remplace avec avantage la poudre
de lycopode dans la toilette" des nouveau-nés. La
poudre de lycopode du commerce est presque
toujours falsifiée par des produits qui s'altèrent
rapidement et qui en rendent l'usage dangereux.
Les jeunes tubercules de pomme de terre con-
tiennent, au lieu d'asparagine, une quantité
souvent très notable d'un alcaloïde particulier
nommé soUmine ; les propriétés toxiques de cet
alcaloïde sont suffisamment énergiques pour
provoquer des accidents, et c'est ainsi que l'on a
signalé, dans ces derniers temps, plusieurs cas
d'empoisonnement par la solanine, à la suite d'in-
gestion de très jeunes tubercules de pomme de
terre.
Vers 18i5 apparut pour la première fois sur le
continent européen la maladie connue sous le nom
de maladie des pommes de terre. Cette maladie
est provoquée par un champignon parasite de la
famille des Péronosporés, que l'on a nommé le
Peronospora in/'extans. En quelques années le dé-
veloppement du Peronospora fut tel qu'il menaça
de ruiner la culture de la pomme de terre et qu'il
provoqua une famine terrible dans toute la Prusse
orientale. Si l'on examine des pommes de terre
attaquées par le Peronospora, on trouve à l'inté-
rieur des tissus des parties aériennes de la plante
des filaments très ténus qui perforent la surface
des éléments cellulaires et émettent dans chaque
cellule une sorte de suçoir. La parasite absorbe
par ses suçoirs el ne tarde pas i provoquer l'é-
puisement de toutes les cellules envahies. Arrivé
à un certain étal de développement, le Peronospora
émet des rameaux nombreux et serrés côte à côte,
qui provoquent bientôt la déchirure des tissus
superficiels de la plante nourrice. Chacune de ces
branches s'allonge en un tube fructifère, composé
de spores' exogènes placées bout à bout. Ces spo-
res exogènes ou conidies peuvent germer immé-
diatement ; toutefois cette germination demeure
très grêle tant que le parasite ne sent pas à sa
portée la plante qui doit lui servir de nourrice. En
revanche, dès qu'une conidie du Peronospora sent
à sa portée une partie des tissus de sa plante
nourrice, il émet des prolongements vigoureux.
Cette influence h distance de la nourrice sur le
parasite a conduit certains auteurs à admettre que
chaque plante vivante laisse exsuder à travers ses
membranes certaines substances excrétées très
dilTusibles, grâce auxquelles la plante parasite peut
facilement reconnaître la présence de sa nourrice
dans son voisinage immédiat. Semé'S sur la terre
humide, les conidies de Peronospora laissent
échapper un grand nombre de corps agilos, réni-
formes, biciliés ; l'un de ces cils est antérieur
pendant la marche et sert de gouvernail. Ces corps
agiles ou zoospores ne tardent pas à se fixer en un
point de la surface des feuilles des pommes de
terre; ils rentrent leurs cils dans leur masse et
s'entourent d'une membrane de cellulose. Ce tra-
vail est à peine achevé que le corps dissémina-
teur du Peronospora entre en gerinination. A cet
efl'et il émet un tube qui perfore la membrane
épidermique des feuilles de pommes de terre et
qui se ramifie abondamiuent dans le tissu sous-
jacent. Toute la partie du Peron spora qui de-
meure extérieure à la plante nourrice ne tarde
pas à périr. Vers la fin de la saison, une partie
des filaments du Peronospora se réfugie dans les
tubercules, et ceux-ci servent involontairement i
la dispersion du mal dans le cours de l'année
suivante. Si la plante nourrice est déjà trop affai-
blie pour donner des tubercules, on voit fré-
quemment les filaments Aa l'eronospora ùifestani
se renfler h leur extrémité et donner naissance h
de très gros œufs. Ceux-ci sont transformés en
embryons par l'action du contenu protoplasmique
de petites cellules glandulaires nommées anthé-
ridies. Sitôt après leur formation, les embryons de
Peronospora s'entourent d'une coque de cellulose
toute couverte de grosses verrues arrondies. Ces
embryons ainsi enkystés peuvent séjourner tout
l'hiver sur la terre humide ou gelée, sans éprou-
ver aucune altération. Au retour de la belle sai-
son, chacun d'eux change de peau et se transforme
en un grand irômbre de zoospores ou cellules
disséiuinatrices agiles. Après les premiers rava-
ges exercés par ie Peronospora, qui avaient com-
promis sérieusement la culture de la pomme de
terre en Europe, il s'est établi une sorte de modus
Vivendi entre le parasite et sa nourrice. Chaque
année, une certaine quantité de pommes de terre '
est en quelque sorte abandonnée à la dévastation
du Peronospora, et cette sorte de sacrifice permet
de sauver'le reste de la récolte. Les années hu-
mides, étant favorables au développement du Pe-
ronospora, soot en même temps celles où la ré-
colte de pommes de terre est mauvaise et sont
aussi celles où la plupart des tubercules sont at-
teints par le parasite.
Dans ces dernières années, les cultures de
pommes de terre de l'Amérique du Nord ont pris
une extension énorme. Un grand nombre de
nouveaux territoires , demeurés jusqu'alors en
friche, ont été mis en culture. Il en est ré-
sulté une dliTiinulion correspondante des sola-
nées indigènes, dont l'une, le Soli'ium america-
nuin, a presque complètement disparu. Or ce
i^otanum servait de nourriture à un insecte co-
léoptère, voisin des hanneions, et nommé le
Doryphora decempunctuta. Cet insecte, privé de
SOLANEES
— iUi'J
SOLEIL
sa nourrituro ordinaire, a d'abord diminué en i des herbes de haute taille, originaires d'Ame
nombre ; h un certain moment mémo il était de- rique. lilles furent apportées de l'Ile de Tabago
venil' excessivement rare. C'est alors qu'il se jeta
sur la pomme de terre. 11 s'acclimata fort bien à
ce nouveau régime. Il ne tarda pas à proliférer
d'autant plus que la nourriture était plus abon-
dante. Il se multiplia môme tellement qu'il devint
un véritable fléau et que chaque année il ravage
coniplcHement les plantations de pommes déterre
de rOliio, de l'Arkansas. du Wiscoiisin, de l'Ala-
bania et de l'État de New-York. Chaque année,
le Dufi/pliora produit de dix à douze générations.
Les jeunes insectes, se nourrissant exclusivement
des jeunes fanes de pomme de terre, privent les
plantes de leurs parties vertes, et celles-ci ne
tardent pas à périr. Les larves des Dori/phora
vivent dans le sol ; leurs métamorphoses sont
extrômement rapides. Jusqu'ici la présence du
Doryphoran'a été signalée que deuxfois en Europe.
Grâce à d'énergiques mesures préventives, il
semble qu'on ait détruit le mal dès son appa-
rition, mais il y a li un motif très sérieux pour
apporter la plus grande circonspection dans les
importations de pommes de terre étrangères. (V.
aussi l'article Pomme de terri;.)
2° V Aubergine, — L'aubergine est cultivée dans
les jardins du midi de la France pour ses fruits
charnus, ovoïdes, allongés, comestibles. On les
mange confits ou farcis.
3° La Tomate (Sotunum Lycnpersiciini). La
tomate est originaire de l'Amérique. On la cul-
tive dans les jardins potagers pour ses fruils
charnus, d'un beau rouge, que tout le monde
connaît. Le fruit de la tomate sert à faire des
sauces estimées, et très souvent, dans le midi de
la France, on les mange farcis ou gratinés.
4° Le Piment des jardins [Cnpsicnm annuum).
— On cultive cette plante, originaire des Indes,
en Afrique, en Amérique, en Espagne et dans le
midi de la France. On cueille ses fruits vers
l'époque de leur maturité et on les fait confire
dans le vinaigre. Ils remplacent alors les corni-
chons. Ce sont des condiments dont les peuples
de l'Europe méridionale font nn grand usage.
Les piments d'Europe sont infiniment moins
acres que ceux de l'Afrique et de l'Amérique tro-
picales.
IL SoLANÉEs MÉDICINALES. — Toutcs les Sola-
nées, à l'exception de celles que nous avons citées
comme étant comestibles, sont narcotiques et vé-
néneuses au plus haut point. Cependant quelques-
unes d'entre elles sont usitées comme médica-
ments. C'est ainsi que dans l'onguent de Popu-
leum entrent les feuilles de la Jusquiame noire
et celles de la Belhuloue officinale. Les feuil-
les de la jusquiame noire et colles de la Mandra-
gore entrent dans la composition du Baume tran-
quille. Les graines de la jusquiame noire sont un
des élémeius constitutifs des pilules de Cyno-
glosse. Le principe actif que l'on trouve dans la
jusquiame a reçu le nom A'Injosclainine ; celui de
la belladone a reçu le nom d'atro/nne. L'un et
l'autre dilatent la pupille et provoquent des con-
vulsions tétaniques.
Le Physalis-Allœkenge produit des baies rouges
enfermées dans un calice accrescent vivement
coloré ; ces baies ont la propriété d'être très vive-
ment laxalives. Elles font partie du sirop de rhu-
barbe composé.
Nous plaçons le Tabac [Nicotiana Tabacum) à
la suite des plantes médicinales, parce qu'on l'a
quelquefois utilisé comme médicament. Le prin-
cipe vénéneux de la NîVo/(a«((,qu'on nomme nic-i-
tine, contracte la pupille et détermine des con-
vulsions. Deux espèces de Nicotianes, la Nirotiane
tab'ic et la Mcutiane rustique, sont cultivées en
Europe pour la fabrication du tabac à fumer, du
tabac à priser et des cigares. Les nicotianes sont
2' PARTIE.
en 15(10 par Jean Nicot. C'est du nom do Nicot
qu'on a fait le nom de nicotiane. Jean Nicot
ayant offert ii Catherine de Médicis une boite de
tabac à priser, on appela pendant longtemps les
nicotianes /lerbe à la Reine. Pour préparer le
tabac, on récolte les feuilles, puis on les disjiose
en piles en les arrosant au fur et h mesure avec
de l'eau salée. On les abandonne pendant deux
ou trois jours. Elles fermentent. Leur albumine
se décompose, et donne de l'ammoniaque qui
réagit sur le sel à base de nicotine que renferment
les fruilles. L'acide du sel s'unit à l'ammoniaque,
et la nicotine est mise en liberté. C'est la nico-
tine qui donne au tabac son odeur caractéristique.
Si le tabac est destiné à être fumé, on le fait
sécher aussitôt après la première fermentation,
puis on le hache. Si le tabac est destiné à être
prise, on doit, quand il est à demi sec, l'arroser
de nouveau afin de lui faire subir une nouvelle
fermentation, qui a pour but d'augmenter la pro-
portion de nicotine qu'il contient. On le fait alors
sécher, puis on le pulvérise. Les ouvriers employés
dans les manufactures de tabac ont un teint gris
terne particulier et tout 5. fait caractéristique, dû
à leur empoisonnement par la nicotine. On com-
bat ces empoisonnements h l'aide de préparations
ferrugineuses. Presque toujours le tabac agit
comme un poison sur les personnes qui n'en font
pas journellement usage. Peu i peu cependant on
s'y habitue ; à la longue pourtant il affaiblit la
mémoire et le jugement.
III. SoLANÉES ORNEMENTALES. — Los principales
Solanées ornementales sont : le Datiiru arbores-
cent, le Solandra, le Pétunia, le Tabac, le Fabiana
et VHahrotliumnus. (C.-E. Bertrand).
SOLEIL. — Cosmographie, VI. — Depuis que
Copcrnik a découvert le véritable système du
monde et que Kepler et Newton ont formulé les
lois des mouvements des corps célestes et assigné
la cause physique de ces mouvements, le Soleil
joue en astronomie un rô'e capital.
En effet, il est le centre autour duquel circii-
lent les planètes accompagnées de leurs satelli-
tes, ainsi que les comètes. Le Soleil est relative-
ment immobile dans le groupe, ou du moins son
centre de gravité n'oscille que dans un espace
étroit, dont les limites ne dépassent pas son pro-
pre volume. Toutes les orbites planétaires ou
cométaires de forme elliptique, parabolique ou
hyperbolique, ont le centre du Soleil pour foyer
commun. Leurs plans ne coïncident pas entre
eux; mais ceux des planètes sont en général peu
inclinés les uns sur les autres, de sorte que le
monde planétaire, vu de l'espace dans la direction
de l'un de ces plans, ofl'rirait l'aspect d'un groupe
do petites étoiles, oscillant de part et d'autre
d'une étoile centrale beaucoup plus brillante et
plus volumineuse que toutes les autres : les pe-
tites étoiles seraient les planètes, et l'étoile cen-
trale le Soleil. .
Les dimensions du système planétaire, mesu-
rées par le diamètre de l'orbite de Neptune, la
plus éloignée des planètes connues, embrassent
GO fois la distance du Soleil à la Terre. Pour
pouvoir évaluer ces dimensions en mesures con-
nues, en kilomètres ou en lieues, par exemple,
il faut connaître cette dernière distance, qui a été
calculée pour la première fois un peu exactement
1 V a un peu plus d'un siècle, lors des passages
le Venu* sur le Sol-il en mH et en HG'J. Nous
ne pouvons entr t ici dans les détails qui seraient
nécessaires pour faire comprendre comment a
pu être résolu un tel problème, comment on est
arrivé h calculer la distance du Soleil. Nous nous
bornerons il dire que c'est un problème de trian-
gulation analogue à celui que résolvent les geo-
SOLEIL
— 2050 —
SOLEIL
mètres, lorsque, à la surface de la Terre, ils
déterminent la distance d'un point du sol à un
autre point situé à distance ou inaccessible.
Ils choisissent, en ce cas, une base AG qu'ils
mesurent en mètres ; des deux extrémités ils vi-
sent le point inaccessible B, et à laide d'un gra-
phomètro mesurent les deux angles BAC et BCA
ou BCD. L'angle en B, qui est la différence du
Fig. 1.
Itistuiioe d"uD point i
ble:i =
dernier et du premier de ces angles, se nomme
la parallaxe du point B : c'est l'angle sous lequel
un observateur posté en B verrait la base du
triangle.
La parallaxe du Soleil est pareillement l'angle
sous lequel un observateur situé au centre du
Soleil verrait le rayon de la Terre. La mesure de
cet élément est beaucoup plus difficile, plus
complexe et plus délicate que celle des deux an-
gles à la base du triangle ABC; mais le principe
de la mesure est le même, et dès lors cela suffit
pour faire comprendre aux élèves d'une école la
possibilité tout au moins de la solution du pro-
blème qui consiste à calculer la distance séparant
la Terre du Soleil.
La parallaxe solaire est un nombre très petit,
environ la 406'^ partie d'un degré, d'où il suit que
la distance du Soleil est très gr.mde, comparco
aux dimensions de la Terre, à la longueur du
rayon équatorial de notre planète. Les plus ré-
centes et les plus exactes déterminations lui don-
nent une valeur de 8"8G.
Il en résulte, pour la distance moyenne du
Soleil, une valeur qui équivaut à ?.3'2(HlO rayons
terrestres environ. Mesurée en kilomètres, cette
distance est de 148 500 OUO kilomètres, un peu plus
de 37 millions de lieues, nombres qui, comme
on vient de le dire, représentent la distance
moyenne, ou encore le demi grand axe de l'or-
bite de la Terre. Cette orbite n'étant pas un cer-
cle, mais une ellipse, la distance de notre pla-
nète au Soleil varie, pendant tout le cours de
l'année, entre deux limites extrêmes : l'une, la
distance maximum ou aphélie, nlleinl 150 000 000
kilomètres ; elle correspond à peu près i la po-
sition qu'occupe la Terre vers le 1" juillet;
l'autre, la disianca périhélie, est égale à 14G00Û000
kilomètres et correspond aux jours voisins du
1" janvier.
Si l'on veut se faire une idée de l'énormité de
cette distance, on n'a qu'i cherclier, par un cal-
Cul facile, le temps que divers mobiles mettraient
à la franchir. Par exemple, la lumière, qui se
propage à raison de 300 000 kilomètres par se-
conde, met 8 minutes 15 secondes i venir du So-
leil k la Terre, quand celle-ci est à sa moyenne
distance. Un boulet de canon de 12 kilogrammes,
chassé de 1 arme par une charge de G kilogram-
mes do poudre, avec une vitesse de 500 mètres
pour la première seconde, mettrait près de dix
années (il ans :i/4) à parvenir au Soleil si le pro-
jectile conservait toujours sa vitesse initiale. En-
fin, un ti-ain express de chemin de fer, s'il mar-
chait, sans s'arrêter, à la vitesse de 50 kilomètres
par heure, n'arriverait pas au Soleil avant 331 an-
nées I
Les lois de Kepler, et notamment la troisième
qui établit le rapport existant entre les dimen-
sions des orbites des planètes et les durées de
leurs révolutions, nous font connaître les moyen-
nes distances do ces corps au Soleil, quand on
les rapporte à l'une d'elles, prise pour unité. Il
suffit donc que cette unité ait été mesurée pour
qu'on puisse en conclure les mesures de toutes
les autres distances, avec une approximation qui
dépend naturellement de la sienne propre. Voici
le tableau qui donne ces éléments pour les huit
planètes principales :
Mprcuro . .
Vénus....
La Terre.
relatives,
0,3S7
Uranus 19,183
Ncptuoe 30.037
770
1115
2850
4460
En limitant à Neptune les dimensions du sys-
tème planétaire, on voit, comme nous le disions
plus haut, que son étendue diamétrale embrasse
GO fois la distance du Soleil à la Terre, ou, si l'on
préfère, près de neuf milliards de kilomètres. Un
rayon de lumière mettrait donc 8 heures un quart
h traverser de part en part notre système solaire.
La connaissance de la parallaxe du Soleil ne
permet pas seulement de calculer en valeur ab-
solue les dimensions des orbites des astres qui
font partie du groupe planétaire ; elle conduit
aussi à l'évaluation des dimensions des globes
eux-mêmes, à celle de leurs masses comparées à
la masse de la Terre, et enfin à celle de leurs den-
sités respectives, de l'intensité de la pesanteur à
la surface de chacun d'eux. Nous devons, dans
cet article, nous borner à ce qui concerne le So-
leil lui-môme.
La parallaxe 8''86 indique sous quel angle le
rayon équatorial de la Terre serait vu du Soleil ;
le double de ce nombre, ou n"72, mesure donc
le diamètre apparent de la Terre, pour la même
distance. Or, le diamètre du Soleil, à l'époque
de la moyenne distance de l'astre, mesure 32 '3"G4
ou 1923"U4. On en conclut aisément le rapport
qui existe entre le diamètre réel du Soleil et le
diamètre de l'équateur de la Terre : on trouve
que le premier est un peu plus de 108 fois et
demie aussi grand que le second.
Ainsi le globe solaire est une sphère dont le
rayon a 092 000 kilomètres, dont la circonférence
mesure 4 350000 kilomètres, et dont le volume,
si on l'évaluait en kilomètres cubes, dépasserait
isno quatrillions. Comparé au volume de la Terre,
qui a plus de mille milliards de kilomètres cu-
bes, le volume du Soleil ne vaut pas moms de
1 ït'oOOO globes des dimensions du nôtre.
A la vérité, la Terre n'est pas la plus volumi-
neuse des planètes du système, puisque Jupiter,
Saturne Uranus et Neptune la dépassent de
beaucoup en dimensions, et sont respectivement
à peu près 1400, 8G5, ■;5 et 85 fois aussi grosses
qu'elle: Mais, si l'on réunissait tous les globes
planétaires et tous leurs satellites en un seu
corps, on trouverait encore que le volume du Soleil
équivaut à COO fois au moins le volume résultant
de cette agglomération. Pour donner enfin une
idée de l'immensité de cette sphère lumineuse,
rappelons que la Lune est éloignée de nous de GO
ravons terrestres, environ 384 dOO kilomètres,_et
supposons que le centre du Soleil vienne à coin-
I
SOLEIL
— 2031
SOLEIL
cider avec le contre de la Terre : dans ces con-
ditions, la surface de l'immense globe non seule-
ment dépasserait l'orbito lunaire qu'elle englobe-
rnit'tout entière, mais encore s'élèverait au-dessus
de plus dos trois quarts, c'est-à-dire de 48 rayons
terrestres.
Joignons à ces comparaisons celle des distances
respectives des astres, et nous pourrons nous
Fig. 2. — Comparaison des d
représenter avec quelque exactitude et sans trop
d'efforts d'imagination les rapports vrais des po-
sitions et des dimensions du Soleil, de la Terre,
et des autres planètes, le système planétaire enfin
dans son ensemble.
Figurons le Soleil sous la forme d'une sphère
à'un décimèlre de diamètre. La Terre alors sera
moins grosse qu'un grain de plomb qui aurait
un mililmélre de diamètre, et il faudra, pour lui
donner sa position véritable, reculer ce grain à
2I™,50 du globe solaire. Donnons maintenant h. la
Terre les dimensions des globes géograpliiques
de moyenne grosseur, soit un diamètre de 30 cen-
timètres. Dans cette liypotlièse, le Soleil serait
aussi gros qu'un ballon spliérique qui, posé sur
le sol du parvis de Notre-Dame de Paris, s'élève-
rait à moitié de la hauteur des tours de l'édifice,
c'est-à-dire aurait 3'2°',57 de diamètre. Seulement,
pour donner aux deux globes leurs positions
relatives vraies, il faudra les éloigner l'un de
l'autre de près de 3 kilomètres et demi.
A la même échelle, Jupiter serait une boule
de 3°", 30 de diamètre, située à 18 kilomètres de
distance, et Saturne, dont le diamètre atteindrait
un peu moins de 3 mètres, devrait être rélégué à
33 kilomètres du globe solaire.
Newton, en démontrant que les mouvements de
tous les corps célestes sont régis par la loi de
gravitation, en prouvant que cette force do gra-
vitation n'est autre chose que la force do la pe-
santeur, a permis la solution d'un problème d'une
haute importance, problème qui consiste à cal-
culer les masses respectives des planètes et du
Soleil. Grâce au principe de cette loi, grâce à la
précision des observations astronomiques, on peut
répondre à cette question dojit l'énoiicé provoque
toujours l'étonnement, à plus juste titre encore
que la question de la mesure des distances
célestes :
Combien le Soleil phe-til rie fois aulanl que
la Ifi-re, ou qu'une planète quelconque?
Nous no pouvons ici entrer dans les détails qui
du Soleil à celles de l'orbite lunaire.
seraient nécessaires pour l'intelligence de la ques-
tion même envisagée à un point de vue tout à fait
élémentaire. Nous nous contenterons de donner
les résultats dans le tableau suivant, où la masse
et la densité de la Terre sont prises pour unités,
et où les corps sont rangés dans l'ordre des
masses :
'X^ Masses. Dcnsitéi.
Mercure 0,076 1,420
Um-s 0,111 0,720
Vénus 0,77S 0.887
La Terre 1,000 1,000
Uraiius 16 • «.216
Neptune 18 » 0,211
Saturne 91 » 0,195
Jupiter -03 « 0,247
Soleil 325,000 .1 0,251
L'examen de ces nombres nous montre que, si
le volume du Soleil équivaut à plus de douze
cent mille fois celui de notre planète, sa masse (ou,
si l'on veut, son poids), est bien loin d'atteindre la
même proportion : elle n'est plus que 325000 fois
aussi forte que la masse terrestre. Aussi la densité
du Soleil n'est guère plus du quart de la densité de
la Terre. Comme cette dernière est environ 5 fois
1/2 celle de l'eau, il en résulte que la matière dont
le Soleil est formé pèse en moyenne, à volume
égal, 1 fois et 4 dixièmes autant que l'eau.
Néanmoins la prépondérance de la masse so-
laire sur celles des autres corps du système est
telle encore que, si l'on additionne toutes les
masses des planètes, la somme équivaut à 432 fois
environ la masse terrestre, mais ne produit en
tout que la "40" partie de la masse du Soleil.
C'est l'action de la masse solaire qui maintient
toutes les planètes dans des orbites à peu près
invariables ; combinée avec celle de la masse de
la Lune, considérablement plus petite, mais beau-
coup plus rapprochée, elle détermine à la surface
des océans terrestres les mouvements périodiques
des marées. Sa puissance est telle que, à la sur-
face du globe solaire, elle agit avec une intensité
SOLEIL
2052 —
SOLEIL
27 fois aussi grande que la pesanteur de la Terre
à la surface de la planète. Un corps qui, dans la
première seconde de sa chute, parcourt ici 4'",9
environ, à la surface du Soleil tombe de 134 mè-
tres; un corps qui tendrait sur la Terre un ressort
avec la force d'un poids de 1 kilogramme, trans-
porté sur le Soleil exercerait une pression de
27 kilogrammes.
Telles sont les données géométriques et physi-
ques que l'astronomie a pu recueillir sur le globe
du Soleil. Il nous reste maintenant h dire ce
qu'elle enseigne sur sa constitution pliysico-
chimique et aussi sur ses mouvements propres.
Le Soleil tourne d'un mouvement uniforme au-
tour d'un diamètre ou axe, qui conserve dans
l'espace une direction invariable. Sous ce rapport,
il ressemble à toutes les planètes dont la surface
a pu être étudiée. Mais son mouvement de rota-
tion est beaucoup plus lent ; il s'effectue en effet
à peu de chose près en 25 jours et demi, tandis
que la rotation de Mars, la plus lente des rota-
tions planétaires, est de 24 heures 'il minutes.
La Lune, il est vrai, n'effectue son mouvement
qu'en 27 jours 7 heures.
La découverte de la rotation du Soleil remonte
à l'année ICIl, c'est-à-dire à l'époque où les lu-
nettes récemment inventées permirent d'explorer
le ciel et les astres, qu'on n'avait jusqu'alors ob-
servés qu'à l'œil nu. C'est à un savant hollandais,
Jean Fabricius, qu'en revient l'honneur. Peu
après, Galilée reconnut, comme Fabricius, la pré-
sence sur la surface du disque du Soleil de ta
ches sombres qui se déplaçaient du bord oriental
au bord occidental. Il trouva que ces accidents
mettaient environ 14 jours à parcourir leur tra-
S
W ->-" -
^.-W^
Ml--''^ ,.-''0
fe;
=?4,.''' • ■
E=
"^^-^ ^
À^^.
-: r_..-r^-=^5l^r:r
-7
fig. 3. — Mouvcmoiit appuient des tadies sur le disque so-
laire. (Dans une lunette qui renverse les" objets.)
jectoire apparente, et qu'après avoir disparu pen-
dant une période à peu près égale, elles venaient
faire leur réapparition sur le bord oriental du
Soleil. La durée apparente de la rotation a été
depuis fixée à 27 jours 4 heures en moyenne,
ce qui donne à peu près l'5 jours pour la période
de la rotation réelle.
Il n'est pas inutile, croyons-nous, de montrer
la raison de la différence que nous venons de
signaler entre la durée du mouvement apparent
d'une tache solaire et la durée de son mouvement
réel, d'où se déduit la période de rotation du
Soleil.
Considérons (fig. 4) une tache a vue au centre
du disque solaire par un observateur posté sur la
Terre, en T. Au bout d'un peu plus de 27 jours,
la tache accomplira une rotation coiuplète, c'est-
à-dire sera entraînée dans le sens des llèches vers
le bord occidental où elle disparaîtra, puis repa-
raîtra après quatorze jours au bord oriental, et
enfin ri-viendra se placer au centre apparent. Ce
serait au même point a si la Terre pendant tout
ce temps était restée au même lieu de l'espace.
Mais en réaliié, en 27 jours et demi la Terre a
décrit un certain arc, et de T elle est venue se
Fig. 4. — Explication de la différence entre la durée de
rotation apparente du Soleil et la durée réelle.
placer en T', point où se trouve l'observateur
lorsqu'il constate que la tache est revenue au
centre, ayant accompli sa rotation apparente
totale. Mais il est évident que la tache a parcouru
en réalité plus d'une circonférence entière à la
surface du Soleil, c'est-à-dire une circonférence -\-
l'arc an' . La rotation apparente a donc une durée
plus grande que la rotation vraie, et un calcul
facile permet de déduire celle-ci de l'autre, qu'on
observe directement.
En réalité, le Soleil tourne sur lui-même en un
peu plus de 25 jours. Comme les taches ne don-
nent pas toutes exactement la même périjde, parce
que, outre leur mouvement d'ensemble, elles ont
de petits mouvements propres, il faut préciser et
dire que la rotation à l'équateur du Soleil se fait
en 24 jours 2 heures. Elle est île 25 jours environ
à 5° de latitude nord ou sud; à 15° nord elle est
de 25 jours 9 heures; à 15° sud, de 25 jours
n heures. Ces résultats font déjà prévoir que les
taches ne sont pas des accidents fixes à la surface
du Soleil, et nous amènent à dire quelques mots
sur leur nature et sur la constitution physique de
l'immense globe.
Pour éviter de longues descriptions, nous re-
produisons ici (fig. 5 et G) quelques figures de ta-
ches solaires. On y voit une partie centrale, noire
ou du moins beaucoup plus foncée que l'enveloppe,
dont la teinte est grisâtre : à celle-ci, on donne le
nom de péimmbi e, et à la première celui de nnymu
Les nombreuses observations recueillies depuis
IGll jusqu'à nos jours ont donné lieu à plusieurs
hypothèses sur la nature des taches. Nous ne les
énumérerons même point et nous nous bornerons
à dii-e qu'aujourd'hui les astronomes sont à peu près
unanimes à reconnaître que les taches sont pro-
duites par des dépressions de lenveloppe bril-
lante et lumineuse du Soleil, qu'on nomme la
fikotnsphère. Quelle est la cause ou quelles sont
les causes de ces dépressions? c'est là que la di-
vergence des opinii)ns ne permet pas encore de
répondre avec certitude.
Mais ce qui est hors de toute contestation, C'\
sont les nombreuses observations qui démontreni ■
1» Que la photosphère ou enveloppe lumineus
I
SOLKIÎ-
2053
SOLKIL
Fig. 5. — Taches solaires. Nojau <;t pcnombre.
incandescente du Soleil est dans un état perpé-
tuel d'agitations qui se traduisent par l'apparition
de taches, les unes sombres avec noyaux 'et pé-
nombreSj les autres plus vives au contraire que
le reste du disque, et qui le plus souvent se trou-
vent situées sur le pourtour extérieur des taclics
(fig. 6). On donne à ces taclies brillantes le nom
de facules ;
i" Que le globe solaire limité par la photosplièra
est lui-même enveloppé d'une couche continue de
!;az hydrogène à l'état d'incandescence, d'où jail-
lissent, sous des formes très variées, des jets ou
protubérances, dont la hauteur est quelquefois
( norme, dépassant des milliers de lieues. On
Il ivait d'abord pu observer ces protubérances
que dans les courts instants des éclipses totales
de Soleil, alors que le disque est recouvert par le
limbe obscur de la lune. Mais, depuis un certain
I nombre d'années, une méthode nouvelle d'obser-
\ation, qui se rattache à l'analyse spectrale, per-
met d'observer et de dessiner en tout temps les
piotubcrances sur tout le contour du Soleil. La
couche d'hydrogène avec ses jets accidentels se
nomme la chromosphère;
3° Enfin, au delà de la cliromosphère, les as-
tronomes ont reconnu l'existence d'une atmo-
sphère beaucoup plus étendue et plus rare, qu'on
nomme la couronne, et qui entoure le Soleil à une
distance indéterminée de sa surface.
SoluU du Is juillet ISOU. Prulubécauccs.
Tels sont les faits. Quanta la cause qui produit 1 Heure au Soleil et l'attribuent à l'action des mas-
les taches, certains aslronomea la croient exté- 1 ses planétaires, D'autres considèrent les taclies
SOLEIL
— 20o4 —
SOLIDES
comme formées par des accumulations de ma- 1 nombreux, pensent que les taches, comme les pro-
tières ou scories, des morceaux d'une croûte in- tubérances, sont les produits des mouvements in-
terne. D'autres astronomes, et ce sont les plus I testins de la masse fluide dont le globe entier du
■>!,
1
in ^1
1
B
EJ^L^Il^^ --À '^
Sfe-^i «^
li- Ml
iS^*^ ^^5^^^^^BH
iig. ï^. — Prolubérances iijdrogenefs du bolcil.
Soleil serait formé. Un de nos compatriotes et
contemporains, M. Paye, assimile les taclies aux
tourbillons de notre atmosphère terrestre, qui
naîtraient dans les couches gazeuses de la pho-
tosphère de la même manière que naissent les
cyclones.
L'analyse de la lumière du Soleil par le prisme
a permis de reconnaître la nature chimique des
substances qui composent sa masse et ses enve-
loppes. Nous avons dit déjà que la chromosphère
et les protubérances sont en grande partie consti-
tuées par de l'hydrogène incandescent. Quant à
la photosphère, le spectre de sa lumière indique
l'existence dans sa niasse et dans celle du Soleil
d'un grand nombre de corps simples terrestres,
métalloidcs ou métaux. Citons, par exemple, le
sodium, le magnésium, le fer, l'aluminium, le
cuivre, le nickel, le cobalt, etc., parmi les pre-
miers; l'hydrogène, probablement aussi l'oxygène,
sont les seuls métalloïdes reconnus. Cependant,
dans la chromosphère, la présence du soufre, du
brome a été constatée.
Après avoir dit quel rôle joue le Soleil au sein
du système dont il est le corps principal et pré-
dominant, et résumé les données que les astro-
nomes sont parvenus à recueillir sur sa constitu-
tion physique, il nous reste à indiquer sommaire-
ment quelle est sa place dans l'Univers.
Il est depuis longtemps démontré que le Soleil
est une étoile, de sorte que, s'il était reculé dans
l'espace à une dislance égale à celle des étoiles
les plus rapprochées, c'est-i-dire à 200 001) fois
environ sa distance à la Terre, il n'apparaîtrait plus
que comme un point lumineux, dont l'éclat ne dé-
passerait guère celui des étoiles de seconde gran-
deur.
Le Soleil fait partie d'un groupe, d'un amas d'é-
toiles très nombreuses, et cet amas n'est lui-
même qu'une faible partie d'une agglomération
immense qui l'enveloppe de toutes parts : la zone
lumineuse connue sous le nom de Voie lactée est
la trace apparente, dans le ciel, de cette agglomé-
ration que nous ne voyons pour ainsi dire que
par sa tranche et qui comprend des millions d'é-
toiles. Au sein de l'amas stellaire dont il fait par-
tie, le Soleil n'est d'ailleurs pas immobile. Il se
meut avec une vitesse comparable aux vitesses
planétaires dans une direction qui, pour le siècle
actuel, est marquée par un point de la constella-
tion d'Hercule. Mais son mouvement est celui de
tous les astres qui gravitent autour de lui : le So-
leil nous entraîne donc, Terre^ Lune, planètes et
comètes, vers des régions inconnues du ciel. Peut-
être ce mouvement de translation changera-t-il de
direction avec le temps; et alors on pourra sans
doute déterminer la courbe qu'il décrit dans l'es-
pace, la durée de la période de son immense ré-
volution. [A. Guillemin.]
SOLIDES (Propriétés des). — Physique, V. —
Les corps solides ont pour caractères extérieurs
une forme qui leur est propre et qu'ils conservent
sans altération lorsqu'ils sont abandonnés à eux-
mêmes, la résistance qu'ils opposent à la division
ou à la rupture, une adhérence entre leurs diffé-
rentes parties telle qu'il suffit de fixer un point
quelconque du corps pour que celui-ci soit fixé
tout entier. Les phénomènes physiques et les
combinaisons chimiques ont fait regarder tous les
corps comme formés do particules excessivement
petites, sans contact immédiat entre elles, sépa-
rées les unes des autres par des espaces vides
insaisissables aux sens, mobiles dans l'étendue
de ces petits espaces et soumises h une attraction
qui les porte les unes vers les autres et à une
répulsion qui les éloigne ; ces petites parties sont
les atomes ou molécules; les forces qui les gou-
vernent et dont le caractère est de ne s'exercer
qu'à des distances excessivement petites sont les
forces moléculaires. Dans les solides, ces forces
moléculaires sont puissantes et il faut une action
SOLIDES
— 2055 —
SOMMEIL
extérieure très appréciable pour modifier ou rom-
pre leur cqnilibre.
L'équilibre moléculaire peut être stable ou
instable, comme cela arrive pour l'équilibre du
corps lui-mCmo soumis à l'action des forces ordi-
naires.
S'il est stable entre certaines limites, une force
extérieure convenablement clioisie pourra le dé-
truire et la forme du corps cliangera momentané-
ment; mais, aussitôt que cessera l'action do la
cause extérieure, les molécules dérangées repren-
dront leur position première et le corps sa forme
primitive ; tel un ressort d'acier ployé par un poids
reprend sa forme quand cesse l'action du poids ;
cette propriété constitue l'élasticité *.
Si l'équilibre moléculaire est instable, une
force extérieure peut déranger les molécules assez
pour qu'elles ne reviennent plus k leur position
primitive, les faire glisser les unes sur les autres,
les distribuer dari^ un autre ordre, leur donner
un nouvel état d'équilibre. Alors les corps pré-
sentent une autre forme permanente sans cesser
d'être solides. Cette propriété prend le nom de
ductilité.
Enfin, si l'action extérieure est plus forte que
l'attraction moléculaire, la rupture se produit.
Il y a donc lieu d'étudier dans les corps solides,
après l'élasticité, les propriétés qui dépendent du
déplacement permanent dos molécules, et le plus
ou moius de résistance qu'ils opposent à la rup-
ture.
Ductilité. — D'une manière générale, la ductilité
est la propriété du corps solide de prendre des
formes différentes sans cesser de former un tout
continu. Ainsi le fer que l'on forge, les métaux
que l'on étire en fils ou que l'on étend en lames,
l'argile que l'on façonne de mille manières. Dans
une acception plus restreinte, on réserve souvent
le nom de ductilité à la facilité des métaux de
8'étirer en fils par l'action de la filière. La filière
est une plaque d'acier percée de petits trous co-
niques de diamètre différent. On engage dans un
des trous 1 extrémité amincie de la baguette que
l'on veut allonger et on la tire fortement de l'au-
tre côté. On répète cette opération dans des trous
de plus en plus petits jusqu'à ce que le fil soit
arrivé au degré de ténuité voulu. Voici l'ordre
dans lequel se placent les métaux sous le rap-
port de la facilité qu'ils présentent de se réduire
en fils fins sans se rompre sous la traction qu'ils
subissent : or, platine, argent, fer, cuivre, étain
et plomb.
Outre le passage h la filière, les principaux
moyens de modifier la forme du corps sont l'action
du marteau, celle du laminoir, la flexion et la
compression.
On donne le nom de malléabilité à la propriété
des corps de s'étendre en lames sans se déchirer
sous la percussion du marteau ou la pression des
laminoirs. Ceux-ci se composent de deux cylindres
horizontaux Ji axes parallèles tournant en sens in-
verse et laissant entre eux un petit espace. On
y engage la plaque métallique à laminer, qui est
entraînée par la rotation des cylindres et qui s'a-
platit et s'étale dans ce passage. Sous le rapport
de la facilité à s'aplatir au laminoir, les métaux se
rangent dans l'ordre suivant : or, argent, alumi-
nium, cuivre, étain, platine, plomb, zinc, fer.
L'action du marteau est un peu différente de
celle du laminoir, sans doute à cause des chocs
répétés qu'elle produit. Ainsi le plomb et l'étain,
qui ne viennent qu'au quatrième rang dans l'ac-
tion du laminoir, se placent au premier pour la fa-
cilité de s'amincir sous le marteau. C'est au moyen
du martelage que l'on prépare les feuilles d'or
destinées à la dorure. Après avoir réduit l'or en
lames d'environ 1 millimètre d'épaisseur au la-
loinoir, on en réunit plusieurs que l'on étend par
le choc du marteau sur une enclume do fer. Après
ce premier martelage, on superpose les f^euilles
en les séparant par du velin et on les bat sur un
bloc de marbre poli ; on les empile enfin entre des
feuilles de baudruche pour les derniers martela-
ges. On obtient ainsi des feuilles de moins d'un
millième de millimètre d'épaisseur.
La chaleur modifie beaucoup la malléabilité de
certains métaux et d'une manière générale la duc-
tilité de beaucoup do corps. Ainsi le zinc est peu
malléable h. froid, tandis qu'il s'étend facilement
k la température de 130 !t 150 degrés. Le verre
est sans aucune ductilité à la température ordi-
naire, et il se laisse étirer, contourner, souffler
lorsqu'il est chauffé au rouge. La fabrication des
ustensiles de verre repose sur cette propriété.
Les actions mécaniques qui provoquent dans
les corps solides un rapprochement permanent
des molécules ont pour effet souvent d'augmenter
la densité du corps : on dit alors qu'il y a écrouis-
snge. Les métaux écrouis deviennent plus tenaces,
plus élastiques, plus durs et plus cassants ; les
anciens donnaient de la dureté :\ leurs armes de
bronze en les écrouissant au marteau.
Dureté et fraijilité. — Dans le langage vulgaire
le mot de dureté exprime des qualités très diffé-
rentes : on l'applique au corps qui résiste au choc
aussi bien qu'i celui qui est difficile à entamer,
et on l'emploie très souvent par opposition à mou
pour diro d'un corps qu'il résiste à une pression.
Pour le physicien, la dureté est la résistance
qu'opposent les corps à être rayés, entamés, usés
par d'autres. Ainsi l'acier, qui lime le fer, est plus
dur que le fer, le verre est plus dur que l'acier et
le diamant est plus dur que le verre; c'est le plus
dur de tous les corps connus ; car il les raye tous
sans être rayé par aucun.
Les corps durs sont ordinairement fragiles,
c'est à-dire faciles à briser par le choc; le verre et
le diamant en sont les deux exemples les plus
saisissants.
Les causes qui modifient la structure des corps
peuvent en augmenter beaucoup la dureté; telle
est la trempe, obtenue par le refroidissement
brusque d'un corps chauffé, qui donne tant de
dureté à l'acier et au verre.
Résistance ù ta rupture. Ténacité. — La rupture
d'un solide peut être amenée de diverses maniè-
res, par le choc, par un effort en travers de la
longueur du corps, par une pression qui tend à
l'écraseraenl, enfin par un effort qui tire dans le
sens de la longueur. C'est i la résistance opposéo
dans ce dernier cas que s'applique plus particu-
lièrement le nom de témicité.
On a étudié spécialement la ténacité des métaux
ainsi entendue, en les réduisant en fils et en
cherchant quelle charge était nécessaire pour
produire la rupture du fil tendu. On a constaté
que le fer est le plus tenace des métaux. Maison
a dû étudier également avec le même soin la ré-
sistance des différents matériaux de construction
sous les divers efforts qu'ils subissent et avec les
formes diverses qu'on leur donne, pour connaître le
degré de sécurité que peut présenter leur emploi.
[Haraucourt.]
SOMMEIL. — Hygiène, XIIL— Il y a des fonc-
tions qui s'accomplissent sans interruption pen-
dant toute la durée de la vie. Les mouvements
respiratoires, les battements du cœur, ne sauraient
être suspendus, même quelques instants, sans
compromettre l'existence. Notons toutefois que
même ces mouvements, continus en apparence,
comportent des temps d'arrôt très courts pendant
lesquels les organes se trouvent au repos.
Les poumons ne cessent jamais de se distendre
et de se contracter pour aspirer do l'oxygène et
exhaler de l'acide carbonique, mais entre chaque
mouvement d'inspiration et d'expiration on note
SOMMEIL
2036 —
SOMMEIL
un léger temps d'arrêt pendant lequel se reposent '
les muscles et les nerfs qui produisent ces mou-
vements. L'adulte rr^plre environ dix-huit fois par
minute: on peut estimer à un peu plus d'un tiers
de seconde le temps d'arrêt entre chaque mouve-
ment respiratoire, de sorte que les poumons se
reposent réellement pendant près de trois heures
par jour. Il en est de même du cœur, dont chaque
battement est suivi d'un court repos.
L'usure continuelle de nos organes ne réclame
pas seulement la rénovation de leur substance par
les aliments. La vie dépense une certaine somme
de force qui ne se renouvelle que pendantle repos
partiel ou complet des organes qui l'ont dépensée.
Après un exercice modéré de quatorze à seize
heures, pendant lequel l'intelligence et le corps
ont agi de concert pour accomplir les travaux de
la journée, tous les sens ayant été excités, tous
les muscles exercés, toutes les facultés tenues
en éveil, nous ressentons un besoin général de
réparation. Les membres réclament impérieuse-
ment le repos; ce sont les muscles qui dorment
les premiers ; puis les yeux se ferment, la pensée
disparaît ou se transforme, le tact s'émousse, et
l'ouïe enfin, dernière sentinelle qui nous tenait en
communication avec le monde extérieur, cesse de
percevoir les sons comme dans l'état de veille,
tout en laissant parvenir au cerveau une impres-
sion plus ou moins confuse. La volonté, le libre
arbitre disparaissent pour faire place à des actes
instinctifs ou à des opérations de l'esprit dont
nous n'avons pas conscience.
Quelque elTort que l'on fasse pour résister au
besoin de sommeil, on ne le retarde, on ne l'a-
brège qu'au prix de lésions du cerveau et des or-
ganes des sens, et la nature finit par reprendre
ses droits.
Tandis que la vie de relation cesse graduelle-
ment sous l'influence du sommeil, les fonctions
organiques continuent comme dans l'état de veille
Quelques-unes même prennent une intensité et
une régularité plus grandes. La réparation des
tissus s'opère dans de meilleures conditions. Ce
n'est plus alors le cerveau qui préside aux mani-
festations de l'existence. La moelle cpinière prend
le premier rôle, les phénomènes vitaux sont spé-
cialement sous ta dépendance: tout se passe au-
tomatiquement.
Dans l'état de veille, les actes automatiques
s'efléctuent le plus souvent sans éveiller notre
attention. Nous respirons sans le vouloir, sans y
penser, sans en avoir conscience le plus souvent.
La moelle épinière suffit pour régler le mécanisme
des actions organiques. Dans quelques circons-
tances, l'action réflexe de ce centre nerveux se ma-
nifeste même par des mouvements qui sont ordi-
nairement volontaires. Si nous posons par mégarde
le doigt sur un corps à une haute température,
une impression est immédiatement transmise à la
moelle épinière et au cerveau. La moelle la res-
sent d'abord et, par action réflexe, fait mouvoir le
bras ou la main pour faire cesser la sensation de
brûlure dont le cerveau n'a été averti qu'un peu
plus tard. Pendant le sommeil complet du cerveau,
nous pouvons donc accomplir un certain nombre
de mouvements réflexes, automatiques, auxquels
préside seule la moelle épinière, en l'absence de
la volonté et de la conscience.
l'our étudier les cfl'ets du sommeil sur la circu-
lation cérébrale, on enlève à un animal une por-
tion du crâne que l'on remplace par une calotte
de verre. On remarque que, pendant le sommeil,
la surface du cerveau, un peu affaissée, est blan-
châtre, tandis qu'elle devient rosée au moment du
réveil ou même lorsque l'animal exécute une série
de mouvements automatiques qui font supposer
chez lui l'état de rêve. Il résulte de cette simple
expérience que la cause immédiate du sommeil
naturel, physiologique, consiste en une anémie
du cerveau. Aussi l'on provoque le sommeil en
comprimant les carotides, ou en pratiquant une
forte saignée. 11 est vrai qu'une congestion du
cerveau peut produire un assoupissement analogue
au sommeil physiologique ; mais dans ce cas c'est
la pression exercée sur les nerfs et sur la masse
cérébrale qui cause la torpeur, que l'on confond
avec le sommeil. Le repos qui en résulte n'est pas
réparateur, et, en se prolongeant, il met en danger
l'existence.
Le sommeil congestif, premier degré de l'apo-
plexie, n'est pas réparateur ; c'est celui qui résulte
de l'emploi de l'opium, de la digestion d'un repas
trop copieux, d'une très vive excitation cérébrale.
Tout ce qui excite la circulation du sang dans le
cerveau, digestion pénible, tête basse, émotion ou
préoccupation, éloigne le bon sommeil. Il faudrait
pouvoir déposer, avec ses vêtements, les agitations
de la vie.
La somnolence est un sommeil lourd qui affai-
blit plutôt qu'il ne repose, parce que le sang,
affluant trop rapidement au cerveau, y cause un
commencement de congestion.
Dans le summcl complet, le véritable sommeil
physiologique, il y a abolition absolue de la cons-
cience, inaction des facultés de l'esprit; les fonc-
tions de la vie organique s'accomplissent seules.
Dans le sommeil incomplet, la vie de relation n'est
pas complètement abolie, le cerveau reçoit quel-
ques impressions par l'intermédiaire des sens ;
la volonté n'est pas entièrement suspendue; sans
qu'il y ait jugement ni sensation bien précise, la
mémoire et l'imagination conservent une certaine
activité qui se révèle sous forme de rêve.
Le sumnumbulisine est une variété de sommeil
incomplet dans laquelle, indépendamment de la
mémoire et de l'imagination, la volonté reprend,
en partie, son actiou sur les muscles. Dans cet
état, il n'y a ni perception des sensations ni ju-
gement, mais on accomplit une série d'actes qui
pourraient faire supposer l'état de veille. On ap-
pelle quelquefois et assez justement rnitomntisme
ce somnambulisme naturel. On peut, dans cet état,
se livrer h un travail manuel, marcher, écrire, ré-
soudre des problèmes, noter des airs. Au réveil
on n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé.
On voit que le sommeil n'est en aucune façon
l'image de la mort, comme on le répète par rou-
tine en vers et en prose. Pendant l'immobilité des
membres, les poumons fonctionnent,, le cœur bat,
le sang circule, les intestins digèrent, les glandes
sécrètent et les tissus profitent du repos pour se
nourrir à l'aise, se reconstruire en silence. Plus la
dépense de force, plus la perte de substance aura
été considérable pendant la veille, plus long devra
être le repos rénovateur du sommeil. Si les mus-
cles ont fatigué beaucoup plus que le cerveau,
leur repos sera plus long. On peut dire que les
muscles dorment pour leur compte lorsqu'ils se
trouvent dans un état de repos absolu, même
lorsque le cerveau ne participe pas au sommeil.
Ce fait est surtout remarquable chez les animaux :
un repos de cinq à six heures suffit au cheval
pour récupérer sa force musculaire. De là le bien-
être que l'on éprouve, après un exercice violent,
mais peu prolongé, à s'étendre de façon que les
muscles se trouvent soulagés de tout efl"ort. Pen-
dant qu'ils dorment, l'esprit peut continuer do
veiller sans fatigue, jusqu'à ce que le cerveau lui-
même ait dépensé la somme de force, usé la
quantité de matière qui exigent réparation et ap-
pellent le sommeil cérébral : de même, après un
travail intellectuel excessif, on éprouve le besoin,
pour rétablir l'équilibre, de fatiguer les muscles
tandis que le cerveau se repose dans la lêverie.
11 y a donc lieu, surtout au point de vue de
l'hygiène, d'établir une distinction entre le som»
SOMMEIL
— 2037 —
SOUDE
meil des muscifs et ctlui du cerveau. Bien peu
d'hommes équilibrent suflisamment le travail du
corps et de l'intelligence pour qu'ils nécessitent
co besoin égal de repos qui favorise le sommeil et
nous permet d'en retirer le plus grand profit. Le
paysan qui fatigue surtout ses muscles n'a pas
besoin de dormir aussi longtemps que le citadin
dont la tCtc travaille davantage.
La vie se ralentit pendant le sommeil ; la com-
bustion est moins active, ce qui cause un abaisse-
ment notable de température et nécessite des
précautions pour maintenir la cltalcur du rorps.
En mCnie temps, l'assimilation est plus énergique,
de siirte que l'on se trouve dans une condition
plus favorable i, l'absorption des effluves, des
miasmes dangereux. Dans les temps d'épidémie
de fièvre jaune, de clioléra, on évite souvent la
maladie si l'on peut, chaque soir, aller dormir
dans un endroit élevé et sain. Il suffit de dormir
près d'un marécage pour absorber le poison de la
fièvre paludéenne.
Pour les enfants au berceau le temps se passe
à manger et à dormir. Dans l'enfance et la jeu-
nesse, l'organisme dépense pour la croissance et
le développement des tissus une quantité considé-
rable de force, et de plus l'on éprouve un besoin
continuel d'exercice et de mouvement. Il est donc
naturel que le besoin d'un long sommeil soit im-
périeux. Retrancher du sommeil à cet âge, c'est
compromettre la santé et abréger stirement la vie.
A mesure que l'on avance en âge on peut, sans
inconvénient, diminuer la quantité de sommeil,
pourvu que les travaux manuels ou intellectuels
soient maintenus dans de justes limites. Chez les
impossible de fixer de règles à cet égard. On
peut dire toutefois qu'en moyenne, celui qui
se livre à des occupations normales auxquelles
participent le corps et l'esprit a besoin de dormir
environ huit heures. Mais il faut compter huit
heures de sommeil effectif et déduire les inter-
valles de veille et de simple somnolence. En dor-
mant habituellement plus de dix heures, on donne
une trop grande part à la vie végétative, le corps
s'alourdit, se charge de graisse; 1 appétit décroît,
l'intelligence s'éniousse, le tempéranietit devient
lymphatique ou apoplectique. Oeci ne s'applique
pas, bien entendu, aux malades, aux convales-
cents, pour qui le sommeil prolongé est indispen-
sable.
Beaucoup de gens, surtout parmi ceux qui exer-
cent une profession libérale, pensent faire un
excellent calcul en diminuant le temps normal du
sommeil. Il est certain que deux heures gagnées
ainsi chaque jour représentent, au bout de qua-
rante ans, trois ans et quatre mois de vie active;
mais le résultat final tourne toujours contre ces
prévisions. Les heures dérobées au sommeil n'al-
longent pas la vie; elles l'abrègent et préparent
des infirmités pour une vieillesse anticipée, tandis
qu'un sommeil suffisant, régulier, contribue par-
faitement à assurer une saine et longue exis-
tence.
L'insomnie est à peu près inconnue de ceux
qui vivent conformément aux lois de la nature ;
elle résulte de la maladie, de la surexcitation
nerveuse, de l'habitude des veilles. Pour l'éviter
ou la combattre, il suffit d'éiiuilibrer le travail ou
l'exercice du corps et de l'esprit, do ne point sur-
vieillards, les dépenses de force étant moindres, charger l'estomac, de mener une vie régulière et
le besoin de sommeil diminue sans affecter la
santé.
En général, les femmes dorment plus longtemps
que les hommes. Elles ont, il est vrai, moins de
dépenses de force à réparer, mais leur nature plus
délicate exige une réparation plus lente.
Les personnes robustes, fortes et sanguines
n'ont pas besoin d'un sommeil aussi prolongé que
les individus faibles, nerveux et irritables. Cepen-
dant, les personnes d'un tempérament sanguin
sont disposées à un sommeil lourd et profond qui
annonce un état maladif, la pléthore, et contre
lequel il importe de réagir par l'exercice et le
régime. Le sommeil prolongé est une cause d'o-
bésité, et celle-ci devient à son tour une incitation
au sommeil. C'est encore à l'exercice et au régime
approprié que l'on doit recourir pour éviter cet
inconvénient ou pour y remédier.
L'habitude exerce certainement une influence
sur le besoin de dormir ; mais, à part quelques
exceptions individuelles (idiosyncrasies^ que l'on
ne peut expliquer, chaque individu a besoin d'un
minimum de sommeil dont on ne peut rien re-
trancher sans diminuer l'énergie de certaines
fonctions, la résistance aux maladies, et sans
causer \ la longue une détérioration de la santé
qui se traduit, sinon par des maladies, du moins
par l'abrègement de la vie.
Il n'est pas indifférent de dormir le jour ou la
nuit. On note presque toujours quelque dérange-
ment de la santé chez les personnes qui sont obli-
gées par leur profession de dormir le jour et de
travailler la nuit. Le sommeil de jour est toujours
plus ou moins troublé, et, d'autre part, ceux qui con-
sacrent la journée au sommeil se trouvent privés,
pendant les heures de travail, de l'influence bien-
faisante do la lumière solaire. L'anémie avec
toutes ses Cdmplications doit être la conséquence
de cette manière de vivre.
Le sommeil devant être proportionnel aux per-
tes, on comprend que sa durée doit varier avec
d'assurer, vers le soir, le calme du cerveau. Quaiit
aux narcotiques, il n'en faut user qu'après avoir
vainement recouru aux moyens hygiéniques, et en
cesser l'usage dès que l'habitude de l'insomnie
se trouve suffisamment rompue. Excepté dans les
cas de maladie, il est très rare, d'ailleurs, que
les mesures hygiéniqui'S n'assurent pas un som-
meil régulier et complètement réparateur.
[D' Safl-ray.]
SOUDE, SODIUM. — Chimie, X'VI. — Aux
époques les plus anciennes, un homme à l'esprit
observateur plus développé que celui de ses
contemporains dut un jour remarquer combien
les eaux des lacs du Fezzan lavaient plus com-
plètement son corps ou ses vêtements que l'eau
de toute autre provenance ; sans doute, il aper-
çut au bord de ces lacs une matière pulvérulente,
un peu onctueuse, abandonnée par les eaux dont
le niveau s'abaissait. 11 expérimenta sur cette
poudre blanche et vit qu'elle donnait à toute
autre eau les propriétés de celle qui l'avait aban-
donnée.
Le natron, le premier carbonate de soude,
était trouvé. Mais il était rare, difficile à se pro-
curer, donc coûteux, et ce grand élément de
propreté fut le lot d'un petit nombre. L'expé-
rience qui fit trouver par le lavage des cendres
uue substance de propriétés analogues, était plus
compliquée et ne vint sans doute que plus tard,
aussi bien pour les plantes terrestres qui four-
nissent la potasse brute (carbonate) que pour les
plantes marines qui fournissent la soude. Dès ce
moiuent, potasse et soude devinrent des objets
usuels. On put nettoyer réellement les toisons
d'animaux, on fit du savon, du verre. Mais il
était réservé à notre époque de science aussi
bien théorique que pratique d'aller chercher la
soude là où elle se trouve en quantité inépuisa-
ble, dans le sel marin *. Alors que la France était
menacée de tous côtés par les gouvernements
voisins, qui voulaient y étouffer la Hévolution,
les saisons, les climats, l'exercice, les travaux elle dut par de nouveaux moyens se procurer
intellectuels, le régime alimentaire. Il est donc chez elle les matériaux que le connnerce étran-
SOUDE
— 2058
SOUDE
ger lui fournissait autrefois. On apprit i. faire du
salpêtre avec les plâtras, du soufre avec les pyri-
tes ; lin médecin français, Leblanc, indiriua, pour
faire la soude, le procédé suivi aujourd'hui pour
en obtenir plus de 100 millions de kilogrammes
en France seulement. Le sel marin est trans-
formé par l'acide sulfurique en .sulfate de soude
et dégage de l'acide clilorbydrique utilise par
d'autres industries. Le sulfate de soude purifié par
cristallisation est mélangé avec son poids de car
bonaie de cliaux et un tiers de cbarbon, etcliauifé
dans un fourneau à réverbère. Il en résulte un
mélange de carbonate de soude et de sulfure de
calcium. Le lessivage de cette masse est une
opération délicate ; il faut éviter de dissoudre
le sulfure de calcium qui, en présence du car-
bonate de soude, donnerait lieu à une doulde
décomposition qui reproduirait les corps primi-
tifs. On opère par lessivages successifs à l'eau
froide. Le produit obtenu par évaporation est la
coude brute, carbonate anhydre. Plus générale-
ment on le fait recristalliser; il conserve alors
10 équivalents d'eau etconstitue le sel ou les cris-
taux de soude. Il sert aux blanchissages, aux
nettoyages de toute nature, dans les verreries,
les savonneries, les teintureries.
Soude caustique. — Elle s'obtient du carbonate
de soude comme la potasse de son carbonate, et
de même on peut la purifier à l'alcool. Comme la
potasse, elle retient un équivalent d'eau combiné.
D'un prix moins élevé à poids égal, et mieux en-
core en tenant compte de son équivalent, elle a
remplacé la potasse dans presque toutes les ap-
plications.
Carijimntes de soude. — Il en existe trois. Nous
avons parlé des deux premiers, le carbonate neutre,
NaOCUMOHO, le sesquicarbonate ou natron,
2NaO:3CO-,.3HO, qu'on peut obtenir artificiel-
lement par le mélange des deux autres et qui
n'a plus d'ailleurs aucune importance. Reste à
parler du bicarbonate, NaO'.'CO^.HO. Il s'ob-
tient en faisant passer un excès d'acide carboni-
que dans une dissolution ou à travers les cris-
taux de carbonate de soude. Chauffé à une
température modérée, il perd ce second équiva-
lent d'acide. Ce corps est le principal agent de
médication alcaline. C'est à lui que les eaux de
Vichy doivent leurs propriétés thérapeutiques. On
en fabrique aussi artificiellement une grande
quantité dans cette localité, en utilisant les déga-
gements naturels d'acide carbonique. Il sert à la
préparation domestique des breuvages carboniques.
Un mélange intime de 4 parties d'acide tar-
trique et de 5 parties de bicarbonate de soude
donne immédiatement, en présence de l'eau, du
tartrate neutre de soude, laxatif léger, et de l'a-
cide carbonique. Ce mélange, additionné de son
poids au moins de sacre, pour assurer la conser-
vation du produit en tempérant l'action lente des
deux corps même à l'état sec, constitue une pou-
dre gazeuse qui permet de préparer immédiate-
ment en été des boissons très rafraîchissantes.
Mélangé à son poids au moins de farine, il cons-
titue le biiking jiowder dont les Anglais font un
usage constant pour rendre les pâtisseries plus
légères et plus digestes, et dont l'usage ne peut
que s'étendre.
Le sulfate de soude s'obtient artificiellement
par l'action de l'acide sulfurique sur le chlorure
de sodium ou tout autre sel de soude. On l'ob-
tient aussi par la cristallisation à basse torapé-
rature des eaux mères des salines. 11 a déjà été
parlé, à l'article Sels, des phénomènes remarqua-
bles que présente la solubilité du sulfate de
soude et la sursaturation de ses dissolutions.
Ces propriétés lui firent donner le nom 'de sel
admirable par le chimiste Glauber, qui le distin-
gua le premier au xvii' siècle.
h'azotnle de soude forme des bancs considéra-
bles au Chili et au Pérou. C'est un corps légère-
mer.t déliquescent, très soluble, qui ne peut rem-
placer l'azotate de potasse pour la fabrication de
la poudre, mais qui sert à le préparer par double
décomposition avec le chlorure de potassium. On
l'emploie également pour la préparation de l'acide
azotique. Enfin c'est un agent fertilisant azoté qui
entre dans la composition des engrais artifi-
ciels.
Il existe encore une nombreuse série de sels de
soude sans importance pratique, sauf quelques-
uns dont il a déjà été question ailleurs : le silicate
de soude (verre soluble), le borate de soude ou
borax; il ne nous reste à citer que l'hyposulfite de
soude, qui est devenu, par sa propriété de dissou-
dre les sels d'argent insolubles dans l'eau, l'un
des réactifs les plus utiles aux photographes. Ce
sel cristallise bien, et est très soluble dans l'eau.
On l'obtient soit en faisant bouillir de la fleur de
soufre avec le sulfite neutre de soude, soit en trai-
tant le sulfure de sodium par l'acide sulfureux.
Les réactions qui permettent de reconnaître les
sels de soude sont toutes négatives, sauf une. Ces
sels sont précipités par une dissolution d'antimo-
niate de potasse, l'antimoniate de soude étant beau-
coup moins soluble que lui. Ajoutons que, placés
dans une flamme, ils la colorent en jaune, tandis que
les sels de potasse, les seuls avec lesquels on pour-
rait les confondre, la colorent en rose.
Sodium, — Lavoisier, remarquant que les pro-
priétés des oxydes métalliques de fer, de cuivre,
de plomb étaient analogues à celles des alcalis
fixes et dos terres*, émit l'hypothèse que ceux-ci
étaient également des oxydes métalliques; mais
il ne réussit pas à en isoler le radical. En 1807,
llumplirey Davy soumit la potasse et la soude à
l'action de la pile électrique que Volta venait de
découvrir et entrevit les métaux cherchés. Pour
en avoir une quantité appréciable, il fallut que la
riche Angleterre fil une souscription nationale
pour offrir au professeur une batterie électrique
suffisante. C'est avec l'appareil fourni par l'en-
thousiasme d'une nation que Davy obtint quel-
ques globules de potassium et de sodium. Il
plaçait la potasse ou la soude sur l'électrode po-
sitif, y creusait une cavité contenant du mercure
dans lequel plongeait l'électrode négatif. Le
métal décomposé s'alliait au mercure que l'on
chassait ensuite par la chaleur. Le grand électri-
cien, Faraday, assistait, encore enfant, à ces expé-
riences et contemplait ces précieux globules va-
lant plusieurs fois leur poids d'or. Soixante ans
après, au comble de la gloire, il sautait de joie en
voyant à l'usine de Nanterre le même métal couler
dans de vastes appareils qu'il fallait manier aveo
une grue, et se fabriquer à moins de 10 fr. le kilo.
Gay-Lussac et Tliénard avaient réussi à obtenir
du potassium, et plus difficilement du sodium
en décomposant par le fer les oxydes de ces corps.
Plus tard Brunner réussit à décomposer par le
charbon la potasse et la soude. Donnez et Maresca,
les premiers, surent donner au condensateur une
forme aplatie convenable pour diminuer la sur-
face de contact de l'oxyde de carbone et du métal,
et éviter uno décomposition en sens inverse.
M. Sainte-Claire Deville fit par quelques modifica-
tions de cet appareil de laboratoire un appareil de
grande industrie.
Tant que le sodium fut d'un prix très élevé,
il fut sans usage industriel. Depuis que son prix
est bas, il est devenu par excellence le corps élec-
tro-positif; il sert à enlever l'oxygène ou le chlore
aux corps qui ne peuvent être décomposés autre-
ment, et permet d'obtenir l'aluminium et autres
métaux. Comme le potassium, il décompose l'eau
à la température ordinaire, mais n'enflamme
l'hydrogène dégagé que s'il est fixe sur un corps
SOUFRE
2039
SOUFRE
solide on placé sur un liquide aqueux assez vis-
queux. Sa flamme est jaune, ce qui le distingue
du potassium. Le sodium qu'on vient de couper
a l'éclat métallique do l'argent, mais il se ternit
immédiatement à l'air. Sa densité est 0,97, Il fond
à 90" et bout au rouge.
L'équivalent du sodium est 23, tandis que celui
du potassium est :i9; il y a donc tout avaiiiago i
employer le premier corps et ses composés, qui
sont en outre presque toujours meilleur marché
que les composés potassiques. [P. Robin.]
SOL'FRIi. — Chimie, VI. — Le soufre est un
corps simple, jaune, très abondant, isolé ou com-
biné. Densité 2. Très mauvais conducteur de la
chaleur et très friable. Un morceau que l'on tient
à la main fait entendre des craquements résul-
tant de l'inégale dilatation de sa masse et des
petites ruptures qui en résultent. Il s'électrise
aisément par le frottement, fond h 111'', bout
vers 4Gt)°, cristallise par voie sèche et par voie
humide. Le soufre est insoluble dans l'eau, mais
soluble dans diverses huiles grasses ou essentiel-
les et surtout dans le sulfure de carbone. L'éva-
poration de ces dissolutions l'abandonne en octaè-
dres du quatrième système. Si on laisse refroidir
le soufre fondu, la surface extérieure se fige la
première. En perçant cette croûte et faisant
écouler le soufre encore liquide, on voit l'intérieur
tapissé d'une magiiifique géode de cristaux du
cinquième système. Ces cristaux, d'abord translu-
cides, deviennent opaques en se transformant dans
les petits octaèdres précédents qui sont la forme
d'équilibre des molécules du soufre. La fusion de
ce corps présente une série de phénomènes
exceptionnels qui révèlent des changements d'é-
tat moléculaire remarquables. D'abord liquide
clair, il devient, i mesure (|ue la température s'é-
lève, foncé et visqueux au point de ne pouvoir
se verser à 200°, puis redevient liquide encore
plus foncé. Versé alors dans l'eau, il reste mou,
élastique, peut s'étirer en fils. Au bout de quel-
que temps, il redevient jaune , opaque et fria-
ble. Cette transformation s'opère très rapidement
dans de l'eau voisine de son point d'cbullition
avec un dégagement de chaleur qui achève de
faire bouillir l'eau. Le soufre brûle dans l'oxygène,
dans l'air, dans le chlore.
Le soufre se trouve en quantités inépuisables
dans les pays volcaniques. La France en cou
somme environ .30 millions de kilogrammes par an
qu'elle tire presque en totalité de Sicile, mais
qu'elle pourrait tirer àunprixà peine supérieur de
la pyrilc de fer qui en contient près de fao p. 100.
Le soufre sert à la fabrication de l'acide sulfuri-
que, des allumettes chimiques ; on l'emploie
pour combattre le développement de l'oïdium qui
produit la maladie de la vigne. Le soufrage de la
vigne se fait en projetant le soufre en fleurs sur
la plante à l'aide d'un soufflet.
Le soufre existe à l'état libre dans les terrains
volcaniques, mélangé h de la terre. On le purifie
à l'aide d'une distillation grossière dans des pots
de grès, qui lui laisse encore 3 p. 100 d'impuretés.
Une seconde distillation bien réglée le purifie
complètement. Quand le récipient est h plus de
110", le soufre s'y condense à l'état liquide; on le
coule alors dans des moules cylindriques en
bois et il constitue le soufre en canons. Si le ré
cipient est vaste et froid, la vapeur se condense
en petites sphères creuses qui sont la fleur
soufre.
Le soufre ne forme pas moins de sept combi-
naisons avec l'oxygène. Deux seulement ont un
intérêt pratique, l'acide sulfureux et l'acide sulfu-
rique.
Acide sulfiimix. — L'acide sulfureux se forme
quand le soufre brûle dans l'oxygène ou dans
l'air. C'est un gaz incolore, d'une odeur suffo
cantc caractéristique. Il se liquéfie vers — 15", et
produit, en se volatilisant, un abaissement de
température excessif, surtout si l'on accélère l'é-
vaporation par le mouvement ou l'épuisement de
l'air. L'acide sulfureux éteint les corps en com-
bustion, d'où l'usage de jeter du sotifro dans les
cheminées dont la suie s'est enflammée et de
fermer ausslLùt l'ouverture inférieure. L'acide
sulfureux contient juste poids égaux de soufre et
d'oxygène : sa formule est SO^. 11 absorbe lente-
ment l'oxygène en présence de l'humidité. Cette
absorption est facilitée par la présence des com-
posés o.xygénés d'azote.
On l'obtient dans les laboratoires en attaquant
un métal des séries du cuivre et de l'argent par
l'acide sulfurique bouillant, dans l'industrie par
la combustion du soufre. L'acide sulfureux sert
au blanchiment des matières d'origine animale,
laine, soie, à l'assainissement de lieux infectes, à
la préparation des sulfites et surtout de l'acide
sulfurique.
L'acide sulfureux a été employé contre certai-
nes alTections de la peau. On lui préfère aujour-
d'hui les préparations au soufre, dont l'oxydation
lente produit plus sûrement le même effet.
Acide sulfurique. — On a dit de plusieurs
substances que le degré de leur consommation
peut servir de mesure à l'industrie d'un pays.
Cette parole est surtout vraie de l'acide sulfuri-
que. Il n'est, en effet, pas une profession qui n'en
fasse usage directement ou indirectement. In-
connu des anciens, entrevu par les alchimistes,
il fut pour la première fois fabriqué en quantité
appréciable au milieu du xv" siècle par Bazile
Valentin, en distillant le vitriol vert, d'où le nom
d'esprit de vitriol, d'acide vitriolique; mais il n'y
a pas un siècle et demi que l'on a créé en An-
gleterre la première usine où on l'ait fabriqué
en grand, par des procédés différant peu do ceux
qu'on emploie aujourd'hui.
On connaît trois formes d'acide sulfurique. La
première, l'acide anhydre, est une curiosité de la-
boratoire qu'on obtient dans des appareils tout
en verre parla distillation du sulfate de for ou du
bisulfate de soude absolument secs. C'est un
corps d'une avidité excessive pour l'eau, que l'on
ne peut conserver que dans les ballons scellés où
on l'a produit, cristallisant i la température ordi-
naire en fines aiguilles.
L'acide de Nordliausen est une dissolution de
ce derjiier dans l'acide hydraté, obtenu par la
distillation des mômes sulfates avec des précau-
tions moins minutieuses. Son seul usage, assez
important d'ailleurs, est d'être le dissolvant de
l'indigo.
Mais l'acide dont on parle surtout est l'acide sul-
furique du commerce, SO\HO, acide monohydraté
ou concentré. C'est un corps liquide huileux, in-
colore quand il est pur, souvent légèrement bruni
par des matières organiques qu'il a carbonisées.
Il est inodore; la saveur de ce corps, même dilué
dans 1000 parties d'eau, est fortement acide; con-
centré, il désorganise immédiatement les ma-
tières végétales et animales.
Sa densité est I,K42 ; il bout à 325°, se congèle
à — 34°. L'acide sulfurique concentré est presque
aussi avide d'eau que l'acide anhydre. La pierre
ponce imbibée d'acide sulfurique sert à dessé-
cher le gaz.
L'acide sulfurique se dissocie au rouge en acide
sulfureux et oxygène.
On l'obtient en faisant arriver dans de vastes
chambres de plomb, ayant une capacité de plu-
sieurs centaines de mètres cubes, de l'acide
sulfureux, do la vapeur d'eau et de l'air. Cela
suffirait i la rigueur, mais on active la réaction
en faisant intervenir une petite quantité de com-
posé azoté oxygéné, soit du bioxyde d'azote, par
SOUFRE
— 2060 —
SOUFRE
exemple ; au contact de l'air celui-ci se trans-
forme en acide hypoazotique, et ce dernier à son
tour cède à l'acide sulfureux une partie de son
oxygène. Tliéoritiuement, une trace de composé
azoté suffirait ; mais, comme toujours, il y a des
pertes, et il faut en fournir constamment une pe-
tite (luanlité que la pratique indique. L'acide sul-
fureux s'obtient par la combustion du soufre ; la
chaleur dégagée par cette combustion sert à va-
poriser de l'eau et à produire l'oxyde d'azote.
Nous ne pouvons donner ici une idée de toute
l'harmonie de l'opération. Disons seulement que
l'acide sulfurique, contenant un excès tantôt d'a-
cide sulfureux, tantôt de composé azoté, arrive,
après plusieurs retours et mélanges intimes sur
du coke, à sortir de l'appareil dans un état de pu-
reté remarquable, mais très dilué. On le concentre
dans des vases de plomb jusqu'à ce qu'il marque
CO à l'aréomètre de Baume, puis dans des cornues
de platine jusqu'à GC. Cette opération est con-
tinue, un filet d'acide dilué entre constamment
dans l'appareil et il en sort constamment un acide
concentré. L'acide s'emploie rarement à cet état
de concentration; on le prépare cependant ainsi
afin d'éviter un inutile transport d'eau et pour
empêcher les ruptures des vases que pourrait
produire en hiver un acide plus dilué. IC kilos
de soufre produisent environ 50 kilos d'acide.
L'acide sulfurique est employé dans toutes les in-
dustries comme le plus puissant agent de transfor-
mation. La France en consomme annuellement
70 millions de kilos; une seule labrique anglaise
en produit 8 millions.
Chloruies de soufre. — Le soufre forme avec le
chlore deux combinaisons correspondant aux aci-
des sulfureux et sullurique. Ces deux corps, obte-
nus à chaud par combinaison directe, sonlvolaiils,
décomposables par l'eau en acide chlorhydrique
et en acide sulfureux ou sulfurique. Ils dissol-
vent le soufre, mais n'ont pas d'importance pra-
tique.
Viodure de soufre a des propriétés analogues ;
on l'a utilisé en pharmacie.
Sulfures. — Le soufie forme avec la plupart des
autres corps des combinaisons dont il est l'élément
électro-négatif.
L'hydrogène sulfuré ou acide sulfliydrique est
un gaz incolore, ayant l'odeur d'œufs pourris.
Sa formule est SH, sa densité 1,191. Il brûle en
produisant de l'acide sulfureux et de l'eau, ou en
déposant du soufre si la quantité d'oxygène est
insuffisante. Il est assez solublo dans l'eau, se
liquéfie à une pression de 40 atmosphères. Sa disso-
lution, réactif des plus employés dans les labora-
toires, s'oxyde rapidement h. l'air, se trouble par
le dépôt du soufre et perd par suite son odeur et
ses propriétés. En présence des corps poreux, son
oxydation devient plus complète, ce qui explique
la destruction rapide du linge employé pour les
bains sulfureux. L'acide sulfureux 't le sulfure
d'hydrogène, mélangés dans les proportions de 1
à 2, donnent immédiatement lieu à de l'eau et à
du soufre. Cette réaction, qui explique le phéno-
mène des fumerolles accompagnées de dépôts na-
turels de soufre pulvérulent, peut être utilisée
pour l'extraction du soufre des pyrites. Dans les
laboratoires, l'hydrogène sulfuré se prépare en
faisant agir un acide fort sur un sulfure, soit
acide chlorhydrique et sulfure d'anti.moine, soit
acide sulfurique et sulfure de fer. C'est un gaz
très délétère auquel sont dus les accidents si fré-
quents des fosses d'aisances.
Les sulfures méialliques ont une grande impor-
tance méiailurgique. Le plus grand nombre des
minerais métalliques sont des sulfures. Dans les
laboratoires, les dissolutions métalliques se dis-
tinguent le plus souvent par les propriétés des
sulfures que l'on obtient par précipitation à l'aide
de l'hydrogène sulfuré ou du sulfliydrate d'am-
moniaque.
Les sulfures peuvent s'obtenir par combinaison
directe, sauf ceux de zinc, d'argent, d'or et de
platine. La combinaison s'effectue généralement
avec dégagement de chaleur.
Si l'on chautfe vers 21100° dans un tube deux
parties de cuivre et une de soufre, la combinaison
se fait avec dégagement de lumière ; avec du
plomb, la chaleur dégagée peut fondre le ballon;
avec du mercure, il se produit une explosion. On
peut obtenir du sulfure de mercure en triturant
ensemble du mercure et du soufre humecté. Un
mélange mouillé de fleur de soufre et de limaille
de fer se combine avec un dégagement de chaleur
suffisant pour vaporiser très vivement l'eau. Si
l'on ref ouvre ce mclange avec de la terre, celle-ci
est soulevée. Lémery avait cru trouver ainsi l'ex-
plication des volcans; d'où le nom de volcan de
Lémery donné à cette expérience classique.
Comme les composés oxygénés, les sulfures peu-
vent jouer le rùlo de bases, d'acides, être neu-
tres, indifférents ou salins. Leur couleur est sou-
vent caractéristique. Il y a un sulfure d'arsenic
et un sulfure de cadmium jaunes ; le sulfure
de manganèse est rose ; celui de mercure, le
vcnnillo?i. est rouge ; les sulfures alcalins sont
blancs ou incolores ; la plupart sont noirs ; un
grand nombre de sulfures naturels ont l'éclat
métallique. La pyrite, bisulfure de fer, se pré-
sente souvent en cubes jaune d'or qui l'ont fait
bien des fois prendre par des naïfs pour un
minerai aurifère. Quelques sulfures sont vola-
tils. En général les polysulfures perdent par la
chaleur une partie de leur soufre, mais il n'y a
que les métaux de la dernière série dont les sul-
fures soient entièrement décomposables par la
chaleur. L'oxygène agit sur beaucoup de sulfu-
res; les sulfures poreux huinides se transforment
souvent lentement en sulfates.
A chaud les sulfures se grillent et se transfor-
ment en oxydes et acide sulfureux. Les sulfures
alcalins sont seuls solubles dans l'eau, et s'y décom-
posent lentement par l'action de l'acide carboni-
que de l'air, d'où leur odeur d'hydrogène sulfuré.
Les caractères communs des sulfures sont de
donner de l'acide sulfureux par le grillage à
l'air et de l'hydrogène sulfuré par l'action des
acides.
Les sulfates sont les combinaisons d'acide sul-
furique et d'une base. On admet, d'après Berze-
lius, comme sulfates neutres ceux dans lesquels
le rapport de l'oxygène de l'acide à celui de la
base est 3. Il y a des sulfates basiques à divers
degrés, et des bisulfates. Ceux de la première
section et de magnésie sont indécomposables par
la chaleur seule. Les autres dégagent de l'a-
cide sulfureux et de l'oxygène, parfois de l'acide
sulfurique anhydre, et se transforment en oxy-
des ou en oxysulfures. Les acides borique et si-
licique en chassent l'acide sulfurique, confor-
mément aux lois de Berthollet. En général, les
sulfates sont solubles. Ceux de baryie, de plomb,
de strontiane, de chaux, d'argent, ne le sont pas
ou très peu, et de plus en plus dans l'ordre in-
diqué. La nature en fournit un certain nombre
employés dans les arts ou la médecine, les sulfa-
tes de chaux, de baryte, de strontiane, de soude,
de magnésie, l'alun, les sulfates de fer, de cuivre ;
ces derniers sont aussi préparés artificioUement
par le grillage des sulfures. On peut préparer les
sulfates par l'action de l'acide sulfurique sur les
bases ou les sels à acide plus volatils, les car-
bonates, les sulfures, les chlorures. Les sulfates
insolubles peuvent s'obtenir par double décompo-
sition. La propriété caractéristique des sulfates
est de donner par les sels de baryie un précipité
insoluble dans les acides. Les sulfates étant en
I
SOULEVEMENTS
2061 —
SOULÈVEMENTS
général solublos. sont employi'^s pour donner do
la solubilité aux bases, et sont utilisés pour les
propriétés de ces bases, plutôt que comme sul-
fates, exemple : le sulfate de cliaux comme agent
fertilisant, les sulfates de cuivre et de fer pour
chauler les blés, le sulfate de quinine comme
fébrifuge, le sulfate de magnésie comme pur-
gatif. [P. Robin.J
SOULÈVEMENTS. — Géologie, III. — Ce mot
s'applique en géologie :
1° A un fait, consistant dans l'exhaussement
de certaines parties du sol par rapport aux
autres ;
2° A toute une doctrine dont l'auteur est Elie
de Beaumont et qui, après avoir été certaine-
ment comprise d'une manière défectueuse, sem-
ble néanmoins de nature à rendre des services
variés.
Au premier point do vue, nous n'aurons pas
grand'cliose à dire, le fait des soulèvements su-
bits {tremblements de terre) et des soulèvements
lents (bossellements généraux) entrant plus na-
turellement dans le cadre d'autres articles ; il
faudra, au contraire, nous étendre un peu plus
sur la doctrine.
Néanmoins, nous ne pouvons nous dispenser,
en commençant, de faire remarquer que la cause
même des phénomènes dynamiques en question
est unique et réside dans les régions les plus
profondes de la terre. Elle consiste dans le retrait
ceniripète, conséquence du refroidissement spon-
tané de notre globe.
En effet, le premier résultat de ce refroidisse-
ment a été sur la terre, comme il est actuelle-
ment sur le soleil, la concrétion d'une enveloppe
solide, comparable pour sa minceur relative à la
pellicule d'une bulle de savon, et qui est devenue
le point de départ d'un double système de dé-
pôts. A l'extérieur se sont superposés les maté-
riaux abandonnés par l'atmosphère au fur et à
mesure de son refroidissement; en dedans l'en-
veloppe primitive a reçu le placage successif des
substances qui passent les unes après les autres
de la forme fluide à l'état solide.
Or, la perte de chaleur constamment éprouvée
par le noyau intérieur a eu pour effet d'écarter
de la coque solide le noyau fluide qui la sou-
tenait tout d'abord. Dans la situation d'une
construction dont le sol serait miné, l'enveloppe,
portant à faux, s'est affaissée par place et, par
une réaction nécessaire, les régions voisines ont
subi une surélévation proportionnée. Ces déni-
vellations produisant des cassures, les masses
fondues internes se sont insinuées par ces so-
lutions de continuité. Elles ont ainsi alimenté
des éruptions semblables i beaucoup d'égards à
celles de nos volcans actuels et dont la substance
constitue, dans certains cas, l'axe et comme l'os-
sature des chaînes do montagnes.
Les faits de ce genre sont visibles de toutes
parts et leur interprétation est d'autant plus cer-
taine que l'expérience a pu dans certains cas les
reproduire. C'est ainsi, pour n'en citer qu'un seul
exemple, que M. Alphonse Favre, en imitant la
contraction de la croûte terrestre sur l'élasticité
d'une feuille de caoutchouc, a fait subir à des
couches d'argile superposées à ce caoutchouc
toutes les inflexions des roches dont se composent
les chaînes de montagnes.
Cela posé, nous avons ce qu'il faut pour com-
prendre la doctrine des soulèvements. Déjà nous
venons de remarquer que les montagnes ne sont
pas isolées : elles forment des citaines. Elie de
Beaumont va plus loin et montre que les chaînes
forment des systèmes.
Il ne se boine pas h signaler le fait, il l'expli-
que, ou plutôt, il part do consilérations théori-
ques pour conclure que le fait est absolument
nécessaire. C'est ici que se place la critique que
la première phrase de cet article a pu faire pré-
voir. Elie de Beaumont, imbu des méthodes ma-
thématiques, a eu le tort de vouloir introduire
dans une question d'histoire naturelle des consi-
dérations absolument géométriques. Comme des
naturalistes l'auraient prévu, le résultat fut une
théorie ingénieuse, élégante, comme disent les
algébristes, mais qui ne représente les phéno-
mènes naturels que d'une manière fort incom-
plète.
Elie de Beaumont raisonne, en effet, comme si
le globe terrestre était un sphéroïde parfaite-
ment homogène, et il se demande quel sera le
résultat de son refroidissemoiit parfaitement ré-
gulier.
Il trouve que ces crevasses, dont nous venons
d'indiquer l'ouverture, ne s'établiront pas dans
des directions quelconques. Leur direction sera
réglée d'une manière absolue pour la forme même
du sphéroïde planétaire. Elles s'entre-croiseront
sous des angles parfaitement définis et, en s'en-
tre-croisant ainsi, elles délimiteront à la surface
de la terre les mailles d'un réseau géométrique-
ment régulier.
Ce réseau, l'auteur le soumet à une étude
complète et il trouve que ses mailles auront
nécessairement la forme de pentagones : le penta-
gone étant de tous les polygones réguliers sus-
ceptibles de diviser exactement la surface sphé-
rique celui qui pour une surface donnée présente
le plus grand périmètre.
Or. il semble qu'ici une simple remarque au-
rait dû inviter l'auteur i faire usage de grande
prudence dans ses déductions. Sur le plan, c'est
l'hexagone régulier qui jouit des propriétés que
possède le pentagone sur la sphère ; aussi les mê-
[ mes géomètres-naturalistes ont-ils posé en principe
j que le retrait des nappes planes do basalte doit
les diviser en colonnades hexagonales. Or, qu'on
' visite de pareilles colonnades, et il n'en manque
pas depuis la France centrale jusqu'en Irlande, et
l'on verra que les prismes hexagonaux sont de très
I rares exceptions. Les colonnes ont toutes les for-
mes possibles, et la même colonne considérée à
diverses hauteurs prend successivement des con-
j tours différents.
Mais l'influence des idées géométriques est si
. forte (lue les livres classiques continuent de dé-
' montrer pourquoi les prismes de basalte sont
j toujours h six pans, et que les excursionnistes ne
I ramassent guère sur le terrain que les échantil-
lons, fort rares, qui satisfont par hasard aux con-
ditions théoriques.
Eh bien, pour le réseau pentagonal il en fut
exactement de môme. Après avoir démontré que
j les chaînes de montagnes doivent dessiner à la sur-
face du globe un réseau à mailles régulières, Elie
I de Beaumont a passé sa vie en tentatives infruc-
j tueuses pour -plier la nature à ses vues.
Pas plus que les basaltes ne sont à six pans, les
I montagnes ne dessinent des pentagones 4 la sur-
, face du globe. Mais il ne faut pas en conclure que
' les principes géométriques invoqués soient faux.
Seulement ni le basalte, ni surtout le globe ne sont
des masses homogènes. La loi simple invoquée
par le géomètre est profondément modifiée en
chaque point par les causes locales, et c'est en
pure perte qu'on tente de représenter par des for-
mules rationnelles les phénomènes toujours com-
plexes de la nature.
Il n'en reste pas moins que l'idée des systèmes
de sonlèveywnis est très féconde et doit être re-
tenue. Eli" est fort importante surtout en ce qui
concerne l'histoire du foyer d'activité que la terre
recèle dans ses profondeurs.
A l'origine, on lui a attribué un autre genre
encore d'intérêt dont les progrès de la science
SOULÈVEMENTS
20G2 —
SOUSTUAGTION
l'ont également dépouillé, mais qu'il faut men-
tionner. Il s'agit de la délimitation des périodes
géologiques.
Tout le monde sait que l'illustre Georges Cuvier
a écrit un ouvrage intitule Discours sur les ré-
tolutions du (/lobe, qui dans son temps fut
comme l'évangile de la science. L'idée qui y do-
mine est que l'histoire de la terre se compose
d'une série de périodes caractérisées chacune par
une faune et par une flore spéciale et qui sont
séparées les unes des autres par une révolution,
c'est-à-dire par un cataclysme qui a fait table rase
de toute la nature organisée pour la remplacer
par une autre. Or quelle est la cause de ces révo-
lutions?
La production brusque d'un système de cassure
et la subite sortie des montagnes correspondan-
tes répondait h tous les besoins d'une manière
inespérée. Ce fut son triomphe.
Oui, mais voili que ce qui était si vrai du temps
de Cuvier que la moindre objection semblait une
hérésie, est démontré aujourd'hui parfaitement
inexact. Les révolutions du globe Ji'ont jamais
existé que dans l'imagination de savants induits
en erreur par une tradition où toute saine chro-
nologie est méconnue. L'histoire de la terre appa-
raît, à U suite des recherches innombrables qu'elle
a motivées, comme une magistrale et lente évolu-
tion. Les espèces organiques, comparables à chacun
des individus qui les composent, sont nées à leur
heure, se sont développées, ont atteint ensuite la
période de décrépitude et se sont éteintes en vertu
des causes mêmes qui déterminaient la prospé-
rité de leurs concurrents.
Dès lors les brusques dénivellations amenant à
leur suite les cataclysmes cuviériens n'avaient
plus de raison d'être, et, en effet, il est impossible
de persister à croire que le soulèvement des
chaînes montagneuses ait été subit, comparable,
suivant une expression jadis consacrée, « à la crois-
sance des champignons. » Chaque cliainc est le ré-
sultat d'une série d'actions peu considérables, qui,
s'ajoutant sur une même ligne de fraction, ont
exhaussé lentement le sol et lentement déplacé
le bassin des mers.
Comme on le voit, les progrès de la science ont
considérablement diminué l'importance do la doc-
trine d'Elie de Beaumont. Cependant ils ont laissé
intact un grand fait mis en lumière par les travaux
de l'illustre géologue. U consiste en ce que tous
les soulèvements n'ont pas le même âge, et il sup-
pose par conséquent que l'on sait évaluer l'âge
géologique de chacun d'eux.
La méthode qui permet d'arriver h cette notion
est d'ailleurs très simple: on cherche à détermi-
ner l'âge des couches qui ont participé au mouve-
ment d'exhaussement, et l'on est sur que le sys-
tème des montagnes considérées est plus récent que
ces couches. Un détermine de même l'âge des
couches qui se sont disposées au voisinage, aussi-
tôt que possible après le soulèvement. L'âge
de celui-ci est compris entre les deux précé-
dents. , , . j r.
Un exemple nous fera bien comprendre. Dans
une partie de la chaîne des Pyrénées, le terrain
inférieur (terrain nummulitiquc) a été élevé à une
grande hauteur, liais au pied de la chaîne les
couches miocènes sont restées parfaitement iio-
rizontales. L'âge de cette portion de chaîne est
donc tertiaire et compris entre l'éocène et le mio-
cène. Nous disons de cette portion, car il s'en faut
que toute la chaîne se soit produite à la môme
époque. Dans les Alpes, par exemple, on arrive
à déterminer toute une succession de soulève-
ments, auxquels les montagnes doivent leur re-
lief actuel.
A la tin de sa laborieuse carrière. Elle de Beau-
mont a réuni dans un ouvrage d'ensemble l'âge
des principaux systèmes de montagnes. Il con-
vient, en terminant cet article, d'indiquer quel-
ques-uns d'entre eux.
Entre le talschiste pliylladiforme et le ter-
rain cambrien se place le si/stème des coltines
de la Vendée; collines qui sont les restes de
hautes montagnes réduites, par l'usure prolongée
depuis une si haute antiquité, à l'état de reliefs
fort atténués, mais où l'on retrouve tous les carac-
tères distinctifs des sommets les plus considé-
rables.
Après le cambrien viennent successivement
les systèmes du Finistère et du Morbihan ; en-
tre le silurien et le dcvonien, le système du
Westmoreland et du Hundsruck ; après le cal-
caire carbonifère, le soulèvement des ballons des
Vosges et des collines du Bocage ; après le
miUstone gritt, le système du Forez; entre le
terrain houiller et le terrain permien, le sys-
tème du nord de l'Angleterre ; après le zecli-
stein, le système du sud du pays de Galles ;
après le grès vosgien, le système du Rhin ; entre
le trias et le lias, le système du Thuringerwald ;
entre le jurassique et le crétacé, le système de
la Cùte-d'Or ; entre les grès verts et la craie, le
mont Viso; à la base du tertiaire, les Pyrénées,
ainsi que nous l'avons déjà dit; peu après, le
système de la Corse et de la Sardaigne ; durant
l'époque miocène, les systèmes de l'île de Wight
et du Sancerrois ; entre le miocène et le plio-
cène, une partie du soulèvement des Alpes, qui
s'est continué jusqu'à la fin du terrain tertiaire.
Pendant l'époque quaternaire, le système du Té-
nare et de l'Etna, et le système des Andes.
Enfin, des observations toutes récentes ont
prouvé qu'à la Nouvelle-Zélande un système
de montagnes commence à se soulever le long
d'une longue faille dont la dénivellation s'ac-
centue par des tremblements de terre successifs.
[Stanislas Meunier.]
SOUSTRACTION. — Arithmétique, V. — Pour
comparer doux règles AB et CD, on les appli-
que l'une contre l'autre de telle sorte qu'elles
aient une extrémité commune, puis on marque
le point E de AB auquel correspond l'autre extré-
mité D de CD ; la disUnce EB est la différence
entre AB et CD ; c'est ce qui resterait de AB si
l'on coupait dans AB une petite règle égale à CD,
ou bien encore, c'est ce qu'il faudrait ajouter à la
plus petite règle pour qu'elle devînt égale i,
l'autre.
Si l'on mesure la distance EB avec un mètre di-
visé en millimètres, on trouvera directement le
nombre de millimètres que renferme cette diffé-
rence.
Mais la marche précédente, facile à suivre
lorsqu'il s'agit de deux règles, n'est pas applica-
ble à toutes les longueurs ; il serait impossible
de mesurer ainsi la différence de longueur de
deux murs, la différence de hauteur de deux mai-
[sons; nous allons voir qu'il suffit de mesurer
' avec le mètre la hauteur AB de la première maj-
' son, puis la hauteur CD do la seconde, et en fai-
' sant un petit calcul sur les nombres ainsi obte-
nus, en faisant une soustraction, nous obtiendrons
la différence des hauteurs des deux édifices sans
avoir besoin de les placer l'un près de l'autre.
Si nous trouvons, par exemple, que AB ren-
ferme 15 mètres et que CD n'en renferme que 12.
' nous chercherons combien il faut ajouter de
] mètres à 12 mètres pour obtenir 15; il est clair
I qu'il en faut 3; nous dirons donc que la différence
SOUSTRACTION
— 2063 —
SOUSTRACTION
des deux Iiauteurs est 3 mètres, et nous écrirons
en abrégé ;
15">— 12'» = 3n>,
ce qui s'énonce ainsi :
Quinze moins douze est égal h trois.
Le signe — (moins) est le signe de la sous-
traction. Si nous avions à retranclier Vl francs de
15 francs, nous trouverions encore 3 francs ; si de
15 kilogrammes nous devions on retrancher 12,
il nous resterait encore 3 kilogrammes ; la diffé-
rence est toujours représentée par le même nom-
bre d'unités, si les nombres que l'on obtient en
mesurant les deux grandeurs île me'me espèce
restent les mômes, quelle que soit d'ailleurs la
nature de cette grandeur. On est ainsi conduit à
la soustraction de deux nombres abstraits, c'est-
à-dire de deux nombres considérés indépendam-
ment de la grandeur dont ils sont la mesure, et
les définitions suivantes se présentent naturelle-
ment à l'esprit des enfants ; en les apprenant
par cœur, ils sauront ce qu'ils disent :
DÉFINITION. — La soustractiou a pour but, étant
(tonnés deux nombres, de trouver combien il
faut ajouter d'unités au plus petit pour obtenir
te plus grand.
On peut dire encore : La soustraction a pour
but, connaissant la somme de deux nombres et
Fun de ces nombres, de trouver l'autre. Ce der-
nier s'appelle reste, excès ou différence.
i" CAS. — Le plus petit nombre n'a qu'un
chiffre, et le plus grand 7ie le sur-passe pat de plus
de neuf.
Soit, par exemple, h. trouver la différence 7 — 3 ;
on voit, d'après la table d'addition, que c'est la
nombre 4 qui, ajouté à 3, donne 7 ; il suffit de sa-
voir sa table d'addition par cœur.
On pourrait aussi ôter de 7 toutes les unités
Qui sont dans 3 et dire : de 7 ûtez 1 il reste G,
ae 6 ôtez 1 il reste 5, de 5 ôtez 1 il reste 4 : la
différence cherchée est 4. — Cette manière de
compter sur ses doigts ne doit être employée
que pour les enfants qui commencent.
2* CAS. — Soustraction de deux nombres de
plusiews chiffres lorsque chaque chiffre du petit
nombre est moindre que le chiffre correspondant
de l'autre.
Soit à retrancher 372 de 80G : il suffit de dé-
composer ces deux nombres en leurs unités da
différents ordres :
896 = 8 cent, -f 9 diz. -f 6 unités,
372 = 3 cent. + 7 diz. -j- 2 unités ;
on retranche ensuite les unités des unités,
0 — 2 = 4;
les dizaines des dizaines,
9 — 7=2;
les centaines des centaines,
8—3 = 5;
le reste renfermera donc 5 centaines, 2 dizaines
et 4 unités, il sera 524 et l'on écrira:
896 — 372 = 524.
Pour faire facilement ces soustractions partiel-
les, on dispose les deux nombres de manière que
les unités de même ordre soient dans la même co-
lonne verticale, et l'on est conduit ainsi à la règle
pratique suivante :
RÈGLE piiATiguE. — On écrit te nom'.re à sous-
traire sous le grand nombre de manière que les
unités de mémo ordre se correspondent, et on sou-
ligne. Alors on ôte les imités des unités, les dizai-
nes des dizaines, etc.; les restes partiels écrits au-
dessous forment la différence des deux nombres
proposée.
On dispose ainsi le calcul :
896 somme
372 nombre connu
5"i4 reste.
3' CAS. — Quelques-uns des chiffres du nombre
à soustraire sont plus grands que leurs correspon-
dants dans la somme.
Soit à faire la soustraction
54807—26738.
On ne peut retrancher S unités de 7 unités
G mille de 4 mille ; la marche précédente est
donc en défaut, et l'on s'appuie sur le principe
suivant :
Principe. — La différence de deux nombres ne
change pas lorsque l on augmente également cha-
cun d'eux.
Ainsi 8 — 5 = 3, et si l'on ajoute 4 à chacun des
nombres 8 et S, l'on a encore 12 — 9=3; ce qui
revient à dire qu'entre 5 heures du matin c't 8 heu-
res du matm, il y a le même intervalle de temps
qu'entre 9 heures et midi. — On peut aussi met-
tre ce principe en évidence à l'aide de deux mè-
tres brisés dont on déploie k la fois le môme
nombre de décimètres.
Pour faire la soustraction posée plus haut
nous dirons (en nous appuyant sur le principe
précédent) :
54807 somme
26738 nombre connu
28uuy reste.
Comme on ne peut ôter 8 de 7, augmentons la
nombre supérieur de dix unités, ou d'une dizaine'
la soustraction deviendra possible et nous dirons
K 8 de 17 reste 9. a
Mais puisque le nombre supérieur a été aug-
menté d'une dizaine, nous devons, pour ne pas
altérer la différence, ajouter aussi uno dizaine au
nombre inférieur et nous dirons « 4 de 0 »
Comme cette soustraction est encore impossible,
on augmentera ce zéro de dix dizaines, et l'on
dira « 4 de 10 reste G; « puis, pour compen-
ser, on augmente le nombre inférieur d'une cen-
taine, ce que l'on fait en disant « S do 8 i-esta
0. 1) Continuant, il faudra dire « G de 15 reste 8,
3 de 5 reste 2. a Ainsi la différence cherchée est
28UG9, et l'on écrit :
54807 — 2C738 = 280G9.
Remarque. — Dans la pratique on se dispense
de répéter le mot rate à chaque soustraction
partielle : voici les seuls mots qu'il faut laisser
prononcer à l'élève ; 8 de 17, 9 ; 4 de 10, 6 • 8 da
>«, 0; 6 de 14, 8; 3 de 5, 2.
RÈGLE rnATiQUE. — Dans le cas général, on
suit la même marche que dans le premier cns'
arrivé à une soustraction partielle impossible'
on augmente par la pensée le chiffre supérieur
de dix unités de son ordre et, dans la soustrac-
tion partielle qui suit, on augmente d'une unité
le chiffre inférieur.
Preuve. — Pour vérifier une soustraction, il
faut ajouter le reste au petit nombre ; on doit
retrouver le grand nombre si l'opération est
bien faite. — Cette addition se fait sans rien
écrire; ajoutant de bas en haut, on dit, pour véri-
fier la .soustraction précédente : 9 et 8 font 17 •
7 et 3 font 10, etc. '
On doit commencer la soustraction par la
droite; en effet, en la commençant par la gauche,
lorsque le chiffre à soustraire est plus grand que
celui placé au-dessus, on augmenterait bien ce
dernier chiffre de dix, mais, pour établir la com-
SPIRALE
SPIRALE
pensation, il faudrait changer un chiffre déjà ] que la pointe d'un crayon soit attachée à cette
écrit. extrémité, et qu'en tenant le crayon à la main,
Complément d'un nombre. — On appelle com- '
plément d'un nombre la différence entre ce nom-
bre et la puissance de 10 immédiatement supé-
rieure. Ainsi le complément de 7â8 est :
1000—758 = 212;
celui de 987 928 est :
100001)0 — 987928=12072.
Pour prendre le complf-ment d'un nombre, on
retranelœ de 9 tous les :hiffres du nombre en par-
tant de la gauche, et le dernier à droite doit être
retranché de 10; il est facile d'écrire ainsi le
complément d'un nombre tout en énonçant ce
nombre.
Soustraction par complément. — Pour retran-
cher d'un premier nombre un second nombre, il
Euflit d'ajouter au premier le complément du
second ; mais il faut avoir soin d'enlever du ré-
sultat la puissance de 10 qui a servi i prendre le
complément. Soit, par exemple, b. faire la sous-
traction
8745367 —987928;
on remplacera cette indication de calcul par la
suivante :
8745.3G7 + 12072-1000000,
ou
8757439 — lOOOuOO = 7757439.
En effet, si, au lieu de retrancher 987928, on
retranche inoOOuO, on retranche r,'072 de trop;
le résultat 77458367 est dont trop faible de 1ï072,
et il faut ajouter 12072 au nombre 774583G7. Cette
soustraction est commode lorsqu'on a un compte à
régler : on a reçu certaines sommes, on en a dépensé
d'autres ; au lieu de faire le total des recettes et
d'autre part le total des dépenses, puis de retran-
cher le second total du premier, on peut dresser un
seul tableau de calcul et faire une seule addition
en inscrivant non pas les dépenses, mais leurs
compléments. Supposons, par exemple, que la
liste des recettes soit :
76789, 43227,
et celle des dépenses :
98567, 9387, 589.
On fera l'addition
76789
43227
1433
613
411
122473
Mais il faut retrancher
lOOOOO-l- 10000 -f- 1000=111000
puisqu'on a pris 3 compléments, et le reste cher-
ché est
11473.
Si les chiffres des nombres à retrancher sont
voisins de 10, le calcul est rapide, et certains pro-
cédés de calcul mental très expéditifs ne sont
autre chose que la soustraction complémentaire.
[E. Burat.j
SI'llÈRE. — V. Corps ronds.
Sl'UCTIlE SOLAIUE. — V. Lumière.
SPIRALE. — Géométrie, XIV. — Etym. : du
latin spi'a, enroulement. — I. Considérons un fil
enroulé un nombre indéfini de fois sur une cir-
conlcrence Abc (fig. ), comme sur une bobine, et
ayant son extrémité au point A. Si on imagine
on déroule le fil, en le tenant constamment tendu,
comme la figure le montre dans les positions AB,
mM, cC, la pointe décrit, à partir du point A de
la circonférence, une courbe A15MCD...., qui n'est
liinilée que par l'étendue du fil : celte courbe est
ce qu'on nomme une spirale.
La spirale est donc une courbe plane engen-
drée par un point mobile qui se meut autour
d'un point fixe et qui en tnéme temps s'en éloigne
de plus en plus.
L'architecture fait un emploi assez fréquent de
cette courbe pour l'ornementation; on en trouve
un exemple remarquable dans la grille du sanc-
tuaire de Notre-Dame de Paris.
La construction de la spirale d'un mouvement
continu par le déroulement d'un fil est peu prati-
cable, quand il s'agit de tracer lo plan de la
fi;;uro sur le papier. On compose alors cette
courbe d'arcs de cercle consécutifs décrits avec
des rayons qui vont en grandivsant et ayant pour
centres les sommets d'un polygone régulier qu'on
substitue à la circonférence.
Soit par exemple l'hexagone régulier A6erfe/'(fig.2).
On prolonge les côtés tous dans le même sens.
Du sommet b pris pour centre avec le côté iA
pour rayon on décrit l'arc AB; du centre e avec
cB pour rayon, l'arc BC ; du centre d avec rfC
pour rayon, l'arc CD ; du centre e avec eD pour
rayon, l'arc DE ; du centre /" avec /E pour rayon,
l'arc EF ; du centre A avec AF pour r.iyoii, l'arc
FG ; du sommet b pris une seconde fois pour
centre avec le rayon 4G, l'arc G.M. On continue
ainsi, en prenant toujours pour centres les som-
mets du polygone régulier.
L'arc de spirale allant du point A au point G
fait une révolution complète autour du point
fixe ; on le nomme spire. La deuxième spire qui
commence en G se termine i la rencontre de la
SPIRALE
— 2005 —
SPIRALE
droite iiid(5finie AAG ; les autres spires auraient
de mémo leurs dHux extrémités sur le prolonge-
ment indélini du côté iA du polygone.
On voit facilement que les rayons des divers
arcs décrits successivement h partir du premier
sont égaux à 1 fois, 2 fois, 3 fois...., le côté du
polygone et que le rayon qui décrit le sixième arc
de la première spire est égal au périmètre même
du polygone. En outre chacun des arcs dont se
compose la spirale, quel que soit le nombre des
spires, est égal à On degrés.
On n'est pas obligé d'employer exclusivement
l'hexagone régulier pour tracer la spirale ; on
peut prendre un polygone régulier d'un nombre
quelconque de côtés en répétant le même mode
de construction. La figure 3 présente une spirale
construite :\ l'aide d'un carré. On peut même
remplacer le polygone par une simple droite de
longueur donnée AB, comme le montre la figure i.
Les deux extrémités A et 13 sont alternativement
les centres des arcs successifs, qui dans ce ca§
sont tous des demi-circonférences.
Obskiivatiojj. — On peut établir des relations
diverses (tntre le mouvement de révolution et la
mouvement do translation du point mobile géné-
rateur de la spirale; suivant la loi qui est imposée
;'i ce double mouvement, la courbe possède des
propriétés différentes et varie un peu dans sa
forme. Telles sont la spirale d'Archimède, la spi-
rale liyperbolique, la spirale logarithmique. La
construction de ces courbes, ne pouvant être effec-
tuée que point par point, ne présente pas assez
d'utilité pratique pour qu'elle puisse avoir place
dans cet article. Nous exposerons au contraire le
tracé d'une autre genre de spirale qu'on nomme
volute ionUiue.
II. Vulnte ionique. — Cette spirale se voit sou
vent sous la forme de deux filets saillants, placés
symétriquement h droite et ;\ gauche sur les cha-
piteaux qui surmontent les colonnes dans certains
édifices.
La construction de la volute diffère un peu de
relie de la spirale, parce qu'elle est subordonnée
à la position que doivent avoir sur le chapiteau le
centre de la petite circonférence qu'on nomme
n-il de la volute et le point où la courbe doit se
raccorder avec un filet horizontal rectiligne tracé
à la partie supérieure du chapiteau.
Soit 0 le point pris pour centre de l'oeil
i'Iîg. 3) et A le point supérieur où doit se termi-
ner la volute : la droite OA sera verticale sur le
chapiteau. On divise cette droite en 9 parlies
égales (8-+- 1 parties), et d'un rayon 015, égal i la
9° partie de OA, on décrit une circonférence.
Fig. 5.
(Pour plus de clarté elle est reproduite avec de | diamètre vertical BD, et on tire les cordes BC, CD,
plus grandes dimensions dans la figure 6.) On DE et BE, ce qui forme un carré inscrit. On joint
mène le diamètre CE (fig. G) perpendiculaire au i ensuite par deux droites les milieux des côtés op-
2" Partie. 130
SPORES
— 2066
SPORES
posés de ce carré ; on divise en trois parties égales
les quatre parties de ces droites à partir du
centre O, et on numérote les points de division,
en commençant par les extrémités de ces droites :
1,2,3, '(.... 12.
On tire vers la gauche les droites indéfinies 1-2,
5-G, 9-10 ; vers la droite de la figure les droites
indéfinies 11-12, 7-8, 3-4 ; et de haut en bas les
droites indéfinies 2-3, 6-7, 10-11. Puis on tire au-
dessus les droites 4-5, 8-6.
Du point I pris pour centre (fig. 5), et avec un
rayon égal à la distance de ce point au point A,
on décrit un arc AF terminé h la rencontre de la
droite 1-2 ; du centre 2, avec la distance 2F pour
rayon, l'arc FG terminé à la rencontre de la ver-
ticale 2-3 ; du centre 3, avec la distance .3G pour
rayon, l'arc GH terminé à la rencontre de l'hori-
zontale 3-4 ; du centre 4, avec la distance 4H pour
rayon, l'arc Hl terminé à la rencontre de la droite
indéfinie 4-5 ; du centre 5, avec la distance 51
pour rayon, l'arc IK terminé à la rencontre de
l'horizontale 5-G. On continue ainsi, comme le
montre la figure, et le douzième arc, qui a le
point 12 pour centre, vient se raccorder sensible-
ment en S avec l'œil de la volute.
On pourrait aussi construire une volute avec
un autre polygone régulier, par exemple avec un
hexagone. Mais, faute de place, nous ne pouvons
expliquer ici la façon de procéder dans ce mode de
construction. [G. Bovier-Lapierre.j
SPORES. — Botanique, XXVII-XXXVIII. —
Etym. : du grec sporon, qui signifie germe. — On
désigne sous le nom général de sp' ce toute cellule
servant à la dissémination d'un végétal cryptogame *,
fougère, mousse *, algue ou champignon *. Une spore
consiste essentiellement en une petite masse de
matière albuminoîde vivante ou protoplasma, re-
vêtue d'une coque ou membrane de cellulose
d'autant plus épaisse et plus imperméable que la
spore a plus à redouter l'action de l'air, celle de
la lumière et celle de l'eau. La spore est donc
une sorte de kyste chargé de disséminer les vé-
gétaux qui en sont pourvus dans le milieu qui
les entoure. Fréquemment aussi la dissémina-
tion des cryptogames par spore leur donne le
moyen de changer de milieu.
Lorsqu'une plante cryptogame produit plu-,
sieurs sortes de spores, on désigne généralement
sous le nom de macrospores les spores les plus
grosses, et sous le nom de microspores colles qui
sont de petite taille.
Toutes les fois que la dispersion des végétaux
cryptogames doit se faire dans l'air, leurs spores
se présentent avec la structure que nous avons
indiquée, la paroi de la spore étant plus ou moins
ornée selon le genre et l'espèce considérée.
Lorsque, au contraire, la dispersion des spores
doit se faire dans l'eau, on voit fréquemment les
spores ordinaires des cryptogames perdre leur
membrane protectrice de cellulose et se réduire
îi une simple masse protoplasniique nue. Cette
dilïéri'nce de vestiture de la spore selon le mi-
lieu dans lequel se fait la dipcrsion montre bien
tiue la membrane de la spore n'est point quelque
chose d'essentiel pour celle-ci. Cette membrane
n'est qu'une sorte de vêtement destiné à proté-
ger la matière protoplasmique vivante contre les
influences destructrices du milieu dans lequel s'o-
père la dispersion des spores. Parfois la membrane
des spores qui en sont pourvues se partage en
deux couches ; l'une, extérieure, est fortement
colorée, très résistante, imperméable .\ l'eau : on
la nomme épispore ; l'autre, intérieure, est inco-
lore, élastique, flexible, perméable à l'eau : on la
nomme endospore. Au moment du développe-
ment des spores, en général l'épispore se brise,
tandis que l'endospore, extensible et perméable,
fait hernie à travers les déchirures de l'endospore
et se prolonge en des sortes de tubes grêles que
l'on désigne d'une manière générale sous le nom
d'hyphes.
Dans les cas où la dispersion des spores se fait
dans l'eau, comme c'est le cas le plus fréquent
pour les algues, nous avons vu que la plupart des
spores ordniaires sont nues. Certaines d'entre elles
présentent parfois deux pôles : l'un, appelé pôle
postérieur, presque toujours vivement coloré en
vert ou en rouge; l'autre, antérieur et incolore.
Très souvent alors on voit partir de ce pôle inco-
lore un ou plusieurs prolongements très fins,
flexibles, toujours agités d'un mouvement ondula-
toire très marqué. Ces prolongements protoplas-
miques mobiles des spores sont ce que l'on
appelle des cils vibratiles. Le nombre de ces cils
des spores est très constant dans un groupe de
plantes déterminées. Il en est de même de leur
position et de leur mode d'implantation. Ainsi,
il y a toujours deux cils à la partie antérieure
des spores des sphéroplécs, petites algues vertes
et rouges qui vivent dans les mares à fond sa-
bleux bien exposées au soleil. Il y a, au contraire,
quatre cils à la partie antérieure des spores des
Hijdrodiclyons ou réseaux d'eau. Il y a une cou-
ronne de cils vibratiles autour du pôle incolore
des spores des Œdogonium, petites algues très
communes en été à, la surface de toutes les ma-
res herbeuses. Dans les vaucheries, petites algues
vertes qui se développent très fréquemment à la
surface des pots à fleurs un peu négligés quoique
bien arrosés, les spores sont entièrement revêtues
sur toute leur surface de très petits cils vibrati-
les. Toutes les spores dont nous venons de parler
sont fortement colorées en lert à leur partie
postérieure, ainsi nommée parce qu'elle est tou-
jours en arrière pendant le mouvement de la
spore. Les cils vibratiles de la spore font, en
efl'et, l'office de rames : ils frappent l'eau, et la
spore avance dans ce liquide en tourbillonnant
sans cesse autour de son axe. Dans tous ces
exemples le pôle incolore, pi'de antérieur ou
rostre, est toujours en avant pendant la marche
de la spore. Chez les Peronospora, les Cystopus,
champignons parasites le premier de la pomme
de terre, le second des rosiers et des oignons
auxquels il donne la maladie du blanc ou du
meunier, les spores agiles sont incolores, ré-
niformes au lieu d'être ovoides ou sphériques
comme dans les plantes que nous avions citées
tout d'abord. Ces spores présentent chacune deux
cils qui sont fixés sur la spore vers le point où
elle se courbe. Do ces deux cils vibratiles, l'un
est très flexible, très agile ; il est plus court que
l'autre et se dirige en avant pendant la marche ;
on l'appelle le cil antérieur. Le second cil est
SPORES
2067 —
SPORES
presque rigide, droit; il est toujours dirigé en
arrière pendant la marclie. (je dernier cil se com-
porte comme une sorto de gouvernail cliargé de
diriger la marche, tandis que le cil antérieur agit
à la manière d'un organe moteur, d'une sorte
d'hélice. Cet exem|ile nous montre une très cu-
rieuse localisation de fonctions on même temps
<iu"un très haut degré de division du travail
physiologique. Des deux cils d'une spore agile,
l'un est une hélice motrice, exclusivement affectée
;\ son rôle de propulseur, l'autre est un gouver-
nail chargé de diriger la marche.
Dans les champignons que l'on appelle Myxo-
mycètes, sur la nature végétale desquels on a
longtemps hésité à se prononcer parce qu'ils se
présentent sous l'aspect do plaques écumeuses
gluantes contractiles à la surface des vieux bois
tombés en pourriture, on trouve des spores qui,
mises dans l'eau, s'ouvrent et laissent échapper
yno petite masse protoplasmique incolore, con-
tractile, dont la forme varie &. chaque instant et
qui ressemble complètement aux animaux que l'on
désigne sous le nom A'Amibes. On appelle ces
corps des Myxonmihes. Grâce à lour cootractilité,
ils se déplacent dans l'eau, rampent à la surface
des lames de verre sur lesquelles on les dépose
pour les observer. Ces myxoamibes ne sont autre
chose qu'une forme particulière des spores agiles
dont nous parlons. Les myxoamibes peuvent se
partager en deux brusquement, sans motif appa-
rent, et chacune des parties s'en va de son côté
sans s'inquiéter de sa moitié. Parfois les myxoa-
mibes sont pourvus d'un prolongement rigide très
fin, incolore, qui rappelle un cil vibratile ; mais la
rigidité de ce prolongement le distingue immédia-
tement des cils vibratiles ordinaires. On appelle
ce prolongement un flcigellum. Dans le mou-
vement des myxoamibes pourvus de flagella, le
flagellum est toujours antérieur pendant le mou-
vement. Chaque myxoamibo peut, lorsque l'eau
vient à faire défaut, rentrer dans son sein son
flagellum s'il en possédait un, puis se revêtir d'une
coque de cellulose qu'il secrète. On appelle mi-
croki/stes ces spores spéciales des myxomycètes.
Quand l'eau revient en abondance, ces microkys-
tes déchirent leur paroi et le myxoamibo est re-
mis en liberté. Lorsque plusieurs myxoamibes
vivent ensemble dans une même goutte d'eau, il
arrive un moment où tous les myxoamibes se fon-
dent en une seule masse gélatineuse gluante,
contractile et mobile à la surface des corps. On
appelle plasmodws ces masses muqueuses for-
mées par la fusion des spores nommées myxoa-
mibes. Les plasmodies représentent l'appareil vé-
gétatif des myxomycètes.
Dans les Monobltpharis, petits champignons
aquatiques qui vivent sur le bois pourri et sur
les poissons morts ou très malades, certaines
spores rappellent beaucoup les myxoamibes, mais
leur flagellum est postérieur pendant la marche
de la spore amiboïde. Les MonMepiiaris possè-
dent d'autres spores qui présentent une tête
ovoïde ou triangulaire terminée postérieurement
par un long flagellum. Dans les Cliytridinées,trè3
petits champignons parasites qui vivent aux dé-
pens des Monohlepharifi, des saprolégniées et des
diatomées, tous végétaux aquatiques, les spores se
présentent sous la forme de petits bâtonnets pro-
toplasmiques nus, légèrement courbés en crois-
sant. Ces spores ont un seul cil rigide postérieur
pendant la marche.
Très fréquemment i la surface des spores, près
quand il s'agit des spores que quand il s'agit des
animaux.
On désigne d'une manière générale sous le nom
do zoospùres toutes les spores agiles. On ajoute au
mot zoospore les préfixes macro et micro pour
désigner des zoospores de grande et de petite
taille, lorsque la plante considérée posséda plu-
sieurs sortes de zoospores.
Dans ce qui précède, nous avons vu les spores
disséminées soit par l'air, soit par l'eau, et dans
ce dernier cas nous avons vu une catégorie spé-
ciale de spores acquérir une grande puissance de
dispersion grâce ii des organes moteurs spéciaux.
La.dispersion des spores dans l'air est souvent fa-
vorisée par la débiscence avec élasticité dos sacs
dans lesquels les spon's ont pris naissance. Dans
les hépatiques, sortes de végétaux assez sembla-
bles h, des mousses et dont les types les plus
communs sont les Marrhnnti'i, qui poussent entre
les pavés des cours humides ou sur les pots de
fleurs des serres, la dispersion des spores est
provoquée par des filaments solides contractiles
que l'on appelle élitcre-i et qui sont mêlés en
grand nombre aux spores. Dans les Ei/nisetum ou
prêles {Queues de clieval), chaque spore est pour-
vue de quatre palettes très liygroscopiques qui
s'enroulent et se déroulent violemment sous l'in-
fluence des moindres variations de l'état hygro-
métrique de l'air; grâce au mouvement de ces
palettes, les spores A' Equisetum peuvent se dis-
perser à une très grande distance. On peut faci-
lement rendre un nombreux auditoire témoin de
cette dispersion des spores à'Equisetum. On prend
une feuille de papii^r blanc bien glacé; sur colle-
ci on dépose un épi bien mur à'EijuisetNûi : les
sacs sporifères de l'épi s'ouvrent, laissent échap-
per les spores qui forment bientôt une poussière
verte à la surface du papier. On enlève l'épi, puis,
en approchant et en écartant très doucement la
main de la poussière verte, on voit celle-ci s'agiter
et danser violemment. Dans les myxomycètes ou
champignons muqueux, la dispersion dos spores
est assurée par un réseau hygroscopique de fila-
ments cellulosiens oxtrêmement fins. On appelle
ce réseau capitlilium. Au moment de la maturité
du sac sporifère, les spores et le capillilium sont
enfermés dans le sac. Sous l'influence de l'humi-
dité aussi bien que par une dessiccation trop
grande, le sac sporifère se déchire, le capillitium
se détend comme un ressort violemment compri-
mé et projette au loin les spores. Les variations de
l'humidité de l'air ambiant provoquent pendant
un temps très long la contraction et la dilatation
du capillitium distendu, de sorte que môme après
sa première distension ce réseau sert encore h
disperser les quelques spores qui ont pu de-
meurer adhérentes à ses iliaments. Dans les li-
chens, très souvent les spores sont mises en
liberté au moment dos grandes pluies. Les spores
de ces végétaux sont en effet enfermées dans des
sacs sporifères bourrés de spores, qui sont comme
noyées au sein d'une masse cornée incolore que
l'on regarde comme une sorte d'exsudat cellulo-
sique sécrété par les spores au moment de leur
formation. Lorsque cet exsudât cellulosique a-
subi un certain degré de dessiccation, il devient
capable d'absorber des quantités énormes d'eau
en se transformant on mucilage. L'eau est d'ail-
leurs absorbée par l'exsudat desséché avec une
rapidité très grande. Lorsque la pluie vient à
tomber sur la surface des sacs sporifères des
lichens, l'eau pénètre par endosmose à travers la
du point d'attache des cils vibratiles, on observe 1 paroi des sacs'; elle arrive à l'exsudat desséché
un globule pnnctiforme vivement coloré en rouge, qui entoure les spores, celui-ci se gonfle, distond
Ce point rouge existe fréquemment chez les ani- outre mesure la paroi du sac sporifère, qui éclate
maux infusnires. On l'a comparé darjs ces êtres à enfin en projetant au loin les spores des lichens,
une sorte d'œil, d'où le nom de poiiit oculiforme Toutes les spores dont nous venons do parler
par lequel on le désigne quelquefois, aussi bien ont comme caractère commun d'avoir pris nais-
SPORES
— 2068 —
SPORES
sance dans un sac sporifère. Quelle que soit la
valeur morpliologique de ces diverses sortes de
spores, on désigne sous le nom spécial de sporange
le sac uni-cellulaire ou pluri-cellulaire au sein
duquel elles ont pris naissance. On ajoute au mot
sporange les préfixes niacru et micro selon que les
spores produites par le sporange sont des macro-
spores ou des niicrospores.
Dans les cryptogames vasculaires, les épithè-
tcs de macrosporanges et de microsporanges, de
macrospores et de microspores correspondent à
des dill'érences de rôle qu'il est important de
signaler. Dans les sélaginelloes, les isoétées, les
marsiléacées, les salviniées, on trouve en effet
deux sortes de sporanges, les macrosporanges et
les microsporanges. Lorsque l'on vient à faire
germer les macrnspores et les microspores, on
obtient des expansions lamelleuses verdàtres que
Ton appelle prothalles et à la surface desquelles
se développent dans un cas les arc/iegones (pro-
thalles issus de macrospores), dans l'autre cas les
anthérirlies {sur les prothalles issus des microspo-
res). Jamais dans ces plantes un même proihalle
ne porte les deux séiies d'organes. A la différence
de forme et de taille des macrospnres et des mi-
crospores correspond donc une différence dans le
rôle pliysiologique des parties. Dans les fougères,
les équisétacées, les lycopndiées. les opliioglos-
sées, les tmcsiptéridées, où il n'y a qu'une seule
espèce de spore, le protlialle qui en naît à la ger-
mination porte simultanément les antliéridies et
les arcliégones. Dans ces derniers végétaux la
différenciation physiologique que nous avons con-
statée chez les sélaginellées, les marsiléacées, etc.,
n'a pas eu lieu. Lorsque les spores produites dans
le sporange sont agiles, ciliées ou amiboides, le
sporange prend le nom de zoosporange. On ajoute,
s'il y a lieu, au mot zoosporange les préfixes ma-
cro et micro.
On appille spores endogènes les spores qui
prennent naissance dans les sporanees. Passons
brièvement en revue la valeur nior|iholngique et
le rôle des diverses sortes de spores endogènes
dans les principaux groupes de cryptoganies.'^Chei
tous les cryptogames vasculaires, les spores en-
dogènes prennent naissance dans un sac dont la
paroi est primitivement formée de trois rangs de
cellules. A l'époque de la maturité des spores,
celles-ci sont libres dans le sporange, dont la
paroi est alors réduite à une seule couche de
grandes cellules épidermiques. Dans les fougères
proprement dites on remarque que certaines des
cellules superficielles des sporanges ont épaissi
les parois des cellules constituantes en forme d U,
la convexité de l'U étant vers la face profonde oiî
interne de ces cellules. L'enseiiible de toutes ces
cellules épaissies forme ce que l'on appelle r«!i-
neau c/asi/?»? du sporange; c'est cet anneau élas-
tique qui provoque la déchirure du sporange; il
est d'autant plus développé que les fougères sont
plus récentes ; ainsi l'anneau du sporange présente
son maximum de développement chez les fougères
polypodiacées (polypode, fougère mâle, fougère
femelle, ceterach), qui sont apparues à l'époque
jurassique, tandis que cet anneau est nul chez
les fougères marattiées, qui ont eu leur maximum
de développement à l'époque houillère. En revan-
che, chez ces marattiées dont l'origine remonte si
haut dans l'histoire du globe, les parois des cel-
lules du sporange, au lieu d'être minces, faciles h.
déchirer, étaient au contraire presque ligneuses.
L'anneau élastique n'existe que sur les sporanges
des fougères. Les parois des sporanges des autres
cryptogames vasculaires rappellent plus ou moins
les parois des sporanges des marattiées. Dans les
fougères, les sporanges sont généralement grou-
pés plusieurs cOie à côte ; on appille so> e un amas
, o ^.,_,„„„j, ^^ fougères. On appelle indmie les I
replis de la surface de la plante qui protègent les
soies. Les sporanges des fougères proprement
dites ne sont que des poils transformés de la sur-
face de la plante. Ils apparaissent généralement
sous la surface de leurs grandes frondes. Dans les
ophioglossées, le sporange s'enfonce dans l'épais-
seur des tissus des frondes. Chez les équisétacées,
les sporanges naissent par groupes de six sur de
petites frondes transformées en une sorte de clou
iclypéole,; ces clous sont eux-mêmes réunis en
grand nombre à l'extrémité des tiges, où ils for-
ment des épis plus ou moins longs selon les es-
pèces. Chez les lycopodiées et les sélaginellées,
les sporanges naissent solitaires sur les feuilles;
ces appendices sporifères sont, eux aussi, groupés
en épis terminaux. Chez les tmési|itcridées, les
sporanges sont groupés par deux ou par trois, les
groupes de sporanges étant fort éloignés les uns
des autres. Chez les marsiléacées, les salviniées,
les isoétées, les sporanges forment psr leur réu-
nion des sortes de fruits très compliqués, dans le
détail de la structure desquels nous ne pouvons
entrer ici. Lorsqu'on sème les spores d'un cryp-
togame vasculaire, au bout d'un temps plus ou
moins long ces spores germent et produisent de
petites lames cellulaires verdàtres, fixées au sol
par des crampons ou rhizoïdes, ou exceptionnelle-
ment maintenues nageantes à la surface de l'eau,
comme dans les Snlvinin. Nous avons dit plus
haut que ces lamelles, issues de la germination
des spores, étaient des prothalles à la surface des-
quels on voyait apparaître les anthéridies et les
archégones. Les prothalles vivent généralement à
la surface de la terre mouillée, exceptionnelle-
ment à la surface de l'eau (Saliiiiiia) ou cachées
sous la surface du sol (ophioglosse, liotrycliium,
Lycr'podhim). Nous avons signalé la localisation que
l'on remarque relativement h la distribution des
anthéridies et des archégones sur les prothalles,
selon que ces parties proviennent d'une seule ou
de deux spores. Les anthéridies produisent de
petits corps en forme de ruban, contournés en
hélices et couverts de cils vibratiles; ces corps
sont appelés anthérozoïdes; ils nagent dans l'eau
en tourbillonnant autour de leur axe avec une ra-
pidité souvent vertigineuse. Souvent on remarque
à la partie postérieure des anthérozoïdes une sorte
d'ampoule dans laquelle sont emmagasinés quel-
ques grains d'amidon. Ces grains d'amidon sont
destinés à assurer une certaine quantité de ma-
tière nutritive à l'anthérozoïde. Accidentellement
la vésicule postérieure d'un anthérozoïde peut se
détacher du corps de celui-ci sans que ce dernier
en paraisse sensiblement gêné. Les anthérozoïdes,
après avoir nagé dans l'eau qui baigne les anthé-
ridies et les archégones, pénètrent dans l'intérieur
de ces dernières et agissent sur l'oosphère qui y
est cachée. Les archégones, en effet, sont des
sortes de bouteilles au fond desquelles s'est pro-
duite une cellule nue ou spore spéciale de très
grosse taille, que l'on appelle un wf. une oo-
sphère. Lorsque l'oosphère a subi l'action des an-
thérozoïdes, elle devient une oospore, c'est-à-
dire qu'elle se revêt d'une coque épaisse, puis
se cloisonne et se transforme en une jeune
plante. Si nous résumons la succession des phé-
nomènes que nous venons de raconter, on aurait :
1° la plante, 2° la spore, 3° le prothalle, 4° l'oo-
sporcà-la plante. Nous voyons par li que la spore
est intermédiaire entre la plante et le prothalle,
c'est-à-dire le support des anthéridies et des ar-
chégones. Or la plante est terrestre, tandis que le
proihalle est aquatique ; les spores se montrent
donc comme un moyen pour la plante d'assurer
sa reproduction en lui permettant d'aller chercher
l'eau dentelle a besoin pour accomplir ce phéno-
mène. ,
Dans les mousses, les sphaignes et les liépa-
SPORES
— 2069
SPORES
tiqups, les spores se l'ornuiiit dans un sac de
forme souvent très élégante que l'on appelle le
fruit de ces végétaux. La structure anatomlque
do ce sac est ries plus compliquées. Sa partie
supérieure se détache d'ordinaire à la manière
d'un couvercle. On appelle ce couvercle opercule,
et l'on nomme pcrislome le bord du sac sporifère.
Le fruit des mousses ou sporange de ces végé-
taux est porté par un long pédiccllo grêle qui est
enchâssé inférieurement à l'extrémité d'une brin-
dille de la mousse. Si nous avions assisté ii la
formation de ce fruit des mousses, voici ce que
nous eussions vu se produire. A l'extrémité d'une
branche de la mousse eussent apparu les arché-
gones et lus antliéridies, et lorsque les anthé-
rozoïdes auraient accompli leur action sur les
oosphères des archégonos,nous les eussions vues
se changer en oospores et celles-ci à leur tour se
seraient transformées sous nos yeux en sporanges
ou en fruits. Si alors on sème des spores de
mousse, on en voit naître un filament grêle, véri-
table liypha, que les bryologues (savants qui
étudient spécialement les mousses) appellent
protonema. Ce protonema se tixe au sol par des
rhizoïdes; il est verdâtre; en se développant, il
donne naissance directement et de distance en
distance à des sortes de bourgeons qui produi-
sent ce que nous appelon.5 un pied de mousse,
et c'est sur ce pied de mousse que nous eussions
vu se reproduire les antliéridies et les archégones.
Résumons ce cycle en le mettant en regard de
celui qui représente l'évolution d'un crypto-
game vasculaire ; nous aurons le tableau ci-
contre :
Kvolution de la mousse
Fruit ou sporang*
Protonema et mousse avec arché-
gone et anthéridie.
Fruit issu du développement
de l'oosporc.
Evolution du i-rypto
game vasculaire.
Planti' issue du diliveloppe-
ment de l'oosporc.
On voit par la seule inspection de ce tableau
que ce que l'on appelle la mousse correspond
morphologiquement à ce que l'on appelle pro-
thalle chez les cryptogames vasculaires, c'est-i-
dire que chez les mousses la plante toute jeune
encore se transforme tout entière en un sac à
spores ou sporange.
Par exception, les characées, dont le type est
le genre l luira ou Charagne, ainsi nommé h cause
de l'odeur nauséabonde que ces plantes répan-
dent, sont dépourvues de spores. On appelle ici,
avec plus de sens que chez les mousses et les
cryptogames vasculaires, oospore le résultat de
l'action des anthérozoïdes sur l'oosphère d'un
archogone. Sitôt après sa formation, l'oospore
s'entoure d'une coque très épaisse fortement
colorée en rouge et recouverte d'un rang de cel-
lules protectrices enroulées en hélices autour de
l'oospore enkystée. En cet état, l'oospore est ce
<|ue l'on appelle vulgairement une graine de Cliara.
La graine de Chara est donc formée d'une cellule
disséminatrice entourée de sa coqne protectrice ;
c'est donc une spore dans le sens général que
nous attribuons h ce mot. Pour rappeler l'origine
et la nature spéciale de cette spore, qui doit son
existence à l'action de l'antliérozoîde sur l'œuf
ou l'oosphère cachée au fond de l'archégone, on
l'a appelée oospore ou ceuf-spor?.Le terme oospore
est une expression très générale ; il désigne tou-
jours une spore endogène ou exogène qui doit son
origine à l'action des anthérozoïdes d'une plante
sur ses oosphères.
Dans les algues, en effet, il arrive souvent que
les oosphères sont mises en liberté et qu'elles
nagent librement dans l'eau ; cela se voit fort
bien chej les fucus, et il est facile même, à 1:
loupe, de distinguer ces corps sur les terminai
jusqu'à la reproduction de nouvelles oospores.
Chez les Algues on nomme souvent chronispore_
ou spore durable dos spores qui doivent ou qui
peuvent conserver pendant très longtemps leur
faculté germinative et plus particulièrement celles
d'entre elles qui normalement n'entrent en ger-
mination qu'après avoir subi un long temps de
repos. Souvent les chronispores doivent subir une
dessiccation complète, un ensevelissement au l'ac-
tion de la gelée, avant de pouvoir reprendre leur
développement.
Chez les bactéries les spores durables portent
plus particulièrement le nom de corpuscules
germes ou de r/ermes. La petitesse do ces germes
est excessive, j^ h j^L_ àe millimètre. On con-
çoit dès lors que leur présence échappe facilement
à l'observateur, et, comme leur nombre est pro-
digieux, on comprend sans peine que leur appa-
rition en grand nombre au sein lio^i liqueurs en
apparence les plus pures ait il'iu;i'' nii^^aiice i,
l'idée de leur production par l. r,,i i [lonta-
iiée. Ces corpuscules, germes lU'- iiir; :h's, ré-
sistent facilement i une temp'-MMiuic de 140°
dans de l'air sec, et à une température de 110"
dans de l'eau salée. Il ost donc extrêmement dif-
(icilo de se mettre k l'abri de ces ôires, qui sont
les agents actifs de toutes les décompositions et
de toutes nos maladies contagieuses.
Chez les diatomées, petites algues unicellu-
laires revêtues d'une carapace siliceuse, qui, par
leur accumulation en nombre prodigieux, ont
donné naissance aux tripolis, on donne quelque-
fois le nom d'auxospores aux spores durables. Ce
même nom d'auxospore est aussi appliqué indiffé-
remment aux oospores de ces petits êtres.
La grande majorité des cryptogames cellulaires
sans chlorophylle, que l'on désigne habituelle-
sons verruqueuses des frondes de ces végétaux, nient sous le nom de champignons, présentent à
Si, comme c'est le cas pour les fucus, les oosphè- pextrémité de certains de leurs filaments des
res nageantes sont rencontrées par les anthéro- spores qui n'ont jamais été enfermées dans un
-zoides de ces plantes, il se forme des oospores. sporange : on désigLio d'une manière générale ces
Celles-ci n'ayant jamais été enfermées dans une spores exogènes sous le nom de conidies. Les co-
archégone, on dit qu'elles sont d'origine exogène, nidies sont dhas septées ou cloisonnées \oriqno
par opposilion h celles qui séjournent et prennent 1^,^ ruasse est partagée en un certain nombre de
naissance dans une archégone. Ces dernières cellules par des cloisons cellulosiques radiales eu
oosports sont dites endogènes. Il convient, dans transversales. Dans les urédinées, dont le type
toute description d'un cryptogame, de faire corn- gjj ig „p„re Vuccinie, qui provoque la maladie
mencer l'histoire de la plante considérée k l'oos- jg^ céréales connue sous le nom de rouille des
pore et de poursuivre le cycle de cette histoire | qrayninées, on appelle urédospores les conidies or-
SPORES
2070
SQUELETTE
dinaires, et téleutospores des conidies septées à
parois très épaisses qui jouent ici le rôle de spores
durables ou de chroiiispores. Dans les hyméno-
niycèies ou cliampignons h. chapeaux, dont le type
est l'Agaric champêtre ou champignon de couche,
les conidies affectent une disposition spéciale qui
les fait désigner par le nom particulier de hasi-
diosjiore. Ces basidiospores naissent en effet au
nombre de quatre à la partie supérieure d'une
grande cellule des lames du chapeau. Cette
grande cellulu a reçu le nom de baside. Les qua-
tre spores qui se forment à son sommet sont rat-
tachées à la cellule basilaire par un très petit
pédicelle nommé stérir/mati- ; aussi, après la ma-
turité des spores, le sommet de la baside est-il
surmonté de quatre petites cornes pointues qui
sont les reste» des stérigmates.
Dans les champignons discomycètes, dont le
type est la Ptzize, dans les champignons pyre-
nomycètes, dont le type est le Claiiceps purpu-
rea, vulgairement nommé ergot de seigle, dans
les urédinées et dans les lichens, on trouve
deux sortes de spores exogènes qui diffèrent tou-
tes deux des conidies, parce que les filaments
sur lesquels elles naissent sont groupés en des
sortes de fruits ou de conceptacles sous la sur-
face du champignon. Les premières de ces nou-
velles spores exogènes ont la forme de bâton-
nets ; semées sur la terre humide ou sur les
écorces, elles germent très difficilement. Pendant
de longues années on a cru qu'à l'exemple des
anthérozoïdes, cos spores ne germaient pas ; c'est
pourquoi beaucoup d'auteurs les ont regardées
comme représentant les anthérozoïdes des cham-
pignons chez lesquels on les trouve. On a appelé
ces spores spéciales des spi-nnaties, et l'on a
nommé spermogonies les conceptacles ou fruits
dans lesquels elles prennent naissance. Dans ces
dernières années, M. Maxime Cornu a réussi à
obtenir la germination des spermaties de plu-
sieurs champignons ; aussi aujourd'hui admet-on
généralement que les spermaties ne sont qu'une
forme des spores durables.
On désigne généralement sous le nom de
slylospores les spores exogènes analogues aux
conidies, nées dans des cavités ouvertes ou
cryptes creusées dans la surface des champi-
gnons. Chez les urédinées, les stylospores sont
désignées sous le nom d'œcidtospores; cela tient
à ce que l'on faisait jadis une catégorie spéciale
de spores avec les spores du genre j-Ecidium,
dont l'une des espèces, JEcidium berberis, vit
sur l'épine-vinette. Or, on a reconnu, grâce aux
beaux travaux de MM. Tulasne et de Bary, que
VJEcidium berberis n'était qu'une phase de la
vie de la puccinie ou rouille des graminées ; le
genre jEcidium a disparu, mais la qualification
d'secidiospore a persisté ; elle est encore très ré-
pandue. En général, les stylospores sont carac-
térisées par la puissance de leur coque pro-
tectrice.
Dans l'ensemble des champignons que les bo-
tanistes désignent sous la dénomination commune
d'ascomycètes, on trouve des sporanges spéciaux
nommés astives ou ttièques, qui proviennent du
développement direct de leurs oospores. On ap-
pelle ascospores, tliécospores ou spores endogènes
les spores nées dans ces sporanges. Ces ascospo-
res correspondent presque complètement aux
spores des mousses. Chez les lichens, on appelle
apothécies les conceptacles ou fruits formés par
les thèques. Les apothécies contiennent, outre
les thèques et mêlées avec elles, des cellules
Stériles que l'on nomme poraphyses. Ces para-
physes ont pour rôles principaux :
1° De nourrir les thèques pendant leur dévelop-
pement ;
2° De protéger les thèques ;
3° D'en provoquer la déhiscence et par suite
l'émission des ascopores en se gonflant sous l'ac-
tion de l'eau.
On appelle sclérote une forme particulière di*
corps disséminateur, qui se produit par le peloton-
nenient de filaments mycélicns ou d'hyphes chez
les champignons. Ces sclérotes se produisent fré-
quemment chez les myxomycètes. Chez les mu-
corinées, dont les principaux types vivent à la
surface du crottin de cheval, où ils forment de
fiiies moisissures, les sc'érotes sont réduits à une
seule cellule, véritable spore, sorte de spore dura-
ble à laquelle, vu l'épaisseur de sa paroi, on
donne le nom de chlamydospore .
Dans les floridées ou algues marines roses et
rouges, on trouve une nature spéciale de spores :
ce sont des spores qui naissent toujours par
quatre dans chaque sporange. On a nommé ces
spores des tétraspores. Dans ces mêmes flori-
dées, sitôt après sa formation l'oospore se trans-
forme en une masse de cellules disséminatrices-
ou spores. Les assemblages formés par l'agglo-
mération des spores et par les enveloppes qui les
protègent forment des sortes de fruits, que l'on
désigne par les noms de favetle, do céramide, de
coccidie. [C.-E. Bertrand.]
SOUELETTE. — Zoologie, XXXVI. — On donne
le nom de squelette i cette charpente solide,
formée de pièces diversement agencées et reliées
entre elles, qui se nomment les os, et qui, chez
les animaux supérieurs, forment avec les muscles
l'appareil du mouvement. L'être inférieur, dé-
pourvu de parties dures, se meut cependant, mais
d'une façon toute rudimentaire : chez lui les mus-
cles, attachés directement à la peau, modifient,
par leur contraction, la forme du corps entier, et
par là arrivent à le mouvoir. Au contraire, chez
les animaux pourvus d'un squelette, les muscles
s'attachent sur les pièces, ou, comme on dit, sur
les leviers osseux et, les mouvant en divers sens,
ils font exécuter à l'animal des mouvements par-
tiels, ou des mouvements de translation totale.
Le squelette est donc, avant tout, un organe
de mouvement. Mais il constitue aussi un appareil
de protection, à l'abri duquel les viscères, cer-
veau, cœur, poumons, etc., échappent aux vio-
lences extérieures, prennent un développement
caractéristique et assurent à l'animal une vie
plus parfaite et plus haute. Enfin c'est le squelette
qui dessine et fixe la forme et lo type du corps.
— Ainsi, sans squelette, il n'y a pas de forme fixe ;
le mouvement est vague, incertain, sans liberté,
précision ni puissance ; la vie est bornée à la nu-
trition. Au contraire, dès que se montrent les
parties dures, apparaît une vie supérieure. La
locomotion, le mouvement précis, aisé, étendu et
puissant, des rapports multipliés avec le monde
extérieur, un système nerveux mieux abrité, plus
délicat, plus parfait, des fonctions plus distinctes
et plus complexes, la vie de relation couronnant
la vie nutritive, enfin une forme arrêtée et carac-
téristique, tels sont les avantages que le sque-
lette confère à l'animal. On ne s'étonnera donc
pas que les naturalistes en aient fait comme la
base de leur classification, et qu'ils aient partagé
tous les animaux en deux classes, les Vertébrés et
les Invertébrés, suivant qu'ils possèdent des os ou
n'en possèdent pas.
Les vertébrés seuls possèdent un squelette os-
seux. Cependant chez certains invertébrés, les
insectes, les crustacés, par exemple, il existe aussi
une charpente dure et rigide, servant de point
d'attache aux muscles, et d'appareil de protection
aux viscères. Mais ce squelette est extérieur, situé
à la surface du corps et ne consiste qu'en une
modification de la peau.
Nous allons d'abord examiner la composition
et la disposition du squelette, tel qu'il se montre
SQUELETTE
— 2071 —
SQUELETTE
chez le proniior des vertébrés, cliez l'homme, et
nous dirons ensuite quelques mots do ses modi-
fications à travers l'écliolle animale.
De quoi se compose un us? Lorsqu'on le fait
macérer quelque temps dans un acide énergique,
on voit qu'il ne reste plus qu'une matière grise,
demi-transparente, gélatineuse, molle, flexible,
qui a conserve la forme de l'os. L'acide a dissous
ce qui donnait à l'os sa rigidité et son opacité,
c'est-à-dire les sels calcaires (carbonate et surtout
phosphate do chaux) ; il ne reste que la partie or-
ganique, non minérale, c'est-à-dire le cartilage.
Un 03 n'est donc qu'un cartilage, envalii et comme
incrusté de sels do chaux. (D'après les recherches
de Bcrzelius, il y a environ 33,30 pour 100 (de
substance animale, et 60,70 de matière minérale.)
Chez le fœtus, en effet, à l'époque où naissent
et se forment les organes, le système osseux est
tout d'abord un appareil cartilagineux (à l'excep-
tion de quelques os fort peu nombreux). Puis la
Rn^ne.st
substance pierreuse apparaît en des points déter-
minés, toujours les mêmes pour chaque os, qui
peu à peu s'étendent et envaliisseju de plus en
plus la pièce cartilagineuse. Ce travail d'ossifica-
tion est pour ainsi dire à peine commencé à la
naissance; il continue et dure jusqu'à l'arrêt du
développement organique, c'est-à-dire jusqu'à
l'âge adulte. Mais à ce moment la substance des
os ne reste pas station naire; elle est dans un état
constant de réparation et de destruction jusque
vers l'âge de 35 à 4i ans. Des expériences célè-
bres, fondées sur la propriété que possède la
garance, mêlée aux aliments, de colorer les os en
rouge, ont montré que, tandis que la partie cen-
trale de l'os se détruit, la partie périphérique se
régénère sans cesse. A partir de 40 à 45 ans, le
mouvement de régénération de la surface s'arrête,
la destruction centrale continue seule; le centre
des os va se creusant, se raréfiant toujours plus,
et ainsi s'explique la fragilité des os chez les
vieillards. On attribuait autrefois la fragilité 08-
sruse de cet âge à l'augmentation de la propor-
tion des sels de chaux. « En accumulant dans
nos os, disait Bichat, une substance étrangère à
la vie, la nature semble les préparer à la mort. »
Il est prouvé aujourd'hui que cette augmi^ntation
n'existe pas, et que si 1 âge introduit (|Uclquo
changement i la composition chimique de l'os,
SQUELETTE
— 2072 —
SQUELETTE
c'est plutôt en diminuant la quantité de substance
minérale.
Le tissu osseux, ainsi formé de matières orga-
niques et minérales, affecte des dispositions va-
riées. Tantôt il est serré, dense, compacte -, tantôt il
est lâche, spongieux, formé de grandes cellules. Les
03 qui n'ont qu'un petit volume, et qui doivent pré-
senter une grande solidité, sont entièrement for-
més de tissu compacte. Tels sont les os plais qui
recouvrent les viscères (côtes, bassin, etc.). Mais
d'autres os, d'un volume plus grand, auraient un
poids trop considérable si toute leur épaisseur
était dense et serrée : ceux-là n'ont de compacte
que la surface ; leur tissu devient lâche et cellu-
laire à quelques millimètres de la périphérie, et
le centre de l'os est creusé d'un long et large
canal qui loge un organe graisseux, la moelle.
Tels sont les os lont/s. ou os des membres, vérita-
bles colonnes creuses, à la fois solides et légères.
Entre ces deux variétés d'os se placent les os
couris (vertèbres, os du crâne), formés presque
entièrement de tissu spongieux, cellulaire, à peine
recouverts d'une mince pellicule compacte.
Le développement des os obéit à des lois dé-
terminées, dont quelques-unes présentent pour
le physiologiste et pour le médecin un très grand
intérêt. Citons-en une, la loi de sijmétrie, due
aux savantes recherches de M. Serres :
Tout os médirm est d'abord double. C'est-à-
dire que tout os occupant le milieu de l'axe du
corps, et présentant deux moitiés symétriques
(par exemple l'os du front, celui de la mâchoire
inférieure,!, est formé, chez le fœtus, do deux os
semblables, symétriques, naissant chacun d'un
point d'ossification distinct, qui peu à peu se dé-
veloppent, se rapprochent, puis se soudent l'un
il l'autre. Il y a donc, au début de la vie, deux
frontaux, deux maxillaires inférieurs, etc.
Les os s'unissent, ou, comme on dit, s'articulent
entre eux de façons très diverses, suivant que
l'articulation doit unir invariablement les pièces
osseuses (os du crâne), ou leur permettre des
mouvements plus ou moins ctendns (articulations
du coude, du genou, de la mâchoire).
Les articulations immobiles ont lieu par en-
grenage des os (sutures du crâne) ou par simple
juxtaposition adhérente.
Les articulations mobiles présentent bien des
variétés. Mais d'une façon générale, dans ces arti-
culations, lesos se touchent parune surface lisse,
encroûtée de cartilage, perpétuellement lubréfiée
et comme huilée par la synovie; des ligaments
multipliés maintiennent ces surfaces osseuses en
contact l'une avec l'autre et les empêchent de s'a-
bandonner. Uentorse est la distension violente
de ces ligaments ; la luxation est leur rupture,
amenant la séparation des surfaces articulaires.
La sy7iovie, qui lubréfie les articulations et en
détaché à moitié de l'os, renversé et fixé parmi les
muscles, reproduit par sa face profonde un os de
même figure que ce lambeau. Bien plus : ce
lambeau, complètement détaclié, et fixé au milieu
des parties molles d'un autre animal de même
esphc, donne lieu au même phénomène et régé-
nère un os {Expérience de L. Ollier).
Abordons maintenant la description du squelette
humain et commençons par en donner une idée
d'ensemble.
Ce squelette forme un tout continu, dont toutes
les parties se tiennent. L'axe de cette charpente
est une longue et solide colonne, la colonne ver-
téljrale qui présente à chacune de ces extrémités
un renflement considérable : en haut le a-âne, en
bas le bassin.
Le milieu de cette colonne supporte une sorte
de cage, le Ihornr, forme par les 24 côtes, le
sternum, les clavicides et les omoplates.
Quatre longs prolongements, les membres,
partent de cette colonne. Les deux membres
supérieurs partent du thorax, les deux autres du
bassin. Le membre supérieur et le membre infé-
rieur sont construits sur un type analogue et
formés d'un même nombre de parties symé-
triques.
Chacun d'eux peut se diviser en trois segmenta.
Le premier segment ne comprend qu'un os unique,
mais énorme [humérus pour le bras, fémur pour
la cuisse). Le second segment en comprend deux
plus petits {radius et cubitus pour l'avant-bras,
tibia et péroné pour la jambe). Enfin, dans le
troisième segment [ynain, pied), les os sont très
petits et très nombreux.
On voit par cet exposé succinct que le squelette
est symétrique, c'est-à-dire absolument divisible,
sur un plan vertical antéro-postérieur, en deux
moitiés semblables. Le poids de tout l'appareil
osseux, chez l'homme adulte, est d'environ 5 à 6
kilogrammes.
Passons maintenant à l'étude rapide de chaque
pièce isolée du système, eii commençant par la tête.
La tête se compose de deux parties, le ci'dne et
la face. Le crâne est une boite ovalaire, formée
de huit os, et renfermant le cerveau et le cerve-
let (V. Si/sième nerveux). Ces huit os sont : en
avant le frontal, en haut les deux pariétaux, sur
les cotés les deux temporaux, dans l'épaisseur
desquels est logé l'appareil auditif (V. Ouie),
en arrière Voccipital, en bas Yelhmoïde et le
sphénoïde. L'agencement de ces diverses pièces
est admirablement disposé en vue de la solidité et
de la résistance de la boîte ; les coups, les chocs
se décomposent à travers ces sutures enchevê-
trées et perdent ainsi leur violence.
La base du crâne est percée d'un large trou,
qui se superpose au canal des vertèbres, et per-
met à la moelle d'entrer dans la cavité cérébrale
assure le jeu parfait, est renfermée dans une po- I pour y former le cerveau. De chaque côté de ce
Che, appelée bourse synoviale, qui entoure la I trou est une surface un peu convexe qui unit le
jointure de tous les côtés : de cette disposition ' crâne à la première vertèbre; la tête est ainsi
résulte un fait remarquable; cette bourse étant posée presque en équilibre sur la colonne ; tou-
parfaitement vide d'air, les surfaces osseuses ne : tefois la moitié antérieure, alourdie par la face,
peuvent s'écarter sans laisser le vide entre elles, I tend à l'incliner en avant: disposition corrigée
et par suite sans être ramenées l'une contre l'au- j par les puissants muscles de la nuque, qui re-
tre par toute la force de la pression atmosphéri- | dressent la tête et lui donnent sa fierté d'allure
que ambiante. La pression barométrique contribue ■ caractéristique.
ainsi pour une large part à la solidité des articu- La face est formée par la réunion de U os,
lations. tous immobiles les uns sur "les attires à l'excep-
La surface des os est toujours recouverte d'une \ tion d'un seul, le maxillaire inférieur. Le maxii-
membrane fibreuse qui leur est étroitement laire supérieur, articulé avec le frontal, forme
adhérente, le périoste, sur lequel s'attachent ; avec lui la cavité de Vorbite. Le nez, dans le
les extrémités des muscles ou tendons. Cette ' squelette, est une cavité, plutôt qu'un appen-
membrane, d'une épaisseur inégale, proportion- ; dice : cette Cavité on fosses nasales, très étendue,
nelle en général au volume de l'os, possède la ! est séparée de la bouche par la voûte palatine.
propriété de régénérer sans cesse l'os, et lui as- Les dent maxillaires sont creusés sur leurs
sure par là, au sein des parties molles, une vie bords de nombreuses cavités, ou alvéoles, conte-
indépendante. Un lambeau de périoste vivant, ' nant les dents.
SQUELETTE
— 2073
SQUELETTE
Enfin il faut considérer comnin une dépendance
de la face le petit os hyoïde, qui supporte la base
de la langue et soutient le larynx.
Au moment de la naissance, l(!s os de la voûte
crânienne, inconiplètenient ossifiés, sont séparés
par de larges espaces membraneux, les f'onla-
nellcs, qui disparaissent vers la deuxième ou troi-
sième année.
Le crâne présente dans sa forme et dans son
volume de notables variétés chez les différents
peuples, comme l'ont établi les reclierches de
Blumenbacli, de Sœmmering, etc., et de nos
jours celles de l'école moderne d'anthropologie.
L'étude comparée des crânes est en effet l'un des
fondements, et le principal, de l'anthropologie.
Le crâne étant assez exactement moulé sur le
cerveau, on a attaché une grande importance Ji
l'étude de ses moindres détails extérieurs (phré-
nologio de Gall, crâniologie). On s'est également
préoccupé de ses exactes dimensions : de là di-
verses mesures imaginées pour cet objet : la plus
ancienne, proposée par Camper sous le nom
d'mii/le fiiciat, indique le rapport entre le volume
de la face et celui du crâne. Cet angle est
formé de deux lignes partant toutes deux des
incisives supérieures, et aboutissant l'une au
milieu du front, l'autre au conduit auditif. Il est,
chez l'Européen, de 80 à 85% de 73" dans la race
mongole, et de 70° chez les noirs. Une des plus
intéressantes conclusions de ces études de men-
suration est qu'à travers l'échelle animale ou les
races humaines, le crâne et la face sont dans un
rapport inverso do développement; l'un n'aug-
mente qu'aux dépens de l'autre ; en d'autres ter-
mes la face diminue avec l'accroissement de l'in-
telligence.
La partie la plus importante du tronc, celle qui
sert de soutien à toutes les autres, est la colonne
vertébrale. C'est une tige osseuse, occupant la
ligne médiane et postérieure du corps, et compo-
sée de '24 petits os appelés verlèhies. Chaque
vertèbre représente une' sorte de disque épais,
percé d'un large trou [tiou verlébnd). Les deux
faces de ce disque sont parallèles et horizontales,
et s'articulent solidement avec la vertèbre infé-
rieure et avec la supérieure. Ce disque est en
outre muni de saillies ou apophyses dont la prin-
cipale, se dirigeant horizontalement en arrière,
offre un puissant levier aux muscles du dos et du
cou, et leur permet de redresser et de mouvoir
toute la colonne tirée en avant par le poids du
corps et des viscères. D'autres saillies consolident
l'articulation ou offrent aux côtes une surface ar-
ticulaire .
La superposition de tous les trous vertébraux
forme un long canal, où se loge la moelle; entre
chaque vertèbre est ménagé de chaque coté un
espace libre par où s'échappent de la moelle les
nerfs qui se répandent dans tout le corps.
La première vertèbre, nommée l'atlas, très mo-
bile sur la seconde, supporte la tête. Elle pivote
comme un anneau autour d'une saillie verticale
qui s'élève de la seconde vertèbre ou axis. Ces
deux os sont faiblement unis l'un à l'autre, afin
d'être plus mobiles : à l'état normal, la tête pe-
sant sur l'atlas tend plutôt à le réunir à l'axis
qu'à l'en séparer, et cette faiblesse de lien n'a
pas d'inconvénients. Il en est tout autrement
quand la tête supporte le poids du corps, dans la
pendaison par exemple : ces deux vertèbres se sé-
parent, se luxent et rompent la moelle, amenant
ainsi une mort instantanée.
Les sept premières vertèbres sont appelées
cervicales, et jouissent d'une assez grande mobi-
lité en rapport avec les mouvements variés que
doit exécuter la tête.
Les douze suivantes, vertèbres dorsales, por-
tent chacune une paire d'arcs osseux recourbés
et très larges, les côtes, qui forment avec le ster-
num la caye thorarir/ue, ou poitrine, contenant le
cœur et les poumons. Les eûtes, au nombre de
ri de chaque côté, se continuent en avant par
une tige cartilagineuse. Les cartilages des sept
premières paires de côtes s'unissent au sternum,
os impair et médian qui complète et ferme la
cage. Les cinq dernières paires, qui n'arrivent
pas au sternum, se nomment les fausses-côtes.
Les cinq dernières vertèbres, larges, solide-
ment unies, se nomment lombaires. Elles se con-
tinuent par un appendice, formé de deux pièces,
le sacrum et le cnccyx, dans lequel il ne faut
voir que des vertèbres soudées entre elles et un
peu modifiées dans leur forme.
La colonne vertébrale n'atteint son complet
développement que vers trente ans. Plus longue
chez l'homme que chez la femme, elle est verti-
cale, mais non rectiligne, et présente quatre cour-
bures alternatives, convexe au cou, concave au
dos, convexe aux lombes, concave dans le bassin.
Sur la cage thoraciquo se fixent les membres
supérieurs. Un premier appareil composé de deux
os, l'omoplate et la clavicule, leur sert de base et
comme de socle.
h'omop/ate, os large et plat, s'applique en ar-
rière sur les côtes supérieures. Il présente en
haut une large cavité qui reçoit la tête de l'hu-
mérus. Fixé contre le tliorax par la masse des
muscles du dos et de l'épaule, au sein de laquelle
il est enfoui, cet os s'articule en avant avec la
clavicule, petite pièce osseuse qui, s' appuyant sur
le sternum et la première côte, maintient écar-
tées les deux omoplates, c'est-à-dire les deux
épaules.
Le premier segment du membre supérieur, le
bras, est formé d'un seul os, l'humérus, longue et
forte tige osseuse, dont l'extrémité supérieure,
arrondie, tourne dans la cavité de l'omoplate,
tandis que l'inférieure, creusée d'une sorte de
gorge de poulie, reçoit l'un des os de lavant-bras,
le cubitus.
L'avant-bras présente en effet deux os, le
cubitus et le radius, placés parallèlement à côté
l'un de l'autre. Le cubitus s'articulo en haut
avec la poulie de l'humérus et en bas n'arrive
pas jusqu'à la main. Le radius, au contraire, ar-
ticulé en bas avec la main, n'arrive pas en haut
jusqu'à l'humérus. Le point important des rapporta
de ces deux os est que le radius, qui porte la
main, peut tourner autour du cubitus comme au-
tour d'un pivot, et donner lieu à deux mouvements
de la main, l'un la supination (paume en haut),
l'autre la. pronation (paume en bas).
Le dernier segment, la main, se compose de
trois parties : le poignet ou carpe, formé de deux
rangées, composées chacune de quati-e petits os,
très solidement unis entre eux, — le métacarpe,
constitué par une seule rangée de cinq petits os
longs, dont l'un, qui porte le pouce, est indépen-
dant et mobile, — enfin les doigts, dont chacun
comprend trois petits os longs i,à l'exception du
pouce qui n'en possède que deux) appelés les
phalanges.
Rappelons ici ce que nous avons dit plus haut,
à savoir qu'à mesure quo l'on s'éloigne du tronc,
les divers segments deviennent plus courts, et
les os do ces segments plus nombreux. Le ré-
sultat se comprend aisément : à mesure qu'on se
rapproche de l'extrémité du membre, les articu-
lations se multiplient, permettant à la forme et
à la position du membre de varier à l'infini pour
s'accommoder à celles des objets à saisir. Au
contraire, les grands os du bras et de l'avant-
bras, énormes levirrs à mouvements étendus,
permettent de porter rapidement ou violemment la
main partout où elle est nécessaire.
Le membre inférieur présente avec celui-ci la
SQUELETTE
— 2074 —
SQUELETTE
Dlus erandp analogie. Comme le bras, la cuisse [ et de la jambe, de la main et du pied. Les diffé-
reDOàc sur une première pièce osseuse, la hanche, i rences superficielles tiennent uniquement à la di-
_ " _.^ ;.: v 1 .,,. ^o i'^.^.,i.io • «.Mo oQt fm-miio vprsité dc destination. Organe de preliension, le
membre supérieur est plus léger, plus mobile, se
plie plus aisément aux mille injonctions de la vo-
lonté. Appareil de sustentation et de locomotion,
le membre abdominal l'emporte sur le précédent
en solidité d'attacbes, en volume, mais il jouit en
revancbe d'une mobilité plus restreinte.
Maintenant que nous connaissons le squelette
dans chacune de ses parties, il nous reste à dire
quelques mots de la manière dont elles fonction-
nent, en d'autres termes à parler de l' action des
muscles sur les os.
Tous les muscles sont fixés au squelotte par
leurs deux extrémités (à de très rares exceptions
près). Un muscle, en se contractant, ne l'ait donc
autre chose que rapprocher deux os l'un de l'au-
tre, et naturellement, il prend appui sur l'os le
plus résistant pour entraîner le plus mobile. Or
qui est ici l'analogue de l'épaule : elle est formée
de trois os, distincts dans les premières années
de la vie, mais qui se soudent ensuite pour ne
former qu'un os unique, l'os ilirique, ou os coxnl.
Cet os, plat et très large, solidement attaché en
arrière au sactum, forme avec celui du c6ié op-
posé une sorte de vaste ceinture osseuse, de
forme un peu conique, à base supérieure, qu'on
nomme le basin, et qui loge la partie inférieure
du tube digestif et les organes génito-urinaires.
Plus large et plus évasé chez la femme, cette
différence s'explique par la nécessité de contenir
l'utérus pendant la grossesse. Le bassin termine
en bas le tronc : il est situé entre la colonne
vertébrale, qui porte sur sa partie postérieure,
et les fémurs, qui s'attachent à ses parties laté-
rales : disposition importante en vertu de la-
quelle le bassin offre au centre de gravité une
large base de sustentation, et qui a en outre ce ; nous avons vu que les os sont d'autant plus mo-
résultat de décomposer et d'amoindrir les contre- biles qu'ils sont plus éloignes du tronc. 11 suit de
■ ■ là qu'un muscle entraine toujours celui des deux
os auxquels il s'attache qui est le plus distant du
centre du corps ; aussi les muscles destinés à
mouvoir un os s'étendent-ils toujours de cet os
vers le tronc : les muscles destinés à mou-
voir le pied sont situés sur la jambe; ceux qui
doivent fléchir la jambe occupent la cuisse ; ceux
qui fléchissent la cuisse s'attachent au bassin, etc.
permet à la jambe de se plier en arrière ou de II est évident que l'énergie d'un mouvement
s'étendre dans le sens antéro-postcrieur. Un petit dépend surtout du volume ou du no'"''™ des
__ nposer
coups de la marche, de la course, du saut et de la
chute.
Un seul os, le fémur, le plus long et le plus
volumineux du squelette, forme la cuisse. Son
extrémité supérieure, coudée et arrondie, tourne
dans une cavité que lui offre l'os coxal, de façon
à laisser la cuisse se mouvoir en tous sens. L'ex-
trémité inférieure, renflée, repose sur le tibia, et
os plat, la rolue, protège en avant l'articulation
du genou et augmente la puissance des muscles
qui étendent la jambe sur la cuisse, en rendant
plus oblique leur insertion sur le tibia.
Deux os forment la jambe ; l'un solide, épais
et rectiligne, le tibia, situé en dedans; il porte le
fémur, et s'appuie sur le pied. Le second, grêle,
flexible, appelé le péroné, ne sert qu'i maintenir
le pied et à l'empêcher de glisser en dehors. Cet
os, analogue au radius, ne tourne pas sur le
tibia, mais lui est invariablement fixe. Le pied,
en effet, base de sustentation, a besoin avant tout
de solidité : les mouvements variés lui sont inu-
tiles ; et une mobilité analogue i celle de la
main lui serait dangereuse.
Comme la main, le pied se compose de trois
parties, le Inrse, le métatarse et les doigta, par-
faitement analogues aux parties similaires de la
main.
Sept os composent le tarse; l'un, Vasfragale,
élevé au-dessus des autres, arrondi en forme de
poulie, s'eniboite dans la mortaise que lui offrent
le tibia et le péroné, et forme avec eux l'articu-
lation du cou-de-pied. Il repose sur l'os du talon.
le cakanéum, qui se prolonge en arrière, pré-
sentant un puissant levier aux muscles du mol-
let ; ces muscles, en effet, étendent le pied sur
la jambe, ou en d'autres termes, soulèvent h eux
seuls le poids du corps tout entier, ce qui ex-
plique la longueur, la saillie et la solidité du
calcanéum. Les autres os, le scaphoït/e, le cu-
boide et les trois cunéiformes, complètent le
tars".
Le métatarse se compose, comme le métacarpe,
de cinq petits os longs ; mais celui qui porte le
gros orteil est aussi peu mobile que les autres.
Enfin, les doigts comptent le mêine nombre de
phalanges qu'à la main, mais plus courtes, plus
plus grosses et moins mobiles.
L'analogie des membres thoracique et abdomi-
nal, entrevue par Vic(|-d'Azyr, a été confirmée
par les belles recherches de Flourens, de Martins,
de Geoffroy Saint-Hilaire, etc. Ces savants ont
montré la ressemblance et la symétrie exacte, ;\
travers les différences apparentes, de l'épaule et
du bassin, du bras et de la cuisse, de l'avant-bras
muscles qui le provoquent. Mais elle dépend
aussi de la façon dont le muscle s'attache, ou
comme on dit, s'insère à l'ns. L'énergie a'ioi mou-
vement est d'autant plus faible que l'insertion
du muscle sw l'os mobile est plus obligne. Cette
loi se comprend d'elle-même : par exemple, le
muscle biceps, qui s'attache d'une part au bras
et de l'autre h l'avant-bras, perd, au début du
mouvement de flexion, les trois quarts de la force
employée, parce qu'il s'insère très obliquement h.
l'avant-bras. Mais i mesure que la flexion s'accen-
tue et que le muscle devient plus perpendicu-
laire à l'os mobile, la force du mouvement aug-
mente. Presque tous nos muscles s'insèrent très
obliquement sur les os, d'une manière par con-
séquent peu avantageuse à l'énergie du début
du mouvement.
Nous avons déjîi dit que les os ne sont que des ap-
pareils mécaniques identiques aux leviers, dont
ils présentent les trois variétés. (V. 1 article
Mécanique, p. 12S0.)
Le levier du premier genre est assez fréquent
dans l'économie : par exemple, lorsque la tête
est en équilibre sur la colonne vertébrale, sollici-
tée en avant par le poids de la face, maintenue
en arrière par les muscles de la nuque, elle re-
présente un levier de ce genre, dans lequel e
point d'appui est placé entre la résistance et la
Le levier du deuxième genre se rencontre daiis
l'articulation du cou-de-pied, lorsqu'on soulève e
poids total du corps en se dressant sur la pointe
du pied, ce qui a lieu dans la marche à chaque pas,
quand le membre inférieur va se détacher du sol
pour osciller et se porter au devant dc 1 autre, bn
ce cas, le point d'appui est fourni par la pomte du
pied, appliquée au sol. La puissance est représen-
tée par les muscles du mollet, qui s insèrent au
bout du talon (calcanéum). Enfin, la résistance,
c'est-;Vdire le poids du corps, transmis par le tibia,
se trouve appliquée sur l'astragale, cest-à-ûire
entre le point d'appui et le point d application
de la puissance. Remarquons qu'en ce genre Qe
levier le bras de levier de la puissance est beati-
coup plus long que celui de la résistance, disposi-
tion éminemment avantageuse qui fait que la force
SQUELETTE
— 2075
STIMULANTS
déployée par les muscles du mollet n'a pas besoin
d'égaler le poids du corps pour pouvoir la soule-
ver.
Enfin, le levier du troisième genre est de beau-
coup le plus répandu ; c'est lui qui préside à
presque tous les mouvements partiels ou d'en-
semble, particulièrement à ceux de flexion ou
d'extension. L'articulation du coude en est un
exemple enire autres. Le muscle biceps, repré-
sentant la puissance, s'attaciie sur le radius, un
peu au-dessous de l'articulation. Le point d'ap-
pui est fourni par l'articulation même, et la ré-
sistance consiste dans le poids que soulève la
main. Le bras de la puissance est ici plus court
que celui de la résistance, de sorte que l'énergie
de la coiitraction doit toujours être supérieure
h l'obstacle vaincu. Mais, en compensation, l'ex-
trémité (lu levier, la main, par exemple, parcourt
un chemin bien plus long. Le mouvement rega-
gne en étendue ce qu'il a perdu en force.
Il convient, pour terminer cette étude, de jeter
un coup d'œil sur les modifications du squelette
dans les diflerentes classes des vertébrés.
Ce nom seul de Vertèbres indique tout d'abord
que, parmi les diverses pièces de la charpente
osseuse, la colonne vertébrale est celle qui per-
siste avec le moins de variations. Les membres
abdominaux peuvent manquer chez certaines
espèces aquatiques, les membres thoraciques
chez certains animaux terrestres, les côtes font
défaut chez la grenouille, le sternum chez les ser-
pents, etc. Mais la longue tige creuse qui ren-
ferme cet organe capital, le système nerveux,
reste constante, et demeure comme la caractéris-
tique de l'embranchement.
Et cependant, à travers tant de variations, la
nature ne se départit que le moins possible du
plan général qu'elle a adopté, et, par de légers
changements de forme ou de proportions, elle
plie parfois ce plan unique aux destinations les
plus diverses. Le bras de l'homme, la patte d'un
écureuil, la nageoire d'un phoque, l'aile d'une
cliauve-souris, présentent exactement le même
nombre d'os et le même agencement de ces os.
Dans la classe des Mammifères, les doigts di-
minuent et la clavicule disparaît chez les espèces
dont les membres ne servent qui la course. On
peut, chez quelques espèces (dauphins, baleines),
voir manquer absolument les membres abdomi-
naux. Enfin le nombre des vertèbres dorsales ou
caudales est sujet à de légères variations.
Chez les Oiseaux, le squelette est infiniment
plus léger, presque tous les os étant creusés de
cavités pleines d'air. La tête est très mobile sur
de nombreuses vertèbres cervicales. Les vertèbi-es
dorsales, point d'appui du vol, sont au contraire
fixées les unes sur les autres. Les deux clavicules
sont soudées en avant. L'aile renferme à peu près
les mêmes os qu'un membre supérieur de mam-
mifère. L'os de la hanclie est très développé,
comme il doit l'être chez un bipède. Un seul os
représente le tarse et le métatarse.
Le squelette des Reptiles présente d'infinies va-
riations ; tous les os, à l'exception de la tète et des
vertèbres, peuvent manquer tour :\ tour.
Quant aux Poissoiis, nous ne pouvons entrer
dans le détail de leur anatomie osseuse. Nous di-
rons seulement que, chez certains d'entre eux, le
squelette peut être absolument cartilagineux,
(requin, raie?, chez d'autres même tout à fait
membraneux, presque inconsistant (laniproiej.
Enfin les ISatraeiens présentent cette particu-
larité que le thorax est chez eux incomplet, les
côtes faisant entièrement ou presque entièrement
défaut : ce qui modifie leur mode respiratoire, et
les oblige à waler de l'air, au lieu de Vaspirer.
Avec la dernière classe des vertébrés disparaît le
squelette proprement dit, la charpente osseuse
intérieure. Toutefois les premiers invertébrés ne
sont pas encore dos animaux uniquement compo-
sés de parties molles. Los Insectes, les Crustacés,
sans posséder d'os il proprement parler, sont
pourvus d'une armature extérieure résistante et
solide, qui n'est que la peau modifiée et durcie.
Ce squelette extérieur remplit les mêmes rôles
(lue le squelette des vertébrés, prête attache aux
muscles, protège les viscères, et assure la forme
de l'animal.
Mais cette carapace elle-même disparait à son
tour, et l'on entre alors dans un monde inférieur
et rudiraentaire, d'oij la forme et la consistance
sont également absentes. [D' E. Pécaut.]
STIMULANTS. — Hygiène, XII. — Les hom-
mes de tous les climats, de tous les pays, saiiva-
ges ou civilisés, semblent éprouver le besoin ins-
tinctif de substances que l'on désigne sous les
noms d'excitants ou de stitnulcmts. Aussitôt que
l'expérience leur a révélé l'existence et les pro-
priétés d'un agent de cette nature, ils en ont
adopté l'usage. A mesure que les relations et les-
échanges sont devenus plus faciles, les peuples
se sont emprunté les produits spéciaux de cha-
que pays, de sorte qu'aujourd'hui les stimulants
de toute sorte tendent à se faire partout concur-
rence. Il en est résulté quo le même individu
fait usage de plusieurs stimulants alternative-
ment ou à l'état de combinaison.
On se ferait facilement une idée du rôle des
substances stimulantes, si l'on n'avait pas sovis
les yeux des chiffres aussi exacts qu'il est possi-
ble de les établir aujourd'hui.
Voici, par ordre d'importance numérique, celles
dont on consomme le plus :
Le kava, employé par environ 1,000,000 de
Polynésiens. . .
Le coca, mâché par les Indiens de la Bolivie
et du Pérou, formant une population d'envi-
ron 10000000 d'individus.
Le maté, pris en infusion par une population
de 15 000 000 d'Indiens, dans le Paraguay, le
Brésil et la république Argentine.
Le bétel, mâché par les Malais, des Indous et
des Chinois, au nombre d'environ 100 noi) 000.
Le café, usité en infusion dans une grande
partie de l'ancien monde et une portion considé-
rable de l'Amérique et de l'Océanie, compte à
peu près 500000 000 de consommateurs.
Le haschisch réclame environ 30iH)00000 d'a-
deptes en Perse, en Turquie, dans l'Inde et dans
le nord de l'Afrique.
L'opium est fumé par 400 000 000 d'hommes,
dans l'Inde, la Perse, la Turquie et la Chine.
Le thé a suivi un peu partout le café : recher-
ché surtout en Angleterre, aux Etats-Unis, en-
P.ussie, il forme en outre l.i boisson populaire de
la Chine et du Japon. Les populations qui l'em-
ploient forment un total d'au moins 500 000 000.
L'alcool règne sur une population d'environ
COO 000 000 d'individus, dans tous les pays, excepté
ceux soumis à la religion musulmane, qui en pro-
hibe l'usage.
Le tabac a fait la conquête du monde depuis
la découverte de l'Amérique; il est prisé, chiqué
ou fumé par des populations évaluées i 900000 000
d'individus.
Ces chiffres, bien que puisés aux meilleures
sources, ne sont pas, bien entendu, d'une exacti-
tude rigoureuse. De plus, ils embrassent la po-
pulation entière chez laquelle le stimulant est en
usage. Or il faut éliminer, pour arriver au chif-
fre réel dos consommateurs, la presque totalité
des enfants et la grande majorité des femmes.
Nous consacrons aux principaux stimulants ou
excitants en usage chez nous, l'alcool, le café et
le tabac, des articles spéciaux. Nous ne parle-
rons ici que d'une manière générale de l'in-
STIMULANTS
— ao^e —
STIMULANTS
fluence des stimulants sur la santé et sur la vie
humaine.
Les siatistiquGS démontrent que l'abus des sti-
mulants augmente dans une effrayante proportion
les cas do paralysie, de folie, de suicide, de cri-
mes contre les personnes. Leur usage, à tous
degrés, entraîne des maladies du corps et des
troubles de l'intelligence. Ils figurent au premier
rang parmi les causes qui abrègent la vie liu-
niaine et produisent les dégénérescences hérédi-
taires.
L'habilude de voir tout le monde faire usage
de stimulants, leur innocuité apparente, le plai-
sir sensuel qu'ils procurent nous empêche d'ap-
précier leurs ravages. Montaigne a dit : a Tout le
mal, chez nous, vient d'ânerie. » Le mot peut
s'appliquer à tiut. Nous avons fait des drogues
stimulantes, enivrantes, nos commensaux ; nous
leur attribuons une part de notre santé, de notre
belle humeur, de notre esprit, voire même de notre
aiTectivité ; il faut vraiment être bien sur de soi
pour dénoncer ces ennemis intimes; ce n'est
que par des preuves irrécusables que l'on peut
espérer convaincre ceux à qui l'on conseille de
renier ce qu'ils ont adoré. C'est la tâche de l'hy-
giène.
Il lui appartient de montrer les dangers qui
accompagnent toujours les excitants et de .signa-
ler comment on peut remplacer ces agents de
destruction p.ar des moyens naturels, élevés, uti-
les, de satisfaire chez l'homme, à tout âge, les
besoins matériels, le penchant pour le plaisir et
la tendance vers l'idéal.
Dans le principe, c'est toujours comme pis-aller
que l'on recourt aux stimulants. On y est conduit
d'oidinairo par un besoin pliysique, un instinct,
résultant d'un dé-ordre des fonctions : ainsi l'ali-
mentation insnffisante conduit tout naturellement
à l'usage d" l'alcool. Celui-ci devient souvent, il
est vrai, l'aliment de la paresse et de la débauche ;
mais, dans un très grand nombre de cas, c'est l'a-
limentation insuffisante qui amène une lutte iné-
gale entre le pain et l'alcool, entre le bien-êtro et
l'ivrognerie.
Supposez un ouvrier sobre, rangé, fort contre
les exemples et les invitations de ses camarades,
— il y en a beaucoup comme cela, — obligé de
nourrir une famille nombreuse avec un faible sa-
laire. Arrive l'hiver: la dépense, déjà, réduite au
minimum, augmente un peu pour le chauffage et
l'éclairage ; il faut retrancher sur la nourriture
déjà insuffisante et se priver du vêtement chaud
que réclame la saison. Un matin, à l'atelier, il se
sent faible. Un camarade qui le voit moins vif à
l'ouvrage l'invite à prendre un petit verre « pour
se donner de la force et se réchauffer. » Le petit
verre, c'est le coup de fouet au cheval : il produit
le coup de col ier. Demain, on en prendra un
autre, — toujours pour le bon motif; — puis il en
faudra deux par jour, trois, quatre L'ouvrier
deviendra buveur d'eau-de-vie. C'est faute de pain
et de viande qu'il en est venu là. Et maintenant il
n'a plus d'appétit, même pour sa maigre pitance,
de sorte qu'il est condamné à boire encore pour
ne pas mourir d'inanition ; il se tue par l'alcool
pour ne pas mourir de faim, et il arrive à dépen-
ser en alcool bien plus qu'il ne faudrait pour ache-
ter le surcroît d'aliments qui lui a fait défaut. Et
cet homme jauni, desséché, tremblant, débile, dont
vous vous éloignez avec dégoût, a laissé dans sa
mansarde une famille ; l'argent a manqué, la ma-
ladie est venue, tous sont dispersés par l'assis-
tance publique, en attendant que le père entre à
l'Hôtel-Dieu, dans un asile d'aliénés ou dans une
prison.
La tempérance ne peut régner que là où exis-
tent la vie de famille, un coulort relatif qui permet
le respect de soi et des siens, une alimentation
suffisamment réparatrice, une instruction moyenne
qui ouvre l'esprit aux distractions d'un ordre élevé.
Répétons que l'instruction la plus élémentaire de-
vrait accorder une large place a l'hygiène, — cette
scicMice que nous trouvons au fond de toutes les
questions sociales, — afin de remplacer les ba-
nales déclamations par des préceptes bien définis,
expliqués par des exemples familiers.
Le premier adversaire que nous devions oppo-
ser aux excitants, c'est l'éducation, qui fait les
mœurs; et pour auxiliaires nous lui donnerons la
loi, qui les sauvegarde.
Pour demeurer dans le domaine de l'hygiène et
arriver à des conclusions pratiques, essayons, pre-
nant les choses comme elles sont, de tracer la
voie pour des améliorations successives, les seules
que l'on puisse raisonnablement espérer.
L'homme se tue, en grande partie, par l'usage
des stimulants : comment remédier à ce suicide
en masse? Parmi les stimulants, il y en a qui
sont particulièrement dangereux ; de ce noiubre
sont l'alcool et le tabac. Ne pourrait-on pas
s'en déshabituer graduellement par voie de
substitution ? Oji préparerait des tabacs peu fer-
mentes et appauvris en nicotine. Le vin, la bière,
le cidre, remplaceraient l'alcool ; plus tard, le
café, le thé, le maté se substitueraient au vin ;
enfin on remplacerait sans effort des infusions de
plus en plus légères de ces plantes par d'autres
infusions -implement aromatiques ou par de l'eau
pure. Notez que cette substitution s'établit d'elle-
même d;ins bien des cas; ainsi, parmi les soldats
qui reçoivent une ration jimrnalière de café, un
bon nombre n'éprouvent plus le besoin de boire
de l'eau-de-vie.
La contagion de l'exemple, même restreinte par
l'absence d'attrait sensuel, entraînerait rapide-
ment, surtout sous l'influence directrice des
femmes. Par un heureux retour, on verrait aban-
donner une dangereuse forfanterie et faire con-
sister le point d'honneur à être sobre.
lUais la sobriété est une résultante. Nous avons
vu que l'homme s'en écarte à la poursuite d'un
élément de bien-être qui lui fait défaut. C'est un
point qu'il ne faut jamais perdre de vue toutes les
lois que l'on cherche à modérer ou à supprimer
l'usage des excitants. Pour ramener l'homme
moral à sa condition normale, comriiencez par as-
surer les conditions régulières de sa vie physique:
et, en étudiant la question, vous serez surpris de
voir combien l'alimentation influe sur la morale.
Depuis que l'on répète le conseil : « On esprit
sain dans un corps sain, » on n'insiste pas assez
sur les rapports qui s'établissent entre l'esprit et
un estomac à jeun. Le pain quotidien, la ration
alimentaire d'entretien et de travail, voilà ce qu'il
faut assurer avant tout. Le corps bien nourri
n'appellera pas à son secours les excitants pour
tromper la faim, galvaniser les muscles, produire
une chaleur éphémère, ou émousser les sourdes
douleurs de l'inanition.
Mais ce n'est pas tout. Si le travail manuel
n'y pourvoit pas assez, le besoin d'activité phy-
sioue — qu'engourdissaient les excitants — trou-
vera dans l'exercice rationnel ou dans les jeux
une légitime satisfaction. L'esprit et le cœur
ont soif d'émotions, d'impressions, d'épanche-
ments : tout cela existe dans la vie de famille,
les plaisirs du foyer, les amitiés honnêtes. Nous
admettons qu'il y a en outre chez l'homme, dans
toutes les conditions, quelque chose qui l'attire
vers l'inconnu, sentiment religieux, aspiration
vers l'idéal. A quelque degré que ces sentiments
existent, ils sont naturels, et, faute d'aliment, ils
dévient, se transforment, se pervertissent, ou
plutôt prennent le change et s'é.^arent dans les
illusions décevantes des ijiébriants. A ce danger
opposons un sens moral affermi par l'éducation et
STUAllT
2077 —
STYLE
par l'exemple, un sentiment élevé du bien et du
biiau développé par les livres, les théâtres, les
iiiivres d'art.
Il n'y a rien dans tout cela qui ressemble h des
iilopies. Ce no sont pas les bonnes volontés qui
Iniit défaut, mais l'ensemble dans l'effort. Nous
souffrons ions d'un mal chronique, héréditaire et
l'nrouragé par le fisc, propagé par l'éducation et
Irfi mœurs, réglementé par les lois. Nous ne de-
mandons pas mieux que do guérir, mais il manque
une direction venant d'en haut pour opérer gra-
duellement l(^s réformes, et une sanction delà loi
pour contraindre, dans une cerlaine mesure, ceu.\
(|U0 n'entraînerait pas l'exemple.
Aussi longtemps que l'homme usera d'excitants,
>-:i régénération physique, morale et intellectuelle
'Irmeurera impossible; il lui faudra se résigner à
Il iiL' vie courte, maladive et tourmentée. 11 ne tient
i|u'à lui de revenir au type normal, de rentrer
'lins les voies de sa destination et d'atteindre la
longévité de sa race : il y arrivera par les moyens
i|Uo nous venons de passer en revue. Heureux le
|irnple qui, rompant avec les préjugés de la rou-
tine, aura le courage d'entreprendre cette croisade
contre les drogues empoisonneuses, pour fonder
sur l'hygiène sa force et sa grandeur! Pourquoi la
France, à qui le monde doit tant de nobles initia-
tives, ne prendrait-elle pas en main cette cause de
riiumaiiité? [D' Satiray.]
STl'.VRT. — Histoire générale, XXVIII. —
Nom d'une famille royale qui a régné sur l'Ecosse
d'abord, depuis 1370 jusqu'au moiuent de la réu-
nion de ce pays à l'Angleterre, et qui a fourni
ensuite h la Grande-Bretagne, pendant le xvn° siè-
cle, quatre souverains. Le comte Walter Stuart
avait épousé la sœur du roi d'Ecosse David II
Bruce; celui-ci, étant mort sans héritier ; 1-370),
laissa la couronne à son neveu Robert Stuart, fils
de Walter, devenu le premier roi de la dynastie
des Stuarts sous le nom de Robert II. Son cin-
quième successeur, Jacques IV, épousa en 1603
Marguerite, fille du roi d'Angleterre Henri Vil;
c'est de ce mariage que ses descendants tirèrent
leurs prétentions à la couronne d'Angleterre. Le
fils de Jacques IV. Jacques V (monté sur le trône
en 1513), épousa une princesse française, Marie
de Guise, et fut le père de la célèbre Marie Smart,
qui, après avoir régné en France comme épouse
de François II, retourna en Ecosse, s'y maria i
lord Darniey, fut chassée par ses sujets, retenue
en prison par la reine d'Angleterre Elisabeth, et
mourut, sur l'cchafaud (V. Mari'' Stwni). Le fils
de Marie Stuart et de Darniey, roi d'Ecosse depuis
1563 sous le nom de Jacques VI, devint roi d'An-
gleterre il la mort d'Elisabeth en 1U03, sous le
nom de Jacques I" (V. Jacques I"). Son fils et
successeur Charles I" perdit la couronne et la vie
à la suite de la révolution d'Angleterre (V. Ch^n--
Ics ly), et l'on put croire un moment que la dy-
nastie des Stuarts avait définitivement cessé de
régner. La veuve de Charles I", Henriette de
France, fille d'Henri IV, s'était réfugiée auprès
de Louis XIV; sa fille, la célèbre princesse Hen-
riette d'Angleterre, épousa le duc d'Orléans, frère
de Louis XIV : la reine d'Angleterre mourut en
1669, et la duchesse d'Orléans en 1670; Bossuet
prononça leur oraison funèbre à toutçs deux. Ce-
pendant la dynastie des Stuarts avait été restau-
rée en Angleterre par Monk en 1660 : les deux fils
de Charles I", Charles II et Jacques II, régnèrent
successivement (V. Char/es II et Jacques H). La
révolution de 16S8, qui chassa Jacques II, marqua
la déchéance définitive des Stuarts. Il est vrai
que Guillaume III avait épousé une fille de Jac-
ques il, Marie, et qu'après lui ce fut une autre
fille du roi déchu, Anne Stuart, qui porta la cou-
ronne d'Angleterre (17ii2-ni4); mais Anne était
une princesse protestante, elle avait épousé un
prince danois, et sa politique, diamétralement
opposée aux traditions de sa famille, fut la conti-
nuation de la politique nouvelle inaugurée par
Guillaume III. Louis XIV avait donné un asile à
Jacques II; lorsque celui-ci mourut (1701),
Louis XIV, en guerre avec Guillaume III, recon-
nut le titre do roi d'Angleterre au (ils de Jac-
ques II, qui prit le nom de Jacques III et qui est
plus connu >ous le nom de chevulier de ^aint-
Georges. Deux soulèveiuents eurent lieu en Ecosse
en faveur de ce prétendant après la mort de la
reine Anne, en 1715 et en 1716, mais sans résul-
tat. En 17-io, le fils du chevalier de Saint-Georges,
le prince Charles-Edouard, tenta un débarque-
ment en Ecosse ; il remporta d'abord des succès,
mais fut battu à Culloden (1740). Il mourut à
Florence en 17S8, et avec lui s'éteignit la race
des Stuarts.
STYLE. — Littérature et style, V. — - Défini-
tions et considévfituins préliminaires. — Dans son
acception la plus simple, celle qui doit nous
préoccuper avant tout, quand il s'agit d'enseigne-
ment populaire, le style n'est autre chose que la
manière d'exprimer sa pensée, de façon ."i être
compris. C'est par métonymie que ce mot est ar-
rivé à avoir cette signification ; il désignait à l'o-
rigine (en grec stylos, en latin sli/lns) le poinçon
dont les anciens se servaient pour tracer leurs
pensées sur la cire des tablettes. Nous ne le con-
fondions pas complètement avec le mot rloculion,
qui s'applique plutôt à la parole qu'aux écrits (en
latin etO'Utio, de eloqui, parler), et qui appartient
à la rhétorique proprement dite.
Mais il y a du mot style une autre acception,
dont il convient de tenir compte. D'habitude, on
n'écrit pas seulement pour être compris, pour no-
ter des faits et des idées ; le plus souvent, on
veut encore produire une impression sur l'esprit
du lecteur, on veut lui plaire, lui faire partager
une conviction, un sentiment; on marque alors
son style d'un cachet personnel. D'ailleurs les in-
fluences les plus diverses modifient le style, qui
varie selon les qualités d'esprit ou de cœur, le carac-
tère, l'humeur, le tempérament de chacun, selon les
climats, le génie national, le génie de la langue,
le sujet que l'on traite. On pourrait presque dire
qu'il y a autant de styles que d'écrivains. Le style
est alors, selon des définitions célèbres, le mou-
vement que l'on met dans ses pensées, il est la
marque de la personnalité, il est « l'homme
même ».
Pour tout concilier, disons que le style est la
manière personnelle dont chacun exprime, au
moyen de la langue commune, ce qu'il sait, ce
qu'il pense, et ce qu'il sent.
Mais cette langue commune, il faut avoir ap-
pris à s'en servir, cet art de l'expression (car c'est
à la fuis un art et un don naturel), il faut en avoir
approfondi les secrets; il est donc une partie
mécanique de cet art qui demande une étude spé-
ciale. Voilà pourquoi nous considérons le style
isolément, et le séparons un instant de la pensée,
sans la perdre jamais de vue.
Quand Boileau a dit :
Ce que l'on ronçoit bien s'énonce dairoment,
Et les mots pour le dire arrivent aisément,
il n'écrivait pas pour des écoliers; lui-même a dii
éprouver souvent qu'il n'était pas si facile de s'ex-
primer avec clarté, et que la pensée plus d'une
fois avait à courir après le mot juste ou expres-
sif; ne lui est-il pas arrivé de ne rencontrer qu'au
coin d'un bois la rime qui le fuyait'? Il y a un tra-
vail de la forme, un apprentissage du style, un
soin particulier de la phrase que nous devons
polir, et que nous présenterons ensuite à la
pensée comme un miroir où elle se reconnaîtra,
si nous avons réussi : car le bon style n'existe
STYLE
— 2078 —
STYLE
«u'à la condition de la reproduire fidèlement. ( Les ^jzH'es* soit de mots, soit de pensées, four-
Les préceptes théoriques, la lecture, les exer- nissent au style les moyens de donner Ji 1 ex-
cices de rédaction et de composition concourent à \ pression plus de force et d agrément ; elles sont
former le style. C'est ;\ ces trois sources que nous ! souvent le langage de la passion et de 1 imagi-
Duiserons pour l'enseignement primaire, mais en ; nation.
procédant avec méthode, en tenantcompte de l'âge ' Dans l'enseignement primaire, nous nous préoc-
de nos élèves du développement de leurs facultés ] cuperons avant tout des qualités générales du
intellectuelles du but et de la durée de leurs style : mais à l'occasion, surtout dans Ips cours su-
i^^Jgg : périeurs, nous ne craindrons pas de faire valoir,
I PnÉCEPTES THÉoniQUES. — Nous commençons parmi les qualités particulières, celles qui seront
caria théorie, parce qu'elle a l'avantage de montrer le plus à la portée de nos élevés, celles qui pour-
aux maîtres le but vers lequel ils doivent aclie- i ront les inviter à orner leur jeune style, et leur
miner leurs élèves; mais il est bien entendu que faciliter l'expression d'un sentiment. _
miner IKUrS eicvca, maio IL .^ov w.v... y- ,
dans les classes elle ne saurait précéder la pra-
tique. Elle définit le style, elle montre comment
il dépend de la pensée et de l'ordre do nos idées,
elle passe en revue toutes les qualités générales
ou particulières qui en sont l'essence ou en font
le mérite, tous les moyens d'exprimer sa pensée,
<le convaincre la raison, de toucher '" ""'"- ^^
frapper rima^;ination.
II. Li LECTL'RE. — Pour former le style, la lec-
ture est le plus puissant auxiliaire de la plume :
Quiconque a h
Peut avoir beaucoup
ip lu
a pensée, Or ici, comme ailleurs, il s'agit de beaucoup rete-
cceur, de nir: le style dépend d'abord de l'observation et de
l'imitation. Nous parlons non seulement de la lec-
ipuer l'ima"ination. I limitation. iNous parions non seuiemBui. "^ "» '=v-
Les aunlités qénérales sont celles dont on ne \ ture courante, mais encore et surtout de la lec-
neut guère concevoir qu'il soit possible de se pas- ; ture réfléchie, expliquée par le maître avec mé-
ser • auiconnue écrit, même sans autre prétention , thode et avec le dessein arrête de n appeler jamais
flue de se faire comprendre, doit viser h. la clar- ; l'atteniiou des enfants que sur ce qui peut avoir
té à la correction et à la précision. pour eux un profit certain et immodia . Selon les
I a rinrté est en ouelque sorte la transparence âges et les degrés de 1 enseignement, il leur e.xpii-
de la pensée à travers les mots ; la correction q^era le sens des mots, dont ils doivent avant tout
consiste i n'emnlover que les termes et les cens- faire provision, les constructions et la suite des
tructions consTés pa? l'usage et la grammaire ; phrases ; H fera valoir dans ^'^\^]^à^^'^! ^^^{.^'Z
il ne faut pas la confondre avec la pureté, qui i lites générales ou particulières du sty . Q" "s oe
évite les moindres taches; la précision n'emploie yront chercher à sa>similer; il cultivera leur
que les termes nécessaires à'^l'expression de la I goût, leur inspirera l'admiration, élèvera eurs
Densée-elle retranche (en latin pr^c «/«•-, couper âmes, et à la chaleur comraunicative et vivUiante
?asTtout ce qui est de trop. On voit quel lien unit . des plus nobles écrits fera éclore dans leur esprit
cestrolsquaiilés essentielles: l'incorrection et la les germes latents des idées et des sentiments
diifusion ne sauraient engendrer qu'obscurité. personnels, en même temps qu il leur lera conce-
On range encore parmi les qualités générales voir la beauté idéale de la forme,
du stvle la noôtesse, le naturel, la variété, Vliar- m. Des exercices de rédaction. - Même or-
mo7'/r qui nous seniblent appartenir plutôt à la dre, même gradation pour les exercices de redac-
caté.'o'rie des qualités particulières. Reconnaissons tion et de composition. Dans nos classes, la pius
ceoendint que le style le plus modeste doit avoir large part doit être faite d'abord aux exercices de
un^ecer aine dignité, et éviter les termes bas : i langue française Puisque, pour exprimer une
une certaine ui„. ii , pensée, il faut savoir avant tout trouvnr les mots
Le style le moins noble a pourtant sa iiol>losso. j |jj.(jp^gg_ arranger ces mots en forme de proposi-
11 Hoit fuir aussi « des mauvais sons le concours ' tiens, et les propositions en forme do plirases, le
Ltn^ „ nour ne oas Tomber dans le ridicule. I premier travail sera nécessairemen plus g^nima-
vent le dernier effort de 1 art.
C'est par les qualités particulières que se ma-
nifeste cette empreinte personnelle dont les mieux
doués, même parmi les écoliers, marquent leurs
écrits. Elles varient selon les sujets, et se ratta-
chent ù. la division du style en trois styles prin-
cipaux, le style simple, le tempéré, et le sublime
Le style simple comporte la concision, le naUtrel,
\3.nàivetc, la familiarité ; au style tempère appar-
tiennent Yélégance, la richesse, la finesse, la déli-
catesse : le style sublime réclame 1 énergie, la véhé-
mence, la magrdficence. Nous renvoyons aux nom-
breux traites de rhétorique et de style pour la
définition de ces qualités, et pour les exemples.
Ce n'est pas assez de connaître et de posséder
les qualités diverses du style, il faut savoir les
fondre ensemble, les assortir dans nos écrits,^ de
façon i éviter l'uniformité, d'où naît 1 ennui: c est
le mérite de la variété. Chaque genre de littéra-
ture, chaque sujet, a son style propre, sa couleur;
à ce point de vue le style est ou poétique, ou ora-
toire, ou historique, ou philosophique, ou scien-
titique: la cotn-enance nous apprend à choisir, et
à teindre le langage des couleurs du sujet, hnhn
il est une harmonie particulière qui aide à pein-
dre la pensée, et ne contribue pas peu au charme
des écrits.
U UUiUli la iiaïuïi <J uii .JUJ.-V j-
truire un ensemble qui ait un commencement, un
milieu et une fin. .
Nous apprendrons donc successivement a nos
élèves, en multipliant les exercices appropries à
leur âge et à leur degré de force, à étudier les
mots isolément, :\ en reconnaître la valeur propre
et l'acception la plus commune, la généalogie, la
famille, la dérivation, à se rendre compte des di-
versités et des nuances de sens qui résultent de
l'emploi des termes simples ou composes, propres
ou figurés, des synonymes, etc. Puis ils passeront
à l'étude de la proposition, du sujet, du verbe, de
l'attribut avec leurs compléments; ils seront ini-
tiés aux divers procédés de coordination et de su-
bordination des propositions ; alors ils pourront
composer une phrase avec des mots et des propo-
sitions donnés, ajouter eux-mêmes des adjectits,
des compléments, changer les singuliers en plu-
riels et réciproquement, transformer les genres,
les personnes, les temps, les modes, placer mots
et propositions dans l'ordre logique, et se lami-
liariser déjà avec les inversions qui ne larderont
pas à se présenter d'elles-mêmes. Quand Us au-
ront un vocabulaire assez riche (la lecture et les
leçons de choses le leur donneront), quand Us
auront bien conçu ce que c'est qu'une phrase, et
auront déjà assoupli leur style par ces premiers
SUCRE
— 2079 —
SUCRE
exercices, nous leur apprendrons à traiter de pe-
tits sujets empruntés à la vie, commune, à ce qui
se passe sous leurs yeux, à ce qui les entoure et
les int(5rcsse directement. Ils auront plusieurs
phrases ;\ composer, à enchaîner, h conduire jus-
qu'à une conclusion : la nécessite de l'étude du
pla7i se fera sentir ; le style sera l'ordre qu'ils
mettront dans leurs idées, dans la succession des
phrases. La correction do ces premiers devoirs
tendra surtout à leur recommander la clarté, la
pureté, la précision, et i leur signaler, comme des
écueils, les défauts contraires, l'obscurité, l'im-
propriété des termes, les constructions vicieuses,
la diffusion.
Plus avancés et plus expérimentés, nous nous
préoccuperons des qualités particulières ; nous
leur ferons étudier ce qu'on appelle les lotirs de
plirase qui animent le style, préviennent la mono-
tonie, et impriment aux écrits ce mouvement
dont parle Buffon. Ce sera le lieu de leur parler
des figures de grammaire et de pensées, de les
familiariser notajnment avec l'interrogation, l'ex-
clamation, l'inversion, etc. , de leur faife distin-
guer le style coupé du style pcrwi/ique, et de leur
apprendre à construire des péria/es. Ils pourront
ensuite aborder des compositions d'un ordre plus
relevé, et marquer leur style d'un certain carac-
tère de personnalité.
Mais prenons garde ici de trop exciter chez eux
le désir de briller, en se parant des richesses
d'autrui, et d'abuser des grands effets, en imitant
peu judicieusement tout ce qui aurait frappé leur
imagination; le clinquant, l'affectation, l'emphase
ne manqueraient pas de nuire à cette clarté (]ue
nous recherchons avant tout pour eux, à ces ha-
bitudes de simplicité et de sincérité que notre de-
voir est de leur inculquer. Ils ne se paieront pas
de mots et de figures ; ils ne se mettront pas en
quête du merveilleux; ils réfléchiront, ils ratta-
cheront l'expression à la pensée par le lien le
plus étroit ; une sage disposition réglera le mou-
vement de leur stylo, et si, après un début sans
prétention et sans fracas, la chaleur se répand
dans leurs écrits, ce sera celle qui résulte de la
possession du sujet et d'une sensibilité naturelle.
[C. de Lostalot.]
SUBSTANTIF. — V. Nom.
SrCRK. — Chimie, XXII. —Historique. — Lesa-
cre,dont tout le monde fait usage aujourd'hui, coù-
taitencore in francs lalivre il y a quatre-vingts ans ;
les ouvriers et les paysans ne s'en servaient que
comme d'un médicament. Aujourd'hui ce précieux
aliment est à la portée de toutes les bourses, aussi
la consommation en est-elle prodigieuse, et l'in-
dustrie sucrière est certainement l'une des plus
importantes de notre époque. Quoique l'usage du
sucre ne se soit popularisé que dans ce siècle,
néanmoins cette substance était connue depuis
fort longtemps. Le sucre extrait de la canne pa-
rait en Grèce après l'expédition d'Alexandre dans
l'Inde, où il était employé comme médicament de
temps immémorial. On l'appelait sel indien ou
saccharon ; les Romains en ontUïi saccha7-um. Le
sucre raffiné nous vient des Arabes et peut-être
des Cliinois. C'est après les premières croisades
qu'on rencontre le sucre dans l'Europe occiden-
tale; il venait probablement de l'Asie-Mineure où
il était en usage depuis une haute antiquité. Dans
une ordonnance royale de 1353, il est question de
sucre raffiné : on l'y appelle cafetin. A cotte époque
et pendant plus d'un siècle encore, ce « médica-
ment » venait de l'Inde, de Chypre, de lihode, de
Candie. Au xv" siècle la canne fut introduite dans
l'île de Madère par dom Henri, régent de Portugal ;
elle y réussit. Bientôt les Espagnols en essaient la
culture aux ( anaries, puis à Murcie et en Andalou-
sie. Des tentatives de culture de canne faites en
Provence et dans diverses parties du midi do la
France ne réussirent point; aussi, sous Henri IV,
on achetait encore le sucre à l'once chez les phar-
niaciens. A la fin du xvii" siècle, nos colonies de
Saint-Christoplie,de la Guadeloupe, et des Antilles
peuvent suffire h la consommation de, la France,
qui, en 1700, est de un million de kilogrammes
par an.
C'est vers 1605 que notre célèbre agronome
Olivier de Serre signala l'existence du sucre dans
la racine de betterave : mais il faut ajouter tout
de suite que c'est IVIargraf, chimiste allemand,
qui le premier put l'en extraire en trailant les
betteraves écrasées par l'alcool bouillant. Le mé-
moire d.ins lequel il décrit les expériences chimi-
ques faites dnns le dessein de tirer un vciitable
sucre 'te diverses plaides qui croiiseiit dam nos
contrées date de lHî>. Les plantes auxquelles
l'auteur fait allusion sont surtout la betterave, la
carotte et le chervis. « Leurs racines découpées
en tranches minces et desséchées, dit-il, ont non
seulement un goût fort doux, mais encore elles
montrent pour l'ordinaire, surtout au microscope,
des particules blanches et cristallines qui tiennent
de la forme du sucre. »
Margraf, trouvant son procédé d'extraction par
l'alcool trop coûteux, le remplaça par le ràpage
et la compression; il réussit h obtenir de la bette-
rave blanche un sucre semblable au meilleur sucre
jaunâtre de Saint-Thomas.
La découverte de Margraf fut oubliée, et la re-
cherche d'un sucre indigène ne fut reprise que
lors du blocus continental, lorsqu" la France se
trouva subitement privée de la ressource du sucre
colonial.
En IHI2, et d'après les ordres de Napoléon,
100 000 arpents de bonne terre furent livrés à la
culture de la betterave ; la chute de l'empire fail-
lit tuer cette industrie naissante, qui ne put réel-
lement se développer qu';'i partir de 1.S30. -aujour-
d'hui le sucre de betterave, qui est excessivement
bon marché, a pres(|ue complètement supplanté le
sucre de canne dans la consommation de l'Europe
et de l'Amérique du Nord.
En Europe, on le fabrique surtout en France,
en Allemagne, en Belgique et en Autriche.
E.xtraction du ntcre de canne. — La canne à
sucre est une plante bisannuelle de la' famille des
graminées. C'est une espèce de grand roseau de
3 i"! 6 mètres de hauteur. La tige est coupée de
10 en 10 centimètres par des nœuds, d'où partent
des feuilles longues de 1 mètre. C'est dans la
partie spongieuse entre ces noeuds que se trouve
le sucre lout formé. La canne h. sucre pousse sur-
tout dans la zone torride, mais sa culture a pu
réussir jusqu'au 40' degré de latitude. Quand elle
est mûre, au bout de dix ou douze mois, la tige,
fort cassante, est d'un blanc jaunâtre.
On distingue trois espèces de canne : la créole,
qu'on cultive surtout aux Antilles ; la canne
d'Otahiti, introduite en Amérique à la fin du
xviii' siècle; et la canne violette, qu'on cultive
surtout dans les environs de Batavia. D'après le
savant chimiste Péligot, la canne contient, quand
elle est fraîche, sur JOO parties:
Sucre et autres matières solubles
Ligneux
18,0
lUO.O
Pour en extraire le sucre, on enlève la flèche;
puis les tiges, coupées par le pied, sont écrasées
entre trois gros cylindres en fonte disposés hori-
zontalement. On en retire ainsi 60 p. 100 de suc
appelé vesou. Le résidu ou hngasses est desséché,
puis employé comme combustible.
Le vesou, qui fermenterait rapidement, est
chauffé â (jO" avec un peu de chaux ; il se forme à
la surface une écume impure qu'on enlève succès-
SUCRE
— 2080 —
SUCRE
sivetnent, et le jus clarifié est concentré jusqu'à ce
qu'il marque 25° à l'aréomètre. On le filtre alors il
travers une étoffe de laine, puis on l'amène, en
le cliauffant dans des chaudières spéciales, à l'état
de sirop très épais ; il est alors introduit dans de
larges bassines ou rafraicliissoirs, ensuite dans
des caisses percées de trous bmjchés; là on l'a-
gite, et il cristallise en petits cristaux imprégnés
de sirop; on débouche les trous, et le sirop s'é-
coule épais et brun: c'est la mélasse. La masse
cristallisée est livrée au commerce ou à la raffine-
rie sous le nom de >«■ re brut ou c ssmiade. La
mélasse contient de 60 à (iâ p. lOn de sucre cris-
tallisable, VI à U do sucre incristallisalile, 15 d'eau
et 9 de matières diverses, minérales et mucilagi-
neuses. Elle est employée par les pauvres gens
aux mêmes usages que le sucre, mais la plus
grande partie sert à faire le rhum par fermenta-
tion et distillation.
Extraction du sucre de betterave. — La bette-
rave la plus cultivée pour la fabrication du sucre
est la betterave blanche à collet rose, dite de Si-
lésie.
D'après M. Péligot, elle renferme :
Sucre
Albumine....
Tissu ligneux.
2,5
100,0
Elle est donc en moyenne moins riche en sucre
que la canne; du reste le rendement diminue
après l'arrachage ; il est donc indispensable de
procéder le plus vite possible à l'extraction du
sucre après la récolte.
Les betteraves, lavées etdébarrasséesde leurs ra-
dicules chevelues, sont déchirées par des râpes
cylindriques animées d'un mouvement de rotation
très rapide; la pulpe est aussitôt introduite dans
des sacs en laine qu'on superpose en les séparant
par des claies d'osier pour les soumettre à une
forte compression au moyen d'une puissante presse
hydraulique. On en obtient ainsi T.'i h SI) p. 100 de
jus. lin grand fabricant français, M. Linard, qui
depuis quelques années a apporté de nombrenx
perfectionnements à l'extraction du sucre do bette-
rave, a eu l'idée, pour éviter la plus grande partie
des frais de transport et opérer plus rapidement,
d'effectuer le ràpage et l'extraction du jus sur
place, c'est-à-dire au centre même de l'exploita-
tion agricole. De puissantes pompes d'aspiration
l'amènent ensuite rapidement à la sucrerie par des
tuyaux métalliques souterrains qui réunissent les
deux établissements. Quelques grandes usines du
Nord, de l'Aisne et de Seine-et-Marne fonction-
nent ainsi actuellement; mais il est bii-n évident
qu'un pareil système ne peut être appliqué qu'à
des sucreries alimentées par une culture de bet-
teraves importante et tout à fait rapprochée de
l'usine de fabrication.
Le jus de betterave s'altère facilement; il faut
le soumettre immédiatempnt à la de/<'C«(/o;!, opé-
ration qui consiste à le chauffer à la vapeur vers
95" dans des chaudières à double fond, avec de la
chaux, dans la proportion de 300 à nOO grammes
par hectolitre de jus. La chaux neutralise les
acides et se combine avec les matières organiques
fermentescibles qui auraient pu provoquer la
transformation du sucre. Un excès de chaux se
combine au sucre en formant un véritable sucrate
ou saccharate de chaux, qu'on décompose par un
courant d'acide carbonique lancé à travers le jus ;
celui-ci est alors filtré en passant sur du noir
animal en grains, disposé dans de grands cylin-
dres en tôle à double fond appelés filtres Drum-
mond. On procède ensuite à la cuite dans des
chaudières spéciales où l'évaporation se fait dans
le vide à une température de 75° à 80°.
Quand le sirop indique 49° à l'aréomètre, il
est introduit dans un rafraichissoir et agité
jusqu'à ce qu'il commence à grener, c'est-à-dire
à cristalliser. Il est ensuite introduit dans des
formes coniques en terre cuite ou en cuivre
étamé, percées d'un trou bouché au sommet et
renversées. La cristallisation s'opère à une tem-
pérature maintenue à 35°. On enlève le bouchon,
les mélasses s'écoulent dans des pots placés sous
le sommet du cône, et le sucre brut ou casso-
nade est séché dans une éluve. Les molasses
mélangées à un peu d'eau sont filtrées de nouveau
sur du charbon, et après une nouvelle cuite
donnent du sucre de second jet et même de troi-
sième jet. Aujourd'hui, l'égouttage et le blanchi-
ment s'opèrent rapidement au moyen d'un hydro-
extracteur, employé depuis longtemps pour la
dessiccation des étoffes. Cet appareil, appelé
diable ou toupie, consiste en une cage métal-
lique pouvant tourner très rapidement autour
d'un axe central. Les parois latérales en sont
percées, et c'est par ces trous que s'écoule le
sirop lancé vers la périphérie de la cage par la
force centrifuge résultant de la rotation rapide
de la masse.
Raffinarie du sucre. — La cassonade n'est pas
complètetiient blanche ; elle relient des traces de
mélasse et jusqu'à 3 ou 4 p. 100 de matières
étrangères;; c'est pour obtenir du sucre parfaite-
ment pur qu'on la soumet au raffinage. Pour cela
on la dissout dans un tiers de son poids d'eau
dans une chaudière à double fond, on y projette
5 p. 100 de noir animal fin et, lorsque l'ébullition
est en train, 1/2 p. 100 de sang de bœuf. Celuixi
se coagule et rassemble avec lui sous forme d'é-
cume toutes les matières étrangères.
On filtre le sirop clarifié dans des filtres Taylor,
constitut's par (les caisses doublées di' cuivre, à
double fond et dans lesquelles sont tendus verti-
calement des sacs en coton-peluche qui consti-
tuent les filtres. Le liquide est introduit dans
l'intervalle des sacs, filtre dans ceux-ci de dehors
en dedans et s'écoule par leur partie inférieure
dans le double fond des caisses. Le sirop n'est pas
encore complètement incolore, aussi est-il filtré
de nouveau sur du noir animal en grains dans les
filtres Drummond; il est ensuite cuit jusqu'à ce
qu'il marque 30° à l'aréomètre, puis enfin place
dans les formes où la cristallisation s'opère pen-
dant qu'on l'agite avec des spatules en bois. Apres
24 heures on ouvre les trous des formes et
l'égouttage commence pour durer plusieurs jours.
On procède ensuite au ferrage ou au clairçage.
Dans le premier cas, après avoir enlevé la
couche supérieure du sucre, on remplit la forme
avec une couche d'argile blanche mouillée dont
l'eau descendant dans le pain enlèvera, en le li-
quéfiant, le sirop coloré qui peut y rester encore;
puis on enlève la couche d'argile, on bouche le
trou de la partie inférieure de la forme et on
verse par le haut un sirop de sucre blanc qui
remplira les vides formés dans le pain. Dans le
ras du clairçage on remplace la bouillie argileuse
par un sirop de sucre blanc. Aujourd hui on
arrive à avoir des sucres de premier jet si blancs
qu ils n'ont pas besoin d'être raffinés.
Sucre candi. — On donne le; nom de sucre
candi à de gros cristaux quelquefois presque
blancs, souvent jaunâtres, obtenus en tendant de
fils dans du sirop marquant 37° à l'aréomètre et
exposé pendant plusieurs jours à une tempéra-
ture de 30°. , ,
Propriétés du sucre. - Le sucre possède une
saveur que tout le inonde connaît et qu'on appelle
sucrée. Le sucre ne se dissout ni dans 1 ether ni
dans l'alccnl froid, mais se dissout dans l/.> de
son poids d'eau froide en formant du sirop suvple.
Chauffé à 1U0°, le sucre fond en un liquide trans-
SUCRE
— 2081
SUCBE
parent, collant; on se refroidissant, celui-ci donne
le sucre d'orgi', qui i la lojigue redevient sucre
cristallisé; au doli de ICO" le sucre perd do l'eau,
devient brun, a une odeur et une saveur particu-
lière : c'est lo caramel.
Si on continue à élever la température, le sucre
se décompose complètement; il s'en dégage une
fumée épaisse, en partie combustible, contenant
de l'oau, de l'oxyde de carbone, de l'acide carbo-
nique, du gaz des marais, de l'acétone, de l'acide
acétique, etc., et il donne un résidu noir brillant
fort léger : c'est du charbon h peu prés pur; pen-
dant la calcination, il se répand une odeur carac-
téristique dite de sU':re brûlé.
Le sucre pur ne fermente point, mais sous
l'action des divers ferments, levure de bière, ma-
tières fermentescibles des fruits, il subit diverses
fermentations dont la plus importante est sa
transformation en alcojl et en acide carbonique.
AdiiM (les acid'-s S'if le .sucre. — Les acides
étendus tranforment le sucre en sucre dit inter-
verti, parce (|u'au lieu de dévier le plan de polari-
sation de la lumière i droite, il le dévie îi gauche.
L'ébuUition prolongée du sucre avec les acides
le transforme complètement et la liqueur brunit.
L'acide sulfuriiiue concentré carbonise le sucre en
donnant un dégagement d'acide sulfureux.
L'acide azotique concentré le transforme en
acide oxalique (acide des oseilles).
Action des bU'CS. — Nous avons déjà dit que le
sucre peut se combiner à la chaux en formant de
vérilablos sels ou sucrâtes; il peut aussi se com-
biner à la potasse, à la soude et à la baryte; ainsi,
en versant une solution bouillante de baryte dans
dans do l'eau firtement sucrée, on obtient une
masse cristalline de sucrato de baryte.
Le sucre se combine aussi avec le sel marin.
Divtrses esjièjis de sucre. — Tout ce que nous
venons de dire s'applique aux sucres de canne et
de betterave, qui ont la même formule chimi-
que : C2''H220--, et sont absolument identiques
avec le sucre de carotte, d'érable, de navet, de
figue, de bouleau, etc. Mais on connaît, en outre
de ce sucre dit sucre ordinaire, des substances
de saveur plus ou moins fortement sucrée et
ayant beaucoup d'analogies avec le sucre par
leurs formules et leurs propriétés chimiques ; tels
goDt :
1° Le ou la glucose ou glycose, appelé encore
sucre de fécule, qui a pour formule C'^H'-O'^
(V. Fécule). On le rencontre dans beaucoup de
fruits; c'est lui qui recouvre les raisins, les figues,
les prunes sèches. Il est moins sucré que le sucre :
on le prépare industriellement par l'action des
acides étendus sur l'amidon .
2° Le lactose ou sucre de lait : c'est lui qui par
la fermentation donne l'acide lactique, principe
acide du petit-lait. 11 a pour formule C24H-*0^* ; on
l'obtient facilement en cristaux ; il a une saveur
fraîche faiblement sucrée et croque sous la dent ;
on l'emploie en médecine.
3° Le sucre incristnUisaiie. Ce sucre a pour
formule C'^Hi^O'^; il existe tout formé dans les
pommes, les poires, le miel, le jus d'oignon, et
presque dans tous les fruits acidulés et sucrés.
Tous ces sucres sont susceptibles de fermenter
en présence de la levure de bière ; mais ceux qui
ont la composition C"H2202- se transforment d'a-
bord en glucose.
Saccliariinétrie. — On donne ce nom aux mé-
thodes et aux procédés employés pour rechercher
la quantité do sucre qui se trouve dans une li-
queur sucrée quelconque. Sans entrer dans aucun
détail, nous dirons qu'on emploie deux méthodes:
la méthode optique et la méthode chimique. La
première repose sur la déviation que le glucose
fait éprouver au plan de polari.sation de la lu-
mière; cette déviation est dans un rapport connu
avec la quantité de sucre qui se trouve dans la
liqueur, et on la mesure au moyen d'appareils
appelés saccliarimètres. Quand il s'agit du sucre
ordinaire, il faut d'abord le convertir en glucose
par une ébullition prolongée avec de l'acide sul-
furique étendu.
La méthode chimique repose sur ce fait, que le
glucose chauffé avec une liqueur bleue de tartrate
double de potasse et de cuivre la décolore et en
précipite l'oxyde rouge de cuivre. On se sert de li-
queurs essayées et titrées.
Consommation du sucre. Statistique. — Le
sucre de canne ou de betterave est aujourd'hui
une substance alimentaire de la plus grande im-
portance ; cependant, c'est un aliment incomplet,
et seul, de même que toutes les matières non
azotées, il ne peut pas entretenir la vie. On ra-
conte que le médecin anglais Stark est mort d'a-
voir fait un usage immodéré du sucre. Pris avec
abus, il peut donner le scorbut et produire des
ulcérations sur les muqueuses de la bouche ;
cependant les nègres, qui s'en nourrissent exclu-
sivement au moment de la récolte de la canne, se
portent généralement très bien à cette saison-là.
Tous les animaux l'aiment; il semble ne causer
aucun accident au chien, môme pris en excès ;
d'après Chossat, le sucre favorise la formation de
la graisse, et à la longue diminue l'appétit. Pris en
excès d'un seul coup. Il peut amener une doulou-
reuse indigestion, D'après l'hygiéniste Michel
Lévy, c'est un aliment qui pris avec mesure con-
vient à tous les âges, il tous les tempéraments et
à tous les climats. Le sucre sert aussi à la prépa-
ration d'un grand nombre de liqueurs de table,
et de produits économiques ; enfin, les mélasses
de sucre de canne servent à la fabrication du
rhum, et celles du sucre de betterave à la fabrica-
tion des eaux-de-vie communes.
Nous avons dit plus haut que, vers 1700, la
consommation du sucre en France était à peu près
de un million de kilogrammes. Les chiffres sui-
vants en montreront l'augmentation rapide et
toujours croissante jusqu'à nos jours:
En 1812 la France consommait 8 millions de ki-
logrammes de sucre.
En 1817 37 millions.
En I8:U C" —
En 1850 120 —
En 1859 185 —
Aujourd'hui, la consommation française est de
^.„, plus de 250 raillions. En Angleterre, en Hollande,
Comme le glucose, il dévie à gauche le plan de en Belgique, en Suisse, la consommation est
polarisation de la lumière, tandis que le sucre de encore beaucoup plus forte qu'en France ; aiix
lait le dévie à droite comme lo sucre ordinaire. Etats-Unis, on consomme, en moyenne, trois fois
Dans diverses circonstances, action des acides autant do, sucre par tête qu'en Franco. Au Brésil
étendus, action prolojigée de la chaleur, le sucre et à la Havane, pays de production par excel-
ordinairu peut se transformer en sucre incristal- lence, la proportion est encore plus grande,
lisable. Depuis quelque vingt ans, la culture de la
4- Le mél.ilo'ie. Ce sucre, étudié par M. Ber- betterave et la fabrication du sucre ont pris un
thelot, a pour formule (;2''H22022 ; il se rencontre développement considérable en Franco : le Pas-
daus la manne do différentes espèces û'Eucali//)- de-Caluis, le Nord, l'Aisno, l'Oise, Seine-et-Marno,
tw: de l'Australie. On l'on extrait facilement on les Ardennes, etc., se sont couverts do sucreries;
traitant la manne par l'eau chaude et eu laissant il en est résulté un véritable encoral)rement
évaporer. 1 sur les marchés ; le prix s'est considérablement
2» Partie. 131
SUISSE
— 2082 —
SUISSE
abaissé: il est actuollemcnt de O'.eO le demi-kilo-
gramme en détail à Paris ; de là, les souffrances
de l'industrie sucrière et la disparition d'un
certain nombre de fabriques. I.a concurrence al-
lemande sur les marchés de l'Angleterre a aussi
contribué à qet état de choses qui semble vouloir
s'améliorer.
Nous terminerons par quelques cliilTres inté-
ressants qui nous sont donnés par la statistique
ofiicielle du ministère de l'agriculture et corres-
pondent à l'année 1817.
En ISIT, la production totale du sucre indigène
a été pour la France de 3 60.3 51-3 quintaux mé-
triques, représentant une valeur de i08;iOit7.54
francs, et a\ant donné en mélasses 1510091
quintaux métriques, représentant une valeur de
n 5949.)! francs.
Les départements qui ont le plus contribué à
cette production sont dans l'ordre de l'impor-
tance :
Le Nord, qui a produit plus de 934 000 quintaux.
L'Aisne, plus de 790000 —
Le Pas-de-Calais, plus de... 5i;4 000 —
La Somme, plus de 3140i0 —
Le reste a été produit par Seine-et-Marne, les
Ardenups, Seine-et-Oise, Saône- et-Loire, la Côte-
dOr, etc.
Dans le Nord, le nombre des sucreries est de
159, occupant ÏO 000 ouvriers.
Dans l'Aisne, il est de 84, en occupant 10000.
Dans le Pas-de-Calais, il est de 97, occupant
10000 ouvriers.
En 18"7, on comptait, en France, 507 sucreries
occupant GOUOO ouvriers, et 35 raffineries en oc-
cupant 7 580.
C'est dans la Seine qu'il y a le plus de raffine-
ries. On y en compte 9, et S dans la Loire-Inférieure,
S dans le Nord, 4 dans les Bouclies-du-Rliôiie et
4 dans la Gironde. [A. Jacquemart.]
SUÈDE. — 'V. Scandinaves (Etals).
SUISSE (GÉOGRAPHIE). — Géographie générale.
— L GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. — Situation. — La
Suisse est située un pou au nord du 45° paral-
lèle septentrional, enire le 45"50' et le 47°4S' de
latitude; sa longitude est comprise entre le 3°36'
et le S'O' est de Paris. Elle est bornée à l'est
par l'Autriclic, au sud par lltalie et la France,
à l'ouest par la France, et au nord par l'empire
germanique (Alsace, Baden, Wurtemberg. Bavièie).
C'est la contrée la plus élevée de I Europe : les
différences de niveau entre les points les plus
rapprochés y sont quelquefois considérables, et,
tandis que les parties les plus basses, comme les
rives du lac Majeur ou les bords du Rhin, à Bàle,
n'ont pas 3' 0 mèires au-dessus du niveau do la
mer, plusieurs pics des Alpes dépassent 4e0U mè-
tres, et la cime la plus élevée du mont Rose, le
pic Dufour, atteint une hauteur de 4,038 mètres.
On trouve des villes à une élévation de plus de
700 nièires, et même à 1200 mètres les villages
ne sont pas rares. Plus haut il n'y a que des
liameaux et des habitations isolées.
Orographie — Le sol suisse se divise en trois
zones principales: les Alpes, le Jura, et, entre les
deux, la plaine suisse. Cette dernière comprend
la partie sud-ouest du plateau qui s'étend depuis
le passage du Rhône au-dessous de Genève jus-
iiu'au défilé du Danube près de Passau. Klle est
bornée au sud ouest par lo lac de Genève, au
nord-est par celui de Constance.
Les Alpes. — Les Alpes suisses se divisent en
■ Hautes-Alp'S ei Basses-A/pi-s.
Les premières ont comme point central le massif
du Saint-Goiliard, où naissent le Rhin, le Rhône,
la Reuss et le Tessin, et d'où se détachent six
chaînes d'.> montagnes, deux courant à l'ouest, les
Alpes Valaisanncs et les Alpes Bernoises, deux h
l'est, les Alpes Grisonnes et les Alpes Glaronnai-
ses, une au nord, les Alpes Surènes ou d'Uri, et
une au sud, les Alpes du Tessin.
Les somtiiités les plus remarquables des Hautes-
Alpes sont : le mont Rose et le mont Cervin
A. Valaisannes), la Jungfrau, le Finsteraarhorn
et le Wetterliorn (A. Bernoises), le massif de la
Bernina (A. Grisonnes), le 'litlis (A. d'Uri) et le
Tœdi (A. Glaronnaises).
Les Basses-Alpes forment quatre chaînes sépa-
rées par des vallées : les Alpes Fribuurgeoises
avec le Vatiil Noir et le Moléson ; celles de Lu-
cerne, avec le mont Pilate ; celles de Schwytz, avec
le Rigi ; et celles d'Appcnzell, avec le Sentis.
Glaciers. — Les sommets des Alpes soirt cou-
verts de neiges éternelles. Plus de COO glaciers
en descendent lentement comme des fleuves de
glace dans les vallons inférieurs jusqu'à moins de
1 '200 mètres; quelques-uns n'ont qu'une lieue de
longueur, tandis que la plupart ont six à sept
lieues sur plus d'une lieue de largeur. Les plus
intéressants et en même temps les plus faciles à
visiter sont ceux de Grindehvald et de Rosenlaui
(Berne), du Rhône (Valais), du Rosegg et du
Morterasch (Grisons). Le plus grand est le glacier
d'Ale'.sch (Valais).
Pa-siiges di-s Alpes. — Les Alpes renferment
de nombreux cols, dont plusieurs ont été utilisés
pour l'établissement de magnifiques routes carros-
sables. Les plus importants sont ceux du Go-
thard, traversé par un chemin de fer construit à
frais communs par la Suisse, lltalie et l'Alle-
magne ; du Simplon, sur lequel on projette éga-
lement l'établissement d'une voie ferrée; du Ber-
nardin, du Spliigen, du Maloja, de la liernina, du
Julier, du Lukmanier, de la Fourka, de l'Oberalp.
Un grand nombre de passages et de sentiers ne
sont pratical'les qu'en été, pour les piétons et les
bêtes de somme. Les plus remarquables parmi
ceux ci sont ceux du Grand Saint-Bernard, du mont
Cervin, du Sanetsch, de la Gemmi, du Grimsel,
du Susten, des Surènes, du Septimer. Sur la plu-
part, des hospices ou des lieux de refuge offrent
aux voyageurs surpris par la tempête un asile sou-
vent nécessaire.
La plaine suisse. — Le plateau suisse a une
longueur de 340 kilomètres : il est étroit, inégal,
entrecoupé de collines et de coteaux, baigné par
des lacs et arrosé par de nombreuses rivières
dont quelques-unes sont navigables. C'est un
pays varié, avec de belles prairies, des champs
fertiles, de rich^'s vignobles, et qui est habité par
une population laborieuse répandue dans une
multitude de villes et de villages qu'entourent
des foré' s d'arbres fruitiers. A l'ouest, le plateau
est coupé par le Jorat, chaîne de hauteurs qui
relie l-s Alpes au Jura.
Le Juha. — Le Jura forme un demi-cercle à
l'ouest et au nord de la Suisse, depuis le fort de
l'Ecluse, où le Rhô'ie le sépare des Alpes, jus-
qu'au confluent de l'Aar et du Rhin. Il se compose
de chaînes parallèles, courtes, étroites, entre
lesquelles s'étendent un grand nombre de vallées
dont les eaux s'échappent par des cluses ou gor-
ges. Les sommités les plus remarquables de celte
chaîne sont la Dôle, le Chasseron, le Creu.x du
Van, le Chasserai et le VVeissenstein.
Hydrographie. — Fleuv-s et lirières. — C'est
du massif du Saint-Gothard que sortent les princi-
paux cours d'eau de la Suisse pour porter leurs
eaux aux mers qui servent de limites à l'Europe:
à la m^r du Nord par le Rhin, à la Méditerranée
par le Rhône, à l'Adriatique par le Tessin et à la
mer Noire par rinn.
Les quatre cinquièmes des fleuves et rivières de
la Suisse appartiennent au bassin du Rliii. Ce
fleuve est forme de trois bras, dont le principal,
le Rhin antérieur, naît dans un petit lue, près du
mont Badus (.Grisons), à utic altitude de Til raè-
SUISSIS
^083
SUISSE
trcs ; le IVIiiii poslcrifiur, grossi de l'Albula, re-
joint le lîliin arilcricur à Taniins ; le fleuve se di-
rige alors vers le lac do Constance et reçoit à sa
gauche la Taniina, venant du canton de Suint-
Gall, k sa droite la Landquart, qui traverse le
Prtettigau, et l'Ill sortant du territoire autrichien.
Il quino le lac de Constance à sa partie nord-ouest,
et forme pri's de Schaffhouse la plus belle cata-
racte de l'Diirope. De là son cours tortueux, grossi
des eaux ilo la Thur, de la Glait. de la Tœss, de
l'Aar, et de la Birse, suit la direction de l'ouest,
dessinant sur une longueur d'environ 113 kilomè-
tres la limite nord de la Suisse, dont il quitte
brusquement le territoire à Bàle,
VAur est en Suisse le plus grand affluent ou
plutôt la seconde source du Rhin. Il alimente les
lacs de Brienz et de Thoune et reçoit les eaux de
plusieurs grandes rivières: la Sarine, qui vient du
col de Sanetsch ; lOrbe, qui traverse le lac de
Neuchâtel, et, sous le nom de Thièle, relie ce lac
avec celui de Bienne ; la Uroie, qui se' jette dans
le lac de Morat ; la Reuss, quia sa source au Saint-
Gothard et qui traverse le lac des Qualre-Cantons ;
la Linth, qui vient du Tœdi et traverse les lacs de
Wallenstadt et de Zurich, d'où elle sort sous le
nom de Limmat.
Le Rhâ'in naît au glacier du même nom, au-
dessous de la Furka, parcourt le Valais, donne ses
eaux au Léman, sort de ce lac à Genève et reçoit
au-dessous do cette ville l'Arve à sa descente de
la vallée de Chamounix. C'est le plus rapide des
fleuves de l'Europe et celui qui Cause le plus de
ravages par ses débordements.
Le Doiihs, qui ne fait que toucher la Suisse en
passant, forme entre la France et le canton de
Neuchâtel le joli lac des Brenets. C'est un affluent
de 1.1 Saône.
Le Tessin, le plus grand affluent suisse du Pô,
sort du col de Nûffencn, dans le massif du Saint-
Gothard; il arrose le canton du Tessin, où il réu-
nit les eaux de .35 glaciers, et se rend au lac Ma-
jeur, qui reçoit les eaux du lac de Lugano.
h'Inn, un des plus grands affluents du Danube,
est le seul qui ait sa source en Suisse. Il sort d'un
petit lac près du Septimer, en forme quatre au-
tres dans la partie supérieure de l'Engadine, re-
çoit l'eau des glaciers du côté nord des pics de la
Bernina, et api es avuir coulé à travers les Gri-
sons, quitte le territoire suisse i Finsterraûnz.
Lacs. — On compte en Suisse sept grands lacs,
une douzaine de grandeur moyenne et environ
cent vingt lacs plus petits. Les plus remarquables
sont, à l'ouest : le Léman, ou lac de Genève, en
forme de croissant, en face des cimes neigeuses
du Mont-Blanc et des Alpes de Savoie (lOi kilo-
mètres de longueur i sa rive nord et 8.'') seulement
àsarive sud; plus grande largeur, 14 kilomètres);
le lac de Neuchâtel, celui de Bienne avec l'Ile de
Saint-Pierre, retraite de J.-J. Rousseau, et celui de
Morat, reliés tous trois par des rivières navi-
gables.
A l'est : le lac de Zurich, tout encadré do villes
et de riches villages; le lac de VVallenstadt, joint
au précèdent par le canal de la Lintli ; le lac de
Constance ou mer de Souabe, en allemand C /-
tiensee (78 kilom. de longueur et IG de largeur),
avec de nombreux ports de commerce.
Au centre : le lac des Quatre-Cantons ou de Lu-
cerne, avec quatre grands golfes, un des plus pit-
toresques do la Suisse; ses bords sont, le berceau
de l'indépendance helvétique ; le lac de Zoug, au
pied du Rigi ; ceux do Brienz et de Tlioune, dans
i'Obcrland bernois.
Au sud : le lac Majeur, dont la partie septen-
trionale seulement appartient à la Suisse, et le lac
de Lugano, paitagé aussi entre la Suisse et l'Ita-
lie, et dont la forme sinueuse rappelle le lac des
Quatre-Cantons.
Climat. — Le climat, en général doux et tem-
péré, varie h l'inlini, suivant l'élévation et la na-
ture du sol, et suivant que la direction dos monta-
gnes et des vallées les expose aux vents chauds du
sud ou aux vents froids du nord. On tiouve en
Suisse toutes les variélés de végétation des lati-
tudes des plus diverses, et on peut y passer en
quelques heures, tant dans le Jura i|ue dans les
Alpes, du climat de la Sicile à celui de la Lapo-
nie. Un vent caractéristique est le fœhn, que l'on
croit venir du désert de Sahara : après avoir tra-
versé les Alpes, il se précipite avec fuiie dans les
vallées du Rhône, de l'Atir, do la Reuss, de la
Linth et du Rhin, si ton ihlc c|ui., dans plusieurs
localités, on interdit pend.mt (|ii il sdullle défaire
du fou môme à l'iniérieiii des h.iljiiiiiiins. Il rend
l'air qu'il pénètre chaml, luurd et éioufl'ant, et
fond avec une rapidité incroyable d'énorme-' amas
de neige et de glace. Pour beaucoup de vallées il
est la condition du printet^ps, comme, en au-
tomne, dans la plaine, celle de la maturité des
raisins. Si ce vent n'atteignait pas la Suisse, bien
des vallées seraient sans été et sans vie et se
convertiraient bientôt en glaciers. Les autres
vents dominants stnit celui du nord-est, qu'on
nomme la bise, froid et sec, et celui du sud-
ouest, généralement accompagné de pluie. Lejo-
ran, vent local du nord-ouest, règne au pied du
Jura.
II. GlïOfiRAPHIE POLITIQUE. — Les cantons. —
La Confédération suisse est forni'e de vin^i-deux
cantons. Trois de ces cantons, Bâle, lintinwald et
Appcnzell, sont divisés en deux dinni cantons in-
dopendants l'un de l'autre : le nombre total des
Etats suisses est donc de vingi-cin(i. Plusieurs des
cantons dont le territoire a queli|ue étendue sont
subdivisés administrativemetit en préfectures.
Dans les docuinenls ofticiels, les cantons sont
énumérés dans l'ordre que leur assigne la date de
leur entrée dans la Confédération. Nous les grou-
perons ci-dessous d'après leur distribution géo-
graphique.
1. RÉGION DU Sud-Ouest et de l'Ouest. —
1. Genève (101 595 hab.), sur les deux rives de
l'extrémité occidentale du Léman ou lar de Ge-
nève. !;hef-lieu Genève, la seconde ville de laSuisse
(50 UOO hab.). sur le Rhône, à sa sortie du Léman.
2. Ka«rf(238 7:i(i hab.), dans la ]ilaine, les Alpes
et le Jura. Cltef-lieu Lausanne (.iU.niiO hab.), sur
la rive N. du Léman. Au bord du môme lac sont
Nyon, Rolle, Morges, Vevey ; dans la vallée infé-
rieure du Rhône, Aigle ; dans la plaine, Payerne
et Avenches; au pied du Jura. Yverdon, à l'extré-
mité S.-O. du lac de Neuchâtel.
3. Vnlms (lOll 2i(; liab.), dans les Alpes. Chef-
lieu Sion, sur la rive droite du Rhône. Le Valais
comprend la vallée supérieure du Rhône, de la
Fourka à Saint-Maurice, et la rive gauchedu fleuve,
de Saint- Maurice à, son embouchure dans le Lé-
man, ainsi que les vallées latérales.
>i. Frihourg (11') 4t)0 hab.), arrosé par la Sarine,
et s'étendant entre les. Alpes et les lacs du Neu-
châtel et de Morat. Chef-lieuFriboufg(l 1 5tl0hab.),
sur la Sarine ; au pied des Alpes, Gruyère,
Bulle, Romont; sur le lac de Morat, Morat.
5. Neuchdiel {Vi3 Tiï hab.), dans le Jura. Chef-
lieu Neuchâtel (l5C(i(i hab.), sur le lac du même
nom. Dans les montagnes, la Chaux-de-Fonds
(2'J OtiO hab.), le Locle (in 500 hab.) ; dans le Val-
de-Travcrs, Fleurior.
Ces cinq cantons, avec ui:e partie de celui de,
Berne, forment la Suisse française. Toutefois,
dans la partie nord-est du Valais et dans la |)artiu
est du canton de Fribourg, on p-rlo l'alleinand.
II. RÉGION DU CENTIIE ET DU NoKdOuksT. --
I G. Berne (512 IG'i hab.), le plus populeux dos
cantons suisses, qui s'étend à la fois dans les
1 Alpes (Oberlandi, dans la plaine et dans le Jtira.
SUISSE
— 2084 —
SUISSE
Chef-lieu Berne (44 000 liab.), sur l'Aar, siège
des autorités fédérales ; dans la vallée de l'Emme,
Burgdorf et Langnau ; au pied des Alpes, Tlioune
et Brionz, sur les lacs du même nom; au pied du
Jnra, Bienne, à l'extrémité N.-E. du lac du
même nom ; dans le Jura, Saint-Imier, Delémont,
Porrentruy. — Les liabitants du Jura bernois ap-
partiennent, par leur langue et leur caractère, à
la Suisse française.
7. Soli'iire f-O 4'.'4 liab.), dans le Jura et sur les
bords de l'Aar. Clief-lieu Soleure, sur l'Aar; sur
le même fleuve, au N.-E., Olten.
8. Biile-Canipar/ne (b9 'i'I hab.), demi-canton,
comprenant tout le territoire de l'ancien canton
de Bâle, moins la ville de Bâle elle-même. Clief-
lieu Liestal.
9. Brtle-VUte (65 '"1 hab.), demi-canton. Chef-
lieu Bâle (Gl 300 hab.}, la plus grande ville de la
Suisse, sur le Rhin.
10. Aryovii: (I'.I8 (;4ô hab.), entièrement dans la
plaine, et arrosé par l'Aar, la Reuss et la Limmat,
qui s'y unissent pour se jeter dans le Rhin. Chef-
lieu, A^rau, sur l'Aar; Zofingue, Lenzbourg ; sur
la Limmat, Baiicn.
11. Luceri.e (134 816 hab.), dans les Basses-
Alpes et dans la plaine. Chef-lieu Lucerne
(n 800 hab.), sur le lac des Quatre-Cantons, h la
sortie de la Reuss ; Sempach, sur le lac du même
nom.
12. Zo^cg (22 991 hab), dans la plaine. Chef-lieu
Zoug, sur le lac du même nom.
13. Sclivtjtz (51 235 hab. i, dans les Basses-Alpes,
entre le lac des Quatre-Cantons et le lac de Zu-
rich. Chef-lieu, Schwytz, au pied des Mythen.
14. Ihiierwald-Nv/wa/d (Il >,i92 hah.;, demi-
canton, dans les Basses-Alpes, baigné par cette
partie du lac des Quatre-Cantons qui porte le
nom de lac d'Alpnach. Chef-lieu Stanz.
15. Vntcrwa.d-Oiwutd (15 356 hab.), demi-
canton, dans le« Hautes-Alpes. Chef-lieu Sarnen,
sur le lac du même nom.
16. Vri (23 094 hab.), dans les Hautes-Alpes,
formé par la vallée de la Reuss, du Saint-Gothard
au lac des Quatre-Cantons. Chef-lieu Altorf.
Tous les cantons de cette région sont des can-
tons allemands ; toutefois, comme nous l'avons
dit, la partie du canton de Berne située dans le
Jura, et qui formait autrefois l'évêché de Bâle,
est habitée par une population française.
Les cantons d'Uri, de Schwytz et d'Unterwald
portent le nom de Suisse primitive, et au^si de
canl07ts forestiers (Waldstslten); ce sont ces trois
cantons qui fondèrent la Confédération à laquelle
s'adjoignirent successivement tous les autres, et
c'est Schwytz qui lui donna son nom.
III. BÉGIOX DD NOUD-EST ET DE l'EST. — 17. Zu~
rich en: 576 hab.j , dans la plaine. Chef-lieu
Zurich (2.1 000 liab.), sur le lac du même nom, à
la sortie de la Limmat, la ville la plus importante
de la Suisse allemande, quoiqu'elle ne soit pas
la plus peuplée ; Meilen, Horgen, sur le lac de
Zurich ; Winterthour (13 600 hab.), dans la partie
orientale du canton.
18. Thiirgovie (99 552 hab.), dans la plaine, à
rO. du lac de Constance. Chef-lieu Fraucnfeld.
19. Schrffkouse (38 348 liab.\ au N. du Rhin.
Chef-lieu Schaffhouse (il 800 hab.'l, sur le Rhin.
20. Sainl-uall (210 491 hab.', dans les Basses-
Alpes, à l'O. du Rhin. Chef-lieu Saint-Gall
(21 400 hab.); Rorschach, sur le lac de Constance ;
VValk-nstadt, sur le lac du même nom.
21. Appenzell Rhoites-Extérieures (51 9 8 hab),
demi-canton, enclavé dans le canton de Saint-Gall.
Cbef-lieu Hérisau (Il OjOhab.).
22. Apiemctl Rhodes-lntérieuri's (12 8il hab.),
demi-ranion, enclavé dans le demi -canton d'Ap-
penzcU Rhudes-Exiérieures. Chef-lieu Appen-
zell.
23. Claris (.34 213 hab.), dans les Alpes, formé
par la vallée de la Linth. Chef-lieu Claris.
Tous les cantons de cette région sont des can-
tons allemands.
IV. RtGiox DU Sud-Est. — 24. Grisons (94 991),
dans les Alpes, celui des cantons suisses dont la
superficie est le plus considérable; il comprend
les vallées du Rhin antérieur, de Rhin postérieur,
de l'Albula (Davos), de la Landquart (Prsettigau),
de l'inn (Engadine). Chef-lieu Coire, sur la Pies-
sur, affluent du Rhiu; Dissenlis, sur le Rhin an-
térieur.
25. Tessi?! (130 777), sur le versant S. des Alpes,
et formé presque en entier par la vallée du 'Tes-
sin. Chef-lieu Bellinzona, sur le Tessin ; Locarno,
sur le lac Majeur; Lugano, sur le lac du même
nom.
Le canton du Tessin et une partie de celui des
Grisons (val de Misocco) forment la Suisse ita-
lienne. Dans les hautes vallées des Grisons on
parle les dialectes romancheetladin ; dans le reste
du canton, l'allemand.
La population. — La population totale de la
Suisse était, d'après le recensement officiel du
1" décembre 1880, de 2 84G 102 habitants.
L'émigration pour les pays d'outre-mer a été
en 1879 de 4 288 personnes, et en 1880 elle a
atteint le chiffre de 7 225. D'un autre côté, l'aug-
mentation de la population pendant les dix der-
nières années a été en moyenne de 16 '.'49 têtes
par an. La Suisse est le pays de l'Europe qui
compte dans sa population le plus grand nombre
d'étrangers {h peu près 5 p. 100); mais un nom-
bre à peu près égal de Suisses sont répandus dans
les autres pays comme précepteurs, industriels et
commerçants.
La population de la Suisse appartient, sous le
rapport de la langue, aux trois principales na-
tions de l'Europe centrale, et l'on distingue ainsi
une Suisse allemande, une Suisse française et
une Suisse italienne. A cette dernière so ratta-
che la population romanclie des Grisons. L'alle-
mand est la langue d'environ les trois quarts de la
Suisse. La Suisse française ou romande comprend
les cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel, les
trois quarts de celui de Fribourg, les deux tiers
du Valais et la partie du canton de Berne située
dans le Jura. L'italien règne dans le Tessin et
dans les vallées méridionales des Grisons.
Les trois cinquièmes des Suisses sont protes-
tants, les deux autres cinquièmes sont catholiques.
On trouve en outre un petit nombre de Juifs dont
la plupart habitent le canton d'Argovie.
III. GÉOGRArniE AGRICOLE ET ODUSTRIELLE. —
La superficie totale de la Suisse est de 41 3i)0 kil.
carrés, dont 7 714 sont occupés par des forêts,
305 par des vignobles et 21 618 par des champs,
jardins et pâturages. La proportion entre le sol
productif et le sol improductif varie considérable-
ment suivant les cantons: tandis que le sol impro-
ductif ne représente dans le canton d'Appcnzell
Rhodes-Extérieures que le 2.69 p. lOi), dans celui
de Bâle-Campagne que le 3.80 p. 100 de la super-
ficie totale, il représente dans le canton d'Uri
55.60, dans le Valais 54.07, dans les Grisons 46.39
p. IfiO de cette superficie.
D'après une estimation approximative, le sol de la
Suisse qui se prête à la culture proprement dite ne
forme que 15 p. 100 de la superficie totale. Aussi
le pays est-il loin de produire de quoi suffire à sa
consommation. Le bétail constitue une de ses prin-
cipales richesses ; les vaches de la Gruyère, noires
ou tachetées de noir, celles du Simmcntlial (Ober-
land bernois), rouges ou tachetées de rouge, elles
vaches de Schwytz, brunes, moins grandes, mais
meilleures laitières que les préccileiites, sont très
recherchées pour l'exportation. Une partie nota-
ble de la population, surtout dans _les cantons
SUISSE
— 2085
SUISSE
alpestres, vit presque oxchisivoment de l'élève du
bétail et de ses produits en Uiil, beurre et fro-
mage. La Suisse a, exporté en 1880 207 189 quin-
taux métriques de fromage, et 92 393 de lait con-
densé. On olève en Suisse beaucoup de poules,
oies et canards. L'apiculture ou élève des
abeilles est florissante dans les cantons da Va-
lais, de Berne, de Lucerne et du Tessin. On
élève le ver à soie dans les vallées du sud des
Alpes et même dans quelques parties du nord de
la Suisse.
Les rivières et les lacs sont riches en pois-
sons, mais cependant moins qu'autrefois. Les
forêts, qui, dans plusieurs cantons, sont très
bien entretenues, fournissent, outre le com-
bustible, de magnifiques bois de marine et de
construction. Il en a été exporté en 1880 pour
plus de 8 millions de francs.
L'agriculture est en honneur et livre des pro-
duits considérables ; cependant il n'y a guère que
six cantons qui produisent assez ',de blé pour
leurs besoins. L'importation des céréales en 1880
a été de 3,S"0093 quintaux métriques, représen-
tant une valeur d'environ 110 millions de francs.
La France figure dans cette importation pour
1300 048 quintaux.
La vigne est, avec le blé, la principale culture :
elle est cultivée dans presque tous les cantons et
réussit sur le plateau jusqu'à 000 mètres au-
dessus de la mer, en Valais et dans le Tessin
jusqu'à 700 mètres et même au delà. Les meil-
leurs vins sont ceux do Neucliàtel, du Valais, des
Grisons et de Vaud. Malgré cela le vin fait l'ob-
jet d'une importation considérable: il en est entre
en Suisse en 1880 1 04698-2 quintaux métriques,
dont 479 782 ont été fournis par la France. Les
pommes de terre, cultivées partout en Suisse,
y sont de bonne qualité et constituent une par-
tie importante de la nourriture de toutes les
classes de la population. Ce qui prouve combien
la Suisse est tributaire de l'étranger pour son
alimentation, c'est que, même pour cet article,
l'importation dépasse considérablement l'exporta-
tion (en 1880 de 271 18? quintaux). Il n'y a pas
de pays où la culture des arbres fruitiers ait
atteint un degré de développement aussi considé-
rable que dans le nord de la Suisse ; la Thurgo-
vie, en particulier, est comme une forêt de pom-
miers et de poiriers, dont les fruits servent à
faire da cidre et de l'eau-de-vie. Le chanvre et le
lin sont cultivés presque partout ; le tabac l'est
essentiellement dans les cantons de Vaud et de
Fribourg, mais sa culture commence à s'intro-
duire dans plusieurs autres parties do la Suisse.
Le pays est pauvre en mines. La houille, ce
combustible précieux qui est l'âme de l'industrie,
ne s'y trouve qu'en quantité insignifiante. On en
a importé en 1880(10331)18 quintaux métriques.
On exploite du fer en Valais, dans le canton de
Saint-Gall et surtout dans le Jura bernois, dont le
fersidérolilhi(iueest unpruduit très apprécié ; mais
l'exploitation de ce minerai est bien insuffisante
pour les besoins. 11 en est de même du sel
que fournissent h-s salines de Bex (Vaud), de
Schweizerhalle (Bâle), et de Rheinfelden (Argo-
vie). Le Val-de-'Travers possède de riches mines
d'asphalte et produit du ciment qui égale en
qualité celui de Portland.
Aucun pays n'a, en proportion de son étendue,
un nombre aussi prodigieux de sources minérales
que la Suisse, On en compte plus de 600. Ici des
eaux, trop chaudes pour qu'on puisse y tenir
la main, sortent du pied d'un glacier : là elles
jaillissent dans les cavernes profoodes et obscu-
res des ruchers ; ailleurs dans les plaines ou
même, comme à Lavey et à Baden, au milieu d'un
fleuve. Les stations d'eaux thermales les plus
fréquentées sont : Saint-Moritz et Tarasp [Gri-
sons), Ragatz (Saint-Galli, Schinznach, Baden et
Uheinfelden (Argovie), Loueclie (Valais), VVeis-
senbourg et le Gurnigel (Berne), etc.
L'industrie manufacturière est très développée,
et la Suisse est devenue, pour certains articles,
une rivale de l'Angleterre, malgré les difficultés
provenant de son manque de houille et de sa posi-
tion au centre de l'Europe, loin des ports qui lui
amènent les matières premières, et loin des pays
qui lui servent de débouchés. Les trois industries
principales sont : les tissus de coton et les bro-
deries dans les cantons de Zurich, Argovie,
Glaris, Saint-Gall et Appenzell; les étoffes et ru-
bans rie soie à Zurich, rivale de Lyon, à Bâle et
dans les cantons de Berne, Schaffhouse, Argovie,
Glaris, Tliurgovie et Grisons ; l'industrie liorlo-
gère, qui a son centre dans le Jura neuchàtelois
et à Genève, et qui s'est aussi répandue dans les
cantons voisins de Berne, Solenre et Vaud. Cette
branche importante de l'activité industrielle de la
Suisse produit annuellement plus de 200 000 mon-
tres dont la valeur dépasse cent millions de
francs. La fabrication des boîtes à musique se
rattache à celle des montres; on en fabrique sur-
tout à Genève et dans le district vaudois de
Sainte-Croix, qui fournit à lui seul annuellement
environ 100 000 de ces instruments d'agrément.
La bijouterie de Genève est aussi liée à l'indus-
trie horlogère. Il faut encore mentionner l'indus-
trie des laines, florissant dans les cantons de
Zurich, Berne et Glaris; celle du lin, qui a son
siège principal dans l'F.mmenthal bernois; le
tressage de la paille et des crins en Argovie, à
Fribourg et à Lucerne; la construction de ma-
cliines dans un grand nombre de cantons, les
tanneries dont la Suisse possède environ 500, et
plusieurs branches d'industrie secondaires, telles
que la fabrication d'instruments de mathémati-
ques et do physique à Aarau, Zurich et Berne;
les fabriques de pianos à Zurich ot Berne; de
parquets dans le Valais, à Fribourg, Berne ot Lu-
cerne; la sculpture du bois dans l'Oberlajid ber-
nois ; les excellentes papeteries de Bâle, Zurich,
Argovie, Soleure, Vaud, Genève, Neuchàtel et
autres localités, et enfin les poteries des cantons
do Schaffhouse, Tessin et Berne. La fabrica-
tion de la céramique a été reprise il y a quelques
années avec succès, à Heimberg, près de Thoune,
grâce à l'initiative du gouvernement bernois, et
les produits de cette industrie sont répandus sur
tous les grands marchés de l'Europe.
Le commerce international et de transit est
favorisé par d'excellentes voies de communica-
tion, par des lacs, des canaux, des chaussées su-
perbes, de nombreuses routes de montagnes, un
réseau de chemins de fer qui va tous les jours se
complétant; enfin une organisation postale et un
ensemble de lignes télégraphiques qui desservent
jusqu'aux plus petites localités du pays.
La Suisse compte environ 35 banques d'émis-
sion avec un capital versé de 108 raillions, et qui
émettent des billets de banque environ pour la
même somme. Quelques-unes seulement de ces
institutions sont des établissements d'État, orga-
nisés par les cantons. Une loi fédérale, récemment
votée, les place sous le contrôle de la Confédéra-
tion. Il existe également en Suisse un très grand
nombre de caisses d'épargne.
IV. INSTITUTIONS POLITIQUES ET ADMINISTRATI-
VES. — Développement historique. — L'alliance
que les cantons d'Un, de Scliwytzet d'Onteiwald
formèrent entre eux, en 1291, estlabase ctlepoint
de départ de la Confédération suisse. Depuis lors,
jusqu'à la fin du siècle passé, la Snis-^c fut une
simple allianre d'Etats souverains, ligués pour se
prêter mutuellement secours contre l'otran^er au
dehors et les insurrections au dedans, n'ayant on
commun que le strict nécessaire pour atteindra
SUISSE
2086 —
SUISSE
Co but, et conservant d'ailleurs une pleine indé-
pendance. La Diète, composée de représentants
des cantons, était moins une assemblée délibé-
rante qu'un congrès de souverains, où les affaires
so décidaient par voie de contrat et à l'unanimité,
bien plus qu'à la majorité des voix.
En 1798, à la suite de l'invasion frança'se, cet
état de choses fut violemment remplacé par la
République helvétique une et indivisible, gouver-
née par un Directoire exécutif et dans laquelle un
Sénat et un Grand Conseil, composés des représrn- ]
tants des cantons, exerçaient le pouvoir législatif, i
Pour la première fois en Suisse, on proclamait la I
souveraineté du peuple avec l'égalité des droits,
la séparation des pouvoirs, les droits de la con-
science, l'égaliié des citoyens, la liberté de la
presse, et la liberté d'industrie, de commerce et
do circulation ; le rachat des droits féodaux était
consacre, l'impôt étendu à tous, la publicité in-
troduite dans les conseils. La République helvé-
îiqi'C ayant disparu après cinq ans de guerre
civile, la Suisse accepta de Napoléon Bonaparte
une constitution connue sous le nom d'Acte de
médiation, qui tenait le milieu entre l'ancienne
organisation de la Suisse et l'unitarisme helvéti-
que. Puis vint le Pacte de 1815, qui, inférieur à
l'Acte de médiation, au point de vue de l'unité na-
tionale comme à celui des droits des citoyens,
établissait une Confédération de 2Î cantons. L'an-
cienne Diète d'avant 1798 reparaissait avec son
cortège d'instructions, de protocoles ouverts et
de référendum, qui entravaient la marche des
délibérations et ajournaient, pendant des années
entières, la solution des questions les plus im-
portantes. Chaque canton avait le même droit de
représentation en Diète, sans égard à l'étendue de
son territoire et au chiffre de sa population. Plus
de garantie en faveur des droits des citoyens; la
Suisse redevenait une confédération d'Etats souve-
rains et perdait à peu près complètement le ca-
ractère d'un Etat fédératif.
C'est de la Constitution de 1848, fruit de la
u'ierre du Sondej'bund, que date l'organisation
|iolitique actuelle de la Suisse. Une tentative de la
rr-viser, pour y introduire le principe de l'unité
lie législation civile et pénale, a échoué en 1872.
l'ji revanche une revision, adoptée deux ans plus
t:;vd, a centralisé l'organisation militaire, aug-
menté les droits de la Confédération dans le do-
maine de la législation civile et de l'instruction
publique, et étendu les droits individuels et poli-
tiques des citoyens.
Etat politique actuel. — La confédéb.\tio.n. —
La Suisse est un Etat fédératif, dont les membres
(eantons;sont subordonnés .^un pouvoir central élu
par la nation, considérée dans sa généralité. Précé-
demment la Confédération n'avait que la pan de
souveraineté quechaquecanton avaitbien voulu lui
abandonner : aujourd'hui c'est elle qui décide
de la part d'indépendance qu'il lui convient de
laissera chaque canton. Elle a pour but d'assurer
l'indépendance de la patrie contre l'étranger, de
maintenir la tranquillité et l'ordre à l'intérieur,
de protéger la liberté et les droits des confédérés
et d'accroître leur prospérité commune. Elle a
seule lé droit de déclarer la guerre et de conclure
la paix et de faire, avec les Etats étrangers, des
alliances et des traités. C'est à elle qu'appartient
le droit de disposer de l'armée, ainsi ijue du ma-
tériel_ de guerre : les lois sur l'organisation de
l'armée émanent d'elle. Rentrent exclusivement
dans ses attributions; la législation sur la cons-
truction et l'exploitation des cliemins de fer, sur
le système monétaire et celui des poids et mesu-
res (la Suisse possède le système métrique et
décimal fiançais ; la régale des monnaies ainsi que
la législation sur l'émission et le reniboursoment
des billets de banque; la fabrication etla vente de
la poudre de guerre, les péages, les postes et té-
légraphes. Elle a le droit de créer, outre l'Ecole
polytechnique existante, une- université fédérale
et d'autres établissements d'instruction publique.
Elle a le droit de haute surveillance sur la police
des endiguements et des forêts dans les régions
élevées. Elle peut ordonner, à ses frais, ou encou-
rager par des subsides, les travaux publics qui in-
téressent la Suisse ou une partie considérable du
pays; elle exerce la haute surveillance sur les
mutes et les ponts dont le n'aintien l'intéresse, et
elle peut statuer des dispositions législatives pour
régler l'exercice de la pèche et de la chasse et
pour protéger les oiseaux utiles à l'agriculture et
à la sylviculture. Elle peut statuer des prescrip-
tions sur le travail dans les fabriques et sur les
opérations des agences d'émigration et ries entre-
prises d'assurances non instituées par l'Etat. La
législation sur la capacité civile, sur le droit des
obligations, sur le droit commercial et le droit de
change, sur la propriété littéraire et artistique, est
de son ressort. La loi fédéiale détermine h quelle
législation et à quelle juridiction sont soumis les
Suisses établis dans un autre canton que leur can-
ton d'origine; elle fixe les limites dans lesquelles
un citoyen suisse peut être privé de ses droits
politiques. La Confédération prend les mesures de
police sanitaire contre les épidémies et les épi-
zooties qui offrent un danger général. Elle fixe les
conditions auxquelles les étrangers peuvent être
naturalisés. Enlin elle a le droit de renvoyer du
territoire suisse les étrangers qui compromettent
la sûreté intérieure ou extérieure du pays.
Principe' du droit puh ic. — Il ne peut être
conclu de capitulations militaires (c'est-à-dire de
traités par lesquels les cantons suisses s'enga-
geaient autrefois à fournir à des puissances étran-
gères des troupes mercenaires). Les magistrats et
fonctionnaires fédéraux ne peuvent recevoir d'un
gouvernement étranger ni pensions, ni traite-
ments, ni titres, présents ou décorations. La Con-
fédération n'a pas le droit d'entretenir des troupes
permanentes. Aucun canton ne peut avoir plus
de ;UI0 hommes de troupes perm:.nentes ^11 n'en
existe du reste pas). Si des différends viennent à
s'élever entre cantons, ceux-ci doivent s'abstenir
de toute voie de fait et se soumettre à la décision
qui sera prise sur ces différends, conformément
aux prescriptions fédérales. Les maisons de jeu
sont interdites.
Droits garantis aux citmjens. — Tous les Suisses
sont égaiix devant la loi. La Confédération garantit
la liberté et les droits du peuple, les droits cons-
tituiionnels des citoyens, ainsi que les droits et
attributions que le peuple a conférés aux autorités.
Elle gaiantit la liberté de la presse, le droit d'as-
sociation et de pétitien, la liberté de commerce et
d'industrie, et le droit de libre établissement.
Tout cilo,\en d'un canton est citoyen suisse, et
jouit au lieu de son domicile de tous les droits
des citoyens du canton. L'inviolabilité du secret
des lettres et télégrammes eslgarantie. Nul ne peut
être distrait de son juge naturel; il no peut être
établi de tribunaux extraordinaires. La contrainte
par corps est abolie. Les peines corporelles le
sont également, et la peine de mort no peut être
prononcée pour délit politique Le droit aii ma-
riage est placé sous la protection de la Confédéra-
tion. Aucun empêchement au mariage ne peut êti-e
fondé sur des motifs confessionnels, sur "l'indi-
gence des époux, sur leur conduite ou quelque
autre motif de police que ce soit.
Dis/ ositions spécialfs pour le maintien de ta
pnix confissionnelle. — La libené de conscience
et de croyance est inviolable. Nul ne peut être
coniraint de faire partie d'une association reli-
gieuse, de suivre un enseignement religieux, ni
encourir des peines, de quelque nature qu'elles
SUISSE
— 2087
SUISSE
soient, pour cause d'opinion religieuse. La per-
sonne qui exerce l'aulorité paternelle ou tulélairo
a le droit de disposer de l'éiliicalion religieuse des
enfants jusqu'à seize ans révolus ; les écoles publi-
ques doivefit pouvoir être fréquentées par les
adhérents de tontes les confessions, sans qu'ils
aient h souffrir d'aucune façon dans leur liberté
de conscience ou de croyance. L'instruction pri-
maire, qui est obligatoire et, dans les écoles pu-
bliques, gratuite, doit ôtre placée exclusivement
sous la direciion de l'autorité civile.
L'exercice des droits civils et politiques ne peut
être restreint par des prescriptions ou des condi-
tions de nature ecclésiastique ou religieuse,
quelles qu'elles soient. Nul ne peut pour cause
d'opinion religieuse s'alTrancliir de l'accomplisse-
ment d'un devoir civique. Nul n'est tenu de payer
des impôls dont le produit est spécialement affecté
aux frais proprement dits d'une communauté re-
ligieuse à laquelle il n'appartient pas.
Le libre exercice des cultes est garanti dans les
limites compatibles avec l'ordre public et les
bonnes mœurs. Les cantons et la Confédération
peuvent prendre les mesures nécessaires pour le
maintien de l'ordre public et do la paix entre les
membres des diverses communautés religieuses,
ainsi que contre les empiéfements des autorités
ecclésiastiques sur les droits des citoyens et de
l'Etat. Il ne peut être érigé d'évêché sur le terri-
toire suisse sans l'approbation de la Confédération.
Toute juridiction ecclésiastique est abolie. L'ordre
desJésuites et les sociétés qui lui sont affiliées ne
peuvent ôtre reçus dans aucune partie de la Suisse,
et toute action dans l'église et dans l'école est in-
terdite à. leurs membres. Cette interdiction peut
s'étendre aussi k d'autres ordres religieux dont
l'action est dangereuse pour l'Etat, ou trouble la
paix entre les confessions. Il est interdit de fon-
der de nouveaux couvents ou ordres religieux et
de rétablir ceux qui ont été supprimés. L'état civil
et la tenue des registres qui s'y rapportent est du
ressort des autorités civiles. Le droit de disposer
des lieux de sépulture appartient à l'autorité civile.
Autorités fédérales. — Le pouvoir ti'gislatif fé-
déral est exercé par l'Assemblée fédérale, qui est
divisée en deux Cliambros :
1° Le Conseil national, représentant la nation
dans son ensemble, et qui se compose de députés
élus pour trois ans directement par le peuple,
dans la proportion d'un député pour 20uOO âmes
de population (tout Suisse âgé de 20 ans est
électeur, tout électeur laïque est éligible) ;
2" Le Conseil des Etats, nommé par les can-
tons, qui, sans égard à leur étendue, y sont tous
également représentés par deux membres. Dans
plusieurs cantons, les députés au Conseil des
Etats sont nommés par le Grand Conseil canto-
nal, dans d'autres directement par le peuple;
chaque canton détermine la durée du mandat de
ses dépuiés.
Les attributions et compétences de chacune de
ces deux Chambres sont exactement les mômes :
il faut leur accord pour l'adoption do toute loi ou
mesure législative quelconque. Outre les attribu-
tions de tout pouvoir législatif, les Chambres ont
seules le droit de disposer de l'armée fédérale,
de déclarer la guerre ou de conclure la paix. Pour
les élections constitutionnelles, savoir l'élection
du Conseil fédéral et du chancelier, du tribunal
fédéral,, du général en chef de l'armée, ainsi que
pour l'exercice du droit de grâce et les conflits de
compétence entre autorités fédérales, les deux
Chambres se réunissent en Assemblée fédérale,
sous la présidence du président du Conseil na-
tional.
Le pouvoir exi-CKtif fédér.tl est exercé par le
Conseil fédéral, composé de sept lueiubres, nom-
més par l'Assemblée fédérale puur trois an», parmi
les citoyens éligibles au Conseil national. On ne
peut choisir plus d'un membre du Conseil fédéral
dans le môme canton. Le président et le vice-
président de la Confédération sont nommés pour
un an, par l'Assenrblée fédérale, entre les mem-
bres du Conseil fédéral. Ils ne sont pas immédia-
tement rééligibles.
Le siège du gouvernement et des Chambres est
h Berne, où sont également fixés le Bureau inter-
national de l'Union postale universelle et celui de
l'Union télégraphique.
Le pouvoir judiciaire fédéral est confié au tri-
liunal fédéral, (|ui siège â Lausanne : il se com-
pose de neuf membres et d'autant de suppléants,
nommés pour six ans par l'Assemblée fédérale.
Lfs trois langues y sont représentées. Son pré-
sident et son vice-président sont désignés ppur
deux ans par l'Assmiibléo fédérale. Ses attribu-
tions, en matière civile, sont en général les diffé-
rends entre la Confédération et les cantons, ceux
entre les cantons, les procès contre la Confédéra-
tion si la valeur du litige atteint 3 000 fr.; ceux qui
se rattachent h l'application des lois fédérales. Il
connaît des conflits de compétence entre les au-
torités fédérales et les autorités cantonales, et des
différends entre cantons en matière do droit pu-
blic, ainsi que des recours dos citoyens pour la
violation de droits constitutionnels. Il statue sur
les demandes d'extradition formulées par les gou-
vernements éti-angers. En matière pénale il con-
naît, avec l'assistance d'un jury, des crimes et
délits politiques qui sont la cause ou la suite de
troubles ayant occasionné une intervention fédé-
rale et en général de tous les crimes et délits
prévus par le code pénal fédéral.
Référendum et revision de la Constitution. —
Les lois volées par les Chambres sont soumises à
l'adoption ou au rejet du peuple, si la demande en
est faite par 30 000 citoyens actifs ou par 8 can-
tons. Il en est de même des arrêtés fédéraux qui
sont d'une portée générale et qui n'ont pas un
caractère d'urgence.
La constitution fédérale peut être revisée en
tout temps. Lorsqu'une des Chambres décrète
cette revision et que l'autre Chambre n'y consent
pas, ou bien lorsque 60 nOO citoyens actifs la de-
mandent, la quesiion est soumise au peuple ; s'il
se prononce pour l'alfirmative, les deux Chambres
sont renouvelées pour procéder à la revision. La
constitution revisée doit être soumise à l'.iccepta-
tion du peuple dans son ensemble et à celle de
chacun des cantons. Le résultat de la votation
populaire dans chaque canton est considéré comme
le vote de l'État. Il faut donc, pour que la coiisti-
tution nouvelle soit valablement acceptée, qu'elle
ait réuni non seulement la majorité des suf-
frages de l'ensemble des votants, mais encore
la majorité des suffrages dans la moitié des can-
tons plus un.
Ori/anisation militaire. — Tout Suisse est tenu
au service militaire depuis l'âge de 19 ans révo-
lus jusqu'à lâge de 44 ans révolus. Les militaires
qui, par suite du service fédéral, perdent leur
vie ou voient leur santé altéré« d'une manière
permanente, ont droit à des secours de la Confé-
dération pour eux ou pour leur famille, s'ils sont
dans le besoin. Les hommes exemptés du service
pour une cause quelconque sont soumis à une
taxe militaire annuelle, dans la fixation de laquelle
il est tenu compte de leur fortune ou de leurs
ressources. Chaque soldat reçoit uratuitement ses
premiers effets d'armement, d'équipement et d'ha-
billement; les armes restent entre les mains du
soldat.
Les enfants, depuis l'âge de 10 ans jusqu'il leur
sortie de l'école priiuaire, doivent suivre des
cours de gymnastique préparatoire au service mi-
litaire, qui sont suivis en outre par tous les
SUISSE
2088
SUISSE
jeunes gens jusqu'à l'âge de 20 ans: pour les deux I Zurich entretiennent chacun une université,
dernières années, la Confédération peut y join- Vaud et Neuchâtel une académie. La plupart des
dre des exercices de tir. Dans la règle, ces cours cantons ont des écoles secondaires et supérieures
sont donnés par les instituteurs qui reçoivent
l'instruclion nécessaire à cet effet. A 1 Ecol« poly-
teclinique fédérale ont lieu des cours spéci.nix
pour l'enseignement des sciences militaires. L'ins-
truction des recrues dure de 45 à 61) jours suivant
l'arme. Chaque corps est appelé tous les deux ans
à un cours de répétition de i4 à IS jours, et toutes
les années à une inspection ou h un service de tir,
puis de temps à autre à un rassemblement de
troupes. Il se tient en outre chaque année de
nombreuses écoles spéciales pour l'instruction des
sous-officiers et des officiers. L'armée est formée
de 8 divisions, subdivisées en brigades, régiments
et compagnies. Au 1" janvier 18sl, l'efTectif de
l'armée était le suivant :
Elite (de 20 à 32 ans).
Etat-major 770
IllCanterie 'H ^-7
Artillerie 10 371
Génie 1371
Cavalerie - y70
Troupes sanitaires 1 :»;jS
Troupes d'administration 'i'-'O
Lœfidwehr (de 32 à -W an?
Etat-major »
Infanterie
Artillerie
Génie
Cavalerie
Troupes sanitaires.. . .
Troupes d'admiui9trati(
On ne nomme un général en chef qu'en cas de
mise sur pied de guerre de plusieurs divisions;
ses fonctions ne durent que jusqu'au licencie-
ment des troupes.
l'iiiances. — Les recettes de la Confédération
ont été en 1S80 de fr. 43 511 84.S ; les dépenses, de
fr. 41 038 22s ; excédent des recettes fr. 1 473 G20.
Les principales recettes sont : taxe militaire,
fr. 1 i20 OOU (ce n'est que la moitié de la taxe, dont
les cantons reçoivent l'autre muitié; : péages,
fr. 17 211482; postes.fr. 155134.30; télégraphes,
fr 2 373 54(i. Les principales dépenses ont été : tra-
vaux publics, fr. 2 6i7 667 ; militaire, fr: 14 151 49S ;
postes, fr. 13 501574; télégraphes, fr. 1 812 COG.
Les cantons. — Les cantons ontconservé toutes
lesattributions du pouvoir public ot toutes les bran-
ches de l'administration qui n'ont pas été absor-
bées par la Confédér.ition. Chacun d'eux est un
petit Etat avec sa constitution et sa législation par-
ticulières, son pouvoir législatif ouCrand Conseil,
élu par le peuple ; son pouvoir exécutif ou Conseil
pour les deux sexes ; Genève, Neuchâtel et Zurich
ont un observatoire astronomique, et Berne un
observatoire physique et météorologique. L'in-
struction primaire, très développée dans la plu-
part des cantons, laisse à désirer dans d'autres :
les examens que l'on fait subir annuellement aux
recrues fournissent, h cet égard, un contrôle pré-
cieux. Dans chaque localité l'administration et
l'organisation des écoles sont confiées à une com-
mission d'éducation, nommée soit directement par
les électeurs, soit, dans les grands centres, par
les autorités de la commune.
Les dépenses des cantons en 187G ont été de
fr. 43972357, dont 11065 751 pour les travaux pu-
blics ; S 232 985 pour l'instruction ; 2 81)5 971 pour
les cultes; 2 159 779 pour l'assistance publique;
3 673 6.')2 pour la législation et l'administration ;
2 779 606 pour les tribunaux ; 2 fi955i;i pour la po-
lice ; 1 077 387 pour les établissements péniten-
tiaires ; 2 16103:i pour le militaire. Les dépenses
sont couvertes par le produit de la fortune des
cantons, des régales, et des impôts que chacun
d'eux fixe comme il l'entend.
Deux cantons, Fribourg et Tessin, sont des dé-
mocraties purement représentatives, où le peuple
délègue tous ses pouvoirs à un Grand Conseil.
Dans les autres, la participation du peuple à la
législation s'exerce sous les formes suivantes :
1° l.andsgemeinden :
Le peuple entier, réuni en assemblée générale sur
la place publique délibère et vote sur les lois, et
nomme les magistrats et fonctionnaires : Uri,
Obwald, Nidwald, Claris et les deux Appenzell.
2° Référendum obligatoire :
Toutes les lois et les arrêtés législatifs sont
soumis au vote du peuple : Zurich, Berne,
Schwytz, Soleure, Bâle-Campagne, Grisons, Argovie
et Thurgovie.
3° Référendum facultatif :
Toute loi ou arrêté doit être soumis \ la sanc-
tion du peuple, si un certain nombre de citoyens
le demande, ou si le Grand Conseil le décide:
Lucerne, Zoug, Bàle-ViUe, Schaffhouse, Saint-Ga!l,
Neuchâtel et Genève.
4° Référendum financier :
Les dépenses extraordinaires doivent être sou-
mises au peuple : Vaud et Valais.
5" Initiative :
lîn nombre déterminé d'électeurs peut deman-
der l'élaboration, la modification ou l'abrogation
d'une loi ; la question doit être soumise au peuple :
Zug, Zurich, Scliwytz, Soleure, Bâle-Villo, Bâle-
Campagne, Argovie, Thurgovie, Vaud et Schaff-
house.
6° Droit de révocation :
Le peuple a le droit de révoquer en tout temps
ses autorités (pouvoir législatif et exécutif) ; la
d'Etat, tantôt élu par le peuple, tantôt nommé
par le Grand Conseil ; son pouvoir judiciaire, 1 question est soumise à la votation populaire,
dont les membres sont, dans certains cantons, | si un certain noiiibre de j;itoyens 1 ' ''" "
tous élus par le peuple, dans d'autres, nommés
en partie par le Grand Conseil. Comme trois
cantons, Appenzell. Bâle et Untervvald, forment
mande
np:ignc, Schaff-
cliacun deux demi-cantons (Appenzell Rhodes-In-
térieures et Rhodes-Extérieures ; Bàle-Ville et
Eâlo-Campagne ; Cbwald et Nidwald), il n'y a pas
en Suisse moins de 25 Etats, avec autant de rpua-
ges politiques et administratifs complets, sans
compter la Confédération.
Les principales branches d'activité des cantons
sont :
La législation pénale et civile (cette dernière
sauf les parties remises à la Confédération) et l'ad-
ministration de la justice, la police, les travaux
publics, les cultes, etc. ;
L'instruclion publique : Bâlo, Berne, Genève et
Berne, Lucerne, Soleure, Bâie-Can
house, Argovie et Thurgovie.
Chaque commune est organisée en petit comme
l'Etat : démocratie pure ou représentative ; le
pouvoir délibérant est exercé tantôt par l'assem-
blée des électeurs municipaux, tantôt par un con-
seil général élu ", l'administration municipale est
remise dans certains cantons aux mains d'un
syndic ou d'un président de commune élu, dans
les autres à celles d'un conseil municipal élu par
le conseil général ou par rassombloo communale.
[Euuène Bcrel.]
SUISSK (histoibe). — Histoire générale, .\XII.
— I. Des origines jusq^. "à l'invasion ç,erinain©.
— l'u/u/uliOUf iiiclu.ylcrtques, — Il n'ist pas
possible de déterminer à quelle époque le pays
SUISSE
— 2089 —
SUISSE
que l'on nomnio aujourd'lini la Suisse a été peu-
plé, mais les reclierches faites depuis un quart de
siècle par les antliropologistes semblent établir
qu'il est habité depuis lo moment où la race
liuuKiinc commença b. paraître en Hurope. Outre
les vestiges de l'existenco de l'Iiommo durant la
période glaciaire (ustensiles et armes en pierre,
en silex, en os et en corne), qui ont été recueillis
dans des cavernes, où ils se trouvaient enfouis
avec des ossements d'animaux (mammoutli, ours,
renne, rljinocéros, etc.), on a découvert dans pres-
que tous les lacs de la Suisse de très anciens éta-
blisscnieiits bâtis sur pilotis, qui démontrent l'exis-
tence dans les âges préhistoriques d'une population
nombreuse déjà et parvenue i un certain degré
de civilisation. On admet généralement qu'elle
appartenait à la race indo-européenne l't était un
rameau de la grande souclio gallo-celtique, qui,
avant d'être repoussée par les Romains et les
tribus germaniques, habitait presque tout l'Ouest
et le centre de l'Europe.,
Lei Helvètes. — C'est seulement à partir du
u= siècle avant J.-C. que les géographes et les
historiens commencent à faire mention des Celtes
de la Suisse. Une multitude de peuplades
diverses occupaient alors le pays : les Allobroges
(dans le canton de Genève), les Séquanes (à Neu-
cliâtel et le long du lac de Bienne) , les Rauraques
(à Bâle) ; puis, dans le massif des Alpes grisonnes,
jusqu'aux lacs de Zoug, de Zurich et de Constance,
les Rhétiens, ancêtres suivant les uns, descen-
dants suivant les autres, des Étrusques d'Italie ;
dans les Alpes valaisanes, des tribus d'origine
inconnue, les Bibères, les Péragres, les Manto-
nans et les Séduniens ; enfin la plus importante
•de ces peuplades, les Helvètes, qui ont donné
leur nom à l'Helvétie et qui occupaient la Suisse
centrale et l'Allemagne méridionale jusqu'au
Mein. Lors de la grande migration des peuples
gr'rmaniques, les Helvètes se joignirent aux (tim-
bres et aux Teutons et ravagèrent avec eux pendant
plusieurs années le midi de la Gaule et lo nord
de l'Italie. Sous la conduite de leur jeune chef
Divicun, ils défirent complètement, près d'Agen
sur la Garonne (107 ans avant J.-C), une armée
romaine commandée par le consul L. Cassius et
son lieutenant Pison, aïeul de la femme de César,
€t firent passer les légionnaires sous le joug.
Après l'extermination des Cimbres par Marius, les
Helvètes rentrèrent dans leur pays. Ils en sortirent
environ cinquante ans plus tard, sous la conduite
du môme Divicon, après avoir incendié leurs villes
et leurs villages, pour aller chercher en Gaule des
cieux plus cléments et un sol plus fertile. César
raconte, dans le premier livre de ses Commen-
. taires, comment il réussit à les arrêter et com-
ment il vengea l'honneur des armes romaines en
détruisant à liibracte (Mont-Beuvrais, à l'ouest
d'Autun, 5S ans avant J.-C.) la plus grande partie
do la nation helvète. Les survivants, au nombre
d'environ lO'J 000, furent renvoyés dans leur pays
pour défendre, comme alliés des Uomains, la
fiontière du Rhin contre les Germains. Quelque
temps après, les habitants du Valais furent soumis
par un lieutenant de César, et quarante ans plus
tard les sauvages Rhétiens, ayant été à leur tour
réduits par Dj-usus et Tibère, tous les pays qui
constituent la Suisse actuelle reconnurent la do-
mination romaine.
L'Helvétie sous les Bomains. — L'Helvétie fut
bieniûi soumise au même régime que les autres
provinces de I empire. De nombreuses colonies y
apportc'i'ent la lang' e, la religion, les mœurs et
la civih^aiion des Romains. L'agriculture se per-
feclio|iii-j, un l'éscau de routes sillonna le pays,
le reliant avec la méiropole par de nombreux pas-
sages à travers lus. Alpes. Des cités opulentes
étalèrent le luxe des maîtres de l'univers, tandis
que des flottilles sur les lacs et une série de
forteresses assuraient la défense des frontières de
l'empire. Le chef-lieu de l'Helvétie était Aventi-
cum (Avenches), au bord du lac de Morat. Cette
ville, où siégeait un sénat, avait un amphithéâtre,
un théâtre, un arc de triomphe, une école publi-
que d'athlètes, des corps de métiers, et une
académie avec des professeurs romains. La prin-
cipale place d'armes était Vindonissaj au confluent
de l'Aar, de la Reuss et de laLimmat.
Pendant deux ou trois siècles l'histoire de l'Hel-
vétie se confond avec celle de l'empire romain,
dont elle partage le sort, en proie aux exactions
de toute nature sous les mauvais empereurs, dé-
chirée parla guerre civile dans les luttes de com-
pétition au trône, et, après avoir joui sous Ves-
pasien (originaire d'Aventicum) et ses successeurs
de 80 années de tranquillité et de prospérité, li-
vrée aux incursions des Germains, qui portaient
partout le pillage, l'incendie et la dévastation. A
la fin de cette période, la population indigène
s'était si bien amalgamée avec l'élément romain
que le nom même des Helvétiens disparaît de
l'histoire.
Intrncludion du chrislianisme. — Il est proba-
ble que la religion chrétienne pénétra parmi les
Helvétiens dès les premiers siècles do l'Eglise,
comme dans les autres provinces de l'empire.
Bientôt il y eut des évêchés dans les grandes
villes, Aventicum, Genève, Vindonissa, Coire, etc.
La nouvelle croyance fut surtout propagée par les
soldats des légions qui, si l'on en croit la tradi-
tion, fournirent, pendant les persécutions des
empereurs romains, de nombreux martyrs, saint
Maurice et la légion thébaine à Saint-Maurice,
Ursus et Victor à Soleure, qui payèrent de leur
vie leur refus de sacrifier aux dieux.
Les inviisions — A partir de la seconde moitié
du 11° siècle, l'Helvétie fut atteinte par les gran-
des invasions d'outre-Rhin qui sont le trait
dominant de cette époque. La lutte dura près de
trois siècles, durant lesquels les pays qui forment
la Suisse actuelle furent tour â tour saccagés par
les envahisseurs, à tel point que cette contrée
naguère si florissante est appelée par les géogra-
phes contemporains : « le désort des Helvétiens. n
Au commencement du y" siècle, les Allemanes,
dont la première incursion en Helvétie re-
monte à l'an IGÎ de l'ère actuelle, s'établirent
dans la zone située entre le Neckar et l'Aar, qui
comprend le nord et l'est de ce pays ; les Bur-
gondes occupèrent celle qui s'étend du Jura à.
la Méditerranée, puis de l'Aar jusqu'aux sour-
ces du Rhône, et comprend l'Helvétie occidentale;
les Ostrogoths s'emparèrent de l'Italie supérieure
et de la Rhétie. C'est là le point de départ de la
diversité de langue et de nationalité qui caracté-
rise encore aujourd'hui les populations réunies
sous le nom de Confédération suisse. Les AUe-
manes prirent possession du territoire en conqué-
rants ; ils exterminèrent ou soumirent les habi-
tants et, anéantissant les derniers vestiges de la
civilisation romaine, conservèrent intacts leurs
coutumes et leur langage. Les Ostrogoths ne
laissèrent pas de traces durables de leur passage
dans la Rhétie, où leur langue s'efl"ara complète-
ment devant les idiomes d'origine italique qui
sont encore parlés dans l'Oborland grison et dans
l'Engailine. Les Burgondcs, déjà convertis au
christianisme arien, avaient été reçus en Helvétie
comme un peuple ami ; ils s'allièrent aux popu-
lations indigènes, auxquelles ils finirent par faire
accepter leurs lois, mais dont ils adoptèrent le
langage. C'est du mélange de lenr langue avec
celle des Romains que sont résultés les divers
patois de la Suisse romande ou fi'ançuise.
H. La Suisse au moyen âge. — domination
fmnque. — A la fin du v" siècle et dans la
SUISSE
2090 —
SUISSE
première moitié du vi'^, les victoires de Clovis
et de ses successeurs sur les Burgoiides, sur les
A llemanes et les Oslrogotlis firent passer sous la
domination des Francs les diverses races du sol
helvétique.
Sous les Mérovingiens, à l'occasion des nom-
breux partages qui eurent lieu dans l'empire des
Francs, le nord et l'est de l'Helvétie apparte-
naient habituellement au royaume d'Austrasie.
et l'ouest au royaume de Bourgogne ; de là des
traits. Berne, Zûricli, Fribourg, Soleure, Schaff-
house et d'autres villes moins importantes obtin-
rent à cette occasion d'être déclarées villes impé-
riales.
Luîtes des Walifstûsltfii avec la m'iisnn d'Au-
ti-i' he. — Les Waldstaeiten ou localités forestières
(Uri, Scliwytz, Unterwald) obtinrent aussi en 1240
des lettres de franchise; mais celles-ci ne furent
pas reconnues par l'empereur Rodolphe de Habs-
bourg, dont la maison avait exercé la charge d'a-
luttes fréquentes entre les deux races allemande voué de l'empire sur ces pays, et qui prétendait
et romane. Pendant cette période, les contrées
habitées par les Allemanes furent converties au
christianisme. Parmi les missionnaires (|ui contri-
buèrent à le propager, on cite Fridolin. patron
de Claris, Gallns, qui a donné son nom à Saint-
Gall, et Coloraban, tous trois venus d'Irlande. On
leur doit la création de nombreux monastères,
dont les habiianis, voués à la fois au défrichement
des terres et à la culture des lettres, furent pen-
dant un certaiii temps les pionniers de la civili-
sation. C'est également à la domination franque
que remonte l'établissement en Suisse du régime
féodal. Sous les premiers Carlovingiens et notam-
ment sous Charlemagne, le pays participa au
mouvement civilisateur que le grand empereur
avait imprimé à ses immenses Etats, et jouit des
bienfaits de la paix ; mais à sa mort, il fut partagé
entre ses successeurs. La Suisse alleniande ac-
tuelle, avec la Rhétie de Coire, échut à Louis le
Cermanique, tandis que la Suisse occidentale et
le Valais furent dévolus à Lothaire (traité de
Verdun, 843). Après avoir appartenu depuis 8T.I
à la Bourgogne ci^jurane ou royaume d'Arles, ces
dernières provinces devinrent, sous Rodolphe 1''
de Siraettlingen, le noyau de la Bourgogne trans-
jurane; mais le dernier roi de Bourgogne, Rodol-
phe III, ayant transmis la totalité de ses Etats à
l'empereur Conrad II le Salique, l'Helvétie romane
se trouva, en 10:U, réunie de nouveau avec l'AUe-
manie et la Rhétie sous le sceptre des empereurs
d'Allemagne.
L'Helvétie soiis les premiers empereurs alle-
man'ls. — L'histoire du Saint-Ecnpire romain
d'Allemagne, à celte époque et dans les quelques
les traiter comme une possession héréditaire de
sa famille. A la mort de cet empereur, Uri,
Schwytz et Unterwald, redoutant l'ambition de
son lils Albert, chef de la maison d'Autriche,
conclurent (T' août i2;ll) une alliance perpétuelle,
type de toutes celles qui suivirent. Ils s'enga-
geaient à s'assister contre quiconque ferait vio-
lence à l'un d'entre eux, à n'accepter aucun juge
qui eût acheté son emploi, qui ne fûl pas du pays
ou n'y habiiàt pas, à s'en remettre pour toutes les
contestations entre confédérés à la décision d'un
tribunal arbitral composé des hommes les plus
expérimentés. Tel fut le fondement do la Confé-
dération suisse ; elle n'avait pas pour but d'acqué-
rir de nouveaux droits, mais de protéger des
droits existants.
A son avènement au trône impérial . (1298),
Albert d'Autriche ne confii'ma pas les franchises
des Waldst.ftten, et, sans s'arroger ouvertement
la souveraineté, il attribua à la maison d'Autriche
le choix des baillis impériaux. Ces officiers affec-
tèrent d'agir au nom de l'Autriche et exaspérèrent
la population par leur conduite tyrannique. L'al-
liance de 1291 fut renouvelée au Giûili, les baillis
furent chassés en 1308 et leurs châteaux détruits.
Le peuple suisse vénère encore dans les héros
de cette époque, Guillaume Tell, Walther Filrst,
Melchthal et Stauffacher, les fondateurs de son
indépendance et de sa liberté.
Le successeur d'Albert, l'empereur Henri VII
de Luxembourg, confirma les franchises des
"Waldstselten et leur accorda le privilège de ne
pouvoir être cités devant ancun autre tribunal
que celui de l'empire. Dans la guerre de comp '
siècles qui suivent, offre le spectacle d'une lutte , tition entre Louis de Rivière et Frédéric le Beau,
permanente entre les divers éléments de la so- duc d'Autriche, les Waldstœttcn prirent parti
ciété féodale. En Suisse particulièrement, les , pour le premier. I.éopold d'Autriche les ayant en
comtes reconnaissaient bien nominalement l'auto
rite de l'empereur, mais de fait ils se compor-
taient en seigneurs indépendants, prenaient le
nom de leurs châteaux, et obligeaient les liommes
libres du voisinage à leur rendre hommage. Une
foule de petits dynastes, toujours en guerre les
uns avec les autres pour agrandir leurs posses-
sions et leurs usurpations, ravageaient le pays
et opprimaient les populations. Pendant la guerre
des investitures, l'empereur Henri IV, qui iprou-
vait le besoin de se faire des partisans, remit en
fief la Suisse allemande au duc de Zœhringen,
qui ne tarda pas à y joindre le rectorat de la
Bourgogne helvétique. Sous l'administraiion des
Zsehringen. le peuple vit des jours plus heu-
reux. Ils tinrent la noblesse en respect, favorisè-
rent les villes, en créèrent plusieurs, entre autres
Fribourg (W; 8 1 et Borne (1191), et développèrent
l'industrie et le commerce. Les croisades com-
mençaient aussi à débarrasser le pays de quel-
ques-uns de ses tyranneaux, et fournissaient aux
communautés et aux individus l'occasion d'acqué-
rir des libertés et des franchises. A l'extinction
des ducs de Zaeliringen (1218), le rectorat de
Bourgogne fit retour à l'empire, ainsi que les
fiefs impériaux qu'ils possédaient dans la Suisse
orientale. L'empereur Frédéric II se garda bien
de leur donner un successeur; il se hâta au con-
traire de replacer soi;s l'autorité immédiate de
l'empire les villes et pays qui en avaient été dis-
vahis à la tête d'une nombreuse année, ils la
taillèrent en pièces à Morgarten (Ifi novembre
1315), et renouvelèrent le 9 décembre de la même
année à Brnnnen leur alliance perpétuelle.
Ce traité, dont une disposition nouvelle portait
qu'aucune des parties contractantes n'accepterait,
sans l'assentiment des autres, la souveraineté
d'un prince étranger, fut approuvé par l'empe-
reur Louis de Bavière, qui confirma les chartes
de ses prédécesseurs, et affranchit les serfs et les
terres que la maison d'Autriche possédait dans les
trois pays.
Ligue îles VIIl cantom. Anêantissemetit de la
puissance de l'Autriche en Suisse. — En 1332 la
ville de Lucerne entra dans l'alliance; celle-ci
s'accrut encore en I3.il de Zurich, en 1352 de
Claris et de Zoug, et l'année suivante de Berne,
qui avait déjà consolidé son indépendance, en
anéantissant sur le champ de bataille de Laupen
(133tl) une partie de la noblesse bourguignonne
liguée contre elle. Après les luttes pour l'indé-
pendance contre la maison d'.\utricho, qui furent
signalées dans le xiV siècle par les batailles de
Serapach (Ujuil. 13SG) et de NœfeU (0 avril 13S8),
les confédoiés entreprirent dans le siècle suivant
des guerres de conquêtes. En Ulii ils enlevèrent
le pays d'Argovi.e à l'archiduc Frédéric, mis au
ban de l'Eglise et de l'empire par lo concile de
Constance et en firent un pays sujet sous le nom
de « bailliage commun ».
SUISSE
— 2091 —
SUISSE
Lo partage, do la succession du dernier comte
do Togïenbuurp;, morl sans enfants, donna liou i
une longue guerre civile (I i.l(;-l4r>l)), la ville de
Zurich ayant jefusé de se soumettre à un juge-
ment arbitral qui attribuait à Scliwytz des terri-
toires revendiqués pir elle, et s'élant alliée avec
l'Autriche contre ses confédérés. C'est de cette
lutte, où Sclivvytzjoua le principal rôle, que date
la désignation de Suisses, appli<iuée aux cantons
eu guerre avec Zurich, mais qui fut bientôt
étendue à la nation tout entière. C'est aussi k cette
occasiou que les Suisses se trouvèrent pour la
première fois en contact avec la France. Empêché
de secourir Zurich, l'empereur avait intéressé à
sa cause le roi de France Charles VII, qui envoya
contre les Suisses une armée de 3L)000 merce-
naires, dits Armagnacs, commandée par le Dau
pliin Louis iLouis XI). 1500 confédérés vinrent
lui barrer le passage et lui livrèrent h Saint-
.lacques sur la Birse (près Bile), le Ï6 aoiit 1144,
une bataille acharnée, qui ne se termina que par
leur extermination complète. Plein de respect
pour la bravoure de ses adversaires, le Dauphin
signa la même année avec la Ligue suisse, h
Eusisheim, une paix qui fut suivie en 1452 d'un
traité dans lequel les Suisses sont appelés pour
la première fois n les cantons de la vieille Ligue
di' la Haute-Allemagne, » et qui fut la base de
toutes leurs alliances subséquentes avec la
France.
La guerre avec Zurich, une guerre atroce,
comme toutes les luttes civiles, se termina en
lioO. Zurich renonça Ji son alliance avec l'Autri-
che. Bientôt après (14K()), à l'instigation du pape
q\ii venait d'excommunier l'archiduc d'Autriche
Sigismond, les confédérés s'emparèrent de la Timr-
govie, et la convertirent en bailliage commun ;
et en li61, Sigismond ayant vendu aux Zuricois
ses droits de souveraineté sur la ville de Winter-
tliour, il ne resta à l'Autriche, de toutes ses pos-
sessions en Suisse, que le Frickthal, qu'elle a
conservé jusqu'en 1802.
Deux conventions des confédérés, qui prennent
place h, cette période, méritent d'être mention-
nées. La première, le Pfaff'enbrief, ou code des
prêtres, du 7 octobre iSTo, destinée à réprimer
les empiétements des ecclésiastiques, restreint
leurs immunités, et interdit l'intervention de ju-
ridictions étrangères, spécialement de juridictions
ecclésiastiques. C'est la base du droit public
suisse en ce qui concerne les rapports de l'E-
glise et de l'Etat. La seconde, connue sous le
nom de Convenant de Sempach, du 10 juillet
1303, est le seul exemple, dans les temps féo-
daux, d'une loi de discipline militaire faiie dans
l'intérêt de l'humanité. En voici les passages les
plus importants :
« Nul ne doit commencer sans nécessité et par
caprice une guerre générale ou privée. Lorsque
nous marcherons ensemble ou séparément contre
l'ennemi, chacun se rangpra sous sa bannière
et couibattra autour d'elln, en brave, selon la
coutume de nos ancêtres. Celui qui abandonne-
rait sa bannière ou s'en éloignerait pour pénétrer
de force dans une maison et y commettre quel-
que attentat, s'il est convaincu par deux témoins
honorables, sera arrêté par le gouvernement dont
il relève, et puni par le juge de son ressort dans
sa personne et ses biens pour servir d exemple
aux autres. Celui qui, dans un combat ou dans
une attaque, reçoit une contusion, un coup d'épée
ou de lance, ou quelque autre blessure qui lo
mette hors d'état d'être en aide à lui-même ou à
l'armée, doit néanmoins ne pas fuir, mais rester
avec ses compagnons d'armes jusqu'à la fin du
danger. On défendra le champ de bataille et on
harcèlera l'i-nnemi jusqu'au dernier moment.
Comme l'ennemi aurait souffert bien davantage
h Sempach, si l'on s'était moins pressé de se
livrer au pillago, et qu'il aurait pu profiter do
ce moment pour se rallier, personne h l'avenir ne
se jettera sur le butin avant que les chefs n'aient
donné le signal du pillage. Chacun leur remettra
fidèlement tout ce qu'il aura trouvé. Ils partage-
ront le butin, d'après la force des contingi-nts,
entre tous ceux qui auront pris part à l'action.
Puisque le Dieu tout-puissant a déclaré les églises
ses demeures, et qu'il a accompli le salut du
genre humain par une femme, notre volonté est
qu'aucun des nôtres n'ait la témérité de forcer,
piller, dévaster, incendier un couvent, une église
ou une chapelle, ou d'attaquer à main armée,
blesser ou frapper une femme ou une fille. Il
est cependant permis de poursuivre l'ennemi jus-
que dans les églises, et de sévir contre les femmes
qui nous attaquent ou crient si fort qu'il pourrait
en résulter un préjudice pour nos armes. Ainsi
fait et juré devant notre dicte, à Zurich, le
10 juillet de la troisième année après l'an treize
cent quatre-vingt-dix. »
Guerres de Bourgor/ne, guerre dt Soualji; et
sépnration d'avec l'Empire oUemand. — Les
journées de Sempach, Najfels, Saint-Jacques
avaient fait connaître en Europe la République
militaire des Suisses. Leur nom était devenu
glorieux et respecté. Des puissances de second
et même de premier ordre, l'Empire, la Bourgo-
gne, la France, la Savoie, Milan, Florence, ne
dédaignaient pas de solliciter leur alliance, et une
foule de villes et de petits Etais de la Haute-
Allemagne se mettaient sous leur protection.
Mais en même temps, ils avaient pris goût au mé-
tier des armes et épousaient avec ardeur le parti
de quiconque offrait de payer leurs services.
C'est l'origine des services mercenaires, une des
plaies les plus hideuses de l'ancienne Confédéra-
tion. Déjà au commencement du xv" siècle, on
trouve des Suisses à la solde de plusieurs puis-
sances. Pendant la guerre du Bien public (1465),
l'année de Louis XI et celle des seigneurs coalisés
contre lui, sous le commandement du comte de
Charolais, connu plus tard sous le nom de Charles
le Téméraire, comptaient chacune un corps de
Suisses armés de piques de 18 pieds de long.
Depuis cette époque jusqu'au xix'^ siècle, le ser-
vice étranger, avec ses conséquences, la corrup-
tion du peuple et la vénalité des magistrats,
exerça une influence prépondérante sur l'histoire
et les destinées de la nation suisse.
En l4(iS, la guerre recommença avec l'Autri-
che. 15U00 confédérés appelés au secours de leurs
alliés des villes de Mulhouse et Schaffhouse,
menacées par la noblesse de Souabe, vinrent
mettre le siège devant Waldshut. Los Bernois,
en politiques habiles, désiraient l'annexion de cette
importante place d'armes, qui leur eîit procuré la
possession du Fricktlial et de la Forêt-Noire. Mais
de petites considérations et la vénalité firent
échouer leurs projets Le duc Sigismond obtint la
paix moyennant 10 nOO florms qu'il s'engagea à
payer aux Suisses. Sigismond se procura cet ar-
gent auprès de Charles le Téméraire, qui lui
prêta 50 000 écus, moyennant hypothèque sur
l'Alsace, le Sundgau, le Urisgau et la Forêt-
Noire, et qui s'engagea à le garantir contre toute
attaque de la part des confédérés.
Maître des Pays-Bas, de la Franche-Comté
et des territoires remis en hypothèque par le
duc d'Autriche, Charles le 'l'éniéraire, duc de
Bourgogne, éiait alors le prince le plus puissant
de la chrétienté. Il projetait de fonder entre
l'Empire et la France un royaume comprenant
les bassins du Khôno et du lihin, et négociait à
ce sujet avec l'empereur Frédéric II!, auquel il
offrait la main de sa fille unique pour son fils
Maximllien. Son ambition le faisait redouter de
SUISSE
— 2092 —
SUISSE
ses voisins. Louis XI eut l'idée de so servir des
Suisses pour briser sa puissance. Grâce ;\ son or
et à la vénalité d'un certain nombre d'hommes
d'Etat suisses, il eut bientôt constitué à Berne,
Pt dans d'autres cantons, un parti dévoué à ses
intérêts. Vn traité do neutralité réciproque fut
signé entre la France et les cantons, en iiin,
pour le cas d'une guerre avec la Bourgogne. Il
fut suivi en 1474 d'une alliance offensive et
défensive. Les parties se promettaient aide et
secours : le roi payait les guerriers suisses
4 1/2 florins par mois. Il s'engageait à payer sa
vie durant ;\ chaque canton, ainsi qti'Ji Fribourg
et à Soleure, une somme de 2000 livres par an,
et, à défaut de secours d'hommes, à leur payer
20 000 livres par quart d'année, pendant la durée
de la guerre. Ce traité, dont les termes furent
arrêtés le 10 mars 1474, ne fnt définitivement
conclu que le 26 octobre. Dans l'intervallej
Louis XI avait réussi à réconcilier les Suisses
avec leur ennemi séculaire, l'Autriclie, et à faire
entrer celle-ci dans la coalition contre le duc
Charles. Du .30 mars au 3 avril, dans la ville de
Constance, trois traités importants furent signés :
1" les préliminaires d'une paix perpctnelle entre
Sigismond d'Antriche et les confédérés, aux-
quels on garantissait les territoires conquis par
eux sur l'Autriche ; 2° une alliance de dix ans
entre les Suisses et la Basse-Ligue d'Allemagne ;
.3° une alliance analogue entre Sigismond et la
Basse-Ligue, qui allait aussitôt fournir les som-
mes nécessaires pour rembourser Charles de
Bourgogne. Les circonstances servaient admira-
blement les projets de Louis XI. Le duc Charles
avait confié le gouvernement des terres hypothé-
quées d'Alsace au bailli Hagenbach, dont la
tyrannie avait exaspéré les populations et qui
avait, à plusieurs reprises, vexé les Suisses. Dès
que Sigismond eut dénoncé le remboursement de
sa dette, une insurrection populaire éclata, Ha-
genbach fnt saisi et condamné .\ mort par un
tribunal dans lequel si geaient des députés de
Bernoet deLucerne (4 mai li"4). Cliarles furieux
envoya des troupes ravager l'Alsace ; lui-même
guerroyait en Allemagne contre l'archevêque
de Cologne, ce qui lui valut une déclaration de
guerre de l'Empire. Frédéric III somma, le 9 oc-
tobre, les Suisses, en leur qualité de membres
du Saint-Empire romain, de fournir leur contin-
gent, et les villes de la Basse-Ligue et Sigismond,
irrités des ravages que les Bourguignons commet-
taient en Alsace, sollicitèrent avec une égale ar-
deur le secours des confédérés. Cela leva les hé-
sitations qui s'opposaient encore à la signature
du traité d'alliance avec Louis XI. Ce traité con-
clu, une armée de LSiOO hommes, composée des
contingents des cantons et de leurs nouveaux
allies, les Autrichiens, alla mettre le siège devant
Héiicourt, place-forte de la Franche- Comté. Une
armée bourguignonne qui essaya de faire lever
le siège fut mise en complète déroute (13 nov.);
Héricourt se rendit. L'année suivante, les Bernois
et les Fribourgeois firent de nombreuses incur-
sions dans la Franche-Comté, et s'emparèrent de
Grandson et des terres que possédait dans la con-
trée la maisoii bourguignonne do Chàlons, ainsi
que de la plus grande partie des villes du pays
de Vaud, alors savoyard. Les Haut-Valaisans, as-
sistés des Bernois, s'emparèrent du Bas-Valais
qui appartenait aussi à lu Savoie.
Ces événements n'é. aient que le prélude d'une
guerre bien plus terrible dans laquelle l'existence
même de la Suisse allait être mise en jeu par le
fait de quelques intrigants vendus au roi de
Fiance, i.nnis XI sut faire échouer une tentative
de rcci.nciliaiinn cime les Suisses et Charles le
Ténu relire. Mais en mêiue tenjps il faisait la
pau avec ce dernier qui, réconcilié également
avec l'empereur et l'Autriche, ne songeait plus
qu'à se venger des Suisses. A la tête d'une
brillante armée, le duc de Bourgogne franchit
le Jura et reprit Grandson. Les Suisses vin-
rent l'y attaquer, le battirent à plate couture et
s'emparèrent de son camp et de ses immenses
richesses {i mars 14701. Trois mois plus tard, une
nouvelle armée bourguignonne éprouvait le même
sort sous les murs de llorat {i'i juin). Enfin, le
.5 janvier de l'année suivante, les Suisses, appelés
au secours de leur allié Eené de Lorraine, que
Charles avait dépouillé de ses États, faisaient de-
vant Nancy éprouver au duc do Bourgogne une
nouvelle défaite, où il pecdait i la fois la couronne
et la vie.
Fécondes en résultats généraux, les victoires
des Suisses sur le duc de Bourgogne n'eurent pas
pour eux-mêmes d'aussi heureuses conséquences.
Auparavant, dit un historien, la vénalité n'avait
atteint que les chefs et une partie de la nation;
l'or de Grandson, mesuré Ji plein chapeau par les
soldats, corrompit la masse elle-même. Louis XI,
qui avait allumé la guerre, en recueillit tous les
fruits. Il occupa une partie de la Bourgogne, en
même temps qu'il s'attacha h diviser les confé-
dérés dont il redoutait l'intervention on Franche-
Comté. Berne aurait désiré garder cette province,
qui demandait elle-même h être reçue dans l'al-
liance helvétique; mais les confédérés ne surent
pas inieux s'entendre qu'ils ne l'avaient fait
neuf ans auparavant à Waldsbut, et une ambassade
française n'eut pas de peine à leur faire accepter
un tiaité par lequel, luoyennant la promesse
d'une somme d'argent, ils renonçaient à toute
prétention sur la Franche-Comté. Le partage du
butin de guerre suscita des dissensions violentes
entre les villes et les campagnes, et h une diète
ti-nue i Stanz en 1181, cilles-ci s'opposant obsti-
nément à l'admission de Fribourg et de Soleure
dc.ns la Confédération, les partis exaspérés allaient
en venir aux mains, quand l'intervention d'un soli-
taire vénéré, le frère Xicolas do Elue, réussit à
réconcilier les confédérés : Fribourg et Soleure
lui durent leur admission dans la Confédéra-
tion.
A la fin du xv* siècle, les confédérés eurent
encore h soutenir une guerre qui fut décisive
au point de vue de leur situation vis-à-vis de
l'empire d'Allemagne. Quoique les liens qui
rattachaient la Suisse h cet empire se fussent
considérablement relâchés, les confédérés se con-
sidéraient toujours comme lui appartenant. Ils
faisaient confirmer leurs privilèges par l'empe-
reur, et au début des guerres de Bourgogne ils
avaient combattu comme membres de l'empire;
mais i la fin de ce siècle, l'empereur Maximilicn,
chef de la maison d'Antriche, ayant voulu sou-
mettre les Suisses à la juridiction et aux contri-
butions de l'empire, les confédérés n'hésitèrent
pas à repousser de telles exigences. La guerre de
Sonahe, ainsi nommée du nom de la Ligue qui
défendit la cause de l'empereur contre les confé-
dérés, éclata en I4S9. Elle eut pour théâtre le
canton des Grisons, le Tyrol, le Vorarlberg et la
Souabe, les bords du lac de Constance et du Rhin
et les vallées du Jura. Une multitude do villes,
châteaux et villages furent détruits; des contréesp
entières devinrent incultes: une misère afi'reuse
s'abattit sur les malheureuses populations. 'Vaincu;
dans toutes les rencontres et dans six batailles,!
l'eiiipereur renonça à se> prétentiims; la paix fut]
signée à Bàle, en li!)'.). La conséi|uence en fut laj
séparation complète de fait, sinon île droit, de lai
Suisse d'avec l'Allemagne, et l'entrée do Bâle et|
de Schaffhouse dans la Confédération (IfiOi).
Cnenei ii'lt"/ie. Allianc-:'; avec m Frai, ce. L
Co fëi/crato" des XIII cantuns. — C'est encore 1
France qui décida, vers la fin du xv' et au com
SUISSE
2093 —
SUISSE
menccmpnt du xvi' siècle, les confédérés à inter-
venir dans la guerre d'Italie que soutenaient les
uns contre les autres lo pape et la republique de
Venise, le duc de Milan, l'empereur, la Fiance et
l'Espagne. Ils y prirent part d'aboi-d comme auxi-
liaires il la solde de la, France, plus tard comme
allies du pape, et enfin comme Éiat indépendant.
Ils montrèrent de nouveau, dans cette guerre,
les éminentes qualités militaires qui les caracté-
risaient, surtout dans le combat de Novare, en
1513, où ils battirent l'armée française. Mais ils
ne poursuivaient dans ce vaste conilit aucun plan
bien défini, et tandis qu'ils avaient la prétention
d'intervenir en Lombardie, comme pouvoir pré-
pondérant, ils succombaient, dans leur propre
pays, aux intrigues des États voisins. Ceux-ci, en
effet, aclietaicnt cliez eux des partisans b, pi-ix
d'argent el réussissaient ainsi h se créer une
influence décisive dans la Confédération. L'indi-
gnation causée par le système des pensions,
spécialement par les intrigues des agents de la
France, provoqua des soulèvements populaires
dont plusieurs magistrats furent les victimes. Un
plan d'invasion de la France par l'empereur, l'An-
gleterre, l'Aragon et les Suisses réunis, fut
accueilli avec transport par la Diète de Zurich
(1" août 1513), et pendant que les Anglais dé-
barquaient il Calais et que les Aragonais enva-
hissaient la Navarre, 20 OUO confédérés, aux(|uels
se joignirent quelques milliers do cavaliers
impériaux, traversèrent la Franche Comte et vin-
rent mettre le siège devant Dijon : mais lii les
chefs se laissèrent corrompre par La TrémouiUe,
gouverneur de la ville. Ils signèrent la paix, sur
la promesse d'une somme de 400 000 écus, et
rentrèrent chez eux. Deux ans plus tard, Français
et Suisses se retrouvaient en présence dans les
plaines de la Lombardie. François l"', qui venait
de passer les Alpes pour reconquérir le duché de
Milan, chercha d'abord ii gagner les Suisses, qui
signèrent avec lui, le 8 septembre 1515, à Galle-
rate, un traité par lequel le roi s'engageait à leur
payer 30 OOO écus pour les frais de la guerre,
300 000 autres pour leurs possessions italiennes
et les 400 000 écus promis à Dijon. Les cantons
accordaient au roi le droit de lever des troupes
chez eux, moyennant une pension annuelle à
chacun des Étals. Déjii une partie de l'armée
suisse reprenait le chemin des montagnes, lors-
qu'un nouveau corps de troupes descendit le
Gothard, conduit parle cardinal Schinner. ennemi
acharné des Français. Grâce à un stratagème de
ce dernier, les Suisses, rompant la paix, se ruè-
rent sur l'armée française il Marignan. La bataille
dura deux jours fl3 et 14 sept. I.M5). L'arrivée
d'une année vénitienne obligea les Suisses à
abandonner, pour la première fois, le champ de
bataille. La Dièie décréta une levée de 30 000 hom-
mes : mais, de leur coté, les chefs suisses, agents
de la France, ayant réussi ii eniôler un nombre
considéi'able de soldats au service de cette der-
nière, on vit de nouveau, en 1510, dans les
plaines de l'Italie, le spectacle des confédérés
combattant les uns contre les autres. Enfin l'in-
fluence française l'emporta, et, le 2'J novembre
de la morne année, le vainqueur de Marignan
signait avec la Confédération un traité de paix
perpétuelle. Il lui assurait les mômes avantages
financiers que par le traité de Gallerate : en re-
vanche les Suisses s'engageaient il fournir au roi
des levées qui ne devaient pas être moindres do
6 (fOO ni dépasser IG 000 hommes, on temps de
guerre. Depuis ce moment, incorporés aux armées
françaises, les Suisses sont réduits au rang de
simples mercenaires, et n'interviennent plus
comme nation dans les guerres étrangères. Au rôle
d'arbitres de I Italie et de la politique européenne,
que leur avaient valu leurs victoires, succède
celui do champions et de promoteurs de la gran-
deur et du despotisme dos rois de France. Le
seul résultat que la Suisse relira des guerres
d'Italie fut la conquête de la Levantine, de la 'Val-
teline et de Chiavenna, dont la France lui garan-
tissait la possession. Ces doux derniers pays furent
ajoutes aux Grisons; la Levantine devint sujette
du canton dUri, et forma plus tard le Tussin
actuel.
Le pays d'Appenzell avait conquis son indépen-
dance au commencement du xv= siècle, contre les
abbés de Saint-Gall et les Autrichiens. 11 fut reçu,
en 1513, dans l'alliance helvétique, connue depuis
lors sous le nom de Ligue des XllI cantons, qu'elle
conserva jusqu en 119a. La CoirfédéraUon suisse
comprenait en outre :
1" Des alliés perpétuels, qui avaient le droit de
s« faire représenter dans les Diètes, ou réunions
des députes dos cantons, mais n'avaient pas voix
délibécative. C'étaient : l'abbé do Saint-Gall, les
villes de Saint-Gall, Bienne, de Mulhouse, de Rott-
weil (en Souabe), de Genève; les lignes des Gri-
sons; le Valais, le comte deNeuohâtel et Valangin,
et l'évéclié de Bàlo;
2° Des pays sujets, ordinairement possédés en
commun par plusieurs cantons et appelés alors
bailliages communs: c'étaient Badon et les bail-
liages libres en Argovie, la Thurgnvie, le Rhein-
thal, la Levantine, la ville de Happerschwyl, etc.
111. La GonfàdèratiDn des XIII cantons. — La
Réforme, et la rcuction cat/io iqae. Rtconnais-
sance de l'indé/jeuiance d- la Suisse. — Le com-
mencement du XVI' siècle vit se produire en
Suisse, comme dans les pays voisins, un grave
événement, qui devait exercer sur leur destinée la
plus grande influence, la Réforme, provoquée par
les désordres du clergé et le trafic des indulgen-
ces. Elle fut d'abord pi-êchée ii Zurich, puis à
Berne, Bàle, Scliafl'house, Saint-Gall, Appenzell,
et de là dans les pays placés sous la souveraineté
fédérale. Le grand réformateur suisse, Ulrich
Zwingli, avait été curé à Giaris ; il avait pris part
en qualité d'aumônier aux campagnes do Novare
et de Marignan. C'est à Einsiedeln, où il était pré-
dicateur, qu'il commença à tonner contre les
abus et les superstitions de l'Eglise. Sa réputa-
tion le fit appeler à Zurich. Il y prêcha l'évangile,
et ne tarda pas à entraîner cetie ville dans le
parti de la Réforme, qui, il la même époque, était
aussi acceptée dans plusieurs cantons, spéciale-
ment h Berne et à Bàle. Réformateur politique
autant que religieux, Zwingli s'élevait avec force
contre la corruption des mœurs, les pensions
étrangères, les services mercenaires, et, le premier,
il eut l'idée de donner aux cantons suisses une
constitution commune, analogue à celle qu'ils ac-
ceptèrent trois cents ans plus tard, de mettre un
terme à la prépondérance anormale des petits
cantons et de donner aux grands une position
plus en relation avec leur importance et leur de-
gré supérieur de civilisation. On ne doit doue
pas s'étonner que ses idées, tant religieuses que
politiques, aient rencontré une vive opposition
dans les cantons primitifs, auxquels se joignirent
Fribourg et le Valais. Un colloque réuni à Baden,
et dans lequel les prédicateurs des deux partis
exposèrent leurs principes devant les députés
des cantons, ne fit que rendre plus profonde la
scission entre les confédérés. Zurich contracta
avec Constance une alliance, dans laquelle entrè-
rent successivement Berne, Saint-Gall, Bile,
Bienne et Mulhouse. Les cinq cantons primitifs,
de leur côté, organisèrent une ligue séparée et
s'allieront avec l'archiduc' Ferdinand, roi do Hon-
grie, principal appui du parti catholique en
Allemagne. Avant qu'on n'eu vînt aux mains, la
médiation dos cantons neutres réussit à faire si-
gner h Steinhauseii un traité qui reçut le nom de
SUISSE
— 2094 —
SUISSE
paix publique {Landfrie(len).ï\ consacrait la com-
plète égalilé poliiique des deux cultes chrétiens
et le droit pour chaque canton de conserver
sa religion ou d'en changer. Dans les pays sujets,
chaque paroisse était libre de clioisir son culte.
L'alliance avec le roi Ferdinand fut déclarée dis-
soute.
Cette convention confirma la Réforme partout où
elle s'était introduite. Dans les pays sujets, elle
détermina un mouvement très caractérisé en sa
faveur. Mais le zèle de Zvvingli pour propager la
religion nouvelle provoqua, de la part des cantons
catholiques, des réclamations auxquelles Znrich
répondit en rompant toute relation avec eux, leur
interdisant l'entrée de ses marchés. Les petits
cantons coururent aux armes et, le 11 octobre 1 53 1 ,
8 000 catholiques mettaient en déroute, à Cappel,
1 500 Zuricois, i la tête desquels se trouvait Zwin-
gli, qui fut tué dans cette rencontre.
Battus une seconde fois sur le Gubel, et d'ail-
leurs abandonnés par leurs alliés, les Zurirois
demandèrent la paix, qui fut signée à Daeniken
(Zoug).Les suites de cette guerre lurent désastreu-
ses pour la Réforme. Les cinq cantons rétablirent
par la force le catholicisme dans beaucoup de
contrées qui l'avaient abjuré ; Soleure, mis par les
vainqueurs dans l'altcrtiative de payer SOO écus
de frais de guerre ou de proscrire le culte réformé,
prit ce deriiier parti. C'est à cette occasion que
les catholi<|ues et les réformés soleurois en étant
venus aux mains, l'avoyer A'icolasWengi, l'un des
chefs du parti catholique, mais, avant tout, sin-
cère patriote, se plaça devant la bouche dos ca-
nons et réussit par là à arrêter l'effusion du sang.
Les guerres religieuses en Suisse, comme ailleurs,
ont produit assez d'horreurs pour c|u'il soit doux
de pouvoir signaler dans cette effroyable période
un trait de patriotisme et d'humanité.
L'échec subi par la Réforme dans la Suisse
centrale fut compensé et au delà, par les progrès
qu'elle faisait il la même époque dans la région
qui l'ut depuis la Suisse occidemale. Déjà eit
1519, Genève, pour se d. fendre contre les ducs de
Savoie qui cherchaient à laniiexer à leurs Etats,
avait signé avec Fribourg un traité d'alliance ;
mais le duc porta plainte auprès des confédérés, et
Fribourg dut abandonner Genève, qui fut occupée
par les Savoyards. Quelques années plus tard, le
parti patriote genevois, connu sous la désignation
d'E'dgitenol^ (confédérés), d'où l'on fit ensuite le
nom de Huguenot, l'ayant emporté de nouveau,
Genève foriiia, le 12 mars I5'-'B, non plus seule-
ment avec Fribourg, iBais aussi avec Berne, une al-
liance qui devint le fondement de l'indépendance
de cette cité et de soti union à la Suisse. Malgré
l'intervention de Charles-Quint, Berne et Fri-
bourg, appuyés par François 1", levèrent une ar-
mée de 15 0 0 hommes qui délivra Genève et
força le duc de Savoie à signer les traités de paix
de Saint Julien et de Payerne (15:i0), par lesi|uels
il s'engageait à respecter l'indépendance de Ge-
nève, donnant à Berne et à Fribourg le pays de
'Vaud en hypothèque, comme garantie de sa pro-
messe.
Aussitôt après avoir embrassé la Réforme, Berne
avait songé à l'introduire dans ses possessions
d'Aigle, dans les bailliages communs d'Orbe, d'K-
chalicns, Grandson et Morat, à Neucliàt-1, Lati-
sanne et Genève, en un mot dans toute l'Helvéïie
romande. Il y envoya un réformateur français,
Guillaume Farel, qui, avec l'aide de Pierre Viret,
d'Antoine Froment, et plus tard de Calvin, réussit
à gagner à peu près tout ce pays à la Réfoi me,
grâce un peu à l'appui efficace de Berne, qui fai-
sait occuper militairement les localités récalci-
trantes.
Genève, en embrassant la Réforme, abolit le
pouvoir de son évèque et se constitua eu républi-
que indépendante. Fribourg l'abandonna aussitôt,
et le duc de Savoie, appuyé par Cliarlos-Quint,
chercha de nouveau à s'en emparer. Appelés à son
secours, les Bernois hésitèrent, mais voyant Fran-
çois l" disposé h secourir la ville, ils se ravisè-
rent, déclarèrent la guerre à la Savoie, et s'emparè-
rent de ses possessions voisines du Léman (Vaud,
(;hablais, Gex', ainsi que de celles de l'évoque de
Lausanne il53'i). A partir de ce moment, le pays
de Vaud, devenu sujet de Berne, fut gouverné
par des baillis bernois qui y exercèrent une dure
oppression jusqu à la fin du xviii' siècle. Genève,
sauvée par Berne d'un péril imminent, avait con-
servé son indépendance; mais bientôt elle perdit
SCS libertés intérieures et dev nt, sous le réiiime
tyrannique de Calvm, le foyer d'un protestantisme
très rigide et d'un formalisme sans pareil.
La réacti'in, à peu près générale, qui se pro-
duisit en Europe pendant la deuxième moitié du
XVI' siècle en faveur du cathnlicistne, eut son con-
tre-coup en Suisse. Berne se vit obligé, par le
traité de Lausanne (1564), de restituer à la Sa-
voie la rive gauche du lac de Genève, ainsi
que le pays de Gex. La Réforme fut extirpée de
plusieurs cantons et pays sujets; les jésuites vin-
rent s'établir dans les cantons catholiques, et une
nonciature permanente fut créée en 1586 dans la
Confédération. Alors la réaction marclia rapide-
ment : Genève et les Grisons virent repousser,
pour cause d'hérésie, leur demande d'aiiniission
dans la ligue helvétique; Mulhouse et Strasbourg
furent abandonnées par les petits cantons et ne
conservèrent de relations qu'avec les Étals protes-
tants. Dans l'Appenzell, on arriva à une sépara-
tion complète entre les réformés et les catholi-
ques et à la division du pays en deux demi-can-
tons. Sous l'influence du cardinal Borromée, l'a-
gent le plus actif de la réaction religieuse en
Suisse, les cantons catliolii|ues formèrent, en
l.iS6, la ligue Borromée ou ligue d'Or, par la-
quelle ils renoncèrent à leur indépendance en
matière do foi. Cette alliance était déclarée supé-
rieure ktonie autre, même par conséquent à l'al-
liance perpétuelle qui unissait tous les confédé-
rés. L'année suivante, Philippe 11 d'Espagne
entrait dans cette ligue. Il y eut dès lors en ([uel-
que sorte deux confédérations, unies entre elles
par un lien qui al ait se relâ''hant chaque jonr.
Une nouvelle guerre éclata en 158;) entre Berne
et la Savoie qui cherchait à reprendre le pays de
Vaud. Une armée bernoise s'empara du Cliablais,
mais le parti de la paix ayant prévalu dans les
conseils de la cté, le gouvernement bernois con-
clut à JVyon un traité par letiuel il abandonnait
Genève et s'engageait même à aider le duc de
Savoie à en reprendre possession. L'indignation
populaire empêcha l'exécution de cette clause;
Genève n'en fut pas moins abandonnée, et au-
rait succomlié sans l'appui que lui prêta le roi
de France Henri IV. Quelques années plus tard,
dans la nuit du 11 au 12 décembre 160.', une ar-
mée savoyarde s'approcha secrètement de Genève
et tenta d'en escalader les murailles, lléveillés en
sursaut, les citoyens coururent aux armes et re-
poussèrent l'enjiemi. Le souvenir de l'escalade est
célébré tous les ans à Genève par une fête popu-
laire. Cette guerre se termina par la paix de
Saint-.lulien (1603), qui garantit l'indépendance de
Genève.
L'histoire de la Suisse, dans la première par-
tie du xvii" siècle n'est qu'une longue série de
conflits religieux ou politiques, caus'é.» par le fa-
natisme, l'esprit de parti ou les intrigues do la
Franco, dont les ambassa unirs allaient ju<qu';'i
s'arroger l.edroitdeconvoi|tier desdièteset àompô-
clier la réception dos envoyés des autres puissan-
ces.Tnutefois les Suisses eurentassez de bon sens
lot de patriotisme pour observer, comme Etat, une
SUISSE
— 2095 —
SUISSE
stricte neutralité dans la guerre do Trente Ans ' et du commencement du xviii», auxquelles
qui désola lAlleniagne, et pour rester sourds aux la Suisse fut indiieclement mêlée, par les raer-
siiUicitalions que les puissatices engagées dans ce cenaires qu'elle entretenait à la solde de tou-
conllii adr-essaient h leurs coreligionnaires. Grâce j tes les puissances en lutte, compromirent plus
à l'iiabilelé du bourgmestre Wettsteiii de Bàlo, la ^ d'une fois l'existence de la Conf'doration. sans
Confédéraiion suisse fut comprise dans la paix , parvenir à y ramener l'union. Après avuir donné
de Westplialie, qui termina coite guerre en lU'iS, le specl:icle de la première lutte religieuse issue
et sa complète indépeniiance de l'empire aile- : de la Kéformo, la Suisse devait être le tliéitre de
mand fut alors solennellement reconnue. la dernière, la seconde guerre do Vilm«rgen. Le
Ciiici-ri' des pfnjsans, — Les longues guerres du prétexte en fut les persécutions incessantes de
wi' siècle avaient aggravé partout la position déjà ' l'abbé de Saint Gall contre les réformés du Tog-
si misérablo du peuple. En Suisse, la populaiion , genbourg. Celte fois l'avantage resta au parti
des campagnes était écrasée de charges, dîmes, ' protestant; le ■J.'i juillet 17r2, les Bernois rempor-
cens, droits féodaux de toute espèce, et dans les , tèrent k Vilmergon une victoire décisive sur l'ar-
cantons aristocratiques, comme lierne, Fribourg, mée des cinq cantons caUioliques. La paix fut
Soli.'ure et Lucrne, les villes afftcliaient la préien- signée à Aarau, mais elle faillit être désastreuse
tion do soumettre la campagne au régime du pou- pour la Confédéraiion. Louis XIV, blessé de son
voir absolu. A ces causes de méconientement se ^ échec dans la succession de Neuchàiel, et habile
joignait un malaise gt-néral provenant de la dépré- à profiler de toutes les circonstances qui pouvaient
dation de la propriété foncière, de l'augmen- [ maintenir l'intluence française au sein de la Con-
tation des impots et de la réduction du taux des ^ fédération, sut exploiter le ressentiment des can-
monnaies. Une révolte générale eut lieu en lG.i3, | tons catholiques. Son ambassadeur Du Luc les
dans les cantons de Lucerne, de Berne, Soleure et ^ amena à, signer, en 1715, un nouveau traité séparé
Bâle: plus de :tO 000 insurges prirent les armes, et d'alliance dans lequel ils lui reconnurent le
un corps de 20 0(ln hommes vint menacer Berne, droit d'intervenir dans leurs divisions intérieures,
Les gouvernements surent amuser les révoltés et comme protecteur, pour assnrer au besoin par la
les diviser par des négociations et des promisses, force des armes le droit public étab i au sein de
et vaincus dans trois rencontres, à Wohleiiscliwyl, la Confédération. Ce traité contenait des articles
Gislikoii et Herzogcnbuchsee, les paysajis se dis- ' secrets (renfermés dans une petite boîte, Driickii,
persèrent. Les gouvernements aristocratiques se de \!> le nom de Dfûclitibiinl donné à cette allian-
monlrèrent aussi cruels après la victoire qu'ils ^ ce), aux termes desquels les parties contractantes
avaient, été lâches dans le danger. Leur vengeance stipnlaient le rétablissement du catholicisme et
s'exerça sur plusieurs centaines d'individus, et il l'anéantissemeiit des conditions défavorables im-
y eut 4S exécutions capitales. Les chefs furent posées par la dernière paix aux vaincus de Vil-
traités de la manière la plus ignominieuse : le \ mergen. Heureusement la mort de Louis XIV fit
plus marquant, Leuenberger, qui avait fait preuve : cesser les dangers que le Drùcklibund eiit pu
d'une extrême modération, fut décapité, après faire courir à la Suisse. Les cantons catholiques
avoir été mis à la torture, et son cadavre fut vécurent dès lors d'une existence tout à fait h
écartelo. i part, sans soutenir presque aucune relation avec
Noune/les guerres de religion. — Les persécu- Zurich et Berne,
lions atroces exercées dans le canton de Sclivvytz ^ .En 1777, la Confédération fit avec le roi
contre des réfoimés poussèrent Zurich i déclarer , Louis XVI une nouvelle alliance défensive pour
de nouveau la guerre aux cantons primitifs au | cinquante années. Les stipulations menaçantes
nom des cantons protestants. Une armée bernoise pour le repos et l'indépendance de la Suisse en
s'étant laissé sui prendre et battre à Vilmergeu furent soigneusement écartées.
(IG5G), et, de leur coté, les Zuncois ayant éclioué , Monveiiients populaires contre l'oligarchie au
dans le siè^e de Rapperschwyl qu'étaient venus xYtii" .--iècle. — Pendant une notable partie du
défendre quelques centaines a'Espagnols, les ré- | xviiii= siècle, la Confédération jouit d'un repos
formés durent subir une paix qui ne produisit quelle n'avait pas encore connu et qui lui per-
dans les cœurs aucun sentiment de conciliation, mtt de donner un grand essor au développe-
A l'extérieur, la Suisse subissait l'iiifluence que , ment de l'agriculture et de la vie intellectuelle.
Louis XIV exerçait sur une grande partie de | Cotte période fut cependant marquée par des
l'Europe. Les anciens traités d'alliancu avec la troubles intérieurs. En 17^3, le niaj ir Davel, un
France furent renouvelés et considérablement j d''S héros de la dernière guerre de Vilmer"en
étendus, ce qui n'empêchapas Louis XIV de faire tenta d'affranchir le pays de Vaud du joug des
occuper, par des troupes suisses à sa solde, la , Bernois : il paya de sa têle son entreprise. A
FrancheXomté, possession espagnole, qui était Berne même, des citoyens se conjurèrent pour
placée, depuis les guerres de Bourgogne, sous la
protection de la Confédération. La Uièle protesta
contre la violation du traité, mais le grand roi ne
tint aucun compte de cette protestation : les capi-
taines suisses obéissaient plus docilement à ses
ordres qu'à ceux de leur pays. Plus tard Louis XIV
ayant, au mépris des traités, annexé Strasbourg,
alliée des Suisses, et fait construire la forteresse
de lluningue presque aux portes de liâle, les con-
fédérés organisèrent un système militaire de dé-
fense dirigé contre la France, et, dans un procès
au sujet de la succession à la souveraineté de
Neucliâtel, employèrent toute leur influence à
faire pencher ia balajice en faveur du roi de Prusse
à l'exclusion des prélendants français.
Lors de la révocation de l'Édit de Nantes (iGSà),
6 1 000 protestants français vinrent chercher un
refûgi; en Suisse. Us s'établirent principalement à
Genève, ;i iWucliâiel et dans le pays de Vaud,
où Berne leur accorda une large hospitalité.
Les grandes guerres de la lin du xvii° siècle
renverser l'oligarchie et remettre le gouvernement
aux mains de la bourgeoisie ; leur.s chefs, les pa-
triotes Henzi, Fueler et Vernier, périrent do la
main du bourreau. A Genève, oii les esprits
étaient surexcités par les écrits de J.-J. Rous-
seau, une révolution ayant renversé le gouverne-
ment, 301.0 Français, GOOO Bernois et 'A Oi Sardes
entrèrent dans la ville et y rétablirent le gouver-
nement aristocratique (17S2). C'esi également une
intervention bernoise qui aida le gouvernement
oligarchiiiuo de Fribourg à réprimer une insurrec-
tion menaçante des paysans, dont le chef, Nicolas
Chenaux, périt assassiné par un des siens. Tous
ces mouvements témoignaient de l'existence d'as-
piralions à un état de choses meilleur au point
de vue politique et social. Dos troubles de mémo
nature, mais d'un intérêt secondaire, éclatèrent
dans plusieurs districts (évêché de Bàle, Levan-
tine, Einsidlen), où les sujets, mal gouvernes,
privés de leurs droits, se soulevèrent contre des
maîtres oppresseurs et jaloux do leur autorité.
SUISSE
— 2096 —
SUISSE
Enfin des querelles de partis non politiques ou de
simples rivalités de familles, suscitées pour la
plupart par les intrigues des puissances étran-
gères, ou le partage des pensions, agitèrent plu-
sieurs cantons, entre autres Appenzell, Zoug, Lu-
cerne, Schwylz et un pays allié, les Grisons,
provoquant partout des actes de barbarie, qui
Jettent Ir plus triste jour sur cette époque.
C'est ainsi, au milieu de luttes de toute nature,
de rivalités do familles, de mouvements popu-
laires et révolutionnaires, précurseurs d'un nou-
vel état de choses, que la Confédération suisse
atteignit la fin du xviii" siècle, sans prévoir que
les nombreux germes de dissolution qu'elle por-
tait en elle allaient amener sa chute.
Dissolution de la confédération des XIII can-
tons. — Les principes de la Kévolution française
trouvèrent un puissant écho dans plusieurs can-
tons. Des insurrections eurent lieu dans le
Valais et à Zurich, mais elles furent prompte-
ment et énergiquement réprimées. A Saint-Gall,
le peuple se souleva, chassa l'abbé, et se déclara
indépendant. La Valieline, opprimée par les Gri-
sous, réclama la protection de liouai>arte qui
venait de chasser les Autrichiens de l'Italie. Le
général français conseillait aux Grisons d'accor-
der k leurs sujets l'égalité des droits : sur leur
refus opiniâtre, il engagea les habitants de la
Valteline, de Bormio et de Chiavenna à s'unir à
la république cisalpine. Peu de jours après, l'an-
nexion était faite, et c'est ainsi que la Suisse
perdit cette province, en même temps qu'au nord
la France lui enlevait momentanément une autre
frontière naturelle en occupant l'Ërguel et le Val
de Moutier, possessions de l'évêiiue de liàle. A
l'instigation de Bonaparte, le Directoire avait ré-
solu d'envahir et de révolutionner la Suisse. L'oc-
casion se présenta d'elle-même. En janvier Uas,
les patriotes vaudois se soulevèrent contre la ty-
rannie bernoise, et Berne ayant refusé de leur
accorder les droits qu'ils réclamaient, ils procla-
mèrent leur indépendance et se constituèrent en
république léraanique en se plaçant sous la pro-
tection de la république française. Deux armées
françaises envahirent la Suisse, l'une par Soleure,
qui ne résista pas, l'autre par le pays de Vaud. Aban-
donné par ses confédérés, divisé en deux partis
dont l'un demandait la paix à tout prix, le gou-
vernement de Berne se décida à la défense lors-
qu'il était trop tard pour l'organiser. Après une
lutte héroïque i Fraubrunnen et au Grauholz,
Berne capitula devant l'armée de Schauenbourg
le 5 mars 1798. Le même jour, à Neueneck, la
dernière armée bernoise mettait on déroute les
troupes du général Brune, composées en partie
de miliciens vaudois : les vainqueurs eurent le
désespoir d'apprendre, sur le champ de bataille,
la reddition de leur capitale. La chute de Berne
entraîna celle de la Confédération. Déjà la révo-
lution avait partout accompli son œuvre, et l'on
peut dire qu'avant même les combats de Frau-
brunnen, du Grauholz et de Neueneck, la vieille
Suisse avait vécu. Après la victoire, les agents du
Directoire pillèrent les caisses publiques, dépouil-
lèrent les arsenaux et imposèrent de lourdes
contributions aux vaincus. Un historien français,
Lanfrey, estime à 41 millions ce qui fut pris à
Berne seulement.
IV. La Suisse au XIX» siècle. — La République
helvétique. —La Suisse fut organisée en républi-
que démocratique et unitaire, et reçut une consti-
tution qui avait été élaborée h Paris par les patriotes
Laharpe, de Vaud, et Ochs, de Bàle. Les privilèges
des anciennes oligarchies disparurent, les popu-
lations des campagnes furent émancipées, les ter-
ritoires sujets furent placés sur un pied d'égalité
avec h'Urs maîtres de la veille.
La république helvétique fut divisée en 22 can-
tons à peu près égaux en territoire : Zurich,
Berne, Lucerne, Uri, Schwytz, Dnterwald, Zoug,
Bâle, ScliafThouse, Thurgovie, Sentis (Appenzell,
Saint-Gall, Bas-Toggenbourg, Bas-Rlieintlial),Linth
(Claris, la Marche, Rapperschwyl, Gaster, Sar-
gans, Haut-Toggenbonrgl, Rhétie, llelllnzona,
Lugano, Valais, Léman, Sarine-el-Broie (Fribourg,
Payerne, Avenche), Oberland, Argovie, Soleure,
et Baden. Plus tard Uri, Schwytz, Unterwald et
Zou;.' furent réunis en un seul canton, celui des
Waklstaîtten. Le territoire suisse se trouva dimi-
nué de Mulhouse, de l'évèché de Bàle et de Ge-
nève, annexés à la France, de Neuchâlel, et pen-
dant une année des Grisons.
Le pouvoir législatif était confié à deux conseils :
le Sénat et le Grand Conseil. Le Sénat, de i mem-
bres par canton, acceptait ou rejetait les déci-
sions du Grand Conseil. Celui-ci comptait 8 mem-
bre par canton. Le pouvoir exécutif appartenait à
un Directoire de 6 membres. Cette autorité propo-
sait seule les lois, que les deux conseils accep-
taient ou rejetaient. Les différentes branches de
l'administration constituaient des ministères. Un
tribunal suprême exerçait l'autorité judiciaire su-
périeure.
La constitution nouvelle réalisait incontestable-
ment un grand progrès sur l'éiat antérieur, mais
elle avait le tort d'être imposée par l'étranger et
de ne tenir compte ni des habitudes ni des idées
de la plus grande partie des populations. Celles
des petits cantons alpestres entre autres ne s'y
soumirent qu'après avoir, dans une lutte suprême
où elles déployèrent une valeur digne des jours
les plus glorieux de leur histoire, été écrasées par
des armées françaises.
En n99, la Suisse devint le théâtre de la
guerre entre les armées russes et autrichiennes,
d'une part, et celles de la république française, de
l'autre. A cette épreuve se joignaient des troubles
politiques presque continuels. En cinq ans il y
eut quatre coups d'Etat et autant de changements
du pacte fondamental. Dans l'automne de 1S02,
les troupes françaises ayant quitté le territoire
suisse en vertu du traité d'Amiens, une partie
de la population se souleva contre le gouverne-
ment helvétique, et Bonaparte, alors premier con-
sul, saisit cette occasion pour se poser en mé-
diateur.
L'Acte de médiation. — Bonaparte envoya des
troupes en Suisse et convoqua en mémo temps,
i Paris, 60 députés de tout le pays pour arrêter,
sous ses auspices, une nouvelle constitution,
qu'il imposa à la Suisse, sous le titre d'Acte de
'nédiation.
Les cantons, dont le nombre fut fixé à 19,
reçuienl les noms et les limites qu'ils ont gardés
depuis , sauf quelques remaniements de détail) ;
ce furent, par ordre alphabétique : Appenzell,
Arifovie, Bàle, Berne, Fribourg, Claris, Grisons,
Lucerne, Saint-Gall, Schatfhouse, Schwytz, So-
leure, Tessin, Thurgovie, Unterwîild, Uri, Vaud,
Zong, et Zurich.
La Suisse se trouvait diminuée du Valais, orga-
nisé d'abord en république indépendante, pour
être plus tard annexé à la France.
Chaque canton avait une constitution particu-
lière : la démocratie pure dans les cantons \
landsgemeinden et dans les Grisons ; la démo-
cratie représentative dans les anciens pays sujets,
Argovie, Thurgovie, Saint-Gall, Vaud et Tessin,
et des constitutions plus ou moins aristocrati-
(Tiues dans les autres cantons. Chaque canton avait
une voix à la Diète ; les cantons ayant plus de
lO'ï '00 âmes de population avaient deux voix. La
Diète se réunissait une fois par an : Fribourg,
Berne, Soleure, Zurich et Lucerne servaient à
tour de rôle de lieu de réunion. Le bourgmestre
ou avoyer du canton où la Diète siégeait, et qui
SUISSE
— 2097
SUISSE
était alors canton-directour, était président do la
Diète et portait le litre do laiidamman de la Saissc.
Les dix années que dura le régime de l'Acte de
médiation furent pour la Suisse une époque de
repos, et, h certains égards, de progrès, mais
aussi d'asservissement. En réalité, elle dépondait
politiquement de la France, lui ayant éio rattachée
par une alliance défensive et devant lui fournir
un contingent militaire de lo 000 hommes. Plus
tard même elle dut se soumettre aux mesures
prises contre l'Angleterre, sous le nom de sys-
tème du blocus continental. En ISOC, Napoléon se
fit céder par la Prusse la principauté de Neuchâlel,
qu'il donna en apanage au maréchal Benhier : en
ISIO il lit occuper le Tessin par ses troupes et
ses douaniers.
Pactede 1815. — L'Acte de médiation ne devait
pas survivre à la chute de l'empire. A la fin de
1815, les puissances alliées déclarèrent qu'elles
ne se croyaient point tenues de respecter une
neutralité purement nominale, et à la fin de la
guerre elles invitèrent la Suisse à se donner
une constitution nouvelle. La réaction relevait
partout la tète. A Berne, les patriciens, qui
s'étaient emparés du pouvoir, réclamaient la pos-
session de Vaud et do l'Argovie; Uri revendiquait
ses droits de souveraineté sur la Levantine. La
Suisse se trouvait divisée en deux camps : l'un
voulait le retour à la Confédération des treize an-
ciens cantons, avec pays sujets et Étais alliés ;
l'autre le maintien de la Confédération nouvelle et
des principes fondamentaux consacrés par l'Acte de
médiation. Les deux partis eurent un moment
leurs Diètes séparées , le premier à Lucerne, le
second à Zurich. Il fallut l'intervention des puis-
sances alliées, réunies en congrès à Vienne, pour
obliger les cantons réactionnaires à envoyer leurs
députés à la Diète de Zurich. Alors commencè-
rent, dans la Longue Diète (avril 18U-aoùt
1815) les travaux d'élaboration d'un nouvel acte
constitutionnel : le Pacte fédéral do 1815. Ce fut
une œuvre laborieuse et qui fut plus d'une fois
sur le point d'échouer, la plupart des cantons
n'entendant accepter aucune restriction aux prin-
cipes de la souveraineté cantonale et ne voulant
rien sacrifier au bien général. Une fois élaboré,
le projet de Pacte fut soumis à la sanction du
congrès de Vienne. Comme en général il consa-
crait l'état de choses existant, les partisans de
l'ancienne confédération s'efforcèrent de le faire
rejeter par les puissances. Mieux inspirées, ces
dernières lui donnèrent leur approbation. Les can-
tons l'adoptèrent à leur tour : cependant il fallut
une intervention fédérale pour obliger le Nidwald
b. s'y soumettre.
Le nombre des cantons était porté à 22 par l'ad-
jonction du Valais, de Genève et de Neuchàtel,
qui était rentré sous la domination des rois de
Prusse, et conservait sa cojistitution monarchique.
Quelques communes françaises et savoyardes furent
annexées à Genève; Berne reçut l'évêché de Bàle.
La Suisse fut régie par le Pacte de 1815 jus-
qu'en 1848. Pendant les quinze premières années,
elle subit, comme la plupart des autres Etats,
1 influence des idées réactionnaires. Le seul pro-
grès à constater dans les institutions est une amé-
lioration notable do l'organisation militaire. Cette
PpJ'O'ie, en revanche, vit surgir dans les esprits
! Idée d une nationalité commune, dont une ma-
nifestation fut la reconstitution de la Société
d utilité pubhque, née dans le siècle précédent,
et la création de nombreuses associations patrio-
tiques et savantes, qui, réunissant sous le drapeau
lederal les hommes les plus généreux et les plus
ardents de toutes les parties de la Suisse, les
Uabituèrent à étendre au delà des limites de leur
canton l'idée de la patrie. C'est aussi de celte
période que date l'institution des tirs fédéraux
2' PARTIE.
(1824), ces grandscomices populaires qui ont exercé
une influence incontestable sur la régénération
politique du pays. Cet éveil de l'espiit public coïn-
cidait avec le développement do l'instruction, pro-
voqué par les écoles célèbres fondées par Pesta-
lozzi à Yverdon, par Fellenberg à Hofwyl, par le
Père Girard i Fribourg ; avec de grands progrès
matériels, tels que la canalisation de la Linth,due
à Conrad Escher, de Zurich ; avec l'établissement
des premières maisons pénitenciaires, et l'appa-
rition des bateaux à vapeur sur les lacs ; mais
c'est aussi i cette période que remonte la réappa-
rition en Suisse des jésuites (i Fribourg et en
Valais), et avec eux le renouvellement des luttes
confessionnelles.
Le contre-coup de la révolution française de
1830 se fit sentir très vivement en Suisse. Dans
l'espace de quelques mois, la majorité des cantons
modifièrent leur constitution dans le sens démo-
cratique : chez les uns, le mouvement fut paci-
fique, chez d'autres il doinia lieu k des collisions
sanglantes et revêtit le caractère d'une véritable
révolution (insurrection républicaine à Neuchàtel,
1831 ; séparation du canton de Bàle en deux demi-
cantons, 183;'). On vit surgir alors une grande pen-
sée, celle de la revision du Pacte. Un projet fut
élaboré par une commission de la Diète, dont le
rapporteur était ,1e célèbre Rossi. 11 offrait une
sorte de compromis entre la Confédération d'Etats,
établir par le Pacte de 1815, et 1 Etat fédératif,
désiré par tous les progressistes. Ce projet ne
fut pas adopté, par suite do l'opposition de quel-
ques cantons, et la Suisse se retrouva plongée
plus que jamais dans une phase do dissensions
politiques qui eurent pour conséquence immé-
diate une rupture presque complète entre les
cantons libéraux et leurs adversaires. Les pre-
miers, h leur tète Berne, Zurich, Argovie, s'étant
garantis mutuellement leur constitution revisée
qu'ils considéraient comme menacée, les autres
formèrent une alliance séparée, la Ligue de Sar-
nen, en vue de s'opposer à toute revision du
Pacte fédéral. Enhardis par l'échec des libéraux
lors du projet Rossi, les cantons de la Ligue de
Sarnen prirent les armes. La Diète intervint
énergiquemont. et la Ligue fut dissoute (1833).
Aux troubles intérieurs s'ajoutaient les dangers
venant de l'extérieur. La Suisse était devenue le
rendez-vous d'un nombre considérable de réfu''ié3
politiques de diverses nationalités, chassés de
leur pays par la réaction qui avait suivi les mou-
vements révolutionnaires de 1B,30. Beaucoup abu-
sèrent de l'hospitalité qui leur était donnée, et
suscitèrent à la Suisse des réclamations mena-
çantes de la part des nations étrangères. Les dif-
ficultés les plus graves surgirent du côté de la
France, à l'occasion de l'asile que le prince Louis-
Napoléon (plus tard Napoléon III) avait trouvé
en Thurgovie. Le gouvernement de Louis-Phi-
lippe réclamait son éloignement, et, pour ap-
puyer ses exigences, réunit sur la frontière suisse
une armée de 30 OnO hommes, sous les ordres
du général Aymard, chargé, comme il le disait
dans une proclamation à ses troupes, de « mettre
à la raison de turbulents voisins «. Ses menaces
ne firent que surexciter le sentiment national,
et, sans attendre une décision de la Diète, les
cantons de Vaud et de Genève mirent toute
leur population valide sous les armes, pour la dé-
fense de la frontière. La guerre fut évitée par le
départ volontaire du prince Louis-Napoléon. Mais
la conduite de Vaud et de Genève provoqua, dans
toute la Suisse, une explosion d'enthousiasme :
des drapeaux d'honneur lurent donnés aux milices
de ces cantons, et une médaille d'or perpétua le
souvenir de la conduite courageuse de leurs dé-
putés b. la Diète, Rigaud et Monnard, proclamés
les gardiens de l'honneur national.
132
SUISSE
2098 —
SUISSE
Guerre du So7ulerbu)i'l. Régi'nérntion de In Suisse.
Comtilutio'i di- 1S48. — La dernière partie de cette
période est remplie dans les cantons, comme dans
la Confédération, par de nouvelles luttes religieu-
ses, provoquées par les menées du parti ultramon-
tain. En Isll, à la suite de troubles dont le signal
était parti des couvents, le canton d'Argovie dé-
créta la suppres>iou de ces établissements sur
son territoire. Les cantons catlioliques protestè-
rent en se fondant sur l'article li du Pacte de 1815
qui garantissait l'existence des couvents, et leur
protestation fut appuyée par l'empereur d'Autri-
che. Sommé par la Diète de rétablir tous les
couvents supprimés, le canton d'Argovie s'y re-
fusa et se borna au rétablissement des couvents
de femmes. Sous la pression de l'opiniin publi-
que, la Diète se déclara satisfaite, et raya cette
question de son ordre du jour; mais les cantons
catholiques organisèrent, à partir de ce moment,
une nouvelle ligue de défense, connue sous le
nom de Sonderbim/. Cette ligue comprenait les
sept cantons de Fribourg, Lucerne, liri, Scliwytz,
Untenvald, Zoug et Valais. En même temps Lu-
cerne se donnait une nouvelle constitution, et,
pour mieux afficher l'esprit théocratique qui l'a-
vait inspirée, décidait que les articles en seraient
soumis au pape. Une proposition formulée en
Diète par le promoteur de la suppression des cou-
vents argoviens, Augustin Relier, d'expulser de la
Suisse les jésuites dont les missions surexci-
taient au plus haut degré le fanatisme du peuple
des campagnes, n'eut d'autre effet que de provo-
quer, de la part du Grand Conseil de Lucerne, un
décret rappelant formellement les jésuites dans
ce canton, malgré l'opposition presque una-
nime du clergé lucernois. L'indignation l'ut à son
comble. Des corps-francs s'organisèrent à Bàle-
Canipagne, Argovie et Soleure, pour appuyer un
soulèvement des libéraux ii Lucerne. Celte tenta-
tive avoria, et la Diète ayant rendu un arrêté in-
terdisant la formation des corps-francs, des mani-
festations populaires y répondirent dans tous les
cantons libéraux pour demander l'expulsion des
jésuites. Une nouvelle levée de corps-francs s'or-
ganisa dans ces cantons, sous les yeux et avec le
concours des autorités; mal dirigée, l'expédition
ne put prendre Lucerne et n'aboutit qu'à une
sanglante défaite. L'opinion libérale n'en fut que
plus surexcitée, et dans plusieurs cantons, entre
autres Vaud et Genève, des mouvements popu-
laires amenèrent la chute du gouvernement local
et un revirement politique qui donna en Diète une
majorité décisive aux adversaires du Sonderbund
et des jésuites. Le UO juillet 1847, douze cantons
et deux demi-cantons déclarèrent dans celte as-
semblée que le maintien du Sonderbund était in-
compatible avec le l'acte, et enjoignirent aux
cantons qui le composaient de .suspendre leurs
armements. Le .3 septembre, la Diète prononçait
l'expulsion des jésuites, et le 4 novembre elle dé-
cidait que le décret de dissolution du Sonderbund
serait exécuté par les armes. Appuyés par les
puissances étrangères, spécialement par la France
et l'Autriche, les cantons du Sonderbund s'étaient
organisés pour la lutte ; mais dès le 13 novembre
l'armée fédérale, commandée par le général Du-
four.- s'emparait de Fribourg, et onze jours plus
tard, OiOOU hommes et 2su bouches à feu mar-
chaient sur Lucerne. La Diète, informée, par l'en-
voyé anglais Robert Peel, que les cabinets fiançais
et autrichien s'étaient mis d'accord pour opérer
une intervention armée en laveur du Sonderbund,
et que la menace du gouvernement anglais de
tombarder Toulon et Trieste arrêtait seule ces
puissances, avait donné l'ordre au général Dufour
den finir au plus tôt. Les deux armées se ren-
contrèrent à Gislik'.n. L'avaniage resta aux fédé-
raux, qui occupèrent Lucerne. Les autres cantons
sonderbundiens capitulèrent les uns après les
autres.
Trois mois plus tard (I" mars 18481, une ré-
volution populaire détruisait à Neuchâtel l'auto-
rité du rui de Prusse, et transformait ce canton
en république.
Dès le !() aoiït 1847, la Diète avait voté la revi-
sion du Pacte de 1815. Le 12 septembre 1848, la
nouvelle constitution fédérale était acceptée par
le peuiile suisse à une grande majorité, et le i2
septembre la Diète se sépara avec la gloire d'avoir
sauvé la Confédération et de l'avoir dotée d'une
constitution démocratique vraiment nationale.
(V. plus haut Institutions politiqies, p. 20S5.)
La Suisse depuis 1848. — A partir de ce mo-
ment commence pour la Suisse une ère nouvelle.
La nation est constituée, et le peuple a désor-
mais une existence indépendante des cantons ;
à côté et au-dessus de l'indigénat cantonal appa-
raît le droit de cité suisse, qui va gagner en
importance à mesure que les institutions fédé-
rales se développent, élargissant chaque jour le
cercle des idées et des intérêts communs à tous
les confédérés. Les changements continuels que
le jeu des institutions démocratiques amène
dans les cantons n'ont plus sur l'ensemble qu'une
influence secondaire et indirecte. Vis-à-vis de l'é-
tranger, la Suisse ne forme plus qu'un Etat homo-
gène, que son organisation intérieure soustrait à
leur influence et qui se sent assez fort pour faire
respecter son indépendance et sa neutralité.
En 185(;, à la suite d'une émeute royaliste à
Neuchâtel, le roi de Prusse revendiqua ses droits
sur ce pays et menaça de les faire valoir par la
force des armes. La Suisse entière se leva comme
un seul homme, et le parfait accord du peuple et
des autorités, tout en montrant combien l'idée de
l'union nationale avait fait de progrès, contribua
à la solution pacifique de cette affaire, qui se ter-
mina par le désistement du roi de Prusse de ses
prétentions, moyennant l'élargissement des pri-
sonniers royalistes. Un mouvement analogue
d'opinion se produisit lors de la guerre franco-
allemande en 1870. Grâce à l'attitude énergique
du gouvernement fédéral, qui mit l'armée sur le
pied de guerre et occupa immédiatement les
frontières, la neutralité de la Suisse ne fut pas
violée, et celle-ci put sans être inquiétée donner
asile à une armée française de 80 OUU hommes qui
s'était réfugiée sur son territoire.
La proclamation du dogme de l'infaillibilité du
pape ranima, en Suisse comme ailleurs, des dis-
sensions religieuses. Plusieurs cantons interdi-
rent la promulgation des décrets du concile du
Vatican. Dans le diocèse de Bâle, qui comprend
Berne, Soleure, Bâle, Argovie, Thurgovie, Lucerne
et Zoug, l'évêque Lâchât ayant contrevenu à cette
défense, les cinq premiers cantons le destituèrent,
et, dans le Jura bernois, 09 curés, ayant déclaré
ne pas reconnaître cette mesure, furent destitués
à leur tour. Les catholiques libéraux se constituè-
rent en église particulière et se donnèrent, dans
la personne du curé Herzog, un évoque qui fut
reconnu par tous les cantons libéraux. Dans le
diocèse de Lausanne et Genève, le curé Merrail-
lod, voulant détacher ce dernier canton du dio-
cèse et s'en faire nommer évoque, échoua con-
tre la résistance des autorités genevoises. Le
pape le nomma alors vicaire-général, maigre je
refus du gouvernement suisse d'autoriser la
création de cet olfice. Devant cette violation fla-
grante des règles du droit des gens, le gouverne-
ment fédéral n'hésita pas à faire expulser le nou-
veau vicaire-général, sans égard à sa qiialité de
citoyen suisse, dont il se couvrait pour violer les
lois et la souveraineté de son pays (17 fév. 1873).
Quelques mois après, le pape ayant publié une
encyclique oflfensante pour les autorités léderales
SUISSE
— 2099 —
et attentatoire à leurs droits, la Siiis'îe y répondit
en renvoyant le nonce et en rompant toute relation
avec le Saint-Siège.
Déj'i en 180.=., le besoin d'une revision de la consti-
tution (le 1818 avait surgi dans le sens d'une exten-
sion des compétences de la Confédération et des
droits garantis aux citoyens. Un projet de revision
ayant été adopté par l'Assemblée feilérale un seul
article en fut accepté lors de la votatio'n popu-
laire, celui qui étendait aux Suisses de toute
croyance le droit de libre établissement, nui jus-
qu'alors n'était pas garanti aux Israélites. En 1811
cédant à un mouvement de l'opinion qui avait
pris pour devise « un droit, un peuple, une ar-
mée, 1) l'Assemblée fédérale élabora un nouveau
projet de constitution, qui donnait satisfaction à
cette tendance tout en maintenant l'existence des
cantons, réduits à un rôle presque exclusivement
adimnistraiif Ce projet, qui répondait aux aspi-
rations libérales et tenait compte des besoins ré-
sultant des conditions et des exio-ences de la
vie moderne, échoua dnvant la coaliuon des can-
tonalistes de la Suisse romande avec les ultramnn-
tains et les conservateurs (187-.'). L'Assemblée fé-
dérale se remit à l'œuvre et adopta un nouveau
projet, qui diffère do précédent en ce qu'il laisse
aux cantons la législation sur le droit des per-
sonnes et sur lo droit pénal, et qui, en revanche
accentue la souveraineté et la suprématie de l'Etat
fédéral en matière religieuse. Ses dispositions à
cet égard, entrant dans tous les détails de la vie
forment un véritable code destiné à soustraire
Ihtat et ses mstitutions aux inHuences ecclésias-
tiques et à protéger les citoyens contre les em-
piétements et les prétentions de l'Eglise Cette
constitution a été acceptée par le peuple et les
cantons le 19 avril I87i. Depuis, une coalition
momentanée des cantonalistes et des ultramon-
tains en a fait reviser un article qui interdisait
la peine de mort.
La période de 18i8 à 1872 est incontestable-
ment la plus belle de l'histoire suisse L'éna-
nouissement de l'idée nationale, l'amélioration
gra.luelle des institutions y marchent de pair
avec des progrès matériels et intellectuels et un
développement de la prospérité publique sans
exemple. ^
La Suisse occupe aujourd'hui parmi les nations
une place mode.ste, mais honorable, représentant
à un plus haut degré que toute autre le principe
de la souveraineté du peuple, vivant en paix avec
f|' ZT"' "' '■,?'''::^^"' ■« programme dU socié-
tés modernes : l'ordre dans la liberté.
y. Sciences, lettres et beaux-arts — Le nre-
mier centre de culture en suisse, après l'invasion
germaine, fut l'abbaye de Saint-G.,11, qui, pendlnt
es i.x= et X' siècles, fut un foyer de lomiè.es nour
es p,.ys allemands. Sa bibliothèque, fondée vers
râbles de "l'p "*""' '^''" ''""'^'^'^^ P'"^ ™"3idé-
râbles do 1 Europe.
Au xv« siècle, c'est Bâle qui devint le foyer
Vn ,1™ '' f"''"}Mnea et littéraires de la Suisse,
nh o y lut inaugurée une université dont la
?ln le' H M '"f .™i"" fut. dans le siècle sui-
vant, le Hollandais Erasme, l'esprit le plus élé-
famèu 'le^l"' ''"'^"' "= P'"= ^''"=">le e? le plus
laiiieur de son temps
C'est au Bâiois d-'stein et à son ingénieux
compatriote Elle de Laufen que revie t "hon-
mene eTZv"'"' '^ '"'^''^ '^^ '^ P'-'-'^"« '-p"'"
sanïda,, H "."'i"-^L'«« ensuite cet art nais-
sant dans la capitale de la France n47m lo
vrin"e'M^'\'^p"^^^p'"«'="Suts-f"tu^^^
L-art fvnn ''■' "^"^ '<* '^='"»" de Lucerne.
ïltZZ 1 '^■"erbach et dos Froben de Bâle
éditeurs des œuvres d'Erasme. Los beaux-ar s
favorises par les richesses et le luxe, Sage de ■
SUPERSTITIONS
Grandson et des guerres mercenaires, suivirent
le progrè» des sciences et des lettres. Le xv« siè-
cle vit s élever une foule de monuments, églises
hôtels de villes, statues, fontaines et odinces pu-
blics et privés de tout genre.
La peinture, cultivée à Bâle, à Berne, à Lu-
cerne à Fribourg. avait pour représentant le
plus illu.stie llans Holbein de Bàle, le chef de
I école allemande.
Au xvi^ siècle les études classiques furent fa-
vorisées par Zwingli et Calvin, qui exercèrent, l'un
comme l'autre, une grande inlluence sur le déve-
loppement de leur langoe. De nombreux chroni-
queurs, entre autres Bullinger et Tschudi expo-
saient l'histoire, la géographie et la constitution
du pays. Le naturaliste Conrad Gessner, de Zurich
le Pline de l'Allemagne, jouissait d'une réputation
universelle. L'art le plus noi-issant du siècle, avec
I orfèvrerie et la céramique, fut la peinture sur
verre, dans laquelle les artistes suisses s'étaient
rendus fameux bien au delà de leurs frontières
Le xviic et lo wm' siècles produisirent toute une
pléiade de Suisses illustres dans les lettres et
dans les sciences : les frères Bernouilli do Bâle
inventeurs du calcul différentiel et intégral et
leur disciple Léonard Eulcr- qui, le premier, 'ré-
duisit en corps de science I architecture navale
et la manœuvre dos vaisseaux ; Albert de Haller
poète et naturaliste, que son siècle appelait lé
grand Halleri les deux critiques zuricois Bodmer
et lireitinger, et leurs compatriotes Salomon
Gessner. le poète idyllique, Lavater, le créateur
de la physiognonoinie, Pestalozzi, le père de l'en-
fance malheureuse et de l'éducation populaire.
Parmi les historiens, il faut citer Jean de Muller,
auteur d'une histoire universelle et d'une histoire
suisse. La Suisse romande, où naquit J.-J. Rous-
seau, où l'Anglais Gibbon écrivit son immortel
ouvrage sur la décadence de l'empire romain,
où Diderot et d'Alembert faisaient imprimer leur
Encyclopédie, fournissait aussi plusieurs hom-
mes remarquables : le Neucliâielois Vattel, l'au-
teur du Droit des gens ; Necker, ministre des
finances de Louis XVI, le père de M^^ de Stacl •
Clavière et Etienne Dumont, les collaborateurs de
Mirabeau; les savants Charles Bonnet et Horace
de Saussure, qui le premier fit l'ascension du
mont Blanc.
Au xix= siècle, on peut citer les noms des his-
toriens Sismondi et Zscliokke, des romanciers
Bitzius (Jeremias Gotthell) et Tœppfer, du littéra-
teur Viiiet, du baron de Jomiiii, écrivain militaire
distingué, des peintres Lénpold Robert et Ca-
lante, des statuaires Pradier et Vêla, du musi-
cien Niedermeyer, du grand botaniste de Can-
doUe, etdu naturaliste Agassiz, mori en Amérique.
[Eugène Borel. 1
SUPERLATIF. — V. Degré ,1e comparaison.
SUI'KIISTITIONS. — Connaissances usuelles, X.
— Le mot superstition (de radicaux latios dont le
sens est se tenir au-dessus-, /iroiéf/er; d'où l'idée
de crainte des dieux, du respect de leur protection,
pt;ise en mauvaise part) est ainsi défini par l'Aca-
démie : La superstition est une o fausse idée que
l'on a de certaines pratiques de religion aux-
quelles on s'attache avec trop de crainte oti trop
du confiince » ; il se dit aussi « des pratiques
superstitieuses », et encore « du vain présage
qu'on tire de certains accidents qui sont purement
fortuits. »
La superstition, d'après ces définitions, tient de
très près à la religion; elle est à la religion
comme l'a dit Voltaire, n ce que l'astrologie est
k l'astronomie, la fille très folle d'une mère très
sage. » Elle naît, en effet, comme la religion, de
ce sentiment de l'au d-la, de cette préocc°upation
de nos destinées soit antérieures, soit ultiirieures
à la vie présente, des liens qui unissent notre
SUPERSTITIONS
2100 —
SUPERSTITIONS
individu tant à l'ensemble des êtres qu'à leurs
causes dernières et suprêmes, qui constitue sans
contredit un des éléments de la nature humaine.
Mais au lieu de s'adresser, pour savoir ce qu'il
est possible de savoir sur ces grands mystères,
soit h la raison et à l'expérience, soit à l'ensemble
des dogmes reconnus par les églises, c'est aux
fantaisies de l'imagination que la superstition de-
mande ses révélations, quand sa croyance ne
•'appuie pas sur des traditions que les générations
se transmettent, plus ou moins déformées et défi-
gurées, à travers les âges. La religion, représentée
par les églises orthodoxes et par leurs apologistes
les plus autorisés, s'est toujours défendue de la
superstition. L'Église catholique, par exemple,
peut montrer un grand nombre de canons de ses
conciles anatliématisant les croyances et les pra-
tiques qu'elle reconnaît comme superstitieuses.
II y a de curieux écrits émanant des évêques, qui
montrent qu'en plein moyen âge, c'est-à-dire en
pleine floraison des idées superstitieuses, l'Eglise
réprouvait ces aberrations, où elle ne pouvait voir,
fort justement d'ailleurs, que des restes encore
vivants du paganisme populaire. C'est ainsi que
M. Chéruel, dans son Dictionnaire liislorique des
institutions, mœurs et coutumes de la Frarn-e, cite
un passage très sensé contre les superstitions,
extrait d'une vie de saint Éloi, écrite au vu' siè-
cle par saint Ouen, archevêque de Rouen : <i Je
vous conjure, dit le saint aux fidèles, de fuir les
usages sacrilèges des païens. ,\e consultez ni les
devins, ni les sorciers, ni les magiciens, ni les
enchanteurs ; ne les interrogez jamais, ni dans
vos maladies, ni dans aucune circonstance Celui
qui commet ce péché perd aussitôt la grâce du
baptême. N'observez ni les augures ni les éter-
numents ; ne vous arrêtez pas pour écouter le
chant des oiseaux ; mais, soit que vous entrepreniez
un voyage ou toute autre chose, signez-vous au
nom du Christ; récitez, avec fol et dévotion, le
symbole et l'oraison donilnlcalej et rien ne pourra
vous nuire. Que nul chrétien ne remarque le jour
où il sort ni celui où il rentre ; car Dieu a fait
tous les jours égaux. Que personne ne fasse
attention au jour ou à la lune pour commencer
une entreprise. 11 est interdit de se livrer, aux
calendes de janvier fl" janvier), h des pratiques
ridicules et criminelles, de prolonger les festiiis
pendant la nuit et de boire avec excès ; fuyez, à
îa fêle de sahu Jean et des antres saints, les
danses, les sortilèges et les cérémonies diaboli-
ques. Que personne n'invoque les démons, Nep-
tune, Diane, Minerve, ou les génies. Évitez les
temples, les pierres, les sources ou les arbres
coiisacrés aux démons. N'allumez pas de lampes
dans les carrefours; n'y faites pas de vœux. Que
personne ne suspende des amulettes au cou des
hommes ou des animaux ; lors même que les
clercs les béniraient, évitez ces objets, qui ne sont
pas un remède du Chiist, mais un poison du
diable. Ne faites ni lustrations ni enchantements;
ne faites point passer vos troupeaux par un arbre
creux ou par une fosse ; ce serait, en quelque
sorte, les consacrer au démon. Qu'aucune femme
ne suspende à son cou des sachets d'ambre ;
qu'elle n'Invoque point Minerve avant de travailler
la toile, mais qu'elle implore la grâce du Christ,
et qu'elle se confie de tout son cœur en la vertu
de son nom. SI la lune vient à s'obscurcir, ne
poussez point de cris; c'est par la volonté de
Dieu qu'elle subit des éclipses à certaines époques.
Que personne ne craigne d'entreprendre un tra-
vail à la nouvelle lune; Dieu a fait la lune pour
marquer les temps, pour éclairer l'obscurité des
nuits, et non pour mettre obstacle aux travaux
ou pour frapper l'homme, ainsi que le pensent les
insensés, qui regardent comme tourmentés par
la lune ceux qu'agite le démon. » Au point de
vue scientifique moderne, il y aurait encore bien
à reprendre dans ces paroles du pieux arche-
vêque; mais il n'en défend pas moins le bon sens,
au nom de la religion elle-même, et sa doctrine
ne dilTère pas de celle de Pascal, lorsqu'au
xvii' siècle 11 écrivait dans ses Pensées : « La
piété est différente de la superstition; soutenir la
piété jusqu'à la superstition, c'est la détruire. »
Mais il est des époques où, par suite de raisons
et de circonstances qui ne rentrent pas dans notre
sujet, l'opinion de Pascal ne semble pas partagée,
au moins en fait, par la masse des pratiquants,
et où l'on dotme trop de raison à cette singulière
doctrine que formulait Joseph de Maistre en di-
sant : " Je crois que la superstition est un ou-
vrage avancé de la religion, qu'il ne faut pas
détruire, car il n'est pas bon qu'on puisse sans
obstacle venir jusqu'au pied du mur, en mesurer
la hauteur et planter les échelles. »
Quoi qu'on puisse penser de ces théories, que
notre époque contemporaine ne voit que trop sou-
vent mettre en pratique, on peut remarquer
qu'historiquement elles sont à tout le moins nou-
velles, l'Église voyant dans les superstitions,
qu'elle-même ne patronnait pas, une atteinte à
son autorité, et, au temps où le bras séculier se
faisait l'exécuteur de ses liautes œuvres, confon-
dant traditionnellement les superstitieux avec ses
pires ennemis et les condamnant comme les héré-
tiques. Pendant de longs siècles, on a questionné,
emprisonné et biûlé les sorciers ou prétendus
tels, par centaines quelquefois ; il y a des procès
de sorciers qui sont restés célèbres, ceux de
Gauifrédy, par exemple, et d'Urbain Grandier, au
xvii"' siècle; en 1750, le jésuite Girard faillit en-
core être brùié vif par arrêt du parlement de
Provence pour avoir ensorcelé, disait-on, la belle
La Cadière, sa pénitente ; et, cette même année,
à Wurtzbourg, on brûla en grande cérémonie
une religieuse de famille noble, pour avoir,
de son propre aveu, pratic|ué diverses sor-
celleries à l'effet de donner la mort à plusieurs
personnes, lesquelles, d'ailleurs, avaient résisté à
la puissance de son art. On ne brûle plus aujour-
d'hui les sorciers, ni autres prùneurs de supers-
tition ; l'article 479 du Code pénal se contenta
d'infliger une amende légère aux gens qui font
métier de deviner, de pronostiquer ou d'expliquer
les songes; encore est-il rare qu'on inflige ces
peines, sauf dans le cas d'escroquerie.
La sorcellerie et les autres superstitions sont
rentrées dans le domaine de la science ; elle en
explique l'origine et, ce qui est plus dilficile, elle-
essaie d'en préserver ou d en guérir les gens.
C'est une tâche qui peut et qui doit souvent reve-
nir aux instituteurs; nous y insisterons particu-
lièrement à ce point de vue.
L'article Légendes de ce Dictionnaire montre
comment les croyances superstitieuses naissent,
prennent corps, se transmettent, remontant bien
souvent à une haute antiquité, ayant quelquefois
traversé, satis s'y perdre, l'orthodoxie de plusieurs
cultes, sans cesse vivifiées et renouvelées par
l'Imagination populaire. A ce titre, comme le
remarque l'auteur de l'article, elles sont extrê-
mement curieuses pour l'histoire; elles sont aussi
extrêmement Intéressantes pour le poète ; étranges
parfois jusqu'à la bizarrerie, parfois aussi char-
mantes ou terribles sous leur forme spontanée,
elles ont servi de fond aux plus beaux chefs-d'œu-
vre littéraires, ne fût-ce que Fuust ou Don Juan.
Elles n'en sont pas moins dangereuses pour ceux
qui y volent la seule chose qu'elles ne puissent
avoir, c'est-à-dire une véiitablc réalité. Supersti-
tion vient d'ignorance, et toute ignorance est
mauvaise. C'est faute de connaître les faits que
le superstitieux en explique surnaturellement les-
circonstances et les causes. 11 ne faut pas que
SUPERSTITIONS — 2101 — SURFACES COURBES
l'instituteur craigne de reprendre au xix* siècle
le rôle de saint Ouen au vu', en serrant de plus
près la vérité que saint Ouen ne le pouvait faire.
La tâche, d'ailleurs, n'est pas plus facile. L'igno-
rance sur laquelle s'appuie le superstitieux est
une ignorance intéressée : c'est pour la sauve-
garde ou l'amélioration de ce qu'il a de plus pré-
cieux, de ce qu'il regarde comme ie plus envia-
ble, sa vie, sa santé, sa fortune, la satisfaction
d'une passion ou d'un désir, que le superstitieux
consulte les sorts, se fait dire la bonne aventure,
s'enquiert de ses rêves, redoute tel ou tel présage,
boit de telle eau ou invoque tel saint, s'adresse h
la somnambule ou k ceux qui o disent des paro-
les », fait tourner, au besoin, des tables ou des
chapeaux, et évoque môme les esprits, qui ne se
montrent pas moins dociles à nos modernes spi-
rites que jadis à Ulysse, à Enée, ou au roi Saiil
■cliez la pytlionisse d'Endor. Il faut que, dans
l'école et même au delà, l'instituteur prenne
€orps à corps ces fausses croyances, qui ne se
bornent pas toujours à la sottise, qui peuvent
aller à la méchanceté, et dont les pratiques, dans
bien des cas, donnent lieu i de fâcheux accidents :
le jeteur de «orts n'est pas le plus souvent — les
tribunaux l'ont montré — un croyant naïf qui se
croit un droit surnaturel de vie ou de mort sur
les bêles d'autrui, et il arrive plus d'une fois à la
« sorcière » ou au <> rebouteux « d'estropier pour
la vie, de faire même soi tir de ce monde le pa-
tient blessé ou la pauvre femme en couches.
Il faut en appeler au bon sens. Le simple fait
suffira parfois à prouver aux intéressés qu'il n'ar-
rive pas toujours malheur à ceux qui ont renversé
une salière ou se, sont trouvés treize à table. A
ceux qui craignent de commencer une affaire ou
de conclure un marché le vendredi, sous prétexte
que cela porte malheur, faites observer qu'en
général, dans tout marché ou dans toute affaire,
à moins d'échange pur et simple, il y a perdant et
gagnant, et que, par conséquent, le vendredi,
jour de malheur pour l'un, est par là même jour
■heureux pour l'autre. Ajoutez — ce sera le cas —
que les mauvaises affaires et les mauvais marchés
sont surtout ceux pour lesquels on a manqué de
prudence, de prévoyance, voire de bonne foi.
Vous guérirez peut-être ceux qui croient que les
hiboux sont des messagers de mort, en leur fai-
sant voir que s'il en est ainsi, comme les hiboux
se tiennent d'ordinaire dans des endroits isolés
où personne ne peut mourir, ils sont singulière-
ment infidèles à leur ministère; vous pourrez
<lire aussi en passant que les hiboux valent mieux
que leur réputation, et qu'ils font bonne besogne
de mangeurs de rats et autres bêtes malfaisantes.
A tel qui redoutera les pies ou les corneilles,
comme faisaient déjà les anciens, contez, si vous
voulez, cette malice d'Esope, que vous trouverez
dans sa vie traduite par La Fontaine du texte
grec de Planude. Esope, qui était esclave, deman-
dait à son maître la liberté ; Xanthus la lui refusait,
ajoutant que, « si toutefois les Dieux l'ordonnaient
ainsi, il y consentait : partant qu'il prît garde au
premier présage qu'il aurait sortant du logis ; s'il
était heureux, et que, par exemple, deux cor-
neilles se présentassent à sa vue, la liberté lui
serait donnée; s'il n'en voyait qu'une, qu'il ne se
lassât point d'être esclave... A peine Esope fut-il
hors, qu'il aperçut deux corneilles sur un arbre.
Il en alla avertir son maître, qui voulut voir lui-
même s'il disait vrai. Tandis que Xanthus venait,
l'une des corneilles s'envola. >. Me tromperas-tu
toujours? dit-il à Esope : qu'on lui donne les
étrivières. » L'ordre fut exécuté. Pendant le sup-
plice du pauvre Esope, on vint inviter Xanthus à
un repas : il promit qu'il s'y trouverait. « Hélas !
s'écria Esope, les présages sont bien menteurs !
jmoi qui ai vu deux corneilles, je suis battu;
mon maître, qui n'en a vu qu'une, est prié da
noces. » Xanthus rit du mot d'Esope, mais il ne
lui rendit pas la liberté. »
Il faut, en définitive, combattre la superstition,
comme on combat tous les préjugés et toutes le»
erreurs, par des raisonnements justes, s'il y a lieu,
surtout par l'observation directe et précise des
faits. Il n'y a plus de sciences occultes depuis
qu'il y a des sciences véritables ; les alchimistes
du grand œuvre n'en sont plus aujourd'hui à vou-
loir transformer les corps naturels, mais le chi-
miste a tiré de chacun, par une exacte analyse,
plus de merveilleux efl'ets que n'en avaient pu
imaginer les plus audacieuses rêveries de leurs
devanciers ; il n'y a plus do sorciers ni de sor-
cières depuis qu'il y a des médecins dignes de ce
nom, qui ne prennent pas les hystériques, les
épileptiques et les fous pour des possédés et des
démoniaques. Les faiseurs de prédictions sont au-
jourd'hui d'honnêtes astronomes, travaillant, aux
frais de l'Etat, dans les observatoires ou au bu-
reau des longitudes; les magiciens sont d indus-
trieux savants, qui inventent les prodiges de la
télégraphie, de la téléphonie, ou d'amusants pres-
tidigitateurs, qui sont les premiers à rire de leur»
miracles. Pour croire aujourd'hui que les furoUe»
sont des gnomes, qu'on se guérit d'une fracture
ou d'une luxation avec des formules, et que le»
comètes annoncent la guerre, il faut être un igno-
rant ou un charlatan : l'école a pour mission de
diminuer le nombre des uns et d'empêcher la
succès des autres.
Nous signalerons aux instituteurs comme une
excellente lecture à faire, soit pour eux-mêmes,
soit dans les cours supérieurs de leurs classes ou
dans les classes d'adultes, les chapitres XIX et
XX de la troisième partie de la Logique de Port-
Royal, ayant pour titre, le premier : Des diverses
manières de mal raisonner, que l'on appelle so-
phisrnes, et le second : Des mauvais raisonne-
ments que l'on commet dans la vie civile et dans
/es discours ordinaires. Ils y trouveront, dans un
langage très simple et très net, l'énumération
d'un grand nombre de fausses idées qui sont de
cours ordinaire, ainsi que les moyens d'y répondre.
Nous leur recommandons aussi la page bien con-
nue de Fontenelle, ayant pour titre La Dent d'or,
qui se trouve dans un grand nombre do recueils.
C'est une critique très sensée et très fine de ce»
idées préconçues qu'on érige si facilement en sys-
tèmes et qui tombent au moindre contact de l'ex-
périence. [Charles Defodon.]
SURFACES COURBES. — Géométrie, XXV-
XXVI. — DÉFINITION UE L\ SURFACE COUBBE. — DanS
un grand nombre d'ouvrages classiques, on définit
la surface en disant que c'est la limite qui sépare
«H corps du reste de l'espace. Il en résulte qu'on
ne pourrait pas concevoir une surface séparée d'un
corps, tandis que le contraire arrive continuelle-
ment dans l'étude de la géométrie. Cette défini-
tion no paraît donc pas avoir une clarté suffisante
pour un enseignement élémentaire. Aussi dirons-
nous de préférence : oti appelle surface une éten-
due considérée en longueur et en largeur, sans
qu'on fasse attention à l'épaisseur, par exemple
la surface d'une table, d'un mur, d une colonne.
Une feuille de papier aussi mince que possible,
comme le papier mou, peut donner une idée d'une
surface indépendante d'un corps, et cette repré-
sentation sera d'autant moins imparfaite que
l'épaisseur du papier se trouvera plus petite.
Si cette feuille de papier est parfaitement ten-
due en tous sens comme dans un cadre, la sur-
face est plane. Si elle a toute autre forme, la sur-
face est courbe. On définit la surface plane en di-
sant : C'est une surface telle qu'une ligne droite
qui y est appliquée dans un sens quelconque a
tous ses points en contact avec elle.
SURFACES COURBES —2102— SURFACES COURBES
On appelle surface courbe toute surface qui n'est
ni plane, ni composée de surfaces planas. Telle est
la surface (l'un tuyau, d'une boule, d'un enton-
noir, d'un caillou roulé
Il ne sera point inutile d'entrer dans quelques
explications, pour que les élèves arrivent h avoir
une notion juste de ce qu'on enti'nd par surface
courbe. Prenant comme exemple celle d'une
boule, on imagine qu'elle soit découpée en un
nombre extrêmement grand de parties égales, de
forme carrée pour plus de simplicité; plus ces
carrés sont nombreux, plus ils tendent à avoir
leur surface plane. Si l'on suppose ensuite qu'on
enlève ces carrés élémentaires, et qu'on les dis-
pose les uns à côté dos autres sur une surface
plane, ils en couvriront une certaine portion qui
différera d'tutant moins de la surface courbe que
les carrés seront plus pi-tits. C'est celle portion de
surface plane qui représentera sous une forme
plus simple l'étendue de la surface courbe.
Il y a plusieurs genres de surfaces courbes;
mais trois seulement entrent dans le cadre de
la géométrie élémentaire. Ce sont : la surface
cylindrique, la surface coiiique et la surface splié-
rigue.
I. Surface cylindrique. — On appelle surface
cylindrique la surface engendrée par une droite
indéfinie GG' (flg. i), qui se meut le long d'une
Fig. 1.
ligne courbe quelconque mn, en restant toujours
parallèle à sa direction première. La droite est la
génératrice de la surface, et la courbe qui lègle
son mouvement est la directrice. Nous prendrons
ici pour directrice une courbe plane fermée, la
génératrice étant perpendiculaire à son plan. Si
on regarde la courbe comme composée d'une in-
finité de côtés infiniment petits, la surface cylindri-
que se trouvera composée d'une infinité de faces
planes infiniment étroites, comme la surface laté-
rale d'un prisme droit. Or on peut imaginer que
la seconde de ces faces soit rabattue sur le plan de
la première, la troisième sur le plan des deux
autres, de la même manière que les feuilles d'un
paravent qu'on déplierait en ligne droite, et ainsi
de suite. De là il résulte qu'une surface cylindri
que peut être transformée sans altération en une
surface plane : c'est ce qu'on exprime en disant
<jU3 cette surface est dévetoppahte.
Si on prolonge indéfiniment dans les deux sens
une de ces faces planes infiniment étroites, ce
plan indéfini ne touclie la surface cylindrique que
le long d'une génératrice : ce plan est dit tangent
à la suiface cylindrique.
D'après ce qui précède, la surface cylindrique
n'est autre nu'une surface prismatique ayant pour
aces latérales des rectangles indéfinis en lon-
gueur, mais infiniment étroits. Par conséquent
les sections faites dans une surface cylindrique
par des plans p-rallèles sont des courbes égales.
Cylindre. — On appelle cylindre le volume
compris eiuie une surface cylindrique et deux
sections parallèles faites dans'cette surface. Ces
sections sont les Ouses du cjlindre.
Quand les bases sont perpendiculaires à la gé-
nératrice, le cylindre est droit; dans ce cas 11
est circulaire, s'il a pour base un cercle; ellipti-
que, s'il a pour base une ellipse.
La surface cylindrique circulaire se montre
dans la voûte des tunnels de chemins de fer ou
des aqueducs souterrains; la surface cylindrique
elliptique est celle des ponts à voûte surbaissée.
Cylindre circulaire droit. — Dans la géomé-
trie élémentaire on étudie particulièrement la
cylindre circulaire droit. C'est de celui-là qu'il est
question, quand on le nomme simplement cylin-
dre, sans autre dénomination particulière.
On peut en donner la définition suivante : le
cylindre est un volume emiendré par la révolu-
tion d'un rectangle ABCD lourna^d ai't'Ur de
l'un rie ses côtés AB qui reste fixe i,\. la fig. 1 de
l'article Corps ronds, p. âl'î).
Le côté fixe est Vaxe ou la hauteur du cylindre ;
le côté CD, qui lui est parallèle, décrit la surface
courbe ou suiface latérale du cylindre ; les côtés
égaux BC et AD, perpendiculaires à l'axe, décri-
vent les cercles qui sont les bases du cylindre.
Le cylindre peut être assimilé à un prisme ré-
gulier dont les faces latérales seraient des rec-
tangles infiniment nombreux et infiniment étroits.
C'est ce que montre la figure 2. Si on imagine
qu'on double indéfiniment le nombre des côtés du
prisme régulier inscrit dans le cylindre qui a pour
base le cercle ABCDEF, le prisme difl"ère d'au-
tant moins du cylindre que le nombre de ses faces
latérales devient plus grand.
Si on fend le cylindre le long d'une généra-
trice A' A ifig. 2), et qu'on développe sa surface
latérale, elle se transforme en un rectangle d'une
hauteur égale à celle du cylindre et ayant pour
base une droite égale à la circonférence rectifiée
du cylindre.
Réciproquement on peut former un cylindre en
enroulant un rectangle de manière à amener deux
côtés opposés l'un sur l'autre, de manière que
les deux autres côtés forment des cercles égaux.
Resiarque. — Les trois points de vue sous les-
quels nous venons d'envisager le cylindre circu-
laire droit serapportent à trois modes de construc-
tion usités dans les arts. Le potier pratique le
premier pour modeler un cylindre creux en terre;
le charpentier opère d'après le second, pour trans-
former en un rouleau une pièce de bois prisma-
tique ; c'est d'après le troisième que le boisselier
et le ferblantier fabriquent des vases cylindri-
ques en bois, en tôle ou en fer-blanc.
Les mesures efl'ectives de capacité ont reçu la
forme cylindrique, qui est plus commode que la
forme cubi'que. Les mesures en bois pour les
grains, le charbon, etc., ont une profondeur égale
à leur diamètre; celles qui sont en étain et ser-
vent à la mesure du vin, de l'alcool, etc., ont une
profondeur double de leur diamètre; enfin celles
qui sont destinées à la mesure du lait et de l'huile
sont en fer-blanc et ont une profondeur égale à
leur diamètre.
1
SURFACES COURBES —2103— SURFACES COURBES
MESunE ni! i.\ surface latéualk du cylindhe. —
Pour cuniiailre ii surface latérale d'un ci/nnrlre,
il suffit de multiplier sa hauteur par la circonfé-
rence lie sn hase.
On vient do voir en effet que cette surface n'est
autre que celle d'un rectangle do môme liautenr
que le cylindre et dont la base est le développe-
ment rectiligno de la circonférence.
Si donc on désigne par A etila hauteur et le rayon
d'un cylindre, sa surface latérale S sera exprimée
par la formule suivante :
S = 2uï-X/i.
Pour avoir la surface totale, il n'y a qu'à ajou-
ter h la surface latérale le double de la surface
du cercle de base.
SlMfLlTUDE DE DEUX CYLINDRES. — Malgré ICUr
ressemblance de forme, deux cylindres ne sont
pas toujours semblables au point de vue de la
géométrie. On appelle c/lindres semhlablrs deux
cylindres dont les hauteurs S07>t proportionnelles
aux r^njoiis des bases.
Tels sont, par exemple, deux cylindres dans
lesquels la hauteur et le rayon de l'un seraient
triples de la hauteur et du rayon de l'autre, ou
deux cylindres dont les hauteurs seraient doubles
de leurs diamètres.
Le ra/ip'irt 'les surfaces latérales de deux cy-
lindres semblables est égal au cirré du rapport
des haut-icrs nu au carré du rapport des rayons.
En effet soit S et S' les surfaces latérales de
deux cylindres dont les hauteurs sont h et h' et
les rayons r et )•'. On a pour leurs surfaces :
S =2Tt!- Xh,
S' = 27tr'X/''-
En divisant ces deux égalités membre h mem-
bre, afin d'avoir le rapport des surfaces, on
obtient :
S '• /<
s )• h
Crie rapport des rayons-, étant égal au rap-
, , /' . ■
port des hauteurs -,, on peut écrire :
S r r /r\i
ou
S' /.' ^ h' - [h'J '
ce qui est précisément l'énoncé du théorème.
Remarque. — Le rapport des surfaces totales de
deux cylindres (y compris celles des deux bases)
est aussi le même que pour les surfaces latérales.
En effet, supposons que le rayon de l'un
2
soit - du rayon de l'autre, la surface latérale du
4
plus petit sera - de la surface latérale du plus
grand. Or la surface du cercle du premier est
aussi - de la surface du cercle du second. Le rapport
surfaces latérales.
Sections places d'un cylindre. — 1° Toute sec-
tion faite dans un cylindre par un plan perpen-
diculaire à l'axe est un cercle égal au cercle de
base.
2° La section faite par un plan oblique à l'axe
est une ellipse (fig. 3). Nous nous bornons h énon-
cer ce tait, sans en donner la démonstration j nous
indiquerons seulement un moyen facile de réa-
liser cette section. Il suflit do mettre de l'eau
dans un verre b, boire cylindrique. Dans la posi-
tion ordinaire du verre, la surface de l'eau est
une section plane perpendiculaire à l'axe du verre,
c'est un cercle. Si on incline le verre avec la main,
le plan de la surface présente une ellipse plus ou
moins allongée.
Intersection de deux cylindres. — Quoique
celte question appartienne spécialement ù la géo-
métrie descriptive, nous en dirons quelques mots
à cause do ses fréquentes applications dans les
arts.
Deux cuUndres de me'me rnt/on dont les axes se
rencoidrent se coupent suivant une ellipse.
C'est ce qui se produit à la rencontre de deux
tuyaux, assemblés comme dans les figures 3<, [S
et 6.
La rencontre de deux surfaces cylindriques se
montre aussi dans les voûtes de divers édifices
tels que plusieurs cathédrales, ou certains arcs-
de-triomphe.
II. Surface conique. — On appelle surface co-
nique la surface engendrée par une droite indé-
fiuie SG (fig. 7), qui se meut sur une courbe
SURFACES COURBES — 2104 — SURFACES COURBES
Fig. 7.
quelconque, en passant constamment par un point
fixe S.
Si on regarde la courbe directrice comme com-
posée d'un nombre infiniment grand de cùtés in-
finiment petits, la surface conique se trouvera
composée d'une infinité de faces angulaires infini-
ment étroites, comme la surface latérale d'une
pyramide. Or si on imagine que la seconde de ces
faces soit rabattue sur le plan de la première, la
troisième sur le plan des deux autres, et ainsi de
suite, on voit que la surface conique est aussi
développable, comme la surface cylindrique.
Si l'on prolonge indéfiniment le plan d'une de
ces faces infiniment étroites, le plan ainsi obtenu
est dit plan tntgenl à la surface conique. Il la
touclie le long dune génératrice.
CôxE. — On nomme cône le volume compris
entre la surface conique et la section faite dans
cette surface par un plan fig 8 et :i;.
Kig. s cl 9.
CÔNE cinct-LAinE onoiT. — Un cône qui a pour
base un cercle et dont le sommet se trouve sur la
droite perpendiculaire à la base en son centre est
un COUP lirciilnive droit . C'est ce cône qu'on étu-
die dan*, la géométrie élémentaire; il est désigné
seulement par le nom de cône. On peut en don-
ner la définition suivante : le cône est un volume
engendré par la révolution d'un triangle rec-
tangle tournant autour de l'un des côtés de l'angle
droit.
Le côté fixe AB {V. la fig. î de l'article Corps
ronds, p. 5r,') est Vaxe ou la hauteur du cône ;
le côté BC, qui lui est perpendiculaire, décrit le
cercle de base ; l'bypoténusc AC décrit la surface
latérale ou surface courbe. L'Iiypoténuse, qui est
la génératrice de cette surface, est aussi appelée
iipothème du cône.
Le cône peut être assimilé à une pyramide
régulière, qui aurait pour base un polygone régu-
lier, d'une infinité de côtés infiniment petits et
dont les faces latérales seraient des triangles
isoscèles égaux, infiniment étroits à leur base.
C'est ce que montre la figure 10, si l'on suppose
qu'on augmente indéfiniment le nombre des côtés
de la base de la pyramide régulière inscrite dans
le cône SAD.
Si_ on fend la surface du cône le long d'une
génératrice SA. elle se développe suivant un sec-
teur circulaire SAUA (fig. II , dont le rayon est
Fig. 10.
égal à l'apothème du cône et dont l'arc est égal
Fig. U.
en longueur à la circonférence de la base du
cône.
Mesure de la surface latérale du cône. —
La surface latérale d'un cône est égale nu demi-
produit de son apothème par la circonférence de
sa base.
Cela résulte de la mesure de la surface du sec-
teur circulaire dans lequel se transfonne la sur-
face latérale du cône dans son développement.
Cette mesure peut se déduire aussi de celle de
la surface latérale d'une pyramide régulière.
Similitude de deux cônes. — On nomme cônes
semblables deux cônes dont /es hauteurs sont
proportionnelles aux rayons des bases.
Les triangles rectangles générateurs des deux
cônes semblables sont eux-mômes semblables. Il
résulte de lîi que deux cônes semblables peuvent
s'emboîter exactement l'un sur l'autre par leur
sommet; leurs surfaces latérales coïncident et la
circonférence de base du plus petit se trouve alors
parallèle à la circonférence de base du second.
Tels sont les deux cônes ADE et ABC de la
figure 2 de l'article Corps rowls.
Le rapport des surfaces latérales de deux cônes
semblables est égal au oirrc du rapport de leurs
rayons, ou au carré du rapport de leurs hau-
teurs.
En effet, soit S et S' les surfaces de deux
cônes semblables dont les apothèmes sont a et a',
les hauteurs h et h' et les rayons des bases r
et »•'.
On a pour leurs surfaces latérales :
S =TtrXa.
S' = Ty xo'.
En divisant les deux égalités membre à mem-
bre, on obtient :
S )• a
:r.= -,y<-.'
Or, le rapport -, étant égal au rapport j-, et au
rapport -,i on peut écrire ;
SURFACES COURBES
2103
SURFACES COURBES
■ r' r V/
ce qui est l'énoncé du théorème.
Tronc ue cône. — Toute section faite dans un
cône par un plan perpendiculaire h l'axe est un
cercle. Si la section est à égale distance du
sommet et de la base, la circonférence de la sec-
tion est égale à la moitié de la circonférence de
la base, et la surface de la section n'est que
le quart de celle de la base.
On nomme tronc de cône eu cône tronqué la
portion de cône comprise entre sa base et
une section parallèle à cette base. Telle est la
portion do cône comprise entre le cercle BC et
le cercle parallèle DE.
En considérant les figures Ifl et II,, on recon-
naît facilement que la surface latérale d'un cône
tronqué se développe en un trapèze circulaire
compris entre deux arcs concentriques A'D'A' et
ADA égaux aux circonférences des bases du cône
tronqué, et limité h droite et à gauche par deux
droites égales à l'apothème du cône tronqué.
Mesure de la surface latérale ou cô.ne tron-
CUÉ. — La surface latérale d'un cône tronqué est
égale au produit df son apothème par la demi-
summe des circonférences des bases.
En effet, si on mène dans le secleur circulaire
SADA (fig. 11) un grand nombre de raj'ons, tels
SA, SG, SD, etc., le trapèze circulaire A'AUAA',
qui est le développement de la surface latérale
du cône tronqué, se trouve décomposé en un
grand nombre de trapèzes circulaires ayant tous
pour hauteur l'apolliènie du cône tronqué et dont les
bases sont des arcs qui tendent à se confondre avec
leurs cordes, à mesure qu'ils deviennent plus
petits. Or, la surface de chacun de ces trapèzes
élémentaires serait égale à l'apothème multiplié
par la demi-somme des deux bases ; donc la sur-
face de la somme de tous ces trapèzes sera égale
au produit de lapotlième multiplié par la demi-
somme des bases, c'est-'i-dire par la demi-somme
des circonférnnces des hases du cône tronqué.
La forme du cùno tronqué se présente plus
souvent que celle du cône lui-même ; c'est celle
d'un abat-jour de lampe, d'un seau, d'une cuve dont
le fond n'a pas le même diamètre que l'ouverture.
Nous alloiis montrer comment on peut le cons-
truire, quand l'apothème est donné ainsi que les
diamètres des bases.
Construction du cône tronqdé. — Supposons
que le diamètre d de la plus grande base ait
48 centimètres, le diamètre rf' de la plus petite 32,
et l'apothème 40.
La question revient Ji construire le développe-
ment A'ADAA' (fig. 11) de la surface latérale du
cône tronqué, et pour cela, il faut calculer le
rayon SA et le nombre de degrés de l'angle du
secteur ASA.
Or, on a d'abord les égalités suivantes :
arc A A =7trf, ^ SA_ arc A A
arc A'A' = ':td', ^ SA'"~ arc A'A''
On en tire la proportion :
SA _rf_
SA' ~ (/'
De cette proportion on déduit :
SA >l_ SA _ d
SA-SA'~c<-d' "" kk'~ d-d'
Avec cotte dernière proportion on obtient :
SA = AA'X
-, = 40 X
48 — 32
On trouve ainsi SA = 120 centimètres;
SA' = 130 — 40 = 80 centimètres.
Cherchons maintenant le nombre de degrés de
l'angle du sectenr.
La circonférence ayant pour rayon SA serait
égale à SirX l"-!0; elle contient 3(50°,
j . • . ■ 360°
Un arc de 1 centimètre aurait --•
2iix 120
L'arc ADA est égal ;i7rx48.
Le nombre de degrés qu'il contient est donc :
360"
300 X 48
27tX 120
= 'I2'>
2X1-20
Sections planes du cône. — Nous avons déj^ vu
que la section du cône par un plan perpendiculaire
i l'axe est un cercle. Lorsque le plan sécant est
oblique à l'axe, la courbe d'intersection varie,
suivant l'inclination du plan sécant par rapport à
l'axe.
Considérons un cône se prolongeant indéfini-
ment des deux côtés du sommet, et formant ainsi
un double cône dont les deux parties sont nom-
mées nappes.
Si le plan sécant traverse l'une des deux nap-
[ pes seulement, la courbe est une ellipse.
Si le plan sécant est parallèle à une généra-
trice, il ne coupe qu'une nappe et la courbe est
! une parabole.
1 Si le plan sécant coupe les deux nappes h la
fois, la courbe se compose de deux branches qui
s'ouvrent indéfiniment : c'est une hi/perbvle.
\ C'est pour cette raison que l'ellipse, la para-
j bole et l'hyperbole sont appelées sections coni-
! ques (V. Courbes iisicelles, Ellipse, Parabole).
III. Surface sphérique. — La surface sptiérique
est la surface engendrée par la révolution d'une
demi-circonférence tournant autour du diamètre
j qui reste fixe.
I Le volume limité par cette surface est appelé
sphère. On emploie habituellement le mot sphère
pour désigner la surface sphérique elle-même.
Nous renvoyons à l'article Corps ronds pour les
définitions de certaines lignes qui se rapportent
à la sphère. On trouvera au môme article la dé-
monstration dn théorème suivant : Toule section
faite dans une sphère pur un plan est un cercle.
On appelle pôles d'un cei-Clc de la sphère les
extrémités du diamètre de la splièro qui est per-
pendiculaire au plan du ce cercle. Par exemple, le
diamètre VV (fig. Iv) étant perpendiculaire au cer-
cle EG et au cercle AD. les points P et P' sont les
pôles de ces deux cercles parallèles.
Le cercle qui passe par le centre de la sphère
est le plus grand; pour cette raison on le nomme
grand cercle. 11 divise la sphère en deux parties
égales.
Deux grands cercles se coupent en deux par-
ties égales; leur droite d'intersection est un dia-
mètre de la sphère.
SURFACES COURBES — 2106 — SURFACES COURBES
Le grand cercle jouit d'une autre propriété im-
portante, c'est que d'un point à un nuire sur la
sp/iére l'arc de grand cercle est le plus court che-
min.
Le pôle d'un cercle est également distant de
tous les. points de la circonférence de ce cercle ;
cette propricto permet de décrire un cercle sur
la spiière. On place la pointe du compas au
pôle P; puis avec une ouverture quelconque
on décrit au moyen de l'autre pointe une circon-
férence AD ou une circonférence EG, au^si faci-
lement que sur un plan. Seulement on se sort
dans ce cas pour plus de commodité d'un compas
dont les deux brandies sont recourbées.
C'est surtout dans la construction des globes
terrestres que se fait l'application la plus inté-
ressante du tracé des cercles sur la surface d'une
sphère. Pour efTi'Ctuer cette construction, il faut
d'abord savoir trouver le rayon.
DÉTERMINEn LE RAYON d'uNE SPHF.RE DONNÉE. —
On place, en un point quelconque P pris pour
pôle (fig. 1.3), la pointe d'un compas, et on décrit
Fig. 13 et 14.
avec une ouverture arbitraire un cercle ABD.
Sur sa circonférence on marque trois points
A, B, D ; on prend leurs distances à l'aide du corn
pas, et avec ces trois distances on construit sur
une feuille de papiT le triangle abd (fig. 14). On
circonscrit à ce triangle une circonférence qui
est précisément égale à la circonférence ABD
tracée sur la sphère. On connaît ainsi le r.iyon
AC de ce cercle, c'est-^-dire l'un des côtés de
l'angle droit du triangle rectangle ACP. Sur uc et
au point e ou mène une perpendiculaire, et du
point " pris pour centre on décrit avec le rayon
égal à la distance polaire PA un arc qui coupe la
perpendiculaire au point p. On tire la droite ap;
on mène np' perpendiculaire à ap, et la droite pu,
hypoténuse du triangle rectangle pop', est le dia-
mètre de la sphère.
En décrivant ensuite sur pp' pris pour diamètre
paep', on a la circonférence d'un grand cercle de
la sphère.
DÉCRIKE SUR LA SPHÈnE UNE CIRCONFÉRENCE DE
GRAND CERCLE. — Ou prend une ouverture de
compas égale i la corde i e (fig. 14) qui sous-tend
le quart de la circonférence d'un grand cercle,
puis posant la pointo du compas au point P choisi
comme pôle (fig. 1','), on décrit la circojiférence
EFG. Le plan de cette circonférence passerait
par le centre de la sphère.
Trouver sur une sphère le point où aboutit le
DIAMÈTRE partant d'uN POINT DONNÉ. — Soit P
(fig. 12) le point qui est diamétralement opposé au
point donné. On décrit du point P pris pour pôle,
comme on vient de l'indiquer, un grand cercle
EFG; puis en conservant la même ouverture de
compas égale à la corde EP, qui sous-tend le
quart de la circonférence du grand cercle, on dé-
crit de deux points quelconques E et F do cette
circonférence deux arcs qui se coupent : le point
d'intersection P' est le point cherché. Les points P
et P' sont les pôles du grand cercle EFG.
Construction des cercles d'un globe terrestre.
— Ce qui précède indique suffisamment comment
on peut tracer sur la surface d'une sphère les
méridiens, l'équateur et les parallèles, pour en
faire un globe terrestre. Après avoir trouvé le
diamètre de la sphère, on prend sur sa surface un
point P pour pôle (fig. 12; ; de ce point on décrit
le grand cercle liFG qui sera l'équateur ; puis on
construit l'autre pôle P'. On divise cette circonfé-
rence en quatre parties égales, au|moyen de l'ou-
verture de compas qui a servi à U défrire; puis
chacun des quatre arcs en 'JO parties égales : l'é-
quateur est ainsi partagé en degrés. En plaçant
successivement la pointe du compas sur les divers
points de division, on décrit avec une ouverture
égale à la distance PE des cercles qui se croisent
tous aux pôles P et P' ; ce sont les méridiens,
l'our tracer les parallèles on divise le quart de
méridien PE en 90 degrés ; puis en posant la
pointe du compas au pôle P on décrit des cercles
avec des ouvertures de compas égales à la dis-
tance du pôle P à chacun des points de division
do l'arc PAE. On répète les mêmes constructions
avec le pôle P' de l'autre côlé de l'équateur EFG.
l\emaique. — L'axe l'P' étant perpendiculaire
à l'équateur EFG, il est bon d'observer que les
divers méridiens menés par cet axe sont tous per-
pendiculaires au plan de l'équateur. Par consé-
quent, l'angle de deux demi-méridiens est mesuré
par l'arc d'équatcur qu'ils interceptent entre eux.
Mesure he la surface sphérique. — La circon-
férence étant la ligne avec laquelle tend à sa
confondre le périmèire d'un polygone régulier
inscrit, à mesure que le nombre dos côtés aug-
mente indéfiniment, et la surface sphérique étant
engendrée par la révolution d'une demi-circon-
férence tournant autour de son diamètre, on ar-
rivera à la mesure de la surface sphérique en
cherchant à évaluer la surface engendrée par la
révolution d'une portion du périmètre d'un poly-
gone régulier inscrit dans un cercle.
Soit donc ABC.DFG (fig. la) un demi-polygone
régulier inscrit dans un cercle qui a 0 pour centre
et O.A pour rayon, et supposons que la figure
tourne autour du diamètre AG.
Fig. 13.
Menons les apothèmes OK,OI,OM... etc., et
abaissons sur l'axe AG les perpendiculaires KK',
BB', ir, etc.
l" Le côté AB décrit la surface latérale d'un
cône qui a pour mesure le produit de son apo-
thème multiplié par la demi-circonférence de sa
base. Or la droite KK' étant égale à la moitié de
BB', la circonférence qui aurait pour rayon KK',
c'est-à-dire 2it X KK', est égale à la moitié de la
SURFACES COURBES — 2107 — SURFACES COURBES
circonfércnci! de la base dont le rayon est BB'. On
a donc :
surf. AB = 2Tr.KR'x AB.
Chorclions pour cette suifare une expression
qui soit indépendante des côtés du polygone ins-
crit. Les doux triangles rectangles ABB' et OKK'
sont semblables, comme ayant leurs côtés res-
pectivement perpendiculaires; leurs côtés homo-
logues sont donc proportionnels et donnent la pro-
portion :
AB AB'
On en déduit :
UK KK'
KK'XAB = OKXAB'.
En remplaçant dans l'expression de la surface
que décrit AB le produit KK'xAB par le produit
égal OKx AB', on obtient :
surf. AB = 27t X OK X AB'. ,
Ce résultat signifie que la surface engendrée par
le côté AB est égale à la circnnférence inscrite
dans le polyno/ie régulier multipliée par la projec-
tion de ce coté sur l'axe.
Ce résultat s'applique à tout autre côté. En
effet la surface engendrée par le côté BC est la
surface latérale d'un cône tronqué, qui est égale
au produit de son apothème BC par la demi-
somme des circonférences qui ont pour rayon CC
et BB'. Mais dans le trapèze BCC'B' la droiie H' est
égale à la demi-somme des deux bases CD' et BB';
la demi-somme dos circonférences des bases est
donc égale à la circonférence qui aurait II' pour
rayon. On a par conséquent :
surf. BC= -Jn X H' X BC.
Abaissons BH perpendiculaire sur CC Les
triangles rectangles Bl.H et OU', ayant leurs côtés
respectivement perpendiculaires, sont semblables
et donnent la proportion :
On en déduit :
BC
or
BH
'' 11'
irxBC = OlxBH
irxBC = OlXB'C'.
On a donc :
surf. BC = 27i: X 01 X B'C.
Ainsi la surface engendrée par une portion du
périmètre d'un polygone régulier inscrit dans im
cercle, tournant autour d'un aie mené dans son
plan par son centre et par un sommet, est égale
au produit de la circonférence inscrite dans ce
cercle multiplié par la projection de celte portion
du périméire sur l'nxe.
Il en sera toiljours ainsi, quel que soit le nom-
bre des côtés du polygone régulier inscrit, et par
conséquent quand on supposera que ce nombre
est intiniment grand. A ce moment le périmètre
du polygone régulier inscrit et la circonférence
inscrite dans ce polygone se confondent avec la
première circonférence, et la surface engendrée
par le périmètre du polygone régulier se confond
avec la surface sphérique qui a pour diamètre
AG.
De là résulte le théorème suivant : la surface de
la sphère ev< égale ou produit de In circonférence
d'un grand cercle multipliée par son diamètre.
Cette surface peut être exprimée plus simple-
ment. En effet, soit r le rayon ; la circonférence
d'un grand cercle est i-nr, et on a :
surf. sph. =27trx2c = 47iï''.
Ainsi la surface d'une sphère est égale au qua-
druple (le la surface d'un cercle qui aurait le
même rayon.
Rkmadoie. — Le rapport des surfaces de deux
sphères est égiil au carré du rapport de leurt
rayons.
En effet soit r et )•' les rayons des deux sphères
dont les surfaces sont S et S'. On aura :
par suite :
S = 47r. 2
S' = 4jt/2
S
S'
4Tti-' r2
471-'" — r'i -
Exemple. — Si les rayons de deux sphères sont
l'un - de l'autre, la surface la plus petite sera -
de celle de la plus grande.
3
Par exemple le rayon de la lune est les — de
celui de la terre ; la surface de la lune n'est par
i)
conséquent que les— q- de celle delà terre.
Surface de la zone. — On appelle Z'ne une
portion de surface sphérique comprise entre deux
plans parallèles. Telle est la zone comprise entra
Fig. 16.
les cercles parallèles AA' et BB' (fig. 16). Ces
cercles sont les bases de la zone.
La portion de surface sphérique BMB' située
au-dessus du cercle BB' et qui a la forme d'una
calotte, est aussi appelée zone.
Une zone peut èire regardée comme engendrés
par un arc BCD tournant autour du diamètra
AG (fig. 15). D'après ce qui a été expliqué précé-
demment, on voit que la surface d'one zone est
égide au produit de la circonférence d'un grand
cercle de la sphère multipliée par la liatiteur de la
zone.
La même règle s'applique à la surface de la
calotte sphérique.
Remarque. — Les surfaces de deux zones d'une
même spUère sont proportionnelles à leurs hau-
teurs, pnisque chacune est égale au produit de la
circonférence d'un grand cercle multipliée par la
hauteur.
Par conséquent, pour diviser la surface de la
sphère en zones équivalentes, il suflit de diviser
un diamètre en parties égales et de mener par le»
points de division des cercles perpendiculaires à
ce diamètre.
Zones terrestres. — La surface de la terre est
divisée en cinq zones :
La zone torride, comprise entre les deux cer-
cles nommés tropiques, parallèles à l'équateur,
dont ils sont séparés par une distance de
23°2T ';.
Les deux zones glaciales, comprises entre la
pôle et le cercle polaire, qui en est distant da
2:j"2T!,.
Les deux zones tompérées, comprises dans
SURFACES COURBES — 2108 —
chaque hémisphère, entre le tropique et le cercle
polaire, qui sont séparés par une distance de
43",5'.
A l'aide de la trigonométrie, on peut calculer
les hauteurs de ces zones par rapport au dia-
mètre de la terre et par suite l'étendue de leur
surface par rapport à la surface totale de la terre.
On trouve les résultats suivants :
Zone torride, 0,40.
Chaque zone tempérée, 0,26;
Chaque zone glaciale, 0,04;
Plan tangent a la sphère. — On a vu que
l'intersection de la sphère par un plan est un
cercle. Soit donc PP' (fig. 1"2) le diamètre per-
pendiculaire au plan sécant. Lorsque ce plan
s'éloigne du centre 0, le cercle d'intersection di-
minue indéfiniment, et il se réduit au point P
quand le plan passe par l'extrémité P du diamètre.
Le plan est alors dit plan tangent à la sphère. Il
n'a qu'un point commun avec la surface splié-
rique.
Intersection de deo\ sphères. — La ligne d'in-
tersection des surfaces de deux sphères est uue
SYNCOPE
Fig. 17.
circonférence dont te plan est perpendiculaire à
la droite menée par les centres des deux sphères.
En effet considérons les deux circonférences O
et O' (fi?, n) qui se coupent; la droite des cen-
tres 00' est perpendiculaire au milieu de la
corde AB qui unit les deux points d'intersec-
tion.
Si on suppose que les deux circonférences tour-
nent autour de l'axe 00', elles engendrent deux
surfaces sphériques. La corde AB restant cons-
tamment perpendiculaire en son milieu à l'axe
OC, décrit un cercle perpendiculaire à 00', et les
eitrémités A et B décrivent une circonférence qui
€stla ligne d'intersection des deux surfaces sphé-
riques.
Si les centres des deux sphères s'éloignent de
plus en plus l'un de l'autre, le cercle d'intersec-
tion diminue indéfiniment et reste toujours tra-
versé en son centre par la droite des centres des
sphères. Il finit par se réduire à un point : les
deux sphères sont alors tangentes (fig. 18).
CoNE tangent a la sphère. — Les droites tan-
gentes à la sphère menées d'un point extérieur
fiirment un cône circulaire droit gui touche la
sphère par une circonférence dont le centre est sur
l'axe du cône.
En effet soit la droite PC (fig. 19) tangente à
la circonférence ACB. Si on fait tourner la
figure autour du diamètre dont le prolongement
passe par le point P, la demi-circonférence ACB
Fig. 19.
engendre la surface sphérique, et en même temps
la tangente PC engendre un cône ayant son axe
sur PO, et qui touche la sphère le long de la
circonférence que décrit le point de contact C.
Ainsi les tangentes menées d'un môme point à
la surface d'une sphère et limitées aux points de
contact sont toutes égales.
[G. Bovier-Lapierre.]
SY>COPE. — Hygiène, XVI. — La syncope ou
évanouissement consiste dans la suspension mo-
mentanée de l'action du cœur avec interruption
de la respiration, des sensations et des mouve-
ments volontaires.
On confond souvent la syncope avec la simple
défaillance, que les médecins nomment « lipo-
thymie. » Mais celle-ci se distingue de la syncope
vraie par la continuation de l'action du cœur pen-
dant que les mouvements et la respiration se
trouvent suspendus.
La syncope diffère de l'apoplexie et de l'as-
phyxie par l'ordre dans lequel se succèdent les
phénomènes. Dans l'apoplexie, l'action du cerveau
est suspendue la première; dans l'asphyxie, les
premiers troubles affectent la respiration.
La cause physiologique de la syncope consiste
en un affaiblissement de l'action du cœur. Ses
contractions n'étant plus assez énergiques, le sang
cesse d'affluer suffisamment au cerveau dont les
fonctions s'arrêtent, ce qui interrompt du même
coup la respiration, la voix et le mouvement.
La personne qui tombe en syncope se trouve
subitement privée de sentiment et de mouvement.
Tout le corps devient pâle. La peau, froide, se
couvre de sueur. Les membres, restés souples,
sont parfois agités de quelques mouvements
convulsifs, mais le plus souvent ils demeurent
inertes. La respiration cesse presque en même
temps que la circulation. Le pouls est insensible,
mais un examen attentif laisse percevoir de fai-
bles battements du cœur.
La syncope ne dure ordinairement que quel-
ques minutes ; souvent elle cesse au bout de quel-
ques secondes. Peu à peu les fonctions reprennent
leur cours et le sujet semble sortir d'un profond
sommeil.
La syncope survient quelquefois brusquement,
mais le plus souvent elle est précédée par divers
accidents tels que : nausées, bâillements, anxiété,
malaise, vertiges, obscurcissement de la vue, tin-
tements d'oreilles. Dès que ces prodromes appa-
raissent, il est prudent de prendre la position ho-
rizontale : cette précaution peut suffire pour
prévenir la crise complète.
La syncope n'est un symptôme alarmant que
lorsqu'elle résulte d'une maladie chronique. Les
cas accidentels n'offrent, d'ordinaire, aucune gra-
vité. Parfois même elle constitue un accident
heureux. Ainsi, dans les cas d'hémorrhagie par
suite de blessures ou d'opérations chirurgicales,
la syncope, arrêtant l'action du cœur, permet la
SYNCOPE
— 2109 —
SYNONYMES
formation dn caillots solides qui s'opposent ensuite
à la sortie du liquide. Les noyés qui sont tombés
en syncope par frayeur ou par l'action subite du
froid revicniieni bien plus facilement à la vie après
une immersion prolongée, que ceux chez qui la
circulation a continué pendant quelque temps. Le
sang ne s'étant pas trouvé vicié excite bien plus
efficacement le cerveau et les organes respiratoin's
dès que l'on réchauffe le noyé et que l'on établit
la respiration artificielle.
Les causes les plus fréquentes de la syncope
sont : les maladies du cœur, l'anémie, les pertes
de sang, les afl'ections pulmonaires qui entravent
la respiration ; la fatigue excessive, l'indigestion,
la douleur vive, les violentes émotions.
Chez les sujets prédisposés, les causes les plus
insignifiantes suffisent pour produire l'accident.
On a vu des personnes tomber en syncope à la
vue d'une souris, d'une araignée, d'un crapaud,
d'un serpent, d'une plaie; en respirant une odeur
désagréable ; en entendant une détonation inat-
tendue, etc., etc. L'impression brusque du froid
ou de la chaleur, la viciation de l'air dans les
salles de réunion, la faim, les chagrins, une joie
soudaine, etc., sont autant de causes de syncope
pour les personnes affaiblies par la vie urbaine et
par le manque d'exercice régulier au grand air.
■Tout ce qui produit l'anémie prédispose à la syn-
cope. Or toute infraction prolongée des lois de
riiygiène amène fatalement l'anémie avec son cor-
tège de maladies et d'accidents contre lesquels on
emploie en vain le fer, le quinquina et les dro-
gues annoncées par la réclame. L'exercice régu-
lier au grand air, au soleil, le travail manuel, les
repas et le sommeil à heures fixes, l'absence de
surexcitations sensuelles, tels sont les remèdes
préventifs de l'anémie et des syncopes.
Dans la faiblesse et dans la syncope les soins à
donner sont les mômes : enlever tout ce qui peut
comprimer le corps et gêner la circulation ; placer
le sujet dans la position horizoniale, avec la tète
un peu plus basse que le corps afin d'y faire affluer
le sang. Cette simple précaution suffit souvent
pour faire cesser l'accident. Kn tout cas on pro-
cède à des frictions sèches sur les tempes, la poi-
trine, le long de la colonne vertébrale, puis sur
les membres que l'on élève un peu alternative-
ment pour faire refluer le sang vers le cœur. La
projection d'eau Iroide sur le visage et la poitrine
est utile à la condition d'essuyer rapidement et de
frictionner les parties chaque fois qu'elles ont été
mouillées. En môme temps, on fait respirer du
vinaigre, de l'eau de Cologne ou de la plume
brûlée. Enfin, on peut recourir à un lavement
d'eau salée avec un peu de vinaigre.
Dès que le malade revient i lui il faut, sans lui
permettre de se lever, lui faire prendre une bois-
son aromatique chaude avec un peu de cognac,
ou du vin chaud sucré.
La syncope est assez fréquemment causée par
l'imitation et peut dès lors devenir épidémique
dans un certain milieu, comme une école, une
église, etc. Cette syncope crnivulsive diffère peu
de celle dont nous venons de parler. Elle est or-
dinairement précédée de malaise, d'étourdisse-
ments, de vertige. La perte de connaissance est
accompagnée d'étoulfement et de spasme de la
gorge. L'attaque, qui peut se renouveler plusieurs
fois par jour, se termine par quelques instants
de stupeur ou de sommeil. Quelquefois la perte
de connaissance n'est pas complète et le malade,
incapable d'agir, entend ce qui se passe autour
de lui.
A Paris et dans d'autres grandes villes, on ob-
serve assez fréquemment cette variété de syncope,
surtout chez les jeunes filles de dix à quinze ans
plus ou moins anémiques. L'attaque de l'une d'elles
entraine d'ordinaire celle de dix à quinze autres
quand elles se trouvent réunies dans un local peu
ventilé, et spécialement pendant les exercices re-
ligieux.
L'enfant sujet à ces attaques doit être isolé pen-
dant quelque temps, soumis à uii bon régime
hygiénique, auquel on fera bien de joindre, pour
l'effet moral, une potion anodine dont on lui fera
attendre une sûre guérison. Quant à l'imitation
involonlaire, les moyens moraux ont toujours une
grande influence pour la prévenir. Aussi, tout en
recourant aux mesures hygiéniques convenables,
ventilation, absence de fatigue corporelle et de-
contention d'esprit, on fera bien d'user d'intimi-
dation et de menacer d'une punition sévère les
sujets qui n'auraient pas la force de caractère suf-
fisante pour résister à l'impression nerveuse. Il
faudrait, toutefois, expliquer que la volonté suffit
pour empêcher ces accidents par imitation et que
la punition ne s'adresse qu'à l'apathie qui empê-
che de réagir. Cela demande par conséquent du
tact, de la fermeté et en même temps beaucoup
d'indulgence. (D' Saffray.]
SYNONYMES. — Grammaire, XXII. — Syno-
nyme vient de deux mots grecs, sxjn, avec, et
Oiiyma, nom, c'est-i-dire mot qui sert à nommer
avec d'autres, qui a la même signification qu'un
autre. D'après l'élymologie, il semblerait qu'on
ne peut qualifier de synonymes que les mots qui
ont absolument le môme sens ; mais il n'y a de
synonymes parfaits dans aucune langue, et les
rapports de, signification qui les unissent sont
bien souvent plus apparents que réels.
On appelle donc synonymes des mots dont le
sens a de grands rapports, avec des différences
légères, quoique réelles.
Il ne faut pas confondre les synonymes avec les
Iwtnonymes * ; ces derniers, semblables pour la
forme ou pour le son, diffèrent par le sens ; les
premiers, différant pour la forme, ont une grande
ressemblance de sens.
On divise ordinairement les synonymes en deux
classes :
1» Ceux qui ont des racines identiques.
2° Ceux qui ont des racines différentes.
1° Ceux qui ont des racines identiques ont né-
cessairement un fond commun de signification ;
mais les préfixes et les suffixes, ou quelque au-
tre circonstance grammaticale, établissent entre
eux des nuances qu'il est facile de distinguer.
Ainsi abuser et mésuser sont synonymes ; mais
l'un veut dire user d'une chose avec excès, l'autre
en faire un mauvais usage ; différence marquée
par les préfixes ab et mes.
Délicieux et délectable sont synonymes ; mais
l'un veut dire plein de délices, l'autre qni en peut
causer; différence marquée par les suffixes eux
et able.
Souvent le même nom ajoute une acception
de plus à son sens primitif, grâce à un change-
ment de nombre : la dignité, les dignités ; la
boulé, les bontés; ou à un simple déplacement de
l'adjectif : un homme brave, un brave homme ;
un homme honnête, un honnête homme, etc.
Enfin une foule de verbes présentent de légères
différences de sens selon qu'ils sont employés
avec la préposition à ou la préposition de. Exem-
ple : commencer à, commencer de ; forcer à, for-
cer de, etc.
2» Les synonymes qui ont des racines différen-
tes sont naturellement ceux qui présentent les
différences de sens les plus tranchées, llaine,
aversion, anlipalbie, répugnance sont quatre ter-
mes qui renferment l'idée d'un mouvement de
l'âme contre ce qui l'affecte désagréablement.
Mais la haine est le terme le plus fort; c'est un
sentiment qui nous porte non seulement à repous-
ser celui qui en est l'objet, mais encore à lui dé-
sirer ou à. lui faire du mal ; Vaversion fait qu'on
SYNTAXE
— 2110 —
SYNTAXE
évite les gens, qu'on s'en détourne (arertere, dé-
tourner) ; Vaiitif.alhie fait qu'on ne les trouve pas
aimables ; la réj'Ugnance empêche qu'on ne fasse
les choses de bonne grâce.
Alialtie, démolir, renverser, ruiner, détruire
sont sjnonynies, mais, en remontant à leur signi-
fication primitive, on voit que chacun de ces
mots ajoute une idée paniculière à l'idée géné-
rale de luire tomber. Ainsi abidlre, c'est jeter à
bas; liéntolir, c'en jeter à bas un' constriictinn ;
renverse , c'est maître à l'envers ou sur le côté ;
rui"er, c'est faire tomber par morcenux; dé-
truire, c'est faire (lis)tarailre ce qui avait élé
agencé, construit. On voit par cette courte élude
qu'il n'y a pas à vrai dire de synonymes, car il
n'y a jamais identité de signification entre les
mois réputés tels. Ils ont entre eux le même rap-
port que les variétés d'une même couleur. Au pre-
mier coup d'œil et à distance, ils semblent tous
se confondre, tant sont légères les nuances qui
les séparent; mais, en y regardant de près, on
aperçoit bien vite quelques traits qui permettent
de les disiinguer.
L'étiidfi dos synonymes ne saurait être trop re-
commandée dans nos écoles. Nous avons vu que
pour reconnaître les légères différences qui les
distinguent, il fallait remonter à l'origine des
mots, e.\aminor la racine, apprécier la valeur des
préfixes et des suffixes, passer du sens propre au
sens figuré, et réciproquement. Cet exercice ne
fera-t-il pas mieux connaître la valeur des mots
que le dictionnaire auquel la nécessité seule fait
recourir ?
L'influence de cette étude est aussi très grande
sur le style; elle nous révèle, pour exprimer nos
pensées, di-s moyens dont nous ignorions la va-
leur; elle nous rend plus délicats sur le choix des
termes et augmente la clarté du discours en écar-
tant les à-peu-près, en les remplaçant par des
mois propres et précis.
Auteurs à consulter : Girard, Dictionnaire des syna-
nym'-s ; Guizot, l/'Cioiiiiaire des synonymes ; et surtout
B. Lafjye, Dictionnaire des synonymjs.
[J. Dussouchet.]
SYNTAXE. — Grammaire, XXlll. — Syntaxe
vient du mot gvec syntaxis, qui veut dire arrange-
ment; c'est cette partie de la grammaire qui
étudie la manière d'arranger, d'assembler les
mots en phrases.
Phrase vient du mot grec phrasis, expression
d'une pensée.
Nous ne pouvons exprimer une pensée ou
énoncer un jugement sans faire ce qu'on appelle
une proposuiûii. Quand nous disons : Dieu est
tout-puissant ; l'eiifant aime ses p'irmts, chacune
de ces phrases forme une pri'position.
La proposition peut être simple, comme dans
DifU aime tes homtnes, ou composéi-, comme dans
Dieu, qui est clément, aime les h.ommes. Celte
dernière proposition est dite composée, parce
qu'à la proposition principale (Dieu aime les
homm-'S) vient s'ajouter une proposition secon-
daire (qui est clément).
La syntaxe se divise donc en deux parties : la
première apprend à assembler deux ou plusieurs
mots pour en former une proposition simple; la
seconde à assembler deux ou plusieurs proposi-
tions simples pour en former une proposition
composée.
Ces deux parties de la syntaxe sont appelées,
la première, syntaxe des muls ; la seconde, si/7i-
taxe des propositio is.
1° SYNTAXE DES MOTS- — Nous avons dit qu'on
ne peut exprimer une pensée sans faire ce qu'on
appelle une proposition. Toute proposition ren-
ferme trois termes : le sujet, le verbe, Vattribut
Quand nous disons, par exemple, l'homme est
bon, nous attribuons b. l'êlre appelé h :mme la
qualité de bon; nous affirmons que l'homme pos-
sède cette qualité. Le mot bon, qui désigne la
qualité que nous attribuons à l'homme, est dit
pour celte raison attribut; le mot est, qui nous
sert à affirmer que cette qualité de bun existe
dans l'homme, est dit verbe; enfin l'homme, dont
nous avons affirmé qu'il possédait la qualité mar-
quée par l'attribut, est appelé sujet.
Ainsi le sujet de la proposition est ce dont on
affirme quelque chose; le verbe est le mot qui
marqup cette aftirmation, et l'attribut est ce que
l'on affirme exister dans le sujet.
Dans toute proposition, le verbe et l'attribut
s'accordent avec le sujet, c'est-à-dire qu'ils
prennent le nombre, le geni'e ou la personne du
sujet auquel ils se rapportent. Quand nous disons :
l'eau est chaude, le verbe est à la troisième per-
sonne du singulier et l'adjectifau féminin du même
nombre, parce que les deux mots est et chaude se
rapportent à un même sujet, l'eau, qui est du
genre féminin et du singulier.
Si l'on compare la proposition à une petite
troupe de soldats, on peut dire que le sujet en
est le chef, et que le verbe et l'atlribut recon-
naissent son autorité et portent un costume à ses
couleurs. Nous devons donc commencer la syn-
taxe par l'étude des règles suivant lesquelles a
lieu cet a'iord des différents mots entre eux,
quand on veut les réunir pour en former une
proiosition.
Quand nous disons l'eau est chaude, le mot
eau n'indique encore qu'une idée très vague :
nous savons que ce qui est chaud, c'est l'eau, non
l'air ou la terre, mais nous ne savons pas si c'est
l'eau du lac, par exemple, ou l'eau de la carafe.
Si, pour rendre plus précise cette idée, nous
disons : l'emi de lu baignai' e est ch'iide, le mot
baignoire, qui \'\en\, compléter, éclaircir le moieail
auquel il se rapporte, est dit pour celte raison
son complément. Pour exprimer une idée à l'aide
de mots réunis en proposiiion, il faut donc savoir
comment on peut rendre cette idée plus ou moins
nette en ajoutant à la proposition un ou plusieurs
compléments qni l'éclaircissejit ou la précisent.
La syntaxe des mots a donc pour double but
de fixer pour chacune des dix parties du discours
toutes les règles qui concernent l'accord ou le
com/ilémetit.
Nous allons passer en revue les dix parties du
discours, en donnant pour chacune d'elles les
règles les plus importantes.
1. Nom ou substantif. — 1° Accord. — Quand
deux &ub>taniir3 désignent la même personne ou
la njème chose, le second s accorde avec le pre-
mier en genre et en nombre : La reine-mère. Les
>oldars Inbournirs. Turenne est u7i hn-os. Jeanne
n'Arij est une liéroine.
2° CoMPLÉME.NT. — Il faut Soigneusement dis-
tinguer le cas où le nom et son complén)ent sont
unis par l'article .du. de la, des) de celui où ils
le soiit par la préposition de: un jin/ais de roi et
/f patiiis i)v roi n'expriment point la même idée :
la première expression est générale et désigne un
palais qui e^l d'aspect vraiment rcyal (cette mai-
son eit un V!-ui palais de toî) ; la seconde phrase
au contraire est très précise et détermine à qui
appariimt le paln'is (cette maison est le palais do
roi).
Lorsque deux noms exigent après eux la même
préposition, ils peuvent avoir le même complé-
ment, lix. : Son ardeur et son applicidion au tra-
vail (parce que ar'ieur et application demandent
également la préposition à).
Mais on ne dira pas : Son d'vraiement et son
obéissance pouk S'ii mnitre. Il faut donner à
chaque mot le complément qui lui convient et
dire : Son ilévovement POl'H son muilre et son
obdissance envers lui.
SYNTAXE
— 2H1 —
SYNTAXE
L'emploi d'un iinm au siiiguliiir ou au pluripl
après uiiB prcposiuon dopend uni(|uement de la
pensée. Il faut donc examiner si le complément
du substantif renferme oui ou non l'idén du plu-
riel. Ainsi l'on dira : marchand de lait (qui vend
du lait], mais marchand de pommas (qui vend
des poiiim'-sj; — un fruit i 7101/au (qui a tm
noyau), mais un fruit h pCfins (qui a despé/ins) ;
— un peintre rempli do talent (qui a uti yrand
talent), mais une jeune fille remplie de talents
(qui possède plusieurs t'ileJits d'agrément, etc.).
II. Article. — Nous avons vu que l'article dé-
fini se place devant les noms communs pris dans
un sens déterminé. Ex. : « Le chant du rossignol
est beau. »
Mais on ne met pas d'article devant les noms
pris dans un sens indéterminé. Ex. : Une table de
marbre, un homme sa7ts talent, une page d'his-
toire.
Quand l'article se rapporte à. deux noms au sin-
gulier, il doit être répété devant chacun d'eux :
ie père et la mère. Cependant il ne se répète pas
dans quelques locutions telles que: les arts et mé-
tiers, les ponis et chaussées, etc.
Quand plusieurs adjectifs unis par et se rappor-
tent à un seul et même nom, il faut répéter l'ar-
ticle, si les adjectifs servent à qualifier des per-
sonnes ou des choses différentes : « /'histoire
ancienne et la moderne, a non « ^histoire an-
cienne et moderne. »
Mais l'on dira correctement : u le brave et illus-
tre Turenne, » pjrce que les deux adjectifs qua-
lifient la même personne.
Du, de la, rfe» s'emploient avant les noms pris
dans un sens partitif, c'est à-dire désignant une
partie d'un tout : « Donnez-cuoi du pain. J'ai
mangé des pommes. »
Quand le nom est précédé d'un adjectif, l'arti-
cle se remplace par la préposiiiun île: n Je majjge
de bon pain. » Excepté quand l'adjectif forme avec
le substajuif une sorte de nom composé: des jeunes
gens, des bons mois, etc.
Quand l'adjectif suit le nom, l'article persiste.
Ex. : « Je mange du pain excellent. »
Devant les adverbes p'us, moini et mieux, on
emploie te, la. les, quand il y a comparaison. Ex. :
« La rose est a plus belle des fleurs. — Les ga-
zelles sont tes plus agiles des quadrupèdes, u
Mais le reste invariable, lorsqu'on veut expri-
mer une qualiié portée au plus haut degré, sans
aucune idée de comparaison : « C tte rivière n'a
pas débordé, même quand elle a été le plus
haute. »
Le est encore invariable devant; plw), minux,
mo!«s, lorsque ces mots sont suivis d'un autre ad-
verbe ou employés seuls: m C'est elle qui a ré-
pondu le plus adroitement. C'est la rose que
j'aime le mieur. »
III. Adjectif — Nous avons vu que l'adjectif qui
se rapporte à deux ou plusieurs noms de différents
genres se met au masculin pluriel ; cette règle
souffre quelques exceptions.
1° Après deux noms séparés par la conjonction
ou, l'adjectif s'accorde avec le dernier nom quand
il ne qualifie réellement que ce dernier. Ex. : u Les
colonnes se construisent en bois ou en pierre très
dure. >;
2° Quand deux ou plusieurs noms marquent une
gradation et qu'on veut spécialement fixer l'atten-
tion sur le dernier, un doinie à l'adjectif le genre
et le nombre de ce dernier nom . « i:ondé montra
à Rocioy un courage, un sang-froid, une audace
etojiiioide. u
Lorsqu'un adjectif est composé de deux adjectifs
(ou d un ailjeciif et d'un participe) réunis par un
trait d'union, les deux parties s'accordent avec le
nom : des poires ai'/res-douces.
Il faut excepter mort, qui reste toujours inva-
riable dans les adjectifs composés : une brebis
ï)(oc<-née.
Mais si le premier de ces adjectifs est employé
adverbialement, il ne varie point, étant dès lors
un véritable adverbe : « L'herbe est très clair-
semée (c'est-à-dire très clairement semée) ; ces
personnages étaient court-yèiw» (c'est-à-dire cour-
tement vêtus) ; une fille nouveau-i\às (c'est-à-dire
nourellement née). »
Les adjectifs employés adverbialement no peu-
vent point s'accorder avec le nom: « Elles chan-
tent juste; cette fleur sent bon, n etc.
lÎEMAllQUES suit L'ACCOnO DE Ql ELQUES ADJKCTIFS.
— L'adjectif nu, dans les locutions telles que :
nu-pieds, ?i!;-tête, etc., est invariable et s'unit au
nom par un trait d'union. Dans tout autre cas il
s'accorde avec lui en genre et en nombre: Les
pieds nus ; la tête nne ; la îzwe-propriété.
L'adjectif demi, placé devant le nnm, est inva-
riable et s'unit avec lui par un trait d'union : Une
rfemi-livre, une rfemi-heure. Placé après le nom,
il s'accorde en genre, mais garde toujours le sin-
gulier: Une livre et demie; àeux heures et ilernie.
— Demi employé comme nom est du masculin :
« Deux demis' valent un entier; .1 mais quand-ce
mot signifie la muiiié de l'Iieure, il est du fémi-
nin: « Cette horloge sonne les demies. «
L'adjectif /■!?« (défunt), placé avant l'.irtide, est
invariable : Feu la reine. l'Iacé après l'article ou
un adjectif déterminatif, il s'accorde en genre et
en nombre avec le nom : la feue reine ; votre feue
mère.
Les deux participes ci-joint, ci-inclw! peuvent
être considérés comme adjectifs : ils restent inva-
riables :
1° Au commencement de la phrase : « Ci-joint
la lettre de notre père ; ci-inclus les pièces du
contrat. >i
T Au milieu de la phrase, quand le nom qui
suit est employé sans article ou sans adjectif dé-
terminatif: u Vous trouverez ci-jomt copie de sa
lettre. »
Dans tout autre cas, il y a accord : « Les pièces
ci jointes sont précieuses. Vous trouverez ci-jointe
notre copie, d
Franc, dans franc de port, est invariable lors-
qu'il précède le substantif: « Vous recevrez franc
lie port la lettre que je vous envoie.» Placé après
le substantif, il s'accorde: « Cette lettre est, fran-
che lie part. »
Possible, précédé de le plus, le moins, le
mii-iix, etc., forme une locution adverbiale et reste
invariable : « 11 a rassemblé le plus de Vivras pos-
sible. »
Les substantifs employés accidentellement
comme adjectifs pour désigner la couleur restent
invariables : Des étoffes noisette ; des robes olive.
Deux adjectifs réunis pour désigner la couleur
restent invariables : Des cheveux châtain clair,
des yeux bleu foncé.
Adjectifs POSSESSIFS. — Les adjectifs possessifs se
répètent devant tous les noms qu'ils déterminent :
« i\lo7i repos, mon bonheur semblait être affermi. »
Les adjectifs possessifs mon, ton, son, etc., se
remplacent par l'article quand il s'agit d'une chose
inséparable de la personne, et quand le sons de
la phrase indique clairement le possesseur. Ex. :
« J'ai la jambe enflée, j'ai mal à la tête » {et non
pas mil jambe, ma tête).
Mais il faut dire : « Il a perdu sa fortune, » parce
que foriune n'exprime point une chose insépara-
ble de la personne.
Quand le possesseur est indiqué par le pronom
réfléchi .%«>, l'article est do rigueur à la place de
l'adjectif posses-.if. Ainsi l'on peut dire également :
« 11 arrache ses cheveux, » ou « Il s'arrache les
cheveux. » La seconde forme est préférable.
Quand l'objet possédé appartient à une per-
SYNTAXE
— 2112 —
SYNTAXE
sonne, et même à un être inanimé, on emploie
son, sa, ses : « J'aime Henri, mais je connais ses
défauts. » — Dans tous les autres cas, en emploie
ordinairement en suivi de l'article défini : « Si je
vous parle de ces fruits, c'est que j'en connais la
saveur. »
Le nom de l'objet possédé précédé de leur se
met tantôt au singulier, tantôt au pluriel, selon
que le nom contient l'idée de singulier ou de plu-
riel. Exemple : n Ces deux jeunes gens ont perdu
leur père >> (ils sont frères, autrement on écrirait
leurs fiéres). « Les villageois sortent de leurs mai-
sons ï [les ?iiaiso?is d'eux). « Mon père et ma mère
sortent de leur maison « [h muUoii d'eux).
Adjectifs indéfinis. — Choque étant un adjectif
et chacun étant un pronom, on ne doit point em-
ployer chaque sans le faire suivre d'un nom :
« Chaque pays a ses usages. « Il ne faut donc pas
dire : « Ces fruits valent un franc chaque, n mais
ce un franc chacun. »
Même est adjectif ou adverbe. Il est adjectif et
par conséquent variable, lorsqu'il se rapporte à
un nom ou à un pronom : Les mêmes hommes,
les hommes enx-thémes. — Même est adverbe et
par conséquent invariable quand il modifie un
verbe ou un adjectif : et Les mères aiment même
les défauts de leurs enfants. Le citoyen doit
obéir aux lois me'we injustes. » — Même est en-
core adverbe quand il est placé après plusieurs
substantifs : « Les vieillards, les femmes, les en-
fants tnême furent égorgés. »
On distinguait autrefois même adjectif de même
adverbe en mettant un s i ce dernier. Corneille a
écrit :
Ici dispensez-moi du récit des blaspàrmes
Qu'ils ODt vomis tous deux contre Jupiter mentes.
Quelque est adjectif ou adverbe. Il est adjectif
et par conséquent variable quand il se rapporte à
un nom : quelques hommes, quelques bonnes
mères. — Quelque est adverbe et par conséquent
invariable quand il moditie un adjectif, un parti-
cipe ou un adverbe. Il a, dans ces cas, le sens de
si : « Quelque puissants que soient vos ennemis ;
quelque grands que vous soyez » (c'est-à-dire si
puissants que,... si grands que...). — Quelque est
encore adverbe, et par conséquent invariable,
quand il est suivi d'un nom de nombre. Il a, dans
ce cas, le sens d'environ, à peu prés : « J'ai ren-
contré quelque vingt personnes. Il vivait quelque
cent ans avant J.-C. » (c'est-à-dire environ vingt
personnes, à peu près cent ans). — H ne faut pas
confondre quelque avec la locution quel que, qui
s'écrit en deux mots et est toujours suivie d'un
verbe au subjonctif:» Çue/ çîie soit votre bonheur ;
quelles (yu'aient été vos infortunes. » Quel s'ac-
corde, dans ce cas, avec le nom auquel il se rap-
porte.
Tout est adjectif ou adverbe. Il est adjectif et
par conï-équent variable quand il se rapporte à un
nom ou à un pronom : « Toute femme ; je les ai tous
vus ; toute honnête personne. » — Tout est adverbe
et par conséquent invariable quand il modifie un
adjectif, un participe ou un adverbe. Il a, dans ce
cas, le sens do quelque, tout à fuit : « Tout utile
qu'elle est, la richesse ne fait pas lu bonheur u
(C'est-à-dire quelque utile que, etc.). « Ces
mères sont tout heureuses des succès do leurs
fils )i (c'est-à-dire tout à fait heureuses). Cepen-
dant, devant un adjectif ou un participe commen-
çant par une consonne ou une h aspirée, tout
prend l'accord : « Elle est toute surprise ; elles
éiaient toutes honteuses. » — Tout, suivi de l'ad-
jectif autre, varie quand il se rapporte à un sub-
stantif exprimé ou sous-entendu : <t Demandez-
moi toute «H^/'e chose ;^ouiea«(;'e eût été effrayée »
(c'est-à-dire toute chose autre toute femme
autre). Mais il reste invariable quand il se rap-
porte à l'adjectif auti-e et qu'il est précédé ou
suivi de un, une : « Londres est tout autre chose
que Paris » (c'est-à-dire une chose tout à fait
autre), u Donnez-moi une tout autre réponse.
Vous méritez tout une autre fortune. » Dans ces
trois cas, tout signifie tout à fait, — Tout est
encore invariable dans les locations; a Tout Rome,
(oî(M ienne»; il y a ici accord par syllepse : « Tout
le peuple de Rome. »
Complément de l'adjectif. — ■ Quand deux ad-
jectifs veulent après eux la môme préposition, ils
peuvent avoir le môme complément; ainsi l'on
peut dire : « Ce fils est utile et cher à sa mère, »
parce qu'on dit : être utile à quoiqu'un, être
cher à quelqu'un. Mais on ne pourrait dire : « Ce
fils est uttle et chéri de sa mère, » parce qu'on
ne dit pas être utile de quelqu'un. Il faut dans ce
cas développer la proposition et dire : « Ce fils est
utile à sa mère et il en est chéri. »
IV. Pronom. — Pronoms personnels. — Quand
le pronom remplace deux ou plusieurs noms de
personnes grammaticalement différentes, il se met
à la première personne, s'il y en a une, sinon il se
met à la deuxième ; Vous, lui el moi, nous sommes
fort âgés, toi et lui, r'ous êtes malheureux. »
OnsEUVATioNS SUR l'emploi de certains pronoms.
— Quand le pronom le représente un nom, il
s'accorde toujours avec ce nom : « Êtes-vous la
malade? Je la suis. Êtes-vous les soldats qui ont
battu l'ennemi? Nous les sommes. »
Le pronom le reste invariable quand il repré-
sente un adjectif ou un nom pris adjectivement.
Ex. : « Êtes-vous malade? Je le suis. Êtes-vous
reine? Je le suis. Êtes-vous mères? Nous le
sommes. >> Dans ce dernier cas, le signifie cela :
Êtes-vous malade? Je le suis (c'est-à-dire je suis
cela, maladie).
L'explication de cette règle réside dans le sens
du mot employé et peut se résumer de la manière
suivante : quand le représente une qualité (comme
mère), ou un état (comme malade), il est inva-
riable : « Êtes-vous mère ? Je le suis ; » mais il
est variable quand il représente la personne qui
possède cet état ou cette qualité : « Êtes-vous la
mère de cet enfant ? Je la suis. «
Lorsqu'on parle des animaux ou des choses, il
faut se servir de préférence des pronoms en, y
et non des pronoms de lui, d'elle, d'eux, à lui, à
elle : Cet arbre est grand, on en ferait un màt.
Cette chaise est cassée, j'y ferai remettre un
pied (et non je lui ferai remettre un pied).
On appelle se, soi, pronom refléctii, parce qu'il
rappelle toujours le sujet de la proposition. Soi
s'emploie au lieu de lui, elle :
r Après un pronom indéfini [on, chacun, per-
sonne, etc.). Ex. : « On ne doit jamais parler de
soi. Chacun vit pour soi. >■ .
2° Après un verbe impersonnel ou un infinitif.
Ex. « : 11 faut penser à soi. Etre toujours content
de soi est une sottise. »
3° Après un nom de chose au singulier : « Cette
faute entraîne après soi des regrets. » Si le nom
est au pluriel, on ne peut employer soi : « Ces
fautes entraînent après elles des regrets » (et non
entraînent après soi'i. . ,
Soi s'emploie même après un sujet détermine,
lorsqu'on veut éviter une équivoque. Ex. : «L'avare
qui a un fils prodigue n'amasse ni pour soi, ni
pour lui. » (Le pronom lui répété rendrait le sens
très obscur.)
Pronoms indéfinis. — Le pronom on est ordi-
nairement du masculin singulier ; mais lorsqu il
désigne une femme, l'adjectif qui s'y rapporte se
met au féminin. Ex. : « A votre âge, ma fille, on
est bien curieuse. »
Le pronom chacun veut après lui tantôt son, sa,
ses, tantôt leur, leurs. C'/iacdîi s'emploie avoc son,
sa, ses :
SYNTAXE
— 2113 —
SYNTAXE
1" F^oi-squ'il est sujet du verbe. Ex. : « Cluicun
•doit parler à son tour. »
2° Lorsqu'il est placé après le complément du
■verbe ou lorsqu'il n'y a point de complément.
Ex. : « Remettez ces livres-là chw:un h sa place.
■Les animaux sont vêtus chacun selon ses be-
soins. » — Cliaciin s'emploie avec leur, leurs,
quand il est placé avant lo complément direct.
Ex. : Il Les abeilles bâtissent chacune leur cel-
lule. Les langues ont chacune leurs bizarreries.
Les juges ont donné chacun leur avis. <>
La locution l'un l'autre exprime la réciprocité
et prend les deux genres et les deux nombres.
Ex. : Il Ils s'aimaient les uns les autres. Elles se
nuisent let unes aux autrt's. »
L'tm et l'autre n'expriment point la réciprocité,
mais simplement l'idée de deux ou de plusieurs
personnes, de deux ou de plusieurs cboses.
'Placés devant un nom, ils sont adjectifs et s'accor-
dent avec le nom : « J'ai parcouru l'une et l'autre
ïégion. 11
Tel employé comme pronom a le sens de celui.
Ex. : Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera, u
V. Verbe. — 1° Accord. — Tout verbe s'accorde
en nombre et en personne avec son sujet : « Les
liommes sont mortels. Les enfants sont ignorants.
Le courage est une venu, n
Il en est de môme quand le sujet vient après :
Il Alors parlent lesliirondelles. »
Quand le sujet est un nom collectif, le verbe se
met au singulier si l'on adopte pour sujet le nom
collectif, par exemple nuée, dans : « Une nuée de
sauterelles obscurcit l'air, u II se met au con-
traire au pluriel si l'on adopte pour sujet le com-
plément du nom collectif, par exemple barbare-/,
dans : « Une nuée de barbares désolèrent le
pays. »
Après la plupart, 1-' plus r/raiid nombre, une
infinité de, etc., le verbe s'accurde toujours avec
le Complément de ces collectifs, que ce complé-
ment soii exprimé ou sous-eniendu. Ex. : « La
plupart des gens ne /b«< réflexion sur rien. La
plupart écriwnt ce nom de telle manière. »
Après les adverbes de quantité beaucoup, peu,
moins, assez, trop, etc., suivis d'un pluriel, le
verbe ne s'accorde jamais avec l'adverbe, mais
toujours avec le nom : « Beaucoup de persunnes
ignorenl la gravité de cette affaire. Peu de gens
supportent la coiuradiction. »
Plus d'un veut le verbe au singulier, bien que
•ce mot éveille l'idée du pluriel. Ex. : « Plus d'un
brave monlit la poussière. •
Le verbe se met au singulier après plusieurs
sujets :
1° Lorsque les sujets forment une énumération
ou une gradation : a Un regard, une parole, un
serrement île main suffit pour relever le courage
du mallienreux. »
2° Lorsque rénumération est résumée par un
mot, tel que chacun, rien, tout, etc. Ex. : « Un
souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la
fièvre. 11
3° Lorsque Ikb sujets sont unis par comme, ainsi
■que, de même que, etc. Ex. : « La vérité, comme
la lumière, est inaltérable. »
Le verbe se met ordinairement au pluriel après
•deux sujets unis par ni ou par ou. Ex : « Ni
lor ni la grandeur ne nous rendent heureux. Le
courage ou le bonlieur ont pu faire des liéros. »
Mais si l'idée qu'exprime le verbe ne peut être
attribuée quà l'un des deux sujets, le verbe se
met au singulier. Ex.: ■..Ni Pierre ni l'aulne sera
premier dans cette composition. Cornuille ou lia-
cine est 1 auteur de ces vers. »
Le verbe étr" précédé de ce [c'est, c'était, etc.)
reste au singulier quand il e>t suivi d'un ou de
plusieurs noms au singulier, ou bien d'un pronom
<le la première ou de la seconde personne du plu-
2" PARTIE.
riel : « C est la pluie ei le brouillard qui attristent
l'Angleterre. C'est nous qui sommes les vrais cou-
pable-». C'est vous qui auriez dû venir, u
Quand ces noms sont au pluriel, ou quand ces
pronoms sont îi la troisième personne du pluriel,
le verbe être se met au pluriel : « Ce sont les Ro-
mains qui ont conquis le monde. Ce sont eux qui
ont construit ces aqueducs. »
Cependant le verbe cire, quoique suivi d'un
pronom de la troisième personne du pluriel, se
met au singulier : 1" Lorsqu'on veut éviter certai-
nes formes désagréables, telles que sont-ce, se-
ront-ce, furent-ce : ainsi l'on dira : n Sera-ce nos
amis qui nous tireront d'affaire 'I • 2' Dans la lo
cution si ce n'est : « .Si ce ?i'est eux, quels hom -
mes eussent osé l'entreprendre? »
Les verbes impersonnels (ou employés comme
tels) restent invariables, lors même qu'ils sont
suivis d'un nom au pluriel : « H tomba des mil-
liers de grêlons ; il vint plusieurs personnes. »
Les verbes impersonnels peuvent s'employer à
la troisième persoime du pluriel dans un sens
figuré : « Les traits pleuvent ; les canons ton-
nent. 11
L'un et l'auh-e, employé comme sujet, veut le
verbe au pluriel : a L'un et l'autre sont morts. »
Mais l'un ou l'autre, ni l'un ni l'autre veulent le
verbe au singulier : « L'un ou l'autre a raison ;
ni l'un ni l'autre ne remportera la victoire. »
Lorsqu'un verbe a pour sujet le pronom qui, il
s'accorde en nombre et en personne avec ce pro-
nom, qui prend lui-même le nombre et la per-
sonne de son antécédent : « C'est moi qui vous le
dis, qui suis votre grand'mère. »
2° CoMPi.iiMENT DU VERBE. — Deux OU plusicuFS
verbes peuvent avoir un complément commun,
si ces verbes n'exigent pas des compléments de
nature différente : « L'enfant doit cliérlr et res-
pecter ses parents. »
Dans cette phrase, parents peut servir de com-
plément h la fois aux deux verbes chérir et res-
pecter, parce qu'on dit chérir quelqu'un, respecter
quelqu'un.
Mais avec un verbe tel qu'oéeV»-, par exemple,
qui veut un complément indirect (nbéir à quel-
qu'un),on ne pourrait em|iloyer parents sans pré-
position comme complément commun. Ainsi l'on
ne dira pas : « L'enfant doit obéir et respecti^r ses
parents ; » il est alors nécessaire d'exprimer les
deux compléments en disant : « L'enfant doit rés-
pecti-r ses parents et leur obéir, u
Quand un verbe a deux ou plusieurs complé-
ments, ces compléments doivent être de môme
nature ; on dira correctement: u II aime à chanter
et à di'ssiner, « ou « il aime le chant et le deisin ; »
mais on ne peut dire : « 11 aime le chant etàdes-
siner. » ,, ^ .
Un verbe ne peut avoir deux compléments in-
directs, quand le second ne fait que répéter le
premier. Il ne faut donc pas dire : « C'est à vous
à qui je parle, c'est de vous dont il s'agit, •> mais
bien : « C'est à vous que je parle, c'est de vous
qu'il s'agit, » ou « c'est vous à qui je parle, c'est
vous d<mt il s'agit. » ...
Môme remarque pour l'adverbe de lieu ou ; on
ne dit pas : « C'est ici oit il demeure, c'est là où
je vais, » mais : u C'est ici çu'il demeure, c'est là.
que je vais. « , ,. «
Remarijue sur l'emploi de l infinitif. — Linh-
nitif peut se rapporter, soit au sujet : « Le désir de
vaincre le poussait aux combats;» soit au régime :
Il II travaillait par désir (/e c^ff^ee. 11
Le sujet du verbe i l'infinitif doit être le même
que celui du verbe de la proposition principale :
I. Cet enfant s'accoutume à dormir pendant le
jour ; 11 accoutume et dormir ont le même sujet.
Mais on ne peut pas dire : « On les renvoya sans
avoir mungé ; » car celui qui renvoie et ceux (fui
I :!■!
SYNTAXE
— 2114 —
SYNTAXE
n'ont pas mfngé sont des personnes distinctes ;
il faut donc exprimer clairement ces deux sujets,
et dire : i On les renvoya sans qu'i7i- eusseytt
manç/c, •> ou donner à la proposition composée
un seul sujet par l'emploi du passif; « lis furent
renvoyés sans ai'OîV mange. »
(Pour l'emploi des temps et des modes, voyez
la Syntaxe des pbopositions.)
\I. Participe. — Le participe peut occuper
trois places différentes dans la proposition : 1" Il
peut se rapporter au sujet : u L'honum-, poussé
par la faim, devient criminel ; » 2» Il peut se rap-
porter au complément : « Plaignons Vliomme
tombé dans le vice ; » 3° Il peut, en apparence, ne
se rapporter ni au sujet, ni au régime : « Tout
étant fini, nous nous séparâmes, u On l'appelle
dans ce dernier cas participe absolu. Ou.ind le
participe se rapporte au sujet et que celui-ci pré-
cède, on ne doit pas répéter le sujet devant le
verbe. Il r:î faut donc pas dire : « L'enfant, ayant
mangé des mets empoisonnés, il mourut sur-le-
champ ; " mais : " L'enfant, aynnt mangé des
mets empoisonnés, mourut sur-le-cliamp. »
Le participe doit toujours se rapporter claire-
ment à un mot exprimé dans la phrase. Ainsi
Von ne dira pas : " En vi^vs accordant cette faveur,
c'est me procurer un véritable plaisir ; » mais :
« En vous accoriiant cette faveur, je me procure
un véritable plaisir. »
VII. Adverbe. — On supprime pas et point,
quand la plirase renferme une expression telle
que nul, pcrs'inne, jainais, etc., dont le sens est
négatif : n Je ne yois personne ; il ne y'ient jamais ;
nul ne l'écoute. »
Lorsque l'idée exprimée par deux verbes qui
se suivent est négative, l'emploi de ne est soumis
à la règle suivante : 1° Quand }ie se trouve dans
le premier membre de phrase, on le supprime dans
le second. Il faut donc dire : « Il n'agit pas autre-
ment qu'il parle, » et non : « Il n'agit pas autre-
ment qu'il ne parle ; » 2° Quand ue manque au
premier membre de phrase, on le met dans le
second : « J'î crains qu'il ;ie vienne. »
On emploie ne devant le second verbe : 1° Après
les mots qui marquent l'appréhension ou la crainte,
tels que les verbes appréhender, avoir peur,
prendre garde, craindre, emijérher, etc. Ex. :
« Craignez qu'on ne lui parle. Prends garde qu'il
ne sorte ; " ou après les locutions cunjonctives de
trainte que, de peur que, etc. : « Taisez-vous, de
peur qu'on ne vous entende. »
2° Apres un comparatif d'infériorité ou de su-
périorité : n II est plus savant que vous ne pensez.
Il est moins riche qu'on ne croit. »
On euppiime ne devant le second verbe :
1" Après un verbe accompagné d'une négation.
Ex. : « Je 7ie crains pas qu'il vienne. »
2° Après défendre : « Il défendit qu'aucun étran-
ger entrât dans la ville. »
V Après les locutions avant que, sans que :
« J'irai le voir nrant qu''i\ parte; je ne puis parler
fans qu'on m'interrompe, u
Après e- pcci^er, douter, nier, disconveiir, con-
tester, pris négativement, on peut employer ne.
Ex. : Il On ne peut douter que les pôles 7ie soient
couverts de glace, o
VIU. Préposition. — Nous n'avons pas d'obser-
vation nouvelle à faire sur l'emploi des préposi-
tions (V. Préposition).
IX. Conjonction. — La conjonction ni sert à
réunir :
V Deux propositions négatives : o II ne boit ni
ne mange. »
2° Deux propositions dépendant d'une proposi-
tion négative : « Je ne crois pas qu'il vienne, ni
même qu'il pense i venir. »
Ki s'emploie aussi îi la place de pas ; par
exemple : « II n'est ni bon ni mauvais. »
La conjonction que s'emploie souvent :
1° A la place des locutions conjonctives : afin
que, sans que, depuis que. etc. : f Venez que je
vous le montre. Je ne puis parler çu'il ne m inter-
rompe. »
'2' Pour éviter la répétition des conjonctions
comme, quand et si : « Comme il était tard et
qu'on craignait la chute du jour, on battit en re-
traite. Quand on est jeune et qu'on se porte bien,
on doit travailler. Si vous le rencontrez, et çu'il
vous aborde, ne dites rien. »
2' SYNTAXE DES PFOPOSITIONS, — La première
partie de la syntaxe nous a appris à assembler
deux ou plusieurs mots pour en former une pro-
posilion simple; la seconde nous apprendra à
réunir deux ou plusieurs propositions simples
pour en former une proposition cmposée.
Il n'y a que deux manières de réunir les propo-
sitions simples pour en former une proposition
composée :
Ou bien les propositions simples restent indé-
pendantes, et l'on se borne, soit à les placer l'une
à côté de l'autre {Je suis venu, j'ai vu, fai vaincu),
soit à les réunir par une conjonction (Ma mère
est juite et sa bonté est extrême).
Ou bien l'une des propositions sia>ples dépend
de l'autre, lui est soumise, ou, comme on dit,
subordonnée, et on obtient alors une proposition
composée de deux propositions simples, l'une
principale, l'autre dépendante : « L'homme sait
que l'âme est immortelle « est une proposition
composée de deux propositions simples, l'homme
sait, et l'orne est immortelle ; mais la seconde dé-
pend de la première, qui est dite propositiOD
principale.
Nous avons vu que toute proposition renferma
trois termes : le sujet, le verbe, l'attrifiut.
Le sujet est dit -. 1" si7nple, quand il n'y en a
qu'un {['h'imme est mortel) ; 2° mnl/iple, quand
il y en a plusieurs (le loup et le chie7i ont une
origine commune) ; 3° complexe, quand il a un
complément (l'herbe du jardin est verte) ; y in-
complexe, quand il n'a pas de complément (l'herbe
est verte).
L'attribut est dit : 1" sit7iple, quand il n'y en a
qu'un (l'homme est mortel); 2° 7nult'ple, quand il
y en a plusieurs (il est grand et fort) ; 3° cu7nplexe,
quand il a un complément (il est i7icapable de
marcher) ; 4° incomplexe, quand il n'a pas de
complément (il est incapable).
On compte ordinairement dans une phrase au-
tant de propositions qu'il y a de verbes. Dan»
cette phrase : « Quand il ui-riva, son fils se jeta
dans ses bras, » il y a deux propositions, parce
qu'il y a deux verbes.
Mais dans certaines phrases qui ne renferment
qu'un verbe au subjonctif : " Que Dieu vous as-
siste! '> ou à l'impératif : <i Allez! » ou sous forme
inierrogaiive. ti Qui a dit cela? » il y a toujours
un indicatif sous-entendu : « Je désirr que Dieu
vous a-.^isle;je veux que vous alliez; je de/>in/ide
qui a iiit cela ». ....
Dans ce cas, la proposition est dite ellipti-
que, c'esl-à-dire présentant une ellipse (suppres-
sion d'un ou de plusieurs mots).
Il en est do même quand, pour rendre le dis-
cours plus riipide, on supprime l'un des verbes
de la proposition composée : « Je l'aime conmie
mon fi'ére » (c'est-à-dire comme j'ai7tie mon
frère).
Nous avons dit que les propositions sont ou
principales ou dépendantes .
Le verbe de la proposition principale est tou-
jours au mode i/idieatif, parce que l'indicatif est
le mode qui affirme et que toute proposition prin-
cipale a pour but d affirmer (juclque chose.
Ex. : > J'fspi^re que vous viendrez ; • j'espère,
proposition principale, est à l'indicatif.
I
SYNTAXE
— 2H5 —
SYNTAXE
Tout verbe à un autre mode que l'indicatif
appartlOiit à une proposition dépendante ou su-
bordonnée. Dans cette plirase : u Je doute que
vous veinez » , que vus veniez, qui est au modo
subjonciif, l'orme la proposition dépendante.
Propositions dépendantes ou subordonnées. —
Au point de vue du sens, les propositions subor-
données sont de deux sortes :
1° Les unes sont indispensables à la proposi-
tion principale pour en compléter le sens.
Ex. : « Il faudra que votis veniez nous voir. »
La proposition subordonnée que vous veniez
nous voir donne h l'ensemble de la proposition
son véritable sens, complète en un mot la propo-
sition, d'où son nom de proposition subordonnée
complélive.
2° Les autres se bornent à modifier la pro-
position principale en énonçant quelque circon-
stance accessoire, par exemple, le temps, le lieu,
la cause : « J'irai quand vous serez^ à Paris.
Venez me voir, lorsque vous irez à la campagne. »
Quand vaut serez à Paris, lorsque vous irez à la
campagne, propositions dépondantes qui modifient
la proposition principale par diverses circons-
tances secondaires de temps ou de lieu, sont dites
pour cette raison propositions subordonnées cir-
constancielles.
Au point de vue de la forme, la langue fran-
çaise crée des propositions dépendantes et les
unit à la proposition principale de doux manières
différentes.
La proposition dépendante est formée : 1° soit
à l'aide d'une conjonction : u Je sais que mon
père est bon ; « 2° soit à l'aide d'un pronom rela-
tif: « Aimez la main 7(12 vous protège. >i
On a donc réparti en deux classes les proposi-
tions dépendantes ou subordonnées, en leur don-
nant respectivement les noms de propositions
conjonctives et propositions relatives. Nous allons
les passer brièvement en revue
Propositions conjonctives. — On appelle propo-
sition conjoncttne toute proposition dépondante
unie :\ la proposition principale par une conjonc-
tion : « J'espère que vous viendrez. » Que vous
viendrez, uni à j'espère par la conjonction que,
est une proposition conjonctive.
Le verbe de la proposition dépendante se met
ordinairement à l'indicatif après une conjonction
simple : „ Je viendrai quand il vous p/aira. Je le
ferai si vous voulez. J'agirai comme il vous
plaira; « taudis qu'il se met au subjonctif après
une locution conjonctive : u Je me lève >,vant
qui\ fasse jour. U marche bien quoique
soit boueux. Retenez-le de peur qu il ne s'eu
aille. 1) '
Mais cette règle n'est point absolue, et elle
comporte un certain nombre d'exceptions que
nous devons indiquer.
Les locutions conjonctives qui suivent veulent
toujours après elles l'indicatif : A mt-sure que
'iin,i que, attendu que, ansn bi^n que, aussitôt
que, autant que, de même que, ,lepuis que, dès
que, da,a„tque. non ,dus 'que ouïe qui, paice
que, pendant que, tandis que, tan: que, ou que.
Kx. : « 11 avance a mesure que vous reculez. Il
partira aussitôt que vous serez parti. Je l'ai re-
connu dès que je l'ai aperçu, » etc.
«„^''rf/l'J,./'r""''"' conjonctives : de manière
sinon que te ement que, se construisent taiitô
avec 1 indicatif, tantôt avec le subjonctif
1 biles se construisent avec l'indicatif quand
la pbrase exprime un fait positif, certain : ,. Cet
enfant s est conduit de telle sorte que tous ses pa-
rents sont contents. • ^
nnînH'"!!''^!'" «construisent avec le subjonctif
nmM h"^ "'' "P""""" "" f^i' douteux il qui
pourrait bien ne pas avoir lieu. Ex. : « faites e/i
sorte qu'il vienne. Conduisez-vous de telle sorte
que tout le monde soit content do vous. »
Les locutions conjonctives qui suivent veulent
toujours après elles le subjonctif : afin que, à
moins que, tivnnt que, en cas que, bien que, de
peur que, de crainte que, jusqu'à ce que, loin
que, non que, pour que, pourvu que, sans que,
pour peu que, S'iit que, supposé que, quoique.
Ex. : « J'irai le voir avaiit qu'il parte. La terre ue
s'épuise jamais, pourvu qu'on siche la cultiver.
Je lirai jusqu'à ce que vous veniez. »
On se sert encore du subjonctif après la con-
jonction que employée pour si ou pour l'une des
locutions conjonctives mentionnées ci-dessus.
Ex : Il Venez, que je vous i/iss la chose » (c'est-à-
dire : pour que je vous dise), a Si Charles venait
en France et quil passât par Paris, je serais bien
heureux » (c'est-à-dire : et s'il passait par Paris).
Lorsque deux propositions sont unies par la
conjonction que, le second verbe se met tantôt
au subjonctif, tantôt à l'indicatif, selon l'idée
exprimée par le premier verbe.
On emploie le subjonctif : 1» Après les verbes
qui expriment le doute, le désir, la crainte, la
surprise, la supposition, la volonté. Ex. : u Je
doute qic'il sache sa leçon. Je désire qu"il vienne.
Je craiiis qu"il ne parte. Je suis surpris que vous
xoi/ez arrivé. Je suppose qu'il lise ce livre. Je veux
qu'il sorte. »
2" Après les verbes employés interrogativement
ou accompagnés dune négation. Ex.: Croyez-vous
qu'il parte ? Pensez-vous qu'il vienne ? Je ne pré-
tends pas qu"il sorte. Je ne présume pas qu'il soit
arrivé. «
3" Après les verbes impersonnels il faut, il im-
porte, il convient, il est possible, etc., et en géné-
ral après tous ceux qui expriment la volonté, la
supposition, le doute. Ex. : « Il faut (//'il vienne.
U tyyiporte qu'il soit ici. Il convient qu''il sorte. Il
est possible qu'il dorme, » etc.
Mais on emploie l'indicatif même après les ver-
bes qui expriment la supposition, la volonté, lors-
qu'on considère la chose dont il s'agit comme
très probable. Ex. : '< Je suppose q'i"\l lit le livre
que vous lui avez prêté. Je préteuds qu'il est là. »
La règle est la même après un verbe conjugué
interrogativement ou accompagné d'une négation,
lorsqu'on considère la chose dont il s'agit comme
certaine ou très probable. Ainsi l'on dira: « Croyez-
vous que l'âme est immortelle? » parce que celui
qui parle regarde comme certaine l'immortalité de
l'àme. Si l'on disait : " Croyez-vous que l'âme
soit imniorti'lle '! » la phrase exprimerait un doute
de la part de celui qui parle.
On emploie encore l'indicatif après les verbes
impersonnels, tels que il est clair, qui expriment
la certitude, la probabilité. Ex.: « Il est certain
que la terre se meut dans l'espace. Il est clair que
deux et deux font quatre. Il est probable que le
ciel Béctaircira. »
La négaiiiin détruisant la certitude ou la proba-
bilité, les mêmes verbes conjugués négativement
veulent après eux le subjonctif. Ex. : « Il n'est pas
certain que la terre se meuve dans l'espace. Il n'est
pas proliable que le ciel s'éc/aircisse. »
En résumé, si l'on considère comme certain et
positif ce qui est exprimé dans la proposition subor-
donnée, lo verbe de cette proposition se met à
lindicatif. Si l'on considère comme douteux ou
simplement possible ce qui est exprimé dans la
propiisitiun suburdonnoe, le verbe de cette pro-
position se mot au subjonctif.
emploi de. temps du suhjonctif- — ^0U3 avons
vu dans «(uel cas le verbe de la proposition dépen-
dante se mot au subjonctif; il nous reste à indi-
(pier à quel temps du mode subjonctif on doit
mettre ce verbe.
L'emploi des temps du subjonctif dépend uni-
SYNTAXE
— 211G — SYNTHÈSE CHIMIQUE
quemcnt de l'idée qu'on veut exprimer; la seule
règle k suivre est donc celle-ci ; voyez à quel temps
de l'indicatif ou du conditionnel vous mettriez le
second verbe si la phrase exigeait l'un de ces
deux modes, et mettez le temps correspondant
du subjonctif.
1° Le présent du subjonctif correspond au
présent et au futur de l'indicatif.
2° L'imparfait du subjonctif correspond à l'im-
parfait de lindicatif et au présent du conditionnel.
3° Le parfait du subjonctif correspond au par-
fait défini, au parfait indéfini et au futur antérieur.
i" Le plus-que-parfait du subjonctif correspond
au plus-que-parfaii do l'indicatif et au parfait du
conditionnel.
Il n'y a pas de règle moins sûre en français,
témoin les exemples suivants tirés de nos auteurs
classiques.
Emploi du présent du subjonctif. 1° Après un
présent : « Il fnut que je sorte. » — 2° Après un
passé : « Les Romains de ce siècle n'ont pas eu
un seul poète qui vaille la peino d'être cité, n —
3° Après un futur : n II faudra que je parle. «
— 4° Après un conditionnel : « Qui pourrait
douter qu'il soit liomme de bien? »
Emploi de l'imparfait du subjonctif : 1° Après
un présent : " Vrois-tu que je ne connusse pas
à fond tous les sentiments de mon père. » —
2° Après un passé : « Mentor voulait des jeux qui
amusassent. » — 3° Après un futur : <t Je ne
nierai pas qu'il fut homme de mérite. » — i" Après
un conditionnel : « Il faudrait que j'écrivisse
maintenant. »
Emploi du parfait du subjonctif : 1° Après un
présent : « Crois-tu que dans son cœur il ait juré
sa mort? » — Après un passé : « Je n'«î jamais
(;"OMi'^ personne qui m'ait assez aimé pour me
dire la vérité, n — 3° Après un futur : ï On ne
croira pas qu'il ait j-éussi. » — i" Après un con-
ditionnel : ce Qui croirnit que cette pièce ait eu
trois cents représentations? »
Emploi du plus-que-parfait du subjonctif :
1° Après un présent : n Je doute qu'il ei'tt réussi
mieux que vous. » — 2° Après un passé : « l'igno-
rais qu'il fiit arrivé, i) — 3" Après un futur : « Je
douterai toujours qu'il eiîf riiussi mieux que
vous. >! — 4° Après un conditionnel : «Je voudrais
seulement que vous l'eussiez connu. »
Ces exemples nous montrent que l'emploi des
temps du subjonctif dépend uniquement de l'idée
qu'on veut exprimer; voici cependant doux règles
qui sont applicables dans un grand nombre de cas:
Si le verbe de la proposition principale est au
présent ou au futur de l'indicatif, le verbe de la
proposition dépendante se met :
1° Au présent du subjonctif quand l'action est
encore à faire : « Je défends qu'il vienne. Je
défendrai qu'il vienne. »
2' Au parfait du subjonctif, quand l'action est
déjà faite : n Je doute que vous ayez pu le faire.
Je douterai toujours que vous ayez pu le faire. >>
Si le verbe de la proposition principale est à
l'un des temps du passé ou du conditionnel, le
verbe de la proposition dépendante se met à
l'imparfait du subjonctif quand l'action est encore
à. faire : « Je voulais qu'il vint. Je voudrais qu'il
vint. »
Le verbe se met au plus-que-parfait du sub-
jonctif quand l'action est déjà faite : « Je ne savais
pas que vous eussiez déjà étudié ce livre si com-
plètement. Je n'aurais pas voulu qu'il eût fait
cette déclaration. »
Ces rtgles ne souffrent qu'une exception :
Quand la pliraso exprime l'idée d'une condi-
tion, on se sert du présent, de l'imparfait ou du
plus-que-parfait, selon le temps do la proposition
conditionnelle. Ex. : n Je ne crois pas qu'il le
fusse, si on le lui défend. Je ne crois pas qu'il |
le fit, si on le lui défendait. Je ne croirai jamais
qu'il Veut fait, si on le lui avait défendu. »
Propositions relatives. — On appelle proposi-
tion relative toute proposition dépendante unie
à la proposition principale par un pronom rela-
tif : a Craignons Dieu qui nous punit. J'aime
l'enfant qui est courageux. » Qui nous punit,
qui est courageux, sont des propositions relatives.
Après un relatif, dans les phrases qui expri-
ment la volonté, le désir, le doute, la négation,
l'interrogation, le verbe de la proposition dépen-
dante se met au subjonctif : « Je veux un serviteur
qui m'oliéisse. Connaissez-vous quelqu'un qui
soit vraiment heureux? »
La règle est la même pour l'adverbe oii : Ex. :
« /jWe;dansune retraite oiiyoussoyez tranquille. »
Le verbe dépendant se met également au
subjonctif quand le relatif est précédé du mot
seul ou d'un superlatif : « Votre frère est le seul qui
soit habile. Il est l'homme le plus adroit que je
C07maisse. »
Ces deux règles ne souffrent d'exception qu'au
cas où le verbe de la proposition dépendante
renferme une affirmation absolue : « J'ai trouvé
un serviteur qui m'ohéit. Achetez tous les meil-
leurs vins que vous trouverez. Allez dans cette
retraite oii vous serez tranquille. »
[J. Dussouchet.]
SYNTHÈSE CHIMIQUE. — Chimie. Prélimi-
naires. — Définition. — La synthèse est une opé-
ration inverse de l'analyse. Tandis que l'analyse a
pour effet de décomposer un corps en ses cléments,
la synthèse reproduit le corps composé par l'union
de ces éléments. Cette union peut être effectuée
(l'une manière directe et immédiate : telle est la
formation de l'eau par la combustion de l'hydro-
gène dans l'oxygène :
H-fO = HO;
ou par des procédés indirects : telle est la prépa-
ration de l'eau oxygénée HO^.
La synthèse joue un rôle dans le plus grand
nombre des réactions chimiques, et elle a été
employée en réalité, bien que d'une manière sou-
vent inconsciente, dès l'origine de la science, par
les alchimistes. Mais l'introduction des méthodes
synthétiques dans la chimie organique est toute
récente, en raison des difficultés plus grandes
qu'elle y présente : on en avait même pendant
longtemps contesté la possibilité, d'après cette
opinion longtemps accréditée que les composés
organiques étaient formés par l'intervention de la
force vitale, opposée aux forces physico-chimiques.
Nous allons donc parler d'abord de la synthèse
des composés minéraux, puis de la synthèse des
composés organiques.
Synthèse des composés minéraux. — Afin de
montrer le rôle de la synthèse en chimie minérale,
rappelons les recherches qui ont été effectuées
pour établir la composition de l'eau.
Volta, en 1778, h la suite de ses expériences sur
l'électricité, constata que l'hydrogène, pendant sa
combustion, consomme un certain volume d oxy-
gène. Mais h cette époque, on ignorait encore que
le produit de la combustion de l'hydrogène fût de
l'eau. , ,
La première observation de ce fait est due a
Cavendish en 1781. A cette époque dominent les
idées de Stalil, et Watt, en 1783, reprenant I obser-
vation do Cavendish, en conclut que l'eau est un
composé d'hydrogène avec la matière impondu-
rable désignée sous le nom de phlogistique.
Presque aussitôt Lavoisier et Laplace, par de-;
expériences rigoureuses, établissent la composition
do l'eau en en opérant la synthèse par la com-
bustion directe de l'hydrogène dans l' oxygène, et
cette syntlièse est une des premières où les pouls
des composants sont comparés au poids du com-
SYNTHÈSE CHIMIQUE — 2117 — SYNTHÈSE CHIMIQUE
posé, et oii ce dernier est trouvé égal à la somme
des premiers.
Celte expérience célèbre est immédiatement
répétée parMonge, puis reprise par Lavoisier lui-
môme, avec le concours de Meusnier. Lavoisier
en contrùle les résultats par une méthode analy-
tique, en décomposant l'eau par le fer chauffé au
rouge, et la composition de l'eau est ainsi déter-
minée avec une grande approximation. Il ne reste
plus qu'à perfectionner les méthodes.
Humboldt et Gay-Lussac reprennent en 1805
la métliode endiométrique inventée par Volta, et
fixent d'une manière définitive la composition de
l'eau en volume, dans le rapport de 2 vol. d'hy-
drogène pour 1 d'oxygène.
Enfin cette méthode, aussi parfaite que possible
pour la détermination de la composition de l'eau
en volume, est contrôlée par une méthode suscep-
tible de mesures plus précises, et dans laquelle
la composition de l'eau est déterminée par des
pesées. Le principe de cette méthode, fondée
sur la réduction de l'oxyde de cuivre par l'hydro-
gène avec formation d'eau, a été indiqué par
Berzélius. Il est adopté en 1843 par Dumas qui se
place dans des conditions de précision abso-
lue.
En général, la détermination de la composition
des corps par la synthèse peut être faite soit par
la comparaison des poids, soit par celle des vo-
lumes gazeux des composants et des composés,
volumes qui sont entre eux dans des rapports
simples et dès lors faciles à apercevoir.
Dans le cas de l'eau, par exemple, ce rapport
est celui de 2 vol. d'hydrogène pour 1 vol.
d'oxygène, lesquels forment 2 volumes de vapeur
d'eau.
Ces exemples suffisent 'pour montrer le rôle de
la synthèse dans la détermination de la composi-
tion des corps de la chimie minérale.
Synthèse rfe.i composes organiques. — La chimie
organique n'est autre chose que la chimie des
composés du carbone ; il est dès lors naturel de
chercher à y appliquer les mômes méthodes que
dans la chimie générale. Cependant les essais
faits dans cette voie demeurèrent pSidant long-
temps stériles, et on expliqua cette stérilité par
des raisonnements à priori. Cela tenait i ce que
le plus grand nombre des composés organiques
connus autrefois étant produits par des ôtros or-
ganisés, soit végétaux, soit animaux, on supposait
que la force vitale devait intervenir dans leur
formation.
Bufîon disait : « Il existe une matière organique
animée, universellement répandue dans toutes
les substances animales ou vésétales. qui sert
également" à leur nutrition, k leur développement
et à leur reproduction. » Il y a trente ans, Ber-
zélius écrivait encore : a Daiis la nature vivante,
les éléments paraissent obéir h des lois tout
autres que dans la nature inorganique ; les pro-
duits qui résultent de l'action réciproque de ces
éléments diffèrent donc de ceux que nous présente
la nature inorganique; si l'on parvenait à trouver
la cause de cette difl'érence, on aurait la clef de
la théorie de la chimie organique; mais cette
théorie est tellement cachée que nous n'avons
aucun espoir de la découvrir, du moins quant à
présent. >.
La synthèse de l'urée, principe cristallisable
contenu dans l'urine humaine, avait été cepen-
dant réalisée dès 1827 par Wohlor, mais cette
formation, réalisée par un procédé spécial et qui
n'était applicable b. aucun autre corps, fut regar-
dée comme un fait exceptionnel, incafiable de
servir de base à des méthodes générales. En
184G, Gerhardt écrivait : u Le chimiste fait tout
l'oppose de la nature vivante. Il brûle, détruit,
opère par analyse; la force vitale seule opère par
synthèse, elle reconstruit l'édifice abattu par les
forces chimiques. »
Aujourd'hui cependant la synthèse d'une mul-
titude de composés naturels, et des plus com-
plexes, est un fait accompli, les méthodes générales
ont été découvertes, et l'on peut dire que la
chimie organique est réellement fondée sur les
mémos notions que la chimie minérale. C'est à
M. Berthelotque revient la gloire d'avoir renversé
d'une manière définitive ces barrières, et démon-
tré par des expériences décisives l'identité des lois
et des méthodes qui caractérisent les deux branches
de la chimie.
Le nombre des synthèses aujourd'hui effectuées
est immense; elles comprennent les principaux
carbures d'hydrogène: acétylène, gaz oléfiant, gaz
des marais, benzine, naphtaline, etc.; les alcools
fondamentaux: alcool ordinaire, alcool méthylique,
glycol, glycérine; les éthers et les corps gras qui
en dérivent; les aldéhydes, tels que l'essence
d'amandes amères, l'essence de cannelle, le cam-
phre, etc. ; les acides forniiquo, acétique, buty-
rique, oxalique, malique, tartrique, citrique, dont
l'importance est si grande dans les végétaux et
les animaux; les matières azotées, neutres ou
alcalines, les plus diverses ; les matières colo-
rantes, tant naturelles (alizarine, indigo) qu'arti-
ficielles (produits du goudron de houille). Bref, la
science et l'industrie doivent à la synthèse leurs
plus brillantes découvertes.
Une remarque importante esta faire ici : la syn-
thèse organique a pour but de reproduire les ma-
tières constitutives des êtres vivants; mais elle ne
peut prétendre à la production d'êtres organisés,
par exemple à l'état de cellules ou do fibres.
Donnons une idée générale de la marche suivie
dans la reconstitution des substances organiques,
si variées par le nombre et l'arrangement de leurs
parties, bien que leurs éléments soient seulement
au nombre de quatre : le carbone, l'hydrogène,
l'oxygène et l'azote.
Il s'agit de construire do toutes pièces les com-
posés naturels, en partant de leurs éléments, de
trouver des méthodes générales qui permettent de
passer d'une synthèse i une autre, en partant des
corps les plus simples pour arriver aux corps les
plus compliqués. C'est vers l'accomplissement de
cette œuvre que tendent la plupart des recher-
ches faites journellement en chimie organique.
Les éléments essentiels qui constituent les com-
posés organiques sont, nous l'avons dit, le carbone,
l'oxygène, l'hydrogène et l'azote. Il s'agit d'abord
de former les composés les plus simples, ceux qui
ne contiennent que les deux premiers éléments,
c'est-à-dire les carbures d'hydrogène. Nous allons
voir d'abord comment on peut en produire la for-
mation, puis comment on peut passer de la syn-
thèse des combinaisons binaires du carbone et de
l'hydrogène îi celle des combinaisons ternaires et
quaternaires pouvant contenir les quatre élé-
ments.
L'union du carbone avec l'hydrogène peut être
produite directement.
Cette union directe du carbone avec l'hydrogène,
regardée pendant longtemps comme impossible,
s'accomplit en efl"et sous l'influence de l'arc élec-
trique : des charbons étant portés à l'incandes-
cence par un courant électrique dans une atmo-
sphère d'hydrogène, il se produit un premier
carbure d'hydrogène, \'ncétytène, formé à atomes
égaux, c'est-à-dire suivant les rapports les plus
simples. Cette mémorable synthèse, exécutée par
M. Berthelot en MH'i, permet de reproduire syn-
thétiquemenl les autres carbures d'hydrogène, et
les autres composés organiques.
La synthèse totale de l'acétylène conduit en effet
à celle des carbures fondamentaux tels que le gaz
oléfiant, son hydrure, le gaz des marais, et la benzine.
SYSTÈME MÉTRIQUE — :2118 — SYSTÈME MÉTRIQUE
Puis ces premiers carbures combinés entre eux
reproduisent tous les autres carbures.
La syniiièse des carbures d'Iiydrogène étant
réalisée il est facile de les changer en composés
ternaires, formés de carbone, d hydrogène et d'oxy-
gène. Tels sont les alcools, formés par l'union des
éléments de l'eau avec lescarbures, uu par la subs-
titution des éléments de l'eau à l'hydrogène dans
ces mêmes carbures, double réaction qui a conduit
d'abord M. Berthelot à la synthèse de l'alcool
ordinaire, et à celle do l'alcool méthyliiue, et
cela h l'aide de méthodes générales applicables à
la synthèse des autres alcuols.
Les carbures par oxydation directe ou médiate
fournissent également les aldéliydes : c'est ainsi
que le toluène a produit l'essence d'amandes
amèrcs, produit que l'industrie fabrique aujour-
d'hui sur une grande échelle.
L'oxydation plus profonde des carbures, et celle
des alcools, engendrent à leur tour les acides :
l'acide acétique et l'acide oxalique dérivent ainsi de
l'acétylène.
En combinant les carbures avec les acides, ou en
substituant dans un alcool un acide aux éléments
de l'eau, on obtient les éthers composés, nouvelle
classe de corps dont un grand nombre se trouve
dans la nature, et dont la théorie permet de con-
cevoir un nombre infini.
Nous citerons comme exemple les corps gras
naturels, huiles, beurres, graisses, qui sont des
éthers constitués par la combinaison des acides
avec un alcool particulier, la glycérine.
« Ainsi, la synthèse étend ses conquêtes depuis
les éléments jusqu'au domaine des substances les
plus compliquées, sans que l'on puisse assigner
de limite à ses progrès. Si l'on envisage par la
pensée la multitude presque infinie des composés
organiques, depuis les corps que l'art sait repro-
duire, tels que les carbures, IhS alcools et leurs
dérivés, jusqu'à ceux qui n'existent que dans la
nature, tels que les maiières sucrées et les prin-
cipes azotés d'origine animale, on passe d'un terme
à l'autre par des degrés insensibles, et l'on n'aper-
çoit plus de barrière absolue et tranchée, que l'on
puisse redouter, avec quelque apparence de cer-
titude, de trouver infranchissable. On peut donc
affirmer que la chimie organique est désormais
assise sur la même base expérimentale que la
chimie minérale. Dans ces deux sciences, la syn-
thèse aussi bien que l'analyse résultent du jeu des
mêmes forces, appliquées aux mômes éléments. »
(Berthelot, la Sipithése chimique.) [A. Villiers.]
SYSTÈME MÉTUiyUE. —Arithmétique, XXVI-
XXXV. — Etym. : métrique, qui concerne les
mesures, du grec viélron, mesure ; plus spécia-
lement, qui se rattache au mètre, unité fondai
mentale.
I- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES, — Mesurer une
grandeur, telle qu'une longueur, un poids, etc. ,
c'est la com|)arer i une grandeur bien connue.
— Vui'iié est la grandeur à laquelle on rapporte
des grandeurs de même espèce. — La mesure des
grandeurs permet de les évaluer en nonibi e ;
on dit, par exemple, qu'une longvieur vaut trois
mètres et un poids sept kilograuimes.
Il suffit qu'une grandeur soit bien déterminée,
et fixe pour qu'elle puisse servir d'unité. — 11
faut naturellement des unités spéciales pour cha-
que catégorie de grandeur. — 11 n'est pas indis-
pensable de rattacher les unes aux autres les uni-
tés de nature différente, ni même, à la rigueur,
celles de même espèce.
La reflexion et l'expérience font connaître les
condiliom d'un Ion C' semble de mesures. Nous
allons passer en revue les plus importantes de ces
conditions, et justifier ainsi l'excellence des me-
sures métriques.
1" Vnitcs parfaitement définies et fixes, — Les
anciennes mesures de longueur se déduisaient
des dimensions du corps humain (toises, cou-
dées, mains, pouces, doigts, etc.) ou des dimen-
sions de certains temples. Ces bases étaient va-
gues et variables, les modèles n'en étaient pas
arrêtés. On a pu dire que, sous l'ancien régimCi
il y avait autant d'arpents et de boisseaux que de
villages. — Le mètre, fraction déterminée de la
circonférence terrestre, estune longueur précise,
immuable, indépendante du temps et des na-
tions. <i On retrouverait le mètre, dit Arago,
quand même des tremblements de terre, des ca-
taclysmes épouvantables viendraient à bouleverser
notre planète et à détruire les étalons prototypes
religieusement conservés aux Archives. >> (Nous
verrons, dans la suite, que ces assertions sont un
peu trop absolues.)
2° Unités d'espéi-es différentes liées entre elle.':.
— La géométrie rainène la mesure des surfaces
et des volumes à la mesure de certaines lon-
gueurs, qu'on appelle les dimensions de ces figu-
res. Les règles simples qu'on établit supposent
qu'on prend pour unités les carrés et les cubes
construits sur l'unité linéaire. — On se servait
autrefois de la toise carrée et de la toise cube,
avant de connaître le mètre carré et le mètre
cube. — Il y a plus, les unités de poids et de
monnaie dérivent aussi du mètre, quoique moins
directement. On pourrait à la rigueur, avec les
monnaies, peser les corps et mesurer les longueurs.
Nos mesures s'enchaînent ainsi complètement et
leur ensemble mérite le nom de si/stéme.
3° Unités assez nombreuses pour chaque espèce
de grandeur. — Il convient de rapporter chaque
grandeur particulière à une unité proportionnée,
parce que l'esprit ne voit clairement et rapide-
ment que les nombres ordinaires, ni trop grands
ni trop petits. De Ik l'utilité d'unités secondaires,
substituées souvent à l'unité principale. — Nous
avons actuellement des multiples et des sous-
multiples de chaque unité; la plupart sont des
instruments effectifs de mesurage, tandis que
les auires ne sont pas fabriqués (huit règles
pour les longueurs, treize vases pour les capaci-
tés, vingt-quatre poids et quatorze monnaies).
4° Unités de même nature liées simplement. —
Dans l'ancien système, l'échelle était parfois
bizarre et variable d'un genre d'unité h un autre
(exemple : les longueurs et les poids). De là le
calcul des nombres complexes, assez pénible, mal-
gré les simplifications provenant des diviseurs
de douze. — Les unités nouvelles procèdent
toutes de dix en dix, comme notre système de
numération. Les grandeurs s'expriment par suite
en nombres décimaux, aussi faciles à combiner
que les entiers. Les changements d'unité se tra-
duisent par un simple déplacement de la vir-
gule. — On comprend pourquoi le système nié-
trique s'appelle aussi système décimal dss p()ids
et mesures. (On avait môme proposé de diviser
décimalement le temps, jour de vingC heures,
heure de cent minutes, etc., et le cercle en cent
grades de cent minutes chacun, etc.)
5" Nomenclature expressive et ne comprenant
qu'un i^etit nombre de mots. — Les mesures an-
térieures portaient des noms très variés et n'in-
diquant pas les rapports, qu'il fallait retenir à
pan. — Nous n'avons maintenant que six mesures
principales, le mètre, l'are, le litie, le kilogramme
et le franc; à ces six mots il suffit de joindre sept
abréviations, tirées du grec et du latin, pour com-
poser h s noms dos multiples et des sous-multl-
ples. Déca signifie dix, hecio cent, kiij mille et
mi/ria dix mille; d^'t signifie dixième, centi cen-
tième et mi//t millième. Dès qu'on parle du dé-
camètre et du décimètre, chacun se rappelle
qu'il s'agit de dix mètres et du dixième dii mètre.
— Cependant, quelque commode que soit la no-
SYSTEME MÉTRIQUE
2119 — SYSTÈME MÉTRIQUE
menclature précédente, elle n'est pas essentielle
au système métrique, qui réside dans les cltoses et
non dans les mots.
6° Mcsiiivs obligatoires et soigneusement con-
trôlées. — Depuis ISiO, les mesures métrii|ues
sont définitivement imposées par la loi, sur tout le
territoire français, et les dénominations mêmes des
anciennes mesures sont proliibées. Les instruments
de mesure sont conformes h des modèles dont les
règlements précisent la valeur, les dimensions,
la forme et la substance. Sur ces mesures sont
inscrits non seulement le nom de la mesure
mais encore celui du fabricant responsable, et
cesinstrumentssontsoumis àun contrôle au début,
puis à un contrôle périodique, faits par des véri-
ficateurs des poids et mesures. — Notre système
justifie la qualification de système légat des poids
et mesures.
7° Système offrant un carnctère international.
— Base ne dépendant d'aucune nationalité parti-
culière, puisqu'elle est prise dans la nature. Or-
ganisation par dos savants de tous les pays, qui
ont signé les rapports et se sont distribué cent
douze des mètres nouveaux. Mots provenant d'une
langue morte, du grec ou du latin. « Si la mé-
tnolre des travaux venait à s'effacer, dit Laplace,
si les résultats seuls en étaient conserves, ils
n'offriraient rien qui piit faire connaître quelle
nation en a eu l'idée, en a suivi l'exécution. » —
L'adoption par tous les peuples des mêmes me-
sures faciliterait grandement les relations com-
merciales et scientifiques. Le système métrique
■est déjà, adopté, entier, ment ou parliellement.
ipar les pays suivants : Belgique, Hollande. Espa-
■gne, Portugal, Grèce, Allemagne, Danemark.
Mexique, Brésil, Républiques de l'Amérique du
Sud, Egypte, etc. Ajoutons que dans les États
anglais et dans les Etats-Unis l'usage de nos
mesures est facultatif.
!'■ HISTORIQUE, — Cliarlemagne substitua aux
mesures remanies le pied-de-roi ou pied-de-Paris,
emprunté aux Arabes, et les dérivés de cette
longueur. Il chercha à répandre dans son vaste
empire ces unités qui devaient durer dix siècles,
mais en s'aliérant et en se compliquant beaucoup.
^ Les Etats généraux réclamèrent mainte fois
l'ordre dans les poids et les monnaies.
Louis XI, François 1" et Louis XIV tentèrent
en vain, dans leurs édits royaux, d'imposer par-
tout les mesures de Paris.
A l'occasion de la mesure du méridien par Pi-
card, <i on fit en 16CS, dit Saigoy, une toise en
fer portant une arête à chaque bout, et on la fixa
au bas du grand escalier du Chàtelet, pour ser-
vir de régulateur au commerce et à la jus-
tice. »
La toise qui, après avoir été comparée à celle
du Chàtelet, avait été employée dans les mesures
méridiennes du Pérou, par Bouguor et La Conda-
niine, servit à son tour d'étalon, et quatre-vingt
modèles en furent expédiés aux parlements de
Fpance et aux astronomes étrangers. C'était un
premier pas vers l'unirormité, et bientôt la toise
du Pérou, comme on l'appelait, servit à l'étalon-
nage du mètre.
Parmi les réformes urgentes demandées dans
les cahiers de 1789, on retrouve sans cesse celle
des poids et mesures : on les veut « simples et
les mêmes dans tout le pays. »
_ Le 8 mai noo, sur la proposition de Talleyrand,
1 Assemlilée constituante engagea les rois de France
et d'Angleterre à se concerter pour adopter la
même unité. Cette mesure (par exemple, la
longueur du pendule à seconde, proposée autre-
fois par Picard) eût élé fixée par une commission
composée, en nombre égal, d'académiciens de
Pans et de membres de la Société royale de
Londres.
L'Académie dos sciences discuta seule la ques-
tion, et sa commission (Borda, Lagrange, Laplace,
Monge et Lavoisior) rejeta le pendule « pour ne
pas mêler i. une question de longueur des consi-
dérations de mouvement et de temps, » et elle
proposa la dix-millionnièmo partie du quart du mé-
ridien. La tra'lition attribue à Laplace la concep-
tion de l'ensemble du système, h IJorda le plan des
opérations géodésiques, et à Lavoisier le kilo-
gramme.
Le IS mars n!ll, un décret de l'Assemblée
constituante adopta la circonférence terrestre
comme base et prescrivit les travaux nécessaires.
<i Prendre pour unité de longueur usuelle la dix-
millionième partie du quart du méridien et rap-
porter la pesanteur do tous les corps à celle de
l'eau distillée, en reliant par l'échelle décimale
toutes les mesures principales aux mesures plus
grandes ou plus petites. »
Dès 1792, Delambre et Mécliain furent chargés,
parleurs collègues de l'Académie des sciences, de
mesurer l'arc de Duiikerque .'i Barcelone, en Espa-
gne, qui comprend dix degrés environ. La trian-
gulation s'appuya sur deux bases, près de Molun
et de Perpignan. Aux mesui-os directes devait suc-
céder un long travail de comparaison aux mesures
antérieures, de réductions et de calculs. Sans at-
tendre la fin de ce travail, l'Académii calcula pro-
visoirement le mètre d'après les observations an-
ciennes, " avec une exactitude suffisante pour tous
les besoins de la société; d'autre part elle avait dé-
terminé, par des expériences précises, la lon-
gueur du pendule à seconde et le poi."- d'un centi-
mètre cube d'eau distillée : c'étaien t les éléments de
toutes les autres mesures. Les observations nou-
velles ne pouvaient apporter à leurs valeurs que
des corrections insensibles. " (Biot.)
Dans sa séance du P'aoiit 1793, laConvention, sur
un rapport présenté par Arbogast au nom du Comité
d'instruction publique, vota l'établissement au sys-
tème métrique dans toute l'éiendue de la Républi-
que. Toutefois, le système ne fut rendn obligatoire
que par le décret du 18 germinal an 111 (7 avril
179,")). Ce décret fixa définitivement la nomencla-
ture ; il y est dit que « l'étalon sera une règle
de plaiine, exécutée avec la plus grande précision
d'après les expériences et les observations de la
commission. On les déposera près le Corps légis-
latif, ainsi que le procès-verbal des opérations qui
auront servi à le déterminer. »
Une commission générale de trente-deux mein-
bres, tant français qu'étrangers, avait été chargée
des calculs définitifs.
Le 4 messidor an VII (22 juin 1799), cette com-
mission, par l'organe de sesr.ipporteurs, le Hollan-
dais Swiden et le Suisse Trallès, aimonça aux
deux conseils législatifs de la République que le
quart du méridien valait 5 130 740 toises, d'où se
déduisait la longueur du mètre. Les deux délé-
gués présentèrent aussi les étalons du mètre et
du kilogramme, en platine; la règle doit être prisa
à zéro et le poids cylindrique doit être pesé dans
le vide. " Ces deux proiotijpes furent, le même
jour, placés chacun dans une boito fermant k
clef, et déposés aux Arcliives do la République
dans la double armoire en fer, fermant à quatre
clefs. »
Sous le Consulat, la loi du 2 novembre 1801 se
borna à autoriser l'usage des nouvelles mesures
de préférence aux anciennes; et sous l'Empire,
le décret rétrograde du 12 février 1812 organisa
un système mixte et bâtard, qui devait retarder
de vingt-cinq ans l'avènement du vrai système
métrique. Il y eut une toise métrique, une livre
métrique, etc.
Enfin, la loi célèbre du 4 juillet 1K37, reprenant
les traditions de la Révolution, remit en vigueur lo
système métrique pur, et prohiba, non seulement
SYSTÈME METRIQUE
2120
SYSTÈME METRIQUE
l'emploi de toutes les anciennes mesures, mais
même leurs dénominations.
Depuis le 1" janvier 1840, le système est im-
posé par la loi à tous les citoyens français, et les
délinquants sont punis de l'amende ou de la pri-
son.
En 18G9, l'Académie des sciences de Saint-
Pétersbourg proposa une révision européenne
du mètre. Delambre, disait-elle, a adopte un
aplatissement de la terre un peu trop faible, et
en outre une erreur matérielle s'est glissée dans
les calculs de réduction. L'Allemand Bessel, dis-
cutant toutes les mesures du méridien, et en
particulier celles de Biol et Arago (1808), a trouvé
5 131 180 toises au lieu de 5131)140 toises; le
nombre fondamental du système métrique est
ainsi trop petit de 440 toises. De plus, le kilo-
gramme doit être rapporté à zéro, non h 4°. Il est
regrettable, ajoutait l'Académie de Saint-Péters-
bourg, que les nouvelles mesures ne soient pas
établies par des savants de toutes les nations,
travaillant en commun. Les étalons envoyés de
Paris aux gouvernements étrangers sont imparfaits,
ils sont relevés sur le mètre du Conservatoire
des arts et métiers et non sur celui des Archives,
et par des procédés qu'il faudrait perfectionner.
— A ces critiques, l'Académie des sciences de Paris
répondit que la différence entre les nombres de
Debmbre et de Bessel était assez légère, que tout
nombre nouveau devrait d'ailleurs être modifié
plus tard par suite des progrès de la science : or
on ne peut pas changer de mètre à chaque siècle.
Des savants de tous les pays ont collaboré
avec les savants français, et l'unité qu'ils ont
arrêtée ensemble peut être transmi.se très exacte-
ment.— A la suite de cet échange d'observations,
les deux Académies se mirent d'accord pour de-
mander la réunion d'un Congrès du mètre, devant
étudier la question des mesures et de leurs meil-
leurs étalons.
La première réunion à Paris du Coni/rès inter-
national du mètre ayant été interrompue par la
guerre, une seconde réunion eut lieu en 1S72.
Vingt États y furent représentés. Il fut résolu
qu'on ne ferait pas une nouvelle mesure du mé-
ridien ; que le mètre et le kilogramme actuels
seraient perpétués tels quels ; que les étalons
seraient en platine iridié, de 102 centimètres pour
limiter le mi'nre à deux traits, etc.
En 1873, les chimistes Deville et Debray coti-
lèrent, à une température dépassant '2000°, les
premiers mètres internationaux, à l'Ecole normale
supérieure. Ces mètres ont la même valeur scien-
tifique, sinon historique, que le prototype des
Archives, qu'ils reproduisent parfaitement, et ils
font loi à l'étranger.
III. EXPOSÉ DU SYSTÈME. — 1° Longueurs. —
L'unité principale s'appelle le mètre, et c'est la
dix-millionième partie du quart du méridien
terrestre.
Une règle en platine, déposée aux Archives,
donne, à la température de la glace fondante, la
longueur exacte du mètre, et d'autres étalons en
cuivre et en acier se trouvent dans les bureaux
de vérification.
Les unités secondaires de longueur sont les
multiples et les sous-multiples suivants du mètre :
décamètre ou dix mètres, hectomètre ou cent
niètres. kilomètre ou mille mètres, myriamètre ou
dix mille mètres ; décimètre ou dixième du mè-
tre, centimètre ou centième du mètre, millimètre
ou millième du mètre.
Les unités de longueur sont ainsi de dix en dix
fois plus grandes ou plus petites.
Les grandes distances s'évaluent en myriamè-
tres et en kilomètres, qui sont qualifiés d'unités
itinéraires (de latin iter, chemin). Les dimen-
sions des champs s'expriment en décamètres et
en mètres et celles des appartements en mè-
tres et en décimètres. Le centimètre et le milli-
mètre servent pour les longueurs plus petites.
On indique, comme il suit, en abrégé les noms
des unités de longueur, à partir du millimètre :
mm., cm, dm., m.. Dm., Hm., Km., Mm. Ces
indications s'écrivent en petits caractères J» la
suite du nombre, en haut et à droite, et il en
est de même pour les abréviations des autres
unités métriques. Trois mètres quarante-deux
centimètres se notent ainsi: 3"',4'J.
Les mesures effectives ou instruments sont le
décamètre sous forme de chaîne d'arpenteur ou
de ruban en acier, le double mètre et le mètre
en forme de règles, le double décimètre et le dé-
cimètre, réglettes à biseau subdivisées en centi-
mètres.
Le mesurage des longueurs se fait en portant
plusieurs fois l'instrument bout à bout (géomé-
trie, métrage et levé des plans).
La largeur de la main d'un homme est d'un
décimètre environ et celle d'un doigt de 2 cen-
timètres. — Quatre pas ordinaires font 3 mètres.
Il ne faut pas confondre la lieue métrique de
4 kilomètres avec les lieues plus grandes de 25
et de 20 au degré.
La longueur du pendule battant la seconde, à
Paris, est de n»,99i.
Les physiciens, en s'aidant du vernier, de la
vis micrométrique et de la loupe, apprécient jus-
qu'aux dixièmes et aux centièmes de millimètre.
Exercices. — 1° Des pointes ont chacune 3'^™ \ ;
combien de douzaijies de ces pointes pourra-t-on
découper dans 18™ de fil de fer.
2° Un globe géographique a \°',20 de tour et la
distance de deux villes est représentée sur ce
globe par un arc de 528""; calculer la distance
réelle de ces deux villes.
2° Surfaces. — Les diverses unités de surface
sont les carrés ayant pour côtés les unités de
longueur.
L'unité principale est le mètre carré, qui est
le cvirré d'un mètre de côté.
Les unités secondaires sont le décamètre carré
ou carré d'un décamètre de côté, le décimètre
carré ou carré d'un décimètre de côté, etc. Les
définitions des autres unités sont analogues.
On démontre r\ne ch'i que taùté carrée vautcmT
fois l'unité carrée imm'diatemc'it inférieure. C'est
une conséquence de ce théorème de géométrie :
Les aires de deux polygones semblables sont
entre elles comme les carrés des côtés homolo-
gues. Pour établir directement que le décimètre
carré, par exemple, contient cent centimètres
carrés, il suffit de diviser chaque côté du premier
carrés en dix parties égales et de joindre les
points correspondants : on a ainsi dix rangées for-
mées chacune de dix des carrés partiels, ce qui
fait en tout cent centimètres carrés.
L'étendue des continents et des pays s'exprime
en myriamètres carrés et en kilomètres carrés,
qu'on appelle mesures topngrapliiques (du grec
topo<:,\ieu). Les champs s'évaluent en hectomètres
carrés et décamètres carrés (qui portent alors
les noms d'hectares et d'ares), la superficie des
appartements en mètres carrés, une feuille de
papier en décimètres carrés et enfin la section
d'une barre ou d'un fil métallique en centimètres
carrés et en millimètres carrés. — 11 est bien
entendu que, lorsqu'on parle d'une surface d'un
mètre carré, la surface peut avoir une forme
quelconque, tout on étant équivalenie au carré
d'un mètre de côté.
Carré s'abrège àl'aide de la lettre q ., d'après la
vieille orthographe quarré et pour ne pas con-
fondre avec cube. Les abréviations sont par suite,
en commençant par le millimètre carré, mmq.,
cmq., dmq., mq., Dmq., Hmq., Kmq.,et Mmq. —
SYSTÈME MÉTRIQUE — 2121 — SYSTÈME MÉTRIQUE
Il ne faut pas indiquer mètre carré ainsi : m*.
Trois mètres carrés doux décimètres carrés
s'écrivent 3""i,0?, parce que le décimètre carré
est le contième (et non le dixième) du mètre
carré.
On ne réalise pas les mesures de surface : les
marchands ne vendent pas de mètres carrés en
bois, en carton ou en toute autre substance,
parce que l'évaluation des surfaces se ramène J»
celles des longueurs. Ainsi la géométrie nous ap-
prend que Taire d'un rectangle est égal au pro-
duit de sa base par sa hauteur, etc.
Lorsque les unités de surface sont appliqués à
la mesure des champs, elles s'appellrnt mesures
agraires (du latin arjer, champ), et elles portent
des noms spéciaux.
h' lire (du latin area, aire) est un décamètre
carré.
L'hectare vaut cent ares et le centiare est le cen-
tième de l'are.
On voit que l'hectare, comprenant cent ares ou
cent décamètres carrés, est équivalent ît l'hecto-
mètre carré. Pour une raison analogue, centiare
est synonyme de mètre carré. Les autres multiples
de l'are n'ont pas reçu de noms particuliers,
parce que ce ne sont pas des carrés ayant pour
côtés des dérivés décimaux du mètre.
3 hectares 3'J ares 8 centiares s'écrivent en
abrégé 3i>' ZT 8".
Pour calculer l'étendue d'un champ, on mesure
ses dimensions par les procédés et avec les ins-
truments du levé des plans. L'art de mesurer les
champs porte le nom à'arpetitage.
ExEiiciCEs. — 1° Un tapissier a besoin de 31", 50
de percale large de l",?); on lui propose de lui
livrer de la percale n'ayant que 85=" de large ;
quelle longueur lui en faudra-t-il?
2° En mesurant un terrain, on a trouvé Hi^SS"
51", mais on s'est aperçu ensuite que le décamè-
tre employé était trop court de 3'^"' ; calculer la
superficie exacte.
3° 'Volumes. — Les unités de volume sont
les cubes ayant pour côtés les unités de longueur.
Le mètre culie est le cube d'un mètre de côté.
— De même, le décimètre cube, le décamètre
cube, etc., sont les cubes d'un décimètre, d'un
décamètre, etc., de côté.
On prouve que chnque unité cubique vaut
MILLE fois l'unité cuttiqu" immédiatement infé-
rieure. Il suffit de se rappeler que les volumes do
deux polyèdres semblables sont proportionnels
aux cubes de leurs côtés homologues. Pour éta-
blir, sans invoquer le théorème précédent, que le
mètre cube, par exemple, contient mille décimè-
tres cubes, on imagine une capacité cubique d'un
mètre de côté. On sait que le fond, qui est un
mètre carré, vaut cent décimètres carrés ; sur
chaque décimètre carré, on pose un décimètre
cube. On a ainsi une première couche de cent dé-
cimètres cubes, et on peut superposer cent cou-
ches pareilles dans le mètre cube; ce qui fait dix
fois cent ou mille décimètres cubes.
La quantité d'air contenue dans un appartement
est donnée en mètres cubes et fractions du mètre
cube. On proportionne l'unité choisie au volume
à évaluer. — Il est clair qu'en disant qu'un corps
a un mètre cube de volume, par exemple, on n'af-
firme rien sur sa forme, quipeutêtre quelconque.
Abréviations : mmc, me, dmc, me, Dmc,
Hmc, Kmc. — Ne pas se servir de la notation m^,
pour mètre cube.
3 mètres cubes 2 décimètres cubes s'écrivent
.3"% 005, parce que le décimètre cube est le mil-
lième du mètre cube.
On ne confectionne pas de mesures effectives
de volume, excepté pour l'explication aux élèves.
Pour évaluer les volumes en mètres cubes, déci-
mètres cubes, on mesure certaines longueurs et
on termine par le calcul. On a établi par exemple,
en géométrie, que le volume d'un paralléli|)i-
pède rectangle est égal au produit de ses trois-
aimensions.
Le bois de chauffage se vend d'après son poids
ou d'après son volume. Dans ce dernier cas, la
mesure pour le bois est le stère (du grec stéréos,
solide) ; c'est le mètre cube sous un autre nom.
Du stère dérivent le décastère ou dix stères, et
le décistère ou dixième du stère.
On empile les bûches dans un cadre en bois,
composé d'une sole horizontale d'un mètre et de
deux montants verticaux, soutenus par des contre-
fiches inclinées. — Si les bûches ont juste un
mètre de long, on les entasse jusqu'à un mètre
de hauteur ; dans le cas contraire, la hauteur
doit être calculée de façon que le produit de cette
hauteur par la longueur des bûches soit égal i
l'unité.
Les liquides et les matières sèches (blé, graines.
charbon, etc.), n'ont pas une forme propre et
permanente, ils prennent celles des vases qui les
contiennent. Aussi se sert-on, pour trouver leur
volume, de mesures fie capacité qui sont des vases
de contenances métriques.
L'unité principale de capacité est le litre (du
bas latin litrn, nom d'une mesure), qui est équi-
valent au décimètre cube.
Les multiples et les sous-multiples du litre sont
le décalitre (Dl.) ou dix litres, l'Iiectolitre (Hl.)
ou cent litres, le kilolitre ou mille litres, le déci-
litre (dl.) ou dixième du litre, le centilitre (cl.)
ou centième du litre, et le millilitre ou millième
de litre. — Les doubles et les moitiés des mesures
précédentes sont aussi autorisés par la loi.
On donne aux mesures de capacité la forme
de cylindres, pour faciliter le nettoyage et dimi-
nuer la déformation. Ces instruments sont a\i
nombre de treize, du centilitre à l'hectolitre. —
Pour les liquides, les vases cylindriques ontîi l'in-
térieur une hauteur double du diamètre. Ils ne
doivent pas contenir moins de 82 centièmes d'é-
tain contre 18 de plomb : l'étain seul serait trop
cassant et le plomb seul serait vénéneux. — Pour
le lait et l'huile, les cylindres sont en fer-blanc et
la hauteur est égale au diamètre. — Knfin, pour
les grains, les cylindres sont en bois, de hauteur
intérieure égale au diamètre, et ces boisseaux sont
bordés ou ferrés.
Exercices. — I" Des bûches de I^.U de long
forment un tas de 1™,IC de haut et 3'", de large;
combien a-t-on ainsi de stères'?
2° Des pavés ont chacun 18, 21 et 2Î="> et il
faut en empiler 10 000 sur un terrain rectangu-
laire, dont la base égale la hauteur, pour attein-
dre 2"° de haut. Calculer les dimensions du ter-
rain.
4° Poids. — L'unité de poids est le gramme
(du grec grmnma, nom d'un poids). On appelle
gramme le poids d'un centimètre cube d'eau dis-
tillée, prise à son maximum de densité et pesée
dans le vide.
On justifie par les remarques suivantes les con-
ditions énoncées dans la définition du gramme.
L'eau est le liquide universellement répandu ;
elle est chimiquement pure lorsqu'elle est distil-
lée ; elle a le plus grand poids sous le môme vo-
lume i 4° du thermomètre centigrade ; enfin, en
la pesant dans le vide, on évite la perte de poids
que tous les corps subissent dans l'air, d'après le
principe d'Archimède.
Les unités de poids procèdent de dix en dix; ce
sont, outre le gramme, le décagramme {Dg.1 ou
dix grammes,' l'hectogramme (Hg.) ou cent gram-
mes, le kilogramme (Kg.) ou mille grammes, le
myriagramme (Mg.) ou dix mille grammes, le dé-
cigramme (dg.) ou dixième du gramme, le centi-
gramme (,cg.) ou centième du gramme, et le
SYSTÈME MÉTRIQUE — 2122 — SYSTÈME METRIQUE
milligramme (mg.) ou millième du gramme. —
La loi autorise en outre les doubles et les moi-
tiés.
Le quintal métrique est un poids de cent kilo-
grammes et le ionnenu de mer vaut mille kilo-
grammes. (Lorsqu'on parle d'un vaisseau de cent
tonneaux, on entend qu'il peut porter cent mille
kilogrammes )
Le kilogramme est l'unité usuelle du commerce ;
on se sert aussi de l'hectogramme et du déca-
gramme. Quant aux poids plus peiits, gramme,
décigramme, etc., ils ne sont usités que par les
orfèvres, les pharmaciens, les chimistes, etc.
11 y a 24 unités de poids effectives. — Les gros
poids, de .^0 kilogrammes au demi-hectogramme,
sont en fonte de fer, et ils affectent la forme de
de troncs de pyramide rectangulaire. — Les poids
moyens, de 2U kilogrammes au gramme, sont des
cylindres en laiton, dont la hauteur égale le dia-
mètre et qui sont surmontés d'un boulon. — Enfin
les petits poiils, de 5 décigrarames au milli-
gramme, sont des lames en laiton ou en argent, à
coin relevé.
On opère le pesage à l'aide des balances, dont
on construit des modèles variés.
Exercices. — 1» Une bouteille pleine d'eau pèse
l'*,-34î et vide elle pèse 18 •"; quelle est la capa-
cité de la bouteille'?
2° Une feuille d'étain pèse 308^ et elle a SS'^" de
large sur 1"35 de long ; calculer l'épaisseur de
cette feuille, sachant que la densité de l'étain est
7,3.
£>• Monnaies. — L'unité monétaire est le franc.
Le franc est une pièce d'argent pesant cinq grammes
et au titre de 0,1).
Les multiples du franc n'ont pas de noms parti-
culiers et on se borne à dire dix francs, cent
francs, etc. Les sous-multiples devraient s'appe-
ler décifranc et centifranc, mais ces mots sont
remplacés par décime et centime. (L'expression
décime n'est guère employée que dans l'enregis-
trement et le timbre.)
Des monnaies en argent pur s'useraient trop
vite, un peu de cuivre les durcit, et la proportion
d'un dixième a l'avantage d'ôtre décimale et de
donner une dureté suffisante.
Depuis une quinzaine d'années, on a abaissé légè-
rement le titre des monnaies d'argent sauf pour
la pièce de cinq francs), et le titre actuel est
0,835.
Les monnaies d'or sont alliées d'un dixième de
cuivre, et elles valent à poids égal quinze fois et
demi plus que celles d'argent.
Enfin les monnaies de bronze sont formées de
95 parties en poids de cuivre, \ d'étain et 1 de
zinc, et ces monnaies valent vingt fois moins que
celles d'argent, à poids égal.
Toutes ces pièces sont cylindriques, d'une
épaisseur et d'un diamètre fixés par la loi.
Les frais de monnayage sont de G fr. "0 et de
1 fr. 50 par kilogramme de monnaie d'or et d'ar-
gent. — Les kilogrammes d or pur et d'argent
pur valent respectivement 343" fr. et 220 fr. 56,
comme on peut le calculer d'après le poids et le
litre des monnairs.
20» pièces de 1 fr. en argent pèsent 1 kilo-
gramme, et 155 pièces d'or de 20 francs pèsent
aussi 1 kilogramme.
On a la longueur du mètre en plaçant bout à
bout 27 pièces de cinq francs et celle du déci-
mètre en plaçant de même 2 pièces de deux
francs et deux pièces d'un franc.
Tableau des monnaies françaises.
NATURE
POIDS
TITRE
"-"-"
millimètres.
35
28
21
19
17
/ i 00 francs
l 30 -
Or ' 20
grammes.
32,25806
t6,l290i
6,«31fit
3,2i580
f,6129C
millièmes.
1
1
2
3
millièmes.
900
id.
id.
id.
id.
millièmes.
id".
id.
id.
id.
\'lz
[ 5 franco
Argent \ 1 _
jO.ÔO —
1 0,20 —
ÎO
2,30
1
3
5
5
7
10
900
S35
id.
id.
id.
2
3
id.
id.
id.
37
27
23
13
16
/ 10 cent.
Bronze | \ —
30
20
15
(Consulter la notice sur la fabrication dos mon-
naies et le texte de la convention monétaire,
dans l'Annuaire du bureau des longitudes.)
ExiRciCES. — 1° Quel serait, au change des
monnaies, la valeur d'un bijou en or pesant bs et au
titre de 0,750?
2° Pour payer 1I58',50 en poids égaux de mon-
naie d'or, d argent et de bronze, combien faudra-
t-il de pièces de 5' d'argent et d'or et de mon-
naie de bronze 7
3° Un marchand a acheté 18"%483 de charbon,
à 1 ,45 1 hectolitre pesant 8:;''«/jO; il paie en outre
pour le transport 2 % du prix d'achat. Combien
le marchand gagne-t-il sur le tout, en revendant
ce charbon 2'. 85 le quintal?
IV. INDICATIONS PÉDAGOGIQUES, — La plus mo-
deste de nos écoles est pcjurvue des intrumentS
de mesure. Les instituteurs popularisent active-
ment le système métrique, aussi indispensable
aux agriculteurs et aux commerçants qu'aux sa-
vanls.
Les enfants, dès qu'ils commencent à compter,
font connaissance avec le mètre, le kilogramme et
le franc, qu'on se garde bien de leur définir : 11
SYSTÈME NERVEUX — 2123
SYSTEME NERVEUX
suffit qu'ils Ips voient et qu'ils les manient. Quel ' le cylinilrnxe : il est entoure d'une substance
plaisir pour eux de mesurer, de peser les objets
et de compter la monnaie ! Ils apprécient bienlôt
les longueurs à simple vue et les poids à la main,
et on leur fait vérifier leur dire.
Vers la fin des études primaires, les mesures
sont définies et explinuées d'une manière suivie,
mais sans détails minutieux et techniques. Les
écoliers, frappés par la décomposition (opérée sous
leurs yeux) du mèire carré et du mètre cube,
ne se trompent plus sur les rapports des unités
carrées et cubiques. Ils font à propos des mesures
beaucoup de petits problèmes variés et (iratiques.
Dans les écoles normales, le système métri-
que doit être exposé avec précision et raisonné à
fond. Il est bon que les élèves-maîtres connais-
sent riiistoiro sommaire du .système, qu'ils lisent
la loi de 1H37 et ses annexes, et qu'ils consultent
un traité de la vérification des poids et mesures.
L'ordre suivi dans le présent article est l'ordre
final, et il suppose déjà acquise lentement la con-
naissance générale des mesures métriques.
[A. Rehière.]
raisseuse, grenue (myéline), laquelle est elle-
niômo protégée par une enveloppe extérieure
(gaîne do Scbwann) : la myéline et la gaine peu-
vent manquer, mais le cylindraxe ne manque
jamais.
Ces tubes nerveux s'unissant, s'accolant les uns
aux autres, s'ent.ourant d'une enveloppe com-
mune, constituent les filets nerveux ou nerfs,
visibles à l'œil nu. C'est ainsi, pour user d'une
comparaison, que les câbles sous-marins sont
formés de plusieurs conducteurs métalliques pro-
tégés par une même gaine do gulta-perclia. Le
tube nerveux est bien en efl"et un sipiple conduc-
teur, k travers lequcls voyage, comme nous le
verrons, soit l'impression (sensibilité), soit l'inci-
tation motrice (mouvement). Prenant son origine
dans une cellule nerveuse, il aboutit, soit dans
une cellule voisine, soit dans un appareil spécial
et terminal (organes des sens, plaques motrices).
11 ne sert qu'à établir la communication entre la
cellule et une autre cellule, ou entre la cellule et
un organe de sensibilité ou de mouvement. Re-
SYSTEME >'EnVErX. — Zoologie, XXXVII. — présentons-nous, pour continuer la comparaison
L'animal, d'après Cuvier, possède, entre autres précédente, la cellule comme une sorte do bureau
attributs caractéristiques, la faculté de sentir, et télégraphique, bureau d'arrivée ou d'envoi, et le
celle de se mouvoir volontairement. Plongé dans tube nerveux comme le fil qui relie la sUtion aux
le monde des objets extérieurs, il en reçoit, par stations voisines ou éloignées. De là cette conclu-
ses appareils de sensation, des impressions in- I sion capitale : la cellule est le véritable organe
cessantes, et il réagit sur ces objets par ses nerveux, le seul actif; la fibre nerveuse n'a qu'un
appareils de mouvement. L'organe commun rôle tout passif de conductibilité.
de ces deux facultés est le si/slème nerveitx ; il Telle est, brièvement résumée, la composition
se retrouve, complet ou rudinien taire, chez tous intime du système nerveux. Examinons-en la dis-
les animaux, à l'exception toutefois de quelques I position anatomique.
classes de zoophyies placées aux derniers éche
Ions du règne, aux confins du monde végétal.
Ce n'est pas tout : à ces deux catégories de
phénomènes, il convient d'en ajouter une troi-
sième, dont le système nerveux est le siège, et
l'instrument de manifestation : nous voulons par-
ler des pfiénomènes intellectuels (perception,
pensée, mémoire, instincts, etc.), qui, à des
degrés infiniment variables, depuis la pensée
humaine jusqu'à l'obscur instinct des êtres infé-
rieurs, sont, au même titre que la sensibilité et
le mouvement, caractéristiques de l'animal.
Nous étudierons d'abord le système nerveux tel
qu'il se montra chez l'homme, sous sa forme la
plus complexe et la plus parfaite : quelques
brèves considérations nous suffiront ensuite à
indiquer ses modifications à travers l'échelle
animale.
Quand on examine la structure histologique du
tissu nerveux, on voit que l'élément fondamental
est la cellule nerveuse. C'est un globule irrégu-
lier, petit (quelques centièmes de millimètre de
diamètre', possédant un noyau et probjblement
une enveloppe : il est, en général, muni d'un ou
de plusieurs prolongements, sortes de libres dé-
liées, ténues, souvent fort longues, appelées /îi/es
f D
f'^' 1. — Coupn d'un tube nerveux.
A, gaine de Schwann ; C, cylindraxe; D, myéline.
nerveuses (m tubes. Ces fibres sont constituées par
très grèlo, qui est
I et que l'on nomme
un axe, ou cordon central, très grèlo, qui est
1 élément essentiel de la fibre,
Envisagé dans son ensemble, le système nerveux
apparaît composé de deux parties : l'une centrale,
occupant l'axe du corps, logée dans ce long canal
osseux que forment, en s'ajoutant les unes aux
autres, les cavités vertébrales et la boîte crâ-
nienne : c'est Yaxe cérébrn-s/iinal : l'autre partie,
périphérique, les nerfs, filets nerveux qui se dé-
tachent de cet axe tout le long de son trajet, et
vont porter partout la sensibilité et le mouve-
ment. Exaininons ces deux parties l'une après
l'autre.
ISuxe cérébro-spinal (encore appelé centres
nerveur) compiend la moelle, logée dans les ver-
tèbres, et Vencéiittale (cerveau et cervelet), en-
fermé dans lo crâne : il est constitué par des
cellules et des tubes nerveux, mais ces deux élé-
ments sont répartis de maiiièro à donner lieu à
deux substances parfaitement diverses de struc-
ture et d'attributions : lune, la sub'tr.nce grise,
formée surtout de cellules, l'autre, la substance
blanche, de beaucoup la plus abondante, et ne
possédant que des tubes. De ces deux substances,
la grise, seule active, préside à la sensibilité, au
mouvement, à l'inielligence; la blanche, en raison
même de sa structure, ne joue qu'un rôle passif.
Dans la moelle, c'est la substance blanclie qui
entoure et recouvre la seconde : dans l'encé-
phale, c'est, au contraire, la substance grise qui
occupe la surface, à l'exception de certains points
centraux, disposés sous forme d'îlots gris, sur
lesquels nous reviendrons.
Le cerveau est la portion antérieure et supé-
rieure de l'encéphale, et il occupe toute la partie
supérieure du crâne, de l'occiput au front. Une
scissure profonde le divise en deux moitiés dis-
tinctes, généralement symétriques, appelées liémi-
splières cér'briiux, compViiemenl séparées l'une de
l'autre, sauf en leur milieu, où elles sont réunies
par une sorte de large lame de substance blanche
[corps C'il'ux). La surface du cerveau, composée
de substance grise, n'est pas lisse, mais creusée
de sillons, hérissée de saillies cylindroïiles,
flexucnses, les circonvnlutions, qui semblent avoir
pour objet do multiplier la surl'ace grise, active,
SYSTÈME NERVEUX
2124
SYSTÈME NERVEUX
du cerveau, et dont le nombre est, par suite,
proportionnel à l'intelligence de l'animal. Nulles
chez les poissons, les reptiles, les oiseaux rudi-
mentaires chez beaucoup de mammifères, se ilo-
veloppant et s'accusant à mesure qu'on remonie
l'échelle et qu'on approche do l'homme, mieux
dessinées chez l'éléphant et le singe, elles attei-
gnent leur plus haut point de complexité chez
l'homme adulte. Enfin chacun des deux hémis-
phères est divise, par deux sillons creusés sur sa
face inférieure, en trois lobes, antérieur, moyen,
et postérieur.
Le cerveau n'est pas isolé, il se continue avec
la moelle et le cervelet. Il tient à la moelle par
deux gros faisceaux de substance blanche {les pé-
doncules ccrébruux), qui s'épanouissent, pour
ainsi dire, dans chaque hémisphère, comme les
tiges d'une gerbe mal liée, divergent de tous
côtés, et constituent la masse môme de ces hé-
misphères et la lame blanche qui les unit. Mais
le trait fondamental de la structure intérieure du
cerveau est l'existence d'une grande cavité cen-
trale, divisée par des cloisons en trois cavités
plus petites [ventricules cérébraux) ; ces cavités
communiquent entre elles, et communiquent avec
une cavité analogue creusée dans le cervelet, et
avec un canal long et délié qui traverse toute li
moelle de haut en bas. Tout le système nerveux
central est donc percé d'une cavité unique, étroite
dans la moelle, s'élargissant dans l'encéphale.
Le cervelet, placé en arrière et au-dessons du
cerveau, n'ayant guère que le tiers du volume
de cet organe, est Ini aussi divisé en deux hé ni-
sphères par une profonde rainure verticale. Sa
surface, formée de substance grise, présente des
sillons circulaires, parallèles, et fort nombreux.
Comme le cerveau, il est formé d'une masse blau-
che centrale, qui l'unit d'une façon remarquable
au cerveau et à la moelle : chaque moitié du
cervelet envoie en effet trois prolongements di-
vergeants; les deux premiers, pédoncules cérchel-
teux supérieurs, se portent vers le centre des
hémisphères cérébraux; les deux derniers des
cendent obliquement vers la moelle (pédoncule,
cérébelleux inférieurs). Enfin les deux moyens
s'unissent l'nn i l'autre, formant ainsi une sorte
de bague blanche (protubérunce annulaire) qui
embrasse la moelle et s'unit i elle.
Nous venons de décrire sommairement Vencé-
phale. Nous allons faire de même pour la moelle.
Etendue, comme une longue colonne, du cer-
veau h la première vertèbre lombaire, la mnrile
a la forme d'un cylindre légèrement aplati, diùsé
en deux moitiés symétriques par deux sillons
verticaux, l'un antérieur, l'autre postérieur. Un
long canal est creusé au centre de cette colonne
nerveuse, communicant avec les cavités encépha-
liques. Un sillon vertical peu profond est situé
de chaque côté du grand sillon postérieur, subdi-
visant ainsi chacune des moitiés de la moelle en
deux colonnes plus petites, ou cordons, cordon
antérieur, cordon postérieur. Disons tout de suite,
quitte h y revenir, que les nerfs naissent de la
moelle par deux racines, l'une antérieure, motrice,
qui s'enfonce au milieu du cordon antérieur, l'au-
tre postérieure, sensitive, qui pénètre dans le
sillon latéral, au point de séparation des deux
cordons.
La moelle, à l'inverse de l'encéphale, est for-
mée de substance blanche à la surface, de sub-
stance grise au centre. Cette dernière forme, du
haut en bas de la moelle, une longue colonne bi-
zarrement cannelée, dont la coupe horizontale
représenterait k peu près les deux moitiés d'un X
reliées par une barre. Les quatre sommets de l'X
se iiomment les cornes de la moelle.
L'extrémité supérieure de la moelle s'engage,
ainsi que nous l'avons vu, sous la bague blanche
] dont l'entoure le cervelet. Au voisinage de ce
point elle se renfle : les deux cordons antérieurs
forment chacun deux masses globuleuses, ovoïdes
ipi/raniides antérieures et olives) ; les deux cor-
dons postérieurs portent aussi chacun un renfle-
ment semblable (pi/ramides postérieures). Ces
quatre renflements, composés, ne l'oublions pas,
de substance blanche, vont former la masse
blanche de l'encéphale. En efl"et. les fibres des
pyramides postérieures se rendent au cervelet;
les fibres des quatre renflements antérieurs s'en-
gagent sous l'anneau de la protubérance, qu'elle*
contribuent à former, continuent leur trajet,
forment les pédoncules cérébraux, et vont s'épa-
nouir dans les hémisphères du cerveau.
Mais la particularité la plus frappante de la
disposition de ces parties, celle qui est la plus
féconde en conséquences de tout ordre, est ce
qu'on nomme Y entrecroisement des pi/ramides
antérieures : une partie, en effet, des fibres qui
les constituent s'entrecroisent sur la ligne mé-
diane, formant une sorte de natte, les droites
allant à gauche et les gauches à droite. De là
cette conséquence : le cerveau est relié à la
moelle, par elle aux nerfs, par les nerfs au corps,
de telle sort" que la moitié droite du corps cor-
Fij;. 2. - Schéma des crntros iienoux.
A, circonvolutions cérébrales ; B, B, couches optiques,
corps strié ; F, substance blanche du cerveau ; d, protu-
bérance annulaire ; f, circonvolutions du cervelet ; D,
colonne ^ise centrale de la moelle ; b, racines antérieures
motrices des nerfs rachidiens;c, leurs racines postérieures
munies de leurs ganglions ; a, nerfs crâniens.
respondra à l'hémisphère gauche du cerveau, et ré-
ciproquement. Il faut toutefois excepter de cette
SYSTÈME NERVEUX
2125 — SYSTÈME NERVEUX
alternance les régions que dessort un nerf ayant
son origine au-dessus de l'entrocrolsemeut. Point
capital de la disposition des centres nerveux, et
qui en modifie profondément le fonctionnement.
Il nous reste h voir comment se comporte la
colonne grise de la moelle. Uappeloiis-nous que,
dans cet organe, elle entoure ce long canal longi-
tudinal dont nous avons parlé, et que ce canal
s'élargit pour former successivement les quatre
ventricules encéphaliques. Eh bien, l'axe gris
l'accompagne jusqu'au bout : il s'élargit et s'étale
en lame pour former le plnncher du quatrième
ventricule, se rétrécit pour pénétri^r dans le cer-
veau, et se dilate encore pour tapisser les parois
latérales du ventricule moyen. Il se termine là :
mais deux îlots considérables de substance grise,
les coucltes optiqws et le corps strie, occupent le
centre des hémisphères, et un ilôt semblable est
situé au centre du cervelet.
Nous pouvons dès i présent embrasser d'un
seul regard l'ensemble de la structure, do l'axe
cérébro-spinal : nous voyons la substance blan-
che, passive, simplement conductrice, monter,
entourant l'axe gris de la moelle, et se dilater
dans l'encéphale ; nous voyons la substance grise,
active, occuper le centre du système sous la forme
d'une longue tige creuse, qui s'inHécliit et s'élar-
git dans le cerveau, recouvrir la surface entière
de l'encéphale et enfin former en trois points
centraux un amas de cellules grises.
Passons maintenant i la description rapide delà
seconde partie, partie périphérique, du système,
les nerfs. Les nerfs, véritables conducteurs qui
se détachent de l'axe central que nous venons
de décrire et se ramifient à l'infini dans le corps
entier, sont de trois catégories.
Les uns, nerfs scnsitifs ou centripètes, appor-
tent aux centres les sensations perçues par les
ort;anes des sens. Les autres, nerfs moteurs ou
centrifuges, apportent des centres aux muscles
les iiicitations, ou pour ainsi parler, les ordres de
mouvement. Le troisième groupe est celui des
nerfs mixtes, beaucoup plus nombreux, qui sont
à la fois sensitifs et moteurs; ils sont constitués
par un inextricable mélange de fibres de l'un et
de l'autre ordre, centripètes et centrifuges.
Les nerfs, tous disposes par couples symétri-
ques desservant des régions symétriques, forment
quarante-trois paires nerveuses. Douze de ces
paires, dites crâniennes, naissent des prolonge-
ments de la moelle dans le crâne. Sans les énu-
mérer toutes, citon s, parmi celles-là, les nerfs ni f ac-
tifs, optiques, acoustiques, nerfs de sensibilité dite
spéciale, et les nerfs pneumogastriques, nerfs
mixtos qui président aux fonctions du cœur, des
poumons et de l'estomac.
Les trente et une autre paires sont dites rachi-
diennes. Elles sont toutes mixtes, naissent de la
moelle proprement dite et distribuent le mouve-
ment et la sensibilité au tronc et aux membres.
Chacun de ces nerfs naît de la moelle par deux
racines : l'une antérieure, mince, est motrice ; si
on la coupe, on frappe de paralysie la légion des-
servie par ce nerf; l'autre, postérieure, grosse,
munie d'un gros ganglion gris, est sensitive ; sa
section frappe d'insensibilité la région innervée.
Ces racines, soit antérieures soit postérieures,
cheminent dans les cordons blancs de la moelle,
qu'elles constituent, puis aboutissent à l'axe gris,
les unes aux cornes postérieures, les autres aux
cornes antérieures, et sont, par cet axe, en rela-
tion avec l'encéphale.
A, cordon postériei
F, ganglion de la racine postérieure ; J, canal central de la
postérieure; D, racine antérieure j
Quant à la terminaison des nerfs, nous avons
peu de choses à en dire. La description de l'extré-
mité des nerfs sensitifs est faite aux articles Vue,
Ouïe, Odorat, Tact, etc. Le trait commun à la
termmaison de ces nerfs, tel qu'il se révèle à
travers de profondes différences déforme, est que
le filet nerveux sensitif aboutit toujours à une
cellule. Quel que soit le sens dont il s'agit, un or-
gane cellulaire est donc toujours le véritable or-
gane du sens, celui qui reçoit l'impression et la
transmet au nerf conducteur.
Les nerfs moteurs se terminent dans les mus-
cles striés et dans les muscles lisses. Le mode de
terminaison des nerfs dans ces derniers muscles
nous est encore inconnu, ou peu s'en faut. Quant
aux nerfs des muscles striés, on les voit se rami-
fier, et abandonner un rameau à chacun des fais-
ceaux du muscle ; ce rameau nerveux pénètre
dans le muscle en perdant sa myéline et sa gaine;
le cylindraxe seul entre donc dans le faisceau, et
se termine par un épanouissement en forme de
plaque {plaques motrices). Ces plaques termina-
SYSTÈME NERVEUX
2126 — SYSTÈME NERVEUX
les représentent donc l'organe par lequel le nerf
s'applique directement à la fibre contractile et
agit sur elle.
Enfin il est un dernier appareil dont l'étude
complétera la description du système nerveux :
c'est le grand sympathique.
Ce nom singuliers'appliqueà une double cliaîne
de ganglions nerveux, ou amas de cellules, dispo-
ses le long de la colonne vertébrale, unis entre
eux par des filets nerveux, et unis par d'autres
filets à la moelle. De cette double cliainR ganglion-
naires partent d'innombrables nerfs sensitifs ou
moteurs apportant i tous les viscères (foie, cœur,
intestins, etc.) la sensibilité et le mouvement.
Mais le point capital des fonctions du grand sym-
pathique, comme nous le verrons plus loin, est
qu'il envoie des nerfs moteurs à tous les vais-
seaux sanguins : ces nerfs, dits vaso-m"teurs, vont
se perdre dans la tunique musculaire des vais-
seaux, et en commandent le resserrement ou la
dilatation.
Nous voici parvenu au terme de l'étude des-
criptive du système nerveux. Il nous reste à mon-
trer le mécanisme de son fonctionnement physio-
logique.
L'ensemble de la physiologie nerveuse a été
traité à l'article Physiologie. Nous conseillons au
lecteur de s'y reporter, et de bien se pénétrer de
la description de certains points particuliers, tels
que le mouvement réflexe par exemple : il lui
sera ainsi plus aisé de comprendre ce que nous
allons ajouter sur la physiologie spéciale des dif-
férentes parties.
Le cerveau est le siège des phénomènes de
perception, de volonié et de pensée.
Aucune sensation n'est perçue que si elle arrive
jusqu'aux cellules cérébrales. Si l'on coupe la
moelle, une sensation peut fort bien cheminer par
un des nerfs rachidiens situés au-dessous du ni-
veau de la section, et peut même se réflécliir en
une incitation motrice : mais elle n'est pas perçue,
parce que les communications avec le cerveau
sont coupées. Le cerveau est donc l'organe sensi-
tif proprement dit, du moins l'organe des sen-
sations perçues : sensations spéciales, venues des
sens spéciaux, odeurs, saveurs, sons, etc., ou
générales, douleurs, malaises, faim, etc. C'est le
cerveau qui perçoit, entre autres, cette curieuse
et indéfinissable impression (ou collection d'im-
pressions), que l'on nomme le sentiment de
l'exi'te'ire, inaperçue en général, mais forte et
pénible dans les malaises morbides.
Remarquons que le cerveau reporte toujours
l'oricino d'une sensation à l'extrémité terminale
du nerf qui la lui transmet, alors même que le
siège vrai en est sur un point quelconque du tra-
jet du nerf. Chacun sait que les amputes souffrent
parfois de la main ou du pied qu'ils n'ont plus.
(Pour le dire en passant, c'est dans ce fait, c'est
dans Vfûtériorilé des sensations, qu'il faut cher-
cher la clef du phénomène de l'hallucination.)
L'incitation motrice est, avec les phénomènes
intellectuels, le grand et admirable mystère de
la physiologie cérébrale. Sans doute, dans le mou-
vement réfiexe, nous avons de la peine à com-
prendre qu'une sensation puisse u se réfléchir »
et provoquer un mouvement ; mais enfin, si le mé-
canisme de cette transformation nous échappe, ce
mouvement a une cause extérieure, et nous le
concevons tant bien que mal Au contraire nous
admirons, sans pouvoir en concevoir d'explication,
ce fait merveilleux d'une incitation libre, indépen-
dante, volontaire, née d'elle-même. Le cerveau est
l'organe unique rie ces incitations : la moelle peut
provo(|uer des raouvemenis, mais non par elle-
même ; elle ne le fait qu'en vertu d'une cause
extérieure préalable, d'une sensation. L'animal
auquel ou enlève le cerveau est privé de volonté,
devient le jouet du mouvement réflexe, c'est-à-
dire des sensations ; il se meut, parfois il se nour-
rit et vit : mais à condition que des sensations
appropriées viennent provoquer les mouvements
qui le font avancer, respirer, etc.
Ici se place l'observation d'un fait remarquable :
la transformation, par l'habitude, d'un mouve-
ment volontaire en un mouvement réflexe, ou,
ce qui revient au même, d'un mouvement d'ori-
gine cérébrale en un mouvement d'origine médul-
laire. Citons un exemple entre mille, celui de la
marche : l'enfant qui apprend à marcher meut
péniblement ses membres et assure son équilibre
par une série de mouvements volontaires appro-
priés. Peu à peu, ces mouvements se régulari-
sent, et l'intervention de la volonté devient de
moins en moins active; elle cesse enfin au mo-
ment où l'habitude est tout à fait acquise : la
marche n'est plus dès lors qu'un mouvement ré-
flexe, dont l'origine est une sensation, celle du
sol sous nos pas ; cela est si vrai, que quand cer-
taines lésions nerveuses, frappant le pied d'insen-
sibilité, suppriment la sensntion du sol, la marche
devient impossible. L'habitude physique n'est
donc que la substitution, à l'inciiation motrice
voulue et pénible, d'un mécanisme instantané,
sur, fatal pour ainsi dire, celui du réflexe, et l'on
pourrait dire qu'en matière de mouvements, l'é-
ducation de l'exécutant n'est que l'éducation de
la moelle.
Remarquons cependant que, si invétérée qui
soit l'habitude, la volonté reste libre de sortir de
son repos et d'intervenir : nous marchons, nous
respirons automatiquement : mais nous pouvons
instantanén>ent faire, de chacun de ces actes, un
acte voulu, le ralentir, ou le presser, ou le cesser
Cl à volo7ité ».
(Rappelons ici que, d'une façon générale, le
cerveau est relié au reste du corps par des con-
ducteurs croisés, en sorte que c'est l'hémisphère
gauche qui commande les mouvements de la moitié
droite du corps, et réciproquement.)
Quant à la troisième catégorie de phénomènes
dont le cerveau est le siège (intelligence, pensée,
mémoire, instincts, etc.), ils échappent à la portée
de cet article pour entrer dans le domaine de la
psychologie : c'est en ce point en effet que les
deux sciences, physiologie et psychologie, vien-
nent en contact et confondent leurs limites. Nous
n'avons pas à entrer ici dans le débat des doc-
trines, à prendre parti pour l'une ni l'autre des
hypothèses qui se partagent les esprits. En dehors
de ces hypothèses, un fait s impose à tout le
monde et il suffit de le constater : c'est le cer-
veau qui est le théâtre et l'instrument de ces
manifestations supérieures de la vie. Elles sont,
entre tous les phénomènes cérébraux, les plus
nobles et les plus mystérieux, ceux qui font l'ani- -
mal supérieur au plus merveill-ux organisme \
végétal, et donnent i l'homme, au sein do la
nature, sa vrai royauté, intellectuelle et morale.
Il ne suffit pas de savoir que le cerveau est
l'organe do ces diverses facultés, perception,
mouvement volontaire, etc. : on devait se préoc-
cuper de décomposer, en quelque sorte, ses fonc-
tions, et de recherclier le siège, la localisation,
de chacune. On sait que Gall fonda sur cette idée
un système entier de phrénologie. dont la science
moderne n'a rien laissé subsister. C"pendant la
belle et récente découverte de Broca, détermi-
nant le siège de la faculté du langige dans une
région très limitée du lobe fronial gauche, est
venue réveiller l'ardeur des recherches et ranimer
les espérances. Citons, parmi d'innombrables tra-
vaux, ceux de Charcot et de Ferrier ; la méthode
de recherche est double : d'une part l'expérimen-
tation sur les animaux, d'autre pirt, l'observation
clinique des troubles apportés aux fonctions céré-
SYSTÈME NERVEUX — ->127 — SYSTÈxAIE NERVEUX
braies par telle ou tello lésion locale du cerveau
malade. De vraies cartes cérébrales ont été dres-
sées, indiiiuaiil la place des centres moteurs des
diverses régions, et des centres sensibles de la
vue, de l'ouic, etc. Mais il n'est pas une de ces
localisations, h part celle de Broca, qui n'ait ren-
contré des objections, en sorte que sur ce point,
rion n'est encore acquis h la science eu fait de ré-
sultat précis et incontestable.
Le cervelet ne prend aucune part aux fonctions
intellectuelles proprement dites, et ses fonctions
propres restent fort obscures : toutefois les expé-
riences de Flourens semblent démontrer qu'il est
l'organe coordinateur des mouvements : par exem-
ple, c'est le cervelet qui coordonne, en une loco-
motion harmonieuse et réglée, les mouvements
volontaires des quatre membres, mouvements qui
ont d'ailleurs leur origine dans le cerveau.
La moelle joue un double rôle pliysiologique :
celui de conducteur, et celui de centre nerveux.
Le premier nous est déjà connu : la nloelle est
comme le grand conducteur télégraphique abou-
tissant d'une part au cerveau, et d'autre part
donnant naissance i tous les fils du réseau. A y
bien regarder, elle représente la réunion de deux
conducteurs distincts : l'un est cetitripète, il
reçoit, par les racines seiisitives ou postérieures
des nerfs, les sensations et les amène au cerveau ;
l'autre, centrifuge, conduit les excitations motri-
ces du cerveau jusqu'aux racines antérieures et
motrices des nerfs. Ainsi, tout le long de la co-
lonne médullaire, un double et incessant courant
est établi : l'un ascendant, postérieur, celui des
sensations ; l'autre descendant, antérieur, celui
des ordres de mouvement.
Mais là ne se bornent pas les fonctions de la
moelle. Nous avons vu les racines motrices et
sensiiives des nerfs aboutir les unes et les autres
à la substance grise centrale de la moelle. Des
cellules actives établissent donc entre les deux
ordres de nerfs une étroite connexion. Dans ces
cellules s'opère la mystérieuse transformation
de l'impression sensible en mouvement réflexe.
Ce genre de mouvement (dout le mécanisme est
décrit à l'article P/ii/siologie) est sans contredit
de beaucoup le plus nombreux : citons en quelques
exemples. Les battements du cœur ont pour ori-
gine une sensation, celle du sang au contact des
parois de l'organe : privé et vidé de sang, le cœur
cessedebattre ; quelques gouttes de sangraniment
ses pulsations. Le mouvement rythmique de la
respiration naît de l'impression produite par l'air
sur les vésiculi's pulmonaires. La rougeur, la
pâleur, 1 éternuemcnt, etc., sont autant de ré-
flexes. Enfin, il est toute une classe d'innombra-
bles mouvements de ce genre qui s'opèrent en
nous k noire insu ; ce sont les phénomèmes de
sécrétion : les glandes salivaires, pur exemple, ou
les glandes stomacales, ne sécrètent leurs sucs
qu'eu vertu d une sensation appropriée, celle des
aliments arrivant au contact de la langue, et de
l'estomac. Le jeu intime de la plupart de nos
orgaiïes est donc soustrait, par le mécanisme du
réflexe, à l'empire de la volonté, et même à la
perception ; la moelle et ses dépendances le rè-
glent et le gouvernent à notre insu, enlevant
la plupart des fonctions vitales à l'intervention
volontaire, et par li aux périls des intermittences
do cette volonté, au danger des dis mêlions.
Le système i^rattd 'ij'iij/ntliique avait Imigtemps
été considéré comme un système indépendant,
présidant à Ini seul aux fonctions de la vie orga-
nique. Les recherches modernes, celles de Claude
Bernard entre autres, ont montré qu'il n'en est
rien, et que le grand sympathique no saurait
agir comme centre nerveux; il n'est qu'une an-
nexe de la moelle, et c'est à cet organe qu'il
emprunte sa force. Ses filets nerveux ne possè-
dent donc pas de propriétés spéciales ; un seul
point les différencie des filets rachidiens : la vo-
lonté n'a pas d'action sur eux ; tous les mouve-
ments accomplis dans le domaine de ces nerfs
sont involontaires. Ce sont des réflexes. Hemar-
quuns ici qu'un acte réflexe, avec ces deux pha-
ses (sensation, puis mouvement), peut avoir pour
théâtre deux nerfs centripète et centrifuge du
sympathique, ou bien voyager d'abord le long d'un
filet sensitif de ce système et revenir le long d'un
filet moteur de la moelle; ou inversement partir
d'uii nerf médullaire et revenir par un nerf sym-
pathique : il peut, en d'autres termes, s'opérer
tout entier dant l'un ou dans l'autre système, ou
i la fois dans tous les doux, liemarquons encore
que les mouvements commandés par les nerfs
sympathiques sont très lents à .se produire : ce
qui tient i la nature des muscles qu'il innerve
(muscles lisses) et aussi à la nature de ses fibres
nerveuses.
Mais le rùle capital du sympathique est de prési-
der, par sus filets vaso-moteurs, à la dilatation ou
au resserrement des vaisseaux sangniiis. Si l'on
excite par l'électricité un de ces filets nerveux,
on voit les vaisseaux duninuer de calibre, la cir-
culation se ralentir, les tissus pâlir; si on le
coupe, les vaisseaux paralysés se laissent dilater,
le sang afflue, les tissus sont congestionnés.
Comment se fait-il qu'à l'état normal les vais-
seaux ne soient ni contractés ni paralysés, et
qu'il y ait une demi-contraction constante de leur
tunique'? Le sympathique est-il donc en perpé-
tuelle activité nerveuse '? Point obscur sur lequel
rien n'est encore démontré. Mais le fait impor-
tant, c'est que par ses nerfs innombrables, le sym-
pathique préside à la distribution du sang dans
le corps entier : or do l'afflux du sang dépend
l'activité nutritive et fonctionnelle des tissus. Le
sympathique est donc le grand régulateur de la
circulation, et par là il règle l'apport nutritif, la
production de la chaleur animale, les sécrétions,
en d'autres termes le phénomène même de la via
des organes en ce qu'il a de plus intime.
Certains agents physiques ou chimiques modi-
fient le pouvoir réflexe des centres nerveux : le
froid, la morphine, par exemple, le modèrent et
l'endorment ; que cette action modératrice soit
poussée trop loin, et, les réflexes indispensa-
bles à la vie s'arrètant, la mort survient. D'au-
tres agents, la chaleur, la strychnine, augmen-
tent au contraire les facultés réflexes de la moelle.
Les travaux de Claude Bernard ont montré que le
curare anéantit les facultés des nerfs moteurs, et
là encore la mort survient par l'impossibilité et
la disparition des mouvements respiratoires et
circulatoires. D'autres substances, telles que le
chloroforme et l'éther, partent leur action sur les
centres cérébraux eux-mêmes et suppriment la
perception et le mouvement volontaire.
On a cherché, pour la moelle comme pour la
cerveau, à localiser les divers réflexes dans des.
régions spéciales. Les localisations do la partie
supérieure de la moelle sont les seules certaines.
Nous citerons seulement celles qui appartiennent
à une partie du bulbe, au plancher du ventricule
cérébelleux ou quatrième ventricule : là sont les
contres des mouvements de déglutition, de masti-
cation, etc.; là surtout est le centre des mouve-
ments respiratoires, ou nœud vital, dont la lésion
amène une mort foudroyante.
Quant à la physiologie des nerfs, nous n'avons
pas à la traiter à part ; elle est comprise tout
entière dans l'étude que nous venons de faire des
fonctions des centres. Pour plus de détails on se
reportera soit aux articles dos sens spéciaux [Tact,
Vue. etc.), soit à l'article Sensi/jilité.
Ou s'est demandj avec quelle vitesse chomine,
le long des nerfs, l'iaflux nerveux (sensation ou
SYSTÈME NERVEUX — 2128 —
TABAC
incitation motrice). Nous ne pouvons entrer dans
le détail des curieuses expériences qui ont permis
de déterminer cette vitesse : nous dirons seule-
ment qu'elle ne dépasse pas trente mètres par se-
conde ; elle est donc relativement modérée, et
hors de toute comparaison avec la vitesse électri-
que ou lumineuse. " Prompt comme la pensée »
est, au sens strict et mathématique, une locutioa
fort peu exacte si elle prétend donner l'idée d'ujie
très grande rapidité.
Tels sont, en abrégé, la disposition et le rôle,
chez l'homme, du système nerveux. Appareil
d'une complication merveilleuse, il sert à relier
toutes les partiesde l'empire organique à celle en
qui réside le gouvernement vital : présent par-
tout par les filets innombrables de son réseau, il
avertit à chaque instant le pouvoir central de ce
qui se passe sur chaque point du territoire l't
porte aus>i partout les ordres émanés du centre.
Far lui les vies distinctes de toutes les parties
s'unissent, se confédèrent, se confondent en une
seule vie : par lui, l'ordre et l'harmonie régnent
dans la machine vivante ; par lui enfin cette ma-
chine prend conscience de sa propre vie et la di-
rige à son gré.
Nous n'ajouterons plus que quelques mots, pour
passer rapidement en revue les modifications du
système nerveux à mesure qu'on descend dans
l'échelle animale.
Chez les mammifères, les oiseaux, les reptiles et
les poissons, le type général reste sensiblement
celui que nous venons d'étudier, et reproduit les
mêmes grandes divisions, cerveau, cervelet,
moelle, etc. Mais chez les oiseaux, le cerveau a
perdu ses circonvolutions. Sa surface est lisse ; et
à mesure qu'on passe des oiseaux aux reptiles et
de ceux-ci aux batraciens et aux poissons, la divi-
sion de l'axe cérébro-spinal en ses trois parties
devient moins nette, le cerveau et le cervelet
n'ayant plus que des proportions fort exiguës.
A partir des insectes, la simplitication est en-
core plus marquée : l'axe nerveux est représeuté
par une double chaîne de ganglions, reliés entre
eux par des filets longitudinaux : les deux gan-
glions céphaliques sont les plus grands et fournis-
sent les nerfs de la vue et des antennes (toucher).
Chez les crustacés, la disposition est la même,
sauf dans quelques groupes supérieurs où tous
les ganglions sont réunis en une seule masse cen-
trale.
Dans les annélirtes, la chaîne est souvent sim-
ple, fort menue. Enfin, parmi les zoophytes, les
uns ne nous offrent plus que des vestiges d'appa-
reil nerveux ; chez les autres cet appareil parait
manquer totalement.
A mesure que l'anatoraie du système nerveux
se simplifie et devient plus rudimentaire, la phy-
siologie se simplifie aussi, au point de ne
plus pouvoir se décomposer en fonctions spé-
ciales. L'intelligence proprement dite, en tant
qu'elle se sépare de l'instinct, diminue avec la
complication des circonvolutions, et surtout avec
le volume de l'encéphale. Bientôt il semble que
l'instinct subsiste seul ou presque seul. Mais
l'instinct lui-même s'amoindrit et s'efface ; les
dernières classes d'animaux ne nous offrent plus
qu'une vie presque végétative, d'où le phénomène
intellectuel a disparu sans laisser de traces.
La sensibilité et la motricité semblent subsister
jusqu'au bout. Remarquons seulement que les
organes de ces deux facultés ne sont plus sépa-
rables chez les animaux inférieurs. Le long cor-
don nerveux de l'annélide possède, dans toutes
ses parties, les mêmes propriétés : si l'on coupe
l'animal en plusieurs tronçons, chaque fragment
continue isolément à sentir et à se mouvoir.
Ainsi, à mesure que l'on descend les degrés de
l'échelle, on voit le merveilleux appareil par le-
quel l'animal manifeste ses fonctions caractéristi-
ques perdre peu à pou ses complications, et se
restreindre k un type de plus en plus rudimen-
taire : on le voit enfin, par des transitions insen-
sibles, atteindre ce dernier degré de simplicité au
delà ducjuel l'être vivant a perdu ses caractères
d'animal et doit se ranger dans le monde des vé-
gétaux. [D' E. Pécaut.l
TABAC. — Hygiène, XII. — Le tabac est une
plante de la famille des Solanées (V. Solanées,
p. 204:1. V. aussi Plnnles industrielles, p. luli)).
En France, le tabac est livré à la consommation
par la régie sous dift'érentes formes :
1° Le tabac à priser ou râpé ;
T Le tabac i chiquer, ou rùles ;
3" Le tabac à fumer, qui comprend le scafer-
lati ou caporal, et les cigares.
La variété dite de cojttine est formée de qualités
inférieures. Les fouilles de tabac subissent des
préparations différentes pour chaque forme com-
merciale. Cependant toutes les sortes sont mouil-
lées et entassées de manière à y développer ujie
fermentation qui développe l'aronie et donne nais-
sance à divers produits volatiles parmi lesquels
domine l'ammoniaque.
La fermentation et les manipulations que l'on
fait subir au tabac tendent d'ailleurs h diminuer
la proportion de nicotine qu'il renferme. La nico-
tine est un poison volatil des plus violents : une
goutte tue un chien de moyenne taille : l'homme
succombe à une dose de ' à 8 gouttes.
Voici quelle est la proportion moyenne de nico-
tine contenue dans les variétés de tabac les plus
usitées :
Tabacs du Lot 8 0/0
— du Lût-.l-UarunnL'.. 7 —
— |de Viiginic 1 —,
Tabacs du Kentucky 6 0/0
— d'ille-et- Vilaine 6 —
— du Nord 6 —
— du Pas-de-Calais S —
— du Brésil.'.'.'.'.'.'.'.'.'.'.'.'..'.".'...'.'... 2 —
— de la Havane 2 —
— de Hongrie, moins de 1 —
— de Grèce — 1 —
— de Turquie — 1 —
Après le sel, le tabac est la substance dont on
fuit le plus généralement usage. On estime sa con-
sommation totale à :)(M), 000,001) do kilogrammes. F.n
France elle est d'environ 32,000,000 de kilogram-
mes. Or, 100 kilogrammes de tabac indigène payes
aux cultivateurs, par la Direction générale, au prix
de 90 à 100 francs, sont revendus par la régie "00
ou 800 francs ; ce qui produit pour le trésor une
magnifique source de revenus. Mais la culture du
tabac, en France, enlève à l'agriculture 2'.', 000 hec-
tares d'excellentes terres et I7,0ll0 ouvriers.
A Paris la dépense en tabac est d'environ
500,000 francs par jour, c est à-dire qu'elle repré-
sente une somme suffisante pour fournir du pain
à toute la population. Notons d'ailleurs que l'im-
pôt du tabac pèse surtout sur les classes pauvres.
Dans les familles d ouvriers, on prélève au moins
100 francs par an pour se procurer ce poisun
onéreux, et l'on diminue d'autant la quantité
d'aliments réparateurs.
TABAC
2129
TABAC
On voit par cet aperçu combien los questions
économic|ues sont étroitement liées aux questions
d'Iiysiène.
Si le tabac a été violemment attaqué, depuis
son introduction dans le vieux monde, il a ou
aussi, il a encore des défenseurs convaincus.
Interrogez un fumeur sybarite, et voici ce qu'il
vous dira : La fnmco du tabac me cause une sé-
rie de sensations agréables, d'abord assez confu-
ses, mais que l'on pourrait exprimer par une plus
grande facilité de vivre, avec prédominance de
la vie cérébrale. Le moi sensitif et intellectuel
semble moins comprimé dans sa demeure ; les
sensations, un peu émoussées il est vrai, devien-
nent plus pénétrantes : on dirait qu'elles partici-
pent de la nature des sentiments ; l'esprit devient
plus réceptif, l'imagination se développe, et les
mots arrivent comme d'eux-mêmes pour peindre
les images qui se succèdent vives et rapides ; la
vie terre à terre a disparu, je suis sur une autre
scène, je me laisse aller aux rêveries fantaisistes,
je me souviens, je combine, je crée, en un mot
je vis dans l'idéal. Toutes réserves faites pour ce
qui est do ce genre d'idéal, vous pourriez répon-
dre à ce fumeur délicat : L'excitation des centres
nerveux dont vous nous avez décrit les symptômes
les oblige à une dépense de force, à une usure
proportionnelle à leur activité; après un certain
temps, il survient une réaction qui se traduit par
un peu de langueur, d'apatliie, de lassitude ; l'i-
déal disparaît, le réel impressionne peu; il y a
engourdissement, atonie, paresse, mélancolie ; à
l'exaltation des puissances et des facultés suc-
cède une déchéance momentanée. Après une pé-
riode de réparation, votre organisme reprend son
état normal, d'où vous pourrez le faire sortir
encore par le même moyen. Seulement, en vertu
d'une loi très sage et très utile de notre nature,
toute impression répétée à un court intervalle
srinousse; nous en avons de moins en moins
ciiiiscience, de sorte que, pour produire chaque
fois une sensation d'intensité égale, l'impression
doit augmenter chaque fois d'énergie. Celui qui
fume pour penser, pour sentir, pour combiner,
pour créer, se condamne à produire chaque jour
une quantité croissante de fumée. Là n'est pas le
plus grand mal ; le vrai péril, pour ce qui con-
cerne l'intelligence, le voici : toutes nos fonctions
sont susceptibles d'habitudes. Si vous accoutumez
vot'O cerveau à n'entrer en activité que sous l'in-
fluence de stimulants, il refusera de le faire lors-
que vous l'en priverez : vous passerez votre exis-
tence dans des alternatives d'excitation et de
demi-stupeur, et vous ne pourrez secouer la tor-
peur envahissante des périodes de réaction que
par une nouvelle dose de la drogue enivrante. De
plus, en vertu de la solidarité des organes et des
fonctions, il arrive bientôt que le corps réclame
une excitation factice pour l'accomplissement des
actes naturellement automatiques. Le fumeur a
besoin de fumer pour se donner de l'appélit, puis
il fume pour faciliter la digestion : il fume encore
pour accomplir les fonctions les moins idéales.
L'usage du tabac peut, au premier abord, pa-
raître assez innocent ; il s'est répandu sous des
formes qui n'éveillent ni crainte ni grande répu-
gnance : il prend même volontiers des airs comme
■ il faut. Ses efforts sont assez insidieux pour
échapper h l'observation ordinaire ; c'est un en-
nemi intime dont on ne se défie que quand il est
trop tard pour remédier au m:il qu'il a causé.
Bon nombre d'hygiénistes conciliants se décla-
rent prêts k tolérer l'usais"' du tabac, pourvu que
' l'on évite l'abus. Nous avons montré (V. SH-
mulunts] le danger de cette concession. Une fois
l'u.sage admis et permis, comment empèclier l'as-
suétude qui énifjusse les sensations et conduit
fatalement à l'abus?
I 2' Paiitie.
Des travaux aussi sérieux qu'intéressants prou-
vent que le tabac nuit aux occupations intellec-
tuelles, et les statistiques des aliénistos démon-
trent qu'on peut lui imputer une part dans l'aug-
mentation des maladies mentales.
Il est bien connu que le tabac altère et contri-
bue indirectement ii propager l'ivrognerie. Mais,
comme compensation, on a allégué en sa faveur
qu'il diminue le besoin d'alimentation. Cette re-
marque est fondée sur une observation incom-
plète des faits. 11 est certain que le fumeur sup-
porte plus facilement la privation de nourriture
quand il peut satisfaire son habitude favorite.
Pour lui la sensation de la faim s'émonsse sous
l'action de la nicotine. Mais il faut bien se garder
de confondre la sensation de la faim, le besoin de
manger, avec le besoin de réparation produit par
la vie et par l'exercice. Aucune substance ne dimi-
nue la perte éprouvée par le corps pour mainte-
nir sa chaleur propre et pour produire du travail.
Bi on arrive, par un moyen factice, à. diminuer
les sensations qui correspondent au besoin de
réparation, on évite une souffrance actuelle, mais
on s'en prépare de bien plus cruelles causées
par la nutrition insuffisante et son cortège de
maladies.
Les hygiénistes de tous les pays sont d'accord
pour reconnaître les inconvénients sociaux et mo-
raux et les dangers auxquels expose l'usage du
tabac. Une société s'est fondée en Franco en 18GS
pour prémunir contre ces dangers. Elle a été au-
torisée sous le nom à' Association française contre
l'abus du tabac.
Le texte de la circulaire rédigée par le bureau
de cette association expose le but qu'elle veut at-
teindre, et les moyens d'action qu'elle se propose
de mettre en usage :
<i La science et l'expérience ont démontré que
l'abus du tabac exerce une funeste influence sur
la santé publique. Il est aujourd'hui reconnu que
les maladies mentales, les paralysies générales, les
affections cancéreuses des lèvres, de la bouche et
de l'estomac, les troubles de la digestion, de la vi-
sion, etc., augmentejit dans des proportions qui
coïncident avec la consommation du tabac.
'i II est également prouvé que l'abus du tabac
contribue au relâchement des liens de la famille et
porte atteinte aux intérêts moraux de la société.
« Après une sérieuse enquête, M. le docteur
Jolly, membre de l'Académie de médecine, résume
sa pensée en ces termes :
« Les déplorables effets du tabac, au double point
u do vue hygiénique et social, sont tels, que je
« voudrais pouvoir me les dissimuler à moi-
te môme, et que j'ose à peine les faire connaître,
n tant ils sont affligeants, tant j'en demeure con-
II fondu I »
« C'est pour combattre une telle calamité qu'un
comité d'organisation, composé de médecins,
d'hygiénistes et de philanthropes, s'est constitué
en association ayant pour but de prémunir toutes
les classes de la société, tous les âges, et princi-
palement la jeunesse, contre les dangers du ta-
bac.
« Tout le monde est intéressé au succès de l'as-
sociation : le fumeur, qui s'est créé un besoin
onéreux et compromettant pour sa santé ; celui
qui, s'abstenant de fumer, est incommodé par l'o-
deur du tabac; le riche, que ses loisirs exposent
plus encore aux effets d'une habitude gênante et
souvent irrésistible; l'ouvrier qui, pour fumer et
boire, prive souvent du nécessaire sa femme et
ses enfants ; le pauvre, qui est tourmenté par une
passion qu'il ne peut satisfaire; la mère de fa-
mille, qui gémit (le voir ses fils s'abandonner h un
abus portant à l'intempérance et à l'oisiveté ; la
jeune fille qui, après une union, objet do tous ses
vœux, verra son mari désortcr le foyer cojijugal
134
TACT
2130
TACT
pour se retirer dans le fumoir, dans les estaminets
ou ailleurs.
t( Est-il besoin d'ajouter que le tabac est cause
d'un grand nombre d'incendies, d'explosions, de
catastrophes et d'accidents graves ? qu'il occa-
sionne cliaque année, en France, un préjudice
matériel de plus de trois cents millions de francs?»
Cette association rend d'importants services par
les conférences et les publications qu'elle encou-
rage. Mais ses efforts resteront impuissants tant
que le gouvernement ne consentira pas à prendre
en main cette question d'iiygiène publique : la
suppression du tabac, il faudra sans doute les
efforts combinés des hygiénistes et des économis-
tes pour démontrer qu'en somme l'Etat aurait
tout à gagner à cette mesure, malgré la perte
temporaire que subirait le trésor. Mais même en
supposant que la suppression du revenu de la
régie constituât une perte sèclie, il n'y aurait pas
à hésiter en présence des arguments si concluants
des hygiénistes.
En attendant la suppression absolue, le gouver-
nement pourrait d'ailleurs atténuer dans une large
mesure les conséquences fâcheuses de l'usage du
tabac en ne livrant à la consommation que des
produits à peu près complètement privés de nico-
tine. [D' Saffray.]
TACT. — Zoologie, XXXVIII. — Le tact^ ou tou-
cher, est un sens mixte qui nous révèle en même
temps: 1° la tempcralure des corps ; '2° le degré de
pj-ession que ces corps exercent sur nos téguments.
L'organe de ce sens comprend toute l'étendue
de la peau, et une partie des muqueuses. Comme
il n'a pas été consacré d'article spécial au sens du
(joût, nous étudierons successivement le tact pro-
prement dit, et le goût, dont la langue est le siège
unique. Nous terminerons par quelques considé-
rations complémentaires sur les fonctions et l'hy-
giène de la peau *.
On sait que la peau et les muqueuses se com-
posent de deux parties distinctes, l'une profonde,
le derme, l'autre superficielle, épiilerine pour la
peau, éfiith-liurn pnur les muqueuses. Cette se-
conde partie semble absolument indispensable
pour le toucher. Ses fines saillies, que l'on nomme
les papille», sont en quelque sorte le vrai siège
de cette f.iculté; plus ces papilles sont nombreu-
ses, développées, finement recouvertes d'épiderme,
plus cette faculté est exquise. Certaines produc-
tions de la peau, par cela seul qu'elles dérivent
de cet organe, jouissent de la même sensibilité
tactile; tels sont les poils qui, chez les félins, gar-
nissent l'extrémité du museau; tels sont les ten-
tacules cornés des insectes, etc.
Examinons le détail de cet organe spécial, la pa-
pille, en qui réside le toucher. Et tout d'abord di-
sons qu'il y a des papilles nerveuses, contenant
des vaisseaux et des nerfs, et des papilles vascu-
laires qui ne renferment que des vaisseaux; ces
dernières, malgré l'analogie de leur conformation
extérieure, n'ont rien à faire avec le tact, et nous
les laisserons de coté.
Une papille nerveuse est une saillie da derme,
que recouvre et coiffe l'épiderme ; ce prolon-
gement, qui a en quelque sorte la forme de l'ex-
trémité d'un doigt, est d'un volume variable, mais
toujours très petit. C'est dans lepaisseur du derme
qui remplit la papille que le nerf sensitif vient se
terminer par un appareil dont la forme et la struc-
ture varient suivant les papilles et les régions.
D'une façon générale, cet appareil est toujours
constiiué par un renflement de la substance du
nerf : le renflement est tantôt asiîez régulièrement
arrondi (corpuscules de Krause), tantôt conique
(corpuscules de Meissner). Que ces corpuscules
soient détruits, que les nerfs qui viennent y abou-
tir soient coupés, et les papilles sont frappées
d insensibilité, dégénèrent, et se transforment eji
une petite masse graisseuse. Les malades qui on*
été atteints de paralysie de la sensibilité présen"
tent la même altération du derme; chez eux les
papilles ne fonctionnent plus, subissent la mort
graisseu.=e, et, à la place des corpuscules, ne ren-
ferment plus que des gouttelettes huileuses. Par
là, il est démontré que ces corpuscules sont bien
les organes du tact.
Il faut ajouter que dans bien des régions du
corps, mais surtout dans l'épaisseur de la trame
du derme, et dans le tissu conjonctif sous-cutané,
on trouve des organes d'une parfaite analogie,
mais d'un volume plus considérable, et qui sont
régulièrement appendus aux filets nerveux comme
les grains de raisin à une grappe. Ces petites
masses nerveuses, très visibles à l'œil nu, senties
corpuscidei d-. Pacini. Comme les organes des
papilles, ces corpuscules renferment l'extrémité
terminale des nerfs sensitifs qui les portent. On
a beaucoup discuté sur leurs fonctions. Si on les
trouve à la main et aux doigts, il faut avouer qu'on
les observe aussi en des régions toutes différen-
tes, notamment dans les articulations, dans le
mésentère, etc. : certains physiologistes ont vu
dans cette distribution un motif de douter de
leurs fonctions tactiles. Aujourd'hui on s'accorde
à leur reconnaître ces fonctions ; dans les articu-
lations ils servent à nous faire connaître le degré
de pression des os les uns sur les autres, ou des
muscles sur les os; dans le mésentère, ils nous
renseignent sur la pression subie par les viscères
abdominaux; enfin à la peau, ils perçoivent les
pressions extérieures.
Le sens du toucher est d'autant plus développé
et délicat que la région considérée est plus riche-
ment munie de nerfs et de corpuscules nerveux.
La pointe de la langue, le bout des doigts, les lè-
vres, la plante du pied sont les points du corps où
le tact s'exerce avec le plus de perfection.
De nombreuses et curionses expériences ont per-
mis de comparer exactement les diverses régions
du corps au point de vue de leurs facultés tactiles.
L'instrument dont on se sert dans ces recherches
est une sorte de compas, dit compas de Weber ;
on en applique les pointes sur les régions à étudier
et on détermine par tâtonnements successifs
quel écartemeni il faut donner à ces pointes pour
qu'elles soient perçues séparément. C'est amsi
qu'à l'extrémité de la langue, il suffit, poiir pro-
voquer cette double perception, d'un millimètre
d'écart; à la paume de la main, il faut 2 milli-
mètres ; il en faut r2 au dos de la main ; la peau
des épaules, de la poitrine, du ventre, du dos sur-
tout demande un écart de 4, 5 et même 6 centi-
mètres. ,
En promenant lentement le compas sur la peau,
on détermine ce que l'on nomme les cercles de
sensation, c'est-i-dire les cercles où la sensation
des deux pointes se confond en une seule. Il re-
suite de ce que nous venons de dire que ces cer-
cles sont de surfaces très variables, très petits à la
langue, par exemple, et très larges au dos. On pour-
rait croire que chacun de ces cercles a pour centre
un seul corpuscule du tact, qui transmet et con-
fond en une seule les deux sensations ; il n en est
rien. Un seul de ces cercles peut comprendre jus-
qu'à douze de ces corpuscules, c'est-i-dire au moins
douze filets nerveux. La confusion s opère donc,
non dans l'extrémité terminale et cutanée des
nerfs, mais dans les centres nerveux eux-mêmes.
Ainsi s'explique le l'ait que l'habuode et la volonté
puissent faire en quelque sorte 1 educatmn de la
neau, et en augmenter la délicatesse tactile.
Onant à la peau des membres, de noinbreuses
et natientes recherches ont conduit à formuler
celte loi générale, que la sensibilité à la pression
augmente à mesure qu'on s'éloigne du tronc. En.
d'autres termes, plus le segment considère estmo-|
TACT
— 2131
TACT
bile, plus il est sensible : c'est qu'en effet, plus | la localisation tactile. La fameuse expérience
une région jouit do mouvements étendus, plus elle j d'Aristote montre, mieux que nulle description, le
doit être à même do tirer de ces mouvements, et i mécanisme de ce genre d'erreurs. Si l'on croise
de son contact avec les corps extérieurs, les reii- l'index et le médius dune même main, en les fai-
scigaoments nécessaires. Les extrémités digitales, I sant passer l'un par dessus l'autre, et que, entre
placées à l'extrémité du plus mobile des leviers les bouts des doigts ainsi croisés, on place une
osseux, sont aussi par excellence l'organe du tact,
celui dont nous usons le plus souvent.
De la sensation de pression se tirent, pour nous,
une foule do renseignements variés et précis, que
l'habitude nous conduit à prendre pour des sen-
sations spéciales. Ainsi, selon que la pression est
plus ou moins uniforme, nous jugeons que la sur-
face d'un corps est lisse ou rugueuse, plane ou
ronde, etc. Le degré d'intensité de la pression
nous fait apprécier la dureté ou la mollesse de ce
petite boulette de pain, on a immédiatement la
sensation de deux boulettes séparées. L'explica-
tion est simple; on caresse cette boulette avec les
côtés des deux doigts qui ne se correspondent
pas habituellement, qui sont au contraire habituel-
lement éloignés l'une de l'autre; en sorte que
l'on est accoutumé à. reporter à deux objets diffé-
rents les sensations qui frappent à la fois les côtés
en question de ces deux doigts.
Et cependant, en dépit de ces confusions fata-
corps, c'est-à-dire sa consistance ; et c'est ainsi i les, en dépit de l'obscurité des notions que nous
que, les yeux fermés, nous jugeons si un corps est | donne parfois le tact, et des erreurs auxquelles ce
solide ou liquide, grand ou petit, pulvérulent ou ' sflns est sujet, à quel degré d'exquise dolici/.<«sse
en fragmenis, etc. Enfin c'est aussi l'intensité de , l'habitude, dirigée par la volonté et l'intelligence,
la pression qui nous donne la notion du poids, i ne peut-elle pas l'amener I L'aveugie, qui lit du
Mais il faut ajouter que cette notion dérive en bout du doigt, ou qui perçoit dans le silence ab-
même temps d'un autre genre de sensations, dont solu le voisinage d'un obstacle, offre un exemple de
il est parlé à l'article Sensiliilité, les sensations la merveilleuse transformation d'un organe im-
musculaires, qui nous renseignent sur le degré | parfait, presque grossier, en un instrument admi-
d'énergie des contractions de nos muscles. rablement sensible et comme « clairvoyant ».
Le genre et le degré de pression ne sont pas | L'organe du tact ne perçoit pas seulement la
les seuls renseignements que nous tirions du température et la pression. Il perçoit encore la
tact. Nous apprécions, outre la forme, la consis- [ douleur. Faut-il voir dans la douleur une sirte de
tance, l'étendue et le poids des corps, leur tem- j troisième sensibilité? Ou bien n'est-olle que l'in-
pêrature. tensité extrême, excessive, des deux autres ordres
Toute la surface du corps est sensible à la ! de sensations'? La question n'est pas encore tran-
chaleur, mais non également. Les lèvres, les j chée. Toutefois, la plupart des faits observés sem-
•doigts, les joues et surtout le dos de la main pos- \ blent donner raison à la première hypothèse. De
sèdejit au plus haut degré cette faculté. C'est à
l'aide du dos de la main, et non de la paume, que
nous jugeons habituellement do la chaleur d'un
corps vivajit, de la pluie qui tombe, etc. Les lieux
d'élection de la sensibilité tactile ne sont donc
pas les mômes suivant qu'il s'agit de la tempéra-
ture ou de la pression.
Pour que cette faculté entre en jeu, il faut que
les températures appréciées soient comprises
entre 0° et 70» : en deçà ou au delà de ces li-
mites les sensatioiis de froid ou de chaud se
ces faits, le plus important est celui de Vanalijésie,
ou insensibilité h. la douleur, qui s'observe alors
même que la température et la pression sont en-
core perçues. Il semblerait donc que, suivant l'o-
pinion de BroHfu-Séquard, les trois genres de sen-
sibilité soient distincts, indépendants, et possè-
dent chacun ses appareils et ses conducteurs
propres, qui peuvent être isolément atteints ou
respectés par la maladie.
Telles sont, dans leur ensemble, les particula-
rités les plus remarquables que présentent les
transforment en douleur. Encore est-ce entre 30" fonctions tactiles de la peau.
et 40" que nous pouvons le plus délicatement ap
précier les variations de température. Ce qui re-
vient à dire que nous apprécions mieux les degrés
de chaleur qui se rapprochent de notre propre
limite thermique (37").
Chose curieuse, l'étendue de la région explora-
trice n'est pas indifférente à l'exactitude de l'ob-
servation. Un doigt plongé dans un liquide à 30"
donne l'idée d'une chaleur moins forte que la
main entière dans un liquide à 25° seulement
(Kuss).
Ajoutons enfin que, dans bien des cas, ces deux
genres de sensibilité, l'une à la pi'cssion (poids,
forme, consistance, étendue), l'autre à la tempé-
rature, se mêlent et se brouillentpour nous égarer :
de deux objets également pesants, le plus froid
nous semble le plus lourd : de deux objets d'é-
gale température, le plus lisse nous semble le
plus froid, etc.
Beaucoup d'erreurs du tact proviennent de ce
phénomène, commun à toutes les sensations, et
que nous avons décrit sous le nom à.' extériorité
(V. Système nerveux et Senuljihté) : quel que soit
le point du nerf impressionné, la sensation est
reportée à l'extrémité terminale de ce nerf. Les
malades auquels la rhinoplastie a refait un nez à
l'aide de la peau du front, reportent au front
toutes les sensations, tous les chocs qui viennent
frapper leur nouvel appendice nasal. Les amputés
souffrent du pied ou de la main qu'ils n'ont
plus, etc.
Une autre cause d'erreur est ce qu'on a appelé
Tout autres sont les fonctions de la muqueuse
delà langue, dont nous allons parler, et qui cons-
tituent un sens spécial, le sens du yoùl.
Le GOUT. — Ce sens n'a pas le caractère de spé-
cialité que présentent l'ouïe, l'œil, l'odorat, etc.
Les notions qu'il nous fournit, tout en rentrant
malaisément parmi les notions do la sensiijilité
générale, se rangent plus malaisément encore
parmi les sensations spéciales : la preuve on est
que l'on divise généralement les saveurs en agréa-
bles et désagréatjles.
La vérité est que la langue jouit à la fois d'une
double sensibilité, l'une généralo, l'autre spéciale,
et que les saveurs sont les unes des sensations
vraiment gustatives, les autres de pures sensa-
tions tactiles.
Parmi les nombreuses saveurs que l'on aénumé-
rées, la plupart sont très vagues. Il est évident par
exemple que les saveurs dites « alcooliques »,
« empyreumatiques », « aromati(|ues », etc., re-
lèvent autant de l'odorat que du guùt. Elles sont
inaperçues quand, pour une cause ou pour une
autre, l'odorat ne fonctionne pas : une personne
enrliumée ne peut pas déguster de vin ; oti fait
plus aisément avaler aux enfants certains remèdes
désagréables en leur bouchant le nez, etc.
Les saveurs farineuses, les saveurs Qomineuses,
les saveurs fraîches ne sont très évidemment que
des impressions tactiles: les premières sont la
sensation toute mécanique d'un corps pulvéru-
lent en contact avec l'épithéliurn ; les seconclos se
révèlent par l'impression d'une cansistancc molle.
TACT
— 2132 —
TACT
pâteuse; quant aux troisièmes, elles ne sont que
la perception d'un simple refioidissement, dû à la
dissolution ou à l'évaporiition rapides de certains
corps. Les saveurs ocres, taiiniques, etc., sont une
véiitable douleur, causée par 1 impression sur la
muqueuse d'une substance qui la détruit et la
corrode.
Entre ces sensations purement générales, tac-
tiles, et les sensations (justatiee^, peuvent se ran-
ger, à titre d'intermédiaire et de transition, les
saveurs dites salées, nicalines et acides. Ces impres-
sions, en eft'et, ne sont pas perçues par la [leau,
même excoriée, du moins pas nettement. En outre
elles prennent naissance sous l'influence du cou-
rant galvanique, ce qui semblerait les ranger plu-
tôt parmi les sensations gusiatives.
Celte élimination graduelle nous conduit à ne
reconnaître comme appartenant incontestable-
ment au goût, et au froùt seul, que deux sensa-
tions : celle du doux et celle de Vumer. Les
.seuls corps véritablement sapvles sont les corps
sucrés et les corps amers (sucre, miel, colo-
quinte). Rien ici ne peut se rapproclier de la sen-
sibilité tactile; il s'agit bien d'une fonction à part,
d'un sens particulier, et ces deux saveurs suffi.«ont
ù elles seules à rendre légitime la place que le
goût occupe parmi les organes des sens spéciaux.
Quelles sont les parties de la bouche qui sont
le siège de la gustation ? De nombreuses expé-
riences ont permis d'affirmer que la langue en
est le siège exclusif. Les locutions populaires qui
attribuent ce rôle au palais sont des expressions
parfaitement en desaccord avec les faits. La vé-
rité, c'est qu'en général nous triturons les subs-
tances afin de les mieux goûter : le palais nous
oflrant une surface dure et rigide, nous les écra-
sons entre la langue et la voûte palatine, multi-
pliant par là les points de contact et de gusta-
tion ; mais encore une fois ce rôle du palais est
un rôle purement mécanique.
En poussant plus loin la recherche du siège
exact du goût, en touchant la langue à l'aide d'un
pinceau imbibé de substances sapides, en la re-
couvrant d'une gaîne de baudruche qui ne laisse
k découvert que les points observés, enfin en
s'entourant dns précautions les plus minutieuses,
en arrive à reconnaître que certaines parties
seulement, et non l'organe entier, ont un rôle
actif dans la gustation. La partie antérieure du
dos de la langue, et toute sa surface inférieure,
sont inactives. Les sensations gustatives ont pour
siège unique la base de la langue, c'est-à-dire la
partie qui correspond à l'isthme du gosier. C'est
donc à l'endroit où s'opère le réflexe de la déglu-
tition, sur le seuil même où s'arrête l'empire de
la volonté et où ciimmence le domaine de l'acte
involontaire, que siège le goût : véritable « por-
tier », suivant la remarquable image de Jean
Macé, qui ouvre ou ferme aux substances la
porte au delà de laquelle elles cesseraient de
nous appartenir, et ne pourraient plus être reje-
tées.
C'est en effet dans cette région que se trouvent
situées des papilles spéciales, les unes semblables
à de vérital'les champignons, à court pédicule, à
tête arrondie, les autres en forme de larges ca-
lices, situées chacune dans une petite excavation
de la muqueuse, et qui toutes contiennent les
nerfs condurteurs des sensations gustatives. Les
papilles caliciformes, régulièrement disposées,
forment, sur la base de la langue, la figure con-
nue sous le nom de V lingual.
Pour que les corps sapides soient perçus, il
faut qu'ils soient dissous. C'est pour cela que la
salivation s'artive dans la gusiation : c'est pour
cola encore que la vue ou môme l'idée d'un mets
appétis.>^ant lait venir « l'eau à la bouche ». Il
faut, en effet, que les molécules sapides pénè-
trent dans la trame de la muqueuse et arrivent
au contact des nerfs des papilles. Il n'est même
pas besoin que le corps sapide pénètre par la
surface linguale, pourvu qu'il soit charrié jusqu'à
ces nerfs. Ainsi, quand on injecte du lait dans le
torrent sanguin d'un chien, on le voit se passer
la langue sur les lèvres; quand on lui injecte de
la coloquinte dans les veines, on le voit baver, et
essuyer ses mâchoiies. Dans les deux cas, l'ani-
mal a perçu les saveurs, l'une sucrée, l'autre
amère. Ainsi encore, dans l'ictère ou jaunisse,
quand la bile a envahi les tissus et le sang, on
éprouve une forte saveur bilieuse, amère, encore
que la langue soit souvent fort nette. Peu im-
porte donc la voie par laquelle pénètre le corps-
sapide, qu'il vienne de l'extérieur ou de l'inté-
rieur. La seule condition nécessaire est qu'il soit
dissous. C'est pour cela que la glande maxillaire,
très développée chez les carnivores, n'existe pas
chez les granivores. Ces animaux qui avalent sans
goûter n'ont pas besoin de dissoudre leurs ali-
ments. Les fonctions de cette glande sont si in-
dispensables à la gustation que Claude liernard
avait proposé de la regarder comme essentielle-
ment associée aux autres organes du goût.
Nous terminerons cette brève étude par quel-
ques considérations sur l'organe du tact, la peau *.
La prodigieuse richesse nerveuse de la peau,
l'énorme étendue de cet organe, donnent à la
moindre altération de ses fonctions un dangereux
retentissement sur l'équilibre organique tout en-
tier. C'est en effet par la peau que le système
nerveux, cet appareil du a si délicat mécanisme
en qui réside le gouvernement et la régulation
suprême de la vie, vient s'exposer directement, et
sur une très large surface, aux agents et aux in-
fluences extérieures. Dès lors on conçoit aisément
que des lésions de la peau puissent entraîner des
troubles nerveux plus ou moins graves, depuis
l'insomnie et les névralgies, jusqu'au délire,
aux convulsions, à l'épilepsie, etc. (fièvres énipli-
ves, brûlures graves, etc.). On conçoit également
comment tel agent physique, l'eau, par exemple,
froide ou chaude, peut, en n'atteignant que la
peau, avoir une action calmante ou tonique sur
tout le système nerveux, et par là sur l'orga-
nisme entier.
Rappelons-nous, d'ailleurs, qu'en dehors de ses
fonctions d'organe tactile, la peau remplit dans la
physiologie de l'animal deux rôles d'égale im-
portance.
Le premier est celui du régulateur de la cha-
leur animale. Des millions de glandes, cachées
dans la trame du derme, versent à la surface du
corps un litre environ de sueur par 24 heures. L'é-
vaporation incessante de cette couche d'humidité^
amène un refroidissement qui vient contrebalan-
cer dans une mesure variable la chaleur produite
par les combustions des tissus, ^lai^ telle est l'ad-
mirable graduation de celte production liquide,
qu'elle maintient, comme on sait, en tout état de
cause, la chaleur humaine au chilTre invariable
de SI". Quelles que soient les variations du cli-
mat, ou do 1 alimentation, ou de l'e^iercice, au
pôle comme à l'équateur, chez le gros mangeur
du nord, comme chez le sobre habitant de l'Inde,
après une course rapide, comme au réveil mati-
nal, la peau gradue l'intensité de sa fonction et
du refroidissement épiderinique, de façon à main-
tenir constant ce chiffre seul compatible avec la
santé. Cette fonction capitale cesse-t-elle de s'ac-
complir, ce mécanisme délicat n'a-t-il plus sa
précision habituelle, la chaleur s'élève, et la fiè-
vre éclate. La peau est donc par excellence le
régulateur de la combustion, c'est-à-dire de la vie
en son plus intime phénomène.
En second lieu, la ju-au est le siège de phéno-
mènes respiratoires d'une intensité considérable :.
TARTRE
— 2133 —
TARTRE
elle respire comme le poumon, c'est-à-dire qu'il y
a absorption d'eau et exhalation d'acide carboni-
que ; ccttH exhalation varie entre les chiffres de 10
et de 12 litres par 24 heures. Le tégument ex-
terne a d'ailleurs d'étroites relations avec le cen-
tre respiratoire : il est le point de départ du
ri'/lexe (V. l'/iysiologie) de la respiration. C'est
la peau qu i nous permet de respirer dans le sommeil ,
dans la distraction, en général dans tout le cours
de notre vie, à part les occasions exceptionnelles
où nous faisons de la respiration un acte volon-
taire. Un animal dont la peau est enduite de
goudron se refroidit et meurt d'asphyxie, encore
bien que ses voies respiratoires soient libres et
ouvertes. Il est arrivé parfois qu'un homme tombé
dans une cuve d'eau bouillante, et retiré aussi-
tôt, présentait une brûlure superficielle de toute
la surface do son corps, brûlure peu grave en
elle-même. Dans ces cas, on a vu la mort se
produire par un étrange mécanisme : la. peau, su-
perficiellement détruite, ne fournissait plus au
réflexe respiratoire le point de départ indispen-
sable, et le malheureux ne respirait plus que
par saccades, et par un acte de volonté ; nul
sommeil, nul instant de distraction possibles ;
bientôt la lassitude survenait, augmentait, deve-
nait toute-puissante, et l'asphyxie amenait la
mort.
Il suffit de ce rapide résumé des fonctions de
la peau pour montrer quel intérêt capital s'atta-
che à la santé parfaite de cet organe.
H faut d'abord que la peau soit maintenue
dans un état de propreté parfaite, et qu'elle soit
constamment débarrassée de l'accumulation des
débris épithéliaux, des résidus de la sueur, et des
poussières accumulées ; cette propreté est une
condition mécanique indispensable au libre écou-
lement de la sueur. Des ablutions fréquentes doi-
vent assurercette condition. Un bain touslesqninze
jours, même s'il est possible toutes les semaines,
est nécessaire. Encore faut-il multiplier ces
ablutions pour les parties du corps où les glandes
sudoripares sont plus nombreuses, pour les pieds,
par exemple.
Il ne suffit pas de nettoyer la peau, il faut la
tonifier, et par elle, agir d'une façon à la fois for-
tifiante et calmante sur le système nerveux. On y
réussit par l'emploi prolongé de l'eau frnide.
L'hydrothérapie, lorsqu'il n'y a pas de contre-
indication dans une faiblesse particulière de la
poitrine ou de tout autre organe, est l'un des
plus sûrs et des plus puissants moyens de fonder
et d'entretenir la santé générale. Elle est trop rare-
ment employée dans notre pays. Elle devrait, sous
la forme d'ablutions quotidiennes de tout le corps,
entrer dans nos mœurs nationales, et dans l'hy-
giène de la famille, comme elle est entrée, par
exemple, dans les habitudes anglaises. Elle doit,
en tout cas, entrer largement dans l'hygiène sco-
laire, où elle sera particulièrement utile pour réa-
gir contre l'excès de fatigue nerveuse et de tension
cérébrale. [D' E. Pécaut.]
TARTRE ET ACIDE TARTRIQUE. — Chi-
mie, XMII. — Le tartre est une substance saline,
impure, plus ou moins colorée en rouge, et qui se
dépose en croûtes sur les parois des cuves où
fermente le vin ou encore dans les tonneaux où il
séjourne. Le tartre colore des vins rouges ne dif-
fère du tartre incolore des vins blancs que par la
matière colorante qu'il contient en plus.
Comi.osition. — En mil, le célèbre chimiste
suédois Scheele découvrit dans le tartre un acide
particulier, qu'on a appelé acide tartriqne, et qui
s'y trouve combiné à la potasse, à l'alumine, à,
l'oxyde de for et à la chaux. Le tartre est un mé-
lange en proportions un peu variables de bitar-
irate de potasse, de tartrale d'alumine, de tartrate
de fer et de tartrate de chaux. Le bitartrate de
potasse, appelé encore tartrate acide de potasse,
on constitue la plus grande partie.
Le tartre purifié par une série de cristallisations
s'appelle crème de tarife; c'est alors du bitartrate
de potasse pur, qui a pour formule GSH^KO'^.
Propriété!!. — Ce sel se présente en beaux cris-
taux durs qui croquent sous la dent. Ils ont une
saveur acidulée, rougissent fortement le tourne-
sol, se dissolvent même dans l'eau froide, mais sont
insolubles dans l'alcool. Le bitartrate de potasse
en dissolution dans l'eau peut dissoudre certains
oxydes métalliques en formant des tartrates dou-
bles, c'est-à-dire à deux bases différentes, h'éiné-
tiqu", appelé encore tartre stibié, est un tartrate
double de potasse et d'antimoine. Le sel de Sei-
gnette, appelé ainsi du nom du pharmacien qui l'a
décomert en 1G72, est un tartrate double de po-
tasse et de soude.
Les cristaux de la cfême de tartre sont des pris-
mes obliques dont les angles et les arêtes longi-
tudinales sont tronqués. Ils se décomposent par
la calcination en donnant une vapeur acide et en
laissant pour résidu un mélange noir de carbonate
de potasse et de charbon, appelé /lux nnir et qui
sert à la préparation du potassium ; si avant la cal-
cination on l'a mélangé à un peu d'azotate de po-
tasse, le résidu sera blanc, on l'appelle alors flux
blimc.
Acide tartriqne. — L'acide tartrique a pour for-
mule C'H°0'2; comme nous l'avons dit, il a d'abord
été découvert par Scheele dans le tartre, mais il
existe aussi libre ou combiné à la potasse dans un
grand nombre de végétaux, par exemple dans les
cornichons, les raùres, les ananas, les baies de
sorbier, les pommes de terre, les topinambours, le
poivre noir, etc.
Préparation et propriétés. — Pour préparer l'a-
cide tartrique, on met de la craie dans une dis-
solution de crème de tartre dans l'eau bouillante;
il y a effervescence, il se forme du tartrate de
chaux insoluble qui se dépose, et du tartrate neu-
tre de potasse qui reste dissous. Le tartrate de
chaux délayé dans l'eau après la filtration est
traiié par l'acide sulfurique étendu. Il se forme
du sulfate de chaux insoluble, et la liqueur ren-
ferme l'acide tartrique qui, après filtration, se dé-
pose en gros cristaux prismatiques obliques,
quand la liqueur a été amenée à la consistance
sirupeuse. Ces cristaux se conservent à l'air, mais
la dissolution aqueuse d'acide tartrique se re-
couvre à la longue de moisissures. L'acide tar-
trique se dissout dans la moitié de son poids d'eau
froide; il est encore plus soluble dans l'eau bouil-
lante; il se dissout aussi dans l'alcool.
L'acide tartrique fond vers 180°; cliauffé sur une
lame de platine, il se boursoufle, brûle et donne
une odeur do caramel. L'acide sulfurique concen-
tré et à chaud le détruit en donnant de l'oxyde
de carbone et de l'acide sulfureux. L'acide azotique
l'oxyde et le transforme en acide oxalique.
La chaux, la baryte, la stroniiane sont précipi-
tés par l'acide tartrique en donnant des tartrates
insolubles. Dans les solutions très concentrées des
sels de potasse, l'acide tartrique donne un préci-
pité blanc caractéristique qui ne devient visible
que par l'agitation.
Action de l'acide tartrique sur In lumière pola-
risée. — L'acide tartrique dont nous venons de
parlera la propriété, découverte par Biot, de dé-
vier à droite le plan de polarisation de la lumière.
En 1S22, M. Kestner, industriel àTliann, décou
vrit dans le tartre des raisins des Vosges un acide
tartrique ayant des propriétés différentes do
l'acide tartrique connu, quoique ayant la même
composition ; il l'appela paratartrique ou racémi-
que. Cet acide n'exerce aucune action sur la lu-
mière polarisée, ne dévie le plan de polarisation
ni à droite ni à gauche. M. Pasteur ayant préparé
TARTRE
— 2134 —
TEINTURE
avec l'acide paratratrique un sel à deux bases, la ' grammes cliez les enfants. Les malades cmpoi-
soude (H l'ammoniaque, put examiner au micros- sonnés sentent un goût métallique, ont des vomis-
cope les cristaux de ce sel, et il reconnut que les sements, des coliques, des selles copieuses. La
uns présentaient !a dissjmétrie qu'on a appelée face est altérée, la peau froide, la respiration dif-
hémiédrie droite, et \ps 3iUlres\'hémiéd>-ie gauc/ic ; ficile ; bientôt surviennent des vertiges, des
il put les séparer mécaniquement et constata que crampes, des convulsions, des syncopes, puis la
conformément Ji la loi d Herschell, les premiers mort.
dévient à droite le plan de polarisation, tandis Usages df l'acide taririque et des fartiates. —
que les derniers le dévient à gauclie. Des uns il On consomme une grande quantité d'acide tartri-
put extraire un acide analogue à l'acide ordinaire, que dans l'indiennerie comme rongeant (V. Tein-
l'acide lirait, des autres un acide qui fut appelé tiire). On l'emploie aussi dans la fabrication de
acide gauclie parce qu'il dévie à gauche le plan de l'eau de selz qu'on fabrique soi-même avec les ap-
polarisation. En mélangeant ces deux acides à poids ' pareils gazogènes des ménages. On introduit dans
égaux, M. Pasteur put, conformément h sa pré- ^ la partie inléi'ieure du sipbon un mélange d'acide
vision, constater que le produit n'avait aucune tartrique et de bicarbonate de soude; l'acide car-
action slii la lumière polarisée et présentait toutes bonique déplacé par l'acide tartrique se dissout
les propriétés de l'acide paratartrique. ! sous sa propre pression dans l'eau qui occupe la
M. Pasteur a pu préparer l'ncide (artrir/ve gau- \ partie supérieure de l'appareil. L'acide tartrique
che de la manière suivante : il soumet l'acide pa- sert aussi à la préparation de la limonade tartri-
ratartrique à l'action des spores d'un végétal mi- ' que et du sirop tartrique employés comme tem-
lioscopique appelé le Pénicillium glauciim. Ce ! pérants.
ferment détruit l'acide droit, et au fur et à me- j Le tartre purifié sert à la préparation de l'acide
sure qu'il agit, on voit apparaître dans la liqueur ' tartrique et des tarifâtes ; il est aussi employé
convenablement disposée pour cela le pouvoir comme mordant en teinture ; on l'emploie encore
rotatoire gauche. i comme laxatif, en l'introduisant à la dose de 15 à
M. Pasteur est arrivé à transformer Vncide 20 grammes dans une limonade quelconque ou
droit et X'wide gauche en acide paratartrique; bien dans du bouillon aux lierbes. Le lartrate de
pour cela il prépare un tartrale de ciiichonitie potasse et de fer e.st une préparation ferrugi-
qu'il cbaufTe pendant 5 ou 6 heures à 170°. Il neuse excellente i la dose de 25 centigrammes. On
traite ensuite la masse par l'eau bouillante et- peut le prendre dans du vin. [A. Jacquemart.]
précipite la solution par le chlorure de calcium j TKIINTl'RE. — Chimie, XXVI. — La teinture
qui doune du paratarlrate de ch:iux insoluble. est l'ensemble des procédés par lesquels l'indus-
La distillation sèche de l'acide tartrique donne trie fixe les couleurs sur les tissus ou sur les ma-
naissance à deux zc\àe^ py7-ogénes : l'acide pî/ioî'fl- ' lières textiles avec lesquelles on fera ces tissus.
cémiqve et l'acide pyrotartrigne, qui sont accom- L'art de la teinture exige des connaissances nom-
pognés de nombreux produits secondaires (W'urtz). ' breuses et variées. Nous n'en pouvons donner ici
'liirtrates. — L'acide tartrique peut former avec qu'une très courte et très incomplète descrip-
les bases deux séries de tartrates ; les tnrtrates tion.
neutres et les ta> trates acides. Les pn miers ren- Historique. — Les petiples primitifs aiment les
ferment deux équivalents de métal pour un d'à- couleurs les plus vives, comme le rouge, l'écar-
cide, tandis que les seconds n'en contiennent [ late. Dans les écrits de l'antiquité on parle sou-
qu'uii.ll peut se faire que les deux équivalents de vent d'étoffes teintes en pourpre; l'art de teindre
Dictai soient formés par deux métaux différents, ! était fort répandu à Tjt et à Sidon. Du temps des
comme dans les émêtigiies; dans ce cas-là les; Romains, Karbonue avait des ateliers de teinture
sels s'api ellent des larlrates douilles. en pourpre d'origine phénicienne ou carthagi-
lai tiate double de potasse et d'antimoine noise, et il y avait des pêcheries de pourpre sur
(cniétique, tartre stitié.) —Ce médicament, dont les côtes de la Méditerranée et môme de l'Atlanti-
11 est pour la première fois fait mention à la : que en difl'érents endroits. La pourpre est tirée
fin du xv« siècle, par Basile Valentin, a pour j d'une espèce de mollusque, le /'(«■//«ca /a//i//«s, qui
formule C'H*;Sb02 K0i2-f HO. Pour le préparer, ' vit surtout dans la Méditerranée. On préparait
I
on fait bouillir, dans 100 parties d'eau, JO parties
d'oxyde d'antimoine avec 12 de crème de tartre,
en renouvelant leau à mesure qu'elle s'évapore.
Au bout d'une heure on filtre, l'émétique se
dépose par refroidissement.
L'émétique peut être obtenu en cristaux octaé-
driques, à base rhombe, transparents, mais deve-
nant opaques en perdant de l'eau. Chauffes à 280",
les cristaux se déshydratent de nouveau et se
détruisent. Au rouge en vase clos, l'émétique dé-
truit laisse pour résidu un alliage d'antimoine et
de potassium mélangé à du charbon. Cette masse
noire prend ftu, détone et lance des étincelles
quand on y projette un peu d'eau.
Lémétique se dissout dans 14 fois son poids
d'eau froide et 2 fois son poids d'eau bouillante.
L'ne infusion de noix de galle précipite l'cmc-
quetn flocons blancs.
Une lame d'étain qu'on y plonge se recouvre
d'un dépôt noir d'antimoine.
A petite dose, l'émétique agit comme vomitif. Si
les doses sont répétées, l'organisme s'y habitue
et peut en supporter de plus fortes. On l'em-
ploie en pastilles pour faire expectorer et pour
calmer la toux; il constitue aussi la base de
certains lOchs.
A forte dose, l'émétique est un poison qui peut
amener la mort, même à la dose de 10 et 5 ccnti-
aussi une pourpre dite végétale avec la garance
et le bleu de pastel et qui était le violet pourpre.
D'après Pline, non seulement les Egyptiens se
servaient de couleurs, mais ils savaient les fixer
et connaissaient l'usage des mordants.
Matières (olo>-antes. — Nous avons donné à
l'article Coloriantes {Matières) des indications sur
les principales substances qui servent i la tein-
ture, telles que la cochenille, la garance, le car-
thame, l'indigo, l'aniline et ses dérivés, etc. Nous
y renvoyons le lecteur.
On appelle lagues en teinture des combinai-
sons de matières colorantes avec des oxydes
métalliques comme l'alumine, l'oxyde d'étain; le
ton des laques est plus vif que celui de la ma-
tière colorante, et c'est ordinairement à l'état de
loques qu'on la fixe sur les tissus. D'après
M. Chevreul, la teinture résulte non d'une com-
binaison chimique avec le tissu, mais d'une adhé-
rence plus ou moins profonde résultant de l'ab-
sorption de la matière colorante par le tissu : ce
serait une espèce d'nffinilé capillaire, n'offrant
pas les caractères des combinaisons définies
[\ . Combinaison). C'est une action semblable qui
doit se passer dans l'action décolorante du noir
animal, puisqu'on peut lui reprendre la matière
colorante par des lavages alcalins.
Le chlore, l'acide sulfureux ont un pouvoir dé-
TEINTURE
— 2135 —
TELEGRAPHE
colorant qui fait employer le chlore pour le blan-
cliinieiit lies cliifTons, l'acide sulfureux pour blan-
chir la laine, la soie, les chapeaux de paille.
La rosée agit sur certaines matières colorantes
en les détruisant plus ou moins rapidement. Le
blanchiment de la toile que l'on étend dans la
prairie est dû à cette action, dont la véritable
cause est probablement dans l'ozone dissous dans
la rosée (V. O.tygéni').
Comme dernier exemple de décoloration, citons
cette expérience de M. Pcrsoz : dans unedissohiiion
de matières colorantes on plonge les racines d'une
balsamine; le liquide absorbé est décoloré parles
racines et on le voit circuler incolore dans les
vaisseaux ; mais lorsqu'il arrive dans les pétales,
en contact avec l'air, il reprend sa couleur pri-
mitive.
Purification et préparation des matières textiles.
— Il n'y a guère que les poils végétaux, comme le
coton, qu'on puisse teindre sans une préparation
préalable. Le lin, le chanvre, la laine, l'a soie por-
tent à leur surface des matières diverses qu'il
faut enlever pour que l'adhérence puisse avoir
lieu entre la libre textile et la matière colo-
rante.
On enlève les matières grasses du lin et du
chanvre par le rouissage, espèce de putréfaction
de la matière grasse.
La laine contient une matière organique azotée
et des matières grasses dont le mélange constitue
le suint et qui peuvent représenter jusqu'à 52 0/0
de son poids.
Le désuintage des laines se fait en les traitant
par une lessive alcaline qui enlève les corps gras
en les saponifiant.
La soie est surtout recouverte d'une matière
résineuse et d'une matière gommeuse dont on la
débarrasse par le décreusage.
On la fait bouillir dans l'eau, qui enlève la ma-
tière gommeuse, puis l'action des alcalis et un
lavage dans une eau savonneuse enlève la matière
résineuse et ce qui peut rester de matière étran-
gère quelconque. Après h'S opérations dont nous
venons de parler, il est encore nécessaire de blan-
chir les étofl'es, soit par le chlore, soit par l'acide
sulfureux, soit par l'action de la rosée sur le pré.
Mordants. — Rarement la teinture se fait sans
l'intervention d'une substance chimique quelcon-
que. Cela peut avoir lieu quand la matière colo-
rante peut se déposer en naissant, comme dans la
teinture de la soie par le carthame, la teinture à
la cuve d'indigo. Mais généralement le tissu no
fixe pas la matiè"e colorante dissoute sans l'inter-
médiaire d'une substance, appelée mordant, qui
se combine avec la matière colorante en même
temps qu'elle se lixe par adhérence avec le tissu.
Les mordants les plus employés sont : l'alun de
potasse, l'alun ammoniacal, le sulfate et l'acétate
d'alumine. Ils sont appliqués à des températures
qui varient avec les tissus. La laine est alunée h.
chaud et pendant 24 heures.
L'acétate d'alumine est surtout employé dans
les fabriques d'indienne. Pour les teintures fon-
cées, on emploie comme mordant l'acétate de
fer.
Le mordant d'étain ou protochlorure d'étain
sert pour teindre en rouge avec la cochenille.
Impression sur tissus. — L'impression sur tissu
est une véritable peinture. L'étoffe est d'abord
soumise au rasage, qui a pour but d'enlever tous
les petits filaments qui la recouvrent. Cela se
fait avec une tondeuse, machine composée d'un
cylindre armé de couteaux disposés en hélice; le
grillage, qui pour la laine doit précéder le ra-
sai/e, consiste à faire passer les étoffes sur des
rouleaux suffisamment chauffés. Dans l'impres-
sion, la matière colorante doit être épaissie, ainsi
que les mordants, avec de l'argile ou des gommes ;
on les applique ensuite sur le viann, par places, sin
moyen de planches ou cylindres gravés. Cela se
fait de doux manières : par l'impression genre
teinture et par l'impression genre application.
L'impression genre tiinture se fait en déposant
sur l'étoffe les mordants épaissis sur <les points
déterminés et en trempant ensuite l'étoffe dans
le bain colorant ; la teinture ne prend qu'aux
places où le mordant a été déposé.
Dans l'impri'ssion genre application, le rouleau
dépose on même tejupsle mordant et la couleur;
le fixage se fait en soumettant l'étoffe h une tem-
pérature de 100° avec des rouleaux chauffés b. la
vapeur. A Rouen et en Alsace, et maintenant
dans les Vosges où se sont transportées plu-
sieurs usines du Haut-Rhin, on imprime avec
des matières insolubles qu'on fixe sur l'étoffe
au moyen de l'albumine extraite pour cet
usage du sang provenant des abattoirs. On em-
ploie aussi le gluten : c'est cette substance qui
la première, il y a une vingtaine d'années, a été
substituée au blanc d'ceuf. C'est ainsi qu'on fixe le
bleu dit d'outre-mer, puis l'oxyde vert de chrome,
et enfin le charbon que les teinturiers emploient
pour teindre en noir ou en gris.
L'impression sur tissus constitue une industrie
do premier ordre en France et en Europe. Ses
principaux centres sont Rouen, Mulhouse, Thann,
Paris, Manchester, Londres, Glasgow, Bàle ,
Barcelone, Vienne. Quelques usines alsaciennes
ont émigré depuis dix ans et se sont éta-
blies .'i Epinal et dans divers points des Vos-
ges ; elles semblent, en ce moment, devoir
prendre une très grande extension, et rendre
ainsi à notre pays la primauté de l'indiennerie
que la perte du Haut-Rhin paraissait lui avoir
enlevée pour longtemps. Autrefois l'impression
ne se faisait que sur l'indieime, mais aujour-
d'hui elle se fait sur toute espèce d'étoffe et de
tissus.
L'impression sur étoffe est fort ancienne ; elle
nous vient de l'Inde, de \h le nom d'indienne donné
aux tissus de coton sur lesquels on l'a d'abord
exclusivement appliquée. Les indiennes ont été
introduites en Europe par les Portugais vers la
fin du XV* siècle.
Les premières manufactures s'élevèrent en An-
gleterre, en Hollande et en Suisse; en 1746,
Kcechlin et Dolfuss élevèrent les premières usines
à Mulhouse, qui devait être le centre de l'indus-
trie alsacienne. En 1759, Oberkampf fonda la pre-
mière fabrique en France, celle de Jouy (Seine-et-
OiseJ. _ [Alfred Jacquemart.]
TÉLÉGRAPIIli:. —Connaissances usuelles, VII.
— Etym. : du grec télé, de loin, et 'jraphein, écrire.
— Nous trouverions certainement le principe, l'é-
lément de la télégraphie chez les peuples les plus
primitifs, s'il existait des documents rappelant les
mœurs et coutumes de ces peuples. Nul doute en
effet que du jour où il exista des relations familia-
les ou sociales entre les hommes, l'idée dut venir
à tels ou tels d'entre eux d'attacher un sens à des
signaux perçus i distance et formulant un avis
convenu, annonçant une nouvelle prévue ou es-
pérée. Chaque jour encore nous avons l'exemple
de ce que put être cette correspondance; ca-
chaque jour il arrive que toiles ou telles per-
sonnes, qui doivent à un moment donné se trouver
les unes par rapport aux autres hors do la portée de
la parole, conviennent qu'un geste fait, qu'un objet
montré ou placé de quelque manière ait telle ou
telle signification pour ceux qui l'apercevront. A
la vérité, c'est li beaucoup plus encore une sim-
ple prolongation de l'effet de la parole, qu'une té-
légraphie proprement dite. La première mention
signiticative d'une correspondance télégraphique
se trouve dans une tragédie d'Eschyle, .igamem-
71011. Au début de la pièce, un garde est en vedette
TELEGRAPHE
— 2136 —
TELEGRAPHE
sur la terrasse du palais d'Agamomnon, et il se
plaint, non sans raison, nous senible-t-il, d'attendre
depuis dix ans, c'est-à-dire depuis que l'illustre
roi d'Argos son maître est parti pour le siège de
Troie, le signal qui doit annoncer la prise de cette
ville. Ce signal, qui n'est autre qu'un feu allumé
sur une montagne bornant l'horizon, le garde l'a-
perçoit, et il court en avertir la reine. Celle-ci an-
nonce la grande nouvelle au peuple, qui lui de-
mande à quel n:oment l'événement s'est accompli.
Il Cette nuit même, » répond la reine. Grande sur-
prise des citoyens, carTroie est distante d'au moins
cent lieues, et il n'est pas dans l'ordre des choses
possibles qu'un message ait pu franchir en aussi
peu de temps une pareille distance. Alors la reine
explique comme quoi, lors du départ de son époux,
il avait été convenu entre lui et elle qu'il l'instrui-
rait de la prise de Troie aussiiôt qu'elle aurait
lieu, à l'aide de feux que des soldats, apostés
d'avance à cet effet, allumeraient de montagne en
montagne, à partir du mont Ida, voisin de la ville
assiégée, jusqu'au mont Arachné. dont le sommet
peut être vu de la terrasse du palais d'Argos.
L'idée d'Eschyle ne tomba pas, paraît-il, dans
l'oubli, car environ deux cents ans plus tard, les
ingénieurs d'un des successeurs d'Alexandre re-
prirent son système pour le perfectionner. Ils
imaginèrent de diviser les lettres de l'alphabet en
groupes correspondant Ji des fanaux plus ou moins
nombreux, que des sentinelles, placées de distance
en distance, élevaient ou abaissaient dans un ordre
convenu.
Les Carthaginois avaient construit sur le littoral
de l'Afrique, puis sur celui de l'Espagne quand ils
eurent conquis ce pays, des suites de tours desti
nées à transmettre des signaux h combinaisons mo-
difiables, qui constituaient par conséquent un véri-
table langage. Les Romains ne manquèrent pas
d'emprunter aux Carthaginois ce système de com-
munication. On peut voir un des postes télégraphi-
ques qu'iis établirent successivement sur toute
l'étendue de l'empire figuré sur les bas-reliefs de
la colonne Trajane, et l'on voit encore dans l'an-
cienne Gaule, devenue province romaine, notam-
ment à Bellcgarde, Arles, Uzès, dans la vallée de
Luchon, plusieurs des tours ayant servi à la trans-
mission des signaux en temps de guerre. Nous
savons d'autre part que les Gaulois, nos ancêtres,
avaient eux aussi un mode de correspondance fort
expéditif, auquel ils employaient, pense-t-on, ou
des feux, ou des crieurs; car l'histoire rapporte
que lors de la prise d'une de leurs principales
villes par les Romains, ils en firent savoir la nou-
velle à plus de quatre-vingts lieues en moins de
trois heures.
Bien loin des Gaulois et des Romains, dans ce
grand empire de l'exlrême Asie, dont les peuples
d'Occident ignoraient alors l'état de civilisation
avancée, en Chine, il y a quelque deux mille ans,
sur cette fameuse gtande muraille que les fils du
Ciel avaient fait constiuire comme obstacle ."i l'in-
vasion des Tartares, on avait placé par intervalle
des tours qui étaient dites o fumec, parce qu'on
y faisait des signaux à l'aide de fourneaux il plu-
sieurs issues où l'on brûlait la fiente dune espèce
do loup, qui donne pendant la combustion une
fumée très noire. Des tours semblables étaient aussi
placées le long des côtes pour l'appel des troupes en
cas de débarquement des pirates japonais ; ces
divers postes télégraphiques existent encore, mais
ils ne méritent plus leur premier nom, car on a
cessé d'y faire du feu, et (lartaut delà fumée, de-
puis que certaine impératrice, voyageant avec son
époux et voulant s'amuser à transmettre des si-
gnaux, répandit sans s'en douter la nouvelle de la
mort de l'enipereur. Les signaux ont été faits de- 1
puis à l'aide de fanaux pendant la nuit, et de
drapeaux pendant le jour. 1
Ainsi, aux deux extrémités des continents connus
des anciens, fonctionnaient il y a une vingtaine de
siècles de véritables lignes télégraphiques: il
semblerait donc normal que chez nous, comme au
sein du ( éleste Empire, l'usage .s'en fût continué ;
mais en Europe nul peuple de l'ère moderne ne se
trouva pour faire valoir cet ingénieux, cet utile
héritage de l'antiquité. Ce n'est qu'il la fin du
xvii' siècle qu'ont lieu de nouveaux essais de té-
légraphie, qui tous laissent supposer de la part de
leurs auteurs ou l'ignorance ou le dédain absolu de
ce qu'avaient fait les anciens. A deux Français qui
furent contemporains revient l'honneur de cette
tentative. C'est d'abord le physicien Amontons,
dont l'invention se trouve mentionnée dans l'é-
loge que Fontonclle fit de lui après sa mort. Le
système imaginé par Amontons fut expérimenté
une fois devant le Dauphin, fils de Louis XIV, une
autre fuis devant la Daupliine, mais on ne passa
pas à l'application. C'était, paraît-il, à l'aide de
guetteurs munis de lunettes d'apiiroche et placés
les uns par rapport aux autres i une distance re-
lative il la portée de ces lunettes, qu'.^montons
pensait faire circuler des signaux, qui étaient au-
tant de lettres de l'alphabet, et qui devaient être
transmis de Paris à Rome, par exemple, presque
en aussi peu de temps qu'il en fallait pour les
faire. Nous ne savons rien du mode de production
des signaux. On a aussi gardé le souvenir d'une
invention qu'avait faite cenain commissaire de
la marine à Arles, nommé Guillaume Marcel, qui
se faisait fort de transmettre aussi bien de nuit
que de jour un message à de grandes distances
aussi rapidement qu'on pouvait l'écrire. Des expé-
riences furent faites, dont un procès-verbal cons-
tata les heureux résultats sans donner toutefois
aucun détail des appareils ni du système. Et il
n'en est rien venu jusqu'à nous, car l'inventeur
ayant il maintes reprises sollicité la faveur de re-
nouveler ses expériences devant le roi ou devant
les ministres, et ne recevant aucune réponse, fut
pris d'un accès de désespoir dans lequel il brisa
ses machines et brûla les descriptions qu'il en
avait faites.
En 1684, le célèbre géomètre et physicien an-
glais Robert Hooke imagina un mode de trans-
mission de signaux à l'aide de planches noires
prenant diverses positions au bout d'un mât : et
c'est là qu'il faut voir l'origine des services dits
sémophoriques généralement établis aujnurd'hui
le long des côtes et à l'entrée dos ports, pour
communiquer avec les navires venant du large.
Entre temps l'on avait, non pas découvert, mais
étudié attentivement les phénomènes électriques
que les anciens n'avaient fait qu'entrevoir, et
comme l'on avait constaté 1 extrême rapidité avec
laquelle le fluide électrique se propageait, l'idée
dut tout naturellement venir à plusieurs physiciens
d'utiliser cette faculté pour la transmission des
messages. Mais l'on ne connaissait que l'électri-
cité dite bien improprement statique, obtenue par
frottement, et quelque ingénieuses que fussent
les dispositions imaginées à l'effet de la rendre
messagère de la pensée humaine, on fut surtout
arrêté dans les applications usuelles par la diffi-
culté d'isoler convenablement les fils conducteurs.
A l'époque où ces essais infructueux étaient
tentés, le hasard avait fait que trois enfants, trois
frères du nom de Chappe, étaient placés en pen-
sion, l'un au séminaire d'Angers, les deux autres
dans une institution dont les fenêtres, à la dis-
tance de trois ou quatre kilomètres, faisaient face
à celles du séminaire. Le jeune séminariste aimait
beaucoup ses frères dont il n'avait jamais été
séparé ; il imagina, pour rester en correspondance
fréquente avec eux, d'établir à une fenêtre du sé-
minaire certain appareil composé d'une grande
règle de bois blanc pouvant tourner sur un pivot
TELEGRAPHE
— 2137 —
TELEGRAPHE
central et portant h chaque bout une ri'gle éga-
lement pivotante, dont les divers mouvements
constitueraient autant de signaux que les autres
enfants observeraient h l'aide d'une petite lunette
d'approclie et traduiraient d'après un vocabulaire
convenu. 1,'ossai réussit îi merveille. Une ma-
chine semblable fut placée h la fenêtre du pen-
sionnat, et, tant que dura leur séparation, les trois
frères purent converser avec la plus grande faci-
lité. Cela se passait vers \1V>. Dix-neuf ans plus
tard, au temps où les armées de la République
étaient occupées à reprendre les places frontières
dont les coalisés s'étaient emparés, le 1" sep-
tembre 1794, comme la Convention venait d'en-
trer en séance, le représentant Carnot monta à la
tribune pour lire une dépêche qui, remarqua-t-il,
était partie de Lille quekjiœ^ yninutes auparavant
et faisait savoir ;\ l'assemblée que le matin
même la ville de Condé avait été restituée à la
République. De longs applaudissements saluèrent
non seulement l'annonce de cet événement, mais
encore les éclatants débuts d'un nouveau système
de communication rapide, qui, récemment établi
par ordre do la Convention entre Paris et Lille,
inaugurait ses services par l'annonce d'une vic-
toire. Or, ce système n'était autre que l'applica-
tion à un service public du moyen dont le ci-
devant séminariste d'Angers s'était jadis servi
pour correspondre avec ses frères ; mais avec
cette différence qu'au lieu d'une transmission
immédiate des signaux entre les deux points ex-
trêmes, un certain nombre de stations intermé-
diaires, placées au sommet d'autant de pavillons à,
portée de vue d'une lunette, les répétaient suc-
cessivement. De Paris Ji Lille, pour une distance
d'environ CO lieues, ces pavillons étaient au nom-
bre de vingt-deux et il ne fallait pas plus de deux
minutes pour que le signal partant de l'une des
extrémités de la ligne parvînt à l'autre extrémité.
A la pointe de ces pavillons, dans la paroi des-
quels étaient fixées des lunettes braquées dans
les deux sens sur le pavillon le plus voisin, se
dressait l'appareil à signaux qui, analogue Ji celui
du séminaire, était formé d'une grande planche
longue, pivotante,appeléere3'i/a/eM;',et do deux pe-
tites nommées ailes pouvant évoluer k chaque bout
delapremière. L'appareil extérieur était commandé
par un appareil intérieur, prenant tout d'abord
les positions voulues et agissan sur d'autres
par un système de chaînettes et de poulies.
L'employé, toujours guettant chaque pavillon à
l'aide de ses deux lunettes, jû-enaii d'une part le
signal qu'il répétait aussitôt, et il n'en prenait et
répétait un nouveau qu'après s'être assuré que
le précédent avait été vu et répété par le pavillon
suivant. Parla combinaison des diverses positions
que pouvaient prendre les trois planches, on obte-
nait environ deux cents (19G) signes différents,
dont la moitié avait été réservée pour traduire
conventionnelloment les ordres ou avertissements
nécessaires au service de la ligne. Les autres si-
gnaux étaient affectés aux dépèches, mais on ne
les employait pas alphabétiquement, car chaque
signe exigeait un temps relativement trop long
pour qu'on eût pu songer h procéder par lettre
successive. Claude Chappe avait imaginé de dres-
ser un vocabulaire contenant autant de pages
qu'il y avait de signaux disponibles pour la cor-
respondance, chacune de ces pages avait à son
tour autant de mots ou de phrases toutes faites,
ce qui faisait un total d'environ neuf ou dix mille
mots ou phrases les plus usuels. Chaque mot ou
phrase h transmettre n'exigeait que deux si-
gnaux, l'un indiquant la page, l'autre celui des
mots ou celle des phrases dont on avait voulu se
servir : ce qui n'empêchait pas que pour la tra-
duction d'une locution ou d'un nom imprévu l'on
ne put indiquer par un signal réservé que la
traduction devenait accidentellement alphabé-
tique.
Tel était en principe le mode de correspondance
du télégraphe Chappe ou télégraphe aérien qui,
adopté chez nous en 1793, puis successivement
par la plupart des nations européennes, a été le
seul appareil télégraphique usité en France
pendant près de soixante années. Quelque ingé-
nieux que fût ce système, quelques services qu'il
pût rendre, on pouvait h bon droit lui reprocher
les nombreuses interruptions de fonctionnement
inhérentes à son principe même, car outre qu'il
suffisait de la moindre brume pour faire obstacle
à toute transmission des signaux aériens, encore
fallait-il admettre le repos normal et obligé
qu'amenait cliaque retour des heures nocturnes.
D'une expérience d'un demi-siècle, il résultait,
d'après les rapports officiels, que le télégraphe
aérien, une saison compensant l'autre, ne pouvait
fournir qu'une moyenne de six heures de travail
par jour. Et si nous disons moyenne, il s'en suit
que nous opposons aux belles périodes atmosphé-
riques des mois d'été, les périodes automnales et
hivernales durant lesquelles des semaines se pas-
saient sans qu'il fût possible de transmettre le
moindre signal. Donc le télégraphe Chappe. fort
applaudi h ses débuts, laissait h désirer, et très
évidemment il n'avait pas dit le dernier mot de
la télégraphie.
Kn iSOO, une grande découverte avait été faite
qui allait ouvrir une nouvelle et féconde voie aux
chercheurs. Le physicien Volta avait imaginé \a.pi.le
éleclriquf. (V. Electricitc, p. 6.ii8) qui, au lieu du
fluide à, extrême tension émanant de la machine 'a
frottement,et dont il était presque impossible d'iso-
ler parfaitement les omdmleurs, fit connaître ce
qu'on appela le courant électrique ou l'électricité
dynamique qui, ayant beaucoup moins de tendance
à la déperdition, peut être aisément conduite \ de
grandes distances à l'aide de fils métalliques dont
il est relativement facile d'obtenir l'isolement.
Encore qu'on pût pressentir qu'il y avait li un
agent utilisable pour la transmission des messages,
ridée pratique d'un mode d'application devait se
faire attendre jusqu'au jour où deux illustres phy-
siciens, OErstedt d'une part, Arago de l'autre,
eurent, en étudiant attentivement les effets de
lappareil inventé par Volta, signalé deux remar-
quables phénomènes jusque-l.<i restés inaperçus.
OErstedt constata que lorsqu'un fil conduisant le
courant est présenté Si une boussole, l'aiguille
aimantée, cessant d'obéir à la force mystérieuse
qui la place en croix avec la ligne équatoriale,
se trouve aussitôt influencée par le courant élec-
trique et se place de manière à croiser le fil
conducteur. On ne tarda pas à reconnaître en
outre que dans son mouvement de déviation l'ai-
guille aimantée sait reconnaître un certain sens
au courant, et placer, par exemple, sa pointe nord
tantôt à droite, tantôt à gauche du fil conductenr,
selon qu'il amènera l'un ou l'autre des deux
fluides émanant des pôles de la pile. Sur ce pre-
mier principe fut presque aussitôt proposé l'éta-
blissement d'un système de correspondance i
l'aide d'autant de fils qu'il y a de lettres de l'al-
phabet, dans lesquels on ferait successivement
passer le courant qui s'en irait \ l'autre extrémité
de la ligne dévier autant d'aiguilles portant les
lettres. C'était, en vérité, compliquer singulière-
ment les choses, mais l'idée simple est rarement
celle qui s'offre la première; et nous en avons ici
la preuve très manifeste, car après la remartiuable
observation d'OErstedt, il nous faut attendre dix-huit
ans avant de voir le grand physicien anglais Wheat-
stone proposer et faire adopter d'enthousiamc, pour
le service des chemins de fer, son télégraphe h cinq
aiguilles, donnant dix positions différentes qui,
représentant les dix chifl'res, permettent de cor-
TELEGRAPHE
2138
TELEGRAPHE
respondre en se servant du numéro d'ordre al-
pliabptique de chaqui' lettre. Un jour, mais après
un long usage du télégraplie à cinq aiguilles et
par conséquent icinq fils conducteurs, l'inventeur
s'aperçoit qu'il peut réduire à deux le nombre des
aiguilles et des fils. Deux aiguilles ne donnent plus,
à la vérité, que quatre positions différentes, mais
en combinant les coups de l'aiguille droite avec
ceux de l'aiguille gauclie, on arrive cependant h
traduire toutes les lettres sans employer pour
aucune plus de quatre coups d'aiguille. Il y a pro-
grès, et l'adoption de ce système (1844) semble
d'autant plus conven-.ible qu'il va permettre de
faire répéter à l'électricité une grande partie des
signaux du système Cliappe. On installe donc chez
nous le télégraphe h deux aiguilles. Quelque
temps après, Wheatstone reconnaît et démontre
qu'on peut obtenir des résultats tout aussi rapides
et aussi pratiques en n'employant qu'une seule
aiguille et par conséquent un seul fil. l'Ius que
deux positions : coup à droite et coup à gauche,
mais, encore par combinaison des coups, il n'en
faut jamais plus de quatre pour traduire une
lettre. Voilà comment l'on finit par où l'on aurait
dû ou pu commencer. Trop tard d'ailleurs arriva
cette dernière simplification : le télégraphe à une
seule aiguille ne fit que naître et disparaître. Dans
l'intervalle un tout autre système s'était imposé,
ayant pour principe une observation d'Arago qui,
en répétant l'expérience d'OErsiedt, avait constaté
que le courant électrique passant près d'un objet
de fer doux communique à celui-ci une aimanta-
tion qu'il perd aussitôt que le courant ne passe
plus. Ainsi fut découvert ce qu'on appela l'clec-
tro-aimnnl. c'est-à-dire une pièce de fer doux —
et non d'acier — recourbée en fer Ji cheval, autour
des branches de laquelle le fil conducteur recou-
vert de .soie, substance isolante, s'enroule un grand
nombre de fois à l'effet de multiplier les effets
du courant. Quand le courant circule dans ces
spires, le fer doux acquiert une puissance magné-
tique énergique, qui disparait, s'annihile dès que
le courant est interrompu. Soit donc un fil mé-
tallique partant d'une pile électrique, tendu par
exemple de Paris à Lyon, où il va se rattacher aux
spires d'un électro-aimant. Etant à Paris, nous
savons que tant que nous laisserons le courant
engendré par la pile passer dans un fil, l'électro-
aimant do Lyon aura la vertu magnétique, laquelle
a pour effet d'attirer un morceau de fer placé à sa
portée, etprêtàêtre ramené en arrière par un res-
sort dès que le courant est interrompu. Les choses
étant disposées ainsi, il est évident que nous qui
opérons à Paris, nous sommes en état de produire
à volonté, là-bas, à Lyon, un mouvement de va-et-
vient. Et quand un mécanicien dispose d'un mou-
vement de ce genre, n'a-t-il pas le principe de tous
les mouvements imaginables?
Quoi qu'il en soit, l'importante découverte d'A-
rago ayant été faite peu après celle d'OErstedt,
c'est-à-dire vers 1821, un certain nombre d'années
devaient encore s'écouler avant que germât l'idée
pratique qui allait en permettre l'application.
Ce ne fut qu'en 1837 qu'un professeur de pein-
ture américain, Samuel Morse, — qui cependant
affirme on avoir conçu le plan dès 1832 — fit fonc-
tionner aux Etats-lli}is un système de télégraphe
ayant l'électro-aimant pour organe agissant. Cette
fois, du reste, il est à remarquer que l'idée pre-
mière fut d'une telle simplicité qu'à l'heure ac-
tuelle l'appareil Morse est devenu d'usage pres-
que universel sans qu'il ait été presque rien
changé à sa disposition originale. Imaginons à
l'une et à l'autre extrémité de la ligne un dévi-
doir garni d'une longue bande de papier i\\i\ se
déroule, ici et là, avec la môme vitesse, par l'ef-
fet d'un poids tirant sur le dévidoir. Au-dessus
de cette bande de papier est placé un poinçon,
ou un porte-craj-on monté à pivot, qui peut ou
s'abaisser de façon à traîner en laissant sa trace
sur le papier, ou se relever pour le laisser passer
sans y rien marquer. Ce stylo traçant est com-
mandé par l'armature ou plaque de f r qui peut
être attirée par l'électro-aimant. Et c'est tout. Si
maintenant nous plaçons sur le passage du cou-
rant ce que nous appellerons le manipulateur,
c'est-à-dire une petite poignée à l'aide de la-
quelle, en y appuyant la main, nous fermerons le
circuit qui sera interrompu dès que nous n'ap-
puierons plus, il est évident que quand nous ap-
puierons sur la poignée, le courant passant dans
le fil conducteur, et animant l'électro-aimant, aux
deux extrémités de la ligne, les 'tyles, poinçons
ou crayons, traîneront sur la bande de |iapier et y
marqueront soit de simples points si nous n'avons
fait qu'abaisser rapidement la poignée, soit des
traits prolongés si nous avons maintenu la poi-
gnée abaissée plus longtemps. Et voilà la corres-
pondance établie ; bien entendu en donnant,
comme d'ailleurs pour toutes les écritures, une
valeur alphabétique conventionnelle aux divers
groupes de points et de traits que nous aurons
produits, et qui, par la possibilité des combinai-
sons, ne comporteront jamais plus de quatre mar-
ques pour une lettre.
Voici l'alphabet télégraphique du système Morse
usité en France: k-im B»— » = «C^««— •
D _..E> F..-i.Gi.-.. II ••-• !••
0___P. — — •(;!-- — •— P<- — -S...
T- U ••- V .---— X---— Y _._ —
Il va de soi que tout se réduisant à une simple
question alphabétique, les employés chargés de
manœuvrer les appareils Morse arrivent en très
peu de temps à se servir de cette écriture aussi
facilement que des caractères usuels. Cela n'em-
pêcha pas de songer à établir une correspondance
en lettres connues, et le problème en lut très heu-
reusement résolu par l'inventeur môme des télé-
graphes à ai;;uille, Wheatstone, qui n'eut pour cela
qu'à transformer, comme fit Watt pour la machine
à vapeur, le mouvement de va-et-vient en mouve-
ment de rotation.
L'armature de l'électro-aimant commande un
levier crochu qui, à chacun de ses mouvements,
frappe sur une roue dentée qu'il fait tourner, et
au pivot de laquelle est adaptée une aiguille mar-
chant devant un cadran où sont marquées les
lettres de l'alphabet. Chaque passage ou inter-
ruption du courant fait, en conséquence, avancer
l'aiguille d'une lettre. Pour correspondre, il siiffit
de convenir qu'on ne lira que les lettres sur les-
quelles l'aiguille s'arrêtera un instant, après avoir
passé rapidement devant les au'res lettres. C est
ce qu'on appelle le télégraphe à cadran, générale-
ment employé aujourd'hui pour le service de
nos li''nes de chemins de fer, où il importe que
sans apprentissage préalable le premier agent
venu puisse manœuvrer les appareils et trans-
mettre ou recevoir un avis. Enfin, voici le sys-
tème Hughes, ou télégraphe imprimant, qui, au
départ comme à l'arrivée, donne la dépêche tra-
duite en caractères typographiques. Là encore
l'électro-aimant est l'agent principal de transmis-
sion, mais avec adjonction de mouvements a hor-
logerie en parfaite concordance de rapidité, qui,
à chaque bout do la ligne, commandent une
roue portant les caractères en relief, laquelle se
trouve arrêtée lorsque la lettre à imprimer passe
devant le papier qui se déroule : système trùs
compliqué en somme, mais fort apprécie pour la
uromplitude avec laquelle il opère.
' Ou le voit, tous les effets désirables pour la
TELEGRAPHE
— 2139
TEMPÉRAMENT
correspondance peuvent ôlre obtenus aujourd'hui
par la vi'rtu ihi conranl électrique qui se meut
avec la vilesse d'environ quatye-viiHjt mille kilo-
mètres fi la seconde ; ce qui rend absolument inap-
préciable pour nous le temps nécessaire i la
transmission proprement dite d'un signal électri-
que, quelle quo soit la distance à laquelle il s'agit
de la faire parvenir. Nons pouvons dire qu'il y a
réellement instantanéité, les retards ne résultant,
pour les grands parcours, que de la nécessité de
traduction ou de transfert des dépêches d'une
ligne à l'antre.
Chacun sait qu'aujourd'hui tous les principaux
lieux habites du globe sont reliés entre eux par
des conducteurs métalliques, tout simplement
formés de lils soutenus le long des routes, des
voies ferrées, par des poteaux garnis de godets
de porcelaine établissant l'isolement aux points
de support; pcuir la traversée des tunnels ou le
passage intôrieur des villes, les fils, recouverts de
gutta-percha, substance isolante, sont attacliés aux
voûtes ou pl.icés dans des tranchées souterraines;
enfin, quand il s'agit de faire communiquer deux
terres séparées par la mer, on immerge un câble
au cœur duquel sont réunis un certain nombre
de fils conducteurs recouverts de gutta-percha,
dont l'ensemble est protégé par des épaisseurs de
fils goudronnés, enveloppés à leur tour par des
torsades de fils de fer. La première tentative
de ce genre, qui présenta de grandes difficultés,
fut la pose du câble réunissant Douvres .'i Calais.
On dut s'y reprendre à plusieurs fois avant
d'avoir établi la communication qui, datant do
1851, n'a plus été interrompue. Mêmes échecs
quand on songea k réunir l'Europe et l'Amérique.
En 180fi, cette prodigieuse opération fut enfin
menée à bien ; aujourd'hui plusieurs câbles relient
les deux continents, et il n'est plus maintenant de
distance transocéanienne qui ne semble possible ii
franchir. [Eugène MuUer.]
Voici quelques renseignements statistiques sur
le développement actuel de la télégraphie élec
trique dans les divers pays du globe :
Belgique i .S37
Grande-Brel agne 1 ,
Allemagne i.
Luxembourg i.
Pavs-Bas 1.
France ).
Turquie l
Dan
Italie
Autriche-Honj;!-
Bulsaric.
Es|)afcne.
Seibie...
NorvèL-e .
Algéri,;..
Elats-Uni!
Guatémali
Russie...
Indes ang
Costa Kic:
Tunis
Egypte...
Japon . . . .
Mexique.
Australie.
Orange.
Canada...
Brésil....
Yen*^zuéla.
Paraguay.
Dépêches télégraphiques par cent habitants:
Australie 153
Suisse 93
Grande-Bretagne 67
Pays-Bas 67
Belgique 59
Danemark 48
France 3'}
Norvège 37
Allemagne 37
Canada 31
Luxembourg 29
Autriche-Hongrie 22
Italie..
Suède.
Grèce.
Turquii
19
16
Portugal 15
République Arj;entiiic 12
Algérie ut Tunisie 12
Espagne 12
Serbie 10
Uruguay 9
Perse 3
Russie 8
Chili 7
Indes néeilanda
TEMPÉRAMENT. — Hygiène, I. — 11^ est im-
poriant de ne pas confondre la constitution avec
le tempi-rament. Ce sont deux facteurs importants
de l'organisation individuelle, qui s'empruntent
certains caractères sans cesser d'être bien dis-
tincts.
On entend par constitution l'ensemble des cir-
constances et le mode de fonctionnement des or-
ganes qui déterminent l'énergie des forces physi-
ques ; tandis que le tempérament affecte plus
spécialement les forces vitales. De plus, la cons-
titution est fondée sur des caractères antérieurs à,
ceux qui déterminent et modifient le tempéra-
ment.
On juge et l'on classe simplement la constitu-
tion d'après le résultat général au point de vue
de la force ou de la faiblesse. Souvent il existe
un accord remarquable entre la constitution et le
tempérament. Ainsi, chez beaucoup de personnes
sanguines, les formes sont développées, les orga-
nes robustes, les muscles éner-gi(iues.^ Mais ce
n'est pas toujours le cas, et alors l'iiygiène inter-
vient très utilement pour rétablir l'harmonie ou
pour pallier par le tempérament les désavantages
de la constitution.
L'hygiène intervient d'ailleurs très utilement
pour modifier, sinon la constitution dans son en-
semble, du moins colle de certains organes. Ainsi
la gymnastique des poumons suffit pour faire dis-
paraître une faiblesse constitutionnelle de ces or-
ganes.
M. Littrô définit le tempérament : « le résultat
général, pour l'organisme, de la prédominance d'ac-
tion d'un organe ou d'un systè:iie. » Il ne faut pas
séparer du tempérament i'idiosyncrnsie, c'est-i-
dire la disposition spéciale pour chaque individu
à être impressionné par les agents extérieurs.
Les divisions adoptées pour les tempéraments
sont évidemment arbitraires, car la nature diffé-
rencie les êtres par une série de nuances insensi-
bles. Aussi ne faut-il pas attacher une trop grande
importance au nombre de tempéraments adopté
pour la facilité des oxpliculions.
TEMPÉRAMENT
— 2140 —
TEMPERAMENT
Les physiologistes et les hygiénistes prennent
pour terme de comparaison un tempérament
idéal, ou plutôt une constitution si bien équilibrée
qu'elle ne permet pas de distinguer un tempéra-
ment spécial. Chez l'homme répondant à ce type
aucun organe ou système d'organes ne prédomine.
Le mécanisme animal est réglé et équilibré de
telle forte qu'aucune partie n'appelle spécialement
l'attention ; la santé parfaite résulte de cet état.
On admet quatre tempéraments types : le san-
guin, le nerveux, le bilieux, le b/niphatique. Les
autres n'en sont que desi dérivés.
Tempérament snnyuin. — Les individus doués
de ce tempérament offrent une physionomie ani-
mée, un regard vif, des mouvements ngiles, un
pouls rapide mais régulier. Les fonctions digesti-
ves sont faciles ; la transpiration abondante rend
l'urine un peu rare. La poitrine est très dévelop-
pée, convexe à la partie antérieure, tandis que
l'abdomen est court et effacé. Au moral les gens
sanguins sont généralement francs, courageux ;
ils jouissent d'une bonne mémoire, d'une riche
imagination, et se montrent enclins aux plaisirs.
Chez eux la quantité de sang est considérable, le
coeur et les gros vaisseaux présentent un volume
et une force en rapport avec l'énergie de la cir-
culation. L'excitation nerveuse agit rapidement
sur la circulation, qui varie au gré des impressions
reçues.
Ce tempérament sanguin est peut-être le plus
compatible avec la perfection de la beauté et de
la santé. L'hygiène des lymphatiques consistera
naturellement à acquérir autant que possible les
qualités de ce tempérament, par l'augmentation
des globules sanguins, l'exercice, etc. ; tandis
que les personnes chez qui le tempérament san-
guin arrive aux limites de la pléthore obtiendront
une modification avantageuse en se soumettant
aux conditions qui produisent ou entretiennent le
tempérament lymphatique : vie sédentaire, ali-
mentation végétale, boissons aqueuses abondan-
tes, vie régulière et calme.
Les personnes sanguines qui ne se prémunis-
sent pas par l'hygiène contre la pléthore qui les
menace au moindre écart, s'exposent aux conges-
tions et à l'apoplexie. Dans l'état normal, le sang
contient 0,V11 de globules; ce chiffre peut s'éle-
ver sans danger jusqu'à 0,13.ï : au-delà commence
la pléthore. Dans l'anémie il peut tomber par-
fois à 0,OSO. Chez les individus sanguins, les
maladies prennent la forme franclienient aiguë
tendant à la guérison spontanée, et la convales-
cence dure peu.
Tempérnmeiit nerveux. — Voici ce qui distin-
gue d'ordinaire les personnes douées de ce tem-
pérament : taille un peu élevée, corps maigre,
teint peu coloré, souvent blafard ou jaunâtre, peau
sèche qui communique à la main une chaleur
acre et mordicante ; mouvements brusques,
physionomie expressive et mobile, sensations
vives mais fugaces, sommeil léger et agité. L'ap-
pétit est médiocre, la digestion lente, les goûts,
en fait d'aliments, varient d'une façon capricieuse.
Le faible développement des muscles rend les
gens nerveux incapables d'un effort prolongé. Chez
eux il y a désaccord constant entre l'excitabilité
qui pousse au mouvement et la contractilité mus-
culaire qui exige des fibres robustes. Les habitu-
des sédentaires, le travail intellectuel, lexcitation
des sens, augmentent d'ailleurs ce contraste. Il y
a souvent une constipation opiniâtre accompagnée
de flatuosités.
C'est parmi les sujets nerveux que l'on rencon-
tre d'ordinaire l'esprit le plus vif, les conceptions
les plus élevées; mais aussi leurs pensées et leurs
productions offrent trop souvent un caractère
emporté, saccadé, incompatible avec l'exercice
continu du raisonnement scientifique. Ils s'émeu-
vent et se passionnent aisément. Leur sensibilité
exagérée devient une source d'ébranlements conti-
nuels sous l'impression du plaisir ou de la peine.
Il en résulte fréquemment des désordres intellec-
tuels et moraux, auxquels se joignent des mala-
dies dites nerveuses, aussi complexes dans leur
nature «leurs manifestations que difficiles à gué-
rir après leur complet développement. Mais, par
contre, les sujetsnerveux jouissent d'une résistance
organique remarquable dans les épidémies, les
fatigues, les épreuves qui s'adressent à l'homme
physique et moral.
Pour prévenir les maux trop nombreux aux-
quels prédispose le tempérament nerveux, l'hy-
giène prescritdes aliments reconstituants mais peu
excitants; le régime lacté; l'usage très modéré
du vin, l'abstention des boissons alcooliques ou
excitantes comme le thé, le café; le sommeil pro-
longé, l'exercice régulier, les travaux manuels.
L'hygiène morale a le plus souvent une part pré-
pondérante dans cette médecine préventive. Il faut
soustraire l'esprit et les sens aux excitations de
toute sorte, par des occupations bien réglées, des
lectures sérieuses, des distractions exemptes de
danger. Notons que pour les jeunes filles les tra-
vaux à l'aiguille ne constituent pas une occupa-
tion favorable, parce qu'ils laissent le champ libre
à l'imagination.
Tempérament bilieux. — Les personnes douées
de ce tempérament ont la peau sèche, foncée, les
cheveux crépus, bruns ou noirs. Les muscles sont
peu développés, mais robustes. L'appétit est vif,
la digestion facile et rapide, mais une prédisposi-
tion à la constipation nécessite un régime spé-
cial. Les sécrétions sont ordinairement acres et
l'haleine partici|ie de ce défaut.
Ce tempérament, qui se développe à partir de la
puberté, est plus commun chez l'homme que chez
la femme. Il prédispose aux travaux de longue
haleine, aux grandes entreprises. Chez les sujets
bilieux, l'imagination vive est accompagnée d'une
volonté ferme et d'une forte intelligence. Ce tem-
pérament serait des plus enviables, s'il n'était
exposé à subir des modifications fâcheuses par
suite des circonstances où se trouvent entraînés
ceux qui le possèdent. L'exagération du tempéra-
ment bilieux produit en effet le tempérament cofe-
rique. qui semble résulter d'une vive sensibilité
unie à une grande énergie, tandis que le tempé-
rament h;istérique proviendrait d'une sensibilité
égale accompagnée de faiblesse. Chez les coléri-
ques, les passions sont fortes, tenaces, souvent
terribles.
Quelquefois le tempérament bilieux devient
atrabilaire, ce qui entraîne d'ordinaire une dé-
pravation morale d'où résultent des excès et des
crimes. Les hommes de ce tempérament font
d'ordinaire plus de mal que de bien. Ils sont am-
bitieux, égoïstes, et sacrifient tout à leurs passions.
César avait raison de dire en parlant de ses fu-
turs assassins : " Je ne crains rien des hommes
à embonpoint et à belle chevelure ; je redoute
bien plus ces hommes au teint jaunâtre et à la
face maigre. » C'est parmi les atrabilaires que se
recrutent le plus grand nombre de scélérats. _
Ces considérations montrent que les tempéra-
ments bilieux exigent, de bonne heure, des pré-
cautions spéciales, une éducation et une hygiène
appropriée. Au lieu d'encourager, comme on le
fait trop souvent, les prédispositions hasardeuses
de ce tempérament, il faudrait que l'éducation
eût pour but constant de modérer l'impétuosité
des aspirations, la fougue des passions naissantes.
Pour cela, un régime hygiénique modérateur est
indispensable.
Tempérament lymphatique. — Il est caractérisé
par des chairs molles, des tissus làclies infiltrés
de graisse, des gangUons très développés, un sang
I
TEMPERAMENT
— ai/il —
TEMPERATUUE
peu riche en (Ibriiio et en globules, difficilement
organisalilc et très apte à produire des infiltra-
tions. L'organisme semble élaborer moins facile-
ment le sang que les liquides blancs : mucus,
sérum, lymplie, etc. C'est le tempérament ordi-
naire de l'enfance et du sexe féminin, surtout
dans les villes. 11 est toujours accompagné d'un
peu d'anémie et prédispose à la diminution mala-
dive du nombre des globules de sang.
Les lymphatiques offrent une taille trop élevée
ou trop petite, peu d'harmonie dans les formes,
des os volumineux, des extrémités très dévelop-
pées, une peau lisse, mince, incolore, sillonnée
de veines dilatées, des cheveux rouges, blonds ou
châtain clair, qui tombent de bonne heure ; des
lèvres, des paupières pâles, des dents mauvaises
ou bleuâtres. Tous ces signes indiquent une in-
fériorité de l'individu ou de la race.
Les sujets doués de ce tempérament sont parti-
culièrement sujets aux maladies chroniques.
Même lorsque leur santé parait normale, on peut
les considérer comme des malades au profit des-
quels doit s'exercer la médecine préventive. Les
résultats que l'on obtient chez eux sont d'ailleurs
des plus remarquables. Leur nature se plie aisé-
ment aux modifications qui sont du domaine de
l'hygiène.
Les lymphatiques doivent écarter, autant que
possible, de leur régime alimentaire le laitage,
les farineux, les mucilagineux. Ils ont besoin
d'une nourriture très réparatrice et stimulante :
pain de blé dur, viande, épices et liqueurs fer-
mentées. 11 leur faut une occupation active de
l'esprit et du corps qui tienne tontes les puissances
en éveil, le grand air, la lumière du soleil. Ainsi
l'on combattra la prédisposition aux scrofules et
à la fiolysarcie ou obésité. Contre celle-ci l'hy-
giène est toute puissante, à part quelques cas
chez lesquels l'accumulation de la graisse est
aussi inexplicable qu'elle semble irrémédiable.
Pour faire disparaître cette infirmité, source
d'afl'aiblissement, d'apatliie physique et morale, et
cause de plusieurs maladies incurables, il sufHt
de se soumettre à un régime alimentaire très
strict et à un entraînement régulier. Le régime
consiste à réduire au minimum les aliments gras,
féculents et sucrés, ainsi que les boissons, et
surtout les alcooliques. L'entraînement comprend
la réduction des heures de sommeil, l'exercice
régulier, les travaux manuels qui mt-ttent en jeu
tous les muscles, les frictions et le massage. Ces
moyens combinés suffisent pour réduire sans au-
cun danger le poids des sujets d'environ 500 gram-
mes par semaine.
Les grandes divisions établies par les médecins
et les hygiénistes pour classer les tempéraments
sont certainement utiles. Mais le mélange conti-
nuel des races, les variations introduites dans
l'espèce humaine par la vie civilisée, les mala-
dies, etc., produisent nécessairement une fusion
des tempéraments; de sorte qu'en étudiant un
individu, dans les villes surtout, on trouve rare-
ment chez lui les caractères d'un type bien tran-
ché. En réalité, on rencontre le plus souvent,
chez l'homme civilisé, des tempéraments mixtes,
ce qui complique leur étude et l'application des
règles hygiéniques. Nous savons en outre (|ue
l'individualité médicale ou idiosyncrasie vient en-
core, pour chacun, ajouter de nouvelles dif-
ficultés.
Quelques auteurs ont voulu augmenter le nom-
bre des grandes divisions généralement adoptées.
Ainsi Ion a proposé de former un type spécial du
tempérament miltincnliqiie, qui semble résulter
d'une combinaison des types bilieux et nerveux.
On pourrait toutefois le considérer comme une
sorte de disposition maladive, ordinairement héré-
diiaire. Les sujets chez lesquels on lo trouve bien
développé sont de haute taille, avec les muscles
grêles mais bien dessinés; la démarche est lente;
la peau lisse ; la physionomie triste et inquiète ne
manque pas d'énergie passagère ; le regard est
timide ou fixe. Ces malades souHrent d'une sensi-
bilité exagérée qui les rend rêveurs, taciturnes,
méfiants. Leurs afl'ections et leurs antipathies se
développent vivement, mais restent concentrées.
Cependant une extrême mobilité d'impression en
fait souvent changer l'objet. Les mélancoliques
sont alternativement les pins heureux et les plus
malheureux des hommes : ils voient tout en rose
ou tout en noir. Ce tempérament est cplui d'un
grand nombre de savants, de poètes et d'artistes.
Souvent il se reflète dans leurs œuvres, mais il
arrive fréquemment qu'elles offrent un type tout
opposé. 11 conduit à 1 liypocondrie, i la lypémanie
et au suicide.
Le mélancolique doit mener une vie active, au
grand air, s'entourer de compagnons aimables,
éviter la solitude, les lectures romanesques, et
chercher dans la vie de famille les joies et les
devoirs qui seront son salut.
Même dans les cas les moins favorables, l'hy-
giène peut beaucoup pour modifier les constitu-
tions et les tempéraments. 11 est peu d'individus
qu'elle no puisse amener à un état do santé com-
patible avec une vie longue et heureuse. Chacun
apporte en naissant une constitution et un tem-
pérament héréditaires, mais il appartient ,\ l'hy-
giène de les transformer en une constitution, en
un tempérament acquis. Elle travaille ainsi effica-
cement à l'amélinration des individus et au per-
fectionnement de l'espèce. [D' Saffray.j
TEiMi'ÉRATUltE. — Météorologie, 1-lV, et
XIV-XIX. — La température d'un corps est expri-
mée par le degré de chaleur ou de froid auquel
ce corps est parvenu ; elle est mesurée par le
thermomètre.
Température <le Pair. — La température de l'air
est difficile à évaluer d'une manière précise à
cause de la faiblH densité des gaz et de la facilité
avec laquelle ils se laissent Iraverser par des
rayons de chaleur de toute origine. Un même
thermomètre placé à l'air libre marquera des de-
grés très différents suivant qu'il recevra directe-
ment les rayons solaires ou qu'il en sera abrité
par un écran même étroit. La température propre
de l'air est cependant à pou près exactement la
même dans les deux cas; mais les rayons solaires
qui traversent l'air presque sans l'échautler, sur-
tout dans un trajet aussi court, sont au contraire
arrêtés par le thermomètre qu'ils échauffent. Le
même effet est produit sur un objet quelconque
et sur notre corps en particulier. Un effet analo-
gue, bien que moins marqué, se produit encore
à l'ombre même, quand on y est exposé aux rayons
qui émanent des divers objets terrestres directe-
ment éclairés par le soleil.
Pour soustraire un thermomètre à ces rayons,
il faut d'une part l'écarter des objets fortement
éclairés, ou ayant une température notablement
différente de celle de l'air qu'on veut évaluer; il
faut de plus augmenter, artificiellement au be-
soin, la vitesse de l'air qui entoure le thermomè-
tre. C'est ce dernier but que Arago se proposait
d'atteindre en prescrivant de tourner son thermo-
mètre en fronde, et c'est ce que font avec soin
parmi les météorologistes modernes ceux qui se
préoccupent exclusivement de la température
propre de l'air.
Cette dernière donnée offre un réel intérêt au
point de vue de la météorologie pure ; au point de
vue de la météorologie appliquée elle en offre un
moins grand, parce que l'homme, les animaux et
les plaiites sont impressionnés par l'air avec toutes
les radiations qui le traversent et non par la seule
température propre de ce gaz.
TEMPÉRATURE — 2142 — TEMPÉRATURE
La température de l'air est chose extrêmement
variable d'un point à l'autre au même moment, ou
d'un moment à l'autre en un môme point. Les
objets qui recouvrent la terre ont des degrés de
chaleur inégaux suivant leur nature ou leur si-
tuation à l'ombre ou au soleil ; et l'air qui a passé
à leur surface pariicipe plus ou moins de leur
échauffement. Il ne faut pas trop s'attacher à ces
influences tout accidenielles et locales, sauf dans
les cas où elles peuvent être dommageables. Il
importe au contraire de suivre les variations géné-
rales de la température de l'air en un même point,
parce qu'elles sont par leur succession un des clé-
ments caractéristiques des divers climats, qu'elles
règlent la marche de nos récoltes et qu'elles in-
fluent sur notre bien être et notre santé.
L'homme, par son incessante production de cha-
leur interne , peut résister aux plus grands froids.
Ces froids mêmes, quand ils ne dépassent pas cer-
taines limites d'intensité ou de durée, sont un
des stimulants les plus utiles de son aciivité. Chez
les plantes, cette production de chaleur vitale,
sans être absolument nulle, est sans iiiflueiice
appréciable sur leur température, qui suit de près
celle du thermomètre semblablement placé. Quand
ce thermomètre descend au-dessous d'un certain
degré, variable avec la plante, la végétation est
suspendue ou définitivement arrôiée.
L'homme, par sa transpiration interne ou ex-
terne, peut adoucir l'influence dune température
extérieure trop élevée ; mais ses ressources sont
plus bornées contre la chaleur que contre le froid,
et la température de ses organes ne peut guère
s'élever au-dessus de + lu degrés, de même qu'elle
ne peut guère descendre au-dessous de — ■14 de-
gros sans danger pour sa vie. L'activité vitale d'une
plante augmente en proportioii de sa température;
il existe cependant pour chacune d'elles un degré
de chaleur au delà de laquelle la végétation surex-
citée ne tarde pas à périr. Ces deux limites ex-
trêmes de la végétation, ainsi que la température
intermédiaire la plus favorable à son développe-
ment, sont également utiles à connaître.
Vdi-iatioif, diurnes de la température. — La
température de l'air change avec les heures du
jour; pendant les temps clairs, elle passe par un
minimum un peu avant le lever du soleil ; elle
passe par un maximum après midi, de midi à
3 heures suivant les saisons. L'intervalle thermo-
métrique qui sépare ces extrêmes est très faible
dans les pays brumeux du Nord, surtout dans la
saison froide; il monte progressivement dans la
saison chaude, et à mesure que l'on pénètre vers
le midi dans les régions où le ciel est le plus
pur. Sous l'anneau de nuages équatorial, il faiblit
de nouveau : le minimum s'élève et le maximum
s'abaisse. L'ascension sur de hautes montagnes
produit l'effet d'une épuration du ciel, et l'on a vu
dans les Alpes des faucheurs faucher le matin de
l'herbe couverte de gelée blanche et continuer
leur travail dans le jour sous une chaleur de
30 degrés. Le rayonnement nocturne peut pro-
duire de la glace en été sur les plateaux élevés de
l'Inde où la chaleur est difficile à supporter pen-
dant le jour. On ne sera donc pas surpris si on
trouve dans les fossés de Cherbourg des plantes
sauvages qui ne se rencontrent pas en liberté
dans les environs de Montpellier. Ici elles sont
tuées par les gelées de l'hiver et du printemps
sous un ciel clair ; là au contraire les gelées sont
faibles, parce que le ciel d'hiver y est générale-
ment couvert ou brumeux.
Variations annuelles de la température. —
Elles sont généralement très faibles dans les ré-
gions équatoiiales où la variation diurne est le
plus fortement accentuée. Dans ces régions les
saisons ne se partagent pas en froide et chaude,
mais plutôt en sèche et pluvieuse. A mesure
qu'on remonte vers les pôles, les saisons ther-
mométriques se difforenrient de plus en plus,
moins encore par la diminution d'intensité des
chaleurs que par la brièveté de leur durée, par l'al-
longement de l'hiver et par l'aggravation des froids
de cette saison. A Moscou la chaleur de l'été
monte en moyenne au mémo degré qu'à Paris;
mais le froid en hiver y descend à 12 ou 15 de-
grés |ilus bas. Rien ne supplée à la longueur
des nuits dans les hautes latitudes, si ce n'est
la mer dans les régions où affluent les courants
chauds de l'Océan. L'Irlande, l'Ecosse, les Hébri-
des, les Slietland, les fàroer, jouissent d'un climat
relativement tempéré en hiver, comme les îles
de la Manche. New-York, bien que placé près
de la mer, a un été très chaud et un hiver plus
rude que Paris, parce que son atmosphère n'est
pas réchauffée en hiver, rafraîchie en été, par
les grands courants marins.
Températures inoyennes. — La température
moyenne d'un jour devrait être la moyenne des
températures de chacune des vingt-quatre heures
qui composent ce jour.Elle serait encore plus exac-
tement donnée par la courbe thermométrique
tracée par un bon enregistreur automatique. Le
plus souvent on se contente de la moyenne de
trois ou quatre observations faites à des heures
choisies, telles que 6 heures du matin et du
soir, midi et minuit. Pendant une longue suite
d'années on s'est contenté à l'Observatoire de
Paris de prendre la moyenne des minimum et
maximum thermométriques de chaque jour. Ces
dernières moyennes sont assez loin d'être in-
dividuellement exactes ; mais les écarts se com-
pensent assez bien dans un mois pour ne plus
laisser qu'une erreur en plus de deux ou trois
dixièmes de degré. Pour se rattacher à UJie série
d'observations déjà très longue, l'Observatoire de
Montsouris continue à suivre cet usagedans les
applications qu'il fait de la météorologie à l'agri-
culture et à l'hygiène.
Des températures moyennes de chaque jour on
peut aisément déduire les températures moyen-
nes d'un mots, d'une saison, d'une atinée.
Isothermes. — On connaît assez bien la tempé-
rature moyenne annuelle d'un grand nombre de
points de la surface du globe. De Humboldt a ins-
crit sur une carte des deux hémisphères la tem-
pérature moyejine annuelle de chaque lieu, puis
il a joint par une même ligne tous les points
ayant même température moyenne. Les lignes
aiiisi construites, avec un degré d'approximation
que l'avenir permettra d'élever de plus en plus,
se nomment isothermes, mot tiré de deux mots
grecs signifiant égale chaleur.
L'inspection de la carte des isothermes montre
que les questions de latitude n'interviennent pas
seules dans la répartition do la chaleur à la sur-
face du globe. La partie occidentale de l'Europe
est beaucoup mieux partagée sous ce rapport
que sa partie orientale, et la différence est d'au-
tant plus fortement accusée qu'on remonte plus
haut vers le pùle. Le môme effet se remarque
dans l'Amérique du Nord, dont les côtes occiden-
tales sont plus chaudes, surtout en hiver, que
les côtes orientales, à latitude égale.
En ce qui concerne l'Europe en particulier, l'i-
sotherme de 1U° traverse le sud de l'Irlande, passe
près de Londres, puis de là s'incline vers le midi
en traversant la Belgique, la Bavière, l'Autriche
et le nord de la mer Noire. Les isotliertnes de
5° et de 0° atteignent à des latitudes proportion-
nellement plus grandes encore sur les côtes occi-
dentales de l'Europe que dans l'iiitérieur du con-
tinent. Ce réchauffement de nos côtes est le
résultat exclusif des pranils courajits du Gulf-
streani qui y sont portés pir les vonts et remon-
teut en les suivant jUM^u'au delà du cap Nord.
TEMPÉRATURE
— 2143 —
TEMPÉRATURE
Diro Bculcmciil que l'Irlande et la Cnmoe
ont la mime température moyenne serait don-
ner une iiloo bien inexacte de leurs climats si
diflcrciits. Aussi, au lieu de s'en tenir aux tempé-
ratures moyennes annuelles, a-ton comparé deux
saisons opposées, l'Iiiver et l'été. On appelle iso-
c/ii"iràfs les courbes d'égale température moyenne
de l'hiver; on appelle courbes isolhères les cour-
bes d'égale température moyenne do l'été.
L'abaissement des isocliimènes vers le midi, à
mesure qu'elles pénètrent dans l'intérieur de
l'Europe, est extrêmement rapide, surtout vers les
côtes. C'est ainsi que l'isochimène de 0° passe
dans le sud do l'Islande, traverse très oblique-
ment le midi de la Suède, le Danemark, l'Alle-
magne et passe au-dessous de la Crimée; que
l'isocliimène de 5° traverse l'Irlande, le sud-ouest
de l'Angleterre, l'ouest de la France, le nord de
l'Italie, la Turquie et passe un peu dans le nord
de Constantinople. L'action réchau Tante du Gulf-
stream est donc ici très fortement accusée, sur-
tout pendant certains hivers tiodes en même
temps que pluvieux sous l'action des vents
marins.
Si nous passons à l'été, les courbes isothères
nous présentent un tout autre spectacle. L'iso-
Ihère + 10° longe l'isochimène 0° en dessous de
l'Islande. Dans ce pays, la différence des tempé-
ratures moyennes de l'été et de l'hiver est donc
de lO" seulement: c'est un climat marin. Mais en
arrivant sur la Norvège, ces deux lignes se sépa-
rent, et tandis que l'isochimène de 0" descend
brusquement vers le sud, l'isothère de 10° re-
monte vers le nord. Dans l'est de l'Europe elles
sont séparées par la presque totalité de la Russie.
A Tromsû, au nord de la Norvège, nous voyons se
couper les lignes isothère -I- 10° et isochimène
— i°. La dilTéronco entre l'été et l'hiver est déjà
de 15°. De l'ouest de la France au nord de la mer
Caspienne, l'isotlière -4-20° coupe successive-
ment les isochimènes h°, 0°, — 5°, — 10°, en sorte
qtie les différences entre les températures moyen-
nes de l'été et de l'hiver montent successivement
de 15° à 20°, à 25° et à 30°. La dissemblance des
climats est profonde.
Les plantes qui redoutent les gelées de l'hiver,
telles que le hguier, le grenadier, pourront se
maintenir en pleine terre sur les côtes occidenta-
les de l'Europe à des latitudes beaucoup plus hau-
tes que dans l'intérieur du continent. Mais il en
est qui, tout en craignant moins les gelées, veulent
de la chaleur et de la lumière pour mûrir; telles
sont la vigne, le mais. On les retrouve sur les
bords du Rhin, à une assez grande distance au
nord de la Loire, qui forme à peu près leur li-
mite septentrionale dans l'ouest de la France.
Ces cultures suivent donc les isothères sans se
préoccuper beaucoup des isochimènes. Cela se
comprend aisément pour le maïs, qui est une
plante annuelle que l'on sème après les gelées.
Mais si la vigne avant le réveil de ses bourgeons
peut impunément subir de grands froids, elle
devient très sensible à l.i gelée dès que ceux-ci
commencent à se gonfler, et la récolte qu'on en
tire devient très précaire près des limites que les
isothères assignent à sa culture.
Au reste, à. côté de la question de chaleur s'en
trouve une autre qui n'a, jusqu'ici, été l'objet
que do mesures trop peu nombreuses eu égard à
son degré d'importance : c'est la question d'éclai-
rement. La température arrivée à un certain degré
permet k la plante de parcourir les diverses
phases de sa végétation et elle règle la durée de
ces phases; mais par elle-même elle est impuis-
sante k nourrir la plante en lui permettant de
puiser dans le sol et dans l'air les matériaux de
ses produits et de se les assimiler. C'est la lu-
mière seule, ou les radiations directes ou diffu-
sées du soleil, qui accomplissent en elle cet of-
fice ; or on n'a jamais efflcacement songé à tracer
sur le sol les courbes d'égal éclairement comme
on y a tracé les courbes d'égale température. Un
des éléments essentiels des climats nous échap-
perait donc entièrement, si les lignes isothères, en
s'élevant vers le nord il mesure qu'on s'éloigne
des côtes ouest de l'Europe, ne nous faisaient entre-
voir que la pureté du ciel en été s'accroît en gé-
néral à. mesure qu'on pénètre plus avant dans les
terres. C'est Ik une indication générale que des
mesures directes rendraient plus précise et plus
utile. A mesure que l'on s'élève sur de hauts
plateaux, la température baisse, mais le degré
d'éclaireraent augmente ; la végétation change de
caractère ; les mêmes plantes se modifient de
manière k parcourir plus rapidement le cycle de
leur végétation ; leurs couleurs sont plus vives,
leur arôme plus pénétrant. En Norvège la culture
profitable du froment ne remonte pas très haut
vers le nord. Elle a déjà disparu depuis longtemps
d'une manière k peu près complète quand k Lyn-
den, sous le 70'^ parallèle, on rencontre une
sorte d'oasis abritée des vents marins par des
montagnes élevées, dans laquelle le ciel est gé-
néralement pur en été, et dans laquelle aussi on
fait encore de bonnes récoltes de blé. L\ le soleil
ne quitte guère l'horizon en été ; la terre est
dégelée, labourée, ensemencée vers le 15 juin et
k la fin d'août la céréale est coupée. Ces blés
sont riches en amidon, pauvres en gluten : c'est
le contraire des blés d'Afrique.
Variations de la température avec la hauteur.
— Dans tous les climats et dans tous les temps,
le degré de chaleur baisse plus ou moins rapide-
ment quand on monte plus haut au-dessus du ni-
veau de la mer. Si on s'élève verticalement dans
l'air, la diminution de température est générale-
ment de 1 degré par loO, 150 ou 200 mètres d'é-
lévation, suivant le degré d'humidité. Quand c'est
le sol lui-même qui monte, l'effet est semblable
en moyenne, mais des influences d'heure et d'o-
rientation donnent naissance k des variations lo-
cales très sensibles. En règle générale, le ciel est
plus pur sur les hauts plateaux que dans la plaine;
les différences entre les températures minima
de la nuit et maxima du jour y seront donc égale-
ment plus accentuées. Et comme c'est le sol sur-
tout qui se refroidit et s'échauffe directement
pour transmettre consécutivement sa variation de
température k l'air ambiant, des courants d'air
froid tendront à descendre la nuit des montagnes
et des courants d'air chaud tendront au contraire
à s'élever sur leurs flancs pendant le jour.
Nous remarquerons toutefois que l'air en mon-
tant se dilate par le seul effet de sa diminution
de pression. Quand un gaz se dilate sous l'action
de la chaleur, on peut faire de celle-ci deux parts,
l'une qui dilate le gaz sans changer sa tempéra-
ture, l'autre qui échauffe le gaz sans le dilater.
Quand la dilatation du gaz a lieu sans addition de
chaleur et par simple effet de la diminution de la
pression qu'il supporte, il faut encore k ce gaz sa
chaleur de dilatation; et si on ne la lui donne pas
du dehors, il la prend k lui-môme, sa température
baisse. Telle est en résumé la principale cause du
froid des hautes régions de l'air. L'air cliaud des
plaines peut y être porté par les vents, il y arrive
rafraîchi par le fait même de son ascension.
L'air froid des hautes régions peut être k son
tour abaissé vers la plaine ; il y revient réchauffé
par le fait même de sa descente et de la contrac-
tion qu'il subit pendant son abaissement. 11 peut
y revenir même beaucoup plus chaud qu'il n'en
était parti. Prenons par exemple un air porté à
20 degrés dans la plaine et chargé d'une assez
forte proportion do vapeur d'eau. Par l'influence
de cette vapeur dont la capacité calorifique est
TEMPERATURE
— 2144 —
TEMPERATURE
notablement plus grande que celle du gaz sec, son
refroidissemeut sera ralenti. Supposons que ce
refroidissement soit seulement de 1 degré par '20U
mètres d'élévation. A 2uiiU mètres de hauteur au-
dessus de son point de départ, sa températui'e se
serait abaissée de 20° à 10° s'il n'y avait pas de
condensatiou de vapeur. A 3000 mètres sa tem-
pérature serait de 5° dans la même liypotbèso.Dans
ces conditions, au retour, il se réchauffera do 1 de-
gré par 2U0 mètres de descente ; il reviendra dcmc
à son point de départ avec la température iniiiale
de 20 degrés. Mais pendant sa course ascendaiite
et par l'effet de l'abaissement do température qui
en est la conséquence, une partie de sa vapeur
aura pu se condenser eu nuages et en pluie.
Toute condensation de vapeur amène un dégage-
ment de chaleur latente qui sera mise à profil par
l'air, de telle sorte que, à partir du moment où la
condensation commence, l'air montant se refroidira
moins vite qu'il ne l'a fait jusqu'alors. Au lieu
d'arriver à 3000 mètres avec la température de 5",
il y parviendra avec une température moins basse,
de S" ou 10° par exemple. Rien d'ailleurs ne sera
changé au retour, si l'air garde toute sa va-
peur condensée. A la descente, cette vapeur con-
densée disparaîtra peu à peu en reprenant la cha-
leur qu'elle avait dégagée, le récliauffement de l'air
sera d'abord lent, puis il s'accélérera quand toute
trace de nuage aura disparu et, finalement, il re-
viendra à la plaine avec sa température première
de 20". 11 en sera autrement si le nuage se résout
en pluie. L'eau tombée est perdue pour l'air qui
n'en garde pas moins la clialeur supplémentaire
provenant de la condensation de la vapeur. Cette
chaleur ne sera plus restituée à la descente et,
de plus, l'air moins riclie en vapeur se réchauffera
plus vite en descendant qu'il ne se refroidissait à
la montée. Cet air reviendra donc à la plaine
plus sec et en même temps plus chaud qu'au dé-
part. Tel est le résultat que présente le fœhn des
Alpes. Un vent du sud ou sud-ouest tiède et hu-
mide gravit les flancs méridionaux des Alpes; il
dépose à leurs sommets des pluies ou des nei-
ges; et si le sol trop froid ne lui enlève pas trop
de chaleur par son contact, l'air descend les ver-
sants nord plus sec et plus chaud qu'i l'ascen-
sion. On dit que ce vent est une continuation du
sirocco d'Afrique. C'est un préjugé analogue à
celui de la lune rousse : l'effet est local et le dé-
sert d'Afrique n'y est pour rien.
A côié des influences d'altitude se placent les
influences de latitude ; celles des continents et
des mers.
En toute saison, la température baisse quand
on marche du midi vers le nord. En hiver la mer
est plus chaude que le continent; l'inverse a lieu
pendant les chaleurs de l'été. Les lieux antérieu-
rement traversés par le vent influent donc sur sa
température dans l'endroit où il souffle.
Tent/jeraturi; n'u sol. — La température de la
surface du sol est presque toujours en avance sur
celle do l'air : celle-ci se règle sur celle-là de
plus ou moins près. 11 ne faut pas oublier, toute-
fois, qu'en raison de son extrême mobilité et des
variations de densité résultant de sa température
et de son humidité, l'air échauffé ou refroidi en
un point est bientôt transporté en un autre point
dont les conditions sont dift'érentes. De là des
irrégularités locales apparentes qui masquent
souvent l'effet général sans l'altérer dans son en-
semble.
Sous l'action du rayonnement nocturne, les
objets terrestres, et suitout les feuilles ou brin-
dilles drs végétaux, peuvent descendre de plu-
sieurs degrés plus bas que la température de
l'air; aussi la gelée blanche peut-elle sévir sur ces
objets sans que le tliermomètre abrité descende
même à zéro degré. 11 convient donc de joindre au
thermomètre à minima de l'air un second ther-
momètre couché sur un sol gazonné, au niveau
du gazon, dans un lieu éloigné do tout obstacle
pouvant gêner son rayonnement nocturne.
Par contre, la température de la surface du
sol exposé au soleil peut s'élever, pendant le
jour, i un degré beaucoup plus haut que celle du
thermomètre abrité. C'est ainsi que le 15 juillet
1881, le thermomètre abrité marquant 3G°C au
maximum, le thermomètre couché sur le gazon
sans abri atteignait 50°ô. C'est une température
que beaucoup de plantes supportent difficile-
ment. Ajoutons qu'un aussi grand écart entre la
température de l'air et celle du sol gazonné ne
peut se produire que sous l'influence d'un calme
presque absolu de l'air ; il diminue sensiblement
sous l'action des moindres brises.
L'oscillation diurne de la température, exagé-
rée à la surface du sol par la pureté du ciel, s'af-
faiblit rapidement à mesure qu'on pénètre dans
sa profondeur. A un mètre elle devient déjà presque
nulle. A 2j ou 30 mètres l'oscillation annuelle est
elle-même presque insensible.
Les froids de l'hiver comme les chaleurs de
l'été se propagent très lentement au travers de la
couche arable. La gelée ne progresse guère dans
le sol avec une vitesse supérieure à 1 ou 2 centi-
mètres par jour moyen, et quand le sol est cou-
vert de neige la transmission du froid est encore
plus lente. L'obstacle est le même pour la cha-
leur solaire, surtout quand la neige d'une grande
blancheur réverbère les rayons du jour.
Température des végétaux. — A de très rares
exceptions près, aucun végétal ne dégage assez
de chaleur pour avoir une température indivi-
duelle. Celle qu'il possède à un moment donné
dépend de la température de l'air, du rayonne-
ment nocturne ou diurne, de l'afflux de la sève
prise au sol avec sa température, de l'activité de
la transpiration cutanée qui rejette dans l'atmo-
sphère sous forme de vapeur l'eau prise au sol
par les racines. Cette fonction de transpiration
des plantes n'a lieu que pendant le jour et sous l'in-
fluence des rayons lumineux ; mais son activité
change dans des proportions énormes suivant que
les racines plongent dans un sol sec ou humide
et qu'elles y puisent peu ou beaucoup d'eau.
Chaque kilog. d'eau transpirée absorbe la cha-
leur nécessaire pour élever de 1 degré environ
000 kilog. d'eau, et un champ cultivé bien arrosé
peut évaporer par jour jusqu'à làOUdO ou 200000
kiiog. d'eau, alors qu'il n'ira pas au dixième de ce
nombre s'il est sec, et surtout s'il est nu ou en
jachère. Aussi les pays irrigués ou arrosés par
les pluies sont-ils toujours plus frais que les
autres.
Influence de la température sur la végétation.
— La chaleur augmente l'activité de la végétation
jusqu'à Uiie certaine limite de température varia-
ble avec la plante et au delà de laquelle cette
plante périclite ou meurt. Au-dessous d'un cer-
tain degré do froid, variable également avec la
plante, celle-ci cesse de croître et d'assimiler. A
un degré plus bas encore la plante périt. On dit
alors qu'elle a gelé; mais il est un assez grand
nombre de végétaux qui meurent par insuffisance de
chaleur avant que leur température soit descendue
même à zéro degré. Pour les plantes comme
pour les animaux, la mort par le froid est donc
un fait d'ordre physiologique et non purement
physique.
Dans les conditions ordinaires de la vie des
plantes, la durée de leur végétation annuelle est
avant tout une question de te.npératuro, à moins
que l'eau ou la lumière no leur fasse défaut. Il
en est ainsi pour les plantes à fruit ou à graine
de nos cultures courantes et particulièrement
pour les céréales et la vigne. Ce qu'il faudrait
TEMPERATURE
— 2145
TEMPERATURE
■connaîtrfi pour Iiîs applications que l'on peut faire i surtout si ce froid relatif est un peu durable. Les
de cette loi f>;(5norale, c'est la toniporature môme épis des maîtresses tiges ayant avorté par vice
plante vivant en plein air et au soleil. Gé- de floraison, les liges secondaires qui fleurissent
néraicment on se borne en météorologie à l'ob-
servation des températures il l'oinbre ; les compa-
raisons sont donc seulement approximatives. Mais
■comme la température de l'air est la conséquence
de celles par lesquelles passent le sol et les végé-
taux qui le roc luvrent, on peut encore, faute de
mieux, la prendre, dans un examen d'ensemble,
pour mesure proportionnelle des au très. C'est ce que
plus tard et sont généralement étouffées par les
autres dans les blés bien garnis, peuvent, dans
une certaine mesure, suppléer aux premières ;
mais, dans ce cas, la floraison est longue, inégale,
et le produit resie maigre. La pluie, au contraire,
ne paraît exercer qu'une influence très douteuse
sur la floraison. La fécondation du grain s'opère
à buis clos ; elle est déji faite quand l'étamine,
nous faisons dans les deux exemples qui suivent, i ce qu'on nomme improprement la fleur, apparaît
Froment. — Le germe du grain de blé entre en • au debors.
mouvement, d'après M. de Gasparin, quand avec j La quatrième phase ou maturité du grain a lieu
l'humidité nécessaire il subit uno température | généralement quand la somme des températures
qui dépasse .S». 11 perce l'épiderme du grain quand i moyennes diurnes est de 815" depuis la floraison,
la somme des températures moyennes des jours ou de '2315° depuis lus semailles. Ce résultat ar-
écoulés depuis les semailles est voisine de 85°; sa j rive en moyenne à Paris 45 ou 46 jours après la
tigelle sort de terre peu de jours après. La durée j floraison. Les écarts peuvent s'élever i
<Je cette phase de germination peut varier, dans
nos pays, de 4 à 1 00 jours.
Le grain do blé sec résiste très bien à la gelée ;
le blé en herbe peut également supporter des
froids assez vifs; mais le germe naissant périt à
aine température peu inférieure b, zéro. Il en ré-
sulte que si des gelées un peu vives et prolongées
surviennent pondant la période de germination,
6 jours en moins ou en plus, suivant la tempéra-
ture.
En observant la marche des températures moyen-
nes diurnes, on peut donc presque jour par jour
calculer les progrès de la végétation du blé, con-
naître son degré de retard ou d'avance, et pré-
voir l'époque de la moisson, mais non la valeur
de la récolte. Si, en effet, la durée de la végéta-
les blés sortent clairs. C'est le cas ordinaire dans tion est surtout une question de chaleur, son pro-
nos pays quand la germination des blés d'automne duit est une question de lumière, parce ([ue la
s'attarde par l'efl'et des froids qui surviennent. ' lumière est l'agent de l'assimilation et de la
La sécheresse au contraire peut entraver la ger- ' production des matériaux dont se nourrit le, grain,
raination du grain sans nuire à son germe. j 11 est fort diflicile d'apprécier avec quelque exac-
Une seconde phase importante de la végétation titude le degré d'éclairement du ciel d'après l'esti-
du blé est celle que M. de Gasparin nomme mation de la masse de nuages qui le couvrent
(lécurtation et qu'il faitcoincider avec le tallagedu plus ou moins complètement. Il faut y employer
pied. La tige commence à peine à (aller que, si on un instrument particulier, qu'on nomme actino-
l'ouvre et qu'on la porte sous une bonne loupe, on J mètre. Celui dont on fait usage à Montsouris et
y voit déjii le rudiment de l'épi présentant sur ses dans divers observatoires d'Europe consiste en
bords des nodosités naissantes à chacune desquel- deux thermomètres il boule, renfermés chacun
les correspondra un épillet. Le nombre de ces dans un tube à boule de cristal, dans l'intérieur
nodosités se limite bientôt par le sommet du duquel on a fait le vide. Le réservoir de l'un des
cône : c'est la décurtation. Dès qu'elle s'est , thermomètres est noirci au noir de fumée, le ré-
produite, le nombre maximum d'épillets à l'épi se ' servoir de l'autre est nu et brillant. (Jes doux ins-
trouve limité. Le nombre des grains il l'épi peut I truments étant placés côte il côte il l'air libre dans
diminuer ultérieurement par l'avortement plus ' un lieu bien découvert, ils doivent marchin' exac-
ou moins complet des épillets ; le rendement ne i tement -d'accord pendant la nuit et dans l'obseu-
peut plus monter au delii d'un certain chiffre que ' rite, mais, dès que le jour apparaît et tant qu'il
par les progros du tallage. ' dure, le thermomètre noirs'élève au-dessus du ther-
Le tallage et la décurtation se produisent lors- ' niomètre nu. L'écart peut monter en hiver ou en
que la somme des températures moyennes des ' été à 15, 16 ou 17". Cet écart est proportionnel au
jours écoulés est d'environ 555° depuis la germi- degré d'éclairement qu'on veut mesurer. Il change
nation ou de 640° depuis les semailles. Toutefois, ' touiofois avec l'instrument employé en raison de
dans cette somme, on ne doit pas compter les j différences de construction souvent peu appré-
jours dont la température moyenne est inférieure I ciables. La comparaison de chaque instrument
à 6°, d'après M. Hervé-Mangon. Dans les semis avec un actinomètre type permet de r.iitacher à.
d'automne des environs de Paris, la durée totale , la môme unité, InO, toutes les indications.
de ces deux phases peut, suivant li date des se- Les blés arrivés il maturité ont reçu chaque'
mis et les allures de l'hiver, varier de 05 il près année la même somme de chaleur, mais ils n'ont
de 200 jouis. Le tallage qui a lieu avant la fin des I pas reçu la même somme de lumière. La moyenne
grands froids do l'hiver laisse le blé exposé à des de 6 années, de 1814 à 1880, il Paris, donjie les
dangers. An moment du tallage, en effet, le blé j résultats suivants:
craint la gelée qui peut tuer l'épi naissant malgré
ses enveloppes protectrices. La récolte en souf-
frira, bien que le mal puisse être en partie réparé
par les progrès du tallage.
La troisième phase de la végétation du blé, sa
floraison, a lieu par une température moyenne de
16°. Mais, ici encore, l'arrivée do cette phase est
bien moins déterminée par la température ac-
tuelle que par l'accumulation des températures
antérieures. La floraison survient en général dans
les environs de Paris quand la somme des tem-
pératures moyennes des jours écoulés est de 860°
depuis le tallage ou de 1500» depuis les semailles,
en négligeant les jours dont la température
moyenne est inférieure il 6°. Aune température
moyenne de l:i" la floraison peut encore être
bonne; au-dessous elle est très compromise,
2' Partie.
les dcgi
jusqa
ar.tinométnques depuis la germination
30» Jour après la floraison.
Semis du I" octobre 4980"
— 15 — SI70
_ 1" novembre 5491
— 13 — 5043
Le semis le moins bien partagé est celui du
1°' octobre; celui du 15 octobre l'est davantage;
mais les plus favorisés par la lumière sont ceux
de novembre. Ce sont les meilleurs pour Paris
quand l'hiver n'est pas trop hâtif. La nature du
sol peut obliger ii choisir une date qui no soit
pas la meilleure pour la lumière, comme la diver-
sité des climats peut changer des rapports du ta-
bleau précédent.
Si pour chaque année nous prenons la moyenne
135
TEMPERATURE — 2146 —
TEMPERATURE
des divers semis, nous arrivons aux résultats sui-
vants :
Sommes des degre's actinométriques moyens.
Année.
1" intcrv.
2» interv.
3" intery.
Tolal
)874
1444
3002
U78
5924
1875
1425
2766
1247
5438
1876
1Û80
3093
1502
6675
1878
926
2222
1275
4423
1879
1360
2630
1283
6263
1880
1319
2735
1250
5304
Le premier intervalle va de la germination à la
décurtation : 1874, puis 1875, sont les années les
mieux partagées, 1876 et 1878 celles qui le sont
le moins bien.
Le second intervalle va de la décurtation à la
floraison. 18"(; prend la tête; mais 1874 la suit de
très près, et la différence 91° ne compense pas
l'excédent présenté par le premier intervalle de
1874 sur celui de 187G.
Le troisième intervalle comprend les 30 jours
qui ont suivi la floraison. Dans les derniers jours
de la maturation, les blés jaunes et presque secs
n'utilisent plus la lumière. 187G a encore l'avan-
tage sur 18i 1. Si on prend le total d'éclairement
des trois intervalles, on trouve que l'année
1874 se trouve au premier rang. C'est une grande
année pour les produits de la terre. Ensuite vient
l'année 1876, qui est en retard pour l'éclairement
du premier intervalle, mais qui rattrape une
partie de ce retard dans les intervalles deuxième
et troisième, plus importants que le premier.
1876 est également une année de grand rende-
ment en froment. L'année 1878 est la plus pauvre
en lumière ; 1879,puis I8S(>, se relèvent successive-
ment, et l'année 1881 présente une sonmie de lu-
mière supérieure même à 1874, du moins pour
Paris.
Afin de compléter ces renseignements, nous
donnons ci-dessous les rendements moyens de la
ferme de Bessay (Eure-et-Loir), exprimés en
liectolitres de blé à l'hectare :
Années.
1874
(875
1876
1877
1878
1379
La supériorité du rendement de 1876 sur celui
de 1874 tient, d'une part, à la supériorité de l'é-
clairement dans les deux intervalles '.> et 3 et,
d'autre part, à une plus grande somme de pluie
en 1876 qu'en 1874, ainsi que le montrent les
chifl'res suivants :
Eclairement
Rendement
à Paris.
à Bessay.
59Î4
28,5
;438
22
b675
30
»
27
4483
18,5
5263
12,8
Pluies moyennes par jour.
Innées. 1" phase. 2« phase. 3' phase. 4» phase.
1«74 1,19 0,75 0,78 1 T«
1*76 2,97 1,36 0,99 1.44
Les années pluvieuses sont de mauvaises années
en céréales, parce quelles manquent de lumière
et non parce qu'elles ont trop d'eau, sauf aux
époques des semailles et de la moisson. Dans les
temps ou les pays de sécheresse, l'eau donnée par
irrigation est une grande ressource et d'un grand
produit.
L'année 1877 a été placée dans des conditions
anormales par les fortes gelées de mars qui ont
saisi des blés à l'époque de la décurtation; ces ge-
lées pai uissent avoir été moins ressenties à Bessay
qu'i Palis, soit par elles-mêmes, soit en raison d
de la gêne qui en est résultée dans les semailles.
yiyne. — La végétation de la vigne est beaucoup
plus complexe que celle des céréales. Ici, le travail
s'arrête i la production du grain ; là il se partage-
entre le fruit et le bois, et la qualité du produit
s'améliorejusqu'auxdernii-rsjoursde la végétation.
La première phase, l'ouverture des bourgeons,
commence en mai quand la température moyenne
atteint 11° ou 12° d'une manière un peu durable.
Le fruit existe déjà en germe ; son abondance
dépend de l'état du bois à la fin de l'année précé-
dente ; il est alors très sensible à la gelée, qui
peut anéantir en une seule nuit les plus belles
espérances.
La seconde phase, la floraison, survient quand
la somme des températures moyennes des jours
écoulés depuis l'ouverture du bourgeon est d'en-
viron 465". L'intervalle varie de 25 à 32 jours en
temps normal. Lu floraison est encore bonne par
une température moyenne de 15° ou 1(1°. Au-des-
sous elle est compromise. La pluie ne paraît,
avoir qu'une influence très faible, et la coulure
nous semble due surtout à une chaleur et à un-
degré de lumière insuffisants.
La troisième phase, la maturité du raisin,,
aurait lieu quand la somme des températures^
moyennes diurnes s'élèverait à 1925° depuis la
floraison. Mais, d'après M. de Gasparin, le raisin
cesserait de mûrir quand la température moyenne
diurne descend au-dessous de 12°, 5. Cette limite a
été dépassée en 1877 et en 1879, qui ont donné de
mauvaises vendanges.
Le raisin avant sa maturité contient peu de
sucre et beaucoup d'acide. La combustion de
l'acide et la formation du sucre dépendent sur-
tout de l'éclairement des derniers jours sous l'in-
fluence d'une bonne chaleur. Dans nos pays tem-
pérés, c'est toujours une faute de ramasser les
rameaux autour de leurs tuteurs; on prive ainsi/
la vigne d'une partie notable de la lumière qui
servirait à préparer la bonne maturité du fruit
de l'année et celle du bois qui donnera la récolte
suivante.
Voici comme exemple l'éclairement total de la
végétation de la vigne, ainsi que la température
et l'éclairement moyens des vingt derniers jours,
comparés aux quantités du sucre et d'acide con-
tenus dans le moût:
jâciim
BMEKT
Températare
Années.
Tota'l.
Moyen
moyenne.
1873
5868-
30",2
16", 1
1S74
5887
57 ,6
16 ,0
18:5
.'728
40 ,6
17,4
1876
5427
27,7
16 .2
1877
5883
30 ,4
11 ,9
1878
5403
25,5
13 ,3
1879
5388
26,1
11 .5
18$«
5433
25,5
14 ,9
6,4
1877 et 1879 sont deux années de mauvais vin.
L'éclairement de 1877 est très bon et le sucre du
moût s'y élève à 186, mais la maturité a été incom-
plète par suite de la basse température moyenne
des vingt derniers jours. L'acidité s'y élève à 8,7.
L'année 1879 est encore plus mauvaise; l'éclaire-
ment y est très laible au total ; il est faible
dans les derniers jours et la température finale
est encore plus basse qu'en 1877. L'acidité du.
nioiit y est de !i,5. Le moût le moins chargé d'a-
cide est celui de 1875, année où l'éclairement
moyen et la température moyenne des vingt der-
niers jours sont le plus élevés.
L'année 18X0 a donné de bon vin, non pas que
les conditions météorologiques fussent très bon-
nes, mais la récolte était très faible généralement.
Le travail de la vigne a donc porté presque ex-
la date cfl'tclive des semailles. La récolte de 18711 clusivement sur le bois, qui s'est refait en très
a été très inégale à cause des pluies d'automne et | grande partie et nous a préparé pour 1881 une
TEMPÊTE
— 2147 —
récolte abondante dans les environs do Paris
Uiou des points de météorologie agricole encore
obscurs pour nous pourraient sans peine être
élucidés dans nos campagnes si, au lieu de se
contenter de dresser des tableaux d'observation
sans profit direct pour eux, les observateurs y
joignaient la comparaison des effets produits sur
nos récoltes. L'intérêt de leur travail en serait
singulièrement accru pour eux-mêmes sans nuire
en rien au travail d'ensemble toujours plus loin-
'^"'- . IMarié-Davv.l
TEMPETIî. - Météorologie, V-VI. - Perturba-
tion de latmosplière caraciorisée par des vents
plus ou moins violents, et presque toujours ac-
compagnée de pluies ou de neiges abondantes.
Quand elle a une faible intensité, on lui donne
le nom de bourrasque. Le ajclone de l'Atlantique
et les typhons des Indes sont au contraire remar-
quables par leur extrême violence. Toutes ces
tempêtes ou bourrasques ont un caractère com-
mun, qu elles tirent de la forme de la terre et de
sa rotation autour de son axe : l'air, à la surface
du sol, y est animé d'un mouvement de rotation
autour d un axe plus ou moins vertical, en même
temps qu'il converge et tend à s'élever vers le
centre de la rotation. Le sens do la rotation est
toujours le même dans l'hémisplière nord ; il est
inverse, contraire au mouvement des aiguilles
dune montre sur son cadran : il a lieu du nord
vers le sud en passant par l'ouest et du sud vers
le nord en passant par l'est. Dans l'hémisphère
sud, la rotation se fait toujours dans un sens con-
traire, le sens direct, celui des aiguilles d'une
montre sur son cadran : elle a lieu du sud vers le
nord par l'ouest et du nord vers le sud par l'est
bn chaque heu du globe nous ne voyons qu'une
partie très restreinte de la tempête générale qui
passe dans nos parages ; le vent qu'elle soulève
semble tourner dans une direction opposée au
sens indiqué de la rotation de l'ensemble : c'est
le résultat du mouvement de translation de l'ouest
vers lest dont les tempêtes sont généralement
animées à la surface de l'Europe.
Les cycloyus de l'Atlantique nord sont consti-
tues par une masse d'air considérable animée
d un mouvement de rotation rapide autour d'un
axe à peu près vertical. De là leur nom de cyclone
d un mot grec qui signifie cercle. Ce sont d'immen-
ses tourbillons de vent dont nos tnmibes sont un
spécimen de dimensions relativement très res-
treintes. Ils prennent naissance entre l'équateur
et le tropique nord, à une latitude sensiblement
égale à celle de la zone des calmes qui sépare les
alizés du sud et du nord, i l'époque où cette zone
tend à rétrograder vers le sud à la suite du
soleil.
Une fois formé, le cyclone remonte d'abord au
nord-ouest vers les Antilles, en longeant à dis-
tance les côtes de l'Amérique ; puis sa trajectoire
s inllechit comme celle du Gulf-siream pour re-
monter vers le nord-est, encore à distance des
Côtes de 1 Amérique du Nord dont il se détache
hnalement avant d'atteindre la laiitude de Terre-
Neuve ; il incline alors de plus en plus vers l'est
comme le Gulf-stream, et traverse l'Atlantique
pour sevir sur l'Europe qu'il parcourt dais la di-
rection générale de l'ouest à l'est. Pendant ce
long ti-ajet, le disque tournant prend de plus en
plus d extension et, quand il atteint l'Euronp son
rayon a do 700 à 1000 kilomètres. En même temps
énergie de sa rot.ition diminue peu à peu et nos
tempêtes d Europe les plus violentes ne peuvent
donner qu une pâle image des tempêtes cycloni-
ques des Antilles. Une partie de nos plus fortes
tempêtes d Europe ont ainsi une ori-ine tropi-
cale ; mais la plupart de nos penurbations atmo-
sphériques ont une origine moins lointaine
Les cyclones de l'océan Pacifique, qui naissent
TEMPÊTE
dans l'hémisphère austral et longent 6, distance
les côtes africaines, obéissent i des lois sembla-
bles ; le sens de leur rotation et de leur progres-
sion est seulement renversé. Les typhons des
Indes, qui sont également des cyclones, ont un
mode de progression moins bien défini en raison
de la configuration des côtes indiennes. Il en est
cependant qui naissent un peu plus dans l'est et
qui suivent le cours du Kuro-Siwo, analogue au
Gulf-stream, en longeant les côtes de la Chine
et du Ja[ion avant de se porter dans l'est vers les
côtes do l'Amérique du Nord.
Les tempêtes, ou les bourrasques moins inten-
ses, qui traversent fréquemment l'Europe ont des
origines très diverses. Un petit nombre des plus
violentes ne sont que la continuation des cyclo-
nes des Antilles ; d'autres semblent se former
dans les parages des Açores ; d autres nous vien-
nent de l'Amérique du Nord, dont elles ont tra-
versé plus ou moins complètement le territoire
de l'ouest à l'est ; d'autres encore semblent se
former dans le voisinage de Terre-Neuve, ou de
l'Islande. Un très petit nombre parait avoir une
origine plus rapprochée de nos côtes. Toutes se
propagent dans le sens général de l'ouest à l'est,
ce qui donne un intérêt particulier aux avis qui
nous sont transmis d'Amérique.
Leur mode de formation est mal connu et sans
doute variable de l'une à l'autre. Toute condensa-
tion de vapeur un peu étendue amène une con-
vergence de l'air pris au nord et au midi, à l'est
et à l'ouest du lieu de condensation. L'inégalité
de vitesse des divers parallèles du globe faisant
incliner vers l'est l'air venu du sud et vers l'ouest
l'air venu du nord, le mouvement tournant se
produit inévitablement. Ces condensations sont
fréquentes sur le bord septentrional du Gulf-
stream, dans, sa partie dirigée vers le Canada,
Terre-Neuve, le Groenland, l'Islande.
L'air du disque tournant d un cyclone ou d'une
bourrasque ne décrit pas un cercle exactement ;
sa vitesse est oblique au rayon et converge vers le
centre ; de plus, cet air monte progressivoment,
en sorte que la trajectoire de chaque molécule est
une sorte de spirale assez compliquée. L'appel
de l'air est dû au mouvement centrifuge qui naît
de toute rotation et qui, dans l'atmosphère, se
manifeste li oùla rotation est la plus libre et la plus
active. L'air en effet no peut s'éloigner de l'axe en un
point que s'il y alfiue en un autre. Le balancement
entre l'entrée et la sortie est réglé par les résis-
tances qui, au maximum à la surface du sol, s'af-
faiblissent à mesure qu'on atteint les régions
moyennes de l'air. Le baromètre, la pluie, et les
girouettes nous renseignent sur le sens du mouve-
ment en chaque point.
Le baromètre est le plus bas au centre du mou-
vement tournant. Cette diminution do pression de
l'air vers le centre est le résultat de la force cen-
trifuge née de la rotation ; elle produit l'ascension
de l'air autour de l'axe et l'appel de l'air de la cir-
conférence vers le centre il la surface du globe.
L'air, en montant, se refroidit graduellement par
le fait de sa dilatation par diminution de pres-
sion; quand il est un peu humide au début, il
atteint rapidement son point de rosée : en conti-
nuant .\ monter, il se débarrasse d'une partie de
sa vapeur, d'où les nuages et les pluies ou neiges.
(;es pluies sont abondantes autour de l'axe de ro-
tation, surtout du côté méridional et antérieur.
Si le mouvement de l'air tournant est centripète
en bas et ascendant vers le centre, il est centri-
fuge à une certaine hauteur et descendant sur le
pourtour. Ici, la composante verticale de la vitesse,
s'ajoutanl à l'accroissement de masse de l'air,
donne lieu au bourrelet do hautes pressions ba-
rométriques qui entoure la dépression centrale.
L'air qui se comprime par sa descente s'échauffe
TEMPÊTE
— 2148 —
TEMPETE
et se dessèche, en ce sens que son degré hygro-
métrique s'^ibaisse. Il fait cliaud et beau temps
surtout sur la partie antérieure et méridionale du
pourtour du disque tournant. La latitude à la-
quelle est pris l'air qui afflue en un point influe
d'ailleurs sur sa température en ce point, ainsi
que la consommation de chaleur du sol qui résulte
de l'évaporation de l'eau des phies.
On doit comprendre, i la suiie des considéra-
tions précédentes, la série des cfTets qui se suc-
cèdent lors du passage d'une bourrasque ou tem-
pête en un point de la France ou de l'Europe,
cette bourrasque progressant de l'ouest à l'est dans
son ensemble. Le baromètre monte, le ciel tend à
s'éclaircir avant qu'on soit entré dans le cercle
d'action de la bourrasque ; puis le baromètre com-
mence îi baisser, le ciel se nettoie complètement
et la chaleur monte : on entre dans le mouvement
et le vent souffle du sud ou sud-est. Bientôt, le ba-
romètre continuant à baisser, le ciel se couvre, le
vent incline au sud ou sud-ouest. La pluie sur-
vient, le thermomètre baisse, le vent incline au sud-
ouest ou à l'ouest. Le baromètre arrivant vers son
point le plus bas, le ciel s'éclaircit de nouveau;
le vent tombe souvent pendant que le baromètre
passe par son nninimum. Puis le baromètre re-
commence à remonter; le vent incline à l'ouest ou
au nord-ouest, en reprenant de l'intensité, et la pluie
reparaît. Le baromètre continuant à monter et le
vent à tourner vers le nord-ouest, la température
continue à descendre jusqu'à ce qu'on sorte du
cercle d'action de la tempête pour rentrer dans les
conditions normales ou entrer dans le cercle d'ac-
tion d'une seconde bourrasque.
Nous avons supposé dans ce qui précède que le
centre de la tempête a passé près de nous dans le
nord. A mesure qu'on s'éloigne de cette trajectoire
du côté du sud, la baisse barométrique est moins
rapide et profonde; les deux rencontres de la zone
circulaire des pluies se rapprochent; elles finis-
sent par se confondre ou même ne se traduisent
plus que par l'apparition des nuages et un chan-
gement appréciable de la température.
Si, au lieu d'être placé dans le sud de la trajec-
toire du centre du mouvement tournant, on est
dans le nord, les changements barométriques sont
les mêmes à l'intensité près; le sens de la rota-
tion du vent est renversé et se fait par le nord-
est au lieu d'avoir lieu par le sud-ouest; ces
vents d'est et nord- est sont d'ailleurs faibles,
parce que les vitesses de rotation et de translation
sont de sens contraire et se retranchent, tandis
qu'elles s'ajoutent pour les vents d'ouest. Nous
remarquerons toutefois que les bourrasques qui
ont traversé le nord dans le sens général de l'ouest
à l'est, peuvent revenir sur le midi dans le sens
général de l'est à l'ouest. Ce sont alors les vents
d'est et nord-est qui ont le maximum d'inten-
sité. Les conditions locales peuvent d'ailleurs mo-
difier sensiblement ces divers effets.
La direction d'où souffle le vent n'en indique
donc pas l'origine. Une tempête qui se propage
dans le courant équatorial du sud-ouest, peut y
soulever des vents de toute direction autour du
centre, et ces directions diverses, se combinant
avec la vitesse de translation, donnent pour nous
des vents qui ne font que rappeler la rotation
première, quand les deux vitesses de rotation et
de translation sont de même ordre, ainsi qu'il
arrive d'ordinaire en Europe.
Le sirocco d'Afrique est un vent du sud ou sud-
sud-ouest; généralement il progresse de l'ouest
à l'est. 11 appartient alors à un mouvement tour-
billonnant de l'air qui progresse lui-même sur le
nord de l'Afrique dans le sens de l'ouest à l'est.
Dans le midi de la France on attribue assez com-
munément à une extension du sirocco la chaleur
étouffante qui y accompagne les vents du sud.
Ce vent est chaud, et de plus il a pris sur la mer
une humidité qu'un semblable vent n'a pas en
Afrique. Un voni du sud qui régnerait sur l'Al-
géiie n'atteindrait pas la France, En traversant
la Méditerranée, il inclinerait do plus en plus
vers l'est et se porterait sur l'Italie. Quand le
vent du sud ou sud-ouest règne sur la Provence,
l'Afrique du nord est souverjt parcourue par des
vents du nord. Quant aux poussières que les
pluies déposent en divers points de la Sicilf, de
l'Italie, de la France môme, et qu'on croit venues
du grand désert, nous remarquerons d'abord
qu'elles n'apportent avec elles aucun certificat
d'origine, et qu'on en a vu tomber sur la Côte-
d'Or deux ou trois jours avant qu'elles arrivent
sur la Sicile. Toutes les tempêtes soulèvent des
poussières d'un sol desséché, et lés terres les
plus éloignées peuvent présenter le môme as-
pect et fournir les mêmes éléments sous le mi-
croscope.
Nous avons dit ailleurs un mot àafœhn des Alpes,
que l'on considère aussi, en raison de sa tempé-
rature élevée, comme un prolongement du si-
rocco d'Afrique (V. Température). Ce sont là
autant de préjugés. Même en dehors des dévia-
tions que leur impriment les inégalités du sol,
les vents ne se propagent pas en ligne droite, et
les plus violents d'entre eux ont une origine rela-
tivement pou lointaine.
La circulation générale de l'atmosphère peut
transporter vers les pôles de l'air échauffé dans les
régions équatoriales ou, réciproquement, rame-
ner vers réquateur l'air rafraîchi des régions
tempérées. Cette circulation à large envergure
(V. Courants aériens) est toujours lente et pai-
sible dans son ensemble. Elle don.ne leurs allures
à nos saisons, suivant que nous sommes acciden-
tellement placés dans le prolongement du cou-
rant équatorial qui nous vient de l'ouest par
l'Atlantique, ou bien que nous sommes dans le
courant de retour qui nous vient soit des hautes
régions de l'atmosphère, auquel cas le vent est
faible et de direction variable, l'air sec et chaud en
été, froid en hiver ; soit des hautes latitudes, auquel
cas le vent est plus fort, de direction plus accen-
tuée vers le nord-est, et reste généralement sec en
étant frais en été et très piquant en hiver. Mais
sur ce courant équatorial aux masses tranquilles
naissent et se propagent des mouvements tour-
nants, qui superposent leur circulation propre à
celle du courant au milieu duquel elles sont for-
mées, et donnent aux vents et à l'état du ciel les
incessantes variations qu'on remarque dans nos
régions tempérées.
A côté des influences générales que nous ve-
nons de résumer, se placent des influences tou-
tes locales, telles que celles qui donnent naissance
aux brises de terre ou de mer, de vallées ou de
montagnes ; telles encore que celles qui résul-
tent des saillies montagneuses du sol ou de l'o-
rientation de leurs pentes (V. Température, Cou-
rants aériens, Météoro(jnosie).
Les orages accompagnent, même en hiver, les
grandes tempêtes tournantes, surtout celles qui
entrent les premières dans une atmosphère calme
depuis quelques semaines. A mesure qu'on pé-
nètre plus avant dans la saison chaude, les mou-
vements tournants dans lesquels ils se produisent
deviennent de plus en plus faibles. Les orages
locaux nés sur place sont extrêmement rares, et
chaque canton les voit venir du canton qui le
précède dans l'ouest ou le sud-ouest. En réalité,
les zones traversées par l'orage ont quelquefois
plusieurs centaines de lieues de longueur sur une
largeur relativement faible. Ce n'est certainement
pas le même nuage orageu-x qui parcourt ces
longs espaces ; c'est le môme disque tournant
qui s'y propage avec sa zone semi-circulaire sur
TEMPS
2149 —
TEMPS
laquelle les nuages orageux se renouvellent sans
cesse. Cette zone, dans sa progression vers l'est,
est généralement coupée en deux de ses points
par un môme canton sur lequel sévissent alors
deux orages successifs appartenant au même
disque tournant. De l'un à l'autre orage, le vent
a tourné alors du sud-ouest vers le nord-ouest.
.Mais un do ces orages peut donner lieu à un
mouvement circulaire plus circonscrit qui voyage
avec le disque tournant sur lequel il s'est formé.
C'est une trombe dévastant le pays sur une
bande longue et étroite légèrement contournée
vers le nord.
Il ne faudrait pas conclure de ce qui précède
que le mouvement tournant de l'air soit la cause
indispensable des orages. Ceux-ci résultent du
mouvement ascensionnel de l'air et des nuages
qu'il produit. Le mouvement tournajit favorise
l'ascension de l'air; mais celle-ci peut avoir lieu
sans lui. Les orages sont incessants dans l'an-
neau de nuages de la zone équatoriale des
grands océans ; ils sont assez fréquents au sommet
des montagnes élevées formant un pic isolé dans
la plaine (V. Or^f/fs). [Marié-Davy.]
TEMl'S. — Grammaire, XII. — La durée se
divise naturellement, pour cbacun de nous, en
deux grandes périodes, que sépare cet Instant
dont Bolleau a si bien décrit la fuite rapide :
" Le moment 'Âi je pntle est déjà loin de moi. »
Tout le temps qui s'est écoulé avant ce moment
delà parole, se nomme le pa\sé ; tout le temps
qui doit le suivre, s'appelle le futur; et cet ins-
tant lui-môme, dont le déplacement accroît sans
cesse le domaine du passé en entamant l'avenir,
se nomme le présent.
Passe, présent, futtcr, voilà donc les grandes
divisions que l'on peut établir dans cette succes-
sio}i des phénomènes que l'on appelle le temps.
Dans le système des langues Indo-européennes,
et, par conséquent, dans la langue française, le
verbe a la propriété d'Indiquer, d'une manière
générale, à quelle époque de la durée s'est accom-
plie l'action qu'il exprime. Les formes de la con-
jugaison qui servent à l'expression de cette Idée,
constituent /es temps.
On comprendra très facilement le procédé à
l'aide duquel la notion du temps s'est Introduite
dans le vei-be, si l'on considère, par exemple, le
futur français i'aiinerai, ou le conditionnel, j'«(-
merais.
La première de ces formes, i'aimerai, se com-
pose de deux parties, dont l'une, l'infinitif aimer,
est dérivée de la forme latine correspondante
amare, tandis '|ue l'autre, ai, est empruntée au
présent de l'indicatif de l'auxiliaire avoir : de sorte
que le terme « j'aimerai ■> n'est à vrai dire que
la locution •■ j'ai à niiner « légèrement modifiée.
Il en est de môme de " j'aimerais, » qui n'est
que la combinaison de l'infinitif aimer avec l'im-
parfait de l'indicatif « j'avais n contracté : ce qui
explique d'ailleurs pourquoi le modo que nons
appelons conditionnel équivaut à l'imparfait du
futur dans une foule de phrases pareilles à celle-
ci; « Je tow^protnettaii que je viemliais », où le
prétendu coiidltlonncl n'est qu'un imparfait du
futur, comme le démontre le simple rapproche-
ment de la phrase suivante : « Je vous promets
que je viendiai. «
En grec et en latin, l'Indication du temps se
fait par un procédé absolument identique ; seu-
lement, l'auxiliaire s'intercale ordinairement, dans
ces langues, entre le radical verbal et les autres
suffixes qui constituent le radical temporel. Ainsi,
je délierai se dit, en grec, tysô, expression com-
posée dans laquelle l'analyse nous montre : I" le
radical verbal ly, qui exprime l'idée de délier ;
2° un»', emprunté au futur de l'auxiliaire qui si-
gnifie être en grec. Quant à Vu qui suit, c'est tout
simplement une lettre de liaison, qui s'est allon-
gée pour compenser la chute de la désinence
personnelle mi, correspondant à moi ou je, et
caractérisant la première personne du singulier.
C'est ainsi qu'en latin amnvi (j'ai aimé), par-
fait du verbe amo, est l'oriné du radical verbal
ariw, qui exprime l'idée d'aimer, et de fui, par-
fait de l'auxiliaire qui signifie être ; c'est oiicore
ainsi que le plusque-parfalt amnveram (j'avais
aimé) est formé du môme radical ama, et de
fui — eram, qui sont le parfait et l'Imparfait do
ce môme auxiliaire.
La synthèse est très étroite, on le voit, dans
les deux lansuos classiques. Cependant, le grec
et le latin ont, comme le français, des formes où
l'auxiliaire, au lieu d'être inséré dans le radical
temporel, est ju-rlaposé, et pincé après oa avant
le verbe suivant les exigences de l'euphonie. Telles
sont les formes amatus sitn, eu latin, pephiléuie-
nos ïi, en grec, où sim et ô sont des auxiliaires.
Ces formes analytiques ont servi de mod les aux
temps que nous formons en français à l'aide d'a-
voir ut d'être, isolés ou combinés, comme dans les
expressions « que nous soi/ous aimés, que nous
aijons été aimés. »
C'était trop peu cependant que de pouvoir ex-
primer, à l'aide des formes verbales, ces deux
grandes divisions du temps, le passé et le futur,
ainsi que le moment de la parole, qui les sépare.
Pour donner au langage plus de clarté et de pré-
cision, on ajouta, à ces trois temps principaux,
les temps second'itres, ainsi nommés parce qu'ils
ne sont qu'une subdivision des premiers.
Nous n'Insisterons pas sur la manière dont ils
furent formés ; on y inséra naturellement l'auxi-
liaire que renfermait le temps principal; mais,
pour mieux marquer l'idée de passé ou d'antério-
rité, on plaça, avant leur radical, un préfixe si-
gnifiant autrefois ou jadis. Ces éléments, soudés
en quelque sorte par la rapidité de la prononcia-
tion, constituèrent des tpmps absolument pareils
aux premiers. Tel est l'imparfait, temps secon-
daire du présent, et ainsi nommé parce que l'ac-
tion qu'il exprime s'accomplissait encore et, par
conséquent, était imparfaite quand une autre
s'est produite. Ex. : « i' écrivais quand vous êtes
entré. »
Ici, les deux actes sont simultanés, et l'impar-
fait se rattache naturellement au présent, puis-
que le fait qu'il exprime itail présent au moment
où l'autre fait s'est accompli.
Le passé, en grec, a trois formes : l'aoriste,
ou passé indéfini, le parfait, et le plus-que-
par fait. ,
Le latin n'a, pour exprimer le passe, que le
parfait et le plus-que-par fail.
La langue française, outre le passé défini, qui
correspond à l'aoriste des Grecs, et le passé indé-
fini, qui correspond au parfait, a encore le passé
antérieur et lo plus-que-parfait.
On pourra s'étonner que le temps qui s'appelle
indéfini en grec se nomme défini en français.
Pour se rendre compte de cette anomalie appa-
rente, il suffit do remarquer la différence du pomt
do vue où se sont placés les grammairiens qui ont
donne au même temps deux appellations con-
traires. Les grammairiens anciens, considérant
que ce temps est de sa nature indéfini, l'ont ap-
pelé aoriste, parce qu'ds l'envisageaient absolu-
ment, c'ist-à-dlre, sans aucun rapport avec les
mots qui le complètent. Les modernes, au con-
traire, remarquant que ce temps est toujours ac-
compagné d'un complémeiit circonstanciel qui le
détermine, l'ont appelé pour cette raison défini,
parce qu'il est en réalité défini dans la proposi-
tion, bien qu'il soit indéfini par lui-mônie.
Ex. : Je vins h Paris la semaine dernière.
Le passé indexai, comme le parfait des lan-
TEMPS
— 2150 —
TEMPS
gucs classiques, exprime qu'une action est faite,
sans indiquer les circonstances qui en accompa-
gnent l'accomplissement. Ex. : J'ai fini mon
devoir; j'ai lu ce livre.
Lo passé antérieur, comme le fait comprendre
son nom, indique que l'action qu'il exprime en a
précédé une autre. Ex. : A peine j'eus parlé que
mon père arriva.
Quant au plus-que-pnrfail. il sert à indiquer
qu'un acte était tout à fait accompli quand un
autre s'est produit. Ex. : J'avais appris ma leçon
quand la classe commença.
Le futur a un temps secondaire, qui marque
qu'une action sera déjà faite quand une autre se
produira. Ex. ; J'aurai fini quand vous viendrez.
On appelle pour cette raison ce temps le futur
antérieur, c'est-à-dire, le (Mm qui précédera un
second futur.
Tous les temps dont se compose la conjugaison
française sont indiqués dans le tableau suivant :
TEMPS PnI^•CIPAUX
r
Passé aolérieur
Plus-que-parfait
Temps seco
Imparfait
Futur aatiérieur
Tous ces temps peuvent se présenter sous des
formes différentes, que l'on appelle leurs modes
ou manières d'être. Ceux qui prennent les for-
mes les plus nombreuses sont le passé et le
présent, qui passent par les six modes (V. Modes).
EXERCICE-. — La conjugaison joue, dans la lan-
gue, un rôle si considérable, qu'on ne saurait faire
trop d'efforts pour rendre familière aux élèves la
notion des temps, ainsi que leur emploi dans le
discours.
Les maîtres veilleront tout d'abord h ce qu'il ne
se produise dans l'esprit des élèves aucune con-
fusion entre les temps et les modes. Ils s'attache-
ront à faire bien comprendre aux enfants que, si
un homme peut s'habiller suivant des modes dif-
férentes sans cesser pour cela d'être toujours le
même homme, le mêmetemps peut aussi, sans chan-
ger de nature, revêtir des formes très différentes.
Les maîtres ne laisseront donc jamais passer,
sans les rectifier, ces fautes qui échappent si sou-
vent aux élèves : a Ce verbe est à Vindicatif, au
subjonctif, à l'i7idicatif présent Ils exigeront
toujours, mais surtout dans les premières années,
des indications complètes et exactes. Ainsi, l'élève
de^Ta dire : <i J'aime est au présent du mode
indicatif; j'aurais aimé est au passé du mode
conditiunnei, » etc. On ne doit pas craindre de
prendre ici trop de précautions.
Les exercices oraux et écrits contribueront
d'ailleurs plus efficacement que les théories
même les plus claires à familiariser les élèves avec
la notion et l'emploi des temps. On ne saurait trop
multiplier les premiers, ni user des seconds avec
trop de mesure. Les interrogations ont l'avantage
de tenir toujours en éveil l'attention des enfants;
chacun d'eux s'efforce de trouver avant les autres
la forme convenable , et une vive émulation
anime ainsi toute la classe, qui fait, dans un temps
donné, beaucoup plus de progrès que si l'on em-
ploie les exercices écrits.
On ne saurait trop se garder surtout de donner
à conjuguer des verbes tout entiers : aucun travail
n'ennuie davantage les élèves. Quel maître ne les
a pas surpris, préoccupés avant tout de se dissi-
muler la muroionie de ce dc\oir, et remplissant
machinalement les colonnes de leur cahier,
tantôt de la série des radicaux, taniôt de la série
des terminaisons, sans consulter d'autre guide
que leur caprice ? Quel fruit pieuvent-ils retirer I
dun semblable passe-temps? Sans doute, il faut
que les élèves soient exerces à conjuguer par
écrit, puisque l'orthographe n'apparaît pas assez
dans les exercices oraux. Mais, au lieu de faire
conjuguer sans réffexion des séries interminables
de verbes, pourquoi ne demanderait-on pas deux
personnes seulement de chaque temps ? Quand un
enfant écrira « il aime, ils aiment, — il aimait,
i/s aimaient, ,, son esprit sera forcément frappé
de la différence que présentent la troisième per-
sonne du singulier et la troisième du pluriel : il
aura appris quelque chose.
On peut aussi exercer les enfants à remplacer
le pluriel par le singulier et le singulier par le
pluriel, ou à faire passer un même temps par les
différents modes qu'il peut prendre, sur ce mo-
dèle ;
Temps présent :
Je chante,
Je chanterais,
Chante,
Que je chante,
Chanter,
Chantant.
Cet exercice montrerait aux élèves, et beaucoup
plus clairement que toutes les leçons, que les mo-
des ne sont en réalité que les différentes maniè-
res d être de chaque temps, et substituerait à
toutes les abstractions dont ces formes ont été la
cause, une notion précise, tirée d'un fuit qui frappe
les moins clairvoyants.
Nous avons réservé pour la fin un genre d'exer-
cice très attrayant et que nous avons toujours vu
employer avec beaucoup de succès. Le maître
choisit une petite anecdote, un petit portrait, une
description courte; après en avoir retranché toutes
les propositions qui ne pourraient pas être modi-
hees facilement par les élèves, il dicte ce texte
et en fait mettre les verbes à tel temps qu'il lui
plaît, d 1 aide de certaines modifications dont nous
allons_donner ici quelques exemples.
Modèles d'exercices sur le verbe avoir.
l'ane.
Présent de l'indicatif. — 1" Es. Écrives les dnes et
nutluz au pluriel, dans l'exercice suivant, les mots qui
lie peuvent rester au singulier.
Sans doute l'dne n'a point la noblesse du che-
val ; mais il a ses qualités. L'âne a la patience, il
a la sobriété en partage. Il a enfin toutes les
qualités de sa nature ; et, s'î'^n'a pas le premier rang
dans nos fermes, il a certainement le second. // a
même la jambe plus sèche et plus nette que le che-
val. Dans sa première jeunesse, il a de la légè-
reté et de la gentillesse. Il a en outre l'œil bon, le
pied sur, l'oreille excellente. Sans doute, il n'a
pas la majestueuse allure du chevcd ; mais il n'a
pas non plus les mêmes besoins. En un mot, il a
son utilité, et, pour cette raison, il a droit à tous
nos égards. (D'après Biffon.)
2» Ex. Mettez l'exercice précédent à la :
singulier du présent de l'indicatif. Ecrive;
disait à son âne : Si tu. n'as point la noble
tu..., etc.
personne du
: Un fermier
fc du cheval,
3' Ex. Mettez l'exercice précédent à la 2» personne du
pluriel du même temps. Ecrivez : Des fermiers disaient
à leurs ânes : Si vous n'avez pas.... etc.
Mettez le même exercice à la 1" personne du
'J"
, etc.
■sonne du pluriel.
singulier. Ecrivez : Un âne disait :
5- Ex. Même exercice à la 1"
Ecrirez : Des ânes disaient : Si nout
Exercices sur la V conjugaison.
Voici un exercice que l'on pourra faire passer
par beaucoup de temps :
■ du présent
TEMPS
I.F, CHIEN FAIT SON ÉLOGE.
2151 —
"EMPS
Indépendamment de la beauté de la forme, j m
toutes les qualités qui attirent les regards de
riiomme. Fidèle à mo^i maître, je rumpe h. ses
pieds, je le consulte, je le supplie. Je 7i'ai pas, il
est vrai, comme Vhnmnie, les lumières de la rai-
son ; mais je suis docile et constant dans mes af-
fections. Moins seiisilile h la colère qu'aux bons
sentiments, je caresse la main qui me frappe; 7e
ne lui oppose que la plainte, et je la désarme par
ma patience et ma soumission. (D'après Buffon.)
Mettez cet exercice aux autres personnes du présent.
Ex. : lo Les chiens font leur éloge. Ecrivez : Indépen-
iridépendatnment... tu
dan^nient... nou
Ex. :
Ex. : 3° Ecrivez : 0 chiens, indépendamment... vous
avez..., etc.
Ex. : 4» Ecrivez : Indépendamment... le chieù a..., etc.
Ex. : 5» Ecrivez: Indépendamment... les chiens ont..., etc.
Imparfait de l'indicatif. — Mettez les verbes à la
t'° personne. Un chien raconte ce qu'il ét.ait autrefois.
Ecrivez : Indépendamment de la beauté, j'avais autre-
fois..., etc.
Voici un exercice d'un autre genre :
LA CONSIGNE.
1" Ex. Mettez les verbes entre parenthèses au futur.
tt Mon ami, dit un jour un général à un brave
soldat, tu [grimpes) à la muraille. La sentinelle
(crie) Qui vive? tu ne (souffles) mot. Elle (crie) en-
■core Qui vive? tu ne (bouges) pas. Due troi-
sième fois, elle (donande) Qui vive? Pendant tout
ce temps, tu [arrives) au haut de la muraille.
La sentinelle (tire) sur toi, elle te (manque).
Tu (tires) à ton tour, tu la (tues); les ennemis
\:[entourcnt\ ; mais nous (plaçons) des échelles,
nous (moidons), nous te (snuwons), et la ville {est)
prise. » — Tout arriva comme l'avait dit le géné-
ral.
i° Ex. Mettez les verbes au pluriel et h. la même personne
du futur. Ecrivez : Mes amis, vous grimperez..., etc.
3° Ex. Faites pour le conditionnel les mêmes exercices
<iue pour le futur.
Exercices sur les verbes en cer et en ger.
Les temps les plus difficiles sont Vimparfait de
l'i'idicatif, le passé défini et l'imparfait du subjonc-
tif. Nous allons donner un texte qui se prête à
plusieurs exercices :
L ENFANT BIEN ELEVE.
1*^ Ex. Mettez les verbes soulignés au ï
f défini.
Un enfant bien élevé devance toujours les dé-
sirs de ses parents, et il s'efforce constamment de
satisfaire ses maîtres. Il ne les afflige point par
sa paresse; il corrige ses défauts. Il n'agace point
ses camarades; il ne les menace point; il ne les
dérange jamais. En un mot, il n'exerce point la
patience de ses condisciples, et il dirige sa con-
duite de manière à, mériter l'affection de tous ceux
qui l'entourent.
'2" Ex. : Mettez les verbes i\ la I" personne du singulier
ihi même temps, et écrivez : Enfant bien élevé, je deoancai
^toujours et je m'e/for..., etc.
3" Ex. ; Mettez les verbes à la 1" per.sonne du pluriel du
même temps, et écrivez : Enfants bien élevés, nous dcuan-
rallies..., et nous nous effor..., etc.
4» Ex. : Mettez les vorlies à la 2° personne du sinçnlier
du passé défini, et écrivez : Enfant bien élevé, lu deoan-
ças... toujours et tu t'i'lfiy,\... etc.
S» Ex. : Mettez les verbes '. la a" personne du pluriel du
même temps, et écrive/. : îjil-tits bien élevés vous deran...
toujours... et vous vous a/fa,-..., rie.
0» Ex. : .Mettez : « /; falluil ■> .levant chaque phrase, et
mettez les verbes soulignés 4 [l'imparfait du subjonctif.
IV. 'z : // fallnil qu'un enfant... devançai... et f/u'il s'ef-
fiircàl.
7" Ex.; Ecrivez : « /( fallait » devant chaque phrase, et
mettez les verbes à la 3° personne du pluriel. Ecrivez : Il
fallait que des enfants bien élevés devançassent... et
qiCih s-e/for...
Pour introduire de la variété d,an3 ces exercices,
on pourra écrire au tableau noir, divisé en deux
colonnes, un certain nombre de verbes et les
compléments qui leur conviennent. Los élèves de-
vront réunir ces éléments dans do petites pbrasos,
en mettant les verbes au temps, au mode, et à la
personne que leur indiquera un modèle. Exem-
ples :
Choisissez dans la colonne de droite un complément qui
convienne A chacun des verbes de la colonne de gauche,
et imitez les modèles suivants :
1" modèle : Nous corrigeons la dictée.
Manger. — Effacer.
— Tracer. — Froncer.
— Forger. — Corriger.
— Enfoncer. ^ Amor-
cer.
Dessin. — Tache. —
Sourcil. — Clef. — Pieu.
— Hameçon. — Fruit.
— Dictée.
Encourager. — Juger.
— Soulager. — Lancer.
— Percer. — Rédiger.
— Infliger. — Exaucer.
Infortune.— Coupable.
— Trou. — Désir. —Pu-
nition. — Elève.— Pier-
re. — Lettre.
V modèle ; Nous exerçâmes la raéiuoiro.
3' modèle : Il fallait hier que je corrigeasse le
devoir. . ,
i' modèle : Il fallait autrefois qu'il exerçât la
mémoire.
On donnera, naturellement, comme modèles les
temps et les modes qui présentent quelque par-
ticularité.
On donnera aussi aux élèves des exercices ou
plusieurs verbes, présentant ou non des particu-
larités, seront réunis. Ex. :
Exercices de récapitulation sur la \" conjugaison.
LE PERROQUET.
1" Ex. Ecrivez : les Perroquets, et mettez ce morceau
au pluriel.
Non seulement le perroquet a la facilité d'i-
miter la voix de l'homme ; il seinhh encore en
avoir le désir. Il le manifeste par son atten-
tion à écouter, par l'étude à laquelle il se livre
pour répéter, et il renouvelle ret effort à tout
instant : car il bégaye, il gazouille souvent quel-
qu'une des syllabes qu'il a entendues, et il cher-
che à prendre le dessus de la voix qui frappe son
oreille, en faisant éclater la sienne.
(D'après Buffon.)
2° Ex. Mettez les verbes à la 3« personne du sing. du
passé défini. — Modélb ; Le perroquet eut... il sembla...
3' Ex. Mettez les verbes 1 la 1" personne du pluriel du
présent de l'indicatif. Ecrivez : Nous, perroquets, nous
avons la facilité..., etc. , . , ,
4» Ex. Mettez les verbes à la 3" personne du pluriel du
futur simple. Ecrivez ; JVort seulement les perroquets au-
ront..., etc. , . ï- j
5» Ex. Mettez les verbes à la 3' personne du singulier du
conditionnel présent. Ecrivez : Non saUemeiit le perroquet
aurait.... etc. . ■ , ,
S» Ex. Mettez les verbes à la 3' personne du pluriel du
conditionnel présent. Ecrivez : Non seulement les perro-
quets auraient..., etc.
Exercices sur la 2= conjugaison.
1" Ex. Mettez au pluriel les mots en italique.
La chèvre fournit du lait, et son poil un peu
rude affermit les étoffes. Elle est plus /e'/(?i'e et
moins timide que la brebis; elle gravit les co-
teaux; e//e bondit sur la pointe des rochers;
TEMPS (MESURE DU) — 2152 — TEMPS (MESURE DU)
elle franchit les torrents et choisit de préférence
pour SCS ébats les lieux escarpés ou le tjord des
précipices. (D'après Buffon.)
2' Es. La chèvre fait ■;on portrait. Ecrivpz : Je fnnr-
ni.s^..., etc.. et mettez les verbes au présent de riridic.ilil.
"' El. Les chèvres font leur portrait. Ecriiez : Kous
fourr
ssons
, etc.
4" Ex. Ecrivez : 0 chèvre, tu fournis..., et mettez I
Tcrbes .i la I" personne du pluriel.
5» Ex. Ecrivez : 0 chèvres, vous fournissez..., et mett
les vertes i la 2" pcr.sonne du pluriel.
nèmes exercices à l'imparfait do l'indicatif.
Faites le
Enfin, on pourra réunir, dans le même mor-
ceau, des verbes appartenant à des conjugaisons
différentes. Ces exercices serviront de récapitula-
tion. Ex. :
Exercice de récapitulation sur la \" et la 2« con-
jugaison.
Mettez au pluriel les mots en italique.
Quelle diversité dans les cris que pousse la
béte !
Le coursier hennit, le bœuf heiigle ou mugit, le
chien ahi.ie, le cochon grogne, le mouton bêle, le
chat miaule, te coq chante, la poule caquette it
glousse, le poulet piaule, le lion rugit, le loup
hurle, le renard glapit, le cerf bi-ame, la tourte-
relle roucoule, la corneille croasse, la grenouille
Les instituteurs trouveront facilement le moyen
de varier encore la forme de ces devoirs.
[C. Rouzé.]
TESirs (Mesure du). — Arithmétique, XXXVI;
Connaissances usuelles, VIII. — l. Unités de
temps. — L'unité fondamentale dans la mesure
du temps est le Jota: Nous n'avons pas à expli-
quer ici la définition astronomique de sa du-
rée (V. Jour) ; nous nous bornerons à dire que
dans le langage ordinaire cette unité est le temps
qui s'écoule entre deux passages consécutifs du
soleil au méridien. Il comprend deux parties,
colle pendant laquelle nous jouissons de la lu-
micro du soleil et qui porte spécialement le nom
de jour, l'.iutre pendant laquelle nous sommes
privés de la lumière de cet astre et qui est nommée
la nuit. Ces deux parties, qui sont cliacune de
grandeur varioble, ont une durée totale cons-
tante.
Le jour se divise en 24 heures; l'heure à son
tour se divise en 60 parties égales nommées »iint/(es,
et la minute en (iO parties égales nommées se-
condes. La seconde est une unité assez petite
pour qu'il soit absolument inutile de parler d'une
subdivision que certains auteurs font connaître
sous le nom de tierce.
Dans les calculs on désigne ces unités par la
lettre initiale de leur nom, qui se place au-des-
sus du nombre et un peu à droite. Par exemple
pour 5 heures 8 minutes et 12 secondes, on écrit
5' 8° UK
Il faut éviter d'employer pour les minutes et
les secondes de temps les signes adoptés pour
les minutes et les secondes de la circonférence.
L expression s' 12' désigne S minutes 12 secondes
de circonférence etnon 8 minutes 12 secondes de
temps.
Comme unités plus grandes que le jour, on
emploie Vannée et le mois. On peut voir aux ar-
ticles Calendrier, Année et Mois l'origine et la
vraie durée de ces deux périodes. Nous dirons
seulement ici que l'année civile, c'est-à-dire l'an-
née dans le sens vulgaire, a 3C5 jours, et que ce
nombre est le nombre entier de jours contenus
dans le temps que met la terre pour accomplir
sa révolution autour du soleil. La fraction quî
complète la durée do cette révolution est à peu
près d'un quart de jour, ce qui fait un jour tous-
les quatre ans. De là vient que chaque quatrième
année reçoit un jour de plus, 36(; au lieu de 365 :
c'est ce qu'on appelle année bissextile.
Les douze mois de l'année n'ont pas des nom-
bres de jours égaux. Le premier et le dernier,
janvier et décembre, et les deux mois consécutifs
du milieu, juillet et août, ont 31 jours, ainsi que
les trois mois de mars, mai et octobre. Les au-
tres ont 30 jours, excepté février qui a 28 jours
dans les années communes et 29 dans les années
bissextiles.
Dans les questions relatives aux intérêts, on a
adopté l'usage de compter l'année comme ayant
seulement 360 jours et chaque mois 30. Il en ré-
sulte des simplifications importantes dans les
calculs.
2. Nombres complexes. — Les unités de temps,
n'étant pas assujetties à la subdivision décimale,
n'entrent pas dans le système métrique. Les nom-
bres qui expriment des unités de temps appartien-
nent à la catégorie des nombres complexes. Tel
est par exemple le nombre 7 heures i5 minutes
28 secondes.
On donne la même dénomination aux nombres
qui expriment les anciennes mesures, par exem-
ple :
3 livres 7 onces 5 gros;
5 toises 4 pieds 6 pouces 7 lignes.
Les nombres complexes ne sont autre chose que
des nombres fractionnaires dans lesquels le déno-
minateur est remplacé par un nom particulier, qui
a été donné à l'unité fractionnaire. Ainsi la mi-
nute est la 60' partie de l'heure ; la seconde
est la 60' partie de la minute et la 3600' partie de
l'heure ; par conséquent 3 heures 7 minutes
13 secondes sont la même chose que 3 heures
^ d'heure et jiij; d'heure.
Les calculs sur les nombres complexes ne sont
pas aussi commodes que sur les nombres qui ex-
priment des unités décimales. Cependant il suf-
fira de quelques exemples pour lever toute diffi-
culté dans chacune des quatre opérations fonda-
mentales.
3. Addition. — Problème I. Un homme, ayant
rempli sa lampe d'huile, l'a tenue allumée le
\" jour pendant 3' 54™ 29' ; le 2' jour pendant
4" 12"" 26» ; le S' jour pendant 2' 27"» 31» ; après
quoi la lampe s'est trouvée vide. Combien de
temps a duré l'éclairnge fourni parcelle huile?
Après avoir disposé les nombres comme dans
toutes les additions, on fait d'abord la somme des
unités les plus petites. On trouve ici 86 pour la
somme des trois nombres de secondes. Ces 86
secondes font 1 minute et 26 secondes. On écrit
26" sous la colonne des secondes, et on ajoute
1 minute aux trois nombres de minutes de la
2* colonne. On trouve pour la somme 91 minii-
tes, ce qui fait 1 heure et 34 minutes. Onécrit
34" sous la colonne des minutes et on additionne
1 heure avec les trois nombres d'heures de la
3« colonne. Le total est 10 heures, que l'on écrit
au-dessous.
L'opération est représentée par le tableau sui-
vant :
Sh
hi"
29'
i
12
26
2
27
31
4. Soustraction. — Pkoblême 2. Trouver com-
bien de temps la lampe du problème précédent est
TEMPS (MESURE DU) — 2133
TEMPS (MESURE DU)
restée nllutiide le second Jour de plus qtie le pre-
mier.
Du nombre ■i'' IS"
Il s'agit de retranclior 3' 54"
Ne pouvant ôter 29" de 2C", on prend sur les
12'" du 1" nombre 1"' qui vaut 60^; on ajoute ces
GO' aux 2(i', ce qui en fait 86, et on ôte 2!) de 8(; ;
il reste 5T", que l'on écrit au-dessous de la co-
lonne des minutes.
On a ensuite h retrancher 54"" de 11"". Pour
effectuer celte soustraction, on prend sur les 4'
du 1*' nombi'C I' qui vaut 60"" ; on ajoute 00" à
11", ce qui fait 71"", et de 71 on relrancbe 5i ;
on écrit le reste, H", au-dessous de la colonne des
minutes. Enfin on ôte S' de 3', ce qui donne un
reste nul pour les heures.
L'opération est représentée dans le tableau sui-
vant :
Nombres proposés.
4' 12» 26'
3 54 29
0' n» hV
Nombres modifié?.
3" 71™ 86-
3 54 29
0' 17° 5T
5. Mxiltiplicntion. — Problème 3. V astronomie
nous apprend qu'entre le moment où commence
la nouvelle lune et le moment oii arrive la nou-
velle lune suivante il y a id jours 12 heures 44 mi-
nutes. Trouver au tout de combien de temps
arrivera la 4' nouielle lune.
Le temps demandé sera égal à 3 fois l'intervalle
de temps qui sépare deux nouvelles lunes con-
sécutives ; on le trouvera donc en multipliant
par 3 le nombre complexe 29J 12' 44™. Voici le
tableau de l'opération :
29i 12' 44°>
88J 14' 12"
On multiplie d'abord 44™ par 3, ce qui donne
132"" ou 2' et r.'™ ; on écrit 12™ et on retient 2''.
On multiplie lï' par 3, ce qui donne 30'; on
ajoute à ce produit les 2' retenues sur le produit
précédent, ce qui fait 38' ou 1 jour et 14'. On
multiplie ensuite 29i par 3, ce qui donne 87i, et
en y ajoutant Ij retenu sur le produit précédent
on a 881.
Le temps cherché est donc 88j 14' 12".
Remarque. — La multiplication précédente n'a
pas présenté d'autres difficultés qu'une addition,
parce que le multiplicateur est un nombre en-
tier. Mais il peut arriver que le multiplicateur
soit lui-même un nombre complexe, comme dans
le problème suivant.
Pkoblème 4. — Une lampe brûle 158 grammes
d'huile pur heure ; combien en brûlerait-elle pen-
dant 3 heures 18 minules et 25 secondes ?
On peut suivre deux méthodes pour effectuer
la multiplicaiion.
1" methude. — On convertit d'abord le temps
en un nombre exprimant les unités de temps de
la plus petite espèce. On a ainsi :
1' = GO" = fiO' X 00 = 3600'.
3l'18™25'= 360U»x 3 + 60» X 18 -f 25' = 11905».
La question revient alors à celle-ci : une lampe
brûle U8 grammi-s dhuile en 3600 secondes;
combien en brùlera-t-elle en 11905 secondes?
Le poids de l'huile brûlée en 1» serait -^•
oOOO
Le poids brûlé en 11905» sera :
2" méthode. — On cherche séparément les
quantités d'huile brûlées pendant chacune des
trois parties qui composent le temps donné, et on
eti fait ensuite le total. Voici la marche à sui-
vre.
D'abord en 3 heures la quantité d'huile est :
15SS-X 3 = 474".
La quantité d'huile brûlée en 18 minutes se-
J_8
60
plier 158 par 18 et de diviser le produit par 60.
Maison opère autrement. On décompose 18™ en
15"', qui sont le quart de l'iteure, et en 3™, qui
sont la .'.' partie de 15™.
La quantité d'huile brûlée en 15" est le quart
de 158", c'est-à-dire 3'.)e',5.
La quantité brûlée en 3" est la 5" partie de
3'J",5, c'est-à-dire 7«',9.
Pour avoir la quantité brûlée en 25 secondes,
on décompose ce nombre en 20 secondes qui
sont le tiers de la minute et par conséiiuent le
9" de 3™, et 5' qui sont le quart de 211*.
La quantité d huile brûlée en 20' sera le 9° de
7",9 c'est-à-dire 0'",877.
La quantité brûlée en 5' sera le quart de 0^',877,
c'est-à-dire 0S',21'J.
Il ne reste plus qu'à additionner les diverses
quantités d huile ainsi obtenues.
Ces opérations sont représentées dans le ta-
bleau suivant :
3' 18™ 25'
1.58X11905
= 522",497.
3' 474"
15™ 39 ,5
3"' 7 ,9
2U'î 0 ,8777
5^ 0 ,2191
Total 522i!',4971
Observation. — Cette seconde méthode, qui'
parait plus longue que la première, est en réalité
la plus naturelle; c'est la marche que suit ins-
tinctivement, dans toutes les questions analogues,
celui qui, n'ayant pas étudié les théories de l'a-
rithmétique, en est réduit aux indications seules
de son bon sens.
La décomposition de 18™ et de 25' en parties
telles que la 1" partie se trouve une fraction
simple de 18™ et la 2' une fraction simple de
la 1", que la 1" des deux parties de 25' se
trouve une fraction simple de 3™, et la 2' par-
tie une fraction simple de la I", est appelée
décomposition en parties aliquotes. On nomme
donc parties alic|U0tes d'un nombre des par-
ties de ce nombre telles que chacune est con-
tenue un nombre entier de fois dans la précé-
dente.
6. Diiision. — Problème 5. On a laissé un
bec de gaz allumé pendant 9 heures 38 minutes
et 42 Si coudes. Le lendemain il n'est resté allumé
que pendant un temp^ 5 l'ois moindre ; calculer
ce temps en heures, minutes et secondes.
Il s'agit de diviser 9' 38™ 42' par 5.
D'abord la 5" partie de !)' est 1'. Il reste 4' que
l'on convertit en minutes, en multipliant 60 par 4,
ce qui fait 240™ ; à ce nombre on ajoute les 38™
et on obtient 278™ à diviser par 5. Le quotient
est 55™, et il reste 3™ que l'on convertit en se-
condes. On a ainsi 18Û'-f 42'ou 222» à diviser
par 5; on trouve pour quotient 41", 4.
Le temps cherché est donc I' 55™ 44», 'i.
On peut, disposer l'opération de la manière
suivante :
TEMPS (MESURE DU)
5
9h 38» 42»
4X60 = 240"
38
l" 65" 4 4', 4
2' reste 3X60=180'
42
232>
22
20
0
Remarque. — Il peut arriver que le diviseur
soit un nombre complexe comme dans le problème
suivant.
Problème 6. — Dans une usine on a compté
qu'une roue mise en mouvement par ta la/jeur a
fait 2435 tours en I heure 23 minutes 27 secondes.
Combien fait-elle de tours par minute?
On convertit le temps en unités de la plu
petite espèce, en secondes. On a ainsi :
1' 23"" 27» = 3600» + 60» X 23 + 27» = 5007».
On divise 2435 par 5007, ce qui donne le nom-
bre de tours fait par seconde; on multiplie en-
suite le quotient par 60 pour avoir le nombre de
tours faits par minute. On trouve pour le nom-
bre de tours :
2134 — TÉRÉBINTHACÉES
A parcourt en - de jour — de C ; en 1 jour il
3
parcourrait— de C;
B parcourt en - c
4
4
il parcourrait
1461 de C.
Chaque jour A devance B d'une fraction de C
égale à :
2435x60 140100
5007
= 29.
La roue fait 29 tours par minute.
7. Observation générale. — Nous terminerons
cet article par quelques recommandations im-
portantes :
1° D'abord, dans les problèmes relatifs aux nom-
bres complexes, plus encore que dans les autres,
on doit disposer le raisonnement et l'indication
des opérations avec l'ordre le plus méthodique.
Il faut y apporter en même temps la plus grande
clarté, en indiquant toujours le nom de l'unité
exprimée par chaque nombre. C'est une précau-
tion qui est généralement trop négligée dans les
écoles, comme on s'en aperçoit dans les exa-
mens pour le certificat d études primaires et le
brevet de capacité ;
2° Quand un problème présente des nombres
d'heures accompagnés d'une fraction ordinaire,
le plus souvent les élèves s'empressent de tout
convertir en minutes, ce qui amène des nombres
assez forts, et augmente par conséquent la lon-
gueur des calculs et les chances d'erreur. Ils
ne doivent jamais oublier de prendre au con-
traire les nombres les moins forts possible dans
les transformations qu'il est nécessaire de faire
subir aux données du problème. Nous traiterons
comme exemple le problème suivant :
Problème 7. — Un mobile A et un mobile B
sont au même point d'une circonférence sur la-
quelle ils se meuvent dans te même sens d'un
mouvement uniforme. Le n,obile A la parcourt
en 27 jours - et le mobile B en 365 jours -■
Trouver au bout de combien de temps les deux
mobiles A et B se rencontreront de nouveau.
(Brevet de 2* ordre, aspirants. — Nancy, 1876).
Au lieu de convertir les fractions - et - de
jour avec les nombres de jours en minutes, il
est préférable de conserver le jour pour unité,
en raisonnant de la manière suivante.
On a d'abord :
83J
146IJ
SC5J7 =
Où' 4 ^
Pour abréger, désignons la circonférence par C.
jour -— - de C ; en 1 jour
14U1
4505
8-.:x HOl ^ 119802'
Pour arriver à atteindre B, c'est-à-dire à gagner
une avance d'une circonférence sur lui il faudra
à A autant de jours que cette fraction decirconfé- \i
rence est contenue de fois dans la circonférence
entière. Ce nombre de jours sera:
,:42^,=il2^^ = 29i,54.
119!>02
4505
Nous n'avons pas besoin d'expliquer comment
on convertirait en minutes et secondes la frac-
tion décimale de jour. (G. Bovier-Lapierre.j
TÉllÉItlXTIIACEES. — Botanique, XXIII. —
Etym. : de Tcrcbinlhe, nom vulgaire du Pistacia
terebiuthus. (Cet arbre produit une térébenthine
qui a été usitée pendant longtemps en médecine.)
Définition. — Les Térébinthacées sont des dia-
lypétales hypogynes à fleurs régulières et à calice
persistant. Elles forment, avec plusieurs autres
familles voisines, parmi lesquelles nous citerons
seulement les Rutacées, la classe des Térébinthi-
NÉES de Brongniart.
Caractères botaniques. — Les graines des Té-
rébinthacées sont pourvues d'un tégument mem-
braneux fort mince. L'embryon, assez volumineux,
I n'a pas d'autre matière nutritive de réserve que
celle qui est enfermée dans ses cotylédons, l'al-
bumen ayant été complètement absorbé pendant
la maturation de la graine.
La racine est pivotante.
La tige est ligneuse et fort ramifiée; les plantes
de cette famille sont en effet des arbustes ou des
ai'bres élevés.
Les feuilles sont alternes, excepté chez le genre
Bonea, où elles sont opposées. Elles sont toujours
dépourvues de stipules. Tantôt elles sont simples
et entières (iaaiet, Anacunlium occidentale), \.a.ii-
tot elles sont teruées, c'est-à-dire à trois folioles
(snmac vénéneux), tantôt enfin elles sont imparl
pennées avec de nombreuses folioles (sumac des
corroyeurs, pistachier, prunier d'Espagne).
Les fleurs sont hermaphrodites chez un certainB*
nombre d'espèces ; chez d'autres, telles que le
sumac des corroyeurs. on trouve dans une même *
inflorescence des fleurs exclusivement mâles ovl
exclusivement femelles, mêlées de quelques fleuri *
hermaphrodites ; ce que l'on exprime en disant it
que les inflorescences sont polygames-dioiques
chez les pistachiers les fleurs sont dioîques. Lef
inflorescences sont généralement des épis, def
grappes ou des panicules. Chaque fleur présenu
de l'extérieur à l'intérieur:
1° Un calice gamosépale à trois ou cinq divi-
sions ; ce calice persiste toujours après la floral
son, souvent il est accrescent et sert d'enveloppe
protectrice au fruit.
2° Une corolle dialypctale à trois ou cinq péta
les insérés sur un disque annulaire; chez le genr,
Pista'^hier la corolle fait défaut. I
3° Un androcée composé d'étamines en nombr'
égal au nombre des pétales, ou bien en nombr
double ; chez quelques espèces un certain nombr
d'étamines sont stériles ; chez le prunier d'Es
pagne, il n'y a qu'une étamine sur cinq ; che
H.
i
TÉRÉBINTHACÉES — 2155 — TÉRÉBINTHACÉES
['Anacnrdium occidentale il n'y en a qu'une fertile
sur dix.
i" Au centre de la fleur (lorsqu'elle est Iicrma-
plirodilc) on trouve le gynécée, composé de trois
ou cinq carpelles ordinairement soudés, mais
quoiquefois distincts, et d'autres fois réduits à, un
seul par l'avortement de tous les autres. Chaque
loge de l'ovaire no renferme qu'un seul ovule ana-
trope ; l'ovaire est surmonté d'autant de styles
qu'il y a de carpelles ; chaque style se termine par
un stigmate.
Dans le cas d'une fleur unisexuée, le gynécée
fait défaut si la fleur est mâle, ou bien au con-
traire c'est l'andi'océc qui fait défaut si la fleur est
femelle.
Le fruit est ordinairement une drupe ; il est sou-
vent entouré b, sa base par la cupule réceptacu-
laire ; quelquefois môme, comme dans le genre
Anacardium, cette cupule réceptaculaire prend
un volume énorme et devient pyriforme et char-
nue ; celle de V Anacardium occidentale est co-
mestible et désignée sous le nom de Pomme d'a-
cajou.
Usages des Térébinthacées. — I. TÉRÉBiNTHA-
ctEs ALLMtMAniES. — Certaines plantes de celte
famille donnent des fruits comestibles; ce sont:
1° he Fiiux Poivrier {Schi7ius molle), arbuite de
l'Amérique tropicale.
2° Le Sumac des corroijeurs [Rhus coriaria),
arbuste de la région méditerranéenne.
3" Le Manguier [Manyifera i7i(lica), arbre origi-
naire des Indes orientales et cultivé aux Antilles
pour sa drupe dont le goût est très parfumé ;
mais, comme elle est en même temps acidulé, elle
devient purgative si on en abuse.
■l» Le Prunier d'Espagne [Sp^mlias purpuren),
arbre originaire des Antilles, et cultivé en Es-
pagne.
5° Le Spondias dulcis, culûvé dans les îles des
Amis et de la Société.
Les fruits d'une autre Térébinthacée, le Spnn-
\dias birrea, servent à fabriquer une liqueur spiri-
tueuse fort estimée des nègres de la Sénégambie.
Au Chili, ce sont les graines du Duvana depen-
dens que les indigènes emploient à la préparation
d'une boisson fermentée.
Le Pistachier [Pislacia vera), arbre originaire de
la Perse et de la Syrie, est cultivé dans toute la
région méditerranéenne pour ses graines parfu-
mées, dont on fait un grand usage dans la con-
[fiserie.
Les fleurs et les fruits du Rhus typtnna, arbris-
seau de l'Amérique septentrionale, servent à
augmenter l'acidité du vinaigre : c'est pour cette
raison qu'on donne vulgairement à cet arbre le
nom de Vinin'grier.
. IL TÉRÉBINTHACÉES MÉDICINALES. — LeS SUbstan-
jCes que les Térébinthacées fournissent à la mé-
(decine consistent surtout en résines ; il n'y en a
,que trois chez les(|uelles on utilise une des parties
jde la plante; ce sont:
ij l" Le Fusiet {Rhus cotiims), arbrisseau de l'Eu-
(ropc méridionale dont l'écorce est quelquefois
jusitée comme fébrifuge.
I 2° Le Sumac vénéneux [Rhus toxicodendron),
arbrisseau de l'Amérique boréale dont les feuilles
.servent à préparer un extrait ordonné contre cer-
i;taines aflections cutanées. Le suc de ces feuil-
ilcs fraîches renferme un principe acre, volatil,
extrêmement vénéneux, capable de déterminer
iUn érysipèle du visage ou des brûlures cuisantes
isur les mains ; mais, comme il est volatil, on peut
en débarrasser les feuilles en les soumettant i une
température suffisamment élevée.
, 3° VAmicurilium oucidenlaie, dont le fruit,
.nommé noix d'acajou, donne plusieurs extraits;
, ,on les emploie contre les cors aux pieds et les
.ulcères.
Los Térébinthacées qui produisent des résines
sont:
1° Le Lrntisque [Pistacia lenliscus), qui laisse
écouler de son écorce une résine nommée mastic
h. cause de l'usage que l'on en fait en Orient
comme masticatoire : cette résine, tonique et as-
tringente, parfume l'haleine et fortifie les genci-
ves. Pour l'obtenir, on fait, dans le courant de
l'été, de nombreuses incisions au tronc et aux
grosses branches de l'arbre ; elle s'écoule sous la
forme d'un liquide, puis elle se durcit peu à peu
au contact (le l'air et se figo sous forme de larmes.
Le lentisque est cultivé en Orient et particulière-
ment dans l'île de Chio. Il est acclimaté en Pro-
vence et dans le midi de l'Europe ; mais dans ces
dernières localités il ne donne pas de mastic,
probablement parce que le climat n'y est pas
assez chaud.
2° Le Pistachier atlantique, arbre des États-
Unis, qui atteint plus de vingt mètres de haut et
dont le tronc peut avoir un mètre de diamètre;
il donne un mastic tout à fait semblable à celui
du lentisque.
3° Le Térébinthe, arbre qui croît spontanément
dans l'île de Chio et dans la Barbarie; il laisse
écouler de son écorce un suc résineux nommé
térébenthine, qui a été pendant longtemps la téré-
benthine la plus estimée du commerce. Pour
recueillir cette térébenthine, il suffit de placer au
pied de l'arbre de grandes pierres plates sur les-
quelles cette substance tombe au fur et à mesure
qu'elle s'écoule des fissures naturelles de l'écorce
ou des incisions qu'on y a pratiquées. Cette
résine se rapproche beaucoup du mastic, de sorte
qu'on a souvent proposé de substituer le mastic
à la térébenthine; car chaque térébinthe ne
donne qu'une très faible quantité de térébenthine
d.ins une année. La térébenthine, de même que le
mastic, est entièrement soluble dans l'éiher; elle
se dissout dans l'alcool avec un léger résidu. Le
commerce emploie de préféience les résines des
conifères *, qui sont beaucoup plus abondantes et
par conséquent d'un prix moins élevé.
4° Le Buswetlia tliurifera, arbre de l'Inde et
du Bengale qui laisse écouler de son écorce une
résine nommée encens ou uliban. L'encens d'Ara-
liie provient probablement de .la même espèce ou
d'une espèce très voisine. Dans l'antiquité, on
brûlait de l'encens dans les temples pour dissimii-
ler les émanations désagréables provenant des ani-
maux offerts en sacrifice à la Divinité. De nos
jours on en brûle encore dans les églises consa-
crées au culte catholique ; cet usage est un souve-
nir des pratiques religieuses des Hébreux.
5° L'icira guyaneitsis. Cet iciquier de la Guyane
donne aussi de l'encens.
C Le Canarium commune, de l'île Ceylan, qui
produit la résine élémi.
'" VElaphrium elemiferum, du Mexique, qui
donne une résine identique à Vclémi.
8° Les lialsaino lendrom de l'Arabie Heureuse.
Il y en a deux espèces, qui laissent écouler de
leur écorce une sorte de térébenthine d'odeur
suave, que l'on nomme buum-i de Judée, baume
lie la Mecque, baume de Giléad. Une goutte de
baume de la Mecque liquide, que l'on fait tomber
dans un vase plein d'eau, pénètre dans le liquide
jusqu'à une certaine profondeur, puis remonte à
la surface et s'y étale immédiatement et complète-
ment en une couche uniforme; si l'on attend quel-
ques instants, l'essence que renferme ce baume
s'évapore et la couche formée h la surface de l'eau
devient assez solide pour qu'on puisse l'enlever
en une seule masse consistante. Ce baume se
dissout entièrement dans l'éthor, tout comme le
mastic et la térébenthine, et laisse dans l'alcool
un léger dépôt.
9° L'kica altissima d'Amérique. 11 laisse écou-
TÉRÉBINTHACÉES — 2156 —
TERRAINS
1er une résine connue dans le commerce sous le
nom de gomne carana, qui remplace tout à fait
le baume de Giléad.
10° Le nalsamodendron Africanwn. Sa résine
est vendue dans le commerce sous le nom de
bdellium.
11° Le BaUamorlencIron Myrrho, arbrisseau épi-
neux de l'Arabie et de l'Abyssinie. Il laisse écou-
ler de son écorce une gomme-résine connue, dès
la plus haute antiquité, sous le nom de myrr/ie.
La myrrbe était une des substances aromatiques
qui entraient dans la composition de l'imile sainte
des Hébreux. Pour les Grecs, l'arbre qui donne la
myrrhe tirait son nom de Myrrha, la mère d'Ado-
nis, que les dieux compatissants avaient changée
en arbre; quant à la myrrhe elle-même, c'étaient
les pleurs de cette mère désolée. La myrrhe se
trouve dans le commerce sous forme de larmes
pesantes, rougeâtres, semi-transparentes, fragiles
et à cassure luisante.
JII. TÉRÉBINTHACÉES INDCSTRIEILES. — 1° Les
feuilles du Sumac des corroyeurs, desséchées, puis
pulvérisées et passées au tamis, fournissent un
tan très usité pour l'apprêt du maroquin. Elles
peuvent aussi servir à la teinture.
2° Le bois du Ftutet est reclierché des tour
empêcher la chute des cheveux et conserver une-
chevelure abondante.
4° Le Pegamim harmalo, qui croît dans lea-
terres sablonneuses de la région méditerranéenne.
L'odeur de cette plante est repoussante ; sa saveur
est acre et amère. Les Turcs emploient seS'
graines comme condiment. Ils tirent de la planta'
une matière tinctoriale d'un très beau rouge.
5° Le Giiyac officinul. C'est un arbre très élevé,
dont le tronc peut atteindre un mètre de dia-i
mètre; mais sa croissance est très lente. Il croît
dans les Antilles, principalement à la Jamaïque,
à Saint-Domingue, et à Cuba. Ses feuilles sont
opposées, pennées, sans foliole médiane impaire,
La partie du gayac la plus estimée est son bois,
A froid ce bois ne répand pas d'odeur sensible,
mais, lorsqu'on le râpe, il prend une légère odeu^
balsamique; sa poussière fait éternuer. La râpurr
a une odeur acre qui prend à la gorge ; elle de->i
vient verdàtre au contact de l'air ou lorsqu'on'
l'expose îi l'action des vapeurs nitreuses. Le*'
propriétés du bois de gayac sont dues à la-;
gomme-résine dont ce bois est imprégné. On peut
obtenir la résine de gayac soit en traitant 1»
ràpure du bois de gayac par l'alcool rectifié, soit
directement lorsque l'arbre vient d'être abattu.
neurs et des tabletiers à cause de ses couleurs | Dans ce second procédé, on débite l'arbre en ba-
variées. Cependant il est encore plus usité pour ches d'environ 50 centimètres; chaque bûche-
teindre les étoffes en jaune orangé. Toutefois la ] est percée d'un trou suivant son axe au moyeij
couleur qu'il produit s'altère facih-ment et on est , d'une forte tarière; elle présente ainsi un canal
obligé de la mêler Ji une couleur plus fixe qui , central. Toutes ces bûches sont passées au feu;,
ordinairement en modifie la teinte. la résine vient se condenser dans le canal cen-
3° Certains Rl.us de l'Inde et de la Chine four- tral et, en opérant convenablement, on peut la re-
nisscnt un suc vénéneux avec lequel on fabrique cueillir dans une calebasse. La résine de gayac
les laques de Chine. Une espèce très voisine croît du commerce est en grosses masses d'un brun
en Amérique et son suc sert aux mêmes usa- verdàtre, friable, se colorant en vert intens»
ges. sous l'action de la lumière ; cette résine se ra-
4° Le suc du nhus Ymiix, arbrisseau du Ja- mollit sous la dent; sa saveur, d'abordpeu sensi-
pon, sert à fabriquer le vernis du Japon.
b° C'est avec le suc du fruit d'une térébintha-
cée que l'on fabrique l'encre noire qui sert à
marquer le linge et qui est indélébile.
6° C'est du Melanoirhœa usitutissima que l'on
extrait le vei-nis 7ioir.
1° On cultive au Japon le Rhns succedanea ou
arbre à cire, à cause de ses graines dont on
extrait un suif employé à la fabrication des chan-
delles et bougies. Pour obtenir ce suif, on pile les
graines, on les fait bouillir dans l'eau, puis on les
soumet à l'action d'une presse. Il s'écoule une
substance grasse qui, en se refroidissant, prend la
consistance du suif.
IV. TÉl:ÉBINTHACÉES ORNEMENTALES. — NoUS leS
citerons seulement ; ce sont : Le Simwc de Vir-
gi?iie, le Sumac glabre, le Fustet, le Siwtoc des
corroyeurs, le Vinaigrier, le Vernis du Japon {lihus
ver7iîx].
FamiUe deè Eutacées. — Etym. : de Huta, nom
latin do la l'ue. — Définilion : Dialypétales hypo-
gynes, à fleurs régulières, à calice persistant,
appartenant à la classe des Térébinthinées.
Caractèrfs BOTANIQUES. — Elles diffèrent des
Térébinlhacées surtout en ce que leurs fleurs
sont toujours hermaphrodites: en ce que la co-
rolle est quelquefois gamopétale ; en ce que les
carpelles du gynécée sont toujours soudés, et
parce qu'il y a toujours deux ovules dans chaque
loge de l'ovaire.
Usages des butacées. — Les Rutacées les plus
usitées sont :
1° La iî'.e indigène.
2° La Rue d'Espagne, qui possède une âcreté
telle qu'elle peut être rangée dans le groupe des
méiJicaments violents; elle peut provoquer des
pustules ulcéreuses sur la peau des personnes
qui la cueillent.
3° VUaplopliylhim tubcrculatttm, qui croit en
Egypte et sert dans ce pays à faire une eau pour
ble,se change bientôt en une âcreté brûlante doat
l'action se porte sur le gosier. Pulvérisée ou
exposée au feu, elle répand une odeur bien serh-
sible de benjoin. La résine de gayac est tn^^
usitée en pharmacie.
A la suite des Rutacées nous devons encore
citer deux plantes que l'on range aujourd'hui
dans la famille des Simari'uées et qui sont fré-
quemment employées; ce son
1° Les Ailanics, qui sont surtout usités comme
plantes ornementales sur les promenades pu-
bliques.
2° Les Quassiii, qui fournissent h la pharmac»
un principe immédiat d'une grande amertume.
[C.-E. Rertrand.^
TERRAINS (classification des). — Géologie, ÎII
— 11 y a un ou deux siècles à peine, le sol étal
un sujet d'études encore inconnu des naturaliste;
et même des voyageurs; il semblait qu'il n'exista
pas ; on ne recueillait et on n'examinait que le
matières utiles ou remarquables par leurs appa
rences extérieures. Des deux grands naturaliste
dont le nom domine le dix-huitième siècle
Linné ne poussa pas ses investigations au del
de la minér.dogie, encore dans l'enfance par suit
de l'absence des connaissances chimiques; (
Buffon n'étudia guère le règne minéral que pot)
y chercher des preuves i l'appui de sa théon
de la terre. , .
Il était réservé à Guottard de poser les vcriti
blos bases de la géognosie ; en n4i;, au momei
où Buffon écrit la Théorie de la terre, il Ut
l'Académie des sciences son travail si remarquab
intitulé : Mémmre et carte nmiéralogir/ues sur
nature et la situation des terrains qui traverse.,
la France et C.inqtelerre. « Je me suis propos
dit-il (Mém. de lAcad. d"s scietices pour 174.
p. 5Gi), de faire voir par cette carte qu'il y a ui
certaine régularité dans la distribution qui a C\
faite des pierres, des métaux et de la plup;
ÏEIUIAINS
2157 —
TliRRAINS
drs autres fossiles ; on ne trouve pas indifférem-
moiit dans toutes sortes do pays telle ou telle
pierre, tel ou tel méfal ; mais il y a de ces pays où
il est enlièrriiunit impossible do trouver des car-
rières ou des miiios de ces pierres ou de ces mé-
taux, tandis qu'elles sont très fréquentes dans
d'autres et que, s'il ne s'y en trouvait pas,
on aurait plus sujet d'espérer d'y en ren-
contrer qu'autre part. » Il traça sur ses deux
cartes trois bandes continues entourant à la fois
Paris et Londres. La plus intérieure, ou bande
sableuse, correspond aux terrains tertiaires ; la
moyenne, ou bande marneuse, correspond assez
bien au terrain crétacé ; la plus- extérieure, ou
blinde sc/iisleuse ou métuUique, comprend tous les
terrains plus anciens. L'idée de Guettard, d'une
Sortéo si immense, fut complètement méconnue
e ses contemporains, peut-être parce que son
auteur était, et resta toujours trop en arrière de
Linné et de Buffon, dans ses travaux sur les corps
organisés. Guettard neparaîtpas avoir jamais songé
à reclierclier l'âge relatif des différents terrains
qu'il avait recoinius.
La première classification ayant une véritable
importance est celle qui a été proposée à la fin
■du dernier siècle par Werner, d'après l'étude dé-
taillée qu'il avait faite du sol de la Saxe. L'au-
teurappliqua aux grandes divisions qu'ilavaitrecon-
nues dans les terrains stratifiés des noms allemands
qui furent adoptés en Suède et assez vite traduits
en français et transportés en Angleterre et en
Italie, les seuls pays où les études géologiques
■eussent alors pris naissance. Werner avait établi
les quatre groupes suivants : terrains primitifs,
terrains de transition, terrains .^ecoJidaires, et
ierraini d'alluvion, auxquels vers 1807 Al. Bron-
gniart, d'après l'étude des environs de Paris,
ajouta un groupe nouveau précédant celui des
terrains d'alluvion. les terrains tertiaires. Depuis
plus de soixante ans, presque tous les géologues
sont d'accord pour admettre ces cinq grandes
divisions fondamentales, auxquelles cependant de
nouveaux noms sont parfois donnés. Ainsi les ler-
raiyis df transidon ont reçu aussi le nom de ter-
rains primaires, et les terrains d'alluvion celui de
terrains quaternaires. Au point de vue des carac-
ti'-'res zoologiques, on a distingué les terrains en
azoïques (sans animaux), patéozoïqiies (h faune
ancienne), mésozotques (à faune intermédiaire), et
csenozfïque< (à faune récente).
Quant aux m.itériaux non stratifiés, massifs et
d'origine ignée, ils ont été répartis en cinq grou-
pes contemporains des précédents ou à peu près, et
sont généralement désignés par le nom de la
roche qui y joue le rôle principal.
Volcans moderues.
Basalte, trachyte.
Diorite, serpentine.
Porphyre.
Granités.
STRATIFIES
5. Terrains d'alluvion , de
transport, ililuviens.
quaternaires, moder-
4. Terrains tertiaires, caeno-
zoïques.
3. Terrains secondaires, mé-
ȕques.
S. Te:
transitu
paie
1. Terrains primitifs, cris-
tallophylliens,azoiques.
Les quatre groupes supérieurs, qui renferment
des corps organisés fossiles, sont très fréquem-
ment désignés sous le nom collectif de terrains
neptuniens (de Neptune, dieu de la mer), parce
qu'ils ont été formés dans le sein des eaux. Le
groupe inférieur, réuni aux roches massives, donne
avec celles-ci un autre ensemble souvent dési-
gné sous le nom de terrains plutoniens (de Pluton,
dieu des enfers), parce que ces terrains ont été
formés sous l'influence de la haute température
qui règne dans l'intérieur du globe.
Lorsqu'on étudie les montagnes qui forinent des
chaînes plus ou moins étendues, comme les
Vosges, les Alpes ou les Pyrénées, on voit qu'elles
sont, au moins on partie, formées par le redres-
sement d'assises qui sont souvent horizontales ou
faiblement inclinées dans les plaines ou les pla-
teaux avoisinants. Les assises ont sur les flancs
des directions semblables k celle de la chaîne
elle-même ou très rapprochées, et depuis long-
temps M. Boue et L. de Buch ont fait remarquer
que les directions sont peu nombreuses dans une
c Irée même fort étendue, et que chacune a été
produite à une époque géologique déterminée, et
aussi que dans des contrées éloignées les unes
des autres les chaînes qui ont une même direc-
tion ont été formées simultanément. Ces vues ont
été développées et étendues à la surface entière
de la terre par Elle de Beaumont.
L'étude de l'écorce terrestre amène à reconnaî-
tre qu'il s'y est passé à certaines époques des
phénomènes qui sont sans analogues aujourd'hui.
Ces phénomènes ont donné lieu à des faits extrê-
mement remarquables dont les principaux
sont :
1° La discordance de stratification des assises
de terrain, sur de grandes étendues;
2° La formation des chaînes de montagnes ;
3" Le changement de configuration des terres
découvertes et le déplacement des masses d'eau, à
chaque grande période géologique;
4" La destruction des êtres qui vivaient pendant
la formation d'un terrain et leur remplacement
par d'autres espèces pendant le dépOt du terrain
suivant.
S'il y avait sur la surface du globe un lieu qui
eût conservé des traces de toute la série des ter-
rains, et qu'en cet endroit une dislocation im-
mense eût coupé toutes les couches, de manière
à présenter à l'observateur la totalité de leurs
tranches, on aurait dans cette cnupe les moyens
de reconnaître toute la suite des terrains stratifiés,
di'puis les plus anciens jusqu'aux plus modernes.
Une pareille section n'existe pas ; mais on peut la
reconstruire théoriquement, en réunissant et en
comparant des coupes partielles. On a des moyens
de reconnaître les terrains qui sont contemporains.
Ces terrains servent de jalons^ et tel pays fournira
la coupe des terrains supérieurs, tel autre celle
des terrains profonds, un troisième comblera les
lacunes et rectifiera ou complétera les autres. Les
géologues sont ainsi parvenus h dresser un tableau
général de la superposition des couches, dans
l'ordre de leur apparition, qui représente la série
de tous les terrains successifs.
L'étude détaillée des cinq groupes précédem-
ment indiqués a amené l'établissement de subdi-
visions de second et de troisième ordre, qui sont
données dans le tableau suivant pour les terrains
neptuniens seulement, les terrains plutoniens ne
se prêtant pas à des subdivisions bien nombreuses.
Les subdivisions de second ordre sont au nombre de
quatre pour les terrains primaires ou de transi-
tion, de quatre aussi pour les terrains secondai-
res, et de trois pour les terrains tertiaires. Leurs
dénominations sont empruntées au pays où elles
se montrent bien développées, ou dues ;i la pré-
sence de quelque minéral particulier ; pour les
terrains tertiaires, elles indiquent qu'ils renfer-
ment peu, médiocrement, ou beaucoup d'espèces
vivantes.
Ce tableau présente enfin l'indication des qua-
torze principaux systèmes de montagnes dont
l'époque de formation a coïncidé avec les grands
changements qui ont établi les lignes de sépara-
tion entre les divers terrains. (V. Soulèvements.)
TERRE
— 2158 -
TERRE
TERRAINS STRATIFIÉS.
" >= ( Alluvions.
; g \ Ténare, Etna, Vésuve. N. 5° 0.
g 3 J Diiuvînm.
^2 ' Chaîne principale des Alpes. E. 16° N.
„ / T. tertiaire supérieur ou T. pliocène.
£ g l Alpes occidentales. N. 26" E.
3 5 't. tertiaire moyen ou T. miocène.
S I J Pyrénées et Apennins. E. 18° S.
H » / T. tertiaire inférieur ou T. éocène.
*■ \ Mont Viso. N. N.-Û.
! Craie.
Greensand.
T. néocomien ou Wealdien,
T. jurassiq
ooliltliqu
T. permien
ou pénéen
' Oolithe supérieure.
Oolitlie moyenne.
Cdte-d'Or. C. 40° N.
Oolitlie inférieure.
Lias.
Thttringerwald. E. 40» S.
Marnes irisées.
Muschelkalk.
Grès bigarré.
Rhin. N. 21» E.
Grès des Vosges.
Pays-Bas. E. 5» N.
Zecbstein.
Grès rouge.
Nord de l\ingteterre. N. 5»
T. houillcr.
Fores. N. 15° 0.
Mlllstone prit.
Calcaiie carbonifère.
Ballons et Bocage. E. 15° S
Westmoi-eland et Eundsruck. E. 25° N.
T. silurien.
Finistère. E. 22» N.
T. cambrien.
fV. Raulin.]
TERRE. — Cosmographie, VII. — Nous allons
résumer et compléter dans cet article les notions
de cosmographie qui intéressent notre globe con-
sidéré au double point de vue astronomique et
physique ; nous renvoyons pour le surplus aux
articles .4 'inee, Calendrier, Glot/e(Conslitittiûn du),
Planètes, Jour, .s'aiSo?!s, etc.
On sait que la Terre a un mouvement de rota-
tion uniforme autour de la ligne de ses pôles, et
que la durée exacte d'une rotation complète est de
vingt-trois heures cinquante-six minutes et quatre
secondes de temps moyen : c'est la durée du jojir
sidéral, qu'il ne faut pas confondre avec celle du
jour solaire. Maintenant, la durée du jour sidéral est-
elle absolument invariable, comme Laplace croyait
pouvoir le conclure des observations astronomi-
ques anciennes et modernes, comparées ? Delau-
nay a prouvé le contraire. La rotation terrestre
Bubit un ralentissement causé par la réaction de
la masse de la Lune sur les protubérances liquides
des marées. Ce ralentissement est d'une extrême
lenteur, puisqu'il ne faudrait pas moins de cent
mille années pour augmenter d'une secmide la
durée du jour sidéral. En dehors des questions de
théorie, il est donc permis de considéier comme
invariable la durée de la rotation terrestre, laquelle
sert de base à la mesure du temps.
Un autre élément très important de la rotation
terrestre, est la position de l'axe autour duquel
elle s'effectue. Cet axe est incliné sur le plan de
l'orbite de la Terre : l'angle qui mesure cette in-
clinaison est aujourd'hui de 66°, 3.3' environ, de
sorte que l'équateur est incliné lui-même de
23°, 2T sur le même plan : c'est ce qu'on nomme
Xobliquiié de iécliptique. De cet élément et du
mouvement annuel de translation de la Terre
résultent les variations qui se succèdent, d'un
bout de l'année à l'autre, dans les durées relati-
ves des jours et des nuits, ainsi que dans les hau-
teurs méridiennes du soleil au-dessus de chaque
horizon. Les saisons et les climats dépendent donc
de l'obliquité de l'écliptique qui varie lentement
avec les siècles : elle diminue actuellement de
0",5 par siècle. Quand cette diminution aura at-
teint 1°,20', c'est-à-dire dans 9 600 ans au moins,
l'obliquité deviendra stationnaire, puis elle repren-
dra une marche croissante.
L'axe de rotation de la Terre reste à peu
près parallèle à lui-même, de sorte qu'il coupe
le ciel en deux points opposés, les pôles cé-
lestes, en apparence immobiles, autour desquels
parait s'effectuer le mouvement diurne des étoiles.
Si ce parallélisme était rigoureux, les équinoxes
seraient toujours les deux mômes points de l'or-
bite terrestre, et la durée de l'armée tropique se-
rait exactement égale à celle de l'année sidérale.
Nous avons vu que cette égalité n'a pas lieu.
L'année tropique est plus courte que l'année sidé-
rale, parce que la Terre revient à un même
équinoxe un peu plus tôt qu'elle ne revient à la
même étoile. Ce phénomène, connu sous le nom
de ),récession des équinoies.vlent d'un mouvement
de l'axe de la Terre, qui fait décrire un angle de
50", 2 par an à cet axe autour de l'axe de l'écli-
ptique. En 26 000 années environ, la révolution est
complète. Il résulte de là que les pôles célestes
changent peu à peu de position parmi les étoiles.
L'étoile qu'on nomme aujourd'hui la Polaire, parce
qu'elle est très voisine du pôle céleste boréal, va
actuellement en se rapprochant de ce pôle. Cette
diminution de distance continuera pendant deux
siècles et demi environ. Le pôle s'éloignera en-
suite de la polaire, et dans 13 OOU ans il se trou-
vera près de la belle étoile Feya de la Lyre, à 47"
de la polaire actuelle. C'est par l'effet de la pré-
cession des équinoxes que les constellations zodia-
cales ont peu à peu cessé de correspondre aux
mêmes époques de l'année que du temps des an-
ciens. Il y a 2 0011 ans, à l'époque où vivait l'astro-
nome Hipparque, le Soleil se trouvait, à l'équinoxe
du printemps, dans la constellation ou dans le
signe du Bélier. Aujourd'hui, au même équinoxe,
on dit toujours qu'il est dans le signe zodiacal du
Bélier; mais, en réalité, il est à 27° de distance
dans la constellation des Poissons.
Il y a un autre mouvement périodique de l'axe
terrestre, beaucoup plus court (18 ans 2/3) que la
précession : on l'appelle la nutation (balancement).
Ces mouvements S(int dus l'un et l'autre à l'action
de la gravitation de la Lune et du Soleil sur notre
planète, ou plus exactement à l'action de leurs
masses sur le renflement équatorial de la Terre. Si
ce renflement n'existait pas (et on a pu voira l'arti-
cle Glolie qu'il est la conséquence du mouvement
de rotation et de la force centrifuge que ce mou-
vement développe), ni la précession ni la nutation
n'existeraient, et l'axe terrestre conserverait dans
l'espace une direction invariable ; les révolutions
des saisons se feraient toujours aux mômes points
de l'orbite terrestre.
Si le mouvement de rotation de notre globe est
troublé par les réactions qu'exercent le Soleil et la
Lune, soit sur les protubérances des marées, soit
sur la protubérance bien autrement considérable
du renflemeiit équatorial, son mouvement annuel
de translation subit aussi des perturbations im-
portantes. , c , .,
La Terre décrit une ellipse autour du Soleil, et
le centre de ce dernier corps occupe, avons-nous
vu, l'un des foyers de la courbe. Un élément est
invariable dans cette courbe, c'est la dimension
du grand axe, ou, ce qui revient au même, la dis-
tance moyenne de la planète au Soleil. Dès lors la
durée de la révolution est elle-même invariable.
Mais ce qui ne l'est pas, c'est, d'une part, la po-
TERRE
— 2159 —
TERRE
sition du grand axo, de l'autre, la grandeur do 1
l'cxcentriciu'. Le /térihi-lie, qui est le point du
grand axe où la Terre est h sa plus petite distance
du Soleil, a un mouvement qui s'cfl'ectue en sens
contraire du mouvement de précession des cqui-
noxes. Actuellement, le pcriliélie se trouve il 10°
il peu près du solstice de l'hiver boréal ; vers l'an
12r>0 de noire ère ces deux points coïncidaient,
de sorte que l'époque du jour le plus court sur
notre hémisphère était aussi celle où le Soleil
était le plus voisin de nous; le solstice d'été cor-
respondait alors à l'aphélie. Cette circonstance
contribuait donc à rendre nos hivers moins rudes
et nos élés moins chauds, et le contraire arrivait
pour les hahiiants de l'hémisphère austral. Par le
fait de la combinaison du mouvement du périhélie
et du mouvement contraire de la précession des
équinoxes, le périhélie va en s'éloignant du sol-
stice d'hiver ; il se trouvera coïncider avec le
solstice d'été au bout d'un intervalle d'environ
10 500 ans, c'est-à-dire vers l'an 11 750. Vers le milieu
de cette période, ce sera l'équinoxe du printemps
de l'hémisphère boréal qui se trouvera en coïnci-
dence avec le périhélie : alors l'hiver et le prin-
temps auront même durée et seront les deux sai-
sons les plus courtes ; l'été et l'automne seront
pareillement égaux et plus longs.
Ces lentes révolutions modiKent évidemment la
distribution de la lumière et de la chaleur sur la
Terre, suivant les saisons, et pour les deux hémi-
sphères en sens opposé. Mais il est, i ce point de
vue, uno variation beaucoup plus importante,
c'est celle de l'excentricité de l'orbite de la Terre,
c'est-à-dire du rapport qui existe entre l'excès du
demi grand axe sur la distance périhélie et ce
grand axe même. Si l'on prend pour unité le demi
grand axe, ou la distance moyenne du Soleil à la
Terre, voici quelles sont les distances périhélie et
aphélie :
Dislance périhélie 0,9832
Distance aphélie 1,0168
La première est inférieure !i la distance moyenne
et la seconde surpasse cette quantité de 0,0168.
C'est ce nombre qu'on nomme \'exce7itrii:ité.
L'excentricité est la mesure du plus ou moins
grand allongement de la courbe elliptique ; plus
elle est grande, plus l'ellipse diffère du cercle ;
plus elle est petite, plus la courbe approche de la
forme circulaire.
Or l'excentricité de l'orbite terrestre varie dans
la suite des siècles, avec une excessive lenteur, il
est vrai, mais dans des limites assez considérables,
puisque, de la valeur actuelle qui est 0,0168, elle
peut atteindre un maximum égal à 0,0717, plus
de quatre fois supérieur. On a calculé qu'elle a at-
teint son dernier maximum il y a environ 210 000
années ; elle décroîtra encore pendant 24 000 ans
pour croître de nouveau. La cause de ces chan-
gements est dans l'action des planètes Jupiter et
Saturne, et aussi de Vénus et de Mars.
Nous mentionnons ici ces modifications lentes
des éléments astronomiques de notre planète pour
deux raisons ; d'abord, pour montrer par des
exemples comment s'exerce la loi de gravitation
qui régit tous les corps du monde solaire, com-
ment les masses des corps s'influencent réci-
proquement par le fait des incessants changements
de distances qui résultent de leurs mouvements
propres. Ensuite, pour faire voir le lien qui peut
exister entre ces variations et celles que le globe
terrestre a pu et pourra subir dans sa constitu-
tion, son climat, etc. Les géologues ont constaté
qu'il y a eu, dans les époques qui ont précédé la
nôire de quelques centaines de milliers d'années
(époques relativement récentes pour l'hisioire du
passé delà Terre), des périodes do refroidissement
sans lesquelles il serait impossible d'expliquer
l'immense extension qu'ont eue les glaciers dans
les diverses parties du monde. Or les mouvements
du périhclio et de la précession des équinoxes,
et surtout les variations de l'excentricité, permet-
tent de rendre compte des phénomènes des pé-
riodes glaciaires, des alternatives de leur appari-
tion et de leur disparition. Des étés très chauds et
très courts, des hivers très longs et très froids,
par leur succession sur un même hémisphère,
rendent compte à la fois et de ^exces^ive abon-
dance de l'évaporation pendant les saisons esti-
vales, et de la condensation des vapeurs sous
forme de neiges pendant les saisons hivernales. De
là le phénomène de la formation des glaciers et
de leur immense extension sur certaines régions
des continents actuels.
On sait que la Terre a la forme d'un ellipsoïde
aplati aux deux pôles de rotation, ou renflé à l'é-
quateur. Nous avons vu que la valeur moyenne
de l'aplatissement est l/29'.l. Cette valeur résulte
de nombreuses mesures géodésiques faites dans
le sens des méridiens et dans le sens des paral-
lèles. La Terre n'étant pas sphérique, les divers
points de sa surface ne sont pas à la môme dis-
tance de son centre de figure ou de gravité ; il
résulte de là que l'intensité de la pesanteur est
variable avec la latitude : elle va en croissant de
l'équateur au pôle. Un corps, d'une masse inva-
l riable, qu'on transporterait de l'équateur à des la-
titudes de plus en plus éloignées, exercerait sur
un ressort donné une pression de plus en plus
lorte, par le fait de l'accroissement d'intensité de
la pesanteur terrestre. 11 y a une seconde cause
qui modifie cette pression dans le môme sens,
c'est la force centrifuge développée par le mouve-
ment de rotation de la Terre, mouvement dont
la rapidité va en augmentant à mesure qu'on se
rapproche de l'équateur. Un moyen de constater
ces variations est l'emploi du pendule. On a con-
staté par l'expérience que la longueur du pendule
qui bat les secondes croit avec la latitude, ou
bien, ce qui revient au même, qu'un pendule do
longueur invariable oscille plus rapidement à
mesure qu'on l'éloigné de l'équateur.
La conclusion de toutes les recherches faites
par ces diverses méthodes sur la forme du globe
terrestre, c'est, comme nous l'avons dit, que ce
globe n'est pas sphérique ; que les divers méri-
diens ne sont pas des cercles, mais des ellipses
ayant toutes le même petit axe, qui est l'axe des
pôles. A la vérité, il y a des inégalités entre ces
ellipses mêmes, de sorte que les parallèles, qui
devraient être des cercles dans l'hypothèse d'un
ellipsoïde régulier ou de révolution, sont eux-
mêmes irréguliers. Il parait que l'équateur aausst
une forme elliptique, beaucoup moins prononcée,
il est vrai, que celle des méridiens.
Quelles que soient les irrégularités dont nous
venons de parler, elles sont, relativement aux di-
mensions du globe terrestre, très peu sensibles. La
Terre, vue de l'espace, comme nous voyons au té-
lescope les planètes les plus rapprochées, semble-
rait sphériquo ; il faudrait des mesures très délicates
pour constater et à plus forte raison pour mesurer
son aplatissement. Quant aux aspérités formées
par les continents, par les plus grosses chaînes de
montagnes, elles disparaîtraient à peu près abso-
lument : les continents et les mers ne se distin-
gueraient que par une différence de teinte, par
l'inégalité d'éclat de surfaces douées de pouvoirs
réfléchissants très inégaux.
Les dimensions et la forme du sphéroïde ter-
restre étant connues, on peut en déduire son vo-
lume : on trouve ainsi qu'il renferme 1 079 540
millions de kilomètres cubes . Si l'on connaissait
le poids spécifique moyen de la matière qui le
compose, une simple jnultiplication donnerait le
poids total du globe. Mais, par expérience, on ne
TERRE
2160 —
TERRE
peut, connaître que celui des couclies du sol jus-
qu'aux profondeurs où a permis d'atteindre l'ex-
ploitation minière. Pour en conclure la densité
moyenne de la Terre, il a fallu employer des mé-
thodes qui ne peuvent être exposées ici r les unes
sont fondées ■sur la déviation que produit l'attrac-
tion d'une masse montagneuse sur un fil à plomb
qu'on porte successivement au nord ou au sud de
la montagne ; les autres sur la différence entre le
nom'ore des oscillations qu'effectue un pendule
de longueur invariable, si on le porte du pied
d'une montagne au sommet, ou du niveau du sol
au fond d'un puits de mines. Les diverses expé-
riences faites à différentes reprises par ces mé-
thodes et par d'autres encore, s'accordent à donner
le nombre ,S.5U comme représentant la densité
moyenne du globe terrestre, celle de l'eau étant
prise pour unité.
11 résulte de là que si l'on pesait, parties par
parties, toute la matière dont se compose la
■Terre et qu'on additionnât tous ces résultats par-
tiels, on trouverait environ six millions de mil-
liards de tonnes de mille kilogrammes. Nous
avons vu à l'article Soleil que ce dernier corps
pèse 32,1 UOO fois autant que la Terre.
Un autre élément important do la constitution
physique de notre globe, c'est sa température.
Trois sources principales concourent à donner à
la Terre la chaleur d'où résulte sa température :
c'est, en premier lieu, celle que le Soleil rayonne
incessamment dans l'espace; puis vient celle de
l'espace même, c'est-à-dire celle qui provient du
rayonnement de tout le reste de l'univers abstrac-
tion faite du Soleil ; enfin vient la chaleur interne
propre à la masse même du globe terrestre. La
température do l'espace, quoique très basse pro-
bablement (d'après Pouillet elle ne dépasserait
pas li2" au-dessous de zéro^, contribue à donner à
la planète une chaleur fondamentale, indépen-
dante de la chaleur du Soleil et de la chaleur
propre que sa masse intérieure a conservée. Quant
à la chaleur du Soleil, dont l'influence est si con-
sidérable sur les phénomènes de la vie végétale
et animale à la surface de la Terre, dont les va-
riations selon les latitudes, aux diverses époques
de l'année, constituent l'infinie variété des saisons
et des climats, Fourier a prouvé qu'elle ne peut
rendre compte de l'accroissement de température
qu'on observe dans les couches du sol, à mesure
qu'on pénètre plus profondément au-dessous du
point où règne une température invariable.
Cette chaleur interne de la Terre, qui va en
croissant du point dont nous parlons, à raison de
1° centigrade par ■ 0 à 33 mètres de profondeur,
est donc, selon toute vraisemblance, une chaleur
d'origine. Mais les savants sont divisés sur la
question de savoir si la Ici de l'accroissement est
proportionnelle ou non à la profondeur : ils diffè-
rent aussi de vues sur les effets qui doivent ré-
sulter de cet accroissement. En admettant que
cet accroissement soit indéfini, on trouverait, à 40
ou 50 kilomètres de profondeur, une température
telle que les matériaux les plus réfractaires se-
raient à l'état de fusion incandescente. Dans cette
hypothèse, le noyau de la Terre, sauf une mince
pellicule de 5 i kilomètres, serait donc à l'état fluide.
D'autres savants ne croient pas que la partie so-
lidifiée du globe soit aussi mince : ils évaluent
l'épaisseur de la croûte au quart et même au tiers
du rayon terrestre. Mais les uns et les autres
s'accordent à considérer la chaleur intérieure de
la Terre comme due à un état de fluidité primi-
tive, état qui est admis par les géologues et qui
s'accorde bien d'ailleurs avec la forme ellipsoï-
dale du globe.
Entre l'époque actuelle et celle où la masse
tout entière de le Terre était fluide, où a com-
mencé, sous l'influence d'un refroidissement gra-
duel et continu, la solidification de la première
couche extérieure, combien s'est-il écoulé de cen-
taines de mille, de millions de siècles'? Il est im-
possible sans doute de répondre à celle question.
Tout ce que l'on peut dire, c'est que cet immense
intervalle de temps, nécessaire pour l'explication
des formations géologiques, pour la succession des
époques qui caractérisent les dépôts des diverses
couches primaires, secondaires, tertiaires et qua-
ternaires, n'est cependant qu'une fraction de l'his-
toire ancienne de notre planète. Celte histoire, dans
son ensemble, ne forme qu'un des chapitres de celle
qui raconterait la formation intégrale du monde so-
laire. Or, cette dernière a été ébauchée par l'un des
plus grands astronomes des temps modernes. Nous
ne pouvons mieux terminer cet aperçu sommaire
qu'en exposant ici, dans ses lignes principales, la
magnifique synthèse due au génie de Laplace, en
indiquant ensuite les modifications que les progrès
de la science y ont apportées.
Voici d'abord le résumé de la théorie ou, en
employant l'expression sous laquelle cette théorie
est connue dans la science, de la cosmogonie de
Lap'iice.
Si l'on remonte par la pensée à une époque
éloignée do la notre par une série énorme
de siècles, le monde solaire tout entier, ou, plus
exactement, toute la matière qui en forme aujour-
d'hui les divers groupes, existait à l'état purement
gazeux, ou, si l'on veut, sous la forme d'une im-
mense nébuleuse, extraordinairement diffuse, ne
présentant aucun indice de condensation. Dans un
tel état, les molécules de la nébulosité sont assez
éloignées les unes des autres pour que la force
répulsive dont elles sont douées annule entière-
ment la force attractive qui, les faisant graviter
les unes vers les autres, tendrait sans cela à les
réunir en groupes.
Mais les siècles s'écoulent, la nébuleuse se re-
froidit peu à peu en rayonnant incessamment
dans l'espace; l'action de la force répulsive dimi-
nue, et celle de l'attraction peut s'exercer de plus
en plus; elle condense et rapproche en un ou plu-
sieurs centres les diverses parties de la nébulosité
diffuse.
La nébuleuse solaire a donc dû finir par présen-
ter l'aspect d'un noyau lumineux enveloppé à une
grande distance d'une sorte d'atmosphère gazeuse,
de forme à peu près sphérique. Telles nous ap-
paraissent dans l'espace les étoiles nébuleuses :
on sait, en effet, que les astronomes considèrent
ces derniers systètnes comme irréductibles en
étoiles, ou si l'on veut comme des soleils simples,
doubles ou multiples, environnés d'une nébulo-
sité réelle, soit lumineuse par elle-même, soit
illuminée par l'astre central.
A cette période de sa formation, le Soleil exis-
tait seul encore; les planètes et leurs satellites
restaient confondues dans le sein do l'atmosphère.
Mais la masse entière était douée d'un mouve-
ment de rotation qui entraînait dans un même
sens, soit les molécules du noyau, soit celles de
la nébulosité. A un moment donné, les limites de
celte dernière dépendaient de la distance à la-
quelle la force centrifuge, due au mouvement de
rotation, était en équilibre avec la force centrale '
de gravitation. Ces limites changeaient elles-mêmes
et se rapprochaient nécessairement du centre,
sous l'inliuence d'un refroidissement continu, qui
avait pour conséquence la diminution de volume
de la nébulosité. De li, 1 abandon d'une zone de
vapeur condensée, à la distance des limites pri-
mitives.
Peu à peu l'atmosphère céleste dut abandonner
ainsi une série de zones de vapeur de plus en
plus rapprochées du centre, les unes et les au-
tres se trouvant à fort peu près dans le plan de
l'équateur général, c'ost-à-dire où, pour la vitesse
TEHRES
2161 —
TERRES
■du moiivoment de rotation, la força coiitrifuge
était naturelleiiioul pr(5poiiil6raiite.
Co sont ces zones qui ont donne naissanco aux
.planètes isoliios ou aux groupes do planètes et
d'astéroïdes.
Pour qu'il en fût autrement, ponr que les zones
dotacliéos de la Jiobuleuse générale eussent con-
servé la forme d'anneaux concentriciues au Soleil,
il aurait fallu qu'un équilibre parfait eût continué
d'exister entre les diverses molécules composant
ces anneaux. Mais c'eût été là, selon l'expression
de Laplace, un grand liasard.
Les aiuieaux se divisèrent, et les débris les
plus considérables, attirant et s'aggrégeant les
autres, formèrent de nouveaux centres ou noyaux
nébuleux. Ce qu'il importe maintenant île remar-
<}uer, c'est que chacun d'eux dut être animé de
deux mouvements simultanés, l'un de rotation
autour de son propre centre, l'autre de translation
autour du centre commun. De plus, comme ces
deux mouvements n'étaient que la continuation
du mouvement antérieur général, leur Sens resta
le même que celui de la rotation de tout le sys-
tème ou du noyau solaire.
Les planètes une fois formées, on comprend
parfaitement comment ces nébuleuses partielles,
sembLibles à la nébulosité totale, purent donner
lieu à la naissance de nouveaux corps gravitant
et tournant autour de chacune d'elles; telle est
l'origine des satellites.
Laplace explique alors comment les satellites
ne formèrent plus de satellites nouveaux, et pour-
quoi ces corps secondaires présentent la même
face à la planète autour de laquelle ils gravitent;
c'est que la faible dislance, donnant à l'attraction
de celle-ci une influence prépondérante, les spliè-
res composant les satellites, encore à l'état fluide,
s'allongèrent vers le centre de la planète : et il en
résulta pour le mouvement de rotation une durée
pres((ue identique à celle de leur mouvement de
révolution. Après un certain nombre d'oscillations,
ces durées devinrent rigoureusement égales.
Au lieu de supposer, comme l'a fait Laplace,
que la nébuleuse primitive qui a donné naissance
au Sol'il, puis aux planètes et à leurs satellites,
s'est condensée en un seul noyau central, quel-
ques astronomes pensent que cette nébuleuse
avait, dès l'origine, plusieurs centres de conden-
sation. D'api'ès M. Faye, l'immense température
dont ces noyaux ont été doués et qui est encore
le partage de la masse solaire centrale, n'existait
pas à l'origine : c'est la conversion en chaleur de
la force de gravitation qui peu à peu lui donna
naissanco. Mais quelles que soient les différences
qui existent entre la cosmogonie proposée par
Laplace, et les théories qui en ont modifié les dé-
tails, il y a cela de commun entre elles, c'est que
toutes admettent la fluidité piimitive des planètes
et notamment celle de la Terre, à une époque
prodigieusement éloignée de l'époque actuelle.
Ainsi l'astronomie, la physique et la géologie s'ac-
cordent dans la môme manière de concevoir les
origines de notre planète. [A. Guillemin.]
l'Elut lis. — Chimie, XVIL — Les cliimistes
ont donné le nom de ten-es à un grand nombre
de produits extraits de la terre, pulvérulents, in-
solubles ou peu solubles, ayant les couleurs diffé-
rentes que présente la terre en divers points, et
aussi à des préparations artificielles ayant con-
servé l'apparence de la terre. Dans sa classification,
Layoisier avait donné ce nom à des corps alcalins
qu'il .supposa, avec grande raison, être des oxydes
de métaux, dits terreux. Les principales terres
alcalines sont la chaux, la baryte, la strontiane, la
magnésie, l'alumine. Tous ces corps sont blancs,
plus denses que l'eau: aucun ;igcnt physique ne
; les altère. B i J i
'; Les trois premiers sont assez solubles dans l'eau,
2' PARTIE.
à. laquelle ils communiquent une réaction franche
mont alcaline. Leurs dissolutions se troublent en
présence de l'acide carbonique et forment des
carbonates. L'absorption de ce gaz par l'eau de
chaux ou de baryte offre un moyen de dosage du
carbone, utilisé en chimie organique. Ces trois corps
absorbent l'eau avec yrand dégagement de cha-
leur, et, une fois hydratés, retiennent un équiva-
lent d'eau qui ne peut être chassé par la chaleur
seule.
La magnésie est aussi très légèrement soluble
dans l'eau, mais, contrairement i la baryte, elle
l'est plus dans l'eau froide que dans l'eau chaude.
Elle absorbe très lentement l'acide carbonique.
Ces quatre corps peuvent être obtenus par les
calcinations des carbonates naturels ou artificiels.
Dans ces conditions, la magnésie obtenue est très
légère. Ce procédé est utilisé pour obtenir indus-
triellement la chaux, et la décomposition de son
carbonate est facilitée par les courants gazeux
produits par la combustion du bois ou de la
houille avec lesquels il est mêlé. On obtient la ba-
ryte et la strontiane en décomposant, de préfé-
rence par la chaleur, leurs azotates, composés
beaucoup moins stables; on agit de même quand
on veut avoir de la chaux très pure ou de la ma-
gnésie très compacte.
L'alumine se rapproche de la magnésie par l'ap-
parenie extérieure, mais en réalité elle devrait
être placée, pour ses propriétés chimiques, i côté
dos sesquioxydes de fer, de chrome, de manga-
nèse, bases peu énergiques. Ses propriétés diffè-
rent de celles des quatre autres terres avec les-
quelles on l'étudié ordinairement. Obtenue par
précipitation d'un de ses sels par l'ammoniaque,
elle a l'aspect gélatineux et retient une grande
quantité d'eau qu'elle perd en majeure partie par
dessiccation à l'air libre ou par la chaleur. Elle ne
forme pas de carbonate, ne se combine aisément
qu'aux acides énergiques en jouant le rôle de base
faible.
Les métaux des terres basiques furent, comme le
potassium et le sodium, d'abord obtenus en décom-
posant par la pile un de leurs composés. Celui qui
réussit le mieux est le chlorure fondu. Le calcium,
fe bari/um, le slruntium sont sans intérêt. Le
magnésium et Vuluminiam s'oblieiinent indus-
triellement en décomposant à une haute tempé-
rature, par le sodium, les chlorures doubles de ces
métaux et de sodium, et parfois, pour l'aluminium,
le fluorure naturel ou cryolithe.
Le magnésium en fils ou rubans brûle aisément
avec une lumière qui rappelle la lumière électri-
que, et qui permet d'obtenir des photographies
de nuit. 11 est précieux et son usage s'étendra
chaque fois qu'il s'agira d'obtenir pour un temps
assez court une lumière très intense. Pour des
temps considérables la lumière électrique et celle
de Diummond seraient plus économiques. Le
magnésium tient par son altérabilité le milieu
entre les métaux alcalins et les métaux usuels.
L'aluminium au contraire est d'une grande inal-
térabilité, soit à l'air sec ou humide, soit à la cha-
leur. Les composés chlorurés, sel marin, acido
chloihydrique, sont ceux ([ui ont le plus d'action
sur lui. Produit d'abord en globules, en 1827, par
Wohler, il a été obtenu par H. Sainte-Claire De-
ville en masses coiisid râbles et i un prix relative-
ment bas, une centaine de francs le kilog. Lors de
sa première fabrication en grand, vers ISUh, il fut
l'objet d'une grande vogue pour la fabrication des
bijoux. Cette vogue s'éteignit rapidement d'une
manière complète; il en résulta pour ce métal
une défaveur imméritée. Il est certain ([u'il re-
conquerra la grande place que lui assignent dans
les arts et l'industrie ses propriétés remarquables.
Le plus léger de tous les métaux, sa densité est
il peu près celle du verre; il est huit fois moins
IJC
TERRES
— 2162 —
TERRES
rtpnse que le platine, dont il a l'apparence exté-
rieure. 11 se travaille aisément par fusion, re-
poussé, cisèlement. Son brillant et son mat, moins
beaux peut-être que ceux do l'argent, no sont pas
noii'cis, comme clicz ce dernier métal, par les
vapeurs sulfurées, et parle moindre attouclienient.
Dans les circonstances ordinaires, ils sont prati-
quement inaltérables. L'aluminium est donc le
métal blanc de premier choix pour les œuvres
d'art et dans toules les circonstances où la légè-
reté est désirable. En étudiant ses alliages, .\I. De-
bray en a trouvé un qui possède égalemiirt dos
propriétés qui lui assurent un graud développe-
ment. Le bronze d'aluminium (aluminium I,
cuivre 9) est beau comme l'or, et dans la pratique
ordinaire inaltérable comme lui. Il a presque la
densilé du cuivre, il est plus tenace que le meil-
leur acier. Il se travaille aussi très aisément. C'est
donc le métal jaune des fuiures œuvres d'an, le
métal de choix des appareils qui doivent être inal-
térables, résistants et légers.
Donnons quelques détails sur les sels terreux,
en laissant de côté ceux de cLaux dont il a déjà
été question ailleurs (V. Chaux).
Les sels de baryle, comme leur base, sont d'une
densité remarquable ; d'où leur nom (en grec :
barys. lourd).
Le carbojiate est insoluble dans l'eau ordinaire,
soluble dans l'eau carbonique. Le sulfate est le
plus insoluble des corps blancs pulvérulents. Ces
deux sels se trouvent à l'éiat naturel et sont les
sources de baryte. Le premier fournit aisément les
divers sels en changeant son acide carbonique
pour un acide plu^ énergique. On peut aussi les
obtenir du second, transformé en sulfure par la
calcination avec du charbon. L'azotate de baryte
sert à la fabrication des feux de Bengale vert-pâle.
Le chlorure de baryum est un antiseptique, excel-
lent conservateur des préparations à la glycérine
et à la gélatine, dont les arts it la science com-
mencent \ tirer bon parti. On obtient d'ailleurs
toute la série des sels, dont la plupart n'ont
qu'un intérêt théorique. Ils sont tous vénéneux,
précipitables par les carbotiatcs et les sulfates so-
iubles. Dissociés dans une flamme, ils la colorent
en vert. La baryte entre dans la compositioti d'un
verre très fusible, aimé des chimistes. Le sulfate
lie baryte précipité est une couleur blanche, qui
couvre moins que le carbonate de plomb, mais
ne s'altère pas.
Presque tout ce qu'on a dit des sels de baryte
s'applique à ceux de sfriiilinrie. Signalons les dif-
férences. Le sulfate est un peu moins insolu-
ble. De l'eau agitée avec ce sulfate en dissout
assez pour donner un léger nuage. Les sels de
stroniiane dissociés dans une flamme la colorent
en rouge, et l'azotate sert à faire les bengales
rouges.
Les raies fournies par les flammes du baryum
et du strontium au speclroscope sont des plus
remarquables et des plus caractéristiques.
La magnésie caustique peu calcinée et la ma-
gnésie précipitée sont les antidotes lecnmmajidés
dans les cas d'empoisonnement par les acides, et
en particiiliiT par l'acide arsénioux. Tous les sels
de magnésie sont en elTet purgatifs mais non vé-
néneux. Le sulfate est un produit naturel qui s'ex-
trait des eaux-mères dos salines, se trouve en
abondance dans les eaux médicinales naturelles de
Sedliiz et d'Epsom, d'où les noms souvent donnés
à ce sel. Le carbonate ou plutôt l'hydrocarbonate
s'obtient en précijiitant ce sulfate par un carbo-
nate alcalin. Sa composition varie suivant les con-
ditions et surtout la température de l'expérience.
Ce produit très léger constitue la magnésie blan-
clie des pharmaciens. A part le citrate de magné
sie, ou limonade purgative de Royer, les autre»
sels de cette base n'ont pas d'importance pratique.
Les sels de magnésie sont précipités en partis
par l'ammoniaque. Une partie forme un sel dou-
ble sohible que l'ammoniaque ne précipite pas. Le
carbonate ammoniacal ne la précipite pas. Les au-
tres alcalis et carbonates solubles y forment uit
précipité soinble dans le sel ammoniac.
Valumine précipitée par l'ammoniaque d'une
dissolution d'un de ses sels a l'aspect gélatineux;
elle coniicnt une grande quantité d'eau; on peut
l'obtenir anhy Ire en calcinant ce précipité, ou
mieux le double sulfate d'alumine et d'ammo-
niaque. L'alumine calcinée a peu d'aftinité pour
les acides; elle peut absorber jusqu'à 15 p. 100
d'eau hygrométrique que la chaleur rou^e seule
peut chasser. Elle fond au chalumeau oxyhydrique
en dormant un produit excessivement dur. L'alu-
mine hydratée fornte avec les bases des combinai-
sons faciles à décomposer; elle absorbe les ma-
tières colorantes en (ormant avec elles des laque»
utilisées dans la peinture et l'impression de»
papiers peints. A l'état naturel, l'alumine consti-
tue le corindon, l'émeri, le minéral le plus dur
après le diamant. ( olorés par des traces d'oxydes-
métalliques, les beaux éclianlillons sont des pier-
res précieuses, le rubis rouge de feu, la topa2e
orientale jaune, le saphir oriental bleu, l'anié-
thyste orientale pourpre. Sa densité est 4.
Les sels d'alumine les plus importants sont les
aluns, sulfates doubles d'alumine et d'un alcali^
dont la formule générale est :
RO.SO' + AI^033S03 -f 24HO.
L'alun est le type d'une nombreuse classe dé-
composés isomorplies. Dans les aluns proprement;
dits la base H peut être la potasse, la soude»,
l'ammoniaque, lalilliinc, etc.; mais il existe ausstv
toute une série de composés improprement appe-
lés aluns, où l'alumine est remplacée aussi par
des sesquioxydes de chrome, de fer, de m.inga-
nèse ; enfin à l'acide sulfuiique lui-même peuvent
se substituer les acides isomorphes, sélénique,,
tellurique. Il existe des aluns naturels impurs,,
mais le plus souvent on exploite des sulfates
alumino-lerreux effloiescents sur des pyrites mé-
langées d'argile, et se décomposant lentement i
l'air humide. Ces corps sont purifiés par cris-
tallisation, alliés à des sulfates alcalins. L'ainn de
potasse s'obtient en magnifiques cristaux du \"
système, ordinairement cube tronqué par les.
faces de l'octaèdre ; cette forme s'obtient très-
pure dans une dissolution acide, tandis que le
cube s'obtient dans les dissolutions alcalines.
L'alun ciiaulîé fond, puis perd par parties suc-
cessives son eau de cristallisation; à la fin. cette
opération s'accompagne comme pour le borax
d'un boursouflement remarquable; à une plus
haute température, le sulfate d'alnmine se dé-
compose, et l'alumine reste mélangée au sulfate
de potasse. L'alun ammoniacal laisse de l'albumine
pure.
Les aluns sont utilisés en médecine comme as-
tringents, l'alun calciné même comme causti-
que. Ils sont employés pour les teintures, le
mégissage des peaux, la clarification des eaux
bourbeuses.
L'emploi de l'alun est moins rationnel que celui-
du sulfate d'alumine, qui le remplace souvent au-
jourd'hui dans l'industrie. Ce dernier s'obtient
comme les aluns, mais en évitant l'addition des.
sulfates alcalins, et aussi par l'action lente de
l'acide sulfurique sur les argiles.
Le chlorure d'aluminium est obtenu à l'état i
anhydre en traitant par le chlore un mélange
poreux d'alumine et de charbon. Ce corps est
très avide d'eau, l'ne fois qu'il en a absorbé, il
ne l'abandonne plus lolalenient; chauffé, le chlo- '
ruro hydraté dégage de l'acide chlorhydrique et.
laisse de lalumine. En ajoutant du sol à ce mé- ^
TERRES ARABLES
— 2163 — TERRES ARABLES
lange, on obtient lo clilorure doublu qui sert à la
préparation (Ih l'aluminium.
Un fluorure naturel d'aluminium et do sodium,
la cryolitlie, <|ui se trouve au Groenland, a aussi
servi à la préparation de l'aluminium. On en a
queliiuefois aussi, au début, préparé arlificielle-
mont dans ce but.
L'acétate d'alumine est un antiseptique de pre-
mier ordre, dans une dissolution duquel on a
recommandé do tremper, après usage, les linges
des personnes atteintes d'affections contagieuses,
afin de détruire les germes qui pourraient se
trouver dans ces linges. Celte dissolution s'ob-
tient en mélangeant de l'alun et de l'acétate de
plomb ; il se forme du sulfate de plomb inso-
luble, et il reste de l'acétaie d'alumine en dis-
solution.
Les sels d'alumine ont une saveur douceâtre,
astringente ; la potasse y produit un précipité
soluble dans un excès de réactif. L'ammoniaque
en précipite aussi l'alumine, mais no peut redis-
soudre le précipité.
On a vu, i l'article Silice, qu'il existe un grand
nombre de siliialcs alumineux. Ceuv qui se dé-
composent par l'action lente de l'air, de l'eau, par
les désagrégations produites par les cbangenients
de température, abandonnent les silicates alca-
lins, et laissent des silicates d'alumine plus ou
moins purs, argile, glaise, kaolin, utilisés pour le
modelage et la fabrication de la porcelaine et des
poteries.
Nous terminerons cet article en citant quel-
ques-unes des terres non alcalines employées
dans l'industrie :
Terre d'Arménie, argile ocreuse.
Terre bleue, argile colorée par de l'oxyde do
cuivre.
Terre d'Ambre ou d'Ombre, argile très colorée
en brun qui se trouve en Ombrie.
Terre do Sieniie, ocre jaune très fine qui rougit
par la calcination. [Paul Robin.]
TEllKES ARABLES. — Agriculture, I. — La
terre arable est la couclie superficielle du sol, dans
laquelle se développent les racines des plantes cul-
tivées. On a fait parfois une distinction subtile
entre le sol végétal, dans lequel se répandent les
racines, et le sol arable formé par la couche que
remuent les instruments de culture. Mais, dans la
réalité des choses, cette distinction n'existe pas;
car un grand uonibre de plantes projettent leurs
racines bien au-dessous de la couche atteinte par
les instruments, et d'un autre côté, la limite assi-
gnée k celle-ci est purement arbitraire, car elle
dépend des soins de culture ciui, suivant les
exploitations, varient dans de très grandes pro-
portions. La connaissance de la terre arable est
de la plus haute importance pour l'agriculteur,
car elle exerci; une très grande influence sur le
rendement des récoltes, et de sa nature même dé-
pend souvent le mode d'exploitation qui doit être
adopté.
Formation des terres arables. — La terre arable
est fortnée par la réduction en fragtnents plus ou
moins ténus des roches qui forment l'écorce ter-
restre, et par le mélange, avec ces fragments, des
débris organiques provenant de la décomposition
des plantes. Elle peut être formée sur place ou
par transport. Dans les deux cas, il y a, dans la
plupart des circonstatices. non S'-uieraent modi-
fication physique, mais encore changement dans
la composition cliimique. C'est sous l'influence
soit des agents météoriques, soit des eaux, que ce
double phénomène se produit.
Lorsque la terre végétale s'est formée surplace,
au-dessous de la couche superficielle, la roche est
délitée en pierres qui deviennent de plus en plus
jrosses, jusqu'à ce qu'on arrive a la roche pure, à
une profondeur plus ou moins grande suivant la
facilité avec laquelle cette roche se laisse péné-
trer par les agents extérieurs et surtout par l'eau.
Dans ce cas, le sous-sol, c'est-à-dire la couche qui
succède immédiatement à la terre arable, est de
même nature que celle-ci.
Au contraire, lorsque la terre arable est une
terre de transport. Il arrive le plus souvent que le
sous-sol est de nature différente, parfois même
tout à faitopposée. Les terres de transport, qu'elles
appartiennent aux alluvions anciennes ou aux al-
luvions modernes, résultent, en effet, des dépôts
formés, à des époques diverses, par les courants
d'eau qui ont sillonné en tous sens le globe ter-
restre. Le nombre de ces terres de transport est
extrêmetiient considérable : on en trouve dans
toutes les régions en des couches d'une épais-
seur très variable, superposées à toutes les for-
mations géologiques. On comprend dès lors le
rôle important que jouent les recherches de géo-
logie dans la connaissance des terres arables.
La différence d'origine implique une très grande
diversité dans la composition des terres arables.
Toutefois les élétnetits principaux qui les consti-
tuent sont presque constamment les mêmes, et
c'est surtout dans leurs proportions relatives que
se trouvent les différences. Ces éléments sont l'ar-
gile, la silice, la chaux, et enfin la matière orga-
nique ou humus.
L'argile, qu'il est facile de distinguer par sa
propriété de faire une pâte liante avec l'eau et de
se durcir sous l'action de la chaleur, est formée
par une combinaison de Si pour lOU de silice,
33 d'alumine et lô d'eau. Oti la rencontre dan«
presque toutes les formations géologiques; elle
absorbe une grande quantité d'eau et devient im-
perméable quand elle eji est saturée; elle emma-
gasine aussi les substances solubles, et les dégage
quand elle est émiettée.
La silice se rencontre dans le sol sous diverses
formes: tantôt pure et à l'état de quartz, insolu-
ble dans l'eau ; tantôt sous forme de silicates, on
combinaison avec la potasse, le fer, la soude;
tantôt enfin sous la forme d'une poudre très fine
provenant de la décomposition de ces silicates.
Sous forme de quartz, la silice constitue ce que
l'on appelle le sable, qui peut être plus ou moins
gros; ([uatid il est très fin, il absorbe jusqu'à 30
pour 100 d'eau ; s'il est grossier, il n'eti absorbe
pas plus de 20 pour luO. Le sable laisse facile-
ment filtrer les substances solubles, et à ce point
de vue ses caractères sont diamétraletnetit oppo-
sés à ceux de l'argile.
Le calcaire est l'ensemble des cotnbinaisons ,
terreuses dans lesquelles la chaux joue le rôle de
base. Leur caractère essetitiel est qu'elles font
effervescence sous l'action des acides ; mais leur
composition varie dans de très grandes propor-
tions. Le calcaire est un principe essentiellement
utile à la végétation des plantes cultivées. Sa pré-
sence dans les sols puretnent siliceux ou sableux
leur donne de la consistance; aux terres argileu-
ses, il communique la propriété de se diviser sous
l'action de l'humidité, et de laisser filtrer l'eau
surabondante, en môme temps qu'il corrige leur
tendance à se durcir sous l'action de la séclieres.se.
A côté de ces principes minéraux qui sont con-
sidérés comme les éléments constitutifs des terres
arables, <|uelques autres jouent un rôle dans la vé-
gétation. Ce sont, d'après les connaissances actuel-
les surce sujet: le manganèse, le fer, la potasse,
la soude, les phosphates, etc. Quoique do moindre
imponance, ces éléments sont cependant asseï
actifs dans la végétation pour que leur absence
puisse empêcher un sol de porter telles ou telles
plantes.
La matière organique qui, sous le nom généri-
que d'Iiunius, est formée par les détritus des or-
ganes des plantes qui ont poussé sur lo sol, se
TERRES ARABLES
2164 — TERRES ARABLES
trouve dans celui-ci en proportions variables ; elle
est surtout considérable dans les défrichements
d'anciennes foi-êts oud« landes restées longtemps
sans culture. L'avantage de ces matières organi-
ques est multiple : « C'est par la déconipositioa des
résidus d'origine organique, dit M. Dehérain, que
se forment les nitrates et les sels ammoniacaux
qui fournissent aux plantes l'azote nécessaire à la
formation de leurs matières albuminoides. C'est
encore au moment de l'oxydation de l'iiuraus que
se produit l'acide carbonique qui amène aux
plantes le pliosphate de chaux que l'on rencontre
dans leurs tissus. C'est l'humus qui est l'agent de
la fixation de l'azote atmosphérique. Enfin les
terres riches en humus retiennent l'eau beaucoup
plus facilement que celles qui en sont dépour-
vues, et pendant les sécheresses se couvrent de
récoltes beaucoup plus abondantes que celles
qu'on pourrait obtenir de terres privées d'hu-
mus. » Toutefois, il faut ajouter que si les terres
humifères sont généralement meubles, il faut
craindre un excès d'humus qui est défavorable à
la végétation des plantes utiles.
Classificatio)! îles terres ambles. — On a essayé
souvent d'établir des classifications qui permettent
de distinguer, par des caractères précis, les diver-
ses sortes de terres arables. De tous temps, les
agriculteurs praticiens ont classé les terrains sui-
vant la résistance qu'ils offrent au travail de la
charrue. Les terres fortes et les terres très lé-
gères sont les deux ternies extrêmes de cette clas-
sification. Mais ce caractère est tout à fait insuf-
fisant pour servir de base i une véritable nomen-
clature des terres arables. Les agronomes ont
donc cherché d'autres bases de classification.il en
est résulté diverses nomenclatures des sols: les
unes ayant pour base les propriétés physiques,
les autres s'appuyant sur leurs caractères chimi-
ques. L'une et l'autre méthode ont une importance
réelle pour les agriculteurs; il convient d'en indi-
quer sommairement les résultats.
Les caractères qui peuvent servir au classement
des sols, au point de vue physique, ont été dé-
terminés comme il suit, de la manière la plus
claire, par .M. Paul de Gaspariu : la continuité, la
ténacité et l'immobilité.
Le sol est toujours composé de deux parties :
l'une réduite en poudre très fine ou impalpable,
l'autre formée par des fragments plus ou moins
gros. Lorsque la proportion de ces deux parties
est telle que l'impalpable atteint ou dépasse le
volume de la partie palpable, le sol doit être consi-
déré comme continu ; dans le cas contraire, il est
discontinu. — La ténacité est le caractère des sols
dans lesquels domine l'argile, de telle sorte que,
sous 1 influence de la sécheresse, ils se pren-
nent en Uiie masse très dure, très difficile à atta-
quer avec les instruments. — A ce caractèi-e vient
se joindre parfois le troisième, celui de l'immobi-
lité, qui est réalisé lorsque, dans un mélange de
calcaire et d'argile, le volume de calcaire est suf-
fisant pour excéder les vides de l'argile; alors il
sfl produit un phénomène de continuité qui para-
lyse les effets de la contraction ou de la dilatation
de l'argile. — Ces trois caractères ont pour con-
traires la discontinuité, la friabilité et la mobilité.
En dehors de ces caractères primordiaux, il faut
tenir compte du lot pierreux, qui est plus ou
moins important dans toute terre arable. La clas-
sification se fait en éliminant cette partie, ce qui
ne change pas d'une manière sensible la compo-
sition du sol au point de vue des éléments qui le
forment et de leurs proportions respectives.
Mais, au point de vue économique, la détermina-
tion exacte du lot pierreux a la plus grande im-
portance; en effet, celui-ci étant inerte, il occupe
dans le sol la place de parties actives, et la fer-
tilité de celui-ci est diiniauée d'autant. Ainsi
deux terres qui, toutes choses égales d'ailleurs,
contiendraient, l'une 40 p. 100 de pierres, l'autre
10 p. 100 seulement, seraient par cela même,
au point de vue de la fertilité, dans le rapport de
50 i 'JO. Il faut ajouter que si les pierres sont
gênantes pour les travaux de culture, elles sont
le plus souvent sans influence sur la ténacité du
sol ; b. ce point de vue. dans presque toutes les
terres arables, leur rôle est de faible importance.
Seulement la densité de la terre est augmentée
par la présence des pierres, et il faut plus d'ef-
forts pour en soulever ou en transporter un même
volume.
Il est enfin une dernière qualité physique du
sol, variable à divers degrés, qui doit être signa-
lée ■ c'est son pouvoir absorbant, qui est parfai-
tement décrit par .M. Dehérain, dans les termes
qui suivent : « Plusieurs des principes les plus
' utiles aux végétaux, susceptibles d'être retenus
dans le sol, n'y circulent qu'en dissolution très
étendue : l'ammoniaque, la potasse, l'acide phos-
phorique sont facilement absorbés par les sols
qui no sont pas absolument dépourvus d'humus,
mais il n'en est plus de même pour les nitrates,
qui filtrent au travers de la terre arable sans que
la concentration de la dissolution soit sensible-
ment modifiée. L'analyse des eaux de drainage
confirme pleinement les données précédentes; si
on y rencontre souvent des nitrates, on n'y
trouve que rarement de la potasse, de l'acide
phosphorique, de l'ammoniaque. C'est ce qui
apparaît avec une grande netteté dans les nom-
breuses analyses des eaux d'égout employées en
Angleterre aux irrigations : on reconnaît que ces
eaux, chargées d'ammoniaque quand elles arrivent
à la surface du sol, ne renferment plus que des ni-
trates quand elles ont traversé la couche arable pour
arriver jusqu'aux drains. » Les terres possèdent
d'autant plus ce pouvoir absorbant qu'elles ren-
ferment une plus grande proportion d'argile.
Ajoutons, d'ailleurs, que ce pouvoir absorbant
amène souvent des mécomptes dans l'emploi des
eno-rais, car il supprime l'action fertilisante d'une
certaine proportion de principes utiles qui sont
entraînés dans les couches profondes du sous-sol.
C'est surtout sur les engrais salins que cette
action se fait particulièrement sentir.
Les trois caractères qui peuvent servir de base
k la classification physique des terres arables
permettent d'en établir la nomenclature suivante :
1° Terrains discontinus, renfermant plus do 70
pour 100 de sable. .\ cette catégorie appartiennent
les sols sablonneux, les terres légères, et à la
hniite ce que l'on appelle les terres franches.
2° Terrains friables, immobiles, coiitinus, ren-
fermant plus de "0 p. 100 de carbonate de chaux.
Ce sont les terres calcaires.
:3" Terrains tenaces, immobiles, continus, ren-
fermant de 30 à -0 p. 100 de sable et de aO à 70
de carbonate de chaux. Ce sont les sols argilo-
calcaires, les terres marneuses, les terres fortes
calcaires. .
4° Terrains tenaces, mobiles, continus, renfer-
mant de .30 à 70 de sable, et moins de 30 p. 100
de carbonate de chaux. Ce sont les sols argileux,
les terres fortes siliceuses, les terres argilo-sili-
ceuses. ,. . . , ,
Dans chacune de ces quatre divisions, les sols
se comportent différemment sous l'action de l'eau.
Les sols de la première catégorie se laissent
complètement traverser par l'eau; ils sont donc.
naturellement draines et frais, car l'humidité se
conserve en adhérant aux parties sablonneuses. —
Les terres de la deuxième division demeurent
stériles, lorsqu'il n'y a pas un transit continuel
de l'humidité soit atmosphérique, soit souter-
raine : mais sous l'action de l'eau, elles sont
d'une grande fertilité. — Les terres de la troi-
TERRES ARAHLES
2165 — TERTIAIRES (TERRAINS)
sième division présentent une grande richesse
minérale; elles absorbent facilement l'iivimidité,
mais elles présentent le danger d'être rapidement
saturées, de sorte que, dans les saisons pluvieu-
ses, il y en a un excès nuisible en contact avec
les racines des plantes. — Knfin la quatrième divi-
sion, qui cimiporte des sels très rielies, est celle
qui a le plus à craindre de l'iiuraidité, surtout
lorsque le sous-sol est argileux ; ces sols deman-
dent le plus souvent à ôtro drainés, assainis, la-
bourés profoiidonient, de manière à contrebalancer
les effets de leur imperméabilité.
Il ressort de ces détails que c'est surtout dans
une sorte de pondération du sable et de l'argile,
dans lenr mélange en des proportions convena-
bles, que réside la richesse de la terre arable.
C'est pourquoi les terres de la quatrième division
formée par M. de Gasparin peuvent être consi-
dérées, au point de vue agricole, comme supé-
rieures à celles des autres catégories.
L'étude de U classification chimique des terres
arables se présente sous deux aspects différents
res arables sont extrêmement variables. Les ex-
trêmes paraissent s'établir entre K» grammes
d'azote combiné par kilogramme de terre dans le
terreau des jardiniers, et un demi-gramme ou
môme moins dans les terres les pins pauvres
sous ce rapport. — Quant h la potasse, elle se
trouve presque toujours d.ins le sol en (|uanlité3
suffisantes pour la plupart des plantes cultivées;
c'est dans les terres granitiques qu'elle se ren-
contre en plus grande abondance. — Enfin, en ce
qui concerne la chaux, il y a, dans sa répartition
dans les diverses natures de terres, des inégalités
très grandes ; elle forme la plus grande partie de
certains sols, tandis que d'autres n'en contien-
nent presque pas. C'est l'affaire du cultivateur
habile que de modifier, par des amendements ap-
propriés, les excès ou les défauts qui viennent
d'être signalés.
Fertilité îles terres arables. — Un sol fertile
est celui qui, soumis à une culture ration-
nelle, donne, pour les plantes cultivées, d'une
manière permanente, des rendements très éle-
l'influence de la composition du sol sur sa cousis- : vés. Suivant que, dans le sol, les éléments con-
tance, et celle de sa richesse au point de vue j stitutifs seront répartis proponionnellement aux
de l'alimentation des végétaux cultivés
besoins des plantes, ou que l'un prédominera
L'élude qui vient d'être faite de la classification aux dépens des autres, le sol sera fertile ou sté-
physiqup répond au premier de ces points de rile. Il n'y aurait pas davantage à ajouter ici, si
vue. Mais lorsqu'il s'agit de la classification au ' des causes extérieures n'exerçaient une action
point de vue de l'alimentation des plantes, le directe sur les terres arables,
principal intérêt s'attaclie à des éléments qui sont \ Au premier rang, il faut placer le climat, dé-
très disséminés dans le sol. En effet, un des buts J terminé par la chaleur, la lumière, les pluies,
principaux de l'art agricole est de suppléer, par ^ On comprend, d'après les explications données
une répartition convenable et le choix bien fait ; plus haut, que ces agents extérieurs exercent
des engrais, à la rareté ou à l'absence des clé
ments organiques ou inorganiques qui, soit di-
rectement, soit indirectement, servent au déve-
loppement do la vie végétale. La plupart des
substances qui alimentent les plantes sont fou
une action différente suivant la nature des sols.
— L'épaisseur de la couche arable influe aussi
beaucoup sur sa fertilité ; deux terres de com-
position analogue, mais de profondeur différente,
se comporteront autrement, surtout lorsqu'on y
nies par les liquides traversant le sol, par l'at- , sèmera ou plantera des plantes k racines ploti-
mosphère ou parles engrais. Quant au sol, outre géant profondément dans le sol; les bons culti-
qu'il sert de réceptacle à la plante, il doit lui ' vateurs clierchent à augtnenter, par des labours
fournir les éléments fixes qui entrent d'une ma- qui attaquent peu h peu le sous-sol et le mêlent
niére courante dans la composition du squelette à la couche arable, la profondeur de celle-ci, lors-
des végétaux, principalement dans les graines qui ' qu'elle n'est pas suffisante. — Enfin, le sol peut
doivent les reproduire.
être rendu stérile par la présence de principes
Les principaux éléments nécessaires à la végé- ! nuisibles: ceux dont l'action est le plus apprécia-
tation, et que la terre arable ne renferme qu'en ble sont les chlorures et surtout le sel marin ;
proportions très faibles, sont l'azote, l'acide l'influence du sel marin est sensible dans les
phosphorique, la chaux et la potasse. Pour déter- i terres conquises sur la mer, et que l'on veut
miner quel est celui de ces principes qui doit , mettre en culture; il faut avoir alors recours au
servir de base k une classification, il faut encore ' dessalement pour les rendre productives,
avoir recours aux travaux de M. Paul de Gaspa- , Les opérations par lesquelles l'agriculture peut
rin. 11 ré-ulte de ses recherches que le dosage agir sur la nature des terres arables sont multi-
en acide phosphorique est ce caractère. Pjr l'c- 1 pies. Tout d'abord, il faut signaler les amende-
tude comparée des terres arables, il est arrivé à! ments et les engrais qui obvienlau défaut de princi-
cette conclusion qu'un tableau d'analyses bien pes constituants. Certaines terres, trop humides,
faites, ordonnées d'après le dosage en acide phos- ^ doivent être assainies, desséchées nu drainées;
phorique, apprend en un seul coup d'oeil toutes | d'autres, trop sèches, ont besoin qu'on leur apporte,
les qualités physiques et alimentaires du sol. Il par divers travaux, l'humidité nécessaire à la végé-
forme ainsi quatre catégories déterres arables j tation ; dans ce cas, il faut avoir recours aux irriga-
j' i. 1. J .- --.J „i , - f tiens. Ailleurs, il faut transformer un sol caillou-
d'après le dosage en acide phosphorique :
Terres pauvres, renfermant moins de 1/2 mil- teux; c'est par le colmatage, ou l'apport d'un sol
lième d'acide phosphorique ;
nouveau, qu'on peut obtenir ce résultat. Ce sont
Terres moyennement riches, qui renferment de , autant de séries d'opérations répondant à la di-
1/2 à I millième d'acide phosphoriqu
versité des circonstances dans lesquelles le culti-
_ Terres riches, qui renferment 1 à 2 millièmes vateur est appelé à exercer son industrie,
d'acide phosphorique ;
Terres t'es riches, qui en renferment 2 mil-
lièmes ou davantage
[Henry Sagnier.]
TEKTI.AIKES (TEnBAiNs). — Géologie, VIII. —
On les appelle aussi terrains csenozoigues. Ils ont
Il existe en effet quelques terres très riches, par ' été divisés par un illustre géologue anglais, Ch
exemple des sols volcaniques, dans lesquelles [ Lyoll, en trois étages qu'il a dénommés en se fon-
l'analyse constate jusqu'à G millièmes d'acide dant sur la proportion d'espèces de mollusques que
phosphorique. Les terrains granitiques sont au ! l'on croyait encore vivantes en 1831 :étageinlérieur,
bas de l'échelle; ils ne contiennent presque ja-
mais I millième d'acide phosphorique. Dans les
^rrea pauvres en acide phosphorique, on obvie à
ce défaut par des engrais phosphatés.
Les proportions d'azote que renferment les ter-
éocène, u aurore du récent"; étagemoyen, mincène,
« moyennement de récent » ; étage supérieur, plio-
cène, " davantage de récent. >i En Franco, Aie. d'Or-
bigny a établi des subdivisions plus nombreuses en
partageant l'éûcène on Suessiuniea et Parisien, la
TERTIAIRES (TERRAINS) — 2166 — TERTIAIRES (TERRAINS)
miocène en Tongricn et Fn/unien ; et en restituant
au pliocène le nom de Sub-Apennin. En Allemagne
ces terrains sont divisés en deux grands grou-
pes : le terrain itummiilitirjtc, inférieur, en cou-
ches souvent redressées dans les Alpes, et le ter-
rain néugéne, supérieur, correspondant aux étages
miocène et pliocène, et qui est liabituellement
horizontal.
Les terrains tertiaires, en couclies originaire-
ment horizoniales ou fort peu inclinées, sont res-
tés tels dans les pays de plaines et de plateaux ;
mais sur les flancs des cliaines de montagnes
ils sont souvent, pour l'étage inférieur, relevés,
contournés, quelquefois même verticaux, comme
les terrains secondaires.
Tandis que dans les terrains secondaires on
rencontre peu souvent des dépôts formés dans les
eaux douces, ceux-ci au contraire sont fréquents
dans les terrains tertiaires; dans beaticoup de
bassins il y a de grandes assises alternativement
marines et d'eau douce ; et dans plusieurs les
dépôts sont exclusivement d'eau douce, ayant
été formés dans des nappes d'eau analogues
aux grands lacs de l'Amérique du Nord. Comme
pour tous les terrains sodimentaires ou neptu-
nicns, les roches sont de trois sortes principales :
argileuses, arénacées et calcaires, et il n'y a rien
à ajouter à ce qui a déjà été dit à ce sujet pour les
terrains seconilaires (p. 2008).
La période tertiaire n'a pas été aussi longue
que la période secondaire, et ne présente pas, à
beaucoup près, autant de variété dans ses ter-
rains. Ses couclies inférieures se lient, dans quel-
ques pays, d'assez près aux terrains supérieurs de
la craie; ses formations les plus récentes ne sont
pas toujours faciles il bien ilistingui-r de celles de
la période diluvienne. Ses caractères paléontologi-
ques principaux sont de ne présenter aucune am-
monite et de renfernipr des faunes abondantes de
mammifères monodelplies, ce qui la distingue
clairement de la période secondaire. Ces mammi-
fères diffèrent souvent de ceux de la période mo-
derne par des caraclèrcs assez importants pour
qu'on ait dû en former de nouveaux genres. Ainsi
les Piilieothei'ium, les Anoplvthnii'm, les llino-
tkurium, etc., ne vivaient pas avant cette époque
et ne lui ont pas survécu. D'autres genres, au con-
traire, sont semblables à ceux d'aujourd'hui, et les
espèces seules dillcrent. Les oiseaux, les reptiles,
les poissons et les animaux inférieurs de cette
période sont, en général, plutôt des espèces que
des genres perdus.
En France ces terrains achèvent de remplir les
dépressions qui existaient après le dépôt et le
bouleversement des terrains secondaires; ils sont
répartis en quatre bassins : celui du nord ou de
Paris, auquel se rattachent les dépôts de la Lima-
gne ; celui du sud-ouest, ou de la Gironde ; ce-
lui du sud-est, ou du Uliône; et celui du nord-est,
ou de l'Alsace. Deux seulement, ceux de Paris et
de la Gironde, étaient en communication directe
par des lagunes.
Bnssin du tiordou de Paris. — Il s'étend sur-
tout dans la Nousirie, la Limagne, la plaine de
Monlbrison, et comprend en outre divers petits
dépôts au sud ouest de celle-ci. La Neuslrie no pro-
sente que les terrains éocène et miocnie, formés
d'alternances de couches marines et d'eau douce.
Le terrain éocène présente successivement : rLes
sables fie Brac/ieuT, dans lesquels près de Reims
Be trouve le calcaire d'eau douce de Rilly à gran-
des physes; -.o L'nrgile plastique, formée inférieu-
rement d argiles blanches, ronges ou grises, rem-
placées entre le Loing et l'Yonne, ainsi qu'à
Beauniont-sur Oise, par des amas de cailloux rou-
lés et de poudiiigues formés aux dépens des silex
de la craie; par dessus viennent des sables fau-
ves, contenant àleur base, surtout dans la Marne,
l'Aisne et l'Oise, des ligiiites pyriteux, exploités
pour en extraire de l'alun et du sulfate de fer.
Les fossiles sont assez nombreux dans cet étage;
c'est là qu'ont été trouvés les plus anciens mam-
mifires de la France, les Palœoqi'-n jirimsvns,
Viverra untiqua, des Anthracot/ierium, Lophio-
don, des tortues, des crocodiles, VO liea Èello-
vaciiiii, etc. ;3" Les iah/es glanconi/éres, oui sont
verdàtres et renferment une grande quantité de
petites nummulites, et autres fossiles; i' Le cal-
caire gi oss'er rempli d'abord de Niinumilit'^s Icevi-
gaia, puis le Ciitcaire grossier ordinaire, chhirité et
verdâtre inférieurement, et dont la partie moyenne
donne d'excellentes pierres à bâtir. Dans les par-
ties où il est friable, on y trouve plus de 8o0 mol-
lusques et radiaires matins décrits par Lamarik et
Deshayes ; une des plus grandes esppces est le
Ceriihiion giganteum. 11 y a aussi qi elqu<'S co-
quilles d'eau douce, des ossements de Lophi"flon,
de crocodile ; la partie supérieure est formée par
des marnes et des calcaires compactes presque
sans fossiles. Le calcaire grossier luanque au sud
du parallèle de Paris ; il est bien développé dans
l'espace compris entre Laon, Epernay, Paris,
Evreuxet Beauvais, où son épaisseur moyenne est
d'environ 40 mètres; à" Les sables et i,rèi de
Deaiichamp, qui sont un vaste dépôt de sables ma-
rins blancs ou verdàtres, avec rognons et bancs
de grès souvent calcaires, renfermant plus de
350 mollusques et radiaires ; ce dépôt accompa-
gne presque tottjours le calcaire grossier; 6° Le
calcaire siliceux de Saint-Ouen, commençant un
ensemble de dépôts d'eau douce qui se continue par
les marnes ggpsifères : ci-l\es-ci renfiTment deux
ou trois amas de gypse saccharoide blanchâtre, dont
le supérieur a 20 mètres d'épaisseur, et dans les-
quels ont été trouvés ces nombreux ossements
dont la restauration a tant contribué à la gloire
deCuvier;ils appartiennent à une chauve-souris,
5 carnassiers, 2 rongeurs, " Palseotheriuin , G Ano-
plotherium, :j Xiphod'in, I Cliu'ri'polamus, 1 Ada-
pis. I sarigue, 9 oiseaux, 2 tortues, 1 crocodile et
7 poissons. Cet ensemble se termine par un banc
de marne verte qui renferme les masses de silex
exploitées pour pierres à meules à la Ferté-sous-
Jouarre, Montmirail et Houlbec (Eure); il ne se
trouve que dans l'espace compris entre Reims,
Moniargis et Evreux.
Le terrain miocène, qui existe seulement dans
la partie S.O., est forme inférieureiuent, dans
un layon de 100 à 120 kilotn. de Paris : ';" Par
les sables et grès de Fontainebleau, à la base
desquels sont des argiles sableuses jaunes et
verdàtres avec côtes de lamantin et nombreux
Ostrea longirostris et 0. cyalhuln ; les sables
sont blancs, rarement jaunâtres, très purs, con-
tenant à leur partie supérieure des bancs, ou
mieux des rognons allongés de grès quelquefois
calcarifères ou lustrés, employés au pavage de
Paris. C'est dans ces sables que se trouvent les
cristaux de calcaire quartzifère appelés grès cris-
lalliscs de Fontuiti' bteau;S- Par les inenlièrcs de
SUntmiirency. dépôt d'eau douce com|iosé dans la
partie N.-E. d'argiles rouges plus ou moins sa-
bleuses, à grains de quartz, contenant de gros
rognons de lueulières plus ou moins calcaires, sou-
vent fossilifères, exploitées pour pierres à meules
aux Molières (Seine-ei-Oise). Au S. d'une ligne
tirée de Montereau à Dreux ce dépôt est remplacé
par les calcaires de la Beauce, qui sont compactes,
souvent concrétionnés, à tubulures, alternant irré-
gulièrement avec des marnes blanches; à Argen-
ton (Indre), on y a trouvé 2 l'alœvlherium, 5 Lo-
plitodo7i, I Anoplûiherium, I crocodile, I tortue;
U" Enfin, par le dépôt marin des f'alun^ de la Tou-
raine et de l'Anjou, qui forme, de Blois au delà
d'Angers, sur l.iO kil de longueur et sur 7ll de
largeur, une multitude de laïubeaux clair-semés,
TERTIAIRES (TERRAINS) — 2167 — TERTIAIRES (TERRAINS)
•on g6n<5ral peu étnndus, composés dans les envi-
rons do Blois 01 de Tours d'arpiles et do sablos
>;r()ssiors, arfjilcux, l'onformant do nombreux mol-
Uisquee Ht polypiers souvent roulés. Dans les en-
virons de Saùniur et d'Angers, ce sont des cal-
caires grossiers et des conjjloniérats de coquilles
€t do polypiers non roulés, appartenant à plus de
300 espf^ces et souvent encore h la place où ils
vivaient. On y a découvert ri espèces d« Maslo-
don, llippo/'iiinmiix, H/iuwccros, Uinolhe'iitm,
Equus, Ùi-rviis, des côtes de lamantin silicifiéos,
des crocodiles, dos tortues, des dents de squale, etc.
La Limagno ne prcsBjite que des dépôts exclu-
sivement lacustres, qui atteignent plus de 3.i(l mè-
tres d'épaisseur dans les environs de Clermont et
représentent sans doute renscmbledu terrain ter-
tiaire.Dans la plaine de l'Allier, il y a, à la base, des
«rgiles rouges avec grains de quartz qui prédomi-
nent sur les bords du bassin et donnent dos ar-
roses plus ou moins dures. Au-dessus, dans la
partie centrale, il y a des marnes et des argiles ver-
dâtres ou blanches alternant avec des lits de cal
Caire compacte. A la partie supérieure ce sont des
calcaires jaunàti'cs, le plus souvent concrétionnés,
avec paludinos, tubes de phryganes, ossements
de niiininiifères et d'oiseaux, etc.
liassni du xuil-ouest ou de la Girnnde. — Los
couclies tertiaires, encore liorizon taies dans la partie
centrale, ont été bouleversées à plusieurs reprises,
au fur et à mesure de leur dépôt dans la chaîne
des Pyrénées, et beaucoup mcjins fortement le
long du Plateau central, excepté en regard des Cor-
bières, où les couches même tertiaires moyennes
sont parfois presque verticales. A lE. du mé-
ridien d'Agen, les dépôts sont exclusivement
d'eau douce. Des formations marines (existent
presque seules dans la partie S.-O. qui dépend
du bassin de l'Adour. La bande intermédiaire, de
l'embouchure de la Gironde h 'larbes, présente au
contraire une série de formations alternativement
marines et d'eau douce, auxquelles il faut rap-
porter les dépôts, soit d'eau douce, soit marins,
des deux autres parties.
Le terrain éocène comprend quatre assises dans
la partie se|)tentrionale : 1" Les sablfs de Roi/nn
à Uslren (yiiiOula, qui renferment aussi des num-
mulitCB. et i|ui commencent par des calcaiies
grossiers à oursins ; ï" Le calcaire grossier de
Blaye et du Méduc, dont les fossiles sont en partie
identiques avec ceux du calcaire grossier de Paris;
3° La molasse du Fronsadiiis. composée d'argiles et
de sables gris-verdàtre et bleuâtre, sans fossiles
marins, donnant par places des roches solides.
Dans quelques localités elle renferme plusieurs
Paléeol/ierium identiques avec ceux des gypses de
Paris, ou les Rhinocéros nnnutut et Anthracù-
theriuin ma//7ium et minutum; une modification
est le grès de Bergerac, autrefois employé au pa-
vage de Bordeaux. Au N. d'une ligne allant de
Blaye à Bergerac et Caussade, les couches argi-
leuses disparaissent et les sables passent aux
sables de la i>aintonge et du feriuord, qui sont
grossiers, rougeâtres, et renferment les minerais
de fer des bords de la Lémance et ceux de man-
ganèse de Thiviers; au S. d'une ligne tirée de
Blaye à Libourne, la molasse prend des fossiles
marins et admet dans son intérieur les grands
dépôts lenticulaires du calcaire grossier de Bourg ;
4° Le cnlciihe d eau douce blanc du Périgord et
de l'Albigeois, qui parfois renferme des rognons
de silex, donnant les pierres à meules'des en-
virons de Bergerac et d Eymet.
Dans la bordure méridionale de l'Aquitaine et
les parties basses des I^yrénées, la partie inférieure
delà formation tertiaire est constituée parle ter-
rain ntwimnlitique. qui a été longtemps regardé
comme la partie supérieure du terrain crétacé. A
Biarritz, où il a au moins 1060 mètres d'épaisseur,
il se divise en quatre assises : 1° les calcaires et
grès i nummulites ; 2" les marnes et calcaires .'i
Serpula spiruL-ea; l!» les grès et calcaires à Eupa-
tagus orniitus ; 4" enfin les grès et calcaires à
operculines. Des calcaires comp.icles, noirâtres, ^
nummulites, représentent cet ensemble au som-
met du Mont-Perdo, h. :i3.'i2 mètres d'altitude.
Le terrain niio'ène inférieur comprend trois as-
sises : h" Le calcaire g' ossier de Saint-Macaire, ca-
ractérisé par les Nnlica crnssntina et Turbo Pnrkin-
soni. et qui présente il sa base des argiles à Ostrra
longirostris. Dans les environs de Dax il est rem-
placé par des argiles ou falun bleu de Gnas, ren-
fermant les mêmes fossiles ; G' La mnlnsse
mniienne de l'Ageniiis et sup'vieure de l'Albi-
geois, renfermant des fossiles exclusivement
d'eau douce ol présentant souvent des couches do
cailloux et de poudingucs : 'i" Le calcaire d'eau
d'Uce gris de tAgi-nais, qui forme un des meil
leui'S horizons géognosliques de l'Aquitaine. — Cet
ensemble, au pied des P\rénées, est représenté
par l'assise puissante du ]>oudingiie île Palassou,
h gros éléments calcaires alternant avec des cou-
ches de grès souvent marneux, le plus souvent
sans fossiles; quand on approche de Carcassonne,
les cailloux disparaissent et il ne reste plus que des
molasses tendres ou dures, donnant alors le grès
de Carcassoimesi employé dans les constructions.
Le terrain miocène supérieur comprend deux
assises : 8° Le faluti de Bazin, formé par des sa-
bles grossiers à coquilles marines et polypiers,
qui renferme le gros banc à'Ostren unitata si-
gnalé il y a un siècle et demi â Sainte-Croix du
Mont; il passe an calcaire grossier à Cerî/AiMm
/lictum de Saint-Justin (Landes); à l'est d'Agen
et de Coi'.dom, il n'y a plus que des alternances
argileuses et sableuses d'eau douce, formant la
volasse inférieure de l'Armagnac; 9" Le calcaire
d'eau douce faune de l'Armngniic, en général ar-
gileux, tendre, fragile, bigarré de jaune et de
b'anr, renfermant beaucoup d'Hélix, et le célèbre
gîte ossifère de Sansan (Gers), dans lequel Lar-
tot a découvert un si grand nombre de mammi-
fères et autres vertébrés, notamment, en IsSf), le
premier singe fossile, Prutopitlieciis antiquus,
découverte que Cuvier, mort en 1»32, ne croyait
pas possible.
Le terrain pliocène comprend deux assises: 10° Le
falun de Salli-s, formé par des sables coquilliers
à Ostrra dassissima, renfermant h. Mont-de-Mar-
saii des calcaires sableux plus ou moins grossiers
k Ciirdiiii Jouanneti, et passant près de Dax soit
.\ des molasses à échinodermes, soit à des marnes
dites fulun bleude Sauhrigues ; 11" Enfin, le sable
des Landes, qui est blanchâtre et assez pur, très
rarement consolidé en grès, comme près de Vil-
landraut et de Sore, et renfermant plus souvent
près de la surface des grès ferrugineux dits alios.
A l'est de la Gélize ces grès passent à la molasse
supérieure de l'Armagnac, formée par dos sables
et argiles jaune-verdàtre à nodules calcaires, qui,
à Sansan et à Simorre, renferment de nouveaux
mammifères des genres Rhinocéros, Mastodon,
Diiiùtherium, etc.
Rassm du sud-est ou du Rhône. — L'étage éo-
cène ne se montre sous la forme de calcaire à num-
muliles que dans les Alpes, où il constitue un dé-
pôt très étendu, épais de plus de 100 mètres; à la
partie inférieure il y a des calcaires compactes ou
marneux noirâtres, et par dessus des alternances
de marnes scliisloides, de grès verdâlres, et de
macignos renfermant des fossiles dont plusieurs
se ra|)porteot à des espèces tongriennes.
Dans la Provence, on rencontre deux grands
étages successifs presque exclusivement d'eau
douce: l"Le terrain à ligniti-s, qui commence par
des marnes et des calcaires griset se continue par
un enrjemble de marnes et de calcaires marneux
THEATRE
2168 —
THEATRE
rouges ou bigarrés, de 200 mètres d'épaisseur,
renfermant 17 couclips de lignite de CnjOS h 1 mè-
tre, exploitées surtout à Fuveau et à Gardanne,
où elles ont donné plus de SOO.OOO quintaux de
combustible en 1848 et 2 millions en 1X64. A la
partie supérieure, il y a des marnes et des calcaires
bigarres ou rougeâtres, passant à des grès et h des
poudingues calcaires donnant le marbre dit brèche
d'Alep ou du Tolonet (M. Matliéron pense que
cette partie seule appartient au terrain éocène, et
que tout ce qui est inférieur est un représentant
à peu près lacustre de la partie supérieure du
terrain crétacé) ;
2° Le terrain à gypse d'Aix, qui présente d'a-
bord des macignos et des grès dans lesquels à
Gargas on trouve les Palxot/ierinm, etc., dos gyp-
ses de Paris; puis de puissantes couches de mar-
nes et calcaires marneux jaunâtres avec cristaux
et bancs de gypse grenu, jaunâtre ; en outre des
mollusques terrestres on fluviatiles, Marcel de
Serres y a découvert plus de 200 insectes, et M. de
Saporta plus de 300 végétaux.
Viennent ensuite :
3° Lamo/o.sse coqicillière, qui commence par des
marnes et des macignos bleus ou jaunâtres et se
termine par des calcaires marins tendres très cc-
quilliers, dont les espèces sont en partie les mêmes
que celles des faluns du sud-ouest. C'est dans les
assises supérieures qu'en 1613 fut découvert en
Daupbiné un squelette de mastodonte, qui fut mon-
tré en France et en Allemagne comme étant le
squelette du roi gaulois Teutobocchus ; cette su-
percherie fut démontrée seulement en 1832 par
de Blainville;
4° Le terrain lacustre supérieur, formé i Mfr-
seille par des marnes schisteuses, des calcaires
compactes et des tufs calcaires. [V. Raulin.]
TEXTILES. — V. Piailles industrielles et Tis-
sage.
THEATRE. — Littérature et style, III. — Il faut
grouper autour de cet article ceux qui, dans ce
Dictionnaire, se rapportent au genre dramatique
et aux principaux auteurs dramatiques ; ainsi les
articles Dramatique (Genre) et Drame, Comé-
die, Tragédie; une partie de l'article Grcceip. 911)
et de l'article Latine (Liltéruturc i ; dans l'ariicle
Littérature française, le paragraplie ayant pour
titre : mystères, moralités, farces ; d'autre part,
les articles Cirnei.'le, Molière. Racine, i'o/taire;
pour les littératures étrangères, l'ariicle Sha-
hespeare, et, dans les articles Atlrmngnc (au sup-
plément), Angleterre (au supplément), Espagne,
Italie, etc., la partie consacrée au théâtre.
V. aussi 1 article qui suit : Théâtre classique.
Dans le présent article, nous réunirons tous les
renseignements qu'il nous parait nécessaire que
l'instituteur connaisse pour faire comprendre aux
élèves ce que c'est qu'une pièce de théâtre et
l'importance littéraire du genre dramatique; nous
en résumerons aussi l'historique général, pour en
montrer les différentes formes, celles surtout qui
se sont manifestées par des productions hors ligne,
particulièrement dans notre langue, nous bornant
à nous réforer, toutes les fois qu'il y aura lieu,
aux articles que nous avons cités.
Le genre dramatique diffère essentiellement
de tous les autres genres littéraires. Dans l'épo-
pée, par exemple, ou dans le roman, le poète, l'é-
crivain racoiilent des faits; dans l'ode, dans l'élé-
gie, la satire, dans toutes les poésies qu'on peut
appeler personnelles, le poète parle en son nom,
il exprime les sentiments qu'il éprouve et qu'il
veut faire partager ; les uns et les autres ont be-
soin de l'intermédiaire d'un livre; c'est à l'oreille
qu'ils s'adressent et rien qu'à l'oreille. Une œuvre
dramatique est faite, au contraire, pour être re-
présentée. Non seulement le poète ne parle pas
en son nom, mais il disparaît entièrement ; il nous
met sous les yeux des individus vivants, des ac-
teurs, qui sont censés être les personnages, his-
toriques ou autres, dont il veut nous faire connaî-
tre la vie, les actions, les idées et les sentiments ;
ces acteurs parlent et agissent devant nous comme
s'ils étaient, en réalité, ceux qu'ils imitent ; nous
les voyons et nous les entendons ; nos oreilles et
nos yeux sont intéressés tout à la fois. Nous pou-
vons bien, si cela nous convient, lire une pièce
de théâtre, sans la voir représenter, mais il n'en
est pas moins vrai que ce n'est pas pour être lue
ainsi que le poète l'a composée ; quand nous la
lisons, nous devons nous imaginer une sorte de
représentation fictive.
L'œuvre dramatique répond ainsi à un des pen-
chants les plus puissants et les plus universels^
de notre nature, le penchant à l'imitation. Nous
ne nous contentons pas de nos propres actes, de
ceux que nous accomplissons pour satisfaire â nos
besoins, pour nous acquitter de nos devoirs, de
nos obligations sociales ou professionnelles; nous
aimons à nous dérober par instants aux réalités, à
nous faire d'emprunt une vie qui n'est pas la nô-
tre. C'est ce qui fait le plus grand attrait des jeux,
des danses, de la plupart des cérémonies publiques
ou particulières. Les enfants, plus encore que le»
hommes, ont une facilité merveilleuse à se dé-
doubler en quelque sorte, à se faire autres qu'ils
ne sont, plus grands, plus forts, meilleurs ou
pires, pires surtout. Voyez les petites filles jouer
à la maman ou à la maîtresse d'école, à grand
renfort de gronderies.,. de pensums et de rete-
nues. Voyez les petits garçons jouer au voleur et
au gendarme, au Prussien et, dans ces derniers
temps, au Kroumir, un bâton, une baguette à la
main en guise de fusil ou d'épée : combat à mort,
pourvu qu'on ne tape pas sur les doigts! Au
fond, ces jeux d'enfants, auxquels on peut assi-
miler, pour les grandes personnes, les mascara-
des, les cortèges historiques, etc., etc., ce ne-
sont pas autre chose que des drames, en prenant
ici ce mot dans son sens le plus étendu. Seulement,
le drame littéraire, mis en œuvre par de longues
suites de générations, a été plus ou moins régle-
menté, et, parmi les actions qu'il imite, il choisit
d'ordinaire les plus intéressantes.
Aux époques civilisées, les œuvres dramatiques,
quel qu'en soit l'objet, se représentent ou, comme
on dit, se jownt d'ordinaire dans une salle de
spectacle ou sur un théâtre {de deux radicaux, le
premier latin, le second grec, qui veulent dire
voir, regarder), et c'est pour cela qu'on se sert
souvent du mot théâtre pour désigner le genre
dramatique : ■< j'aime le théâtre, je raffole du théâ-
tre, » ou l'ensemble des œuvres dramatiques d'un
auteur : « le théâtre de Corneille, le théâtre de
Schiller. » Un théâtre se compose de deux pariies,-
l'une réservée aux acteurs et où se trouve la scène,
sur laquelle paraissent les personnages, l'aiitre
pour les spectateurs; ces deux parties sont sépa-
rées par un rideau qui se baissait, chez les an-
ciens, du plafond au sol, pour laisser voir la
scène ; qui se lève, chez les modernes, du sol au
plafond. On dispose sur la scène des décors qui
représentent le lieu ou les lieux où est censée se
passer l'action dramatique, la pièce de théâtre.
Quand cette action admet le concours de la musi-
que, les musiciens sont placés dans l'oi-chestre
(d'un radical grec qui veut dire dai.ser, parce que,
chez les Grecs, la partie antérieure de la scène
était destinée aux danses exécutées par le chœur),
un peu au-dessous de la scène, devant les pre-
miers rangs des spectateurs. Avant que la pièce
ne soit commencée et aussitôt qu'elle est finie, le
rideau est baissé. Dans la durée d'une pièce, et i.
la volonté du poète, soit qu'il juge à propos de
reposer l'attention des spectateurs, soit quil y
ait lieu de changer les décors, le rideau peut
THEATRE
— 2169
THEATRE
être bais'îô monipntanément. L'intervalle entre le
lever et le baisser du rideau s'appelle note. Il y a
des pièces en un acte, en deux, ou trois actes ;
les plus longues sont ordinairement en cinq actes.
Quelquefois les actes eux-mêmes sont coupés par
des repos très courts, motives par un change-
ment do dérors, et pendant lesquels on baisse un
rideau auxiliaire différent de celui qui marque le
repos de l'acte ; cette coupure de l'acte s'appelle
talileau. Knfin, toutes les fois que, dans le cours
de la pièce, il y a changement de personnages,
on compte, en prenant le mot dans un sens autre
que celui que nous avons indiqué lout à l'Iieure,
autant do schies différentes. C'est là ce qu'on
peut appeler la constitution matérielle d'une
œuvre dramatique.
Quant au fond même de ces œuvres, le poète,
avons-nous dit, s'attache à le choisir de façon à
produire en nous l'intérêt. C'est la vie de nos
semblables qu'il veut mettre sous nos yeux, ce
sont leurs idées, leurs sentiments, leprs actions.
Naturellement, il cherchera à écarter de cette re-
présentation tout ce qu'il peut y avoir de commun
et de banal ; naturellement aussi, il corrigera la
vie ordinaire, qui présente, en général, môme
dans les circonstances les plus importantes, quel-
que chose de détaché et de décousu, en concen-
trant les faits qui concourent à un même événe-
ment, en les dégageant de toutes les circonstan-
ces inutilement accessoires; naturellement,
encore, pour faire mieux saillir celles des circons-
tances qu'il tient surtout à mettre en lumière,
il les grossira sans les exagérer, procédant par
traits, par mouvements, par secousses logique-
ment préparées. L'œuvre dramatique étant né-
cessairement circonscrite dans d'étroites limites
de temps, en général la duri'C d'une soirée ou
d'un après-midi, il est tenu par dessus tout à la
clarté, dont l'unité d'action est le plus sûr moyen ;
ce sera donc à l'expression d'un seul fait domi-
nant que devront concourir tous les détails, si
nombreux et si compliqués qu'ils puissent être,
et tout l'art de l'auteur devra consister, d'abord
dans une exposition qui nous mette bien au cou-
rant de ce qui va se passer, ensuite dans le dé-
veloppement de jiérijjéties découlant de l'exposi-
tion et s'enchaînant les unes les autres, capables
d'exciter et de soutenir la curiosité, enfin dans
un dénimement qui termine l'action et qui nous
laisse sous une impression, celle qui est l'objet
même de la pièce.
Dans ces conditions, qui répondent à la na-
ture de notre esprit, surtout quand nous som-
mes réunis ;\ d'autres, quand l'effet de nos émo-
tions personnelles se multiplie et s'augmente en
quelque sorte par la contagion d'un effet sembla-
ble que nous voyons se produire dans une foule
plus ou moins nombreuse, nous laissons volontiers
toute liberté au poète. Il peut choisir ses actions
et ses personnages dans toutes les périodes de
l'histoire, dans tous les rangs de la société, qu'il
s'agisse d'une société antérieure à la nôtre ou au-
tre que la nôtre, ou de notre propre société con-
temporaine, et même dans les catégories imagi-
naires d'un surnaturel de tradition ou de la pure
fantaisie. Ce n'est pas, tant s'en faut, la vérité des
réalités que nous demandons au poète dramati-
que, c'est la vraisemblance, la concordance logi-
que des idées, des sentiments et des actes dans
tel milieu qu'il aura choisi. Nous sommes, pourvu
qu'on nous plaise, si disposés à nous faire illu-
sion devant un rideau de théâtre, que nous ac-
ceptons comme possibles les situations et les fa-
çons d'être les plus antipathiques à la pratique
ordinaire des choNes, comme, par exemple, des
héros et des héroïnes d'un autre âge qui n'agis-
âent qu'en chantant : c'est ainsi que procède l'o-
péra, qui est un drame musical, ce qu'on appelle
le drame lyrique, ou qui entremêle, suivant les
cas, le chant et les paroles, comme dans l'opéra-
romique.
Dans ces conditions aussi, nous permettons au
poète de faire naître en nous toutes sortes d'é-
motions, qu'elles doivent se traduire par le fou
rire que provoquent la bouffonnerie et le grotes-
que, par les franches expansions de la bonne hu-
meur, la délicate jouissance de l'esprit applaudis-
sant à un mot malin ou souscrivant à une finesse,
ou par lenthousiasme de l'admiration, les larmes
de la sympathie et de la pitié, le serrement de
cœur et le sanglot de l'anxiété et de la terreur.
Plaisir, dans ce cas, bien singulier, et tenant
étrangement à la douleur. C'est un des traits de
notre nature. Qu'il nous arrive, dans la vie
réelle, d'être témoins d'un grand malheur, d'un
fait terrifiant, d'un accident douloureux, nous en
souffrons véritablement, et faisons tous nos ef-
forts pour nous y dérober. Au théâtre, au con-
traire, nous recherchons volontiers la représenta-
tion de ces mêmes sujets d'épouvante ou de dou-
leur, qui nous placent en dehors et le plus
souvent au-dessus de notre situation ordinaire,
qui excitent en nous le sentiment désintéressé de
la sympathie, et nous émeuvent fortement, mais
passagèrement, l'idée de fiction, qui ne nous
abandonne jamais , quelle que soit la puis-
sance de notre illusion, tempérant ce que leur
réalité pourrait avoir de pénible et de poignant.
Le théâtre, d'ailleurs, admet, dans sa pratique
ordinaire, certains ménagements qui relèguent
hors de la scène les détails odieux et repoussants ;
il admet aussi des conventions traditionnelles qui
adoucissent l'effet excessif de ceux que le poète
ne peut soustraire aux yeux du spectateur. Le
bon goût d'un public véritablement civilisé se dé-
tourne spontanément de telles nu telles pièces
trop « naturalistes », pour prendie le mot du jour,
et il faut rejeter en dehors de l'art dramatique,
parmi les aberrations d'une société dégradée ou
encore barbare, non seulement les abominables
spectacles des amphithéâtres romains dont le
sang humain faisait les frais, mais encore ces
courses de taureaux, ces combats de coqs, uni-
quement faits, quoi qu'on en dise, i)Our la salis-
faction d'une curiosité malsaine ou d'une ignoble
cruauté.
Il a été dit à l'article Drame comment, dans nos
littératures classiques, et en particulier dans la
nôtre, le genre dramatique a été partagé en trois
divisions, suivant le genre d'émotiojis que le poète
s'attache à produire dans l'esprit et dans l'âme des
spectateurs : le drame sérieux ou tragique, la tra-
gédie (d'un mot grec qui signifie Imuc, parce qu'un
bouc, dit-on, fut le prix des premiers chœurs tra-
giques chez les Athéniens); le drame plaisant ou
bouffon, la comédie (d'un mot grec signifiant ré-
/uuissinice, gala); et le drame mixte, unissant le
plaisant et le sérieux, auquel on a donné le nom
de tragi-comédie, do « comédie larmoyante», et
qui, tendant de plus en plus à prédominer aujour-
d'hui, est le plus souvent désigné sous le simple
nom de drame. Le théâtre lyrique (du mot /yîv.l'un
des principaux instruments des anciens Gi|ecs),
c'est-â-dire celui qui admet l'emploi de la musique,
parole chantée, orchestration, comprend les mê-
mes divisions ; il y a de grands opéras sérieux et
tragiques, il y a nos opéras-comiques, nos opé-
rettes et les opéras-boutTes des Italiens ; il y a
enfin de grandes cotnpositions musicales faites
pour le théâtre, comme, par exemple, le Don Juan
de Mozart, qui sont de véritables drames, dans
l'acception moderne du mot.
Les œuvres dramatiques, quelle qu'en soit la
forme, puisent leur principal intérêt dans l'ana-
lyse et la peinture des sentiments, surtout des
sentiments exaltés de l'âme humaine, c'est-à-dire
THEATRE
2170 —
THEATRE
des passions, soit qu'elles se bornent, à en mon-
trer l'effpt, soit qu'elles les opposent les unes aux
autres dans un môme individu ou dans des indi-
vidus différents, soit encore qu'elles les mettent
aux prises avec le devoir ou quelque grand intérêt,
Koit enfin, comme c'est l'objet propre de la co-
médie, qu'elles les tournent en ridicule. Présciilés
avec art, ces tableaux ont une grande influence
sur les niasses. Aussi le tliéâire a-t-il toujours été
regardé comme un puissant moyen d'éducation
populaire. Il a été, à ce titre, très violeiunient
attaqué, comme pouvant aussi devenir un agent
pernicieux de corruption et d'immoralité. I/Égiise,
dès le nioyen-,ige et surtout dans les temps mo-
dernes, a souvent répiotivé les représentations
théâtrales ; Eossuet, après saint Thomas, s'élève,
dans ses Maximes et rëflej ions sur In Cumédie ( 1C94),
contre les séductions de l'art dramatique, et il a
des mots cruels pour notre grand Molière, « ce
poète comédien recevant, sur la scène même, la
dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu
d'heures après, et passant des plaisantiTies du
théâtre, parmi lesquelles il rendit presque le der-
nier soupir, au tribunal de Celui qui dit ; " Mal-
•1 heur h vous qui riez, car vous pleurerez. » Dans
un esprit tout dilTérent, Rousseau, l'auteur incon-
séquent de Narcisie et àuDfvin iln riltage. a écrit
sa Lettre sur les Sjiectoclis (U.SS), où il ne se
montre guère, à son point de vue de philosophe,
moins sévère que Bosstiet, et où, lui aussi, il mal-
mène Molière, dont il ne respecte pas luème le
Hisantliro/iC. Il est certaiti que le théâtre p°ut
avoir ses dangers et ses excès. Il y a des passions
qu'il no faut pas exalter, il y en a qu'il ne faut
pas montrer indistinctement à tout le monde. Ce
serait, toutefois, se faire une bien fausse idée de
la nature humaine que de croire qu'on puisse,
sans soulever un sentiment instinctif d'horreur ou
de dégoût, professer le mal dans des œuvres
dont la destination directe est d'être représentées
devant une foule. Le mal révolte en public celui
même qu'il séduirait individuellement. Et les au-
teurs le savent bien, car ils ont, en général, grand
soin de présenter, à la fin des pièces, contraire-
ment, hélas, à ce qui se passe trop souvent dans
la réalité, le crime puni ou humilié, la vertu jus-
tifiée et récompensée. Si, à certains âges et dans
certaines circonstances, l'influence de telles ou
telles oeuvres dramatiques peut n'être pas sans
inconvénients: s'il en est, d'autre part, que per
sonne ne peut approuver ni au point de vue du
goût, ni au point de vue de la morale, il n'en faut
pas moins, en général, appliquer au théâtre ce
que M""" de Staël disait du livre, qui ti'est pas,
suivant elle, « bon oti mauvais par c- qu'il ensei-
gne, mais parce qu'il inspire. "Et il est certain
qu'en définitive c'est une inspiration élevée et
fortifiante i|u'on puise dans les grandes œuvres, nous
ne dirons pas seulement de Corneille ou de Schil-
ler, qui visent â l'honneur et à la vertu, mais de
Shakespeare, de Gœthe, de Racine et des autres
écrivains de théâtre qui se sont suttout proposé
l'analyse des passions. Quant à la cotnédie et aux
œuvres dramatiques fondées sur le ridicule, voici
ce qu'en dit, très judicieusement, suivant nous, le
docteur Blair (dans ses excellentes Leçons de rhé-
torique et de belles-lettres) : " La comédie, consi-
déiée comme une représentation satirique des
folies et des imperfections des hommes, est un
genre de composition très moral et très utile, dans
la nature et le plan général de laquelle la cen-
sure n'a rien i repretidre. Polir les mœurs des
hommes, appeler leur attention sur les bienséances
qu'ils doivent observer, rendre surtout le vice ri-
dicule, c'est être véritablement utile à la société.
La plupart des vices résistent moins au ridicule
qu'auxarguments solides et auxatlaques sérieuses.
Mais il fat convenir, d'un autre côté, que c'est
une arme difficile â manier, qui, dans une main
maladroite ou mal intentionnée, peut être aussi
fatale qu'elle eût été utile dans une main sage et
expérimentée ; car le ridicule n'est pas, comme
on l'a dit quelquefois, la véritable pierre de touche
de la vérité. Il peut, au contraire, nous séduire et
nous tromper par les couleurs qu'il donne aux
objets; et il est souvent plus difficile de juger si
ces couleurs sont naturelles ou fausses, que de
distinguer l'erreur do la vérité. Des auteurs co-
miques ont trop souvent poussé la licence jusqu'à
couvrir de ridicule les caractères et les objets qui
le méritaient le moins. Mais ce n'est pas â la co-
médie même qu'il faut en faire le reproche, on
n'en doit accuser que la dépravation. de ces écri-
vains. Dans la main d'un auteur sans mœurs et
sans probité, la coinédie peut devenir un instru-
ment de corruption ; dans celle d'un homme ver-
tueux, elle sera un amusement, non spuleiuent
innocent et gai. mais encort! louable et utile. »
Et Blair ajoute, à l'honneur de notre nation et de
notre langue : " La comédie française est une
excellente école de mœurs, tandis que la comédie
anglaise ne fut que trop souvent l'école du vice.»
^Traduction Quénot, 'J' vol., p. 2tiO.)
D'après ce que nous avons dit de la nature du
genre dramatique, il est facile de conclure â l'uni-
versalité, en quelque sorte spontanée, des œuvres
qui s'y rapportent. On retrouve, en effet, le drame
à toutes les époques, dans toutes les langues et
dans toutes les littératures. On le retrouve même,
sous une foî-me populaire, anonyme, on pourrait
dire col'eciive, chez des peuples qui n'ont point
de littérature, qui ne sont jamais sortis de la vie
sauvage ou demi-sauvage. Il est un des éléments
des grandes manifestations nationales ou reli-
gieuses de ces peuples.
Tel aussi, en général, il se présente à l'origine,
dans 1 histoire des littératures classiques, se dé-
gageant peu h peu, soit des liturgies mythiques,
soit du programme plus ou moins officiel des
solennités populaires, sous l'impulsion particu-
lière de quelque grand mouvement d'opinion, ou
par l'initiative d'un poète do génie, qui le fait
sien et lui donne une forme, que les 'générations
suivantes modifieront et compléteront. C'est ainsi
que nous voyons, dans la Grèce ancienne, la tra-
gédie et la comédie (V. ces deux mots) sortir
l'une et l'autre des fêtes de Bacchus, la première
n'étant que le développement du dithyrambe dans
lequel on cltantait les louanges du dieu, la se-
conde, la mise en action d'une mascarade tradi-
tionnelle,qui était comme l'accompagnement popu-
laire de ces fêtes.
Les noms de Thespis, de Susarion, marquent
diverses étapes sur la route qui mène_ des
premières manifestations incohérentes et incon-
scientes du drame comique, jusqu'à Cratinos, Eu-
polis, et surtout Aristophane, qui parviennent à Itii
donner une forme individuelle et littéraire. Et. H
en est de même de la tragédie, dont l'érudition
moderne a pu suivre l'évolution et les transforma-
tions successives, si magnifiquement complétées
et. on peut le dire, terminées par les grands noms
d'Eschyle, de Sopliocle et d'Euripide.
La littérature latine, qui, sur beaucoup de
points, est utie littérature de reflet, suggérée et
inspirée par celle des Grecs, ti'a de véritablement
national, au point de vue du théâtre, que ses co-
médies,et, citez les Romains comme chez les Grecs,
les farces populaires, les alellanis et les chants
fescennii.s, otit précédé les œuvres classiques
des Plaute et desTérence.
Boileau a écrit dans l'.Vrt poétique :
Ch'-z nos dévots aïeux le théâtre abhorré
Fut longtemps dans la France un pl:il>ii- ignoré.
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière
En public à Paris y monta la première,
THÉÂTRE — -2m
THÉÂTRE CLASSIQUE
Ef, sottement zé'ée en sa simplit
J.iua les saints, la Vierge et Die
Le savoir, à la fin dissipant l'ign
Fit voir de ce projet la dévote iniprudenee.
On ch;L'<sa ces docleurs prêctiant sans mission;
On vit renailrc Hector, Ândromaque, llion....
Boileau travestit ici, en l'écrivant comme on
l'enlondait au xvii" siècle, tout un grand chapitre
do notre liisioiie littéraire au moyen âge. Il eût
él6 bien extraordinaire qu'une nation comme lu
nôtre, très vive dans l'expression extérieure de
ce qu'elle éprouve, facilement passionnée pour
les divertissements publics, eût, pendant plusieurs
siècles, « abliorré » le tboâtre. Elle ne l'abborra
point: seulement, comme cela était naturel, elle
s'en fit un à sa manière, conforme au milieu où
elle vivait, à ses idées, à ses goiits, à ses senti-
ments. Religieuse et guerrière, elle eut pour
ttiéâlre les joules et tournois, représentation des
duels et dus batailles; elle eut surtout les mys-
tères, les tnirwlps (V. Littériiture f'rw.çaise), où
elle joua, en effet, par piété et par piété très
sincère, Dieu, la Vierge et les saints, les églises
ou les parvis des églises lui servant à l'origine de
salles de spectacle, et le clergé lui-même se mê-
lant à ses acteurs. On a montré, dans ce Diction-
naire, comment, i. ces premières manifestations
complètement spontanées, succédèrent diverses
tentatives d'organisation par le moyen des con-
fréries; comiTient aussi le domaine du mystère
s'agrandit, les soties, les moralités, les farces,
c'est-à-dire des actions dramatiques d'un carac-
tère inoins exclusif, s'y ajoutant h la longue et
finissant p ir s'y substituer. Mais, dès le xv' siè-
cle, l'Église, le Parlement, la Sorbonne, la royauté
elle-même, que l'esprit satirique des faiseurs de
pièces ne ménageait pas, s'unirent contre les con-
fréries dramatiques. Cliassées par des édits, elles
durent quitter Paris et les grandes villes ; mais
elles ne disparurent pas complètement; les trou-
pes errantes, telles que celles que dépeint Scar-
ron dans son Roman coDiique, en conservèrent
les traditions, dont Molière, qui fut lui-même
comédien errant, s'inspira certainement dans plu-
sieurs de ses farces ; et peut-être en faut-il voir
les derniers vestiges sur les tréteaux de ces ba-
raipies foraines, qui représentent encore de nos
jours, d'après des formules souvent fort ancien-
nes, la Barbe-Bleue, Geneviève de Brabant, ou la
Tentation de saint Antoine.
La Renaissance, au xvi» siècle, acheva de trans-
former ce vieux théâtre national en un théâtre
savant; on vit renaître, comme dit Boileau, Hec-
tor, Andromaque, llion, et les Jodelle, les Gar-
nier, les Montclirestien préparèrent la voie aux
Corneille et aux Racine. Il n'en est pas moins
vrai que cette invasion des héros et des héroïnes
antiques a donné à notre littérature dramatique
du xvii" siècle un caractère d'emprunt qui la rend
difficilement saisis^ablo i quiconque n'a pas reçu
cette éducation classique qui en avait formé les
plus illustres représentants. Malgré toute la puis-
sance du génie do Corneille et de Racine, il faut
un certain effort à nos générations modernes pour
prendre plaisir à leurs fables, pour retrouver, sous
le masque du personnage grec et romain,
l'homme de leur temps, qu'ils peignaient quand
même et qnasi à leur insu, et aussi l'homme de
tous les temps, avec ce fond éternel d'idées et de
sentiments qui constitue comme l'unité idéale de
notre espèce.
Encore si ce retour tout artificiel i l'antiquité
avait eu seulement pour etTet de ramener sur notre
scène française les Thésée, les Pyrrhus, les Néron
ou les Horace, qui, en définitive, y font grande
figure, au détriment, il est vrai, de nos héros na-
tionaux, qui les auraient bien valus ; mais notre
scène elle-même s'est matériellement formée sur
le moule de l'antiquité, si bien que, d'après Ho-
race, nos pièces, comme les pièces latines, n'ont
di'i avoir, sauf rare exception, ni plus ni moins de
cinq actes, et qu'il a fallu, selon Aristotc, et un
Aristute de convention, accepter, deux siècles du-
rant, la fameuse règle des trois unités :
Qu'en nn lieu, qu'en un jour, un seul f;iit accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.
Après les grands génies du xvii' siècle, toute la
foule do leurs imitateurs s'est rigoureusement
conformée à ces exigences, et dans un genre
littéraire qui réclame peut-être plus que tout
autre l'originalité, l'indépendance et une grande
liberté d'allures, il en est résulté une monotonie
désespérante, à laquelle Voltaire lui-même, si
hardi sur d'autres points, n'a pas échappé. L'ar-
ticle sur le genre dramatique montre comment,
de nos jours, on est revenu i une conception plus
juste et plus large des véritables conditions de
l'art dramatique. Il n'a pas lallu moins, chez nous,
pour en venir là, qu'une révolution politique, qui
a profondément modifié nos idées sur les hommes
et sur les choses, étendu, au point de vue litté-
raire comme au point de vue scientifique, notre
cercle d'observation, et accoutumé notre esprit à
considérer la littérature d'un peuple comme une
partie intégrante de son développement social et
moral.
Moins profondément touchées que nous par ce
mouvement littéraire qui date de la Renaissance
et qui a eu sa grande expansion à notre époque
classique du siècle de Louis XIV, la plu|iart des
autres nations modernes ont gardé dans leurs pr(3-
ductions dramatiques quolqne chose de plus inti-
mement et profondément national. L'élude des
principales œuvres des maîtres italiens, espagnols,,
anglais et allemands n'entre pas, d'ailleurs, dans
le cadre de cet article ; nous renvoyons, pour cette
élude, aux articles spéciaux que nous avons indi-
qués. [Charles Defodon.)
TIIÉ.VTRE CLASSIQUE. — Littérature et style,
m. — On appelle théâtre classique le recueil
des meilleures pièces de théâtre destinées à être
étudiées dans les classes, à servir, par consé-
quent, à l'éducation et à l'instruction des enfants
et des jeunes gens. Jusqu'ici, on peut le dire,
l'étude du théâtre classique a été à peu près ex-
clusivement réservée à l'enseignement secon-
daire, aux élèves des lycées et des collèges. Et
cela se comprend, l'âge de la plupart des élèves
de nos écoles primaires n'admettant jj;uère un
genre de lectures si relevé et auquel il faut être
préparé par d'autres études, soit historiques, soit
littéraires. 11 n'en sera plus de même si,
comme il faut bien l'espérer, l'enseignement pri-
maire supérieur se propage et se multiplie ; l'en-
seignement secondaire spécial, qui n'est, au bout
du compte, au moins dans les cours élémentaires,
qu'une forme particulière et déterminée de l'en-
seignement primaire supérieur, prescrit avec raison,
dans ses programmes, l'étude des principaux chefs-
d'œuvre de notre littérature dramatique; le pro-
gramme des écoles normales et celui de l'examen
pour le brevet supérieur, tels qu'ils viennent d'être
formulés par de récentes mesures administratives,
l'ont de cette étude une nécessité; et enfin on ne
comprendrait pas que l'instituteur do notre temps,
qui doit être un homme instruit et un homme de
goût, n'.'ùt pas au moins une idée exacte et précise
de ces belles œuvres littéraires qui agrandissent
l'esprit et élèvent les sentiments, ^ans parler de
toutes les ressources qu'elle peuvent fournir à
l'enseignement.
Nous essaierons donc d'apprécier, dans une
série de notices, les principales pièces du théâtre
classique français, particulièrement, bien enten-
du, de cette grande époque du xvii" siècle, où se
THÉÂTRE CLASSIQUE - 2172 - THÉÂTRE CLASSIQUE
sont rencontrés les plus rares génies dramatiques I
qui aient illustré notre littérature : Corneille,
Raiine et Molière. Ces notices n'auront pas, tant
s'en faut, pour objet de dispenser de la lecture
des pièces elles- mômes; ce qui serait le plus
mauvais service qu'elles pussent rendre; elles la
supposeront, au contraire, ce qui nous permettra
d'abréger. Elles n'auront pas davantage pour objet
de formuler impérativement sur la valeur de cbaque
œuvre un jugement ou une opinion; ce doit être
là le travail personnel et c'est en même temps le
grand plaisir du lecteur lui-même ; la littérature
ne s'apprend pas, on la goûte, on en jouit, et tous
les jugements d'écolo, toutes les doctrines de com-
mande qu'on peut trouver dans les livres ne valent
pas la moindre impression personnelle, l'émotion
spontanée et vraie qu'on aura sentie en présence
d'une scène du Cid,il'lfthigénv! ou du Misanthropp.
Nous voulons seulem.eni faciliter l'étude du maî-
tre, soit pour lui-môme, soit en vue de son école,
en lui donnant un certain nombre de renseigne-
ments sur les origines et la donnée du sujet, sur
telles ou telles circonstances de milieu, d'épo-
que, etc., qui éclairent la pièce ; nous signalerons
en outre le caractère général de celle-ci et les
points les plus saillants.
TRAGÉDIE
CornrDIe. — Le Cid (10361. — Comme il a été
dit à l'articbi Cnrneille, le Cid, qui est la première
grande œuvre dramatique de Corneille, parut en
1630, presque au lendemain de la prise de Corbie.
Lepiemier chef-d'œuvre de notre théâtre national
n'est point (V. l'article qui précède) emprunté !i
notre histoire nationale, qu'on ne connaissait guère
au XVII' siècle. Bien que l'Espagne fût notre enne-
mie, sa littérature chevaler.sque avait alors une
grande influence, et Corneille, pour sa part, y prit
tous les sujets tragiques qu'il n'emprunta pas à
l'antiquité. Le Cid, qui s'appelait Rodrigue Diaz de
Bivar, est un héros castillan du xr siècle ; il se
signala par ses exploits sous les règnes de Ferdi-
nand, Sanche II et Alphonse VI, rois de Léon et
de Caslille. Disgracié sous Alphonse VI, il ras-
sembla, dans sa retraite, ses vassaux et ses amis,
marcha contre les Maures, s'empara de Tolède,
de Valence, et regagna ainsi la confiance du roi.
Les rois maures qu'il avait vaincus lui avaient
décerné le titre de Seul oii Cid, qui veut dire
seigneur; on le surnomma aussi Campeador, mot ,
qui parait signifier le héros des camps. Tel est le ,
Cid de l'histoire ; mais la légende a ajouté à sa vie
toutes soites d'aventures romanesques; elle a
imaginé, en particulier, que, dans sa jeunesse,
pour veng T un affront fait à son vieux père don |
Diètiue, il avait été forcé de se battre en duel avec
le comte de Gormas, père de la belle Chimène, qu'il
aimait. Cette aventure, chantée sous différentes
formes par les poètes espagnols, venait, en 1615,
d'inspirer à Guillen ou Guilhem de Castro une
sorie de drame narratif, où il développait les
principaux épisodes de la jeunesse du Cid : c'est
là que Corneille a puisé. Ce que Guillen de Cas-
tro présentait en tableaux, destinés surtout à
frapper les yeux, Corneille l'a resserré et rac-
courci, l'adaptant aux exigences de la scène fran-
çaise, soumise à la loi des trois unités. Il a sur-
tout transformé le drame espagnol en y introdui-
sant une grande et magnifique idée morale, celle
de la lutte de la passion la plus ardente et la plus
exallée, l'amour de Rodrigue pour Chimène et de
Chiinèno pour Rodrigue, contre le devoir d'hon-
neur qui force Rodrigue, pour venger sou père,
it tuer le père de Chimène, et Chimène à pour-
suivre Rodrigue, tout en ne pouvant se défendre
de l'admirer et de l'aimer. Toute la pièce française
est là. Si l'on en retranche un rôle accessoire,
celui de l'infante dona Urraque, qui tient si peu à
l'action que sur le théâtre on le supprime d'ordi-
naire tous les développements ont pour objet de
mettre en relief l'héroïsme des deux généreux
amants, et le rideau tombe sur ces paroles du roi
don Fornand, qui remettent à un avenir lointain le
dénouement moralement impossible de cette situa-
tion extraordinaire :
Laisse faire le temps, la vaillance et ton roi.
A part le hors-d'œuvre que nous avons signalé,
à partquelques subtilités et quelques exagérations,
dont Corneille ne se débarrassa jamais, et qui ne
feront, au contraire, que s'accroître dans ses œu-
vres ultérieures, jusqu'à finir par y étouffer le
raisonnable et le naturel, tout est beau, tout est
grand, tout est naïvement et largement jeune dans
I ce premier élan d'un génie qui s'ignorait encore,
' que les applaudissements n'avaient pas gâte, que
1 la contradiction n'avait pas poussé à l'entêtement
i et au système. S'il y a lieu, toutefois, de faire un
! choix entre les plus remarquables parties du drame,
celles qu'il faudrait citer de préférence sont la
1 scène où don Diègue réclame contre le comte
le secours de son fils (acte I, scène v) ; celle où
Rodrigtie provoque le père de Chimène (acte 11,
scène ii) ; les deux entretiens de Rodrigue avec
Chimène (acte III, scène iv et acte V, scène i) ;
c'est dans la première de ces deux scènes que se
trouvent ces accents de tendresse délicate, rares
chez un poète comme Corneille, et que ' on a pu
comparer aux plus beaux passages correspondants
du Romeu et Juliette de Shakespeare :
Rodrigue, qui l'eût cru? - Chimène, q.ii l'cûl dit?...
_ Que uotre heui- fùl si i.roche et si lot se perdu?
La seconde, bien que renouvelant la situation,
est peut-être plus belle encore. La main de Chi-
mène est promise à celui qui aura vaincu pour
elle. Contre don Sanche, contre le champion de
Chimène, Rodrigue ne se défendra pas. 1 le lui
dit, et elle sait bien qu'il le fera comiue il le dit.
C'en est trop pour la malheureuse ; elle ne veut
pas, quoi quelle ait dû faire, que Rodrigue meure ;
elle ne veut pas surtout être la femme d un autre.
Et c'est alors qu'elle jette ce cri qui révèle si
admirablement toutes les angoisses de son anie .
vainqueur d'un coml.at dont r.himêne est le prix.
Adieu : ce mot lâché me fait rougir de honte.
Enfin le célèbre récit de la défaite des Maures
(acte IV, scène m) est un véritable clief-d œuvre
d'éloquence militaire; « on y entend, dit fort jus-
tement M. Gustave Merlet {Htudes littéraires sur
le< classiques français de la rhétorique et du. bac-
calauréat es lettres), comme le chant du clairon. .
Sur le succès qu'obiint le Cid lors de son appa-
rition et sur l'opposition, en quelque sorte ofh-
cielle, que souleva ce succès, V. 1 article Cornei'le.
Horace (103;i). - Horace est le poème du pa-
triotisme. Il a été inspiré à Corneille par quelques
pages du premier livre des Décades de Tiie-Live.
La légende que conte Tite-Live est bien connue
Sous îe règue de Tullus Hosliliu.i, Rome étant ea
guerre avec Albe, trois frères romains, du nom
d'Horace, combattirent pour leur patrie contre troi»
frères albains. du nom de Curiace, choisis comme
champions de la ville d'Albe, pour décider lequel
des deux peuples commanderait à 1 autre. Ui.ux
des lloraces furent tués au commencement du com-
bat et les trois Curiaces furent inégalement bles-
sés. Alors le troisième Horace f«i|'",V'"= ' ^Veurs
puis, voyant que les Curiaces, affaiblis par leurs
blessures, ne pouvaient le suivre qu à "»«<;"-
taine distance les uns des autres il ''Cvint sur eux
et les tua successivement. L'un des ""«'^.^"""«^^
était fiancé à Camille, sœur d Horace ; "'" « fe*
reuroches de Camille, qui pleurait son hai çé,
1 Horace la tua en rentrant dans Rome. On le défera
THÉÂTRE CLASSIQUE — 2173 — THÉÂTRE CLASSIQUE
auxjuRos, qui le condamneront à mort: mais il on
a|)p(^la au pBiiplo qui, sur l'éloquent plaidoyer de
son vieux pèri-, l'obligea seulement, comme meur-
trier, ,'i passer sous le joug. C'est cette sauvage
histoire que Corneille a prise pour tl)6me, se bor-
nant ;"i y ajouter, pour compliquer et pour complé-
ter l'iiitérÈt. que Sabine, sœur des Curiaces, est
mariée il l'ainé des Horacus; et, d'autre part, pour
simplifiiT l'action, ne faisant paraître sur la scène
que l'aîné de chacune des deux familles. Enfin, le
récit du combat, qui est, naturellement, tout d'une
haleine dans Tite-Live, est coupé dans la pièce fran-
çaise, et rapporté au vieil Horace par deux per-
sonnes difl'érentes, afin de ménager des péripéties.
Pour tout le reste. Corneille i suivi Ïite-Live, si
bien qu'on a pu dire justement qu'il y a trois
drames dans son drame : Horace (.liampion de
Rome et vainqueur, Horace meurtrier de sa sœur
Camille, Horace défendu par son père et absous,
non par le peuple, — les bienséances du théâtre
français au xvii' siècle ne permettaient pas de
produire une foule sur la scène, — mais par le
roi.
Tout l'intérêt est dans l'analyse des caractères.
Celui du vieil Horace est connu par des traits qui
seront éternellement cités. Quand on vient lui
apprendre que ses trois tils sont choisis pour sou-
tenir la cause de Rome, et que leurs adversaires
sont des amis, des alliés à sa famille, entouré de
Sabine et de Camille qui pleurent, il a lui-même
les larmes aux yeux ; mais le citoyen l'emporte :
Faites votre devoir, et laissez faire aux dieux.
Plus tard, trompé par le récit incomplet du com-
bat, qui lui a fait croire que son fils aîné a trahi,
en s'enfujant, la cause de Rome, lorsqu'on cher-
che devant lui à excuser cette fuite honteuse :
Que voulluz-vous qu'il fitcoutie trois? — Qu'il mourut!
s'écrie-t-il, et ce cri du patriotisme est un des
plus sublimes clans d'héroïsme que jamais poèta
ait inventés.
A ce même point de vue du patriotisme, il n'y
a peut-être dans aucun théâtre une scène plus
hautement tragique que celle oïl Horace et Cu-
riace viennent d'apprendre le choix qu'ont fait
d'eux leurs concitoyens (acte H, scène ml. L'âpre
vertu d'Horace est tellement désintéressée cju'elle
en parait presque barbare ; celle de Guriace est
plus humaine :
Àlbe vous a nommé, je ne vous connais plus.
— Je vous cunuais cucure, et c'est ce qui me tue.
Que l'on joigne à ces beautés les célèbres impréca-
tions de Camille ^acte IV, scène v), peut-être, au
gré de notre goùl moderne, un peu trop poussées à
l'effet ; joignez-y ejicure, au cinquième acte, le
plaidoyer du vieil Horace pour son fils (scène m),
admirablement traduit de Tite-Live, et l'on com-
prendra l'enthousiasme qui accueillit, au moment
de son apparition, le deuxième chef-d'œuvre de
Corneille.
Cinna (IGSO). — Ciiina est une pièce toute po-
litique, on pourrait dire toute monarchique. La
donnée en a été fournie i Corneille par un passage
du traité de Sénèque sur la clémence, dans lequel
le philosophe latin raconte qu'un certain Cinna,
fils d'une petite-fille de Pompée, conspira contre
Auguste, quoiqu'il eût été personnellement com-
blé de ses bienfaits, et que l'empereur, sur l'in-
tervention de sa femme Livie, lui pardonna. C'est
d'après cette donnée que Corneille a bâti sa fable,
imitant quelques-uns des développements de Sé-
nèque, par exemple, dans le monologue d'Auguste
au quatrième acte (scène ii) :
Mais quoi 1 toujours du sang et toujours des supplicesl...
Il l'a imité aussi dans la grande scène de la
réconciliation et du pardon (acte V, scène i), qui
commence par ces vers connus:
Prends un sièpe, Cinna. prends, et, sur toute chose,
Oljserve exactement la loi que je l'impose..., etc.
On retrouve dans le texte de Sénèque la pre-
mière idée du célèbre trait :
Soyons î
s, Ciun
est moi qui t'en convit
Mais Corneille a singulièrement modifié le fond
emprunté h Sénèque. A cùté do Cinna, il place un
autre conspirateur, Maxime, qu'il suppose, comme
Cinna, devenu lo favori d'Auguste, et, pour les
inspirer et les pousser tous les deux, une femme,
Emilie, fille de Toranius, jadis tuteur d'Auguste
et proscrit par lui durant le triumvirat. Auguste
traite Emilie en fille adoptive, mais, malgré tous
les bienfaits de l'empereur, Emilie, Cinna et Maxi-
me, sous son propre toit, s'unissent pour l'assas-
siner. Heureusement pour Auguste, Cinna prétend
i la main d'Emilie ; Maxime est secrètement jaloux
de lui, et il se décide, sur les conseils de l'affran-
chi Euphorbe, à trahir ses complices, ce qui donne
lieu il l'acte de clémence par lequel se dénoue la
pièce.
Toute cette basse et assez vulgaire intrigue est
singulièrement relevée par les caractères des prin-
cipaux personnages, Cinna, Emilie et surtout Au-
guste.
Cinna est jeune et sincère ; il sent tout l'odieux
de sa conduite en présence de la confiance géné-
reuse d'Auguste, mais il se jette aveuglément dans
le crime pour mériter l'amour d'Emiliu :
Vous me faites priser ce qui me déshonore;
Vous me faites haïr ce que mon àme adore ;
1 Vous me faites répandre un sau;j pour qui je dois
Exposer tout le mien et raille et mille fois ;
Vous le vuulez, j'y cours, ma parole est donnée;
Mais ma main, aussitôt coiilro mon sein luupiiée,
Aux mânes d'un tel prince immolant votre amant,
A mon crime forcé joindra mon châtiment...
(Acte lit, scène iv.)
Emilie est une sorte de Frondeuse à l'instar de
M"" de Longueville ou de la duchesse de Che-
vrensc; si l'on veut même, une Charlotte Corday,
à qui le souvenir de son père et l'amour des prin-
cipes républicai[is détruits par Auguste ont mis
le poignard à la main. C'est ainsi qu'elle justifie,
avec une incontestable grandeur, son ingratitude
h. l'égard de son bienfaiteur :
Il peut faire trembler la terre sous ses pas.
Mettre nu i oi hors du Iroiie et douuer ses Etats,
De ses proscriplious rouj^ir la terre cl l'oude.
Et changer a sou gré l'ordre de tout le monde ;
Mais le cœur d'Emilie est hors de son pouvoir.
(Acte lu, scène iv.)
Hautaine et amère devant Maxime, dont elle a
deviné la trahison (acte IV, scène v), elle ne l'est
pas moins devant Auguste, quand le complot est
découvert (acte V, scène ii), et ses seiuiments
semblent alors si vrais et si profonds que sa tar-
dive conversion, peut-être nécessaire pour le plus
grand bien du dénouement, nous laisse malgré
nous un peu incrédules.
Maxime, dont l'intervention était peut-être né-
cessaire aussi pour le dénouement, n'est ni assez
passionnément épris d'Emilie pour qu'on s'attache
!i son amour, ni assez profondément hypocrite pour
que sa trahison excite la terreur. Son indécision
et ses revirements no sont ni expliqués ni intéres-
sants. Corneille eût également bien fait de laisser
à Sénèque lo rêle de l'impératrice Livie, venant
conseiller à son époux une générosité qui eût
été plus entière, venant de lui-même.
(Juoi qu'il en soit, tout le beau rôle est pour
Auguste, dont Corneille a ici tracé un portrait
assurément beaucoup trop llatté. C'est pour lui
l'idéal de la grandeur, un Louis XIV anticipé,
THÉÂTRE CLASSIQUE — 2174 — THÉÂTRE CLASSIQUE
avec je ne sais quel haut sentiment du vide de la
grandeur même :
L'ambition déplaît quand elle est assouvie,
D'une contraire ardeur son ardeur est suivie,
Et comme notre esprit, jusqu'ai dernier soupir,
Toujours vers quelque objet pousse quelque désir,
Il se ramène en soi. n'ayant plus où se prendre,
£t, moulé sur le faîte, il aspire à descendre.
(Acte II, scène i.)
A cette élévation de laponsée Auguste joint aussi
celle des sentiments :
Je suis maître de moi comme de l'univers.
(Acte V, scèue iii.)
C'est une véritable apothéose de la majesté du
souverain.
Aussi bien, d'ailleurs, pour mieux faire valoir
cette idée, qui ressort de toute sa pièce, Corneille,
dans une de ces scènes qu'il affectionnait et qui
étaient fort au goût de son temps, a-t-il iiitroduit,
sous la forme d'une sorte de conseil tenu entre
Auguste, Cinna et Maxime, toute une consultation
politique sur les avantages respnctils da la répu-
blique et de la monarchie (acte II, scène i). C'est
dans le cours de cette discussioji que Ciiina, qui
tient pour la monarchie, prononce ce vers si
connu, que ne ratifierait point, quoique la ques-
tion s'agite encore, l'immense majorité de notre
société contemporaine :
Le pire des États, c'est l'Etat populaire.
Polyeuote (1640). — Un passage obscur d'une
Vie des saints, comme il est dit à l'article Cor-
neille, suggéra à l'auteur du Cii/, d'Horace et de
Cinnii l'idée d'une pièce à laquelle l'impression
des discussions théologiques de son temps entre
jansénistes et jésuites ne fut pas sans doute étran-
gère, et par laquelle le poète se rattachait, sans
s'en douter, aux traditions séculaires de la partie
sérieuse du vieux théâtre national. Le martyre de
saint Polyeucte eût été accepté au moyen âge
comme un véritable mystère ; mais Corneille en
a su faire une pièce moderne par l'ordonnance,
les situations et le sentiment.
Rien de plus synipailiique, par exemple, que le
personnage de Pauline, tel que l'a conçu Cor-
neille. Pauline est avant tout et par dessus tout
une honnête femme. Son héroïsme est celui du
dévouement dans l'état de mariage et de la fidélité
conjugale. C'est un idéal, au premier abord, très
terre à terre et, qu'on nous permette le mot, très
bourgeois, mais que Corneille a su porter jus-
qu'aux plus hautes extrémités de la venu et du
sacrifice, en plaçant Pauline dans une situation
extraordinaire et en lui donnant une ànie digne
de cette situation. Mariée par obéissance plutôt que
par suite d'une vive inclinaiion, n'ayant point à
rougir d'un premier sentiment plus doux et plus
tendre dont elle a été la première à faire confi-
dence à son époux, fidèlement attachée à Polyeucte,
elle sent en quelque sorte croître l'affection sin-
cère qu'elle a pour lui, à mesure aussi que croit
son estime, smi admiration et son enihousiasme
pour une venu et une grandeur qu'elle comprend,
quoiqu'il lui en coûte.
Seigneur, de vos bontés il faut que je l'obtienne :
Elle a trop de vertus pour n'être pas cbrêtienne,
dit Polyeucte; et, en effet, chrétienne ou non,
elle s'est portée comme naturellement au même
degré de vertu et de désintéressement idéal que
le martyr.
Elle l'aime d'autant plus qu'elle le sent plus
près de lui échapper :
Mon Polyeucte touche à sou heure deruiere.
Et l'on comprend que, cette heure venus, elle
veuille lui appartenir, par delà la mort, en ac-
ceptant, d'enthousiasme, la foi religieuse qui l'a
fait si grand :
De ce bieoheureu
, je crois, je suis désabusée
baptisée.
(Acte V, scène v.)
Quant à Polyeucte. c'est le croyant, que la vi-
sion des choses divines détache à un tel point des
choses de ce monde, qu'il finirait peut être par
ne plus exciter de notre part une pitié et une
sympathie dont il ne semble avoir aucun besoin
ni aucun désir, si l'on ne saisissait au fond de son
être cet ardent amour de la vérité, contemplée
et po'iséilée, amour qui, lui aussi, poussé à
l'extrême, peut devenir une réelle passion, la
plus pure peut-être et la plus haute de toutes.
C'est cette foi passionnée qui lui dicte ses actes
et lui inspire ses plus belles paroles, dout plu-
sieurs sont vraiment sublimes :
Je n'adore qu'un Dieu, maître de l'univers.
Sous qui tremblent le ciel, la terre et les enfers,
(.\cte y, scène m.)
et, à la fin de la scène :
Où le conduisez-v
' — A la mort. — A la gloire !
A côté de ces deux p-rsonnages, qui font pres-
que à eux seuls tout le drame. Corneille a placé le
caractère, un peu effacé, bien que sympathique,
de Sévère, et aussi celui de Félix, assi;z vulgaire
ei assez poltron, attaché surtout à ses intérêts,
et dont la conversion finale se comprend beau-
coup moins que celle de sa fille ; l'action surna-
turelle de la grâce se substitue ici, dans la pen-
sée de Corneille, aux mobiles ordinaires de l'hu-
manité; mais il n'y a, au théâtre, que ceux-1^
dont nous puissions être touchés.
Fontenelle a dit de Po/j/eucic-a Je crois qu'après
avoir atteint jusqu'à Cinna, Corneille s'est élevé
jusqu'à Po/i/'-ucte, au-dessus duquel il n'y a plus
rien. » Rien, voulait-il dire, dans le reste du
théâtre tragique français; rien, à tout le moins,
dans le reste du théâtre de Corneille lui-même :
Polyeucte marque le pomt culminant de son
génie.
Pompée (1641). — C'est à cette pièce que com-
mence ce qu'on pourrait appeler la seconde ma-
nière de Corneille : choix de sujets moins propres
à la scène, complication de l'intrigue, prédomi-
nance de la subtilité, de la logique à outrance sur
l'expression spontanée et émue des sentiments
vrais; ce que M. Cousin a justement appelé le
ton cornélien ne se soutenant plus que par inter-
valles, pour dégénérer trop souvent ni\ prose dé-
clamatoire; la simplicité iransforméo en trivialité,
le grand et le noble en démesuré, en étrange et
en romanesque.
Pompée, qui avait eu pour premier titre La
moit de Pompée, est, en effet, ce qu'on pourrait
appeler une étude historique sou» forim'. de
drame — il y en a ainsi plusieurs dans Corneille —
dont le sujet est la mort de Pompée, présentée
par Corneille à l'aide d'un récit, et toutes les
conséquences qui s'ensuivirent. Les circonstances
de cetie mort sont bien connues. Après Pliarsale,
Pompée avait voulu se retirer en Egypte, comptant
qu'il serait bien reçu par le roi Ptolémée. Mais
les ministres de Ptolémée, peu soucieux d'accueillir
ce vaincu, envoyèrent à sa rencontre une barque,
sous prétexte de le conduire au roi. A peine y
était il descendu qu'on l'assassina, sous lus yeux
mûmes de sa femme Cornclie et de son fils Sextus,
qui, de leur gilère, le virent périr. (;esar avait
suivi Pompée comme à la pistn. A son arrivée,
on lui présenta la tête de son rival; il ilOiourna
les yeux avec horreur. De là toute une série de
complications. Sentant qu'ils ne pouvaient compter
sur le prix de leur crime, les ministres de Pto-
THÉÂTRE CLASSIQUE — 2175
THEATRE CLASSIQUE
Icniée conspirèrent contre Ci^sar. César, de son
côlô, séduit par les charmes lie la sœur du roi.
la fameuse, Oléopàtre, chercha à l'établir sur le
trône, au détriment du roi lui-môme. Il y eut
guerre dans Alexandrie, dont une parlie brûla,
avec la bibliothèque. A la fin, la vicioire resia aux
Romains, Ptolcmée se noya dans lo Nil, et Cléo-
pâtre devint reine. Corneille, en ajustant tous ces
événements aux convenances du tliéàire, s'est
in.splré ile.s divers écrivains qui les ont racontés,
particulièrement de Plutarquo, et aussi du poète
latin Lucain, qui les a chantés dans sa l'/mrsale,
non sans une certaine grandeur, mais avec grand
renfort d'antithèses et de mois à eflfet. Il a,
d'ailleurs, supposé, contrairement aux données
liistori(|Ucs, que la veuve de l'oinpce, Cornélie,
avait éié l'aile prisonnière après la mort de son
époux; dans le palais de l'iolémée, entre César
qu'elle hait en Romaine et les ténébreux complots
qui se dressent traîtreusement contre son ennemi,
il lui a prêté un rôle d'héroisme et de générosité
saisissante, bien que tant soit peu déclamatoire;
le cri qu'elle pousse au quatrième acte (scène iv) :
César, prends ganle à toi,
est un très beau coup de théâtre, et il y a des
traits vigoureux dans la scène du dénouement
(acte V, scène ivj, qui commence ainsi :
César, tiens-moi parole, et i
nds mes gale
Quant au caractère de Cléopàtre, on peut dire
que Corneille n'y a rien compris, et on ne peut
s'empêcher de sourire à tous les soins C|u'il prend
pour sauvegarder la grandeur et la dignité do la
lulure maîtresse d'Antoine.
Rodogune (IC4(i). — Un historien qui n'est
guère coriim que des érudits, Appien, a fourni
à Corneille le sujet de lloi/oi/tine, « princesse des
Partîtes, n suivant le titre qu'il lui donne, — et
il faut t)ien avouer que c'est une assez singulière
idée d'avoir été chercher un thêmo dramatique
dans les annales d'un peuple aussi éloigne de nous.
Sans compter qu'en soi la noire intrigue de palais qui
fait le fond de /((/ojHne n'a rien de bien intéressant.
Cette liaine de deux femmes ([ui veulent par les
mêmes moyens se débarrasser l'une de l'autre ne
saurait guère iiuus attacher à Rodogune plus qu'il
Cloopàlre ou :\ Cléopàire plus qu'il Rodogune, et
l'amour nn peu banal de deux jumeaux pour une
môme femme ne relevé pas beaucoup les déve-
loppements compliques et plus ou moins invrai-
semblables des quatre premiers actes. La pièce
ne s'échauffi! qu'au cinquième, aux accents pas-
sionnés et pre»quo sauvages de l'iinplacable Cléo-
pàtre :
Tombe sur moi le ciel, pourvu que je me venge !
Elle s'est déjà vengée, en assassinant son mari,
qui avait, aimé Rodogune. Pour atteindre de nou-
veau sa rivale, que défend maintenant l'amour de
ses deux fils, elle vient de faire poignarder l'un,
et elle va empoisonner l'autre, quand, sur un cri
de Rodogune :
Cttte c.iupc: est suspecte, elle vient de la reine,
se sentant soupçonnée et perdue, elle prend
elle-mèine le poison
A la scène surtout, ce dénouement imprévu est
d'ijri grand effet. Comme le feront plus tard l'A-
grippine et l'Allialie de Racine, Cléopàtre, en mou-
rant, maudit son fils :
Va, Il
n
e Vi
ni en i
rappeler
à la
Itia h:
m
• est
trop li
cl
ro|i
Elle :
1
.nu
1 op tôt
|)0
ir le pcr.l
e av
(•«•si
e
'e>.l
lë|ilaisi
'M
t'i'ii muiii
ai.t 1
M.,.,j
c.-tt
• ilonee
lednns c.
Ite d
Deue
l'I
int >
o,r rég,
er
ma rit aie
eu ir
Je t'ai défait d'un pcre, et d'un frère et de moi :
Puisse le ciel tous deux vous prendre pour victimes,
Et laisser clioir sur vous les peines do uies crimes.
Roi/oguiic était, dit-on. celle de ses pièces que
Corneille aimait le plus; malgré tout l'éclat de ce
cinquième aelc, la postérité n'a point partagé
cette prédilection.
Nicomède ( I ll.'>2) . — Nicomède, dont le cadre a
été fourni à Corneille par quelques lignes de
Justin, peut être considéré comme une de ces
études dramatiques de politique et d'histoire que
nous avons s'gnalées. C'est le tableau d'une des
nombreuses royautés qui s'étaient formées des
débris de l'empire d' Alexandre, et qui ont subsisté
tant bien que mal jns(|u'à ce que la puissante ré-
publique romaine vint les absorber dans son unité
insatiable et démesurée. Corneille nous présente
la llilhynie au moment où Rome, sous couleur
de la pacifier, commence Ji s'en assurer la posses-
sion, en réduisant à l'impuissance ses souverains
nationaux. Le vieux roi l'rusias, qui a livré Anni-
bal, tremble de peur sur son trône, pour peu qu'il
entende quelque mot mal sonnant à l'endroit de
ses protecteurs :
Ahl ne me brouillez point aicc U republinuel
Attale, son second fils, a été envoyé en otage à
Rome, et il en est revenu tout romain de cœur,
noble, d'ailleurs, et capable d'un enthousiasme
généreux. Laodice, reine d'Arménie, et surtout le
fils aîné de Pnisias, Nicomède, forment le parti
des opposants. Ce Nicomède, le héros de la pièce,
a bien quelque chose d'outrecuidant et de ma-
tamore, qui gale un peu son liéroisme ; mais, en,
présence de l'ambassadeur de Rome, se sentant
entouré de toutes sortes de petites passions à qui
son mérite fait ombrage et fort peu soucieuses de
leur dignité, ce fier élève d'Aiinibal traduit son
mépris par des traits ironiques, qui, s'ils déro-
gent, comme on l'a dit, au ton de la tragédie,
n'en sont pas moins empreints d'une énergie
âpre et singulière, (^'est là, dans l'œuvre de Cor-
neille, un côté nouveau et original, si original et
si nouveau, qu'on a pu y trouver le type précur-
seur et en quelque sorte la forme iiremière des
drames encore récenis de notre théâtre roman-
tique. Hernani et Ruy-Blas peuvent, au moins
par quelques points, se réclamer de Nicomède.
C'est, dans tous les cas, une des plus belles trou-
vailles de Corneille que la scène où il met en
présence, à côté du tremblant Prusias, Nicomède
et Flaminius, le fils d'un des vaincus do la se-
conde guerre punitine. Flaminius a toute la hau-
teur que peut suggérer la conscience do la force
triomphante, et, quand Nicomède parle (acte II,
scène m) des bords de l'Hollespont, des bords
de la mer Egée, du « reste de l'Asie », que soa
épéc et celle de son frère pimnaieut défendre,
n Rome, répond fièrement Flaminius, prend tout
ce reste en sa protection. » Mais la réplique de
Nicomède est écrasante :
i''%
101 e sur ce point les volontés du
pLUt-êtie qu'un jcur je dépcndr
ous V. >iisiil,,r, l'eir.l de ces n
i de moi.
Vous p.iui
Prépaie '
DispM>. I 1
Et, s. fl.H
Nous poui
1 liic de Trasiméne...
Laodice, qui aime Nicomède, parle volontiers-
sur le môme ton ; Flaminius ne réussit pas mieux
avec elle qu'avec Nicomède iiiiund il fait Taloir la.
puissance du Rome .acte III, scène m; :
r.arihagc étant détruite, Antiochus déf.dl,
Kicn de nus volontés ne peut troubler l'elTcl ;
THÉÂTRE CLASSIQUE
2176
THEATRE CLASSIQUE
Tout fléchit sur la terre, el tout tre
Et Rome est aujourd'liui la maili-cs:
— La maîtresse du monde! Ah! voi
S'il ne s'en fallait pas l'Ai inéoie et i
fer
• l'onde,
; peur
Le cinquième acte, surchargé d'iiicidfiiits roma-
nesques, et qui finit par un embrassement général,
conclut faiblement ce beau drame, ce dernier
mot, nous 1 ; répétons, pouvant presque s'enten-
dre ici à la façon moderne.
■Cttcinp. — Andromaque (IG07). — Corneille
avait soixante et un ajis, ei il ne donnait plus au
théâtre q\i'Agésilas et Attila, lorsque Racine, à
vingt-huit ans, y produisit son premier chef-
d'œnvre, Andromaque.
Nous entrons avec Andromaque dans un
monde dramatique nouveau; nous laissons le
monde de la vertu, de l'honneur, du patriotisme,
de l'héroïsme sous toutes ses formes; nous sommes
dans le monde de la passion, et de la passion la plus
agissante, la plus décevante et la plus troublée,
la plus violente aussi au besoin, la passion do l'a-
mour. Tout ce que cette passion peut suggérer de
sentiments et do mouvements à la fois instinctifs
et réfléchis, délicats et abandonnés, d'apparence
désordonnée et logiquement contradictoires. Ra-
cine le saisit et l'exprime dans une langue qui
lui appartient et dont il est admirabh'ment mailre,
mélodieuse, quoique peu sonore, très élégante et
très raflinée, mais voilant ■^es liardios'irs sous les
dehors de la simplicité et de la sobriété. Si l'on
en excepte quelques traces, cparses el rares, des
quintessences de bel esprit qui furent le travers
de son temps, quelques traces aussi de ce goût
particulier pour le romanesque qui lui faisait lire,
à Port-Royal , le texte grec des Amours de
Théagène et do Chariclée, Racine est déjà, dans
Andromiique, le a poète parfait » que deux siècles
littéraires entiers, au grand détriment de leur
pensée, de leur goût et de leur style, ne se las-
seront pas d'imiter. Suivant le mot très juste d'un
de nos critiques contemporains, la poésie drama-
tique française sera non seulement fixée, mais
Huée aprèsRacine (Voir, p. 1783, la citation de Paul
Albert).
Mais elle est vivante dans son œuvre. Il prend
ses personnages i l'antiquité. Ceux à.' Andromaque
lui viennent de Virgile et d'Euripide; mais il les
transforme sur les données du milieu où il vit
lui-même et de ses propres sentiments. Il fau-
drait, par exemple, lire presque page pour page
VAndromaque d'Euripide et celle de Racine,
pour en sentir la différence. •< L'Andromaque de
Racine, a dit justement et ingénieusement Saint-
Marc Girardin, est prisonnière, mais elle est
honorée et respectée ; elle a une confidente, tan-
dis que l'Andromaque antique n'a qu'une com-
pagne d'esclavage; elle est reine à la cour de
Pyrrhus, comme Jacques II était roi Ji Saint-
Germain, parce que, dans les idées modernes,
les rois, môme détrônés, gardent leur rang ;
Pyrrhus enfin, malgré la violence de son amour,
est un maître discret et respectueu.x, qui adore
sa captive, mais qui croirait s'avilir, s'il usait
contre elle des droits de l'esclavage antique.
Andromaque, de son côté, trouve ce respect tout
naturel. L'esclave antique avoue, en baissant
les yeux, (|u'elle a subi l'amour de son maitre ;
l'Andromaque moderne s'offense à l'idée de ne pas
rester fidèle à la mémoire d'Hector, et elle reluse
la main de Pyrrhus » Une civilisation plus
haute que la civilisation antique a passé par li,
donnant à la femme, avec la conscience plus com-
plète di' sa dignité, plus d'indépendance effective.
De la délicatesse donc et de la pureté dans les
sentiments, mais la tyr;mnic de la passion, non
plus, comme dans Corneille, combattue et réfré-
née, mais dominante et maîtresse, chez Pyrrhus
jusqu'au point d'oublier qu'il est le fils d'Achille,
chez Hermione jusqu'à la fureur jalouse, chez
Oreste jusqu'à l'assassinat et à la folie. Il est
vrai qu'elle ne règne et domine qu'à la condition
de se torturer par son excès même, le désospoir
ou la jalousie. Quoi qu'il en soit, l'idéal dramati-
que s'est abaissé, et il sera ainsi à peu près sans
exception dans toutes les pièces de Racine. Il
s'est resserré aussi et presque uniquement con-
centré dans une seule passion ; mais l'analyse er.
est poussée si profondément que sur ce point
peut-être il n'a jamais été donné à personne d'al-
ler au-delà. Dans Andromaque, la scène entre
Pyrrhus et Phénix (acte II, scène v), celle entre
Pyrrhus et Andromaque (acte III, scène vi), et
enfin la célèbre scène du dénouement entre Pyr-
rhus et Hermione (acte V, scène m), sont, à cet
égard, de véritables chefs-d'oeuvre. La vérité en
est si vive que, dans cette poésie classique de
Racine, l'idée de noblesse et de dignité inhérente
au genre tragique, tel qu'il l'a compris et for-
mulé, s'oublie et s'efface. C'est ainsi que Pyrrhus
dit à Phénix, qui le presse de renoncer à voir
Andromaque :
N'oD, je n'ai pas bien dit tout ce qu'il faut lui dire ;
.Ma coière à ses yeui n' a paru qu'a demi ;
Elle ignore à quel poiutje suis sun euaemi.
Rciournous-y...
Retournons-y, c'est le cri de la passion incon-
sciente : est-il tragique ou comique 'f
Hlus tard, quand Andromaque, craignant pour la
vie de son rils, se jette aux pieds de Pyrrhus, et
lui adresse dans sa douleur qunlques mots qui ont
presque l'air d'être tendres, Pyrrhus congédie son
confident :
Va m'attendre, PUœuix?
N'est-ce pas là de la comédie?
En dehors de ces scènes, qu'il faut étudier poui*
les bien sentir, la tirade à effet des « fureurs d'O-
reste » (acte V, scène v) est un des morceaux les
plus renommés de notre théâtre.
Britannious i.Ut)9\ — Britarinirus est une tra-
gédie de donnée cornélienne. Inspiré par le récit
de 'l'acite, au treizième livre des Annales, Racine
a voulu représenti-r les débuts de Néron dans le
crime, « le monstre naissant », comme il le dit
dans la première de ses préfaces, .autour du mons-
tre. Racine a liabilement groupé tous les person-
nages qui agissent sur lui, et dont l'influence, en
bien ou en mal, va précipiter la crise décisive :
Agrippine, sa mère, à qui il doit l'eiupire et qui lo
tient encore sous sa tutelle ; son bon et son mau-
vais génie, Burrhus, le collègue do Sénè(iue, et
l'affranchi Narcisse, qui, pour se rendre heureux,
perd volontiers les misérables; Britannicus enfin,
le propre fils de Claude, celui qui, sans Agrippine,
aurait dû être l'empereur, et Junie, sa fiancée,
dont Néron devient jaloux. Entre ces divers, agents
qui calment tour à tour ou excitent ses convoi-
tisi'S, Néron demeure quelque temps incertain et
irrésolu ; mais il a comme des cris qui trahissent
ses fureurs prochaines :
J'embiasse mou rival, uiais c'est pour l'étoutler.
C'est en vain qu'Agrippine (acte IV, scène II)
lui rappelle, dans un développement qu'on peut
rapprocher de tout ce que Corjieille a fait de plus
saillant en ce genre, tous les services politiques
qu'elle lui a rendus. Néron redouta sa luère :
Mua géuie étouQé tremble devant le sien ;
(Acte II, scène il.)
mais il élude son autorité par d'hypocrites pro-
testations. C'est en vain aussi ciuo Burrhus, qui
représente dans cette pièce l'honnêteté et la con-
science, ri'traçant aux yeux de l'empereur le spec-
tacle touchant des premières années de sou règne
THÉÂTRE CLASSIQUE
2177 — THÉÂTRE CLASSIQUE
(acte IV, scène iii\ semble être parvenu à raviver
eji lui quelque éiincelle de bons sentiments. Nar-
cisse, dans une scène maîtresse (acte IV, scène iv),
détruit et brise pièce à pièce, avec une habileté
qui l'a fait comparer au lago de Shakespeare, l'œu-
vre d'Agrippine et celle de liurrhus, en faisant
appel à sa vanité :
Agrippiuc, seigneur, se l'était bien promis...
et à sa crédulité intéressée ;
Buri'lius ne pense pas, seigneur, tout ce qu'il dit...;
ai bien que, quand Néron s'écrie, à la fin de la
scène :
Viens, Narcisse ; allons voir ce que nous devons faire,
on sent qu'il est tout entier et à tout jamais con-
quis po'ir le mal.
Britannicus, comme on le voit, n'est pas le prin-
cipal personnage de la pièce ; mais son amour
pour Junie en est le pivot et le ressort ; et c'est
sa mort (acte V, scène vj qui la dénoue. Lui-
même, d'ailleurs, est intéressant ; sa fierté et sa
sincérité eu face de son rival (acte 111. scène vni)
contrastent, à son grand honneur, avec la dupli-
cité cauteleuse et violente de Néron. Junie est in-
téressante au même titre, principalement dans la
scène où elle est épiée par Néron, caché derrière
une tapisserie (acte II, scène vi), et que certains
critiques, plus classiques que le poète classique
par excellence, ont reprochée h Racine comme un
moyen indigne de la tragédie. Elle se fait vestale
au dénouement, pour se dérober à Néron, comme,
au xvu* siècle, on entrait en religion pour échap-
per aux Orages du monde.
Voltaire appelle Britannicus- n la pièce des con-
naisseurs 11 ; elle l'est par l'originalité des carac-
tères ; elle l'est aussi par l'agencement et la suc-
cession des scènes, par un mouvement continu,
qui, sans que rien languisse et se ralentisse ja-
mais, conduit savamment le spectateur jusqu'au
coup d'éclat final.
Iphigénie en Aulide (1GÎ4). — Avec /phigénie et
avec f/ièi/ce, dont nous allons parler tout à l'heure,
nous rentrons dans les sujets euipruntés aux tra-
ditions léa;endaires des Grecs. C'est une des plus
belles pièces d'Euripide que Racine, dans ////u-
géiiie, a appropriée à la scène française. Comme
il le dit lui-même dans sa préface, les passages
que ses contemporains applaudirent le plus, il
les a pris à son modèle, et l'on peut même ajou-
ter que, dans son ensemble, si séduisante que soit
la copie, elle est encore restée au-dessous de
l'original. Plus près des événements qui forment
le sujet d Iphnjénie, appartenant à une civilisation
moins policée et moins raffinée, Euripide a com-
pris son sujet plus naturellement et plus simple-
ment, ne prêtant pas i ses héros des idées et des
sentiments qui jurent, quoi qu'on puisse faire,
avec la réalité barbare et atroce d'uu sacrifice
humain.
C'est ainsi qu'il n'y a pas trace d'amour dans le
poète grec, (-'est bien sous le prétexte do la marier
à Achille qu'Agamemnon fait venir sa fille; mais
celui-ci ne la connaît même pas. Quand le secret
d'Agamemnon est découverl, Achille s'irrite seule-
ment de l'abus qu'on a fait de son nom ; sur la
prière de Clytemnestre, il consent à se faire le
défenseur d'iphigénie, mais c'est par pitié, et non
par un sentiment plus tendre. Do son coté, l'iphi-
génie d'Euripide, moins soumise tout d'abord et
moins résignée que celle de liacme, supplie .son
père de l'épargner, car elle aime la vie : o Ne me
fais pas mourir avant le temps; il est si doux de
voir la lumière I Ne me fais point descendre dans
les demeures souterraines. » Elle tient dans ses
faible défenseur pour tes amis; viens cependant
mêler tes larmes aux miennes, supplie notre
père de laisser vivre ta sœur. Les enfants eux-
mêmes ont un sentiment du malhenr. Vois, ô mon
père, sans parler il te supplie. Ah! épargne-moi,
prends pitié de ma vie. Oui, nous que tu aimes,
tous deux nous te supplions, lui faiblo enfant, et
moi déjà grande. D'un mot je résume tout mon
discours, et tu céderas : rien d'aussi doux aux
mortels que de voir la lumière ; dans les demeures
souterraines, tout est néant. Insensé qui souhaite
de mourir : une vie malheureuse est encore pré-
féi-able à une mort glorieuse. » (Traduction de
MM. Th. Fix et Ph. Lebas.) C'est li le premier
mouvement d'iphigénie; mais bientôt elle accep-
tera la pensée de cette mort glorieuse qui lui
avait répugné d'abord. Elle se sacrifiera pour son
pays, elle sera la « libératrice de la Grèce. »
Achille dès lors ne s'oppose plus à ce <|u'elle
meure, puisqu'elle s'est spontanément dévouée,
sans vouloir lutter contre les dieux, qui sont plus
forts qu'elle; il se contentera de l'accompagner
à l'autel, prêt à la défendre de nouveau, si elle
revenait sur sa parole. Au dénouement, conformé-
ment à la légende, Diane substitue une biche à
Iphigénie.
Racine a enchéri sur cette donnée. Iphigénie et
Achille sont déjà fiancés; Eriphyle, dont la mort
doit sauver Iphigénie, est elle-même éprise d'A-
chille. Les scènes de galanterie et de petite ja-
lousie qui résultent de cette situation ne sont
certainement pas les meilleures de la pièce.
Achille, d'autre part, et Agamemnon ont des dis-
putes de dignité et de grandeur chevaleresque
qu'on ne comprend pas bien à deux pas de l'autel
où une femme va être immolée. 11 convient
d'ajouter qu'en présence d'une légende que les
siècles ont consacrée, le spectateur se prête
aussi volontiers que la fait le poète lui-même à
des invraisemblances qu'atténue la vision loin-
laine et le convenu accepté des faits. Transfigu-
rée, elle aussi, et reflétant, comme on l'a bien
des fois remarqué, tout ce que la civilisation mo-
derne et chrétienne a pu ajouter aux héroïnes de
l'antiquité de grâce déconte et réservée, d éléva-
tion et de mesure dans la volonté et les sentiments,
l'ipliigénie de Racine est aussi touchante dans sa
soumission, où la supplication parait à peine
(acte IV, scène iv), que l'Iphigénie grecque qui se
laisse aller simplement et sans réticence, devant
un père qui est un bourreau, à cette peur de mou-
rir, à ce regret d'une vie heureuse, si spontanés
et si naturels. Elle a de moins que celle-ci l'idée
du sacrifice à une cause nationale. Clytemnestre a
subi une moindre métamorphose; liacine l'a à peu
près prise telle qu'Euripide la lui donnait. Agamem-
non, tout naturellement, se souvient davantage,
dans la pièce de Racine, qu'il est la roi des rois;
il a, en présence d'Achille (acte IV, scène iv), de»
accents de grandeur hautaine qui sentent leur
XVII' siècle :
desseins.
Seigneur, je ne rends point connple de mei
Hd aile ignore eocor mes ordres souverains ;
Et, quand il sera temps qu'elle eu soil informée.
Vous apprendrez son sort : j'en instruirai 1 année.
Achille lui-môme est intéressant, une fois ac-
cepté son rôle d'amoureux. Entin le récit d'Ulysse
au dénouement (acte V, scène vi) est un des beaux
morceaux narratifs de notre théâtre.
Phèdre {\(i',^)■ — C'est encore à Euripide que
Racine a emprunté le sujet de celte pièce, dont
nous no dirons que deux mots. Dans ï'Hipiolyle
d'Euripide, le héros principal est Hippolyto lui-
même, dont le type religieux et mystique n'aurait
DU BUèreêtre compris sur une scène moderne. Après
bras son jeune frère Oreste, encore en bas âge; | un prologue d'ouveriure, Euripide fait paraître sur
elle le fait intervenir : « O mon frère, tu es un | la scène Hippoly te rentrant do la chasse, suivi d une
2« Partie. 137
THÉÂTRE CLASSIQUE — 2178 — THÉÂTRE CLASSIQUE
troupe de compagnons qui chantent un hymne en
l'honneur de Diane. Lui-même s'avanc.H vers la sta-
tue de la déesse, et lui posn sur la iftte une cou-
ronne de feuillage, en faisant l'éloge de la Pudeur.
Un de ses compagnons lui montre une statue de
Vénus, et lui dit que toutes les divinités ont droit
aux hommages des mortels. Hippolyte lépond que
c'est là une déesse qu'il ne salui' que de loin, et
il ajoute sur le conipie de Venus d'autres propos
qui ne sont rien moins c|ue courtois. On conçoit
que pour un pareil liéros il ne saurait être ques-
tion d'une Aricie, et qu'il eut bien mal supporté
les conseils, d'ailleurs fort singuliers dans la bou-
che d'un gouverneur, que Théramène adresse à
son élève. Dans la pièce grecque comme dans celle
de Racine, Hippolyte est victime de la passion
coupable de Plièdre, mais il ne lui parle même
pas ; c est la nourrice de Phèdre qui vient lui
révéler le fatal secret, dont il va mourir. Quand,
maudit par son père, blessé par le monstre ma-
rin qu'a envoyé Neptune, on le rapporte san-
glant sur la scène, Diane apparaît et lui pro-
met pour le consoler que les vierges de ïrézène
rendront à sa mémoire d'éternels honneurs.
Ce n'est pas Hippolyte, c'est Phè ire qui rem-
plit à elle seule toute la pièce de Racine ; les
autres personnages ne servent qu'à concourir à
l'analyse et au développement de sa passion et
de ses remords. Nulle part Racine n'a mieux em-
ployé à dérouler, comme on l'a dit. les replis
d'une âme délicate, ardente et malade, toute la
curiosité pénétrante de son observation psycho-
logique; nulle part non plus sa langue n'a été
plus douce, plus ferme, plus mélodieusement
•poétique :
Dieux, que ne suis-je assise à l'ombre des forêts I
Quand pi»urrai-jc, au travers d'une noble pouss.ere,
Suivre de l'œil un cliar fuyant dans la carrière ?
^Acte 1, scène m.}
Et plus loin :
Ariiine, ma sœur, de quel amour blessée
Vous moui ûtes aui bords où vous fûtes laissée...
La célèbre scène où Phèdre laisse, comme mal-
gré elle, échapper son secret devant Hippolyte
(acte II, scène v), celle où, venant d'apprendre
qu'Aricie est sa rivale, elle exhale devant OEiione
sa douleur et son désespoir (acte IV, scène vi),
justifient amplement ces vers de Boileau rassu-
rant son ami contre les préventions injustes de
ses contemporains :
Eti ! qui voyant un jour la douleur vertueuse
De Phedie malgré soi iierfide, incestueuse,
D'un si noble travail justement étonné,
Ne béni 1 a d'abord le siècle fortuné
Qui, reudu plus faïu.'ui par tes illustres veilles.
Vit nailre sous ta main ces pompeuses merveilles!
(Epilre Vil.)
Le célèbre récit de Théramène, qui conclut la
pièce (acte V, scène vl), est partout cité, et il
doit l'être, en effet, comme l'un des spécimens
les plus caractéristiques de la poésie narrative et
descriptive, telle qu'on la comprenait au xvti* siè-
cle ; mais, outre que, par sa longueur m cessaire,
il parait, quoi qu'on fasse, bien froid à la scène,
la poésie moderne de nos jours nous a accoutu-
mes, quand il s'agit d'œuvres de ce genre, à des
tableaux plus précis et plus vivants, comme à un
rythme plus souple, plus mouvementé et plus
sonore.
Esther (1689) et Athalie (I6SI). — Ces deux
pièces sont trop connues pour qu'il soit besoin
(le les analyser longuement ici. Il en a d'ailleurs
été plusieurs fois question dans différents articles
de ce Dictionnaire, notamment à l'article Ricine.
Rappelons seulement que, par une lieureuse
innovation que comportait le sujet à'Estlier et
(HAllialie, et aussi le public et les acteurs spé-
ciaux auxquels elles étaient destinées, Ricine a été
conduit à prendre dans le théâtre grec et à trans-
porter sur notre scène des chœurs dont le chant
est siiutenu par des instruments, qui participent
à l'action et en marquent certains repos, ajoutant
la musique au charme des beaux vers, et formant
ainsi le trait d'union entre la tragédie et le drame
lyrique.
11 sera bon, en lisant Esther, d'en comparer le
texte à celui de l'Ecriture, ne fût-ce que pour
observer comment Racine s'y est pris pour accom-
moder son sujet aux bienséances de la scène. On
a bien souvent fait remarquer, dans différents pas-
sages d'Either, de transparentes allusions à des
événements familiers aux contemporains de Ra-
cine; nous n'y insisterons pas. On a fait remar-
quer de même que, sur bien des points, Esther
contient comme en germe A tlialie, qa' \m!t,n, par
exemple, se retrouve dans Maihan et Mardochée
dans Joad. On a enfin critiqué, et, selon nous,
très justement, le dénouement à' h'alher, pour le-
quel fiacine s'e-'t. d'ailleurs, conformé aux don-
nées bibliques. Quand Aman se jette aux pieds
d'Esther, il n'a nulle idée de lui faire violence, il
la supplie d intercéder pour lui auprès d'Assuérus :
Daignez d'un roi terrible apaiser le courroux ;
Sauvez Aman, qui tremble à vos sacres genoux.
Elle n'aurait donc qu'un mot à dire pour « sau-
ver Aman », lorsque le roi se méprend sur les
intentions de son ancien favori :
Quoi ! le traître
vous porte ses mains b.irdies î
Elle ne dit point ce mot, et c'est tant pis pour
son caractère.
Quant à At'ialie, on a, depuis deux siècles,
épuisé, et en toute justice, les formules de l'ad-
miration pour montrer comment Racine avait su
tirer d'un obscur passage des Puralipoménes
(Livre II, chapitres xsii et xxiri), sans amour,
sans intrigue, sans autre élément que la passion
religieuse, le plus étonnant chef-d'œuvre de l'art
classique. Joad en est, sans contredit, le principal
héros. Inutile d'insister sur cette profondeur de
foi, qui, d une part, le conduira à l'enthousiasme
du prophète, et de l'autre ne le fera pas reculer,
pour l'accomplissement d'un devoir qu'il_ regarde
comme sacré, devant la préméditation d'un guet-
apeiis.
Les traits de cette croyance inspirée sont dans
toutes les mémoires :
Celui qui ra' t un frein à la fureur des flots
Sait aussi des méchants arrêter les complots.
Soumis avec respect a sa %olou lé sainte.
Je crains uieu, cher Abner, et n'ai point d autre crainte.
(Acte 1, scène i.)
Et, quand il prépare son complot contre Athalie :
Voilà donc quels vengeurs s'arratnl pour ta querelle,
Des piètres, des enfants, o Sagesse éternelle I
Mais SI tu les soutiens, qui peut les ébranler?
Le morceau tout entier (acte III, scène vu) est
delà plus liante éloquence. Mais, au dénouement,
Joad entraine Athalie dans un piège, comme elle
le dit elle-même, en attribuant à Abner ce qui est
l'œuvre du grand-prêtre; quels que puissent être
le désiméressement et la hauteur de ses motifs,
il n'en a pas moins eu recours au procédé qui ré-
pugne le plu. à notre loyauté française, et tout
l'art de Raiiiie ne peut empêcher que le reproche
de traîtrise ne tombe à la lois sur lui et sur
1' 1. impiioyable Dieu » dont il se proclame le
ministre. Athalie paraît, de son côté, moins mé-
chante peut être que ne l'aurait voulu Racine. Ses
crimes qui s^mt antérieurs au drame, nous frap-
pent m' lins que s m audace et ce je ne sais quoi
de hardi et de brave qui semble dominer son ca-
THÉATRE^GLASSIQUE — 2179 — THÉÂTRE CLASSIQUE
ractère ; elle est aussi, si l'on peut dire, très
femme, quand elle raconte le songe qui l'agite
(acte II, scène v), et dans son entreiien avec Joas,
et cela est fort loin de nous tourner contre elle ;
aussi ne serions-nous pas très éloignés d'être de
son parti, lorsque, Abner attestant Dieu qu'il n'est
pour rien ilans la trahison de Joad, elle lui crie
(acte V, scène v) :
Laisse-là ton Dieu, traître,
Et irenge-moi....
Abner représente, dans la pièce, la raison et le
bon sens généreux. Avec moins d'oclai. et moins
d'ampleur, il joue auprès il'Atlialie le même rôle
que liurrlius auprès de Néron, comme Matlian,
avec l'hypocrisie religieuse en plus, joue celui de
Narcisse. La scène où Mathaii et Abiior sont en
présence (acte II, scène v, vers la tin) n'est pas,
quoiqu'il s'agisse de personnages de second plan,
la moins intéressante do la pièce. Au sujet d'une
autre scène, celle de Matlian avec Nabal (acte III,
scène m), peut-èire est-il permis de. s'étonner
qu'un homme aussi liabile et aussi maître de soi
que le poète représente Mathan, fasse de lui-
même un portrait si peu flatté el si cru. C'est de
la forfanterie, sans doute, mais dont on ne voit
pas bien l'objet ; d'ordinaire, les ambitieux ne sont
pas prodigues de confidences, et il est rare aussi
que, l'amour propre aidant, on s'avoue si naïve-
ment à soi-même qu'on est un menteur et un scé-
lérat.
L'intervention d'un enfant, toute naturelle dans
une pièce ilestinée ^ être interprétée par de toutes
jeunes filles, n'en était pas moins, au temps de
Racine, une hardiesse dramatique, heureusement
justifiée par tout l'intérêt que donnent à l'action
la situation respective d'Athalie et de Joas et l'in-
génuité de celui-ci. La belle scène entre la reine
et le petit Joas (acte II, scène vu) est imitée d'une
scène analogue de Hou, d'Euripide.
Josabeth. enfin, est charmante ; sa tendresse
pour l'enfant qu'elle a sauvé, ses inquiétudes
toutes maternelles, contrastent admirablement
avec l'âpre fermeté de Joad (Voir surtout acte 1,
scène ii;, ce qui ne l'empêche pas, d'ailleurs, d'être
digne et fière devant Aihalie (acte II, scène vu) :
Tout vous a réussi. Que Dieu voie, et nuus juge I
Voltaire. — Les ouvrages poétiques de Voltaire
ne sont point ce qu'il a fait de mieux, bien qu'il
s'y soit essayé dans tous les genres. En prose, il
est créateur : en vers, et en particulier dans ses
tragédies, il suit la tradition du xvii' siècle, se
rattachant de préférence à l'école de Racine, sans
avoir ni la profondeur d'analyse psychologique, ni
d'autre part la pureté, la sobriété, l'élégance con-
tinue de son modèle. 11 lui prend la forme exté-
rieure de son théâtre, en quoi, d'ailleurs, il fait
comme tous les autres poètes dramatiques du
xviii' siècle ; il lui prend aussi son langage poé-
tique, en rallongeant souvent et en l'allanguissant,
en se contentant d'à peu près, << dans la I ngue la
plus rebelle aux choses ébauchées, » pour nous
servir d'une expression très juste de M. Nisard. Ce
n'est pas que le théâtre de Voltaire manque com-
plètement d'originalité. Plusieurs de ses tragédies
ont eu de son temps un très grand succès et ont
mérité de rester classiques. Elles le doivent, en
dépit des faiblesses que nous venons de signaler,
à des sujets bien truuvés et bien conduits, où la
curiosité et l'émotion sont mises en jeu par des
situations fortes, par des coups de théâtre où il y
a une part pour les yeux.
Ce sont là. touieTois. des conditions inférieures
d'intérêt, si l'on se reporte à l'idéal plus élevé et
plus sévère de nos grands tragiques ; et les dé-
licats lui reprochent, non sans quelque exagéra
tien de s'être pluiùi adressé aux nerfs qu à l'esprit.
C'est au moins une chose curieuse que de voir
ce disciple de Corneille et de Racine ouvrir la
voie, sans s'en douter, à ce qu'on pourrait appe-
ler la tragédie populaire, et. sous ses allures
classiques, introduire au théâtre les procédés
dont useront et abuseront nos drames et nos mé-
lodrames modernes. Ce qui caractérise encore les
pièces de Voltaire, c'est <iuo, ne se tenant pas,
commeses devanciers, à une conception purement
artistique du drame, au simple et unique déve-
loppement d'une situ.ition ou d'un caractère, il
s'en sert souvent comme d un moyen de propa-
gande pour ses tliéories et ses opinions, transfor-
mant ainsi le théâtr ■ en une espèce de chaire
ou d'école. Ceneser.ui pnint là encore pour nous
un bien grave snj(!i dr reproche, si, dans certaines
pièces aumoins, la Unse pliiliJSopliii|ue ne faisait
tort au drame lui-même : c'est ainsi, par exem-
ple, que dans Mahomet, puor miMirer, suivant
sou idée favorite, que touie religion est impos-
ture, il ne voit dans son héros, contrairement à la
vérité historique et humaine, qu'un hypocrite
conscient, et dans les scctatrurs du prophète que
des fanatiques aveuglés. « Mahomet tel que le
peint Voltaire, dit à ce su et M. Geruzez, loin de
convaincre et de conquérir la moitié du monde,
n'aurait pas entraîné à sa suite un seul chamelier,
ni dominé la moindre des bourgades de l'Asie. »
Nous étudierons parmi les tragédies de Voliaire,
trois des plus connues : /aï' e. Aizire et Mérope.
Zaïre (ITaî) — Dans Zaïre, qui, comme Voltaire
se plaît souvent à le rappeler, a lait couler tant de
larmes, nous allons retrouver louies les conditions
de la poétique du maître.
Le sujet en est fort intéressant ; il est tiré — et
il faut en savoir grand gré à Voltaire, — de notre
liisioire nationale ; c'est nn épisode, complète-
ment imaginaire il est vrai, de la (période des croi-
sades ; le monde chréiien y est mis en présence
du monde musulman, peut-être avec la secrète
pensée de faire voir que, dans l'un comme dans
l'autre, toutes les délicatesses et toutes les vertus
sont également possibles, et que nos sentiments,
même les meilleurs, ne tiennent pas exclusive-
ment à la religion que nous professons. C'est au
moins cette pensée qu'indique, au commencement
de la pièce, la tendre et raisonneuse Zaïre (acte I,
scène i) :
J'eusse été près du Gange rscla-ve des faux dieux,
r.hi eiienne dans Paris, musuituaue eo ces lieux.
L'instructiou fait tout...
Est-il besoin de montrer que l'intérêt tient beau-
coup moins aux caractères qu'aux situations ?
Zaïre, placée entre son amour et la religion de
son père, est assurément fort toucliante, mais
combien peu personnelle, si vous la comparez,
par exemple, à une Pa iline ou même à une Iplii-
gonie I Oiosinane, très galant, beaucoup t,rop ga-
l,int sans doute pour un musulman, à la fin de la
pièce devient jaloux. Il faudrait lire \'Ou,eUo de
Shakespeare, dont Voltaire s'est inspiré peut-être,
pour voir combien il est resté au dessous de cette
puissante gradation de souffrance ei de haine qui
fait un meurtrier du mari de Desdémone. Tout
cela n'empêche pas qu'il n'y ait guère dans notre
théâtre de plus belle scène que celle qui fait ap-
paraître le vieux Lusignan, sortant, presque
aveugle, du cachot où, depuis vingt ans, il té-
moigne de sa foi, reconnaissant son fils et sa fille
à des marques matériel les, une blessure, une croix,
dont le moyen use nous ferait aujourd'hui sourire,
et. en la personne de Zaïre, « dérobant son sang à
l'infidélité » (acte 11, scène m), l'eu de dénoue-
ments aussi qui soient plus saisissants pour les
nerfs comme pour leci]eur,quocelui cùOrosma.ie,
trompé par les paroles équivoquesde Z lire, lâcher
che dans l'obscurité etla poignarde en plein théâtre
THÉÂTRE CLASSIQUE - 2180 - THEATRE CLASSIQUE
Mallieurcusement, aujourd'hui surtout que rien
ne nous attache aux élégances convenut^s du
drame classique, les traits et les morceaux d éclat
dont la pièce est renipliu ne suffisent plus pour
nous faire passer sur la mollesse générale d'une
langue qui ressemble si peu à la prose liardie et
vivante de VEssai sur les mœws, du Didionninre
vhilosoihique, ou même du Siècle de Li'Uis XIV.
Il a manqué à Voltaire un Bnileau pour lui ap-
prendre, ^ lui aussi, à faire difficilement des vers
faciles. Mais, à une telle école, serait-il resté
Voltaire?
Alzire (1737). — Ahire, ou les Américains, est
encore un beau sujet dramatique: la conquête du
nouveau monde, dont l'histoire, d'ailleurs, est
passablement défigurée, lopposition de la civili-
sation et de ce qu'on appelait au xviti' siècle l'état
de nature ; et une belle thèse philosophique, la
guerre au fanatisme religieux. Dans la bouche de
Zamore, son héros de l'état de nature, Voltaire a
placé une sanglante satire du fanatisme de ces
singuliers chrétiens, les compagnons de Cortez et
de Pizarre, dont la cruauté, que Ihisiuire atteste,
est une honte pour leur race Vaincu et empri-
sonné, Zamore vient d'être rendu à la liberté par
un Espagnol, Alvarez, le sagCj l'esprit tolérant de
la pièce.
Tu parais Espagnol, et ta sais pardonner 1
lui dit Zamore (acte II, scène ii). Et, quand Alva-
rez explique que c'est au nom de Dieu et de sa
religion qu'il pardonne, l'étonnement de Zamore
redouble :
Dieu 7 la religion ? Quoi ! ces tyrans cruels,
Monstres désaliéiés dans le sang d.s morlels,
Qui dépeuplent la terre, et dont la baibane
En ïaste solitude a change ma patrie.
Dont l'inràuie avarice est la suprêra.; loi.
Mon père, ils n'i.nt donc pas le même Dieu que loi 7
— Ils ont le même Uieu, mon fils, mais ils l'outragent,
répond Alvarès, et celte haute affirmation du prin-
cipe chrétien, ramené à ses sources originelles,
semble être l'idée dominante à' Alzire. C'est cette
même idée qu'expriment encore, au dénouement
(acte V, scène viij, les paroles souvent citées de
Gusman, dont la conversion in exlre?nis à l'hu-
manité et à la clémence a un peu trop, d'ailleurs,
le même défaut que celle de Félix dans Polyeucte:
d'un noble et délicat sentiment, l'amour maternel.
Le caractère de Mérope est peut-être le seul de
tout son théâtre tragique qui rappelle, au moins
par inslants, les analyses de Racine. 11 y a quelque
chose des pressentiments d'Athalie interrogeant
Joas dans la scène où Mérope interroge, elle aussi,
Egisthe, qui n'est encore pour elle qu'un étranger
(acte II, scène ii) :
Te le dit
Sa voix E
i-je. hélas 1 tandis qu'il m'a parlé,
attendrissait, tout mon cœur s'est troublé...
servons coniia
la différence :
t Id \eugeauce,
Des dieui que nous
Les tiens t'ont comn
Et le mien, quand t
M'ordooue de te plaindre et de le paidouuer.
Mérope (17 4-3). — Mérope est une légende de la
mythologie grecque, qu'Euripide avait mise sur la
scène, et la péripétie principale, de son drame, la
reconnaissance de la mère et du fils, ne manquait
jamais, au dire de Pluiarque, d'exciicr parmi les
spectateurs un frémissement universel; malheu-
reusement, le texte d'Euripide n'est pas parvenu
jusqu'à nous. Au xvii= et a'u xviii' siècle, ce
même sujet avait été plusieurs fois essayé en
Italie, en Angleterre et en France. En 1713, un
Italien, Maffei fit jouer à Vérone une Mirope dont
Voltaire s'inspira, et qu'il a imitée dans plusieurs
de ses plus belles tcènes. Après Voltaire, à la fin
du xviii" siècle, Alfieri a repris encore la donnée
de Mérope. Ceite donnée était de celles qui de-
vaient, comme naturellement, séduire Voltaire
elle est romanesque et théâtrale; elle donne faci-
lement lieu à des mouvements et à des efieis,
auxquels Voltaire n'a pas manqué. 11 en a fait,
d'ailleurs, renonçant h ses préoccupations ordi-
naires de polémique religieuse ou philosophique,
un pur dran:e classique, d'ordonnance rigoureuse
et sévère, où, chose rare pour son temps, l'amour
n'entre point, où tout est donné exclusivement
aux développements d'une action terrible, et aussi
La scène où Narbas dérouvre à la reine le
secret de la naissance d Egisthe (acte III,
scène iv|, et celle où la mère embrasse son fils
devant Polyphonie (acle IV, scène ii), produisent
aujourd'hui sur nous une moindre impression que
des scènes analogues n'en produisaient jadis sur
le théâtre d'Athènes, parce que nous sommes
tant soit peu blasés sur ces effets dramatiques.
Mais il n'en faut pas moins rendre justice à la
vérité des sentiinenls de Mérope, que la violence
! des coups de théâtre ne dénature point et qui
I restent très touchants, soit qu'elle s'adresse au
tyran, soit qu'elle fasse retour vers son fils :
Je suis sa mère. Hélas ! son amour m'a trahie.
Très naturel aussi ce changement qui s'opère,
après leur reconnaissance mutuelle, dans Egisthe
et dans Mérope, la mère devenant aussi timide que
le fils devient audjcieux. C'est que Mérope, telle
que Voltaire l'a comprise, est mère et n'est que
cela: tout pour Egisthe, pourvu qu'il vive; au
rebours de l'ancienne légende, elle aimerait mieux
le voir esclave que mort. « Il n'en sera pas ainsi
d Egisthe, remarque M. Saint-Marc Girardin : il
faut qu'il se venge, il tient plus à régner qu'à
vivre. » Et c'est par là qu'il nous intéresse.
Quant à Polyphonie, il faut bien dire que son
personnage rentre un peu trop dans les conven-
tions traditionnelles que comporte un théâtre
déjà vieilli, comme 1 était le ihiâtre classique du
XMii' siècle. Ce tyran est, en vérité, trop naïve-
ment tyran ; outre qu'il menace plus qu'il n'agit,
lorsqu'il lui serait très facile d agir, il parle de ses
méfaits, de ses attentats et de ses crimes, comme
un autre parlerait de ses bonnes actions, et, quand
il s'agit d'en ajouter un nouveau à la liste de ceux
dont il se confesse si volontiers, cela ne paraît
pas lui coûter beaucoup :
Ehbi(
! encor ce crime, il m'est trop nécessaire.
(Acte 1, scène IV.)
II est, d'ailleurs, de son temps par son peu de
respect pour des préjugés que Voltaire tout le
premier enseignait au parterre à regarder en
face ; c'est lui cjui prononce ces vers, tant de fois
répétés depuis :
Le premier qui fut i
Qui sert bien son p
i fut un soldat heureux ;
s n'a pas besoin d'aieux.
Comme Iphigénie, comme Phèdre, Mérope se
termine par un récit (acte V, scène vi) trop
peu sobre de délai s, au moins dans sa dei^
nière partie, et qui se substitue à cette action
des foules que notre théâire plus libre trouverait
aujourd'hui moyen de mettre plus dramatique-
ment sous les yeux mêmes du spectateur.
Ajoutons que Mérope, que Voltaire garda cinq.
ans en portefeuille, n'est pas. en beaucoup d'en-
droits, d'une langue plus châtiée et plus ferme
que celle de Znire qu'il improvisa en vingt-deux
jours. Les c. horribles », les . aflreux »,les <> mons-
tres » les « tyrans » reviennent trop souvent
dans l'a bouche de ses héros, qui se permettent
aussi, sans grand scrupule, les vers traînants, les
périphrases pompeuses et vides, voire les expres-
sions impropres. M. Nisard reproche à Voltaire
d'avoir, comme poète, « manqué de conscience «,
THÉÂTRE CLASSIQUE — 2181 — THÉÂTRE CLASSIQUE
et cette acr.iisation sévère se justifierait trop aisé-
mont. Le vrai Voltaire, comme nou^ l'avons dit,
c'est le Voltaire passioniiô, et il n'a jamaLs été
véritablement passionné qu'en prose, regardant le
théâtre comme une sorte de brillant exercice de
collège, on comme un moyen de réputation, d'au-
torité et de propagande.]
COMÉDIE,
Carnrillo. — Le Menteur (1643). — Au début
de la comédie classique nous trouvons Corneille,
comme nous l'avons trouvé au début de la tragédie.
Le Menteur, qui parut dans l'iiiver de lG4:i à
1644, entre Pompée et Ho'Jogune, est tiré d'une
pièce espagnole d'Alarcon, la Verdad soxpecliosa.
Du liàblnur castillan Corneille n'a pas fait, comme
on eût pu le croire, un hâbleur gascon. Son
Dorante est, suivant le terme encore d'usase au
XVII" siècle, un écolier, que son père a envoyé
de Paris à Poitiers pour étudier le droit, et qui
en revient très jeune, très novice, honnête au
fond. Entrant dans un monde nouveau pour lui,
•et où il aspire à faire figure, il ment, il ment avec
ce terrible aplomb qui sert souvent à déguiser
la timidité ei la gaucherie, il mont par vanité, il
ment par embarras, il ment par nécessité, une
première bourde ayant besoin d'être soutenue
par UTie autre ; mais on sent bien qu'il n'y a en
lui ni corruption ni hypocrisie, et qu'après la rude
leçon que Goronte lui a infligée, ec aussi à l'école
plus douce de Lucrèce, il se corrigera d'un simple
travers de jeunesse et de circonstance.
Ce n'est donc pas un caractère d'une grande
profondeur que celui de Dorante; la pièce n'en
est pas moins gaie et agréable. Les inven-
tions de Dorante, celle du concert sur l'eau
{acte I, scène v), colle du faux mariage de Poi-
tiers (acte II, scène v), etc., sont plaisamment
imaginées. Plus plaisantes encore les scènes en-
tre Dorante et son valet Cliton, à qui il fait la
théorie de ses « menteries » et en explique le
pourquoi :
0 le beau complimenta charmer une dame,
De lui dire d'abord : « J'apporte à vos beautés'
" Un crfiur nouveau veDU des universités »
(Acte I, scène vi.)
A la fin, le valet en vient à un tel point d'in-
crédulité à l'endroit des paroles de son maître,
que, ne sachant plus distinguer le vrai du faux, il
lui demande de le inettre au fait (acte III, scène v),
suivant l'occurrence :
De grâce, dites-n
vous allez mentit
La scène maîtresse est celle où Géronte, à qui
Dorante en a donné à garder tout aussi bien
qu'aux autres, l'interpelle sévèrement au nom de
sonanioriié paternelle et le fait rougirde ses men-
songes (acte V, scène m) : on retrouve là, comme
le remaniue \ oltaire, la même main qui peignit le
vieil Hi.race et don Dièguo : la dignité offensée
citoyens eux-mêmes, réunis en une sorte de jury,
et auxquels on donnait, pour remplir ces fonctions,
une rémunération quotidienne de trois oboles. On
devine quel moyen d'influence et aussi de corrup-
tion pouvait être entre les mains des démagogues
cette sorte de sportnie. Aussi ne s'en faisaient-
ils pas fautp, et en particulier Cléon, le grandad-
vorsaire d'Aristophane, celui qu'il avait déjà, atta-
qué dans plusieurs autres pièces. Sous le nom de
Philocléon (ami de Cléon;, Aristophane person-
nifie les juges mercenaires et asservis aux déma-
gOEues. 11 fait de ce personnage une sorte d'im-
bécile, entêté de son métier, que son fils Bdély-
cléon (ennemi de Cléon) fait garder à vue par ses
deux esclaves Sosias et Xanihias, et que les autres
juges ses collègues, sous la figure de « guêpes»
aux dards acérés, tentent de dérober à cette sur-
veillance. Pour donner le change à la manie de
Philocléon, Bdélycléon le détermine à se consti-
tner en juge domestique, et il lui fait juger le
procès du chien Labès, lequel a soustrait et mangé
tout un fromage de Sicile (autre allusion politique
au général Lâchés qui, dans l'expédition contre la
Sicile, était accusé de s'être laissé corrompre à
prix d'or). A la fin, Philocléon, peu soucieux de
sa dignité de juge, se livre à toutes sortes d'excen-
tricités fort peu édifiantes ; le chœur des guêpes
ne se montre pas beaucoup plus scrupuleux que
lui, et fait cause commune avec Bdélycléon et avec
les ennemis des démagogues.
Il y a loin de là, comme on le voit, à Perrin
Dandin et à Chicaneau ; Racine, comme il le dit
lui-môme, doit à Aristophane, dont les Gw^pes ne
sont certes pas la meilleure pièce, « le juge qui
saute par les fenêtres, le chien criminel et les
larmes de sa famille; » tout le reste lui appartient.
Ce reste n'est, d'ailleurs, qu'un badinage, dont I«
côté le plus sérieux est la critique très forte et
très mordante de la manie de plaider, très répan-
due au wii'' siècle, et aussi celle du personnel
ordinaire des tribunaux d'alors, surtout des avo-
cats et des juges.
Cette dernière partie de la satire est, à dessein
sans doute, pousséejusqu'à la caricature ; Racin«
ne s'attaquant, bien entendu, ni à messieurs du
parlement, ni aux autres gros bonnets de la haute
magistrature. En se limitant à ce point de vue,
et à la condition de n'y pas vouloir trouver autre
chose que ce que Racine lui-même avait voulu
mettre dans une pièce destinée d'abord aux far-
ceurs de Scaramouche et du théâtre des Italiens,
\i:i Plaideurs iastitienl l'honneur qu'on leur fait
de les considérer comme une pièce classique. La
scène du procès du chien (acte III, scène m) n'est
qu'une spirituelle bouffonnerie; le juge Dandin,
l'Intimé et Petit-J^an ne sont que grotesques;
mais la comte>se de Pimbesche, dont le nom est
resté dans la langue pour désigner une femme
impertinente et acariâtre.et le plaideur Chicaneau,
sont, comme on dit aujourd'hui, des créations, et
des créations très vivantes, quoique très rapide-
ment et très légèrement esquissées. Il n'est pas
de Géronte trouve des accents i|ue rappelleront jusqu'aux deux amoureux qui n'échappent, eux
plus tard ceux de don Louis apostrophant don aussi, Léandre par la bonne inine de sa jeunesse,
Juan dans la pièce de Molière (acte IV, scène vi), Isabelle par son ingénuité malicieuse, aux types
et tjui ont, d'ailleurs, près de celui qui en est convenus de la comédie. Indirectement et en paS'
l'objet, meilleur succès
Kocine.— Les Plaideurs (IC68). — C'est une co-
médie grecque d'Aristophane, les Guêpes, qui
a ftjurni à Riiclne la première idée des Plaideurs.
Mais les deux pièces ne se ressemblent guère.
Comme dans presque toutes les comédies d'Aris-
tophane, il faut voir dans te Guêpes une satire
et une satire directe do l'état politique de son
temps. Au nom du parti aristocratique, auquel il
appartenait, il y flagelle l'institution, en effet, ul-
tra-démocrati(iue, des juges d'Athènes, lesquels,
sauf ceux de l'Aréopage, n'étaient autres que les
sant, cette dernière donne à son temps, en la per-
sonne du vieux juge, une leçon d'humanité. Quand
Dandin, pour se rendre aimable, lui offre d'aller
voir « donner la question >> (acte III, scène iv),
comme Thomas Diafoirus offrira, quatre ans plus
tard, à Angélique (dans le Malade imaginaire,
acte 11, scène vi), d'assister, <i pour se divertir, à la
dissection d'une femme» :
né ! monsieur, peut-on voir souffrir des malheureux ?
répond Isabelle.
Du juge Dandin, des Plaideurs, on pourrait
THÉÂTRE CLASSIQUE — 2182 — THÉÂTRE CLASSIQUE
rapproclier le juge Bridoison, du Mariage de Fi-
ga)'", et se souvenir que c'est dans la bouche de
ce dernier, en qui s'ericarnc si brutalement tout
ce que pouvaient avoir d'insulfisant les magistrats
de l'ancien régime, que Beaumarchais a voulu
mettre son fameux couplet:
Tout finît par des rhansons,
et cela à cinq ans de la Révolution. Ce rapproche-
ment pourrait donner aux critiques de Racine une
portée que Racine, d'ailleurs, tout le premier,
ne leur supposait certainement pas.
inolièri-. — Malgré le Menteur et les Plaideurs,
il faut d'abord constater hautement que le seul
créateur de la grande comédie en France, c'est
Molière. Nous renvoyons à l'article Mutié'e de ce
Dictionnaire pour la biographie du poète et aussi
pour un jugement général sur son œuvre. Nos
analyses porteront, d'une part, sur les pièces où,
en dehors de celles qui sont consacrées à l'ex-
position ou i la défense de son propre système
dramatique. Molière a introduit quelque question
littéraire, /ev Précieuses ridii:ule', le Bourgeois
geiiti homme et un chef-d'œuvre : les Femmes sa-
vante; et ensuite sur ses auires grands chefs -d'oeu-
vre : le Mis(int''rope, le Tartuie et ''Avare.
Les Précieuses ridicules (IB.S9). — Quand Mo-
lière donjia \vs, Précieuses riiliciiles, il avait trente-
sept ans ; il arrivait à Paris, où sa place, comme
auteur et comme acteni', allait désormais être
marquée ; cette première attai|ue contre les tra-
vers littéraires de son temps fut pour lui un coup
de maître. Il faut, pour en comprendre la portée,
se replacer d'imagination dans le milieu même
où Molière vivait. Les pédants et les pédantes
d'esprit ne sont guère de notre époque, tourmen-
tée d'autres vanités; la pédanterie, le goût du
raffinement, de la subtilité, de l'affectation
quintessenciée dans les manières et dans la lan-
gue fut, au contraire, un des travers du xvii' siè-
cle, qui le prit à l'tspagne et à l'Italie, dans les
romans à la mode, dans l'esprit même de sa so-
ciété volontiers disposée au romanesque et à l'ex-
traordinaire, jusqu'à ce que Louis \1V lui eut
imposé, avec une politesse plus sûre, une moyenne
inconte.'tablement moins originale d idées et de
sentiments. Les n précieuses » ont été, à l'origine,
des femmes de la plus haute condition, qui se
livraient au plaisir du bel esprit, et se piquaient
en toutes choses de bon goût et de délicatesse.
Telle fut la célèbre société de l'Hôtel de Rai
comte, de cette demi-lune que nous emportâmes
sur les ennemis au siège d'Airas? — Que veux-tu
dire avec ta demt-lune? C'était bien une lune
tout entière. » 'Scène xii.l Et comme ces « pec-
ques provinciales », « ambigu de précieuse et de
cotiuette », gobent bien l'hameçon, et qu'on est
aise de les voir bafouer, elles et toutes les sot-
tises qui leur ont tourné la têle! « Allez vous
cacher, vilaines; allez vous cacher pour jamais.
Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes bille-
vesées, pernicieux amusements des esprits oisifs,
romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes,
puissiez-vous être à tous les diables! »
(Scène xix.)
Mais les Pré'ieuses ridicules ne sont, pour
ainsi dire, que la prpface des Femmes savantes.
Le Bourgeois gentilhomme (1670). —Molière,
dans le Bnurgeois gentillwmiiie, tourne en ridicule
un travers fort commun de son temps, et, sous
des formes diverses, fort commun dans tous les
temps, cet effet de la vanité qui porte les gens
à vouloir paraître plus qu ils ne sont, à vouloir
sortir de leur condition et de leur état naturel.
La Fontaine (dans sa fable de la i-renouille qui
veut se faire aussi grosse que le liœuf) le disait
presque au même moment que Molière :
les s^raods seigneurs.
Tout bourgeois veut bâtir c
Tout petit prince a des an
Tout marquis veut avoi
bassade
M. Jourdain a de quoi bâtir comme un grand
seigneur; mais cela ne lui suffit point; il vou-
drait être grand seigneur lui-même ; ne le pou-
vant à une époque où la noblesse est encore une
caste, il s'en donne du moins toutes les apparen-
ces, et la pièce n'est que le développement de
toutes les folies qu'il imagine pour en venir là.
On a voulu voir dans cette donnée une sorte de
méconnaissance des légitimes aspirations de ce
tiers-état, qui constituait, à tout prendre, la plus
saine partie de la nation, mêtne au xvit' siècle, et
dont l'honnêteté éclairée et les efforts persévé-
rant*, d'où devait sortir, au siècle suivant, la ré-
volution Je nxn, ne méritaient pas, dit-on, d'être
ainsi ridiculisés C'est une singulière prétention
que d'exiger que Molière ait prévu les choses
de si loin ; mais, d'autre part, si l'on veut cher-
cher dans le bourgeois qentilhomme une juste
représentation du tiers-état, ce n'est point à
M. Jourdain qu'il faut s'adresser, tnais bien plu-
tôt à l'hontiète Cléonte ou Ji M"" Jourdain
bouillet, où le nom même do précieuses corn- elle-même, le vrai type, aujourd hui perdu ou à
mença à se produire. Ce n'est point à celles-là
que s'en prend Molière ; il a soin de le dire dans
sa préface, distinguant, comme il le fera plus
tard pour les vrais et les faux dévots, ce qu'il
appelle « les vraies précieuses » de celles « qui
les imitent mal ». Et, en effet, depuis longtemps
déjà, au moment où Molière écrivait, il s'était
formé, à côté de l'hôtel de Rambouillet un peu
délaissé et qui ^e ferma en I66ô, d'autres cercles
bien plus mêlés, où l'ingéniosité déjà dange-
reuse des II belles compagnies » finissait par en
arriver à ce jargon incompréhensible dont Molière
s'est si bien moqué. De Paris la " préciosité •■ ga
gnait les provinces, d'où il fait venir Cathos
et Madelon, et s'il est vrai, comme on l'a dit,
que ceux mêmes qui poussaient à ces excentri-
cités aietit été ramenés par les Pré'ieusi-s i idicu-
Its à la discrétion et à la mesure, ce serait, sur
ce point, un véritable service que Molière aurait
rendu au bon sens français.
II est CHi'idin que, pour nous, qui ne péchons
plus par les niônies défauts, la pièce a un peu
vieilli, et pourtant quelle puissance de vie et
quelle verve saine et joyeuse dans les facétieuses
(Tiasconnades de M le marquis de Mascarille et de
M. le vicomte de JodeletI — « Te souvient-il, vi-
peu près, de l'ancienne marchande de la rue Saint-
Denis, et dont le ferme bon sens se défend si
bien contre toutes les tentations où M. Jourdain
succombe. (Voir sa réponse à M Jnurdain au sujet
du mariage de sa fille, acte III, scène xii.) Notons,
d'ailleurs, que si les ridicules de M. Jourdain de-
vaientêtre portés au compte de laiiourgeoisie,dont
Molière sortait comme lui il faudrait voir dans le
honteux personnage de Dorante, et dans le per-
sonnage plus effacé, mais quelque pu équivoque,
de Dorimène, une bien autre satii e de la noblesse.
Elle n'a certes pas le plus beau rôle datis le liour-
geois genlillioinme, et la bourgeoise, M^' Jour-
dain, ne se gêne pas pour otre fort justement
leur fait au grand seigneur et à la grande dame :
(i Je n'ai que faire de lunettes, monsieur, et je
vois assez clair; il y a longiotnps que je sens les
choses, et je ne suis pas une bête. Cela est fort
vilain à vous, pour un grand seigiieur, de prêter
la main, comme vous faites, aux sottises de mon
mari. El vous, madame, pour une grande dame,
cela n'est ni beau ni hoiuiête à vous de mettre la
dissetision dans un ménage, et de souffrir que
mon mari soit amoureux de vous... »
En définitive- M. Jourdain est un sot glorieux,
et sa sottise n'atteint que lui. Il n'a, dans cette
I
TIIÉATIIE CLASSIQUE — 2183 — THÉÂTRE CLASSIQUE
sottisp, qu'un seul point par lequel il puisse quel-
que peu nou<i intéresser, le sentiment do son
ignorance, u Que voulez-vous apprendre? lui dit
son maître de philosophie (acte II, scène vi). —
Tout ce que je pourrai; car j'ai toutes les envies
du monde d'être savant, et j'enrage que mon père
et ma mère ne m'aient pas fait bien étudier dans
toutes les sciences quand j'étais jeune. — Ce sen-
timent est raisonnable; narn, siiw doc'rina, vt'f"
est qi'dsi morlis ioiago. Vous entendez cela, et
vous savez le latin sans doute? — Oui; mais
faites comme si je ne le savais pas; expliquez-nmi
ce que cela veut dire. — Cela veut dire que, sans
la science, la vie est presi|ue une imatre de la
mort. — Ce latin-là a raison. » Certainement, il a
raison, et il faut savoir g'é au pauvre homme
de le comprendre. Il y revient encore un peu plus
loin, et d une manière presque louchante dans sa
bonne foi naïve, en présence de sa femme et de
sa servante Nicole (acte III, scène iii) : a N'ircz-
vous point, lui dit M™° Jourdain, l'un de ces
jours au collège vous faire donner le fouet, à votre
t'Aol — Pourquoi non? Plût h Dieu l'avoir tout k
l'heure le fouet, devant tout le monde, et savoir
ce qu'on apprend au collège ! » Et c'est Jt la suite
de ce mot que, pour preuve du savoir qu'il a doji
acquis, il liur fait sa fameuse leçon sur la prose
et les vers et sur la manière de prononcer Ù.
C'est vraiment dommage qu'il soit si sot. Il l'est
jusqu'à se prôler, pour dénouer la pièce, !i la plus
invraisemlilable, mais à la plus désopilante bouf-
Xonnerie que jamais Molière ait imaginée, et dont
on trouverait à peine le pendant dans quelque
folle iiTiagination de Rabelais ou d'Aristophane.
Reproche qui vaudra à Molière d'avoir fini par
Tabarin ce qui commençait par Térence; les di'ux
siècles qu'a fait rire M.Jourdain déguisé en mama-
mouchi, et ceux qu'il fera rire encore, l'absoudront
toujimrs d'avoir dérogé, à de si joyeuses conditions.
Les Femmes savantes (16■2^. — Molière, dans
■les Fetnmus savant- ~, qui sont tout entières de sa
grande manière, reprend la thèse des PrécieuS' s
ridicules contre la pédanterie des femmes, mais
en la complétant et en l'élargissant. Les Précieuses
ridicules ne sont i' ridicules » que de manières et
de langage; c'est à l'abus même du savoir, c est
au faux savoir, au savoir vaniteux que Molière
s'en prend ici. Et il ne l'attaque pas seulement
dans les Philaminic, les Aimande et les liélise. il
l'attaque aussi dans les méchants auteurs, les Tris-
SOtin et les Vadius, qui pullulaient au xvii" siècle,
comme ils pullulent dans tous les temps ; qui
n'étaient pas toujours, quoi que nous en pui^sions
juger aujourd'hui, ni les moins renommés, ni
les moins en faveur, ni les moins bien rentes, et
dont il avait plus d'une fois rencontré sur sa route
la sourde opposition ou l'inimitié haineuse.
A côté de ces caractères de pédants, principa-
lement à côté de ceux des « femmes savantes »,
Molière en a placé d'autres qui servent à les
mettre en relief, soit qu'ils représentent un excès
contraire, soit qu'ils idéalisent la mesure et le
sage tempérament que le poète veut faire préva-
loir. C'est ainsi que Philaminte, qui ne se pique
pas moins de mener son ménage que de s'en-
tendre en belle littérature, a pour mari le bon-
homme Chrysale, avocat très hardi, quand il
parle à sa sœur, de la simplicité du vieux temps,
et contempteur décidé des nouveautés susceptibb-s
de tourner au détriment de la n guenille qui lai
est clière » :
Je vis de bonne soupe, et non de beau lanfrage.
Vaujîelas n'apprend point ;i bien faire un pot.ige ;
Et Maitterbe et Balzac, si savants en beaux mots,
En cuisine peut-être auraient été des sots.
C'est dans le môme esprit que la philosophe et
revêche Armande a, pour ainsi dire, comme
contre-partie sa plus jeune sœur Henriette, dis-
crète, réservée, qui ne sait pas le grec, surtout
quand il s'agit de se dérober à un Vadius, et dont
toute la grâce charmante n'est qu'une sorte de
fine fleur de bon sens et de raison. <:'est la vraie
héroïne des Femmes savnniis. Spirituelle, mor-
dante au besoin à l'égard d'Armande qui la
dédaigne tout en la jalousant, et du triste Trissoiin
à qui on la destine malgré elle, elle est capable en
même temps de toutes les délicatesses du cœur.
Elle dit à son père, par exemple, dont elle ne
connaît que trop la faiblesse :
Soyez ferme h vouloir re que vous souhaitez,
El ne vous laissez point séiiuirc à vos bontjs.
(Acte V, scène iij.
En présence de la fausse nouvelle qui dévoile
si heureusement, au dénouement, l'ime de Tris-
sotin et celle de Clitandre, la raison d'Henrintte,
qui lui fait voir, malgré sa jeunesse, la nécessité
de se garder contre les difficultés de la vie, l'é-
lève, comme naturellement, à la
(acte V, scène v) ;
Je sais le peu de bien que vous avez, Clitandre,
Et je TOUS ai toujours souhaité pour époux,
torsquen satisfaisant à mes vœux les plus doux,
hymen ajustait vos affaires;
ehéri
cicstii
assez, dans cette extrémité.
Pour ne vous charger point de notre adversité.
Et elle ajoute, quand Clitandre se récrie au nom
de l'afToction qu'il a pour elle:
L'amour, dans son transjiort, parle toujours ainsi.
Des retours importuns évitons le souci.
Rien n'use, tant l'ardeur de ee nœud qui nous lie
Que les fâcheux besoins des choses de la vie...
La vraie philosophe, c'est ici celle qui se pique
le moins de l'être.
Les Feiiiiiies savantes agitent, comme on le voit,
la question i-i importante de l'instruction qui con-
vient aux femmes. Est-ce à Chrysale qu'il faut
demander sur ce point le sentiment véiitable de
.Molière ? faut-il croire que ce juste esprit veuille,
comme le bonhomme,
Que la capacité ile leur esprit se hausse
A connaître un pourpoint d'avec un haut-de-cliausse? "
Il y a plutôt lieu de penser que, de concert avec
Clitandre (acte l, scène m , les femmes doc-
teurs n'étaient pninl de son goiit, — il n'eût pas
fait sans cela sa pièce, — mais qu'aussi c'est lui-
même qui parle lorsqu'il fait dire à àon personnage:
Je consens qu'une femme ait des clartés de tout;
Mais je ut lui veux point fa passion choquante
De 1
cndr
nte aBn d'étn
Et j'aime que suuven
Efle sache ignorer fes
De son élude enfin je
Et qu'elfe ait du sav<
Sans citer fes auteur
Et clouer de l'esprit à
chos,
, qu'elfe
elfes
1 fait,
cache.
• qu'on fe sache.
linifres propos.
C'est là ce que Fénelon exprimait aussi de son
côté en disant ([u'il doit y avoir pour les femmes
Il une pudeur sur la science, presque aussi déli-
cate que celle qu'inspire l'horreur du vice. »
(Eitncaton des tilles, chapitre vu.) Cette modes-
lie est de tous les temps, et elfe n'exclut dans
aucun, et p.iriicufièrement dnns le nôtre, la cul-
Itire nécessaire à une inielligence qui n'est point
inférieure à celle de 1 homme, et qui a besoin,
elle au'^si. de s'élever, par la connaissance du vrai,
à l'exacte conscience de ses droits et de ses devoirs.
Inutile d'ajouter ((ue notre rapide analyse n'a
même pu mentionner, dans les Femmes savantes,
fies scènes qui sont populaires, comme celle où
Philaminte renvoie sa servante Martine (acte II,
scène vi), qui a insulté son oreille
Par l'impnipriété d'un mot sauvage et bas
Qu'en termes décisifs condamne Yaugelas,
THEATRE CLASSIQUE -2184- THÉÂTRE CLASSIQUE
et comme aussi celles qui remplissent le trnisièmv,
acu-, cù '] iiisotin récite sts vers etoùil se dispute
avec Vadius.
Le Misanthrope (1G66). — On a dit bien souvent
que le Misanlhroi^e est, dans le thcâire de Mo-
lière, comme Brii anniciis d ns le théâtre de Ra-
cine, la pièce des connaisseurs. C'est dans toiis
les cas celle dont la structure est assnronient la
plus étonnante. Molièie a trouvé le moyen de s y
passer d'action. C'est une pièce où, suivant l'ex-
pression de M. Nisard, <> l'on n'agit qu'en par-
lant )j. Elle est toute dans les caractères, on pour-
rait presque dire dans un seul caractère, celui
d'Alcestc le misanthrope.
Ce titre même de misanthrope est une sorte
d'énigme. La misanthropie, c'est la haine des hom-
mes, et il semblerait bien que ce sentinient de
sceptique ou de désespéré ne peut servir de su-
jet à une comédie. Molière a pensé le contraire
pourtant : c'est que son Alceste n'est pas misan-
thrope de la façon qu'on pourrait le croire. Il est
jeune, riche, quoiqu'une part de son bien Soit en-
gagée dans un ..rocès; il est de haute condition;
trois jeunes femmes ne sont point insensibles aux
soins qu'il leur rend ou qu'il pourrait leur rendre :
il n'y a rien dans tout cela qui puisse pousser un
homme à détester ses semblables. Pourquoi donc
les déteste-t-il ! Pour un très noble motif, comme
il s'en explique avec son ami Philinle (acte I,
scène i). Il hait tous les hommes,
Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants,
Et li's autres, pour être aux méchants complaisants
Et n'avoir pas pour eu\ ces haines vi^nurcuscs
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.
Alceste est donc misanthrope par vertu ou par
amour de la vertu. Mais, s'il en est ainsi, et que
Molière lasse rire d'Alceste, il aura donc fait rire
d'un homme vertueux et tourné la vertu en ridi-
cule ? C'est ce que lui ont reproché des critiques
qui n'étaient pas les premiers venus, Jean-Jacques
Rousseau, par exemple, dans sa Lelbe sur les
speitai-les. On a dit que Molière ne se connaissait
pas en vertu ; que, par amour exagéré de la mesure
et des convenances, il avait sacrifié le vrai sage,
Alceste, au sage suivant le monde, Philinte, le-
quel n'est au fond qn'un égoïste :o Ce Philinte est
le sage de la pièce, dit Jean-Jacques Rousseau, un
de ces honnêtes gens du grand monde dont les
maximes ressemblent beaucoup à celles des fri-
pons ; de ces gens si doux, si modérés, qui trou-
vent toujours que tout va bien, parce qu'ils ont
intérêt que rien n'aille mieux ; qui sont toujours
contents de tout le monde, parce qu'ils ne se
soucient de personne; qui, autour d'une bonne
table, soutiennent qu'il n'est pas vrai que le peu-
ple ait faim ; qui, le gousset bien garni, trouvent
fort mauvais qu'on déclaïue en fjveur des pauvres;
qui, de leur maison bien fermée, verraient voler,
piller, égorger, massacrer tout le genre humain
sans se plaindre, attendu que Dieu les a doués
d'une douceur très méritoire à supporter les mal-
heurs dautrui. » Ce portr.iit est de main de mal
tre, mais est-ce bien celui de Philinte ? Il est bien
vrai qu'en théorie au moins il se montre cent fois
plus véritablement misanthrope qu'Alcesle, lui
dont l'esprit n'est pas plus offensé
De voir un homme fourbe, injuste, intéressé.
Que de voir des vaulouis attanié» de carnage.
Des siifges malfaisaols, et des loups pleins de rage.
Il est vrai encore qu'au dénouement il profite
de l'erreur d'Aleste qui n'a pas su rec 'nnaître
l'affection d'Eliante. Mais, s'il était le triste per-
sonnage que représente Rousseau, il ne serait pas
l'ami d'Alceste ; comme tel du moins, et c'est le
seul rôle que lui donne Molière, il n'a rien à se
reprocher; d'un bout à l'autre de la pièce, il ne
cesse de témoigner à Alceste son estime et sa
sympathie, et son caractère se relève par là.
La vérité est que ni Philinte ni Alceste lui-même
ne sont pour Molière des types de venu absolue.
Ce serait, n'est-il pas vrai? se faire une singulière
idée de la vertu que de supposer qu'elle doive
rendre insociables ceux qui en font profession. Al-
ceste est jeune et enthousiaste; il a l'âme droite et
le cœur Jiaut ; s'il hait les hommes, ce n'est pas
qu'il les méprise à la façon de l'hilinte, exagéré
dans son sens comme Alceste l'est dans le sien.
Mais enfin il y a bien un peu d'orgueil dans cette
sévérité qui ne fait exception de personne et qui
n'a point elle même donné ses preuves. Or, c'est
sur cet orgueil que Molière appelle le sourire, en
le mettant anx prises avec des situations qui en
compromettront l'intégrité, en lui imposant, qui
pis est, l'humiliation d'une passion qu'il n'a pas su
vaincre et qui est indigne de lui.
Vous croyez èlre donc aimé d'elle ? — Oui, parbleu !
Je ne l'aimerais pas si je ne croyais l'être.
C'est là une pure illusion ; il l'aimera quand
même, et bien malavisé celui qui pourrait lui en
vouloir; il en sera d'ailleurs assez cruellement
puni. Mais, encore une fois, ce n'est certainement
pas un acte de venu, ce n'est pas même, comme
le lui fait observer Philinte, un acte de bon sens
que de s'éprendre d'une Célimène. Remarquons
encore que jamais — et c'est là le grand art de
Molière — Alceste n'est ridicule dans le véritable
sens du mot. Là môme où il nous fait rire, nous
sommes pour lui, nous voudrions faire comme lui.
Dans la fameuse scène du sonnet 'acte I. scè-
ne II), qui ne donne raison à son bon goût et, en
fin de compte, à sa franchise? Ce qui nous fait
rire, c'est que nous sentons qu'il est pris, en pré-
sence de son ami Philinte, entre la rigueur ab-
solue des principes qu'il s'est faits et ses senti-
ments instinctifs d'homme du monde, dont il lui
coûte de se départir ; et c'est ce qui rend si amu-
sants ses Je ne ilis pas celn, qui sont comme au-
tant de biais qu'il fait prendre d'abord à sa cons-
cience, jusiju'à ce qu'elle éclate dans un cri final,
qui lui vaudra peut-être un bon coup d épée. Nous
sommes encore avec lui dans la scène non moins
fameuse des portraits (acte II, scène v), malgré
ce qu'il peut y avoir de vrai dans la remarque
de Philinte :
Mais pourquoi pour ces gens un intérêt si grand ?
Vous qui cuudamDcriez ce qu'en eux on reprend ;
de vrai aussi dans les railleries si incisives de Cé-
limène :
Eh I ne faut-il pas bien que monsieur contredise?
A la commune voix veut-on qu'il se réduise,
Et qu'il ne fasse pas éclater en tous lieux
L'esprit contrariant qu'il a reçu des cieui ?
Mais sa rude franchise, qui nous est si sympathi •
que, n'en a pas moins ses côtés risibles; lorsque
poussé à bout, il s'écrie :
Par la sambleu, messieurs, je ne croyais pas être
Si plaisant que je suis,
il ne se doute pas, en effet, qu'il est plaisant, et
c'est ce qui fait l'originalité du caractère que lui a
prêté Molière.
Au cinquième acte toutefois, quand Alceste
reste seul en face de Célimène humiliée et aban-
donnée, la comédie, quoi qu'ait l'ait Molière, est
bien près de tourner au drame. Alceste aime en-
core Célimène, et une dernière fois il lui offre son
cœur, si elle consent à être à lui et à renoncer
pour lui à tout le reste du monde. Heureusement
pour Alceste, elle ne sait pas se mettre à la hau-
teur de cet honnête homme :
La solitude effraie une âme de vingt ans.
Je ne sens point la mienni' assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
THÉÂTRE CLASSIQUE — 2183
THEATRE CLASSIQUE
Et elle s'enfuit, laissant Alceste le coeur déchiré ' viendrait bien vite S, ne plus pouvoir plaindre celui
et les spectateurs bien portés à répandre avec lui « qui verrait mourir frère, enfants, mère et femme,
de vraies larmes. Il faut qu'une dernière boutade i qu'il s'en soucierait « autant que de cela » (acte I,
du misanthrope les ramène au ton de la comédie :
Tralii de toittos parts, acnablé d'injiistires,
Je v.ii- sortir d'un gouffre où triomphent les vices,
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d èti-e homme d'honneur on ait la libellé.
Qu'il y aille quant à présent, c'est possible, mais
il n'y restera pas longtemps; il n'y a pas dans ce
cœur si jiune l'étoffe d'un anachorète. Il reviendra
dans le monde, auquel il ne rend pas assez pleine
justice, et il s'y mêlera certainement à tout ce qu'il
coniient de meilleur. 11 tâchera surtout d'y éviter
désormais le vui.sinage des Céliniène, et de ne pas
laisser passer près de lui les RIijnte ou les Hen-
riette sans les voir et les apprécier. Que si cela ne
lui arrive pas, que si, de plus, comme cela n'est que
trop probable, il se trouve encore en contact forcé
avec des personnages mesquins ou vaniteux et
plus égoïstes que Philinte, il en souffrira sans
douie, mais, par l'apaisement qu'amène le temps,
par le souvenir des niau\ endurés et l'expérience
acquise, il parviendra enfin à la vertu qui lui man-
que le plus, Ji cette suprême vertu sociale et hu-
maine de la bienveillance, car les âmes nobles ne
s'aigrissent point : il sera alors ciimplètement
vertueux, et il ne sera plus « le misanthrope ".
11 y aurait encore à relever, dans la pièce de
Molière, bien des détails intéressants ; à lui seul,
par exemple, le caractère de Cclimène mériterait
toute une étude ; bornons-nous à indiquer, avec la
scène des portraits dont nous avons déjà parlé,
celle où Molière met en présence Arsinoé et Céli-
mène, la prude et la coquette, pour la plus grande
édification des spectateurs.
Le Tartufe (I0i>4-I6(n). — Le Tartufe (ou le
^a'^u/Ze, suivant l'orthographe des premières édi-
tions) est la plus célèbre pièce de Molière; c'est! taria, petite marmite; c'est en effet dans une
aussi celle qui, quand on l'a lue, demande le moins i marmite que l'avare de Plante cache son trésor)
d'explications. Sauf peut-être une scène, char- i Je type d'un avare burlesque, le cadre de sa co-
rnante d'ailleurs, de dépit amoureux (acte II, ' rnédie, quelques proposdevalets,ridéedeplnsieurs
scène iv;, comme il s'en trouve plusieurs dans le 1 situations plaisantes, et il s'est approprié le tout,
théâtre de Molière, l'action est vive et pressé'^ ; I en cliangeant d'ailleurs complètement la fable, et
les situations sont d'une admirable clarté, et il y I en substituant au gros sel romain la fine fleur des
en a de très hardies ; il en est de moine des ca- saillies gauloises.
ractères ; tous ces personnages, à quelque degré l| n'est peut-être pas, dans tout son répertoire,
qu'ils appartiennent au drame, Djmis, Dorine, de pièce où il ait imaginé, pour servir, soit d'ac-
raadame Periielle, vivent, comme on dit, d une vie | compagnement, soit, comme on dit, de repoussoir,
intense ; il n'est pas jusqu'à M. Loyal, l'exempt j à son personnage d'Harpagon, plus de situations
qui « ( xécute » pour M. Tartufe, dont la physio- I amusantes, plus de types faits pour le rire, plus
nomîe doucereuse ne s'élève, en quelques coups ' de finesse et plus de bons mots. Les scènes, par
de crayon, à la hauteur d'un type personnel. C'est, ! exemple, entre Harpagon et La Flè'he (acte 1,
naturellement. Tartufe qui domine tout le reste; ! scène m), entre Harpagon et maître Jacques
le nom môme de ce faux dévot est resté dans la ' (acte III, scène v), celle où La Flèche présente k
langue pour désigner la forme la plus basse et la ! CIcante le détail des singuliers <i rogatons » que
plus odieuse de l'Iiypocrisie; depuis le moment, si , son prêteur l'oblige à prendre en sus de l'argent
bien préparé, de son entrée en scène, jusqu'à son I comptant (acte II, scène i), celle encore où Fro-
châtimem final, il n'y a pas un de ses mots et un [ sine, la n femme d'intrigue », use vraiment toute
de ses actes qui ne portent et ne concourent ai son éloquence pour tirer quelques sous du «chien
l'effet dii plus habile rôle comique qui ait jamais I de vilain » qui reste ferme à toutes ses attaques
été mis à la scène. On a accusé Molière d'avoir I (acte H. scène vi), sont des plus vives et des plus
voulu, dans sa personne, faire le procès à la vraie charmantes. Harpagon est lui-même, qu'on nous
piété; il faudrait pour cela qu'elle se distinguât ' passe le mot, bien drôle, avec son fameux <i sans
bien peu de l'autre, et c'est ce que n'ont pas assez i dot » (acte 1, scène vu), qui répond à tout, et dans
vu peut-être les détracteurs quand même de la] |e non moins fameux monologue (acte IV, scène vu),
pièce. Si, dans certaines scènes du Don Juan, on j où il veut faire pendre tout le monde, quitte,
a pu lui prêter sur ce point quelques intentions ! s'il ne retrouve pas son argent, à se pendre lui-
scène VI). Le mot que, suivant un procédé familier
à Molière, il oppose, en y insistant, à l'indifférence
taquine de sa servante : « El Tartufe ? » (acte I,
scène iv) est aus>i populaire que le « Je ne iiis pas
cela 11 du Misanthrope et le « Sans dot » de \' Avare.
Elmire, pour une honnête femme, a un rôle
difficile (acte IV, scène v), la trahison, comme
nous l'avons dit à propos d Alhalie, étant toujours
odieuse, même avec Tartufe pour objet ; mais
Molière a su lui donner tout ce que sa situation
pouvait comporter de palliatif en nous rendant
témoin de l'effort qu'elle lui coûte et en nous
ôtant d'ailleurs pour l'hypocrite toute possibilité
de commisération.
On a encore remarqué que le dénouement du
Tartufe n'est pas un vrai dénouement; c'était du
moins le seul possible pour que la comédie res-
tât comédie, et surtout, à l'époque où Molière la
donna, pour qu'elle pût paraître sur le théâtre.
L'Avare (166-)- — " il y a des gens, dit La
Bruyère, qui sont mal couchés, mal habillés et
plus mal nourris; qui essuient les rigueurs des
saisons, qui se privent eu.t-mcmes de la société
des hommes, et passent leurs jours dans la so-
litude; qui souffrent du présent, du passé et de
l'avenir; dont la vie est comme une pénitence
continuelle, et qui ont ainsi trouvé le secret
d'aller à leur perte par le chemin le plus péni-
ble : ce sont les avares. « C'est assez dire que
l'avarice est une passion triste, se prêtant bien
plutôt aux sombres développements d'un roman
cnmme VHug nie Giandet de notre Balzac, ou d'un
drame comme le Marclumd de Venise de Shake-
speare, qu'aux gaîtés traditionnelles de la comédie.
Molière s'y est pourtant risqué. Il a demandé au
théâtre des Latins, à VAulutnria de Plante (aulu-
douteuses, ici du moins sa pensée est parfaitement
visible, et il n'est point besoin, pour le disculper,
d'avoir recours à la fameuse tirade de Cléante
(acte I, scène v) :
Il est de faux dévots ainsi que de faux braves.
Orgon, après Tartufe, est le personnage le plus
en relief; lui-même, sans le vouloir, est déjà plus
même après, et il serait difficile de rien trouver
de plus amusant que le singulier quiproquo dos
0 beaux yeux de sa cassette » (acte V, scène m).
Mais, quoi qu'ait fait Molière, il reste dans sa
donnée un fond de tristesse, tenant à la nature
même de la passion qui est en jeu, et que tout son
art n'a pu surmonter. On peine à voir Harpagon
... , ._ ,, ... . ^ ^j_ , et Cléante se jetant l'un à l'autre des sarcasmes,
d'à moitié « tartufe »; encore un peu, et on en ! qu'ils ne méritent que trop, le père pour sa la-
THERMOGHIMIE
— 2186 —
THERMOGHIMIE
drerie, le fils pour sa prodigalité (acte TI, scènes ii
et II!) ; on ne peine pas moins i voir Harpagon se
faire le rival de son (ils tendre des pièges i sa
bonne foi pour lui extoi'qu.jr le secrei de son
affection (acte IV, scènes m, iv etv), et s'attirer,
de la part de Cléante, en retour d'une malédic-
tion qui n'eût jamais dû soriir de ses lèvres, cette
impertinente réponse : « Je n'ai que faire de vos
dons ». Ceci soit dit sans aller ju'iiiu'à prétendre,
comme certains critiquas, que Molière ait voulu
faire outrage aux plu^ nobles affections et aux plus
sacrés devoirs de la famille, puisque, en délinitive, j
tous les pères ne ressemblent pas à Harpagon ni
tous les tils à Cléante, (Ctiarles Defodcn.J
THKR»1()C!IIMIE. — Chimie, préliminain-s. — ]
Les quantités de chaleur dégagées dans les réac- ,
lions chitniques mesurent le travail accompli par les ^
affinités, c'est-à-dire par les forces moléculaires ,
qui déterminent les combinaisons et les décompo- j
sitions ; de même que les quantités de chaleur
disparues dans une machine fournissent la me-
sure des travaux sensibles accomplis par cette ma-
chine. 1
Un même principe général, celui de l'oquiva-
lenco des forces naturelles et de leur réduction
h la chaleur, prise comme mesure commune à
toutes ces forces, préside donc à la mécanique
physique et h la mécanique chimique. C'est '
ainsi que cette dernière science se trouve repo-
ser sur la thermochimie. ' |
Pour mieux concevoir l'origine de la chaleur ,
dégagée et son importance, examinons de plus
près la constitution des corps, telle que les no-
tions scientifiques actuelles permettent de la j
concevoir.
Un corps solide, liquide ou gazeux peut être '
regardé comme formé de molécules distinctes, exé- j
Cutant un certain nombre de mnuvenH'nts, d'am-
plitude et de vitesse variables suivant la tempéra-
ture. Ces mouvements sont de trois sortes : mou- .
vements de vibration, de rot 'tion et de translation, j
spécialement sensibles pour les molécules gazeu-
ses. Lorsque deux corps simples se combinent ,
directement pour foriU'ir un composé unique, il
en résulte en général une c "naine perte de
force vive, et une certaine modification dans
l'arrangement primitif des molécules. De là
suit une perte d'énergie, qui se traduit par un
dégagement de chaleur. L'inverse a lieu dans
la plupart des décompositions; c'est pourquoi l'é-
nergie nécessaire à celles-ci doit être fournie par
une source extérieure, telle que réchauffement
du système ou son électrisalion.
Pré' isons par quelques exemples. Soient le
chlore et l'hydrogone ; ces deux taz s'unissent à
volumes égaux pour former de l'acide chlorliydri-
que, corps également gazeux, et occupant un
volume égal à la somme dos deux composants.
La chaleur dégagée est due d'ailleurs entière-
ment au travail chimique accompli dans la com-
binaison : car celle-ci n'est accompagnée par au-
cun changement d'état physique, susceptible de
produire de la chaleur.
Or, la combinaison des deux gaz, à équivalents
égaux, c'est-à-dire dans la proportion d'un gramme
d'hydrogène par 35,5 grammes de chlore, dégage
22,0i0 calories, quantité de chaleur susceptible
de porter de o» à 1" •.i2 0iin grammes d'eau. En
multipliant ce chiffre par l'équivalent mécanique
de la chaleur, c'est-à-dire par iib, ce qui fait
9350 00 ,on aie nombre de kilogrammes susce|iti-
ble d'être élevé à 1 mètre de liauteur, par suite du
travail chimique produit par la combinaison à
équivalents égaux du chlore et de l'hydrogène, ce
dernier pris sous le poids d'un gramme.
C'est précisément en vertu d'un travail chimi-
que analogue développé par la combinaison du
charbou avec l'oxygène de l'air que marchent les
machines à vapeur, source principale du travail
mécanique dans l'industrie.
On voit par là la signification de la chaleur
dégagée dans les phénomènes chimiques. Mais
l'étude de cette chaleur n'est pas seulement inté-
ressante au point de vue de son application à l'in-
dustrie et aux machines ; elle fournit aussi la
loi qui permi't de prévoir le sens et la nature
des réactions chimiques elles-mêmes ; réactions
dont la connaissance était purement empirique
jusqu'à ces dernières années.
Les premiers travaux de thermochimie ont été
exécutés par Laplace et Lavoisier dès nSi). Mais
les appareils et les méthodes qu'ils employèrent
manquaient de précisiun. En ISll) parurent les
travaux de Dulong et Petit, qui découvrirent la
relation théorique existant entre les chaleurs spé-
cifiques des principaux corps simples; puis plu-
sieurs mémoires de Neumann (1831), de Wœstyn
(1804Î, et les beaux travaux de Regnault sur les
chaleurs spécifiques des corps sous les trois états,
travaux effectués avec la plus grande précision.
Les recherches de Favre et Silbermann et celles
d'AndrevvsetdeM.'l'homsen multiplièrent les déter-
minations numériques ; mais c'est à M. Berthelot
qu'est due la découverte des lois qui rattachent la
prévision des- phénomèmes chimiques à la con-
naissanci' de la chaleur dégagée et qui s int desti-
nées à changer profoiidoinent le caractère de
l'enseignement de la chimie.
Les principes de la thermochimie peuvent être
ramenés à trois lois fondamentales que nous
nous bornerons à énoncer, le cadre de cet ou-
Viage ne nous permettant pas de les développer.
1° Principe des travaux moléculaires. — La
quantité de chaleur dégngre dans une réaction
quekonqu-- mesure lu somme d'-'S iravaur. chimi-
ques et fi^iysiqnes accomplis dans cette réaction.
Ce principe est fondé sur la concordance cons-
tante de ses conséquences avec les résultats
observés.
Il fournit la mesure des affinités chimiques.
2° Principe de l'éouivalence cai.ohipique des
transformations chimiques, autrfmknt dit : prin-;
CIPE DE l'eTAT initial ET DE l'ÉTAT FINAL. — Si
un si/stém' lie corps simples ou composés, pris
dans des coidili^ns déterminées, éprouve des
changements physiq>es nu chimiques capables de
l'amener à un noucet ét'it, sa-is donner lieu à
aucu'i effet mécnique extérieur tiu système, la
quantité de ch'deur degngée ou alisurbée par
i'r/fet de ces changements 'iépend uniqwment de
l'ét'it initial et de l'état fi .al du système ; elle
e>t la même, qnells que soient la nature et la
suite des états intermédiaires.
Les deux principes précédents servent à définir
la grandeur relative des affinités. Le principe sui-
vant permet de prévoir les phénomènes chimi-
que, c'est-à-dire les actions réciproques des corps,
dès que l'on sait les conditions propres de l'exis-
tence de chacun d'eux, envisage isolément.
3° Principe du travail maximum. — Tout chan-
gemed chimique accompli sms l'intervention
d'une énergie éirangè'C tend vers tu production
du corps ou du système de iorps qui dégage le
plus de chaleur, _ .
Considérons, par exemple, les combinaisons
des corps halogènes, chlore, brome, iode, et de
l'hydrogène ; et le déplacement réciproque de ces
éléments. Ils s'unissent à l'hydrogène avec des
I dégagements de chaleur bien différents. En effet,
1 gramme d'hydrogène combiné au chlore pour
1 former de l'acide chlorhydrique gazeux, dégage
H- 22,000"', tandis que l'unidii du même poids
I d'hydrogène avec le brome gazeux p^iur former
i du gaz bromhydrii|ue dégage -+- 13,500'", la moi-
, tic environ ; enfin l'union do l'hydrogène et
1 de l'iode gazeux absorbe 0,800"', Il résulte de ces
THKRMOCHIMIE
— 2187
THERMOMETRE
chiffres que lo clilorn doit décomposer le gaz iod- 1 TIIIînMOMÈTBIÎ. — Pliysique, XIV. —Le ther-
hydi-iqui^ en d(!gaf;(!ant 22,8110"' : c'est en effet ce tiiomrirr est un appareil desiiné à constator la
que l'expérience vérifie aussitôt. Le brome doit température des corps et ses varialinns; c'est un
également décomposer l'acide iodliydrique : ce ] indicateur disposé de manière ."i rendre très sen-
que l'expérience vérifie également. Enfin le chlore
doitdécomposcr et décomposa en offei le gaz brom-
hydiiqueen dégageant 22,000 — 13,500= 8, iOO ca-
lories.
Toutes ces conséquences sont vérifiées par des
expériences depuis longiemps classiques, mais
dont la théorie n'avait pas été donnée avant les
découvertes de la ihermoclumie.
Des applications analogues peuvent être faites
dans tous les déplacements rceipro(|ues des corps
simples, métalloidesoumétaux, qui peuvents'effec-
tuer en cliimie.
Considérons un exemple de déplacement d'une
base par une autre.
La potasse, en se combinant ;\ l'acide chlorhy-
driqui-, dégage une quantité de chaUuir supérieure
à celle qui correspond il la combinaison de l'oxyde
de mercure avec le même acide. La différence est
égale h 4,3nO calories pour les deux corps dis-
sous ; et on vérifie (|ue la putasse déplace en effet
sible, et par suite très facile \ observer avec ri-
gueur, l'un des effets que la chaleur peut produire;
parmi ces effet,s, les phénomènes de variation de
volumes fournissent un moyen de comparaison à
la fois général et fécond; c'est donc lu dilatation
que l'on observe, parce que l'on peut aisément la
mesurer avec exactitude; elle sert de base aux
thermomètres.
Les anciens connaissaient les phénomènes de la
dilatation; ils on avaient môme profité pour pro-
duire quelques curieux effeis, mais ils n'avaient
pas d'appareils où ils pussent l'observer iv'guliè-
rement II faut arriver an xvi" siècle pour on trou-
ver un imaginé par Drebbel, et au milieu dn xvii°,
vers 16Gn, pour trouver le premier thermomètre
des académiciens de Florence, fondé sur la dilata-
bilité des liquides. L'instrument do ces savants
consistait en une sphère soudée à un tube étroit
et contenant de l'alcool coloré ; porté d'un milieu
dans un autre plus chaud, il marquait la dil
l'oxyde de morcuro précisément avec ce dégage- tion plus grande éprouvée par le liquide que par
ment de chaleur, da.ib une dissolution de chlorure
de mercure. Ici l'oxyde de mercure est précipité;
mais un déplacement analo:;ue, d'une base soluble
par une base soluble, également prévn par la
thermoehimie, s'opère même dans les dissolutions,
sans aucune séparation par volatilité ou insolubi-
lité ; par exemple, lorS(|u'on traite une solution
étendue de chlorliydratc d'ammoniaque par la
soude, tout l'ammoniaque est déplacé avec déga-
gement de chaleur, et la soude demeure entière-
ment unie à l'acide chlorhydrique.
L'ensemble de ces notions nouvelles a été déve-
loppé par M. Berthelot dans un ouvrage intitulé :
Essai de méca'àqtie chimique foii'lée sur tn ther-
mochintie, ouvrage dont nous allons reproduire
la conclusioji en la résumant :
« C'est ainsi que le principe du travail maximum
se vérifie par l'étude des phénomènes fondamen-
taux de la chimie. Le tableau général des actions
chimiques des corps se trouve ramené par là àuno
règle unique de statique moléculaire. La chimie
des espèces, des séries et des constructions symbo-
liques, qui a formé juse|u'ici presque toute la
science, est reje'ée sur le second plan par la chi-
mie plus tcénéralo des forces et dos mécanismes :
c'est en effet celle-ci qui doit dominer celle-là,
car elle lui fournit les règles et la mesure de ses
ictions.
Il La matière multiforme dont la chimie étudie la
diversité obéit aux lois d'une mécani(|ue commune,
et qui est la même pnur les particules invisibles
des cristaux et des cellules que pour les organes
sensibles des machines proprement dites. Au point
de vue mécanique, deux doiuiées fondamentales
caractérisent cette diversité en apparence indéfi-
nie des substances chimiques, savoir : la masse
des particules élémentaires, c'^st-à-dire leur équi-
valent, et la nature de leurs mouvements. La con-
naissance de ces deux données doit suffire pour
tout expliquer. Voilà ce qui justifie l'importance
de la thermoehimie. Le but qu'elle poursuit est
d'autant plus haut que, par une telle évolution, la
chimie tend à soriir de l'ordre des sciences des-
criptives, pour rattacher ses principes et ses pro-
blèmes à ceux des sciences purement physiques et
mathémati({ues. Elle se rapproche ainsi de plus
en plus de cette conception idéale, poursuivie
depuis tant d'années par les efforts des savants et
des philosophes, et dans laquelle toutes les spécu-
lations et toutes les découvertes concourent vers
l'uniié de la loi universelle des mouvements et des
forces naturelles. » {Essai de mécanique chimi/ue,
t. II, p. ToO.) [A. villiers.]
l'enveloppe ; on voyait le niveau s'élever et accu-
ser ainsi l'augmentation de température.
Presque tous les corps sont propres à servir de
thermomètres, puisque presque tous se dilatent
régulièrement par la chaleur entre certaines li-
mites. On peut donc prendre comme corps iher-
mométrique un solide, un liquide ou un gaz.
Les solides, à cause de leur faible dilatation, pré-
sentent un avantage s'il s'agit d'évaluer de très
grandes variations de température ; mais ils ont
l'inconvénient de n'être pas toujours ass''z homo-
gènes pour que deux échantillons différents puis-
sent être suffisamment comparables.
Les gaz conviennent très bien pour les faibles
écarts de température et pour les températures
élevées; comme ils se dilatent environ 150 fois
plus que leur enveloppe, ils sont comparables en-
tre eux ; mais leur manipulation est assez délicate,
aussi réserve-t-on les thermomètres à gaz pour les
expériences précises.
Restent les lii|uides ; on les emploie presque
exclusivement pour les températures moyennes et
pour les usages ordinaires ; ils offrent l'avantag",
de pouvoir être enfermés dans des vases trans-
parents où il est facile de suivre et de mesurer les
variations do leur volume.
Quel que soit le corps dont on ait fait choix, la
condition fondamentale à réaliser c'est d'avoir des
appareils comparables entre eux, qui, dans les mê-
mes circonstances, donnent les mêmes indications.
Les académiciens de Florence n'avaient rien
trouvé de mieux que de construire tous leurs ther-
momètres d'après un même étalon qu'ils repro-
duisaient aussi fidèlement que possible ; il est à
peine besoin de faire remarquer qu on ne pou-
vait obtenir par ce moyen qu'une grossière ap-
proximation.
L'identité absolue n'est pas indispensable pour
obtenir des appareils comparables; il ~ufHt de les
graduer d'après certaines règles fixes faciles à re-
tinir ou à retrouver. Déjà eu IG9., Renaldi, phy-
sicien de Pavie, proposait de marquer sur tous les
thermomètres les points de !a glace fondante et
de l'eau bouillante et de diviser l'intervalle en un
nombre convenu de parties égales : c'est ce (|ne
l'on fait aujourd'hui La fusion de la glace l'ébul-
lition de l'eau sont des conditions calorifiques in-
variables; elles définissent des conditions d'é-
chauffemen^ fixes et déterminées. F.ntre ces limites,
un même Corps se dilate toujours d'une même frac-
tion de son volume; la portion de la tige com-
prise entre ces deux points est donc pour tous les
thermomètres unefraction constante du volume du
THERMOMETRE
— ^188 —
THERMOMETRE
Téservoir. Quant au nombre de divisions ou de de-
grés que l'on y pratique, il est variable avec la
convention îi laquelle on s'est arrêté, de là l'exis-
tence de plusieurs échelles tliermométriques dif-
férenies, mais facilement comparables entre elles.
1. Thermomètres solides. — L'emploi des soli-
des comme corps ihormomotriques est limité à la
construction d'instruments servant k apprécier
gross èrenient, pour les besoins de lapraticiue in-
dustrielle, des températures élevées. Le pijrornè-
tre fie Wedgwood et le l hfimomèire (le Urèg'el
sont les deux types de ces appareils. Le premier
est formé d'une plaque métallique qui porte deux
rainures de largeur décroissante dont l'une est la
continuation de I autre. On prépare de petits cy-
lindres d'argile qui, avant d'être chauffés, ne pénè-
trent dans la rainure que jusqu'à une division
initiale marquée zéro On chauffe l'un d'entre eux
à la température que l'on veut évaluer; il subit
un retrait permanent : après le refroidissement, on
l'introduit dans la rainure et on observe la divi-
sion à laquelle il s'arrête ; on a ainsi la tempéra-
ture à une grossière approximation.
1-e thermomètre de Bréguet est fondé sur l'i-
négale dilatation do deux ou plusieurs lames mé-
talliques soudées suivant leur longueur. Trois
rubans de platine, d'argent et d'or ont été soudés
et tournés en spirale; une extrémité est fixe,
l'autre supporte une aiguille mobile sur un ca-
dran. Si la température augmente, l'un des rubans
se dilatant plus que l'autre, la forme de la spirale
change et l'aiguille s'avance sur le cadran. L'appa-
reil est d'une grande sensibilité qui le rend pré-
cieux dans certaines circonstances. On en a pu faire
un appareil enregistreur.
2. Thermomètres à liquides. — Ces thermomè-
tres seraiBiit rigoureusement comparables entre
eux si l'on observait les volumes absolus des li-
quides. Mais d'ordinaire on n'observe que les vo-
lumes apparents. On ne peut donc à priori re-
garder comme entièrement comparables les indi-
cations d'instruments construits avec le même li-
quide renfermé dans des enveloppes plus ou
moins différentes. Mais la dilatation de l'enve-
loppe solide est une fraction assez petite de la di-
latation du liquide pour que son influence puisse
être négligée dans les observations ordinaires. La
commodité des thermomètres à lii|uides est telle
«ju'on ne saurait en abandonner l'usage, même
dans les recherches les plus précises; on les com-
pare alors à un thermomètre à air pris pour éta-
lon, et on donne ainsi un sens tout à fait précis
aux indications fournies par chacun d'eux.
Parmi les liquides, le mercure est celui que l'on
préfère à cause de la facilité de l'obtenir pur, de
la Commodité de suivre ses variations de volume
dans la tige de l'instrument, et de l'étendue de ses
indications. On emploie aussi l'alcool rougi, pour
les températures inférieures à 6il° et surtout pour
les températures basses qui congèleraient le mer-
care.
11 nous faut décrire succinctement la construc-
tion de ces deux appareils.
A. Ther,i,omHre à mercure. — La construc-
tion d'un thermomètre à mercure comprend qua-
tre opérations distinctes : 1° le choix du tube et le
remplissage ; 2° le règlement de la course de
l'appareil; 3° la détermination des points fixes;
4» la construction de l'échelle.
1° Le tube est choisi capillaire, autant que
possible bien calibré, c'est-à-dire présentant un
diamètre sensiblement constant sur une longueur
d'un à deux décimètres. On y souffle ou l'on y
soude un réservoir à une extrémité et une am-
poule à pointe effilée à l'autre.
Pour y introduire du mercure, on chauffe l'am-
poule sur une lampe à alcool, puis on plonge la
pointe effilée dans le mercure, et le liquide monte
sous l'action de la pression atmosphérique à la-
quelle ne fait plus équil bre l'air de l'ampoule qui
en se refroidissant a diminué de volume et de
pression. On retourne l'appareil, le mercure ne
descend pas à cause de la capillarité du tube. On
chauffe le réservoir, une partie de l'air qu'il con-
tient s'échappe, et, si on cesse de chauffer, le li-
quide pressé par l'atmosphère descend d;ins la
tige et occupe une partie du réservoir. Quand
celui-ci est aux trois quarts rempli, on dispose le
tube sur une grille légèrement inclinée et à l'aide
de charbons allumés on chauffe le réservoir, la tige
et l'ampoule, jusqu'à l'éljullition du mercure.
Lorsqu'on suppose que les vapeurs mercurielles
ont chassé tout l'air qui restait encore dans le tube,
on redresse celui-ci qui se remplit entièrement
en se refroidissant.
2° Régler la course de l'appareil, c'est y laisser
la quantité de liquide convenable suivant les indi-
cations liraiies que l'on désire à l'instrument. Il
est facile de comprendre que si à la température
ordinaire la tiae du thermomètre est presque
pleine l'instrument ne pourra pas indiquer des
températures élevées; qu'au contraire, il ne pourra
marquer les températures basses si on ne laisse
pas assez de liquide dans le tube. On règle la
course partâtonnements. On place l'apiiareil suc-
cessivement à deux températures différentes et
l'on note les points où s'arrête la colonne mercu-
rielle ; on peut alors savoir approximativement le
nombre total de degrés que le thermomètre pourra
marquer, ft on ajoute du liquide ou l'on en retire
du tube suivant la position que l'on se propose
de donner au zéro.
Cette opération finie, on détache l'ampoule et
on ferme le tube.
.3° Pour que les thermomètres soient compara-
bles , qu'ils donnent les mêmes indications
dans les mêmes circonstances, on a choisi
deux points fixes faciles à retrouver en tout
temps et en tout lieu. Le premier est la
température de la glace qui fond, et le second
celle de l'eau bouillante sous la pression baro-
métrique de "60 millimètres.
Le premier point fixe est marqué zéro (0) et le
second cent (li 0).
4° L'intervalle est divisé en cent parties dont cha-
cune porte le nom de degré. Le degré centigrade
est donc la centième partie de la dilatation qu'é-
prouve une masse de mercure quand on la fait pas-
ser de la température de la glace fondante à celle
de l'eau bouillante; voilà sa viaie signitication.
Il y d'autres éclielles thermonp'triques que l'é-
chelle centigrade, la plus employée en France au-
jourd'hui.
Réaumur a marqué 80 dans l'eau bouillante,
de sorte que la valeur de 80 degrés de son ther-
momètre est la même que celle de 100 degrés cen-
tigrades.
En Angleterre et en Amérique l'échelle la plU8
fréquemment employée est celle de Fahrenheit, où
les deux points fixes indiqués précédemment sont
marqués, l'un 32, l'autre 212, ce qui met entre
eux 180 divisions ou degrés. Un degré Fahrenheit
est donc — , ou plus simplement - du degré
centigrade. Cette notion suffit pour exprimer la
môme température dans l'une ou l'autre des gra-
duations.
La concordance absolue de deux appareils thep-
mométriques construits avec le même liquide
n'est rigoureusement réalisée que si les deux
enveloppes se dilatent également.
11 résulte des expériences de M. Regnanlt que
les inégalités dues aux différences de dilatation
des enveloppes faites avec des verres de diffé-
rentes constitutions sont négligeables jusqu'à la
température de 300 degrés. On peut donc consi-
TllERMOMÈTllE
— 218'J —
TIERS-KTAT
déror les thermomètres k mercure, à réservoir
do vorro, comme comparables pour U plupart des
expâriBiices où ils pc^uvent servir.
Il faut cependant faire une réserve : on a trouvé
que le zéro s'élève un peu dans les thermomètres
faits depuis queUiue temps. On attribue ce résul-
tat il un travail moléculaire, une sorte de trempe
que subit le verre quand il a été chauffé et qu'il
est presque subitement refroidi par l'air. La con-
naissance de ce fait oblige à reclierclier quel est le
déplacement du zéro dans l'appareil que l'on vent
employer & une constatation précise de la tempé-
rature et à en tenir compte dans les résultats
trouvés.
Le thermomètre à mercure peut donner les
températures jusqu'à 340°, pas au-dessus parce
que le liquide approche de son point d'ébullition ;
au-dessous du zéro il peut aller jusqu'à 0" et
pas beaucoup pins bas parce quu le liquide est
près de son pnint de congélaùon et qu'alors sa
dilatation devient irrégulière. On se sert pour
les températures basses du thermomètre à alcool,
ce liquide offrant l'avantage de ne se congeler à
aucune des plus basses températures que nous
savons produire.
B. Thermomètre à alcool. — L'instrument a la
même forme que le précédent; le liquide est l'al-
cool rougi par l'orseille.
Le remplissage du tube est analogue, bien que
plus simple, car on peut sans crainte faire bouillir,
pour chasser l'air, une petite quanlité d'alcool déjà
arrivée dans le réservoir. S'il reste une petite
bulle d'air à la jonction du réservoir et du tube,
on la fait disparaître en animant le tube d'un
mouvement de rotation. Le règlement de la
course est le même, aussi la fixation du point
zéro. On ne peut songer à marquer le point lOn,
puisque l'alcool bout avant cette température ; on
marque donc un second point par comparaison
avec un bon thermomètre à mercure.
Sensibttitr des Iherniomètres. — Que le thermo-
mètre soit à alcool ou à mercure, il faut que l'ins-
trument se mette rapidement en équilibre de
température avec le milieu ambiant, et il le fera
d'autant plus vile que son réservoir aura un plus
petit volume. D'autre part, il indiquera d'autant
mieux les variations de la température que ses
degrés seront plus grands, c'est-à-dire que la sec-
tion de la tige sera plus faible par rapport au vo-
lume du réservoir.
Lorsqu'on veut obtenir à la fois ces deux résul-
tats, on emploie des réservoirs de très petites
dimensions et des tiges excessivement fines ; oti a
alors desappareils réunissant la double sensibilité,
capables d'indiquer les petites fractions de degrés
et de les indiquer très promptement.
3. Thermomètres à gaz. — Quand on emploie,
pour mesurer la température, un gaz contenu dans
une enveloppe de verre, la dilatation de l'enveloppe,
qui est toujours au moins cent cinquante fois in-
férieure à (elle du gaz lui-même, ne peut exercer
sur les indications du thermomètre qu'une in-
fluence plus faible que les erreurs inévitables des
expériences. Il en rcsulie que divers thermomètres
construits avec un même gaz et des enveloppes
diverses ne dilïèrent pas sensiblement dans leurs
indications. C'est ce précieux avantage qui a con-
duit les physiciens à faire du thermomètre à air
sec le thermomètre étalon.
Tout appareil propre à l'étude de la dilatation
de l'air peut servir de tliermomètre,si l'on connaît
le coefficient de dilatation du gaz. Il suffit de
donner au réservoir une forme qui rende facile
l'établissement de l'équilibre calorifique entre
l'air et le corps dont on veut mesurer la tempé-
rature. Uulong a adopté la forme cylindrique, qui
est d'un usage commode et qui a éle fréquemment
employée depuis.
Pour les hautes températures, M. H. Sainte-
Claire Devillo a employé un thermomètre à va-
peur d'iode. Le réservoir est un ballon de porce-
laine à col effilé que l'on place, après y avoir
introduit de l'iode, dans l'enceinte dont on veut
déterminer la température; on le ferme au chalu-
meau oxyhj drique quand les vapeurs d'iode cessent
de se dégager. Los posées de l'appareil plein de
vapeur, plein d'air, plein d'eau, et la rorniaissance
du coefficient de dilatation do la porcelaine, per-
mettent de déterminer la température.
Le maniement de ces appareils no peut être
fait que par des mains exercées; aussi leur em-
ploi n'est-il pas sorti des laboratoires de recher-
ches précises.
Tous les thermomètres à mercure construits
avec soi)i s'accordent très sensiblement avec le
thermomètre à air au-dessous de loU" ; vers 200"
ils avancent d'un demi - degré à ? degrés, vers
3(1(1" de 4 à (i degrés. On les emploie donc exclu-
sivement, même dans les n^cherclies précises, au-
dessous de KIO degrés; au-dessus, il devient né-
cessaire de les comparer au thermomètre à air,.
à moins qu'une approximation d'un ou deux degrés
ne soit Siiffi>ante.
4. Thermomètres à maxima et luinima. — Il est
souvent nécessaire de connaître la pins haute et
la plus basse température d'un milieu, comme
l'air atmusphérique par exemple, dans un inter-
valle de temps déterminé. Un des moyens con-
siste à faire avec les thermomètres ordinaires un
très grand nombre d'observations ; mais il est le
plus souvent impraticable. Pour obtenir facile-
ment ce résultat, on a construit des appareils dont
les uns donnent la température la plus élevée et
les autres la température la plus bas.se qu'il a
fait dans le milieu où ilsonl été placés. Le prin-
cipe commun de ces appareils, c'est de laisser un
index au point le plus élevé ou le plus bas qu'ils
ont marqué pendant le temps où ils sont restés
en place ; ou bien encore de permettre de retrou-
ver facilement les températures maximum ou
minimum qu'ils ont atteintes. La forme en est
très variable: les deux types principaux sont les
thermomètres à déversement de Walferdin et le
double thermomètre de Rutherford. Celui-ci est
le plus sijnpie. Le thermomètre à maxima est à
mercure, et la colonne liquide pousse devant elle
un index de fer qu'elle abandonne et que l'on re-
trouve lors de l'observation au point le plus éloi-
gné du réservoir où elle est parvenue. Le thermo-
mètre à minima est à alcool, et le liquide refoule
vers le réservoir en se coniractant un index d'émail
qu'il laisse en place si la température vient à
augmenter ultérieurement.
(;es deux appareils sont parfois réunis en un
seul sur lequel on peut lire les deux indications
que l'on cherche.
Ils sont, à côté des thermomètres ordinaires,
d'un usage courant dans les observations météo-
rologiques. [Haraucouit.l
TIliRS-É TAT. — Histoire de France, XXXVIII-
XL. - L'origine de ce nom, appli(|ué en France,
sous les rois de la troisième race, au peuple des
villes et des campagnes, remonte aux premières
réunions dos Etats-généraux. Le clergé et la no-
blesse avaient été pendant longtemps les deux
seules classes qui eussent été admises à prendre
une part, assez restreinte d'ailleurs, au gouver-
nement général du royaume. Lorsque l'hilippe le
Bel, en KiO"2, voulut opposer aux prétentions du
pape l'autorité îles décisions d'une assemblée na-
tionale, il convoqua non seulement les représen-
tants de ces deux étals ou ordres, mais encore
ceux d'un certain nombre de villes, qui formèrent,
à partir de ce moment, un troisième ordre, un
Ti>-rs-Etat.
Nous avons inditjué, à l'article Communes, com-
TIERS-ETAT
— 2190 —
TIGE
ment la population uibaine s'était peu à peu
émancipée de la domination des seigneurs féo-
daux, et était arrivée à constitupr une puissance
sur laquelle la royauté jugea utile de s'appuyer.
L'admission de ses députés au\ Etats-gcncraux
accrut promplement son influence. Un demi-siècle
à peine après Philippe le liel, la bourgeoisie
essayait déji de mettre la royauté en tutelle (Etats-
généraux de 1357), et de faire gouverner la
î'rance par les représentants de la nation; mais la
tenta' ive d'Etienne Marcel, qui eût transformé la
royauté absolue en une sorte de monarcliie consti-
tntionnelle, écliona (V. Gucrede Cent ar^s, p. 9ÎI),
et le Tiers Etat fut rejeté pour plusieurs siècles
au rang de classe inférieure, admise pour la
forme seulement à présenter de loin en loin ses
doléances, lorsque le souverain trouvait avanta-
geux à sa politique de convoquer les représen-
tants des trois ordres.
Pendant tout le xiV siècle et la plus grande
partie du xV, les députés des honnis viHes furent
seuls appelés aux Etats-généraux : le Tiers-Etat
n'éiait encore qu'une fraction privilégiée de la
bourgeoisie ; les habitants des villes qui n'avaient
pas reçu le droit d'envoyer des députés aux Etats,
et le peuple des campagnes, restaient privés de
représentation. Ce fut en 14S4 seulement, sous la
régence d'Anne de Beaujeu, que les députés des
campagnes et des petites villes furent admis" à
siéger : à partir de ce moment, le TiersEtai com-
prend réellement tout ce qui, en France, n'est ni
prêtre ni noble, c'est-à-dire toute la masse de la
nation.
Nous n'avons pas à raconter l'histoire du Tiers-
Etat dans les trois siècles qui suivent : ce serait
refaire l'histoire de France. Qu'il nous suffise de
renvoyer à l'article Fraive, et aux nombreux arti-
cles spériaux, parmi lesquels nous indiquerons en
particulier: Etnts-Généraux, Parlements, Hewiis-
sance, Héfomie. Henri IV, Hi'helieu, Louis XIV.
Les progrès de l'industrie et du commerce, l'accu-
mulation des capitaux entre les mains de la bour-
geoisie, finirent par assurer au Tiers-Eiat la force
véiitable, en dépit des formes politiques exté-
rieures qui restaient celles de la monarchie abso-
lue ; la pliilosophie da xvui* siècle, les théo-
ries de Rousseau vinrent donner conscience à
l'opinion publique de l'état réel des choses, et
alors une révolution fut inévitable. Un beau jour,
Ciiamlort éclaira cette situation d'un mot célèbre :
11 Qu'est-ce qne le Tiers-Etat ? Tout. — Qu'a-t-il
été jusqu'ici dans l'ordre politique ? Rien. — Que
demande-t-il ?A être quelque chose. » Sieyès
fit du mot de Chamfort un pamphlet, qui servit de
programme aux élections des Etats-généraux
de ns9.
Cependant, la Constituante de 17S0 alla plus loin;
elle ne se contenta pas d'assurer au Tiers-Etat
une part du pouvoir politique, elle abolit les ordres
eux-mêmes, et, au lieu de trois Elats ayant cha-
cun ses privilèges, il n'y eut plus qu'une nation.
Mais aussitôt, par une contradiction qu'expliquent
le.s doctrines politiques de la majorité des consti-
tuants, elle rétablit, sous une autre forme, les
distinctions qu'elle venait d'effacer, en partageant
la nation en deux classes, celle des citoyens actifs
et celle des citoyens passifs, et en attachant la
qualité de cilo\en actif au paiement d'un cens.
C'était faire une France bourgeoise, non une France
démocratique. Aussi le système de la Constituante
ne dura-l-il pas. Au lendemaiti de la chute de la
royauté, le 11 août I';',r2, l'Assemblée législative
complétait lœuvie de la Révolution en abolissant
la di.stiiiction entre citoyens actifs et citoyens pas-
sifs : la Convention nationale fut élue par le suf-
frage universel.
I.e" conditions de cens furent rétablies sous les
régimes qui suivirent : Directoire, Consulat, Em-
pire, Restauration, Monarcliie de Juillet (V. Con-
stitutions); et il se trouva des théoriciens pour
chercher, dans l'histoire du Tiers-Etat, une justi-
fication i cet accaparetnent du pouvoir politique
par la bourgeoisie. Mais le suffrage universel
triompha de nouveau par la révolution de 1848,
et, avec lui, le principe de la souveraineté du
peuple, seul terme définitif auquel pussent tendre
les luttes soutenues dans le passé par ie Tiers-
Etat pour la liberté de tous.
TIGE. — Botanique, VI- VII. — Etyra. : du latin
tibia. — Définition et nomenclature de la tige. —
On désigtie sous le tiom de tige, chez les végé-
taux phanérogames, le résultat du développement
de l'axe de la gemtnuleet de ses ramifications.
Cet axe se dirigeant généralement dans l'air alors
que la racine s'enfonce dans le sol, on définit
souvent la tige en disant que c'est la partie de
l'axe de la plante croissant en sens inverse de la
racine, c'est-à-dire dans l'air; cette partie pouvant
se ramifier un plus ou moins grand nomhre de
fois suivant les espèces. Dans toute la pretnière
partie de cet article, nous ne parlerons de la tige
que chez les végétaux phanérogatnes, c'est-à-dire
chez les végétaux à fleurs visibles nu mieux chez
les vét/élaux ci lep' O'tuction nérienne.
Si nous dépouillons une graine de melon, en ger-
mination, de son enveloppe protectrice, nous re-
luarquons que l'embryon protégé par cette coque
comprend un corps central, cylindriiiue, nommé
tiyelle ou axe hijpocutylé. Le nom d'axe liypoco-
tylé, qui ne préjuge rien, est préférable à celui de
tigelle; ce dernier semble itidiquer en effet que
l'axe hypocotylé représente, dans l'ombryon, la
tige de la plante adulte; cette idée est absolu-
ment fausse, l'axe hypocotylé est la terminaison
inférieure du corps de l'embryon. Il se prolonge
très fréc|uemment par un fiiatnent très fin qui
servait, lors du développement de l'etnbryon, k
fixer ce dernier sur la plante mère, et qui ser-
vait en même temps d'organe spécial d'absorp-
tion des matières nutritives que la plante mère
avait accumulées autoar de son embryon.
Longtemps avant la maturité de la graine, la
plupart des suspenseurs, n'ayant plus de raison
d'être, s'atropiiient et se dessèchent; aussi dans
beaucoup d'embryons arrivés à maturité, ce corps
n'existe-t-il que comme une masse minime, telle-
ment atrophiée parfois qu'il est fort difficile de la
mettre en évidence. On trouve des suspenseurs
bien développés dans des embryons prêts à en-
trer en germination, chez les pin<, les sapins, les
raisins de mer (E/.hedra), l'arbre aux quarante
écus {Ginku\ les ifs, les orchidées, les oro-
banches, le gui. On donne généralement le nom
de riidicule à la partie de la tigelle sur laquelle
s'insère le suspenscur. On nomme coti/lédons les
expansions foliacées nées sur les flancs de la ré-
gion supérieure de l'axe hypocotylé. Selon le nom- 1
bre des cotylédons, on partage les plantes phané- i
rogames en Monuadi/lédonees et Dicotylédonées.
Cette subdivision a un grand intérêt, parce que ce
caractère, en apparence si simple, du nombre des
cotylédons, marche toujours de pair avec des
différences considérables de l'organisation géné-
rale des êtres qui présentent l'une ou l'autre dispo-
sition.
A la partie supérieure de l'axe hypocotylé,
abrité par les cotylédons, se trouve un bourgeon
qu'on appelle la nemmule. Ce bourgeon com-
prend une partie centrale axilo insérée inférieu-
rement sur l'axe hypocotylé, teriniiiée supérieu-
rement par un cône mousse, et dont la surface
est presque complètement recouverte par des
expansions latérales, très régulièrement disposées,
d'autant plus jeunes et d'autant moins dévelop-
pées qu'on s'approche davantage du sommet du
cône. L'axe du cône, en s'allongeant, deviendra la
TIGE
— 2191 —
TIGE
tige principal'' ; les expansions latérales, en se
développant, fourniront les feuilles ou appendices
primaires de la tign principale. On nomme point
de véip'tition la partie de la tige principale par
laquelle la tige croit eji longueur et où se forment
sans cesse du nouveaux appejidices. Les appen-
dices de la lige sont caractérisés par ce fait qu'ils
présentent un seul plan de symétrie qui passe
toujours, du moins au moment de leur apparii.ion,
par l'axe géométriciue de la tige qui les porte.
On nomme aisselle l'angle formé par la tige avec
la base do chacune de ses feuilles. Dans cette
aisselle et dans le plan de symétrie de la fi'uille,
on trouve généralement un point de végétation
présentant très sensiblement la même organisa-
tion que celui qui termine la tige principale; la
seule dilTérence consiste parfois dans un moindre
développement des points de végétation nés dans
l'aisselle des feuilles, et dans une insertion dif-
férente de ces points de végétation axillairfs sur
la tige principale qui les porte Chaque point do
végétation axillaire peut produire un bourgeon ;
il suffit pour cela que ses appendices les plus
inférieurs se développent quelque peu et l'enve-
loppent. En cet état, les points de végétation
axillaires peuvent ou bien se développer immédia-
tement, ou bien se développer à une époque plus
tardive, ou bien même s'atrophier.
On nomme b'iurytons donnants ceux des points
de végétation de la tige qui ne se développent
qu'après un long temps de repos. Aces bourgeons
dormants on oppose quelquefois les tiO'u geons
adventifs. On désigne sous le nom de bouiyeons
adveiilifs des poiiUs de végétation qui apparais-
sent n'importe où et sans ordre à la surface de la
tige. Dans l'aisselle de cha(|ue feuille, il peut ap-
paraître plusieurs bourgeons axillaires. Ces bour-
geons sont toujours régulièrement disposés de
part et d'autre du plan de symétrie de la feuille
à l'aisselle de laquelle ils sont nés. Toutes les
dispositions que ces bourgeojis peuvent affecter se
ramènent à deux : la première est caractérisée
par ce fait que le premier bourgeon axillaire ap-
paru dans l'aisselle de la feuille a son axe géo-
métrique dans le plan médian delà feuille ; tandis
que dans la seconde disposition deux bourgeons
symétriques l'un de l'autre apparaissent simulta-
nément, des l'origine, de chaque côté du plan mé-
dian. Dans un grand nombre de phanérogames,
les bourgeons axillaires de la tige principale ne
se développent pour ainsi dire pas. En s'accrois-
sant, celte tige ne tarde pas à perdre ses appen-
dices de bas en haut, et quand elle est quelque
peu avancée en âge, elle représente souvient une
colonne cylindrique terminée supérieurement par
un bouquet de feuilles, comme cela se voit chez
les palmiers, ou bien terminée par une ramifica-
tion plus ou moins abondante nommée cime, com-
me cela se voit chez les arbres dicotylédones de
nos pays. Dans le premier cas, celle tige a reçu
des botanistes descripteurs le nom de stipe ; dans
le second cas, elle porte le nom de tronc. Ainsi
on dira le stipe d'un palmier, le troncd'un chône.
On appelle «teii(< le point d'atlache d'une feuille
sur la tige ; on appelle entre-nœud l'intervalle
qui sépare l'insertion de deux feuilles succes-
sives ; on nomme nœud vital le point d'insertion
des cotylédons au sommet de l'axe hypocolylé.
Tout ce que nous avons dit des appendices pri-
maires de la tige principale, de son bourgeon ter-
minal, et de ses bourgeons latéraux, nous pourrions
le répéter pour les axes provenant du développe-
ment de la partie centrale des bourgeons axil-
laires. Pour distinguer de la tige principale ces
axes nés dans l'aisselle des feuilles de cette tige,
nous appelons ces derniers axes secondaires ou de
second ordre. Ces tiges de second ordre diffè-
rent toujours de la tige principale qui les porte
par leur insertion. Les tiges provenant du déve-
loppement des bourgeons axillaires nés dans l'ais-
selli^ des appendices de second ordre, formeront
les liges de troisiènn' ordre. On pnurrait conti-
nuer ainsi indéfiniment. L'ensemble de toutes
ces tiges : lige principale, tigt'S de second et de
iroisiéme ordre, etc., régulièrement développées
comme il vient d'être dit, forme ce que l'on nom-
me la ramifiriiiion homogène nonmile de lu lige.
Du degré de développement relatif, tant en lon-
gueur qu'en diamètre, des tiges des divers ordres,
dépend la physionomie de la charpente de la
plante, ce que l'on nomme son /lOi-t. Les princi-
paux types de ports des plantrs SDot : 1" la forme
pyramidale, que l'on nbiirni lorsque chaque ordre
de rameaux prend un dévelnppemi'nt d'autant
moindre que son degré est plus élevé; 2° la for-
me fas igiiie, qui a pour type le peuplier d'I-
talie ; c'est une forme pyramidale dont les rameaux
se relèvent vers la tige principale ; 3° la for-
me pli'uretfe, dans laquelle les rameaux de troi-
sième et de quatrième ordre se dirigent vers le
sol j le type de cette forme peut être pris dans le
Sophorii pleureur; 4» la (orme tombnn'e, qui a pour
typele Sa/i-r liabyl"7iica, dont les rameaux grêles,
longs et flexibles s'inclinent vers le sol sous leur
propre poids.
Nous avons parlé plus haut des stipesdes pal-
mi'TS qui ne se ramifiant pas, sinon peut-être vers
leur partie supérieure à l'époque de leur florai-
son.
On désigne parfois sous le nom de chnume des
tiges particulières renflées aux nœuds, peu rami-
fiées ou ne portant que des tiges de second ordre
très grêles. En général, ces tiges sont creuses in-
térieurement ; leur cavité centrale est cependant
interrompue à chaque nœud par des sortes de
di.iphi-agmes ou de planchers dont la structure est
parfois très compliquée Les plantes à chaume
sont généralement herbacées; les bambous seuls
en repré-entent la forme arhorescente.
On désigne sous le nom de tionc, de bronches,
de i-amenux, de rn'inl es, de ramules les divers
ordres de ramification d'une tige principale; les
noms de ramilles et de ramules désignant les plus
petites ramifications, les mots de branches et de
rameaux désignant les ramifications intermédiaires
entre le tronc et les ramilles. On désigne par le
nom de pousse ou de scion une pousse d'ordre
quelconque. On appelle œil ou yeinmi' un bour-
geon quelcomiue. Ces dernières expressions sont
usitées plus fréquemment en arboriculture qu'en
botanique proprement dite. On appelle coulants,
stulo7is, ou di ageants des tiges élancées partant
d'une souche et rampant à la surface du sol au-
quel elles se fixent de distance en distance par
des racines.
Les nppendires iirimaires de la tige ou feuilles
ne sont point dispersés au hasard sur la surface
de cet organe. Lorsque les feuilles sont insérées
plusieurs ensemble au même niveau, on dit qu'elles
sont vertiidllées; chaque région nodale porte alors
plusiimrs feuilles, et les feuilles des régions nodalas
successives alternent régulièrement, c'est-à-dire
que les feuilles de chaque verticille sont dans le
p an bissecteur de l'angle formé par deux feuilles
consécutives du nœud précé'Ient et du noeud
suivant. Les nombres d'appendices réunis en ver-
ticille que l'on rencontre le plus Iréquemment
sont: deux, trois, cinq, huit, treize, etc., ou des
multiples de ces nombres. On remarquera que,
dans la série que nous venons de donner, chaque
terme, à partir du troisième, est la somme des
deux termes qui le précèdent immédiatement.
On désigne généralement sous le nom de
feuilles opposées les feuilles verticillées par
deux.
On désigne sous le nom de feuilles alternes
TIGE
2192 —
TIGE
toutes les feuilles qui ne sont ni verticillées, ni
le nombre, sont toutes disposées sur la surface d
la tige S'-loii une ligne spirale qui les relie toutes.
Ou désigne par le nom de spiral" génératrice
l'hélice qui passe par tous les points d'insertion
des appenHices d'une tige, dans l'ordre môme où
ces appendices sont nés sur la surface de cette
tige.
On appelle spirale secondair'^ des spires qui ne
contiennent qu'un certain nombre des appendices
de la tige.
On nomme orttiostiquex des lignes parallèles à
l'axe de la tige, tracées sur sa surface, et qui con-
tiennent un certain nombre d'apppndices. Quel
que soit le nombre des appendices que rencontre
la spire génératrice d'une seule tige, on trouve
toujours facilement deux appendices situés sur
la mémo oriliostiiioe. Si l'on compte alors le
nombre des appendices situés sur la spire géné-
ratrice entre l-»s deux appendices d'une môme
ortliostique et qu'on compare cm nombre au nom-
bre des tours que la spire génératrice a dii dé-
crire, autour de la tige pour passer du premier
appendice au second, on forme une fraction que
l'on appelle cyc e d'-dternance ou angle de diver-
gence de la distribution des appendices sur la
tige. Le numérateur du cycle iiidii|ue toujours le
nombre des tours faits par la spire génératrice
dans lintervalle qui sépare les deux feuilles con
force, provenant l'un et l'autre d'une segmentation
du cône végétatifde la tige. Cette dernière disposi-
tion est très rare ; on la voit pourtant cliez les Pipéra-
cées, les Ampélidées, etc. On désigne parfois sous
le nom de ramification dichotomique la disposition
que l'on obtieiu lorsque deux bnurgi-ons axillaires
opposHs d'une tige à croissance définie et à f uilles
verticillées se développent avec une grande force.
Très souvent alors, cliac|iie tig' se termine par
une fleur ; l'ensemble de cette ramification est sou-
vent désigné sous le nom d'inflorescence en cyme.
On désigne sous le nom de tiges volubilfs des
tiges capables de s'enrouler autour de certains
supports. Entre la tigf élancée verticalement dans
l'air et la tige volubile, on trouve les lig'S sar-
menteuses, comme celles de la vigne et du jonc à
canne (' alamux Rutntig), les tiges i/nmp'intes,
comme cilles du lierre, ces dernières s'aiiacliant
aux corps sur lesquels elles s'élèvent par des
appareils désignés sous le nom de crampons wlhé-
Slfi.
On appelle clndode de tige ou fasciation de
tigns un certain nombre de liges reliées entre
elles par un tissu commun. On voit des exemples
de claJodes chez les Phyllocladus, les Cactus, les
Echinocaclus,\es Opuntia ou figuiers de Barbarie,
les Epiphyllum, les Euphorbes grasses, les Sta-
peha. etc.
Structure de la tige. — 1. Tige des Dicoti/lédones.
— Au début, le tissu de la tige est constitué par
des éléments tous semblables entre eux, ceux de
sécutives d'une même orthostique. On prend , la surface extérieure se laissant seulement distin-
comme dénominateur du cycle le i.o:iibre des j guer les uns des autres parce qu'ils se cloisonnent
appendices comp.is sur l'arc despire génératrice
qui sépare le premier et le second appendice
d'une orthostique déterminée.
On définit quelquefois l'angle de divergence ou
le cycle d'une tige: l'écart angulaire apparent des
plans de symétrie de deux de ces appendices con-
sécutifs dans le temps. L'angle de divergence est
généralement exprimé par l'un des termes de la
série: i, 4, |, |. etc. On remarque facilement que
chacun des termes de cette série, k partir du troi-
sième, s'obtient en formant la somme des numé-
rateurs et la somme des dénominateurs des deux
cycles précédant celui que l'on forme.
Exceptionnellement les cycles peuvent appar-
tenir à l'une des séries commençant par | et | ou
par I et 1.
Selon l'angle de divergence de deux appendices
d'une lige, la plante sera dite d'apparence dextre
ou i enroulement sénestre. Dans ce dernier cas,
l'enroulement apparent de l'hélice .se dirige veis
la gauche. La nécessité de déterminer le sens de
l'enroulement de la spire ginératrice d'une lige
chargée de feuilles alternes nous conduit à dé-
terminer une fois pour toutes la position qu'il
faut assigner à un observateur qui doit juger de
l'orientation d une tige.
Pour juger do l'orientation d'une tige, nous
supposerons l'observateur placé dans l'axe de cette
tige, la tête tournée vers le point de végétation
toujours perpendiciilairement à la surface exté-
rieure de la lige. Ce tissu extérieur a reçu le nom
de dermatogène ; en vieillissant, il devient l' épi-
derme (V. Tissus végétauj:).
Un peu plus tard, le tissu intérieur ou méris-
tème primitif montre une zone d'éléments plus
petits à parois très minces que l'on désigne sous
le nom de procambium ou de zone génératrice.
Cette zone se partage en îlots qui ont reçu le nom
de faisceiiux. A ce moment, la tige dicotylédona
présente :
Au cent'B, un tissu parenchymateux qu'on ap-
pelle la moelle ;
A la périphérie, limitée extérieurement par l'é-
piderme, un tissu parenchymateux qu'on appelle
écorce primordiale ou écorce primaire, l'écorce et
la moelle étant réunies par les rayons primaires
qui séparent les faisceaux. Dans ces dernières
années, M. Van Tieghem a nommé tissu conjonc-
ti/' externe l'écorce primaire ; tis^u conjonctif in-
terne l'ensemble de la moelle et des rayons pri-
maires ; et emlodrine ou assise protectrice la ran-
gée de cellules qui séparent l'écorce primaire des
faisceaux.
Un peu plus tard, on voit s'établir dans les
faisceaux une zone d'épaississement que l'on nom-
me zone C'imbia/e ou cambium. Vers le temps où
ce travail s'accomplit, les éléments des faisceaux
qui bordent la moelle se transforment en trachées.
L'ensemble de tous ces amas trachéens forme ce
les pieds à l'opposé, et regardant un appendice | que, l'on a appelé Vélui médalldii'e, dont le nom-
oue l'on a pris comme point de départ. On assigne , bre des angles égale celui des faisceaux primaires
à cet appendice le numéro 1. L'observateur juge
de la droite et de la gauche de la lige par sa
droite et sa gauche.
Lorsque le bourgeon placé à l'extrémité d'une
qui ont pris part i sa formation. Clia(|ue zone cam-
biale engendre du bois vers le centre do la tige
et du liber vers la périphérie de cette tige. Le
liber est caractérisé par des cellules grillagées
tige s'éteint régulièrement, on dit que l'accroisse- \ dont le développement est centrifuge; le bois est
ment île la tige est limité ou défini ; il est indé- | caractérisé par des fibres ligneuses et des vais-
fini dans le cas contraire ; et si chaque tige est seaux dont le développement est centripète. Cha-
plus importante dans la plante développée que les que zone cambiale engendre ainsi une certaine
rameaux latéraux qui en partent, on dit i|ue sa ra- , quantité de bois et de liber primaires. Lorsque la
mification est monopodique. Par opposition h cette i lige dicotylédonée doit conserver une consistance
ramification monopodiqiie, on désigne sous le nom herbacée, sa structure ne présente pas d'auHe
de ramification dichotomique le lait du partage , parlii ularite. Lorsque la lige dicotylédonée doit
d'une tige eu deux rameaux originairement d'égale I prendre une consistance ligneuse et durer un long
TIGE
21'J3 —
TlGIi
temps , elle ne garde la structure que nous venons
(le décrire que pendant le cours de sa première
année; la si'Conde année, cliaque zone cambiale
vient ajouter au faisceau dont elle fait partie une
zone de bois vers l'intérieur et une zojje de liber
vers l'extérieur. Ce bois et ce liber secondaires
sont caractérisés, le premier par des fibres li-
gneuses et des vaisseaux ligneux, le second par
des cellules };rillagées compli(|uécs, dos fibres li-
bériennes et du larencliyme libérien.
Chacune des années qni s'ajouteront :\ la seconde
année produira dans chacun des faisceaux pri-
ni:iircs une zone de bnis secondaire contre le bois
déjà formé, et une zone de liber secondaire contre
le liber existant. Le bois formé depuis très long-
temps a reçu le nom de cœun/K ùuis nu (/urnme'i,
tandis que le bois nouvellement formé s'appelle
aubier. Dans les essences forestières comme le
chêne, l'ébénier, l'acajou, etc., le duramen se
dislingue h première vue de l'aubier par une co-
loration et une consistance très différentes.
L'accroissement des faisceaux d'une tige provo-
que nécessairement l'accroissement de cette tige
en diamètre, et comme l'enveloppe première de
cet organe ne peut s'étendie indéfiniment, il se
produit des crevasses dans l'écorce primaire su-
perticielle de la tige. Un tissu protecteur nommé
liège ou suber se développe à peu de distauce de
cette surface par l'activité d'une zone géjiératrice
spéciale que l'on appelle ordinairement l'assise
pheltogène ; tout ce qui est compris eji dehors du
liège s'appelle r/ii/tiiioiiie. Lorsque la masse de
rhytidome est très petite, on lui donne le nom de
lenticel/e. Jadis, on a attribué aux lenticelles un
rôle très important pour la respiration des plantes
et pour l'émission des racines. Aujourd bui on se
borjie à considérer les lenticelles comme de très
petites plaques de rhytidome dans lesquelles la
plante accumule les pioduits qu'elle excrète en
abondance. La plupart des arbres conservent les
couches de rhytidome et acquièrent ainsi un re-
vêtement protecteur extrêmement puissant. Les
couches de liège qui engetjdrent ce rhytidome
apparaissent dans tous les tissus compris entre la
zone cambiale et l'épiderme de la tige. D'autres
fois, le rhytidome s'exfolie au fur et à mesure de
sa formation, comme cela se voit dans les platanes
dont l'écorce conserve par cela même une très
grande minceur. Un petit nombre de plantes,
comme le chêne, l'orme, l'aristoloche, ont acquis,
sous l'influence de la culture ou de conditions spé-
ciales qui nous sont encore peu connues, la fa-
culté d'hypenrophier considérablement leur assise
subéreuse. Cette disposition est l'origine du liège
que l'on tire du Chêne-liège en Algérie et en Por-
tugal. Cette production exagérée de tissu subéreux
de la part du chène-liège peut être considérée pour
la plante comme une sorte de maladie tout à fait
comparable à celle qui produit le sucre de canne
dans la betterave à sucre et le diabète chez les
animaux.
En résumé, une tige dicotylédono normale ré-
gulièrement constituée nous présente du centre à
la périphérie :
1° La moelle ;
2° L'étui médullaire ;
3* Le bois primaire;
4° La puissante assise de bois secondaire par-
tagée en zones concentriques dont chacune indi-
que une période de végétation correspondant très
souvent à une année entière ;
5° La zone cambiale ;
0° Une épaisseur très variable de liber secon-
daire ;
"" Lorsque la décortication s'est déjà produite
uti certain nombre de fois, l'assise subéreuse, li-
mitée intérieurement par son assise phellogène.
La couche ligneuse est partagée par des rayons
2« PARTIE.
qui vont depuis la moelle jusqu'à l'assise phello-
gène. Nous avons décrit plus haut l'origine de ces
rayons primaires.
Dans l'intérieur de chaque faisceau, on trouve
des bandes parenchymateuses qui s'étendent à la
fois dans le liber secondaire et dans le bois se-
condaire, et (|ue l'on appelle rayons srcorul'iires ou
rni/ons de faisceauv.. Ces derniers sont d'autant
plus étendus (|u'ils se sont formés à une époque
moins avancée de la vie du faisceau. L'existence
de tous ces. rayons et en particulier des rayons
secnndaires a été considérée pendant longtemps
(nus à is.iO) comme caractéristique des végétaux
dicotylédones.
Depuis 18511 même, des auteurs importants ont
encore eu recours à ce caractère, pour juger du
degré d'anomalie de certaines tiges dicoiylédojiées.
Toute cette structure des tiges types des Dicoty-
lédonées peut se schématiser dans les figures que
Hugo von Molli en a données dans son magnifique
ouvrage intitulé : De structura p'Uniarum anato-
mica.
Tige des Dicotylédones anormales. — Dans un
certain nombre de Dicotylédones, la structure de
la tige, au lieu de conserver la simplicité (jue nous
venons de décrire dans la page qui précède, pré-
sente certaines complications que nous croyons
devoir indiquer brièvement. Nous résumerons ces
anomalies sous divers paragraphes :
1° Dans les Gnétacées, nous trouvons un cer-
tain nombre de cercles concentriques furmés par
des couches alternatives de bois et de liber qui se
succèdent en alternant régulièrement du centre à
la périphérie. Les cercles ligneux et libériens
extérieurs aux premiers sont composés exclusive-
ment d'éléments secondaires. — Cette même dispo-
sition se retrouve dans les vieilles tiges de Cgcas,
et aussi dans les Cycudoiylons de la période llouil-
lère.
2° Dans les Bauldnia, les Caulolrctns, les Me-
nispernium, on trouve une organisation de la tige
qui rappelle celle des Gnetum, mais localisée
sur un seul côté de cette tige. De là résultent
pour ces tiges des formes en rubans plus ou oioina
gondolés.
3° Dans les liryones, nous trouvons, entre l'étui
médullaire et la moelle, une couche libérienne
très puissante qui est séparée de l'étui médul-
laire par une zone cambiale plus ou moins épaisse.
Ce nouveau genre d'anomalie nous conduit à celle
du Tecoma radicans, où la zone cambiale inté-
rieure de la Hryone produit fréquemment une
couche puissante de bois secondaire entre le liber
intérieur et l'étui médullaire. Nous trouvons dans
les Solanées, les Asclépiadées, les Composées, des
dispositions analogues à celles du Tecomu radicans,
quoique moins accentuées.
4° Dans les Sigillaires et les Poroxylo?i, ainsi
que dans la partie libre des faisceaux foliaires des
Cycadées actuelles et de beaucoup de Gnéta-
cées houillères , le système ligneux secon-
daire intérieur du Tecoma est représenté par do
grands vaisseaux scalariformes qui rappellent
assez bien les éléments ligneux des fougères.
Dans ces plantes le système libérien intérieur est
fort peu développé; de plus il est écrasé de très
bonne heure et transformé en une masse de pa-
renchyme corné.
6° Dans les Ilignonia proprement dits, on voit
fréquemment les productions ligneuses secon-
daires se produire en des points symétriquement
disposés du contour de la tige, avec une moindre
intensité que sur le reste du contour. Par contre en
ces mêmes points le liber secondaire acquiert une
très grande puissance, de sorte que dans la tige
très avancée eu âge il semble s'enfoncer comme
des coins de bois. Fréquemment on a rapporté
à cette luônie anomalie des iHgiio/tia celle que
138
TIGE
2194
TIGE
nous présentent les orties, où l'on trouve régiiliè-
lement disposées sur la section de la tige des alter-
nances d'éléments h parois épaissies (|ue l'on peut
regarder, soit comme du bois, soit comme du
liber durci, et d'éléments à parois minces.
6° Dans les Nyctaginées les Mélastomacées, les
Chénopodées, les Goodoaiacces, on trouve au cen-
tre de la tige un certain nombre de petits fais-
ceaux épars très grêles, bien isolés les uns des
autres, dont chacun présente, du C' ntre à la péri
phérie, des trachées, des éléments ligneux pri-
maires, une zone cambiale et une masse libé-
rienne. Plus extérieurement, on remarque une
assise continue, sans interposition de rayons mé-
dullaires primaires ou secondaires^ d éléments
fibreux à parois épaissies que l'on a considérés
comme des éléments ligneux à parois secondaires
à cause surtout des gros vaisseaux qu'on y re-
marque de distance en distance. Au milieu de
cette puissante assise ligneuse, on remarque des
ilôts plus ou moins volumineux, mais toujours bien
circonscrits, d'éléments libériens secondaires fort
petits et à parois minces.
't° Dans les Aralia. dans les Bégonia, surtout
dans les diverses variétés du B-fioiiia iliscolor,
dans bon nombre de Composées, dans les Ricins,
les Ombellifères, on trouve à chaque nœud une
sorte de plancher orné de faisceaux abondamment
ramifiés qui y forment comme un lacis inextrica-
ble. Parfois des faisceaux traversent toute l'éten-
due des entre-Mceuds de ces tiges; mais ils diffè-
rent complètement des faisceaux médullaires que
nous avons signalés chez les Nyctaginées, en ce
que ces faisceaux présentent une structure émi-
nemment variable qui consiste ordinairement en
une masse libérienne voisine du centre de la
tige, une zone cambiale, et une masse de bois
primaire, cette dernière étant plus extérieure que
la zone cambiale. Mais dans l'étendue d'un entre-
nœud, la structure de ces faisceaux peut varier
du tout au tout; certains d'entre eux perdent en
effet, dans l'étendue de ce parcours, leur bois,
leur liber et même leur zone cambiale; ils ne
sont plus alors représentés que par des amas de
cellules cristalligènes (Bégonia) ou par de petites
glandes résinifères (Aralin).
8° Dans les Calycanthées, on trouve, i l'exté-
rieur du cercle ordinaire des faisceaux de la tige,
un certain nombre de faisceaux qui ont leur bois
en dehors et leur liber compris entre ce bois ex-
térieur et le liber extérieur du cercle ordinaire
des faisceaux.
9" Dans les Crassulacées, on trouve fréquem-
ment, comme dans les Calycanihées, un cercle de
faisceaux extérieurs compris entre le cercle ordi-
naire des faisceaux et la périphérie de la tige.
Mais dans la plupart des cas, chacun de ces
faisceaux consiste en une masse ligneuse pourvue
de trachées, entourée concentriquement par une
épaisse couche libérienne.
10° Dans les Sapindacées, on trouve l'organisa-
tion que nous avons signalée dans les Calycan-
thées et dans les Crassulacées; mais chacun des
massifs de faisceaux de leur tige peut présenter
quels on ne retrouve plus rien de comparable
aux éléments ligneux et libériens des tiges pré-
cédemment décrites.
II. Tige ries MnnncotiiJéilones. — Hugo von Mohl,
le célèbre botaniste allemand qui le premier a
étudié l'anatomie comparée des tiges monuco-
tylédonées, a pris comme type de la structure
anatomiquo de ces plantes celle de la tige des
palmiers. Cette structure peut se résumer ainsi :
Au sein d'une masse volumineuse de tissu mé-
dullaire circulent des faisceaux qui, partant de la
feuille, s'avancent en descendant jusque vers le
cenire'de la tige, puis qui s'inflccliisseiU vers la
périphérie de la tige où ils vont bientôt se perdre
sur la face extérieure d'autres faisceaux en tout
semblables à eux, mais qui se rendent à des
feuilles plus anciennes et par conséquent situées
plus bas que la feuille à laquelle eux-mêmes se
rendent; chemin faisant, la structure de chacun
des faisceaux dont nous venons de parler peut
présenter de notables variations, surtout au point
de vue du développement numérique de leurs
éléments ligneux et libériens caractérisés. Dans
la région moyenne de sa course, cliaque fais-
ceau de la tige du palmier présente de l'intérieur
de la tige à l'extcrieur :
1° Des trachées; _
S- Des éléments ligneux primaires dont plu-
sieurs sont à leiat de grands vaisseaux rayes;
3° Une zone cambiale; la durée dactiviie de
cette zone cambiale est extrêmement faible en
général, et cette particularité a valu aux faisceaux
des Monocotylédonées, qui ne présentent guère
d'accroissement secondaire sensible, le nom de
faisceaux fermés; , .■„ii„
4» Une assise libérienne composée essentielle-
ment de cellules grillagées très simples, que Hugo
von Mohl désignait sous le nom de vaisseaux pro-
nre« Plusieurs auteurs ont souvent rattache aux
faisceaux des tiges monocotylédonées une gaine
formée d'éléments fibreux ii parois épaissies qui^
l'on désigne aujourd hui sous le nom de fibres
mécaniques, et qui servent à protéger le laisceau
contre les pressions extérieures qui peuvent 1 at-
teindre, surtout en régularisant et en amoindris-
sant ce^ pressions. Parfois ces éléments mécani-
ques ont été assimiles aux véritables fibres
libériennes; elles peuvent du reste ent|èremeiu
remplacer ces dernières, et c est ainsi que le
,^7ou Tin de la Nouvelle-Hollande est produit
iar les fibres mécaniques des faisceaux du Pho,-
""LomiuTles faisceaux d'une tige de palmier
sont su'r le point d'entrer dans la feuille à la-
quelle ils se rendent, leur gaine mécanique est
généralement peu caractérisée; en revanche eurs
éléments ligneux et libériens primaires sont ex-
Uêmement développés. Vers la terminaison infé-
rieure des faisceaux de la tige, la gaine mécanique
de chaque faisceau devient très puissante alors
que lei éléments ligneux et libériens de ces
faisceaux sont extrêmement réduits comme nom.
bre et comme intensité de développement, si ta-.,
est que l'on puisse désigner so"^/".»"". '*,,=;^;
„.f»Vi..,.ir,n nlus OU moins grande des trachée^
isolément la structure que nous avons signalée ! ractérisation plus ou 1"°'"^ .8''*", ''. ^^.,^:x.„ i',,
comme caractérisant la tige entière des G„tt:m. et des cellules grillagées qui sont, la P™™'ere^^^
11° Dans un grand nombre de tiges aquatiques, ' type des éléments ligneux piimaiie.,
comme dans celles d'Hippuris, d'Hottonia, deMi/- le type des éléments "aériens prima.ie».
riopinjltum, de Caliilrœhe, et dans quelques tiges Pour expliquer cette "^gaïasuion paiticuiier
souterraines, comme celles de VAdoxu, on trouve, I de la lige des palmiers, Hugo von «'O"' ^"
3 trachées et qu'au début, lorganisatioi. de la tige de Mono
urement par cotylédones était en tout se.mb'able i celle de 1
iens tiee des Dicotylédones ; mais tandis que la zoni
- • gfi éiatrice était pour ainsi dire absorbée dans a
production des faisceaux ?",'"»'"•««, de U^tige^des
au centre de la tige, un mélange de
à'éléments libériens entouré extérie
une épaisse couche d'éléments libériens
12° Dans ceriaiiies tiges aquatiques plus dégra-
dées que les précédentes, comme celle de Cera-
tophyllum, la région centrale des tiges ordinaires
n'est plus représentée que par quelques petits
éléments allongés à parois très minces, dans les-
bicotylédonées, cette zone ge!''^^?^ '^^ P',[.'^';,'i'„',
fournissait aux Monocotylédonées de ouveaux
faisceaux qui se rendaient dans les appendices
TIGE
— 2195 —
TIGE
au fur et h mesure do leur apparition. Ce modo
do développninent, qui no persiste que pendant
un temps très Court cliez la grande majorité des
palmiers, aurait une durée pour ainsi dire indéfl-
nio chez Ihs Dracœna, les Yucca, les CatoilruCin,
nionocotylédonées dont la tige peut croître en
épaisseur et atteindre parfois une taille gigan-
tesque, ciimnie celle du célèbre Dragonnier
d'Orotava dont il a été question à l'aniclo Man'j-
cotytédùnées.
Dans un grand nombre de tiges souterraines
des Monocotylodonées, M. de Bary a crn recon-
naître une organisation sensiblement différente
de celle que Hugo von Molli avait trouvée pour les
palmiers et que, par une généralisation trop hâ-
tive, ce savant regardait comme caractéristique
de toutes les Monocotylédonées. M. de Bary a
remarqué que les tiges souterraines de bon nom-
bre de Monocotylédonées présentent deux ordres
de faisceaux. Les uns, qu'il appelle colUdeiuiux,
présentent la constitution ordinaire des faisceaux
que nous avon.s signalée dans les tiges aériennes
des palmiers. Ce nom leur vient de ca que leurs
masses ligneuse et libérienne sont placées l'une
derrière l'autre, sans mélange d'éléments, sur un
rayon qui va du centre de la tige au centre de la
figure du faisceau. Le bois de ces faisceaux est
toujours plus près du centre de la tige que leur
liber. Ces faisceaux collatéraux se rendent tous
dans les feuilles.
Outre les faisceaux collatéraux, on remarque
dans la tige d'autres faisceaux qtie l'on nomme
concentriques, parce qu'ils consistent essentielle-
ment en une couronne d'éléments ligneux qui
entoure une masse centrale d'éléments libé-
riens.
Très souvent les faisceaux collatéraux viennent
se fondre dans ces faisceaux concentriques, et ces
derniers s'unissent fréquemment à des faisceaux
de même nature qu'eux. Très généralement dans
les rhizomes de monocotylédonées, on trouve la
structure que nous venons de décrire. Toutefois
par dégradation, sous l'influence du parasitisme
ou de la vie aquatique, cette structure générale
peut être très fortement simplifiée. On voit alors
se reproduire des formes comme celles que nous
avons signalées dans les Hottonia aijuatiques, les
Adoxa, les Ceratopliyllum, parmi les Dicotylé-
doiiées.
U. de Bary a rangé les Potamogelons et les Zo-
slères^ dans une catégorie spéciale de ti^es mono-
cotylédonées, qui seraient anormales en ce sens
que le système de leurs faisceaux forme une co-
lonne centrale pleine, dont les éléments ligneux
sont gélifiés peu de temps après leur apparition.
Au niveau de chaque nœud, on voit partir un cer-
tain nombre de faisceaux (|ui se rendent dans les
feuilles de ce nœud; il n'y a par conséquent Ih.
rien de comparable au parcours et h 1 organisa-
lion des faisceaux que nous avons décrits dans la
lige ordinaire des palmiers.
Dans un grand nombre de ieȔna, plantes aqua-
tiques flottantes, le système des faisceaux de la
tige ne se dillérencie ni en bois, ni en liber. Les
faisceaux de ces tiges de Lemna peuvent être re-
gardés comme la limite extrême de la dégradation
de la structure des tiges des Monocotylédonées.
M. de Bary range dans cette caiégorie à part
les tiges ou chaumes des Graminées et des tiy-
.péracées, ipii présentent dans leurs régions no-
dales des lacis de faisceaux bien caractérisés.
IIL Tige <les Ci-yptogames vascutrnres. — A
1 époque ou Hugo von MohI exposa la structure de
ialige telle que nous venons de la f.dre connaître,
une étude ■iommaire de cette partie chez les Cryp-
togames vasculaires y Ht reconnaître divers types
cent nous devons dire un mot.
Dans les Lycopodiacées, la tige présente un seul
faisceau fibro-vasculaire composé d'une bande
centrale d'éléments ligneux entourée de tontes
parts par des éléments lihériens. Ca dispositif est
réalisé dans la plupart des Sélaginclles ; chez
queli|ues autres Solaginelles, de plus grande taille
que lesprécédimtes, on trouve plusieurs faisceaux
parallèles entre eux, dont l'organis iiion rappelle
celle du faisce.iu uniqu; que nous avons signalé
plus haut. Ces divers faisceaux sont isolés les uns
des autres au sein d'une niasse de tissu médul-
laire. La surface di; ces liges e-i presque exclu-
sivement formée do tissu mécanique. Dans les
Lycopodes, il semble qne nous ayons au centre
de la tige, réunis en une seu e m isse, un certain
nombre de faisceaux de Sélaginclles; tel est du
moins le cas des Lycopodes rampant*. Dans les
Lycopndes dressés, nous trouvons phitùt un mas-
sif libro-vasculaire central, composé de bandes
rayonnant de la périphérie vers le centre du
faisceau ; les éléments les plus extérieurs de
ces bandes consistent en très petites trachées,
et les éléments les plus internes en vaisseaux
scalariformes. Dans le ti^su fondamental qui
entoure le système fibro-vasculaire des Lycopo-
des dressés ou arborescents, on remarque par-
lois des racines adventives à faisceaux cour-
bés, qui sont absolument caractéristiques de ces
plantes.
Les Tniésiptéridées et les P.tilotum ont une tige
qui rappelle un peu, mais de bien loin, celle des
Lycopucies dressés.
Dans les Isoétées, le système fibro-vasculaire des
tigps précédentes est représenté par une masse de
trachées courtes bilobées. Cette masse de trachées
est entourée de toutes parts par une assise libé-
rienne formée, elle aussi, d'éléments parenchyma-
teux très courts. Le tissu médullaire qui entoure
ce système présente vers sa région extérieure une
puissante assise aiuylil'ère qui est séparée de la
surface libre de cette tige par une assise épaisse
de liège qui provoque do très bonne heure la
décortication des parties superficielles de cette
tige. Seule parmi les Lycopodiacées, la tige des
Isoétées est transformée en un tubercule court dont
la surface extérieure se dépouille de très bonne
heure de son revêtement primitif,
Dans les Marsiiéacées, la tige adulte présente
à son centre un ma.ssif de cellules ;i parois forte-
ment épaissies, sclériliées. Autour, une première
couche de liber ; puis, plus extérieurement, une
couronne d'éléments ligneux dans laquelle les
éléments ligneux et libériens sont mêlés comme
au hasard ; plus extérieurement encore, nous trou-
vons une seconde couche libérieiiue qui sépare le
buis d'une assise de cellules, à section rectan-
gulaire, à parois fortement épaissies et fortement
sclérifioes. Les tissus superliciels de cotte tige
sont composés de cellules à parois minces.
Dans les Salviniées, qui sont des plantes aqua-
tiques très grêles, le grand développement du
système fibro-vasculaire des Marsiiéacées subit de
très grandes réductions. Il ne reste plus au cen-
tre de la lige qu'un mélange do quelques trachées
très fines et de cellules grillagées. Le tissu fon-
damental qni enveloppe ce système de faisceaux
est creusé de grandes lacunes qui servent à la
plante d'organes natatoires.
Dans les Fougères, on trouve un certain nom-
bre de massifs fibro-vasculaires, composés essen-
tiellement d'éléments ligneux qui forment le cen-
tre de cliacun d'eux, et d'une assise libérienne
enveloppant do toutes parts la masse ligneuse.
Presque tous les massifs fibro-vasculairos sont
protégés par une gaine mécanique ou par un
étui formé de fibres mécaniques i parois très
fortement épaissies. Lo reste du tissu des tiges
de Fougères consiste on une sono de masse de
tissu médullaire gorgé d'amidon. Les faisceaux
TIGE
2596
TIGE
des Fougères contractent entre eux de très nom-
breuses anastomoses, de teile sorte que leur
étude est rendue extrêmement difficile par leur
marche sinueuse. Même chez les Fougères ar-
borescentes, les faisceaux de la tige de ces plantes
ne semblent prendre aucun accroissement secon-
daire.
Dans les Equifetum, la tige présente une orga-
nisation très spéciale. Dans l'intervalle de deux
collerettes, on trouve au c< ntre de la tige une
lacune (lacune centrale) entourée par une niasse
do tissu médullaiie, à la périphérie de laquelle
on remarque un certain nombre de faisceaux.
Chaque faisceau présente à sa partie intime
une lacune que l'on appelle lacmie essenlielk.
Extérieurement cette lacune est bordi^e par une
niasse libérienne interposée entre deux massifs
ligneux formés exclusivement de trachées et de
vaisseaux annelés. Extérieurement au massif cen-
tral dont nous venons de donner la description,
on trouve un tissu fondamental cieusé de glan-
des lacunes que l'on qualifie de vallécuiaires,
parce qu'elles correspondent aux vallécules qni
séparent les côtes saillantes de la surface de la
tige de ces végétaux. Chacune de ces cotes est
renforcée par une masse de tissu collenchyma-
tcux, à parois brillantes. Les espaces sous-épi-
derniiques laissés libres entre les massifs collen-
chymateux, c'est-à-dire dans les régions des
vallécules, sont tapissés de parenchyme herbacé.
Cette description sommaire des principales ti-
ges des Cryptogames vasculaires montre la très
grande variété de types de structure que l'on
est expose à rencontrer dans la tige de ces vé-
gétaux.
Outre cette variété de structure, les tiges des
Cryptogames vasculaires sont caractérisées parleur
mode de ramification, qui, à l'état normal, est pres-
que toujours dichotomique et extra-uxillaire.
IV. Tige des Cryptogames allulaiies. — Les
Mousses et leurs congénères immédiats, les Sphai-
gnes et les Hépatiques, sont les smiles plantes
parmi les Cryptogames cellulaires dans lesquelles
on puisse trouver un organe qui soit comparable
h la tige.
Dans la tige des Mousses les plus élevées en
organisation et les plus compliquées, on trouve
au centre un faisceau ou plutôt un massif d'élé-
ments îi parois minces, que l'on regarde comme
étant l'homologue des faisceaux des tiges que
nous avons vues précédemment. Quant au tissu
extérieur qui enveloppe ce fjisceau.il rappelle tout
à fait ce que nous avons déjà rencontré chez les
Sélaginelles et les Lycopodes.
On applique encore parfois le nom do tige h.
une sorte de colonne centrale que Ion constate
chez les C/mi-a, chez quelques Floridées, chez les
Corallines. Ces soi-disant tiges sont composées de
grandes cellules très larges et très longues que l'on
appelle souvent des si/'/tons. Il n'y a rien dans
l'organisation de ces dernières tiges qui puisse
lappeler, même de très loin, les faisceaux pour-
tant si dégradés dont nous avons signalé l'exis-
tence chez les Muscinées.
Nouvelle théorie de la tige. — Il y a quelques
années, une nouvelle théorie de la tige a été pro-
posée, et jusqu'ici cette théorie a rendu compte de
tous les faits connus. Elle est duc à l'auteur du
présent article ; comme elle est appelée à jouer
un rôle très important dans lanatomie végétale,
nous croyons devoir la résumer brièvement comme
il suit.
L'auteur de cette théorie suppose connu l'en-
semble des règles de développement des fais-
ceaux (V. Tissus végétaux). Il délinit la tige :
Un axe dont les faisceaux primaires sont mo-
noccniros; le centre de développement de chacun
des faisceaux de la tige est compris entre le cen-
tre de figure de cette tige et le centre du faisceau, -
et sur la droite qui joint ces deux points. Le plan
de symétrie des appendices primaires de la tige
passe, à l'origine au moins, par l'axe de cette
tige. . , .
Définie comme ci-dessus, la tige n existe que
chez les Phanérogames; elle existe chez toutes.
Lorsque la tige se dégrade sous l'influence de
la vie aciuatique, ou de la vie humicole, ou de la
vie souterraine, les différents faisceaux de la tige
se rapprochent de l'axe de cette tige et par là
même se rapprochent les uns des autres. Très
o-énéralement, en même temps que ces faisceaux
se rapprochent, ils diminuent comme nombre et
comme quantité de leurs éléments ligneux et li-
bériens. Ce rapprochement des faisceaux d'une
tige de son axe de figure rend compte de la struc-
ture des tiges A'Hutloiàa, a'Hippiiris, de l-î/no-
/ hyllutiu de Cullitndie, d'AdoMi. Dans ces der-
nières plantes, le rapprochement des faisceaux de
l'axe de la tige est poussé tellement loin que les
centres de développement des divers faisceaux
viennent presque coïncider avec le centre de figure
de la lige. . ...
Très fréquemment, la vie aquatique entraînant
la gélification des éléments ligtieux, ceux-ci sont
remplacés par des lacunes; il semble alors que
le système des faisceaux de la tige se réduise à
une masse libérienne criblée de lacunes dans
lesquelles on trouve accidentellement quelques
débris de trachées.
Celte nouvelle disposition nous permet de nous
rendre comi.te des tiges de Potaraogétons, de Zo-
stères, de Cevaiophyilwn, à'Helodea, de iSajns.
Dans les Lemmi, aucune différenciation en élé-
ments ligneux et libériens ne vient frapper le
système des faisceaux de la tige, qui reste loute-
sa vie à l'état ,,rocambv,l. La structure de la tige
des Lemna est la pl.is dégradée que Ion con-
naisse parmi les Piianérogames actuels.
La tige normale des Phanérogames se montre
complètement développée chez les Jecomn, les
Solauées, les Bryones, les Siç/illana et les Po-
roxylons. Ce mode de développement est carac-
térisé par une formation abondante d éléments
ligneux et libériens secondaires aussi bien vers
l'extérieur que vers l'intérieur de la tige One
simpliticaiion de cette manière delre s observe
lorsqu'il y a suppression presque complète du
déve oppement secondaire intérieur des faisceaux
primaires de la lige; comme cela s'ob.erve dans-
les faisceaux pres.iue toujours grêles des ligrs de
Monocotylédonées et dans les faisceaux à dévelop-
pement secondaire exclusivement extérieur de la
■es grande majorité des tiges de Phanerogames-
arboiescentes, lorsque leurs faisceaux sont peu
"Ta'^struaure de toutes les Lianes : Gnétacées,
Cycadées, Ménispermécs, Légumineuses, bapin-
dacées, Nyctagénées, et Monocotylédonées a tiges
croissant en diamètre, est expliquée par la p.o-
duction d'une masse extérieure de tissu fonda-
menul secondaire dans laquelle J« d^;« °PP« ""
plus ou moins grand nombre de faisceaux secon-
daii^s c'est-A-dfre composés exclusivement d'une
zone cambiale produisant du bois secondaire et
du liber secondaire. , „ ■„ „» /io=
Les tiges comme celles des Begoma et des
Irnlu, mil sont caractérisées par l'existence de
laisceanx médullaires à bois primaire extérieur «t
à liber plus près du centre, sont expliquées
parce que ces faisceaux médullaires "•appa''"e>,-
ent pas à la tige où on les rencontre; ce ne sont
nu" des p olongements des faisceaux des bour-
geons axilîdres "de la tige qui viennent s insérer
lur la face interne des faisceaux de cette tige
obéissant ainsi à la règle des anastomoses entre
faisceaux d'âges difl'érenls. Ces laisceaux medul-
TIGE
— 219T —
TIGE
iaires so présentent dès lors avec leur orienta-
tion d'insertion, et cette remarque suffit à expli-
quer tontes les orientations et toutes les réduc-
tions qu'ils peuvent présenter.
Dans les Calycantliéos, les Légumineuses à
feiiillcs fortement stipulées, les faisceaux exté-
rieurs qui se présentent avec une orientation
id('ini(|»o il celle des faisceaux médullaires des
l'.egcnia et des Aralia ne sont que des fais-
ceaux stipulaires.
Dans ce mode d'exposition de la structure de
!a lige, on remarquera combien peu, au point de
vue général, on attache d'importance aux pro- i
ductiuns secondaires des diflérents faisceaux, et
en outre que l'on n'établit aucune différence en-
ire la structure de la tige des Dicotylédonées et
celle de la tige des Monocotylédonées.
En ce qui concerne le parcours des faisceaux
dans les tiges, cette question n'a été étudiée que
pour le cas très simple où tous les faisceaux d'une
tige se rendent dans ses appendices, et où cha-
que appendice ne reçoit qu'un seul faisceau.
Deux cas peuvent se prcsenier : ou bien tous les
faisceaux jouent le même rôle au môme niveau
(disposition verticillée), ou bien les appendices
jouent le même rôle, mais à des niveaux diffé-
rents (disposition spiralée). Lorsque tous les
faisceaux d'une tige jouent le même rôle au même
niveau, si leurs rapports avec les faisceaux voi-
sins i droite et Ji gauclie sont les mêmes, nous
avons la véritable disposition verticillée ; le
nombre des faisceaux est alors de 3, 3, 5, 8, l-l,
",'I, etc., et chaque faisceau résulte de la fusion de
deux branches de même âge issues l'une et l'au-
tre des flancs droit et gauche de deux faisceaux
placés plus bas que celui que nous considérons
et à égale distance de lui.
Dans la disposition des faisceaux que nous
avons qualifiée de spiralée, Is nombre des fais-
ceaux existants qui sortent dans les appendices,
situés entre deux appendices pris sur une même
'.irlhostique, est 2, il, 5, S, 1:J....F. Ces différents
faisceaux sont reliés entre eux et forment des
sortes de lignes spirales qui s'enroulent autour
de la lige. Les nombres de ces lignes spirales, qui
correspondent aux nombres de faisceaux cités plus
haut, sont 1, 2, S, 5, 8, 13.... S. Nous appellerons
cycle le rapport de l'excès du nombre des faisceaux
sur le nombre des spires, au nombre total des
faisceaux. Kn désignant par F le nombre des fais-
ceaux et par S le nombre des spires correspon-
dantes, le cycle, défini comme il vient d'être dit,
F — S
a pour expression générale — = — . D'où les cycles
que l'on obtient en formant la série successive des
cycles sont : |, |, |, l ^, ^.... ~ . Si l'on
pratique une section transversale d'une semblable
tige, lorsque son enroulement est dextre (c'est-à-
dire lorsqu'il a lieu vers la droite d'un observateur
situé au centre de la tige), on a remarqué que le
faisceau situé à la droite d'un faisceau pris pour
origine a comme numéro 1 -)- S, le faisceau origine
portant le numéro 1, et le cycle étant — - — .Le
F
;i™e faisceau à droite de l'origine a comme nu-
méro I + (« — 1) S — 8F, 5 étant un nombre en-
tier et ÔF étant le plus grand multiple de F qu'on
puisse retrancher de 1 -H (?( — 1) S. Ce numéro
indique, pour le faisceau qui le porte, que ce
faisceau sortira dans l'appendice ayant le même
numéro, le faisceau 1 sortant dans le premier ap-
pendice que l'on rencontre en s'élevant le long de
l'axe de la tige.
On remarque en formant le tableau des diffé-
rents cycles que nous avons énumérés ci-dessus,
•que, pour une même plante supposée dextre, selon
que son cycle aura telle ou telle valeur, la spire
génératrice qui passe par l'insertion de tout'-s ses
feuilles semble s'enrouler tantôt vers la droite et
tantôt vers la gauche, de telle sorte que l'appa-
rence extérieure de l'enroulement de la spire gé-
nératrice d'une tige ne permet pas toujours de
juger de l'enroulement véritable des faisceaux de
celle-ci.
Un faisceau quelconque d'une tige spiralée
possède toujours une marche en zig-zag qui est
régie par la loi suivante. Si — = — représente le
cycle de la tige que nous étudions, le faisceau x
de cette tige supposée dextre qui sort dans l'ap-
pendice x naît sur le flanc droit du faisceau qui a
pour numéro a; — S, et sitôt né, il se dirige vers
la droite juscju'à ce qu'il rencontre le flanc gauche
du faisceau qui a pour numéro x — (F — S).
Alors ce même faisceau x revient vers la gauche,
puis au bout d'un certain temps retourne vers la
droite, et les ondulations de cette course en ziij-zag,
si différente de la course verticale que l'on suppo-
sait naguère aux faisceaux, se répètent un certain
nombre de fois. A chai|ue changement de direction,
ce faisceau x rencontre un autre faisceau ; et pour
déterminer à l'avance le numéro de chacun des
faisceaux que peut toucher le faisceau x dans sa
course sinueuse, il suffit de retrancher F — S de
S, puis d'ôter de x l'excès de F — S sur le reste
que l'on vient de calculer; c'est-îi-dire que l'on
retranchera chaque fois de x la différence des
deux derniers restes obtenus.
Les règles que nous venons d'exposer four-
nissent d'un seul coup tous les renseignements
désirables sur l'anatomie de la tige. On remarque
comme conclusion de celte étude que les plantes
spiralées sont dextres ou sénestres; elles sont
dextres quand leurs faisceaux, sitôt nés, se diri-
gent vers la droite; elles sont sénestres dans le
cas contraire.
Les plantes dextres et les plantes sénestres
peuvent se montreravec une apparence extérieure
indifféremment dextre ou sonestre Les limites de
torsion vers la gauche pour chacune d'elles sont
13"°ôl' et 120"; I3T'ôl' étant un maximum et 120°
un minimum. Les limites de torsion vers la droite
sont 144°, qui est un maximum, et l'n°5r, qui est
un minimum. De la symétrie des plantes dextres
et sénestres, surtout dans leurs limites de torsion
vers la droite ou vers la gauche, nous arrivons à
cette conclusion que la cause déterminante de ces
deux sortes de tige, c'est le mouvement de rota-
tion de la terre autour de son axe; car la lumière
seule peut provoquer la torsion des plantes en ra-
lentissant l'accroissement sur la lace de la tige qui
est la plus éclairée. Si, en effet, on se reporte à
une époque géologique ancienne, on voit que toutes
les plantes phanérogames sont verticillées (Sigil-
laires, Calamodendrons, Cordaîtes).
Dans ce qui précède, cette nouvelle théorie de
la tige s'est exclusivement occupée de la struc-
ture des Phanérogames. Pour rendre compte de
la structure des Cryptogames vasculaires, nous
remarquons que l'organe qui représente la tige
chez ces végétaux doit être défini : Un axe dont
les faisceaux primaires sont tous bicentres. Les
centres de développement de chacun de ces fais-
ceaux sont symétriquement disposés de part et
d'autre de la droite qui joint leur centre de figure
au entre de figure de l'organe. Enfin la ramifica-
tion de ces sortes de tiges est exogène, et extra-
axillaire. Les différences que contient cette défini-
tion, comparée à la définition de la tige des
l'hanérogames, sont telles que l'auteur a cru de-
voir renoncer à l'emploi du mot ((7c pour désigner
ces organes, si différents à tous égards des tiges
ordinaires des Phanérogames ; il a choisi le nom
de stipes pour les désigner, et a assigné aux stipes
TIGE
— 2198
TIGE
la définition ci-dessus. Les siipes, définis de ceite
manière , existent cliez tous les Cryptogames
vasculaires; ils n'existent que chez ces vé-
gétaux.
Voici de quelle manière notre tliéorie rend
compte de la structure si variée des divers
stipes :
1° Dans les Psilolum et les Tmésipléris, le stipe
ne présente qu'un seul faisceau bicentre. Les di-
verses brandies provenant de la ramification suc-
cessive de ce stipe, au lieu de s'isoler les unes des
autres dès leur point d'insertion, demeurent unies
entre elles et forment une véritable fiiscialion ;
de là, l'aspect de faisceau polycentro affecté par le
système des faisceaux dans certaines régions de
la partie aérienne du stipe de ces végétaux.
2° Les Sélaginelles n'ont, elles aussi, qu'an
seul faisceau bicentre dans leur stipe ; mais ce
faisceau bicentre peut se diviser, comme dans
la Selagineita denticinatu, ou se compliquer de pro-
ductions secondaire-^ spéciales dues à l'influence
de ce que l'on appelle les /lorte rachies de Cfs vé-
gétaux, comme dans \aSelagi)iella arlorca. Excep-
tionnellement certaines Sélaginelles, comme la Se-
lagini-lla Lijatlii, présentent dans leur partie
aérienne des fuscinlions de stipes si'mblablos à
ceux de la Selayinella denticulata et dans leur par-
tie souterraine des fasciations de siipea compa-
rables à ceux de la Selnginella arhinea.
3" Dans la nature actuelle, les Lycopodes sont
les seuls êtres cliez lesquels le stipe présentant
plusieurs faisceaux bicentres, ces divers fai-ceaux
aient mêm^ centre de figure, lequel centre de
figure commun coïncide nécessairement avec le
centre de figure du stipe. Le stipe de nos Lyco-
podes actuels, quel que soit son degré de compli-
cation apparent, ne possèfle que deux faisceaux.
4° Dans les Sphénopliyllees, dont les Salviyiin
sont les seuls repi ésentants dans la nature actuelle,
représentants du reste absolument dégradés, le
stipe pré>ente encore plusieurs faisceaux bicen-
tres, dont les centres de figure ne coïncident plus
cette fois avec le centre de figure du stipe, mais
sont au contraire symétriquement disposés autour
de ui. Dans lesS«/î;î«îa et les S/'ht-nopliy/Ucm. le
stipe ne présente que trois faisceaux. Dans les
Opliioglosses, le stipe ne présente que d>'ux de ces
faisceaux. Dans les Marsiléacées proprement
dites, le stipe possède quatre faisceaux.
5" Les stipes des Fougères et des Equisétacées
sont dns fasciations de stipes dont chacun possède
plusieurs faisceaux bicentres. — Les lecteurs qui
désireraient avoir plus de détails sur ce sujet trou-
veront toutes ces théories exposées iti extenso
dans les « Archives botaniques du nord de la
France ».
Physiologie de la tige. — D'une manière géné-
rale, la tige doit être considérée comme le support
des parties vertes de la plante, support qui est
en même temps cliargé de disperser et d'écarter
CCS parties dans l'espace ; de plus la tige est le
réservoir commun qui a pour mission de mettre
en communication les diverses parties de la plante ;
c'est ainsi que les matières absorbées par les ra-
cines se rendent dans la tige et sont distribuées
de lîi dans les diverses feuilles, et que, d'autre
part, les produits immédiats élaborés dans les
feuilles et d'une manière générale dans les parties
vertes de la plante rentrent dans la tige, d'où ils
sont expédiés Vfrs les points en voie d'accroisse-
ment et vers les réservoirs nutritifs. Le transport
de l'eau et des matières dissoutes absorbées par
la racine se fait à travers les éléments ligneux, en
pariiculicr à travers les vaisseaux de la tige.
Quant aux principes élaborés, ils circulent dans la
tige h travers les cellules grillagées du liber de
ces divers laisceaux. Du calibre des vaisseaux li-
gneux d'une tige, il est donc possible de prendre
une idée de l'intensité du courant liquide qui |
traverse la plante. A l'article Vèqé'nl, où nous
devons exposer la physiologie générale des végé-
tau.t, nous montrei'ons à quelles conséquences
pratiques conduit l'étude des vaisseaux des diffé-
rentes tiges. I
La tige peut servir d'organe de réserve; presque
toujours alors elle sert en même temps d'organe
de dissémination. Les tiges ainsi transformées ont
reçu le nom de tubercules ; elles comprennent
toutes un tissu gorgé de matières nutritives, tissu
amylifère. tissu nutritif, tissu saccharifère, et
quelques points de végétation vulgairement nom-
més les ijeux du iuheixute. La réserve nutritive
totale accumulée dans un tubercule est générale-
ment beaucoup plus grande que la somme des
quantités de nourriture nécessaire au développe-
ment de chacun des yeux du tuberrule. Chaque
œil et la portion du tissu nutritif qui l'avoisine
peut d'ailleurs être complètement détaché dii
reste du tubercule et planté séparément; il four-
nit un nouveau pied de plante qui est tout aussi
précoce et tout aussi vigoureux que si l'oeil quV
lui a donné naissance n'avait point été isolé. Très
généralement une tige transformée en tubercule
comprend une très large moelle centrale, des
faisceaux périphériques très peu développés, une
couche épaisse de parenchyme fondamental ex-
terne et une couche extérieure de tissu subéreux.
La pomme de terre est un exemple de tiges
transformées en tubercules. Presque toujours la
matière de réserve emmagasinée par la plante
dans ses tubercules est de l'amidon. Très rare-
ment c'est de Vinulme ou du sucre, et plus rare-
ment encore des malières goynmeuses. Lorsque la.
réserve nutritive ecnmagasinée dans un tubercule
est de l'amidon, cet amidon est rendu soluble aa
moment de la végétation de l'œil du tubercule
par un ferment spécial nommé diastase; ce fer-
ment est soluble dans 1 eau, et un gramme d»
diastase suffit à transformer en sucre 200 à
300 grammes d'amidon.
Les rhizomes ou tiges souterraines rampantes de
certaines plantes ne sont qu'une forme spéciale
des tubercules. Leur physiologie est absolument
celle de ces derniers.
Dans quelques plantes, certaines tiges demeu-
rent courtes, globuleuses, presque tuberculeuses;
mais leur point de végétaiion terminal est géné-
ralement entouré de gi'osses écailles charnues qui
sont pour la plupart transformées en organes de
réserve. Ces sortes de tubercules ;\ écailles char-
nues forment ce que l'on appelle des bulbes; ces
bulbes sont dits tuniques quand leurs écailles
embrassent tout le pourtour de la tige, à laquelle
on donne alors le nom de plateau. Les bulbes
sont dits écailleux quand leur insertion sur le pla-
teau est peu étendue.
La tige peut servir d'organe de natation. Pour
remplir ce rôle, elle produit dans son tissu fonda-
mental un grand nombre de lacunes, qui tantôt
communiquent largement entre elles dans toute
retendue de la plante, et qui d'autres fois sont
séparées les unes des autres par des cloisons de
parenchyme étoile. La tige peut encore servir
d'appareil préhenseur (tiges volubilessurlesquelles
nous aurons occasion de revenir h l'article Véijé-
tal). Plus rarement, comme dans les Coral-
lorliiza, les Psilolum, elle joue le rôle d'appareil
absorbant, c'est-à-dire de racine.
En s'aplatissant et en se fasciant, la tige peut
jouer le rôle de feuilles et plus généralement
d'une surface verte.
Par l'atrophie de son point de végétation et lo
durcissement général de tous ses cléments, elle
se trouve fréquemment fansformée en épines, et
sert alors d'organe de défense 'Prunus spinosa)^
[C.-E. Bertrand.]
TISSAGE
21!)9 —
TISSAGE
TISSAGE. — Connaissances usuelles, II-V. —
Los tochnologistos qui chepclionl il remonter \
l'origine djs inventions s'accordent généralement
pour faire lionneur des principi's du tissage h
l'araignée, qui aurait montré Ji l'iionime par ses
travaux ingénieux et patients l'art do produire
avec cette clioso si tenue, si déliée, si fragile,
qui s'appelle un fil, cette clmsc souple et résis-
tante en étendue qui s'appellf, une toile. Fort
bien ! mais l'araignée portait en elle son fil tout
fait, tandis que l'homme dut le faire, et nous cher-
cherions on vain, cioyons-nous, l'animal qui fut le
maître de l'homme en l'art du filage proprement
dit.
D'ailleurs, si les résultats du travail de l'arai-
gnée ont pu donner h l'hmînni' l'iil/i' ili^ la toile,
du tissu, nous savons (|in' n'ii' |i"iiii' niivrière,
si habile qu'elle soit par riNsiiiiri, nVinpluii'. au-
cun des procédés que rijoinnu' a il'-|]uis mis en
usage pour arriver au même but, et dont il f.iut
bel et bien faire honneur h son propre génie in-
dustrieux. L'araignée, filandière nca. et incons-
ciente dans l'acte de cette pro Inction, dispose
d'un fil englué qui adhère par le seul fait du con-
tact. Il en est de même d'ailleurs do tous les fils
dont un certain nombre d'insectes se servent soit
pour former le nid où ils déposent leurs oeufs, soit
pour s'enveloppt'r eux-mêmes, quand vient l'épo-
que de la métcimo-phose. Le tissage de raraigii.ée
et des insectes dont nous venons de parler se
fait, quelle qu'en soit l'ordoniKuico, par simple
contact et superposition des fil.s, aussitôt soudés
l'un il l'autre [lar la glu dont ils sont imprégnés,
tandis que le tissage humain se fait esseniielle-
ment par entre-croisement et interposition des
fils : ce qui dill'érencie du tout au tout le prin-
cipe du travail. Mieux vaut donc, pensons-nous,
si tant est que 1 on tienne ii chercher le point de
départ de l'industrie textile de 1 hmiime, croire
que l'idéo première du tissu résulta pour lui du
tressement des branchages, des joncs ou des ro-
seaux d'Oit il forma presque tout naturellement
la première natte ou la première claie.
Il y a, techniquement parlant, deux familles do
tissus qui sont bien distinctes par la diversité dn
procédé fondamental de fjbricatinn, cl qui, autant
que nous pouvons croire, datent d'aussi loin l'une
que l'autre, car nous les trouvons simultanément
indiquées dans les pins anciens documents hisio-
riques : l'un de ces groupes a pour type ce quo
nous appelons le tricot, produit le plus souvent
par l'entrelacement d'un seul fil se déroulant à
mesure du travail pour se rattacher ou se re-
nouer avec lui-même. L'autre groupe est celui
des éiQlps eji général, produites par un ensemble
de fils tendus parallèlement, qui reçoivent le nom
de chaîne, et avec lesquels s'entre-croisent d une
façon plus ou moins régulière un ou plusieurs fils
flottants ([ui, eux aussi, se déroulent à mesure
du travail, et reçoivent le nom de tram-'. iVous
ne nous occuperons ici que des ouvrages apparte-
nant au second groupe, qui semblent avoir acca-
paré pour eux seuls d'une matiière exclusive le
nom de tissus, auquel, il tout prendre, ont droit
aussi les produits du feutrarje. Nous nous en
tenons donc aux travaux de tissage proprement
<lits, tels que les comprend le langage usuel.
Deux sortes de fils sont employés pour le tis-
■'ige : ceux qu'on obtient en tordant ensemble
ncc plus ou moins d'art les brins d'une matière
végétale ou animale il la fois souple et résistant"^,
comme le coton, le chanvre, le Un et divers poils
d'animaux ; et ceux qu'ont filés, par agglutination
d'une substance qui sort fluide de leur corps,
certains insectes que nous dépouillons il notre
profit des travaux auxquels ils s'étaient livrés
dans un tout autre but que celui de fournir des
matériaux à l'industrie humaine : la soie du
bombyx du mûrier est le plus connu, le plus em-
ployé do ces fils naturels
Étant donnés ces fils de provenance diverse, c'est
en les entre-croisantdans un ordre régulier, métho-
dique, quo l'on produit ce tissu élémentaire,
nommé toile, qui est le type par excellence de
tous les tissus dits unis. Si nous prônons un
morceau de grosse toile et l'examinons minu-
tieusement, en armant au besoin notre œil d'une
loupe, quelle disposition générale remarquons-
nous? Que chacun des fils do la tramo passe par
dessus un fil de la ch.aîne qu'il croise il angle droit,
puis par dessous le fil suivant, pour ren;onter par
d 'Ssns, puis se glisser encore par dessous, et ainsi
de suite ; cetto inarche étant réciproquement sui-
vie par tous les HIs, il en résulte que l'entrelace-
ment des fils qui prorlnit la toile est réglé selon un
ordre unique et constant. Si maintenant nous fai-
sons porter notre examen sur un morceau de cette
grosse .seri/e qui sert il faire les houppelandes des
rnuliers. ou de ce trinl'is dont on fait les panta-
lons d'écurie des militaires, nous verrons que,
au lieu de se chevaucher un par un. les fils, dans
tel ou tel sens, se chevauchent deux par denx ;
nousremar(iuerons d'ailleurs quo l'aspect général
du tissu est modifié par ce changement de dispo-
sition: car pendant que le grain du premier échan-
tillon nous a oITert l'aspfct d'un damier à cases
régulières, symétriques dans toutes les directions,
l'aspect du second, au contraire, nous rappelle
celui d'un cai'relage obtenu avec des briques
ayant une longueur double de leur largeur, et
qui seraient posées l'une dans un sens, l'autre
dans l'autre. C'est le type de toutes les étulfes dites
coi ées ou fuçon-iiei, par opposition au premier
type qui, répetons le, est celui des étoiles dites
U'iies. Tout l'art du tissage consiste donc il faire
ou que les fils s'entrelacent généralem"iit un il
un, ce qui donne une étoffe d'un aspect .absolu-
ment symétrique dans ses moindres détails, ou
bien il faire que cet ordre primitif soit interverti
sur toute l'étendue ou sur quelques points parti-
culiers du travail, ce qui donne une élotTe dont
l'a~pect est plm ou moins diversifié Or, si simple
qu'il l'énoncé puisse paraîtie cette théorie, elle
na o,is moins, depuis que lo monde est monde,
nus bien des cerveaux de praticiens il la torture.
Il est olémentairement facile en effet de produire
ces divers entre-croisements, comme simple opé-
ration uénionstrative. C'e-t ce que font tous les
jours les ravaudeuses de linge : quand elles re-
prennent de.i e/airs, comme elles disent, c'est de
la tuile il l'aiguille qu'elles lissent dans les lacu-
nes do la toile au métier ; mais autre chose est
d'obtenir en grand, et rlans des conditions relati-
vement économiques, les divers lissus qui peu-
vent résulter dos diverses combinaisons de fils.
Voyons donc, tout d'abord, comment opère, de
toute antiiiuité sans doute, l'anisan connu sou
le nom de tisserand, qui fabrique la toile unie.
Son métier est un solide bâtis de bois ayant
forme d'un carré long. A .-haque extrémité est un
rouleau horizontalement fixé à pivots aux mon-
.tants du métier. Les fils qui doivent former ce
que nous avons déjà, appelé la chaîne, et qui sont
eu nombre suffisant pour que, rangés parallèle-
ment, leur ensemble ait la largeur qu'on veut
donner au tissu, ces Ris vont de lun ii l'autre
des deux rouleaux : ainsi se trouve disposé l'élé-
ment longitudinal do l'étoffe, c'est-à-dire que la
chaîne est tendue. Reste il faire quo les fils ou plu-
tôt le fil du sens do largeur enire-croise les pre-
miers, dans l'ordre voulu. C'est ce que lo tisserand
obtiendra, non pas à l'aide d'une aiguille commo la
ravau leiise, mais on se servant d'un petit instrua
ment qui a la forme d'un baCelet pointu des deua
bouts, et qu'on nomme navette (du latin nauis^
bateauj. La navette, qui a un espace creux dans
TISSAGE
— 2200 —
TISSAGE
son milieu, porte une petite bobine, sur laquelle
est enroule le fil de trame, qui devra se dévider
à mesure qu'on fera passer la navette entre les
fils de la chaîne.
Tout le mécanisme, fort simple d'ailleurs, du
métier detisscrand a pour butdassurer un passage
convenable au fll de trame que déroule la navette.
Les montants du métier portent suspendus à
une corde, qui est à cheval sur une poulie, deux
larges peiyni's dont les dents, au lieu d'être ou-
vertes d un Coté comme dans un peigne à che-
veux, sont fermées des deux bouts. Ces peignes on
plutôt ces i^ses, pnnr les appeler de leur nnra
technique, sont delà largeur de l'étoffe h fabriquer,
peuvent monter ou descendre alternativement
selon que l'on tire l'un ou l'autre par le bas: la
descente de l'un motivant l'ascension de l'autre
par un mouvement de bascule analogue :'i ce qui
se passe quand on remonte une horloge à poids.
Chaque dent des lisses porte au centre un petit
anneau; et entre les dents reste un petit espace
libre dans toute la hauteur du peigne. A travers
ces lisses passent les fils qui panetit d'un des
rouleaux pour aller sur l'autre ; mais de façon à
ce que alternativement un fil sur deux entre da'is
l'anneau tandis que son voisin reste dans l'espace
intermédiaire, et que celui qui passe dans l'espace
intermédiaire du premier peigne soit ensuite en-
gagé dans l'anneau du second peigne. Les choses
étant disposées ainsi, on comprend sans peine
que quand les lisses s'élèveront ou s'abaisseront,
chacune d'elles élèvera ou abaissera avec elle la
moitié des fils composant l'ensemble de la chaîne.
Séparées, divisées de la sorte, les denx nappes de
fils devront par conséquent furmer entre elles un
angle aigu, comme feraient les deux branches
d'une longue charnière ou d'une paire de ciseaux.
Pour imprimer aux lisses leur mouvement alter-
natif et contraire, le tisserand se sert de ses
pieds, qu'il pose l'un aprè^ lauire sur deux mar-
ches commandant resptciivenient l'une des deux
lisses par une corde correspondante.
L'angle étant ouvert, le tisserand lance vive.
ment sa navette, de droite à gauche par exemple,
dans l'espace ménagé entre les deux nappes de
fils. En courant, la navette laisse un hl. Puis
l'ouvrier appuie du pied sur celle des deux mar-
ches qui commande à la lisse alors relevée ; celle-
ci s'abaisse pendant que l'autre se relève. Les
fils qui formaient la nappe supérieure tout l'i
l'heure forment maintenant la nappe inl'crieure;
dans ce mouvement de bascule, le fil laissé
par la navette s'est trouvé pris par l'entre-
eroisB'nent des fils de la chaîne. Alors la navette
est lancée de nouveau, retournant sur elle-même,
c'est-à-dire allant de gauche à droite ; nouveau fi!
laissé. Puis les lisses basculent encore, puis la
navette recommence son parcours. Et conlinuelle-
ment ainsi... Ajoutons que le tisserand a devant
lui un troisième peigne à dents régulières et sans
anneaux, engagé dans un cadre lourd. Ce peigne,
qui est également suspendu aux bâtis du métier,
de façon à pouvoir osciller sur lui-même, reçoit
le nom de buttant. Ce nom s'explic|ue par la
fonction môme de cet organe, avec lequel l'ouvrier
bat ou frappe pour serrer le travail du tissu.
Nous connaissons maintenant le procédé de fa-
brication de toutes les étoffes dites unies, depuis
la grosse toile à bâche ou à voile jusqu'à la plus
fine mousseline, depuis le plus riche taffetas de
soie jusqu'au vulgaire pudou à deux centimes le
mètre.
Notons cependant que beaucoup de tissus d'as-
pect varié peuvent être dus au tissage à entre-
croisement régulier et parfaitement symétrique.
Ce sont ceux dans la fabrication dos(|uels on a
fait intervenir des fils teints de diverses couleurs,
combinés de manière à produire ce que les in-
dustriels appellent des dispositions, comme par
exemple dans les étoffes diies écosse^ifes. Tout
d'abord, pour la fabrication de ces étoffes, il y a
un travail préparatoire dit d'ow'/issage, qui con-
siste à placer sur le rouleau de chaîne les fils
colorés dans un ordre voulu et indiqué. Au tis-
sage, ensuite, le tisserand emploie snccessivement
plusieurs navettes portant chacune un fil de cou-
leur diflerente. 11 doHue tant de coups avec
l'une, tant de coups avec l'autre ; et sans qu'il soit
rien changé à la marche du métier quant aux
mouvements des lisses dirigeant les fils tle chaîne,
ni aux allées et venues des navettes déposant le
fil de trame, l'étoffe obtenue n'offre pas moins
aux yeux un d'Sam qui la différencie de l'étoffe
unie, pour laquelle on n'a employé que des fils
teints d'une seule nuance.
Revenons maintenant à notre second type de
tissus, où, comme nous l'avons ohservé, les fils
ne s'entrelacpnt plus dans un ordre aussi absolu-
ment symétrique, et où nous avons vu par exem-
ple que des fils clievauchaieut deux par doux.
Imaginons, pour commencer, un métier de tisse-
rand qui, au lieu d'avoir deux lisses seulement, en
aura trois : chacune de ces trois lisses Comman-
dera au tiers des fils. Qii'arrivera-t-il, si à chaque
coup de navetie nous ne faisons monter qu'une
seule des trois lisses? que l'angle où s'engage la
navette sera formé d'une nappe supérieure com-
prenant nn tiers des flis de la chaîne, et d'une
nappe inférieure en comprenant les deux autres
tiers. Et si, la navette passée, nous rabaissons
cette lisse pour en faire monter une autre, le fil
laissé par la navette ne seraemprisonné que par un
sur trois des fils qui forment la chaîne au lieu de
l'être par un sur deux II passera donc par-dessus
deux fils avant qu'un fil le recouvre. De là cet
aspect non régulier que nous remarquons dans
la serge et dans le treillis. Et si au lieu de donner
au métier trois lisses commandant par tiers les
fils de la chaiiie, nous en mettons quatre, cinq,
dix, douze, les commandant par quart, par cin-
quième, par dixième, par douzième, en les fai-
sant successivement s'abaisser ou se relever
d'après un ordre éiudié, il est évident que nous
pourrons obtenir dans l'entre-croisement des fils
de chaîne et di-s fils de trame un certain nom-
bre de combinaisons qui donneront à l'ctofîe un
aspect particulier. C'est exclusivement ainsi,
d'ailleurs, (|ue furent longtemps obtenui'S certaines
étoffes mivragées, dont nous citerons pour exem-
ple le linge de table dit à petits damiers, à œil de
per'/rix. et des Idinàge^dils k grains.
On voit que tout l'art du façonnement des
étofl'es consiste à cacher plus on moins de fils
longitudinaux avec les fils latiiudinaux, et vice
versa, selon le dessin que l'on veut former ; en
d'autres termes, il s'agit simplement de taire que
lors du passage de la navette tels ou tels des fils
de Ict chaîne soient levés ou abaisses, pour que le
fll que laisse la navette qui va et vient les cou-
vre ou en soit couvert. Ni plus ni moins.
Il semblerait donc qu'en multipli^mt à l'infini la
nombre des lisses, et en combinant, en réglant le
mouvement des pédales qui Ks commandent,
il doit être possible d'obtenir des étoffes de
tous les aspects et de toutes les contextures,
reproduisant tous les dessins qui sont tradui-
sibles par l'entre-croisement de fils de même
nuance ou teints de diverses couleurs. En théo-
rie, rien de plus rationnel; mais il n'en est pas
de même dans la pratique. N'oublions pas que le
tisseur doit faire manoeuvrer les tisses en appuyant
successivement le pied sur les diverses pédales
qui les commandent. A grand renfort d'attention
il arrivera peut-être à manoeuvrer ainsi jusqu'à
douze, quinze ou vingt de ces pédales dans l'ordre
voulu; mais rem^irquons d'abord que chaque coup
TISSAGE
— 2201 —
TISSAGE
do navotto et de lisse n'avance le travail que de
l'épaissiMir d'un (il; il nous sera ensuite facile de
reconnaître, par l'examen de quelques étofl'es ou-
vrac;(5es, qu'il y a des dessins dont le sujet, la dis-
position exacte ne se répète qu'à une distance de
trente, ciTiiiuante, cent, mille, deux mille fils. Il
faudrait donc adapter au métier trente, cinquante,
cent, mille, deux mille lisses, et autant de pédales
pour les commander Outre que ce serait là une
proini6ro impossibilité matérielle, il tombe sous
le sens que le pied, ou môme l'œil de l'ouvrier, ne
saurait,ne pourrait se reconnaiire dans cette forêt
de leviers. On n'a doncjamais pu songer à multi-
plier beaucoup le nombre des lisses et des péda-
les ; et l(mgicmps, bien longtemps il s'en est suivi
que la fabrication courante des étoffes ouvragées
a dû restreindre le champ de ses prétentions en
limitant l'étendue du dessin à reproduire, do telle
sorte qu'il ne comportât qu'un nombre borné. de
coups de navette entre deux retours à la môme
disposition ou combinaison des flis.
Toatefois,à dos époques de beaucoup antérieures
à la merveilleuse invention qui, au commence-
ment de notre siècle, est venue changer du tout
au tout l'art du tissage façonné, nous trouvons
des étoffes ouvragées qui, portant des dessins lonqs,
semblent n'avoir pu être fabriquées qu'à l'aide d'un
nombre considérable de lisses et de pédales. Ces
tissus qui, vu la délicatesse et la lenteur de leur
production, restaient toujours d'un prix fort élevé,
étaient fabriqués sur des métiers dits à la tire.
Ce métier était ainsi nornmé parce que, à chaque
coup de navette que donnait le tisseur, un ou
même plusieurs servants du métier, enfants, fem-
mes, vieillaÊ'ds, étaient chargés de tirer des cor-
des ou lacs disposes de façon à commander tels
ou tels fils de la chaîne qui devaient être levés.
Les tireurs de lacs avaient devant eux un indica-
teur qu'ils lisaient en quelque sorte à chaque
coup de navette, et ils tiraient des lacs en consé-
quence des indications. Outre que les fonctions
de tireur de lacs exigeaient de la part de celui qui
les remplissait une attention soutenue, car il de-
vait observer à la fois son indicateur et les mou-
vements de l'ouvrier tisseur, cet utile auxiliaire
devait encore, par suite d'une disposition malheu-
reuse, nous serions tenté de dire inhumaine du
métier, opérer les efforts qu'exigeait le tirage des
cordes en gardant les plus gônantes ou fatigan ■
tes postures : aussi dans les centres industriels
qui, comme Lyon par exemple, produisaient les
riches, les magnifiques étoffes façonnées, comptait-
on une majorité de personnes contrefaites parmi
les tireurs de lacs qui étaient presque tous au
moins d'une santé chétive.
Enfin Jacquard vint, qui, reprenant et perfec-
tionnant, dit-on, une idée d'abord émise par Vau-
canson, ouvrit pour le tissage d^s étoffes ouvragées
une ère de progrès inouïs; car non-seulement son
invention réduisit à la plus grande simplicité le
mécanisme de inouveiueiit des fils de chaîne, mais
encore permit de réaliser toutes sortes de combi-
naisons qui restaient impossibles môme par la
plus grande complication du métier à la tire;
tout cela, bien entendu, en rendant le travail beau-
coup plus rapide et plus économique, puisque du
même coup la suppression des tireurs de lacs
réduisait le personnel employé à la manœuvre du
métier et débarrassait l'opération de cette le'twe
incessante de l'indicateur qui en ralentissait sin-
gulièrement la marche.
A bien prendre, l'invention de Jacquard est, com-
me la plupart dos grandes inventioiis, d'une sim-
plicité en quelque sorte élémentaire ; mais elle
est beaucoup moins facile à déciire qu'à compren-
dre avec un appareil sous les yeux. Nous essaie-
rons tnutelois d'en exposer aussi clairement que
possible les dispositions, et peut-être réussirons-
nous à en faire concevoir le mécanisme à ceux de
nos lecteurs qui voudront bien lire attentivement
les lignes suivantes.
Jac<|nard a imaginé de placer au-dessus des mé-
tiers nm' boîte sans fond, ni couvercle, ou plutôt
nu large cadre à l'intérieur duquel sont rangées
verticalement par lignes, comme dos l'usées dans
une caisse d'artilice, autant do baguettes de mé-
tal, recourbées en crochet par le haut, qu'il y a de
fils à la chaîne de l'étoffe ; chacune de ces baguet-
tes correspond à l'un de ces fils par une corde-
lette qui porte un anneau où s'engage le til, et
qu'un petit contre-poids maintient tendue. Dans
la caisse, devant les lignes de baguettes, un peu
Cil contrebas des crochets qui les terminent, sont
placées des lames reliées par un bout, qui s'élèvent
toutes ensemble par le fait d'un levier que com-
mande l'unique marche ou pédale du métier. Ces
lames, en s'elevant, peuvent s'engager dans les
crochets et par conséquent soulever les bagtettes
qui, par suite, souièveront les fils de la chaîne
auxcpiels elles correspondent. Mais tous les fils
ne devant pas être soulevés à la fois, il fallait
faire en sorte que les lames en s'elevant ne s'en-
gageassent pas dans tous les crochets.
Mais tous les crochets sont susceptibles d'être
dérangés, repoussés pour échapper au soulève-
ment des lames, et voici comment : à chaque
baguette verticale est attachée, dans la caisse
même, une tige de fer verticale dont le bout
sort un pou de la partie supérieure de la caisse.
A l'endroit où les bouts de ces tiges se présen-
tent en bataillon serré, vient, à chaque pulsation
du métier, battre un bloc de bois quadrangulaire»
percé sur ses quatre faces d'autant de trous, cor-
respondant exactement, aux tiges, qui peuvent y
pénétrer. A chaque coup do navette donc, toutes
les tiges pénétreraient dans les trous du bloc si
rien ne s'interposait. Mais à chaque coup de na-
vette vient s'interposer sur le bloc une feuille de
carton qui a été percée de plus ou moins de trous
correspondant en même temps aux trous du bloc
et h telles ou telles des tiges de fer. Alors, par-
tout où les tiges rencontrent un vide elles pénè-
trent dans le bloc, et les baguettes verticales aiix-
quelles elles correspondent n'étant pas dérangées
de leur position normale, sont enlevées par la
lame, et les fils de chaîne que ces baguettes com-
mandent sont soulevés ; tandis que si les bouts
de tiges portent sur un endroit plein du carton,
j ils font dévier, reculer la baguette verticale, dont
le crochet échappe la lame qui monte : et ce sont
autant de fils dL chaîne qui ne so trouvent pas
' soulevés.
A chaque coup de navette la feuille de carton
change, parle fait d'un quart d'évolution du bloc
qui la présente, ce qui permet d'en augmenter le
nombre à volonté, et par conséquent de produire
toutes les combinaisons d'entre-croisement imagi-
nables sans s'inquiéter trop de la limgwiif du
dessin, l'ourcertainos étolTes richement ornemen-
tées, on emploie quelquefois jusqu'à plusieurs mil-
liers de cartons : mais eu moyenne c'est par cen-
taines qu'on les compte.
Une fois l'appareil Jacquard installé sur un mé-
tier, tout se réduit donc à percer convenablement,
selon le dessiii qu'on veut produire, autant de
feuilles de carton que l'ouvrier doit donner de
coups de navette avant que la même combinaison
de fils so représente dans le tissu qu'il exécute.
L'artisan chargé de percer les cartons s'appelle
le liseur : il opère guidé par une mise en ca7-ie,
c'esl-à dire par une traduction du dessin à repro-
duire, faite sur un papier quadrillé qui est analo-
gue, k celui où se peignent les modèles de broderie,
et dont chaque ligne correspond à un fil du futur
tissu.
Si nous avons su faire comprendre le système
TISSUS
— 220-2 —
TISSUS
de Jacquard, on doit voir quelles immenses res-
sources il a fournies aux arts textiles, qui. depuis
que cette invention est connue, ont d'ailleurs réa-
lisé tout un monde de merveilles. Simple et sûr,
facile et expéditif.le sytcmo Jaci|uard a Été peu à peu
appliquée tous les genres de tissage qui n'ont pas
pour but de produire une étoffe absolument unie.
Pendant que sur le bloc de tel métier donnant
l'étoffe à dessins magnifiques, les cartons percés
se succéderont en nombre infini, sur tel autre
métier donnant le simple tissu croisé ou légère-
ment ouvragé on n'en verra que quelques-uns,
dispensant le tisseur de toute manœuvre des pé-
dales, qui, si simple ou régulière fût-elle, ne lais-
sait pas de compliquer et de retarder singulière-
ment le travail.
Avons-nous besoin de faire remarquer que quel-
que magnifiques résultats que puisse donner par
lui-même le système Jacquard en tant que favori-
sant les combinaisons que nous serions tentés d'ap-
peler matérielles du tissage, c'est généralement
en y adjoignant la puissante ressource des com-
binaisons de nuances qu'on obtient les plus
somptueux tissus de grand luxe, aussi bien que
les innombrables et très économiques étoffes de
pure fantaisie qui sont aujourd'liui accessibles à
toutes les bourses.
Aujourd'hui d'ailleurs presque partout, au moins
pour les tissus de grande consommation, au tissage
à la main s'e-t substitué le tissage automatique,
qui accélère beaucoup la production, mais qui n'a
rien changé aux principes normaux de l'opération.
Pour ôtre mû par la vapeur au lieu de l'être par
le tisserand, le métier n'a perdu aucun de ses or-
ganes primitifs et essentiels. C'est toujours une
chaîne dont les fils sont soulevés dans l'ordre vou-
lu, toujours une navette qui passe en déroulant
la trame, toujours un battant qui frappe pour
Eerrer l'entre-croisement des fils.
Nous ne saurions énumérer ici les diverses sor-
tes de produits qui sont dus à l'industrie textile
en général, et qui tons peuvent être ramenés à
l'un des deux groupes que nous avons d'abord si-
gnalés; nous devons cependant mentionner à part
certains tissus qui, sur un premier examen, sem-
bleraient n'appartenir à aucune de ces catégories:
nous voulonsparler du velours, pelucheset autres
étoffes poilues. Pour la production du velours le
métier reçoit deux chaines que les lisses manœu-
vrent simultanément. L'une de ces chaînes sert
au tissage proprement dit et forme le corps de
l'étoffe en s'entrc-croisant avec la trame ; l'autre
se replie en boucles, autour d'une petite tige de
métal qu'à cliaque coup de navette l'ouvrier
glisse sou* les fils soulevés. Si, la tige retirée, on
laisse la boucle formée, on a ce qu'on appelle de
l'épingle; on la fend dans toute sa largeur à l'aide
d'un petit rasoir qu'on fait courir sur la lige restée
dans la boucle, quand on veut avoir du velours or-
dinaire, dont le ),oil se trouve ainsi formé d'une
multitude de petits pinceaux rapprocliés et de
même longueur. Notons que dans le velours de
coton, si employé pour les vêtements populaires,
c'est non une chaîne, mais une trame spéciale qui
produit les boucles ou cannelures, que l'on fend
ensuite en longueur à l'aide d'une sorte d'épée,
pour avoir le poil. L'étoffe pelucheuse qui sert
à fabriquer les chapeaux dits de soie est un satin
i double chaîne, La seconde chaîne, tissée en/Zo/-
lage, est aussi coupée par un procédé particulier,
et ainsi des autres tissus analogues.
[Eugène Muller."]
TISSUS. —Zoologie, XXXI. — Les phénomènes
de la vie apparaissent tout d'abord à l'observateur
comme se divisant en deux catégories: les uns,
superficiels, pour ainsi dire, et qui frappent d'a-
bord le regard, appartiennent à la physique et à la
cliimie, c'est-à-dire en dernière analyse à la mé-
canique, et ne diffèrent en rien de ceux que pré-
sentent les corps bruts. Par exemple la respiration
et la production de la chaleur organique sont
identiques aux combustions de nos foyers. Les
autres, au contraire, plus intimes, plus caractéris-
tiques de la vie, semblent ressortir \ un ordre
spécial, étranger aux lois physico-chimiques. Cette
distinction n'est qu'apparente; une observation
plus attentive et une vue plus profonde de la vie
nous révèlent que l'empire de ces lois est aussi
absolu dans le domaine de la physiologie que dans
le monde inorganique : pas de phénomène qui ne
soit un phénomène de mécanique. Mais un trait
distingue pourtant le monde de la vie : c'est que
ces phénomènes, identiques à ceux que présen-
tent les corps inorganisés, sont ici piovoqués et
dirigés par un principe et par une direction spé-
ciales. i< Le corps, a dit excellemment M. Paul
Bert. esl le verre du chimiste ; mais la vin est le
chimiste même qui pré/^are la conditions des
phé'iomé?ies . » Et sans entrer ici dans le débat
des doctrines et des hypothèses, nous tenons sim-
plement, au début de cette étude, à bien marquer
que cette direction cachée est le propre de la vie,
encore bien qu'elle ne se révèle qu'à travers les
lois de la mécanique générale.
Cette propriété caractéristique appartient à la
matière organisée et n'appartient qu'à elle, sous
quelque forme qu'elle se présente. '
Ces formes sont nombreuses. En procédant du
simple au composé, le premier degré d'organisa-
tion, la forme la plus rudimentaire do la matière
vivante est celle que l'on nomme la su''Stance no>i
fiijurée : ici pas de forme, pas de granulations,
rien, pour ainsi dire, que le suOstratum élémen-
taire de la vie. Au second degré, cette substance,
d'informe et d'amorphe, est devenue figurée ; elle
présente quelques stries, ou qu'-lques granulations
dune prodigieuse finesse. Mais ce n'est encore là
qu'un état passager, une forme transitoire. La vie
réelle, avec la complexité de ses phénomènes, ne
commence qu'à la cel u'e. La cellule est la base de
toute organisation, l'élément primordial de tous
les corps vivants ; c'est en quelque sorte la véri-
table unité anatomique. Tout organisme vivant
n'e t qu'tine agglomération de cellules.
Ainsi l'élément anatomique proprement dit est
un élément cellulaire. Le groupeutent, la juxta-
position de cellules, d'une seule espèce ou de plu-
sieurs espèces diverses, forme un tissu. Pour
étudier chaque tissu séparément, dans sa struc-
ture et dans sa physiologie, nous sommes donc
conduits à étudier la ou les cellules qui le consti-
tuent.
Disons d'abord un mot de la cellule en général.
Une cellule parfaite est formée de plusieurs
parties distinctes, au nombre de trois: 1° une
membrane limitante, ou membrane d'enveloppe,
très mince et parfois difficile à apercevoir ; 1° un
contenu protoplasmiquc, granuleux, 3° une petite
masse centrale ou noi/au.
Ainsi formé, cet élément anatomique manifeste
sa vie par divers phénomènes : d'abord par la nu-
trition. 11 se nourrit par endosmose, mais une en-
dosmose qui n'a rien de fatal, dirigée par un certain
choix, acceptant telle substance et en repoussant
d'autres. Ensuite, par la reproduction ; des cellules
nouvelles naissent de la segmeniation successive
du contenu de la cellule more. Enlin par ses fonc-
tions; c'est ainsi que la cellule nerveuse sert à la
fonction do sentir ou de penser, que la cellule
musculaire se contracte, que la cellule glandulaire
sécrète, etc. Ajoutons que la cellule ne fonctionne
qu'un temps variable, puisqu'elle se transforme,
meurt et disparaît, remplacée par uue cellule plus
jeune.
Ces considérations générales étaient nécessaires
pour établir au début de cette étude les propriétés
11
TISSUS
2i03 —
TISSUS
communos h tous les cléments anatomiques, com-
munes |iai' conséquent à tous les tissus.
Entriin^ maintenant dans l'étude particulièro de
chaque tissu. .Nous en compterons si\ : le tissu
nerreu.r, le lissit osseux, le tissu musculuire, le
tissu l'fiillirliat, le tissu conjonctif. et le sayit/.
1° Tissu nerviîi x. — Nous renvoyons le lecteur
à l'article Si/sirme uerveur, où il trouvera suf-
fisamment détaillées la structure anatomique et
les propriétés de ce tissu.
2» Tissu o.sseu.x. — Nous avons dit, àl'ariicleSf/îje-
lette, que le squelette csseux est la transforma-
tion calcaire du squelette cartilagineux du fœtus.
Ceci nous amène à considérer d'abord le cartilage.
Le cartilage se compose de deux clémenis:
1° une cellule, la cellule i-artitnginense ou clion-
droplaste, spliérique ou polyédrique, très volumi-
neuse (1/10 de mm.', et possédant un noyau;
3" une substance intercellulaire firisâtrc, tantôt
amorphe, tantôt fibreuse, toujours dure, élastique
et résistante. Particularité inqjortante, le cartilaue
ne possède ni vaisseaux ni nerfs, et se. nourrit
par imbibition. Traitée par l'eau bouillante, la
substance intercellulaire se dissout, et se trans-
forme en cliondrine et en gélatine, tandis que les
cellules résistent, manifestant ainsi une nature
chimique différente.
Comment s'opère la transformation du cartilage
en os'? On voit d'abord les cellules cartilagineuses
ou chondroplastes se ranger en séries régulières
aux environs du point où va naître l'os. Bientôt,
en co point, apparaît la substance fondamentale,
calcaire, de l'os, qui s'avance par traînées entre
les chondroplastes, envahissant la substance du
cartilage. A ce moment, les chondroplastes, noyés
dans la masse calcaire, se rétrécissent, se rident,
se munissent do prolongements déliés qui vont
se ramifier et s'anastomoser avec les prolonge-
ments des cellules voisines: cette transformation
crée la cellule osseuse, ou oHéobluste. Dès lors
l'os est formé. Il possède ses deux éléments fon-
damentaux, l'ostooblaste. ou cellule osseuse, petite,
irrégnlière, munie de libres ténues et creuses, et
la substance osseuse, intercellulaire. Bientôt, en
certains points, cette substance se résorbe, dispa-
raît, créant de longs trajets sinueux, où se logent
les vaisseaux nourriciers de l'os.
Lorsqu'on examine au microscope une coupe
enlevée à un os encore frais, on est frappé de
l'ordre dans lequel sont rangés les ostéoblastes :
ils sont disposés en lignes concentriques autour
d'une sorte de trou noir, qui n'est autre chose que
la coupe d'un canalicule sanguin (canaux de
Havers).
On verra, en se reportant h l'article Squelette,
quelle est la composition chimique du tissu os-
seux. On trouvera IJi .lussi la description des trois
variétés do structure osseuse : compacte, spon-
gieuse et réUculiiire : nous n'avons donc pas il
revenir sur ces points déjà traités, non plus que
sur le rôle du périoste, suffisamment décrit dans
le mémo article. Disons seulement que la moelle.
contenue dans le corps des os longs, est consti-
tuée par deux éléments bien distincts, mais dont
les proportions sont dans un rapport variable
d'abord des cellules propres, nommées les médul-
locales, grandes, sphériques, munies d'un noyau;
ensuite des vésicules remplies de graisse liqui-
de.
;)° Tissu MUSCULAIRE. — Le tissu musculaire se
présente sous deux formes bien différentes, et qui
doivent être étudiées à part. Les muscles en effet
sont de deux ordres : les muscles lisses, ou mus-
cles de la vie organique, et les muscles striés, ou
muscles de la vie de relation.
A. Musrli-s lisses. — Ces muscles sont placés
dans les parois des viscères (vessie, intestins, uté-
rus, poumons, etc.) ou dans les canaux qui y
aboutissent (bronches, vaisseaux sanguins, ure-
tères, urètlire, canal cholédoque, etc.). Ils
contribuent à former les appareils de la di-
gestion, de la sécrétion urinaire, de la circula-
tion, et enlin les conduits excréteurs des glan-
des. Leur physiologie est toute spéciale. Ils
forment en effet un ensemble d'organes contrac-
tiles, dont la contraction n'est point soumise à
l'empire de la volonté ; ils fonctionnent automati-
quement, en vertu d'un mécanisme unique, celui
du mouvement réflexe. Ils constituent dans l'or-
ganisme animal un domaine soustrait au gouver-
nement du moi, étranger à la vie volontaire et,
dans une large mesure, k la conscience, dont les
(onctions ne peuvent être ni provoquées, ni en-
rayées par la volition, mais sont réglées par un
mécanisme spécial. La bouchée de pain qui a
franchi l'isihme du gosier écliappe désormais à
notre empire, et, de ce moment jusqu'à celui où
elle sera éliminée de notre tube digestif, elle exé-
cute un long voyage dont chaque étape est déter-
minée en deliors de notre vouloir, et sur le trajet
ou la rapidité duquel nous ne pouvons influer en
rien.
Les muscles lisses sont uniquement constitués
par des fibres contractiles. Ces fibres se présen-
tent sous la forme de cellules ovales extrêmement
allongées, aplaties, d'une longueur qui varie en-
tre 0""",0.> et l)min,'20, et d'une largeur cinq fois
moindre. Ces cellules, p<âles et munies d'un noyau
ovnide, se juxtaposent pour former les faisceaux
du muscle.
Chacune de ces fibres, prise isolément, possède
kl propriété de se contracter, c'est-à-aire de pas-
ser de sa forme allongée et mince h la forme ren-
flée et courte. La limace (|ui se gonfle et se rac-
courcit, puis s'allonge en s'amincissant, repré-
sent ■ assez bien le mécanisme de la contraction
do la fihre-cellule.
Mais ce qui est à noter c'est que, dans la fibre
lisse, le passage de la forme n" I à la forme n° 2
n'est pas subit, comme dans la fibre striée, niais
au contraire extrêmement lent. La contraction
d'un muscle lisse demande donc toujours un cer-
tain temps pour s'opérer.
B. Muscles striés. — Ces muscles, situés pour
la plupart à la surface de l'organisme, sont les
organes actifs de la Irjcomation. Ils sont en général
groupes et disposés autour des leviers osseux,
s'attachent à ces leviers, et les meuvent en sens
divers en se contractant tour à tour. Us entrent
en mouvement sous l'influence de la volonté, aux
ordres de laquelle ils obéissent avec une rapidité
instantanée.
Un muscle strié se présente sous la forme de
faisceaux de fibres. Chacune de ces fibres, habi-
tuellement prismatique, est contenue dans une
gaine transparente (sarcolomme). IWais ce qui
frappe tout d'abin-d, c'est l'apparence s^-iVf de la
fibre : elle est comme composée de disques alter-
nativement sombres et clairs empiles l'un sur
l'autre. tUe possède la propriété de se con-
tracter, c'est-à-dire de se raccourcir en se renflant,
et communi(|ue cette contractilité aux faisceaux et
au muscle tout entier.
Le muscle s'use, comme tout organe, lorsqu'il
fonctionne, c'est-à-dire lorsqu'il se contracte :
mais il s'alimente, il se nourrit pendant qu'il ne
se contracte pas. C'est ainsi, par exemple, que le
cœur se repose et se nourrit 1"2 heures sur ;24,
dans l'intervalle de chaque contraction.
Dans l'atrophie des muscles, dans la paraly-
sie, etc., la fibre constitutive se résorbe, subit la
dégénération graisseuse, et il ne reste plus que
l'enveloppe, le sarcolomme. vide et chitTonné.
L'étude de la physiologie musculaire est do-
minée par ce fait capital que le muscle peut
changer de forme et se prése^nter sous doux états
TISSUS
2204
TISSUS
difforents, le premier appelé généralement état
<le repos, où le muscle est détendu et mince, le
second, état actif, oùil est renflé, raccourci, con-
Iradé.
Examinons d'abord les phénomènes physiques
et chimiques qui s'opèrent dans le muscle au re-
pos, pendant l'état que nous nommerons l'état
n° 1.
Que l'on ne se représente pas cet état comme
absolument inerte et passif. Loin de K\ : le mus-
cle jouit alors d'une grande tonicité, ou mieux
d'un" grande élasticité En d'aulres termes un
muscle soi-disant nu repos, si détendu qu'il sem-
ble, est encore éiiré au delà de sa longui'ur natu-
relle, et si l'on conpait l'un de ses tindons, on le
verrait subir une rétraction légère. Celte tonicité
ressemble exactement à celle d'une bande élasti-
que légèrement tendue, et ne doit pas être con-
fondu", avec la contractilité, dont nous parlerons
plus bas.
Sous cette forme n" 1, le muscle vit et s'alimente;
sa composition chimique e^t dans un état de per-
pétuel changement. Il absorbe de l'oxygène et dé-
gage de l'acide carbonique, en un mot il respire.
Détaché de l'os et placé sous une cloclie, il conti-
nue à manifester ce phénomène respiratoire par
l'altération graduelle de l'atiuosphèi-e de la cloche
qui s'appauvrit et se vicie. Cette nutrition et cette
desassimilation du muscle au repos e^t attestée,
sur l'animal vivant, par la différence de couleur et
de coinposition entre le sang artériel qui entre
dans le muscle, et le sang veineux qui en sort :
ce dernier est moins rouge, plus pauvre en oxy-
gène, et contient un peu d'acide carbonique.
Nous allons voir ces divers phénomènes se mo-
difier quand le muscle passe à l'état de contrac-
tion.
Le muscle, dans cet état n" î, a perdu les 5/6
noir. Au contraire, quand aucune contraction
musculaire n'a lieu (syncope, sommeil, etc.), le
sang veineux revient presque rouge.
On voit l'importance du travail musculaire sur
les phénomènes intimes de la respiration. C'est
surtout le muscle qui est le théâtre de la trans-
formation de l'oxygène et du carbone en acide
carbonique, et de l'élimination de ce dernier. En
ce sens, on peut dire que pour « respirer » il ne
suffit pas d'aspirer de l'air mais qu'il faut utiliser
cet air, et, pour cela, faire travailler la masse
muscjlaire. De là l'utilité de l'exercice et de la
gymnastique, naturelle ou artificielle, pour entre-
tenir ce mouvement de régénération et de des-
truction perpétuelles qui n'est autre chose que la
vie. Parla encore s'explique ce qu'on a appelé la
« douleur de l'immobilité » et le besoin absolu
(mêine pendant le sommeil ou la distraction) de
changer de position ou de place, sous peine de
donner aux muscles, qui ne respirent plus suf-
fisamment, un commencement d'asphyxie.
Quels sont les matériaux dans lesquels le muscle
puise le carbone nécessaire à sa combustion ? On
avait cru longtemps qu'il les puisait dans les ali-
ments que Liebig a qualifiés de /j/as'îi/î'es, e'est-à-
dire dans les aliments a/izimtnoidfs (viandes), et
nullement dans les hydrocarbures (sucres, grais-
ses, alcools), dont la combustion paraissait spécia-
lement destinée à fournir la chaleur animale.
Les travaux de Tyndall, de Rumford , de
Mayer, etc., sur les équivalents mécaniques de la
chaleur, inspirèrent des doutes sur la théorie de
Liebig. Ces travaux en efl'et montrèrent que cha-
leur et travail sent une même chose, ou du moins
deux choses équivalentes, et qui peuvent se trans-
former l'une en l'autre. Or le muscle n'est
qu'une machine, mais une machine plus parfaite
que les autres, qui transforme en travail la cha-
de sa longueur primitive: en revanche, il est gros, ! letir produite. Le travail musculaire n'éiant que
renflé, globuleux. C'est là ce que l'on constate de la chaleur transformée, il était natiirel de pen-
ur un muscle dont l'une des extrémités est déta- ser que pour le produire, le muscle dépense, non
chée de l'os, et qui est libre, par suite, de se ré-
tracter au maximum. Si l'on palpe ce muscle, on
est surpris de le trouver très mou, et pnrf'aite-
ment élnstiq-e, c'est-à-dire facile à étirer, mais
revenant exactement à sa dimension première
sa propre substance, mais bien les aliments hy-
drocarbonés, véritables sources de la chaleur, et
qu'il n'est, en somme, que le théâtre où ces ali-
ments viennent se brûler pour produire chaleur
et travail : exactement comme la locomotive brûle
Pourtant nous observons sur nous-mêmes qu'un j son charbon pour produire du mouvement.
muscle contracté (le biceps par exemple) est très
_^ Des expériences directes etcélobres confirmèrent
dur, et résiste à la tractiôn.'^C'est que sur l'ani- ] de point en point cette vue remarquablement
mal vivant, le muscle n'est pas libre d'atteindre profonde de la physiologie animale. Il est aujour-
son maximum de rétraction (les 5/6 de sa Ion- d'hui acquis à la science que la masse musculaire
gueur) ; ses attaches osseuses lui permettent tout consomme, non de la viande, mais des sucres et
au plus un raccourcissement de 1/6 ou 2/6; en un ; des graisses : les herbivores, qui ne s'alimentent
mol. pendant la vie, l'état n° 2 n'est jamais par- ' que d'hydrocarbures, possèdent une musculature
faitement réalisé, et le muscle est violenté, étiré, \ plus puissante que celle des carnivores. L oiseau
tomme nous avons vu qu'il l'est aussi dans l'état , granivore est relativement plus agile et plus fort
n" 1 : il est semblable à un câble do caoutchouc ! que l'oiseau de proie; enfin parmi les insectes,
fortement tendu. — En d'autres termes, dans ' dans une même famille, ceux qui vivent d aliments i
l'état n" 1 parfait, comme dans l'état n» 2 parfait, j sucrés jouissent d'une incroyable rapidité de
le muscle serait vraiment inerte, passif : mais il mouvements, comparés à ceux qui vivent en pa-
ne peut jamais réaliser parfaitement ces formes rasites. Un Anglais. Harting, sétant mis au régime
.... de lidO grammes de viande par jour, presque sans
hydrocarbures, était arrivé a un point extrême de
faiblesse musculaire.
Ces intéressantes recherches mènent à une con-
clusion pratique qui se révèle d'elle-même : il
sur l'animal vivant; il faudrait pour qu'il le pût
que l'une de ses extrémités fût détachée de l'os.
Sur le vivant au contraire, il est actif par sa ré-
sistance même à la violence exercée sur lui. Dans
l'un des cas, cette résistance est facile et constante
puissante et intermittente et se nomme contrac-
tilité.
La différence chimique n'est pas moins grande
entre l'éiat n" 1 et l'état n° "J. Nous avons vu que
et se nomnîe tonicité, dans le second, elle est faut augmenter, dans le régime, la proportion de
graisses, de sucres et d'alcools, à mesure que le
travail musculaire augmente : au contraire, il faut
la diminuer quand les muscles sont peu actifs,
^._ ., ... .j__ sous peine de voir ces aliments .s'accumuler dans
dans le prëmier.l'a conïbùstïon "s'effectue, quele ^ lorganismeel produire de graves désordres (goutte,
muscle brûle son oxygène et dégage de l'acide j diabète). _ ^^
carbonique. Cette respiration s'opère également à La propriété de passer de l'état n° 1 à 1 état iv '^
l'état de contraction, mais avec une énorme inten- \ constitue la vraie caractéristique du muscle, sa
hiié. Le muscle « (iin travaille » consomme une \ véritable activité fonctionnelle. Elle se manileste
grande quantité d'oxygène, et le sang veineux qui sous l'influence d'irritants de diverses natures :
vient de le traverser est presque entièrement ] l'excitant physiologique représenté par linllux
TISSUS
2-205
TISSUS
1101 veux ost (iviiiiiinmeiit le plus froc|iient do tons.
I.rs .■\('ii,Mil> i-Zi'inii/iirs sont très noiiibruux (am-
iniiiii i'iu , M i(l.',, lii^cs, etc.). lînfin parmi lus
r^fiii.ii. lu/fii/iif.i, il l'.iut citer en premier lieu
IViIcciriciiu ; puis lu clioc, la piqûre, le piiice-
uinit, etc.
Si l'un quelconque do ces excitants agit brus-
c|\ioinont, on voit le iiiuscle se contracter brus-
iinuniont aussi, puis revenir à sa forme première.
Jlais si l'excitant agit par secousses répétées et
rapides, le muscle n'a pas le temps de revenir à
cette forme entre cliaque secousse ; au moment
'lù il y revient, une nouvelle secous-iO le frappe
rt le remet en contraction, en sorte que le iims-
i 11' ainsi excité resti' ou du moins a l'air de rester
iiiiuracté. Pour obtenii' ce résultat, il faut au
iiinins 30 oxcilations par seconde. Il est doncpro-
iiable que cliez l'animal vivant le muscle ne se
in.iintient en contraction que par une série de
secousses fusionnées. Et en effet, si l'on aus-
culte le muscle on cet état, on entend un bruit,
le fjruit ou Ion musculaire, dont la hauteur cor-
respond h, peu près à :J0 vibrations par seconde.
Si l'on rend plus énergique encore la contrac-
tion du muscle, en rendant plus rapides les excita-
tions, le bruitmusculaires'élève, devientplus aigu.
C'est ce qu'on peut vérifier aisément eu écoutant
sur soi-même, dans le silence de la nuit, le ton
du masséter^muscle masticateur); si l'on seri'e de
plus en plus les mâchoires, ce bruit peut s'élever
d'une quinte.
Le muscle au repos possède une forte réaction
alcaline. Quand il travaille, il se charge d'acides.
Cette acidité, trop longtemps prolongée. Unirait
par coaguler la Hbrine du muscle ei en détruire
les propriétés; un sentiment de fatigue, des
crampes, révèlent, pendant la vie, ce danger et
l'écartent. Mais après la mort, les acides accumu-
lés déterminent cette coagulation et provoquent
ainsi le phénomène de la rigidité ciiduvériijue.
Quelle est la nature intime^du phénomène de la
contraction ? De quelle façon s'o|ière t-il dans l'é-
lément analomique, dans la fibre-cellule du mus-
cle? La lumière est loin d'être faite sur ce point.
Deux théories sont en présence. L'une est celle
du professeur Rouget, qui a expérimenté sur le
pédicule contractile des vorticeiles : d'après lui
la fibre musculaire est un vrai ressort en spi-
rale Il qui, iictiveinent distendu pendant l'état
d»? repos, revient passivement sur lui-même au
moment delà contraction. » La contraciilité n'est
donc pour lui qu'une élasticité toute passive ;
l'activité du muscle consiste h la combattre et i
étendre ses fibres à l'état faussement appelé « de
repos. » — Cette théorie, briUammeul soutenue,
nous paraît en contradiction avec les phénomènes
chimiques dont il a été question plus haut, et
qui montrent bien que le muscle deptinse et res-
pire (c'es'.-à-dire travaille) quand il se contracte
et uon caand il est étendu. — La seconde théo-
rie, à. laquelle nous donnons la préférence, est
celle de Marey; d'après l'éniinent expéiimenta-
teur, le contenu semi-liquide de la fibre serait le
siège d'une série d'ondes qui la gonflent en la
raccourcissant. Cette « oiule musculaire n mar-
cherait à la vitesse, fort peu considérable, de
1 mètre par seconde.
On trouvera, à l'article Squelette, quelques
détails sur les mécanismes divers à l'aide des-
quels les muscles meuvent les pièces osseuses
auxquelles ils s'attachent.
4" Tissu ÉPiTuÉLiAi.. — Les épithéliums sont
des membranes très minces, et constiluées uni-
quement par des éléments globulaires (peau, sé-
reuses et muqueuses) ; ou bleu ils forment des
amas de cellules, comme ceux qui constituent le
parencliyme des glandes. — Pour parler plus
exactement, les épithéliums forment t'jus les
organes de sécréliou, suit que ces organes s'éta-
lent en membranes, comme les téguments ex-
terne et interne, soit qu'ils forment un tissu
épais, comme les glandes. En outre on trouve de
l'épiihélium dans les vaisseaux, soit sanguins,
soit lymphatiques.
L'éléineiu anatomique qui constitue ce tissu,
la cellule épiUicliale, apparaît dès les premiers
temps de la vie intra-utérine dans le feuillet
externe et dans le feuillet interne du blasto-
derme. Il naît alors et se multiplie par un méca-
nisme fréquent dans la physiologie Cellulaire,
celui de la scissiparité : une prii'mière cellule
se sesmento, et chacun de ces segments devient
une cellule complète, puis chacune des nouvel-
les cellules subit à son tour le môme cliangement
et donne naissance à de nouveaux éléments, et
ainsi de suite i\ l'inlini.
Cepen.iant, remarquons qu'il y a un autre mode-
de reproduction de» cellules épithéli.iles : c'est
celui qui se produit pour remplacer les cellules
mortes qui tombent sans cesse, aussi bien pendant
la vie intra-utérine que dans la vie adulte, ù la
surface du derme ou de la muqueuse intestinale.
C'est en efl'et le propre de ces élémenis de tom-
ber lorsque, arrivés à leur état de complet déve-
loppement, ils cessent de se nourrir; et ils sont
aussitôt remplacés par des cellules nouvelles.
Ce mode de reproduction est dit par prolifé-
ration nucléaire; on voit se former une couche
de petits noyaux qui peu à peu s'entourent de
blastème, et finissent par se munir d'une mem-
brane d enveloppe, constituant ainsi des cellules
complètes.
La cellule épithéliale varie de forme suivant
l'organe que l'on considère.
Les séreuseï (péritoine, plèvre, etc.) sont for-
mées de cellules polyédriques, plates, munies d'un
noyau, et formant par leur juxtaposition une véri-
table mosaïque.
L'épitliélium de la peau est aussi formé de cel-
lules plates, mais ces cellules n'occupent que la.
couche superficielle, et elles sont mnrtes, dures,
cornées, imperméables. Au fur et à mesure qu'el-
les tombent, elles sont remplacées par des cellu-
les de la couche profonde. Ces dernières sont
globulaires, molles et vivantes; elles forment ce
(|u'on appelle le réseau de Malpic/hi. Ce sont
elles qui contiennent ces granulations colorées
de pigment, qui varient avec les races, et donnent
à la peau sa couleur caractéristique, blanche,
jaune, noire ou rouge.
Dans les muqueuses, l'épitliélium des premières
voies digestives et respiratoires (bouche, larynx,,
œsophage) présente les mômes caracières qu'à la
peau : cellules plates il la surface, arrondies
dans les couches profondes ; mais la couche plate
superficielle n'est, jamais cornée ; elle est tou-
jours molle, humide, perméable. Si l'on pénétra
plus loin dans l'appareil respiratoire ou dans le
tube digestif, et que l'on considère, soit les bron-
ches, soit l'intestin et ses annexes, on trouve un
épithélium tout différent, formé de longues cellu-
les prismatiques h cinq ou six pans, dont le ca-
ractère le plus frappant est d'être munies de Ci/i
vibratiles. Ces cils, qui garnissent la surface iibre
de la muqueuse, sont agités d'onduiatiuns perpé-
tuelles et très rapides (260 à la seconde) qui se
prolongent niénie quelque temps après la mort.
Ces mouvements s'opèrent de façon à chasser tou-
jours dans le môme sens les mucosités qui bai-
gnent la surface de la membrane. Chose remar-
quable, les anesthésiques, élher, chloroforme,
endorment, arrêtent les vibrations des cils.
Enfin, dans le système glandulaire, les cellules
appartiennent presque toujours à. l'espèce spliéii-
que qui forme les couches profondes de la peau.
Telles sont, esquissées à, grands traits, les va-
TISSUS
2206 — TISSUS VÉGÉTAUX
ri et es de structure du tissu épitliélial. Quel est
maiiitt'iiant son rôle physiologi(|ue ? Ce rôle, dans
sa généraliié, peut se résumer d'un mot. Les épi-
théiitims iirèsiiient aux éclunujeu entre le niilitu
vionnt et lemili'-u extérieur.
Tantôt cet échange a lieu de dehors en dedans
et se ncmme Vubsorpiion ; tantôt au contraire il a
lieu de dedans en dehors, et il constitue, suivant
qu'il s'iigii de liquides ou de gaz, la secréfinn et
Vexhal tio7i Et ici encore, nous rappelons l'idée
que nous avons exposée au début de cet article,
et qui nous guide à travers l'étude des propriétés
phy-inlogiqiies des tissus. Ces échanges s'opèrent
en vertu des lois de l'endosmose et de l'exosraose,
qui gouvernent les réactions des substances vivan-
tes comme celles des corps bruts : mais ils ne sont
nullement fntiils, comme ils le sont dans le monde
incii'ganisé ; ils s'opèrent en vertu d'un choix dé-
terminé, et ce choix varie avec l'organe que l'on
considère. C'est cette liberté d'action, cette déter-
mination spéciale, qui constitue la spécialité fonc-
tionnelle, et donne à chaque organe son rôle pro-
pre, oitat, encore bien que ce rôle ne soit que
l'application rigoureuse d'une loi purement phy-
sico-chimique.
5° Tissu coNjONCTiF. — Ce qui caractérise ce
tissu, c'est que, ne possédant presque pas d'ac-
tivité physiologique, il ne joue dans l'organisme
qu'un rôle tout mécanique, un rôle de soutène-
ment, de remplissage. 11 se rencontre à peu près
sur tous les points du corps, sous forme de mem-
brane mince, ou massé en faisceaux plus ou moins
épais. C'est lui qui unit ensemble les diverses
parties d'un organe, ou cet organe à l'organe
voisin. On pourrait considérer le corps comme
une vaste masse de tissu conjonciif au sein de
laquelle sont nichés, noyés tous les-autres tissus
animaux. A lui seul il constitue les aponévroses,
les tendons, les ligaments, le péiioste, la dure-
mère, la pie-mèie, la coque de l'œil, etc. Revêtu
de couches épithéliales plus ou moins nombreu-
ses, il forme la trame solide de la peau, des mu-
i|ueuses, des séreuses, des glandes, de leurs ca-
naux, et de tous les vaisseaux du corps, soit
anguiiis, soit lymphatiques.
L'examen microscopique montre que l'élément
aiiatomiquc du tissu conjonctif, est, à l'origine de
ce tissu, une cellule particulière, que l'on nomme
le ?iO(/«« eiubri.oplaslique : ce noyau est sphéri-
que, et large de 4 à 6 millièmes de millimètre.
On les trouve en cet état dans les bourgeons
charnus des plaies. Ces éléments sont de la plus
grande importance en ce qu'ils peuvent, en se mo-
diiiant, donner lieu à des formes nouvelles fort
différentes du tissu conjonctif. C'est leur hyper-
genèse qui constitue la granulation grise ou tu-
hercule du poumon, et les diverses tumeurs can-
céreuses. C'est à l'état de noyaux embryoplastiques
qu'apparaissent chez le fœtus les moignons des
membres.
Voici comment ces éléments donnent naissance
aux libres du tissu conjonctif : il se forme autour
ilu noyau embryoplastique un amas de substance
hyaline (c'est-à-dire vitrée) qui Huit par le circons-
crire et lui former comme un corps de cellule ;
bientôt cette substance, s'accumulant davantage
en certains points, forme deux, ou trois, ou qua-
tre prolongements. Quand il n'y en a que deux,
la cellule est dite fusiforme ; quand il y en a
davantage, elle se nomme cellule étoilée. De cha-
que angle de ces étoiles partent des fibres qui
vont s'anastomoser avec les fibres des cellules voi-
sines, et celte intrication constitue le réseau du
tissu conjonciif Ces fibres, extrêmement ténues,
n'ont que 1 à 2 millièmes de millimètre de dia-
mètre : elles sont parfaitement inextensibles, de
sorte que le tissu conjonctif ne l'est pas non plus.
Ces cellules sont susceptibles de se remplir
d'huile, et d'augmenter ainsi do dimensions : c'est
ce qui se produit cliaque fois que l'animal en-
graisse. Une cellule ainsi devenue huileuse est
morte, inaciive, ne produit plus de fibres Dans
l'amaigrissement au contraire, l'huile se résorbe,
la paroi cellulaire se ride, et il ne reste plus que
le cadavre de la ceilule.
Au milieu de la trame du tissu conjonctif, les
phénomènes de nutrition sont à peine marqués.
Nul autre tissu n'est aussi pauvre en vaisseaux et
en nerfs. La simple diffusion du liquide nutritif,
échappé de vaisseaux plus ou moins éloignés,
suffit à l'entretien des fibres conjonctives : elles
se nourrissent par imbibition.
6" Tissu SANGDiN (V. Sanfj]. [D' E. Pécaut.]
TISSL'S VIÔGÉTAUX. — Botanique, U. — Dé-
finitiiiii. — On appelle lissu en botanique un
assemblage de cellules nées les unes des autres
par voie de division et ayant une règle commune
d'accroissement. Par opposition à ces véritables
tissus, on désigne sous le nom de faux tissus ou
de pseudo-lis 'US des assemblages de cellules qui
n'ont aucun rapport entre elles. Comme exemple
de ces pseudo-tissus, nous devons citer le thalle
des algues nommét'S Rési-attx d'eau ou Hydrodic-
lions et les plasmodies des Myxomycètes. Dans les
Hydrodiciiées en effet, le contenu d'une première
cellule se partage en un grand nombre d'éléments
dont cliarun consiste en une cellule pourvue de
deux cils viliraliles antérieurs et n'a aucun rapport
appréciable avec les cellules voisines. A cet état, la
cellule d'Hydrodiction que nous avons considérée
ressemble complètement à une glande disséraina-
trice ordinaire; chacun des éléments de cette
glande y parait indépendant de ses voisins; et
comme plus tard toutes les cellules ciliées se ras-
semblent en masse pour former un nouveau Ré-
seau d'eau, on ne peut dire que les cellules qui
se mettent en rapport entre elles forment quelque
chose de comparable au tissu que nous voyons se
produire par la division répétée d'une cellule
mère.
Dans les Myxomycètes, la formation du pseudo-
tissu qi 'on appelle plasmodie est encore plus
nette, s'il se peut, que dans les Hydrodiciiées. Dans
les Myxomycètes, en effet, un certain nombre de
cellules isolées, sans aucun lien de parenté, se
rencontrant par hasard, se fusionnent en une
seule masse que l'on appelle plasmodie. Dans une
plasmodie, les diverses cellules constituantes ne
se laissent plus distinguer les unes des autres,
de sorte que l'on a affaire dans ce cas il un pseu-
do-tissu dont les divers éléments ne peuvent être
distingués les uns des autres.
Caractères des tissus. — L Hypha. — On dé-
signe sous le nom d'hi/pha le tissu formé par
une cellule qui se cloisonne toujours parallèle-
ment à une direction déterminée. Nous trouvons
cette nature particulière de tissu dans les végétaux
les moins élevés en organisation, c'est-;\-dire dans
les Algues, les Champignons, les Lichens, les
Characées. Fréquemment les hyplias se désarti-
culent, et chacun des éléments de chapelet qui en
résultent croit pour son propre compte, sans souci
du son des articles voisins. Dans la grande ma-
jorité des liyplias, le procédé de dissémination
que nous venons d'indiquer est remplacé par une
ramificalion de l'hypha. Tantôt cette ramification
s'opère par un partage en deux segments longitu-
dinaux égaux de la cellule terminale de l'hypha;
tantôt, au contraire, cette ramification se proilnit
par dos expansions latérales de chacun des élé-
ments de l'hypha. On désigne sous le nom de
dicliotomie le premier mode de ramification ; on
désigne sous le nom de monopodie le second
mode de ramification. Dans les ramifications di-
chotomiques d'un hypha, aussi bien que dans ses
ramifications monopodiques, il arrive souvent que
TISSUS VÉGÉTAUX — 2207 — TISSUS VÉGÉTAUX
les diverses brandies do la ramification ne se dé-
veloppent pas touies avec l'intensité qui corres-
pond i\ leur âge. Très fréquemment alors, les
brandies volumineuses s'ajoutent pour ainsi dire
bout il bout, do manière à former une sorte de
corps entrai sur lequel tout le reste vient s'insé-
rer. On dit alors que le corps central est un corps
sympodiquo, c'est-à-dire qu'il est formé de pièces
d'âge dillcrent. Ce synipode est qualifié d'Iiéli-
çoîdo lorsque l'atropliie qui frappe les diver-
ses parties de la ramification se fait alternati-
vement vers la droite et vers la gauclie. On dit
que le sympode est scorpioidé, quand l'atrophie
des diverses brandies de la ramification a lieu
toujours du même cùié.
II. Thai,le. — On appelle tlialle le tissu tjui
résulte du cloisonnement d'une cellule primitive
qui s'est cloisonnée en différenls sens. Le point
de départ du llialle peut donc être, au début, de
tous points comparable à un liyplia. Dans un
thalle, l'accroissement peut se faire ou .bien par
toute la surface du thalle, ou bien dans une partie
plus ou moins localisée de la surface de ce thalle
Lorsque le thalle affecte la forme d'un corps cy-
lindrique, fréquemment 1 accroissement de ce
thalle est exclusivement concentré dans ses ré-
gions extrêmes. On désigne sous le nom de
points de végétation les parties du thalle dans
lesquelles l'accroissement se trouve localisé. Cotte
localisation de raccroissement du thalle dans ses
points de végétation n'exclut pas absolutuent
pour tout le reste du thalle la possibilité de s'ac-
croître pour sou propre compte ei de concourir
par cela même pour une part plus ou moins im-
portante à l'accroissement général de ce thalle.
On désigne sous le nom d'intercalaire ce second
mode de croissance des tlialles; il est caractérisé
par ce fait qu'il se produit seulement dans les
éléments du thalle alors que ceux-ci sont déjJi
complètement caractérisés. En général aussi,
les divisions des éléments du tlialle qui en
sont le siège ne se sesiucnient que dans une
seule direction à la fois. On donne le nom de
méristéme primitif â tous les tissus dans lesquels
les cellules se divisent simultanément dans les
diverses directions de l'espace. Les points de vé-
gétation des thalles sont forinés de méristèmo
primitif. Selon les plantes, il est possible do rat-
tacher tout le niéristème primitif de chacun de
leurs points de végétation k une cellule unique
nommée CfHuU; mère ou cellule iipicnte, ou à un
massif de cellules que l'on peut appeler cellules
initiales. Certaines cellules mères de méristème
primitif sont exposées à nu à l'extrémité de leurs
points de végétation. D'autres, au contraire, sont
plus ou moins profondément enfoncées dans la
masse de ce niéristème primitif.
m. Faisceau. — Tout point de végétation d'une
plante phanérogame ou d'une plante crypto-
game vasculaire présente une masse de mé-
ristème primitif dont la surface extérieure est
formée d'éléments qui habituellement ne se cloi-
sonnent que perpendiculairement à la surface
extérieure de la plante. On donne à ce tissu
superficiel, qui n'est ([u'une modification locale du
niéristème primitif, le nom de dermntogènc. Les
éléments du dermatogène, en vieillissajit, forment
l'épiderme de la plante. Quant au méristème pri-
mitif, certains de ses éléments, qui sont le siège
d'un accroissement plus considérable que les
autres, se cloisonnent plus abondamment; ces ré-
gions du niéristème primitif où le cloisonnement
est plus intense sont donc des régions de maxi-
mum d'accroissement: elles sont toujours faciles
à reconiiaitre à première vue à leurs éléments
plus petits. On appellera /ir/i^crtuj les parties du
méristème primitif dans lesquelles li segmenta-
lion se localise. Ces régions sont au début carac-
térisées par de petites cellules à parois minces,
transparentes. On dit alors que les faisceaux sont à
l'étal iirocmnfjial. Toute la portion du méristème
primitif comprise entre l'épiderme fondamental et
les faisceaux a reçu le nom de tissu f mlamenlol.
Les régions du méristème primitif où se for-
ment les faisceaux étant celles où la croissance a
la plus grande inlrnsiié, on conçoit sans peine
que ces régions |>rovoquent, sur la surface des
points de végétation, des mamelons, des lignes
saillantes dont chacune correspond à un faisceau
intérieur. Ci's lignes saillantes de la surface du
point de végétation peuvent être regardées comme
les parties de la surface de cette plante qui crois-
sent le plus vile, si bien qu'entre ces lignes de
maximum d'accroissement de la surface, caractéri-
sées par des lignes saillantes, et les lignes de
maximum d'accroissement du méristème primitif
caractérisées par les faisceaux, il y a pour ainsi
dire correspondance complète, tellement qu'on
peut substituer à l'étude des unes l'étude des au-
tres, et vice-versa. Ceci nous montre la grande
importance qu'il faut attacher à l'étude des fais-
ceaux ; car, tandis que les lignes saillantes de la
surface d'une plante sont exposées à disparaître
([uand la plante avance en âge, les faisceaux con-
servent toujours dans leurs rapports leur orien-
tation, leur symétrie, la trace de ce qui a été pri-
mitivement.
Certains faisceaux conservent toute leur vie l'état
procambial (faisceau de la racine des Lennia,
faisceau de la tige des Lemna). Plus ordinaire-
ment, dans chaque faisceau, nous voyons se pro-
duire, peu de temps après sa formation, une diffé-
renciation de ses éléments constituants. Cette
différenciation est double ; elle donne naissance
simultanément à deux tissus, l'un le bois, l'autre
le liber. Le bois ou tissu ligneux a comme élé-
ment caractéristique la traché'\ Le liber ou tissu
libérien est caractérisé par les cellules f/rillar/ées.
Une trachée consiste en une cellule à parois
primitivement très minées; en vieillissant, la pa-
roi de cette cellule s'épaissit selon certaines lignes
spirales qui font saillie dans son intérieur. On
appelle s/iiricule la spire saillante que l'on re-
marque dans les trachées; celte spire est pleine;
son rôle est d'imprimer à la colonne d'eau qui
circule dans les trachées un mouvement en hé-
lice ([Ui diminue très sensiblement le frottement
de l'eau qui circule dans l'intérieur de ces élé-
ments. Selon la distribution de la spire à la sur-
face de la trachée, selon la largeur de cette spire
et selon le nombre des spires d'une trachée, on
obtient les diverses formes de la trachée. Lorsque
deux trachées sont placées bout il bout, en géné-
ral la cloison qui les séparait à l'origine se per-
fore en avançant en âge. et les trachées s'ajoutent
ainsi bout à bout pour former de très longs tubes
ou vaisseaux spiraux. — Les principales modifica-
tions de la trachée sont : les vaisseaux annelés,
les vaisseaux rayés, les vaisseaux scalariformes,
les vaisseaux réticulés, les vaisseaux ponctués, les
fibres ligneuses, les fibres aréolées, le parenchyme
ligneux. On obtient des vaisseaux toutes les fois
que des éléments ligneux placés bout ii bout sont
mis en communication entre eux p:ir la perfora-
tion des cloisons transversales qui séparaient leurs
cavités. On obtient du parenchyme ligneux toutes
les fois que des éléments ligneux se cloisonnent
perpendiculairement i leur plus grande lon-
gueur.
La cellule grillagée est à l'origine une cellule
i parois minces que rien ne distingue il cette épo-
que d'une cellule ligneuse. Un peu plus tard, on
voit se dessiner sur les parois de cette cellule de
grandes ponctuations ; en ces points la paroi ac-
quiert moins d'épaisseur que dans le reste de
son étendue. Bientôt après se dessine dans la
TISSUS VÉGÉTAUX
2208 — TISSUS VÉGÉTAUX
CPiitre de figure du faisceau. Les cellules grilla-
gées de ce faisceau licxaceiitre sont placées entre
les lames ligneuses rajonnantes ; ce sont en effet
ces points qui seuls ne seront jamais atteints par
la différenciation ligneuse. Cet exemple suffit,
ponctuation que nous venons de voir se former un
réseau très coniplitiué dans les plantes modernes,
très simple dans les plantes anciennes (chez les
Gymuospormes et chez les Cryptogames vascu-
lairesi. Les régions amincies de cette ponctu;ition
réticulée se perforent peu k peu, pendant i|ue la 1 croyons-nous, pour faire comprendre les deux lois
ponctuation se recouvre d'une plaque gomineuse | - - ■
nommée épiclèihi-e. Des traînées de matière vivante
(protoplasma) traversent les deux épiclèthres qui
recouvrent la ponctuation, et mettent directement
en rapport le contiMiu des cellules que sépare la
cloison perforée. Les ponctuations spéciales mu-
nies d'cpiclèlhres que nous menons de décrire
sont appelées cribles ou grillug'S; d'où le nom de
cellules grillagées ou de cellules criblouses, ou
encore de cellules criblées, donné à ces éléments.
Les principales rnodiflcalioiis des cellules gril-
lagées sont obtenues par l'épaississemcnt général
des parois de ces éléments, et par leur cloison-
nement. Dans le premier cas, nous avons aft'aire
aux fibres libériennes qui ont été pendant très
longtemps considérées comme caractéristiques du
tissu libérien. Dans le second cas, nous avons le
parenchyme libérien, sorte de tissu de réserve
qui joue • dans la région libérienne du faisceau
le même rôle que le parenchyme ligneux j