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REUTIONS INÉDITES DES MISSIONS
COMPAGNIE DE JÉSUS.
RELATIONS INÉDITES
DES MISSIONS DE LA
COMPAGNIE DE JÉSUS
A CONSTANTINOPLE ET DANS LE LEVANT
AU XV1I« SIÈCLE
PUBLIÉES PAR LE P. AUGUSTE CARAYpN> ''iSV5'/^'7^
DB LA HâlIB COMPAGNIE.
POITIERS
HENRI OUDIN, LIBRAIRE,
4, RUE DE L'iPEROH.
PARIS
GH. DOUNIOL, LIBRAIRE ,
39, RUE DB TOURNON.
1864
CA\ 3oJ4-t.7
l-EB 1:î19G3
Quand on entend parler de POrient , — de
cet Orient compris entre Athènes, Gonstanti-
nople, Damas, la Mer Morte et le Nil' — on se
prend, siFesprit est encore jeune, àréV^erpoë^
sie : on se rappelle la Grèce et la mythologie;
FAsie Mineure et les contes du vieil Homère;
les Arabes et les Mille-et-une Nuits; la Terre-
Sainte et les récits bibliques; Jérusalem et les
Croisés. Ces souvenirs et bien d'autres encore
réveiUeM vivement l'imagination, et la voilà,
avec ses grands yeux, contemplant qes régions
décrites et chantées <Lans toutes les littéra*
tures*,. admirant l'une après l'autre toutes ces
montagnes : del'Athos au Libfin, de FOlympe
au Sinaï; tous ces fleuve ; de l'Eurotas au
Jourdain, derilisws auNil ; toutes cds villes :
VIII
d'Athènes à Jérusalem , de Constantinople à
Memphis; tous ces monuments: du Parthé-
non aux Pyramides, de Sainte^ Sophie au
Saint-Sépulcre. Puis, repassant confusément
ces belles histoires, arrangées par les grecs
ou racontées par la Bible* on se prend à sou-
pirer, de n'-étrta pas venu au monde dans ces
régîojus privilégiées^ et voloatiers on envierait
le ^Qrtdes turcs et des arabes! Mais tout cela
d^e^i d^ la poésie, et s'il y en a beaucoup en
OrieAt) il faut l'avouer aussi, toute cette poé-
sie egft h'ten mêlée de prose» «
Nofcis sommes portés à regarder l'Orient à
trà^ert ces icharmantes lunettes classiques,
mises ^devant nos yeux , à peine au sortir de
l'enfdncei Durant cette période, la plus heu-
reuse de la vie (^a/femjib diciturj ^ où, sept
ou huit dé nos meillieures années, — de la
première communion au baccalauréat, — se
passent à faire des thèmes, des versions, dés
narrations, des amplifications, et même dés
vers latins, le tout à la pltts grande gloire de
IX
FOrient 5 nouii ne sortons guère de là Grèce ,
si ce n'est pour venir de temps en temps à
Rome. Aûssî, depuis Tâge où le baccalaurëat
rëchauflfe en nous l'admiration du grec, de la
mythologie et des païens vertueux, nous res-
tons sousles impressions poétiques del'Orient.
Les moindres ruisseaux de la Grèoe nous sont
mieux connus que le cours de la Loire et du
Rhône. On dessinerait de mémoire l'Olympe
et le Parnasse^ et l'on ne saurait dire où est
le mont Yentoux, à moins d'être né du côté
de Montélimart. A force de pleurer sur les
ruines de Troie^on oubliera celles de Sébasto-
poL Enfin, les grecs, si l'on veut bien s'abstenir
des journaux contemporains, seront toujours
pour nous des Platon, des Aristide et des
Léonidas. Tout ceci soit dit sans attaquer
le moins du monde les études classiques, ni
même le baccalauréat, mais uniquement dans
le but d'expliquer nos prédilections pour
rOrient,
Ces prédilecticms, il faut en convenir, ne
sont'-elles pas justifiées par le plus grand de
tous les exemples? Dieu lui-même ne semble-
t-il.pas avoir aimé par-dessus .toutes les autres
contrées celles de l'Orient? Il les a faites les
plus belles de l'univers^ il les a peuplées
d'hommes célèbres et d une multitude de
grands saints; il y a opéré les miracles de sa
puissance, et le plus admirable de tous, la
venue de son Fils en ce monde.
L'Orient l'emporte donc sur les autres
contrées de l'univers; mais, comme nous le
disions, toute sa poésie est bien méléé de prose,
et même de la plus triste. Son histoire est le
récit non interrompu de toutes les misères, de
toutes les folies, de toutes les turpitudes hu-
maines ; et si Dieu semble avoir maudit ces
régions, autrefois si privilégiées, on admire
encore, malgré la grandeur de«es châtiments,
combien il a été patient et miséricordieux.
Assurément l'Orient nous a montré une
multitude de grands saints, de docteurs et
d'apôtres. Notre Occident lui doit sa c<mver-
XI
sion à TEvangile^ mais combien ces régions
ont-elles vu naître de scandales et d'héré-
sies, de Simon-le-Magicien à Photius , et de
Photius à la chute de Gonstantinople!
• En lisant cette histoire de FOrîent chrétien,
dont le premier chapitre se trouve écrit dans
les Actes des Apôtres , et le dernier par les
turcs le lendemain de leur entrée à Constaû-
tinople, on admire la patience de Dieu^ arrê-
tant , l'espace de sept cents ans, les soldats de
Mahomet, ces modernes Philistins, chargés
de laver dans le sang des grecs les souillures
de Gonstantinople. L'histoire de TOrient,
celle du Bas-Empire surtout, serait capable
de faire désespérer de l'humanité, si, juger le*
autres nations sur l'histoire des grecs , n'était
injustice et calomnie manifestes.
M. Rohrbacher, parlant de la chute du Bas-
Empire, nous dit dans son style à lui : Il était
tombé si bas, que sa chute ne fit pas de bruit !
Si Ton u'àdmire pas le goût de cette phrase,
on ne peut s'empêcher de partager l'indi-
XII
gDàtion de l'historien, lasse d'enregistrer une
interminable collection de turpitudes; et de
considérer Gonstantinople comme une courti-
sane décrépite, s'affaissant sur elle-même et
comme ensevelie dans sa propre corruption.
L'empire d'Orient finit honteusement
comme il avait vëcu , après avoir été pendant
plus de mille ans la terre promise des héré-
tiques et l'affliction de l'Eglise romaine. Son
histoire civile est le digne pendant de son his-
toire ecclésiastique. Pasun peuple sur toutel la
terre n'offre un pareil catalogue de vilenies,
de duplicités, de trahisons, d'empoisonne-
ments et d'assassinats juridiques: les lâchetés,
les cruautés savamment pratiquées, la dé-
pravation des mœurs arrivée aux dernières
limites, voilà le résumé de tous les chapitres,
la table des matières de tous les volumes de
l'histoire bysantine. Si le peuple se plaisait
dans sa corruption, il en pouvait admirer des
types et dés modèles sur le trône de Cons-
tantin , déshonoré par le plus grand nombre
3UII —
de ses successeurs. Ou arriTait d'ordiuaire à
ce trône par Fassassioat de son prédécesseur :
le moins était de lui crever les yeux , quand
le poison ne semblait pas un moyen plus com-
mode et plus sûr. Dans cette insupportable
histoire, on pourrait, si telle besogne ne flé-
trissait le cœur, faire un total révoltant,d'yeux
arrachés, de nez coupés, de membres mutilés,
de Tcngeances atrocies. Si l'histoire des sau-
vages Iroquois est horrible, celle des grecs
soulève le cœur. Ce peuple, si mal conduit,
si pressuré par des chefs incapables ou dépra-
vés, valait son gouvernement; à lui surtout
peut s'appliç[uer le mot de M. de Maistre :
Les peuples ont le gouvernement qu'ils mé-
ritent. •
On nous pardonnera d'avoir ouvert cette
désolante histoire du Bas-Empire ; mais elle
est une justification manifeste des châtiments
de Dieu. Si sa patience a été longue, sa jus-
tice aussi s'exerce depuis bien des siècles :
Notre-Seigneur a jeté cette grande partie de
XIV —
8011 héritage sous les pieds des turcs, et depuis
quatre cents ans les grandes nations de FEu^
rope, au lieu d'exterminer les enfants de
Mahomet, ou de les refouler dans les dëserts
de l'Asie, leur donnent la main pour les retenir
et perpétuer leur domination ^ur les chrétiens
de l'Orient.
Seule, l'Eglise catholique a pitié de ces
malheureuses contrées et demande à Notre-
Seigneur la fin de l'expiation. En attendant
ces jours de liberté , dont l'Eglise a besoin
pour étendre le royaume de Dieu, elle n'a
cessé, depuis la chute de Jérusalem et de
Gonstantinople, d'envoyer des pasteurs à ces
populations opprimées, et souvent ces pas-
teurs sont devenus des martyrs.
Afin de préserver d'une perte totale les
ruines de l'Eglise d'Orient, le Saint-Siège
s'est le plus ordinairement servi des Ordres
religieux. Si la Compagnie de Jésus est venue
longtemps après les autres, dans cette vigne
dévastée, elle n'a jamais cessé d'y travailler
— XV
courageusement, et ses trayaux n'ont pas ëtë
stériles.
L'histoire de nos Missions du Levant est
généralement ignorée. Ces Missions existaient
depuis un siècle, c[uand, les Lettres édifiantes
les ont fait connaître à l'Europe. Mais comme
alors il fallait donner du curieux et du nou-
veau, ou tout au moins du récent, ce pre-
mier siècle de travaux a été comme non avenu
pour le public.
Les Indes, la Chine, le Japon , le Canada ,
le Paraguay et les autres parties de l'Amé-
ricjue, ont trouvé de nombreux écrivains pour
nous raconter les travaux de nos Mission-
naires et la conversion de ces vastes contrées
à l'Évangile. Les Missions du Levant n'ont
pas eu d'historiens : si les Missionnaires ont
écrit, bien peu de leurs relations ont été pu-
bliées; la plupart , restées inédites, ont été se
perdre on ne sait où , après la suppression de
la Compagnie.
Comme il nous a été donné de recueillir
^- XVI --T-
quelques fragments de la correspondance et
des notes dé nos anciens Pères, nous le$ pu-
blions, non pour combler cette grande lacune,
dont nous venons de parler, mais plutôt pour
augmenter le regret d'une perte peut-être irré-
parable } car les détenteurs de nos manuscrits
ne semblent pas disposés à nous les communi-
quer ou à les publier.
La rareté de nos relations du Levant peut
aussi s'expliquer par la monotonie de son his-
toire religieuse. Là , en eflfet , les travaux des
Missionnaires, leurs épreuves, leurs combats,
leur succès crffrent peu de variété. Les rela-
tions annuelles des Indes orientales et occi-
dentales avaient souvent de l'extraordinaire
à raconter ; celles du Levant sembleraient,
au moins certaines années, la reproduction
des précédentes. La patience à supporter des
travaux ou des persécutions obscures et conti-
nuelles est héroïque j mais elle ofFre très-peu
de pittoresque au narrateur. Un de ces héroï-
ques patients écrivait en 1659 : « J'ai souvent
XVII —
« appris qii'on s'étonnait à Rome' et en France
^ dexe que nos Missions , qui ne doivent pa^
H être moins fécondes que les autres de notre
u Compagnie , n'ont donné au public aucune
u relation de leurs progrès depuis leur étâlilis'
fr sèment. Pour justifier ce silence, il me suffi-
f< rail de dite que, travaillant dans le pays oit
i( le christianisme a pris naissance, ils ont
M imité les premiers clirétlensetpra;tiqûé leur
K maxime, de faire beaucoup, souffrir jdavan^
« tage^ et d'écrire trè&f)eU^ mais la véritable
i< raison est que l'exercice dé leurs fonctions
H se faisant parmi les turcs ^ les; jiiifia, les
M hérétiques et les sQhîsiuatiques, la pru^
« dence chrétienne le^ oblige de peu parler
ce et d'écrire enoore moins^ pour se garantir
t( des surprises et des violences. C'est ce qui a
« obligé jusqu'ici les Missionnaires d.e.eachef'
(' ce qu'ik font et de l'ensevelir dans l'obscu-
« rite, se contentant de servir Dieu, Sfin^
(f chercdhier des témoins parmi les homm^s^
». ni d'autres récompenses que lui-tuéme. »
— rviii —
Un autre Missionnaire écrivait à la même
ëpoque : « Les Missions (du Levant) ne sont
i( pas des Missions royales , qui mettent aux
« pieds des Missionnaires des têtes couron-
ce nées à baptiser, et qui leur donnent des
i< princes pour auditeurs à enseigner. Elles
(c ne sont pas de ces Missions éloignées qui
« peuvent tirer une partie de 'leur réputation
« de la longueur des voyages, dont la pre-
« mière découverte anime le courage des
u hommes apostoliques et enflamme leur
{( zèle. Elles n'ont pas l'avantage de celles
« !qui fournissent souvent l'occasion du Mar-
tf tyre, et qui couronnent d'ordinaire leurs
f< ouvriers avec l'épée des tyrans. J 'avoue que
(( ces Missions ont peu d'éclat, soit parce que
« l'on n'y dresse point de nouvelles églises et
« qu'on n'y pense qu'à la réparation des an-
ce ciennes , qui tombent de vieillesse ; ou
« encore parce qu'il y faut servir Dieu avec
"iK une main toute cachée et brûler d'un zèle
«invisible, etc. »
XIX
Ce zèle des Missionnaires n'ëtait pas tou-
jours invisible, comme le dit le P. Besson y
dont nous venons de citer les paroles ^ car, à
son exemple , plusieurs de ses frères ont eu
le bonheur de se dévouer au salut des pesti-
férés et d'y trouver le martyre de la charité,
digne récompense d'une vie pleine de tra-
vaux et démérites. D'autres ont fait des ac-
tions d'éclat; mais le plus grand nombre,
comme le disent les deux auteurs cités , ont
travaillé silencieusement , obscurément , et
cachant leurs succès dans la crainte de les
compromettre.
Nous aurions voulu donner une notice sur
les Pères dont nous publions les Relations ;
mais nos recherches ont été complètement
inutiles. La vie de ces hommes apostoliques
est écrite, il est vrai, mais dans ce livre, dont
la lecture se fera, quand tous les autres auront
péri. En attendant cette lecture solennelle ,
remplaçons la notice de nos Missionnaires
par ces paroles de nos livres saints , gravées
— lËt
Bur leur tombeau : Gaudete autem, quod no^
mina vestra scripta sunt in cœlis. {Lw. x» w.)
Les manuscrits publies dans ce volume
proviennent de notre ancien collège de Louis-
le-Grand à Paris, et de notre Université de
Pont-à-Moussôn. Nous les avons reproduites
exactement et sans corriger l'orthographe
assez défectueuse du P. de Canillac. Plusieurs
mots indéchiffrables ont été remplacés par
des points.
MISSIONS
COMPAGNIE DE JÉSUS
A CONSTANTINOPLE ET DANS LE LEVANT
AU XVII* SliCLK.
PREMIÈRE PARTIE.
(1609-1610.)
LETTRE DU RÉVÉREND PÈRE FRANÇOIS DE GANILLAG, DE
LA COMPAGNIE DE JÉSUS , AUX PÈRES ET FRÈRES DE LA
MÊME COMPAGNIE, QUI SONT EN FRANGE.
Mes Révérends Peres, P. X\
Puisque mes occupations ordinaires et extraor-
dinaires ne me permettent point de satisfaire par
lettres particulières au désir de plusieurs de vous,
d'entendre les particularités du succez de cette
mission de Levant ; je me suis résolu m'acqultter
de ce devoir de charité , par une lettre commune
qui vous représentera en bloc ce qui s'est passé de
plus remarquable dez son commencement jusques
à maintenant. Et, bien que Tannée passée, on en-
K. i
— 2 —
voya une briefve relation latine de nostre vojrage
de Rome icy y toutefois, d'autant qu'on laissa quel-
oues «particularités de quelque' poid^ et . que d'au*
très furent légèrement touchées selon le peu de
loisir qu'on eu$t de la tracer *, je reprendray le
narré en sa source et suivray son fil le plus simple-
ment , naifvement et briçfvement qu'il me sera pos-
sible , le tout pour la plus grande gloire de Dieu ,
lui qui se rend admirable et aimable ez plus petits
ouvrages de ses mains.
Les PP. Charles Gobin, et Guillaume Levesque,
et nostre frère Claude Colomb, partirent de Paris
le 21 janvier 1609, après avoir au préalable , salué
tres-humblement le Roy de glorieuse unemoire,
Henry quatriesme, premier promoteur, comme
Roy tres-chrestien , de ceste tres-chrestienne en-
treprise , et receu de sa bouche royalle „ assurance
de sa singulière et royalle protection en toute oc-
ciipeBoe», f>our le service de Dieu. Et ayam pris par
le chemin un autre fiiere coadjutQuf , riotnmé Es-
tienne Viau, passèrent les Àlpei au co^r' de l'hiver,
visitèrent te sacrosainct domicile de la gldriteuse
Vienrgç à Ijorette et arrivèrent à Rome le fcullîesroe
de mars de fat mesme ^ntlée. 1^ me trouvay à'Rchné
■ Oetle Telalten latlhe fest diï E^. Charles Gobîn et n'ajoute aucun
déiail à la lettre du P. dû Caaiikc* :'
— 3 —
par une secrète disposition; diyiae pour avoir le
bien si longtemps désiré y maifs inespéré pour ioi^s ,
d'estre associé et attelé à ce quaternaire, et par*
faire le mistique nombre de cinq^ signalé aux cinq
pierres ou cailloux du jeune .DaVkf, et sanctifié
au beny corps du mistique David- O fut le b'orn^
jour du dimanche dict In Passione , que le R. P.
Louys Richeome , nostre assistant ,» vint taster lé-
pouls de mon courage sur ce fait, et le trouva' si'
vigoureux , que bien que je fusse assez mal disposé
de santé corporelle, il me donna bè»ne esperaàce
d'obtenir^ quand je m'en cûidôis plus es^rangé, ce
fruit de mes anciens désirs. Je &is visiter quelque^;
uns de ces lieux sainis de Rome pour recomneian-
der ceste affaire à Dieu , et enfin receus cotnman-
dçmçnt de me préparer poui: f^ire la profeésion le
jour solennel de Posqtiesy pour «oudain aprez^ pren-»
dre la route de Constanfânofde.
Ainsi' que nous mettions en ordre ce qui èstoit
nécessaire pour nostre voy^go,.on nouj^cuida accro-
cher sur le lieu de nostre demeure k Pera ou Galata;
car les niieiix pratiqués de ce lieu né.cuîdoient
pas que le. moqiaBtere de ^ainVBefloist,; ou nosi
Pères jadis «avoiént fait leur résidence, fust propre
à nos fonctions, pouf estre esciairté de Ik demeure
^e^ Latim , çntowéfï^^ Ç^^^ç» eit de* Armeniejq# ,
mais c'estoità mon advis un tartiâc^r de r>eiin«my
_ 4 —
commun, qui n'ayant pu estouffer ce dessein à Pa-
ris par les menées d'un certain religieux: grec, en-
nemy capital de l'Eglise romaine, le voulust plus
finement dissoudre par un beau prétexte ^ Dieu
nous fist la grâce de^ mépriser cette difficulté pré-
tendue, espérant de la surmonter estant sur les
lieux ; bien nous en prins , car bientost aprez Ton
avoit minutté de deçà la rupture de nostre voyage ,
soubs couleur d'attendre quelque meilleure saison,
' Nous ferons quelques emprunts à une relation inédite de Téta-
tablissement des Pères de la Compagnie de Jésus à Gonstantinople ,
antérieure à Tannée 1657 et que Ton [conserve à la bibliothèque
impériale , fonds Jacob. 7.
«r L*an 1683 y Grégoire Xlil, à Tinstance de MM. les Pérotes,
« habitants de Galata, envoya à Gonstantinople le P. Jules Man-
« cinelli avec cinq autres de la même Compagnie , les recomman-
« dant par un bref apostolique aux ambassadeurs de France et de
« Venise, résidant pour lors à Gonstantinople.
« Les Pères prirent possession de Téglise et maison de Saint-
« Benoit en Galata , le 18 novembre 1583 , comme il se voit par la
« patente que leur donna Mgr de Germiny , ambassadeur pour lors
« à la Porte-Ottomanne, et par celle que leur donnèrent les sei-
« gneurs Pier Nani et Francesco Morosini , ambassadeurs pour la
« république de Venise , qui leur donnèrent aussi plusieurs ome-
« ments et leur témoignèrent beaucoup d^aSection. Le P. Jides
« Mancinelli , ayant passé quelque temps à Gonstantinople , fut
« rappelé en Italie et mourut à Naples Pan 1618^ a.vec opinion de
« sainteté. Ses compagnons y demeurèrent faisant les fonctions de
« la Compagnie avec beaucoup de zèle et d'édification, et ayant
« servi les pestiférés, ils furent tous frappés de peste et en mou-
« rurent tous jusqu^à nos frères coadjuteurs. •
— 8 —
et si les lettres trassées sur ce subject fussent arri-
vées avant nostre départ, l'affaire etoit encloûée ;
nous eusmes aussi quelque difficulté, pour le regard
de ceux qui nous avoient esté associés en la mission,
la divine providence voulant donner ceste pre*-
miere pointe aux françoys , pour donner , comme
je crois, moins de prinse aux calomnies qu^on nous
debvoit dresser. Tant y a que nous cinq fusmes
despeschés , aprez avoir baisé les pieds de Ndstre
Sainct Pefe^ qui se trouvait pour lors à Frasc&ti ,
lequel monstra en son visage et maintien le con-
tentement qu'il recepvoit de ceste entreprise, le-
vant les mains et les yeux au del en action de grâce,
que de son temps cette ouverture se*fist; louant
du reste la pieté du Roy qui l'avait efficacement
procurée, et, aprez noUs avoir exhorté à nostre
debvoir et accordé quelques indulgences et facultés,
nous donna sa sainete bénédiction. Le lendemain
nous allasmes prendre congé de N. R. P. General
qui s'estoit retiré à Tivoli pour prendre Tair ; et
peu de jours aprez , ayant esté favorisé des lettres
de M. de Bresves , ambassadeur de Rome pour le
Roy, qui avoit tout (e premier mu ceste pierre, es-
tant en l'ambassade de Constantinople , voire d'un
passeport en langue turquesque, laquelle ce seigneur
possède entièrement, avec la bonne grâce des prin-
cipaux de cet etnpire, nous nous embarquasmes
--6 —
^^r le. Jibrf poui* prendre la mer en son emboiir
cbura veirs Os|:ie et tirer à Naple%. Ce fut donc lie
!lO 4u m^ de w^ff en Tannée 1609, <{ue nous
pirisjoies Vf'^j et sur les 5 beures du so^rvismesl^i
mer el taschasmes de. pa^er outre; mai^ le venj;
'Contraire nous r^tta. en terre tout à propos, pour
secourir spiritii^llement plusieiups pescheurs pro-
venceatpcy qui viennent gagner leur viei^ur. ceste
iK>ste par lapesche, capapés ^sou» des pa^illooâ ou
tabernatiles de feuilles; jamais ils .ne fineot si JbeUe
prinse que cestq soirée là^ se laissant eux-ni^me$
eiilaqer 4^ns JleS;ret^ 4^ jsem<Mi€es, qu^ ^ous JtfUfj
firmes <^ dei sa p^rv4ii4§ )%;Qpnimodlté qaeja divine
l^pi^téileur Hi^ttoit en^wain^pour obtenir ou reoou^
vr^r 4q precie^a^ jqyai^ dç 9fi grâce a^ s^tint sacres
icaeat de la.peaitepce, X^ plu^ ^ages .tost empo*
gi^erent l'offre et nfiifs di^tretinreiait qu/çlqii^ paortie
de laj^jûçit,.ppur<M^yif l^w^c^^ générale^ ou
fie plusieurs aiinées.;,cejpirçniifir,si£(cce3& nous donn^
j>eUe^ espérance. du futyr^ prenant de, ^à, secrète jas-
siirance que Dieu agrepit nostre voyage , puisqu'il
en recu€|il|oitdç si bonne heure des fruijts. hç Imd^.
main matin ,.nous fisnies voile à tQrre;en,cinq joui:^
aprez une. furieuse tempeste et bourasque qui fit
suer nps jrameùr^i et qous fit jetter quelques pièces
à' 4^nus Dei tf^ .mer , et nous ar^ivasmes à Ngples à
temjpsi pour y 4ire I^.messe. N03 Pères el; Fnçres tant
de 1^ maison professç , .où nou» âUasineÈ/lo^r^ que
du collège et noviciat , nous firent un acaieii digiie
de la charité de la^Gompagoia, votrement avec une
exbaordioaire d^nian»tration)<>pour nous voir des*
tinés à uœ «i glQrieuae et apoiaitolique entneprise;
plusieurs dous portoi^nt.^aUitemeoiewvie, et qiÉel"
que$-uns donnèrent leur nQni^|>ar eacripty àoe.qu'ils
fussent mis un jopr en noUe de ^i^us^.qiM yi^ndrotent
au secpurs. . : -
Les gij^bres de Malte^ estoient pour^lor^ "4ai^ le
mole, prestes àlevai^l'anchre pour tirer eïi Sicile ,
mais si' surchargées tcpue nous eustnieà <te t^ peine
pour y eflttrer, ets*il &lut nous séparer en trois
handes, Dieu Tajant ainsi disposé, à cocfue nous
pussions aider dj^yaigtage de gw»f comme il avint,
Dieu roprcy , doraj^t ce peu de jours que nous em-
ployasmçs àl;rajetter ce bras dem^r, qui fust depuis
le 20 du mois de may aurj'h^ure de Vi^^nes,. jus-
qu'au uiiatio d^23 4^ tnesme, que nousngK)uiUasmes
Tanchre dans le port de Messine. ]Sous.aUasme&
droit en la maisoq professe 4e nostre Compagnie et
y fusmes rep^us avec tous les signes d'une vraye et
cordiale charité,, qui dura tput le temp^ de oostre
séjour qui fust de 22 jours ; ceux du collège et no-
viciat de jj^a^ mesmfi viUe et ceux du petit collège de
Regio de là du canal (ou se voit une colonne trans-
parente qui a servy d'appuy au grand apostre saiAct
— 8 —
Paul , prescbant là en passant , selon la commune
opinion et tradition) firent à Tenvi pour nous ca-
resser. Nous passasmes en ces quartiers là la bonne
feste de Pentecoste Bt y ouismes plusieurs confes-
sions, mesine des françoisqui avoient leurs vais-
seaux en ce port. Mais le temps nous duroit à mer-
veille, comptant les heures pour jours et les jours
pour mois, ne voyant aborder aucun vaisseau qui
nous peut corporellement porter , ou nous estions
pieça par désir et volontés; mesme despuis que
nous perdismes une belle occasion d'une .../ fran-
çoise^ ce sont des petits vaisseaux légers et habiles.
Cependant que nous estions à Regio, jamais les sen-*
tinelles posées sur les hautes tours des villes ou costes
marines , ou bien sur le bout des antennes des na--
vires dressées en pleume. ... ne firent meilleure
garde pour descouvrir les aUants et venants , que
nous faisions sur le hault de nostremaiton pour re-
marquer les vaisseaux qui entroient dans le port«
Un jour entre autres, qui estoit le quinziesme de
juin , nous en descouvrismes quelques uns qui por-
toient mine de venir en levant , mais voyant qu'ils
passoient emmy le canal , sans tourner la proue de-
vers le port , nous prismes resolution de leur de»
puter, pour les accoster et prendre langue d'eux.
' Le mot est omis dans le texte.
— 9 —
A temps un père et un frère prindrent une petite
barque et les joignirent ; et entendant qu'ils pre-
uoient autre route , rebroussèrent devers la ville, et
s'estant apperceus d'une zarthie fort petite, l'a-
borderent et parlementèrent avec les mariniers, tous
provenceaux,*qui tiroient à Corfou, et de là peut estre
à l'archipelage. Le Père empoigna cette occasion et
serra le marché bien chèrement pour la bourse ,
mais très perilleusement ' pour nos personnes,
comme vous ouirez tout maintenant ; les voicy donc
revenus avec le vaisseau naolisé, et nous bien, aises
de pouvoir renouer le filet de nostre voyage. Mais
les Pères de nostre maison, qui jugeoient de sang-
froid le danger où nous nous mettions, et le peu de
temps que nous avions d'une couple d'heures, prins
pour nous fournir des provisions nécessaires a un
tel voyage , estoient tres-marris du marché. Cepen-
dant ils firent une diligence extresme de nous accom-
moder de tout ce qu'ils avoient en la maison et qui
se peut achepterà cette heure là, quec'estoit la der>
niere du jour solaire , et nous accompagnèrent de
belle nuict jusques à la rive. Un de la troupe dit
que les nuées s'entrouvrirent par trois fois avec un
éclat de lumière, que Ton voit parfois arriver à catuse
de certaines exhalaisons , ce qu'il print en bon au-
gure pour nostre voyage; nous montasmes dans
nostre barque, embarrassée de marchandises et par-
— iO —
ticulierement de sardines salées^ qui iofectaieDt l'air
des lieux de nostre retraite la nuit ; pous ûsmes
voile. sur le champ et à l'heure fuîmes allarinés de
la venue des galères de Naples, craignant qu'elles
fussent autres. Prenant le lajrge^puisreprçiiianl nos
brisées , coipmença^es a experiinenter l'enAuiy de
calme et boi>açe, qui uous^ faisait plus reculer qu'a-
vancer. Si fps^es-Qous tant favorisiez par. forcç de
vent y que le 20 du.mesmç, mois, de gr^n^ .m^tin j
nous nous. trpuyx^smes dans le port de Tisle de Cor-
fou, appartenante à la seigneurie d^ Yenise- Il nous
tardait jà de descendis» non tant pour pous ra-
fi^j^picbir cprpprçlle^neot , que poMr nous recréer
avec, la yiapde dçs Ahges r^^^P^P^^^^^ durant ce^ste
Octave de la Feste Dieijjj que. nous avions passée en
mer ; mais il nous en.^lut passer bien plus long-
temps. Je m'en allai d^nc avqc un compagnon dans
l'esquif, avec, nostre patron et esqrivain , droictau
bureau de la ^^sapté^ présenter nos bulletins et les
lettres du feu Roy , que nous estimions nous deb-
vpir donner toute franchi^ s^r les terres véni-
tiennes; et voy^t. qu'on ne nous fjp^isoit aucune
difficulté d'entrer dans la ville , me faisant mener
d^ns une egUse des Pères de saint François , j'atten*
dis que les autres s'y rendissent poiu* dire la messe.
Mais les Pères de céans, nous dirent qu'il y avoit
deffensed'adipettreià l'autel aucun estranger, sans
— n —
congé exprez «de 'Monseigneur Tarche vasque. Nou$
nous mismes en debvoir de l'aller treuver en sa
maison ^-quiâst dans le clos de la fortjoresse ^ à la
porte de laquelle nous fusmes arrestez, attendant
d'avoir congé de l'IllusIrisQÎiBe pvovediteur gou^
¥erneuff.f Cependant nous fusmes' arraisonnés de
divers, seigneurs clarissimeS} ^ qui oommandoient en
des gsderes de la .seigneurie et par rencoqtre* nous
trouvèrent en ceste porte* ils nous parièrent et iti^
terrogerent d'unteLaoeent^ que nous apperceumes
bien 4e llamerbunie qu'ils avûîçnt contre notre Com-
pagui^i. On nous mena donc devers Monseigneur le
Reverendissûne^ qui.nous reoeut fort amiabl^nent ,
regrettant de ne. pouvoir nous recepvoir chez luy et
traiter avec la naesme affection qu'il avoit.Êtit aul*
ti^ fois les Jiostriss , voire , qu'il &e nous oonséilloit
p^ de dire la messe pour obvier à quelque scan-
dale. «Quelqu'un de noftisrrepartit que «pour le moins
aous la; puii^iojQs ouir. Vous n'estes, pas, dit Mon^
s^neur, excommuniés; non , Dieu mercy. Mais
sifusuies nous traitési comme tels;^ car au retour de
l'archeves^iue.y.aUant vers la. marine, on nous en^
voya uo huissier , qpi nous deffendit sur peine de
la founche, pour franchis^ ce terme si pregnant, de
mettre plus pied en t^rre. Cleste si sanglante paroUe
espouvaotft au^wi^mfant.nos mariniers^^ mais non
— la-
pas nous qui en dismes de bon cœur un beau Te
Deum laudamus.
Arrivez que nous fusmes au lieu de nostre exil ,
c'est à dire nostre bateau , de vray nous y soufïris-
mes une chaleur très grande , quinze jours là que
nous fusmes à l'anchre, bien en peine du party que
nous debvions prendre, puisque nos gens ne faisoient
estât de passer ces isles voisines qui dépendent et
relèvent de la mesme Seigneurie. On ouit là quel-
ques confessions de quelques françois qui estoient
à Corfou. Enfin nos pilotes levèrent Tançhre le der-
nier de juin et aprez avoir eschappé d'une fascherie
ensemble, de nuict arrivasmes, le second de juillet,
dédié à la Visitation de la Glorieuse Vierge Marie ,
en une autre isle des Vénitiens dicte la Cephalonie ,
où nous eusmes plus de liberté qu'à Corfou , des-
cendant en terre pour nous rafraischir et un jour de
dimanche ouismes la messe en une petite église voi-
sine à la marine^ et receusmes la sainte communion
de la main d'un religieux do saint François. Nous
fusmes aussy visiter un certain vills^e, où l'on nous
venoit voir à merveille , nous faisant entendre en
quelque façon le bon grec , duquel dégénère beau-
coup la langue vulgaire^ qui se va tous les jours ab-
batardissant et se meslant av)ec l'italien et le turc.
J'-attribue au reste la franchise que nous easmes à Te-
— 13 —
loignement de la yille, où fait sa demeure le sieur pro-
vediteur de la Seigneurie, comme aussy au passe-port
pour la santé, que nous obtinsmes de mesme par nos-
treserviteur qui nous servit bien ici, de celuy qui nous
avoit donné entrée en la nave vénitienne , comme
nous dirons en son lieu. Sur cela nous apprismes
que les trois navires de Venise qui alloient au Tjevant,
estoient jà arrivés aii Xanthe, qui est une autre isle
assez proche de la susdite , et de la mesme repu-
blique , qui nous fit résoudre à quitter nostre zar-
thie, qui n'estoit encore preste à partir, et tascher
d'entrer en l'une des trois ; resolution plus heu- .
reuse qu'avisée, nous mettant entre les mains de
nos ennemis capitaux ; nous prismes donc congé de
nos voituriers , après les avoir avec la grâce de Dieu
bien édifiés , et servis au tribunal de la conscience
quelques uns ; et sur une petite barque passasmes
de là du port en une petite villette de la mesme
isle , nommée Lussure communément , pour de là
trajetter au Xanthe. C'est là, où nous fusmes accostés
à bon escient des Grecs et de quelques Italiens ou
Italianisés et vismes par rencontre Tevesque grec
qui , outre Fhabit commun de saint Bazile , portoit
pour marque de sa dignité episcopale un chappeau
bas et à grandes ailes , couvert de quelques estoffes
de soye, eï croisé d'une bande large , et doublé de
velour noir , et en sa main son baston pastoral de
— u —
mediocne haulteur , de beau bois , k crosse d'argent ,'
d'uoe croix de saint An thcnne ; i} nous fist bonne;
mine, voire nous offrit la collation, et partant noua
donna sa bénédiction, sans que nous la luy deman*
dissions autrement. Un prestre doète^ gt^^9 qui a
cogneu k Rome nos Pères , amy de TEglise Romaine,
ohserrant le célibat $ans estre religieux , unique et
sans exemple en tqute la 6rec0 à mon advis, fort
versé en grec lettré,; chose rare par dfeça, voire
mesme parmy le^ prélats, nous vint saltjer cour-
toisement, nousvoula'ttttqaiteret loger pour oe soir;
aussy n^avions-nous là autre retraicte que le petit
bateau knié pour nostre passage du lendemain ; ce
qu'il fit avec beaucoup de chante. Nous empk>yas-*
mes le jour suivant et bonne partie de la nuic! pour
arriver au Xanthe, qui fut deux heures devant le
jour, 9 de juillet. Dieu nous favorisa de tout , qu'a-
vant que personne nous e«fôt recogneu , par la dili-
gence et habileté dm consul françois , grec de nation'
et iqui a du crédit, et Contente à merveille la nation
françoise, nous fusipes reçus dans un des trois vais-
seaux , nommé la Mule^Fùscarine ,* bien que nous
eusme$ de la peirié pimr embarquer nos hardes eit
paitîe dès nostreip ^t les ci^nduisoit. J*avois avec
un autre de bonne 'heui^ë pritis possession de la
place, qui nousftist accordée, à cause d^une furieuse
bouràsque d*un gros vent et n'eust esté que le sus-
— 18 —
dit sieur consul envoya exprez son fils au patron ,
il nous falloit laisser nos bardes en terré. Nous ran-
geasmes , ou pour mieux dire nous entrasmes dans
notre petit coin , sous un des yeux de la proue, où
les maistres cables des ancres passent, qui nous in-
cotnmodoient et de jour et de nuict. Et ainsi fismés
voile sur la nuict, favorisés du vent qui , dans deux
fois vingt et quatre beures , nous fit voir Cerîgo ,
isle de Testât vénitien , où nous laissasmes quelques
soldats, venus pour renouveler la garnison. Et le
mesme jour, sur le tard, reprismes nostre route,
entrant dans Tarchipelage, les autres vaisiâeaux nous
ayant laissé, l'un pour aller à Candie descharger la
garnison ; l'autre ne pouvant nous suivre avoit tire
en Cartier <et enfin fut prins par lès corsaires turcs
et pillé : où en passant faut faire remarquer la sin-
gulière providence dé nostre Dieu envers nous,
puisqu'il nous délivra ou de la captivité manifeste
des infidèles, ou des algarades qu'on nous eust pu
faire en Candie, nom plaçant en icelluy desdits vais-
seaux, qui fut le plus fortuné pour ce regard. Mais
poursuivons ntjstre voyage , qui pour les grandes
bonaces de ta ther , et cbaleurs du sofeil qui estoit
en sa pkis grande vigueur , traisnoit avecsoy beau-
coup d'incommodités et d'ennuis^ et surtout pour
Teau qui se.corrompant nous interdisoit le boire, si
la grande cbaleur ne nou* eust contraint à avaler
— 4ft —
avec dontrecœur cette eau puante, laquelle nous
taschasmes en la faisant bouillir de rendre plus
supportable, mais comme nous approchions de
Tisle de Tine (qui relevé encore de Venise) où nous
devions débarquer le .... de soldats du chas-
teau avec le sieur capitaine nouveau , voicy trois
galères turquesques qui comparurent prez d'une de
ces isles; là, l'une de ces dictes galiotes s'esvanouit
derrière l'isle, et les autres deux font semblant de
venir à nous qui ne pouvions gueres nous mou-
voir pour faute de vent. Le patron exhorte le ca-
pitaine à disposer ses soldats à faire leur devoir
quand besoin seroit; le tambour -et la trompette
commencent à jouer; on déplie les etendarts, on
prépare l'artiUerie, et peu s'en fallut qu'on n'en
vint aux mains. Pour nous^ aprez nous estre recon-
ciliez et confessez de nouveau, et entr' embrassez et
disposez à tout événement, nous taschions à convier
les séculiers de recourir à Dieu, envoyant un cru-
cifix que je portois , par un jeune garçon qui alloit
par le vaisseau pour le faire baiser ; ce que tous
firent dévotement , et quelques uns la larme à l'œil.
Dieu nous avoit réservés à d'autres combats; on
parlemente et chacun tire son chemin , et enfin ar-
rivasmes en une petite isle, nommée Michone, tout
proche deTine.
Nos soldats prinrent leur party non sans avoir
— 17 —
esté consolez et secourus au faict de là coûsdénce
par les nostres, aussy bien que les mariniers et
passagiers du vaisseau , et entre autres trn mari-
nier, malade à la mort, aprez s'estre confessé,
print par le conseil d'un Père de la pierre de Saint-
Paul de Malte, et guarit. Enfin en ceste petite isle
de Michonne , sujette au grand seigneur, nous re-
ceumes tout plein de courtoisie des habitants chres-
tiens , mesmement d'un papas , c'est-à-dire prestre
à cause de la cognoi^sance de la langue grecque
littérale, qu'ils remarquoient et admiroient aux
Nostres. Nostre patron invita un jour de dimanche
Mgr l'archevesque grec qui estoit venu en la dicte
isle à les festiner en la place d'un navire , à l'abry
d'une voile , tendue en tente ; on tira le canon la
première fois que- Monseigneur Tarchevesque but ,
et chasque fois qu'il falloit boire on entonnoit,
Monseigneur le premier , et de main en main , un
hymne ou chanson spirituelle, et donnoit-on le bai-
ser de paix à celuy qui suivoit et qui recevoit le
verre, lequel sert à tous. On nous invita sur le mi-
lieu du disner (nous avions desjà prïns notre petit
repas) pour tenir compagnie à Monseigneur , qui
avoit cinq ou six, qui calogeres, qui papas, assis
en table, et falut boire après l'evesque, mais sans
chanter ny baiser; c'est la cérémonie commune et
religieuse des grecs. Mais le menu peuple, en leurs
K. %
— 18 ~
festins miptiâulb , demeurent diton , trcns jours et
trois nuicts sans se partir de la table , donnant sur
leurs coudes^ Là la tramontane nous constraignoit
de demeura encore plus longtemps que nous
n'eussions voulu , jusqu'au penultiesme de juillet ,
que nostre Bienheureux P. Ignace nous obtint,
comme nous croyons, le vent de midi, justement
au mesme temps qu'on commença à Rome de l'in-
voquer et honorer solennellement, lequel nous
porta en biîef à la veue de Chio. Nostre patron pen*
soit passer outre sans s'en approcher de plus prez ;
mais le vent contraire qui se leva à nostre granîd
regret, qui ne desirions que d'avancer chemin, et
aussi que le bruit de la contagion qui estoit à Chio,
nous ostoit toute pensée de nous y arrester, nous
contraignit de nous engoufrer dans son canal et
d'aller jeter Tancre vis-à-vis, vers l'Asie, en la
province dicte Natolie où nous fusmes jusque
au S"" d'aoust , que derechef le bon vent se leva jus-
tement pour nous faire descouvrir de nos Pères et
du sieur consul françois« qui avoient receu charge
expresse de M. l'ambassadeur de France en ceste
Porte de nous arrester jusques. à autre advis de
luy. M. le Revereodissime evesque de Tine, visi-
teur apostolique en tout le Levant , en avait escripf
de mesme encre et de mesme accent; c'estoit en-*
suite de l'opinion que le ^seigneur visiteur a voit pris,
— 1» —
el tasdié de persuader à M. de Sahgnac j que nos-
tre venue n'estCHt encore de saison. Nos Seres
donc prindrent résolution, avec M. le Copsul, de
Qous envoyer une barque armée de 20 avirons^ avec
deux des Nostres pour, nous suivre. Le vent, ayant
calé, les fit joindre à nous ,une heure de.nuict et
nous fit résoudre à £aii^ descendre trois des nostres,
et que les autres d^ix, c'est-à-dire ujq Père et moy
nous suivrions la divine prpvidoace qui nous vou-
loit tous préserver du danger que. nous estions
pour courir , si les nouvelle» do courroux de l'am-
bassadeur de Venise, contre Vescrivain du navire,
pour nous avoir donné place en iceluy , et avoir
porté en Levant ceux qu'ils ne pouvoient supporter
en rOccident, fust arrivé à noâre patron , grec de
nation, et de vie et de mœurs aucunement bar-
bare , mesme sur le chant de la chcJere et passion,
avant nostre séparation. Geste providence, dis-je
d'en haut, ne permit pas que nous passassions outre,
donnant le loisir à la aeccmde frégate, qu'on despes-
oha le lendemain matin, de nous atteindre et mener,
ayant laissé nos bardes avec notre homme sur le
vaisseau ; nous abordasmes la gentille isle de Chio
sur le soir du quatriesme d'aoust , en mesme temps
que les gdleres de Bhodes entrèrent au port toutes
triomphantes dé la prise de quelques galHots chres-
— M-
tiens y qui leur avoit neantmoins cousié la vie du
Bey , id est gouveraeur de Rhodes.
Nos Pères nous firent tant de caresses qu'en
brief ^ nous reparasmes le deschet d'un voyage
long et fascheux. Ils nous firent voir les plus beaux
lieux de ce petit Eden , et jardin de Tarchipela^e :
mais entre autties choses , nous menèrent à la fa-
meuse et célèbre Nostre-Dame, dicte Neamoni, c'est-
à-dire nouvelle-seule, d'autant qu'en l'image mi-
raculeusement nommée, la Vierge est dépeinte
toute seule, sans son pMit Jésus. C'est tin lieu élevé
dans un petit valon , que les plus hautes monta-
gnes font quasi en leur cime et faiste et cernent tout
ensemble; où demeurent plusieurs religieux grecs,
la plupart idiots et lais , sous un abbé absolu. L'E-
glise est belle, voûtée , avec plusieurs petits dômes
divers, peints à l'antique ; enrichie de plusieurs do-
natifs, tant des latins que des grecs. La sainte image
est dans le choeur , à la main gauche de l'autel ,
serrée en sanctuaire, sur un tréteau de bois, devant
lequel par faveur spéciale, faisant dresser une table
pour soustenir nostre auteiet que nous avions
porté avec les habillements sacrez, je dis la saincte
messe. Nous passasmes tout ce mois avec beaucoup
de consolation non seulement pour jouir de la pie
et douce conversation des nostres : mais aussi pour
* — 21 —
la grande pieté que n.ou8 remarquions en ses chres*
tiens y qui, vivants parmy les Turcs et soubs leur
empire , font honte à ceux qui sont au cœur de
la chrestienté ; ils ayment et révèrent singulièrement
la Compagnie, à la résidence de laquelle ils cpn^
fessent communément devcnr cette dévotion et
ferveur, aprez Dieu ; ce qui nous donna bon courage
pour venir ci^ltiver ceste vigne de Cpnstantinople,
a ce qu'elle pojrtast un jour semblables fruicts ^. Et
' c Environ Tan 1590 , nos Pères s^établireBt en rile de Scio,
c Leur église y est fréquentée , comme celles de France. Ils ont
« environ 250 écoliers » entre lesquels il y a douze ou treize petits
c clercs, destinés pour servir à Téglise. Quelques-uns d'eux deman-
c dent d*entrer en la Compagnie ; ils sont envoyés à Messine ou à
« Rome pour faire leur Noviciat et continuer leurs études. De là ils
« retournent à Scio pour régenter , et après avoir régenté trois ans,
c ils vont faire leurs études de tliéologie et le troisième an de pro-
c bation en Italie , à la fin desquels ils retournent encore à Sdo
c pour prêcher, faire des Missions sur les lies de Tarchipelage et
c vacquent aux autres fonctions de la Compagnie; d'où vient que
« tous les Jésuites qui sont à Scio sont natifs du lieu : et de plus ,
■ il y a en Italie environ une quarantaine des Nôtres, qui sont
i Sdotes et ont pris leur vocation à Scio ; quelques-uns d'entr*eux
f ont été avec nous à Gonstantinople ; d*autres demandent de nous
c aider en nos résidences, qui dépendent de la province de France ;
f quelques-uns aussi sont en chaiiges, en la province de Sicile....
« Il y a eu à Scio quelques petits difftonds pour les dispositions
• de ceux qui entrent dans la Compagnie : mais le cadi ou juge,
f les termina eii cette façon. Il fit venir tant les Nôtres que leurs
« frères et sœurs, qui leur disputdient la disposition de leurs biens.
« Le cadi leur demanda s'ils étaient tous enfanu des mêmes père
n'ayant eu autres nouvelles, nous louiisines une
de ces frégates années de cinq bancs Jpour parfaire
nostre voyage.
Nos Pères ne se contentant pas de la bonne chère
qu'ils nous avôient faicte, nous donnèrent un beau
p^tit tabernacle tout doré, pour tenir le Sainct Sa-
crement , qui nous a bien servi icy , où semblables
choses à tels usages, ne se recouvrent facilement.
A tetnps nous partismes du port le 26 d'aoust>sur le
tard, et courusmes, en ce resté du voyage, qui fust
de douze ou treize jours , risque de nous perdre
plusieiirs fois , par le mauvais gouvernement de
nostre pilote turc, meilleur ivroigne que timonier de
« et mère ; ce qui ayant été avoué de tous , il dit qu'ils dévoient
(( donc tous partager le bien de leur père et mère. Les séculiers
<f dirent que les religieux dévoient en être exclus ; le cadi. répliqua,
o que, pour être religieux, ils ne sont pas moins enfants légitimes de
« leurs père et mère, et que partant ils doivent avoir la libre dis-
« position de leur^ biens.
. « Nos Pères à SciO: ont cinq Congnégatioas de Notre-Dame, pour
« les gei^tilshommes , pour les jeunes hommes au dessous de trente
« ans, pour les grecs, poar les écoliers, et pour ceux qui sont
« destinés à TËglise.
« La procession du 5afnt-Sacrement.se fait publiquement par les
« rm% «|Vec grawl appareil; chaque Gcmgrégatlon a son étendard et
« éraga son autel pour exposer le SaiotTSacrement. Ils ont quelque-
« feis une quarantaine de nos écoliers habillés en anges fort ricbe-
« ment, qui portent les armes ;de' la Passion ou quelque figure du
« Saint^SaeremenC; les eierges'et les flambeaux de cire blanche s'y
— Î3 —
vaisseau, qui .noasCaisoit paMer par ëessus lia fîP
ehers. De jihis, un jour comme il bous aroit kSiké
en une plage , où quelques narchatick Tiïi^
faiMîent traite de. bled, Boui» desôendismes sut Itt
rive, sur la paiple que nçs mariniers grecs {eXiéi
turcs avoient suivi le pilme en un bourg ; p6nr luy
tenir compagnie à boire), nous donnoient qu'il h^y
avoit point aucun danger', tuais à peine fusnles
nous en terre; qu'un de ces messieurs s'estant âp^
perceu que nous avions quelques oranges en ' la
barque, se saisit d'un Nouveau-Testament, qa*tm
des Pères tenoit en main , et nous fit signe ' que si
nous le voulions ravoir , il luy- falloit dbnnér de
I — \' — ^;m n>
« Toient en très-grande quantité : car les Seiot^ft^tranrai^etititmt
a proprement en cire. Les femmes Turquesquef 4ç gii^if^^^j^fi^iiL
a qu'on fasse passer la procession par leurs rues , devant leur
« logis ; elles sont la pluspart grecques ou sfourrlefe avek lés grec^
a ques, et ont quelque affection au Cbristiapisiaè. • : - : >
« 11 y a quelques années que Tisle de ScIq fqt.f4Big^.4Q H^'^^
• resse. Les Turcs firent leurs prières publiques pour obtenir
« de la pluie, mais sans effet. Lè^ àrecs firent' une' procèssioli
générale, sans que le*ciel donilât uoô seule'gbuttèdd't^lu^^-^B'
« Pères lurent priés de faire leur, i^ocassion ; ilf Ift fi]^|il><4i90ih
« tèrent flmage de la Congrégation des Gentilshomipes, qui est
it une rkiùie Marie-Majeluré, envoyée' par notre k F^. dénéral, à là
f GoagtégMbB. Avant qoe^l^ {ifwesâfen fntMlwfvaB, îla plniè
c (lunj^a jE» te^lè. fJK>u4afice,,^,qp'j^f,myuH^^ 99rèciH>«)^tfnmt%'
f tous ceux ^ui y assistèrent ; et les Turcs diso^ent qye la Mepem
« dés jiàpàfe; Serines étoif la plus puissante. Par iierieni ils enten<*
« :d^t la MétiheoreiMê VIsrge Mariéi ^ '(£fefitHof« c^
— 24 —
ces belles oranges. J'euspeur qu*il fit autant de nos
bréviaires que nous avions porté du baq^eau pour
dire nostre office, le long de ceste rive, et à temps,
nousnousreœbarquasmessur le champ tout àpoinct,
pour ne voir de prez ce qu'arriva àpn de nos frères,
qui s'estoit à la bonne heure escarté bu Un petit val-
lon , pour quelque besoin sien particulier , et ne
rendre par nostre présence et meslange Taccident
dangereux. Un mauvais garnement qui Tavoitespié,
je crois, et suivi de l'œil, prend, sans mot dire, la
mesme route ; mais Dieu voulut qu'il rencontrast
nostre frère Estienne au retour, et jà au découvert
du dict vallon ; neantmoins il le menaça par signes,
de luy vouloir couper la gorge , le saisissant par le
collet, et taschant de le ramener d'où il venoit;
nostre frère tient bon , et se tiroit tant qu'il pouvoit
vers la marine. Ce galant commencea à jouer du
baston sur le dos , et des pieds au jan^t de jambes ,
luy faisant plier le genoux jusqu'à terre. Bon Dieu!
que devinsmes nous à ce spectacle , ne pouvant se-
courir nostre frère que de. plaintes inutiles, des*
quelles les autres turcs ne faisoient guère de cas ,
aussi ne les entendoient-ils pas. Enfin nos rameurs
grecs de nation en eurent pitié , et se jetterent en
terre pour le secourir, qui furent soudain suivis des
autres monselimans (musulmans), plus pour défen-
dre leur frère de religion , comme je crois , que
— 25 —
pour loy bàre lascher prise, ce qu'il fit neantmoins,
au couster (aux dépens) de nos nMirini^*s , qui en
rappcNTlerent quelques bastonnades bien serrées; et
nostre frère se met dans la mer pour Tenir plus seu-
rement à nous , Teau jusques à la ceinture. Nous
louasme& Dieu du succez, et apprismes à bonnes
enseignes de marcher avec crainte et considération
parmy ceste^gent. On nous dit bien par aprez que
nostre turc qui s'estoit servi librement de la commo*
dite de nostre frégate, qui estoit tout à* nous par
pasches expresses, finissant là son voyage , fit sai-
sir ce misérable pour le faire punir: Pour nous , en
recompense dubien£iit, nous lui envoyasmes quel-
ques oranges, et recouvrasmes les heures du frère
qu'il avoit prins dans sa pouchette, mais non le
chapelet qu'il luy arracha et défila en partie et en
réserva les Pater , peut estre à s'en servir à leur façon ,
en disant a chasque grain le nom de Dieu, y adjous-
tant parfois quelques epithetes ou attributs, comme,
Dieu est grand. Nous passasmes outre, et le lende-
main mismes pied à terre vers la rive de la fameuse
et ancienne Troyes, où l'on voit encore quelques
ruines et fondements de ceste ville là. Un de nos
fibres par dévotion marqua sur une de ces tables
de marbre le sacro-sainct nom de Jésus , comme
bon augure. Et enfin entrasmes dans le detroict de
l'Hellespont, où il y a, d'un costé et d'autre, deux
cfaasteaux ou forteresses dicts Abidos, et Sesto, qui
sont comme les clefs de Stamboul , pour parler à la
mode du vulgaire, qui a corrompu le mf «t^t du
bon grec; nous commençâmes à voir la devoticm
apparente des monselimans (musulmans) , qui pian
tiquent aux champs et à )a ville leiu*s prières, plu-
sieurs fois de jour et de nuict, s estant au préalable
lavés cérémonieusement pour se présenter plus dé-
cemment devant Dieu. Et le vulgé pense ce lave-
ment s'estendre jusques à Tame ; mai» les plus doc-
tes demandent , outre ceste lavande extérieure , la
repentance intérieure du cœur. Il est bien certain
qu'ils nous font honte en l'attention et révérence de
dehors durant l'oraison, ne se laissant destourner ,
ou distraire par accident quiconque, et quand
leurs cloches vivantes donnent le signe de l'oraison
sur les hautes tours, ou esguiHes des mosquées, ou
dedans les palais , ou*senïilles des grands , on quitte
toute sorte d'affaires pour la prière , laquelle , ceux
qui ne peuvent aller à leur temple , font où ils se
trouvent, les Bachats .dedans leurs salles, sur des
tapis qu'on estend sur l'heure expresse , les autres*
en leurs maisons, ou- en belles ^campagnes vers le*
soleil. Nous descouvrismes enfin la ville, et ipe0m«->
parable en assiette , Gonstantinople, jtisteihent k
7 de septembre 1 609 , veille du bon Jour de la Na-
tivité de la glorieuse Vierge^ ; auquel- Dieti; me fist
— 27 —
jadis la gmce parTintercessioB de cesté sienne mère,
de raiaistre spirituellement en la Compagnie. Nous
bordoyasmes terre à terre ses deux fiancs , qui sont
tomes vers les defUx mers, blanche et noire, et
▼insjmes prendre terre vers Galata, dicte Bera, pour
estre de l'autre côâté du maistre port. Nous ne vou-
lusmespas n!iéttre pied à terre sans Tavoir fait sça-
voir à M. le Baron dé Salagnac , ambassadeur de
France , qui, par bonne fortune, se retrouvsi de re-
tour des bains , voire revint exprez, ayant pressenti
nostre venue; bien que quelques-unslireht leur pos-
'sible poui^le retenir, sous autre prétexte, mais dict-
on , pour doniier le moyen à nos contraires de nous
donner le chasse soudain à* nostre entrée , et nous
&ire rebrousser chemin àe gré ou de force. Mon
dit Seigneur nous envoya sur le champ un de ses dro>-
gamains (drogmans) et un janissaire poiur nous faire
escorte , nous faisant un accueil de sa singulière af-
fection à nostre endroit, et nous tint trois sepmaines
enviroa en sa maison et table ,<^ avec mille caresses.
Le bon Seigneur nous avoit desjà loué Une maison
(persuadé par les gens du pays que le liei>de Sainct-
Benoist n'estoit à propos pour nos exercices) belle
et bien située au milieu delà demeuve des latins,
mais la difficulté estoit de trouver ^lise propre et
commode, y ayant seulement une. petite église ou
chapelle, voisine de quelque cinquante pas, dicte
— 28 —
Saint-SeI>astieD, qui a'estoit offidée qu'une ou deux
fois Tan ; cependant que nous estions occupés à
penser à nops loger, il se présenta une occasion ca-
suelle qui nous fit descouvrir quelque chose des
menées de nos malveillants. Car M. Tambassadeur
voulut aller visiter le grand Bâcha, ou premier
visir qui gouverne absolument , pour dire ainsi ,
tout l'empire , qui estoit pour lors campé vers Scu-
taret , qui est vis-à-vis de Constantinople en l'Asie,
pour parachever la suppression des Seraliers ou Ba-
lis, qui avoieiA mis cet empire, ces années passées,
sans dessus dessoubs. }e me trouvay par fortune
avoir dit la messe, qui fut cause qti^il trouva bon
de me mener par manière de pourmenade , avec un
de nos Frerçs; abordés de là, nous passasmes parmy
les tentes Turquesques, où les soldats estaient avec
tant de modestie et de silence, que vous eussiez dit
estre plustot celles d'anachorettes , que retraite de
gens de guerre; si arrivasmesâu pavillon du visir ,
qui avoit des distinctions et gardes de generjil d'ar-
mées avec deux haultes piques , ou javelines fichées
en terre sur Tentrée. On nous mena jusques en la
salle d'audience , ou Ton parle si bas , vpire quand
le Bascha n'y est pas , que c'est chose digae de
marque. Là sur l'entrée de la chambre ou anti-
chambre dudict , demeure son fol , qui porte tiltre
de Santon , prez d'un baston d'où pendoient de
— 29 —
vieux haiBons et quelques ustensiles de bois de oe
saint personnage y qu'il tenoit prezde soj. Par bon-
heur on porta un siège ou tabouret un peu hault
couvert de blpoderies, pour faire seoir Monsei-
gneur^ tandis queie Bâcha seroit prest à venir ; peut
estre qu'il achevoit de lire Falcoran , selon la cou-
tume, tous les matins, avant que de traiter avec per-
sonne. Il vint enfin , et après avoir salué un peu de
la teste , la main à la poitrine , M. l'ambassadeur ,
qui le- salua de mêsme façon sans oster le chapeau ,
s'assit sur un siège semblable à celuy de nostre am-
bassadeur, qu'on porta exprez sur les tapis posés
en terre à la mode du païs. Le truchement faisoit
son office, la toque de velour en teste , et tous les
gens de Monsieur estoient rangés au-delà du tapis
dans la mesme salle, la teste couverte; au courant
du discours, leBascha, à propos de quelque chose
qui touchoit le Vénitien , dict au truchement, qu'il
avoit sceu que quelques prebti'es latins estoient
venus de nouveau , personnages dangereux et haïs
de tout le monde, et qu'il estoit meilleur qu'ils s'en
retournassent en leur païs au plus tost. M. l'ambas-
sadeur repartit en nous qualifiant aultres que
cda, et nous advouant pour gens que le Roy très-
chrestie'n, son maistre, luy aroit envoyé pour le
service de sa maison et de toute la nation; le visir
sembla se contenter, et ayant fait porter du sorbet
-30-
^c'eft ufie boisson , ou les senteurs ^ le suore et au-
ti^es ingrédients entrent) cbns deux tasses de pour-
celaine ,• fit un brind à nostre ambassadeur , et sou-
dain aprez on porta une petite ci^vette ou bassinet
de mesme estoffe , pour faire boive toute là trouppe,
Tun aprez l'autre. Cela faict , nous nous retirasmes
avec le meune salut que devant, estonnés d'un co^é
aprez l'attentat de .nos. ennemis, mais bien aises de
l'autre de l'issue, cuidant en estre quitte à si bon
marché. Mais nous avions affaire a des gens qui ont
la haine de nostre religion par trop enracinée en
leur ame, pour se contenter de ce petit attaque*. Il
fut question de nous loger, M« le Baron fit deman-
der à Mgr le Reveren^issime evesque de Tine , vi-
siteur apostolique en tout le Levant, l'usage de la
susnommée petite église de Saint-Sebastien , avec
la reserve neantmoins du monastère de Saint-Be-
noist, pour tous evenemens; Mgr Tevesque fist res-
ponce que c'estoit trop , et qu'une sufifiscât : aussy
avoit-il destiné le dict Saint-Benoist à un hospital ,
qu'il avoit projette avec les Messieurs de ceste ville ,
avec les plus belles spectatives<lu monde , disant de
nous mettre au choix de toutes deux. L'incommo-
dité que ces Messieurs alle^oient d'envoyer leurs
enfants en ce quartier de ville esloigné de la de-
meure de France , avec l'affection qu'Us avcûeiit jji
conceue de ce.riohe hospital, qui devoit faire à
— 31 —
taites left Bècesiités de leurs famittes, pour marier
GMeSy etc., mefist résoudre à n'accepter l'offre d'es-
lire y me remettant à ce que , tant sa seigneurie Re-
yerendissime^ que M. l'ambassadeur et Messieurs
de BeraV pour Tayde et service desquels particuliè-
rement nous estions venus de si loing , trouveroient
meilleur, estaM prest de loger, ou il leur plairoit,
£ut-oe bien dans les casuettesou grottes, postpo*
sànts toutes sortes de commodités temporelles et
corporelles à leur service et prouffît spirituel. J'ad-
joutay bien qu'à k vérité l'intention de Sa Saine-
teté estoit cpie Saint-Bènoist nous fut assigné; ces
Messieurs montrèrent de s'édifier assez de nostre
ofifre et bonne Voulonté , et furent d'advis que, par
provision , on nous donnast l'église de Saint-Sebas-
tien , plus proche qu'aultre à la maison louée par
M. de Salagnac; l'on pdnt jour pour nous mettre
en possession de la dicte église. Mais ce qui se
passa entre Monseigneur le visiteur et mondict sei-
gneur ^ toucham Telection actuelle de l'hospital au
susdicC monastère de Saint-Bienôist , que Mgr de
Tine vouloit serrer et boucher , et M. l'ambassadeur
demanda delay jusques à aultrés lettres de Sa Sainc-
teté , aigrissant les esprits , di£fera la chose' jusques
au dimanche suiyant, le 20 de septembre 1609, au-
quel iour, aprez avoir travaillé heureusement à l'ad-
doudssement d'une part et d'autre , nous allasities
— 32 —
dire la mesafi à Saint-Sebastien, y assistant M. l'am-
bassadeur et les principaux, du lieu, et puis disnas-
mes avec la mesme compagnie de Monsieur et des
aultres aux frais du dict seigneur au nouveau logis.
Nous fismes faire des soutanes sans collet , avec les
manches larges, etlaissasmes croistrenos barbes,
qui donne gravité et respect par deçà. Tandis que
nous accommodions la maison bien pauvrement, on
travailloit de bonne sorte à la conversion de M. de
Cariât , frère de M. l'ambassadeur, qui ne s'estoit
encore pu résoudre, quelque diligence que Monsieur
son frère y eust faict. La chose réussit si à souhaict ,
que sur le milieu.du mois suivant, il donna le bon
mot, et ressentit en brief tel allégement en sa ma-
ladie, qui le tenoit depuis quelques mois alitté, et
Tavoit, au dire, des médecins, quasi consigné aux
im^ents de la mort^ qu'il put tout debout, vx>ire à
genoux, £aire l'abjuration solennelle de Theresie, en
la chapelle domestique , entre les mains de Mgr le
Reverendissime visiteur, vestu en pontifical, en la
présence de M. l'ambassadeur de Venise et d'un
grand nombre de gens qui y accoururent, le diman-
che avant la feste de tous les Saints. Ce succez si
fortuné nous mit en appétit du salut des âmes et
nous donna nouvelle espérance du fruict de cette
mission ; on nous avoit desja envoyé quelques en-
tants pour commencer quelque sorte de classe , ce
-sa-
que les Pères firent sans liVres, pour dire àiiiky {tsar
ils estoient encore dans le navire vénitien^) àiissy
bien que moi , de prescher le jour de la Toussaint ,
et les dimanches suivants, jusques àTadvent, queie
P. Guillaume print là besongne , et ainsy Tiiri ovL
Fautre avons continué tous les dimanches du long
et large de Tannée ; chose aucunement nouvelle -eii
ces païs, où Ton se coritetftoit de Tadvent et quà-
resme; mais j'espere que peu à peu ils entreront en
appétit de la parole de Dieu, en tout temps. Bientost
nous mismes en avant, jparlantavec M. l'ambassa-
deur, le bien des congrégation de Wostre-Damé,
qui luy en fit prendre envie , estant de son naturel
feicile à se porter au bien etf- à la dévotion; si en
paria à quelques-un» de ses plus familiers et Voulut
jetter les fondements de ceste œuvre le 28 de no-
vembre, qui estoit Toctave de la présentation de la
Vierge*, se mettant pour premi^e pierre fondamen-
tale de la Congrégation. Avec luy s'inscrivirent ses
drogomans et quelques autres de sa maison , nom-
mément M. Lesdos, sotf 'aumosnier ^ qui a este du
depuis, à la rèqueste dudict seigneur, nommé pour
l'evesché de Milo, en Tarchipelage, qui'fut esleu
premier Pi%fectde ceste congrégation, qui a apporté
jà plusieurs beaux fniicts de dévotion et de fré-
quence des SS. Sacremens, qui n'estoient encore
en vogue, lii mesme en pratique en cesr quartiers.
R. 3
— 34 —
NcMis. nayigimn^,, .^'il novs semblait , le vent en
pouppe ,. a dix xmlle par heure , quand inopinemept
ui;]^ tourl^iUon de vent nous cuida bouleverser, et
metUre à fond^ irrémédiablement. Mais avant d'enr
taqaer ce faict, je veux raconter ce que M. Tambas-
sfV^eur pous fit voir, peu de jours avant la bouras-
que. II. y avoit une certaine sorte de gens parmy
ce^te nation mahometane, appelés Dervis, qui font
professionrde retireme^nt et vie comme religieuse ;
pauvrement habillés, pluisiieurs à nuds pieds, et
abstipisni^ en bur mapger. Us Qnt diverses maisons
ou monastères eapars ep F.empire, qui dépendent
d'une m^i^tresse maifiion, vers la mer noire, et por-
tent honneur, dict-on^* à saint Georges et saint
Demetrie; deux fois la ^n^aiua^ le lundy et yen-
dr^dy^ ils fqnt une belle cérémonie ,. à la yeûede
tous ceux qui entrent dans ^n clos -couvert et
quarré, entouré de gallenes, d'où Foi) voidde bi0n
prez lesjacteurs de ceste action ,, qui s'e^xbibenjtau
miUieu. Le supérieur d^s susdite 'Dervis^ assi^ à la
turquesque sur iin tapis, ep l'une de. ces galleries,
qui soQt.un.peuesleyées de quelques degrés, ayg^nt
un petit pulpitre. devapt soy pour -soustenir son
livre ouvert, fit un sermon en sa langi^e sur le texte
de sa loy ; ses gestes et sa, voix nous donooient a
entendre qu.'il parloit d'affectiop, reprenant^ comme
l'on. dit,. les mœurs des.|pauvais Oervis. Ses reU*
^35-
gieux estoient assis en ce foiid, avec une asode^tie
admirable 5 sans tourner, les yewi ni la leste v loire
les yeux clos. Le sermon fini, certainfiifltttteùrs,
avec- quelques voi^ doucemeiitharmonieiiseSy^en^
tonnèrent certaines chaitisons , qui sembj^èmt
charmer ces pauvres gens et les ravir:, leur tiriiiit
parfois des soupirs et paroles pleines d'^ntousiatiinte;.
Le supérieur parfois eslevoit ses mains, comme
font, sans 'comparaison ^.nos prestres à ;raute4: du-
rant les oràîsonS' et canons | et tout; dlut^ooupv : isq
abrupto, ils se lèvent tous et co!i»menoent le branalë
des anges , que ces noUes créatures^ jdisèhtwife,t
dansèrent aprez< leur erealkon . Le supenîeur^ assisté
de deux autres, pasàp^s gravem.eot^.les mesien'
danse 9 et les autres,, pa^^nt l'un apree^ rmitré de^;
vaut leur supérieur, s'incUçiani; b^mblemenAi, et'
hastant le pas petit à petit ,« commencent li^ur» tburr
noyements en piroyetant.sî l^ilemeiiAet i^istemdntf
que c'.est merveille^ sans se choquer L'un L'fmtre^.
les yeux.do^ cotnme des: genfsi ravis; Lion recKum-f.
mencela^danse parJi:o^sQU quatre fciis^ en l£^4<^r-;
niere , le ^uperi^ur se . mest pariny : la me^éi^ » et,
ferme U oetr^ixiQi^ie. Je ne j&eay > si «6$: gens /auraient
tiré ce bmnslè d'une fa^nigrecque^qu'il&appdttent
Chori x^n^^Ueiy. . . . ' , :
On niHifi VQttlutibien faire danser un autreibituosie :
le 43' de.diçimnbret ^ esehoit. nette airaâeJà^
— 36 —
1609^ an troisiesme dimanche deTadvent, et qni
est mémorable ponr le martyre de sainte Lucie^ les
reliques ^e la quelle* reposent en la noble ville de
Venise, if ous avions practiqué nos fonctions d'église
à Taceôustumée^ et retirés à nostre maison aprez le
re)>as, discourions 'par ensemble auprez du feu , qui
estoît bien de requeste pour le froid et neige qui
estoit pour lors. Le Père Charles descendit «au bas
du ]ogiSy.ei\sa classe , pour dresser l'oratoire de la
petite congrégation de ses disciples , qu'il avoit , à
Timilatiofi delagrajMle, commencée a dresser. Nostre .
(réte Ëstienoe estoit avec luy ; et voicy entrer le
Soubachi^ qui' commande aux janissaires de ce
quartier de viHe, avec bonne troupe de janissaires ,
avec leurs cornes d'argent et chaperons en teste, et
les bàstons en main. Le bon Père j cuidant que ce
fut des janissaires, qui demeurent ou practiquent
en la maison de France, leiir fit bon accueil, leur
nmnstrant par signe ce qu'il faisoit. Le frère voulut
monter en hault pour m'advertir de ces nouveaux
hostesy mai» ils le saisirent par le colet , et puis- le
menèrent quant et les Pères, et le «serviteur, où nous
estic^ns. Voyant entrer ces Messieurs siprivemeot ,
je n^edoubtôis. de quelque chose , et dis, fMeu soit
loué ! Le Soubachi s'allât asseoir sur mon petit'Kct;
ndtssti^mritasmes par gestes de se védîr chatifler,
maïs il -nioiislradei noiie remercier assez doucement.
— 37 —
Le bruict,: qui s'espancha parla Tille deceste visite^
fit résoudre un bon nombr^ de soldats françoit,
qui, dez les guerres d'Allemagne, se. rendirent aux
turcs j et leur font service en quarlité néanmoins de
chrestiens, à y accourir et empescher par leur pre<
senceet crédit (ils sont honorez et craints à mer*
veille) quelque desordre tx>ustumier en semblables
acci{lenl5. Si nenouscognoissoient-ils encore^que par
le nom de fraoçois. Un des drogomans de Monsieur
(rambasfsadeur) y vint aussy , et d'un pas faasté lui
en alla donner la nouvelle et le trouva qui avait
desja sceu d'un chaoux , ou gentilhomme du grand
visir 9 le commandement qu'il avoit de nous repré-
senter à son altesse. Monsieur l'ainbassadeur avoit
respondu qu'il ne manqueroit le jour suivant d'aller
trouver le visir et nous représenter, ne sachant pas
q^e la chose fust si avancée; mais entendant, que
nous estions ja ez mains des sergents, il se mit en
chemin , sans ;attendre cheval, ni aultre équipage*
Le chaoux susdict nous vint trouver^ et nous mena
quant et soy , avec telle presse , que nous n'eusmes
le loisir que de prendre nos chapeaux, ayant nos
grosses robbes de chambré et nos pantoufles
aux pieds. Nous marchions pleins d'assurance ,
po«r le tesmoignage entier de nos consciences ,
et faisions plus gaye mine que ceux qui nous
voyoient. passer , qui deploroient et pleuraient
— 38 —
ce desai^tre. Nous passasmes l'eau , et iqenéft en tri-
omphe par béste noble ville, entrasmes dans le pa-
lais, du Bascfaa, où quelqu'un des truchments de
France arriva soudain, portant nouvelle de la ve-
nue de Taoïbassadeur^ à ce qu'on he nous présen-
tas! auparavant. Le bon Seigneur , tout harftssé, ne;
tafda gueres , et delà à peu (durant lequel temps on
nous entouroit et regardoitpar miracle) entra ^ans
la chambre du divan, où les baschas s'assemblent, et
où se traitent les af&ires piiJ^liqiies. Nous y fusmes
aussi appelés. Le premier visir venu , Monsieur
(l'an^assadeur) s'assit à l'accoustumée, vis avis de
lui ; on nous fit monter sur le* baudet ou sauphat ta-
pissé, laissant nos. pantoufles au bas, prez du dict
visir ^ ^qui fit {grande instance, qu'on nous envoyast
en nospaïs. Mais Monsieur, répliquant avec merveil-
leuse .efficace, sembla l'adoucir aucunement , si que
la ohosè fut remise jusqu'à une autre fois, qui est
quasy c^ose gai gnée en ces quartiers. Tant y a, que
Monsieur l'ambassadeur nous emmena libres et
sans ohaisnes,.aussy n'avions nous pas mérité de les
porter, entourés au grand contentement de tous les
bôhs, tet creveKîœur de nos contraires. Nous ne per-
dismes pas courage pour cela, ains continuasmes
nos exercices comme auparavant , et passasmes le
premier jour de Tan avec médiocre appareil , hono-
rés de la présence de Monsieur l'ambassadeur et de
— 39 —
MoDsieui'^on firere , qui se communièrent en nostre
église , et prindrent le disner en nostre maison , et
avec eux tous les principaux religieux et quelques
séculiers ; puis la feste de saint Sebastien titulaire de
TEglise. Nous pensions avoir eschappé la tempeste,
quand la veille j au jour de la conversion de saint
Paul, Monsieur l'ambassadeur receut nouveau com-
mandement de nous chasser, qui fut réitéré tous
les mois une fois pour le moins; jusques au mois
de que par l'entremise du beau fils du premier
visir, dit Ali-Bacha, on redit que, puisque 1 ambas-
sadeur de France s'opihiastroit de la sorte à nous
retenir, nous demeurissions. Je serois trop long , si
je voulois dire , par le mesnu , les moyens desquels
s'est servy ce bon seigneur pour nous maintenir ,
comme il déscouvrit les menées de nos parties 9 les
présents qu'il fit d«çàetdelà à gros frais, ces ap-
préhensions qu'on nous donnoit , les menaces etc.
Si ne veux-je pas oublier à dire, que les oraisons
extraordinaires de jour et de nuict que nous fismes
pour fleschir la divine miséricorde , à accepter nos
petits services au bien de ces âmes , ou nous recep-
voiren sacrifice et holocoste, si nostre sang ou capti-
vité deb voit réussir à plus de gloire pour sa majesté,
fust, à mon advis, meilleure pièce de nostre defence.
Pour moi, je confesse qu'allant dehors, comme j'estois
contraint dé faire souvent, pour m'aboucher avec
— 40 —
Monsieur j^l'ambassadeur), je prenois un crucifix à
ma poictrine soubs ma robbe , à ce que , si par foiv
tune j'estois suprisen chemin^ jevesquisseou mou%
rus^e aux pieds de mons maistre. Le bouton du
martyre estoit trop friand pour moy , il me suffît
pçur encore d avoir esté du nombre de ceux qui
ont esté en hasard de mestre la vie ou la liberté pour
le Vicaire.de Jésus*Cbrist en terre, duquel on nqus
disoit espions^
Rebroussons un peu maintenant le fil de nostre
discours , pour y enfiler ce qui nous arrivoit à la
journée, de. plus remarquable. Sur le caresme pre-
nant, Dieu qui nousavoit^ par sa Providence, mar-
qué et destiné ce lieu de Saint-Benoist, où jadis ceux
de nostre Compagnie, il y a bien vingt cinq ans ou
plus, avoient fait quelque résidence , y laissant pour
gage le corps de trois , que nous^avons depuis trou-
vés, comme je diray plus bas, nous voulust, ce sem-
ble^ doucement contraindre à nous y remuer, sans
avoir égard aux imaginations , qui nous en avoient
destournés de premier abord. La maison, où nous
estions, qui est assez récente, commença à faire jour
et manquer par les fondements, de manière que nous
fuîmes forcés de pourchasser la retraite d'icy. Mgr
le Reverendissime de Tine , craignant que cela n'al-
téra son dessein de Thospital , faisoit quelques dif-
ficultés , mais enfin nous Toctroya , soubs le bon
— 41 —
plaisir de Sa Sainteté ^ laquelle^ justement enmesme
temps j informée de ce qui s'estoit passé sur ce sub-
jet , fist entendrç à mon dict seigneur^ qu'on nous
donnast l'usage et possession de cette maison , sans
approuver ta prétendue relection d'hospital^ qni ne
manqueroit d'autre Ueu. Nous remuasmes donc la
dernière sepmaine, avant le caresme et y commen-
çâmes nos ministères d'église et de classe. On près-
choit le jeudy et dimanche matin en italien , selon
la distribution des églises de ce lieu ; et vendredy au
soir, exposant le Saint-Sacrement aprez un dévot
Stabat Mater dohrosa, on discouroit sur quelques
mystères de la Passion* La Saint-Benoist^ qui escheut
en ce saint temps , fust solennement festée avec lA
bel appareil, entt^ aultre d'un théâtre en demy rond
de degrés sur l'autel, garny de lampes, sur le milieu
duquel estoit le Saint-Sacrement exposé pour les
quarante heures, qui vont chaque dimanche en
lune des églises de Perra , par l'ordonnance de Mgr
le Visiteur apostolique. Il y eut sermon^ le matin en
italien^ et le soir en françois. M. l'ambassadeur fit
porter son disner, y conviant les principaux, tant
religieux que séculiers. C'èstoit grand dommage que
ceste église, vénérable pour son antiquité, rare pour
son assiette , belle pour les mosaïques , qui naifve-
ment et richement représentent, en espaliers sur les
pans des murailles, les principaux mystères delà vie
et Passion de Nostre Seigneur, demeura serrée toute
Tannée, excepté le jour du Saint, se ruinant sen-
siblement, en danger de s'ensevelir en.brief dans
ses propres ruines. Elle est posée sur un gros mur,
quiserroit, diôt-on, un grand clos, où toutes les
bestes à laict s'assembloient, où de la ville de Cons-
tantinople on venoit achepter tout le laictage, qui
a donné le nom de Galata , par la corruption du
mot grec, à ceste ville de deça> dict autrement Pera,
pourestre deçà le canal. Le monastère est entouré
de jardinage à plein pied du reste de la ville, d'où
Ton monte un beau» et large escalier à repos , jus-
ques à une bell^gallerie de bonne largeur , qui sert
Amme de porche à Teglise, toute ouverte du costé
de la mer , de laquelle on void vi^à vis du sérail du
grand seigneur, et prez d'icelluy la fameuse sainte
Sofie accompagnée d'un dôme et de quatre esguilles,
qui servent, tant pour les cloches vivantes , desquel-
les j'ay desja parlé, que pour tenir les lampes qui ar-
dent les liuicts précédentes à leurs festes solennelles,
entre lesquelles est nombrée la mémoire des tres-
passez, et tout lé long (je dis la nuict) de la 12**
lune jusques an renouveau de. la suivante, qui. est
leur grande Pasques, qui dure trois jours, durant
lesquels il ne fait guère bon cheminer, pour le moins
il couste de bons aspres. Mais entr eux ils s'entre-
baisent au premier rencontre, en signe de paix,
— 43 —
qiiï sont toutes pièces du christianisme. .De plus ,
de ce lieu , on voit la conjonction des aeux mers
noire et blanche , et par cons^equent voit-on entrer
au pert toute sorte de vaisseaux , et a-t-on le plaisir
des sorties et entrées triomphantes, qui vont et
viennent par ces mèrs^ une fois Tan: Cette galléHe,
en son flanc gauche, a deux maistresses portes pour
entrer en l'église, Tiiné pour les hommes et l'autre
pour les femmes , qui ont leur lieu distingué par
treillis de bois^ avec une tribune au-dessus pour les
vierges , qui en ces quartiers ne s'osent montrer,
non pas mesme à leurs proches, et pour ce, vont
rarement ez églises , et ce , * à la poincte du jour,
Craignant que le soleil les attrappe par les rues.
Le bout de ces dictes galleries s'abboutit à un treil-
lis de fer qui serre une geûtille chappelle voûtée et
desdiée à l'Annonciation de la Vierge , où les con-
grégations s'assemblent; laquelle feu monsieur l'am-»
bassadeur a faict magnifiquement peindre par un
peintre grec avec les armes dti roy trez chrestien et
les siennes , et a décoré d'un beau parement blanc ,
ouvragé à la persienne avec la chasuble de damas
blanc aussy.
Au reste, tant s'en fouit que nostre demeure icy
ait diminué le nombre des escholiers, comme l'on
craignoit , qu'il est allé totisjours croissant , mesme-
ment des grecs , qui avec une inespefée confiance
_ 44 —
nous mènent leurs enfants, ou parents; qui me £aict
espérer au courantdu tempsquelque bonne alliance,
n'y ayant aultre moyen plus propre pour y parve-
nir ^e/i^Z/n sine sensu et absque suspicione doli.
La Saincte Sepmaiqe se passa avec assez de con-
cours de pénitents grecs et latins, regnicoles et es-
trangers , ce qui s'^t remarqué en toutes les autres
bonnes festes de qette année 1 61 0. Pour les françois,
qui viennent sur nos vaisseaux , c'est icy leur prin-
cipale et plus chérie paroisse , voire mesme jusques
à quelques uns de ces soldats susmentionn.és , qui
sembloient avoir passé le Rubicon de salut , et quasi
tous frequentoient nostre egUse et sermons avec Tes-
tonnement de cexn^ qui les cognoissoient. Dez cette
sepmaine peneuse, on commença à discourir en
grec vulgaire, en public^ avec admiration de .plu-
sieurs, qui ne regardoient pas tant à l'accent et
phrase, qui estoient plus voisins du bon grec, que
du commun langage , que à l'affection et zèle, qui
nous portoit au del;à de nos- forces. On a coustume
une fois tous les mois à sermoner en cette langue ,
comme en langue fîrançoise en plusieurs occasions.
Monsieur l'ambassadeur voulut estrenner la cham-
bre, qu'il avoit faict accommoder prez du jubé de
nostre église tout exprez, les. trois derniers jours
de la Passion, pour vacquer plus librement à la dé-
votion. Mais qui eut dict, que les juifs nous eussent
— 45 —
favorisez en ceste Porte , donnant bon tesmoignage
de nous , en temps et lieu , et quoy ! de nous vou-
loir fier quelques-uns de leurs enfants ^ suppliant
mon dict sieur le nous enjoindre : ce qull fit. Mais
ils se sont retirés doucement ^ Dieu meii^cy, et ont
délivré le C. • . .-. (le mot est omis dans le manuscrit)
qui les enseignoit à part , de ceste corvée.
Le premier Yisir passa en Asie pour attaquer les
persans 9 ayant laissé, pour 5aïmacan du lieutenant,
le second visir, qui avoit trouvé mauvais le pro-
cédé contre nous, aussy bien que le mufti, chef
supresme inspiritualibus, en ceste i^eligion, qui, par
une belle rodomontade, dict qu'ils ti 'a volent de
quoy se soucier ou craindre, quand le pape mesme,
et non que ses affidés , viendroit en propre per-
sonne se tenir icy , et que le Bâcha , capitaine gê-
nerai et comme admirai' de l'armée navale, qui
nous avoit voulu comme pleiger (cautionner) prez
du premier Bâscha ,- pour Pamitié singulière qu'il
portoit à tiositre ambassadeur. Et nous cheminions
de bon train étt nos es^erctces , quand vint la triste
et déplorable nbUvietle de Tenorme parricide, com-
mis en la personne du grand Henri IV, nostrë tre2
bon et trez chrestien Roy ,' de glorieuse mémoire.
Le bon monsieur dé -Salagnac , comme un de ses
plus fâmiKers ancien^ serviteurs, par je ne sçay
quelle syitipathie ex^sordinaire la' pressentit eri^
— 46 —
songe y avant d'en ouyr la nouvelle / luy semblant
d'arriver à la cour de France, et d'y voir tout le
monde en deuil , jusques à la reyne , qui , couverte
d'un grandcrespe, luy donna^ de sa propre bouche
royale, la nouvelle de la perte de son bon et cher
mary . Dieu sçait combien ce. seigneur regretta cette
mort, qui assena, ce semble, le coup mortel, qui ^
en peu de mois aprez, le ravit de ceste vie. Nous
participasmes à bon esoîent à la douleur, aussy bien
qu'à la perte, recognoi^ant au reste la douce pro-
vidence de Dieu en nostre endroit, qui n'avoit pei>
mis ce coup au fort de nostre orage , ou durant le
gouvernement de ceux, qui ayoient juré nostre
chas^ment. Monsieur l'ambassadeur ne manqua à
ce qui estqit deu à la m.emoire d'un tel roy, faisant
faire un office solennel , premièrement, en l'église,
de Saint-François , qui est la ,princip$de en cette
ville^ avec un bel appareil lugubre ^ faisant l'.ofQce
Monseigneur l'evêque d'André, tout /porté icy.par.
cas fortuit, avec l'assistance. des. illustrissimes am-
bassadeurs de Venise et jKa^se et-tçii^te la maison
d'Anglotan^ avec le beau frère, de l/a^bassa|[^qr,
qui ne pouvoit assister ^^ peri^pn^e à li^ .m^sse.. Oq
se servit d'un/le^maus pçur fetifiie rpi;aisoj% funèbre:
en italien,, quelque refu^quenaps.|enJ[l8siqns, pour
le defajilt de L|^gue et d'aultre» parties. Di^u.yo^lat
que le..4i^^9#i*^ ^^9^ aucun^^oieiit. passable. M^Sr
— 47 —
sieurs de Yeaiâe y eureat une période honorable ,
sur le propos des. amis de ceste couronne. Aprez
l'office , monsieur de Sala^nac se vint retirer cheX'
nous, pour y prendre son disner y préparé, et quant
et luy monseigneur Tevesque, MM. de Raguse, leR.
P. vice-patriarche , et autres. C'estoit justement le
penultiesme de juiHet , veillg de la festit de nostre B.
Père Ignace, que jadis, ledim^che précèdent, le
susdict vice-patrisirche (qui nous monstre grande
affection), par un fort honorable cartel, avoit iPaict
publier par toutes les églises de ce lieu. On chanta
les premiei*e3 vespres solennelleaientavec un appa^
reil meslangé de joye et de deuil. J^e chœur et autels
estoient richement parée de blanc, et l^, nef tendue
en blanc et nptr, parsemé de fleurs de lys et de
larmes; et sur-le milieu y avoit une magnifique cha-
pelle ardente sur quatre colonnes blanches et noires
en façon de marbre , meslé avec des pantes de bro-
catel blanc et noir, et un drap d'or sur le cercueil
bandé d'une bande de velours noir. M. Tambassa*
deur passa eeste nuict chez nous et la suivante. Le
lendemain , un de nos pères chanta la grand messe
du sainbt , sur la* fin de laqueUe, oji fit le sermon
propre du jour. On y commença .165-40 heures pour
prier, tant pour Tamé du roy de£Eunct , que pour
Fheureux règne du nouveau roy^Louys XIII, et sur-
la closture de ladicte oraison, on fit un autre office so^
— 48 —
lennel lugubre, où le P. Antoine corddier, bon pre*
dicateur, fistàma réquisition un petit panégyrique.
Mais j'oubliois à dire qu'au jour de nostre Père ,
M. l'ambassadeur, en notre considération , pria à
disner le susdict seigneur evesque avec un arche-
vesque grec , de nouveau consacré , de nos amis ,
nommé Ignace, avec quelques religieux des princi-
paux, tant grecs que latins. Nous continuasmes
nostre train jusques à tant que M. de Salagnac se
partit , pour aller aux bains, qui sont en certaines
isles , ou en l^entrée de l'Asie , non gueres loing
d'icy, d'où il rapporta , non la santé , mais le
mal qui l'emporta , trop tost pour ceste mission ,
comme voyrez tantost. Il me recommenda en son
départ , qui fust aprez la Nostre-Dame d'aoust , qui
nous avoit esté comme solennelle en confessions ,
de fester le jour de saint Louys avec singulier
appareil, désirant introduire ceste feste ici comme
solennelle pour la nation françoise : ce qui fut
faict avec grand'messe et sermon , où tous les. reli^
gieux furent invités avec le R. P. vicaire patriar*
chai, qui chanta lamessa; et tous disnerent avec
M. de Cariât, qui estoît demeuré en ville. Le tout
se passa avec particulière mémoire de nostre nou-
veau Louys , qui avec Taide de Dieu et bonne
nourriture de la reyne sa mère, donnera à la
France un autre saint Louys. ie ne veux passer
sous silence la faveur de Tun et de Pautre env^^s
cette mission, daignant nous recommander en leurs
piemieres lettnes à M. Tambassadeur, de bon
accent, aussy bien que le feu'roy, qui ne nous
oublia jamais, me favorisant particulièrement d'une
sienne, pleine d'affection, royalendent paternelle, et
paternellement royale.
Sur l'entrée du mois de septembre , M. de Sala-
gnac retourna des bains, saisy d'une fascheuse fieb-
vre, que l'air de ceste- contrée r^itnmuniqua ceste
année universellement à tous , ou à la plupart de
ceux qui y furent,<le quelque nation qu'ils fussent;
mais peu en sont morts. Le bon seigneur, chargé
d'années et cassé de maux , ne put résister à la vio-
lence et longueur de ceste fiebvre , bien que , par
deux fois , il sembla avoir eschappé le danger , au
dire des médecins y une desquelles il semble qu'il y
eust du miracle ; car ayant esté jugé des médecins
n'avoir que pour quelques heures à vivre , s'estant
voué à nostre bienheureux Père Ignace , il se porta
mieux ; pouvant recevoir Textresme-onction , et
alla meilleurissant durant quelques jours, bien qu'a-
prez il recheut. Il donna partout bon tesmoignage de
sa pieté , mesmement en la réception du saint Sa-
crement de l'autel par deux fois et par l'extresme-
onction, faisant une belle profession de foy, en
recevant, pour la dernière fois, le Sainct Sacrement
K. 4
— Î50 —
en viatique. Il nous légua bonne partie de ses livres^
aprez tant d'autres bienfaits , tant en argent qu'en
vin et aultres commodités, que, durant sa bonne
santé , il avoit £aict à ceste résidence ; et pour finale
démonstration de sa singulière et cordiale affection,
ordonna d'estre enterré en la cave de nostre église.
Nous ne manquasmes de l'assister de jour et de
nuict, quand le danger et griefveté du mal le requi-
rent , jusques au douziesme d'octobre , que je disois
la messe en la Chapelle à son intention , et que l'a-
poplexie le saisit et lui osta la parole et tout aultre
sentiment , et l'emporta sur l'entFée de la nuict du
mesme jour, le 29* jour de sa maladie. On ne sçau-
roit bonnement exprimer les regrets de toute sorte
de gens de condition et de religion sur cet accident.
Le jour suivant , nous redressasmes la chapelle ar-
dente qui avoit demeuré tendue, quarante jours du-
rant, avec la mes^ tous les jours, pour l'ame du
Roy ; tendismes nostre église en noir, et sur l'heure
du midi , qui revient à la quarte de nostre horloge
firançois en esté , on fîst le convoy honorablement.
Nos petits escholiers, avec des cierges allumés , al-
loient les premiers, suivis de plusieurs austres estran-
giers ; puis venoient les religieux et aprez, les do-
mestiques (gens de la maison). Douze gros cierges
de la noble compagnie de sainte Anne, qui faict le
corps de la ville pour les chrestiens catholiques ,
-M —
portéspar douze^ vestns en sacs, qui représentent les
douze apostres^etn'aYoientcoustumedeniarcherque
pour la procession du Saint-Sacrement, precedoient
immédiatement le cercueil, couvert, k la mode de
France, d'un drap de velour noir avec K croix de
satin blanc. Suivoit M. de Cariât, frère du deffunct,
assisté des Illustrissimes Ambassadeurs d'Angleterre
et de Venise , avec toutes leurs suites, qui tous con**
dnisirent le corps en nostre église , le posante soubs
la chapelle ardente, et ouyrent l'office de l'enterre*
ment. Mais nous le mîsmes puis en son lieu de repos
la nuict , à huis clos, et frouvasmes trois des nos-
très en la voûte; un dans une caisse marquée d'un
Jésus, les aultres deux, comme morts, plus à la
haste, de la contagion , avec>Ieurs soutanes et habil-
lements quotidiens , mais si entiers pour ces deux ,
que il semble qu'il y ait du miracle; vu que detix
Pères Capucins plus recens de la moitié d'années ,
morts de mesme mal, y jettes, estoient consumés.
De là à six ou sept jours , on fit le service solennel ,
avec une oraison fiinebre, faicte parle mesme des
nost;^, qui fist celle du Roy , non sans larmes des
auditeurs*.
Pour nous , nous ne pouvions faire plus grande
perte, pour l'assistance et secours humains en ses
quartiers. Âussy falloit-il que nous missions toute
nostre confiance entre les mains de celuy qui assure
— 82 —
les Daniek au milieu des lioas rugissants , et déli-
vre les Suzaunes des faux calomniateurs ; et de faict.
Dieu nous a £aict jouir d'une belle tranquillité de-
puis son décez, ainsy que nous craignions d'avan-
tage quelque orage de persécution. La conversion
de deux hérétiques ^ environ ce mesme temps , nous
a tout donsolés; l'un.,' non François , marchand de
profession y^nt un jour céans, avec tant de ressenti-
ment' du- mauvais estât où il estoit , que la larme à
roeil et la voix toute tremblante, il me dict, m'ayant
par rencontre trouvé le premier : Mon Père , sauvez
mon âme pour Dieu, fit aprez la deûe instruction ,
fit sa coitfession , profession de foy et communion
fort dévotement. L'autre , parisien quant à sa nais-
sance^ et médecin de condition, ayant humé Ter-
reur en Aiigleterre, par une secrète providence de
Dieu eust si^retraicte en la maison de M. nostre
ambassadeur, différant de jour à aultre son départ,
à quoy onle soUicitoit, estant mal vu, principale-
ment pour l'opiniastreté avec laquelle en toutes oc-
casions il deffendoit ses erreurs et oppugnoit la vé-
rité. Enfin , reduict à l'extrémité de maladie , trois
jours avant son decez, il m'envoya quérir, abjura
son erreur, se confessa le jour suivant, le tiers se
communia en.belle assemblée de ^ntilshommes et
domestiques de la maison de France, et au poinct
du jour aprez, rendit doucement son ame 4 son
— 83 —
créateur y laissant de belles marques de sa prédesti-
nation , à la confu^on des hérétiques qui , durant
ce temps là , le venant solliciter à reprendre leur
route y furent bravement reboutés par le malade.
Monsieur de Cariât luy fist faire un honorable en*
terrementy le faisant conduire par plusieurs reli-
gieux, gentilshommes et autres au cimetière des
francs, qui est hors de la ville, et delà les vignes de
Pera.
Il est jà temps de fermer ceste lettre, laissant les
aultres choses, depuis la feste de Toussaincts de ceste
présente année 1 61 à celle de Tannée qui vient. Je
veux seulement dire deux mots de Testât delà classe,
qui est composée de religieux et de laïcs, de latins, et
de grecs. Les religieux sont de Saint-François et de
Sainte-Marie, c'est«à<<lire de l'observance et des con-
ventuels; deux caloyers grecs avec un diacre; les
aultres, au nombre de cinquante, sont enfants, tant
grecs que francs, mais plus de ceux là, qui n'est, pas
petite merveille. Aux uns on apprend à lire , aux
aultres les grammaires grecqueet latine. Le Reveren-
dissime Patriarche, que nous saluasmes, durant la
vie de M. le Baron, et avec lui, nous fist un bel
accueil, louant assez nostre façon d'enseigner la jeu-
nesse, idquegrtUis, il desiroit nous envoyer son nep-
veu ; mais il a esté destoumé par la malice , qui ne
nous voit de bon œil; il a estudié à Padoue, comme
— 54 —
Ton nous a dict, si n'a-t-il laissé de nous faire bon
visage. Une aultre fois, que nousfusmes ofiErir quel-
ques images en taille douce, ayant este advertis qu'il
desiroit en recouvrer; nous le trouvasmes en sa cham-
bre, petite en grandeur, toute couverte de tapis velus
par le bas, assis à la turquesque contre des grands
carreaux, où il s'appuyoit ; il avoit prez de soy quel-
ques trois ou quatre des principaux; il se leva pour
nous saluer à Titrée et au départ, et traita fort pri-
vement avec nous, regardant les images que nous luy
presentasmes; et nous signifia qu'il nous vouloit un
jour traicter, pour nous faire voir quelques religieux,
et pour complément des caresses, nous fist un brind
à la grecque, nous faisant boire aprez soy. Plusieurs
archevesques , caloyers , nous viennent visiter et
monstrent faire cas de nos exercices. Les aultres
grecs en font auts^nt; et semble que Dieu ayt voulu
que nous fissions nostre demeure en ce lieu , où ils
viennent plus librement, que si nous estions au
milieu' des latins. Dieu sait le bien qui peut un jour
réussir de cette fréquentation»
J'ay esté contrainct d'employer un de nos frères
coadjuteurs, quelques heures le jour, pour soulager
le P. Charles en la leçon des Abécédaires, que nous
ne pouvons refuser. Je grossirois trop cette missive,
si je voulois faire un dénombrement des confessions
générales , de la réduction de quelques personnages
— 55 —
de Testât de pesché à la saincte pénitence, db la
bonne opinion de la Compagnie et de Taffection vers
icelle. Que reste^t-il, mes RR. PP. et trez-chers frères,
sinon de prendre à cœur cette si saincte entreprise,
la favorisant premièrement par ferventes oraisons ,
puis en offrant librement nos petits travaux, indus-
tries et vies ; quand la saincte obéissance se voudra
servir de nous en ceste œuvre. Je ne sçais s'il y a
mission , où Ton puisse avoir moins de récréation
temporelle et des sens , où il y ait moins de subject
de se complaire ez ministères de la Compagnie , où
l'on court plus d'hazard de sa personne, ou pour la
contagion quasi ordinaire de deçà, ou pour les ava-
nies et fiausses accusations surgissantes à toutes heu-
res et occasions; les souflets, les coups de baston^:
voife de Cousteau, sont à bon prix, par les rues, si
on n'est sur ses gardes : mais relèvent d'autant plus
ceste entreprinse, que ces choses tiennent de court
Tamour-propre, à ce qu'il ne s'émancipe, en choses
caduques, et avoisinent^ de proche en proche, la
personne, du marlyre. Quand au fruict, bien qu'il
ne fasse grand monstre en apparence, si est-il tel
neantmoins, qu'il y a de quoy louer la divine honte,
et consoler les ouvriers. Mais les biens, qui doibvent
sortiTvde ces premiers commencements, suipassent
toute croyance. Potir le moins, la veniue de nostre
Compagnie a fait résoudre les supérieurs des aultres
— 56 —
Religions (ordres religieux) à trier sar le voUet des
gens pour venir deçà. Ne nous oubliez pas, mes
RR. PP. et trez-chers frères , en vos plus ferventes
oraisons et j^f ambulemus digne vocatione nostra,
et digne fungamtir hac legatione pro Domino. A
la mienne volonté que pour ma part : Impendam
me totum et super impendar ipse. ...
De Galata, Constantinople , ce 30 octobre 1610.
De vos RR. et charités, le serviteur indigne en
N. S.
François de Cajullac.
(P. S,) Si, ne veux-je laisser de dire une mysté-
rieuse représentation en somme ou veille d'un pau-
vre idiot cbrestien , qui vist, du costé de Torient ,
une belle et resplendissante croix , qui estoit sui-
vie d'une petite lune , qui marchoit aprez. Philo-
sophez là^dessus. Puisqu'il ne nous est pas permis
de pourchasser extérieurement de ceste gent, nous
taschons d'y contribuer de nos dévotions particu-
lières, nommément le vendredi, qu'ils festent au lieu
du dimanche chestien , en mémoire de leur pro*
phete , qui nasquit en tel jour. Ce jour-là ^ dis- je,
BOUS faisons l'oraison du matin tous ensemble de-
vant le Saint-Sacrement, la porte du tabernacle
ouverte, pour closture de laquelle oraison, nous
•â
— 57 —
recitons les litanies des Saincts de Constanti-
nople, rangés en leur ordre, avec un Feni Creator.
I^e cachet de mission , qui nous fut donné par
hazard, à Rome, d'un Jésus, cerné d'une couronne
d'espines, nous avisoit mesmement de piqueures de
ceste entreprinse, et nous promet quelque chose de
plus à l'avenir.
DEUXIÈME PARTIE.
{mt; 1616.)
f
LETTBES ANNUELLES DE CONSTANTINOPLE (ANNÉE 1612) ,
ADRESSÉES AUX PÈRES ET FRÈRES DE L'ASSISTÂNGE DE
frange, par le r. p, françois de car^lac, de la
compagnie de jésus.
Mes Révérends Pères et Taes Chers, Frères ,
Pax Ghristi.
La présente année 1612 nous a donné plus d'oc-
casion de déplorer Testât de ce peuple , que de les
ayder , ne nous estant resté autre moyen de ce faire
que par nos prières. La peste ^ qui fit tant de ravages
Pannée passée par toute cette contrée, a continué,
avec peu d'intervalle, toiit le long de ceste-cy . Sai-
sissant , ores les grecs , ores les latins, jusques dans
les maisons deé Ambassadeurs de France et de Ve-
nise. Elle nous assiégea de si prez que Monseigneur
r Ambassadeur nous fit retirer en un quartier de son
logis , l'espace quasi de trois mois , jusques à ce que
— 60 —
nostre voisinage fut nettoyé d'infection. Mais, Dieu
mercy , nous voicy en la dernière semaine de Tan-
née, sains et saufs, non sans particulière faveur de
nostre Dieu, qui nous a garantis parmi tant d'occa-
sions inévitables de mal. Gar^ outre que Ton ne
sçauroit sortir de la maison, sans rencontrer des per-
sonnes infectées, voire mesme atteintes de la mala-
die; quelques uns de nos escoliers en ont esté frap-
pés , et autres personnes avec lesquelles nous con-
versions ordinairement. C'est pourquoy, je répète
ce que j'ay touché en mes précédentes, qu'il n'y a,
je crois, mission en laquelle on puisse et doive
mieux pratiquer ce dire de Nostre Seigneur : Qui
perdiderit animam suam propter me y inveniet
eam.
Mais venons au fruict qu'il a plu à Dieu tirer de
ce petit nombre des Nostres , qui a esté, quasi toute
l'année, de trois, deux Pères et un Frère. Car le
P. iGuillaume Levesque, reprenant vigueur «t
force, fust envoyé, par ordonnance des médecins,
avec nostre Frère Ëstieime Viau, son infirmier, en
Sicile, pour guarir la paralisie des bras et des jam-
bes, qui luy estoit restée de ce grand mal, qui le
mena jusques aux portes de la mort. Vous aurez
entendu , comme je crois , sa guerison.
Le premier jour de l'an, nous celebrasmes nostre
feste avec bonne et belle assemblée , honorer de la
~ 61 —
présence de Monseigneur Tamba^adeur. Bientost
aprezy allant visiter le patriarche grec, nouiipé Neo*
fite y nous fusmes invitez par luy mesme à la feste de
r£piphanie , qu'ils festent avec grand appareil ^
soubs le nom et mémoire du Baptesme de Nostre
Seigneur. Le jour venu , nous y allâmes tous trois
avec monsieur d'Orgeville , parent et aumosnier de
mondict seigneur l'ambassadeur , et y trouvasmes
le patriarche d'Alexandrie, venu de nouveau en
cette ville. Les deux patriarches concélébrèrent pon-
tificalément avec quelques autres métropolitains ,
prestres et diacres. Celuy d'Alexandrie portoit.une
coronne d'or, enrichie de perles et pierres pré-
cieuses, çeluy de Constantinople avoit son capuchon
nmr de S. Basile en teste, la coronne estant engagée,
il y a plusieurs années. Quand on vint à la consé-
cration , celuy d'icy profera tout haut la formule
des paroles qui servent pour consacrer le corps , et
celuy d'Alexandrie celles qui servent pour la con-
sécration du précieux sang de Nostre Seigneur.
(L'un et l'autre avec tous ces cojicelebrans disants
à voix basse les mesmes paroles , avec tout le reste
de la messe , comme font les nouveaux prestres la-
tins , le jour de leur ordination.)
Nous dinasmes avec les susditz. Les chantres
cependant faisoient leur devoir à bien chanter,
mesmement quand l'on beuvoit , comme je me sou-
viens avoir touché en la première lettre , que nous
envoyasmes, à propos d'un archevesque grec. Ces
deux prélats nous firent mille caresses y et bien que j
delà à peu de jours y ils entrèrent en grosses piques,
nous avons toujours taschéde nous maintenir en
leur amitié , les allant souvent visiter. Et pour celuy
d'icy , il nous a souvent monstre le désir qu'il avoit
d'estrê uni avec TEglise latine y sinon par déclara-
tion extérieure y qui le rendit soupçonnable en cette
cour , au moins de cœur et d'afFection , en croyant
les points différents , justement selon le vray sens
des anciens Pères grecs. A quoy a servy beaucoup
un certain caloyer grec venu de nouveau , qui a
esté nourry au Séminaire grec de Rome , soubs la
discipline des Nostres , qu'il affectionne et respecte
beaucoup y qui presche publiquement les vérités ca-
tholiquesy non sans murmure de quelques grecs. Le
mesme patriarche de ce heu y en signé de l'affection
qu'il nous porte y expédia dernièrement une lettre
patente pour les Nostres de Scio, commandant à
l'archevesque du lieu de les laisser librement pra-
tiquer nos fonctions. Eticy, quand quelqu'un, voire
des grecs y vouloit quelque faveur prez de luy , il
imploroit nostre ayde et faveur. Mais, tandis que le
bonhomme allôit croissant en affection vers la vé-
rité y on lui trama y à la façon du pais , une avanie y
par les menées du patriarche d'Alexandrie , comme
— 63-
l'on croit , le feisant déposséder et bannir en Tisle
de Rhodes , ne plus ne moins qu'on kiy fit , il y a
plusieurs années. On mit en sa place celuy d'A-
lexandrie j lequel , le premier Yisir , luy ayant donné
une belle robe de drap d'or, fit conduire à cheval
jusques au Patriarcfaat, faisant prendre le pauvre
vieillard, qui s'estoit réfugié en une maison voisine,
et de là à qudques jours, on le mit dans une barque
avec garde, pour s'en aller au lieu de son bannis-
sement. Mais au préalable , estant conduit en son
^lise pour dire adieu à son peuple , plein de cou-
rage , en la présence de celuy d'Alexandrie et de ses
principales parties , il fulmina une grande excom-
munication en gênerai contre tous ceux qui avoient
suscité cette bourasque , sans nommer toute fois per-
sonne. Il en fit autant la première fois qu'il fut exilé,
et si efficacement, que ses parties adverses périrent
misérablement; si que leurs corps ne pouvoientse
dissoudre, qui est l'ordinaire effect des excommuni-
cations grecques, disent-ils, jusques à tant que le
prekt les absolve morts, ne l'ayant esté vifs. Le pa-
triarche d'Alexandrie ne se disoit pas patriarche
absolu, craignant ce qui lui est arrivé ces jours pas-
sés, un mois aprez son assomption, ayant esté
demis par le métropolitain de PatraAa-Vieille, à qui
le patriarche Neofite avoit donné sa résignation.
Nous espérons estre veus de mesme œil de cestui-
— 64 —
cy que de Tautre, ayant la réputation d'un homme
de bonne vie.
Les Arméniens, plus simples que les Grecs^ nous
font bon accueil, et particulièrement le vicaire gê-
nerai de leur patriarche , qui demeure en l'Armé-
nie majeure, lequel a esté à Rome, pour reconnois-
tre Sa Sainteté^ de la part du dict patriarche. Nous
espérons, en apprenant la langue quUeur est fami- '
liere, de les ayder, voire en Arménie mesme, avec le
temps, moyennant la grâce de Dieu. Ils consacrent
en pain azime, et ont leurs autels, paremens et céré-
monies plus semblables aux latins que les grecs. Ils
tiennent, entre autres églises, celle où fust célébré
un des anciens conciles, où Ton voit encore un trejz
beau et trez grand réfectoire bien peint. Nous fusmes
consolés, en les visitant , de voir cette antiquité et
spécialement une Nostre Dame , qui estoit sur une
des portes de la vieille église, où ils ont pratiqué un
oratoire avec des ais, sous lequel tout le monde
pas^e, sans s'en prendre garde. Le susdict vicaire
arménien fust , ceste dernière feste de Noél , en
nostre église, assistant à la messe et au sermon.
Le caresme passé, le Père que je menay de Scio
pour nous ayder, attendant le nouVeau secours , fit
quelques sermops en grec, avec fruict et ressenti-
ment des âmes, et surtout le mercredy sainct, expli-
quant la passion de nostre Sauveur. Mais mainte-
. ^65 —
nant que nous avons un Père natif deScio, liômmé
Dominique Maurice, qui vint icy aprez Pasqtiès,
nous espérons mieux, ayant jà faif quelques exhor-
tations au gré et contentement des auditeurs. £t
l'octave du Saint-Sacrement fit reciter en grec un
petit dialogue à nos escoliers richement habillez-, et
brillants de paHes et pierreries en Thonneùr de cet
auguste sacrement, qui pleut grandement et à mon*-
seigneur l'ambassadeur et à toute l'assemblée qui se
trouva , sur la fin , à la procession que nous fismes
autour de Dostre église. i ;
Pour les autres dévotions parmy Tannée, on n'a;
laissé nonobstant la contagion d'avoir toujours qaeK
ques communiants en nostre église^ et de faine
quelque briefve exhortation tant en la mesme église
qu'estant retirez chez M. l'ambassadeur, ayatrt in-
troduit un sermon françois tous les ans en sa cha-
pelle.
Les marchands et mariniers françois ont aussi
commencé une Congrégation sous le nom de Ttotre-"
Dame-de-Bon-Yoy âge, venants, tandis qu'ils se re-
trouvent icy, dire les heures de Notre-Dame en la
chapelle, que feu M. de Salignac fît peindre et orner. -
Il est vrai que la' contagion nous a soiivénl: iiHeif-'
rompu' nos exercices de dévotion , comme cetil2 de>
la classe, bien que, tandis que nous demeurasm^À au
logis de France , les enfant des principaux de Fera
K. 5
— 66 —
venofeiitydu gré de M. rambassadeur, prendre leurs
leçow. . . . . ,
:Oa a aydé, Dieu iiïercy, notablement diverses
sortes de personnes au.faict de la contagion, et*
quelques unes qui avoient demeuré quelques an-
nées en mauvais estât : où nous avons remarqué de
beaux traicts de la divine Providence et secreie pré-
destination. Outre le bastiment d'une belle dasse
efrune maison ruinée ,• voisine et dépendante jadis
du monastère, rachetée Tannée passée, nous avons
reparé et ajancé nostre église , tellement qu'elle ne
cède :à plusieurs de l'occident. Un gentilhomme,
chevalier de Malte, qui^ attendant son rachat, avoit
fmqueoté la* congrégation de Notre^Dame^ a envoyé
un<!tre9*beau tableau de la Ccmception , principale
fesfae de la congrégation ; et monseigneur Tambas-i
sadeur a iaict fake k son peintre un autre tableau
pour nostre grand autel , qui est , d'une sainte Tri-
nité^ surlehaut^ et au-dessous, un saint Louys, roya-
lemenC vestu^ et nostre Bienheureux Père Ignace,
avep un Jésus en:main, qui accompagnent le taber-
iiacle;posé au milieu. Les armes du roy sont du
co^té:dQ saint Louys, et celles de monseigii^ur l'am-
bs^s^deur.du costé de nostre bienheureux Père. La
pîl3ce,est belle et.bien estimée. Il ne manque que
quantité de gens, pour fréquenter les dévotions.
IVf^^is: le: petit nombre des latins fait que nos fonc-
-67-
tions sont moins j^equentes que nous ne voiidrions :
nous ne perdons pas pour cela courage^ ne mesu-
rant pas l'importance de cette misssiôn avec le fruict
présentement sensible; nous contentant de ce peu ;
qui se peut faire maintenant, soubb Tèsperance du
l^usaveclesLatinSyGrecsetArmeniens^tanticyytiu^enf
tous les coins de cette monarchie, avec le temps; voire
d'icy nous pouvons avoir facile accez à la Tartane;
auxMingrane^et Georgites, aux Abissiens, etjui^quës^
au Grand-Mogor, où sont nos Pères, qui nous ont,
cette année , escrit une belle lettre pleine de' mer-
veilles, que Dieu opère par leur ministère. Pour lès*
isles de l'Archipelâge , ils désirent extresmeixfent'
revoir des Nostres , tesmoins ceux de Fisle ^tr'on
nomme Naxie, jacfis Nslxos : les prîmipauxd^ Ja-'
quelle nous ont fait prier, avec leurs voisins^ de leur'
pourchasser une résidence de nos Pères, désirant*
particulièrement avoir, pour certaines bonnes rai--'
sons, des françois. Mais, paroe que nous' estions
trop peu cette année pour y envoyer, ils s'adresse--
rentaux Nostres deSdo qui y envoyèrent deux Pères, •
qui leur ont faict croistre le désir de jouir, non par
passade, mais continuellemeot de nostre Cômpa*»
gnie^ et en ont escrit au Saint Père et à nôsire R: P.
General. . . »
Quant à la congrégation, bien que la misère ^dii
temps, avec les^ continuelles occupations de!^ ci-^'
— 68 —
toyens d'icy, aye assez iaterrompu ses ordinaires
assemblées , elle donne néanmoins toujours quel-
quesî fruits de dévotion., le& invitant à fréquenter
plus souvent les saints sacrements; et la Conception
de 1^ Yiei^e, feste titulaire, a esté célébrée avec une
messe pontificale de monseigneur TEvesque de San-
tprini^avecun sermon italien du P. Dominique Mau-
rice, qui parle fort élégamment en cette langue, et
a beaucoup agréé, tant à ceux du lieu *qu'aux estran*
gers« voire jusques aux vénitiens.
- M. l'ambassadeur d'Angleterre nous voit de bon
œil, sachant bien, dit-il, en quel pais nous sommes,
où tou& les chreràens se doivent entr'ayder.
Je ne veux pas laisserpasser quelques marques de la
singulière et douce Providence de Dieu à nous se-
courir de commoditez temporelles en nostre grande
necassité , où sans espérance de secours, qu'on nous
a voit promis.de chrestienté, nous estions réduits,
ayant employé. ce qui estoit pour nostre provision
ordinaire, aux réparations nécessaires de nostre
église, delà classe et maison . Nous nous trouvions en
grande, peine, quand Dieu fit tomber, entre les mains
de M. l'ambassadeur, par une voyedu tout admira-
ble,uoe fort bonne aumosne, laquelle ce bon sei gneur
de sa grâce, la pouvant appliquer ailleurs, nous fit
toucher, nous délivrant par ce moyen de nos debtes,
et dpnnantlie moyen d'attendre la provision annuelle.
-69^-. ^
Et sur ce propos^ je pense estre obligé, par tiltre de
recognoissance , à peser avec son poids les obliga-
tions, que nous avons à ce seigneur , qui se montre
en nostre endroit plus que protecteur des françois,
nous faisant paroistre en toutes occasions une fort
remarquable affection, accompagnée de ses propres
Inenfaicts et libéralités .
Tandis que nous fusmes retirez en son logis, au
temps dé cette maladie contagieuse , il ne voulut ja-
mais permettre que. nous vesquissions du nostre,
quoyque nous obtenissions de luy, avec grande
difficulté, de manger en nostre quartier de logis
pour n'occuper la |dace en sa taUe , et vivre pkus
selon la pauvreté et frugalité religieuse. -.
Soudain que les Pères Jean Baptiste Jobert et
Louys Oranger furent arrive*; il les voulut* avoir à
disner; et ordinairement ez choses importantes, il
demande nostre advis , se plaisant à parler des cho*
ses de Dieu , en quoy nous avons employé plusieurs
soirées bien avant dans la nuict , lorsque nous es-
tions retirez chez luy.-
Au reste l'arrivée des susdits Pères avec un frère
coadjuteiir , quinze jours justement avant la feste de
Noël , nous a consolez a merveille, et animez à lious
efforcer de toiit nostre possible , avec la sainte dis-
crétion , pour avancer la gloire et service de Dieu
en tout ce Levant. Ce que nous ferons beaucoup
— 70 —
plus efficacement y si. nous sommes aydez extraor*
dinairement de vos ferventes prières et SS. Sacri-
fices. Je clorois en ce point la pres^ite , si je ne
cuidois manquer à ^tnon devoir, vous privant de
quelques particularités , lesquelles bien qu'elles ne
nous regardent, ny touchent nos exercices, toute-
fois elles peuvent mériter votre zèle à prier pour ce
peuple aiveuglé , et le secourir en son temps , selon
la disposition de la divine Providence.
On BOUS a raconté pour chose assurée, que la
cause, pour laquelle le grand Seigneur, n'a point
fait mourir son frère selon la coulume, est, parce
qu'aya^nt tenté' de -ce faire quelquefois, il s'est
échappé des mains ée ceiix qui le vouloient saisir ,
miraculeusement ce semble, se trouvant esldigné
d'eux inopinément, revestu de blanc, si leur sém-
bloit; et bien qu'ils le tinssait -enserrez dans une
chfdubre,. y entrant» ils le voyent dehors se pour«
men6r avec cette robe blanche. On dit aussy que,
la nuict en songeant, ce Roy fut comme menacé, s'il
attentoit rien contre son dict frère. Et à propos des
songes du grand Seigneur, nous en avons ouy
deux autres fort remarquables. L'un est , «qu'ayant,
sur le soir, ordonné qu'on mit à bas une église grec-
que dédiée à S. Georges, contre la defence faiffe, à
causé de la* lumière qu^il y appercéutpar rencontre,
qui paroissoit par lesfenestres : voylâ que S. Geor-
-Ti-
ges, la lance en main , Iny âfirparat en son sommeil,
se plaignant de ce qu'il vouloit niinçr sa maison et
le menaçant de le percer d'ootre en outre, s'il pas-
soit outré en ee feict. Ce prince^, se reveillant iôut
espdu venté du sdngç, rètoque sidn mandeinent,
voiré commande qu'on donne, toits les ans , quel-
que chose de Sa pai^l à la dicte église. Une autre fois,
il luy sembla de voir une 'autre vieille église , dans
laquelle estôit un pauvre homme, qui la gafdôit.
De là à quelque temps passant par là, il recë^eut
le dict homme, ^t lui ayapt demandé, s'il vouknt
se faire turc, et l'autre rëspôndaiit hai*ditdelil que
non , il luy fk donner Taumosne. .
Ce mésme prince a faict paroistref sa bonté, jtlsitfce
et detnenpe cette mesmé année en dèut rencontrer
signalez ; l'un d'un: pauvre vicfiliard ^ guif dé âaHon
et de religion y qu^ ayant vendu plàsieïirs pierreries
pour Ifusag^ etpkràiie da niestne ilo;f -salis avi)ir
receu te payement d'icelles , estpit réduit^ une ex-
tresme pauvreté. £tne pouvant ayoir^^aiéon ^s of^
fioiersy^èflresolotderhiyipaHer^ ainsi eommelî ^v-
toit de^soè serrail^ accompagné de ses visirs et dé
toute sa^coor ,'et Juy retnonstudr sa nriset^, ée qu'il
fit aved unis liberté BM^eiUeiïser Sire , dît-il% Ye%^
tresmemisere,- en laquelle jesuis -réduit pour vostre
service ; me contraint d'avqir' recours à vosttte pro-
pre per^ookie;, puisque^ vos tffficieiis ^lie'tiètfnent
-72 -.
éoate,<jb me satisfaire seloa droit et raisofi ; et la
barbe blanche, que je« porte, me donne hardiesse
de ce faire, sans.crainte qu'il m*en puiste mesadve-
nir, aymant mieux mourir promptement, en me
plaignant justement , que languir de faim et de dé-
tresse en un coin de rue, sachant bien que la diffé-
rence fie condition et fortune humaine , qui est entre
votre .Majesté et moy, ne pftôse les bornes de cett^
vie mortelle , au dels^de laquelle la seule vertu et les
mérites distinguent les bons d'avec les mauvais,
SiS'e^ ces pedes et»c^s pierreries^ qui enrichissent
vofitre. ,t)irbc^n , vostre ciipeterre et vostre massue
royalle, sont plus miemies.que vostres, faisant la
valeur de tout mon avoir ^ et contenant tout Tappuy
et soutienne cette chenue vieillesse. J'implore donc
vQstre h^ute justice pojiir me tirer de cette funeste
mi^re;, en me faisant rendre cequi^m'est justement
deu , ou bien faisant tram^her k filet de: ma miséra-
ble vie;, quftnt et quan^ mettre fin à mon extresme
oalaoniité.* Ceux ^qui se trouvèrent présents à cette
briefve.,:mais tree.hardie: harangue atteadoient un
rf^ufïe.et altération s^urcilleuee,. suivie de quelque
rude traitemen4;« Mats ce Biay , se tournant vers le
pr^jer de ses visirs, et ^rc^jardsnt l'intendant ou
thresprier de^^s finances , leur dit avec des parolles
bi^n grayes , qu'auta^t.que leur vie leur estoitchere,
ils £i$smt en façon de contenter ce jui£ Voîcy un
j
— 73 —
autre trait de sa beoîgnité. ïl y a quelques moys
qu'un quidam 4^tviSy ce sembloit, et sauton de
professioD^ mais extrêmement fol, se persuada
d*estre inspiré , comme il confessa de sa propre
bouche, de Dieu, de tuer son prince. L'attaquant
au sortir de son serrail en la place de sainte Soi^e ,
et avcQ.des paroles injurieuses, luy rua une grosse
pierre , «qui Teust sans doute dangereusement en-
dommagé , s'il n'eust esquivé le coup. On vouloit
deschirer ce gajand, mais le Roy, froidement et po-
senkent , ordonna qur'on le mit entre les mains de la
justice pour en faire ce qui seroit de droit; Le mise*
rable deceu p^*sistoit en sa folle imagination , voire
disant que le tranchant du meilleur cimeterre ne
luy sçanroit faire mal. On se contenta d'en faire la
preuve, luy faisant trancher la teste, au mesme lieu
de son attentat. Il est k croire que si*ce prince estoît
illuminé de la lumière de la vraye foy , il seroit un
des plus accomplis et dignes de gouverner un
royaume. Pour le reste des turcs naturds , s'ils n'es-
toient cwrompus par les renégats , ils seraient doux
et paisibles , et fait fort bon converser avec ceux
qui n'ont esté en l'école de ces perfides apostats.
Un des Coïade Sainte-Sophie, surintendant de
ces cloches pariantes, qui s'entend joliment aux
horioges du soleil , ayant ouy dire que quelqu'un
des Nostres s'y entendoit, nous vint trouver, nous
— 74 —
requérant avec beaucoup de courtoisie de conférer
avec le Pwe Dominique Maurice, qui a fSstit autrefois
particulierestude. Nous ne l'esconduismes pas de sa
requeste^ et venoit fort souvent cktez, nous, montrant
faire grand casde Fesprit et industrie deschrestiens,
voire de * nos cérémonies* sacrées , images, etc. Il
nous a Élit voir fort particulieremei^t sainte Sc£e;
upe des merveilles du monde, à mon advis , pour
l'architecture, colonnes, iparbres et porfires.
Une fois, allant voir une pyramide ou quille
dressée par Theodose, empereur, comme il appert
par l'escriteau^ plusieurs turcs s'assemblereqt, nous
feisant instances par signes et par on tru^^ment
de leur lire l'escriteau , monstrant de faire quelque
cas de nous* Un de nos frères, devant nostre porte,
voyant un turc qui avoit saisy un. jeune -^Bspsoq
pour le pervertir^ l'accosta «t par bonnes paroles
et signes , luy osta la proye (heureusement , Dieu
mercy. ."/./:
Je nie veux pas laisser de dire à k louange de' ces
pauvret aveugles l^fiib^ahtéHiome en^nm quar^
tiers. ïjes plus riches et grands, qur se dressent de
beaux itaôsolées^e2»c|ijiat»^fbuf8 de k^ille,y font nenlsf
une belle fontaine^ avec plusieurs, comme goubelets
de mefail énchainés/ qu'une personne qt)k'ik destî^
lient à cela expressément, remplit inbessabient pow
rafraiscMr les allants et mefianUpar cette grande villéi
— 78 -^
Déplue, en quelques lieux publics, il y a quel-
ques uns qui tiennent de la chair cuite, bouillie et
rostie , avec un bon nombre dfe chiens tout autour,
attendant que quelque passant leur acheté par titre
d'aumosne quelque pièce, ce' que font volontiers les
turcs j outre le pain que bien souvent ils vont disper-
sant à' ces animaulx. Ils estittietit aussy à grand
mente de donfrerlâBbei'téà^quelqtie oyseaude cage.
Il r esté maintenant , par mode "^l'esbat , à vous
descrire l'ordre et magnificence des saillies , entrées
et noces royales j puisque la présente année nous à
donné le moyen de les voir, sous l'ombre et faveut*
dé monseigneur l'ambassadeur - de France. Voicy
Tordt^ qui se ttent, quand le grand Seigneur va en
quelqu'une de ses mosquées pour y faire sa prière,
qui estqulasi tous les vendredis^ de Tannée.
!•• On nfettôye iesriies par où il doit passer;
09 on voit un monde de janriissaires à pied qui
marchent en foule. Suivent les sieurs capitaines
à cheval; avec dé grands panaches sur leurs testes
qui s*eè*argissentén hautenfaçbnd'evantoir." Stiïverit
aprez, quelque quantité d'autresà pied avec lès mès-
mes plumes. Enfin* vient lé janissaire aga, sur un
beau cheval , Vestu de drap d'or et d'argent , qui va
saluant de la teste tôiit le monde d'un éosté etd'aufre,
selori les coutumes des grands d*icy . Viennent aprez
Iny les chaôus, * qui sont les gentilshommes de la
— 76 —
Turquie, à cheval, bien moulés etricbemept vesitis,
avec, des belles masses en leur main , ou bien en
Tarçon de la selle; kuFS brides et renés sont ordi*
nairement toutes de plaques d'argent doréw Les
housses des chevaux^ qui ne pendent guère plus que
le corsage du cheval, sont belles à merveilles. A leur
queiie sont les capigis à cheval, qui sont les portiers
du grand Seigneur, en bon nombre et bien vestus,
avec leurs chaperons en teste. Icy on porte Testen.-
' dard royal. Les fatpilles des Bachats suivent immé-
diatement, richement parez; apre^ lesquels viennent
les grands Bachats et Yisirs, deux à deux , accous--
trez magnifiquement. Le Moufci^i , grand pontife d0
ce peuple, est au. dernier .rang, qui est le plqs hono*
rable, à la drmte du grand Yisir, qui est inférieure
parmi eux à }a gauche. Aprezeux, vi6ntlag$irde<dtt
corps du grand Sjsigneur, composée de cinq çeiits
ou tant d'archiers,^ vestus à la legeyre, avec des che-
mises volantes de toile fivie, ayant l^irs flesches et
arc^ en la main. Aprez eux, viennent quelques uns
qui meinent des chevaux en main, richémepit capa-
raçonnez. Et puis marche le Roy , monté sur un
cheval royalement omé^ vestu ordinairement de
blanc, portant trois aigrettes noires et blanches epi
son turban , une ou deux, regardant en bas ou de.
biais, brillaptaurpste de perles et pierreries, comme
tout rharnois de son cheval. Il a autour d^ soi
— T7 —
quelque nombre de gens à pieds, comme estafiers,
vestus de drap d'or. Sur la queue de la cavalcade ,
il y a quelque nombre de gens à cheval, officiers du
serràiL
Ce Roy a desjà marié deux de ses filles, Tune âgée
de six ks^pt ans, Tautrede quatre à oinq.Lesmagni-
ficences, qui sefont dansle palaisroyal,sont secrettes;
pour celles de dehors, la principale est la conduite
de l'espouse chez le marié . Quelques jours aupara-
vant, le Grand Seigneur envoyé le mariage de la fille
chez le beau fils, qui consiste en argenterie, robbes
et pierreries, sur des chevaux et muletz, 'deux cents
environ , mal équipez , mais chargez de cofïres et
valises ouv^^es pas* le dessus pour faire voir à un
diascun les atours et ornements royaux. Entre autk^es
choses, on porte le hvre de la loy, couvert dé fin
or, enrichy de pierres précieuses.
La conduite de la famille est en la manière qui
s'en suit : aprez les janissaires , chaoux et capigis
qui s'y treu vent en plus grand nombre et plus riche-
ment vestus que de coutume, marchent les cadits et
gens de justice, et par aprez, ceux dé la race* de
leur prétendu profete, à cheval, avec le turban vert,
qui sont en assez grand nombre^ et sur les derniers
rangs de cette saincte race, on porte un estendart
vert, qui traineroit en terre, si quelques .uns ne re-
levoient ses extresmitez. Tout le monde se levé.
— 78 —
debout, taiidU que passe l'estendart, voire plusieurs
eu vont baiser les franges , et s'en frottent le front
et la face par dévotion. Icy et en quelqu'autre en-
droit de la procession , soupirent et hurlent tous
ensemble certains dervis ou religieux de cette secte,
disant, houhc^, si humblement, et avec tant de cour»
teatio9 f que bien souvent ils en crachent le sang ,
signe manifeste , parmi ces p^uvr^ abusez, d'estre
exaucez en leurs prières. Et, pour cette occasion, en
leurs entreprinses et desseins ou nécessites pudi-
ques, ils employent semblables gens.On portoitaussi
une massue , une JK>tte , certaine arquebuses ou
mousquets de bois d'une démesurée grandeur, avec
une double espée fort grande , ^en meosoire d'upe
fable ,,qui court parmi eu?( , de Tun de leurs saincts
anciens, l'espée duquel, quand il se battoit contre
les chrestiens, disent-ils, se multiplioit miraculeuse-*
ment en deux. D'autres portoient certains fantosmes
d'animaux, comme tigres, éléphants, loups faits
de coton, grossement représentez. Aprez-, venoient
les cours des Baçhatsetpuis les Bachats mesmes,
richement pajc^z. Mais le marié n'y estoit pas , atten«-
dant ep son ))alais l'iùlante , laquelle, aprez s'estre
partie du seruail royal, donnoit par chemin, de mo^
ment en moment, nouvelles à son mary par gens
envoyez expressément, ausquels, en signe de res«.
jouissance, il faisoit de beaux, présents. Aprez les
- 79 -
BacliAte , sdloîent plusieurs gens ée pied armea*, qui
conduisoient 9 Gamme trois belles piramides, avec
mille eatrelassures d'or et d argent , et parmy plu-
sieurs pierres et cristaux qui briUoient, on por-
toit deux Qu trois gros etgrands cierges ou torches al-
lumées. A la queue de ceux-cy, venoit un tas de
baladins, chai^tant mal gracieusement , qui feisoient
des gestes barbarement immodestes; suivoient les
haubois y flûtes, cymbales. et tambourins, accorde-
ment desaocordez, propres à chasser les abeilles de
leur» ruches. Bientost aprez, marchoit le paranin£e
ou parriu des nopces, qui estoit le grand Tostarda ,
c'est-à-cUre trésorier, revestu de drap d'argent. Et
delà à peu, on portoit un poêle de toile d'or, sans
personne dessous, et, immédiatement aprez, venoit
un autre dais fort riolie, avez des rideaux jusques
en terre, dans lequel estoit portée une chaire pen-
dante des quatite bastctos du dais, où estoit la petite,
roaiâée cachée dansce courtinage. Au derrière venoit
son cbarriôt ^ couvert d'une housse- de brocatail, et
plusiesurs autres (^tariots ordinaires alloient de suite.
Âprez, venoient plusieurs filles de chambre, esclaves,
toutes à cheval» vestûes de brocart, entre delix eunu-
ques, revestus de^ uiesme. Les espaïs en bon nombre,*
avec leurs lances et banderoUes de diverses cou-
leurs serroient.(fermoi(^nt) la ^cavalcaide, mais non la
feste qui dura quelques jours, tant dedans que de-
i^ —80 —
hors les palais royaux , spécialement sur le canal qui
sépare Galata de Constantinople ^ où j durant trois
joursy on fit plusieurs chasteaux de feux artificiels ,
dressez sur des barques^ une heure de nuit : le Roy,
venant à la marine , avec des flambeaux pour en
avoir le plaisir. Quelques chrestiens pendant ces
festes et triomphes s'allèrent offrir pour se faire
turcs.
De là à quelque mois, arriva leVisir nommé Na-
sun Bascha, avec Tarmée qu'il ramenoit des fron-
tières de Perse, conduisant l'ambassadeur persian ,
qui venoit pour conclure la paix avec le grand Sei-
gneur. Ce visir fut receu avec grand appareil et
magnificence , portant quant et soy les finances
royales, qu'il avoit recueilly de TAsie, avec^e qu'il
donna du sien , qui montoit à grande somme. Peu
de jours aprez, le susdit ambas^deur persian fit son
entrée par la principale porte de Constantinople,
dite d'Ândrianopole^ avec une grandeur et appareil
extraordinaire. Cinq cents cinquante ôhameaux ,
chargez de soie, de tapis, de musc et autres choses
de prix , marchoient les p)*emiers , avec leurs cha-
meliers, de cinq en cinq sur les mesmes chameaux.
Le premier de tous frappoit gravement un fort gros
tambour : puis, alloit par ordre la milice des gens de
cheval et de pied; aprez^ les principaux de la cour
de l'ambassadeur, avec leurs turbans bigarrez, en-
- M -
richis de pierres précieuses , nommément de tur-
coises, leurs selles et brides de mesnie. L^ambassa-
deur, cottoyé du janissaire Aga , estoit fort siiïiple-
ment habillé, sans soye, ni pierreries, comme estant
personne de la loy : c'est la seconde personne aprez le
mottftide Perse et homme sage, dit-on, et qui faisoit
profession d'astrologie , il avoit expressément mar-
qué l'heure de son entrée, la plus favorable qu'il put
remarquer dans ses efemerides. Mais Tentrée, que
fit le grand Seigneur quelques jours apréz , pour
faire parade de sa grandeur, devant des Persiens et
autres ambassadeurs, qui se rencontrèrent pour lors
iey, de tons les princes , qui ont alliance avec luy,
surpassa de beaucoup toutes les entrées susdites.
Premièrement , il fit dresser en sept jours un riche
palais de charpenterie, couvert de plomb, hors la
ville, du costé de la Grèce, esloigné de douze milles,
où il se logea avec sa cour, d'où il partit , comme
venant de la chasse. Les Zamoglants , qui sont les
enfants du trftut, avec l'arquebuse au col, entrè-
rent les premiers, deux à deux, en grand nombre;
aprez lesquels estoit le chef des eunuques , qui fai-
soit compagnie à la Sultane, qui estoit dans son
chariot royal couvert , voyant à travers d'un treillis
tout doré, fort menu et pressé. Suivoit un autre fort
grand nombre de Zamoglants, armés comme les pre-
miers. Aprez, alloient les canonniers et autres offi-
K. 6
— 88 —
ciersy avec des salades dorées en teste, l'arquel^use
sur le col, en quantité. Puis l^s estafiers du roy,
partie à cheval ^ portant les oyseaux, partie à pied,
menant en laisse plusieurs chiens de chasse , tous
vestusi qui d'escarlate, qui de soye, qui d'or ..Ensuite
estoient les janissaires avec l'arquebuse Picore. Lies
aultres à cheval j avec leurs crettes de plumes sur
leurs chaperons, mais en si grand nombre, que rien
plus. Aprez, marchoient les Bey s ou gouverneurs de
province, avec leur compagnie de gendarmes, la
lance en main, avec les banderoUes de leur hvrée,
et leurs cornettes ou enseignes si belles, qu'il y
avoit de la difficulté à juger des plus magnifi-
ques, comme ^qore leurs vestements, armes,
selles, housses, estrieux, et brides, où tout briUoit
d'or et de pierreries, nommément les caroois
des capitaines. Suivoient les chaouz, montez à
Tenvi l'un de l'autre, et habillez de mesure, en
trez grand nombre, avec leurs belles massues. Les
Çapigis aprez, richement parez; piiîs veqoient les
cadis et gens de justice, et les turbans verts, avec
le saint estendart, et les cris, desquels j'ai parlé cy
devant , avec la mesme inepte cérémonie. On n'ou-
blia pas l'espée de bois et autres armes, gigantines,
non plus que ces feincts animaux. Aprez, venoit un
nombre de luicteurs nuds dez la ceinture. en haut ,
faisant certains eiSGiMrts de maiw av^ leur^ arcs^
— 83 —
Quelques autres étaient toutdebout sur les cheiraux
marchants. Mais voicy venir les familles des Bac^iats
et YisirSy avec leurs maistres Vestus en princes. Sni-
TOit la garde des archiersy de laquelle j'ay cy devant
feit mention. Quelques ests^érs à cheval menoiétit
en main hmt ou neuf beaux chevaux par excellence ,
royalement caparassonnez, avec chacun son sceptre
et escu d'or et de cristal , avec un million de pier-
reries. Et cetuy qui estoit plus proche du grand Sei-
gneur, avoit soubs le col une quantité de cordons
de trez grosses perles, qui pendoient quasi juse|ues
en terre. Le cheval du Roy avoit le mesme, et tout
sonharnois plus riche que les autres : et juy, hsibiUé
de blanc , brillait coimneun soleil , pour la multi^
tude et beauté des pierreries, qui enrichissoient son
iurban et sa jupe« Aprez, suivoient les ôffîciers de la
cour en grande quantité, 'bien montez et richéinent
pares. Particuhef^ittelft il faisoitbon vôir'les pages
eteoÊmlB d'honneur, qui sortt,pour l'ordinaire, issus
de parents chrestiens, desquels on tire les Bachats
et gouverneurs de l'Estat. On portoit encore plu-
sieurs oyseaux, et menoit-dn des chiens, comme
devant. A la queue venoit un grandissime m)tkibre
d^espaïs^c'est^'-dire gendarmes à(dieval,avec leui^
lances et bandert>ltos. Et je confesse que les yeux me
firent mal de voir tant de gens.
il ne fiittt tcjtf «tnéW0 \^ gentillesse de Tambassa-
— 84 —
deur persien, à Tendroit du grand Seigneur, en
cette sienne entrée royalle. Il fit tenir plusieurs de
ses gen^ au-devant du logis, où ilestoit, pour voir la
magnificence. Et comme le Roy fut vis-à-vis dudit lo-
gis, ils commencèrent d'estendre des*pieces de soye
par où son cheval devoit passer, qui dura jusques à
la porte du grand serrail,qui est quasi l'espace d'un
mille ou quart de lieue. ^
Voilà les principales magnificences de deçà. Nous
avons cette année fait une autre representatioa avec
moins d'appareil, mais avec plus de fruict. Ça. esté
d'une petite grotte avec la cresche de ce. grand
Dieu 9 fait petit pour nous. Les latins et les grecs,
hommes et femmes, ont, avec grand ressentiment,
honoré cet humble et simple spectacle et représenta-
tion du saint mystère de la Nativité, que nous célé-
brions pour lors. Bon Dieu ! mes RR. PP. et très-
chers fireres, combien d'ames sa perdent à faute de
secours ! Prions ce bon Dieu qu'il nous donne la
force et l'adressede coopérer à l'application des me-
ntes de spn fils, nostre Sauveur Jesu&Ohnst. C'est le
but de n.o^re. vocation .
La venue des PP. Jean-Baptiste Jobert et Louys
Granger et de nostre frère Jean Arboniiet, nous a
donné un nouveau courage et nouvelles espérances
de fructifier en cette grande vigne du J^evant. Il y
aura de quoy travailler pour plusieiir$ autres avec
— 85 —
le temps, qui cependant nous aideront de leurs SS.
Sacrifices et oraisons, comme nous espérons que
font tous ceux de la Compagnie , qui sont advertis
de cette nouvelle entreprise.
Adieu, mes RR. PP. et trez chers Frères. Mille sa-
lutsen Nostre-Seigneur, etc.;
François de Cawillac,
de la Compagnie de Jésus,
— 86-
La lettre suivante se trouvait placée dans nos ma-
nuscrits, immédiatement après la relation du P. de
Canillac; comme elle peut lui servir de complément
nous croyons utile de la publier.
Lettre (ïun docteur de Sorbonney qui est auprès de
Mgr r ambassadeur y pour le Roy de France, en
Turquie y à M. de Sancj, père dudit ambassu'-'
deur.
MoirsiEUB ,
Il y a quelque temps que j'ay receu une de vos
lettres. Je ne puis vous remercier assez dignement
de la faveur qu'il vous plait me faire, d'avoir souve-
nance d'un de vos petits serviteurs. Je ne m'estonne
pas si vous desirez le retour de Mgr l'ambassadeur,
car voicy la sixiesme année de son ambassade, aussi
a-t-il le mesme désir que vous, et ne peut plus sup-
porter le regret d'estre si longtemps esloigné de
vous. Il n'a d'autre consolation que de parler de son
retour , et d'avoir l'honneur de vous revoir : c'est
là tout son entretien. Je prie Dieu que, d'ici à deux
ans, il luy fasse la grâce de sortir d'icy et que le reste
• — 87 —
dé son ambassade succède aussy bien que le c6m-
ôtencenient; Le succez de râfifairè des Pï*. Jésuites
lu j a apporté beaucoup de réputation , d'autant que
c'est une des plusdifficiles affaires qui ait jamais esté
traitée en ceste Porte* L'on n'a jamais entendu par-
ler d'une telle furie turquesque. L'on eut dit que
Constantinople venoit d'iestre prise d'assaut (par) les
chrestiens; le grand Seigneur est en une colère
extraordinaire de ce que l'ambassadeur de l'Empe-
reur est entré, tambour battant et enseignes dé-
ployées, en Constantinople. Le bruit court qu'il y a
beaucoup de milliers d'hommes desguisez qui sont
venus avec luy et sont à Constantinople et en Galata,
en habit de juifs et de grecs; que dans les églises et
dans les maisons des ambassadeurs , il y a quantité
d'armes; que l'on veut soublever les grecs; que les
cosaques sont de la partie, qui doibvent venir par la
mer Noire , en une belle occasion , cependant que
Constantinople est desnuée de gens de guerre, qu'il
y a quattre armées dehors , l'une en Perse, Tautre en
Pologne, l'autre en la mer Blanche et l'autre en la mer
Noire. L'on a commandé que chascun ait à porter son
habit selon sa nation et deffendu déporter chappeau
qu'aux françois, et aux françois d'habits de grecs.
On fait une recherche partout et un roole de tous
les chrestiens. Le grand Seigneur commandé, pour
avoir plustost fait , qu'on tue tous les françois, sans
— 88 —
en excepter aucun. Gomme M. lambassadeur estoit
allé au Bascha solliciter pour les PP. Jesuistes, le
grand Seigneur fait deffense qu'on ne passe point
de Constantinople en Galata, ny de Galata en Cons-
tantinople. Il va trouver le Muphti, laisse ses gens à
la marine, comme c'est la coutume de mener peu de
monde quand on le va voir, envoyé vers le Bascha
son truchement. Cependant voilà une multitude
infinie^de peuple à la marine, qui voit qu'on les va
faire mourir : qui a pitié d'eux, qui les injurie. On
tenoit pour tout assuré qu'on alloit couper la teste à
tous, tant que nous estions là. Il fallut que le Bascha
envoyast un escrit de sa main et un des siens poiir
accompagner M. l'ambassadeur et faire passer tout
son train en Galata et le conduire jusques à son
logis. Cette nuict mesme, il arriva une chose es-
trange et qui monstre bien en quelle fureur estoit ce
peuple. A cinq cents pas prez de nostre quartier, il
survint une dispute en un logis. I^s voisins, enten-
da^nt le bruit, se mettent en armes; ils croyent que
ce sont les françois qui se veulent soubslever. 11$
estoient jà mille hommes assemblez , en resolution
de venir assaillir les maisons des ambassadeurs et
tuer tout. Voilà la furie en laquelle estoient les
turqs, quand les PP. Jesuistes furent prins. Il n'y
avoit celuy qui ne desesperast de leur vie. Aussi un
bon père cordelier, vicaire patriarchal, qui fut pris
— 89 —
avec eux , et qui estoit en la mesme piison , fut fait
mourir trois jours aprez leur emprisonnement. Les
accusations estoient trez-criminelles, qu'ils estoient
espionsd'Ëspagne, qu'ils donnoient Tabsolution aux
renégats, qu'ils baptisoient les Turqs, qu'ils rece-
loient les esclaves fugitifs et les envoyoient en chres-
tien té. Leurs mal veuîllants sollicitèrent y se servant
de l'occasion , comme il paroist^ qu'eux seuls sont
prins avec le vicaire patriarchal , qu'on ne va pas
aux autres églises, et si passe-t'on tout auprez en les
menant. Et puis on demande si c'est l'église que
demandent les venitiens.On met en avant, pour irri-
ter la colère du grand Seigneur contre eux, qu'ils
ont dessein sur sa personne propre. L'on n'oublie
pas la doctrine de tuer les Roys. L'on ne se con-
tente pas de le dire au Yisir, on le dit dedans le sé-
rail, on informe le Bustangibachi, qui parle tous les
jours et toutes les heures au grand Seigneur.. Il n'y
a un seul des ambassadeurs qui se remue, fors
monsieur vostre fils, qui est continuellement au
Yisir et chez le Muphti et autres siens amis , des
grands de cette Porte. Il fait si bien, qu'il leur sauve
la vie. En cesté première furie , j'oubliois à vous dire
que le grand Seigneur fut à cheval , tout le long de
la nuit , à Constantinople , et fit-on mourir en sa
présence ce pauvre religieux , qui avoit esté prins
avec les PP: Jesuistes. II est vray qu'il a cousté
— 90— ^
beaucoup à M. l'ambassadeur. A la velité, la des-
pense est fort extraordinaire et trez-grande; mais
c'est peu en comparaison de ce qu'il a cousté à l'am-
bassadeur d'Angleterre pour sauver la vie à un sien
marchand, qui n'estoit pas en si grand danger. Il
n^estoit question que de certaines marchandises des
turcqs, de peu de valeur, qui avoyent esté prises en
course par les chrestiens, vendues à Zante et Achely,
par un anglois qui les envoyoit icy à un sien corres-
pondant. Ce que plusieurs turqs tesmoignoient, en
faveur mesme de l'anglois, comme ce n'estoit point
eux , qui avoyent fait cette prinse , mais ceux de
Malte. Il se trouva le capitaine turq du vaisseau , sur
lequel avoyent esté, en Alexandrie, chargées les mar-
chandises , qui dit en plein... (il y a un mot omis
dans le manuscrit) que son vaisseau a esté prins par
ceux de Malte et non par les anglois. Néanmoins il
en cousta au marchand pour sa délivrance qua-
rante mille escus, sans mettre en compte les intérêts
de sa marchandise, qu'il a esté contrainct de vendre
à vil prix. Ce qui fait paroistre la prudence de
M. l'ambassadeur de s'estre comporté modérément
avec le Visir ; car l'ambassadeur d'Angleterre, pour
l'avoir voulu emporter dehaulte lutte,et s'adresser au
Bustangibachi pour en faire parler au grand Seigneur,
fut contrainct de faire une si grande despense. L'on
n'esperoit pas davantage en l'affaire des PP. Jesuis-
— Gî-
tes que de leur sauver la vie , et un chascuti louoit
M. l'ambassadeur de ce qu'il les avoit tirez d'un si
grand péril , et qu'au reste il ne faisoit plus icy bon
pour eux, qu^ils s'en allassent en la grâce de Dieu.
Leurs malveillants sollicitent tant qu'ils peuvent ,
qu'au moins ils ne demeurent point icy. Leur mai-
son est vuidée ; on emporté toutes leurs bardes au
logis de M. l'ambassadeur. L'on leur baille de l'ar-
gent pour faire leur voyage, l'on met leur provision
dans un vaisseau marseillois, qui est sur son parte-
ment. Néanmoins M. l'ambassadeur fait en sorte
qu'il obtient, du grand Seigneur, un commande-
ment, par lequel est déclarée l'innocence des Pères
Jesuistes, qu'ils ont e&té , par envie , meschamment
et faussement accusez , donne permission que deux
d'entre eux retournent pour le présent et qu'à l'ad-
venir il en puisse venir d'autres de France. Ces deux
bons Pères arrivèrent dimanche dernier, aprez
avoir esté en prison, ou icy, ou aux chasteaux de
l'Hellespont , depuis la fin du mois d'aoust , Tan
161 6. La permission de faire venir d'autres françois
est fort particulière en une telle esmotion , et>prin«
cipalemeiitsurle point que les ambassadeurs d'Aile*
magne traitoient pour le mesme subject sans qu'ils
ayent eu permission défaire (venir) icy des Pères Je-
suistes autres que des hongrois et subjects du grand
Seigneur, et ce, à Constantinople. Voylà, monsieur,
— 9Î —
comme s'est passée V^Hsàve 4es PP. Jesuistes. Je
m'assure, quand le Père Jobert, qui estoit supé-
rieur icy, sera retourné en France, qu'il vous en ira
faire des grands remerciments, comme tesmoin ocu*-
laire de tout. Et non-seulement luy, mais encore
toute la Société , vous en doibt remercier : vous en
estes le premier moteur; car c'est la continuelle sou-
venance de vos vertus, et généreuses et nobles ac-
tions, qui l'invitent à employer, pour le soulage-
ment d'un chascun , les belles parties et les grandes
inclinations, qu'il a à la vertu. Quant à moy, mon-
sieur, je vous supplie trez humblement de croire, que
tout rhonneur et le contentement, que je désire en
ce monde , c'est d'estre conservé, en l'honneur de
vos bonnes grâces. Je serois trop heureux devons
pouvoir tesmoigner, par quelque service, le zde que
j'en ay. Mais il faut que vostre bonté se contente
de ma bonne volonté seule et supplée par sa béni-
gnité à ma petitesse. Je prieray au moins Dieu, toute
ma vie, monsieur, qu'il vous veuille, par sa sainte
grâce, conserver, et vous donner l'accomplissement
de tous vos désirs.
Vostre trez humble el obéissant serviteur,
LOYS DE MORANVILLIERS.
De Conâtantinople , ce 27 janvier 1 61 7.
— 93-
Ges malveillantSydont il est parlé dans la lettre du
docteur de Moranvilliers, étaient , sans compter les
ennemis du catholicisme, les vénitiens, alliés de la
France, mais adversaires déclarés de la Compagnie,
depuis son expulsion des terres de la République
en 1606.
yoici,àce sujet la note d'un de nos Missionnaires
au Levant :
« La chose la plus importante pour le repos de
notre Compagnie au Levant, et pour le libre
exercice de nos fonctions spirituelles, est notre
rétablissement dedans Tétat de Venise; car par ce
moyen nous aurions une double protection de
l'ambassadeur de France et de celui de Venise, qui
se joindroient ensemble pour nous rendre de
bons offices à la Porte. Nous rentrerions en
Candie, qui est Tîle de Crète, où nous avons eu
autrefois une belle résidence , et nous y établi-
rions maintenant un collège, qui serviroit de sé-
minaire à tout le Levant. Nous ferions de nou-
velles missions, tant sur les terres de MM. les
vénitiens que dans les lieux voisins où ils nous
protégeroient. Nous pourrions faire une demie
province au Levant , qui avec le temps se suf-
firoit d'elle-même, et seroit soutenue par ses
supérieurs médiats et immédiats , comme le reste
de la Compagnie.
— 94 —
• C'est le désir de tous les Isolains (Candiotes), et
particulièremeat des gentilshommes, qui se plai^
gnent, qu'en même temps que la Compagnie est
sortie de Candie, ils ont perdu les lettres, les
bonnes mœurs et la civilisation*
« Tous ceux qui peuvent aider à ce rétablisse*»
ment sont très-bumblement suppliés de s'y em-
ployer à la gloire de Dieu, pour le bien général
de notre Compagnie, et pour l'intérêt particulier
et dépendances qu'ont nos missions orientales
dudit rétablissement dans l'état de Venise. »
TROISIÈME PARTIE.
1663, 1664.
LETTBES DU P. ROBERT SAULGER, DE LA COMPAGNIE DE
JÉSUS , Â UN PÈRE DE LA MÊME COMPAGNIE (lE PRO-
VINCIAL DE FRANCE).
A Constantinople, le 28 de décembre 4 663.
Je partis de Smjrrne^ la veille de la Toussaints,
après y avoir demeuré sept semaiiies , sur un vais--
seau flamand, en compagnie de Monseigneur Fèves-
que de Salamine de Tordre de S. François, sufFra-
gant du Patriarche de Gonstantinople , homme
dHine grande capacité et d'une illustre vertu. Le
capitaine du vaisseau et les matelots etoient hoUan-
dois, tous luthériens , ennemis des Religieux, de
quij'ajreceu autant de mécontentement, quej'a-
vois receu de courtoisie de nos françois depuis Mar-
seille jusques à Smyrne. Le reste des passagers estoit
composé de jui£s, grecs, turcs, italiens, anglois;
il n'y avoit qu'un seul françois, encore etoit-il de
— 96 —
la religion (reformée) : Voila ma compagnie. Pour
mon appartement, notre capitaine eut la courtoisie
de me loger entre deux gros canons , pour me def-
fendre des ennemis, dessous le lit d'un matelot,
pour me garentir de la plu je; le mal vouloit que
mon matelas estoit si court qu'il ne me venoit qu'au
genouil, et si estroit que lorsque je me voulois tour-
ner d'un costé, je tombois de l'autre. Estant donc
si bien logé et en si belle compagnie, nous levas-
mes l'ancre , le jour de la Toussaints , sur les trois
heures du matin, sans avoir peu dire la messe.
Nojus n'allasmes cette première journée que jus-
ques au chasteau de Smyrne, qui n'est esloigné de
la ville que de douze milles. Le vent contraire nous
y fit demeurer quatre jours ; nous en partismes le
cinquiesme avec un vent si favorable, qu'il nous fit
.passer en un instant les isles de Methèlin et Tene*
dos, et nous conduisit le mesme jour aux Dardan-
nelles, où nous ne pusmes passera cause qu'il estoit
un peu trop tard, et que nous estions obligez de
prendre un gardien turcq pour la douane.
Ce retardement d'une nuict nous fit grand tort,
car n'ayant pu lever l'ancre que le lendemein sur
les 9 heures du matin ^ le vent, qui nous avoit porté
le mesme jour à Constantinople , se changea sur les
5 heures du soir, et nous obligea de nous arrester
à trois lieues de Gallipoly , quatorze jours à mon
— 97 —
grand regret; car n'ayant apporté des provisions
que pour cinq jours, par Tadvis de nos PP. de
Smyrne qui m'avoient faict entendre que nous abor-
derions sans doute à quelque port,^ je nje trouvay
' bientost desnué de touttes choses, et ayant esté
obligez de mouiller Tancre dans le milieu du canal
de Çonstantinople/esloigné des villes et des villa-
ges^ je me vis réduit à la mandicité. Ce bon prélat
me fit paroistre pour lors une grande charité ; maïs
ses provisions ayant manqué aussy bien que les
miennes, je me Bs conduire à terre et m'en allay
chercher du pain dans quelques maisons, qui estoient
sur le canal du costé de l'Europe. Il me fallut faire,
pour le moins, deux bonnes lieues, dans un pays
incogneu, sans guide et interprète. Enfin Notre-Sei-
gneur nous voulut tirer de notre misère. Le 1 9 4u
mois de novembre , sur les 6 heures du soir , nous
parlismes avec un vent si favorable, que nou^ arri-
vasmes a Constantinople le 20, veille de la Présen-
tation de N. i). Il y avoit longtemps iji^e nos Pères
m'attendoiept. Le R. P. de Sainte Geneyiefye fut
ravi de me voir et de recevoir les présents de V. R.
J'ay trouvé nostre pauvre maison presque toutte
bruslée de ce dernier incendie. Nostre Père supé-
rieur est logé dans le grenier; le P.-Balaki dans le
réfectoire; le P. de Vigneaux dans la lingerie, le
P. Chamerlatet le Frère Claude dans une gallerie et
— 98 —
felFVéré Clément àuprek dès poiilés. Pour moy , Toh
iii'â mis dans le clocher. Tolft ïe mionde souhaitte
en ce pais le t. Becherand ; il a tellement ravy le
coeur dje tous* nos chrestiens , tant des François que
des italiens et des grecqs mesme, que je ne vous puis
expnmèîrTafFection qu'ils ont pour sa personne. Je
vous supplie de nous le renvoyer au plus tost, bien
pourveù d'argent et dé missionnaires; car c''est Tora-
cle du pais.
' Jfe prié V. R. de faii^é ëii sorte que je puisse aVoîr
un ou deux compagnons, avec qui je ptîisse étu-
dier, sous la conduite dû R. P. de Sainte-Gene-
vWfve; j'ày comniéncié par l'estude des langues.
7e suis maintenait convaincu du gràtid bien qu'il
y 'a ^ faire dedans nos missions de Gfèce, mais
^pfincipaléméiit dans la ville dé Constantinople , oh
'ÏI y a tant de grecs, tant d'àrihehiens, de juifs et
'de calvinistes. Nous ne manquons point dé pratique
*d(ans nostre église, qui est si pleine les jôtir^ de feste,
que cela donne de la deVotion, de voir commeBieli
ne laisse pas d'avoir des Serviteurs ' dans un païs
rem'pïy*dè tant dUnfidelité; nous prêchons, chian-
tons la grande messe et disons les vesprés tous lés
"diinanchés et toutes les féstes de l'année. Jamais
en ma vie je'n'ay esté plus content et'satîsfaict que
je suis maintenant. Je suis dans mojn' clocher comme
dans un paradis, etc.
-99
Note du même P. Saulger^ sur le bien et les œu-
vres qui se font à Constantinople.
A Constantinople, le 20 de mars 4 €64'.
Premiereinent^ le bien que nous pouvons rendre
au prodbain dans cette mission de Constantinople
•est bien considérable et plus grand, que je ne me
Pestois imaginé : 1° envers nos marchands françois,
establis en cette ville avec leurs femmes et enfants^
qui sont en assés bon peftit nombre ; ils ont donr^é
-assés d'occupation au P. de Vigneaux, qui -leur a
prêché en françois, tous les dimanches de l'advent,
qui a continué tout ce caresme avec grand zèle.
2^ Nous avons nos barques et nos vaisseaux j qui
vont et viennent continuellement 4© France , où
nous allons faire le catéchisme ; 3^ les ^lei^s, com-
poséesd'un'bon nombre d'esclaves françois. 4*Nous
allons, tous les dimanches, au grand bagne du grand
Seigneur, qui est le lieu où il tient ses esclaves, qui
montent aunombre de 2,000. L'on y. voit de towttes
sortes denations, mais particulièrement des françois.
-J'y ay veu des parisiens, des bretons«tdes fiiorn^aads.
— 400 —
Nous y allons pour y confesser, prêcher et y chanter
la grande messe. On ne peut s'imaginer le bien que
l'on faict de maintenir dans la foy ces pauvres
esclaves , qui ne sont malheureux que poUr estre
chrestiens. Leur misère est telle qu'à la sollicitation
qu'on leur faict de se faire turcqs, ils quitteroient
sans doute pour la plupart nostre saincte religion ,
si nous n'estions continuellement à leurs oreilles à
leur crier que leur misère passera bientost et qu'ils
recevront en peu de temps la recompense de leurs
travaux. 5*^ Nous avons de plus, pour missions, les
Sept-Toiirs, qui est la prison des gentilshommes,
capitaines et chevaliers de Malthe , qui ont esté pris
par les turcqs. Tous les autres prisonniers sont fran-
çbis, excepté sept ou huit italiens ; nous allons sou-
vent les visiter et consoler. On y a conduict seize ou
dix ^ept officiers allemands , qui ont esté pris à la
sortie de Huy vart. Nous les avons veus et consolés
dans leurs chaisnes ; ils nous ont raconté la prise et le
massacre de quatre cents de leurs compagnons, que
le grand visir fit esgorger comme des moutons, aprez
leur prise. Je vousraconteroiscecy plus au long, si je
ne scavois que vous ne Teussiez pas apris en France.
Je vous.diray seulement que nous avons sceu de-
piiis que Forças (Forgacz) , qui commandoit ^bsïs
Huy vart , ayant appris la cruauté du vi^ir, fit déca-
piter, â la veiie de l'armée ennemie, sur les mu-
— 401 —
railles, tous les turcqs qu'il tenoit dans la ville. Le
conte de Serain, de son costé, faict crever les deux
yeux à tous les turcqs qu'il peut attraper, et couper
le bras droict. 6*" Nous avons nos hérétiques qui
sont en grand nombre en cette ville. Ils ne font point
de difficulté de venir en nostre maison et d'enten-
dre le sermon; nous ne manquons pas de disputes.
Voilà pour la langue françoise.
Secondement, pour le grecq, il est certain que
celuy qui possède bien cette langue ne manque pas
d'occupation : 1^ nous avons nostre escole, qui est
composée, non-seulement de nos petits françois,
mais encore de plusieurs petits grecs de l'un et de
l'autre rit. 2^ Nous avons un très-grand nombre de
grecs frans, c'est-à-dire du rit romain, que nous ins-
truisons, confessons, et à qui nous servons comme
de curez , pour n'y avoir point d'autre église que la
nostre, ce q^i faict qu'ils ne bougent de nostre mai-
son. 3"* Nous avons plusieurs grecs du rit grec, qui
ont bien plus de confiance en nous que non pas en
leurs Papas. Enfin, il ne tient qu'à nous de les gai-
gner petit à petit, et de les faire retourner a l'Eglise.
Leur femmes particulièrement ne manquent pas de
se venir confesser à nous, pour evister l'avarice de
leurs Papas, à qui il faut donner une somme d'argent
touttes les fois, 4^ J'ay commencé à faire la doctrine
chrestienne en grec vulgaire à tous ces petits grecs
— 408 —
et aux pélits escholiers qui y veulenf assister. 5*" Nbus
fiaiisohs, tous les vendredis de caresme, exhortation
en grecq pour les femmes de Tuti et l'autre rit.
G® Nous avons plusieurs Papas , à qui nostre R*. P.
supérieur aprend le grec littéral. 7® Nous avons
les escoles de ces mesmés Papas, où noifs pouvons
aller faire le catéchisme, tous les jours, si nous vou-
lons. 8<* Je ne perds pas Tesperance de predicr, Tun
de ces jours, dans quelque grande paroisse. de ce
pays. 9^ Je ne vous peux raconter mil et mil ren-
contres advantageux à ceux qui possèdent bien la
langue , et le bien qu'ils peuvent faire pour le salut
des âmes.
Troisiesmemerit. Pour Titalieù , c'est la langue
vulgaire , que tous entendent , pour la plus grande
partie. 1** Nous prêchons, presque tous les diman-
ches; en cette langue, mais exactement tous ceux
de l'advent ; pour le caresme , nous n'avons prê-
ché que deux fois là semaine, le mercredy et le
dimanche, mais avec magnificence. Nous com-
mençâmes le mercredy des cendres, sur les trois
heures du soir. Je'commençay par un concert d'ins-
truiàënts si agréable, que le P. Balaki m'asseura
qu'il n'avoit rieù entendu de pareil , l'espace de
7 ou 8 ans qu'il a demeuré à Rome ; puis se fi;t'la
prédication ; en après, un second concert, puis après,
les Gonif^lies. Le Saint-Sacrement estant exposé, «et
— 1Q3 —
4!9vant la bénédiction, nous chantasmes dejjfx. mot-
têts avec tous nos instruments : jamais ces pauvres
grecs n'avoient buy chose pareille. Nous avons ainsy
continué tout le caresme. 2"^ Nous avons les hollan-
doiSy angloiSy flamens et plusieurs autres nations,^
avec lesquelles on peut faire bien du bien. .
Quatriesmement. Qui pourroit sçavoir le turcq ,
peut converser 1 ^ avec tous les arméniens qui né
sçavent point d'autre langue ; 2"* avec les juifs ; 3^
pour ce qui est du turcq j je n'ose pas vous en dire
icy ma pensée. Enfin, n'y ayant rien qu'une église
dans une si grande multitude de chrestiens^ je vous
laisse à penser, s'il y a de quoy travailler.
Nous ne manquons pas^ dans touttes ces oc-
cupations , d'exercice de patience. Je vous en peux
dirO' quelque nouvelle , puisque le yendredy de la
sexagesime^ je fus traisné, à l'occasion de nos
chrestiens, par les rues de Constantinçple, par
trois janissaires , comme un scélérat qu'on menoit
à la potence, suivy de turcqs,^ecs et juifs et d'une
troupe d'enfants , qui triomphoient de voir l'Eglise
Romaine si humiliée en l'un de ses sujects. Les ja-
nissaires vindrent dans notre maison , le 1 5 du mois
de février, à dessein de prendre le premier qu'ils
trouveroient de nos, Pères ou Frères. Le R..P. Su-
périeur se trouva pour lors au bas du grand escalier
de nostre église , parlant à dix pu douze {^tits esço-
— 404 —
liers. Pour moy, je me promenois au haut du
mesme escalier, estant sur le point de descendre^
pour entrer en classe. Les turqs estant donc entrés
et ayant aperceu nostre R. P. Supérieur , ils s'en
vindrent droict à luy , mais ils eurent du respect
pour sa barbe blanche. Je voiois ces turcs, sans sa-
voir ce qu'ils avoient dessein de faire. Ils montè-
rent l'escalier , et ils s'en vinrent à moy ; croyant
qu'ils vouloient visiter nostre église, estant tous
trois montés , chacun me salua et me fit son com-
pliment, avec desparolles et des poussades, qui ne
m'estoient point trop agréables :'je fus fort surpris
de ce procédé; mais enfin il fallut obéir à la force,
.et descendre l'escalier plus vite que je ne l'avois
monté. Le P. Supérieur , surpris de ce spectacle ,
plus lûort que vif, voulut d'abord faire quelque
instance ; il me prit par la main et dit a ses turcs ,
que je ifirois point sans truchement de France,
mais ils repoussèrent le Père avec tant de violence,
qu'ils luy auroient cassé la teste, si je ne l'eusse
retenu par la main. Nos petits escoHers se mirent à
mer et à pleurer, disants qu'ils ne me cognoissoient
pas, qu'ils me prenoient pour un autre, que je n'e&-
tois point sujet du grand turc, mais un religieux
françois, qui n'estoit en ce pays, que depuis six
mois. Ces turcs , inflexibles aux prières de ces petits
enfants et aux plaintes de nostre Supérieur, m'en-
)
— 105 —
levèrent par force de leurs mains, avec ma robbe
de chambre , mes pantouffles et mon bonnet, tenant
un livre dans la main. Je fus suivy d'une trouppe
de mes escholiers, qui ne sça voient où Ton me me-
noit et ce qu'on vouloit faire de moy ; ils ne sça-
voient, ni qu'en dire, ni qu'en penser : mais ce qui
augmenta leur crainte est, qu'un de ceux qui me
suivoient demanda à ces turcqs : Où menez-vous
donc nostre maistre ? En prison , dirent-ils , et de-
vant que d'y entrer , il aura 1 03 coups de baston
sous la plante des pieds. Je conceus par les plaintes
de ces enfants , qu'on leur avoit dit quelque chose
d'extraordinaire. Lorsque je servois ainsi de specta-
cle, dans les rues de Constantinople, à tout un grand
peuple, qui me voyoit si extraordinairement vestu ,
ma suite s'augmentoit toujours de telle façon , que
je n'ay jamais esté si bien suivy , ny tant considéré
en ma vie ; les uns sortoient de leurs boutiques , les
autres me maudissoient, et mes amys pleuroientà
ce spectacle. Cependant nos Pères estoient dans
touttes les peines du monde de sçavoir ce que j'estois
devenu, ne sachant si j'estois allé chez l'Aga ou
chez le Cadi , devant le capitaine Bâcha ou devant
le Kaïmacand. Us s'en allèrent tous, chascun de son
costé, l'un chez le résident de France, l'autre chez
le truchement, et le P. Supérieur s'en alla par les
rues pour s'enquérir , si l'on ne m'avoit point veu
— 106 —
passer. Je vous pui^ asseurer que dan3 tout ce tiota-
mare et dans cette multitude de peuple y je marchoi$
avec autapt d'asseurance et de traoquilité d'esprit
que maintenant je vous e^cris la présente, m'es-
timent heureux d'avoir esté choisy entre tous nos
Pères et Frères de la maison pour souffrir quelque
chose pour Dieu. Passant p^r devant la bQutique
d'un de nos amys et l'ayant <ûperceu dédains ^ je lui
dis tout haut : Adieu, monsieur, je m'en vais en
prison* Cet homme ne sçavoit s'il resvoit, et si ce
qu'il, voy oit .n'estoit point un songe. Il court viste;
il parle à mes conducteurs, sans en pouvoir tirer rai-
son , il me suit et entre enfin avec moy dans la
maison du Cadi; il monte tout le premier dans la
chambre du juge. J'estois cependant au milieu d'une
troupe de turqs et de juifs , exposé a la risée, a.ux
injures et mocqvieries des petits et des grands; un
turcq plus civil m'acosta et me dit : Allez, Papas,
ne craignez point; ils ne s'agit icy que d'un peu
d'argent.; pour du mal , vous n'en aurez point. Il
parloit très bien italien et me dit plusieurs çl^oses
pour me consoler. Mes escholiers, qui estpient
montés avec moy , jusque dans la chambre oji j'es-
tois, s'en alloient de costé et d'autre pour voir ^
entendre ce qui se passoit. Ce charitable amy plaida
si bien ma cause , qu'il obtint ma délivrance , s'es^
tant obligé pour moy devant le juge. Il me fit sortir
^107 —
au plus tost et payâ.jusques aux janissaires qui m V
Yoient rendu un .ci bon office. Je rencontray en
mon retour le R. P. Supérieur, tout seul dans lei(
mes , qui me çh^choit, sans me pouvoir dire où il
alloit. Il fut surpris de me revoir si tost en liberté.
Je vous advoue que je n'avois point encore esté a
telle faste , et senty tant de consolation depuis mon
arrivée à GonstantioQple. Mon unique regret estoit
de ce que ma captivité estoit de si peu de durée.
C'est un grand avantage que'nous avons en ce pays
de trouver souvent de semblables re^icontres. Enfin
je vous puis asseurer , qu'il y a plus de bien à faire
dans Constantinople , que nous n'en pouvons faire.
N<>s Pères des ïsles n'en peuvent plus , ils ne peu-*
vent suffire aux grands travaux ; ils demandent du
secours de nostre Père Supérieur^ mais en vain ; car
il n'a personne à leur envoyer. On nous souhaitte en
plusieurs endroits , sans pouvoir assister ceux qui
nous demandent. Si l'on sçavoit en France la né-
cessité que cette pauvre mission a d'ouvriers, on
en auroit un peu plus de soing , et je vous puis as-
seurer que, si on ne la secoure , en peu de temps,
tout s'en va en décadence.
Le turoq a esté si espouvantablement battu par
les impérialistes, qu'ils ne sçavent plus où ils en
sont. La consternation est si grande en ce pays, que
je ne la puis exprimer. Leur armée est environnée
— 408 —
de si belle manière, qu'il faut qu'elle meure de faim
ou qu'elle passe par le fil de Tespée. Elle ne peut
avoir de secours , a cause d'un pont qui a esté
rompu, où ils mettoyent touttes leurs espérances;.
400 chariots ont esté pris par les croates, ce qui af-
flige grandement le turcq. Ils ne veulent point aller a
l'armée en ce pays , de jpcur qu'ils ont d'y périr.
Si une armée seulement de 20 mil hommes parois-
soit en ce pays, ce seroit pour s'en rendre maistre.
Les turcs sont plus foibles qu'on ne s'imagine ; ils
n'ont plus d'hommes et ne sçavent plus de quel bois
faire flèche. Le grand Seigneur souhaiteroit n'avoir
point entrepris cette guerre. Le visir garde sa teste
tant qu'il peut; mais il ne la peut pas faire longue.
L'armée s'est mutinée contre luy ; il s'est réfugié et
retiré de l'armée. Le fils du Roy des tartares a esté
pris avec plusieurs Bachats : ce qui faict qu'il n'a
pas un homme d'authorité, ny de commandement
dans l'armée.
R. Saulger,
de la Compagnie de Jésus.
QUATRIÈME PARTIE.
DIVERSES LETTRES ET RELATIONS DES PÈRES DE LA COM-
PAGNIE DE JÉSUS> EMPLOYÉS AUX MISSIONS DU LETANT.
CHAPITRE PREMIER.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LES MOYENS VR IK>URVOm LA
MISSION DE^ BONS : OUlFIfflSRS.
L'exemple de nos PP. de Scio j qui font venir de
Sicile des jeunes maîtres pour enseigner, et , après
deux ou trois ans de régence, les renvoient pour
étudier en théologie, laquelle étant achevée, et le
troisième an de prohation, ils retournent à Scio
pour prêcher, faire des missions par les îles, et vac-
quent aux autres fonctions de la Compagnie , cet
exemple , dis-je , a fait venir la pensée à quelques-
uns de nos Pères, que l'on pourrait nous donner
quelques jeunes maîtres, à la fin de leurs études de
philosophie, pour régenter à Constantinople et aux
autres résidences du Levant , qui , durant leur ré-
• _ 440 —
gence ^ apprendroient facilement la langue italienne
et la grecque vulgaire y et pour Tétude particulière
s'adonneroient entièrement au grec littéral; et après
deux ou trois ans de régence , ils pourroient retour-
ner en France ou à Rome pk>ur y étudier en théo-
logie ^ y étBnt prœ/ecti au collège des grecs, où ils
auFoi/ent moyen d'entretenir leur grec vuJgaireet se
perfectionner en ilaben. Ayant adievé lepr tbéok^e
et fait leur troisième année de probation, ils retour-
neroient en Levant , tout prêts à bien travailler.
Il est assuré que semblables jeunes gens sauroient
beaucoup mieux les langues et les prononceroient
^U8 naturellement , s^x)ieiit mieux ver^ en his^
toire et doctrine des saintsPères grecs, que ceux qui,
à l'âge de trente ou trente deux ans, ayant achevé en
Tranceleur régelice, théologie et ^troisième an, com-
mencent à apprendre les deux langues^ italienne et
grecque , et ont peu de temps pour la lecture des
saints Pères et de ce qui est particulier à i^Eglise
grecque.
Il semble qu'il y a plus de sujet de pertnetirp
à nos jeunes maîtres françoisde passer ^en Levtfpt
qu'aux sciotes, car les -sciotes savent, dè&leurs'bas
âges, les langues grecque et itàKenne, que les^fran-
çois doivent apprendre et aequérir ; nos mission-
naireâ du Levant diffèrent des sciotes, qui^veiitîlA
langue du pays, ou ils «ont envoyés,^ et n'ont aucune
-4ii-
"étude {^aitîctdiéi^ à fàît*e , mais ont seulement be-
sbîti de Viertu et aé zèle , pour mettre eh pratique Ids
ihbyens t^u'ils ont acquis pour le salutdesâmes.
H fàtit aussi considérer qu'il n'y a pas plus de
danger de passer de Marseille à Smyrne ou à Con^-
tantinoplè , qu'il y en a de passer de Sicile à Scio ,
encore 'que le voyage soit plus long , et lés jeun^
maîtreisfran^ofe n^ônt pas moins de courage que les
sciotes pour traverser là mér, 'et mépriser les dan^
geirs ioù îlsVgît de la glditede Dieu et du salut dès
CHÀPITBE IL
ÉTABUSSEMENT EN l'ILE DE NAXIE. ^LETTRE DU P. HARDY.
L*àn 1 62V, ^gr rârchévêque de Naxie et de Paros
et les gentilshommes du rit latin firent dohàfîoii
aux PÎ^. Jésuites de la chapetle ducale, qui sérvôk
anciennement aux 'ducs de Naxié , et qui est jointe
au palais ducal, lis s*y* entretiennent de quelque
petit! révenu et de quelques aumônes qui leur sont
laites. Messieurs dé Naxie oiit dévotion de laisser
par testament îjuelque chose à l'église. Une bonne
dame nous a laissé, à sa mort, une niandre ou trou-
peau de quarante brebis; une autre , kiiié petite vi-
gne, une autre, un champ àlâbourer; une àutre^
quelques oliviers. Xe seignëiir * Corsini Cofôrièllo ,
— 112 —
consul pour les françois, a donné à la G>mpagnie sa
maison qui touche à notre chapelle; il y a un mar-
chand françois qui a légué , à nos Pères de Naxie ,
deux cents écus de rente , pour en jouir après sa
mort»
Nous avons, dans notre chapelle, iine image à la-
quelle tous ont une trè^-particulière dévotion , ils
rappellent (le mot est illisible dans le manuscrit) .
La tradition porte que cette image est une des trois
qui furent jetées en mer par les iconoclastes et, par
le ministère des anges, vinrent surgir miraculeuse-
ment au port de Naxie. L'usage des cloches est libre
'à Naxie.
Ils ont une très-grande dévotion au très-saint
Sacrement; la procession se faisant le jour de la
fête, on expose les malades par les rues , afin que
rarchevesque, qui porte le saint Sacrement , passe
par dessus les malades , qui bien souvent reçoivent
la guérison. Voici comme en parle leR. P. Simon
Fournier, supérieur de la résidence de Naxie, en une
sienne lettre écrite à Naxie, le 6 novembre 1 641 :
« La dévotion, continue-t-il, croît envers le saint
Sî^crement : le jour de la Fête-Dieu, y viennent en
procession trois ou quatre mille, et plusieurs se
prosternent par les rues, contre terre, à ce que ce-*
lui qui porte le saint Sacrement, marche dessus eux.
Tous les ans, on a remarqué quelques miracles, qui
— 143 —
se «ont faits de quelque malade qui, après la pro-
cessioii faite, ayant passé le saint Sacrement sur lui,
s'est trouvé sain et gaillard.
« J'en ai vu un, cette pinnée, qu'il fallut apporter de
trois ou quatre lieues à la ville , parce qu'il ne pour-
voit marcher, et après la procession s'en retourna
guéri, le même jour, en son village. »
Le P. Mathieu écrit qu'un pauvre grec , s'étant
fait apporter des champs, reçut la guérison, et s'en
retourna à pied dans sa maison.
 Naxie, outre les fonctions ordinaires, se font
des missions par les villages , avec un grand profit
des villageois , comme on peut voir en la relation
suivante:
Relation de ce qui s'est passé en une mission par
les villages de tile de Naxie^ au mois daoût
♦ 1641; envoyée à M. Le Maltte^ marchand à
Rouen ^ par le P. Mathieu Hardy, de la Corn-
pagnie de Jésus.
Monsieur,
La gratitude m'oblige de vous avertir comme
j'ai reçu , à Naxie, la boite et le ballot de chapelets ,
croix , AgnusDeif etc., qu'il vous a plu m'envoyer.
Le vaisseau qui les portpit, arrêté des vents con-
traires, vient de jeter l'ancre àParos, île fort voisine
K. %
— 114 —
de Nazie.- Je n'ai point de paroles suffisantes pour
vous remercier, et le dis tout de bon et sans ampli-
fication 9 voyant le bien qui se fait par le moyen de
ces choses de dévotion. Vous serez bien aise d'en-
tendre^ comme cette année, j*ai fait une petite mis-
sion en Tile, à Dremalia. C'est une vallée, au milieu
de notre île fertile, qui a son étymologie de Drus et
Elaia, qui veut dire chêne et olive, aussi est-elle
pleine de ces arbres, qui Is^ rendent fort belle et
agréable.
Il y a, en cette vallée, quatre bons bourgs, et d'au-
tres petits villages, tous très-bien fournis de peuple
du rit grec , et parmi les grecs se retrouvent quel-
ques uns de notre rit latin. Il neige, pleut et fait
froid, en cette vallée et sur les montagnes voisi-
nes, l'hiver, comme à Rouen , quoique à la ville,
qui n'est éloignée que de quatre lieues de cette
vallée, l'air soit plus tempéré de la moitié, aussi fait-
on moisson et vendange en la campagne, où est
située la ville» un mois plus tôt qu'aux villages, tel-
lement que, quasi quatre mois durant, on mange
du raisin frais.
Je partis donc , le 4 d'août , pour aller en mission
en cette vallée , et dès le premier jour , sur le che- .
min je confessai cinq personnes du rit latin , et m'en
allai loger en un bourg , où nous avoDS une petite
maison et un jardin tout auprès d'une église de
— 418 —
notre rit , dans laquelle nous avons toute permission
d'exercer nos fonctions spirituelles.
Le principal fruit ide cette mission a été en Tins-
truction de ces pauvres villageois fort ignorants ,
tant grands que petits. Il ne s'est passé jour que je
n'aie prêché ou catéchisé, et en particulier, deux
ou trois fois , les fêtes et dimanches. Quant il y avoit
quelque assemblée qui se faisoit à la fête de quelque
bourg , on m'invitoit à prêcher , comme il arriva le
1 6 août f qui est le 6 de celui des Grecs , le jour de
la Transfiguration, auquel je prêchai le soir après
vêpres , la nuit et le lendemain matin à la grande
messe. Je fus invité à souper, des deux curés, avec
les principaux du bourg, qui se plaisoient fort
d'entendre parler des choses spirituelles, durant le
repas. Un jour entr'^utres, un curé m'invita de prê-
cher aux obsèques qui se faisoient pour un mort.
Et ce pauvre peuple écouta attentivement ce qu'on
leur dit, montrant par leurs larmes et soupirs que
Dieu leur touchoit le cœur.
Le plus grand ^contentement est en la doctrine
chrétienne, voyant la ferveur de^tous à s'y trouver
et répondre ; les prêtres y viennent , les diacres , les
hommes et les femmes y réponaent ; <leux vieilles,
âgées de 90 ans , se présentèrent au village pour
apprendre le signe de la croix. Les vieillards vien-
nent dire leur Pater noster, Jve Maria , Credo, en
— 116 —
grec ; et les femmes, qui ne le savoient encore , se le
faisoient apprendre, après la doctrine chrétienne, et
j'ai ouï des femmes qui répétoient V^ve Maria par
les rues.
En. ces trois semaines, que j'ai été en mission ,
les enfants ont appris une bonne partie de leur ca-
téchisme en grec vulgaire, qu'ils récitoient puis
après, dans les églises, devant tout le monde, avec
grand contentement de leurs parents. J'ai fait dire
quelquefois le chapelet aux clercs et aux enfants di-
visés en trois bandes.
J'ai eu permission du métropolite grec de prêcher
et catéchiser dans les églises grecques, etce^ par
écrit , avec menace de suspension à ceux qui en fe-
roient difficulté ; mais cette permission ne m'étoit pas
nécessaire , car les curés désiroient et me prioient
de fajre tout ce que je voudrois en leurs églises.
Et comme je préchois, un samedi au soir, en une des
principales églises, le curé, qui vouloit dire vêpres
avec d'autres prêtres , s'en alla les chanter en une
chapelle voisine , de peur de m'incommoder.
Des grecs, j'en ai confessé vingt-un, tant hommes
que femmes; la plus grande partie désiroient de se
confesser et 1^ disoient. En ce même temps , les vil-
lageois se sont soulevés contre les gentils-hommes de
la ville , à cause des dîmes , sous la conduite d'un
prêtre , qui est le premier en dignité entr'eux, lequel
— 117 —
pour se venger aucunement des fi«incs, disoit :
Allez- vous-en confesser au Père , et ^ous verrez
comme je vous ferai bien châtier; et comme ce prê-
tre est de grande autorité parmi eux, ils ont eu
peur de l'excommunication et se sont retirés. £t- ce-
pendant, ce même prêtre, lorsque j'allai faire la
doctrine chrétienne en son église , tonna lui-même
la cloche et a été un des plus affectionnés et désireux
d'apprendre lui-même quelque chose plus que tout
autre.
Nous attendons, de jour à autre, le Bâcha de Rho-
des et de la mer , qui doit venir tout exprès en notre
île, pour accommoder ce différend entre les gentils-
hommes et les villageois. Quand cette affaire sera
terminée, j'espère qu'ib viendront se confesser sans
crainte.
Ils se sont confessés ilu rit latin vingt^ept per-
sonnes en cette mission. Le premier de tous les
grecs a bien montré sa ferveur , en ce que s'étant
confessé à moi généralement et n'ayant pu commu-
nier le dimanche d'après , comme il pensoit , pour
quelques empêchements, il me vint trouver en ville
pour se réconcilier et se mettre dans l'obligation de
jeûner, leur carême d'août étant déjà passé; car les
grecs ne communient jamais qu'ils ne se soient abs-
tenu quelque temps de mangei* de la chair aupara-
vant. Et ce fut une mortification à ce bon vieillard
i
y i
de s'en abstenir le samedi^ jour auquel ils ont la
coutume et particulière dévotion d'en manger.
Je retournai de cette mission le 26 d^août. Je veux
ajouter quelque chose qui s'est passé cette année ,
à cause du Jubilé : une grande partie de ceux de
notre rit se sont venu confesser généralement à moi ;
les réconciliations seront faites, entr'autres d'un
des principaux Seigneurs , lequel étant grandement
irrité contre son fils et ne voulant pas le voir ni lui
parler 9 enfin alla à la maison de son fils, j dina avec
lui , invité doucement par sa bru , qui en cela suivit
le conseil de son confesseur, qui avoit déjà disposé
le père à pardonner, parler et revoir son fils. Un
des principaux seigneurs, après avoir vécu plu-
sieurs années dans le concubinage , sans se confes-
ser, enfin repenti de son péché, il Ta abandonné et
s'est confessé. • '-*
La ville étant divisée en deux partis, avec danger
de meurtre de part et d'autre , à cause d'un jeune
homme ^ qui s'était marié contre la volonté de son
père , la paix s'est faite; le fils a demandé et reçu le
pardi^n de son père.
Je laisse plusieurs semblables réconciliations , qui
se sont faites, pour ne vous point ennuyer; je ne
veux pas toutefois omettre un cas que vous serez
bien aise de savoir.
Une jeune fille, des plus nobles de la ville, aimoit
— H9 —
un jeune homme si ardemment ^ que s'apercevant
que son père ne le lui donneroit pas, elle se déter^^
mina d'empoisonner son père, et pour cet effet elle
mit du venin dans son potage. Le père ^ en ayant
goûté et le trouvant amer^ et se doutant de ce que
c'étoit, le cracha incontinent^ et cria : On m'a Voulii
empoisonner.
La mère , voyant que le sien était^ bon , voulut
goûter de celui de son mari, et, en prenant deux
cuillerées, elle disoit, puisque vous êtes empoi-
sonné, je veux mourir avec vous; et incontinent
elle commença à vomir. On m'appela aussitôt
comme confesseur , j'accours et lui fais prendre de
la thériaque et du bezoard , et la fis mettre au lit,
et devant moi, encore trois ou quatre fois, elle ne
cessoit de crier : Ah! mon Dieu, qu'ai-je voulu
faire, je me suis voulu tuer moi-même. Le mal passa^
et peu à peu, elle recouvrit la santé. Voilà, ce me
semble un acte d'amouv conjugal , qui mérite d'être
écrit entre ceux que l'antiquité célèbre tant.
Je voudrois avoir encore quelque chose pour
vous réjouir, tant que je fais cas de votre Gonten-*
teiiment. Priez nostre bon Dieu qu'il se daigne servir
de moi toujours , en ce qui sera de son bon plaisir
et me. £aiss«( participant de vos bonnes œuvres et
mérites.
Naxie se tiendra toujours obligée à vous, et priera
— 420 —
Notre-Seigneuf qu'il vous donne ce que vous sou-
haitez le plus , qui est la béatifique visîoii du sou-
verain bien.
Je me recommande très-affectueusement à vos
saintes prières et serai toujours, monsieur, votre très-
humble serviteur en Notre Seigneur Jésus-Christ.
Naxîe, 3 octobre 1641 .
. Mathieu Hardt.
CHAPITRE IIL
éTABUSSEMEMT A NAPOLI DE ROMANIE, ET A PATRAS DANS LA
MCmÉE OU PELOPONÈSE.
L'an 1 640 , au mois de juillet , Mgr de la Haye ,
ambassadeur au Levant, à l'instance que lui fit Mgr
de Villeré, consul des francois en Morée, envoya le
P. François Blaizeau et le P. René de Saint-Cosm^ à
Napoli et à Patras. Us ne manquèrent pas d'emploi à
Napoli; car, outre l'assistance qu'ils donnèrent au
consul et marchand francois, et aux grecs, par les
fondions ordinaires de la Compagnie, ils trouvèrent
einq cents esclaves du rit lalin, francois, italiens,
espagnols, allemands, polonois, qui etoient dans la
galèreduBey deNapoli, qui n'avoient pu ^confesser
ni entendre la messe depuis dix , vingt y ou trente
ans, qu'ils étoient ^claves; ce leur fut une grande
— 121 —
consolation de voir nos Pères , et participer aux sa-
crements de l'Eglise.
Quelques habitants du rit latin avoient passé au
rit grec, à cause qu'ils n'avoient aucun prêtre du
rit latin. Ils promettent de retourner à l'Eglise ro-
maine , s'ils ont un prêtre stable. Le petit nombre
d'ouvriers, que nous sommes, fait que deux de nos
Pères entretiennent trois résidences, passant de l'une
à l'autre. %
C'est en la ville de Patrasque saint André, apôtre,
a été martyrisé. Et proche de là aussi fut donnée la
bataille de Lépante. Dans la Morée, ou Péloponèse,
on pourroit faire quelques missions , car il y a six
archevêchés:Corinthe,Christianopolis (Megalopolis) ,
Lacédemonia, Monembàsia, Nauplie, Patras. Il y a
douze evéchés de trente-deux Kadiliks, ou lieux qui
ont un juge turc.
La Laconie a plusieurs bons villages. Les Maï-
notes, qui résident au bras de Maïna, dit ancienne-
ment Taenarium-Promontorium , ont trois villes :
Magni , Yitulo , Prousti, et 365 villages. Ils sont
chrétiens du rit grec, et n'ont jamais pu être sur-
montés par les turcs , car les montagnes du pays
sont inaccessibles aux turcs; ils ne paient point de
tribut au grand Seigneur , bien que leur pays soit
dans le Péloponèse.
CHAPITRE IV.
ÉTABUSSEtaNT EN l'ILE DE PÂROS. — RELATION DU P. d' ANJOU.
L'an 1 641 , le 24 de février, Mgr l'archevêque de
Naxie et de Paras envoya, en Tîle de Paros, le P.
Jacques d'Anjou , et lui donna la charge de son
vicaire général à perpétuité et l'administration de
l'église de Saint-Georges. Le P. d'Anjou écrit qu'il
y a bien de l'emploi , l'île étant fort peuplée , et que
l'on y compte quinze ou seize mille chrétiens, dis-
tribués en trois villes et quantité de villages, La
liberté pour les fonctions ecclésiastiques est très-
grande, mais la pauvreté du P. d'Anjou est encore
plus grande, comme il se peut voir en la relation
suivante :
Briève relation de ce qui s^est passé en File de
Paros j Pan 1 641 , envoyée au P. Jacques Dinet,
provincial de la Compagnie de Jésus, en France,
par le P» Jacques dH Anjou, de la même Com-
pagnie,
Mon Révérend Père, ,
Il a plu à la divine bonté d'accroître cette an^
née notre mission du Levant d'une nouvelle rési-
— 123 —
dence en l'île deParos, Tune des plus gentilles entre
les Cyclades, et des plus mémorables de Tarchipe-
lage, pour les marbres que les anciens en ont tirés
et qui s'y voient encore à présent, en telle abon-
dance, qu'au lieu de haies, que nous avons dedans
notre France, pour fermer les héritages de chaque
particulier, ils ne se servent ici que de murailles
sèches de marbre , du filus blanc et du plus beau
que l'on sauroit avoir. Le pays y esX agréable, à
cause d'une telle quantité de fontaineis, qi>'onne
sauroit si peu creuser, joignant les rives de la mer,
qu'on n'y trouve des sources d'eau vive, qui bouil-
lonnent de tous cotés. Il est fertile en blé et en vin^
et même en coton , dont ils font un très-bon débit*
C'est chose admirable qu'avec si peu de pluie qu'il
fait ici toute Tannée, nommément depuis le mois de
mai jusqu'à septembre, qu'à peine voit-on pleuvoir
une seule fois , on y voie des fruits si gros qu'il se
trouvera tel raisin qui pourra remplir un boisseau,
mesure de Paris. Les carpons, fruits extrêmement
savoureux, de la forme des mêlons de France, mais
ayant la chair plus rouge , et pleine d'un suc qui
fond à la bouche, sont gros comme la tête d'un
bœuf.
Je suis entré dans cette île, par l'ordre de l'obéis-
sance , et à la sollicitation de Mgr l'archevêque de
Naxie, de la juridiction duquel cette île dépend en ce
— 424 —
qui est spirituel. Ce n'a pas été sans preuve très-ma-
nifeste de la Providance divine, qui a voulu signa-
ler en cela son affection singulière vers la Compa-
gnie, la choisissant, entre les autres, pour la culture
' de cette vigne infortUDée,querennenri tenoit eil prise
et extrême désolation , depuis fort longtemps.
L'année passée, 1 640, le vicaire général de Mgr de
Naûe écrivoit à la sacrée congrégation de propa-
gandâfidey qui est à Rome, la nécessité qu'il y
avoir d'avoir ici au plus tôt des ouvriers évangéli*
ques, n'y ayant, en toute Ffle, qu'un seul prêtre la-
tin, dont la vie et les mœurs étoient tellement déplo-
rables, qu'il faisoit honte à la chrétienté, qui est
en ce lieu. Sur laquelle information, il fut signifié
à Mgr l'archevêque , de la part de la sacrée congré-
gation, de le tirer de ce lieu , et de mettre à sa place
des capucins ou des jésuites, selon qu'il lui agrée-
roit le plus.
Les insulaires désiroient des jésuites , et depuis
fort longues années en avoient témoigné leur affec-
tion. Mais, comme Isinouvelle de cette ordonnance
arriva à Mgr l'archevêque, lorsqu'il était à Messine,
logé au couvent des Pères capucins , où il s'étoit re-
tiré à son retour de Rome, attendant l'occasion d'un
vaisseau, il se sentit obligé de témoigner son affec-
tion à ces bons Pères, et en reconnaissance de l'obli-
gation, dont il se voyoit chargé envers eux , il fit
j
— 125 —
choix de deux de leur maison , qu'il mena avec soi
dans Paros, pour y établir un ho^iceety travailler
à la gloire de Dieu.
Or il arriva que ces bons Pères, nouveaux venus,
ne sachant la langue du pais, ni l'un ni l'autre, après
avoir demeuré quatre ou cinq jours sur le lieu, se
retirèrent à Naxie au couvent de leur ordre, qui les
ayant reçus avec la 'charité ordinaire des Religions^
sur l'accident de la mort d'un de leurs Pères ^ à
Smyrne, disposa de l'un d'iceuxet FenvoyaàSmyrne,
où le pauvre Père mourut aussi)quelque temps après.
L'autre est resté à Naxie, employé à la cure des ma^
lades, qui ont recours à sachante, suivant la répu-
tation, qu'on lui donne d'être très-expert en ce qui
est de la médecine*
Cependant Mgr l'archevêque, voyant que quatre
mcHS s'étoient écoulés, et que l'ordonnance de la
Sacrée Congrégation li'étoit pas exécutée, ni ces
pauvres chrétiens soulagés, selon les ordres qu'il en
avoit donnés , ému de zèle du salut des âmes, qui
lui ont été commises de la part de Notre-Seigneur,
il a imploré, en cette occurrence, le secours de notre
Compagnie , priant le R. R. Fournier, supérieur de
la résidence de Naxie, de donner quelques-uns des
siens, pour prendre la charge de cette île de Paros,
et servir Notre-Se^eur au salut de ces pauvres
âmes, destituées de tout secours.
— «6 —
Ce que no» Pères ayant reçu à grande &veur^ les
lettres en furent expédiées et passées en .chancelle-
rie le 22 février 1 641 , et le 24 du même mois, jour
de saint Matfaias, échu au dimanche, le sort étant
tombé sur moi pour commencer cette nouvelle mis-
sion, je pris possession, au nom de notre Compa-
gnie, de Véglise de Saint- Geoi^es, métropolitaine
des francs, située au château de la viUe d'Agoussa ,
et seule du rit latin dans toute Tenceinte de Tile.
J'ai trouvé, en mon entrée en ces lieux, des Indes
nouvelles et ample matière d'em[doyer plusieurs
ouvriers. Dans l'île de Paros, il y a trois villes, l'une
A^oussa, l'autre Parekia, ou, comme disent d'au-
cuns, Eparkia, la troisième Kefalo, lesquelles, avec
cinq ou six villages, qui sont semés de coté et d'au-
tre, font environ quinze ou seize mille âmes, presque
tous chrétiens. S'il y a unedouzaine de turcs en toute
l'île, c'est au plus; ceux du rit latin y sont en si petit
nombre, qu'à peine passe-t-il soii^ante. Ce sont les
grecs qui font le gros; au' reste les uns et les autres,
tfiUement ignorants des choses de Dieu, qu'il ne se
peut rien dire de plus.
La coutume est ici bien enracinée de ne commu-
nier qu'une fois Tan , ou deux tout au plus, pour
les plus dévots. Il s'en trouve même qui passent les
dix, vingt, et quelques-uns les trente ou quarante
ans, sans se confesser ni communieré Nous t&cfaocis
— 427 —
petit k petit , d'introduire une meilleure coutume ,
si bien qu'il s'y est passé peu de dimanches qu'il n'y
ait eu quelqu'un qui se soit confessé ou communié^
et les bonnes fêtes. Dieu merci, on en voit toujours
un assez bon nombre à la sainte communion.
Ce fut une chose bien extraordinaire, que le jour
de l'annonciation de Notre*Dame, qui nous étoit
échue la seconde semaine de carême (pour ce qu'on
suit ici l'ancien calendrier), on vit une douzaine de
personnes communier à la messe paroissiale, ce qui,
hors de Pâques, ne s'étoit.Tu de longtemps. Cette
dévotion excita de grands mouvements dans les
cœurs de jdusieurs, qui, pour lors, se sont proposés
d'imiter leur piété, fréquentant la communion plus
souvent qu'ils n'avoient fait du passé. On a tâché de
la fomenter, partie par les catéchismes , qui se sont
&its tous les dimanches, partie par l'appareil extraor-
dinaire, qu'on a tâché de faire à l'autel, selon la pau-
vreté du lieu; car l'église est destituée de tout orne-
ment, jusque là qu'il n'y a ni ciboire, ni tabernacle,
pour conserver le Saint Sacrement, ni baldaquin
pour couvrir l'autel, ni parements pour l'orner,
toutes ses iichesses sont une àeule chasuble en tafe-
tas vert, avec l'étole et le manipule, une aube,
un calice d'étain , avec la patène db même, une ou
' deux nappes d'autel : au reste, sans vitrés, sans ser-
rures, sans chandeliers, que deux de bois fort mal
— 128 —
faits, sans bancs, sans chaises, sans pavé. Ce pauvre
peuple a été extrêmement consolé de voir Tautel
un peu mieux paré par l'emprunt de quelques cou*
yertures et tapis qu^on a agencés le plus proprement
qu'on a pu.
Ça été le bon plaisir de Dieu de bénir les com-
mencements de cette mission nouvelle par rheùreux
succès de quelques guérisons de malades, arrivées
miséricordieusement de sa part, contre les espérances
humaines. ^
Un' pauvre artisan, travaillé d'une grosse fièvre
par l'occasion d'une épine, qui lui étoit entrée dans le
pied,et l'avoit enflé avec la jambe et lacuisse,non sans
grande inflammation , m'ayant fait prier de le vi-
siter, dans l'espérance que je lui donnerois quelque
remède à son mal; j'y fus, et le vis en telle disposi-
tion qu'il me sembloit qu'il n'y avoit d'autre remède
que de lui couper la jambe, tant elle étoit en pauvre
état. Au reste, n'étant mon métier de m'employer à
telle cure, et n'y ayant ici ni médecin pour l'ordon-
ner , ni chirurgien pour l'exécuter, je m'avisai de
bénir du vin et de l'huile, le remède du Samaritain
de l'Evangile, je lui envoyai pour s'en laverie pied
et la jambe tous les jours. Ce pauvre homme crut et
espéra en Notre-Seigneur, et peu de temps après
sa jambe ayant un peu suppuré , il s'est vu entière-
ment guéri de son mal.
— 129 ~
Agnouasa^iiUe de Janis et d'Âmbdlkia, âgée seule-
ment de 13 à. 14 ans, ayant été travaillée, Fespace
de cinq ans, d'un certain trémoussement, qui la
saisissoit tous les soirs, et la faisoît crier et hurler,
comme ceux qui ont le mal de saint Jean , le jeudi
saint de cette année 1 641 , Janis, son père , se plai«
gnant à son maître, le seigneur liouannachi Gtr<»
rardi, premier gentilhomme de Tiie, se plaignant,
diS'je, de la cruauté et longueur de ce mal, qui la
travailloit^ ce seigneur s'avisa de lui prêter un vase
de la terre de saint Paul de Malte, que je lui avois
donné depuis peu de jours, pour lui faire boire nn
peu d'eau dedans , en temps que son mal commen**
ceroit à la saisir, l'admonestant qu'elle eût sa con-
fiance en Dieu et aux prières de ce grand apôtre.
Ce bon homme et la jeune fille mirait donc, leur
confiance en Dieu, suivant les parc4es de son maî-
tre. Agnoussa, entant venir son mal, prit de l'eau,
la mit dans le vase , et l'ayant .bue avec dévotion ,
dès l'heure même , elle s'est trouvée entièrement
guérie de ce mal de si longue année.
Cette guérison si extraordinaire s'étant répandue
par toute la vâle , plusieurs malades de diverses
fièvres sont venus bok*e dans ce petit vase, lesquels
tous, au nombre de quinze ou seize, ont été, dès
l'heure même , heureusen^ent délivrés de leur mal;
et depuis, ce vase étant rompu, on est venu à moi
K. 9
— 430 —
pour avoir de la poussière de cette terre ^ par le
moyen de laquelle, plus de cent ont été délivrés
des fièvres, la buvant avec un peu d'eau, au même
temps que Taccès commence ^ les prendre.
Le 1 7® d'avril , qui est pour nous le jour des Ha-
meaux, je fis faire une procession , selon la cou^
tume de TËglise, et pour la rendre plus célèbre,
je fis revêtir en anges six petits écoliers. Le premier
portoit le thuribule avec la navette à mettrerencens,
l'autre la croix, accompagnés de deux plus petits,
qui tenaient chacun un cienge à la main ; suivoit le
cinquième, portant une couronne d'épines, et le
sixième et dernier, avec un tableau représ^itant
Notre-Seigneur, en son agonie, au jardin.
Le peuple, qui n'est pas accoutumé de voir ces cé-
rémonies, y accourut en foule, et entre les autres fut
remarquable, le principal Papas, des grecs, que Ton
nomme Téconcmie , lequel , suivi de quelque nombre
d'autres Papas, honora de sa présence cette nouvelle
célébrité. Quelques-uns des plus anciensde la ville fi-
rent pour lors cette remarque que nous plantames,ea
ce jour, l'étendard de la sainte Croix, au même heu,
où, cinquante ans auparavant, on avoit coutume de
l'arborer à tel jour, et que, pai^e l'indévotion , partie
l'esclavage turcquesque, avqient empêché depuis
tant d'années de continuer. Au retour de la procès*
sion , une dame grecque , des plus remarqimbtes du
— 134 ^
Heu, me fit des congratulationB si extraordinaires,
pour la joie qu'elle avoit reçue en ^on cœur, de cette
nouvelle célébrité, qu'entr'^utres paroles, elle me
dit qu'il sembloit qu'dle avoit commencé ce jour-là,
à être chrétienne. Elle m'ajouta qu'elle croyoit que
Dieu avoit accompli , en cette journée , ce que son
petit fils avoit songé, le jour du grand saint Bazile ,
qui est le premier jour de Tan, au regard des grecs :
savoir est, que cet enfant avoit vu, en songe, sortir
de Téglise Saint-Georges un ange d'une clarté admi-*
rable, portant un encensoir à la main , et suivi d'une
^ troupe d'autres, qui lui &isoient entendre que cette
pauvre église, désolée depuis si longtemps, pren*
droit à Tavenir un nouveau lustre. Dieu y étant servi
avec plus de zélé et dévotion qu'il n'y avoit été aux
âècles passés. Je donnai le baptême à un petit
en&nt d'un gentilhomme , élevé en qualité de page
d'honneur, en Thôtel de Mgr de Seri, à Constanti-*
DOple; son père est ici le premier du lieu; c'est le
pr^liier enfant que j'ai baptisé , et il y avoit bien
quatorze ans que l'on n'avoit vu baptiser ici per^
sonne à la francque. La qualité de l'enfant et la
rareté de la cérémonie , selon notre rit, a feit que
le concours du monde a été extraordinaire. Deux
choses ont été remarquables à la naissance de cet
enfant : la première, que la nuit que sa mère étoit
joï travail pour lui , le jardinier du jardin de notr0
^ 132 —
égliâe de Saint-Georges eut un songe , qu'il avoit
cueilli un lys dans notre jardin^ et Tavoit portée la si*
gnora , mère de l'enfant; ce que le sieur Nicé[^ore,
son père, me racontant avec allégresse , interprétoit
à bon augure, comme espérant que cet enfant, son
premier-né, hériteroit de lui l'affection qu'il porte
en son cœur et fait paroitre aux occasions à la cou-
ronne de France , l'arme de laquelle est le lys. La
seconde chose remarquable est que la signora ,
ayant été dans les douleurs de cet enfantement une
grande partie de la nuit , le matin , comme on m'en-
voya avertir de faire quelques prières pour elle , je
lui envoyai mon reliquaire, dans lequel il y -a entre
autres des reliques de notre saint Père Ignace, ayer-
tissant la personne à qui je le donnois, qu'elle lui
dit qu'elle eût recours à ses prières , et qu'elle s'en
trouveroit très-bien. Elle i^ l'eut pa$ plustôt reçu ,
qu'elle accoucha incontinent après, fort heureuse*
ment. J'ay admiré en cet enfant ce que j'apprends
qui se pratique ici généralement en tous- les autres,
tant mâles que femelles, savoir est : qu'on les laisse
trois jours et trois nuits sans leur donner à téter, ni
mettre chose aucune en leur bouche; et pour le re*
gard.de leurs têtes, on ne les couvre nullement, ni en
hiver, ni en été, ni. jour, ni nuit,qu'ils n'aient atteint
l'âge de quatre ou cinq ans : aussi est-il vrai que le
pays est plus tempéré que le nôtre, l'hiver ne s'y
— 133 —
sentant pas, et Tété , la providence divine qui tient
les vents en ses trésors, se montrant si favorable à
la conduite de ces îles, que, la plupart de ce temps,
elle y fait régner la tramontane , qui sert également
à rafraîchir les corps humains et mûrir les fruits de
la terre, qui, sans ce rafraîchissement, dans peu
d'heures seroient tous rôtis.
Quant à ce qui est des choses plus mémorables,
qui se retrouvent dedans Tîle, je n'ai pu encore ap-
prendre autre chose que ce que je prétends dé tou-
cher ici fort brièvement. Il y a , dans Agou^ , une
image mH^aculeuse de Notre-Dame , qui se voit en
la principale église des grecs. Le peuple de la ville a
cette bonne coutume qu'il ne se passe jour que, tous
ou la plupart, ne fasse son devoir de la visita. L'his-
toire porte que, du temps des Iconoclastes, elle fut
miraculeusemenf apportée par mer, par la seule con-
duite de Dieu et des anges. Le peuple , qui vivoit
pour lors, la vit venir au milieu des -flots, et nonobs-
tant les flots et tempêtes qui se montroient furieuses,
elle vint surgir heureusement au port d'Agoussa,
où elle fut recueillie avec allégresse et détotion ex-
traordinaire. Le duc, qui gèuvernoit cette île, com-
manda qu'elle fut portée au château qui comman-
doit toute la ville, désirant d'y bâtir une chapelle,
pour l'honorer selon son pouvoir, et par icelle , la
Reine desanges. Choseétrange! cette image n'agréant
— 1S4 —
pas ce lieu, qu'ils avoient choisi, fut trouvée, par
trois diverses fois, transportée au lieu, où elle est à
présent, avec les outils des maçons qui travailloient
à cette chapelle : ce qui obligea ces bons habitants
de lui en dresser une autre en ce même lieu , qu'elle
faisoit paroitre lui agréer le plus. Cette image est d'un
bois qu'on ne connoît pas, et qui semble être incor-
ruptible. Le cadre, où elle est enchâssée , a été déjà
changé trois ou quatre fois, à raison de la ppurriture
qui l'avoit déjà consumé, sans que toutefois on ait
reconnu aucun déchet- en ladite image. Quantité
de miracles se sont faits, qu'il n'est besoin de
déduire par le menu. Je me contenterai d'un, entre
les autres, que j'ai su de personnes de créance et
d'autorité , qui m'ont assuré l'avoir vu eux-mêmes
de leurs propres yeux.
Il y a environ vingt-cinq ans qu'Âli-Bacha, géné-
ral des armées turcquesques, voulant contraindre les
insulaires de lui* mettre en main le tribut qu'ils sont
obligés de payer au grand Seigneur, et iceux refu-
sant de lui obéir, comme étant contre leur droit, et
la coutume qu'ils avoient toujours gardée de la
porter eux-mêmes à la Porte , n'ayant à répondre à
personne qu'au grand visir : dépité de ce refus, il se
résolut de mettre à feu et à sang toutes les iles qui
résisteroient à la volonté , et commençant par celle
dt Syra, qui est fort proche de Paros, il vint fondrtt
— 188 —
dessus, accompagné d'un gran^ nombre ^e gdè-
res j et s'étant jeté dedans, il fit pendre Tévéque
et quelques*uns des priqçîpaux de la ville , en mit
en galère deux ou trois cents , pilla et saccagea la
ville, brûlai les moulins et une partie des inaisonsi
enfin la mit en très-grande ruine et extrême désole^*
tion. Comme il étoit sur le point d'en faire de même
à Paros^ les pauvres Pariens, bien épouvantés de
cette cruelfe exécution, eurent recours à leur Notre?
Dame , faisant des prièi'es publiques pour Tinvo*
quer à leur secours. On n'entendoit dedans les rues»
par les places, dans les maisons et dans les églises,
que des cris et lamentations effroyables^ mais sur«-
tout au même moment que les galères du Bâcha
commencèrent à paroUre. Ce peuple, qui étoit
aux aguets ^ se met à crier, tous ensemble , d'une
voix épouvantable : J^Iarie, mère de Dîeû, tqute
sainte^ protéges^nous! Merveille des bontés admi«-
rables de la mère de mi^ricorde, attendrie par les
clameurs de ce peuplé désolé, elle envoya, tout sur
le champ, une ^mpéte furieuse, qui écarta deçà et
de là toutes les galères et vaisseaux de ce tyran, et
les envoya si loin des îles, qu'il avoua lui-même hau-
tement qu'une puissaoce surcéleste l'empêchoit de
faire le mal aux Pariens et autres insulaires, qu'il
avoit résolu d'accomplir. Ainsi furent-ils délivrés
par l'entremise de la Vierge.
— 136 —
Il y a^ près d'Âgoussa, une ancienne chapelle,
qui a été trouvée, depuis peu d'années, d'une façon
extraordinaire. Nicéphore, métropolite grec pour
Naxie et Paros , avoit amené avec soi de Constanti-
nople un certain turc janissaire , vieillard de bon
sens, et recommendable pour la probité de ses
mœurs. Celuy-ci^ étant à Agoussa avec le Métropo-
lite , eut un songe , la nuit , par lequel il se sentoit
averti par quelque personne vénérab1e,qtte si on ùlv-
soit fouir en un certain lieu , qu'il lui montroit, on y
trouveroit une chapelle. Etant éveillé, il donna avis
de son songe au métropolite, et aussitôt met des gens
en besogne pour fouir au lieu qui lui avoit été mon-
tré. Us ne n^anquèrent pas, après quelque peu de tra-
vail à lever les terres, de trouver une forme de cha-
pelle, qui depuis, ayant été embellie et mise en meil-
leur état par la dévotion des fidèles, est maintenant
une des plus célèbres du pays.
Voilà, mon Révérend Père, ce que j*ai pu trouver
de plus remarquable en ces lieux. Si Dieu me donne
la vie, j'espère que, l'année prochaine, je ferai
voir à la France les impostures du ministre Du Mou-
lin , qui , pour donner crédit aux faussetés de sa
rehgion prétendue , fait accroire aux plus simples
que l'Eglise grecque est en même créance que celle
qu'il professe, et qu'il abuse depuis tant d'années ,
tant par les livres qu'il imprime que par ses prédi-
— 137 —
calions. Je prétends de lui montrer, plus clair que le
jour, que sur les controverses débattues eutre les
catholiques et calvinistes de France, TEglise grecque
symbolise entièrement avec nous, et contrarie tota-
lei;nent aux erreurs de leur nouvelle et fausse doc-
trine. Et tandis que nous travaillerons à cet emploi
et à celui qui nous regarde de plus près, qui est de
défricher les ronces de cette vigne de Paros, je sup-
plie très-humblement votre révérence, de; jeter des
yeux de compassion sur cette mission-nouvelle, et la
daigner recommander aux charités de nos Pères ,
principalement de ceux qui gouvernent les congré-
gations des messieurs,. à ce qu'ils les excitent d'éten-
dre leur miséricorde sur cette pauvre Eglise esclave,,
contribuant, selon leur pouvoir, pour les faire avoir
quelques meubles, à ce que Notre-Seigneur, son
époux, y soit servi et honoré, sinon selon qu'il
mérite, du moins selon la bienséance, qu'il con-
vient de rendre à sa Majesté.
PlûtàDieu que plusieurs seigneurs et dames fran-
çoises eussent vu les ornements que les turcs font à
leurs mosquées, c'est là qu'ils auroient lieu de bénir
et remercier Dieu, qui leur a donné le moyen d'em-
ployer leur dévotion au vrai culte iesa Majesté, au
lieu que ces pauvres aveugles perdent leurs âmes et
leurs moyens au service de la vanité. Plût-il à Dieu
qu'ils ressentissent au fond de leur cœur le conten-
— 138 —
ment d'une âme bien isâte , quand elle voit Jésus,
son Sauveur, honoré et glorifié en ces quartiers,
nonobstant tous les artifices et inventions sataniques
qui s'y pratiquent, pour en abolir la mémoire et
ensevelir le nom dans un oubli éternel. — Je finis,
me recommandant très-humblement aux saints sa*
crifices de Votre .Révérence et de tous nos RR. PP*
de sa Province , et aux prières de tous nos chers Frè-
res, desquelles nons avons bon besoin : je demeure
pour jamais,
^ Mon Très-Révérend Père ,
DeVotreRévérenoe,serviteur très-humble en Notre
Seigneur.
D'Agoussa, en l'île de Paros, le 2' d'octobre 1641,
Jacques d'Awjou.
CHAPITRE V.
ÉTABLISSEMENT A ATHÈNES. — EXTRAIT D*UNE lETTRE DtT P.
FRANÇOIS BLAISEAU DE LA COMPAGNIE DC JOSSUS , ÉCRITE DE
EALGHIS (CHALGIS) OU EGRI^S » LE 2^ À)UR IN£ 1643.
Le 2 décembre 1 641 , je suis arrivé à Athènes, où
saint Paul, saint Denis Aréopagite et saint André,
nops ont été pfopices, et montré évidemment qu'ils
avoient encore soin au ciel de la vigne, qu'ils ont
cultivée en terre par leurs prédications et leurs
.j
— 139 —
trayaux apostoliques ; j'estime que nous sommes
trop heureux d'être appelés pour succéder à uA
emploi si honorable.
Les plus apparents grecs de Romanie, le seigneur
Alberto et le seigneur Maurc^em, m'ont défrayé au
voyage et entretenu un mois, en cette nc^le ville
d'Athènes. Dieu m'a pourvu aussitôt d'un caloyar d^
21 ans pour mon compagnon. J'ai pris connoissance
des plus grands de la ville, qui ont fait une assemblée
publique, pour me retenir à Athènes. Le même ont
fait les turcs de qualité, entr'autres le cadi ou juge^ le
cerdar qui commande la milice, l^s neveux et gendre
de Bakir*Bacha, le sequir ou supérieur des dervis
ou religieux turcs, qui, tous en corps, ont écrit une
lettre à Mgr de la Haye, ambassadeur à Constantin
nople, afin qu'il lui plaise me permettre d'établir
une résidence de notre Compagnie à Athènes; car je
leur ai signifié que, sans cela, je ne pourrois y de-
meurer, et sans la permission de Votre Révérence,
afin que notre établissement' soit plus ferme, et que
Mgr l'ambassadeur prenne occasion, en la réponse
qu'il leur fera , de leur dire que très- volontiers il
leur accorde leur demande, à condition qu'ils nous
donneront un lieu, pour faire nos prières et pour
assister nos marchands et mariniers françois, qui
trafiquent au port d'Athènes.
Les mêmes turcs, se défiant de l'obtenir d'eux-»
— 440 —
mêmes, en ont écrità Bakir^Bacha, pour en supplier
Son Excellence , afin d'obtenir plus assurément ce
qu'ils demandent.
Je crois que Son Excellence prendra plaisir d'être
priée de ceux mêmes , qu'il voudroit prier pour une
affaire de Dieu; parla même, c'est engager Bakir-
Bâcha , qui est général des galères de la Mer-Blan-
che, roi pour ainsi dire, tant il a d'autorité, à
protéger notre établissement à Athènes, puisque
lui-même la protège auprès de Mgr l'ambassa-
deur.
Les grecs écrivent à Votre Révérence pour le
même sujet; ils sont des apparents de la ville, qui
ont souscrit, et la lettre qui s'adresse à Mgr l'ambas-
sadeur est souscrite de quantité de turcs , qui ont
charges et sont personnes de considération. Cela
nous oblige à conserver chèrement les originaux
de ces lettres , qui serviront de titres authentiques
pour demeurer en sûreté à Athènes.
Le dernier jour de l'an 1641 , le cadi , le cerdar,
et autres grand^dela ville d'Athènes reçurent lettres
de la part de Moustafa-Bey , frère de Bakir-Bacha ,
et qui est gouverneur de Négrepônt, par lesquelles
il leur recommandoit de me prier que j^allasse le
trouver à Négrepont. Ses prières à mon endroit fu-
rent des commandements; ses gens mç demandèrent
combien je voulcfis de chevaux pour mon voyage, je
— 141 —
dis que denix suâStroient^Tun pour moi^ l'autre pour
le caloyer, mon compagnon.
J'arrivai à une heure de nuit à Chalcis^ qui se
nomme à présent Egripos, sur TEuiripe duquel }.'ai
admiré les mouvements. Le brigantin de la galère
du bâcha me vint trouver, sitôt que je fus arrivé,
pour me porter en la ville. C'est une faveur très-rare,
qui à peine se concède aux turcs de qualité^ dans les
places fortes, comme est Kalchis.
J'écrirai, une autre fois avec plus de loisir, les
particularités de mon voyage, espérant que Mgr l'am-
bassadeur y prendra plaisir; pour maintenant il est
impossible de lui donner contentement.
Moutafa-Bey nous a fait apprêter notre logement
chez un grec athénien, habitant de Chalcis, et avoit
déjà ordonné nuFagini, c'est à dire, pour ma nour»
riture chaque jour, quatre pains , deux oches de vin
et deux de mouton (deux oches font cinq livres,
poids de Paris). De plus, il m'en\oya qi^ntité de
poules, deux oches de beurre et huit de riz, avec
trois ou quajtre charges de gros bois. Il avoit aussi
donné commission expresse à un grec de me four-
nir tout ce que je demanderois, ou qu'il conndtroit
m'étre nécessaire. J'ai cet agrément de parler à tous
ces turcs, sans l'aide de truchement; car ils entendent
tous et parlent grec, étant fils de mères grecques,
Moustafa-Bey dit publiquement qu'il écriroit* à
— 141 —
Athènes; qa'ik doivent tons me porter scir leur
tête et me témoigner grande considération. .
Cassan-Bej, fils d'Ali-Bacha, me vient visiter tous
les jours, pour apprendre quelque chose de la
8{rfière. Ce m'a été une consolation bien sensible
d^entendre à Ghalcis la confession de quelques per-
sonnes qui semUoient attendre de IcMigtemps cette
assistance spiritu^e. Dieu soit loué d'avoir disposé
ainsi les moyens de leur salut , comme il a fait aussi
à Athènes, en quoi j'ai reconnu que les grecs ont
pkis de confiance en nous, que je n'osoispas e^rer.
Dans dix ou doii^e jours, Dieu j aidant , je retour-
nerai à Athènes avec de bonnes lettres de recommen«
dation auxquelles je prétends £ûre ajouter quelque
bonne clause pour le bien des âmes. Votre Rêvé*
rence procurera le même , s'il lui jdaît , dans la ré-
ponse que Mgr l'ambassadeur fera , tant à Bddr-
Bâcha, qu'au cadi, cerdar, et autres turcs, qui l'ont
prié deconsentirii. notre établissement dans Atiiènes.
Jamais je n'eus la santé meilleure que parmi
les fatigues et impcntunités de tout un monde de
grecs etde turcs, qui sont après moi, pour apprendre
les mathématiques.
J'ai observé exactement et frugalement le jeûne
de l'Aventavec les grecs, qui est de quarante jours. . .
Je fais ce que je puis pour témoigner aux grecs qiid
nous les aimons et honorons leur rit.
i^^'^ BIÉE. __, .^...^^^^^^^..^^^ ■ M' ft*"^
— 448 —
Urne Yi^it une pensée y qoe Dieu nous veut éta*
blir, non-^seulement entre les grecs , mais encore
parmi les turcs , par l'entremise des mathémati-
ques, comme il a fait dans la Chine.
Sitôt que je serai de retour à Athènes, on mé lo«
géra en une j<^ie maison au coeur de la ville, Ueu
très-propre pour nos fonctions spirituelles ; quel-"
ques-uns m'ont assuré que je ne paierois point de
louage, si est-ce que je ne désire point de m'entre-
tenir de leur libéralité et leur être à charge. Il est
bien vrai que si V. R. avoit une centaine de pias-^
très entre les mains, qu'elle voulût employer à
Tachât de la maison , je me servirois de la bonhe
volonté présente des faabitans d'Athènes, pour avoir
bon marché de la maison , et par ce moyen affer-^
mir notre étabhssement.
Auprès de cette maison, il y a une belle église, où
je pourrais dire la messe , jusqu'à ce que nous ayons
une chapdle domestique, tant pour notre commo-
dité, que celle des fran^^is qui auront le même
droit à Athènes, qu'ils ont aux autres échelles du
Levant.
Mon caloyer demeure en l'église, proche de la
maison , et y tient école de vingt ou vingt-cinq éco*
iiers, entre lesquels il y a quatre ou cinq gram-
mairiens, il me remet tout entre les mains et se £ût
lai-«Mttie mofi écolier.
— 144 ^
Je n'ai encore vu le métropolite ^ à cause qu'il a
été absent tout le temps que j'ai demeuré à Athè-
nes. Il n'aime les lettres que dans la monnoie , et
est obligé de suivre le sentiment et mouvement des
turcs pour notre établissement; c'est poiu*quoi il faut
viser à gagner ôeux-ci, et après suivra le métropo*
lite avec tout son clergé.
Le profit, que l'on peut faire à Athènes, est :
1 ^ l'école, ou instruction des enfants grecs, les pré-
dications et catéchismes en leurs églises; 2^ les
exhortations aux calogeries ou religieuses grec-
ques; il y a dans Athènes dix ou douze monastères
de filles, et il y a tel monastère, où se trouvent plus '
de soixante filles ; 3^ l'aide spirituelle de nos fran-
çois qui trafiquent à Athènes. Cette année y sont
venus cinq vaisseaux françois; ce leur est un jubilé
de consolation d'y trouver des religieux françois ,
qui leur disent la messe et administrent les sacre-
ments; 4® enseigner les cas dexmLScienceiaux ca-
loyers et les mathématiquesàla jeiine noblesse, dont
elle est très-désireuse, comme je l'ai expérimenté en
ce commencement , où les jeunes grecs et turcs sont
tout le jour après moi, pour apprendre quelque
chose de la sphère et des mathématiques. Donc^ si
Votre Révérence agrée l'établissençient d'une rési-
dence de notre Compagnie à Athènes, il lui plaira
nous envoyer au plus tôt ce qui nous est nécessaire.
— 145 —
pour y subsister et faire du fruit : 1 ^ un des Nôtres,
. qui puisse traiter avec les grecs; les instruire et sup-
porter patiemment; 2° un de nos Frères coadjuteurs,
qui nous rendra plus de service qu'un grec et ne
fera pas tant de dépense ; 3® de quoi nous habiller,
et meubler notre nouveau ménage, afin que nous ne
soyons point à charge aux grecs , et qu'ils recon-
noissent que nous ne cherchons rien que leur
profit spirituel et le bien de leur âme ; 4® un horloge
à contre poids, afin que nous vivions régulièrement,
et que chaque chose se fasse à son temps; 5^ quelques
tableaux dedévotion pour notre chapelle domestique
comme un tableau du crucifix et de Notre-Dame ;
6^ un ciboire, un tabernacle, un soleil pour exposer
le Saint-Sacrement , quelques ornements pour dire
la messe, une serrure pour fermer la chapelle;
7" une bible grecque, .... les concordances, quelques
tomes de saint Jean Chrysostôme et de saint Atha-
nase; S'^Demosthènes, les poètes grecs, le Lexicon
Scapulœ; 9° la philosophie de Conimbre , Clavius
sur la sphère et sur Euclides; Maginus (Jean-Antoine
Magini) , sur Ptolémée; 1 0° un astrolabe, des cartes
géographiques , images et portraits des royaumes et
des villes , etc. ; 11** Agnus Deiy chapelets ; et ce qui
est le mieux reçu des grecs, sont des petites croix de
cuivre , comme celles qui se font ^à Limoges.
Quant aux images, ils prisent le crucifix, les mys-
K. 40
tèresdekyiedeNotrç-SeigQeqr^ le$ îmagesdeNotiv-
Dame , de saint Michel^ de Tapge gardien^ de saint
Jean-Baptiste, des Apôtres^ sainte Hélène et autres
saints et saintes grecques, ou de ceux qui sont men-
tionnés au Nouveau-Testament.
Nos robes de chambres sont ici mieux venues que
nos manteaux, parce qu'elles sont plus conformes
à l'habit des caloyers.
De Kalchis ou Egripos, ce 2 janvier 1643,
Copie de lettre écrite par les principaux grecs
d^ Athènes , au Père Supérieur dç Constantin
nople.
Puisque la fin de votre Compagnie, très-saint et
très-sage Père, n'est autre que l'utilité et aide du
genre humain , mais principalement celle de l'âme ,
comme nous a enseigné en $es priàdications le Père
François Blaizeau , et nous a fait connoître le vœu et
profession de votre Compagnie , et combien il im-
porte qu'elle soit établie à Athènes, nous avons prié
le Père de demeurer ici, pour aider et assister notre
ville d'Athènes, qui étoit anciennement* la mère à§
l'éloquence. Il nous a dit que cela ne dépend pas de
lui, mais de Votre Révérence, et partant nous vous
prions de lui permettre de demeurer avec qous; il
vous plaira aussi d'en traiter avec l'excelleptissime
— 147 —
ambassadeur. De plus, le Père nous ayant remon-
tré qu'il ne peut demeurer seul, A vous plaira de
lui envoyer un compagnon , lequel soit homme de
lettres et docte,' et nous leur pourvoirons -tout ce
qu'ils auront besoin.
6 Décembre 1641.
BEmzELos fils de Demitri , serviteur de Y. R.
Nicolas, fils de Michael Alexenas, serviteur
de V. R.
Et autres qui ont tous signé de la même façon .
Copie de la lettre du Cadi, Cerdar, et autres turcs
des principaux d'Athènes, à Mgr de la Haye^
ambassadeur au Levant*
Akoumat'-EfFendi cadi ou juge. -*- Ussin Chele-
bis, cerdar ou colonel. — Memet Chelebis, neveu du
général des galères. — Dervis Agas, neveu du géné-
ral des galères. — Kassan Chelebis, frère du colonel.
— » Memet Aga , janissaire. — Omer Aga ; Dervis
Amou^a , et plusieurs autres des principaux de la
ville d'Adiènes qui tous ont bulU la lettre , chacun
de son cachet particuher.
Excellentissime ambassadeur de France.
Nous , fidèles musulmans de la ville d'Athènes,
saluons tous Votre Excellence.
— 148 —
Le P. François Blaizeau, docteur de Votre Excet
lence, que vous aviez envoyé à Napoli de Ro-
manie avec le consul ^ est venu ici, lequel Père
étant bien versé en Tastrologie et fort savant , nous
l'avons prié de demeurer ici à Athènes; et il nous a
dit que cela ne dépend pas de sa volonté, mais de
celle de Votre .Excellence et de ses supérieurs. Pour-
tant, nous supplions Votre Excellence de lui permet-
tre d'y demeurer, et nous aurons soin de lui, et de
son compagnon , qu'il vous plaira lui envoyer.
1641, décembre 20.
CHAPITRE VI.
QUELQUES AUTRES LIEUX OU LES PP. JÉSUITES ONT ÉTÉ, ET POUR-
ROiENT s'y Établir , s'ils avoient quelques secours de
FRANCE.
L'an 1 581 , Grégoire XIII envoya au Mont Liban,
le P. Jean Bruno et le P. Jean-Baptiste Elian , ro-
main , pour instruire les Maronites . — Le Patriarche
des Maronites, en présence de tout le peuple, fit pro-
fession de foi, selon la formule du concile de Trente;
et ce patriarche étant mort, le successeur d'icelui en
fit autant le jour de son sacre.
L'an 1614, le P. Louis Oranger de la Compagnie
de Jésus , et le frère Etienne Viau furent envoyés en
Mingrélie par le R. P. Jean-Baptiste Jobert , supé-
— 149 —
rieur de la résidence deGonstantinople. Mgr le ba-
ron de Sancy, ambassadeur du Roy, leur donna
500 écus pour avoir des ornements d'église , des
livres^ et autres meubles. Ils firent naufrage.en allant
et perdirept tout; ils arrivèrent néanmoins en Min-
grélie,.où, ayant salué le roy, duquel ils furent bien
accueillis, ont travaillé quelque temps pour le salut
de ce peuple. Ils retournèrent à Constantioople ,
pour avoir un nouvel équipage, ntiais ils furent tous
deux frappés de la peste; le F. Yiau mourut dans
le vaisseau , et le P. Granger mojirut en notre mai-
son de Galata, le second jour après son arrivée.
L'an 1627, le P. Dominique Maurice et notre
frère Jean Marqueté furent envoyés en Chypre et
bien reçus en Nicosie par le sieur Matheo Cigala ,
gentilhomme cypriote ; mais, au bout de l'année, ils
furent accusés d'être espagnols et espions, et n'eust
été que le Mousselin turc, qui commandoit à Nico-
sie, qui avoit été élevé à Scio avec le P. Dominique
Maurice , témoigna qu'ils n'étoient espagnols , ils
couroient risque d'être brûlés; ils furent néanmoins
contraints de se retirer à Scio. L'an 1 629, Mgr l'évê-
qiïe de Syra donna aux PP. de la Compagnie de
Jésus une église ; lesquels, y étant demeurés l'espace
d'un an, se retirèrent à Scio, d'où ils étoient partis.
Maintenant le même évêque fait instance aux PP. Jé-
^suitçs françpis d'y retourner; ce qu'ils feront très-
— 150 —
volontiers , ai la libéralité des gens de bien leur en
donne le moyen. Il y a en l'île de Syra 4,000 âmes
du rit latin, et huit ou dix prêtres qui ont bien
besoin d'être instruits.
Les Pères Jésuites ont souvent été invités d'aller
en Valachie et Moldavie par les chrétiens du rît la-
tin, qui même en ont écrit à la Sacrée Congrégation
de Propaganddfide, Ces provinces ont un prince
créé par le grand Seigneur, et sont situées entre les
états du Roi de Pologne et du grand Seigneur.
En laNâtolie ou Asie-Mineure sont les églises d'A-
sie ; nos Pères sont déjà à Smy rne, autour de laquelle ,
sont les six autres églises^ dont Ephèse^ la première
desdites sept églises, est à trois journées de Smyme.
Proche d'Ephèse , se voient les ruines d'un temple
très-somptueux, et les détours entrelacés du fleuve
Méandre. On pourroit peu à peu remettre la dévo-
tion dedans lesdites sept églises.
L'année 1625, le P. François de Canillac et le
P. Mathieu Hardy firent une mission à Sophie et à
Philippopoli en Thrace , invités par les marchands
Rugènsois, tjui y trafiqtient et y résident, et, peu de
temps après, le P. Denis Guillier avec le méttie Pète
Mathieu Hardy, firent une mission en l'îtede Mar-
mora, dite andenuëment Proconisos.
Au lâont Saint , dit Athos, qui est Une pointe de
Macéâoine , qui avance dans la mer , i^ident ^k
— 151 —
mille caloyers, moines de saint Bàzile, dispersés en
22 monastères ; ils ont témoigné plusieurs fois
qu'ils seroient trés-aises d'avoir quelques Pères de
la Compagnie de Jésus , pour instruire les jeunes
moines.
Il est facile de secourir tous les lieux du Levant y
de passer de l'un à l'autre , et d'y entretenir quel*
ques ouvriers de la Compagnie; car, le pays étant
bon, on y vit à bon marché; vingt cinq écus sont suf-
fisants pour la nourriture d'un des nôtres, et pre-
nant vingt-cinq autres écus pour les habits, meu-
bles, et frais de la maison, 50 écus l'entretiennent
de tout point, d'où s'ensuit que deux cents écus
annuels entretiendront une résidence de trois Pères
et un Frère.
L'importance et la belle ouverture des missions
du Levant, la facilité de les aider, et l'obligation qu'a
la France, pour en avoir reçu quantité de saints pré-
lats , qui lui ont apporté les premières lumières de
l'Evangile, a fait résoudre quelques personnes de
qualité et de .moyens ^ de s'assembler^ et faire une
Compagnie, qui prenne le soin de pourvoir ce qui
est nécessaire pour les missions du Levant ; en
quoi ils ont si bien réussi qu'ils fournissent, cette
année , douze cents écus , pour l'entretien de six
i^dences, et promettent de continuer leurs soins
pour les années suivantes.
— 182 —
Tous nos Pères et Frères, à qui Dieu donnera quel-
ques inspirations pour le Levant , sont priés de dé-
clarer leurs bons désirs à notre R. P. Provincial ,
lequel y s'il donne son contentement et permission
de suivre la vocation de Dieu^ les supérieurs locaux
sont irès-humblement suppliés de n'y point mettre
d'empêchements, et agréer que leurs sujets passent
en Levant , encore que ce soit avec quelque incom-
modité de leur maison , ayant égard à la nécessité
qu'a le Levant de bons ouvriers, à la difficulté et aux
frais du voyage, espérant que Dieu leur rendra libé-
ralement l'ofifrande qu'ils lui font, en la personne de
leurs sujets pour le Levant.
CHAPITRE VII ET DEBJ«ER.
EXTRAIT d'une LETTRE DU 16» d'àOUT 1641 , ENVOYÉE D*ALEP ,
PAR LE P. JEAN AMIEU, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS, AU
P. D*AUTRUY (a paris):
Nous avons vu la lettre que 'Votre Révérence a
écrite au P. Hiérôme Queyrot, supérieur de cette
résidence, et nous la lui avons envoyée à Damas,
où il est allé pour y établir une résidence de notre
Compagnie.
Le patriarche d'Antioche, qui l'a inené, lui a
promis de le loger dans le patriarcat et de lui don«-
ner la commodité d'enseigner les enfants et faire
/
— 153 -^
les fonction$de.la Cpinpagme. Je prie votre Révé^
rence de se souvenir de nous en France , d'où nous
espérons beaucoup. Nous prions Votre Révérence
de considérer : 1** que Tentretien aux études de six
ou sept eùfants seroit grandement utile, attendu
que la science de ce pays là se termina à savoir lire
le Psautier en arabe ; et qui a cette qualité est passé
maître en toute science et jugé capable d'être pa-
triarche.
2^ Que nous avons besoin que Ton imprime les
règles de notre congrégation , que npus avons tra*
duites en arabe ^ pour distribuer aux confrères.
3"" Nous avons aussi besoin que Ton imprime les
saints du mois, que nous dessinons et distribuons,
ce qui nous emporte beaucoup de temps , et en
emportera encore davantage ; car les hommes ,
voyant fleurir la çongrég£^tion des enfants, -ont de-
mandé que Ton en érigeât uQepour eux , et ainsi
nous en avons maintenant deux , pour, lesquelles
nous avons, grande nécessité d'avoiir les règles et
les sentences du mois. imprimées. Nous enverronis
le tout, bien écrit en arabe, sitôt que nous aurons
réponse qu'à Paris on nous veuille faire cette cha-
rité , qui est petite en elle-même , mais grande pour
notre égard , et profitable .en ce pays , où le monde
en savoit pas même le nom de la dévotion , tant on
en éioiS éloigné. Or, maintenant c'est un [daisir da
— 154 —
voir ces bons confrères se confesser et communier ,
parler de la vertu , feire rexamëti de conscience ,
dire leur chapelet , faire la disci^itiis : leurs ferveurs
ne doivent rien à celles que j'ai vues en France; et
puis nous avons en ces congrégations diverses sor«
tes ou rites de chrétiens , ce qui achemine peu à
peu la réunion des Eglises.
Le métropolite arménien est résolu d'introduire les
sciences en son ËgUse. A ces fins , le P. Aymé Ghé^
zeau va lire, trois fois la semaitiey la logique , en
la maison du métropolite ^ et s'étudie à la langue
arménienne , pour les pouvoir tnietit aider sans
difficulté. Il y a ici moyen de faire beaucoup à la
gloire de Dieu, les cœurs sont tout disposés à
i^cevoir la bobne semence et à la faire fructifia:
Nous autions aussi grande nécessité d'être aidés efei
certaines compositions , qu'il nous faut faire par-
fois , comme le petU; traité , que j'ai fait pout la
célébration du jour de Pâques, une répbnse qu'il
faut faire à une lettre d'un mahométan , une réponse
à un petit traité d'un étdque grec que l'oil fait ici
courir, et on n0tis somme d'y répondre } il nous est
facile de le faite ; mais puis après , de transcrire ces
choses ! hôc opusy hic labor est.
Si, envoyant en Ft^taiGe ces petites pièces, on
vouloît 4es imprimer et nous envoyer des copies,
pour distribuer ici et en VetWf on 'pmirroit beau-
— 188 —
eonp AifWùx^t à la gloire de Dieu , et' tésL ooàletôit
peu. Sans doute si nousavions moyen de faire courir
quelques papiers des choses de Dieu, comme ou
fait courir des gazettes, nous ferions plus qu'on ne
poutroit penser; le mal est que nous ti'en pouvons
faire les copies qui, outre le temps qu'elles empor-»
lent, ennuient grandement.
Votre Révérence verra j &'il lui ^alt, si noué
(xiurrons atteâdf*e quelque aide là-dessus de Paris ^
et nous ne manquerons d'envoyer ce qu'il, faudra ^
bien écrit en arabe et bien correct.
J'ai lu et examiné l'Alcoran ; il est partout diffi-**
cile : un style poétique , concis , pressé, et ne répé-
tant quasi jamais que le même , mais en diverses
façons de parler; C'est merveille qu^il ne dise mot
de la circoncision et ne la commandé en. aucune
part; j'espère faire un petit traité , à la façon d'un
Q^itè fait par un rabbin juif et adressé à un autre
juif proposant des doutes et demandant la soliitioè
d'iceux.
Voici l'ordre que je tiendrai en ce traité : je désire
de proposer à un cheik musulman, docteur delà
toi turquédqUë , ce que les chréëens ou juifs peu-
Vent leur objecter^ pour montrer que ce livre de
l'Alcoran ne vient pas de Dieu, puisqu'il renverse
tout ce qui est écifft en la loi de l'Ëvangile. De vrai>,
il n'y a au^ufi» biitiiilt A% Tadeièn Testament que
— 156 —
FAlcoran ne rapporte, mais très-mal à propos; car
il attribue à David ce que fit Gédéon, et au con-
traire à Gédéon ce que fit David. U marque que
Notre-Dame est sœur de Moïse, qu'Ismaél est celui
qu'Abraham a voulu immoler , et choses semblable^^
opposées à TEcriture sainte. Partout il attribue les
péchés à Dieu, et déclare que Dieu est auteur
d'iceux. Du reste , il emploie tout son livre à incul-
quer qu'il n'y a qu'un Dieu et .que Mahomet est
son prophète.
Votre Révérence, sachant l'état de ces missions
du Levant, les pourra beaucoup aider en Notre-
Seigneur. Je crois qu'une des principales aides
seroit de nous remettre bien avec Venise. J'estime
que c'est un stratagème de satan de maintenir cette
aliénation de cette République envers nous, pour
nous empêcher mille biens que nous pourrions
faire . Votre Révérence aura expérimenté cela flus
longtemps et plus que moi : c'est la vérité, que
nous ne voyons plus que MM. les Vénitiens, qui
résident ici, nous soient mal affectionnés; nous
tâchons de les gagner par amour, et ils se servent
de nous , tant pour résoudre quelques cas de con-
science, que pour leurs confessions. Que le bon
Dieu par sa sainte grâae, remédie à cette désunion
de cette RépuUique d'avec notre Compagnie , et
nous mette de faionne intelligence avec eux !
— 187 —
Nous craignons que le R. P. de Castro, qui ëtoit
supérieur de notre collège d'Agra en Mongolie , ne
soit mort ; la raison de cette crainte est qu'il avoit
coutume de donner de ses nouvelles aux RR. PP.
Carmes qui sont en Perse, et ils nous disent qu'ils
n'en ont appris aucune nouvelle depuis deux aps.
Nous avons bien appris que le P. La Bauchère,
' natif de Paris, y est mort, s'y étant retiré du Thi-
bet, après y avoir demeuré neuf ans. On lui avoit
changé de nom, comme il nous l'avoit écrit, et
l'appeloit-on Anos de los Anios.
Nous sentons de l'incommodité, depuis que nous
ne sommes que deux Pères; et devrai ne pourrons
satisfaire à la dévotion de plusieurs. Mais nous
espérons le secours d'un Père , qui nous aidera à
supporter le faix, qui est assez pesant, mais doux,
étant pour l'amour de ceux que notre bon Maître
aime tant.
M. Bonin, notre consul, mène la vie d'un saint;
il nous aime à bon escient, se sert de nous; je crois
qu'on auroit peine de trouver quelqu'autre qui
l'égalât en cette charge. Il sait se faire craindre et
aimer, et a fait, s'il faut le dire, des miracles pour
le bien de sa nation, jégit et patitur magna. Dieu
le bénisse et toute notre Compagnie.
Alep, ce 17- d'août 1641.
Serviteur inutile,
Jean Amieu, S. J.
CINQUIÈME PARTIE.
(1658.)
BRIÈVE RELATION' DE L'£tABLIS8EMENT DES PÈRES DE Là
COMPAGNIE DE liSUS EN LA VILLE DE SliTRNE, ET DE
LEURS EMPLOIS ET PROJETS POUR T CONSERVER ET
AUGMENTER NOSTRE SAINTE FOT.
CSAPrrRË PREMIER.
DE L'ÉTABLISSEMENT DES PÈRES DE LA COMPAGNIE DE lÈSUS
EN U VILLE DE SMTRNE '.
Çefutyegr^ }a fia ^e T^iapée 1623 que la divine
Pfovideaç^y ¥Pi|l»Qt ppurvoir TAsierMineure d'ou-
vriers et de prédicateurs evangéliques, fit cette faveur
à nostre Compagnie de se servir de ses subjets , en
* Dp la ville 4o Spiyrae. — Cette ville est une des plusancieDoes
de toute la Natojyie; elle est située sur le golfe de la mer Méditer-
rannée, qui se wMnmait autrefois Basilique (Sinus BqsiUcus)^ maif
elle n'est pas au môme lieu aMqt^ elle fut basUe ps^ les Milétiens
q/tàf arrivant en cettç contrée, ép^ de sa beai^té, ^u chassèrent ley
Pilasges» et depuis en fun^ chassie eux-mtoea p^ les Eolieps^
lesquels, se joignant aux Golophopiens, bâtirent la ville de Smjrn^
où elle e$p à prisent
— 160 —
un lieu j où TEglise romaine estoit si peu connue ,
que son nom estoit, parmy les grecs, en horreur, et
sa sainte doctrine en exécration.
Il 7 en a qui disent, qu'après que les Guméens eurent basty
cette noble ville sur ce golfe, Thésée, Thessalien de nation, pour
immortaliser la renommée de sa femme, appelée Smyrne, qu*il
aimoit uniquement (sic), obtint des habitans de cette nouvelle cité
qu'elle porteroit son nom; mais quelque temps après, les Lydiens,
s'estant rendus maistres de la mer, abbattirent et juinèrent cette
belle ville, de telle ijorte, que l'espace de 400 ans, elle ne jparoissoit
qu'une pauvre bourgade, jusqu'à ce que le Roy Antigoniis la rebastit,
et que Lysimachus l'embellit de beaux édifices et l'agrandit nota-
blement, en faisant paroistre une parlie de cette ville sur le sonunet
de la colline, et le reste sur son déclin jusqu'à la plaine, où le
fleuve Mêlas couloit le long des murailles et arrosoit la campagne
voisine;
Les historiens racontent que, quelque temps après, une partie de
cette vOle fut ruinée par les tremblements de terre, qui sont fort
fréquents en Asie, et que les Romains, non-seulement la restabli-
rent, mais outre cela, qu'ils accordèrent aux Smyrnéens exemption
de tribut, pour dix ans, afin qu'ils pussent se remettre et réparer
leur.perte.
Du temps que l'Apostre saint Paul preschoit en Asie, cette ville
étoit très-célèbre, et on y faisoit, au rapport de Pline, les assemblées
générales, et on y.tenoit les estats du pays. Mais elle fut beaucoup
plus florissante , après qu'elle eut reçu la lumière de la foy, et que
saint Jean l'eut sanctifiée par sa présence et honorée par son aimé
disciple^ saint Polycarpe, qu'il lui donna pour son archevesque et
primat de toute l'Asie Mineure. Car ce fut pour Iprs, que, changeant
les temples en des églises, et renversant les fausses idoles pour
n'adorer que le vray Dieu, elle mérita d'estre mère de tant de sça-
yans docteurs, de tant de saints confesseurs, et de tant de glorieux
martyrs, qui la rendirent beaucoup plus fameuse, qu'elle n'avoit été
— 161 —
Monsieur Samson NapoUon , qui exérçoit alors la
charge de consul des françois, et qui fut fait dçpuis^
chevalier de Tordre de Saint-Michel, et gouverpwr
^ la naissance du poète Homère, selon le témoignage d'Hérodote;
et nous sçavons que, partout où TApocalypse de saint Jean sera
lue, Smyme sera considérée comme la principale des sept Églispf
d'Asie.
Les chrestiens, qui demeurent maintenant en c%tte ville, reçoîVén^
encore beaucoup de consolation des marques de sainteté, quisont
dans son enceinte ou hors d'iceile. L'on y voit la grotte, où • saint
Jean demeura quelque temps, aussy bien que Tamphithéâtre, où
saint Polycarpe rendit ses divers combats et triompha, par îe'feu,
de la mort et du tyran. On monstre aussy Tarbre, qu'on crdt pieu^-
sèment estre venu du baston, que ce saint martyr planta, Ipi^u'il
fut appréhendé, pour estre mis à mort. Il y a plusieurs autres mar-
ques de sainteté et d'antiquité, dignes d'*estre admirées, qu'on me
fit voir, il y a quinze ans, mais comme il nem'en est resté- qu'une
idée grossière, et que ma mémoire ne m'^lournit pas toutes les
particularités, je laisseray à d'autres, plus curieux que moy,.de les
raconter avec plus d'assurance, seulement je diray qu'il me souvient
très bien, que nous fusmes visiter les ruiftes de^l-ancfen chîâteà^
basty sur le haut de la colline, duquel les murailles sont piic^ue
toutes entières. On nous fit voir aussy des caméléons, si prisés dans
les livres et si peu considérés à Smyme, où ils se trouvent en quan-
tité; ils ressemblent à des tortues dégagées de leu» écailles, sont
fort hideux à voir et n'ont rien de beau qu'un petit d^angemenl de
couleur qui paroist sur leur peau noirastre, comme sur les plumes
d'une colombe, aux rayons du soleil. On a quelque sujet de croire
que ce petit animal se repaist de vent, vu ^ue celui que nos Pères
me firent voir, étoit gardé, depuis trois semali^s, efi leur galerie^
sans qu'on lui donnast aucune nourriture. Les chameaux sont les
bestes de charge, en cette ville, comme ailleurs en Asie, et on, y en
voit un très grand nombre, quand les caravanes y arrivant ou y
passent.
K. Ai
— 462 —
pour Sa Majesté très-chrestienné au bastion de
France, en Afrique, ayant toujours témoigné beau-
coup d*inclination pour nostre Compagnie, supplia
très instamment Monsieur de Cesy, ambassadeur du
Roy auprès du grand Seigneur, de lui octroyer deux
desNostres, pour servir, à la nation Françoise, de
chjapelains à Smy me , en sa chapelle consulaire , et
£ûre< éclater, dans cette grande ville , les ventés de
kidstre foy par leur prédication. Monsieur de Cesy,
qui ne cherchoit que les occasions de pouvoir don-
ner des preuves de sonsèle, pourFaugmentation de
nostre sainte foy, et de témoigner la grande affec-
tion, qu'il portoit à, nostre Compagnie, accorda très-
facilement toutca qu'il désiroit , et pria le P. Fran-
cis, de CaniUaé de donner à ce consul toute la
satisfaction qu'il demandoit; ce que le Père fit avec
une joye et une promptitude merveilleuse, se ren-
dant au plustost à Smyrne , accompagné du Frère
Jean Colaro, où il prit aussitost possession de la cha-
pelle consulaire, au grand contentement deMonsieur
le consul et de tous les marchands françois. Pour
' Le teitoir de Snayrne est très-bon et trèà-fertile ; et si les grecs
étoient laborieux, comme les françois, à cultiver la terre, elle por-
terbit i merreille toute sorte de fruits. Il y a quantité de beaux
oiîviers, à'orangers et de figuiers ; les raisins y croissent d'une pro-
digieuse grosseur et d'une bonté admirable; on en fait seicher en
très-grandes quantités, qui se vendent et se portent aux villes voi-
sines et souvent en Europe.
— 168 —
plus grande sûreté du Père, Monsieur le consul .vou-
lut qu'il fut logé dans uH département de sa maison ,
et donna ordre que la chapelle fût fournie d'orne-
ments nécessaires , pour l'administration des saints
sacrements, et ne manqua pas de pourvoir à l'entre*
tien et nourriture des Nostres , lesquels exercèrent,
l'espace de sept ans^ cet office de chapelain, où, pour
mieux dire, celuy de curé, puisqu'ils administroient
tous les sacrements avec la satisfaction de tous les
françois et au grand contentement des grecs, des
arméniens, et autres chrestiens , qui venoient y eii-
tendre le catéchisme ou la prédication , quand eUe
s'y faisoit en leur langue; de sorte que Monsieur de
Marchi ^, de l'ordre de saint Dominique, ^tant élQvé
arçbevesque de Smyrne et de toute l'AsierMineure^
entendant les grands fruits que nos P^res iaisoient
en son église , désira que le Père supérieur de .nos*^
tre résidence fut aussi son vicairergénéral, et ^s^
que son humilité ne s'opposast point à ce titre
d'honneur, il luy .fit iidre, par notre Révérend Père
général Mutins Vitellescus/ cpmmandem^pt de
l'accepter.
Mais tous cesçpoi^mencei^aents.étoieQit trop beaux
pour n'estre pas enviés. Quelques personnes venues
de FraxM^e trouvèrent bon de troubler ces succès, et
par le changement de consi^l , de faire changer le
* Pierre de Marchi, florentin, mort en odeur de sainteté en i6A5.
— 164 —
gouvernement de cette Église, et de jouir de tous ses
droits , en sorte que nos Pères se trouTèrent^ en
peu de temps, sans maison , sans chapelle , sans re-
venus, et sans aucun moyen de pouvoir librement
exercer nos fonctions, non pas mesme de pouvoir
célébrer la messe, comme il leur arriva souvent.
Cette persécution dura plus de cinq ans , et il ne
se peut pas dire les indignités et les misères,
que nos P^*es furent obligés de souffrir; aussi vaut-
il mieux pour l'honneur de l'Eglise , les passer sous
silence que de les publier. U plaist k] Dieu partout
de nous faire porter les livrées de son Fils, et en vain
nous dirions-nous delà Compagnie de Jésus, si nous
n'estions persécutés : il me semble qu'il ne parloit
pas à ses apostres seulement, quand il leur disoit : Si
me pèrsecuti sunty etvospersequentur, mais à tous
ceux qui voudroient le suivre et l'imiter; mais comme
fl est vray que : /acit cum tentatione prcventum ,
aussi remarquons-nous qu'es lieux, où nostre Com-
pagnie a été la plus persécutée et a plus sou£Fert ,
c'est là où elle fait par après plus de fruit, et où elle
paroist avec plus d'éclat. On a vu nos Pères, dans
Smyme , par la violence du consul et de ses adhé-
rents, estre obligés de changer de logis trois fois dans
un an ; et comme s'il estoient le rebut des hommes,
estre contraints, après plusieurs refus, de se loger
dans un vieux magasin d'un turc , où un homme
— 165 —
n'auroit pas touIu loger son cheval ; on les a vus de-
mander Taumospe, et faire l'école pendant l'hiver
dans une pauvre cabane, proche la mer, couverte de
roseaux et ouverte à tous vents; le P. Arnaud
Rioudety quoique vicaire-général, s'est vu obligé de
se dépouiller de ses ornements sacerdotaux , étant
près de dire la messe |ret à la sortie , recevoir beau-
coup d'injures;. le P. Simon Foumierfut contraint
d'^itendre, pendant la quinzaine de Pâques, les con-
fessions dessous un escalier d'une boutique , et le P.
François Blaiseau, après avoir travaillé toute la jour-
née sur terre, ètoit obligé de se retirer la nuit dans
un vaisseau sur mer, pour se reposer et dormir sur
le tillac.
Mais comme, pour l'ordinaire, la tempête est sui-
vie d'une bonace, et que le plu» souvent les grands
vents sont cause que les arbres jettent de plus pro-
fondes racines, et que Tobscurité d'une nuit faitpa-
roistre le jour plus beau, aussi diriez- vous que
toutes ces persécutions ne servirent qu'à faire co-
gnoistre avec plus d'éclat le mérite des vrais ama-
teurs de la croix et prédicateurs du saint Evangile;
caries chrestiens de Smyme, tant grecs et arméniens
quefîfmcoiset italiens,touchésde compassion devoir
nos Pètes traités de la sorte , et craignant d'estre un
jour privés de leur assistance , écrivirent de belles
lettres en leur faveur à nostre saint Père le Pape et
— 166 —
à Sa Majesté très-chrestienne, et donnèrent des au-
thentiques témoignages de leur vertu et de leur pro*
bitéy ainsi que nous ferons voir cy«après.
Cependant la divine providence fournit à nos
Pères les moyens de bastir une belle maison , qui
est très-commode à nos usages, et dans laquelle,
jusqu'à présent , on tient Twole , on fait la con-
grégation y et depuis que Monsieur l'ambassadeur
de la Haye y nostre bon protecteur, par les ordres
du Roy y nous obtint du grand Seigneur la per->
mission de dire la Messe publiquement , et faire nos
autres fonctions en la chapelle que nous y avons,
il ne se peut pas expliquer la consolation que les
chrestiens reçoivent et la satisfaction que nos Pères
donnent à tous lesfrançois, grecs et autres cfai la
fréquentent , pour entendre la Messe , le catéchisme
ou les prédications, ou bien pour s'y confesser et
communier.
Mats, d'autant qu'il y a plusieurs personnes en
France qui désirent savoir comment nous pouvons
stibsister en Turquie, y marcher librement avec
nos habits et y avoir maison et ^lises , je les prie
de considérer que la principale raison , pourquoy
nos roys ont des ambassadeurs au Levant, est pour
conserver la religion et maintenir paHiculièrement
les religieux de nostre Compagnie , qui demeurent
en Turquie. Pour preuve de quoy , je 'veux seule-
— 167 —
ment rapporter ici les. saintes et sages instructions
que Louia XIII , de glorieuse mémoire , donua k
Monsieur lé comte de Marcheville , lorequ'il le cré%
son ambassadeur au Levant. Voicy comme eljeç
commencent:
(c La principale fin de rétablissement de Sa.Ma-
a jesté, à la Porte, est, en prenûer lieu, pQU];pror
« téger parrJ'entremise du nom et de l'autorité dç
«. Sa Majesté les couvents et maisons des religieux
« de toutes nations, qui sont établis, soubs soi:^
« aveaen divers endroits du Levant, comme.aussi
« tous les çhrestiens qui y vont et viennent par
H dévotion, poury visiter les lieux de la Terre Sainte,
« £n second lieu , l'assistance et protection de tous
(c les mardiands François ou qui trafiquent soubs 1^
a bannière de France , soit de ceux qui sont babi-
« tués au Levant, soit des autres qui vont et vien-
a nent , pour en tirer diverses commodités que Von
» y va quérir de toutes les provinces de l'Europe,
« Pour le premier point, ledit sieur de Marcheville
« a telle connoissance de la grande piété de Sa
« Majesté et du zèle très-ard^t qu'elle a pour
« l'avancement de la religion catholique , qu'il
« ne peut douter qu'elle n'ait très-agréable qu'il
M y contribue tous les soins possibles, mais en*
• core elle veut luy recommander particulier
« rement de travailler sans relasche, à mainr
r- 468 —
« tenir lesdits religieux qui sont au Levant dans la
« possession de leurs maisons , et en*la jouissance
à 'éÀtière des libertés et franchises qui leur ont été
a été accordées par les capitulations faites entre
« Sa Majesté et le grand Seigneur , par Tentremise
« de leurs Ministres et mesme pour y adjouster
fi de» nouvelles , s'il est possible , afin de les a£fer-
« inir dans leur établissement et de les mettre d'au-
« tant pliis à couvert des injures et calomnies des
i ennemis de nostrë religion et des violences qui
« leur sont souvent faictes y à leur suscitation , par
« ' les Ministres du grand Seigneur. Il n'y en a point,
« parmi eux, qui ayent souffert plus souvent les
« peines et les traverses que les Pères Jésuites, qui
« ont encore, depuis un an, esté menacés d'estre
« bannis de Constantinople et de tous les Estats du
« grand Seigneur. Mais ce coup a esté évité par la
* dextérité et diligence du sieur comte de Cesy qui
« a, très-à-propos , employé le nom et Tauthorité de
« Sa Majesté en cette occasion , en sorte que les
ff persécutions ont cessé à présent ; mais , comme
« elles n'ont procédé que d'une aversion et mau-
« vaise volonté , que ceux qui sont de religion dif-
« férénte de la nostre , portent aux personnes qui
« en font profession , il est toujours à craindre que
« l'on ne vienne par quelque nouvelle entreprise à
« troubler le repos de ces maisons religieuses , c'est
— 169 —
« pourquoy ledit' sieur de Marcheville aura l^œil, ,
«9 qu'il ne se passe rien au préjudice desdits PP. Je-
« suites , non plus que de tous les autres , et s'il arri-
û voit qu'il fust formé ou exécuté quelque entreprise
« contre eux^ il en portera incontinent ses plaintes
«^ au grand Seigneur et à ses Ministres, afin de
« faire réparer , sans délay , tout ce qui pourroit
a contrevenir aux articles convenus en leur faveur
« avec Sa Hautesse, etc. »
J'obmets le reste ^ qui concerne les marchands et
les esclaves cbrestiens, pour dire que nous serons
éternellement obligés d'offrir nos vœux et nos priè-
res pour le repos de l'âme de ce grand Roy, qui a
tant recherché le repos de ses sujets, et duquel la
mémoire est aussi glorieuse que ses actions ont été
généreuses et sa piété éclatante.
Ce grand monarque faisoit gloire de poursuivre
les desseins de son père, Henri IV, et comme il
sçavoit que c'estoit luy qui avoit envoyé au Levant
les Pères de nostre Compagnie, aussy il désiroit
extrêmement de les y maintenir , et il a plu à Dieu
de donner les mesmes sentiments à son fils Louis XIV ,
nostre bon Roy , qui nous a recommandés très-
expressément à Monsieur de la Haye, son ambas-
sadeur, très-zélé pour la religion, aussi bien que
pour les intérêts de la couronne; mais ce qui est
encore très-oUigeaiit, c'est que la Reyne , sa mère,
— 170 —
a pour nos missioiis des bontés 0p^ ne se peuvent
expliquer, tellem^t que nous avon^ toute sor^
d'obligation de prier >continuellement^ pour la con-
servation de Leurs Majestés et pour leur prospérité,
et de nous efforcer de correspondre à leurs saints
désirs et bonnes intentions.
Outre ce, il faut advouer que , si nos Roys sont ^
dignes de louanges de maintenir par leur autorité et
libéralité les Pères Missionnaires aux pays étrangers,
les empereurs ottomans ne méritent pas peu de
gloire de ce qu'ils permettent que ces Missionnaires
demeurent dans leurs Etats , et ne donnent aucun
empeschement à l'Evangile, étant seulement dé-
fendu de traicter des choses de la foy avec les
musulmans.
GHAPITBE IL
DE LA RÉDUCTION DES GRECS DE SMYRNE A l'UNION DE l'ÉGLISE
ROMAINE AVEC UN AUTHENTIQUE TÉMOIGNAGE DE LEUR AFFEC-
TION VERS LES PÈRES MISSIONNAIRES ET DE LEUR DÉVOTION
A SAINT IGNACE.
On sait que les .missions delà Grèce, sont d'au-
tant plus difficiles qu'il faut que ses Missionnaires
combattent y non -seulement l'ignorance ^ comme
aux autres lieux où l'infidélité «seulement règ^e,
mais encore l'obstination, vraye wèr^ du schisme
— 171 — •
et de l'hérésie; l'ignorance cède facilement à la vé*
rite cognuê , quand elle est seule ; mais elle ne cède
que trèS'difficilement , quand elle est accompagnée
de Tobstination. C'est pourquoy ceux qui veulent
travailler heureusement au 6alut des grecs^ doivent
tascher, par tontes sortes de bons services, de ga-
gner leurs volontés, afin que s'en estant rendu mais-
tres , ils puissent terrasser avec plus de facilité ces
deux monstres de l'entendement, et les faire sou-
mettre aux vérités de nostre sainte foy.
. Le R. P. François de Canillac, homme trèfr«xpert
en ce genre de combats, après son arrivée à Smyrne,
tascha, par toutes les soumissions et les tous (bons
services) possibles de gagner l'affection des grecs, et
pour les obliger davantage, il fit venir de Constanti-
nople le P. Hierosme Queyrot , très^bien versé aux
langues orientales, comme il a fait voir par l'excel*
lent et très-docte dictionnaire, qu'il a dressé en
sept langues diverses, à sçavoir : en latin, en
françois, en italien, en grec, en turc et en arménien.
Ce brave Missionnaire , pour ne rien omettre qui
pust obliger lés grecs , les p)*eschoit, les festes et les
dimanches, en leur langue, dans leur église de Saint-
Georges, avec un zèle non pardi, et les jours ou-
vriers , il faisoit de sa chambre une école pour ins-
truire leur jeunesse, ce qui ravit le cœur des grecs,
qui ne pou voient asse^ admirer uïie si grande cha**
— 47Î —
rite et humilité dans une personne si sçavante , et
comme, peu à peu , ils furent détrompés par le bon
exemple des Pères Missionnaires, et qu'ils reoo-
gnurent combien il estoit £aiux , ce que leurs calo«
yers leur dennoient à entendre des façons de faire
et de vivre des latins, ils se rendirent fatalement aux
douces semonces que leurs prédicateurs leur £ad-
soient de quitter leiirs erreurs et d'embrasser la foy
de rs^ise romaine , comme la très<sainte et la très-
assurée : à quoy ne servit pas peu le bon exemple
de leur archevesque, qui fut le premier qui amena au
P. Queyrot son nepveu et son filleul, des plus con-
sidérables de la ville, pour estre instruit, et luy en-
voya son diacre, pour recevoir l'absolution de se«
fautes, donnant toute liberté à ses sujets de. se
confesser aux Nostres. Ce bon prélat un jour reprit
aigrement un caloyer, qui avoit refusé la commu-
nion à une femme pour s'estre coinfessée à nos Pères,
et obligea un autre caloyer qui avoit mal parlé du
Pape à demander pardon de sa faute au consul
françois, qu'il croyoit d'estre offensé des insolents
discours de ce caloyer; outre ce, il accorda, à la re-
queste du P. Queyrot, un lieu qui luy af^iàrtenoit
pour la sépulture des françois et des autres latins, et
durant le temps de nostre persécution , nos Pères,
n'ayant pas la liberté d'entendre les confessions en
la chapelle consulaire, il leurdonna tout pouvoir de
— 178 —
confesser dans son ég^le, elles biins, et lesgrecsy qui
se présentoient à eux pour recevoir Tabsolution ; ce
ijui estoit un privilège très-signalé, duquel se servit
merveiUeuseœent bienleP. Artaud Rioudet, pendant
tout un caresmcy qu'il entendit les confessions dans
son église, et ne les interrompoit pas, quand l'office
divin se faisoit.
Mais ce qui luy donna une très-grande assurance,
de l'union de cette Eglise grecque avec l'Eglise ro-
maine fut, quand ce bon prélat, à la persuasion de
nos Pères, alla saluer Monseigneur Raphaël Schia-
tini , archevêque de Naxie , lorsque , l'an 1 629, il
vint à Smyrne pour s'embarquer pour Rome; Car
après l'avoir salué, il Je pria de baiser de sa part
les pieds de Sa Sainteté et de luy témoigner qu'il
n'avoit autre créance que celle qui est couchée d«is
le décret de Tunion du concile de Flcn^ence, et
qu'il ne manquoit pas de recommander à Dieu Sa
Sainteté et prier pour sa conservation et bon gou-
vtemement, toutes les fois qu'il célébrmt la sainte
Messe.
Une autre preuve très-authentique de cette union ,
est la lettre que ce vertueux Métropolitain, au nom
de tous les grecs de Smyrne, écrivit, l'an 1632, au
feu Roy Louis XIII , de triomphante mémoire, en
nostre faveur, et de laquelle j'ay trouvé icy^ à Paris ^
en no^re collège de Clermont , la copie écrite et si-
— 474 —
gnée de sa propre main . Je coudieroîs icy celte lettre
en propres t^tnes, s'il n'estoit qu'estant écrite en
grec vulgaire y elle ne pounroit estne, entendue que
de fort peu de personnes; niais j'assure le lecteur
que la traduction en sera très->fidèle et qu'il pourra
Toir par icelle combien les. gnecs. de Smyrne sont
recognoissants de la grâce que Dieu leur fait de leur
envoyer des {prédicateurs et docteinfs.
Lettre du Révérendissime et Illustrissime jirche-
vesque grec de Smytne au très chrestien Roy de
France et de Navarre ^ Louis XIII,
Nous sommes fort obligés à la divine miséricorde
de ce que 9 ne s'oubliant pas de ses anbieimes la^
veurSy eUe daigne nous en faive de nouvdles et
envoyer à son Église des docteurs capables^ et zélés
pour le sahit âm âmes; tels que novsavons vu les
•pp. de la Compagnie de Jéstis, pâtrce qtte, depuis
qu'ils se sont établis au diocèse de notre saint aric^e-
vesché de Smyme, ils n'ont jamais cessé d'assister
toute sorte de chrestiens, sdit par lé bon eicemple
de leur vie, soit par leurs prédica^ôns^én nostre
église, soit en enseignant aux enfants de nostrë^ît
toutes sortes de sciences, avec la crainte de Pieii et
les bonnes mœurs, leur aya;nt 3i&s^ appris Texpli^
t^tion de la doctrine chrestienne, laquelle ils pres<-
— 475 —
chent et chahtent partout , d'où rielit que Dieu ^ qui
tire la louange de la bouche des enfants, est plus
honoré et glorifié. /
Mais d'autant que ces Révérends Pères traraillent
beaucoup pour le bien et le salut des Grecs, des
Latins et des Arméniens, et se trouvent depuis
quelque temps en grande nécessité, et n'ont pas de
quoy s'entretenir icy, nous, tant prestres que sécu-
liers, supplions très-humblement le très-juste et
très-triomphant Roy de France, nostre souverain
maistre et seigneur, d'ordonner que leur résidence
soit stable et qu'ils ayent de quoy se nourrir. A ces
fins, nous luy adressons la présente requeste, écrite
de nostre propre main , et sceHée de nostre sceau ,
en Tannée 4632, ce 20 octobre de la première in-
diction ;
Lieu du cachet.
Jacques, archevesque de Smyme.
Je pourrois rapporter plusieurs autres preuves,
pour faire cognoistre au lecteur les bonnes inclina-
tions des grecs de Smyme , pour embrasser la foy,
qui leur est preschée , et leur grande affection vers
les missionnaires de nostre Compagnie; mais comme
mon dessein n'e^t pas de dresser une ample relation,
je laisseray très- volontiers toutes les autres preuves
à celuy qui voudra raconter tout au long toutes
celles que les mémoires qu'on m'a mis en main luy
— 476 —
fourniroBt ; il me semble que celles que j'ay rappor-
tées sufEront aux âmes saintes ^ zélées pour le
salut des âmes, qui ne manqueront pas de se réjouir
et de bénir Dieu de ce que tant de milliers d'âmes,
comme autant de brebis égarées, sont retournées au
bercail du souverain pasteur. Car en cette ville de
Smyrne^ on y compte plus de dix-huit mille grecs,
ainsi que nouvellement je Tay appris de Tevesque
grec de Saint-Maure, qui est à Paris, eft[ue ceux4à
se trompent, qui s'imaginent qu'il n'y a rien à ga-
gner pour les missionnaires, au Levant. Cette terre,
baignée de tant de larmes des saints confesseurs,
arrosée du sang de tant de glorieux martyrs, et cul*
tivée par les travaux dç tant de sages docteurs , ne
peut qu'elle ne, rende parfois une bonne moisson
et d'excellents fruits. S'il n'estoit qu'il ne nous est
pas permis de raconter toutes les autres conversions
qui se font à Smyrne, il nous seroit facile de mons-
trer que Dieu a partout des élus, et que les Ismaé-
lites ne sont pas tous réprouvés.
Une chose console fort nos PP. Missionnaires au
Levant, qui est qu'ils expérimentent tous les jours
que nostre bien-heureux père saint Ignace conserve
dans le ciel la bonne volonté qu'il avoit sur terre
pour les grecs , et se rend très-facile à leur accorder
ou à obtenir de Dieu les grâces. et faveurs qu!ils dé-
sirent ; en voicy une bien considérable.
— 177 —
Le sieur Jacques de Congat-Mourat, truchement
grec de monsieur le ConsuF de France, ayant en-
tendu raconter, dans une prédication , les vertus et
mérites de ce grand Saint et le pouvoir qu'il âvoit
dans le Ciel, conçut quelqu'espérance d'obtenir par
son moyen le fruict de ^n mariage et un héritier de
sa maison. C'est pourquoy, pensant aux moyens de
gagner Taffection de ce Saint et de Tobliger à luy
obtenir cette faveur du Ciel, il lui' vint en pensée
qu'il né pouvoit pas aggréer davantage à ce saint
patriarche, pour l'engager à luy obtenir un fils,
qu'en secondant les desseins de ses enfants et en
employant tout son pouvoir pour faire prescher les
Pères de nostre Compagnie dans l'église métropoli-
taine des Grecs et leur procurer des écoliers. En
effet, se sentant tous les jours plus porté à exécuter
tout ce que Dieu luy avoit inspiré, il s'obligea par
vœu de s'y employer de toutes sek forces, et pria
le Père HierosmeQueyrot de l'assister de ses messes
et prières. Il ne fut pas frustré de son espérance;
s'acquittant de sa promesse, au 9*^ mois précisément,
il eut un fils qui fut, par après , la gloire de faostre
école, comme il était la joie de ses parents et l'appui
de sa maison.
Le sieur Paul Homère , truchement du Consul
d'Angleterre, ne reçust pas une moindre faveur par
l'intercession de saint Ignace; car sa femme étant
K. 4«
— 178 —
rédwta à Vextrémité par les douleurs de Teufante-
meniy qui la travaillèrent trois jours et trois nuits,
estait sur le point de perdre la vie et son fruict, et
elle estait déjà sans sentiment, lorsqu'il fit vœu que,
si sa femme se portoit bien et qu'elle accouchast
heureusement, il feroit porter à l'enfant le nom
d'Ignace, et à cet effet supplia le P. Quéyrot de lui
prester la relique de saint Ignace et le prier très-
instamment qu'il daignast secourir sa femme et
sauver son enfant. Cette sainte relique ne fut pas
plustost appliquée à cette femme, qu'elle accoucha
sans douleur d'un fils, qui fut baptisé par le métro-
politain grec, et appelé Ignace, lequel eut le bon-
heur, après avoir obtenu la vie par les mérites de
saint Ignace, de recevoir aussy la boniie vie^ je veux
dire l'instruction à la foy, dans nostre école.
Quelque temps après, une autre feiqnie, nommée
Nicole de Caterha, se trouvant .dans le mesme dan-
ger que la précédente, obtint du Ciel la mesme
faveur, en faisant vœu de faire baptiser son dnfant
à la latine, et de l'appeler Ignace.
Je pourrois nommer ici plus de cinquante autres
personnes, qui confessent luy estre autant obligées
que celles dont je viens de parler, pour n'en avoir
pas moins reçu l'assistance; mais je veux les passer
sous silence, pour assurer le lecteur, que le bruit de
tant de merveilles, que ces saintes reliques opé-
— 179 —
roient^ en la ville de Sinymè^ porta plusieurs infi-
dèles à invoquer notre Saint dans leurs nécessités.
Entr'autres, une femme d'un infidèle étant tour-
mentée d'un furieux mal caduc, sans avoir jamais
pu estre soulagée par aucun remède , pria un grec
de luy apporter secrètement cette sainte relique, et
se la fit appliquer, à la première attaque du mal. O
bonté immense d'un Dieu, qui éclate d'autant plus,
' qu'ilsemble que cette infidelle était indigne d'aucune
faveur! le mal cessa au même moment que la sainte
relique fut appliquée, et ne la travailla plus, tandis
qu'elle porta cette relique sur soy, et pour plus
grande assurance, qu'elle ne devoit attribuer à
autre cause la grâce qu'elle avoit reçue, incontinent^
qu'elle voulut quitter cette sainte relique , elle
tomba du mesme mal, mais en fut derechef guérie
par l'application réitérée de la mesme relique ; en
sorte que tous ceux qui estoient présents, fort éton-
nés de cette merveille, ne cessoient de bénir Dieu,
qui se plait tant à lionorer ses saints. Toutes fois
cette femme, pour s'assurer davantage, retint plus
d'un mois chez spy cette relique, ce qui mit fort en
peine le Père, qui ne sçavoit ce qui se passoit et
pressoit souvent le grec , à qui il avoit consigné
cette sainte relique , de la luy rapporter : ce qu'il fit
enfin et la rapporta, enveloppée d'une belle bourse
— 180— '
de damas blanc^sur laquelle se voyoit, d'un costé
le nom de Jésus, travaillé en broderie, et de l'autre
une croix de Constantin-le-Grand : le tout, fait de la
main de la femme infidèle, en reconnoissance de sa
parfaite guérison. Il est à présumer qu'elle aura
reçu aussi de Dieu la guérison dé son infidélité ;
car, pour celle du corps, elle fut si évidente, que le
P. Artaud Rioudet, qui reçut le pénitent, et apprit
tout le succès, assure qu'on n'en peut douter, et que
depuis, elle n'a ressenti aucune atteinte de son mal.
Aussi sera-t-il toujours vray de dire, que Dieu est
merveilleux en ses saints et qu'il se plaist de glori-
fier par tout le monde son serviteur, qui n'avoit
d'autre but pendant sa vie que l'avancement de sa
divine gloire.
Les Chrestiens de Sm3n'ne trouvent aussi beau-
coup de soulagement , en leurs maladies , de la
terre de Saint-Paul , ainsi nommée à cause qu'elle
est tirée de la grotte de Saint-Paul , qui se voit à
Malte; et vous diriez, que c'est leur plus souverain
remède. Le P. Charles Boilesve rapporte en ses
mémoires, l'an 1656, que cette s^ple année , plus
de vingt malades de diverses maladies ont recouvré
la santé par les mérites du grand Apostre saint Paul,
et par la vertu , que Dieu a donnée , à cette sainte
terre, adjoustant que luy-mesme, ayant eu deux
— 181 —
accès de fiebvre^ après avoir pris, daos un peu d'eatt
bénite, de cette terre deSaiot-Paul, il se trouva^gnéri
de sa fiebvre.
Le P. Yabois , qui lui a succédé , et est à présent
supérieur de cette résidence , en dit autant, et a
écrit que, Tan 1657, plus de quimse personnes de
sa cognoissance , après avoir un peu avalé de cette
sainte terre, ont recouvré leur santé;
On sçait que cette terre bknche sortire de la grotte
que saint PauJt sanctifia autrefois de sa présence,
lorsqu'il passa à MaltQ , pour aller à Rome , ainsy
qu'il est rapporté aux Actes des Apostres, et où il fui
mordu par une vipère , sans, aucune incommodité,
et donna ensuite une telle bénédiction à cette isle
contre la morsure des serpents et autres poisons,
que les serpents n'y ont plus de ves^^n. Meiis ce qui
est prodigieux, et ce qui fait voir que Dieu veut im-
iportaUser la mémoire de ce grand Àpostre et du
miracle qu'il fit à Malte, c'est que cette grotte subsiste
tousjours , nonobstant la grande quantité de terre
qui s'en tire pour porter partout, et de laquelle se
font tant d'images et de vases; et qujtre cela ^ daiis
cette grotte et aux environs , se trouvent certaines
petites pierres en forme de langue et d'yeux de
serpents , qui ont pareille vertu que la terre de la
grotte et préservent et guérissent du poison et des
morsures des bestes vénéneuses et mesme d'autres
— 182 —
aanladies, quand on s'en sert avec foy et révérenee,
ce tfjoe les grecs n'ignorent pas, et pour ce s'adressent
souvent aux PP. Missionnaires, afin d'en recevoir
d'wx.
La tBrre se prend pulvérisée avec de l'eau et du
vin ou autre liqueur : pour les yeux et les langues ,
ils les portent au col ou en brasselet ou enchâssée»
dans un anneau.
La divine Providence a fourni à cette Église
grecque un jM^édicateur très-fervent et zélé, qui
pour avoir étudié à Rome, à nostre collège, et avoir
été élevé dans le séminaire des grecs que nos PP.
gouvernent , continue àpreseher la foy, de laquelle
il fit profession solennelle à Roihe , et suit partout
les sentiments de ses maistres : ce qui n'est pas une
petite marque que Dieu chérit cette Église grecque
de Smyrne; aussi de nos temps, il n'y en a aucune
qui ait fait paroistre plus de preuves de la bonté de
sa foy et qui ait donné à Dieu plus de martyrs. Car,
sans parler de ceux de qui on à écrit tant d'éloges ,
l'an dernier, le jeudi saint, Nicolas Caseti souf-
frit cotirageusement la mort, pour la confession de
la foy, ainsi qu'on pourra voir par le récit de son
glorietïx martyre, que leR. P. Vabois nous a envoyé.
J
-- m -
CHAPITRE m.
DU GLORIEUX MARTYRE DE JVIGOLXs G4SEn.
La satisfaction, que le lecteiir recevra de cette
mort précieuise, sera d'autant plus grande , qu'elle
luy doit estre commune avec les célestes intelligen-
ces , qui sans doute otat célébré le retour de cette
ouaille de J.-C. dans le bercail, dont la chair et lé
sang Tavoient séparée diverses fois , et ont accom-
pagné de leurs acclamations un triomphe, aucjtiel
les chûtes et les foiblesses qui Font précédé , n'ont
rien fait perdre de sa gloire.
Nicolas Caseti, natif de Smyme, ayant été privé
par l'artifice de ses ennemis de sa charge de Chersagâ
ou recepvéuf des tributs , que le grand Seigftèut
escige des gt*ecs , il ne put en cacher son resseû^
timent , en sorte qu'il s'emporta une fois jusqu'à
dire, que Tenvie de ses^ ennemis Tobligerôit enfiÀ
de se faire turc, pour évifeMeur persécution; ièk
paroles , lâchées avec moins d'impiété que d^impru-
dence, lùy coustèreht'bieii cher; car il n'en fallut
pas davantage , pour le faire accuser de ce qu'eà-
tant turc , àinsy qu'il l'avoit publiquement déclaré,
il pôrtoit toutefois le turban à là grecqtiel
La prison , dai!is4a<^uellé il fût jette, Itiy fat teoitHi
— 184 —
funeste que la visite de sa mère , qui luy persuada ,
autant par ses larmes, que par ses discours, de sui-
vre l'exemple de quantité de renégats, qui avoient
esté portés à renoncer à la foy de Jésus-Christ par
des considérations beaucoup moindres , que n!estoit
le danger certain de la mort. Ce pauvre homme,
préférant les conseils d'une mère insensée aux di-
vines inspirations du Saint-Esprit, sortit de la prison
des turcs, pour entrer dans les chaisnes et Pescla-
vagç de sathan ; les Anges et les Chrétiens pleuroient
son malheur, pendant que les démons et les infi-
dèlei? le suivoient avec des cris de joye , le condui-
sant, selon la coustume, pompeusement par toute
la ville, et le faisant circoncire.
. Son aveuglement ne dura que fort peu de jours ;
car estaqt bientost rentré dans soy-mesme, et ayant
considéré VétfA déplorable de son âme , il n'eût pas
plutost recognu sa faute, qu'il prit la résolution de
l'expier au prix de sa vie. En effet, quittant le tur-
ban à la turque , qu'il avoit esté obligé de prendre,
il parut dans les rues et dans la place publique avec
un turban bleu , tel que le portent les grecs. Cet
aveu public de son changement le fit appeler en jus»
tice aviçc plus de fon^en^ept que la première fois,
puisqu'il avoi^oitleibeau crime, dont on l'accusoit,
et détestoit la lascheté, qui lui avoit fait renier la foy
de Jf3«](4-Christ. Mais sa constance. ne put résister
— 185 —
aux. mesmes. écueils qui l'avoient desjà brisée. Sa
mère estant accourae à la nouvelle de son empri-
sonnement, dont elle cràignoit pour luy une issue
plus fascheuse que la première , employa les mes-
mes armes, dont, elle s'estoit desjà servie pour le
perdre , en voulant le sauver; elle luy témoigna que
c'estoit le zèle qu'elle avoit pour la gloire de Jésus*
Christ, qui l'obligeoit de luy persuader de quitter
en apparence la foy , qu'il seroit contraint par la
violence des tourments de renier avec d'autant plus
de honte et d'opprobre pour luy et pour tous les
chrestiens, qu'on auroit attendu de luy plus de
courage et de constance; elle adjousta qu'il luy se<*
roit facile, estant délivré de la prison , d'amasser une
sompie d'argent suffisante , pour se retirer , avec
toute sa famille, dans un pays, où il-pourroit libre-
ment exercer sa religion.
Ces discours, joints aux artifices et aux caresses
d'une mère , triomphèrent encore une fois, quoi-
qu'avec beaucoup plus de peine, de la résolution
de ce fils obéissant. U quitta sa foy pour la liberté,
qu'on luy rendit aussitost qu'il eut renié Jesus-Christ.
Mais il s'apperçut bientost de l'échange qu'il
avoit fait, et sa conscience, qui le luy reprochoit
sans cesse, ne luy laissoit pas un moment, sans cha-
grin et sans inquiétude; sa douleur luy faisoit perdre
le sommeil e| ses repas ; et. il jettoit autant de soupirs
— ISS-
etversoitautant debaneft qu'il respinoit de monieftls.
Après avoir esté quelques jours dans ces senti**
mmitsy il se retira à Menemin^ qui est une ville éloi-
gnée de Smyme d'une journée , pour éviter la vue
des hommes, qu'il avoit scandalisés par son exem^
pie et dont tous les visages luy sembloient repro-
cher son crime; mais il ne put éviter l'œil de
Dieu et les poursuites de la grâce ^ qui le recher-
choit. N'ayant pu obtenir, dans sa retraite, les sacre-
ments, du curé , qui avoit sçu qu'il estoit renégat,
il prit enfin la résolution généreuse et constante ,
qui le conduisit au martyre. Il retourna à Smyrne,
pour y trouver le repos de l'esprit dans les sup^
plices , auxquels il alloit s'exposer. Ce fut en vain
que sa mère et sa femme employoieût les larmes
et les tendresses pour l'en détourner, le soutenir
de ses deux premières chutes luy etoit trop pré**
sent; la douleur, qu'il en avoit, estoit trop vive et
la résolution , qu'il avcât prise de les expier par
sa mort, estoit trc^ ferme pour céder à des atta-^
ques, auxquelles il avoit d'aiitant plus de hôûtè
d'avoir succombé, qu'elle^ lui sembloieût alôr& plue
foibles et plus méprisables. Il n'eut point d'autre
réponse à faire à leurs sollicitations amoureuses, si-
non que sa résolution était prise, et qu'il vouloit
mourir pour la fôy; qu'il ne pôuyolt autrement
expier Im criiMs, que trop d'obéiMancè et ttôp
— 187 —
d'amour luy avoient fait commettre, que rafFeetion
qu'elles avoient, pour sa famille, leur devoit faire
approuver son dessein, puisque, sauvant son âme
par le martyre , il sauvoit aussy celle de ses enfants,
que son reniement eust obligé de vivre et de mourir
dans l'infidélité , suivant la loy des mahométans ,
qui ne dispense jamais les enfants de ceux qui sont
morts dans leur religion , d'en suivre une autre.
Les premières chûtes luy ayant appris sa foi-
blesse, et que c'estoit du secours du Ciel qu'il devoit
attendre la force et la constance d'un martyr, il ne
manqua pas d'employer tous les moyens possibles
pour l'obtenir. Il disposoit son esprit au combat
par les prières, et accoustumoit son corps aux dou-
leurs par ses mortifications, en sorte que la Vie qu'il
menoit pouvoit aussi bien passer pour le commen^
cernent de son martyre, que pour une disposition à
le mériter ou pour un apprentissage des souffrances
de la croix de Jesus-Christ. Il commença dès lors à
se revêtir du^cilice, à ne point se dépouiller pour
reposer, et à faire de. grandes abstinences, et garda
le trimerson, qui est un jeusne, qu'observent les
plus fervents dés grecs , passsmt les trois premiers
jours et les trois premières nuits du caresme sans
manger. Sa femme, qui prioit souvent Dieu qu'il
ezemptast ses enfants de l'infidélité, accoucha, en ce
temps, d'un fils : ce luy fiist une belie occasion de ee
— 188 —
déclarer. En efifet, le curé ayant refusé de venir
bénir la mère et l'enfant, selon la coustume de
TËglise grecque, parce que le père étant renégat,
il devoit avoir recours aux cérémonies des turcs.
Nicolas , adverty par ce refus du danger auquel il
exposoit son fils par sa lascheté, alla dans, la place
publique renoncer à Mahomet, et de là chez le Cadi,
luy protester qu'il estoit chrestien et qu'il vouloit
momnr chrestien.
Le Cadi, qui ignoroit les changements que la
grâce peut faire dans un cœur, jugeant de la cons-
tance de Nicolas par la facilité qu'il avoit eue déjà
deux fois à luy faire chanj^r de résolution , usa des
mesmes moyens pour le pervertir. Mais le prisonnier
de Jesus-Christ refusant devoir sa mère, dont il avoit
ressenty les visites si funestes dans ses premiers
emprisonnements, et le Cadi se voyant frustré de
r^spérance qu'il avoit eue de gaigner son, courage
par adresse et par les caresses de sa mère, eut re-
cours aux tourments les plus atroces avec aussy peu
de succès. La force et la constance du martyr sem-
bla s'augmenter par le grand nombre de coups, dont
il fut battu, aux pieds, sur le ventre et sur les épaules,
en sorte qu'on redoubla les tourments avec plus de
cruauté. C'estott un spoetade aussy merveilleux que
terrible de voir cet hommt qui n'avoit t pu < souf-
frir les reproches d'une femtne, soij^rir, avec cons*
— 189 —
tance et avec joye , les supplices les plus cruels^
dont un mot le pouvoit délivrer, et bénir son
Dieu , pendant qu'on lui attachoit au nez une
masse de plomb fort pesante , qui le tenoit courbé
contre terre , pendant qu'on luy serroit les tempes
et l'os de la teste, qu'on luy tenailloit les épaules ,
qu'on luy brusloit les costés avec des fers rou-
ges, qu'on luy chargeoit le ventre d'énormes
pierres , que deux hommes ensemble eussent eu
peine à souslever, pendant enfin qu'on le faisoit
mourir par mille sortes de tourments , pires que la
mort mesme. Si on luy laissoit quelques heures de
repos pour le sommeil, il rie pouvoit dormir que tout
nud , et ayant les fer^ au col , aux bras et aux pieds,
qui estoient arrêtés et gênés dans une machine dé
bois fort incommode, afin que son repos même ne
fiist pas exempt de peitie et de douleur.
Ces supplices, qu'il endura pendant trente-six
jours, eussent duré plus longtemps, si le geôlier
n'eust porté le Cadi à advancer sa mort , assurant
qu'il avoit vu, dans le cachot, son prisonnier envi-
ronné d'une grande lumière , qui s'entretenoit avec
une personne de condition qui paroissoit estre de
grande qualité.
Le généreux athlète de Jésus-Christ fut donc ga-
rotté et mené à la place publique , qui estoit le lieu
destiné à son triomphe. Un chrestien ne peut avoir
— 190 —
d'ambition plus grande , ni plus sainte , que cdUe
d'estre semblable, par k gloire du martyre, à Jesus^
Christ mourant et régnant sur la croix. Nicolas ne
manquant pas de cet éguillon de bel honneur, il
demanda tout haut aux officiers de la justice quel
estoit le crime, pour lequel on le mettoit à mort , on
luy fit la réponse qu'il souhaittoit , et on apprit aux
assistans que son crime estoit sareligion , et qu'il ne
mouroit que parce qu'il avoit voulu vivre dans le
christianisme; ce fut alors qu'il s'écria, plein de
joye : Je ne meurs donc que parce que je suis chres-
tien. Je vous rends gràce^ mon Dieu, de ce que mes
crimes et mon infidélité, qui m'avoient rendu plus
digne de. vos châtiments étern^ , que je ne le suis
des supplices qu'on me fait icy endurer, n'empes-
chent pas vostre bonté immense et vostre miséri-
corde infinie de in'accorder la gloire de mourir
pour vous.
Il n'avoit garde , estant dans ces sentiments , d'é-
couter les propositions des musulmans, qui luy offri-
rent souvent de luy donner la vie et la liberté , s'il
vouloit changer de religion ; il ne leur répondit
qu'en plaignant leur aveuglement et en leur repro-
chant leur infidélité.
Ayant donc été tiré sur le gibet , le bourreau hasta
sa mort par un coup de coust^u sur la teste , et un
autre dans la gorge. Le martyr, témoignant sa joye
— 494 -
de se voir ainsi empourpré de son sang, après avoir
le^é les yeux et les mains, liées en forme de croix, au
Ciel 9 pour remercier Dieu de cette sorte de grâce
qu'il luy faisoit^ la voix luy manquant pour le
faire de bouche, expira doucement le jeudi saint ,
29 de mars , sur les neuf heures du matin , âgé de
trente-quatre ans et demy , Tan 1 657.
Son père s'appeloit Paraskeva; Chiglargis estoit
le nom de sa mà«, et Sebasti celuy de sa femme, à
laqudle il a laissé trois fils, qui conservent, par la
mort de leur père, le titre honorable de chrestiens,
qu'ils eussent perdu s'il eust vécu plus longtemps
dans le Mahométisme. L'un de ses enfants est main-
tenant à l'école des PP. de nostre Compagnie : ce
qui fait assez cognoistre qu'il estoit dans le sentier
de l'Eglise romaine.
Toutes les nations^ qui accoururent à ce specta-
cle, eurent moins de compassion pour ses souffran-
ces que d'admiration pour sa générosité. Son corps,
qui demeura pendant trois heures s^taché au gibet,
estoit gardé par les gens du Cadi , de crainte que
les janissaires ne s'en saisissent , pour le vendre par
pièces aux chrestiens; car le Cadi et le Soubachi
espéroient en estre eux-mêmes les maistres et mar-
diands, et le vendre entier à l'EgUse grecque, ainsy
qu'ils avoient, l'année précédente, vendu aux Armé*
nieos le corps de celuy de leur nation , qui avoit
— 192 —
été martyrisé pour un semblable sujet. Mais les
grecs , que plusieurs raisons considérables empes*
choient de traiter cet achat, les ayant frustrés de
leur espérance, le corps fut jette dans la mer. Les
turcs ayant obligé le premier grec, qu'ils rencontrè-
rent , de le détacher de la potence , furent fort sur-
pris de voir tomber cç corps à genoux sur la place,
la corde, quoique toute neuve, s'estant rompue
d'elle-même , lorsque le grec s'alloit mettre en de-
voir de la délier ou de la couper. Les chrestiens
furent ensuite obligés de le tràisner sur la grève,
d'où , ayant été mis dans une barque et porté en
haute mer, il fut jette dans l'eau, après qu'on luy
eut attaché une grosse pierre au col et qu'on luy eut
ouvert les flancs, afin qu*il demeurast au fond de
la mer : tout ainsy que Nicolas avoit prédit de sa
mort à sa mère et à sa femme , un peu devant son
dernier emprisonnement. Quand le corps eut été
jette dans la mer, il s'y éleva une furieuse tour-
mente, qui dura trois jours. Un homo^ digne de
foy assure avoir vu trois nuits de suitte , pendant
un long espace de temps, des lumières et des feux ,
sur l'endroit de la mer, où le corps fut submergé.
On parle de plusieurs autres merveilles , qui précé-
dèrent et qui suivirent sa glorieuse mort, desquelles
j'aime mieux ne rien di^e que de raconter des
choses qui ne sont pas encore assez avérées, ou dont
— 193 —
on ignore les circonstances. Ce que j'ay dit saflfit
pour faire voir la protection et la providence de Dieu
sur son Eglise j k laquelle il donne encore aujour-
d'huy des martyrs , pamiy Taveuglenient et Tinfi-
délité , et pour exciter ceux qui manquent de ces
belles occasions de rendre sang pour sang et vie
pour vie à Notre-Seigneur Jésus-Christ ^ à ne lui pas
refuser de moindres gages de leur amour et de leur
recognoissance, que nous luy pouvons donner tous
les jours , gardant exactement ses saints comman-
dements et ses conseils mesmes, quand nous y som-
mes appelés.
CHAPITRE IV.
DE l'affection DES ARMÉNIENS DE SMYRNE , ENVERS L*EGIJSK
ROMAINE ET NOSTRE COMPAGNIE.
Je me sens obligé, après avoir parlé des grecs, de
dirS quelque bhose à la louange des marchands ar-
méniens, qui, pour la commodité de leur uégoce,
demeurent à Smyrae avec leurs femmes et enfants,
et y sont plus de huit mille. Je ne sçais pas comme
ces messieurs .vivoient avant "l'arrivée de nos PP. ;
mais je puis dire que , depuis leur établissement ,
ils ont donné de grandes preuves de leur soumission
au Saint Siège et de leur affection pour nostre Com-
K. 43
—, 194 —
pagnie. Voicy comme en parle le P, Artaud Riotidet
en ses mémoires : « No6 PP. Missionnaires <mt aussi
tt tasché d'assister les arméniens avec lesquels il
« semble estre plus facile d'avancer la gloire de
• Dieu^ si on sçi^voit parfaitement leur langue,,
« qu'avec les grecs, pour ce que les arméniens
« s'accordent beaucoup plus da^g leurs cérémonies
« avec l'Eglise Romaine , se portent avec beaucoup
« plus de faoilîté à embrasser sa doctrine , et n'ont
« pas tant de difficultés de se soumettre au Souve^
« rain Poutîfew Mille et mille fois;OQUs ayons béuy
« Dieu , entendant les arméniens de Smyivie parler
c< noblement de la dignité de l'Ëglise romaine, et
« nous avons recognu que plusieurs d'entr'eux n'ont
« pas mesmela cognoissance des hérésies, qui per-
« de^nt ceu^ qui vivent en l'Arménie.
« Depuis qu'ils ont été instrinijbs de nostre
» croyance et de nostre façon d'administrer les
« sacrements , ils viennent avec 4éyotion recevoir
« l'absolution de nous; et quelques-uns s'éta:Ut
H confessé à nous^ ne font, nulle difficulté de com-
a mun^ef de nos mains, apportant pour raison que,
^ puisque nous consacrons comme eux en azyme ,
« il n'y a pçint de di^érençe en^e . leur communion
« et la nostre. Nos marchands fraqçois ont souvent
« cette consoktion ,. que. de les vc»r entendre la
« Messe en) l'Eglise consulaire, avec grande dévo-
— 195 —
« tion, prindpalemfnt quand il& n'ien. ont point à
« leur église. .j\
« L'honneur et le respect que ces armémens poiv
« tent aU'X missionnaires apostoliques^ et l'affection
« qu'ils ont pour œux de nostre Compagnie ne
« sont pas de petites .preuves de la sincérité de leur
« foy et de l'union iqu'ils ont avec TEglise Aomaine.
« Jamais nos PP. ne xont à l'église cathédrale,qu'ils
« neleurdonnentlepremier rang et ne les pressent
« de s'asseoir au tposne de leiu* métropolitain , et ,
« qui plus est, leur font tenir par honneur, son
<i baston pastoral, qu'ils appellent Canasau; ils
« veulent que nous bénissions l'encens, dont ils se
« servent à l'office divin , et }e me souviens qu'une
« fois, le jour de llEpiphanié , ils nous invitèrent à
« faire leur eau bénite , qu'ils.conservent toute l'an-
« née en mémoire du baptême du Fils de Dieu au
41 Jourdain , ce qu'on qe pust leur refuser, de peur
« de les offenser, surtout cette, cérémonie estant
« presque la mesme, dont se sert l'Eglise latine
« pour la bénédiction de l'eau bénite, qui se fait
a le Samedy-Saint. »
Le mesme Père assure que les enfants arméniens
ne manquoient pas de venir tous les dimanches
entendre la doctrine chrestienne à l'heure qu'on la
faisoit en leur langue , et que nous jouissions pai-
siblement de la chapelle consulaire.. Je prie Dieu de
— 196 —
pardonner à ceux qui ont empesché ce saint (exer-
cice), et moy, je le prie de les rendre capables de le
rétablir et de nous donner plusieurs Missionnaires
bien versés dans la langue arménienne, afin de pou-
voir instruire et prescher'tant de milliers d'armé-
niens, qui se retrouvent dans toutes les villes
marchandes de Turquie.
On pourra recognoistre combien ces bons armé-
niens sont recognoissants des instructions qu'on leur
donne, et du soin qu'on prend de leur jeunesse, par
la lettre que ceux de Smyrne écrivirent au Pape
Urbain VIII et au feu roy Louis XIII, l'an 1632, à
nostre considération , par forme de requeste , pour
obtenir que nous eussions école ou collège à
Smyrne, pour l'instruction de leur jeunesse. Leur'^
façon de parler est merveilleuse et pleine de belles
métaphores.
J'ai trouvé cette fidèle traduction *, avec son ori-
' Voici la traduction française de la requête des Arméniens :
« Très parfaict et envoyé de Dieu, très-belle lumière rayonnante
« à merveille tant, par la clarté de la foy, que par le feu du divin
u amour, ouvrage du bras paternel serré avec des cordes vermeilles
« comipe le Séraphin, et comme la matière du feu caché et arrousé
« des eaux vivantes de la fontaine immortelle, par le moyen de la-
ïc quelle estant tousiours orné de feuiUes vertes et tousiours fleury,
« et portant abondance de ces fruicts qui sont de la maison de Dieu
« et de Topération de la croix, de ces fruicts qui donnent la vie au
« monde, de ces fruicts qui ont été produicts selon le bon plaisir
« de Dieu nostre père spirituel et la lumière de nos yeux, saint Pape,
— 197 —
ginal, dans notre collège de Paris, où on l'a soigneu-
sement conservée, comme une marque authentique
de l'obéissance, que ces bons arméniens de Smyrne
rendent au Souverain Pontife , et du grand res--
pect qu'ils portent à Sa Majesté très-chrestienne ,
ainsy que cette lettre est un assuré témoignage./ de
leur foy, de leur humilité et de leur dévotion j mais
particulièrement de leur union avec l'Eglise Ro-
maine, qui est ce qiie Ton souhaittoit plus et ce
qu*ont fait deux ou trois pauvres Missionnaires,
nonobstant toute la rage de l'enfer, qui , ne pou-
vant souffrir que tant de milliers d'âmes luy soient
ravies , faisoit tous ses efforts pour faire sortir ces
Missionnaires de Smyrne. Je n\*assure que plusieurs
personnes dévotes , entendant ces glorieuses con-
questes et ces advantageuses victoires sur le schisme
et l'hérésie, ne cesseront de bénir Dieu et le prieront
de maintenir cette tant désirée union.
ff Seigneur Urbain, ^ui maintenez la place de J.-C. et estes assis en
« la chaire de saint Pierre, le prince des Apoitres, et estes constitué
a Seigneur par J.-G. El vous, 6 Roy des Roys, César des Césars,
« Louis, couronne de France, qui avez esté planté par le bras divin
« et orné par J.-C., nous vous écrivons, les larmes aux yeux et le
« visage abbattu de tristesse, ces humbles lettres de prières, à vous
« qui estes les lumières de nos yeux et nos espérances après Dieu,
« qui estes les colonnes de ceux qui adorent la croix, et ta généra-
« tion chrestienne ; nous espérons en Dieu, auteur de la vie, qu'il
■ TOUS conservera sains au corps, comme vous Testes en Fftme , et
« que nos prières vous seront agréables, comme Tencens en vostre
— 198 —
On a entendu souvent ces bons arméniens exhor
ter nos P^-es à bien apprendre leur langue^ et leur
promettre de les mener en leur pays et de leur bas-
tir deÉ égUses. Obi que cela seroit à désirer ! et quelle
perte n'àvons-nous pas faicte, en perdant les PP. Ar-
taud Rioudet, François Blaiseau, François Albert , et
quelqti'autre , qui, par TinteUigence qu'ils avoient
a présence et le sacrifice de bonnes odeurs Test au Seigneur, rvous,
« pauvres et pleins de peschez, prestres arméniens de Smyrne,
« tout le clergé et tons les séculiers, depuis le plus grand jusqu*au
« pins petit, nous vous envoyons cette lettre, vous nostre père
« spirituel, et prions que vous daigniez la recevoir avec amour
<x cordial et avec cette abondance de piété divine, de laquelle nous
« vous souhaittons de loing, comme si nous estions plus près , que
« vous soyez saint au Seigneur, et que le Seigneur soit avec vous;
' « par ce peu de paroles, nous vous donnons advis, ô nostre saint
A Père, Pasteur et Prélat, que nous autres, prestres ou diacres ^ et
« tout le peuple, depuis le plus grand ]usqu*au plus petit, nous
« nous prosternons à vos pieds et demandons de vostre saincte
(( authorité absolution de nos crimes, et nous vous prions comme
« aussi le très chrestien Roy de France pour les PP. Jésuites fran-
« çais qui sont parmi nous, à sçavoir pour le Père Artault RioQdet
« et le Père François Jllezeau , que vous nous accordiez cette grâce,
(M à nous, pécheurs, de les faire subsister en cette ville de Smyrne
« et de leur donner les moyens de dresser un collège pour ensei-
« gner la loi de Dieu aux enfants de la nation chrétienne; el si
« vous vous humiliez jusqu'à vouloir entendre qui sont ces peres«
« nous vous dirons que ce sont des personnes vertueuses, humbles,
« obéissantes, qui fcmt. de bonnes œuvres et rendent beaucoup de
« gloire au'vray Dieu. .
« D^ui/s qu'ils sont en cette ville, les ^ancs et les Arméniens
« se sont unis avec amour, et il y a si grande intelligence h présent
— 199 -.
acquise de leur langue j et par lairfe prédioations et
exhortations^ les avoient gagnés à Jésus-Christ. Nous
espérons toutefois que la dirine bonté ne manquera
pas de faire la mesme grâce à ceux qui feur ont
succédé. . / : . .
J'aiitois plusieurs choses à raconter touchant la
dévotion de ces arméniens et de leur singulière
a entre ces deux nations, qu'il ne se peut rien dire d^yçii^tage; len
« Arméniens conversant jour et nuit avec les Francs, et les Fr^nÀ
« avec les Arméniens, et quand les Arméniens célèbrent leurs festes,
« ces maistres et docteur» rompent et distribuent la pain beny qt
« offrent TenceQs; ils. se reve&t^ntd'ornemeDts.sacerdottnx, eXpaiii
tt tout leur office, autant qu'il est nécessaire et que porte la cous-
it tume de PËglise arménienne ; de mesme quand )es Francs céîë-
c brent leurs (estes, Us invitent tous les Arménien^, les coti^hiisetit
« k leur église et célèbrent en leur présence la Sa^le Mçsse selon
t la coustume de TËglise romaine, tellement que nous sonunes
tt maintenant tous unis très étroitement. Mais si ces PP. Jésuites,
« par la poursuite dô leurs. adversaires ou JJour leur grande néce*^
M «ité, sont obliges de sortir d*ioy, noua craigiiOB8\qiie cette union
c ne pi^isse subsister. ^ . > . t
« C'est poprquoy, nos Seigneurs et Messieurs, nous vous sup-
a plions que si les pauvres pécheurs arméniens peuvent trouver
« auprès de vous quelque faveur, et si vous toolexquenonas notts
.fc entreteoiops tousjours les uo^ avec.le« autres en cba^t/é et unioi) ,
t ordonnez que ces Pères demeurent tousiours icy et donnez-leur
« les moyens de dresser une école ou collège en cette ville de
€ Smyrrtè. Soyez saints au Seigneur* De Smyme, Tan des Armè-
.• nkp^ 40M» le 6 .d'vçWbrei, jpqr 4e jeud^ j[i«3a d^Tère cbré-
« tienne],
o Lieu du cachet.
* « Jean Xalepti, Métropolitain. »
— 200 —
abstinence pendant les six mois de Tannée qu'ils
jeusnenty à diverses reprises, sans manger tout ce
temps là y ny oeuf, ny chair, ny poisson, ny beurre,
ny huille, et sans boire de vin, particulièrement
pendant leur grand caresme, qui est de cinquante
jours; mais j'aime mieux faire paroistre dévotement
leur soumission à notre Saint Père le Pape, sans
laquelle, ny les prières, ny les jeusnes, ne peuvent
pas plaire à Dieu.
Le ^évérendissime Père Jean de Tratta , vicaire
patriarchal, retournant de Gonstantinople , pour
aller à Bome , ftit invité à prescher le jour de l'An-
nonciation de la Yiei^e , en Téglise consulaire des
françois, et pour luy faire honneur, un de nos Pères
pria les arméniens à venir Tentendre, ce qu'ils-firent
très- volontiers , et y vinrent en corps , avec beau-
coup de modestie et de respect.» Leur evesque ,
accompagné de ses prestres et des principaux mar-
chands, entendit toute la messe et le sermon; et Voi-
fice étant fini, toute cette compagnie demanda à
saluer moni^ieur le vicaire patriarchal , et le pria de
baiser de leur part les pieds à Sa Sainteté, et de
leur obtenir sa sainte bénédiction, a'^ea protestation
qu'ils le recognoissoient comme le Vicaire de Jésus-
Christ en terre, le pasteur universel de toute l'Eglise,
et le vray successeur de Tapostre saint Pierre. Je vous
laisse à penser quelle consolation reçust pour lors le
— 201 —
Révérendissime Vicaire patriarclial y et avec quelle
joye il se chargea d^ cette commission. Certes on ne
pouvoit pas attendre d'eux davantage. Plust à Dieu
que tous les autres arméniens, qui vivent aux autres
villes, sous la domination du, grand Seigneur ou du
Roy de Perse, eussent les mêmes sentiments ! Mais,
hélas! qu'il y en a peu qui leur ressemblent !
On nous a écrit d'Ispahan que les prestres et tous
les religieux arméniens , dans la Perse et Arménie ,
sont si obstinés dans leur schisme et dans leurs hé-
résies, qu'ils permettront plustost qu'un des leurs
embrasse k loy deJMEahomet, que de permettre
qu'il se déclare catholique et traicte avec les Mission-
naires apostoliques ; et s'il arrive que quelqu'un se
soit laiss^gagner, et qu'il latinise, pour parler à leur
mode , ils l'excommunient avec défense à qui que
ce soit de luy parler, s'il ne veut encourir la mesme
pein?. Oque leur aveuglement est grand et leur obs-
tination mminelle !
Leurs erreurs les plus communes sont de ne
reconnoistre en Jésus-Christ qu'une volonté , et
ensuitte de ne vouloir recevoir le V Concile œcu-
ménique , tenu à Calcédoine , où les monothélUes
furent condamnés. Comme ils honorent l'infâme
Dioscore comme un saint, aussy anathematisent-
ils le grand saint Léon , qui a si généreusement
combattu et si puissamment terrassé l'hérésie des
— Î02 —
tnonothélites; ils ne peuvent supporter que les
Latins mangent du poisson en caresme et tiennent
que Ton pèche mortellement , quand on mange du
sang ou de la* chair étoutfée. Ils ne croient pas le
feu du purgatoire, et disent que lésâmes sont créées,
dès le commencement du monde; qu'elles sont
incapables de voir jamais Tessetiee divine , et que
l'objet de leur: béatitude sem seulement la lumière
qui environne le tfarosne de là divinité. Ils se per^
suadent que leur patriarche, à qui illâ donnent le
tiltre de catholique ^ a aotatit de pouvoir que le
Pape ; et que tous les patriarches sont égaut en- pou^
voir. Ils répudient assez tellement leurs femmes.
Pour les sept sacrements ils les reçoivent tous, et
on leur a permis de dire la messe en leur langue
arménienne.
On sçait la belle formule de foy que le Pape
Eugène donna aux arméniens , sut la fin du concile
de Florence , eÇ comme ils témoignèrent estre eniiè^
rement unisavec FÉglise Romaine. Mais cette union
n'a. pas esté de locgue .durée , non plus que celle
des grecs, et je crois, que la principale^ cause , pour
quQy elle n'a pas4sub8isté, vient de ce qu'pn n'a
jamais procuré d'instruction parfaite aux arméniens
pour leur taire cognoistre les vérités de nostre
créance, en; réfutant modestement , mais -efficace-
ment leurs erreurs, par quelque livre composé en
— i03 —
leur langue^ et duquel tous prissent coonoissance.
On s'est contenté d'agir avec le clergé^ sans se
Bdettre en peine d'informer les particuliers, d'où est
arrivé que ceux cy , ne s'accordant pas avec les ver-
tabieds, pour n'être pas convaincus de la vérité de
nostre croyance , ont Inen pu dissimuler pour quel-
que temps/ ou sembler .acquiescer au sentiment de
leurs prélats pour le respect qu'ils leur portoiebt;
mais ceux là venant à manquer , et d'autres leur
succédant, qui ne sçavoient pas^' comme le tout
s^étoit passée et ne pénétroîent pas les raisons qui
avoient porté leurs prédécesseurs à l'union avec
l'Église Romaine, ils ne se soucièrent pas de la main^
tenir. Ainsi ce n'est pas merveille , si elle n'a pas
subsisté, et si ces peuples ont de rechef succé le
poison, qui se retrouve dans leurs livres, pour n'en
cognoistre pas la malice , ny avoir aucun contre-
poison pour s'en garantir.
Monsieur de la Boulaye , dans son voyage du
Levant , parlant des arméniens, dit que le moyen
de les convertir seroit d'envoyer en Arméîjie un
Nonce Apostolique, avec plusieurs inissionnaires
pour les* instruire, et de donner ordre qu'à Venise,
qu'à Gènes , qu'àlivourne, aucun arménien n'eust
la permission de traffiquer, s'il n'avoit des pattentes
du Nonce ou de quelques missionnaires , par lès-
quelles ou puisse estre asâeuré de la bonté de sa
— 204 —
foy; cet expédient n'est pas mauvais. Toutefois je
puis dire que pour le rendre efficace^ il faudroit que
ce Nonce et ces missionnaires , n'allassent point en
Arménie les mains vides ; il faudroit que par les
charités qu'ils feroient, ils gagnassent là volonté des
arméniens , et que , par la distribution du livre ,
duquel nous avons parlé, ils fournissent à leur
entendement de quoy se détromper. Les livres ont
cela, par-dessus les missionnaires, qu'ils pénètrent
par tout , annoncent sans crainte les vérités dé la
foy, ne coustent guère et profitent beaucoup, expli-
quent plus solidement tous les mystères, résolvent
plus fortement les difficultés , et persuadent les
vérités beaucoup plus efficacement par des raisons
préméditées , que par des disputes et altercations
où, souvent, les plus imprudents l'emportent.
J'ay eu plusieurs disputes avec les grecs; mais
comme ils sont superbes , jamais ils n'ont voulu {
avouer être vaincus, et souvent après plusieurs dis-
cours, quand ils ne sçavoient plus que répondre,
la dispute se terminoit par la confession qu'ils fai-
soient, qu'ils n'étoient pas théologiens , et que s'ils
avoient étudié , comme nous autres, ils ne manque-
roieht pas de réponses. Je me persuade que le
mesme arriveroit parmy les arméniens à qui vou-
droit disputer avec eux; ce qui me fait dire, qu'ils
se rendroient plutost à la lecture d'un bon livre ,
qu'à la dispute d'un missionnaire. Nous espérons ,
Dieu aidant d'en voir bientost Texpérience en Grèce
par les douze cents copies du livre grec , que nous
avons fait imprimer et que nous allons distribuer
i aux grecs. O qu'il seroit à souhaiter qu'on fist le
^mesme pour l'Arménie ! Etr comme nous prions
toutes les personnes zélées de prier la divine bonté
qu'il luy plaise donner sa bénédiction à notre petit
ouvrage! Aussi les supplions -nous très instam-
ment de ne point oublier dans leurs prières et
sacrifices tous ces arméniens, qui ont tant de
bonnes qualités et qui semblent être ceux de qui
Dieu parloit par son prophète Isaïe : Me de die in
diem quœrunt et scire viasmeas volunt^ quasi gens
quœjustitiamfecerit etjudicium Dei siU non dere-
liquerity et qui, pour ce sujet, s'étonnent et se plai-
gnent pourquoy Dieu n'écoute pas leur prières , ne
regarde pas leurs jeusnes et n'a pas égard à leurs
humiliations et'mortifications, qùarejejunavimus et
non aspexistiy humiliavimus animm nostras et nes^
cisti. (Is. LViii , 2, 3.)
J'aurois été obligé de conclure ce chapitre , à la
gloire de l'Eglise arménienne de Smy rne , par le récit
du glorieux martyre de Georges, qui étoit arménien,
qui, âgé de soixante ans, desquels il en avoit passé
quarante dans l'infidélité , après s'être repenty de sa
faute , endura courageusement le martyre pour la
— 206 —
confession de la vraye foy, l'ao 1656^ le 25 avril ;
loais, d autant que ce nom a dosjà été imprimé dans
nostre relation de 1 isle de Sant^Erini , j'ay cru qu'on
etoit suffisamment informé de niail;yre , et qu'il
valoit mieux passer à un autre sujejt.
CHAPITRE V.
DE l'assistance RENDUE AUX MARCHANDS FRANÇOIS ET AUX
AUTRES HABITANTS DE SMYRNB OU PASSAGERS DU ItlT LATIN.
On peut assez conjecturer de ce que nous avons
rapporté de l'assistance Tendue aux grecs et aux
arméniens de Smyme, celle que doivent attendre
des Pères Missionnaires tous ceux qui^ pour être
de mesmé créance et de mesme rit^ se peuvent dire
les diHnestiques de nostre foy^ à sçavoir : tou& les
marchands françois y italiens, flamansy et tous les
autres, tant artisans que passagers, qui séjournent
en la ville de Srtiyme, paice qae cetix^, noiïs tou-
chant de plus prés^ la>charité veut,. et nos supé-
rieurs le désirent, que nous ayons d^eux un soin
tout particulier. Aussi sont-ils les plus chéris, et par
tout le.Levant , où nous avons des résidences, nos-
tre principale occsupation est de tascber de les main-
tenir dam l'exercice de la vraie religion et de les
assister, en tout ce que nous pouvons , pour leur
salut et pour leur perfection.
_ 207 —
C'est pourquoy, aussitost que nostre Compagnie
eut pris possession, de la chapelle consulaire à Smyr-
ne^oQ y commença las prédications en françpiset en
italien y pour; ceux qui avoient cognoissance de ces
langues; et depuis an les a toujours oqatinuees en
notre église.
De vouloir icy raconter le fruict qu'ont fait ces
prédications, les.conv^sions nottables qui se sont
ensuivies , les restitutions et rpcopcUiations, qui se
sont *^ictes, les auœosnes desquelles taiit de pau^
vres ont été secourus et tant d'esclaves délivrés ,
ce seroit vouloir dresser un gros vojiume d'une
petite relfition.
Celuy qui des premiers témoigna voulcîiir profiter
des prédications de nostre Père François de.Canil-
lac et des discours des Pères Missionnaires fut mon-
sieur le consul des anglois qui , avant 4'arrivée de
nos Pères, vivoit secrettement à la catholique, sans
oser se déclarer ouvertement; mais , après qu'il fut
un peu fortifié par les raisons qu'on luy représenta^
il surmonta courageusement toutes les difficultés
qui luy lurent faites, tant par son ambassadeur que
par ^ marchands, et fit profes^on publique de la
vraie foy : après quoy Dieu le bénit tellement et
l'orna de, tant de grâces, qu'on leregardoît comme
up ^iroir de sainteté, et les hérétiques anglois luy
portoiçnt un. ti^ès-grand respect.
— 208 —
U plut néantmoins à Dieu ^ qudques mois âpres,
de l'appeler à soy, pour couronner ses mérites.
Pendant sa maladie , il témoigna tant *de patience
et de dévotion, qu'il faisoit ée sa chambre une
école de vertu , où tous accouraient pour l'appren-
dre , et il s'acquit tant de pouvoir sur l'esprit de ses
marchands^ qu'il les obligea , quoiqu'hérétiques ,
d'accompagner le Saint Sacrement^ quand on le luy
appc^rta pour viatique , tète nue et le flambeau en
main : après quoy, les ayant remercié de leur cha-
rité y il les congédia tous et ne voulut qu'on lui par-
last plus d'aucune affaire , que de celle de son salut.
En ce passage , il regardoit nos Pères comme ses
guides , et les pria très-instamment de ne le point
quitter jusqu'au dernier soupir. O qu'ils furent
très-joyeux d'offrir à Dieu cette belle âme , comme
les prémices de leurs travaux, en cette ville de
Smyrne !
Son successeur voulut être imitateur de sa vertu,
et, à son exemple j après beaucoup de difficultés,
qu'il surfaionta courageusement, il se déclara catholi-
que, et tout le temps qu'il séjourna dans Smyrne, il
fut très-constànt à rendre ses devoirs à Dieu et à
fréquenter les sacrements.
Plusieurs autres anglois et hollandois ont recou-
vré, en Turquie, la foy qu'ils avoient perdue en
leur pays, et si nous osions parler de ceux qui,
--^
— 209 —
l'ayant reniée honteusement, ont réparé leur faute
par une vraie pénitence , nous découvririons des
trésors immenses de grâces et miséricorde ; mais .
passons sous silence ce qui ne se doit révéler , et
disons qu'en cette ville de Smyrne, il y avoit plus
d'artisans et portefaix, lesquels venuâ de Candie,
de Naxie, de Tine, de Syra, ou de quelques autres
isles de Tarchipel avoient changé de rit et vivoient à
la gt>ecque, soit pour être mieux venus des grecs,
soît pour avoir été gagnés par les caloyers du mont
Saint (Mont-Athos), grands ennemis de l'Eglise ro-
maine. Ceux-ci donc, voyant l'heureux succès que
Dieu donnoit aux prédications des Missionnaires,
et Testime, que les grecs mesmes faisoient de leur
vertu et sçavoir, prirent la résolution de retourner à
leur premier rit, afin de faire leur salut avec plus
d'assurance, moins de frais et plus librement,
sous la conduite de nos Pères. L'occasion de cette
résolution fut telle.
Un de Tine, après avoir parcouru toute la Grèce,
l' Anatolie ' et plusieurs provinces, avec beaucoup
de libertinage et peU de crainte de Dieu , étant de
retour k Smyrne y une nuit , comme il dormoit , il
fut éveillé par trois fois d'une voix forte , qui l'aver-
tit distinctement chaque fois de changer de vie et
de ne manquer, dès le lendemain, à s'aller confesser
au prestre latin qu'on luy monstreroit, qu'autre-
K. U
— 240 —
ment il porteroit bientost la peine due à ses cri*
mes énormes, et que la justice divine étoit pour en
tirer vengeance, s'il ne se jettoit au plustost entre
les bras de la divine miséricorde. Cet homme, fort
étonné de cette semonce et tout épouvanté de ces
horribles menaces, ne manqua pas, dès le matin ^
de sortir de son logis et chercher celuy que le Ciel
luy marquoit; par bonheur, il rencontra un siçn
amy, qu'il n'avoit vu de six ans , et après les salu-
-tations accoutumées , il luy raconta l'avertissement
qu'il avoit eu la nuict , et le pria très->instamment
de luy faire parler à un prestre latin , qui entendist
le grec et qui fust capable de luy donner l'absolu-
tion. Cet homme, qui cognoissoit nos Pères, le
conduisit de ce pas à nostre chapelle et luy mons-
tra celuy qu'il cherchoit.
Il y avoit douze ans que (e pauvre misérable avoit
renoncé à la grâce, sans rechercher les moyens de
la recouvrer; et n'eust été ce salutaire avertisse-
ment , il étoit pour vivre et. mourir dans cet état
déplorable. O que Dieu monstra bien en cet homme
qu'il étoit maistre de ses grâces et qu'il les distri-
buoit à qui bon luy sembloit! il méritoit mille fois
l'enfer, et, en un moment^ il luy ouvrit , par la pé-
nitence, son paradis, et d'un démon, il en fit un
ange ; car, après sa confession ^ il parut tellement
changé, que ceux qui l'ayoient cognu ne pouvoient
— 2i4 ~
assez admirer la puissance de la grâce et luy &e pou-
voit assez louer la divine miséricorde. Son exemple et
ses discours furent si puissants, que plusieurs autres
voulurent l'iipiter, et à cet effet / quittèrent le rit
grec pour reprendre le leur et participer avec luy
aux divins sacrements en nostre chapelle. Le nom-
bre de ceux-cy s'accrut tellement, et leur dévotion
fut si grande que , pour les contenter, il fallut, Tan
1631, leur dresser une congrégation séparée de
celle des marchands, à qui plusieurs autres grecs
s'étant joints, ils rendoient tous ensemble leurs de-
voirs à la Reine du Ciel:
Les mémoires de cette congrégation des artisans
portent qu'un d'entre eux , accablé de pauvreté, fut
contraint de se faire sçrviteur d'une infidelle, mais
que sa vertu rendit bientost maistre du cœur de
celle qu'il servoit , laquelle luy porta tant d'affec-
tion , qu'outre qu'elle laissoit tout en sa disposition ,
elle ne l'empeschoit pas de rendre à Dieu et à sa
sainte Mère ses humbles devoirs ^ et de fréquenter
tous les dimanches la Congrégation , ce qui . luy
acquit tant de grâces du Ciel, qu'il eut la force de
résister aux puissantes attaques que sa maîtiesse
livroit continuellement à sa pudicité, laquelle ren-
contra en luy une vertu de Joseph; car ce bon con-
gréganiste , se voyant un jour puissamment pressé,
pour se déUvrer de ses importunités, ne luy laissa
— Î18 —
pas seulement son manteau, mais tout son petit
meuble, et s'enfuit plus joyeux d'avoir conservé sa
vii^nité, que triste d'avoir perdu toutes ses bardes.
Un autre jeune bomme , de Tisle de Tine et de
la mesme congrégation , fut enlevé par force et fut
conduictàvingt lieues de Smyrne,en terre ferme, où
un infidèle ne pouvant luy faire abandonner la foy,
l'obligea à garder son troupeau. Son pauvre père,
ayant appris son malheur, se mit incontinent en
chemin , quoiqu'âgé de 63 ans, et eut la hardiesse
de redemander à ce barbare son fils ; mais pour
réponse , on ne luy donna que des bastonnades , et
au lieu de délivrer son fils , il fut lié luy mesme et
mis en prison. Dans cette extrême misère, il eut
recours à la Mère de miséricorde ^ laquelle luy
fournit bientost les moyens de sortir de ses liens et
d'enlever son fils secrettement ; et pour comble de
faveur, luy donna la force de marcher jour et nuict,
jusqu'à ce qu'il fut arrivé avec son fils à Smyrne ,
où incontinent ils vinrent remercier leur libéra-
trice ; et après s'estre confessés et communies en
action de grâce, pour témoignage de leur reco-
gnoissance envers la sainte Vierge , ils offrirent
deux petits cierges pour brusler en son honneur.
Je pourrois raconter plusieurs semblables faveurs
que ces bons congréganistes ont reçues de Dieu
par l'entremise de nostre commune médiatrice.
— 213 —
Mais , comme tous ]es jours on entend tant de mer-
veilles que cette Mère de bonté opère en considé-
ration de ses serviteurs^ laissons ces artisans, pour
parler de Messieurs les marchands françois, qui se
portent avec tant d'afifection au service de cette
grande Impératrice , qu'on peut dire qu'aucun
d'entr'eux ne cède en rien au plus fervent congre*-
ganistede France. Le R. P. Jacques d'Anjou ^ qui a
gouverné fort longtemps avec grande édification et
profit cette congrégation , m'en a raconté autrefois
des merveilles ; mais comme sqn humilité ne nous
a laissé aucun mémoire , nous rapporterons ce
qu'en a écrit, par ordre des supérieurs , le R. Père
Charles Boilesve au R. P. Nicolas de sainte Gene-
viefve , supérieur de toutes les missions de la Grèce
de la Compagnie de Jésus.
Mon Révérend Père,
Pax Christi.
C'est pour obéit* aux ordres de votre Révérence
que de cette lettre je feray une petite relation et luy
raconteray briefvement l'état présent de nostre mis-
sion. Nostre résidence, pour le temporel jusqu'à
présent, a été une des plus pauvres, et pour les
emplois une des plus riches , y ayant en cette grande
ville de quoy occuper plusieurs missionnaires bien
zélés et bien versés, es langues grecque, arménienne,
— 214 —
turquesque, italienne et provençale. Nostre congré-
gation , par la grâce de Dieu et par la.coopération
de Messieurs nos congréganistes, est une de& plus
florissantes , sous le titre de l'Immaculée Concep-
tion y que nous ayons au Levant ; tous nos mar-
chands firançois, à la réserve de quatre ou cinq,
tiennent à gloire et à honneur d'y rendre leurs
devoirs à la Mère de Dieu. Ils s'y assemblent pour
cela tous les dimanches au matin , et après quel-
ques prières, on leur fait une exhortation. Ils ont
de coustume de s'y confesser et communier tous,
chaque mois, et de réciter ensemble l'office des
morts , et aux festes principales l'office de la Vierge ;
mais ce qui est de plus à estimer, ces Messieurs sont
de bon exemple et font paroistre beaucoup de vertus,
la jeunesse y donnant de grandes preuves de mo-
destie et de chasteté, et les plus advancés en âge , de
prudence et de probité*
C'est un proverbe ordinaire à Smyrne, parmi les
françois , quand quelqu'un d'eux vient à manquer :
« Quoy ! vous êtes de la congrégation de Notre-Dame
et vous faites ceU? » ce qui monstre l'estime qu'on
fait de leur Compagnie. Aussy faut-il avouer qu'on
a sujet de les estimer, et que leur vie sans reproche
mérite beaucoup de louanges : pourquoy je con-
fesse quej'ay une- consolation très-sensible , quand
je vois que. Dieu est tant glorifié , et la sainte Vierge
»— 215 —
tant honorée dans un pays, où l'infidélité règne et
que le schisme et l'hérésie ont tant désolé. Quand
je pense à la grâce que Dieu nous fait de vbuloir
se servir de nous pour la conduite de ces bons con-
gréganistes , je ne puis que je ne bénisse mille fois
son saint nom et que je ne le remercie de tout mon
cœur. En effet , qui ne se réjouiroit en voyant que j
dans cette viHe où le vice marchoit teste levée , et
où il y avoit quasi autant d'esclaves de sataii qu'il
y avoit d'habitans, à présent la. vertu et k piété
y régnent et y triomphent; à peine trouvoit*on un
marchand qui n'eust sa concubine ; l'avarice trou-
voit lieu partout , et la religion avoit fort à souffrir.
Maintenant que la piété s'est emparée de leurs cœurs,
elle a banni l'impudicité de leurs lits, la gourman-
dise de leurs tables et la fourberie de leur négoce.
Nous trouvons plusieurs de ces marchands qui ont
la conscience si tendre qu'ils ne peuvent supporter
aucune offense, et si, par fragilité, ils en commet-
tent quelques-unes , ils ont incontinent recours à
nos Pères pour en recevoir le pardon, sans vouloir
différer jusqu'au dimanche.
Un jour, un de ces marchands me disoit qu'il
aimeroit mieux avoir trente coups de poignard au
cœur qu'un péché mortel à l'âme; aussi sa vie ne
dément point ses paroles; il jeusne trois fois toutes
— 216 —
les sepmaineSy et donne aux pauvres un pour cent
du gain qull fait.
Deux de ces Messieurs ont conçu cette année de
si grandes résolutions de se vaincre et de se corriger
de leurs récidives , qu'un d'eux , retombant au
péché, donnoit aux pauvres un quart d'écu pour
chaque rechute ; l'autre fit vœu, de luy mesme, de*
donner aux pauvres autant d'écus et de jeusner
autant de fois qu'il retomberoit dans son péché; je
l'ay* vu, dans la pratique de cette résolution, pour
un coup, donner cinq écus aux pauvres^ Tel exem*
pie à la vérité est digne d'estre imité; mais celuy
qu'a donné icy un jeune homme mérite plus de
louanges.
Il fut sollicité par trois fois d'une jeune fille de
son âge à consentir à son mauvais désir, et par
trois fois , il a fait paroistre autant de vertu qu'en
fit paroistre une fois le chaste Joseph.
On sçait que les méchants livres et les tableaux
servent d'allumettes au feu d'impudicité; icy plu-
sieurs , pour n'estre brûlés à ce pernicieux feu ,
nous ont apporté leurs livres sales, que nous avons
fait passer par un autre feu ; nous avons aussy fait
oster plusieurs tableaux viUains des lieux où il y
avoit longtemps qu'ils étoient posés. Mais ce qui me
plust le plus fut le zèle d'un congréganiste , qui
— 217 —
ayant appris qu'on avoit apporté de livourne un
tableau fort saie et capable de tuer plus d'âmes que
le basilic ne fait mourir de corps par ses regards ,
il s'enquit combien il se vendoit, et son confesseur
luy répliqua qu'on pouvoit Tavoir pour dix écus;
incontinent il les luy donna, disant : « Allez, mon
Père, faites acheter ce vilain tableau et faites-en un
sacrifice à la Mère de toute pureté. » Ce qui s'exé-
cuta ; car il fut bruslé, quoyqu'un marchand an-
glois en offrit cinquante écus : l'offense de Dieu
étoit bien plus à craindre, avec la ruine des âmes,
que cette somme à souhaitter.
Les aumosnes et les grandes charités, que ces bons
serviteurs de la sainte Vierge font pour rache^iter
des esclaves des mains des infidelles, sont d'autant
plus louables, qu'ordinairement le trafic rend les
personnes de cette {profession plus attachées au
lucre J cependant il ne s'y passe presqu'aucune
sepmaine quç quelque pauvre esclave ne ressente
les effets de leur libéralité. On leur vient dire souvent
qu'un infidelle ne tient plus qu'à* trente écus, qu'un
autre n'a plus besoin que de vingt écus pour obtenir
sa liberté , qu'il a déjà 4;rouvé cent ou deux cents
écus; cela touche, ces cœurs bien faits, et tous
veulent avoir part à leur délivrance. De mon tempS,
plus de cent esclaves ont recouvré par ces moyens
leur lib^é. Il y en a qui, non contens de contri-
— 248 —
buer avec les autres ^ veulent «euls avoir le mérile.
On ramassa de ces Messieurs deux cents écus, pour
délivrer une jeune demoiselle Candiotte du danger
où elle était de perdre ; avec son honneur et sa li-
berté, le don precieqx de lafoy. Mais leur charité
éclate particulièrement, quand il s'agit, non de
l'esclavage du corps, mais de l'âme, et qu'ils voyent
que quelque pauvre misérable ^veut se repentir
d'avoir faussé la foy de Jésus-Christ. Car pour
lors , ils monstrent qu'ils entendent aussy bien le
négoce du Ciel que celuy de la terre. U m^e souvient
d'avoir entendu dire à ces bons marchands qu'ils
aimoient mieux avoir manqué à gaigner six mille
écusi., que d'avoir manqué à faire une bonne œuvre
dé cette nature, quand Dieu leur. en donne l'occa-
sion et le moyen. Mais si ces Messieurs se monstrent
libéraux à donner, Dieu aussy n'est pas moins libé-
ral à les récompenser et à les préserver. De quoy
nous avons une infinité de preuves; en voicy quel-
ques-unes.
La dernière fois que Capitan-Basdia arriva en
cette ville. Dieu conserva merveilleusement un de
ces marchands de nostre Congrégation , âgé de soi-
xante ans et d'une apparence fort vénérable. Un
soldat turc , de qui il ne se donnoit point de garde ,
passant auprès de luy , luy déchargea un grand
coup sur la teste , et à mesme temps tirangpn gan-
— 219 —
geare ou couteau large de trois doigts, et le hxj
porta de toute sa force dans la mamelle gauche ,
on croyoit qu*il l'avoit tué , mais par une merveille
extraordinaire, il ne le blessa, non plus que s^il eust
rencontré un corps de cuirasse; grâce de laquelle
il se sentit si obligé , que le lendemain il vint remer-
cier Dieu en nostre église, et en action de grâce ,
reçut la sainte Eucharistie.
Deux autres marchands françois, qui, le jour de
la Visitation, avoient été admis en la congrégation,
éprouvèrent bientost les effects de la protection
particulière de la sainte Viei^e. L'un ayant dé-
chargé son pistolet plein de balles , le pistolet creva
et les pièces sautèrent ça et là, devant luy et à dos,
jusqu'à deux ou trois pas,*et le manche luy demeura
entre les mains, sans aucune blessure; Taiitre ayant
reçu fortuitement un coup de pistolet chargé de
plusieurs balles dans la teste, les balles luy entrèrent
dans la mâchoire droite , sans luy faire autre mal
qu'un peu de peur et de douleur, quand il luy
fallut faire sortir les balles. "
Un autre marchand n'avoit icy qu'un fils avec
luy, lequel s'estant dérobé de sa maison pour quel-
que petit déplaisir, le laissa dans une grande frayeur
et appréhension , qu'il ne se fut retiré en la maison
de quelqu'infidèle , pour embrasser leur religion ,
selon la coustume de la jeunesse du pays , quand
— 220 —
elle a reçu quelque chastiment des parents. Après
plusieurs vaines recherohes et plusieurs enquestes
inutiles, ce bon homme, tout désolé et à demy mort,
se jetta à genoux devant Tirnage de Notre-Dame,
qu'il avoit ep sa chambre , luy tenant ce langage
avec beaucoup de larmes : « Sainte mère de Dieu ^
rends moy mon fils. » Ce qu'il répéta plusieurs
fois, entrecoupant cette courte prière de sanglots et
de soupirs, laquelle fut si puissante , qu'elle
gaigna le cœur de la sainte Vierge y laquelle ne
put le laisser long temps dans cet angoisse, d'au-
tant qu'à peine fut-il sorty de son logis , pour
apprendre quelque nouvelle de son fils, qu'on l'a-
vertit du lieu où il estoit, et comme Dieu luy avoit
donné le courage de maintenir sa foy contre plusieurs
attaques, qu'on luy fit de changer de religion. Cette
nouvelle le réjouit autant que le retour de l'enfant
prodigue en la maison de son père, et il le reçut
avec autant d'amitié. Mais comment cette Mère de
bonténes'iatéresseroit-elle pas pour conserver la vie
et les enfants de ses chers serviteurs , vu que son
soin s'étend jusqu'à leur négoce , et à faire arriver
à bon port leurs marchandises. C'est de quqy la
bénissent tous les jours ces bons marchands , qui
souvent ont fait réflexion qu'ordinairement aux
festes de la sainte Vierge, ou pendant leurs octaves,
ils reçoivent quelque bonne nouvelle pour leur
— 221 —
commerce ; tellement qu'il n'y a pas longtemps qu'un
de nos congréganistes osa bien gager contre un
autre qui n'en est pas, que devant le dixième de
septembre arriveroient des vaisseaux à Smyrne, et
et il ne fut pas trompé de son espérance ; car le jour
de la Nativité de la sainte Vierge, qui est le 8 sep-
tembre , et les autres jours dans l'octave , onze
vaisseaux jettèrent Tanchre dans nostre port , à
sçavoir un françois et bien d'autres, flamans ou an-
glois. Ainsy la naissance de la sainte Vierge fut la
naissance de grande joye dans toutes les nations
qui demeurent dans cette ville.
Je veux finir ce discours touchant nos congré-
ganistes, par la grâce extraordinaire que reçut, l'an *
1654, celuy qui, pour sa vertu, et son mérite, avoit
étéchoisy président de nostre congrégation. Il fut
travaillé fort longtemps de la gravelle, avec des
douleurs qu'on peut mieux s'imaginer qu'exprimer.
Un jour comme je le fus visiter, je l'exhortay douce-
ment à se conformera la divine volonté, et à souffrir
son mal aveé patience, et puis je luy représentay le
grand pouvoir que Dieu a donné a nostre fonda-
teur, saint Ignace, sur cette sorte de maladie; luy qui
nemanquoit point de dévotion pour ce grand saint,
commença à l'invoquer avec une telle confiance et
avec des prières si tendres, que j'eus toute espé-
rance, que Dieu exauceroit sa demande. Il fit un petit
-• 222 —
vœa à l'honneur de saint Ignace , et moy je luy pro-
mis de luy envoyer au plustost ses saintes reliques.
Chose mervdlleuse ! il ne fust pas sitost sorti de sa
chambre y qu'il rendit deux pierres , qui lui avoient
causé tant de douleurs; de sorte que son dômes*
tique, qui étoit venu avec moy, pour luy porter les
saintes rehques, quand il fut de retour, le trouva
tout joyeux, et les yeux baignés de larmes, bénis-
sant mille fois Dieu, et louant hautement saint
Ignace, dans la croyance qu'il avoit, que^ par son
intercession et seulement à Finvocation de son
nom, sans vouloir attendre l'application de ses
saintes reliques, il avoit reçu cette insigne faveur.
Le soin que nous avons de servir nos congréga-
nistes, n'empesche pas que nostre maison ne soit
ouverte à tous les autres, et que nous ne taschions
d'assister tout le monde, aussy bien les petits que
les grands. Nous tenons, les jours ouvriers, l'école
pour l'instruction des petits grecs et latins, quoi-
que plusieurs estiment que cette occupation est
trop basse pour des personnes qui sont capables de
faire davantage, toutesfois nous ne croyons pas
qu'elle soit à méprisear, vu les granda biens qui en
proviennent, et que rien ne doit sembler estre bas
à ceux qui aiment l'humilité. Je dirois volontiers à
ceux qui sont persuadés qu'il y a beaucoup de
peine dans ce bas employ, ce que disoit autrefois
— 223 —
saint Bernard : « Crucem vident , unctdonem non
vident. » Il n'appartient qu'à Dieu de rendre (r^is-
douces les choses les plus amères. Computrescil
jugwn a façie olei. Comme nous partageons le
travail de Técole entré nous deux, quand Tun
est occupé au logis, l'autre va dehors/ tantost
pour visiter les malades, tantost pour accorder les
différends , soit jen matière de foy , soit en autre
sujet, ou bien pour vacquer à quelqu'autre bonne
œuvre.
Les dimanches, le P. Vabois, sur qui je me déchar-
geay du soin de la congrégation, aussitost qu'il fut
arrivé, a de quoy s'occuper le matin à entendre les
confessions , à faire exhortation , et Taprès-dîner ,
à aller catéchiser les mariniers dans leurs vaisseaux,
pendant que je fais le catéchisme aux grecs, où par-
fois les turcs viennent nous entendre par curiosité,
et nous n'oserions les congédier. Le P. Vabois se
porte d'aifection à instruire les mariniers ; aussy
voyons-nous que Dieu donne une grande bénédic-
tion, à son travail, et que, non-seulement les ma-
telots, mais les capitaines et officiers des vaisseaux
désirent l'entendre, et qu'ils s'assemblent à cet effet
au son de la cloche. Il faudroit un long discours
pour expliquer la gloire que Dieu reçoit de ces
catéchismes, non seulement par la cognoissance
que les auditeurs acquièrent de ses divines per-
fections, mais par les notables conversions qui s*en
suivent.
Plusieurs de ces gens de mer avoient demeuré les
six à sept et quelquefois les douze ans, sans se con-
fesser, qui, touchés de douleur de leurs fautes par
la déclaration qui s'est faite de leur griéveté et des
punitions qu'elles méritent, sont venus en demander
le pardon. Je crois que le P, Vabois et moy, avons
entendu, cette année, plus de quatorze mille con-
fessions, en nostre chapelle, desquelles une partie
étoient générales.
Durant le caresme, nous avons coustume de
prescher trois fois la semaine, et tous les jours,
pendant Toctave du Saint Sacrement. Nostre cha-
pelle est trop petite, quoique nous l'eussions agran-
die de beaucoup, pour recevoir tous ceux qui
désirent nous entendre, et nous avons cette obliga-
tion à M. le consul, qui souvent nous honore de sa
présence, et vient nous entendre avec beaucotq) de
démonstration de piété et de dévotion.
L'an passé, à Pasques, un jeune écossois fit abju-
ration de son hérésie en nostre église , et le jour de
la Pentecoste, nous rebaptizasmes sous condition
un hoUandois qui doutoit s'il avoit reçu jamais le
baptesme, sa mère, qui étoit anabaptiste, luy ayant
dit plusieurs fois , que, quand il auroit l'âge de
vingt ans, elle le feroit baptiser.
_ 225 —
Depuis son baptesme, il a paru tout autre, et donne
tous les jours des preuves de la grâce qu'il -a reçue.
Un autre hollandois , atant que de mourir , a
demandé de recevoir le Saint-Sacrement, et a été
enterré honorablement.
Deux choses particulières obligent les dhrestiens
^a vivre sagement; la première, les tremblements de
terre auxquels cette ville est sujette, et qu'on dit
avoir esté ruinée *par sept fois; de telles émotions,
il me souvient que Fan 1 654 , depuis la Pentecoste,
qui fut le 24 de may , jusqu'au 25 de juin, il y eut
plus de trentetremblements très-notables; plusieurs
tours, des mosquées en sont tombées, et plusieurs
maisons, par la ruine desquelles plusieurs turcs ont
été tués. Nous en fusmes quittes à meilleur marché,
seulement les livres de nostre Bibliothèque furent
renversés.
La seconde chose qui les oblige tous à se pré-
parer à la mort et à penser à leur salut, ce sont les
maladies contagieuses, qui ont si souvent dépeuplé
cette ville : plusieurs de nos Pères se sont autrefois
exposés, pour servir icy les pestiférés, et on se
souvient encore icy de la grande charité que nos
Pères, et entre autres, les PP. Jacques de Georges
et François Albert, firent paroistre au temps de la
contagion, administtant, avec grand courage et réso-
lution, les sacrements aux moribonds; nous espérons
■— M6 •—
que Dieu nous donnera les forces de les imiter,
si la nécessité le requiert. Cependant nous prions
très-humblement Votre Bévérence et tous ceux qui
liront cette lettre de supplier la divine bonté de
vouloir conserver cette ville .et en bannir l'infidélité
et le schisme, rhérésie et le vice, afin que son saint
nom y soit constamment adoré *de tous, et ses saints
commandements gardés inviolahlement.
De Smyrne, le 24* Apvril 1657.
De votre Révérence, serviteur trèsrhumble et très-
obéissant^
Charles Boilesve.
Après le récit de cette lettre mémorable, je ne
puis pas mieux terminer ce chapitre , que par le
narré de la mort glorieuse d'un nouveau martyr de
la pudicité, lequel n'a pas moins honoré l'Église
latine, en versant constamment son sang^ pour la
défense de cette noble vertu, que le généreux
Nicolas Caseti avoit honoré l'ËgUse grecque , en
moucsint pour la confession de la foy^ qu'il avoit
par deux fois reniée. Il est donc à sçavoir qu'un
jeune homme, natif de Tisle de Scio, nommé Fran-
çois de Marchi y âgé seulement de vingt ans , étant
passé de son pays à Smyrne , fut fort sollicité par
deux infidèles à consentir à leurs infâmes désirs;
— 227 —
mais., comme dés son bas âge, il avoit toujours
vescu dans une grande innocence , et qu'il faisoit
profession publique d'estre fidèle serviteur de la
sainte Vierge , et d'aimer ce qu'elle e^ tant prisé ,
jamais il ne voulut écouter les demandes impudiques
de ces infâmes , lesquels se voyant honteusement
éconduitSy changèrent leur amour en rage, et,
tirant leurs grands couteaux, luy en donnèrent
trois coups dans le ventre. François reçut ces cottps,
comme des coups de grâce , et trop heureux de
témoigner à Dieu la fidélité qu'il avoit pour ses saints
commandements , et l'amour quH portoità la chas-
teté, il rendit à Dieu son âme glorieuse, le 9* jour
de décembre i 657.
Je ne doute pas que les célestes intelligences et
tous les bienheureux n'ayent célébré son triomphe
dans le ciel, et que plusieurs amateurs de la virgi-
nité icy bas ne luy donnent encore mille louanges.
C'est pourquoy , pour ne point amoindrir sa gloire
par la bassesse de mon style, je passe sous silence
les beaux éloges que mérite sa vertu, afin de satis-
faire au plus tost la sainte curiosité de plusieurs per-
sonnes dévotes, qui désirent apprendre quelques
particularités d'un autre célèbre martyre de vingt-
trois mahométans , qui souffrirent courageusement
la mort pour la confession dé la foy divine de Jésus-
Christ, et pour la vérité de son saint évangile, l'an
— 228 —
1649, en la ville de Thyatyre, éloignée de Smyroe
environ huit lieues. C'est pourquoy, le R. Père Fran-
çois Lucas, qui pour lors avoit soin de nostre rési-
dence de Smyrnë, ne pouvoit ignorer comme le
tout se passa. Voicy ce qu'il en écrivit :
CHAPITRE VI ET DERNIER.
L'illustre martyre de vingt-trois turcs à Thyatyre,
ville autrefois si fameuse , et de laquelle saint Jean
fait une si noble mention dans son Apocalypse, est
encore une des plils peuplées de TAsie-Mineure.
Car on tient qu'il y a plus de 200,000 personnes,
jaçoit que la peste, Tan 1 656, en eust emporté plus
de 50,000. Dieu, de nos temps, a choisy cette ville
pour estre le théâtre de vingt-trois athlètes de Jésus-
Christ, qu'il vouloit couronner d'une gloire immor-
telle , après des combats d'autant plus admirables,
qu'ils étoient moins à espérer de cette sorte de per-
sonnes. En voicy le sujet.
Il y avoit en cette, ville un Cheic ou docteur de la
loi de Mahomet, qui, pour avoir une grande intelli-
gence de cette loy , s'étoit acquis parmy les siens beau-
coup de crédit, et plusieurs tenoient à honneur de se
dire ses disciples, tellement qu'il avoit en son école
plus de 1 50 jeunes hommes, de l'âge de vingt-cinq
à trente ans qui tous étudioient, pour se rendre
capables d'adminislrer la justice, et estre un jour
Gadis. Ce Cheic, qui avoit vieilli en la lecture de son
alcoran et remarqué que son prophète ne réprouvoit
pas le Nouveau Testament, qu'au contraire il avquoit
que Dieu avoit parlé par Jésus-Christ, et par Moïse,
eut la curiosité de voir ce qui estoit couché dans
les saints Évangiles , et par une Providence toute
particulière, fit rencontre d'un Noliveau Testament
traduit en arabe.
Il ne Tevit paslongtemps cedivin livre, sans recevoir
les lumières du ciel et sans découvrir les véritéschres-
tiennes, lesquelles eurent tant de pouvoir sur. son
esprit, qu'elles Tobligèrent à condaqiner tout ce qui
leur étoit contraire et à embrasser tout ce qu'elles com-
mandoient de faire. C'est naerveille que cet homme,
touché de la sorte, ne. chercha point de s'informer
jdus particulièrement de la bonté de nostre foy , et
n'eut aucune communication avec aucun chrestien,
au moins à ce que Ton sçache, pour sipprendre tous
nos mystères. Il ne put pas néanmoins qu'il ne fit
part de ces lumières, qu'il avoit reçues du ciel à
plusieurs de ses disciples, nommément à ceux qu'il
Gonnoissoit estre plus capables de concevoir ces
vérités et devoir estre fidèles à garder le secret.. Il
réussit si bien par ses discpurs, qu'avec l'assistance
du saint Esprit , il persuada à ces jeunes gens qu'il
n'y avoit point de salut, hors la loy de Jé^ufr-Christ,
— 230 —
^ui de fila de Dieu s'étoit fait hoiflme , et étoit mort
pour le salut des hommes , et par ^ résurrection
avoît triomphé de là mort et de Tenfer, et étoit pour
régner à jamais dans le ciel. Ces jeunes gens gardè-
rent fort: longtemps le secret et souvent s'assem-
bloient pour conférer de la grande affaire de leur
salut, avec leur maistre. Mais, comme il est difficile
de cacher longtemps un feu, sans qu'il ne' se décou-
vre luy-mesme, aussy ces jeunes écoliers ne purent
si bien dissimuler la foy qu'ils avoitot «u cœur,
qu'elle ne parust quelquefois sur leurs lèyres, et
dâhs leurs discours avec leurs compagnons; les
par^ts mesme , voyant un si notable changement
dans leurs enfants^ désirèrent en sçavoir la cause.
La ôhèse alla si avant, que les gens de justice, qui
sont fort vigilants en ce poinct, en eurent quelque
connoissance, et pour étouffer cette flamme en sa
naissance , ils se saisirent de la personne du Cheic.
D'abord ils taschèrent de le gagner par douceur ,
ne ^ulant pas perdre tin homme de cette qualité ;
ûs hiy remonstrèrent l'estime qu'ils faîsoient de luy,
en luy confiant la phis florissante jeunesse du pays,
et luy promirentd'augmenter ses gages et de l'élever
aux premières dignités, s'il vouloit détromper ceux
qu'il avoit abusés ; qu'il sçavoit assez l'importance
de l'affaire et la rigueur de leur loy pour la punition
de telles fautes.
— 2ai —
Us croyoient elli avoir assez dit pour le .remettre
en son devoir et l'obliger à se dédire ; mais ils fu-
rent fort étonnés , quand il leur repartit , aveo un
maintien grave et sans cl^nger de couleur , qu'il
n'étoit pas en un âge où il pust trahir sa conscience^
en une affaire si importante , où il n'y alloit^rien
moins que de son salut ^.et^ que tout ce qu'il avoit
enseigné touchant les vérités de la loy de Jésus-
Christ étoit trop assuré pour s'en pouvoir dédira.
Le Cadi , surpris de cette respons^ et jugeant qu'il
falloit l'intimider par l'horreur des wpplices, luy
dit tout en colère , qu'il eust à penser à soy , qu'il
falloit qu'il choisît de deux l'un, ou de se dédire, oii
de mourir d'une mort très-cruelle. Ge vénérable
vieillard y alors piqué d'un saint zèle de faire parois-
tre devant tous l'estime qu'il faisoit de la foy qu'il
avoit reçue dii ciel, respondit au Cadi*: « Quoy !
pensez-vous que les rçues, les gibets , les feux et les
gehemies me fassent peur, et que j'appréhende d^
mourir pour la gloire éternelle de mon Dâqu et pour
la vérité de la foy de Jésus-Christ ? Sçachez que je
suis prest de mourir mille fois, sî faire sepouvoit,
pour l'amour de celuy qui est mort une Ibis pour
moy , je iiendray à honneur de signer de mon
sang la vérité que j'ay enseignée, et si vous voulez
m'écouter , je vous feray voir que je «e me trompe
pas dans mon sentiment, et que bien heurcMx soqt
— 2S2 —
ceux-là qui quittent Mahomet pour vivre en Jésus-
Christ. » A ces paroles , on luy défendit de parler
davantage , et on le chargea de tant de coups de
baston par tout le corps, qu'on lui osta le moyen de
poursuivre son discours ; mais s'il se tut , son visage
parla, et la constance qu'il fistparoistre à suppor-
ter gayement tant de coups de baston par tout le
corps, ébranla mesme ses juges, lesquels, craignant
que, s'ils continuoient à le faire tourmenter publi-
quement, le peuple, qui respectoit fort ce vieillard ,
ne se souslev^st, et que son exemple n'animast
d'autres à l'imiter, ils se résolurent, après plusieurs
consultes, de le faire étrangler en prison , et brusler
son corps en public , ce qui fust ainsy exécuté, et
cette belle âme s'envola dans le ciel , pour r^evoir
la couronne de la main de celuy qu'il avoit si géné<
reusement confessé.
Cependant on tascha d'appréhender ses écoliers ,, *
pour sçavoir d'eux de quels sentiments ils étoientel
s'ils pèrsistoient dans la créance de leur maistre^
Quelques-uns de ces écoliers s'étoient déjà retirés^
de la ville et s'estoient cachés par crainte des sup-
plices ; les autres , comme Fon^dit , s'estoient divi-
sés en plusieurs lieux 'pour publier les vérités qu'ils
avoient appris de leur maistre. On en attrapa de
ceux-cy vingt-deux, et aussitost il fut conclu qu'il
falloit les obliger à renoncer à lafoy de Jésus-Christ,
— 233 —
ou bien prendre d'eux une punition telle, qu'au-
cun n'eust plus la hardiesse de parler ou professer
une telle doctrine; ce qui porta ces juges à prendre
cette conclusion , fut rémotibn grande qui se fist
dans tout le pays, après la mort de ce Chtic, tous en
parloient diversement et la pluspart avec avantage.
Le Cadi ayant fait comparoistre devant luy ces
vingt-deux jeunes hommes, leur dit qu'absolument
ils dévoient renoncer à la mauvaise doctrine de leur
maistre, ou bien perdre la vie, et qu'ils n'avoient
pas à espérer d'estre traité comme leur docteur, mais
qu'ils expérimenteroient la rigueur des plus atroces
supplices. Oh ! que ne peut pas la grâce ! ces jeunes
gens témoignèrent de l'allégresse au nom des sup-
plices, et monstrèrent qu'ils étoientplus prests à souf-
frir, que ce juge à les tourmenter. Le Cadi , après
quelques discours, voyant qu'ils estoient tous aussy
résolus à maintenir la foy de Jésus-Christ que l'a-
voitesté leur Cheic, les livra es mains des exécuteurs
de la justice, pour les faire mourir tous cruellement.
Quelques-uns furent percés de flèches , les autres
furent empalés ; quelques-uns furent bruslés tout
vifs, et les autres furent jetés sur les gariches, qui
est un très-cruel et très-horrible tourment, d'au-
tant que ces gariches estant de grands crampons de
fer sur lesquels le patient est précipité d'en haut ,
souvent il languit longtemps suspendu à sa playe ,
avant que mourir.
— 234 —
Ainsy tous ces généreux athlètes de Jésus-Christ
finirent leur carrière glorie^use, triomphant de la
mort et des tyrans.
On dit que leurs reliques oqt, depuis leur mort ^
fait plusieurs miracles , et quelques-uns assurent
qu'un aveugle recouvra la vue en touchant un de
ces martyrs qu'on conduisoit au supplice^ Quoi
qu'il en soit , leur mort a fort étonné tous les mu^
sulmans , et a fort consolé tous les chrestiens, qui
croyent que c'est un présage de leur bonheur et
l'accomplissement de la prophétie de Marc Kyria-
copuloy ce glorieux martyr , qui mourut à Smyrne
avec autant de constance, l'an 1644, après avoir
dit hautement, qu'il étoit envoyé pour lever l'éten-
dard rouge de la croix dans ce pays, que plusieurs
le soivrcÂent , et que le temps ^oit venu auquel
Dieu avoit résolu de laver dans le sang les* taches
de ce pays.
Certainement^! est bien croyable que le ciel ne
permettra pas qu*une si bonne semence soit tombée
sur cette terre , sans produire de bons grains et des.
fruicts tels que toutes les âmes saintes désirent voir
depuis tant d'années. Dieu fasse que ce champ,
arrosé d'une si précieuse liqueur, reprenne bientost
son ancienne fécondité , et que nous voyions son
saint nom partout adoré.
SIXIÈME PARTIE.
EXTRAITS DE L'ESTAT DES MISSIONS DE GREGE ^ PRÉSENTÉ
A NOSSEIGNEURS LES ARCHEVESQUES , EVESQUES ET
DEPUTEZ DU CLERGÉ DE FRANGE EN l'ANNÉE 1695 , PAR
LE P. THOMAS GHARLES FLEURIAU , DE LA COMPAGNIE
DE JÉSUS *.
Monseigneur Tambassadeur qui favorisôit, au-
tant qu'il pouvoit, le zèle des Pères (de Constanti-
nople), vit bien qu'ils étoient en trop petit noiribre,
pour recueillir tout ce qu'ils avoient semé... Il
voulut que le Père de Canillac... fist un voyage en
France, pour y ramasser une nouvelle troupe d'ou-
vriers évangéliques. . .
Les célèbres conversions qui se firent dans les
' Près d^un demi-sîèele s'est écoulé entre la date de nos relations
inédites et celle des premières Lettres édifiantes. Pour combler
cette lacune, au moins en partie, nous empruntons à Topuscule du
P. Fleuriau, devenu très-rare, ces extraits, qui forment véritable-
ment la suite de nos manuscrits.
— 236 —
prisons des sept Tours furent encore les fruits des
travaux des missionnaires. Vingt -trois gentils-
hommes hongrois y abjurèrent Theresie luthe-
rienne, plusieurs catholiques d'une naissance dis-
tinguée y expirèrent sous les coups , n'ayant point
commis d'autres crimes que de n'avoir pas voulu
'changer de religion, d'autres y moururent con-
sommez des misères d'une longue captivité , mais
donnant des marques d'une foy très-vive et d'une
vertu très-épurée.
Un de ces plus illustres confesseurs de Jésus-
Christ, futunFrançoisde nation, natif de Thoulouze
nommé Biennés , qui commanda autrefois dans la
cavalerie sous feu monsieur le comte d'Harcourt ,
et qui fut fait esclave en Candie. Il supporta sa
prison avec une patience et i^ne résignation qui ins-
piroit l'amour de ces rares vertus aux compagnons
de sa captivité ; toute son application estoit de con-
soler les malades, et de les secourir avec une très-
tendre charité, jusqu'à leur rendre sans peine les
services les plus vils et les plus humiliants ; il mourut
entre les bras des missionnaires , après avoir reçu
tous les sacrements de l'Eglise, avec des sentiments
qui ne pouvoient sortir que d'un cœur plein de
religion, et tout animé de l'esprit de Dieu.
Cette sainte mort fut suivie d'une autre qui ne fut
pas moins précieuse devant Dieu : ce fut celle du
-^ 237 —
seigneur Marc-Antoine Delfiu , dont le nom est en-
core aiijourd'huy si vénérable dans TEtat de Venise,
par les services que ses ancestre» et que son frère
le cardinal et patriarche d*Aquilée ont rendus à
cette Republique : mais quelque rang que luy
donnent devant les hommes les titres de grandeur
qui sont rassembfez dans sa famille , il sera infini-
ment plus grand devant Dieu par les vertus héroï-
ques, qu'il pratiqua pendant vingt-deux ans d'un
très-rude esclavage, dont il en passa onze dans une
basse-fosse, souffrant, avec une patience qu'on ne
peut exprimer, la faim, la nudité et la puanteur d'un
cachot horrible, et plus que tout cela, recevant sans
se plaindre jusqu'à trois cent coups de baston, sans
que son malheureux état , plus rude cent fois que
la mort, pust tant soit peu altérer sa foy et diminuer '
le courage de ce généreux chrétien.
Après tant de mauvais traitements qui luy cau-
soientdes défaillances et des évanouissements conti-
nuels , on le tira de son cachot pour prolonger sa
vie dans le château des sept Tours, il en employa
le reste dans toutes sortes d'actions de charité et
de pieté; il mettoit la plus grande partie de l'ar-
gent qu'il recevoit de sa famille au soulagement
des malades et de ceux qui estoient abandonnez de
leurs parents; il donnoit.la plus grande partie du
jour à la prière , et ne conversoit avec les autres
— 238 —
prisonniers, que pour leur communiquer sa ferveur
et son zèle dans le service de Dieu et dans celuy
de Notre-Dame, qui estoit le plus tendre objet de ses
dévotions. Enfin ses forces estant épuisées par une
si longue et une si cruelle captivité , et par ses fré-
quentes maladies, il mourut âgé de quarante-deux
ans , après avoir reçu les derniers Sacrements de
TEglise, gardant une union parfaite avec Dieu, et
le bénissant jusqu'au dernier soupir de sa vie.
Après avoir parlé de ces grands exemples de ver-
tu , il ne faut pas oublier ceux que deux jeunes
hommes donnèrent vers ce même temps à TEglise
de Constantinople. On verra dans ces deux héros
chrétiens toute la constance et tout le courage des
premiers martyrs.
Un jeune grec âgé de vingt-huit ans, s'étant
trouvé en compagnie de plusieurs turcs , fut prié
par Tun d'eux de faire la lecture d'un papier qu'il
luy mit entre les mains. Ce papier contenoit une
formule que ces infidèles font prononcer à ceux qui
embrassent leur loy. Celui-cy la lut innocemment ,
et sans y faire reflexion. Cependant il n'eut pas
plutôt .achevé de la prononcer, que celuy qui la luy
avoit donnée pour la lire , prit les autres à témoins
que ce jeune homme venoit de déclarer qu'il se fai-
soit turc. Nôtre chrétien bien surpris eut beau faire
serment du contraire, sur le refus qu'il fit de pren*
— Î39 —
dre le' turban , ils le menèrent eh prison , où il
demeura cinquante jours , protestant quHl estoit
chrétien, et qu'il ne cesseroit jamais de l'estre.
Ils crurent que les tourmens le forceroient à par-
ler autrement , ils luy firent souffrir la faim et la
soif pendant six jours entiers , mais inutilement ; ils
le chargèrent à plusieurs reprises de rudes baston-
nades , le jeune grec demeura .toujours immobile
dans sa foy. Les turcs en furent étonnez , ils eurent
recours aux caresses, ils le tentèrent par des emplois
et des sommes d'argent qu'ils lui offrirent; enfin
ces infidèles voyant que les récompenses et les
peines estoient également sans effet sur l'esprit et
sur le cœur 4e fervent chrétien, ils luy firent tran-
cher la teste dans une place publique , oi^ il reçut
la couronne du martyre.
Quelques années après ce glorieux martyre, un
autre chrétien ennuyé de ne faire aucune fortune
dans sa province, s'itnagina que venant à Constan-
tinople, il y trouveroit un sort plus heureux , il y
trouva en effet bien des promesses qu'on ne man-
qua pas de luy faire pour l'obliger à changer de
religion , il y consentit et prit le turban ; il vécut
ainsi longtemps avec les seules espérances qu'on luy
avoit données. Mais Dieu, dont les miséricordes sont
infinies, eut pitié de ce pauvre apostat , il permit
qu^on lui fit faire de salutaires réflexions sur le
— 240 —
crime qu*ii avoUcommiSy sur le peu qu'il avoit ga-
gné pour le commettre , et sur le châtiment qu'il
avoit à craindre pendant une affreuse éternité.
Toutes ces pensées bien pénétrées luy ouvrirent
les yeux , il vit à découvert Thorreur de l'action
qu'il avoit faite ; il s'en repentit , et voulut la repa-
rer de la manière du monde la phis glorieuse : car
un de ses amis luy ayant conseillé de repasser en
Europe pour mettre sa vie el sa religion en seureté,
nôtre pénitent luy répondit qu'il se sentoit obligé
d'expier sa faute dans le lieu où il Tavoit com-
mise. Il le fit , il alla chez le Cadi témoin de son
apostaisie ; il jetta en sa présence le tutban qu'il
avoit pris, et il le foula aux pieds, déclarant qu'il
étoit chrétien.
Le juge irrité de cette hardiesse le fit mettre en
prison, où il lui fit souffrir pendant huit jours de
tres-cruels et de tres-honteux tourments , rien ne
put ébranler sa foy ; après avoir eu le malheur de
vivre apostat, il eut la gloire de mourir martyr.
Tous ces exemples des plus héroïques vertus du
christianisme font assez voir que ces terres ne sont
point si stériles qu'on le pourrbit croire en France,
et plût à Dieu que ceux qui en doutent , ou qui
affectent d'en douter, fussent témoins des heureuses
dispositions que nous y avons 'trouvées à une
abondante fertiUté / .
— 241 —
. . Nous sommes six Missionnaires daps cette .ville ^
qui elle seule en demandqroit un plus grand nom-
bre qu'il, n'y en a dans JaGrete entière. Car on y
4;ompte plus de cent mille Grecs, quarante milfe
Arméniens, autant de Juifs , environ trente mille
esclaves de différentes nations , et grande quantité
d'Europeans de toutes sortes de religions.
Notre Eglise est toujours ouverte, nous y faisons
toutes nos fonctions avec la même liberté qu'on a
dans les Eglises de France. Ifous y offrons publi-
quement le. i^int sacrifice de la Messe, nous y admi-
nistrons les Sacrements, et nous y rompons le pain
de la parole de Dieu.
X<es Festes et les Dimanches, elle uq dçtsempltt
pas, la modestie et la pieté, qu'on remarque sur le
visage de ceux qui y prient, pourvoit faire honte à
DOS Chrétiens, de France. La coutume est qu'à lafip
de chaque Messe on fait une petite instruction^ eti
différentes langues, pour l'utilitq des Chtôtiens de
différentes natiops. L'aprés-dîné le sern\on, et. les
prières pubhques et;ant finies, nous sommes tous
occupez dans des conférences particulières avec plu-
sieurs personnes qui viennent s'instruire sur des
points de religion. C'est dans ces entretiens qw
nous avons souvent la douleur d'en yoir quelques-
uns convayiçus de la fausseté dis leur secte, S9^s
oser là quitter ; tout le service que nou^ poiAvons
K. 46
— 242 —
46ur rendre, est de les détourner du Tice, et d*em-
]^her que Dieu ne soit offensé.
. La mort ndus a enlevé, il 7 a qi^Iques années, un
Missionnaire qui étoit admirable pour ces confe^
renceSf et qui y a fait des fruits inconcevables : c'es-
toit le Père de Sainte-Geneviève. Depuis son entrée
dans nôtre Compagnie il ne cessa point de daman*
der avec instance la permission de venir dans nos
Mssiops de Grèce; il ne Toblint cpïk Tâge de cin^
quante-<nnq ans, après avoir régenté pendant sept
ans la Philosophie, et pendant neuf autres la Theo-
k^[îe, et après avoir ensuite gouveimé un de nos
Collèges. La Grèce l'a possédé l'espace de vingts
huit ans, dont il en a passé vingt à Constantinople;
sa profonde érudition apmt bientôt été connue,
elle luy attira un grand nopabre de personnes de
toutes sortes de* secte* et de religion , qui venoîent
le consulter. L'humUité et la douceur avec laquelle
il répondoit, le faisoient autanit estimer que* sa capa-
cité même ; il avoit aussi^ la <:onfiance de la plus
•grande partie desfnancs et d'un gr€^nd nombre de
H^Qcs qui se mirent sous sa direction, et qpi en
tirèrent beaucoup de pn^t pour le« salut de leurs
annes.
Ayant donné tout le temps nécessaire au service
du prochain, il employoit le i<este pour les nouveaux
Mîssîoiuiâiresy eU: faveur desquels il a fait un Lexi-
^243 —
çoH en gréé vù^aire, qm lewert d'ua 'tr69<geftB4
usage pour apprendre celte langue;
Il a vécu ainsi dans la pratique des Tertu» pi\opr0s
de son état jusqu'à Tâge de quatre-vingt-quatre ans;
Notre Evéque fit la. cérémonie de ses obsèques; le»
plus qualifiez d'entre les grecs, et des cours des
Ambassadeurs de France, de Venise et de Genne^
y assistèrent, et donnèrent des^ marques publiques
de l'estime qu'ils aboient pour le mérite et la yertu
d'un Missionnaire, qui avoit tant de part aux biens
que la Mission faisoit dans Constantinople. . ,
La Congrégation dont nous avons parlé, et dont
le Pei:e de Sainte-Geneviève eut soin pendant quel-
que temps, est plus nombreuse que jamais, les
principaux de la nation Françoise se font honneur
d'en être; ils font pareillement honneur à la Cot>-
gregation par leur conduite aussi édifiante que
Pétoit celle de leurs prédécesseurs.
Comme l'instruction des enfans est de tous les
emplois^ celui que saint Ignace nous a le plus re-
commandé, parce qu'il est en effet le plus impor-
tant pour la Rehgion, un des Missionnaires est
chargé de faire tous les jo&rs le.jQatechisme matin
et i^ir. Nous venons de perdre un saint vieillard
âgé de soixante-dix ans, qui après avoir long temps
gouverné 4<9s^Missîons de Grèce, a voulu consacrer
le reste de ses jours à faite nôtre école; il s'est
— 844 —
aoqaitlé de ces emplois avec toute la £arveiir d'un
novice jusqu'au dernier soupir de sa vie. Cet an-
cien ouvrier de la' vigne du Seigneur se faisoit un
honneur, disoit-il, d'aprendre à ces ame^ innocentes
à lire ed franc, en grec et en turc; il instruisoit les
plus avancez en âge des dogmes de nôtre foy, il les
fortifioit contre le schisme et Terreur, il enseignoit
même le latin à ceux qu'il jugeoit les plus propres
pour entrer un jour dans l'état ecclésiastique, et
parvenir à ses dignitez. Nous voyons aujourd'hui,
dans plusieurs Prélats , les heureux fruits de cette
éducation.
Peftdant les temps de carême et d'^vent, nous
redoublons les instructions dans nôtre église, on y
prêche régulièrement trois fois la semaine, et sou-
vent plusieurs fois en un jour, et en diverses lan-
gues ; l'église est toujours pleine ; les prédicateurs
en sortant de chaire, sont quelquefois di>ligez d'al-
ler remonter dans celles des églises des grecs et des
arméniens, pour satisfaire le désir qu'ils ont d'en-
tendre la parole de Dieu. Ces prédications conser-
vent les orthodoxes, et en augmentent te nombre.
Jusqu'à présent nous n'avons parlé que des exer-
cices qui se font dans nôtre maison. Voici ceux qui
se pratiquent au dehors.
Comme de toutes les nations qui abondent en
cette ville, celle des grecs est la plus nombreuse,
— 2« —
nous k cultivons icy* par préférence aux autres,
qui trouvent dans leur propre pais les instructions
de nos Missionnaires» , *
Iliiaut convenir, Messeigneurs, que le schisme a
toujours icy beaucoup de force, et qu'il perd un
grand nftnibre d'ames, mais il n'est point à beau-
coup prés un ennemi si redoutable aiix Missionnai-
res, que rignorance et le vice. L'ignorance de^
grecs est si grande, que la plupart -ne connoissent ^
point d'autre différence entre leur Eglise et la nôtre^
■h
que celle qu'ils remarquent à l'extérieur, c'est à dire • ^
dans les jeûnes et dans les cérémonies qu'ils obser*
vent, et que nous n'observons pas : ils ne sçavent
ce qu'ils doivent croire, ni ce que nou^ croyons, ^
ainsi ils sont toujours exppsez à ton)ber dans autant }
d'erreurs, qu'il y a d'haretiques qui les approchent.
Leurs prêtres, bien loin de les insboiire, ont pour
la plupart besoin d'être instruits eux-mêmes. Leur
patriarche songe a se maintenir dans sa dignité, qui
est continuellement exposée à des enchères.
Les Evéques, de leur côté, ne sont occupez qu'à
amasser de quoy vivre ; {dusiews même sont cop^
traints de le chercher dans des métiers.
Pour ce. qui est du vice , comme il se commet
impunément, il fait icy de grands despr4res; nous
ne laissons pas cependant au milieu d'une Eglise
audsi désolée qu'est 0$lle dont nous parlons , de
trouver des aines choisies qiii demeuretit dans la'
pratique sainte de leur 'rit et de leurs coutumes; Il
est donc nécessaire d& soutenir la vertu deceux-cy,
de corriger lés nlœurs dé ceux-là, et de guérir cette
grossière ignorance qui infecte toute la nation.
C'est pour cet effet que deux de nos Missfonnaires
sont continuellement occupez à faire les visites dès
chrétiens, its prennent tantôt un quartier et tantôt
un autre; ils vont de boutique en boutique, ils y
amassent toute la famille avec autant de voisins
qu'il est possible, et dans ce petit auditoire ils font
une instruction familière confoi'itie aux besoins des
personnes auxquelles ils parlent. Ils se font ensuite
proposer des difficuItez,eten*proposenteux-mémeSy
ils expliquent les unes et les autres , et unissent
chaque visite en interrogeant 'les enfans sur leur
catéchisme, pour Finstriiction dés grands., aussi
bien que pour celle des petits.
' Lés mêmes Missionnaires vont -souvent rendre
leurs devoirs aux Evêques, et à leur clergé, avec
les^éls*nous entretenons une parfaite intelligence,
iâ c()nversaticin est toàjoui*s «ur quelque point de
religion ; car plusieurs né démandèirt qu'à être
•^uifs : deptfib peu nous avons eu le* botiheur de
■ ^uer à rendre qufelques«4ins d'eux de parfiiits
'bccupàtloyi dés M isaionnaires dont
coûtï^
outre cette
— 247 —
noasvenoDs^de parler , nous en avons icy une autre
beaucoup plus laborieuse, mais qui n'est pas moins
oonsolante. C'est la Mission que deux de nos Pères
font dans les bagnes du grand Seigneur, et dans
eeux de qyelques seigneurs particuliers.
Ces bagnes sont des prisons ovi les infidèles ren-*
ferment les esclaves qu'ils, achètent, ou qu'ils Ibnt
mr les chrétiens dans les guerres qu'ils ont avec
. eux. Il y en a jusqu'à trois nulle* dans ;celuy du
grand Seigneur^ tous pour la plupart moscoyites^
polonois, foux, allemands et françois : il n'est pas
possible de faire une )\;fôt% peinture de l'état déplo-
raUe de ces malheureux •
A peine iipproche-^t-on de ces vastes cachots que
l'on entend avec horreur le remuement de le^rs
chaînes, avec ie bruit des coups qu'ils reçoivent ,
et des cris que la violence du mal leur fait jetter.
A la porte de ceshorrible^ cavernes, on apperçoit
au travers d'upe obscurité que, le soleil ne perce
qu'à peine tous ces esclaves^ enchaînez: ; leurs visa*
ges paroissent baves, et leurs corps atténuez, des
fdttgues continuelles de la prison , et du travail
journalier qu'on leur impose. Ils ne vivent que de
pain et d'eau , ils n'ont point d'autre Ut que la
tare, leur corps est à demi-^nu.-, et pour *cooible
de misère, le mauvais air qu'ils respii^nt dans un
lieu si infect , lengendre une infinité de vermines ,
— 248 —
qui les tourmentent continuellement : ce qui fait
plus dé pitié , c'est que les malades ne sont pas au -
trement traitez que ceux qui se portent bien . Tout
leiir'^oulagement consiste à estre couchez sur un
peu de paille , que lés plus charitables d'entre leurf
Compagnons leur apportent.
Mais dans l'assemblage de tant de maux que
quelques-uns de ces esclaves souffrent depuis* trente
et quarante ans,' rien ne leur est plus insuportable
que la dureté des officiers commis à leur garde ;
on auroit en France plus de compassion d*une bête,
que ces hommes impitoyables n'en ont pour ces
captifs ; jamais ils ne leur parlent que le bâton à la
main et les injures dans la bouche , une légère
faute est punie par de si rudes châtiment que la
patience échapant à quelques-uns , nous les avons
veu prests à se désespérer;
C'est daVis ces bagnes que nos Missionnaires
trouveiit une tres«-riche moisson. Comme la liberté
de vivre et de mourir en chrétien est le seul bien
qui reste à ces pauvres esclaves , tîos Missionnaires
les aident à en faire un bon usage, comme de ceJêy
qui leur doit être le plus précieux.
Toutes les fêtes et dimanches deux de nos Pères
se rendent de' très-grand matin dans ces prisons
pour les faire prier Dieu , leur dire k*sainte Messe^
et les instruire avant qu'ils aillent au travail ; étant
— Î45 —
partis, les Pères demeurent auprès des malades pour
leur faire entendre la Messe , les consolet^ dans leurs
maux , les soulager dans leurs misères extrêmes et
leur rendre tous les petits services dont ils sont
capables .
Le soir, au retour du travail, les Pères retournent
aux bagnes pour entretenir plus à loisir ceux dont
il faut affermir la foy, ou changer la religion , cor-
riger les vices et prévenir le desespoir, en les aidant
à porter avec patience un joug si insuportable.
Cetemploy, quelquefois si rebutant, devient doux
par les fruits dont on est témoin ; car c'est dans ce
lieu que Dieu prend plaisir à découvrir les richesses
infinies de sa bonté , qui attend le pécheur à peni*
tence. Nous y voyons souvent de ces hommes qui,
après avoir vieilli dans toutes sortes de crimes ,
toujours insensibles à leur salut et endurcis dans \e
mal, reconnoissent enfin la main d'un Dieu qui s'est
apesantie sur eux, rentrent dans eux«m^es et
reviennent à luy, comme le demande S. Paul , avec
un cœur pur, des intentions ^droites , et une foy
sincère. Nous en voyons d'autres, qui ne sont totn-
bez dans cet esclavage que par un coup du CieV,
qui les a voulu retirer de l'heresie où ils ètoient nez.
Un de nos Missionnaires trez-zelé pour le salut
de ces galériens^ a eu le bonheur, par le moyen de
la langue allemande qli'il sçait parfaitement bien ,
— Î80 —
de convertir dapms peu plusîeorft^ luthmens et caU
vinistes, et entr'autres deux capitaine» Vénitiens.
Mais pour mieux coimoitre les benedicti<ms que
Dieu veysesur cette Mission^ il Êiodroit voir, comnie
nous, la multitude des confessions dont nous som*»
mes a€cd[>lez pendant les nuits eatiéiies des veilles
des grandes fêles que nous passons dans les {uitons
avec c^ pauvres gens; il fabdroit vmr la douleur
de leur pénitence , la ferveur de leurs prises , leur
soif , pour ainsi dire , de la parole de Dieu ; il fau*
droit encore vqir, avec quelle patience et qudle
eonfbrtnité à la volonté divine, quelquesfuns d'eux,
d'une vie tres^innocente, suportent la pesanteur de
leurs chaînes , dont i^ se delivr^rpient aisément en
renonçait à leur- religion. £nfin il faudroit étipe
spectateurs, comme nous, dek prétieuse mort 4e
eertaiûs esclaves, qui ne montrant au dehors qu'un
extérieur grossier, font voir au dedans une verbi
ang^ique; il faudroit entendre les sentimens qui
partent de leur cœur; il feudroit voir leur foy, leur
rdigion, leur patience, leur contrition,* leur con-
fiance en Dieu, et leur joye de. mourir dans les fers,
d'où BOUS les voyons sortir pour aller, prendrt
possession du Ciel . • . . .
Le zèle que feu mobsieur Girardin, ambassadeur
du Roy, a toujours eu pour la religion, luy avott
fait entreprendre l'étaUissement d'une Mission fixe
— 98i —
dans (la) vHle (d'ÂndrinopIe), qui est aujourd-bay h
demeure ordiûaîre du grand Seigneur* Le vice et l'er*
reur quiy regnoient , jointsàTabandon où estaient
un grand nombre d'esclaves de toutes les nations de
l'Europe, qui viv<nent sbn3 instruction ^ et qui n^ou"
roient sans secours, forent pour luy un puissant tbo^
tif d'y étftbbf des .Missionnaîrea. Mais la mort ayant
prévenu Tèxécution de ses desseins y monsieur de
Caslagniere, marquis de Qiâteau^neuf, son succes-
seur, voulut acbever ce que son prédécesseur avoit
commencé.
Les prenners Missionnaires qu'il établit dans cette
ville y travaillèrent avejC beaucoup de succès.; deux
d'entre-eax ymouruinent dans l'exercice de la cha-
rité, dont l'un lut le Père Pierre Bernard, qui -a
rendu de très-grands services à la religion dans la
iSrece. C'étoît un homme à qqi Dieu avoit 4ooné
des talens, qui luy auroient fait heat^coup d'h^o^
neur en Fiâhce , s'il y fôtdemieuré. Son espnt étm%
excellent, surtout fertile à trouver des expédiens
sages , pour procurer la gloire: de Dieni et le salpt
des peuple»*, auprès desquels 41 tra^aiUoit Son
naturel étoit doux. et insinuant, ses paroles étoient
persuasives ; il préchoit en turc , en arménien , en
grec , en italien , et avoit même acquis toute la der
licatesse de ceslangaes. Lorsqu'il montoit en diaire^
— «î —
il étoit toujours extraordinairemént suivi ; d'ailleurs
ses sermôhs étant tres-instructifs et pleins d'onction,
ils faisoient de grands fruits.
Pendant dix ans qu'il a été à Constantinople , il
a pris le soin des bagnes , dont nous avons parlé ;
il y passoit souvent les jours et les nuits. Sa pré-
sence étant ensuite devenue nécessaire à Andrino-
ple, il y alla, et y demeura par obéissance, sans
avoir jamais voulu représenter à ses supérieurs que
l'air de cette ville luy étoit contraire. Il ne laissa
pas, malgré sa mauvaise santé, de travailler conti-
nuellement à l'instruction des grecs et des arme-
nieiis de cette ville ; particulièrement dans un temps
de peste, où après les avoir assistez , il fut attaiqué
du même mal et en mourut. Il fut regretté uni-
versellement de tout le monde et des turcs mêmes,
qui l'aimoient et qui Testimoient; mais sur tout
des arméniens, dont plusieurs luy dévoient lé
bonheur d'être rentrez dans la véritable Eglise.
Si46t que la nouvelle de sa mort eut été répan-
due , ils vinrent en foule chez nous pleurant et
gémissant : leur Evéque voulut faire les obsèques ,
qui durèrent depuis huit heures du matin jusqu'à
trois heures après midy. Les prêtres arméniens al-
lèrent faire de longues prières sur son tcHnbeau
pendant sept jours de suite : mais rien ne fera
— 853:-
mieux voir les sentiments de c€|jtte nation pour le
Père Bernard qUie la lettre, qu'elle nous écrivit à
CoDstantinpple et dont vc^cy.les termes.
« .Dieu mit béni de ce qu'il, a frapé.. notre tête , et
« de ce qu'il nous a laissé sans yeu^ et sans lur
« miére : nous n'avions qu^iMi Pasteur, et il a pieu
« à Dieu de nous l'enleyer, nous n'aviona qu'un
« vigneron et nous l'avons perdu ; nous sommes
fl des orphelins abandonnez à la fureur ^s hçretir
« ques , contre lesquels nôtre Ange , et nôtre ^Apo^
« tre , le fei^ Père Bernard nous défendoit : peut-
« être même les^ût-il convertis , s'il eust véoi plus
« long-temps; car nul de nôtre nation ne^pouvoît
« résister à la douceur et à la force de son zéle,.qiii
« le faisoit travailler infatigablement pour : nous :
« mais il est dans le Ciel, et il ne nous oubliera
La mort d'm» si ex(;jçUent hcginme lut nuiviie de
celle d'un jeune Missionnaire, qu'q^ .luy .ayoît
dcmné pour compagnon. C'étoit le Pene.Mocet,
parisien; .ayant été destiné ^our Ândrinqple^ il y
finit sa carrière en peu 4e tfsmps, mais avec l^au-
coup.de bonheur ; car après avoir travaillé pendant
deux ou trois ans dans, la vigne du Semeur, il
mourut; ainsi que le Père r Bernard,, pendant la
peste, au service de ses frères et du mém^ mal.
C'étoit un jeune homme qui possedoit toutes les
— 154 —
quaKiez propres è foire utf Missioiiiiaire; il atoit
da zéle^ du courage, de la fiitilité pour apprendre
les langues; mais surtout une devotiott, une fer*
veur et une régularité dans tous ses devoirs, qui
H'aroit poinidiminué depuis son noviciats
Andrinople "ayant perdu ces deux ouvriers , il
eurit été à souhaiter pour le bien des chrétiens que
nous eussions pu leur en envoyer deux ou trois
autres , et leur &ire une demeure staUe; mais nos
fùMs ne nous le permettant pas, il faut se contenter
que deux Missionnaires aillent de temps en temps
porter la Mission dans cette ville. Voicy ce que
nous ep écrit un de nos Pères, qui y est allé pour
trois mois.
« J'ay trouvé», dit^l, « dans cette ville impériale
« beaucoup (rfus de travail que quatre Missîon-
« naires n'en pourroient faire; car on y compte
« [dus de hidt milie grecs ,;pltas dé quati^e cent fa-
«^ milles armenieniles , et beaucoup d'autres chrè-
i tiens de diverses nations et de diverses sectes.
• I Je suis semlMemetft ^affligé de les voir tous sans
« insUudioà , et sans exercice de nôtre religion. Je
«le suis encore* davantage de ne pouvoir leur
« donner le secours, qui leur seroît nécessaire;
« car n'y ayant, icy qttemoy de Missionnaine , et
« m'étant iaopossible d'ailfenrs de salis&ire à taqt
i de besoins , ]*ai suivi rinclination que Dieu m'a
— 286 —
« toujours donnée pour le salut des esclaves , qui
« m'a paru un bien pur et solide.
« Depuis six semaines que je suis icy, j'ay eu
« la consolation de faire toutes nos fenetiops dans
« l'Elise de la Republique de Eaguse , avec une
« liberté par&itet J'y ay administré les Sacr^mea^
« à environ quatre-vingts personnes, dont une
Il cinquantaine étoient allemands ou allemandes ,
• qui depuis dix et vingt ans d'esclavage n'en
t avoient pas approché. Ils me paroissent . assés
« bien confirmez dans la vraie foy; ce qui me
« Élit bien espérer d'eux, c'est que pouvant se
« retirer d^ leur misère extrême, en renoniçantà
« . leur religion , ils me témoignent être plus réso»-
« lus que jamais de tout souffrir, plutôt que de
« commettre .une action si indigne d'an chrétien.
« J'ay reçu depuis peu l'abjuration d'une luté*
« ri^ne , et de sept autres esclaves des galères ;
« et j'ay liei| d'espérer que leurs. exemples^ seront
« suivis de plusieurs autres.
« Au reste , je ne puis assez vous dire combien
« je suis redevable à mouiieur jie marquis de Châ-
« teauneuf , ambassadeur en cette cour; il a mâle
« bontez pour moy , et c'est à sa protectioUr toute
« particulière que je dois la liberté que j'ay 4e
« faire le peu de firuit que je fais en cette ville. »
— 2«6 —
n.
Il n'y a point de pais dans tovs les Etats du
grand Seigneur, où Ton ait eu jusqu'à présent
plus de liberté que dans cette isle (de Chio), pour
exercer les fonctions de la religion chrétienne.
Les chrétiens de l'un et l'autre rit ont dans Chic
plusieurs églises , où l'office divin se fait avec beau-
coup de régularité et de dévotion. Nous y avons un
collège, où il y a environ trois cent écoliers qu'on
élevé dans l'étude des belles lettres, et dans la
vertu. On instruit outre cela quantité de jeunes
ecdesiastiques, et on les prépare à recevoir les
ordres sacrez. Il y a dans nôtre maison quatre Con-
grégations toutes aussi belles et aussi bien ornées,
qu'elles le pourroient estre en France. Elles dont
partagées selon les âges des Congreganistes, et non
pas selon leur qualité. Il y en a une pour les vieil-
lards, la seconde est pour les personnes mariées, la
troisième est pour les jeunes gens, qui sont au-des-
sus de quinze ans, .et k quatrième est pour ceux
qui sont au-dessous. Le pombre de ces Congrega-
nistes se monte à environ quatre cent. • C'est un
spectacle bien édifiant de voir tous ces vieillards,
marcher deux à detix dans les rues, accompagnant,
le cierpe à la main, le tres-saint Sacrement de l'Au-
r
tjA^ ayeq une modestie angdiique : étant précédée
des autres congr^auistes , qui marchent sdon leur
âge, doQt plusieurs portent sur des braacavB ornez
les prétieuses reliques de quelques mMtyrs^- qui oQt
autrefois versé leur sang pour planter dand TOMent
et 4ans leur patrie même la foy de Jesus-CSirist.
Nôtre Eglise est fort belle. Le Roy de Pologne y
a fait un prient digne d'un aussi grand Printee.
C'est un soleil dont les ornements qui le soutiennent
et qui renvironnentdetous cotes, s'dieYent à la hau-
teur de six pieds, le tout d'argent^ massif fres*déli^
catement travaillé. La maison entretient, dix* oii
douze Jésuites. Tous sont natife de YiAe même, d'où
la province de Sicile tire continuettement de très-»
bons sujets. Ctest parmi e^x qu'on choisit tes ^on«
fesseurs de la langue grecque, qui sont à la Peni-
tencerie de Saint-Pierre de Rome, et à ^relle ^
Nôtre•Dam^ de Lorette... ' •
Les frnits que. ces Pères faisoient dans Tisle
dont nous venons d^ parler et dans les autres isles
voisines, inspirèrent à> TEvéque de Thyne, visi-
teur de la mer Egée , . le désir de demandier des
Missionnaires.
Le premier qui se sentit appelle deOieu pour y
aller fut le Père Michel.Albertin y natif decetle ide.
Si lot qu'il eut reçj^ la lettre de son Evéque , il
quitta la Mission, où il était utilement occofpé , et
K. 47
¥ifat an.Mcoiiirs: de sa patrie. U y tuMta tant de
bieù.à fiure , qu'il Iqt .obligé de demander des
campafnoBs au supérieur gen^rsd de Grèce. Quoi-
que, le ^upenîeiir n'çut aucun ouvrier de trop, il
ne laissa pw d'eu donner un qui arriva à Thyne
en Vannée 1677. Il fut reçu avec une joye extrême
du Pçre Albertin qui rattendoit avec impatience.
Le nouveau Missionnaire n'eut pas moins de
€<cHlSolation de troaver pour son associé dans cette
vigne, du Seigneur «in vénérable vieillard d'une
v^rtu éftiinente, vivant dans une si étroite pau-
vreté ^ qu'ayant vefusé. de loger cbez ses parens
les plus riches de Tisle, il li'avott voulu prendre
pour sa ûem&ùre qu'une pauvre cabane ^ et pour
sa nouitifureique des légumes. Ces deux Pères par-
tagereol entr'eui ies tsavaux de la 'Mission. Ils
aUereaat de village en village , exhortant et instrui-
sant tous les chrétiens , qui sont au nombre de
quinze. aime. sous la conduite d'un seul Evéqoe.
Qudques années après, la- r^ublique de Venise
apprenant les succez des deux Missioi^ntiires , y en
envoya encore dbux autres. Ce iiouveau secours
causa d'autant plus de joye à ces insulaires , qu'ils
qherehpient ieti moy^ms d'>établir chez eux une Mis-
siidn êxn» pciiur yicoDâerver -lei^ Pères , en qui ils
Cpipmi^nçolent à à^ir déjà beaucoup de confiance.
L'JE^véfiie. vduhit qu'un* des-qiiatré é-a{^>Kqîaât uni»
qneoieiit à Tiiistraction ile sod olergé, qui ea airoit
grand besoin. U Vas^embléM: régulièrement deux
fois la semaine dans sa cathédrale. Tous les eurâz
des villages de l'isle s'y trouvoient : rassemblée
étoit d'environ 80 ecclésiastiques ; TEvéque éèo&t
à la téte.X*e Missionnaire leur faisoit des OMféren-
ces 3ttr les devoirs de leur état et sur les cas de
conscience. Ces conférences leur donnèrent; lé
goust d^ Tétude^ et en même temps celuy de la
pieté et de la régularité.
Le Père les trouvant si bien disposez , crût qu'unei
retraite de sept ou huit jours contribueroit à. lest afr.
fermir dans/Ie bien. Il la proposa à quelques*uns
des plus coQjHderables du clergé, qui la firent avec
tant de consolation , qu'ils exhortèrent leurs eon^
frères à en faire une pareille. Toute Tisleen profita;
car les curez qui en sortirent mieux instruits de
leurs devoirs, et bien résolus de les remplir, tra-
vaillèrent de copfjert avec les Missioonaiires pour
reformer les mœurs de leurs parpissfeens. .
On voyoit déjà de grands changemens parmi
eu*:; lorsqu'un des deniers jubilez accordé par-
nôtre Saint-Pei?e le Pape acheva de répandre par
tout la ferveur. Les Missionmxres et les autres
ecclésiastiques passoient presque les jours et les
nuits à entendre dés confessions, dont j^biîÈféliis
accompagaées de :geniissemenîrj séCoient de» pi^Mes
-^ Î60 —
sincère» de {b conversion de ceux qui les faisoient.
On vojmt de tous cotez des troupes de penitens qui
atloient d'église en église psalmodiant d'un ton lu-
gubre , et déchirant leuts corps à coups de disci-
.Le plus surprenant de tous les changemens fut
céluy qui arriva dans une partie de Tisle de Thyne,
k plus éloignée «de la forteresse, et la plusvoisine
d'Aiidros. £Ue se nofnme Ozomerià. Les habitans
y vivoient plutôt en brigans qu'en chrétiens. On ne
parloit tous les jours que de leurs vols, de leurs
meurttes, et de leurs autres crimes. Un d'eux
s'étoit 'engagé ' pour deux piastres de tuer leur
£Téque. Un des M^ionnaires fut' prié d'y aller ,
il. trouva dés hommes qui marchdieilt' toujours le
poignard en main. Il crût què*pour %'insinuer
d'abord dans leurs esprits , il devoit commencer
par faire 'le' catéchisme à leurs ehfans, et par dis-
tribuer quelques remèdes aux malades.-
Ces actions de chaHté luy donnèrent accez dans
les maisans. Peu a peu -ces hommes barbares se
(amijliafciderent avec luy ; ils luy menoiei)t leurs en^
faus let.riqvitoienl * à» 'venir chez eifât . Le Mission-
paire y alioit) et leur £Éisoit des instructions parti-
ciliiQi)esi .:: bien-tôt ^présplileuren^t de^pubKques
dan$i rSçlise.Ils y vmrenty et Dieu qiii^'est«ngàgé
^ pfirl^f ^v Ja b((Hiçbe ..de ^ms : ministres v toiçcha si
— 261 ~
fort leurs coeurs , que ces peuples devinrent^ doux
et traitables , et changèrent enfin leur vie crimi-
nelle , en une vie trés-chrétienne. Liorsque le Père
eût achevé sa Mission , il en sortit avec le regret des
grands et des petits. Tousluy donnèrent mille bé-
nédictions j et ils le reconduisirent en grand nom<<-
bre , l'asseûrant qu'ils pratiqueroient ce qu'il leur
avoit enseigné , et le conjurèrent de revenir bien-
tôt pour en être témoin.
L'isle de Thyne ayant été ainsi toute renouvellée
par les soins des Missionnaires , TEvéque les pria
de parcourir les isles de Thermia, de Zia , de Mi-
cono , d'Andros et de Milo. Il voulut qu'un d'eux
y allât en qualité de son grand vicaire y et il luy
mit entre les mains un bref du Pape , par lequel le
Père avoit le pouvoir de relever des censures ecclé-
siastiques un Evêque, quelques Prêtres et des Clercs,
qui y étoient tombez.
Les autres Missionnaires eurent dans leurs cour-
ses particulières de ces isles, tout le succès qu'ib
pouvoient espérer ; et c'est aussi pour y entretenir
les fruits qu'ils y ont faits, que nous continuons au-
tant que nôtre petit nombre le peirmet , d'aller
tous les ans les visiter.
Mais pour nous acquiter plus facilement de toutes
ces courses evangeliques , nous avions besoin
d'avoir deux Missions fixes dans l'Archipelt Le§
iflks de Natie et de Sant-Eriny ont été jugées les
plus propres pour cet établissement.....
Leà premiers qui vinrent dans cette îsie (de Naxie)
y trouvèrent quantité de superstitions payennes ,
qu'ils eurent toutes les peines du mondes à abdir.
Cellfe qui paroissoit la plus fecile à détruire se main-
tint le plus longtemps. Une femme qui avoit perdu
son mary, ou une mère qui avoit perdu sa fille , as-
sistoient à leurs funérailles, comme des desespc^z,
bu plutôt comme des furies , s'arrachant les che-
veux , se battant la poitrine, déchirant leurs habits^
et hùHant d'tine manière épouvantable ; mêlant
avec leurs cris des blasphèmes contre les ordres
de la Providence. La céréVnonîe achevée elles s'en-
fermoient six mois , oU un an durant dans leurs
maisons sans en vouloir sortir, non pas même pour
aller à la messe, et à l'office divin aux jours les plus
solemnels de Tannée. De plus elles n'osoient chan-
ger d'habit que le leur ne fût tout usé sur leurs
corps. Ce qui est étonnant, c'est que toute extrava-
gante qu'était cette coutume , les femmes les plus
distinguées de Tisle ne s'en dispensoient pas.
L'ignorance n'y étoit pas moins grande que la
superstition. On n'en n'étoitplus surpris lorsqu'on
voyoit celle des personnes qiîi dévoient les ins-
thiire : mais ce qui était encore de plus fâcheux ,
c'est que les mœurs de ces derniers étoiènt très-
sui&pectm. Il est certaia du moiits qu'ils. vivoieM
dans une grande fainéantise , et dus- une grande
molesse, disant très rarement la sainte Messe, et
s'acquittant apssi m^l de leurs autres devoirs. Les
Missionnaires qui&çavoient par expérience que la re-
forme des peuples dépend de celle de leurs Pasteurs,
s'appliquèrent d'abord à l'instruction de ceux-cy.
Si-tôt qu'ils, furent instruits , ils travaillèrent tous
ensemble de concert à celle des peuples, et avec
tant de fruit, qu'il ne reste aujourd'huy aucune
des superstitions anciennes. I^a pureté des mœurs
est icy plus grande que dans aucune isle dô TAr-
cjiîpel. Le Gei^é y est tréfrTeglé. Un des Curez de
cette ville nous a donné un exemple de vertu , qui
ne doit pas être oublié. Après avoir partagé pen-
dant sa vie , comme un bon Pasteur tout son petit
bien avec les pauvres de sa paroisse , il leur eu dis-
tribua le reste dans une maladie , dont il ctoyoit
mourir. Dieu luy ayant rendu la santé , il se trouva
plus pauvre que les pauvres mêmes, à qui il avoit
donné tout ce qu'il avoit; et il vécut cependaol
aussi content dans sa pauvreté, que d'autres au-
roient fait dans leurs richesses
Nous avons dans notre maison une congrégation
de Nôtre Dame , do^t les congrèganistes contoî-
buent beaucoup à maintenir la pieté dans cette isle.
On en oonnoit quelques-uns, qui jeuneot au paiu
— 464 —
et à Teau tous les samedis et toutes les veilles des
fêtes de la sainte Vierge.
Pour £aire un bien solide parmy les grecs de cette
isle, on élevé leurs enfans avec beaucoup de soin.
Quelques-uns parmy eux sont si zélez, et si instruits,
que nous les avons vu souvent disputer avec des
schismatiques , qui avoient de la peine à leur répon-
dre, et qui en étoient souvent confondus. Par le
moyen de ces enfans nous avons reconcilié à
rSglise romaine plusieurs de leurs parens et des
famjjles entières
Cette isle a pris saint François Xavier pour son
patron. Nos habitans luy ont fait bâtir une cha-
pelle f qui est continuellement fréquentée des grecs
et des latins. Ils y ont recours dans toutes leurs
nécessitez , et ce grand Saint employé souvent son
crédit auprès de Dieu en leur faveur. Il n'y a pas
bien longtemps qu'une dame grecque du rit latin,
nommée Catherine Storza , se voyant malade à
l'extrémité , demanda en grâce , qu'avant que de
mourir , on luy apportast une image du Saint.
Lors qu'elle l'eût entre les mains , elle la baisa
avec beaucoup de respect et de confiance A peine
eut-elle achevé une courte prière , qu'elle se trouva
guérie^ avec l'étonnement et l'admiration de sa
famille et des médecins , qui en furant témoins.
Quelque temps après cette dame vint faire ses de-
— 265 —
votions dans la chapelle de saint Xaxier , et luy
rendre grâce comme à son bienfacteur.
Les consolations dont nos Missionnaires ont joui
dans cette fervente mission, n'ont pas toujours été
sans croix. Le Père d'Autruy, avec son compagnon,
fut pris et mis à la chaîne, dans une irruption des
infidelies. Il demeura six mois en galère, pendant
lesquels il instruisoit et confessoit les esclaves. Il
fut racheté par des marchands de Chio; mais quatre
mois après il mourut, des fatigues de sa captivité.
Un autre Missionnaire receût plusieurs coups de
bâton d'un schismatique irrité contre luy de ce
qu'il avoit converti une femme que. ce malheureux
aimôit.Nous ne parlons point des autres insultes que
nous avons eu à souffrir pour les interests de la reli-
gion : mais nous pouvons dire que les souffrances
nous sont avantageuses; car elles purifient nôtre
zèle, et redoublent nôtre ferveur. . .
Les Chrétiens de Negrepont nous invitèrent
de venir dans leur isle , qui* n'est éloignée de
Thebes que de cinq lieues, et de deux journées
d'Athènes. Ce fut pour les satisfaire qu'on y envoya
deux de nos Missionnaires. Ils y trouvèrent beau-
coup de travail, et beaucoup de fruit à faire, parti-
culièrement auprès des esclaves galériens, qui y
passent l'hy ver. Le nombre en est grand ; celuy des
latins peut monter jusqu'à cinq ou six cents. Ils
sont sans secourSi n*y ayant ai religieux ai prêtres
latins dans cette isle. On leur permettoit de venir
les fêtes et les dimanches dans notre chapelle^ où
nous avons veû arriver une chose fort extraordi*
naire.
La chapelle qui étoit au premier étage de nôtre
maison^ étant un dimanche matin toute pleine de
ces esclaves, qui y étoient venus pour entendre la
messe, le planché fondit tout d'un coup, et si éga*
lement de tous cotez , que chacun se trouva dans la
même posture , sans que qui que ce soit fût blessé.
Ce qui parut en quelque manière miraculeux, c'est
qu'il n'y eût que l'endroit où étoit l'autel et le
, prêtre, qui demeura comme suspendu en l'air.
Parmy les esclaves dont noiss venons de parier,
il se trouve quantité de luthériens, dont plusieurs
ont été convertis. Entre les conversions qui se«fiont
faites à Negrepont, il ne faut pas oubUer celle d'an
jeune homme de Paris. L'histoire de sa vie est asbez
extraordinaire. Ce jeune homme, à l'âge de dix-sept
ans, sortit de chez son père pour aller en Piémont
trouver son frère, qui y swvoit en qualité de lieu-
tenant. De là il passa en Candie, où il fut pris et
fait esclave. Sa captivité luy étant insupportable, il
se fit turc pour en sortir, et prit ensuite l'habit de
dervis, c'est-à-dire de religieux de la secte de Ma-
homet. Il passa 20 ans dans cet état, pendant les-
— 267 —
quels il fit paraître tant de modestie et de sagesse,
qu'il s'acquit le nom de saint parmi les Turcs, et
s'en fit si fort respecter, qu'Alli Bâcha, le plus grand
seigneur de Negrepont, le faisoit toiijours asseoir
audessus de luy.
Quelque temps après nôtre dervis tomba dange- >
reusement malade. Alli Bâcha envoya quérir incon-*
tinënt un des Missionnaires, qui avoit fait plusieurs
guéHsons dans l'isle. Le malade touché des soins
du Père, et plus encore de la présence d'un reli-
gieux françois, qui luy reprochoit intérieurement
son crime, luy avoiia qu'il étoit François comme
luy, et né Parisien : il luy fit ensuite le détail de sa
vie. Le Père, admirant les secrets de la Providence,
et voyant qu'il n'y avoit pas de temps à perdre dans
l'état où étoit son malade, luy dit avec tous les
témoignages possibles d'affection et de zélé, que
Dieu l'avoit envoyé dans cette isle»pour l'aider à
sortir de son apostasie; que n'étant peut-être pas
éloigné d'aller paroître devant luy, il n'avoit point
de salut à espérer, s'il ne mouroit chrétien. Il
excita ensuite la confiance de cet enfant prodigue,
en luy découvrant les miséricordes avec lesquelles
Dieu reçoit les pécheurs penitens. Le malade se
sentit attendri , la grâce le pressa , les larmes cou-
lèrent bien-tôt de ses yeux. Il demanda à se con-
fesser, il le fit avec toute la componction possible,
— 268 —
et ne pensa plus à autre chose qu'à bien mourir.
Le Père qui l'assistoit le voyant beaucoup plus mal,
trouva le moyen de le communier secrètement, et
enfin il eût la consolation de le voir expirer sainte-
ment entre ses bras. Un Missionnaire à qui un
pareil bonheur arrive se sent récompensé au cen-
tuple de tous les travaux de sa vie.
Outre les biens que tous les Missionnaires ont
fait dans cette isle parmi les esclaves et les grecs,
ils en ont fait encore de très-grands parmi les alba-
nois y dont les villages de Negrepont sont peuplez.
La plupart d'entr'eux ne s'étoient jamais con-
fessez, non pas par irreligion, mais plutôt par
ignorance, ou manque de Confesseurs, en qui ils
eussent confiance. Nous avons veù des actions
héroïques que plusieurs jeunes albanoises ont
faites pour conserver leur innocence. Il n'y a
pas long-temps, qu'il y en eût une attaquée par
trois jeunes hommes, qui se défendit avec tant
de générosité, que ces misérables, irritez de se voir
vaincus par une personne si foible, eurent la cruauté
de la tuer à coups de couteau.
La foy a eu aussi ses héros dans l'isle de Megre-
pont. Un chrétien s'y étant fait turc , il voulut obli-
ger sa fille âgée de seize ans à suivre son exemple,
elle n'en voulut rien faire. On la mena devant le
Cady i sa raere vint consulter les Pères , sur ce
— 269 —
qu'elle avoit à dire à sa fille : eux luy ayant répondu
qu'elle devoit Texhorter à souffrir toutes sortes dé
tourmens , plutôt que de se rendre , elle vînt en
mère chrétienne l'encourager à persister dans sa
foy jusqu'au 'dernier soupir de sa vie. Elle persista
en efFet malgré tous les mauvais traitemens qu'on
luy fit. Le Cady fut si touché de la vertu et du cou-
rage de cette jeune chrétienne, qu'il la fil rendre à
sa mère, pour vivre comme elle voudroit; Dieu
s'étant contenté du sacrifice que la mère et la fille
venoient de luy faire , comme il se contenta autre-
fois de celuy d'Abraham et d'Isaac.
Nous avons veû encore dans cette même isle un
pareil sacrifice d'un jeune homme natif d'Orléans,
qui se iiommoit George. Il étoit l'esclave d'un Aga.
Son maître voulut l'obliger de l'accompagner à la
Mosquée, pour y prier avec luy dans la solemnité du
Beïran , qui est le jour de la grande réjouissance
des turcs, après leurs jeunes de trente jours. L'es-
clave luy répondit qu'il étoit chrétien, et que sa foy
luy défendoit d'y aller. L'Aga en vint aux menaces^
et ensuite aux effets. Il le fit attacher à un gros
arbre, et le fit battre. Quelques turcs qui étoient pre-
sens bandèrent leurs arcs pour le percer de flèches.
Lie chrétien leur découvrit sa poitrine , et leur dit
qu'il étoit prêt de recevoir leurs coups. Alors son
maître admirant le courage de son domestique , et
— 270 —
pensant aux bons services qu'il luy avoit rendus, le
fit délier et luy donna même la liberté. Si-tot qu'il
l'eût receuê , il vint cbez nous, et nous, raconta les
grâces que Dieu luy avoit faites.
Nos Missionnaires ont eu pareillement leurs
persécutions. Les Père de GuiUy et Chamerlat ont
été mis aux fers. I^ur captivité porta bonheur à
d'autres prisonniers, que ces Pères retirèrent de
l'esclavage du démon. Le Père 4^ l'Estringant
supérieur de cette Mission receùt deux coups de
couteau. .
Le mauvais air de cette isle nous a encore été plus
contraire que les infidelles même. Il nous a enlevé
plusieurs Missionnaires d'un mérite extraordinaire,
et entr'autres le Père Richard et le Père Rozier,
hommes vraiment apostoliques. Ceux qui assistèrent
à Ui mort du dernier^ nous ont asseùré que lors-
qu'il expira ils virent une flamme qui brilloit sur
son visage.
C'est la perte de tant de Missionnaires, qui nous
a obligé de suspendre l'établissement de cette Mis*
siqn y et de nous contenter d'y aller dans le temps
de l'année, où l'air y est moins corrompu...
— 474
m.
Los bénédictions du Ciel n'ont poiiit cessé de cou-
ler en aboïKlaDce; tsm la Mission de -Sminie , et sur
les MissionDSii?es jusqu'en l'année 168S , cpi'un
étrange acccideùt ruina presque to»le la ville, et
pen^a perdre nôtre Mission.
Ce fut le 10 de juillet de cette année, qu'entre
onze heures et midi, arriva à Smime ce grand trem*
blement de terre , qpi fk icj un si effroyable de-
sordre. En moins de vingt-quatfe heures la terre
s'entr' ouvrit jusqu'à huit fois, et engloutit plus
des 4eux tiers de la ville. Quelques heures après
on vit des tourbillons de feu s'échapper^ par des
crevasses de la terre ; un gros vent qui s'éleva
ppur lors , lés porta de tous les cotez , et alluma
un affreux inceiadie, qui acheva de consommer
les restes des ruines. Vingt mille hommes au moins
périrent, soit par le feu, soit par le bouleversement
des maisons : la notre avec nôtre petite chapelle fut
du nombre de celles dont il ne parut plus aucun
vestige. Nous fumes cependant assez heureux pour
enlever le s^int qiboire, nôtre superieurcoupat.au
tabernacle malgré le péril évident de 'sa vie*, et il
— J7J —
porta les saintes hosties sur le bord d'un capitaine
MarseiUois , qui étoit au port ^ .
Nous perdîmes tout le reste de nos petits meu-
bles; mais dans cette perte commune, ce qui nous
fut le plus sensible fut de nous voir presque sans
espérance de pouvoir rétablir notre Mission ; car
la politique des turcs ne souf&e pcûnt de rétablis-
sement .des égUses. détruite^, croyaM par^là saper
les fondemeos de la religion. ciirétienne : mais la
Providence qui veilloit sur nous ne nous affligea ,
ce semble , alors que pour réparer aujourd'huy nos
pertes avec usure. Monsieur Girardin qui étoit
notre ambassadeur, ayant appris le malheur de
cette ville, y envoya inpeasamment Monsieur Blon*
del , son chancelier^ avec des patentes du consulat.
Ce nouveau consul donna dans cette occasiem de
grandes [Meuves de son mérite et de son habileté :
•^ — ' ' ■ ■ ■ ■■■■ I.. ■ I ; i. ' r
* Ce Père était le P. François de l'Estringant, natif d'Orléans.
Voici les détails que nous trouvons dans les Lettres édifiantes : « Le
« 10 de juillet, jour auquel arHvà ce désat^e; dont le souvenir
« fait encore frémir , on a établi à Sinyroe un .anniversaire avec
f jeûne et exposidon du Saint-Sacrement. Il y a grand concours de
« monde à cette fête, et beaucoup de communiants. Le'PèrQ^Fran-
« çois Lestringant , alors supéHeor de cette MissioD, qu'on retira
« demi-mort de dessous Jes ruines de notre Maison , prie toijoui^*
c quoique fort âgé , qu'on lui laisse faire le sermon de ce jour-là.
tt Personne, dit-il, ne le pouvant faire avec autant de connaissance
« de cause, lii-étre aussi rempli de son sujet que lui. » Lett. édxf:
Parî&,i838, t. 1,83.
— 273 —
car il sceut si bien gagner la confiance de toutes les
nations, que malgré les pertes qui les avoient dé-
couragez , il leur fit prendre la résolution de rendre
leur commerce plus florissant que jamais.
Il n'attendoit plus que les ordres de Monsieur
l'ambassadeur pour travailler au rétablissement de
nôtre chapelle. Ce fut icy où nous conneûmes par-
faitement le crédit des ambassadeurs de France en
cette cour. Monsieur Girardin n'eut pas plustost
demandé de la part du Roy, son maître , un com-
mandement pour nous rebâtir, non pas une diâ-
pelle , mais une église entière , qu'il l'obtint et l'en-
voya en diligence à son chancelier, nôtre consul.
Si-tôt qu'il l'eut receu, il fit jetter les fondemens de*
la nouvelle église ; et sa générosité luy fit trouver
dans ses propres deniers les avances nécessaires.
Permettez, s'il vous plaît, Messeigneurs, que
nous donnions icy à nos bienfacteurs une marque
de nôtre reconnoissance , en vous rendant compte
de ce qu'ils ont fait pour nous.
Messieurs de la chambre royale du comâierce de
Marseille ne furent pas plustost informez de^ nos
pertes, qu'ils s'assemblèrent pour pourvoir aux
besoins de la religion et aux nôtres; Ils résolurent
de nous faire rebâtir une église à leurs frais , et
pour cela ils ordonnèrent des levées sur tous les
K. is
— 274 —
Taissttut françoit qui chai^^eM^iit à Féchdl6 àet
Smûme*
Les fonds ayant été ^iaits, Monsieur kf Consul
hâta si fort le travail des ouvriers y qu'en moins de
deux ans l'église fut achevée. L'ouverture s'en fit
le 3 de décembre, fête de saint François Xavier.
Messieurs du commerce souhaitterent qu'elle fut
mise sous la protection de saint Louis , et elle fut la
première de TAsie qui porta le nom de ce grand
Saint ,. patron de plusieurs de nos Rdis. La cérémo-
nie en fut fiiite par Monseigneur le Vioaire apostoli-
que en présence de l'Ârdievéque des arméniens y
et de plusieurs autres Prélats. Monsieur le Consul y
assista, à la tête de la nation; tout ce qu'il y avoit
de grecs et d'arméniens à Smirae y vinrent donner
des marques de leur pieté. La journée se passa dans
tous les exercices de religion les plus propres à
donner aux fidellesde la ferveur dans leur dévotion.
Qn y prêcha en trois langues dififerentes. La
grand'messe et les vespres furent diantées sdlem-
nellement par le Vicaire apostolique/ La bénédic-
tion du sai0t Sacrement fut suivie d'une décharge
générale de tous les canons, qui étoient sur les
^vaisseaux françois, pendant qu'on entendoit de
tous cotez les cris de vive le Roy. Mais ce qui
nous parut de plus iiemarquable, c'est que tout cet
éclat qu'on doit éviter en ce payfrcy, bien loin de
— 275 —
choquer ^persomM, édifia ceux qu'on aupoit orù y
devoir trofiver à redire : plusieurs de ce nombre
furent prtsens à nos cérémonies avec beaucoup de
respect. On dit même que quelques-uns d'eui;
charmez de la pieté des fidelles s'écrièrent en leurs
langues: O que lesdirétiens ont de foy! Ce qui
est trés^onstant , c'est que ce jour fut pour eux
aussi bien que pour nous, un jour de joye et de
réjouissance.
Nô^e église depuis ce temps-^là a toujours été
trés-frequentée ; on y voit quantité de communians
à tontes les Messes ; il y en auroit même davantage,
si nous étions un plus grand nombre de confes-^
seurs.
Les dimanches nous assemblons dans nôtre cour
les pauvres de la ville ; nous leur faisons le caté-
chisme, et nous leur distribuons ensuite une au-
mône.
L'école se tient tous les jours, matin et soir. Nous
admirasmes, il y a quelque temps, le courage d'uïi
petit orphelin âgé de six à sept ans : ses parens
l'étant venu prendre pour le mener au prêche , ils
luy firent toutes les violences qu'on peut faire à un
enfant de cet âge, jusqu'à le maltraiter avec excès,
l'enfant tint toujours ferme, et leur dit qu'ils le
tuéroient plutôt que de le mener prier Dieu ailleurs
que dans l'église des Missionnaires.
— 276 —
Nous continuons nôtre Mission sur les vaisseaux
françoiSy vénitiens, génois et ragusois qui sont au
port. On n'oublie pas celle des prisons et des hos-
pitaux y non plus que les visites des familles chré-
tiennes. Dans tous ces differens emplois les Mis-
sionnaires trouvent de grands sujets de louer Dieu
et de le bénir.
Deux ministres et trois marchands, tous cinq
hoUandois , furent si touchez, il y a quelque temps,
du sermoh d'un de nos Missionnaires , qu'ils vin-
rent ensuite nous prier de les instruire et de. re-
cevoir leur abjuration. Nous avons aussi reçu celle
d'une femme hoUandoise , et cette femme devenue
fidelle a sanctifié son mary , selon le précepte de
saint Paul.
♦
Un françois faisant icy l'office de canonier, et
ayant été si malheureux que d'abjurer sa religion
>pour éviter les coups dont on l'accabloit , est venu
chez nous fondant en larnies; et après s'être pré-
. paré par une austère pénitence à recevoir l'abso-
lution de son crime , un de ses parens l'a ramené
dans son pays.
Une femme native ^le Negrepont, qui avoit
épousé un homme d'une religion bien contraire
à la nôtre , a reçu le baptême , et a demandé le
nom de Marie. Dieu a fait la même grâce à plu-
sieurs autres.
— 277 —
I^es matelots y dont nous avons parlé, ont tant de
zèle pour leurs compagnons, que si-tôt qu'ils en
trouvent quelques-uns , qui sont dans Terreur et
dans le vice, ils ne manquent jamais , ou de nous
l'amener, ou de nous en avertir. Deux esclaves
polonois ont fait depuis peu leur abjuration entre
nos mains.
On a tout sujet d'être content des grecs et des
arméniens de cette ville. Le nombre des catholi*
ques s'augmente parmi eux : ils vivent avec édifica-
tion , et souffrent avec patience les avanies que
leur religion leur attire. Plusieurs d'entr'eux sont
toujours prests à la deffendre au péril même de
leur vie. Nous avons vu depuis peu un grec assez
heureux pour la donner : il est vray que sa fin
glorieuse avoit été précédée d'une faute considé-
rable.
Il étoit âgé de quarante ans , natif d'une petite
ville prés d'Athènes dans la Môrée. Il se nommoit
Antoine Talandi. S'élant trouvé un jour avec
quelques turcs , ses camarades , il leur dit dans la
chaleur du vin , qu'il étoit turc. Sur cette seule
parole, on le mena promptement chez le cadi.
L'état où étoit nôtre grec, luy fit repeter tout ce
qu'on voulut. Il reçût en même temps six écus
pour le prix de son apostasie. Mais la nuit luy ayant
rendu ce que le vin luy avoit fait perdre , il recon-
_ 278 —
mit sa faute \ et la pleurant amèrement , il la con-
fessa à un prêtre, qui Tobligea de se dédire en
public. Il obéit sans hésiter , quoy qu'il sçût bien
que cet aveu luy coûteroit la vie. On le mit en pri-
son j où il souffrit la bastonnade et la faim. Un
Papas obtint avec un présent la permission de le
visiter ; il trouva même le moyen de le communier
en secret. Le prisonnier, après avoir mangé le pain
des forts, attendit avec une sainte impatience, qu'on
vînt lui annoncer la mort. Il écouta sa sentence
avec une joye qui étoit peinte sur son visage , et
qui parut toujours la même jusqu'au dernier sou-
pir de s.a vie. Dans le moment qu'on luy tranchoit
la tête ^ on l'entendit prononcer les saints noms de
Jésus et de Marie.
Nous sommes encore assez souvent témoins de
plusieurs autres actions de nos catholiques, qui
pour être moins éclatantes deVant les hommes , ne
font pas moins d'honneur à la religion , et sont
aussi méritoires devant Dieu. Celles de nos con-
greganistes sont de ce nombre. Le temps qui ra-
lentit quelquefois la ferveur de toutes les assemblées
de pieté n'a rien encore diminué de la leur. Nous
les voyons aussi charitables et aussi zelez pour les
bonnes œuvres , qu'ils ayeht jamais été ; ils déli<-
vrènt quantité d'esclaves ; ils assistent les malades;
ils font k guerre à tout ce qui petit corrompre les
— 279 —
mœurs de la jeunesse; et nous les trouvons toujoum
prests à entrer dans tout ce que nou^ proposons
pour la gloire de Dieu. La coqfianee,, qu'ils ont
en Nôtre-Dame, fait qu'ils mettent tous leurs vais-
seaux sous sa protection , et en expérimentent sou-
vent de prompts secours dans les dangers conti-
niuels y où leurs marchandises sont exposées.
Mais nous ne pouvons parler icy de cette fervente
congrégation , sans penser à la perte qu'elle vient
de faire d'un de ses .plus illustres sujets. La mort
vient de luy enlever Monsieur de Bians , âgé seule-
ment d'environ trente ans. Les services de Monsieur
son père dans le consulat de Smirne y qu'il a exercé
pendant plusieurs années , avoient porté le Roy à
faire succéder le fils au père dans l'employ de con-
sul. A peine en avoit-il reçu les patentes , qu'il a
plu à Dieu de l'appeller à luy. C'étoit un jeune
homme sage , habile et appliqué. Il est icy regretté
de tout le monde et particulièrement des Mission-
naires, qui le regardoient comme un des appuis de
la religion. Il est mort après avoir donné commen-
cement à une bonne oeuvre , qui sera Ja source ,
comme nous l'espérons, d'un trés^rand bien pour
la nation.
I>ix des plus considérables de la congrégation ,
dont il voulut être du nombre , firent pendant la.
semaine, sainte de l'année dernière la retraite de
— 280 —
huit jours, avec toute Texactitude et la régularité
qu'on observe dans celles de nôtre noviciat de
Paris et de plusieurs autres de nos maisons. La
satisfaction que ces Messieurs en ont eue, et le pro-
fit qu'ils en ont tiré, ont fait naître à plusieurs
lenvie de faire une pareille retraite. Nous tâche-
rons d'entretenir un si saint exercice, que l'expé-
rience a fait voir être un des plus propres à opérer
la sanctification des âmes.
Nous avons encore donné icy commencement à
un autre établissement d'une grande importance ,
pour détruire peu à peu le schisme si enraciné dans
rorient , et pour ramener tant de brebis égarées au
commun pasteur de l'Eglise. C'est l'établissement
d*iAi séminaire , dont le projet a été formé à Paris
depuis deux ans , et qui est destiné non seulement
pour former nos nouveaux Missionnaires à la vie
apostolique, et pour leur donner le temps d'ap-
prendre les langues et les dogmes des orientaux ;
mais encore pour y élever des enfans choisis dans
les différentes nations du Levant, et les instruire
pour être un jour en état de remplir les dignitez
ecclésiastiques, et d'en chasser le schisme qui s'en
est emparé.
Nous avons présentement six jeunes séminaristes
dans nôtre, maison , qui ont beaucoup profité de
nos soins,. et qui nous donnent de grandes espe-
— 281 —
rances. Le peu de charités que nous recevons pré-
sentement de France , nous empêche d*eii avoir un
plus grand nombre : nous attendons même que la
Providence nous envoyé ce qui nous est nécessaire
pour Fentretien de ceux que nous instruisons.
Le bâtiment nous manqubit pour loger les sémi-
naristes et les Missionnaires. Nous avons encore
trouvé dans les liberalitez de Messieurs du com-
merce de Marseille , de quoy reparer ce que le
tremblement de terre nous avoit fait perdre. Mon-
sieur le Bret, premier président du Parlement d*Aix,
et intendant de la province , qui a autant de zélé
pour la religion qu'il en a pour les interests du Roy,
représenta à ces Messieurs que nous étions sans
maison. Bien-tôt après leur chambre étant assem-
blée, ils nous destinèrent avec beaucoup de bonté
une somme considérable , pour nous aider à faire
un bâtiment conforme à nôtre dessein du sémi-
naire. Lorsqu'il sera achevé, nous aurons de quoy
loger plusieurs Missionnaires et plusieurs seminar
ristes ; et cette Mission aura l'avantage de fournir
des ouvriers evangèliques à toutes les provinces
d'Orient , et de leur donner un jour des prélats
pour les gouverner.
Nous espérons , Messeigneurs , que ce nouvel
établissement méritera vôtre approbation. Les
avantages que vous retirez de vos séminaires pour
— 28Î —
ravanœment de la gloire de Dieu dans vos.dio*
çéses, voua fera juger de Tutilité de celuy-ci pour
toute rSgUse d'Oneot.
. L'école que nous avons, etj^ie id (à Santorin)
pour réducation de la jeunesse , et a qui été fondée
par madame la présidente de Nesmond, fait des biens
que Ion ne peut imaginer ^ Car non-seulement les
jeunes gens y apprennent les belles-lettres, avec les
principes dç..la vie chrêtiezme^ pour estre un jour
eux-mêmes les Apôtres de leur isle ; mais ils nous
servent pour faire des instructions publiques. Car
ces jeunes gens son^ stilez à disputer entr'eux sur
les veritez de la Religion. Us s*objectent les uns aux
autres, des dif^cultez, et y répondent. Ils recitent
par cœur de petits sermons de morale, mêlez d'his-
toires de Tanden et du nouveau Testament, tres-
agreables aux orientaux. Ces paroles saintes dans
leur bouche fon^ souvent plus d'effet que dans les
nôtres : car ils s'acquittent si-bien de cet exercice,
que ceux qui viennent de tous cotez en grand
nombre pour les entendre , s'en retournent char-
mez. Voila un sujet de joye tres-sensible et tres-con-
solant pour l'illustre famille, qui eêt la fondatrice
d'un si grand bien.
Nous continuons k distribuer avec beaucoup de
I - -
* Les détails que nous donooils sont postérieurs à la 'Relation im-
primée du P. Françoit Richard sur llia de^Mot-Erini (Santorin).
— 283 —
succès et de fruit les remèdes qui nous viennent de
France ; ceux que madame de Miramion a eu la
charité de nous envoyer ont fait icy des cures mer-
veilleuses, et nous ont aussi servi à guérir des âmes
plus malades que les corps.
I^ Congrégation érigée en l'honneur de la sainte
Vierge est tres-remplieet tres-fervente. Comme nous
ne sommes dans cette isle que trois Missionnaires ,
nous ne pourrions pas, sans le secours de nos Con-
greganistes, satisfaire à tant de devoirs differens.
Enfin la plus grande marque que nous puissions
donner des bénédictions que Dieu verse sur la Mis-
sion de Saint-Erini, c'est que de tous les grecs et de
tous les. latins qui y habitent, à peine en voyons-
nous présentement qui ne soient tres-catholiques.
TABLE.
PREMIÈRE PARTIE. — 1609-1610.
Lettre du R. P. François de Ganillac, de la Compa-
gnie de Jésus, aux Pères et Frères de la même
Compagnie qui sont en France. . . . page 1
DEUXIÈME PARTIE. — 1612; 1616.
Lettres annuelles de Constantinople (année 1612)
adressées aux Pères et Frères de l'assistance de
France, par le R. P. François de Canillac, de la
Comp^ignie de Jésus page 59
Lettre d'un docteur de Sorbonne (Louis de Moran-
villiers), qui est auprès de Mgr l'ambassadeur,
pour le Roi de France, en Turquie, à M. de Sancy,
frère dudit ambassadeur page 86
Note d'un missionnaire sur l'opposition de Venise à
la Compagnie de Jésus page 93
TROISIÈME. PARTIE. — 1663-1664,
Lettres du P. Robert Saulger, de la Compagnie de
Jésus, à un Père de la même Compagnie (le pro-
vincial de France.) page 95
— 286 —
QUATRIÈME PMTIE.
Diverses lettres et relations des Pères de la Com-
pagnie de Jésus employés aux missions du Le-
vant. ; • .' . page 109
Chapitre premier. — Observations générales sur les
moyens de pourvoir la mission de bons ouvriers.
Ibid.
Chapitre tl. — Etablissement en t*tle de Naxie.
page 111
Relation de ce qui s'est passé en une mission par les
villages de Tîle de Naxie, au mois d'août 1641,
envoyée à M. le Mattre, marchand, à Rouen, parle
P. Mathieu Hardy page 113
Chapitre m. — Etablissement à Napoli de Romanîe,
et à Patras, dans la Morée ou Péloponèse, page 420
Chapitre IV. — Etablissement en l'Ile de Paros.
page 122
Briève relation de ce qui s'est passé en Ttle de Paros,
Tan 1841, envoyée au P. Jacques Dinet, provincial
de la Compagnie de Jésus, en France, par le P. Jac-
ques d'Anjou. Ibid.
Chapitre V. — Etablissement à Athènes. — Extrait
d'une lettre du P. François Blaiseau de la Compa-*
gnie de Jésus, écrite de Kalchis ou Egripos» le
deuxième jour de V^n 1042. . . . pago 138
-- 287 —
Lettre écrite par les principaux Grecs d'Athènes au
Père supérieur de Cionstantinople. . page 146
Lettre des principaux Turcs d'Athènes à Mgr de la
Haye « ambassadeur au Levant. . . page 147
GHAprrRE VI. — Quelques autres lieux, où les PP.
Jésuites ont été, et pourroient s'y établir, s'ils
avoient quelques secours de France, page 148
Chapitre VII et dernier. — Extrait d'une lettre du
16 août 1641, envoyée d'Alep parle P. Jean Amieu^
au P. d'Autruy (à Paris). . . •. • page 152
CINQUIÈME PARTIE.— 1658.
Briève relation de Piétablissement des Pères de la
Compagnie de Jésus en la ville de Smyrne , et de
leurs emplois et projets pour y conserver et aug-
menter nostre sainte foy page 159
Châpiîre prebher. — De l'établissement des Pères
de la Compagnie de Jésus, en la ville de
Smyrne. .... ....... Ibid.
Chapitre IL — De la réduction des Grecs de
Smyrne à l'union de l'Eglise romaine avec un
authentique témoignage de leur affection vers
les Pères missionnaires, et de leur dévotion à
saint Ignace. . . . , p. 170
Lettre de l'Archevêque grec de Smyrne, à Louis Xin.
page 174
— 288 —
Chapitre UI. — Du glorieux martyre de Nicolas
Caseti page 183
Ghapiere IV. — De Taffection des Arméniens de
Smyrne, envers l'Eglise romaine et nostre Com-
pagnie p. 193
Chapitre V. — De l'assistance rendue aux marchands
françois et aux autres habitants de Smyrne ou
passagers du rit latin page 208
Lettre du P. Charles (de) Boilesve, au R. Père Nicolas
de Ste-Geneviejve page. 213
Chapitre VI et dernier. — Martyre de vingt-trois
Turcs convertis. page 228
SIXIÈME PARTIE. .
Extraits de l'Estat des Missions de Grèce, présenté à
Nosseigneurs les arche vBsques, evesques etdéputés
du clergé de France, en l'année 1695, par le
P. Thomas-Charles Fleuriau, de la Compagnie de
Jésus page 235
I. Constantinople. Ibidl
II. Archipel page 256
in. Smyrne page 271
Poitiers, typ. «t itéréotyp. OuoiN.