Skip to main content

Full text of "Relations inédites des missions de la Compagnie de Jésus a Constantinople et dans le Levant au ..."

See other formats


This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 
to make the world's books discoverable online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that 's often difficult to discover. 

Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book' s long journey from the 
publisher to a library and finally to y ou. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prevent abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automated querying. 

We also ask that y ou: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a large amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each file is essential for informing people about this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
any where in the world. Copyright infringement liability can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web 



at |http : //books . google . corn/ 




A propos de ce livre 

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec 
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 
ligne. 

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 
trop souvent difficilement accessibles au public. 

Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 

Consignes d'utilisation 

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 

Nous vous demandons également de: 

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 

+ Ne pas supprimer r attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 

À propos du service Google Recherche de Livres 

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 



des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse ] ht tp : //books .google . corn 



REUTIONS INÉDITES DES MISSIONS 



COMPAGNIE DE JÉSUS. 



RELATIONS INÉDITES 

DES MISSIONS DE LA 

COMPAGNIE DE JÉSUS 

A CONSTANTINOPLE ET DANS LE LEVANT 

AU XV1I« SIÈCLE 
PUBLIÉES PAR LE P. AUGUSTE CARAYpN> ''iSV5'/^'7^ 

DB LA HâlIB COMPAGNIE. 






POITIERS 
HENRI OUDIN, LIBRAIRE, 



4, RUE DE L'iPEROH. 



PARIS 

GH. DOUNIOL, LIBRAIRE , 



39, RUE DB TOURNON. 



1864 



CA\ 3oJ4-t.7 



l-EB 1:î19G3 







Quand on entend parler de POrient , — de 
cet Orient compris entre Athènes, Gonstanti- 
nople, Damas, la Mer Morte et le Nil' — on se 
prend, siFesprit est encore jeune, àréV^erpoë^ 
sie : on se rappelle la Grèce et la mythologie; 
FAsie Mineure et les contes du vieil Homère; 
les Arabes et les Mille-et-une Nuits; la Terre- 
Sainte et les récits bibliques; Jérusalem et les 
Croisés. Ces souvenirs et bien d'autres encore 
réveiUeM vivement l'imagination, et la voilà, 
avec ses grands yeux, contemplant qes régions 
décrites et chantées <Lans toutes les littéra* 
tures*,. admirant l'une après l'autre toutes ces 
montagnes : del'Athos au Libfin, de FOlympe 
au Sinaï; tous ces fleuve ; de l'Eurotas au 
Jourdain, derilisws auNil ; toutes cds villes : 



VIII 

d'Athènes à Jérusalem , de Constantinople à 
Memphis; tous ces monuments: du Parthé- 
non aux Pyramides, de Sainte^ Sophie au 
Saint-Sépulcre. Puis, repassant confusément 
ces belles histoires, arrangées par les grecs 
ou racontées par la Bible* on se prend à sou- 
pirer, de n'-étrta pas venu au monde dans ces 
régîojus privilégiées^ et voloatiers on envierait 
le ^Qrtdes turcs et des arabes! Mais tout cela 
d^e^i d^ la poésie, et s'il y en a beaucoup en 
OrieAt) il faut l'avouer aussi, toute cette poé- 
sie egft h'ten mêlée de prose» « 

Nofcis sommes portés à regarder l'Orient à 
trà^ert ces icharmantes lunettes classiques, 
mises ^devant nos yeux , à peine au sortir de 
l'enfdncei Durant cette période, la plus heu- 
reuse de la vie (^a/femjib diciturj ^ où, sept 
ou huit dé nos meillieures années, — de la 
première communion au baccalauréat, — se 
passent à faire des thèmes, des versions, dés 
narrations, des amplifications, et même dés 
vers latins, le tout à la pltts grande gloire de 



IX 

FOrient 5 nouii ne sortons guère de là Grèce , 
si ce n'est pour venir de temps en temps à 
Rome. Aûssî, depuis Tâge où le baccalaurëat 
rëchauflfe en nous l'admiration du grec, de la 
mythologie et des païens vertueux, nous res- 
tons sousles impressions poétiques del'Orient. 
Les moindres ruisseaux de la Grèoe nous sont 
mieux connus que le cours de la Loire et du 
Rhône. On dessinerait de mémoire l'Olympe 
et le Parnasse^ et l'on ne saurait dire où est 
le mont Yentoux, à moins d'être né du côté 
de Montélimart. A force de pleurer sur les 
ruines de Troie^on oubliera celles de Sébasto- 
poL Enfin, les grecs, si l'on veut bien s'abstenir 
des journaux contemporains, seront toujours 
pour nous des Platon, des Aristide et des 
Léonidas. Tout ceci soit dit sans attaquer 
le moins du monde les études classiques, ni 
même le baccalauréat, mais uniquement dans 

le but d'expliquer nos prédilections pour 
rOrient, 

Ces prédilecticms, il faut en convenir, ne 



sont'-elles pas justifiées par le plus grand de 
tous les exemples? Dieu lui-même ne semble- 
t-il.pas avoir aimé par-dessus .toutes les autres 
contrées celles de l'Orient? Il les a faites les 
plus belles de l'univers^ il les a peuplées 
d'hommes célèbres et d une multitude de 
grands saints; il y a opéré les miracles de sa 
puissance, et le plus admirable de tous, la 
venue de son Fils en ce monde. 

L'Orient l'emporte donc sur les autres 
contrées de l'univers; mais, comme nous le 
disions, toute sa poésie est bien méléé de prose, 
et même de la plus triste. Son histoire est le 
récit non interrompu de toutes les misères, de 
toutes les folies, de toutes les turpitudes hu- 
maines ; et si Dieu semble avoir maudit ces 
régions, autrefois si privilégiées, on admire 
encore, malgré la grandeur de«es châtiments, 
combien il a été patient et miséricordieux. 

Assurément l'Orient nous a montré une 
multitude de grands saints, de docteurs et 
d'apôtres. Notre Occident lui doit sa c<mver- 



XI 

sion à TEvangile^ mais combien ces régions 
ont-elles vu naître de scandales et d'héré- 
sies, de Simon-le-Magicien à Photius , et de 
Photius à la chute de Gonstantinople! 

• En lisant cette histoire de FOrîent chrétien, 
dont le premier chapitre se trouve écrit dans 
les Actes des Apôtres , et le dernier par les 
turcs le lendemain de leur entrée à Constaû- 
tinople, on admire la patience de Dieu^ arrê- 
tant , l'espace de sept cents ans, les soldats de 
Mahomet, ces modernes Philistins, chargés 
de laver dans le sang des grecs les souillures 
de Gonstantinople. L'histoire de TOrient, 
celle du Bas-Empire surtout, serait capable 
de faire désespérer de l'humanité, si, juger le* 
autres nations sur l'histoire des grecs , n'était 
injustice et calomnie manifestes. 

M. Rohrbacher, parlant de la chute du Bas- 
Empire, nous dit dans son style à lui : Il était 
tombé si bas, que sa chute ne fit pas de bruit ! 
Si Ton u'àdmire pas le goût de cette phrase, 
on ne peut s'empêcher de partager l'indi- 



XII 

gDàtion de l'historien, lasse d'enregistrer une 
interminable collection de turpitudes; et de 
considérer Gonstantinople comme une courti- 
sane décrépite, s'affaissant sur elle-même et 
comme ensevelie dans sa propre corruption. 

L'empire d'Orient finit honteusement 
comme il avait vëcu , après avoir été pendant 
plus de mille ans la terre promise des héré- 
tiques et l'affliction de l'Eglise romaine. Son 
histoire civile est le digne pendant de son his- 
toire ecclésiastique. Pasun peuple sur toutel la 
terre n'offre un pareil catalogue de vilenies, 
de duplicités, de trahisons, d'empoisonne- 
ments et d'assassinats juridiques: les lâchetés, 
les cruautés savamment pratiquées, la dé- 
pravation des mœurs arrivée aux dernières 
limites, voilà le résumé de tous les chapitres, 
la table des matières de tous les volumes de 
l'histoire bysantine. Si le peuple se plaisait 
dans sa corruption, il en pouvait admirer des 
types et dés modèles sur le trône de Cons- 
tantin , déshonoré par le plus grand nombre 



3UII — 

de ses successeurs. Ou arriTait d'ordiuaire à 
ce trône par Fassassioat de son prédécesseur : 
le moins était de lui crever les yeux , quand 
le poison ne semblait pas un moyen plus com- 
mode et plus sûr. Dans cette insupportable 
histoire, on pourrait, si telle besogne ne flé- 
trissait le cœur, faire un total révoltant,d'yeux 
arrachés, de nez coupés, de membres mutilés, 
de Tcngeances atrocies. Si l'histoire des sau- 
vages Iroquois est horrible, celle des grecs 
soulève le cœur. Ce peuple, si mal conduit, 
si pressuré par des chefs incapables ou dépra- 
vés, valait son gouvernement; à lui surtout 
peut s'appliç[uer le mot de M. de Maistre : 
Les peuples ont le gouvernement qu'ils mé- 
ritent. • 

On nous pardonnera d'avoir ouvert cette 
désolante histoire du Bas-Empire ; mais elle 
est une justification manifeste des châtiments 
de Dieu. Si sa patience a été longue, sa jus- 
tice aussi s'exerce depuis bien des siècles : 
Notre-Seigneur a jeté cette grande partie de 



XIV — 

8011 héritage sous les pieds des turcs, et depuis 
quatre cents ans les grandes nations de FEu^ 
rope, au lieu d'exterminer les enfants de 
Mahomet, ou de les refouler dans les dëserts 
de l'Asie, leur donnent la main pour les retenir 
et perpétuer leur domination ^ur les chrétiens 
de l'Orient. 

Seule, l'Eglise catholique a pitié de ces 
malheureuses contrées et demande à Notre- 
Seigneur la fin de l'expiation. En attendant 
ces jours de liberté , dont l'Eglise a besoin 
pour étendre le royaume de Dieu, elle n'a 
cessé, depuis la chute de Jérusalem et de 
Gonstantinople, d'envoyer des pasteurs à ces 
populations opprimées, et souvent ces pas- 
teurs sont devenus des martyrs. 

Afin de préserver d'une perte totale les 
ruines de l'Eglise d'Orient, le Saint-Siège 
s'est le plus ordinairement servi des Ordres 
religieux. Si la Compagnie de Jésus est venue 
longtemps après les autres, dans cette vigne 
dévastée, elle n'a jamais cessé d'y travailler 



— XV 

courageusement, et ses trayaux n'ont pas ëtë 
stériles. 

L'histoire de nos Missions du Levant est 
généralement ignorée. Ces Missions existaient 
depuis un siècle, c[uand, les Lettres édifiantes 
les ont fait connaître à l'Europe. Mais comme 
alors il fallait donner du curieux et du nou- 
veau, ou tout au moins du récent, ce pre- 
mier siècle de travaux a été comme non avenu 
pour le public. 

Les Indes, la Chine, le Japon , le Canada , 
le Paraguay et les autres parties de l'Amé- 
ricjue, ont trouvé de nombreux écrivains pour 
nous raconter les travaux de nos Mission- 
naires et la conversion de ces vastes contrées 
à l'Évangile. Les Missions du Levant n'ont 
pas eu d'historiens : si les Missionnaires ont 
écrit, bien peu de leurs relations ont été pu- 
bliées; la plupart , restées inédites, ont été se 
perdre on ne sait où , après la suppression de 
la Compagnie. 

Comme il nous a été donné de recueillir 



^- XVI --T- 

quelques fragments de la correspondance et 
des notes dé nos anciens Pères, nous le$ pu- 
blions, non pour combler cette grande lacune, 
dont nous venons de parler, mais plutôt pour 
augmenter le regret d'une perte peut-être irré- 
parable } car les détenteurs de nos manuscrits 
ne semblent pas disposés à nous les communi- 
quer ou à les publier. 

La rareté de nos relations du Levant peut 
aussi s'expliquer par la monotonie de son his- 
toire religieuse. Là , en eflfet , les travaux des 
Missionnaires, leurs épreuves, leurs combats, 
leur succès crffrent peu de variété. Les rela- 
tions annuelles des Indes orientales et occi- 
dentales avaient souvent de l'extraordinaire 
à raconter ; celles du Levant sembleraient, 
au moins certaines années, la reproduction 
des précédentes. La patience à supporter des 
travaux ou des persécutions obscures et conti- 
nuelles est héroïque j mais elle ofFre très-peu 
de pittoresque au narrateur. Un de ces héroï- 
ques patients écrivait en 1659 : « J'ai souvent 



XVII — 

« appris qii'on s'étonnait à Rome' et en France 

^ dexe que nos Missions , qui ne doivent pa^ 

H être moins fécondes que les autres de notre 

u Compagnie , n'ont donné au public aucune 

u relation de leurs progrès depuis leur étâlilis' 

fr sèment. Pour justifier ce silence, il me suffi- 

f< rail de dite que, travaillant dans le pays oit 

i( le christianisme a pris naissance, ils ont 

M imité les premiers clirétlensetpra;tiqûé leur 

K maxime, de faire beaucoup, souffrir jdavan^ 

« tage^ et d'écrire trè&f)eU^ mais la véritable 

i< raison est que l'exercice dé leurs fonctions 

H se faisant parmi les turcs ^ les; jiiifia, les 

M hérétiques et les sQhîsiuatiques, la pru^ 

« dence chrétienne le^ oblige de peu parler 

ce et d'écrire enoore moins^ pour se garantir 

t( des surprises et des violences. C'est ce qui a 

« obligé jusqu'ici les Missionnaires d.e.eachef' 

(' ce qu'ik font et de l'ensevelir dans l'obscu- 

« rite, se contentant de servir Dieu, Sfin^ 

(f chercdhier des témoins parmi les homm^s^ 

». ni d'autres récompenses que lui-tuéme. » 



— rviii — 

Un autre Missionnaire écrivait à la même 
ëpoque : « Les Missions (du Levant) ne sont 
i( pas des Missions royales , qui mettent aux 
« pieds des Missionnaires des têtes couron- 
ce nées à baptiser, et qui leur donnent des 
i< princes pour auditeurs à enseigner. Elles 
(c ne sont pas de ces Missions éloignées qui 
« peuvent tirer une partie de 'leur réputation 
« de la longueur des voyages, dont la pre- 
« mière découverte anime le courage des 
u hommes apostoliques et enflamme leur 
{( zèle. Elles n'ont pas l'avantage de celles 
« !qui fournissent souvent l'occasion du Mar- 
tf tyre, et qui couronnent d'ordinaire leurs 
f< ouvriers avec l'épée des tyrans. J 'avoue que 
(( ces Missions ont peu d'éclat, soit parce que 
« l'on n'y dresse point de nouvelles églises et 
« qu'on n'y pense qu'à la réparation des an- 
ce ciennes , qui tombent de vieillesse ; ou 
« encore parce qu'il y faut servir Dieu avec 
"iK une main toute cachée et brûler d'un zèle 
«invisible, etc. » 



XIX 

Ce zèle des Missionnaires n'ëtait pas tou- 
jours invisible, comme le dit le P. Besson y 
dont nous venons de citer les paroles ^ car, à 
son exemple , plusieurs de ses frères ont eu 
le bonheur de se dévouer au salut des pesti- 
férés et d'y trouver le martyre de la charité, 
digne récompense d'une vie pleine de tra- 
vaux et démérites. D'autres ont fait des ac- 
tions d'éclat; mais le plus grand nombre, 
comme le disent les deux auteurs cités , ont 
travaillé silencieusement , obscurément , et 
cachant leurs succès dans la crainte de les 
compromettre. 

Nous aurions voulu donner une notice sur 
les Pères dont nous publions les Relations ; 
mais nos recherches ont été complètement 
inutiles. La vie de ces hommes apostoliques 
est écrite, il est vrai, mais dans ce livre, dont 
la lecture se fera, quand tous les autres auront 
péri. En attendant cette lecture solennelle , 
remplaçons la notice de nos Missionnaires 
par ces paroles de nos livres saints , gravées 



— lËt 

Bur leur tombeau : Gaudete autem, quod no^ 
mina vestra scripta sunt in cœlis. {Lw. x» w.) 

Les manuscrits publies dans ce volume 
proviennent de notre ancien collège de Louis- 
le-Grand à Paris, et de notre Université de 
Pont-à-Moussôn. Nous les avons reproduites 
exactement et sans corriger l'orthographe 
assez défectueuse du P. de Canillac. Plusieurs 
mots indéchiffrables ont été remplacés par 
des points. 



MISSIONS 



COMPAGNIE DE JÉSUS 

A CONSTANTINOPLE ET DANS LE LEVANT 

AU XVII* SliCLK. 



PREMIÈRE PARTIE. 

(1609-1610.) 

LETTRE DU RÉVÉREND PÈRE FRANÇOIS DE GANILLAG, DE 
LA COMPAGNIE DE JÉSUS , AUX PÈRES ET FRÈRES DE LA 
MÊME COMPAGNIE, QUI SONT EN FRANGE. 

Mes Révérends Peres, P. X\ 

Puisque mes occupations ordinaires et extraor- 
dinaires ne me permettent point de satisfaire par 
lettres particulières au désir de plusieurs de vous, 
d'entendre les particularités du succez de cette 
mission de Levant ; je me suis résolu m'acqultter 
de ce devoir de charité , par une lettre commune 
qui vous représentera en bloc ce qui s'est passé de 
plus remarquable dez son commencement jusques 
à maintenant. Et, bien que Tannée passée, on en- 
K. i 



— 2 — 
voya une briefve relation latine de nostre vojrage 
de Rome icy y toutefois, d'autant qu'on laissa quel- 
oues «particularités de quelque' poid^ et . que d'au* 
très furent légèrement touchées selon le peu de 
loisir qu'on eu$t de la tracer *, je reprendray le 
narré en sa source et suivray son fil le plus simple- 
ment , naifvement et briçfvement qu'il me sera pos- 
sible , le tout pour la plus grande gloire de Dieu , 
lui qui se rend admirable et aimable ez plus petits 
ouvrages de ses mains. 

Les PP. Charles Gobin, et Guillaume Levesque, 
et nostre frère Claude Colomb, partirent de Paris 
le 21 janvier 1609, après avoir au préalable , salué 
tres-humblement le Roy de glorieuse unemoire, 
Henry quatriesme, premier promoteur, comme 
Roy tres-chrestien , de ceste tres-chrestienne en- 
treprise , et receu de sa bouche royalle „ assurance 
de sa singulière et royalle protection en toute oc- 
ciipeBoe», f>our le service de Dieu. Et ayam pris par 
le chemin un autre fiiere coadjutQuf , riotnmé Es- 
tienne Viau, passèrent les Àlpei au co^r' de l'hiver, 
visitèrent te sacrosainct domicile de la gldriteuse 
Vienrgç à Ijorette et arrivèrent à Rome le fcullîesroe 
de mars de fat mesme ^ntlée. 1^ me trouvay à'Rchné 



■ Oetle Telalten latlhe fest diï E^. Charles Gobîn et n'ajoute aucun 
déiail à la lettre du P. dû Caaiikc* :' 



— 3 — 

par une secrète disposition; diyiae pour avoir le 
bien si longtemps désiré y maifs inespéré pour ioi^s , 
d'estre associé et attelé à ce quaternaire, et par* 
faire le mistique nombre de cinq^ signalé aux cinq 
pierres ou cailloux du jeune .DaVkf, et sanctifié 
au beny corps du mistique David- O fut le b'orn^ 
jour du dimanche dict In Passione , que le R. P. 
Louys Richeome , nostre assistant ,» vint taster lé- 
pouls de mon courage sur ce fait, et le trouva' si' 
vigoureux , que bien que je fusse assez mal disposé 
de santé corporelle, il me donna bè»ne esperaàce 
d'obtenir^ quand je m'en cûidôis plus es^rangé, ce 
fruit de mes anciens désirs. Je &is visiter quelque^; 
uns de ces lieux sainis de Rome pour recomneian- 
der ceste affaire à Dieu , et enfin receus cotnman- 
dçmçnt de me préparer poui: f^ire la profeésion le 
jour solennel de Posqtiesy pour «oudain aprez^ pren-» 
dre la route de Constanfânofde. 

Ainsi' que nous mettions en ordre ce qui èstoit 
nécessaire pour nostre voy^go,.on nouj^cuida accro- 
cher sur le lieu de nostre demeure k Pera ou Galata; 
car les niieiix pratiqués de ce lieu né.cuîdoient 
pas que le. moqiaBtere de ^ainVBefloist,; ou nosi 
Pères jadis «avoiént fait leur résidence, fust propre 
à nos fonctions, pouf estre esciairté de Ik demeure 
^e^ Latim , çntowéfï^^ Ç^^^ç» eit de* Armeniejq# , 
mais c'estoità mon advis un tartiâc^r de r>eiin«my 



_ 4 — 

commun, qui n'ayant pu estouffer ce dessein à Pa- 
ris par les menées d'un certain religieux: grec, en- 
nemy capital de l'Eglise romaine, le voulust plus 
finement dissoudre par un beau prétexte ^ Dieu 
nous fist la grâce de^ mépriser cette difficulté pré- 
tendue, espérant de la surmonter estant sur les 
lieux ; bien nous en prins , car bientost aprez Ton 
avoit minutté de deçà la rupture de nostre voyage , 
soubs couleur d'attendre quelque meilleure saison, 

' Nous ferons quelques emprunts à une relation inédite de Téta- 
tablissement des Pères de la Compagnie de Jésus à Gonstantinople , 
antérieure à Tannée 1657 et que Ton [conserve à la bibliothèque 
impériale , fonds Jacob. 7. 

«r L*an 1683 y Grégoire Xlil, à Tinstance de MM. les Pérotes, 
« habitants de Galata, envoya à Gonstantinople le P. Jules Man- 
« cinelli avec cinq autres de la même Compagnie , les recomman- 
« dant par un bref apostolique aux ambassadeurs de France et de 
« Venise, résidant pour lors à Gonstantinople. 

« Les Pères prirent possession de Téglise et maison de Saint- 
« Benoit en Galata , le 18 novembre 1583 , comme il se voit par la 
« patente que leur donna Mgr de Germiny , ambassadeur pour lors 
« à la Porte-Ottomanne, et par celle que leur donnèrent les sei- 
« gneurs Pier Nani et Francesco Morosini , ambassadeurs pour la 
« république de Venise , qui leur donnèrent aussi plusieurs ome- 
« ments et leur témoignèrent beaucoup d^aSection. Le P. Jides 
« Mancinelli , ayant passé quelque temps à Gonstantinople , fut 
« rappelé en Italie et mourut à Naples Pan 1618^ a.vec opinion de 
« sainteté. Ses compagnons y demeurèrent faisant les fonctions de 
« la Compagnie avec beaucoup de zèle et d'édification, et ayant 
« servi les pestiférés, ils furent tous frappés de peste et en mou- 
« rurent tous jusqu^à nos frères coadjuteurs. • 



— 8 — 

et si les lettres trassées sur ce subject fussent arri- 
vées avant nostre départ, l'affaire etoit encloûée ; 
nous eusmes aussi quelque difficulté, pour le regard 
de ceux qui nous avoient esté associés en la mission, 
la divine providence voulant donner ceste pre*- 
miere pointe aux françoys , pour donner , comme 
je crois, moins de prinse aux calomnies qu^on nous 
debvoit dresser. Tant y a que nous cinq fusmes 
despeschés , aprez avoir baisé les pieds de Ndstre 
Sainct Pefe^ qui se trouvait pour lors à Frasc&ti , 
lequel monstra en son visage et maintien le con- 
tentement qu'il recepvoit de ceste entreprise, le- 
vant les mains et les yeux au del en action de grâce, 
que de son temps cette ouverture se*fist; louant 
du reste la pieté du Roy qui l'avait efficacement 
procurée, et, aprez noUs avoir exhorté à nostre 
debvoir et accordé quelques indulgences et facultés, 
nous donna sa sainete bénédiction. Le lendemain 
nous allasmes prendre congé de N. R. P. General 
qui s'estoit retiré à Tivoli pour prendre Tair ; et 
peu de jours aprez , ayant esté favorisé des lettres 
de M. de Bresves , ambassadeur de Rome pour le 
Roy, qui avoit tout (e premier mu ceste pierre, es- 
tant en l'ambassade de Constantinople , voire d'un 
passeport en langue turquesque, laquelle ce seigneur 
possède entièrement, avec la bonne grâce des prin- 
cipaux de cet etnpire, nous nous embarquasmes 



--6 — 

^^r le. Jibrf poui* prendre la mer en son emboiir 
cbura veirs Os|:ie et tirer à Naple%. Ce fut donc lie 
!lO 4u m^ de w^ff en Tannée 1609, <{ue nous 
pirisjoies Vf'^j et sur les 5 beures du so^rvismesl^i 
mer el taschasmes de. pa^er outre; mai^ le venj; 
'Contraire nous r^tta. en terre tout à propos, pour 
secourir spiritii^llement plusieiups pescheurs pro- 
venceatpcy qui viennent gagner leur viei^ur. ceste 
iK>ste par lapesche, capapés ^sou» des pa^illooâ ou 
tabernatiles de feuilles; jamais ils .ne fineot si JbeUe 
prinse que cestq soirée là^ se laissant eux-ni^me$ 
eiilaqer 4^ns JleS;ret^ 4^ jsem<Mi€es, qu^ ^ous JtfUfj 
firmes <^ dei sa p^rv4ii4§ )%;Qpnimodlté qaeja divine 
l^pi^téileur Hi^ttoit en^wain^pour obtenir ou reoou^ 
vr^r 4q precie^a^ jqyai^ dç 9fi grâce a^ s^tint sacres 
icaeat de la.peaitepce, X^ plu^ ^ages .tost empo* 
gi^erent l'offre et nfiifs di^tretinreiait qu/çlqii^ paortie 
de laj^jûçit,.ppur<M^yif l^w^c^^ générale^ ou 

fie plusieurs aiinées.;,cejpirçniifir,si£(cce3& nous donn^ 
j>eUe^ espérance. du futyr^ prenant de, ^à, secrète jas- 
siirance que Dieu agrepit nostre voyage , puisqu'il 
en recu€|il|oitdç si bonne heure des fruijts. hç Imd^. 
main matin ,.nous fisnies voile à tQrre;en,cinq joui:^ 
aprez une. furieuse tempeste et bourasque qui fit 
suer nps jrameùr^i et qous fit jetter quelques pièces 
à' 4^nus Dei tf^ .mer , et nous ar^ivasmes à Ngples à 
temjpsi pour y 4ire I^.messe. N03 Pères el; Fnçres tant 



de 1^ maison professç , .où nou» âUasineÈ/lo^r^ que 
du collège et noviciat , nous firent un acaieii digiie 
de la charité de la^Gompagoia, votrement avec une 
exbaordioaire d^nian»tration)<>pour nous voir des* 
tinés à uœ «i glQrieuae et apoiaitolique entneprise; 
plusieurs dous portoi^nt.^aUitemeoiewvie, et qiÉel" 
que$-uns donnèrent leur nQni^|>ar eacripty àoe.qu'ils 
fussent mis un jopr en noUe de ^i^us^.qiM yi^ndrotent 
au secpurs. . : - 

Les gij^bres de Malte^ estoient pour^lor^ "4ai^ le 
mole, prestes àlevai^l'anchre pour tirer eïi Sicile , 
mais si' surchargées tcpue nous eustnieà <te t^ peine 
pour y eflttrer, ets*il &lut nous séparer en trois 
handes, Dieu Tajant ainsi disposé, à cocfue nous 
pussions aider dj^yaigtage de gw»f comme il avint, 
Dieu roprcy , doraj^t ce peu de jours que nous em- 
ployasmçs àl;rajetter ce bras dem^r, qui fust depuis 
le 20 du mois de may aurj'h^ure de Vi^^nes,. jus- 
qu'au uiiatio d^23 4^ tnesme, que nousngK)uiUasmes 
Tanchre dans le port de Messine. ]Sous.aUasme& 
droit en la maisoq professe 4e nostre Compagnie et 
y fusmes rep^us avec tous les signes d'une vraye et 
cordiale charité,, qui dura tput le temp^ de oostre 
séjour qui fust de 22 jours ; ceux du collège et no- 
viciat de jj^a^ mesmfi viUe et ceux du petit collège de 
Regio de là du canal (ou se voit une colonne trans- 
parente qui a servy d'appuy au grand apostre saiAct 



— 8 — 

Paul , prescbant là en passant , selon la commune 
opinion et tradition) firent à Tenvi pour nous ca- 
resser. Nous passasmes en ces quartiers là la bonne 
feste de Pentecoste Bt y ouismes plusieurs confes- 
sions, mesine des françoisqui avoient leurs vais- 
seaux en ce port. Mais le temps nous duroit à mer- 
veille, comptant les heures pour jours et les jours 
pour mois, ne voyant aborder aucun vaisseau qui 
nous peut corporellement porter , ou nous estions 
pieça par désir et volontés; mesme despuis que 
nous perdismes une belle occasion d'une .../ fran- 
çoise^ ce sont des petits vaisseaux légers et habiles. 
Cependant que nous estions à Regio, jamais les sen-* 
tinelles posées sur les hautes tours des villes ou costes 
marines , ou bien sur le bout des antennes des na-- 
vires dressées en pleume. ... ne firent meilleure 
garde pour descouvrir les aUants et venants , que 
nous faisions sur le hault de nostremaiton pour re- 
marquer les vaisseaux qui entroient dans le port« 
Un jour entre autres, qui estoit le quinziesme de 
juin , nous en descouvrismes quelques uns qui por- 
toient mine de venir en levant , mais voyant qu'ils 
passoient emmy le canal , sans tourner la proue de- 
vers le port , nous prismes resolution de leur de» 
puter, pour les accoster et prendre langue d'eux. 

' Le mot est omis dans le texte. 



— 9 — 
A temps un père et un frère prindrent une petite 
barque et les joignirent ; et entendant qu'ils pre- 
uoient autre route , rebroussèrent devers la ville, et 
s'estant apperceus d'une zarthie fort petite, l'a- 
borderent et parlementèrent avec les mariniers, tous 
provenceaux,*qui tiroient à Corfou, et de là peut estre 
à l'archipelage. Le Père empoigna cette occasion et 
serra le marché bien chèrement pour la bourse , 
mais très perilleusement ' pour nos personnes, 
comme vous ouirez tout maintenant ; les voicy donc 
revenus avec le vaisseau naolisé, et nous bien, aises 
de pouvoir renouer le filet de nostre voyage. Mais 
les Pères de nostre maison, qui jugeoient de sang- 
froid le danger où nous nous mettions, et le peu de 
temps que nous avions d'une couple d'heures, prins 
pour nous fournir des provisions nécessaires a un 
tel voyage , estoient tres-marris du marché. Cepen- 
dant ils firent une diligence extresme de nous accom- 
moder de tout ce qu'ils avoient en la maison et qui 
se peut achepterà cette heure là, quec'estoit la der> 
niere du jour solaire , et nous accompagnèrent de 
belle nuict jusques à la rive. Un de la troupe dit 
que les nuées s'entrouvrirent par trois fois avec un 
éclat de lumière, que Ton voit parfois arriver à catuse 
de certaines exhalaisons , ce qu'il print en bon au- 
gure pour nostre voyage; nous montasmes dans 
nostre barque, embarrassée de marchandises et par- 



— iO — 
ticulierement de sardines salées^ qui iofectaieDt l'air 
des lieux de nostre retraite la nuit ; pous ûsmes 
voile. sur le champ et à l'heure fuîmes allarinés de 
la venue des galères de Naples, craignant qu'elles 
fussent autres. Prenant le lajrge^puisreprçiiianl nos 
brisées , coipmença^es a experiinenter l'enAuiy de 
calme et boi>açe, qui uous^ faisait plus reculer qu'a- 
vancer. Si fps^es-Qous tant favorisiez par. forcç de 
vent y que le 20 du.mesmç, mois, de gr^n^ .m^tin j 
nous nous. trpuyx^smes dans le port de Tisle de Cor- 
fou, appartenante à la seigneurie d^ Yenise- Il nous 
tardait jà de descendis» non tant pour pous ra- 
fi^j^picbir cprpprçlle^neot , que poMr nous recréer 
avec, la yiapde dçs Ahges r^^^P^P^^^^^ durant ce^ste 
Octave de la Feste Dieijjj que. nous avions passée en 
mer ; mais il nous en.^lut passer bien plus long- 
temps. Je m'en allai d^nc avqc un compagnon dans 
l'esquif, avec, nostre patron et esqrivain , droictau 
bureau de la ^^sapté^ présenter nos bulletins et les 
lettres du feu Roy , que nous estimions nous deb- 
vpir donner toute franchi^ s^r les terres véni- 
tiennes; et voy^t. qu'on ne nous fjp^isoit aucune 
difficulté d'entrer dans la ville , me faisant mener 
d^ns une egUse des Pères de saint François , j'atten* 
dis que les autres s'y rendissent poiu* dire la messe. 
Mais les Pères de céans, nous dirent qu'il y avoit 
deffensed'adipettreià l'autel aucun estranger, sans 



— n — 

congé exprez «de 'Monseigneur Tarche vasque. Nou$ 
nous mismes en debvoir de l'aller treuver en sa 
maison ^-quiâst dans le clos de la fortjoresse ^ à la 
porte de laquelle nous fusmes arrestez, attendant 
d'avoir congé de l'IllusIrisQÎiBe pvovediteur gou^ 
¥erneuff.f Cependant nous fusmes' arraisonnés de 
divers, seigneurs clarissimeS} ^ qui oommandoient en 
des gsderes de la .seigneurie et par rencoqtre* nous 
trouvèrent en ceste porte* ils nous parièrent et iti^ 
terrogerent d'unteLaoeent^ que nous apperceumes 
bien 4e llamerbunie qu'ils avûîçnt contre notre Com- 
pagui^i. On nous mena donc devers Monseigneur le 
Reverendissûne^ qui.nous reoeut fort amiabl^nent , 
regrettant de ne. pouvoir nous recepvoir chez luy et 
traiter avec la naesme affection qu'il avoit.Êtit aul* 
ti^ fois les Jiostriss , voire , qu'il &e nous oonséilloit 
p^ de dire la messe pour obvier à quelque scan- 
dale. «Quelqu'un de noftisrrepartit que «pour le moins 
aous la; puii^iojQs ouir. Vous n'estes, pas, dit Mon^ 
s^neur, excommuniés; non , Dieu mercy. Mais 
sifusuies nous traitési comme tels;^ car au retour de 
l'archeves^iue.y.aUant vers la. marine, on nous en^ 
voya uo huissier , qpi nous deffendit sur peine de 
la founche, pour franchis^ ce terme si pregnant, de 
mettre plus pied en t^rre. Cleste si sanglante paroUe 
espouvaotft au^wi^mfant.nos mariniers^^ mais non 



— la- 
pas nous qui en dismes de bon cœur un beau Te 
Deum laudamus. 

Arrivez que nous fusmes au lieu de nostre exil , 
c'est à dire nostre bateau , de vray nous y soufïris- 
mes une chaleur très grande , quinze jours là que 
nous fusmes à l'anchre, bien en peine du party que 
nous debvions prendre, puisque nos gens ne faisoient 
estât de passer ces isles voisines qui dépendent et 
relèvent de la mesme Seigneurie. On ouit là quel- 
ques confessions de quelques françois qui estoient 
à Corfou. Enfin nos pilotes levèrent Tançhre le der- 
nier de juin et aprez avoir eschappé d'une fascherie 
ensemble, de nuict arrivasmes, le second de juillet, 
dédié à la Visitation de la Glorieuse Vierge Marie , 
en une autre isle des Vénitiens dicte la Cephalonie , 
où nous eusmes plus de liberté qu'à Corfou , des- 
cendant en terre pour nous rafraischir et un jour de 
dimanche ouismes la messe en une petite église voi- 
sine à la marine^ et receusmes la sainte communion 
de la main d'un religieux do saint François. Nous 
fusmes aussy visiter un certain vills^e, où l'on nous 
venoit voir à merveille , nous faisant entendre en 
quelque façon le bon grec , duquel dégénère beau- 
coup la langue vulgaire^ qui se va tous les jours ab- 
batardissant et se meslant av)ec l'italien et le turc. 
J'-attribue au reste la franchise que nous easmes à Te- 



— 13 — 

loignement de la yille, où fait sa demeure le sieur pro- 
vediteur de la Seigneurie, comme aussy au passe-port 
pour la santé, que nous obtinsmes de mesme par nos- 
treserviteur qui nous servit bien ici, de celuy qui nous 
avoit donné entrée en la nave vénitienne , comme 
nous dirons en son lieu. Sur cela nous apprismes 
que les trois navires de Venise qui alloient au Tjevant, 
estoient jà arrivés aii Xanthe, qui est une autre isle 
assez proche de la susdite , et de la mesme repu- 
blique , qui nous fit résoudre à quitter nostre zar- 
thie, qui n'estoit encore preste à partir, et tascher 
d'entrer en l'une des trois ; resolution plus heu- . 
reuse qu'avisée, nous mettant entre les mains de 
nos ennemis capitaux ; nous prismes donc congé de 
nos voituriers , après les avoir avec la grâce de Dieu 
bien édifiés , et servis au tribunal de la conscience 
quelques uns ; et sur une petite barque passasmes 
de là du port en une petite villette de la mesme 
isle , nommée Lussure communément , pour de là 
trajetter au Xanthe. C'est là, où nous fusmes accostés 
à bon escient des Grecs et de quelques Italiens ou 
Italianisés et vismes par rencontre Tevesque grec 
qui , outre Fhabit commun de saint Bazile , portoit 
pour marque de sa dignité episcopale un chappeau 
bas et à grandes ailes , couvert de quelques estoffes 
de soye, eï croisé d'une bande large , et doublé de 
velour noir , et en sa main son baston pastoral de 



— u — 

mediocne haulteur , de beau bois , k crosse d'argent ,' 
d'uoe croix de saint An thcnne ; i} nous fist bonne; 
mine, voire nous offrit la collation, et partant noua 
donna sa bénédiction, sans que nous la luy deman* 
dissions autrement. Un prestre doète^ gt^^9 qui a 
cogneu k Rome nos Pères , amy de TEglise Romaine, 
ohserrant le célibat $ans estre religieux , unique et 
sans exemple en tqute la 6rec0 à mon advis, fort 
versé en grec lettré,; chose rare par dfeça, voire 
mesme parmy le^ prélats, nous vint saltjer cour- 
toisement, nousvoula'ttttqaiteret loger pour oe soir; 
aussy n^avions-nous là autre retraicte que le petit 
bateau knié pour nostre passage du lendemain ; ce 
qu'il fit avec beaucoup de chante. Nous empk>yas-* 
mes le jour suivant et bonne partie de la nuic! pour 
arriver au Xanthe, qui fut deux heures devant le 
jour, 9 de juillet. Dieu nous favorisa de tout , qu'a- 
vant que personne nous e«fôt recogneu , par la dili- 
gence et habileté dm consul françois , grec de nation' 
et iqui a du crédit, et Contente à merveille la nation 
françoise, nous fusipes reçus dans un des trois vais- 
seaux , nommé la Mule^Fùscarine ,* bien que nous 
eusme$ de la peirié pimr embarquer nos hardes eit 
paitîe dès nostreip ^t les ci^nduisoit. J*avois avec 
un autre de bonne 'heui^ë pritis possession de la 
place, qui nousftist accordée, à cause d^une furieuse 
bouràsque d*un gros vent et n'eust esté que le sus- 



— 18 — 

dit sieur consul envoya exprez son fils au patron , 
il nous falloit laisser nos bardes en terré. Nous ran- 
geasmes , ou pour mieux dire nous entrasmes dans 
notre petit coin , sous un des yeux de la proue, où 
les maistres cables des ancres passent, qui nous in- 
cotnmodoient et de jour et de nuict. Et ainsi fismés 
voile sur la nuict, favorisés du vent qui , dans deux 
fois vingt et quatre beures , nous fit voir Cerîgo , 
isle de Testât vénitien , où nous laissasmes quelques 
soldats, venus pour renouveler la garnison. Et le 
mesme jour, sur le tard, reprismes nostre route, 
entrant dans Tarchipelage, les autres vaisiâeaux nous 
ayant laissé, l'un pour aller à Candie descharger la 
garnison ; l'autre ne pouvant nous suivre avoit tire 
en Cartier <et enfin fut prins par lès corsaires turcs 
et pillé : où en passant faut faire remarquer la sin- 
gulière providence dé nostre Dieu envers nous, 
puisqu'il nous délivra ou de la captivité manifeste 
des infidèles, ou des algarades qu'on nous eust pu 
faire en Candie, nom plaçant en icelluy desdits vais- 
seaux, qui fut le plus fortuné pour ce regard. Mais 
poursuivons ntjstre voyage , qui pour les grandes 
bonaces de ta ther , et cbaleurs du sofeil qui estoit 
en sa pkis grande vigueur , traisnoit avecsoy beau- 
coup d'incommodités et d'ennuis^ et surtout pour 
Teau qui se.corrompant nous interdisoit le boire, si 
la grande cbaleur ne nou* eust contraint à avaler 



— 4ft — 

avec dontrecœur cette eau puante, laquelle nous 
taschasmes en la faisant bouillir de rendre plus 
supportable, mais comme nous approchions de 
Tisle de Tine (qui relevé encore de Venise) où nous 
devions débarquer le .... de soldats du chas- 
teau avec le sieur capitaine nouveau , voicy trois 
galères turquesques qui comparurent prez d'une de 
ces isles; là, l'une de ces dictes galiotes s'esvanouit 
derrière l'isle, et les autres deux font semblant de 
venir à nous qui ne pouvions gueres nous mou- 
voir pour faute de vent. Le patron exhorte le ca- 
pitaine à disposer ses soldats à faire leur devoir 
quand besoin seroit; le tambour -et la trompette 
commencent à jouer; on déplie les etendarts, on 
prépare l'artiUerie, et peu s'en fallut qu'on n'en 
vint aux mains. Pour nous^ aprez nous estre recon- 
ciliez et confessez de nouveau, et entr' embrassez et 
disposez à tout événement, nous taschions à convier 
les séculiers de recourir à Dieu, envoyant un cru- 
cifix que je portois , par un jeune garçon qui alloit 
par le vaisseau pour le faire baiser ; ce que tous 
firent dévotement , et quelques uns la larme à l'œil. 
Dieu nous avoit réservés à d'autres combats; on 
parlemente et chacun tire son chemin , et enfin ar- 
rivasmes en une petite isle, nommée Michone, tout 
proche deTine. 

Nos soldats prinrent leur party non sans avoir 



— 17 — 

esté consolez et secourus au faict de là coûsdénce 
par les nostres, aussy bien que les mariniers et 
passagiers du vaisseau , et entre autres trn mari- 
nier, malade à la mort, aprez s'estre confessé, 
print par le conseil d'un Père de la pierre de Saint- 
Paul de Malte, et guarit. Enfin en ceste petite isle 
de Michonne , sujette au grand seigneur, nous re- 
ceumes tout plein de courtoisie des habitants chres- 
tiens , mesmement d'un papas , c'est-à-dire prestre 
à cause de la cognoi^sance de la langue grecque 
littérale, qu'ils remarquoient et admiroient aux 
Nostres. Nostre patron invita un jour de dimanche 
Mgr l'archevesque grec qui estoit venu en la dicte 
isle à les festiner en la place d'un navire , à l'abry 
d'une voile , tendue en tente ; on tira le canon la 
première fois que- Monseigneur Tarchevesque but , 
et chasque fois qu'il falloit boire on entonnoit, 
Monseigneur le premier , et de main en main , un 
hymne ou chanson spirituelle, et donnoit-on le bai- 
ser de paix à celuy qui suivoit et qui recevoit le 
verre, lequel sert à tous. On nous invita sur le mi- 
lieu du disner (nous avions desjà prïns notre petit 
repas) pour tenir compagnie à Monseigneur , qui 
avoit cinq ou six, qui calogeres, qui papas, assis 
en table, et falut boire après l'evesque, mais sans 
chanter ny baiser; c'est la cérémonie commune et 
religieuse des grecs. Mais le menu peuple, en leurs 
K. % 



— 18 ~ 

festins miptiâulb , demeurent diton , trcns jours et 
trois nuicts sans se partir de la table , donnant sur 
leurs coudes^ Là la tramontane nous constraignoit 
de demeura encore plus longtemps que nous 
n'eussions voulu , jusqu'au penultiesme de juillet , 
que nostre Bienheureux P. Ignace nous obtint, 
comme nous croyons, le vent de midi, justement 
au mesme temps qu'on commença à Rome de l'in- 
voquer et honorer solennellement, lequel nous 
porta en biîef à la veue de Chio. Nostre patron pen* 
soit passer outre sans s'en approcher de plus prez ; 
mais le vent contraire qui se leva à nostre granîd 
regret, qui ne desirions que d'avancer chemin, et 
aussi que le bruit de la contagion qui estoit à Chio, 
nous ostoit toute pensée de nous y arrester, nous 
contraignit de nous engoufrer dans son canal et 
d'aller jeter Tancre vis-à-vis, vers l'Asie, en la 
province dicte Natolie où nous fusmes jusque 
au S"" d'aoust , que derechef le bon vent se leva jus- 
tement pour nous faire descouvrir de nos Pères et 
du sieur consul françois« qui avoient receu charge 
expresse de M. l'ambassadeur de France en ceste 
Porte de nous arrester jusques. à autre advis de 
luy. M. le Revereodissime evesque de Tine, visi- 
teur apostolique en tout le Levant , en avait escripf 
de mesme encre et de mesme accent; c'estoit en-* 
suite de l'opinion que le ^seigneur visiteur a voit pris, 



— 1» — 

el tasdié de persuader à M. de Sahgnac j que nos- 
tre venue n'estCHt encore de saison. Nos Seres 
donc prindrent résolution, avec M. le Copsul, de 
Qous envoyer une barque armée de 20 avirons^ avec 
deux des Nostres pour, nous suivre. Le vent, ayant 
calé, les fit joindre à nous ,une heure de.nuict et 
nous fit résoudre à £aii^ descendre trois des nostres, 
et que les autres d^ix, c'est-à-dire ujq Père et moy 
nous suivrions la divine prpvidoace qui nous vou- 
loit tous préserver du danger que. nous estions 
pour courir , si les nouvelle» do courroux de l'am- 
bassadeur de Venise, contre Vescrivain du navire, 
pour nous avoir donné place en iceluy , et avoir 
porté en Levant ceux qu'ils ne pouvoient supporter 
en rOccident, fust arrivé à noâre patron , grec de 
nation, et de vie et de mœurs aucunement bar- 
bare , mesme sur le chant de la chcJere et passion, 
avant nostre séparation. Geste providence, dis-je 
d'en haut, ne permit pas que nous passassions outre, 
donnant le loisir à la aeccmde frégate, qu'on despes- 
oha le lendemain matin, de nous atteindre et mener, 
ayant laissé nos bardes avec notre homme sur le 
vaisseau ; nous abordasmes la gentille isle de Chio 
sur le soir du quatriesme d'aoust , en mesme temps 
que les gdleres de Bhodes entrèrent au port toutes 
triomphantes dé la prise de quelques galHots chres- 



— M- 
tiens y qui leur avoit neantmoins cousié la vie du 
Bey , id est gouveraeur de Rhodes. 

Nos Pères nous firent tant de caresses qu'en 
brief ^ nous reparasmes le deschet d'un voyage 
long et fascheux. Ils nous firent voir les plus beaux 
lieux de ce petit Eden , et jardin de Tarchipela^e : 
mais entre autties choses , nous menèrent à la fa- 
meuse et célèbre Nostre-Dame, dicte Neamoni, c'est- 
à-dire nouvelle-seule, d'autant qu'en l'image mi- 
raculeusement nommée, la Vierge est dépeinte 
toute seule, sans son pMit Jésus. C'est tin lieu élevé 
dans un petit valon , que les plus hautes monta- 
gnes font quasi en leur cime et faiste et cernent tout 
ensemble; où demeurent plusieurs religieux grecs, 
la plupart idiots et lais , sous un abbé absolu. L'E- 
glise est belle, voûtée , avec plusieurs petits dômes 
divers, peints à l'antique ; enrichie de plusieurs do- 
natifs, tant des latins que des grecs. La sainte image 
est dans le choeur , à la main gauche de l'autel , 
serrée en sanctuaire, sur un tréteau de bois, devant 
lequel par faveur spéciale, faisant dresser une table 
pour soustenir nostre auteiet que nous avions 
porté avec les habillements sacrez, je dis la saincte 
messe. Nous passasmes tout ce mois avec beaucoup 
de consolation non seulement pour jouir de la pie 
et douce conversation des nostres : mais aussi pour 



* — 21 — 
la grande pieté que n.ou8 remarquions en ses chres* 
tiens y qui, vivants parmy les Turcs et soubs leur 
empire , font honte à ceux qui sont au cœur de 
la chrestienté ; ils ayment et révèrent singulièrement 
la Compagnie, à la résidence de laquelle ils cpn^ 
fessent communément devcnr cette dévotion et 
ferveur, aprez Dieu ; ce qui nous donna bon courage 
pour venir ci^ltiver ceste vigne de Cpnstantinople, 
a ce qu'elle pojrtast un jour semblables fruicts ^. Et 

' c Environ Tan 1590 , nos Pères s^établireBt en rile de Scio, 
c Leur église y est fréquentée , comme celles de France. Ils ont 
« environ 250 écoliers » entre lesquels il y a douze ou treize petits 
c clercs, destinés pour servir à Téglise. Quelques-uns d'eux deman- 
c dent d*entrer en la Compagnie ; ils sont envoyés à Messine ou à 
« Rome pour faire leur Noviciat et continuer leurs études. De là ils 
« retournent à Scio pour régenter , et après avoir régenté trois ans, 
c ils vont faire leurs études de tliéologie et le troisième an de pro- 
c bation en Italie , à la fin desquels ils retournent encore à Sdo 
c pour prêcher, faire des Missions sur les lies de Tarchipelage et 
c vacquent aux autres fonctions de la Compagnie; d'où vient que 
« tous les Jésuites qui sont à Scio sont natifs du lieu : et de plus , 
■ il y a en Italie environ une quarantaine des Nôtres, qui sont 
i Sdotes et ont pris leur vocation à Scio ; quelques-uns d'entr*eux 
f ont été avec nous à Gonstantinople ; d*autres demandent de nous 
c aider en nos résidences, qui dépendent de la province de France ; 
f quelques-uns aussi sont en chaiiges, en la province de Sicile.... 

« Il y a eu à Scio quelques petits difftonds pour les dispositions 
• de ceux qui entrent dans la Compagnie : mais le cadi ou juge, 
f les termina eii cette façon. Il fit venir tant les Nôtres que leurs 
« frères et sœurs, qui leur disputdient la disposition de leurs biens. 
« Le cadi leur demanda s'ils étaient tous enfanu des mêmes père 



n'ayant eu autres nouvelles, nous louiisines une 
de ces frégates années de cinq bancs Jpour parfaire 
nostre voyage. 

Nos Pères ne se contentant pas de la bonne chère 
qu'ils nous avôient faicte, nous donnèrent un beau 
p^tit tabernacle tout doré, pour tenir le Sainct Sa- 
crement , qui nous a bien servi icy , où semblables 
choses à tels usages, ne se recouvrent facilement. 
A tetnps nous partismes du port le 26 d'aoust>sur le 
tard, et courusmes, en ce resté du voyage, qui fust 
de douze ou treize jours , risque de nous perdre 
plusieiirs fois , par le mauvais gouvernement de 
nostre pilote turc, meilleur ivroigne que timonier de 

« et mère ; ce qui ayant été avoué de tous , il dit qu'ils dévoient 
(( donc tous partager le bien de leur père et mère. Les séculiers 
<f dirent que les religieux dévoient en être exclus ; le cadi. répliqua, 
o que, pour être religieux, ils ne sont pas moins enfants légitimes de 
« leurs père et mère, et que partant ils doivent avoir la libre dis- 
« position de leur^ biens. 

. « Nos Pères à SciO: ont cinq Congnégatioas de Notre-Dame, pour 
« les gei^tilshommes , pour les jeunes hommes au dessous de trente 
« ans, pour les grecs, poar les écoliers, et pour ceux qui sont 
« destinés à TËglise. 

« La procession du 5afnt-Sacrement.se fait publiquement par les 
« rm% «|Vec grawl appareil; chaque Gcmgrégatlon a son étendard et 
« éraga son autel pour exposer le SaiotTSacrement. Ils ont quelque- 
« feis une quarantaine de nos écoliers habillés en anges fort ricbe- 
« ment, qui portent les armes ;de' la Passion ou quelque figure du 
« Saint^SaeremenC; les eierges'et les flambeaux de cire blanche s'y 



— Î3 — 

vaisseau, qui .noasCaisoit paMer par ëessus lia fîP 
ehers. De jihis, un jour comme il bous aroit kSiké 
en une plage , où quelques narchatick Tiïi^ 
faiMîent traite de. bled, Boui» desôendismes sut Itt 
rive, sur la paiple que nçs mariniers grecs {eXiéi 
turcs avoient suivi le pilme en un bourg ; p6nr luy 
tenir compagnie à boire), nous donnoient qu'il h^y 
avoit point aucun danger', tuais à peine fusnles 
nous en terre; qu'un de ces messieurs s'estant âp^ 
perceu que nous avions quelques oranges en ' la 
barque, se saisit d'un Nouveau-Testament, qa*tm 
des Pères tenoit en main , et nous fit signe ' que si 
nous le voulions ravoir , il luy- falloit dbnnér de 

I — \' — ^;m n> 

« Toient en très-grande quantité : car les Seiot^ft^tranrai^etititmt 
a proprement en cire. Les femmes Turquesquef 4ç gii^if^^^j^fi^iiL 
a qu'on fasse passer la procession par leurs rues , devant leur 
« logis ; elles sont la pluspart grecques ou sfourrlefe avek lés grec^ 
a ques, et ont quelque affection au Cbristiapisiaè. • : - : > 

« 11 y a quelques années que Tisle de ScIq fqt.f4Big^.4Q H^'^^ 
• resse. Les Turcs firent leurs prières publiques pour obtenir 
« de la pluie, mais sans effet. Lè^ àrecs firent' une' procèssioli 
générale, sans que le*ciel donilât uoô seule'gbuttèdd't^lu^^-^B' 
« Pères lurent priés de faire leur, i^ocassion ; ilf Ift fi]^|il><4i90ih 
« tèrent flmage de la Congrégation des Gentilshomipes, qui est 
it une rkiùie Marie-Majeluré, envoyée' par notre k F^. dénéral, à là 
f GoagtégMbB. Avant qoe^l^ {ifwesâfen fntMlwfvaB, îla plniè 
c (lunj^a jE» te^lè. fJK>u4afice,,^,qp'j^f,myuH^^ 99rèciH>«)^tfnmt%' 
f tous ceux ^ui y assistèrent ; et les Turcs diso^ent qye la Mepem 
« dés jiàpàfe; Serines étoif la plus puissante. Par iierieni ils enten<* 
« :d^t la MétiheoreiMê VIsrge Mariéi ^ '(£fefitHof« c^ 



— 24 — 

ces belles oranges. J'euspeur qu*il fit autant de nos 
bréviaires que nous avions porté du baq^eau pour 
dire nostre office, le long de ceste rive, et à temps, 
nousnousreœbarquasmessur le champ tout àpoinct, 
pour ne voir de prez ce qu'arriva àpn de nos frères, 
qui s'estoit à la bonne heure escarté bu Un petit val- 
lon , pour quelque besoin sien particulier , et ne 
rendre par nostre présence et meslange Taccident 
dangereux. Un mauvais garnement qui Tavoitespié, 
je crois, et suivi de l'œil, prend, sans mot dire, la 
mesme route ; mais Dieu voulut qu'il rencontrast 
nostre frère Estienne au retour, et jà au découvert 
du dict vallon ; neantmoins il le menaça par signes, 
de luy vouloir couper la gorge , le saisissant par le 
collet, et taschant de le ramener d'où il venoit; 
nostre frère tient bon , et se tiroit tant qu'il pouvoit 
vers la marine. Ce galant commencea à jouer du 
baston sur le dos , et des pieds au jan^t de jambes , 
luy faisant plier le genoux jusqu'à terre. Bon Dieu! 
que devinsmes nous à ce spectacle , ne pouvant se- 
courir nostre frère que de. plaintes inutiles, des* 
quelles les autres turcs ne faisoient guère de cas , 
aussi ne les entendoient-ils pas. Enfin nos rameurs 
grecs de nation en eurent pitié , et se jetterent en 
terre pour le secourir, qui furent soudain suivis des 
autres monselimans (musulmans), plus pour défen- 
dre leur frère de religion , comme je crois , que 



— 25 — 

pour loy bàre lascher prise, ce qu'il fit neantmoins, 
au couster (aux dépens) de nos nMirini^*s , qui en 
rappcNTlerent quelques bastonnades bien serrées; et 
nostre frère se met dans la mer pour Tenir plus seu- 
rement à nous , Teau jusques à la ceinture. Nous 
louasme& Dieu du succez, et apprismes à bonnes 
enseignes de marcher avec crainte et considération 
parmy ceste^gent. On nous dit bien par aprez que 
nostre turc qui s'estoit servi librement de la commo* 
dite de nostre frégate, qui estoit tout à* nous par 
pasches expresses, finissant là son voyage , fit sai- 
sir ce misérable pour le faire punir: Pour nous , en 
recompense dubien£iit, nous lui envoyasmes quel- 
ques oranges, et recouvrasmes les heures du frère 
qu'il avoit prins dans sa pouchette, mais non le 
chapelet qu'il luy arracha et défila en partie et en 
réserva les Pater , peut estre à s'en servir à leur façon , 
en disant a chasque grain le nom de Dieu, y adjous- 
tant parfois quelques epithetes ou attributs, comme, 
Dieu est grand. Nous passasmes outre, et le lende- 
main mismes pied à terre vers la rive de la fameuse 
et ancienne Troyes, où l'on voit encore quelques 
ruines et fondements de ceste ville là. Un de nos 
fibres par dévotion marqua sur une de ces tables 
de marbre le sacro-sainct nom de Jésus , comme 
bon augure. Et enfin entrasmes dans le detroict de 
l'Hellespont, où il y a, d'un costé et d'autre, deux 



cfaasteaux ou forteresses dicts Abidos, et Sesto, qui 
sont comme les clefs de Stamboul , pour parler à la 
mode du vulgaire, qui a corrompu le mf «t^t du 
bon grec; nous commençâmes à voir la devoticm 
apparente des monselimans (musulmans) , qui pian 
tiquent aux champs et à )a ville leiu*s prières, plu- 
sieurs fois de jour et de nuict, s estant au préalable 
lavés cérémonieusement pour se présenter plus dé- 
cemment devant Dieu. Et le vulgé pense ce lave- 
ment s'estendre jusques à Tame ; mai» les plus doc- 
tes demandent , outre ceste lavande extérieure , la 
repentance intérieure du cœur. Il est bien certain 
qu'ils nous font honte en l'attention et révérence de 
dehors durant l'oraison, ne se laissant destourner , 
ou distraire par accident quiconque, et quand 
leurs cloches vivantes donnent le signe de l'oraison 
sur les hautes tours, ou esguiHes des mosquées, ou 
dedans les palais , ou*senïilles des grands , on quitte 
toute sorte d'affaires pour la prière , laquelle , ceux 
qui ne peuvent aller à leur temple , font où ils se 
trouvent, les Bachats .dedans leurs salles, sur des 
tapis qu'on estend sur l'heure expresse , les autres* 
en leurs maisons, ou- en belles ^campagnes vers le* 
soleil. Nous descouvrismes enfin la ville, et ipe0m«-> 
parable en assiette , Gonstantinople, jtisteihent k 
7 de septembre 1 609 , veille du bon Jour de la Na- 
tivité de la glorieuse Vierge^ ; auquel- Dieti; me fist 



— 27 — 

jadis la gmce parTintercessioB de cesté sienne mère, 
de raiaistre spirituellement en la Compagnie. Nous 
bordoyasmes terre à terre ses deux fiancs , qui sont 
tomes vers les defUx mers, blanche et noire, et 
▼insjmes prendre terre vers Galata, dicte Bera, pour 
estre de l'autre côâté du maistre port. Nous ne vou- 
lusmespas n!iéttre pied à terre sans Tavoir fait sça- 
voir à M. le Baron dé Salagnac , ambassadeur de 
France , qui, par bonne fortune, se retrouvsi de re- 
tour des bains , voire revint exprez, ayant pressenti 
nostre venue; bien que quelques-unslireht leur pos- 
'sible poui^le retenir, sous autre prétexte, mais dict- 
on , pour doniier le moyen à nos contraires de nous 
donner le chasse soudain à* nostre entrée , et nous 
&ire rebrousser chemin àe gré ou de force. Mon 
dit Seigneur nous envoya sur le champ un de ses dro>- 
gamains (drogmans) et un janissaire poiur nous faire 
escorte , nous faisant un accueil de sa singulière af- 
fection à nostre endroit, et nous tint trois sepmaines 
enviroa en sa maison et table ,<^ avec mille caresses. 
Le bon Seigneur nous avoit desjà loué Une maison 
(persuadé par les gens du pays que le liei>de Sainct- 
Benoist n'estoit à propos pour nos exercices) belle 
et bien située au milieu delà demeuve des latins, 
mais la difficulté estoit de trouver ^lise propre et 
commode, y ayant seulement une. petite église ou 
chapelle, voisine de quelque cinquante pas, dicte 



— 28 — 

Saint-SeI>astieD, qui a'estoit offidée qu'une ou deux 
fois Tan ; cependant que nous estions occupés à 
penser à nops loger, il se présenta une occasion ca- 
suelle qui nous fit descouvrir quelque chose des 
menées de nos malveillants. Car M. Tambassadeur 
voulut aller visiter le grand Bâcha, ou premier 
visir qui gouverne absolument , pour dire ainsi , 
tout l'empire , qui estoit pour lors campé vers Scu- 
taret , qui est vis-à-vis de Constantinople en l'Asie, 
pour parachever la suppression des Seraliers ou Ba- 
lis, qui avoieiA mis cet empire, ces années passées, 
sans dessus dessoubs. }e me trouvay par fortune 
avoir dit la messe, qui fut cause qti^il trouva bon 
de me mener par manière de pourmenade , avec un 
de nos Frerçs; abordés de là, nous passasmes parmy 
les tentes Turquesques, où les soldats estaient avec 
tant de modestie et de silence, que vous eussiez dit 
estre plustot celles d'anachorettes , que retraite de 
gens de guerre; si arrivasmesâu pavillon du visir , 
qui avoit des distinctions et gardes de generjil d'ar- 
mées avec deux haultes piques , ou javelines fichées 
en terre sur Tentrée. On nous mena jusques en la 
salle d'audience , ou Ton parle si bas , vpire quand 
le Bascha n'y est pas , que c'est chose digae de 
marque. Là sur l'entrée de la chambre ou anti- 
chambre dudict , demeure son fol , qui porte tiltre 
de Santon , prez d'un baston d'où pendoient de 



— 29 — 
vieux haiBons et quelques ustensiles de bois de oe 
saint personnage y qu'il tenoit prezde soj. Par bon- 
heur on porta un siège ou tabouret un peu hault 
couvert de blpoderies, pour faire seoir Monsei- 
gneur^ tandis queie Bâcha seroit prest à venir ; peut 
estre qu'il achevoit de lire Falcoran , selon la cou- 
tume, tous les matins, avant que de traiter avec per- 
sonne. Il vint enfin , et après avoir salué un peu de 
la teste , la main à la poitrine , M. l'ambassadeur , 
qui le- salua de mêsme façon sans oster le chapeau , 
s'assit sur un siège semblable à celuy de nostre am- 
bassadeur, qu'on porta exprez sur les tapis posés 
en terre à la mode du païs. Le truchement faisoit 
son office, la toque de velour en teste , et tous les 
gens de Monsieur estoient rangés au-delà du tapis 
dans la mesme salle, la teste couverte; au courant 
du discours, leBascha, à propos de quelque chose 
qui touchoit le Vénitien , dict au truchement, qu'il 
avoit sceu que quelques prebti'es latins estoient 
venus de nouveau , personnages dangereux et haïs 
de tout le monde, et qu'il estoit meilleur qu'ils s'en 
retournassent en leur païs au plus tost. M. l'ambas- 
sadeur repartit en nous qualifiant aultres que 
cda, et nous advouant pour gens que le Roy très- 
chrestie'n, son maistre, luy aroit envoyé pour le 
service de sa maison et de toute la nation; le visir 
sembla se contenter, et ayant fait porter du sorbet 



-30- 

^c'eft ufie boisson , ou les senteurs ^ le suore et au- 
ti^es ingrédients entrent) cbns deux tasses de pour- 
celaine ,• fit un brind à nostre ambassadeur , et sou- 
dain aprez on porta une petite ci^vette ou bassinet 
de mesme estoffe , pour faire boive toute là trouppe, 
Tun aprez l'autre. Cela faict , nous nous retirasmes 
avec le meune salut que devant, estonnés d'un co^é 
aprez l'attentat de .nos. ennemis, mais bien aises de 
l'autre de l'issue, cuidant en estre quitte à si bon 
marché. Mais nous avions affaire a des gens qui ont 
la haine de nostre religion par trop enracinée en 
leur ame, pour se contenter de ce petit attaque*. Il 
fut question de nous loger, M« le Baron fit deman- 
der à Mgr le Reveren^issime evesque de Tine , vi- 
siteur apostolique en tout le Levant, l'usage de la 
susnommée petite église de Saint-Sebastien , avec 
la reserve neantmoins du monastère de Saint-Be- 
noist, pour tous evenemens; Mgr Tevesque fist res- 
ponce que c'estoit trop , et qu'une sufifiscât : aussy 
avoit-il destiné le dict Saint-Benoist à un hospital , 
qu'il avoit projette avec les Messieurs de ceste ville , 
avec les plus belles spectatives<lu monde , disant de 
nous mettre au choix de toutes deux. L'incommo- 
dité que ces Messieurs alle^oient d'envoyer leurs 
enfants en ce quartier de ville esloigné de la de- 
meure de France , avec l'affection qu'Us avcûeiit jji 
conceue de ce.riohe hospital, qui devoit faire à 



— 31 — 
taites left Bècesiités de leurs famittes, pour marier 
GMeSy etc., mefist résoudre à n'accepter l'offre d'es- 
lire y me remettant à ce que , tant sa seigneurie Re- 
yerendissime^ que M. l'ambassadeur et Messieurs 
de BeraV pour Tayde et service desquels particuliè- 
rement nous estions venus de si loing , trouveroient 
meilleur, estaM prest de loger, ou il leur plairoit, 
£ut-oe bien dans les casuettesou grottes, postpo* 
sànts toutes sortes de commodités temporelles et 
corporelles à leur service et prouffît spirituel. J'ad- 
joutay bien qu'à k vérité l'intention de Sa Saine- 
teté estoit cpie Saint-Bènoist nous fut assigné; ces 
Messieurs montrèrent de s'édifier assez de nostre 
ofifre et bonne Voulonté , et furent d'advis que, par 
provision , on nous donnast l'église de Saint-Sebas- 
tien , plus proche qu'aultre à la maison louée par 
M. de Salagnac; l'on pdnt jour pour nous mettre 
en possession de la dicte église. Mais ce qui se 
passa entre Monseigneur le visiteur et mondict sei- 
gneur ^ toucham Telection actuelle de l'hospital au 
susdicC monastère de Saint-Bienôist , que Mgr de 
Tine vouloit serrer et boucher , et M. l'ambassadeur 
demanda delay jusques à aultrés lettres de Sa Sainc- 
teté , aigrissant les esprits , di£fera la chose' jusques 
au dimanche suiyant, le 20 de septembre 1609, au- 
quel iour, aprez avoir travaillé heureusement à l'ad- 
doudssement d'une part et d'autre , nous allasities 



— 32 — 
dire la mesafi à Saint-Sebastien, y assistant M. l'am- 
bassadeur et les principaux, du lieu, et puis disnas- 
mes avec la mesme compagnie de Monsieur et des 
aultres aux frais du dict seigneur au nouveau logis. 
Nous fismes faire des soutanes sans collet , avec les 
manches larges, etlaissasmes croistrenos barbes, 
qui donne gravité et respect par deçà. Tandis que 
nous accommodions la maison bien pauvrement, on 
travailloit de bonne sorte à la conversion de M. de 
Cariât , frère de M. l'ambassadeur, qui ne s'estoit 
encore pu résoudre, quelque diligence que Monsieur 
son frère y eust faict. La chose réussit si à souhaict , 
que sur le milieu.du mois suivant, il donna le bon 
mot, et ressentit en brief tel allégement en sa ma- 
ladie, qui le tenoit depuis quelques mois alitté, et 
Tavoit, au dire, des médecins, quasi consigné aux 
im^ents de la mort^ qu'il put tout debout, vx>ire à 
genoux, £aire l'abjuration solennelle de Theresie, en 
la chapelle domestique , entre les mains de Mgr le 
Reverendissime visiteur, vestu en pontifical, en la 
présence de M. l'ambassadeur de Venise et d'un 
grand nombre de gens qui y accoururent, le diman- 
che avant la feste de tous les Saints. Ce succez si 
fortuné nous mit en appétit du salut des âmes et 
nous donna nouvelle espérance du fruict de cette 
mission ; on nous avoit desja envoyé quelques en- 
tants pour commencer quelque sorte de classe , ce 



-sa- 
que les Pères firent sans liVres, pour dire àiiiky {tsar 
ils estoient encore dans le navire vénitien^) àiissy 
bien que moi , de prescher le jour de la Toussaint , 
et les dimanches suivants, jusques àTadvent, queie 
P. Guillaume print là besongne , et ainsy Tiiri ovL 
Fautre avons continué tous les dimanches du long 
et large de Tannée ; chose aucunement nouvelle -eii 
ces païs, où Ton se coritetftoit de Tadvent et quà- 
resme; mais j'espere que peu à peu ils entreront en 
appétit de la parole de Dieu, en tout temps. Bientost 
nous mismes en avant, jparlantavec M. l'ambassa- 
deur, le bien des congrégation de Wostre-Damé, 
qui luy en fit prendre envie , estant de son naturel 
feicile à se porter au bien etf- à la dévotion; si en 
paria à quelques-un» de ses plus familiers et Voulut 
jetter les fondements de ceste œuvre le 28 de no- 
vembre, qui estoit Toctave de la présentation de la 
Vierge*, se mettant pour premi^e pierre fondamen- 
tale de la Congrégation. Avec luy s'inscrivirent ses 
drogomans et quelques autres de sa maison , nom- 
mément M. Lesdos, sotf 'aumosnier ^ qui a este du 
depuis, à la rèqueste dudict seigneur, nommé pour 
l'evesché de Milo, en Tarchipelage, qui'fut esleu 
premier Pi%fectde ceste congrégation, qui a apporté 
jà plusieurs beaux fniicts de dévotion et de fré- 
quence des SS. Sacremens, qui n'estoient encore 
en vogue, lii mesme en pratique en cesr quartiers. 
R. 3 



— 34 — 
NcMis. nayigimn^,, .^'il novs semblait , le vent en 
pouppe ,. a dix xmlle par heure , quand inopinemept 
ui;]^ tourl^iUon de vent nous cuida bouleverser, et 
metUre à fond^ irrémédiablement. Mais avant d'enr 
taqaer ce faict, je veux raconter ce que M. Tambas- 
sfV^eur pous fit voir, peu de jours avant la bouras- 
que. II. y avoit une certaine sorte de gens parmy 
ce^te nation mahometane, appelés Dervis, qui font 
professionrde retireme^nt et vie comme religieuse ; 
pauvrement habillés, pluisiieurs à nuds pieds, et 
abstipisni^ en bur mapger. Us Qnt diverses maisons 
ou monastères eapars ep F.empire, qui dépendent 
d'une m^i^tresse maifiion, vers la mer noire, et por- 
tent honneur, dict-on^* à saint Georges et saint 
Demetrie; deux fois la ^n^aiua^ le lundy et yen- 
dr^dy^ ils fqnt une belle cérémonie ,. à la yeûede 
tous ceux qui entrent dans ^n clos -couvert et 
quarré, entouré de gallenes, d'où Foi) voidde bi0n 
prez lesjacteurs de ceste action ,, qui s'e^xbibenjtau 
miUieu. Le supérieur d^s susdite 'Dervis^ assi^ à la 
turquesque sur iin tapis, ep l'une de. ces galleries, 
qui soQt.un.peuesleyées de quelques degrés, ayg^nt 
un petit pulpitre. devapt soy pour -soustenir son 
livre ouvert, fit un sermon en sa langi^e sur le texte 
de sa loy ; ses gestes et sa, voix nous donooient a 
entendre qu.'il parloit d'affectiop, reprenant^ comme 
l'on. dit,. les mœurs des.|pauvais Oervis. Ses reU* 



^35- 
gieux estoient assis en ce foiid, avec une asode^tie 
admirable 5 sans tourner, les yewi ni la leste v loire 
les yeux clos. Le sermon fini, certainfiifltttteùrs, 
avec- quelques voi^ doucemeiitharmonieiiseSy^en^ 
tonnèrent certaines chaitisons , qui sembj^èmt 
charmer ces pauvres gens et les ravir:, leur tiriiiit 
parfois des soupirs et paroles pleines d'^ntousiatiinte;. 
Le supérieur parfois eslevoit ses mains, comme 
font, sans 'comparaison ^.nos prestres à ;raute4: du- 
rant les oràîsonS' et canons | et tout; dlut^ooupv : isq 
abrupto, ils se lèvent tous et co!i»menoent le branalë 
des anges , que ces noUes créatures^ jdisèhtwife,t 
dansèrent aprez< leur erealkon . Le supenîeur^ assisté 
de deux autres, pasàp^s gravem.eot^.les mesien' 
danse 9 et les autres,, pa^^nt l'un apree^ rmitré de^; 
vaut leur supérieur, s'incUçiani; b^mblemenAi, et' 
hastant le pas petit à petit ,« commencent li^ur» tburr 
noyements en piroyetant.sî l^ilemeiiAet i^istemdntf 
que c'.est merveille^ sans se choquer L'un L'fmtre^. 
les yeux.do^ cotnme des: genfsi ravis; Lion recKum-f. 
mencela^danse parJi:o^sQU quatre fciis^ en l£^4<^r-; 
niere , le ^uperi^ur se . mest pariny : la me^éi^ » et, 
ferme U oetr^ixiQi^ie. Je ne j&eay > si «6$: gens /auraient 
tiré ce bmnslè d'une fa^nigrecque^qu'il&appdttent 
Chori x^n^^Ueiy. . . . ' , : 

On niHifi VQttlutibien faire danser un autreibituosie : 
le 43' de.diçimnbret ^ esehoit. nette airaâeJà^ 



— 36 — 
1609^ an troisiesme dimanche deTadvent, et qni 
est mémorable ponr le martyre de sainte Lucie^ les 
reliques ^e la quelle* reposent en la noble ville de 
Venise, if ous avions practiqué nos fonctions d'église 
à Taceôustumée^ et retirés à nostre maison aprez le 
re)>as, discourions 'par ensemble auprez du feu , qui 
estoît bien de requeste pour le froid et neige qui 
estoit pour lors. Le Père Charles descendit «au bas 
du ]ogiSy.ei\sa classe , pour dresser l'oratoire de la 
petite congrégation de ses disciples , qu'il avoit , à 
Timilatiofi delagrajMle, commencée a dresser. Nostre . 
(réte Ëstienoe estoit avec luy ; et voicy entrer le 
Soubachi^ qui' commande aux janissaires de ce 
quartier de viHe, avec bonne troupe de janissaires , 
avec leurs cornes d'argent et chaperons en teste, et 
les bàstons en main. Le bon Père j cuidant que ce 
fut des janissaires, qui demeurent ou practiquent 
en la maison de France, leiir fit bon accueil, leur 
nmnstrant par signe ce qu'il faisoit. Le frère voulut 
monter en hault pour m'advertir de ces nouveaux 
hostesy mai» ils le saisirent par le colet , et puis- le 
menèrent quant et les Pères, et le «serviteur, où nous 
estic^ns. Voyant entrer ces Messieurs siprivemeot , 
je n^edoubtôis. de quelque chose , et dis, fMeu soit 
loué ! Le Soubachi s'allât asseoir sur mon petit'Kct; 
ndtssti^mritasmes par gestes de se védîr chatifler, 
maïs il -nioiislradei noiie remercier assez doucement. 



— 37 — 

Le bruict,: qui s'espancha parla Tille deceste visite^ 
fit résoudre un bon nombr^ de soldats françoit, 
qui, dez les guerres d'Allemagne, se. rendirent aux 
turcs j et leur font service en quarlité néanmoins de 
chrestiens, à y accourir et empescher par leur pre< 
senceet crédit (ils sont honorez et craints à mer* 
veille) quelque desordre tx>ustumier en semblables 
acci{lenl5. Si nenouscognoissoient-ils encore^que par 
le nom de fraoçois. Un des drogomans de Monsieur 
(rambasfsadeur) y vint aussy , et d'un pas faasté lui 
en alla donner la nouvelle et le trouva qui avait 
desja sceu d'un chaoux , ou gentilhomme du grand 
visir 9 le commandement qu'il avoit de nous repré- 
senter à son altesse. Monsieur l'ainbassadeur avoit 
respondu qu'il ne manqueroit le jour suivant d'aller 
trouver le visir et nous représenter, ne sachant pas 
q^e la chose fust si avancée; mais entendant, que 
nous estions ja ez mains des sergents, il se mit en 
chemin , sans ;attendre cheval, ni aultre équipage* 
Le chaoux susdict nous vint trouver^ et nous mena 
quant et soy , avec telle presse , que nous n'eusmes 
le loisir que de prendre nos chapeaux, ayant nos 
grosses robbes de chambré et nos pantoufles 
aux pieds. Nous marchions pleins d'assurance , 
po«r le tesmoignage entier de nos consciences , 
et faisions plus gaye mine que ceux qui nous 
voyoient. passer , qui deploroient et pleuraient 



— 38 — 
ce desai^tre. Nous passasmes l'eau , et iqenéft en tri- 
omphe par béste noble ville, entrasmes dans le pa- 
lais, du Bascfaa, où quelqu'un des truchments de 
France arriva soudain, portant nouvelle de la ve- 
nue de Taoïbassadeur^ à ce qu'on he nous présen- 
tas! auparavant. Le bon Seigneur , tout harftssé, ne; 
tafda gueres , et delà à peu (durant lequel temps on 
nous entouroit et regardoitpar miracle) entra ^ans 
la chambre du divan, où les baschas s'assemblent, et 
où se traitent les af&ires piiJ^liqiies. Nous y fusmes 
aussi appelés. Le premier visir venu , Monsieur 
(l'an^assadeur) s'assit à l'accoustumée, vis avis de 
lui ; on nous fit monter sur le* baudet ou sauphat ta- 
pissé, laissant nos. pantoufles au bas, prez du dict 
visir ^ ^qui fit {grande instance, qu'on nous envoyast 
en nospaïs. Mais Monsieur, répliquant avec merveil- 
leuse .efficace, sembla l'adoucir aucunement , si que 
la ohosè fut remise jusqu'à une autre fois, qui est 
quasy c^ose gai gnée en ces quartiers. Tant y a, que 
Monsieur l'ambassadeur nous emmena libres et 
sans ohaisnes,.aussy n'avions nous pas mérité de les 
porter, entourés au grand contentement de tous les 
bôhs, tet creveKîœur de nos contraires. Nous ne per- 
dismes pas courage pour cela, ains continuasmes 
nos exercices comme auparavant , et passasmes le 
premier jour de Tan avec médiocre appareil , hono- 
rés de la présence de Monsieur l'ambassadeur et de 



— 39 — 
MoDsieui'^on firere , qui se communièrent en nostre 
église , et prindrent le disner en nostre maison , et 
avec eux tous les principaux religieux et quelques 
séculiers ; puis la feste de saint Sebastien titulaire de 
TEglise. Nous pensions avoir eschappé la tempeste, 
quand la veille j au jour de la conversion de saint 
Paul, Monsieur l'ambassadeur receut nouveau com- 
mandement de nous chasser, qui fut réitéré tous 
les mois une fois pour le moins; jusques au mois 

de que par l'entremise du beau fils du premier 

visir, dit Ali-Bacha, on redit que, puisque 1 ambas- 
sadeur de France s'opihiastroit de la sorte à nous 
retenir, nous demeurissions. Je serois trop long , si 
je voulois dire , par le mesnu , les moyens desquels 
s'est servy ce bon seigneur pour nous maintenir , 
comme il déscouvrit les menées de nos parties 9 les 
présents qu'il fit d«çàetdelà à gros frais, ces ap- 
préhensions qu'on nous donnoit , les menaces etc. 
Si ne veux-je pas oublier à dire, que les oraisons 
extraordinaires de jour et de nuict que nous fismes 
pour fleschir la divine miséricorde , à accepter nos 
petits services au bien de ces âmes , ou nous recep- 
voiren sacrifice et holocoste, si nostre sang ou capti- 
vité deb voit réussir à plus de gloire pour sa majesté, 
fust, à mon advis, meilleure pièce de nostre defence. 
Pour moi, je confesse qu'allant dehors, comme j'estois 
contraint dé faire souvent, pour m'aboucher avec 



— 40 — 
Monsieur j^l'ambassadeur), je prenois un crucifix à 
ma poictrine soubs ma robbe , à ce que , si par foiv 
tune j'estois suprisen chemin^ jevesquisseou mou% 
rus^e aux pieds de mons maistre. Le bouton du 
martyre estoit trop friand pour moy , il me suffît 
pçur encore d avoir esté du nombre de ceux qui 
ont esté en hasard de mestre la vie ou la liberté pour 
le Vicaire.de Jésus*Cbrist en terre, duquel on nqus 
disoit espions^ 

Rebroussons un peu maintenant le fil de nostre 
discours , pour y enfiler ce qui nous arrivoit à la 
journée, de. plus remarquable. Sur le caresme pre- 
nant, Dieu qui nousavoit^ par sa Providence, mar- 
qué et destiné ce lieu de Saint-Benoist, où jadis ceux 
de nostre Compagnie, il y a bien vingt cinq ans ou 
plus, avoient fait quelque résidence , y laissant pour 
gage le corps de trois , que nous^avons depuis trou- 
vés, comme je diray plus bas, nous voulust, ce sem- 
ble^ doucement contraindre à nous y remuer, sans 
avoir égard aux imaginations , qui nous en avoient 
destournés de premier abord. La maison, où nous 
estions, qui est assez récente, commença à faire jour 
et manquer par les fondements, de manière que nous 
fuîmes forcés de pourchasser la retraite d'icy. Mgr 
le Reverendissime de Tine , craignant que cela n'al- 
téra son dessein de Thospital , faisoit quelques dif- 
ficultés , mais enfin nous Toctroya , soubs le bon 



— 41 — 
plaisir de Sa Sainteté ^ laquelle^ justement enmesme 
temps j informée de ce qui s'estoit passé sur ce sub- 
jet , fist entendrç à mon dict seigneur^ qu'on nous 
donnast l'usage et possession de cette maison , sans 
approuver ta prétendue relection d'hospital^ qni ne 
manqueroit d'autre Ueu. Nous remuasmes donc la 
dernière sepmaine, avant le caresme et y commen- 
çâmes nos ministères d'église et de classe. On près- 
choit le jeudy et dimanche matin en italien , selon 
la distribution des églises de ce lieu ; et vendredy au 
soir, exposant le Saint-Sacrement aprez un dévot 
Stabat Mater dohrosa, on discouroit sur quelques 
mystères de la Passion* La Saint-Benoist^ qui escheut 
en ce saint temps , fust solennement festée avec lA 
bel appareil, entt^ aultre d'un théâtre en demy rond 
de degrés sur l'autel, garny de lampes, sur le milieu 
duquel estoit le Saint-Sacrement exposé pour les 
quarante heures, qui vont chaque dimanche en 
lune des églises de Perra , par l'ordonnance de Mgr 
le Visiteur apostolique. Il y eut sermon^ le matin en 
italien^ et le soir en françois. M. l'ambassadeur fit 
porter son disner, y conviant les principaux, tant 
religieux que séculiers. C'èstoit grand dommage que 
ceste église, vénérable pour son antiquité, rare pour 
son assiette , belle pour les mosaïques , qui naifve- 
ment et richement représentent, en espaliers sur les 
pans des murailles, les principaux mystères delà vie 



et Passion de Nostre Seigneur, demeura serrée toute 
Tannée, excepté le jour du Saint, se ruinant sen- 
siblement, en danger de s'ensevelir en.brief dans 
ses propres ruines. Elle est posée sur un gros mur, 
quiserroit, diôt-on, un grand clos, où toutes les 
bestes à laict s'assembloient, où de la ville de Cons- 
tantinople on venoit achepter tout le laictage, qui 
a donné le nom de Galata , par la corruption du 
mot grec, à ceste ville de deça> dict autrement Pera, 
pourestre deçà le canal. Le monastère est entouré 
de jardinage à plein pied du reste de la ville, d'où 
Ton monte un beau» et large escalier à repos , jus- 
ques à une bell^gallerie de bonne largeur , qui sert 
Amme de porche à Teglise, toute ouverte du costé 
de la mer , de laquelle on void vi^à vis du sérail du 
grand seigneur, et prez d'icelluy la fameuse sainte 
Sofie accompagnée d'un dôme et de quatre esguilles, 
qui servent, tant pour les cloches vivantes , desquel- 
les j'ay desja parlé, que pour tenir les lampes qui ar- 
dent les liuicts précédentes à leurs festes solennelles, 
entre lesquelles est nombrée la mémoire des tres- 
passez, et tout lé long (je dis la nuict) de la 12** 
lune jusques an renouveau de. la suivante, qui. est 
leur grande Pasques, qui dure trois jours, durant 
lesquels il ne fait guère bon cheminer, pour le moins 
il couste de bons aspres. Mais entr eux ils s'entre- 
baisent au premier rencontre, en signe de paix, 



— 43 — 

qiiï sont toutes pièces du christianisme. .De plus , 
de ce lieu , on voit la conjonction des aeux mers 
noire et blanche , et par cons^equent voit-on entrer 
au pert toute sorte de vaisseaux , et a-t-on le plaisir 
des sorties et entrées triomphantes, qui vont et 
viennent par ces mèrs^ une fois Tan: Cette galléHe, 
en son flanc gauche, a deux maistresses portes pour 
entrer en l'église, Tiiné pour les hommes et l'autre 
pour les femmes , qui ont leur lieu distingué par 
treillis de bois^ avec une tribune au-dessus pour les 
vierges , qui en ces quartiers ne s'osent montrer, 
non pas mesme à leurs proches, et pour ce, vont 
rarement ez églises , et ce , * à la poincte du jour, 
Craignant que le soleil les attrappe par les rues. 
Le bout de ces dictes galleries s'abboutit à un treil- 
lis de fer qui serre une geûtille chappelle voûtée et 
desdiée à l'Annonciation de la Vierge , où les con- 
grégations s'assemblent; laquelle feu monsieur l'am-» 
bassadeur a faict magnifiquement peindre par un 
peintre grec avec les armes dti roy trez chrestien et 
les siennes , et a décoré d'un beau parement blanc , 
ouvragé à la persienne avec la chasuble de damas 
blanc aussy. 

Au reste, tant s'en fouit que nostre demeure icy 
ait diminué le nombre des escholiers, comme l'on 
craignoit , qu'il est allé totisjours croissant , mesme- 
ment des grecs , qui avec une inespefée confiance 



_ 44 — 
nous mènent leurs enfants, ou parents; qui me £aict 
espérer au courantdu tempsquelque bonne alliance, 
n'y ayant aultre moyen plus propre pour y parve- 
nir ^e/i^Z/n sine sensu et absque suspicione doli. 

La Saincte Sepmaiqe se passa avec assez de con- 
cours de pénitents grecs et latins, regnicoles et es- 
trangers , ce qui s'^t remarqué en toutes les autres 
bonnes festes de qette année 1 61 0. Pour les françois, 
qui viennent sur nos vaisseaux , c'est icy leur prin- 
cipale et plus chérie paroisse , voire mesme jusques 
à quelques uns de ces soldats susmentionn.és , qui 
sembloient avoir passé le Rubicon de salut , et quasi 
tous frequentoient nostre egUse et sermons avec Tes- 
tonnement de cexn^ qui les cognoissoient. Dez cette 
sepmaine peneuse, on commença à discourir en 
grec vulgaire, en public^ avec admiration de .plu- 
sieurs, qui ne regardoient pas tant à l'accent et 
phrase, qui estoient plus voisins du bon grec, que 
du commun langage , que à l'affection et zèle, qui 
nous portoit au del;à de nos- forces. On a coustume 
une fois tous les mois à sermoner en cette langue , 
comme en langue fîrançoise en plusieurs occasions. 
Monsieur l'ambassadeur voulut estrenner la cham- 
bre, qu'il avoit faict accommoder prez du jubé de 
nostre église tout exprez, les. trois derniers jours 
de la Passion, pour vacquer plus librement à la dé- 
votion. Mais qui eut dict, que les juifs nous eussent 



— 45 — 

favorisez en ceste Porte , donnant bon tesmoignage 
de nous , en temps et lieu , et quoy ! de nous vou- 
loir fier quelques-uns de leurs enfants ^ suppliant 
mon dict sieur le nous enjoindre : ce qull fit. Mais 
ils se sont retirés doucement ^ Dieu meii^cy, et ont 
délivré le C. • . .-. (le mot est omis dans le manuscrit) 
qui les enseignoit à part , de ceste corvée. 

Le premier Yisir passa en Asie pour attaquer les 
persans 9 ayant laissé, pour 5aïmacan du lieutenant, 
le second visir, qui avoit trouvé mauvais le pro- 
cédé contre nous, aussy bien que le mufti, chef 
supresme inspiritualibus, en ceste i^eligion, qui, par 
une belle rodomontade, dict qu'ils ti 'a volent de 
quoy se soucier ou craindre, quand le pape mesme, 
et non que ses affidés , viendroit en propre per- 
sonne se tenir icy , et que le Bâcha , capitaine gê- 
nerai et comme admirai' de l'armée navale, qui 
nous avoit voulu comme pleiger (cautionner) prez 
du premier Bâscha ,- pour Pamitié singulière qu'il 
portoit à tiositre ambassadeur. Et nous cheminions 
de bon train étt nos es^erctces , quand vint la triste 
et déplorable nbUvietle de Tenorme parricide, com- 
mis en la personne du grand Henri IV, nostrë tre2 
bon et trez chrestien Roy ,' de glorieuse mémoire. 
Le bon monsieur dé -Salagnac , comme un de ses 
plus fâmiKers ancien^ serviteurs, par je ne sçay 
quelle syitipathie ex^sordinaire la' pressentit eri^ 



— 46 — 
songe y avant d'en ouyr la nouvelle / luy semblant 
d'arriver à la cour de France, et d'y voir tout le 
monde en deuil , jusques à la reyne , qui , couverte 
d'un grandcrespe, luy donna^ de sa propre bouche 
royale, la nouvelle de la perte de son bon et cher 
mary . Dieu sçait combien ce. seigneur regretta cette 
mort, qui assena, ce semble, le coup mortel, qui ^ 
en peu de mois aprez, le ravit de ceste vie. Nous 
participasmes à bon esoîent à la douleur, aussy bien 
qu'à la perte, recognoi^ant au reste la douce pro- 
vidence de Dieu en nostre endroit, qui n'avoit pei> 
mis ce coup au fort de nostre orage , ou durant le 
gouvernement de ceux, qui ayoient juré nostre 
chas^ment. Monsieur l'ambassadeur ne manqua à 
ce qui estqit deu à la m.emoire d'un tel roy, faisant 
faire un office solennel , premièrement, en l'église, 
de Saint-François , qui est la ,princip$de en cette 
ville^ avec un bel appareil lugubre ^ faisant l'.ofQce 
Monseigneur l'evêque d'André, tout /porté icy.par. 
cas fortuit, avec l'assistance. des. illustrissimes am- 
bassadeurs de Venise et jKa^se et-tçii^te la maison 
d'Anglotan^ avec le beau frère, de l/a^bassa|[^qr, 
qui ne pouvoit assister ^^ peri^pn^e à li^ .m^sse.. Oq 
se servit d'un/le^maus pçur fetifiie rpi;aisoj% funèbre: 
en italien,, quelque refu^quenaps.|enJ[l8siqns, pour 
le defajilt de L|^gue et d'aultre» parties. Di^u.yo^lat 
que le..4i^^9#i*^ ^^9^ aucun^^oieiit. passable. M^Sr 



— 47 — 

sieurs de Yeaiâe y eureat une période honorable , 
sur le propos des. amis de ceste couronne. Aprez 
l'office , monsieur de Sala^nac se vint retirer cheX' 
nous, pour y prendre son disner y préparé, et quant 
et luy monseigneur Tevesque, MM. de Raguse, leR. 
P. vice-patriarche , et autres. C'estoit justement le 
penultiesme de juiHet , veillg de la festit de nostre B. 
Père Ignace, que jadis, ledim^che précèdent, le 
susdict vice-patrisirche (qui nous monstre grande 
affection), par un fort honorable cartel, avoit iPaict 
publier par toutes les églises de ce lieu. On chanta 
les premiei*e3 vespres solennelleaientavec un appa^ 
reil meslangé de joye et de deuil. J^e chœur et autels 
estoient richement parée de blanc, et l^, nef tendue 
en blanc et nptr, parsemé de fleurs de lys et de 
larmes; et sur-le milieu y avoit une magnifique cha- 
pelle ardente sur quatre colonnes blanches et noires 
en façon de marbre , meslé avec des pantes de bro- 
catel blanc et noir, et un drap d'or sur le cercueil 
bandé d'une bande de velours noir. M. Tambassa* 
deur passa eeste nuict chez nous et la suivante. Le 
lendemain , un de nos pères chanta la grand messe 
du sainbt , sur la* fin de laqueUe, oji fit le sermon 
propre du jour. On y commença .165-40 heures pour 
prier, tant pour Tamé du roy de£Eunct , que pour 
Fheureux règne du nouveau roy^Louys XIII, et sur- 
la closture de ladicte oraison, on fit un autre office so^ 



— 48 — 
lennel lugubre, où le P. Antoine corddier, bon pre* 
dicateur, fistàma réquisition un petit panégyrique. 
Mais j'oubliois à dire qu'au jour de nostre Père , 
M. l'ambassadeur, en notre considération , pria à 
disner le susdict seigneur evesque avec un arche- 
vesque grec , de nouveau consacré , de nos amis , 
nommé Ignace, avec quelques religieux des princi- 
paux, tant grecs que latins. Nous continuasmes 
nostre train jusques à tant que M. de Salagnac se 
partit , pour aller aux bains, qui sont en certaines 
isles , ou en l^entrée de l'Asie , non gueres loing 
d'icy, d'où il rapporta , non la santé , mais le 
mal qui l'emporta , trop tost pour ceste mission , 
comme voyrez tantost. Il me recommenda en son 
départ , qui fust aprez la Nostre-Dame d'aoust , qui 
nous avoit esté comme solennelle en confessions , 
de fester le jour de saint Louys avec singulier 
appareil, désirant introduire ceste feste ici comme 
solennelle pour la nation françoise : ce qui fut 
faict avec grand'messe et sermon , où tous les. reli^ 
gieux furent invités avec le R. P. vicaire patriar* 
chai, qui chanta lamessa; et tous disnerent avec 
M. de Cariât, qui estoît demeuré en ville. Le tout 
se passa avec particulière mémoire de nostre nou- 
veau Louys , qui avec Taide de Dieu et bonne 
nourriture de la reyne sa mère, donnera à la 
France un autre saint Louys. ie ne veux passer 



sous silence la faveur de Tun et de Pautre env^^s 
cette mission, daignant nous recommander en leurs 
piemieres lettnes à M. Tambassadeur, de bon 
accent, aussy bien que le feu'roy, qui ne nous 
oublia jamais, me favorisant particulièrement d'une 
sienne, pleine d'affection, royalendent paternelle, et 
paternellement royale. 

Sur l'entrée du mois de septembre , M. de Sala- 
gnac retourna des bains, saisy d'une fascheuse fieb- 
vre, que l'air de ceste- contrée r^itnmuniqua ceste 
année universellement à tous , ou à la plupart de 
ceux qui y furent,<le quelque nation qu'ils fussent; 
mais peu en sont morts. Le bon seigneur, chargé 
d'années et cassé de maux , ne put résister à la vio- 
lence et longueur de ceste fiebvre , bien que , par 
deux fois , il sembla avoir eschappé le danger , au 
dire des médecins y une desquelles il semble qu'il y 
eust du miracle ; car ayant esté jugé des médecins 
n'avoir que pour quelques heures à vivre , s'estant 
voué à nostre bienheureux Père Ignace , il se porta 
mieux ; pouvant recevoir Textresme-onction , et 
alla meilleurissant durant quelques jours, bien qu'a- 
prez il recheut. Il donna partout bon tesmoignage de 
sa pieté , mesmement en la réception du saint Sa- 
crement de l'autel par deux fois et par l'extresme- 
onction, faisant une belle profession de foy, en 
recevant, pour la dernière fois, le Sainct Sacrement 
K. 4 



— Î50 — 

en viatique. Il nous légua bonne partie de ses livres^ 
aprez tant d'autres bienfaits , tant en argent qu'en 
vin et aultres commodités, que, durant sa bonne 
santé , il avoit £aict à ceste résidence ; et pour finale 
démonstration de sa singulière et cordiale affection, 
ordonna d'estre enterré en la cave de nostre église. 
Nous ne manquasmes de l'assister de jour et de 
nuict, quand le danger et griefveté du mal le requi- 
rent , jusques au douziesme d'octobre , que je disois 
la messe en la Chapelle à son intention , et que l'a- 
poplexie le saisit et lui osta la parole et tout aultre 
sentiment , et l'emporta sur l'entFée de la nuict du 
mesme jour, le 29* jour de sa maladie. On ne sçau- 
roit bonnement exprimer les regrets de toute sorte 
de gens de condition et de religion sur cet accident. 
Le jour suivant , nous redressasmes la chapelle ar- 
dente qui avoit demeuré tendue, quarante jours du- 
rant, avec la mes^ tous les jours, pour l'ame du 
Roy ; tendismes nostre église en noir, et sur l'heure 
du midi , qui revient à la quarte de nostre horloge 
firançois en esté , on fîst le convoy honorablement. 
Nos petits escholiers, avec des cierges allumés , al- 
loient les premiers, suivis de plusieurs austres estran- 
giers ; puis venoient les religieux et aprez, les do- 
mestiques (gens de la maison). Douze gros cierges 
de la noble compagnie de sainte Anne, qui faict le 
corps de la ville pour les chrestiens catholiques , 



-M — 

portéspar douze^ vestns en sacs, qui représentent les 
douze apostres^etn'aYoientcoustumedeniarcherque 
pour la procession du Saint-Sacrement, precedoient 
immédiatement le cercueil, couvert, k la mode de 
France, d'un drap de velour noir avec K croix de 
satin blanc. Suivoit M. de Cariât, frère du deffunct, 
assisté des Illustrissimes Ambassadeurs d'Angleterre 
et de Venise , avec toutes leurs suites, qui tous con** 
dnisirent le corps en nostre église , le posante soubs 
la chapelle ardente, et ouyrent l'office de l'enterre* 
ment. Mais nous le mîsmes puis en son lieu de repos 
la nuict , à huis clos, et frouvasmes trois des nos- 
très en la voûte; un dans une caisse marquée d'un 
Jésus, les aultres deux, comme morts, plus à la 
haste, de la contagion , avec>Ieurs soutanes et habil- 
lements quotidiens , mais si entiers pour ces deux , 
que il semble qu'il y ait du miracle; vu que detix 
Pères Capucins plus recens de la moitié d'années , 
morts de mesme mal, y jettes, estoient consumés. 
De là à six ou sept jours , on fit le service solennel , 
avec une oraison fiinebre, faicte parle mesme des 
nost;^, qui fist celle du Roy , non sans larmes des 
auditeurs*. 

Pour nous , nous ne pouvions faire plus grande 
perte, pour l'assistance et secours humains en ses 
quartiers. Âussy falloit-il que nous missions toute 
nostre confiance entre les mains de celuy qui assure 



— 82 — 

les Daniek au milieu des lioas rugissants , et déli- 
vre les Suzaunes des faux calomniateurs ; et de faict. 
Dieu nous a £aict jouir d'une belle tranquillité de- 
puis son décez, ainsy que nous craignions d'avan- 
tage quelque orage de persécution. La conversion 
de deux hérétiques ^ environ ce mesme temps , nous 
a tout donsolés; l'un.,' non François , marchand de 
profession y^nt un jour céans, avec tant de ressenti- 
ment' du- mauvais estât où il estoit , que la larme à 
roeil et la voix toute tremblante, il me dict, m'ayant 
par rencontre trouvé le premier : Mon Père , sauvez 
mon âme pour Dieu, fit aprez la deûe instruction , 
fit sa coitfession , profession de foy et communion 
fort dévotement. L'autre , parisien quant à sa nais- 
sance^ et médecin de condition, ayant humé Ter- 
reur en Aiigleterre, par une secrète providence de 
Dieu eust si^retraicte en la maison de M. nostre 
ambassadeur, différant de jour à aultre son départ, 
à quoy onle soUicitoit, estant mal vu, principale- 
ment pour l'opiniastreté avec laquelle en toutes oc- 
casions il deffendoit ses erreurs et oppugnoit la vé- 
rité. Enfin , reduict à l'extrémité de maladie , trois 
jours avant son decez, il m'envoya quérir, abjura 
son erreur, se confessa le jour suivant, le tiers se 
communia en.belle assemblée de ^ntilshommes et 
domestiques de la maison de France, et au poinct 
du jour aprez, rendit doucement son ame 4 son 



— 83 — 

créateur y laissant de belles marques de sa prédesti- 
nation , à la confu^on des hérétiques qui , durant 
ce temps là , le venant solliciter à reprendre leur 
route y furent bravement reboutés par le malade. 
Monsieur de Cariât luy fist faire un honorable en* 
terrementy le faisant conduire par plusieurs reli- 
gieux, gentilshommes et autres au cimetière des 
francs, qui est hors de la ville, et delà les vignes de 
Pera. 

Il est jà temps de fermer ceste lettre, laissant les 
aultres choses, depuis la feste de Toussaincts de ceste 
présente année 1 61 à celle de Tannée qui vient. Je 
veux seulement dire deux mots de Testât delà classe, 
qui est composée de religieux et de laïcs, de latins, et 
de grecs. Les religieux sont de Saint-François et de 
Sainte-Marie, c'est«à<<lire de l'observance et des con- 
ventuels; deux caloyers grecs avec un diacre; les 
aultres, au nombre de cinquante, sont enfants, tant 
grecs que francs, mais plus de ceux là, qui n'est, pas 
petite merveille. Aux uns on apprend à lire , aux 
aultres les grammaires grecqueet latine. Le Reveren- 
dissime Patriarche, que nous saluasmes, durant la 
vie de M. le Baron, et avec lui, nous fist un bel 
accueil, louant assez nostre façon d'enseigner la jeu- 
nesse, idquegrtUis, il desiroit nous envoyer son nep- 
veu ; mais il a esté destoumé par la malice , qui ne 
nous voit de bon œil; il a estudié à Padoue, comme 



— 54 — 
Ton nous a dict, si n'a-t-il laissé de nous faire bon 
visage. Une aultre fois, que nousfusmes ofiErir quel- 
ques images en taille douce, ayant este advertis qu'il 
desiroit en recouvrer; nous le trouvasmes en sa cham- 
bre, petite en grandeur, toute couverte de tapis velus 
par le bas, assis à la turquesque contre des grands 
carreaux, où il s'appuyoit ; il avoit prez de soy quel- 
ques trois ou quatre des principaux; il se leva pour 
nous saluer à Titrée et au départ, et traita fort pri- 
vement avec nous, regardant les images que nous luy 
presentasmes; et nous signifia qu'il nous vouloit un 
jour traicter, pour nous faire voir quelques religieux, 
et pour complément des caresses, nous fist un brind 
à la grecque, nous faisant boire aprez soy. Plusieurs 
archevesques , caloyers , nous viennent visiter et 
monstrent faire cas de nos exercices. Les aultres 
grecs en font auts^nt; et semble que Dieu ayt voulu 
que nous fissions nostre demeure en ce lieu , où ils 
viennent plus librement, que si nous estions au 
milieu' des latins. Dieu sait le bien qui peut un jour 
réussir de cette fréquentation» 

J'ay esté contrainct d'employer un de nos frères 
coadjuteurs, quelques heures le jour, pour soulager 
le P. Charles en la leçon des Abécédaires, que nous 
ne pouvons refuser. Je grossirois trop cette missive, 
si je voulois faire un dénombrement des confessions 
générales , de la réduction de quelques personnages 



— 55 — 
de Testât de pesché à la saincte pénitence, db la 
bonne opinion de la Compagnie et de Taffection vers 
icelle. Que reste^t-il, mes RR. PP. et trez-chers frères, 
sinon de prendre à cœur cette si saincte entreprise, 
la favorisant premièrement par ferventes oraisons , 
puis en offrant librement nos petits travaux, indus- 
tries et vies ; quand la saincte obéissance se voudra 
servir de nous en ceste œuvre. Je ne sçais s'il y a 
mission , où Ton puisse avoir moins de récréation 
temporelle et des sens , où il y ait moins de subject 
de se complaire ez ministères de la Compagnie , où 
l'on court plus d'hazard de sa personne, ou pour la 
contagion quasi ordinaire de deçà, ou pour les ava- 
nies et fiausses accusations surgissantes à toutes heu- 
res et occasions; les souflets, les coups de baston^: 
voife de Cousteau, sont à bon prix, par les rues, si 
on n'est sur ses gardes : mais relèvent d'autant plus 
ceste entreprinse, que ces choses tiennent de court 
Tamour-propre, à ce qu'il ne s'émancipe, en choses 
caduques, et avoisinent^ de proche en proche, la 
personne, du marlyre. Quand au fruict, bien qu'il 
ne fasse grand monstre en apparence, si est-il tel 
neantmoins, qu'il y a de quoy louer la divine honte, 
et consoler les ouvriers. Mais les biens, qui doibvent 
sortiTvde ces premiers commencements, suipassent 
toute croyance. Potir le moins, la veniue de nostre 
Compagnie a fait résoudre les supérieurs des aultres 



— 56 — 

Religions (ordres religieux) à trier sar le voUet des 
gens pour venir deçà. Ne nous oubliez pas, mes 
RR. PP. et trez-chers frères , en vos plus ferventes 
oraisons et j^f ambulemus digne vocatione nostra, 
et digne fungamtir hac legatione pro Domino. A 
la mienne volonté que pour ma part : Impendam 
me totum et super impendar ipse. ... 

De Galata, Constantinople , ce 30 octobre 1610. 
De vos RR. et charités, le serviteur indigne en 
N. S. 

François de Cajullac. 

(P. S,) Si, ne veux-je laisser de dire une mysté- 
rieuse représentation en somme ou veille d'un pau- 
vre idiot cbrestien , qui vist, du costé de Torient , 
une belle et resplendissante croix , qui estoit sui- 
vie d'une petite lune , qui marchoit aprez. Philo- 
sophez là^dessus. Puisqu'il ne nous est pas permis 
de pourchasser extérieurement de ceste gent, nous 
taschons d'y contribuer de nos dévotions particu- 
lières, nommément le vendredi, qu'ils festent au lieu 
du dimanche chestien , en mémoire de leur pro* 
phete , qui nasquit en tel jour. Ce jour-là ^ dis- je, 
BOUS faisons l'oraison du matin tous ensemble de- 
vant le Saint-Sacrement, la porte du tabernacle 
ouverte, pour closture de laquelle oraison, nous 



•â 



— 57 — 

recitons les litanies des Saincts de Constanti- 
nople, rangés en leur ordre, avec un Feni Creator. 
I^e cachet de mission , qui nous fut donné par 
hazard, à Rome, d'un Jésus, cerné d'une couronne 
d'espines, nous avisoit mesmement de piqueures de 
ceste entreprinse, et nous promet quelque chose de 
plus à l'avenir. 



DEUXIÈME PARTIE. 

{mt; 1616.) 

f 

LETTBES ANNUELLES DE CONSTANTINOPLE (ANNÉE 1612) , 
ADRESSÉES AUX PÈRES ET FRÈRES DE L'ASSISTÂNGE DE 

frange, par le r. p, françois de car^lac, de la 
compagnie de jésus. 

Mes Révérends Pères et Taes Chers, Frères , 

Pax Ghristi. 

La présente année 1612 nous a donné plus d'oc- 
casion de déplorer Testât de ce peuple , que de les 
ayder , ne nous estant resté autre moyen de ce faire 
que par nos prières. La peste ^ qui fit tant de ravages 
Pannée passée par toute cette contrée, a continué, 
avec peu d'intervalle, toiit le long de ceste-cy . Sai- 
sissant , ores les grecs , ores les latins, jusques dans 
les maisons deé Ambassadeurs de France et de Ve- 
nise. Elle nous assiégea de si prez que Monseigneur 
r Ambassadeur nous fit retirer en un quartier de son 
logis , l'espace quasi de trois mois , jusques à ce que 



— 60 — 
nostre voisinage fut nettoyé d'infection. Mais, Dieu 
mercy , nous voicy en la dernière semaine de Tan- 
née, sains et saufs, non sans particulière faveur de 
nostre Dieu, qui nous a garantis parmi tant d'occa- 
sions inévitables de mal. Gar^ outre que Ton ne 
sçauroit sortir de la maison, sans rencontrer des per- 
sonnes infectées, voire mesme atteintes de la mala- 
die; quelques uns de nos escoliers en ont esté frap- 
pés , et autres personnes avec lesquelles nous con- 
versions ordinairement. C'est pourquoy, je répète 
ce que j'ay touché en mes précédentes, qu'il n'y a, 
je crois, mission en laquelle on puisse et doive 
mieux pratiquer ce dire de Nostre Seigneur : Qui 
perdiderit animam suam propter me y inveniet 
eam. 

Mais venons au fruict qu'il a plu à Dieu tirer de 
ce petit nombre des Nostres , qui a esté, quasi toute 
l'année, de trois, deux Pères et un Frère. Car le 
P. iGuillaume Levesque, reprenant vigueur «t 
force, fust envoyé, par ordonnance des médecins, 
avec nostre Frère Ëstieime Viau, son infirmier, en 
Sicile, pour guarir la paralisie des bras et des jam- 
bes, qui luy estoit restée de ce grand mal, qui le 
mena jusques aux portes de la mort. Vous aurez 
entendu , comme je crois , sa guerison. 

Le premier jour de l'an, nous celebrasmes nostre 
feste avec bonne et belle assemblée , honorer de la 



~ 61 — 
présence de Monseigneur Tamba^adeur. Bientost 
aprezy allant visiter le patriarche grec, nouiipé Neo* 
fite y nous fusmes invitez par luy mesme à la feste de 
r£piphanie , qu'ils festent avec grand appareil ^ 
soubs le nom et mémoire du Baptesme de Nostre 
Seigneur. Le jour venu , nous y allâmes tous trois 
avec monsieur d'Orgeville , parent et aumosnier de 
mondict seigneur l'ambassadeur , et y trouvasmes 
le patriarche d'Alexandrie, venu de nouveau en 
cette ville. Les deux patriarches concélébrèrent pon- 
tificalément avec quelques autres métropolitains , 
prestres et diacres. Celuy d'Alexandrie portoit.une 
coronne d'or, enrichie de perles et pierres pré- 
cieuses, çeluy de Constantinople avoit son capuchon 
nmr de S. Basile en teste, la coronne estant engagée, 
il y a plusieurs années. Quand on vint à la consé- 
cration , celuy d'icy profera tout haut la formule 
des paroles qui servent pour consacrer le corps , et 
celuy d'Alexandrie celles qui servent pour la con- 
sécration du précieux sang de Nostre Seigneur. 
(L'un et l'autre avec tous ces cojicelebrans disants 
à voix basse les mesmes paroles , avec tout le reste 
de la messe , comme font les nouveaux prestres la- 
tins , le jour de leur ordination.) 

Nous dinasmes avec les susditz. Les chantres 
cependant faisoient leur devoir à bien chanter, 
mesmement quand l'on beuvoit , comme je me sou- 



viens avoir touché en la première lettre , que nous 
envoyasmes, à propos d'un archevesque grec. Ces 
deux prélats nous firent mille caresses y et bien que j 
delà à peu de jours y ils entrèrent en grosses piques, 
nous avons toujours taschéde nous maintenir en 
leur amitié , les allant souvent visiter. Et pour celuy 
d'icy , il nous a souvent monstre le désir qu'il avoit 
d'estrê uni avec TEglise latine y sinon par déclara- 
tion extérieure y qui le rendit soupçonnable en cette 
cour , au moins de cœur et d'afFection , en croyant 
les points différents , justement selon le vray sens 
des anciens Pères grecs. A quoy a servy beaucoup 
un certain caloyer grec venu de nouveau , qui a 
esté nourry au Séminaire grec de Rome , soubs la 
discipline des Nostres , qu'il affectionne et respecte 
beaucoup y qui presche publiquement les vérités ca- 
tholiquesy non sans murmure de quelques grecs. Le 
mesme patriarche de ce heu y en signé de l'affection 
qu'il nous porte y expédia dernièrement une lettre 
patente pour les Nostres de Scio, commandant à 
l'archevesque du lieu de les laisser librement pra- 
tiquer nos fonctions. Eticy, quand quelqu'un, voire 
des grecs y vouloit quelque faveur prez de luy , il 
imploroit nostre ayde et faveur. Mais, tandis que le 
bonhomme allôit croissant en affection vers la vé- 
rité y on lui trama y à la façon du pais , une avanie y 
par les menées du patriarche d'Alexandrie , comme 



— 63- 

l'on croit , le feisant déposséder et bannir en Tisle 
de Rhodes , ne plus ne moins qu'on kiy fit , il y a 
plusieurs années. On mit en sa place celuy d'A- 
lexandrie j lequel , le premier Yisir , luy ayant donné 
une belle robe de drap d'or, fit conduire à cheval 
jusques au Patriarcfaat, faisant prendre le pauvre 
vieillard, qui s'estoit réfugié en une maison voisine, 
et de là à qudques jours, on le mit dans une barque 
avec garde, pour s'en aller au lieu de son bannis- 
sement. Mais au préalable , estant conduit en son 
^lise pour dire adieu à son peuple , plein de cou- 
rage , en la présence de celuy d'Alexandrie et de ses 
principales parties , il fulmina une grande excom- 
munication en gênerai contre tous ceux qui avoient 
suscité cette bourasque , sans nommer toute fois per- 
sonne. Il en fit autant la première fois qu'il fut exilé, 
et si efficacement, que ses parties adverses périrent 
misérablement; si que leurs corps ne pouvoientse 
dissoudre, qui est l'ordinaire effect des excommuni- 
cations grecques, disent-ils, jusques à tant que le 
prekt les absolve morts, ne l'ayant esté vifs. Le pa- 
triarche d'Alexandrie ne se disoit pas patriarche 
absolu, craignant ce qui lui est arrivé ces jours pas- 
sés, un mois aprez son assomption, ayant esté 
demis par le métropolitain de PatraAa-Vieille, à qui 
le patriarche Neofite avoit donné sa résignation. 
Nous espérons estre veus de mesme œil de cestui- 



— 64 — 

cy que de Tautre, ayant la réputation d'un homme 
de bonne vie. 

Les Arméniens, plus simples que les Grecs^ nous 
font bon accueil, et particulièrement le vicaire gê- 
nerai de leur patriarche , qui demeure en l'Armé- 
nie majeure, lequel a esté à Rome, pour reconnois- 
tre Sa Sainteté^ de la part du dict patriarche. Nous 
espérons, en apprenant la langue quUeur est fami- ' 
liere, de les ayder, voire en Arménie mesme, avec le 
temps, moyennant la grâce de Dieu. Ils consacrent 
en pain azime, et ont leurs autels, paremens et céré- 
monies plus semblables aux latins que les grecs. Ils 
tiennent, entre autres églises, celle où fust célébré 
un des anciens conciles, où Ton voit encore un trejz 
beau et trez grand réfectoire bien peint. Nous fusmes 
consolés, en les visitant , de voir cette antiquité et 
spécialement une Nostre Dame , qui estoit sur une 
des portes de la vieille église, où ils ont pratiqué un 
oratoire avec des ais, sous lequel tout le monde 
pas^e, sans s'en prendre garde. Le susdict vicaire 
arménien fust , ceste dernière feste de Noél , en 
nostre église, assistant à la messe et au sermon. 

Le caresme passé, le Père que je menay de Scio 
pour nous ayder, attendant le nouVeau secours , fit 
quelques sermops en grec, avec fruict et ressenti- 
ment des âmes, et surtout le mercredy sainct, expli- 
quant la passion de nostre Sauveur. Mais mainte- 



. ^65 — 
nant que nous avons un Père natif deScio, liômmé 
Dominique Maurice, qui vint icy aprez Pasqtiès, 
nous espérons mieux, ayant jà faif quelques exhor- 
tations au gré et contentement des auditeurs. £t 
l'octave du Saint-Sacrement fit reciter en grec un 
petit dialogue à nos escoliers richement habillez-, et 
brillants de paHes et pierreries en Thonneùr de cet 
auguste sacrement, qui pleut grandement et à mon*- 
seigneur l'ambassadeur et à toute l'assemblée qui se 
trouva , sur la fin , à la procession que nous fismes 
autour de Dostre église. i ; 

Pour les autres dévotions parmy Tannée, on n'a; 
laissé nonobstant la contagion d'avoir toujours qaeK 
ques communiants en nostre église^ et de faine 
quelque briefve exhortation tant en la mesme église 
qu'estant retirez chez M. l'ambassadeur, ayatrt in- 
troduit un sermon françois tous les ans en sa cha- 
pelle. 

Les marchands et mariniers françois ont aussi 
commencé une Congrégation sous le nom de Ttotre-" 
Dame-de-Bon-Yoy âge, venants, tandis qu'ils se re- 
trouvent icy, dire les heures de Notre-Dame en la 
chapelle, que feu M. de Salignac fît peindre et orner. - 
Il est vrai que la' contagion nous a soiivénl: iiHeif-' 
rompu' nos exercices de dévotion , comme cetil2 de> 
la classe, bien que, tandis que nous demeurasm^À au 
logis de France , les enfant des principaux de Fera 

K. 5 



— 66 — 
venofeiitydu gré de M. rambassadeur, prendre leurs 
leçow. . . . . , 

:Oa a aydé, Dieu iiïercy, notablement diverses 
sortes de personnes au.faict de la contagion, et* 
quelques unes qui avoient demeuré quelques an- 
nées en mauvais estât : où nous avons remarqué de 
beaux traicts de la divine Providence et secreie pré- 
destination. Outre le bastiment d'une belle dasse 
efrune maison ruinée ,• voisine et dépendante jadis 
du monastère, rachetée Tannée passée, nous avons 
reparé et ajancé nostre église , tellement qu'elle ne 
cède :à plusieurs de l'occident. Un gentilhomme, 
chevalier de Malte, qui^ attendant son rachat, avoit 
fmqueoté la* congrégation de Notre^Dame^ a envoyé 
un<!tre9*beau tableau de la Ccmception , principale 
fesfae de la congrégation ; et monseigneur Tambas-i 
sadeur a iaict fake k son peintre un autre tableau 
pour nostre grand autel , qui est , d'une sainte Tri- 
nité^ surlehaut^ et au-dessous, un saint Louys, roya- 
lemenC vestu^ et nostre Bienheureux Père Ignace, 
avep un Jésus en:main, qui accompagnent le taber- 
iiacle;posé au milieu. Les armes du roy sont du 
co^té:dQ saint Louys, et celles de monseigii^ur l'am- 
bs^s^deur.du costé de nostre bienheureux Père. La 
pîl3ce,est belle et.bien estimée. Il ne manque que 
quantité de gens, pour fréquenter les dévotions. 
IVf^^is: le: petit nombre des latins fait que nos fonc- 



-67- 

tions sont moins j^equentes que nous ne voiidrions : 
nous ne perdons pas pour cela courage^ ne mesu- 
rant pas l'importance de cette misssiôn avec le fruict 
présentement sensible; nous contentant de ce peu ; 
qui se peut faire maintenant, soubb Tèsperance du 
l^usaveclesLatinSyGrecsetArmeniens^tanticyytiu^enf 
tous les coins de cette monarchie, avec le temps; voire 
d'icy nous pouvons avoir facile accez à la Tartane; 
auxMingrane^et Georgites, aux Abissiens, etjui^quës^ 
au Grand-Mogor, où sont nos Pères, qui nous ont, 
cette année , escrit une belle lettre pleine de' mer- 
veilles, que Dieu opère par leur ministère. Pour lès* 
isles de l'Archipelâge , ils désirent extresmeixfent' 
revoir des Nostres , tesmoins ceux de Fisle ^tr'on 
nomme Naxie, jacfis Nslxos : les prîmipauxd^ Ja-' 
quelle nous ont fait prier, avec leurs voisins^ de leur' 
pourchasser une résidence de nos Pères, désirant* 
particulièrement avoir, pour certaines bonnes rai--' 
sons, des françois. Mais, paroe que nous' estions 
trop peu cette année pour y envoyer, ils s'adresse-- 
rentaux Nostres deSdo qui y envoyèrent deux Pères, • 
qui leur ont faict croistre le désir de jouir, non par 
passade, mais continuellemeot de nostre Cômpa*» 
gnie^ et en ont escrit au Saint Père et à nôsire R: P. 
General. . . » 

Quant à la congrégation, bien que la misère ^dii 
temps, avec les^ continuelles occupations de!^ ci-^' 



— 68 — 
toyens d'icy, aye assez iaterrompu ses ordinaires 
assemblées , elle donne néanmoins toujours quel- 
quesî fruits de dévotion., le& invitant à fréquenter 
plus souvent les saints sacrements; et la Conception 
de 1^ Yiei^e, feste titulaire, a esté célébrée avec une 
messe pontificale de monseigneur TEvesque de San- 
tprini^avecun sermon italien du P. Dominique Mau- 
rice, qui parle fort élégamment en cette langue, et 
a beaucoup agréé, tant à ceux du lieu *qu'aux estran* 
gers« voire jusques aux vénitiens. 

- M. l'ambassadeur d'Angleterre nous voit de bon 
œil, sachant bien, dit-il, en quel pais nous sommes, 
où tou& les chreràens se doivent entr'ayder. 

Je ne veux pas laisserpasser quelques marques de la 
singulière et douce Providence de Dieu à nous se- 
courir de commoditez temporelles en nostre grande 
necassité , où sans espérance de secours, qu'on nous 
a voit promis.de chrestienté, nous estions réduits, 
ayant employé. ce qui estoit pour nostre provision 
ordinaire, aux réparations nécessaires de nostre 
église, delà classe et maison . Nous nous trouvions en 
grande, peine, quand Dieu fit tomber, entre les mains 
de M. l'ambassadeur, par une voyedu tout admira- 
ble,uoe fort bonne aumosne, laquelle ce bon sei gneur 
de sa grâce, la pouvant appliquer ailleurs, nous fit 
toucher, nous délivrant par ce moyen de nos debtes, 
et dpnnantlie moyen d'attendre la provision annuelle. 



-69^-. ^ 

Et sur ce propos^ je pense estre obligé, par tiltre de 
recognoissance , à peser avec son poids les obliga- 
tions, que nous avons à ce seigneur , qui se montre 
en nostre endroit plus que protecteur des françois, 
nous faisant paroistre en toutes occasions une fort 
remarquable affection, accompagnée de ses propres 
Inenfaicts et libéralités . 

Tandis que nous fusmes retirez en son logis, au 
temps dé cette maladie contagieuse , il ne voulut ja- 
mais permettre que. nous vesquissions du nostre, 
quoyque nous obtenissions de luy, avec grande 
difficulté, de manger en nostre quartier de logis 
pour n'occuper la |dace en sa taUe , et vivre pkus 
selon la pauvreté et frugalité religieuse. -. 

Soudain que les Pères Jean Baptiste Jobert et 
Louys Oranger furent arrive*; il les voulut* avoir à 
disner; et ordinairement ez choses importantes, il 
demande nostre advis , se plaisant à parler des cho* 
ses de Dieu , en quoy nous avons employé plusieurs 
soirées bien avant dans la nuict , lorsque nous es- 
tions retirez chez luy.- 

Au reste l'arrivée des susdits Pères avec un frère 
coadjuteiir , quinze jours justement avant la feste de 
Noël , nous a consolez a merveille, et animez à lious 
efforcer de toiit nostre possible , avec la sainte dis- 
crétion , pour avancer la gloire et service de Dieu 
en tout ce Levant. Ce que nous ferons beaucoup 



— 70 — 
plus efficacement y si. nous sommes aydez extraor* 
dinairement de vos ferventes prières et SS. Sacri- 
fices. Je clorois en ce point la pres^ite , si je ne 
cuidois manquer à ^tnon devoir, vous privant de 
quelques particularités , lesquelles bien qu'elles ne 
nous regardent, ny touchent nos exercices, toute- 
fois elles peuvent mériter votre zèle à prier pour ce 
peuple aiveuglé , et le secourir en son temps , selon 
la disposition de la divine Providence. 

On BOUS a raconté pour chose assurée, que la 
cause, pour laquelle le grand Seigneur, n'a point 
fait mourir son frère selon la coulume, est, parce 
qu'aya^nt tenté' de -ce faire quelquefois, il s'est 
échappé des mains ée ceiix qui le vouloient saisir , 
miraculeusement ce semble, se trouvant esldigné 
d'eux inopinément, revestu de blanc, si leur sém- 
bloit; et bien qu'ils le tinssait -enserrez dans une 
chfdubre,. y entrant» ils le voyent dehors se pour« 
men6r avec cette robe blanche. On dit aussy que, 
la nuict en songeant, ce Roy fut comme menacé, s'il 
attentoit rien contre son dict frère. Et à propos des 
songes du grand Seigneur, nous en avons ouy 
deux autres fort remarquables. L'un est , «qu'ayant, 
sur le soir, ordonné qu'on mit à bas une église grec- 
que dédiée à S. Georges, contre la defence faiffe, à 
causé de la* lumière qu^il y appercéutpar rencontre, 
qui paroissoit par lesfenestres : voylâ que S. Geor- 



-Ti- 
ges, la lance en main , Iny âfirparat en son sommeil, 
se plaignant de ce qu'il vouloit niinçr sa maison et 
le menaçant de le percer d'ootre en outre, s'il pas- 
soit outré en ee feict. Ce prince^, se reveillant iôut 
espdu venté du sdngç, rètoque sidn mandeinent, 
voiré commande qu'on donne, toits les ans , quel- 
que chose de Sa pai^l à la dicte église. Une autre fois, 
il luy sembla de voir une 'autre vieille église , dans 
laquelle estôit un pauvre homme, qui la gafdôit. 
De là à quelque temps passant par là, il recë^eut 
le dict homme, ^t lui ayapt demandé, s'il vouknt 
se faire turc, et l'autre rëspôndaiit hai*ditdelil que 
non , il luy fk donner Taumosne. . 

Ce mésme prince a faict paroistref sa bonté, jtlsitfce 
et detnenpe cette mesmé année en dèut rencontrer 
signalez ; l'un d'un: pauvre vicfiliard ^ guif dé âaHon 
et de religion y qu^ ayant vendu plàsieïirs pierreries 
pour Ifusag^ etpkràiie da niestne ilo;f -salis avi)ir 
receu te payement d'icelles , estpit réduit^ une ex- 
tresme pauvreté. £tne pouvant ayoir^^aiéon ^s of^ 
fioiersy^èflresolotderhiyipaHer^ ainsi eommelî ^v- 
toit de^soè serrail^ accompagné de ses visirs et dé 
toute sa^coor ,'et Juy retnonstudr sa nriset^, ée qu'il 
fit aved unis liberté BM^eiUeiïser Sire , dît-il% Ye%^ 
tresmemisere,- en laquelle jesuis -réduit pour vostre 
service ; me contraint d'avqir' recours à vosttte pro- 
pre per^ookie;, puisque^ vos tffficieiis ^lie'tiètfnent 



-72 -. 

éoate,<jb me satisfaire seloa droit et raisofi ; et la 
barbe blanche, que je« porte, me donne hardiesse 
de ce faire, sans.crainte qu'il m*en puiste mesadve- 
nir, aymant mieux mourir promptement, en me 
plaignant justement , que languir de faim et de dé- 
tresse en un coin de rue, sachant bien que la diffé- 
rence fie condition et fortune humaine , qui est entre 
votre .Majesté et moy, ne pftôse les bornes de cett^ 
vie mortelle , au dels^de laquelle la seule vertu et les 
mérites distinguent les bons d'avec les mauvais, 
SiS'e^ ces pedes et»c^s pierreries^ qui enrichissent 
vofitre. ,t)irbc^n , vostre ciipeterre et vostre massue 
royalle, sont plus miemies.que vostres, faisant la 
valeur de tout mon avoir ^ et contenant tout Tappuy 
et soutienne cette chenue vieillesse. J'implore donc 
vQstre h^ute justice pojiir me tirer de cette funeste 
mi^re;, en me faisant rendre cequi^m'est justement 
deu , ou bien faisant tram^her k filet de: ma miséra- 
ble vie;, quftnt et quan^ mettre fin à mon extresme 
oalaoniité.* Ceux ^qui se trouvèrent présents à cette 
briefve.,:mais tree.hardie: harangue atteadoient un 
rf^ufïe.et altération s^urcilleuee,. suivie de quelque 
rude traitemen4;« Mats ce Biay , se tournant vers le 
pr^jer de ses visirs, et ^rc^jardsnt l'intendant ou 
thresprier de^^s finances , leur dit avec des parolles 
bi^n grayes , qu'auta^t.que leur vie leur estoitchere, 
ils £i$smt en façon de contenter ce jui£ Voîcy un 



j 



— 73 — 

autre trait de sa beoîgnité. ïl y a quelques moys 
qu'un quidam 4^tviSy ce sembloit, et sauton de 
professioD^ mais extrêmement fol, se persuada 
d*estre inspiré , comme il confessa de sa propre 
bouche, de Dieu, de tuer son prince. L'attaquant 
au sortir de son serrail en la place de sainte Soi^e , 
et avcQ.des paroles injurieuses, luy rua une grosse 
pierre , «qui Teust sans doute dangereusement en- 
dommagé , s'il n'eust esquivé le coup. On vouloit 
deschirer ce gajand, mais le Roy, froidement et po- 
senkent , ordonna qur'on le mit entre les mains de la 
justice pour en faire ce qui seroit de droit; Le mise* 
rable deceu p^*sistoit en sa folle imagination , voire 
disant que le tranchant du meilleur cimeterre ne 
luy sçanroit faire mal. On se contenta d'en faire la 
preuve, luy faisant trancher la teste, au mesme lieu 
de son attentat. Il est k croire que si*ce prince estoît 
illuminé de la lumière de la vraye foy , il seroit un 
des plus accomplis et dignes de gouverner un 
royaume. Pour le reste des turcs naturds , s'ils n'es- 
toient cwrompus par les renégats , ils seraient doux 
et paisibles , et fait fort bon converser avec ceux 
qui n'ont esté en l'école de ces perfides apostats. 

Un des Coïade Sainte-Sophie, surintendant de 
ces cloches pariantes, qui s'entend joliment aux 
horioges du soleil , ayant ouy dire que quelqu'un 
des Nostres s'y entendoit, nous vint trouver, nous 



— 74 — 
requérant avec beaucoup de courtoisie de conférer 
avec le Pwe Dominique Maurice, qui a fSstit autrefois 
particulierestude. Nous ne l'esconduismes pas de sa 
requeste^ et venoit fort souvent cktez, nous, montrant 
faire grand casde Fesprit et industrie deschrestiens, 
voire de * nos cérémonies* sacrées , images, etc. Il 
nous a Élit voir fort particulieremei^t sainte Sc£e; 
upe des merveilles du monde, à mon advis , pour 
l'architecture, colonnes, iparbres et porfires. 

Une fois, allant voir une pyramide ou quille 
dressée par Theodose, empereur, comme il appert 
par l'escriteau^ plusieurs turcs s'assemblereqt, nous 
feisant instances par signes et par on tru^^ment 
de leur lire l'escriteau , monstrant de faire quelque 
cas de nous* Un de nos frères, devant nostre porte, 
voyant un turc qui avoit saisy un. jeune -^Bspsoq 
pour le pervertir^ l'accosta «t par bonnes paroles 
et signes , luy osta la proye (heureusement , Dieu 
mercy. ."/./: 

Je nie veux pas laisser de dire à k louange de' ces 
pauvret aveugles l^fiib^ahtéHiome en^nm quar^ 
tiers. ïjes plus riches et grands, qur se dressent de 
beaux itaôsolées^e2»c|ijiat»^fbuf8 de k^ille,y font nenlsf 
une belle fontaine^ avec plusieurs, comme goubelets 
de mefail énchainés/ qu'une personne qt)k'ik destî^ 
lient à cela expressément, remplit inbessabient pow 
rafraiscMr les allants et mefianUpar cette grande villéi 



— 78 -^ 

Déplue, en quelques lieux publics, il y a quel- 
ques uns qui tiennent de la chair cuite, bouillie et 
rostie , avec un bon nombre dfe chiens tout autour, 
attendant que quelque passant leur acheté par titre 
d'aumosne quelque pièce, ce' que font volontiers les 
turcs j outre le pain que bien souvent ils vont disper- 
sant à' ces animaulx. Ils estittietit aussy à grand 
mente de donfrerlâBbei'téà^quelqtie oyseaude cage. 

Il r esté maintenant , par mode "^l'esbat , à vous 
descrire l'ordre et magnificence des saillies , entrées 
et noces royales j puisque la présente année nous à 
donné le moyen de les voir, sous l'ombre et faveut* 
dé monseigneur l'ambassadeur - de France. Voicy 
Tordt^ qui se ttent, quand le grand Seigneur va en 
quelqu'une de ses mosquées pour y faire sa prière, 
qui estqulasi tous les vendredis^ de Tannée. 

!•• On nfettôye iesriies par où il doit passer; 
09 on voit un monde de janriissaires à pied qui 
marchent en foule. Suivent les sieurs capitaines 
à cheval; avec dé grands panaches sur leurs testes 
qui s*eè*argissentén hautenfaçbnd'evantoir." Stiïverit 
aprez, quelque quantité d'autresà pied avec lès mès- 
mes plumes. Enfin* vient lé janissaire aga, sur un 
beau cheval , Vestu de drap d'or et d'argent , qui va 
saluant de la teste tôiit le monde d'un éosté etd'aufre, 
selori les coutumes des grands d*icy . Viennent aprez 
Iny les chaôus, * qui sont les gentilshommes de la 




— 76 — 

Turquie, à cheval, bien moulés etricbemept vesitis, 
avec, des belles masses en leur main , ou bien en 
Tarçon de la selle; kuFS brides et renés sont ordi* 
nairement toutes de plaques d'argent doréw Les 
housses des chevaux^ qui ne pendent guère plus que 
le corsage du cheval, sont belles à merveilles. A leur 
queiie sont les capigis à cheval, qui sont les portiers 
du grand Seigneur, en bon nombre et bien vestus, 
avec leurs chaperons en teste. Icy on porte Testen.- 
' dard royal. Les fatpilles des Bachats suivent immé- 
diatement, richement parez; apre^ lesquels viennent 
les grands Bachats et Yisirs, deux à deux , accous-- 
trez magnifiquement. Le Moufci^i , grand pontife d0 
ce peuple, est au. dernier .rang, qui est le plqs hono* 
rable, à la drmte du grand Yisir, qui est inférieure 
parmi eux à }a gauche. Aprezeux, vi6ntlag$irde<dtt 
corps du grand Sjsigneur, composée de cinq çeiits 
ou tant d'archiers,^ vestus à la legeyre, avec des che- 
mises volantes de toile fivie, ayant l^irs flesches et 
arc^ en la main. Aprez eux, viennent quelques uns 
qui meinent des chevaux en main, richémepit capa- 
raçonnez. Et puis marche le Roy , monté sur un 
cheval royalement omé^ vestu ordinairement de 
blanc, portant trois aigrettes noires et blanches epi 
son turban , une ou deux, regardant en bas ou de. 
biais, brillaptaurpste de perles et pierreries, comme 
tout rharnois de son cheval. Il a autour d^ soi 



— T7 — 

quelque nombre de gens à pieds, comme estafiers, 
vestus de drap d'or. Sur la queue de la cavalcade , 
il y a quelque nombre de gens à cheval, officiers du 
serràiL 

Ce Roy a desjà marié deux de ses filles, Tune âgée 
de six ks^pt ans, Tautrede quatre à oinq.Lesmagni- 
ficences, qui sefont dansle palaisroyal,sont secrettes; 
pour celles de dehors, la principale est la conduite 
de l'espouse chez le marié . Quelques jours aupara- 
vant, le Grand Seigneur envoyé le mariage de la fille 
chez le beau fils, qui consiste en argenterie, robbes 
et pierreries, sur des chevaux et muletz, 'deux cents 
environ , mal équipez , mais chargez de cofïres et 
valises ouv^^es pas* le dessus pour faire voir à un 
diascun les atours et ornements royaux. Entre autk^es 
choses, on porte le hvre de la loy, couvert dé fin 
or, enrichy de pierres précieuses. 

La conduite de la famille est en la manière qui 
s'en suit : aprez les janissaires , chaoux et capigis 
qui s'y treu vent en plus grand nombre et plus riche- 
ment vestus que de coutume, marchent les cadits et 
gens de justice, et par aprez, ceux dé la race* de 
leur prétendu profete, à cheval, avec le turban vert, 
qui sont en assez grand nombre^ et sur les derniers 
rangs de cette saincte race, on porte un estendart 
vert, qui traineroit en terre, si quelques .uns ne re- 
levoient ses extresmitez. Tout le monde se levé. 



— 78 — 

debout, taiidU que passe l'estendart, voire plusieurs 
eu vont baiser les franges , et s'en frottent le front 
et la face par dévotion. Icy et en quelqu'autre en- 
droit de la procession , soupirent et hurlent tous 
ensemble certains dervis ou religieux de cette secte, 
disant, houhc^, si humblement, et avec tant de cour» 
teatio9 f que bien souvent ils en crachent le sang , 
signe manifeste , parmi ces p^uvr^ abusez, d'estre 
exaucez en leurs prières. Et, pour cette occasion, en 
leurs entreprinses et desseins ou nécessites pudi- 
ques, ils employent semblables gens.On portoitaussi 
une massue , une JK>tte , certaine arquebuses ou 
mousquets de bois d'une démesurée grandeur, avec 
une double espée fort grande , ^en meosoire d'upe 
fable ,,qui court parmi eu?( , de Tun de leurs saincts 
anciens, l'espée duquel, quand il se battoit contre 
les chrestiens, disent-ils, se multiplioit miraculeuse-* 
ment en deux. D'autres portoient certains fantosmes 
d'animaux, comme tigres, éléphants, loups faits 
de coton, grossement représentez. Aprez-, venoient 
les cours des Baçhatsetpuis les Bachats mesmes, 
richement pajc^z. Mais le marié n'y estoit pas , atten«- 
dant ep son ))alais l'iùlante , laquelle, aprez s'estre 
partie du seruail royal, donnoit par chemin, de mo^ 
ment en moment, nouvelles à son mary par gens 
envoyez expressément, ausquels, en signe de res«. 
jouissance, il faisoit de beaux, présents. Aprez les 



- 79 - 

BacliAte , sdloîent plusieurs gens ée pied armea*, qui 
conduisoient 9 Gamme trois belles piramides, avec 
mille eatrelassures d'or et d argent , et parmy plu- 
sieurs pierres et cristaux qui briUoient, on por- 
toit deux Qu trois gros etgrands cierges ou torches al- 
lumées. A la queue de ceux-cy, venoit un tas de 
baladins, chai^tant mal gracieusement , qui feisoient 
des gestes barbarement immodestes; suivoient les 
haubois y flûtes, cymbales. et tambourins, accorde- 
ment desaocordez, propres à chasser les abeilles de 
leur» ruches. Bientost aprez, marchoit le paranin£e 
ou parriu des nopces, qui estoit le grand Tostarda , 
c'est-à-cUre trésorier, revestu de drap d'argent. Et 
delà à peu, on portoit un poêle de toile d'or, sans 
personne dessous, et, immédiatement aprez, venoit 
un autre dais fort riolie, avez des rideaux jusques 
en terre, dans lequel estoit portée une chaire pen- 
dante des quatite bastctos du dais, où estoit la petite, 
roaiâée cachée dansce courtinage. Au derrière venoit 
son cbarriôt ^ couvert d'une housse- de brocatail, et 
plusiesurs autres (^tariots ordinaires alloient de suite. 
Âprez, venoient plusieurs filles de chambre, esclaves, 
toutes à cheval» vestûes de brocart, entre delix eunu- 
ques, revestus de^ uiesme. Les espaïs en bon nombre,* 
avec leurs lances et banderoUes de diverses cou- 
leurs serroient.(fermoi(^nt) la ^cavalcaide, mais non la 
feste qui dura quelques jours, tant dedans que de- 



i^ —80 — 

hors les palais royaux , spécialement sur le canal qui 
sépare Galata de Constantinople ^ où j durant trois 
joursy on fit plusieurs chasteaux de feux artificiels , 
dressez sur des barques^ une heure de nuit : le Roy, 
venant à la marine , avec des flambeaux pour en 
avoir le plaisir. Quelques chrestiens pendant ces 
festes et triomphes s'allèrent offrir pour se faire 
turcs. 

De là à quelque mois, arriva leVisir nommé Na- 
sun Bascha, avec Tarmée qu'il ramenoit des fron- 
tières de Perse, conduisant l'ambassadeur persian , 
qui venoit pour conclure la paix avec le grand Sei- 
gneur. Ce visir fut receu avec grand appareil et 
magnificence , portant quant et soy les finances 
royales, qu'il avoit recueilly de TAsie, avec^e qu'il 
donna du sien , qui montoit à grande somme. Peu 
de jours aprez, le susdit ambas^deur persian fit son 
entrée par la principale porte de Constantinople, 
dite d'Ândrianopole^ avec une grandeur et appareil 
extraordinaire. Cinq cents cinquante ôhameaux , 
chargez de soie, de tapis, de musc et autres choses 
de prix , marchoient les p)*emiers , avec leurs cha- 
meliers, de cinq en cinq sur les mesmes chameaux. 
Le premier de tous frappoit gravement un fort gros 
tambour : puis, alloit par ordre la milice des gens de 
cheval et de pied; aprez^ les principaux de la cour 
de l'ambassadeur, avec leurs turbans bigarrez, en- 



- M - 

richis de pierres précieuses , nommément de tur- 
coises, leurs selles et brides de mesnie. L^ambassa- 
deur, cottoyé du janissaire Aga , estoit fort siiïiple- 
ment habillé, sans soye, ni pierreries, comme estant 
personne de la loy : c'est la seconde personne aprez le 
mottftide Perse et homme sage, dit-on, et qui faisoit 
profession d'astrologie , il avoit expressément mar- 
qué l'heure de son entrée, la plus favorable qu'il put 
remarquer dans ses efemerides. Mais Tentrée, que 
fit le grand Seigneur quelques jours apréz , pour 
faire parade de sa grandeur, devant des Persiens et 
autres ambassadeurs, qui se rencontrèrent pour lors 
iey, de tons les princes , qui ont alliance avec luy, 
surpassa de beaucoup toutes les entrées susdites. 
Premièrement , il fit dresser en sept jours un riche 
palais de charpenterie, couvert de plomb, hors la 
ville, du costé de la Grèce, esloigné de douze milles, 
où il se logea avec sa cour, d'où il partit , comme 
venant de la chasse. Les Zamoglants , qui sont les 
enfants du trftut, avec l'arquebuse au col, entrè- 
rent les premiers, deux à deux, en grand nombre; 
aprez lesquels estoit le chef des eunuques , qui fai- 
soit compagnie à la Sultane, qui estoit dans son 
chariot royal couvert , voyant à travers d'un treillis 
tout doré, fort menu et pressé. Suivoit un autre fort 
grand nombre de Zamoglants, armés comme les pre- 
miers. Aprez, alloient les canonniers et autres offi- 
K. 6 



— 88 — 
ciersy avec des salades dorées en teste, l'arquel^use 
sur le col, en quantité. Puis l^s estafiers du roy, 
partie à cheval ^ portant les oyseaux, partie à pied, 
menant en laisse plusieurs chiens de chasse , tous 
vestusi qui d'escarlate, qui de soye, qui d'or ..Ensuite 
estoient les janissaires avec l'arquebuse Picore. Lies 
aultres à cheval j avec leurs crettes de plumes sur 
leurs chaperons, mais en si grand nombre, que rien 
plus. Aprez, marchoient les Bey s ou gouverneurs de 
province, avec leur compagnie de gendarmes, la 
lance en main, avec les banderoUes de leur hvrée, 
et leurs cornettes ou enseignes si belles, qu'il y 
avoit de la difficulté à juger des plus magnifi- 
ques, comme ^qore leurs vestements, armes, 
selles, housses, estrieux, et brides, où tout briUoit 
d'or et de pierreries, nommément les caroois 
des capitaines. Suivoient les chaouz, montez à 
Tenvi l'un de l'autre, et habillez de mesure, en 
trez grand nombre, avec leurs belles massues. Les 
Çapigis aprez, richement parez; piiîs veqoient les 
cadis et gens de justice, et les turbans verts, avec 
le saint estendart, et les cris, desquels j'ai parlé cy 
devant , avec la mesme inepte cérémonie. On n'ou- 
blia pas l'espée de bois et autres armes, gigantines, 
non plus que ces feincts animaux. Aprez, venoit un 
nombre de luicteurs nuds dez la ceinture. en haut , 
faisant certains eiSGiMrts de maiw av^ leur^ arcs^ 



— 83 — 
Quelques autres étaient toutdebout sur les cheiraux 
marchants. Mais voicy venir les familles des Bac^iats 
et YisirSy avec leurs maistres Vestus en princes. Sni- 
TOit la garde des archiersy de laquelle j'ay cy devant 
feit mention. Quelques ests^érs à cheval menoiétit 
en main hmt ou neuf beaux chevaux par excellence , 
royalement caparassonnez, avec chacun son sceptre 
et escu d'or et de cristal , avec un million de pier- 
reries. Et cetuy qui estoit plus proche du grand Sei- 
gneur, avoit soubs le col une quantité de cordons 
de trez grosses perles, qui pendoient quasi juse|ues 
en terre. Le cheval du Roy avoit le mesme, et tout 
sonharnois plus riche que les autres : et juy, hsibiUé 
de blanc , brillait coimneun soleil , pour la multi^ 
tude et beauté des pierreries, qui enrichissoient son 
iurban et sa jupe« Aprez, suivoient les ôffîciers de la 
cour en grande quantité, 'bien montez et richéinent 
pares. Particuhef^ittelft il faisoitbon vôir'les pages 
eteoÊmlB d'honneur, qui sortt,pour l'ordinaire, issus 
de parents chrestiens, desquels on tire les Bachats 
et gouverneurs de l'Estat. On portoit encore plu- 
sieurs oyseaux, et menoit-dn des chiens, comme 
devant. A la queue venoit un grandissime m)tkibre 
d^espaïs^c'est^'-dire gendarmes à(dieval,avec leui^ 
lances et bandert>ltos. Et je confesse que les yeux me 
firent mal de voir tant de gens. 

il ne fiittt tcjtf «tnéW0 \^ gentillesse de Tambassa- 



— 84 — 
deur persien, à Tendroit du grand Seigneur, en 
cette sienne entrée royalle. Il fit tenir plusieurs de 
ses gen^ au-devant du logis, où ilestoit, pour voir la 
magnificence. Et comme le Roy fut vis-à-vis dudit lo- 
gis, ils commencèrent d'estendre des*pieces de soye 
par où son cheval devoit passer, qui dura jusques à 
la porte du grand serrail,qui est quasi l'espace d'un 
mille ou quart de lieue. ^ 

Voilà les principales magnificences de deçà. Nous 
avons cette année fait une autre representatioa avec 
moins d'appareil, mais avec plus de fruict. Ça. esté 
d'une petite grotte avec la cresche de ce. grand 
Dieu 9 fait petit pour nous. Les latins et les grecs, 
hommes et femmes, ont, avec grand ressentiment, 
honoré cet humble et simple spectacle et représenta- 
tion du saint mystère de la Nativité, que nous célé- 
brions pour lors. Bon Dieu ! mes RR. PP. et très- 
chers fireres, combien d'ames sa perdent à faute de 
secours ! Prions ce bon Dieu qu'il nous donne la 
force et l'adressede coopérer à l'application des me- 
ntes de spn fils, nostre Sauveur Jesu&Ohnst. C'est le 
but de n.o^re. vocation . 

La venue des PP. Jean-Baptiste Jobert et Louys 
Granger et de nostre frère Jean Arboniiet, nous a 
donné un nouveau courage et nouvelles espérances 
de fructifier en cette grande vigne du J^evant. Il y 
aura de quoy travailler pour plusieiir$ autres avec 



— 85 — 

le temps, qui cependant nous aideront de leurs SS. 
Sacrifices et oraisons, comme nous espérons que 
font tous ceux de la Compagnie , qui sont advertis 
de cette nouvelle entreprise. 

Adieu, mes RR. PP. et trez chers Frères. Mille sa- 
lutsen Nostre-Seigneur, etc.; 

François de Cawillac, 
de la Compagnie de Jésus, 



— 86- 



La lettre suivante se trouvait placée dans nos ma- 
nuscrits, immédiatement après la relation du P. de 
Canillac; comme elle peut lui servir de complément 
nous croyons utile de la publier. 

Lettre (ïun docteur de Sorbonney qui est auprès de 
Mgr r ambassadeur y pour le Roy de France, en 
Turquie y à M. de Sancj, père dudit ambassu'-' 
deur. 



MoirsiEUB , 

Il y a quelque temps que j'ay receu une de vos 
lettres. Je ne puis vous remercier assez dignement 
de la faveur qu'il vous plait me faire, d'avoir souve- 
nance d'un de vos petits serviteurs. Je ne m'estonne 
pas si vous desirez le retour de Mgr l'ambassadeur, 
car voicy la sixiesme année de son ambassade, aussi 
a-t-il le mesme désir que vous, et ne peut plus sup- 
porter le regret d'estre si longtemps esloigné de 
vous. Il n'a d'autre consolation que de parler de son 
retour , et d'avoir l'honneur de vous revoir : c'est 
là tout son entretien. Je prie Dieu que, d'ici à deux 
ans, il luy fasse la grâce de sortir d'icy et que le reste 



• — 87 — 

dé son ambassade succède aussy bien que le c6m- 
ôtencenient; Le succez de râfifairè des Pï*. Jésuites 
lu j a apporté beaucoup de réputation , d'autant que 
c'est une des plusdifficiles affaires qui ait jamais esté 
traitée en ceste Porte* L'on n'a jamais entendu par- 
ler d'une telle furie turquesque. L'on eut dit que 
Constantinople venoit d'iestre prise d'assaut (par) les 
chrestiens; le grand Seigneur est en une colère 
extraordinaire de ce que l'ambassadeur de l'Empe- 
reur est entré, tambour battant et enseignes dé- 
ployées, en Constantinople. Le bruit court qu'il y a 
beaucoup de milliers d'hommes desguisez qui sont 
venus avec luy et sont à Constantinople et en Galata, 
en habit de juifs et de grecs; que dans les églises et 
dans les maisons des ambassadeurs , il y a quantité 
d'armes; que l'on veut soublever les grecs; que les 
cosaques sont de la partie, qui doibvent venir par la 
mer Noire , en une belle occasion , cependant que 
Constantinople est desnuée de gens de guerre, qu'il 
y a quattre armées dehors , l'une en Perse, Tautre en 
Pologne, l'autre en la mer Blanche et l'autre en la mer 
Noire. L'on a commandé que chascun ait à porter son 
habit selon sa nation et deffendu déporter chappeau 
qu'aux françois, et aux françois d'habits de grecs. 
On fait une recherche partout et un roole de tous 
les chrestiens. Le grand Seigneur commandé, pour 
avoir plustost fait , qu'on tue tous les françois, sans 



— 88 — 
en excepter aucun. Gomme M. lambassadeur estoit 
allé au Bascha solliciter pour les PP. Jesuistes, le 
grand Seigneur fait deffense qu'on ne passe point 
de Constantinople en Galata, ny de Galata en Cons- 
tantinople. Il va trouver le Muphti, laisse ses gens à 
la marine, comme c'est la coutume de mener peu de 
monde quand on le va voir, envoyé vers le Bascha 
son truchement. Cependant voilà une multitude 
infinie^de peuple à la marine, qui voit qu'on les va 
faire mourir : qui a pitié d'eux, qui les injurie. On 
tenoit pour tout assuré qu'on alloit couper la teste à 
tous, tant que nous estions là. Il fallut que le Bascha 
envoyast un escrit de sa main et un des siens poiir 
accompagner M. l'ambassadeur et faire passer tout 
son train en Galata et le conduire jusques à son 
logis. Cette nuict mesme, il arriva une chose es- 
trange et qui monstre bien en quelle fureur estoit ce 
peuple. A cinq cents pas prez de nostre quartier, il 
survint une dispute en un logis. I^s voisins, enten- 
da^nt le bruit, se mettent en armes; ils croyent que 
ce sont les françois qui se veulent soubslever. 11$ 
estoient jà mille hommes assemblez , en resolution 
de venir assaillir les maisons des ambassadeurs et 
tuer tout. Voilà la furie en laquelle estoient les 
turqs, quand les PP. Jesuistes furent prins. Il n'y 
avoit celuy qui ne desesperast de leur vie. Aussi un 
bon père cordelier, vicaire patriarchal, qui fut pris 



— 89 — 

avec eux , et qui estoit en la mesme piison , fut fait 
mourir trois jours aprez leur emprisonnement. Les 
accusations estoient trez-criminelles, qu'ils estoient 
espionsd'Ëspagne, qu'ils donnoient Tabsolution aux 
renégats, qu'ils baptisoient les Turqs, qu'ils rece- 
loient les esclaves fugitifs et les envoyoient en chres- 
tien té. Leurs mal veuîllants sollicitèrent y se servant 
de l'occasion , comme il paroist^ qu'eux seuls sont 
prins avec le vicaire patriarchal , qu'on ne va pas 
aux autres églises, et si passe-t'on tout auprez en les 
menant. Et puis on demande si c'est l'église que 
demandent les venitiens.On met en avant, pour irri- 
ter la colère du grand Seigneur contre eux, qu'ils 
ont dessein sur sa personne propre. L'on n'oublie 
pas la doctrine de tuer les Roys. L'on ne se con- 
tente pas de le dire au Yisir, on le dit dedans le sé- 
rail, on informe le Bustangibachi, qui parle tous les 
jours et toutes les heures au grand Seigneur.. Il n'y 
a un seul des ambassadeurs qui se remue, fors 
monsieur vostre fils, qui est continuellement au 
Yisir et chez le Muphti et autres siens amis , des 
grands de cette Porte. Il fait si bien, qu'il leur sauve 
la vie. En cesté première furie , j'oubliois à vous dire 
que le grand Seigneur fut à cheval , tout le long de 
la nuit , à Constantinople , et fit-on mourir en sa 
présence ce pauvre religieux , qui avoit esté prins 
avec les PP: Jesuistes. II est vray qu'il a cousté 



— 90— ^ 
beaucoup à M. l'ambassadeur. A la velité, la des- 
pense est fort extraordinaire et trez-grande; mais 
c'est peu en comparaison de ce qu'il a cousté à l'am- 
bassadeur d'Angleterre pour sauver la vie à un sien 
marchand, qui n'estoit pas en si grand danger. Il 
n^estoit question que de certaines marchandises des 
turcqs, de peu de valeur, qui avoyent esté prises en 
course par les chrestiens, vendues à Zante et Achely, 
par un anglois qui les envoyoit icy à un sien corres- 
pondant. Ce que plusieurs turqs tesmoignoient, en 
faveur mesme de l'anglois, comme ce n'estoit point 
eux , qui avoyent fait cette prinse , mais ceux de 
Malte. Il se trouva le capitaine turq du vaisseau , sur 
lequel avoyent esté, en Alexandrie, chargées les mar- 
chandises , qui dit en plein... (il y a un mot omis 
dans le manuscrit) que son vaisseau a esté prins par 
ceux de Malte et non par les anglois. Néanmoins il 
en cousta au marchand pour sa délivrance qua- 
rante mille escus, sans mettre en compte les intérêts 
de sa marchandise, qu'il a esté contrainct de vendre 
à vil prix. Ce qui fait paroistre la prudence de 
M. l'ambassadeur de s'estre comporté modérément 
avec le Visir ; car l'ambassadeur d'Angleterre, pour 
l'avoir voulu emporter dehaulte lutte,et s'adresser au 
Bustangibachi pour en faire parler au grand Seigneur, 
fut contrainct de faire une si grande despense. L'on 
n'esperoit pas davantage en l'affaire des PP. Jesuis- 



— Gî- 
tes que de leur sauver la vie , et un chascuti louoit 
M. l'ambassadeur de ce qu'il les avoit tirez d'un si 
grand péril , et qu'au reste il ne faisoit plus icy bon 
pour eux, qu^ils s'en allassent en la grâce de Dieu. 
Leurs malveillants sollicitent tant qu'ils peuvent , 
qu'au moins ils ne demeurent point icy. Leur mai- 
son est vuidée ; on emporté toutes leurs bardes au 
logis de M. l'ambassadeur. L'on leur baille de l'ar- 
gent pour faire leur voyage, l'on met leur provision 
dans un vaisseau marseillois, qui est sur son parte- 
ment. Néanmoins M. l'ambassadeur fait en sorte 
qu'il obtient, du grand Seigneur, un commande- 
ment, par lequel est déclarée l'innocence des Pères 
Jesuistes, qu'ils ont e&té , par envie , meschamment 
et faussement accusez , donne permission que deux 
d'entre eux retournent pour le présent et qu'à l'ad- 
venir il en puisse venir d'autres de France. Ces deux 
bons Pères arrivèrent dimanche dernier, aprez 
avoir esté en prison, ou icy, ou aux chasteaux de 
l'Hellespont , depuis la fin du mois d'aoust , Tan 
161 6. La permission de faire venir d'autres françois 
est fort particulière en une telle esmotion , et>prin« 
cipalemeiitsurle point que les ambassadeurs d'Aile* 
magne traitoient pour le mesme subject sans qu'ils 
ayent eu permission défaire (venir) icy des Pères Je- 
suistes autres que des hongrois et subjects du grand 
Seigneur, et ce, à Constantinople. Voylà, monsieur, 



— 9Î — 
comme s'est passée V^Hsàve 4es PP. Jesuistes. Je 
m'assure, quand le Père Jobert, qui estoit supé- 
rieur icy, sera retourné en France, qu'il vous en ira 
faire des grands remerciments, comme tesmoin ocu*- 
laire de tout. Et non-seulement luy, mais encore 
toute la Société , vous en doibt remercier : vous en 
estes le premier moteur; car c'est la continuelle sou- 
venance de vos vertus, et généreuses et nobles ac- 
tions, qui l'invitent à employer, pour le soulage- 
ment d'un chascun , les belles parties et les grandes 
inclinations, qu'il a à la vertu. Quant à moy, mon- 
sieur, je vous supplie trez humblement de croire, que 
tout rhonneur et le contentement, que je désire en 
ce monde , c'est d'estre conservé, en l'honneur de 
vos bonnes grâces. Je serois trop heureux devons 
pouvoir tesmoigner, par quelque service, le zde que 
j'en ay. Mais il faut que vostre bonté se contente 
de ma bonne volonté seule et supplée par sa béni- 
gnité à ma petitesse. Je prieray au moins Dieu, toute 
ma vie, monsieur, qu'il vous veuille, par sa sainte 
grâce, conserver, et vous donner l'accomplissement 
de tous vos désirs. 

Vostre trez humble el obéissant serviteur, 

LOYS DE MORANVILLIERS. 

De Conâtantinople , ce 27 janvier 1 61 7. 



— 93- 

Ges malveillantSydont il est parlé dans la lettre du 
docteur de Moranvilliers, étaient , sans compter les 
ennemis du catholicisme, les vénitiens, alliés de la 
France, mais adversaires déclarés de la Compagnie, 
depuis son expulsion des terres de la République 
en 1606. 

yoici,àce sujet la note d'un de nos Missionnaires 
au Levant : 
« La chose la plus importante pour le repos de 
notre Compagnie au Levant, et pour le libre 
exercice de nos fonctions spirituelles, est notre 
rétablissement dedans Tétat de Venise; car par ce 
moyen nous aurions une double protection de 
l'ambassadeur de France et de celui de Venise, qui 
se joindroient ensemble pour nous rendre de 
bons offices à la Porte. Nous rentrerions en 
Candie, qui est Tîle de Crète, où nous avons eu 
autrefois une belle résidence , et nous y établi- 
rions maintenant un collège, qui serviroit de sé- 
minaire à tout le Levant. Nous ferions de nou- 
velles missions, tant sur les terres de MM. les 
vénitiens que dans les lieux voisins où ils nous 
protégeroient. Nous pourrions faire une demie 
province au Levant , qui avec le temps se suf- 
firoit d'elle-même, et seroit soutenue par ses 
supérieurs médiats et immédiats , comme le reste 
de la Compagnie. 



— 94 — 

• C'est le désir de tous les Isolains (Candiotes), et 
particulièremeat des gentilshommes, qui se plai^ 
gnent, qu'en même temps que la Compagnie est 
sortie de Candie, ils ont perdu les lettres, les 
bonnes mœurs et la civilisation* 
« Tous ceux qui peuvent aider à ce rétablisse*» 
ment sont très-bumblement suppliés de s'y em- 
ployer à la gloire de Dieu, pour le bien général 
de notre Compagnie, et pour l'intérêt particulier 
et dépendances qu'ont nos missions orientales 
dudit rétablissement dans l'état de Venise. » 



TROISIÈME PARTIE. 

1663, 1664. 

LETTBES DU P. ROBERT SAULGER, DE LA COMPAGNIE DE 
JÉSUS , Â UN PÈRE DE LA MÊME COMPAGNIE (lE PRO- 
VINCIAL DE FRANCE). 

A Constantinople, le 28 de décembre 4 663. 

Je partis de Smjrrne^ la veille de la Toussaints, 
après y avoir demeuré sept semaiiies , sur un vais-- 
seau flamand, en compagnie de Monseigneur Fèves- 
que de Salamine de Tordre de S. François, sufFra- 
gant du Patriarche de Gonstantinople , homme 
dHine grande capacité et d'une illustre vertu. Le 
capitaine du vaisseau et les matelots etoient hoUan- 
dois, tous luthériens , ennemis des Religieux, de 
quij'ajreceu autant de mécontentement, quej'a- 
vois receu de courtoisie de nos françois depuis Mar- 
seille jusques à Smyrne. Le reste des passagers estoit 
composé de jui£s, grecs, turcs, italiens, anglois; 
il n'y avoit qu'un seul françois, encore etoit-il de 



— 96 — 
la religion (reformée) : Voila ma compagnie. Pour 
mon appartement, notre capitaine eut la courtoisie 
de me loger entre deux gros canons , pour me def- 
fendre des ennemis, dessous le lit d'un matelot, 
pour me garentir de la plu je; le mal vouloit que 
mon matelas estoit si court qu'il ne me venoit qu'au 
genouil, et si estroit que lorsque je me voulois tour- 
ner d'un costé, je tombois de l'autre. Estant donc 
si bien logé et en si belle compagnie, nous levas- 
mes l'ancre , le jour de la Toussaints , sur les trois 
heures du matin, sans avoir peu dire la messe. 

Nojus n'allasmes cette première journée que jus- 
ques au chasteau de Smyrne, qui n'est esloigné de 
la ville que de douze milles. Le vent contraire nous 
y fit demeurer quatre jours ; nous en partismes le 
cinquiesme avec un vent si favorable, qu'il nous fit 
.passer en un instant les isles de Methèlin et Tene* 
dos, et nous conduisit le mesme jour aux Dardan- 
nelles, où nous ne pusmes passera cause qu'il estoit 
un peu trop tard, et que nous estions obligez de 
prendre un gardien turcq pour la douane. 

Ce retardement d'une nuict nous fit grand tort, 
car n'ayant pu lever l'ancre que le lendemein sur 
les 9 heures du matin ^ le vent, qui nous avoit porté 
le mesme jour à Constantinople , se changea sur les 
5 heures du soir, et nous obligea de nous arrester 
à trois lieues de Gallipoly , quatorze jours à mon 



— 97 — 
grand regret; car n'ayant apporté des provisions 
que pour cinq jours, par Tadvis de nos PP. de 
Smyrne qui m'avoient faict entendre que nous abor- 
derions sans doute à quelque port,^ je nje trouvay 
' bientost desnué de touttes choses, et ayant esté 
obligez de mouiller Tancre dans le milieu du canal 
de Çonstantinople/esloigné des villes et des villa- 
ges^ je me vis réduit à la mandicité. Ce bon prélat 
me fit paroistre pour lors une grande charité ; maïs 
ses provisions ayant manqué aussy bien que les 
miennes, je me Bs conduire à terre et m'en allay 
chercher du pain dans quelques maisons, qui estoient 
sur le canal du costé de l'Europe. Il me fallut faire, 
pour le moins, deux bonnes lieues, dans un pays 
incogneu, sans guide et interprète. Enfin Notre-Sei- 
gneur nous voulut tirer de notre misère. Le 1 9 4u 
mois de novembre , sur les 6 heures du soir , nous 
parlismes avec un vent si favorable, que nou^ arri- 
vasmes a Constantinople le 20, veille de la Présen- 
tation de N. i). Il y avoit longtemps iji^e nos Pères 
m'attendoiept. Le R. P. de Sainte Geneyiefye fut 
ravi de me voir et de recevoir les présents de V. R. 
J'ay trouvé nostre pauvre maison presque toutte 
bruslée de ce dernier incendie. Nostre Père supé- 
rieur est logé dans le grenier; le P.-Balaki dans le 
réfectoire; le P. de Vigneaux dans la lingerie, le 
P. Chamerlatet le Frère Claude dans une gallerie et 



— 98 — 
felFVéré Clément àuprek dès poiilés. Pour moy , Toh 
iii'â mis dans le clocher. Tolft ïe mionde souhaitte 
en ce pais le t. Becherand ; il a tellement ravy le 
coeur dje tous* nos chrestiens , tant des François que 
des italiens et des grecqs mesme, que je ne vous puis 
expnmèîrTafFection qu'ils ont pour sa personne. Je 
vous supplie de nous le renvoyer au plus tost, bien 
pourveù d'argent et dé missionnaires; car c''est Tora- 
cle du pais. 

' Jfe prié V. R. de faii^é ëii sorte que je puisse aVoîr 
un ou deux compagnons, avec qui je ptîisse étu- 
dier, sous la conduite dû R. P. de Sainte-Gene- 
vWfve; j'ày comniéncié par l'estude des langues. 
7e suis maintenait convaincu du gràtid bien qu'il 
y 'a ^ faire dedans nos missions de Gfèce, mais 
^pfincipaléméiit dans la ville dé Constantinople , oh 
'ÏI y a tant de grecs, tant d'àrihehiens, de juifs et 
'de calvinistes. Nous ne manquons point dé pratique 
*d(ans nostre église, qui est si pleine les jôtir^ de feste, 
que cela donne de la deVotion, de voir commeBieli 
ne laisse pas d'avoir des Serviteurs ' dans un païs 
rem'pïy*dè tant dUnfidelité; nous prêchons, chian- 
tons la grande messe et disons les vesprés tous lés 
"diinanchés et toutes les féstes de l'année. Jamais 
en ma vie je'n'ay esté plus content et'satîsfaict que 
je suis maintenant. Je suis dans mojn' clocher comme 
dans un paradis, etc. 



-99 



Note du même P. Saulger^ sur le bien et les œu- 
vres qui se font à Constantinople. 



A Constantinople, le 20 de mars 4 €64'. 

Premiereinent^ le bien que nous pouvons rendre 
au prodbain dans cette mission de Constantinople 
•est bien considérable et plus grand, que je ne me 
Pestois imaginé : 1° envers nos marchands françois, 
establis en cette ville avec leurs femmes et enfants^ 
qui sont en assés bon peftit nombre ; ils ont donr^é 
-assés d'occupation au P. de Vigneaux, qui -leur a 
prêché en françois, tous les dimanches de l'advent, 
qui a continué tout ce caresme avec grand zèle. 
2^ Nous avons nos barques et nos vaisseaux j qui 
vont et viennent continuellement 4© France , où 
nous allons faire le catéchisme ; 3^ les ^lei^s, com- 
poséesd'un'bon nombre d'esclaves françois. 4*Nous 
allons, tous les dimanches, au grand bagne du grand 
Seigneur, qui est le lieu où il tient ses esclaves, qui 
montent aunombre de 2,000. L'on y. voit de towttes 
sortes denations, mais particulièrement des françois. 
-J'y ay veu des parisiens, des bretons«tdes fiiorn^aads. 



— 400 — 

Nous y allons pour y confesser, prêcher et y chanter 
la grande messe. On ne peut s'imaginer le bien que 
l'on faict de maintenir dans la foy ces pauvres 
esclaves , qui ne sont malheureux que poUr estre 
chrestiens. Leur misère est telle qu'à la sollicitation 
qu'on leur faict de se faire turcqs, ils quitteroient 
sans doute pour la plupart nostre saincte religion , 
si nous n'estions continuellement à leurs oreilles à 
leur crier que leur misère passera bientost et qu'ils 
recevront en peu de temps la recompense de leurs 
travaux. 5*^ Nous avons de plus, pour missions, les 
Sept-Toiirs, qui est la prison des gentilshommes, 
capitaines et chevaliers de Malthe , qui ont esté pris 
par les turcqs. Tous les autres prisonniers sont fran- 
çbis, excepté sept ou huit italiens ; nous allons sou- 
vent les visiter et consoler. On y a conduict seize ou 
dix ^ept officiers allemands , qui ont esté pris à la 
sortie de Huy vart. Nous les avons veus et consolés 
dans leurs chaisnes ; ils nous ont raconté la prise et le 
massacre de quatre cents de leurs compagnons, que 
le grand visir fit esgorger comme des moutons, aprez 
leur prise. Je vousraconteroiscecy plus au long, si je 
ne scavois que vous ne Teussiez pas apris en France. 
Je vous.diray seulement que nous avons sceu de- 
piiis que Forças (Forgacz) , qui commandoit ^bsïs 
Huy vart , ayant appris la cruauté du vi^ir, fit déca- 
piter, â la veiie de l'armée ennemie, sur les mu- 



— 401 — 

railles, tous les turcqs qu'il tenoit dans la ville. Le 
conte de Serain, de son costé, faict crever les deux 
yeux à tous les turcqs qu'il peut attraper, et couper 
le bras droict. 6*" Nous avons nos hérétiques qui 
sont en grand nombre en cette ville. Ils ne font point 
de difficulté de venir en nostre maison et d'enten- 
dre le sermon; nous ne manquons pas de disputes. 
Voilà pour la langue françoise. 

Secondement, pour le grecq, il est certain que 
celuy qui possède bien cette langue ne manque pas 
d'occupation : 1^ nous avons nostre escole, qui est 
composée, non-seulement de nos petits françois, 
mais encore de plusieurs petits grecs de l'un et de 
l'autre rit. 2^ Nous avons un très-grand nombre de 
grecs frans, c'est-à-dire du rit romain, que nous ins- 
truisons, confessons, et à qui nous servons comme 
de curez , pour n'y avoir point d'autre église que la 
nostre, ce q^i faict qu'ils ne bougent de nostre mai- 
son. 3"* Nous avons plusieurs grecs du rit grec, qui 
ont bien plus de confiance en nous que non pas en 
leurs Papas. Enfin, il ne tient qu'à nous de les gai- 
gner petit à petit, et de les faire retourner a l'Eglise. 
Leur femmes particulièrement ne manquent pas de 
se venir confesser à nous, pour evister l'avarice de 
leurs Papas, à qui il faut donner une somme d'argent 
touttes les fois, 4^ J'ay commencé à faire la doctrine 
chrestienne en grec vulgaire à tous ces petits grecs 



— 408 — 
et aux pélits escholiers qui y veulenf assister. 5*" Nbus 
fiaiisohs, tous les vendredis de caresme, exhortation 
en grecq pour les femmes de Tuti et l'autre rit. 
G® Nous avons plusieurs Papas , à qui nostre R*. P. 
supérieur aprend le grec littéral. 7® Nous avons 
les escoles de ces mesmés Papas, où noifs pouvons 
aller faire le catéchisme, tous les jours, si nous vou- 
lons. 8<* Je ne perds pas Tesperance de predicr, Tun 
de ces jours, dans quelque grande paroisse. de ce 
pays. 9^ Je ne vous peux raconter mil et mil ren- 
contres advantageux à ceux qui possèdent bien la 
langue , et le bien qu'ils peuvent faire pour le salut 
des âmes. 

Troisiesmemerit. Pour Titalieù , c'est la langue 
vulgaire , que tous entendent , pour la plus grande 
partie. 1** Nous prêchons, presque tous les diman- 
ches; en cette langue, mais exactement tous ceux 
de l'advent ; pour le caresme , nous n'avons prê- 
ché que deux fois là semaine, le mercredy et le 
dimanche, mais avec magnificence. Nous com- 
mençâmes le mercredy des cendres, sur les trois 
heures du soir. Je'commençay par un concert d'ins- 
truiàënts si agréable, que le P. Balaki m'asseura 
qu'il n'avoit rieù entendu de pareil , l'espace de 
7 ou 8 ans qu'il a demeuré à Rome ; puis se fi;t'la 
prédication ; en après, un second concert, puis après, 
les Gonif^lies. Le Saint-Sacrement estant exposé, «et 



— 1Q3 — 

4!9vant la bénédiction, nous chantasmes dejjfx. mot- 
têts avec tous nos instruments : jamais ces pauvres 
grecs n'avoient buy chose pareille. Nous avons ainsy 
continué tout le caresme. 2"^ Nous avons les hollan- 
doiSy angloiSy flamens et plusieurs autres nations,^ 
avec lesquelles on peut faire bien du bien. . 

Quatriesmement. Qui pourroit sçavoir le turcq , 
peut converser 1 ^ avec tous les arméniens qui né 
sçavent point d'autre langue ; 2"* avec les juifs ; 3^ 
pour ce qui est du turcq j je n'ose pas vous en dire 
icy ma pensée. Enfin, n'y ayant rien qu'une église 
dans une si grande multitude de chrestiens^ je vous 
laisse à penser, s'il y a de quoy travailler. 

Nous ne manquons pas^ dans touttes ces oc- 
cupations , d'exercice de patience. Je vous en peux 
dirO' quelque nouvelle , puisque le yendredy de la 
sexagesime^ je fus traisné, à l'occasion de nos 
chrestiens, par les rues de Constantinçple, par 
trois janissaires , comme un scélérat qu'on menoit 
à la potence, suivy de turcqs,^ecs et juifs et d'une 
troupe d'enfants , qui triomphoient de voir l'Eglise 
Romaine si humiliée en l'un de ses sujects. Les ja- 
nissaires vindrent dans notre maison , le 1 5 du mois 
de février, à dessein de prendre le premier qu'ils 
trouveroient de nos, Pères ou Frères. Le R..P. Su- 
périeur se trouva pour lors au bas du grand escalier 
de nostre église , parlant à dix pu douze {^tits esço- 



— 404 — 

liers. Pour moy, je me promenois au haut du 
mesme escalier, estant sur le point de descendre^ 
pour entrer en classe. Les turqs estant donc entrés 
et ayant aperceu nostre R. P. Supérieur , ils s'en 
vindrent droict à luy , mais ils eurent du respect 
pour sa barbe blanche. Je voiois ces turcs, sans sa- 
voir ce qu'ils avoient dessein de faire. Ils montè- 
rent l'escalier , et ils s'en vinrent à moy ; croyant 
qu'ils vouloient visiter nostre église, estant tous 
trois montés , chacun me salua et me fit son com- 
pliment, avec desparolles et des poussades, qui ne 
m'estoient point trop agréables :'je fus fort surpris 
de ce procédé; mais enfin il fallut obéir à la force, 
.et descendre l'escalier plus vite que je ne l'avois 
monté. Le P. Supérieur , surpris de ce spectacle , 
plus lûort que vif, voulut d'abord faire quelque 
instance ; il me prit par la main et dit a ses turcs , 
que je ifirois point sans truchement de France, 
mais ils repoussèrent le Père avec tant de violence, 
qu'ils luy auroient cassé la teste, si je ne l'eusse 
retenu par la main. Nos petits escoHers se mirent à 
mer et à pleurer, disants qu'ils ne me cognoissoient 
pas, qu'ils me prenoient pour un autre, que je n'e&- 
tois point sujet du grand turc, mais un religieux 
françois, qui n'estoit en ce pays, que depuis six 
mois. Ces turcs , inflexibles aux prières de ces petits 
enfants et aux plaintes de nostre Supérieur, m'en- 



) 



— 105 — 

levèrent par force de leurs mains, avec ma robbe 
de chambre , mes pantouffles et mon bonnet, tenant 
un livre dans la main. Je fus suivy d'une trouppe 
de mes escholiers, qui ne sça voient où Ton me me- 
noit et ce qu'on vouloit faire de moy ; ils ne sça- 
voient, ni qu'en dire, ni qu'en penser : mais ce qui 
augmenta leur crainte est, qu'un de ceux qui me 
suivoient demanda à ces turcqs : Où menez-vous 
donc nostre maistre ? En prison , dirent-ils , et de- 
vant que d'y entrer , il aura 1 03 coups de baston 
sous la plante des pieds. Je conceus par les plaintes 
de ces enfants , qu'on leur avoit dit quelque chose 
d'extraordinaire. Lorsque je servois ainsi de specta- 
cle, dans les rues de Constantinople, à tout un grand 
peuple, qui me voyoit si extraordinairement vestu , 
ma suite s'augmentoit toujours de telle façon , que 
je n'ay jamais esté si bien suivy , ny tant considéré 
en ma vie ; les uns sortoient de leurs boutiques , les 
autres me maudissoient, et mes amys pleuroientà 
ce spectacle. Cependant nos Pères estoient dans 
touttes les peines du monde de sçavoir ce que j'estois 
devenu, ne sachant si j'estois allé chez l'Aga ou 
chez le Cadi , devant le capitaine Bâcha ou devant 
le Kaïmacand. Us s'en allèrent tous, chascun de son 
costé, l'un chez le résident de France, l'autre chez 
le truchement, et le P. Supérieur s'en alla par les 
rues pour s'enquérir , si l'on ne m'avoit point veu 



— 106 — 

passer. Je vous pui^ asseurer que dan3 tout ce tiota- 
mare et dans cette multitude de peuple y je marchoi$ 
avec autapt d'asseurance et de traoquilité d'esprit 
que maintenant je vous e^cris la présente, m'es- 
timent heureux d'avoir esté choisy entre tous nos 
Pères et Frères de la maison pour souffrir quelque 
chose pour Dieu. Passant p^r devant la bQutique 
d'un de nos amys et l'ayant <ûperceu dédains ^ je lui 
dis tout haut : Adieu, monsieur, je m'en vais en 
prison* Cet homme ne sçavoit s'il resvoit, et si ce 
qu'il, voy oit .n'estoit point un songe. Il court viste; 
il parle à mes conducteurs, sans en pouvoir tirer rai- 
son , il me suit et entre enfin avec moy dans la 
maison du Cadi; il monte tout le premier dans la 
chambre du juge. J'estois cependant au milieu d'une 
troupe de turqs et de juifs , exposé a la risée, a.ux 
injures et mocqvieries des petits et des grands; un 
turcq plus civil m'acosta et me dit : Allez, Papas, 
ne craignez point; ils ne s'agit icy que d'un peu 
d'argent.; pour du mal , vous n'en aurez point. Il 
parloit très bien italien et me dit plusieurs çl^oses 
pour me consoler. Mes escholiers, qui estpient 
montés avec moy , jusque dans la chambre oji j'es- 
tois, s'en alloient de costé et d'autre pour voir ^ 
entendre ce qui se passoit. Ce charitable amy plaida 
si bien ma cause , qu'il obtint ma délivrance , s'es^ 
tant obligé pour moy devant le juge. Il me fit sortir 



^107 — 

au plus tost et payâ.jusques aux janissaires qui m V 
Yoient rendu un .ci bon office. Je rencontray en 
mon retour le R. P. Supérieur, tout seul dans lei( 
mes , qui me çh^choit, sans me pouvoir dire où il 
alloit. Il fut surpris de me revoir si tost en liberté. 
Je vous advoue que je n'avois point encore esté a 
telle faste , et senty tant de consolation depuis mon 
arrivée à GonstantioQple. Mon unique regret estoit 
de ce que ma captivité estoit de si peu de durée. 
C'est un grand avantage que'nous avons en ce pays 
de trouver souvent de semblables re^icontres. Enfin 
je vous puis asseurer , qu'il y a plus de bien à faire 
dans Constantinople , que nous n'en pouvons faire. 
N<>s Pères des ïsles n'en peuvent plus , ils ne peu-* 
vent suffire aux grands travaux ; ils demandent du 
secours de nostre Père Supérieur^ mais en vain ; car 
il n'a personne à leur envoyer. On nous souhaitte en 
plusieurs endroits , sans pouvoir assister ceux qui 
nous demandent. Si l'on sçavoit en France la né- 
cessité que cette pauvre mission a d'ouvriers, on 
en auroit un peu plus de soing , et je vous puis as- 
seurer que, si on ne la secoure , en peu de temps, 
tout s'en va en décadence. 

Le turoq a esté si espouvantablement battu par 
les impérialistes, qu'ils ne sçavent plus où ils en 
sont. La consternation est si grande en ce pays, que 
je ne la puis exprimer. Leur armée est environnée 



— 408 — 

de si belle manière, qu'il faut qu'elle meure de faim 
ou qu'elle passe par le fil de Tespée. Elle ne peut 
avoir de secours , a cause d'un pont qui a esté 
rompu, où ils mettoyent touttes leurs espérances;. 
400 chariots ont esté pris par les croates, ce qui af- 
flige grandement le turcq. Ils ne veulent point aller a 
l'armée en ce pays , de jpcur qu'ils ont d'y périr. 
Si une armée seulement de 20 mil hommes parois- 
soit en ce pays, ce seroit pour s'en rendre maistre. 
Les turcs sont plus foibles qu'on ne s'imagine ; ils 
n'ont plus d'hommes et ne sçavent plus de quel bois 
faire flèche. Le grand Seigneur souhaiteroit n'avoir 
point entrepris cette guerre. Le visir garde sa teste 
tant qu'il peut; mais il ne la peut pas faire longue. 
L'armée s'est mutinée contre luy ; il s'est réfugié et 
retiré de l'armée. Le fils du Roy des tartares a esté 
pris avec plusieurs Bachats : ce qui faict qu'il n'a 
pas un homme d'authorité, ny de commandement 
dans l'armée. 

R. Saulger, 
de la Compagnie de Jésus. 



QUATRIÈME PARTIE. 

DIVERSES LETTRES ET RELATIONS DES PÈRES DE LA COM- 
PAGNIE DE JÉSUS> EMPLOYÉS AUX MISSIONS DU LETANT. 



CHAPITRE PREMIER. 

OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LES MOYENS VR IK>URVOm LA 
MISSION DE^ BONS : OUlFIfflSRS. 

L'exemple de nos PP. de Scio j qui font venir de 
Sicile des jeunes maîtres pour enseigner, et , après 
deux ou trois ans de régence, les renvoient pour 
étudier en théologie, laquelle étant achevée, et le 
troisième an de prohation, ils retournent à Scio 
pour prêcher, faire des missions par les îles, et vac- 
quent aux autres fonctions de la Compagnie , cet 
exemple , dis-je , a fait venir la pensée à quelques- 
uns de nos Pères, que l'on pourrait nous donner 
quelques jeunes maîtres, à la fin de leurs études de 
philosophie, pour régenter à Constantinople et aux 
autres résidences du Levant , qui , durant leur ré- 



• _ 440 — 

gence ^ apprendroient facilement la langue italienne 
et la grecque vulgaire y et pour Tétude particulière 
s'adonneroient entièrement au grec littéral; et après 
deux ou trois ans de régence , ils pourroient retour- 
ner en France ou à Rome pk>ur y étudier en théo- 
logie ^ y étBnt prœ/ecti au collège des grecs, où ils 
auFoi/ent moyen d'entretenir leur grec vuJgaireet se 
perfectionner en ilaben. Ayant adievé lepr tbéok^e 
et fait leur troisième année de probation, ils retour- 
neroient en Levant , tout prêts à bien travailler. 

Il est assuré que semblables jeunes gens sauroient 
beaucoup mieux les langues et les prononceroient 
^U8 naturellement , s^x)ieiit mieux ver^ en his^ 
toire et doctrine des saintsPères grecs, que ceux qui, 
à l'âge de trente ou trente deux ans, ayant achevé en 
Tranceleur régelice, théologie et ^troisième an, com- 
mencent à apprendre les deux langues^ italienne et 
grecque , et ont peu de temps pour la lecture des 
saints Pères et de ce qui est particulier à i^Eglise 
grecque. 

Il semble qu'il y a plus de sujet de pertnetirp 
à nos jeunes maîtres françoisde passer ^en Levtfpt 
qu'aux sciotes, car les -sciotes savent, dè&leurs'bas 
âges, les langues grecque et itàKenne, que les^fran- 
çois doivent apprendre et aequérir ; nos mission- 
naireâ du Levant diffèrent des sciotes, qui^veiitîlA 
langue du pays, ou ils «ont envoyés,^ et n'ont aucune 



-4ii- 

"étude {^aitîctdiéi^ à fàît*e , mais ont seulement be- 
sbîti de Viertu et aé zèle , pour mettre eh pratique Ids 
ihbyens t^u'ils ont acquis pour le salutdesâmes. 

H fàtit aussi considérer qu'il n'y a pas plus de 
danger de passer de Marseille à Smyrne ou à Con^- 
tantinoplè , qu'il y en a de passer de Sicile à Scio , 
encore 'que le voyage soit plus long , et lés jeun^ 
maîtreisfran^ofe n^ônt pas moins de courage que les 
sciotes pour traverser là mér, 'et mépriser les dan^ 
geirs ioù îlsVgît de la glditede Dieu et du salut dès 



CHÀPITBE IL 

ÉTABUSSEMENT EN l'ILE DE NAXIE. ^LETTRE DU P. HARDY. 

L*àn 1 62V, ^gr rârchévêque de Naxie et de Paros 
et les gentilshommes du rit latin firent dohàfîoii 
aux PÎ^. Jésuites de la chapetle ducale, qui sérvôk 
anciennement aux 'ducs de Naxié , et qui est jointe 
au palais ducal, lis s*y* entretiennent de quelque 
petit! révenu et de quelques aumônes qui leur sont 
laites. Messieurs dé Naxie oiit dévotion de laisser 
par testament îjuelque chose à l'église. Une bonne 
dame nous a laissé, à sa mort, une niandre ou trou- 
peau de quarante brebis; une autre , kiiié petite vi- 
gne, une autre, un champ àlâbourer; une àutre^ 
quelques oliviers. Xe seignëiir * Corsini Cofôrièllo , 



— 112 — 
consul pour les françois, a donné à la G>mpagnie sa 
maison qui touche à notre chapelle; il y a un mar- 
chand françois qui a légué , à nos Pères de Naxie , 
deux cents écus de rente , pour en jouir après sa 
mort» 

Nous avons, dans notre chapelle, iine image à la- 
quelle tous ont une trè^-particulière dévotion , ils 
rappellent (le mot est illisible dans le manuscrit) . 
La tradition porte que cette image est une des trois 
qui furent jetées en mer par les iconoclastes et, par 
le ministère des anges, vinrent surgir miraculeuse- 
ment au port de Naxie. L'usage des cloches est libre 
'à Naxie. 

Ils ont une très-grande dévotion au très-saint 
Sacrement; la procession se faisant le jour de la 
fête, on expose les malades par les rues , afin que 
rarchevesque, qui porte le saint Sacrement , passe 
par dessus les malades , qui bien souvent reçoivent 
la guérison. Voici comme en parle leR. P. Simon 
Fournier, supérieur de la résidence de Naxie, en une 
sienne lettre écrite à Naxie, le 6 novembre 1 641 : 

« La dévotion, continue-t-il, croît envers le saint 
Sî^crement : le jour de la Fête-Dieu, y viennent en 
procession trois ou quatre mille, et plusieurs se 
prosternent par les rues, contre terre, à ce que ce-* 
lui qui porte le saint Sacrement, marche dessus eux. 
Tous les ans, on a remarqué quelques miracles, qui 



— 143 — 

se «ont faits de quelque malade qui, après la pro- 
cessioii faite, ayant passé le saint Sacrement sur lui, 
s'est trouvé sain et gaillard. 

« J'en ai vu un, cette pinnée, qu'il fallut apporter de 
trois ou quatre lieues à la ville , parce qu'il ne pour- 
voit marcher, et après la procession s'en retourna 
guéri, le même jour, en son village. » 

Le P. Mathieu écrit qu'un pauvre grec , s'étant 
fait apporter des champs, reçut la guérison, et s'en 
retourna à pied dans sa maison. 

 Naxie, outre les fonctions ordinaires, se font 
des missions par les villages , avec un grand profit 
des villageois , comme on peut voir en la relation 
suivante: 

Relation de ce qui s'est passé en une mission par 
les villages de tile de Naxie^ au mois daoût 

♦ 1641; envoyée à M. Le Maltte^ marchand à 
Rouen ^ par le P. Mathieu Hardy, de la Corn- 
pagnie de Jésus. 

Monsieur, 

La gratitude m'oblige de vous avertir comme 
j'ai reçu , à Naxie, la boite et le ballot de chapelets , 
croix , AgnusDeif etc., qu'il vous a plu m'envoyer. 
Le vaisseau qui les portpit, arrêté des vents con- 
traires, vient de jeter l'ancre àParos, île fort voisine 
K. % 



— 114 — 

de Nazie.- Je n'ai point de paroles suffisantes pour 
vous remercier, et le dis tout de bon et sans ampli- 
fication 9 voyant le bien qui se fait par le moyen de 
ces choses de dévotion. Vous serez bien aise d'en- 
tendre^ comme cette année, j*ai fait une petite mis- 
sion en Tile, à Dremalia. C'est une vallée, au milieu 
de notre île fertile, qui a son étymologie de Drus et 
Elaia, qui veut dire chêne et olive, aussi est-elle 
pleine de ces arbres, qui Is^ rendent fort belle et 
agréable. 

Il y a, en cette vallée, quatre bons bourgs, et d'au- 
tres petits villages, tous très-bien fournis de peuple 
du rit grec , et parmi les grecs se retrouvent quel- 
ques uns de notre rit latin. Il neige, pleut et fait 
froid, en cette vallée et sur les montagnes voisi- 
nes, l'hiver, comme à Rouen , quoique à la ville, 
qui n'est éloignée que de quatre lieues de cette 
vallée, l'air soit plus tempéré de la moitié, aussi fait- 
on moisson et vendange en la campagne, où est 
située la ville» un mois plus tôt qu'aux villages, tel- 
lement que, quasi quatre mois durant, on mange 
du raisin frais. 

Je partis donc , le 4 d'août , pour aller en mission 
en cette vallée , et dès le premier jour , sur le che- . 
min je confessai cinq personnes du rit latin , et m'en 
allai loger en un bourg , où nous avoDS une petite 
maison et un jardin tout auprès d'une église de 



— 418 — 
notre rit , dans laquelle nous avons toute permission 
d'exercer nos fonctions spirituelles. 

Le principal fruit ide cette mission a été en Tins- 
truction de ces pauvres villageois fort ignorants , 
tant grands que petits. Il ne s'est passé jour que je 
n'aie prêché ou catéchisé, et en particulier, deux 
ou trois fois , les fêtes et dimanches. Quant il y avoit 
quelque assemblée qui se faisoit à la fête de quelque 
bourg , on m'invitoit à prêcher , comme il arriva le 
1 6 août f qui est le 6 de celui des Grecs , le jour de 
la Transfiguration, auquel je prêchai le soir après 
vêpres , la nuit et le lendemain matin à la grande 
messe. Je fus invité à souper, des deux curés, avec 
les principaux du bourg, qui se plaisoient fort 
d'entendre parler des choses spirituelles, durant le 
repas. Un jour entr'^utres, un curé m'invita de prê- 
cher aux obsèques qui se faisoient pour un mort. 
Et ce pauvre peuple écouta attentivement ce qu'on 
leur dit, montrant par leurs larmes et soupirs que 
Dieu leur touchoit le cœur. 

Le plus grand ^contentement est en la doctrine 
chrétienne, voyant la ferveur de^tous à s'y trouver 
et répondre ; les prêtres y viennent , les diacres , les 
hommes et les femmes y réponaent ; <leux vieilles, 
âgées de 90 ans , se présentèrent au village pour 
apprendre le signe de la croix. Les vieillards vien- 
nent dire leur Pater noster, Jve Maria , Credo, en 



— 116 — 
grec ; et les femmes, qui ne le savoient encore , se le 
faisoient apprendre, après la doctrine chrétienne, et 
j'ai ouï des femmes qui répétoient V^ve Maria par 
les rues. 

En. ces trois semaines, que j'ai été en mission , 
les enfants ont appris une bonne partie de leur ca- 
téchisme en grec vulgaire, qu'ils récitoient puis 
après, dans les églises, devant tout le monde, avec 
grand contentement de leurs parents. J'ai fait dire 
quelquefois le chapelet aux clercs et aux enfants di- 
visés en trois bandes. 

J'ai eu permission du métropolite grec de prêcher 
et catéchiser dans les églises grecques, etce^ par 
écrit , avec menace de suspension à ceux qui en fe- 
roient difficulté ; mais cette permission ne m'étoit pas 
nécessaire , car les curés désiroient et me prioient 
de fajre tout ce que je voudrois en leurs églises. 
Et comme je préchois, un samedi au soir, en une des 
principales églises, le curé, qui vouloit dire vêpres 
avec d'autres prêtres , s'en alla les chanter en une 
chapelle voisine , de peur de m'incommoder. 

Des grecs, j'en ai confessé vingt-un, tant hommes 
que femmes; la plus grande partie désiroient de se 
confesser et 1^ disoient. En ce même temps , les vil- 
lageois se sont soulevés contre les gentils-hommes de 
la ville , à cause des dîmes , sous la conduite d'un 
prêtre , qui est le premier en dignité entr'eux, lequel 



— 117 — 
pour se venger aucunement des fi«incs, disoit : 
Allez- vous-en confesser au Père , et ^ous verrez 
comme je vous ferai bien châtier; et comme ce prê- 
tre est de grande autorité parmi eux, ils ont eu 
peur de l'excommunication et se sont retirés. £t- ce- 
pendant, ce même prêtre, lorsque j'allai faire la 
doctrine chrétienne en son église , tonna lui-même 
la cloche et a été un des plus affectionnés et désireux 
d'apprendre lui-même quelque chose plus que tout 
autre. 

Nous attendons, de jour à autre, le Bâcha de Rho- 
des et de la mer , qui doit venir tout exprès en notre 
île, pour accommoder ce différend entre les gentils- 
hommes et les villageois. Quand cette affaire sera 
terminée, j'espère qu'ib viendront se confesser sans 
crainte. 

Ils se sont confessés ilu rit latin vingt^ept per- 
sonnes en cette mission. Le premier de tous les 
grecs a bien montré sa ferveur , en ce que s'étant 
confessé à moi généralement et n'ayant pu commu- 
nier le dimanche d'après , comme il pensoit , pour 
quelques empêchements, il me vint trouver en ville 
pour se réconcilier et se mettre dans l'obligation de 
jeûner, leur carême d'août étant déjà passé; car les 
grecs ne communient jamais qu'ils ne se soient abs- 
tenu quelque temps de mangei* de la chair aupara- 
vant. Et ce fut une mortification à ce bon vieillard 



i 



y i 



de s'en abstenir le samedi^ jour auquel ils ont la 
coutume et particulière dévotion d'en manger. 

Je retournai de cette mission le 26 d^août. Je veux 
ajouter quelque chose qui s'est passé cette année , 
à cause du Jubilé : une grande partie de ceux de 
notre rit se sont venu confesser généralement à moi ; 
les réconciliations seront faites, entr'autres d'un 
des principaux Seigneurs , lequel étant grandement 
irrité contre son fils et ne voulant pas le voir ni lui 
parler 9 enfin alla à la maison de son fils, j dina avec 
lui , invité doucement par sa bru , qui en cela suivit 
le conseil de son confesseur, qui avoit déjà disposé 
le père à pardonner, parler et revoir son fils. Un 
des principaux seigneurs, après avoir vécu plu- 
sieurs années dans le concubinage , sans se confes- 
ser, enfin repenti de son péché, il Ta abandonné et 
s'est confessé. • '-* 

La ville étant divisée en deux partis, avec danger 
de meurtre de part et d'autre , à cause d'un jeune 
homme ^ qui s'était marié contre la volonté de son 
père , la paix s'est faite; le fils a demandé et reçu le 
pardi^n de son père. 

Je laisse plusieurs semblables réconciliations , qui 
se sont faites, pour ne vous point ennuyer; je ne 
veux pas toutefois omettre un cas que vous serez 
bien aise de savoir. 

Une jeune fille, des plus nobles de la ville, aimoit 



— H9 — 

un jeune homme si ardemment ^ que s'apercevant 
que son père ne le lui donneroit pas, elle se déter^^ 
mina d'empoisonner son père, et pour cet effet elle 
mit du venin dans son potage. Le père ^ en ayant 
goûté et le trouvant amer^ et se doutant de ce que 
c'étoit, le cracha incontinent^ et cria : On m'a Voulii 
empoisonner. 

La mère , voyant que le sien était^ bon , voulut 
goûter de celui de son mari, et, en prenant deux 
cuillerées, elle disoit, puisque vous êtes empoi- 
sonné, je veux mourir avec vous; et incontinent 
elle commença à vomir. On m'appela aussitôt 
comme confesseur , j'accours et lui fais prendre de 
la thériaque et du bezoard , et la fis mettre au lit, 
et devant moi, encore trois ou quatre fois, elle ne 
cessoit de crier : Ah! mon Dieu, qu'ai-je voulu 
faire, je me suis voulu tuer moi-même. Le mal passa^ 
et peu à peu, elle recouvrit la santé. Voilà, ce me 
semble un acte d'amouv conjugal , qui mérite d'être 
écrit entre ceux que l'antiquité célèbre tant. 

Je voudrois avoir encore quelque chose pour 
vous réjouir, tant que je fais cas de votre Gonten-* 
teiiment. Priez nostre bon Dieu qu'il se daigne servir 
de moi toujours , en ce qui sera de son bon plaisir 
et me. £aiss«( participant de vos bonnes œuvres et 
mérites. 

Naxie se tiendra toujours obligée à vous, et priera 



— 420 — 

Notre-Seigneuf qu'il vous donne ce que vous sou- 
haitez le plus , qui est la béatifique visîoii du sou- 
verain bien. 

Je me recommande très-affectueusement à vos 
saintes prières et serai toujours, monsieur, votre très- 
humble serviteur en Notre Seigneur Jésus-Christ. 

Naxîe, 3 octobre 1641 . 

. Mathieu Hardt. 

CHAPITRE IIL 

éTABUSSEMEMT A NAPOLI DE ROMANIE, ET A PATRAS DANS LA 
MCmÉE OU PELOPONÈSE. 

L'an 1 640 , au mois de juillet , Mgr de la Haye , 
ambassadeur au Levant, à l'instance que lui fit Mgr 
de Villeré, consul des francois en Morée, envoya le 
P. François Blaizeau et le P. René de Saint-Cosm^ à 
Napoli et à Patras. Us ne manquèrent pas d'emploi à 
Napoli; car, outre l'assistance qu'ils donnèrent au 
consul et marchand francois, et aux grecs, par les 
fondions ordinaires de la Compagnie, ils trouvèrent 
einq cents esclaves du rit lalin, francois, italiens, 
espagnols, allemands, polonois, qui etoient dans la 
galèreduBey deNapoli, qui n'avoient pu ^confesser 
ni entendre la messe depuis dix , vingt y ou trente 
ans, qu'ils étoient ^claves; ce leur fut une grande 



— 121 — 

consolation de voir nos Pères , et participer aux sa- 
crements de l'Eglise. 

Quelques habitants du rit latin avoient passé au 
rit grec, à cause qu'ils n'avoient aucun prêtre du 
rit latin. Ils promettent de retourner à l'Eglise ro- 
maine , s'ils ont un prêtre stable. Le petit nombre 
d'ouvriers, que nous sommes, fait que deux de nos 
Pères entretiennent trois résidences, passant de l'une 
à l'autre. % 

C'est en la ville de Patrasque saint André, apôtre, 
a été martyrisé. Et proche de là aussi fut donnée la 
bataille de Lépante. Dans la Morée, ou Péloponèse, 
on pourroit faire quelques missions , car il y a six 
archevêchés:Corinthe,Christianopolis (Megalopolis) , 
Lacédemonia, Monembàsia, Nauplie, Patras. Il y a 
douze evéchés de trente-deux Kadiliks, ou lieux qui 
ont un juge turc. 

La Laconie a plusieurs bons villages. Les Maï- 
notes, qui résident au bras de Maïna, dit ancienne- 
ment Taenarium-Promontorium , ont trois villes : 
Magni , Yitulo , Prousti, et 365 villages. Ils sont 
chrétiens du rit grec, et n'ont jamais pu être sur- 
montés par les turcs , car les montagnes du pays 
sont inaccessibles aux turcs; ils ne paient point de 
tribut au grand Seigneur , bien que leur pays soit 
dans le Péloponèse. 



CHAPITRE IV. 

ÉTABUSSEtaNT EN l'ILE DE PÂROS. — RELATION DU P. d' ANJOU. 

L'an 1 641 , le 24 de février, Mgr l'archevêque de 
Naxie et de Paras envoya, en Tîle de Paros, le P. 
Jacques d'Anjou , et lui donna la charge de son 
vicaire général à perpétuité et l'administration de 
l'église de Saint-Georges. Le P. d'Anjou écrit qu'il 
y a bien de l'emploi , l'île étant fort peuplée , et que 
l'on y compte quinze ou seize mille chrétiens, dis- 
tribués en trois villes et quantité de villages, La 
liberté pour les fonctions ecclésiastiques est très- 
grande, mais la pauvreté du P. d'Anjou est encore 
plus grande, comme il se peut voir en la relation 
suivante : 

Briève relation de ce qui s^est passé en File de 
Paros j Pan 1 641 , envoyée au P. Jacques Dinet, 
provincial de la Compagnie de Jésus, en France, 
par le P» Jacques dH Anjou, de la même Com- 
pagnie, 

Mon Révérend Père, , 

Il a plu à la divine bonté d'accroître cette an^ 
née notre mission du Levant d'une nouvelle rési- 



— 123 — 

dence en l'île deParos, Tune des plus gentilles entre 
les Cyclades, et des plus mémorables de Tarchipe- 
lage, pour les marbres que les anciens en ont tirés 
et qui s'y voient encore à présent, en telle abon- 
dance, qu'au lieu de haies, que nous avons dedans 
notre France, pour fermer les héritages de chaque 
particulier, ils ne se servent ici que de murailles 
sèches de marbre , du filus blanc et du plus beau 
que l'on sauroit avoir. Le pays y esX agréable, à 
cause d'une telle quantité de fontaineis, qi>'onne 
sauroit si peu creuser, joignant les rives de la mer, 
qu'on n'y trouve des sources d'eau vive, qui bouil- 
lonnent de tous cotés. Il est fertile en blé et en vin^ 
et même en coton , dont ils font un très-bon débit* 
C'est chose admirable qu'avec si peu de pluie qu'il 
fait ici toute Tannée, nommément depuis le mois de 
mai jusqu'à septembre, qu'à peine voit-on pleuvoir 
une seule fois , on y voie des fruits si gros qu'il se 
trouvera tel raisin qui pourra remplir un boisseau, 
mesure de Paris. Les carpons, fruits extrêmement 
savoureux, de la forme des mêlons de France, mais 
ayant la chair plus rouge , et pleine d'un suc qui 
fond à la bouche, sont gros comme la tête d'un 
bœuf. 

Je suis entré dans cette île, par l'ordre de l'obéis- 
sance , et à la sollicitation de Mgr l'archevêque de 
Naxie, de la juridiction duquel cette île dépend en ce 



— 424 — 
qui est spirituel. Ce n'a pas été sans preuve très-ma- 
nifeste de la Providance divine, qui a voulu signa- 
ler en cela son affection singulière vers la Compa- 
gnie, la choisissant, entre les autres, pour la culture 
' de cette vigne infortUDée,querennenri tenoit eil prise 
et extrême désolation , depuis fort longtemps. 

L'année passée, 1 640, le vicaire général de Mgr de 
Naûe écrivoit à la sacrée congrégation de propa- 
gandâfidey qui est à Rome, la nécessité qu'il y 
avoir d'avoir ici au plus tôt des ouvriers évangéli* 
ques, n'y ayant, en toute Ffle, qu'un seul prêtre la- 
tin, dont la vie et les mœurs étoient tellement déplo- 
rables, qu'il faisoit honte à la chrétienté, qui est 
en ce lieu. Sur laquelle information, il fut signifié 
à Mgr l'archevêque , de la part de la sacrée congré- 
gation, de le tirer de ce lieu , et de mettre à sa place 
des capucins ou des jésuites, selon qu'il lui agrée- 
roit le plus. 

Les insulaires désiroient des jésuites , et depuis 
fort longues années en avoient témoigné leur affec- 
tion. Mais, comme Isinouvelle de cette ordonnance 
arriva à Mgr l'archevêque, lorsqu'il était à Messine, 
logé au couvent des Pères capucins , où il s'étoit re- 
tiré à son retour de Rome, attendant l'occasion d'un 
vaisseau, il se sentit obligé de témoigner son affec- 
tion à ces bons Pères, et en reconnaissance de l'obli- 
gation, dont il se voyoit chargé envers eux , il fit 



j 



— 125 — 
choix de deux de leur maison , qu'il mena avec soi 
dans Paros, pour y établir un ho^iceety travailler 
à la gloire de Dieu. 

Or il arriva que ces bons Pères, nouveaux venus, 
ne sachant la langue du pais, ni l'un ni l'autre, après 
avoir demeuré quatre ou cinq jours sur le lieu, se 
retirèrent à Naxie au couvent de leur ordre, qui les 
ayant reçus avec la 'charité ordinaire des Religions^ 
sur l'accident de la mort d'un de leurs Pères ^ à 
Smyrne, disposa de l'un d'iceuxet FenvoyaàSmyrne, 
où le pauvre Père mourut aussi)quelque temps après. 
L'autre est resté à Naxie, employé à la cure des ma^ 
lades, qui ont recours à sachante, suivant la répu- 
tation, qu'on lui donne d'être très-expert en ce qui 
est de la médecine* 

Cependant Mgr l'archevêque, voyant que quatre 
mcHS s'étoient écoulés, et que l'ordonnance de la 
Sacrée Congrégation li'étoit pas exécutée, ni ces 
pauvres chrétiens soulagés, selon les ordres qu'il en 
avoit donnés , ému de zèle du salut des âmes, qui 
lui ont été commises de la part de Notre-Seigneur, 
il a imploré, en cette occurrence, le secours de notre 
Compagnie , priant le R. R. Fournier, supérieur de 
la résidence de Naxie, de donner quelques-uns des 
siens, pour prendre la charge de cette île de Paros, 
et servir Notre-Se^eur au salut de ces pauvres 
âmes, destituées de tout secours. 



— «6 — 

Ce que no» Pères ayant reçu à grande &veur^ les 
lettres en furent expédiées et passées en .chancelle- 
rie le 22 février 1 641 , et le 24 du même mois, jour 
de saint Matfaias, échu au dimanche, le sort étant 
tombé sur moi pour commencer cette nouvelle mis- 
sion, je pris possession, au nom de notre Compa- 
gnie, de Véglise de Saint- Geoi^es, métropolitaine 
des francs, située au château de la viUe d'Agoussa , 
et seule du rit latin dans toute Tenceinte de Tile. 

J'ai trouvé, en mon entrée en ces lieux, des Indes 
nouvelles et ample matière d'em[doyer plusieurs 
ouvriers. Dans l'île de Paros, il y a trois villes, l'une 
A^oussa, l'autre Parekia, ou, comme disent d'au- 
cuns, Eparkia, la troisième Kefalo, lesquelles, avec 
cinq ou six villages, qui sont semés de coté et d'au- 
tre, font environ quinze ou seize mille âmes, presque 
tous chrétiens. S'il y a unedouzaine de turcs en toute 
l'île, c'est au plus; ceux du rit latin y sont en si petit 
nombre, qu'à peine passe-t-il soii^ante. Ce sont les 
grecs qui font le gros; au' reste les uns et les autres, 
tfiUement ignorants des choses de Dieu, qu'il ne se 
peut rien dire de plus. 

La coutume est ici bien enracinée de ne commu- 
nier qu'une fois Tan , ou deux tout au plus, pour 
les plus dévots. Il s'en trouve même qui passent les 
dix, vingt, et quelques-uns les trente ou quarante 
ans, sans se confesser ni communieré Nous t&cfaocis 



— 427 — 

petit k petit , d'introduire une meilleure coutume , 
si bien qu'il s'y est passé peu de dimanches qu'il n'y 
ait eu quelqu'un qui se soit confessé ou communié^ 
et les bonnes fêtes. Dieu merci, on en voit toujours 
un assez bon nombre à la sainte communion. 

Ce fut une chose bien extraordinaire, que le jour 
de l'annonciation de Notre*Dame, qui nous étoit 
échue la seconde semaine de carême (pour ce qu'on 
suit ici l'ancien calendrier), on vit une douzaine de 
personnes communier à la messe paroissiale, ce qui, 
hors de Pâques, ne s'étoit.Tu de longtemps. Cette 
dévotion excita de grands mouvements dans les 
cœurs de jdusieurs, qui, pour lors, se sont proposés 
d'imiter leur piété, fréquentant la communion plus 
souvent qu'ils n'avoient fait du passé. On a tâché de 
la fomenter, partie par les catéchismes , qui se sont 
&its tous les dimanches, partie par l'appareil extraor- 
dinaire, qu'on a tâché de faire à l'autel, selon la pau- 
vreté du lieu; car l'église est destituée de tout orne- 
ment, jusque là qu'il n'y a ni ciboire, ni tabernacle, 
pour conserver le Saint Sacrement, ni baldaquin 
pour couvrir l'autel, ni parements pour l'orner, 
toutes ses iichesses sont une àeule chasuble en tafe- 
tas vert, avec l'étole et le manipule, une aube, 
un calice d'étain , avec la patène db même, une ou 
' deux nappes d'autel : au reste, sans vitrés, sans ser- 
rures, sans chandeliers, que deux de bois fort mal 



— 128 — 
faits, sans bancs, sans chaises, sans pavé. Ce pauvre 
peuple a été extrêmement consolé de voir Tautel 
un peu mieux paré par l'emprunt de quelques cou* 
yertures et tapis qu^on a agencés le plus proprement 
qu'on a pu. 

Ça été le bon plaisir de Dieu de bénir les com- 
mencements de cette mission nouvelle par rheùreux 
succès de quelques guérisons de malades, arrivées 
miséricordieusement de sa part, contre les espérances 
humaines. ^ 

Un' pauvre artisan, travaillé d'une grosse fièvre 
par l'occasion d'une épine, qui lui étoit entrée dans le 
pied,et l'avoit enflé avec la jambe et lacuisse,non sans 
grande inflammation , m'ayant fait prier de le vi- 
siter, dans l'espérance que je lui donnerois quelque 
remède à son mal; j'y fus, et le vis en telle disposi- 
tion qu'il me sembloit qu'il n'y avoit d'autre remède 
que de lui couper la jambe, tant elle étoit en pauvre 
état. Au reste, n'étant mon métier de m'employer à 
telle cure, et n'y ayant ici ni médecin pour l'ordon- 
ner , ni chirurgien pour l'exécuter, je m'avisai de 
bénir du vin et de l'huile, le remède du Samaritain 
de l'Evangile, je lui envoyai pour s'en laverie pied 
et la jambe tous les jours. Ce pauvre homme crut et 
espéra en Notre-Seigneur, et peu de temps après 
sa jambe ayant un peu suppuré , il s'est vu entière- 
ment guéri de son mal. 



— 129 ~ 

Agnouasa^iiUe de Janis et d'Âmbdlkia, âgée seule- 
ment de 13 à. 14 ans, ayant été travaillée, Fespace 
de cinq ans, d'un certain trémoussement, qui la 
saisissoit tous les soirs, et la faisoît crier et hurler, 
comme ceux qui ont le mal de saint Jean , le jeudi 
saint de cette année 1 641 , Janis, son père , se plai« 
gnant à son maître, le seigneur liouannachi Gtr<» 
rardi, premier gentilhomme de Tiie, se plaignant, 
diS'je, de la cruauté et longueur de ce mal, qui la 
travailloit^ ce seigneur s'avisa de lui prêter un vase 
de la terre de saint Paul de Malte, que je lui avois 
donné depuis peu de jours, pour lui faire boire nn 
peu d'eau dedans , en temps que son mal commen** 
ceroit à la saisir, l'admonestant qu'elle eût sa con- 
fiance en Dieu et aux prières de ce grand apôtre. 
Ce bon homme et la jeune fille mirait donc, leur 
confiance en Dieu, suivant les parc4es de son maî- 
tre. Agnoussa, entant venir son mal, prit de l'eau, 
la mit dans le vase , et l'ayant .bue avec dévotion , 
dès l'heure même , elle s'est trouvée entièrement 
guérie de ce mal de si longue année. 

Cette guérison si extraordinaire s'étant répandue 
par toute la vâle , plusieurs malades de diverses 
fièvres sont venus bok*e dans ce petit vase, lesquels 
tous, au nombre de quinze ou seize, ont été, dès 
l'heure même , heureusen^ent délivrés de leur mal; 
et depuis, ce vase étant rompu, on est venu à moi 
K. 9 



— 430 — 
pour avoir de la poussière de cette terre ^ par le 
moyen de laquelle, plus de cent ont été délivrés 
des fièvres, la buvant avec un peu d'eau, au même 
temps que Taccès commence ^ les prendre. 

Le 1 7® d'avril , qui est pour nous le jour des Ha- 
meaux, je fis faire une procession , selon la cou^ 
tume de TËglise, et pour la rendre plus célèbre, 
je fis revêtir en anges six petits écoliers. Le premier 
portoit le thuribule avec la navette à mettrerencens, 
l'autre la croix, accompagnés de deux plus petits, 
qui tenaient chacun un cienge à la main ; suivoit le 
cinquième, portant une couronne d'épines, et le 
sixième et dernier, avec un tableau représ^itant 
Notre-Seigneur, en son agonie, au jardin. 

Le peuple, qui n'est pas accoutumé de voir ces cé- 
rémonies, y accourut en foule, et entre les autres fut 
remarquable, le principal Papas, des grecs, que Ton 
nomme Téconcmie , lequel , suivi de quelque nombre 
d'autres Papas, honora de sa présence cette nouvelle 
célébrité. Quelques-uns des plus anciensde la ville fi- 
rent pour lors cette remarque que nous plantames,ea 
ce jour, l'étendard de la sainte Croix, au même heu, 
où, cinquante ans auparavant, on avoit coutume de 
l'arborer à tel jour, et que, pai^e l'indévotion , partie 
l'esclavage turcquesque, avqient empêché depuis 
tant d'années de continuer. Au retour de la procès* 
sion , une dame grecque , des plus remarqimbtes du 



— 134 ^ 
Heu, me fit des congratulationB si extraordinaires, 
pour la joie qu'elle avoit reçue en ^on cœur, de cette 
nouvelle célébrité, qu'entr'^utres paroles, elle me 
dit qu'il sembloit qu'dle avoit commencé ce jour-là, 
à être chrétienne. Elle m'ajouta qu'elle croyoit que 
Dieu avoit accompli , en cette journée , ce que son 
petit fils avoit songé, le jour du grand saint Bazile , 
qui est le premier jour de Tan, au regard des grecs : 
savoir est, que cet enfant avoit vu, en songe, sortir 
de Téglise Saint-Georges un ange d'une clarté admi-* 
rable, portant un encensoir à la main , et suivi d'une 
^ troupe d'autres, qui lui &isoient entendre que cette 
pauvre église, désolée depuis si longtemps, pren* 
droit à Tavenir un nouveau lustre. Dieu y étant servi 
avec plus de zélé et dévotion qu'il n'y avoit été aux 
âècles passés. Je donnai le baptême à un petit 
en&nt d'un gentilhomme , élevé en qualité de page 
d'honneur, en Thôtel de Mgr de Seri, à Constanti-* 
DOple; son père est ici le premier du lieu; c'est le 
pr^liier enfant que j'ai baptisé , et il y avoit bien 
quatorze ans que l'on n'avoit vu baptiser ici per^ 
sonne à la francque. La qualité de l'enfant et la 
rareté de la cérémonie , selon notre rit, a feit que 
le concours du monde a été extraordinaire. Deux 
choses ont été remarquables à la naissance de cet 
enfant : la première, que la nuit que sa mère étoit 
joï travail pour lui , le jardinier du jardin de notr0 



^ 132 — 
égliâe de Saint-Georges eut un songe , qu'il avoit 
cueilli un lys dans notre jardin^ et Tavoit portée la si* 
gnora , mère de l'enfant; ce que le sieur Nicé[^ore, 
son père, me racontant avec allégresse , interprétoit 
à bon augure, comme espérant que cet enfant, son 
premier-né, hériteroit de lui l'affection qu'il porte 
en son cœur et fait paroitre aux occasions à la cou- 
ronne de France , l'arme de laquelle est le lys. La 
seconde chose remarquable est que la signora , 
ayant été dans les douleurs de cet enfantement une 
grande partie de la nuit , le matin , comme on m'en- 
voya avertir de faire quelques prières pour elle , je 
lui envoyai mon reliquaire, dans lequel il y -a entre 
autres des reliques de notre saint Père Ignace, ayer- 
tissant la personne à qui je le donnois, qu'elle lui 
dit qu'elle eût recours à ses prières , et qu'elle s'en 
trouveroit très-bien. Elle i^ l'eut pa$ plustôt reçu , 
qu'elle accoucha incontinent après, fort heureuse* 
ment. J'ay admiré en cet enfant ce que j'apprends 
qui se pratique ici généralement en tous- les autres, 
tant mâles que femelles, savoir est : qu'on les laisse 
trois jours et trois nuits sans leur donner à téter, ni 
mettre chose aucune en leur bouche; et pour le re* 
gard.de leurs têtes, on ne les couvre nullement, ni en 
hiver, ni en été, ni. jour, ni nuit,qu'ils n'aient atteint 
l'âge de quatre ou cinq ans : aussi est-il vrai que le 
pays est plus tempéré que le nôtre, l'hiver ne s'y 



— 133 — 

sentant pas, et Tété , la providence divine qui tient 
les vents en ses trésors, se montrant si favorable à 
la conduite de ces îles, que, la plupart de ce temps, 
elle y fait régner la tramontane , qui sert également 
à rafraîchir les corps humains et mûrir les fruits de 
la terre, qui, sans ce rafraîchissement, dans peu 
d'heures seroient tous rôtis. 

Quant à ce qui est des choses plus mémorables, 
qui se retrouvent dedans Tîle, je n'ai pu encore ap- 
prendre autre chose que ce que je prétends dé tou- 
cher ici fort brièvement. Il y a , dans Agou^ , une 
image mH^aculeuse de Notre-Dame , qui se voit en 
la principale église des grecs. Le peuple de la ville a 
cette bonne coutume qu'il ne se passe jour que, tous 
ou la plupart, ne fasse son devoir de la visita. L'his- 
toire porte que, du temps des Iconoclastes, elle fut 
miraculeusemenf apportée par mer, par la seule con- 
duite de Dieu et des anges. Le peuple , qui vivoit 
pour lors, la vit venir au milieu des -flots, et nonobs- 
tant les flots et tempêtes qui se montroient furieuses, 
elle vint surgir heureusement au port d'Agoussa, 
où elle fut recueillie avec allégresse et détotion ex- 
traordinaire. Le duc, qui gèuvernoit cette île, com- 
manda qu'elle fut portée au château qui comman- 
doit toute la ville, désirant d'y bâtir une chapelle, 
pour l'honorer selon son pouvoir, et par icelle , la 
Reine desanges. Choseétrange! cette image n'agréant 



— 1S4 — 
pas ce lieu, qu'ils avoient choisi, fut trouvée, par 
trois diverses fois, transportée au lieu, où elle est à 
présent, avec les outils des maçons qui travailloient 
à cette chapelle : ce qui obligea ces bons habitants 
de lui en dresser une autre en ce même lieu , qu'elle 
faisoit paroitre lui agréer le plus. Cette image est d'un 
bois qu'on ne connoît pas, et qui semble être incor- 
ruptible. Le cadre, où elle est enchâssée , a été déjà 
changé trois ou quatre fois, à raison de la ppurriture 
qui l'avoit déjà consumé, sans que toutefois on ait 
reconnu aucun déchet- en ladite image. Quantité 
de miracles se sont faits, qu'il n'est besoin de 
déduire par le menu. Je me contenterai d'un, entre 
les autres, que j'ai su de personnes de créance et 
d'autorité , qui m'ont assuré l'avoir vu eux-mêmes 
de leurs propres yeux. 

Il y a environ vingt-cinq ans qu'Âli-Bacha, géné- 
ral des armées turcquesques, voulant contraindre les 
insulaires de lui* mettre en main le tribut qu'ils sont 
obligés de payer au grand Seigneur, et iceux refu- 
sant de lui obéir, comme étant contre leur droit, et 
la coutume qu'ils avoient toujours gardée de la 
porter eux-mêmes à la Porte , n'ayant à répondre à 
personne qu'au grand visir : dépité de ce refus, il se 
résolut de mettre à feu et à sang toutes les iles qui 
résisteroient à la volonté , et commençant par celle 
dt Syra, qui est fort proche de Paros, il vint fondrtt 



— 188 — 
dessus, accompagné d'un gran^ nombre ^e gdè- 
res j et s'étant jeté dedans, il fit pendre Tévéque 
et quelques*uns des priqçîpaux de la ville , en mit 
en galère deux ou trois cents , pilla et saccagea la 
ville, brûlai les moulins et une partie des inaisonsi 
enfin la mit en très-grande ruine et extrême désole^* 
tion. Comme il étoit sur le point d'en faire de même 
à Paros^ les pauvres Pariens, bien épouvantés de 
cette cruelfe exécution, eurent recours à leur Notre? 
Dame , faisant des prièi'es publiques pour Tinvo* 
quer à leur secours. On n'entendoit dedans les rues» 
par les places, dans les maisons et dans les églises, 
que des cris et lamentations effroyables^ mais sur«- 
tout au même moment que les galères du Bâcha 
commencèrent à paroUre. Ce peuple, qui étoit 
aux aguets ^ se met à crier, tous ensemble , d'une 
voix épouvantable : J^Iarie, mère de Dîeû, tqute 
sainte^ protéges^nous! Merveille des bontés admi«- 
rables de la mère de mi^ricorde, attendrie par les 
clameurs de ce peuplé désolé, elle envoya, tout sur 
le champ, une ^mpéte furieuse, qui écarta deçà et 
de là toutes les galères et vaisseaux de ce tyran, et 
les envoya si loin des îles, qu'il avoua lui-même hau- 
tement qu'une puissaoce surcéleste l'empêchoit de 
faire le mal aux Pariens et autres insulaires, qu'il 
avoit résolu d'accomplir. Ainsi furent-ils délivrés 
par l'entremise de la Vierge. 



— 136 — 

Il y a^ près d'Âgoussa, une ancienne chapelle, 
qui a été trouvée, depuis peu d'années, d'une façon 
extraordinaire. Nicéphore, métropolite grec pour 
Naxie et Paros , avoit amené avec soi de Constanti- 
nople un certain turc janissaire , vieillard de bon 
sens, et recommendable pour la probité de ses 
mœurs. Celuy-ci^ étant à Agoussa avec le Métropo- 
lite , eut un songe , la nuit , par lequel il se sentoit 
averti par quelque personne vénérab1e,qtte si on ùlv- 
soit fouir en un certain lieu , qu'il lui montroit, on y 
trouveroit une chapelle. Etant éveillé, il donna avis 
de son songe au métropolite, et aussitôt met des gens 
en besogne pour fouir au lieu qui lui avoit été mon- 
tré. Us ne n^anquèrent pas, après quelque peu de tra- 
vail à lever les terres, de trouver une forme de cha- 
pelle, qui depuis, ayant été embellie et mise en meil- 
leur état par la dévotion des fidèles, est maintenant 
une des plus célèbres du pays. 

Voilà, mon Révérend Père, ce que j*ai pu trouver 
de plus remarquable en ces lieux. Si Dieu me donne 
la vie, j'espère que, l'année prochaine, je ferai 
voir à la France les impostures du ministre Du Mou- 
lin , qui , pour donner crédit aux faussetés de sa 
rehgion prétendue , fait accroire aux plus simples 
que l'Eglise grecque est en même créance que celle 
qu'il professe, et qu'il abuse depuis tant d'années , 
tant par les livres qu'il imprime que par ses prédi- 



— 137 — 
calions. Je prétends de lui montrer, plus clair que le 
jour, que sur les controverses débattues eutre les 
catholiques et calvinistes de France, TEglise grecque 
symbolise entièrement avec nous, et contrarie tota- 
lei;nent aux erreurs de leur nouvelle et fausse doc- 
trine. Et tandis que nous travaillerons à cet emploi 
et à celui qui nous regarde de plus près, qui est de 
défricher les ronces de cette vigne de Paros, je sup- 
plie très-humblement votre révérence, de; jeter des 
yeux de compassion sur cette mission-nouvelle, et la 
daigner recommander aux charités de nos Pères , 
principalement de ceux qui gouvernent les congré- 
gations des messieurs,. à ce qu'ils les excitent d'éten- 
dre leur miséricorde sur cette pauvre Eglise esclave,, 
contribuant, selon leur pouvoir, pour les faire avoir 
quelques meubles, à ce que Notre-Seigneur, son 
époux, y soit servi et honoré, sinon selon qu'il 
mérite, du moins selon la bienséance, qu'il con- 
vient de rendre à sa Majesté. 

PlûtàDieu que plusieurs seigneurs et dames fran- 
çoises eussent vu les ornements que les turcs font à 
leurs mosquées, c'est là qu'ils auroient lieu de bénir 
et remercier Dieu, qui leur a donné le moyen d'em- 
ployer leur dévotion au vrai culte iesa Majesté, au 
lieu que ces pauvres aveugles perdent leurs âmes et 
leurs moyens au service de la vanité. Plût-il à Dieu 
qu'ils ressentissent au fond de leur cœur le conten- 



— 138 — 
ment d'une âme bien isâte , quand elle voit Jésus, 
son Sauveur, honoré et glorifié en ces quartiers, 
nonobstant tous les artifices et inventions sataniques 
qui s'y pratiquent, pour en abolir la mémoire et 
ensevelir le nom dans un oubli éternel. — Je finis, 
me recommandant très-humblement aux saints sa* 
crifices de Votre .Révérence et de tous nos RR. PP* 
de sa Province , et aux prières de tous nos chers Frè- 
res, desquelles nons avons bon besoin : je demeure 
pour jamais, 

^ Mon Très-Révérend Père , 
DeVotreRévérenoe,serviteur très-humble en Notre 
Seigneur. 

D'Agoussa, en l'île de Paros, le 2' d'octobre 1641, 

Jacques d'Awjou. 

CHAPITRE V. 

ÉTABLISSEMENT A ATHÈNES. — EXTRAIT D*UNE lETTRE DtT P. 
FRANÇOIS BLAISEAU DE LA COMPAGNIE DC JOSSUS , ÉCRITE DE 
EALGHIS (CHALGIS) OU EGRI^S » LE 2^ À)UR IN£ 1643. 

Le 2 décembre 1 641 , je suis arrivé à Athènes, où 
saint Paul, saint Denis Aréopagite et saint André, 
nops ont été pfopices, et montré évidemment qu'ils 
avoient encore soin au ciel de la vigne, qu'ils ont 
cultivée en terre par leurs prédications et leurs 



.j 



— 139 — 
trayaux apostoliques ; j'estime que nous sommes 
trop heureux d'être appelés pour succéder à uA 
emploi si honorable. 

Les plus apparents grecs de Romanie, le seigneur 
Alberto et le seigneur Maurc^em, m'ont défrayé au 
voyage et entretenu un mois, en cette nc^le ville 
d'Athènes. Dieu m'a pourvu aussitôt d'un caloyar d^ 
21 ans pour mon compagnon. J'ai pris connoissance 
des plus grands de la ville, qui ont fait une assemblée 
publique, pour me retenir à Athènes. Le même ont 
fait les turcs de qualité, entr'autres le cadi ou juge^ le 
cerdar qui commande la milice, l^s neveux et gendre 
de Bakir*Bacha, le sequir ou supérieur des dervis 
ou religieux turcs, qui, tous en corps, ont écrit une 
lettre à Mgr de la Haye, ambassadeur à Constantin 
nople, afin qu'il lui plaise me permettre d'établir 
une résidence de notre Compagnie à Athènes; car je 
leur ai signifié que, sans cela, je ne pourrois y de- 
meurer, et sans la permission de Votre Révérence, 
afin que notre établissement' soit plus ferme, et que 
Mgr l'ambassadeur prenne occasion, en la réponse 
qu'il leur fera , de leur dire que très- volontiers il 
leur accorde leur demande, à condition qu'ils nous 
donneront un lieu, pour faire nos prières et pour 
assister nos marchands et mariniers françois, qui 
trafiquent au port d'Athènes. 

Les mêmes turcs, se défiant de l'obtenir d'eux-» 



— 440 — 
mêmes, en ont écrità Bakir^Bacha, pour en supplier 
Son Excellence , afin d'obtenir plus assurément ce 
qu'ils demandent. 

Je crois que Son Excellence prendra plaisir d'être 
priée de ceux mêmes , qu'il voudroit prier pour une 
affaire de Dieu; parla même, c'est engager Bakir- 
Bâcha , qui est général des galères de la Mer-Blan- 
che, roi pour ainsi dire, tant il a d'autorité, à 
protéger notre établissement à Athènes, puisque 
lui-même la protège auprès de Mgr l'ambassa- 
deur. 

Les grecs écrivent à Votre Révérence pour le 
même sujet; ils sont des apparents de la ville, qui 
ont souscrit, et la lettre qui s'adresse à Mgr l'ambas- 
sadeur est souscrite de quantité de turcs , qui ont 
charges et sont personnes de considération. Cela 
nous oblige à conserver chèrement les originaux 
de ces lettres , qui serviront de titres authentiques 
pour demeurer en sûreté à Athènes. 

Le dernier jour de l'an 1641 , le cadi , le cerdar, 
et autres grand^dela ville d'Athènes reçurent lettres 
de la part de Moustafa-Bey , frère de Bakir-Bacha , 
et qui est gouverneur de Négrepônt, par lesquelles 
il leur recommandoit de me prier que j^allasse le 
trouver à Négrepont. Ses prières à mon endroit fu- 
rent des commandements; ses gens mç demandèrent 
combien je voulcfis de chevaux pour mon voyage, je 



— 141 — 

dis que denix suâStroient^Tun pour moi^ l'autre pour 
le caloyer, mon compagnon. 

J'arrivai à une heure de nuit à Chalcis^ qui se 
nomme à présent Egripos, sur TEuiripe duquel }.'ai 
admiré les mouvements. Le brigantin de la galère 
du bâcha me vint trouver, sitôt que je fus arrivé, 
pour me porter en la ville. C'est une faveur très-rare, 
qui à peine se concède aux turcs de qualité^ dans les 
places fortes, comme est Kalchis. 

J'écrirai, une autre fois avec plus de loisir, les 
particularités de mon voyage, espérant que Mgr l'am- 
bassadeur y prendra plaisir; pour maintenant il est 
impossible de lui donner contentement. 

Moutafa-Bey nous a fait apprêter notre logement 
chez un grec athénien, habitant de Chalcis, et avoit 
déjà ordonné nuFagini, c'est à dire, pour ma nour» 
riture chaque jour, quatre pains , deux oches de vin 
et deux de mouton (deux oches font cinq livres, 
poids de Paris). De plus, il m'en\oya qi^ntité de 
poules, deux oches de beurre et huit de riz, avec 
trois ou quajtre charges de gros bois. Il avoit aussi 
donné commission expresse à un grec de me four- 
nir tout ce que je demanderois, ou qu'il conndtroit 
m'étre nécessaire. J'ai cet agrément de parler à tous 
ces turcs, sans l'aide de truchement; car ils entendent 
tous et parlent grec, étant fils de mères grecques, 
Moustafa-Bey dit publiquement qu'il écriroit* à 



— 141 — 

Athènes; qa'ik doivent tons me porter scir leur 

tête et me témoigner grande considération. . 

Cassan-Bej, fils d'Ali-Bacha, me vient visiter tous 
les jours, pour apprendre quelque chose de la 
8{rfière. Ce m'a été une consolation bien sensible 
d^entendre à Ghalcis la confession de quelques per- 
sonnes qui semUoient attendre de IcMigtemps cette 
assistance spiritu^e. Dieu soit loué d'avoir disposé 
ainsi les moyens de leur salut , comme il a fait aussi 
à Athènes, en quoi j'ai reconnu que les grecs ont 
pkis de confiance en nous, que je n'osoispas e^rer. 

Dans dix ou doii^e jours, Dieu j aidant , je retour- 
nerai à Athènes avec de bonnes lettres de recommen« 
dation auxquelles je prétends £ûre ajouter quelque 
bonne clause pour le bien des âmes. Votre Rêvé* 
rence procurera le même , s'il lui jdaît , dans la ré- 
ponse que Mgr l'ambassadeur fera , tant à Bddr- 
Bâcha, qu'au cadi, cerdar, et autres turcs, qui l'ont 
prié deconsentirii. notre établissement dans Atiiènes. 

Jamais je n'eus la santé meilleure que parmi 
les fatigues et impcntunités de tout un monde de 
grecs etde turcs, qui sont après moi, pour apprendre 
les mathématiques. 

J'ai observé exactement et frugalement le jeûne 
de l'Aventavec les grecs, qui est de quarante jours. . . 
Je fais ce que je puis pour témoigner aux grecs qiid 
nous les aimons et honorons leur rit. 



i^^'^ BIÉE. __, .^...^^^^^^^..^^^ ■ M' ft*"^ 



— 448 — 

Urne Yi^it une pensée y qoe Dieu nous veut éta* 
blir, non-^seulement entre les grecs , mais encore 
parmi les turcs , par l'entremise des mathémati- 
ques, comme il a fait dans la Chine. 

Sitôt que je serai de retour à Athènes, on mé lo« 
géra en une j<^ie maison au coeur de la ville, Ueu 
très-propre pour nos fonctions spirituelles ; quel-" 
ques-uns m'ont assuré que je ne paierois point de 
louage, si est-ce que je ne désire point de m'entre- 
tenir de leur libéralité et leur être à charge. Il est 
bien vrai que si V. R. avoit une centaine de pias-^ 
très entre les mains, qu'elle voulût employer à 
Tachât de la maison , je me servirois de la bonhe 
volonté présente des faabitans d'Athènes, pour avoir 
bon marché de la maison , et par ce moyen affer-^ 
mir notre étabhssement. 

Auprès de cette maison, il y a une belle église, où 
je pourrais dire la messe , jusqu'à ce que nous ayons 
une chapdle domestique, tant pour notre commo- 
dité, que celle des fran^^is qui auront le même 
droit à Athènes, qu'ils ont aux autres échelles du 
Levant. 

Mon caloyer demeure en l'église, proche de la 
maison , et y tient école de vingt ou vingt-cinq éco* 
iiers, entre lesquels il y a quatre ou cinq gram- 
mairiens, il me remet tout entre les mains et se £ût 
lai-«Mttie mofi écolier. 



— 144 ^ 

Je n'ai encore vu le métropolite ^ à cause qu'il a 
été absent tout le temps que j'ai demeuré à Athè- 
nes. Il n'aime les lettres que dans la monnoie , et 
est obligé de suivre le sentiment et mouvement des 
turcs pour notre établissement; c'est poiu*quoi il faut 
viser à gagner ôeux-ci, et après suivra le métropo* 
lite avec tout son clergé. 

Le profit, que l'on peut faire à Athènes, est : 
1 ^ l'école, ou instruction des enfants grecs, les pré- 
dications et catéchismes en leurs églises; 2^ les 
exhortations aux calogeries ou religieuses grec- 
ques; il y a dans Athènes dix ou douze monastères 
de filles, et il y a tel monastère, où se trouvent plus ' 
de soixante filles ; 3^ l'aide spirituelle de nos fran- 
çois qui trafiquent à Athènes. Cette année y sont 
venus cinq vaisseaux françois; ce leur est un jubilé 
de consolation d'y trouver des religieux françois , 
qui leur disent la messe et administrent les sacre- 
ments; 4® enseigner les cas dexmLScienceiaux ca- 
loyers et les mathématiquesàla jeiine noblesse, dont 
elle est très-désireuse, comme je l'ai expérimenté en 
ce commencement , où les jeunes grecs et turcs sont 
tout le jour après moi, pour apprendre quelque 
chose de la sphère et des mathématiques. Donc^ si 
Votre Révérence agrée l'établissençient d'une rési- 
dence de notre Compagnie à Athènes, il lui plaira 
nous envoyer au plus tôt ce qui nous est nécessaire. 



— 145 — 
pour y subsister et faire du fruit : 1 ^ un des Nôtres, 
. qui puisse traiter avec les grecs; les instruire et sup- 
porter patiemment; 2° un de nos Frères coadjuteurs, 
qui nous rendra plus de service qu'un grec et ne 
fera pas tant de dépense ; 3® de quoi nous habiller, 
et meubler notre nouveau ménage, afin que nous ne 
soyons point à charge aux grecs , et qu'ils recon- 
noissent que nous ne cherchons rien que leur 
profit spirituel et le bien de leur âme ; 4® un horloge 
à contre poids, afin que nous vivions régulièrement, 
et que chaque chose se fasse à son temps; 5^ quelques 
tableaux dedévotion pour notre chapelle domestique 
comme un tableau du crucifix et de Notre-Dame ; 
6^ un ciboire, un tabernacle, un soleil pour exposer 
le Saint-Sacrement , quelques ornements pour dire 

la messe, une serrure pour fermer la chapelle; 

7" une bible grecque, .... les concordances, quelques 
tomes de saint Jean Chrysostôme et de saint Atha- 
nase; S'^Demosthènes, les poètes grecs, le Lexicon 
Scapulœ; 9° la philosophie de Conimbre , Clavius 
sur la sphère et sur Euclides; Maginus (Jean-Antoine 
Magini) , sur Ptolémée; 1 0° un astrolabe, des cartes 
géographiques , images et portraits des royaumes et 
des villes , etc. ; 11** Agnus Deiy chapelets ; et ce qui 
est le mieux reçu des grecs, sont des petites croix de 
cuivre , comme celles qui se font ^à Limoges. 

Quant aux images, ils prisent le crucifix, les mys- 
K. 40 



tèresdekyiedeNotrç-SeigQeqr^ le$ îmagesdeNotiv- 
Dame , de saint Michel^ de Tapge gardien^ de saint 
Jean-Baptiste, des Apôtres^ sainte Hélène et autres 
saints et saintes grecques, ou de ceux qui sont men- 
tionnés au Nouveau-Testament. 

Nos robes de chambres sont ici mieux venues que 
nos manteaux, parce qu'elles sont plus conformes 
à l'habit des caloyers. 

De Kalchis ou Egripos, ce 2 janvier 1643, 

Copie de lettre écrite par les principaux grecs 
d^ Athènes , au Père Supérieur dç Constantin 
nople. 

Puisque la fin de votre Compagnie, très-saint et 
très-sage Père, n'est autre que l'utilité et aide du 
genre humain , mais principalement celle de l'âme , 
comme nous a enseigné en $es priàdications le Père 
François Blaizeau , et nous a fait connoître le vœu et 
profession de votre Compagnie , et combien il im- 
porte qu'elle soit établie à Athènes, nous avons prié 
le Père de demeurer ici, pour aider et assister notre 
ville d'Athènes, qui étoit anciennement* la mère ৠ
l'éloquence. Il nous a dit que cela ne dépend pas de 
lui, mais de Votre Révérence, et partant nous vous 
prions de lui permettre de demeurer avec qous; il 
vous plaira aussi d'en traiter avec l'excelleptissime 



— 147 — 

ambassadeur. De plus, le Père nous ayant remon- 
tré qu'il ne peut demeurer seul, A vous plaira de 
lui envoyer un compagnon , lequel soit homme de 
lettres et docte,' et nous leur pourvoirons -tout ce 
qu'ils auront besoin. 

6 Décembre 1641. 
BEmzELos fils de Demitri , serviteur de Y. R. 
Nicolas, fils de Michael Alexenas, serviteur 

de V. R. 
Et autres qui ont tous signé de la même façon . 

Copie de la lettre du Cadi, Cerdar, et autres turcs 
des principaux d'Athènes, à Mgr de la Haye^ 
ambassadeur au Levant* 

Akoumat'-EfFendi cadi ou juge. -*- Ussin Chele- 
bis, cerdar ou colonel. — Memet Chelebis, neveu du 
général des galères. — Dervis Agas, neveu du géné- 
ral des galères. — Kassan Chelebis, frère du colonel. 
— » Memet Aga , janissaire. — Omer Aga ; Dervis 
Amou^a , et plusieurs autres des principaux de la 
ville d'Adiènes qui tous ont bulU la lettre , chacun 
de son cachet particuher. 

Excellentissime ambassadeur de France. 

Nous , fidèles musulmans de la ville d'Athènes, 
saluons tous Votre Excellence. 



— 148 — 

Le P. François Blaizeau, docteur de Votre Excet 
lence, que vous aviez envoyé à Napoli de Ro- 
manie avec le consul ^ est venu ici, lequel Père 
étant bien versé en Tastrologie et fort savant , nous 
l'avons prié de demeurer ici à Athènes; et il nous a 
dit que cela ne dépend pas de sa volonté, mais de 
celle de Votre .Excellence et de ses supérieurs. Pour- 
tant, nous supplions Votre Excellence de lui permet- 
tre d'y demeurer, et nous aurons soin de lui, et de 
son compagnon , qu'il vous plaira lui envoyer. 

1641, décembre 20. 

CHAPITRE VI. 

QUELQUES AUTRES LIEUX OU LES PP. JÉSUITES ONT ÉTÉ, ET POUR- 

ROiENT s'y Établir , s'ils avoient quelques secours de 

FRANCE. 

L'an 1 581 , Grégoire XIII envoya au Mont Liban, 
le P. Jean Bruno et le P. Jean-Baptiste Elian , ro- 
main , pour instruire les Maronites . — Le Patriarche 
des Maronites, en présence de tout le peuple, fit pro- 
fession de foi, selon la formule du concile de Trente; 
et ce patriarche étant mort, le successeur d'icelui en 
fit autant le jour de son sacre. 

L'an 1614, le P. Louis Oranger de la Compagnie 
de Jésus , et le frère Etienne Viau furent envoyés en 
Mingrélie par le R. P. Jean-Baptiste Jobert , supé- 



— 149 — 

rieur de la résidence deGonstantinople. Mgr le ba- 
ron de Sancy, ambassadeur du Roy, leur donna 
500 écus pour avoir des ornements d'église , des 
livres^ et autres meubles. Ils firent naufrage.en allant 
et perdirept tout; ils arrivèrent néanmoins en Min- 
grélie,.où, ayant salué le roy, duquel ils furent bien 
accueillis, ont travaillé quelque temps pour le salut 
de ce peuple. Ils retournèrent à Constantioople , 
pour avoir un nouvel équipage, ntiais ils furent tous 
deux frappés de la peste; le F. Yiau mourut dans 
le vaisseau , et le P. Granger mojirut en notre mai- 
son de Galata, le second jour après son arrivée. 

L'an 1627, le P. Dominique Maurice et notre 
frère Jean Marqueté furent envoyés en Chypre et 
bien reçus en Nicosie par le sieur Matheo Cigala , 
gentilhomme cypriote ; mais, au bout de l'année, ils 
furent accusés d'être espagnols et espions, et n'eust 
été que le Mousselin turc, qui commandoit à Nico- 
sie, qui avoit été élevé à Scio avec le P. Dominique 
Maurice , témoigna qu'ils n'étoient espagnols , ils 
couroient risque d'être brûlés; ils furent néanmoins 
contraints de se retirer à Scio. L'an 1 629, Mgr l'évê- 
qiïe de Syra donna aux PP. de la Compagnie de 
Jésus une église ; lesquels, y étant demeurés l'espace 
d'un an, se retirèrent à Scio, d'où ils étoient partis. 
Maintenant le même évêque fait instance aux PP. Jé- 
^suitçs françpis d'y retourner; ce qu'ils feront très- 



— 150 — 

volontiers , ai la libéralité des gens de bien leur en 
donne le moyen. Il y a en l'île de Syra 4,000 âmes 
du rit latin, et huit ou dix prêtres qui ont bien 
besoin d'être instruits. 

Les Pères Jésuites ont souvent été invités d'aller 
en Valachie et Moldavie par les chrétiens du rît la- 
tin, qui même en ont écrit à la Sacrée Congrégation 
de Propaganddfide, Ces provinces ont un prince 
créé par le grand Seigneur, et sont situées entre les 
états du Roi de Pologne et du grand Seigneur. 

En laNâtolie ou Asie-Mineure sont les églises d'A- 
sie ; nos Pères sont déjà à Smy rne, autour de laquelle , 
sont les six autres églises^ dont Ephèse^ la première 
desdites sept églises, est à trois journées de Smyme. 
Proche d'Ephèse , se voient les ruines d'un temple 
très-somptueux, et les détours entrelacés du fleuve 
Méandre. On pourroit peu à peu remettre la dévo- 
tion dedans lesdites sept églises. 

L'année 1625, le P. François de Canillac et le 
P. Mathieu Hardy firent une mission à Sophie et à 
Philippopoli en Thrace , invités par les marchands 
Rugènsois, tjui y trafiqtient et y résident, et, peu de 
temps après, le P. Denis Guillier avec le méttie Pète 
Mathieu Hardy, firent une mission en l'îtede Mar- 
mora, dite andenuëment Proconisos. 

Au lâont Saint , dit Athos, qui est Une pointe de 
Macéâoine , qui avance dans la mer , i^ident ^k 



— 151 — 
mille caloyers, moines de saint Bàzile, dispersés en 
22 monastères ; ils ont témoigné plusieurs fois 
qu'ils seroient trés-aises d'avoir quelques Pères de 
la Compagnie de Jésus , pour instruire les jeunes 
moines. 

Il est facile de secourir tous les lieux du Levant y 
de passer de l'un à l'autre , et d'y entretenir quel* 
ques ouvriers de la Compagnie; car, le pays étant 
bon, on y vit à bon marché; vingt cinq écus sont suf- 
fisants pour la nourriture d'un des nôtres, et pre- 
nant vingt-cinq autres écus pour les habits, meu- 
bles, et frais de la maison, 50 écus l'entretiennent 
de tout point, d'où s'ensuit que deux cents écus 
annuels entretiendront une résidence de trois Pères 
et un Frère. 

L'importance et la belle ouverture des missions 
du Levant, la facilité de les aider, et l'obligation qu'a 
la France, pour en avoir reçu quantité de saints pré- 
lats , qui lui ont apporté les premières lumières de 
l'Evangile, a fait résoudre quelques personnes de 
qualité et de .moyens ^ de s'assembler^ et faire une 
Compagnie, qui prenne le soin de pourvoir ce qui 
est nécessaire pour les missions du Levant ; en 
quoi ils ont si bien réussi qu'ils fournissent, cette 
année , douze cents écus , pour l'entretien de six 
i^dences, et promettent de continuer leurs soins 
pour les années suivantes. 



— 182 — 

Tous nos Pères et Frères, à qui Dieu donnera quel- 
ques inspirations pour le Levant , sont priés de dé- 
clarer leurs bons désirs à notre R. P. Provincial , 
lequel y s'il donne son contentement et permission 
de suivre la vocation de Dieu^ les supérieurs locaux 
sont irès-humblement suppliés de n'y point mettre 
d'empêchements, et agréer que leurs sujets passent 
en Levant , encore que ce soit avec quelque incom- 
modité de leur maison , ayant égard à la nécessité 
qu'a le Levant de bons ouvriers, à la difficulté et aux 
frais du voyage, espérant que Dieu leur rendra libé- 
ralement l'ofifrande qu'ils lui font, en la personne de 
leurs sujets pour le Levant. 

CHAPITRE VII ET DEBJ«ER. 

EXTRAIT d'une LETTRE DU 16» d'àOUT 1641 , ENVOYÉE D*ALEP , 
PAR LE P. JEAN AMIEU, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS, AU 
P. D*AUTRUY (a paris): 

Nous avons vu la lettre que 'Votre Révérence a 
écrite au P. Hiérôme Queyrot, supérieur de cette 
résidence, et nous la lui avons envoyée à Damas, 
où il est allé pour y établir une résidence de notre 
Compagnie. 

Le patriarche d'Antioche, qui l'a inené, lui a 
promis de le loger dans le patriarcat et de lui don«- 
ner la commodité d'enseigner les enfants et faire 



/ 



— 153 -^ 

les fonction$de.la Cpinpagme. Je prie votre Révé^ 
rence de se souvenir de nous en France , d'où nous 
espérons beaucoup. Nous prions Votre Révérence 
de considérer : 1** que Tentretien aux études de six 
ou sept eùfants seroit grandement utile, attendu 
que la science de ce pays là se termina à savoir lire 
le Psautier en arabe ; et qui a cette qualité est passé 
maître en toute science et jugé capable d'être pa- 
triarche. 

2^ Que nous avons besoin que Ton imprime les 
règles de notre congrégation , que npus avons tra* 
duites en arabe ^ pour distribuer aux confrères. 

3"" Nous avons aussi besoin que Ton imprime les 
saints du mois, que nous dessinons et distribuons, 
ce qui nous emporte beaucoup de temps , et en 
emportera encore davantage ; car les hommes , 
voyant fleurir la çongrég£^tion des enfants, -ont de- 
mandé que Ton en érigeât uQepour eux , et ainsi 
nous en avons maintenant deux , pour, lesquelles 
nous avons, grande nécessité d'avoiir les règles et 
les sentences du mois. imprimées. Nous enverronis 
le tout, bien écrit en arabe, sitôt que nous aurons 
réponse qu'à Paris on nous veuille faire cette cha- 
rité , qui est petite en elle-même , mais grande pour 
notre égard , et profitable .en ce pays , où le monde 
en savoit pas même le nom de la dévotion , tant on 
en éioiS éloigné. Or, maintenant c'est un [daisir da 



— 154 — 
voir ces bons confrères se confesser et communier , 
parler de la vertu , feire rexamëti de conscience , 
dire leur chapelet , faire la disci^itiis : leurs ferveurs 
ne doivent rien à celles que j'ai vues en France; et 
puis nous avons en ces congrégations diverses sor« 
tes ou rites de chrétiens , ce qui achemine peu à 
peu la réunion des Eglises. 

Le métropolite arménien est résolu d'introduire les 
sciences en son ËgUse. A ces fins , le P. Aymé Ghé^ 
zeau va lire, trois fois la semaitiey la logique , en 
la maison du métropolite ^ et s'étudie à la langue 
arménienne , pour les pouvoir tnietit aider sans 
difficulté. Il y a ici moyen de faire beaucoup à la 
gloire de Dieu, les cœurs sont tout disposés à 
i^cevoir la bobne semence et à la faire fructifia: 
Nous autions aussi grande nécessité d'être aidés efei 
certaines compositions , qu'il nous faut faire par- 
fois , comme le petU; traité , que j'ai fait pout la 
célébration du jour de Pâques, une répbnse qu'il 
faut faire à une lettre d'un mahométan , une réponse 
à un petit traité d'un étdque grec que l'oil fait ici 
courir, et on n0tis somme d'y répondre } il nous est 
facile de le faite ; mais puis après , de transcrire ces 
choses ! hôc opusy hic labor est. 

Si, envoyant en Ft^taiGe ces petites pièces, on 
vouloît 4es imprimer et nous envoyer des copies, 
pour distribuer ici et en VetWf on 'pmirroit beau- 



— 188 — 

eonp AifWùx^t à la gloire de Dieu , et' tésL ooàletôit 
peu. Sans doute si nousavions moyen de faire courir 
quelques papiers des choses de Dieu, comme ou 
fait courir des gazettes, nous ferions plus qu'on ne 
poutroit penser; le mal est que nous ti'en pouvons 
faire les copies qui, outre le temps qu'elles empor-» 
lent, ennuient grandement. 

Votre Révérence verra j &'il lui ^alt, si noué 
(xiurrons atteâdf*e quelque aide là-dessus de Paris ^ 
et nous ne manquerons d'envoyer ce qu'il, faudra ^ 
bien écrit en arabe et bien correct. 

J'ai lu et examiné l'Alcoran ; il est partout diffi-** 
cile : un style poétique , concis , pressé, et ne répé- 
tant quasi jamais que le même , mais en diverses 
façons de parler; C'est merveille qu^il ne dise mot 
de la circoncision et ne la commandé en. aucune 
part; j'espère faire un petit traité , à la façon d'un 
Q^itè fait par un rabbin juif et adressé à un autre 
juif proposant des doutes et demandant la soliitioè 
d'iceux. 

Voici l'ordre que je tiendrai en ce traité : je désire 
de proposer à un cheik musulman, docteur delà 
toi turquédqUë , ce que les chréëens ou juifs peu- 
Vent leur objecter^ pour montrer que ce livre de 
l'Alcoran ne vient pas de Dieu, puisqu'il renverse 
tout ce qui est écifft en la loi de l'Ëvangile. De vrai>, 
il n'y a au^ufi» biitiiilt A% Tadeièn Testament que 



— 156 — 
FAlcoran ne rapporte, mais très-mal à propos; car 
il attribue à David ce que fit Gédéon, et au con- 
traire à Gédéon ce que fit David. U marque que 
Notre-Dame est sœur de Moïse, qu'Ismaél est celui 
qu'Abraham a voulu immoler , et choses semblable^^ 
opposées à TEcriture sainte. Partout il attribue les 
péchés à Dieu, et déclare que Dieu est auteur 
d'iceux. Du reste , il emploie tout son livre à incul- 
quer qu'il n'y a qu'un Dieu et .que Mahomet est 
son prophète. 

Votre Révérence, sachant l'état de ces missions 
du Levant, les pourra beaucoup aider en Notre- 
Seigneur. Je crois qu'une des principales aides 
seroit de nous remettre bien avec Venise. J'estime 
que c'est un stratagème de satan de maintenir cette 
aliénation de cette République envers nous, pour 
nous empêcher mille biens que nous pourrions 
faire . Votre Révérence aura expérimenté cela flus 
longtemps et plus que moi : c'est la vérité, que 
nous ne voyons plus que MM. les Vénitiens, qui 
résident ici, nous soient mal affectionnés; nous 
tâchons de les gagner par amour, et ils se servent 
de nous , tant pour résoudre quelques cas de con- 
science, que pour leurs confessions. Que le bon 
Dieu par sa sainte grâae, remédie à cette désunion 
de cette RépuUique d'avec notre Compagnie , et 
nous mette de faionne intelligence avec eux ! 



— 187 — 

Nous craignons que le R. P. de Castro, qui ëtoit 
supérieur de notre collège d'Agra en Mongolie , ne 
soit mort ; la raison de cette crainte est qu'il avoit 
coutume de donner de ses nouvelles aux RR. PP. 
Carmes qui sont en Perse, et ils nous disent qu'ils 
n'en ont appris aucune nouvelle depuis deux aps. 
Nous avons bien appris que le P. La Bauchère, 
' natif de Paris, y est mort, s'y étant retiré du Thi- 
bet, après y avoir demeuré neuf ans. On lui avoit 
changé de nom, comme il nous l'avoit écrit, et 
l'appeloit-on Anos de los Anios. 

Nous sentons de l'incommodité, depuis que nous 
ne sommes que deux Pères; et devrai ne pourrons 
satisfaire à la dévotion de plusieurs. Mais nous 
espérons le secours d'un Père , qui nous aidera à 
supporter le faix, qui est assez pesant, mais doux, 
étant pour l'amour de ceux que notre bon Maître 
aime tant. 

M. Bonin, notre consul, mène la vie d'un saint; 
il nous aime à bon escient, se sert de nous; je crois 
qu'on auroit peine de trouver quelqu'autre qui 
l'égalât en cette charge. Il sait se faire craindre et 
aimer, et a fait, s'il faut le dire, des miracles pour 
le bien de sa nation, jégit et patitur magna. Dieu 
le bénisse et toute notre Compagnie. 

Alep, ce 17- d'août 1641. 

Serviteur inutile, 

Jean Amieu, S. J. 



CINQUIÈME PARTIE. 

(1658.) 

BRIÈVE RELATION' DE L'£tABLIS8EMENT DES PÈRES DE Là 
COMPAGNIE DE liSUS EN LA VILLE DE SliTRNE, ET DE 
LEURS EMPLOIS ET PROJETS POUR T CONSERVER ET 
AUGMENTER NOSTRE SAINTE FOT. 



CSAPrrRË PREMIER. 

DE L'ÉTABLISSEMENT DES PÈRES DE LA COMPAGNIE DE lÈSUS 
EN U VILLE DE SMTRNE '. 

Çefutyegr^ }a fia ^e T^iapée 1623 que la divine 
Pfovideaç^y ¥Pi|l»Qt ppurvoir TAsierMineure d'ou- 
vriers et de prédicateurs evangéliques, fit cette faveur 
à nostre Compagnie de se servir de ses subjets , en 

* Dp la ville 4o Spiyrae. — Cette ville est une des plusancieDoes 
de toute la Natojyie; elle est située sur le golfe de la mer Méditer- 
rannée, qui se wMnmait autrefois Basilique (Sinus BqsiUcus)^ maif 
elle n'est pas au môme lieu aMqt^ elle fut basUe ps^ les Milétiens 
q/tàf arrivant en cettç contrée, ép^ de sa beai^té, ^u chassèrent ley 
Pilasges» et depuis en fun^ chassie eux-mtoea p^ les Eolieps^ 
lesquels, se joignant aux Golophopiens, bâtirent la ville de Smjrn^ 
où elle e$p à prisent 



— 160 — 

un lieu j où TEglise romaine estoit si peu connue , 
que son nom estoit, parmy les grecs, en horreur, et 
sa sainte doctrine en exécration. 

Il 7 en a qui disent, qu'après que les Guméens eurent basty 
cette noble ville sur ce golfe, Thésée, Thessalien de nation, pour 
immortaliser la renommée de sa femme, appelée Smyrne, qu*il 
aimoit uniquement (sic), obtint des habitans de cette nouvelle cité 
qu'elle porteroit son nom; mais quelque temps après, les Lydiens, 
s'estant rendus maistres de la mer, abbattirent et juinèrent cette 
belle ville, de telle ijorte, que l'espace de 400 ans, elle ne jparoissoit 
qu'une pauvre bourgade, jusqu'à ce que le Roy Antigoniis la rebastit, 
et que Lysimachus l'embellit de beaux édifices et l'agrandit nota- 
blement, en faisant paroistre une parlie de cette ville sur le sonunet 
de la colline, et le reste sur son déclin jusqu'à la plaine, où le 
fleuve Mêlas couloit le long des murailles et arrosoit la campagne 
voisine; 

Les historiens racontent que, quelque temps après, une partie de 
cette vOle fut ruinée par les tremblements de terre, qui sont fort 
fréquents en Asie, et que les Romains, non-seulement la restabli- 
rent, mais outre cela, qu'ils accordèrent aux Smyrnéens exemption 
de tribut, pour dix ans, afin qu'ils pussent se remettre et réparer 
leur.perte. 

Du temps que l'Apostre saint Paul preschoit en Asie, cette ville 
étoit très-célèbre, et on y faisoit, au rapport de Pline, les assemblées 
générales, et on y.tenoit les estats du pays. Mais elle fut beaucoup 
plus florissante , après qu'elle eut reçu la lumière de la foy, et que 
saint Jean l'eut sanctifiée par sa présence et honorée par son aimé 
disciple^ saint Polycarpe, qu'il lui donna pour son archevesque et 
primat de toute l'Asie Mineure. Car ce fut pour Iprs, que, changeant 
les temples en des églises, et renversant les fausses idoles pour 
n'adorer que le vray Dieu, elle mérita d'estre mère de tant de sça- 
yans docteurs, de tant de saints confesseurs, et de tant de glorieux 
martyrs, qui la rendirent beaucoup plus fameuse, qu'elle n'avoit été 



— 161 — 
Monsieur Samson NapoUon , qui exérçoit alors la 
charge de consul des françois, et qui fut fait dçpuis^ 
chevalier de Tordre de Saint-Michel, et gouverpwr 

^ la naissance du poète Homère, selon le témoignage d'Hérodote; 
et nous sçavons que, partout où TApocalypse de saint Jean sera 
lue, Smyme sera considérée comme la principale des sept Églispf 
d'Asie. 

Les chrestiens, qui demeurent maintenant en c%tte ville, reçoîVén^ 
encore beaucoup de consolation des marques de sainteté, quisont 
dans son enceinte ou hors d'iceile. L'on y voit la grotte, où • saint 
Jean demeura quelque temps, aussy bien que Tamphithéâtre, où 
saint Polycarpe rendit ses divers combats et triompha, par îe'feu, 
de la mort et du tyran. On monstre aussy Tarbre, qu'on crdt pieu^- 
sèment estre venu du baston, que ce saint martyr planta, Ipi^u'il 
fut appréhendé, pour estre mis à mort. Il y a plusieurs autres mar- 
ques de sainteté et d'antiquité, dignes d'*estre admirées, qu'on me 
fit voir, il y a quinze ans, mais comme il nem'en est resté- qu'une 
idée grossière, et que ma mémoire ne m'^lournit pas toutes les 
particularités, je laisseray à d'autres, plus curieux que moy,.de les 
raconter avec plus d'assurance, seulement je diray qu'il me souvient 
très bien, que nous fusmes visiter les ruiftes de^l-ancfen chîâteà^ 
basty sur le haut de la colline, duquel les murailles sont piic^ue 
toutes entières. On nous fit voir aussy des caméléons, si prisés dans 
les livres et si peu considérés à Smyme, où ils se trouvent en quan- 
tité; ils ressemblent à des tortues dégagées de leu» écailles, sont 
fort hideux à voir et n'ont rien de beau qu'un petit d^angemenl de 
couleur qui paroist sur leur peau noirastre, comme sur les plumes 
d'une colombe, aux rayons du soleil. On a quelque sujet de croire 
que ce petit animal se repaist de vent, vu ^ue celui que nos Pères 
me firent voir, étoit gardé, depuis trois semali^s, efi leur galerie^ 
sans qu'on lui donnast aucune nourriture. Les chameaux sont les 
bestes de charge, en cette ville, comme ailleurs en Asie, et on, y en 
voit un très grand nombre, quand les caravanes y arrivant ou y 
passent. 

K. Ai 



— 462 — 

pour Sa Majesté très-chrestienné au bastion de 
France, en Afrique, ayant toujours témoigné beau- 
coup d*inclination pour nostre Compagnie, supplia 
très instamment Monsieur de Cesy, ambassadeur du 
Roy auprès du grand Seigneur, de lui octroyer deux 
desNostres, pour servir, à la nation Françoise, de 
chjapelains à Smy me , en sa chapelle consulaire , et 
£ûre< éclater, dans cette grande ville , les ventés de 
kidstre foy par leur prédication. Monsieur de Cesy, 
qui ne cherchoit que les occasions de pouvoir don- 
ner des preuves de sonsèle, pourFaugmentation de 
nostre sainte foy, et de témoigner la grande affec- 
tion, qu'il portoit à, nostre Compagnie, accorda très- 
facilement toutca qu'il désiroit , et pria le P. Fran- 
cis, de CaniUaé de donner à ce consul toute la 
satisfaction qu'il demandoit; ce que le Père fit avec 
une joye et une promptitude merveilleuse, se ren- 
dant au plustost à Smyrne , accompagné du Frère 
Jean Colaro, où il prit aussitost possession de la cha- 
pelle consulaire, au grand contentement deMonsieur 
le consul et de tous les marchands françois. Pour 

' Le teitoir de Snayrne est très-bon et trèà-fertile ; et si les grecs 
étoient laborieux, comme les françois, à cultiver la terre, elle por- 
terbit i merreille toute sorte de fruits. Il y a quantité de beaux 
oiîviers, à'orangers et de figuiers ; les raisins y croissent d'une pro- 
digieuse grosseur et d'une bonté admirable; on en fait seicher en 
très-grandes quantités, qui se vendent et se portent aux villes voi- 
sines et souvent en Europe. 



— 168 — 
plus grande sûreté du Père, Monsieur le consul .vou- 
lut qu'il fut logé dans uH département de sa maison , 
et donna ordre que la chapelle fût fournie d'orne- 
ments nécessaires , pour l'administration des saints 
sacrements, et ne manqua pas de pourvoir à l'entre* 
tien et nourriture des Nostres , lesquels exercèrent, 
l'espace de sept ans^ cet office de chapelain, où, pour 
mieux dire, celuy de curé, puisqu'ils administroient 
tous les sacrements avec la satisfaction de tous les 
françois et au grand contentement des grecs, des 
arméniens, et autres chrestiens , qui venoient y eii- 
tendre le catéchisme ou la prédication , quand eUe 
s'y faisoit en leur langue; de sorte que Monsieur de 
Marchi ^, de l'ordre de saint Dominique, ^tant élQvé 
arçbevesque de Smyrne et de toute l'AsierMineure^ 
entendant les grands fruits que nos P^res iaisoient 
en son église , désira que le Père supérieur de .nos*^ 
tre résidence fut aussi son vicairergénéral, et ^s^ 
que son humilité ne s'opposast point à ce titre 
d'honneur, il luy .fit iidre, par notre Révérend Père 
général Mutins Vitellescus/ cpmmandem^pt de 
l'accepter. 

Mais tous cesçpoi^mencei^aents.étoieQit trop beaux 
pour n'estre pas enviés. Quelques personnes venues 
de FraxM^e trouvèrent bon de troubler ces succès, et 
par le changement de consi^l , de faire changer le 

* Pierre de Marchi, florentin, mort en odeur de sainteté en i6A5. 



— 164 — 
gouvernement de cette Église, et de jouir de tous ses 
droits , en sorte que nos Pères se trouTèrent^ en 
peu de temps, sans maison , sans chapelle , sans re- 
venus, et sans aucun moyen de pouvoir librement 
exercer nos fonctions, non pas mesme de pouvoir 
célébrer la messe, comme il leur arriva souvent. 
Cette persécution dura plus de cinq ans , et il ne 
se peut pas dire les indignités et les misères, 
que nos P^*es furent obligés de souffrir; aussi vaut- 
il mieux pour l'honneur de l'Eglise , les passer sous 
silence que de les publier. U plaist k] Dieu partout 
de nous faire porter les livrées de son Fils, et en vain 
nous dirions-nous delà Compagnie de Jésus, si nous 
n'estions persécutés : il me semble qu'il ne parloit 
pas à ses apostres seulement, quand il leur disoit : Si 
me pèrsecuti sunty etvospersequentur, mais à tous 
ceux qui voudroient le suivre et l'imiter; mais comme 
fl est vray que : /acit cum tentatione prcventum , 
aussi remarquons-nous qu'es lieux, où nostre Com- 
pagnie a été la plus persécutée et a plus sou£Fert , 
c'est là où elle fait par après plus de fruit, et où elle 
paroist avec plus d'éclat. On a vu nos Pères, dans 
Smyme , par la violence du consul et de ses adhé- 
rents, estre obligés de changer de logis trois fois dans 
un an ; et comme s'il estoient le rebut des hommes, 
estre contraints, après plusieurs refus, de se loger 
dans un vieux magasin d'un turc , où un homme 



— 165 — 
n'auroit pas touIu loger son cheval ; on les a vus de- 
mander Taumospe, et faire l'école pendant l'hiver 
dans une pauvre cabane, proche la mer, couverte de 
roseaux et ouverte à tous vents; le P. Arnaud 
Rioudety quoique vicaire-général, s'est vu obligé de 
se dépouiller de ses ornements sacerdotaux , étant 
près de dire la messe |ret à la sortie , recevoir beau- 
coup d'injures;. le P. Simon Foumierfut contraint 
d'^itendre, pendant la quinzaine de Pâques, les con- 
fessions dessous un escalier d'une boutique , et le P. 
François Blaiseau, après avoir travaillé toute la jour- 
née sur terre, ètoit obligé de se retirer la nuit dans 
un vaisseau sur mer, pour se reposer et dormir sur 
le tillac. 

Mais comme, pour l'ordinaire, la tempête est sui- 
vie d'une bonace, et que le plu» souvent les grands 
vents sont cause que les arbres jettent de plus pro- 
fondes racines, et que Tobscurité d'une nuit faitpa- 
roistre le jour plus beau, aussi diriez- vous que 
toutes ces persécutions ne servirent qu'à faire co- 
gnoistre avec plus d'éclat le mérite des vrais ama- 
teurs de la croix et prédicateurs du saint Evangile; 
caries chrestiens de Smyme, tant grecs et arméniens 
quefîfmcoiset italiens,touchésde compassion devoir 
nos Pètes traités de la sorte , et craignant d'estre un 
jour privés de leur assistance , écrivirent de belles 
lettres en leur faveur à nostre saint Père le Pape et 



— 166 — 

à Sa Majesté très-chrestienne, et donnèrent des au- 
thentiques témoignages de leur vertu et de leur pro* 
bitéy ainsi que nous ferons voir cy«après. 

Cependant la divine providence fournit à nos 
Pères les moyens de bastir une belle maison , qui 
est très-commode à nos usages, et dans laquelle, 
jusqu'à présent , on tient Twole , on fait la con- 
grégation y et depuis que Monsieur l'ambassadeur 
de la Haye y nostre bon protecteur, par les ordres 
du Roy y nous obtint du grand Seigneur la per-> 
mission de dire la Messe publiquement , et faire nos 
autres fonctions en la chapelle que nous y avons, 
il ne se peut pas expliquer la consolation que les 
chrestiens reçoivent et la satisfaction que nos Pères 
donnent à tous lesfrançois, grecs et autres cfai la 
fréquentent , pour entendre la Messe , le catéchisme 
ou les prédications, ou bien pour s'y confesser et 
communier. 

Mats, d'autant qu'il y a plusieurs personnes en 
France qui désirent savoir comment nous pouvons 
stibsister en Turquie, y marcher librement avec 
nos habits et y avoir maison et ^lises , je les prie 
de considérer que la principale raison , pourquoy 
nos roys ont des ambassadeurs au Levant, est pour 
conserver la religion et maintenir paHiculièrement 
les religieux de nostre Compagnie , qui demeurent 
en Turquie. Pour preuve de quoy , je 'veux seule- 



— 167 — 
ment rapporter ici les. saintes et sages instructions 
que Louia XIII , de glorieuse mémoire , donua k 
Monsieur lé comte de Marcheville , lorequ'il le cré% 
son ambassadeur au Levant. Voicy comme eljeç 
commencent: 

(c La principale fin de rétablissement de Sa.Ma- 
a jesté, à la Porte, est, en prenûer lieu, pQU];pror 
« téger parrJ'entremise du nom et de l'autorité dç 
«. Sa Majesté les couvents et maisons des religieux 
« de toutes nations, qui sont établis, soubs soi:^ 
« aveaen divers endroits du Levant, comme.aussi 
« tous les çhrestiens qui y vont et viennent par 
H dévotion, poury visiter les lieux de la Terre Sainte, 
« £n second lieu , l'assistance et protection de tous 
(c les mardiands François ou qui trafiquent soubs 1^ 
a bannière de France , soit de ceux qui sont babi- 
« tués au Levant, soit des autres qui vont et vien- 
a nent , pour en tirer diverses commodités que Von 
» y va quérir de toutes les provinces de l'Europe, 
« Pour le premier point, ledit sieur de Marcheville 
« a telle connoissance de la grande piété de Sa 
« Majesté et du zèle très-ard^t qu'elle a pour 
« l'avancement de la religion catholique , qu'il 
« ne peut douter qu'elle n'ait très-agréable qu'il 
M y contribue tous les soins possibles, mais en* 
• core elle veut luy recommander particulier 
« rement de travailler sans relasche, à mainr 



r- 468 — 
« tenir lesdits religieux qui sont au Levant dans la 
« possession de leurs maisons , et en*la jouissance 
à 'éÀtière des libertés et franchises qui leur ont été 
a été accordées par les capitulations faites entre 
« Sa Majesté et le grand Seigneur , par Tentremise 
« de leurs Ministres et mesme pour y adjouster 
fi de» nouvelles , s'il est possible , afin de les a£fer- 
« inir dans leur établissement et de les mettre d'au- 
« tant pliis à couvert des injures et calomnies des 
i ennemis de nostrë religion et des violences qui 
« leur sont souvent faictes y à leur suscitation , par 
« ' les Ministres du grand Seigneur. Il n'y en a point, 
« parmi eux, qui ayent souffert plus souvent les 
« peines et les traverses que les Pères Jésuites, qui 
« ont encore, depuis un an, esté menacés d'estre 
« bannis de Constantinople et de tous les Estats du 
« grand Seigneur. Mais ce coup a esté évité par la 
* dextérité et diligence du sieur comte de Cesy qui 
« a, très-à-propos , employé le nom et Tauthorité de 
« Sa Majesté en cette occasion , en sorte que les 
ff persécutions ont cessé à présent ; mais , comme 
« elles n'ont procédé que d'une aversion et mau- 
« vaise volonté , que ceux qui sont de religion dif- 
« férénte de la nostre , portent aux personnes qui 
« en font profession , il est toujours à craindre que 
« l'on ne vienne par quelque nouvelle entreprise à 
« troubler le repos de ces maisons religieuses , c'est 



— 169 — 

« pourquoy ledit' sieur de Marcheville aura l^œil, , 
«9 qu'il ne se passe rien au préjudice desdits PP. Je- 
« suites , non plus que de tous les autres , et s'il arri- 
û voit qu'il fust formé ou exécuté quelque entreprise 
« contre eux^ il en portera incontinent ses plaintes 
«^ au grand Seigneur et à ses Ministres, afin de 
« faire réparer , sans délay , tout ce qui pourroit 
a contrevenir aux articles convenus en leur faveur 
« avec Sa Hautesse, etc. » 

J'obmets le reste ^ qui concerne les marchands et 
les esclaves cbrestiens, pour dire que nous serons 
éternellement obligés d'offrir nos vœux et nos priè- 
res pour le repos de l'âme de ce grand Roy, qui a 
tant recherché le repos de ses sujets, et duquel la 
mémoire est aussi glorieuse que ses actions ont été 
généreuses et sa piété éclatante. 

Ce grand monarque faisoit gloire de poursuivre 
les desseins de son père, Henri IV, et comme il 
sçavoit que c'estoit luy qui avoit envoyé au Levant 
les Pères de nostre Compagnie, aussy il désiroit 
extrêmement de les y maintenir , et il a plu à Dieu 
de donner les mesmes sentiments à son fils Louis XIV , 
nostre bon Roy , qui nous a recommandés très- 
expressément à Monsieur de la Haye, son ambas- 
sadeur, très-zélé pour la religion, aussi bien que 
pour les intérêts de la couronne; mais ce qui est 
encore très-oUigeaiit, c'est que la Reyne , sa mère, 



— 170 — 

a pour nos missioiis des bontés 0p^ ne se peuvent 
expliquer, tellem^t que nous avon^ toute sor^ 
d'obligation de prier >continuellement^ pour la con- 
servation de Leurs Majestés et pour leur prospérité, 
et de nous efforcer de correspondre à leurs saints 
désirs et bonnes intentions. 

Outre ce, il faut advouer que , si nos Roys sont ^ 
dignes de louanges de maintenir par leur autorité et 
libéralité les Pères Missionnaires aux pays étrangers, 
les empereurs ottomans ne méritent pas peu de 
gloire de ce qu'ils permettent que ces Missionnaires 
demeurent dans leurs Etats , et ne donnent aucun 
empeschement à l'Evangile, étant seulement dé- 
fendu de traicter des choses de la foy avec les 
musulmans. 

GHAPITBE IL 

DE LA RÉDUCTION DES GRECS DE SMYRNE A l'UNION DE l'ÉGLISE 
ROMAINE AVEC UN AUTHENTIQUE TÉMOIGNAGE DE LEUR AFFEC- 
TION VERS LES PÈRES MISSIONNAIRES ET DE LEUR DÉVOTION 
A SAINT IGNACE. 

On sait que les .missions delà Grèce, sont d'au- 
tant plus difficiles qu'il faut que ses Missionnaires 
combattent y non -seulement l'ignorance ^ comme 
aux autres lieux où l'infidélité «seulement règ^e, 
mais encore l'obstination, vraye wèr^ du schisme 



— 171 — • 
et de l'hérésie; l'ignorance cède facilement à la vé* 
rite cognuê , quand elle est seule ; mais elle ne cède 
que trèS'difficilement , quand elle est accompagnée 
de Tobstination. C'est pourquoy ceux qui veulent 
travailler heureusement au 6alut des grecs^ doivent 
tascher, par tontes sortes de bons services, de ga- 
gner leurs volontés, afin que s'en estant rendu mais- 
tres , ils puissent terrasser avec plus de facilité ces 
deux monstres de l'entendement, et les faire sou- 
mettre aux vérités de nostre sainte foy. 
. Le R. P. François de Canillac, homme trèfr«xpert 
en ce genre de combats, après son arrivée à Smyrne, 
tascha, par toutes les soumissions et les tous (bons 
services) possibles de gagner l'affection des grecs, et 
pour les obliger davantage, il fit venir de Constanti- 
nople le P. Hierosme Queyrot , très^bien versé aux 
langues orientales, comme il a fait voir par l'excel* 
lent et très-docte dictionnaire, qu'il a dressé en 
sept langues diverses, à sçavoir : en latin, en 
françois, en italien, en grec, en turc et en arménien. 
Ce brave Missionnaire , pour ne rien omettre qui 
pust obliger lés grecs , les p)*eschoit, les festes et les 
dimanches, en leur langue, dans leur église de Saint- 
Georges, avec un zèle non pardi, et les jours ou- 
vriers , il faisoit de sa chambre une école pour ins- 
truire leur jeunesse, ce qui ravit le cœur des grecs, 
qui ne pou voient asse^ admirer uïie si grande cha** 



— 47Î — 
rite et humilité dans une personne si sçavante , et 
comme, peu à peu , ils furent détrompés par le bon 
exemple des Pères Missionnaires, et qu'ils reoo- 
gnurent combien il estoit £aiux , ce que leurs calo« 
yers leur dennoient à entendre des façons de faire 
et de vivre des latins, ils se rendirent fatalement aux 
douces semonces que leurs prédicateurs leur £ad- 
soient de quitter leiirs erreurs et d'embrasser la foy 
de rs^ise romaine , comme la très<sainte et la très- 
assurée : à quoy ne servit pas peu le bon exemple 
de leur archevesque, qui fut le premier qui amena au 
P. Queyrot son nepveu et son filleul, des plus con- 
sidérables de la ville, pour estre instruit, et luy en- 
voya son diacre, pour recevoir l'absolution de se« 
fautes, donnant toute liberté à ses sujets de. se 
confesser aux Nostres. Ce bon prélat un jour reprit 
aigrement un caloyer, qui avoit refusé la commu- 
nion à une femme pour s'estre coinfessée à nos Pères, 
et obligea un autre caloyer qui avoit mal parlé du 
Pape à demander pardon de sa faute au consul 
françois, qu'il croyoit d'estre offensé des insolents 
discours de ce caloyer; outre ce, il accorda, à la re- 
queste du P. Queyrot, un lieu qui luy af^iàrtenoit 
pour la sépulture des françois et des autres latins, et 
durant le temps de nostre persécution , nos Pères, 
n'ayant pas la liberté d'entendre les confessions en 
la chapelle consulaire, il leurdonna tout pouvoir de 



— 178 — 
confesser dans son ég^le, elles biins, et lesgrecsy qui 
se présentoient à eux pour recevoir Tabsolution ; ce 
ijui estoit un privilège très-signalé, duquel se servit 
merveiUeuseœent bienleP. Artaud Rioudet, pendant 
tout un caresmcy qu'il entendit les confessions dans 
son église, et ne les interrompoit pas, quand l'office 
divin se faisoit. 

Mais ce qui luy donna une très-grande assurance, 
de l'union de cette Eglise grecque avec l'Eglise ro- 
maine fut, quand ce bon prélat, à la persuasion de 
nos Pères, alla saluer Monseigneur Raphaël Schia- 
tini , archevêque de Naxie , lorsque , l'an 1 629, il 
vint à Smyrne pour s'embarquer pour Rome; Car 
après l'avoir salué, il Je pria de baiser de sa part 
les pieds de Sa Sainteté et de luy témoigner qu'il 
n'avoit autre créance que celle qui est couchée d«is 
le décret de Tunion du concile de Flcn^ence, et 
qu'il ne manquoit pas de recommander à Dieu Sa 
Sainteté et prier pour sa conservation et bon gou- 
vtemement, toutes les fois qu'il célébrmt la sainte 
Messe. 

Une autre preuve très-authentique de cette union , 
est la lettre que ce vertueux Métropolitain, au nom 
de tous les grecs de Smyrne, écrivit, l'an 1632, au 
feu Roy Louis XIII , de triomphante mémoire, en 
nostre faveur, et de laquelle j'ay trouvé icy^ à Paris ^ 
en no^re collège de Clermont , la copie écrite et si- 



— 474 — 

gnée de sa propre main . Je coudieroîs icy celte lettre 
en propres t^tnes, s'il n'estoit qu'estant écrite en 
grec vulgaire y elle ne pounroit estne, entendue que 
de fort peu de personnes; niais j'assure le lecteur 
que la traduction en sera très->fidèle et qu'il pourra 
Toir par icelle combien les. gnecs. de Smyrne sont 
recognoissants de la grâce que Dieu leur fait de leur 
envoyer des {prédicateurs et docteinfs. 

Lettre du Révérendissime et Illustrissime jirche- 
vesque grec de Smytne au très chrestien Roy de 
France et de Navarre ^ Louis XIII, 

Nous sommes fort obligés à la divine miséricorde 
de ce que 9 ne s'oubliant pas de ses anbieimes la^ 
veurSy eUe daigne nous en faive de nouvdles et 
envoyer à son Église des docteurs capables^ et zélés 
pour le sahit âm âmes; tels que novsavons vu les 
•pp. de la Compagnie de Jéstis, pâtrce qtte, depuis 
qu'ils se sont établis au diocèse de notre saint aric^e- 
vesché de Smyme, ils n'ont jamais cessé d'assister 
toute sorte de chrestiens, sdit par lé bon eicemple 
de leur vie, soit par leurs prédica^ôns^én nostre 
église, soit en enseignant aux enfants de nostrë^ît 
toutes sortes de sciences, avec la crainte de Pieii et 
les bonnes mœurs, leur aya;nt 3i&s^ appris Texpli^ 
t^tion de la doctrine chrestienne, laquelle ils pres<- 



— 475 — 

chent et chahtent partout , d'où rielit que Dieu ^ qui 
tire la louange de la bouche des enfants, est plus 
honoré et glorifié. / 

Mais d'autant que ces Révérends Pères traraillent 
beaucoup pour le bien et le salut des Grecs, des 
Latins et des Arméniens, et se trouvent depuis 
quelque temps en grande nécessité, et n'ont pas de 
quoy s'entretenir icy, nous, tant prestres que sécu- 
liers, supplions très-humblement le très-juste et 
très-triomphant Roy de France, nostre souverain 
maistre et seigneur, d'ordonner que leur résidence 
soit stable et qu'ils ayent de quoy se nourrir. A ces 
fins, nous luy adressons la présente requeste, écrite 
de nostre propre main , et sceHée de nostre sceau , 
en Tannée 4632, ce 20 octobre de la première in- 
diction ; 

Lieu du cachet. 

Jacques, archevesque de Smyme. 

Je pourrois rapporter plusieurs autres preuves, 
pour faire cognoistre au lecteur les bonnes inclina- 
tions des grecs de Smyme , pour embrasser la foy, 
qui leur est preschée , et leur grande affection vers 
les missionnaires de nostre Compagnie; mais comme 
mon dessein n'e^t pas de dresser une ample relation, 
je laisseray très- volontiers toutes les autres preuves 
à celuy qui voudra raconter tout au long toutes 
celles que les mémoires qu'on m'a mis en main luy 



— 476 — 
fourniroBt ; il me semble que celles que j'ay rappor- 
tées sufEront aux âmes saintes ^ zélées pour le 
salut des âmes, qui ne manqueront pas de se réjouir 
et de bénir Dieu de ce que tant de milliers d'âmes, 
comme autant de brebis égarées, sont retournées au 
bercail du souverain pasteur. Car en cette ville de 
Smyrne^ on y compte plus de dix-huit mille grecs, 
ainsi que nouvellement je Tay appris de Tevesque 
grec de Saint-Maure, qui est à Paris, eft[ue ceux4à 
se trompent, qui s'imaginent qu'il n'y a rien à ga- 
gner pour les missionnaires, au Levant. Cette terre, 
baignée de tant de larmes des saints confesseurs, 
arrosée du sang de tant de glorieux martyrs, et cul* 
tivée par les travaux dç tant de sages docteurs , ne 
peut qu'elle ne, rende parfois une bonne moisson 
et d'excellents fruits. S'il n'estoit qu'il ne nous est 
pas permis de raconter toutes les autres conversions 
qui se font à Smyrne, il nous seroit facile de mons- 
trer que Dieu a partout des élus, et que les Ismaé- 
lites ne sont pas tous réprouvés. 

Une chose console fort nos PP. Missionnaires au 
Levant, qui est qu'ils expérimentent tous les jours 
que nostre bien-heureux père saint Ignace conserve 
dans le ciel la bonne volonté qu'il avoit sur terre 
pour les grecs , et se rend très-facile à leur accorder 
ou à obtenir de Dieu les grâces. et faveurs qu!ils dé- 
sirent ; en voicy une bien considérable. 



— 177 — 

Le sieur Jacques de Congat-Mourat, truchement 
grec de monsieur le ConsuF de France, ayant en- 
tendu raconter, dans une prédication , les vertus et 
mérites de ce grand Saint et le pouvoir qu'il âvoit 
dans le Ciel, conçut quelqu'espérance d'obtenir par 
son moyen le fruict de ^n mariage et un héritier de 
sa maison. C'est pourquoy, pensant aux moyens de 
gagner Taffection de ce Saint et de Tobliger à luy 
obtenir cette faveur du Ciel, il lui' vint en pensée 
qu'il né pouvoit pas aggréer davantage à ce saint 
patriarche, pour l'engager à luy obtenir un fils, 
qu'en secondant les desseins de ses enfants et en 
employant tout son pouvoir pour faire prescher les 
Pères de nostre Compagnie dans l'église métropoli- 
taine des Grecs et leur procurer des écoliers. En 
effet, se sentant tous les jours plus porté à exécuter 
tout ce que Dieu luy avoit inspiré, il s'obligea par 
vœu de s'y employer de toutes sek forces, et pria 
le Père HierosmeQueyrot de l'assister de ses messes 
et prières. Il ne fut pas frustré de son espérance; 
s'acquittant de sa promesse, au 9*^ mois précisément, 
il eut un fils qui fut, par après , la gloire de faostre 
école, comme il était la joie de ses parents et l'appui 
de sa maison. 

Le sieur Paul Homère , truchement du Consul 
d'Angleterre, ne reçust pas une moindre faveur par 
l'intercession de saint Ignace; car sa femme étant 
K. 4« 



— 178 — 
rédwta à Vextrémité par les douleurs de Teufante- 
meniy qui la travaillèrent trois jours et trois nuits, 
estait sur le point de perdre la vie et son fruict, et 
elle estait déjà sans sentiment, lorsqu'il fit vœu que, 
si sa femme se portoit bien et qu'elle accouchast 
heureusement, il feroit porter à l'enfant le nom 
d'Ignace, et à cet effet supplia le P. Quéyrot de lui 
prester la relique de saint Ignace et le prier très- 
instamment qu'il daignast secourir sa femme et 
sauver son enfant. Cette sainte relique ne fut pas 
plustost appliquée à cette femme, qu'elle accoucha 
sans douleur d'un fils, qui fut baptisé par le métro- 
politain grec, et appelé Ignace, lequel eut le bon- 
heur, après avoir obtenu la vie par les mérites de 
saint Ignace, de recevoir aussy la boniie vie^ je veux 
dire l'instruction à la foy, dans nostre école. 

Quelque temps après, une autre feiqnie, nommée 
Nicole de Caterha, se trouvant .dans le mesme dan- 
ger que la précédente, obtint du Ciel la mesme 
faveur, en faisant vœu de faire baptiser son dnfant 
à la latine, et de l'appeler Ignace. 

Je pourrois nommer ici plus de cinquante autres 
personnes, qui confessent luy estre autant obligées 
que celles dont je viens de parler, pour n'en avoir 
pas moins reçu l'assistance; mais je veux les passer 
sous silence, pour assurer le lecteur, que le bruit de 
tant de merveilles, que ces saintes reliques opé- 



— 179 — 

roient^ en la ville de Sinymè^ porta plusieurs infi- 
dèles à invoquer notre Saint dans leurs nécessités. 
Entr'autres, une femme d'un infidèle étant tour- 
mentée d'un furieux mal caduc, sans avoir jamais 
pu estre soulagée par aucun remède , pria un grec 
de luy apporter secrètement cette sainte relique, et 
se la fit appliquer, à la première attaque du mal. O 
bonté immense d'un Dieu, qui éclate d'autant plus, 
' qu'ilsemble que cette infidelle était indigne d'aucune 
faveur! le mal cessa au même moment que la sainte 
relique fut appliquée, et ne la travailla plus, tandis 
qu'elle porta cette relique sur soy, et pour plus 
grande assurance, qu'elle ne devoit attribuer à 
autre cause la grâce qu'elle avoit reçue, incontinent^ 
qu'elle voulut quitter cette sainte relique , elle 
tomba du mesme mal, mais en fut derechef guérie 
par l'application réitérée de la mesme relique ; en 
sorte que tous ceux qui estoient présents, fort éton- 
nés de cette merveille, ne cessoient de bénir Dieu, 
qui se plait tant à lionorer ses saints. Toutes fois 
cette femme, pour s'assurer davantage, retint plus 
d'un mois chez spy cette relique, ce qui mit fort en 
peine le Père, qui ne sçavoit ce qui se passoit et 
pressoit souvent le grec , à qui il avoit consigné 
cette sainte relique , de la luy rapporter : ce qu'il fit 
enfin et la rapporta, enveloppée d'une belle bourse 



— 180— ' 
de damas blanc^sur laquelle se voyoit, d'un costé 
le nom de Jésus, travaillé en broderie, et de l'autre 
une croix de Constantin-le-Grand : le tout, fait de la 
main de la femme infidèle, en reconnoissance de sa 
parfaite guérison. Il est à présumer qu'elle aura 
reçu aussi de Dieu la guérison dé son infidélité ; 
car, pour celle du corps, elle fut si évidente, que le 
P. Artaud Rioudet, qui reçut le pénitent, et apprit 
tout le succès, assure qu'on n'en peut douter, et que 
depuis, elle n'a ressenti aucune atteinte de son mal. 
Aussi sera-t-il toujours vray de dire, que Dieu est 
merveilleux en ses saints et qu'il se plaist de glori- 
fier par tout le monde son serviteur, qui n'avoit 
d'autre but pendant sa vie que l'avancement de sa 
divine gloire. 

Les Chrestiens de Sm3n'ne trouvent aussi beau- 
coup de soulagement , en leurs maladies , de la 
terre de Saint-Paul , ainsi nommée à cause qu'elle 
est tirée de la grotte de Saint-Paul , qui se voit à 
Malte; et vous diriez, que c'est leur plus souverain 
remède. Le P. Charles Boilesve rapporte en ses 
mémoires, l'an 1656, que cette s^ple année , plus 
de vingt malades de diverses maladies ont recouvré 
la santé par les mérites du grand Apostre saint Paul, 
et par la vertu , que Dieu a donnée , à cette sainte 
terre, adjoustant que luy-mesme, ayant eu deux 



— 181 — 

accès de fiebvre^ après avoir pris, daos un peu d'eatt 
bénite, de cette terre deSaiot-Paul, il se trouva^gnéri 
de sa fiebvre. 

Le P. Yabois , qui lui a succédé , et est à présent 
supérieur de cette résidence , en dit autant, et a 
écrit que, Tan 1657, plus de quimse personnes de 
sa cognoissance , après avoir un peu avalé de cette 
sainte terre, ont recouvré leur santé; 

On sçait que cette terre bknche sortire de la grotte 
que saint PauJt sanctifia autrefois de sa présence, 
lorsqu'il passa à MaltQ , pour aller à Rome , ainsy 
qu'il est rapporté aux Actes des Apostres, et où il fui 
mordu par une vipère , sans, aucune incommodité, 
et donna ensuite une telle bénédiction à cette isle 
contre la morsure des serpents et autres poisons, 
que les serpents n'y ont plus de ves^^n. Meiis ce qui 
est prodigieux, et ce qui fait voir que Dieu veut im- 
iportaUser la mémoire de ce grand Àpostre et du 
miracle qu'il fit à Malte, c'est que cette grotte subsiste 
tousjours , nonobstant la grande quantité de terre 
qui s'en tire pour porter partout, et de laquelle se 
font tant d'images et de vases; et qujtre cela ^ daiis 
cette grotte et aux environs , se trouvent certaines 
petites pierres en forme de langue et d'yeux de 
serpents , qui ont pareille vertu que la terre de la 
grotte et préservent et guérissent du poison et des 
morsures des bestes vénéneuses et mesme d'autres 



— 182 — 
aanladies, quand on s'en sert avec foy et révérenee, 
ce tfjoe les grecs n'ignorent pas, et pour ce s'adressent 
souvent aux PP. Missionnaires, afin d'en recevoir 
d'wx. 

La tBrre se prend pulvérisée avec de l'eau et du 
vin ou autre liqueur : pour les yeux et les langues , 
ils les portent au col ou en brasselet ou enchâssée» 
dans un anneau. 

La divine Providence a fourni à cette Église 
grecque un jM^édicateur très-fervent et zélé, qui 
pour avoir étudié à Rome, à nostre collège, et avoir 
été élevé dans le séminaire des grecs que nos PP. 
gouvernent , continue àpreseher la foy, de laquelle 
il fit profession solennelle à Roihe , et suit partout 
les sentiments de ses maistres : ce qui n'est pas une 
petite marque que Dieu chérit cette Église grecque 
de Smyrne; aussi de nos temps, il n'y en a aucune 
qui ait fait paroistre plus de preuves de la bonté de 
sa foy et qui ait donné à Dieu plus de martyrs. Car, 
sans parler de ceux de qui on à écrit tant d'éloges , 
l'an dernier, le jeudi saint, Nicolas Caseti souf- 
frit cotirageusement la mort, pour la confession de 
la foy, ainsi qu'on pourra voir par le récit de son 
glorietïx martyre, que leR. P. Vabois nous a envoyé. 



J 



-- m - 

CHAPITRE m. 

DU GLORIEUX MARTYRE DE JVIGOLXs G4SEn. 

La satisfaction, que le lecteiir recevra de cette 
mort précieuise, sera d'autant plus grande , qu'elle 
luy doit estre commune avec les célestes intelligen- 
ces , qui sans doute otat célébré le retour de cette 
ouaille de J.-C. dans le bercail, dont la chair et lé 
sang Tavoient séparée diverses fois , et ont accom- 
pagné de leurs acclamations un triomphe, aucjtiel 
les chûtes et les foiblesses qui Font précédé , n'ont 
rien fait perdre de sa gloire. 

Nicolas Caseti, natif de Smyme, ayant été privé 
par l'artifice de ses ennemis de sa charge de Chersagâ 
ou recepvéuf des tributs , que le grand Seigftèut 
escige des gt*ecs , il ne put en cacher son resseû^ 
timent , en sorte qu'il s'emporta une fois jusqu'à 
dire, que Tenvie de ses^ ennemis Tobligerôit enfiÀ 
de se faire turc, pour évifeMeur persécution; ièk 
paroles , lâchées avec moins d'impiété que d^impru- 
dence, lùy coustèreht'bieii cher; car il n'en fallut 
pas davantage , pour le faire accuser de ce qu'eà- 
tant turc , àinsy qu'il l'avoit publiquement déclaré, 
il pôrtoit toutefois le turban à là grecqtiel 

La prison , dai!is4a<^uellé il fût jette, Itiy fat teoitHi 



— 184 — 

funeste que la visite de sa mère , qui luy persuada , 
autant par ses larmes, que par ses discours, de sui- 
vre l'exemple de quantité de renégats, qui avoient 
esté portés à renoncer à la foy de Jésus-Christ par 
des considérations beaucoup moindres , que n!estoit 
le danger certain de la mort. Ce pauvre homme, 
préférant les conseils d'une mère insensée aux di- 
vines inspirations du Saint-Esprit, sortit de la prison 
des turcs, pour entrer dans les chaisnes et Pescla- 
vagç de sathan ; les Anges et les Chrétiens pleuroient 
son malheur, pendant que les démons et les infi- 
dèlei? le suivoient avec des cris de joye , le condui- 
sant, selon la coustume, pompeusement par toute 
la ville, et le faisant circoncire. 
. Son aveuglement ne dura que fort peu de jours ; 
car estaqt bientost rentré dans soy-mesme, et ayant 
considéré VétfA déplorable de son âme , il n'eût pas 
plutost recognu sa faute, qu'il prit la résolution de 
l'expier au prix de sa vie. En effet, quittant le tur- 
ban à la turque , qu'il avoit esté obligé de prendre, 
il parut dans les rues et dans la place publique avec 
un turban bleu , tel que le portent les grecs. Cet 
aveu public de son changement le fit appeler en jus» 
tice aviçc plus de fon^en^ept que la première fois, 
puisqu'il avoi^oitleibeau crime, dont on l'accusoit, 
et détestoit la lascheté, qui lui avoit fait renier la foy 
de Jf3«](4-Christ. Mais sa constance. ne put résister 



— 185 — 

aux. mesmes. écueils qui l'avoient desjà brisée. Sa 
mère estant accourae à la nouvelle de son empri- 
sonnement, dont elle cràignoit pour luy une issue 
plus fascheuse que la première , employa les mes- 
mes armes, dont, elle s'estoit desjà servie pour le 
perdre , en voulant le sauver; elle luy témoigna que 
c'estoit le zèle qu'elle avoit pour la gloire de Jésus* 
Christ, qui l'obligeoit de luy persuader de quitter 
en apparence la foy , qu'il seroit contraint par la 
violence des tourments de renier avec d'autant plus 
de honte et d'opprobre pour luy et pour tous les 
chrestiens, qu'on auroit attendu de luy plus de 
courage et de constance; elle adjousta qu'il luy se<* 
roit facile, estant délivré de la prison , d'amasser une 
sompie d'argent suffisante , pour se retirer , avec 
toute sa famille, dans un pays, où il-pourroit libre- 
ment exercer sa religion. 

Ces discours, joints aux artifices et aux caresses 
d'une mère , triomphèrent encore une fois, quoi- 
qu'avec beaucoup plus de peine, de la résolution 
de ce fils obéissant. U quitta sa foy pour la liberté, 
qu'on luy rendit aussitost qu'il eut renié Jesus-Christ. 

Mais il s'apperçut bientost de l'échange qu'il 
avoit fait, et sa conscience, qui le luy reprochoit 
sans cesse, ne luy laissoit pas un moment, sans cha- 
grin et sans inquiétude; sa douleur luy faisoit perdre 
le sommeil e| ses repas ; et. il jettoit autant de soupirs 



— ISS- 
etversoitautant debaneft qu'il respinoit de monieftls. 
Après avoir esté quelques jours dans ces senti** 
mmitsy il se retira à Menemin^ qui est une ville éloi- 
gnée de Smyme d'une journée , pour éviter la vue 
des hommes, qu'il avoit scandalisés par son exem^ 
pie et dont tous les visages luy sembloient repro- 
cher son crime; mais il ne put éviter l'œil de 
Dieu et les poursuites de la grâce ^ qui le recher- 
choit. N'ayant pu obtenir, dans sa retraite, les sacre- 
ments, du curé , qui avoit sçu qu'il estoit renégat, 
il prit enfin la résolution généreuse et constante , 
qui le conduisit au martyre. Il retourna à Smyrne, 
pour y trouver le repos de l'esprit dans les sup^ 
plices , auxquels il alloit s'exposer. Ce fut en vain 
que sa mère et sa femme employoieût les larmes 
et les tendresses pour l'en détourner, le soutenir 
de ses deux premières chutes luy etoit trop pré** 
sent; la douleur, qu'il en avoit, estoit trop vive et 
la résolution , qu'il avcât prise de les expier par 
sa mort, estoit trc^ ferme pour céder à des atta-^ 
ques, auxquelles il avoit d'aiitant plus de hôûtè 
d'avoir succombé, qu'elle^ lui sembloieût alôr& plue 
foibles et plus méprisables. Il n'eut point d'autre 
réponse à faire à leurs sollicitations amoureuses, si- 
non que sa résolution était prise, et qu'il vouloit 
mourir pour la fôy; qu'il ne pôuyolt autrement 
expier Im criiMs, que trop d'obéiMancè et ttôp 



— 187 — 
d'amour luy avoient fait commettre, que rafFeetion 
qu'elles avoient, pour sa famille, leur devoit faire 
approuver son dessein, puisque, sauvant son âme 
par le martyre , il sauvoit aussy celle de ses enfants, 
que son reniement eust obligé de vivre et de mourir 
dans l'infidélité , suivant la loy des mahométans , 
qui ne dispense jamais les enfants de ceux qui sont 
morts dans leur religion , d'en suivre une autre. 

Les premières chûtes luy ayant appris sa foi- 
blesse, et que c'estoit du secours du Ciel qu'il devoit 
attendre la force et la constance d'un martyr, il ne 
manqua pas d'employer tous les moyens possibles 
pour l'obtenir. Il disposoit son esprit au combat 
par les prières, et accoustumoit son corps aux dou- 
leurs par ses mortifications, en sorte que la Vie qu'il 
menoit pouvoit aussi bien passer pour le commen^ 
cernent de son martyre, que pour une disposition à 
le mériter ou pour un apprentissage des souffrances 
de la croix de Jesus-Christ. Il commença dès lors à 
se revêtir du^cilice, à ne point se dépouiller pour 
reposer, et à faire de. grandes abstinences, et garda 
le trimerson, qui est un jeusne, qu'observent les 
plus fervents dés grecs , passsmt les trois premiers 
jours et les trois premières nuits du caresme sans 
manger. Sa femme, qui prioit souvent Dieu qu'il 
ezemptast ses enfants de l'infidélité, accoucha, en ce 
temps, d'un fils : ce luy fiist une belie occasion de ee 



— 188 — 

déclarer. En efifet, le curé ayant refusé de venir 
bénir la mère et l'enfant, selon la coustume de 
TËglise grecque, parce que le père étant renégat, 
il devoit avoir recours aux cérémonies des turcs. 
Nicolas , adverty par ce refus du danger auquel il 
exposoit son fils par sa lascheté, alla dans, la place 
publique renoncer à Mahomet, et de là chez le Cadi, 
luy protester qu'il estoit chrestien et qu'il vouloit 
momnr chrestien. 

Le Cadi, qui ignoroit les changements que la 
grâce peut faire dans un cœur, jugeant de la cons- 
tance de Nicolas par la facilité qu'il avoit eue déjà 
deux fois à luy faire chanj^r de résolution , usa des 
mesmes moyens pour le pervertir. Mais le prisonnier 
de Jesus-Christ refusant devoir sa mère, dont il avoit 
ressenty les visites si funestes dans ses premiers 
emprisonnements, et le Cadi se voyant frustré de 
r^spérance qu'il avoit eue de gaigner son, courage 
par adresse et par les caresses de sa mère, eut re- 
cours aux tourments les plus atroces avec aussy peu 
de succès. La force et la constance du martyr sem- 
bla s'augmenter par le grand nombre de coups, dont 
il fut battu, aux pieds, sur le ventre et sur les épaules, 
en sorte qu'on redoubla les tourments avec plus de 
cruauté. C'estott un spoetade aussy merveilleux que 
terrible de voir cet hommt qui n'avoit t pu < souf- 
frir les reproches d'une femtne, soij^rir, avec cons* 



— 189 — 
tance et avec joye , les supplices les plus cruels^ 
dont un mot le pouvoit délivrer, et bénir son 
Dieu , pendant qu'on lui attachoit au nez une 
masse de plomb fort pesante , qui le tenoit courbé 
contre terre , pendant qu'on luy serroit les tempes 
et l'os de la teste, qu'on luy tenailloit les épaules , 
qu'on luy brusloit les costés avec des fers rou- 
ges, qu'on luy chargeoit le ventre d'énormes 
pierres , que deux hommes ensemble eussent eu 
peine à souslever, pendant enfin qu'on le faisoit 
mourir par mille sortes de tourments , pires que la 
mort mesme. Si on luy laissoit quelques heures de 
repos pour le sommeil, il rie pouvoit dormir que tout 
nud , et ayant les fer^ au col , aux bras et aux pieds, 
qui estoient arrêtés et gênés dans une machine dé 
bois fort incommode, afin que son repos même ne 
fiist pas exempt de peitie et de douleur. 

Ces supplices, qu'il endura pendant trente-six 
jours, eussent duré plus longtemps, si le geôlier 
n'eust porté le Cadi à advancer sa mort , assurant 
qu'il avoit vu, dans le cachot, son prisonnier envi- 
ronné d'une grande lumière , qui s'entretenoit avec 
une personne de condition qui paroissoit estre de 
grande qualité. 

Le généreux athlète de Jésus-Christ fut donc ga- 
rotté et mené à la place publique , qui estoit le lieu 
destiné à son triomphe. Un chrestien ne peut avoir 



— 190 — 
d'ambition plus grande , ni plus sainte , que cdUe 
d'estre semblable, par k gloire du martyre, à Jesus^ 
Christ mourant et régnant sur la croix. Nicolas ne 
manquant pas de cet éguillon de bel honneur, il 
demanda tout haut aux officiers de la justice quel 
estoit le crime, pour lequel on le mettoit à mort , on 
luy fit la réponse qu'il souhaittoit , et on apprit aux 
assistans que son crime estoit sareligion , et qu'il ne 
mouroit que parce qu'il avoit voulu vivre dans le 
christianisme; ce fut alors qu'il s'écria, plein de 
joye : Je ne meurs donc que parce que je suis chres- 
tien. Je vous rends gràce^ mon Dieu, de ce que mes 
crimes et mon infidélité, qui m'avoient rendu plus 
digne de. vos châtiments étern^ , que je ne le suis 
des supplices qu'on me fait icy endurer, n'empes- 
chent pas vostre bonté immense et vostre miséri- 
corde infinie de in'accorder la gloire de mourir 
pour vous. 

Il n'avoit garde , estant dans ces sentiments , d'é- 
couter les propositions des musulmans, qui luy offri- 
rent souvent de luy donner la vie et la liberté , s'il 
vouloit changer de religion ; il ne leur répondit 
qu'en plaignant leur aveuglement et en leur repro- 
chant leur infidélité. 

Ayant donc été tiré sur le gibet , le bourreau hasta 
sa mort par un coup de coust^u sur la teste , et un 
autre dans la gorge. Le martyr, témoignant sa joye 



— 494 - 
de se voir ainsi empourpré de son sang, après avoir 
le^é les yeux et les mains, liées en forme de croix, au 
Ciel 9 pour remercier Dieu de cette sorte de grâce 
qu'il luy faisoit^ la voix luy manquant pour le 
faire de bouche, expira doucement le jeudi saint , 
29 de mars , sur les neuf heures du matin , âgé de 
trente-quatre ans et demy , Tan 1 657. 

Son père s'appeloit Paraskeva; Chiglargis estoit 
le nom de sa mà«, et Sebasti celuy de sa femme, à 
laqudle il a laissé trois fils, qui conservent, par la 
mort de leur père, le titre honorable de chrestiens, 
qu'ils eussent perdu s'il eust vécu plus longtemps 
dans le Mahométisme. L'un de ses enfants est main- 
tenant à l'école des PP. de nostre Compagnie : ce 
qui fait assez cognoistre qu'il estoit dans le sentier 
de l'Eglise romaine. 

Toutes les nations^ qui accoururent à ce specta- 
cle, eurent moins de compassion pour ses souffran- 
ces que d'admiration pour sa générosité. Son corps, 
qui demeura pendant trois heures s^taché au gibet, 
estoit gardé par les gens du Cadi , de crainte que 
les janissaires ne s'en saisissent , pour le vendre par 
pièces aux chrestiens; car le Cadi et le Soubachi 
espéroient en estre eux-mêmes les maistres et mar- 
diands, et le vendre entier à l'EgUse grecque, ainsy 
qu'ils avoient, l'année précédente, vendu aux Armé* 
nieos le corps de celuy de leur nation , qui avoit 



— 192 — 
été martyrisé pour un semblable sujet. Mais les 
grecs , que plusieurs raisons considérables empes* 
choient de traiter cet achat, les ayant frustrés de 
leur espérance, le corps fut jette dans la mer. Les 
turcs ayant obligé le premier grec, qu'ils rencontrè- 
rent , de le détacher de la potence , furent fort sur- 
pris de voir tomber cç corps à genoux sur la place, 
la corde, quoique toute neuve, s'estant rompue 
d'elle-même , lorsque le grec s'alloit mettre en de- 
voir de la délier ou de la couper. Les chrestiens 
furent ensuite obligés de le tràisner sur la grève, 
d'où , ayant été mis dans une barque et porté en 
haute mer, il fut jette dans l'eau, après qu'on luy 
eut attaché une grosse pierre au col et qu'on luy eut 
ouvert les flancs, afin qu*il demeurast au fond de 
la mer : tout ainsy que Nicolas avoit prédit de sa 
mort à sa mère et à sa femme , un peu devant son 
dernier emprisonnement. Quand le corps eut été 
jette dans la mer, il s'y éleva une furieuse tour- 
mente, qui dura trois jours. Un homo^ digne de 
foy assure avoir vu trois nuits de suitte , pendant 
un long espace de temps, des lumières et des feux , 
sur l'endroit de la mer, où le corps fut submergé. 
On parle de plusieurs autres merveilles , qui précé- 
dèrent et qui suivirent sa glorieuse mort, desquelles 
j'aime mieux ne rien di^e que de raconter des 
choses qui ne sont pas encore assez avérées, ou dont 



— 193 — 
on ignore les circonstances. Ce que j'ay dit saflfit 
pour faire voir la protection et la providence de Dieu 
sur son Eglise j k laquelle il donne encore aujour- 
d'huy des martyrs , pamiy Taveuglenient et Tinfi- 
délité , et pour exciter ceux qui manquent de ces 
belles occasions de rendre sang pour sang et vie 
pour vie à Notre-Seigneur Jésus-Christ ^ à ne lui pas 
refuser de moindres gages de leur amour et de leur 
recognoissance, que nous luy pouvons donner tous 
les jours , gardant exactement ses saints comman- 
dements et ses conseils mesmes, quand nous y som- 
mes appelés. 

CHAPITRE IV. 

DE l'affection DES ARMÉNIENS DE SMYRNE , ENVERS L*EGIJSK 
ROMAINE ET NOSTRE COMPAGNIE. 

Je me sens obligé, après avoir parlé des grecs, de 
dirS quelque bhose à la louange des marchands ar- 
méniens, qui, pour la commodité de leur uégoce, 
demeurent à Smyrae avec leurs femmes et enfants, 
et y sont plus de huit mille. Je ne sçais pas comme 
ces messieurs .vivoient avant "l'arrivée de nos PP. ; 
mais je puis dire que , depuis leur établissement , 
ils ont donné de grandes preuves de leur soumission 
au Saint Siège et de leur affection pour nostre Com- 
K. 43 



—, 194 — 
pagnie. Voicy comme en parle le P, Artaud Riotidet 
en ses mémoires : « No6 PP. Missionnaires <mt aussi 
tt tasché d'assister les arméniens avec lesquels il 
« semble estre plus facile d'avancer la gloire de 
• Dieu^ si on sçi^voit parfaitement leur langue,, 
« qu'avec les grecs, pour ce que les arméniens 
« s'accordent beaucoup plus da^g leurs cérémonies 
« avec l'Eglise Romaine , se portent avec beaucoup 
« plus de faoilîté à embrasser sa doctrine , et n'ont 
« pas tant de difficultés de se soumettre au Souve^ 
« rain Poutîfew Mille et mille fois;OQUs ayons béuy 
« Dieu , entendant les arméniens de Smyivie parler 
c< noblement de la dignité de l'Ëglise romaine, et 
« nous avons recognu que plusieurs d'entr'eux n'ont 
« pas mesmela cognoissance des hérésies, qui per- 
« de^nt ceu^ qui vivent en l'Arménie. 

« Depuis qu'ils ont été instrinijbs de nostre 
» croyance et de nostre façon d'administrer les 
« sacrements , ils viennent avec 4éyotion recevoir 
« l'absolution de nous; et quelques-uns s'éta:Ut 
H confessé à nous^ ne font, nulle difficulté de com- 
a mun^ef de nos mains, apportant pour raison que, 
^ puisque nous consacrons comme eux en azyme , 
« il n'y a pçint de di^érençe en^e . leur communion 
« et la nostre. Nos marchands fraqçois ont souvent 
« cette consoktion ,. que. de les vc»r entendre la 
« Messe en) l'Eglise consulaire, avec grande dévo- 



— 195 — 

« tion, prindpalemfnt quand il& n'ien. ont point à 
« leur église. .j\ 

« L'honneur et le respect que ces armémens poiv 
« tent aU'X missionnaires apostoliques^ et l'affection 
« qu'ils ont pour œux de nostre Compagnie ne 
« sont pas de petites .preuves de la sincérité de leur 
« foy et de l'union iqu'ils ont avec TEglise Aomaine. 
« Jamais nos PP. ne xont à l'église cathédrale,qu'ils 
« neleurdonnentlepremier rang et ne les pressent 
« de s'asseoir au tposne de leiu* métropolitain , et , 
« qui plus est, leur font tenir par honneur, son 
<i baston pastoral, qu'ils appellent Canasau; ils 
« veulent que nous bénissions l'encens, dont ils se 
« servent à l'office divin , et }e me souviens qu'une 
« fois, le jour de llEpiphanié , ils nous invitèrent à 
« faire leur eau bénite , qu'ils.conservent toute l'an- 
« née en mémoire du baptême du Fils de Dieu au 
41 Jourdain , ce qu'on qe pust leur refuser, de peur 
« de les offenser, surtout cette, cérémonie estant 
« presque la mesme, dont se sert l'Eglise latine 
« pour la bénédiction de l'eau bénite, qui se fait 
a le Samedy-Saint. » 

Le mesme Père assure que les enfants arméniens 
ne manquoient pas de venir tous les dimanches 
entendre la doctrine chrestienne à l'heure qu'on la 
faisoit en leur langue , et que nous jouissions pai- 
siblement de la chapelle consulaire.. Je prie Dieu de 



— 196 — 
pardonner à ceux qui ont empesché ce saint (exer- 
cice), et moy, je le prie de les rendre capables de le 
rétablir et de nous donner plusieurs Missionnaires 
bien versés dans la langue arménienne, afin de pou- 
voir instruire et prescher'tant de milliers d'armé- 
niens, qui se retrouvent dans toutes les villes 
marchandes de Turquie. 

On pourra recognoistre combien ces bons armé- 
niens sont recognoissants des instructions qu'on leur 
donne, et du soin qu'on prend de leur jeunesse, par 
la lettre que ceux de Smyrne écrivirent au Pape 
Urbain VIII et au feu roy Louis XIII, l'an 1632, à 
nostre considération , par forme de requeste , pour 
obtenir que nous eussions école ou collège à 
Smyrne, pour l'instruction de leur jeunesse. Leur'^ 
façon de parler est merveilleuse et pleine de belles 
métaphores. 

J'ai trouvé cette fidèle traduction *, avec son ori- 

' Voici la traduction française de la requête des Arméniens : 
« Très parfaict et envoyé de Dieu, très-belle lumière rayonnante 
« à merveille tant, par la clarté de la foy, que par le feu du divin 
u amour, ouvrage du bras paternel serré avec des cordes vermeilles 
« comipe le Séraphin, et comme la matière du feu caché et arrousé 
« des eaux vivantes de la fontaine immortelle, par le moyen de la- 
ïc quelle estant tousiours orné de feuiUes vertes et tousiours fleury, 
« et portant abondance de ces fruicts qui sont de la maison de Dieu 
« et de Topération de la croix, de ces fruicts qui donnent la vie au 
« monde, de ces fruicts qui ont été produicts selon le bon plaisir 
« de Dieu nostre père spirituel et la lumière de nos yeux, saint Pape, 



— 197 — 
ginal, dans notre collège de Paris, où on l'a soigneu- 
sement conservée, comme une marque authentique 
de l'obéissance, que ces bons arméniens de Smyrne 
rendent au Souverain Pontife , et du grand res-- 
pect qu'ils portent à Sa Majesté très-chrestienne , 
ainsy que cette lettre est un assuré témoignage./ de 
leur foy, de leur humilité et de leur dévotion j mais 
particulièrement de leur union avec l'Eglise Ro- 
maine, qui est ce qiie Ton souhaittoit plus et ce 
qu*ont fait deux ou trois pauvres Missionnaires, 
nonobstant toute la rage de l'enfer, qui , ne pou- 
vant souffrir que tant de milliers d'âmes luy soient 
ravies , faisoit tous ses efforts pour faire sortir ces 
Missionnaires de Smyrne. Je n\*assure que plusieurs 
personnes dévotes , entendant ces glorieuses con- 
questes et ces advantageuses victoires sur le schisme 
et l'hérésie, ne cesseront de bénir Dieu et le prieront 
de maintenir cette tant désirée union. 

ff Seigneur Urbain, ^ui maintenez la place de J.-C. et estes assis en 
« la chaire de saint Pierre, le prince des Apoitres, et estes constitué 
a Seigneur par J.-G. El vous, 6 Roy des Roys, César des Césars, 
« Louis, couronne de France, qui avez esté planté par le bras divin 
« et orné par J.-C., nous vous écrivons, les larmes aux yeux et le 
« visage abbattu de tristesse, ces humbles lettres de prières, à vous 
« qui estes les lumières de nos yeux et nos espérances après Dieu, 
« qui estes les colonnes de ceux qui adorent la croix, et ta généra- 
« tion chrestienne ; nous espérons en Dieu, auteur de la vie, qu'il 
■ TOUS conservera sains au corps, comme vous Testes en Fftme , et 
« que nos prières vous seront agréables, comme Tencens en vostre 



— 198 — 
On a entendu souvent ces bons arméniens exhor 
ter nos P^-es à bien apprendre leur langue^ et leur 
promettre de les mener en leur pays et de leur bas- 
tir deÉ égUses. Obi que cela seroit à désirer ! et quelle 
perte n'àvons-nous pas faicte, en perdant les PP. Ar- 
taud Rioudet, François Blaiseau, François Albert , et 
quelqti'autre , qui, par TinteUigence qu'ils avoient 

a présence et le sacrifice de bonnes odeurs Test au Seigneur, rvous, 
« pauvres et pleins de peschez, prestres arméniens de Smyrne, 
« tout le clergé et tons les séculiers, depuis le plus grand jusqu*au 
« pins petit, nous vous envoyons cette lettre, vous nostre père 
« spirituel, et prions que vous daigniez la recevoir avec amour 
<x cordial et avec cette abondance de piété divine, de laquelle nous 
« vous souhaittons de loing, comme si nous estions plus près , que 
« vous soyez saint au Seigneur, et que le Seigneur soit avec vous; 
' « par ce peu de paroles, nous vous donnons advis, ô nostre saint 
A Père, Pasteur et Prélat, que nous autres, prestres ou diacres ^ et 
« tout le peuple, depuis le plus grand ]usqu*au plus petit, nous 
« nous prosternons à vos pieds et demandons de vostre saincte 
(( authorité absolution de nos crimes, et nous vous prions comme 
« aussi le très chrestien Roy de France pour les PP. Jésuites fran- 
« çais qui sont parmi nous, à sçavoir pour le Père Artault RioQdet 
« et le Père François Jllezeau , que vous nous accordiez cette grâce, 
(M à nous, pécheurs, de les faire subsister en cette ville de Smyrne 
« et de leur donner les moyens de dresser un collège pour ensei- 
« gner la loi de Dieu aux enfants de la nation chrétienne; el si 
« vous vous humiliez jusqu'à vouloir entendre qui sont ces peres« 
« nous vous dirons que ce sont des personnes vertueuses, humbles, 
« obéissantes, qui fcmt. de bonnes œuvres et rendent beaucoup de 
« gloire au'vray Dieu. . 

« D^ui/s qu'ils sont en cette ville, les ^ancs et les Arméniens 
« se sont unis avec amour, et il y a si grande intelligence h présent 



— 199 -. 
acquise de leur langue j et par lairfe prédioations et 
exhortations^ les avoient gagnés à Jésus-Christ. Nous 
espérons toutefois que la dirine bonté ne manquera 
pas de faire la mesme grâce à ceux qui feur ont 
succédé. . / : . . 

J'aiitois plusieurs choses à raconter touchant la 
dévotion de ces arméniens et de leur singulière 

a entre ces deux nations, qu'il ne se peut rien dire d^yçii^tage; len 
« Arméniens conversant jour et nuit avec les Francs, et les Fr^nÀ 
« avec les Arméniens, et quand les Arméniens célèbrent leurs festes, 
« ces maistres et docteur» rompent et distribuent la pain beny qt 
« offrent TenceQs; ils. se reve&t^ntd'ornemeDts.sacerdottnx, eXpaiii 
tt tout leur office, autant qu'il est nécessaire et que porte la cous- 
it tume de PËglise arménienne ; de mesme quand )es Francs céîë- 
c brent leurs (estes, Us invitent tous les Arménien^, les coti^hiisetit 
« k leur église et célèbrent en leur présence la Sa^le Mçsse selon 
t la coustume de TËglise romaine, tellement que nous sonunes 
tt maintenant tous unis très étroitement. Mais si ces PP. Jésuites, 
« par la poursuite dô leurs. adversaires ou JJour leur grande néce*^ 
M «ité, sont obliges de sortir d*ioy, noua craigiiOB8\qiie cette union 
c ne pi^isse subsister. ^ . > . t 

« C'est poprquoy, nos Seigneurs et Messieurs, nous vous sup- 
a plions que si les pauvres pécheurs arméniens peuvent trouver 
« auprès de vous quelque faveur, et si vous toolexquenonas notts 
.fc entreteoiops tousjours les uo^ avec.le« autres en cba^t/é et unioi) , 
t ordonnez que ces Pères demeurent tousiours icy et donnez-leur 
« les moyens de dresser une école ou collège en cette ville de 
€ Smyrrtè. Soyez saints au Seigneur* De Smyme, Tan des Armè- 
.• nkp^ 40M» le 6 .d'vçWbrei, jpqr 4e jeud^ j[i«3a d^Tère cbré- 
« tienne], 

o Lieu du cachet. 

* « Jean Xalepti, Métropolitain. » 



— 200 — 
abstinence pendant les six mois de Tannée qu'ils 
jeusnenty à diverses reprises, sans manger tout ce 
temps là y ny oeuf, ny chair, ny poisson, ny beurre, 
ny huille, et sans boire de vin, particulièrement 
pendant leur grand caresme, qui est de cinquante 
jours; mais j'aime mieux faire paroistre dévotement 
leur soumission à notre Saint Père le Pape, sans 
laquelle, ny les prières, ny les jeusnes, ne peuvent 
pas plaire à Dieu. 

Le ^évérendissime Père Jean de Tratta , vicaire 
patriarchal, retournant de Gonstantinople , pour 
aller à Bome , ftit invité à prescher le jour de l'An- 
nonciation de la Yiei^e , en Téglise consulaire des 
françois, et pour luy faire honneur, un de nos Pères 
pria les arméniens à venir Tentendre, ce qu'ils-firent 
très- volontiers , et y vinrent en corps , avec beau- 
coup de modestie et de respect.» Leur evesque , 
accompagné de ses prestres et des principaux mar- 
chands, entendit toute la messe et le sermon; et Voi- 
fice étant fini, toute cette compagnie demanda à 
saluer moni^ieur le vicaire patriarchal , et le pria de 
baiser de leur part les pieds à Sa Sainteté, et de 
leur obtenir sa sainte bénédiction, a'^ea protestation 
qu'ils le recognoissoient comme le Vicaire de Jésus- 
Christ en terre, le pasteur universel de toute l'Eglise, 
et le vray successeur de Tapostre saint Pierre. Je vous 
laisse à penser quelle consolation reçust pour lors le 



— 201 — 
Révérendissime Vicaire patriarclial y et avec quelle 
joye il se chargea d^ cette commission. Certes on ne 
pouvoit pas attendre d'eux davantage. Plust à Dieu 
que tous les autres arméniens, qui vivent aux autres 
villes, sous la domination du, grand Seigneur ou du 
Roy de Perse, eussent les mêmes sentiments ! Mais, 
hélas! qu'il y en a peu qui leur ressemblent ! 

On nous a écrit d'Ispahan que les prestres et tous 
les religieux arméniens , dans la Perse et Arménie , 
sont si obstinés dans leur schisme et dans leurs hé- 
résies, qu'ils permettront plustost qu'un des leurs 
embrasse k loy deJMEahomet, que de permettre 
qu'il se déclare catholique et traicte avec les Mission- 
naires apostoliques ; et s'il arrive que quelqu'un se 
soit laiss^gagner, et qu'il latinise, pour parler à leur 
mode , ils l'excommunient avec défense à qui que 
ce soit de luy parler, s'il ne veut encourir la mesme 
pein?. Oque leur aveuglement est grand et leur obs- 
tination mminelle ! 

Leurs erreurs les plus communes sont de ne 
reconnoistre en Jésus-Christ qu'une volonté , et 
ensuitte de ne vouloir recevoir le V Concile œcu- 
ménique , tenu à Calcédoine , où les monothélUes 
furent condamnés. Comme ils honorent l'infâme 
Dioscore comme un saint, aussy anathematisent- 
ils le grand saint Léon , qui a si généreusement 
combattu et si puissamment terrassé l'hérésie des 



— Î02 — 

tnonothélites; ils ne peuvent supporter que les 
Latins mangent du poisson en caresme et tiennent 
que Ton pèche mortellement , quand on mange du 
sang ou de la* chair étoutfée. Ils ne croient pas le 
feu du purgatoire, et disent que lésâmes sont créées, 
dès le commencement du monde; qu'elles sont 
incapables de voir jamais Tessetiee divine , et que 
l'objet de leur: béatitude sem seulement la lumière 
qui environne le tfarosne de là divinité. Ils se per^ 
suadent que leur patriarche, à qui illâ donnent le 
tiltre de catholique ^ a aotatit de pouvoir que le 
Pape ; et que tous les patriarches sont égaut en- pou^ 
voir. Ils répudient assez tellement leurs femmes. 
Pour les sept sacrements ils les reçoivent tous, et 
on leur a permis de dire la messe en leur langue 
arménienne. 

On sçait la belle formule de foy que le Pape 
Eugène donna aux arméniens , sut la fin du concile 
de Florence , eÇ comme ils témoignèrent estre eniiè^ 
rement unisavec FÉglise Romaine. Mais cette union 
n'a. pas esté de locgue .durée , non plus que celle 
des grecs, et je crois, que la principale^ cause , pour 
quQy elle n'a pas4sub8isté, vient de ce qu'pn n'a 
jamais procuré d'instruction parfaite aux arméniens 
pour leur taire cognoistre les vérités de nostre 
créance, en; réfutant modestement , mais -efficace- 
ment leurs erreurs, par quelque livre composé en 



— i03 — 

leur langue^ et duquel tous prissent coonoissance. 
On s'est contenté d'agir avec le clergé^ sans se 
Bdettre en peine d'informer les particuliers, d'où est 
arrivé que ceux cy , ne s'accordant pas avec les ver- 
tabieds, pour n'être pas convaincus de la vérité de 
nostre croyance , ont Inen pu dissimuler pour quel- 
que temps/ ou sembler .acquiescer au sentiment de 
leurs prélats pour le respect qu'ils leur portoiebt; 
mais ceux là venant à manquer , et d'autres leur 
succédant, qui ne sçavoient pas^' comme le tout 
s^étoit passée et ne pénétroîent pas les raisons qui 
avoient porté leurs prédécesseurs à l'union avec 
l'Église Romaine, ils ne se soucièrent pas de la main^ 
tenir. Ainsi ce n'est pas merveille , si elle n'a pas 
subsisté, et si ces peuples ont de rechef succé le 
poison, qui se retrouve dans leurs livres, pour n'en 
cognoistre pas la malice , ny avoir aucun contre- 
poison pour s'en garantir. 

Monsieur de la Boulaye , dans son voyage du 
Levant , parlant des arméniens, dit que le moyen 
de les convertir seroit d'envoyer en Arméîjie un 
Nonce Apostolique, avec plusieurs inissionnaires 
pour les* instruire, et de donner ordre qu'à Venise, 
qu'à Gènes , qu'àlivourne, aucun arménien n'eust 
la permission de traffiquer, s'il n'avoit des pattentes 
du Nonce ou de quelques missionnaires , par lès- 
quelles ou puisse estre asâeuré de la bonté de sa 



— 204 — 

foy; cet expédient n'est pas mauvais. Toutefois je 
puis dire que pour le rendre efficace^ il faudroit que 
ce Nonce et ces missionnaires , n'allassent point en 
Arménie les mains vides ; il faudroit que par les 
charités qu'ils feroient, ils gagnassent là volonté des 
arméniens , et que , par la distribution du livre , 
duquel nous avons parlé, ils fournissent à leur 
entendement de quoy se détromper. Les livres ont 
cela, par-dessus les missionnaires, qu'ils pénètrent 
par tout , annoncent sans crainte les vérités dé la 
foy, ne coustent guère et profitent beaucoup, expli- 
quent plus solidement tous les mystères, résolvent 
plus fortement les difficultés , et persuadent les 
vérités beaucoup plus efficacement par des raisons 
préméditées , que par des disputes et altercations 
où, souvent, les plus imprudents l'emportent. 
J'ay eu plusieurs disputes avec les grecs; mais 
comme ils sont superbes , jamais ils n'ont voulu { 
avouer être vaincus, et souvent après plusieurs dis- 
cours, quand ils ne sçavoient plus que répondre, 
la dispute se terminoit par la confession qu'ils fai- 
soient, qu'ils n'étoient pas théologiens , et que s'ils 
avoient étudié , comme nous autres, ils ne manque- 
roieht pas de réponses. Je me persuade que le 
mesme arriveroit parmy les arméniens à qui vou- 
droit disputer avec eux; ce qui me fait dire, qu'ils 
se rendroient plutost à la lecture d'un bon livre , 



qu'à la dispute d'un missionnaire. Nous espérons , 
Dieu aidant d'en voir bientost Texpérience en Grèce 
par les douze cents copies du livre grec , que nous 
avons fait imprimer et que nous allons distribuer 
i aux grecs. O qu'il seroit à souhaiter qu'on fist le 
^mesme pour l'Arménie ! Etr comme nous prions 
toutes les personnes zélées de prier la divine bonté 
qu'il luy plaise donner sa bénédiction à notre petit 
ouvrage! Aussi les supplions -nous très instam- 
ment de ne point oublier dans leurs prières et 
sacrifices tous ces arméniens, qui ont tant de 
bonnes qualités et qui semblent être ceux de qui 
Dieu parloit par son prophète Isaïe : Me de die in 
diem quœrunt et scire viasmeas volunt^ quasi gens 
quœjustitiamfecerit etjudicium Dei siU non dere- 
liquerity et qui, pour ce sujet, s'étonnent et se plai- 
gnent pourquoy Dieu n'écoute pas leur prières , ne 
regarde pas leurs jeusnes et n'a pas égard à leurs 
humiliations et'mortifications, qùarejejunavimus et 
non aspexistiy humiliavimus animm nostras et nes^ 
cisti. (Is. LViii , 2, 3.) 

J'aurois été obligé de conclure ce chapitre , à la 
gloire de l'Eglise arménienne de Smy rne , par le récit 
du glorieux martyre de Georges, qui étoit arménien, 
qui, âgé de soixante ans, desquels il en avoit passé 
quarante dans l'infidélité , après s'être repenty de sa 
faute , endura courageusement le martyre pour la 



— 206 — 
confession de la vraye foy, l'ao 1656^ le 25 avril ; 
loais, d autant que ce nom a dosjà été imprimé dans 
nostre relation de 1 isle de Sant^Erini , j'ay cru qu'on 
etoit suffisamment informé de niail;yre , et qu'il 
valoit mieux passer à un autre sujejt. 

CHAPITRE V. 

DE l'assistance RENDUE AUX MARCHANDS FRANÇOIS ET AUX 
AUTRES HABITANTS DE SMYRNB OU PASSAGERS DU ItlT LATIN. 

On peut assez conjecturer de ce que nous avons 
rapporté de l'assistance Tendue aux grecs et aux 
arméniens de Smyme, celle que doivent attendre 
des Pères Missionnaires tous ceux qui^ pour être 
de mesmé créance et de mesme rit^ se peuvent dire 
les diHnestiques de nostre foy^ à sçavoir : tou& les 
marchands françois y italiens, flamansy et tous les 
autres, tant artisans que passagers, qui séjournent 
en la ville de Srtiyme, paice qae cetix^, noiïs tou- 
chant de plus prés^ la>charité veut,. et nos supé- 
rieurs le désirent, que nous ayons d^eux un soin 
tout particulier. Aussi sont-ils les plus chéris, et par 
tout le.Levant , où nous avons des résidences, nos- 
tre principale occsupation est de tascber de les main- 
tenir dam l'exercice de la vraie religion et de les 
assister, en tout ce que nous pouvons , pour leur 
salut et pour leur perfection. 



_ 207 — 

C'est pourquoy, aussitost que nostre Compagnie 
eut pris possession, de la chapelle consulaire à Smyr- 
ne^oQ y commença las prédications en françpiset en 
italien y pour; ceux qui avoient cognoissance de ces 
langues; et depuis an les a toujours oqatinuees en 
notre église. 

De vouloir icy raconter le fruict qu'ont fait ces 
prédications, les.conv^sions nottables qui se sont 
ensuivies , les restitutions et rpcopcUiations, qui se 
sont *^ictes, les auœosnes desquelles taiit de pau^ 
vres ont été secourus et tant d'esclaves délivrés , 
ce seroit vouloir dresser un gros vojiume d'une 
petite relfition. 

Celuy qui des premiers témoigna voulcîiir profiter 
des prédications de nostre Père François de.Canil- 
lac et des discours des Pères Missionnaires fut mon- 
sieur le consul des anglois qui , avant 4'arrivée de 
nos Pères, vivoit secrettement à la catholique, sans 
oser se déclarer ouvertement; mais , après qu'il fut 
un peu fortifié par les raisons qu'on luy représenta^ 
il surmonta courageusement toutes les difficultés 
qui luy lurent faites, tant par son ambassadeur que 
par ^ marchands, et fit profes^on publique de la 
vraie foy : après quoy Dieu le bénit tellement et 
l'orna de, tant de grâces, qu'on leregardoît comme 
up ^iroir de sainteté, et les hérétiques anglois luy 
portoiçnt un. ti^ès-grand respect. 



— 208 — 

U plut néantmoins à Dieu ^ qudques mois âpres, 
de l'appeler à soy, pour couronner ses mérites. 
Pendant sa maladie , il témoigna tant *de patience 
et de dévotion, qu'il faisoit ée sa chambre une 
école de vertu , où tous accouraient pour l'appren- 
dre , et il s'acquit tant de pouvoir sur l'esprit de ses 
marchands^ qu'il les obligea , quoiqu'hérétiques , 
d'accompagner le Saint Sacrement^ quand on le luy 
appc^rta pour viatique , tète nue et le flambeau en 
main : après quoy, les ayant remercié de leur cha- 
rité y il les congédia tous et ne voulut qu'on lui par- 
last plus d'aucune affaire , que de celle de son salut. 
En ce passage , il regardoit nos Pères comme ses 
guides , et les pria très-instamment de ne le point 
quitter jusqu'au dernier soupir. O qu'ils furent 
très-joyeux d'offrir à Dieu cette belle âme , comme 
les prémices de leurs travaux, en cette ville de 
Smyrne ! 

Son successeur voulut être imitateur de sa vertu, 
et, à son exemple j après beaucoup de difficultés, 
qu'il surfaionta courageusement, il se déclara catholi- 
que, et tout le temps qu'il séjourna dans Smyrne, il 
fut très-constànt à rendre ses devoirs à Dieu et à 
fréquenter les sacrements. 

Plusieurs autres anglois et hollandois ont recou- 
vré, en Turquie, la foy qu'ils avoient perdue en 
leur pays, et si nous osions parler de ceux qui, 



--^ 



— 209 — 

l'ayant reniée honteusement, ont réparé leur faute 
par une vraie pénitence , nous découvririons des 
trésors immenses de grâces et miséricorde ; mais . 
passons sous silence ce qui ne se doit révéler , et 
disons qu'en cette ville de Smyrne, il y avoit plus 
d'artisans et portefaix, lesquels venuâ de Candie, 
de Naxie, de Tine, de Syra, ou de quelques autres 
isles de Tarchipel avoient changé de rit et vivoient à 
la gt>ecque, soit pour être mieux venus des grecs, 
soît pour avoir été gagnés par les caloyers du mont 
Saint (Mont-Athos), grands ennemis de l'Eglise ro- 
maine. Ceux-ci donc, voyant l'heureux succès que 
Dieu donnoit aux prédications des Missionnaires, 
et Testime, que les grecs mesmes faisoient de leur 
vertu et sçavoir, prirent la résolution de retourner à 
leur premier rit, afin de faire leur salut avec plus 
d'assurance, moins de frais et plus librement, 
sous la conduite de nos Pères. L'occasion de cette 
résolution fut telle. 

Un de Tine, après avoir parcouru toute la Grèce, 
l' Anatolie ' et plusieurs provinces, avec beaucoup 
de libertinage et peU de crainte de Dieu , étant de 
retour k Smyrne y une nuit , comme il dormoit , il 
fut éveillé par trois fois d'une voix forte , qui l'aver- 
tit distinctement chaque fois de changer de vie et 
de ne manquer, dès le lendemain, à s'aller confesser 

au prestre latin qu'on luy monstreroit, qu'autre- 
K. U 



— 240 — 

ment il porteroit bientost la peine due à ses cri* 
mes énormes, et que la justice divine étoit pour en 
tirer vengeance, s'il ne se jettoit au plustost entre 
les bras de la divine miséricorde. Cet homme, fort 
étonné de cette semonce et tout épouvanté de ces 
horribles menaces, ne manqua pas, dès le matin ^ 
de sortir de son logis et chercher celuy que le Ciel 
luy marquoit; par bonheur, il rencontra un siçn 
amy, qu'il n'avoit vu de six ans , et après les salu- 
-tations accoutumées , il luy raconta l'avertissement 
qu'il avoit eu la nuict , et le pria très->instamment 
de luy faire parler à un prestre latin , qui entendist 
le grec et qui fust capable de luy donner l'absolu- 
tion. Cet homme, qui cognoissoit nos Pères, le 
conduisit de ce pas à nostre chapelle et luy mons- 
tra celuy qu'il cherchoit. 

Il y avoit douze ans que (e pauvre misérable avoit 
renoncé à la grâce, sans rechercher les moyens de 
la recouvrer; et n'eust été ce salutaire avertisse- 
ment , il étoit pour vivre et. mourir dans cet état 
déplorable. O que Dieu monstra bien en cet homme 
qu'il étoit maistre de ses grâces et qu'il les distri- 
buoit à qui bon luy sembloit! il méritoit mille fois 
l'enfer, et, en un moment^ il luy ouvrit , par la pé- 
nitence, son paradis, et d'un démon, il en fit un 
ange ; car, après sa confession ^ il parut tellement 
changé, que ceux qui l'ayoient cognu ne pouvoient 



— 2i4 ~ 

assez admirer la puissance de la grâce et luy &e pou- 
voit assez louer la divine miséricorde. Son exemple et 
ses discours furent si puissants, que plusieurs autres 
voulurent l'iipiter, et à cet effet / quittèrent le rit 
grec pour reprendre le leur et participer avec luy 
aux divins sacrements en nostre chapelle. Le nom- 
bre de ceux-cy s'accrut tellement, et leur dévotion 
fut si grande que , pour les contenter, il fallut, Tan 
1631, leur dresser une congrégation séparée de 
celle des marchands, à qui plusieurs autres grecs 
s'étant joints, ils rendoient tous ensemble leurs de- 
voirs à la Reine du Ciel: 

Les mémoires de cette congrégation des artisans 
portent qu'un d'entre eux , accablé de pauvreté, fut 
contraint de se faire sçrviteur d'une infidelle, mais 
que sa vertu rendit bientost maistre du cœur de 
celle qu'il servoit , laquelle luy porta tant d'affec- 
tion , qu'outre qu'elle laissoit tout en sa disposition , 
elle ne l'empeschoit pas de rendre à Dieu et à sa 
sainte Mère ses humbles devoirs ^ et de fréquenter 
tous les dimanches la Congrégation , ce qui . luy 
acquit tant de grâces du Ciel, qu'il eut la force de 
résister aux puissantes attaques que sa maîtiesse 
livroit continuellement à sa pudicité, laquelle ren- 
contra en luy une vertu de Joseph; car ce bon con- 
gréganiste , se voyant un jour puissamment pressé, 
pour se déUvrer de ses importunités, ne luy laissa 



— Î18 — 

pas seulement son manteau, mais tout son petit 
meuble, et s'enfuit plus joyeux d'avoir conservé sa 
vii^nité, que triste d'avoir perdu toutes ses bardes. 
Un autre jeune bomme , de Tisle de Tine et de 
la mesme congrégation , fut enlevé par force et fut 
conduictàvingt lieues de Smyrne,en terre ferme, où 
un infidèle ne pouvant luy faire abandonner la foy, 
l'obligea à garder son troupeau. Son pauvre père, 
ayant appris son malheur, se mit incontinent en 
chemin , quoiqu'âgé de 63 ans, et eut la hardiesse 
de redemander à ce barbare son fils ; mais pour 
réponse , on ne luy donna que des bastonnades , et 
au lieu de délivrer son fils , il fut lié luy mesme et 
mis en prison. Dans cette extrême misère, il eut 
recours à la Mère de miséricorde ^ laquelle luy 
fournit bientost les moyens de sortir de ses liens et 
d'enlever son fils secrettement ; et pour comble de 
faveur, luy donna la force de marcher jour et nuict, 
jusqu'à ce qu'il fut arrivé avec son fils à Smyrne , 
où incontinent ils vinrent remercier leur libéra- 
trice ; et après s'estre confessés et communies en 
action de grâce, pour témoignage de leur reco- 
gnoissance envers la sainte Vierge , ils offrirent 
deux petits cierges pour brusler en son honneur. 
Je pourrois raconter plusieurs semblables faveurs 
que ces bons congréganistes ont reçues de Dieu 
par l'entremise de nostre commune médiatrice. 



— 213 — 

Mais , comme tous ]es jours on entend tant de mer- 
veilles que cette Mère de bonté opère en considé- 
ration de ses serviteurs^ laissons ces artisans, pour 
parler de Messieurs les marchands françois, qui se 
portent avec tant d'afifection au service de cette 
grande Impératrice , qu'on peut dire qu'aucun 
d'entr'eux ne cède en rien au plus fervent congre*- 
ganistede France. Le R. P. Jacques d'Anjou ^ qui a 
gouverné fort longtemps avec grande édification et 
profit cette congrégation , m'en a raconté autrefois 
des merveilles ; mais comme sqn humilité ne nous 
a laissé aucun mémoire , nous rapporterons ce 
qu'en a écrit, par ordre des supérieurs , le R. Père 
Charles Boilesve au R. P. Nicolas de sainte Gene- 
viefve , supérieur de toutes les missions de la Grèce 
de la Compagnie de Jésus. 

Mon Révérend Père, 

Pax Christi. 

C'est pour obéit* aux ordres de votre Révérence 
que de cette lettre je feray une petite relation et luy 
raconteray briefvement l'état présent de nostre mis- 
sion. Nostre résidence, pour le temporel jusqu'à 
présent, a été une des plus pauvres, et pour les 
emplois une des plus riches , y ayant en cette grande 
ville de quoy occuper plusieurs missionnaires bien 
zélés et bien versés, es langues grecque, arménienne, 



— 214 — 

turquesque, italienne et provençale. Nostre congré- 
gation , par la grâce de Dieu et par la.coopération 
de Messieurs nos congréganistes, est une de& plus 
florissantes , sous le titre de l'Immaculée Concep- 
tion y que nous ayons au Levant ; tous nos mar- 
chands firançois, à la réserve de quatre ou cinq, 
tiennent à gloire et à honneur d'y rendre leurs 
devoirs à la Mère de Dieu. Ils s'y assemblent pour 
cela tous les dimanches au matin , et après quel- 
ques prières, on leur fait une exhortation. Ils ont 
de coustume de s'y confesser et communier tous, 
chaque mois, et de réciter ensemble l'office des 
morts , et aux festes principales l'office de la Vierge ; 
mais ce qui est de plus à estimer, ces Messieurs sont 
de bon exemple et font paroistre beaucoup de vertus, 
la jeunesse y donnant de grandes preuves de mo- 
destie et de chasteté, et les plus advancés en âge , de 
prudence et de probité* 

C'est un proverbe ordinaire à Smyrne, parmi les 
françois , quand quelqu'un d'eux vient à manquer : 
« Quoy ! vous êtes de la congrégation de Notre-Dame 
et vous faites ceU? » ce qui monstre l'estime qu'on 
fait de leur Compagnie. Aussy faut-il avouer qu'on 
a sujet de les estimer, et que leur vie sans reproche 
mérite beaucoup de louanges : pourquoy je con- 
fesse quej'ay une- consolation très-sensible , quand 
je vois que. Dieu est tant glorifié , et la sainte Vierge 



»— 215 — 

tant honorée dans un pays, où l'infidélité règne et 
que le schisme et l'hérésie ont tant désolé. Quand 
je pense à la grâce que Dieu nous fait de vbuloir 
se servir de nous pour la conduite de ces bons con- 
gréganistes , je ne puis que je ne bénisse mille fois 
son saint nom et que je ne le remercie de tout mon 
cœur. En effet , qui ne se réjouiroit en voyant que j 
dans cette viHe où le vice marchoit teste levée , et 
où il y avoit quasi autant d'esclaves de sataii qu'il 
y avoit d'habitans, à présent la. vertu et k piété 
y régnent et y triomphent; à peine trouvoit*on un 
marchand qui n'eust sa concubine ; l'avarice trou- 
voit lieu partout , et la religion avoit fort à souffrir. 
Maintenant que la piété s'est emparée de leurs cœurs, 
elle a banni l'impudicité de leurs lits, la gourman- 
dise de leurs tables et la fourberie de leur négoce. 
Nous trouvons plusieurs de ces marchands qui ont 
la conscience si tendre qu'ils ne peuvent supporter 
aucune offense, et si, par fragilité, ils en commet- 
tent quelques-unes , ils ont incontinent recours à 
nos Pères pour en recevoir le pardon, sans vouloir 
différer jusqu'au dimanche. 

Un jour, un de ces marchands me disoit qu'il 
aimeroit mieux avoir trente coups de poignard au 
cœur qu'un péché mortel à l'âme; aussi sa vie ne 
dément point ses paroles; il jeusne trois fois toutes 



— 216 — 
les sepmaineSy et donne aux pauvres un pour cent 
du gain qull fait. 

Deux de ces Messieurs ont conçu cette année de 
si grandes résolutions de se vaincre et de se corriger 
de leurs récidives , qu'un d'eux , retombant au 
péché, donnoit aux pauvres un quart d'écu pour 
chaque rechute ; l'autre fit vœu, de luy mesme, de* 
donner aux pauvres autant d'écus et de jeusner 
autant de fois qu'il retomberoit dans son péché; je 
l'ay* vu, dans la pratique de cette résolution, pour 
un coup, donner cinq écus aux pauvres^ Tel exem* 
pie à la vérité est digne d'estre imité; mais celuy 
qu'a donné icy un jeune homme mérite plus de 
louanges. 

Il fut sollicité par trois fois d'une jeune fille de 
son âge à consentir à son mauvais désir, et par 
trois fois , il a fait paroistre autant de vertu qu'en 
fit paroistre une fois le chaste Joseph. 

On sçait que les méchants livres et les tableaux 
servent d'allumettes au feu d'impudicité; icy plu- 
sieurs , pour n'estre brûlés à ce pernicieux feu , 
nous ont apporté leurs livres sales, que nous avons 
fait passer par un autre feu ; nous avons aussy fait 
oster plusieurs tableaux viUains des lieux où il y 
avoit longtemps qu'ils étoient posés. Mais ce qui me 
plust le plus fut le zèle d'un congréganiste , qui 



— 217 — 
ayant appris qu'on avoit apporté de livourne un 
tableau fort saie et capable de tuer plus d'âmes que 
le basilic ne fait mourir de corps par ses regards , 
il s'enquit combien il se vendoit, et son confesseur 
luy répliqua qu'on pouvoit Tavoir pour dix écus; 
incontinent il les luy donna, disant : « Allez, mon 
Père, faites acheter ce vilain tableau et faites-en un 
sacrifice à la Mère de toute pureté. » Ce qui s'exé- 
cuta ; car il fut bruslé, quoyqu'un marchand an- 
glois en offrit cinquante écus : l'offense de Dieu 
étoit bien plus à craindre, avec la ruine des âmes, 
que cette somme à souhaitter. 

Les aumosnes et les grandes charités, que ces bons 
serviteurs de la sainte Vierge font pour rache^iter 
des esclaves des mains des infidelles, sont d'autant 
plus louables, qu'ordinairement le trafic rend les 
personnes de cette {profession plus attachées au 
lucre J cependant il ne s'y passe presqu'aucune 
sepmaine quç quelque pauvre esclave ne ressente 
les effets de leur libéralité. On leur vient dire souvent 
qu'un infidelle ne tient plus qu'à* trente écus, qu'un 
autre n'a plus besoin que de vingt écus pour obtenir 
sa liberté , qu'il a déjà 4;rouvé cent ou deux cents 
écus; cela touche, ces cœurs bien faits, et tous 
veulent avoir part à leur délivrance. De mon tempS, 
plus de cent esclaves ont recouvré par ces moyens 
leur lib^é. Il y en a qui, non contens de contri- 



— 248 — 

buer avec les autres ^ veulent «euls avoir le mérile. 
On ramassa de ces Messieurs deux cents écus, pour 
délivrer une jeune demoiselle Candiotte du danger 
où elle était de perdre ; avec son honneur et sa li- 
berté, le don precieqx de lafoy. Mais leur charité 
éclate particulièrement, quand il s'agit, non de 
l'esclavage du corps, mais de l'âme, et qu'ils voyent 
que quelque pauvre misérable ^veut se repentir 
d'avoir faussé la foy de Jésus-Christ. Car pour 
lors , ils monstrent qu'ils entendent aussy bien le 
négoce du Ciel que celuy de la terre. U m^e souvient 
d'avoir entendu dire à ces bons marchands qu'ils 
aimoient mieux avoir manqué à gaigner six mille 
écusi., que d'avoir manqué à faire une bonne œuvre 
dé cette nature, quand Dieu leur. en donne l'occa- 
sion et le moyen. Mais si ces Messieurs se monstrent 
libéraux à donner, Dieu aussy n'est pas moins libé- 
ral à les récompenser et à les préserver. De quoy 
nous avons une infinité de preuves; en voicy quel- 
ques-unes. 

La dernière fois que Capitan-Basdia arriva en 
cette ville. Dieu conserva merveilleusement un de 
ces marchands de nostre Congrégation , âgé de soi- 
xante ans et d'une apparence fort vénérable. Un 
soldat turc , de qui il ne se donnoit point de garde , 
passant auprès de luy , luy déchargea un grand 
coup sur la teste , et à mesme temps tirangpn gan- 



— 219 — 

geare ou couteau large de trois doigts, et le hxj 
porta de toute sa force dans la mamelle gauche , 
on croyoit qu*il l'avoit tué , mais par une merveille 
extraordinaire, il ne le blessa, non plus que s^il eust 
rencontré un corps de cuirasse; grâce de laquelle 
il se sentit si obligé , que le lendemain il vint remer- 
cier Dieu en nostre église, et en action de grâce , 
reçut la sainte Eucharistie. 

Deux autres marchands françois, qui, le jour de 
la Visitation, avoient été admis en la congrégation, 
éprouvèrent bientost les effects de la protection 
particulière de la sainte Viei^e. L'un ayant dé- 
chargé son pistolet plein de balles , le pistolet creva 
et les pièces sautèrent ça et là, devant luy et à dos, 
jusqu'à deux ou trois pas,*et le manche luy demeura 
entre les mains, sans aucune blessure; Taiitre ayant 
reçu fortuitement un coup de pistolet chargé de 
plusieurs balles dans la teste, les balles luy entrèrent 
dans la mâchoire droite , sans luy faire autre mal 
qu'un peu de peur et de douleur, quand il luy 
fallut faire sortir les balles. " 

Un autre marchand n'avoit icy qu'un fils avec 
luy, lequel s'estant dérobé de sa maison pour quel- 
que petit déplaisir, le laissa dans une grande frayeur 
et appréhension , qu'il ne se fut retiré en la maison 
de quelqu'infidèle , pour embrasser leur religion , 
selon la coustume de la jeunesse du pays , quand 



— 220 — 
elle a reçu quelque chastiment des parents. Après 
plusieurs vaines recherohes et plusieurs enquestes 
inutiles, ce bon homme, tout désolé et à demy mort, 
se jetta à genoux devant Tirnage de Notre-Dame, 
qu'il avoit ep sa chambre , luy tenant ce langage 
avec beaucoup de larmes : « Sainte mère de Dieu ^ 
rends moy mon fils. » Ce qu'il répéta plusieurs 
fois, entrecoupant cette courte prière de sanglots et 
de soupirs, laquelle fut si puissante , qu'elle 
gaigna le cœur de la sainte Vierge y laquelle ne 
put le laisser long temps dans cet angoisse, d'au- 
tant qu'à peine fut-il sorty de son logis , pour 
apprendre quelque nouvelle de son fils, qu'on l'a- 
vertit du lieu où il estoit, et comme Dieu luy avoit 
donné le courage de maintenir sa foy contre plusieurs 
attaques, qu'on luy fit de changer de religion. Cette 
nouvelle le réjouit autant que le retour de l'enfant 
prodigue en la maison de son père, et il le reçut 
avec autant d'amitié. Mais comment cette Mère de 
bonténes'iatéresseroit-elle pas pour conserver la vie 
et les enfants de ses chers serviteurs , vu que son 
soin s'étend jusqu'à leur négoce , et à faire arriver 
à bon port leurs marchandises. C'est de quqy la 
bénissent tous les jours ces bons marchands , qui 
souvent ont fait réflexion qu'ordinairement aux 
festes de la sainte Vierge, ou pendant leurs octaves, 
ils reçoivent quelque bonne nouvelle pour leur 



— 221 — 
commerce ; tellement qu'il n'y a pas longtemps qu'un 
de nos congréganistes osa bien gager contre un 
autre qui n'en est pas, que devant le dixième de 
septembre arriveroient des vaisseaux à Smyrne, et 
et il ne fut pas trompé de son espérance ; car le jour 
de la Nativité de la sainte Vierge, qui est le 8 sep- 
tembre , et les autres jours dans l'octave , onze 
vaisseaux jettèrent Tanchre dans nostre port , à 
sçavoir un françois et bien d'autres, flamans ou an- 
glois. Ainsy la naissance de la sainte Vierge fut la 
naissance de grande joye dans toutes les nations 
qui demeurent dans cette ville. 

Je veux finir ce discours touchant nos congré- 
ganistes, par la grâce extraordinaire que reçut, l'an * 
1654, celuy qui, pour sa vertu, et son mérite, avoit 
étéchoisy président de nostre congrégation. Il fut 
travaillé fort longtemps de la gravelle, avec des 
douleurs qu'on peut mieux s'imaginer qu'exprimer. 
Un jour comme je le fus visiter, je l'exhortay douce- 
ment à se conformera la divine volonté, et à souffrir 
son mal aveé patience, et puis je luy représentay le 
grand pouvoir que Dieu a donné a nostre fonda- 
teur, saint Ignace, sur cette sorte de maladie; luy qui 
nemanquoit point de dévotion pour ce grand saint, 
commença à l'invoquer avec une telle confiance et 
avec des prières si tendres, que j'eus toute espé- 
rance, que Dieu exauceroit sa demande. Il fit un petit 



-• 222 — 

vœa à l'honneur de saint Ignace , et moy je luy pro- 
mis de luy envoyer au plustost ses saintes reliques. 
Chose mervdlleuse ! il ne fust pas sitost sorti de sa 
chambre y qu'il rendit deux pierres , qui lui avoient 
causé tant de douleurs; de sorte que son dômes* 
tique, qui étoit venu avec moy, pour luy porter les 
saintes rehques, quand il fut de retour, le trouva 
tout joyeux, et les yeux baignés de larmes, bénis- 
sant mille fois Dieu, et louant hautement saint 
Ignace, dans la croyance qu'il avoit, que^ par son 
intercession et seulement à Finvocation de son 
nom, sans vouloir attendre l'application de ses 
saintes reliques, il avoit reçu cette insigne faveur. 
Le soin que nous avons de servir nos congréga- 
nistes, n'empesche pas que nostre maison ne soit 
ouverte à tous les autres, et que nous ne taschions 
d'assister tout le monde, aussy bien les petits que 
les grands. Nous tenons, les jours ouvriers, l'école 
pour l'instruction des petits grecs et latins, quoi- 
que plusieurs estiment que cette occupation est 
trop basse pour des personnes qui sont capables de 
faire davantage, toutesfois nous ne croyons pas 
qu'elle soit à méprisear, vu les granda biens qui en 
proviennent, et que rien ne doit sembler estre bas 
à ceux qui aiment l'humilité. Je dirois volontiers à 
ceux qui sont persuadés qu'il y a beaucoup de 
peine dans ce bas employ, ce que disoit autrefois 



— 223 — 
saint Bernard : « Crucem vident , unctdonem non 
vident. » Il n'appartient qu'à Dieu de rendre (r^is- 
douces les choses les plus amères. Computrescil 
jugwn a façie olei. Comme nous partageons le 
travail de Técole entré nous deux, quand Tun 
est occupé au logis, l'autre va dehors/ tantost 
pour visiter les malades, tantost pour accorder les 
différends , soit jen matière de foy , soit en autre 
sujet, ou bien pour vacquer à quelqu'autre bonne 
œuvre. 

Les dimanches, le P. Vabois, sur qui je me déchar- 
geay du soin de la congrégation, aussitost qu'il fut 
arrivé, a de quoy s'occuper le matin à entendre les 
confessions , à faire exhortation , et Taprès-dîner , 
à aller catéchiser les mariniers dans leurs vaisseaux, 
pendant que je fais le catéchisme aux grecs, où par- 
fois les turcs viennent nous entendre par curiosité, 
et nous n'oserions les congédier. Le P. Vabois se 
porte d'aifection à instruire les mariniers ; aussy 
voyons-nous que Dieu donne une grande bénédic- 
tion, à son travail, et que, non-seulement les ma- 
telots, mais les capitaines et officiers des vaisseaux 
désirent l'entendre, et qu'ils s'assemblent à cet effet 
au son de la cloche. Il faudroit un long discours 
pour expliquer la gloire que Dieu reçoit de ces 
catéchismes, non seulement par la cognoissance 
que les auditeurs acquièrent de ses divines per- 



fections, mais par les notables conversions qui s*en 
suivent. 

Plusieurs de ces gens de mer avoient demeuré les 
six à sept et quelquefois les douze ans, sans se con- 
fesser, qui, touchés de douleur de leurs fautes par 
la déclaration qui s'est faite de leur griéveté et des 
punitions qu'elles méritent, sont venus en demander 
le pardon. Je crois que le P, Vabois et moy, avons 
entendu, cette année, plus de quatorze mille con- 
fessions, en nostre chapelle, desquelles une partie 
étoient générales. 

Durant le caresme, nous avons coustume de 
prescher trois fois la semaine, et tous les jours, 
pendant Toctave du Saint Sacrement. Nostre cha- 
pelle est trop petite, quoique nous l'eussions agran- 
die de beaucoup, pour recevoir tous ceux qui 
désirent nous entendre, et nous avons cette obliga- 
tion à M. le consul, qui souvent nous honore de sa 
présence, et vient nous entendre avec beaucotq) de 
démonstration de piété et de dévotion. 

L'an passé, à Pasques, un jeune écossois fit abju- 
ration de son hérésie en nostre église , et le jour de 
la Pentecoste, nous rebaptizasmes sous condition 
un hoUandois qui doutoit s'il avoit reçu jamais le 
baptesme, sa mère, qui étoit anabaptiste, luy ayant 
dit plusieurs fois , que, quand il auroit l'âge de 
vingt ans, elle le feroit baptiser. 



_ 225 — 
Depuis son baptesme, il a paru tout autre, et donne 
tous les jours des preuves de la grâce qu'il -a reçue. 
Un autre hollandois , atant que de mourir , a 
demandé de recevoir le Saint-Sacrement, et a été 
enterré honorablement. 

Deux choses particulières obligent les dhrestiens 
^a vivre sagement; la première, les tremblements de 
terre auxquels cette ville est sujette, et qu'on dit 
avoir esté ruinée *par sept fois; de telles émotions, 
il me souvient que Fan 1 654 , depuis la Pentecoste, 
qui fut le 24 de may , jusqu'au 25 de juin, il y eut 
plus de trentetremblements très-notables; plusieurs 
tours, des mosquées en sont tombées, et plusieurs 
maisons, par la ruine desquelles plusieurs turcs ont 
été tués. Nous en fusmes quittes à meilleur marché, 
seulement les livres de nostre Bibliothèque furent 
renversés. 

La seconde chose qui les oblige tous à se pré- 
parer à la mort et à penser à leur salut, ce sont les 
maladies contagieuses, qui ont si souvent dépeuplé 
cette ville : plusieurs de nos Pères se sont autrefois 
exposés, pour servir icy les pestiférés, et on se 
souvient encore icy de la grande charité que nos 
Pères, et entre autres, les PP. Jacques de Georges 
et François Albert, firent paroistre au temps de la 
contagion, administtant, avec grand courage et réso- 
lution, les sacrements aux moribonds; nous espérons 



■— M6 •— 
que Dieu nous donnera les forces de les imiter, 
si la nécessité le requiert. Cependant nous prions 
très-humblement Votre Bévérence et tous ceux qui 
liront cette lettre de supplier la divine bonté de 
vouloir conserver cette ville .et en bannir l'infidélité 
et le schisme, rhérésie et le vice, afin que son saint 
nom y soit constamment adoré *de tous, et ses saints 
commandements gardés inviolahlement. 
De Smyrne, le 24* Apvril 1657. 

De votre Révérence, serviteur trèsrhumble et très- 
obéissant^ 

Charles Boilesve. 

Après le récit de cette lettre mémorable, je ne 
puis pas mieux terminer ce chapitre , que par le 
narré de la mort glorieuse d'un nouveau martyr de 
la pudicité, lequel n'a pas moins honoré l'Église 
latine, en versant constamment son sang^ pour la 
défense de cette noble vertu, que le généreux 
Nicolas Caseti avoit honoré l'ËgUse grecque , en 
moucsint pour la confession de la foy^ qu'il avoit 
par deux fois reniée. Il est donc à sçavoir qu'un 
jeune homme, natif de Tisle de Scio, nommé Fran- 
çois de Marchi y âgé seulement de vingt ans , étant 
passé de son pays à Smyrne , fut fort sollicité par 
deux infidèles à consentir à leurs infâmes désirs; 



— 227 — 

mais., comme dés son bas âge, il avoit toujours 
vescu dans une grande innocence , et qu'il faisoit 
profession publique d'estre fidèle serviteur de la 
sainte Vierge , et d'aimer ce qu'elle e^ tant prisé , 
jamais il ne voulut écouter les demandes impudiques 
de ces infâmes , lesquels se voyant honteusement 
éconduitSy changèrent leur amour en rage, et, 
tirant leurs grands couteaux, luy en donnèrent 
trois coups dans le ventre. François reçut ces cottps, 
comme des coups de grâce , et trop heureux de 
témoigner à Dieu la fidélité qu'il avoit pour ses saints 
commandements , et l'amour quH portoità la chas- 
teté, il rendit à Dieu son âme glorieuse, le 9* jour 
de décembre i 657. 

Je ne doute pas que les célestes intelligences et 
tous les bienheureux n'ayent célébré son triomphe 
dans le ciel, et que plusieurs amateurs de la virgi- 
nité icy bas ne luy donnent encore mille louanges. 
C'est pourquoy , pour ne point amoindrir sa gloire 
par la bassesse de mon style, je passe sous silence 
les beaux éloges que mérite sa vertu, afin de satis- 
faire au plus tost la sainte curiosité de plusieurs per- 
sonnes dévotes, qui désirent apprendre quelques 
particularités d'un autre célèbre martyre de vingt- 
trois mahométans , qui souffrirent courageusement 
la mort pour la confession dé la foy divine de Jésus- 
Christ, et pour la vérité de son saint évangile, l'an 



— 228 — 

1649, en la ville de Thyatyre, éloignée de Smyroe 
environ huit lieues. C'est pourquoy, le R. Père Fran- 
çois Lucas, qui pour lors avoit soin de nostre rési- 
dence de Smyrnë, ne pouvoit ignorer comme le 
tout se passa. Voicy ce qu'il en écrivit : 

CHAPITRE VI ET DERNIER. 

L'illustre martyre de vingt-trois turcs à Thyatyre, 
ville autrefois si fameuse , et de laquelle saint Jean 
fait une si noble mention dans son Apocalypse, est 
encore une des plils peuplées de TAsie-Mineure. 
Car on tient qu'il y a plus de 200,000 personnes, 
jaçoit que la peste, Tan 1 656, en eust emporté plus 
de 50,000. Dieu, de nos temps, a choisy cette ville 
pour estre le théâtre de vingt-trois athlètes de Jésus- 
Christ, qu'il vouloit couronner d'une gloire immor- 
telle , après des combats d'autant plus admirables, 
qu'ils étoient moins à espérer de cette sorte de per- 
sonnes. En voicy le sujet. 

Il y avoit en cette, ville un Cheic ou docteur de la 
loi de Mahomet, qui, pour avoir une grande intelli- 
gence de cette loy , s'étoit acquis parmy les siens beau- 
coup de crédit, et plusieurs tenoient à honneur de se 
dire ses disciples, tellement qu'il avoit en son école 
plus de 1 50 jeunes hommes, de l'âge de vingt-cinq 
à trente ans qui tous étudioient, pour se rendre 



capables d'adminislrer la justice, et estre un jour 
Gadis. Ce Cheic, qui avoit vieilli en la lecture de son 
alcoran et remarqué que son prophète ne réprouvoit 
pas le Nouveau Testament, qu'au contraire il avquoit 
que Dieu avoit parlé par Jésus-Christ, et par Moïse, 
eut la curiosité de voir ce qui estoit couché dans 
les saints Évangiles , et par une Providence toute 
particulière, fit rencontre d'un Noliveau Testament 
traduit en arabe. 

Il ne Tevit paslongtemps cedivin livre, sans recevoir 
les lumières du ciel et sans découvrir les véritéschres- 
tiennes, lesquelles eurent tant de pouvoir sur. son 
esprit, qu'elles Tobligèrent à condaqiner tout ce qui 
leur étoit contraire et à embrasser tout ce qu'elles com- 
mandoient de faire. C'est naerveille que cet homme, 
touché de la sorte, ne. chercha point de s'informer 
jdus particulièrement de la bonté de nostre foy , et 
n'eut aucune communication avec aucun chrestien, 
au moins à ce que Ton sçache, pour sipprendre tous 
nos mystères. Il ne put pas néanmoins qu'il ne fit 
part de ces lumières, qu'il avoit reçues du ciel à 
plusieurs de ses disciples, nommément à ceux qu'il 
Gonnoissoit estre plus capables de concevoir ces 
vérités et devoir estre fidèles à garder le secret.. Il 
réussit si bien par ses discpurs, qu'avec l'assistance 
du saint Esprit , il persuada à ces jeunes gens qu'il 
n'y avoit point de salut, hors la loy de Jé^ufr-Christ, 



— 230 — 
^ui de fila de Dieu s'étoit fait hoiflme , et étoit mort 
pour le salut des hommes , et par ^ résurrection 
avoît triomphé de là mort et de Tenfer, et étoit pour 
régner à jamais dans le ciel. Ces jeunes gens gardè- 
rent fort: longtemps le secret et souvent s'assem- 
bloient pour conférer de la grande affaire de leur 
salut, avec leur maistre. Mais, comme il est difficile 
de cacher longtemps un feu, sans qu'il ne' se décou- 
vre luy-mesme, aussy ces jeunes écoliers ne purent 
si bien dissimuler la foy qu'ils avoitot «u cœur, 
qu'elle ne parust quelquefois sur leurs lèyres, et 
dâhs leurs discours avec leurs compagnons; les 
par^ts mesme , voyant un si notable changement 
dans leurs enfants^ désirèrent en sçavoir la cause. 
La ôhèse alla si avant, que les gens de justice, qui 
sont fort vigilants en ce poinct, en eurent quelque 
connoissance, et pour étouffer cette flamme en sa 
naissance , ils se saisirent de la personne du Cheic. 
D'abord ils taschèrent de le gagner par douceur , 
ne ^ulant pas perdre tin homme de cette qualité ; 
ûs hiy remonstrèrent l'estime qu'ils faîsoient de luy, 
en luy confiant la phis florissante jeunesse du pays, 
et luy promirentd'augmenter ses gages et de l'élever 
aux premières dignités, s'il vouloit détromper ceux 
qu'il avoit abusés ; qu'il sçavoit assez l'importance 
de l'affaire et la rigueur de leur loy pour la punition 
de telles fautes. 



— 2ai — 

Us croyoient elli avoir assez dit pour le .remettre 
en son devoir et l'obliger à se dédire ; mais ils fu- 
rent fort étonnés , quand il leur repartit , aveo un 
maintien grave et sans cl^nger de couleur , qu'il 
n'étoit pas en un âge où il pust trahir sa conscience^ 
en une affaire si importante , où il n'y alloit^rien 
moins que de son salut ^.et^ que tout ce qu'il avoit 
enseigné touchant les vérités de la loy de Jésus- 
Christ étoit trop assuré pour s'en pouvoir dédira. 
Le Cadi , surpris de cette respons^ et jugeant qu'il 
falloit l'intimider par l'horreur des wpplices, luy 
dit tout en colère , qu'il eust à penser à soy , qu'il 
falloit qu'il choisît de deux l'un, ou de se dédire, oii 
de mourir d'une mort très-cruelle. Ge vénérable 
vieillard y alors piqué d'un saint zèle de faire parois- 
tre devant tous l'estime qu'il faisoit de la foy qu'il 
avoit reçue dii ciel, respondit au Cadi*: « Quoy ! 
pensez-vous que les rçues, les gibets , les feux et les 
gehemies me fassent peur, et que j'appréhende d^ 
mourir pour la gloire éternelle de mon Dâqu et pour 
la vérité de la foy de Jésus-Christ ? Sçachez que je 
suis prest de mourir mille fois, sî faire sepouvoit, 
pour l'amour de celuy qui est mort une Ibis pour 
moy , je iiendray à honneur de signer de mon 
sang la vérité que j'ay enseignée, et si vous voulez 
m'écouter , je vous feray voir que je «e me trompe 
pas dans mon sentiment, et que bien heurcMx soqt 



— 2S2 — 

ceux-là qui quittent Mahomet pour vivre en Jésus- 
Christ. » A ces paroles , on luy défendit de parler 
davantage , et on le chargea de tant de coups de 
baston par tout le corps, qu'on lui osta le moyen de 
poursuivre son discours ; mais s'il se tut , son visage 
parla, et la constance qu'il fistparoistre à suppor- 
ter gayement tant de coups de baston par tout le 
corps, ébranla mesme ses juges, lesquels, craignant 
que, s'ils continuoient à le faire tourmenter publi- 
quement, le peuple, qui respectoit fort ce vieillard , 
ne se souslev^st, et que son exemple n'animast 
d'autres à l'imiter, ils se résolurent, après plusieurs 
consultes, de le faire étrangler en prison , et brusler 
son corps en public , ce qui fust ainsy exécuté, et 
cette belle âme s'envola dans le ciel , pour r^evoir 
la couronne de la main de celuy qu'il avoit si géné< 
reusement confessé. 

Cependant on tascha d'appréhender ses écoliers ,, * 
pour sçavoir d'eux de quels sentiments ils étoientel 
s'ils pèrsistoient dans la créance de leur maistre^ 
Quelques-uns de ces écoliers s'étoient déjà retirés^ 
de la ville et s'estoient cachés par crainte des sup- 
plices ; les autres , comme Fon^dit , s'estoient divi- 
sés en plusieurs lieux 'pour publier les vérités qu'ils 
avoient appris de leur maistre. On en attrapa de 
ceux-cy vingt-deux, et aussitost il fut conclu qu'il 
falloit les obliger à renoncer à lafoy de Jésus-Christ, 



— 233 — 
ou bien prendre d'eux une punition telle, qu'au- 
cun n'eust plus la hardiesse de parler ou professer 
une telle doctrine; ce qui porta ces juges à prendre 
cette conclusion , fut rémotibn grande qui se fist 
dans tout le pays, après la mort de ce Chtic, tous en 
parloient diversement et la pluspart avec avantage. 
Le Cadi ayant fait comparoistre devant luy ces 
vingt-deux jeunes hommes, leur dit qu'absolument 
ils dévoient renoncer à la mauvaise doctrine de leur 
maistre, ou bien perdre la vie, et qu'ils n'avoient 
pas à espérer d'estre traité comme leur docteur, mais 
qu'ils expérimenteroient la rigueur des plus atroces 
supplices. Oh ! que ne peut pas la grâce ! ces jeunes 
gens témoignèrent de l'allégresse au nom des sup- 
plices, et monstrèrent qu'ils étoientplus prests à souf- 
frir, que ce juge à les tourmenter. Le Cadi , après 
quelques discours, voyant qu'ils estoient tous aussy 
résolus à maintenir la foy de Jésus-Christ que l'a- 
voitesté leur Cheic, les livra es mains des exécuteurs 
de la justice, pour les faire mourir tous cruellement. 
Quelques-uns furent percés de flèches , les autres 
furent empalés ; quelques-uns furent bruslés tout 
vifs, et les autres furent jetés sur les gariches, qui 
est un très-cruel et très-horrible tourment, d'au- 
tant que ces gariches estant de grands crampons de 
fer sur lesquels le patient est précipité d'en haut , 
souvent il languit longtemps suspendu à sa playe , 
avant que mourir. 



— 234 — 

Ainsy tous ces généreux athlètes de Jésus-Christ 
finirent leur carrière glorie^use, triomphant de la 
mort et des tyrans. 

On dit que leurs reliques oqt, depuis leur mort ^ 
fait plusieurs miracles , et quelques-uns assurent 
qu'un aveugle recouvra la vue en touchant un de 
ces martyrs qu'on conduisoit au supplice^ Quoi 
qu'il en soit , leur mort a fort étonné tous les mu^ 
sulmans , et a fort consolé tous les chrestiens, qui 
croyent que c'est un présage de leur bonheur et 
l'accomplissement de la prophétie de Marc Kyria- 
copuloy ce glorieux martyr , qui mourut à Smyrne 
avec autant de constance, l'an 1644, après avoir 
dit hautement, qu'il étoit envoyé pour lever l'éten- 
dard rouge de la croix dans ce pays, que plusieurs 
le soivrcÂent , et que le temps ^oit venu auquel 
Dieu avoit résolu de laver dans le sang les* taches 
de ce pays. 

Certainement^! est bien croyable que le ciel ne 
permettra pas qu*une si bonne semence soit tombée 
sur cette terre , sans produire de bons grains et des. 
fruicts tels que toutes les âmes saintes désirent voir 
depuis tant d'années. Dieu fasse que ce champ, 
arrosé d'une si précieuse liqueur, reprenne bientost 
son ancienne fécondité , et que nous voyions son 
saint nom partout adoré. 



SIXIÈME PARTIE. 

EXTRAITS DE L'ESTAT DES MISSIONS DE GREGE ^ PRÉSENTÉ 
A NOSSEIGNEURS LES ARCHEVESQUES , EVESQUES ET 
DEPUTEZ DU CLERGÉ DE FRANGE EN l'ANNÉE 1695 , PAR 
LE P. THOMAS GHARLES FLEURIAU , DE LA COMPAGNIE 
DE JÉSUS *. 



Monseigneur Tambassadeur qui favorisôit, au- 
tant qu'il pouvoit, le zèle des Pères (de Constanti- 
nople), vit bien qu'ils étoient en trop petit noiribre, 
pour recueillir tout ce qu'ils avoient semé... Il 
voulut que le Père de Canillac... fist un voyage en 
France, pour y ramasser une nouvelle troupe d'ou- 
vriers évangéliques. . . 

Les célèbres conversions qui se firent dans les 

' Près d^un demi-sîèele s'est écoulé entre la date de nos relations 
inédites et celle des premières Lettres édifiantes. Pour combler 
cette lacune, au moins en partie, nous empruntons à Topuscule du 
P. Fleuriau, devenu très-rare, ces extraits, qui forment véritable- 
ment la suite de nos manuscrits. 



— 236 — 
prisons des sept Tours furent encore les fruits des 
travaux des missionnaires. Vingt -trois gentils- 
hommes hongrois y abjurèrent Theresie luthe- 
rienne, plusieurs catholiques d'une naissance dis- 
tinguée y expirèrent sous les coups , n'ayant point 
commis d'autres crimes que de n'avoir pas voulu 
'changer de religion, d'autres y moururent con- 
sommez des misères d'une longue captivité , mais 
donnant des marques d'une foy très-vive et d'une 
vertu très-épurée. 

Un de ces plus illustres confesseurs de Jésus- 
Christ, futunFrançoisde nation, natif de Thoulouze 
nommé Biennés , qui commanda autrefois dans la 
cavalerie sous feu monsieur le comte d'Harcourt , 
et qui fut fait esclave en Candie. Il supporta sa 
prison avec une patience et i^ne résignation qui ins- 
piroit l'amour de ces rares vertus aux compagnons 
de sa captivité ; toute son application estoit de con- 
soler les malades, et de les secourir avec une très- 
tendre charité, jusqu'à leur rendre sans peine les 
services les plus vils et les plus humiliants ; il mourut 
entre les bras des missionnaires , après avoir reçu 
tous les sacrements de l'Eglise, avec des sentiments 
qui ne pouvoient sortir que d'un cœur plein de 
religion, et tout animé de l'esprit de Dieu. 

Cette sainte mort fut suivie d'une autre qui ne fut 
pas moins précieuse devant Dieu : ce fut celle du 



-^ 237 — 
seigneur Marc-Antoine Delfiu , dont le nom est en- 
core aiijourd'huy si vénérable dans TEtat de Venise, 
par les services que ses ancestre» et que son frère 
le cardinal et patriarche d*Aquilée ont rendus à 
cette Republique : mais quelque rang que luy 
donnent devant les hommes les titres de grandeur 
qui sont rassembfez dans sa famille , il sera infini- 
ment plus grand devant Dieu par les vertus héroï- 
ques, qu'il pratiqua pendant vingt-deux ans d'un 
très-rude esclavage, dont il en passa onze dans une 
basse-fosse, souffrant, avec une patience qu'on ne 
peut exprimer, la faim, la nudité et la puanteur d'un 
cachot horrible, et plus que tout cela, recevant sans 
se plaindre jusqu'à trois cent coups de baston, sans 
que son malheureux état , plus rude cent fois que 
la mort, pust tant soit peu altérer sa foy et diminuer ' 
le courage de ce généreux chrétien. 

Après tant de mauvais traitements qui luy cau- 
soientdes défaillances et des évanouissements conti- 
nuels , on le tira de son cachot pour prolonger sa 
vie dans le château des sept Tours, il en employa 
le reste dans toutes sortes d'actions de charité et 
de pieté; il mettoit la plus grande partie de l'ar- 
gent qu'il recevoit de sa famille au soulagement 
des malades et de ceux qui estoient abandonnez de 
leurs parents; il donnoit.la plus grande partie du 
jour à la prière , et ne conversoit avec les autres 



— 238 — 

prisonniers, que pour leur communiquer sa ferveur 
et son zèle dans le service de Dieu et dans celuy 
de Notre-Dame, qui estoit le plus tendre objet de ses 
dévotions. Enfin ses forces estant épuisées par une 
si longue et une si cruelle captivité , et par ses fré- 
quentes maladies, il mourut âgé de quarante-deux 
ans , après avoir reçu les derniers Sacrements de 
TEglise, gardant une union parfaite avec Dieu, et 
le bénissant jusqu'au dernier soupir de sa vie. 

Après avoir parlé de ces grands exemples de ver- 
tu , il ne faut pas oublier ceux que deux jeunes 
hommes donnèrent vers ce même temps à TEglise 
de Constantinople. On verra dans ces deux héros 
chrétiens toute la constance et tout le courage des 
premiers martyrs. 

Un jeune grec âgé de vingt-huit ans, s'étant 
trouvé en compagnie de plusieurs turcs , fut prié 
par Tun d'eux de faire la lecture d'un papier qu'il 
luy mit entre les mains. Ce papier contenoit une 
formule que ces infidèles font prononcer à ceux qui 
embrassent leur loy. Celui-cy la lut innocemment , 
et sans y faire reflexion. Cependant il n'eut pas 
plutôt .achevé de la prononcer, que celuy qui la luy 
avoit donnée pour la lire , prit les autres à témoins 
que ce jeune homme venoit de déclarer qu'il se fai- 
soit turc. Nôtre chrétien bien surpris eut beau faire 
serment du contraire, sur le refus qu'il fit de pren* 



— Î39 — 
dre le' turban , ils le menèrent eh prison , où il 
demeura cinquante jours , protestant quHl estoit 
chrétien, et qu'il ne cesseroit jamais de l'estre. 

Ils crurent que les tourmens le forceroient à par- 
ler autrement , ils luy firent souffrir la faim et la 
soif pendant six jours entiers , mais inutilement ; ils 
le chargèrent à plusieurs reprises de rudes baston- 
nades , le jeune grec demeura .toujours immobile 
dans sa foy. Les turcs en furent étonnez , ils eurent 
recours aux caresses, ils le tentèrent par des emplois 
et des sommes d'argent qu'ils lui offrirent; enfin 
ces infidèles voyant que les récompenses et les 
peines estoient également sans effet sur l'esprit et 
sur le cœur 4e fervent chrétien, ils luy firent tran- 
cher la teste dans une place publique , oi^ il reçut 
la couronne du martyre. 

Quelques années après ce glorieux martyre, un 
autre chrétien ennuyé de ne faire aucune fortune 
dans sa province, s'itnagina que venant à Constan- 
tinople, il y trouveroit un sort plus heureux , il y 
trouva en effet bien des promesses qu'on ne man- 
qua pas de luy faire pour l'obliger à changer de 
religion , il y consentit et prit le turban ; il vécut 
ainsi longtemps avec les seules espérances qu'on luy 
avoit données. Mais Dieu, dont les miséricordes sont 
infinies, eut pitié de ce pauvre apostat , il permit 
qu^on lui fit faire de salutaires réflexions sur le 



— 240 — 
crime qu*ii avoUcommiSy sur le peu qu'il avoit ga- 
gné pour le commettre , et sur le châtiment qu'il 
avoit à craindre pendant une affreuse éternité. 

Toutes ces pensées bien pénétrées luy ouvrirent 
les yeux , il vit à découvert Thorreur de l'action 
qu'il avoit faite ; il s'en repentit , et voulut la repa- 
rer de la manière du monde la phis glorieuse : car 
un de ses amis luy ayant conseillé de repasser en 
Europe pour mettre sa vie el sa religion en seureté, 
nôtre pénitent luy répondit qu'il se sentoit obligé 
d'expier sa faute dans le lieu où il Tavoit com- 
mise. Il le fit , il alla chez le Cadi témoin de son 
apostaisie ; il jetta en sa présence le tutban qu'il 
avoit pris, et il le foula aux pieds, déclarant qu'il 
étoit chrétien. 

Le juge irrité de cette hardiesse le fit mettre en 
prison, où il lui fit souffrir pendant huit jours de 
tres-cruels et de tres-honteux tourments , rien ne 
put ébranler sa foy ; après avoir eu le malheur de 
vivre apostat, il eut la gloire de mourir martyr. 

Tous ces exemples des plus héroïques vertus du 
christianisme font assez voir que ces terres ne sont 
point si stériles qu'on le pourrbit croire en France, 
et plût à Dieu que ceux qui en doutent , ou qui 
affectent d'en douter, fussent témoins des heureuses 
dispositions que nous y avons 'trouvées à une 
abondante fertiUté / . 



— 241 — 

. . Nous sommes six Missionnaires daps cette .ville ^ 
qui elle seule en demandqroit un plus grand nom- 
bre qu'il, n'y en a dans JaGrete entière. Car on y 
4;ompte plus de cent mille Grecs, quarante milfe 
Arméniens, autant de Juifs , environ trente mille 
esclaves de différentes nations , et grande quantité 
d'Europeans de toutes sortes de religions. 

Notre Eglise est toujours ouverte, nous y faisons 
toutes nos fonctions avec la même liberté qu'on a 
dans les Eglises de France. Ifous y offrons publi- 
quement le. i^int sacrifice de la Messe, nous y admi- 
nistrons les Sacrements, et nous y rompons le pain 
de la parole de Dieu. 

X<es Festes et les Dimanches, elle uq dçtsempltt 
pas, la modestie et la pieté, qu'on remarque sur le 
visage de ceux qui y prient, pourvoit faire honte à 
DOS Chrétiens, de France. La coutume est qu'à lafip 
de chaque Messe on fait une petite instruction^ eti 
différentes langues, pour l'utilitq des Chtôtiens de 
différentes natiops. L'aprés-dîné le sern\on, et. les 
prières pubhques et;ant finies, nous sommes tous 
occupez dans des conférences particulières avec plu- 
sieurs personnes qui viennent s'instruire sur des 
points de religion. C'est dans ces entretiens qw 
nous avons souvent la douleur d'en yoir quelques- 
uns convayiçus de la fausseté dis leur secte, S9^s 
oser là quitter ; tout le service que nou^ poiAvons 
K. 46 



— 242 — 

46ur rendre, est de les détourner du Tice, et d*em- 
]^her que Dieu ne soit offensé. 
. La mort ndus a enlevé, il 7 a qi^Iques années, un 
Missionnaire qui étoit admirable pour ces confe^ 
renceSf et qui y a fait des fruits inconcevables : c'es- 
toit le Père de Sainte-Geneviève. Depuis son entrée 
dans nôtre Compagnie il ne cessa point de daman* 
der avec instance la permission de venir dans nos 
Mssiops de Grèce; il ne Toblint cpïk Tâge de cin^ 
quante-<nnq ans, après avoir régenté pendant sept 
ans la Philosophie, et pendant neuf autres la Theo- 
k^[îe, et après avoir ensuite gouveimé un de nos 
Collèges. La Grèce l'a possédé l'espace de vingts 
huit ans, dont il en a passé vingt à Constantinople; 
sa profonde érudition apmt bientôt été connue, 
elle luy attira un grand nopabre de personnes de 
toutes sortes de* secte* et de religion , qui venoîent 
le consulter. L'humUité et la douceur avec laquelle 
il répondoit, le faisoient autanit estimer que* sa capa- 
cité même ; il avoit aussi^ la <:onfiance de la plus 
•grande partie desfnancs et d'un gr€^nd nombre de 
H^Qcs qui se mirent sous sa direction, et qpi en 
tirèrent beaucoup de pn^t pour le« salut de leurs 
annes. 

Ayant donné tout le temps nécessaire au service 
du prochain, il employoit le i<este pour les nouveaux 
Mîssîoiuiâiresy eU: faveur desquels il a fait un Lexi- 



^243 — 
çoH en gréé vù^aire, qm lewert d'ua 'tr69<geftB4 
usage pour apprendre celte langue; 

Il a vécu ainsi dans la pratique des Tertu» pi\opr0s 
de son état jusqu'à Tâge de quatre-vingt-quatre ans; 
Notre Evéque fit la. cérémonie de ses obsèques; le» 
plus qualifiez d'entre les grecs, et des cours des 
Ambassadeurs de France, de Venise et de Genne^ 
y assistèrent, et donnèrent des^ marques publiques 
de l'estime qu'ils aboient pour le mérite et la yertu 
d'un Missionnaire, qui avoit tant de part aux biens 
que la Mission faisoit dans Constantinople. . , 

La Congrégation dont nous avons parlé, et dont 
le Pei:e de Sainte-Geneviève eut soin pendant quel- 
que temps, est plus nombreuse que jamais, les 
principaux de la nation Françoise se font honneur 
d'en être; ils font pareillement honneur à la Cot>- 
gregation par leur conduite aussi édifiante que 
Pétoit celle de leurs prédécesseurs. 

Comme l'instruction des enfans est de tous les 
emplois^ celui que saint Ignace nous a le plus re- 
commandé, parce qu'il est en effet le plus impor- 
tant pour la Rehgion, un des Missionnaires est 
chargé de faire tous les jo&rs le.jQatechisme matin 
et i^ir. Nous venons de perdre un saint vieillard 
âgé de soixante-dix ans, qui après avoir long temps 
gouverné 4<9s^Missîons de Grèce, a voulu consacrer 
le reste de ses jours à faite nôtre école; il s'est 



— 844 — 

aoqaitlé de ces emplois avec toute la £arveiir d'un 
novice jusqu'au dernier soupir de sa vie. Cet an- 
cien ouvrier de la' vigne du Seigneur se faisoit un 
honneur, disoit-il, d'aprendre à ces ame^ innocentes 
à lire ed franc, en grec et en turc; il instruisoit les 
plus avancez en âge des dogmes de nôtre foy, il les 
fortifioit contre le schisme et Terreur, il enseignoit 
même le latin à ceux qu'il jugeoit les plus propres 
pour entrer un jour dans l'état ecclésiastique, et 
parvenir à ses dignitez. Nous voyons aujourd'hui, 
dans plusieurs Prélats , les heureux fruits de cette 
éducation. 

Peftdant les temps de carême et d'^vent, nous 
redoublons les instructions dans nôtre église, on y 
prêche régulièrement trois fois la semaine, et sou- 
vent plusieurs fois en un jour, et en diverses lan- 
gues ; l'église est toujours pleine ; les prédicateurs 
en sortant de chaire, sont quelquefois di>ligez d'al- 
ler remonter dans celles des églises des grecs et des 
arméniens, pour satisfaire le désir qu'ils ont d'en- 
tendre la parole de Dieu. Ces prédications conser- 
vent les orthodoxes, et en augmentent te nombre. 

Jusqu'à présent nous n'avons parlé que des exer- 
cices qui se font dans nôtre maison. Voici ceux qui 
se pratiquent au dehors. 

Comme de toutes les nations qui abondent en 
cette ville, celle des grecs est la plus nombreuse, 



— 2« — 

nous k cultivons icy* par préférence aux autres, 
qui trouvent dans leur propre pais les instructions 
de nos Missionnaires» , * 

Iliiaut convenir, Messeigneurs, que le schisme a 
toujours icy beaucoup de force, et qu'il perd un 
grand nftnibre d'ames, mais il n'est point à beau- 
coup prés un ennemi si redoutable aiix Missionnai- 
res, que rignorance et le vice. L'ignorance de^ 
grecs est si grande, que la plupart -ne connoissent ^ 

point d'autre différence entre leur Eglise et la nôtre^ 

■h 
que celle qu'ils remarquent à l'extérieur, c'est à dire • ^ 

dans les jeûnes et dans les cérémonies qu'ils obser* 

vent, et que nous n'observons pas : ils ne sçavent 

ce qu'ils doivent croire, ni ce que nou^ croyons, ^ 

ainsi ils sont toujours exppsez à ton)ber dans autant } 

d'erreurs, qu'il y a d'haretiques qui les approchent. 

Leurs prêtres, bien loin de les insboiire, ont pour 

la plupart besoin d'être instruits eux-mêmes. Leur 

patriarche songe a se maintenir dans sa dignité, qui 

est continuellement exposée à des enchères. 

Les Evéques, de leur côté, ne sont occupez qu'à 
amasser de quoy vivre ; {dusiews même sont cop^ 
traints de le chercher dans des métiers. 

Pour ce. qui est du vice , comme il se commet 
impunément, il fait icy de grands despr4res; nous 
ne laissons pas cependant au milieu d'une Eglise 
audsi désolée qu'est 0$lle dont nous parlons , de 



trouver des aines choisies qiii demeuretit dans la' 
pratique sainte de leur 'rit et de leurs coutumes; Il 
est donc nécessaire d& soutenir la vertu deceux-cy, 
de corriger lés nlœurs dé ceux-là, et de guérir cette 
grossière ignorance qui infecte toute la nation. 
C'est pour cet effet que deux de nos Missfonnaires 
sont continuellement occupez à faire les visites dès 
chrétiens, its prennent tantôt un quartier et tantôt 
un autre; ils vont de boutique en boutique, ils y 
amassent toute la famille avec autant de voisins 
qu'il est possible, et dans ce petit auditoire ils font 
une instruction familière confoi'itie aux besoins des 
personnes auxquelles ils parlent. Ils se font ensuite 
proposer des difficuItez,eten*proposenteux-mémeSy 
ils expliquent les unes et les autres , et unissent 
chaque visite en interrogeant 'les enfans sur leur 
catéchisme, pour Finstriiction dés grands., aussi 
bien que pour celle des petits. 
' Lés mêmes Missionnaires vont -souvent rendre 
leurs devoirs aux Evêques, et à leur clergé, avec 
les^éls*nous entretenons une parfaite intelligence, 
iâ c()nversaticin est toàjoui*s «ur quelque point de 
religion ; car plusieurs né démandèirt qu'à être 
•^uifs : deptfib peu nous avons eu le* botiheur de 
■ ^uer à rendre qufelques«4ins d'eux de parfiiits 

'bccupàtloyi dés M isaionnaires dont 



coûtï^ 

outre cette 



— 247 — 

noasvenoDs^de parler , nous en avons icy une autre 
beaucoup plus laborieuse, mais qui n'est pas moins 
oonsolante. C'est la Mission que deux de nos Pères 
font dans les bagnes du grand Seigneur, et dans 
eeux de qyelques seigneurs particuliers. 

Ces bagnes sont des prisons ovi les infidèles ren-* 
ferment les esclaves qu'ils, achètent, ou qu'ils Ibnt 
mr les chrétiens dans les guerres qu'ils ont avec 
. eux. Il y en a jusqu'à trois nulle* dans ;celuy du 
grand Seigneur^ tous pour la plupart moscoyites^ 
polonois, foux, allemands et françois : il n'est pas 
possible de faire une )\;fôt% peinture de l'état déplo- 
raUe de ces malheureux • 

A peine iipproche-^t-on de ces vastes cachots que 
l'on entend avec horreur le remuement de le^rs 
chaînes, avec ie bruit des coups qu'ils reçoivent , 
et des cris que la violence du mal leur fait jetter. 
A la porte de ceshorrible^ cavernes, on apperçoit 
au travers d'upe obscurité que, le soleil ne perce 
qu'à peine tous ces esclaves^ enchaînez: ; leurs visa* 
ges paroissent baves, et leurs corps atténuez, des 
fdttgues continuelles de la prison , et du travail 
journalier qu'on leur impose. Ils ne vivent que de 
pain et d'eau , ils n'ont point d'autre Ut que la 
tare, leur corps est à demi-^nu.-, et pour *cooible 
de misère, le mauvais air qu'ils respii^nt dans un 
lieu si infect , lengendre une infinité de vermines , 



— 248 — 
qui les tourmentent continuellement : ce qui fait 
plus dé pitié , c'est que les malades ne sont pas au - 
trement traitez que ceux qui se portent bien . Tout 
leiir'^oulagement consiste à estre couchez sur un 
peu de paille , que lés plus charitables d'entre leurf 
Compagnons leur apportent. 

Mais dans l'assemblage de tant de maux que 
quelques-uns de ces esclaves souffrent depuis* trente 
et quarante ans,' rien ne leur est plus insuportable 
que la dureté des officiers commis à leur garde ; 
on auroit en France plus de compassion d*une bête, 
que ces hommes impitoyables n'en ont pour ces 
captifs ; jamais ils ne leur parlent que le bâton à la 
main et les injures dans la bouche , une légère 
faute est punie par de si rudes châtiment que la 
patience échapant à quelques-uns , nous les avons 
veu prests à se désespérer; 

C'est daVis ces bagnes que nos Missionnaires 
trouveiit une tres«-riche moisson. Comme la liberté 
de vivre et de mourir en chrétien est le seul bien 
qui reste à ces pauvres esclaves , tîos Missionnaires 
les aident à en faire un bon usage, comme de ceJêy 
qui leur doit être le plus précieux. 

Toutes les fêtes et dimanches deux de nos Pères 
se rendent de' très-grand matin dans ces prisons 
pour les faire prier Dieu , leur dire k*sainte Messe^ 
et les instruire avant qu'ils aillent au travail ; étant 



— Î45 — 
partis, les Pères demeurent auprès des malades pour 
leur faire entendre la Messe , les consolet^ dans leurs 
maux , les soulager dans leurs misères extrêmes et 
leur rendre tous les petits services dont ils sont 
capables . 

Le soir, au retour du travail, les Pères retournent 
aux bagnes pour entretenir plus à loisir ceux dont 
il faut affermir la foy, ou changer la religion , cor- 
riger les vices et prévenir le desespoir, en les aidant 
à porter avec patience un joug si insuportable. 

Cetemploy, quelquefois si rebutant, devient doux 
par les fruits dont on est témoin ; car c'est dans ce 
lieu que Dieu prend plaisir à découvrir les richesses 
infinies de sa bonté , qui attend le pécheur à peni* 
tence. Nous y voyons souvent de ces hommes qui, 
après avoir vieilli dans toutes sortes de crimes , 
toujours insensibles à leur salut et endurcis dans \e 
mal, reconnoissent enfin la main d'un Dieu qui s'est 
apesantie sur eux, rentrent dans eux«m^es et 
reviennent à luy, comme le demande S. Paul , avec 
un cœur pur, des intentions ^droites , et une foy 
sincère. Nous en voyons d'autres, qui ne sont totn- 
bez dans cet esclavage que par un coup du CieV, 
qui les a voulu retirer de l'heresie où ils ètoient nez. 

Un de nos Missionnaires trez-zelé pour le salut 
de ces galériens^ a eu le bonheur, par le moyen de 
la langue allemande qli'il sçait parfaitement bien , 



— Î80 — 
de convertir dapms peu plusîeorft^ luthmens et caU 
vinistes, et entr'autres deux capitaine» Vénitiens. 

Mais pour mieux coimoitre les benedicti<ms que 
Dieu veysesur cette Mission^ il Êiodroit voir, comnie 
nous, la multitude des confessions dont nous som*» 
mes a€cd[>lez pendant les nuits eatiéiies des veilles 
des grandes fêles que nous passons dans les {uitons 
avec c^ pauvres gens; il fabdroit vmr la douleur 
de leur pénitence , la ferveur de leurs prises , leur 
soif , pour ainsi dire , de la parole de Dieu ; il fau* 
droit encore vqir, avec quelle patience et qudle 
eonfbrtnité à la volonté divine, quelquesfuns d'eux, 
d'une vie tres^innocente, suportent la pesanteur de 
leurs chaînes , dont i^ se delivr^rpient aisément en 
renonçait à leur- religion. £nfin il faudroit étipe 
spectateurs, comme nous, dek prétieuse mort 4e 
eertaiûs esclaves, qui ne montrant au dehors qu'un 
extérieur grossier, font voir au dedans une verbi 
ang^ique; il faudroit entendre les sentimens qui 
partent de leur cœur; il feudroit voir leur foy, leur 
rdigion, leur patience, leur contrition,* leur con- 
fiance en Dieu, et leur joye de. mourir dans les fers, 
d'où BOUS les voyons sortir pour aller, prendrt 
possession du Ciel . • . . . 

Le zèle que feu mobsieur Girardin, ambassadeur 
du Roy, a toujours eu pour la religion, luy avott 
fait entreprendre l'étaUissement d'une Mission fixe 



— 98i — 

dans (la) vHle (d'ÂndrinopIe), qui est aujourd-bay h 
demeure ordiûaîre du grand Seigneur* Le vice et l'er* 
reur quiy regnoient , jointsàTabandon où estaient 
un grand nombre d'esclaves de toutes les nations de 
l'Europe, qui viv<nent sbn3 instruction ^ et qui n^ou" 
roient sans secours, forent pour luy un puissant tbo^ 
tif d'y étftbbf des .Missionnaîrea. Mais la mort ayant 
prévenu Tèxécution de ses desseins y monsieur de 
Caslagniere, marquis de Qiâteau^neuf, son succes- 
seur, voulut acbever ce que son prédécesseur avoit 
commencé. 

Les prenners Missionnaires qu'il établit dans cette 
ville y travaillèrent avejC beaucoup de succès.; deux 
d'entre-eax ymouruinent dans l'exercice de la cha- 
rité, dont l'un lut le Père Pierre Bernard, qui -a 
rendu de très-grands services à la religion dans la 
iSrece. C'étoît un homme à qqi Dieu avoit 4ooné 
des talens, qui luy auroient fait heat^coup d'h^o^ 
neur en Fiâhce , s'il y fôtdemieuré. Son espnt étm% 
excellent, surtout fertile à trouver des expédiens 
sages , pour procurer la gloire: de Dieni et le salpt 
des peuple»*, auprès desquels 41 tra^aiUoit Son 
naturel étoit doux. et insinuant, ses paroles étoient 
persuasives ; il préchoit en turc , en arménien , en 
grec , en italien , et avoit même acquis toute la der 
licatesse de ceslangaes. Lorsqu'il montoit en diaire^ 



— «î — 

il étoit toujours extraordinairemént suivi ; d'ailleurs 
ses sermôhs étant tres-instructifs et pleins d'onction, 
ils faisoient de grands fruits. 

Pendant dix ans qu'il a été à Constantinople , il 
a pris le soin des bagnes , dont nous avons parlé ; 
il y passoit souvent les jours et les nuits. Sa pré- 
sence étant ensuite devenue nécessaire à Andrino- 
ple, il y alla, et y demeura par obéissance, sans 
avoir jamais voulu représenter à ses supérieurs que 
l'air de cette ville luy étoit contraire. Il ne laissa 
pas, malgré sa mauvaise santé, de travailler conti- 
nuellement à l'instruction des grecs et des arme- 
nieiis de cette ville ; particulièrement dans un temps 
de peste, où après les avoir assistez , il fut attaiqué 
du même mal et en mourut. Il fut regretté uni- 
versellement de tout le monde et des turcs mêmes, 
qui l'aimoient et qui Testimoient; mais sur tout 
des arméniens, dont plusieurs luy dévoient lé 
bonheur d'être rentrez dans la véritable Eglise. 

Si46t que la nouvelle de sa mort eut été répan- 
due , ils vinrent en foule chez nous pleurant et 
gémissant : leur Evéque voulut faire les obsèques , 
qui durèrent depuis huit heures du matin jusqu'à 
trois heures après midy. Les prêtres arméniens al- 
lèrent faire de longues prières sur son tcHnbeau 
pendant sept jours de suite : mais rien ne fera 



— 853:- 

mieux voir les sentiments de c€|jtte nation pour le 
Père Bernard qUie la lettre, qu'elle nous écrivit à 
CoDstantinpple et dont vc^cy.les termes. 

« .Dieu mit béni de ce qu'il, a frapé.. notre tête , et 
« de ce qu'il nous a laissé sans yeu^ et sans lur 
« miére : nous n'avions qu^iMi Pasteur, et il a pieu 
« à Dieu de nous l'enleyer, nous n'aviona qu'un 
« vigneron et nous l'avons perdu ; nous sommes 
fl des orphelins abandonnez à la fureur ^s hçretir 
« ques , contre lesquels nôtre Ange , et nôtre ^Apo^ 
« tre , le fei^ Père Bernard nous défendoit : peut- 
« être même les^ût-il convertis , s'il eust véoi plus 
« long-temps; car nul de nôtre nation ne^pouvoît 
« résister à la douceur et à la force de son zéle,.qiii 
« le faisoit travailler infatigablement pour : nous : 
« mais il est dans le Ciel, et il ne nous oubliera 



La mort d'm» si ex(;jçUent hcginme lut nuiviie de 
celle d'un jeune Missionnaire, qu'q^ .luy .ayoît 
dcmné pour compagnon. C'étoit le Pene.Mocet, 
parisien; .ayant été destiné ^our Ândrinqple^ il y 
finit sa carrière en peu 4e tfsmps, mais avec l^au- 
coup.de bonheur ; car après avoir travaillé pendant 
deux ou trois ans dans, la vigne du Semeur, il 
mourut; ainsi que le Père r Bernard,, pendant la 
peste, au service de ses frères et du mém^ mal. 
C'étoit un jeune homme qui possedoit toutes les 



— 154 — 

quaKiez propres è foire utf Missioiiiiaire; il atoit 
da zéle^ du courage, de la fiitilité pour apprendre 
les langues; mais surtout une devotiott, une fer* 
veur et une régularité dans tous ses devoirs, qui 
H'aroit poinidiminué depuis son noviciats 

Andrinople "ayant perdu ces deux ouvriers , il 
eurit été à souhaiter pour le bien des chrétiens que 
nous eussions pu leur en envoyer deux ou trois 
autres , et leur &ire une demeure staUe; mais nos 
fùMs ne nous le permettant pas, il faut se contenter 
que deux Missionnaires aillent de temps en temps 
porter la Mission dans cette ville. Voicy ce que 
nous ep écrit un de nos Pères, qui y est allé pour 
trois mois. 

« J'ay trouvé», dit^l, « dans cette ville impériale 
« beaucoup (rfus de travail que quatre Missîon- 
« naires n'en pourroient faire; car on y compte 
« [dus de hidt milie grecs ,;pltas dé quati^e cent fa- 
«^ milles armenieniles , et beaucoup d'autres chrè- 
i tiens de diverses nations et de diverses sectes. 
• I Je suis semlMemetft ^affligé de les voir tous sans 
« insUudioà , et sans exercice de nôtre religion. Je 
«le suis encore* davantage de ne pouvoir leur 
« donner le secours, qui leur seroît nécessaire; 
« car n'y ayant, icy qttemoy de Missionnaine , et 
« m'étant iaopossible d'ailfenrs de salis&ire à taqt 
i de besoins , ]*ai suivi rinclination que Dieu m'a 



— 286 — 
« toujours donnée pour le salut des esclaves , qui 
« m'a paru un bien pur et solide. 

« Depuis six semaines que je suis icy, j'ay eu 
« la consolation de faire toutes nos fenetiops dans 
« l'Elise de la Republique de Eaguse , avec une 
« liberté par&itet J'y ay administré les Sacr^mea^ 
« à environ quatre-vingts personnes, dont une 
Il cinquantaine étoient allemands ou allemandes , 
• qui depuis dix et vingt ans d'esclavage n'en 
t avoient pas approché. Ils me paroissent . assés 
« bien confirmez dans la vraie foy; ce qui me 
« Élit bien espérer d'eux, c'est que pouvant se 
« retirer d^ leur misère extrême, en renoniçantà 
« . leur religion , ils me témoignent être plus réso»- 
« lus que jamais de tout souffrir, plutôt que de 
« commettre .une action si indigne d'an chrétien. 
« J'ay reçu depuis peu l'abjuration d'une luté* 
« ri^ne , et de sept autres esclaves des galères ; 
« et j'ay liei| d'espérer que leurs. exemples^ seront 
« suivis de plusieurs autres. 

« Au reste , je ne puis assez vous dire combien 
« je suis redevable à mouiieur jie marquis de Châ- 
« teauneuf , ambassadeur en cette cour; il a mâle 
« bontez pour moy , et c'est à sa protectioUr toute 
« particulière que je dois la liberté que j'ay 4e 
« faire le peu de firuit que je fais en cette ville. » 



— 2«6 — 



n. 



Il n'y a point de pais dans tovs les Etats du 
grand Seigneur, où Ton ait eu jusqu'à présent 
plus de liberté que dans cette isle (de Chio), pour 
exercer les fonctions de la religion chrétienne. 

Les chrétiens de l'un et l'autre rit ont dans Chic 
plusieurs églises , où l'office divin se fait avec beau- 
coup de régularité et de dévotion. Nous y avons un 
collège, où il y a environ trois cent écoliers qu'on 
élevé dans l'étude des belles lettres, et dans la 
vertu. On instruit outre cela quantité de jeunes 
ecdesiastiques, et on les prépare à recevoir les 
ordres sacrez. Il y a dans nôtre maison quatre Con- 
grégations toutes aussi belles et aussi bien ornées, 
qu'elles le pourroient estre en France. Elles dont 
partagées selon les âges des Congreganistes, et non 
pas selon leur qualité. Il y en a une pour les vieil- 
lards, la seconde est pour les personnes mariées, la 
troisième est pour les jeunes gens, qui sont au-des- 
sus de quinze ans, .et k quatrième est pour ceux 
qui sont au-dessous. Le pombre de ces Congrega- 
nistes se monte à environ quatre cent. • C'est un 
spectacle bien édifiant de voir tous ces vieillards, 
marcher deux à detix dans les rues, accompagnant, 
le cierpe à la main, le tres-saint Sacrement de l'Au- 



r 



tjA^ ayeq une modestie angdiique : étant précédée 
des autres congr^auistes , qui marchent sdon leur 
âge, doQt plusieurs portent sur des braacavB ornez 
les prétieuses reliques de quelques mMtyrs^- qui oQt 
autrefois versé leur sang pour planter dand TOMent 
et 4ans leur patrie même la foy de Jesus-CSirist. 

Nôtre Eglise est fort belle. Le Roy de Pologne y 
a fait un prient digne d'un aussi grand Printee. 
C'est un soleil dont les ornements qui le soutiennent 
et qui renvironnentdetous cotes, s'dieYent à la hau- 
teur de six pieds, le tout d'argent^ massif fres*déli^ 
catement travaillé. La maison entretient, dix* oii 
douze Jésuites. Tous sont natife de YiAe même, d'où 
la province de Sicile tire continuettement de très-» 
bons sujets. Ctest parmi e^x qu'on choisit tes ^on« 
fesseurs de la langue grecque, qui sont à la Peni- 
tencerie de Saint-Pierre de Rome, et à ^relle ^ 
Nôtre•Dam^ de Lorette... ' • 

Les frnits que. ces Pères faisoient dans Tisle 
dont nous venons d^ parler et dans les autres isles 
voisines, inspirèrent à> TEvéque de Thyne, visi- 
teur de la mer Egée , . le désir de demandier des 
Missionnaires. 

Le premier qui se sentit appelle deOieu pour y 

aller fut le Père Michel.Albertin y natif decetle ide. 

Si lot qu'il eut reçj^ la lettre de son Evéque , il 

quitta la Mission, où il était utilement occofpé , et 

K. 47 



¥ifat an.Mcoiiirs: de sa patrie. U y tuMta tant de 
bieù.à fiure , qu'il Iqt .obligé de demander des 
campafnoBs au supérieur gen^rsd de Grèce. Quoi- 
que, le ^upenîeiir n'çut aucun ouvrier de trop, il 
ne laissa pw d'eu donner un qui arriva à Thyne 
en Vannée 1677. Il fut reçu avec une joye extrême 
du Pçre Albertin qui rattendoit avec impatience. 

Le nouveau Missionnaire n'eut pas moins de 
€<cHlSolation de troaver pour son associé dans cette 
vigne, du Seigneur «in vénérable vieillard d'une 
v^rtu éftiinente, vivant dans une si étroite pau- 
vreté ^ qu'ayant vefusé. de loger cbez ses parens 
les plus riches de Tisle, il li'avott voulu prendre 
pour sa ûem&ùre qu'une pauvre cabane ^ et pour 
sa nouitifureique des légumes. Ces deux Pères par- 
tagereol entr'eui ies tsavaux de la 'Mission. Ils 
aUereaat de village en village , exhortant et instrui- 
sant tous les chrétiens , qui sont au nombre de 
quinze. aime. sous la conduite d'un seul Evéqoe. 

Qudques années après, la- r^ublique de Venise 
apprenant les succez des deux Missioi^ntiires , y en 
envoya encore dbux autres. Ce iiouveau secours 
causa d'autant plus de joye à ces insulaires , qu'ils 
qherehpient ieti moy^ms d'>établir chez eux une Mis- 
siidn êxn» pciiur yicoDâerver -lei^ Pères , en qui ils 
Cpipmi^nçolent à à^ir déjà beaucoup de confiance. 
L'JE^véfiie. vduhit qu'un* des-qiiatré é-a{^>Kqîaât uni» 



qneoieiit à Tiiistraction ile sod olergé, qui ea airoit 
grand besoin. U Vas^embléM: régulièrement deux 
fois la semaine dans sa cathédrale. Tous les eurâz 
des villages de l'isle s'y trouvoient : rassemblée 
étoit d'environ 80 ecclésiastiques ; TEvéque éèo&t 
à la téte.X*e Missionnaire leur faisoit des OMféren- 
ces 3ttr les devoirs de leur état et sur les cas de 
conscience. Ces conférences leur donnèrent; lé 
goust d^ Tétude^ et en même temps celuy de la 
pieté et de la régularité. 

Le Père les trouvant si bien disposez , crût qu'unei 
retraite de sept ou huit jours contribueroit à. lest afr. 
fermir dans/Ie bien. Il la proposa à quelques*uns 
des plus coQjHderables du clergé, qui la firent avec 
tant de consolation , qu'ils exhortèrent leurs eon^ 
frères à en faire une pareille. Toute Tisleen profita; 
car les curez qui en sortirent mieux instruits de 
leurs devoirs, et bien résolus de les remplir, tra- 
vaillèrent de copfjert avec les Missioonaiires pour 
reformer les mœurs de leurs parpissfeens. . 

On voyoit déjà de grands changemens parmi 
eu*:; lorsqu'un des deniers jubilez accordé par- 
nôtre Saint-Pei?e le Pape acheva de répandre par 
tout la ferveur. Les Missionmxres et les autres 
ecclésiastiques passoient presque les jours et les 
nuits à entendre dés confessions, dont j^biîÈféliis 
accompagaées de :geniissemenîrj séCoient de» pi^Mes 



-^ Î60 — 
sincère» de {b conversion de ceux qui les faisoient. 
On vojmt de tous cotez des troupes de penitens qui 
atloient d'église en église psalmodiant d'un ton lu- 
gubre , et déchirant leuts corps à coups de disci- 



.Le plus surprenant de tous les changemens fut 
céluy qui arriva dans une partie de Tisle de Thyne, 
k plus éloignée «de la forteresse, et la plusvoisine 
d'Aiidros. £Ue se nofnme Ozomerià. Les habitans 
y vivoient plutôt en brigans qu'en chrétiens. On ne 
parloit tous les jours que de leurs vols, de leurs 
meurttes, et de leurs autres crimes. Un d'eux 
s'étoit 'engagé ' pour deux piastres de tuer leur 
£Téque. Un des M^ionnaires fut' prié d'y aller , 
il. trouva dés hommes qui marchdieilt' toujours le 
poignard en main. Il crût què*pour %'insinuer 
d'abord dans leurs esprits , il devoit commencer 
par faire 'le' catéchisme à leurs ehfans, et par dis- 
tribuer quelques remèdes aux malades.- 

Ces actions de chaHté luy donnèrent accez dans 
les maisans. Peu a peu -ces hommes barbares se 
(amijliafciderent avec luy ; ils luy menoiei)t leurs en^ 
faus let.riqvitoienl * à» 'venir chez eifât . Le Mission- 
paire y alioit) et leur £Éisoit des instructions parti- 
ciliiQi)esi .:: bien-tôt ^présplileuren^t de^pubKques 
dan$i rSçlise.Ils y vmrenty et Dieu qiii^'est«ngàgé 
^ pfirl^f ^v Ja b((Hiçbe ..de ^ms : ministres v toiçcha si 



— 261 ~ 
fort leurs coeurs , que ces peuples devinrent^ doux 
et traitables , et changèrent enfin leur vie crimi- 
nelle , en une vie trés-chrétienne. Liorsque le Père 
eût achevé sa Mission , il en sortit avec le regret des 
grands et des petits. Tousluy donnèrent mille bé- 
nédictions j et ils le reconduisirent en grand nom<<- 
bre , l'asseûrant qu'ils pratiqueroient ce qu'il leur 
avoit enseigné , et le conjurèrent de revenir bien- 
tôt pour en être témoin. 

L'isle de Thyne ayant été ainsi toute renouvellée 
par les soins des Missionnaires , TEvéque les pria 
de parcourir les isles de Thermia, de Zia , de Mi- 
cono , d'Andros et de Milo. Il voulut qu'un d'eux 
y allât en qualité de son grand vicaire y et il luy 
mit entre les mains un bref du Pape , par lequel le 
Père avoit le pouvoir de relever des censures ecclé- 
siastiques un Evêque, quelques Prêtres et des Clercs, 
qui y étoient tombez. 

Les autres Missionnaires eurent dans leurs cour- 
ses particulières de ces isles, tout le succès qu'ib 
pouvoient espérer ; et c'est aussi pour y entretenir 
les fruits qu'ils y ont faits, que nous continuons au- 
tant que nôtre petit nombre le peirmet , d'aller 
tous les ans les visiter. 

Mais pour nous acquiter plus facilement de toutes 
ces courses evangeliques , nous avions besoin 
d'avoir deux Missions fixes dans l'Archipelt Le§ 



iflks de Natie et de Sant-Eriny ont été jugées les 
plus propres pour cet établissement..... 

Leà premiers qui vinrent dans cette îsie (de Naxie) 
y trouvèrent quantité de superstitions payennes , 
qu'ils eurent toutes les peines du mondes à abdir. 
Cellfe qui paroissoit la plus fecile à détruire se main- 
tint le plus longtemps. Une femme qui avoit perdu 
son mary, ou une mère qui avoit perdu sa fille , as- 
sistoient à leurs funérailles, comme des desespc^z, 
bu plutôt comme des furies , s'arrachant les che- 
veux , se battant la poitrine, déchirant leurs habits^ 
et hùHant d'tine manière épouvantable ; mêlant 
avec leurs cris des blasphèmes contre les ordres 
de la Providence. La céréVnonîe achevée elles s'en- 
fermoient six mois , oU un an durant dans leurs 
maisons sans en vouloir sortir, non pas même pour 
aller à la messe, et à l'office divin aux jours les plus 
solemnels de Tannée. De plus elles n'osoient chan- 
ger d'habit que le leur ne fût tout usé sur leurs 
corps. Ce qui est étonnant, c'est que toute extrava- 
gante qu'était cette coutume , les femmes les plus 
distinguées de Tisle ne s'en dispensoient pas. 

L'ignorance n'y étoit pas moins grande que la 
superstition. On n'en n'étoitplus surpris lorsqu'on 
voyoit celle des personnes qiîi dévoient les ins- 
thiire : mais ce qui était encore de plus fâcheux , 
c'est que les mœurs de ces derniers étoiènt très- 



sui&pectm. Il est certaia du moiits qu'ils. vivoieM 
dans une grande fainéantise , et dus- une grande 
molesse, disant très rarement la sainte Messe, et 
s'acquittant apssi m^l de leurs autres devoirs. Les 
Missionnaires qui&çavoient par expérience que la re- 
forme des peuples dépend de celle de leurs Pasteurs, 
s'appliquèrent d'abord à l'instruction de ceux-cy. 
Si-tôt qu'ils, furent instruits , ils travaillèrent tous 
ensemble de concert à celle des peuples, et avec 
tant de fruit, qu'il ne reste aujourd'huy aucune 
des superstitions anciennes. I^a pureté des mœurs 
est icy plus grande que dans aucune isle dô TAr- 
cjiîpel. Le Gei^é y est tréfrTeglé. Un des Curez de 
cette ville nous a donné un exemple de vertu , qui 
ne doit pas être oublié. Après avoir partagé pen- 
dant sa vie , comme un bon Pasteur tout son petit 
bien avec les pauvres de sa paroisse , il leur eu dis- 
tribua le reste dans une maladie , dont il ctoyoit 
mourir. Dieu luy ayant rendu la santé , il se trouva 
plus pauvre que les pauvres mêmes, à qui il avoit 
donné tout ce qu'il avoit; et il vécut cependaol 
aussi content dans sa pauvreté, que d'autres au- 

roient fait dans leurs richesses 

Nous avons dans notre maison une congrégation 
de Nôtre Dame , do^t les congrèganistes contoî- 
buent beaucoup à maintenir la pieté dans cette isle. 
On en oonnoit quelques-uns, qui jeuneot au paiu 



— 464 — 
et à Teau tous les samedis et toutes les veilles des 
fêtes de la sainte Vierge. 

Pour £aire un bien solide parmy les grecs de cette 
isle, on élevé leurs enfans avec beaucoup de soin. 
Quelques-uns parmy eux sont si zélez, et si instruits, 
que nous les avons vu souvent disputer avec des 
schismatiques , qui avoient de la peine à leur répon- 
dre, et qui en étoient souvent confondus. Par le 
moyen de ces enfans nous avons reconcilié à 
rSglise romaine plusieurs de leurs parens et des 
famjjles entières 

Cette isle a pris saint François Xavier pour son 
patron. Nos habitans luy ont fait bâtir une cha- 
pelle f qui est continuellement fréquentée des grecs 
et des latins. Ils y ont recours dans toutes leurs 
nécessitez , et ce grand Saint employé souvent son 
crédit auprès de Dieu en leur faveur. Il n'y a pas 
bien longtemps qu'une dame grecque du rit latin, 
nommée Catherine Storza , se voyant malade à 
l'extrémité , demanda en grâce , qu'avant que de 
mourir , on luy apportast une image du Saint. 
Lors qu'elle l'eût entre les mains , elle la baisa 
avec beaucoup de respect et de confiance A peine 
eut-elle achevé une courte prière , qu'elle se trouva 
guérie^ avec l'étonnement et l'admiration de sa 
famille et des médecins , qui en furant témoins. 
Quelque temps après cette dame vint faire ses de- 



— 265 — 
votions dans la chapelle de saint Xaxier , et luy 
rendre grâce comme à son bienfacteur. 

Les consolations dont nos Missionnaires ont joui 
dans cette fervente mission, n'ont pas toujours été 
sans croix. Le Père d'Autruy, avec son compagnon, 
fut pris et mis à la chaîne, dans une irruption des 
infidelies. Il demeura six mois en galère, pendant 
lesquels il instruisoit et confessoit les esclaves. Il 
fut racheté par des marchands de Chio; mais quatre 
mois après il mourut, des fatigues de sa captivité. 
Un autre Missionnaire receût plusieurs coups de 
bâton d'un schismatique irrité contre luy de ce 
qu'il avoit converti une femme que. ce malheureux 
aimôit.Nous ne parlons point des autres insultes que 
nous avons eu à souffrir pour les interests de la reli- 
gion : mais nous pouvons dire que les souffrances 
nous sont avantageuses; car elles purifient nôtre 
zèle, et redoublent nôtre ferveur. . . 

Les Chrétiens de Negrepont nous invitèrent 
de venir dans leur isle , qui* n'est éloignée de 
Thebes que de cinq lieues, et de deux journées 
d'Athènes. Ce fut pour les satisfaire qu'on y envoya 
deux de nos Missionnaires. Ils y trouvèrent beau- 
coup de travail, et beaucoup de fruit à faire, parti- 
culièrement auprès des esclaves galériens, qui y 
passent l'hy ver. Le nombre en est grand ; celuy des 
latins peut monter jusqu'à cinq ou six cents. Ils 



sont sans secourSi n*y ayant ai religieux ai prêtres 
latins dans cette isle. On leur permettoit de venir 
les fêtes et les dimanches dans notre chapelle^ où 
nous avons veû arriver une chose fort extraordi* 
naire. 

La chapelle qui étoit au premier étage de nôtre 
maison^ étant un dimanche matin toute pleine de 
ces esclaves, qui y étoient venus pour entendre la 
messe, le planché fondit tout d'un coup, et si éga* 
lement de tous cotez , que chacun se trouva dans la 
même posture , sans que qui que ce soit fût blessé. 
Ce qui parut en quelque manière miraculeux, c'est 
qu'il n'y eût que l'endroit où étoit l'autel et le 
, prêtre, qui demeura comme suspendu en l'air. 

Parmy les esclaves dont noiss venons de parier, 
il se trouve quantité de luthériens, dont plusieurs 
ont été convertis. Entre les conversions qui se«fiont 
faites à Negrepont, il ne faut pas oubUer celle d'an 
jeune homme de Paris. L'histoire de sa vie est asbez 
extraordinaire. Ce jeune homme, à l'âge de dix-sept 
ans, sortit de chez son père pour aller en Piémont 
trouver son frère, qui y swvoit en qualité de lieu- 
tenant. De là il passa en Candie, où il fut pris et 
fait esclave. Sa captivité luy étant insupportable, il 
se fit turc pour en sortir, et prit ensuite l'habit de 
dervis, c'est-à-dire de religieux de la secte de Ma- 
homet. Il passa 20 ans dans cet état, pendant les- 



— 267 — 

quels il fit paraître tant de modestie et de sagesse, 
qu'il s'acquit le nom de saint parmi les Turcs, et 
s'en fit si fort respecter, qu'Alli Bâcha, le plus grand 
seigneur de Negrepont, le faisoit toiijours asseoir 
audessus de luy. 

Quelque temps après nôtre dervis tomba dange- > 
reusement malade. Alli Bâcha envoya quérir incon-* 
tinënt un des Missionnaires, qui avoit fait plusieurs 
guéHsons dans l'isle. Le malade touché des soins 
du Père, et plus encore de la présence d'un reli- 
gieux françois, qui luy reprochoit intérieurement 
son crime, luy avoiia qu'il étoit François comme 
luy, et né Parisien : il luy fit ensuite le détail de sa 
vie. Le Père, admirant les secrets de la Providence, 
et voyant qu'il n'y avoit pas de temps à perdre dans 
l'état où étoit son malade, luy dit avec tous les 
témoignages possibles d'affection et de zélé, que 
Dieu l'avoit envoyé dans cette isle»pour l'aider à 
sortir de son apostasie; que n'étant peut-être pas 
éloigné d'aller paroître devant luy, il n'avoit point 
de salut à espérer, s'il ne mouroit chrétien. Il 
excita ensuite la confiance de cet enfant prodigue, 
en luy découvrant les miséricordes avec lesquelles 
Dieu reçoit les pécheurs penitens. Le malade se 
sentit attendri , la grâce le pressa , les larmes cou- 
lèrent bien-tôt de ses yeux. Il demanda à se con- 
fesser, il le fit avec toute la componction possible, 



— 268 — 

et ne pensa plus à autre chose qu'à bien mourir. 
Le Père qui l'assistoit le voyant beaucoup plus mal, 
trouva le moyen de le communier secrètement, et 
enfin il eût la consolation de le voir expirer sainte- 
ment entre ses bras. Un Missionnaire à qui un 
pareil bonheur arrive se sent récompensé au cen- 
tuple de tous les travaux de sa vie. 

Outre les biens que tous les Missionnaires ont 
fait dans cette isle parmi les esclaves et les grecs, 
ils en ont fait encore de très-grands parmi les alba- 
nois y dont les villages de Negrepont sont peuplez. 
La plupart d'entr'eux ne s'étoient jamais con- 
fessez, non pas par irreligion, mais plutôt par 
ignorance, ou manque de Confesseurs, en qui ils 
eussent confiance. Nous avons veù des actions 
héroïques que plusieurs jeunes albanoises ont 
faites pour conserver leur innocence. Il n'y a 
pas long-temps, qu'il y en eût une attaquée par 
trois jeunes hommes, qui se défendit avec tant 
de générosité, que ces misérables, irritez de se voir 
vaincus par une personne si foible, eurent la cruauté 
de la tuer à coups de couteau. 

La foy a eu aussi ses héros dans l'isle de Megre- 
pont. Un chrétien s'y étant fait turc , il voulut obli- 
ger sa fille âgée de seize ans à suivre son exemple, 
elle n'en voulut rien faire. On la mena devant le 
Cady i sa raere vint consulter les Pères , sur ce 



— 269 — 
qu'elle avoit à dire à sa fille : eux luy ayant répondu 
qu'elle devoit Texhorter à souffrir toutes sortes dé 
tourmens , plutôt que de se rendre , elle vînt en 
mère chrétienne l'encourager à persister dans sa 
foy jusqu'au 'dernier soupir de sa vie. Elle persista 
en efFet malgré tous les mauvais traitemens qu'on 
luy fit. Le Cady fut si touché de la vertu et du cou- 
rage de cette jeune chrétienne, qu'il la fil rendre à 
sa mère, pour vivre comme elle voudroit; Dieu 
s'étant contenté du sacrifice que la mère et la fille 
venoient de luy faire , comme il se contenta autre- 
fois de celuy d'Abraham et d'Isaac. 

Nous avons veû encore dans cette même isle un 
pareil sacrifice d'un jeune homme natif d'Orléans, 
qui se iiommoit George. Il étoit l'esclave d'un Aga. 
Son maître voulut l'obliger de l'accompagner à la 
Mosquée, pour y prier avec luy dans la solemnité du 
Beïran , qui est le jour de la grande réjouissance 
des turcs, après leurs jeunes de trente jours. L'es- 
clave luy répondit qu'il étoit chrétien, et que sa foy 
luy défendoit d'y aller. L'Aga en vint aux menaces^ 
et ensuite aux effets. Il le fit attacher à un gros 
arbre, et le fit battre. Quelques turcs qui étoient pre- 
sens bandèrent leurs arcs pour le percer de flèches. 
Lie chrétien leur découvrit sa poitrine , et leur dit 
qu'il étoit prêt de recevoir leurs coups. Alors son 
maître admirant le courage de son domestique , et 



— 270 — 
pensant aux bons services qu'il luy avoit rendus, le 
fit délier et luy donna même la liberté. Si-tot qu'il 
l'eût receuê , il vint cbez nous, et nous, raconta les 
grâces que Dieu luy avoit faites. 

Nos Missionnaires ont eu pareillement leurs 
persécutions. Les Père de GuiUy et Chamerlat ont 
été mis aux fers. I^ur captivité porta bonheur à 
d'autres prisonniers, que ces Pères retirèrent de 
l'esclavage du démon. Le Père 4^ l'Estringant 
supérieur de cette Mission receùt deux coups de 
couteau. . 

Le mauvais air de cette isle nous a encore été plus 
contraire que les infidelles même. Il nous a enlevé 
plusieurs Missionnaires d'un mérite extraordinaire, 
et entr'autres le Père Richard et le Père Rozier, 
hommes vraiment apostoliques. Ceux qui assistèrent 
à Ui mort du dernier^ nous ont asseùré que lors- 
qu'il expira ils virent une flamme qui brilloit sur 
son visage. 

C'est la perte de tant de Missionnaires, qui nous 
a obligé de suspendre l'établissement de cette Mis* 
siqn y et de nous contenter d'y aller dans le temps 
de l'année, où l'air y est moins corrompu... 



— 474 



m. 



Los bénédictions du Ciel n'ont poiiit cessé de cou- 
ler en aboïKlaDce; tsm la Mission de -Sminie , et sur 
les MissionDSii?es jusqu'en l'année 168S , cpi'un 
étrange acccideùt ruina presque to»le la ville, et 
pen^a perdre nôtre Mission. 

Ce fut le 10 de juillet de cette année, qu'entre 
onze heures et midi, arriva à Smime ce grand trem* 
blement de terre , qpi fk icj un si effroyable de- 
sordre. En moins de vingt-quatfe heures la terre 
s'entr' ouvrit jusqu'à huit fois, et engloutit plus 
des 4eux tiers de la ville. Quelques heures après 
on vit des tourbillons de feu s'échapper^ par des 
crevasses de la terre ; un gros vent qui s'éleva 
ppur lors , lés porta de tous les cotez , et alluma 
un affreux inceiadie, qui acheva de consommer 
les restes des ruines. Vingt mille hommes au moins 
périrent, soit par le feu, soit par le bouleversement 
des maisons : la notre avec nôtre petite chapelle fut 
du nombre de celles dont il ne parut plus aucun 
vestige. Nous fumes cependant assez heureux pour 
enlever le s^int qiboire, nôtre superieurcoupat.au 
tabernacle malgré le péril évident de 'sa vie*, et il 



— J7J — 

porta les saintes hosties sur le bord d'un capitaine 
MarseiUois , qui étoit au port ^ . 

Nous perdîmes tout le reste de nos petits meu- 
bles; mais dans cette perte commune, ce qui nous 
fut le plus sensible fut de nous voir presque sans 
espérance de pouvoir rétablir notre Mission ; car 
la politique des turcs ne souf&e pcûnt de rétablis- 
sement .des égUses. détruite^, croyaM par^là saper 
les fondemeos de la religion. ciirétienne : mais la 
Providence qui veilloit sur nous ne nous affligea , 
ce semble , alors que pour réparer aujourd'huy nos 
pertes avec usure. Monsieur Girardin qui étoit 
notre ambassadeur, ayant appris le malheur de 
cette ville, y envoya inpeasamment Monsieur Blon* 
del , son chancelier^ avec des patentes du consulat. 
Ce nouveau consul donna dans cette occasiem de 
grandes [Meuves de son mérite et de son habileté : 

•^ — ' ' ■ ■ ■ ■■■■ I.. ■ I ; i. ' r 

* Ce Père était le P. François de l'Estringant, natif d'Orléans. 
Voici les détails que nous trouvons dans les Lettres édifiantes : « Le 
« 10 de juillet, jour auquel arHvà ce désat^e; dont le souvenir 
« fait encore frémir , on a établi à Sinyroe un .anniversaire avec 
f jeûne et exposidon du Saint-Sacrement. Il y a grand concours de 
« monde à cette fête, et beaucoup de communiants. Le'PèrQ^Fran- 
« çois Lestringant , alors supéHeor de cette MissioD, qu'on retira 
« demi-mort de dessous Jes ruines de notre Maison , prie toijoui^* 
c quoique fort âgé , qu'on lui laisse faire le sermon de ce jour-là. 
tt Personne, dit-il, ne le pouvant faire avec autant de connaissance 
« de cause, lii-étre aussi rempli de son sujet que lui. » Lett. édxf: 
Parî&,i838, t. 1,83. 



— 273 — 
car il sceut si bien gagner la confiance de toutes les 
nations, que malgré les pertes qui les avoient dé- 
couragez , il leur fit prendre la résolution de rendre 
leur commerce plus florissant que jamais. 

Il n'attendoit plus que les ordres de Monsieur 
l'ambassadeur pour travailler au rétablissement de 
nôtre chapelle. Ce fut icy où nous conneûmes par- 
faitement le crédit des ambassadeurs de France en 
cette cour. Monsieur Girardin n'eut pas plustost 
demandé de la part du Roy, son maître , un com- 
mandement pour nous rebâtir, non pas une diâ- 
pelle , mais une église entière , qu'il l'obtint et l'en- 
voya en diligence à son chancelier, nôtre consul. 
Si-tôt qu'il l'eut receu, il fit jetter les fondemens de* 
la nouvelle église ; et sa générosité luy fit trouver 
dans ses propres deniers les avances nécessaires. 

Permettez, s'il vous plaît, Messeigneurs, que 
nous donnions icy à nos bienfacteurs une marque 
de nôtre reconnoissance , en vous rendant compte 
de ce qu'ils ont fait pour nous. 

Messieurs de la chambre royale du comâierce de 
Marseille ne furent pas plustost informez de^ nos 
pertes, qu'ils s'assemblèrent pour pourvoir aux 
besoins de la religion et aux nôtres; Ils résolurent 
de nous faire rebâtir une église à leurs frais , et 
pour cela ils ordonnèrent des levées sur tous les 
K. is 



— 274 — 
Taissttut françoit qui chai^^eM^iit à Féchdl6 àet 
Smûme* 

Les fonds ayant été ^iaits, Monsieur kf Consul 
hâta si fort le travail des ouvriers y qu'en moins de 
deux ans l'église fut achevée. L'ouverture s'en fit 
le 3 de décembre, fête de saint François Xavier. 
Messieurs du commerce souhaitterent qu'elle fut 
mise sous la protection de saint Louis , et elle fut la 
première de TAsie qui porta le nom de ce grand 
Saint ,. patron de plusieurs de nos Rdis. La cérémo- 
nie en fut fiiite par Monseigneur le Vioaire apostoli- 
que en présence de l'Ârdievéque des arméniens y 
et de plusieurs autres Prélats. Monsieur le Consul y 
assista, à la tête de la nation; tout ce qu'il y avoit 
de grecs et d'arméniens à Smirae y vinrent donner 
des marques de leur pieté. La journée se passa dans 
tous les exercices de religion les plus propres à 
donner aux fidellesde la ferveur dans leur dévotion. 
Qn y prêcha en trois langues dififerentes. La 
grand'messe et les vespres furent diantées sdlem- 
nellement par le Vicaire apostolique/ La bénédic- 
tion du sai0t Sacrement fut suivie d'une décharge 
générale de tous les canons, qui étoient sur les 
^vaisseaux françois, pendant qu'on entendoit de 
tous cotez les cris de vive le Roy. Mais ce qui 
nous parut de plus iiemarquable, c'est que tout cet 
éclat qu'on doit éviter en ce payfrcy, bien loin de 



— 275 — 
choquer ^persomM, édifia ceux qu'on aupoit orù y 
devoir trofiver à redire : plusieurs de ce nombre 
furent prtsens à nos cérémonies avec beaucoup de 
respect. On dit même que quelques-uns d'eui; 
charmez de la pieté des fidelles s'écrièrent en leurs 
langues: O que lesdirétiens ont de foy! Ce qui 
est trés^onstant , c'est que ce jour fut pour eux 
aussi bien que pour nous, un jour de joye et de 
réjouissance. 

Nô^e église depuis ce temps-^là a toujours été 
trés-frequentée ; on y voit quantité de communians 
à tontes les Messes ; il y en auroit même davantage, 
si nous étions un plus grand nombre de confes-^ 
seurs. 

Les dimanches nous assemblons dans nôtre cour 
les pauvres de la ville ; nous leur faisons le caté- 
chisme, et nous leur distribuons ensuite une au- 
mône. 

L'école se tient tous les jours, matin et soir. Nous 
admirasmes, il y a quelque temps, le courage d'uïi 
petit orphelin âgé de six à sept ans : ses parens 
l'étant venu prendre pour le mener au prêche , ils 
luy firent toutes les violences qu'on peut faire à un 
enfant de cet âge, jusqu'à le maltraiter avec excès, 
l'enfant tint toujours ferme, et leur dit qu'ils le 
tuéroient plutôt que de le mener prier Dieu ailleurs 
que dans l'église des Missionnaires. 



— 276 — 

Nous continuons nôtre Mission sur les vaisseaux 
françoiSy vénitiens, génois et ragusois qui sont au 
port. On n'oublie pas celle des prisons et des hos- 
pitaux y non plus que les visites des familles chré- 
tiennes. Dans tous ces differens emplois les Mis- 
sionnaires trouvent de grands sujets de louer Dieu 
et de le bénir. 

Deux ministres et trois marchands, tous cinq 
hoUandois , furent si touchez, il y a quelque temps, 
du sermoh d'un de nos Missionnaires , qu'ils vin- 
rent ensuite nous prier de les instruire et de. re- 
cevoir leur abjuration. Nous avons aussi reçu celle 
d'une femme hoUandoise , et cette femme devenue 
fidelle a sanctifié son mary , selon le précepte de 

saint Paul. 

♦ 

Un françois faisant icy l'office de canonier, et 
ayant été si malheureux que d'abjurer sa religion 
>pour éviter les coups dont on l'accabloit , est venu 
chez nous fondant en larnies; et après s'être pré- 
. paré par une austère pénitence à recevoir l'abso- 
lution de son crime , un de ses parens l'a ramené 
dans son pays. 

Une femme native ^le Negrepont, qui avoit 
épousé un homme d'une religion bien contraire 
à la nôtre , a reçu le baptême , et a demandé le 
nom de Marie. Dieu a fait la même grâce à plu- 
sieurs autres. 



— 277 — 

I^es matelots y dont nous avons parlé, ont tant de 
zèle pour leurs compagnons, que si-tôt qu'ils en 
trouvent quelques-uns , qui sont dans Terreur et 
dans le vice, ils ne manquent jamais , ou de nous 
l'amener, ou de nous en avertir. Deux esclaves 
polonois ont fait depuis peu leur abjuration entre 
nos mains. 

On a tout sujet d'être content des grecs et des 
arméniens de cette ville. Le nombre des catholi* 
ques s'augmente parmi eux : ils vivent avec édifica- 
tion , et souffrent avec patience les avanies que 
leur religion leur attire. Plusieurs d'entr'eux sont 
toujours prests à la deffendre au péril même de 
leur vie. Nous avons vu depuis peu un grec assez 
heureux pour la donner : il est vray que sa fin 
glorieuse avoit été précédée d'une faute considé- 
rable. 

Il étoit âgé de quarante ans , natif d'une petite 
ville prés d'Athènes dans la Môrée. Il se nommoit 
Antoine Talandi. S'élant trouvé un jour avec 
quelques turcs , ses camarades , il leur dit dans la 
chaleur du vin , qu'il étoit turc. Sur cette seule 
parole, on le mena promptement chez le cadi. 
L'état où étoit nôtre grec, luy fit repeter tout ce 
qu'on voulut. Il reçût en même temps six écus 
pour le prix de son apostasie. Mais la nuit luy ayant 
rendu ce que le vin luy avoit fait perdre , il recon- 



_ 278 — 

mit sa faute \ et la pleurant amèrement , il la con- 
fessa à un prêtre, qui Tobligea de se dédire en 
public. Il obéit sans hésiter , quoy qu'il sçût bien 
que cet aveu luy coûteroit la vie. On le mit en pri- 
son j où il souffrit la bastonnade et la faim. Un 
Papas obtint avec un présent la permission de le 
visiter ; il trouva même le moyen de le communier 
en secret. Le prisonnier, après avoir mangé le pain 
des forts, attendit avec une sainte impatience, qu'on 
vînt lui annoncer la mort. Il écouta sa sentence 
avec une joye qui étoit peinte sur son visage , et 
qui parut toujours la même jusqu'au dernier sou- 
pir de s.a vie. Dans le moment qu'on luy tranchoit 
la tête ^ on l'entendit prononcer les saints noms de 
Jésus et de Marie. 

Nous sommes encore assez souvent témoins de 
plusieurs autres actions de nos catholiques, qui 
pour être moins éclatantes deVant les hommes , ne 
font pas moins d'honneur à la religion , et sont 
aussi méritoires devant Dieu. Celles de nos con- 
greganistes sont de ce nombre. Le temps qui ra- 
lentit quelquefois la ferveur de toutes les assemblées 
de pieté n'a rien encore diminué de la leur. Nous 
les voyons aussi charitables et aussi zelez pour les 
bonnes œuvres , qu'ils ayeht jamais été ; ils déli<- 
vrènt quantité d'esclaves ; ils assistent les malades; 
ils font k guerre à tout ce qui petit corrompre les 



— 279 — 

mœurs de la jeunesse; et nous les trouvons toujoum 
prests à entrer dans tout ce que nou^ proposons 
pour la gloire de Dieu. La coqfianee,, qu'ils ont 
en Nôtre-Dame, fait qu'ils mettent tous leurs vais- 
seaux sous sa protection , et en expérimentent sou- 
vent de prompts secours dans les dangers conti- 
niuels y où leurs marchandises sont exposées. 

Mais nous ne pouvons parler icy de cette fervente 
congrégation , sans penser à la perte qu'elle vient 
de faire d'un de ses .plus illustres sujets. La mort 
vient de luy enlever Monsieur de Bians , âgé seule- 
ment d'environ trente ans. Les services de Monsieur 
son père dans le consulat de Smirne y qu'il a exercé 
pendant plusieurs années , avoient porté le Roy à 
faire succéder le fils au père dans l'employ de con- 
sul. A peine en avoit-il reçu les patentes , qu'il a 
plu à Dieu de l'appeller à luy. C'étoit un jeune 
homme sage , habile et appliqué. Il est icy regretté 
de tout le monde et particulièrement des Mission- 
naires, qui le regardoient comme un des appuis de 
la religion. Il est mort après avoir donné commen- 
cement à une bonne oeuvre , qui sera Ja source , 
comme nous l'espérons, d'un trés^rand bien pour 
la nation. 

I>ix des plus considérables de la congrégation , 
dont il voulut être du nombre , firent pendant la. 
semaine, sainte de l'année dernière la retraite de 



— 280 — 
huit jours, avec toute Texactitude et la régularité 
qu'on observe dans celles de nôtre noviciat de 
Paris et de plusieurs autres de nos maisons. La 
satisfaction que ces Messieurs en ont eue, et le pro- 
fit qu'ils en ont tiré, ont fait naître à plusieurs 
lenvie de faire une pareille retraite. Nous tâche- 
rons d'entretenir un si saint exercice, que l'expé- 
rience a fait voir être un des plus propres à opérer 
la sanctification des âmes. 

Nous avons encore donné icy commencement à 
un autre établissement d'une grande importance , 
pour détruire peu à peu le schisme si enraciné dans 
rorient , et pour ramener tant de brebis égarées au 
commun pasteur de l'Eglise. C'est l'établissement 
d*iAi séminaire , dont le projet a été formé à Paris 
depuis deux ans , et qui est destiné non seulement 
pour former nos nouveaux Missionnaires à la vie 
apostolique, et pour leur donner le temps d'ap- 
prendre les langues et les dogmes des orientaux ; 
mais encore pour y élever des enfans choisis dans 
les différentes nations du Levant, et les instruire 
pour être un jour en état de remplir les dignitez 
ecclésiastiques, et d'en chasser le schisme qui s'en 
est emparé. 

Nous avons présentement six jeunes séminaristes 
dans nôtre, maison , qui ont beaucoup profité de 
nos soins,. et qui nous donnent de grandes espe- 



— 281 — 

rances. Le peu de charités que nous recevons pré- 
sentement de France , nous empêche d*eii avoir un 
plus grand nombre : nous attendons même que la 
Providence nous envoyé ce qui nous est nécessaire 
pour Fentretien de ceux que nous instruisons. 

Le bâtiment nous manqubit pour loger les sémi- 
naristes et les Missionnaires. Nous avons encore 
trouvé dans les liberalitez de Messieurs du com- 
merce de Marseille , de quoy reparer ce que le 
tremblement de terre nous avoit fait perdre. Mon- 
sieur le Bret, premier président du Parlement d*Aix, 
et intendant de la province , qui a autant de zélé 
pour la religion qu'il en a pour les interests du Roy, 
représenta à ces Messieurs que nous étions sans 
maison. Bien-tôt après leur chambre étant assem- 
blée, ils nous destinèrent avec beaucoup de bonté 
une somme considérable , pour nous aider à faire 
un bâtiment conforme à nôtre dessein du sémi- 
naire. Lorsqu'il sera achevé, nous aurons de quoy 
loger plusieurs Missionnaires et plusieurs seminar 
ristes ; et cette Mission aura l'avantage de fournir 
des ouvriers evangèliques à toutes les provinces 
d'Orient , et de leur donner un jour des prélats 
pour les gouverner. 

Nous espérons , Messeigneurs , que ce nouvel 
établissement méritera vôtre approbation. Les 
avantages que vous retirez de vos séminaires pour 



— 28Î — 
ravanœment de la gloire de Dieu dans vos.dio* 
çéses, voua fera juger de Tutilité de celuy-ci pour 

toute rSgUse d'Oneot. 

. L'école que nous avons, etj^ie id (à Santorin) 
pour réducation de la jeunesse , et a qui été fondée 
par madame la présidente de Nesmond, fait des biens 
que Ion ne peut imaginer ^ Car non-seulement les 
jeunes gens y apprennent les belles-lettres, avec les 
principes dç..la vie chrêtiezme^ pour estre un jour 
eux-mêmes les Apôtres de leur isle ; mais ils nous 
servent pour faire des instructions publiques. Car 
ces jeunes gens son^ stilez à disputer entr'eux sur 
les veritez de la Religion. Us s*objectent les uns aux 
autres, des dif^cultez, et y répondent. Ils recitent 
par cœur de petits sermons de morale, mêlez d'his- 
toires de Tanden et du nouveau Testament, tres- 
agreables aux orientaux. Ces paroles saintes dans 
leur bouche fon^ souvent plus d'effet que dans les 
nôtres : car ils s'acquittent si-bien de cet exercice, 
que ceux qui viennent de tous cotez en grand 
nombre pour les entendre , s'en retournent char- 
mez. Voila un sujet de joye tres-sensible et tres-con- 
solant pour l'illustre famille, qui eêt la fondatrice 
d'un si grand bien. 

Nous continuons k distribuer avec beaucoup de 

I - - 

* Les détails que nous donooils sont postérieurs à la 'Relation im- 
primée du P. Françoit Richard sur llia de^Mot-Erini (Santorin). 



— 283 — 
succès et de fruit les remèdes qui nous viennent de 
France ; ceux que madame de Miramion a eu la 
charité de nous envoyer ont fait icy des cures mer- 
veilleuses, et nous ont aussi servi à guérir des âmes 
plus malades que les corps. 

I^ Congrégation érigée en l'honneur de la sainte 
Vierge est tres-remplieet tres-fervente. Comme nous 
ne sommes dans cette isle que trois Missionnaires , 
nous ne pourrions pas, sans le secours de nos Con- 
greganistes, satisfaire à tant de devoirs differens. 

Enfin la plus grande marque que nous puissions 
donner des bénédictions que Dieu verse sur la Mis- 
sion de Saint-Erini, c'est que de tous les grecs et de 
tous les. latins qui y habitent, à peine en voyons- 
nous présentement qui ne soient tres-catholiques. 



TABLE. 



PREMIÈRE PARTIE. — 1609-1610. 

Lettre du R. P. François de Ganillac, de la Compa- 
gnie de Jésus, aux Pères et Frères de la même 
Compagnie qui sont en France. . . . page 1 

DEUXIÈME PARTIE. — 1612; 1616. 

Lettres annuelles de Constantinople (année 1612) 
adressées aux Pères et Frères de l'assistance de 
France, par le R. P. François de Canillac, de la 
Comp^ignie de Jésus page 59 

Lettre d'un docteur de Sorbonne (Louis de Moran- 
villiers), qui est auprès de Mgr l'ambassadeur, 
pour le Roi de France, en Turquie, à M. de Sancy, 
frère dudit ambassadeur page 86 

Note d'un missionnaire sur l'opposition de Venise à 
la Compagnie de Jésus page 93 

TROISIÈME. PARTIE. — 1663-1664, 

Lettres du P. Robert Saulger, de la Compagnie de 
Jésus, à un Père de la même Compagnie (le pro- 
vincial de France.) page 95 



— 286 — 

QUATRIÈME PMTIE. 

Diverses lettres et relations des Pères de la Com- 
pagnie de Jésus employés aux missions du Le- 
vant. ; • .' . page 109 

Chapitre premier. — Observations générales sur les 
moyens de pourvoir la mission de bons ouvriers. 

Ibid. 

Chapitre tl. — Etablissement en t*tle de Naxie. 

page 111 

Relation de ce qui s'est passé en une mission par les 
villages de Tîle de Naxie, au mois d'août 1641, 
envoyée à M. le Mattre, marchand, à Rouen, parle 
P. Mathieu Hardy page 113 

Chapitre m. — Etablissement à Napoli de Romanîe, 
et à Patras, dans la Morée ou Péloponèse, page 420 

Chapitre IV. — Etablissement en l'Ile de Paros. 

page 122 

Briève relation de ce qui s'est passé en Ttle de Paros, 
Tan 1841, envoyée au P. Jacques Dinet, provincial 
de la Compagnie de Jésus, en France, par le P. Jac- 
ques d'Anjou. Ibid. 

Chapitre V. — Etablissement à Athènes. — Extrait 
d'une lettre du P. François Blaiseau de la Compa-* 
gnie de Jésus, écrite de Kalchis ou Egripos» le 
deuxième jour de V^n 1042. . . . pago 138 



-- 287 — 
Lettre écrite par les principaux Grecs d'Athènes au 

Père supérieur de Cionstantinople. . page 146 
Lettre des principaux Turcs d'Athènes à Mgr de la 

Haye « ambassadeur au Levant. . . page 147 

GHAprrRE VI. — Quelques autres lieux, où les PP. 
Jésuites ont été, et pourroient s'y établir, s'ils 
avoient quelques secours de France, page 148 

Chapitre VII et dernier. — Extrait d'une lettre du 
16 août 1641, envoyée d'Alep parle P. Jean Amieu^ 
au P. d'Autruy (à Paris). . . •. • page 152 

CINQUIÈME PARTIE.— 1658. 

Briève relation de Piétablissement des Pères de la 
Compagnie de Jésus en la ville de Smyrne , et de 
leurs emplois et projets pour y conserver et aug- 
menter nostre sainte foy page 159 

Châpiîre prebher. — De l'établissement des Pères 
de la Compagnie de Jésus, en la ville de 
Smyrne. .... ....... Ibid. 

Chapitre IL — De la réduction des Grecs de 
Smyrne à l'union de l'Eglise romaine avec un 
authentique témoignage de leur affection vers 
les Pères missionnaires, et de leur dévotion à 
saint Ignace. . . . , p. 170 

Lettre de l'Archevêque grec de Smyrne, à Louis Xin. 

page 174 



— 288 — 
Chapitre UI. — Du glorieux martyre de Nicolas 
Caseti page 183 

Ghapiere IV. — De Taffection des Arméniens de 
Smyrne, envers l'Eglise romaine et nostre Com- 
pagnie p. 193 

Chapitre V. — De l'assistance rendue aux marchands 
françois et aux autres habitants de Smyrne ou 
passagers du rit latin page 208 

Lettre du P. Charles (de) Boilesve, au R. Père Nicolas 
de Ste-Geneviejve page. 213 

Chapitre VI et dernier. — Martyre de vingt-trois 
Turcs convertis. page 228 

SIXIÈME PARTIE. . 

Extraits de l'Estat des Missions de Grèce, présenté à 
Nosseigneurs les arche vBsques, evesques etdéputés 
du clergé de France, en l'année 1695, par le 
P. Thomas-Charles Fleuriau, de la Compagnie de 
Jésus page 235 

I. Constantinople. Ibidl 

II. Archipel page 256 

in. Smyrne page 271 



Poitiers, typ. «t itéréotyp. OuoiN.